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LE NOUVEAU
CONSERVATEUR BELGE.
POUR SERVIR DE SUITE A
L'ANCIEN CONSERVATEUR.
TOME X.
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in 2010 witii funding from
University of Ottawa
Iittp://www.archive.org/details/lenouveauconserv10louv
LE NOUVEAU
SERVATEUR
RECUEIL ECCLESIASTIQUE, PHILOSOPHIQUE
ET LITTÉnAI&E.
Quod bonum est , tenete.
1. Thessal. 5, I2.
TOME X.
LOUVAIN,
CHEZ VANLINTHOUT ET VANDENZANDE.
1834.
(VV»lVV»VV»VV\V>AAA/\VWIVVVVV»VV»VMVV»/V»«VV\IVWVV\VV»SrtAlVV\»A»IVV»V«(VV»lVV»AAl\fWV«AAIV«(^
LE NOUVEAU
CONSERVATEUR BELGE.
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DU PROGRÈS DES SCIENCES
ET DE IiEUn INFI.UENCE SUR I.ES CROTANCES
RELIGIEUSES.
« Les ouvrages littéraires ne possèdent plus le privilège exclusif de char-
» mer les loisirs de l'homme et de fixer ralfention des esprits culfi-
» vés j si la lecture des poètes et des grands écrivains séduit Tima-
» gination et orne la mémoire , en y gravant des images nobles ou
» gracieuses , si elle développe et entretient le sentiment exquis du
» goût ; la lecture des ouvrages de science éveille aussi de fécondes
3) idées , fait passer sous nos yeux de magiques tableaux , agite l'âme
» de mouvemens délicieux, devient, en un mot, une source de jouis-
)i sances pures et multipliées. Il n'est , en effet , personne aujourd'hui
» qui n'aime la science , qui n'interroge avec curiosité les savans ,
)> qui ne consulte leurs livres pour y chercher l'explication des phé-
» nomènes et des mervelles de la nature. » ( Ctjvier , Prospectus du
Dictionnaire des sciences naturelles. )
Le siècle de Louis XIV, si fe'cond en grands evënemens ,
ne le fat pas moins en grands hommes : la protection que ce
monarque accorda aux lettres et aux arts, se refle'ta sur leurs
ouvrages. L'architecture produisit des monuniens dont le ca-
ractère de grandeur les fait aise'ment distinguer entre tous
ceux dont fourmille Paris ; la Colonnade du Louvre , l'Hôtel
et le dôme des Invalides , l'Arc de triomphe élevé en son
honneur, sont bien au-dessus de l'Ecole militaire et des autres
6 DU PROGRES DES SCIENCES.
constructions cln règne suivant. La peinture ne prit pas un
si £;ran(l essor : il semble que , plus courtisane , elle voulût
flatter encore la mollesse tle la cour. Elle excella principa-
lement à faire des bergères , des grâces , des enfans et des
anges , et si sous la main de Lesueur, de Lebrun et de Lemoine,
elle produisit des tableaux remarquables, elle ne put ne'an-
moins s'e'lever à ces grandes conceptions qui avaient illustré
les e'coles de Raphaël et de Micbel-Ange, et des autres grands
maîtres de l'Italie.
Parmi les grands hommes contemporains du grand roi, se
dessinent , sur le premier plan , deux grandes figures , celle
de l'e'vêqne de Meaux, dont le génie et la mâle e'ioquence
forcent l'admiration , et celle de Fe'ne'lon , qui , par la douceur
et la suavité de ses écrits, est tant goûté des gens du monde.
Bien d'antres hommes célèbres se distinguèrent dans des
genres divers. Molière excella dans la peinture des mœurs,
Boileau dans la satire , Racine dans l'expression des plus no-
bles et des plus tendres sentimens , madame de Sévigné est
encore le modèle le plus achevé du style épistolaire , Descar-
tes et Pascal reculèrent les bornes des sciences exactes, Tourne-
fort et Jussien enrichirent la botanique de leurs découvertes ;
mais les autres sciences naturelles ne suivirent pas la même
impulsion , et elles ne produisirent en France aucune décou-
verte importante sous ce règne mémorable.
La régence et le règne de Louis XV portèrent la corruption
partout. Il semblait que les mœurs du monarque et de la
cour desséchaient par leur influence délétère, toutes les sources
de la vie sociale , et telle fut l'action de cette influence , qu'elle
parut confisquer au profit de l'incrédulité tous les travaux
dessavans.
Cependant A^ollrt^av ses Leçomt de Physique exjyérimentale ,
Gray et Diifay , par leurs Recherches sur l'électricité , Frank-
lin, donnèrent une nouvelle vie à la Physique. Buffoti traçait
dans une prose harmonieuse VHistoirc du règne animal , mais
son ignorance en Géologie laissa un vide immense dans le
tableau, d'ailleurs si magnifique, qu'il nous a donné de la
formation et de la construction du globe terrestre ; tableau
DU PROGRES DES SCIENCES. 7
qai n'est du reste qu'une brillante hypothèse, incapable de
soutenir l'examen le moins approfondi.
Plusieurs autres savans commencèrent à explorer le vaste
champ de la Ge'ologie , mais leurs de'couvertes ou plutôt
leurs aperçus e'taient loin d'avoir le degré' de probabilité' que
celte science a acquis de nos jours. L'inspection des fossiles
marins les amena à cette conclusion que la mer avait passé
partout, et en comparant l'existence des continens connus
par les plus anciens historiens avec cette hypothèse , ils en
déduisirent pour l'existence du monde une antiquité effrayante
pour l'imagination , et en contradiction manifeste avec les tra-
ditions chrétiennes. La découverte de débris d'éléphans en
Sibérie sembla augmenter la force de leurs argumens; car
pour que cette contrée eût jamais eu une tempéi^ature dans
laquelle cet animal eût pu vivre, il fallait supposer un re-
froidissement dont la durée embrassait une suite innombrable
de siècles. Des calculs chaldéens ou chinois, d'autres docu-
mens venus de l'Orient , semblaient confirmer ces conjectu-
res , et il faut bien le dire , les écrivains catholiques les plus
instruits, privés de faits et d'expériences contradictoires, pa-
raissaient plutôt éluder que combattre ces objections, en n'y
opposant sans cesse que l'autorité de la tradition.
Tous ces faits embellis et appuyés du sophisme séduisant de
Jean-Jacques , de l'épigramme acérée de Voltaire , des froids
calculs de d'Alembert , du jargon philosophique de Diderot,
devaient entraîner aisément une jeunesse d'ailleurs corrompue
par l'immoralité des hautes classes. Ce débordement d'impiété
eut pour résultat la révolution, dont les fureurs mirent le
comble au mal, en abolissant le culte catholique, et par con-
séquent toute instruction religieuse et morale.
Pendant cette horrible tempête, tous les esprits élant tournés
vers la politique, les sciences furent presque muettes; la
Chimie seule fit de notables progrès. Le célèbre et malheu-
reux Lai>oiùer lui avait fait faire un pas immense, par la
décomposition de l'air et de l'eau , et en fixant un nomen-
clature rationnelle qui détruisit à jamais l'arbitraire de celles
que jusqu'alors chaque chimiste adoptait à son gré. Ses im-
8 DU PROGBÈS DES SCIEIVCES.
mortels travaux ne le sauvèrent pas de la hache re'volution-
naire, et l'on sait qu'il ne pat pas même obtenir un sursis de
trois mois pour mettre la dernière main à des expe'riences
commencées , que l'emplirent et continuèrent avec beaucoup
de succès, quand la France eut recouvré un peu de tranquil-
lité', l^ourcroy , 5erf/io/e^ , Chaptal , Vauqiielin.
L'extension que prit la Chimie donna aux autres sciences
une impulsion nouvelle; en Italie, Gahani et /^o/to agran-
dirent le domaine de la Physique ; en Allemagne de Born et
TFerner ^ en France Deluc , Dolomieu et Dauùenton celui de
la Géologie. Précédemment Pallas avait démontré le premier
que les dépouilles d'éiéphans et les carcasses de rhinocéros,
trouvés avec leurs peaux entières , et des restes de ligamens
et de cartillages, n'aui aient pu échapper à la putréfaction dans
un pays chaud , que par conséquent ils avaient dû être trans-
portés de leur soi natal dans le sol glacé de la Sibérie, par
une violente inondation; Pallas ajoutait que ces restes l'avaient
convaincu de la réalité d'un déluge, tout en avouant qu'il n'a-
vait pu en concevoir la vraisemblance, avant d'avoir vu par
lui-même tout ce qui peut servir de preuve à ce mémorable
événement (i).
Mais voilà qu'au commencement de ce siècle , Chateau-
briand apparaît avec son Génie du Christianisme, météore
lumineux qui devait éclipser tonte la fantasmagorie voltai-
rienue. L'abbé Haiiy porte le flambeau de la raison dans les
Récherches géologiques : « En jugeant, dit-il, du progrès
» qu'ont dû faire anciennement les causes qui produisent les
» comblemens , les attérissemens et autres effets semblables ,
M par celui qu'elles ont fait depuis des époques connues , on
» peut en conclure que nos continens sont d'une date peu an-
» cienne, et qu'on avait eu recours, sans fondement, pour
>' expliquer leur formation, à des causes qui auraient agi pen-
>' dant une longue série de siècles (i). » Mais ce savant s'oc-
(i) Pallas, Observations sur les montagnes j p. 72.
(2) Hrtiiy. Minéralogie , t. IV, p. 426.
DU pbogbès des sciences. 9
cupa sortoat de Minéralogie. Rome de Lisle avait ramené
l'étude de la cristallisation à des principes plus exacts; Berg-
mann avait clierché à pénétrer dans le mécanisme de la struc-
ture des cristaux ; Haiiy détermina les lois de la cristallisa-
tion , leurs formes primitives et leurs molécules intégrantes.
Telle est la sagacité et la perfection de sa méthode, que la
décomposition uaécanique d'un cristal offre toujours des ré-
sultats conformes aux prévisions rigoureuses du calcul.
Bientôt l'illustre Ciwier embrassa l'étude de la Géologie sur
une plus grande échelle : sous sa main le gigantesque mam-
mout, le mastodonte et l'anoplotérium reprirent leurs formes
et leurs caractères. Ses travaux sur le bassin de Paris qui ont
servi de modèle à toutes les études analogues, le confirmè-
rent dans les opinions émises par Pallas et Haiiy ; enfin toutes
ses recherches le conduisirent à cette conclusion , que le dé-
luge est le dernier cataclysme qui ait bouleversé notre globe,
et que la date assignée par Moïse à cette catastrophe est désor-
mais certaine et incontestable (i).
Un savant physicien a bien voulu rétablir l'omniprésence
de la mer, en la supposant la cause génératrice de l'irruption
des volcans ; mais outre que son système est plus ingénieux
que probable, il ne prouverait rien contre l'époque du déluge,
paixe qu'avant cet événement , la mer pouvait avoir d'autres
bassins que ceux qui existent actuellement , et qu'il suffit, pour
que la science soit d'accord avec la tradition , que la dernière
révolution du globe se rapporte au temps indiqué par l'É-
criture.
Depuis, quelques écrivains ont voulu, en conservant les
dates , substituer un autre système à celui de Mo'ise , mais ils
n'ont pas trouvé d'écho. « S'il faut J'aire une autre Genèse,
» dit un savant médecin , faime autant in^en tenir à celle de
» iJ/oise (2).)) Ecoutons un des chefs de la littérature actuelle :
« On ne me soupçonnera pas d'assez mauvais goût, pour avoir
(i) Cuvier, Discours sur les réuolutions du Globe.
(2) Cordât, Cours de physiologie, Montpellier, i83i.
10 DU PROGRÈS DES SCIENCES.
» attendu à substituer mes théories aux faits de la re'vélation ,
» le moment, unique dans les longs âges du christianisme,
M où il rallie comme le seul palladium de la dernière civi-
» lisation, toutes les puissance ralionelles du genre humain (i). »
Le système ge'ne'ralement adopte' par les savans, la division
des terrains en primitifs, secondaires et terciaires, concorde
très bien avec i'ide'e d'un de'luge , puisque dans les premiers
on ne trouve aucun reste d'animaux ni de ve'ge'taux et que leur
pre'sence dans les autres suppose une formation poste'rieure qui
doit ne'cessairement son origine à de grands courans qui au-
raient dissous les terres et les auraient de'posées successivement
suivant l'ordre de leur pesanteur spécifique dans les valle'es
où ils furent arrête's. Partout, en effet, les formations secon-
daires se trouvent adosse'es aux montagnes primitives et con-
servent le même niveau des deux côle's des vallons où on les
rencontre.
Si l'on ne trouve pas d'ossemens bumains dans ces forma-
tions, c'est parce que Ihomme et le singe e'taient les seuls
animaux qui ne napent pas naturellement et dont les corps
ne surnagent qu'au bout de quelques jours , tandis que tous
les antres , au contraire , flottent quelques heures après
leur submersion. Il est e'vident que, les premiers durent ou
être broye's par les nombreux de'bris que les eaux traînaient
après elles, ou du moins être enterre's à une grande profon-
deur , et que les derniers ne durent être recouverts que d'une
coucbe peu e'paisse.
Mais ce n'est pas seulement la Ge'ologie qui a concouru à
démontrer la ve'rite' de nos traditions. ChampoUion-le-jeune ,
en découvrant la langue des bie'roglyphes , a prouve' qne le
zodiaque de Denderab avait e'té mal explique' , que son exis-
tence ne remontait pas plus haut que les premiers empereurs
romains, et il a de'truit par là toutes les inductions que les
incre'dules tiraient de son antiquité' pre'tendue. Abel Remusat
a également recueilli dans l'e'tude des langues orientales, des
(i) Charles Nodier, Élémens de linguistique , dans les feuilletons
du Temps.
DU PROGRES DES SCIENCES. 11
faits qai clëmeatent ceux qn'allégaaient les philosophes du dix-
huitième siècle ; enfin les voyageurs ont fait des de'coavertes
également pre'cieuses pour la science et la religion, et ten-
dant à prouver les faits racontés dans la Bible , et l'unité d'o-
rigine de l'espèce humaine.
Ainsi donc , les progrès de la physique , de l'histoire natu-
relle, de la géologie, de l'archéologie, de l'astronomie, l'é-
tude des langues , les découvertes des voyageurs ont de nos
jours battu en ruine tous les argumens des philosophes du
dernier siècle, et il n'est pas douteux que cette circonstance
n'ait exercé sur les gens instruits de notre époque une grande
influence, en faisant voir que la religion catholique n'avançait
rien dans ses enseignemens qui fut contraire aux faits positifs
attestés par l'expérience ou démontrés par la science et le
calcul.
D'un autre côté, l'impulsion donné aux lettres par Chateau-
briand , a porté son fruit ; ses œuvres , celles de Lamartine
ont prouvé que le catholicisme était éminemment poétique;
et c'était beaucoup que de faire abandonner la vieille mytho-
logie pour des sujets chrétiens. Ce mouvement a merveilleu-
sement secondé celui de la science , et déjà tous les hommes
remarquables par le talent et le génie inclinent vers le catho-
licisme : littérateurs et philosophes , tous conviennent de la
nécessité , du besoin d'une croyance. Cette concession est un
pas immense, car s'il faut une croyance, il faut une religion,
et comme on n'en trouve pas encore d'aussi parfaite que la
nôtre, sa cause est désormais gagnée auprès de tous les hommes
de bonne foi.
L'aperçu rapide que je viens d'esquisser démontre d'une
manière irrécusable que l'étude des sciences est d'an haut in-
térêt, non seulement pour l'homme du monde, mais encore
pour le chrétien , et qu'il est indispensable à quiconque se
voue à l'étude d'en prendre au moins une teinture générale,
et une idée assez exacte j)oor pouvoir en raisonner en con-
naissance de cause. Le littérateur qui les ignorerait, s'expose-
rait à d'étranges méprises, qui déconsidéreraient ses ouvrages,
quelques parfaits qu'ils fussent d'ailleurs.
J2 DD PROGRÈS DES SCIENCES.
Qae diront à présent les contempteurs de la religion , les
ennemis da catholicisme qui font de l'ignorance sa compagne
obligée ? Sans doate , ils ne savent pas que les de'convertes
de la science ont aussi contribue' au mouvement religieux qui
se manifeste en ce moment ; ils ne font pas attention à l'ac-
tion salutaire qae les travaux des savans ont eue sur les gens
du monde et à l'influence que ceux-ci exercent sur les mas-
ses ; les premières classes de la socie'té se reflétant toujours sur
le peuple. Il serait d'ailleurs facile de prouver par des calculs
sta-'istiques irrécusables que les départemens les plus ignorans
sont aussi ceux où les crimes sont plus fréquens ; que dans
ceux , au contraire , oii l'instruction est pins répandue , on
trouve dans les populations plus d'attachement à la religion
et plus de moralité publique.
Mais je m'aperçois que cette discussion me mènerait trop
loin de mon sujet , et d'ailleurs, j'ai atteint le but que je m'é-
tais proposé, si j'ai démontré, comme je l'espère, que si les
philosophes du dix-huitième siècle s'emparèrent des découver-
tes des savans pour étayer des systèmes anti-chrétiens, leurs
argumens et leurs sophismes ont été complètement détruits
par l'extension et le perfectionnement de toutes les sciences,
et que c'est en partie à leur influence réparatrice que nous
devons de voir aujourd'hui une réaction du principe religieux
contre l'incrédulité et Tindifierence qui naguère menaçaient
encore d'envahir toutes les classes de la société. — Annales
de Phil. Chrét. tom. VUl , p. i.
13
»VV\ V\ A VVVVV\iVM VV\ VV\ */V\ .VV\-VV»^A* VV\AAA VV\ «VVVVV* VM ^A^ ^A^ VV\ ^V\ ^^
TABLEAU SYNOPTIQUE
CONTENANT lEXPOSlTION DE LA DOCTRINE RENFERMÉE
DANS LES SAINTES ÉCRITURES, PAR M. l'aBBÉ FRÈRE (1).
Le tableau suivant est une preuve qui parle aux yeux , pour
ainsi dire , et prouve la divinité de nos Écritures et de notre foi.
En effet , on peut sans crainte en faire le défi à' tout incre'dule
et à tout contradicteur j ils seront impuissans à nous offrir un li-
vre , un seul livre, qui contienne un système de doctrine plus su-
blime , plus vrai , sur tout ce qui existe , embrassant mieux l'en-
semble de ce qui est. Dieu, l'homme, l'univers, et non-seulement
l'ensemble, mais encore chaque point en particulier. Oui, que l'on
nous montre un livre qui dise quelque chose de mieux que notre
Bible sur Dieu, son être, sa substance, ses attributs ; ses oeuvres,
l'univers , l'homme ; l'origine , les devoirs , les croyances , la destinée
de ce dernier. Oui, sur aucun de ces points, et sur aucun autre de
dogme et de morale, il n'est pas de livre, pas de philosophe, qui
disent quelque chose de mieux que nos Écritures. Ils peuvent dire
quelquefois aussi bien , mais c'est qu'alors ils ont appris d'elles ce qu'ils
enjdiseutj c'est de Dieu que les vérités sont sorties pour se répan-
dre dans tout le genre humain ; car tous les hommes sont frères ,
et un jour ils étaient tous rassemblés auprès de leur père , qui leur
racontait les merveilles de leur naissance , et les communications
qu'ils] avaient reçues de Dieu.
C'est ici un des points les plus essentiels , et que nous recomman-
dons à l'attention de tous ceux qui ont mission ou emploi d'ensei-
gner la jeunesse, ou qui aiment à prendre la défense de la vérité
de Dieu quand elle est attaquée. Les vérités générales sur Dieu ,
(i) Extr. àQ& Annales de Phil. Chrèt. n*» 46 , — V. ci-d. tom. VIll ,
pag. 55o.
14 TABLEAU SYNOPTIQUE ETC.
sa nature , ses attributs j sur l'homme , ses devoirs , ses perfec-
tions , ses rares qualités , ses de'fauts , etc. , tout cela est générale-
ment connu ; la lumière de PÉvangile a si bien dissipé les te'nèbres,
que , sans le vouloir même , les hommes les plus éloignés de croire
à l'Évangile, n'ont cependant pas d'autre croyance que celle con-
tenue dans ce livre divin. Aussi il n'est personne qui nie toutes ces
grandes vérités. Mais ordinairement on n'en connaît pas l'ensemble ,
l'oriqine ; on ne sait pas que tout ce que l'on connaît sur Dieu et sur
l'homme , est venu de la révélation que Dieu en a faite , et se
trouve renfermé dans nos saintes Écritures.
C'est cet ensemble et cette généralité des doctrines catholiques,
qu'il faut faire remarquer.
Nous prions donc nos lecteurs d'étudier ce tableau avec une at-
tention particulière : toute la doctrine catholique y est exposée avec
un ordre , une suite et une clarté admirables.
Nous croyons surtout qu'il peut être d'une grande utilité pour
ceux qui ont mission et charge d'enseigner aux hommes la ré-
vélation de Dieu. On se plaint souvent que les instructions sont
vagues , sans ordre , comme faites au hasard ; qu'elles manquent
surtout de cet ensemble qui en ferait un cowrs complet de religion,
lequel comprendrait toute la doctrine catholique, et attacherait les
auditeurs, par la régularité des leçons; les obligerait à ne pas s'ab-
senter , par la crainte de perdre le fil de cet admirable enseigne-
ment, et surtout par la variété qui entrerait nécessairement dans un
tel cours ; car, on le voit , toutes les sciences peuvent être appelées
à l'explication de ce tableau , et précisément selon le degré d'in-
struction des auditeurs et des maîtres.
E^OSITION DiTVnss.
DÉFINITION
{ DiEi"";32-
, SON
ÊTK£.
I SA.
ISUBSTAtr
tout ce qu'il possède , aimer
SES
lATTBIB
Disn
=
Opere'e
slasic d'une partie Jid. 6.
LA
CRÉATION.
Perfect
pour être uni à Dieu et à un corps
régir. Gen. i; 26 — 28.
Repos
les
quii
trei
pn
L
n. Rom. m; 9—18. Tit. lU ; 3.
1 obtient la rémission des péchas ,
éissance à Dieu. Ges. m; i— 13.
els et e'ternels. Gen. m; l3 — 24.
(„.>.. «joi.. »iii ,- ig , 20.
Mariage. Eph. v ; 25—33.
12-
I. vui ; I — 39.
Inion et la Paii. Epii. 11 ; i3 22.
CoLoss, I ; 12 , i3.
ers Dieu : Foi , Espérance , Charité.
lATTH. TI.
ers soi-même. Mattb. v ; 39 , 3o.
SES EPF*" '* proclioin Matth. vii ; 12.
^rs les créatures. M atth. vx; 20, i5.
^eraios. Rom. siii ; 3 , 4-
^slrats. I Petii. 11 ; i3 , l/^.
is et Pères. Eph v ; 25—33. vi ; 4
«ses et Mères. I Petr. m ; 1 , 2.
ves et Femmes âgées. ITim. v;4 — 8.
Ilards. Tit. 11 ; 2.
1res. CoLoss. iv; i.
Ues. Hebr. xiii; 1^.
its. Rom. xiii; i — 7.
aes liommcs. 1 Petr. y ; 5.
«ns. Eph. ti; i — 3.
rges. I Cor. vu; aS — 28.
ies. I TiM. vi; i-j — 19.
'iteurs. I Petr. 11; 18. E
PH. vi;5— 8.
Now. Cons. Tom. X , p. 14.
EZEOSrriON de KA SOCTBINX BXNFXSLMÉE dans IiES saintes ÉcaiTUUES.
■ DÉFI?iITIO>. ,
/ Preuves de son
■ / par lui-même. ( We'cessit^ de le
_. ( Espèce : elle est esprit, i:
cS.«niîJ Proprifc' : trinile' de pers
Q existence..
EiuD. m; 14, l5. Saf. iiii
Motifs. Sap. it ; 3. Ps. Livi
Uojeus. II Tm. w, 16. Jo
i »4-
Père , Fils et Saiut-Esprit. Posséder l(
uprélieusibilit
«leur. Il Ma
Liberté. Epli. l
I Immensité. Bar<
' Bouté. Ps. Lixti
Véii
JOA
/ Sainteté. Levii. su ; a.
) Justice. I EsD. it; i5.
'"i Miséricorde. Ps. xuv ; l3
( Poliencc et Douceur. 'JuD
vu; 4-,. Co»c
; 3-S.
I i 6-8.
"""^ (Prôduclio
4^ Jour Le Soleil
I 5« Jour S '-'=* '^°"'
Les Anges. Job
La Lumière. Gi
Le Firmament.
Séparation de'la Terre d'avec la M,
de l'Herbe et des Arbr<
la Lune, les Étoiles. Gt
!*■ j Gek. ij ao— s3.
Repos du seplprae j
SA NATCRE.
i Sa Salure.. ( *»!■"' '"f°"''l fV°"' "" "°',» "V
j ( organise qu il doit rigir. Gkn. 1; ab
S Ses rapports. EccLl. xvit ; 1 — la.
( Sa Deslinée. Sap. 11 ; a3.
Uieu leur fail
Jésus-Cl.risl pa
l'envoi du S;
lit dans le
nt-Esp,il
I les lio
claient dans l'état de péclié. JoAK. I ; lu , II. Rt
en cnvojant Jésus.Clirist pour les sauver. I TiM. i; l5, 16.
cmps dcleimiué par la prescience de Uieu, et , pal- sa moit, il obtil
t la réconcllialion des tiommcs avec Dieu. 1 Petb. i ; 18 , 19.
Sa Nature ;. originel et actuel. Rom. v; 13, l3.
, P . , , j Ses causes ; la suggestion du démon , l'orgueil , la désobéîssanc
' '" '^""'^ \ Ses effcls : la séparalion de Dieu, tous les maux temporels et
Impossiliililé d'eu Êlre délivré par des forces créées. Acr. IV ;
■* 4— )■ «'"■ "i 4-7-
de j,!aus-Clirist. I Pkt
des Hommes. I! TiM.
r des Allie
3-18. Tir. m; 3.
imission Je, péchés ,
lélivré par d
ifime. TiT.
La Prédestination..
( par des Alliances.GiN. ix; 8.17. rvli; i-<
La Préparation à l'Évangile J par des Propliéties. Iles. 1 ; I,
( Par l'Election du peuple Juif. Dect.
lidérée eu
nside'réo
L le Verbe fait clia
/■ !• ... t Temoignases. DlATT. svli ;
Maluro S , ,^^";,. ) Miracles. JoA». x ; 3-, , 38
vine. S ^' '° 1)'V"»"Ï- ( Propliélies. JoAN. xiv ; a8
( Caractères do sa divinité. JoA». i 1 3o.
i Finale
RÉUEMPTIOU.I
et le salut des lie
( La justi6c3tion
'''^'°'"' J La Nature ( Sa Vie. Loo
f liuniuinu. / Sesllircs,,
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tat de péché dans leeiuel nous naissons comme enfans d'Adai
is sommes établis par la grJco de N.-S. J.-C. TiT. m 1 3--.
OA». VI J 44. BoM. vui; 3o.
La Foi en Jésus-Clirist.Ro». i i 16 , l^.
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Biens qu'elle procun
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i i.'EilrSme-Onclion. Jac. v; 1
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Rom. vui ; 1—39.
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Eternels.
Généralement
les Chrétiens,
Spécialement
de la Société.
I Dieu : Foi , Espérance, Charité
v;39, 3o.
le prochnio Ma
les créatures. Matth. vi; ao,
ains. Rom. xiii; 3,4,
ata. IParn. 11; i3, 14.
Maris et Pères. Epn. v ; 25—33. vi ;
Mires. I PrTR. m; i , a.
igées.lTiM. v;4-
Meigisl
Vieillards. Tu
. CoL<
Le Jugement. Ma
..( La V.e et.
I Enfles. EpB. vi;i-3.
Vierges. I Coi!, vu; aS— a8.
Riche» ITlM. Vl; 17 — 19.
. Serviteurs. I Psrn. 11; 18, Eru. vi; 5-
Nouv, Cons. Tom. X , p. i4.
15
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SUA X.'ÉTAT DE LA RELIGION CATHOLIQUE DANS
LE HANOVRE.
Dans les pays appartenant à l'ancien électoral de Hanovre , il
n'y avait que cinq congre'gations catholiques, qui n'e'taient pas nom-
breuses. Une e'tait restée constamment catholique depuis la réforme,
une autre avait été conservée accidentellement par une clause du
traité de Westphalie. Les trois autres furent érigées dans le der-
nier siècle, deux à la demande de la cour d'Autriche , l'autre pour
les étudians qui suivaient l'université de Gottingue. Ce n'est que
par les nouveaux accroissemens du Hanovre que le nombre des ca-
tholiques s'y est beaucoup augmente. En 1802, la principauté
d'Osnabruck fut ajoute'e au Hanovre ; les autres acquisitions sont
de 18 14 et 181 5. Il y a quatre congre'gations dans l'Est-Frise ,
plusieurs dans le comte' de Lingen ; le plus grand nombre est dans
le pays d'Osnabruck , d'Arenberg , de Bentheim , d'Eichsfield et
d'Hildcsheim. A Arenberg et dans tout le territoire dépendant au-
trefois de l'évêché de Munster , la religion catholique était et est
encore la seule. Il en est de même d'Eichsfield. Dans les autres
provinces, les deux religions se trouvaient mêlées; mais la religion
catholique était domiuante. Par le traité de Westphalie du 16 oc-
tobre 1648, il fut stipule' que le siège d'Osnabruck serait possédé
alternativement par un catholique et par un prince de la maison
d'Hanovre , sous lequel la juridiction spirituelle serait de'voiue à
l'archevêque de Cologne. En conséquence de cet arrangement , fat
dressé, le 25 juillet i65o, l'acte appelé Capitulation perpétuelle
d'Osnabruck , qui e'tait jurée par tous les e'vêques séculiers , y
compris le dernier duc d'York. Cet acte portail que le souverain
temporel n'avait aucun droit d'intervenir dans les matières reli
gieuses ou purement ecclésiastiques , et que toutes les ordinations ,
les visites, les censures, les synodes , la juridiction dans toutes
les causes ecclésiastiques , tous les cas matrimoniaux et tout ce
qui en dépend , la discipline des églises et des écoles , et les au-
tres objets de la même nature , seraient entièrement laisses aux
prélats et supérieurs catholiques. Celte garantie de la liberté reli-
16 SUR l'état de la. RELIGIO^ CATHOLIQUE
gieuse , stipulée couformément à l'article 1 3 du traite de Westpha-
lie , n'a jamais e'té révoquée. La plus grande innovation en matière
eccle'siastique fut celle qai fut introduite par le recez impérial du
i5 février i8o3, qui supprima les abbayes, monastères et autres
fondations; mais là même il fut déclare' expressément, dans la
soixante-troisième section , que Cexercice de la religion , tel quil
existait )usqtû alors dans chaque pays , serait protégé contre toute
espèce de suppression et de vexation, et spécialement que la pos-
session et la jouissance des propriétés de PEglise et des fonds
des écoles resteraient inviolables ^ conformément aux dispositions
du traité de Westphalie, 'En^n , en i8i5, l'Eglise catholique, telle
qu'elle existait en Hanovre , fut formellement reconnue par une
loi de l'Etat , et confirmée dans la possession de toutes ses immu-
nités et privilèges eccle'siastiques.
Après de telles déclarations et de telles garanties, les catholi-
ques , qui , dans les nouvelles provinces , forment une population
de 200,000 âmes , le sixième de la population totale du royaume,
se croyaient entièrement à l'abri de toute intervention de la légis-
lation dans ce qui constitue le libre exercice de leur religion , et
ils avaient d'autant plus de raisons de s'en flatter , qu'il paraissait
exister, même depuis le concordat de 1824, une bonne intelligence
entre le gouvernement et le Saint-Siège. Peut-être cette sécurité
explique-t-elle en partie le petit nombre de catholiques qui paru-
rent à la dernière réunion des Etats. Nous allons donner actuelle-
ment Ihistorique des mesures prises contre les catholiques.
En i83i , le projet d'une nouvelle charte constitutionnelle pour
le royaume fut porte' devant une réunion de conseillers royaux et
un comité des anciens Etats. Dans le chapitre V se trouvaient quel-
ques dispositions qui blessaient directement et gravement les droits
essentiels des évêques , et , comme l'observait un savant écrivain
allemand , le docteur Wein , ces dispositions mettaient entièrement
l'Eglise sous le joug du pouvoir civil. L'e'vêque et le chapitre d'Hil-
desheim présentèrent au duo de Cambridge, le 5 janvier i832, un
mémoire à la fois judicieux, ferme et respectueux, pour demander
des modifications sur certains points. Le mois suivant, les doyens
ruraux du diocèse d'Osnabruck adressèrent un mémoire pressant au
vicaire-général , évêque suffragant , M. Lupkén ( car le Sie'ge est
DANS LE HANOVRE. 17
encore vacant ) , pour le prier de porter à la connaissance du gou-
vernement une re'clamatlon fortement motivée, et signe'e d'eux tous,
au nom du clergé et des fidèles. Outre l'injustice des réglemcns pour
tous les catholiques du Hanovre , le clergé du diocèse d'Osnabruck
a des raisons de craindre quelque chose de particulier contre lui.
Ou remarque que partout où il est parlé , dans la charte, de l'exer-
cice de la religion, aucune mention n'est faite de l'évêque dOsna-
bruck. Ce silence , et le retard que met le gouvernement à remplir
ce Siège , autorisent à croire qu'il a l'intention de laisser les choses
comme elles sont , au lieu d'exécuter la convention faite avec le
Saint-Siège ; car la bulle de Léon XII Impensa romanorum pon-
tificum, enregistrée parmi les lois du Hanovre, le 20 mai 1824,
et publie'e avec le placet royal , porte qu'aussitôt que les circon-
stances le permettront , l'évêché d'Osnabruck , son chapitre et le
séminaire seront érigés sur le même pied que celui d'Hildesheim.
En vertu du décret du 25 février i8o3 , les fonds des monastères
supprimes devaient être employés à la dotation de l'évêché; et il
est à remarquer que, quoique des e'glises, des écoles, une univer-
sité , et d'autres établissemens de la même nature , aient été érigés
et dotés avec ces fonds , on ne s'est cependant point occupe de l'é-
tablissement du siège épiscopal. On en a pourtant encore les moyens
sous la main; et^ après les stipulations précédentes, il est inex-
plicable comment, dans une loi permanente, il n'est fait mention
que d'un administrateur du Siège , si l'intention n'était pas que
cela restât ainsi.
Revenons au projet de charte. En conséquence des remontran-
ces du clergé, le gouvernement y fit quelques changemens, mais
de très-peu d'importance. En mai , le projet fut porté devant les
nouveaux Etats, composés principalement d'hommes de loi dispo-
sés , là comme partout ailleurs , à étendre l'autorité civile aux dé-
pens de l'autorité ecclésiastique. Là siégeaient aussi des hommes
remplis de préjugés contre les catholiques. Au fait, pour représen-
ter les intérêts du sixième de la population, il n'y avait dans la
chambre haute, composée de cinquante à soixante membres, que
l'évêque d'Hildesheim , qui ne put que protester contre les mesures
que l'on prenait, et se retirer. Dans la chambre basse , sur soixante
députés , il ne se trouvait que trois catholiques , qui s'opposèrent
T. X. .2
18 SUR l'état de la REUG10^ CATHOLIQUE
en vain aux résolutions de la chambre. Le docteur Sermes, dc'puté
de la ville catholique de Meppen, se distingua particulièrement.
Le clergé catholique, de son côté, ne s'endormit point. Le 12 sep-
tembre , l'évêque et le chapitre d'Hildeshcira présentèrent un se-
cond mémoire aux Etats contre la loi fondamentale. Ce mémoire
était long et raisonné. Ils montraient combien quelques clauses du
cinquième chapitre étaient contraires aux droits essentiels des ëvê-
ques, limitaient l'exercice d'une autorité qu'ils croient venir direc-
tement de Dieu, et s'immisçaient dans ce qu'il y avait de plus
respectable dans la discipline intérieure de l'Eglise. Un comité, au-
quel cette remontrance et celle du chapitre d'Hildesheim furent
renvoyées , était d'avis qu'on les prît en grande considération ; mais
cet avis fut dédaigné , et les chambres adoptèrent la loi propose'e
par le ministère. Non-seulement les nouveaux réglemens émanaient
du gouvernement, mais la lettre qui accompagnait le projet de loi
prétendait que la loi de l'Etat, qui , en 18 15, avait rendu à l'E-
glise catholique ses droits , avait attribué à cette église ce qui ap-
partenait au pouvoir temporel. Cette lettre était signée du duc de
Cambridge et des quatre ministres d'Etat, Alten , Schuttet, Stra-
lenheîm et Wish.
Nous avons maintenant à faire connaître les dispositions contre
lesquelles le cierge' réclamait. Nous n'avons point la loi sous les
yeux , et nous devons nous en rapporter au mémoire du clergé
d'Hildesheim, qui, supposant que le texte du projet e'tait entre les
mains de ceux auxquels il s'adressait , a cru inutile de reproduire
dans leur entier les termes précis , et n'a indiqué que les omissions
dont il avait à se plaindre, ou les changemens qu'il sollicitait. Ce
clergé commence le mémoire par exposer clairement la diffe'rence
entre les cas purement spirituels et les cas mixtes. Il range les
premiers sous quatre chefs , et explique la nature da droit du ma-
gistrat circa sacra , en posant ce principe, que dans toutes les
matières purement spirituelles l'Eglise seule a le droit de juger et
de de'cider. Il entre ensuite dans le détail des points qui faisaient
l'objet de sa re'clamation.
I. Dans la première section du projet, il est dit que la liberté
de culte est garantie awa; membres de la religion évangélique et de
la religion catholique. Cette liberté était déjà depuis long-temps
DANS LE HANOVRE. 19
garantie par des traités et des pactes solennels qui reconnaissaient
non-seulement les droits des membres de l'Eglise, mais aussi les
droits de l'Eglise comme Eglise. Pourquoi ces droits ne sont-ils pas
aussi reconnus dans le projet ? Pourquoi n'y garantit-on que la
liberté des individus?
2. Dans la deuxième section , il est dit qu'aw roi appartient le
droit de patronage et d'inspection compris dans sa souveraineté
sur V Eglise, Dans la première rédaction du projet, on disait que
le roi possédait ce droit en vertu de sa souveraineté sur le pays.
Ce changement de mauvais augure a vivement alarmé les catholi-
ques, en ce qu'il indique une prétention à quelque chose de plus
que l'inspection ordinaire du magistrat.
3. La troisième section est rédigée de manière à reconnaître à
l'Eglise catholique un pouvoir sur les choses purement spirituelles;
mais elle exerce son autorité' sur les objets mixtes, comme mariage,
éducation , etc.
4. Par la section sept , on exige la permission du pouvoir civil
pour toute publication eccle'siastique ; ce qui comprend les mande-
mens de carême, les prières à la messe , les actions de grâces, etc.
Le clergé demande instamment que l'on excepte tout ce qui est
purement spirituel.
5. La huitième section rompt toute communication entre les ca-
tholiques et le Saint-Siège, à moins que cela ne passe par les mains
du gouvernement. On ue fait point d'exception pour les dispenses
dans le for intérieur ou dans les matières les plus délicates j mais
toutes les bulles, brefs, rescrits , de'cisions , soit qu'ils soient adres-
sés à tous les catholiques , soit qu'ils ne regardent qu'un individu ,
doivent être soumis à l'inspection et être revêtus du placet royal
avant de pouvoir être mis à exécution. Cet article est rendu plus
dur encore par la qualification de pouvoir étranger appliquée au
Pape.
6. Par la neuvième section , la juridiction ecclésiastique est ren-
versée, même en matières purement spirituelles.
7. Dans la dixième section , le droit d'installation des prêtres des
paroisses et autres est re'servé à la couronne , et il leur est défendu
20 SUR l'état de 1-a religion catholique
à tous d'exercer aucune fonction ecclésiastique sans avoir obtenu
cette installation. C'est une violation flagrante des lois canoniques,
et une limitation ou plutôt une violation du pouvoir ecclésiastique
ordinaire.
8. La section onzième interdit la déposition ou le renvoi de tout
eccle'siastique sans la permission de l'autorité séculière , et cela sans
excepter les motifs purement spirituels, l'enseignement de l'hérésie,
la désobéissance , etc.
g. La section suivante s'immisce dans l'administration des pro-
priétés de l'Eglise , et restreint le pouvoir d'administration conféré
par les canons aux supe'rieurs ecclésiastiques , et cela même pour
les fonds consacrés à des usages purement spirituels , comme
messes , etc.
10. Enfin, ce système d'empiétement est complété parla treizième
section , qui porte que les surveillans des fonds de l'Eglise ne seront
plus, à l'avenir, choisis par le curé, comme ils l'ont ëte jusqu'ici,
mais par les paroissiens , et qu'au lieu de conseillers ils seront ab-
solument administrateurs , quoique les comptes aient toujours e'te
soumis à l'inspection des deux puissances , et qu'il n'y ait pas eu
la moindre plainte sur la gestion.
Les partisans les plus déclarés de l'autorité civile doivent avouer
que ces dispositions de la charte du Hanovre touchent à l'essence
de l'autorité de l'Eglise, et de savans écrivains d'Allemagne sont
d'avis que le clergé n'a d'autre parti à prendre que de refuser d'o-
béir à ces re'glemens, quelles qu'en soient les conséquences. On
verra par un passage de l'adresse du clergé d'Osnabruck avec quelle
force il réclame contre la nouvelle charte :
« Le vrai catholique croit , conformément à la doctrine de son
Eglise , que les princes sont placés par Dieu même , et tirent leur
autorité de lui et non des suffrages variables du peuple. En con-
se'quence, il obéit à l'autorité à cause de la conscience, et regarde
la de'sobeissance comme un péché. Le catholique ne connaît qu'un
cas où les lois temporelles ne peuvent l'obliger , c'est lorsqu'elles
sont manifestement contraires aux lois divines ; car alors il doit
dire avec l'Apôtre : // vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes.
C'est un grand sujet d'humihation pour les catholiques , comme
DANS lE HANOVRE. 21
pour nous , de voir que les lois fondamentales du royaume semblent
jeter à l'avance, sur leur correspondance à eux seuls avec le Pape
et les évèques , l'horrible soupçon d'avoir une tendance dange-
reuse pour l'Etat , jusqu'à ce que le ministère se soit bien convaincu
du contraire par un examen sévère. Qu'avons-nous fait pour me'ri-
ter ce règlement inquisitorial ? Nous autres catholiques du diocèse
d'Osnabruck , sommes nous les auteurs ou les fauteurs des derniers
troubles (i) de ce royaume, dont la mémoire est encore si fraîche
parmi nous? Nos supérieurs ecclésiastiques nous ont-ils excité à y
prendre part? Ne nous ont-ils pas au contraire exhortés, dans les
termes les plus pressans, à ne point nous y mêler? Rome a-t-elle
essayé d'intervenir dans le gouvernement civil de cet Etat? Pour-
quoi donc ce soupçon révoltant d'une correspondance coupable
entre notre Pasteur suprême et quelques congrégations ou quelques
individus catholiques ? Votre Altesse royale et Vos Excellences sont
certainement persuadés du contraire , et ont dans leurs mains des
preuves de la fidélité de vos sujets catholiques. Ce n'est point l'in-
tention de Sa Majesté notre gracieux souverain , Guillaume IV,
que les pactes solennels souscrits par ses ancêtres en faveur des ca-
tholiques du diocèse d'Osnabruck soient -violés , et que la liberté
de religion et de conscience de ses fidèles sujets allemands soit as-
treinte, par la nouvelle loi fondamentale, à des restrictions oppres-
sives et humiliantes , inconnues à ses nombreux sujets catholiques
en Grande-Bretagne et en Irlande , pour l'émancipation desquels
Sa Majesté a témoigné une si noble bienveillance ? »
Les chambres comme nous l'avons dit, n'ont même pas voulu
prendre ces remontrances en considération ; mais les catholiques
ont trouvé de courageux avocats , même parmi les membres d'une
autre communion. Le docteur Grote, entre autres, éditeur d'un
journal hanovrien , a, dans un long article, plaidé la cause des
catholiques sous le rapport constitutionnel , refusant absolument au
pouvoir le droit de mettre de telles entraves après les traités exis-
tans. Il finit son article en disant que ce serait encore une soile
(i) Allusion aux troubles qui eurent lieu à Gottingue après la révo-
lution de juillet.
22 suK l'état de la religion g\tuolique dans le hanovbe.
de satisfaction , si du moins le présent pouvait être considéré comme
définitif; mais les termes de la loi sont si vagues, qu'ils laissent
craindre aux catholiques de nouveaux empiétemens sur le libre exer-
cice de leurs droits religieux. Il est assez remarquable encore que
les Etats catholiques ont bien autrement entendu la décision du
congrès de Vienne sur la liberté de conscience. Ils en laissent jouir
pleinement leurs sujets protestans ; aucune restriction n'a été im-
posée sur ceux-ci par aucun Etat catholique. Si un prince catholi-
que l'avait tenté, c'aurait été dans toute l'Europe un cri général
contre l'intolérance et le fanatisme des catholiques. Que dire donc
de la tolérance et de la modération des Etats protestans, qui mo-
lestent et oppriment à qui mieux mieux les catholiques ? car plu-
sieurs Etats protestans suivent la même tactique. Nous avons vu
naguère comment en Prusse on agit envers les catholiques ; on
connaît la pragmatique adoptée relativement aux affaires de l'Eglise
par des princes ou Etats des bords du Rhin ; et enfin , nous avons
donné dernièrement une idée du plan proposé par la conférence de
Bade sur ce qui concerne le clergé catholique. Tout cela est dans
le même esprit que le cinquième chapitre de la constitution de Ha-
novre, et annonce un système suivi contre l'Eglise j système illi-
béral, injuste et vexatoire, s'il en fut jamais. — V Ami de la
Religion, n" 2281.
23
RÉFLEXIONS
SUR LHISTOIRE DE FRANCE
DE M. MICHELET,
PAR M. LE BARON U'ECKSTEIN (l).
§ III.
Nous avons vu M. Michelet fonder sa théorie de l'iraperson-
nalité des Allemands sur la domination de la nature physique ;
maintenant il nous montre au moral cette impersonnalite' re'-
sultant d'une religion inde'termine'e aussi , quoique cherchant
à prendre dans le culte forme et consistance.
D'abord il nous entretient de deux croyances de l'antique
Germanie: l'ancienne peu connue; la nouvelle ou l'Odinisme,
re've'le'e par les institutions et la mythologie des Scandinaves.
Ensuite il e'tablit leurs rapports dans le domaine du culte et
de la constitution sociale.
Quant au culte dominant , avant l'e'tablisseraent de l'Odi-
nisme, c'est, selon l'auteur, l'adoration des arbres , des élé-
mens , des J'ontaines (p. 164 )• Si les Allemands ont un génie
vague pour avoir adore les e'ie'mens; les Indiens, les Bactriens,
les Pëlasges , les Latins sont coutnmiers du fait. Une partie
de l'ancienne religion de la nature embrassait un système phy-
siologique et reconnaissait les harmonies pre'existantes entre
les organes du corps humain et les diverses parties de l'uni-
vers. On avait observe que tout, chez l'homme, e'tait cre'e' en
conformité avec la nature ; ainsi la vue correspond k la lu-
mière ; l'ouïe correspond à l'espace ; le tact correspond aux
(1) V. ci-dessus tom. IX, p. 40a et 449-
24 RÉFLEXIONS
impressions de l'air; l'odorat se rapporte aux exhalaisons de
la terre ; dans l'eaa est le principe de la saveur. Les Indiens
céle'braient leur Poorotislia , les Bactriens leur Kaiomors, les
Grecs leur Titan , les Scandinaves leur Ymir , Dieu-homme,
symbole du monde. Il y a des traces nombreuses de cette ma-
nière de voir dans les fables allemandes du moyen-âge. Sacer-
dotale, naïve, profonde, elle ne s'adressait pas à tel e'ie'ment
isolé ; mais à l'ensemble des e'Iémens. Les e'ie'mens n'e'taient
pas des dieux, c'e'taient des génies subalternes. La mythologie
populaire les individualisait sous diverses formes.
Les Germains adoraient les arbres comme emblèmes de
l'homme et comme figures du système des mondes. L'homme
el la femme proce'daient de l'arbre Âskr , type de l'espèce ha-
maine; dans le règne ve'ge'tal, les deux sexes se trouvent re'u-
nis sur la même tige : la séparation des sexes n'a lieu que dans
le règne animal. On supposait nn homme primitif, herma-
phroditique , auquel on donnait, pour emblème, l'arbre le plus
sublime des végétaux : 1 homme s'en dégageait par la sépara-
tion des sexes. Dans l'Edda , le chêne Ygdrasill est un symbole
de l'univers , comme l'Ashwattha des Indiens , comme leur
Kalpa-Vricsha , figure du temps et de la plénitude des êtres ;
car ils se développent dans le temps ; ceci rappelle le chêne
de Dodonc , séjour de Zeus et de Dione , du dieu et de la
déesse, on des deux principes de l'existence animale, qui se
trouvent unis dans le règne végétal.
L'adoration des sources sacrées résultait de l'adoration du
principe humide , a la fois fécondé et fécondant. Le cours de
la civilisation suivait les fleuves; ainsi ont été vénérés le Gange,
le Nil , tant de rivières de la Grèce pélasgique , fleuves qui
fertilisaient les campagnes et favorisaient leur culture. Sortie
de l'Océan , dans la nuit des temps , la terre était constam-
ment restaurée par la pluie, rafraîchie par la rosée. Les Chattes
et les Hermundures se disputaient la possession d'une rivière
saline : c'était une guerre sacrée, car tout revêlait le costume
sacré dans les législations de l'antiquité.
Qu'y a-t-il en cela de vague? C'est de la physiologie excen-
trique mais positive.
SUR l'histoire de FRA.NCE. 25
Mais n'en déplaise à M. Michelet, en cela ne consistait pas {
la religion ancienne ; elle relevait de qaelqae cliose de plus \
de'termine' , dont les traces efface'es brillent encore dans les \
re'cits des auteurs de l'antiquité' classique , dans la tradition \
des peuples , et dans la coutume du moyen-âge.
Tacite parle de la de'esse Hertlia , adorée dans une île de
rOce'an ; les uns croient que c'est l'île de Rngen , les antres
l'île de Se'lande : il est probable que les mystères de la de'esse
étaient ce'ie'bre's dans les deux contrées. Hertha a toute l'allure
d'une De'meter ou d'une Alhe'ne' pélasgique, d'une de'esse de
la culture patriarcale du sol , pre'sidant aux travaux domesti-
ques des femmes. On pourrait la comparer à Sris ou à Lak-
sclimi, de'esse indienne qui repre'sente la terre fe'conde , sortie
du sein des eaux : comme telle elle est l'e'pouse de Vishnou ,
du conservateur des mondes; elle pre'side aux occupations de
l'e'pouse, dans la maison patriarcale, aux soins de la mère de
famille : en cetle qualité' elle est la fiance'e d'Agnis, dieu du
foyer sacre', le plus ancien des Pe'nates. Hertha de même; elle
civilise les peuples ; elle leur enseigne le labour ; des vacbes
traînent son char ; un voile la couvre , c'est le tissu sacré ,
brode' par la main des femmes ; toute la vie domestique re-
lève d'elle ; sortie des eaux , elle redescend dans les eaux dont
elle tirait son origine. On ensevelissait jadis les morts , on les
confiait au sein maternel de la terre; plus tard on les brûla,
ce qui était surtout la coutume des peuples héroïques. Le mode
primitif de la sépulture se rapporte au culte des dieux Chtho-
niens cbez les Pélasges , à leur religion des morts; en ce sens
ils se disaient Autocblbones : il existe des indices d'un état
pareil de cboses cbez les anciens Germains.
Telle était cette religion de la vieille Hertha , ou de l'anti-
que Jormum des Scandinaves ; terre enveloppée par l'Océan ,
embrassée par le serpent Jormungandur son symbole. C'est le
même serpent que la mythologie indienne appelle le Gouna,
la corde qui enchaîne les mondes et la divinité, car elle 1 at-
tache au système des mondes. Celte religion s'alliait à un vieux
culte de la lune , et à un antique calendrier sacerdotal , qui
servait à régler les assemblées du peuple, h indiquer les divi-
26
KEFLEXIONS
sions du temps, l'époque des ensemenceiuens , delà moisson,
etc. , toutes choses dont la science demeurait entre les mains
des prêtres; car ils e'taient consulte's sur toutes choses parmi
les Germains comme dans l'antique Rome.
A ce culte de Hertha , se joignait celui de Thor , dieu ca-
birique , dieu industriel, dieu des me'tiers , invoque' chez les
Germains comme chez les Scandinaves.
« Par-dessus ces races et ces religions, sur cette première
» Allemagne, pâle, vague, indécise, monde enfant, encore
» engage' dans Vadoratlon de la nature , vint se poser une Al-
» lemagne nouvelle , comme nous avons vu la Gaule druïdi-
» que e'tablie dans la Gaule gallique par l'invasion des Kjmry.»
(Pag. i65. )
Il s'agit de rOdinisme. J'ai cite' les rapports directs de TLor
avec l'indnstrie et les métiers ; de Hertha avec l'agriculture et
les travaux des femmes ; de l'un et de l'autre avec les lois et
les rites ; le tout fonde' sur les ordonnances d'un antique sa-
cerdoce ; le tout offrant des analogies avec les coutumes et les
e'tablissemens des Pe'lasges de la Grèce et de l'Italie, avec les
institutions domestiques de l'Inde, si on sait les lire à travers
les de'figurations de l'ascèse brahmanique. Voilà pour ce qui
est de la première Allemagne si décolorée.
La religion d'Odin, religion guerrière, rappelle le culte d'In-
dra et de Siva , chez les Kshatriyas de l'Inde et celui de l'A-
pollon Justicier, du dieu du glaive, chez les Hellènes. Je
n'assimile rien et ne parle que de certains rapports. Tous ces
dieux appartenaient à une religion plus ancienne que celle des
hommes de guerre , qui leur confe'rèrent le baptême d'une
existence nouvelle. Les Doriens ont me'tamorphosé ainsi leur
He'raclès , fils de He're', qui e'tait un ancien dieu de la nature,
pour en former un dieu he'roïqne.
Cette religion d'Odin avait sa loi pre'cisè , ses pontifes guer-
riers, ses e'tablissemens permanens , ses rites et ses formes.
M. Michelet paraît croire que l'Odinisme enveloppa toute la
Germanie : Je ne saurais partager cette opinion. Nous le re-
trouvons chez les Scandinaves , où il re'sista opiniâtrement à la
religion chrétienne ; chez les Saxons... chez les Anglo-Saxons...
SUR l'histoire de frasce. 27
enfin chez les Lombards el les Saèves. Mais les Anses des Gotbs
ne sont pas les Ases ou les compagnons d'Odin ; rien ne le pi'ouve.
Ansa , en sanskrit, signifie une portion d'un tout, entre autre
la portion d'une divinité', un demi-dieu; mais je n'insiste pas
SUT ce rapprochement. Ermanaric , il est vrai, joue un rôle dans
l'Edda Scandinave; il est cite' dans la poe'sie anglo-saxonne; mais
c'est e'videmment une importation e'trangère. Quant aux Francs
et aux Golhs ils ont dû invoquer Thor comme dieu de la guerre ,
en transformant ce porteur du marteau des Cabires en dieu
militaire, à cause de sa force. Plusieurs chefs amaîes et me'-
rovingiens portent le nom de Thor. Du reste, les compagnons
de Thor, qui e'migraient à l'e'tranger , et les associe's d'Odin,
changeaient facilement de religion ; la raison en est e'vidente.
Les Amales , les Ballhes , les Wodenungs , les Me'rovingiens ,
les chefs lombards , etc. , e'taient à la fois pontifes et chefs
d'arme'e. La politique devait avoir une grande part dans leurs
de'terrainations. Pour commander aux peuples conquis il fal-
lait se rapprocher de leurs croyances ; et l'exemple des chefs
entraînait souvent les compagnons , les parens , les fidèles ,
car ils exaltaient dans la personne de leurs chefs les fils de
leurs dieux, et ne craignaient pas d'offenser les pères en voyant
les fils de'sobe'ir aux comraandemens des dieux dont ils tiraient
leur origine. En changeant de religion ils ne changeaient pas
de moeurs. Sur ces esprits indiscipline's l'action du christia-
nisme fut très-lente.
Pour prouver l'Odinisme des Francs on s'est appuyé' sur les
Volsnngs de l'Edda , qui sont fils de Sigge, l'arrière-fils d'Odin;
la Volsunga Saga , et la tradition anglo-saxonne , de'peignent
ces Volsnngs à grands traits, sous des formes be'roïques et my-
thologiques d'une antiquité' barbare. Dans ces fils de Sigge on
a voulu retrouver les Sicambres (ce qui n'est pas de'montre ) ;
mais il est très-possible qu'ils aient été' les ancêtres des Me'-
roringiens. Beaucoup de chefs et de héros de cette race por-
tent le nom de Sigge , le dieu de la victoire. La religion odi-
nique s'est introduite parmi les fils de ce Sigge, ainsi que le
prétendent la Saga des Volsungs , et la poésie anglo-saxonne.
Le nom des Fraks , c'est-à-dire des Francs , se lit aussi dans
28 KÉFLEXIONS
l'Edda , grâce à la renommée de cette race , renomme'e qui ,
de bonne henre, a pene'tre' dans le nord Scandinave. Sans se
trouver mêle's à la ruine de l'empire gothique, les Scandinaves,
comme les A.nglo Saxons , en ont recueilli le souvenir. Ils ont
chante' , de bonne heure , Attila et Ermanaric ; ils ont connu
The'odoric. Cela indique des communications entre les peuples
de la Scandinavie et de la Germanie ; mais les traces de ces
communications sont efface'es de l'histoire.
M. Michelet affirme que la religion d'Odin fut beaucoup plus
positive que celle qu'elle a supplante'e, en se l'incorporant avec
des modifications et suppressions nombreuses. S'il avait ap-
profondi le droit et les antiquite's germaniques, cette ancienne
religion ne lui paraîtrait plus si vague. Le positif de la reli-
gion odinique, pour me servir de l'expression favorite de l'au-
teur , re'sulte de son caractère militaire ; c'est la religion d'un
camp, mais non pas d'un camp formant une arme'e nationale;
c'est la croyance d'un culte d'initie's militaires, groupe's au-
tour d'un chef de leur choix , qui ce'lèhre avec eux les mys-
tères de son culte. Assis autour de la table ronde, de la table
du conseil, ils vivent dans un Asgard terrestre, dans une cite'
des Ases. Là circule la coupe pleine d'ambroisie, coupe mys-
tique , où s'inspiraient les héros à des actions communes, dé-
libe'rant les entreprises communes , se vouant à la cause d'un
chef, salue' par eux du titre du fils d'Odin, dont ils étaient
les compagnons fidèles. Cette religion a de l'analogie avec celle
de rOlympe des Hellènes, avec celle du dieu Indra et de son
ciel chez les Kshatriyas de l'Inde. Là aussi il y a une table ,
un conseil militaire, une boisson commune, des plaisirs et des
fêtes, des batailles et des jugemens. La religion primitive,
au contraire, loin d'être vague, comme le prétend M. Miche-
let , s'attachait avec force à la culture du sol , à l'industrie ,
à la vie domestique , aux premiers arts de la paix , à la pieuse
commémoration des morts ; la tribu s'y réunissait autour d un
sacerdoce de la même origine , mais qui , peu à peu , s'était
détaché du peuple pour devenir son instituteur, le gardien de
sa foi , de son droit , de son état social.
Il est fâcheux de rencontrer chez un historien , homme aux
SUR l'histoire de FRANCE. 29
pensées graves , ces accnsations rëite're'es de vague ; car l'in- :
certitude de la pensée de IVcrivain se trahit constamment par |
ces appellations bannales. Le mot vague ne nous apprend rien |
sur la religion ancienne, pas plus que le mot positif ne nous .*
en dit sur la religion nouvelle. Il y avait, puisque la poe'sie||
se mêle à tout ce qui concerne les croyances des hommes ,| |
dans la croyance primitive une poe'sie qui pe'ne'trait plus avant! (■
dans les entrailles de la nature physique , qu'il s'agissait de'; '
dompter; il y avait, dans l'Odinisme, une poe'sie plus en rap-
port avec les sentimens moraux de l'homme auquel il fallait
commander l'he'roïsme le plus inde'pendant , l'abne'gation et
Fobe'issance la plus cxalte'e. Cependant Ion se tromperait fort .
si l'on admettait, dans la religion ancienne, moins de mora- |
lite' , et , dans la nouvelle , moins de physique. Des classifica-
tions sociales diflfe'rentes donnaient un cai'actère difFe'rent à un
fond de croyances communes.
M. Michelet , qui a l'âme poe'tique , et c'est là le côte' vrai- |
ment brillant de son ge'nie , M. Michelet a très-bien saisi le l
caractère profonde'ment se'vère et enthousiaste de l'ancienne ^
poe'sie héroïque des nations germaniques. 11 sent bien leur '
e'pope'e, tout en ne l'ayant, peut-être, pas assez spe'cialise'e ; f
comment celte poe'sie ne lui a-t-elle pas fait toucher au doigt |
le peu de fondement de son système sur l'impersonnalite' alle-:^
mande? Tout, au contraire, est profonde'ment personnel danS;'
cette vieille poe'sie , qui explique si bien le mouvement des
races guerrières et leur esprit de conquête au moment de là
grande migration des peuples.
» L'immense poésie )) he'roïque des Germains, dit-il (p. 172,
173), se résume en Sigfrid et en Tliéodoric. Sigfrid personnifie
les Francs ; The'odoric personnifie les Goths. Je dirai que cela
est vrai pour ce qui nous reste de ces anciens poèmes; mais,
même dans leurs formes du moyen-âge , on voit que d'autres
he'ros ont \o\xê an rôle aussi grand , et cela est confirmé ,
quant à Ermanaric , par le témoignage de Jornandes et de
l'Edda Scandinave. Odoacre et les chefs lombards ne furent pas
non plus oublie's. Quant aux he'ros anglo-saxons , ils ne dé-
30 RÉFLEXIONS
bordent pas de lear île : mais les Anglo-Saxons ont chanta les
héros francs et goths.
La fable de Sigfrid se compose d'un éle'ment mythologique
et d'un e'iément historique. Le Sigfrid mythologique est le Vol-
sung ou le loup, le fils de Sigraund; race d'hommes fe'roces
et vaillans, dont on croyait qu'ils pouvaient se rae'tamorphoser
en loups ; croyance que He'rodote retrouve chez les Neures de
l'Ukraine, mais qui est très-ancienne dans l'Europe pe'lasgique
et latine, et se rapporte, probablement, an souvenir effacé
d'un vieux culte, où des hommes e'taient immole's. Ce culte et
ses sectateurs reçurent une dénomination outrageante de la part
de leurs adversaires qui l'abolirent.
Le Sigfrid mythologique est mis en rapport avec la fable de
l'âge de fer, succédant à un âge d'or : cet état de troubles et
de guerre met fin à un état de concorde et de paix. Le héros
enlève les trésors a l'homme de la religion ancienne , au peu-
ple industriel , dont on fit un dragon , parce qu'il avait le
serpent pour emblème. Ce mythe vous le retrouvez , sous dif-
férentes formes , chez les Indiens , chez les Bactriens et dans
la haute Asie , où les Arimaspes combattent les griffons pour
la même cause : un poème antique le célébrait; je veux par-
ler des Arimaspées du fameux Aristée de Proconnèse. A cette
donnée se rattache ensuite nne idée morale. La malédiction
du vieux serpent de l'ancienne religion , persécutée dans cet
animal qui est son emblème terrestre et scientifique, s'attache
à la possession de l'or ; le héros Volsung périt pour l'avoir
enlevé, et avec lui périssent tous ceux qui y mettent la main.
L'or devient la cause des divisions entre les amis et les frères ,
les uns tombent par l'épée des autres. C'est nn feu dévorant}
le trésor que le serpent garde est enveloppé de flammes.
Le vieux Sigge, le fils ou descendant d'Odin, est d'abord un
Volsung. J'ai déjà eu l'occasion de remarquer qu'il se pouvait
que les Mérovingiens tirassent leur origine de la famille des
Volsungs , appelée de ce nom , soit à cause de son ancienne
religion , soit à cause de ses traditions domestiques et de la
férocité de ses moeurs. La fable des Volsungs, dont il ne reste
plus trace chez les Francs , a été conservée dans lEdda et la
SUR L^HISTOIRE DE FRANCE. 31
Saga islandaise ; elle e'tait connue des Anglo-Saxons. S'il m'est
permis de hasarder une conjecture, j'oserai dire que plusieurs
Iraits de l'histoire de Clovîs, telle que nous la lisons dans Gre'-
goire de Tours , paraissent se rapporter à ces Volsungs , et
serablent plutôt tenir de la poe'sie ou de la tradition e'pique
et he'roïque que de la ve'ritable histoire. Tel est entre autre
le re'cit de la mort de Sigebert-le-Boîteux , roi de Cologne ; il
y a là des rapports remarquables avec quelques parties des plus
importantes du poème des Nibelungen.
« Clovis envoie dire au fils du roi de Cologne , Sigebert-ie-
Boîteux : « Ton père vieillit et boîte de son pied malade. S'il
» mourait, je te rendrais son royaume avec mon amitié »
Chlode'ric envoya des assassins contre son père, et le fit tuer,
espe'rant obtenir son royaume et Clovis lui fit dire : « Je
» rends grâces à ta bonne volonté' , et je te prie de montrer tes
» trésors à mes envoye's, après quoi tu les posséderas tous. «
Chlode'ric leur dit : « C'est dans ce coffre que mon père amas-
« sait ses pièces d'or. » Ils lui dirent : « Plonge ta main jus-
» qu'au fond pour trouver tout. » Lui, l'ayant fait et s étant
tout-à-fait baissé , un des envoye's leva sa hache et lui brisa
le crâne. Clovis ayant appris la mort de Sigebert et de son fils,
vint dans celte ville, convoqua le peuple et dit « Je ne
» sais nullement complice de ces choses; car je ne puis re'-
» pandre le sang de mes parens , cela est défendu. Mais puis-
» que tout cela est arrive', je vous donnerai un conseil, voyez
» s'il peut vous plaire. Venez à moi , et mettez-vous sous ma
» protection. Le peuple le prit pour roi. » — ( Lib. II, c. ^i. )
Je ne doute pas que Clovis nait fait assassiner son parent et
les autres rois dont il est question dans la suite de ce passage ;
mais les circonstances de ce meurtre en particulier , et des
antres meurtres en ge'ne'ral, me paraissent appartenir à la poe'-
sie, a 1 ancienne fable des Volsungs, conserve'e dans la bouche
du peuple cl confondue, après que les Francs eurent embrasse'
le christianisme , avec des circonstances de la vie de Clovis ,
leur chef. Voici comment je le prouve.
Dans un très-vieux chant de l'Edda , il est question d'un
Alf, c'est-à-dire d'un demi-dieu du nom de Voeiundur j c'est
32 RÉFLEXIONS
le Vulcain des Scandinaves ; c'est l'orfèvre parmi les dieux ,
celai qai fabrique des ornemens pour les de'esses. Il est connu
dans la fable anglo-saxonne et germanique; on le retrouve
même dans la poe'sie française du moyen-rige , preuve qu'il a
été adore' cbez les Francs. Comme le Vulcain des Grecs , ce
forgeron est boiteux. Durant son sommeil , un roi le surprend
pour le voler, lui coupe le jarret et le force à entrer à son
service, pour fabriquer les armes du prince et les bijoux de
la reine. Mais le forgeron songeait à la vengeance. Occupe' nuit
et Jour à ses travaux d'esclave, il voit accourir les deux jeu-
nes fils du roi , qui , pleins de curiosité' , demandent à voir ce
que renferme le coffre oii se trouvaient les tre'sors de leur
père , dont le boiteux avait la garde. Le coffre e'tant ouvert ,
Voelundur fait tomber le couvercle sur la tête des jeunes en-
fans , et accomplit ainsi une partie de sa vengeance.
Dans cette fable , dont Je ne fais qu'e'noncer quelques cir-
constances, nous retrouvons l'homme boiteux; Voelundur est
roi des Alfs , prince de ces demi-dieux ; nous retrouvons le
coffre , la curiosité de l'homme punie d'une manière cruelle,
et le mode de l'assassinat. Quelques-unes des circonstances de
celte fable se reproduisent dans la Niflunga Saga, compilation
faite par un Norve'gien dans le moyen-âge , sur des mate'riaux
en partie très-anciens. Le roi Attila a fait tuer les Niflungs ,
gardiens du tre'sor que Sigfrid a arrache' au dragon , et dont
les Niflungs ses allie's se sont traîtreusement empare's. Mais les
Niflungs , qui se méfiaient d'Attila , avaient enfoui le tre'sor
dans la terre, et, en mourant , se re'jouissaient d'avoir trompé
leur ennemi. Aldrian , fils de Hagen ( Hoegni ) , un des Nif-
lungs, n'est pas satisfait de cette vengeance; il lui faut la mort
du meurtrier de son père. Entré Jeune au service d'Attila, il
lui demande un Jour comment le roi compterait le récom-
penser s'il lui livrait le trésor. Attila lui promet de l'élever en
puissance au premier rang dans son empire. Le vieil avare et
le jeune homme vindicatif s'acheminent la nuit dans la forêt;
ils arrivent devant une montagne dont Aldrian avait les clefs.
Ouvrant successivement trois portes , il introduit le roi dans
le lieu où le trésor de Sigfrid avait été caché avec ses armes.
SUR l'histoire de FRANCE. 33
Alflrîan s'enfonce dans la montagne , et découvre des tre'sors
de plas en plus nombreux aux yeux d'Attila qui est dans les
transports de la joie. Mais Aldrian , revenant par nn de'tour à
l'issue de la montagne, ferme rapidement une première porte,
et puis une seconde , et puis une troisième , laissant Attila
prisonnier. Puis il roule des rochers e'normes devant l'entre'e
de la caverne. Au troisième jour il revient ; Attila e'tait par-
venu à arracher l'une des trois portes , sans pouvoir soulever
le poids des autres. Il conjure son bon ami Aldrian de lui
ouvrir , lui promettant des richesses , du pouvoir et une im-
mense expiation pour le meurtre de ses parens. Il implore de
sa pitié' un morceau de pain et un peu d'eau ; mais Aldrian ,
en le félicitant des trésors qu'il a conquis , l'invite à boire cet
or , dont il avait une soif si inextinguible, et le roi des Huns
meurt de faim au milieu de ses innombrables richesses.
La caverne qui renferme les trésors de Sigfrid rappelle le
coffre qui recèle les trésors de Sigebert ; le genre de mort et
la trahison qui le détermine , offrent aussi de grandes analo-
gies. Sigfrid , dans les Nibelungen , est blessé au talon par ses
parens, qui l'égorgent pour posséder ses trésors; circonstances
qui font supposer, avec quelque apparence de vérité, que la
vie de Clovis , telle que les historiens nous l'ont transmise ,
est empreinte de locutions symboliques, appliquées à des cir-
constances de la vie réelle de ce prince , et renfermant des
souvenirs de la famille des Volsungs, les descendans de Sigge,
prétendu descendant d'Odin.
M. Michelet a saisi , mais aussi exagéré en poète , et toujours
au profit de son système favori, ce mythe de l'or, et le rôle
qu'il joue dans l'épopée germanique. L'or arme les Allemands
contre les Allemands. « Qui entraîne, se demande-t-il (p. iy3,
» 174)» les tribus germaniques dans ces guerres parricides?
» C'est celte fatalité terrible dont parlent 1 Edda et les Nibe-
I) lungen : c'est l'or que Sigurd enlève au dragon Fafnir , et
» qui doit le perdre lui-même ; cet or fatal qui passe à ses
» meurtriers , pour les faire périr au banquet de l'avare Attila. »
Tout ce luxe de réminiscences poétiques est pour dire que
les Allemands qui , dans les guerres d'Attila et dans d'autres
T. X. 3
34 EÉFLEXIONS
guerres se sont de'truits les uns les antres, ont e'te' pousse's à
cela par un mobile mystique et poe'lique : voilà une base bien
extraordinaire pour des e've'iiemens parfaitement connus dans
leurs circonstances principales. Gaulois contre Gaulois combat-
taient aussi à la solde de Rome et de Cartbage ; Français lut-
tèrent contre Français dans les guerres anglaises, sur les champs
de bataille de la ligue et de la re'volution ; ce sont les tristes
effets des troubles civils , ce sont aussi les produits des enga-
gemens et de la discipline militaire. Pour le poète, il y a là ,
sans contredit , une espèce de fatalité ; cependant ceux qui
s'e'gorgent ainsi, ne savent pas qu'ils obe'issent à une volonté
, fatale. On dirait, du reste, dès qu'il s'agit des Allemands, que
I M. Micbelet lui-même devienne l'esclave de la fatalité', en ex-
I pliquant par une fable poe'tique les motifs très -prosaïques qui
I mirent les armes à la main aux Germains des arme'es d'Attila
l contre les Germains des arme'es d'Âe'tius. A ses yeux, les Ger-
I mains sont esclaves de la nature au point que l'or leur com-
l mande directement, non pas à cause du butin, mais par suite
de sa puissance mystérieuse.
Après la fable de l'or , vient le mythe de la femme , qui
joue un grand rôle dans la vieille épopée tudesque. Nul doute
que le héros principal de l'épopée des Nibeiungen n'ait quel-
que parenté avec Sigebert, roi d'Austrasie , époux de Brune-
haut, qui porte le nom de Brutihild dans le poème germani-
que. La rivalité de FréJégonde et de Brunehaut se retrouve
en partie, dans la rivalité de Chriemhild et de Brunehild de
la tradition épique. Cependant je suis loin de croire que ce
soit là bien réellement l'origine de la fable des Nibeiungen.
Brynhild , dans TEdda , est une Valkyrie , un sombre génie
femelle qui excite les ennemis de Sigurd au meurtre du héros
qu'elle aime , parce que Sigurd , après l'avoir conquise les
armes à la main , est forcé de la céder, d'après la promesse
qu'il en avait faite à son ami Gunnar, l'homme de la race des
Niflungs. Sigurd épouse la sœur de Gunnar, et Brynhild, se
regardant comme la première et légitime fiancée de Sigurd ,
•se brûle auprès du cadavre de son premier amant. Eu tout
ceci , rien ne rappelle le roi d'Austrasie et la rivalité de Bru-
sus l'histoire de FRAS'GE. 35
nehaut et de Frëdegoncle : mais je ne nie pas qne l'histoire
franqne n'ait puissamment influé sur la forme de'finitive que
le poème des Nibelungen a revêtue au moyen-âge.
La Valkyrie , i'iie'roïne de la religion odinique, l'amante de
Sigge, du fils d'Odin , est un être à moitié' humain, à moitié'
surnaturel, un être douteux, magique, terrible. On peut la
comparer aux Amazones de la fable grecque. Elle ressemble
aux Apsaras du ciel d'Indra, dieu des guerriers du Radscb-
poutana. Ces Apsaras combattent , sur le champ de bataille ,
auprès des he'ros leurs amans. Quand ceux-ci succombent ,
dans un baiser elles leur enlèvent l'âme , et les attirent ainsi
jusqu'au ciel dindra, au fond des cieux, oii ces he'ros se nour-
rissent d'Amrita , c'est-à-dire de la boisson de l'immortalité'.
Sur ces femmes he'roïques , M. Micbelet e'met, selon nous, des
ide'e bien bizarres.
a L'or et \di femme, dit-il, voilà l'objet des guerres, le but
» des courses he'roïques »> (pag. 174)- — Nouvelle manie de
confondre la fable lie'roïque qui se reflète jusques dans les
e'pope'es du moyen-âge, et dont la source est antérieure à l'his-
toire, avec les grands e've'nemens de l'histoire, oii l'homme et
la femme n'ont rien à faire. Brynbild, la Valkyrie, et Fafnir,
le gardien de l'or , ne sont pas les mobiles de la guerre des
Goths ou des Francs , pas plus que la toison d'or ou la belle
He'lène , et que tant d'e've'nemeus semblables de la fable he'-
roïque des guerriers de llnde et de la Me'die , ne sont les cau-
ses re'elles de tout ce qu'il peut y avoir d'hiîitorique dans les
navigations des Argonautes , dans les invasions des Grecs dans
la Troade et l'Asie-Mineure , etc. Que de temps à autres il y
ait eu rapt et se'duction ; que l'amour du butin ait e'te' pour
beaucoup dans les anciennes expe'dilions militaires, ])ersonne
ne le nie; mais il ne s'agit pas de l'or et de la femme des poè-
mes Scandinave et germanique , dans les e'tablissemens politi-
ques et les conquêtes des Goths, des Francs, des Anglo-Saxons,
des Lombards.
Souvent , je ne dis pas toujours, la femme, dans les anciens
poèmes , est la personnification d'une de'esse , et cette de'esse
c'est très-souvent le territoire conquis, envahi, la beauté' ra-
3*
36 RÉFLEXIONS
vie. Parfois elle est le symbole «le la discorde, portant le trou-
ble dans les sens et excitant des jalousies rivales. Il y a, dans
tout ceci, un me'Iange de re'alite' et d'ide'alite, ce qui constitue
le genre à la fois e'piqne et symbolique.
« L'amour, dit M. Miclielet, ici ( cbez les Germains) n'a
» rien d'amollissant ; la grâce de la femme , c'est sa force , sa
>i taille colossale. »
Cela est vrai par rapport aux Valkyries , qui ressemblent
anx Amazones et sont des êtres fantastiques. Il y avait Aes filles
du bouclier {Skîold-moe) comme les appellent les Scandinaves,
qui assistaient aux combats; mais ce n'e'lait pas la règle ge'né-
rale. De cela l'auteur tire une conse'quence bien forcée; tour-
nant avec adresse une vertu en reproche, il attribue la chas-
teté' que Tacite loue dans les femmes germaniques à la froideur
de leur tempe'rament. Puis il donne un certain e'clat au li-
bertinage des mœurs que les e'crivains du moyen âge, et quel-
ques anciens reprochent aux Irlandaises et aux femmes bre-
tonnes. Sans qu'il en fasse de'cidement une vertu , il lui trouve
une excuse dans l'ardeur et la ge'ne'rosite' du sang....
Du reste , nous ne sommes pas au bout des hypothèses ;
comme il y avait deux religions dans la Germanie , l'ancienne ,
que l'auteur appelle la vague; la nouvelle, qu'il de'core du
titre de positive, il faut aussi deux conditions aux femmes :
sous la religion vague la femme est ne'cessairement esclave ,
c'est une personnification de la nature; sous la religion posi-
tive, la femme est ne'cessairement libre , c'est une personnifi-
cation de la volonté. Si cette antithèse n'e'tait pas soutenue,
l'hypothèse ne serait pas complète. Nous lisons donc :
« La femme , dans la Germanie primitive, e'iait encore courbée
» sur la terre qu'elle cultivait. »
C'est la une interpre'tation fausse d'un passage de Tacite
( Germ. , cap. i5). Les hommes puissans, les chefs et les prin-
ces ne pre'sidaient pas en personne a la culture de leurs champs ;
ils abandonnaient à leurs femmes les soins domestiques, les
champs et l'agriculture. La femme dominait à l'intc^rieur, di-
rigeant les travaux ; indice d'une haute dignité', pareille à celle
de la matrone de Rome. Les grands s'occupaient des armes.
SUR l'histoire de FRANCE. 37
de la chasse, de la politiqae , des jugemens publics et privés;
le reste était abandonne' à leurs e'ponses , aux vieillards qui
ne pouvaient plus mener une vie active , et qui avaient les
colons sous leur surveillance. Tacite nous de'peint l'existence
d'un peuple nouveau et militaire , ente' sur un peuple ancien
et agricole qu'il domine. C'est un e'tat re'cent et qui ne se ren-
contrait pas sur tous les points de la Germanie. Le culte de
Hertha prouve à lui seul le haut rang qu'occupaient les fem-
mes dans la société' germaniffue primitive , fonde'e sur les arts
de la paix et de l'industrie. Freya , la de'esse de l'amour, avant
d'être de'grade'e jusqu'au point où nous la i-enconlrons dans le
culte odinique , avant detre une Ve'nus profane , e'tait une de'esse
sévère, pre'sidant au mariage; et l'e'pouse germanique tirait
d'elle son titre de Frau; la vierge germanique, en allemand
moderne, est la Jung-Frau , la jeune Freya. Freyr, le frère
de Freya, est l'amant de la jeune fille ( Freier en allemand
moderne), son futur. époux. Cette assimilation de la femme
et de la jeune fille à la déesse , ne suppose pas un état de
dégradation du sexe le plus faible.
Cela doit suffire pour prouver que la femme de la Germa-
nie primitive, la femme de la religion ancienne n'était pas
exclusivement esclave
Comparer ce qu'il y a de plus récent à ce qu'il y a de plus
ancien , pour retrouver partout la filiation des sentimens et
des croyances , et cela à des époques de mélange , c'est là une
manie qui a conduit M. Michelel à un singulier rapproche-
ment. Il jette ainsi, sur le fond de sa méthode, une lumière
piquante, et prouve jusqu'à quel point la vérité, quand on
l'outre et quand on la défigure par esprit de système , peut
s'égarer jusqu'au burlesque ; quel que soit , du reste , le talent
d'un écrivain à l'imagination riche et fertile.
Ainsi, aux pages i'j^-i'j5, il compare l'ancienne Valkyrie
du Nord, la fille du bouclier, l'Amazone germanique à « celte
courageuse Anglaise qui, pour retrouver son jeune époux,
retourna tous les morts de Waterloo. » — Voici sur quelle
obscure analogie l'auteur s'est cru en droit d'établir ce parallèle
Autour du héros de llnde une Apsara voltige sur le champ
38 RÉFLEXIONS
de bataille, et, quand son amant succombe, cherche à le re-
trouver parmi les morts pour l'enlever au ciel d Indra ; ainsi
la Valkyrie se ment autour duhe'ros Scandinave de son choix,
et, l'ayant cherche' parmi les morts, s'en empare pour le con-
duire au Valhalla. La jeune Anglaise c'est, pour M. Michelet,
une re've'Iation , un trait de lumière; elle lui fait deviner l'Ap-
sara indienne , la Valkyrie Scandinave. Certes , le trait que
l'auteur cite est très beau, mais il n'a rien de commun avec
les êtres poe'tîques qui lui en rappellent le souvenir. Si sa
comparaison e'tait exacte , nos arme'es seraient peuple'es de Val-
kyries , femmes ou amantes de nos soldats. Il est vrai qu'en
poursuivant l'analogie sur ce terrain , la moderne Anglaise
n'aurait pu y figurer d'une manière caractéristique , comme
reproduisant « Edith au col de cygne cherchant Harold après
la bataille dHastings. »
Dans son ardeur de poe'tiser l'histoire, M. Michelet fait du
he'ros germanique, de Sigfrid et de TheoJoric unWargr; nous
verrons plus loin le peu de fondement de cette hypothèse. Parce
que Sigfrid court les aventures , l'auteur y voit un exile', con-
fondant l'exile' avec le Wargus , ou le profanateur des tom-
beaux et des temples, la bête féroce, le loup. Dans l'Edda ,
Sigurd tombe au servage de son beau-père , qui avait e'pouse
la mère du Jeune he'ros , sa captive et veuve du père de Si-
gurd ; il s'affranchit de ce servage par un exil volontaire. « Le
conque'rant du Nord (dit M. Michelet, pag. 173) , le Wargus
franc ou Scandinave, c'est Sigurd, c'est Dietrich von Bern. »
L'auteur se demande ensuite si Dietrich von Bern est The'o-
doric de Ve'rone? Rien n'est plus sûr. Mais quand il ajoute
que le tombeau de The'odorlc à Ravenne est un tombeau gothi-
que , je m'étonne qu'il puisse reproduire ce vieux conte, tant
de fois re'fute'. C'est une architecture byzantine du temps de
la de'cadence des arts dans l'empire romain. Il n'y a là rien de
pe'lasgique, comme le veut l'auteur; c'est tout bonnement une
masse informe, c'est l'art non pas dans l'enfance, mais dans
la de'cre'pitude delà vieillesse. Les Germains n'avaient ni villes.
ni palais, ni ce que nous appelons des temples. Odin, il est
vrai, posse'dait un temple à Sigtuna en Suède; mais les Goths
SUK l'histoire de FRANCE. 39
n'onl nulle part laisse de traces Je leurs monumens, et la pré-
tendue architecture gothique porte ce nom à contre-sens.
Si en conscience , je suis obligé de refuser aux héros ta-
desques le goût des arts , et de repousser la dénomination de
Wargns qui leur est faussement appliquée , Je ne saurais non
plus admettre que la ruse et la perfidie aient été représentées
d'une manière particulièrement haïssable dans les vieilles épo-
pées du Nord. Les héros de prédilection de ces poèmes n'ont
pas été des hommes simples jusqu'à l'excès presque de la niai-
serie, de bons eiifans , ou plutôt de bonnes dupes, pour me
servir d'une expression triviale ; à cet égard M, Michelet pré-
tend opposer la muse et le génie dès Grecs à la muse et au
génie des Allemands. Les Grecs célèbrent la ruse et la perfidie
dans leur Ulysse ; les Allemands les maudissent dans leur Hagen.
Mais Hagen, tout perfide qu'il est, est un héros; mais ce héros
est dépeint avec une faveur marquée dans l'Edda Scandinave.
Le meurtre de Sigfrid et la malice de Hagen , qui le conseille,
ont même un type religieux dans la mythologie du Nord. Sig-
frid, c'est le représentant terrestre du dieu Balldnr; Hagen,
c'est le représentant du frère de Balldur, qui est tué par lui.
Ces deux personnages appartiennent à une religion ancienne,
où il y avait opposition entre la lumière et les ténèbres, le
bien et le mal; l'Odinisme , dans les temps postérieurs, leur a
imposé une forme héroïque.
Pour conclure sur le chapitre de la religion guerrière, je dirai
que l'auteur n'aurait jamais dû méconnaître le caractère de
personnalité libre, pour me servir de son expression favorite,
qui distingue la religion d'Odin d'une manière très marquée,
n n'ose pas la nier; mais il fait tout ce qu'il peut pour en
amoindrir le résultat; pour y parvenir il tombe même en con.
tradiction avec sa propre tliéorie , fondée , comme nous le sa-
vons, sur la mollesse de la race allemande, mollesse qu'il pré-
tend prouver par Xinstabililé de ses demeures ; tout k coup ,
et pour diminuer l'héroïsme de ces mêmes Germains , il les
transforme en un peuple casanier. Or, un peuple casanier a
nécessairement des institutions fixes. S'il en était autrement il
serait vagabond. Quant aux aventuriers allemands qui se par-
40 RÉFLEXIONS
tagent l'empire romain, ce sont, dit-il, de jeunes gens sem-
blables aux e'tudians des universite's , buveurs de bière, tapa-
geurs qui brisent tout, du reste assez bons enfans. En outre,
ce sont des Wargr, des expalrie's. Anime' de cet esprit bostile,
voici comment il s'e'nonce sur les races allemandes. « Nous ne
» remarquons pas en elles cet esprit d'aventure qui a promené
» les Celtes antiques, les Tartares modernes à travers l'Europe
» et l'Asie ( pag. i63). »
Était-ce l'esprit d'aventure qui a mis les Celtes en monve-
I ment? Qu'une fois e'branle's , cet esprit, sous des chefs he'roï-
i qnes, se soit mêle' à leurs expe'ditions, cela se j)eut; mais qu'il
I ait détermine' les nombreuses migrations celtiques , il faudrait
^ le prouver et ne pas se borner h l'avancer.
Les Gaulois, en passant les Alpes par saite de causes incon-
nues, qui se rapportaient à de grandes commotions internes,
I' cbercbaient des terres et non pas des aventures. Les Etrusques
et les Romains n'avaient pas envie de partager avec eux; ce
fut force'ment , et parce qu'ils se voyaient attaque's et repous-
se's , que les Gaulois se livrèrent à la vie guerrière. Ils se
trouvaient dans une situation analogue à celle des Gotbs , que
les Huns avaient repousse's de leur territoire. Telle n'e'tait pas
la position des Francs, des Suèves, des Vandales, des Anglo-
Saxons, des He'rules, des Normands; chez eux c'e'taitbien re'el-
lement la soif des conquêtes, le ge'nie des aventures. L'odi-
nismea inspiré les Anglo-Saxons, les Lombards, les Scandinaves;
mais la cause de'torminante de leurs excursions se rapporte à
une vieille institution de la Germanie guerrière. Des chefs re-
nomme's s'attachaient une jeunesse ardente, l'admettaient à leurs
réunions politiques et religieuses, à leurs repas, dans leurs
familles : voilà lorigine des fidèles; voilà le premier germe
dont s'est développé le système féodal, an temps des Carlo-
vingiens, après que l'institution primitive eut envahi les pays
conquis , en subissant de nombreuses vicissitudes. C'est cet
\ héroïsme germanique qui a complètement changé l'Europe ro-
I maine ; l'héroïsme celtique s'est écoulé sans laisser de traces.
M. Michelet cite les Tartares; ils courent le monde, mais
ce n'est, certes, pas par orgueil d'héroïsme; flottant entre la
SUR l'histoire de FRANCE. 41
Chine et la Transoxane , ils mènent pendant des siècles une
vie nomade. Ce qui les force à se rejeter sur l'Occident, à de'-
border sur l'Asie rae'ridionale , à essayer de pe'ne'trer dans la
Chine , c'est la politique des Chinois ; tantôt elle essaie de les
affamer, tantôt elle cre'e des rivalite's entre les tribus pour
s'assurer, sur ces peuples, une longue pre'dominance, et les
empêcher de s'accumuler sur les frontières de l'empire. Un
Attila, un Gingiskan , un Tamerlan sont, chez ces hordes, des
exceptions, des phe'nomènes. Rien chez les Tartares ne rappelle
les migrations des Gaulois, des Goths , les expe'ditions des
Francs et des Barbares de l'Occident.
M. Michelet dit fort bien « que les premières migrations des
Germains sont ge'ne'ralement rajjporte'es à des causes pre'cises;»
mais elles ne le sont ni plus ni moins que celles àes Gaulois.
Les Germains e'iant les derniers venus, nous les connaissons
mieux que les Gaulois, qui datent de l'enfance de la re'publi-
qae romaine. Dans ces e've'nemens il y a toujours quelque
chose de cache'; nous voyons les effets plutôt que nous com-
prenons les causes. La migration des Cimbres paraît contem-
poraine de quelque grande re'volution de la nature ; mais le
dire de Plutarque, e'crivain peu judicieux, ne forme pas au-
torité'. Quand les anciens ignoraient la raison d'un e've'nement ,
ils supple'aient trop souvent à leur ignorance en inventant une
cause; mais je ne vois pas ce qui a pu autoriser l'auteur à
soutenir que, selon Tacite , la guerre et la faim aient fre'qnem-
ment pousse « les tribus les unes sur les autres. » Cette manière
de repre'senter les hommes comme des troupeaux de bêtes fé-
roces qui se ruent sur d'autres hommes comme sur des trou-
peaux domestiques pour les poursuivre jusque sur la terre
e'trangère , me paraît une invention de l'Evbe'me'risme. C'est
un système pareil à celui qui fait sortir les hommes de dessons
terre, comme Autochihones, qui leur donne des glands pour
nourriture, qui les repre'sente comme inventant leur langage
en imitant les cris des animaux, etc., etc. Rien de cela n'a de
fondement dans l'expe'rience.
Si donc les Germains de M. Michelet sont, d'une part, une
race flottante , quand il veut les repre'senter comme des êtres
42 RÉFLEXIONS
impersonnels, enfans de la nature; ils sont, d'antre part, ane
race casanière, dès qu'il a inte'rét à leur ravir leur âge d'he'-
roïsme et le ge'nie des aventures. Il cite les Frisons , qui n'ont
pas e'migre'; mais il y eut des Frisons en Angleterre, et il est
probable qu'il y en eut parmi les Francs. Et de plus , cet
exemple me paraît mal choisi, car il n'est pas exac^ de dire
que leur territoire soit « un sol de'lendu par la nature. » Mo-
bile comme la Hollande , le Dithmarseo est le pays des Chances,
il a fallu le conque'rir sur les flots, par les travaux et l'indus-
trie de lliomme, à l'instar de Venise et de la Lombardie , des
valle'es du Nil, du Hoangho et du Gange.
Mais avec M. Michelet on ne sait jamais positivement pour
quel système il se de'cide. Par une contradiction nouvelle , à
la page 166, il nous pre'sente les mêmes Germains si casaniers
comme une race aventureuse, et cela dans le seul but de prou-
ver qu'ils ont constamment poursuivi des chimères. Ainsi ,
dans son hypothèse , les peuples odiniqoes auraient recherche
un Asgard, une cite' des Ases ou des dieux ; ils auraient couru
l'Europe pour de'couvrir ce Valhalla terrestre, terre promise,
comme la Je'rasalem des Croisades. Les voilà transforme's en
une sorte de Croise's du paganisme se pre'cipifant à la de'cou-
verte d'une terre sainte. Mais l'auteur ne veut pas observer
que les fils d'Odin , titre dont s'enorgueillissaient ces pre'tendas
descendans des Ases , en se jetant sur l'e'tranger , laissaient leur
Asgard derrière eux , au milieu de leur patrie. Ils n'avaient
pas besoin de !e chercher ailleurs ; du reste , dans leur système,
Asgard devait être partout oîi ils transportaient leurs bataillons.
Cette cite' e'tait un camp, et dans ce camp dominait Odin dans
la personne de son fils ou descendant , Hengist, Horsa , Sigge,
etc., etc. Ce n'est qu'au de'clin de la religion des Ases, ce n'est
qu'à l'aurore du christianisme, que certains aventuriers Scan-
dinaves allèrent à la rechei'che de cette contre'e mythologique
dont ils avaient perdu la connaissance. On les vit courir du
côte' de la Russie pour de'couvrir le grand Svilhiod , qu'ils pla
çaient h l'Orient , et qtt'ils croyaient être la patrie originelle
des Sviar ou Sne'dois. Quelle est donc l'analogie entre les ex-
péditions des Croise's et celles des Germains et des Scandinaves?
SUR l'histoire de FRANCE. 43
Me voici parvenu à une des suppositions les plus extraor-
dinaires qui ait jamais e'te' avance'e par nn historien ancien
ou moderne. A cet e'gard il nous fait entrer dans quelques
explications.
Les vieux codes germaniques parlent d'une classe de gens
qu'ils nomment les Wargi , dans la loi des Saliens et des Ri-
puaires , les Wargr dans celle des Scandinaves, et que la loi
d'Edouard le Confesseur (lib. VII, de Vllagatis, des gens hors
de la loi ) de'signe sous le nom de Wulfcs-heofod , têtes de
loups; ces gens sont les loupa , c'est-à-dire les profanateurs des
temples et des tombeaux, chasse's de la communauté' politique
et religieuse , des gens mis à jamais hors la loi de leur pays.
Il est encore question (chez Grimm, Ucchtaaltcrthumer ^
pag. 3g6, sur l'autorité' duquel M. Michelet s'appuie), il est
question , dis-je, dans la loi lombarde, du TFargangus , c'est-
à-dire de l'homme qui s'est e'ioigne' de sa demeure ; gfing
voulant dire marche, et IFar signifiant demeure. Il s'agit des
mendians , des vagabonds, gens sans asile, mais qui, pour
cela, ne sont pas ne'cessairement des criminels, des loups. Eh
bien , ces deux sortes de gens , les JFargi et les Wargangi ,
M. Michelet les confond , les pe'trit comme une même pâte ;
voilà, selon lui, l'origine des Clovis, Hengist, Ariovisle , Mar-
bod, The'odoric , Afaulph, Gense'ric , etc., etc., voilà leurs
compagnons d'armes; d'un trait de plume, ces he'ros des
temps barbares, sont transforme's en un vil gibier de potence
(pag. 21 3).
« Du jour, dit M. Michelet, pag. 172 , où le Wargus a jeté'
» de la poussière sur tous ses parens et lance' l'herbe par dessus
» son e'paule , ou s'appuyant sur son bâton il a saute' la petite
» enceinte de son champ, alors (ju'il laisse aller la plume au
» vent, qu'il délibère comme Attila, s'il attaquera l'empire
» d'Orient ou l'empire d'Occident, à lui l'espoir, à lui le
» monde ! »
On a besoin de lire deux fois pour y croire. Quoi! les
Eerserker de la Scandinavie, les descendans d'Odin, ces hom-
mes que Wodan enflammait de la rage des batailles, c'e'taient
des mendians courant le monde et demandant l'aumône aux
44 HÉFLEXIOITS
pays étrangers , c'étaient des criminels en horreur à tous leurs
concitoyens ; tout cela c'e'tait la graine d'où devait e'clore un
Attila, roi des Huns, qui, soit dit en passant, n'a rien de
commun avec les Germains? M. Michelet , e'crivain de bean-
conp d'imagination, poe'tise tout. Le Wargus , c'cst-à dire
l'homme infâme , qui ouvrait les tombeaux pour voler les
morts (loi salique , tlt. 5'j , cap. 5; loi ripuaire , tit. 85-i ) ;
le TVargri Feom des Scandinaves , c'est-à-dire l'homme qui
envahissait les temples , pour souiller les lieux sacre's ; un m\-
se'rable de cette espèce , voilà donc l'e'toffe dont la nature se
servait pour fabriquer les conque'rans et les he'ros de l'anti-
quité'? Cependant ne jugeons pas avec trop de se've'rite'; sans
faire attention aux actions sanguinaires du Wargus , à la pro-
fanation de tout ce qui est saint et sacré , l'auteur ayant ren-
contre' quelque part les usages symboliques de la Chrene-Chruda,
coutume énonce'e dans la loi des Saliens et des Ripuaires , a
été saisi par les circonstances pittoresques de cette coutume;
son imagination y a trouvé la matière d'un tableau, et la vé-
rité historique a été sacrifiée au désir d'intéresser.
Celui qui ramasse l'herbe pure, ou la Chrene-Chruda, n'est
pas un Vargus, et n'est pas un Wargangus ; c'est un iiuolvahle ,
qui ne peut payer le prix du sang , pour le meurtre qu'il a
commis, qui ne peut pas satisfaire à la loi. Il entre dans son
domaine; il arrache quatre poignées de gazon des quatre coins
de son territoire; debout sur le seuil de la porte, jetant un
regard inquiet an-dedans de sa maison, dont il va s'éloigner,
jusqu'à ce qu'il ait satisfait à la loi , il jette cette herbe et
cette terre par dessus l'épaule et en couvre le plus proche de
ses parens. Puis, déchaussé, vêtu de la seule chemise, un bâ-
ton à la main, il disparaît, après s'être élancé par dessus la
haie de son champ.
Jamais le Wargus ne pouvait revoir sa patrie; le mendiant
n'y avait aucun intérêt, il n'y avait rien possédé; mais l'autre
exilé n'avait qu'à satisfaire à la composition de la loi , pour
rentrer dans son droit. Qu'est-ce ensuite que cette plume, que
le fugitif laisse aller au vent , pour lui indiquer s'il doit se
diriger au hasard , vers l'Orient ou vers lOccident , afin de se
SUR l'histoire de FRANCE. 45
joindre à ses pareils, qui veulent explorer les contre'es e'tran-
gères ? Cela me paraît emprunte à quelque coutume des com-
pagnons ouvriers, pue'rilité indigne de la comme'moration de
l'histoire : telles sont cependant les circonstances poe'tiques dont
M. Michelet a fabrique' un ensemble , en assimilant ce qui
devrait être distingue', genre de fusion ou de confusion que
l'on rencontre malheureusement plus d'une fois dans son
ouvrage.
L'espèce de rape'tisseraent syste'matique que l'auteur fait sa-
bir au génie de la nation allemande , ne connaît pas de bornes.
Non content de la pre'senter comme vague et inde'lermine'e ,
il veut encore lui ravir toute originalité, la confondre dans
la masse des populations les plus grossières. Les mœurs des
Germains , dit-il , sont semblables à celles de tous les autres
Barbares. On sait que les sauvages des forets du nord de l'A-
me'rique et les Tartares de la baute Asie , menant une vie fai-
néante, condamnent leurs femmes à des travaux d'esclaves,
et les obligent même à la culture des cbamps ; aussitôt il leur
assimile les Germains sur l'autorité de Tacite : « La culture est
abandonne'e aux femmes (i63). » Nous avons de'jk eu occasion
de discuter le vrai sens de ce passage. Il s'agit de la race guei'-
rière chez laquelle les femmes dominaient dans la maison et
le domaine. Il ne peut être nullement question des petits cul-
tivateurs libres, gens a fortune me'diocre, et qui se pi^e'sen-
taient rarement aux assemble'cs politiques de la nation, sinon
dans les occasions majeures, où leur concours devenait indis-
pensable.
Rendons toutefois Justice à M. Micbelet ; s'il cherche à en-
lever aux Germains toute originalité', s'il compare leurs mœurs
à celles du commun des Barbares; cependant il daigne encore
les prote'ger contre l'autorité' de Gibbon et de M. Guizot ; il
ne veut pas qu'on les confonde avec ces mêmes sauvages et
ces mêmes Tartares. Gibbon , imbu de souvenirs classiques ,
de'testait les Gotbs, parce qu'ils avaient renverse' l'empire ro-
mam : mais , pour être conse'quent , il aurait dû se maudire
lui-même, pour son origine anglo-saxonne. M. Michelet n'en
est pas encore à ce point ; lui-même s'est enivre' de la coupe
46
ANNALES DU MOYEN-AGE.
magique que la nature lui a presente'e, lorsqu'elle lui a redit
cette vieille poe'sie germanique qu'il idolâtre.
Baron d'Eckstein.
ANNAXES DU MOTEN-AGE,
DEPUIS LA DÉC\DENCE DE l'eMPIRE ROMAIN JUSQu'a LA MORT
DE CHARLEMAGNE ', PAR M. FRANTIN (1).
Tel est le titre de la première partie d'un livre comme il ne s'en
fait guère : œuvre de longue et puissante haleine , de sérieux et
patient labeur , d'e'rudilion consciencieuse et vraie , dont un des
juges les plus competeus qui soient en Europe , M. Heeren, a dit :
« qu'il considérait ce travail comme un des principaux ouvrages
» historiques des temps modernes (2). » Ce livre, il est vrai, n'est
pas d'hier ; mais il pourrait bien être de demain. A ce titre , il se
sépare de ceux que la critique ensevelit entre le feuilleton de la
veille et celui du jour. Il se continue d'ailleurs en ce moment, et
la comparaison d'une production de ce caractère avec d'autres plus
récentes et plus caressées offre plus d'une donnée peut-être pour
la solution d'un problème : celui des destinées prochaines de l'art
historique en France.
Il se passe en effet quelque chose qui n'a pas été observé que
je sache , et qui certes me'rite de l'être , quelque chose qui ne res-
semble pas mal à une réaction contre V histoire conjecturale , comme
on disait en 1828 au cours de M. Villemain. Écoutez plutôt, par
la voix scrai-officielle du doyen de la Faculté' de lettres de Paris
(M. Leclerc ) , l'université' dénonçant chaque jour comme des té-
mérités les hypothèses historiques de l'érudition allemande. Voyez
(i) Paris^ Gaume frères, nie du Pot-de-Fer , n. 1 , 8 vol. in8°.
(2) Notices sauanles de Gœtlini'ue , 1828^ n" 12.
ANNALES DU MOYES-AGE. 47
( présage plus palpable encore ! ) un esprit qu'on n'accusera pas de
timidité , M. d'Eckstein , niant une à une , dans ce recueil même
toutes les prémisses de l'Histoire de France de M. Michelet. Et
ce ne sont pas seulement les prémisses, c'est-à-dire l'exposition des
temps qui se perdent daus la nuit du passé , l'exposition des siècles
anté-historiques dont l'imminent discrédit me frappe. Ce que le ca-
ractère positif de notre nation repousse au fond de tout cela , c'est
le rationalisme appliqué aux faits , soit qu'il ait la prétention de
donner ce qu'on nomme la formule d'un peuple , de construire à
priori les événemens qui ont dii remplir son existence historique,
soit qu'il se borne à raconter ces événemens avec un parti pris à
l'avance , et qu'il les fasse plier sous un système préexistant dans
la pensée de l'écrivain. Eu supprimant l'étude de l'histoire au nom
de la philosophie, en devinant les faits par induction de telle loi
psycologique ou physiologique , comme en admettant même l'étude
des faits pour en subordonner le re'cit à larbitraire de telle ou
telle spéculation , on ne laisse guère que du scepticisme dans les
esprits. J'oserais donc le prédire, le temps n'est pas loin où le
public avant tout voudra des faits , demandera des faits. Ce sera
le temps des Annales du moyen-âge,
Est-ce à dire que toute l'histoire soit dans les chroniques du
temps , que les faits nus suffisent à l'inteHigence , et que Vidée ,
comme eût dit Platon, doive être absente du re'cit? A Dieu ne
plaise! et il s'en faut bien que l'auteur des Annales fausse et ré-
trécisse à ce point la mission de l'histoire. La réaction pourrait aller
jusque-là , je le sais ; mais à l'instant même la pensée réclamerait
ses droits , et la réaction serait vaincue. Avant tout sans doute
l'histoire est un récit, et dans tout récit les fait^ prédominent de
droit ; mais il faut que de leur exposition jaillisse l'intime corapré-
Lcnsion de leurs causes, de leur enchaînement, de leur portée. A
ce prix seulement l'histoire est œuvre complète et virile. Ce n'est
plus alors un passe-temps d'oisifs, c'est une autorité pleine d'en-
seignemens et de majesté; en un mot, la prédominance ou l'assu-
jettissement des faits décident de la légitimité ou de l'ille'gitimité
de l'histoire: j'applaudis donc à l'historien philosophe, mais je me
défie du philosophe historien.
Veut-on des exemples? écoutons, j'y consens, ce qu'on donne
48 ANNALES DU MOYEN-AGE.
depuis quelques anne'es comme la philosophie de l'histoire : roman
pour roman , il va sans dire que nous pre'férons , vous et moi , les
moins ennuyeux ; Walter Scott , par exemple , à M. Bûchez. Mais
qu'on prenne d'un côté, je ne dirai pas même la philosophie âpre
et tranchante de M. Augustin Thierry, mais le rationalisme aven-
tureux de M. Michelet ; de l'autre, la sagesse, la réserve sans timidité
deM.Frantin, Tauteur des Annales du moyen-âge^
J'ai hâte de le dire , je ne méconnais point les qualités éminen-
tes et trop peu célèbres peut-être de M. Michelet , l'étendue , le
nerf, l'acuité de son esprit, le jet vigoureux de sa pensée, le so-
bre et mâle coloris de son style , la singulière variété de ses lec-
« tures et sa volonté sincère d'être impartial. Je dirai plus , j'aime
I M. Michelet parce que c'est un homme de notre âge ; un homme
i de conscience et de travail ; un homme qui a cheminé solitaire en
dehors des coteries et des prôneurs , cloîtré en quelque sorte dans
ses études qui l'ont blanchi et ridé avant le temps , anachorète et
martyr de la science , comme l'a dit quelque part un de nos col-
laborateurs. Je l'aime , parce qu'il a des envieux hors de nos rangs.
Je l'aime encore, parce que, malgré de graves imperfections , son
Histoire de France enterre définitivement V Histoire des Fran-
çais , cette lourde , sèche et partiale compilation écrite en genevois
par M. de Sismondi. Qu'a-t-il donc manqué à M. Michelet pour
remplir tout le me'rite qui est en lui, pour que, dès aujourd'hui,
l'histoire de France ne fût plus à faire ? Deux choses : d'être moins
impatient de la gloire et d'être entièrement, intimement, véritable-
ment chrétien.
Il n'a pas su attendre ; il a voulu arriver le premier, arriver vite :
de là et la précipitation de certains jugemens et le défaut de dé-
veloppement de certains pe'riodes de fait , et le manque d'air et d'es-
pace que l'on remarque dans son tableau. Son livre a mérité un
reproche que n'encourent jamais les esprits médiocres, il est trop
plein. Les faits y sont condensés à l'excès ; trop souvent l'attention
du lecteur est tendue comme la phrase de l'écrivain jusqu'à la fa-
tigue. Puis la rapidité même du récit fausse parfois la couleur des
e'véneraens en rapprochant plus qu'il ne convient des faits très-in-
dépendans les uns des autres , et qui apparaissent ainsi dans une
AKSALtS DU MO YEN- AGE. 49
sorte de subordioation respective , bien qu'ils se soient succédé à
de longs intervalles et sans encbaînement aucun.
L'absence d''une conviction chrétienne , l'absence de foi laisse
d'ailleurs au milieu de cette plénitude même une lacune que les
plus hautes facultés intellectuelles ne sauraient combler. Comment
ne pas voir que l'histoire du moyen-âge, et même l'histoire mo-
derne, oîi l'on ne peut creuser sans trouver partout le catholicisme
et ses innombrables racines, ont pour le croyant, liomme de génie, |
un sens profond , un sens supérieur , inaccessible a toute la péné- f
tration du rationalisme , parce qu'il y là un centre qui n'est pas seu-
lement lumière , mais qui est amour ? Le croyant seul aura sym- • |
pathie naïve et réelle pour ces âges de croyance, sans rien perdre I
de la saine critique et de la clairvoyance du nôtre, au lieu que votre |
incrédulité bienveillante ne suffit point à sentir la foi , à lui don-
ner vie dans vos récits. L'a, je le reconnais, votre probité histori-
que demeure entière , mais votre impuissance n^en est qu'amoindrie.
Plus intègre que la plupart de vos devanciers , vous ne voulez rien
effacer de 1 histoire , vous ne supprimez pas l'enthousiasme reli- |
gieux; mais le reproduire tel qu'il est, le faire jaillir du cœur et |
non de la tête, dépasse vos forces. Encore une fois, ceci est le j-
tort , non de votre esprit qui est grand , non de votre caractère |
qui est généreux , mais de votre point de vue qui tend sans cesse |
à remplacer les sentimeus par les idées , mutilant les faits à votre f
insu et comme malgré vous. Oh ! qui mieux que M. Michelet pourra
remplir ce vide de son livre, quand, redevenu ce qu'il a été, ca-
tholique d'esprit et de cœur, il reprendra en sous-œuvre cet ou-
vrage , comme fait Gœrrez converti de son Histoire des mytho-
logies , pour en faire un monument que tous admireront et que nul
ne recommencera plus !
M. Frantin n'a point eu l'ambition de cette lâche de géant, une
histoire de France complète. Son sujet, tel qu'il l'a conçu, est en-
core assez vaste : c'est une histoire universelle des temps qui sé-
parent l'avènement de'fînilif du christianisme, sous Constantin, de
la première aurore du monde moderne qui poind aux croisades ;
c'est tout à la fois la fin de Rome et de Byzance dans l'ordre po-
litique , la rénovation de l'Orient par le mahométisme qui déjà
de'borde sur l'Occident , la grandeur et la chute e'galement rapides
T. X. 4
50 ANNALES DU MOYEN-AGE.
des grandes monarchies barbares (Goths, Bourguignons, Vanda-
les , Suèves , Lombards ) , la persistance de la domination franque ,
et simultanément la renaissance de l'Espagne sous Pelage , l'An-
gleterre d'Alfred et de Guillaume-le-Conque'rant , les origines en
un mot de toutes les nations modernes. Son livre peut tenir lieu ,
sinon tout-à-fait de Gibbon, au moins de Lcbeau et de ses vingt-
sept ennuyeux volumes sur le Bas-Empire, comme de M. Sismondi
et autres qui ont écrit inextenso sur les premiers siècles de notre
histoire. Quand il sera termine , il formera l'introduction naturelle
de {'Histoire des Croisades par M. Michaud , écrivain de la même
école , j'ai presque dit de la même famille.
Voici comment l'auteur expose le dessein de ces Annales.
« La chute de l'empire romain a été l'objet des me'ditations de
plusieurs écrivains; la fondation des monarchies modernes a servi
de matière aux recherches de plusieurs autres. Mais la plupart de
ceux qui ont travaillé a éclalrcir celte période obscure de l'histoire,
n'ont point considéré dans leur ensemble les grands événemens qu'elle
renferme....
» La ruine de l'empire , résultat des vices accumulés qui étaient
nés avec lui ou que le temps avait développés , forme par elle-même
un sujet grave, digue d'une étude à part, et qui ne se lie qu'indi-
rectement aux re'volutions des autres états. Mais il n'en est pas de
même des monarchies modernes. Les peuples qui les ont fondées ,
ayant paru d'abord dans les provinces romaines en qualité d'hôtes ,
d'allie's ou de supplians, ont été en quelque sorte des membres de
cet empire jusqu'à sa dissolution. Après cette chute , dont les pro-
grès ont été successifs et presque insensibles , l état reUgieux et
civil des provinces où ils avaient pris leurs établissemens a continué
de subsister en grande partie ; la langue même des Romains a fini
par être la langue officielle du peuple dominant. Les nations nou-
velles ayant acquis par ce mélange une double origine , on ne peut
la découvrir et la reconnaître pleinement que sous les débris de
l'empire romain.
» Le contraste de la ruine et de la naissance des états fournit
un des tableaux les plus instructifs et les plus frappans que l'his-
toire et la philosophie puissent offrir à la méditation des hommes.
ANNALES DU MOYEN-AGE. 51
Si d'un côté, dans la décadence des états, nous de'couvrons les
vices inhérensàlcur constitution et qui devaient en amener la chute;
de l'autre , dans leur formation , nous voyons les premiers essais
d'un peuple grossier qui se dégage de la barbarie , nous voyons ses
mœurs et ses coutumes , qui ont fait d'abord toute sa police , se
former en lois à mesure que ses intérêts se compliquent. Nous re-
connaissons ainsi que la création des gouvernemens n'appartient
point à la volonté des hommes ; qu'ils naissent en quelque sorte
d'eux-mêmes et se développent par la seule force des mœurs; que
le génie ne peut guère qu'en diriger les développemens ; que les
états ont plus ou moins de dure'e , scion que les mœurs ont plus
ou moins de vigueur; que c'est par cette force secrète et, pour
ainsi dire , par cette sève qui y circule , que l'état naît , croît ,
parvient a sa maturité'. Et comme dans la de'cadence de l'un nous
avons suivi les causes de sa ruine, nous pouvons signaler dans celui
qui se forme les causes prochaines de son accroissement et de sa
splendeur. Conside'raut ainsi d'une même vue la société' civile sous
cette double face , nous apprenons à connaître en quoi consiste l'es-
prit de vie qui anime les empires.
» Nous apprenons que les lois des peuples ce'lèbres leur survi-
vent , soit qu'elles se transmettent en entier à des peuples nouveaux ,
soit qu'elles se modifient avec des mœurs e'trangères. Ainsi , après la
ruine de la puissance romaine , nous voyons dans notre Occident
des peuples de diverse origine, vaincus et victorieux, régis d'abord
par leurs propres lois , bien que vivant sur un sol commun ; puis,
ces peuples venant à se confondre, les usages même se sont con-
fondus , et la législation nouvelle s'est empreinte des mœurs et
des lois des divers peuples qui avaient mêlé leur sang.
)) D'autre part, les pays limitrophes e'changent leurs lois et leurs
coutumes. Des alliances et des intérêts communs, l'ascendant qu'un
peuple obtient sur les autres par le génie ou par la fortune , cet
esprit d'imitation naturel aux hommes et qui entraîne les nations
comme les particuliers, toutes ces causes tendent à mêler et à con-
fondre les institutions et les mœurs.
» C'est pourquoi nous devons étudier à la fois les lois et les
usages des devanciers et des contemporains pour bien connaître le
génie d'un peuple... en démêlant avec soin ce qu'il tient de lui-
4*
52 ANNALES DU MOYEN-AGE.
même, ce qu'il a reçu du dehors et souvent des peuples conquis
nous tirerons une instruction solide de l'histoire , qui n'offre qu'un
enchaînement ste'rile de faits , si l'on en se'pare la science des mœurs
et l'intelligence des causes qui ont présidé aux institutions hu-
maines.
» Mais les époques de l'histoire les plus propres à cette étude,
ce sont celles , sans doute, où le genre humain , en quelque sorte,
s'est renouvelé ,... où les vieilles sociétés font place à des peuples
jeunes , dont la barbarie vigoureuse est destinée à remplacer une
civilisation énervée. Alors, la société humaine change de face; des
noms de cités et de peuples s'éteignent; d'autres, inconnus juscjue-
là , paraissent; de nouvelles races viennent s'enter sur les ancien-
nes. Ainsi , à la suite d'une violente convulsion de la nature , une
nouvelle terre, dit- on, s'est montrée quelquefois avec d'autres co-
teaux , d'autres rivages , des aspects inconnus ; et , long-temps après,
l'observateur, en étudiant le sol qu'il foule, prétend reconnaître
encore la trace de ces grands bouleversemens....
» C'est un tableau semblable que nous nous proposons d'offrir
à la me'ditation des lecteurs , dans le plus ce'lèbre empire qui ait
paru , celui même dont nous tenons en partie nos lois , et dont
nous ne sommes, à vrai dire, qu'un démembrement^ l'empire romain.
Nous prendrons notre sujet au point où l'on peut marquer la dé-
cadence de cet empire , jetant un léger coup-d'œil au-delà. Mais
notre récit acquerra plus d'étendue au moment où les nouvelles na-
tions paraissent sur la scène, mêlent leurs intérêts à ceux de Rome,
et lui apportent une nouvelle cause de ruine. Nous lâcherons d'é-
clairer cette confusion de peuples qui se pressent l'un sur l'autre ,
et viennent se perdre tour-à-tour dans l'empire , jusqu'à ce qu'ils
parviennent à le renverser. Sur cette scène tumultueuse, nous choi-
sirons les peuples et les éveneraens qui ont laissé quelque trace.
Nous signalerons les progrès des Barbares jusqu'à leur entier e'ta-
blissement, et jusqu'à V époque où commence L'histoire moderne ,
si toutefois les forces ne nous abandonnent pas dans une entreprise
de si longue haleine.
» Durant cette pe'riode , nous verrons le christianisme , né dans
l'obscurité, et combattu dès l'origine, s'élever sur le trône des Ce'-
sars, qui ont voulu l'abolir; à la fois détruire l'idolâtrie dans la
AWNiLES DU MOYEIV-AGE. 53
vieille Rome , et attirer à lui les Barbares par l'autorité de la pa-
role. Nous les verrons empreindre de son esprit les mœurs , les
usages et les lois des peuples nouveaux qui prennent place sur les
ruines de l'empire ; donner la forme à leurs gouverncmens ; pré-
parer enfin la civilisation moderne à travers la série longue encore
des crimes, des excès , des troubles et des désordres , fruits natu-
rels des mœurs violentes de ces peuples transplantés tout-à-coup au
sein de la société romaine.
» Nous n'ignorons pas qu'un tel sujet, grand dans son dessein,
étendu dans son pian , fécond en leçons de morale , de politique
et de philosophie , n'offre point toujours un bien vif attrait. La
multiplicité des petits faits rebute l'attention; la complication des
éve'nemens la fatigue ; le de'sordre qui règne sur ce théâtre où se
meuvent tant de peuples, la distrait , l'embarrasse , nuit à l'intérêt
en le divisant Mais c'est une raison de redoubler d'efforts pour
tromper la fatigue des lecteurs , en dissimulant ce que le récit a de
pénible , par la grandeur des résultats , et surtout par la peinture des
moeurs
)) D'ailleurs, le sujet a son intérêt et sa ple'nitude; il embrasse
toute une période, et forme le nœud qui lie l'ancienne histoire à
la moderne , comprenant cette suite de re'volutions qui remplissent
la scène du monde dans cet intervalle, et ouvrant l'intelligence des
temps modernes, qu'on ne peut bien connaître sans une élude ap-
px'ofondie du moyen-âge.
» Cest surtout sur l'Occident que nous devons porter nos re-
gards ; et, parmi les nations nouvelles, nous distinguerons la
nôtre , moins encore par un sentiment d'amour propre et d'affec-
tion naturelle , que parce qu'elle a été la plus célèbre de toutes.
Elle a vu périr la plupart des états barbares , formés et établis au-
tour du sien ; elle en a détruit elle-même plusieurs et a recueilli
les héritages de presque tous les autres ; enfin , elle a fonde le nouvel
empire des Francs et de Charlemagne , qui a été comme une image
de l'empire romain.
» Ainsi , pour assurer notre marche dans une route si longue et
si embarrassée, nous aurons successivement devant les yeux, sui-
vant la différence des époques , deux objets principaux , auxquels
nous rattacherons le reste du récit. — Nous suivrons d'abord les
54 ANNALES DU MOYEIf-AGE.
vicissitudes de l'empire romain jusqu'à sa décadence et à sa chute,
rangeant autour de cet empire les re'volutions des e'tats barbares.
— Puis, nous nous attacherons à la nation qui domine, c'est-à-
dire à la nation française, disposant également autour d'elle les:
mouvemens des autres barbares, dont elle devient à son tour le
centre. Nous la suivrons dans ses progrès et son éle'vation succes-
sive jusqu'à la fondation du nouvel empire d'Occident. Nous pour-
suivrons de là notre marche ; nous retracerons la décadence des
nouveaux conquérans et le démembrement de leur monarchie. Nous
arriverons ainsi jusqu'à Venlière division de lOccident entre les
diverses nations qui s'en partagent présentement les provinces , oii
elles ont fondé un nouveau système de lois et de droit public.
Alors nous aurons atteint le terme de notre travail. »
Voilà une citation démesurément longue ; mais elle abrège plus
que je ne puis dire la tâche de l'auteur de cet article. Il lui eût
fallu le double de paroles pour faire connaître bien moins à fond
le sujet , le plan , l'esprit , le style même des Annales du moyen-
âge.
Le préambule qu'on vient de lire rappelle involontairement le
mot de Pline : Quanta dignitas ^ quanta maj estas ; quantum
denique numen sit historiœ , cum fréquenter aliàs , tuni lac
maxime sensi. Il a je ne sais quoi de simple et de solennel tout
ensemble , comme les préambules des historiens de l'antiquité. C'est
la gravite naturelle et toute virile d'un de Thou , non la pompe
un peu rhe'toricienne d'un Thomas ou d'un Gibbon. Rien de vague
dans cette exposition , rien d'indécis et de flottant dans la pensée
ni dans la diction de l'historien. On dirait d'un écrivain du xvu"
siècle , tant le style est ferme et plein , la conception nette et
substantielle. C'est toute la physionomie littéraire de ce temps avec
ses contours précis et arrêtés , et ce mouvement calme et vrai
d'une force qui n'a pas besoin de s'exagérer, par ce qu'elle est sure
d'elle-même : incorruptus ille sanguis , et naUiralis quidem , non
fucatus nitor.
M. Frantin réunit en outre les deux qualités que nous espérons
un jour dans M. Michelet. Son obscurité ne lui pesait point ; il ne
s'est pas hâté de paraître. Il a voué quinze années de sa vie à Xi-
ANWALES DU MOYEN-AGE. 55
laboiation consciencieuse de la première moitié de son œuvre ; et,
depuis qu'il l'a publiée, il est rentré dans le studieux silence où il
s'était si long-temps renferme, pour accomplir, sans précipitation
comme sans relâche , sa vocation tout entière. Ce respect pour le
public , si remarquable au milieu de cette incontinence de publi-
cité qui est une des plaies de notre époque, tient sans doute à la
modestie innée de l'écrivain ; mais il est permis de croire que sa
conviction religieuse n'y est point étrangère. Les catholiques peu-
vent se glorifier des Annales du moyen-âge ; car la foi de l'au-
teur est la nôtre , et elle éclate en toute occasion dans son livre ,
sans affectation , mais sans mauvaise honte , comme aussi sans at-
tenter à lindependance de ses jiigemeus. Celui qui écrit ceci ne
souscrirait pas toujours à ceux qu'il porte sur la papauté.
Qu'est-il besoin d'insister sur l'exubérante richesse du sujet qu'il
s'est choisi ? On l'a dit ailleurs : « Piome vieillissante et ébran-
le'e ; le christianisme qui se lève et qui va couvrir le monde; Constan-
tin , Julien , Théodose -, les invasions des Barbares et l'empire s'é-
croulant pièce à pièce; Attila et ses Huns; avant lui, ces deux
autres fléaux de Dieu, Alaric etGense'ric, la monarchie du grand
Théodoric , celle des Bourguignons, puis enfin , les Francs et Clovis.
Tels sont les faits culminans qui se pressent dans les deux pre-
miers volumes, lesquels s'arrêtent aux premiers exploits de Bélisaire.
Alors paraissent la vigueur native et i inépuisable activité de la
socie'té religieuse , avec son unité de le'gislatiou, maintenue par ses
conciles, et la vie dont elle abonde , re'véle'e par ses monastères;
la dissolution lente de la socie'té' romaine ; les premiers de'velop-
pemens de l'éle'ment germanique dans la civilisation moderne ; puis
la fe'odalite' qui commence à poindre du milieu des déchiremens
dans lesquels pe'rit la socie'té barbare avec la sauvage royauté qui
en était sortie , pour faire place un moment à l'action régulière du
pouvoir, concentré dans la main forte des premiers carlovingiens.»
Et ce n'est là qu'un côté de la première partie des Annales. L'é-
clat des armes des lieutenans de .Tuhtinieu dans l'Orient, la légis-
lation immense qui a gardé son nom , Narsès l'eunuque , conti-
nuant en Italie , Stilicon le Vandale et le Scythe Actius; les Lom-
bards , les derniers et les plus fe'roces peut-être des enfans d'Odin ;
le drame sanglant de Fre'de'gonde et de Brunehaut ; la grandiose
53 ANNALES DU MOYEN AGE.
figure de saint Grégoire I^', recevant successivement dans l'Église
les Goths d'Espagne , les Lombards et les Saxons de la Grande-
Bretagne ; l'éclatant e'pisode de Mahomet, qui fournit tout un livre à
M. Frantin, et le plus achevé' peut-être de son ouvrage; les révo-
lutions de cour de Constautinople et celles qui font grandir la mairie
du Palais dans la Neustrie et surtout dans l'Austrasie ; la rivalité des
Omraiades et des Alides , cause encore subsistante des inimitiés des
Turcs et des Persans ; le premier e'tabiissement des Slaves dans la
Germanie; la fin des Goths au-delà des Pyre'nées ; Pelage, pre-
mier type du caractère indompté de l'Espagnol moderne , retrem-
pant cette noble race et recommençant une nation dans les Âstu-
ries ; enfin, la puissance des Abbassides dans l'Orient et dans
l'Occident , Charlemagne , qui apparaît debout sur les confins de
deux mondes , et qui clôt magnifiquement cette première moitié
des Annales , comme il clôt ailleurs le plus grand monument his-
torique que l'esprit humain ait élevé , le Discours sur l'Histoire
universelle.
On ne peut nier que l'unité ne disparaisse plus d'une fois dans
ce double plan ; car, à partir des fils de Théodose, l'Orient et l'Oc-
cident suivent des fortunes diverses. Les guerres d'Héraclius contre
les Perses, par exemple, n'ont aucun lien réel avec les destinées
des Francs, des Goths, des Lombards. M. Frantin sauve, autant
qu'il est en lui , cette difficulté du sujet , en faisant prédominer
le seul intérêt commun qui fût alors , l'intérêt catholique , égale-
ment menacé par les armes de Khosroès et par celles des Barba-
res, tous ariens, à l'exception des Francs, comme, plus tard,
par le prosélytisme guerrier des fils du Prophète. Attentif à grou-
per les faits par masses , il ne quitte un théâtre pour un autre
qu'après avoir parcouru d'uue haleine, et avec le développement
convenable , une période qui a en elle-même son unité, qui, à elle
seule , forme un tout. On ne peut nier que ces événemens si com-
pliqués ne se déroidcnt dans son livre avec une clarté de caractè-
res peu commune ; et c'est là , certes, un des mérites éminens des
Annales du moyen-âge.
Pour faire d'un seul coup la part de la critique , nous regret-
terons que M. Frantin n'ait pas resserré son récit en plus d'un lieu;
qu'il affectionne trop exclusivement le tour un peu lent et uniforme
ANNALES DU MOYETî-AGE. 57
de la période oratoire du siècle de Louis XIV. Nous aurions voulu,
dans une telle histoire, des couleurs locales plus tranchées , parfois
une critique ])lus incisive et des conclusions plus hardies.
Mais ces imperfections sont largement compensées par des qua-
lités supérieures. Les faits qui complètent le tahleau du droit puhlic
et domestique de Pépoque, y sont résumés avec une probité histo-
rique , telle qu'on ne soupçonne pas même dans l'historien ces mal-
heureuses réminiscences, si fréquentes ailleurs, des passions politi-
ques de noire âge. De là tous les reproches adressés aux Annales^
lors de leur publication, par la nouvelle école historique, et dont
les chefs même de cette école ont fait justice depuis. Ainsi, Ton
chercherait vainement dans M. Frantin le rêve de M. Sismondi ,
qui fait d'Ebroïn le chef du parti des hommes libres, au vu^ siècle
de notre ère. M. Michelet lui-même, qui s'est gardé de reproduire
cette énormité , tronque le récit de cette phase importante de la mai-
rie du Palais.
On ne trouve point non plus dans les Annales , l'hypothèse fa-
meuse, avancée par M. Guizot dans ses essais, puis retracte'e dans
son cours public de 1829 , et abandonnée par M. Michelet, après
avoir é?é tant redite et tant célébrée , d'une seconde conquête des
Gaules par une nouvelle invasion germanique , au temps de Pepin-
le-Gros et de Charles-Martel. M. Frantin a proteste le premier, le
texte à la main, contre cette explication du changement de dynastie
consomme sous Pépin-le-Bref. Il montre les peuplades transrhe'nanes
rompant avec les maires d'Austrasie eo quod non poluerunt regi-
bus Meroveis servira, sicui anteà sol! ti fuerant (^\) , et les quatre
fondateurs de la puissance carlovingienne , sans cesse occupés à
combattre la Germanie , plutôt dépeuplée que réduite par le plus
grand de ces grands hommes, par Charlemagne.
Et le Charlemagne de M. Frantin n'est point le Karl d'Augus-
tin Thierry, profil mesquin d'un Barbare assez vulgaire. C'est le
Charlemagne de l'histoire , le plus national des rois francs , le plus
fidèle au vêlement, à l'idiome he'iéditaire de sa race; mais déjà
pourtant le représentant le plus complet du moyen-âge : l'élève
(i) Eschempert, collcct. de D. Bouquet, II, 690.
58
ANJVALES DU MOYEN AGE.
d'Alcuin el de P. de Pise, le haut protecfeur de la scolastique ;
pieux comme un croisé et docte comme un théologien du xi'' siècle;
cher aux péleiins , terrible aux infidèles ; homme de guerre , ob-
sédé par des rêves de centralisation administrative j simple comme
un soldat dans son intérieur , mais non moins fameux au loin par
la richesse de ses aumônes que par ses victoires, magnifique , enfin,
dans la construction des églises , et portant , aux jours solennels ,
des pierreries à la garde de sou e'pce. Ge'nie colossal , qui a fait jeter
des cris d'admiration à Montesquieu comme à Bonaparte, et qu'on
aura tenté en vain de rabaisser à la taille d'un chef de bandes
teutoniques.
M. Frantin ne tombe pas non plus dans cet abus de l'érudition ,
qui a été si souvent le tort de Gibbon , quelquefois celui de Mi-
chelet , et qui consiste à exhumer un fait ignore , curieux sans
doute et digne d'être connu , mais en le généralisant , en le plaçant
sur le premier plan , en faisant d une particularité exceptionnelle
un des traits caractéristiques d'uue époque.
Point de notes dans les Annales , point de ces rognures du texte ,
qui coupent l'attention et qui la divisent, seulement, en marge ,
une brève indication des sources. Le prince des annalistes, Tacite,
n'a pas fait de notes.
Pas de ces complimens à des céle'brite's vivantes , dont M. de
Chateaubriand a donné le respectable exemple, mais qu'il avait du
moins rejete's dans l'avant-scène d'une préface. De pareilles cour-
toisies sentent trop la camaraderie du dix-huitième siècle ou les bien-
veillances banales du nôtre; elles sont peu conciliables avec la
dignité d'une composition historique.
Il est temps de finir ce long article , mais ce ne sera pas du
moins sans avoir rendu hommage à deux magnifiques re'cits de M.
Frantin , celui du choc de l'Orient et de l'Occident dans les champs
catalauniques où Attila vit briser ses flots de barbares, et la bataille
de Poitiers où le cimeterre musulman recule pour la première fois de-
vant la hache franque et la masse d'armes de Charles Martel. J'ose
dire que M. de Sîsmondi lui est bien inférieur en ces endroits, sur
lesquels M. Michelet a passé si légèrement.
On a pu juger plus haut le style de l'auteur. Dans ces temps de
transition et de tâtonnement où, selon la remarque d'un homme
ANNALES DU MOYEN AGE. 59
de goût et de savoir, le néologisme a distendu notre pauvre lan-
gue jusqu'à la faire craquer^ ce n'est pas la moindre recommanda-
tion des Annales qu'une diction si pleine , si ferme , si simple^ si
fidèle aux lois originelles de notre idiome. Elle fait penser, nous
lavons dit, à l'élégance pleine d'éle'vation des grands écrivains du
xvii« siècle, et pourtant il n'y a rien là qui sente le pastiche ou
le calque , rien Je ce qu'on a reproche' d'artificiel aux tentatives
d'une jeune et brillante e'cole pour renouveler la langue par l'ar-
chaïsme et lui rendre quelque chose de sa sève première et de sa
physionomie latino-gauloise. Ce mérite d'un style véritablement |
classique , dans le vrai sens d'un mot trop profané de nos jours ,
fait des Annales un livre rare , original même par le contraste |
avec ceux du temps qui court , un livre doublement précieux aux 1
ëtablissemens d'instruction publique où les cours d'histoire sont |
livrés à la science incomplète et fausse de quelques manuels ira-
provise's.
Que l'auteur des Annales achève son œuvre. Nous attendons
avec confiance son Gre'goire VII pour l'opposer à celui que nous
garde si discrètement M. Villemain , et ses Normands pour les
comparer avec ceux de M. Thierry. Dès à présent toutefois les An-
nales du moyen-âge justifient le magnifique éloge de M. Heeren,
et elles se sont conquis une place entre les deux plus belles pro-
ductions de l'école catholique , Vllistoire d'Angleterre du docteur
Lingard et celle des croisades de M. Michaud.
Th. Foisset.
60
-VV^A/W^XA^VVXVW^VV^ VV«VV%\AM<VV\^A/\^A««<\A<\VV\(%AAVV«VV\'VV\<VV\VV\IVV%V\^
LETTRE ENCYCLIQUE
DE S. S. GRÉGOIRE XVI,
A TOUS LES PATRIARCHES , PRIMATS , ARCHEVÊQUES
ET ÉVÊQUES ,
PAR LAQUELLE SA SAINTETÉ CONDAMNE
LES FAROIiSS D'UN CROTANT.
GREGORIUS PP. XVI ,
VENERABILES FRATRES
Salutem et apostolicam hetiedictionem.
Singulari Nos affecerant gau-
dio illustria fidei , obedienlias ,
ac religionis testimonia , quœ de
exceptis ubique alacriter Encycli-
cisNoslris litteris datis die 15 au-
gusli anni 1832 perlerebantur ,
quibus sanam , et quam sequi
unice Tas sit , doctrinam de pro-
positis ibidem capilibus pro Nos-
tri officii niunereCalholico Gregi
universodenunciavimus.Nostrum
hoc gaudium auxerunt editaî in
eani rem declarationes a nonnullis
ex lis , qui consilia illa , opinio-
numqne commenta , de quibus
qucrebamur, probaverant, el eo-
rum laulores, defcnsuresque in-
caute segesserant. Agnoscebanius
quidam , nondum sublatum ma-
lum illud , quod adversas rem et
Nous avions été comblé de joie,
en apprenant les illustres témoi-
gnages de foi , d'obéissance et de
religion qui ont partout accueilli
notre Lettre encyclique du
IS août 1832 , dans laquelle nous
avons fait connaître , d'après le
devoir de notre charge , à tout le
troupeau catliolique, la doctrine
saine et seule à suivre, sur les
difTérens points qui y ont été
traités. Notre joie fui augmentée
par les déclarations de quelques-
uns de ceux qui avaient approuvé
les projets et les systèmes dont
nous nous plaignions , et qui s'en
étaient montrés imprudemment
les fauteurs et les défenseurs.
Nous comprenions bien quele mal
n'était pas entièrement détruit ;
LETTRE ENCYCLIQUE.
61
sacrara et civilem adhuc conflari,
iinpuclenlissimi libelli in vulgus
dispersi , et tenebricosœ quaedam
inachinaliones maniCesto porten-
debant , quas incirco , niissis
lîiense Oclobri ad Venerabilem
Fraliem Episcopum Rhedonen-
sem litleris, graviter improbavi-
mus. At anxiis Nobis , maxime-
que ea de re sollicitis pergratum
sane , ac jucundum estitit , illum
ipsum , a quo prœcipue id nobis
moeroris inlerebatur , missa ad
Nos declaralione die 11 decem-
bris anni superioris, diserte con-
firmasse , se doctrinam Nostris
Encyclicis lilteris traditani nnice
et absolute sequi , niliilque ab
illa ailienum aut scripturum se
esse, aut probaturum. Dilalavi-
mus illico viscera paternfe chari-
talis ad Filium , quem nostris
monitis pcrmotum luculentiora in
dies documenta daturum forecon-
fidere debueramus , quibus cer-
tius constaret , INostro ipsum ju-
dicio et voce et re paruisse.
Verum , quod vix credibile vi-
debatur , quem tantae benignita-
tis aflectu exccperamus, imme-
mor ipse Noslr.ne indulgentiœ cite
e proposito defecit , bonaque illa
spes , qu;i; deprœceptionis nosfrce
/rt<c^« Nos tenuerat, in irritum
cessit , ubi primum , celalo qui-
d(!m nominc , scd publicis pate-
l'actomonumcnlis, nupertraditum
ab codem lypis , atque ubiquc
pervulgatum novimus libcUum
desécrilsimpudens répandus dans
le public et d'obscures menées
nous avertissaient trop bien des
dangers dont l'Eglise et l'ordre
temporel étaient encore menacés ;
c'est pourquoi nous désapprou-
vâmes liautement ces machina-
tions, dans le Bref que nous
adressâmes au mois d'oct. 1833
à notre vénérable Frère l'Evéque
de Rennes. Mais pendant que cette
affaire nous causait une vive in-
quiétude , celui-là même qui
était le principal auteur de notre
affliction , nous rendit à la joie,
en nous envoyant , le 1 1 décem-
bre dernier , une déclaration dans
laquelle il assurait, en termes
clairs et formels, qu'il admettait
uniquement et absolument la
doctrine exposée dans notre Lettre
encyclique , et qu'il n'écrirait et
n'a})prouverait rien qui y fût con-
traire. Nous avons donc aussitôt
ouvert les bras de notre cliarité
paternelle à notre Fils , plein de
confiance , comme nous devions
l'être , que , touché de nos avis ,
il nous prouverait tous les jours
d'une manière plus claire et plus
certaine qu'il était vraiment sou-
mis à notre jugement , d'effet
comme de parole.
Mais ( chose à peine croyable ) ,
après avoir été traité avec une
alFeclion si bienveillante , il ou-
blia bientôt notre indulgence
et sa résolution ; et le bon es-
poir que nous avions conçu sur
le fruit de notre instruction , se
dissipa , aussitôt que nous eûmes
a])pris qu'il venait de faire im-
primer et de répandre partout un
libelle français, jielit de volume,
mais gros de perversité , intitulé :
62
LETTRE ENCYCLIQUE.
Gallico idiomate , mole quidem
exiguum , pravitate tamen in-
gentem , cui titulus « Paroles
d'un Croyant. )>
Horruinius sane , VV. FF. vel
ex primo oculorum obtutu , Auc-
torisfjue caecitatem miserati in-
telleximus, quonam scienliapro-
rumpat , quae non secundum
Deutn sit, sed secundum niundi
elementa. Enirnvero contra fidem
sua illa declaratione solemniter
datam , captiosissimis ipse ut plu-
rimum verborum , ftclionumque
involucrisoppugnandam,everten-
damque suscepit catliobcam doc-
trinam, quam memoratis Nostris
litteris, tum de débita erga Potes-
tates subjectione, tum de arcenda
a populis exitiosa Indifferentismi
conlagione, deque frenis injicien-
dis evaganti opinionum, sermo-
numque licentiœ , tum demum de
damnanda omnimoda consciea-
tiœ liberlate , teterrimaque socie-
tatum , vel ex cujuscumque falsae
religionis cultoribus , in sacrœ et
publicse rei perniciem conflata-
rum conspiratione, pro auctori-
tate humiiitatiNoslrae tradita de-
finivimus.
Refugît sane animus ea perle-
gere , quibus ibidem Auctor vin-
culumquodlibet iideiitatis subjec-
tionisque erga Principes disrum-
pere conalur , face undequaque
perduellionis immissa , qua pu-
blici ordinis cladcs, Magistratuum
contemptus, legum intractio gras-
Paroles d'un Croyant ; et quoi-
que cet ouvrage ait paru sans
nom d'auteur, des écrits publics
l'ont fait assez connaître.
Nous avons été saisi d'horreur,
Vénérables Frères , au premier
coup-d'œil que nous y avons jeté,
et déplorant l'aveuglement de
l'auteur , nous avons compris à
quels excès se porte la science ,
qui n'est pas selon Dieu, mais
qui est selon les enseignemens
du monde. Car au mépris de la
promesse qu'il nous avait faite
dans sa déclaration , il a entre-
pris , sous le voile trompeur de
belles phrases et à la faveur de
quelques fictions captieuses, d'at-
taquer et de renverser la doctrine
catholique que nous avons expo-
sée , en vertu de l'autorité con-
fiée à notre humilité , dans notre
susdite Lettre encyclique , sur la
soumission due aux puissances ,
sur l'obligation de délivrer les peu-
ples de la funeste contagion de
VIndifférentismey et de mettre un
frein à cette exti ême licence d'o-
pinions et de discours , enfin sur
cette damnable liberté de con-
science qu'on étend à tout, et
sur cette détestable conjuration
d'associations formées de membres
appartenant à toutes sortes de
sectes et liguées contre l'Eglise et
contre la puissance temporelle.
Notre esprit répugne à citer
tout ce que l'Auteur a écrit , pour
rompre tous les liens de la fidé-
lité et de la soumission due aux
princes , les efforts qu'il a faits
en jetant partout le brandon de
la discorde, pour troubler l'ordre
public , faire mépriser les magis-
trats , enfreindre les lois , et dé-
LETTRE ENCYCLIQUE.
63
setur , omniaque et sacrœ et ci-
vilis potestatis elementa convellan-
tur. Hicûovo etiniquo commento
pofestatem Principuni , veluli di-
vinae legi infestam , imo opus
peccati , et Satanœ poteslatem in
calumnise portentum traducit ,
PrœsidibusqueSacroruiii easdem ,
aclniperantibusturpiludinis notas
inurit ob criniinum molilionum-
que f'œdus , quo eos sonmiat inîer
se adversus Populorum juracon-
junctos. Neqne tanto hoc ausu
contcnlus omnigenam insuper
opinionum , sermonuni , con-
scientiaeque libertatem obtrudit ,
militibusfjue ad eain a tyrannide ,
ut ait , liberandam dimicaluris
fausta oninia ac felicia conipre-
catur , cœtus, ac consocialiones
furiali seslu ex universo qua pa-
tet Orbe advocat, et in tam ne-
faria consiiia urgens atcjue instans
coropellit , ut eo eliain ex capite
monitaprœscriplaquenostra pro-
culcata ab ipso sentiamus.
Piget cuncta hic recensere ,
quœ pessirao hoc impietatis et au-
daciœ faîlu ad divina huraanaque
omnia perturbanda congeruntur.
Sed illud pra3sertim indignatio-
nem excitât, religionique plane
intolerandurn est divinaspra>scrip-
tionestantis erroribus adserendis
ab Auclore alTcrri , et incaulis
vcndilari , eumque ad populos
legeobedientia3Solvendos,perinde
ac si a Dec missus et inspiratus
truire tous les élémens de la puis-
sance spirituelle et delà puissance
temporelle. De là cette supposition
nouvelle et injuste . par laquelle
il représente la puissance tempo-
relle comme contraire et hostile
à la loi Divine ; de là cette ca-
lomnie monstrueuse où elle est
appelée Yœuvre du péché et la
puissance de Satan; de là les
outrages adressés aux supérieurs
ecclésiastiques comme aux prin-
ces, sousleprétexte;ibsurded'une
alliance criminelle formée entr'eux
pour détruire les droits des peu-
ples. Non content de cette tenta-
tive audacieuse, il prétend faire
admettre une liberté absolue d'o-
pinions , des paroles et de con-
science ; il félicite et bénit les
soldats qui vont combattre pour
arracher , dit-il , cette liberté à
latyrannie; emporté comme par
un accès de fureur , il appelle de
toutes les parties de la terre les
ligues et les associations , les pres-
sant , les excitant elles poussant
à ces attentats criminels, avec
tant de violence que , sur ce point-
là aussi , nous comprenons bien
qu'il foule aux pieds nos avis et
nos instructions.
Nous nous lasserions s'il fallait
énumérer tout ce qui est entassé
dans cette production impie et
audacieuse, pour détruire les in-
stitutions divines et humaines.
Biais ce qui excite particulière-
ment l'indignation ; ce que la re-
ligion ne saurait absolunient to-
lérer , c'est que l'Auteur ose
invoquer les lois divines pour se-
mer ses erreurs et faire étalage de
cet amalgame auprès des lecteurs
64
LETTRE ENCYCLIQUE.
esset, postquam in sacralissimo
Triuilatis Auguslae nomine pra»-
falus est , Sacras Scripturas ubi-
que oblendere, ipsarumque ver-
ba , quoe verba Dei sunt, ad prava
hujuscemodi deliramenfa incul-
canda callide audacterqiie detor-
quere , quo lidenlins, uliinijuie-
hatS. Bevnixrdns,proliicete)tebras
offandat , et jno nielle , vel po-
tius in melle venenuin propinet ,
novttm cudens populis evange-
lium, aliudqueponensfundamen-
tumprœter id , quodpositum est.
Verom tanlam hanc sanaj doc-
Irinœ illalain pernicieni silenlio
dissimulare ab Eo vetamur, qui
speculatores Nos posuit in Israël,
ut de errore illos moneanjus , quos
Auctor et Consunimalor fidei
JESUS Nostrse curœ concredidit.
Quare auditis nonnullis ex
Venerabilibus Frafribus Nosiris
S. R, E. Cardinalibus , molu
proprio , etex cerlascientia , de-
que Apostolicœ poteslalis pleni-
tudine niemoralum librum , cui
tilulus <( Paroles d'un Croijant »
quo per iinpiuin Verbi Dei abu-
sum Populi corrumpunlur ad
omnis ordinis publici vincula dis-
solvenda , ad ulramque auotori-
talcm labelactandam , ad scdilio-
nes in imperiis , tumultus ,
imprudens ; c'est que , se pré-
sentant devant eux comme un au-
teur inspiré , comme un homme
envoyé de Dieu , et commençant
son œuvre au très-saint Nom de
l'Auguste Trinité , il ose partout
afTecler le langage des Saintes-
Ecritures , pour délier les peu-
])les de la loi de l'obéissance , et
en employer les paroles , qui sont
les ]>aroles de Dieu , pour leur
incubjuer ces coupables extrava-
gances , détournant artificieuse-
ment et audacieusement le sens
du texle, afin de pouvoir avec
d'au tant plus de confiance, comme
disait saint Bernard , donner les
ténèbres à la place de la lumière,
et le poison au lieu du miel, ou
plutôt le poison mêlé avec le miel,
forgeant ainsiun noue el évangile
pour les peuples , et établissant
un autre fondeinent que celui qui
a été établi.
Mais Celui qui nous a placé
comme une sentinelle en Israël ,
afin d'avertir de l'erreur ceux que
Jésus-Christ , l'auteur el le con-
sommateur de la Foi , a confiés
à nos soins , nous défend de gar-
der le silence sur cet énorme at-
tentat contre la sainle doctrine.
C'est pourquoi , après avoir
pris l'avis de quel(|ues-uns de nos
vénérables Frères les cardinaux de
la sainte Eglise romaine, de notre
propre mouvement , de science
certaine et de la plénitude de l'Au-
torité Apostolique , nous reprou-
vons et condamnons le livre inti-
tulé : Paroles d'un Croyant, dans
lequel , par un abus impie de la
parole de Dieu , on séduit les peu-
ples et on les invite à rompre tous
les liens de l'ordre public, à ébran-
LETTRE ENCYCLIQUE.
65
rebellionesqueexcilandas , foven-
das , roborandas , libruin ideo
propositiones respective falsas ,
calumniosas , temerarias , indu-
centes in anarcliiam, contrarias
Verbo Dei , inipias, scandalosas,
erroneas , jani ab Ecclesia pr2s-
sertim in Valdensibus , Wiclefi-
lis , Hussitis , aliisque id gcneris
Hœreticis damnalas conlinenteni ,
reprobamus , dainnamus , ac pro
reprobato et damnato in perpe-
tuumbaberivolumus , atque de-
cernimus.
Vestrum nunc erit , Venera-
biles Fratres , Nostris hisce nian-
datis , quœ rei et sacrœ et civilis
salus et incolu mitas necessario
efflagitat , omni contenlioue ob-
secundare , ne scriptum istius-
modi e latebris ad exilium cmis-
sum eo fiat pcrniciosius, quo
magis vesanœ novitatis libidini
velificatur, et late ut cancer ser-
pit in populis. Muneris vcstri sit ,
urgere sanam de tanto lioc nego-
tio doctrinain , valrilienique no-
vatorum patefacere , acriusque
pro Cliristiani Gregis cusiodia
"vigilare , ut studium religionis ,
pietas actionum , pax publica flo-
reant , et augeantur feliciler. Id
sane a veslra fide , et ab impensa
vestra pro commuai bono instan-
tia fidenteropperimur, ut Eo ju-
vante , qui Pater est luminum ,
gralulcniur , (dicimus cum S. Cy-
prjano) fuisse intellcclnm crro-
rem , et retusuin , et ideo pros-
tratum , quia agnitnm , atqtie
delectum.
T. X.
1er et renverser les deux autori-
tés , à exciter, fomenter et sou-
tenir les séditions , les troubles
et les révoltes dans les empires ;
nous condamnons ce livre comme
contenant des propositions respec-
tivement fausses, calomnieuses ,
téméraires, poussant à l'anarchie ,
contraires à la parole de Dieu ,
impies, scandaleuses, erronées,
déjà condamnées par l'Eglise ,
surfout dans les Vaudois , les
AVicléfites , les Hussites et autres
hérétiques de cette espèce. Et
nous voulons et décidons que ce
livre soit tenu pour réprouvé et
condamné à perpétuité.
C'est à vous maintenant, Vé-
nérables Frères , de nous secon-
der de tous vos efforts , et de faire
tout ce que demande nécessaire-
ment le salut de l'Eglise et de
l'Etat, de peur que cet écrit,
sorti des ténèbres pour la
perte des hommes , ne devienne
d'autant plus pernicieux qu'on
s'abandonne aujourd'hui avec
une sorte de fureur au désir de
ces nouveautés , et que le mal
s'étend comme un cancer parmi
les peuples. Faites-vous donc un
devoir de propager la saine doc-
trine sur cette matière, de faire
connaître l'astuce des novateurs ,
de veiller avec plus de soin que
jamais à la garde du Troujjeau de
Jésus-Christ, afin fpie l'amour de
la Religion , la piété des actions
et la paix publique fleurissent et
augmentent heureusement. Nous
attendons avec confiance cette
coopération de votre foi et des
soins empressés avec lesquels vous
travaillez au bien commun, afin
5
66
LETTRB ETfCYCLrQUE.
Celerum lugendum valde est ,
quonam prolaliantur liumanœ ra-
tiouife deliramenta , ubi quii> no-
vis rébus studeat , atqne contra
Apostoli monilurn nitatur plus
sapere , qtiam oporteat sapere ,
sibique niraium praeGdens verita-
tem qnsererirtam aitumetur ex-
tra Catholicaui Ecclesiam, in qua
absque vel levissimo erroris cœno
ipsa invenitur , quœque idcirco
Columna ac firmamentiim ve-
ritatis appelatur et est. Probe
autem intelligitis , Venera!)iles
Fratres , Nos hic loqui etia:a de
fallaci illo baud ita pridem in-
veclo Philosopbiœsystemate plane
improbando , que ex projecta et
efFrenala novilatum cupiditate
Veritas , ubi cerlo consislit , non
quœritur , sanctisque et Aposto-
licis traditionibus poslhabitis ,
doctrinœaliœinanes, futiles, in-
certeque, necab Ecclesiaprobatœ
adsciscuntur , quibus vcritatem
ipsam fulciri , ac sustineri vanis-
simi homines perperam arbilran-
tur.
Dum vero pro delata divinitns
Nobis sanœ doctrin;e cognoscen-
dai, decernendœ , custodicndœ-
que cura , ac sollicitudine liœc
qu'aidé par Celui qui est le Père
des lumières , nous puissions nous
réjouir , disant avec S. Cyprien
que l^erreur a été comprise et
réfutée^ qu' elle a ététerrassée par
cela même qu'elle a été reconnue
et découverte.
Du reste , c'est un grand sujet
d'affliction de voir à quels excès
et à quelles extravagances se porte
la raison humaine , lorsque s'a-
baudonnant aux nouveautés , on
s'efforce contre l'avis de l'Apôtre
d'être plus sage qu'il ne convient
de Vétre, et que se fiant trop à
soi-même , on croit devoir cher-
cher la vérité hors de l'Eglise
Catholique, dans laquelle elle se
trouve sans la moindre tache d'er-
reur , et qui , pour cette raison,
s'appelle et est véritablement la
colonneetlefondevientde laver ité.
Vous comprenez sans peine, Vé-
nérables Frères , que nous par-
lons ici également de ce système
de philosophie nouvellement in-
troduit, de ce système trompeur
et absolument indigne d'être ap-
prouvé, dans lequel, par cette
passion effrénée pour les nouveau-
tés , on ne cherche point la vé-
rité là où elle se trouve certai-
nement ; dans lequel dédaignant
les traditions saintes et apostoli-
ques , on prêche des doctrines
vides de raison , frivoles , incer-
taines , non approuvées de l'E-
glise , et dont des hommes ex-
trêmement vains prétendent abu-
sivement faire le soutien et l'appui
de la vérité même.
Mais pendant que nous sommes
occupé à écrire ceci et que nous
nous acquittons ainsi de la charge
qui nous a été imposée d'en haut ,
LETTRE ENCYCLIQUE.
67
scribimus , peracerbum ex Filiî
errore vulnus cordi nostro inflic-
tum ingemisciîTius, neque in sum-
mo , quo inde conficimnr, rnœ-
rore spes uUa est consola lionis,
nisi idem in vias revocetur jus-
titia;. Levemus idcirco simul ocu-
los et manus ad Eum , qui sa-
pientiœ dux est, et emendator
sapientium , Ipsumque inulta
prece rogemus , ut dato illi corde
docili et animo magno , quovo-
cem audiat Patris amanlissimi et
mœrentissimi , lœta ab ipso Ec-
clesiae , lœta Ordini vestro , L-Bta
Sanctae huic Sedi , lœta Ilumili-
tati Nostrœproperenlur. Nosccrte
fauslum ac feliceni illum duce-
nius , diem , quo iilium hune in
se reversum paterno sinu com-
plecti Nobis contingat , cujus
exemple magna in spe sumus ,
fore ut rescipiscant ceteri , qui
60 anctcre in errorem induci po-
tuerunt, adeo ut una apud om-
nes sit pro publicœ et sacrœ rei
incolumitate consensio doclrina-
rum , una consiliorum ratio , una
actionum studiorumque concor-
dia. Quodlantum bonum ut sup-
plicibus votis Nobiscuiii a Do-
mino exorelis, abs vestra pastorali
solicitudine requirimus et expec-
tamus. In id autem operis divi-
num pncsidium adprecantes, aus-
picem ipsius Apostolicam Bene-
dictionem Vobis , Gregibusquc
Vestris peramanter iniperlimur.
de connaître , distinguer etgarder
la saine doctrine, la cruelle bles-
sure faite à notre cœur par l'é-
garement de notre Fils , nous
fait gémir , et dans la profonde
douleurdontil nous accable , nous
n'avons d'autre espoir de conso-
lation que dans son retour aux
voies de la justice. Levons donc
ensemble nos yeux et nos mains
vers Celui qui est le guide de la
sagesse , et le réformateiir des
sages ; supplions-le , par un re-
doublement de prières , de lui
donner un esprit docile et un
grand cœur, pour qu'il entende
la voix du plus tendre et du plus
affligé des Pères , et pour qu'il se
hâte de réjouir l'Eglise , et votre
Ordre , et ce Saint-Siège , et Nons-
même enfin. Il est certain que
nous regarderons comme un jour
heureux , celui où il nous sera
donné de voir revenir notre Fils et
de le presser contre notre sein pa-
ternel; et nous espérons beaucoup
que son exemple fera revenir tous
les autres , qui , séduits par ses
leçons , ont pu se laisser induire
en erreur ; c'est alors qu'il y aura
entre tous cet accord de doctri-
nes , de conseils et de moyens ,
cette unité d'action et d'affection ,
qu'il faut pour défendre l'Etat et
l'Eglise. Nous attendons de votre
sollicitude pastorale , que vous
supplierez le Seigneur , de vou-
loir bien nous accorder cette grâce
signalée. Implorant pour cet effet
l'assistance divine , nous vous
donnons de bon cœur notre
Bénédiction Apostolique , ainsi
qu'aux Troupeaux qui vous sont
confiés.
5^
68
BREF DE SA. SAINTETÉ.
Datum RomîB apud S. Petrum
VIT kal. Julias an. mdcccxxxiv ,
Pontificatus Nostri an. iv.
GREGORIUS PP. XVI.
Donné à Rome à Saint-Pierre,
le7descalendesdejuillet(2S5juin)
de l'an 183-i de notre Pontificat
le 4^
GRÉGOIRE PP. XVI.
't ^AA fVV\ VV*. -VX/V VXA VV: fVV\ <VV\ W\ Wk 'W\V^A'VV\ «n/V
BREF DE S. S. GREGOIRE XYI
AUX ÉV£QU£S D£ BELGIQUE,
POUR LA COLLATION DE GRADES EN THÉOLOGIE.
GREGORIUS PP. XVI
Ad perpétuant rei memoriam.
Catholicae religionis sains et
populorum bonum atque ulilitas
omnino postulant ut ii omnes qui
in sortcm Domini vocati , eccle-
siasticœ niilitiœ nomen dare exop-
tant , non solum virtutum om-
nium splendore pra;fulgeant , quo
seipsos praîbeantin omnibus exem-
plum bonorum operum , verum
ctiamsumma animi contenlionein
litteras severioresque disciplinas
addiscendas sedulô incumbant,
qno possint exhorlari in doctrina
sana , et eos qui contradicunt
arguere. Cum enim sacerdolis
labiis scientia sit custodienda,
et lex roquircnda ex ore ejus ,
tum îgnorantia quse cunctorum
mater errornm , maxime in sa-
cerdotibus vilanda qui doceiidi
officium in populis suscipiunt.
La conservation de la Religion
catbolique, de même que lebien et
le salut des peuples , demandent
absolument que tous ceux qui, ap-
pelés dans la vigne du Seigneur ,
désirent s'enrôler dans la milice
sacrée , non-seulement brillent
par l'éclat de toutes les vertus ,
afin qu'ils puissent donner en
tout l'exemple des bonnes œu-
vres, mais aussi qu'ils s'appliquent
de toutes leurs forces à l'étude
des lettres et des connaissances
sérieuses, afin qu'ils puissent eo;-
horter cVaprès la saine doctrine
et convaincre ceux qui s'y op-
posent. En effet , comme c'est sur
les lèvres du prêtre que la science
doit se conserver , comme c'est
de sa bouche que le peuple doit
apprendre la règle de sa conduit
BREF DE SA SAINTETE.
69
Qnamobrem jure meritoque Ro-
mani Pontiûces omni quidem vi-
gilantia et studio id unum vel
maxime semper spectarunt , ut
ecclesiastici viri non modo vitœ
integrilale verum etiain doctrinse
laude elucerent et crescerent in
scientia Dei. NiLil enim est quod
populorom animos ad pietatem
et ad religionem magisexcitetat-
que inflamniet , quam eorum
exemplum et doctrina qui divino
se ministerio dicarunt. Atque id-
circo providissimis gravissimisque
Ecclesiae legibus cautum semper
fuit , ut adolescentes clerici vel
ab inennte aîtate in seminariis
praesertim ad pietatem , probila-
tem, omnemque virtutem etdoc-
trinam rite efformentur, quo esse
possint in tempore verè adjuto-
res Dei etChristi ministri , atque
operarii missi in vineam suam ,
qui fructus alïérant , et opponen-
les muruni pro domo Israël piae-
lientur prœlia Doiiiini, Quod qui-
dem si semper , liisce prœserlini
asperrimis ac luctuossissimis ci-
vilis non minus, quam christianœ
reipublica; temporibus magis ma-
gisque summopere curandum ,
quibus perditissimi bomines des-
pumantes confusiones suas et se-
cundum desideria sua ambulan-
tes , tôt opinionum commentis
tôt omnigenum scelerum monstris
jura qmrque divina et bumana
violare , perlurbarc, pcrmiscere
moliuntur , et religionis l'unda-
menta labefactare , inimo fundi-
tuseverteremaximocum omnium
Christi fidelium detrimento im-
pie nefariequc conantur. Majore
igitur vigilantia , cura , et studio
est prospiciendum ut ecclesiastici
l'ignorance , mère de toutes les
erreurs , doit surtout être évitée
par les ministres de Dieu , par
ceux qui se chargent d'instruire
les peuples. Aussi les Pontifs Ro-
mains ont-ils toujours veillé et
travaillé avec un soin particulier
à réunir , dans le prêtre , l'in-
tégrité des mœurs et les lumières j
ils ont toujours voulu que le
Clergé se distinguât par ses con-
naissances , par ses progrès dans
la science de Dieu , comme par
ses vertus. Car rien n'est plus
capable de porter l'esprit des peu-
ples à la piété et à la Religion ,
rien n'est plus propre à l'enflam-
mer de ce feu sacré , que l'exem-
ple et les lumières de ceux qui
se sont consacrés au saint Minis-
tère. C'est pourquoi l'Eglise a
toujours eu soin, en établissant
à ce sujet les lois les plus sages,
que les jeunes clercs , dans les
séuiinaires , fussent , dès leur bas
âge , formés surtout à la piété , à
toute vertu comme h toute science,
afin qu'ils fussent dans le temps
d'utiles instrumens dans la main
du Tout-Puissant, de vrais mi-
nistres de Jésus-Christ ; afin , di-
sons-nous , qu'envoyés travailler
dans la Vigne , ils en rapportas-
sent des fruits , et que , combat-
tant pour le Seigneur , ils servis-
sent de rempart à la maisond'Israël.
Et s'il a toujours fallu travailler
à cette œuvre , la cliose est sur-
tout nécessaire aujourd'hui ; c'est
dans les temps malheureux et
déplorables où se trouve non-
seulement la Religion mais aussi
le pouvoir civil , qu'il faut redou-
bler desoinsctd'elTorts ; car nous
sommes arrives à une époque où
70
Er.EF DE SA SAIMETE.
homines non solum virtutis et
pielatislaade floreantverum eîiam
litteris severioribusque disciplinis
potissimuni sacris praesteiit, quo
tamquain lucernaj ardentes iu-
ceant coraiu hominibus et lo-
quenies quae décent sanam doc-
trinam , possint vafenimos im-
piorum conatusrefiingere, fraudes
detegere , et aculcata sophisina-
ta , fallacesque erroi'es releilere ,
atque eoruni obstruere ora, quo-
rum labia loquuntur iniquitateni
etlinguajmeditantiirmcndaciura.
Non mediocri itaque animi nos-
tri vob^ptafe a Venerabilibus Fra-
tribus Belgi i Archispiscopo et Epis-
copis aecepimus, eosprovido con-
silio ac vohmtati fel. ineni. Léo-
nisXlIPrœdecessoris nostri ultro
libenterque obtempérantes , et
singulari sollicitudiue eorum gre-
gis bono atque nlilitati consulere
cupientes, clericorum seminaria
eorum in Diœcesibus ita consli-
tuisse , lit juniores clerici ad re-
ligionem , pietatem , et canoni-
cam disciplinam veluti novellœ
plantationes in juventute sua ma-
ture efformentur, ac litteris sacris-
que prœsertim disciplinis naviter-
qne scienler erudiantur. Omnes
enim cujusqne seminarii clerici
quinque annos amœnioribus litte-
ris , duo pliilosophicis disciplinis ,
quatuor vero sacra? Theologiœope-
ram navare debent. Ut autem cle-
rici studiorum curriculo in semina-
riis peracto, majores sacris in stn-
diis profectusfacerc possint jiidem
Venerabiies fratres altioris ordinis
Cathedras Meclilinia3 pro})e senii-
narium Metropolilanum consti-
tuendas existimarunt , ut prœs-
tantiorc ingénie clerici variarum
des hommes corrompus, mar-
chant d'après leurs désirs et re-
jetant, pour ainsi dire , leurs im-
puretés et leurs infamies, essaient
par mille systèmes , par mille
crimes et monstruosités , de con-
fondre , de fouler aux pieds et
de détruire tous les droits divins
et humains , s'efForçant en outre ,
}>ar leurs attentats impies , d'é-
branler , ou pour mieux dire , de
renverser totalement l'édifice de
la Religion , au grand détriment
de tous les fidèles disciples de Jé-
sus-Christ. II faut donc travail-
ler avec un redoublement de soins
et d'ardeur , pour que les Ecclé-
siastiques se distinguent non-
seulement par leur vertu et leur
piété, mais aussi par leurs con-
naissances dans les lettres , dans
les sciences sérieuses et relevées ,
et surtout dans les sciences sa-
crées , et qu'ils soient comme des
lumières qui éclairent le monde ,
parlant le langage de la saine
doctrine, capables de faire avor-
ter les ruses des impies, de ré-
véler leurs fraudes, de réfuter
leurs sophismesles plus subtils et
leurs trompeuses erreurs , de fer-
mer la bouche à ceux dont les
lèvres ne distillent que l'ini-
quité , dont la langue est l'in-
strument du mensonge. C'est donc
avec un grand plaisir que nous
avons appris de nos Vénérables
Frères rÀrchevèque et les Evoques
de la Belgique , que , pour se
conformer aux vœux et aux sages
dispositions de notre Prédécesseur
Léon Xll , de glorieuse mémoire ,
et désirant , avec une sollicitude
peu commune , de pourvoir aux
besoins de leur troupeau , ils ont
BUEF 1)E SA SAINTETÉ.
71
Diœcesiam inecclesiasticas disci-
plinas penitiùs addiscendas in-
cumbant , et majore doctrinœ at
qae eruditionis copia instructi ,
graviora munera obire et: Eccle-
siœ ornamento ac prsesidio esse
valeant. Amplam propterea do-
mum ipsi Venerabiles Fratres
coinmuni aère in Metropolitana
civitale parandam curarunt , in
qua sex professores et quadraginta
alurani commorari possunt. Ve-
rum ut ejusdem instiluli decus
et splendor augeaturalque alum-
norum animi acriori quodani sli-
mulo ad scientiam acquirendam
■virtutemque amplectendam exci-
tentur,atqueinilammenlur,iidem
Venerabiles Fratres summopere
cuperent doctoris lauream alios-
que gradus in sacra Theologia et
in jure canonico illis instituti
alunmis posse donari qui doctrinse
facto periculo , non soluni scien-
tiae laude verum eliam egregiis
aliis auimi ingeniique doîibus ce-
teris antecellunt. Ouocirca a no-
bis poslularunt ut commemorafo
Mechliniœ institnto seu Magno
seminario ex nostra indulgentia
facultatem tribuere velimus con-
fereudi doctoris laureas ceteros-
que gradus quemadmodum in
studiorum nnivcrsilatibns fieri
solet. Nos ver6 quibus nihil po-
tins , nihil gratins , niliilque prœ-
stabilius esse potest quam univers!
Doniiuici gregis saluli maxiina vi-
gilaiitia prospicere et rect;c cccle-
siaslicoruminstitutioniproviribus
consulere , ut in tantaleinporum
asperitate virtutum omnium ap-
paratu ornati et spiritu sapicnlia;
atquc intellectus repleli , possint
œdificare Domini domum fide-
organisé leurs séminaires , diocé-
sains de manière que les élèves
y sont formés , de bonne heure ,
comme de jeunes plantes , à la
Religion , à la piété , au droit
canon , et qu'ils s'instruisent avec
soin et solidement dans les lettres
et sur-tout dans les sciences sacrées.
Tous les élèves de chaque sémi-
naire , outre cinq années d'hu-
manités , ont à faire un cours de
philosophie de deux ans , et un
cours de théologie de quatre ans.
Or , pour que les jeunes élèves ,
ajjrès avoir achevé leur cours d'é-
tudesdans les séminaires, puissent
pénétrer plus avant dans les scien-
ces ecclésiastiques, nos Vénéra-
bles Frères ont cru devoir ériger ,
près du sénnnaire métropolitain
de Malines , des chaires d'un or-
dre plus élevé, afin que les élèves
les plus distingués des difFcrens
diocèses puissent aller là se livrer à
des études i)lus sérieuses et appro-
fondir vraiment les sciences sa-
crées , etque revenant dclàchargés
d'une riche moisson de connais-
sances et d'érudition, ils soient
en état de remplir les emplois les
])lus importans et puissent servir
d'ornement et de soutien à l'Eglise.
C'est pour cette raison que nos
Vénérables Frères ont eu soin de
préparer , à frais communs , dans
la Métropole , une vaste maison
capable de recevoir six proiesseurs
et quarante élèves. Mais pour
donner plus d'éclat et de splen-
deur à cet établissement , pour
exciter en même temps et animer,
par un aiguillon plus puissant ,
les jeunes gens à s'enrichir de scien-
ces et de vertus , nos Vénérables
Frères désireraient vivement que
72
BREF DE SA. SAINTETE.
lem , poteules ia opère el ser-
mone coram Deo et omni populo,
eorumdem V^enerabiliumFratrum
volis quam Ubenfissime annuen-
dum censuimus. Omnes igitur et
singuîos quibus hœ littcrœ favent
paterna benevoîentia prosequi vo-
ienles et a quibusvis excomnmni-
cationis , suspcnsionis , et inter-
dicti aliisque ecclesiaslicis censu-
ris, sentenlijs, etpœnis, quovis
modo , et quacumque de causa
latis si quas forte incurrerint ,
hujus tantum rei gratia absolven-
tes et absolulos fore censenfes ,
auctoritate noslra Apostolica liisce
litteris perpétue facullalem faci-
rnus atque impertimur ut in am-
pla donio seu magno Mechlinia;
Clericorum seminario de quo ha-
bita menlio est , ils qui codera
in seminario seu instiîuto mo-
rantes , sludiorum curriculo rite
confecto et doctrinse facto pericu-
lo , scieiitia et pietafe ceteris an-
tecellunt , Doctoris laurea allique
gradus tamin sacra Theologia qua
in jure canonico libère et licite
conferri possint eodem prorsus
modo ac ratione , quibus in pu-
blicis Atlienœis seu Universita-
tibus fieri solet. Atque idcirco
concedlmus et indulgemns , vo-
lumus atque mandamus ut ii
omnes qui eosdem gradus et
Doctoris laureas vel in sacra Theo-
logia vel in jure canonico eodem
ininslituto seu Magno Blechliniae
seminario adepli fuerint , omni-
bus elsingulisquibusqucjuribns ,
privilegiis, prœrogativis, indultis
quocumque nomine appcUandis
utantur , fruantur atque uti et
frui possint quibus utuntur et
fruuntur vel uti ac frui possunt
les élèves de cette maison qui
l'emporteraient sur leurs condisci-
ples non-seulement par leur sa-
voir mais aussi par d'autres bon-
nes qualités du cœur et de l'esprit,
pussent recevoir le diplôme de
docteur en Théologie et en droit
canon et les autres grades usités ,
après qu'ils auraient donné des
preuves de leur capacité. En con-
quence , ils nous ont prié de vou-
loir bien accorder au susdit éta-
blissement ou grand séminaire de
Malines , le pouvoir de conférer
le grade de docteur et les autres
grades , comme cela se pratique
dans les universités. Or, comme
le plus important et le plus agréa-
ble de nos devoirs est de veiller
avec soin au salut de tout le
Troupeau du Seigneur , et de
travailler de toutes nos forces à
la bonne instruction des Ecclé-
siastiques , afin qu'au milieu des
tristes circonstances où nous vi-
vons, ornés de toutes les vertus
et remplis de l'esprit de sagesse
et d'entendement , puissans en
paroles et en œuvres , ils puissent
bâtir une maison fidèle au Sei-
gneur ; nous avons éprouvé beau-
coup de satisfaction à répondre
aux vœux de nos Vénérables
Frères. Voulant donc montrer
notre bienveillance paternelle à
tous ceux , en faveur de qui cette
lettre est écrite, et les absolvant ,
si besoin est , de toute excom-
munication, suspense, interdit
et de toutes autres censures, sen-
tences et peines ecclésiastiques ,
de quelque manière et pour quel-
que sujet qu'ils puissent les avoir
encourues ; usant à leur égard de
notre autorité apostolique , nous
BREF DE SA SAINTETÉ.
73
et poterunt alii omnes qui gradus
eosdem et Doctoris laureas pu-
blicis in gymnasiis seu Universi-
tatibus consequuntur. Haec con-
cedimus alqne indulgemus, vo-
luuius , prœcipimus atque man-
damus deccrnentes lias litteras
firmas validas et eflicaces existere
et fore suosque pleuaiios et intè-
gres efleclus sorliri et oblinere ,
dicfisque in omnibus et per om-
nia plenissinie suiTragan sicque in
prsemissis per quoscunique judi-
ces ordinarios et dclegatos etiam
causarum Palatii Aposlolici Au-
ditores sedis Apostolicse nuntins
ac sanctae Ronianae Ecclesiae Car-
dinales etiam de latere legatos ,
sublafa iis , et eorum cuilibet,
quavis aliter judicandi et inter-
pretandi l'acultate et auctoritate
jadicari et deliniri dcbcre , ac ir-
rituni et inane si secus super bis
a quoquam quavis auctoritate
scienter vel ignoranter contigerit
attentari. Non obstantibus Apos-
tolicis ac universalibus provincia-
libusque et synodalibus conciliis
edilis generalibus vel specialibus
constilulionibus et ordinationibus
ceterisquc etiam spécial! et indi-
vidua nientione dignis in contra-
riiun facienlibus quibuscumque.
Dalum llonia;apiidS. Petrum sub
annule Piscatoris die VIII apri-
lis MDGGCXXXIV. Poutiûcatus
noslri anno IV.
Pru Domino Cardinali Mj^M:\0
A. PICCHIONI suhstlt utils.
Colla'uin concordat cum originali.
Roniie die la aprilis 1834.
J. CAPACCIJNI, secrelariœ sta-
tus substilutus.
leur accordons à perpétuité , par
cette lettre , le pouvoir de con-
férer librement aux élèves de l'é-
tablissement ou grand séminaire
deMalines , lesquels se distinguant
par leur savoir et par leur })iété ,
auront subi les examens néces-
saires , le diplôme de Docteur et
les autres grades en Tbéologie et
en Droit canon , absolument de
la même manière que cela se fait
dans les Athénées et dans les Uni-
versités. Et c'est pourquoi nous
accordons , octroyons , voulons et
ordonnons que tous ceux qui au-
ront obtenu ces grades elle diplôme
de Docteur en Théologie ou ea
Droit canon, dans le susdit grand
séminaire de Malines , jouissent
de tous les droits , privilèges , pré-
rogatives , induits , sous quelque
nom qu'ils puissent être désignés ,
dont jouissent et peuvent jouir tous
ceux qui obtiennent ces mêmes
grades dans les Gymnases publics
ou dans les Universités. Nous
accordons , octroyons , etc.
Pr Mgr. le Cardinal ALBANI ^
A. PICCHÎOM, Substitut.
Collationné et reconnu con-
forme à l'original.
Rome , le 12 avril iS34-
J. CAPPACCINI, Substitut du
Secrétaire d'Etat.
74
«A,^vMvvv,vv^VMVv»vv^vv»vv«vv»vv^vv»^/v»vv»vMvv>.vv^vv^-^A*^^vv^vvkvv^vv^vv^vv»vv^*^
CIRCULAIRE
BES ÉVÉQUES DE BELGIQUE
POUR
L'OUVERTURE DES COURS DE L'UNIVERSITÉ
CATHOLIQUE.
NOS TRÈS-CHERS FRÈRES ,
Nous avons fait naguères un appel à votre générosité , à l'effet de
nous aider à établir une Université catholique : nous éprouvons au-
jourd'hui la bien douce consolation de pouvoir vous témoigner notre
reconnaissance pour le zèle avec lequel vous y avez répondu. Nous
nous hâtons de vous annoncer , et nous espérons que vous aurez
quelque satisfaction à l'apprendre de notre bouche , que les sous-
criptions de cette année suffisent pour commencer cette œuvre im-
portante.
Honneur donc aux catholiques belges , qui ofi'rent pour leurs en-
tans , dans l'établissement d'une Université catholique , les moyens
de faire faire à la science , basée sur la religion , tous les progrès
que réclame la civilisation de notre époque. Continuez , fidèles ouail-
les , à unir vos efforts aux nôtres ; le Ciel les couronnera d'un heu-
reux succès.
Après avoir pris l'avis de plusieurs personnes distinguées par leur
position sociale et leur haute capacité , nous avons résolu d'ouvrir
l'Université vers le 1"^'' novembre de cette année : cette ouverture aura
lieu à Malines , où l'Université commencera par la faculté de Théo-
logie , la faculté de Philosophie et Lettres , et celle des Sciences
mathématiques et physiques. La faculté de Théologie, établie dans
le séminaire provincial , sera fréqueuléc par les ecclésiastiques qui
CIRCULAIRE DES ÉVEQUES DE BELGIQUE. 75
ont déjà aclievé leurs conrs de théologie au séminaire diocésain , et
qui désirent acquérir une connaissance plus étendue des sciences sa-
crées. Notre Saint Père le Pape Grégoire XVÏ a daigné nous autoriser
à leur conférer les grades tant en théologie qu'en droit canon , par
brel" spécial en date du 8 avril 1834.
Quant à la faculté de Philosophie et Lettres et à celle des Scien-
ces , comme elles forment la préparation nécessaire aux autres étu-
des , nous avons cru devoir canimencer par elles et nous y borner
cette année : mais nous sommes pleins de confiance que déjà dans
le courant de la seconde année , nous pourrons compléter l'ensei-
gnement académique par l'établissement des facultés de Droit et de
Médecine.
Cependant nous aimons à exprimer dès à-présent un vœu que nous
désirons vivement voir s'accomplir , c'est qu'à l'Université catholique-
les études philosophiques soient fortes et solides. On est généralement
convaincu que c'est de là que dépend le succès des études en droit
et en médecine , et que même , si trop souvent dans ces dernières
facultés les élèves répondent peu aux espérances que l'on était en
droit de concevoir d'eux , il faut principalement l'attribuer au dé-
faut de bonnes études préparatoires. C'est pour cette raison que dans
l'Université catholique nous allons offrir aux élèves de la faculté de
Philosophie et Lettres , et de celle des Sciences , toutes les facilités
qu'eux-mêmes pourront désirer, afin d'approfondir la seconde année
les études qu'ils auront commencées la première. Il n'en résultera
d'ailleurs aucun obstacle à suivre en même temps cette seconde an-
née les y)remiers cours de Droit et de Médecine.
Nous ferons connaître l'époque où s'assemblera la commission de-
vant laquelle devront se présenter les élèves qui désirent prendre
leur inscription. Pour la faculté de Philosophie et Lettres et pour
celle des Sciences, les élèves seront tenus d'exhiber un certificat de
bonne conduite et un autre certificat constatant qu'ils ont régulière-
ment terminé leurs humanités. Aux élèves de la faculté de théologie
il suffira de produire un certificat de leur ordinaire.
Nous terminerons celte lettre, N. T. C. F. , comme celle que nous
vous avons adiessée au mois de février de celte année , en vous ex-
hoi tant de tout notre cœur à ajouler aux cfforls de votre boinie vo-
iouléles plus ferventes ju'ièrcs. Nous avons placé l'Univcrsilé catlio-
76 DISCOURS SUR l'origine , LE DEVELOPPEMENT ET LE
lique sous la protection de la Reine des Gieux. L'époque approche
où l'Eglise célèbre son Iriomphe. Profitez , N. T. G. F. , de ces jours
de dévotion pour obtenir les eflPets de sa puissante intercession sur
une œuvre qui intéresse si vivement le bien-être de la religion et de
la patrie.
Donné en juillet ISS^'.
f ENGELBERT , Archevêque de Malines.
f JEAN-JOSEPH , Evêque de Tournay.
f JEAN-FRANÇOIS , Evêque de Gand.
f CORNEILLE , Evêque de Liège.
f JEAN-ARNOLD , Evêque de Namur.
f FRANÇOIS , Evêque adm' de Bruges.
VX^V\'V*'VVVV'*,»iAfVVVVVV* VVVVVl(V\'VV\A''VV*VVWVVV\/V/*VV»VV\lVVVVV\VVVVVV\AiiVvVV
DISCOURS sur l'Origine, le Développement et le Caractère
des Types imitalifs qui constituent V Art du Christianisme ;
par M. Raoul-Rochetle (1).
L'auteur distingue trois systèmes dans les arts : le système égyp-
tien , qui était celui de l'ancienne civilisation orientale; le système
grec , qui embrasse toute l'autiquitë classique , et le système chré-
tien , qui comprend tout l'art des modernes. L'art chrétien, d'accord
en ce point avec l'art antique, qu'il prit aussi la nature pour guide
et pour modèle , s'exerce sur des types différens , et de manière à
intéresser le sens moral plus encore qu'à flatter le sens physique.
L'art du christianisme produisit dans la région imitative une révo-
lution pareille à celle que le christianisme lui-même avait opérée
dans le monde moral. Mais comment se formèrent les types de ce
nouveau monde idéal; et à travers quelles modifications successives
l'art chrétien est-il parvenu aux chefs-d'œuvre modernes ? C'est là
(i) In-8o. Prix : 2 fr. , et 2 fr. 5o c. franc de port. A Paris, chez
Adrien Le Clerc et C« , quai des Augustins , n" 35.
CARACTÈRE DES TYPES IMITATIFS QUI CONSTITUENT, ETC. 77
ce que M. Raoul-Rochette recherche avec autant de sagacité que
d'e'rudition. Nous essaierons de donner une idée abrégée de son
travail sur un objet qui peut offrir quelque intérêt h nos lecteurs.
Dans le monde pittoresque , tel que l'a conçu l'art du christia-"
nisme, se présentent d'abord deux grandes figures idéales, l'Homme-
Dieu et la Sainte-Vierge; puis les apôtres, les martyrs et les autres
saints personnages qui appartiennent k l'histoire de lEglise. Dans
le premier âge de PEglise, on ne paraît pas avoir eu des portraits
authentiques du Sauveur, de la Sainte-Vierge et des apôtres. L'hor-
reur que l'on avait pour l'idolâtrie encore subsistante fît compren-
dre dans la même proscription les monumens de l'art qui servaient
de base et d'ornement au paganisme. Aussi ne citerait-on guère ,
dans les premiers siècles, un ouvrage d'art sorti de mains chré-
tiennes, et Eusèbe semble l'insinuer des portraits du Christ et des
apôtres qui circulaient de son temps. Saint Augustin déclare qu'on
ignorait de son temps quelle était la figure du Sauveur, ce qui
achève de montrer que les images attribuées à saint Luc ou a d'au-
tres méritent peu de confiance. Les petites figures du Christ qui
circulèrent vers le m siècle étaient probablement l'ouvrage des
gnostiques , et étaient faites pour ces sectaires ; les chrétiens purent
les adopter à mesure que l'idolâtrie s'affaiblissant , l'ancienne aver-
sion pour elle s'affaiblissait aussi. On a encore aujourd'hui de ces
figures, et M. Raoul-Rochette a fait graver au frontispice de sa
dissertation une pierre sur laquelle est une tête de Christ avec le
mot Christou en caraclères grecs; cette pierre est dans le cabinet
de M, le marquis de Fortia dUrban.
La plus ancienne image du Sauveur, due h un pinceau chrétien,
que le temps nous ait conserve'e , est celle qui se voit à la voûte
d'une chapelle du cimetière de Saint-Callixte, à Rome. On y trouve
le type de la figure du Christ , tel qu'il avait été fixé d'abord dans
le sein de l'Eglise grecque, et tel qu'il fut adopté généralement en
occident vers le v* siècle. Le Sauveur y paraît avec une figure ovale,
une physionomie grave et douce, la barbe courte et rare, etc. Ce
type se reproduit dans toutes les œuvree de l'art byzantin et dans
toutes les imitations qui en furent faites en occident.
On peut dire de la Sainte-Vierge la même chose que du Sauveur.
Saint Augustin reconnaissait qu'on n'avait pas, de son temps, la
78 DISCOURS SUR l'0RIGI>'E, LE DÉVELOPPEMEJVT ET LE
figure dejla Sainte -Vierge. Les plus anciens portraits ont ete for-
més d'après un type idéal qui oCfre l'expression de la beauté et de
la pureté. Dans le moyen-âge, on imagina de donner à la Sainte-
Vierge une couleur noire , peut-être d'après ces mots du Cantique
des Cantiques , nigra sum sed formosa. L'auteur parle ici des ma-
dones dites de Saint Luc, si communes en Italie, et qui datent du
moyen-âge ; il ne croit pas que leur authenticité puisse soutenir la
critique.
Pour les apôtres, nous apprenons encore par saint Augustin qu'on
n'avait point leurs portraits véritables, et cependant des images du
Christ et des apôtres étaient peintes de tout côté dans les églises;
c'est qu'on avait adopté aussi pour eux un type convenu dont on
ne s'écartait pas. L'auteur le montre par les sarcophages et par tout
ce qui nous est resté de monumens de l'antiquité. Il est assez re-
marquable, dit-il, qu'à Rome les scènes de martyre furent à peu
près inconnues tant que dura l'ère des martyrs. Il décrit cependant
quelques peintures de ce genre qu'il regarde comme des exceptions.
Ce n'est que vers la fin du vii^ siècle que les représentations de
martyrs se multiplièrent. Alors on voit paraître le crucifix, qui ne
se trouve jamais dans les catacombes. Les premiers crucifix furent
apporte's de Grèce à Rome vers le même temps, ainsi que ces pein-
tures de martyrs et d'anachorètes , qui furent pendant presque tout
le moyen-âge la principale occupation des artistes bizantins, pres-
que tous moines eux-mêmes , et souvent aussi martyrs pendant les
persécutions des iconoclastes. Ces sujets ne se retrouvent plus pour
nous que dans des miniatures de manuscrits , ouvrages de moines
grecs ou latins.
Enfin l'auteur raconte comment, au lieu de ces maigres ébauches,
on vit tout à coup, à la renaissance des arts, le génie et le goût
s'élever à une haute perfection.
« A la voix des pontifes , au sein des états libres , toutes les idées
chrétiennes se produisent en foule dans le vaste champ qu'avait
embrassé la grande trilogie du Dante. Entre les mains d'un Giotto
et d'un Orgagna , d'un Nicolas et d'un Jean de Pise, tous ces types
sacrés, restés inertes dans la longue léthargie du moyen-âge_^, com-
mencent à s'animer et à se mouvoir. Le Sauveur reparaît avec tout
CARACTÈRE DES TYPES IMITATIFS QUI CONSTITUENT, ETC. 79
SOD caractère; la T^ierge, avec toute sa pureté; comme si, au sortir
de ces profondes ténèbres du moyen-âge , il s'agissait encore, pour
l'un, d'une ascension nouvelle, et, pour l'autre, d'un nouveau
triomphe. Tout respire , tout vit , dans le domaine du christia-
nisme , par les travaux de l'art qui le féconde. Les apôtres, les
martyrs, les docteurs renaissent de toutes parts à une existence qui
n'a désormais plus rien à craindre, ni de la main des hommes, ni
des atteintes du temps; et déjà , dans la Mort de la Sainte-Vierge ,
de Giotto , se trouve recréé , en traits impérissables , tout le monde
idéal du christianisme, chacun avec sou caractère, son âge, son
costume; et déjà le Triomphe de la Mort, d'Orgagna, au Campo
Santo de Pise, annonce le Jugement dernier de Michel-Ange. Tout
marche, dans cette voie nouvelle, avec un ordre, un accord, une
régularité admirables, toujours sous la double et puissante influence
de la religion et de la liberté, sans que l'art moderne, qui devait
tout au christianisme, empruntât encore presque rien à l'antiquité,
sans que le respect des traditions fît rien perdre à l'indépendance
du talent et à l'originalité de l'artiste; et cette longue et brillante
carrière où chaque pas dans la même route est marqué par un nou-
veau progrès ; où tant de talens divers ne cessent de puiser à la
même source ; où , partout , des hommes doués de facultés si dif-
férentes, mais animés du même esprit, tels que Francia et Ghir-
landaio , Pinturicchio et Perugiu, Mantegna et Masaccio, se trou-
vent arrivés, presque en même temps, si près de la perfection 5 celte
carrière , remplie de trois siècles de travaux et de chefs-d'œuvre ,
tous chrétiens, par le sujet, par la physionomie, par le costume,
aboutit enfin à Fra Bartholommeo , à Léonard de Vinci et à Ra-
phaël, par les mains desquels se montre définitivemeut accompli
le triomphe des idées chrétiennes , dans le miracle même de l'i-
mitation. »
M. Raonl-Rochette déplore, en finissant, les invasions du mau-
vais goût , qui s'est écarté de la route tracée par les grands maîtres.
Son Discours, qui a été lu à l'Acade'mie des beaux-arts, annonce
beaucoup de recherches, d'étude, de tact et de goût. En s'expli-
quant sur des sujets qui touchent plus ou moins h la religion , l'au-
teur le fait avec une sage réserve que n'ont pas toujours les savans.
Son langage offre constamment non- seulement ces égards extérieurs
\
\
80 LIVRE DE MORALE ET d'inSTRUCTION RELIGIEUSE.
qu'on doit à la religion de son pays, mais encore ce respect qui
naît d'une conviction inte'rieure et profonde. — L'Ami de la Re-
ligion , n" 2*279.
*VV\ V^A \AA \AA %*\ VV% V-V^ ^A^ VV\ VVA VV\ VV\ VV» VV\ X A/\AAAAA/\ -VV» 'VV\ ^AA V V\ V\A VV\ VV^ -VV* VV\ /VV» VV» VV» VV* .VV%
IiIVKE SE raORAIiC ET D'IBTSTKUCTIOSï REI.IGIEUSE
A l'usage des ECOLES ELEMENTAIRES. 1834, in-12.
Ce titre suppose déjà une erreur : pent-il y avoir une morale
avant ou sans religion ? Le philosophe répond : Oui. Le bon sens,
l'histoire, la raison même répondent : Non. La morale est une rè-
gle antérieure à toute société ; l'homme n'a pu la faire ou se l'im-
poser à lui-même : elle vient donc de Dieu ; et toute loi divine qui
a pour objet de diriger l'homme fait nécessairement partie de la
religion.
Du titre passons à l'ouvrage. Il renferme un abrégé de l'ancien
et du nouveau Testament, et un abrégé du Catéchisme. Ce n'est
pas une œuvre ennemie , car elle ne renferme point des erreurs
du moins d'une certaine gravité , mais une oeuvre rivale. Expliquons-
nous : Tous les livres catholiques pour l'enseignement religieux
étaient soumis jusqu'ici à lapprobation de l'ordinaire. Le Catéchisme
e'manait toujours de la même autorité ; les commentaires destinés à le
de'velopper n'étaient livre's au public qu'après qu'elle les avait exa-
minés et autorises. Le Lii^re de Morale et d'Instruction religieuse
paraît avec la seule approbation du conseil royal, qui , peu content
du monopole scientifique et littéraire , fait déjà un pas pour s'em-
parer du monopole de Ja foi. Ce fait est grave, très-grave ; il exci-
tera , je n'en doute point , l'attention des e'vêques.
Si la doctrine ne constitue pas la religion tout entière , elle en
est incontestablement l'appui et le fondemnet nécessaire. Enseignez
la doctrine, vous enseignez les dogmes, la morale et les principes
sur lesquels reposent le culte, la hiérarchie, la discipline, le catho-
licisme tout entier : d'où il suit que celui qui se rend maître de
l'enseignement religieux aspire à s'emparer de ce qui fait la vie
même de la religion. L'auteur usurpe donc une des attributions les
LIVRE DE MORALE ET D INSTRUCTION RELIGIEUSE. 81
plus essentielles de l'e'piscopat en publiant un livre élémentaire de
la doctrine chrétienne. Je ne sais comment concilier son entreprise
avec la notion qu'il nous donne de l'Eglise. Si elle est, comme il
l'affirme , soumise à un gouvernement dont le Pape est le chef visi-
ble, il sera facile de prouver que le premier droit comme le premier
devoir de ce pouvoir est d'enseigner ce qu'il a la présomption d'en-
seigner à sa place ou concurremment avec lui.
C'est à la concurrence que se bornent ses prétentions. Cet ex-
trait, dit-il , uniquement destiné aux écoles , ne dispense point
du catéchisme diocésain. Mais si le vôtre , que vous n'avez publié
sans doute que parce que vous l'avez cru pre'férable, est appris par
les élèves pourquoi leur en faire apprendre un second? Si vous
avez pu le rédiger , de quel droit défendrez-vous aux instituteurs
de le commenter ? La conséquence est rigoureuse. La loi rehgieuse
émanée de l'université' doit naturellement être expliquée par ses sub-
ordonnés. Que l'évêque fasse apprendre , expliquer son catéchisme ,
c'est son aS'airej mais les enfans qui sauront de'jà la lettre du li-
vre universitaire , et qui , grâce aux doctes commentaires du maître
d'école , en auront compris le sens et l'esprit , n'auront que faire
des explications du cure'. Apprendre deux fois la lettre, c'est brouiller
leur me'moire ; c'est porter la confusion dans leur esprit que de leur
en offrir des développemens différens , lors même que le fonds ne se-
rait pas changé.
Nous connaissons du reste des diocèses où les écoles primaires
sont très-fréquentées, et oii la lettre du Catéchisme diocésain n'est
apprise que par les soins de l'instituteur. S'il est remplacé par
celui de l'université, le cure', qui ne voudra pas commenter ce
dernier , sera re'duit à expliquer un texte inconnu. La conséquence
de ce nouveau mode de transmettre l'enseignement religieux est de
faire demander : A quoi bon des prêtres , lorsque des maîtres d'école
nous suffisent?
Etrange prétention de l'université'! Ce n'est pas assez pour elle
d'avoir chassé le sacerdoce d'un genre d'enseignement qui ne de-
mande d'autre mission que la confiance des pères de famille, et
d'autre condition qu'une capacité et une sagesse de conduite recon-
nues, il lui faut usurper aussi l'enseignement de la religion, afin
d'y porter ses doctrines vides de foi alors même qu'elles sont or-
T. X. 6
82 LIVRE DE MOEALE ET d'iNSTRUGTION RELIGIEUSE.
thodoxes. Nous disons vides de foi, cela n'est-il pas évident, lors-
qu'en donnant un catéchisme catholique, elle annonce que les
protestans auront aussi le leur? Ainsi, la même bouche dira oui
et non sur la constitution de l'Eglise , sur les sacremens , sur le
purgatoire , sur la grâce , les bonnes œuvres , etc. N'est-ce pas là
une de'rision , et, ce qui n'est pas moins de'plorable , une leçon
cl'indiffe'rence ? Quand le législateur a autorisé la liberté des cul-
tes, il n'a voulu , au dire même des philosophes, que respecter des
convictions et laisser à chacun la faculté d'y conformer sa conduite.
Dès lors il entrait dans sa pensée que celui qui voudrait être catho-
lique irait au pied de la chaire de son pasteur, comme le protestant
se rend au prêche de son ministre. Mais il n'a pu concevoir la cou-
pable hypocrisie qui adresse au calviniste el au catholique des ensei-
gnemens contradictoires.
On assure que c'est un philosophe ( M. Cousin ) descende! de la
hauteur de ses spe'culations métaphysiques pour parler aux enfans de
nos écoles , qui a rédigé le Livre d^ Instruction morale et religieuse.
Si cela est, on conçoit comment Rome et Genève lui sont également
indifférentes 5 mais on ne comprend pas si facilement comment il peut
avec la même conviction adopter tour h tour leur doctrine. On se
plaint que la religion s'affaiblit et que sa ruine entraîne celle des
mœurs , et on la traite soi-même de manière à prouver qu'on est dé-
nué de conviction. Cependant , la religion est-elle quelque chose sans
la foi ?
Nous avons supposé jusqu'ici que la doctrine n'était pas altérée ;
mais les imitateurs de l'auteur du Livre de morale , etc. , seront-
ils aussi circonspects? Voudront ils toujours faire le sacrifice de ce
qu'ils appellent leurs lumières , et de ce que nous appelons leurs
préjugés ? Quoi ! au xix.'' siècle , faire ce que l'on faisait au i" ! Ré-
diger un catéchisme comme saint Cyrille et Bossuet! Pas un pro-
grès en morale et en religion, lorsque tout progresse dans le monde l
Où est donc l'obscurantisme, s'il n'est dans une marche aussi ré-
trograde ?
Ces réflexions nous dispenseraient d'examiner le mérite intrin-
sèque de l'ouvrage. Nous en dirons assez toutefois pour faire jager
qu'il suppose une autre témérité que celle d'enseigner sans mission.
Dans l'abrégé de l'ancien Testament , l'auteur n'a ni cette exactitude
LIVRE DE MORALE ET d'iNSTRUCTI05 RELIGIEUSE. 83
qui fait éviter jusqu'aux plus légères erreurs , ni cette intelligence
du texte qui le dc'veloppe quelquefois, sans jamais s'écarter de son
esprit , et sans produire une seule pensée peu en harmonie avec
celle de l'écrivain sacre. Citons des exemples : la Bible ne dit nulle
part qu'au moment de la création la terre parut telle que nous la
voyons au printemps , que les plantes et les arbres étaient cou-
verts de Jleurs. Il est probable, au contraire, qu'il y avait aussi §
quelques fruits pour nourrir l'homme et les animaux. Elle ne dit pas
que la mer fourmillait de poissons , que l'air était rempli doi-
seaux. Elle suppose plutôt que Dieu ne créa qu'un couple de cha-
que espèce. Le serpent qui séduisit Eve est placé par l'auteur dans
les branches de l'arbre de vie ; Moïse n'en dit rien. Dieu n'inflige
à la femme, selon notre auteur, que de souffrir beaucoup de ses
enfans ; le mot multiplicaho œrumnas tuas dit quelque chose de
plus. Dieu ne bénit pas les travaux de Cain; c'est une imagi-
nation , et elle n'est pas heureuse. Il n'est conforme ni au bon
goût, ni au style de la Genèse, de comparer le péché à un lion i
altéré de sang. Abel défiguré, sans vie, nageant dans son sang ^ |
offre à Adam et à Eve, qui contemplent son cadavre, non pas
Vimage, mais le spectacle et la l'e'alité de la mort. Nous n'en sommes
encore qu'à la page 7 d'un livre qui en a 286. A la page 12 , Dieu
promet à Sem et à Japhet les plus heureuses destinées, tandis que
c'est la multiplication et la supériorité de leur race qu'il annonce.
Au lieu de trois anges auxquels Abraham prépare un festin , l'auteur
substitue Dieu lui-même , accompagné de deux de ces esprits cé-
lestes.
Nous nous arrêtons , pour ne pas faire un volume ; mais qu'on
remarque bien que nous n'avons pas dépassé la 16® page. Nous au-
rons moins de remarques à faire sur le Cate'chisme. Voici quelques
citations prises au hasard :
Page 1Z0. Pourquoi dites-vous que l'homme ne se connaît pas
lui-même? — R. Parce qu^il ne songe pas qu'il ait rien au-des-
sus des bêtes y mettant toute la félicité dans les plaisirs des sens^
Et que faites-vous donc de l'orgueil, qui produit tant d'aveuglement?
Après avoir ënuméré les péchés engendrés par la paresse , parmi
lesquels se trouve l'insensibilité, l'auteur dit que celle-ci consiste à
Tbêtre ému de rien , ni par les avis , ni par les exhortations ,
6*
84 LIVRE DE MORA.LE ET d'iNSTRUGTIOS RELIGIEUSE.
ni par les bons exemples qui engageai à rempli?' les devoirs que
la relio-ion et V Etat prescrivent. Il est vrai que c'est une obligatioa
de conscieace que d'obéir à l'Etat, lorsque l'Elat lui-même ne blesse
pas la conscieace. Nous sommes loin d'être favorables à tout principe
qui, de loin ou de près, conduit à négliger les prescriptions civiles ;
mais on pouvait, sans être insensible , ne pas se presser d'obéir aux
décrets de l'assemblée constituante qui introduisait une nouvelle con-
stitution dans l'Église. Plus d'une âme sensible eut peu de zèle à se
soumettre à la convention , et , sans remonter si haut , est-ce par
sensibilité que nous devrions approuver et exécuter la loi du divorce ,
si elle vient à prévaloir ?
Ne suppose-t-on pas l'homme trop parfait ; et , dans tous les cas,
ne méconnaît-on pas la doctrine catholique , lorsqu'après avoir de-
mandé qu' appelez-vous mourir au péché , on répond : N'en plus
commettre.
La définition de l'Eglise est très-catholique , on peut même dire
qu'elle est assez ultramontaine. On n'y parle ni des ëvêques , ni des
pasteurs du second ordre ; mais seulement d'une société soumise à
un même gouvernement ^ dont le Pape est le chef visible. (Voyez
pag. 262. )
\ Nous n'avons signalé aucune erreur grave. Nous ne pensons pas que
?î \& Livre d'Instruction , etc. , en renferme aucune de ce genre, bien
i que nous ne l'avons parcouru que très-rapidement. Ce que nous en
1 \ .
■ avons relevé d'inexactitudes ne suffirait pas sans doute pour exciter
la sollicitude des gardiens de la foi, si elle ne devait être plus alar-
mée par la destination qu'on prétend lui donner.
Nous trouvons cependant , dans ce fait , une réflexion consolante.
Il ne suffit donc pas d'avoir interrogé les oracles de l'antique sa-
gesse, d'avoir visité en Allemagne ses plus savans interprètes , de
s'être placé soi-même à leur tête , ou du moins au premier rang des
célébrités philosophiques de notre époque, pour trouver dans ces
vaines spe'culations des ve'rités utiles. Il faut retourner au Caté-
chi.-ime pour parler d'une manière intelligible de Dieu , de l'origine
de l'homme , de sa foi , de ses devoirs, et de tout ce qui est néces-
saire à une socie'té d'êtres iatelligens. — VAmi de la Religion^
85
(VVS'V\AV\AVV\VV\<VV^fV'V»W\'V'VA/W\'W\^At(W*W* WXVV W\^V, A-Vt W\»'V\;VX'\'W\<W\-W\iVV*VV\*Wl ^
ŒUVRES DE SAI.VIEN,
TRADUCTIOIV NOUVELLE AVEC LE TEXTE EN REGARD ;
par J. F. GRÉGOIRE ET F. GOLLOMBET (1).
C'est un spectacle bien digne d'être suivi dans tous ses détails
que celui de cette lutte longue et opiniâtre que les Pères de PE-
glise eurent à soutenir contre les ennemis du christianisme naissant.
Jamais victoire ne fut plus long-temps dispute'e; et si l'on n'avait
eu pour garant du succès la parole même d'un Dieu , on aurait
pu douter du triomphe. Des adversaires redoutables par leur nom-
bre et par le faux éclat d'une science trompeuse unirent alors leurs
attaques pour étouffer dans son berceau une religion qui venait à
jamais confondre leur orgueil et détruire les mensonges qui faisaient
leur puissance. C'étaient les néoplatoniciens, qui, mêlant aux dog-
mes de l'Académie les rêveries merveilleuses de l'Orient et les sou-
venirs des nombres de Pytbagore, voulaient expliquer les mystères
de la foi par des déductions métaphysiques ; entreprise insensée et
qu'on a voulu renouveler de nos jours. C'étaient des magistrats qui,
alléguant que le de'pe'rissement de l'empire coïncidait avec l'appa-
rition du christianisme , re'clamaient avec force le rétablissement des
antiques cérémonies , et promettaient à ce prix la victoire aux sol-
dats et le bonheur aux citoyens.
Au nombre de ceux qui combattirent alors pour la foi nouvelle,
Salvien se fait remarquer par la pureté de sa morale , la noblesse
de ses sentimens, la gravité mélancolique de son éloquence, l'abon-
dance facile et coulante d'un style cicéronien. Il était ne', selon
Tillemont, vers Sgo, à Cologne ou à Trêves , et ses parens tenaient
un rang considérable dans les Gaules. Il se maria assez jeune à une
fille encore païenne , mais qu'il convertit au christianisme. Peu
(i) Deux vohimcs ia-8°. Prix : i5 fr. , et 18 fr. 5o c. franc de port.
A Lyon , chez Sauvignct ; et à Paris , chez Bohaire , boulevard des Ita-
liens , no 10.
88 OEUVRES DK SALVIEN.
après , ils se séparèrent d'un comnaun accord. On croit que la femme
entra dans un monastère, ainsi qu'une fille qu'elle avait eue de
Salvieu. Celui-ci vendit ses biens , en distribua le prix aux pauvres,
et embrassa la vie religieuse. Tl passa quelque temps à l'abbaye de
Le'rins, si célèbre à cette e'poque, et s'établit ensuite à Marseille,
où il l'ut ordonné prêtre. Tiliemont place sa mort vers 484- ^^^
nombreux ouvrages qu'avait composés Salvien, il n'en reste que
deux ; mais cet écrivain eut une grande réputation de son temps.
On 1 appelait le maître des évêques , et il était estimé pour son es-
prit de modestie, de douceur et de charité. A la vérité, ses ouvra-
ges, plutôt moraux que polémiques ou apologe'tiques, n'offrent pas
l'intérêt saisissant des écrits de saint Augustin , d'Origènc , de Ter-
tullien ; mais, outre qu'ils peuvent être consultés comme de précieux
documens historiques, ils ont encore le mérite de l'à-propos pour
une époque qui voit avec indifférence la morale attaquée dans ce
qu'elle a de plus respectable , et qui , sous ce rapport , ressem-
ble à celle qui peut entendre la voix éloquente de Salvien. C'est
même cette ressemblance entre la destruction matérielle de l'empire
romain et la destruction morale de notre société qui a engagé
MM. Grégoire et Collombet à choisir Salvien comme le début d'une
œuvre consciencieuse, et que tous les amis des lettrrs et de la re-
ligion doivent encourager de leurs vœux la traduction des Pères
de l'Eglise les plus remarquables comme apologistes, comme ora-
teurs , comme moralistes , comme savans , comme poètes.
Ecoutons les deux traducteurs expliquer dans quel esprit ils ont
conçu leurs travaux , et quelles puissantes considérations les ont
déterminés à se charger d'une entreprise qui peut-être ne sera pas
appréciée autant qu'elle mérite :
« C'est que la grande époque de destruction matérielle doit avoir
avecla grande époque de destruction morale une mystérieuse, mais
réelle analogie; c'est que les esprits sont sous le poids des événe-
mens qui les entourent; c'est que, voyant une seconde fois le monde
emporté dans des régions inconnues , ils ne trouvent plus que des
accens tristes et des pensées sombres comme la situation. Et ne
nous plaignons pas trop de cet état de notre littérature. Le déses-
poir est plus près qu'on ne croit du repentir, le fatalisme de la
OEUVRES DE SALVIES. 87
croyance : ces deux nuances sont la transition de la philosophie à
la religion.
» Animés par ces considérations , nous nous mîmes à feuilleter
les Pères, et nous y trouvâmes ce qui nous cherchions inutilement
ailleurs. Nous ne saurions peindre tout ce que nous ont procuié de
plaisir ces lectures faites en commun dans les longues soirées d'hi-
ver, près d^un foyer araî , à l'heure où la pensée est plus mysté-
rieuse, plus expansive. Salvien nous parut celui de tous qui avait
le plus de rapport avec notre époque de crise et de transition j nous
commençâmes à le traduire , et voici que nous l'abandonnons au
pubhc. »
Il existait déjà plusieurs traductions de Salvien, mais toutes si
imparfaites , si remplies de fautes , qu'on peut dire que cet auteur
a été aujourd'hui traduit pour la première fois. L'édition de MM. Gré-
goire et Collombet est complète; elle contient les huit livres delà
Providence , les quatre livres contre l Avarice , et neuf lettres,
restes d'une longue correspondance qui , d'après Gennade , remplis-
sait un volume entier. La traduction est élégante et fidèle, et,
malgré l'obstacle qu'a dû présenter la diffusion de Salvien dans cer-
tains endroits où il est trop plein de son sujet , elle reproduit par-
tout l'original avec une vérité de couleurs vraiment remarquable.
Le second volume contient des notes philologiques et historiques ,
oïl les traducteurs n'ont pas voulu mettre toute leur bibliothèque
à la manière des Allemands, mais qui, choi.sies avec goût, suffi-
sent à la complète intelligence du texte, et à la justification des sens
adoptés dans les passages douteux et contestables. Nous désirerions
que les notes eussent été indiquées dans le texte , afin d'éviter au
lecteur la peine d'aller chercher , à la fin du second volume , des
éclaircissemens que quelquefois il ne trouve pas , et le désagrément
d'en négliger qui puissent lui être utiles. Ces notes seraient aussi,
ce nous semble , plus commodément placées h la fin de chaque
volume.
A la tête du premier volume se trouvent quelques pages éloquen-
tes où M. Grégoire cherche à venger les Pères de l'Eglise de l'oubli
où paraît les avoir plongés l'exclusive préférence généralement ac-
cordée aux auteurs de Rome païenne :
« Qu'on ne me parle plus de Pcriclès , de Cicéron , de Démos-
88 OEUVRES DE SALVIEN.
thène! Que me fait à moi ce froid ihéleur, qui s'en vient là, de-
vant de froides cendres, au milieu d'une assemblée froide et distraite,
me jeter quelques phrases froidement compassées et arrangées d'a-
vance ! Que me fait à moi ce philosophe orgueilleux qui me débite
quelques vagues déclamations contre le luxe , quand toutes ses ver-
tus , à lui , ne sont qu'un manteau dont il voile ses vices infâmes
et ses turpitudes secrètes ? Que me fait à moi cet orateur qui s'ex-
ténue à remuer lindolence de ses concitoyens, quand il n'a pas
rougi , lui , de fuir lâchement des combats ? Que me fait à moi ce
beau parleur de Rome qui flagelle l''ambileux Antoine de sa molle
et flasque éloquence, quand toute sa vie, à lui, ne m'offre qu'un
long rêve d'ambition et d'amour-propre? Ah ! rendez-moi les Bouche-
d'Or , les TertuUien, les Cyprien , les Gre'goire. A eux, il sied de
ce'lébrer les triomphes des martyrs , de fle'trir le luxe des femmes ,
de ranimer le courage des faibles, et de châtier les tyrans! Ont-
ils pâli devant l'appareil des supplices ? ont-ils approché de leurs
lèvres la coupe des voluptés? ont-ils balancé devant les séductions?
ont-ils abandonné leur poste a l'heure du danger? Toi, rhéteur,
tu ne me jettes que des motsj eux , ils me donnent des exemples!
Tes pe'riodes sonores ne font que m'effleurer ; eux , ils me remuent
et me transportent. »
MM. Grégoire et CoUombet promettent de donner successivement
la traduction de Vincent de Lérins, Sidoine Apollinaire, des Lettres
de saint Jérôme, de celles de saint Cyprien, de la Cité de Dieu,
des Stromates ,àQ TertuUien, etc. Espérons que le succès de Sal-
vien les engagera à tenir une promesse que cette première traduc-
tion nous rend si pre'cieuse. — VAmi de la Religion , n° 22^0.
89
%V**Vl'VV\-X'V*W\-VV\WliW\(W>WWV\'W\ W\iVV\
VV\VV\/VV\'VV\V*A^/V\<VV\VVWVVWVV\VVK/VV'V'VV\<VVVVVVVV\X
NOTICE SUR M. I.'ÉCDY,
DERNIER ABBÉ DE P RE M O NT R É (1).
M. l'Ecuy a vécu près d'un siècle ; il était le chef d'un ordre
florissant ; il a traversé des temps fâcheux ; il a publié beaucoup
d'ouvrages. A tous ces titres , sa notice doit offrir de l'intérêt. Elle
présentera le contraste d'une époque de calme et d'une époque d a-
gitation, et montrera un homme aussi modeste dans la prospérité que
résigné dans la disgrâce , et à toutes les époques aussi laborieux
qu'exemplaire.
Jean-Baptiste l'Ecuy naquit le 3 juillet 1740, à YvoisCarignan,
dans le Luxembourg français , aujourd'hui département des Arden-
nes. Il paraît que son nom de famille était TEcuver , qui fut peu à
peu abrégé dans l'usage ordinaire. On remarque qu'il reçut la con-
firmation à l'âge de cinq ans, des mains de M. de Nalbach, suffra-
gant de Trêves, diocèse dont Yvois dépendait alors. 11 commença ses
études en 1748 , au petit collège d'Yvois , et reçut la tonsure en 1734 ,
de M. Hontheim , suffragant de Trêves , l'auteur du Febro^iius.
On l'envoya faire sa rhétorique et sa philosophie sous les jésuites ,
à Charleville , et en 17o8 il fut admis au séminaire du Saint-Esprit.
L'année suivante , il prit l'habit à l'abbaye de Prémontré , et y pro-
nonça ses vœux le 30 mars 1761. Peu après ses supérieurs le firent
passer au collège de Prémontré , à Pazis , pour y suivre le cours or-
dinaire des études. Le jeune l'Ecuy reçut les ordres , et fut ordonné
prêtre le 22 septembre 1764. Le 25 janvier suivant , il fut reçu ba-
chelier en théologie. On le rappela à Prémontré pour y enseigner
la philosophie, puis la théologie. De retour à Paris en 1767 , on le
chargea d'enseigner la philosophie dans le collège de Prémontré. II ;
entra en licence en 1768 , et y eut pour condisciples l'abbé 'de La |
Luzerne , depuis cardinal, l'abbé Duvoisin, depuis évêque de Nan- j
tes, l'abbé Taillct et autres hommes distingués dans le clergé. L'hea- |
(i) VAini de la ReUi^ion , u» 2271.
90
NOTICE SUR M. L EGUY.
reux caractère de M. l'Ecuy l'avait fait aimer de tous ceux de son
âge, en même temps que son application au travail lui procura une
place honorable en licence. Il fut reçu docteur le 20 mars 1770.
Pendant sa licence , M. Parcliape de Vinay , abbé général de Pré-
montré, était mort le -4 mars 1769. M. Manoury fut élu en sa place,
et choisit M. l'Ecuy pour secrétaire. Ils visitèrent ensemble , en 1771
et 1772, les abbayes de l'ordre dans les Pays-Bas. En 1773 , l'abbé
le nomma prieur du collège de Prémontré à Paris , sans toutefois
lui retirer ses fonctions de secrétaire. En 1776 , M. l'Ecuy soutint
sa résompte. Le roi lui accorda une pension de 600 liv. sur l'ab-
baye de Beaulieu , et peu après un de ses confrères lui résigna un
prieuré simple dans l'évêché de Beauvais. En 1779 , on lui résigna
encore un autre prieuré dans le diocèse d'Aire. En 1778 et 1779,
son abbé et lui visitèrent les abbayes de leur ordre eu Normandie et
en Bretagne. M. Manoury mourut le 18 juillet 1780. Le chapitre
général pour Pcleclion d'un nouvel abbé eut lieu en septembre sui-
vant. L'abbé de Floreffe y présidait , et M. de Dillon , archevêque
de Narbonne et M. Lepelletier de Morfontaine assistaient comme
commissaires du roi à l'élection. Le prélat affectionnait M. l'Ecuy ,
qui fut élu unanimement, le 18 septembre, pour abbé et général
de son ordre. Le i^"^ novembre suivant, il fut présenté au roi
Louis XVI, et le 4 février suivant, ayant reçu ses bulles, il fut béni
abbé par M. de Conlrisson , évêque de Thermopyles, à la place de
M. l'évêque de Laon.
Son premier soin fut d'accroître et d'enrichir la bibliothèque de
son abbaye. Il aimait les livres, et pendant son séjour à Paris , dans
sa jeunesse , il avait appris l'italien et l'anglais. Plus de 50,000 liv.
de son propre revenu furent employées à des acquisitions de livres,
et au moment de la révolution la bibliothèque était considérable. Le
nouvel abbé s'occupa aussi de l'amélioration des études ; ce fut un
des objets traités dans les chapitres qu'il présida en 1782, 178S
et 1788. On y décida la réforme et la réimpression du Bréviaire et
des autres livres liturgiques de l'ordre ; la rédaction du Bréviaire
fut confiée à un prémontré, Lissoir , abbé de la Valdieu (1). Il pa-
k (i) Remacle Lissoir est auteur d'un abrégé assez hardi de Febronius.
\ Depuis, il donna pleinement dans la révolution, fut administrateur du
NOTICE SUR M. l'eCUY. 91
raîl qu'on y suivit à peu près le Bréviaire de la congrégation de Saint-
Vannes. M. l'Ecuy prescrivit l'usage du nouveau Bréviaire par une
circulaire latine du i" janvier 1 786 ; elle est imprimée à la tête d'un
des volumes du Bréviaire. Il est un autre ouvrage dont M. l'Ecuy
avait , vers le même temps , conçu l'idée , tracé le plan et surveillé
l'exécution; c'est les Principes de Véloquence sacré ^ 1787, in-12.
Ce livre était destiné à l'instruction des jeunes religieux. L'épître
dédicatoire et l'avertissement étaient de M. l'Ecuy ; le reste avait
été rédigé par un jeune prémontré, J. B. A. Hédonin, mort en
octobre 1792 , qui est encore auteur de Y Esprit de Raynal.
L'abbé l'Ecuy établit dans son abbaye des conférences théologi-
ques , des cours de mathématiques et de belles-lettres ; il y forma
un cabinet de plivsique. Soigneux d'établir la concorde entre les
deux branches de l'ordre de Prémontre , il présida plusieurs fois les
chapitres de ceux de la Stricte-Observance. Il visita les abbayes de
son ordre en Suisse , dans le pays de Porentry et dans diverses
parties de la France. En 1787 , le roi le nomma membre de l'as-
semblée provinciale de Soissons et président de celle de Laon.
La révolution éclata , et amena une suite de décrets hostiles à la
religion et au clergé. Le i'''' novembre 1790 , on signifia à M. l'E-
cuy de quitter son abbatiale. Il se retira à Penancourt, qui était
sa maison de campagne. Une pension de 6000 liv. lui fut assi-
gnée comme indemnité de sa mense abbatiale; mais à peine lui en
avait-on payé une petite portion qu'elle fut réduite à 1000 fr. que
l'on payait en papier, à perte. Par la suite, ces 1000 fr. furent
encore réduits au tiers. C'était assurément une grande chute pour
un général d'ordre qui jouissait de 60,000 liv. de rente , et qui j
étendait sa juridiction sur tant d'abbayes. Nous devons dire que BI. |
l'Ecuy supporta sa disgrâce avec une résignation qu'il devait à la '
modération de son caractère , mais surtout à la religion. Bientôt on
vint l'inquiéter dans sa retraite. Il fut incarcéré à Chauny le 2 sep-
dépaitcment îles Ardeiuies en 1790, député suppléant à la législature
en 1791 , présiilent des élections pour la convention en 1792, curé con-
stitutionnel de Charieville , puis, en 1797, membre du concile de ce
parti. Il mourut en 1806, aumônier des Invalides.
92
NOTICE suit M. LÉGUY.
tembre 1793, mais relâché le U du môme mois. Le voisinage de
Préraontré lui paraissant dangereux , il se retira , en mai 1794 , à
Grandval , maison solitaire près Melun , où il vivait avec son frère,
comme lui religieux Préinontré. En 1793 , il obtint la restitution de
ses livres, qui étaient déposés dans les caisses au district de Chauny.
En 1797 , le besoin de s'occuper lui fit prendre quelques élèves qu'il
instruisait de concert avec son frère.
En 1801 , M. l'Ecuy vint se fixer à Paris , où il avait de nom-
i breux amis. Un d'eux , l'abbé Lissoir , ancien abbé de la Valdieu,
I le mit en relation avec les rédacteurs du /oMrao/ de Paris, et l'abbé
I l'Ecuy y donna des articles jusqu'en 1811. En 1803 , il fut nommé
chanoine honoraire de Notre-Dame. En 1806, il devint aumônier
de la femme de Joseph Buonaparte , et distribua en cette qualité
pendant plusieurs années des sommes importantes pour les pauvres
I et pour toute sorte de bonnes œuvres. En décembre 1812, on le
■" chargea de prêcher un discours à Notre-Dame pour l'anniversaire du
couronnement, et le IS août 1813 il prêcha dans la même église
pour le rétablissement du culte. En 1818, Louis XVIII lui accorda
une pension de 500 fr. En 1824, M. l'archevêque le nomma cha-
noine de Notre-Dame , et l'admit dans son conseil. Le prélat lui écri-
vit à celte occasion la lettre la plus bienveillante et la plus flatteuse.
U le chargeait en même temps de l'examen de livres soumis à sou
approbation.
Le vénérable vieillard avait conservé toutes ses facultés morales et
physiques, quand, le 6 avril 1828, il tomba dans la sacristie de
Notre-Dame. On le releva; depuis ce temps il n'a pu marcher, ses
jambes lui refusaient le service. Il continua cependant encore de se
livrer au travail. La lecture et la prière faisaient ses seules distractions.
Sa mémoire conservait encore sa fraîcheur. Ce n'est que sur la fin
de l'année dernière que ses forces diminuèrent progressivement. Il
supportait avec courage ses infirmités et sa solitude. Enfin , il s'é-
teignit doucement , le 22 avril , dans sa quatre-vingt-quatorzième
année après avoir reçu tous les secours de la religion. Ses obsèques
eurent lieu à Notre-Dame , le 24 , avec un plus grand concours
qu'on n'eût pu l'attendre pour un homme qui n'avait plus de con-
temporains. Mais le caractère aimable et conciliant de l'abbé l'Ecuy
lui avait procuré beaucoup d'amis même parmi ceux qui étaient se-
NOTICE SUR M. l'ÉGUY. 93
parés de lui par une grande différence d'âge. Homme droit , officieux,
instruit sur beaucoup de matières , aimant la littérature , avant tou-
jours vécu dans la société des gens de lettres , il portait beaucoup
d'agrémens dans la conversation. Personne n'eut jamais à se plain-
dre de lui ; la médisance , la raillerie , l'épigramme ne sortaient ja-
mais de sa bouche. Les relations qu'il avait eues autrefois avec les ^|
évêques et avec les membres les plus distingués de l'ancien clergé i!
rendaient ses entretiens une espèce de tradition vivante sur cette /,'
matière.
D'après ses intentions , son corps a été embaumé par les soins du
docteur Martin , son ami , qui le voyait assidûment depuis bien des
années, et qui a prolongé sa carrière à force de zèle et de prudence.
Le cœur doit être transporté à l'abbaye de Straliow , de l'ordre de
Prémontré , à Prague , selon les désirs de l'abbé l'Ecuy , et afin ,
dit-il dans un écrit qu'il a laissé sur ce sujet , que ses confrères son-
gent à prier pour lui. 11 ne voulait pas que l'on crût que la vanité
l'avait porté à ordonner ces dispositions , et en effet tous ceux qui
ont connu la simplicité de son caractère ne l'en soupçonneront
pas. Mais il était naturel qu'il souhaitât que quelque chose de sa
dépouille mortelle fût conservé dans une abbaye de son ordre. Lui-
même a tracé aussi son épitaphe , que nous donnerons à la fin de
cette notice. Dans son testament , il n'a oublié aucun de ses amis,
et leur a laissé des marques de souvenir. 11 a prié M. l'archevêque,
pour lequel il professait une tendre vénération , d'accepter un petit
tableau de sainte Catherine de Sienne , et un exemplaire du livre rare
imprimé aux frais de M. le baron de Vincent.
Actuellement , nous donnerons la liste de ses ouvrages ;
1" OEuvres de Franklin , traduites de l'anglais, 1773 , 2 volu- I
mesin-4°. '^'' Discours pour la Rosière de Salencij, en 1776, in-8°. |
3° Discours pour l'ouvetiure du chapitre de Prémontré , en 1779, *
in-4° ; traduit en latin par l'abbé de Strahow. -4" Jmintor et Théo- .
dora, suivi de l'Excursion ou les Merveilles delà nature, 1797, |
3vol. in-12 ; c'est une traduction de l'anglais, de David Mallet. S"» |
Nouveau Dictionnaire historique, biographique et bibliographique,
in-8', 1803; traduit del'anglais, de Watkins. Q>" Dictionnaire de poche
latin- français, 180o, in-12, oblong , réimprimé en 1831. 7" Abrégé
94 NOTICE SUR 31. l'ÉCUY.
de l'Histoire de V Ancien et du Nouveau Testament , 1810 , 2 vol.
in-8° , réimprimé en 1 vol. ia-12 et connu sous le nom de Bible
de la Jeunesse. 8° Discours pour l'anniversaire du Couronnement
! et pour l'Assomption, 1813, 2 brochures in-8''. 9'' La partie ecclé-
siastique du Supplément , en A vol. , au Dictionnaire historique
I de Feller , 1818 et 1819; le reste du Supplément, était rédigé par
M.Bocous. \Q^ Manuel d'une Mère chrétienne ou courtes Homélies
sur les Epîtres et Evangiles des dimanches et fêles , 1822, 2 vol.
in-12, avec figures. \\° Annales civiles et religieuses d'Yvois-Ca-
rignan et de 3Iouzon , 1822 , in-8''. 12° Un Recueil sur la prise
l^e Constantinople , pour faire suite à l'Histoire Bysantine, 1823,
fin-fol. imprimé à 60 exemplaires au frais de M. le baron de Vincent
ï et de sir Charles Stuart , alors ambassadeurs d'Autriche et d'Angleterre
I en France. 13° Strenœ Norberteœ , 1827, in-8''; traduction en vers
français d'une élégie latine du jésuite Werpen , sur la conversion de
saint Norbert. 1-4° Il est auteur du 8^ volume de l'ouvrage de Bas-
sinet, Histoire sacrée de l'Ancien et du Nouveau Testament; ce
volume contient les Actes des Apôtres et l'Apocalypse. lo° Il a
fourni beaucoup d'articles de littérature au Journal de Paris , de-
puis 1801 jusqu'en 1811 ; des notices à \a Biographie utiiverselle ,
de Michaud , depuis 1811 jusqu'en 182S, et des articles aux trois
i premiers volumes de Y Ami de la Religion. 16° Essai sur la Vie
S de Gerson , 1832, 1 vol. in-8°.
On assure que cette vie de Gerson n'était point destinée à l'impres-
sion; seulement, le manuscrit devait en être déposé à la bibliothèque
de l'archevêché pour servir de matériaux aux historiens futurs.
Mais , cette bibliothèque ayant été dévastée et anéantie , l'auteur
se laissa persuader de publier son ouvrage. La vie de Gerson est
précédée d'une longue introduction sur le grand schisme d'Occi-
dent , et sur les causes qui l'ont préparé. La vie elle-même est à
peu près l'histoire contemporaine , et Gerson y disparait souvent au
milieu du récit des grands événemens de cette époque. De plus ,
nous n'oserions assurer que l'auteur eût fait assez de recherches et
eût apporté autant de critique que l'exigeait un sujet si délicat. En-
fin , il nous a paru s'expliquer sur certains papes de ce temps avec
une dureté qui nous étonne dans un écrivain ordinairement si sage
et si retenu. An total, on ne peut se dissimuler que cette production
NOTICE SUR M. l'ÉGUY. 95
se sente de la vieillesse de l'autear ; il avait alors 92 ans, et il est donné
à peu de gens de pouvoir écrire à cet âge.
Nous ne compterons pas au nombre des ouvrages de l'abbé l'E- \
cuy une Flore de Prémontré ( Flora Prœmonsfratensis ) , qui fut /
faite par ses soins et à ses frais. Les plantes qui se trouvent dans ?
le voisinage de l'abbaye y sont peintes. M. Le Marcant de Cam- ''
bronne . botaniste de Laon , était chargé de décrire les plantes. Ces
descriptions sont faites à la main. Dans les années 1787 et 1788 ,
il y eut plus de 600 plantes décrites. Le recueil forme trois gros vo-
lumes in-folio , grand papier ; c'est un exemplaire unique dont l'abbé .
l'Ecuy a fait présent à la bibliothèque publique de Laon. La révo- 1 1
lulion empêcha de continuer cet ouvrage. t
M. l'abbé l'Ecuy a laissé un manuscrit curieux , c'est un abrégé
de sa vie : P^itœ mece brève Compendium. Cet abrégé , qui s'arrête
en 182A , rappelle les principales époques de sa vie. A la fin , l'au-
teur a inséré quelques lettres et discours , une chronologie des abbés
de Prémontré ( il était le 57" ), Planctus norbertinus , élégie en
vers latins et en vers français , composée par lui en 1820, et au-
tres pièces. La vie nous a été fort utile pour la présente notice. Nous
nous sommes aussi beaucoup servi d'une notice qui se trouve dans
la Biographie ardennoise , de M. BouUait. Le Compendium de
M. l'Ecuy est écrit en latin , et d'un style qui prouve que l'auteur
avait étudié avec fruit les auteurs classiques.
En 1816, il avait traduit du portugais d'Antoine Pereira de Fi-
gueredo l'Abrégé des écrits et de la doctrine de Gerson. Cet ouvrage ,
que Pereira avait dédié au marquis de Pombal , est dans un esprit
que Gerson n'eût sans doute pas approuvé. L'abbé l'Ecuy ne publia
pas sa traduction ; un semblable travail s'accordait mal avec la mo-
dération de- son caractère.
Nous terminons cette notice par l'épitaphe que M. l'Ecny avait faite
pour lui-même , et qui a été gravée sur son tombeau ;
D. O.M.
Lapide sub hoc funereo
R. R. D. D. Joannis Baptistœ l'Ecuy
Conduntur humiks Exuviœ.
96 SUR LA CRISE DE l'ÉGLISE ANGLICANE.
Patriâ Yvodiensis
Canonicus regularis professione
Studiis doctor Sorbonicus
Dignitate abbas Prœmonstrati LP^IP"
Totimque ordinis Prœmonstratensis caput ac generalis.
Anno MDCCLxxxx
Regno procaci libertate deturbato ,
P^otis Deo jîiratis
Ecclesiœ suce , fratrum consortio , infulis
Miserahiliter ereptus.
Diversis dein exagitatus
Hic tandem quiescit
Beatœ immortalitati utinam maturus /
Transi viator et ont pro eo.
Natus 3 Juin anno mdccxl
Obiit, Ecclesiœ Parisiensis canonicus titularis
Et illustrissimi Parisiensis Archipiscopi vicarius generalis.
Die 22^ mensîs aprilis ,
Anno Dotnini mdcccxxxiv.
SUR S. A CRISE PE I.'ÉGI.ISE ANGLICABTE.
Le célèbre Pitt , pendant son long ministère , avait repoussé toutes
les propositions pour la réforme parlementaire , parce qu'il sentait
bien que si l'on entrait une fois dans cette voie , tout l'édifice de la
constitution anglaise ne tarderait pas à èlre attaqué et ébranlé par
des réformes successives ; c'est en efifet ce qui est arrivé depuis la
grande mesure prise par lord Grey, Les propositions succèdent aux
propositions , et l'alarme commence à se répandre parmi ceux qui
tiennent aux intérêts et aux abus de l'Eûlise établie. Ces abus ne sont
SUR LA CRJSE DE l'ÉGLISE ANGLICANE. 97
nulle part plus choquante qu'en Irlande , où l'Eglise protestante jouit
d'immenses revenus , quoique ses sectateurs ne forment qu un huitième
ou même un dixième de la population ; tandis que l'Eglise catholi-
que, qui compte pour elle les trois quarts de la population , ne vit
que d'aumônes. L'Eglise protestante a envahi à la fois les biens et
les églises ; elle reçoit les dîmes , et partout les anglicans sont en
minorité. 11 y a même des endroits où à peine on en compte quel-
ques-uns. Cet état de choses excite depuis long-temps de vives ré-
clamations de la part des catholiques. Obligés de pourvoir à l'entre-
tien de leur clergé , ils sont obligés en outre de nourrir le luxe des
prélats anglicans , dont plusieurs ne résident même pas dans le pays;
de payer la dîme à des bénéGciers qu'on ne voit jamais , et qui dé-
pensent leurs revenus à Londres ou sur le continent.
Tout le monde sent donc le besoin d'une réforme ; mais l'Eglise
anglicane la redoute avec raison , parce qu'elle y voit le terme de sa
longue prospérité. Les attaques se sont si fort multipliées depuis
quelque temps , que les évêques ont pris l'alarme. Ils se sont adres-
sés au roi d'Angleterre , chef et protecteur de l'Eglise , et plusieurs
d'entre eux , conduits par les archevêques de Canlorbéry et d'Armagh ,
primats d'Angleterre et d'Irlande , ont eu une audience du prince ,
et lui ont exposé leurs inquiétudes. Quelques journaux anglais ont
rapporté la réponse de Guillaume ; elle n'a aucun caractère officiel ;
mais il y a tout lieu de croire qu'elle est authentique , et , d'après
la manière dont lord Grey en a parlé dernièrement à la chambre des
lords , on ne saurait en douter. Nous citerons un fragment de cette
réponse :
« Dans toutes les circonstances de ma vie , et par conviction , j'ai
toujours été porté à étendre la tolérance jusqu'à ses limites équitables;
mais la tolérance ne peut pas aller jusqu'à autoriser la licence. Il
y a des bornes qu'il est de mon devoir d'empêcher qu'on ne fran-
chisse. Je suis attaché à la pure foi protestante , que cette Eglise ,
dont je suis le chef temporel , répand et conserve dans notre pays.
Je ne saurais oublier les événemens qui ont placé ma famille sur le
trône que j'occupe. Ces événemens se sont accomplis dans une ré-
volution devenue nécessaire , et qui ne s'est pas effectuée , comme
on l'a dit souvent , dans l'intérêt des libertés temporelles du peuple,
T. X. 7
98 SUR LA. CRISE DE l'kGLISE ANGLICANE.
mais pour la conservation de sa religion. C'est pour la défense de
la religion et du pays qu'ont été fondées les institutions politiques
en vertu desquelles je règne aujourd'hui ; et celte Eglise d'Angleterre
et d'Irlande (le roi a particulièrement appuyé sur ce second mot) , cette
Eglise , dont les prélats sont en ce moment devant moi , c'est mon
ferme dessein , ma détermination et ma résolution de la maintenir.
Les évèques actuels (j'en suis bien satisfait , et je suis bien lieureux
de savoir qu'il en est de même du clergé placé sous leur direction)
n'ont jamais été surpassés en aucun temps par leurs prédécesseurs en
fait de savoir , de piété et de zèle. Si dans les parties secondaires
de la discipline de l'Eglise il y a , ce dont je doute fort (le roi insiste
beaucoup sur ces derniers mots ) , des abus qui réclament des modi-
fications intelligentes , j'ai la pjlus grande confiance dans l'aptitude
et dans l'empressement des prélats , qui sont devant moi , à corriger
ces abus. »
Il est aisé de voir que tout cela est vague. Le roi promet bien le
maintien de l'Eglise protestante ; mais il ne promet pas le maintien
de ses gros revenus , et , quand il le promettrait , ce ne serait pas
une raison pour que la réforme ne se fit pas. On sait qu'en Angle-
terre c'est le ministère qui gouverne sous le nom du roi. Les opinions
personnelles du roi n'ont pas beaucoup d'influence sur la marche
de l'administration, et , comme les conseillers de la couronne sont
responsables , ils ne manquent pas de raisons pour montrer que leur
avis est le seul qu'il soit possible de suivre. Dans la circonstance
présente , lord Grey, répondant à un membre qui lui avait objecté
la réponse faite aux évoques, a répondu qu'il n'avait rien à dire sur
celte déclaration , attendu qu'il ne l'avait pas conseillée au roi. On peut
donc prévoir que la réponse n'arrêtera rien , et que le plan de réforme
ira son train.
Aussi , dans le temps où le roi parlait aux évêques , comme nous
venons de le voir, M. Ward faisait sa motion à la chambre des com-
munes , pour une réforme dans l'établissement de l'Eglise protestante
en Irlande. Cette motion excita une scission dans le ministère an-
glais ; quatre membres se retirèrent pour ne pas prendre part à une
mesure qu'ils regardaient au moins comme inopportune. Le ministère
a été reformé tout de suite et lord Althorp n'a écarté la motion qu'en
SDR LA CRISE DE l'ÉGLISE ANGLICANE. 99
proposant une commission laïque d'enquête qui visiterait les paroisses
d'Irlande , dresserait un état du nombre des membres du clergé
protestant et du montant de leurs bénéfices , ferait connaître s'ils ré-
sident ou non , quel est le nombre de leurs ouailles , quel est d'un
autre côté celui des catholiques et celui des protestans dissidens ,
quel est l'état des écoles, etc. La proposition de lord Altliorp a été
acceptée, dans la séance du 2 juin, par 296 voix contre 120. Il est
aisé de voir par les dispositions du ministère quel sera le résultat de
la commission d'enquête.
Aussi le parti de l'opposition a attaqué à ce sujet le ministère dans
la séance du 6 juin. Lord Wicllow a blâmé l'établissement de la
commission. Lord Grey a soutenu que cette mesure ne préjugeait
rien , que personne ne songeait à assimiler l'Eglise d'Angleterre à
l'Eglise d'Irlande ; mais que l'on ne pouvait disconvenir que celle-ci
avait besoin d'une meilleure répartition des biens. L'archevêque de
Cantorbéry et les évêques de Londres et d'Exeter réclamèrent forte-
ment pour l'Eglise protestante d'Irlande , et le dernier surtout se
plaignit que le ministère faisait violer au roi ses sermens. Lord
Brougham répondit aux évêques en se moquant un peu de leurs do-
léances. La motion de lord AVicklow , pour que l'on fit connaître la
base des travaux de la commissioa , a été adoptée.
100
vv»(\'V^'wt/vv\v\■^wv'W\wx^\A«vv\^A/*wwv^,x
MSIiANGES. — Jnillet 1 834.
Mort de M. Van Gils. — Conversion du docteur anglican King. — Mé-
daille décernée à M. Triest ; nombre de ses institutions. — Différentes
religions en Angleterre. — Des det'oirs des hommes , par Silvio Pellico.
Bénéfices de l'Eglise anglicane. — Bibliothèques de Paris. — Bi-
bliothèque de St.-Pétersbourg. — Antiquités découvertes dans l'île de
Ceylan. — Piéflexions du Franc-parleur sur l'Université catholique.
Hiérographie de M. Ganelli. — Séance de l'Acadéaiie de Bruxelles
du 7 Juillet. — Lettre de Mgr. PArchevêque de Paris. — Conversion
de M. Tbeiner.
■ — Le savant et respectable M. Antoine Van Gils est mort le
10 juin dernier au séminaire de Bois-le-Duc. Il était né à Tilbourg,
dans le Brabant septentrional ,1e 29 juillet 1738. Proclamé prewi/er
à l'ancienne Université de Louvain le 17 août 1779, il fut ordonné
prêtre à Anvers le 14 juin 1783. Après avoir été successivement
lecteur en théologie au collège du Pape et à l'abbaye de Ste.-Ger-
trude , il fit sa licence et alla exercer le saint ministère à Eindhoven
et à Bois-le-Duc. Rappelé à Louvain , il fut nommé en 1790 pré-
sident du collège de Malderus , chanoine de St. -Pierre, et professeur
de théologie. Il occupa aussi la chaire de littérature grecque au
collège dit des Trots-Langues. Le 11 avril 1794 il soutint les exer-
cices accoutumés pour le grade de docteur en théologie , mais l'en-
trée des Français dans la Belgique l'empêcha d'être proclamé dans
la forme ordinaire. Dans le cours de la même année M. Van Gils
fut élevé à la dignité de recteur magnifique de l'Université. Après la
suppression de l'Université il fut nommé président et professeur au
nouveau séminaire de Bois-le-Duc qui s'ouvrit à Herlaer le 29 jan-
vier 1798. Sa conduite ferme et courageuse lui avait mérité, sous
le gouvernement impérial , les honneurs de la persécution ; arrêté
en 1812 , il vécut en exil à Malines et à Dijon, et n'obtint sa li-
berté que le 22 février 1814. Nous espérons qu'une notice détaillée
sera consacrée à la mémoire d'un homme si justement vénéré dans
la Belgique. Il laisse plusieurs écrits en manuscrit ; parmi ceux qu'il
a publics on dislingue 1° De Grondcn eau het Christen-Cutholiek
Geloof, tegen overdc Grondcn der Philosophie ; Bois-le-Duc 1800,
in-8°; 2° Roomsch-KathoUjk meijerysch Memorie-boek etc. ibid in-8°.
UÉLÂl^GES. 101
3° Anahjsis epistolarum B» Pauli, ad usum seminarii Sylvœ-
Ducensis , Louvaiu 1816, 3 vol. in,-12.
— Un ministre protestant , le docteur King , de Londres , a suivi
l'exemple de l'honorable M. Spencer (V.ci-d. t. VII, p. 488) , et
s'est fait catholique ; après avoir cherclié la vérité pendant deux ans ,
il a fait sa profession de foi entre les mains du docteur Baines ,
évêque de Siga et vicaire apostolique du district de l'Ouest. A
New-York , un protestant , M. Gardner Jones , a fait connaître dans
un journal de cette ville les sept raisons qui l'ont engagé à se faire
catholique. Il déclare qu'il n'a été influencé par aucun catholique,
et qu'il doit sa conversion au docteur protestant Brownler et à la
manière dont il a défendu le protestantisme dans sa controverse avec
trois prêtres catholiques de New-York. Ses sept raisons sont que
l'Eglise romaine est la seule catholique , qu'elle remonte jusqu'aux
apôtres , qu'elle a résisté aux révolutions et aux hérésies , tandis que
les églises séparées n'ont point de règle de foi , rejettent des dogmes
anciennement reconnus et des pratiques respectables , et conduisent
à l'oubli de la religion. Sa lettre, datée du 18 janvier dernier, a
été insérée dans le Wecklij Register et CathoUc Diary de New-York.
Depuis, M. Gardner Jones a répondu dans le même journal à des
attaques des journaux proteslans.
— La direction de la société Montyon et Franklin , a décidé de
décerner à M. le chanoine Triest , non-seulement sa magnifique
médaille d'or des Bienfaiteurs de V Humanité (1) , mais en outre,
de faire graver son portrait , accompagné d'une notice très-développée.
Jusqu'à présent, si nous ne nous trompons , cette honorable distinction
n'avait eu lieu , pendant la vie des hommes utiles , qui en sont l'ob-
jet, que pour M. Paillette, chevalier de la Légion- d'Honneur « qui,
51 dit sa notice biographique , a sauvé plus d'hommes , Français ou
« étrangers , que le plus terrible soldat de toutes les armées de la
» république ou de l'empire ne pourrait se vanter d'en avoir tué de
» sa main. » Celte décision de la société philanthropique de Paris ,
fut prise après la lecture d'un extrait de la Notice historique sur
Gand , ses monumem , ses institutions , sa statistique , etc., dans
(i) La remise de cette médaille a été faite le 21 juin à M. Tiiest,
par M. le bourgmestre de Gand , en présence du conseil de Régence
et de M. Paillette, envoyé de la société.
102 MÉLANGES.
lequel sont résumés les travaux évangéliques de M. Triest. Cet ex-
trait a été envoyé à Paris , certifié et appuyé par la signature de
plusieurs citoyens recommandables de Gand. Le livre de M. A. P^oisiny
se trouvant entre les mains de beaucoup de personnes , nous croyons
inutile de reproduire le passage dont nous parlons.
Voici des renseignemens entièrement neufs et positifs que nous
nous sommes procurés sur le nombre des institutions fondées par
notre St.-F^incent de Paul , et l'on verra , qu'il n'y a peut-être pas
maintenant en Europe un homme, soit prince, soit simple parti-
culier , qui ait mieux mérité la juste distinction de la société Mon-
tyon et Franklin.
Depuis 1803, il a créé quinze maisons desservies actuellement
par deux cents sœurs de la charité de Jésus et de Marie. Servir les
malades des deux sexes , soigner les femmes aliénées , instruire les
sourdes-muettes , diriger des pensionnats de filles , élever enfin des
orphelines et d'autres enfans pauvres , telle est le vœu de ces bonnes
sœurs. Ces quinze maisons renferment une population d'environ
1800 individus : elles sont établies à Gand , où l'on en compte trois,
à Tournai , à Lovendeghem, Eccloo , Bruges, Courtrai , St. -Génois,
Renaix , Berleghem , Saffelaer , Melsele , Anvers , Berlhem et
Bruxelles. M. Triest est sur le point de faire construire, au rempart
des Moines , de cette dernière ville , pour les aliénées et les incu-
rables, un hoîel dont tous les plans sont déjà tracés.
Ces mêmes sœurs ont encore à Gand deux pharmacies parfaite-
ment tenues ; l'une à l'hospice des femmes aliénées , l'autre à l'in-
stitut des sourdes-muettes : elles y distribuent gratis aux pauvres les
médicamens qui sont fournis par le bureau de bienfaisance.
Si nous passons maintenant aux institutions desservies par les
frères de la charité de St. -Vincent de Paul , qui sont au nombre
de 70 , nous trouvons qu'ils possèdent dix maisons dont cinq sont
situées à Gand , et les cinq autres à Froidmont , près de Tournai ,
à Anvers, Louvain , Bruges et St.-Trond. L'établissement de celte
dernière ville recevra aussi , avant la fin de l'année, des vieillards,
des aliénés et des orphelins.
Ces 10 maisons comptent plus de 2300 individus : ainsi les 2o éla-
blissemens fondés ou dirigés par M. le chanoine Triest , renferment
plus de -4200 personnes , sans y comprendre 270 sœurs et frères de
la charité. Ceux de ces établissemens , dont la disposition et l'éten-
due des locaux le permettent , donnent asyle à plusieurs classes
d'infortunés , mais toujours du même sexe. C'est ainsi , par exem-
MÉLANGES. 103
pie , que la maison de Tournai , érigée dans le vaste local de l'an-
cien séminaire , et dont la population est de plus de 230 individus,
est divisée en trois corps de bàtimens bien distincts : l'un est pour
les incurables, un autre pour les aliénées, et le troisième pour les
orphelines; à Gand , la maison-mère, établie dans l'abbaye de Ter-
Laegben , est aflTectée à l'institut royal des sourdes-muettes ainsi
qu'aux incurables. Depuis trois ou quatre ans , M. Triest y a même
fait construire un local pour les aveugles : mais jusqu'à présent on
n'y a présenté qu'une petite fille. Comme elle est seule , elle est éle^
vée avec les sourdes-muettes. Il n'y a rien d'attendrissant comme
de voir catiser cette intéressante et spirituelle enfant avec des infor-
tunées , privées de l'onïe et de la parole. On lui a créé un langage
à part ; elle formule ses idées , même les plus déliées , en palpant
soit les mains , soit les vêtemens de ses compagnes , qui lui répon-
dent de la même manière. Tout le monde sait que les sourds-muets
expriment toutes les lettres de l'alpbabet à l'aide des mains, res-
source dont est privé l'aveugle.
Si nous faisons la statistique rapide des diverses espèces d'insti-
tutions , desservies par les sœurs de la charité de M. Triest , nous
en trouvons 1 1 pour les incurables ; 2 pour les aliénées ; 2 pour les
sourdes-muettes; 2 écoles de pauvres filles; 3 pensionnats de jeu-
nes demoiselles ; 2 hospices d'orphelines ; 1 maison d'aveugles ;
8 écoles d'externes; 3 ateliers de travail; 1 hôpital : total 3-i. Les
institutions, desservies par les frères sont au nombre de 12, savoir;
2 hospices d'aliénés; un institut royal de sourds-muets; 6 écoles de
pauvres très-nombreuses; 1 d'orphelins; 1 école d'externes paysans;
1 de vieux-hommes : ensemble 46 institutions fondées dans 23 mai-
sons. Le vénérable philanthrope qui croit n'avoir rien fait , tant
qu'il reste quelque chose à faire , exécute encore en ce moment de
grands projets , et il est probable que sous peu de mois , ses pieux
établissemens serviront d'asyle à environ cinq mille individus.
Nous terminerons cet article en disant que la société Blontyon et
Franlilin, outre les médailles d'or qu'elle ne décerne qu'avec une
très-prudente réserve, publie tous les ans 24 portraits, accompagnés
de leurs notices historiques , des bienfaiteurs de rhumanitc et des
hommes utiles de tous les pays. Ces portraits gravés sur acier sont
tous admirablement exécutes , et celui de notre vénérable concitoyen,
sera confié au premier artiste de la capitale. Les personnes qui dé-
sirent prendre connaissance de l'excellente et belle publication de la
société peuvent s'adresser au libraire Van Ryckeghem à Gand. —
Journal des Flandres, n° 173.
104 MiLATfGES.
— Des journaux anglais ont donné dernièrement des calculs plus
ou moins exacts sur le nombre des sectateurs des différentes religions
dans la Grande-Bretagne. Le Morning Chronicle porte plus haut le
nombre des dissidens ; et le Standard, journal tory, prétend au
contraire que les anglicans dominent. Biais ils s'accordent à comp-
ter 144,244 catholiques et 84 chapelles dans le comté de Lancaster,
Sur ce nombre , il y en a , dit-on , 60,000 à Liverpool. On estime
à 116,000 les dissidens de toutes les sectes diverses. Le Morning
Chronicle prétend qu'il y a 160,000 catholiques à Londres. La so-
ciété dite de la réformation, qui a pour objet de combattre les pro-
grès de la religion catholique et qui est accusée de les exagérer un
peu pour jeter l'alarme parmi les protestans , a publié une carte qui
offre les noms et la situation des chapelles , séminaires et collèges
catholiques. Elle portait à 423 le nombre des chapelles catholiques
dans l'Angleterre et le pays de Galles et à 74 celles de l'Ecosse. Il
y avait eu , suivant cette carte , 6o nouvelles chapelles en Angleterre
depuis 1824 et 23 en Ecosse depuis 1829. Les comtés en Angleterre
où il y a le plus de chapelles sont ceux de Lancasfre , où il y en
a 87 ; York , 53; Stafford 23 j Northumberland et Middlesex , cha-
cun 19; Warwick et Durham , chacun 14; Harapshire , 12; Lin-
coln , 11. Il n'y en a point dans les comtés de Rutland et de Hun-
tingdon. Dans le pays de Galles , sur onze comtés il y en a six qui
n'ont point de chapelles , et il n'y en a que huit en tout dans la
principauté. En Ecosse , les comtés d'Inverness et de Banff sont ceux
qui ont le plus de chapelles. Le premier en a 17 , et le second 12.
La société de la réforme établit ce qu'elle appelle des stations pour
contrebalancer l'action et les progrès de la religion catholique. Elle
a jusqu'ici formé 46 stations dans toute la Grande-Bretagne.
— DES DEVOIRS DES HOMMES : Traité offert à la jeunesse ;
par Silvio Pellico , de Saluées. — S'il est un homme digne de tracer
à la jeunesse ses devoirs dans la carrière de la vie , c'est sans doute
celui qui , éprouvé par de longues infortunes , n'a rapporté d'un
affreux exil noblement souffert pendant dix années , qu'un cœur
calme et compatissant , et des paroles de paix et d'amour pour tous
les hommes. Or , tel fut l'illustre prisonnier des plombs de Venise ,
et du Sj)ielberg. A lui donc la sublime tâche de nous frayer la route
du devoir et des vertus. C'est avec un vif plaisir que nous voyons
se publier à la fois plusieurs éditions de ce précieux opuscule , digne
de l'auteur de Mie Prigioni. Puisse-t-il tomber entre les mains de
MÉLANGES. 105
tous ceux qui ont voulu lire l'histoire de ses malheurs. Ils pourront
ainsi , à l'école de Silvio Pellico , s'instruire et s'édifier tour à tour
par la voie des préceptes et par celle de l'exemple.
■ — Un journal protestant, le Libre Examen, donne la notice
suivante sur les bénéfices de l'Eglise anglicane. — « Dans la cham-
bre des pairs d'Angleterre , il y a plus de deux cents propriétaires
du droit de présenter aux bénéfices ecclésiastiques , sans compter le
lord chancelier et les évêques. On sait d'ailleurs que, malgré les
lois contre la simonie, une foule de changeurs et de Irafiqueurs se
sont introduits dans le temple. En Angleterre , on achète , on cède,
on hypothèque le droit de collation aux bénéfices. Aussi il est facile
de prévoir que toute mesure de réforme qui n'aurait point pour ré-
sultat de mettre un terme à ce trafic scandaleux rencontrera la plus
vive opposition dans la chambre des communes. Il ne serait pas
impossible non plus que plusieurs membres , qui appuient ordinai-
rement le ministère , votassent contre , dès qu'il s'agira de toucher
aux propriétés de l'Eglise. Pour justifier nos craintes à ce sujet, il
sufiûra de transcrire la liste suivante , qui renferme le nom des prin-
cipaux propriétaires du droit de collation à la chambre haute. Le
comte de Craven possède treize bénéfices ; le comte d'Albemarle ,
neuf; le duc de Cleveland , quatorze ; le duc de Sutherland , huit;
le duc de Portland, dix ; lord Yarborough, quinze ; le duc de Bed-
ford , vingl-sept ; le comte de FitZAvilliam , trente-un ; le duc de
Devonshire , quarante-huit, le duc de Norfolk,, vingt-un. Tous ces
seigneurs sont du parti qui soutient le ministère , c'est-à-dire du parti
whig ; voici maintenant quelques notabilités du parti tory : le mar-
quis d'AUesbury dispose de neuf bénéfices ; le marquis de Bath, de
treize ; le comte de Lansdale , de trentredeux ; le duc de Bucking-
ham , de treize ; le marquis de Bristol , de vingt ; le comte de Shaf-
tesbury , de douze ; le duc de Northumberland , de treize ; le duc
de Rutland , de vingt-neuf; le duc de Beaufort , de vingt-neuf. Quant
au lord chancelier , il jouit du droit de collation à non moins de
huit cent sept places de ce genre. Tous les évêques du parlement en-
semble , y compris ceux d'Irlande , disposent d'environ dix-neuf
mille bénéfices. On évalue à quatre mille cinquante le total de ceux
dont la chambre des pairs peut disposer. Il y a aussi un nombre
assez fort de propriétaires de ce singulier privilège à la chambre des
communes ; mais ce chiffre est insignifiant quand on le compare à
celui de l'autre chambre. »
106
MELANGES.
— Bibliothèques de Paris. — La bibliothèque royale se composait
de 910 volumes sous Charles V, de 1,890 sous François I , et de
16,746 sous Louis XIII. En 1684, elle possédait 50,342 volumes;
en 1775, près de loO,000 volumes , et environ 200,000 en 1790.
Elle est riche aujourd'hui de plus de 600,000 volumes imprimés ,
et de 80,000 manuscrits , sans compter plusieurs centaines de mil-
liers de pièces relatives à l'histoire générale et surtout à l'histoire de
France.
La Bibliothèque Mazarine se composait, en 1684, de 40,000 vo-
lumes : elle en compte aujourd'hui 90,000 imprimés, et 3437 ma-
nuscrits. On y remarque surtout beaucoup d'anciens livres de droit,
de théologie , de médecine et de sciences physiques et mathématiques.
Elle possède la collection la plus complète des auteurs luthériens et
protestans.
La bibliothèque de l'Arsenal , créée par le marquis de Paulmy ,
a été acquise, en 1781 , par le comte d'Artois. Elle se compose de
plus de 173,000 volumes, sur lesquels il y a environ 6000 manus-
crits. Elle est surfout riche en romans , pièces de théâtre , anciennes
et modernes , poésies françaises , et possède quelques ouvrages im-
portans d'histoire qui ne se trouvent pas ailleurs.
La bibliothèque de Sainte-Geneviève fut fondée en 1624. Elle s'est
SDCcessiveraent accrue de 600 volumes à 160,000 , parmi lesquels il
y a 3300 manuscrits. On y trouve toutes les collections académiques,
et de précieux ouvrages historiques. Ses manuscrits les plus remar-
quables sont des manuscrits grecs ou orientaux.
Récapitulation :
Bibliothèque royale 680,000 volumes.
Bibliothèque Mazarine 93,437
Bibliothèque de l'Arsenal. . . . 173,000
Bibliothèque Sainte- Geneviève. 163,500
Total 1,111,937 volumes.
— Bibliothèque de Saint-Pétersbourg . — La bibliothèque pu-
blique impériale possédait , au commencement de 1833 , 263,647 vo-
lumes imprimés, et 14,632 manuscrits. Dans le courant de celte
année S. M. l'a enrichie par le don de 7728 livres de la bi-
bliothèque de Pulawy , de 13 cartons de manuscrits de l'ancienne
MÉLANGES. 107
société des amis des sciences de Varsovie , et -499 caisses de la bi-
bliothèque de Varsovie.
On n'a déballé jusqu'à présent que 200 caises ; les ouvrages
qu'elles contenaient seront placés au rez-de-chaussée d'un pavillon
nouvellement bâti. Toutes les caisses renferment 130,000 volumes
d'ouvrages classiques dans presque toutes les langues vivantes. Par
achat et par dons particuliers, la bibliothèque s'augmenta en 1833
de 1019 livres et de 12 manuscrits. Autrefois elle était ouverte au
public trois fois par semaine , maintenant on l'a fermée à cause de
réparation et de l'agrandissement que subit l'édifice.
— Des antiquités fort curieuses viennent d'être découvertes dans
l'île de Ceylan , aux environs de Topary. Il s'agit de temples circu-
laires de cent pieds de haut , surmontés d'obélisques , et entourés
de tumulus , comme chez la plupart des nations antiques. Mais la
plus surprenante découverte consiste dans une statue haute de plas
de cinquante pieds , bien proportionnée , et une autre en adoration
devant elle , portées toutes deux sur un soubassement de rochers en
tallus , de trente pieds de haut sur quatre-vingts de large. On a cru
reconnaître dans la grande figure la divinité Eouddha. Ces deux sta-
tues et leur soubassement ont été taillés dans le roc.
— Un journal qu'on n'accusera point d'être trop favorables aux ca-
tholiques , donne les réflexions suivantes sur l'Université catholique :
« Le clergé qui fut si long-temps à la tête de l'enseignement pu-
blic , qui si long-temps eut seul entre les mains ce levier puissant ,
ne s'est pas endormi au milieu de l'espèce d'apathie, de l'espèce
d'indifférence que nos hommes d'état montrent à l'égard de l'instruc-
tion, surtout de l'instruction universitaire. Tandis que le haut en-
seignement est partout incomplet , que les universités sont à peu près
désorganisées , qu'il y règne une espèce d'anarchie , car jusqu'ici on
ne s'est occupé de ces utiles établisseraens que pour leur nuire, le
clergé se concerte , se coalise , se cotise , sollicite la générosité des
fidèles, trouve de l'argent, beaucoup d'argent pour fonder une uni-
versité, et il l'appelle catholique, non sans doute par opposition
avec les autres , mais parce que c'est son ouvrage , sa création. 11
met à profit cette liberté illimitée de l'enseignement que la charte
belge a proclamée , il donne un exemyjle qui paraît être perdu pour
le gouvernement qui a le plus grand intérêt à ne pas abandonner
108 MÉLANGES.
l'instraction publique à une classe particulière de citoyens , quelque
bonnes , quelque pures que puissent être ses intentions.
« De'jà on annonce que les facullés préparatoires, la faculté des
sciences , la faculté de la pliilosopliie et des lettres de l'université
catholique seront en état de recevoir des élèves, au mois d'octobre
prochain ; ceux qui ont fondé cette grande institution auront donc
l'année suivante des jeunes gens bien et duement préparés à suivre
les cours de théologie , de droit et de médecine , et c'est un immense
avantage qu'ils auront sur l'université ou les universités à établir par
le gouvernement, si toutefois elles sont organisées même dans un
an ; car qu'on ne s'y trompe pas , la manière dont les jeunes gens
sont préparés aujourd'hui à la candidature en sciences , ou en phi-
losophie et lettres , et celle surtout dont ils y sont admis , est bien
loin , au moins en général , d'offrir des garanties suffisantes. Puis-
qu'on ne se décidait pas à régler convenablement le haut enseigne-
ment, on aurait dû, ce nous semble, établir au préalable un jury
indépendant d'examen , pour la collation des grades universitaires ;
alors l'éducation particulière pour l'obtention de ces grades auraient
pu avoir des résultats avantageux , réels , positifs , tandis qu'aujour-
d hui on devient candidat et même docteur , à-peu-près par suite
d'un marché , et la chose est plus ou moins facile selon que l'insti-
tuteur qui a préparé les élèves a plus ou moins de crédit , plus ou
moins d'influence sur les membres du corps académique.
" Le clergé a donc bien fait , pour ce qui l'intéresse , de combler
le vide laissé , comme de propos délibéré par le ministère dans le
système de l'instruction publique ; il en avait le droit , et il en a
usé ; qu'il l'ait fait soit dans des intentions toutes philanthropiques,
soit dans des vues qu'il ne nous appartient pas de pénétrer, il l'a
fait , et en cela il s'est montré beaucoup plus sage , beaucoup plus
adroit que nos hommes d'état ; il a compris ce que peut l'éducation,
nous ne dirons pas pour l'affermissement d'un parti , mais pour la
propagation d'une doctrine quelconque. »
— M. Ganellt , de Naples , vient de terminer un important ou-
vrage en quatre volumes , qui a pour titre : Exposition du système
de Hiéroqraphie cryptique des Nations de V Antiqtiité . L'auteur
s'est proposé d'établir la théorie universelle des nombreux systèmes
de l'Ecriture sainte en usage chez les anciens.
MÉLANGES. 109
— Académie royale des sciences et belles-lettres de Bruxelles.
— Extrait du bulletin de la séance du 1 juin. — M. Dewez , se-
crétaire perpétuel, donne lecture 1° d'ane lettre de M. le ministre
de l'intérieur et de l'arrêté royal y joint , qui approuve leâ élections
faites par l'Académie ; 2" d'une autre lettre de 31. le ministre de l'in-
térieur , demandant l'avis motivé de l'Académie sur le mérite et l'u-
tilité de l'ouvrage de MM. Courtois et Lejeune , intitulé : Cornpen-
dium florœbelgiœ. Une commission, composée de trois membres ,
est cliargée de faire un rapport sur cet ouvrage.
M. Quetelet , en sa qualité de directeur, communique une lettre
de M. le ministre de l'intérieur , en réponse à celle qu'il lui avait
adressée , en lui envoyant son rapport sur les travaux de l'Académie.
M. le ministre reconnaît que l'Académie a fait tout ce qui dépen-
dait d'elle , dans les circonstances où elle s'est trouvée , pour accom-
plir sa mission , et ajoute qu'il ne peut qu'applaudir à ses efforts et
l'engager à y persévérer.
Il est donné lecture des rapports de MM. d'Omalius , Cauchy et
Sauveur, sur un Mémoire de M. Morren, relatif aux ossemens fos-
siles d'éléphans trouvés en Belgique et sur une nouvelle espèce d'é-
léphant fossile qu'il nomme Elephas Macrorynchus. Les conclusions
de ces rapports sont que le travail de M. Morren renferme des ren-
seignemens d'uu grand intérêt pour la géologie de notre pays. Des
remercîmens seront adressés à M. Morren pour cette nouvelle com-
munication. .
D'après les recherches de M. Morren , les localités de la Belgique
où l'on a jusqu'ici rencontré des débris fossiles d'éléphans , senties
environs d'Ostende, de Bruges, d'Anvers et de Louvain ; les com-
munes de Tamise, de Melsbroeck , de Smermaes et de Niel (pro-
vince d'Anvers) enûn les communes de Cheratte , de Chênée et de
Chotier , dans la province de Liège.
M. Van Mons communique trois Notices manuscrites :
1° Sur les combinaisons indestructibles par la chaleur que les
chlorures métalliques et non métalliques contractent entre eux et
avec d'autres composés , et sur le motif chimique de ces combinai-
sons; 2" de la matière dont se forment les charges électriques opposées ;
3" du semis des pommes de terre en vue d'en restaurer le plant et
d'en améliorer l'espèce.
M. de ReilTenberg met sous les yeux de l'Académie une copie gra-
vée des diverses antiquités qu'il avait communiquées dans une séance
110
aiELÀKGES.
précédente , et demande que cette planche soit distriJ^uée avec le
bulletin de la séance d'aujourd'hui , afin de mettre les connaisseurs
à même de dire leur avis sur ce point d'archéologie.
Il présente ensuite un ouvrage de sa composition intitulé : le Di-
manche, récits de Marsilius Brunck , docteur en philosophie de l'u-
niversité de ïïeidelberg. Bruxelles, 1834, 2 vol. in-18.
M. Quetelet donne communication de plusieurs lettres de corps
savans étrangers, relatives à l'échange des mémoires de l'Académie.
Il communique également l'extrait suivant d'une lettre de M. Bar-
low correspondant de l'Académie , sur la construction de ses gran-
des lunettes achromatiques à lentilles fluides : « Mes derniers efforts
ont surtout eu pour objet la recherche d'une lentille propre à am-
plifier l'image d'une planète, sans changer l'oculaire. C'est une petite
lentille concave, rendue achromatique et libre d'aberration sphérique,
qui est placée à une faible distance derrière l'oculaire. L'image ainsi
se trouve amplifiée , mais les fils du micromètre ne sont point agran-
dis • au contraire , ils paraissent du moins rendus plus minces , etc.
M. Quetelet lit aussi une note qu'il a reçue de M. Villermé, cor-
respondant de l'Académie et membre de l'institut de France ; cette
note a pour objet l'influence des terrains marécageux , et particu-
lièrement de ceux de l'île d'Ely en Angleterre. Elle porte entr'autres
ce qui suit :
SDR 10,000 DÉCÈS QUI ONT EU UEU DEPUIS
L'âge de 10 ans
jusqu'à la plus
grande vieil-
lesse , on en
compte pour la
période de 10 à
-40 ans :
La naissance jus-
qu'à l'âge le plus
avancé , on en
compte avant
l'âge de 10 ans
accomplis :
Dans l'île d'Ely ....
Dans l'ensemble des districts
agricoles , parmi lesquels
se range l'île marécageuse
d'Ely
Dans l'ensemble de districts
en partie agricoles et en
partie manufacturiers . .
4731
3505
3828
3712
3U2
3318
MÉLANGES. 111
Dans l'ensemble des districts
manufacturiers .... 4335 3727.
11 faudrait avoir les résultats mois par mois , mais malheureuse-
ment ils manquent.
Le secrétaire présente le projet du programme pour le concours
de 183o , qui a été discuté article par article , et a subi les mo-
difications qui ont été jugées nécessaires. Une huitième question a
été ajoutée à la classe des sciences , ainsi qu'il suit :
u Discuter les diverses opinions relatives à la manière dont les
élémens sont combinés , dans les composés organiques , et appuyer
celle qui paraîtra la plus satisfaisante sur quelques faits inédits dé-
pendant de la composition chimique de quelques-uns de ces corps.»
La question suivante a été proposée pour 1836:
« Exposer et discuter les faits qui tendent à établir l'existence des
vaisseaux lymphatiques dans les différentes classes des animaux in-
vertébrés. 11
— Mgr. l'Archevêque de Paris a envoyé la nouvelle Encyclique
du Saint-Père à MM. les Curés , avec la circulaire suivante ;
Paris, le 13 juillet 1834.
« Monsieur le Curé , avant de connaître la Lettre Encyclique de
notre saint Père le Pape, relative à l'ouvrage intitulé : Paroles d'un
Croyant, j'avais eu l'occasion de manifester mon sentiment sur un
livre que j'ai vu paraître avec une douleur d'autant plus vive , que
j'avais moins lieu de m'y attendre , d'après mes relations avec celui
que le public désigne pour en être l'auteur. Le jugement du Doc-
teur des Docteurs ne laisse place désormais à aucune hésitation ,
ni à aucun subterfuge. Quoiqu'il n'y ait point eu de dissidence
parmi les prêtres de mon diocèse , à l'égard des doctrines contenues
dans cette trop malheureuse brochure , je regarde cependant comme
un devoir d'appeler la méditation la plus respectueuse et la plus
soumise du clergé de Paris , sur l'instruction que le Souverain-
Pontife adresse à tous les évoques, aGn de réunir dans un même
esprit et dans une môme action , par cet acte solennel , tout ce qui
est, tout ce (jui voudra demeurer catholique. Puisse la voix du Père
commun et du Pasteur suprême , retenir sur le bord de l'abîme la
brebis qui s'égare, la ramener au bercail, ou préserver au moins
du danger toutes celles qui auraient l'imprudence de la suivre !
112
MELANGES.
» Je vons envoie un exemplaire de la nouvelle Lettre Encyclique.
Elle vons servira , ainsi qu'à vos collaborateurs , de règle de con-
duite dans l'exercice du saint ministère , tant au for extérieur qu'au
for intérieur.
» Recevez , monsieur le Curé , l'assurance de mon tendre attache-
ment.
» tllYACiNTHE, Archevêque de Paris.»
— Il doit paraître prochainement à Mayence un ouvra£;e alle-
mand qui a pour titre : Huit jours à Saint-Eusèbe oti Histoire
des Séminaires. L'auteur est M. Auguste Theiner , connu dans le
monde littéraire par ses talens et aussi par ses attaques contre la
religion. Ses connaissances en histoire ecclésiastique l'avaient fait
regarder par un gouvernement d'Allemagne comme un instrument
utile pour ce qu'on appelle la réforme du clergé catholique, et qui
serait la perte du clergé et la ruine de la religion. Theiner, imbu
des fausses doctrines qui régnent dans les universités allemandes et
entraîné par les exemples qu'il trouvait dans une partie du clergé du
pays , céda aux offres qu'on lui fit , attaqua le célibat religieux et
voyagea en Europe pour y faire des recherches scientifiques. 11 visita
l'Autriche , l'Angleterre , les Pays-Bas et la France. Elevé dans la
religion catholique , il fut frappé de ce qu'il vit dans ces pays , et
les entretiens de quelques personnes éclairées commencèrent à dis-
siper chez lui quelques préjugés. Enfin il alla à Rome , quoi que
pussent faire ses amis et le gouvernement qui l'employait. Là après
beaucoup d'irrésolutions , il alla voir le père Kolman , jésuite alsa-
cien, dont précisément on lui avait conseillé d'éviter les entretiens.
Après plusieurs conférences avec ce père , il se rendit à la maison
des exercices de Saint-Eusèbe pour y faire une retraite. Ce fut là
qu'il recouvra la paix et le bonheur qu'il ne connaissait plus 5 ce fut
alors qu'il conçut le dessein de l'ouvrage dont nous avons parlé.
Dans la préface , il fait une rétractation très-franche et raconte ses
égaremens. Il eut le bonheur d'être admis auprès du Saint-Père ; et
là , dit-il , pressé par une émotion intérieure bien plus que par l'é-
tiquette , je me jetai à ses pieds , et au milieu du repentir le plus
sincère et de la joie la plus vive , les yeux baignés de larmes, je fis
devant Dieu la belle profession de loi de Fénelon envers l'Eglise
romaine. « Voilà, dit le Journal historique, de Liège, auquel
, nous empruntons ces détails , voilà des rétractations comme il en
I faut; puisse la réaction religieuse, dont on nous parle tant, nous
f donner de pareils exemples ! et tout le monde y croira. » L'ouvrage
% de M. Theiner s'imprime en italien à Rome, en même temps qu'en
allemand à Mayence ; nous espérons pouvoir en rendre compte. Les
aveux d'un homme si droit doivent exciter un vif intérêt.
113
TRAGÉDIE DE THOMAS MORUS,
CHANCELIER D^ANGLETERRE ,
Par SILVIO PELLICO.
Coup d'œil sur l'histoire d'Angleterre sons le règne d'Henri VIII. —
Quelques traits du caractère de ce roi. — Anne de Boleyn , Wolsey,
Cranmer. — Tragédie de Morus , de Cliénier. — Celle de Shakespear.
— Analyse de celle de Silvio Pellico. — Jugement sur cet ouvrage.
Il n'entre guère , peot-êlre , dans notre plan de s'occuper
de tragi'dics. Mais celle qni sort de la plume de Pellico me'-
rite une exception. Cominent ne pasde'sirer de connaître toutes
ces productions , qui sont le fruit de l'âme ardente et du cœur
religieux, qui a raconte' avec cette douce e'ioquence, avec celte
re'signation clire'tienne, dix ans de prison passe's dans le Sp'.el-
Lerg? D'ailleurs, le sujet lui-même entre dans nos travaux; les
troubles suscite's en Angleterre par le schisme, les emporte-
mens du roi Henri, le supplice qu'il inflige à son chancelier,
parce qu'il ne veut pas reconnaître sa ridicule supre'matie re-
ligieuse; tout cela constitue un trait d'histoire curieux à oL-
«erver. C'est l'acte de martyre d'un saint.
Il est peu d'e'poques dans l'histoire, aussi fortement nuan-
cées, aussi pleines d'e've'ncmens , aussi dramatiques, que celle
d'Henri VHI, roi d'Angleterre. Quel homme , que Henri VIII !
C'est d'abord un jeune et brillant cavalier , étalant, au milieu
des plaisirs, celle geoe'rosité, cette noblesse, ce cordial aban-
don, qui donnent si bel air h un prince. Catherine d'Aragon,
son épouse, plus âgée que lui de six ans, porte dans toute
sa physionomie celte expression de vertu avenante, qui brille
T. X. 8
114 TRAGÉDIE DE THOMAS MORUS.
plas qu'une couronne, et se'dait mieux que la beauté'. Femme
ange'lique ! elle aura de bons et de mauvais jours : « Pendant
» vingt ans elle sera suspendue, comme un joyau précieux,
» au cou de Henri , sans rien perdre de son lustre ; elle l'ai-
» mera de cet amour divin et pur, dont les esprits célestes
» aiment les bommes de bien; et, lorsque le plus grand
» revers l'accablera , elle be'nira encore le roi qui l'aura
1) frappe'e (i). »
Les anne'es passent, et Henri , bouillant de passions et d'in-
coîistance, s'abandonne, comme un enfant, à toutes les folles
joies que le cardinal Wclsey sème sur sa route. Fils d'un bou-
eber d'Ipswik , e'ieve' par l'intrigue , cherchant à surpasser par
son faste le roi dont il a capte' la faveur, Wolsey règne seul
à Greemvich et à Londres. A qui lui apporterait la tiare, on
ne sait ce qu'il donnerait. A Charles-Quint il promet son al-
liance ; a François F' une paix honorable, et pour Henri, il
n'est pas d'e'garemens dont il ne cherche à Fe'toui'dir. Les sa-
lons de Wolsey resplendissent de feux et d'or; des accords eni-
vrans, des vins exquis, des beaute's charmantes en renouvellent
sans cesse la magie et les se'ductions. Or, Catherine , la vertueuse
épouse , ignore ces ruses de la coquetterie , cette causerie fo-
lâtre et ce mane'ge hypocrite , auquel la verve d'un esprit ma-
lin et rieur donne une agacerie piquante et une apparente
ingénuité', Catherine n'est que vertueuse et bonne, tandis que
ses filles d honneur ont je ne sais quoi d'astucieux et de perfide
qui va mieux au roi. Anne Boleyn , surtout , tout nouvellement
débarquée de Calais, avec les bonnes manières et les coutu-
mes peu scrupuleuses de la cour de France , Anne Boleyn est
charmante, malgré les six doigts de sa main droite, ses dents
mal rangées et les tumeurs de son cou , qu'elle dissimule
gentiment sous une fraise à dentelle. Mais depuis qu'elle a tou-
ché le sol anglais, Anne Boleyn s'est amendée, et elle est de-
venue réservée et dévolieuse.
Des remords de conscience eu viennent au roi j il se souvient
(i) Shakespear's fForsks. — Henri FUI.
TRAGÉDIE DE THOMAS BIORUS. 115
que Catherine d'Aragon était veuve de son frère lorsqu'il la
prit à femme; et, en sa qualité de tlie'ologien, il n'a pas oublié
que le Léi^iticjue prohibait, au temps de Moïse, de semblables
unions. Vainement cherche-t-on à le rassurer par le chapitre
du Deuu'ronome , qui ordonnait au frère d'épouser la veuve
de son frère, lorsque celui-ci n'avait pas eu d'enfant, Henri a
une conscience timorée et craintive; il a éprouvé des alarmes,
des sfiulérèses , et le Bcutcronome , pas plus que la dispense
du Pape, ne peut rendre à sou âme le calme et le sommeil.
Mais, ici, le mépris fait place à l'indignation; Catherine est
traînée devant un tribunal , dont elle renie fièrement la com-
pétence. Épouse outragée, elle a des paroles d'oubli pour les
injures , mais aussi une éloquence d'entraînement contre la
honte et l'humiliation qu'on veut lui imposer : ce n'est plus
seulement une épouse : c'est une mèi'e , c'est une reine! Le
tribunal hésite ; la passion ne peut s'accommoder d'attendre ,
et Henri épouse Anne Bolcyn , la luiquenée de V Angleterre ,
comme on l'appelait toute jeune a la cour de France; l'ambi-
tion, l'hypocrisie, l'impudicité ne craignent pas de ceindre la
couronne qu'on vient d'arracher à la vertu !
Ici commence toute une ère nouvelle pour la vieille patrie
des Edouard et des Dunstan. A Wolsey vient de succéder Cran-
mer , vil intrigant, courtisan insidieux et souple, évoque, qui
changea dix-sept fols de religion, et se lit un jeu de l'adula-
tion et de l'ingratitude , suivant l'intérêt du moment et les in-
spirations de la cour. Agent dévoué des passions d'Henri, il a
quêté par tout le monde chrétien des consultations , des uni-
versités et des docteurs en faveur du divorce de son maître;
puis, lorsque le maître est las des retards que Rome apporte
à le contenter, Cranmer se trouve là pour fouler aux pieds
tous les droits de la hiérarchie catholique , et pour répudier
la juridiction d'un pontife qui ose parler de justice aux capri-
ces des rois. Dès-lors, le masque est déchiré; la vieille religion
de l'Angleterre, cette religion à qui elle doit ses plus beaux
monumens des arts, et même ses lois |)olitiques; celte reli-
gion, qui avait humilié chez elle l'orgueil des despotes, mieux
que ne l'ont pu toutes les remontrances des parlemens, est
8*
IIG TRAGÉDIE DE THOMAS MORUS.
déclarée anti-nationale dans an boudoir, de par une courti-
sane , un roi flétri de de'bauclies et un arclievêquc avide et
rampant. C'est par le même concile , c'est dans le même boa-
doir que les questions de foi sont désormais de'cide'es : On n'ad-
mettra plus que trois sacremens au lieu de sept, ou l'on mourra;
on ne prononcera plus le mot de Pape, ou l'on mourra; on
ne sera plus parent, ami, allié d'un cardinal, ou de toute
antre personne suspecte, ou l'on mourra. Un statut de sang,
hlondy bill, condamne au feu tous ceux qui contesteront le
moindre article du symbole nouveau; et, afin d'enche'rir sur
l'inquisition , aucune re'tractalion ne devra être admise.
Alors on vit d'affreuses choses : catholiques, luthe'riens, ana-
baptistes e'taient traînes sur des claies par les rues de Londres;
il y en avait qu'on chargeait de bois sec, et qu'on prenait plai-
sir h voir se de'battre contre le feu ; la vieille comtesse de Sa-
lisbury e'tait hache'e sur l'e'cbafaud, oii elle refusa toujours de
pre'senter sa tête au supplice : la jeune et belle Anne Askew
expirait au milieu des tortures pour avoir voulu discuter sa
religion; Thomas Morus et le ve'ne'rable Fisber allèrent au mar-
tyre comme les fidèles de la primitive Eglise; enfin, 72,000
individus, de tout cage et de tout sexe, e'taient offerts en ho-
locauste aux amours du l'oi !
Henri VIII avait toujours eu la manie de la the'ologie; long-
temps avant qu'Anne Boleyn le de'tachât de la communion ro-
maine, il s'e'tait e'vertué k combattre Luther; et son livre,
De septem sacramentis contra Martinurn Luther uni, lui avait
valu le titre de défenseur de la foi. Une fois devenu pontife,
son humeur the'ologique n'en fut que plus beliige'rante ; il
e'tait prêt à rompre des lances conti'e tout venant. Or, un pau-
vre maître d'école de Londres, Lambert, eut l'imprudence de
s'essayer avec un aussi rude jouteur. La controverse fut vive
de part et d^autre ; elle durait depuis cinq heures; lorsque,
tout-à-coup, le roi résumant en deux mots la discussion:
« Veux-tu vivre ou mourir?» dit-il à Lambert : Lambert pré-
féra la mort.
En même temps les coffres royaux , tant de fois épuisés ,
s'emplissaient des dépouilles des catholiques. Ce n'était pas assez
TRAGÉDIE DE THOMAS MORUS. 117
tle tuer, il fallait tout flétrir par la calomnie. Thomas Cromwell
digne suppôt du roi , avait reçu ordre de parcourir l'Angleterre,
et de mellre au grand jour toutes les turpitudes qu'il lui plai-
rait attribuer aux religieux et religieuses. Le livre de Cromwell
fait horreur; il n'est pas d'abominations sous le soleil qui ne
fussent, suivant lui , commises journellement dans les sanctuai-
res. Les moines e'taient des monstres , les nonnes pis que des
prostitue'es ; et ce n'e'lait pas encore tout : ces monstres , ces
prostitue'es rugissaient dans le plus abrutissant esclavage, et
soupiraient après le jour où leurs fers seraient ])rise's. Eh bien !
les fers furent brise's, et les esclaves ne bougèrent; on leur
ordonna, de par le roi, de quitter ces cloîtres, qui ne leur
rappelaient que d'affligeans souvenii's , et ils ne bougèrent j
stupides! Il fallut des hallebardiers et des coups de crosse pour
leur faire goûter la liberté' !
Alors sortit du ne'ant une foule de gens sans aveu , pour venir
prendre leur part de cette honteuse cure'e; une cuisinière, re-
çut toute une abbaye , comme re'compense d'uu pudding qu'elle
avait fait au gre' du roi. Ces nouveaux riches , associes aux de'-
pre'datlons du maître, se firent les apologistes de sa tyrannie.
Fiers de leurs tre'sors, jaloux des vieilles familles, qui ne leur
accordaieiit qu'une moyenne conside'ralion , il n'était pas de
violence dont ils ne se fissent les apôtres. Tout ce qui e'tait
plus ancien qu'eux, tout ce qui e'tait mieux acquis que leur
fortune les blessait. Aussi, eut-il fallu, pour leur plaire, tout
bouleverser, tout changer! Ajoutez que ces fortunes raj)ides et
honteusement e'cliues , devinrent un dissolvant actif pour les
mœurs; alors on vit, sans doute, les vieux sanctuaires souil-
les parla de'bauche ; des danses lascives troublèrent le sommeil
de la tombe, et les cloîtres gothiques retentirent nuit et jour
des clameurs des orgies, pendant que les vieilles reliques, les
châsses des saints , les religieux monumens de la statuaire ,
formaient d'e'clatans feux de joie au milieu de ces troupes hi-
deuses et dissolues.
Or , prenez garde que tout cela s'est passe' à la face du monde,
et que les protestans eux-mêmes n'ont pu le nier. Bayle lui-
même, le sceptique Bayle, îe fauteur de tout ce qui e'tait anti-
] 18 TRAGÉDIE DE THOMAS MORUS.
catholique a été ol>!igé de reconnaître que le portrait d'Anne
Boleyn , par le grand e'vêque de Meaux., n'était pas charge' :
or , Bossuet disait :
« Quand on voudrait la justifier des infamies dont ses fa-
voris la chargèrent en mouraiit, M. Burnet ne nie pas que son
enjouement ne fut immodeste, se^ libertés indiscrètes , sa con-
duite irrégnlière et licencieuse. On ne vit jamais une honnête
femme, pour ne pas dire une reine, souffrir des déclarations
telles que des gens de toute qualité, même de la plus basse,
en firent à cette princesse (i). »
Anne Boleyn jouit peu de sa grandeur et de son crime. lo-
souciense et dévergondée , elle porta sur le trône l'adultère et
linceste; puis une rivale s'éleva contre elle comme elle s'était
élevée contre Catherine d'Aragon , et ii lui fallut périr par ordre
de son époux, et par arrêt d'un tribunal présidé par le duc de
Norfolk son oncle.
Jeanne Seymour, qui lui succéda, mourut en couches au
bout de neuf mois : Anne de Clèves ne plut jamais à Henri j
c'était une gros<:e cavale flamande^ disait-il; le divorce en fit
justice. Catherine Howard était jeune et jolie comme Anne
Boleyn ; elle fut légère comme elle , et porta comme elle sa tête
sur l'échafaud avec ses parens et ses complices. Enfin Catherine
Parr fut assez heureuse pour mettre un terme aux inconstan-
ces du tyran, mais bien- lui prit d'être souple et menteuse,
car deux fois la mort plana sur sa tête. A mesure qu'Henri
avançait en âge, il devenait plus lourdement stupide; le sr.ng
et la débauche en avaient fait une niasse informe d'une obésité
repoussante, oii le clignotement de deux yeux rouges révélait
seul qu'il y avait encore là une âme qui vivait et qui souffrait.
Une profonde jalousie , une jalousie qui dégénérait en habi-
tude, torturait incessamment cette âme; elle devenait plus
sou])çonnense à mesure que ses forces s'en allaient; ses seuls
mouvemeiis, ses dernières inspirations n'étaient plus que pour
des condamnations à mort, ou pour des modifications à la
(i) Histoire des Farialions , liv. vu.
TRAGÉDIE DE THOMAS MORUS. 119
religion de l'Etat, qa'i! avait déjà vingt fois modifie'e. On était
en 1547; '^ jeune comte de Surrey venait de mourir pour
expier le pre'tendu crime d'opposition à la reine; son père le
duc de Norfolk allait le suivre, loi'sque Henri tre'passa. Suivant
quelques-uns ses dernières paroles furent : nous avorta perdu
l'état, la conscience et le ciel. Suivant le plus grand nombre,
affaissé , frappe' encore vivant d'une de'composition ge'ne'rale ,
il arriva au dernier terme comme la brute, sans sentiment,
sans espoir et sans regret.
Si maintenant on voulait s'e'lever à de bautes conside'rations ,
quelle e'poque serait plus curieuse h e'tudier que cette transition
de la vieille à la nouvelle Angleterre? que ces persécutions de
la reine Marie et de la reine Elisabeth répondant à celles de
leur père? que cet abaissement du parlement anglais sanction-
nant tous les excès, toutes les turpitudes du maître, le trai-
tant de doux et clément [gentle and merci fui) au moment on
la potence et le bourreau ne pouvaient suffire au nombre des
victimes, et surpassant tout le comble de servilité auquel se
prostitua plus tard le parlement-croupion de Cromwell ! Tous
les troubles de l'Angleterre, toutes les luttes intestines, tout
le sang qui l'a inondée depuis le seizième siècle, accusent la
mémoire d'Henri et d'Anne Boleyn. Et si parmi toutes les na-
tions civilisées de rEuroj)e, l'Angleterre est la seule qui re-
produise l'aspect hideux de Tltide avec ses ])arias et ses fakirs;
si elle est intolérante, si chaque année il lui faut de nouvelles
lois pour assujettir des esclaves autrement impatiens du joug
que les religieux et que les nonnes, dites, quelle en est la
cause, si ce n'est Henri VIII et Anne Boleyn? Nous pourrions
suivre ce parallèle de l'Angleterre telle que l'avait ftiite le ca-
tholicisme, et de l'Angleterre telle que l'a faite la réforme, et
nous arriverions, comme Cobbetl , à cette conséquence que
tout ce qu'il y a de grand chez elle , tout ce qui lui a donné
un empire si puissant sur un grand nombre de peuples, lois
civiles et politiques, hiérarchie sociale , équilibre des pouvoirs
de l'Etat , tout cela est antérieur à la réforme ; et que tons les
abus qui la minent sourdement , le paupérisme qui s'est attaché
a elle comme la gangrène , les biens ecclésiastiques se perpé-
120 TRAGÉDIE DE THOMAS MORUS.
tuant dans lîes familles privilégiées, stipule's comme dot dans
les mariages , se transmettant de père en fils par voie he're'di-
taire , servant à nourrir la corpuleuse oisiveté des pontifes , qui
ont leur famille à pourvoir avant de songer à leur troupeau j
tout cela est poste'ricur à la reforme.
Aussi , pour embrasser une pareille e'poque, pour la rendre
avec toute sa ve'rité originale , avec toutes ses anomalies de ca-
ractère , tontes ses passions et toutes ses erreurs, il faut un de
ces ge'nies profonds qui sachent saisir le crime au milieu des
transformations par lesquelles il s'efforce , nouveau Prote'e , d'e'-
chapper à une investigation se'vère ; un ge'nie qui sache le de'-
voiler, mettre à nu ses fibres palpitantes, et s'effrayer lui-même
de sa difformité' et de sa laideur. D'un autre côte', Henri VIII
est un de ces hommes qu'il faut prendre dans leur entier, car
tout inconse'quens qu'ils soient, toutes les actions de leur vie
se re'pondent ; il faut suivre le labyrinthe de leurs pense'esj
monter avec eux d échelon en échelon dans la voie de perdi-
tion qu'ils ont prise, afin de se rendre mieux compte de leurs
aberrations, de mieux comprendre tout ce que leur passage sur
la terre a eu de bizarre et d'extravagant. Ajoutons qu'il est utile
à la morale de voir où l'orgueil , où un vil libertinage , oh une
ambition démesurée, conduisent les peuples et les rois. Si vous
ne prenez qu'un des épisodes de la vie de Henri VIII , cet
épisode isolé de ses antécédens et de ses suites , n'est plus qu'un
fait mort, et dont le tableau ne peut en rien servir à l'intelli-
gence des temps et des personnages. Lisez par exemple
VHenri VllI de Chénier; l'auteur, imbu de préjugés anti-ca-
tholiques, a voulu relever^ ennoblir le caractère d Anne Boleyn;
et ce lui a été chose facile, en mettant de côté, et la jeunesse
perdue de celte femme à la cour de France, et ses intrigues
pour culbuter du trône la reine sa bienfaitrice, et les exécu-
tions sanglantes auxquelles elle prêta la main. Il l'a prise dans
son cachot, seule avec la fille qu'elle a eue de ce roi qui la
persécute , flétrie dans son honneur par l'arrêt qui déclare cette
fille illégitime, déçue de toutes ses espérances par la condam-
nation qui vient d'être prononcée contre elle, à être pendue ^
ou être écarteléc , suivant le bon plaisir du roi, et, quelque
TRA.GÉDIE DE THOMAS M0RU9. 121
coapable que soit une malheureuse cre'atare , il est impossible
que dans une telle position elle n'e'meuve et ne fasse Terser
des larmes. Ce sont là, sans doute, d'heureuses combinaisons
tragiques, mais pour de l'histoire, non. Quand on veut faire
une trage'die historique, il ne faut tenir compte de l'anatlième
de Boileau, mais s'attacher à tout un individu, comme Sha-
kespear à la vie et la mort de Richard lll.
Shakespear cependant a fait une trage'die d'Henri VIII, et
c'est un de ses moins bons ouvrages. La cause en est simple;
celte trage'die e'tait e'crite sous les yeux d'Elisabeth , fille d Henri
et d'Anne Roleyn ; elle devait être repre'sentee devant cette prin-
cesse , et dès-lors il e'tait ne'cessaire d'atte'auer les nuances pour
flatter et re'ussir. Shakespear n'a embrasse que douze années
de la vie d'Henri VIII : sa jeunesse , les folles joies auxquelles
l'entraîna le cardinal V^'olsey , la mort de Buckingham , le di-
vorce avec Catlierine d'Aragon, le mariage avec Anne Boleyn,
et la pièce est termine'e par le pompeux appareil des re'jouis-
sances qui ce'le'hrèrent la naissance d'Elisabeth. Ce qu'il y a de
Lien dans cet ouvrage, c'est la dignité parfaite de Catherine;
ici la ve'rite' a e'té plus forte que l'adulation; Catherine est
grande , est sublime, lorsqu'Iienri VIII la contraignant à par-
ler devant les cardinaux charges de f instruction du divorce , elle
se lève et dit :
a Sire , je vous demande de me rendre la justice qui m'est
» due, et je vous conjure de m'accorder votre pitié', car je
» suis une femme des plus infortune'es et une faible e'irangère.
» He'las, Sire, en quoi vous ai-je offense' ? quelle faute dans
» ma conduite a pu m'attirer votre courroux, que vous ea
» veniez à celte pi^oce'dure pour me rejeter et retirer de moi
» vos bonnes grâces? Le Ciel m'est te'moin que j'ai e'te pour
» vous une e'pouse fidèle et soumise, qui, dansions les temps,
» s'est pliee à vos volonte's , qui toujours a craint d'e'veiller ea
« vous le moindre dc'plaisir ; et je poussais l'obéissance jusqu'à
» me conformera votre humeur, triste ou gaie, suivant que
» je vous voyais enclin à la joie ou à la me'lancolie. Quand est
>' il arrive' que j'aie contredit vos de'sirs, ou que je n'en aie
» pas fait les miens ? Quel homme e'tait votre ami , que je ne
122 TRAGÉDIE DE THOMAS MORUS.
» me sois pas efforcée d'aimer, même lorsque je savais qu'il
» e'tait mon ennemi? et qui de mes amis a conserve mes bon-
» nés grâces après qu'il avait perdu les vôtres?.... Sire, rappe*
» lez à votre souvenir que j'ai e'te' votre épouse , fidèle à
» cette obëissance , sans re'serve , pendant l'espace de plus de
» vingt anne'es , et que le Ciel m'a accordé d'être mère de plu-
» sieurs enfans de vous. Si, durant tout le cours de cette lon-
» gue suite d'anne'es , vous pouvez citer quelques reproches
» contre mon honneur, contre le nœud conjugal, quelque
» occasion où. j'aie manque' d'amour et de respect envers vo-
)) tre personne sacrée, au nom de Dieu, repoussez-moi hau-
» tement, et que le mépris le plus ignominieux me ferme la
» porte Du moins, Sire, je vous conjure humblement de
» m'épargner jusqu'à ce que j'aie envoyé en Espagne consulter
» mes amis, dont je vais implorer les conseils. Si vous le re-
» fusez, au nom de Dieu, que votre volonté s'accomplisse (i).
Et lorsque , insultée par Wolsey , elle s'écrie avec indigna-
tion : « Cardinal , je suis prête à pleurer ; je croyais pourtant
» être reine, ou du moins j'ai rêvé long-temps que je l'étais.»
La dernière scène du 4" acte, où Catherine délaissée à Kim-
bulton , passe doucement de vie à trépas, sans effort, sans lar-
mes , au bruit lointain des applandissemens qui accueillent le
triomphe de sa rivale, est entraînante d'émotion. On ne peut
s'étonner que Johnson la mette au-dessus de tout ce qu'il y a
de beautés dans les tragédies de Shakespear , et peut-être au-
dessus de toute scène d aucun autre poète.
Le caractère d'Henri VIIÏ, dans Shakespear, est manqué ;
c'est un juste-milieu, terne et faux ; on reconnaît que le poète
avait à parler du père d'Elisabeth. Pour Anne Boleyn , il a
parfaitement saisi , dans les premières scènes , cette humeur
folâtre et rieuse que lui prête l'histoire ; mais il en a trop
fait une jeune fille candide, et trop pris Thypocrisie pour de
l'ingénuité , et lorsque le poète met dans la bouche de l'im-
pur Cranmer une espèce de prophétie , qui annonce à la fille
(i) Shakcspear's fVorsks. — Hcnrj FUI , act. ii , se. 4-
TRAGÉDIE DE THOaiAS MORUS. 123
d'Anne Boleyn , toutes les vertus qu'elle a de'naenties par la
suite , depuis la virginùé du Phénix , jusqu'à la douceur , on est
pris d'une grande pitié' pour le degré' de bassesse auquel peut
se ravaler ce qu'il y a de plus grand parmi les hommes , le
ge'nie.
Venons maintenant à Pellico ; il s'est restreint au procès et
à l'exe'cution de Thomas Morus , et l'on a pu voir que cette ma-
nière de traiter l'histoire ne me semble pas la plus parfaite.
Le martyre du chancelier et de l'e'vêque Fisher, est un des
plus beaux triomphes du catholicisme, depuis les premiers siè-
cles; mais combien ne saillirait-il pas davantage, si, en face
de ces deux hommes si dignes et si re've're's , en pre'sence de
leurs angoisses , de leur torture, de leur supplice , Pellico avait
tracé d'un pinceau e'nergique , toutes les folles joies de leurs
oppresseurs ; s'il avait traduit sur la scène, pieds et poings
lie's, cet anglicanisme naissant avec ses bizarreries, ses inco-
he'rences , son immoralité' honteuse, personnifie'e dans Henri
et Cranmer ? Ne pouvait-il pas prendre à tâche de de'voiler tout
ce que l'habitude de l'ambilion et de la de'bauche jette d'in-
sensibilité' dans le cœur naturellement le plus sensible , celui
de la femme? com])ien la foi est intimement lie'e à la pratique des
vertus qu'elle enseigne, et combien , lorsque ces vertus viennent
à manquer, la foi s'e'tiole vite ? Toutes ces e'tiules morales et
])ien d'autres, eussent pu trouver place dans la trage'die de
Pellico. C'aurait e'te' Anne Boleyn , c'aurait e'te' Henri et l'e'vê-
que Cranmer, vivant ])ubliquement dans le concubinage, et
mettant la religion à l'enchère; puis, lorsque cette longue suite
de crimes et d'abrutissemens , aurait jeté' le de'sespoir dans
lame du spectateur; lorsque, perdu au milieu de cette mer
houleuse des passions, il se serait ccrie comme le prophète,
undè i^cniet auxUiwn milii ? alors , la belle et noble figure du
chancoh'er se serait leve'e d'autant plus grande (jue les autres
se seraient montre'es plus viles : l'effet dramatique, comme l'ef-
fet moral, y eiit gagne', et tous les applaudissemeus qui ont
entraîne' l'admiration pour la vertu souffrante , eussent acquis
une nouvelle force de l'horreur cause'e par le vice hideux et
couronne'.
124 TRAGÉDIE DE THOMAS MORUS.
Mais Pellico a une belle âme, une trop belle âme pour com-
Tîrendre la fausseté' , l'ambition , l'ori^ueil avec toutes leurs nuan-
ces diverses; demandez-lui des e'raotions douces, et il vous en-
chantera, car il a un excellent cœur ; mais cet excellent cœur
se prête mal à l'ide'e de ce qui n'est pas noble et pur. Aussi le
crime, tel qu'il le repre'seute dans ses ouvrages, n'est-il pas
conçu profonde'ment ? son Henri VllI, n'est pas assez caracte'-
risé , et il n'a su comprendre Anne Boleyn, que repentante et
mise'ricordieuse. Pour Thomas Morus, c'est la belle partie de
la trage'die de Pellico; c'est-à-dire, que c'est beau, très-beau :
je regrette cependant que le poète n'ait pas cliercbe' à repro-
duire davantage tous les traits distinctifs du chancelier, dans
l'histoire. A une austérité' de mœurs remarquable , et à cette
hauteur de pense'e , apanage ordinaire des philosophes chre'-
fiens , Morus savait joindre une gaieté' franche et cordiale , qui
ne l'abandonna même pas dans sa prison ; ses re'parties e'taient
vives , et revêtant le plus souvent une couleur originale : la
justice m'est si chère , disait-il un jour à un plaideur de'sap-
pointe', que si mou père plaidait contre le diable^ et qu'il eût
tort, je le condamnerais sans hésiter. C'est encore lui qui disait :
je suisjîls de Thémis , et aussi ai'eugle que ma mère. Pendant
l'instruction de son procès, lorsqu'on lui pre'senta le statut du
parlement, qui ordonnait de prêter serment à la supre'matie
du roi : cest une arme à deux tranchans , répondit Morus,
elle tue l'âme ou le corps. A cela ou lui fit observer qu'il ne
devait pas se réputer plus habile que le grand conseil d'An-
gleteri'e; j'ai pour moi, re'pliqua 51orus, le grand conseil des
chrétiens , qui est toute l'Eglise ; tout cela est historique , et
je suis e'ionne' que Pellico ne l'ait pas reproduit dans son œu-
vre. Un pareil dialogue aurait mieux fait connaître le chancelier ,
que les scènes les plus brillantes de vie et d'e'clat.
Le premier personnage de la trage'die de Pellico , qui pa-
raît sur le the'âtre , est Anne Boleyn , ou, comme l'appelle la
langue mélodieuse de VliaVie , Anna Bulena. Naturellement ge'-
néreuse , lasse de voir le sang couler pour elle, elle voudrait sau-
ver Morus, mais la colère du roi l'effraye , mais elle est femme ,
et l'opposition du chancelier à son mariage l'a profondément
TRAGÉDIE DE THOMAS MORUS. 125
outragée. Un vieux magistrat , enclin à la vertu lorsque la verta
ne risque pas de le compromettre , profite des he'sitations de
la malheureuse Anne pour lexclteràla pitié'; il lui vepre'sente
les malheurs , qui affligent le royaume , et tous ces malheurs
lui sont attribue's par la foule. La fille de Morus, Marguerite ^
se précipite alors dans l'appartement de la reine; elle implore
la grâce de voir son père.
« Pourquoi mon père , s'e'crie-t-elle, est-il retenu depuis un an
» entre ces murs exe'crables? n'est-ce pas pour vous avoir de-
» plu? Eh bien! soyez-lui miséricordieuse ; que la franchise de
» ses sentimens, que ses pense'es magnanimes, vous e'meuvent de
» compassion et de respect ! ne donnez pas le nom de crime à
» son opposition loyale et sans haine contre vous ; si l'ardeur
» de son zèle l'a entraîne' trop loin lorsqu'il a exprime' combien
V il de'sapprouvait votre union avec le roi, songez que , s'il se
» trompait, c'e'tait par amour de la patrie, de la justice et
» de vous-même! oui , de vous ! Mon père ne fut pas le seul à
» craindre que cette union ne vous devînt funeste ; plus d'un
» ami s'efforça de vous en de'tonrner ;.... ne vous irritez pas
» de mes paroles,.... e'coutez... Puisque Dieu a permis cette
» union tant redoutc'e , du moins qu'il la be'nisse; mais il ne
» pourra jamais la be'nir, si Anne Boleyn ne devient elle-même
» un ange , si les justes pe'rissent pour sa cause , si mon père,
» le plus fidèle des ministres du roi, est traité comme un cri-
» minel ! »
Je ne connais personne comme Pellico pour rendre les ca-
ractères du cœur : lorsque Marguerite dit à Anne Boleyn :
Dieu ne pourra bénir votre union si Anne Boleyn ne des^ient
un ange , elle est sublime ; aussi , ne nous e'tonnons pas de
voir Anne Boleyn s'associer aux douleurs de Marguerite. Mais
ici apparaît la hideuse figure du roi; il s'indigne de voir la fille
d'un traître dans son palais ; et c'est à grande peine qu'Anne
Boleyn parvient h faire rentrer le calme dans cette âme agitée,
comme la harpe de David dans l'esprit égaré de Saiil, Mais le
farouche, le perfide Henri, ne peut accorder une grâce qu'a-
vec une bienveillance hypocrite ; on vient de lui annoncer la
condamnation de l'évêque Fisber, l'ami de Morus, et il veut
126 TRAGÉDIE DE THOMAS MORUS.
profiter de cette circonstance pour vaincre le chancelier , il veut
lui offrir la grâce de Fislier , à condition que lui-même il prê-
tera le serment voulu ; insensible à ses propres dangers, pourra-
t-il être insensible à ceux des autres?
Au second acte nous sommes transporle's dans la prison de
Morus. Les douleurs d'un cacliot affreux, les privations de tou-
tes sortes , auxquelles il est condamne' , ont ruine' ses forces phy-
siques , mais laisse' toute son ancienne vigueur à son âme. Père
tendre , ëpoux inconsolé , il promène de tristes regards sur sa
famille , dont il est se'pare' pour toujours ; mais il a foi dans
la bonté' de la Providence , et il confie tout ce qui lui est cher
à sa mise'ricorde. Il est là , le malheureux vieillard , priant et
calme , lorsque tout- à-coup sa fille est dans ses bras. Des pleurs
inondent son visage; depuis un an on avait interdit i entre'e de
sa prison à sa famille : serait-ce donc que sa constance a
enfia lasse' ses perse'cuteurs ? Mais sa fille ne lui a e'té envoye'e
que pour mieux e'branler son courage. Pauvre enfant ! elle voit
avant tout les souffrances de son père ; et son père voit quel-
que chose au-dessus : son devoir! Les supplications de Margue-
rite lui semblent peu dignes de sa fille ; il les repousse avec
douceur , mais Marguerite insiste ; elle lui peint sa famille aban-
donne'e, ses enfans sans secours, son ami, le vertueux Fisber,
pe'rissant sur l'e'chafaud , parce que , lui , Morus , n'aura pas
voulu le sauver. Mais, à cela , le chancelier élève sa voix forte
et puissante : « Faudra-t-il donc, s'écrie-t il , que je demande à
» mon cœur brisé des paroles pleines de l'autorité d'un père
» pour les faire entendre à ma fille ? Cesse , m'entends-ta ,
» cesse de m'exciter à une bassesse ! un oflice aussi vil convient
)) mal à ma fille! Ignores-tu, cruelle, que tes accens si chers, tes
» larmes, le douloureux tableau de ma famille désolée, l'horrible
» idée du coutelas suspendu sur la tète de mon meilleur ami ,
)> sont un tourment au-dessus de mes forces?
» Marguerite : Mon père !
» Morus : N'achève pas ; essuyons tous les deux d'aussi in-
» dignes larmes; retourne vers le roi avec plus de courage;
» montre-toi fille de Morus; dis-lai, que je n'ai jamais été son
» ennemi et que je ne le serai jamais ; mais , que s'il m'ordonne
TRAGÉDIE DE THOMAS MORUS. 127
» de briser les autels de mes pères , dabliorrer de nobles et
» excellens amis, et de m'elever, puissant et applaudi, sur
» leurs exils et sur leurs morts.... je ne puis lui obe'ir. »
Morus a triomphe' daus la lutte si poignante des sentimens
du cœur ; sera-t-il plus faible lorsqu'un roi astucieux viendra
le tenter dans son cacliot , et s'efforcera de re'pondre , par des
snbtilite's tbe'ologiques , à ses ge'nëreux scrupules?
Henri YIII a re'solu de parler lui-même a Morus; mais il
ne se dissimule pas toutes les diiîlculte's de cette entrevue ; il
en pre'voit les conse'quences : o domarlo , o estingucrlo , — ou
le dompter, ou le tuer ^ — et il en a pris son parti , ho deciso.
Celte scène culminante du 3" acte, enti'e Henri et Morus, est
grande et belle; le chancelier y conserve tout l'avantage de
IMiorame de conscience et de foi, en pre'sence de l'incrédule
et de l'hypocrite. Après avoir repousse' les raisons captieuses
par lesquelles Henri cherche à justifier son schisme, après avoir
de'peint les malheurs dont il est la cause, Morus continue : «i Si
M un jour , si après ce règne exe'cre , l'Angleterre repousse vos
» traditions iniques, si elle a soif de justice et de tole'rance ,
M l'iionneur ne vous en appartiendra pas. 0 Henri! il sera con-
» signe' à jamais dans l'histoire en caractères de sang, le nom
» de celai qui a impose' un nouveau culte, sous peine des sup-
»> plices et du gibet.
M Henri : Quoi ! tu oses m'adresser tes reproches !
» Morus : Ce ne sont pas les miens , ce sont ceux que l'bis-
» toire fait peser infailliblement sur tout prince cruel , sur
M tous ceux qui outragent la conscience. Du moins , vous pou-
« vez encore déchirer cette page affreuse....
» Henri : Sans doute, en ployant mon front royal devant
H quelque superbe anachorète? je comprends; devant quelque
» imposteur, qui m'ordonnera d'appauvrir mes peuples pour
» expier mes crimes ?
» Morus : Je ne courbe pas mon front devant les imposteurs,
» et pourtant je suis chre'tien et catholique. Eh bien ! vous aussi ,
» prince, vous ne devez courher votre front que devant les
» dignt's ministres de Dieu! ceux-là ne vous imposeront, pour
» rexpialioii de vos fautes, que la vertu! Laissons, laissons lu-
128 TB.VGÉDIE DE THOMAS MORUS.
» sage de tout travestir aux seuls esprits abjects , qui en font
« leur pâture. Ne les voit-on pas aujourd'hui , dans leur aveuqle
» liaine contre ceux qui perse'vèrent dans le culte de leurs
)) aïeux, les noircir d'affreuses couleurs dans leurs peintures?
» Ne vont-ils pas jusqu'à nier la lumière, ou du moins ne
)) s'efForcent-ils pas de l'obscurcir? Qu'il n'en soit pas ainsi de
» vous, prince! qu'il n'en soit pas ainsi! le jugement des âmes
») fortes et sages doit être inde'pendant des jugemens vulgaires.
M /fe;in ; L'Eglise britannique....
y>Moriis : .... avait des ministres indignes, mais elle en avait
» aussi de justement re've're's ; elle avait des troupes d'hypocri-
» tes , mais elle comptait en même temps de sincères adorateurs
» de Dieu. Il fallait purifier cette Eglise, l'e'clairer, et non pas
» l'arroser de sang. »
Le sort de Morus est décidé; il n'a pas encensé l'idole, et
l'idole veut du sang ou des victimes.
Le quatrième acte présente le dégoûtant tableau d'un tribu-
nal où les juges tremblent tous autant devant les regards de
l'accusé que devant les injonctions du maître. Thomas Crom-
well préside la cour ; il interroge les gestes et le visage de
cbacnn de ses membres; il rappelle à l'un son fils, sa femme;
à l'autre, la place qu'il sollicite et que la volonté du roi peut
lui refuser. Automates dociles, les juges cèdent à l'impulsion
de Cromvrell ; et le misérable, après avoir tenté le courage du
cbancelier, après lui avoir dit que son ami Fisher a renié son
Dieu et obtenu sa grâce, après n'avoir retiré de cette infâme
supposition que l'indignation et le mépris du martyr, prononce
la condamnation à mort. C'est alors que Morus fait entendre ces
belles paroles conservées par Pellico.
« De même qu'on vit saint Paul assister au supplice du pre-
» mier martyr, et qu'ils sont aujourd'hui tous les deux dans le
» ciel, ainsi puissent mes juges avoir part an jour avec moi
» à la miséricorde de Dieu ! »
Le cinquième acte est entièrement pris par les détails de
l'exécution de Morus. Une foule nombreuse emplit les rues et
les places; les citoyens se racontent le courage du chancelier
et la douleur de sa famille ; ils sont attendris par l'égarement
TRAGÉDIE DK THOMAS MORUS. 129
de sa fille Marguerite, qui, se'parëe violemment de son père,
appelle et demande du secours. Les passions les plus ge'ne'reu-
ses fermentent dans les cœurs; mais une main invisible en
reprime l'essor ; on se regarde , on fre'mit , on tremLle au seul
nom du roi! Bientôt le chancelier paraît environne' de gardes;
quelques cris de V^we Monts! se font entendre, mais faibles
et isole's au milieu d'un silence de mort. Seul , le vieux ma-
gistrat ne craint point de parler à son heure dernière. Il marche
avec la paix du juste, dit adieu à son toit paternel ; mais tout à
coup de jeunes filles, des enfanss'e'lancent à travers la foule; c'est
la famille de Morus. Ils s'agenouillent autour du martyr, et lui :
« Avec tout ce que njon cœur de père a de force et de pnis-
» sance, mes enfans, je vous be'nis tous, tous d'une e'gale be'-
» ne'diction. »
» Marguerite : Notre mère n'a pu nous accompagner à ce
» dernier adieu.
» Morus : Soyez-lui toujours en aide, ô mes chers enfans !
» environnez-la de respect et d'amour , et Dieu vous en re'com-
» pensera. Supportez avec dignité' et courage la pauvreté' et les
» douleurs; je vous en donne l'exemple. Je ne puis vous laisser
» d'autres tre'sors ; mais cet exemple vous soutiendra. Que vos
» cœurs de'chire's ne me pleurent pas outre mesure; priez pour
M moi et je prierai pour vous; puis , tous ensemble, moi, du
)) haut du ciel, vous, sur la ten e , nous prierons pour notre
» malheureux roi , pour tous ceux qui m'arrachent h vous. Si
» jamais un de mes meurtriers se voyait un jourpre'cipite' dans
» le malheur , s'il hasardait un pied fugitif sur le seuil de votre
» porte, donnez-lui asile, portez-lui secours pour l'amour de
n moi , comme vous le feriez pour uu frère ; car j'ai pardonné
» a tous! »
Et le cortège se remet en route , et le chancelier monte sans
pâlir sur l'e'chafaud, et il renouvelle, à la face du peuple, sa
profession de foi , d'une voix haute et ferme , et meurt en em-
brassant le bourreau.
J'ai supprime , dans l'analyse du cinquième acte , une der-
nière tentative faite auprès de Morus pour obtenir une rétrac-
tation. Ceci m'a paru de trop; on ne s'expose pas trois fois
T. X. 9
130 TRAGÉDIE DE THOMAS MORL'S.
aux refus d'un homme qu'on veut humilier, et que n'ont in-
timide ni le cachot ni la sellette. Morus savait parfaitement
que , sitôt qu'il plierait le genou devant Henri , il aurait sa
grâce , sans que Henri le lui envoyât dire une dernière fois sur
l'e'chafaud.
— Je remarquerai en même temps que les prières de la fille
de Morus , au 2« acte , pour ohtenir que son père prête le
serment exigé, ont quelque chose de pe'nihle. Ce n'est pas
ainsi que les filles et les e'pouses des martyrs parlaient à leurs
e'poux et à leurs pères, au moment où on les traînait à l'ara-
phlthc'âti-e. Pauline, dans Corneille, sollicite hien Polyeucte
de renoncer à la foi qu'il a emhrasse'c, mais Pauline est païenne;
la mère de saint Jean-Chrysostômo suppliait bien son fils de
ne pas l'abandonner, pour aller s'enfuir dans le de'sert ; mais
c'est que la religion n'exigeait pas de S. Jean un pareil sacri-
fice , et d'ailleurs sa mère ne lui demandait qu'une seule chose,
de remettre ses desseins pour quelque temps. — <« Attendez
» au moins le jour de ma mort; peut-être n'est-il pas e'ioigne';
« ceux qui sont jeunes peuvent espe'rer de vieillir ; mais à mon
I) âge, je n'ai plus que la mort à attendre. Quand vous m'au-
.) rez ensevelie dans le tombeau de votre père, et que vous
» aurez re'uni mes os à ses cendres , entreprenez alors d aussi
» longs voyages , et naviguez sur telle mer que vous voudrez,
» personne ne vous en empêchera; mais, pendant que je res-
I) pire encore , supportez ma pre'sence et ne vous ennuyez point
» de vivre avec moi.»
Il faut dire ne'anmoins que la scène dePellico est historique,
sinon de la part de la fille de Morus, du moins de celle de sa
femme ; elle est d'ailleurs traite'e avec trop de naturel et de
charme, pour que ma critique ne soit pas hardie , seulement
sous forme de conjecture. J'aurais de'siré enfin que Pellico s'ins-
pirât de la lecture des actes des martyrs : il y a dans ces vieux
re'cits de la primitive Église des interrogatoires sublimes, et
dont plusieurs traits auraient pu parfaitement s adapter à celai
de Morus.
Nonobstant ces observations , Tomaso Moro n'en est pas
moins an grand et bel ouvrage. Les hautes pense'es , les nobles
ÉTAT DU THÉÂTRE EN FRANGE. 131
sentimens y sont toujours exprimes avec cette e'ioquejice du
cœur, que possède si bien Pellico. On y respire d'un bout à
l'autre, comme dans une atmospbère de vertu, dont le style si
simple, mais si abondant, si moelleux et si facile de 1 auteur
des Prisons , semble comme parfume'. Les anciens disaient que
la poe'sie e'tait le langage des dieux; jamais on ne peut mieux
s'en convaincre qu'en lisant Pellico , en e'coutaut ses douces et
eqivrantes me'lodies.
Eugène de la Gournerie.
ETAT BU THEATRE EN FRANCE,
EXTRAIT d'un ARTICLE DE LA REVUE d'eDIMBOURG.
Le critique anglais après avoir passé en revue les productions de
MM.Victor Hugo et Alexandre Dumas, ajoute les réflexions suivantes :
« Nous insisterons peu sur le me'rite litte'raire de ces œuvres ;
d'abord, parce que c'est sur leur tendance morale , ou plutôt im-
morale, que nous avons voulu appeler l'attention; en second lieu,
parce que le temps nous manquerait : chaque pièce demanderait à
elle seule un article; enfin, parce que cette litte'ralure n'ayant que
la prétention de la pensée , ne doit pas être jugée sous le rapport
poétique. Il est évident que le but des auteurs a e'te' d'émouvoir par
la situation, que ces vieux ressorts de l'ancienne tragédie, la
Terreur et la Pitié, ont e'té sacrifiés à ce que les Italiens appellent
Imbroglio, et qui , à bien dire, convient mieux à une comédie ou
à une farce. Beaumarchais a donné , sinon les premiers, au moins
les plus remarquables exemples de ce style , et ses deux comédies
sont deux morceaux à^ Imbroglio fort amusans, quoique licencieux.
II essaya de continuer le même genre dans la suite qu'il donna à
ces drames. La Mère coupable , qui conservait encore quelque ré-
serve, était pourtant d'un eflet bien pathétique : nous regardons
en ye'rité la Mère coupable comme la coupable mère des extrava-
gances d'Hugo et de Dumas. Mais Beaumarchais touche le senti-
ment avec une graude puissance, et ses imitateurs ne frappent que
parla situation. Celui-là émouvait, ceux ci étonnent. Comme pu-
res œuvres d'art, ces drames ont des défauts si frappans, que nous
ne pouvons les passer sous silence. Le principal , est le peu d'ia-
9*
13^ ETAT DU THEATRE EN FRATVCE.
vention qui pousse les auteurs dans une répétition continuelle et fa-
tigante des mêmes caractères et des mêmes situations. Rien de moins
nouveau que leurs nouveautés, de plus servile que leurs libertés,
de plus menaçant que leurs extravagances. La bâtardise , la séduc-
tion , le rapt , l'adultère , l'inceste ; voilà leurs motifs. — Le poi-
gnard , le poison , la prostitution ; voilà leurs moyens. — Et encore
cela, ils se l'empruntent l'un à l'autre, ou chacun à sol-même, con-
tinuellement , et de la manière la plus monotone.
» Des femmes , que peignent les dix pièces dont nous venons de
parler, huit sont adultères , cinq prostituées de dilTérens ordres,
six victimes de la séduction , et de ces six deux accouchent pres-
que sur la scène. Quatre mères aiment leurs propres fils, ou leurs
gendres , et dans trois cas le crime est consomme'. Onze personna-
ges sont tués, directement ou indirectement , de ceux dont ils sont
aime's ; et dans six de ces pièces les he'ros sont des bâtards ou des
enfans trouvés. Et c'est dans l'espace de trois ans que ces horreurs
se sont accumulées dans dix pièces sur le théâtre de Paris ! Nous
convenons que le crime , et les plus abominables motifs , ont été de
tout temps le domaine de la tragédie. Nous n'oublions pas que les
familles d'Atrée et de Laïus, dans l'antiquité'; — que la Belle pé-
ni tente , Jeanne S/iore , George Barnwell , et tant d'autres dans
les temps modernes, sont des sujets horribles ; mais, pour la plu-
part , ils sont traite's de manière à inculquer des leçons morales. —
Jamais ils ne choquent la décence ; — jamais surtout ils rCallument
de passions criminelles. Dans Us premiers temps du drame anglais,
on trouve des expressions grossières, une scène un peu libre; mais
chez nous le goût moderne a fait justice de ces vieilles et inde'lica-
tes licences. Ce qui nous étonne et nous afflige le plus dans l'état
actuel du drame français , c'est qu'il n'y ait aucune turpitude qui
ne se voie chaque soir , sur chaque théâtre , — qui ne soit jetée à
ce peuple civilise' par les écrivains les plus populaires, pendant qua-
rante , cinquante, soixante représentations; dans le fait, jusqu'à
ce que l'auteur ait eu le temps d'imaginer et d'achever quelque chose
de plus monstrueux. Il nous semble que la conséquence de ce fait,
ou sa cause peut-être , c'est un grand relâchement moral , une grande
dissolution sociale dans la nation qui se pre'cipitc chaque soir vers
ces sources empoisonnées ; et quand nous dirous à nos lecteurs que
ÉTAT DU THÉATKE EN FRASGE. J 33
les deux hommes (i) que nous avons choisis sout les chefs de la litté-
rature française, quand nous leur dirons que des milliers de petits
litte'rateurs n'ont d'autre métier ni d'autre occupation que de ren-
chérir sur les mauvaises qualités de leurs maîtres, ne conviendront-
ils pas avec nous que l'état de l'esprit public en France est un phé-
nomène, un effrayant phe'noraène , que le monde civilise n'avait pas
encore vu? L'influence du théâtre bien dirigée peut être quelque-
fois salutaire, ou au moins innocente; et le long temps pendant le-
quel , en France et en Angleterre , cette influence s'est tenue dans
les limites de la réserve et de la décence , a laisse' les hommes d'état
indécis sur les effets de celle action morale. Mais aujourd'hui cela
devient une passion populaire qui appelle , en vérité , l'atlenlion
des gouvernemens ; et nous verrons qu'en France le gouvernement
se verra force' de censurer le théâtre ou que le the'âtre renversera
le gouvernement et la société. MM. Hugo et Dumas se vantent de
ce que leur génie s'est ainsi élevé sur les ruines de tout contrôle
gouvernemental ; et c'est ainsi encore qu'en Angleterre la licence
repousse toute autorité; mais, sans cette autorité, il n'y a plus
aucune paix domestique , aucune tranquillité publique
» Ce sujet important demanderait ici un grand développement,
mais nous croyons en avoir dit assez pour quiconque désire voir
se conserver un reste de solidité sociale et d'ordre moral chez cette
grande nation qui, par sa position et sa puissance, est destinée à
exercer une si profonde action sur le monde, pour le bien comme
pour le mal. »
(i) Victor Hugo et Alexandre Dumas.
134
CONSIDÉRATIONS ORTHODOXES SUR LE CELIBAT
ECCLÉSIASTIQUE .
PAR M. l'abbé db l'Étang (1).
Lors d'un procès qui a retenti naguère dans les tribunaux, oa
ne demandait la liberté du mariage que pour le prêtre qui voulait
renoncer h ses fonctions : aujourd'hui on va plus loin , et l'on pré-
tend que le prêtre allie le mariage avec l'exercice de son ministère.
Tel est l'esprit d'une brochure qui a paru l'année dernière sous le
titre de Nouvelles Considérations sur le Célibat des Prêtres ; l'au-
teur, qu'on dit être un prêtre, et qui se cachait, sous le nom de
Durosoy , présente l'abolitioa du célibat ecclésiastique comme une
mesure aussi facile que nécessaire ; il donne les moyens d'en venir
à l'exécution. Son plan , dont nous dirons quelque chose à la fia
de cet article , est d'un homme qui traite lestement les matières
les plus graves. Ce n'est point ainsi que procède M. l'abbé de l'E-
tang. 11 commence par produire des témoignages historiques en fa-
veur de l'antiquité de la discipline sur le célibat eccle'siastique. Il
s'est contenté d'interroger les monumens des premiers temps de
l'Eglise ; car on convient assez que , dans les siècles suivans , les
preuves de l'existence de cette discipline sont nombreuses. Le con-
cile de Trente , que l'on pourrait dire avoir fermé sur ce point la
chaîne de la tradition , a porté un canon exprès contre ceux qui
soutiendraient que les prêtres peuvent contracter mariage. Pour
montrer la sagesse de cette décision , l'auteur des Considérations
orthodoxes discute trois questions : Le célibat ecclésiastique peut-il
être aboli ? Doit-il l'être ? Quelle serait pour cela l'autorité com-
pétente ?
Sur la première question , M. de l'Etang prouve que le célibat
ecclésiastique, tenant à la discipline géne'rale de l'Eglise, ne peut
(i) Brocliure in-8". Prix : 2 fr. , et 2 fr. 25 c. franc de port. A Paris,
chez Adi ieii Le Clerc et C« , iiuprioxrurs-iibraires , quai des Âugustins.
SUR LE CÉLIBAT ECCLÉSIASTIQUE. 135
être aboli que par une mesure générale , ou par un coucile uni-
Tersel , ou par le Pape, et qu'une abolition partielle pour la France
est ou un rêve ou une source de scandales et de schismes.
Sur la deuxième question , l'estimable auteur considère le célibat
sous trois aspects, l'aspect religieux , l'aspect social et l'aspect privé.
Que demandent la dignité et l'intégrité de la religion ?
« Voilà que dans notre siècle si profondément empreint dindif-
fe'rentisiuc religieux, on se prend tout à coup dune étrange pas-
sion pour l'honneur de la religion. Chacun prétend à la réputation
de réformateur : on dirait que le peuple veut se idàvG grand-prêtre ;
et, aussi bien, pourquoi non? Il s'est bien fait roi! En entendant
parler de la religion , vous pensez peut-être qu'on va déchirer tou-
tes ces pages si sales d'invectives et de quolibets contre ses dogmes
et son culte , qu'on va interdire ces parodies sacrilèges dont le but
est d'avilir les choses sacre'es? Vous jugez que pour faire respec-
ter la religion il faudrait la respecter soi-même , protéger son sanc-
tuaire , ne pas démolir ses temples , ne pas renverser la croix qu'elle
présente a nos adorations. Que vous êtes dans l'erreur! Ignorez-
vous que pour les maux désespérés il faut des remèdes puissans? Il
s'agit de sauver la religion. He' bien, on vient offrir des épouses à
ses ministres ! En vérité , ou pourrait ne voir là f]u'une indécente
plaisanterie , s'il n'était facile d'apercevoir des intentions mauvai-
ses. Et pourquoi des paroles pacifiques, quand les pensées sont hos-
tiles ? pourquoi ne pas ctre francs ? pourquoi ne pas avouer qu'après
avoir en vain tenté d'anéantir la religion par les persécutions, on
tente de le faire par le déshonneur? On n'a pu effrayer; on cher-
che à sc'duire : la hache s'est emousse'e; on tend des pleines. Cette
marche , au reste , n'est pas nouvelle : l'Ecriture elle-même nous en
fournit des exemples. Ainsi , les Philistins , ne pouvant dompter
Samson, introduisent près de lui Dalila , pour le gagner par ses
artifices
» Il est de la dignité de la religion que ses ministres soient voués
au célibat, soit à raison de leurs nobles fonctions, soit à cause de
l'opinion des peuples, soit enfin pour obtenir le plus de garanties
possibles dans l'admission aux ordres
» Nos adversaires nous accusent d'injustes défiances. Pourquoi ,
disent-ils , cet effroi sans motifs ? Nous n'avons garde de toucher
136 CONSIDÉRATIONS ORTHODOXES
au dogme; à Dieu ne plaise que nous voulions détruire l'édifice res-
pectable de la religion : nous voulons seulement le rajeunir, en le
débarrassant de ses gothiques ornemcns. Et ne savez-vous pas, ré-
pondrai je , que pour qu'un ancien édifice parle au cœur , il n'y
faut rien clianger, mais lui laisser cette teinte antique qui lui im-
prime tout le charme des souvenirs? Et puis, est-il bien vrai que
vous n'attaquiez que la discipline , en attaquant le célibat ecclésias-
tique ? Ne voyez-vous pas qu'en même temps vous rendez le dogme
moins respectable aux yeux des peuples , et que , sur quelques points
du moins , vous les portez à s'éloigner de la foi. Qu'ont fait les pro-
testans ? En abandonnant le célibat ecclésiastique, ils se sont vus
forcés d'abandonner le dogme : dès qu'ils ont renonce à la virgi-
nité pour eux-mêmes , ils ne l'ont plus voulu reconnaître dans la
Mère de Dieu ; dès qu'ils ont manifesté leur faiblesse en prenant
des épouses, ils se sont sentis incapables de recevoir les aveux de
la faiblesse , et ils ont supprimé la confession. N'en doutez pas, les
mêmes causes produiraient parmi nous les mêmes effets. Si donc
il vous reste quelque attachement pour la foi de vos pères , repoussez
tout ce qui pourrait l'altérer. Tenons à honneur de léguer à nos
derniers neveux les croyances que nous ont léguées nos ancêtres. »
Sous le rapport social se présentent trois questions , la questioa
dépopulation, la question morale, la question financière. D'abord,
nous avons partout surabondance de population, et le le'gislateur
est bien dispensé de chercher à l'accroître ; ensuite , le prêtre marié
perdrait certainement son influence salutaire. Enfin , le clergé est
assez pauvre aujourd'hui : serait-il en état de soutenir une famille,
et ceux qui poussent au mariage des prêtres seraient-ils dispose's à
augmenter, dans cette supposition, le budget du cierge'?
Le célibat eccle'siastique n'est point un joug intolérable, comme
on le suppose ; c'est un état auquel le prêtre s'est soumis par choix ,
et il a des moyens de fidélité'. L'abolition du célibat nuirait au prê-
tre à qui on l'offre ; elle susciterait contre lui des méfiances, et serait
pour lui une source d'inquiétudes pour l'avenir.
Dans la troisième partie de son écrit , M. de TEtang re'fute
spécialement l'auteur des Nouvelles Considérations y celui-ci avait
dit :
« Bientôt l'affaire sera discutée à la chambre , et si la loi passe
SUR LE CÉLIBAT ECCLÉSIASTIQUE. 137
dans le sens que nous l'entendons , le roi sera prie' de prendre
avec Rome les arrangemens convenables... C'est alors que le Souve-
rain-Pontife, voyant les inconvéniens graves qui pourraient résul-
ter pour la religion d'un refus obstiné de sa part, comprendra qu'un
point de discipline ne doit pas mettre toute la religion en pe'ril...
Quant aux moyens à prendre , ils sont faciles : il faut demander
cette délivrance au roi , aux chambres surtout. Nous ne pouvons
conjecturer d'une manière certaine à quel parti s'arrêtera le Saint-
Sie'ge ; mais nous espe'rons qu'il fera un sacrifice aux circonstances
pour le bien de la paix. S'il en e'tait autrement, nous pourrions bien
voir des choses fort de'sagréables ? n
Ne faut-il pas admirer le tact et la mesure d'un prêtre qui fait
intervenir les chambres dans une décision de cette nature, qui veut
qu'on force la main au Pape , et qui le menace de choses fort dés-
agréables. Singulière obstination de ce prêtre , qui se plaint de
l'obstination du Pape! Que l'on remarque aussi ce mot de délivrance ;
il est caractéristique. Pour délivrer l'auteur d'un joug qui lui pèse,
il faut bouleverser toute l'Eglise. Quelle heureuse délivrance ! M.
l'abbé de l'Etang réfute très-bien le plan scandaleux du prêtre dé-
goûte de la sainte sévérité de son état , et finit par des vœux pour
que la France repousse une innovation qui , en avilissant le sacer-
doce et en lui ôtant son influence , nuirait à l'Etat et serait une
source de troubles , de divisions et de désordres. Nous citerons ce
morceau :
« La France repousse le schisme comme elle repousse l'irréligion,
elle a trop long-temps gémi sous le joug de l'impiété qu'on voudrait
lui imposer encore. La France a besoin de relever ses yeux vers le
ciel pour oublier les crimes de la terre , dont elle fut témoin et vic-
time ; elle ne peut donc chercher à se séparer de ses prêtres qui le
lui montrent, ce ciel ; elle ne peut ne pas aimer ses prêtres qui con-
solent ses infortunés et soulagent leurs douleurs. La France doit
avoir perdu les préjugés qu'on lui inspirait contre ses prêtres. On
les lui repre'sentait con)me ses ennemis, et ils se de'voucnt pour elle,
et un fléau récent a montré leur zèle ; on les lui repre'sentait comme
de mauvais citoyens; et elle les voit soumis aux lois; on les lui
représentait comme opposés aux lumières, et eux-mêmes propagent
les lumières , éloignant seulement des jeunes intelligences ce qui
138 DISSERTATION SUR LA. REUABILITATION
n'ornerait l'esprit qu'aux dépens du cœur ; enfin , on repre'sentait
les prêtres comme des hommes ardens, et ils se montrent de mœurs
douces et régulières, exclusivement voués à leurs fonctions saintes.
La France veut-elle que son clergé conserve ces nobles sentimens ?
Qu'elle ne tente rien contre ses institutions , qu'elle n'oublie pas
que c'est à l'affraucliisstment de tout lien mondain qu'il doit et ses
vertus et sou goût pour la retraite. Que la France donc , par ses
organes naturels , s'oppose à toute innovation qui nuirait k lEtat sans
aucun avantage pour les particuliers. »
Cette brochure , bien écrite et bien pensée , est une protestation
contre de funestes tentatives. L'auteur rappelle à propos , dans son
épigraphe , la recommandation faite par le Pape dans son En-
cyclique de conserver et de venger par tous les moyens la loi
importante du célibat sacerdotal. Il est honorable pour lui d'avoir
rempli à cet égard le vœu du Saint Père. — L' Ami de la Reli-
gion , n° 2280.
Dissertation svr la Réhabilitation des Mariages nuls , oit
l'on traite particulièrement des Dispenses in radiée j par
nn professeur en Théologie ( M. l'abbé Carrière, profes-
seur du séminaire de Sl.-Sulpice ) (1).
La première édition de cette dissertation parut en 1828
( 'V. l'Ami de la Religion n° 1461 , tome LVI ). Elle fut favorable-
ment accueillie par les théologiens, et on n'a fait que l'abréger dans
la nouvelle théologie de Bailly en 1829, dans la théologie de Tou-
louse et dans la circulaire de M. l'évêque de Digne sur les confé-
rences ecclésiastiques de i83o. Toutefois, l'estimable et docte au-
teur a voulu revoir encore son ouvrage , et est parvenu à l'améliorer.
Il annonce modestement qu'il a été aidé dans son travail par les
judicieuses observations d'un habile professeiir de théologie.
(i) In-8». Chez Méquignon Junior, rue des Grands-Aiigustins.
DES MARIAGES KULS, ETC. 139
Les augmentations qu'a reçues la Bisserlation forment environ
un tiers en sus. L'auteur a mieux spécifié les divers cas où le ma-
riage peut être nul par défaut de consentement , afin de mieux ex-
pliquer les difi'érentes décisions du droit canonique , principalement
sur l'erreur et la crainte. 11 s'est beaucoup plus étendu sur la nature
des dispenses in radice , et il en a exposé les divers effets avec la
manière dont ils sont produits. C'est la principale addition. Au lieu
d'indiquer seulement , comme dans la première édition , les divers
exemples de dispenses in radice accordées par les Papes , il les a
parcourues en détail pour en faire remarquer les circonstances pro-
pres à jeter du jour sur la question. Il a cherché à expliquer avec
plus de clarté les précautions à prendre pour l'emploi des dispenses
in radice, spécialement pour les cas où il y a lieu d'y recourir au-
jourd'hui en France , et par rapport à la nécessité d'un consente-
ment persévérant, laquelle a été contestée par un théologien dis-
tingué.
On aajouté parmi les pièces justificatives un rescritdeClémentXIII
qui offre un exemple de dispense in radice, et qui est important,
surtout pour fixer le sens de certaines expressions employées dans
les induits que le Saint-Siège a coutume d'accorder aux évêques
pour la dispense de l'empêchement qui résulte des degrés de parenté
ou d'affinité. Enfin ,on a mis une table analytique des matières qui
présente d'un coup-d'œil un résumé de toute la Dissertation.
On sait que cette Dissertation est destinée à servir de suite et
de supplément au Traité des dispenses de Collet , édition de M. Com-
pans. On remarquera que l'habile théologien réfute assez souvent
l'abbé Baston , auteur d'une Concordance des lois civiles et ecclé-
siasticjues sur le Mariage , ouvrage où il y a beaucoup d'esprit,
de savoir et de recherches, mais où il y a aussi des opinions ha-
sardées et hardies. L'abbé Baston était un esprit subtil, mais qui
ne haïssait pas les paradoxes. Il traite, dans cet ouvrage, beaucoup
de questions différentes, et les résout plus par le raisonnement que
par l'autorité. On ne voit pas qu'il cite un seul théologien. Ce qu'il,
y a encore de singulier dans cet ouvrage, c'est quelauteur, ayant
perdu son manuscrit dans un voyage, le refit de mémoire. Il y a
peu d'auteurs qui eussent assez de facilité et assez de patience pour
entreprendre deux fois le même travail. La Concordance est un
in-i2 publié en i^l^. — L'Ami de la Religion , n° i'2']5.
140
COURS D'HISTOIRE
DES ÉTATS EUROPÉENS MODERNES;
Par Frédéric-Samson SCHOELL.
TROISIÈME ET DERNIER ARTICLE (1).
DES FAUSSES DECR^TALES.
Origine des fausses Décrétales. — Diverses collections de canons. —
Recueil d'Isidore Mercator. — Il y a des pièces fausses. — Elles ont
été adoptées par défaut de critique , non par dessein de tromper. —
Leur succès prouve qu'elles n'ont rien innové. — Témoignages du
règne de Charleiuagne.
Je demande aux lecteurs la permission de prendre congé de
cet immense ouvrage. J'y trouverais, depuis le 9^ siècle, plus
de concessions à prendre que d'erreurs à combattre, et J'aurai
d'ailleurs plus d'une occasion d'y revenir indirectement dans
les diverses parties dliistoire eccle'siastique qu'il peut être utile
de traiter. Il importait surtout de rectifier le point de de'part
adopte' par l'auteur, et de dissiper cette vieille fable protes-
tante de l'ancienne et obscure faiblesse du Saint-Sie'ge ; on avait
re'nssi à en faire depuis long-temps un pre'jugé bistorique; le
simple re'cit des principaux e've'nemens a de'montré que la vé-
rité est précisément le contraire. Pour acbever la tâcbe que
je m'étais prescrite , il ne me reste plus qu'à éclaircir la nébu-
leuse influence attribuée aussi sans bésitation aux fausses Dé-
crétales. Nous sommes en France , il en faut convenir, un sin-
gulier peuple; nous admettons avec une inconcevable facilité,
tout ce qui nie, tout ce qui fronde, tout ce qui contredit ,
avec la moindre apparence d'érudition : aussi en doit- on tirer
quelque espérance aujourd'hui : ne fût-ce que par vicissitude,
(i) Voy. ci-d. tom. VIII, p. 36i , et tom. IX, Si;.
DES FAUSSES DÉCRÉTA LES. 141
il nons prendra à la fin fantaisie de jnger re'ellement noas-mê-
mes , et l'esprit de contradiction nous ramènera à la ve'rite'.
En ge'ne'ral , on ne voit qu'un côte des choses ; on e'tudie
l'histoire, quand on l'e'tudie , par de'cou pures , sans suite , sans
ensemble. L'ancienne manière de l'e'crire, d'en morceler l'es-
prit en petits ou longs chapitres de conside'ratious et d'anec-
dotes : cette manière , fort en vogue au isiècle dernier, et si
commode pour l'ignorance des lecteurs et des auteurs , a mis
le comble à la prévention de nos ide'es. Ainsi jamais on ne nous
parle des Décrétales que hors de leur place, hors du cadre
des e've'neraens contemporains et ante'rieurs (i). On ne fait nulle
attention à l'époque qui a prépare' ce recueil fameux : il ne
sera donc pas inutile de retracer en peu de mots ce que nous
dit l'histoire de tous les recueils de canons qui furent re'unis à
cette e'poque , et de l'e'tat ge'ne'ral de l'Eglise chre'tienne.
Dès le règne de Charlemagne on s'e'tait occupe' beaucoup de
travaux de ce genre, et même long-temps auparavant. Il s'e'-
tait fait de'jh vers le milieu du 6* siècle deux collections de
canons , l'une pour l'orient par Jean le scholastique , et Jusli-
nien l'autorisa ; l'autre pour l'occident par Denys-lePetit, à
laquelle il ajouta \es Décrétâtes ou lettres dogmatiques des Pa-
pes. Vers le même temps, peut-être même auparavant, circu-
lait en Espagne une autre collection, antérieure conse'quemment
à S.Isidore de Se'ville , et qu'on lui attribua par la suite. Selon
le père Burriel , cet e'vêque en re'unit ve'ri table ment une, qui
existerait encore (2). il n'est pas du moins de'montre' que S. Isidore
(i) Les lacunes énormes , le manque do méthode et les préjugés , sont
les (léfiuils évidens du peu d'ouvrages qui portent en France le noai
iX Histoire ecclésiastique. L'auteur de cet article s'est attaché depuis long-
temps à cette étude. Il pense que le temps est venu de montrer enfin
le christianisme tel qu'il est et qu'il a toujours été. Il espère ne pas
tarder beaucoup à publier un premier travail , qu'il veut sur-tout ren-
dre utile par sa forme , son cxactitudvO et sa plénitude.
(i) L'auteur de cet article aurait dû consulter la savante Dissertation
publiée par M. do La Sernn-Santander (Prœfatio Jùstorico-crilica in
■veram et gcnuinam collecLioncrn veterum Canonum Ecclesiœ Hispanœ etc.
Briix. 1800, in-S"). V. la nouv. édit. de Butler, t. IV, p. 4-^5 , not. a.
142 COURS d'histoire , PAR SCQOELL.
n'ait pris aucune part au recueil qui porta plus tard son nom,
qui s'accrut de divers supplemens , empruntés en partie à De-
nys-!e-Petit , de De'cre'tales poste'rieures et de conciles tenus
après S. Isidore. Ce recueil , dit M. Scliœll , fut porte' en Gaule
vers le 8" siècle, et il y en a encore des copies e'critcs à cette
e'poque.
Vinrent ensuite les 36 canons de S. Boniface^ au milieu du
niêfue siècle; à ces re'glemens particuliers, qui ne peuvent se
comparer avec les collections pre'ce'dentes , se rattache cepen-
dant un fait inte'ressant. La publication de ces canons paraît
avoir suivi le 5^ concile de Germanie, ou S. Boniface fit lire
les quatre premiers conciles œcume'niques et souscrire aux évê-
ques rassemble's une profession de foi , qu'il envoya au pape
Zacharie. Ce fut l'occasion d'une lettre du Pontife à treize e'vê-
ques de Gaule.
« Votre foi, dit-il, et votre union avec nous est pre'ciense,
» et connue de Dieu et des hommes. Depuis que vous êtes re-
»> tourne's à St. Pierre, le prince des apôtres, cjiie Dieu vous
» a donné pour maître, vous ne faites plus, par la grâce de Dieu,
» qu'une même socie'ie' et un même hercail Vous avez en
» notre place le très-saint archevêque, notre frère Boniface, lé-
» gat du Sie'ge apostolique ; montrez votre constance contre tous
») ceux qui ont des sentimens contraires. •>
Cette re'sistance momentane'e de quelques-uns, sur laquelle
on n'a pas d'autre indication, avait probablement pour cause
la le'gation apostolique confe're'e à S. Boniface pour la Gaule
comme pour la Germanie.
Mais quelle que fût cette petite et courte division, elle sert
à constater dans ce temps même l'obéissance ge'nérale de l'e'-
piscopat Gallo-Franc au St. -Sie'ge et à la juridiction intermé-
diaire d'un légat ; et cependant on était peu accoutumé jusqu'a-
lors à cette intervention. Les métropolitains de Gaule n'avaient
jamais étépuissans, et nul d'entre eux, pas même celui d'Arles,
n'avait reçu du St. -Siège avec le pallium une primatie entière
et permanente; on communiquait directement avec Rome.
On commençait à s'occuper de la réforme des abus. Pepin-
le-Bref, non encore roi, en 747 > adressa au Pape une consul-
DES FAUSSES DÉCRiTALES. 143
tatîon sur plusieurs points de discipline. Zacliarie VII répondit
par 1'] articles, pris dans les anciens canons et clans son au-
torité apostolique , comme il le dit lui-même. Charlemagne , qui
fit bien plus encore que son père, remporta pre'cieusement de
son premier voyage à Rome , en 774, une collection assez con-
side'rable. C'e'tait un présent d'Adrien P"^ ; il y avait rassemblé
les canons des conciles d'Ancyre , de Ne'oce'sare'e , de Gangres ,
d'Aiitioche , de Laodice'e , de Sardique , de Carlhage et des au-
tres conciles d'Afrique.
« Charlemagne veilla, dit M. Guizot (i) , à l'observation de ces
canons et en fit dresser de nouveaux. Il portait la même vi-
gilance sur les affaires de l'Eglise , que sur celles du gouver-
nement ; non-seulement 33 conciles se tinrent sous son règne
dans son empire, mais ses capitulaires sont remplis d'instruc-
tions et de re'glemens eccle'siasliques. Il fit perfectionner les
Hures de liturgie , re'diger en grand nombre des pénitentiels ^ et
publier des recueils d'homélies. » On sait tout ce que son zèle
entreprit et exe'cuta pour relever les e'tudes et re'pandre l'in-
struction parmi les grands, le peujile même, et surtout dans
le cierge'. On mit donc à cette e'poque une grande activité' et
une application constante à connaîtie et à re'unir tous les do-
cumens de discipline. On cite parmi les travaux de ce genre la
collection de 80 canons pre'senle'e ou reçue à Rome par En-
gelram , e'vêque de Metz en 784. Voici quelques-uns de ces ca-
nons qui nous font connaître quelle e'tait alors la snpre'matie
de l'Eglise de Rome.
« 3. Nul e'vêque accuse' de quelque crime que ce soit ne peut
être entendu ou poursuivi , sinon dans un concile le'gitime ,
coDVO({ue' par i'autorile' du Saiut-Sie'ge, à qui, par l'ordre du
Seigneur et les me'rites de St. Pierre , a e'te' donne'e une auto-
rite' spéciale pour assembler les conciles. "
« 20. Si le métropolitain et les autres juges sont suspects à
l'évêque accusé, qu'il soit jugé parle primat ou par le Pape. »
(i) Cours d^ Histoire.
144 COUBS d'histoire , PAR SCHOELL.
« ^3. Si un evêqae accuse appelle au Pape, il faudra s'en te-
nir à ce que le Pape aura juge'. »
« 39. Les ordonnances contraires aux canons , aux de'crets
des Papes ou aux bonnes mœurs, sont nulles. »
« 56. Le Souverain-Pontife ne sera juge' par personne, parce
que le Seigneur a dit que le disciple n'est pas au-dessus du
maître. »
Celte collection se re'pandit rapidement dans la Gaule, et si
l'on veut mettre pour quelque chose dans ce succès le rae'rite
d'Engelram et sa charge d'archi-chapelain, dans laquelle il ve-
nait de succe'der re'cemment à S. Fulrade, je suis un peu de
cet avis, mais dans un sens tout autre que celui qui semble se
présenter d'abord.
Si l'on s'en rapporte à Hincmar , qui vivait dans le siècle
suivant, et qui n'estimait guères les canons d'Engelram, ce se-
rait pre'cise'ment vers ce temps qu'aurait paru la Collection du
Faux Isidore; cet ouvrage apporte' d'Espagne en Germanie,
aurait e'te' accre'dite' par Rlculfe , archevêque de Mayence , que
quelques-uns même en ont cru l'auteur. Mais on convient que
ce ne sont pas là les fausses De'cre'tales. Toutefois il faut noter
cette deuxième grande collection venue d'Espagne en Germa-
nie, et qui obtint en Gaule un grand cre'dit.
En 802 , dans une assemble'e ge'ne'rale au champ de Mai d'Aix-
la Chapelle , oh. assista un le'gat du St.Sie'ge , les e'véques lu-
rent, par ordre delempereur, un recueil de tons les canons,
et promirent de les observer ; l'empereur leur en fit remettre
à chacun une copie.
Enfin « entre les anne'es 820 et 849 , on voit paraître tont-
» à-coup, dit AL Guizot(i), toujours sous le nom de St. Isidore,
ï) une nouvelle collection de canons beaucoup plus considérable.
» C'est dans le nord et l'est de la Gaule Franque, dans les dio-
» cèses de Mayence , Trêves, Metz , Reims, etc., qu'on la ren-
» contre d'abord ; elle y circule sans contestation ; à peine
» quelques doutes percent çà et là sur leur authenticité'; elle
(1) Cours cl' Histoire , tom. III , leçou 26.
DES FAUSSES DÉGRÉTALES. 145
)) acquiert bientôt une autorité souveraine. C'est la collection
)» dite des fausses Décrétales. Elle a reçu ce nom , parce qu'elle
M contient une multitude de pièces e'videmment fausses, et
» porte tous les caractères d'une fabrication mensongère. Elle
» commence par 60 lettres des plus ancienu éuéques de Rome,
» depuis St. Cle'ment jusqu'à Meichiade, c'est-à-dire , de l'an 91
» jusqu'à l'an 3i4, lettres dont aucun monument n'avait en-
» core fait mention , et dont la fausseté' e'clate au premier coup-
» d'oeil. Les Papes des trois premiers siècles s'y servent con-
)> tinuellement de la traduction de la bible de St. Je'rôme, faite
» à la fin du 4" siècle ; ils font allusion à des ouvrages du 6"
)) et du j'' siècle. La fabrication en un mot ne peut plus être
)) aujourd'hui re'voque'e en doute par aucun homme de quel-
» que instruction et de quelque sens.... On l'a attribue'e à Be-
» noît, diacre de Mayence , qui a fait la seconde collection des
» Capitulaires Elle se re'pandit rapidement; beaucoup la
» prirent pour l'ancienne collection déjà connue sous le nom
» d'Isidore ; d'autres la croyant nouvelle , ne songèrent seule-
» ment pas à en examiner le contenu. «
Selon M. Schœll (i) , « elle ne peut remonter au-delà de 82g
» puisqu'on y trouve des passages emprunte's mot pour mot des
)) actes du concile de Paris de cette anne'e Elle est cite'e
)) pour la première fois dans une lettre de Charles-le-Chauve
)) aux e'vèques assemble's à Cressy ou Kiersy en 857. Benoît,
» diacre de Mayence, qu'on a soupçonne' de l'avoir forge'e ,
» l'inse'ra du moins dans une collection des Capitulaires qu'il
» publia. ))
On ne sait au vrai ni l'e'diteur ni l'auteur de ce nouveau re>i
cueil, hors duquel on ne retrouve aucune trace d''Isidore Mer-
cator ou Peccator : ce pseudonyme n'a probablement jamais
existe' ; il est vraisemblable aussi que le diacre Benoît ou l'au-
teur quelconque de cette compilation a pris à la collection es-
pagnole non-seulement le nom d Isidore, mais le premier fonds
de son travail; car on ne peut pre'tendre que tout y soit faux;
(1) Cours d'Histoire , tom. I, liv. I'"'' , ch. 9.
T. X. 10
140 COURS d'histoire, par SCnOELL.
Marchetti et Muzzarelli , tout en passant con(îamnation sur ce
recaeil , ont très-justement fait celte remarque. J'adopte e'gale-
ment leur conjecture qu'il y eut là-dedans plus d'ignorance
que d'imposture. Le peu de critique du temps peut très-bien
expliquer, sans dessein de tromper, les additions, les interpo-
lations et les be'vues ; il n'est pas même certain que les pièces
reconnues fausses et qu'on doit ne'cessairement rejeter, le soient
re'ellement; car ne s'est-il pas perdu depuis cette e'poque beau-
coup de monumens sacre's et profanes? te'moin la Répuùlinue
de Cicéron, que les recherches de l'abbe' Moï n'ont pu re'tablir
en entier, et que l'on avait complète au g"' siècle.
Si les contemporains et ceux qui suivirent durant plusieurs
siècles ne furent pas assez habiles pour discerner la îaussete' de
tant de documens , celui qui les rassembla ne pouvait l'être
davantage : on ne voit pas que lui imputer une falsification vo-
lontaire c'est lui attribuer une supe'riorite'de savoir e'videmment
impossible. Quoique ces re'flexions ne soient peut-être pas inu-
tiles, peu importe après tout le pauvre anonyme et son ouvrage;
il s'agit surtout des conse'quences , et de ce côte' tout est clair
et facile.
Ceux qui ont bien voulu lire nos deux articles pre'ce'dens,et
qui ne se sont point jusquà pre'sent occupe's de cette question,
seront bien surpris quand ils sauront qu'on l'eproche au diacre
Benoît d'avoir change' toute la discipline de l'Eglise et son gou-
vernement, en introduisant trois principes inconnus : les ap-
pellations au St.-Siége , sa soin>eraine juridiction sur les épéques
et sur les conciles, c'est-à-dire, en d'autres termes, d'avoir de'-
natnre' le pouvoir spirituel , sape' les règles fondamentales de
l'Eglise, et fait pre'valoir contre elle les portes de l'enfer, mai-
gre' la promesse donne'e à Pierre. Heureusement il n'y a pas
d'absurdité' plus facile à re'f uter. Ces trois pre'rogatives du Saint-
Sie'ge n'ont jamais e'te' plus fortement exercées qu'au commen-
cement par St. Cle'ment , St. Anicet , St. Victor , St. Etienne ,
St. Jules, St. Innocent, St. Le'on ; les faits sont nombreux et
evidens.
Mais il y a plus : quand les faits auraient manque' à la tra-
dition, j'oserais dire que le succès des fausses De'cre'tales serait
DES FAUSSES DÉCRÉTALES. 147
tout seul on fait décisif , une preuve invincible contre les pre'-
tendues innovations qu'on leur impute : que Benoît ait e'ië
un ignorant ou un imposteur, il n'a point cependant falsifie'
la doctrine hieVarcliiqne ; qu'il l'ait appuye'e par des pièces de
son invention , ce serait une indigne et sotte fourberie ; mais
encore une fois, puisque son recueil a e'ie' admis au point de
faire loi pendant si long-temps, c'est qu^il ne contient rien au
fond de contraire aux coutumes et aux sentimens de i'Egiise.
En effet , eût-il paru à l'e'poqae de la plus grande de'grada-
tion intellectnelie , au 7^ siècle , l'ignorance et la liberté' des
passions ne rendant pas les esprits plus souples, je ne verrais pas
encore comment les e'vêques, dont le plus grand nombre e'faicnt
fort peu réguliers , eussent adopte' facilement une juridiction
si gênante , dont jamais ils n anraient jusque-là entendu par-
ler ; mais an 8" siècle il y avait an grand zèle de science et
surtout de science eccle'siastique ; on vient de voir combien en
particulier on s'appliquait aux recueils de canons. Il y avait
donc une connaissance certaine de la discipline, des principes
e'tablis, que le 8° siècle communiqua au 9*^, et qui ne permet-
taient pas qu'on fût trompé sur le fonds des choses, si l'on pou-
vait l'être sur les de'tails de critique. Comment donc n'aurait-
on pas même aperçu les nouveaute's des fausses De'cre'tales ?
Comment un recueil, dont on n'a jamais connu le ve'ritable
compilateur, conse'querament sans autre recommandation que
son contenu, anrait-il pu subitement tirer l'e'vêque romain de
Te'galite' pastorale au spirituel , de la suje'tion commune au tem-
porel , et cbanger un rae'tropolitain , ou patriarche tout au plus ,
en Souverain-Pontife des e'vêques et des antres métropolitains
auparavant indépcndans ?Une pareille révolution faite par une
compilation pseudonyme toute seule , serait un événement
unique , qui tiendrait du prodige et qu'on n'aurait pas encore
assez admiré : une certaine année, à un lever de soleil, l'ap-
parition des fausses De'cre'tales aurait fasciné tons les esprits,
persuadé à tous ce qu'ils ne voulaient pas la veille, et aveuglé
le monde chrétien pour six siècles. Car, encore une fois, on
conçoit très-bien que ceux qui prirent ce recueil pour l'ancienne
collection déjà connue sous le nom d'Isidore, et ceux çui k
10*
148 COURS d'histoire, par schoell.
crnrent nouvelle , ne songèrent pas à en examiner le travail j
mais quant h la doctrine, il fallait hien lexaminer pour l'ap-
pliquer au besoin.
Et la preuve que les e'vêques l'ont examine'e , c'est qu'ils l'ont
soutenue avec empressement. Le motif qu'on donne de cet em-
pressement est très-vraisemblable et très-naturel , sans pour-
tant rien expliquer. « Cette collection, dit M. Gnizot, n'était
point re'dige'e dans l'inte'rèt exclusif de la papauté. Elle semble
même plus spe'cialement destine'e à servir les e'vêques contre les
me'tropolitains et les souverains temporels... et ainsi l'inte'rèt du
moment , sans pre'voyance de l'avenir , emporta l'assentiment
des e'vêques (i). » D'accord; mais ils devaient voir aussi que
cette protection de l'e'piscopat contre les me'tropoles , apparte-
nait e'galement an cierge' infe'rieur contre 1 épiscopat , et il y
avait de quoi refroidir leur zèle; mais les me'tropolitains qui
n'y trouvaient pas leur compte devaient re'clamer; mais les
souverains temporels devaient mettre bien plus encore d'oppo-
sition ; cependant e'vêques , me'tropolitains , princes ; tous ont
donne' tête baisse'e dans les fausses Décre'tales! et lorsqu'Engel-
ram, l'ami, le cliapelain de Charlemagne , publia ces canons
que j'ai rapporte's , et qui avaient ainsi de'ja fait connaître les
nouveautés d'Isidore cinquante ans avant lui , personne ne dit
mol; pas un me'tropolitain ne s'e'leva contre, et Charlemagne,
qui avait tant à cœur d'établir l'autorité métropolitaine, ne se
fâcha point ! voilà qui est bien singulier !
Dira-t-on que ce fut Charlemagne lui-même qui disposa les
choses à dessein ou par mégarde pour l'accroissement du Saint-
Siège ? Cette idée n'est pas plus soutenable. On s'est plu assez
souvent à remarquer que Charlemagne s'était réservé la sou-
veraineté sur Rome et sur les terres même île la donation, dès
avant son sacre impérial. Cela est vrai. — Les Papes étaient
sous la domination administrative ; leur intronisation ne pouvait
avoir lieu sans son consentement ; ses commissaires surveil-
laient Rome comme les autres cités, et le jugement des assas-
(i) M. Guizol , Cours dTIisloirc , totn, III.
DES FAUSSES DÉCRÉTALES. 149
sins de Léon III suflarait pour prouver qae Chariemagne n'avait
pas prétendu rendre les Papes ni les Romains indépendans. II
est certain, au contraire, que jusqu'à Charles-le -Chauve , ils
demeurèrent pour le temporel dans une assez étroite dépen-
dance des princes carlovingiens; j'ajouterai même, parce que
le vrai n'est jamais nuisible au vrai , que la puissance spirituelle
du St. -Siège a plutôt été contrainte que favorisée par Char-
lemagne.
M. Guizotavu à merveille, et je crois le premier, que Char-
lemagne fut un monarque absolu , par position , si l'on veut,
autant que par caractère ; mais enfin il agit sans cesse en maî-
tre , et particulièrement dans les affaires de la religion. Aucun
roi de France avant lui n'y avait mis une main si haute, et
ne s était mêlé avec une pareille volonté, de la discipline et du
dogme (i), de sorte que l'Eglise perdit sous son règne en li-
berté ce qu'il lui fit retrouver en régularité, en science et en
distinctions. Il nommait lui-même les évêques , assemblait les
conciles, faisait des réglemens ecclésiastiques, et beaucoup
d'articles de ses Capitulaires sont devenus des canons; l'activité
de son génie s'étendait jusqu'aux moindres détails de la liturgie
et de la correction des textes sacrés. Une intervention si géné-
rale laissait peu de place à celle du St.-Siége ; ses relations
même avec Adrien T' et Léon III , l'amitié personnelle qui s'é-
tablit entre eux et lui , le zèle qui lui fit recueillir , sous le nom
de Code Carolin, les lettres de leurs prédécesseurs à son aïeul,
à son père et à lui-même; sa munificence, sa protection qui
mettait Rome et le Pape à l'abri du ressentiment de Gonstanti-
nople ; enfin la couronne impériale qu'il reçut de Léon III ,
tout cela lui donna dans l'Eglise une autorité dont il n'y avait
pas d'exemple depuis Constantin, et qui n'était pas même sans
danger pour l'avenir. Sans doute , le chef de l'Eglise reçut de
la grandeur et de la familiarité du monarque un nouvel éclat
extérieur, mais si la dignité brille alors davantage, le pouvoir
se sent moins; le pontife agit moins directement, moins sou-
(i) M. Guizot, Cours d'Histoire , lom. II, leçou.
150 coui'.s d'iiistoirk, par schoell.
vent , avec un ton moins ferme ; il rae'nage les habitudes des-
potiques d'un ami souverain; il souffre l'impertinence des Ui>res
Carolins contre\e 7*^ concileœcume'nique et l'initiative AaJîiiOfjue
ajoute' au symbole ; enfin , excepte' la publication de ce concile ,
on ne voit guère à cette e'poque d'autre acte solennel de juri-
diction pontificale; et ces 4^ ans de protection dominante, mai-
gre' tout ce qui s'y fit d'utile pour la discipline , n'en furent pas
moins le premier e'chec du St.-Sie'ge. L'avantage le plus appa-
rent qu'il en ait retire, la donation, a moins servi peut-être à
l'inde'pendance temporelle du St.-Sie'ge , qu'elle n'a excite' contre
lui la cupidité' des princes. Après cela, on ne se jettera pas , je
pense, dans une supposition contraire, que les fausses De'cre'-
tales furent un commencement de re'action en faveur du Saint-
Sie'ge , après la mort de Gharlemagne. Outre qu'on n'affaiblirait
nullement ainsi ce qui a e'te' dit plus haut, il est certain d'ail-
leurs que ce prince, non plus que son siècle, n'a point de'menti
l'antique tradition de l'autorité spirituelle des Papes , et qu'il
l'a reconnue formellement.
En 775 Adrien P'', donnant le pallium à Tilpin, archevêque
de Rheims, confirma par l'autorité' de St. Pierre les privile'ges
de cette e'glise , et ordonna qu'elle demeurât me'tropole : « que
» personne, dit-il, ne présume, dans la suite, de vous dépo-
» ser, ni aucun de vos successeurs, sans un jugement canoni-
)) que et sana le consentement duPape , si on appelle au Saint-
)) Siège... » Il le chargea en outre d'examiner avec deux évê-
ques et des missiroyaux les plaintes portées contre St. Lui,
archevêque de Mayence.
En 786, Gharlemagne consulta le même Pape sur la manière
de recevoir les Saxons apostats.
Dans un capitulaire de 789 , il ordonnait aux moines de
suivre le chant romain , pour mieux conserver l'union auec le
St.-Siége et l'uniformité dans l'Eglise.
Par le 8 canon du concile de Francfort, on termina une
querelle de limites entre deux évêques, d'après les décisions
anciennes de Zozime , de St. Léon , de Synimaque et de saint
Grégoire : trois autres évêques qui avaient un différend pareil
furent renvoyés au jugement du St.-Siége. Gharlemagne notifia
DES FAUSSES DÉGRÉTALES. 151
aa même concile la dispense tle résidence, qu'il avait obtenue
da Pape pour son nouvel archichapelain 1 évêque Hildebolde,
comme auparavant pour l'e'vêque Engelram.
Lorsqu'on apprit en Gaule, en 799, l'assassinat de Le'on III,
Alcuin , consulte' par le prince , lui re'pondit : « Il y a trois di-
w gnite's sape'rieares dans le monde. La première est la dignité
3) apostolique , qui gouverne le sie'ge de St. Pierre... La seconde
)) est la dignité' impe'riaîe , qui commande à la seconde Rome...
» La troisième est la dignité' royale , oii le Seigneur vous a
)) e'ieve' Vous êtes la ressource de l'Eglise , le vengeur des
» crimes Vous ne devez pas ne'gliger de prendre soin de ce
» chej" (le Pape); le mal des pieds est plus le'ger que celui de
» la télé. »
Cliarlemagne ne se contenta pas de donner appui au Pape :
il se rendit lui-même à Kome , et comme les conspirateurs
avaient accuse' Le'on III de plusieurs crimes , il proposa dans
une assemble'e l'examen de ces accusations , à quoi le Pape
consentait : tout le cierge' se re'cria : « ^ous sommes tous jugés
» par ce siège , qui n'est jugé par personne ; c'est l'ancienne
» coutume. Que le Souverain-Pontife nous commande, nous
» obe'irons selon les canons. « Le Pape l'e'pondit : « Je suis prêt,
» comme mes pre'de'cesseurs , à me justifier par serment, » et il
le fit le lendemain publiquement, de'clarant qui! agissait de son
plein gré ., sans ai'oir été ni jugé ni contraint , et sans vouloir J'aire
loi pour ses successeurs. Il y a encore quelque chose de plus :
un capitulaire de 801 contient les paroles suivantes : « Eu me'-
)> moire du prince des apôtres , honorons la sainte Eglise ro-
» maine et le Sie'ge aportoliquc ; afin que celle qui est la mère
j> de la dignité sacerdotale ^ soit aussi notre maîtresse dans les
n choses eccle'siastiques. Il faut pour cela conserver à son cgard
» l'humilité et la douceur pour supporter avec des sentiraens
» de pie'te' le joug que ce Sie'ge nous imposerait , fut-il en quel-
)) que sorte intolérable. »
Certes , pour que Charlemagne permît et dît lui-même pu-
bliquement de pareilles choses, il fallait bien qu'il fût convaincu
du divin caractère de cette supre'matie spirituelle. Il est assez
remarquable qu'uu tel dominateur se soit accorde' d'avance avec
152 DE LA TAILLE DE l'hOMME ,
le diacre Benoît, et l'on ne pourra cVisconvenir qu'après un
siècle si peu dispose à exage'rer les droits du St. -Siège, et ce-
pendant si exact k les reconnaître, les fausses De'cre'tales n'ont
rien introduit de nouveau.
Edouard DxnioNT.
VVV VVV VV^ VVX V* A VVV VV^ VV^ VV V VVV VV^ VXX X/»/*. VV^ kiO^ VVV VVV V V\ VV^ VVX \A^
DE LA TAILLE DE L'HOMME,
ET EKT PARTICULIER DE CELLE DES GEANS.
Tel est le titre d'un article reproduit naguères par quelques
journaux , et qui ne sera pas de'place' dans notre recueil, parce
qu'il touclie d'assez près à la critique sacre'e.
Quelques naturalistes ont e'tudie' les lois que suivent les va-
riations de la taille humaine , d'après les différentes races ,
l'e'tat de civilisation , le climat et l'e'poque. En ge'ne'ral , la
taille des femmes est beaucoup moins variable que celle des
hommes , et c'est à ces derniers seulement que s'appliqueront
les remarques suivantes. Les voyageurs modernes, les naviga-
teurs surtout, ont pris avec soin la taille moyenne des divers
peuples qu'ils ont visite's. Pour mieux fixer les ide'es à ce sujet,
nous allons donner quelques-unes de ces mesures, en ne citant
que les extrêmes.
Peuples de petite taille.
Pieds, pouces.
Boschimans montagnards 4 "
Esquimaux 4 "
Papous me'tis d'Offack 4 7
Kamtschadales 4 ^^
Tartares mongols 4 ^^
Peuples de grande taille.
Noaveaux-Ze'landais 5 7
Caraïbes de l'Arae'rique me'ridionale 5 9
Habitans des Iles des Navigateurs 5 10
Patagons, les plus grands 6 »
ET EN PARTICULIER DE CELLE DES GÉANS. 153
Ainsi, la taille des peuples nains est de quatre pieds, et celle
des peuples ge'ans est de six pieds ; la moyenne entre ces deux
extrêmes est de cinq pieds. Mais, pour obtenir la vraie moyenne
de la taille du genre humain , il faudrait mesurer dans cha-
que peuplade la même fraction du nombre des hommes qui
la composent , et prendre la moyenne de tous les re'sultats.
Ce genre de recherches se ferait aise'ment pour une nation
en particulier , habitant une portion de la surface terrestre ,
se'pare'e de toutes les autres par des barrières naturelles.
En suivant celte marche, qui a de'ja fixe' l'attention de quel-
ques savans , on apprendrait enfin si la taille des hommes
éprouve ou non quelque variation ge'ne'rale. Aujourd'hui, que
les circonstances atmosphe'riques sont arrive'es à un e'iat sta-
tionnaire, il semble qu'il en soit de même pour tous les êtres
organise's , en sorte que le genre humain possède un principe
de vie capable d'entretenir à perpe'tuité certaines dimensions
moyennes du corps , au milieu de toutes leurs variations acci-
dentelles. Mais on peut croire aussi que ce principe se for-
tifie, ou bien qu'il s'affaiblit d'une manière continue, ou enfin
qu'il doit avoir une marche ascendante et descendante , ana-
logue à celle de chaque individu en particulier. Tout le monde
sait que l'on n'a point encore trouvé de corps humain à l'état
fossile ; il serait donc difficile d'assigner la taille de l'homme
à son apparition sur la terre , alors que la chaleur propre da
globe pourrait avoir sur l'espèce humaine le même genre d'in-
fluence que sur les plantes et les animaux contemporains. Ces
animaux et ces plantes qui ont vécu dans les premiers âges
du monde , et que l'on retrouve aujourd'hui dans les couches
de la terre, ont en effet des dimensions beaucoup plus fortes
que les espèces analogues vivantes. Ce genre de pi'euves n*est
point encore venu justifier les traditions que les peuples an-
ciens nous ont conservées sur l'existence primitive d'une race
de géans.
Quoi qu'il en soit de ces époques géologiques, il est à-pea-
près certain que la taille de l'homme n'a point varié depuis
les temps historiques les plus reculés; c'est ce que prouvent
les momies égyptiennes , et ce que prouverait au besoin la
154 DE LA TAILLE DE l'hOMME ,
connaissance des mesures de l'antiquité. En admettant , ce qui
est infiniment probable, que ces mesures ont e'te' prises sur la
nature humaine , on trouve que la taille des Egyptiens e'tait
de cinq pieds deux pouces dix lignes ; celle des Grecs , de
cinq pieds quatre pouces six lignes; celle des Romains, cinq
pieds un pouce huit lignes , et celle des Arabes , cinq pieds
sept pouces. Enfin , il serait bon de connaître les valeurs ex-
trêmes de la taille humaine dans son e'tat actuel , c'est-à-dire
la taille des plus petits nains et celle des plus grands ge'ans.
Rarement les premiers ont eu moins de deux pieds ; mais on
ne connaît pas aussi bien la limite des tailles gigantesques ;
et c'est pour la fixer avec pre'cision que nous allons donner
ici l'histoire des ge'ans les plus remarquables. Dans cette e'nu-
me'ration, nous suivrons Tordre des grandeurs, et non l'ordre
chronologique ; et pour ope'rer la conversion des anciennes
mesures actuelles , nous mettrons à profit des connaissances
puise'es dans une étude spéciale de la métrologie ancienne.
Au rapport de Manéthon , Sésostris , ce puissant roi d'E-
gypte, qui porta ses armes jusque chez les Scythes et les Thra-
ces, et qui, de retour dans sa patrie, fit creuser une foule de
canaux et élever des monumens gigantesques par les peuples
vaincus, avait lui-même la taille d'un héros. Il portait quatre
coudées trois palmes et deux doigts , qui font six pieds qua-
tre pouces deux lignes.
Rudsbeck, dans son ouvrage intitulé Athlantis , dit avoir
vu lui-même un paysan suédois, dont la taille était de huit
pieds de Suède , c'est-k-dire sept pieds trois pouces neuf lignes
de Paris.
L'empereur Maximin était originaire de la Tiirace. Entré
comme simple soldat dans les armées romaines , ce jeune bar-
bare franchit rapidement tous les grades ; et , à la mort de
Septime-Sévère , il fut proclamé par les troupes, émerveillées
de sa taille et de la vigueur de son bras. En effet , Blaximin
avait huit pieds quatre pouces romains , ou sept pieds six
pouces de Paris. On raconte de lui des choses extraordinaires;
il pouvait briser avec la main des pierres très-dures , arra-
cber de jeunes arbres, traîner des chars pesamment chargés.
ET EN PARTICULIER DE CELLE DES GEANS. 155
Il buvait par jour une amphore de vin (26 litres), et man-
geait trente ou quarante livres de viande ( dix à treize kilo-
grammes ).
Dans la guerre qu'il entreprit contre la Grèce, Xercês, roi
de Perse, fit couper la presqu'île du mont Atlios, pour livrer
passage à sa flotte. Cet ouvrage prodigieux s'exe'cntait sous la
direction de deux seigneurs persans, Bubarès et Artache'e. Ce
dernier y mourut de maladie ; c'e'tait un homme d'une taille
remarquable, et il ne s'en fallait que de quatre doigts qu'elle
atteignît cinq coudées royales. Artache'e avait donc sept pieds
dix pouces deux lignes. Sa mort affligea Xercès , et l'arme'e
persanne lui e'ieva un monument après lui avoir fait de magni-
fiques funérailles.
Ryckius parle d'un Hollandais qui n'avait pas moins de huit
pieds et demi du Rhin ; ce qui fait huit pieds deux pouces
sept lignes de Paris. Le géant Gabbara , envoyé d'Arabie à
l'empereur Claude, avait, selon Pline, neuf pieds neuf ponces
romains, lesquels valent huit pieds dix pouces de Paris. Qui
ne connaît l'histoire de Goliath, ce géant à l'éca , aux jam-
bières et au casque d'airain, qui faisait porter devant lui une
cuirasse du poids de six mille sicles (soixante-une livres neuf
onces), et qui , armé d'une lance dont le fer pesait six cents
sirles (sept livres six onces), sortait du camp des Philistins,
et venait se placer devant l'armée de Saiil , proposant de vider
la querelle par un combat singulier , et insultant ainsi les
guerriers d'Israël durant quarante jours? Ce géant redoutable,
auquel le petit David coupa la tête après l'avoir frappé d'une
pierre au front, avait de hauteur six coudées et un empan.
On a beaucoup discuté sur la taille de Goliath ; mais depuis
que l'on a trouvé dans les tombeaux égyptiens les coudées en
usage à cetle époque, on peut la fixer d'une manière positive,
à neuf pieds de Paris très-exactement. Celte taille de Goliath
n'est pas invraisemblable; et, en effet, Deirio, dans ses notes
sur VOEc/ipc de Séncque , dit avoir vu, en i572,à Rouen, un
Piémontais dont la taille dépassait neuf pieds.
Pline rapporte que l'on vit, sous le règne d'Auguste, un
géant et une géante , nommés Pusio et Secundilla , qui n'a-
156 DE LA TAILLE DE l'uOUUE.
vaient pas moins de dix pieds trois pouces romains , c'est-à-
dire , neuf pieds trois pouces six lignes de Paris. Leurs sque-
lettes e'taient conserve's dans les jardins de Salluste.
Resterait à discuter la taille du géant Ele'azar , Juif de nais-
sance, qu'Artaban, roi des Parthes, avait envoyé' à l'empereur
Tibère. Josèphe, dans ses Antiquités judaïques , lui donne sept
coude'es de haut. S'il a entendu parler de la coude'e romaine,
qui e'tait la plus courte de toutes , Eléazar devait avoir neuf
pieds six ponces de Paris.
Telle est la limite de la taille des ge'ans dont le souvenir
nous a e'te' conserve' par les historiens ; elle contient presque
deux fois la taille moyenne de l'homme , et quatre fois trois-
quarts celle des nains les pins petits. Mais pour se former,
autrement que par des chiffres, une juste ide'e de ces aberra-
tions de la nature, il est ne'cessaire de figurer contre une mu-
raille, et avec leurs dimensions re'elles, le profil du nain Be'be'
à côté d'an Ele'azar, d'un Goliath ou d'un Gabbara.
157
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VOYAGE BE L'ARABIE-PETREE,
PAU MM. LÉOÎf DE LàBORDE ET LINAWT.
Conformité parfaite du récit de Moïse avec la situation actuelle du pays
qu'il a décrit. — La montagne de Séir-Ezéchiël. — Preuves de la ca-
tastrophe de Sodôme et Gomorrhe. — Découverte de l'ancien lit du
Jourdain — La terre de Gessen. — Rencontre de Jacob et de Jo-
seph. — Moïse mettant à mort un Egyptien. — Scène du désert. —
Désolation de l'Idumée prédite par le prophète. — Preuve de l'an-
cienne fécondité de ce pays. — Raisins et sauterelles de ce pays. —
Inscriptions sinaïtes.
Après avoir donné un premier extrait du bel ouvrage de M. Léon
de Laborde (i) , nous allons encore extraire de sa relation tout
ce qui peut inte'resser les lecteurs catholiques. Nous prendrons peu
de choses de son introduction , quoiqu'il y traite différentes ques-
tions qui ont rapport à la Bible. Mais c'est que M. de Laborde
nous avertit lui même que ce n'est que superficiellement qu'il traite
ces questions ; car il nous annonce qu'il s'occupe d'un autre ouvrage
dans lequel entreront ses principales recherches sur la presqu'île de
Sinaï , le pays d'Edom , la terre de Canaan , et tout le pays qui a
servi de théâtre aux faits contenus dans les cinq livres de Moïse.
Nous attendrons donc la publication de ces recherches , et nous
nous contenterons de citer les passages les plus remarquables, ceux
qui ont le plus de rapport au récit de la Bible. Voici comment il entre
en matière dans son introduction :
« C'est au récit de la Bible, rempli de renseignemens si précieux,
qu il faut recourir chaque fois qu'on veut remonter à une époque
reculée de l'histoire de l'Arabie.
Bien qu'elle ne désigne pas ce pays par son nom (2) , ni dans
(i) Voy. cid. lom. IX, p. 323.
(2) Le ne livre des Paralipomènes , ch. ix , i4, cite les cheick des
Arabes. — Ezéchiël , ch. xxvii , 21 , parle de l'Arabie et de son com-
merce; mais avant lui ce nom n'avait pas paru. Le grand pays qui tou-
158 VOYAGE DE l'aRABIE-PÉTEÉE.
ses limites pre'cises , cependant elle repre'sente son aridité', elle fait
connaître ses peuples et les divers territoires, mieux qu'aucun auteur
poste'ricur n'a pu le faire.
Sans nous arrêter aux différens noms des campemens des Israé-
lites , se rapportant à des circontances ou à des localités qui ont
dispara de nos jours, et qui n'ont d'inle'rêt que dans une discus-
sion sur la route suivie par ce peuple , nous devons loulefois re-
marquer l'analogie qui existe entre l'aspect du pays à cette époque,
et celui qu'il offre de nos jours.
Le désert commençait aux environs de Suez, au pays de Ges-
sen ; les sources, les palmiers, presqu'aussi rares qu'aujourd'hui,
offraient à la vue le même charme après les mêmes fatigues du
voyage. Les tarfa , plus abondans, ombrageaient les vallées j le
Sinaï , le mont Horeh , étaient arrosés de sources ; le désert , au
nord de Tih , était plus aride , plus fatigant que le reste du pays ;
la montagne de Seir s'étendait jusqu'à la mer , en côtoyant le
chemin de la mer Rouge , qui désigne évidemment la Ouadi-Araha;
le pays dUEdom avait sa brillante fertilité ; ce sont les montagnes
environnant Petra auxquelles il est facile de reconnaître ces qua-
lite's. Les montagnes des Moabites et des Amorrhe'ens conservent
le même caractère qui leur est donné; en effet, la constitution du
pays est la même.
Plus tard, les prophètes citent une grande quantité de noms
de lieux et de villes dans le territoire de chaque peuplade, Moa-
bites, Ammonites, Edomites.... Je citerai un passage d'Ezéchiël,
qui a rapport à la montagne de Séir; il en décrit fort bien la
structure : « Je remplirai ces montagnes des corps de leurs enfans
» qui auront été tues , et ils tomberont percés de coups d'e'pées ,
» le long de vos rochers , de vos vallées , de vos torrens (i). »
» Quant à l'emplacement fixé par la Bible aux différentes pen-
chait de si près aux intérêts de Thistoire sainte est appelé le pays de
Vorient ( kedem ) ; les habitans, lesjïls de l'orient, ceux qui habitent vers
l'orient. Les lîois , liv. ii , eh. iv , 3o. — Les Juges , ch. vi, 3. — Jéré-
mie , ch. xlix , 28. — Tsaïe , ch. xi , 1 4- — Job . ch. i , 3.
(i) Ezéchiël , ch. XXXV , 8.
VOYAGE DE L'ARABIE-PiTREE. 159
plades , il se rapporte singulièrement à la division des territoires
qu'ont adoptée les tribus arabes de nos jours. »
M. de Laborde fait observer , ensuite qu'après les docuraens que
nous donne la Bible, un long espace de temps s écoule avant de
trouver un auteur qui nous parle encore de l'Arabie. Il faut arriver
à Strahon ( premier siècle ) et à Plolémée ( deuxième siècle de
notre ère) pour entendre parler encore de l'Arabie. A cette e'po-
que , elle était divisée en Arabie- H eureuse , Arabie-Déserte et
Arabie-Pétrée. Cette dernière , ainsi nommée de la ville de Pétra ,
sa capitale, laquelle paraît avoir pris son nom des rochers au mi-
lieu desquels elle est assise, avait pour limites à Pouest V Egypte , en
tirant une ligne depuis Peluse, et en suivant les terrains cultivés ,
jusqu'à Suez ; au sud, la mer Rouge , au nord, la Judée et le lac
Asphaltique , et à l'est, le Grand- Désert , reculant plus ou moins
ses limites selon les besoins de sa population ou ses alliances con-
tractées avec les peuples nomades. M. de Laborde pense que l'A-
rabie peut être divisée en trois parties.
i" La plus considérable, en déserts rocailleux; 2" en plaines ou
déserts de sable ; 3" en pays fertile et habite'.
Nous allons suivre M. de Laborde, et extraire de sa narration
ce qui a rapport à la géographie sacrée.
« La première division , qui comprend au-delà des deux tiers du
pays, doit s'entendie particulièrement de toute la contrée entre Suez
et l'Accabah.
C'est après avoir montre aux plaines à'Homs etd'Hamah, ses
pics hardis , ses sommets couverts de neige , que le mont Liban
se sépare en deux chaînes qui prennent chacune un nom , l'une
celui de Liban , l'autre celui è^ Anti-Liban. Ces deux grands ra-
meaux continuent à s'étendre vers le sud , laissant couler entr'eux
le ISahar el Casmia , et plus loin le Jourdain, auquel ils font
prendre une direction continue , non-seulement à travers le lac de
Tibériade et jusqu'à la mer Morte , qui aujourd'hui interrompt
son cours , mais aussi , et dans une ligne directe , au milieu de la
large Ouadi-Araba, qui s'e'tend jusqu'à la mer Rouge , et qui porte
des traces évidentes d'un ancien lit de fleuve.
Cette vallée du Jourdain, Wadi-Araba , long-temps ignorée,
retrouvée par Burkhardt qui la traversa , n'avait e'té suivie par
160 VOYAGE DE L^ARABIE-PÉTRÉE.
aucun voyageur européen. J'eus le bonheur, dans mon voyage, par
une route de 11 lieues, de pouvoir en indiquer la direction et la
configuration; et il ne doit rester, je pense, maintenant aucun doute
qu'à une e'poque reculée le Jourdain ait eu son écoulement dans
la mer. Cette opinion se trouve admirablement soutenue ])ar le
récit de la Genèse , qui nous raconte l'interruption de son cours.
» Lot, levant donc les yeux, conside'ra toute la plaine du Jour-
» dain, qui, avant que le Seigneur eût détruit Sodôme et Gomor-
» rbe, était partout arrosée d'eau ; jusqu'à ce qu'on vînt à Segor ,
)) et était comme le jardin du Seigneur, comme le pays d'Egypte. —
)) Il y avait beaucoup de puits de bitume dans celte vallée de Sit-
» tim. — Alors le Seigneur fit descendre du ciel sur Sodôme et
» Goraorrhe une pluie de souffre et de feu , et il détruisit ces vil-
» les , et toute la plaine, tous les habitans de ces villes, et tout ce
» qui avait quelque verdure sur la terre.
» Or , Abraham s'ëtant levé le matin , vint au lieu où il avait
)) été auparavant avec le Seigneur; — et , regardant vers Sodôme
» et Gomorrhe , et vers tout le pays de la plaine , il vit s'élever
» de la terre une fumée semblable à celle d'une fournaise (i). »>
Ce re'cit simple et concis , comme tout le texte de la Genèse ,
dit M. de Laborde , donne une idée suffisante d'une éruption
volcanique ; je n'eu doutai plus lorsque j'en eus sous les yeux les
effets.
Lot vit la plaine de Sittim arrosée parle Jourdain comme l'Egypte
par le Nil , et après la punition infligée par le Seigneur , la terre
avait perdu toute sa verdure , et il s'e'levait de la plaine une fumée
semblable à celle d'une fournaise.
Sans discuter les différentes opinions des auteurs qui ont cher-
ché à établir, les uns, que la nature dans son cours, les autres,
que la volonté du Seigneur , dans son indignation , enflammèrent
les puits de bitume dont il est question au verset 10, il reste évi-
dent qu'ils furent l'origine du volcan qui détruisit les villes de So-
dôme et de Gomorrhe et la plaine qui s'étendait auprès d'elles et
qu'ils formèrent , par l'irruption des matières volcaniques, un large
(i) Genèse f ch. xni , 10, et xiv , 10.
VOYAGE DE l'aRABIE PÉTRÉE. lÔl
bassin où le Jourdain , en se précipitant , cessa son cours vers la
mer Rouge (i). Ce bassin, qui prit plus tard le nom de lac As-
phaltique et de mer Morte , devait en effet , dans les premiers temps,
et en recevant les eaux du Jourdain , exhaler une fumée semblable
à celle d' une fournaise. Depuis , des ëcoulemens souterrains , ainsi
qu'une évaporation considérable compensaient le trop-plein de cette
espèce d^entonnoir.
La Ouadi-Araba, depuis qu'elle est devenue déserte, s'est en-
combrée dans quelques parties de buttes de sable ; mais son encais-
sement au milieu des montagnes de granit et de porphyre, ne laisse
aucun doute sur celte antique direction naturelle... Quelques voya-
geurs ont dit qu'une chaîne de collines flanque sa partie méri-
dionale ; on ne doit pas faire attention , pour expliquer un fait
aussi ancien, à des collines de formation toute récente, et qui sou-
vent même n'ont été composées que par l'agglomération du sable avec
les débordemens d'eau saline, ou l'ëvaporation de la mer Morte. »
M. de Laborde trace ici, d'une manière très-sommaire, le ta-
bleau historique de la mer Rouge , de sa population , du commerce
de cette contrée , des voyageurs qui l'ont traversée , et passe ensuite
à la description des belle planches qui forment la partie principale,
la plus curieuse et la plus soignée de son voyage. Voici com-
ment il décrit le lieu qui sépare la terre de Gessen du de'sert
d'Egypte.
« Quelques blocs de granit sans sculpture , des monticules de dé-
bris de poterie , indiquent le site d'une ville égyptienne ancienne.
L'ouvrage sur l'Egypte appelle ce heu Ahoucheycheyd, notre con-
ducteur le nomma Tel Masrouta.
(i) Le Coran, qui paraît contenir qiu'lques-unes des traditions des
Arabes sur Sodôme , place celte ville sur le grand chemin. Sodôme
dit Mohammed , était située, awant sa destruction , sur le grand chemin;
et plus loin , en parlant d'Ailah également : ces deux villes étaient si-
tuées sur la voie publique. (Coran, Ledgr. ch. xv.) Bien que ce docu-
ment ne remonte pas à une haute antiquité ( le 7e siècle ) , cependant
on ne peut douter que Mohammed ne fût plus à portée que tout autre
de recueillir les anciennes traditions du pays , et , dans ce cas , elles sont
conformes à l'idée de la longue vallée du Jourdain , dont les bords étaient
suiyis par la grande route.
T. X. U
1G2 VOYAGE DE l'aRABIE-PKTRÉE.
» Ce lieu cependant offre un autre inte'rêt ; arrivé là , on se
trouve sur le théâtre de l'un des épisodes les plus touchans de TE-
criture. C'est ici la province de Gessen , où les enfans d'Isaac s'éta-
blirent et se multiplièrent, et c'est là qu'eut lieu cette rencontre du
père avec le fils , de Jacob , le patriarche , le chef de tribu , avec
Joseph , le ministre , le maître de l'Egypte; mais qui trouverait des
expressions plus touchantes que le texte même?
« Hâtez-vous de monter vers mon père , et vous lui direz : voici
» ce que vous mande votre fils Joseph : Dieu m'a établi Seigneur
» sur toute l'Egypte ; descendez donc vers moi , ne tardez point :
» vous habiterez eu la terre de Gessen ; vous serez près de moi ,
» vous et vos enfans , et les enfans de vos enfans , et vos brebis
» et vos bœufs , et tout ce que vous possédez ; je vous j nourrirai
» (car il y aura encore cinq ans de famine), afiu que vous ne
» périssiez pas, vous et votre maison, et tout ce qui est à vous.
» Vos yeux voient , et ceux de mon frère Benjamin aussi , que
» c'est ma bouche qui vous parle : annoncez donc à mon père toute
» ma gloire en Egypte , et tout ce que vous avez vu ; hâtez-vous , et
)» amenez mon père vers moi.
» Et penché sur le cou de Benjamin , son frère , il l'em-
brassa et pleura , et Benjamin pleura aussi penché sur son cou...
» Il renvoya donc ses frères, et leur dit lorsqu'ils partaient :
n allez en paix. Ils montèrent donc de l'Egypte , et parvinrent au-
» près de Jacob , leur père , en la terre de Chanaan , et ils lui di-
» rent , savoir ;
» Joseph vit encore , et il règne sur tout le pays d'Egypte.
» Ce que Jacob entendant , il s'éveilla comme d'un profond som-
» meil , et toutefois il ne croyait point en eux ; mais ils lui redi-
» rent toutes les paroles que Joseph leur avait dites ; et lorsqu'il
» vit les charriots que Joseph avait envoyés pour le transporter,
» son esprit se ranima , et il dit : // suffit} mon fils Joseph vit
)) encore ; j'irai, et je le verrai avant que je meure....
» Israël partit donc avec tout ce qu'il avait , et il arriva avec
» toute sa famille en Egypte ; or , Jacob envoya Judas devant lui,
» vers Joseph , pour l'avertir qu'il se rendrait en la terre de Gessen,
» afin que Joseph y vînt à sa rencontre.
» Lorsqu'il fut arrivé, Joseph fit atteler son char, et vint au
VOYAGE DE L ARAEIE-PETREE. Ig3
» même lieu à la rencontre de son père ; et le voyant, il se jeta à
» son cou, et pleura en l'embrassant. Israël dit à Joseph: Mainte-
)) nantje mourrai avec joie , puisque fai vu ton visage et que je
» te laisse vivant {\) . »
« La singulière conformité qui semble exister dans la manière
de vivre , les mœurs , le costume des habitans actuels de l'Arabie
et les traditions qui nous restent du temps des patriarches, ont donné
l'idée de représenter l'aspect de ce pays et de ses mœurs dans l'une
des scènes les plus touchantes de l'Ecriture , et qui eut lieu en effet
dans ce pays même. De semblables tableaux se reproduisent encore
quelquefois au milieu de ces vastes solitudes, pour embellir un in-
stant leur aridité. L'homme qu'on pourrait y, supposer étrantrer
aux douceurs de la vie , ne l'est pas également aux senlimens de
la nature; sa famille, sa tribu, ses troupeaux, sont pour lui une
patrie mobile qui sufEit à ses de'sirs , puisqu'il lui reste fidèle et
que de temps immémorial il n'en a point cherché d'autres. « Que
faites-vous » , dit Pharaon aux frères de Joseph; et ils répondent:
« Vos serviteurs sont pasteurs de brebis , comme l'ont été leurs
» pères » ; et encore aujourd'hui , si le voyageur les interroge ils
répondront : « Nous sommes pasteurs de brebis , comme l'ont été
n nos pères. »
» J'ai encore , continue M. de Laborde, à rappeler une autre scène
qui peint le caractère et ces premiers mouvemens de la jeunesse du
grand le'gislatcur , de Moïse, l'auteur du Pentateuque.
» Moïse étant devenu grand , dit la Bible, sortit pour aller voir
» ses frères; il vit l'affliction où ils e'taient , et il trouva que l'un
:> d'eux, Hébreu comme lui, était outragé par un Égyptien; il re-
» garda en même temps de tous côte's , et voyant qu'il n'y avait
» là personne , il assomma lÉgypticn et le cacha dans le sable. «
M. de Laborde fait sur ce fait les remarques suivantes : u II as-
somme l'Egyptien et le cache dans le sable. » La Bible est si con-
cise , mais en même temps d'une précision si vraie , que c'est avec
une attention fixde sur chaque mot , qu'on peut en retrouver tout
le mérite : ici, par exemple, nous retrouvons l'arme du désert , cette
petite massue appelée cohbous , formée d'un bâton noueux , puis ,
(i) Genèse , ch. xlv et xlvi.
Il*
164 VOYAGE DE l'aRABIE-PIÎTRÉE.
la position du pays de Gessen sur Ja limite du déscit et du pays cul-
tive , car il cache sa victime dans le sable .
C'est là que les voyageurs commeacent à s'enfoacer dans les dé-
serts de sable, si difficiles à traverser. Voici comment M. de La-
borde de'crit ce premier départ : « Une plaine de sable raine'e par
les eaux, défoncée par les pas des chameaux, s'étend au sud des tra-
ces du canal; c'est avec peine, même avec danger, que nous tra-
versons cette plage aride au milieu d'un désert , ce réservoir hu-
mide et salin au milieu de la sécheresse.... Le soleil s'e'Ievait déjà
près de l'horizon , lorsque les chameaux firent retentir le désert des
cris plaintifs que leur arrache le moment où on les charge; de
longs ravons d'une lumière froide projettent au loin l'ombre des
animaux et des hommes , pendant que chacun porte son bagage sur
sa monture , puis se laisse enlever par elle en plaçant un genou
sur la selle. Voilà le départ , souvenir si vif de ces voyages du
de'sert.f »
Nous ne suivrons pas exactement ici M. de Laborde dans sa lon-
gue route pour faire le tour de la presqu'île du Sinaï , et parvenir
au fond da golfe Elanitique , jusqu'à la ville de Pétra, ancienne
capitale du pays des Nabathéens. Nous ne dirons rien non plus de
cette ville de pierre, merveille du désert, qui est là depuis tant de
siècles, assise, silencieuse, avec ses temples, ses palais, ses théâ-
tres, ses arcs de triomphe, ses pyramides, d'une exécution si par-
faite, et entourée de ses tombeaux vides taille's dans le roc, et plus
beaux encore que ses théâtres, ses palais et ses temples. Nous di-
rons seulement que M. de Laborde est parvenu le premier à pou-
voir prendre les dessins de tous ces monumens , et à rapporter,
pour ainsi dire, cette ville en Europe, dans des planches qui peu-
vent lutter avec celles du grand ouvrage sur l'Egypte.
Maintenant nous allons nous transporter au nord-est du Sina'i ,
tout près de la ville de Pétra, et à six lieues seulement de la mon-
tagne de Hor , célèbre par la mort d'Aaron , et par son tombeau
que les Arabes y révèrent encore ; et nous allons] voir comment
M. de Laborde constate l'accomplissement des prophéties qui avaient
prédit la ruine et la désolation de ce pays.
« Après avoir traversé une petite plaine, formée par la réunion
de quelques ouadis , on monte avec peine un chemin qui s'élève en
VOYAGE DE l'aKABIE-PÉTBÉE. 165
zig-zag sur une pente rapide ; arrivé au haut de cette montagne
appelée El Nackb , on découvre , en se tournant vers le chemin
que l'on a suivi, un panorama singulier. Tout le pays, à six lieues
à la ronde, se pre'sente en relief dans une sorte de vue cavalière;
les montagnes , divise'es par les ouadis , montrent leurs positions
et leur direction ; on peut juger ainsi de leur élévation et de l'as-
pect général du pays , dont le triste et lugubre caractère est dif-
ficile h faire comprendre , à l'aide seul de la plume. Plusieurs pro-
phètes avaient annoncé le malheur de l'Idumée ; mais la forte
parole d'Eze'chiël peut seule s'élever h la hauteur de cette grande
désolation.
« Le Seigneur me dit encore ces paroles : Fils de l'homme ,
» tourne le visage contre la montagiie de Séir ; prophétise contre
)) elle , et dis-lui : Voici ce que dit le Seigneur Dieu : Je viens à
)) toi , montagne de Séir , j'étendrai ma main sur toi , et je te
» rendrai déserte et abandonnée ; je détruirai tes villes , et je te
» réduirai en un désert Je rendrai la montagne de Séir toute
» déserte et abandonnée , et j'en écarterai tous ceux qui y pas-
)) saient et y repassaient. Je remplirai ces montagnes des corps
» de ses enfans qui auront été tues , et ils tomberont percés de
» coups d'c'pe'es , le long de tes collines , de tes valle'es et de tes
)> torrens ; je te réduirai en des solifudes éternelles ; tes villes ne
)) seront plus habitées, et tu sauras que c'est moi qui suis le Sei-
» neur Dieu (i). »
)) On trouve sur ce sommet les traces bien distinctes d'une an-
cienne voie qui s'étend du nord-est an sud-ouest, ou plutôt dePéira
a VAaccahah. Celte route était l'ancienne direction du commerce
de la mer Rouge et à^^yla, au grand entrepôt de Pélra
)) Sur la pente de la montagne , nous rencontrâmes d'autres rui-
nes de villages , qui portent des traces d'une habitation peu an-
cienne. Nos conducteurs nous assureront qu'on en trouve à l'iofini
sur tout ce versant. Une source abondante , et un réservoir con-
struit pour la maintenir , déversent ses eaux dans la plaine , et
servent à arroser les terrains cultivés par les Fellahs. La fertilité
(i) Ezéchiël , ch, xxv.
166 VOYAGE DE l'aRAB!E-PÉTRÉE
surprenante de quelques rares enclaves au milieu de cette contrée
désole'c , semble être faite pour rappeler que ce pays fut uu jour
heureux , alors qu'une main puissante ne s'était pas appesantie
sur lui.
» On trouve à Kerac une espèce de blé barbu qui défend le
texte de la Bible contre les reproches d'exagération qu'on lui a
adressés ; et les vignes de ce pays expliquent , par quelques échan-
tillons, la grappe énorme que rapportèrent de leur message les es-
pions envojés par Moïse. »
« Aujourd'hui, continue le voyageur, dans ce pays frappé de
malédiction , il faut connaître la misère des habitans , pour s'ex-
pliquer leur persévérance à faire produire la terre , en dépit des
fléaux, compagnons habituels de leurs efforts ; d'aborJ les hommes,
ces Bédouins rapaces , qui viennent à l'inlini réclamer du pauvre
cultivateur des droits sur ses produits, droits fondés sur une pro-
tection précaire , sur d'iuiques habitudes , mais exigés avec trop
d'autorité pour les refuser; et puis la sauterelle, qui s'inquiète peu
du droit , mais qui vient avec sa troupe , passe sur le champ et
s'envole , e'tendant sur toute la route le linceul de ses ravages. »
« Le Prophète la connaissait bien, ainsi que ses ravages, quand
)> il disait : La sauterelle a dévoré les restes du gazam....; réveil-
» lez-vous , hommes enivrés ; pleurez et poussez des liurleraens ,
» vous, qui mettez vos délices dans le vin; le vin est ravi de
» votre bouche. Une nation est venue fondre sur ma terre, forte,
» innombrable; sa dent sévit comme les dents d'un lion, comme
» les dents d'un lionceau. Elle a dévasté ma vigne, elle a arraché
» Te'corce de mes figuiers , elle les a de'pouille's , ils sont tombés ,
» et leurs rameaux ont blanchi Les laboureurs sont confondus,
» les vignerons poussent des cris lamentables ; plus d'orge , plus
» de bled; la moisson des champs a péri ; la vigne est dans la
» honte ; l'huile dans la langueur; les grenadiers, les palmiers, les
» pommiers et tous les arbres des champs sont dépouillés , et la
» joie a fui le visage des hommes
» Comme la lumière de l'aurore s'étend en un moment sur les
» montagnes , ainsi un peuple nombreux et puissant a paru sur
» cette terre Avant sa venue , cette terre était un jardin de
» délices; après son passage, elle n'est plus qu'un désert, et rien
VOYAGE DE L'ARABIE-PETRiE. 167
n n'échappe à sa violence. A les voir marcher, on les prendrait
)) pour des chevaux de combat ; et ils s'élancent comme une troupe
» de cavaliers ; ils franchissent le sommet des montagnes avec un
» bruit semblable à celui des chariots La terre tremble devant
n eux , les cieux sont ébranlés, le soleil et la lune en sont obscur-
» cis, et l'on ne voit plus la lumière des étoiles (i). »
Après avoir parcouru une grande partie du désert , M. de La-
borde revient visiter en détail le mont Sinaï. Voici ce qu'il nous
dit des fameuses inscriptions sinaïtes, que les savans n'ont pas en-
core pu déchiffrer en entier.
« Les premiers renseignemens que nous pouvons trouver sur les
inscriptions sinaïtes, sont dans Cosmas (2), dans Belon (3), dans
la Contemplation du monde de Neitzschitz (4), dans Monconys (5),
et dans Kirchpr (6) , qui explique avec plus de hardiesse que de
succès, celles du père Tomaso da Novarra , etc. Mais ces rensei-
gnemens avaient à peine réveillé ^intérêt , parce qu'il s'agissait des
inscriptions peu nombreuses qu'on trouve dans chaque vallée de
la presqu'île 5 surtout aux environs de Sinaï. En 1722, le supérieur
des Franciscains , en revenant du couvent qu'il avait visité avec
plusieurs ecclésiastiques , passa par Ouadi-Mokatteb ; son étonne-
ment fut grand à la vue de deux rangs de rochers couverts d'in-
scriptions, sur une lieue de longueur , et il chercha à le faire passer
dans son re'cit que voici :
« Ces montagnes s'appellent Gebe.l el Mokattah y c'est-à-dire,
les montagnes écrites. Car, aussitôt que nous avons quitté les mon-
tagnes de Faian, nous en côtoyâmes d'autres pendant une heure
de temps, qui étaient couvertes d'écritures en caractères inconnus
et creuse's dans ces durs rochers de marbre , à une hauteur , qui ,
dans quelques endroits, était de dix à douze pieds au-dessus du
(i) Joël, ch. I et II.
(a) Topographia christiana , éd. de Montfaucon.
(3) Liv. n , ch. 69 , p. 294.
(4) Pages 145-167.
(5) Page 449.
(6) OEdipus Egyp. , ch. n , p. lao.
168 VOTAGE DE l'aRABIE-PÉTRÉe,
sol, et quoique nous ayoas dans notre compagnie des hommes qui
comprissent l'arabe, ie grec, rbébreu , le syrien, le copte, le la-
tin, l'arme'nien , le turc, l'anglais, l'illirien , l'allemand et le bo-
hème, il n'y eu avait cependant aucun qui eût quelque connais-
sance de ces caractères , qui n'en sont pas moins gravés dans ces
durs rochers, avec une grande peine, dans une contre'e oîi l'on
ne trouve ni eau ni rien à manger. C'est pourquoi il est probable
que ces caractères contiennent quelques secrets cachés, qui ont été,
long-temps avant la naissance de Jésus-Christ , gravés dans ces ro-
chers par des chaldéens ou d'autres personnes.
» Celte description , qui pèche seulement par l'appréciation de
la nature du rocher , qui est de grès friable , au lieu de marbre
très-dur , excita vivement l'attention à une époque où tout ce qui
se rattachait à l'Écriture Sainte , avait un si haut intérêt. L'évêque
de Glogher, Robert Clajlon , proposa une somme d'argent consi-
de'rable à celui qui ferait le voyage , et rapporterait copie de ces
inscriptions, qui, dans son opinion, ne devaient cire rien moins
qu'israélites , et servir, comme s'exprime un auteur allemand de l'é-
poque , à fermer la bouche à tous les commentateurs imprudens.
)) Pokockc , puis, après lui jMontaigu, rapportèrent quelques co-
pies d'inscriptions sinaïles ; mais leurs renseignemens étaient insuf-
Csans. Eu 1762, Niebuhr, envoyé par le roi de Danemarck pour
explorer l'Arabie , mais spécialement dans le but de copier les e'cri-
tures de Ouadi el Mokattcb, rapporta la copie de quelques inscrip-
tions en même caractère , qu'il trouva dans les environs de Sinaï.
Quarante ans plus tard, MM. Coutelle et Rosière en copièrent
soixante-quinze (i). De 1808 à 1820, Seelzeu , Burckhardt et
Henicker rapportèrent successivement la description de la vallée ,
et copie de ses inscriptions. Enfin, ]M. Grey vient de publier (2)
cent quatre-vingt-sept inscriptions qud copia en 1820 dans Ouadi-
Mokatteb et ses environs ; dans ce nombre on remarque neuf £veci
ques et une latine.
» Parmi celles que j'ai rapportées, il s'en rencontre également
(i) Antiquités , vol. v, p- 57.
(2) Transactions qf the royal society , vol. 11, part, i, i832.
VOYAGE DR l'aBABIE-PÉtrÉE. 169
quelques-unes en langue grecque ; elles semblent , par leur briè-
veté et les noms propres fréquemment répe'tés, pouvoir donner
une idée du contenu de celles dont on n'a pu encore déterminer
le caractère....
» Plutôt grattées que grave'es, ces inscriptions ressortent en
clair sur la couleur rouge foncée du rocher , et leurs lignes trem-
blées annoncent l'inhabilité de ceux qui confiaient à la pierre de
ces rochers leurs souvenirs.
» Plusieurs savans philologues se sont occupes vainement de la
traduction des inscriptions sinaïtes ; pour les déchiffrer toutes, et
pour fixer la date précise de chacune d'elles , il faudra attendre
que la paléographie et la connaissance des anciennes langues de
l'orient aient fait de nouveaux progrès. L'opinion la plus générale,
cependant , est qu'elles ont été gravées par des pèlerins qui visi-
taient le Sin;ii vers le sixième siècle.
» De5 dessins d'hommes et d'animaux qui les accompagnent,
sont en partie contemporains ; d'autres datent de notre époque :
tous indiquent l'enfance de l'art, si toutefois on y trouve quelque
chose qui ressemble à l'idée que nous attachons au mot art. Dans
ce pays les premiers essais et la décadence de la science du dessin
semblent s'unir sans intermédiaire, et le Bédouin, en gardant ses
chameaux, dessinera des hommes et des animaux comme les Arabes,
à une époque bien reculée, les représentaient. Le capitaine Tuckey,
dans un voyage sur la rivière Zaïre , appelée communément le Congo,
a trouvé au-dessus de Lomhe , des sculptures modernes sur les ro-
chers, qui rappellent le caractère d'enfance de celles de lapresquîle
de Sinaï. »
170
^XV l'VV VVV VV\l VVV X/VX VV\ VVV VVV VVV VVV VV^ VVV VVV VVV V< VV VVV VV\I VVV%A/VAA'V VX/V VVAr VVV W^
ETUDES hébraïques,
PAR M. l'abbé rossignol (1).
M. l'abbe Rossignol écarte les points-voyelles, ces nitgce dif-
ficiles des M Assorèles. Ver soane n'ignore que, les points voyelles
retranches , la grammaire he'Iîraïque se re'duit à rien. Elle tient
tout entière en dix pages servant d'introtluction à l'ouvrage.
C'est l'exposition pure et simple des noms , des pronoms et des
verbes , de'pouille's de ce fatras technologique qui fait horreur
aux oreilles françaises. Trois lettres suffisent pour marquer la
distinction des cas dans les noms; et les pronoms une fois sus,
on peut dire qu'on sait les verbes, dont les de'sinences offrent
des débris e'videns des pronoms personnels. L'he'bren n'a pas
de syntaxe proprement dite. La simplicité de la phrase n'y ad-
met point nos complications modernes.
Beaucoup de bons esprits avaient reconnu de'Jà la ne'cessité
de ramener la grammaire he'braïque à sa simplicité' native. Ce
qui fait la partie ve'ritablement neuve de l'ouvrage de M. Ros-
signol , c'est la classification des racines.
Ces racines ne sont point arbitraires. Quatre organes con-
courent à l'e'mission de la parole : le gosier , la langue , les
dents et les lèvres. De là , quatre classes de sons articulans ,
qui sont les clefs d'autant de racines.
Ainsi, par exemple : Boh-kûi , vcscor et pasco , sont autant de
modifications d'un même mot primordial ; caput , en latin ;
capo , en italien; cabo , en espagnol; hef , en patois picard,
et chef, en français, sont de'rive's de la même racine; dangh-
ter , en anglais; tochter , en allemand, sont une même chose
que Q'jyciT>if en grec.
Et non-seulement l'auteur donne , d'après ces règles, toutes
les racines de l'he'breu ; mais il range par groupes celles qui
se lient les unes aux autres , et souvent il les rattache à d'au-
(i) Vol, in-8o, à Dijon, chez Popelain, libraire, Place-St.-Jean, Prix 5 fr.
ÉTUDES HÉBRAÏQUES. 171
très racines grecques ou latines, qui offrent les plus e'ionnantes
idenlite's de son et de sens.
C'est ainsi qu'il associe au mot he'brea ans {achab ou acheb.)
le mot grec <eyss5r-«6; , traduction exacte du premier. Puis il fait
remarquer que si 3nN » e'crit ainsi par des consonnes faibles,
signifie aimer; e'crit avec des lettres plus gutturales 3;iP(«g^a6),
il veut dire consumé d'amour, etc., etc.
L'espace manque pour multiplier les exemples.
Ces racines sont distribue'es dans une sorte de dictionnaire
divise' en trois colonnes. Dans la première sont inscrites les
racines , par ordre alpbabëtique ; dans la seconde , le sens
ge'ne'ral du mot ; dans la troisième , un de'rive' de l'be'breu ,
on un cbi fifre qui renvoie aux notes ou ve'ritables e'tudes de
la racine. Par ce moyen, il est aise' de juger du petit nombre
de mots qu'il faut graver dans la me'raoire , et de la simpli-
fication de ce travail.
M. Rossignol fait encore observer que les lettres be'braïques
elles-mêmes sont moins étranges qu'elles ne semblent au pre-
mier aperçu. Il donne un tableau synoptique des alphabets
grec et be'breu ; et les lettres qu'on croirait de prime-abord
fort diverses , ne sont que la même lettre tournée en sens
contraire.
Ces recherches consciencieuses , ces rapprochemens , ces
analogies frappantes , ne lui donnent-ils pas le droit de con-
clure que son oui^rage pourra tenir lieu de Maître, de Gram-
maire et de Dictionnaire P Et , pour achever du reste de faire
connaître ce savant travail , nous ne pouvons mieux faire que
de laisser parler l'auteur lui-même.
« Sans se'cheresse ni aridité, cette e'tade est un amusement
de philosophe, où l'esprit a plus de part que la me'moire.
Dès le premier jour, on commence à s'apercevoir qu'on n'est
pas en pays dtranger ; on distingue, rà et là, le type primitif
d'une foule de mots re'pandus dans les langues modernes; vieil-
les figures qui apparaissent au milieu de notre civilisation ,
comme les patriarches des premiers siècles , avec toute leur
majesté' et leur simplicité' naturelles. A mesure qu'on lève le
rideau, l'horizon s'e'tend et devient lumineux; chaque instant
172 CHRESTOMATniE HEBRAÏQUE.
chasse nn nuage, et chaque nuage qui disparaît de'couvre de
nouveaux mondes. Avez-vous une racine? c'est l'empreinte qui
caractérisera la foule de ses de'rivés. Une nombreuse famille
rient se ranger autour de l'ide'e-mère , et former de brillan-
tes pléiades, qui empêchent de s'e'garer dans l'immensité du
livre. Et puis , quel enchaînement! Etre J'erme, voilà la racine;
fidélité, vérité, Dieu, nourriture, sont les de'rivés. Ce groupe
d'idées n'est-il pas le texte d'une belle leçon de philosophie ?
hdi fidélité n'estelle pas ybrwe , immuable? La rérité n'est-ce
pas ce qui est p Et ce qui esZ est Dieu, comme il est lui-même
nourriture par essence : il est à l'âme ce que le pain est au
corps. » — Extr. des Annales de Phil. Clirét. n^ 46.
(XAA V«A'VV^A/V\ VV\ VV\ ^A/%/VV^ iVV% VV^ (XAf^ VV\ VV\ VV^ V\^ VVt rvv^ VV% VV« VV^ IV%A'VXA^A^ ^^
Chrestomathie hébraïque , ou Choix de Morceaux tirés de
la Bible , avec une traduction française et une analyse
grammaticale ; par J. B. Glaire (1).
Le but que M. l'abbé Glaire s'est proposé dans cet ouvrage,
qui fait suite à sa Grammaii'e et à son Dictionnaire , est d'ap-
planir les difficultés qu'on éprouve ordinairement , quand on
veut passer immédiatement de la lecture de la grammaire hé-
braïque à l'étude du texte original de la Bible. Il offre en
effet un moyen assez facile d'apprendre la langue primitive de
nos livres saints sans le secours d'un maître.
Cet ouvrage est divisé en plusieurs numéros , dont chacun
contient un texte hébreu , avec sa traduction en français , et
une analyse grammaticale. L'ordre méthodique qui règne dans
toutes les parties du travail de l'auteur , ne laisse rien à dé-
sirer, puisqu'il ne présente les difficultés que graduellement.
C'est ainsi que les premiers morceaux du texte sont d'an style
plus simple et plus facile à saisir; que dans les premiers nu-
méros le français est placé en regard de l'hébreu , et que la
(i) Un volume in-S». Prix : 4 fr. , et 5 fr. franc de port. A Paris,
chez l'auteur, impasse Saint-Dominiqued'Enfer , ix° 6; J.-J. Biaise, li-
braire-éditeur , rue Férou-Saint-Sulpice , n" 24.
MORCEAUX CHOISIS DES SAINTS PERES , ETC. 173
tradaction, cVabord très-litterale , devient de plus en plus li-
bre à mesure qu'on avance. Mais un des plus grands avantages
qu'offre cet ouvrage, c'est non- seulement la fidélité' avec la-
quelle l'auteur , dans son analyse grammaticale, explique cha-
que mot dans tous ses de'tails, et fait remarquer les idiotismes
de la langue sacre'e, mais encore le soin scrupuleux qu'il a de
citer les paragraphes de sa Grammaire , dans lesquels se trou-
vent de'veloppe'es les différentes règles grammaticales dont il
fait l'application; car, par ce moyen il aide puissamment les
efforts que doit faire la me'moire pour apprendre et retenir
ces pre'ceptes de grammaire dont l'e'tude est si sèche et si
aride. On saura e'galement gré à M. lahbé Glaire d'avoir mis
en tête de sa Chrestomathie un Exercice de lecture , suivi d'une
explication qui justifie la prononciation des mots , des syllabes
et des lettres. C'est un vrai service rendu à toutes les per-
sonnes qui veulent se livrer à l'e'tude de l'he'breu, car la plu-
part, effraye'es des difûculte's qu'elles ont à surmonter avant
de pouvoir lire dans cette langue, se rebutent dès les com-
mencemens. Nous espe'rons que les jeunes eccle'siastiques aux-
quels M. l'abbe' Glaire consacre ses travaux, et qui se trouvent
dans le cas de pouvoir se livrer dune manière plus spe'ciaie
à l'e'tude de l'Ecriture sainte, ne manqueront pas de se pour-
voir d'un ouvrage qui peut leur être d'une grande utilité'. —
L'Ami de la Religion, n° 2290.
VVVVVVV\/WwV«VVVVV^VVV.A/Vt(VVVVVvVVVVVVV\l VVVVVVVVVVVVVVVVVVVV^ t/V*VWVWVWVWWVv
BIOaCEAUX CHOISIS DES SAINTS PERES SE L'ÉGLISE
GRECQUE (!)•
C est sans doute une heureuse idée de donner une édition clas-
sique des Pères de l'EgUse ; certes , il n'est pas sans intérêt pour
(i) Paris, Poussiclgue et Hachette, 4 vol. in-12, texte seul, prix
10 fr. Les deux premières livraisons parues, 2 fr. 5o cent. — Voyez
ci-d. t. IX , p. io6.
174 MORCEAUX CHOISIS DES SAINTS PERES
l'éloquence , de faire revivre le génie de ces puissans modèles , qui ,
nourris de la plus pure substance des saintes Ecritures , nous ap-
paraissent partout empreints de cette première sève du christianisme
dont parle Bossuet. Mais la difficulté est de choisir entre les nom-
breux chefs-d'œuvre de ces hommes , dépositaires d'une doctrine
toujours une et invariable ; de ces docteurs, dont l'autorité proclame
le même langage dans tous les temps , pour toutes les conditions ,
pour tous les peuples , chœur immense et univoque auquel s'unissent,
à mesure qu'il avance dans la profondeur des âges , les plus beaux
génies que la Providence ait dispensés à la terre.
A Dieu ne plaise , qu'en recommandant ce précieux recueil aux
professeurs et aux chefs d'établissemens , notre prétention soit de
bannir de l'enseignement les chefs-d'œuvre de l'antiquité païenne !
Ce que nous voulons, c'est que la jeunesse ne soit pas exclusivement
renfermée dans les limites de ces régions profanes ; c'est que cette
littérature , toute riche qu'elle est , ne revendique pas à elle seule
la domination des intelligences, u Ne serait-ce point fausser le goût
" des élèves, et leur inspirer contre la religion des répugnances aussi
» injustes que funestes, en leur laissant croire que Xa. fiction est l'u-
») nique source du beau ; et que les idées religieuses , dont se com-
» pose le christianisme , utiles tout au plus comme règle intérieure
5» des sentimens et des actions , ne peuvent trouver leur place dans
» le vaste et brillant empire des lettres? » Ce que nous voulons,
c'est qu'il soit possible au maître de rapprocher des noms diverse-
ment célèbres , de montrer par quels secrets les prédicateurs de la
bonne nouvelle savaient frapper avec vigueur les âmes engourdies
dans un long abaissement, s'emparer des cœurs et commander aux
passions humaines ; de marquer enlin à chacun sa place dans l'élo-
quence , dans la poésie , dans la métaphysique , dans l'histoire et
dans l'art de conduire les hommes.
Sans doute , il fallait des vues larges pour embrasser dans toute
l'étendue de la puissance de leur action les fondateurs du christia-
nisme , les hommes qui ont opéré cette immense révolution morale ,
sans exemple dans les annales du monde. C'est ce qu'ont tenté des
amis de l'enfance , des prêtres de dévouement et de cœur , dont le
zèle n'a point défailli eu face des difficultés de cette glorieuse tâche.
DE l'Église grecque. 175
Les Pères grecs, dans leurs écrits , offrent plus d'éclat et de coloris ,
plus de chaleur et d'entraînement, plus de variété, plus de poésie;
ils semblent mieux appropriés au goût du jeune âge. Les éditeurs
ont dû commencer par celle riche moisson : les Pères latins vien-
dront en leur temps.
Le premier volume a paru : il est digne de l'œuvre , et répond aux
espérances qu'avait fait naître le Prospectus.
Destiné aux classes élémentaires, ce premier volume renferme des
extraits de saint Clément, pape ; de saint Ignace d'Antioche, de saint
Polycarpe , de saint Clément d'Alexandrie , d'Eusèbe de Césarée , de
Théodoret , et les plus belles homélies de saint Chrysostôme sur ré-
version des statues. Nous avons la confiance que la suite de l'ouvrage
répondra au début ; c'est une joie pour nous de prendre l'engage-
ment d'en rendre compte à nos lecteurs 5 car ce livre ne peut man-
quer d'obtenir un succès mérité.
A très-peu d'exceptions près , les éditeurs ont été bien inspirés
dans leur choix. Le martyre de saint Ignace et de saint Jacques ,
l'histoire si suave et si touchante du jeune homme devenu chef de
brigands, et converti par saint Jean; l'enfance d'Origène, la mort
et les funérailles de Constantin , le siège de Nisibe , le massacre de
Thessalonique et la pénitence de Tliéodose , sont autant de traits
anecdotiques , de grands exemples , pleins d'intérêt pour le jeune
âge , qui ne peut s'élever que progressivement aux choses sérieuses.
Les éditeurs l'ont compris : il faut à cet âge peu et très-pea de cette
morale vague et générale qui ne captive pas les esprits; et ils en
ont été sobres. L'enfant se lasse bientôt ; il a bien assez de lutter
contre les difficultés grammaticales, sans qu'il faille laborieusement
épier et suivre le sens des pensées.
A d'autres titres , la convocation du concile de Nice aurait pu être
remplacée avec bonheur : elle manque de couleur et d'attraits. Nous
avons pareillement regretté de trouver dans ce premier volume l'é-
pître de saint Ignace aux Romains , si élevée , si brûlante de foi ,
de charité, et du désir du ciel. La traduction de la lettre en est
assez facile ; mais est-il un seul commençant capable de sentir , de
comprendre le cri sublime de cette âme chrétienne?
176 MORCEAUX CHOISIS DES SAINTS PERES
îlous aurions encore désiré quelques notes grammaticales de plus
pour mettre l'élève sur la voie des verbes et des phrases irrégulières.
Nous demanderons la permission de faire une dernière observa-
tion. S'il ne faut pas trop se déQer de l'intelligence de l'enfant , il
y a aussi danger à ne pas tenir compte des forces naturelles de son
esprit. C'est s'élever au-dessus de leur portée, que de les appeler à
traduire les homélies de Tliéodoret , sur la Providence , et surtout
l'hymne si elliptique de saint Clément à Jésus , sauveur. Cette poésie
fraîche , suave et pleine d'âme , offre néanmoins des difficultés tout-
à-fait inaccessibles aux commcnçans. Sa place était naturellement
marquée dans le volume de vers , à côté de saint Grégoire de Na-
ziance et de Synésius , dont elle n'eût pas déparé les chants si neufs,
si intimes et si vrais. Cette petite pièce est peu connue. Nous ne
pouvons mieux terminer l'examen de ce livre , qu'eu la traduisant
littéralement.
A JESUS, SAUVEUR*
Frein des jeunes coursiers indomptés ,
Aile des oiseaux qui ue s'égarent point,
Gouvernail assuré de l'enfauce ,
Pasteur des agneaux du Roi ,
Tes simples enfans
Rassemble-les ,
Pour louer saintement,
Chanter avec candeur ,
D'une bouche innocente ,
Le chef des enfans , le Christ.
O Roi des Saints ,
Verbe triomphateur suprême ,
Dispensateur de la sagesse
Du Père , du Très-Haut ;
Toi , l'appui dans les peines ,
Heureux de toute éternité ,
Sauveur de la race mortelle , Jésus!
DE l'Église grecque. 177
Pasteur , agriculteur ,
Frein , gouvernail ,
Aile céleste
Du très-saint troupeau :
Pêcheur des hommes rachetés,
Amorçant à réternelle vie
L'innocent poisson
Arraclié à l'onde ennemie
De la mer du vice ;
Sois le guide des brehis spirituelles ,
O saint Pasteur : sois le guide, .
O Roi , des enfans sans tache.
Les vestiges du Christ
Sont la voie du Ciel.
Parole incessante ,
Eternité sans bornes ,
Éternelle lumière.
Source de miséricorde,
Auteur de toute vertu,
La vie irréprochable
De ceux qui louent Dieu , ô Jésus-Christ !
Nous , petits enfans ,
Qui , de nos tendres bouches ,
Suçons le lait céleste
Exprimé des douces mamelles
De ta sagesse , la Grâce des Grâces j
Abreuvés de la rosée de l'Esprit
Qui découle de ta nourrissante Parole j
Chantons ensemble
Des louanges ingénues ,
Des hymnes sincères ,
A Jésus-Christ , Roi.
Chantons les saintes récompenses
De la doctrine de vie j
Chantons avec simplesse
L'enfant tout-puissant.
Chœur pacifique ,
Enfans du Christ ,
Troupe innocente ,
Chantons tous ensemble le Dieu de paix.
T. X. 12
178 MORCEAUX CHOISIS DES SAINTS PERES, ETC.
Ceux qai aiment les rapprocliemeus pourront comparer ce mor-
ceau avec Y Hymne de V Enfant à son réveil , dans les Harmonies.
Peut-être trouvera-t-onque M. de Lamartine est plus poète, saint Clé-
ment, plus clirétien et plus vrai. Les pensées, les sentimens d'un
homme fait percent à cliaque instant dans l'hymne moderne ; il est
vague d'ailleurs ; un déiste presque pourrait l'avoir fait. Sous un
accent enfantin , c'est de la poésie adulte, savante, raisonnée (1).
Dans le chant du Père de l'Eglise rien de pareil ; tout est simple ,
d'une simplicité antique , le vers se brise avec chaque exclamation
de l'enfant. Ce ne sont presque que des hémistiches, et cette poésie
de courte haleine est un trait de vérité de plus. C'est assez : l'aile
du papillon ne s'analyse point; la grâce ne se commente pas. —
Annales de Phil. chrét. n° 46.
(i) Nous transcrivons ici cet hymne.
HYflINE DE L'ENFANT A SON RÉVEIL.
O Père qu'adore mon père ! O Dieu ! ma bouche balbutie
Toi qu'on ne nomme qu'à genoux ! Ce uom des anges redouté.
Toi dont le nom terrible et doux. Un enfant inème est écouté
Fait courber le front de ma mère ! Dans le chœur qui te glorifie.
On dit que ce brillant soleil On dit qu'il aime à recevoir
N'est qu'un jouet de ta puissance ; Les vœux présentés par l'enfance ,
Que sous tes pieds il se balance A cause de cette innocence
Comme une lampe de vermeil. Que nous avons sans le savoir.
On dit que c'est toi qui fais naître On dit que leurs humbles louanges
Les petits oiseaux dans les champs , A son oreille montent mieux ,
Qui donnes aux petits enfans Que les anges peuplent les cieux ,
Une âme aussi pour te connaître. Et que nous ressemblons aux anges !
On dit que c'est toi qui produis Ah ! puisqu'il entend de si loin
Les fleurs dont le jardin se pare , Les vœux que notre bouche adresse.
Et que sans loi , toujours avare , Je veux lui demander sans cesse
Le verger n'aurait point de fruits. Ce dont les autres ont besoin.
Aux dons que ta bonté mesure Mon Dieu! donne l'onde aux fontaines
Tout l'univers est convié ; Donne la plume aux passereaux ,
Nul insecte n'est oublié Et la laine aux petits agneaux ,
A ce festin de la nature. Et l'ombre et la rosée aux plaines.
179
VIE DE SAINT mAIffÇOIS X>E SAI.ES ,
PAR M. LOYAU d'aMEOISE.
La vie la plus connue et la plus csiimée de saint François de
Sales était celle de MarsoUier , qui a été réimprimée bien des fois.
Elle est écrite avec simplicité. Nulle recherche, nulle prétention,
nulle pompe dans le style. M. Loyau d'Amboise a cru que ce genre
ne convenait pas au goût du siècle. Son sentiment à cet égard n'est
même pas particulier à la vie de MarsoUier. Il pense que les vies
des Saints sont presque toutes à refaire, et qu'il faut délivrer ces
sortes d'ouvrages non de mysticisme, mais de puérilités. Cet arrêt
semble bien sévère. Nous avons beaucoup de vies de Saints; dans
le nombre , il en est sans doute qui sont d'un style uu peu su-
ranné j mais il en est aussi bien d'autres qu'on lit toujours avec in-
térêt, précisément parce qu'on y trouve cette simplicité qui inspire
la confiance cl qui paraît convenir spécialement aux livres de piété.
Si le public est aujourd'hui d'un autre goût , c'est ce quj nous igno-
rons. Il décidera qui, de MarsoUier ou de M. Loyau d'Amboise,
fait mieux connaître et mieux aimer saint François de Sales. Pour
nous , sans nous prononcer ici à cet égard , nous voyons que nous
aurons deux vies du saint évcque pour une , celle de MarsoUier
L'agneau broute le serpolet ,
La chèvre s'attache au cytise ;
La mouche au bord du vase puise
Les blanches gouttes de mou lait.
L'alouette a la graine araère
Que laisse envoler le glaneur;
Le passereau suit le vanneur,
Et l'eufant s'attache à sa mère.
Et pour obtenir chaque don ,
Que chaque jour tu fais éclorc ,
A midi, le soir, à l'aurore,
Que faut il? prononcer ton nom!
Donne aux faialades la santé,
Au mendiant le pain qu'il pleure ,
A l'orphelin une demeure ,
Au prisonnier la liberté.
Donne une famille nombreuse
Au père qui craint le Seigneur;
Donne à moi sagesse et bonheur.
Pour que ma mère soit heureuse!
Que je sois bon , ((uoique petit ,
Comme cet enfant dans le temple ,
Que chaque matin je contemple,
Souriant au pied de mon lit.
12*
Ï80 VIE DE SAIST FRANÇOIS DE SALES.
pour ceux qui tiennent à l'ancienne me'thode , celle de M. Loyau
d'Amboise [lour la jiunesse, pour les gens du monde, pour tous
ceux qui aiment un peu de brillant , de fleurs et de mouvement
dans le style. Les inteiitions de M. Lojau d'Amboise sont ex-
cellentes; il a voulu réconcilier son siècle avec les vies des Saints,
il a cherche' à allécher les gens du monde par l'éclat des images,
par les ornemens de Tart , par la variété , par l'harmonie. Admi-
rateur de M. Chateaubriand, il envie à plusieurs reprises la magie de
son style plein de magnificence. Son enthousiasme, nous le croyons,
l'a entraîné un peu loin dans les e'iogcs qu'il fait du célèbre écri-
vain ; mais ce n'est pas de cela que nous devons nous occuper.
Revenons à la vie de saint François de Sales.
M. Loyau d'Amboise a partagé la sienne en six livres, la jeu-
nesse de François de Sales, la mission du Chablais , depuis la mis-
sion de Chablais jusqu'à l'épiscopat du Saint, l'episcopat , la fon-
dation de la Visitation et le reste de la vie jusqu'à la mort du saint
évêque. Dans ces six livres , la narration n'est pas continue et mo-
notone : l'auteur l'entremêle souvent par des descriptions et des ré-
flexions. Il avoue même qu'il ne s'est point épargne les digressions , et
en effet, il y en a quelques-unes. La suivante n'est pas une des moins
belles, et nous la donnons comme un cchantilion du style de l'auteur
et en même temps comme un le'moignage de ses religieux sentimens.
Cette citation est empruntée au récit du voyage de saint François de
Sales à Rome pendant sa jeunesse :
« Un soir, François de Sales s'était assis sur un banc de mar-
bre, devant cette métropole de Saint-Pierre que le génie de Sixte-
Quint venait d'achever. L'astre des nuits montait lentement dans le
cieux, et ses regards suivaient sa marche au milieu de ce champ
d'azur. Il n'entendait d'autre bruit que celui d'une brise douce (jui
froissait à peine l'air. Ce portique, superbe introducteur du pre-
mier temple de 1 univers, ces colonnes aussi sveltes qu'un palmier
de Délos , celte coupole jetée dans les nuages, les clartés delà lune
se «lissant à travers les arcs-boutans , et les dentelures, ce calme,
ce silence, le jetaient dans un ravissement auprès duquel ce qu'il
avait éprouvé à l'amphithe'àtre de Titus et au Panthéon d'Agrippa
n'e'tait qu'une admiration froide. Soudain , il entendit d'un monas-
tère peu e'ioigné, des voix de jeunes filles qui chantaient un hymne
VIE DE SAmT FRANÇOIS DE SALES. 181
à la Vierge. Cette mélodie arrivait à lui adoucie par son passage
dans l'air el elle lui inspirait le même plaisir que s'il eût écouté les
concerts du ciel. Les triomphes de la religion l'entouraient. Devant
lui, Dieu dans sa magnificence; presqu'à ses côtés. Dieu dans sa
douceur ! Et pourtant il se trouvait dans cette même ville qui s'é-
branlait de joie quand des milliers de chrétiens tombaient sous l'on-
gle des bêtes ou sous la liache de Dioclétien. Oh ! que la religion
est grande, quand on l'envisage dans cette capitale de toutes les gran-
deurs ! Là oîi toute la puissance humaine s'était levée contre le Christ,
là il a bâti la sienne; et la croix, d'abord cachée dans les souterrains
de Rome, est montée d'échelon en échelon jusque sur la coupole de
Saint Pierre.
» Ne comprend-on pas que Dieu n'avait point élevé Rome au
dessus de toutes les nations pour assouvir le bonheur d'un Cali-
gula ou d'un Tibère, mais pour en faire sa ville, la ville de son
Christ. Son empire, avant qu'elle commandât au nom de Ja croix
n'e'tait qu'une figure grossière de celui que la sagesse éternelle lui*
réservait. Aussi , pendant que les barbares faisaient pousser l'herbe
où avaient été les villes de l'ancien monde , et balayaient devant
eux nionumens et peuples, Rome restait immobile. Echappée au
torrent qui avait envahi le reste de la terre , Rome se montre de
loin comme un phare immense qui guidera les peuples renaissans
à la civilisation et aux lumières. Dieu ne lui a point donné d'ar-
mées, mais ses droits, qui sont plus forts que des armées. Si elle
parle, sa voix ébranle la terre et consterne les oppresseurs. Ils
auraient pu, sortis de tant de berceaux différens, si opposés entre
eux de lois et d'usages , défigurer la religion du Christ. Mais Dieu,
qui a tout prévu , a établi un gardien qui veillera sur cet arbre du
miracle. D'un mot il arrêtera les maîtres des peuples , s'ils veulent
poser leurs mains sur l'arche sainte. O lois d'une éternelle sagesse !
Les nations ont passé , et elles ne passent point. Des flots de colère,
partis de tous les points du monde , se sont rendus contre les
murs de Rome et s'y sont brisés; le représent^jnt du Christ n'a point
quitté cette chaire, de laquelle Dieu a décidé que sortirait toujours
la vérité. 11 y règne , malgré les tempêtes qui ont tout change autour
de lui , et il trouve la même soumission dans ses cnfans qu'au temps
où il imprimait la poussière de ses pieds sur le front des rois. L'hé-
182 VIE DR SA1>T FRANÇOIS DE SALES.
ritace du Christ s'est rétréci, mais la ville éternelle ne cesse point
d'en être le centre. Cela fut ordonné par un maître que l'impie peut
insulter, mais dont il n'arrête pas la puissance. Il a dit, en condui-
sant Pierre à Rome : « Ici je bâtirai mon Eglise, et les portes de
l'enfer ne prévaudront jamais contre elle. »
Cette digression ne finit même pas là , et l'auteur a ensuite un
antre morceau sur Gre'goire VII et sur sa politique. Il est tout en
faveur de ce grand Pape , car iM. Loyau d Amboise se montre par-
tisan déclaré de l'autorité du Saint-Siège. Dans un autre endroit,
il ven-^e la vie religieuse des critiques et des dérisions d'un monde
frivole. A la fin de l'ouvrage surtout il y a une très-longue digres-
sion où l'auteur compare saint François de Sales avec les philoso-
phes anciens et modernes. Il y a là des choses vraies et bien sen-
ties ; mais il y a aussi parfois des traces d'exagération. Ainsi , M.
Loyau d'Amboise dit que Voltaire est passé de mode , comme
Ronsard, comme Arislote ; il le croit, puisqu'il le dit, mais
n'est-ce pas manifestement une illusion ? Personne assurément ne
lit Ronsard, en est-il de même de Voltaire? Peut-on dire que per-
sonne ne le lit? L'auteur remarquait lui-même, quelques lignes
plus haut, que les adorateurs de Voltaire n'ont rien perdu de leur
haine contre la vérité; si Voltaire a encore des adorateurs , il n'est
donc point tout-à fait passé de mode.
Quoi qu'un goût pur et une sévère exactitude puissent trouver
à reprendre dans ce livre, cependant les sentimens religieux de
l'auteur , sa vénération pour saint François de Sales , son zèle pour
le faire connaître, ses réflexions, ses raisonncmens , ses digres-
sions même, qui ont un bon motif, tout cela le recommande à
l'estime des gens de bien. Nous l'engagerions seulement h retran-
cher quelque chose de ce luxe d'ornemens dont il a voulu parer
son sujet. Une vie des Saints ne doit pas s'écrire comme un ou-
vrage d'imagination, et si le romantisme doit envahir tous les gen-
res de littérature, souhaitons du moins que les livres de piété
soient préservés do tout ce qui y ressemble de près ou de loin. — •
L'Ami de la Religion , »» 2256.
183
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NOTICE SUR M. CHARI.ES BUTLER,
ÉCRIVAIN CATHOLIQUE ANGLAIS.
La vie de M. Charles Butler serait presque l'histoire des efforts
faits en Angleleire , depuis SO ans , pour tirer les catholiques de
l'état d'oppression où ils étaient. Il prit une grande part à toutes ces
tentatives, et, si sa coopération ne fut pas toujours heureuse, elle
ne fut pas néanmoins sans éclat , et l'entraîna dans de longues dis-
cussions qui firent beaucoup de bruit. D'ailleurs , M. Butler a at-
taché son nom à dilïérens ouvrages qui ont eu plus ou moins de
succès, et, à ce titre encore, une notice sur ce personnage est sus-
ceptible d'iutérét.
Charles Butler naquit à Londres le 1-4 août 17S0, d'an père qui
était dans le commerce, et d'une mère qui était Française. Un frère
de son père , Alban Butler , était un pieux et savant prêtre , qui
est devenu célèbre par son excellent ouvrage des P^ies des Pères,
que l'abbé Godescard a traduit en français. Toute cette famille était
catholique. Charles Butler fut élevé avec soin dans une école catho-
lique à Hammersmith , près Londres ; de là , on l'envoya sur le
continent , à Esquerchin , école dépendante du collège anglais de
Douai. Il termina ses études classiques à Douai même. De retour
en Angleterre, vers 1766, il se livra à l'étude du droit sous quel-
ques jurisconsultes catholiques. En 1773, il commença à travailler
pour lui-même, et entra à Lincoln's-Inu ; mais ce ne fut qu'en 1791
que le barreau fut ouvert aux catholiques. Bl. Butler acquit beau-
coup de réputation comme avocat , et sa fortune s'accrut rapidement.
11 avait épousé en 1776 BTarie Eyston , dont il eut deux filles.
En 1787 , on forma un comité pour défendre les intérêts géné-
raux des catholiques , et essayer de faire rapporter les lois ancienne-
ment portées contr'eux. 31. Butler fui nommé secrétaire de ce comité,
et y eut beaucoup d'influence. Actif, remuant, instruit, il fit beau-
coup de démarches auprès des ministres et dn parlement , et fut
regardé comme l'Ame du comité. Malheureusement ce comité agit
comme s'il eût été indépendant des évêques catholiques , qu'il aurait
184 NOTICE SUR M. CHARLES BUTLER.
dû consulter avant tout. De là de fâcheuses diTÏsions que l'on trouve
racontées dans divers ouvrages. Voyez les Méinoires pour servir à
l'Histoire ecclésiastique pendant le 18^ siècle, tome III , pag. 161.
M. Butler lui-même a parlé de ces démêlés dans ses Mémoires des
catholiques anglais, et, s'il a mis de la réserve et de la mesure
dans ses récits , il relève néanmoins tout ce qu'il a fait et dissimule
ses torts. Ces torts ont été exposés par M. Miller dans ses Mémoi-
res supplémentaires ^ Londres, 1820, in-8° ; mais il faut avouer
que l'ouvrage n'est pas exempt de dureté et môme d'aigreur.
On attribua généralement à M. Butler et la protestation publiée
par le comité en 1789, et les livres hleus et rouges, qui parurent
à cette époque pour la défense du comité. Pour être juste, nous de-
vons faire connaître ce qu'il nous dit à cet égard dans une lettre du
20 avril 1818, que nous avons conservée : « Dans vos Méinoires ,
vous m'attribuez des ouvrages dont non-seulement je ne suis pas l'au^
teur , mais qui n'ont jamais existé , si vous considérez les Livres
hleus comme une publication distincte des lettres du comité. Quel
que soit le mérite ou le démérite de ces lettres, la part que le co-
mité prit dans cette affaire finit avec elles. Les membres du comité
et leurs amis s'abstinrent entièrement de rien écrire, depuis, sur
ces contestations. Depuis cette époque jusqu'à présent, aucun catho-
lique anglais n'a pris la moindre mesure qui pût affecter, môme de
loin , la foi ou la discipline de l'Eglise. La dispute du veto n'a eu
lieu qu'avec les Irlandais ; le docteur Milrier , seul , y a pris part, »
M. Butler publia cependant, lors de la dispute sur le veto, une
lettre à un catholique romain. 11 fut un des membres du nouveau
bureau catholique formé en 1803; mais il n'en était plus secrétaire.
Il fit paraître en 1813 et en 1817 des adresses aux protestans anglais
pour dissiper leurs préventions contre les catholiques. Ses brouille-
ries avec M. Milner aboutirent en 1813 à une exclusion du bureau
prononcée contre ce prélat , mesure qui , dans l'opinion des catho-
liques , ne fut pas favorable à M. Butler. Cependant, il vécut tou-
jours bien avec M. Poynter , vi(;aire apostolique de Londres; et ce
prélat, qui n'avait pas moins de zèle que de prudence, nous en a
parlé avec estime. Dans ces derniers temps , M. Butler vivait dans
les habitudes de la piété. En 1823, sa vue s'afTaiblissant , il cessa
de s'occuper des affaires du barreau. Il mourut le 2 juin 1832, âgé
de près 8^ ans.
NOTICE SUR M. CHARLES BUTLER. 185
Ses onvrages sont nombreux et variés ; nous indiquerons les plus
importans : 1° Horœ Bihlicœ ou Recherches littéraires sur la Bible,
Oxford 1799; elles ont eu plusieurs éditions, et les dernières conte-
naient quelques dissertations accessoires. Cet ouvrage a été Iraduit
en français par M. Boulard , 1810, in-8° ; 2° Horœ juridicœ siih-
secivœ , in-8" ; ce sont des documens sur les principaux codes et sur
les recueils de lois ; 3°Jbrégé des Révolutions de Vempire d'Alle-
magne ; A' des Vies abrégées de Bossuet , de Fénélon , de saint
Vincent de Paul , de Thomas à Kentpis, de Rancé , de BoudoUj
d'Alban Bvtler , du chancelier de l'Hôpital, du chancelier d'A-
guesseau , d'Erasme, de G rotins ; 5' Histoire des Fonnvlaires et
des Confessions de foi, 1816, in 8° ; 6° Mémoires historiques de
l'Eglise de France, 1817, in-8'. Nous en avons rendu compte
dans ce journal , n' 380 ; 7° Mémoires historique^ des Catholiques
anglais , 1 8 1 9 , 2 vol. in-8° ; 8" Continuation des Vies des Saints,
d'Alban Butler, 1823, in- 8°. On y a ajouté des notices sur quel-
ques |)ieux personnages , sur Pie VI ; des Mémoires historiques sur
les Jésuites , etc. Ce volume a été traduit en français ; 9° Rémini-
cences , 2 vol. în-8° ; le premier volume contient une Lettre sur
l'auteur de Junius ; une Lettre sur la musique et sur le charit gré-
gorien , et un Discours à l'ouverture de l'Institut pour la mission de
Londres en 1815 ; 10 Défense de l'Eglise romaine contre sir Ro-
bert Sauthey , in-8" , traduite en français. Paris, 1823 , in-8'' (l).
L'auteur y ajouta depuis une ré[)onse à des observalions de l'évêcjue
anglican de Londres; 11° Réponse à des Observations contre la
sanction du Roi aux bills en faveur des Catholiques ; et un Essai
pour prouver la soumission et la fidélité des Catholiques à l'Etat,
malgré leur attachement à l'autorité du Pape (2).
(i) L'ouvrage contre le docteur Southey , porte en angKiis le titre de
Litre de C Eglise calholinue , par opposition au titre de l'ouvrage de
Southey, Z/Vre de l'Ei^lise. L'ouvrage fut suivi dune défense. L'im et
l'autre ont en deux éditions. Le livre de Southey donna lieu à une con-
troverse , sur laquelle Butler donne quelques détails dans le second vo-
lume de ses Réminiscences.
(2) Une liste que nous trouvons dans le Catholic magazine d'Edim-
bourg, indique d'autres écrits moins importans ou politiques de M. Butler.
186 NOUVEAUX MONUMENS DÉCOUVERTS AU MEXIQUE.
M. Butler était un homme instruit et laborieux ; il aimait la lit-
térature , et ce ne fut que par un exact emploi de son temps qu'il
pars'int à concilier la composition de tant d'ouvrages, avec les oc-
cupations de sa profession. S'il se méprit dans ses vues politiques
lorsqu'il était secrétaire du comité catholique, s'il soutint des me-
sures qui auraient été funestes à la religion , ce fut plutôt par défaut
de prévoyance que de zèle. Cependant , les catholiques anglais lui
ont généralement su peu de gré de sa conduite ; ils ne le trouvaient
point assez prononcé , et lui reprochaient quelques concessions aux
préjugés des proteslans. Le malheur de M. Butler fut peut-être d'a-
voir puisé dans les ouvrages de plusieurs jurisconsultes des idées peu
exactes sur les droits et l'autorité de TEglise. Du reste , il y a lieu
de croire qu'il n'eût pas approuvé lui-même, dans ces derniers temps ,
quelques-unes de ses anciennes démarches lorsqu'il était secrétaire
du comité. C'est à ceux qui n'ont jamais failli à lui jeter la pierre.
— L'Ami de la Religion, n° 2284.
IVV\/VV^ ^A/* vv\ ^/*^ VV^ VVV VVV VVV VVV VVX VV V VVV VV\ V VV «/V/V VVV vvv vvv vv\
NOUVEAUX MONUBÏENS DÉCOUVERTS AU MEXIQUE,
ET PROUVANT l'aNCIENNE CIVILISATION DE CE PAYS (1).
M. G. Nebel a été assez heureux pour découvrir des matériaux
nombreux, et qui constatent d'une manière positive l'histoire de
l'art chez les anciens Mexicains.
Parmi les antiquités monumentales de'criles dans son ouvrage,
nous avons remarqué surtout un temple , dont il reste encore au-
jourd'hui assez de matériaux pour permettre d'en faire une restau-
Ces écrits dont un Essai sur les maisons d'industrie j un Essai sur la
légalité de la presse pour les niaLelots , une édition avec hargrave des
commentaires du lord Coke sur le Traité des inom'ances des fiefs de Tho-
mas Littleton ( Je travail de BmIIct sur ce cooimenlaire est fort estimé
et a eu sept éditions ), une édition ô^nw autre ouvrage de jurisprudence
de Féarne.
(i) V. ci-d. tom. Vlir , p. 4G8.
NOUVEAUX MONUMENS DECOUVERTS AU MEXIQUE. 187
ration exacte. Ce temple est d'ane forme pyramidale, mais forme
par de hautes assises carrées, qui sont comme autant de gradins.
Sur la face principale , des degrés servent à monter sur la pente
de cette pyramide, iu^qu'à une certaine hauteur : là, se trouve,
sur une plate -forme, la statue du dieu : devant elle, sur une
pierre à sacrifice, on immolait des victimes humaines, dont on
jetait ensuite les cadavres en bas. Plusieurs petites statues , en
terre cuite ou en pierre sculptée , représentent les piètres sacrifi-
cateurs, vêtus de la peau d'une victime humaine : cette peau ne re-
couvre que le buste , à partir du cou , les bras et la moitié des
jambes; le reste a disparu , à l'exception des mains que l'on a lais-
se'es pendantes; sur la poitrine, on remarque à toutes les peaux
l'ouverture qui a dû être pratiquée pour arracher le cœur du sa
crifié. Il est curieux de voir avec quelle vérité quelquefois ces pe-
tites statues sont exécutées. C'était dans ce costume ([ue les prêtres
se présentaient au peuple, pour en recevoir des offrandes.
Une chose digne de remarque encore , ce que ces peiqjles con-
naissaient l'art de multiplier les empreintes, en les reproduisant,
au moyen d'une espèce de matrice en bois, gravée en relief; ainsi
l'on a retrouve' plusieurs de ces instrumens de formes différentes,
ayant un raanclie pour en faciliter l'emploi. Ceux que M. C. Nebel
a dessinés, d après les originaux, représentent des ornemens, et
devaient probablement servir à imprimer des étoffes.
Des savans ont prétendu que la civilisation et les arts n'étaient
pas d'une origine beaucoup moins reculée dans le nouveau monde
que dans l'ancien. Un fait qui viendrait à l'appui de cette opinion,
c'est la découverte d'un temple entièrement conserve au milieu
dune des forets-vierges du Mexique, et dont la masse était cou-
verte d'une végétation forte et vigoureuse, comme celle de ces
contrées. M. C. Nebel l'a fait dégager, et Ton a reconnu que ce
temple n'e'tait pas seul à celte place : une ville avait existé; les
de'combres rencontrées à chaque pas en font foi. Combien de siè-
cles ont dû passer sur ces ruines avant de les avoir ainsi cache'es
sous de sombres et épaisses savanes ! Quel vaste champ ouvert à
l'historien et à l'archéologue ! — Mémorial encyclopédique.
183
•VVtfWHV^'^ vv\^v\w\ \
LETTRE PASTORALE
DE MGR. Ii'ÉVÊÇUE SX BB.UG£S~(i)-
FRANCOIS-REIVÉ BOUSSEN , par la miséricorde de Dieu
et la grâce du Saint-Siège Apostolique, Evèque de Bruges,
au Cierge et aux Fidèles de notre Diocèse , salut et
bénédiction en Notre Seigneur Jésus-Christ.
Nos TRÈS-CHERS FrÈRES !
Notre Saint Père le Pape, Grégoire XV.I , successeur de saint
Pierre, Prince des Apôtres, en vertu du pouvoir à lui confie par
Je'sus-Christ même, comme au Pasteur universel de l'Église de
Dieu, vient, par sa buile du six des calendes de Juin dernier,
d'e'riçer définitivement le nouvel évêché de Bruges , auquel il as-
signe pour territoire toute la Flandre-Occidentale. Sa Sainteté
ériire par la même bulle, l'église paroissiale de Saint-Sauveur en
Cathe'dralc, et, tout en lu! conservant son ancien titre, lui donne,
ainsi qu'au nouvel évêché de Bruges , saint Donatien pour Patron.
La fête de S. Donatien se célèbre le quatorze Octobre, et la nou-
velle Cathédrale a eu le bonheur de recevoir ses pre'cieuses reliques.
Nous devons encore vous annoncer, nos très chers frères, que
le Saint-Père , dans le consistoire du 23 Juin dernier, a daigne e'ie-
yer notre faiblesse à la dignité devêque de Bruges. Maintenant
que Mgr. l'archevêque de Malines, en qualité de délégué du Saint-
Siège, après avoir publié, en due forme, la bulle d'e'rection de
re'vêché , nous a mis en possession du siège, auquel la voix du
Vicaire de Jésus-Christ nous a appelé, nous nous sentons le be-
(0 V. ci cl. t. Vir, p. 22'|. L'installation de Mgr. l'évêque de Bruges
a été célébrée le 23 juillet dernier. V. le Journal hist. et litt. de M. Rers-
ten, t. I , p. 214.
LETTRE PASTORALE.
189
soin , N. T. C. F., de -vous ouvrir notre cœur, et de vous mettre
a découvert les pensées et les sentimens dont il est animé.
A ne consuUur que notre repos, nos inclinations et nos capa-
cités personnelles , jamais nous n'aurions pu nous résoudre à pren-
dre sur nos faibles épaules le terrible fardeau de l'épiscopat. Mais
nous aurions cru résister à la voix de Dieu même , en ne pas ac-
quiesçant à la volonté bien expresse du Souverain-Pontife et de
Monseigneur l'ëvêque de Gand , qui nous appelaient à l'adminis-
tration spirituelle de la Flandre-Occidentale. Il y a près d'un an
et demi que nous sommes venu résider au milieu devons, en qua-
lité d'evêque-administrateur ; durant ce temps , nous avons pu
nous convaincre, par notre propre expe'rience, combien étaient
fondées nos craintes et nos répugnances pour l'acceptation du far-
deau e'piscopal, et combien l'apôtre S. Paul a eu raison de nom-
mer l'e'piscopat une bonne œuvre (I. Tim. III), c'est-à-dire, d'après
l'interprétation de S. Augustin, de S. Jérôme, de S. Grégoire le-
Grand, de S. Ansebne et autres, une forte besogne, une charge difficile.
Toutefois, ce qui nous console et nous encourage, cest de sa-
voir avec le même apôtre , que Dieu est fidèle , gu'il ne pev'
mettra jamais que nous soyons tentes au-dessus de nos forces
(I Cor. X); que Dieu employé souvent ce qui est faible, pour
confondre ce qui est fort ( I Cor. I ), et que même , au moment de
notre plus grande faiblesse, nous sommes forts (II Cor. XII), parce
que nous pouvons tout dans Celui qui nous fort fie [^hxWv). IV).
Déjà depuis long-temps nous connaissions, étant né et élevé au
milieu de vous , et ayant rempli pendant plusieurs années les fonc-
tions de secrétaire de l'c'vêche, nous connaissions , disons-nous
toute la vivacité de votre foi, toute l'e'tendue du respect que
vous portez envers ceux qui sont constitiies les pasteurs de vos
âmes, et qui vous régissent au nom ; de Jésus-Christ même. Mais
ce que nous avons vu de nos propres yeux , et entendu de nos
propres oreilles, depuis un an et demi que nous re'sidons au milieu
de vous, n'a fait qu'augmenter notre respect et notre attachement
pour vous , N. T. C. F. ; et nous ne craignons pas de vous appliquer
ce que l'Apôtre des nations disait autrefois des fidèles de Rome :
Votre foi est annoncée et Xanéa dans tout le monde. (Rom. I.)
Uq autre sujet de consolation se trouve dans la soumission, le
190 LETTRE PASTORALE.
zèle , les vertus et les lumières de nos chers coopërateurs. Nous
possédons en effet , N. T. CF. , un c'.ergé qui s'est dislingue' de tout
temps par un altacbement inviolable à la Chaire apostolique, à cette
Église Romaine, la Mère et la Maîtresse de toutes les églises,; dans
laquelle (nous parlons avec S. Augustin ) Dieu a placé la doctrine
de la vérité (Epist. CX ) ; un clergé, dont les lumières et le
zèle dissipent les ténèbres de l'ignorance, et dont les vertus peu-
vent servir d'exemple au troupeau confie à leurs soins. Ce clergé
exemplaire, nous en sommes redevables , N. T. C. F. , après Dieu ,
aux supérieurs ecclésiastiques qui nous ont précédé ; leur courage
et leur vigilante sollicitude ont su triompher de toutes les manœu-
vres , employées à diverses époques , pour altérer la foi et ternir
l'éclat du sanctuaire.
Nous avons organisé notre grand séminaire depuis un an : l'éten-
due et la solidité des études qu'on y fait , pre'parent à l'Église de
zélés et doctes ministres. Notre petit séminaire est connu depuis
long-temps; il peut rivaliser avec les meilleurs collèges du pays.
Il y a aussi, dans notre diocèse, un grand nombre d'cxcellens '
collèges et de maisons d'éducation , où l'étude de la religion se
joint à la culture des belles-lettres , et d'autres sciences utiles et
variées.
Enfin , de nombreuses écoles , dirigées selon l'esprit de la sainte
Eglise, donnent aux classes pauvres, ou moins aisées, l'occasion
d'apprendre les principes de la religion , et de se procurer une
instruction , proportionnée au rang que chacun d'eux occupera plus
tard dans la socie'té.
Que dirons nous des hôpitaux et autres e'tablissemens de cha-
rité, fondés en si grand nombre et conservés par la religion; de
ces asyles, où la maladie, la vieillesse , les misères humaines, en un
mot , trouvent une retraite assurée et des adoucissemens à leurs
peines ; où la charité chre'tienne ne rencontre aucun sacrifice trop
grand , ni aucune répugnance trop forte pour son héroïsme !
Enfin, nous avons la consolation de voir les ordres religieux,
de l'un et de l'autre sexe, se relever en plusieurs endroits de
notre diocèse. Les prières de ces âmes ferventes, qui ne sem-
blent plus être de la terre, ne manqueront pas d'attirer sur no-
tre administration l'abondance des bénédictions célestes; tandis que
LETTRE PASTORALE. 191
leur recueillement , leurs privations , leurs pe'nitences confondront
notre lâcheté, et serviront, parleur admirable varie'té, h rehausser
la beauté de l'Épouse de Jesus-Christ. (Psalm. XLIV. )
L'esprit d'irréligion, il est vrai, a exercé ses ravages chez nous,
comme partout ailleurs ; les bonnes mœurs ont souffert beaucoup ,
par suite de diverses causes qu'il serait trop long d'énumérer ici :
mais nous avons la douce satisfaction, de savoir que la grande ma-
jorité de nos dioce'sains n'a pas fle'cbi le genou devant lidole de
l'irre'ligion ; et les fruits abondans que les missions ont produits
partout où elles ont eu lieu , sont une preuve certaine que les mi-
se'ricordes du Seigneur sont loin dêtre épuise'es : ils démontrent
ce que nous pouvons attendre dans la suite , si la divine Provi-
dence daigne nous accorder quelques années de paix.
O vous donc, nos chers coopérateurs! vous, notre joie et notre
coM/on/zg (Philipp. IV), aidez noire faiblesse à soutenir le fardeau
de l'épiscopat. Jusqu'ici les sentimens étaient partage's sur des
questions de haute importance; maintenant Rome a parlé, la
cause est finie (S. Augustin). Rendons à Dieu tout-puissant d'im-
mortelles actions de grâces, pour cette insigne faveur accorde'e à
son Eglise. Pressons-nous autour de la Chaire apostolique, nous res-
souvenant avec saint Ambroise , que là où est Pierre , là est l'E~
glise (S. Arab. in Psalm. XL); et avec saint Jérôme, que quicon-
que ne recueille pas avec Pierre , dissipe (S. Hier. Ep. LVII ad
Damasum Papam). Consolons le cœur affligé de notre Père com-
mun , par une soumission filiale et inviolable à tous ses décrets.
Soyons un de sentiment et d'action , comme Jésus-Christ est un
de nature et de volonté avec son Père (Joann. XVII). Ah! que
cest une chose bonne et agréable , que les frères soient unis
( Psalm. CXXXII ') ; que nous servirons bien la cause de Dieu ,
aussi long-temps que nous nous aiderons les uns les autres en
frères ( Prov. XVIII). Et vous tous. Nos Chers Diocésains, imi-
tez la soumission et la concorde de vos respectables Pasteurs,
n'oubliant jamais que la loi chrétienne est, par excellence, une
loi de charité et d'ordre.
Nous ne pouvons finir cette Lettre pastorale, N. T. C. F. , sans
vous dire un mot du devoir de reconnaissance que vous avez à
remplir envers Monseigneur l'évèque de Gand. Vous savez en
192 LETTRE PASTORALE.
quelles clrconslances critiques ce cligne Pasteur s'est arraclid du mi-
lieu de ses ouailles, pour se charger du fardeau énorme d'un dio-
cèse de près d'un million et demi d'habitans ! Vous savez avec quel
zèle , quelle douceur, quelle prudence il vous a gouvernes diirant
des temps difficiles. La reconnaissance exige que vous ne perdiez
jamais le souvenir de cette administration paternelle : elle exige
que vous adressiez au Ciel de fréquentes prières pour la conserva-
tion de ce digne prélat.
Nous mettons notre diocèse , notre administration et notre per-
sonne sous la protection de la très-sainte Vierge Marie, de S. Jo-
seph,, patron de la Belgique, et des saints Anges gardiens j et,
afin de remercier, comme il est juste, la divine Providence, pour
l'heureuse érection du diocèse de Bruges , et d'attirer les bénédic-
tions célestes sur notre administration , nous ordonnons ce qui suit :
I. Le Dimanche qui suivra la publication de notre présente Lettre
pastorale , on chantera avant la Messe paroissiale dans toutes les
églises de notre diocèse, l'hymne Keni, Creator Spiritus , avec le
verset Emilie Spirilum tuum , et l'oraison Deus , qui corda fi-
delium,
IL Pendant un mois, à dater de la même publication, chaque
prêtre ajoutera aux oraisons de la Messe la collecte de Spiritu
Sancto, au lieu de la collecte Ne despicias , qu'on récitera de
nouveau après le mois écoulé.
III. Pendant le même espace de temps, on chantera au salut le
psaume XC : Qui habilat in adjutorio Allissimi, avec l'oraison
pro Episcopo.
Sera notre présent Mandement lu au prône, dans toutes les
églises de notre diocèse, le Dimanche qui en suivra la réception.
Donné à Bruges, dans la maison de notre résidence e'piscopale,
le 26 Juillet 1834.
f FRANÇOIS , Évêque de Bruges.
Par Monseigneur l Evêque ,
A. De Smet, Secre'taire.
Lieu )$( du sceau.
193
'wv^wvvfcvvvvvwvv*'vvvvvvvvvv^vvvvvvvv^vvvvwvvvvvvvvv%vvvvv^vv\.vv^vvv%/vvv^
MÉLANGES. — Août i834.
Notice de M. de Charapagny. — Les infirmités du génie, par M. Madden.
— Séance de TAcadémie catholique du 19 Juin. — Écrit du P. Bonola
sur le Jansénisme. — Cours de théologie par M. Bouvier. — Histoire de
France par M. Mazas. — Mort cLe Mgr. l'évèque de Tournai. — Médaille
donnée par S. S. à M. le chan. Torricelli. — Sur les nouveaux Mé-
moires relatifs à rastronomie ancienne, lus à l'Académie des Sciences
de Paris par M. Biot. — Lettre de M. l'abbé Gerbet à Rf^r. l'ar-
chevêque de Paris.
— Une des grandes notabilités du régime impérial vient de
mourir dans un âge avancé, M. Jean-Baptiste Nompère de Cham-
pagny , duc de Cadore , a succombé le 3 juillet à de longues in-
firmités. Il était né à Roanne en lySG, et fut destiné à la marine.
Il se trouva au fatal combat du 12 avril 1782, et devint de bonne
heure major de vaisseau. Député de la noblesse du Forez, il fut
un des premiers à se réunir au tiers et vota avec la majorité. Cela
ne l'empêcha point d'être emprisonné sous la terreur, et il ne re-
couvra la liberté qu'après le g thermidor. Après le 18 brumaire,
Buonaparte l'appela au conseil-d'état, et, en 1801 , l'envoya
comme ambassadeur à Vienne. En i8o5, il le fît ministre de l'in-
térieur, et c'est comme tel que M. de Champagny fit un rapport
sur la restauration des églises de Ste. -Geneviève et de St. -Denis.
Devenu ministre des relations extérieures en 1807, il coopéra aux
mesures violentes prises contre le Pape et contre les Bourbons
d'Espagne. Il se rendit à Bayonne en 1808, et y fui chargé de
négociations qui devaient faire tomber dans le piège la maison
régnante. On trouve aussi souvent le nom de M. de Champagny
dans la correspondance officielle entre le Saint-Siège et Buona-
parte , en 1807 et 1808. On peut voir enlr'autres les notes du
20 août et du 21 septembre 1807, les articles proposés le 9 jan-
vier 1808, et surtout la note du 3 avril suivant. Dans ses dépê-
ches, le ton était tout-à-fait en harmonie avec le fond, et Buo-
naparte dictait ses volontés avec !a hauteur d'un maître qui
commande. Il faut plaindre le ministre qui s'était cru obligé de
se rendre l'instrument d'une politique si injuste , si perfide et si
violente.
T. X. 13
194 MÉLANGES.
M. de Champagny se rendit à Vienne en i8og, et y conclut le
traite de paix qui amena le mariage de Marie-Louise. C'est à cette
occasion qu'il iut créé duc de Cadore. Néanmoins le ministre fut
disgracié en 1811. Buonaparte le fit pourtant intendant-géne'ral
du domaine de la couronne et sénateur en i8i3. En i8i4, le duc
de Cadore suivit Marie-Louise à Blois. Bientôt il reconnut les Bour-
bons, et fut nomme pair par le roi ; mais , ayant accepte' des fonc-
tions dans les cçnt-jours, il fut privé de la pairie au second retour
du roi. Elle lui fut rendue dans la grande promotion de M. Deca-
zes. Depuis ce temps, M. de Cadore ne marqua point dans la
cliambiie , où il votait dans le sens du gouvernement. Une grande
fortune, et une famille nombreuse et fort unie, semblaient devoir
le rendre aussi heureux qu'il est permis de l'être ici-bas ; mais
dans ces derniers temps, les infirmités se firent sentir : le duc se
prépara clire'liennement à la mort. Il se confessa à M. le curé de
Saint- Valère , qui l'a vu plusieurs fois dans sa dernière maladie.
M. de Cadore était recomraandable dans la vie privée par la dou-
ceur de ses mœurs , par son caractère conciliant et par toutes les
qualités domestiques. Nous devons croire qu'il a gémi le premier
de s'être trouve' sous l'influence d'un homme auquel il était diffi-
cile de résister , et d'avoir été ainsi entraîné à prendre part à des
violences tout-à-fait en opposition avec son caractère.
— Les infirmités du génie. — Une Revue ame'ricaine rend
compte d'un ouvrage publie' snr ce noble et curieux sujet.
L'auteur est M. Madden , que la relation d'un voyage en Turquie
a de'jà fait connaître avantageusement dans les lettres. 11 paraît
s'être proposé un double objet.
D'abord de prouver que les travaux scientifiques et litté-
raires n'exercent sur la santé de ceux qui s'y livrent, même
avec ardeur, aucune influence funeste.
Ensuite, que plus le genre des études est élevé et grave,
plus aussi le degré de longévité est ordinairement remarquable
chez les individus.
Pour démontrer ces deux points , M. Madden a choisi dans
chaque partie de la science , de l'art et des lettres , un nombre
égal d'hommes parmi les plus célèbres ; il a mis ensemble les
diverses sommes d'années appartenant à chacun d'eux , et en
a composé le tableau comparatif suivant :
MELAITGES.
195
Ans.
Pour chacun.
Philosophes naturalistes,
i494
75
Philosophes moralistes,
1417
70
Jarisconsultes , publicistes.
1394
69
Ecrivains en matière de physi-
que et de me'decine.
i368
68
Ecrivains religieux,
i35o
67
Philologues ,
i323
66
Compositeurs de musique.
1284
64
Romanciers ,
1257
62 i
Ecrivains dramatiques ,
1244
62
Poètes,
1144
57
La force d'intellect chez les individus devient, selon M. Mad-
den , une cause de longe'vite', et la vivacité' de l'imagination
ne possède pas le même privilège.
Voici les noms des philosophes naturalistes dont se compose
le chifFre de i494> *l"i ^^^ ^^ P'"^ favorise' du tableau ci-
dessus, et ceux des poètes formant le total de i:44 aos, le
plus faihle de tous :
Bacon,
78 ans.
Arioste ,
59 ans.
Buffon ,
81
Burns ,
38
Copernic ,
Cuvier ,
70
64
Byron ,
Camoè'ns,
37
55
Davy ,
Euler,
Francklin,
Galile'e ,
5i
76
85
78
Collins ,
Cowley ,
Cowper ,
Dante,
56
%
69
56
D^ Halley ,
Herschel ,
86
84
Dryden ,
Goldsmith ,
70
44
Kepler,
Lalande ,
60
75
Gray ,
Métastase ,
57
84
La Place,
77
Milton,
66
Leevenhoek ,
Leihnitz ,
91
70
Pe'trarque ,
Pope,
68
56
Lin ne ,
72
Shcnstone,
5o
Newton ,
Tycho-Erahe
84
, 55
Spencer ,
Tasse ,
46
52
Whiston ,
Woollaston ,
95
62
Thompson,
Young ,
48
84
1494
1144
196 MÉLANGES.
Il y a dans la liste des poètes clioisis par M. Madden , de
singulières omissions et quelques pre'fe'rences qu'on pourrait
lui reprocher. Pour ne rien dire de la France qu'il ne'glige
tout-à-fait, on peut lui citer en Allemagne Gœthe, le poète
universel, ainsi que ses compatriotes l'ont nomme, qui mou-
rut à 83 ans , Klopstock qui en a ve'cu yg et Wielland qui est
parvenu au même âge. H y a erreur aussi sur le nombre d'an-
ne'es que Camoens a ve'cu. Il est mort à 62 ans et non à 55
comme le pense M. Madden. On pourrait multiplier infini-
ment ces observations et de'duire de leur rapprochement que
les calculs de M. Madden pèchent contre la justesse. Mais son
travail ne laisse pas d'être pour cela très-piquant.
— Dans la réunion académique de la religion catholique, qui a
eu lieu le i g du mois passé dans une des salles de i'Archigymnase
romain sous la pre'sidence du réve'rend père Jean-Baptiste Rosani ,
procureur-ge'néral des écoles sacre'es et pro-secre'taire de cette Aca-
démie, on a lu une dissertation du chevalier Ange-Marie Ricci sur
l' influence que la religion catholique a toujours eue sur les pro-
grès des lettres et des arts.
— On vient de re'imprimer en Italie un ouvrage qui a pour
titre : La Ligue de la Théologie moderne avec la Plàlosophie ,
pour le malheur de l'Eglise. L'ouvrage parut in-12 en 1789,
sans nom d'auteur , d'imprimeur ou de pays. Il est suivi d'une
lettre sous le nom d'un cure' de ville a un cure' de campagne,
pour re'futer les beaux re'glemens que l'on faisait alors à Pistoie et
ailleurs sur la re'forme de l'Eglise. Le tout a été traduit en
français, et publié à Avignon, chez Seguin, 1820 {1). La Ligue
fait assez bien sentir la politique et les manœuvres du parti
astucieux qui a troublé et déchiré l'Eglise pendant cent cin-
quante ans. On y a joint quelques passages des lettres de
Frédéric II, roi de Prusse, pour prouver la conjuration phi-
losophique , et un autre écrit qui a pour titre VEsprit du dix-
huiticme siècle montré aux imprudcn-; pour leur servir de pré-
servatif ou de remède contre la séduction de ce temps. Cet
écrit, qui n'a guère qu'une feuille d'impression, avait para
(i) Un volume iu-80. Prix : i fr. jo c. , et 2 fr. franc de port.
MÉLANGES. 197
en 1790, et a pour objet de montrer de plus en plus la ne'-
cessite' tle s'attacher à l'Eglise et au. Saiut-Sie'ge. Le volume est
termine' par la bulle Auctorem fidei , contre le synode de
Pistoie. L'auteur de La Ligue e'tait Ui père Roch Bonola , je'suite ,
né à Novarre ou à Bergame. On a de lui une lettre à Ricci ,
ui'.e autre sur les Droits originaires des ivcqnes , sous le nom
de A. M. A. ]). F. contre les pre'ten tiens du même pre'lat; deux
autres lettres sous le nom d'un arclnevêque , publie'es à Ajaccio,
contre les lettres pastorales de Ricci du 5 octobre l'jSy et du
18 mai 1788 , et les Doutes proposés aux professeurs de la
faculté de théologie deDavie, 179O', in-8\ La Ligue a eu plu-
sieurs e'ditions ; Pie VI en a fait l'e'loge, et recommandait de
la lire tout entière comme de'voila)at très-bien les artifices des
novateurs. Nous ne savons si le petit e'crit V Esprit du dix-
huitième siècle est du père Bonola j l'e'dition de M. Seguin ne
dit rien qui puisse le faire soupçonner. Cependant nous trou-
Tons quelque ressemblance entre cot e'crit et la La Ligue.
— Instiluiiones Theologicœ ad usum Seminariorum , auctore
J. B. Bouvier , episcopo Cenomanensi (i). — Quand M. Bouvier
fut appelé' en 181 1 du coUe'ge où il enseignait la philosophie
au graud-se'minaire du Mans pour y enseigner la théologie, il
vit avec peine que les e'ièves n'avaient entre les mains qu'un
auteur incomplet et insuffisant. Il essaya d'y supple'er par des
additions manuscrites, et depuis il composa et dicta des îraite's
entiers adaple's au nouveau di'oit civil. Mais bientôt la perte
de temps, l'ennui des dicte'es pour les jeunes gens, les fautes
qui s'y glissaient ne'cessairement , le firent songer à livrer à
l'impression quelques-uns de ses traités. En 1818 et 1819, il
publia les traités de la restitution et des contrats, et succes-
sivement il mit au jour d'autres traités qui eurent tous plu-
sieurs éditions , et même quelques-uns jusqu'à huit et neuf.
Le savant professeur conçut donc le projet de réunir ces traités
en un cours de théologie, et il travaillait à l'exécution de ce
plan quand il fut a])pelé à gouverner le diocèse auquel il avait
déjà rendu tant de services signalés. Les soins de l'adminislra-
(l) Six volumes in-12. Prix, broché, i5 fr. A Paris , chez Mcquignon
Junior , et chez. Achicn Le Clerc et C^ , quai des Auguslins , u» 35.
198 MÉLANGES.
tion ne permettant pas aa prélat de diriger l'e'dition de son
cours de tlie'ologie , il en a chargé des eccle'siastiques instruits
et laborieux , qui s'y appliquent sans relâche depuis plusieurs
mois.
L'ouvrage formera six volumes qui renfermeront les traite's
de dogme et de morale. Dans le tome premier sont les traite's
de la vraie religion et de l'Eglise; dans le deuxième, ceux
de la Foi, de la Trinité' et de l'Incarnation, de la grâce, des
Sacremens en ge'ne'ral , du Baptême et de la Confirmation ; dans
le troisième, ceux de l'Eucharistie, de la Pe'nitence et de 1 Ex-
trême-Onction ; dans le quatrième , ceux de l'Ordre , du Ma-
riage , des actes humains , de la conscience , des lois et des
pe'che's ; dans le cinquième, celui des pre'ceptes du de'calogue
et de l'Eglise; dans le sixième, ceux de la justice et de la
restitution , des contrats et des censures , et une table ge'ne'rale
des matières. Ce sont tous les ouvrages de the'ologie du pre'lat,
à l'exception de la dissertation sur le sixième pre'cepte du
de'calogue, du supple'ment au traite' du Mariage et de l'ou-
vrage qui a pour titre Traité des Indulgences. M. Bouvier n'a
pas cru non plus devoir faire entrer dans son e'dition les traite's
de Dieu , de la cre'ation et des anges , ni celui de la religion
naturelle ; il les re'serve pour le cours de philosophie, dont il
veut faire une pre'paration à la the'ologie.
Ce cours de the'ologie n'a besoin d'autre recommandation
que le nom de son auteur. Ses longues e'tndes , l'expe'rience
de l'enseignement et celle du ministère reçoivent une nouvelle
autorite' de sa dignité' actuelle. Les eccle'siastiques charge'.? de
l'e'dition se sont attache's à la rendre digne de la re'putation
du docte évêque. Ils ont revu tous les textes cite's dans l'ou-
vrage , et ont donne' tous leurs soins à la correction typo-
graphique. — LAmi de la Religion n" 2289.
— Nouveau Cours d'Histoire de France , depuis les temps les
plus reculés de la Gaule Jusqu'au règne de Henri If^; par
A. Mazas. 2 vol. in-8°. Prix : 10 fr. , et i3 fr. franc de port. Paris,
chez Ilivert.
On se plaint depuis long-temps qu'il n'y ait point d'histoire de
France pour la jeunesse. Les ouvrages qu'on avait sur cette matière
e'taient ou trop longs ou trop maigres , ou rédige's dans un mau-
vais esprit. Le Eagois et AUetz sont décrédités , Royon est partial ,
MiLA.I7GES. 199
hostile à la religion , et propre à donner des idées fausses. L'a-
bre'gé en deux \oluraes in-i2, par M. L. , est bien fait, et con-
vient à la première jeunesse; mais il est un peu exigu pour les jeu-
nes gens sortis de l'enfance, et qui veulent connaître l'histoire de
leur pays. C'est sans doute ce qui a fait naître à M. Mazas l'ide'e
d'une nouvelle histoire de France qui tint le milieu entre les abré-
ge's trop courts et les longues histoires. Or , sous ce rapport , son
pian nous paraît assez bien conçu. L'auteur donne deux volumes
jusqu'à Henri IV : le premier volume embrasse depuis le commen-
cement de notre histoire jusqu'à la mort de Philippe Auguste-, le
second va jusqu'à la mort de Henri III. Sans doute, c'est parcou-
rir bien des siècles en peu de temps ; mais il est permis d'être court
sur les premières races , qui n'ont pas pour nous le même intérêt.
Sur ces époques reculées , ce sont les grands traits qu'il faut saisir,
et c'est à quoi M. Mazas paraît avoir visé.
L'auteur donne quelques notions sur les temps antiques de la
Gaule , sur les Druides , sur l'invasion des Romains et sur l'état
du pays sous leur domination. Il a un chapitre sur l'établissement
du christianisme dans les Gaules. Ce chapitre embrasse tout le temps
des perse'cutions jusqu'à Constantin; il nous a paru offrir yn tableau
abrège, mais fidèle, de l'histoire de lEglise des Gaules à cette épo-
que. Les époques de Clovis, de Charlemagne , de Hugues Capet,
de Philippe-Auguste , sont naturellement celles sur lesquelles l'auteur
s'arrête d'avantage. Il parle convenablement des croisades.
Dans le second volume , on rencontre plusieurs règnes remarqua-
bles : ceux de saint Louis , de Philippe-le-Bel , de Philippe-de-Va-
lois, de Charles V, de Charles VI, de Charles VII, etc. L'auteur
peint très-bien saint Louis, Charles V, Louis XII. Ses tableaux de-
viennent plus développés à mesure qu il se rapproche de nous. Le
règne de François I'"^ embrasse deux chapitres, et les grands traits
de ce règne tour à tour brillant et malheureux y sont bien mar-
qués ; seulement j'ai été surpris que l'auteur eût omis de parler du
concordat avec Léon X, qui forme un des principaux événemens
de ce règne.
Son histoire du protestantisme , de son introduction en France ,
de la conjuration dAmboise, des menées des protestans , est rapide,
mais intéressante. Elle fait connaître l'esprit de ces sectaires , qui
appelèrent à plusieurs reprises l'étranger eu France , et démasque
l'amiral de Coligny , ce politique ambitieux et habile , qui fomenta
200 qi£la5ges.
les troubles dans le royaume , et balança pendant dix ans l'autorité
royale.
Celte courte esquisse suffira pour montrer l'esprit de ce cours
d'iiistoîre. On ne peut qu'engager l'auteur à le continuer. Il trou-
verait aisément , dans le règne de Henri IV et de ses successeurs
jusqu'en i8i4, la matière de deux volumes qui compléteraient son
cours et procureraient à la jeunesse une lecture intéressante et in-
structive. — VAmi de la Religion n° 225g.
— MM. P. J. Godcfroy , A. J. Mocq et G. J. Labis , vicaires
généraux capilulaires de Tournay , ont publié en date du 3o juil-
let dernier un mandement à l'occasion de la mort de Mgr. Jean-
Joseph Delplancq, dont voici un extrait.
« C'est sous l'impression de la plus profonde douleur, et acca-
blés du coup funeste autant qu'inattendu qui vient de nous frapper,
que nous nous empressons de remplir auprès de vous un pénible
et lugubre ministère. Notre ve'ne'rable évêque , celui qui en arrivant
dans ce diocèse, après une viduite aussi longue que douloureuse,
avait rempli tous les cœurs d'allégresse, ce père si tendre qui vous
portait tous dans son cœur, et qui e'tait si jaloux de la place qu'il
avait dans le vôtre , a été enlevé à la tendresse de ses enfans dé-
sole's. Le Ciel, dont les desseins sont toujours adorables, même
lorsqu'ils sont le plus rigoureux, a voulu ajouter aux maux qui af-
fligent ce diocèse , une épreuve plus cruelle encore. Et lorsque nous
goûtions la délicieuse espéi^ance de le voir long-temps gouverner le
troupeau confie' à ses soins , les portes de l'éternité se sont ouver-
tes tout-à-coup devant lui. Ce fut le 27 juillet , vers les quatre heu-
res du matin, qu'il termina en paix sa carrière, après avoir reçu,
avec les plus édifiantes dispositions , les sacremens de notre Mère
la Ste. Eglise.
» N'en doutez pas, N. T. C. F., le bon pasteur que nous pleu-
rons, plein de vertus, consumé de zèle et de travaux, avait su pré-
voir le jour du Seigneur. C'était dans la méditation de la mort qu'il
puisait les règles de ce ministère terrible , qu'il remplissait avec
une application si soutenue, et un dévoûment si exemplaire. Nous
pouvons bien le dire, nous qui avons été les te'moins de sa con-
stante sollicitude , depuis que la Providence l'a chargé du gouver-
nement du diocèse de Tournay , ce courageux athlète a combattu
dignement les combats du Seigneur. Il a consacré à la gloire de
Dieu les années si pleines, mais hélas! si courtes de son épiscopat-
MELANGES.
201
Il a honoré son ministère par une foi vive et inaltérable, et sa re-
ligion comme sa vertu ne se démentirent a aucune époque de sa
vie. Les qualités qui caractérisaient le vénérable prélat , sont bien
propres sans doute à augmenter le regret de sa perte; mais pen-
dant que notre amour et notre reconnaissance font couler nos lar-
mes sur sa tombe, il nous reste, pour pre'cieuse consolation, la
ferme confiance qu'ayant plu au Seigneur pendant sa vie , il a
été trouvé juste au tribunal suprême , et qu'il a de'jà reçu la cou-
ronne de justice , qui est le prix de ses vertus. »
Mf^r. Delplancq, le vénérable doyen de lEpiscopat Belge était
né à Thieu dans le Hainaut, le 3o janvier 1766. Il fut nommé
desservant à Ville-en-Heshaie , le 9 floréal an XL Transfère' delà à
la cure primaire de Hannut le 26 août 1828, il fut nommé l'an-
née suivante e'vèque de Tournay et sacré à Namur par Mgr. On-
dernard le iS octobre de la même année.
— M. J.-B. ToRP.iCELLi, chanoine de Lugano, connu par ses
écrits pour la religion et par son zèle pour elle , a reçu du Saint-
Père une médaille d'or avec un bref très-honorable. La me'daille
offre l'image de Sa Sainteté , et au revers cette épigraphe : benè
merenti. Cette me'daille a été transmise à M. Torricelli par Mgr.
de Angelis , nonce de Sa Sainteté' en Suisse.
— Il fut une époque où les journaux vantaient sans cesse les
livres de M. Biot, de M. Letronne , de M. Champollion le jeune,
comme défendant la religion, comme battant en brèche les doc-
trines des Dupuis, des Volney et des Fourrier : quand il fallait
obtenir des places lucratives, cumuler sur une seule tête, ce qui
pouvait servir à l'existence de trois ou quatre savans, on se vantait
de ces éciils, et l'on priait M. le baron Cuvier de les citer dans
son éloquent Discours sur l' Histoire des Résolutions de la sur-
face de la terre.
Autres temps, autres combinaisons. On a vu de'molir Saint-Ger-
main-1'Auxerrols, demander la suppression des évêchés ; on a craint
que ces ouvrages dont on était si fier, ne fissent perdre un jour
ces places lucratives qu'il est si doux de posséder 5 et dès-lors on
a embrasse de nouvelles théories.
S'appuyanl sur la chronologie fabuleuse de Manétlion, contraire
à la Bible, comme la ii bien prouve le savant archevêque de Tou-
louse , Mgr. de Bouvet , on est remonte à des époques tout-à-fait
T. X. 14
202 MÉLANGES.
inconciliables avec les doctrines de MM. Cuvier, Deluc , Buckland,
et autres géologues distingues > sur l'e'poque , peu reculée encore,
où les hommes ont pu être créés et placés sur la terre.
On a été plus loin, on a nié le déluge de Noé , tel que le rap-
porte la Bible , et négligeant les sublimes passages du livre de Job ,
où devançant Newton , il suspend la terre dans les espaces que lui
assigna la volonté de Dieu , on a prétendu que la Bible , en cela
suivie par les principaux Pères de l'Eglise , offrait les erreurs les
plus monstrueuses sur la cosmographie et la physique du globe (i).
Toujours émule de M. Letronne, M. Biot a voulu aussi devant
les académies venir de'fendre cette haute antiquité' des hommes et
des sciences sur la terre : se posant en contradiction avec ses an-
ciens écrits , il vient de lire à l'Acade'mie des inscriptions et à l'Aca-
démie des sciences, des mémoires où il prétend établir qu'environ
33oo ans avant Jésus-Christ, il existait déjà en Egypte toute une
astronomie savante, astronomie encore subsistante en iy8o avant
Jésus-Christ (c'est-à-dire à l'époque de Joseph, ministre de Pha-
raon), et qui n'a jimais cessé d'être cultivc'e; ici, on le voit, il
suit Manéthon , et Maaéthon, avons-nous dit, est inconciliable avec
la Bible et avec les beaux résultats des travaux du grand Cuvier,
des Deluc et des Buckland.
M. Biot va plus loin encore , il nie qu'il y ait eu aucune com-
munication entre les Egyptiens et les Chinois, depuis l'an 3285
avant Jésus-Christ. Et comme il admet dès-lors des empires puis-
sans et conslitue's, soit en Egypte, soit en Chine, on voit qu'il
remonte ainsi pour la dispersion des hommes , si toutefois il admet
un centre unique pour la race humaine, à plus de quatre à cinq
mille ans , avant notre ère ; ainsi ces travaux se lient et s'enchaî-
nent avec ceux de M. Letronne qui , au collège de France , vient,
publiquement dans son cours, de nier le de'luge de Noé, et nous
le re'pétons , ils renversent tous les résultats établis avec tant de
force et de logique par le célèbre M. Cuvier.
M. de Paravcy, dont une coterie philosophique étouffe depuis
long-temps les écrits , et arrête les travaux par mille moyens
odieux; M. de Paravey qui, pendant trois mois, se vit refuser la
communication du planisphère de Dendera , lorsque ce monument
(i) V. ci-<l. fom. IX, p. 339, la réponse de M- Th. l'oisset à un
article de M. Letronne.
MÉLANGES. 203
arriva à Paris, et à qui on refuse encore en ce moment la commu-
nication des dessins astronomiques rapportés récemment d Egypte
par M. CliampoUion, -vient d'écrire à l'académie des sciences qu'il
niait tous les résultats des travaux actuels de M. Biot, et qu'il ré-
clamait la plus grande part dans les anciens écrits publie's par cet
académicien.
Il a déclaré en même temps qu'il avait déjà prouvé, et qu'il
était prêt à e'tablir de nouveau l'identité complète de l'astronomie
et des constellations , chez les anciens Egyptiens et chez les Chi-
nois, qui n'ont fait les uns et les autres qu'emporter de la Chaldée
les anciens livres écrits en hiéroglyphes , où ces re'sultals des tra-
vaux des premiers hommes se trouvaient consacres , comme ils l'é-
taient également sur les murs en briques écrites de l'antique Babylone.
L'Académie des sciences a nommé une commission compose'e de
MM. Arago, Poinsot et Gérard , qui doit examiner spécialement
cette identité des constellations et des méthodes astronomiques des
Chinois , des Chaldéens et des Egyptiens j identité que M, Biot re-
fuse d'admettre.
Et quand M. Guizot, averti par la clameur publique, lui aura
enfin permis de voir les dessins de M. Champollion , sur lesquels
M. Biot s'appuie , dessins astronomiques de la plus haute îrapor'-
tance , M. de Paravey se fait fort d'e'tablir que ces monumens eux-
mêmes ne remontent pas avant l'époque de Joseph, e'poque où lE-
gypte commença seulement à devenir puissante : ce qui fait que le
canal du Fayoum, le puits du Caire, les Pyramides elles-mêmes sont
attribués, en Egypte, à Joseph et nullement à tout autre Pharaon
antérieur.
La voix du peuple est partout celle de la vérité : dans la Babylo-
nie, c'est à Nemrod, à Se'miramis, àNinus, que tous les monumens
antiques sont attribués ; en Egypte , c'est à Joseph , et les psaumes
de David nous le peignent en effet comme enseignant les sciences
aux sages de l'Egypte : dans les Gaules , nous voyons partout ,
comme sur le Rhin, les monumens antiques attribués à César, et
nous savons , en effet , que César et les autres Césars , ses succes-
seurs , ont les premiers civilisé la Gaule, y ont construit des camps,
des villes, de vastes palais.
Dans deux mille ans d'ici, le voyageur qui traversera les Alpes,
apprendra des simples paysans de ces contrées que ces routes faci-
les , qui les traversent , ont clé faites par les Français , et com-
mande'es par Bonaparte.
204 MÉLANGES.
Ces souvenirs des peuples sont des me'dailles, et MM. Biot, Le-
troune et CbampoUion eussent dû les consulter avant de renouveler
les idées de MM. Fourier , Dupuis et Volney; ide'es que M. Fourier
lui-même avait abandonnées dans les dernières années de sa vie. —
Extr. de r Univers Religieux.
— La lettre suivante a été adressée par M. l'abbé Gerbet à Mgr.
l'Archevêque de Paris.
Trelon par Avesnes (Nord), 19 juillet i834.
« Monseigneur , me trouvant en ce moment loin de Paris , je viens
seulement d'avoir connaissance , par la voie des journaux , de la nou-
velle Lettre encyclique de S. S. Grégoire XVI , en date du 25 juin
dernier.
n Comme cette Encyclique, outre son objet principal, renferme un
passage dirigé contre un système de philosophie soutenu dans quelques-
uns de mes écrits , elle m'impose par-là même un devoir particulier que
je m'empresse d'accomplir. En conséquence, je déclare adhérer unique-
ment et absolument, sans séparation ni réserve, à la doctrine promul-
guée par cet acte du Souverain - Pontife , improuvant tout ce qu'il im-
prouve, condamnant tout ce qu'il condamne, et déterminé à ne rien
écrire et à n'approuver rien qui soit contraire à celte doctrine.
31 Vous savez, Monseigneur, que ces dispositions ne sont pas nou-
velles d:ins mon cœur. Mais si, pour entrer dans ces scnlimens , j'avais
eu besoin d'un puissant exemple , je l'aurais trouvé tout près de moi.
Je visite en ce moment des lieux pleins des souvenirs de Fénelon 5 il
n'y a point de présomption à vouloir suivre ses traces dans l'obéissance
dont la grâce de Dieu applanit la route.
» Veuillez me permettre, INIonseigneur , d'user encore de votre entre-
mise pour faire parvenir au Saint-Siège ma déclaration. Je désire égale-
ment que ce témoignage de ma soumission reçoive toute la publicité
nécessa'ire. S'il peut contribuer à entretenir dans quelques esprits l'o-
béissance due à l'autorité divine dont le vicaire de Jésus-Christ est
dépositaire , ce sera pour moi uue vraie consolation parmi les tristesses
du temps présent. L'Eglise est au-dessus de tout dans mon cœur.
I) J"ai l'honneur d'être , avec le plus profond respect , Monseigneur,
votre très-humble et très-obéissant serviteur , Ph. Gerbet.
Réponse de M. l'Archevêque.
Paris, le 24 août i834-
« Monsieur l'Abbé , j'étais à la campagne lorsque votre lettre du
19 juillet m'est parvenue. Aussitôt qu'il m'a été possible , j'ai pris ,
selon vos désirs , les moyens de faire arriver à Sa Sainteté l'expression
de vos sentimens au sujet de la nouvelle Lettre encyclique. Son cœur
en éprouvera de la consolation. Je ne vous dis pas, je ne saurais vous
dire combien j'en ai éprouvé moi-même en recevant ce témoignage de
votre persévérance dans la soumission de votre esprit et de votre cœur
aux doctrines enseignées par le chef des docteurs. Avec cette disposi-
tion catholique, on marche d'un pas ferme et assuré dans la voie de
toute science j sans elle les plus beaux génies ne peuvent faire que de
tristes naufrages.
» Recevez , Monsieur l'Abbé , l'assurance du très-sincère attachement
avec lequel je suis votre très-humble et très-dévoué serviteur,
» •{• Hkacintue, Archevêque de Paris. »
S\v pPu.^ tXiwieUi) ^ctiirtit.^ c\' jt\>iuvCTuû>t.
205
VVVWV«VVVVVVVVVVVV%>VVVVVVVVV%AfVVV\A'VVV%tAA.V\IV%A/VVVVtA/VVV\VVVVVVvvVVV^VV^
RECHERCHES
SUR LA PERSONNE DE JÉSUS-CHRIST ,
ET
SUR LES PLUS ANCIENS PORTRAITS QUI LE REPRÉSENTENT.
Lettre d'Abgare , roi d'Edesse , à J.-C. , et réponse de Jésus à Abgare.
— De l'image miraculeuse d'Edesse. — De la statue érigée à J.-C.
par rHémorroïsse. — Lettre du P. Lcntulus sur la personne de J.-C.
Portrait de J.-C. d'après Nicéphore Calliste. — De quelques autres
portraits, saintes-faces, larmes et sang de J.-C. — D'un portrait re-
présentant Jésus dans sa jeunesse. — Médaille juive de J.-C. — Portrait
en buste de J.-C. , tiré des catacombes de Rouie. — Premières mon-
naies chrétiennes frappées à reflîgie de J.-C.
Ce n'est pas un des traits les moins extraordinaires de nos
e'vange'listes, qui nous parlent avec tant de soin et de de'tail
des moindres actions et des points les plus minutieux , en ap-
parence, de la doctrine de leur divin Maître, que de voir qu'ils
ne nous disent pas un seul mot de sa personne , de sa pliy-
sionomie , de la forme, en un mot, sous laquelle le Verbe-
Dieu a paru en ce monde. C'est qu'aussi l'Evangile n'est pas
un livre comme un autre : ceux qui ont e'crit ce livre, en
nous racontant la vie d'un homme, ont e'te' tellement aijsorbe's
par la pense'e que cet homme est Dieu , qu'ils semblent n'a-
voir pas fait attention à sa forme corporelle. Et, en effet, on
ne s'occupe dans ce livre que du monde ce'lestej ou, s'il est
parle' de ce monde terrestre , c'est dans ses rapports avec le
monde futur. Quand on croit fermement que Dieu est là, com-
ment s'occuper de l'homme, de son enveloppe matérielle? Ils
ne nous ont donc rien dit des traits de sa personne.
Cependant il n'est pas permis de supposer que les premiers
chre'tiens, qui n'avaient pas eu le bonheur de contempler les
traits de Jc'sus , ne se soient pas adresses aux. apôtres et anx
T. X. 15
208 RECHERCHES SUR LA PERSONNE
disciples , et ne leur aient fait de nombreuses questions sur
les traits extérieurs de la personne du Sauveur. Il n'est pas
douteux non plus que les apôtres et les disciples n'aient ré-
pondu avec bienveillance et de'tail à ces demandes, et qu'ainsi
la tradition ait pu conserver , sinon entière et parfaite , la fi-
gure du Christ , du moins les principaux traits de sa personne
et de son visage.
Aussi sommes-nous assare's d'excitey vivement la sympathie
de nos lecteurs, en recueillant ici, dans un seul article, quel-
ques traits de sa vie , qui n'ont pas e'te' cite's par les e'vangë-
listes , et les traditions consacrées dans les difTe'rentes églises
sur sa personne et les traits de son visage.
Quoique la plupart de ces de'tails ne soient pas d'une au-
thenticité' absolue , cependant ils sont respectables , parce
qu'ils peuvent être vrais , on au moins nous font connaître
ce que l'on a pense' dans les diffe'rens temps de la personne
du Sauveur.
LETTRE d'aBOARE, ROI d'ÉDESSE, A jÉSUS-CHRlST , ET REPONSE
DE JÉSUS-CHRIST A ABGARE.
Noos allons d'abord citer ces deux lettres si curieuses. Nous
ferons ensuite connaître les difTe'rentes opinions qui ont cours
parmi les savans sur la foi qu'on peut y ajouter.
Abgare e'tait un roi d'Edesse , ville au-delà de l'Euphrate ,
en Mésopotamie. Depuis long-temps il était affligé d'une tna-
ladie fâcheuse et incurable (i); le bruit des miracles de Jésus-
Christ, qui, suivant les évangélistes , s'était répandu dans toute
la Syrie (2), arriva jusqu'à lui. Alors il prit le parti d'écrire
à Jésus, pour le prier de venir le guérir. Voici la traduction
de cette lettre :
(i) Selon Procope , de bello Persico , c'était la goutte; Cédrcne
p. 145 , y ajoute la lèpre noire.
(2) Et abiit opinio ejus in totam Syriam, S. Math, ch, iv, v. 24-
ET LES PORTRAITS DE JÉSUS-GHRIST. 207
Copie de la lettre écrite par le roi ALgare à Je'sus, et en-
voye'e à Je'rusalem ])ar un courrier nomme' Ananias.
« Abgare, fiJs cl'UcLanias, Toparqae, à Je'sus, sauveur plein
» de bonté , que Ion a va dans les environs de Je'rusalem ,
» salut : J'ai appris que vous rendez la santé' aux malades sans
M employer ni remèdes, ni simples , et que d'un seul mot vous
» faites que les aveugles voient , les boiteux marchent droit ;
» vous purifiez les le'preux ; vous chassez les de'mons et les
» esprits immondes ; vous guérissez les maladies inve'te're'es ,
» et vous ressuscitez les morts. Etant instruit de ces merveil-
» les, je ne fais aucune difficulté' de croire l'une de ces deux
» choses : ou vous êtes un Dieu descendu du ciel pour ope'rer
» ces prodiges; ou vous êtes le Fils de Dieu, qui les faites.
» C'est pourquoi je vous prie par cette lettre de prendre la
» peine de venir chez moi , et de me gue'rir de la maladie
» dont je suis affecté depuis long-temps. Je sais que les Juifs
» murmurent contre vous, et qu'ils veulent vous perse'cuterj
» ma ville, quoique petite, est assez agre'able; elle suffira pour
)> nous deux (i). »
Je'sas reçut cette lettre, mais il n'alla point a Edesse ; il fît
à Abgare la réponse suivante :
Copie de la réponse faite par Jésus-Christ à Abgare , et en-
voyée par le même courrier Ananias.
(i) Exemplar epistolœ scriptae à rcge Abgaro ad Jesum , et inissœ
ad Hierosoljmam per Ananiam cursorcm.
» Abgarus , Uchanise filius , Toparcha , Jesu salvatori bono qui apparuit
in locis Hierosolymorum , salutem. Auclilum mihi est de te et de sani-
tatibus quas facis , quod sine medicamcntis aul herbis fiant ista per te,
et quod verbo tantum cœcos facis videre , et claudos ainbularc , et le-
prosos mundas , et immundos spiritus ac daemones ejicis , et eos qui è
longis œgrifudinibus afilictanlur curas et sanas, raortuos quoque suscitas.
Quibus omnibus auditis de te, statui in anime meo unum esse è duo-
bus , aut quia tu sis Deus et descenderis de cœlo ut hnec facias , aut
quod filius Dei sis qui hœc facis. Propterea eigo scribens rogaverim
te ut digneris usque ad me fatigari , et œgritudineni mea/n quâ jam diù
laboro , curare. Nam et illud comperi quod Jud;ci murmurant advcrsùm
le, et voluiit tibi insidiari. Est autem civitas mibi parva quidcm scdlio.
nesta , quœ sufïiciat ulrique. h
15.
208 RECHERCHES SDR L\ PERSONNE
<( Voas êtes lieureax , ô Aîjgare , d'avoir cra en moi sans
») m'avoir va. Car c'est de moi qu'il est e'crit que ceux qui
» m'auront vu ne croiront pas en moi , et que ceux qui ne
» m'auront point vu croiront et recevront la vie. Quant à ce
» que vous me mandez d'aller vous trouver, il faut que j'ac-
») complisse ici toutes les choses pour lesquelles j'ai e'té en-
» voye'; ensuite je retournerai vers celui qui m'a envoyé; et
n lorsque j'y serai retourne', je vous enverrai l'un tle mes dis-
1» ciples, afin qu'il vous guérisse de votre maladie, et qu'il
» vous donne la vie à vous et à ceux qui sont avec vous (i). »
Examinons maintenant la foi que méritent ces deux lettres.
L'auteur qui nous les a conservées est Eusèbe , évêque de Cé-
sarée en Palestine, vivant vei's le milieu du iv° siècle, l'un
des hommes les plus éclairés et les plus érudits de son temps;
il les a insérées dans son histoire ecclésiastique (2), et annonce
les avoir tirées des archives; publiques de la ville d'Edesse , oh
elles se trouvaient en syriaque. Saint-Ephrem, le Syrien, dia-
cre de cette même ville d'Edesse vers l'an S^g, homme dis-
tingué par son esprit et par sa vertu, parle de celte histoire
comme d'une chose reçue de son temps , de tout le monde ,
et sans aucune difliculté.
Ea effet , plusieurs auteurs ecclésiastiques de cette époque
en font éj^alement mention. Ou peut citer entre autres , le
comte Darius, dans une lettre à saint Augustin, Procope ,
Et>agre, saint Jean Damascène , saint Tliéodore-le-lecteur , et
(i) Exemplum rescripti ab Jesu per Ananiam cursorem ad Abgarum.
a Beatus es quia crediJisli in me cùm ipse me non videris. Scriptum
est enira de me quia hi qui me vident non credent in me, et qui non
vident me ipsi credent et vivent. De eo aulem quod scripsisti milii ut
veniam ad te , opportet me omnia propter quœ missus sum hùc ex-
plere , et postcaquara complevero , recipi ad aura à quo missus sum.
Cùm ergo fuero assuraptus , mittam tibi aliquem ex discipulis meis ut
curet œgritudinem tuam, et vitam tibi atque his qui tecum sunt prae-
stet. 11 — Cette traduction latine est de Rufln, qui l'a traduite du grec
d'Eusèbe.
(a) Livre i , ch. 1 3.
ET LES PORTRAITS DE JESUS-CHRIST. 209
beaiicoap d'autres anciens auteurs qui ne font aucune difficulté
de reconnaître ces lettres pour authentiques.
Vers ces derniers temps, pins d une controverse s'est éleve'e
à l'occasion de ces lettres : le P. Noël Alexandre, le critique
Dupin et plusieurs autres auteurs catholiques, les ont regar-
de'es comme non authentiques. Le Nain de Tillemont, criti-
que non moins ce'lèbre, croit cette correspondance ve'ritahle.
C'est aussi le sentiment de l'abbé Bergier. « On ne fonde sur
» ce monument, dit ce théologien, aucun fait, aucun dogme,
3» aucun point de morale; et c'est pour cela même qu'il ne
3> paraît pas probable que l'on ait fait une supercherie sans
j> motifs (i), »
Il faut en eifet convenir, dit un auteur distingué (2), que
si cette lettre a été fabriquée , le faussaire n'a pas été mala-
droit, car il n'y a aucune expression qui ne convienne parfai-
tement au caractère , à l'esprit et à la position du Sauveur j
bien plus, il est prouvé que la promesse faite par Jésus à Ab-
gare a reçu son accomplissement. Lorsqu'il fut monté au ciel,
saint Thomas, l'un des apôtres, envoya par son ordre à Edesse,
Thadée , l'un des soixante douze disciples. Celui-ci y guérit le
roi, y opéra grand nombre de miracles, et y établit si bien
l'Evangile, qu'Edesse, comme on le voit dans l'histoire ecclé-
siastique, se distingua plusieurs siècles de suite par la foi et
par la piété de ses princes et de ses habitans.
DE l'image miraculeuse d'édesse.
A la lettre que nous venons de citer du roi Abgare , se rat-
tache l'histoire d'un portrait dit Vlinage miraculeuse cVEdesse^
ou Portrait de Jésus-Christ peint par lui-même. On dit en elfet
(1) Dictionnaire de Théologie, au mot Abgare.
(2) M. Peignot , tlans son ouvrage intitulé Recherches historiques sur
la personne de Jésus-Christ et sur celle de Marie, in-S" , prix 4 f*"- 5
à Dijon , chez Lagier. C'est dans cet ouvrage que nous avons puisé la
plupart des détails que nous cousignons ici.
210 RECHERCHES SUR LA. PERSONNE
qu'Abgare, affligé ([ue le Sauveur n'eût pu venir le voir, en-
voya à Jérusalem un peintre chargé de faire sou portrait. Mais
ce peintre n'ayant pu venir à bout de son dessein, empêclié
qu'il était par leclat brillant qui sortait du visage de Jésus, le
Sauveur prit la toile sur laquelle le peintre travaillait, la trempa
dans l'eau, et l'ayant appliquée sur sa figure, les traits de son
■visage y furent miraculeusement empreints. Ce portrait, trans-
porté à Edesse , y aurait, d'après Evagre , historien du v'' siè-
cle , saavé la ville assiégée par Cosroës , roi des Perses , et y
aurait été conservée Jusqu'en l'année 944 de Jésus- Christ ,
époque, où l'émir d'Edesse la céda à l'empereur romain Lé-
capène , qui la fit venir à Constantinople , oti elle arriva le
16 août 944- Nous ne raconterons pas plus au long 1 histoire de
cette image , parce que la plupart des auteurs conviennent que
plusieurs circonstances au moins sont falsifiées (i).
DE LA STATUE ÉRIGÉE A JESUS-CHRIST PAR l'hÉMORROÏSSE.
Trois évangélistes (2) nous apprennent qu'une femme, tour-
mentée pendant douze ans par nn flux de sang rebelle jusqu'a-
lors à tous les efforts de la médecine , se glissa dans la foule
qui suivait Jésus , et qu'ayant seulement touché la frange ou
vêlement du Sauveur, elle fut guérie à l'instant : votre J'ai
vow; a sauuée , lui dit Jésus. C'est là tout ce que l'évangile
nous dit sur ce fait : mais la tradition et l'histoire ont parlé
d'une statue que cette même femme fit ériger en l'honneur de
Jésus-Christ, pour lui témoigner sa reconnaissance du bien-
fait qu'elle en avait reçu. Nous allons faire une revue succincte
des écrivains qui nous ont transmis des détails à ce sujet.
Eusèbe deCésarée, mort en 338, nous dit (3) que l'Hémor-
(i) Ceux qui voudront de plus grands détails les trouveront dans les
Recherches liisforicjues sur la personne de Jésus-Christ j p. 49 > ^t dans
Fleury , histoire ecclésiastique , liv. LV, parag. 3o.
(2) S. Math. IX, 20. — S. Marc , v, 25. — S. Luc , vui, 43-
(3) Histoire ecclésiastique j lib. vni, ch. 18.
ET LES PORTRAITS DE JÉSUS-GHRIST. 211
roïsse gaérie par Jesus-Christ, habitait la ville de Pane'ade ,
et que l'on voyait devant la façade de sa maison , au pied
d'une fontaine , deux statues d'airain , l'une la représentant
elle-même dans une attitude suppliante , et l'autre repre'sen-
tant le. Sauveur , debout, enveloppe' dans un manteau, et lui
tendant la main. On a ignore' pendant long-temps, continue-
t-il , à quel propos cette statue avait e'te' e'rige'e, et même qui
elle repre'sentait , parce que ce monument e'tait à moitié' cou-
vert de ruines et de terre; mais enfin on a de'couvert la base,
et l'on y a trouve' une inscription , portant Ihistoire de son
e'rection et le nom de Jésus-Christ, comme e'tant celui qn^elle
représentait. Eusèbe dit ensuite qu'il a vu lui-même cette sta-
tue , faite selon la ressemblance de la Jigure de Jésus , et
cela, continue-til , n'a rien de surprenant, puisque, de son
temps l'on voyait beaucoup de tableaux et de dessins repre'sen-
tant les apôtres Pierre et Paul , et même le Sauveur.
Aste'rius , e'vêque d'Amase'e , dont plusieurs e'crits ont e'té
conservés par Pliotius (i), parle aussi de celte statue en ces
termes :
« Cette statue a subsisté long-temps , pour la réfutation de
ceux qui osaient accuser les apôtres de mensonge , et elle sub-
sisterait encore de nos jours , si Maximin , qui fut empereur
avant Constantin , adorateur impie des idoles , voulant persé-
cuter le Christ dans le monument qui le représentait , n^eiit
fait enlever cette statue d'airain, quoiqu'il n'ait pu faire dis-
paraître le souvenir de ce fait. »
Cependant la statue n'avait pas été détruite ; aussi , dit cet
auteur, fut-elle recherchée dans la suite, et placée dans la
sacristie de l'église {in diaconico ecclcsiœ) ; mais elle en fut
tirée du temps de Julien l'apostat, traînée sur la place publi-
que et brisée (2).
(1) Voir son Mjrriobihlon , cod. 2ji, clans sa Bibliolheca, in-fol. ,
p. 15—17.
(2) Voir aussi Soznrnène , 1. v, ch. 21. — Pliilostorge ; lib. vu, ch. 3.
— Uaucluariutn novuni de Combefis, t. i, p. 2G4 , — et Jac. Godeti'oy,
212 RECHERCHES SUR LA PERSONNE
Comme Fleury raconte ce fait avec quelques autres circon-
stauces , nous allons faire connaître ce qu'il en dit (i).
« Julien (jie' en 33 1 , mort en 363), fit abattre , dit il, cette
statue et mettre la sienne à sa place ; mais la foudre tomba
sur celle-ci avec tant de violence, qu'elle la coupa par le mi-
lieu du corps, lui abattit la tête et l'enfonça le visage en-des-
sous. Elle demeura ainsi noircie de la foudre , et s'y voyait
encore au temps de Sozomène ( mort vers 4^0 ). Quant à la
statue de Je'sus-Clirist , les païens la traînèrent dans la ville
par les pieds et la brisèrent. Mais les Clire'tiens la recueillirent
et la mii'ent dans l'e'glise , où on la gardait encore du même
temps de Sozomène. Il est vrai qu'elle n'e'tait que dans la dia-
conie ou sacristie, et qu'on ne l'adorait pas, parce que, dit
Philostorge, il n'est pas permis d'adorer du bronze ni d'antres
matières. Mais on la conservait avec la biense'ance convenable,
pour la montrer a ceux qui venaient la voir par de'votion.
Quelques particuliers conservèrent soigneusement la tête qui
s'e'tait se'parée du corps de la statue comme on la traînait.
Un auteur, Jean d'Antiocbe (2), nomme cette femme Fé-
ronique , et rapporte en entier la requête qu'elle pre'senta à
Herode, pour obtenir la permission d'élever celte statue. Après
quelques louanges adresse'es à ce roi, cette femme y racontait
i'bistoire de sa gue'rison ; elle e'tait, dit-elle, afflige'e de celte
maladie depuis son enfance; pour le reste, son re'cit est con-
forme à celui de l'Evangile, et elle finit, en priant He'rode
de lui permettre d'e'lever une statue à son sauveur et bienfaiteur.
Cet He'rode, second du nom, et père de Philippe, celui qui
avait fait trancher la tête a saint Jean-Baptiste, accueillit gra-
cieusement la demande de Véronique , et lui fit, d'après Jean
d'Antioche , la re'ponse suivante :
ad Philostorg. ^ p. 276. — Theophilactc , in Lucam , fait aussi mention
de cette statue.
(i) Histoire ecclésiastique, lib. xv, n» 20.
(2) Dit aussi Jean Malala] voii* la Chronographia , Oxonii , 1691
in-80 , p. 3o5.
ET LES PORTRAITS DE JESUS-CHRIST. 213
a Femme , la gue'rison qui a e'té ope're'e sur von s est assu-
» re'ment digne d'un beau monument. Allez ; e'n'gez à votre
i> sauveur la statue que vous lui destinez , et rendez ainsi à
» celui qui vous a gue'rie l'honneur que vous voulez lui
» rendre. »
J'ai trouve' cette statue , ajoute Jean d'Antioclie , dans la
ville de Pane'ade, chez un certain Bassus, qui de juif s'e'tait
fait chre'tien.
LETTRE DE P. LENTULIJS SUR LA PERSONNE DE jÉSUS-GHRIST.
L'antiquité' eccle'siastique n a point fait mention de celte let-
tre ; ce n'est que vers le i4* ou le i5« siècle qu'elle a c'te' pu-
blie'e et cite'e; il est donc probable qu'elle a e'te' invente'e par
quelque auteur du moyen-âge, qui , encore, n'a pas frit grande
preuve d'habilete'.
Nous allons d'abord donner quelques renseignemens sur
son origine et sur son authenticité' j nous la ferons connaître
ensuite.
Il existait dans la bibliotbèque d'Ie'na un manuscrit des e'van-
giles, exe'cule' dans le i5" siècle, en tête duquel on lisait :
« On assure qu'au temps de Ce'sar Octave, Publius Lentu-
lus, proconsul en Judée, sous le roi He'rode , e'crivit aux
se'nateurs romains la lettre suivante, qui fut trouve'e plus lard
par Eutrope , dans les Annales de Rome. »>
Venait ensuite la lettre, e'crite en belles lettres d'or.
S'il faut s'en rapporter à ce texte , la non-authenticite' de
celte lettre n'est pas douteuse. En effet , ce Publius Lentulus
n'est point connu dans l'histoire , et c'est à tort qu'on nous le
pre'sente comme proconsul , et ayant exerce les fonctions de
gouverneur en Jude'e , avant Ponce-Pilale. — C'e'tait Vale'rius
Gratus qui remplissait alors ces fonctions, ou , pour parler plus
exactement , les fonctions de procurateur de la Jude'e. Gratus
fut envoyé' dans ce pays l'an i5 de l'ère vulgaire. — Pilate lui
succe'da l'an Ci6 , et y exerça cet emploi jusqu'en l'an 38 , cinq
ans à-peu-près après la mort de Je'sus , époque où il fut de'-
nonc^, jugé et condamné à l'exil. — Il eut ensuite pour suc-
214 RECHERCHES SUR LA. PERSONNE
cesseur Marcellas. — On voit donc qu'il n'est nallement parlé
(îe Lentulus.
Quant à cet Eutrope, que l'on dit avoir recueilli cette lettre
dans les archives du se'nat, son existence n'est pas plus connue
que celle de Lentulus. Suivant les uns, ce serait Vabréi^iateiir
de P Histoire romaine ( ue' vers l'an 3io, et mort vers Sgo ),
que l'on a voulu faire passer pour chre'tien , parce qu'il a dit
que Julien avait perse'cute' le christianisme, mais sans verser
de sang. Suivant d'autres , ce serait un Eutrope , disciple d'un
certain Ahdias, que l'on dit avoir e'te' premier e'vêque de Ba-
hylone, et l'un des soixante-douze disciples du Sauveur. Ces
deux, opinions sont aussi dénue'es de preuves l'une que l'antre.
Cependant, si cette lettre nest pas authentique, les rensei-
gnemens qu'elle renferme ne sont pas moins curieux, en ce
qu'ils parais.sent contenir toutes les traditions qui avaient cours
sur la personne du Sauveur Je'sus , à l'e'poque où elle a e'té
compose'e. Elle pre'sente encore cette circonstance assez parti-
culière, que les traits du visage sont semhlaLles à ceux qui
sont assigne's à la figure du Sauveur dans le portrait d'une
haute antiquité , qui existe dans la chapelle de Saint-Caliste des
Catacon)hes, et que nous donnons dans la lithographie jointe
à ce n° , figure 3.
Voici la traduction litte'rale de cette lettre , qui a été repro-
dulle plusieurs fois en toutes les langues.
« On a vu dans ce temps })araître un homme, et il vit en-
» core , un homme d'une i^rantle vertu, qui se nomme Je'sus-
» Christ; on le dit un prophète puissant en œuvres, ses disciples
» l'appellent Fils de Dieu. Il ressuscite les morts, et guérit
M toute espèce de maladies et d incommodités. Cet homme est
» d'une stature haute et hien proportionnée (i). Sa physiono-
(i) Jean-Hciiri Maius (thcologi cognominis Jilius) dans ses Ohserva-
tiones sacrœ , lit), in, pag 21, rciiiarque (d'après une lettre de S. Jean
Damascène , à l'empereur Théophile, donnée par Combefis , dans son
Originum Con slantinopoUtarum ma ni/m lus , p. Ii4), que le Sauveur est
représenté exceilenti staturd , junctis superciUis , oculis venustis ; et que
Nicéphore (dont nous parlerons bientôt) , lui donne une taille de sept
ET LES PORTRAITS DE JÉSUS-GHRIST. 215
» mie annonce la se ver lie', mais elle a Leaucoap d'expression,
)) de sorte que ceux qui le regardent ne peuvent s'empêcher
n de l'aimer, et en même temps de le craindre. Ses cheveux,
» tirant sur le roux , descendeut lisses jusqu'au bas des oreilles ,
» et de là tombent en boucles flottantes avec grâce sur ses
M épaules; ils sont parlage's sur le sommet de la tête à la ma-
n nière des Nazare'ens. Sou front est uni et serein , il n'a aucune
>> tache sur la ligure. Ses joues sont releve'es d'un certain in-
» carnat qui n'est point trop fonce'. Il est d'un aspect agre'able
» et ouvert. Son nez et sa bouche sont très-bien. Sa barbe ,
» assez touffue et de la couleur de ses cheveux , se partage
» en deux au bas du menton. Il a les yeux bleus et très bril-
» lans. On remarque en lui quelque chose de formidable quand
» il re'primande et qu'il fait des reproches, tandis que la dou-
)) ceur et l'amabilité' accompagnent toujours ses instructions et
» ses exhortations. Son visage a une grâce admirable raêle'e
)) de gravité. On ne la jamais vu rire, mais on l'a vu pleurer.
M Sa taille est bien prise; ses mains sont longues et belles, et
)) ses bras ont beaucoup de grâce. Son langage est toujours
» grave et mesure'; mais il parle peu. Enfin on ne peut discon-
» venir, en le voyant que c'est le plus beau des hommes (i).»
palmes (5 pieds, 4 pouces, a lignes), quoique le P. Vavassor , d'après
le moine Epiphanius, ne lui donne que six palmes. Voy. son de Jornid
Christi , c. ni , n" 5, § 4-
L'Evangile semblerait donner à entendre que Jésus-Christ n était pas
très-grand; car s'il eût été d'une taille supérieure, Zachée (S. Luc,
XIX, a, 5, 8), n'aurait pas eu besoin de monter sur un sycomore pour
le voir et le distinguer dans la foule.
(i) « Hoc teuipore vir apparuit , et arlhuc vivil , vir prredilus potcn-
tiâ magnâ ; nomen ejiis Jesiis Christus. Homines eum proplaelam poten-
lem dicunt ; discipuli cjus Filium Dei vocant. Morluos viviBcat , et
aegros ab omnis generis aegritudinibus et morbis sanat. Vir est altre sta-.
tune proporlionalae , et conspcctus vultûs ejus cum severitale , et plenus
effîcaciâ, ut spectalores amare eum possint et rursùs timere. Pili ca-
pitis ejus vinei coloris usque ad fundamenlum aurium, sine radi..tione
et erccii , et à fundaniento aurium usque adhumeros conlorli ac hicidi ,
et ab bumcris dcorsum pendentes , bilido verlicc dispositi in morem
216 KECHERGHES SUR LA PERSONNE
Tel est le portrait de Je'sas-Christ, trace par le pre'tendu
Lenttilus. Il est certain qu'on n'y trouve rien qui re'pugnc à
l'ide'e que l'on peut se faire de la personne du Sauveur, ni à
ce que nous en dit l'Evangile.
PORTRAIT DE JÉSUS-GHRIST , d'aPRÈS NICÉPHORE CALLISTE.
Nice'pliore Calliste e'crivait sous le règne des Pale'ologues ; on
croit qu'il ve'cut jusqu'à l'an i35o. Arrive à l'aurore de la re-
naissance des lettres, il s'occupa beaucoup du soin de rassem-
bler tous les ouvrages des e'ciivains préce'dens , et forma , de
tous les renseignemens qu'il y trouva, xxnQ Histoire ecclésiasti-
que qui surpasse en goût et en e'Ie'gance toutes celles qui 1 ont
pre'ce'de'e. C'est dans cet ouvrage qu'il trace le portrait suivant
de Je's us-Christ.
« Voici le portrait de notre Seigneur Je'sus-Clirist , d'après
)> ce que nous en ont appris les anciens, et tel, à-peu-près ,
» qu'on peut le rendre dans une description par écrit et lou-
)) jours imparfaite. Son visage e'tait remarquable par sa beauté
» et par son expression. Sa taille e'tait de sept palmes au moins
n ( 5 pieds, ^p., 2 lig. ). Ses cheveux tiraient sur le blond ; ils
» n'étaient pas fort épais, mais an peu crépus à l'extrémité.
» Ses sourcils étaient noirs, mais pas exactement arqués. Ses
)) yeux tirant sur le brun et pleins de vivacité, avaient un
» charme inexprimable. Il avait le nez long. Sa barhe était
» rousse et assez courte ; mais il portait de longs cheveux.
Nazarœornm. Frons plana et pura , faciès cjus sine macula , quam ru-
bor qtiidem temperatus ornât. Aspectiis ejus iiigenuîis et gratus. Nasus
et os ejus nulle moJo reprehensibilia. Barba ejus multa , et colore pi-
loruni capitis Mfurcata : oculi ejus cœrulei et extrême liicicli. In re-
prehendcndo et objurgando foi midabilis; in docendo et exhortando blandaâ
linguae et amabilis. Gralia miranda vullûs , cum gravitale. Vol semcl
eum riilentetn nemo vidit , sed flentem imo. Protracla slatura corporis,
maniis ejus reclie et erectte , brachia ejus dclcctabilia. In loquendo
ponderaus et gravis , et parcus ioquelâ. Pulcherrimus inter homines
satos. »
ET LES PORTRAITS DE JÉSUS-GHRIST. 217
u Jamais le ciseau n'a passé sur sa tête; nulle main d'homme
» ne l'a touchée, si ce n'est celle de sa mère, lorsqu'il e'iait
» encore enfant. Il penchait un peu la tête, et cela lui faisait
» perdre quelque chose de sa taille. Son teint e'iait à peu-près
» de la couleur du ùol\^c^^t{/or.<:quil commence à miirir). Son
» visaije n'e'tait ni rond ni alonge' , il tenait heaucoup de celui
» de sa mère, surtout pour la partie inférieure. Il e'tait ver-
» meil. La gravite', la prudence, la douceur et une cle'mence
a inalte'iahie, se peignaient sur sa ligure. Enfin il ressemblait
» en tout à sa divine et chaste mère (i). »
On voit, par le commencement de ce portrait, que Nice'phore
l'a trace' d'après la tradition, siciiti à vcteribus acccpirniis ; et
sans doute il aura recueilli soigneusemeut et scru|)uleusement
tous les renseigncmens , soit écrits, soit traditionnels, cju'il
aura pu de'couvrir sur la personne de Je'sus-Cl<rist. Sa descrip-
tion ne diiïère guère de celle du pre'tendu Lentulus, que pour
la couleur des yeux du Sauveur, c^ue l'un fait ikus et 1 autre
bruns; tout le reste est assez semblable, à part quelques dé-
tails e'nonce's dans l'un et omis dans l'autre.
(i) Porro effigies formne Domiiii nostri Jesii Cliristi , siciili à veteri-
bus accepiruus, talis propemodiim , cpiiilenus cam cravsiiis veibis com-
prebendere licet , fuit. Egregio Is viviiioqiie vultii fnic. Corporis statura
ad palmas prorsus septem. Cesariem liabuil siiLflavam, ac non ad-
modùm dcnsam , leniter quodam modo ad crispos declinanfem. Super-
cilia nigra , non perindè inflexà. Ex oculis fulvis et snbflavesceiilibus
miriGca promincbat gratia. Acres ii erant , et nasus longior. Baiba;
capilius fiavus nec admodùm demissus. Capitis porrô ca|)illos tulit pro-
lixiores. Novacula enim in caput ejiis non ascendit , neque maïuis ali-
qua bominis , pr.ieterquam matris , in tcnerâ diintaxat œtate ejus. Col-
lum fuit sensim déclive , ilà ut non arduo et extento nimiiim corporis
statu esset. Ponô trilici rcferens colorera , non rotundam aut acutam
habuit faciem , sed qualis matris ejus erat , paulùm deorsùm versuni
vergentem , ac modéré rubicundam : gravitatem atque prudenliam cum
lenitate conjunctam , placabililatem iracunJix expertam prœ se feren-
tem. Persimile deuiquc per omnia fuit divinœ et immaculatae sua;
Genitrici.
218 RECHERCnES SUR LA PERSONNE
DE QUELQUES AUTRES PORTRAITS, SAINTES FACES, SUAIRES,
LARMES ET SANG DE JESUS-CHRIST.
Oa parie en cîifFerens endroits de reliques portant le nom
de portraits, saintes faces, larmes et sang de Je'sus-Christ.
11 n'entre pas dans notre plan de recbérclier on de discu-
ter rantheiiticite' de toutes ces reliques , sur lesquelles il a
e'te' compose' des traite's et des ouvrages spe'ciaux. Pour les
personnes qui douteraient de cette authenticité' , et qui vou-
draient en me'dire, nous nous contenterons de citer le passage
suivant de Bossuet (i).
« Savoir, dit-il, s'il reste quelque portion de ce sang et de
ces larmes, c'est ce que l'Eglise ne décide pas. Elle tolère
même sur ce sujet les traditions de certaines e'glises , sans qu'on
doive se soucier de remonter à la source. Tout cela est in-
diffe'rent, et ne regarde pas le fond de la religion. Je dois
seulement vous avertir que le sang et les larmes qu'on re-
garde comme e'tant sortis de Je'sus-Christ, ne sont ordinaire-
ment que du sang et des larmes qu'on pre'tend sortir de certains
crucifix, dans des occasions particulières, et que quelques
e'glises ont conserve's en me'moire du miracle; pense'es pieuses,
mais que l'Eglise laisse pour ce qu'elles sont, et qui ne font,
ni ne peuvent faire l'objet de la foi. »
d'un PORTRAIT REPRESENTANT JÉSUS-CHRlST DANS SA JEUNESSE.
S'il faut en croire M. Raoul Rochette (2), c'est à une secte
d'he're'tiques que l'on doit les plus anciennes figures du Christ
et des apôtres. C'est pour l'usage des gnostiques, dit-il, et par
la main de ces sectaires, que furent fabrique'es d'abord de
petites figures du Christ , dont ils rapportaient le premier mo-
(i) Lettre sur V adoration de la Croix.
{•i) Discours sur l'origine , le développement et le caractère des tjpes
imitatijs qui constituent V art du christianisme j in-8°, p. i5. A Pans,
chez Adrien Lcclère, i834.
ET LES PORTRAITS DE jisUS-CHRIST. 219
dèle à Pllate Inî-mème (i) Ces statuettes se faisaient d'or,
ou d'argent, ou d'autre manière, à l'instar de celles de Pytlia-
gore , de Platon, d'Aristote et des autres sages de l'antiquité,
que ces sectaires exposaient couronue's de fleurs, dans leurs
conciliabules, et qu'ils honoraient toutes du même eu lie.
Celte superstition qui admettait aussi les images peintes du
Christ, e'tait surtout en vogue chez les gnostiques de la secte
de Carpocrate (2) , et riiistoii'e a conserve le nom d'une femme,
Marcelline , aflîliée à cette secte, pour la propagation de laquelle
elle s'e'tait rendue du fond de l'Orient à Rome, et qui, dans
l'espèce de petite église gnostique quelle y dirigeait, exposait
à l'adoration de ses fidèles des images de Jésus et de saint Paul ,
à'Honière et de Pytliagore.
A la suite de ces reflexions, M. Raoul Rochette pense que
c'est à cette coutume des gnostiques que les chre'tiens doivent
l'ide'e d'avoir aussi fait des images du Christ. Nous ne contre-
dirons pas sur cela le savant professeur d'arche'ologie , quoi-
(i) Les lîéréliques préfentlaient que Pilale avait envoyé le portrait
de J.-C. à Rome , en même temps que les actes de son supplice.
Les acf es dits de Pilate , consistent dans la re/a^/o«c?e la condamnation
de J.-C. , et deux lettres adressées à Tibère ; ces actes ont été un
grand sujet de discussion pour les savans. S. Justin, martyr, mort en 167,
est le premier qui en ait parlé; il en est aussi question dans l histoire du
martyre de S. Ignace d^ Anliochc , arrivé l'an 107, et dans V Apologéti-
que de Tertullien. Ce sont là les plus anciennes autorités que l'on cite
en faveur de ces actes. Mais ils ont été rapportés depuis par un grand
nombre d'auteurs, et avec de telles variantes, qu'il est plus que pro-
bable que ceux que nous avons encore sont apocryphes. On en trouve
une traduction en français dans la Collection d'anciens éx^angiles, in-S».
— Voir aussi le Codex apocryphus nofi testamenti y de Fabricius, t. i ,
p. 221 , et t. u, p. 455. — Et l'excellente dissertation de Dom Calmet,
dans le t. m de ses Dissertations , p. 65 1.
(2) C'est ce que nous assurent S. Irénée, adu. hceres., 1. i, cb.xxv,
§ 6 de l'édition de Massuet , — et S. Epiphane, hœrcs. xxvii , § 6. —
Voir aussi à ce sujet, la dissertation de Jablonsky, de origine imagi-
num Christ i Domini in ecclesid christianu , § 10, dans ses Opuscula phi-
lolog., t. m, p. 394.
220
RECHERCHES SUR LA PERSONNE
qae, pourtant , la seule tradition, vraie ou fausse, qui attribue
des portraits du Christ à Je'sus lui-même, à saint Luc et à
d'autres chre'tiens contemporains, puisse faire douter que l'E-
glise ait jamais regarde' ces portraits, ou la profession de pein-
tre, comme interdits (i). Rien ne s'opposerait donc à ce que la
figure dont nous donnons la repre'sentation ( fig. i"=) fût l'ou-
vrage d'une main clire'lienne. Cependant nous allons en parler
d'après M. Raoul Rochelle , en supposant avec lui que c'est une
de ces amulettes que les gnostiques portaient à leur cou.
Ce portrait du Clirist est grave' sur la hase d'un cône tron-
que', perce' de part en part, et destine' par conse'quent à être
porte'. La matière est une calce'doine blanche, et le travail,
oîi se remarque une sorte d'afTectalion du style anliqne, em-
preint de se'cheresse, doit s'e'ioigner peu de 1 e'poque d'Alexan-
dre Sévère, c'est-à-dire, du 2* ou 3® siècle (2).
On doit remarquer que le Christ y est repre'sente' de profil ;
sa figure est jeune et imberbe ; peut-être l'amulette e'tait-elle
desline'e à des enfans, et, à cause de cela, a-ton voulu de'-
peindre le Christ dans sa jciunesse. Autour de la tête se trouve
le nom de CHRIST, en caractères grecs, XPISTOY; au-dessous
se voit la figure du poisson , qui e'tait à cette e'poque une
tessère , ou marque de reconnaissance , en usage parmi les
chre'tiens.
Il ne sera pas sans inte'rêt de donner ici quelques de'tails
sur ce point d'archéologie chre'tienne.
Les premiers chre'tiens se servaient du poisson pour se re-
connaître, parce que le nom du poisson, quiestlXOYS, /c/z-
(i) Il serait facile de prouver que déjà dès les premiers temps les
chrétiens axaient des images de Jésus-Ciirist, des apôtres, etc. L'opinion
de M. Raoul Ilochette sur l'origine des plus anciennes figures de J.-C.
et des apôtres nous parait sujette à caution. Voyez Devoti , Institutinnes
Canonicœ , lom. I, pag. 61 3 ; Binterim , Epislola Catholica prima de
prohationibus (heologicis per acla Marlyrum , p. 164 ; et Bergier , Dic-
tion, thèol. art. images,
(2) Voir ci-après la fig. 1 ; elle a été faite sur une empreinte en cire,
que nous devons à l'obligeance de M. Raoul Rochette. L'original est
daus le cabinet de M. Fortia d'Urban.
ET LES PORTRAITS DE JESUS-CHRIST. 221
tus , en grec , est forme' des premières lettres de la phrase
suivante :
qui signifie : Jésus-Christ, fils de Dieu, Sauveur. Le mot IX0Y2,
poisson qui contient les premières lettres de cette phrase, e'tait
donc comme un hiéroglyphe qui leur servait à fiiire la pro-
fession de leur foi et de leur croyance , tout e«i paraissant ne
prononcer qu'un mot commun et insignifiant; outre cela, le
poisson , qui ne peut vivre que dans Veau , e'tait encore une
image des chrétiens, qui ne peuvent avoir une ve'ritable vie
que celle qu'ils reçoivent dans les eaux du baptême. C'est pour
cela aussi qu'ils s'appelaient entre eux i^èôè^ioi , pi sciculi , petits
poissons ; et c'est à cette coutume que fait allusion saint Cle'-
ment, quand il dit dans l'hymne à Jésus Sauveur ( cl-d. p. 1 76 ) :
Pêcheur des hommes rachetés ,
Amorçant à rélernelle vie
U' innocent poisson
Arraché à l'onde ennemie
De la mer du vice.
MÉDAILLE JUIVE DE JESUS-CHRIST.
Le révérend R. Walsh, dans un livre tout re'cent, consacre'
aux monuroens rares ou inédits du premier âge du christia-
nisme (i) vient de rappeler l'attention sur une médaille fort
curieuse, déjà connue vers le iS'' siècle. Voici la description
qu'il en donne. (Voir la figure 2.)
« La face représente la tétc de Noire-Seigneur, vue de profil ,
telle à peu près qu'elle est décrite dans la lettre que l'on dit
avoir été envoyée par Lentulus à Tihère : les cheveux sont
partagés à la manière des Nazaréens , applatis jusqu'aux oreil-
les, et ondulans sur les épaules, la liarhe touffue, peu longue,
(i) ^n Essay on ancient Coins , Medals and Gems ^ as illustraling
the progressj oj' christianity in the early ^ges , by the Rev. R. Walsh,
3c édit. London , i83o.
T. X. 16
222 REGBEKCnES SUR LA. PERSONNE
mais fourchue, le visage beau, ainsi que le busle , sur lequel
la tunique tombe en plis gracieux. )i
Sur la face de la rae'daille est la lettre he'braïque X aleph ,
qui paraît être i'abre'viation du mot yldonéiiou, notre maître,
et le mot 1^£^» , lechou , le nom juif de J('sil<;. Il est à remar-
quer que cette tête n'est pas entourée du nimbe ou auréole^
circonstance qui donne quelque poids (i) à l'opinion qui re-
connaît une assez haute antiquité' à ce monument. Sur le revers
on lit cette inscription hébraïque :
♦n n*^y dtnq "jni uhv2 n3 i^a n'tya (2)-
c'est-à dire : le Messie , Roi ; il vînt en paix , et étant devenu
la lumière de l'homme (3) // vit.
M. Raoul Rochelle croit encore que cette me'daille , qui ,
comme on le voit dans la lithographie que nous en donnons,
e'tait destitie'e à être suspendue et portée , servait d'amulette
et de tessère à des juifs convertis au christianisme ; il croit
aassi qu'elle est conforme aux types gnostiques du premier âge.
PORTRAIT EN BUSTE DE JÉSUS-GHRIST , TIRE DE LA. CHAPELLE
DU CIMETIÈRE DE SAIXT-GALLISTE , A ROME,
Enfin, il est encore plusieurs images du Sauveur, qui sont
d'autant plus dignes de notre attention, qu'elles sont dues in-
(i) M. Raoul Rochctte ainsi que Heyue , doutent cependant de Fau-
thenticité de cette médaille.
(2) Le texte hébreu donné par le R. Walsh est rempli d'incorrec-
tions , et est absolument incompréhensible. Kous le rétablissons ici avec
le secours de MM. Bore et Cahen , et surtout de M. Munk, qui s'est
occupé avec beaucoup de zèle à déchiffrer cette inscription. Il nous a
même procuré un exemplaire de la médaille , que nous donnons ici.
A la vérité , la troisième et la quatrième ligne de cette médaille sont
illisibles : mais une autre très-bien conservée, qui nous a été communi-
quée à la Bibliothèque du Roi , donne l'inscription telle qu'elle est
gravée sur la médaille Jig. a* , et telle que nous la transcrivons en lettres
modernes.
(3) M. Munk nous a fait observer que l'hébreu dit lux ex homine ,
et non lux hominis ; est-ce une faute de celui qui a frappé la médaille?
ET LES PORTRAITS DE JÉSUS-GHBIST. 223
contestablenient à des pinceaux chre'tiens. Nous avons fait li-
tliographier la principale et la plus ancienne de ces images
dans la fig. 3. Nous la laisserons de'crire par M. Raoul Rocliette,
qui nous fera connaîtx'e aussi les plus lenomme'es de ces pein-
tures chre'tienues.
« La plus ancienne image du Christ, due à un pinceaa chre'-
tien , que le temps nous ait conserve'e , est sans doute celle
qui se voit à la voûte d'une chapelle du cimetière de Saint-
Callisfe , et qui est puhlie'e dans le recueil de Bottari (i). Le
Saiweur des hommes y est repre'sente' en buste., à la manière
des anciennes imag;iiies dypeata des Romains (2); du reste,
sous cette forme hie'ratique , qui paraît avoir e'te' de'jà fixe'e à
cette époque , telle qu'elle se trouve dans les monumens de
l'art clire'tien , à travers toute la pe'riode byzantine, le Christ
s'y montre avec le visage de forme ovale le'gèrement alonge'e,
cette physionomie grave, douce et me'lancolique , cette barbe
courte et rare , ces cheveux , se'pare's sur le milieu du front
en deux longues masses qui retombent sur les e'paules , abso-
lument comme on le voit figure' sur cinq sarcophages da ci-
metière du Vatican , dont le style et l'exe'cution appartiennent,
suivant toute apparence , au siècle de Julien (3).
(i) Pillure e ScuUurc sacre , etc. , t. 11, tav. lxx, p. /(2.
(2) Sur cette manière de représenter le Christ en buste j imitée des
images sur bouclier, voyez Buonarotli , qui en cite pour exemple la
mosaïque, aujourd'hui détruite, du grand arc de Saint-Paul hors des
murs , Ditdco sacro, etc., p. 262. Cet usage durait encore au septième
siècle , et l'on en a acquis la preuve par la peinture de l'Oratoire de
Sainte-Félicité, découvert en 1812 dans les Thermes de Titus , en haut
de laquelle était une image pareille du Saui'eur en buste 5 Guattani ,
Memorie e/iciclopediche , etc., t.i, tiv. xxi.
(3) C'est ropiniou d'un observateur très-cclairé , feu M. Sickler , qui
a publié dans YAlinanach ans Rom. , 18 10, le résultat de recherches in-
téressantes sur les premiers monumens de l'art chrétien, ûber die Ent-
stehung der chrislichen Kunst , p. 179-180. Les sarcophages sont publiés
dans le recueil de Bottari, t. 1, lav. xxixxv. L'un de ces monumens,
qu'on croit avoir servi de cercueil à Olybrius , fils de Probus , mort
en J95, est coniéquemraent un ouvrage du 4® siècle. Voyez Emcric
David , Discours historitjues , p. 64 et 92.
16.
224 RECHERCHES SUR LA PERSONNE
» Une aatre image du Christ, qni ofTre a-pen-près les mêmes
traits, se retrouve clans une chapelle tlu cimetière de Saint-
Pontian (i); et une peinture toute seuiblable avait e'te décou-
verte dans la cataconibe de Saint-Calliste , par Boldetti , qui
eut le chagrin de la voir pe'rir sons ses yeux , et en quelque
sorte sous ses mains , en essayant de la faire enlever de la mu-
raille (2). Mais la peinture du cimetière de Saint-Pontian ac-
cuse manifestement une e'poque beaucoup plus récente, pro-
bablement celle du Pape Adrien P"^ , qui fit restaurer les
peintures de ce cimetière, suivant le te'moignage de son bio-
graphe (3); et l'on ne peut y voir qu'un te'moignage de l'ha-
bitude e'tablie parmi les artistes d'un temps de'jà bien avance
dans la de'cadence , de re'pe'ter un type produit à une plus
haute e'poque, et consacre' par la tradition. En nous attacliant
donc uniquement aux peintures du cimetière de Saint Calliste ,
qui sont certainement les plus voisines du premier âge du
christianisme, et de la meilleure manière, nous sommes à-
peu-près sûrs d'y trouver le type de la figure du Christ, tel
qu'il avait e'te' fix» d'abord dans le sein de l'Eglise grecque ,
et ge'ne'ralement adopté par les fidèles d'Occident, au cinquième
siècle de notre ère.
» Tout prouve , en effet , que ce type , reproduit invaria-
blement dans les œuvres de l'art byzantin que nous connais-
sons, fut l'œuvre des artistes grecs; car c'est lui qui se re-
trouve dans les miniatures des manuscrits grecs du moyen
âge , plusieurs desquels font partie du riche Muséum Chris-
tiatium du Vatican (4); et c'est aussi celui qui servit de type
(i) Bottari , Pitture , etc. tom. i, tav. xlih.
(a) Boldetti, Osseruazioni , etc., p. 21 et 64.
(3) Anastas. in Hadrian... c. i. Voyez Aringhi , iZom. Sotteran. liv. ii,
c. 29, 1. 1, p. 36i sqq. A défaut même de ce témoignage, on ne sau-
rait s'empêcher de regarder l'image en question comme une œuvre des
•je ou 8« siècles ; telle est aussi l'opinion de M. Sickler, Âlrnanac.h nus
Rom. , etc. , p. i83, et celle de M. le Ch. Settele , dans les Au. delV
Acad. Rom. d^Archeol. , t. 11, p. y3.
(4) Une de ces têtes du Christ , de style byzantin , tirée de la col.
ET LES PORTRAITS DE JESUS-CHRIST. 225
aax monnaies byzantines , dès l'e'poque où la iête du Christ
fat employée à cet usage , à partir du règne de Justinien II
Rhinotmète. »
PORTRAITS DE JÉSUS-GHRIST d'aPRÈS LES PREMIERES ÎIONNAIES
FRAPPÉES EN SON HONiNELR PAR LES EMPEREURS CHRETIENS.
Nous allons terminer cette revue, en citant , d'après le doc-
teur Walsh , «ne des premières monnaies qui aient été frap-
pe'es à l'ejDfigie du Christ. Celle dont nous donnons la lithogra-
phie ( fig. 4 )» ^^^ ^" *^^ ' ^^ '^^ ''• P'"^ helle fabrique. Elle
date du règne de Justinien II , dit Rhinotmète , e'ievé sur le
trône impe'iial l'an 685 et mort l'an 711 (i).
Depuis la conversion de Constantin , les empereurs chre'tiens
avaient bien mis sur leurs me'dailles , comme sur leurs dra-
peaux, la croix, ou le monogramme du Christ, le X, c///grec,
surmonté d'un P, rho grec; mais Justinien II fut le premier
qui voulût que la figure même du Christ figurât à la place de
celle des empereurs , sur les monnaies de l'empire. Voici la
description de cette médaille , donnée par Walsh :
« La face représente le buste du Christ, tenant à la main
gauche lEvangile ou le livre des prophéties, qu'il semble ex-
pliquer par le geste du doigt index de la main droite; la tête
est couronnée de rayons. La légende est un mélange de lettres
grecques et gothiques, et porte ces mots :
lection des manuscrits grecs du Vatican , est publiée par M. Sickler ,
qui l'a rapprochée d'une tête de Giotto. Voyez son Almanach ans Rom.,
tav. n, no 5 et 6, p. 190 et iy6. 3c n'ai pas cité une tète du Christ,
en mosaïque, publiée par M d'Agincourt , comme une œuvre des pre-
miers siècles, Peinture pi. i3 , n" 22 , parce qu'elle ne m'offre aucune
date certaine.
(i) Voir aussi quelques autres de ces médailles dans Eckel , Doclr.
Num. , liv. VIII , p. 238 ; — et , dans Ducange , famil. Jugiist. Bjrzant.,
p. 116, i23, 128 et i?>6, et les nombreuses médailles au même type,
appartenant aux autres empereurs grecs.
226 HEGHERCHES SUR LA. PERSONNE , ETC.
JESUS CHRISTUS , EEX REGNÂNTIUM ,
Jésus-Christ , Roi des Rois.
Le revers représente l'empereur en roLe à bandes croise'es ;
sur la tête il porte une croix ordinaire, et il tient à sa main
droite la croix de Justinien , ou la crois grecque.
La le'gende est :
DOMINUS JUSTINIANUS SERVUS CHRISTL
Le seigneur Justinien, serviteur du Christ.
A l'exergue on lit :
CONOB, c'est-à-dire, CONstantinopoleôs OBsio-sx-tx, Frappée
à C onstantinople.
Tels sont les principaux renseignemens que la tradition et
l'histoire nous ont conserve's sur la personne et les portraits du
Sauveur. Nous espe'rons qu'ils auront inte'resse nos lecteurs,
et qu'aussi ils ne verront pas avec moins de plaisir ceux que
nous nous proposons de donner sur la personne de la sainte
Vierge Marie.
A. BONTÎETTY ,
De la société asiatique de Paris.
227
EXAMEN SU MOSAISME ET SU CHRISTIANISME,
PAR M. REGHELLINI^ DE SCHIO. PARIS, 1833, TROIS VOLUBIES lN-8°.
L'examen d'une religion n'est point celui des difficultés que peu-
vent faire naître son histoire, ses dogmes, ses lois, ses rits. Si elle
nous a conservé des faits pre'cieux omis ou altére's dans les annales
de tous les peuples , si elle renferme une le'gislation sage et les
maximes de la morale la plus pure , si la foi d'un Dieu unique ,
créateur, souverainement juste, doue' d'une puissance infinie, d'une
bonté sans bornes, est demeurée intacte dans celte seule religion;
si elle a été pendant plusieurs siècles la scuIk digne de l'homme et
de celui qui lui a donné l'être , l'auteur qui l^cxamine ne peut , sous
peine d'une partialité re'voltante, se dispenser de le dire. Cependant,
sur toutes ces choses, M. ReghcUini garde un profond silence. Sa
bonne foi est-elle néanmoins à l'abri de tout reproche, quand il
discute les difficultés que présente la Bible? Pas davantage. Il re-
garde comme une approbation de certains actes le simple récit qu'en
fout les écrivains sacrés. Ce n'est pas tout. Dans le doute , il pré-
sente toujours les faits sous la couleur la plus défavorable. Mais
que penser de l'ignorance ou de la mauvaise foi d'un auteur qui
attribue l'approbation de certains crimes à celui qui les condamne
formellement? Que penser de sa critique, lorsqu'il donne comme
incontestablement vrai ce qui est incontestablement faux? C'est dans
cet esprit qu'a été écrit V Examen du Judaïsme et du Christia-
nisme. Les erreurs y fourmillent; il a été composé sous l'impression
d'une haine violente contre le christianisme; sentiment triste, et
qui n'a pas eu Tavanlnge de lui donner un peu de verve, car son
livre est aussi mal rédigé, aussi lourd qu'il est mal pensé. Ce ne
sont pas d ailleurs des erreurs nouvelles qu'il met au jour : ce sont
les impiétés de Baylc et de Frérit, avec leur érudition de moins;
ce sont les diatribes de Voltaire dépouillées de son esprit. M. Re-
ghcUini n'a point lu tout ce que la crilupie moderne a produit de
travaux bibliques en Allemagne. Il en est h des objections qui an-
noncent une absence totale de sagacité et de logit^uc , et que les
228 EXAMEN DU 3I0SAÏSME
savans protestans d'outre Rhin , fort hardis d'ailleurs sur d'autres
points, rejettent avec mépris. Nous ne pouvons e'nurnérer et discu-
ter ses innombiables méprises. Il faudrait un ouvrage plus étendu
que le sien. Nous nous bornerons à relever les deux erreurs les
plus importantes : la première attribue le Pentateuquedi un auteur
postérieur aux conquêtes d Alexandre-le-Grand,
« Les livres, dit-il, dont l'ensemble forme la Bible furent écrits
depuis le règne de ce conquérant et pendant que les juifs se trou-
vaient sous la domination des princes qui gouvernèrent après lui la
Judée , l'Assyrie et l'Egypte. Par là ils contiennent des idées em-
pruntées aux anciennes mythologies grecques et orientales; il est
également possible que les rabbins aient connu Lucain, qui décrit
un déluge dans lequel Deucalion se sauve avec sa famille, n Tom. i,
pag. 8.
Ainsi, ce sont les rabbins qui ont composa la Bible. Nous avions
eu tort de dire que M. Reghellini n'écrivait rien de nouveau. Et
que pensez-vous de Lucain , de l'auteur de la Pharsale^ que l'on
suppose avoir fourni à l'auteur de la Genèse l'idée du déluge? En
vérité , la plume tombe des mains quand on veut répondre à des
assertions dictées par une aussi grossière ignorance. Hobbes, Spi-
nosa, Peyreira , Richard Simon, Voltaire, et parmi les Allemands,
Hasse , Frédéric Fulda , Nachtigal , Vater , Le Brecth de Wete,
ont bien contesté la date du Pcntateuque , o\i Si&.viaé que les écrits
de Moïse avaient été retouchés plus tard ; mais ils n'auraient ja-
mais osé s'exposer au mépris public en attribuant à des rabbins
et en plaçant dans une époque aussi moderne la rédaction du Pen-
tateuque.
C'est, du reste, un fait bien démontré, que les cinq livres de
Moïse nous sont parvenus sans altération essentielle. Le savant Ro-
senrauller défend leur authenticité par les preuves intrinsèques et
par les témoignages nombreux et irrécusables qui l'ont attestée de
siècle en siècle (i). Il n'y a qu'un auteur ayant sous les yeux les évé-
(i) Rosenmuller n'a donné les preuves de rauthenticilé du Pentateu-
que que dans la seconde édition de son Commentaire sur la Bible, en
tête du premier volume j cet ouvrage est en latin.
ET DU CHRISTIANISME. 229
nemens qui puisse les raconter comme le fait Moïse. On voit qu'il est
dans le désert quand il les décrit , et que ses discours n'ont ëte pronon-
cés qu'en présence du peuple. Ses lois n'ont pu être rédigées après
coup ; l'événement qui les a provoquées ou accompagnées est là pour
eu expliquer la cause et l'occasion. Si ce n'est pas le législateur d'un
peuple voyageur, on -n'explique pas pourquoi quelques-unes de ses
prescriptions ne sont pas terminées. On explique encore moins cel-
les qui n'avaient de rapport qu'à cette position transitoire. Vous
voyez à ses récits brises un chef campé sous la tente et occupé de
mille soins divers; on peut remarquer les endroits oîi il a posé et
repris la plume.
Les preuves intrinsèques sont encore plus de'cisives. C'est une
suite non interrompue d'écrivains diflerens par le style, l'cpoque,
l'objet de l'ouvrage, qui citent en une multitude d'endroits les li-
vres de Moïse , et qui rappellent l'observation de ses lois. C'est la
tradition de tout un peuple, ses moeurs, ses fêtes, son culte qui
reposent sur ces mêmes livres. Que deviendront les règles de la cri-
tique, quelle assurance aurons-nous des faits, si l'on peut braver
ainsi un des plus ëvidens ?
Disons un mot des évangiles. Quelques critiques hardis ne font
pas remonter leur publication avant la fin du n siècle. Mais aucun ,
avant M. Reghellini , n'avait eu l'incroyable témérité de la placer
au iv" siècle , trente-sept ans après le concile de Nicée. Le passage
est trop curieux pour n'être pas cité.
« Le concile de Nicée ne cite jamais ni Mathieu , ni Marc , ni
Luc, ni Jean , quoiqu'on lise de temps à autres quelques passages
de tous ces évangiles , sans les citer dans le corps des Actes. »
Vous pensez que de la transcription de ces fragmens , oîx le nom
des évangëlistes est seulement omis, il va conclare qu'ils existaient.
Point du tout.
«Il paraît, dit-il, que ces passages sont des pièces intercallées
pour donner un vernis d'antiquité et d'autorité à ces écrits, qui
n'existaient pas encore. Il est bien vrai que deux évangiles ont pu
exister trente-sept ans après ce cortcile. Julien en fait mention dans
une lettre. » Tom. III, pag. i34.
230 EXAMEN DU MOSAÏSME ET DU CHRISTIANISME.
Ainsi, les actes d'un concile universel ne prouvent rien, mais
une lettre de Julien est irrécusable. En mettant d'ailleurs a part
l'autorité du concile , les témoignages des Pères du iii^ siècle sont
si nombreux, si unanimes, il est en outre si universellement re-
connu que les évangiles étaient, dès la fin du n*" siècle, répandus
dans toutes les églises chrétiennes, que l'on est jugé quand on ose
contester ces faits. Mais il y a plus : il est impossible de ne pas
attribuer aux auteurs dont ils portent le nom ces livres du nouveau
Testament. Oishauscn a très-bien prouvé que le témoignage de Papias,
lequel affirme que saint Mathieu avait composé son Evangile en
hébreu, ne pouvait être re'cusë. Papias e'tait disciple des apôtres,
et il invoque le témoignage du prêtre Jean , disciple de Jésus-Christ.
La même autorite garantit l'authenticité de l'Evaugile de saint INIarc.
Les plus habiles critiques ont démontre' que l'Évangile de saint Luc
était antérieur à l'un des faux e'vaugiles, celui de Marcion ; or, ce
dernier remonte h l'an i4o de notre ère ; mais comme Marcion n'a-
vait fait que mutiler saint Luc, et qu'il avait voulu donner à son
écrit l'autorité déjà acquise à un ouvrage ancien, il n'est pas dou-
teux que celui-ci ne remontât jusqu'aux apôtres. Il n'est enfin au-
cun critique qui n'attribue au même écrivain les e'pîtres et l'Evan-
gile qui portent le nom de saint Jean. Or, la première e'pître de
cet apôtre est citée par saint Polycarpe , son disciple.
Un témoignage plus clair et plus décisif sur l'authenticité des
quatre évangiles est celui de saint Irene'e. Il était l'ëiève de saint
Polycarpe , lequel avait été instruit et fait ëvêque par les disciples
de Jésus-Christ. Ayant visité la moitié du monde chre'licn, connu
les principales c'glises, vécu en Asie, où il était né, dans les Gau-
les, oii il fut évêque, à Rome, où il fit un voyage avant son épis-
copat, personne mieux que lui ne pouvait parler avec connaissance
de cause des quatre évangiles. Non-seulement il nomme leurs au-
teurs dans l'ordre où ils sont aujourd hui , mais il assure qu'ils étaient
reçus par toutes les e'glises qu'il avait parcourues, que les héréti-
ques leur rendaient témoignage, et que partout on les attribuait
aux apôtres. Tertullien et saint Clément d'Alexandrie sont des té-
moins non moins pre'cis, quoiqu'un peu moins anciens. On trouvera
les preuves de l'authenticité des évangiles , que nous ne pouvons
qu'indiquer sommairement , dans l'ouvrage d'Olsbausen , l'un des
J.-J. AMPÈRE, mSTOIRE COMPAREE DES LAITGUES. 231
meilleurs sur cette partie de la critique sacrée. Il re'fute victorieu-
sement, non pas des adversaires aussi ignorans que M. Regbellini,
mais aussi quelques déistes et quelques protestans, qui, sans être
plus dans le vrai , fout remouler au n® siècle la composition des
évangiles.
L'ouvrage de M. Regbellini renferme une multitude d'assertions
du genre de celle que nous venons de citer. Il en est dans le nom-
bre de bien révoltantes. Il attribue aux juifs et aux premiers chré-
tiens la pratique de la communauté des femmes. Ne lui demandez
pas de preuves, il ne sait que calomnier à tout prix. Heureusement
qu'en comptant sur l'ignorance de ses lecteurs , il n'a pas pensé
qu'ils trouveraient dans l'ennui que cause son livre un contrepoison
efficace. — L'Ami de la Religion, n° 2288.
V VVV VVV VVV VVV VVV t-VV WVV VVV VVV VVV lAA. vvv vvv vv\ v%> wvv vvvvvv vv\. vv\ vvv- V^
PRINCIPES
FOUR SERVIR A L'HISTOIRE COMPAREE PES IiANGUES.
Rapports de mots. — Rapports de formes. — Résultats des travaux des
savans étrangers. — Les langues primitives étaient plus parfaites que
les langues modernes. — N'a-t-il pas existé une langue monosyllabi-
que, la plus riche de toutes ?
L'histoire compare'e des langues est une des sciences qui
sont destine'es à jeter un jour inattendu sur l'existence des an-
ciens peuples, sur leur origine commune et leurs migrations
successives. Plusieurs fois de'jà nous avons fait ressortir les
preuves nouvelles que la Linguistique est venue apporter aux
récits de nos écritures. Et cependant , à peine l'impulsion a
été donnée, à peine cette science est née et a fixé l'attention
de quelques hommes qui l'ont étudiée par pure curiosité j mais
nous savons que quelques savans chrétiens s'en occupent , et
qu'un plus grand nombre désire connaître les règles qui doi-
vent le guider dans cette étude. Nous croyons donc faire une
232 J.-J. AMPÈRE ,
chose agréable et utile à nos lecteurs , en leur offrant ici les
re'flexions pleines de justesse qu'un savant distingue M. J. J. Am-
père, a enlises sur la qiieslion de i'e'lude des langues (i).
M. Ampère fait d'abord observer que les rapports qui exis-
tent entre les langues sont de deux sortes : selon que l'on com-
pare les mots ou les formes, le vocabulaire ou la grammaire
de ces langues.
II fait observer ensuite que l'on peut abuser des rapports
de mots, parce qu'on peut à toute force supposer que la bou-
che ait prononce', en diffe'rens pays , le même son pour ex-
primer la même chose ; il peut se faire aussi que quelques
mots aient voyage', et aient e'té naturalise's dans une langue,
sans que pour cela on doive conclure que les deux langues
sont semblables ou identiques. C est ainsi que les Français ont
porté quelques-uns de leurs mots dans toutes les parties du
monde, lesquels ont e'té reçus et retenus par les différens
peuples. Entrant ensuite dans l'examen intime des rapports
des langues entre elles, M. Ampère continue en ces termes :
« La comparaison de séries de mots prouve plus que la com-
paraison de mois isole's ; mais ici encore il reste beaucoup de
place pour le hasard. D'ailleurs , par ce moyen , on ne saurait
appre'cier d'une manière exacte le degré d'afîlnité de deux
langues, on établit seulement qu'elles ne sont pas entièrement
étrangères l'une à l'autre ; et, comme cette méthode de com-
paraison a réussi à peu près pour toutes, l'universalité même
de ce succès en diminue l'importance; il en résulterait tout
au plus, pour les langues comparées, une origine commune,
non une fraternité véritable. Un généalogiste croirait-il avoir
suffisamment établi la parenté de deux familles, en démon-
trant qu'elles descendent toutes deux en ligne directe d'Adam?....
» 11 est des mots fondamentaux qu'on n'eniprunte guère aux
autres : tels sont les pronoms, surtout les pronoms personnels.
(i) Ces reflexions sont extraites de l'ouvrage que vient de publier
M. Ampère , sous le titre de Littérature et f^oyages , Allemagne et
Scandinavie ; vol. ia-S» , chez Paulin. Prix , 8 fr.
HISTOIRE COMPABÉE DES LANGUES. 233
On ne va point chercher dans une langue étrangère une ma-
nière de se de'ïigner soi-mrme, de de'signer la isersonoe à qui
l'on s'adresse, ou celle de qui l'on parle; tel est le verbe étre^
lien de toute proposition , base de tout langage; tels sont les
mots qui servent a dénommer soit les parties du corps , soit
les objets naturels les plus frappans, soit enfin les sentimens
ou les actes les plus simples et les plus essentiels.
M Tous ces mots primitifs et indispensables forment le fond
propre d'une langue, et c'est parmi eux qu'il faut choisir, de
préférence, des termes de comparaison.
» Mais si cette comparaison se fait au hasard, on sera son-
Tent trompé par 1 apparence d'un faux rapport , et Ton mécon-
naîtra celle d'un rapport certain.
» Ce sont ces jeux arbitraires de l'étyraologie qui l'ont si
fort discréditée. Le ridicule a fait justice de cette science pré-
tendue, qu'aucune difficulté n'arrêtait, qui, de changement
en changement, de suppression en suppression, dénaturait
complètement un mot pour le ramènera un autre, qui faisait
venir laquais de vernacula,
» D'autre part, il est certain que des mots, dont la phy-
sionomie semble au premier coup-d'œil complètement diffé-
rente, ont un rapport très-réel ; il n'est pas douteux que y'owr
ne vienne de dies ^ et que lucua ne soit la racine de rossignol {i),
n Embarrassé de cette double difficulté, et averti par un
tact pratique exquis, combien les rapports de mots diffèrent
de leurs ressemblances ou de leurs dissemblances aj)parentes,
W, Jones en était venu à dii'e qu'il n'y avait point de règle,
et qu'il fallait s'en rapporter à l'instinct des étymologistes.
C'était une ressource périlleuse et un peu désespérée.
» Enfin, plusieurs savans de l'Allemagne et du nord , à la
tête desquels on doit placer MM. Frédéric Schlegel , Jacques
Grimm , Chrétien Rask et François Bopp , ont posé les vérita-
bles bases de la science e'tymologique , par des travaux d'une
(i) Dics , (liiirnus , giorno ( pr. (Ijiorno ) anc. fiançais , y'or,, (r. jour.
Lucus , lucinia , lucinolia j it. ussignuolo , fr. rossignol.
234 J.-J. AMPÈRE,
sagacité' et d'une critique admirables. Comme ces travaux, en
grande partie inconnus en France , entrepris d'une manière
inde'pendante , n'ont pas encore e'te' coordonne's entre eux,
même dans les pays qui les ont vus naître, et comme ils ont
pour oLjet la grande famille de langues dont font partie les
idiomes Scandinaves, je crois utile d'en pre'senter ici , d'une
manière syste'matique , les principaux re'sullats.
» Ces re'sullats portent sur les règles qui doivent servir à
reconnaître et à mesurer l'analogie qu'offrent les mots de di-
verses langues, et sur les rapports plus importans pour la com-
paraison de ces langues, de leurs formes grammaticales.
» Je commencerai par les rapports qui peuvent exister entre
les mots.
» Je suis oblige' d'entrer ici dans quelques conside'rations sur
les e'ie'mens même du langage , c'est à-dire , sur les lettres. Je
prie mes lecteurs de ne point penser au maître de grammaire
M. Jourdain. L'importance des lois que nous voulons e'tablir,
la grandeur des rapports qui en de'rivent, la portée des résul-
tats historiques oii ils peuvent nous conduire, commandent
la méthode la plus rigoureuse, et demandent grâce pour la
minutie ine'vitable des de'tails.
» Il faut d'abord poser en thèse gcne'rale que chacune des
consonnes peut se changer en tonte autre consonne , et chacune
des voyelles en toute antre voyelle , soit immédiatement , soit
en parcourant une se'rie de transformations intermédiaires.
» D'où il suit : 1" qu'aucun changement n'est impossible et
ne doit être rejeté' à priori ; ainsi , les deux mots qui parais-
sent les plus e'Ioigne's peuvent venir l'un de l'autre, et en se
moquant des e'tjmologies qui semblent les plus force'es , on
court risque de se moquer d'un fait.
» 2° Qu'on ne peut croire à un changement, par cela seu-
lement qu'il est possible, car tous le sont, et que par con-
se'quent il faut des raisons particulières pour se de'terminer
en faveur dune e'tymologie.
» Ces raisons sont de deux sortes.
» Ou l'on possède les degre's interme'diaires qu'un mot a
parcourus en passant d'une langue à l'autre, ou l'on connaît les
HISTOIRE COMPARÉE DES LANGUES. 235
lois générales et particulières qui pre'sident à la permutation
des lettres entre ces deux langues.
M De ces lois, celles que j'appelle générales e'taient connues
de tout temps, et je me bornerai à les rappeler; elles se ion-
dent sur l'analogie organique des lettres. Certaines lettres sont
voisines dans la se'rie des sons, elles sont produites par une
disposition sembla!)Ie des organes. Le passage de l'une a l'autre
est plus naturel, plus fre'quent, par conse'quent plus probable
que s'il s'agissait de deux lettres plus dilTe'rentes entre elles.
D'après cela on conçoit que les permutations doivent s'ope'rer
facilement entre les lettres de même classe , qui ne sont que
la même lettre, douce , forte ou aspirée.
» C'est celte loi ge'ne'rale , et depuis long-temps reconnue,
du rapport organique de certaines lettres entre elles, qui doit
servir de pjoint de de'part dans la comparaison des mots.
» Mais il est des lois particulières qui gouvernent une fa-
mille de langues, en vertu desquelles, non-seulement les lettres
de même organe se remplacent, mais cncoi'e se reniplacent
dune manière constante dans un ordre invariable, et pour
ainsi dire dans un sens de'termine'. Celui qui a de'couvert ce
principe, M. Jacob Grimm, a montré, pour en donner nu
exemple, que dans les mots où il y avait un ^7 , en islandais
(^Fepn, Armes), il y avait en allemand un J\Waffen)^ mais
que la rc'ciproque n'e'tait pas vraie, c'est-à-dire , que là où e'tait
un yen islandais {Yfar^ sur), il y avait en allemand non
pas un p mais un b [U Lier) \c est plus que de dire ce qu'on
savait , que le p , le/ et le 0 ne sont que la même lettre ar-
ticule'e différemment, et que par conse'quent ces trois sons se
Substituent facilement les uns aux autres. C'est un pas de plus,
et un pas très-important, d'avoir reconnu que, dans une même
famille, cette substitution ne se fait pas arbitrairement, mais
toujours de la mcme manière, de sorte que les langues, où
elle s'opère , passent les unes aux autres par une progression
re'gulière.
» D'après cela, il doit arriver que des mots qui, dans les
diverses langues paraissent assez e'ioignés au premier coup-
d'œil, soient reconnus au fond identiques. Seulement, les sons
236 J.-J. AMPÈRE,
qui les composent ont été altcre's diversement, en vertu d'une
diirércnce ne'cessaire d'articulation qui repose sur une difie-
rence essentielle d'organes.
» Voilà pour les rapports des mot<;. Les rapports i\QsJ'ormes
gvaminat:cales sont d'une toute autre importance; on conçoit
que le hasard ou certaines circonstances produisent entre les
mots une analogie accidentelle. Mais, si le nie'canisme intérieur
de deux langues est le même, si les grandes divisions gram-
maticales , les déclinaisons et les conjugaisons correspondent
et si ces conjugaisons et ces de'clinaisons qui correspondent
ont des terminaisons analogues ; si en appliquant à celles-ci les
lois du rapport des lettres observe'es entre les racines des mots,
ou des lois semblables , on les trouve identiques , quel doute
pourra-t-il rester sur l'e'troite parente' des langues que l'on
compare ? Au moyen des rapports que nous avons e'tudie's
jusqu'ici, on peut de'terminer d'une manière certaine les affi-
nlte's des langues entre elles. Plus ces rapports sont nombreux,
constans , moins l'alte'ration des sons, soit dans l'inte'rieur àes
mots , soit dans les de'sinences grammaticales , est grande ,
plus les langues sont voisines; ainsi l'existence de ces rapports
constate la parente' des idiomes , leur constance , leur nombre,
et leur extension en mesure le degré'.
» Mais pour de'terminer l'ordre de filiation, c'est à-dire, le
degré d'antiquité relative des langues de même famille, il faut
avoir recours à d'autres lois,
» Les changemens re'guliers dont j'ai parlé ont bien lieu éga-
lement , soit lorsqu'il s'agit de langues contemporaines , soit
lorsqu'il s'agit de langues successives; mais ce n'est pas eux
qui peuvent établir le fait de cette succession ni en révéler
l'ordre. En un mot, nous savons quand deux langues tiennent
l'une à l'autre, nous pouvons apprécier jusqu'à quel point elles
se tiennent de près; il reste à indiquer les moyens par lesquels
on peut découvrir que l'une a pi'écédé l'autre.
» Ici, les mêmes hommes qui nous ont fourni les principes
posés plus haut , nous fourniront encore ceux dont nous avons
besoin. Un nom illustre viendra se joindre aux leurs , celui
de M. Guillaume de Humboldt , qui a appliqué son immense
HISTOIRE COMPARÉE DES LANGUES. 237
connaissance des langues , et la force d'une des têtes les plus
remarquables de l'Europe , à lëtude du langage , conside'ré
surtout dans ses rapports avec les pcnse'es. Avec cet appui de
plus, après avoir donne' une ide'e de ce qui peut fonder d'une
manière précise le rapport de ressemblance entre les langues,
Je vais rechercher ce qui peut indiquer leur rapport de suc-
cession.
» Une langue est un être qui a son organisation, sa vie; elle
s'assimile les e'ie'mens qui lui sont nécessaires, et, par une
sorte de vertu plastique, leur donne sa forme. Elle croît, elle
produit , pois se de'compose et se dissout , laissant après elle
d'autres langues ne'es de son sein,
M Eh bien! ce de'veîoppement successif, si semblable a celai
de la vie dans les corps organise's, se fait de même d'après cer-
taines lois. La plus importante , celle qui renferme toutes les
autres , est celle ci.
>» En remontant aussi loin qu'il nous est possible dans l'his-
toire du développement des langues , nous trouvons celte loi
remarquable : c'est que leur richesse essentielle, au lieu de
s'accroître, va toujours diminuant.
»> Cette tendance universelle et fondamentale des langues s'ob-
serve, et par rapport aux mots, et par rapport aux formes
grammaticales dont elles se composent.
1) Prenons les mots; c'est un fait, que plus on s'élève haut
dans l'histoire dune langue ou d'une famille de langues, plus
on trouve les mots harmonieux , pleins de voyelles retentis-
santes ; plus on descend , plus on les trouve e'courte's , appau-
vris , pour ainsi dire ; les voyelles sonores cèdent la place aux
voyelles sourdes : de sourdes elles deviennent tout-k-fait étouf-
fées, mMe/fc.ç enfin, et finissent par disparaître. Les diplithongues
se contractent, les consonnes for/cs s'affaiblissent, \qs finales
se détachent et se perdent; de tout cela, il résulte que les
mots sont moins pleins, moins harmonieux, qu'ils vont tou-
jours s'attënuant et s'amaigrissant davantage. Ils perdent de
plus en plus la puissance de charmer l'oreille, d'ëbranler l'àuie
par les sons : ils se bornent à e'veiller une ide'e dans l'esprit ,
ils ne sont plus des images , ils ne sont que des signes. Ainsi
T. X 17
238 J.-J. AMPÈRE ,
on voit tonte langue commencer par être une peinture et une
musique, et finir par être un ali^cbre. En latin on disait ele-
mosyna; ce mot est devenu successivement en français almosne,
aumône ; en anglais alins qu'on prononce anis. — Son histoire
est l'histoire universelle des mots.
» Il en est des formes grammaticales, comme des mots.
Cest aussi une loi du langage d'aller, j)erdant toujours quelque
forme grammaticale , quelque richesse de de'sinence , quelque
ressource de composition. A une certaine e'poque de la plupart
des langues , les formes sont abondantes , flexibles ; toutes les
modifications de l'ide'e peuvent se rendre par les modifications
de la racine; les racines elles-mêmes se groupent, et forment,
par leur association , des mots compose's , pour expliquer des
idées complexes; mais il vient un moment oii cette fe'condité
s'arrête , oii cette première sève semble tarir ; les flexions se
perdent, les rapports ne s'expriment plus par l'association im-
me'diate des racines ; les marques des cas , des temps , des
personnes , disparaissent : il est ne'cessaire de les remplacer
par des articles, des auxiliaires, des pronoms; la de'pendance
respective des ide'es a besoin d'être exprime'e par des pre'po-
sitions , des conjugaisons, et il faut alors un mot tout exprès
pour e'noncer lourdement ce qu'indiquait d'une manière rapide
un simple changement de terminaison. C'est ce qui est advenu,
par exemple, à l'italien et au français. Le Romain disait : Je
serai aimé (amahor) (i); son descendant est oblige', comme
nous, d'employer trois mots au lieu de trois lettres. Pour ren-
dre deux mots (Liber Pétri), nous en mettons (juatre ; le Ltire
de Pierre; et une expression compose'e , comme !tuai>ilo(juenSy
devient une phrase entière : Celui qui parle agréablement.
» Le même principe s'applique à la plus grande partie des
langues que nous connaissons : comparez le grec ancien au
grec moderne, la langue de Zoroastre au persan d'aujourd'hui.
(i) Des trois lettres de la terminaison ( bor ) , la première indiquait
ridée de futur ; la seconde , celle de la première personne j la troisième
celle de la passivité.
HISTOIRE COMPARÉE DES LANGUrS. 239
le sanscrit aux dialectes actuels de l'Intloustan , l'angle saxon
à l'anglais , le frison au hollandais , l'ancien tudcsque a l'alle-
mand , enfin la vieille langue Scandinave, conserve'e en Islande,
avec celle qne parlent la Norvège, !e Danneraark , la Suède,
vous verrez partout l'ahondance des formes , la ple'nitude des
mots diminuer considerahletnent , en passant de l'idiome anti-
que à l'idiome moderne.
» Ce re'sultat peut e'tonner d'ahord , il semLle contraire à
l'ide'e si naturelle du perfectionnement humain. Mais on doit
envisager ce perfectionnement dans son ensemble, et non pas
le faire porter sur telle ou telle faculté' de la nature humaine;
il est trop clair que pour gagner d'un côté il faut se re'signer
à perdre de l'autre : si l'on gagne plus qu'on ne perd , il y a
perfectionnement; ainsi l'homme, à mesure que la re'flexion
grandit et mûrit en lui, perd beaucoup des qualite's aimables
du premier âge, e'poque charmante de l'inspiration et de l'en-
traînement ; mais il avance, car il s'e'lève à la maturité', à la
dignité' de son âge viril, il gagne en philosophie tout ce qu'il
perd en poe'sie. 11 en est du langage comme de l'homme, il faut
qu'il renonce à cette abondance, à cette grâce de la jeunesse;
mais tandis que sa beauté' mate'rielle diminue, il devient plus
pre'cis, moins rapide, moins nombreux peut-être, mais meil-
leur pour exprimer les abstractions plus profondes et les com-
binaisons plus varie'es de la pense'e. La grammaire est moins
riche, les mots sont moins sonores, mais l'art qui augmente
reme'die à ces défauts par des tours inge'nieux, par des nuances
de'licates ou des associations habiles.
» Il faut avouer même qu'on a pousse' jusqu'au paradoxe
l'admiration pour celte richesse primitive des langues , qui ,
porte'e trop loin, produit la confusion. Elle fournit le moyen
d'exprimer rapidement d'un seul mot plusieurs pense'es k-la-
fois, mais seulement certaines pense'es ou certaines associations
de pense'es; je m'explique : en finnois , par exemple, une le'-
gère modification dans la terminaison d'un nom de lieu indi-
que, dit-on, si celui qui va vers ce lieu veut y entrer, s'il
veut y entrer et en sortir, ou aller auprès sans y entrer. Vollk
qui est beau , mais supposons un homme qui n'ait pas décide
17.
240 J.-J. AMPÈRE, HISTOIRE COMPARÉE DES LANGUES.
ce qu'il veut faire, il sait seulement qu'il va à tel endroit ,
mais il ne sait pas s'il s'arrêtera ou non (i); il est possible
qu'il soit fort embarrasse' avec ces trois datifs , dont chacun
dit plus que lui ne vent dire, et qu'il pre'fère une langue bien
moins pourvue de formes compre'hensives, où l'on finit tou-
jours, avec des prépositions, par dire ce que l'on veut, un
peu plus longuement , il est vrai , mais oii du moins on n'est
pas force' de dire, au lieu de ce qu'on pense, ce que la langue
a pense pour vous.
» Le ve'ritable point de la perfection des langues n'est donc
pas dans l'excès d'une richesse de lexique et de grammaire,
souvent fort incommode, en ce qu'elle prive de tout secours
étranger, sans être jamais capable de les compenser entière-
ment, mais dans ce degré d'abondance mesurée, qui n'exclut
pas l'emploi de diverses sortes d'auxiliaires , mais aide en gé-
néral à s'en passer, et par la facilité, la rapidité, le mouvement
de la phrase , autorise la liberté des inversions ; la langue greC'
que et la langue sanscrite sont peut-être celles qui offrent le
mieux cette sorte d'avantage.
» Ces deux langues sont placées à on haut degré d'antiquité
dans la série dont elles font partie. On ne peut remonter histo-
riquement plus loin qu'elles. Peut-être, si on le pouvait, trou-
verait-on avant leur âge celui des langues démesurément ri-
ches, comme le sont en général celles des peuples peu avan-
cés dans la civilisation, des Lapons, des Basques, des nègres
Wolof , ou des Indiens de la Delaware ; peut être avant toutes
ces langues, toujours plus abondantes en formes à mesure qu'on
remonte davantage, trouverait-on enfin les langues plus sim-
ples qui ont dû les devancer. Cette époque de puissance de la
fécondité ne fut-elle pas celle de la puberté du genre humain?
celle de son enfance n'a-t-elle pas précédé ? n'y a-t-il pas eu
(i) Ne sachant point le finnois , j'ignore si cette langue ne présente
pas , ce qui est probable , quelques moyens indirectes de se tirer de
J'espèce d'embarras que je suppose ; il est clair que ce n'est qu un
exemple pour faire comprendre ma pensée.
VOYAGE EW SUISSE , EN LOMBAROIE ET EN PIEMONT. 241
avant l'époque des langues polysyllabiques et flexibles, celle
des langues monosyllabiques sans flexions, dont la langue chi-
noise, arrête'e par l'invention pre'mature'e et imparfaite de l'e'-
criture , et par-là avorle'e et noue'e , pour ainsi dire , serait
reste'e comme un curieux monument?»
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XVVVVVVVVVVVVVVVVVVVV\>VVVVVVVVVWVV%'V\k/VVVVVVVVVVVWVVVV\.VVV
VOTAGE EN SUISSE , EN I.OMBARDIE ET EN PIÉMONT,
PAR M. LE COMTE THÉOBALD WALSH.
« Une connaissance approfondie des hommes et des choses ,
un rare talent d'observation, et, ce qui est plus pre'cieux en-
core, un grand esprit de justice et de ve'rite' , des aperçus
historiques aussi profonds qu'inge'nieux , des descriptions qui
se font lire avec plaisir, un style naturel, facile et anime,
toujours exempt d'empiiase et de pre'lention, une foule d'a-
necdotes neuves et piquantes, des de'tails charmans, d'excel-
lentes plaisanteries et de l'esprit partout; — voilà ce que l'on
trouve dans le Voyage en Suisse, en Loinbardie et en Piémont,
de M. le comte The'obald Walsh, et ce qui doit le placer bien
haut parmi les plus remarquables productions de l'e'poque.
» Nous ne devons pas oublier d'ajouter que M. Thëobald
Walsh a joint à son intc'ressant Voyage le tableau re'sumé des
éve'nemens de la Suisse depuis i83o , et un Itine'raire, dont
les voyageurs sauront appre'cier le me'rile et l'utilité. »
Telle est la notice que re'pand sur l'ouvrage de M. le comte
The'obald Walsh le libraire qui s'en est fait l'e'diteur à ses ris-
ques et pe'rils; et nous pouvons affirmer qu'elle est d'une exac-
titude rigoureuse, si l'on excepte toutefois la profondeur que
l'auteur au contraire semble s'attacher à éviter. On a e'crit
qu'il a paru jusqu'à ce jour deux cents ouvrages sur la Suisse;
celui-ci serait donc le deux cent-unième; et nous n'he'sitons
pas à dire qu'il n'est pas seulement destine' à augmenter le
chiffre de celte nombreuse collection, mais qu'il y prendra cer-
tainement un rang distingue. Ce n'est point ici, en effet, une
242 VOYAGE EN SUISSE,
de ces descriptions banales , faites sur des impressions passa-
gères, et le plus souvent d'après les livres, sans connaissance
ve'ritable des hommes, des usages , des lieux même. M. le comte
The'obald Walsh a étudie' les pays dont il parle ; il en sait la
langue; il a fait plus que les traverser rapidement; il lésa,
en quelque sorte, habite's; et il a droit de dire que la Suisse
est sa chose. « Je l'aime, ajoute-t-il ; je l'ai parcourue dans
« tous les sens , à diverses reprises ; j'ai fouille' aux sources de
» son histoire , e'tudie' ses mœurs tVautrefois et ses mœurs d'aa-
» jourd'hui ; J'ai tâche' de faire ressortir les traits du carac-
» tère national et les nuances qui distinguent les habitans des
M divers cantons; je me suis mis en relation avec les hommes
» les plus marquans du pays, en tous genres; et j'ai puisé,
H dans leur conversation , de quoi rectifier mes propres re-
» marques et suppléer à leur insuffisance.» On doit avoir con-
fiance à un ouvrage écrit dans de telles circonstances et avec
de tels élémens , par un homme que le ciel a mis à l'abri des
soucis que donnent les besoins de la vie , et son caractère au-
dessus des préoccupations de l'ambition et des partis, par un.
homme intelligent, érudit et consciencieux. Aussi cet ouvrage
est il l'un des plus instructifs , des plus complets, qui aient
été publiés sur le même sujet, en même temps qu'il est un
des plus variés et des plus amusans.
M. Walsh, après avoir ennméré les sept classes de voyageurs
que Sterne distingue : le voyageur sentimental, le voyageur
paresseux, le voyageur curieux, le voyageur menteur, le
voyageur oiseux, le voyageur vain, le voyageur morose, ne se
reconnaît point dans cette classification, et il se range de lui-
même parmi les voyageurs sans avcu^W a raison, s'il entend
par là un écrivain d'une parfaite liberté d'esprit, d'une noble
indépendance de sentimens, sans prétention aucune, dont la
plume légère et facile ne connaît point l'intolérance, ne tient
à rien comme à un système , ne veut enchaîner personne à sa
pensée , qui dit les choses tristes et les choses gaies , mais qui
cependant aime mieux faire rire son lecteur que de l'émouvoir
et lui tirer des larmes.
Pour justifier nos observations, nous ferons quelques cita-
EIÏ LOMBARDIE ET EN PIÉMONT. 243
tions , prises aa hasard : l'auteur consacre un chapitre à la ville
de Bâle; son récit est toujours assaisonné de traits anmsans :
« En i8i5,le bourgmestre avait, m'a-t-on dit,re'uni quelques
amis à souper dans sa maison située proche du rempart : tan-
dis qu'on discutait paisiblement, en mangeant , sur la marche
des armées et l'issue probable de la campagne , voilà qu'une
bombe, lancée au hasard des batteries d'Huningue, enfonce
le toit, travei'se l'étage supérieur et tombe avec fracas au milieu
de la table. Ce plat , qui n'était pas porté sur le menu , fit
perdre l'appétit aux convives, lesquels se dispersèrent tout
effrayés. On commença dès-lors , à Bâle, à faire de sérieuses
réflexions sur les inconvéniens d'un si importun voisinage qui
rendait la clause de la neutralité fout-à-fait illusoire à l'égard
de la ville. Il était clair, en effet, que le commandant de
Huuingue, manquant de vivres, n'avait qu'à en faire demander
aux autorités bâloises , en ayant soin d'appuyer sa requête
dune ou deux bombes, pour être assuré de voir aussitôt ar-
river le nécessaire, et même le superflu. Il fut résolu, en con-
séquence, qu'on insisterait fortement auprès des puissances
alliées afin d'être débarrassé de cette fâcheuse sujétion qui en-
travait aussi évidemment le libre arbitre des Bâlois, en dépit
de l'inscription bienveillante placée par Louis XIV au-dessus
de la forteresse : Socils tutclam , liostibus tcrrorem. » Tout le
monde connaît l'anecdote suivante j M. Walsh ne lui consacre
que quelques lignes. « L'étranger qui se promène sur le pont
regarde, avec curiosité, une grotesque figure en bois appa-
raissant à une des fenêtres de la haute tour et tirant la langue
aux passans par un mouvement régulier que lui imprime le
balancier de l'horloge. Cette figure, fort ancienne, remonte à
une époque où les habitans du petit Bâle étaient en hostilité
continuelle avec ceux de la ville. Un plaisant Bâlois imagina
de les narguer par cette grimace permanente ; mais ceux-ci
opposèrent à l'injurieuse facétie une image encore plus malhon-
nête qui mit les rieurs de leur côté. »
En parlant du peintre Holbein, l'auteur dit que c'était un
homme d'un caractère original, bizarre, ne travaillant qu'à
ses heures , souvent à court d'argent, en prenant peu de souci,
244 VOYAGE EN SUISSE,
en nn mot, nn vrai artiste. II raconte de lai le trait suivant :
« Il avait fait prix avec nn apothicaire pour lui peindre à
fresque la façade de sa maison. L'ouvrage avançait lentement,
par suite des longues libations que le peintre alte'ré faisait aa
cabaret voisin oii l'impatient pharmacopole venait souvent le
relancer. Holbein imagina un moyen inge'nieux pour se sous-
traire à son importunite'; ce fut de peindre au-dessous de son
e'cliafaudage, que recouvrait une toile, deux jambes pendantes
qui firent tellement illusion que l'argus lui adressa de'sormais
des complimeus sur son infatigable assiduité'. »
.Voulez-vous une ide'e du style descriptif de M. le comte Walsh?
vous le trouverez ferme et concis; il ne se perd point en dé-
tails inutiles , en phrases prétentieuses ; c'est toujours de Baie
qu'il parle :
« Pour qui n'a vu que nos places de guerre fortifie'es a la
Vauban et à la Coborn , c'est un aspect frappant et original
que celui que pre'sente une ancienne ville suisse avec ses for-
tifications du moyen-âge; ce long mur d'enceinte, recouvert
d'un toit au-dessous duquel règne une galerie d'où les assie'ge's
pouvaient tirer à couvert sur les assaillans; ces fortes tours
cre'nele'es s'e'levant d'espace en espace pour servir d'arsenal et
de retraite lorsque le mur n'était plus tenable ; ces portes en
ogive surmonte'es d'un beffroi d'une e'ie'vation prodigieuse ,
aux quatre ang'es duquel sont comme suspendues de'le'gantes
tourelles destine'es aux vigies , tout ce que vous voyez vous
reporte à un temps qui n'est plus. Ce système de de'fense est
par lui-même bien autrement pittoresque , parle bien davan-
tage à l'imagination que nos ravellns, nos courtines et nos
ouvrages à cornes. La poudre à canon a tue' ce que la guerre
avait de plus poe'tique. »>
M. Walsh possède les arts et en parle en homme de goût :
Il a vu à Baie dans la salle où Erasme faisait son cours , les
portraits de cet homme ce'lèbre et de Luther. Ces portraits
sont de Holbein et celui d'Érasme est regarde' comme un chef-
d'œuvre : « C'est , dit-il , le comble de l'art que d'avoir sa
re'unir tant de choses dans un simple profil. Rien de ce qui
peut re've'ler l'homme supérieur, n'y est omis : le caractère
EW LOMBARDIE ET EN PIÉMONT. 245
pensif de ce front , cet œil qui, bien que voile' par la paupière,
semble laisser e'cliapper l'e'clat du feu dont il brille ; cette bou-
cbe si expressive dont les lèvres minces et les coins légère-
ment releve's indiquent l'atticisme d'un esprit enclin à la rail-
lerie ; ce nez effile' qui passait chez les anciens pour l'un des
caractères de la sagacité' ; l'effet ge'ne'ral re'sultant de l'ensemble
de ces de'tails si finiment sentis et si heureusement rendus ,
tout enfin , dans cet admirable morceau , rappelle le ge'nie sur
le fait. »
Il en vient au portrait de Luther : « Tout ce que j'en puis
dire, c'est que le voisinage du premier de ces deux morceaux
fait autant de tort à celui-ci que l'inge'nieux et tole'rant Hol-
landais en eût pu faire jadis an fougueux re'formateur , s'ils
se fussent trouves en pre'sence. Le pinceau de l'artiste n'a re-
produit ici que la repre'sentation d'une nature commune, je
dirai presque ignoble , à laquelle le mens d'winior semble avoir
manque' tout-à-fait. J'aime à croire que le peintre n'a pas rendu
fidèlement son modèle ; car, à voir celte large figure , ce regard
sans expression , ces traits épais , de'pourvus de caractère mo-
ral, on croirait avoir sous les yeux un vrai moine de'froqué
ou quelque bon vivant de bas e'tage plutôt qu'un homme ap-
pelé, par des facnlte's supe'rieures et par une foi ardente, à
consommer une grande re'volution religieuse. Il ne manque
au-dessous d'un pareil portrait que ce distique connu du
re'formateur :
Wer nicht liebt weib, wein und gesamb,
Der bleibt ein narr sein leben lang.
M. Walsh n'oublie ni les monumens, ni les points de vue,
ni les traits historiques, ni les e'crivains , ni les hommes su-
pe'rieurs en tous genres ; mais il ne raconte pas toujours , il
a aussi sa pense'e propre : il dit en parlant du protestantisme
qui a tant agite' la ville de Bàle :
« Si l'on e'tudie cette grande révolution religieuse ailleurs
que dans les histoires toutes faites , on est amené à juger peu
favorablement les motifs qui l'ont déterminée même en met-
246 VOYAGE EN SUISSE ,
tant à part le caractère de plusieurs des principaux acteurs.
Il est aise' de se convaincre par les faits que , dans ces abju-
rations en masse, lentraînenîent , l'esprit d'imitation, 1 attrait
de la nouveauté', les conside'ralions politiques, souvent même
1 inte'rêt prive', ont eu une plus grande part que la conviction
consciencieuse. En mainte occasion , des mesures coërcitives
sont venues stimuler le zèle des populations indécises , et le
protestantisme a eu aussi ses dragonnades. Ici on ne retrouve
rien de cette haute moralité', de cette cliaritc' immense, de ce
grand caractère de ge'ne'ralion sociale que présente l'avènement
du christianisme; le doigt de Dieu ne s'y montre nulle part,
et partout se trahit l'œuvre des passions humaines ; on sent
enfin qu'on assiste , non à la naissance d'une religion , mais à
l'établissement d'une secte. »
L'auteur du Voyage en Suisse se plaît, suivant sa promesse
à opposer les mœurs anciennes aux mœurs nouvelles : « L'an-
cienne ville impériale, la ville savante et guerrière du moyen-
âge n'est plus aujourd'hui qu'un vaste comptoir, une immense
fabrique; l'esprit mercantile y a passé son niveau de plomb,
et des noms qui se sont jadis illustrés dans la république des
lettres et sur les champs de bataille, figurent aujourd'hui sur
la porte des magasins et sur les lettres de change. Le descen-
dant du fier Baron s'est fait fabricant de rubans, et les M*****,
les F****, font parler d'eux sur toutes les places de l'Europe,
comme autrefois les Schalor et les Mœneheu dans les tournois
de l'Allemagne. » Oii demeure M. de***? deniandai-je a quel-
qu'un de Vhôtel de la Cigogne. Un Bâlois qui était présent me
répondit : « Nous n'avons pas ici de De. » Voilà des gens bien
anti-féodaux , pensai-je à part moi , et je menquis plus tard
de la cause de cette singularité; la voici : la ville de Bâle est
la .seule de toute la Suisse où l'ombrageuse vanité des bour-
geois ait imposé le sacrifice de la particule nobiliaire à tous
les seigneurs qui ont sollicité chez eux le droit de bourgeoisie;
la morgue praticienne n'est pas la seule ni la plus ridicule
« A Bâle , la vie sociale a peu d'intérêt et de mouvement.
Les hommes , après avoir employé toute la journée à leui's
affaires , se font voiturer à leur maison de campagne où ils
EN LOMBARDIE ET EN PIEMONT. 247
passent leur soirée en famille. Dans l'hiver, ils se re'unissent
pour boire, fumer, deviser sur le prix des soies et le faux
des elfeis publics et parler j)olitique. Les femmes, absorbées
par le soin de leurs enlans , la tenue du me'nage , les devoirs
de famille, vivent fort retire'es. Les petits parlages de coterie
( Small Talk ) , le tricot, les miroirs explorateurs place's aux
deux côte's de la fenêtre , emploient le peu de momens qui
leur restent, et le passage du salon d'ete' au salon d'hiver, du
salon de gala au salon de famille, forment, avec les mariages
et les naissances, les e've'nemens de leur vie monotone. Elles
n'ont ni le temps ni la facilite' d'acque'rir des taîens et de cul-
tiver leur intelligence ; les jeunes gens terminent pour la plu-
p;irt à quinze ou seize ans des e'tudes superficielles, et cher-
chent un emploi plus lucratif de leur temps , soit dans le
comptoir paternel , soit dans quelque maison de banque ou
de commerce à l'e'tranger. Si les arts, les sciences et la litte'-
rature sont cultive's à Bâie, c'est par exception et comme à
la de'robe'e. Les seuls plaisirs qu'on y connaisse sont les dîners
et puis encore les se'jours annuels aux eaux de Bade et de
Schinzenach.
» Avec les vieilles mœurs , Bâle a conserve' beaucoup de
vieilles institutions. Les lois somptuaires, par exemple, y sont
toujours en vigueur , et les Jîâloises qui ont des diamans , ne
les peuvent porter qu'aux eaux. Parmi toutes ces femmes de
millionnaires, il n'en est aucune qui ose avoir nn cachemire!!! n
Nous avons emprunte' nos citations h un même chapitre de
l'ouvrage de M. Walsh. Il n'en est aucun qui n'eût pu nous
offrir des re'cits et des traits également inte'ressans. Plusieurs
pages du livre nous ont même paru de beaucoup supe'rieures
à celles que nous avons transcrites. Tous ceux qui ont par-
couru la Suisse et qui voudront rafraîchir leurs souvenirs ou
les comple'tcr, tous ceux qui ont le dessein de visiter cette
contre'e, et qui voudront se munir d'un guide sincère et in-
structif, se procureront le J'oya^c de M. Théobald Walsh ;
il ne sera pas moins agréable et utile aux personnes qui ne
peuvent voir par elles-mêmes ce pays extraordinaire sous le
triple rapport des mœurs , des institutions , de la nature. —
Kevuc Européenne , n° 34-
248
DÉCOnVCnTES inCFOILTANTES
FAITES PAR M. RUPPELL EN ABYSSINIE.
Etat actuel de FAbyssinie. — Nature du sol. — Apparence de sa sur-
face. — Anarchie générale. — Antiquité de son origine. — Livres et
manuscrits curieux rapportés par M. Ruppell. — Une bible; un ouvrage
attribué à Salomon ; deux nouveaux livres d'Esdras : addition au livre
d'Esther ; le livre d'Enoch j quinze nouveaux psaumes. — Code de
l'Abyssinie. ■ — Corruption. — Commerce. — Ruines. — Inscriptions
découvertes. — Religion.
Nous avons annoncé l'arrive'e au Caire du savant M. Ruppell , qui
vient de terminer un voyage en Abyssinie ; nous annoncions ea
particulier que d'iinportans naanuscrits avaient été trouvés par ce
voyageur (ci-dessus tom. IX, p. 216). Voici d'autres détails sur
son voyage et sur les précieux manuscrits qu'il eu rapporte, extraits
du journal qui se publie en français à Alexandrie sous le titre de
Moniteur c'gypt'en,
(( M. Ruppell vient de partir pour l'Europe, emportant avec lui
une prodigiouse quantité d'objets précieux , et surtout dobjets
d'histoire naturelle qu'il a recueillis pendant son séjour en Abys-
sinie. La ville de Francfort devra bientôt à ce voyageur illustre
une des collections les plus rares et les plus curieuses. A lui est
réservé de donner la description , et de faire connaître en même
temps le pays qu'il a parcouru, sous ses rapports historiques,
geographicjues et statistiques. Voici , en attendant, quelques uns des
renseignemens que nous avons puisés dans sa conversation :
Lorsque M. Ruppell se rendit en Abyssinie, il y a trois ans,
il n'ignorait pas les dangers qu'il aurait à courir dans son voyage,
et ceux qui l'attend ucnt durant son séjour. Mais une volonté ferme
et tenace devait triom|)her de tous les obstacles, et il est heureu-
sement venu à bout d'accomplir sa belle entreprise.
La première chose qui la frappé dans l'aspect général de l'A-
byssinie a été la nature volcanique du terrain. Il est évident que*
DÉCOUVERTES FAITES PAR M. RUPPELL EN ABYSSINIE. 249
dans des temps reculés, ce pays a ëtë bouleversé par les érup-
tions du feu central. On y voit peu de vastes plaines, mais des
montagnes fort hautes en couvrent la surface. Quelques-unes ont
jusqu'à i3,ooo pieds d'élévation au-dessus du niveau de la mer,
d'après les observations barométriques de notre voy.igeur. Le som-
met de ces montagnes est à-peu-près constamment couvert de neige ;
car, même lorsqu'elle vient à fondre, durant le jour, aux rayons
ardens du soleil, le froid de la nuit rassemble de nouveau autour
des pitons élevés les vapeurs dont l'atmospLère est chargée con-
tinuellement. Ces vapeurs qui, sur les montagnes, se condensent
en flocons de neige, descendent dans les régions inférieures en
pluies abondantes durant toute l'année, mais principalement depuis
le mois de mai jusqu'à la fin de septembre. Ces pluies continuelles
alimentent ou grossissent les rivières qui parcourent le pays, et
surtout l'un des principaux afîluens du Nil , connu sous le nom
de Nil Bleu. Aucune de ces rivières n'est cependant navigable,
et cet inconvénient est une des causes nombreuses qui entravent
toutes les relations commerciales.
Depuis 70 ans surtout , lAbyssinie est on peut dire livrée à
une anarchie continuelle. La guerre en est l'état habituel. Dans
claque localité la force brutale écrase le faible. Partout, le plus
fort et le plus adroit s'empare du pouvoir. Sa réputation de bra-
voure lui vaut des partisans qui sont prêts à le seconder dans
toutes les circonstances. On se bat de province à province , de
village à village. Dans une invasion, ou pille, on brûle, on sac-
cage tout , et les habilaus du pays conquis sont emmenés et ven-
dus comme esclaves. Tel est le tableau déplorable que pre'sente
une contre'e ou il n'y a plus d'autorité suprême reconnue. Là ,
on ne peut espérer quelque repos que sous un chef qui fait trem-
bler ses voisins. La terreur qu'il inspire est la seule sauve-garde
que l'on ait contre les entreprises des autres tribus. Mais ordinai-
rement, à sa mort, il y a de terribles représailles du dehors,
tandis qu'au dedans on se tue , on s'égorge pour lui succe'der.
Nous ne connaissons pas d'état plus effroyable que celui-là, d'après
la peinture que nous en a faite M. Ruppell.
Cependant , ce peuple d'Abyssinie , tout detliire' qu'il est par
les divisions intestines , u'eu conserve pas moins une haute opi-
250 i>ÉCOUVERTES EN \BYSSINIE ,
nioa de son importance et de l'antiquité de son origine. Il fait
remonter son e'tablissement à la dispersion des peuples après la
confusion des langues de la tour de Babel ; et comme , d'après
lui, on parlait quatre-vingts langues à l'époque de la conslructioa
de cette fameuse tour , et qu'il y a dans son pays environ qua-
rante dialectes , il en conclut , d'après une logique particulière ,
qu'il vaut à lui seul autant que tous les autres peuples ensemble.
Du reste , les annales que les Abyssiniens ont conservées répon-
dent assez bien à l'opinion emphatique qu'ils ont de leur première
origine. Ils prétendent que leurs souverains et plusieurs de leurs
familles se rattachent , par une filiation non interrompue , au roi
Salomon et aux juges place's à la tête des douze tribus d'Israël.
Voilà sans doute une antiquité assez respectable ; il ne reste plus
qu'à l'établir sur des preuves bien authentiques ; ce qui n'a pas
encore été fait (i).
M. Ruppell , qui a rapporte' avec lui une trentaine de manus-
crits abyssiniens de différents formats, a pu cependant, à leur
aide, et en les corrigeant ou les suppléant les uns par les autres,
composer une chronologie satisfaisante depuis J.-G, , et surtout de-
puis le treizième siècle. Il n'y a qu'une seule lacune qui se présente
au dixième siècle , époque oii le pays fut ravagé complètement
par une invasion étrangère. Ces manuscrits , dont le plus ancien
ne remonte pas au-delà du quinzième siècle, sont tous écrits sur
parchemin ; plusieurs sont même tout-à-fait modernes. L'un d'eux
contient une hisloire et une ^<?o^/«/) Aie géne'rales du globe. M. Rup-
pell le regarde comme la traduction de quelque ouvrage arabe; car
les Abyssiniens ne paraissent pas avoir jamais été en position
d'acque'rir des notions suffisantes pour composer un pareil livre.
Les deux manuscrits les plus précieux qu'il a pu se procurer
sont , en premier lieu, une Bible qui renferme un nouvel ouvrage
de Salomon , un ou deux nouveaux livres d'Esdras et une ad-
dition conside'rable au livre d'Esther ; le tout complètement in-
(i) Le rédacteur du journal égyptien paraît ignorer les travaux de
Bruce, do Ludolf, de Sali, d'Ejriès et de Sylvestre de Sacy sur l'his-
toire de TAbyssinie. Voir ci-dessus tom. VII, p. 537-
FAITES PAR M. KUPPELL. 251
connu à l'Europe. Elle conlient aussi le livre d'Enoch (i) et les
quinze nouveaux Psaumes , dont l'existence avait déjà été révéle'e
aux savans.
Le second de ces manuscrits est une espèce de code que, les
Abyssiniens font remonter au concile de Nicée , époque où il fut
promulgué par un de leurs rois. Ce code est divisé en deux livres.
Le premier se rapporte au droit canon , et traite des rapports de
l'Église avec le pouvoir temporel, le second est une sorte de code
civil qui règle les rapports des divers membres de la société
entre eux.
Ces manuscrits , qui embrassent tout ce qu'il y a d inte'rcssant
dans la littérature des Abyssiniens , si l'on peut se servir de ce
terme, ne renferment aucun ouvrage de poésie ; à moins que l'on
ne veuille qualifier de ce nom une espèce de poème où sont célé-
brés, avec le retour d'une certaine coiisonnance dans les phrases,
mais sans aucun rhytiime suivi , les cvénemeus d'une grande ré-
volution politique qui se passa au quinzième siècle. Quelques chants
d'église présentent aussi le retour de la consonnance dont nous
parlons, mais rien de plus. Tout cela prouve que ce peuple n'a
jamais eu de véritables poètes. Les manuscrits dont il s'agit sont
écrits dans l'ancienne la:jgue du pays , appelée la langue ghiz ou
ghez , aujourd'hui comprise de Irès-peu d'individus , si ce n'est dans
la partie orientale de l'Abyssinie où l'on parle encore un idiome
qui a quelques rapports avec l'aucien.
Le code dont nous venons de parler a éprouvé beaucoup de va-
riantes , h travers le laps des temps , dans les diflérentes contrées
de l'Abyssinie. Le texte qu'en a rapporté M. Ruppell lui a été
donné comme le plus pur par le chef d'une de ces familles que l'on
fait descendre des juges d'Israël, et qui , de temps immémorial, ont
conservé le droit de rendre dans le pavs une sorte de justice. C'est
le seul homme honnête que notre voyageur nous a dit avoir ren-
contré dans toute l'Abyssinie. Voilà, certes, un bien effroyable
peuple , que celui où l'on ne pourrait pas même trouver les sept
(i) Le livre d'Enoch, apporté déjà par Bruce, a été traduit en an-
glais , mais non en français.
252 DÉCOUVERTES EN ABTSSINIE ,
justes que Dieu demandait à la coupable Sodôrae pour la sauver
du feu du ciel. Quant à la justice qui est rendue par les individus
en question , il ne faut pas oublier que c'est un droit à peu près
illusoire. Cette justice n'ayant pas la force de se faire obéir, oa
se conforme à ses décisions ou on les rejette , comme on l'entend.
En Abyssinie , chacun se fait son droit à soi-même. La propriété,
par exemple, n'y paraît constituée sur aucun principe fixe. Aussi,
dans les familles, un père, un mari, donne arbitrairement à une
femme ou à un enfant ce qui lui convient. Si les autres murmu-
rent contre le partage , ils s'adressent aux juges , quitte à se battre
ensuite , lorsqu'ils ne sont pas contens de la décision.
Il est presque inutile de dire que , dans une société ainsi orga-
nisée , tous les liens les plus doux et les plus sacrés sont singuliè-
rement relâchés. Un mari peut avoir autant de femmes que bon lui
semble. Il les prend et les répudie à volonté , et lorsqu'il a recours
à l'intervention religieuse pour sanctionner un simulacre de mariage ,
sa main placée par le prêtre dans la main de la femme à laquelle
il s'unit, suffit pour engager sa foi, autant de temps qu'il le veut
ou qu'elle le veut j car , les deux sexes jouissent de la même liberté
pour se séparer l'un de l'autre. Couçoit-on, avec tout cela, que
dans un pareil pays , les membres d'une même famille aient con-
servé, à la lettre , la singulière coutume de se nourrir mutuelle-
ment , en portant à la bouche les uns des autres les mets dont ils
font usage? Lorsqu'on reçoit un étranger, la politesse abyssinienne
veut aussi que la maîtresse du logis lui pre'sente pendant le repas,
comme à un enfant à la bavette, tout ce qu'il doit manger. C'est
une règle qui n'admet pas d'exception.
Quant à leurs principaux alimens , outre le pain fait avec des
céréales particulières au pays, ils font aussi usage de la viande de
bœuf toute crue. Ils ont soin de la de'pe'cer encore toute fumante
au moment où l'animal vient d'être tué. Pour la chair de mouton ,
ils se contentent de l'approcher quelques instans d'un feu vif avant
de la manger. Un bœuf ne coûte guère que deux ou trois talaris [i) ,
et l'on a plusieurs moutons ou une centaine de poules pour le tiers
(i) Le talari vaut à peu près 5 francs de notre monnaie.
FAITES PAR M. RUPPELL. 253
de cette valeur. Quant aux objets de moindre importance, on se
les procure par Toie d'e'cbange. Des grains de poivre , des morceaux
de sel gemme d'un poids déterminé servent généralement à ope'rer
ces transactions. Une trentaine environ de ces morceaux, de sel
équivalent à un talari. Le commerce de ces contrées est à peu près
nul. Massouah qui est le seul port où vienne aboutir le commerce
d importation et d'exportation, ne voit jamais les droits de douane
s'ëlever au-dessus de 35,ooo talaris dans l'espace d'une année.
Qu'est-ce que cela pour toute une contrée aussi vaste que l'Abyssi-
nie ; mais, il faut le dire aussi, privée de tout genre d'industrie
et presque dépeuplée ? C'est à peine si Massouah compte 2,000 âmes.
Gondar, qui en est la capitale, en a tout au plus 6,000. Cette éva-
luation est loin de celle de Bruce , qui donne 5o,ooo âmes à cette
dernière ville. Il est vrai que depuis les choses ont bien change.
La guerre et la barbarie se sont presse'es de de'truire. Aujourd'hui,
les deux tiers des maisons de Gondar ne pre'sentent que l'aspect
d'une dévastation générale. Au reste, dans tout le pays, les de-
meures des habitans sont l'image vivante de la misère. Du chaume
ou quelques pierres cimentées, à de'faut de chaux , avec ufl peu de
terre glaise, forment les murs des habitations recouvertes en toits
d'une forme conique. C'est là que vivent pêle-mêle hommes et bes-
tiaux, les premiers étendus sur des peaux de bêtes, et ne se ga-
rantissant durant la nuit , de l'invasion des lions et des léopards,
que par la clôture la plus simple , et par une espèce de cour an-
térieure où ces animaux viennent quelquefois dérober le bétail qui
a e'te' oublié.
Le pays ne présente nulle part des ruines comparables à celles
de l'Egypte et de Nubie, si ce n'est à Axum où se trouvent quel-
ques obélinquesul' une grande beauté , et quelques labiés de marbre
sur lesquelles sont gravées d'anciennes inscriptions grecques con-
nues avant M. Ruppcll. Mais nous devons ajouter que lui-même a
découvert, au milieu des décombres, trois nouvelles tables en pierre
calcaire à^ environ trois pieds de hauteur, sur lesquelles se trouvent
gravées des inscriptions en langue ghiz ou éthiopienne , qui re-
montent au 4 siècle , et qui ont rapport aux e've'nemens de l'épo-
que. Les naturels du pays pre'tendent que beaucoup plus au midi ,
ou rencontre des restes d'cdiQccs tout-à fait imposaus ; mais il est
T. X. 18
254 DÉCOUVERTES E?î ABYSSINIE ,
impossible de s'y rendre , à cause des peuplades ennemies qui ne
manqueraient pas de vous dépouiller au passage , et même d'atten-
ter à votre yie. Les Galla, principalement, peuples pasteurs et fé-
roces, adonnés à une vie nomade, se sont enclavés dans le pays
au point de séparer complètement aujoui'd'lnu des peuples d'une
même origine. C'est ainsi, qu'au-dtlh de la partie qu'ils occupent,
se trouve la province, tout abyssinienne de CafTa, qui a donné son
nom à la précieuse graine que l'on cultive dans l'Yémen. Le café
y est même, dit-on, supérieur par son arôme et sa qualité à celui
de Moka. Malheureusement Texportatiou en est impo'^sihle, soit k
cause des pays qu'il faut traverser, soit à cause de l'énormité des
droits qu'il faudrait payer sur toute la roule qui sépare l'Abyssinie
de l'Egypte.
Si nous passons maintenant aux mœurs des Abyssiniens, nous
les verrons sujets aux vices les plus honteux qui puissent flétrir
l'humanité. Le vol, le mensonge, la débauche , l'ivrognerie leur sont
familiers. Cruels à l'excès , ils tirent de leurs ennemis les vengean-
ces les plus atroces. Leur cupidité est telle qu'on ne peut en être
garanti que par leur jalousie réciproque.
II est sans doute peu intéressant de connaître la religion que suit
un peuple aussi corrompu; car la religion pour lui a cessé, bien
évidemment, d'être un frein salutaire. Le christianisme, comme
chacun sait , a long-temps fleuri en Abyssinie. La plupart des ha-
bitans se disent encore chrétiens cophtes , et reconnaissant pour
chef le patriarche qui réside au Caire. C'est de lui que toutes les
années ils devraient recevoir une espèce de légat , chargé de con-
férer les ordres aux piètres du pays. Mais il paraît que, depuis
long-temps, ils ont évité de le demander, à cause de la dépense
que leur occasionne un pareil voyage , dont les frais sont à leur
charge. En effet , il ne faut pas moins , généralement , de quatre
mille talaris pour arriver jusqu'en Abyssinie , à cause des redevances
continuelles qu'il faut payer sur la route aux diverses tribus. Les
Abyssiniens ne pratiquent donc aujourd'hui qu'une sorte de chris-
tianisme dégénéré. Il y a aussi beaucoup de Mahomélans parmi eux
depuis le quinzième siècle , époque où un souverain musulman de
la côte de Somaulis .fît une invasion dans leurs provinces , dont ils
ne furent délivrés que par les Portugais établis sur la côte orien-
FAITES PAR M. RUPPELL. 255
taie d'Afrique. Ces derniers, au nombre de cinq cents, vinrent à
leur secours sous la conduite d'un fils de Vasco de Gama. Beaucoup
de Juifs se trouvent aussi confondus parmi les Abyssiniens , dont
on peut même dire que le culte est un grossier me'lange de judaïsme
et de christianisme. Ajoutons à cela qu'ils sont très-superstitieux;
si on les jugeait par le nombre de fêtes qu'ils chôment dans l'an-
née , on les croirait même plus que religieux ; car le nombre de
ces fêtes ne s'élèvent pas à moins de deux cents. Il y a une foule
de saints dont ils consacrent la mémoire une fois par mois. Ils
reconnaissent la Vierge comme mère du Christ , et en cette qualité
ils lui adressent de profonds hommages. Leurs églises offrent de tou-
tes parts des images grossières des objets de leur culte. II peut être
curieux d'apprendre que, vers le quinzième srècle , un artiste ita-
lien de Venise, nommé Branca, s'était réfugié dans ce pays, et v
avait continué à cultiver la peinture. C'est à lui que l'on doit sans
doute les souvenirs informes d'un art dans lequel on prétend qu'il
avait quelque habileté. Au reste , toutes les industries de quelque
utilité sont exercées dans le pays par des étrangers, et surtout par
des Juifs et des Levantins.
Tout prouve , cependant , que l'Abyssinie a joui autrefois des
bienfaits d'une civilisation plus ou moins parfaite. M. Ruppell nous
a montré quelques médailles abyssiniennes de l'époque bysantine ,
parfaitement conservées , et qui servent de preuve à certains pro-
grès dans les arts, puisque jamais une branche ne prospère et ne
fleurit seule. Fasse le ciel , que de beaux jours reviennent pour ce
pays, et qu'ils puissent s'enorgueillir dans l'avenir d'occuper un
rang parmi les nations policées. »
18.
256
iVV\^/V«i\AA(\AAVV«V\AVV«'VV\V«Af\A'\VV%AA/\(VV\V\Aa'V\'VV\^AAVV\VV\(V^
-^(vv^ l^AA(Vv\»AA^wv'V^/%vv»
BDOSrA7AILT£ DEVANT L'OFFICI ALITÉ DE PARIS (i).
Un des ëvenemens de l'histoire contemporaine sur lesquels
il est reste' plus de nuages, est la proce'dure qui eut lieu avant
le second mariage de Buonaparte, en 1810. On savait qu'un
senatus-consulte du 16 décembre 1809 avait de'clare' le premier
mariage avec Jose'jdiine dissous. On avait ouï dire vaguement
que l'olTicialite' de Paris e'tait intervenue dans celte affaire; mais
on n'avait à cet e'gard aucun renseignement positif. Tabaraud,
qui publia en 181 5 une brochure inlitule'e du Divorce de
N. Buonaparte avec Joséphine, iu-8' de 56 pages, ne connais-
sait presque rien des faits : ce qui n'est pas e'tonnant quand
on se rappelle à que! point la presse e'tait encbaîne'e sous le
re'gime impe'rial. Les historiens qui sont venus depuis n'ont
pu donner que des conjectures assez inexactes. Cest ce qui a
engage un eccle'siastique qui s'e'lait trouvé mêle' dans cette af-
faire à raconter ce qui s'est passe'. M. l'abbé Rudemare était
alors promoteur de i'officialité diocésaine; il est le seul survi-
vant parmi les officiaux et les promoteurs de ce temps-là. MM. Le-
jeas , Corpet et Boislesve sont morts. M. l'abbé Rudemare , qui
a été depuis curé des Blancs-Manteaux , et qui a donné sa dé-
mission en i83o, a donc rédigé un récit de la procédure sui-
vie à I'officialité relativement au premier mariage de Buona-
parte. Ce récit, qui était resté dans ses papiers depuis 1810,
il l'a fait imprimer à quelques exemplaires pour plusieurs
bibliothèques publiques et pour ses amis. Il a bien voulu noas
en adresser un. Ce récit est curieux, et nous avions d'abord
songé à en faire une analyse; mais nous en avons reconnu
ensuite la difficulté. Ce récit est simple et précis; il est sans
phrases , et l'on ne pourrait le mutiler sans lui faire perdre
quelque chose de son intérêt. Nous le donnerons donc tel que
l'auteur l'a dressé ; c'est une pièce pour l'histoire ecclésiastique
et politique de l'époque :
(i) VAmi de la Religion, n" 2808 et aSii.
BUONAPARTE DEVAîïT l'oFFICIALITÉ DE PARIS. 257
Narré de la Procédure à loccasion de la demande en nullité
du mariage de Napoléon Buonaparte et de Joséphine Tascher
de la Pagerie.
Ils reçurent dans la chambre del'impe'ratrice , aux Tuileries,
la be'ne'diction nuptiale, des mains du cardinal Fesch, grand-
aumônier, le samedi i" de'cembre 1804.
Les moyens de nullité' qu'on mit en avant, furent :
Le défaut de présence du propre prêtre.
Le défaut de présence des témoins.
Le défaut de consentement de la part de l'empereur.
Le vendredi 11 de'cembre 1809, les deux ofïiciaux de Paris,
MM. Lejeas et Boilesve, et les deux promoteurs, MBL Corpet
et Rudemare , furent invile's à se rendre le jour même chez
rarchi-chancelier, qui avait auprès de lui le ministre des cultes.
n Par un article inse're' au se'natiis-consulte du 16 de ce mois,
leur dit-il, je suis, comme vous l'avez pu voir, autorise à pour-
suivre par-devant qui de droit , l'efTet des volonte's de Sa Ma-
jesté'. L'empereur ne peut espe'rer d'enfant de l'impe'ratrice
Jose'pbine. Cependant il ne peut , en fondant une nouvelle dy-
nastie, renoncer à l'espoir de laisser un be'ritier qui assure la
tranquillité', la gloire et l'inte'grite' de l'empire qu'il vient de
fonder. Il est dans l'intention de se remarier, et veut épouser
une catholique; mais, auparavant, son mariage avec l'impe'-
ratrice Jose'pbine doit être annulé, et mon intention est de le
soumettre à l'examen et à la décision de l'ofïicialité. »
Cette cause, dirent-ils aussitôt, est une de celles qui sont
réservées, sinon de droit, au moins de fait, au Souverain-
Pontife. — Je ne suis pas, répondit l'archi-chanceîier , autorisé
à recourir à Rome. — Il n'est pas besoin, répliquai-je , de re-
courir à Rome pour avoir la décision du Pape ; il est à Savonne.
— A la bonne heure, reprit-il ; mais je ne suis pas chargé de
traiter avec lui; et, dans les circonstances actuelles, cela est
impossible. — Monseigneur, il y a à Paris nombre de cardinaux
à qui on peut soumettre celte affaire. — Ils n'ont pas ici de
juridiction, dit l'arcbi-chancelier. — Mais, monseigneur, il
258 BUOÎÏAPA.RTE
existe ici une commission de cardinaux , archevêques et e'vêques
assembles relativement aux affaires de l'Eglise. — Ils ne forment
pas un tribunal, re'pliqua-t-il; 1 officialite' en est un e'tabli pour
connaître de ces sortes de causes. — Oui, prince, entre par-
ticuliers ; mais la dignité e'minente des personnes en cause ne
permet pas à l'officialité de se regarder comme un tribunal
compe'tent. — Pourquoi donc? est-ce qu'il n'est pas libre à S. M.
de se pre'senter , si bon lui semble, devant un tribunal e'tabli
pour ses sujets et compose' de ses sujets? Qui peut lui en con-
tester le droit? — Il le peut, continuai je ; mais cela est tel-
lement contre l'usage , que nous ne pouvons prendre sur nous
de nous regarder comme juges, à moins que ce comité' ne
de'cide sur notre compe'tence. Dispose's que nous sommes à
faire tout ce qui est en nous pour prouver à S. M. notre de'-
vouement , nous ne pouvons nous dispenser de prendre tous
les moyens de mettre notre responsabilité à couvert et notre
conscience en repos. En nous chargeant de cette affaire , nous
devenons un spectacle au monde , aux anges et aux hommes.
— Mais, dit le prince, nous ne voulons pas que cette affaire
soit publique et que les journaux anglais s'en saisissent. Toutes
les pièces en seront dépose'es dans la cassette de S. M. (i),
et nous vous demandons le plus profond secret. Le ministre
des cultes vous fera passer la de'cision que vous demandez.
Là dessus , il lut le projet de requête qu'il e'tait dans l'in-
tention de soumettre au tribunal, et dans laquelle il pre'sentait
comme moyen de nullité' le de'faut de pre'sence du propre prêtre
et des témoins. Sur l'observation qui lui fut faite que tout Paris
voulait que le mariage eût e'ie' fait dans les formes à Paris en 1796,
il dit que le samedi i"' de'cembre i8o4 , veille du sacre, Sa
Majesté, qui, prévoyant ce qui arrive aujourd'hui, n'avait ja-
mais voulu consentir que son mariage fût béni , qui s'y était
(i) Ces pièces au nombre de onze, ont été, le 20 janvier 1810, par
noire greHier , remises à M. lî. M., duc de Bassano . ministre-secré-
taire d'État, qui lui en a donné une décharge restée avec l'inventaire
de ces pièces au greffe de l'oflicialité.
DEVANT l'oFFICIALITÉ DE PARIS. 259
même refuse quand la henediction nuptiale Tut donnée dans
le château au roi et à la reine de Naples , au roi et à la reine
de Hollande, au duc d'Aremberg et à M"" Tascher , fatigue' des
instances de l'impératrice, avait dit au cardinal Fesch de leur
donner la be'ne'diction nuptiale, et que le cardinal la leur avait
donne'e dans la chambre même de l'impe'ratrice , sans témoins
et sans cure'. Je demandai l'acte de ce'le'bration. — Il n'y en
a pas, re'pondit l'arcliichancelier. — L'acte de baptême de l'em-
pereur?— Je ne l'ai pas, rt'pliqua-t-il. — C'est pourtant une
pièce qu'il nous est prescrit de nous procurer. — Je ne puis
vous la procurer, mais je l'ai vue; et il me semble que la
parole d'un prince doit vous suffire. Puis il ajouta : Nous de'-
sirons que celte aflaire se termine promptement, et avoir le
plus tôt possible la décision du tribunal. — Monseigneur, ré-
pondis-je , cette aflaire , suppose' que la compe'tence du tribunal
soit de'cide'e , doit absolument être instruite et jugée comme
celle de tous les sujets de S. M. — Quoi! dit l'archi chancelier,
vous voulez suivre les formes? tout cela va traîner en lon-
gueur : j'ai e'té jurisconsulte; eiles tuent le fonds. — Quelque-
fois, monseigneur; mais elles servent beaucoup à conduire à
la coimaissance delà ve'rite',et nous ne pouvons nous y soustraire
sans que notre procédure soit frappe'e de nullité'. Nul doute
cependant que tout ne se fasse avec les e'gards et la de'ference
dus à la majesté impériale. D'ailleurs, rien ne s'oppose à ce
que celte seconde question soit encore soumise au comité , sur
ce , on se sépara.
Le 26, n'entendant parler de rien , j'écrivis à l'archi-cbancelier :
« Mandés par V. A. S. pour l'entendre sur une affaire à
laquelle nous n'étions point préparés, nous n'avons pu préci-
ser les points sur lesquels le tribunal diocésain désirait que
la commission voulût bien l'éclairer : l'olGcialité craint de
compter parmi ses justiciables le chef de 1 État. La majesté
du trône, qui lui paraît inconciliable avec les attributions d'un
tribunal diocésain , l'importance qu'attache à un jugement le
rang suprême se présentant devant la justice , enfin l'usage in-
variable de soumettre ces sortes de causes au chef suprême
260 BUONAPARTE
de l'Eglise, tout lui fait une loi de recourir aux lumières du
comité' assemblé chez S. A. E. le cardinal Fesch.
« Voici donc les articles sur lesquels le tribunal demande
que le comité' veuille bien s'expliquer :
» i''L'officialite' dioce'saine de Paris est-elle compe'tente pour
prononcer sur la validité' du mariage de leurs Majeste's ?
» 2" Suppose' quelle le soit, £erait-el!e justifiable de juger
cette affaire sans remplir les formalités auxquelles elle est
assujettie ?
j» 3° Enfin ne sera-t-il pas nécessaire d'épuiser tous les de-
grés de juridiction?
1) Nous soiumes aux pieds de S. M. Notre amour et notre
fidélité sont sans bornes. Tout ce qui n'excède pas nos pouvoirs,
S. M, est en droit de l'attendre de notre dévouement. Tout
ce qui ne blesse pas notre conscience nous devient un devoir,
et nous ne craindrons pas de lui être fidèles , en voyant le
plus puissant des souverains soumettre la sienne à un jugement.
1) RuDEMARE , Prom. dioc. »
Nous fûmes sans réponse jusqu'au i^' Janvier, que M. Guyeu,
secrétaire des commandemens de madame-mère , écrivit à
M. l'oilicial que , chargé des pouvoirs du prince pour suivre
auprès de l'officialité une affaire importante et dont l'urgence
est extrême, il désirait en entretenir le tribunal.
Le 2 au malin , il apporta la requête de l'arcbi-cbancelier.
Cette requête portait que la bénédiction nuptiale départie à
LL. MM. n'avait été précédée, accompagnée ni suivie des for-
malités prescrites par les lois canoniques et les ordonnances.
Elle contenait un nouveau moyen qui nous surprit beaucoup,
le défaut de comtentcinent de la part de l empereur ; et finissait
par demander au' il fût dit et déclaré que le mariage de LL. MM,
a été mal et non valablement contracté , et qu'il sera , comme
tel , réputé nul et de nul effet quoad foedus.
Au bas de cette requête , j'écrivis : Je suis d'avis qu'avant
toute procédure , la décision des prélats soit attendue.
Elle fut présentée de suite, signée du cardinal Maury, et
DEVAITT l'0FFIGIA.L1TÉ DE PARIS. 261
le tribunal décida qa'on attendrait qu'elle fût indiTidnellement
sigrie'e par les pre'lats.
Le 3 , M. Gayeu l'apporta signëe des cardinaux Maury et
Cnzelli, de l'arclievèque de Tours , M. de Baral , et des e'véques
de Verceil, M. Canaveri ; dEvreux, M. Bourlier; de Ti'èves,
M. Mannay, et de Nantes, M. Du Voisin.
Cette de'cision , portant la compe'tence de l'officialite' et le
recours aux trois degre's de Juridiction dioce'saine, me'tropo-
litaine et primatiale, statuait sur un point sur lequel la com-
mission n'avait certes pas e'te' consultée , c'est-à-dire qiCà moins
que le consentement ne fût Lien prouué, le mariage était nul
de plein droit! ! ! et ne disait rien sur la forme de proce'dure
à suivre.
Ayant pris de nouveau lecture de la requête en pre'sence
de M. Giiyeu , je lui observai qu'elle e'tait entortille'e et presque
inintelligible. Les de'clarations des te'moins , me re'pondit-il,
mettront le tribunal au fait de tout.
Alors il se mit en devoir d'exposer l'affaire à peu près comme
avait fait le prince , avec cette diffe'rence que , laissant presque
de côte' le de'faut de pre'sence de te'moins et de cure' , il in-
sista beaucoup sur le de'faut de consentement, qu'il repre'senta
comme un consentement simuld, donne' seulement pour con-
tenter l'impe'ratrice. Il ajouta que les te'moins qu'il voulait
faire entendre e'taient le duc de Frioul Duroc , le prince de
Neufcbâtel Bertliier,le prince vice-graiul-electeur Talieyrand ,
et le cardinal grand-aumônier Fescb. On fixa pour l'enquête le
samedi 6.
Le 6, l'enquête se fit à dix beures du matin, l'offici al et le
greffier s'étant transporte's chez les te'moins. Le procès-verbal
et les de'clarations me furent remis le lendemain dimancbe,
à midi; et, presqu'au même moment, un commissionnaire
m'apporta deux lettres, une de M. Guyeu , qui me pro'venait
que mes conclusions e'taient attendues ])our le lendemain 8,
à onze heures , me menaçant de la colère de S. M., si la sen-
tence n'était pas rendue ledit jour à l'heure indiquc'e; et l'autre
de l'official me'tropolitain, dans le même seus. Je passai la nuit,
262 BUONAPARTE
et fus prêt ; mais M. Guyea , sans donner de motif, fît remettre
la se'ance aa mardi.
Je profitai de ce re'pit pour communiquer mes conclusions
a M. l'alibé Desjardins , docteur de Sorbonne , ancien vicaire-
ce'ne'ral d'Orléans et cure' des missions e'trangcres ; à M. Lagct-
Bardolin , avocat du cierge', et à M. l'abbé Euiery, docteur
de Sorbonne et supe'rieur du se'minaire Saint-Sulpice , qui les
approuvèrent.
Le tribunal se re'unit donc le mardi 9, à midi, dans le pre'-
toire de l'officialite', c'tabli pour lors dans l'ancienne cbapelle
haute de l'arcbevêcbe'.
Là, après que M. Guyea eut extravague' pendant une demi-
heure et plus sur le non-consentement de l'empereur, disant
qa^il n'avait jamais eu l'intention de contracter, et faisant va-
loir en faveur d'un homme qui nous fait tous trembler , un
moyen de nullité' qui ne fut jamais invoque' utilement que par
un mineur surpris ou violente', je fis mon rapport, et donnai
mes conclusions comme il suit :
« La question porte'e au tribunal, e'tant unique dans son es-
pèce , paraît au promoteur aussi difficile qu'elle est impor-
tante. Il n'a, pour le guider dans ses conclusions, ni l'autorité'
des jugemens pre'ce'dens, ni celle des jurisconsultes. Il ne voit
devant lui , pour se conduire, que la lumière de sa conscience
et son de'vouement sans bornes pour S. M. I. et R.
» Mais ce dernier sentiment, grave' dans son cœur en traits
profonds, loin d'aplanir à ses yeux la difficulté', la rend plus
e'pineuse ; il ne craindra pas d'avouer qu'il concluerait plus
hardiment en faveur de S. M. s'il de'sirait moins de lui plaire.
S'il tremble, c'est de surprendre en soi un mouvement de zèle
pour la personne là où il ne doit conside'rer que la cause.
» Cependant, recueilli devant Dieu, le promoteur conclura
selon ses faibles lumières; et cette liberté' de ministère sera
un te'moignage e'clatant en faveur du plus puissant souverain
de l'univers, à qui il convient d'avoir pour serviteurs les ma-
gistrats les plus intègres et dans leurs saintes fonctions les plus
iodépeDdans.
DEVAWT l'oFFIGIALITÉ DE PARIS. 263
)» La cause a été introduite par un expose' de S. A. S. le
prince arclù-chancelier de l'empire, portant :
» i" Que la bénédiction nuptiale départie à S. M. n'a été
précédée, accompagnée ni suivie des J'ornialités prescrites par
les lois canoniques et les ordonnances ;
» 1° Qu'il n^y a pas eu, de la part de S. M. l'empereur et
roi , consentement à ce mariage.
» Ordonnance d'information snr ces deux faits ; audition de
témoins, an nombre de quatre. Dépositions faites par écrit,
et consignées dans des déclarations sous serment , écrites et
signées de chacun des déposans.
» Le tribunal a à s'éclairer sur ces deux points.
» Trois déposans s'accordent à dire , sur les deux chefs ,
que la bénédiction nuptiale, si elle a eu lieu entre LL. MM.^
a eu lieu sans consentement véritable de la part de S. M. l'em-
pereur, sans propre prêtre , sans témoins, et sans pièce autheii-
ticjue qui constate son existence.
» Or, un acte dont il n'y a ni titres ni témoins, n'a pas de
réalité aux yeux du juge; il n'existe pas, et, s'il n'existe pas,
il n'y a lieu à déclarer le mariage valablement ou non vala-
blement fait, avec ou sans consentement suffisant : il est non
avenu. Ce qui se passe dans le secret d un appartement entre
deux personnes, sans aucune trace légale, est, devant la loi,
comme ce qui se passe dans l'intéiieur de l'âme, et n'a que
Dieu pour juge.
» Si donc nous nous en tenions aux trois déclarations sus-
dites , nous n y chercherions des éclaircissemens , ni sur le
premier , ni sur le deuxième chef de l'information ; mais nos
conclusions seraient que, n'y ayant aucun monument, ni écrit,
ni testimonial de mariage entre LL. INDL , il n'y a lieu à ju-
gement, puisqu'on ne peut statuer sur la qualité d'un acte qui
n'existe pas, ni déclarer nul ou valable ce qui n'est aux yeux
de la loi qu'un être idéal et fantastique.
» Mais la déclaration de S. A. E. le cardinal Fesch ne nous
permet pas de considérer la cause sous cet aspect. Ici, c'est
un témoin et le ministre même de la bénédiction nuptiale. Sa
déclaration est un monument qui l'établit incontestablement.
264
BUONAPARTE
Il en a même délivré le certificat a S. M. l'impe'ratrice. La
question se pre'sente donc tout entière ; et nous avons à
examiner :
» I" Si la ce'le'bralion a e'té revêtue des formalite's prescrites
sous peine de nullité' par les saints canons et les ordonnances;
» 2" Si le de'faut allègue' est tel qu'il puisse motiver une sen-
tence de nullité'.
.. Quant au premier point, les lois de l'Eglise et de lEtat
prescrivent, sous peine de nullité' du lien conjugal, que la ce'-
le'bration ait lieu devant le propre prêtre et en pre'sence de
deux te'moins, selon le concile de Trente, et de quatre, selon
l'ordonnance de Blois,
» Dans le cas actuel, il y a de'faut de pre'sence des te'moins;
il est atteste' par les de'clarations annexe'es à l'enquête ; il y
a de'faut de pre'sence du propre prêtre. En effet , c'est par
S. A. E. le cardinal grand -aumônier que la be'ne'diction nup-
tiale a e'te' de'partie hors la pre'sence du cure' : ce fait est e'ga-
lement constant. Ce qui ne l'est pas moins, c'est que ces deux
de'fauts ne peuvent être couverts par la dispense qu'il a ob-
tenue du chef de l'Eglise universelie. S. A. E. n'ayant demandé
que les dispenses qui lui sont quelquefois indispensables pour
remplir ses devoirs de grand-aumônier ^ et n'ayant point par-
ticularisé et nominativement spécialisé la fonction extraordi-
naire et curiale qu'il allait exercer auprès de S. M., n'a pu
recevoir et n'a reçu ni la dispense des témoins exigés par les
lois civiles et canoniques , ni le pouvoir de se substituer au
curé, on à l'ordinaire, dont l'intervention est absolument re-
quise par le concile et la déclaration de i63g, nonobstant tout
privilège et coutume quelconque. Ainsi l'a décidé Grégoire XIII.
C'est aussi un sentiment unanimement reçu en France , qu'en
fait de mariage , l'évêque seul est ordinaire.
» Louis XIII dans son édit de 162g, et Louis XIV dans
celui de 1697, l'ont insinué assez clairement, en ne s'y ser-
vant pas du ternie d'ordinaire, mais de celui d'évêque ou d'ar-
clievcque diocésain.
« Voilà pour le premier point de l'enquête.
» Pour le second point, relatif au défaut de consentement.
DEVANT l'oFFICIALITÉ DE PARIS. 265
la question se présente environne'e de difficulte's et d'obscurité'.
A !a ve'nle' , S. jM. l'empereur ne s'est prête' à la cele'bration
qu'avec re'pugnance , et pour céder aux instances de S. M. l'im-
pe'ratrice ; à la ve'rite' , il n'a pas voulu se lier par un engage-
ment indissoluble ; mais il est difficile d'e'tablir suffisamment
qu'il y ait eu défaut du consentement nécessaire à la forma-
tion du lien. La question se re'duit à savoir si l'intention for-
melle de ne se point lier irre'vocableraent, intention contraire
à la nature du lien conjugal, e'tait un obstacle invincible à la
formation du lien , ou si le consentement donne' dans la ce'le'-
bration suffisait pour en produire les effets essentiels , nonob-
stant tonte intention contraire. Question al)struse et très-diffi-
cile à re'soudre en droit comme en fait. Si donc l'examen de
cette question n'e'tait pas ne'cessaire , il semble qu'il faudrait
éviter de s'y engager.
M Mais le seul de'fant de te'moins n'est-il pas un vice qui
emporte de soi nullité? Oui, sans doute. La seule difficulté' qui
se pre'sente, et elle est grave, c'est qu'un de'faut de formalite's
ne peut être favorable à celui qui l'a produit librement. Aussi
les tribunaux ont-ils coutume de juger, en pareil cas, que le
mariage a e'te' mal et non valablement contracte' par de'faut
d'une formalité' essentielle , mais d'enjoindre en même temps
aux parties de couvrir incontinent ce de'faut , en renouvelant
le'galement leur consentement.
» Il y a donc en ces jugemens deux parties très-distinctes,
l'une qui déclare le mariage nul quand fœdus , l'autre qui
condamne à le re'liabiliter , et l'on sent que cette dernière est
ne'cessite'e par les raisons les plus graves d'e'quite' et d'ordre
public.
» Cependant il n'est pas moins vrai que , pour des raisons
majeures qui sortent de l'ordre commun, des raisons d'Etat,
par exemple, il se pourrait bien qu'il n'y eût pas lieu d'in-
sister sur la re'liabilitation. C'est à M. l'official à conside'rer dans
sa sagesse si les circonstances pre'sentes ne l'autorisent pas à
s'e'carter sur ce point des règles de son tribunal.
» D'après ces observations pre'liminaires , qui lui ont para
essentielles pour motiver ses conclusions ,
266 BUON APARTE
» Le promoteur ge'ne'ral du diocèse de Paris , le siëge va-
cant , qui a vu :
» i" L'acte présente' an nom de LL. MM. IL et RR. par S.
À. S. le prince arcliichancelier de l'empire, duc de Parme,
leur procureur fonde', ainsi qu'il appert d'une clause du se-
natus-consulte du i6 de'cembre 1809, ledit acte en date da
3o de'cembre même anne'e , portant de'claration d'un mariage
ce'le'bre' entre S. M. l'empereur et roi Napole'on et S. M. l'im-
pe'ralrice et reine Jose'phine , à Paris, le i^"^ de'cembre 1804,
et demande en nullité dudit mariage ;
» 2° Le se'natus-consulte susdit j
1) 3° La de'cision des sept pre'lats, qui porte que cette cause,
de'fe're'e à notre ofïicialité , est de notre compe'tence ordinaire :
ladite de'cision transcrite dans notre re'quisitoire du 3 de ce
mois ;
» 4° Les ordonnances et re'quisitoires ensuite de l'acte ex-
positif de la demande ;
M 5° Le procès-verljal d'enquête ;
» 6' Enfin, les de'clarations assermente'es des témoins, en
date du 6 janvier 18 10,
)» Estime I" que le mariage entre LL. MM. l'empereur et roi
Napoléon et l'impératrice et reine Joséphine, doit être regardé
comme mal et non valablement contracté, et nul qiioad fœ-
diis , faute de la présence du propre pasteur et de celle des
témoins, voulues par le concile de Trente et les ordonnances;
» 2'' Que les parties doivent cesser de se regarder comme
époux , jusqu'à réhabilitation;
1) 3° Que lui, promoteur, doit s'en rapporter, comme de
fait il s'en rapporte à la sagesse de M. l'ofïicial , pour pronon-
cer , s'il y a lieu , dans les circonstances majeures où nous
sommes , et pour raisons d'Etat , à déclarer LL. MM. IL et
RR. libres de cet engagement , avec faculté d'en contracter
an autre.
» Fait et conclu à Paris, le 8 janvier 1810.
» RuDEMARE, promot. dioc. »>
DEVANT l'oFFICIALITÉ DE PARIS. 267
Suit la sentence de M. i'official , dont voici la teneur :
a Nous, Pierre Boilesve , prêtre, docteur en droit canon ,
chanoine honoraire de l'e'glise me'tropolitaine de Paris, et of-
ficiai dioce'sain , le sie'ge vacant, à tous ceux qui ces. pre'sentes
lettres verront, salut :
» Savoir faisons que , vu l'acte à nous pre'sente le 3o de'-
cembre 1809 , au nom de LL. MM. II. et RR. , par son S. A. S.
le prince archi-chancelier de l'empire , leur procureur fonde',
ainsi qu'il appert d'une clause du se'natus- consulte du 16 de'-
cembre 1809 , ledit acte en date du 3o de'cembre même an-
ne'e, portant de'claration d'un mariage ce'le'bre' entre S. M. l'em-
pereur et roi Napoléon et S. M. l'impe'ratrice et reine Jose'pbine,
à Paris, le i*"" de'cembre i8o4, et demande en nullité' dudit
mariage ;
» Et attendu la difficulté' de recourir au chef visible de l'E-
glise , à qui a toujours appartenu de fait de connaître et pro-
noncer sur ces cas extraordinaires ;
» Vu la de'cision des sept prélats, qui porte que cette cause,
de'fe're'e à notre tribunal, est de notre compe'tence ordinaire :
ladite de'cision signe'e de tous et transcrite au dos de l'acte
susdit ;
» Le se'natus-consulte susdit , les ordonnances et re'quisi-
toires ensuite de cet acte, ensemble le procès verbal d'enquête,
avec les déclarations assermente'es des te'moins en date du 6
janvier 1810 ;
» Après avoir ou'i M. Rudemare , prêtre, chanoine hono-
raire de Paris, et promoteur-ge'ne'ral du diocèse, en ses con-
clusions laissées sur le bureau, en date du jour d'hier, et
dont expe'dition signe'e de lui sera annexe'e à la pre'sente
sentence ;
» Tout conside're', après avoir invoque' le saint nom de Dieu,
de qui procède tout jugement ,
») Disons et déclarons que le mariage entre LL. MM. l'em-
pereur et roi Napole'on et l'impe'ratrice et reine Jose'phine , a
e'ie mal et non valablement contracte', et qu'il est comme tel
nul et de nul efl'et , giioadj'œdus ;
268
BUONAPARTE
» Déclarons et prononçons LL. MBI. II. et RR. libres de cet
engagement, avec la faculté' d'en contracter un autre, en ob-
servant toutefois les formes voulues par le saint concile de
Trente et les ordonnances ;
»> Disons que LL. MM. ne peuvent plus se banter ni fre'-
quenter, sans encourir les peines canoniques;
» De'ciarons en outre aux parties , qu'à raison de la contra-
vention par elles commise envers les lois de l'Eglise, dans la
pre'tendue célébration de leur mariage , il est de leur devoir
pour re'paration de ladite contravention , de faire aux pauvres
de la paroisse Notre-Dame une aumône dont nous leur laissons
la libre appréciation.
» Ce fut ainsi fait et Jugé par nous officia! susdit, au pré-
toire de l'officialité diocésaine, le mardi g janvier i8io.
» Signé BoiLEsvE , officiai. Signé Barbie , greffier. »
De cette sentence , aussitôt et séance tenante , j'appelai au
métropolitain. Mon appel, fondé sur ce que M. l'official , qui
a jugé selon sa sagesse, n'en a pas moins j'igé contre la pra-
tique ordinaire des tribunaux en pareil cas , fut , le même
jour, signifié par notre greffier an promoteur métropolitain,
qui , le surlendemain , donna des conclusions conformes à la
sentence diocésaine.
Quant à l'official métropolitain , il donna , dans le sens de
M. Guyeu , une sentence confirmative qu'il fonda particulière-
ment sur le non-consentement de lempereur; de plus, il cen-
sura le mode de réparation expressément exigé par les lois
canoniques, et réforma la partie de la sentence diocésaine qui
la contient, prononçant qu'elle serait annulée et regardée comme
non écrite dans ladite sentence.
Le dimanche 14? le Moniteur ayant rendu de l'affaire un
compte inexact, et avancé que l'official diocésain avait déclaré
la nullité du mariage de S. M. quant au lien spirituel, je m'en
plaignis' à l'arcbi-chancelier, lui disant que le tribunal ne dis-
tinguait pas dans le mariage le lien civil et le lien spirituel ;
qu'il ne connaissait que le lien purement et simplement, aux
termes des saints canons, lej'œdus dont la requête demandait
qu'on prononçât l'annulation. L'arcbi-chancelier me répondit
DEVAIT l'oI'FICIALITÉ DE PARIS. 269
que les re'dacteurs île joarnaux n'e'taient pas des canoaistes.
Et puis, contlnuai-je , comment concilier le silence que vous
nous avez recommandé avec la publicité que vous venez de
donner à notre sentence? Ne trouvez-vous pas qu'on est en
droit de lui faire le même reproche que nous avons fait au
mariage, et que, s'il n'en reste aucun vestige dans notre greffe,
on est justifie' d'en contester la re'gularité et même l'existence?
Le prince alors consentit ;i ce que les conclusions, sentences
et appel fussent portés sur les registres des oiïicialités , comme
d'usage.
Voilà comme a été terminée cette affaire , dont je ne me
suis réservé ce mémorial que pour m'aider à me laver au be-
soin devant l'Eglise, dont je fais profession de craindre plus
les censures que la colère de S. M., du reprocbe d'usurpation
de juridiction , de précipitation et de prévarication.
Paris, 3o janvier 1810. Rldemare, promoteur diocésain.
Ce qui suit est en écriture à la main sur notre exemplaire :
« Les jugeraens hasardés qu'ont portés sur la question da
mariage de Buonaparle les nouvelles Histoires de France qui
me sont tombées sous la main , celles entr'autres de Rojou ,
de Monfgaillard et de Gallais , continuateur d'Anquetii , m'ont
déterminé à faire d'abord transcrire, puis inijuimer quelques
exemplaires de ce Narré qui était resté dans mon porte-feuille
depuis 1810, et à en déposer, de moi signés, dans plusieurs
bibliothèques publiques de la capitale.
» J'ai cru aussi devoir en remettre à de respectables amis,
avec prière de les communiquer aux personnes qui , pensant
a faire entrer dans des mémoires du temps cette procédure ,
leur demanderaient des renseignemens positifs sur la manière,
dont a été conduite à l'ofllcialité de Paris , dans des temps
difficiles, cette affaire à laquelle j'ai été obligé, par le devoir
de ma place , de prendre une part active.
)) Paris, t4 août 1826.
» RuDEMARE, cban. bon. de Paris, ex-promoteur
diocésain , et curé de N.-D. des Blancs-Manteaux. »
T. X. 19
2.70 ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES ,
VW WV WW WWWVW VW WWW W\< VWVW
DES SECOURS
QUE Ii'ÉTUSE DES ANTIQUITÉS ÉGTFTIEMNES
DOIT TROUVER DANS LES ÉCRITS DE LA BIBLE.
DISCOURS LU A l'aGADÉMIE CATHOLIQUE DE ROME PAR LE
P. OLIVIÉRI , GÉ^ÉRAL DES DOMINICAINS (1).
Avantages <\e 1 ctucle des antiquités égyptiennes. — La statue de Mem-
non expliquée. — Système de Manélhon. — L'Egypte n'est pas aussi
ancienne que le disent certains savans. — Preuves tirées de la for-
mation du sol. — De son astronomie. — Peuplée par Cham. —
Amnon Jupiter. — La plupart des arts sont antérieurs au déluge.
« Le but des fondateurs de V Académie de la Tieligion catholi-
que a ctë de suivre les progrès de l'esprit bumaiu dans toutes les
branches des sciences , pour montrer que , loin d'arriver à aucune
conséquence défavorable à la religion , chacune des sciences en
présente une preuve nouvelle , et en reçoit à son tour une direc-
tion plus vraie et des lumières plus grandes. C'est sous ce point
de vue , que j'ai cru devoir vous entretenir aujourd'hui des élu-
des sur les Antiquités égyptiennes ; déjà un des membres de cette
Académie vous a parlé des zodiaques de Denderah , auxquels on
avait tenté d'attribuer une antiquité prodigieuse \ il vous a prouve
qu'ils ne pouvaient être que modernes ; les vrais savans applau-
dirent à ses paroles de toutes les parties de l'Europe, et le nom
de monseigneur Testa est rangé parmi ceux des restaurateurs de
la science astronomique. Il s'est ensuite trouvé que les peintures
égyptiennes des zodiaques du temple de Denderah appartiennent
à l'époque de la domination romaine , comme il résulte des in-
scriptions soit grecques soit hiéroglyphiques , dans une desquelles
(i) Annales de Phil. Chrél. n° 5o.
EXPLIQUÉES PAR LES RÉCITS DE LA BIBLE. 271
est nommé Tibère, tandis que dans une autre est mentionné le
titre d'Juiocrator. Le petit temple de Esné , dont on faisait re-
monter l'origine à 2'joo ou 3ooo ans avant Jësus-Christ , a une
colonne peinte et sculptée la dixième année du règne d'Antonin,
i4y ans après Jésus-Christ (i).
» Monseigneur Testa avait traité un seul point des antiquités égyp-
tiennes. J'ai pense qu'il serait avantageux d'offrir quelques consi-
dérations générales sur ces mêmes antiquités dans le but de prou-
ver que leur étude exige le secours de la sainte Écriture pour ne
pas s'écarter de la vérité, pour acquérir des fondemens plus so-
lides et des lumières plus sûres.
» Je dois dire d'abord que je suis bien loin de de'nigrer l'étude
des antiquite's égyptiennes; je suis au contraire convaincu qu'elles
jettent de la lumière sur 1 histoire , les arts, les sciences, et que
par-dessus tout elles doivent servir au triomphe de la religion ;
ainsi les efforts de la curiosité humaine pour les explorer , quel
que soit le but des investigateurs , aura pour dernier résultat de
lui fournir de précieux documens.
« Pour en citer un exemple , vous avez tous entendu dire que le
colosse de Memnon, frappé par les rayons du soleil naissant, fai-
sait entendre des sons harmonieux ; plusieurs écrivains en ont
parlé, le géographe Strabon assure l'avoir entendu lorsqu'il ac-
compagnait Elius-Gallus. Il pre'vient, il est vrai, qu'il ne sait si le
bruit venait du colosse, ou de sa base, ou de quelqu'un des as-
sistans. Or, nous savons aujourd'hui qu'un voyageur anglais, en
explorant les ruines de cette antique Thèbes , a découvert la base
de la fameuse statue , et qu'il y a remarqué une cavité dans la-
quelle un homme pouvait se placer, et produire les sons mys-
térieux (2).
» Mais pour en revenir à mon sujet, si nous conside'rons la con-
nexion de l'Egypte avec les événemens de l'histoire sacrée , sa
(i) V. ci-d. tom. III, p. 10.
(2) Ce voyageur anglais est M. Wilkinson : quelques auteurs ont voulu
douter de sa découverte ; mais ceux-là même ont expliqué le phénomène
de la voix de Memnou. Voir eu particulier la Dissertation de M. Letronne.
19.
272 LES ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES,
proximité de la Terre-Sainte, le contact des peuples dans leurs
révolutions réciproques, les fréquentes allumions des prophètes aux
événemens et au pays de l'Egypte , nous comprendrons bientôt
que, pour ne pas se tromper cl obtenir des eclaircissemens cer-
tains, l'on est obligé d'avoir recours aux livres sacrés. On ne parle,
il est vrai, le plus souvent, que de cavités sépulcrales, de cada-
vres conservés avec tout leur appareil. Mais comme on ne se pro-
pose rien moins que de refaire avec ces documeus , l'hiètoire des
rois qui gouvernèrent l'Egypte, et de l'Egypte elle-même, ce qui
comprend l'histoire du moude, quant h son origine et à sa durée,
et aussi une grande partie de l'histoire générale ou particulière
des autres peuples ; comme on en tire des notions sur les gouver-
nemens , la civilisation, les sciences, les arts qui y fleurirent dès
les temps les plus anciens ; sur les mœurs , la religion dont nous
devons constater l'état, au milieu des plus monstrueuses supersti-
tions, pour ne pas confondre les inventions de la folie humaine
avec les traces primitives qui viennent de Dieu, et 1 intervention
du démon avec les œuvres du Tout-Puissant , on ne saurait ac-
corder trop d'attention à celte étude. »
Le savant religieux nous donne ici un tableau rapide des re-
cherches faites par les amateurs d'antiquités égyptiennes ; \\ nous
les peint fouillant dans les entrailles de la terre, ouvrant les mo-
mies, pénétrant dans les nécropolis, descendant dans les puits
sacrés, se glissant dans les conduits souterrains, partout oii un
temple, une colonne, une inscription leur permettra de déchiffrer
une page ou seulement une ligne de cette histoire encore envelop-
pée de tant de nuages ; puis il continue en ces termes :
« Tels sont les monumens à l'aide desquels on espère retrouver
les noms et les annales de plusieurs des plus anciens rois-hommes
des quinze premières dynasties d'Egypte , e'nuraérées par Manéthon.
J'ai dit des rois- hommes , car , pour le règne des dieux et des
demi-dieux ^ il n'est pas considéré comme historique. On prétend,
a partir de la i6® dynastie, e'tablir avec les monumens la succes-
sion des Pharaon jusqu'à la 26^ dynastie"', sous le règne de laquelle
eut lieu la conquête de l'Egypte par les rois de Perse , et de là
jusqu'à la 3i® dynastie , sous laquelle l'Egypte fut conquise par
Alcxandre-lc-Grand. Les preuves sur lesquelles on s'appuie sont
EXPLIQUÉES PAR LES RECITS DE LA. BIBLE. 273
le Tableau qui se trouve sur la muraille du temple d''Abydos, le
tombeau de Ben Hassan , la procession du Ramesseion , le tombeau
de Carnah , la procession de Wédinet Abu et autres monumens
épars en diffe'rens lieux. Or, à l'aide de ces monumens, on pré-
tend justifier les listes des dynasties de Manéthon , qui se trouvent
être successives, excepte celles des rois pasteurs, qui sont colla-
térales à celles des rois Ic'gitimes.
Les rois pasteurs ont envahi l'Egypte, sous le règne du der-
nier roi de la 16"^ dynastie.
Quant à la civilisation de l'Egypte, le professeur Rosellini (i)
observe que « les monumens encore debout nous repre'sentent cet
)) ancien peuple comme parvenu h un haut degré dans la science
» et les arts , sans que l'ont ait aucune trace de principes de sa
« constitution civile. » Et parlant d'une des peintures des tombes
de Ben-Hassan, il dit encore : « Ce morceau nous offre une des
» plus anciennes productions de l'art , auprès de laquelle toutes
» les autres peintures données pour antiques peuvent être consi-
» dére'es comme modernes. »
Or, on demandera si, pour expliquer les monumens e'gyptiens,
on a les mêmes secours que pour les monumens grecs ou latins,
c'est-à-dire , si l'on trouve drs écrivains de la langue égyptienne
même, qui nous aident à les expliquer. Nous n'avons jamais en-
tendu parler d'aucun ouvrage égyptien sur l'histoire ou la poésie,
sur les sciences , les arts ou la littérature, nous ne pouvons tirer
aucune lumière de ce côté ; on a bien quelques restes de l'an-
cienne langue égyptienne dans le copie, qu'on parla ])lus tard,
mais les caractères de l'écriture copte, empruntés au grec, ne re-
montent pas au delà du io« siècle. Le petit nombre des écrivains
qui en ont usé sont chrétiens.
Quant aux plus anciens ouvrages que nous ayons sur l'Egypte,
on sait que ce sont des catalogues de rois , les annales de leurs
(1) Le profcs.scur Rosellini de Fisc accompagna Champollion clans sa
dernière excursion en Egypte. Plus heureux que celui-ci , et de retour
dans sa patrie, il publia sur les antiquités égyptiennes un grand ouvrage
où Ton regrette de ne pas voir les traditions de la Bible Irailces avec
assez de respect. ( Note du P. OUvièri. )
274 LES ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES ,
actious , conservées dans leurs archives par les prêtres, comme
aussi les easeignemens secrets de leur doctrine, soustraits à la
connaissance du vulgaire.
On conjecture que c'est de h que vient la liste de 38 rois
tbébains , donne'e par Eratoslliène , et la liste de la vieille chro-
nique, qui, avant le règne des hommes, parle de la domination
des dieux et plus tard des demi-dieux , avec une supputation d'an-
nées ne'cessairement étrangère à l'histoire , et que l'on doit rap-
porter à des doctrines cachées. Mais c'est à cette source que dut
puiser Manéthon pour composer son ouvrage grec, ouvrage divisé
en deux parties, et présenté au roi grec de l'Egypte, qui le lui
avait commandé. Une partie se composait de canons judiciaires,
de règles' pour connaître l'avenir; l'autre partie était historique,
et contenait les trente dynasties qui avaient régné en Egypte. Nous
avons un fragment de la liste de ces dynasties dans Josèphe, nous
en avons encore des extraits faits par Jules l'Africain au temps
d'Origènc, et que Sincellus a conserves; Eusèbe en avait fait d'au-
tres extraits dans sa chronique, nous avons retrouvé dans une
traduction arménienne , la partie que nous croyions perdue.
On rencontre à la vérité de notables différences dans les ex-
traits faits par Josèphe , Jules l'Africain et Eusèbe; mais, même
en dissimulant, en arrangeant pour le mieux ces extraits, et en
les comparant ensuite avec les monumens qui paraissent s'accorder
avec eux , pour leur donner ou en recevoir des preuves et des
éclaircissemens réciproques, c'est eu vain que l'on prétend que les
processions successives de séries de rois, ou de personnes appar-
tenant à la famille royale, que Ton trouve sur certains monumens,
puissent résoudre la grande question de savoir si les dynasties sont
successives, ou si quelques-unes d'eutr'eiles sont contemporaines.
Eli prenant, d'après cette seconde supposition, les différentes dé-
nominations de rois, Buùasiites , Diospolilains , etc., pour des
indications de dilTérens royaumes, qui ont pu avoir leurs rois dans
le même temps, plusieurs savans, et parmi eux Fourmout, croient
voir divers indices de cette cor)temporane'ité , Jusque dans les ca-
talogues de Mane'thon , et, dans ce cas, elles peuvent très-bien
se concilier avec la série des temps indique'e par la Sainte-Ecri-
ture ; tandis qu'en les considérant comme successives , on arrive
à un nombre d'anne'es inconciliable avec toute apparence de vérité.
EXPLIQUÉES PAR LES BÉCITS DE LA BIBLE. 275
Mais outre Manélhon et ceux qui ont puisé chez lui, trouvons-
nous dans la littérature profane quelques preuves à l'appui des ré-
cits des prêtres égyptiens? Nous trouvons qu'avant Manéthon des
philosophes de la Grèce, tels que Pjthagore, Thaïes, Selon, Pla-
ton et d'autres moins connus , étaient venus chercher l'art et la
science en Egypte.
Mais, quoiqu'il en soit, nous ne trouvons par rapport aux évé-
nemens historiques, que des faussetés palpables
Avant Manéthon, il faut encore placer le voyage d'Hérodote,
père de Phistoire profane; il visita l'Egypte lorsqu'elle avait déjà
passé sous la domination des Perses.
Dans son second livre il rapporte les récits que lui avaient faits
les prêtres , récits très-oppose's à ceux de Mane'thon , et encore
remplis de falsifications étrangères.
Diodore de Sicile alla puiser aux mêmes sources ; quand les
Romains se furent emparés de ces contrées , les prêtres lui firent
encore d'autres récits contradictoires sur des points de la première
importance , comme on jjeut le voir dans sa Bibliothèque.
Un pareil chaos de contradictions força Pétau, le chef des chro-
nologistes , à renoncer à établir aucun ordre dans l'histoire de
l'Egypte. D'autres hommes distingués ne se sont pas senti plus de
courage, et Marsham, qui l'a tenté, a mis a la tête de son livre
cette épigraphe d'Aristote : // est difficile de mettre en bon ordre
ce qui est mal disposé.
Les monumens découverts plus tard ne peuvent donc puiser
qu'un appui défectueux des renseigneraens préexistans sur l'Egypte,
et ils seraient propres à devenir une matière à mille erreurs, si
l'on prétendait que seuls ils suffisent.... Sans doute ils peuvent
être dune grande utilité'; mais, lorsque pour les étudier on suivra
les lumières que nous fournissent les Saiiites-Ecritures , on évitera
bien mieux les écarts , et on leur donnera des fondemeus bien
plus solides et bien plus vrais ; c'est , j'espère , ce qui va vous
devenir évident.
Les Saintes-Ecritures nous enseignent que les eaux du dc'liige
couvrirent toute la terre, et que tous les hommes furent détruits,
excepte' la seule famille de Noé , dont les descendans repeuplèrent
le monde. Aujourd'hui les ge'ologues out, en examinant les conti-
276 LES ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES ,
tinens actuels , fait voir avec la dernière e'vidcace que , d'après
l'état de ces coutincns, l'antiquité du monde et le déluge ne peu-
vent remonter au-delà de l'époque fixée par les chronologistes. La
même observation se présente pour l'Egypte : Hérodote nous ap-
prend que de son temps la Basse-Egypte était regardée comme un
présent du JSil. On voit, d'après Homère, que 1 île du Fare était
éloignée d'une journée du rivage égyptien , mais elle le touche
aujourd'hui, par un effet des alluvions formées par le fleuve. M. Ro-
sellini , dans son troisième volume, en nous déciivant la pierre
de Thcbes, nous apprend qu'elle est calcaire, d'un grain très-fin;
c'est dans cette pierre que sont creusés les hypogées de la grande
Nécropolis ; il observe qu'il n'est pas rare d'y trouver incrustés
des morceaux de silex et de pétrifications coquillières. Donc l'E-
gypte fut un fond de mer, fut subiijerge'e par les eaux du déluge,
et cette prodigieuse antiquité que lui donnaient les prêtres s'e'va-
nouit , et toutes les dynasties qui excèdent celte mesure ne sont
que des songes.
Nous voyons dans la Genèse la période de sept jours, consa-
crée jusque dans la création du monde ; nous avons dans l'histoire
du déluge clairement indiquée l'année de douze mois , qui dès-lors
était en usage. Nous avons parmi les peuples primitifs une tradition
universelle, soit de la semaine, soit de l'année de douze mois, et
dès-lors des multiples et des sous-multiples de douze dans la divi-
sion des temps. 11 y en a qui prétendent que ce sont de de'cou-
vertes faites par les Egyptiens depuis un nombre de plusieurs mil-
liers d'années; cependant, quoique les ingénieurs de ces peuples
aient su placer les quatre faces des pyramides du côté des quatre
points cardinaux , on peut dire que les Egyptiens avaient encore
assez tard une année imparfaite et sans rapport fixe avec les sai-
sons ; comme aussi la véritable astronomie ne commença à Alexan-
drie, sous les rois grecs, que deux ou trois siècles avant J.-G. j
Hipparque en fut le princijjal fondateur.
De même, si l'on cherche des observations exactes antérieures
à cette époque, ces astronomes n'en trouvent aucune dans leur
Egypte; ils n'en purent obtenir de la Chaldée que trois sur la
lune, de ^20 ans avant notre ère. Il est manifeste que l'Egypte
des Pharaons, quclqu'admiration qu'on ait pour elle, ne put jamais
EXPLIQUÉES PAR LES RECITS DE LA. BIBLE. 277
faire de progrès dans la véritable astronomie ; ainsi l'on peut trou-
ver quelque vraisemblance au récit de Josèphe , lorsqu'il dit qu'A-
braham , Clialdéen d'origine , apporta aux. Egyptiens les connais-
sances astronomiques de son pays (i).
Nous voyons dans la Genèse, queChara, second fils de Noé ,
fut le père des Égyptiens, et en effet, dans les Psaumes, l'Egypte
est appelée le pays de Cham. Jacoh accola fuit in terra Cham.
Nous observerons , d'après les Saintes-Écritures , que l'ancienne
Thèbes s'appelait No-Amon , Amon-No , c'est-à-dire, habitation
A mon ou CJiam , en ajoutant la désinence on.
Nous aussi nous ne devons pas chercher hors de Cham les rois
de l'Egypte. Qu'une ville ait pris le nom d'un homme, nous le
voyons dès le commencement du monde ; Gain appela la ville qu il
bâtit du nom de son fils Enos. Ce Cham ou Amon fut plus tard
l'objet d un culte idolâtrique , transporté en Gièce, où il prit le
nom de Zeu? , àlo? , elles Grecs, traduisant dans leur langue le nom
de sa ville Amon No , l'appelèrent Diospolis.
Mais, dirons-nous que celte Amon No, cette Diospolis , fut dès
le commencement la capitale de toute l'Egypte ? Je ne le pense
pas, et d'apiès les Saintes-Ecritures, nous devons conclure le
contraire.
Abraham va en Egypte , pousse' qu'il est par la famine qui af-
fligeait la terre de Chanaan; que lui arriva-t-il? Le roi fait en-
lever Sara son épouse, qu'Abraham avait en arrivant appelée sa
sœur. Or, d'abord ce roi, si nous considérons qu Abraham venait
en Egypte par la côte occidentale de l'isthme de Suez ( au moins pa-
(i) Les ailleurs du grand voyage en Egypte ont constaté que l'état
de l'atmosphère et Ihorizon de l'Egypte , s'opposent à ce qu'aucune
observalion du lever héliacjue du soleil et des étoiles de première gran-
deur soit possible. Les recherches de quelques savaus , entre autres de
M. de Paravey , ont prouvé qu'il existait en Egypte une année fixe,
en même temps qu'une année vague. Les travaux de ce dernier savant
démontrent aussi qu'avant Yastronomie savante et alphabétique , appor-
tée par Hpparque en M^f,y\t\Q .,\\ y 3,sa\i\iï\ç, aslrononne hiéroglyphique ,
également savante, mais dont les calculs se renferment dans les bornes
aisignées par la Bible. (A oie du. D. des Annales.)
278 LES ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES,
laît-il ainsi), ne devait pas être loin de Thèbes. Ensuite, le fait
de lui ravir sa femme nous montre que ce devait être un petit roi;
du reste, il y en avait là un grand nombre. Abraham avec ses ser-
viteurs, n'en poursuivit-il pas cinq, et ne les vainquit-il pas? ceux
qui vinrent foudre sur la Palestine même, en avaient combattu
quelques autres; n'est-il pas contre la nature des cboscs, qu'auprès
d'uu roi puissant, tel que l'aurait été un roi de toute l'Egypte, on
eût vu de petits princes guerroyer sans cesse entre eux , et se
piller et se de'truire mutuellement? Tant que durèrent ces petits rois,
et il n'y en eut pas d'autres à l'origine des peuples, c'est folie de
supposer l'érection de vastes monumens. Aucun roi égyptien ne
pouvait les construire, pas plus que ne l'eussent pu ces rois dont
nous parle Homère , dont les palais consistaient dans une salle , et
une pièce dans le fond, de façon que, pour loger avec honneur
d'autres rois leurs hôtes, ils étendaient en plein air des couvertu-
res de peau , sur lesquelles ils les faisaient dormir à la belle étoile (i);
les filles de ces rois allaient elles-mêmes avec leurs servantes laver
les tuniques dans les fleuves. Ces mœurs étaient encore générales
au temps d'Abraham, et nous ne saurions douter que ce ne fussent
celles des principicules de l'Egvpte.
En laissant de côté les progrès sociaux, nous voyons le roi à
qui Joseph, petit fils d'Abraham, interpréta les songes, entouré
déjà d'une certaine magnificence; peut-être alors son royaume s'é-
tendait-il sur une grande partie , et même sur toute l'Egypte. Je
dis de l'Egypte d'alors , mais comme ce fut Joseph, qui fit vendre
aux Egyptiens, pressés par la disette, les terres qu'ils possédaient,
de façon qu ils ne furent plus que les fermiers des rois , on peut
dire que de cette époque date la grande puissance de ceux-ci; alors
ils eurent les moyens de faire exécuter par de nombreux ouvriers
les plus immenses travaux ; c'est un rêve que de se figurer que les
pyramides, les labyrinthes, les excavations des montagnes, en un
mot, toutes ces constructions si prodigieuses, aient pu être con-
struites dans des temps antérieurs.
L'obligation imposée aux Hébreux de faire de la brique, dénote
(i) Voyez dans Homère la réception de Tclémaqiie par Ménélas.
EXPLIQUÉES PAR LES RÉCITS DE LA BIBLE. 279
des progrès toujours croissaos dans les moyens d'exécution, et il
faut convenir qu'on se trompe grandement quand on assigne à des
monumcns qui exigent une si grande multitude de bras, une épo-
que plus reculée.
Ceci se confirme encore par l'observation du professeur Rosellini
au sujet de deux pressoirs qu'on voit dans les gravures de son
ouvrage. « Ces deux pressoirs , dit-il , montrent combien les Egyp-
» tiens avaient encore de simplicité dans leur mécanisme, nous di-
)) rons même d'ignorance. » Il fallait donc travailler à force de
bras; et c'est le principal caractère des arts me'caniques chez les
anciens Egyptiens ; car si nous savons , par les résultats , qu'ils ont
eu une immense puissance , nous savons aussi que c'est seulement
à force de bras qu'ils ont pu venir à bout de terminer des monu-
mens d'une grandeur si effrayante. Il est donc toujours plus im-
possible que de tels ouvrages aient été exécutes dans des temps plus
anciens. Mais, dira-t-on , les arts et les sciences veulent des mil-
liers et des milliers d'années pour être inventés et pour se porter
à la perfection à laquelle ils parvinrent chez les Egyptiens.
Cette objection suppose un état primitif d'abrutissement , dont
les hommes sont sortis peu à peu , en commençant par acquérir la
faculté de parler , et en passant par divers degrés Jusqu'à la der-
nière perfection. Cette supposition a eu de la vague dans le siècle
passé, lorsque des savans ingénieux prenant un homme machine ,
l'ont doué peu à peu des sens, l'un après l'autre; mais cette hy-
pothèse a dû être abandonnée à cause de sa folie et de ses funes-
tes conséquences. Le fait est que Dieu , en créant l'homme, l'a doué
d'une faculté de parler, non -seulement possible, mais réelle , en
exercice avec tous les mots nécessaires ; qu'il lui fit donner un nom
aux objets qui tombaient sous ses sens; qu'il lui conduisit les ani-
maux , afin qu'il les nommât ; en un mot , il ne le créa pas dans
l'état d'enfant , mais dans celui d'homme fait ; le soin des trou-
peaux et des champs se trouva dès le commencement appartenir au
genre humain ; l'art de travailler et de fondre les métaux est en-
core anté-diluvien ; la musique exécutée sur les instrumens l'est
aussi : on trouve parmi les desccndans de Caïn le père de ceux
qui chantaient avec les instrumens, canentium in citharâ et or-
gano. L'art d'écrire est anté-dduvien ; on en a des preuves dans
280 LES ANTIQUITÉS ÉGrPTîENKES,
la Bible, outre la prophétie d'Euoch , contenue dans son livre , et
citée par l'apôtre St. Jude.
En entendant parler de la supériorité des Egyptiens dans les
sciences et dans les arts , nous ne devons pas nous laisser surpren-
dre par la conservation de tant de momimens , qui est due en grande
partie à la qualité des pierres fournies par le pays. On cite de^
ouvrages prodigieux des Chaldéens , dont il n'y a aucun vestige,
parce qu'ils e'taicnt construits avec des briques mal cuites.
Nous avons vu à quelle médiocrité les Egyptiens étaient restes
en fait d'astronomie ; nous n'entendons pas dire qu'ils aient été
loue's pour la poésie et la musique , qui se retrouvent cependant
chez les peuples enfans. Toutefois, le cantique de Moïse après le
passage delà mer Rouge, et la musique dont sa sœur l'accompagna,
indiquent quelques traces de ces arts en Egypte. Les Egyptiens n'ont
pas eu d'écrivains. Nous avons vu, avec le professeur Roselliui ,
combien ils étaient en retard pour la mécanique; on ne voit pas
qu'ils fussent fort avancés dans Part nautique ; Salomon , quoiqu'il
eût épousé une fille du roi d Egypte , ne s'adressa pas à lui pour
avoir des vaisseaux, mais aux Phéniciens , bien que les ports d E-
liongaber et d'Elath fussent sur la mer Rouge , en face de l'Egypte.
Je trouve dans Cuvier , que les prêtres égyptiens de toutes les clas-
ses ont dit mille extravagances en histoire naturelle.
En peinture, ils ignorèrent la perspective et la gradation des
couleurs : tous les hommes étaient peints en rouge foncé, les fem-
mes eu jaune. Roscllini a fait observer la ne'gligence des dessina-
teurs e'gyjitiens dans les proportions. 11 remarque que les anciens
Egyptiens furent, même dans les grands monumens publics, peu
attentifs à une rigoureuse régularité de plan. Bien que ion observe
dans les figures égyptiennes , une certaine légèreté et un certain
mouvement , cependant les pieds et les mains sont tout-à-fait dif-
formes dans les figures humaines. Le professeur Paolo Savy , en
parlant des animaux , dit : « Les détails sont ordinairement négli-
)) gés , et surtout ceux de la tête et des extrémités. »
Je m'arrête, et je conclus que les anciens Egyptiens, dans tous
les arts et toutes les sciences, sont restés dans la médiocrité, et
trop souvent dans la presque nullité ; que les Ecritures nous font
connaître des iaveulions cousidérables qui leur sont antérieures.
EXPLIQUÉES PAR LBS RECITS DE LA BIBLE. 28 1
On me dira peut-être : les apôlres ne representent-ils pas Moïse comme
instruit dans toutes les sciences des Egyptiens? Je réponds : qu'il
a reçu une éducation parfaite dans le cercle des connaissances égyp-
tiennes , mais ces sciences étaient loin de la perfection à laquelle
elles arrivèrent plus tard. Moïse n'est pas grand par la science des
Egyptiens, mais par la sagesse que Dieu lui communiqua en lui
parlant face à face, par l'affranchissement de son peuple, par la
manière dont il le conduisit quarante ans dans le désert , par les
lois qu'il lui donna , par les miracles que Dieu fit par lui.
Il me reste à parler enfin, du nombre des dynasties Egyptien-
nes sur lesquelles iManéthon ne peut être soupçonné d'imposture,
et encore ici , l'Ecriture nous donne des lumières admirables. Je
ne vous citerai que la dynastie des princes Ismaélites et de ceux
d'Aluph ou chefs Iduniéens descendans d'Esaii; ces deux dynasties
sont nomme'es dans la Genèse, citées en ligne respective. Je ne crois
pas que personne soit tenté de mettre ces deux listes ensemble l'une
après l'autre pour en former une seule succession ; pourquoi ne pas
dire la même chose des dynasties Egyptiennes? pourquoi ne pas
les laisser chacune avec leurs propres dénominations dans les listes
de Manéthon , toutes les fois qu'il n'y a aucune raison particulière
de les unir. Que l'on s'en tienne exactement aux limites fixées par
le déluge aux diverses époques , que l'on suive les autres données,
celle entr'autres de l'émigration d'Abraham et de l'état social de son
époque , celui du gouvernement de Joseph sur l'Egypte , et 1 on aura
pour se guider dans l'histoire de ce pays des lumières que l'on ne
saurait trouver ailleurs. »
Le P. Oliviéri ,
Commissaire du Saint-Office et général des Dominicains à Rome.
282
BIBLIOTHÈQUES SES PEUPLES MAHOMETANS.
Les Musulmans n'ont pas toujours été dans cet état d'ignorance
où nous les voyons aujourd'hui. Il est vrai qu'Omar ordonna à son
lieutenant Amrou de brûler tous les livres qui composaient la se-
conde bibliotlicque d'Alexandrie (on sait que la première avait été
incendiée accidentellement du temps de Jules-César, sept siècles au-
paravant). Mais tous les califes n'ont pas été des Omar. Les noms
d'Al-Mansour , de Haroun-ÂlReschyd et d'Al Mamoun , rappellent
l'époque où les sciences et les lettres, négligées ou inconnues ea
Europe , s'étaient réfugiées à Bagdad , où des hommes spéciaux
étaient envoyés à Constantinople , pour y traduire en arabe les meil-
leurs ouvrages des Grecs ; où enfin , parmi les conditions de trai-
tés de paix imposées par le calife vainqueur, figurait la cession
d'une certaine quantité de livres grecs.
Nous avons peu de renseignemcns sur la bibliothèque particulière
des califes et sur celle des nombreux collèges qu'ils avaient fondés
à Bagdad. Un seul fait pourra faire juger de l'immensité de ces
collections. Lorsque Bagdad fut prise par les Tartarcs, l'an 1258,
ceux-ci jetèrent tous les livres dans le Tygre , et le nombre en fut
si orand, qu'ils formèrent, disent les Arabes, une chaussée sur la-
quelle passaient les gens de pied et les cavaliers.
En Egypte, en Mauritanie, en Espagne , en Syrie, à Bokhara ,
à Samarkand, dans toutes les contrées soumises au joug du Coran,
des princes rivaux ou vassaux des califes se distinguèrent par l'a-
mour des lettres , et fondèrent des bibliothèques et des acade'mies.
Celle des califes d'Egypte e'tait contenue dans 4o salles de leur
palais au Caire , et contenait plus d'un million six cent mille
volumes , parmi lesquels se trouvaient un grand nombre de manus-
crits autographes. Tous ces livres e'taient remarquables par la beauté
des caractères et des reliiires enrichies d'or , d'argent et de pier-
reries. Pendant les désordres qui signalèrent une partie du règne
du calife Moskanser, vers l'an 1080, cette bibliothèque fut dila-
BIBLIOTHÈQUES DES PEUPLES MAHOMÉTANS. 283
pidée par les milices turques qui prenaient des livres en paiement
de leur solde arriérée. Un jour le visir lui-même en fît transpor-
ter chez lui la charge de 25 chameaux , d'après une autorisation
qui, pour 5ooo dinars ( 5o,ooo f. ) qui lui étaient dus, lui adju-
geait la valeur de 100,000 dinars {un million de francs) en li-
vres. Après le pillage de la maison de ce ministre, les esclaves
prirent une partie des couvertures de ces livres pour se faire des
chaussures et en brûlèrent les feuillets. Les autres furent mis en
pièces, périrent dans les flammes ou dans les eaux, du jNil, ou fu-
rent transportés dans les pays étrangers. Le reste enfin demeura
entassé par monceaux sur lesquels les vents amoncelèrent une si
grande quantité de sables et de terre qu'ils formèrent plusieurs
monticules qui subsistèrent long-temps près du Caire , et qu'on nom-
mait les collines de livres.
La bibliothèque particulière des califes d'Egypte fut respectée dans
cette occasion; elle contenait plus de 12,000 volumes reliés, sans
compter ceux qui étaient brochés. Après la destruction du califat
d'Egypte, tous ces livres furent vendus par ordre du sultan Sa/a-
din , dont les vertus privées, les qualités guerrières et le zèle reli-
gieux n'étaient pas favorables aux lettres.
Les Arabes , maîtres deTEspagne, y firent fleurir leur littérature
et leurs arts. Les rois , depuis le califat de Cordoue, fondèrent dans
leur capitale des académies et des colle'ges. L'un d'eux , Al Hakem II,
surnommé Âl-Moskanser , ne se borna pas à attirer à sa cour les
hommes les plus célèbres de l'Orient. 11 entretenait en Afrique, en
Egypte , en Perse, des agens chargés d'acheter ou de faire copier,
à tout prix, les manuscrits les plus précieux. Son palais était con-
stamment ouvert aux savans et aux gens de lettres. Il y avait ras-
semblé une bibliothèque de six cent mille volumes rangés par ordre
de matières, dans différentes salles. Plusieurs furent enrichis de
notes savantes de la main même de ce prince. Le catalogue seul
formait 44 volumes in folio.
Les cours de Bagdad, du Caire, de Fez, de Cordoue, étaient
des foyers conservateurs des lumières. Ce fut chez les Maures d'Es-
pagne que Gcrbert , archevêque de Reims , et qui fut depuis un
des Papes les plus illustres sous le nom de Sylvestre II, alla ap-
prendre la géométrie.
284 BIBLIOTHÈQUES DES PEUPLES MAHOJIÉTANS.
Lorsque, sur les ruines du califat de Cordoue , s'e'tablirent en
Espagne plusieurs dynasties, des princes moins puissans élablirent
des bibliothèques à Valence , à SeviUe, à Grenade , etc. On eu comp-
tait, dit-on, soixante-dix dans la pe'ninsulc. Elles furent successive-
ment pillées el détruites par les Espagnols , et leurs débris ont passé
dans celle de l'Escurial.
De toutes les bibliothèques publiques dont parlent les auteurs
orientaux, la plus considérable était celle que les princes Ammari-
des avaient formée à Tripoli de Syrie. Elle se composait de trois
millions de volumes. On y comptait cinquante mille exemplaires
du Coran , et vingt mille commentaires sur ce code religieux, civil
et politique des Musulmans. Elle était annexée à une académie.
Cent copistes y jouissaient dun traitement annuel, et il y en avait
trente qui ne quittaient cet édifice ni le jour ni la nuit. D'autres
hommes étaient spécialement chargés d'acheter en diverses contrées
les ouvrages les meilleurs et les plus rares. Sous le gouvernement
des Ammarides , Tripoli était devenu le rendez-vous des savans
de tous les pays. Lorsque cette ville tomba au pouvoir de Bertrand,
comte de Saint-Gille, l'un des chefs des croisés (iiog), les vain-
queurs demeurèrent stupéfaits a la vue des livres que renfermait
la bibliothèque. Une personne qui se trouvait dans la salle oii
étaient les exemplaires du Coran, ayant pris successivement plu-
sieurs volumes, et reconnaissant toujours le même ouvrage, déclara
que cet édifice ne contenait que des Coran. Cette déclaration fut
l'arrêt de la Bibliothèque; les chrétiens la réduisirent en cendres.
Le peu de livres qui échappèrent à l'incendie furent dispersés en
différens pays.
Ispahan , Scbiraz doivent avoir eu aussi des bibliothèques roya-
les fort nombreuses , si l'on en juge par celle du savant Aboul Ca-
cein Israaël Saheb Ibu-Abad , la plus considérable qu'ait jamais
possédée un particulier, si l'on en excepte celle de M. Boulard.
On peut se faire une ide'e de la richesse de la bibliothèque im-
périale deDehIy, d'après la beauté d'un ouvrage qui en faisait par-
tie , lors de la révolution qui a consommé la ruine de l'empire
mogol. C'est l'exemplaire autographe de Ayyn Ahbery , composé
et copié par l'empereur Akbar. Cet exemplaire, sur papier sablé
d'or et orné de portraits et de vignettes, a été vendu 16,200 fr.,
à la vente de la bibliothèque de Langlés, 1825.
HISTOIRE NATIONALE. 285
Les Turcs ottomans ou osmanlis, Tartares d'origine et moins por-
tés vers l'e'tude des sciences et dos lettres que les Arabes et les
Persans, n'ont jamais formé d'aussi vastes de'pôts de livres. La bi-
bliothèque du sërail h Constanlinople , fondée par le sultan Ahmed III,
en 17 19, et augmente'e par ses successeurs , peut contenir au moins
quinze mille volumes et s'accroît continuellement par suite des con-
fiscations. Il y a en outre h Constantinople douze académies, et
au moins autant de bibliothèques publiques qui portent les noms
de Sainte-Sophie, des sultans Mahomet II, Soliman l^^ , Bajazet II,
Osman III et Abd'ul Hamid, de la sultane Validé , des grands visirs
Mehemed Kiuproli , Ibrahim Pacha. Rcghib Pacha, etc. Ces biblio-
thèques, place'es dans des édifices élégans, ne contiennent guère
qu'environ deux mille manuscrits chacune.
Qui croirait aujourdhui que Fez et Maroc ont été dans le moyen
âge des villes célèbres par leurs académies et leurs bibliothèques ?
Aujourdhui, elles offrent les mêmes traces d'ignorance et de bar-
barie que les tribus maures qui errent sur la côte et dans l'inté-
rieur de l'Afrique.
VVVVVVW^/WVVVVV\VVVVV^VV\VVVVVV<VVVV%^VVVVV\VVVVV^.VV'VV\rVV\AAA'^^
HISTOIRE NATION AI,!:.
Rapport au roi j — Arrêté royal du 22 juillet ; — Séances de la
commission d'histoire du 4 et du 16 août.
Sire,
L'histoire de la Belgique , comme celle de la plupart des
nations de l'Europe, n'est encore qu'imparfaitement connue,
maigre' les travaux recommandables de plusieurs e'crlvains
distingue's.
Ce qui a manqué à ces écrivains c'est moins le talent ; il
est juste de le reconnaître que les matériaux qu'ils auraient
pu mettre en oeuvre avec succès , et c[ui étaient restes enfon-
cés dans la poussière des archives et des bibliothèques.
Cependant , depuis que la Belgique , après tant de vicissitu-
des, a recouvré une existence indépendante, la connaissance
de tous les faits qui se rattachent à son histoire a acquis un
T. X. 20
286 HISTOIRE NATIONALE.
degr^ d'importance qu'elle n'eat à aucune autre époque; aussi
les esprits se sont-ils repoi'te's , avec une activité' remarquable,
vers les traditions du passé, et l'élude de nos fastes civiques
a pris un essor qui s'est manifesté par des indices non équi-
voques.
Il appartenait au gouvernement , auquel le vœu national a
confié les destinées du pays , de seconder de tout son pouvoir
une tendance non moins favorable au développement du patrio-
tisme qu'au progrès des lettres.
Dans un rapport que j'ai soumis récemment à Votre Majesté,
j'ai retracé ce qui , dès le principe de notre régénération po-
litique et maigre les embarras de tout genre qui préoccupaient
l'administration , a été fait pour la mise en ordre de nos dé-
pôts aux archives; j'ai proposé à Votre Majesté, comme l'une
des mesures les plus propres à encourager les investigations
sur l'iiistoire nationale , la publication des catalogues de ces
dépôts. Votre Majesté a donné son assentiment à cette mesure.
Là ne s'est pas bornée la sollicitude du gouvernement.
Par une disposition qui date de l'année i832 , la mise en
lumière de docuraens intéressans pour l'histoire générale de
la Belgique , que renferment non pas seulement les archives de
l'Etat, mais tous les dépôts de titres du pays, a été ordonnée :
cette publication , confiée aux soins de l'archiviste général du
royaume, se poursuit avec activité. Déjà deux volumes de do-
cumens ont paru ; le troisième sera imprimé dans le courant
de cette année.
Mais il est une autre source précieuse pour l'histoire et à
laquelle jusqu'ici il a été trop peu puisé : je veux parler des
chroniques , des mémoires , des relations de tel ou tel événe-
ment rédigés par des contemporains.
La Belgique était autrefois très-riche en monumens de ce
genre : on y comptait peu d'abbayes et de chapitres dans les-
quels il ne s'en conservât; les archives des corps administra-
tifs et judiciaires en recelaient aussi, quoiqu'en moins grand
nombre.
Les événemens qui marquèrent la fin du dernier siècle ,
ont malheureusement occasionné la perte de beaucoup de nos
HISTOIRE NATIONALE. 287
chroniques , comme d'une quantité' conside'rable de nos char-
tes : les unes ont élé de'truites, d'antres sont passe'es à l'e'tran-
ger; toutefois il nous en est reste' qui me'ritent l'attention des
savans : telle est la chronique de Vanderheyden , dit à Tliymo ,
pensionnaire ou secre'taire de la ville de Bruxelles pendant
près d'un demi-siècle et de plus chanoine et tre'sorier de Sainte-
Gudule , mort en i473; on crut long-temps qu'elle avait e'té
la proie des flammes lors du bomhai'dement de Bruxelles en
1695. Tels sont encore la chronique d'Emond de Dinter, qui
fut successivement secre'taire des ducs de Brabant, Antoine P"",
Jean III, Philippe P' et Philippe II; les chroniques flamandes
rime'es de Jean Vanhélu et de Declercq, les voyages de Phi-
lippe-le-Bean et de Cliarles-Quint , et d'autres ouvrages sans
doute qui ne sont pas connus.
Je viens proposer à Votre Majesté la publication de ces
chroniques.
Bien des fois déjà, Sire, la même entreprise a e'té tentée,
sans avoir en jamais un résultat satisfaisant.
Dans le 16'' et le i'^'^ siècle, des savans isolés en conçurent
le projet; mais leurs plans reçurent à peine un commencement
d'exécution.
Sous le règne de l'impératrice Marie-Thérèse , ce fut le gou-
vernement lui même qui la forma : le comte de Cobenzel fit
faiie beaucoup de recherches et d'écrits dans ce but ; il s'as-
sura de la coopération d'hommes distingués par leurs connais-
sances dans l'histoire du pays , le comte de Nény , chef et
président du conseil privé , l'abbé Paquet , historiographe de
l'impératrice , Tabbé Nélis , bibliothécaire de l'université de
Lonvain , MM. Vanhenrck et Verdussen. Différentes circon-
stances , mais principalement la mort du comte de Cobenzel ,
arrivée en 1770, rendirent infructueux tous les travaux pré-
paratoires qui avaient été faits pour la publication du recueil
dont le plan avait été adopté par lui.
Plus tard , l'académie impériale et royale des sciences et
belles-lettres de Bruxelles créa dans son sein un comité qu'elle
chargea de la mise an jour des chroniques, mémoires et au-
tres monumens propres à servir de matériaux à une histoire
20.
288
HISTOIRE NATIONALE.
générale de la Belgique. Cette cre'ation semblait promettre de
grands re'siiUats ; mais , soit de'faut de zèle ou de loisir de la
part des membres du comité', soit manque des fonds ne'ces-
saires, tout ce qui en sortit se re'duisit à l'e'dition , par le mar-
quis de Cliasteler, de la clironique de Gilbert , cbancelier des
comte's de Hainaut sur la fin du 12'= et au commencement du
i3 siècle.
L'œuvre pour l'accomplissement de laquelle l'acade'mie et le
gouvernement lui-même s'e'taient en quelque sorte montrés
impuissans, M. de Nélis , devenu e'véqne d'Anvers, crut pou-
voir l'entreprendre aide' de ses seules forces. Il s'e'tait livré à
des recherches étendues sur l'histoire de la Belgique ; il avait
un accès aux bi!)liothèques et aux chartriers qui contenaient
le plus de richesses : il annonça en i'y83 le dessein de publier,
en trente à trente-cinq volumes in-4° , one collection d'histo-
riens des Pays-Bas.
Cette entreprise, ainsi que toutes celles dont le projet avait
été précédemment conçu , n'eut point de suite. Il faut d'autant
plus le regretter que , dans son Prodromiis reruih Belgicarum ,
le seul monument que nous possédions de ses longs et impor-
tans travaux , le savant évêque d'Anvers a prouvé qu'il eût
été capable de s'acquitter de la tâche difficile qu'il s'était
imposée.
Dans les dernières années de notre communauté politique
avec la Hollande, le gouvernement avait résolu de faire pu-
blier aux frais de l'état les chroniques belges inédites , et il
avait institué une commission à cet effet.
Au mois de septembre i83o, la commission dont je viens
de parler n'avait encore livré au public aucun des ouvrages
qu'elle avait annoncé l'intention d'éditer j seulement deux de
ces ouvrages se trouvaient entre les mains de l'imprimeur : le
premier volume de la chronique d'<à; Thymo et quelques feuilles
de la cbronique flamande de Jean Vanhélu venaient de sortir
de la presse.
Je viens proposer à Votre Majesté de reprendre une œuvre
nationale , aussi souvent abandonnée ou interrompue qu'en-
treprise. Je ne m'arrêterai pas à démontrer que c'est sous les
HISTOIRE NATIOITA.LE. 289
auspices des gouvernemens seals que àe pareilles entreprises
peuvent aujourd'hui être exe'cute'es; seuls ils possèdent les res-
sources de tout genre qu'elles exigent : d'une part, en effet,
les dépenses qu'elles entraînent ne sauraient être bien oné-
reuses pour eux, et de l'autre ils sont de'positaires des maté-
riaux les plus importans qui doivent y être employés. Des in-
dividus isolés, quels que fussent leurs efforts, n'obtiendraient
que des résultats partiels et nécessairement bornés.
Le projet d'arrêté ci -joint a été basé sur celte donnée.
L'article premier institue une commission pour la recbercbe
et la mise en lumière des chroniques belges inédites.
Il est évident qu'un aussi grand travail réclame le concours
d'un certain nombre de coopérateurs. Les hommes que je dé-
signe an choix de Votre Majesté , se recommandent a cette
distinction par leurs connaissances et par leurs travaux sur
l'histoire nationale.
L'article 2 porte que la commission, aussitôt après qu'elle
aura été installée , s'occupera de rédiger un plan pour ses
travaux.
Je pense, Sire, qu'à cet égard une grande latitude doit être
laissée à la commission.
Par l'art. 3 du projet d'arrêté, une somme annuelle de cinq
mille francs , à prélever sur le crédit alloué au budget du
département de l'intérieur pour l'encouragement des sciences
et des lettres , est mise à la disposition de la commission ,
jusqu'à ce qu'elle ait rempli la tâche qui lui est confiée.
Il m'a paru de toute nécessité , pour assurer aux travaux
de la commission une marche régulière , de lui allouer un
subside fixe et sur lequel elle ])uisse compter; elle fera ses
arrangemens en conséquence. Il arrivera que , une année , les
5ooo francs ne seront pas dépensés ; une autre année , ils au-
ront été insuffisans : le déficit de l'une sera couvert par l'ex-
cédant de l'autre.
An surplus, la commission est tenue, d'après le même article,
de rendre compte chaque année, au département de l'intérieur,
de l'emploi des fonds affectés à ses travaux.
La somme annuelle de 5ooo fr. est destinée à faire face aux
290 HISTOIRE NATIONALE.
frais de copie , aux frais de de'placement des membres de la
commission, et aux frais d'impression que ne couvrira pas la
vente des ouvrages.
Dans l'art. 4 ^^ dernier , le gouvernement fait espe'rer aux
membres de la commission les distinctions ou les re'compenses
que leurs travaux auront pu me'riter : c'est un encouragement
dont Votre Majesté' reconnaîtra l'opportunité autant que la
justice.
J'ose me flatter, Sire, que l'ensemble de ces dispositions re'-
pondra aux vues libe'rales de Votre Majesté' , et je les soumets
avec confiance à son approbation.
Le ministre de l'inte'riear,
Ch. Rogier.
LÉOPOLD , roi des Belges ,
A tous pre'sens et à venir , salut.
Considérant que tons les travaux , qui ont pour objet de re'-
pandre des lumières sur l'histoire de la Belgique , me'ritent
notre sollicitude ;
Qu'ils doivent contribuer à la fois au de'veloppement du pa-
triotisme et au progrès des lettres ;
Que, de'jà , mu par ce motif, nous avons ordonne' la pu-
blication des catalogues des archives de l'Etat et celle des do-
cumens intéressans pour l'histoire géne'rale du royaume, qui
existent tant dans ces archives que dans les autres de'pôts de
titres du pays.
Conside'rant que la mise au jour des chroniques belges ine'-
dites doit concourir puissamment au même but;
Sur le rapport de notre ministre de l'inte'rieur ,
Nous avons arrêté et arrêtons :
Art. i'^'. Une commission est instituée à l'effet de rechercher
et mettre au jour les chroniques belges inédites.
Cette commission est composée de :
MM. de Gerlache , premier président de la cour de cassa-
tion , membre de l'académie royale des sciences et belles-lettres
de Bruxelles 5
HISTOIRE NATIONALE. 291
L'abbë de Ram , arcliiviste de l'archevêché et professeur au
se'minaire archiépiscopal de Malines ;
Le baron de Reiffenberg , professeur à l'université de Lou-
yain , membre de l'académie de Bruxelles ;
Dewez, inspecteur des athénées et collèges, secrétaire per-
pétuel de l'académie de Bruxelles ;
Gachard , archiviste général du royaume ;
Warnkœnig , professeur à l'université de Gand ;
Et J.-F. Willeras, receveur à Eecloo.
Art. 2. La commission sera installée par notre ministre de
l'intérieur.
Elle s'occupera, dans ses premières séances, de la rédaction
d'un plan pour ses travaux, qu'elle soumettra k l'approbation
de notre dit ministre.
Art. 3. Il sera mis à la disposition de la commission jusqu'à
l'entier accomplissement de la tâche qui lui est confiée , une
somme annuelle de cinq mille francs, destinée à couvrir les
frais de tonte nature qu'elle aura à supporter.
Cette somme sera prélevée sur le crédit alloué au budget du
département de l'intérieur pour l'enconragemeut des sciences
et des lettres.
La commission rendra compte de son emploi, chaque année,
à notre ministre de l'intérieur.
Art. 4- Nous nous réservons d'accorder aux membres de la
commission telles distinctions et récompenses dont nous les au-
rons jugés dignes.
Art. 5. Notre ministre de l'intérieur est chargé de l'exécu-
tion du présent arrêté, qui sera inséré au Bulletin officiel.
Donné à Bruxelles, le 11 Juillet 1834.
LÉOPOLD.
Par le Roi :
Le ministre de l'intérieur,
Ch. ROGfER.
292 HISTOIRE NATIONALE.
Séance de la Commission d'histoire du 4 aoiît,
A dix heures da matin, au ministère de l'intérieur.
M. le ministre de l'intérieur ne pouvant se rendre dans le
sein de la commission, M. le secre'taire-géne'ral de son de'par-
tement , de'le'gue' à cet effet , de'ciare au nom du Roi qu'elle
est installe'e.
On procède imme'diatement à la formation du harean.
M. de Gerlaclie est choisi pour pre'sident, M. le baron de
Reiffenberg pour secre'taire , et M. Gachard pour tre'sorier.
Conforme'ment a l'art. i de l'arrête' royal du 22 juillet, la
commission s'occupe du plan de ses futurs travaux.
Elle de'cide qu'elle commencera par mettre au jour les do-
cumens ine'dits qui suivent, et dont la plupart entraient dans
le plan du comte de Cobentzel et de l'e'vêque d'Anvers, de
Nelis :
1° Les Acta sanctorum Belgii , ou les vies des Saints de la
Belgique qui doivent comple'ter la collection de Ghesquière ;
2^ L'histoire du Brabant, d'Edmond de Dinter , en latin
(XV-^ siècle);
3' L'histoire diplomatique de la même province par Van-
derheyden (Pierre) dit a Thymo , en latin, flamand et fran-
çais (XV' siècle). On y joindra quelques chroniques de peu
d'e'tendue;
4' La chronique flamande de Van Heelu ( Jean), où se trouve
de'crite la bataille de Woeringen , à laquelle il assista en 1298
(XIII siècle). Cette narration me'trique sera accorapagne'e d'un
grand nombre de diplômes et pièces justificatives;
5° La chronique flamande de Klerk (Nicolas), connue sons
le titre de Brabantsche-Jesten ( XV" siècle ) ;
6'LTn corps de chroniques latines des Flandres, disposées de
manière à faire voir en quelque sorte leur liaison et leur gé-
néalogie et qui comprendra : («) La chronique connue sous le
titre de Plandria generosa , avec ses continuations ; {b) les 3
chroniques de St.-Bavon , pre'cédées des annales de son mo-
nastère; (c) les fragmens de la chronique de St.-Pierre à Gand;
{d) le Monachus Gandensis ^ imprimé à Hambourg, dans un
HISTOIRE NATIONALE. 293
programme académique qu'on ne rencontre plus dans le com-
ujerce ; enfin (e) la chronique d'Ancliin, si on peut la recouvrer;
']'' La chronique lie'geoise , en prose , de d'Ootremeuse
(XIV' siècle);
8" Les antiquite's de la Flandre, de Philippe Wielant, en
français ( XV'' siècle ) ;
9^ La relation française du voyage de Philippe-le Beau en
Espagne en i5oi (XVP siècle);
lo" Le re'cit des troubles de Gand , sous Charles-Quint, par
un te'moin oculaire, en français (XVI^ siècle).
Tels sont les documens dont l'impression a e'ié arrête'e d'a-
bord , et qui seront suivis de ceux qu'une recherche active
pourra faire de'couvrir dans le pays ou à l'e'tranger.
La publication des n"' i et 2 ( environ 5 volumes), sera soi-
gne'e par M. l'abhe' de Ram ;
Idem du n° 3 ( 7 volumes), par M. de Relffenberg;
Idem des n°' 4 et 5 ( 3 volumes ) , par M. Willems ;
Idem du n° 6 ( I volume ) , par M. Warnkoenig ;
Idem du n' 7(1 volume), par M. de Gerlache;
Idem du n" 8 ( I volume), par M. Dewez ;
Idem des n"' 9 et 10 ( i volume) , par M. Gachard.
Le format adopte' est V in-quarto , plus facile à manier que
\ in-folio , plus commode que l'/zz-S" pour la disposition des
notes et commentaires, et, d'ailleurs, plus convenable pour
les grands recueils scientifiques et litte'raires.
La commission discute ensuite les moyens mate'riels de pu-
blication. Un rapport sera pre'senté à ce sujet à M. le ministre
de l'iute'rieur, et l'on y admettra le principe de l'adjudication
publique.
Passant de ces détails mate'riels a l'exe'cation littéraire , la
commission se pose cette question :
En quelle langue rédigcra-t-on les discours préliminaires et
les notes dont seront accompagnés les textes originaux P
Plusieurs membres , dans l'inte'rèt de la popularité de l'en-
treprise , désiraient qu'on employât exclusivement la langue
française.
Mais d'autres ont répondu :
294 HISTOIRE ITATIOITALE.
Que les notes en français sur an texte flamand ou latin for-
meraient une marqueterie de'sagre'able ;
Que la cliose serait contraire à l'usage gëne'ralement observé,
même en France ;
Que les notes philologiques surtout doivent être e'crites dans
la langue des textes;
Que, quant à la popularité', il ne faub pas exage'rer celle
d'un travail d'e'rudition ; que ceux qui populariseront re'elle-
ment l'histoire du pays , seront les hommes de talent et d'ima-
gination qui mettront en oeuvre les mate'riaux que la com-
mission est charge'e de leur pre'parer ; qu'il serait impossible
de donner des traductions de textes souvent barbares ou d'une
naïveté' trop crue; que d'autre part, ces traductions double-
raient l'entreprise, et qu'enfin les personnes curieuses de con-
sulter ces vieux monumens sont cense'es les comprendre.
La commission , après avoir balance' les raisons pour et contre ,
arrête :
Qu'on donnera les textes sans traduction et les notes dans
la langue des textes ; mais que , pour rendre l'usage de ces
chroniques plus facile , surtout aux e'trangers , on les fera pre'-
ce'der de longues et substantielles introductions, et de tables
analytiques en français, où tous les faits et particularite's es-
sentiels seront re'unis et les passages les plus marquans traduits ,
s'il est ne'cessaire.
Les introductions contiendront, en outre, des notions litte'-
raires sur les auteurs, avec le compte-rendu des recherches
dont ils auront e'té l'objet.
Les notes , mises au bas des pages et re'dige'es avec concision ,
seront strictement re'servées aux passages obscurs.
Les appendices pourront offrir des pièces ine'dites relatives
aux textes , des extraits ou des dissertations qui s'y rapporte-
ront e'galement.
Des cartes et des planches sont place'es là où on les jugera
indispensables.
Quatre sortes d'objets seront embrasse's dans les tables : les
mots vieux oa coiTompus , les choses, les noms de personnes,
les noms ge'ographiques.
HISTOIRE NATIONALE. 295
Les possesseurs de pièces historiques , et en ge'ne'ral , toutes
les personnes qui s'occupent de l'histoire du jjajs , seront in-
vite's à communiquer leurs observations et leurs renseignemens
aux e'diteurs. Les manuscrits qu'on voudra bien leur prêter
seront conserve's religieusement. On pourra les adresser au
ministère de l'intérieur, en indiquant le temps pendant lequel
il sera loisible de s'en servir ainsi que le mode de restitution.
Un prospectus sera re'dige', soumis au ministre de l'inte'rieur
et publie' incessamment.
On aura la faculté' de souscrire , soit pour la collection en-
tière , soit pour chaque ouvrage se'pare'ment.
Séance du iQ août.
A onze heures du matin.
M. le ministre de l'inte'rieur est pre'sent.
Le procès-verbal de la se'ance pre'ce'dente est lu et approuve.
Un registre des archives de lEtat, contenant la correspon-
dance du comte de Cobentzel avec MM. de Neny, de Nelis et
Paquot , relativement à la publication plusieurs fois projete'e
des cbroniques belges, est mis sous les yeux de la commis-
sion. Le secrétaire se charge d'en extraire tout ce qui pourrait
servir an travail qui doit maintenant paraître.
La discussion est ouverte sur plusieurs objets d'administration.
On règle ensuite les points suivans :
1° Le titre ge'ne'ral du recueil à publier sera
Collection des chroniques belges inédites , publiées par ordre
du gouvernement.
2" Le titre particulier de chaque ouvrage, e'crit dans un
antre idiome que le français , sera conçu dans cette langue et
dans celle de l'original.
3° Des extraits des procès-verbaux des se'ances de la com-
mission, destine's a mettre le public au courant de ce qu'elle
aura fait et provoquer les observations et le concours de per-
sonnes ëclaire'es, seront inse'rc's dans \e Moniteur. MM. les ré-
dacteurs des autres journaux sont invit(^s à les re'pe'ter.
Après plusieurs autres re'solutions , M. le ministre de Tin-
296 HISTOIRE NATIONALE.
teriear témoigne sa satisfaction à l'assemblée et l'assure de
tout l'inte'rêt que lui inspirent ses travaux, qu'il considère
comme un des e'ie'mens les plus puissans de nationalité'. Il
ajoute qu'il fera dresser des inventaires de tous les documens
historiques appartenant au pays et relatifs à son histoire , et
qu'il les transmettra à la commission.
La commission remercie M. le ministre de sa bienveillance,
et se flatte qu'elle pourra le mettre à même, vers le commen-
cement de l'anne'e i835, de pre'senter au Roi et aux Chambres
les premiers volumes de la Collection des Chroniques belges.
La prochaine séance est fixe'e au 26 octobre.
Pour extraits conformes :
Le secre'laire,
Baron De Reiffenberg.
297
'W\'VVWVMW\
•A*iVV\X-V»VV\VV\V*AvvVVV\'VVVVVV^AA.VVVVVVVV\ VVVVVVVVV\VVtAA VV\VWVWVWVWVWWVW\
MÉLANGES. — Septembre i834.
Décret de la Congrégation de l'Index du 28 juillet. — Statistique reli-
gieuse de l'Espagne de M. Moreau de Jonnès rectifiée. — Ecrit de
M. Theiner sur l'histoire des Séminaires épiscopaux. — Monumens
de l'ile de Malle. — Séance de l'Acadéuiie catholique du 17 juillet;
dissertation du P. Piaciani. — Antiquités asiatiques. — Discussion de
MM. Biot et Paravey sur l'astronomie égyptienne. — Etude des lan-
gues orientales en Russie. — Adhésions aux Encycliques du Saint-
Père ; déclaration de M. Charles de Coux. — Discours du R. D. Paul
del Signore à la réunion de l'Académie de la Religion catholique,
à Rome. — Nouv. Traité d'Embryologie sacrée , par M. Rosiau.
— Un décret de la congréyation de l'Index (i) du 28 juillet, con-
damne les ouvrages suivans : Philosophie du droit, par C. Ler-
minier ; de P injlnence de la philosophie du xviii^ siècle sur la
législation , et de la sociabilité du xix^ siècle , par le même ;
Essai sur l histoire de la philosophie en France au xix* siècle,
par Pli. Damiron -, Manuel de philosophie expérimentale , par
J.-F. Amice , première version italienne, avec une nouvelle ap-
pendice et des observations critiques j Nouveau système de chi-
mie organique ^ fondé sur des méthodes nouvelles d'observation,
par F. V. Raspail; Mémoires de Casanova de Seirtgalt , écrits
par lui-même ; Notre-Dame de Paris, par Victor Hugo ; Obser-
vations demi- sérieuses d'un exilé sur V Angleterre , en italien;
Jiésumé de l'Histoire de France, par Félix Bodin; les crimes des
Papes, depuis saint Pierre jusqu'à Pie J^I , par Lavicomterie;
Chansons de Bérenger ; Romans de Pigault-le Brun ; des Papes ,
lecture utile et agréable pour le peuple de toutes les commu-
nions, en allemand; Rome et ses pontifes^ vraie histoire du
pontificat, F. Grégoire, traduit du français, en allemand. Ce
décret ayant été soumis à Sa Sainteté', elle l'a approuve et en a
ordonne' la publication. Donné à Rome le 4 3oiit , et signé J. A.
(i) Los journaux ont dit que c'était un décret de l'inquisition; c'est
une erreur.
29S
MELANGES.
cardinal Sala , préfet de la congrégation ; et Thomas-Antoine
Degola , dominicain , secrétaire. On remarque que le livre de
chimie de Raspail est le seul condamne avec la formule : donec ex-
purgetur.
— Il n'est personne qui n'ait entendu parler des travaux de
M. Moreau de Jonnès, savant distingué, habile géographe, auteur
de plusieurs ouvrages de statistique, et membre peut-être de trente
académies. Il a fait inse'rer dans le Journal des Travaux de la
Société de Statistique universelle une statisque de l'Espagne. Il
y est dit que l'état statistique de la monarchie, dressé en i56o,
par ordre de Philippe II, a été perdu, mais que l'on a conservé
des données numériques sur le nombre des fonctionnaires et des
magistrats : L'état de V Eglise, dit-on, nous est ainsi donné par
les vestiges de ce curieux document, M. Moreau de Jonnès compte
donc, dans les e'iats re'unis , sous la monarchie de Philippe II ,
58 archevêques, 684 e'vêques, i i,4oo abbés, 986 chapitres, 127,000
paroisses , "^,000 hôpitaux religieux , 23,ooj ordres monastiques
et congrégations , 5g,5oo couvens , dont 46,000 d'hommes , et
i3,5oo de femmes; 3 12,000 prêtres se'culiers , 4^0,000 moines
et religieuses , 200,000 frères et autres, et 912,000 eccle'siastiques.
Nous copions cet état tel qu'il se trouve rapporté dans le Consti-
tutionnel du mercredi 2y août. Mais cet état est plein d'exage'ra-
tion. Jamais la monarchie espagnole , même sous Philippe II , n'a
réuni 58 archevêques et 684 évêques. La domination de ce prince
s'e'tendait alors , à la ve'rité , sur un immense territoire ; elle com-
prenait l'Espagne, le Portugal, les Pays-Bas , leMinalais , le royaume
de Naples, la Sicile, la Sardaigne et les colonies espagnoles et
portugaises en Ame'rique , en Asie et en Afrique. Mais dans tout
ce territoire, si différent de celui de la monarchie espagnole ac-
tuelle, il n'y a jamais eu autant d'archevêques et d'évêques qu'en
compte M. Moreau de Jonnès. Quant à l'Espagne proprement dite,
il n'y avait alors , et il n'y a encore aujourd'hui que 8 archevêques
et 46 évêques. Le reste du tableau a l'air d'une folie, ii,4oo
abbés, 1 217,000 paroisses, 23,ooo ordres monastiques ou congré-
gations ! Qui pourrait croire à de semblables calculs ! 23, 000 or-
dres monastiques et congrégations, c'est une exagération insensée;
MÉLANGES. 299
il nV en a jamais eu autant dans toute la cbrétienté pendant la
longue suite des siècles. Les 59,000 couvens et les 400,000 reli-
gieux et religieuses sont aussi fort ridicules. Enfin, les 3i2,ooo
prêtres se'culiers , et, après cela 912,000 eccle'siasliques, sont évi-
demment un double emploi; on a joint au nombre des prêtres
se'culiers celui des religieux, des religieuses et des frères iodiqués
dans le tableau ci-dessus, et tout cela fait ea effet 912,000, non
pas d'ecclésiastiques, mais de personnes consacrées à Dieu. Mais,
même après cette explication , la supputation de M. Moreau de
Jonnès est prodigieusement enflée. Il paraît qu'il l'a prise dans
V Edimbourg Revietv du mois de Juillet i832 (i). Il est e'ton-
nant, qu'un homme aussi instruit que M. Moreau de Jonnès re-
produise de semblables données , dont un peu d'examen lui aurait
montré la fausseté'. Quant aux lecteurs du Constitutionnel qui au-
ront parcouru ce tableau, je ne doute point que les trois quarts
d'entr'eux n'aient cru que le tableau ci-dessus e'tait la statistique
actuelle du clergé en Espagne, taudis que, comme nous l'avons
remarque' ailleurs , le cierge' dans ce pays , même en y compre-
nant les moines, les religieuses, les domestiques et les employés
des monastères, ne s'e'levait pas à i5o,ooo individus. — L'Ami
de la Religion f n° 23o6.
— On vient de publier , à l'imprimerie du collège Urbain à Rome,
la traduction d'un ouvrage allemaud , sous le titre du Séminaire
ecclésiastique ou huit jours à Saint-Eusèbe, dont nous avons déjà
parlé p. 112. L'auteur est, comme nous l'avons vu, le docteur
Augustin TLeiner, jeune allemand de beaucoup d'esprit et de sa-
voir, qui, après s'être éloigne' plusieurs années de la saine doc-
trine, s'est re'concilié pleinement à Rome avec la vérité et avec
l'Eglise qui seule l'enseigne infailliblement. Regrettant amèrement
d'avoir dans ses précédens écrits e'té une occasion de scandale pour
l'Allemagne catholique, il a voulu lui consacrer dans cet ouvrage
les prémices de sa conversion. Comme il connaissait parfaitement
(i) Les erreurs de ce recueil ont été rectitîées dans VAini de la Re-
ligion, II" 21 12, 8 juin j833.
300 MÉLANGES.
l'ëtat de décadence de la discipline ecclésiastique dans plusieurs
parties de l'Allemagne, les vices de l'éducation que le jeune clergé
reçoit dans les universités et le peu d'estime que Ion a pour les
séminaires épiscopaux , il s'est proposé de ranimer dans ce pays
le véritable esprit du sacerdoce , en montrant quel est le caractère
propre de l'éducation ecclésiastique et quelles sont les institutions
sagement établies dans l'Eglise pour former le clergé. Son histoire
des Séminaires est en trois parties. Les deux premières contien-
nent les deux périodes depuis le 4*^ siècle jusqu'à Charlemagne , et
depuis Charlemagne jusqu'au concile de Trente. L'auteur, qui est
familier avec les monumens de l'antiquité , confirme ce qu'il dit
par des passages des écrivains de ces siècles. Dans la troisième
partie, qui est assez étendue et qui va du concile de Trente jusqu'à
nos jours, il relève les services rendus par saint Ignace et sa com-
pagnie pour l'éducation du clergé. Il trace l'origine du collège
germanique , qui a excité le concile de Trente à rendre son décret
pour l'établissement des séminaires dans toute l'Eglise. On voit
ensuite comment les évêques et les princes religieux, et surtout les
Papes, ont travaille à réaliser le vœu du concile, et comment leurs
efforts ont enrichi l'Eglise d'instituts pre'cieux. A la fin du 18" siè-
cle , les ravages d'une fausse philosophie et les révolutions politi-
ques ont été funestes à l'éducation cléricale. L'auteur expose la
ruine des se'minaires surtout en Allemagne, raconte les efforts faits
dernièrement pour les rétablir et finit par des réflexions sur les
besoins spirituels de l'Allemagne catholique. Le volume est terminé
par un appendice de pièces. Au commencement est une leltre , où
M. Theiner raconte avec candeur ses égaremens, ses voyages et les
moyens dont Dieu s'est servi pour le ramener. L'ouvrage, qui a
environ 5oo pages, a élé traduit du manuscrit allemand par M. Jac-
ques Mazio; on l'imprime en ce moment en Allemagne. L'édition
romaine est de 60 bajoques.
— Le Temps publie une lettre écrite de Malte, le 3o juillet
dernier, par le capitaine d'artillerie Hoart qui, accompagné du ca-
pitaine d état-major Bruneau et du chirurgien-major Fourcadc, est
allé en Egypte rejoindre les saint-simoniens. On remarque dans cette
lettre les détails suivans relatifs aux chevaliers de Malte :
MÉLANGES. 301
« Rien n'est plus riche et plus varié, pins digne de la gran-
deur du christianisme , que les monumens construits sous l'influence
des chevaliers de Malte.
» Le palais du grand-maître présente de vastes salles ornées de
colonnes en marbre blanc d'une grande beauté. De tous côtés on
aperçoit les portraits des grands-maîtres et des chevaliers qui se
sont distingués dans les expéditions militaires contre les Turcs. Il
y a surtout un salon très pittoresque par ses planchers recouverts
d'une natte jaunâtre, et par ses lambris décorés de tapisseries re-
présentant les productions les plus variées et les plus riches de l'A-
frique et de l'Asie.... On y respire je ne sais quel parfum oriental
qui exalte l'imagination et occasionne la vitesse du pouls.
» C'est surtout l'église de Saint-Jean, où sont renfermés les tom-
beaux des grands-maîtres et des chevaliers , qui est très-propre à
faire pénétrer dans les cœurs cette foi douce et tendre des chre'-
tiens, revêtue de toutes les couleurs les plus brillantes de cet orien-
talisme oîi l'homme d'action, jusqu'à présent, n'a rêvé que canons,
drapeaux, cimeterres , combats, sièges, victoires. Du pavé en marbre
du sanctuaire jusqu'à la voûte, il n'y a pas un point où il n'y
ait un ornement. Le pavé lui-même est une mosaïque variée de
mille nuances, de mille tons; chaque chapelle, chaque tombeau a
une décoration différente , où le marbre, la sculpture, la peinture,
l'or et la pierre se disputent d'éclat et de splendeur. Rien n'est
plus imposant, plus solennel, plus susceptible d'enthousiasmer,
plus entraînant à l'action que de voir ces canons, ces draperies,
ces vaisseaux, ces nègres, ces Africains, ces Turcs, ces turbans,
ces cimeterres, ces cuirasses, briilans au milieu de ces croix de
Malte qui les dominent de toute la puissance de l'énergie et de la
constance. Autrefois le nom de chevalier de Malle avait peu de
puissance sur mon cœur : maintenant que je me suis promené au
milieu de leurs tombeaux , que j'ai touché les monumens de leur
grandeur passée, je les admire et mon sang bouillonne au souvenir
de Vile Adam et de La Valette .... »
— Dans une séance de X Académie Catholique tenue le 17 juil-
let dernier , le R. P. Jean-Baptiste Piaciani de la compagnie de
Jésus , membre du Collège philosophique et professeur de physique-
T. X. 21
302 MÉLANGES.
chimie au collège romain, a lu une dissertation savante sur le sujet
suivant : Examen et démonstration de la faiblesse de l'accusation
intentée par un écrivain moderne contre le gouvernement ponti-
fical, d'avoir causé la ruine de l'acadénne de Cimento,...
Ce savant académicien a traité ce sujet avec une force de logique
et une clarlc d'expression qui ont ravi l'assentiment et provoqué
les éloges de son nombreux et brillant auditoire.
Un savant de Toscane, dans un Mémoire lu publiquement à Paris
sur le thermomètre de l'académie de Cimento , a affirmé que des
raisons politiques ayant déterminé le prince Léopold de Médicis,
protecteur de cette académie , à demander le chapeau de cardinal ,
on ne voulut accéder à sa demande qu'à condition qu'il sacrifierait
l'académie à la haine implacable que la cour de Rome vomissait
contre la mémoire de Galilée et de ses disciples. En conséquence,
ajoute-t-il , l'académie fut dissoute; on vit Borrelli mendier dans
les rues de Rome, et Oliva, les os à demi brisés par les tortures,
se soustraire par le suicide aux nouveaux tourmens que lui pré-
parait l'inquisition. Plusieurs récits de Galilée et de ses disciples
furent livrés aux flammes La proscription n'épargna pas même
les instrumens : ceux qui échappèrent à la destruction...., etc.
Le docte académicien a d'abord fait voir combien l'auteur de
ces déclamations, tout jaloux qu'il paraît de la gloire de l'Italie,
a mal servi la réputation de ce pays , et particulièrement celle de
la Toscane sa patrie. Ensuite , examinant le but de l'académie de
Cimento, le caractère d'Alexandre VII, de Clément IX, du grand
duc Ferdinand II et de son frère Léopold, ainsi que d'autres cir-
constances, il a fait voir combien les assertions du Toscan sont
dénuées de vraisemblance et même tout-à-fait absurdes.
Enfin , les faits en main et appuyé sur le témoignage des écri-
vains contemporains et des académiciens eux-mêmes, il a prouvé
jusqu'à l'évidence, i° qu'il n'est rien de plus faux que la préten-
due condition imposée au cardinalat de Paul de Médicis ; 2° que
l'académie de Cimento n'a jamais été formellement dissoute , mais
qu'elle a déclaré et qu'elle s'est anéantie naturellement par des rai-
sons toutes simples , et surtout parce que les trois académiciens ,
Rinaldi, Bouilli et Oliva, quittèrent la Toscane spontanément, au
MÉLANGES. 303
déplaisir du grand duc et du prince Léopold ; ainsi, quoiqu'il ait
pu advenir ensuite à ces deux derniers, leur destinée ulte'rieui'e
n'a rien de commun avec la ruine de l'Acadc'mie , qui ne fui pas
la cause, mais qui fut plutôt l'effet de leur retraite; 3° qu'on n'a
vu Borelli mendier dans les rues de Rome qu'après quil eut quitté
la Toscane pour retourner enseigner h Messine, et que banni de
cette ville pour des raisons politiques , il trouva à Rome un asile
jusqu'à sa mort; 4° que Oliva Calabresse s'établit à Rome, où il
trouva une meilleure position qu'il n'avait droit de l'espérer d'après
sa conduite ; mais que peu d'années après , ayant été reconnu le
fondateur de certains clubs immoraux , il fut mis en prison ; con-
duit pour la seconde fois à l'interrogatoire, il se tua en se préci-
pitant par une fenêtre. (On ignore d'oîi l'auteur du Mémoire a tiré
la circonstance des os à moitié brisés); 5' les écrits de Galilée et
de ses disciples n'eurent absolument rien à souff'rir à l'époque, et
encore moins à 1 occasion de la promotion de Léopold au cardinalat;
6"^ les instruraens de physique n'en souffrirent pas davantage ; par
un l)onheur assez rare à cette époque, il s'en est conservé un très-
grand nombre à Fienza, même depuis que cette ville est passée sous
la domination impériale. — Diaiio di Roma.
— L'art antique de la Haute-Asie offre , dans le peu de notions que
nous en possédons, et dans les rares monumens qui en subsistent,
une particularité nouvelle; c'est que les figures colossales y furent
généralement sculptées dans le roc. Tel est, en effet j le caractère
essentiellement propre à l'archéologie asiatique , qu'on y trouve les
grandes masses de la nature employées comme les seuls élémens qui
puissent servir à éterniser la gloire et l'ambition des princes. C'était
en perçant, en taillant des montagnes entières, sur la face aplanie
desquelles se détachaient d'immenses bas-reliefs et se projetaient
d'énormes figures , que l'art babylonien savait honorer les maîtres
de ces vastes empires. Un groupe considérable de montagnes, situé
sur la route antique de lîabylone à Ecbatane , et qui repond au raout
Baghtan de Ihistoire ancienne, offre, en divers endroits et à di-
verses hauteurs, des sculptures appartenant aux principales dynas-
ties de la Médie et de la Perse. La plus remarquable de ces sculp-
tures consiste en un immense bas-relief exécuté à une grande
304 MÉLANGES.
hauteur , mais malheureusement trop dégradé pour qu'on ait pu en
saisir la composition eutiète. Le tout a élé renfermé dans une exca-
vation ou cadre, d'un développement énorme, où la plupart des
figures n'apparaissent plus maintenant que comme des masses in-
formes , privées de détails, mais oîi l'on peut encore en distinguer
quelques unes moins maltraitées par le temps, d'un relief considé-
rahle, d'une proportion fortement colossale, qui se reconnaissent,
à leurs visages barbus, à leurs costumes médiques , pour de grands
personnages d'une monarchie asiatique.
En parlant des conquêtes de Sésostris en Asie, et des monumens
qu'il y avait laisse's sur sa route , Hérodote assurait qu'il avait vu
lui-même plusieurs des images de ce roi, sculptées dans le rocher,
en Phenicie et ailleurs. Il ajoutait que deux de ces figures , de pro-
portion colossale , avec une inscription en caractères hiéroglyphi-
ques allant d'une épaule à l'autre , se trouvaient encore de son
temps sur la route qui conduisait de Sardes à Smyrne , et sur
celle d'Ephèse à Phocée. Des détails si précis n'avaient pas empê-
ché des savans de notre âge de rejeter parmi les fables les con-
quêtes de Sésostris et les monumens qu'on en citait. Mais voilà
qu'en i833 un voyageur vient de s'assurer par ses propres yeux
qu'il existe près de l'ancienne Béryte , en Syrie, une de ces images
de Se'sostris , sculptée dans le roc avec une inscription hiérogly-
phique efface'e à dessein , mais où il se lit encore le nom de Pharaon
Rarasès , et avec une inscription persépolitaine , qui date sans doute
du temps de Cambyse. Les détails de cette intéressante découverte,
déjà connus de feu M. Champollion jeune, sont donne's dans le
Bulletin de l' Institut arclu'ologique , i834, janvier, p. 3o-32 ;
d'après une lettre de M. Bunsen , ministre de Prusse à Rome.
— On sait que M. Biot profita dernièrement de la communica-
tion officielle de certains monumens pour émettre des assertions
contraires "a la véracité' de nos livres saints ( V. ci-dessus p. 201).
Prive' du privilège de la même communication , M. de Paravey prit
le parti de citer M. Biot devant ses juges naturels , c'est-à-dire
devant l'Académie des sciences , qui institua pour prononcer entre
ces deux savans , relativement à l'antiquité de l'astronomie égyp-
tienne, une commission composée de MM. Arago, Poinsot et Gi-
MÉLANGES. 305
nard, de \ Institut d'Egypte. Sur la demande de cette commis-
sion, M. de Paravey -vieul de lui envoyer un mémoire spécial,
pour la mettre en état de procéder avec les moyens convenables
à l'examen de celte grave question.
Dans ses Recherches sur l'Astronomie égyptienne , publiées
cliez Didot , en 1823, M. Biot lui-même posait en principe, que
nulle astronomie savante n'existait chez les anciens Egyptiens, dont
le ciel toujours nébuleux s'opposait à l'observation des astres
(ci-dessus p. 2'jy ).
M. de Paravey, oppose à M. Biot ses contradictions; il expose
les emprunts que ce dernier lui a faits , et la manière adroite
dont il cherche à les déguiser. Il finit par établir que nulle as-
tronomie savante ne peut se démontrer pour une ë|)oque anté-
rieure à l'an 23oo à 2400 avant notre ère, époque où les Chal-
déens se formaient en corps de nation, oîi la tour de Babel, dont
il reste encore des ruines immenses dans le pachalik de Bagdad,
commençait, à s'élever, et ou les observations des anciens Chal-
dëcns donnaient lieu au renouvellement de l'idolâtrie.
— Ce n'est pas seulement en Europe que les savans ont pris
les peuples de l'Asie pour sujet de leurs éludes et de leurs obser-
vations. On dirait, pour ainsi dire, que quelque nouvel univers
est à découvrir dans ce monde asiatique , tant les esprits ont d'ar-
deur à l'explorer. Voici ce que nous lisons dans le Journal de
St. -Pétershourg.
« L'élude des langues anciennes est devenue aujourd'hui la base
de toute éducation soignée , et c'est dès notre enfance que nous
commençons à nous familiariser avec les antiquités de la Grèce et
de Rome ; aussi la connaissance de ces littératures , et surtout de
la dernière , est-elle généralement répandue. Mais si 1 étude des
auteurs grecs et latins nous pre'sente d'incontestables avantages,
celle de l'Orient nous ouvrira une carrière plus vaste et non moins
utile. C'est l'Orient qui fut le berceau du genre humain ; c'est là
que fleurirent les premiers arts.
n Le zèle infatigable des savans anglais nous a dévoilé une partie
des immenses richesses arche'ologiques que l'Inde ollVe à nos in-
vestigations. Us nous ont fait admirer les temples souterrains de
306 MÉLANGES.
Bouddah et de Schiva , devant lesquels l'imagination s'arrête
étonnée ; ils nous ont fait entendre les chants du Ramaïana et
du Baha-Bharata. Et qui sait combien de chefs-d'œuvre , encore
ensevelis dans les temples de Brahma, peuvent être découverts
par leurs savantes recherches !
» La Russie , par sa position et ses ressources , semble appele'e
à marcher avec succès sur la trace des explorateurs de l'Orient ;
aussi le gouvernement , jaloux de lui assurer tous les genres de
gloire auxquels elle a droit de pre'tendre, ne laisse e'chapper au-
cune occasion de protéger l'élude des langues orientales , en en-
courageant les savans qui s'y livrent avec succès, déjà nous avons
plusieurs fois appelé' l'attention du public sur les travaux de nos
orientalistes, et les noms de nos Fraehn, nos Schmidt , nos père
Hyacinthe, etc., etc., ont été' se placer auprès de ceux dont
s'enorgueillissent à si juste titre l'Angleterre, la France et l'Alle-
magne. Dans son infatigable soUicitnde , pour la propagation des
lumières de l'instruction, dont il dirige le ministère, M. le con-
seiller prive' d'Ouvaroff a voulu doter la Russie de l'enseignement
de la langue sanscrite , dans laquelle un jeune professeur russe »
M. Lentz , a faits des progrès assez remarquables pour nous in-
spirer les plus flatteuses espérances. Sur la proposition de ce mi-
nistre, S. M. l'empereur a daigne' accorder à M. Lentz un trai-
tement avantageux , pendant le séjour de deux années qu'il va
farre en Angleterre pour s'y perfectionner. A son retour, une
chaire de sanscrit lui sera confiée ; déjà M. Lentz s'est fait con-
naître par une e'dition de YUruasia (drame sanscrit du fameux
Calidasi , auteur de Sacontala) , avec une traduction latine et des
notes publiées cette année à Berlin. Ses travaux ultérieurs doivent
donc nous permettre les résultats les plus favorables. »
— Tandis que M. de La Mennais demeure fixe dans les prin-
cipes que le chef de 1 Eglise a solennellement condamnés, et qu'il
s'engage dans les voies malheureuses de l'erreur, l'on voit avec la
plus vive satisfaction que ceux qui avaient adhéré aux doctrines
de M. de La Mennais , ne cessent de donner des témoignages pu-
blics de leur soumission au jugement du Souverain-Pontife.
Aux nombreuses adhésions et rétractations , détermine'es par la
MÉLANGES. 307
dernière lettre encyclique , il faut ajouter celle que vient de donner
M. Charles de Ceux , dont la soumission n'a jamais été douteuse ,
dans la lettre suivante adressée à M. l'abbë de Ram , recteur de
l'Université Catholique.
« Monsieur l'abbé,
» Ma nomination à la chaire d'économie politique dans la nou-
velle Université fondée à Malines vient d'obtenir une certaine pu-
blicité, et je crois devoir profiter de cette circonstance pour ma-
nifester dans toute leur plénitude les sentimens d'obéissance et de
soumission dont je suis animé envers le Saint Siège. Plus tôt ,
j'aurais eu peur , moi simple laïque, d'aller au-delà des convenances
en importunant le public de ma profession de foij plus tard, j'é-
prouverais la même crainte.
» J'ai toujours considéré l'infaillibilité duSouverain-Pontife comme
une vérité fondamentale et inébranlable, et cette conviction, qui
fait partie de ma foi, n'a pas été un moment ébranlée. J'accepte
donc tous les actes du Saint Siège, j'approuve ce qu'il approuve,
j'improuve ce qu'il improuve, j'adhère sans restriction aucune aux
deux Encycliques de notre très-saint Père le Pape Grégoire XVI
données en date du i5 août i832 et du 25 juin dernier, et je
suis déterminé à ne rien écrire et à n'approuver rien qui soit con-
traire k ces jugemens.
» En donnant toute la publicité nécessaire à la présente décla-
ration , vous me rendrez un véritable service ; elle ne surprendra
aucun de ceux qui me connaissent, et ceux qui ne me connaissent
pas sauront d'avance la direction qu'aura mon enseignement.
» J'ai 1 honneur d'être, etc. C. de Coux. »
— Le R. D. Paul dcl Signore , professeur d'histoire ecclésiastique à
l'archigymnase romain, a lu dans la sixième réunion que vient de tenir
Y/lcarlèinie de la ReUgion catholique , à Rome, un très-beau discours
dans lequel il démontre que la tolérance de la philosophie moderne à
regard de toutes tes croyances religieuses, sauf la religion catholique,
APOSTOLIQUE ET ROMAINE , est Une preuue <jue nos ennemis mêmes semblent
nous donner que cette religion est la seule vraie.
Après avoir indiqué sommairement la nature et l'origine du tolèran-
lisme , le célèbre Académicien prouve par des argumeus sohdcs tirés de
308 MÉLANGES.
l'histoire : i° que toutes les sectes , bien que divisées et opposées en-
tr'elles , sont néanmoins d'accord en un point , c'est qu'elles se posent
toujours avec leurs systèmes comme ennemies de la foi catholique dont
elles se sont séparées ; 2° que l'indifTérentismc de la tolérance absolue
n'ayant rien de précis ni de certain, et ne s'appuyant sur aucune base
solide de foi et de morale , ne peut contribuer au bien de la société ,
parce qu'il divise ses membres en une infinité d'opinions religieuses •
3° que, malgré cette tolérance proclamée si haut, on n'en cherche pas
moins par tous les moyens secrets et ténébreux que met en usa^e une
fausse philosophie, à avilir et à détruire la religion catholique , laquelle
réunit tous les caractères de vérité qui manquent à toute opinion reli-
gieuse séparée de nous. L'orateur conclut enfin, de cette instabilité et
de cette contradiction de principes , de cette incurable manie de bâtir
chaque jour des systèmes religieux , de cette haine secrète et de ce mé-
pris pour la religion catholique , que la tolérance absolue fournit elle-
même une preuve incontestable de la vérité de celle-ci.
Le savant académicien a reçu les plus grands éloges des personnages
distingués qui assistaient à cette séance. ( Diario di Ronia. )
— Alédecine-Pratique populaire ; Secours à donner aux empoisonnés
et aux asphyxiés , et noui'eau traité d'embryologie sacrée; par M. Ro-
siau (i). — L'auteur s'est proposé d'offrir un guide à ceux que la re-
ligion porte à s'occuper du soulagement des douleurs des misères hu-
maines. Il a travaillé, dit- il, pour le prêtre et pour le chrétien. Son
ouvrage paraît en effet d'un homme consciencieux. Il est dédié à M. l'é-
vèque du Mans , qui a lu particulièrement le traité d'embryologie , et
qui déclare n'y avoir rien trouvé que de conforme aux principes théo-
logiques. Dans la première partie, l'auteur traite des affections morbi-
des , de leurs causes , de leurs symptômes , de leur traitement , etc.
Dans la seconde , il parle des empoisonnemens , des asphyxies et des
moyens d'y porter remède. La troisième partie est l'embryologie, où
Tauteur a considéré son sujet sous le point de vue religieux et sous ce-
lui de la science. Ce volume est terminé par trois appendices : i" l'a-
nalyse chimique des poisons : 1° une série de recettes, d'ordonnances
et formules pour chaque maladie ; 3° un dictionnaire des mots techni-
ques usités en médecine. L'estimable auteur de cet ouvrage paraît join-
dre à des connaissances positives le zèle le plus louable et les sentimens
les plus propres à inspirer la confiance.
(i) In-8o. Prix, 6 fr., et 8 fr. franc de port. A Mamers, chez l'au-
teur , et à Paris , chez Legay , rue de Seine.
309
(VV^ "VVXlVVX fVV\ fWV\ V^A lVV^ VV\ (V V\ AA^ VV\ •V'V\ VV\ -VV \ V V\ VVt /V\ > (\A^
CONNAISSANCES DE DIOISE ET DES HÉBREUX
SUR LA. TERRE HABITEE. EXTR. DE MALTEBRUK.
Merveilleux accord de Moïse et des plus anciens historiens sur l'origine
des peuples. — Descendans de Japhet en Grèce. — Descendans de
Sem en Syrie et en Arabie. — Descendans de Ham , ou Cham et
Chanaan , en Abyssinie.
La geograpliie est une des sciences qui out e'te' le plus ciil-
tive'es dans ces derniers temps : grâces aux recherches des
e'rudits et aux voyages de quelques hommes anirae's d'un im-
mense dësir de connaître les peuples sur lesquels on n'avait
que des donne'es vagues et incertaines, la ge'ographie tant an-
cienne que moderne , a e'te' renouvele'e ; les plus anciens empires
ont e'te' refaits, pour ainsi dire; leur e'tendue , leurs limites
ont e'te' fixe'es ; les anciennes conquêtes des he'ros grecs et ro-
mains ont e'te' suivies dans tous leurs de'tours ; les ruines des
villes les plus incertaines ont e'te' fouille'es , examine'es, fixe'es
de nouveau sur les caries. Il e'tait impossible que , dans ces
recherches , on ne revînt pas à examiner ce que le plus ancien
des livres, la Bible ^ nous a conserve' sur les anciens peuples
et les anciens royaumes. On y est revenu donc , et tous les
ge'ograplies sont tombe's d accord qu'aucun livre ne donne des
rcnseignemens plus clairs, plus certains, plus de'taille's , sur
le commencement des peuples, et leurs diffe'rentes transfor-
mations ou transmigrations. Pour mettre cette ve'rite' dans tout
son jour, nous allons citer le passage suivant, où un maître
de la science ge'ographique, M. Maltebrun, rend un magnifique
hommage aux connaissances que Moïse nous a conserve'es sur
la ge'ographie.
« Nous n'avons point d'aperçus ge'ographiques dignes d'at-
tention, qui soient antérieurs à ceux de Moïse (an du monde 2460).
Les livres de cet historien , et ceux de ses successeurs , con-
T. X. 22
310 CONNAISSANCES DE MOÏSE ET DES HEBREUX
tiennent les notions des He'breax, des Phe'niciens , des Arabes,
et des autres peuples de l'Asie occidentale (i). Après Moïse,
le plus ancien auteur qui nous fournisse l'ide'e d'uiïe gc'ogra-
pliie, c'est Homère (an da monde, 3ooo ) ; il nous fait par-
courir toute la sphère des connaissances , des traditions et des
fables re'pandues en Grèce et dans l'Asie-Mineure (2).
Nés de la même manière, tous les systèmes primitifs durent
pre'senter quelques traits de ressemldance.Les bases communes
aux premières gëograpliies furent presque toutes prises dans
les pre'juge's des siècles pea éclaire's qui les virent naître.
D'abord chaque peuple se crut naturellement place' au centre
du monde habite'. Cette idée e'taït si ge'ne'ralement répandue
que, chez les ïndous , voisins de l'e'quateur, et chez les Scan-
dinaves , rapproche's du pôle , deux mots, et même deux mots
assez semblables, midhîama et midgavd , signifiant tous les
deux la demeure du inilieu , e'taient souvent employés pour
de'signer les contre'es qu'habitaient ces deux peuples (3). L'O-
lympe des Grecs passait, comme le mont Mérou des Ïndous,
pour le centre de toute la terre : tous ces peuples se repré-
sentaient le monde habite' comme un vaste disque , borné de
tous les côtés par un océan merveilleux et inaccessible; aux
extrémités de la terre , on plaçait des pays imaginaires , des
îles fortunées et des peuples de Géans ou de Pygmées. La
voûte du firmament était supportée par des montagnes énor-
mes ou par des colonnes mystérieuses
(i) Bochart , Geogr. Sacra. — Michaèlis , Spiciicg. Geogriiph. hc-
brœorum.
(2) Voss , Cosmographie des anciens en ail. — Schœnemann , geogra-
pJiia. Ilom. — Schlegel , de géograph. Hoin.
(3) Wahl , VIndostan , 1,229. ~" Suhm , Odin , 10.
— Ce que ne dit pas Maltebrun et ce qu'il est facile de compren-
dre , par cette croyance répandue chez ces peuples, c'est qu'ils ont une
origine commune, et qu'ils ont porté, dans ces pays qu'ils sont allés
habiter , la tradition de ce rojauine du milieu . qu'ils form:iicnt dès le
oammenccment. Cette vérité sera mise dans tout son jour par les Mé-
moires de M. de Paravey , dont nous avons déjà parlé quelque part.
SUR LA TERRE HABITÉE. 311
Il ne faat chercher, clans les livres de Moïse et dans les autres
anciens e'crits des He'breax, que ce que l'ensemble du texte
engage à y chercher , savoir : des indications sur le sie'ge pri-
mitif des nations de l'Asie occidentale. Charge d'une mission
plus sublime , l'auteur de hi Ge'nèse n'a pas voulu faire une
ge'ographie ; il ne s'explique ]}oint sur la structure ge'ne'rale
de la terre ; il n'indique , d'une manière reconnaissable, d'au-
tres grands fleuves que le Pltrat ou VEuphrate , et le Nil, qu'il
appelle fleuve de Mizraini ou (ÏEgypte. Une ciiaîne de mon-
tagnes est nomme'e Ararat ; et, si l'on compare tous les pas-
sages oîi il en est parle' (i) , on reste persuade' que c'est dans
les branches du Taurus, re'panduesen Arme'nie et en Churdistan,
qu'il faut chercher ces fameuses montagnes, près desquelles
l'historien he'breu place le second berceau du genre humain (2).
Il est certainement remarquable que le point de de'part d'où
Mo'ise fait commencer la disj)ersion des peuples, est place' par
lui à peu près dans le pays le plus central de toutes les con-
tre'es anciennement peuple'es ; car, les Indiens à l'est, les
Scandinaves ou Goths au nord, et les Nègres ou Éthiopiens
occidentaux, trois races très-anciennement e'tablies dans les
contre'es qui portent leur nom , se trouvent à peu près à des
dislances e'gales de la Me'sopotamie ou de l'Arme'nie. D'un autre
côte', on est frappe' de l'extrême faiblesse de la population de
l'Ame'rique, des terres du gi-and Oce'an et de l'Afrique me'ri-
dionale, maigre' la beauté' et la fertilité' de ces re'gions. Ces
deux circonstances pourraient bien engager un historien judi-
cieux à placer en Asie occidentale le point oii a dû commencer
la population du globe, s'il fallait absolument prendre un parti (3).
(i) Gcn. vm, /,. _ Reg. n, 19, y. 37. — Isaïe , xxxvu , 38. — Jé-
rem, li , 27. — Tob. i, 24.
(a) Bochart, Phaleg. i, 3.
(3) Cette question aujourd'hui n'est plus douteuse. Les savans de Cal-
cutta ont montré que l'histoire des nations , les progrès de leurs émigra-
tions et populations, nous ramènent au point central déterminé par Moïse.
Le célèbre William Joncs, président de la Société asiatique, a prouvé
dans une dissertation; que tous les peuples de la terre <lesccndaient
22*
312 CONNAISSANCES DE MOÏSE ET DES HÉBREUX
Mais, sans entrer dans des discussions interminables, bornons-
nous à exposer ce qu'il y a de plus positif dans le texte de
Moïse. Nous y voyons toutes les nations de l'Asie occidentale,
que cet bistorien a connues, ramene'es à trois familles : l'une,
celle de Scni , comprend des peujiles pasteurs , babitant sous
des tentes; l'autre, se compose des nations industrieuses et
commerçantes , dont Cham est la soucbe ; enfin , au nord des
deux autres, la race de Japhet e'tablit ses belliqueux empires.
Sur un de ces points, l'antique tradition des nations les plus
e'claire'cs coïncide d'une manière frappante avec les re'cits de
Moïse. Cet auteur , et plusieurs autres écrivains be'hreux , disent
positivement que les contre'es riveraines de la Me'diterrane'e ,
les îles des Gentils , furent peuple'es par les descendans de
Japhet. Or , les Grecs et les Romains font descendre le genre
humain , c'est-à-dire , toutes les nations à eux connues , de
Japetus^ dont le nom ne diffère pas essentiellement de celui
de Japhet (i).
Encourage's par cet accord, vraiment surprenant , des bom-
mes d'une vaste e'rudilion, ont cbercbe' à fixer le nom et le
sie'ge primitif de cbaque peuple descendant de Japbet , de
Sem et de Ghara (2). Mais , comment supposer que de simples
d'une souche commune et avaient eu autrefois le même berceau ; d'après
cela , il se propose cet intéressant problème ; quel doit être le lieu d'où
les différentes peuplades sont parties , comme d'un point central , pour
aller habiter les diverses contrées de la terre ? et il montre qu'il n'y a
d'autre point propre à satisfaire ce problême , que oelui qui nous est
assigné par Moïse. Voyez les Recherches Asiatiques.
(i) Hésiode. Op. dies. v. 5o. — Ovid Metam. i. v. 82. — Aristoph.
Nub. , v. 994- — Hor. i. od. 3.
(2) Parmi ces savans , on distingue Bochart , Cumberland , Fourmont,
Court de Gebelin , etc. Ce dernier , dans le discours préliminaire sur
les origines grecques , parle des connaissances historiques de Moïse d'une
manière bien remarquable. « Mais qu'a de commun Moïse avec les
Grecs , diront ceux qui affectent de ne faire aucun usage des connais-
sances historiques de Moïse , sous prétexte qu'il ne faut pas mêler le
sacré avec le profane? Ce qu'il a de coznmun avec les Grecs, poursuit
SUR LA TERRE HABITÉE. 313
noms de familles aient ëte conserve's à travers les vicissitudes
des siècles? comment reconnaître les demeures ou les traces
des tribus errantes, qui n'e'levaient aucun monument? D'ail-
leurs , ces recherches n'appartiennent pas , dans toute leur
Gebelin , le voici : C'est de nous avoir conservé le vrai tableau de leur
origine, c'est de nous avoir transmis une tradition infiniment précieuse,
dont tes Grecs eux-mêmes ont laissé flétrir la pureté : c'est en appre-
nant aux Israélites leur propre origine , d'avoir tracé de main de maître
la première carte géographique qui ait existé , restes précieux des an-
tiques connaissances qu'on irait acheter au poids de l'or chez les In-
diens , les Chinois ou les Mexicains , et qu'on dédaigne parce qu'on les
trouve dans l'ouvrage d'un législateur qui , n'eùt-il été qu'un homme
ordinaire , aurait droit de nous étonner par ses profondes connaissances
dans les arts et dans les sciences , et qui joignait à l'avantage d'être his-
torien , celui de poète sublime. " RIoncle primitif, t. ix , p. cslvi.
a La géographie de l'Ecriture, dit le savant Pluche , est d'un prix
inestimable. Prenons le Pcntateuque ou la Genèse seule ; voyons l'ori-
gine et les premiers progrès des nations. Dans le récit de Moïse , on
trouve , je l'avoue , des lieux et des peuples que l'éloignement des temps
obscurcit : mais de tout ce qu'il nomme , ce qui est encore reconnais-
sable dans des temps postérieurs , justifie sa narration par une étendue
de connaissances qui prouvent ou l'inspiration, ou le secours d'une tra-
dition fidèle. Vous ne trouverez nulle part chez les profanes une pa-
reille exactitude. » Concordance de la Géographie , et Prépar. ét^angél.
1'" partie, pag. io5. Voyez aussi la Géographie ancienne de d'Anville.
Terminons cette note par le témoigna^'c récent d'un Orientaliste mo-
derne, qui se distingue par l.i variété et l'étcncUie de ses connaissances :
« De tous les voyages que nous cachent les siècles, dit cet écrivain ,
le plus imposant, sans doute, fut celui de ce solitaire qui, s'échappant
de Memphis , conduisait une nation dans le désert , parlait face à face
avec Dieu, et donnait une croyance au peuple législateur Le Pcn-
tateuque eft le monument écrit de ce grand voyage , et chose étrange !
si nous nous en rapportons à l'historien qui , de nos jours , a cherché
le plus laborieusement les origines, ce livre a reconquis historiquement
l'importance que lui attribuaient les croyances religieuses ; Schlosser
y trouve la première origine certaine des chronologies. « Ferdinand
Denis. La Philosophie des voj-ages , dans la liei-'ue de Pans de dé-
cembre i832.
314 CONNAISSANCES DE MOÏSE ET DES HEBREUX
etendae , au plan de ce traite' ; nous nous hornerons aax ré-
sultats ge'ographiques les moins sujets à contestation.
DESGENDANS DE JAPHET.
On reconnaît VIon on Icloii des Grecs , père des Ioniens ,
dans lavan ; et Madai désigne vraisemblablement les Mèdes.
Il y a d'autres non)s d'une interprétation plus difficile; tels
sont ceux de Gomer , de Magog, et autres. Ils paraissent dé-
signer des peuples voisins du Pont-Euxin et du Caucase. Cette
mer inhospitalière, ces montagnes redoutables , semblent être
les limites de la géographie mosaïque du côté du Nord; da
moins les princes mêmes de l'érudition ne nous ont rien appris
de positif, dès qu'ils ont voulu conduire les fils de Japhet
plus loin (i) ; cependant Tlu'ras pourrait bien avoir du rapport
avec les Tliraces , si voisins de l'Asie.
Un des descendans de Japhet, par lavan, est nommé Thars-
cJiicli , et serait, selon Josèphe, la souche des Ciliciens , dont
Tarsus était la ville principale : cette opinion n'a rien d'in-
vraisemblable; elle se rattache à l'explication du nom d'Iavan
qu'on vient de donner, ainsi qu'à celle des noms Dodanim
ou plutôt Rodanùn , les liabitans de Rhodes et à'EUsa , V Bolide
oa bien VElide. Mais il est difficile, malgré les efforts de quel-
ques savans modernes (2) , de voir dans ce Tharsis de la Genèse,
le pays lointain dont les richesses furent l'objet des voyages
entrepris en société par les Hébreux et les Phéniciens , du
temps de Salomon. Saint Jérôme a observé , et M. Gosselin (3)
a prouvé que le mot Tharachich , dans les passages où il est
question des voyages que les Phéniciens et les Hébreux fai-
(i) Bochart , Phaleg. — Cuniberland , Orig. gentium , Leibnitz ,
Suhm , etc.
(3) Hartmann, Recherches sur VAsic, i. 69. Comp, — Bredavv, Re-
cherches ijéogr. II. 253.
(3) Gosselin, Recherches sur la Géographie ancienne , 11, 126 — 185.
SUR L\ TERRE HABITÉE,' 315
saient en partant du port à'Eziongeber , sur la iner Bouge , ne
de'note autre cliose que « la grande mer (i). »
Jamais un mot n'a produit des recherclies plus savantes, ni
un plus grand nom])re d'e'crils. Le seul Ophir peut lui être
compare' à cet e'gard. Il paraît que VOphir (2) d'où les flottes
de Salomon rapportaient les tre'sors de l'Indostan , et VOphir
dont parle Moïse (3) , e'taient deux contre'es absolument diffe'-
rentes , comme la différence orthographique des deux noms
he'braïques aurait dû le faire voir aux savans qui ont discuté
cette question , d'autant plus que, dans la version des Septante,
YOpJiir de MoJfse est rendu par Oiipheir, et celui des temps de
Saiomon, par Soopheira (4). Le premier e'tait sans doute une
contrée de rAra])ie-Henreuse; mais l'autre, la patrie des pierres
gemmes, des bois odorife'rans, de 1 or et de l'e'tain , semble
devoir être cherché dans les Intles orientales. Les Phéniciens,
ignorant probablement la nature des moussons ou vents pério-
diques , pouvaient bien avoir besoin de trois ans pour aller à
la côte de l'Indostan méridional, pour y faire leurs achats et
pour revenir aux ports deTIdumée. Les successeurs de Salomon
ayant perdu la souveraineté de ces ports, on conçoit que les
navigations des Phéniciens et des Hébreux durent cesser ; et
cette première découverte de l'Inde n'eut aucune suite.
DESCEIXDÂNS DE SEM.
Mais , après avoir suivi les indications géographiques des
écrivains hébreux jusqu'aux dernières limites de leur mappe-
monde , vers l'Orient et le Nord ( ce qui déjà nous a obligé de
descendre à des siècles postérieurs à Moïse ) , il est temps de
revenir à l'examen des pays désignés comme le séjour des Se.
mites ou descentlans de Sem. Les Hébreux étaient à même de
(i) AVahl. Indostan. i, 20. not. 3.
(2) Chron. n , 3 , 6. ISIN.
(3) Gen. x, 29. HSlN.
(4) Cp. Michaël. Spccilcg. gèogr. heh. a, 184 sqq.
316 CONNAISSANCES DE MOÏSE ET DES HEBREUX
bien les connaître , puisque c'e'taient leurs frères et leurs voi-
sins. Aussi cette partie de la ge'ographie lie'braïque est bien
précieuse j elle indique l'idenlite' d'origine de presque tous les
anciens peuples des bords de l'Euplirate, d'une partie de l'Asie-
Mineure , de la Syrie et de l'Arabie : identité parfaitement
constate'e par la ressemblance de leurs langues ; car l'arabe ,
l'he'breu , l'arame'en ou ancien syriaque, ont autant de rapport
entre eux que l'italien, l'espagnol et le français (i).
\JElam, l'Elymaïs des Grecs, long-temps un royaume in-
de'pendant ; VAssur ou V Assyrie et VArain , qui est la Syrie ,
rappellent incontestablement trois noms des fils de Sem ; le
dernier semble connu d'Homère qui en aura fait ses Arimi.
Mais ou ne s'accorde pas aussi bien sur Lad , qui nous paraît
pourtant être la nation des Lydiens , si puissante dans l'Asie-
Mineure. On dispute aussi pour savoir si les Chaldéens , si
tristement ce'lèbres dans l'bistoire juive , descendent à^Ar-
phacsad , qui est la souche des He'breux et de tant d'autres
peuples se'mitiques , et qui paraît s'être d'abord établie dans
l'Arménie et dans la Haute Assyrie, où l'on trouve une pro-
vince Arrapachiits. On a même cberché à retrouver les Chal-
déens , tantôt dans les Chalybes des Grecs , tantôt dans les
Scythes qui firent une invasion dans l'Asie ; on en a voulu
faire une race indigène qui serait la souche des Arméniens et
des Curdes (2). Mais toutes ces discussions des savans moder-
nes n'ont pu fixer le sens des indications vagues que les écri-
vains hébreux, postérieurs à Moïse, donnent en passant sur ce
peuple d'abord féroce et conquérant, bientôt riche, civilisé
et adonné aux sciences.
C'est dans l'Asie occidentale que la géographie hébraïque ,
d'accord avec tous les auteurs profanes , indique les plus an-
ciens empires que nous connaissons. Leurs immenses capitales,
Babel ou Babylone, et ISiiwe ou Ninus , ont dispara. Nous
(1) V^oyez les auteurs cités par Adelung, Midividate , i, 3oo et suiv.
(2) Michaël , Specileg. gcog. 11, 77 ; 104. — Schlœzer, dam Eich-
horn j répertoire Oriental, vni , ii3. — Friederich , dans Eichorn ,
hilliodicque Orient, x, 425.
SUR Lk TERRE HABITEE. 317
cherchons en vain leurs de'comhres (i) , mais le souvenir des
Assyriens et des Chalde'ens est conserve' par l'histoire des peu-
ples qu'ils ont soumis. Alors, plus encore qu'aujourd'hui, les
ravages de la guerre changeaient l'e'tat et les limites des pays
qui devenaient la proie d'un conque'rant. On amenait en cap-
tivité' des nations entières ; on leur assignait de nouvelles de-
meures (2). Dans les superhes capitales de Ninive et de Bahy-
lone , les princes captifs et les hommes les plus distingue's
parmi les nations conquises, apprenaient à se connaître ; des
caravanes y apportaient tout ce qui e'tait ne'cessaire au luxe
barbare de ces temps. De semblables communications ont dû
faire naître les ide'es e'ie'mentaires de la ge'ographie. Toutes les
grandes arme'es qui, dans ces siècles, inondaient l'Asie occi-
dentale, tiraient leur force principale de la cavalerie. Un e'cri-
vain hébraïque dit en parlant des Chalde'ens : <; Leurs che-
» vaux surpassent en vitesse les panthères ; leur cavalerie
» arrive comme un essaim d'aigles, plus rapides que le vent (3).»>
Ces circonstances expliquent à la fois la rapidité des conquêtes
dont parle Ihistoire de ces siècles , et l'e'tendue des connais-
sances ge'ographiques re'pandues parmi les peuples de lAsie
occidentale, mais qui semblent cependant se bornera ce qu'on
pouvait connaître au moyen des voyages par terre.
Au midi des empires de Ninive et de Babylone , plusieurs
peuples, amis de la liberté', changeaient de domicile au gré
de leur humeur inquiète. La géographie des siècles les plus
reculés distingue déjà les Eclo/nites , connus des Grecs sous le
nom ùi^ Idumécna ; les Madianiics , très-anciennement adonnés
au commerce , mais dont le nom disparaît bientôt ; les ]Sa-
baïoths ou ISabatliéems des Grecs et des Romains , tribu prin-
cipale parmi celles du r.ord-ouesl de l'Arabie , qui font re-
(i) Depuis le moment où écriv.iit Maltebrun ,• i8io, plusieurs voj^a-
gcurs ont découvert les immenses ruines de Biibylotie et de Ninive, et
les ont décrites avec beaucoup de détail ; voir ci-dessus toai. VI, p. 35.
(2) Jcrém. c. 89. Ezéchiël , c. 3o , etc. etc.
(3) Habacuc. 1,6,9.
318 CONNAISSANCES DE MOÏSE ET DES HEBREUX
monter leur origine à Ismaël : beaucoup d'autres tribus arabes
du centre et du midi , qui regardent comme leur souclie Joc-
tan [Jectan), et parmi lesquelles les Homérites e'tablirent ,
dans VYemen, un empire long-temps lieureux et puissant (î);
enfin, les ce'ièbres Hébreux, qui, d'après leurs propres livres,
sont en parente' avec tous ces peuples , et se disent comme
eux desceiidans de Sem par Arphacaad ; assertion confirme'e
par la ressemblance des langues (2). Moïse connaissait même
le nom de Hadramaulh ou Hazarmm>eth , contre'e d'Arabie ,
encore ainsi nommée de nos jours. De même que nos voya-
geurs modernes, il distingue deux cantons du nom de Cha-
vilali ou Chaulan (3). Il de'signe Sana sous le nom d'Uzal ,
encore usité' (4). Semblables aux Be'douins modernes, la plu-
jiart des anciens Arabes , et les He'breux eux-mêmes, menaient
une vie errante; rois de leurs de'serts, au milieu de leur beu-
reuse famille et de leurs troupeaux innombrables, ces patriar-
cbes n'avaient rien à envier aux monarques de la terre ; ils ne
demandaient au ciel qu'un peu d'ombrage , du gazon et une
fontaine. Il y avait aussi des tribus agricoles ; les Home'rites
e'ievèrent des digues pour retenir les torrens des montagnes ,
et des aqueducs pour en distribuer les eaux dans les cbamps (5).
D'autres tribus ayant dompte' le chameau , employèrent ce na-
vire du de'sert à transporter en Syrie, à Babylone et en Egypte,
les parfums et les pierres fines de l'Arabie-Heureuse , et, plus
tard, les produits de l'Inde, que le commerce maritime ame-
nait sur les côtes de l'Arabie (6). Il est impossible de de'ter-
miner à quelle e'poque ont commence' les liaisons des Arabes
me'ridionaux avec l'Inde , et leurs e'tablissemens sur la côte
(1) Schultens , Hisioria imp. Joclanid. , 11, 3g, etc.
(•2) Gen. X , 21 , 25.
(3) Gen. x , 7 et 29. — Micbaëlis , Speclleg. n, 2o3. — Hartmann,
Recherches 11 , 25.
(4) Niebuhr. Descript. i, 2r)i. (en ail.)
(5) Reiske de Arahum epochd veluslissiinâ. Lips. 1748-
(6) Messudi , IJist. Joclanid. , p. 181.
SUR LA TERRE HABITÉE. 319
orientale rrAfrique; ils connurent l'art d'ëcrire (i) , mais il
n'est reste' de leurs plus anciens ouvrages , que des poe'sies
admirables , qui ne fournissent aucun renseignement ge'o-
graphique.
DESCEÎÎDANS DE HAM OU GHAM.
La troisième race d'hommes connue a Moïse et aux He'brenx
est repre'sente'e comme la poste'rite' de Cham ou Ham , troi-
sième fils de Noe' ; et les male'dictions dont tous les e'cri vains
he'breux la chargent, semblent prouver qu'elle a dû difFe'rer
des peuples se'mitiques, soit pour la constitution physique,
soit pour la langue et les mœurs. Le nom même de Ham ou
Cliam signifie en he'breu , ou la couleur fonce'e de ces peu-
ples, ou la chaleur du climat sous lequel ils habitent (2). Ce
nom se retrouve e'videmment dans celui de Cliam ou Chamia,
donne' à l'Egypte par les indigènes dans les temps anciens et
modernes (3). Il est e'galement incontestable que le nom d'un
des fils de Ham, Mizr (au pluriel Mizraim), est le même
qui , chez les Arabes et les Turcs, de'signe encore aujourd'hui
l'Egypte, principalement le Delta (4). Ce point de la ge'ogra-
pbie mosaïque semble donc très-clair, et s'il nous est impos-
sible de retrouver d'une manière certaine tous les peuples in-
dique's comme descendans de Mizraïm , il nous est pourtant
permis de croire que les He'breux connaissaient toute l'Egypte
et une partie des côtes africaines du golfe arabique.
On ne peut guère non plus douter que le nom de Kusch ,
donne' à un des fils de Ham , ne désigne les peuples de l'Ara-
bie me'ridionale et orientale , où les ge'ographes grecs et ro-
mains connurent les villes ou peuples de Saba, de Sabbatha,
de Rhegma , et autres , dont les noms , selon les auteurs be'-
breux, appartiennent à des descendans de Kusch. Mais que,
(1) Job. , XIX, 24.
(2) nn ou mn. Forstcr , Epist.
(3) Plut, in Iside. — Hartmann , Egypten , p. 4.
(4) Edrisi Africa , éd. Hartmann, p. 324-
320 CONNAISSANCES DE MOÏSE ET DES HEBREUX
d'un côte , ces mêmes peuples se soient re'pandus autour du
golfe persique, et que de l'autre ils aient envoyé' une colonie
en Abyssinie , ce sont des questions pour la solution desquel-
les, ni les e'crits des He'breux, ni les autres monumens ne nous
fournissent des de'tails assez e'tendus et assez authentiques (i).
La ge'ographie des He'breux pre'sente des lumières bien plus
pures , quand elle nous retrace l'ancien e'tat de la Palestine.
Cette contre'e , tlie'âtre d'une des plus anciennes re'volutions
pliysiques consacre'es par l'histoire, de celle qui fit e'crouler
Sodôme et Gonoorre dans les abîmes de la mer Morte (2) , de-
vait le nom sous lequel les Giecs la connuï'ent, aux Philistins,
peujile sorti de l'Egypte, et qui avait d abord cberche un asile
en Chypre (3). La Palestine e'tait encore habite'e par une foule
d'autres tribus , qui toutes descendaient de Canaan fils de
Ham. Celte circonstance pourrait servir à expliquer pourquoi
les Phe'niciens , qui parlaient la langue canane'enne , trouvè-
rent tant de facilite' à se répandre en Afrique. Le commerce
florissant de Tyr et de Sidon nous e'îonnera moins , lorsque
nous nous rappellerons combien les auteurs he'breux nomment
de villes mure'es dans la Palestine et dans la Syrie. Damas ,
Héinatli , Hébron , Jéricho, existaient long-temps avant Athè-
nes ; Sidon est de'jà ce'lëbre'e par Homère; et la superbe jyr,
la reine des mers , nomme'e par les e'crivains hébreux du
temps de David, a dû préparer pendant plusieurs siècles cette
grandeur commerciale dont le prophète Ezéchiël traça le bril-
lant tableau à une époque où Rome, sous le premier des
Tarquins , commençait à changer ses chaumières en des mai-
sons. Les cèdres du Lihan , les chênes de la Bazanée , les bois
les plus précieux du Chitlim { Citiuni , en Chypre), servaient
à la construction des flottes de Tyr; son port était le marché
(1) Michaël, Spicileg. géog. 1, i43. — Eichorn. Prog. de Kuschœis ,
Arnsladt , 1774- — Ludolf, elc.
(2; Biisching , dans les Annales des Vojages. t. v, p. ô.
(3) Michaël. Spicileg. 1,278,308.
SUR LA TERRE HABITEE. 32 1
de l'Asie, de l'Egypte et de la Grèce; les caravanes de l'Ara-
bie lieureiise, venues iVÂ(h?i , de Ca?ie et d'autres villes , y
apportaient les pierres gemmes, les e'piceries et les e'tofîes de
l'Inile ; l'Egyptien y vendait les toiles fines ; Damas y envoyait
ses laines, d'une Llancheur e'Llouissante ; l'argent, i'e'tain , le
plomb , tous les me'taux de l'Asie mineure y arrivaient par les
vaisseaux de TarscJiisch , qui peut-être ici de'signe Tarsus en
Cilicie; les Ioniens y achetaient des esclaves, et probablement
toute sorte d'ouvrages de nianufarture (i).
Place's dans le voisinage d'une ville où refluaient tant de na-
tions, les He'breux , qui eux-mêmes vendaient aux Tyriens
leurs ble's, leurs huiles et les autres productions de leur soi (2) ,
ne purent sans doute rester absolument e'trangers aux connais-
sances ge'ograpbiques re'pandues dans la capitale de la Phe'ni-
cie. Mais en restreignant la sphère de la ge'ographie be'braïque
dans une limite qui ne de'passe guère le Caucase au nord ,
l'Archipel de Grèce à l'ouest, et l'embouchure du golfe Arabi-
que au midi , nous avons cru mieux appre'cier le ve'rltable
esprit des antiques monumens de la Judée , que ne l'ont fait
ces commentateurs trop zéle's, selon lesquels Moïse aurait pre'-
tendu nous enseigner comment toute la terre habitable fut
divise'e comme par lots entre les descendans de Noe'. Peut-on
raisonnablement attribuer à Moïse des notions sur le nord et
l'occident de l'Europe , lorsque , chez des e'crivains lic'breux
qui lui sont poste'rieurs de six à huit siècles , les Chalde'ens et
les Mèdes , originaires des re'gions oîi sourdit l'Eupbrate, sont
de'peints comme des peuples qui babitent les extre'mite's de la
terre ? »
(i) Ezéchiël , xxyn, 5, 26.
(2) Ibid. 17.
322 DE LA PERTE DES MANUSCRITS
tVWVWWVWV •^^VVVVVVVVAIVVVVVVVVVvVVVV^VNA(VVVVVXVVVVVVVVVVV^L^A'VVVVVVVV\lVV%VVVVV\VVVVV^
SE I.A PERTE DES MANUSCRITS
ET DES AUTEURS DE l'aNTIQUITÉ.
Espoir peu fondé de Irouver de nouveaux manuscrits. — Les auteurs
latins perdus ne peuvent être de grande importance. — Les auteurs
grecs perdus sont plus nombreux et plus importans. — Pourquoi la
plupart des copies qui nous restent ne remontent pas au-delà du
9» siècle?
Nous avons parlé avec assez de détail des moyens par lesquels
les moines du moyen-âge nous ont conservé les richesses littéraires
de l'antiquité que nous possédons en ce moment (i). Nous avons
cru devoir compléter ce travail, en insérant ici quelques recherches
sur les manuscrits qui ont été perdus, et sur l'espérance qui pour-
rait nous rester d'en retrouver encore quelques-uns.
Pendant fort long-temps on s'était flatté de l'espoir que des res-
tes précieux de l'antiquité demeuraient cachés en différentes bi-
bliothèques de l'Europe, mais surtout dans celles de l'Italie. On
ne doutait pas que des recherches faites par des antiquaires , avec
zèle et persévérance, ne ramenassent perpétuellement au jour, tantôt
des ouvrages entiers , tantôt d'intéressans fragmens d'auteurs grecs
et latins. Malheureusement cette espérance était plus flatteuse que rai-
sonnable. Les soins , la patience et l'assiduité que les savans italiens du
quinzième et du seizième siècle, tels que Pétrarque, Boccace, Poggio,
Arétin , Manuzio , mirent à rechercher les manuscrits des auteurs
classiques, ne permettent guère de penser qu'ils aient laissé beau-
coup à faire à ceux qui viendraient après eux. On voit, diaprés
des lettres écrites à cette époque, que l'on n'épargnait ni peines
ni dépenses pour parvenir au but que l'on se proposait. Tant que
l'imprimerie ne fut pas encore connue , on éprouvait de grands
obstacles dans les recherches quel^on voulait faire dans les couvens,
(i) Voy. ci-dessus toai. III, p. 29.
ET DES AUTEURS DE l'aNTIQUITÉ. 323
parce que les moines, tirant un profit considérable des copies qu'ils
faisaient de leurs manuscrits, n'aimaient pas, comme de raison, à
ouvrir à autrui la source des trésors qu'ils posse'daient. Les choses
ctangèrent d'aspect plus tard, quand le stimulant du commerce porta
les imprimeurs à joindre leurs efforts h ceux des savans.
Mais par quel malheureux concours d'événemens se fait-il qu'une
partie si considérable des anciens auteurs ne nous soit parvenue
que dans un état imparfait et mutilé , et qu'il y en ait tant dont
nous ne connaissons plus que les noms, quoique bien certainement
de nombreuses copies de leurs ouvrages aient été répandues en
Italie, dans l'orient de l'Europe et sur les côtes de l'Asie-Mineure?
qu'ainsi , par exemple , des auteurs tragiques de la Grèce nous
ne possédions qu'un petit nombre de pièces , et que ceux de Van-
tique Italie ne nous soient connus que par des fragtnens épars?
quil ne nous reste presque rien des poètes lyriques! que Ménan-
dre ^ Philémon , et tous les poètes comiques qui les ont suivis
sont perdus, tandis que ceux qui ont survécu ne se retrouvent que
dans un état de mutilation bien digne de pitié'? Ce sont là des
questions qu'ont dû bien souvent se faire les personnes livrées à
l'étude de l'antiquité, et qui n'ont jamais e'té e'claircies d'une ma-
nière satisfaisante. Il est facile, à la vérité', d'indiquer certaines
circonstances qui ont pu contribuer à ces pertes ; mais il est diffi-
cile d'expliquer parfaitement la singulière destinée de plusieurs des
plus grands monumens litte'raires de l'antiquité'.
A la vérité , pour ce qui regarde les classiques latins , il faut
remarquer que l'introduction de la théologie scolastiquc décrédita
peu à peu l'étude des anciens auteurs. Il ne faut pas s'étonner,
d'après cela, si les manuscrits sur parchemin des auteurs classiques
furent employés à relier les nouveaux ouvrages de scolastique ,
tandis que le petit nombre de ceux que l'on épargnait pourrissait
dans quelque coin de ces bibliothèques décrites par Poggio. Ce fut
dans un de ces réduits obscurs, que Poggio compare à un cachot
dans lequel on n'aurait pas voulu renfermer un criminel, qu'il trouva
Quintilien , les Argonauliques de Kalerius Flacus , et le com-
mentaire d' Asconius Pœdianus sur les Oraisons de Cicéron.
S'il faut en croire quelques récits, l'œuvre de destruction s'est
continue'e bien au-delà du temps de Poggio et d'Are'tin. Le poète
324 DE LA PERTE DES MANUSCRITS
Chapelain raconte qu'un pre'cepteur du marquis de Rouville lui
avait dit qu'ayant eu occasion d'envoyer à Saumur acheter des ra-
quettes , il avait ëte' suipris de la singulière apparence du parche-
min dont elles étaient faites, et, qu'en l'examinant de plus près,
il avait cru y reconnaître les titres des 8'', lo et ii« décades
de Tile-Live ; qu'il s'était alors adressé au marchand de raquettes ,
de qui il avait appris que l'apothicaire de l'abbaye de Fontevraud
ayant vu dans une chambre de cette abbaye une pile de volumes
en parchemin , en tête desquels il avait lu qu'ils faisaient partie
de l'histoire de Tite-Live , il les avait demandes à l'abbesse en
l'assurant que ces volumes étaient inutiles, parce l'ouvrage était
imprimé. L'apothicaire les ayant obtenus, les avait vendus au mar-
chand de raquettes qui en avait fait une multitude très-grande de
battoirs , et qu'il lui en restait encore douze douzaines. Tel est le
récit de Chapelain; on ne saurait guère mettre en doute sa ve'ra-
cité, mais il est fort probable qu'd aura été mystifié. Tite-Live
€st , du reste, sous ce rapport, un auteur malheureux : tous les
efforts que l'on a faits pour compléter son ouvrage ont été inutiles.
Pietro délia Valle raconte qu'il avait acheté un Tite-Live complet
du bibliothécaire du Grand-Seigneur, et que !e prix convenu était
dix mille écus; mais quand il fut question de livrer le manuscrit,
il avait disparu : peut être n'avait-il jamais existé.
L'histoire des raquettes de Chapelain, tout apocryphe qu'elle est,
me rappelle celle de l'original de la grande Charte anglaise, que
sir Robert Cotton sauva d'entre les mains d'un tailleur qui allait la
couper pour en faire des mesures. On croira peut-être après cela
que ce document , base fondamentale de ces libertés dont les An-
glais sont si fiers, aura été déposé dans les archives da royaume:
nullement. Il se conserve au Musée britannique entre des papil-
lons , des vases étrusques et des curiosités taïtiennes.
Quant à ce qui a été dit, que divers Papes, par un zèle mal en-
tendu, avaient contribué à la destruction des trésors de l'antiquité,
il ne faut pas ajouter une foi implicite à tout ce que la malveil-
lance et l'esprit de secte ont débité à ce sujet. Ainsi , parce que le
pape S. Grégoire-le-Grand ne faisait pas grand cas des sciences
profanes , on l'accuse d'avoir fait briller la bibliothèque palatine
formée à Rome par l'empereur Auguste j mais à cela il faut observer
ET DES AUTEURS DE l'aNTIQUITÉ. 325
d'abord que rien ne prouve que, du temps de Grégoire, qui vi-
vait à la fin du sixième siècle, il existât à Rome une bibliothèque
palatine. J'ajouterai ensuite que cette accusation ne repose que sur
un passage mal compris du Polycratique de Jean de Salisb:ri, e'cri-
vain du douzième siècle , qui dit que le saint Pape fit briller de la
bibliothèque palatine tous les ouvrages reprobatœ lectionis , ce qui
signifie les livres d'astrologie judiciaire, uomme's dans le digeste:
Libri improbatœ lectionis. Et , quant à ces livres , il en existe
encore assez.
Ainsi encore, Machiavel et Cardan prétendent que S. Grégoire VII
brûla les ouvrages de Varron ( i), de peur que S. Augustin , qui avait
cité un grand nombre de passages de cet auteur dans sa Cité de
Dieu., ne fût reconnu comme plagiaire; mais ceci est passablement
ridicule, car toutes les fois que S. Augustin cite Varron, c'est ou-
vertement et presque toujours dans le but de le réfuter. D'ailleurs
Naudé a prouvé que les ouvrages de Varron n'étaient plus lus de-
puis long-temps , et qu'ils ont péri plutôt par ne'gligence que par
un acte de vandalisme.
Il paraît, après tout, que sur les auteurs latins dont les ouvrages
ont totalement péri , il n'y en a pas beaucoup qui soient dignes
de grands regrets de notre part. Les poètes romains qui ont écrit
avant le siècle d'Auguste seraient à peine intelligibles aujourd'hui;
on peut eu juger par des fragmens qui nous restent à'Ennius et
de Lucilius. En conséquence , ou peut hardiment conclure qu'à
l'exception des cent cinq livres de Tite-Lii^e , et des harangues et
épilres de Cicéron , les pertes que nous avons faites ne sont pas
d'une importance majeure. Il ne nous reste , à la vérité , que six
comédies de Térencc; mais ce sont sans doute ses meilleures (2).
(1) Voyez dr.ns le Christianisme de Bacon, public par Emery, t. II,
p. 332 , des éclaircisseinens sur raccusalion d'avoir voulu anéantir tous
les auteurs et tous les monumens de l'antiquité païenne , intentée con-
tre S. Grégoire.
(2) Le P. Matthieu Aimerich , jésuite de la province arragonaise et
chancelier de l'université de Gandie, qui, après la suppression de son
ordre se relira à Ferrare , y a publié en 1784 une notion hislori(|ue et
critique des Romains célèbres par leur érudition , parliculièrcment de
T. X. 23
326 DE LA PERTE DES MANUSCRITS
Il n'en est pas de même des auteurs grecs, ce qui est d'autant plus
digne de remarque que la langue grecque est demeurée une langue
vivante bien plus long-temps que la latine, tandis que les innom-
brables monastères re'pandiis dans tout l'empire Byzantin et dans
l'Asie-Mineure, semblaient devoir assurer à la postérité les ou-
vrages d'une foule de poètes et de philosophes dont il ne nous
reste pourtant que quelques fragmens insignifians.
Ea attendant, si l'on y re'fléchit mûrement, on verra que ce
sont précisément ces motifs qui peuvent servir en quelque sorte
à en expliquer la perte. La langue grecque a continué, à la vérité,
à re'gner dans l'empire d'Orient jusque vers le milieu du moyen-
âge ; mais elle s'e'tait fort corrompue et mêle'e de tournures latines ,
françaises et asiatiques. Le résultat en fut que l'on étudia peu la
langue des classiques. En Italie , au contraire , où le latin avait en-
tièrement disparu de l'usage, on continua à l'apprendre comme
langue savante ; on s'en servit dans les discussions théologiques et
dans tout ce qui avait rapport aux lois. Le grand nombre de cou-
vens de l'empire d Orient a e'té aussi plutôt de'favorable qu'avan-
tageux à la conservation des anciens auteurs ; les bibliothèques de
ces établissemcns , avaient fini par accaparer toutes les copies qui
existaient ; les auteurs classiques n'e'taieut e'tudiés que dans les éco-
les, et toutes les écoles e'taient dans les couvens ; les professeurs
étaient des moines qui ne se donnaient la peine de transcrire des
anciens poètes et prosateurs, que les passages qu^ils avaient l'in-
tention de citer dans leurs cours ; le reste des volumes était aban-
donné pour être mange aux vers, ou bien on coupait les feuillets
pour servir d'enveloppe aux livres de classe. On ne doutera point
de la Justesse de cette hypothèse quand on réOécliira qu'il existe
encore aujourd'hui un grand nombre danciennes copies des trage'-
ceiix dont les ouvrages sont perdus en entier ou en partie : Spécimen
Veteris romance liueraturœ deperditœ j vel adhuc latentis ; seu syllabus
historiens el crilicus velerum olim notœ erudilionis Romanorum ab Urbe
condild ad Ilonorii ^ugusti excessum .• eorum in primis quorum latina
opéra , veL oninino vel ex parte desiderantur. Accedunt opportunœ ad-
nolationes , multa corolLaria el nonnuUce dissertationes . Vol. in-8°. Voyeï
Tellcr^ Journal hist.j mars 1786 , p. 35q j it. Mélanges j tom. II , p. 543.
ET DES AUTEURS DE l'aî^TIQUITÉ. 327
dies les plus faciles dUEscJiyle , tandis qu'on ne connaît qu'un ou
deux manuscrits des pièc-es plus difficiles du même poète, Ainsi
encore, et par la même raison, les Epinicia de Pindare nous sont
parvenus, mais ses Threniy ses Hyporchemata ^ etc., sont perdus.
Les écrits de yiénandre, de Philémon et des autres poètes plus
modernes, e'taient regardés comme peu convenables à être mis dans
les mains de la jeunesse chiétienne, et Aristophane aurait sans
doute subi lemêmesort sans la protection de S. Jean Chrysostôme,
dont on connaît la prédilection pour cet écrivain spirituel. La con-
servation de tous les ouwrages de Platon et de la plus grande
partie de ceux d'Aristote est due aux efforts de l'école d'Alexan-
drie pour greffer le platonisme sur le christianisme , ainsi qu'au
règne de la théorie scolastique.
Il serait difficile de fixer avec quelque apparence de probabilité
l'époque précise où tant de précieux restes de l'antiquité ont dis-
paru. Procope l'historien , qui florissait dans le sixième siècle , cite
une tragédie d'Eschyle que nous ne posse'doos plus, et Simplicius,
qui vivait au milieu du même siècle, transcrit de nombreux pas-
sages des poèmes d'Empedocle. Photius , patriarche de Constanti-
nople dans le neuvième siècle, donne, dans son Myriobiblon , des
extraits de plusieurs auteurs qui n'existent plus, ou bien qui ne
nous sont parvenus que mutilés. Michel Psellus avait composé ,
dit-on, dans le onzième siècle, un commentaire sur vingt-quatre
comédies de Ménandre ; mais ce fait n'est pas très-certain; et il
est bien reconnu que Eustathe , archevêque de Thessalouique , qui
e'crivait dans le douzième siècle, ne possédait point d'auteurs que
nous n'ayons aussi aujourd'hui , à l'exception de quelques grammai-
riens j et il en est de même de l'impératrice Eudoxie Macrembo-
litissa, qui composa l'ouvrage intitulé la Couche de Violettes , vers
la fin du onzième siècle. Nous pouvons conclure de là que les li-
vres dont nous déplorons la perte devaient avoir disparu successi-
vement avant le dixième et peut-être même avant le huitième siècle.
Pour ce qui regarde les causes de cette disparition , j'en ai déjà
dit quelques mots; mais je vais maintenant entrer dans de nouveaux
détails à ce sujet. Pierre Alcyonius, dans son traité de Exilio ^
nous apprend que le cardinal Jean de Médicis ( plus tard Pape sous
le nom de Léon X) avait coutume de dire que les prêtres grecs
23.
328 DE LA PERTE DES MAI^USCRÎTS
avaient acquis tant de crédit sur l'esprit des empereurs d'Orient ,
qu'à leur instigation des ordres furent donnes pour brûler plusieurs
anciens poêles, surtout les poètes lyriques et comiques, et cela
parce qu'ils préféraient les vers de S. Grégoire de Nàzianze, à ceux
de Ménandre et d'Alcée. Ce fait est confirmé par une lettre d'E-
tienne Geslacliius à Martin Cressius, écrite deConstantiuople en i5y4'
De quelques-uns des poètes classiques , les moines se contentèrent
deffacer les passages les plus contraires à la décence et à la mo-
rale , ou bien ils les corrigeaient et les transmettaient à la posté-
rité dans un état qu'ils regardaient sans doute comme bien préfé-
rable à l'ancien.
Le plus audacieux innovateur de ce genre fut Maximus Planudes,
moine du quatorzième siècle, qui entreprit d'épurer V Anthologie.
C'est probablement le même Planudes qui priva Théognis de cent
cinquante-neuf vers , que l'on a depuis découverts dans un seul
ancien manuscrit. Il serait difficile de décrire toute la confusion
que ce compilateur mil dans l'Anthologie.
Je ne dois pas oublier d'indiquer une autre cause encore de la perte
de beaucoup d'anciens écrivains. On fit des abrégés des plus vo-
lumineux d'entre eux, et ces abrégés, étant d'un usage plus com-
mode , finirent par remplacer totalement les originaux. C'est ainsi
que nous avons perdu les deux premiers livres du grand ouvrage
d^ Athénée , l'original d'Etienne de Byzance , les précieux lexiques
d' Harpocrate et de Phrynicus.
Il nous serait possible de déterminer avec plus d'exactitude l'é-
poque où les dernières copies de plusieurs anciens auteurs ont dis-
paru , si nous savions précisément dans quelle année fut brûlée la
grande bibliothèque composée de 36,ooo volumes, et qui était placée
dans la basilique des empereurs à Constanlinople. Elle avait été fon-
de'e par Constance , et considérablement augmentée par Julien l'a-
postat. Ce dernier e'tait livré à une véritable bibiiomanie : « Ceux-
)) ci, nous dit-il, dans une de ses e'pîtres, sont amoureux de che-
•> vaux, ceux-là d'oiseaux-, d'autres de bêtes féroces ; quant à moi,
» j'ai brûlé, avec toute la véiiémente passion d'un enfant, du désir
» d'amasser des livres. » La bibliothèque dont je viens de parler
ayant été consume'e par le feu , fut reconstruite par l'empereur Zenon
dans le cinquième siècle, et fit partie d'un coUe'ge habité par douze
ET DES AUTEURS DE l'aNTIQUITÉ. 329
professeurs. Du temps de Le'on l'Isaurien, vers l'aa 720, elle con-
tenait, dit on , 36,5oo Aoliimes, et les derniers historiens bizantins
racontent que ce prince , qui était un fougueux iconoclaste , ne pou-
vant faire partager son opinion aux professeurs , les renferma dans
leur collège , qu'il entoura de matières combustibles , et les brûla
ainsi avec leurs livres. Cependant Basnage, dans son Histoire ec-
clésiastique, réfute ce récit, et prouve qu'il est question de cette
bibliothèque comme subsistant encore dans le siècle suivant. Il y
aurait peut-être moven de concilier ces deux assertions, en disant
que l'édifice a été incendié accidentellement pendant le règne de
Léon, et qu'ayant été reconstruit sous le règne suivant, la biblio-
thèque a été de même en partie rétablie.
L'étendue des pertes faites par les sciences et les lettres , lors
de l'incendie de la grande bibliothèque d'Alexandrie par Omar, a
etë révoquée en doute par les historiens du 18^ siècle. Gibbon
surtout déclare (ju'il croit devoir nier à la fois et le fait et ses con-
séquences. Mais il est inutile de faire observer que Gibbon, écri-
vain très-partial, cherche toutes les occasions de favoriser les païens
et les mahométans. Dun autre côté, Orose prétend que les livres
de cette bibliothèque furent détruits ou dispersés par les chrétiens,
lorsqu'en 891 ils brûlèrent le temple deSérapis; mais on n'ignore
pas que cet auteur, fort cre'dule, a rempli son ouvrage d'une foule
de bruits populaires , qui ne permettent guère de le citer comme
une autorite'.
Après avoir fait connaître quelques-unes des causes de la destruc-
tion de tant de précieux monumens des siècles classiques , il reste
à examiner pourquoi parmi les copies qui nous sont parvenues il y
en a si peu qui soient d'une antiquité' reculée. A très-peu d'excep-
tions près, il n'y en a point qui remontent au-delà du 9^ siècle
de notre ère.
A ce sujet , il faut remarquer que , dans le moyen-âge , les moi-
nes étaient les seuls copistes des anciens livres. Ils ne manquaient
pas de loisir pour cette occupation , et les calligraphes , qui, par
une longue habitude, avaient acquis un talent considérable pour
bien peindre, étaient amplement payés de leurs peines. Or, par
les divers motifs que j ai assignés plus haut , les poètes et les phi-
losophes classiques étant tombes dans le discrédit , il arriva que les
330 DE LA PERTE DES MA7ÎUSGRITS , ETC.
copistes recevaient cinquante demandes pour les œuvres de saint
Grégoire de Nazianze ou de Sedulius , contre une pour celles d'Eu*
ripide ou de Virgile. La conséquence naturelle en fut que, pour
se dispenser d'acheter du parchemin, qui était un objet de prix,
ils songèrent à se servir des ouvrages des auteurs anciens , qui ne
faisaient qu'encombrer inutilement les tablettes de leurs bibliothè-
ques. Ils imaginèrent d'après cela deux manières d'oblitérer l'écri-
ture et de mettre le parchemin en état de recevoir les oeuvres d'é-
crivains dont le débit était plus assuré. Tantôt ils effaçaient les
caractères par le moyen d'une préparation chimique, tantôt ils les
grattaient avec un instrument tranchant : cette dernière méthode
s'employait quand le parchemin était d'une épaisseur considérable.
Les manuscrits qui ont subi une de ces deux opérations s'appel-
lent codlces palimpsesti ou rescripti , et il existe des preuves cer-
taines que plusieurs pièces de théâtre grecques , diverses oraisons
de Cicéron et quelques comédies de Plaute ont été perdues de cette
façon ; car des fragmens de ces différens ouvrages ont été reconnus
sous la nouvelle écriture dont ou les avait surchargés.
J'ai dit plus haut, comme un motif de consolation, que, selon
toute apparence , les pertes que nous avons faites , bien qu'incon-
testablement fort nombreuses , n'ont pas l'importance et l'inte'rêt
que l'on pourrait penser. Par la même raison , jointe à celle de la
grande libe'ralité avec laquelle, depuis un siècle, tous les gouver-
nemens, tous les établisseraens publics ont donne accès aux savans
dans les dépôts de leurs trésors litte'raires, il n'y a pas lieu d'es-
pérer que de grandes découvertes restent encore à faire dans ce
genre ; celles que nous devons , il y a une vingtaine d'années , à
M. Angelo Mai , professsur de langues orientales à la bibliothèque
ambroisienne de Milan, et plus tard bibliothécaire du Vatican, sont
les dernières qui aient offert quelque inte'rêt. Jusqu'à présent on
n'a rien trouvé dans les ruines d'Herculanum et de Pompéï, qui
soit digne de fixer l'attention.
Je termine ici une discussion qui probablement paraîtra beau-
coup trop longue à plus d'un lecteur, et j'ajouterai seulement que
la bibliothèque Laurentienne à Florence , et celles des couvens de
la Calabre, sont les seules où nous puissions encore espérer de faire
quelques découvertes intéressantes. — Annales de Phil. Chrét.
tom. IX , p. i^.
331
CONSIDERATIONS
SUR Ii'EMFIRE ROMAIN, LA VIE DE S. ANTOIXE, ETC.
Le Journal de? Débats du 12 octobre contient un article de
M. St. -Marc Girardin sur la Collection des Pères (i) publie'e par
Me'quignon-Havard , dans lequel l'auteur, exauiinant la vie de
saint Antoine, e'crite par St. Athanase, se livre à des considéra-
tions philosophiques de la plus haute porle'e. Nous en citerons
les principaux passages :
« Notre siècle a beaucoup d'esprit, de lumières, d'intelli-
gence; il discute, il raisonne à merveille. Pourquoi donc ne
créé-t-il rien ? Pourquoi y a t-il sur tout ce que nous faisons un
cachet d'avortement et d'impuissance ? Systèmes politiques et
systèmes religieux, constitutions, chartes, lois, ordonnances,
rituels de toutes sortes de sectes, cultes de toutes sortes de dog-
mes, combien n'en naît-il pas chaque jour de notre cerveau? Et
combien n'en meurt-il pas aussi chaque Jour! Tant qu'il s'agit
de parler et décrire, de raisonner et de critiquer, c'est à mer-
veille; aussitôt qu'il faut agir, tout languit et s'arrête : nous
(i) Collectio selccla Ecclesiœ Palruni. — <.< Celte excellente collec-
» tion , dit M. St.-Marc, interrompue pendant quelque temps, re-
» commence aujourd'hui à paraître régulièrement. Les temps sont pins
« favorables à celte publication qu'ils ne semblent devoir l'être. Ou
» revient aux idées religieuses , et les Pères de l'Lglise ue sont plus dé-
)> daignés. Bizarre exemple du changement des esprits ! C'est VEncj-
» cLopéiUe aujourd'hui qui est délaissée , et ce sont les Pères qui rc-
» prennent laveur. Trois éditions des Pères ont paru depuis quelque
» temps : celle de M. l'abbé Guillon , latine et française ; celle
» dont nous nous occupons aujourd'iiui , toute latine , et celle de
» MM. Gaume , grecque et latine , dont nous avons dernièrement an-
» nonce le Saint-Chrjsoslô/ne. Trois éditions des Pères en six ans au
» plus , qui l'eût dit il y a soixante ans , sous Voltaire ! «
332
CONSIDERATIONS SUR l'eMPIRE ROMAIN,
sommes excellens pour la discussion, ponr la prédication ;,
pour tout ce qui ne demande à Thomme que ses idées et
ses paroles; l'action nous manque. Faire des journaux, faire
des brochures, faire des lois, tout cela avec ardeur, avec opi-
niâtreté , avec se'rieux , et comme si les effets devaient suivre les
paroles ; voilà où nous brillons. Je ne parle pas de tant de lois
qui ne sont que sur le papier; mais voyez ce que sont deve-
nues les sectes religieuses, ou soi-disant telles, que nous
avons vues e'clore. Tant qu'il a fallu e'crire et parler, elles
ont eu de l'e'clat , elles ont fait du bruit. Quand il a fallu
agir, s'organiser, être autre chose que des sons et des paro-
les, devenir un corps , quand elles en sont venues an /lat cre'a-
teur, à l'œuvre, à l'action , alors, à cette dernière et de'cisive
expe'rience, elles sont tomhe'es à plat
» Dans notre siècle tout va de cette manière , gros de pa-
roles, vide d'effets. A cet e'gard , nous savons bien notre fai-
blesse, et nous ne sommes pas dupes de nos phrases. Combien
de fois ai -je entendu dire que ce qui nous manquait, c'e'tait
le caractère, et personne ne reclamait, excepte' pour soi et
tout bas. Nous avons la volonté' qui parle, mais non la volonté'
qui fait. L'action vient du caractère et non de l'esprit. Dou-
blez notre intelligence et nos lumières , vous ne ferez rien si le
caractère n'y est, c'est-à-dire la force qui agit et qui cre'e. Vou-
lez-vous une preuve que notre siècle sait fort bien à quoi s'en
tenir là-dessus? Sans cesse il parle de la force des choses, de
la ne'cessite' , de l'empire des e've'nemens 5 personne, disons-
nous, ne peut lutter contre la force des choses; telle est la
philosophie du jour : nous avons tous notre coin de fatalisme
musulman; nous ne croyons plus à la force de l'homme, ni
qu'il soit au pouvoir de quelqu'un de faire rebrousser les
e've'nemens. Nous savons commenter les e've'nemens d'une ma-
nière savante et inge'nieuse ; nous savons leur trouver toutes
sortes de me'rites ; mais nous ne savons guères plus les pren-
dre corps à corps , et quand nous pensons avoir contre nous
cette force myste'rieuse que nous appelons la force des cho-
ses, nous nous de'clarons vaincus d'avance.
» Le monde romain, aux deuxième et troisième siècles,
LA VIE DE S. ATfTOTKE , ETC. 333
avait aassi beaucoup d'esprit , d'intelligence et de lumières.
Il raisonnait aussi et discutait à merveille ; comme à nous ,
il ne lui manquait que l'action et le caractère. Ses œuvres
e'taient , comme les nôtres , marque'es d'un signe d'avorte-
ment. Voyez ses Stoïciens ! Ils gouvernent le monde sous les
Antonins ; et, maigre' tout leur esprit, maigre toute leur sa-
gesse, maigre' même tout leur pouvoir, ils ne cre'ent rien,
et le dernier de leurs empereurs , Marc-Aurèle , semble laisser
l'empire à Commode, comme pour donner la preuve que ni
lui-même ni ses sages devanciers n'ont rien pu faire pour ra-
jeunir Rome et mettre sa liberté' à l'abri des folies du premier
despote venu. Voyez à côte' de rimpuissanae de la philosophie
l'impuissance des tentatives religieuses qui se font à cette
e'poque ; voyez Apollonius de Tbyanes ; voyez le culte de Mi-
tbra ; tant qu'il s'agit de faire des phrases ou de sculpter des
idoles, tant qu'il s'agit de sons et de formes, tout va a sou-
hait; mais quand il faut en venir à l'action, quand il faut
inspirer aux hommes la force de dévouer sa vie et ses biens
à ces religions d'essai, alors apparaît la faiblesse et leur im-
puissance.
)) D'oii venait au monde romain ce manque d'action et de
caractère ? Du manque de foi ; il n'y a que la foi qui donne
aux hommes la force d'agir , car il n'y a qu'elle qui leur fasse
faire le sacrifice de leur vie, et l'homme ne cre'e rien que
par le de'vouement et le sacrifice. Liquitque in vulnere vitam ,
Toilà le mot de toutes les grandes actions , et quelque e'difice
que nous bâtissions, religieux ou politique, il ne durera que
s'il est cimente' par le sang des martyrs. Agir, c'est risquer;
toute action est un risque, et pour risquer il faut croire.
Rome ne croyant à rien ne risquait rien. Que voulez-vous
qu'elle cre'ât ?
» C'est dans ce monde romain, ainsi e'puise de foi et inca-
pable d'action , que naquit le christianisme , et dès le com-
mencement il mai'qua son caractère, il agit; non-sculcment
il eut des docteurs , des pre'dicatears , il eut de plus des mar-
tyrs. C'est par là , c'est par ce caractère d'effîcacite' et de puis-
sance qu'il se distingue des œuvres du monde romain, les lais-
334 CONSIDÉRATIONS SUR l'eMPIRE ROMAIN ,
sant à leur néant oi^iginel , et annonçant dès cette heure son
immortel avenir. L'intelligence et l'action , la parole et l'œu-
vre , voilà dès le commencement les deux forces du christia-
nisme ; voilà à quels signes le monde put comprendre que
c'e'tait quelque chose d'entier et de complet, quelque chose
où il n'y avait point de manque et point de lacune. Prenez
riiistoire du christianisme; toujours il parle et il agit tou-
jours : les deux forces se font e'quilihre et se balancent ; tou-
jours à côté de l'intelligence qui persuade par la parole, il y
a l'action qui persuade par l'exemple.
» C'est ici que vient se montrer l'utilité de la Thébaïde et
de ses pieuses austérités; après les martyrs, après la victoire
que leur sang a donnée h l'Église, ce sout les solitaires de la
Haute-Euypte , ce sont les disciples de saint Antoine qui per-
pétuent l'action dans 1 Eglise. Les évêques parlent, instruisent,
enseignent : ils sont l'intelligence. Les anachorètes vivent dans
les misères de la solitude, dans le jeûne, dans les veilles,
dans les tentations du diable ; ils sont l'action. Ce sont eux qui
immolent leurs biens et leur vie à la foi chrétienne , et qui en-
tretiennent la tradition du dévouement et du sacrifie. S. Atha-
nase discute contre les Ariens; mais dans toutes les discus-
sions, il y a la part du doute et du scepticisme. Une religion
qui n'aurait contre les hérésies que la force de la discussion
serait bientôt ruinée. Il lui faut de plus des exemples et des
actions; il faut qu'elle puisse dire : Voyez ce que je fais faire;
voyez ces solitaires à qui je fais braver les rigueurs du désert
et de la pénitence, qui couchent , sur le sable enflammé, qui
vivent d'eau et de pain grossier ; ce sont là sans doute pour
le philosophe de fort mauvais argumens; pour le peuple, ils
sont exccllens, et le peuple a raison. Il sent qu'il y a dans la
religion, ((ul inspire ces dévouemens, quelque chose de supé-
rieur à la raison , et qui vaut mieux qu'elle; il sent qu'il y a
dans l'action quelque chose de plus fort que dans la parole. Il n'y
a pas de raisoimement , si bon qu il soit, auquel on ne puisse
répondre par un raisonnement également bon , mais que ré-
pondre aux austérités de saint Antoine.^ — Qu'elles sont inuti-
les? — Jamais le peuple ne juge les choses sur leur utilité,
LA VIE DE S. ANTOINE, ETC. 335
et c'est pour cela qu'il est bon jage de la grandeur et de la
dignité'. Il juge toujours le motif; et dans les ausle'rite's de
saint Antoine , il voit la foi ardente qui les lai inspire , et
il cède à l'ascendant de cette foi; il eût langui aux raison-
nemens.
» La foi et sa supe'riorite' sur l'intelligence ; parce qu'elle
fait agir, voilà ce qui fait le me'rite des solitaires de la Tlie'-
Laïde, voilà le service qu'ils rendent à l'Eglise. Ils sont par
leurs œuvres les te'moins de la foi chre'lienne ; les docteurs
et les ëvêques par leurs paroles en sont les interprètes. Saint
Antoine, dans un discours que nous a conserve' St. Atbanase,
de'montre admirablement cette supériorité' de la foi sur Je
raisonnement. Il s'adresse aux gentils, aux hommes du vieux
monde romain , et il leur dit : « Vous n'avez plus aucune foi,
» puisque vous avez recours aux argumens. Nous , ce n'est
a point des paroles persuasives de la sagesse des Grecs que
» nous nous servons; c'est par la foi que nous persuadons,
» la foi qui pre'cède et qui surpasse toutes les paroles. » Et
ailleurs : «Nous ne sommes que des ignorans qui croyons en
» Dieu , dont les œuvres nous re'vèlent la Providence. Eii bien !
» notre foi grossière est efficace et puissante ; car notre culte
» se re'pand , tandis que , maigre' tous vos raisonnemens so-
» phistiques , vos idoles tombent de toutes parts. Avec tous
» vos argumens et vos discussions, vous n'avez pas converti
» un cbre'tien au paganisme, tandis qu'avec notre foi nous
» diminuons sans cesse le nombre de vos croyans. »
» Repre'sentans de la foi chre'tienne et du dévouement qu'elle
inspire, c'e'taient ces moines du désert que saint Athanase in-
voquait dans les jours de pe'rll , quand la religion e'tait me-
nace'e par l'arianisme. La foi qui raisonne et qui discute
avouait pour ainsi dire son impuissance , et faisait un appel
à la foi agissante. Alors quelques-uns des solitaires , saint An-
toine à leur tête, quittant leurs grottes, leurs ruines, leurs
auste'rite's , venaient à Alexandrie exhorter le peuj)le à l'or-
thodoxie , et tout ce peuple , repu de paroles et de discussions,
sans que de toutes ces discussions aucune peut-être l'eût de'-
cide' , courait voir et entendre ces hommes d'action, ces pë-
336 CONSIDÉRATIONS SUR l'eMPIRE ROMAIN ,
nitens vieillis dans le désert, ces nouveaux martyrs du cliffs*-
tianisme. Voulez-vous juger de l'ascendant de ces moines? H
fallait, quand les juges ariens , envoye's à Alexandrie , voulaient
faire le procès à quelque callioiique rebelle aux ordres de
l'empereur, il fallait qu'ils défendissent aux moines d'entrer
dans la salle du tribunal, et souvent même ils leur ordon-
naient de quitter la ville. Cëtait surtout saint Antoine que
le peuple e'coutait avec un respect myste'rieux, comme un
bomrae que Dieu inspirait : « Tout le monde voulait le voir;
les gentils eux mêmes et leurs prêtres venaient à la maison
où il habitait , disant : Laissez-nous voir l'homme de Dieu.
Plusieurs parmi les gentils voulaient toucher ses vêtemens,
croyant que cela leur porterait bonheur ; » et ne croyez pas
que cet eui])ressement et celte foule troublassent le pieux
solitaire. Il avait ce calme et cette assurance qu'ont les hom-
mes d'action; « tranquille et toujours e'gal à lui-même, le
visage serein, sans mouvement de joie ni de tristesse, il re-
gardait la multitude et lui parlait, » Venu à Alexandrie pour
aider saint Atbanase , il avait hâte, aussitôt sa tâche accom-
plie, de retourner au de'sert avec ses frères. « Les poissons
meurent, disait-il, quand on les tire à terre, et les moines
s^e'nervent quand ils restent trop long-temps dans les villes.
Retournons à la montagne! » Et il y retournait pour repren-
dre ses auste'rite's. Mais le monde ne lâche point ainsi sa proie;
le bruit des affaires du siècle venait jusqu'à lui. Les empe-
reurs qui savaient la puissance de cet anachorète , lui e'cri-
vaient de leur main. Alors, maigre' leur renoncement au mon-
de, les moines du de'sert se troublaient et s e'norgueillissaient;
c'e'tait un e've'nement , c'e'tait un honneur qu'une lettre de 1 em-
pereur. ]\Iais saint Antoine , sans se troubler, disait : « Ne vous
e'tonnez point que l'empereur nous e'crive , qui n'est qu'un
homme ; e'tonnez-vous jdutôt de Dieu qui a e'crit la loi que
nous devons suivre , et qui nous l'a envoye'e par son Fils unique! »
» Cet ascendant de l'action dans un siècle livre' à la dispute
est tout naturel. Voyez aujourd'hui quand un homme a non pas
e'crit ou dit, mais fait quelque chose de grand, gagne une ba-
taille , exe'cute' un voyage périlleux, affronte' quelques dangers
LA VIE DE S. ANTOINE, ETC. 337
extraordinaires , voyez comme raclmiration et la vogue popu-
laire s'attachent à lui; comme ou veut le voir; couime on fait
foule à sa demeure ! Tant est grand le pouvoir de l'action ! tant
elle subjugue les esprits! Le siècle en cela se fait justice; siècle
de paroles et de the'ories, l'action est pour lui quelque cliose
d'étrange et de nouveau qui l'e'tonne , qui le saisit , qui le fait
courir pour voir Thomuie merveilleux qui agit , et qui fait
suivre sa volonté' d'un effet. »
OPINION
DE FRÉDÉRIC SCIILEGEL SUR LAMARTINE (1).
Ce qui se'pare les nations et les rend e'trangères les unes aux
autres, c'est bien plus une grande et fondamentale différence
dans la direction de leur culture intellectuelle, que toutes les
de'limitations et oppositions politiques. Mais il est dans le itionde
un principe supérieur, un lien spirituel, par lequel se rap-
prochent et s'unissent intimement des nations long-temps en-
nemies ou profonde'ment divise'es ; et, de même que ce fut
d'abord le christianisme qui , des peuples de la moderne Eu-
rope, forma une seule famille, de même touchons-nous peut-
être à l'e'poque où cette divine religion, se relevant avec une
force nouvelle au fond des cœurs oppresses , et renouant les
noeuds rompus, réunira ce qui prece'dcmment e'tait se'pare
(i) Le morceau dont nous donnons ici une traduction a paru eu 1S20,
sous le simple titre iVnnnonce {anzeigc), dans la cinquième livraison
de la Concordia , recueil rédige par Frédéric Schlegel , avec l'assistance
de quelques amis. Nous prions nos lecteurs de ne pas perdre de vue
que les observations du célèbre critique allemand ne portent que sur
le premier \0\umiiAe5 Méditations poétiques , seul ouvrage de Lamartine
liublié à cette époque.
338 OPINION DE FRÉDÉRIC SCKLEGEL.
comme par un abîme. La puissance du Verbe vivant pénètre
à travers toutes les barrières mate'rielles , et le mur de se'pa-
ration des langues tombe lui-même aussitôt que l'esprit est
devenu un, et que les âmes sont remplies , pe'netre'es de scn-
timens semblables. Le nouveau poète que la France vient de
produire, et qui est si spe'cialement sorti du sein de la reli-
gion, Lamartine en offre un e'clatant exemple.
Il ne serait pas facile de trouver, dans le domaine entier
de l'intelligence, une opposition plus trancbe'e que l'opposition
existant entre la poe'sie et le sentiment poe'tique de l'Allemagne,
et ce qui, en France, tient la place de l'une et de l'autre. Ici,
ce qui forme la note fondamentale de la vie , et de'termine
<lans les esprits une vue particulière du monde, c'est comme
une divination profonde de l'imagination, un sentiment, un
effort qui sévanouit dans l'infini, ou, le plus souvent, ne se
majiifeste qu'avec quelque cbose d'e'nigmatique , par fragmens
et sous des formes inacbeve'es. Chez les Français , ce que l'on
regarde (ou du moins ce qu'on avait regarde' jusqu'à pre'sent)
comme la poe'sie la plus parfaite , c'est une expression calcule'e
sur tous les rapports et tous les e'gards de la vie de socie'te',
tandis que cela ne nous fait guère, à nous autres, que l'effet
id'une bonne prose. La poe'sie allemande aime à se reporter de
plus en plus vers le passe'; elle plonge ses racines dans la tra-
dition populaire , source d'où les vagues de l'imagination s'e'-
lancent encore fraîches ; tout au plus le temps actuel et le
monde re'el lui fournissent-ils quelques traits d'humeur, qui la
rejettent aussitôt dans le domaine de ses fantaisies. Le pre'sent,
au contraire , voilà le terrain naturel de l'exposition poe'tique
des Français ; ils s'inquiètent peu du choix des vraies couleurs
locales dans la repre'sentation du passe', s'altachant à une ge'-
ne'ralité idéale, et, du reste, produisant de 1 effet par une
vivacité qui en impose, par l'entraînement de la passion et
par les coups de théâtre. Mais il y a quelque chose de plus
central et de plus profond que le sentiment purement pas-
sionné, lequel reste toujours très-près de la réalité prosaïque,
et aussi , en tant que reflet magique de l'imagination dans le
jeu de ses récits pleins d'énigme, forme, sans aucun doute,
OPINION DE FRÉDÉRIC SCHLEGEL. 339
la matière principale, et, à proprement parler, le corps spiri-
tuel de la poe'sie. Cet e'ie'meut plus intime , dans lequel les
deux autres sont réunis comme dans leur source primitive et
commune, est ce que l'on appelle l'enthousiasme, sentiment
supe'rieur à la passion. De l'enthousiasme profond et réellement
inte'rieur de'coule toute vie, celle de l'imagination et tout essor
intellectuel. Mais il n'y a d'enthousiasme ve'ritable, que celui
qui part du fond d'un amour intime, exalté, pénétrant toutj
et là oii manque cet amour, l'enthousiasme est vide et faux;
ce n'est que de la passion. Au reste le véritable enthousiasme
lui-même a besoin d'un rayon d'en haut et du souffle d'un
esprit supérieur pour prendre son vol vers les resplendissantes
clartés.
Cette élévation de l'enthousiasme et cette profondeur du
sentiment est précisément la région dans laquelle nous rencon-
trons Lamartine, et nous nous unissons à lui si étroitement
que la différence de sa langue avec la nôtre disparaît. Les sons
que l'on entend là forment un écho à nos sentimens les plus
intimes; nous croyons , pour ainsi dire , que c'est notre propre
langue que nous entendons, parce que nous entendons la langue
qui fait le fonds des diCférens idiomes nationaux et leur donne
la vie intérieure.
Examinons maintenant de plus près et caractérisons en dé-
tail les divers points du sentiment poétique de Lamartine, tel
qu'il se manifeste dans ses Méditations. Le premier point et
ton fondamental , par lequel notre poète se rattache tout entier
à son siècle, c'est un sentiment dont tant de coeurs généreux
et de fortes âmes sont puissamment saisis de nos jours, celte
tristesse élevée, d'où jaillit un irrésistible désir, qui, brisant
les liens de l'opinion, s'élance, à travers l'incroyance domi-
nante , vers la vérité et l'amour , ou s'il manque cette voie ,
trouve un som])re plaisir à parer de poétiques couleurs l'abîme
même. Ce dernier genre fait la magie entraînante des chants
de lord Bvron, lequel, précisément à cause de cela, est de-
venu le poêle favori de tant d'âmes montées à l'unisson de la
sienne. L'influence exercée par le poète anglais sur Lamartine,
avant que celui-ci ne fût sorti de cet obscur labyrinthe de
340 OPIJVION DE FRÉDÉRIC SGHLEGEL.
peintures de'sespe're'es d'un enthousiasme sans Dieu , apparaît
manifestement dans le discours qu'il lai adresse :
Qui que tu sois, Byron, bon ou fatal génie,
u J'aime de tes concerts la sauvage harmonie. »
Mais qu'il crie seulement une fois vers le ciel, ce poète de
l'enfer, continue le nôtre, et un rayon de la lumière de' vie
descendra dans son âme, et son coeur s'adoucira lui-même par
la puissance de ses propres accords.
Fais silence , ô ma lyre ! Et toi qui dans tes mains.
Tiens le cœur palpitant des sensibles humains
Byron, viens en tirer des torrens d harmonie;
C'est pour la vérité que Dieu fit le génie
Des vers aussi entraînans par le sentiment et aussi parfaits
dans l'expression n'avaient pas, depuis long-temps, e'te' chante's
en langue française, et il est très-rare, en général, d'en voir
apparaître de pareils.
Plusieurs pièces de ce recueil décrivent les combats du pas-
sage de l'état sans espoir de Byron à une espérance nouvelle,
pleine d'amour , à travers tous les degrés du plus ardent désir,
et certains traits qu on y trouve appartiennent encore à une
première époque de sombre inquiétude. La poésie de Lamar-
tine est inégale ; cela est essentiellement lié à son caractère ;
toutefois, parmi ces premiers chants de sa muse, il n'en est
pas un seul où ne brillent une foule de passages grandioses
et variés.
Le deuxième point de départ de notre poète , l'élément es-
sentiel de son inspiration poétique et de sa contemplation du
monde, c'est l'amour, non l'amour purement passionné, comme
chez la plupart des poètes français , mais élevé , tendre, pro-
fond, durable, pénétrant tout, mêlé an souvenir et au désir
de la mort, genre de sentiment qui se rapproche le plus de
l'amour véritable. Elvire, fille d'un |)oète portugais banni, a
été enlevée par la mort au chantre des Méditations , après un
bonheur de peu de durée ; mais dès ici-bas et vivant encore
OPINION DE FRÉDÉRIC SCHLEGEL. 341
elle lai apparaissait comme une sœur des Anges , de sorte qu'il
ne se sent point se'pare' d'elle, et qu'en s'abandonnant sans
re'serve au chagrin de l'avoir perdue, il la voit se promener
solitaire et exhalant ses plaintes sur les rivages d un monde
sape'rieur. Et de même que l'enveloppe corporelle de ce monde
des sens ne le peut se'parer de l'âme aimc'e , de même s'éva-
nouit la distance entre le sentiment religieux et un pareil
amour, ennohli par la fidélité, sanctifie' par le malheur. Lorsque
se lève le'toile solitaire du soir , sa douleur se re'fugie dans une
e'glise au milieu des champs : là, de'chargeant son cœur op-
presse d'amour, il ose, jusqu'au pied des saints autels, et avec
le sentiment de respect dont le pe'nètre la pre'sence de Dieu , ,
prononcer, du plus profond de son âme, le nom de sa digne
Elvire. Il y a quelque chose d'enchanteur dans la promenade
du poète avec sa bien-aime'e , sur le golfe de Bahia , le long
de ces de'licieux rivages, pleins de grandes ruines et de tou-
chans souvenirs. En géne'ral le monde visible se montre à
Lamartine comme transfiguré dans le reflet de son amour,
et cette profonde manière de sentir la nature est chez lui le
troisième élément de l'enthousiasme poétique. Ce genre de
descriptions tantôt pleines d'élévation et de magnificence , tanlôt
descendant, avec autant d'exactitude que de grâce, aux moin-
dres détails, ce genre, disons-nous, qui occupe une si grande
place dans la nouvelle poésie anglaise, avait été précédemment
transplanté par d'autres sur le sol français et soumis là à la
même règle générale d'une soigneuse mesure de l'expression.
Mais notre poète, ce n'est nullement ce genre de descriptions
artificielles de la nature qu'il cherche et nous donne de la
plénitude de son cœur; c'est un sentiment plus puissant , tout
intime, et, pour ainsi dire, plein de divination. A la vérité,
il sait admirablement retracer en quelques grands traits les plus
beaux spectacles du monde sensible, soit un magnifique cou-
cher du soleil, soit une mer émue, on les feux étincellans de
la nuit; mais ce qui prend tout à fait le dessus et l'occupe prin-
cipalement, c'est toujours une profonde et douce rêverie. Aussi
le moindre comme le plus grand objet de la nature sutfit-il
pour émouvoir en lui le sentiment à une grande profondeur;
T. X. 24
342 OPINION DE FRÉDÉRIC SCHLEGEL.
la vue du firmament paré d'e'toiles, on bien, dans la vallée
solitaire, une petite source, près de laquelle il tombe plonge
dans un doux assoupissement, tandis que son oreille n'entend
plus rien que le bruit de l'eau qui murmure, et que ses yeux
n'aperçoivent autre cbose que le ciel azuré. La manière par-
ticulière dont le poète envisage le monde extérieur, ou plutôt
l'aspect sous lequel ce monde s'offre transfiguré à son regard,
a été parfaitement exprimé par lui-même. L'àme , s'écrie-t-il,
est un rayon de la lumière et de l'amour, et elle est dévorée
du désir de remonter à sa source de flamme.
it Je respire, je sens, je pense, j'aime en toi.
« Le monde qui te cache est transparent pour moi. i>
Ce que le poète vient de dire ici avec une si belle brièveté
renferme l'essentiel. La nature est transparente pour le vrai
sentiment poétique , et si le voyant ne peut ou ne doit pas
soulever entièrement le voile, la sombre barrière de l'appa-
rence sensible cesse néanmoins de l'arrêter; il devine en la sen-
tant, la vie intérieure, ce qui est, pour lui, plus que tout
l'éclat des impressions du deliors. Par nn autre effet de ce sen-
timent plus profond de la nature, une foule de pressentimens
spirituels viennent se joindre, cbez Lamartine, au regard
poétique jeté sur les beautés du monde visible, et alors une
encbanteresse douceur d'émotion et d'expression encadre les
grands traits d'une exposition pleine de simplicité. Plongé dans
les calmes lueurs de l'amoureuse étoile du soir, il est tout à
coup toucbé au front par un doux rayon de la lune, et il se
demande : Quels sont les secrets du monde invisible que ren-
ferme ce magique reflet? Est-ce le premier rayon matinal du
jour qui ne doit point s'éteindre ; ou bien est-ce l'âme aimée;
sont-ce les ombres de parens , d'amis enlevés à notre amour,
qui se meuvent au milieu de cette clarté nocturne et nous
saisissent au cœur? 11 éprouve un tressaillissemenl inexplica-
ble, pense à ceux qu'il a perdus et voudrait savoir si ce n'est
point peut-être leur esprit plaintif qui l'efTIeure dans la douce
clarté. Certes, ce ne sont pas là de fugitives saillies, comme
OPINION DE FRÉDÉRIC SGHLEGEL 343
cliez beanconp d'autres poètes, ni une manière emprunte'e ;
c'est une vérité' profonde'ment sentie, laquelle va remuer les
cordes les plus intimes de nos secrets pressentimens , d'une
manière qui n'est accorde'e qu'au poète ve'ritable , parce qu'en
efFet lui seul saisit, par une sorte de divination, ce qu'aucune
science ne peut atteindre.
Souvent Lamartine de'crit avec une touche grandiose le cou-
cher du soleil ; mais les sublimes clarte's de cet astre ne suf-
fisent point à son cœur , qui s'e'lance d'un vol hardi vers un
autre soleil. De tout ce qu'e'claire la lumière fugitive de l'œil
du jour, rien ne lui semble digne d'envie; mais, de l'autre
côte' de la sphère e'toile'e, là, oii le vrai soleil e'claire an autre
ciel, là se pre'cipite son âme enlvre'e , pour y retrouver l'es-
pe'rance et l'amour, et tout ce qui n'a point de nom ici-bas,
dans notre prison terrestre ; il voudrait s'élever jusqu'à cette
re'gion sur les ailes de l'aurore.
Passons au quatrième e'ie'ment, à l'e'le'ment le plus e'ieve' que
nous offre dans ses degre's successifs la poe'sie de Lamartine,
et vers lequel tendent tous les autres , nous voulons dire le
sentiment de la piéte' jointe à l'inspiration religieuse qui lui
est propre. Mais , au lieu de descendre dans le de'lail des cita-
tions , prenons tout de suite un passage qui re'sume ce que le
poète a saisi dans une pleine clarté', alors qu'il distingue deux
langages, l'un physique, borné à la vie commune; l'autre ira-
matériel , organe du cœur et de la vie véritable.
Dieu fit pour les esprits deux langages divers ;
En sons articulés l'un vole dans les airs ;
Ce langage borné s'apprend parmi les hommes ,
Il suffit au besoin de l'exil où nous sommes ,
Et suivant des mortels les destins inconstans ,
Change avec les climats , ou passe avec les temps.
L'autre éternel , sublime , universel , immense ,
Est le langage inné de toute inteUigence ;
Ce n'est point un son mort dans les airs répandu ,
C'est un verbe vivant dans le cœur entendu ;
On l'entend , on l'explique , on le parle avec l'âme ;
Ce langage senti , touche , illumine , enflamme ;
. 24*
344 OPINION DE FRÉDÉRIC SGHLEGEL.
De ce que l'âme éprouve , interprètes brûlans ,
Il n'a que des soupirs . des ardeurs , des élans ;
C'est la langue du ciel que parle la prière ,
Et que le tendre amour comprend seul sur la terre.
Dans ces paroles se troave , à proprement parler, l'expli-
cation complète du caractère particulier de la poésie de La-
martine. Il en a e'te' ainsi pour lui. Dans le sentiment du plus
ardent de'sir , de l'amour ve'ritable et de la nature iransfigu-
re'e, il a retrouve', en même temps que la foi et l'espe'rance ,
le verbe de vie, comme il arrive à tout vrai poète, à tout vrai
voyant , la poésie elle-même n'e'lant autre chose que la pare
expression du verbe inte'rieur et e'ternel , qui se re'vèle dans
des images et des cbants approprie's à la manière de sentir
des peuples, au moyen de quoi cette poe'sie prend racine dans
les coeurs et croît, avec les siècles, comme un arbre vivant
de riches traditions. Le passage cite' tout à l'heure nous ramène
aussi à l'observation par laquelle nous avons commence', sa-
voir que Lamartine a brise' complètement, par la puissance
de sa poésie, la langue et la manière de sentir françaises.
Ces poétiques épancheraens d'inspiration religieuse ne for-
ment que des fragmens , et ils sont inégaux entre eux ; dans
le morceau final, il passe en revue les principaux momens de
l'Ecriture -Sainte , c'est plutôt une suite de beaux cbants dé-
tacliés. Quant à la question de savoir si, par la suite, Lamar-
tine atteindra le talent , qui lui manque encore , d'une com-
position en grand , je veux dire d'une conception et d'une
ordonnance poétiques plus étendues, c'est ce que l'on verra,
s'il continue à marcher dans cette nouvelle carrière de poésie
sacrée, non pas en n'écoutant que ses .sentimens intérieurs,
mais en s'attacbant aux modèles et aux sources de l'Ecriture
et de la tradition chrétienne.
Puisse du moins sa musc conserver toujours la même force!
car cette muse, ainsi que son amour, n'est pas un feu d'en-
thousiasme superficiel , mais une dévorante flamme , qui pé-
nètre jusqu'à la moelle, comme la puissance de cette parole,
qui sépare l'esprit et l'âme et devant laquelle tremblent tous
OPINION DE FRÉDÉRIC SGHLEGEL. 345
ses sens comme nne victime. De même que , dans la fable
païenne, Ganymède emporte' par l'aigle de Jupiter est jeté'
tremblant aux pieds des dieux, de même il est saisi d'un ef-
froi sacre', lorsque l'aile de flamme de l'inspiration a touclié
son cœur. Ses e'motions ne sont pas moins vives , quand il
s'abandonne tout entier au jeune souvenir de sa bien-aime'e
perdue. Mais bien autrement sublime s'e'lève son vol dans les
re'gions supe'rieures de l'enthousiasme poe'tique, lorsque e'mu,
de'chire' au spectacle du monde qui s'écroule et de l'univer-
selle incrovance que ne peuvent arracher d'un sommeil lé-
thargique ni la merveilleuse magnificence de la nature, ni les
grandes catastrophes de l'humanité' , il ouvre ainsi passage à
ses de'sirs brûlans :
Réveille-nous , grand Dieu ! parle et change le monde ;
Fais entendre au néant ta parole féconde.
Il est temps ! lève-toi ! sors de ce long repos ;
Tire un autre univers de cet autre chaos.
Change l'ordre des cieux qui ne nous parle plus !
Lance un nouveau soleil à nos yeux éperdus!
Détruis ce vieux palais indigne de ta gloire ;
Viens ! montre-toi toi-même et force-nous de croire !
Hauteurs sublimes de la poe'sie , où elle devient une avec
la divine ve'rite' ! Ainsi s'exprimait dans les chants sacre's et
dans les grandes pre'dictions inspire'es de l'ancienne alliance le
de'sir brûlant, la sainte impatience de voir arriver le jugement
du monde et d'effrayans mais salutaires coups de destruction
divine. La poésie, dont nous entendons ici les premiers sons,
n'est ])lus , comme l'ancienne poésie , consacrée aux beaux
souvenirs et au passé ; elle est entièrement appliquée à la plus
haute inspiration divinatrice de l'avenir. Sans doute il faudrait
la poitrine et la voix du prophète, pour porter jusqu'à une
force entière, une complète clarté, ce premier essor de l'en-
thousiasme le plus hardi , et afin qu'il ne se bornât pas à de
simples fragmens. Mais le poète ne plane pas toujours sur ces
redoutables hauteurs; il sait aussi, descendant à des tons plus
doux sur le même sujet et dans le même sentiment , faire vi-
346 OPINION DE FRÉDÉRIC SCHLEGEL.
bi'er les cordes de l'âme humaine , comme , par exemple ,
dans cette strophe qui termine d'une manière si belle et si
suave le recueil entier , et par laquelle , nous aussi , nous ter-
minerons cette annonce :
Silence , ô lyre ! et vous silence ,
Prophètes, voix de l'avenir !
Tout l'univers se tait d'avance
Devant celui qui doit venir !
Fermez-vous lèvres inspirées ;
Reposez-vous harpes sacrées ,
Jusqu'au jour où , sur les hauts lieux ,
Une voix, au monde inconnue,
Fera retentir dans la nue :
Paix sur la terre, et gloire aux cieux !
De tels accords, pleins de l'amour le plus doux, me'ritent
de pre'ce'der aussi la renaissance du verbe inte'rieur et e'ternei
dans le monde de la poësie.
Dans l'e'dition de ses œuvres complètes , que Fr. Scblegel
avait commence' de publier lui-même, mais qui est reste'e
inacbeve'e, on lit (t. X™« , p. 256 et suiv. ) à la date de 1824,
une longue note de huit pages ajonte'e an morceau pre'cedent.
Quoique cet appendice renferme plusieurs choses intéressantes,
nous n'avons point voulu le joindre à notre traduction , parce
que nous ne partageons nullement l'ide'e principale qui y est
exprime'e, savoir que, dans la deuxième partie de ses Médi-
tations poétiques , Lamartine aurait de'vié du vol qu'il avait
pris dans la première. Il faut dire, au reste, que Scblegel n'a-
bandonnait pas , pour cela , l'espoir de voir Lamartine s'e'le-
ver de nouveau à cette haute re'gion de poe'sie religieuse, qu'il
regardait comme le domaine naturel , comme la vocation de
notre plus grand poète. Si le roi de la critique allemande avait
ve'cu une année de plus, il aurait entendu les Harmonies , et
aurait donne raison à ses espe'rances. — B.ei>ue Européenne ,
n-XXXVII.
^W\ WVWWWX WVi.-V'WVl WVW\»AA. VWWVVW WVVWVWWV
347
SUR IiES MISSIONS BU I.EVANT.
On sait que M. Auvergne , ecclésiastique français et membre
d'une congrégation estimable , a été pourvu l'année dernière par
la Propagande d'uu titre d'évêché in parlibus , et envoyé comme
délégué ou délégat dans les missions du Levant. Il fut sacré à Rome
le I*' mai i833 , sous le titre d'archevêque d'Icone. Il est en
outre vicaire apostolique d'Hierapolis. Il doit résider spécialement
au Mont-Liban; mais sa mission s'étend en Chypre, en Egypte,
en Syrie et en Arabie. Il a la juridiction sur tous les Latins qui
se trouvent dans ce pays, excepté sur les Pères de la Terre-Sainte,
qui ne relèvent que du Pape. Comme délégat du Saint-Siège, il a
encore une mission particulière auprès des diffe'rentes communions
catholiques répandues dans ces contrées , comme les Cophtes , les
Melchites , les Maronites et les Arméniens. Chacune de ces com-
munions a un patriarche et plusieurs évêques. Le dëlégat entre-
tient leurs rapports avec Rome, et, d'Antoura , où il réside, il
se rend dans les différentes provinces qu'il doit visiter.
M. l'archevêque d'Icone s'embarqua à Toulon , le 2 novembre ,
sur la corvette la C orné lie ; il était accompagne' de M. l'abbé Gui-
noir, supérieur du petit-séminaire de Beaucaire, que le zèle en-
core plus que l'amitié avaient porté à se consacrer à cette mis-
sion. Le 21 novembre, ils arrivèrent à Napoli de Remanie, où ils
furent transfe'rés sur la gabarre la Lamproie. Ils débarquèrent à
Smyriie le 2 décembre. M. Hillereau, évêque de Calëdonie et vi-
siteur apostolique à Smyrne, les accueillit avec bonté. Ce prélat
est aussi Français, et était arrivé depuis peu de temps dans cette
mission. M. l'archevêque d Icône et M. Guiuoir acceptèrent l'hos-
pitalité que leur offrirent MM. de Saint-Lazare, qui ont une mai-
son à Smyrne. Le jour de la fcte de la Conception, ils assistèrent
à l'oflico dans l'cglise des récollets , trois évêques y e'taient réunis,
M. Hillereau, M. Auvergne, et un évêque arménien, iM. Paj)as ,
qui est âgé, et qui s'est retiré h Smyrne. Les prélats furent e'difiés
du recueillement des pieux chrétiens qui assistaient à l'oflice.
Le 19 décembre, M. d'Icone, et son grand-vicaire , M.Guinoir,
348
SUR LE8 MISSIONS DU LEVANT.
s'embarquèrent sur la gabarre P Astrolabe. Ils passèrent le jour de
Noël dans la rade de Macri, visitèrent les monumeus de l'île de
Rhodes, et arrivèrent le i*^^ janvier à Alexandrie, où ils célébrè-
rent la messe dans l'église desservie par le Pèrede la Terre-Sainte.
Le 3 janvier, on remit à la voile, et l'on arriva le 8 à Bairout,
où les missionnaires furent accueillis par M. Guis, consul de France.
Ils se louent beaucoup de son zèle pour la religion et des exem-
ples qu'il donne , lui et sa famille. Au bout de deux jours, les deux
missionnaires arrivèrent à Antoura , terme de leur voyage. Leurs
premiers soins furent de reconnaître l'état des choses et de visiter
les patriarches qui re'sident au Mont-Liban. Ils conservèrent le
costume européen j seulement ils laissèrent croître leur barbe , sui-
vant l'usage du pays.
Le quatrième dimanche de carême, le prélat et son grand-vicaire
ouvrirent une mission à Bairout , une des principales villes de Sy-
rie. Elle fut annoncée par un mandement adressé à tous ceux qui
appartenaient au rit latin. Il y avait quatre missionnaires , deux
pour les Francs et deux pour les Arabes. On faisait à chacun d'eux
des iuslruclions dans leur langue. Bientôt l'église devint insuffisante
pour les uns et pour les autres. Il fallait, pour les Arabes surtout,
prendre deux jours dans la semaine pour leur donner des instruc-
tions à part. Elles furent suivies aussi régulièrement que celles de
l'église paroissiale , et entendues avec des marques touchantes de
piété et de componction. Les exercices avaient lieu le matin et le
soir; le matin, après la prière et la messe que le prélat célébrait,
on prêchait en arabe ; le soir il y avait toujours glose et discours.
Quand le discours e'tait en français , la glose était en arabe , et ré-
ciproquement. Quelques Francs formaient les chœurs de cantiques.
Cet exercice a tellement plu aux Arabes, qu'ils ont demandé qu'on
l'établît aussi dans leur église. L'amende honorable , le renouvelle-
ment des vœux du baptême et la consécration à la Sainte-Vierge ont
été remarquables par les bons efléts que ces cérémonies ont produits.
Le Vendredi-saint, on fitja plantation de la croix. Le samedi, le
prélat baptisa une jeune négresse. Il ouvrit et ferma la mission par
des discours.
Il voulut établir des retraites ecclésiastiques au Mont-Liban , et
la première a eu lieu au mois d'avril dernier. Il se proposait
SUR LES MISSIONS DO LEVANT. 349
d'aller à Alep, où il avait à traiter des affaires importantes. Son
intention e'tait de visiter successivement l'île deCbjpre, l'Egypte,
la Palestine, Damas et la Syrie. Il avait vu Ibrahim a Bairout, et
en avait été bien reçu , toutefois sans présent. Il se fit traduire en
turc , dans le moment même , la lettre du général Lahitte , et
l'écouta avec intérêt. M. l'archevêque d Icône se louait beaucoup de
la coopération et du zèle de M. Guinoir, et le res])ectable grand-
•vicaire se félicitait, de son côté, d'être avec un prélat si pieux,
si actif, si dévoué à tout ce qui est du bien de la religion. Cette
mission doit exciter un vif intérêt parmi tous ceux qui souhaitent
le bien de l'Eglise et le salut des âmes.
La disette des ouvriers est grande. MM. de Saint-Lazare en ont
envoyé quelques-uns. Trois jésuites , les pères Riccadonna et Flan-
chet, et le frère Henze , sont arrivés au JVlont-Liban en i83i.Ils
doivent être suivis de quelques autres. Ils ont commencé deux éta-
blissemens , l'un au centre du Mont-Liban, l'autre dans la plaine
de Balbek. Ils ont trouvé dans le pays le souvenir des anciens
jésuites. Il leur a fallu d'abord apprendre l'arabe, et puis se met-
tre à voyager. Le pays est divisé en plusieurs religions. On distin-
gue d'abord en Syrie les Grecs schismatiques, les Grecs catholiques
et les Maronites. Il y a des Arméniens , des Mahométans de di-
TCrses sectes , et des idolâtres , comme les Druses. Ceux-ci ont
moins d'éloignement pour le christianisme que les Mahométans. Il
n'est même pas impossible , en certains lieux , de faire connaître
la vérité aux Mahométans ; car le prince du Liban étant chrétien ,
quoique vassal des musulmans, on n'a point à craindre dans ce
territoire les mêmes persécutions qu'occasionnerait une abjuration
dans les pays immédiatement soumis à la domination musulmane.
Dans l'été de i833 , les pères Planchet et Riccadonna firent une
excursion à Damas et à Zahlet. A Damas , ils furent reçus chez /es
franciscains. Ils officièrent le jour de Saint-Vincent-cle-Paul chez
les lazaristes qui occupent l'ancienne maison des jésuites. H y a
dans cette ville deux lazaristes, MM. Poussou et Teste, et un
seul capucin, le père Thomas. On compte à Damas de 5 à 6000 chré-
tiens du rit grec uni ; les schismatiques sont à peu près en égal
nombre. Les musulmans se sont emparé de l'ancienne cathédrale,
dont ils ont fait une mosquée. Le fanatisme mahométau s'est cou-
350 DESCBIPTIOÎT DE TOLEDE.
serve dans toute sa force à Damas. De cette ville , les mission-
naires se rendirent à Zalilet , petite ville sur les limites de la
grande plaine de Balbek. Ils y furent reçus à bras ouverts par le-
vêque grec-uni, M. Ignace Âggiuri, chez lequel ils passèrent onze
jours. Au retour, ils visitèrent les ruines de Balbek, qui est l'an-
cienne Hëliopolis ; ou y remarque les ruines imposantes du temple
du Soleil. Au Liban, ils passèrent quelques jours chez le patriarche
maronite, qui était à sa maison de campagne, et visitèrent le cou-
vent Cannubin, résidence ordinaire du patriarche.
Depuis , les missionnaires ont été obligés de quitter Antoura. Le
père Riccadonna sest fixé à Bekfaya , au centre du Mont Liban,
cil un e'mir lui a bâti une maison. Un autre prince maronite en
bâtit une pour le père Planchet en face de la grande plaine de
Balbek, entre deux villages, Zahlet et Malaka , où se trouvent
réunis 4 ^ 5ooo chre'tiens. Ces chre'tiens sont pauvres et ignorans.
Les missionnaires ont beaucoup à souffrir de la pauvreté; mais la
perspective défaire quelque bien les soutient. Déjà le père Planchet
a fait de grands fruits à Bairout, à Blaler et en d'autres lieux. Il
exerce en même temps la médecine ; les chre'tiens et les infidèles
s'empressent également de le consulter. Le frère Henze passe aussi
pour être très-habile dans l'exercice de la médecine.
Nous tirons ces détails d'une lettre de M. Guiuoir, dont on a
Lien voulu nous communiquer un extrait , et de plusieurs autres
lettres rapportées dans le n" xxxvii des Annales de la Propaga-
tion de la Foi. Il est consolant de voir les premiers succès des
missionnaires français dans les pays infidèles.
*W\'W\/VV*W»iW\iWX lW»'WX»W\'V\rtW%^AAlW%^A^
DESCRIPTION DE TOLEDE.
L'impression particulière que fait e'prouver cette vieille capitale
de l'empire des Vi.'jigoths , ce séjour favori de tant de rois de Cas-
tille, qui n'a retenu de son ancien éclat que de nombreux monumens
d'architecture et le surnom d'impériale {la impérial Tolède) , est
encore augmentée par le contraste qu'elle offre , lorsqu'on la com-
pare à Madrid , la nouvelle capitale , avec ses bâtisses récentes et
DESCRIPTION DE TOLEDE. 351
son mauvais goût moderne. Le pays entre Madrid et Tolède est
nn, assez inégal, et s'élevant insensiblement jusqu'aux hauteurs
rocailleuses de la Sierra de Toledo. On arrive à travers une étroite
vallée à un enfoncement entouré de roebers, que circonscrit le Tage
et au milieu duquel, sur une colline escarpée en forme de terrasse,
s'ëlève Tolède avec ses vieux murs , ses vieilles tours, ses portes,
ses débris antiques , sa magniflque cathédrale et les ruines de son
Alcazar. Cet amphithéâtre de rochers qui empêche toute vue éloi-
gnée, excepte' de quelques points très-élevés de la ville, ne laisse
place qu'à une petite plaine entre la ville et les collines les plus
prochaines : cette plaine qui s'étend le long du Tage, bruyant et
écumeux du côté où il sort de Tolède, est si petite, que le nom
de Vega qu'on lui donne , a l'air d'une de'rision. Quelques e'troits
jardins s'abritent à l'ombre du mur de rochers qui domine la ville,
et ne peuvent plaire aux yeux ( on les appelle las delicias ) que
parce qu'ils reposent des aspects âpres, dépouilie's , pierreux du
pays environnant : c'est pourtant là que la tradition place les pa-
lais et les jardins enchante's des princesses mauresques.
Le caractère géne'ral de la ville est d'accord avec la nature sé-
vère qui l'environne. Des murs épais et de fortes tours ferment
l'entrée de l'espèce de presqu'île sur laquelle la ville est bâtie. L'é-
le'gant écusson sculpté sur la première porte {puerta de Bisagra) ,
présente l'aigle autrichien près des armoiries d'Aragon et de Cas-
tille , et rappelle l'époque mémorable pour l'Espagne , l'Europe et
le Nouvcau-3Ionde, où les deux monarchies espagnole et autrichienne
s'unirent par le mariage de l'archiduc Philippe avec Jeanne -la-
Folle, fille de la magnanime, de la sage, de la pieuse Isabelle
et de l'habile politique Ferdinand. Ce sont les rois catholiques dont
la mémoire, ainsi que celle de leur ministre, le cardinal Ximcnès ,
est honorée du peuple espagnol plus que celle de tous leurs autres
princes, en dépit des jugcmens défavorables des historiens éclaiiés :
ce sont ceux dont le gouvernement a donné pour des siècles au
caractère national sa direction et ses qualitr's fondamentales ; la
fide'lité monarchique et la piété catholique ; qualilc's qui n'ont jamais
de'ge'néré en une aveugle servilité , grâce à l'indépendance des cor-
porations et à la fierté' espagnole , fondée sur de grandes actions et
le souvenir qu'elles ont laissé. Sur la seconde porte , deux colon-
352 DESCRIPTION DE TOLEDE.
nés et la devise bien connue : « Plus oultre , » rappellent la plus
magnifique efflorescence de la vie du peuple espagnol au xvi° siè-
cle , sous Charles-Quint,
De ce premier et imposant boulevard , on se rend le long des plus
antiques murailles de la ville , à la porte véritable d'entrée, la
puerta dcl Sol. Son architecture mauresque, les ceintres en fera
cheval de la porte et des fenêtres , les élegans ornemens en forme
d'arabesques, la main avec la clef, symbole de salut pour les fidèles
Musulmans, l'inscription en caractères arabes : Honneur soif, à
Dieu , il n'y a pas d'autre Dieu que Dieu., et Mahomet est son
■prophète, tout cela réveille bien vivement le souvenir des merveil-
les de la domination arabe en Espagne , du khalifat des Ommiades,
de celte lutte de sept siècles entre l'élément chrétien et romain , et
l'élément mahométan et arabe , si féconde de deux côtés en he'ros
de la poésie et de l'histoire , et qui semble concentrée ici dans un
espace resserré comme dans un microcosme. Quand on entre dans
les étroites et tranquilles rues de la ville , les souvenirs historiques
de toutes les époques de la monarcliic espagnole s'offrent en telle
quantité que nous ne pouvons entreprendre de les détailler. La do-
mination romaine a aussi laissé ici ses traces puissantes auprès de
celles de la monarchie bâtarde des Visigoths. A côté de la porte de
Cembron se trouvent les restes d'un théâtre : plus loin , sur les
bords du fleuve, celles d'un aqueduc. La domination des Goths est
rappelée par les ruines d'une chapelle où doivent s être tenus les
antiques Conciles de Tolède , et aussi les grandes statues des rois
de cette race à la puerta de los Rayes , quoique ce soient des por-
traits de fantaisie faits à une époque postérieure. Le caractère do-
minant des édifices est celui du moyen-âge, depuis les temps les
plus anciens jusqu'à la pleine floraison de l'architecture gothique :
c'est souvent aussi l'architecture du xvi* siècle, moins indépendante,
moins pure et moins grandiose dans ses masses; mais si riche et si
cbarmante dans ses détails, que l'école d'Herrera a élevée à la sim-
plicité la plus noble et la plus originale. L'une et l'autre se repro-
duisent à Tolède sous toutes les formes, dans de grands et de petits
bâtimens , dans des édifices entiers et dans des parties isolées ; et
l'impression qu'on en reçoit est rarement troublée par un monu-
ment de la barbarie des xvii'' et xvii^ siècles, encore moins par
DESCRIPTION DE TOLEDE. 353
une production du style acade'mique , meilleur assure'ment , de l'é-
poque actuelle.
Au-dessus de tous les monumens de cette ville -vraiment histo-
rique, s'élève la cathédrale. Dans ses plus vieilles et ses principales
parties , qui sont de la fia du xiii" siècle et du commencement
du xiv° , l'unité architectonique est souvent brisée par des construc-
tions des deux siècles suivans ; mais la beauté de ces appendices
laisse à peine le courage de regretter ce défaut. L'intérieur de l'é-
glise répond à la richesse de l'architecture et de la statuaire qui
en ont orné les dehors. C'est un tel trésor de tableaux, de sculp-
tures en or , en argent , en marbre et en bois , de châssis , de ta-
bourets , de grilles, de tombeaux et de stalles, que c'est comme
la révélation de tout un monde de l'art du moyen âge , non ras-
semblé au hasard , ou systématiquement par un faiseur de collections,
mais oîi tout est lié par les lois organiques qui ont présidé au dé-
veloppement de la civilisation espagnole, dont le foyer puissant
était l'Eglise , qui a élevé ce monument de sa magnificence 5 un
monde qu'on ne peut regarder quà la hâte et superficiellement en
plusieurs jours, et où l'on pourrait trouver de l'intérêt et des jouis-
sances pour toute une vie d'homme. Il y a pourtant |des gens qui
trouvent Tolède horriblement ennuyeuse. — Esquisse de P Espagne y
par HuBER , tome III,
354
V\/V VVV VVV UVX VVX V^A. VVV l'I'V VVV VVVVA;^ vA^ VVV V\AI VVV V\^ VXA- V bVVVV V\^ VV\ V^A' V*^
AVERTISSEMENT SUR I.'ENSEIGN£MENT DE M.BAUTAZN,
PAR M. l'ÉvÈQUE de STRASBOURG (l).
On a ouï parler d'une école particulière qui s'est forrae'e à
Strasbourg , et d'an enseignement nouveau qui s'est produit
soit dans des e'crits imprime's , soit dans un cours public.
M. le'vêque de Strasbourg n'a pas cru pouvoir se dispenser
d'e'lever la voix contre l'enseignement d'un prêtre de son dio-
cèse, h' Avertissement que nous annonçons, et qui est date' du
i5 septembre dernier, est une re'clamation motive'e contre des
doctrines te'me'ralres et dangereuses. Ne pouvant reproduire
cette pièce en entier, elle a 53 pages, sans compter l'Appen-
dix , nous nous bornerons à quelques extraits qui feront juger
de la gravite' des matières en discussion et de la mode'ration
avec laquelle M. l'e'vêque a proce'de' dans cette affaire. Le pre'lat
s'adresse ainsi au cierge' et aux fidèles de son diocèse :
« Lorsque nous sommes arrivé dans ce grand et beau dio-
cèse, nous e'tions bien loin de pre'voir les tristes e'preuves qui
nous y attendaient, et qui nous sont venues de ceux qui, ou-
bliant leurs promesses sacre'es, n'ont re'pondu à notre bienveil-
lance que par l'insurbordination. Mais aucune ne nous a frappé
si douloureusement au cœur que celle dont nous nous voyons
contraint de vous entretenir, après avoir inutilement tenté d'en
écarter la nécessité. Faut-il qu'une fin si affligeante succède au
plus heureux début !
» A peine étions-nous établi à Strasbourg , que le professeur
académique de philosophie vint nous ouvrir son cœur. Il nous
confia que, devenu déiste au sortir du collège, et, depuis,
toujours mécontent de lui-même , il n'avait cessé de chercher
la vérité dans les livres, en France et en Allemagne; et qu'en-
fin, ayant eu le bonheur, il y avait plus de trois ans , d'ou-
(i) In-8o. A Paris, chez Potey , rue du Bac, u" 4^-
AVERTISSEMENT SUR 1,'eNSEIGNEMENT , ETC. 355
yrlr l'Evangile, il y avait troavë cette vraie philosophie, dont
il avait long-temps senti la soif et le hesoin. Nons le félicitâ-
mes du changenoent que la grâce avait ope're' eu lui. Il ajouta
que depuis cette heureuse e'poque de sa vie , il s'e'tait donné
tout entier à la lecture de nos plus grands the'ologiens , tels
que Pascal et Bossuet , Bourdaloue et Masillon , et à une e'tude
approfondie de la religion. Ce qui mettrait le comble à son
bonheur, nous dit-il ensuite, serait d'entrer dans l'e'tat ecclé-
siastique, et de devenir an des apologistes d'une religion trop
long-temps méconnue. Sachant sa position dans l'Université ,
et celle de ses élèves convertis par ses soins , nous convînmes
qu'ils se rendraient à Molsheini, que pour lui il suivrait en
son particulier et dans les mêmes auteurs les grandes questions
théologiques que l'on y étudiait sous la direction d'un habile
ecclésiastique.
)) Nous devons à la vérité de déclarer que nos conventions
furent fidèlement observées. Ses anciens élèves , devenus ceux de
Molsheim , nous édifièrent par leur piété, leur assiduité à l'é-
tude, comme ils nous attachèrent par l'aménité de leurs mœurs,
la simplicité et la candeur de leur conversation. Les uns et les
autres obtinrent successivement les ordres j et nous nous féli-
citâmes de ces nouvelles conquêtes pour notre diocèse. Plus
lard cependant des inquiétudes nous furent communiquées sur
quelques points de leur doctrine particulière. Nous examinâ-
mes 5 les explications données par leur premier maître et par
enx-mêmes, nous firent penser que peut-être un peu de ja-
lousie avait donné lieu h des plaintes non fondées. Nous crû-
mes donc devoir par la suite accéder à la demande qu'ils nous
firent de prendre la direction de notre petit-séminaire, nou-
vellement acquis à grands frais , et sur l ordre du ministère.
Ces messieurs s'offrirent d'y travailler sans émolument. Dans
nos grands embarras de finance, cette olFre généreuse ne lais-
sait pas d avoir son mérite ; elle fut acceptée. La maison fut
mise sur un bon pied , les enf'ans soignés et bien tenus. Nous
nous applaudissions ; mais pourtant des rapports fâcheux sur
l'enseignement de la philosophie nous arrivèrent de temps en
temps : nous exigeâmes qu'il se fît en langue latine , comme
356 AVERTISSEMENT SUR l'eNSEIGNEMENT
dans tons les petits-seminaires , et que la philosopliie de Lyon
oa du Mans y fût enseigne'e. Cela lut promis, et mal exe'cuté.
Nous en fîmes des reproches au supe'rieur de la maison. Ce
fut alors que nous le trouvâmes lui-même dans des opinions
que nous jugeâmes fausses et dangereuses. Nous espe'râraes le
ramener lui et les siens par la conviction. Nous lui envoyâmes
les e'crits des plus grands auteurs. Nous fîmes même pour lai
un recueil de passages des Pères , et nous les transcrivîmes de
notre main. Cependant les plaintes redoublaient de la part de
notre cierge; des lettres nous arrivaient des provinces. On nous
Llâmait de trop d'indulgence. Nous re'pondîmes que le mal ne
nous e'iait plus inconnu , mais que la voie de persuasion nous
semblait pre'fe'rable à tout e'clat pre'mature. Nos entretiens con-
fidentiels avec le professeur se renouvelèrent, mais sans nous
satisfaire. Ses explications n'avaient pas l'ouverture franche et
pre'cise que nous de'sirions. Nous prîmes donc le parti de lui
adresser six questions , auxquelles il attacherait ses re'ponses.
Alors le danger et le faux de sa doctrine parurent à de'couvert.
Nous en avertîmes les principaux personnages qui lui e'taient
le plus attaches. Ils nous montrèrent un vif inte'rêt pour lui,
en de'clarant ne'anmoins qu'étant prêtre il devait obe'ir à son
e'vêque. Nous eûmes peu après un dernier entretien avec lui
et un de ses principaux élèves. A notre grande surprise, nous
le trouvâmes aussi obstine que jamais; nous ne pouvions douter
ne'anmoins que leurs ze'Ie's protecteurs ne leur eussent tenu le
même langage qu'à nous.
» Enfin , après avoir inutilement employé les deux premiè-
res règles de l'Evangile : « Reprenez-le en particulier ; appelez
un ou deux te'moins inflnens, » nous nous sommes vu oblige'
d'en venir à la troisième : « Parlez à l'Eglise. »
» C'est donc à vous que nous devons exposer aujourd'hui
les questions proposées de notre part, et les re'ponses qui leur
ont e'te' faites ; nous y joignons nos observations. »
Nous rapporterons simplement les six questions proposées
par M. l'évêque , et qui sont relatives aux principes énoncés
et développés dans des écrits et dans renseignement public ou
particulier :
DE M. BAUTAIN. 357
« I. Pensez -VOUS qne le raisonnement seul ne saffit pas pour
prouver avec certitude l'existence du Cre'ateur,et rinfmite' de
ses perfections ?
» 2. Pensez-vous que !a réve'lation mosaïque ne se prouve
pas avec certitude par la tradition orale et e'crite de la syna-
gogue et du christianisme?
» 3. Quant à la re've'lation chre'tienne , je vous demanderai
si la preuve tire'e des miracles de Je'sus-Clirist , sensible et
frappante pour les témoins oculaires, a perdu sa force avec
son e'clat vis-à-vis des ge'ne'rations subse'quentes ? Ne la trou-
vons-nous pas en toute certitude dans l'authenticité du nouveau
Testament , dans la tradition orale et écrite de tous les chré-
tiens ? Et n'est-ce point par cette double tradition qne nous de-
vons la démontrer à ceux qui la rejettent ou qui, sans l'ad-
mettre encore, la désirent?
» 4- Pouvez-vous attendre d'un incrédule qu'il admette 1?
résurrection de notre divin Sauveur, avant de lui en avoir ad-
ministré des preuves certaines ? et ces preuves ne sont-elles pas
déduites du raisonnement?
» 5. Sur ces questions diverses, la raison ne précède-telle
point la foi, et ne doit-elle pas nous conduire à la foi ?
» ISota. Cette question a été transférée ; du n° 5 elle a été
mise à la tête des autres , et changée dans sa rédaction , comme
il suit :
« La raison ne précède-t-elle pas la foi dans les questions
» premières et fondamentales? »
» 6. Quelque faible et obscure que soit devenue la raison
parle péché originel, ne lui rcstc-t-il pas assez de clarté et de
force pour nous guider avec certitude à l'existence de Dieu ,
à la révélation faite aux juifs par Moïse, aux chrétiens p^r
notre adorable Homme-Dieu? »
Nons regrettons de ne pouvoir reproduire les réponses du
professeur et les observations dont elles sont suivies ; nous y
suppléerons par une sorte de résumé qui termine V Ai>ertî^sci)nnt.
« Nous v( nons de re'futer sous vos yeux les notions répan-
dues dans les six réponses qui nous ont été fournies, et dont
voici brièvement quelques conséquence?.
T. X. 25
358 AVERTISSEMENT SUR L'Eî<SEIG;yE5IENT
« 1° Si le spectacle de l'univers ne peut sans la foi nous
donner de certitude sur l'existence du Cre'ateur , saint Paul ,
l'auteur divin de la Sagesse et le Prophète-roi se sont trotnpe's,
et nous trompent en même temps : les plus anciens philoso-
phes (i), les Pères de l'Eglise, les premiers ge'nies du chris-
tianisme , tontes les nniversite's chre'tiennes ont donne' et donnent
encore dans une erreur commune.
» 2° Si l'on ne peut aujourd'hui connaître l'existence de
Dieu par les preuves qui en ont convaincu les païens , il s'ensuit
que la re've'lation a e'paissi sur notre raison les te'nèbres du
paganisme, et que, sous ce rapport, nous sommes dans une
condition pire qu'ils ne furent au temps de l'idolâtrie.
» 3" En supposant que les incre'dules auxquels on inculque
la ne'cessite de la foi , pour s'assurer que Dieu existe , soient
capables d'appre'cier cette ne'cessite' suppose'e, l'athée ne serait
jamais amené au théisme, et le déiste serait repoussé vers
l'athéisme. Car, dira l'athée, comment vouiez-vous que j'aie
foi en un Créateur dont vous convenez que l'existence n'est
pas démontrée ? Comment, dira le déiste , voulez vous que j'aie
foi dans le Christ dont vous avouez que les miracles ne se prou-
vent pas, ni par conséquent la divinité? et même, puisque
pour croire en Dieu vous exigez la foi, moi qui n'eu ai point,
vous me condamnez à ne pas croire en lui.
» 4' Si le témoignage des hommes ne peut jamais donner
de certitude aux témoins auriculaires et éloignés, il n'est plus
possible d'en obtenir sur la divinité de la révélation chré-
tienne : en vain s'exprime-t-on sans cesse avec chaleur sur la
foi, l'Eglise, nos livres saints, sur le divin Sauveur des hom-
mes, sur son admirable révélation, ce ne sont plus là que des
mots pompeux et sans conviction; notre croyance est vaine,
ne porte sur rien : tout croule.
(i) Un Mercure trismégiste en Egypte, un Sanchoniaton chez les Phé-
niciens , un Zoioastre chez les Perses , un Confucius chez les Chinois ,
un Manothon chez le Egyptiens, un Berose Babylonien; Pythagore,
Socratc , Platon , Xcnophon chez les Grecs ; Cicéron , Sénèque , Pline
et tant d'autres chez les Romains.
DE iM. BAUTAIN. 359
» Voilà de terribles et effrayantes conse'quences , et pourtant
certaines. Si on ne les a point aperçues, où est donc la science?
Si on a voulu les dissimuler, ce serait mille fois pire. Nous
sommes bien loin d'en former le soupçon. Deux choses ici sont
presque inconcevables : l'une , que le professeur ayant enseigne'
dix ans avant notre arrive'e , sa doctrine soit reste'e inconnue ,
au point que personne ne nous en ait donné l'e'veil , avant
qu'il reçût le sous-diaconat; car assure'ment il ne l'aurait pas
obtenu sans avoir dépose' ses erreurs. De notre côté, comment
aurions-nous imaginé qu'après avoir reconnu dans le déisme
un Dieu créateur, il vînt dans le christianisme enseigner que
sans la foi on ne peut être assuré de son existence? La seconde
est de les voir, lui et les siens, maintenir avec une confiance
égale à leur aveuglement les erreurs palpables que nous venons
de relever. Nous avons tout tenté pendant près de deux ans
pour nous épargner le chagrin , à nous d'en parler hautement,
à eux celui de l'entendre. Nos remontrances ont été reçues
avec une obstination imperturbable, souvent dédaigneuse et
insultante. On est aile jusqu'à nous défier de publier ces ré-
ponses à nos questions ; tant on était convaincu , disait-on ,
qu'elles ne contenaient que la plus pure doctrine, fliaintenant
que la vérité paraît à découvert, le devoir indispensable du
professeur et de ses élèves est de condamner eux-mêmes les
principes que nous condamnons, d'adopter sincèrement avec
nous ceux que l'Eglise enseigne à tous ses enfans. Persévérer
contre sa doctrine serait se séparer d'elle , se créer un parti
et faire bande à part. Que dirait-on d'un capitaine qui , en
présence de Pennemi , détacherait sa compagnie d'un corps
d'armée? Nous sommes en guerre, en combat perpétuel avec
les ennemis de la foi. Notre devoir est de serrer entre nous
les rangs. Notre gloire est dans la résistance à toutes les at-
taques; notre force dans notre union. Le généralissime apos-
tolique duquel le mot d'ordre arrive à l'univers catholique ,
vient pour la seconde fois de nous mettre en garde contre les
nouveautés en doctrine; et tous les évêques ont répondu à son
commandement avec une acclamation spontanée.
» Si notre langage a clé quelquefois sévère, si à nos paroles
25.
360 AVERTISSEMENT SUR l'ïNSEIGNEMENT , ETC.
il s'est mêle quelques durete's , nous pouvons assurer qu'il
n'en est point clans notre cœur. Nous sommes , il est vrai ,
d'autant plus sensible à des refus opiniâtres, qu'ils nous vien-
nent de nos propres enfans, de ceux que, dans une toute autre
espérance , nous avons donne's au sanctuaire. Qu'ils e'coutent
enfin la voix d'un Père. Nous sommes vieux, ils sont jeunes;
qu'ils remanient les matières que nous avons débaltces. Sons
la conduite d'un guide assure, du savant et admirable cardinal
de La Luzerne, ils marcheront d'un pas ferme dans le che-
min de la science eccle'siastique : avec leur pe'ne'tration et leurs
talens , ils auront bientôt acquis la doctrine uniforme que
l'Eglise exige de tous ses prêtres , et la joignant alors à leur
conduite e'difiante, ils emporteront l'estime, la Inenveillance
de tous leurs confrères, et l'approbation universelle du diocèse.
Ce souhait, cet avis seront les nôtres, jusqu à ce qu'ils soient
accomplis; comme notre prière de tous les jours est de supplier
le Ciel de conserver dans l'unité de la foi tous ceux qu'il a
daigne' confier a notre garde. »
A la suite de V Açertissement est un Appendix ou Recueil
de quelques phrases détachées qui se trouç>ent dans dii>ers
opuscules de M. l'abbé Bautain , 12 pages. — Exir. de L'Ami
de la Religion, n" i3ii.
361
1»** VVV V%A VVV VVV VV/VVVV VVV VVV VVV VVV fcVV VVV VV^ VV%) VVA, VV\ VX/V VVVXAA VV'V VVV VVV V^
DECRET D'ERECTION
DE L'UB^ÎVERSÎTÉ CATHOLIQUE (1)
ENGELBERTUS , Dei
et Aposîolica3 Sedis gratiâ
Archiepiscopus Mechli-
niensis et Primas Belgii ,
JOANNES - JOSEPHUS ,
eâdem gratiâ Tornacensis,
JOANNES FRANCISCIIS,
Gandavensis , CORNE-
LIUS, Leodiensis. JOAN-
NES - ARNOLDUS , Na-
murcensis , Episcopi , et
FRANCISCUS, Episcopus
Ptolomaïdis Administra-
tor Brugensis ,
Omnibus et singulis prœ-
sentes litteras visuris ,
lecturis pariter ac au-
dituris Salutem in Do-
mino sempiternutn.
Quum concordi oniniam ju-
dicio ac felici experientià cou-
stct sumraa Ecclesia; et Reipa-
blicœ commoda obvenire ex
ENGELBERT , par la grâce
de Dieu et du Saiiit-Siége apos-
tolique Archevêque de Mali-
nes et Primat de la Belgique,
JEAN -JOSEPH , évêque de
Tournay , JEAN-FRANCOfS ,
évêque de Gand, CORNEILLE
évêque de Liège , JEAN-
ARNOLD, évêque de Namur,
FRANÇOIS , évêque de Pto-
lemaïs , administrateur de
Bruges.
ji tous et à chacun de ceux
qui verront, liront ou en-
tendront ces présentes let-
tres, salut éternel dans le
Seigneur.
Comme il est constant, d'après le
sentiment général et une heureuse
expérience, que rEt!,lise et l'Etat
retirent les plus grands avantages
(i) Ce Dccrct a été publié au nom de rLpiscopat belge par Mgr. l'Ar-
chevêque de Malines , le 4 novembre i834, dans Téglise inctropoHlaine,
362 DÉCBET d'Érection
publicis studîoram Universi- des universités publiques dans les-
tatibus, in quibus bonarum quelleslesbeaux-artset les sciences
artium ac scientiarum docu- sont enseignés à la jeunesse par des
pendant la Messe solennelle que Sa Grandeur célébra à l'occasion de
l'Inauguration de l'Université catholique. — On lit à ce sujet dans l'U-
nion du 6 novembre : — « Nous annonçons aujourd'hui à nos lecteurs
un événement d'une haute importance, l'ouverture de l'Université ca-
tholique , de cette Université sans modèle aux temps où nous vivons et
qui marquera peut-être une nouvelle ère pour la science Mais quels
que soient les résultats futurs de cette institution, elle nous frappe sur
tout comme renfermant une éclatante apologie des quatre dernières an-
nées de notre histoire. Au commencement de i83o, qui eût osé prédire
aux Belges la prochaine création d'un haut enseignement chrétien dans
toutes ses parties, eût passé pour fou, et voici cependant que ce miracle
s'opère sous nos yeux , sans effort , sans subterfuge , hautement et
publiquement, comme la chose du monde la plus simple, comme étant ,
ce qu'elle est, la plus rigoureuse et la plus claire des conséquences de
notre loi fondamentale. Il y a là un progrès d'autant plus grand et, si
nous osons le dire , d'autant plus providentiel qu'il sera moins remar-
qué. Personne ne s'étonnera de ce que les calholiques usent de leurs
droits , mais la merveille est que les catholiques aient ce qu'ils
n'avaient pas auparavant , des droits. A ceux qui s'étonnent de notre at-
tachement pour le régime actuel, nous répondrons seulement : « Allez à
Malines , et puis dites ce que doit être notre dévouement s'il se me-
sure à notre reconnaissance. »
Nous n'hésitons pas à le déclarer , notre satisfaction ne serait point
ce qu'elle est si l'Université catholique était née sous l'influence du
monopole , à la suite du triomphe d'un parti sur un autre parti. Grâces
au Ciel . ainsi que nous venons de le dire , il n'en est point ainsi ,
et ce que les catholiques viennent de faire , d'autres Pont fait et d'au-
tres peuvent encore le faire. La carrière de l'enseignement est chez nous
ce qu'étaient les grands tournois du moyen-âge, où tous pouvaient en-
trer et dans lesquels la victoire appartenait au seul mérite. En avant
les bons conibattans , tel était alors le cri des hérauts-d'armes et tel est
aujourd'hui le cri de cette Belgique , qui elle du moins ne veut livrer
ses fils qu'aux meilleurs et aux plus habiles. Les calholiques se pré-
sentent enfin dans cette glorieuse lice au même titre, sans autre pri-
vilège que leurs concurrens. S'il était sur la terre un homme assez
insensé pour leur faire un crime d'une si noble ambition, il ressemble-
rait au pire des tyrans , à celui qui oserait dire à ses frères : n Le so-
leil ne luira que pour moi. »
DE l'université CATHOLIQUE.
363
menta à professoribns ortlio-
doxaî fidei cultoribus et de
Romano-Calliolicâ Religione
rectè sentienlibus int^enuae ju-
■venluli traduntur : liinc No-
bis potissiinâ quâdam ratione
hocce tempore allaboiandum
duximus ad inslaurandam
publicam ejusmodi Universita-
teiii , quœ celeberrimae quon-
dam ac pra3Stanlissimœ Lova-
niensis Acadeinise , communi
Belgarum luctu infer sœculi
decimi octavi exeuntis porcel-
las sublalae , normam et ima-
ginera referret.
maîtres orthodoxes et professant les
principes de la religion catholique-
romaine, nous avons cru, surtout
pour cette raison , devoir faire tous
nos efforts dans les circonstances
présentes pour établir une telle
Université publique, qui retraçât le
plan et la forme de l'ancienne aca-
démie de Louvain, établissement
autrefois si illustre et si distingué ,
qui a disparu au milieu des orages
de la fin du 13^ siècle, à la grande
affliction des Bekes.
Voici ce qu'on nous écrit de Matines :
L'installation de l'Université catholique a eu lieu hier. MM. le Rec-
teur , le Vice-Recteur et les professeurs se sont rendus en corps à neul
heures et demie au palais archiépiscopal. Un peu après Monseigneur,
suivi de ce cortège, est entré clans la métropole que remplissait déjà
la foule des fidèles. Des places avaient été réservées dans le chœur pour
les autorités constituées, les professeurs et les élèves de l'Université.
Un nombreux clergé ajoutait encore à l'éclat de cette imposante cé-
rémonie.
Elle a commencé par le Feni Creator , qui a été chanté avec un
extrême recueillement. Puis M. le chanoine Genneré , secrétaire de
Monseigneur, a lu l'acte d'installation de l'Université. Après la lecture
l'acte a été remis à M. le Recteur par Mgr. l'Archevêque qui lui a
adressé une petite exhortation pleine d'onction. Ensuite Mgr. l'Arche-
vêque a célébré pontificalement la messe du St. -Esprit. Après révaa-
gile, M. l'aV)bé De Ram, Recteur de l'Université, est monté en chaire
et a prononcé un discours analogue à la cérémonie
Après la messe , on a chanté le Te Deum , et, après cette action de
grâces, le même cortège a reconduit Monseigneur à son palais. A deux
heures Monseigneur a reçu le chapitre métropolitain , les autorités
municipales, M. Je commissaire du district, les dignitaires et fonc-
tionnaires de la nouvelle Université. Une douce cordialité a présidé
au dîner et en a fait une véritable fête de famille. Plusieurs toasts ont
été portes : par Monseigneur l'Archevêque : A la prospérité du nonuel
èiablissemenl ! par MM. le Bourgmestre et le Recteur: A ièpiscopat
belge! par M. Rodenbach , commissaire du district : Au Roi et à la
Reine des Belges I »
364
DÉCRET d'ÉREGTI05
Eâ de re concepta desideria et
consilia , ex debito pastoralis
officii Nobis commissi , ad Se-
demApostolicamdetulimus, et
perlilteras, die décima quartâ
Novembris aiini mille siini oc-
tingentesimi tris^esimi tertii in
congrei,^atione Nosfrâ Mechli-
nine habita datas, Sanctissimum
Dominiim Nostium Gregorium
divinà Providenfiâ Papam XVI
deprecali sumus , ut eadem
assensu etconsensu Aposlolico
eonGrrnarcf. Sanclifati Suœ
plaçait votis et petilinnibus
nosirissummâcum benignilate
protinùs annuere , nostrisque
conalibus Apostolicam aucfo-
ritatem adjungere, prout palet
ex ponliiicio diplomate cujus
tenor hic de verbo ad verbura
sequitur :
GREGORIUS PP. XVI.
— Venerahiles Fratres , Salu-
tcin et Apostolicam Be?iedic-
tioneni. DIajori certè solatio
afpci non possiiinus , quàm
cùm eos, qui in partent soli-
citudinis nostrœ sunt voca-
ti , pastorali zelo flagrare ,
acriterque ad spirituale com-
missaruvi sibi Ociiiin bonuni
novi7)ius rigilare. Licet porro
prœc ip uainfraternita t uni ves-
tramin virtutem satis jain
tniilta déclarassent , eâqne de
causa jure Nobis lœtarilice-
ret ; conceptam tainen anima
nostro opinionem confirmâ-
mnt , nostrumque qaudium
abiindè auxerunt obsequen-
tissimœ Litterœ , quas die dé-
cima quartâ proximè elapsi
Nous avons , selon le devoir de
notre charge pastorale , soumis au
Siège apostolique les vœux et les
projets que nous avions formés à
ce sujet ; et par une lettre en date
du 14 novenibre 1833 , écrite dans
notre réunion tenue à Malines ,
nous avons supplié notre très-saint
Père Grégoire XVI, Pape par la
divine Providence , de les confirmer
en y donnant son assentiment et
son consentement apostolique. Il a
plu à Sa Sainteté d'accéder sur le
champ à nos vœux et à nos de-
mandes et d'associer son autorité
apostolique à nos efforts , comme
il est prouvé par le diplôme pon-
tifical qui suit , dans toute sa teneur
littérale :
GRÉGOIRE PP. XVI, —
Vénérables Frères , salut et béné-
diction apostolique. Nous ne sau-
rions éprouver de plus grande
consolationque lorsque nousvoyotis
ceux qui sont appelés à partager
■notre sollicitude, brûler, d'un zèle
vraiment pastoral et veiller avec
soin au bien spirituel des brebis
qui leur sont confiées. Quoique
nous eussions des preuves suffisan-
tes de l'ardeur avec laquelle vous
remph'sscz ce premier devoir des
Pasteurs et que nous pussions
nous en réjouir à bon droit, nous
avouerons cependant que la lettre
si respectueuse que vous nous avez
écrite en date du 1-4 du mois
dernier , a encore ajouté à la
bonne opinion que nous avions
de vous , et qu'elle a doublé notre
DE L^UNIVERSITÉ CATHOLIQUE.
365
mensis ad Nos dedistis , et
quibus nedùm testruni de
Catholicâ in Belgio consti-
tnendâ , et à Vobis tantûm
recjendû sliidiormn Univer-
siiate consiliiim significastis,
sed etiam expositis comviodis,
quœ tùni animarnni sains ,
tàm Religio ipsa indèpossunt
accipere , Apostolicâ nostrâ
Auctoritate prohari ilbid vo-
hiistis. Hanc vos ratfonem
sequuti , id egistis , qiiod ah
antiqnis temporibiis consiie-
tiido induxit , quodque débita
hui.c Sanctœ Sedi revercntia
et obsenantia mérita exigit.
Cînii enim ad Romanos Pon-
tifices pro concredito Tpsis
Àpostolici Officii muricre
maxime pertineat Cathoiicarn
Fidem tueri , sanctœqne ejus
doctrinœ depositum intcgrum
ac intemeratum custodire ;
Eorutn quoqve esse débet sa-
crarum disciplinaruvi quœ
p ublicè in Un iversitatib us ira -
dîtntur, institutionem mode-
rari. Atque hœc cati sa fu it,cur
Catholicietia m Principes ci/m
de hnjiismodi Acadcmiis seu
Unirersitatihvs stiidiortint,
statuendiscogitârunt, Aposto-
licam Sedem consnlcndam. ,
Ejiisqxie anctoritalem exqui-
rendam duxerint. Hinc cele-
hriores , illustrioresqne Eu-
ropœ Universitates nonnisi ex
sententiâ et assensu Romano-
rnm Pontifîcum fn isse consti-
tutas grarissimœ ilUtrum his-
toriée arnplissimè tcstautnr.
J\'obis itaque , quibus persua-
sum est ex rectè compuratis stu-
joie, J^ous nous faites part de
votre projet d'ériger en Belgique
une Université catholique qui sera
sons votre seule direction ; vous
nous exposez les avantages qui
doivent en résulter pour le salut
des âmes et pour la Belgique elle-
même , et vous désirez en outre
que cet établissement soit approuvé
par notre autorité apostolique . En
agissant ainsi ^ vous vous confor-
mez à un ancien usage et vous
montrez à ce Saint-Siège les égards
et le respect qui lui sont dus. En
effet , comme il appartient essen-
tiellement aux Pontifes romains,
à qui les fonctions du ministère
apostolique ont été confiées , de
défendre la Foi catholique et de
garder piir et intact le dépôt de
sa sainte doctrine, c'est à eux
aussi de dirigerV étude des sciences
sacrées, qui s' enseignent publique-
ment dans les Universités. Et
c'est pour cette raison que même
des princes catholiques , lorsqu'ils
songeaient à établir de semblables
Académies ou Universités , ont
cru devoir consulter le Siège
Apostolique et rechercher V appui
de son autorité. Aussi n'est-ce
que d'après l'avis et du consente-
ment des Pontifes romains qu'ont
été érigées les plus célèbres et les
plus illustres Universités de l'Eu-
rope, chose prouvée en détail par
des documens authentiques insérés
dans leurs atinales. Convaincu
donc que des Universités sage-
ment organisées sont infiniment
utiles à la Religion , ?ious éprou-
vons un plaisir singulier à vous
obliger et à joindre à vos efforts
la puissance de notre autorité
366
DÉCRET d'ÉRECTIOîT
diorumUniversitatihuspluri-
inùin emolumentiin Christia-
nam Rempnhlicam dimanare,
jiicundius nihil accideiepo-
test, quàni ni vobis gratifice-
mur, et ad Litterarumprœser-
tiiii Sacraruvi prœsidinni et
increntcntuinsupreniœNostrœ
Auctoritatis robur adjicia-
mus ; atque hinc sapientissi-
mum , quod unà sitmd ini-
vistis consdium adprobavius ,
vestramque eâ de re solicitu-
dinem suviuiâ lande ac com-
mendatione prosequiuiur. Eo
auteiii libentiàs tiestris votis
aunuiiiius , qvo certiiis vestrâ
inditstriâ , opéra et cura fu-
turiim con/idimus vt qnotqtiot
ad istam Univers itateui cou-
venient benè niorati jnvenes,
non scientiâ quœ inflat , sed
scientiâ quœ cum charitate
œdi/icat , non sapienliâ hujus
sœculi , sed sapientlâ cujus
initium tiinor Doniini est,
imbuantur. At illud probe
intelUgitis , T""encrabiles Fra-
très , mentoratam mox Uni-
versitatem ità quideni consii-
tui oportere, nt nihil prorsus
derogetur juribus , qtiœ sin-
gulis Episcopis circà Cleri-
coruni in stiis diœcesanis
seiiiinariis institiitioneni, eo-
riDuque inlitteris et discipli-
nis viuximè T/ieologicis erii-
ditionem Tridentini Patres
adjudicânint. Agite igitur ,
et nie, à quo omne datum op-
timum et omne doniim perfec-
tuin est, dexter P'obis propi-
tiusque adsit, ut quœ salnbri-
ter cogitastis, féliciter possitis
suprême , dans Vintérêt particu-
lier des Lettres sacrées et pour
contribuer à en développer l'étude.
Aussi , nous approuvons le projet
éminemment saqe que vous avez
formé ensemble , et nous louons
hauteuient le zèle que vous avez
déployé dans cette occasion. Nous
consentons d'autatit plus volontiers
à votre demande que nous sommes
persuadé que tous les jeunes gens
biens nés qui se rendront à cette
Université y puiseront , par vos
soins et par votre vigilance , non
la science qui enfle, mais la science
qui édifie avec charité, non la
sagesse du siècle , mais la sagesse
dont la crainte du Seigneur est
le commencement. Touscomprenez
du reste, P^énérables Frères, que
cette Université doit être organisée
de manière qu'il ti'y soit dérogé
en aucune manière aux droits que
les Pères du concile de Frente
ont attribués à chaque Etêque ,
de diriger V éducation des jeunes
clercs dans les séjjtinaires diocé-
sains et de les instruire surtout
dans les lettres et les sciences théo-
logiques. Mettez donc la main à
Vœuvre , et puisse Celui de qui
vient toute grâce excellente et tout
don parfait, vous accorder sa pro-
tection et vous faire exécuterheu-
reusement un dessein aussi sage
et aussi utile ! En attendant ,
recevez , P^énérables Frères ,
comme un témoignage de notre
affection paternelle et de notre
bienveillance envers vous, la béné-
diction apostolique que nous vous
accordons de tout notre cœur.
Donné à Rome à Saint-Pierre ,
DE l'université CATHOLIQUE.
367
implere . Intérim Apostolicain
Benedictionem , Paternœ
Nostrœ charitutis et henevo-
lentiœ testimoniiim erga Fra-
ternitalesf^estras,peranianter
Fobis impertiimir. — Datuni.
Romœ api(d S. Petrum die
]3 Decevihris anno 1833.
Pontificattis NostriatinoIII.
— Signafum : GREGO-
RIUS PP. XVI. — In-
scriptio erat : Venerahilihus
Fratrihus Engelberto Archie-
piscopo Mechliniensi, ejusque
suff'raganeis in Belgio Epis-
copis. Mechliniam.
Tarn prîecellenti suffrai^io
tantâque auclorilate snfTuUi ,
mense Februario prœsentisanni
litleras dedimus ad Clerum et
fidèles Ecclesiarum ,(juibiis eos-
que expertisurnus paratissimos
ad conferenda subsidia nostra-
rum erigendae Academiœ inco-
luinitati ac splendori coiisule-
retur.
/e 13 décembre de Vannée 1833,
de notre Pontificat la troisième. —
GRÉGOIRE PP. X ri. —Aux
Vénérables Frères E^gelcert, Ar-
cheiêque de Matines, et à ses Su f-
fragans lesEvèques de la Belgique,
à Malines.
Appuyés sur un suffrage aussi
puissant , sur une si grande auto-
rité, nous avons, au mois de fé-
vrier de la présente année , adressé
une lettre au clergé et aux fidèles
de nos Eglises , et nous les avons
trouvés très-disposés à fournir les
subsides nécessaires à la conserva-
tion et à la prospérité de l'Acadé-
mie que nous nous proposions d'é-
Jam verô certam tanto operi
atque instituto forinam prœ-
scribere , ejusdemque perpé-
tuant stabilitatem asserere vo-
lentes , Apostolicâ aucloritate
et Noslrâ per prœscntes lilferas
erigimus et inslituinius sludio-
rum Universitaleui , à Nobis
suprenio jure ac perpétua sol-
licitudine ( salvà in omnibus
Apostolicai Sedis aucloritate)
regendam et fovendam , quin-
que Facultalibus insiruclam ,
quaruni diguilale ]iriina est
Theologiœ , secunda Juris ,
Voulant aujourd'hui donner une
forme fixe à cette grande œuvre ,
à cette précieuse institution, et en
assurer pour toujours la stabilité ,
en vertu de l'Autorité Apostolique
et de la nôtre , nous érigeons et
nous établissons ])ar les ])rés('ntes
lettres une Université (jui sera à
jamais dirigée et soignée par nous
avec un pouvoir suj)rènie cl une
continuelle sollicitude (saufen toute
cliose l'autorité du Siège Aposloli-
(|ue ) , et composée de ciiu] facultés,
dont la jneniière en dignité est celle
de Théologie , la seconde celle de
368
DÉCRET d'Érection
tertia Medicînœ , qnarta Phi-
losophie^ ac Litterarum, qiiinta
Scientiarum Mathematicarum
ac Naturalium.
Quijm plurimùm infersit ,
ut res Academica ab unâ eâ-
demque personà firmiter et
constanter regatur , hinc ad
omnem Universilatis nosirse
direclionem deputamus ac de
legamus, tamquam Vicarium
Nostrum Generalem , Reclo-
rem Magnificum , viruin ec-
clesiasticum , cujus nominatio
et revocalio Nobis reservata
permaneat. Eidera Rectori ,
postquàm in nianibus Illus-
tiissirni acReverendissinii Do
mini Ai chiepiscopi lecerit fidei
proi'essionem juxlà EuUamPii
Papœ IV, et juraverit ac pro-
niiserit fidelitatem ac obedien-
tiarn coctui Episcoporu m Belgii ,
se(jue pro viribiis curaturum
honorem acprosperitatemAca-
deniis, plenam polestafem et
auctoritatein tribiiinias etelar-
giinur , ut , servatis servandis,
quoscumque gradus academi-
cos conlerie valeat ; ut libéré
qnoque ac licite ordinare pos-
sit quaecamque pro Universi-
talis bono ac protectu in rébus
ad instructionem vel discipli-
nam perlinentibns necessaria
visa luerint. Intérim eidem
Rectori strictissiniè in junginius
ut INobis singulis annis expo-
nat amplam , fidclem et since-
rani rclalioneui de totiusAca-
dcmiaj statu.
Nobis pariter , post expcti-
Droit , la troisième celle de Méde-
cine , la quatrième celle de Phi-
losophie et Lettres , la cinquième
celle des Sciences mathématiques
et physiques.
Comme il importe souveraine-
ment que cet établissement acadé-
mique soit dirigé avec fermeté et
constance par une seule et même
personne , nous députons et nous
déléguons pour toute la direction de
notreLniversité, comme notre vicai-
re-général, un Recteur magnifique,
de l'ordre ecclésiastique , dont nous
nous réservons la nomination et la
révocation. Nous donnons et nous
concédons à ce même Recteur ,
après qu'il aura fait profession de
foi, selon la bulle du pape Pie IV,
entre les mains de l'iUusIrissime et
Révérendissime Archevêque , et
qu'il aura juré et promis iidélité et
obéissance au corps épiscopal de
la Belgique, comme aussi qu'il fera
tous ses efforts pour soutenir l'hon-
neur et la prospérité de l'Académie,
plein pouvoir et autorité de confé-
rer tous les grades académiques ,
en observant les règles qui doivent
être observées ; de prendre libre-
ment et licitement toutes les me-
sures qui lui paraîtront nécessaires
pour le bien et l'avancement de
l'Université dans les choses relati-
ves à l'instruction ou à la discipli-
ne. Cependant , nous enjoignons
très-strictement au même Recteur
de nous présenter chaque année
un rapport étendu , fidèle et sin-
cère sur la situation de toute l'A-
cadémie.
Nous nous réservons également
DE l'université GA.THOLIQUE.
369
tam Rectoris Magnifici senten-
tiam , reservainus nominatio-
nem et revocationem Vice-
Rectoris , quiadinstar coadju-
toris coiisilio et auxilio praesto
sil eideni Rectori , quique eo
absente , tegrotante vel morien-
te , ipsius vices provisoriè
suppléât, ne Acadeniiaaliquod
detrimentum patiatur.
Ut auteniin singulis studio-
rum classibus seu Facullatibus
omnesdisciplinœproearumdem
dignitate ac necessilate schola-
ribus rite ac plenissimè tradan-
tur , talisconslituendus eritdo-
cenfiumnumerus, quiperieclae
inslitiilioni Academicœ con-
gruat. Ad consulendum et
providendum uniuscnjusque
meritis et bonestaî cuidam
œmulationi, volunius , iit inîer
ipsos docentes qurcdam liabea-
tur tituloruni ac jurium dis-
tinctio , scilicet ut alii sint
Professores Ordinarii , alii
ProfessoresExlraoïdinarii, alii
Lectores.
Ad nostram singnlariter
curam pertinere judicavinius,
ut Professorum tam Ordina-
riorum quàm Exfraordinario-
rutn ac Lectorum , quorum
omnium dcsignatio ac prœ-
senlatio ad Reclorum Masrni-
o
ficum spectat, defmiliva no-
minatio k Nobis dumtaxat
rata ac fuma liabealur. Volu-
nius auleni ut iideiii nouante
niuneris sui parles suscipiant,
qiiàru in manibus Rectoris
Magnifici emiserinlfidei profes-
sioncm juxtà lormam Pii Pap;u
la faculté de nommer et de révo-
quer , après avoir pris l'avis du
Recteur magnifique , le Vice-Rec-
teur qui doit seconder le même
Recteur de ses conseils et de son
action et remplir provisoirement ses
fonctions , en cas d'absence , de
maladie ou de mort , afin que l'A-
cadémie ne souffre aucun dommage
de ces événemens.
Mais afin que toutes les sciences
soient enseignées convenablement
et conipIfMi'ment aux élèves dans
chaque classe des études ou faculté ,
selon la convenance ou la néces-
sité , il sera établi un nombre de
professeurs qui convienne à l'éta-
blissement complet de l'Académie.
Pour tenir compte des mérites de
chacun et produire une honorable
énudation , nous voulons que ,
parmi les maîtres eux-mêmes, il y
ait une certaine distinction de ti-
tres et de droits , c'est-à-dire , que
les uns soient Professeurs ordinai-
res , les autres Professeurs extraor-
dinaires, d'autres Lecteurs.
Nous avons pensé qu'il importait
spécialement à notre sollicitude ,
que la nomination définitive des
Professeurs tant ordinaires qu'ex-
traordinaires et des Lecteurs , dont
la désignation et la présentation ap-
partient au Recteur, fût exclusive-
ment sanctionnée par nous.
Mais nous voulons que ces mê-
mes Professeurs ne commencent pas
leurs fonctions , avant d'avoir fait
profession de foi suivant la forme
voulue par le pape Pie IV, entre
les mains du Recteur magnifique,
370
DÉCRET d'Érection
IV, nec non jiiramentum à
Nobis prrcscriptiim de obser-
vandis lideliler Acadeiniœ
StaUitisac Ordinationibns , de
impendendo Rectori Magnifico
debito bonore, deque auxilio
eidem pT.Tslando, ac de cu-
randà pro viribus Acadeniiœ
prosperilate. Si vero , quod
Deus avertat , aliquis iriter
docentes aliquando reperiatur
offlcii sui ac juranienti imme-
mor, eumdem à munere re-
movendi potestatem Nobis
reseivamus.
Nominationem et revocalio-
nem Secretarii , aliorunique
omnium Academias Ofllciato-
rum pertinere decrevimus ad
Reclorem Magnificum. Eidem
juserit institnendi sumptibus
Academicis Collegia seu Pœ-
dagogia , quorum Prœsides
nominabit et congrua statuta
ordinabit. IlliautemPra?sides,
anfequàm munus gerendum
suscipiant, fidei professionein
ac juramentum, prout proCes-
soribus, praescribitur eraittant.
In singulis studiorum Fa-
cuitatibus Protessores Ordina-
rii annuè , juxtà pbirabtatem
votorum , eligere debebunt
suum Decanum , cui jus erit
FacuUatis suœ congn-gationes
indicere, iisdemque prœsidere.
In illis congregationibus agetur
de negotiisad Facultatem per-
tinentibus, de mediis ad dis-
ciplinarum incrementa spec-
tantibus , deque ordinando
programmale prœlectionum
semestri tempore habendarum .
et prêté le serment exigé par nous
d'observer fidèlement les statuts et
les réglemens de l'Académie , de
rendre au Recteur magnifique l'hon-
neur qui lui est dû , de lui prêter
assistance , et de travailler selon
leurs forces à la prospérité de l'A-
cadémie. Mais si , ce qu'à Dieu ne
plaise , il se trouvait jamais parmi
les Professeurs un homme capable
d'oublier ses devoirs et ses sermens,
nous nous réservons le pouvoir de
le priver de son emploi.
Nous avons décidé que la nomi-
nation du secrétaire et de tous les
autres Officiers de l'Académie ap-
partiendrait au Recteur magnifique.
Celui-ci aura également le droit
d'établir aux frais de l'Université
des collèges ou pédagogies , dont
il nommera les Présidens et aux-
quels il donnera les réglemens con-
venables. Mais ces Présidens de-
vront , avant d'entrer en charge ,
faire profession de foi et prêter
serment, comme les Professeurs.
Les Professeurs ordinaires de cha-
que Faculté devront, chaque année,
élire à la pluralité des suffrages leur
Doyen , qui aura le droit d'indi-
quer les réunions de sa Faculté et
de les présider. On traitera dans
ces réunions des affaires concernant
la Faculté , des moyens propres à
faire fleurir les études , et du pro-
gramme des leçons de chaque se-
mestre. Ce programme devra être
soumis par les Doyens , avant sa
pu!) lira lion , à l'approbation du
Recteur magnifique.
DE l'université CATHOLIQUE.
371
Prœfatum programma, prias-
quàm puhlicetur, à Decanis
ad Kectoris fliagnifici ajipro-
bationem deferri débet.
Ut res Academicae optimo
consilio peragantur , praifatos
Facultatum Decanos unà cum
Vice-Rectore pertiuere volu-
mus ad Rectoris Magnifici
consilium ordinarium , cujus
congregatio liabebitur tempnri-
bus et dicbus ad Rectoris
arbitrium statuendis. Pro so-
lemnioribus quibusdam ne-
gofiis aut circunistanfiis ab
eodem Recfore convocari po-
terunt omncs omnium Facul-
tatum Professores , qui sub
ipsius pra^sidentiâ congregati
constituent Senatum seu Cor-
pus Academicum.
Porrô in constitnendâ hac
studiorum Universitate bùc
tendunt conamina noslra , ut
ca ipsa sit in œdificalionem
Corporis Ciiristi , et per eam
glorificelur intemerata Sponsa
SalvatorisNostri,quaecoUiirma
est ac firmamenlum Veritatis.
Quare Magistros et Scholares
eliam atque eliam in Domino
bortamur, eisque prœcipimus ,
ut corde et opère teneant ac
profileanlur Catliolicaui Fidem
ut alienià jjrofanisnovitatibus,
quiljus Fidei infegritas macu-
lalur , sectenturscienliamqua;
cum charilale œdilicat , etdu-
cantur sapienliâ cujus initium
est timor Domiui.
Cœterum leges aliasque or-
dinaliones pro TJniversitatis
Afin que les affaires de l'Univer-
silé se traitent avec une très-irrande
o
prudence , nous voulons que les
Doyens susdits forment avec le Vice-
Recteur le conseil ordinaire du
Recteur, qui les réunira dans le
temps et aux jours fixés par lui.
Pour certaines affaires et circon-
stances plus solennelles , le Recteur
pourra convoquer tous les Profes-
seurs de toutes les facultés , qui ,
réunis sous sa présidence, forme-
ront le Sénat ou le Corps Acadé-
mique.
Tous nos efforts dans l'érection
de cette Université tendent à ce
qu'elle serve à édifier le Corps da
Christ, et que par die soit glorifiée
l'Epouse immaculée de notre Sau-
veur , qui est la colonne et l'appui
de la Vérité. C'est pourquoi nous
pressons instamment dans le Sei-
gneur les maîtres et les disciples et
nous leur enjoignons de tenir et de
professer de cœur et d'actions la foi
catholifjue , afin qu'étrangers aux
nouveautés profanes qui souillent
l'intégrité de la foi , ils cherchent
la science qui édifie avec la cha-
rité , et qu'ils soient dirigés par
cette sagesse dont la crainte du Sei-
gneur est le commencement.
Au reste, nous aurons soin de
faire le plus lot possible avec ma-
372 DÉCRET d'Érection de l'université catholique.
nostniG perpetuo regimine ac
felici progressu et pro unius-
cujusque Facultatis constitu-
tione , quamiM'iniùni niaturo
consilio condere curabiinus.
Utautem sfatuta etstatuenda
quaecumque prospéré ac félici-
ter seniper eveniant , ociilos
manusque nostras Icvamus ad
Sanclissimam Virginem Ma-
riam , cujus noinen divinis
benedictionibus et gratiis re-
fertum est, et cui tamquam
Doniinœ ac Patronœ potentis-
simœ Acadeiiiiam nostram
suppliciter commendaiiius.
Hœc oninia et sinii,ula, acta
et décréta in Congregatione
Nostrà liabità Mechliniae die dé-
cima iiiensis Junii anno Incar-
nationis DoniinicœJiDcccxxxiv,
Pontificatûs Sanctissinii Do-
niini ISostri GregoriiPP. XVI
anno IV, perpetuuni robur
habere alque ab omnibus ad
quosspeclabit, intégré et lide-
liter observari volumas.
f ENGELBERTUS , ArcLie-
piscopus Mecbliniensis.
t JOANNES - JOSEPHUS ,
Episcopus Tornacensis.
t JOANNES FRA^JCISCUS,
Episcopus Gandavensis.
t CORNELIUS , Episcopus
Leodiensis.
t JOANNES -ARNOLDIIS ,
Episcopus Namurcensis.
t FRÂNCISCUS , Episcopus
Adm'" Brugensis.
turité les lois et autres réglemens
nécessaires à la direction perpétuelle
et aux progrès de notre Université,
ainsi qu'à l'établissement de chaque
Faculté.
Mais afin que ce qui est réglé et
ce qui doit l'être à l'avenir ait tou-
jours un résultat heureux et favo-
rable , nous élevons les yeux et les
mains vers la très-sainte Vierge
Marie , dont le nom est rempli des
bénédictions et des faveurs divines,
et à laquelle nous recommandons
notre Académie , comme à une
Maîtresse et Patrone très-puissante.
Nous voulons que toutes ces dis-
positions et chacune d'elles en par-
ticulier , prises et arrêtées dans no-
tre réunion tenue à Malines le
dixième jour du mois de juin ,
l'an de lincarnation du Seigneur
MDCCGXXXIV, le quatrième du
Pontificat de notre très-saint Père
Grégoire XVI , soient valides à tou-
jours, et entièrement et fidèlement
observées par tous ceux qu'elles
concerneront.
t ENGELBERT , Archevêque de
Malines,
f JEAN-JOSEPH, Evoque de Tour-
nay.
t JEAN-FRANÇOIS , Evoque de
Gand.
t CORNEILLE, Evêquede Liège.
t JEAN-ARNOLD , Evoque de
Namur.
I FR.VNÇOIS, Evoque administra-
teur de Bruges.
373
VVWWV yVWWVWWXIWVVWWVwWVW WMV
V *A^ VVV VVV VV \( vv\ VVV VVV VVV VVV VVX VVV VVV vvv vvvw*
REGLEMENT
POUR L'INSCRIPTION, LES RÉTRIBUTIONS DES COURS ET
L'ADMISSION AUX LEÇONS
DE LlTNIVERSITÉ CATHOLIQUE.
Art. I.
Pour être inscrit dans la Faculté de Philosophie et des Let-
tres et dans celle des Sciences, on est tenu de se pre'senter
devant !a Commission d'admission et d'inscription pre'side'e par
le Recteur magnifique , et d'exhiber on certificat de bonne
conduite et un autre constatant que l'on a re'gulièrement ter-
mine' les e'tudes pre'liminaires.
Art. II.
L'acte d'inscription n'aura son effet que durant l'anne'e aca-
de'mique courante. L'inscription devra être renouvele'e tous les
ans. Il sera paye' pour la première inscription dix francs, et
pour le renouvellement cinq.
Art. III.
Les e'tudians , à l'occasion de leur inscription , promettent
d'observer constamment les statuts et re'glemens acade'miqaes ,
et de remplir les devoirs qui leur sont prescrits.
Art. IV.
Les cours de la Faculté de Philosophie et des Lettres et de
celle des Sciences comprennent deux années et sont re'gle's pro-
visoirement de la manière suivante :
T. X. 26
374 RÈGLEMENT.
Dans la première année , pour ceux qui se destinent ou à
l'étude de la Médecine ou à celle du Droit , l'Introduction à
la Philosophie, la Logique, la Métaphysique, la Litte'rature
grecque et latine , les principes ge'ne'raux de l'Economie po-
litique , l'Introduction à l'Histoire universelle , l'Arche'ologie ,
les Mathe'matiques e'ie'mentaires , la Physique, les e'ie'meus de
Chimie et l'Astronomie physique.
Bans la seconde année , pour ceux qui se destinent à l'étude
du Droit, la Philosophie morale, l'Histoire de la philosophie,
l'Economie politique , la Statistique, l'Histoire da moyen-âge,
l'Histoire moderne , l'Histoire nationale , les Antiquite's grec-
ques et romaines, l'Encyclope'die du droit et 1 Histoire du droit
romain.
Bans la seconde année , pour ceux qui se destinent à l'étude
de la Médecine, la Philosophie morale, THistoire de la philo-
sophie, les Mathe'matiques transcendantes , la Chimie ge'ne'rale
et applique'e , la Zoologie, l'Anatomie compare'e, la Mine'ra-
logie , la Ge'ologie , la Botanique , l'Encyclope'die et l'Histoire
de la médecine.
Art. V.
Tons les cours mentionne's à l'article 4 sont respectivement
obligatoires ; celui de Litte'rature nationale pour les e'ièves de
la première anne'e , et celui de Littérature française et d'His-
toire et de la Littérature ancienne et moderne pour ceux de
la seconde , seront facultatifs. Il y aura des cours privés pour
les langues orientales.
Art. VI.
Les rétributions pour tons les cours de la première année
s'élèvent à 220 francs , les mêmes rétributions sont fixées pour
ceux de la seconde. Le payement pourra se faire en deux ter-
mes, à savoir iio francs au commencement du semestre d'hi-
ver et iio francs au commencement du semestre d'été.
Art. VII.
Un programme annoncera tous les six mois l'ordre et la
distribution des cours.
RÈGLEMENT. 375
Art. VIII.
La durée ordinaire des leçons est d'une heure ; personne ne
pourra quitter les leçons avant qu'elle soit terminée.
Art. IX.
Ne seront admis à fréquenter les cours académiques que ceux
qui auront été portés au rôle des étudians , conformément aux.
art. 1 , 2 et 3.
Art. X.
Ceux qui , sans avoir €té inscrits , désireront assister aux
leçons , y auront l'accès trois fois. Ceux qui voudront suivre
un cours pourront s'adresser par écrit au professeur qui trans-
mettra leur demande au Recteur magnifique. Le professeur
leur communiquera ce qui aura été arrêté.
Fait à Malines , le 18 septembre i834.
Le Recteur de l'Université ,
P.-F.-X. DE RAM
Le Secrétaire par intérim ,
BAGUET, Prof.
26
376
REGLEMENT
POUR LES ÉLÈVES DE LA FACULTÉ DE PHILOSOPHIE ET
DES LETTRES ET DE CELLE DES SCIENCES
DE L'UNIVERSITÉ CATHOLIQUE.
Art. I.
Toas les élèves doivent professer la religion catholique et
remplir les devoirs qu'elle prescrit.
Art. II.
Ils sont tenus de fre'quenter assidûment les cours obligatoires
mentionne's dans le programme. Ils ne pourront jamais s'ab-
senter des leçons ni sortir de la ville pour un ou plusieurs
jours sans une permission expresse du Vice-Recteur ou du
Pre'sident de leur colle'ge.
Art. m.
Les e'ièves externes ne pourront pas , sans une permission
spéciale, prendre leur logement dans les hôtels ou les auber-
ges ; ils devront être rentrés chez eux pendant le semestre
d'hiver à huit heures du soir et pendant celui d'été à neuf.
Art. IV-
Les élèves internes au collège de l'Université observeront le
règlement particulier de la maison.
Art. V.
Il y aura annuellement deux vacances : Tune du mardi qui
RÈGLEMENT. 377
précède la fête de Pâques jasqu'aa second mardi qni la sait;
et l'aatre du premier vendredi d'août jusqu'au premier mardi
d'octobre.
Art. VI.
L'entre'e des maisons, dont la re'putation ne serait pas re-
connue irréprocliable , est rigoureusement de'fendue à tous les
élèves de l'Université.
Art. vil
Les peines académiques seront régulièrement appliquées,
selon l'exigence des cas, de la manière suivante : Les admo-
nitions, par le professeur respectif ou les autorités académi-
ques ; la suspension du droit de fréquenter un cours , par le
professeur respectif de concert avec la Faculté; la suspension
du droit de fréquenter les cours et la prorogation du temps
fixé pour les examens universitaires , par la Faculté respective
et le Recteur magnifique; l'exclusion de l'Université, par le
Sénat académique.
Fait à Malines, le 21 octobre i834.
Le Recteur de l'Université ,
P.-F.-X. DE RAM.
Le Secrétaire par intérim ,
BAGUET, Prof.
378
UNIVERSITAS C4THOLÏCA.
SERIES LECTIONUM
Per Semestre hibernum anni MDCCCXXXIV-
mdcccxxxv habendarum.
IN s. FÂCULTATE THEOLOGIGA.
J.-B. ANNOQUÉ, Prof. Ord. et S. Fac. p. t. a Secretis ,
feriâ II, III, V, et sabbato, horâ III, dabit Introcluctionem
generalem in Sacrara Scripluram et Comnientationem in Li-
brum Genesis.
H.-G. WOUTERS, Prof. Ord., feriâ IV et VI, horâ IX et
dimidiâ, et ferià V et sabbato , horâ VIII, tradet Prolegomena
in Historiani Ecclesiasticam , qaani dedacet usque ad Saeou-
lum secundum.
P.F.-X. DE RAM , Prof. Ord. et Rector Univ., feriâ IV et
VI, horâ XI, expositis praenotionibus de Joris Ecclesiastici
publici et privati naturâ , objecto , fonlibus etc., interpreta-
bitur Librum primum Institutionum Canonicarum Joannis
Devoti.
J.-M. THIELS, Prof. Ord. et S. Fac. p. t. Decanus, feriâ II,
III, V et sabbato, horâ X et dimidiâ, tradet Prolegomena
in universam Theologiam et Dogmatica; generalis partem pri-
mam , quse continebit demonstrationem Religionis Christian»;.
N. B. Praelectionum materies potissimiim sumeturex Institu-
tionibus Theologicis CL. D. Liebermann.
CNIVERSITAS CATHOLICA. 379
J -B. VERKEST , Prof. Ord. et Praeses Seminarli Provincia-
lis , feriâ II , III , IV et VI , horâ VIII , exponet doctrlDara de
Prjncipiis et Moralitate actuum liumanoium.
IN FACLÎLTATE PHILOSOPHI/E , LITERARUM ET DISGl-
PLINARUM BIATHEMATICARUM AC PHYSICARUM.
G. G. UBAGHS , Prof. Ord. et Fac. p. t. Decanas , Univer
salem in Philosopliiam Introdactionera et Logicam tradet diebus
Lunae , Martis , Veneris et Saturni , horâ X.
C. DE COUX, Prof. Ord., (Economiam Politicam docebit
diebus Lunœ et Martis , horâ III. Exponet quas generatim per-
tinent ad divitias producendas et distribuendas.
G. -A. ARENDT , Prof. Extraord,, Archaeologiam Universam
diebus Veneris et Saturni , horâ ÎII , docebit. Mores Institutio-
nesque veternm populorum tam ad publicam quam ad privatam
eoram vitamspectantes , statum conditionemque reipublicae ac
rationen», qua artes scientiasque coluere, explicabit, prœcipaaque
antiquitatis omnigenae, quae supersunt, monamenta illustrabit.
J. M(ELLER , Prof. Extraord., Introductionem in Historiam
Universalem diebus Mercurii et Jovis , horâ III, tradet. His-
toriae Philosopliiam exphcabit eauique accoramodabit ad His-
toriam Âiitiqaam et Romanam usque ad Imperii Romani oc
cidentahs interitum.
F.-N.- J. G. BAGUET , Prof. Ord., Liieras grœcas docebit diebus
Lnnœ, Martis et Mercurii, horâ VIII ; loca Odysseae Homericae
seiecta et Xenoj)hontis Memorabilia Socralis interpretabitur ,
atqne Literaruni Grœcarum Historiam exponet. Literas Latinas
docebit diebus Jovis, Veneris et Saturni, horâ VIII, exph-
candis Ciceronis Libris de Officiis et scribendi exercitationi-
bus instituendiç.
380
UNIVERSITAS GA.THOLIGA.
J.-B. DAVID, Prof. Extraord., horis postea indicandis,
Linguae et Literarum Belglcaruin Historiam enarrahit \ loca
optimorum auctorum selecta exponet et in Belgicè scribendo
discipulorum exercitationes moderabitar.
H.-J. KUMPS, Prof. Ord. et Fac. p. t. a SecretJs , Mathe-
matica docebit diebus Mercurii et Jovls , horâ X , Veneris et
Saturni horâ XI.
J.-G. CRAHAY, Prof. Ord., Physicam docebit diebus Lunae,
Martis , Mercurii et Jovis, liorâ XI. Exponet communes Cor-
pornm proprietates, elementa Staticae et Djnamicae, theoriam
Caloris , nhysicas Aeris proprietates , tbeoriam Vaporum ,
Hygrometriam, phœnomenaTuborum Capillarium, Acusticam,
Electricitatem.
Rector Unitersitatis ,
P.-F.-X. DE RAM.
BAGUET , p. t. a Secretis.
381
MÉLANGES. — Octobre 1834.
JVotice de Mgr. Jacques Dojle, évèque de Kiklare. — It. de M. Fran-
çois de Bivaz , abbé de S. Maurice dans le Valais. — Séances de
l'Académie calholicjue de Rome. — Note lue à rAcaJémie des scien-
ces de Paris sur les huit arbres liu Jardin des Oliviers de Jérusalem ,
par M. Boue. — Sur la mort du voyageur RicJiarcl Lancier. — Dé-
couverte d'un village indien caché sous terre. — Découverte de la
lecture d'une inscription runique. — Sur M. Margerin.
— L'Eglise catholique en Irlande a perdu cet été un de ses
évêques les plus distingués. M. Jacques Doyle , ëvêipie de Kil-
dare et Leighiin est mort le i5 juin dernier à Carlow , dans la
48" année de son âge et la i^" de son ëpiscopat. Attaqué depuis
long-temps dune maladie lente, on prévoyait sa fin ine'vitable.
Il reçut les derniers sacremens la veille de sa mort et fut depuis
constamment occupe' de la prière. Cette perte fut vivement sentie
en Irlande , où M. Doyle jouissait d'une grande réputation. Ce
pre'lat avait reçu son éducation ecclésiastique en Portugal , et était
entré dans l'ordre des Augustins. De retour en Irlande , il fut
professeur de philosophie , puis de théologie au collège de Carlow.
Son mérite fit songer à lui pour l'épiscopat , lorsqu'il n'avait en-
core que trente-trois ans. Il fut promu en 1819 aux sièges unis
de Kildare et Leighiin. On a de lui un grand nombre d'écrits,
la plupart avec les initiales J. K. L. qu'il avait adoptées , et qui
indiquaient son nom de baptême et le nom de son siège. Les prin-
cipaux de ses écrits sont les Droits religieux et civil.<; des catho-
liques irlandais 'vengés, dans une lettre au marquis Welle.sley,
1828 ; Défenses de ces droits , 1824; Lettres sur l'état de l'édu-
cation en Irlande et sur les sociétés bibliques ; douze Lettres sur
l'état de l Irlande , Essai sur les réclamations des catholiques,
Réplique à un mandement de l'archevêque protestant de Dublin,
etc. Beaucoup de ces écrits ont rapport à la politique. M. Doyle,
était zélé Irlandais, et ressentait vivement les soull'rances de ses
compatriotes. Tous ses écrits sont empreints de leurs plaintes. Ses
lettres aux ministres, ses lettres à son troupeau sont pleines de
chaleur et de force. A ses talens comme écrivain , l'évêque de Kil-
dare joignait un beau caractère , une âme généreuse , une piété
éclairée.
1Î82 aiÉLAWGES.
— M. François de Rivaz , abhé de Saint- Maurice dans le Va-
lais, est mort au mois de septembre dernier dans un âge peu
avancé. M. de Rivaz était né à Saint-Gengoulph , dernier village
de Savoie, sur ja frontière du Bas-Valais, Il était d'une famille
noble el q)ii avait fourni des hommes distingués, Pierre-Joseph
de Rivaz, né à Saiut-Gengoulph en l'^ii et mort à Moutiers
en 1772, est connu par des travaux mécaniques qui lui firent
honneur; il perfectionna les horloges, l'exploitation des salines,
le dessèchement des marais. Il laissa quelques manuscrits , dont
sont fils , Joseph de Rivaz , grand-vicaire de Dijon , a publié l'un :
E clair cissemens sur les martyrs delà Légion Théhéenne , 1779,
in-8°. Il y a aussi du même des Recherches critiques sur la
maison de Savoie. François de Rivaz était peut-être le petit-fds
de Pierre- Joseph. Il entra de bonne heure à l'abbaye Saint-Maurice,
de l'ordre des Augustins, dans le Bas-Valais. Celte abbaye fut
fondée en 5i5 par Sigismond, duc de Bourgogne, en l'honneur des
martyrs de la Légion-Tbébéenne et sur le lieu oii l'on croit qu'ils
soullVirent la mort. Aœédée de Sayoie la rétablit en 1 136- Elle fut
presque entièrement consumée par le feu en 169-2 , et rebâtie dans
le dernier siècle sous l'abbé Placide. On y garde l'épée de saint
Maurice dans une gaîne d'argent , et ! on y trouve plusieurs restes
d'antiquités romaines. Cette abbaye est habitée par des chanoines
réguliers ; on en envoie quelques-uns desservir des cures voisines.
Ils ont formé à Saint-Maurice un hospice pour les passans et un
collège où ils se livrent à l'éducation. François de Rivaz enseigna
d'abord dans ce collège. Il se livrait aussi à la prédication, A la
mort de l'abbé Pierra , il fut élu abbé de la maison et fut préconisé
par Pie VIÏ dans le consistoire du 10 mars 1823. Il paraît que
le roi de Sardaigne lui avait donné le titre de comte et la croix des
SS. Maurice et Lazare. Nous voyons aussi que le monastère de Saint-
Maurice est qualifié de chapitre royal ; ce qui pourrait paraître
étonnant , l'abbaye n'étant point en Savoie, mais dans le Bas-Va-
lais. Mais, comme Pabbé et plusieurs des religieux sont de Savoie,
le roi de Sardaigne a voulu apparemment leur donner une marque
de bienveillance. L'abbé de Rivaz était un homme régulier ; il a
gouverné sagement sa communauté. I! assista en 1826 à la transla-
tion des reliques de saint François de Sales à Annecy.
— Les trois dernières réunions de l'Académie de la Religion catho-
lique de Rome ont mis fin aux exercices de cette année. Dans l'une,
M. Beilenghi, camalduie, archevêque deNicosie, traita ce sujet : c'est
une opinion fausse et insoutenable que celle de Hume et de M. Biot,
d'après laquelle linfluence actuelle des sciences sur les préjugés
prouve qu'on ne peut discerner aucun miracle des faits naturels, et
eu conséquence qu'il est imjxassiblc de vérifier la réalité des mi-
MÉLàlfGES. 383
racles. Dans la réunion suivante , le père Jacono , procureur-général
des Théatins, entreprit de montrer contre M. de Potier, combien
il est aisé à un •véritable philosophe et à un sage politique de
juger par l'histoire des Papes et des conciles quel est le véritable
esprit de l'Eglise catholique. Ces sujets furent traites avec autant
de sagesse que de savoir. A la dernière réunion , ce fut le savant
prélat , M. Mai , qui porta la parole.
— ■ Note lue à l' Académie des Sciences , sur les huit arbres du
jardin des Oliviers, de Jérusalem. — La note suivante a été com-
muniquée à l'Académie des Sciences de Paris , et lue dans sa séance
du i8 août par M. Bové , ex-directeur des jardins et cultures
d'Ibrahim-Pacha , au Caire.
Il existe dans la province de Fayoum des oliviers dont les sou-
ches ont près de 6 mètres de circonférence , et qui ont produit
3 ou 4 grosses branches , dont chacune a à-peu-près un mètre et
demi de tour, et 8 h lo mètres de hauteur. Autour d'elles s'élèvent
des milliers de rejetons qu'on enlève aujourd'hui pour les replanter
en touffes à la manière de nos lilas. Ces arbres paraissent avoir été
plantés avant l'ère de Mahomet, car depuis cette époque nulle
plantation n'a été faite en Egypte, si ce n'est par les princes
actuels.
C'est en Palestine et en Syrie que l'on voit les plus belles planta-
tions d'oliviers. A l'est de la ville de Gaza est une forêt assez
considérable de ces arbres ; M. 13ové en a vu dont les troncs avaient
de 2 jusqu'à 5 mètres de circonférence ; mais les huit arbres du
Jardin des Oliviers près de Jérusalem sont les plus gros qu'il ait
rencontre's. Leur tronc a plus de 6 mètres de tour ; ils sont entre-
tenus par les chrétiens , qui croient généralement que ce sont les
mêmes arbres qui existaient du temps de J.-G. , et M. Bové est lui-
même porté à le croire, eu calculant l'âge de ces arbres d'après leur
grosseur. En effet , ces oliviers ont pu croître d'environ un demi-
millimètre par an , de sorte que leur grosseur actuelle suffit pour
justifier la haute antiquité que les chrétiens leur attribuent. Au mois
d'août i832, lorsque M. Bové examina ces arbres, ils e'taient char-
gés de fruits encore verts : leurs branches ne s'étendaient pas plus
qu'à 2 mètres du ti^onc de l'arbre , ce qui leur donnait un aspect
particulier.
— Sur la mort de Richard Lander et des autres Européens
qui ont cherche à pénétrer en Afrique. — On sait que ce voya-
geur déjà célèbre, quoique jeune encore , puisqu'il d('pass;iit à peine
sa trentième année, a dernièrement trouvé la mort en Afrique, qu'il
explorait dans l'intérêt de la science comme dans celui do la civili-
384 MÉLANGES.
satioa de ces contrées barbares. Richard Lander était parvenu à
découvrir la source inconnue du Niger, et on lui doit la solution
d'une question qui , pendant bien des siècles, avait embarrassé les
géographes. C'est au moment de revenir dans sa patrie où latten-
dait une renommée si honorable, et des distinctions si bien acqui-
ses de la part du monde savant , que le jeune voyageur est tombé
dans un coin obscur de l'Afrique , sous les coups de ces mêmes
sauvages auxquels il apportait les bienfaits de la civilisation et des
arts de l'Europe.
On ne peut s'empêcher de remarquer celte fatalité, attachée à la
plupart des voyagLurs qui ont exploré l'Afrique. L'entreprenant
Ledyart , qui avait auparavant parcouru la plus grande partie du
globe, est mort des effets du climat peu de temps après avoir mis
le pied sur le sol africain; le brave m^jor anglais Hougton , volé
et abandonne par les hommes qui 1 accompagnaient , a péri miséra-
blement dans les déserts de cette contrée inhospitalière. Mungo
Paik, ilinstrépar un si grand nombre d'utiles découvertes, attaqué
à coups de lances et de flèches par les naturels du pays, trouve
son tombeau dans les eaux du Niger. Le major Denhamme n'e'-
chappe aux périls de limmense et brûlant désert de Sahara, que
pour aller mourir à Sierra-Lcone. Beizoni , cherchant à reconnaître
la source du Niger, succombe à Bezin aux atteintes mortelles du
climat. Glappcrton est emporte' par le chagrin de voir avorter quel-
ques-unes de ses tentatives ; enfin , Richard Lander arrive à la
suite de tous ces noms. Mais combien d'autres Europe'ens moins
célèbres n'ont-ils pas rencontré la mort sur cette terre ingrate, en
échange des bienfaits de la civilisation qu'ils y apportaient, et des
fruits d'instruction et de science qu'eux-mêmes s'e'taient flatte's d'y
recueillir !
Et cependant, malgré ces désastres, l'esprit humain ne renonce
pas à péne'trer dans l'intérieur de ce pays, frappé d'une sorte
d'anathème.
La Société scientifique et littéraire du Cap de Bonne-Espérance
vient d'ouvrir une souscription , dans le but de couvrir les frais
d'une expédition destiné à explorer l'Afrique centrale. Dans l'une
des dernières séances de cette société , Ion a lu une lettre du gou-
vernement, contenant d'intéressans détails relativement aux entre-
prises commerciales de MM. Hume et Muller , qui ont fait de
grands progrès dans l'Afriepie centrale , et ont pénétré au-delà
de Leilakou. On suppose , d'après une observation faite sur l'om-
bre projetée par le soleil , que le i^ décembre i833 , ces messieurs
avaient atteint le tropique. Ce sont ces nouvelles qui ont engagé
la société scientifique et littéraire à envoyer une expédition pour
explorer ces régions, éclaircir les points douteux de leur géogra-
MÉLANGES. 385
phie , donner la nature de leurs productions , et expliquer le?
avantages qu'elles peuvent offrir au commerce.
— U American, journal de Baltimore, annonce en ces termes
la de'couvcrte duo village indien, caché sous terre depuis un espace
de temps inconnu :
Les ouviiers d'une mine d'or de la Ge'orgie, en creusant un
canal pour le lavage de l'or, viennent de découvrir, dans le Na-
coochee Valley, un village indien sous terre, à une profondeur
qui varie de sept à neuf pieds. Quelques-unes des maisons sont
engagées dans un stratum de gravier aurifère. On en compte 34,
construites avec des pièces de Ijois de 6 à lo pouces de diamètre,
et de lo à 12 pieds de long. Les murailles ont de 3 à G pieds de
haut , et forment une ligne continue ou rue de 3oo pieds. Le
système de charpente est le même que celui d'aujourd'hui. Ces
bâlimens paraissent fort anciens. On a trouvé dans les chambres
des paniers de roseau et des fragmens de vases de terre. On y a
aussi trouve beaucoup d'autres meubles et ustensiles , dont l'excel-
lent travail atteste qu'ils sont l'ouvrage d'un peuple plus civilisé
que ne le sont les Indiens d'aujourd'hui.
— La Feuille hebdomadaire danoise ^Dansh ugsshiift) con-
tient dans SCS n * iiq et 120 un rapport de larchivisle Finn iVia-
gnussen , sur la découverte qu'il vient de faire eu dëchillrant la plus
ancienne inscription danoise connue ,\?t pierre runique de Braavalla-
Hcide , à BItkingen. Depuis le 12^ siècle, cette célèbre inscription
avait été l'objet de recherches infructueuses. L'année dernière ,
l'académie des sciences de Copenhague envoya une commission com-
pose'e de MM. Finn Magniissen , Molbech et Forchhammer, pour
décider si ces signes énigmatiques devaient être considères comme
des caractères d'écriture ou comme un jeu de la nature. La com-
mission se prononça formellement contre celte dernière opinion,
sans pouvoir cependant découvrir le sens de l'inscription.
Tout dernièrement, M. Finn Magnussen a eu l'heureuse idée de
lire linscription de droite à gauche , et soudain le sens lui en est
devenu tout-à-fait clair. Il publie maintenant cette incription qu'il
a déchiffrée. Elle est écrite dans l'antique langue du nord, et dans
la plus ancienne esj)cce de vers avec allitération ; elle a été gravée
peu de temps avant la bataille de Braavalla-Heide , vers l'an 735
d(! J.C., et elle contient une prière aux dieux Odin Frey et aux
autres Ases , d'accorder au roi liarald-Hiillekirn la victoire sur les
princes perfides Ring et Ole. M. le conseiller Schlegel a fait la
remarque que cette manière orientale d'écrire clail la plus ancienne,
qu'elle avait été mise hors d'usage par les lettrés romains, lors de
386 MÉLANGES.
l'introduction du christianisme , et qu'elle donne ainsi un caractère
important pour reconnaître la^e des runes. Sans doute, cette heu-
reuse découverte servira à l'explication de plusieurs autres monumens
runiques qui ont été conservés dans une grande partie de l'Europe
comme des monumens muets de la plus ancienne histoire.
— Quelques renseignemens sûrs , relatifs à M. Margerin , nous mettent
à même d'apprécier la vcrilé des faits racontés à son sujet par un jour-
nal libéral français. Nous profitons de cette occasion jîour éclaircir par
quelques réflexions les questions qui ont été soulevées à propos des
rapports éventuels de ce savant avec l'Université catholique.
On se souvient du ton de dérision triomphante avec lequel le Temps
parlait de ce fervent adejife de récole saint-simonieniie , Vun de ceux
qui ont poussé le plus loin sa philosophie novatrice , se ralliant à l'U-
ni\'crsité catholique par excellence. Quand même les faits rapportés par
ce journal seraient e-xacts , ce qui n'est point, nous ne verrions pas
qu'il y eût lieu à triompher pour les ennemis de notre foi et de la
nouvelle Université. Admettons pour un moment la vérité des assertions
du Temps, s'ensuivrait-il que les évoques, faute de trouver des pro-
fesseurs catholiques , ont appelé à l'enseignement de la jeunesse un homme
actuellement saint-simonien ? Comme nous ne pouvons croire que qui
ce soit ait pu accueillir une conjecture de ce genre , il en résulterait
seulement qu'un disciple de Saint-Simon serait rentré dans le sein de
l'Eglise , que cet homme , désireux de réparer ses erreurs , voudrait
mettre ses talens et sa science au service de la religion et que IXTni-
versité lui ouvrirait ses portes. Cela n'.iurait rien de si nouveau , ni
de si blâmable. Si nous nous reportons à l'antiquité, nous voyons tout
d'abord St. -Paul devenir immédiatement de persécuteur apôtre. Sur les
quatre grands docteurs catholiques , deux avaient été long-temps en-
gagés dans les voies du monde et de Terreur, S. Jérôme et S. Augustin.
Ce dernier , personne ne l'ignore , avait été philosophe incrédule , puis
manichéen. Si nous considérons l'époque actuelle . la plupart des défen-
seurs renommés de notre foi , surtout en Allemagne, sont des convertis,
venus de l'incrédulité ou de l'hérésie. Cela même n'a rien d'étonnant :
on a toujours dit : zélé comme un converti. Et en effet, les hommes
qui sont revenus à la vérité après de longs égaremens , ont une ardeur
de repentir qui les mène quelquefois pins loin que ceux qui ne sont
jamais tombés ; ajoutons qu'ils s'entendent peut-être mieux à prémunir
les autres contre les pièges de l'erreur . à raison de la triste expérience
qu'ils ont f lile , et qu'une conversion tardive , grâce d'élection que Dieu
accorde rarement et qui suppose dans celui qui la reçoit le mérite de
la droiture du cœur et de la volonté , est très-souvent un signe qu'on
est destiné par la Providence à devenir un instrument de salut pour
ses frères. Quant à l'exclusion qu'on voudrait donner aux ouvriers qui
ne viennent travailler à la vigne qu'à la neuvième ou à la onzième heure,
ceux qui se sentiraient portés à une sorte de défiance et de jalousie
n'ont qu'à relire dans l'Evangile la parabole à laquelle nous faisons al-
lusion ( Matth XX ) , celles de l'enfant prodigue , de la brebis perdue , etc. ;
ils y verront si ce sont là les sentimens qu'approuve le divin Maître.
Ces principes posés , et il nous parait difficile que des chrétiens re-
MÉLANGES. 387
fusent de les admettre , nous demandons qu'on veuille bien écouter
quelques explications sur le saint-siaionisme , dont l'histoire n'est pas
bien connue de tout le inonde. Celte doctrine a eu trois phases Lien
distinctes : ce fut d'abord un système d'économie politique , sans mé-
lange d'idées religieuses quelconques : ses adhérens , fort obscurs alors ,
essayèrent d'imaginer une organisation de la société où l'inégalité des
fortunes fût moins grande que dans la société actuelle : leurs écrits ,
quoique contenant des vues assez remarquables, étaient à peu près
ignorés. La seconde phase commence en i83o et finit en i83i. Les
disciples de Saint Simon s'aperçoivent qu'il faut quelque chose de plus
qu'un mécanisme pour renouveler la société : ils s'emparent de quelques
idées chrétiennes , les défigurent en les isolant , et commencent à se
donner pour les précurseurs d'une nouvelle religion encore inconnue.
Ils sont passés de la politique à la philosophie : mais comme ils ont
pris le panthéisme pour point de départ . les conséquences de ce principe
se développent bientôt d une manière cfl'rayante. A la troisième période,
ils ont donné à leur doctrine le nom de religion saint-simonienne , et
alors ils tombent d'extravagance en extravagance, de scandale en scan-
dale. Dès les premiers pas, de graves dissentimens s'élèvent entre eux:
plusieurs des chefs se retirent : quelques-uns seulement suivent leur
logique jusqu'au bout , et sont bientôt forcés de s'enfuir en Orient au
bruit des huées et des sifflets.
A partir de cette troisième phase , rien n'est plus insensé et plus ré-
voltant que le saint-simonisme : mais jusque-là , osons le dire , c'est
parmi les diverses formes de l'erreur , l'une des moins repoussantes.
Plagiaire de la primitive Eglise , il faisait appel à la cliarité , au dé-
vouement, et il trouvait en efl'et des hommes qui se dévouaient. Puis,
chose remarquable , il vantait sans cesse le christianisme comme ce qu'il
y avait jamais eu de plus beau dans le monde : il se donnait, il est
vrai, comme un complément et un perfectionnement du christianisme,
amené par les progrès de l'humanité ; mais il plaçait notre religion fort
au-dessus de ce qui n'était pas cette religion de l'avenir que poursui-
vaient ses rêves. Que cela même nous paraisse . à nous catholiques,
absurde et blasphématoire, rien de plus nalurc.l, mais il faut recon-
naître que ces idées étaient un progrès chez des hommes enfoncés au-
paravant dans la fange du matérialisme et respirant toute la haine du
dix-huitième siècle contre notre foi ; on peut même dire que pour les
déistes et les athées auxquels ils s'adressaient . il y avait là une sorte
de préparation au christianisme , puisqu'on leur apprenait à le respecter
et même à l'étudier.
Lorsqu'ils ont vu s'écrouler risiblement ou ignominieusement la chi-
mère qu'ils avaient poursuivie , il y a eu îles chances pour que quelques-
uns d'entre eux se retournassent vers ce christianisme (ju'ils commençaient
à connaître un peu mieux et pour que les plus sincères d'entre eux
sentissent leurs yeux s'ouvrir à la lumière. Ceci n'est pas une simple
conjecture : des faits très-remarquables et qui mériteraient d'être mieux
connus prouvent que Dieu s'est en effet servi du saint-simonisme pour
ramener dans le sein de l'Eglise plusieurs de ses enfans égarés. Un
nombre relativement considérable de saint-simoniens a abjuré ses erreurs
et nous en connaissons plusieurs qui sont aujourd'hui des modèles de
foi et de ferveur. Or, si quelqu'un de ces hommes , devenus fils dévoués
388 MÉLANGES.
et obéissans de l'Eglise , se distinguait par des talens supérieurs et brûlait
de les consacrer à la cause de la vérité , croit-on qu'il fût très à pro-
pos de le repousser et de l'exclure ? Certes nos adversaires sont plus
adroits que nous à cet égard : car dès que l'un des ncMrcs s'égare ou
semble s'égarer , ils rap()elient à eux , ils lui tendent les bras , ils le
placent parmi eux au premier rang, parce que, comme dit lEvangile,
les cnjans du siècle sont j>ius pi'wlens que les enfans de lumière Et après
tout, tlans r^fTaire qui nous occupe, ce sont les ennemis du catholicisme
qui ont cherclnî d'abord à éveiller des préventions contre M. M.iigerin,
d'où il faut conclure qu'ils le regardent comme une acquisition précieuse
pour l'Université nouvelle, à moins qu'on n'aime mieux croire à leur
bienveillance, à l'intérêt qu'ils lui portent, à la crainte qu'ils ont de
lui voir faire un mauvais choix.
Nous avons raisonné jusqu'ici dans l'hypothèse où les faits articulés
par les libéraux seraient d'une parfaite exactitude. Or , on peut prouver
très-facilement (ju'il est faux que M. Margerin ait été, comme ils l'af-
firment, une des colonnes de la religion saint-simonienne , un de ses
hommes les plus imporlans , un de ceux qui ont poussé le plus loin ses
principes. Cette secte avait, on peut s'en souvenir, un organe quoti-
dien où étaient relatés soigneusement les noms des dignitaires de la
nouvelle église, ceux de tous ses missionnaires, de ses néophytes , ainsi
que leurs discours et leurs actes , et où ses plus minces écrivains venaient
chacun à son tour faire leur profession de foi. Or, il n'y a pas dans
le Globe sainl-simonien une seule ligue <le M. Margerin, et son nom
ne s'y trouve pas mentionné parmi ceux des nouveaux apôtres , silence
tout-à-fait inexplicable s'il eut été en communion avec eux : car, si
l'on en croit ceux qui le connaissent , il n est point de ces hommes
qu'une secte nouvelle puisse confondre dans la foule et dont elle ne
sente pas le besoin de se parer. C'est qu'en effet si M. Margerin a eu
quelques relations avec des ilisciples de Saint-Simon , il les a eues au
moment où ils fai>aient seulement de récoiiomie politique et où leur
philosophie ne prétendait pas être une religion. Au moment où ils fai-
saient le plus de bruit, lorsque les doctrines d'Enfantin sur le mariage
se manifestaient. M. iNlargerin était en Allemagne, occupé d'observa-
tions scienlifiques et de méditations sérieuses. Il s'y liait intimement
avec quelques-uns des plus illustres calholi(|ues d'Outre-Rhin qui tous
parlent de lui comme d'un homme aussi distingué par sa piété que par
ses talens. Nous ignorons s'il est appelé définitivement à faire partie
de l'Université catholique , mais il nous semble que quand on lui de-
manderait le concours de ses talens , les catholiques devraient trouver
là plus à applaudir qu'à blâmer. — L'Union , n° 289.
389
VV^ VVV *A^ VVV VVV VVVXAAI «.«^-VV*» VVV VV* VVV VVV VVV VVV VVV VVV VVV VVV VVfc vvv v\^
EXAMEN DE L'HISTOIRE DE FRANCE
DE M MICHELET,
CONSIDÉRÉE sous LE RAPPORT DE LA RELIGION.
PREMIER ARTICLE.
Nécessité de rectifier les histoires anciennes et modernes. — Défauts des
histoires de France. — Oubli ou mépris de l'influence du christianisme.
— Nécessité d'une école historique catholique. — Premiers essais de
cette école. — Examen du livre de Michelet. — Ses erreurs sur les
traditions religieuses des anciens peuples de la Gaule. — Erreurs sur la
suprématie du Samt-Siége. — Est-il vrai que lu puissance du Saint-Siège
n'a été fondée qu'au 5« siècle ? — Est-il vrai que le travail n'a été re-
commandé aux moines que par St. Benoît?
U histoire est à refaire , ii dit un homme dont les paroles reste-
ront. Cette sentence , qui semble plus particulièrement portée contre
les auteurs modernes , frappe aussi une grande partie des œuvres
de l'antiquité classique. Tout en admirant ce qu'il y a de beau,
de noble, de monumental dans la naïve abondance ou l'éloquente
concision des historiens de la Grèce et de Rome, on ne saurait
s'empêcher de reconnaître combien leurs récits sont incomplets ,
leur point de vue rétréci, leurs opinions hasardées, en ce qui
touche surtout l'origine et l'enfance des peuples, leurs traditions
primitives, leurs croyances et leurs mœurs, l'appréciation de leur
civilisation naissante. Ce n'est point , au reste , un amer et absolu
reproche qu'on adresse à ces illustres écrivains. Peut-on affirmer
qu'il leur fut possible de faire autrement? Nous venons à
une époque qu'on ne peut comparer à celle où ils vivaient : nous
profitons de leurs travaux et de ceux de leurs successeurs ; mille
circonstances semblent conspirer pour nous re'véler un passé mé-
T. X. 27
390 EXAMEN DE l'hISTOIRE DE FRANCE
connu jusqu'ici. Les progrès des sciences archéologiques , la con-
naissance des vieux langages, la découverte d'un très-grand nombre
de raonumens, viennent donner à ces temps antiques le charme
dun monde nouveau. Une immense carrière s'ouvre au génie des
découvertes. Des esprits d'un ordre eminent se sont déjà lancés
dans cette voie , et quelque jugement qu'on puisse porter sur les
tentatives des Nieburh , des Schlosser , des Micali, etc., c'est un
point désormais incontestable , que ce que nous savons sur les pre-
miers âges de Thumanite, n'est point la vérité, et que, si nous
voulons la posséder tout entière , nous avons beaucoup à appren-
dre, et peut-être autant à oublier.
Quant h l'histoire moderne ( et je parle naturellement de celle
qui en est la partie la plus importante et qui nous inte'resse le
plus vivement , l'histoire de notre patrie ) , après nous être res-
pectueusement inclinés devant ces immenses et précieux dépôts,
véritables trésors de nos annales , qui ont immortalise' quelques
beaux noms depuis André Ducbesne jusqu'à don Bouquet , nous
pouvons répéter sans injustice ce que tout le monde a dit avant
nous, qu'il n'y a point de véritable histoire de France. Presque tous
nos historiens , quelle que soit d'ailleurs la diversité de leurs sys-
tèmes , semblent s'être entendus pour s'occuper uniquement des
sommités sociales. Toute leur ambition s'est bornée à nous laisser
la date et la description d'une série déterminée d'e'vénemens, des-
quels ils se sont peu mis en peine de chercher les causes, les saites
la mutuelle dépendance, et qu'ils font passer devant nos yeux
comme les tableaux d'un cosmorama. Les princes, leur famille,
leur cour, quelques fameux personnages, les grands guerriers sur-
tout et les grandes batailles, voilà ce qui remplit toutes leurs pages.
Du vrai peuple français , de son état et de ses diverses classes ,
des serfs et de leur affranchissement, des bourgeois et de leurs cor-
porations , de nos villes , de nos provinces , de leur inépuisable
variété de caractère, de législation, de physionomie, rien ou peu
de chose; et, ce qui est beaucoup plus grave, un entier oubli de
l'immense et permanente influence exercée par le christianisme,
dont il n'est guère fait mention que pour laisser percer d'hostiles
et inexplicables préjugés contre les Souverains -Pontifes. Ces deux
derniers défauts out les plus fâcheuses conse'quences , même sous
DE M. MICHELET. 391
le rapport purement Listorique , car il est impossible de rien com-
prendre à la marche des sociétés modernes , si l'on ne cherche la
raison de la force civilisatrice qu'elles portent en leur sein, dans
l'établissement de la religion chrétienne , et conséqucmment dans
l'autorité' exercée par l'Église catholique et par son chef; car, sans
l'Eglise point de christianisme, et point d'Eglise sans celui qui en
est h la fois le faite , la colonne , le fondement et la pierre
angulaire.
Et qu'on ne se méprenne point sur nos intentions. En récla-
mant une histoire profondément religieuse, profondément catholi-
que , nous n'entendons nullement dire qu'il faille déguiser aucun
fait, dissimuler aucun tort, épouser des haines ou des préférences
injustes, montrer les hommes et les choses à travers une loupe,
un prisme ou un voile selon l'occurence. Non , le temps des réli-
cences est passe'. Avant tout , l'histoire doit raconter la vérité'
l'entière ve'rité, la seule ve'rité. Le catholicisme est assez beau pour
être montré tel que Dieu l'a fait. Que sont les fautes , les crimes
d'un certain nombre d'hommes , quels que soient leur rang ou leur
nom, comparés à cette magnifique fondation du Christ, se de've-
loppant dans la suite des siècles , anoblissant l'espèce humaine
faisant l'éducation des peuples , protégeant l'enfance et l'infirmité
élevant les petits et les faibles , rétablissant , fondant la ve'ritable
institution sociale du mariage , anéantissant an dedans le nom
à^ esclave , au dehors celui de barbare, créant à leur place le mot
céleste de charité, qui, seul, peut suppléer à toutes les lois hu-
maines, qui, seul, renferme le germe d'une civilisation infiniment
progressive, et fait luire sur la terre comme un rayon de la cité
de Dieu ? — Qu'on n'oublie point que le christianisme a deux faces :
le côte' humain , car il est fait pour l'homme déchu , me'chant , pé-
cheur : et Dieu, sans cesser de veiller à ses immortelles destinées,
laisse une grande part dans son œuvre à la liberté' humaine ; le
côté divin, par lequel il éclaire et réchauiïe le monde avec la foi
et l'amour.
D'après ces indications, on peut voir ce qui nécessite, selon nous,
un grand renouvellement des études historiques , renouvellement
qui ne peut tarder de s'accomplir , et qui même a déjà commencé.
Il s'est en effet opéré une sorte d'insurrection. Une nouvelle école
27.
392 EXAMEN DE l'hISTOIRE DE FRANCE
s'est hardiment proclame'e. Son début a eu un grand retentisse-
ment ; et , si l'on en trouve en partie la cause dans sa rupture avec
le passe', dans sa démarche fièie et un peu dédaigneuse , il faut
aussi l'attribuer à de brillantes quaîite's , accompagnées de de'fauts
non moins éclatans (i). Mais quoiqu'il s'en faille de beaucoup qu'elle
re'alise nos espérances , nous serons les premiers à rendre justice
à tout ce qu'elle a fait de bien. Sans lui épargner les reproches
mérités, nous ne lui refuserons point l'honneur d'avoir jeté du
jour sur quelques parties obscures de notre histoire , d'avoir fait
de curieuses recherches , d heureuses rectifications à l'aide d'une
science puisée aux véritables sources ; nous la louerons de l'élé-
vation générale de ses vues , de sa tendance à l'impartialité si
éloignée du ton des savans du i8® siècle ; enfin, de quelques ad-
mirables pages sur le christianisme, qui, à nc«j yeux, font oublier
bien des torts, car ces écrivains, jeunes, la plupart, sont bien
loin de partager nos croyances ; et voilà ce qui donne souvent à
leurs paroles une singulière autorité.
M. Michelet , dont nous avons à parler aujourd'hui , « est un
» homme jeune comme nous , un homme de conscience et de tra-
» vail ; un homme qui a cheminé solitaire en dehors des coteries
» et des preneurs, cloîtré en quelque sorte dans ses e'tudes qui
M l'ont blanchi et ridé avant le temps , anachorète et martyr de la
» science.... (2);» il tient un des premiers rangs dans la nouvelle
e'cole historique, et il faut reconnaître en lui la plupart des méri-
tes que nous avons mentionnés plus haut. Ce qui le distingue en-
tre tous , ^c'est une pensée forte et hardie , qui aspire à compren-
dre les faits , à les classer, à les dominer quelquefois; une grande
richesse d'imagination, un style fortement coloré, une tête chaude,
(i) Ce n'est pas ici le lieu de parler de l'école historique religieuse
qui s'est déjà illustrée par des travaux delà plus haute importance. On
peut citer le Tableau historique et piitoresque de Paris, par M^ de Saint-
Victor ; Y Histoire des Croisades , de M. Michaut ; les Jnnales du moyen-
dge , de M. Franlin ; Y Histoire d'Angleterre , du docteur Liugard ; les
Mémoires historiques, de M. de Chateaubriand, etc.
(2) Baron d'Eckstein , ci-d. tom, ix , p. l\o-2.
DE M. MICHELET. 393
une parole entraînante, un grand dësir d'être neuf et admiré.
Il ne faut point chercher dans son livre l'esprit investigateur
de M. Giiizot, la froide et impassible assurance de M. Augustin
Thierry, les longues éiucubrations de M. de Sismondi; son His-
toire de France est plutôt un vif et pittoresque récit, une syn-
thèse rapide des faits, avec l'intention de les rattacher à une loi
historique , dont nous tâcherons prochainement d apprécier l'appli-
cation : nous nous bornerons, dans cet article, à faire connaître
sommairement les idées de l'auteur sur les anciens peuples dont le
mélange a formé la nation française , et à relever quelques erreurs
relatives aux traditions religieuses de ces peuples et à quelques in-
stitutions fondam.entales de l'Eglise.
Personne n^gnore que les premiers habitans de la Gaule furent
les Galls ou Celles , peuple irritable, plein d'audace et d'ar-
deur; « peuple de guerre et de bruit, dit M. Michelet, ils cou-
» rent le monde l'epe'e à la main , moins, ce semble , par avidité
» que par un vague et vain désir de voir, de savoir, d'agir; bri-
» saut, détruisant, faute de pouvoir produire encore. Ce sont les
)) enfans du monde naissant ; de grands corps mous, blancs et
» blonds; de Télan , peu de force et d'haleine; jovialité féroce,
» espoir immense; vains, n'ayant rien encore rencontré qui tînt
M devant eux. » On les aperçoit tour à tour sous la tente d'Alexan-
dre, sous les murs de Rome, aux rochers de Delphes, aux champs
où fut Troie. — Aussi haut que l'histoire peut remonter, voilà
quels furent les possesseurs du sol que nous occupons; vers la fron-
tière méridionale, nous trouvons, il est vrai, d'autres races; au
pied des Pyrénées , les Ibères , paisibles agriculteurs qui forment
un parfait contraste avec les Galls ; au sud-est, les Phocéens qui
posent les fondemens de Marseille , sur les côtes de la Méditerra-
née, pratiquées dès la plus haute antiquité par les Phéniciens et
les Grecs. Mais l'avenir de la Gaule n'était point là. Tandis que
le littoral méridional recevait sa civilisation du midi , le nord et
le centre recevaient la leur des Celtes eux-mêmes.
Cette race gallique, « cet élément jeune, mou] et flottant, » fut
bientôt modifié. Les Kimry , qui ne sont qu'une tribu celtique,
viennent se mêler à celles des Galls ; et ce qu'ils olfrcnt de plus
394
EXAMEN DE L HISTOIRE DE FRANGE
remarquable , c'est qu'ils sont gouvernés par la corporation sacer-
dotale des Druides, qui doit avoir une si haute influence sur les
destinc'es de la Gaule. — Il faut avouer que ce nouvel éicmetil al-
téra prodigieusement la nature de la base primitive; car, au lieu de
cette «jeune, molle et mobile race de ces Galls, de ces grands
» corps mous, blancs et blonds, apparaît tout à coup un peuple
)) dont le caractère est la personnalité, l'opiniâtreté, la persistance,
» la ténacité; race de pierre, immuable comme ses monumeus drui-
» diques » C'est là ce que M. Michelet appelle le caillou cel-
tique. A côté de ce caillou , César vint poser la brigue romaine.
Il y avait là de quoi bâtir un inébranlable édifice; mais il man-
quait un ciment ; les Germains furent chargés de le fournir. Le type
vague et indécis de la race allemande, son esprit e'minemment so-
cial, docile, flexible, lui donnait une malléabilité fort propre à servir
de lien entre les dures couches celtique et romaine.
Ce peu de mots sufS.t pour donner une idée du système de M.
Michelet sur les origines de la nation française, système dont nous
verrons plus tard l'application (i). Hâtons-nous de passer à une
question d'un plus grand intérêt , et qui rentre plus spécialement
dans les attributions des annales.
Le jT volume de V Histoire de France contient de longs et
curieux détails sur la religion des Celtes et des Germains, et il
faut louer Fauteur de l'importance qu'il semble attacher à ce qui
concerne cette partie si essentielle de la vie des peuples. Mais,
dans cette savante dissertation, M. Michelet, ou plutôt M. Ara.
Tierry , auquel ce travail est textuellement emprunté (du moins
pour ce qui regarde des Celtes) , n'a pas assez aperçu, au fond du
culte grossier de ces races , la vraie et première notion de la Divi-
nité. — Sans doute les Gaulois étaient idolâtres ; ils adoraient les
fontaines , les lacs, les pierres, les arbres, les vents, chaque lieu,
(i) Le système de M. l\îichelct a été apprécié à sa juste valeur par
un juge (l'une haute compétence en cette matière , M. le B. irEcksfein.
Voir la Revue Européenne , w"^ de février, mars et mai i834. Ci-dessus
tom. IX, p. 402, 449 î ^^ to™- ^5 P- 23.
DE M. MIGHELET. 395
cîiaque tribu avait son génie favorable ou terrible ; on lui offrait
dVpouvantables sacrifices Mais au milieu de cette foule de
dieux, il est impossible de douter qu'ils ne reconnussent un Dieu
souverain, tout-puissant, éternel ,£)/&«, en un mot. Comme tous
les autres , les peuples du nord-ouest de l'Europe avaient conservé
cette notion d'un Être infini , immense , supérieur à tous les êtres ,
soit qu'ils l'invoquassent sous le nom de Tarann (i), de Teut{i),
d'Hesus(3), ou bien qu'ils ne lui donnassent aucun nom{/l) , preuve
plus certaine qu'il était unique, car les noms ne servent qu'à dis-
tinguer des êtres semblables. C'est de lui qu'ils se glorifiaient de
tirer leur origine (5) ; c'est lui qu'ils appelaient le souverain de
toutes choses , à qui toutes choses sont soumises et obéissantes (6);
celui qu'ils adoraient au fond des bois ténébreux, sans autre ima-
ge, sans autre représentation sensible, que cette secrète horreur
que le respect seul voyait (7). L'Edda le nomme Vcternel , l'an-
cien ^ l immuable , le père des dieux et des hommes Avant
que le ciel et la terre fussent , il existait; il a formé le ciel ,
la terre , l'air , et tout ce qu'ils contiennent ; il a créé Vhomme...;
il exerce son empire sur ce qui est grand et sur ce qui est pe-
tit, sur ce qui est haut et sur ce qui est bas.,,. (8) — Des docu-
(i) Lucan , 1. i.
(2) Theut s\^mÇie père dans la langue celtique. Voir Pelioiitier , Histoire
des Celtes, etc. , livre ni. — Ici., Diclionnaii'ede la langue bretonne. —
Deric , Introduction à l'histoire ecclésiastique de Bretagne . liv. i , p- i ï3.
— Huet, Dèmonstralion éuangélicjue , prop. 4-
(3) Chioiiac , Discours sur la nature et les dogmes de la religion gauloise ,
36 partie.
(4) « Les Cellibères font des danses en l'honneur d'un dieu sans nom. »
Strah. , ni. 4, p- 164. — Dans la religion galloise, le Dieu Suprême
est le dieu inconnu. Davies , Myth. and rites qf the Brilish ., Druids , et
le même , Celtic researches.
(5) Ab Dite Pâtre se prognatos prœdicant. Cœs. Comment, de bello
galL'co , lib VI , § 18.
(6) Tacite^ Germania , c. Sg.
(7) Ibid. , c. 9.
(8) Edda Island. Daeraesaga ,3,7, 18.
396 EXAMEN DE L^HISTOIRE DE FRANGE
mens écrits dans l'ancien langage d'Irlande, témoignent qu'un roi
nomme Cormac O'Quin , se déclara publiquement contre l'idolâ-
trie et pour U adoration dun seul Dieu suprême , tout-puissant ,
miséricordieux , créateur du ciel et de la terre (i). — La base
de la religion primitive de l'Irlande , selon M. Adolphe Pictel ,
était le culte des Cabires , puissances primitives, commencement
d'uue série ou progression ascendante qui s'élève jusqu'au Dieu su-
prême , Beal. « D'une dualité primitive , dit-il, constituant la force
» fondamentale de l'univers , s'élève une double progression de puis-
» sauces cosmiques, qui viennent se l'éunir dans une unité' suprême
» comme en leur principe essentiel. » Cette conclusion est presque
identique à celle qu'a obtenue Schelling , à la suite de ses recher-
ches sur les Cabires de Samothrace. D'après ce dernier , la doctrine
des Cabires était un système qui s''élevait des divinités inférieures
repre'sentant les puissances de la nature, jusqu'à un Dieu supra-
mondain qui les dominait toutes (2).
Ainsi cette idée de la Divinité , qu'on s'efforcerait vainement de
nous donner comme une conquête de l'esprit humain, comme une
abstraction à laquelle les hommes se seraient e'ievés en passant
successivement du cuite des objets mate'riels , des phénomènes
et des agens de la nature, jusqu'à la déification des forces géné-
rales de cette même nature, nous apparaît sous son véritable
point de vue, c'est-à-dire, comme une manifestation, une révéla-
tion directe de l'être dont elle constatait l'existence : révélation
qui a pu être obscurcie, altérée, mêlée à de honteuses et cruelles
superstitions , mais qui est demeurée ineffaçable dans toutes les tra-
ditions humaines , et qu'il est impossible de méconnaître à son
caractère de perpe'tuilé et d'universalité.
On peut en dire autant du dogme de l'immortalité de l'âme.
(i) Alban Butler, The lii'cs offath. and mart. 6 july , note.
(2) Voir M. Michelet, Hist. de France, t. i , p. 4^9. — VoirHuet,
Démonslr. èvang. , et /llnet. quœst. — Bullet , l'Existence de Dieu dé-
montrée par la nature. — Grotius , Féritè de la religion chrétienne,
liv. I , eh. 8. — Essai sur l indij[férence , t. m.
DE M, MICHELET. 397
duquel M. Michelet semble faire une doctrine particulière aux
Druides, un système à part, une invention qu'ils apportèrent avec
eus dans la Gaule [p. ii); or, il est certain que cette croyance,
base nécessaire de tout système religieux , était commune à toutes
les nations d'origine celtique ou germanique. M. Michelet en re-
connait l'existence, chez \es Suèi^es , les Goths , les Saxons et tous
les adorateurs d'Odin [p. i65). On la retrouve chez les T/iraces (i),
les Gèies (2) , les Germains , les Sarmates , les Scythes , les Bre-
tons, les Ibères (3), les Scandinaves (4)- Cette chaîne des peu-
ples vient rattacher nos vieux ancêtres , qui ont pu sembler isolés
aux extrémités du monde , avec les races orientales dont la civili-
sation était plus avancée. Mille autres relations , plus frappantes
peut-être par leur spécialité, se font remarquer dans le langage
comme dans les détails du culte religieux. Ils avaient conservé
l'antique horreur du serpent, le feu céleste, l'arbre au fruit mer-
veilleux, la consécration de la virginité, l'expiation par le sang,
l'attente d'un métliateur (5). Le christianisme, ici comme ailleurs,
n'eut qu'à compléter, développer, purifier, consacrer les croyances
universelles, qui ne sont dans leur principe que la religion primi-
tivement révélée.
La Gaule avait pris la physionomie romaine. Elle envoyait à
Rome des rhéteurs, des come'diens , des sculpteurs, des consuls,
des césars. Rome lui renvoyait en échange, avec une libéralité
royale, des titres de citoyen, de patricien, de sénateur, des
bains , des cirques, des acqueducs , des arcs de triomphe. Un pré-
sent plus redoutable avait été celui de son administration fiscale.
— 11 faut voir, dans Lactance , le tableau de cette horrible lutte
entre un fisc affamé et une population qui pouvait souff'rir, mou-
(i) Poinponiiis Mêla , De situ ovbis , liy. n.
(2) Hérodote, lib. iv, eh. g3.
(3) Pclloulier, Histoire des Celtes et autres peuples. — Brucker , Hist.
crilic. pliitosoph.
(4) Edda Islund , D.icmes. , 3, i5, 49-
(5) M. Michelet, Hist. de France , t. i , p. ii5 et autres.
398 EXAMEN DE l'hISTOIRE de FRANCE
rir , mais non payer. « Tellement grande e'tait devenue la raulli-
» tude de ceux qui recevaient, en comparaison du nombre de ceux
» qui devaient payer, telle l'énormite des impôts, que les forces
M manquaient aux laboureurs, les champs devenaient déserts,
» et les cultures se changeaient en foi'êts.... Je ne sais combien
» d'emplois et d'employés fondirent sur chaque province, sur cha-
)> que ville, magistri, rationales , vicaires des préfets. Tous ces
» gens-là ne connaissaient que condamnations, proscriptions,
» exactions; exactions non pas fréquentes, mais perpétuelles; et
» dans les exactions, d'intolérables outrages.... On mesurait les
» champs par mottes de terre, on comptait les arbres, les pieds
» de vigne. Ou inscrivait les bêtes, on enregistrait les hommes.
» On n'entendait que les fouets, les cris de la torture; l'esclave
» fidèle était torturé contre son maître , la femme contre son mari,
» le fils contre son père ; et , faute de te'moignage , on les tortu-
» rait pour déposer contre eux-mêmes; et quand ils cédaient,
» vaincus par la douleur, on écrivait ce qu'ils n'avaient pas dit.
» Point d'excuse pour la vieillesse ou la maladie ; on apportait
» les malades , les infirmes. On estimait i'àge de chacun , on ajou-
« tait des anne'es aux enfans , on en ôtail aux vieillards... Les
)) hommes mouraient , et Ion n'en payait pas moins limpôt pour
)) les morts (i). « Toute cette oppression retombait des hommes
libres sur les colons et les esclaves. Les serfs des Gaules , poussés
k l)out , prirent les armes sous le nom de Bagaudes ; les villes
furent brûlées, les campagnes dévastées; ils firent plus de mal
qu'une invasion de Barbares, a Mais, disait ■ Salvien , comment
» sont ils devenus Bagaudes, si ce n'est par notre tyrannie, par la
)) perversité des juges, par leurs proscriptions et leurs rapines?
» Nous leur imputons leur malheur, nous leur reprochons ce nom
n que nous leur avons fait (2). »
Le christianisme avait pénétré dans les Gaules dès le premier
siècle. Tant que dura la persécution , ses progrès furent rapides.
Chaque ville fut arrosée du sang chre'tien , et Lyon brillait entre
(i) Lact. , De mort, persec. , c. 7, 23^ tracluct. de M. Mich.
(2) Salv. , De vero jud. et provid. lib. v.
DE M. MICHELET. 399
toutes, couronnée des reliques de ses dix-huit mille martyrs. Mais,
la tempête apaisée^', quand il ne s'agit plus seulement de mourir,
mais de vivre ; quand la surexcitatioa entretenue par les cheva-
lets , les ongles de fer , les chaises brillantes , les combats de l'am-
phithëâtre fut calmée , alors ou vit la société daus son cffravant
malaise , telle qu'un grand corps gangrené et presque fétide , sur
lequel s'étendait comme un double ulcère de la tète aux pieds,
la fiscalité et l'esclavage. En face de cette vivante pourriture, le
christianisme parut s'arrêter; il ne défaillait point cependant, il
veillait auprès du malade, attendant une crise favorable ou fatale,
mais qui pût rendre possible l'application de ses divins remèdes.
Tout stimulant humain était désormais inutile. Vainement Constan-
tin s'efforça d'introduire l'esprit de modération dans les lois fisca-
les ; vainement Gralien et Honorius appelèrent les provinces, et
particulièrement la Gaule, à former des assemblées provinciales;
le peuple était comme engourdi sous le poids de ses maux ; il se
couchait par terre , dit M, Michelet , de lassitude et de déses-
poir , comme la bêle de somme se couche sous les coups , et re-
fuse de se relever. Dans tout l'empire circulait un seul cri sem-
blable à une rumeur confuse : viennent les Barbares. — Ils vin-
rent, La crise fut terrible, mais elle sauva le monde. Les restes
de chaleur, disséminés, refluèrent au cœur; le christianisme, seul
principe de vie, s'en empara; les peuples éperdus se jettent dans
les bras des évêques , et c'est sous la main d'un évêquc, que se
courbe pour la première fois le front d'un Sicambre. — « L'uni-
» versalité impériale est détruite , mais l'universalité' catholique ap-
» paraît. La primatie de Rome commence à poindre , confuse et
» obscure. Le monde se maintiendra et s'ordonnera par l'Eglise ;
» sa liiérarchie naissante est un cadre sur lequel tout se place et se
» modèle. A elle , Tordre extérieur et la vie intérieure. Celle-ci est
» surtout dans les moines. L'ordre de St. -Benoît donne au monde
)) ancien , «se par l'esclavage , le premier exemple du travail
» accompli par des mains libres. Pour la première fois , le ci-
» toycn , humilié par la ruine de la cité, abaisse les regards sur
» cette terre qu'il avait méprisée. Il se souvient du travail
)) ordonné au commencement du monde dans l'arict porté sur
» Adam. Cette grande innovation du travail libre et volontaire
» fut la base de l'existence moderne {p. 112). »
400 EXAMEÎT DE l'hISTOIRE DE FRANCE
Nous avons cité à dessein ces propres paroles de M. Miclielet ,
pour donner un exemple de sa manière , de son regard /laut et
perçant , et aussi de l'inexactitude et de l'exagération qu'il apporte
preMjue toujours dans l'apparente justice de ses jugemens. On a
remarqué dans ces phrases, au moins deux singulières assertions. La
première surtout, qui regarde la suprématie du pontife romain,
ne peut demeurer sans réponse, car il ne s'agit nullement, comme
on pourrait le croire, de la puissance temporelle des Papes. M. Mi-
chclet a soin d expliquer dans une note toute sa pensée ; c'est bien
des droits spirituels du Saint-Siège qu'il veut parler , et dont l'ori-
gine ne remonte pas plus haut, selon lui, que le commencement
du 5'' siècle. Innocent 1^^ a été le premier Pape qui ait avancé à ce
sujet de timides prétentions ; on disputait beaucoup sur le pas-
sage TU ES Petrus ; saint Augustin et saint Jérôme ne V inter-
prétaient pas en faveur de l'évêché de Rome. Avant le concile
d'Ephèse , nul concile rHavait parlé de l'autorité des Papes. C'est
là le sens, sinon toutes les expressions de l'auteur. — 11 est pro-
fondément triste et e'tonnant de trouver cette argumentation toute
protestante et parfaitement digne du 16" siècle, dans la bouche
d'un professeur qui compte parmi les esprits les plus progressifs
du 19". En vérité, Luther, Claude, Jurieu , Mosheim , n'auraient
pas mieux dit. Quoique tout cela ait été mille fois réfuté, nous
croyons re'pondre au vœu d'un grand nombre de nos lecteurs en
nous arrêtant un peu là-dessus , et en rappelant une partie des ti-
tres sur lesquels se fonde la primatie du Saint-Siége, pendant les
quatre premiers siècles de l'Eglise (i).
Remarquons d abord que le passage de saint Innocent V^ , qu'al-
lègue M. Michclet, prouve directement contre lui, car le Pape se
fonde expressément sur l'antique usage, heata consuetudo , ce qui
prouve que ces prétentions , au moins , n'étaient pas nouvelles.
Mais il faut remonter plus haut.
(1) Quoique M. Dûment ait liaité cette question dans son examen de
l'ouvrage de ScLœll , ci-d. lom. vni , p. 36i , tom. is, p. 617, et tom. x,
p. 140 , nous avons cru que ces nouvelles considérations ne seraient pas
inutiles dans une si importante question.
DE M. MICHELET. 401
Premier siècle. — A peine le divin Rédempteur a-t-il accompli
sa mission, que Pierre paraît revêtu de cette prérogative suprême,
qui lui avait été conférée d'une manière si solennelle et si souvent
cocfirme'e ; c'est lui qui convoque et pre'side l'assemblée oîi fut élu
l'apôtre S. Mathias ; c'est lui qui désigne ceux entre lesquels il doit
être choisi; c'est lui qui piêc.he le premier 1 Evangile aux Juifs,
et qui ouvre l'entrée de TEglise aux Gentils dans la personne de
Corneille; il fonde, par lui-même ou par son disciple saint Marc,
les sièges patriarcaux d'Anlioclie et d'Alexandrie, ces deux sour-
ce? de la juridiction ecclésiastique des premiers siècles sur l'Asie
et sur l'Afrique (i). — Ses successeurs continuent d'exercer ce
pouvoir, en donnant des lois aux églises , ou eu leur envoyant des
missionnaires et des pasteurs. — Saint Clément, qui monta sur
le siège de Rome l'an gi , prescrit des ordres à 1 église de Coria-
the, dans une lettre que saint Irénée appelle très-puissante {i). —
De fort graves autorités placent aussi dans ce siècle la mission de
saint Trophime, premier évêque d'Arles et envoyé directement par
saint Pierre (3).
i'' SIÈCLE. — i5o. Saint Potliin , disciple de saint Polycarpe,
est envoyé avec plusieurs ouvriers évangélii|ues dans les Gaules,
et, dit M. de Marca , il est préposé à l'église de Lyon, par le
décret du pape ^nicet (4).
173. — -Le Pape saint Soter adresse aux Corinthiens une instruc-
(i) ( Petrus ) Alexanchiœ Marcum prœfecit. Porrn Anliochenam ( ec-
clesiam) primùm Evodic... regenJam tradidit. Kiceph. Hist. eccles.
1. II, ch. 25.
(2) \KuyorciT>])i ypaÇifv , traduit par potenlissimas litteras. St. Irénée ,
Conlrà hcereses , 1. ni, c. 3 , n. 3.
(3) C'est sur ce fait que St. Zozime fonde les droits qu'il accorde au
siège d'Arles, duquel, comme d'une source, toutes les Gaules ont reçu
les ruisseaux de la foi. Ep. Rom. Pont., t. i, col. 988. — Les évûques
de la province d'Arles , réclamant du Pape St. Léon les anciennes pré-
rogatives de leur métropole , citent ce fait comme connu dans toute la
Gaule et à Rome aussi. Hist. de l'éi^l. gall. , t. 1 , Dissert, prélim.
(4) Tradit. de lEi^l. sur T institution des éi'éip.ies , t. n , p. 5i.
402 EXAMEN DE LHISTOIRE DE FRANCE
tioa pontificale avec des aumônes ; l'évêque de Corinthe , saint De-
nis , répond au Souverain-Pontife pour le remercier de l'une et des
autres ; il compare sa lettre à l'ancienne épître écrite à la même
e'glise par le Pape saint Clément, et dit que ces inonumens res-
pectables sont en une vénération qui ne finira jamais (i).
1^7. — Les célèbres martyrs de Lyon écrivent de leur prison
au Pape saint Eleuthère, atîn de l'engager à pacifier les provinces
asiatiques , que Ihe'resie de Montan avait troublées. La lettre fut
confiée au piètre Irénée, duquel ils parlaient en ces termes : Nous
vous le recommandons avec instance , comme grand zélateur
du testament de Jésus-Christ. Si nous savions que le rang don-
nât le mérite de la justice , nous vous le recommanderions aussi
comme prêtre ; car il est élevé à cette dignité. Plusieurs écrivains
ecclésiastiques, dont l'autorité est d'un grand poids, pensent que
cette recommandation des martyrs fut cause de l'élévation de saint
Ire'née au siège de Lyon (2).
iqo ou environ. — Lucius, roi breton et païen, envoie des am-
bassadeurs au pape Eleuthère pour lui demander des missionnaires.
Deux ecclésiastiques, Fugatius et Damianus furent envoyés par
le Pape à ce prince, et devinrent les premiers apôtres de la Bre-
tagne ^3).
ig5. — Les églises d'Asie s'obstinent à suivre leur coutume,
relativement à la célébration de la Pàque ; le Pape saint Victor
les menace d excommunication; à cette triste nouvelle, saint Iré-
née commence par adhérer au décret de Victor, dans une assem-
blée des prélats de la Gaule ; et, après avoir donné cet exemple
de soumission , il écrit à Victor pour l'exhorter à user de ména-
gement (4).
(i) Bérault-Berc. , Hisl. deVEgl. , t. i , 1. m, p. 209, 210.
(2) Eusèbe, Hist. ecclès. ,Vih. v, c. 4 C'est la conclusion que tirent
de celte lettre de St Irénée, D. Massuet, St. Léon, Hallier et le
P. Longueval , cités dans la Tradit. de l'Egl. sur rinstit. des eV. , t. 11 ,
p. 52.
(3) Nennius, p. 108, édit. Bert. : Jng. Sac, vol. n, p. 667, cités
par Lingard, Ànt. deVègl. Anglo-Sax. , c. i, p. 10, — Rapin. Thoyras,
Hist. d'Angl., liv. i, p. 61.
(4) Egl. Gall., t. I, p. 53. — B. Bercast. t. i , p. 235.
DE BI. MICHELET. 403
Aucun de ces faits serait-il explicable si la suprême autorité de
Rome n'avait été dès-lors universellement reconnue ? Passons aux
deux siècles suivans : nous verrons naturellement les preuves se
multiplier.
3" SIÈCLE. — 245. — Une des missions les plus célèbres , dont
l'histoire ecclésiastique fasse meutiou , est envoyée dans les Gaules
par le Pape saint Fabien. Il ordonna sept évêques, auxquels il
adjoignit un grand nombre d'hommes apostoliques, pour aller cul-
tiver les anciennes e'glises et en fonder de nouvelles. Grégoire de
Tours met au nombre de ces sept pontifes, saint Trophime d Ar-
les, dont la mission ne peut, dans aucun cas, être postérieure à
cette e'poque (i).
253. — Marcien, e'vêque d'Arles, ayant donne dans l'erreur
des novatiens , les évêques voisins en prévinrent le Pape saint
Etienne, et le Pape tardant à leur re'pondre , ils recourent à saint
Cyprien pour appuyer leur re'clamation à Rome. Ce dernier e'crit
aussitôt k saint Etienne : Envoyez, lui dit-il, des lettres dans la
province et au peuple d'Arles , en vertu desquelles ^ Marcien
étant déposé , on lui substitue un autre évêque (2).
257. — Saint Xiste II envoie dans les Gaules une nouvelle mis-
sion , dont faisaient partie plusieurs évêques qui établirent de nom^
breuses e'glises (3).
Vers 260, au rapport de saint Athanase , saint Denis, évêque
d'Alexandrie, avança, en combattant les Sabelliens, quelques ex-
pressions suspectes d'arianisme. Plusieurs fidèles scandalisés portè-
rent plainte à Rome. Le Pape saint Denis ordonna à l'évêque
d'Alexandrie de se justiOer, ce que celui-ci fit , en envoyant au
Saint-Siège une apologie. Les explicationc furent reçues et l'e'vêque
de'claré d'une doctrine orthodoxe (4).
272. — Au rapport d'Eusèbe , Paul de Samosate , déposé au
(i) Greg. Tur. , lib. i, c. 28.
(2) St. Cypr. ad Steph. , epist 67. Trad. de VEgl. , t. 11. 262.
(3) Egl. Gallic. , liv. 1 , p. 79,
(4) St. Athanase , i?e sentent. Dlonys. conirù Ârian. , n. i3.
404
EXAMEN DE L HISTOIRE DE FRANCE
deuxième concile d'Antioche , ne voulut pas céder la maison épis-
copale à Domnus , élu à sa place. On eut l'ccours à l'empereur
Aurclien , lequel ordonna que la maison serait adjugée à celui au-
quel Les éuêques d' Italie et Vévêque de Rome écriraient, en signe
de communion (i).
4® SIÈCLE. — Au commencement de ce siècle , l'affaire des Dona-
tistes et la cause entre Cécilien et Donat est porte'e devant le pape
Mclchiade (2).
3i4. Les Donatistes, déjà condamne's à Rome, le sont de nou-
veau dans un concile tenu à Arles. Cependant les Pères d'Arles ,
avant de promulguer leur jugement, l'adressent au Pape saint Syl-
vestre pour qu'il soit revêtu de son approbation et publié sous
son autorité (3).
3/[2. — L'imposante et triste cause de saint Atlianase occupe
une grande partie de ce siècle. Ce saint évèque , déposé par les
évèques ariens, assemblés à Tyr , va à Rome, où le pape Jules
l'avait appelé'. Son innocence est reconnue par le pontife , qui le
maintient sur le sie'ge d'Alexandrie. Le même Pape se plaint aux
évêques d'Orient de leur conduite : Ignorez-vous, leur dit-il,
qu^il est d'usage de nous écrire d abord , et que c'est ici que doit
être prononcé te jugement?... C'est ce que nous avons appris de
V apôtre saint Pierre, et ce dont je ne vous parlerais pas , vous
croyant siiffif^amment instruits si ce que vous venez de faire ne
nous avait affligé (4)-
34g. — Ursace et Valens s'e'tant rétracte's au concile de Milan,
le concile les renvoie au Saint-Siège et lui réserve le jugement.
35 1. — Eustate de Sebaste ayant été déposé par le concile de
(1) Euseb. , Hist. ceci., lib. vu, c. 3o. — Lettre d'un docteur alle-
mand, etc. , 3« lett.
(2) St. Optât, De schisni. Donastis. , lib. i, c. 23, 24. Bergier , Dict.
thêol. Voir Pape, note i5.
(3) Conc. , t. I.
(4) /" Epist. Juin ad Euseb. Epist. Rom. pont. — Feller. V. Alhanase.
DE M. MIGHELET. 405
Mélitine en Arménie, s'adresse au pape Libère, qui le restitue à
son siège (i).
38o. Maxime le cynique avait été ordonne' , contre les règles ,
évêque de Constantinople j saint Damase écrit à ce sujet à l'évêqiie de
Thessalonique : Je vous ai mandé que l'ordination de Maxime
ne m! avait point plu... Prenez soin quon élise pour ce siège un
évéqué irréprochable (2).
38i. — Le pape Damase convoque, de concert avec l'empereur,
le concile de Constantinople, et il a déjà proscrit à Rome l'erreur
de Macédonius, avant qu'elle soit analhématisée par le concile (3).
— La même année, Théodose envoie une ambassade à saint Da-
mase, pour obtenir la confirmation de Nectaire, élu par le con-
cile patriarcal de Constantinople. Ce fait nous a été conservé par
une lettre de saint Boniface P"" aux évêques de Macédoine, et il
est bien digne , par sa haute importance, de clore cette longue
et imposante énumération (4).
Il est difficile d'expliquer comment un aussi grand nombre de
faits ont échappé à l'érudit professeur d histoire ; et cependant cha-
cun d'eux, pris séparément, suffit pour renverser son opinion, à
savoir que l'autorité pontificale n'a commence' qu'au 5 siècle. Que s'il
prétend qu'avant le concile dÉphèse, aucun autre n'a constaté cette
autorité, nous nous féliciterons, nous et lui, de ce qu'il veut bien
s'en rapporter à l'autorité des conciles , mais cette nouvelle asser-
tion ne sera pas moins insoutenable que l'autre.
Avant que le concile d'Éphèse , ^"ii , eût déclaré quil n'était
douteux pour personne que Pierre, le chef et le prince de l'apos~
iolat, la colonne de la foi, le fondement de T Eglise catholique ,
maintenant et toujours , vit et juge dans ses successeurs (5) , le
(i) Fellcr, ib. — Berg. , Dict. théol. Pape, notes.
(2) IX^ Epist. Damasi ad Ascol. n. 2. Ep. R. P., Trad. de VEgl ,
p. 88.
(3) Feller , Voir Alhanase , note.
(4) XV^ Epist. Bonif. ad Ruf. et episc. Maced. — Tradit. de PEgl.,
t. I , p. 91 et suiv.
(5) Conc. Ephes. , act. 3.
T. X. 28
406
EXAMEN DE L HISTOIRE DE FRANGE
2^ concile oecuménique de Constantitiople, 38 1, auquel le Pape n'avait
point envoyé de légat, mais qu'il avait convoqué conjointement
avec l'empereur, députe à Rome trois évêques avec des lettres sy-
nodales , conçues dans les termes les plus respectueux. Les Pères
du concile se déterminèrent à celte démarche pour s'excuser de
ce qu'ils ne pouvaient se rendre à Rome, h cause des troubles de
leurs églises ; ils envoyèrent eu même temps les actes du concile ,
pour en obtenir la confirmation (i).
Avant le concile d Éphcse , le concile de Sardique, 347, com-
posé d'environ 3oo évêques de trente provinces, avait reconnu le
plus absolu pouvoir au Souverain-Pontife, en matière àe dépositions
d évêques. Si un évêque jugé veut en appeler , la cause sera
portée au Saint-Siège y qui nommera de nouveaux juges , ou con-
firmera le premier jugement... Dans aucun cas il ne pourra être
nommé de successeur qu'après la décision de V évêque de Rome (2),
Avant le concile d'Ephèse , on avait vu les légats du Pape , Osius ,
évêque, et Vitus et Vincentius , simples prêtres, s'asseoir, dans
Nicée , 325, à la tête du premier concile œcuménique, et présider
à la sainte assemblée (3).
Enfin, si nous remontons au premier de tous les conciles, à celui
que Pierre présida dans Je'rusalem , c'est Pierre qui parle avant tous,
et un seul parle après lui pour confirmer ses décisions.
M. Michelet n'est pas heureux ici dans le choix de ses autorités;
il cite, comme opposans à la suprématie du Pontife romain, saint
Augustin et saint Je'rome. Or, il est douteux qu'aucun autre Père
l'ait mieux établie que ces deux grands personnages , par leurs pa-
roles ou leur conduite. Nous avons eu la curiosité' de vérifier les
textes indiqués par M. Michelet ; pour saint Augustin , c'est le
Traité i24 in Evang. Joann. Nous avons trouvé dans ce même
traite', que Pierre , à cause de la suprématie de son apostolat,
portait en sa personne , si Von peut parler ainsi , comme une
(i) Les évoques disent au Souverain-Pontife, qu ils seraient ravis d'' avoir
des ailes de colombe , pour aller plus vite uers lui. — Théodoret , \. v, c. 9.
(2) Conc. Sardic. . can. 3 et 4-
(3) Socral. , lib. i, c. i3.
DE M. MIGHELET. 407
généralisation figurée de r Eglise (i). Pour saint Jérôme, c'est le
lii>re I^^ adi^. Jovin. Voici ce qae nous avons lu ( adv. Jovin ,1. i) :
Quoique le fondement de V Eglise repose également sur eux ( les
apôtres), cependant, un seul est choisi entre douze ^ afin que ,
un chef étant constitué , V occasion du schisme soit enlevée (2),
Mais il ne s^agit point de torturer des passages isoles des SS. Pères;
qu'on se pénètre de l'esprit général de leurs ouvrages; qu'on lise
les lettr s de saint Jérôme au pape Damase ; qu'on lise dans saint
Augustin , celles qui sont adressées au pape Innocent (3) , et l'on
verra si la foi, l'amour, la soumission, ont jamais parlé un lan-
gage plus respectueux, plus tendre, plus filial.
Avant de quitter ce sujet , prêtons un moment l'oreille à un
magnifique concert, qui s'élève de Rome à Carthage , des bords
du Rhône à ceux du Jourdain « 0 Église, mère et racine de
(i) Ecclesiae Petrus apostolus, prop'er apostolatùs sui primatum , ge-
rebat 6guratâ , generalitate personain (n. 5).
(2) Licet ex £equo super eos ecclesiœ fortitudo solirletur; tamen, prop-
tereà unus inter duodecim eligitur , iit, capite constitufo , schismatis
tollatur occasio.
(3) On peut y joindre les lettres à Glorius , etc. , à Optât, à Gene-
rosufs , à Fortunatus, etc. , et surtout les réponses du pape Innocent :
« Suivant les exemples de Fantique tradition, et l'autorité de la disci-
)> pline ecclésiastique, écrit ce Pape aux évêques du concile de Carthage ,
» vous avez fait éclater votre foi en décidant qu'il en fût référé à notre
« jugement, sachant ce qui est dû au Siège apostolique — gardant les
» institutions de nos pères, qui ont décidé , par un sentinnent non hu-
» main , mais divin , de ne terminer aucune afTaire relative aux provin-
11 ces séparées et lointaines , avant que la connaissance en fût venue à
» ce siège, qui devait confirmer la juste décision avec toute son auto-
» rite — — En recourant à celui qu'environne , outre les soins extérieurs,
» la sollicitude de toutes les églises . vous vous êtes conformés à l'an-
» tique règle, qui, vous le savez comme moi, a été suivie partout et
» toujours.... Vous n'ignorez pas que de la source apostolique émanent
» sans cesse des réponses h toutes les provinces , surtout lorsqu'il est
)> question de la foi , etc. , etc. « (Epit. aux Pères du concile de MUct.
D. yiug. Op., t. u, p. 160, édit. Lovan.). C'est ce que M. Michelet
appelle la timidité et la nouveauté des prétentions d'Innocent.
28.
408 EXAMEN DE l'histoire UE FRAINCE
» toutes les autres (i), fontaine apostolique (2), à laquelle il faut
» que tous se réunissent à cause de sa principauté plus puissante (3),
» Eglise à laquelle préside la bouche et le chef de l'apostolat (4) ,
» l'évêque élevé au faîte apostolique (5) ! Eglise principale , d'oii
» est sortie l'unité du sacerdoce (6)! Est-il quelqu'un qui, sesé-
» parant de la chaire de Pierre, sur laquelle est fonde'e l'Eglise,
)) prétende encore être dans l'Eglise (7)?...
») C'est à Pierre qua été donné le souverain pouvoir de paître
» les brebis, et sur lui, comme sur la pierre, a été fondée 1 E-
» glise (8). Le Seigneur a laissé les clefs à saint Pierre, et par
» lui a l'Eglise (9). Le Seigneur a parlé à Pierre, à un seul, pour
» fonder l'unité par un seul (10). Voici un e'dit , un édit péremptoir,
n il vient du Souverain-Pontife , de l'évêque des évêques \^i i). Rome
» est le fondement consolide par Dieu; c'est le pivot sacré, sur
)) lequel tournent et sont soutenues toutes les églises (12). Il est
» très-bon et très-convenable que de toutes les provinces , les prê-
» très du Seigneur en réfèrent au chef, c'est-à-dire, su siège de
» Pierre (i3). Pierre a mérité d'être préfère' à tous les apôtres, et
» il a seul reçu les clefs du royaume du ciel pour les communiquer
(i) St. Anaclet , Pape, Epistola ad omnes episc. et Jîcleles , cité par
M. de Maistre , du Pape.
(2) S. Ignat. , Epist. ad Rom. , in suscript.
I (3) Propter polentiorem principalitatem. St. Iren, , contra hœres. ,
1. ni, eh. 3.
(4) Origen. , hom. 55, in Math.
(5) S. Cypr. , Epist. 3, 12.
(6) Id. , Epist. ad Cornel.
(j) Id. , De unit. Ecoles.
(8) Orig. , Epist. ad Rom. \. v.
(9) Tertull. , Scorpiac. , c. 10.
(10) S. Pacian. , Epist. 3.
(lï) Tertull., De Pudlcit. c. i.
(12) S. Athan. , Epist. adJulium.
(i3) S. Hilar., p. 1290, édit. Paris, 1695.
DE M. MICHELET. 409
» aux autres (i) ; il a paru convennable d'écrire à l^e'vêque romain ,
)) afin qu'il connaisse de nos affaires et qu'il interpose le décret
)) de son jugement (•2). Le successeur de Pierre tient sa place et
» participe à son autorite (3). Nous n'adopterons que ce que
» l Eglise romaine aura a|)[)rouvé (4) ».•••
Enfin, au commencement du 5^ siècle , l'Aquitain saint Prosper,
pouvait jnstenient s'écrier : « Rome , siège de Pierre , capitale de
» deVordre pastoral, tout ce que tu ne possèdes pas par les ar-
» mes , tu le tiens par la religion (5j. » '
Passons à la deuxième assertion de M. Michclel , celle qui re-
présente le trai>ail libre et volontaire comme une innovation dans
l'Eglise, coïnme une invention de saint Benoît. Malheur à nous,
si nous voulions ternir un seul rayon de l'aurcole du glorieux pa-
triarebe ; mais elle est assez resplendissante pour qu'on ne vienne
pas la souiller d'un iaux éclat. — C'est, ce me semble, un parti
pris depuis que les haines anti-religieuses se calment et qu'on veut
bien rendre, jusqu'à un certain point, justice aux institutions
monastiques , de réserver toutes les louanges pour les ordres d Oc-
cident. Ces panégyriques ont une contre partie ne'cessaire , l'insulte
et la de'rision pour les pauvres moines orientaux. Ce sont des cer-
veaux troublés, des imaginations malades, rejetant toute loi, s'a-
landonnant à tous les écarts d'un mysticisme effréné (6j. Ou se
peint une longue fde de figures, plus ou moins grotesques , les unes
échevilées , haletantes, presque furieuses, les autres blêmes et im-
(0 S. Optât. ^ contra Parmen. , 1. vu, n. 3. — S. Gregor. Njss.,
t. 111, p. 3i4- Paris.
(2) S. Basil. , Epist. ad Adianas. , 52.
(3) S. Eplirem , Encom. S, Dasilii.
(4) S. Anibros. , Epist. ad Thcophil.
(5) Sedes Roma Pétri , qu;B pastoralis honoris
Facta caput mundo , quidquid non possidcl armis
Religione tcnet.
( S. Prosp. , carni. de ingratis , p. i , c. 2 , v. 4» et s. )
(6) Voyez M. Michelet , t. i , p. ii3, note.
410 EXAMEN DE l'uISTOIRE DE FRANCE
mobiles comme, les idoles de granit qui les avaient devancées et qui
leur ont survécu dans la Haute-Egypte. — Si l'on voulait bien ré-
fléchir, on se ferait d'autres idées; on aurait peine à se défendre
de quelque admiration pour ces géans du christianisme , pour ces
lutteurs qui ccmbattaient si rudement le grand combat de l'huma-
uité, do la chair contre l'esprit. Nous ne savons si le diable prit
toutes les formes effroyables ou séductives que nous ont si scrupuleu-
sement conservées les légendaires; mais ce qui est sûr, c'est que
la plupart de ces hommes avaient vécu à Rome , à Corinthe , à
Alexandrie, à Canope; ils avaient bu à la coupe de toutes les Ba-
bylones du bas-empire; lorsqu'ils fuyaient au désert, ils emportaient
avec eux une légion d ennemis plus redoutables que tous les mon-
stres de leurs apparitions. A 1 approche de leurs redoutables assauts,
ils recouraient à des armes long-temps éprouvé >. Ceux-ci châtiaient
leurs corps par les coups, les autres par le jeûne; Antoine s'en-
terrait dans son sépulcre , Pacôme marchait dans les buissons , ïïi-
lariou s exténuait par la faim, Jérôme se brisait la poitrine à coups
de pierre, et sa main, encore sanglante , traçait ces étonnantes pa-
roles : Mon corps est noir et desséché , les abstinences t'ont rendu
froid, la chaleur naturelle est éteinte; il semble toutefois que le
fond de la concupiscence le soutienne... Je fuis ma cellule comme
un témoin qui , sachant mes pensées, peut déposer contre moi,...
— Etait-il donc indigne de Dieu d'opposer ces sublimes exagérations
de la vertu , au monstrueux de'bordement de tous les vices? et lors-
que la dégradation du monde romain avait si bien montré jusqu'à
quel point l'âme pouvait être soumise à l'empire des sens, de faire
voir jusqu'à quel point la matière pouvait être domiue'e par l'esprit?...
Fallait-il moins que ces dures pe'nitences pour impressionner ces
populations avilies.'* moins que ces victimes volontaires, pour méri-
ter aux hommes la pitié de Dieu?... Quon ne croie point que ces so-
litaires vécussent sans aucune relation avec leurs semblables : leur
vie, 'leurs prodiges, leur soin même de se cacher, attiraient le peu-
ple autour d'eux. On accourait des lieux lointains, on les poursui-
vait de solitude en solitude; souvent il s'établissait à la porte de la
cellule une lutte entre l'humilité' de l'ermite el la curieuse pie'té de
la foule. Enfin , après avoir entendu quelque voix du ciel, le moine
se montrait avec son corps flagellé et sa face amaigrie ; il consolait
Dli M. MIGUELF.T.
411
les uns, guérissait les autres, les bénissait tous. Il avait droit alors
de parler de la vertu du christianisme, de sa rigoureuse morale;
ce qu on avait vu préparait les cœurs à ce qu'on allait entendre.
Quel effet devait produire, dans les villes toutes païennes , les ré-
cits de ces nombreux pèlerins , racontant ce qu'ils avaient vu dans
le désert? — Sans doute, il y eut des abus, des désordres; on vit
de faux moines , de vagabonds sarabaïtes; d'autres qui donnèrent
dans les erreurs des Massaliens, rejetant toute espèce de travail , et
s'abandonnant kde vagues hallucinations... Mais il n'en est pas moins
vrai que le travail des mains était regardé comme un point essentiel
de la règle monastique. Saint Augustin a fait un traité expressément
sur ce sujet (i). Cassien, qui avait si long-temps vécu avec les moi-
nes d'Orient, a laissé le détail de leurs divers travaux. « Travail-
)) lez, écrit saint Jérôme, ce dur Stridonien , qui n'c tait point
H oisif, lui, dans sa grotte de Bethléem, travaillez, écrit-il à
» Rustique, auquel il enseigne la vie d'un véritable moine , faites
» des nattes, des corbeilles, sarclez le jardin, greffez des arbres,
» faites des ruches d'abeilles, et apprenez de ces petites bêtes à
w vivre en communauté ; transcrivez des livres. C'est une coutume
» établie dans les inouastèrcs d'Egypte de ne recevoir personne
» qui ne sache travailler... » Ailleurs, il raconte comment saint Maie
résolut de retourner au monastère qu'il avait quitté : « Je vis
» (c'est Maie lui-même qui parle), je vis un sentier plein de
M fourmis : les unes traînaient de lourds fardeaux, d'autres char-
« riaient du blé , emportaient des cadavres; elles s'aidaient et se
u soulageaient réciproquement Ce spectacle me lit réfléchir, je
» désirai retourner dans les cellules du monastère , oii je pusse
» imiter les fourmis que je voyais , travaillant pour la communauté ,
» et où chacun n'ayant rien de propre , toutes choses appartiennent
(i) De opère monach. — Voy. Cassien, Institut, monast. — St. Jean
Climaque lui-même, si versé dans ta vie contemplative, et qui doit son
nom à son livre de r Échelle sainte {p^Xtfia^,) au moyen de laquelle on
anpreiiil à s'élever, par trente dei;ics , jusqu'à la plus liaute mysticité,
recommande dans ce même ouvrage de considérer ai'ec soin en quel temps
il faut préférer le travail à la prière; il réprimande /« /i/c/iei e< pares-
seux (jui préfèrent la prière à des travaux pénibles (4" degré).
412 EXAMEN DE l'hISTOIRE DE FRANGE DE M. MICHELET
)) à tous. » Peut-on désirer une expression plus juste du travail
libre et en commun ?
Mais on voudrait que ces communautés se fussent rendues maté-
riellement utiles à la société , qu'elles eussent défriche des champs,
fait l'iigriculture sur une plus grande échelle — D'abord, est-
on bien sûr qu'il y eût à cette époque, dans tout l'empire romain,
un champ qui pût être cultivé ?... Le fer qui creusait alors la terre,
était la pique des légions et l'épieu des barbares; l'engrais qui
fécondait les sillons, était le sang humain; c'étaient les cadavres
qui s'entassaient depuis la Bretagne jusqu'au fond de la Perse... La
bêche des moines se serait émoussée contre les armures et les os-
semens. A moins qu'on ne préfère dire qu'ils devaient défricher
les sables delà Thébaïde. Encore faut-il savoir que leurs demeures,
leurs pauvres plantations e'taient perpe'luellement ravagées par les
bêles sauvages, par les voleurs, par les Arabes, par les hérétiques,
qui ne manquaient pas de venir de temps à autre donner la chasse
aux solitaires. — De plus, un certain nombre d'entr'eux avaient
combattu dans les persécutions et confessé la foi; on leur avait
fait glace de la vie, et ils arrivaient tout couverts des marques de la
gracieuse faveur des Césars. Ces marques étaient un bras de moins,
la langue arrachée, les mains coupées, les yeux crevés, les mem-
bres rompus.. Ceux-ci, certes, ne pouvaient faire de ions travail-
leurs, et ils semblent avoir conquis d'assez glorieuses invalides.
Quant à saint Simon Stylite, il avait converti au christianisme les
Libaniotes et une partie de l'Arabie ; on peut lui pardonner de
s'être reposé sur sa colonne. — Annales de Phil. Chrét. n° 49«
413
L'ÉVÊQUE "WITTRIANN (1).
Parmi le petit nombre de biograpliies dignes d'inte'rêt, il en
est qui ont un charme particulier pour une classe de lecteurs,
dans laquelle nous aimons à placer tous les nôtres. Je veux
dire les biograpliies de ces hommes parvenus, h force de com-
bats et de victoires contre eux-mêmes, à déplacer, au fond
de leur cœur, le principe et le terme ordinaires de l'activité
humaine, l'amour de soi, pour y substituer cet autre mobile
que la langue chre'tienne a nomme' charité, mais que nous
pouvons aussi appeler he'roïsme , qui subordonne toute une
âme, toute une existence, à des âmes, à des existences e'tran-
gères , et fait de ce que nous avons naturellement de plus pre'-
cieux , un holocauste continuel. Il s'exhale de cette sorte de
re'cîts un parfum fortifiant et suave, qu'une âme bien faite ne
respire jnmais sans de'sirer aussitôt de devenir meilleure. Alors,
dans ces instans de re'veil et délan de tout ce qui, en nous,
est reste' ge'ne'reux et pur, on e'prouve un besoin immense de
renouveler sa vie , de se de'pouiller des jours accomplis, comme
d'un vêtement souille' par la ])oussière ou la boue du vojaqe,
et de traverser des eaux purificatrices, pour rentrer, athlète
plus vigoureux , dans la carrière où Dieu nous a place's. Sur-
tout lorsque lame est jeune et neuve, les grands exemples de
perfection morale et de de'vouement religieux, produisent de
profondes impressions. Mais aussi, pour employer le seul lan-
gage qui puisse rendre notre pense'e tout entière , quel plus
sublime spectacle que celui d'un homme ve'ritablementyo««?é'
daîis la charité, dans cette charité ^a/ienfc et bienveillante,
qui ne connaît ni l'cni>ie, ni la malignité , ni la vanité ; qui
(i) Revue Européenne , n° 35.
414 l'évêque wittmann^
n'est point ambitieuse , point ai'idc de son propre intérêt, point
colère ; gui ne sait ce que c'est de penser le mal , ou de se ré-
jouir de rinupdté , mais qui , au contraire, ne trouçe sa joie
que dans la vérité , supporte tout, croit tout, espère tout, souf-
fre tout (i)? La, et uniquement là, est ia vraie sagessp , la
sagesse d'en haut, d'abord liumble , et ensuite pacifique, mo-
deste , persuasive , amie des bons , pleine de miséricorde et d'heu-
reux fruits , s abstenant de juger , exempte d^ artifice (2). Je le
tlemande , y a-t-il dans la re'alite' , peut-on même concevoir ua
plus haut apoge'e de toutes les nolUes faculie's de notre nature^
Et cependant, chez le ve'ritai)le héros, tout est simple, sou-
vent même petit à l'exte'rieur : point de ces inquiets efforts de
la perfectibilité' purement humaine; surtout rien de son osten-
tation. C'est que le principe et le point d'appui de riie'roïsrae
chrétien sont ailleurs que dans notre moi, si pauvre et si fai-
llie ; c'est qu'on n'y arrive que par l'humilité'. Cet aveu du fait
de notre ind!t;ence , qui serait, pour tout homme re'fle'chissant,
la chose du monde la plus naturelle , si elle n'e'tait qu'une
simple ide'e, si elle ne devait pardessus tout, se faire acte,
s'incarner , pour ainsi dire, incessamment dans la conduite. Dans
la conduite!.... Voilà le point difficile, le terrain du combat,
mais aussi le sujet du triomphe, et du plus grand, ^u plus
beau triomphe qu'une cre'ature humaine puisse remporter.
Le ve'ne'rable e'vêque Wittmann fut un de ces rares vainqueurs
de soi même, dont les regards de Dieu pre'fèrent certainement
la lutte à celle que Se'nèque proclamait le plus suhlime spec-
tacle que la terre pût offrir au ciel ; l'humanité' et la charité,
tels furent comme 1 s deux ]iôies de toute sa vie, d'une lon-
gue vie de soixante-treize ans.
Nous avons cru procurer un utile plaisir à nos lecteurs , en
leur faisant connaître cet homme admirahle , et, pour cela,
nous n'avons rien trouve' de mieux à faire, que de traduire,
en entier , la belle oraison funèbre prononce'e par M. l'ablie'
(1) Saint Paul.
(2) Saint Jacques.
L^ÉvÉQUE WITTMATfN. 415
Diepenbrock, chanoine de l'ëglise cathédrale de Ratisbonne ,
le 2 avril i833. M. l'abbe' Diepenbrock, ainsi qu'il eût ëte' fa-
cile de le soupçonner par le morceau que l'on va lire, joint à
ses vertus et à sa science eccle'siastique , un talent de poète
remarquable. Il s'est fait connaître comme tel, daiis le monde
litte'raire de l'Allemagne catholique, par un charmant recueil
intitulé : Geisllicfwr Blumen strausz , où l'on trouve , à côle' de
nombreu.>res pièces originales, une excellente traduction en
vers de fragmens des poètes ascëtiqties espagnols les plus esti-
més , et d'une des meilleures tragédies de Galdéron.
Oraison funèbre de feu Monseigneur George- Michel Wittmann , docteur
en théologie, cvêque nommé de Ratisbonne, doyen du Chapitre de
l'église cathédrale , vicaire-général et directeur du séminaire diocésain,
membre honoraire de l'Ordre royal bavarois de Louis , prononcé dans
l'église cathédrale de Ratisbonne , le 2 avril i833 , au troisième service
funéraire.
Depuis quarante-rinq années, chaque jour à certaines heu-
res, dans les rues de Ratisbonne, on voyait passer hâtivement,
la tête et le regard baissés, un homme vêtu de l'ancien habit
ecclésiastique, recevant de tous un salut plein de vénération,
qu'il rendait ave: l'iménilé la plus affectueuse, et souvent en-
touré d une troupe d'enfans qui s'attachaient à son long man-
teau noir. Celaient , d ordinaire, les quartiers les plus éloignés
qu'il parcourait, entrant dans les maisons des pauvres et des
malades, s'arrétant dans les hôpitaux, dans les écoles et les
églises. L'empressement de sa démarche, joint à la piété ré-
pandue sur tout son extérieur, trahissait le sublime ministère
qu'il allait rem])lir, et partout sa présence inspirait le recueil-
lement, le respect et la paix. C'est ainsi que nous l'avons tous
vu chaque jour, et depuis quelque temps nous ne le voyons
plus; il ne ])asse plus au milieu de nous 5 l'évêque Wiltmann
est mort! Trois semaines sont à peine écoulées, depuis qu'un
long convoi portait son corps privé de vie à travers les mêmes
rues qu'il parcourut si souvent en répandant la bénédiction ,
416 l'évêque wittm\nn.
et des milliers d'hommes se pre'cipitaient pour voir cette fu-
nèbre solennité, et saluer une dernière fois sa de'pouille mor-
telle; et les mères accouraient, portar.t sur leurs bras leurs
petits enfans, pour pouvoir dans la suite graver en eux , comme
lin inelTacable souvenir, qu'eux aussi assistaient aux fune'rail-
les du saint e'vêque ; et beaucoup de larmes ont e'te' verse'es ,
autant peut-être qu'il en a essuyé' durant sa vie; et enfin, il
a e'te' de'pose' ici même, au pied de l'autel, dans le sombre
tombeau ; et , si tous cherchez la place , vous la reconnaîtrez
sans peine à la foule agenouille'e autour de cette froide pierre,
qu'elle baigne de ses pleurs.
Quel est donc le motif d'un deuil si géne'ral ? C'est la pense'e
d'une irréparable perte ; la pense'e qu'une source vivante de
be'ne'diclions est tarie, qu'une colonne est renverse'e , sur la-
quelle reposait tant de bien , tant de sainteté' : et ce sentiment
n'est point une illusion; c'est une ve'rité, une ve'rile' doulou-
reuse! Toutefois il ne convient pas que nous chre'tiens, nous
nous abandonnions à une tristesse dësespe're'e et aveugle; car
noire Dieu n'est pas le Dieu des morts, mais le Dieu des vi-
vans; et, si les cheveux de notre tête ont e'te' tous compte's par
lui, i! a certainement compte' de même les jours du juste, et
le dernier battement de son cœur est dans ses mains comme
le premier. Afin donc que notre tristesse soit e'claire'e, salutaire,
vraiment chrétienne, considérons ce que la divine Providence
nous avait donné dans la personne du défunt et nourrissons
soigneusement, au fond de nos cœurs , le souvenir de ses vertus.
Toute l'Histoire sainte nous montre que, pour le maintien
et l'avancement de son règne ici-bas , le conseil de Dieu est
d'agir sur les hommes par d'autres hommes; et il n'y a rien
là qui nous doive surprendre , puisque Dieu lui même s'est fait
homme afin de nous sauver. Sans doute, depuis la première
fête de la Pentecôte , l'Esprit divin continue d'opérer invisible-
ment dans son Eglise ; mais il se sert d'individus pour agir sur
les masses, de même qu'il se servit de douze apôtres pour con-
vertir trois mille juifs ; et , lorsqu'il éclaire intérieurement le
centurion Cornélius, le trésorier de la reine d'Ethiopie et Saul,
il emploie en même temps un secours extérieur, en les adres-
l'évéque wittmanîî. 417
sant à Pierre , à Philippe , à Ananias. Aussi a-t-il existe' , et
existera-t-il partout et toujours, clans 1 Eglise, des hommes
place's au luilieu de leurs lières, comme supports de la sain-
teté', et comme témoins des clioses éternelles; semblables, en
cela, à ses hautes montagnes qui servent de point de direction
au voyageur e'gare', hrisont la violence des venls destructeurs,
renferment dans leurs entrailles les métaux les plus ])récieax, et
amassent les eaux du ciel sur leur sommet, d'où elles s éj)anclient
dans toutes les directions, en fleuves et en ruisseaux bien-
faisans.
Au nomhre de ces hommes de Dieu, ve'ritaLle sel de la terre ,
qui préservent le genre humain de la corruption et de l'en-
gourdissement, la ville et le diocèse de Ratisbonne doivent
compter George Michel Wittmann , dont le service funèhre
nous rassemble encore une fois en ce lieu aujourd'hui.
L'histoire de sa vie extérieure est extrêmement simple, mais
marquée en tout du sceau le plus éclatant de la grandeur d'âme.
Il naquit, le 23 janvier 1760, à Finkenhammer , auprès de
Pleistein , dans le haut Palatinat, d'une famille aisée, mais dont
les sentimens chrétiens sont encore le plus bel héritage. Dès
sa plus tendre enfance il manifesta un goût prononcé pour la
retraite. Ses parens l'envoyèrent , à l'âge de dix ans , à Missbrunn,
chez un curé d'une grande piété. Là on le trouvait souvent
enfermé dans la chapelle de la maison et s'exerçant aux céré-
monies du service divin, au lieu de se livrer aux amusemens
des enfans de son âge : on l'entendait aussi souvent prêcher
seul , lorsqu'il croyait n'être pas écouté. De Misshrunn il alla
à Amherg étudier le latin , et y reçut , durant plusieurs années ,
l'excellente éducation des jésuites. Lorsqu'aux vacances il re-
tournait à la maison paternelle, on lui donnait, pour ses étu-
des et pour ses exercices de piété, une petite chambre, d'oti
il ne sortait que très peu, et jamais pour aller dans le monde.
Cet amour de la solitude , marque d'une âme élevée et sérieuse,
il le conserva jusqu'à la fin , et ce n'est qu'ainsi qu'il pouvait
devenir ce qu'il a été en effet, le citoyen et le témoin d'un
monde différent de celui qui s'agite sous nos yeux dans le tour-
billon de la vie.
418 l'kvêque wittmanpt.
D'Amberg il se rendit à l'aniversité tl'Heidelberg , où il posa
la base de cette science étendue et solide , qni , sous la forme
la plus simple, Ijrille d'une manière si frappante dans ses écrits
et ses leçons. Ce fut de là quil fit un voyage à travers une
partie de l'AHeinagne, et nous trouvons dans une lettre de lui
encore existante, quil e'crivit à ses parens sur ce sujet, la preuve
de la maturité' intérieure, de la clarté' du coup d'œil , du ca-
ractère se'rieux, de la finesse de tact de ce jeune homme de
dlx-neof ans, et de la sensibilité poe'tique de son âme, ou-
verte à tout ce que la nature offre de beau et de grandiose.
<( Ce ne'tait pas le plaisir que je cbercbais, dit-il, mais la con-
» naissance des hommes et de moi-même. » Opposant ensuite
au splendide jardin d'un prince, une simple gorge de mon-
tagne des environs de Coblentz, dans laquelle l'avait e'gare' une
promenade solitaire, il s'exprime ainsi : « J'ai e'prouvé là un
» plaisir bien autrement vif; j'ai vu les œuvres de Dieu dans
» toute leur virginité' et dans toute leur grandeur; aucune
») main d'homme ne les a encore alle're'es ; nulle trace de la
w me'chancete' du monde; rien qu'un sentier à peine visible;
» point de mensonge, point de vanité'.... » remarquables pa-
roles qui nous font lire profonde'ment dans cette grande âme.
Anrès avoir passe' le temps d'e'preuve et de pre'paration au
se'minaire de Ratisbonne , il reçut, avec dispense, les ordres
sacre's à l'âge de vingt-deux ans , et ce'le'bra , pour la première
fois, le saint sacrifice à la fête de l'Epiphanie, sofîrant tout
entier à Dieu dans l'or d'un zèle pur, dans l'encens d'une vive
pie'te', et dans la rayrrlie du renoncement à soi-même. Il e'tait
naturel que l'onction sainte communiquât la plus riche fécon-
dité' sacerdotale au fonds si bien prépare' de son esprit et de
son cœur, et tout ce que, dans la suite, on a vu en lui d'ad-
mirable , a germe' du sein de ce sol béni.
De'jk, depuis environ cinq ans , il remplissait, à la campagne,
les fonctions du saint ministère, avec ce zèle qu'inspire la
charité', lorsqu'en 1788 il fut appelé' au se'minaire de Ratis-
bonne, en qualité' de sous-directeur, et y commença cette car-
rière pleine de bonnes œuvres , qu'il a poursuivie sans inter-
ruption jusqu'à sa mort, c'est-à-dire à peu près l'espace d'un
l'évèque wittmann. 4! 9
demi-siècle. Dans cet intervalle , plus de mille jeunes gens ont
e'te' pre'jtare's par lui au sacerdoce, et l'on peut voir, dans un
petit e'crit intitule' : ISom'clles du séminaire de liatisbonnc ,
les principes qui lui servaient de règles et qu'il a constamment
suivis. Mais ce qui produisait sur l'esprit des e'ièves plus d'effet
que les leçons , que toutes les exhortations et tous les exerci-
ces, c'e'tait l'homme lui-même, l'éle'ment spirituel visiblement
fixe en lui, et qui, pour ainsi dire, incorpore' à tout son être,
se manifestait dans le moindre de ses actes ; c'e'tait sa foi vi-
vante, ine'hranlable , en la personne et en la foi de Je'susChrist •
son esprit intimement pe'ne'trë du sens profond, plein de mys-
tères, de toutes les institutions et de tous les usages de I Eglise ;
sa charité' de'vone'e, l'he'roïsme de ses victoires sur lui-même,
sa mortification, son humilité', son amour de la prière et du
recueillement. Le commerce journalier d'un tel homme ne pou-
vait manquer de faire Jaillir dans de jeunes âmes jusqu'à la
moindre e'iincelle d'esprit eccle'.siastique. On s'accorde surtout
à louer, comme spe'cialement salutaires, les entretiens parti-
culiers qu'il avait ordinairement le soir, dans sa chambre, avec
les séminaristes, et qu'il savait si bien proportionner à l'e'tat
de l'âme et aux besoins de chacun d'eux. Parmi les nombreux
objets de sa sollicitude, un des premiers e'tait d'insjiirer aux
futurs pasteurs l'amour des enfans et de les remj)lir de zèle
pour leur instruction. Ses leçons sur la morale , sur la casuis-
tique, la liturgie et l'Ecriture sainte, te'moignaient de sa rare
e'rudition et de la clarté de son jugement, en même temps que,
par l'e'tonnante originalité' de ses vues, il prouvait d'une ma-
nière admirable jusqu'à quelle bauteur la liberté' et l'indivi-
dualité' de la spe'culation peuvent s'allier à la plus stricte or-
thodoxie.
Telles e'taient de'sormais ses fonctions, au pe'nible accomplis-
sement desfjuclles il apportait tous les jours la même ardeur.
Chaque nouvelle anne'e lui amenait de nouveaux e'ièves, et il
avait la douleur de voir les pre'ce'dens se se'jiarer de lui au
moment même oii il commençait à jouir de leurs progrès. Que
sur un si grand nombre, tous n'aient pas re'pondn à ses soins,
à ses de'sirs et à son attente , cela est dans la nature des cbo-
420
LEVEQUE WlTTMANIf.
ses : mais, parmi cenx à qui il a servi de maître et de guide,
il n'en est certainement pas un seul, qui, après lavoir quitte',
ne se sotnînt de lui avec ve'ne'ration, et ne de'sirât lui ressem-
bler sous quelque rapport. Si , en ge'ne'ral , le cierge' de Ratis-
Lonne, niênie dans les premières anne'es des houleversemens
de notre Eglise, a toujours eu une re'putalion distingue'e, nul
doute qu'il ne faille , avant tout , l'attribuer au défunt : mais
ce n est que dans l'autre vie que l'on pourra savoir combien
d'âmes doivent leur salut aux rayons de lumière dont il a e'té
le foyer. Beaucoup de ses anciens e'Jèves , qui sont aujourd bui
de dignes j)asleurs, de'clarent à liaute voix qu'après le secours
de Dieu, c'est à lui qu'ils doivent, non-seulement d'avoir e'té
de'livre's de l'incroyance et du pe'che, mais encore tout ce qu'ils
peuvent avoir ope're' de bien : aussi n'est-ce pas dans un sens
purement me'tapborique , qu'il doit être appelé' le père spiri-
tuel de ce diocèse.
Il devint, en i8o3 , premier supe'rieur du se'minaire , et,
en i8o4, l'e'vêque primat lui remit, après la destruction des
frères-mineurs, le vicariat de l'e'i^lise calbe'drale , qui avait été
jusqu'alors desservie par ces religieux. Le ze'le' ministre du
Seigneur accepta avec joie ses nouvelles fonctions, et lorsque,
plus tard, le prince voyant qu'elles le surcbargeaient , voulut
les lui retirer, il le sapplia de n'en rien faire, disant qu'avec
l'aide de Dieu , la cbarge n'e'tait pas trop pesante.
L activité' qu'il prodiguait dans ce nouvel emploi, la ma-
nière dont il travaillait sans rclâcbe au confessional, dans la
chaire, dans les hôpitaux, dans les e'coles , tout cela ne se
peut décrire, et d'ailleurs il me suflit d'invoquer sur ce point
le te'moignage de nos deux villes (i). Je ne citerai que quel-
ques traits qui taracte'riseront sa conduite tout entière.
Pour lui, comme pour tous les hommes de bien éclairés,
l'intérêt des enfans était un point essentiel. Il savait que c^est
dans leurs rangs que l'on fait le plus de conquêtes pour le
(i) Ralisbonne est divisé en deux parties, qui forment, pour ainsi
dire , deux villes distinguées , dont Tuue s'appelle Stadtamhqf.
l'évêque wittmann. 421
royaume de Diea , et que l'on arrache le plus de victimes au
ge'nie du mal. De là son infatigable sollicitude pour les e'coles ,
qu'il visitait re'gulièrement deux fois par jour, dans la ville
et à Stadtamhof. Dui'ant plusieurs anne'es, il donna lui-même
l'instruction religieuse dans toutes les classes , ce qui lui pre-
nait trente-sept heures par semaine. Il e'tait le père des enlaus
pauvres et sans parens ; il les nourrissait et les vêtissait; son
cabinet e'tait pour eux une ve'ritable garde-robe. Quand ils
étaient plus avance's en âge , il les faisait entrer au service de
gens reconnus comme bons chre'tiens, ou les plaçaii en appren-
tissage chez des maîtres dignes de confiance, et ne ne'gh'geait
jamais de s'informer soigneusement de leur conduite. 11 y avait
des jours où il conduisait à la promenade les e'ièves des e'coles
et les orphelins , et il leur distribuait lui-même des rafaîcbis-
semens. Jamais il n'e'tait plus heureux que dans leur compa-
gnie; tout son être se transfigurait, pour ainsi dire, au milieu
de l'innocence qui l'environnait , et ces instans d'un commerce
affable, plein de confiance, avec de petits enfans , e'taient la
seule re'cre'ation , l'unique joie, que cet homme mortifie' se
permît sur la terre. Pourrait-on s'e'tonner , après cela, que, de
leur côté , les enfans se sentissent comme magnétiquement at-
tirés vers lui, et que, dès qu'ils l'apercevaient, ils courussent
a sa rencontre .•*
Il connais.sait exactement toutes les familles de sa paroisse,
savait leurs ressources et leurs besoins, ce qui le mit en état
de rendre d'importans services au conseil d'administration
chargé du soin des pauvres. Son opposition était inflexible,
lorsque des gens moins nécessiteux voulaient profiter de la
charité publique aux dépens d'autres personnes plus indigen-
tes , et il préférait les secourir de ses propres deniers. Sa con-
sciencieuse rigueur, en de pareilles circonstances, lui attira
plus d'une insulte publique de la part de mendians éhontés;
mais il supportait tout cela sans mot dire, comme s'il ne
l'eût pas entendu : on le vit même une fois, poursuivi par
la clameur de ces misérables, continuer son chemin en silence
au milieu du pont, et à travers la ville, jusqu'à sa maison.
Ce n'est point un fait rare dans sa vie, que, pour apaiser des
T. X. 29
422 l'ÉVÉQUE W1TTMA.NN,
discordes de familles , particnlièrement celles dont l'éducation
des erifons avait à soull'iir, il ait pris, n'ayant plus d'autre
moyen , le parti de se jeter tout à coup entre les pareiis di-
vises, et de réciter à haute voix le Pater noster. Dans la maison
des pauvres de Sladtamhof, dont il e'tait administrateur en
sa qualité de curé, il distribuait lui-même, tous les lundis, le
bois aux pensionnaires, afin d'e'toulTer toute jalousie entre eux,
et il les visitait chaque jour , pour les exhorter chaque jour
à la paix et k la concorde.
Mais c e'tait surtout dans les jours de calamile's ge'ne'raies,
que se montrut sa re'solution, son de'vouement sans bornes,
son amour et sa fide'lité de pasteur, et qu il apparaissait, au
milieu des plus grands dangers, semblable à un ange de salut
envoyé d'un meilleur monde. Ainsi, dans un violent déborde-
ment du Danube, on le vit, sur une faible barque, parcou-
rir, au péril de sa vie, les parties inondées, portant à ses
pauvres en détresse des alimens qu'il leur faisait passer par
les fenêtres. Ainsi encore , à la mémorable prise d'assaut de
Ratisbonne, le 23 avril 1809, il se trouvait au plus fort du
combat, dans les rues sillonnées par les boulets, par les bal-
les , et par les soldats en furie , prodiguant ses efforts à ar-
rêter les progrès de l'incendie, à secourir, à sauver ce qui
pouvait encore être secouru et sauvé, et, lorsque cela n'était
plus possible, à porter aux malheureux et aux mourans les
consolations de son saint ministère. Il a peint lui-même ces
scènes d'borreurs dans un petit écrit fort renjarquahle , où. il
compte, aussi fidèlement que possible, toutes les perles, les
siennes exceptées ; car il ne sauva que les registres de sa pa-
roisse, trésor d'un million, selon lui, et son bréviaire : quant
à son mobilier, sa nombreuse bibliothèque et ses manuscrits
si précieux , il ne lui en resta pas la moindre partie. Son
extérieur calme et tout sacerdotal dans ces momens terribles,
exerçait tant d'empire sur les soldats les plus échauffés , que,
loin de lui faire aucun mal, ils ouvraient leurs rangs, comme
à un ange de paix , pour le laisser passer.
Lorsqu'un t8i3 les troupes françaises, en opérant leur re-
traite, apportèrent la fièvre nerveuse dans la ville, l'homme
l'évêque wittmanw. 423
de Dieu se montra entièrement le même. Les malades et les
mourans, à moitié' nus et dans un e'tat de de'goûtante malpro-
preté', gisaient entasse's par centaines dans l'hôpital de Saint-
Mangj la plus effroyable contagion de'cimait ces infortune's ;
tous les jours des barques pleines de cadavres descendaient à
rUnterwœerth (i), où on les enterrait , Wittmann seul visitait
1 hôpital et en de'fendait l'entre'e à ses vicaires, disant qu'ils
se devaient à la paroisse; que, pour lui, s'il pe'rissait , il n'y
avait point de perte. Là il se tenait auprès des malades les
plus repoussans , leur distribuait les sacremens avec les con-
solations spirituelles, et recueillait sur son sein leur dernier
soupir; puis il inscrivait soigneusement leur nom et le lieu de
leur naissance, pour pouvoir ensuite donner des nouvelles
aux familles. Ce fut particalièrement alors que lui servit sa
connaissance de la langue française , et qu'il s'estima heureux
de la posse'der. Plusieurs semaines se passèrent dans ces pe'ni-
Lles exercices, jusqu'à ce qu'enfin il fût atteint et presque re'-
duit à la mort par le fléau. Il crut qu'il allait quitter ce
monde , et il le de'sira ; mais Dieu , exauçant les prières des
fidèles , le rendit à la vie : il n'avait pas encore amasse' tous
les fleurons de sa riche couronne.
Du haut de la chaire, qui de nous, n'a-t-il pas, chaque
fois, profonde'ment e'mu et e'difie? Son exte'rieur ëtait de'jà
à lui seul tout une pre'dication. Il parlait d'une manière ex-
trêmement simple, sans aucune recherche des belies expres-
sions; mais ce qu'il disait e'tait esprit et force : il l'avait senti
il l'avait expe'rimente' lui-même. Dès qu'il ouvrait la bouche
on eût dit qu'il ne fiisait que suivre, à haute voix, le cours
de ses pense'es incessamment occupe'es de Dieu. Semblable h
un bon père de famille, il rompait également le pain de vie
aux pauvres et aux bumbles; celui qui en avait faim , se ras-
sasiait auprès de lui; mais celui qui cherchait les morceaux de'-
licats d'une e'Ioquence apprête'e , n'y trouvait point son compte ;
car il ne savait servir , sur la table spirituelle, que du pain
(i) Ilot formé par le Daiiul)R , au nord-est de Ratisbonne.
29.
424 l'ÉVÉQUE WITTMA.NN.
et du vin. Toutefois l'inspiration inte'rieare qui le remplissait,
de'bordait souvent, comme à son insu, en paroles et en ima-
ges e'ieve'es et poe'tiques. Je n'oublierai jamais un passage de
ses sermons sur la passion , où il met en face de Pilate , Je'-
sus-Christ le roi couronné d'e'pines : « Souffrir, voilà toute la
» puissance du Christ; son sceptre est un roseau. Le roseau
3) plie et souffre. La tempête de'racine les cèdres : le roseau
>j plie. Les torrens se précipitent et emportent les maisons
« dans leur cours : le roseau plie sous les flots qui passent,
» et se relève. Vient l'été avec ses dévorantes ardeurs ; i'iierbe
» et le feuillage altérés courbent la tête : le roseau reste debout
» et ne sèche pas. L'ennemi accourt et ravage les cbamps et
» les prairies : le roseau protégé par le limon au milieu da-
» quel il croît, ne reçoit aucune atteinte. » Lui-même, cet
homme dune patience si calme, d'une ébranlabîe persévérance
dans tout ce qui est bon et saint, rassemblait à ce roseau : la
mort l'a brisé , et maintenant il verdit et fleurit éternellement
devant Dieu.
Son zèle était véritablement infatigable. Après avoir travaillé
sans relâche toute la journée, pour les vivans , il allait, dans
l'obscurité et le silence de la nuit , prier au cimetière pour
les morts : car ses sentimens de pasteur s'étendaient au-delà
du tombeau, et la mort elle-même ne pouvait arracher la
moindre de ses brebis à son amour.
Il entra comme chanoine , en 1821 , dans le chapitre rétabli
de la cathédrale, et prit, depuis ce moment, une part plus
active aux travaux du conseil ecclésiastique du diocèse. Mais
de nouvelles dignités, c'est-à-dire, comme il les envisageait,
de nouvelles charges lui étaient réservées : le vénérable évê-
que Sailer le demanda, en 1829, pour coadjuteur. Son hu-
milité lui fit d'abord refuser cette place, et ce ne fut que
par soumission à une volonté supérieure , qu'il l'accepta à la
fin, ainsi que celle de doyen du chapitre. Alors le diocèse de
Ratisbonne vit briller en même temps , sur son siège , deux
des plus éclatantes lumières de l'église catholique d'Allemagne.
Ces hommes admirables s'étaient connus et unis d'amitié long-
temps auparavant : car, quelle que fût la différence mise entre
l'ÉvÈQUE WITTMANN. 425
eux par leurs dispositions naturelles, par leur genre de vie
ante'rienre , et par leurs fonctions , 11 n'y avait ne'anmoins, pour
l'un comme pour l'autre, qu'un seul but, une seule foi, un
seul amour , qui les tenait lie's par le fond de l'âme , avant
qu'ils ne le fussent extérieurement. Place's,'dès le commen-
cement , le premier sur un plus large tlie'âtre , l'autre dans
un cercle ])lus e'troit , ils travaillèrent tous deux pour le royaume
de Dieu, combattirent tous deux contre l'incroyance, contre
l'esprit du monde et des te'nèbres : l'un, tel que Jean, le
disciple de l'amour, qui tient dans son sein un oiseau appri-
voise'; l'autre semblable à Jacques le Juste, avec ses genoux
enfle's et durcis par une prière continuelle dans le temple;
car le cbristianisme ne de'truit pas plus l'individualité spiri-
tuelle d'un homme, que les traits de son visage; mais il la
sanctifie et la transfigure. L'amour et la vëne'ration de Sailer
pour Wittraanu , s'exprimèrent de la manière la plus toucliante,
dans les derniers jours de sa vie lorsqu'après lui avoir re-
commandé son diocèse , il ajouta : Maintenant , je puis mou-
rir tranquille , et Wiltmann montra bien qu'il e'tait pe'ne'tre' des
mêmes sentimens ;i 1 égard de Sailer, par les sanglots dont il
fut suffoqué en transmettant aux élèves du séminaire ses pa-
roles d'adieu, et par le discours qu'il prononça sur sa tombe.
Ce fut pourWittmann une douleur extrêmement vive d'être
obligé de renoncer à sa charge de curé de la cathédrale, qui
ne pouvait plus s'ajouter à ses nouvelles fonctions : toutefois
lobéissance lui fit encore offrir ce sacrifice. Il s'appliqua , en
revanche, avec d'autant plus d'ardeur à l'administration de
l'évêché, entreprit des voyages fort pénibles pour visiter et
confirmer les parties les plus reculées du diocèse, ne faisant
souvent qu'un repas, et encore composé pour tous mets, de
pains, d eau et de pommes de terre; après quoi, revenu à
Ralisbonne, il s'empressait de rendre au conseil épiscopal , le
compte le plus exact de sa mission, proposait et prenait des
mesures pour remédier à tout ce qu'il avait vu de défectueux.
Comme président de l'ordinariat , il mettait la ponctualité la
plus consciencieuse à prendre connaissance et soin de toutes
les affaires, pénétrait, avec une rare perspicacité et une iné-
426 l'évoque wittmann.
paisable patience, jusque dans les moindres détails, prêtait
attention à tous les conseils, et tenait inebranlabieraent à ce
qui avait e'te' une fois de'cide par la majorité', même dans le
cas très-rare où il se trouvait d'un avis difîe'rent.
Qui e'fait plus digne que cet liomme vraiment apostolique,
de relever le hâton pastoral de saint Wolfgang (i), tombe des
mains de Sailer? Sa Majesté' sentit cela, et ici même, dans
cette e'glise, sur le tombeau à peine ferme' de l'e'vêque de'funt,
elle nomma Wiltmann son successeur. Les fidèles du diocèse
entier glorifièrent Dieu et be'nirent Sa Majesté' pour un choix
qui re'parait, mieux que tout autre, la perle qu'ils menaient
de faire. Il n'y en eut qu'un seul qui ne se re'jouît pas : celui-
là était Wittmann lui-même. Une voix iute'rieure et prophétique,
et peut-être une clarle' partie du ciel, la nuit, au milieu de
sa prière accoutume'e, l'avertit de penser à un autre avenir.
Déjà , dans une maladie qu'il avait e'prouve'e l'anne'e préce'dente ,
il avait dit que lors même qu'il gue'rirait cette fois, ce ne
serait pas pour long-temps. Depuis sa nomination, il re'pe'tait
avec assurance qu'il ne monterait jamais les degre's du sie'ge
episcopal. Et cette pre'diction à laquelle on aimait tant à ne
pas croire , s'est he'las ! accomplie. Sa pre'conisation à Rome
fut retarde'e par une omission fortuite d'une des formes usi-
tées. Le 22 fe'vrier, il assista encore le matin, au conseil
eccle'siastique et alla, l'après midi , prêcher au se'minaire. On
remarqua avec inquie'tude la difficulté' de sa de'marche et
l'embarras inaccoutume' de sa prononciation. Ayant pris l'or-
gueil pour sujet de son discours , il expliqua comment ce vice
consiste, particulièrement, en ce que nous, pauvres pe'cheurs,
ne voulons point être de pauvres pe'cheurs; et je ne sais quoi
de particulier, dans sa parole, la faisait ressembler à une
parole du monde des esprits. Le lendemain matin, à cinq
heures , il e'tait déjà, selon sa coutume , à l'autel ; mais la douleur
qu'il avait e'touffée jusqu'alors devint si violente , qu'elle l'obli-
gea , le saint sacrifice à peine achevé', de sortir en toute hâte.
(i) Un des premiers évèques de Ratisbonne.
l'évèque ■wittma?(n. 427
Une maladie extrêmement aigaë s'e'tait de'clare'e. La patience
avec laquelle, e'tendu sur sa pauvre couche (i), il endura
les maux les plus cuisans, fut la patience d'un martyr. A la
ve'rile' , les soins et les efforts multiplie's des me'decins réus-
sirent à apporter quelque soulagement à ses souffrances. Lui-
même il put croire, un instant, qu'il en reviendrait, et, sans
doute, sa pense'e se reporta aussitôt sur les devoirs de sa charge :
mais tout le monde , lui le premier , ne tarda pas à voir qu'une
gue'rison e'tait impossible, et dès-lors il tourna, avec plus
de joie , vers la mort son regard de'goûte' de la vie. La con-
sternation devint ge'ne'rale ; partout, dans les e'glises et dans
les e'coles , on fit, à son intention, des prières publiques. Lui-
même e'tait dans une prière inte'rieure continuelle; souvent
il demandiiit l'heure, et quand on la lui avait dite, il ajou-
tait : « A celte heure la Je'sus-Christ a souffert tel ou tel tour-
» ment. » Chaque jour il recevait la sainte Communion avec
une ferveur toute se'raphique. Quiconque le visitait recevait
de lui un adieu touchant; il reconnaissait même ceux qu'il
n'avait vus que quelques fois, et adressait à chacun quelque
parole affectueuse et consolante. Il donna sa be'ne'diction so-
lennelle aux élèves du se'minaire , et aux personnes de sa mai-
son , et dit ensuite : « Je termine en ce moment ma mise'rable
» vie; Dieu m'appelle h lui; j'espère en sa miséricorde. » Sen-
tant les approches de la mort, il voulut qu'on l'e'tendît sur
le plancher, puis ayant fait placer devant lui un crucifix, il
dit : « Je sais un chre'tien , je veux mourir sous la croix. »
Il demeura ainsi e'tendu, le dernier jour et toute la nuit, dans
une paisible attente de sa de'livrance, et le lendemain, jour
de la fêle de saint Jean de Dieu , lorsque vint le cre'puscule ,
qui l'avait si souvent surpris en prière , il ne trouva plus que
son corps inanime' ; l'esprit e'tait déjà dans une adoration e'îer-
nelle devant le trône de Dieu.
Ainsi ve'cut et agit, ainsi souffrit et mourut ce grand homme,
digne des plus heaux jours du christianisme, et, par cela
(i) Depuis nombre d'années Wiltmann Découchait que sur des planches.
428 l'ÉVÉQUE WITTMAITN.
même , don du ciel d'autant plus précieux dans notre âge dé-
génère'. Remercions Dieu , avec une vive reconnaissance , de
nous l'avoir accorde', à nous qui ne le méritions pas, et de
nous l'avoir conservé si long-temps. Mais ce que nous avons
surtout à faire, c'est de nous approprier , autant que possible,
sa succession spirituelle, le riche he'ritage de ses vertus. Qu'au-
cun de nous, quel qu'il soit, ne se retire les mains vides; il
y a ici à puiser pour tous ; tout en lui nous avertit et nous
exhorte : son éloignement du monde , puisque nous sommes
tous au milieu du monde et de ses séductions; son renonce-
ment entier à lui-même, puisque nous portons tous, dans
notre sein , les passions de l'égoïsme; sa patience et son amour
de la croix, puisque nous avons tous à endurer des peines et
des épreuves ; sa vie pénitente, puisque nous sommes tous
souillés par le péché; son humilité profonde, puisque nous
oublions tous si souvent que nous sommes de pauvres pécheurs;
son zèle pour la prière , puisque nous avons tous si grand besoin
de l'assistance divine : son attachement à sa vocation , puisque
nous avons tous , sous peine d'une sévère sentence , des devoirs
nombreux a remplir; sa foi persévérante, inébranlable en la
personne et en la puissance divine de Jésus-Clirist , puisque nous
avons tous à subir la mort avec ses horreurs; sa tendre sollici-
tude pour les pauvres et les orphelins, désormais confiés à
notre garde, depuis qu'ils l'ont perdu : enfin, elle nous
avertit et nous exhorte cette voix qui nous crie du fond de sa
tombe : « Heureux les morts qui meurent dans le Seigneur; ils
0 se reposent de tous leurs travaux, et leurs œuvres les suivent! »
Et vous deux , maintenant, évêques vénérables, qui reposez
ici, chacun de votre côté , à l'ombre de l'autel que vous protégeâtes
et défendîtes si fidèlement, n'oubliez pas votre église, ne dé-
laissez pas votre troupeau; mais, prosternés devant le trône
de Dieu , accordez-leur le secours de vos prières! Éloignez,
par votre intercession, tout danger de cette ville, de ce diocèse,
de toute la patrie! Pour nous, nous nous taisons, laissant à
votre souvenir le soin de continuer de parler au fond des cœurs.
— Peu de temps après la mort de Wittmann , il parut, à
Katisbonne , un petit volume annoncé, dans plusieurs journaux,
SUR LA CONVERSION, ETC. 429
comme renfermant de longs et précieax de'tails sur sa vie,
mais qui, en re'alité , se compose, moitié d'ane copie servile,
moitié' d'(ine plate amplification du discours de l'abbe' Diepen-
brock. Quelques personnes trompées par cette misérable
spéculation de librairie , manifestèrent alors le désir que celui
qui avait si dignement parlé sur la tombe du saint évêque
donnât de lui une biographie complète.
SUR LA CONVERSION
D'UN MOBIii: ANGLAIS' M. SPENCER*
L'honorable et révérend George Spencer, fils de lord Spen-
cer et frère de lord Althorp , est rentré il y a quelques
années dans le sein de l'Eglise , comme nous l'avons annoncé (i).
Il a dernièrement fait lui-même l'historique de sa conversion,
dans ane lettre écrite de West-Brunswick , en date du 3 Jan-
vier dernier, et adressée à un prêtre catholique, M. Rigby.
Cette lettre, pleine de candeur, a paru dans quelques jour-
naux, anglais.
« Je fus, dit M. Spencer, ordonné diacre dans l'Eglise an-
glicane vers Noël 1822 , étant persuadé à celte époque que
tout était bien dans cette Eglise , quoique je n'eusse pas pris
beaucoup de peines pour étudier les fondemens et les prin-
cipes de son établissement. Quand j'entrai dans le ministère
actif comme ecclésiastique, je cherchai h m'en instruire plus
pleinement. Je lisais et j'admirais .souvent la liturgie de l'E-
glise, et je m'étonnais souvent aussi comment un si bel ouvrage
avait pu naître au milieu de la confusion et de la perversité
qui, comme l'apprenaient les histoires prolestantes, avaient ac-
compagné tous les procédés des principaux acteurs dans réta-
blissement de la réforme en Angleterre. J'avais été élevé dans
(1) V. ci-d. tom. VII, p. 488.
430 SUR LA CONVERSION
l'habitadede regarder l'Eglise catholique comme an amas d'er-
reurs, et je i:e pensais pas alors que tout ce que j'admirais dans
la liturgie de l'Eglise anglicane n'était qu'un abrège' mal en-
tendu des beaux offices de l'Eglise catliolique. Ce qui com-
mença h modifier mes vues par rapport à l'orthodoxie et à
l'excellence de l'Eglise d'Angleterre , ce fut les entretiens que
j'eus avec diiîe'rens ministres piotestans des e'glises dissidentes.
» Je recherchais volontiers leur conversation, dansl'espe'rance
d'en amener quelques-ans, ainsi que leurs troupeaux , à l'Eglise
e'tablie, qu'à mon avis ils n'avaient pas eu de bonnes raisons de
quitter. Mais chaque secte que j'eus occasion de connaître
semblait avoir des choses assez raisonnables à alle'guer en sa
faveur et contre l'Eglise anglicane. Je compris bientôt que ces
sectes ne pouvaient être toutes vraies et fonde'es dans leurs
<loctrines contradictoires et dans leurs règles pratiques , et je
vis clairement des erreurs palpables dans leurs divers systèmes;
mais en même temps je de'couvris par leur conversation que
je ne pourrais de'fendre chaque partie de mon propre système,
et <!ue ces ministres pouvaient m'opposer des argumens aux-
quels je n'avais rien à i-e'pondre de satisfaisant. A la fin , je ren-
contrai sur les trente-neuf articles une difficulté' qui me prouva
que je ne pouvais rester ce que j'e'tais. En signant ces articles,
on me demandait mou assentiment à certaines doctrines, sur
ce fondement exprès qu'elles pouvaient être prouve'es par des
témoignages certains de la sainte Ecriture; et même les pro-
testans tiennent comme un principe géne'ral que la sainte
Ecriture contient tout ce qui est nécessaire pour le salut ,
tellement quj tout ce qui n'y est pas renfermé ou ce qui ne
peut se prou-er par elle , on ne peut exiger de le croire comme
un article de foi ou le regarder comme nécessaire pour le
salut. Maintenant je ne puis tirer de l'Ecriture seule une preuve
claire et satisfaisante des doctrines dont il s'agit, et pour les
établir je me trouve obligé de recourir aux argumens tirés de
la raison et indépendans des Ecritures, ou bien d'en appeler
à l'assentiment général des chrétiens dans la succession des
temps, en d'autres mots, à la tradition de l'Eglise.
u Je sentis que je ne pouvais signer de nouveau les trente-
d'un noble anglais, m. spencer. 431
neuf articles, à moins que cette difficulté ne fût re'solu. Je la
proposai h mes supe'rieurs ; mais comme les explications qu'ils
me donnèrent ne me satisfirent point, après avoir long-temps
me'dite' là-dessus, je de'cîarai à la fin ma résolution de ne plus
souscrire aux trente-neuf articles. J e'tais alors plus libre de
cliercher la ve'rité, quelque part qu'elle pût se trouver; mais
je n'avais pas d'idée qu'elle jmt être dans l'Eglise de Rome.
Mes amis me détournaient d'avoir aucune communication avec
les prêtres catholiques ; je crus pourtant qu'ils ne devaient pas
être exclus du plan général de réunion que je voulais suivre,
et, en conséquence, je leur parlais fréquemment. D'abord,
je m'attendais à les trouver fort ignorant du véritable esprit
de la religion, servilement attachés aux formes, et absolument
incapables de défendre ce que j'appelais les absurdités de leur
croyance; mais , à mon grand étonnement , chaque conversa-
tion que j avais avec eux me faisait voir combien je m'étais
trompé. Je trouvais qu'ils entendaient très-bien les dogmes de
leur religion, et qu'ils savaient même les expliquer et les
soutenir d'une manière victorieuse. Je commençai doue à son-
ger qu'il y avait dans la religion catholique plus que je ne
soupçonnais, quoique je ne fusse pas convaincu qu'on eût tort
d'être séparé d'elle , et que je la crusse dans l'erreur sur plu-
sieurs points , et en opposition avec l'Ecriture.
» La première chose qui changea matériellement mes idées
sur rEî?Jise catholique, ce fut une correspondance que j'eus
pendant six mois avec une personne inconnue qui avait voyagé
sur le continent, et, qui, étant entrée souvent dans les églises
catholiques, avait été surprise de la beauté et de la piété des
cérémonies , et en était venue à douter de la sagesse de la
réforme, et à faire des recherches sur ce sujet. Je crus la
remettre dans le bon chemin en lui indi(juant quelques argu-
mens contre les catholiques , tirés, comme je le pen.sais , de
l'Apocalypse et d'autres livres de IM'xriture. La personne soutint
avec force que ces raisonneniens n'étaient point tirés de l'E-
criture, et, en effet, je nie convainquis qu'ils ne m'étaient
venus à res])rit que parce qu'ils avaient été employés par des
commentateurs protestans. Je me décidai donc h m'en tenir à
432 SDR LA CONVERSION
la parole de Dieu seule. Je n'ai sa ce qu'e'tait ce correspondant que
lorsque j'allai sur le continent pour me pre'parerà recevoir les
ordres. J'appris alors que c'e'tait une jeune dame qui e'tait sur
le point de se faire catholique, mais qui, pour s'e'clairer de
plus en plus, m'e'crivait, ainsi qu'à un ou deux autres minis-
tres protestans , pour voir ce que nous pourrions alle'guer en
faveur de notre Eglise. Nos réponses affermirent bien plus
qu'elles n'ébranlèrent son attachement à la foi catholique. Elle
embrassa en effet cette religion , et e'tait sur le point de faire
profession chez les Dames du Sacré-Cœur, lorsqu'elle mou-
rut de la manière la plus édifiante.
» Cette correspondance me rendit plus disposé à écouter
favorablement les catholiques ; mais il se passa trois ans avant
que j en vinsse à me décider pour leur croyance. Voici comment
la chose arriva. Je fis connaissance, vers 1829, avec M. Am-
broise Piiillips, fils aîné d'un membre du parlement. La con-
verbion de ce jeune homme à la foi avait eu lieu sept ans au-
paravant , et m'avait beaucoup surpris quand j'en entendis
parler. Son caractère et sa conversation m'intéi'essèrent, et
j'acceptai avec plaisir l'invitation d'aller passer une semaine
chez son père, à Garrenden-Park. Je ne songeais point à com-
battre ses sentimens, car j étais déjà convaincu qu'on pouvait
être bon chrétien étant catholique. Je partis pour Garrenden-
Park le dimanche 24 janvier i83o, sur le soir, après avoir
prêché deux sermons dans l'église protestante de Brington,
dans le Northamptonshire, dont j'étais recteur. Je ne pensais
point alors que ces sermons seraient les derniers que je prê-
cherais dans une église protestante. Tout le temps que je passai
à Garrenden fut presque consacré à des entretiens sur la re-
ligion , et je m'aperçus bientôt qu'au lieu d'être capable d'ap-
prendre à mieux penser en religion, j'étais obligé de recon-
naître que sur plusieurs points il pouvait être mon maître.
Je le trouvai très en état de défendre la foi catholique contre
mol et contre quelques autres théologiens protestans ])lus ex-
périmentés qui se joignirent par occasion à notre conversation»
A la fin, trouvant que je disputais avec obstination, et non
avec la candeur dont je fais profession , je me décidai à con-
d'un noble anglais, m. spencer. 433
sidérer la cliose sons un nouveau Jour, et avec une déter-
mination sincère de suivre la ve'rite'.
» Cette resolution me soulagea beaucoup, et me de'livra de
tous mes doutes. Je devais retourner le samedi à Brington y
reprendre mes fonctions; mais nous allâmes le vendredi à Ley-
cester avec M. Phillips, et nous y passâmes la soire'e avec
M. Caestric , missionnaire qui re'side à Leycester depuis quel-
ques anne'es. La bonté' et la patience avec lesquelles il e'couta
mes objections, ses explications, ses raisonnemens achevèrent
de m'ôter toute incertitude. Je sentis que je ne pouvais ni ne
devais re'sister plus longtemps, et avant la nuit je de'clarai
que j'e'tais soumis à l'Eglise de Dieu. Mon entretien f.vec M. Caes-
tric me convainquit pleinement que l'Eglise catholique était
l'Eglise fondée par le Sauveur, celle à laquelle il a prorais que
les portes de l'enfer ne prévaudraient pas contre elle, et que
lui et son Esprit saint résideraient au milieu d'elle ; celle qu'il
a ordonné d'écouter, sous peine d'être considéré comme un
pa'ïen et un publicain. Je fus convaincu qu'en lui obéissant
j'obéissais à celui en qui j'avais placé mon espérance, et qu'ainsi
je ne courais aucun risque de m'égarer. Grâces h Dieu, je chassai
la pensée qui s'offrit d'abord à moi de retourner dans ma ré-
sidence et de remettre à me décidera la semaine suivante. La
démarche que je fis le jour suivant en me déclarant catholi-
que est telle que je n'y pen.se jamais sans consolation. Il m'était
démontré que l'Eglise catholique avait les quatre marques de
l'Eglise de Jésus-Christ, qu'elle avait la parole infaillible de
Jésus Christ, et qu'elle devait durer jusqu'à la fin du monde.
Les protestans nous disent bien qu'elle était d'abord l'Eglise
véritable, mais qu'elle tomba ensuite dans l'idolâtrie et dans
des doctrines perverses; ils le disent, mais ils ne peuvent
montrer comment , quand et où elle tomba dans ces excès.
Je crus donc plus prudent de m'en rapporter à la parole du
Sauveur qu'à celle d'un homme , et si ma résolution de me
faire catholique fut j)rompte, je délie de prouver qu'elle fut
téméraire et inconsidérée.
» Je vis que l'occasion présente était la plus favorable. J'en-
voj'ai de nuit un messager à Brington pour annoncer ma ré-
434 OEUVRES COMPLÈTES DE SAINT JEA» GHRYSOSTOME.
solution, et le samedi matin, 3o janvier, je fis mon abjura-
tion du protestantisme dans la chapelle de Leycester. Je n'avais
d'autre pensée que de servir Dieu dans le ministère de cette
Eglise, que je venais de reconnaître comme la ve'ritable. En
conse'quence, j allai m'olfrir au docteur Walsh , évoque catiio-
lique du district du Milieu, qui m'envoya au collège anglais
à Rome. Jy ai e'te' ordonne' pour la mission d'Angleterre
le 26 mai i832 , jour de la fête de saint Augustin, et dans
l'église de Saint-Gre'goire, du pontife qui donna la mission à
saint Augustin pour aller travailler à la conversion de l'Angle-
terre. Je demande à Dieu d'être par sa grâce un humhle in-
strument de la conversion do mon pays; e've'nement qui n'est
peut-être pas si e'ioigne', et qui est le de'sir le plus ardent de
mon cœur. »
^rtA VVN VV* VXA VXA >VV» VV\ /VV* VX/* ^ /V\ /VVV (VV* "VVX IVV\ I
Œuvres complètes de saint Jean Chrysostôme', grec et latin,
en 26 livraisons formant 13 vol. grand in-S" (1).
Le nom de saint Jean Chrysostôme semble synonyme de celui
de l'e'loquence même , et ce grand, évêque a toujours ëte' re-
gardé comme un des plus illustres ornemens de la chaire chré-
tienne. Mais ses talens oratoires sont encore les moindres titres
de sa gloire aux yeux de l'Eglise : ce qu'on admire le plus en
lui, c'est cette piété tendre qui animait ses actions, ce zèle
pour réprimer les a!)us, cette sagesse dans son administration,
ce courage dans les périls, cette patience dans les souffrances,
ce grand caractère enfin, également supérieur aux illusions de
la prospérité et aux revers de la fortune. Ce caractère paraît
dans ces écrits, qui sont pleins à la fois de douceur et d éner-
gie. On est étonné de tout ce que le saint prélat a laissé d'écrits,
de la fécondité de son esprit , de l'élégance de son style , de
(i) Le prix de chaque livraison est de 12 fr. A Paris, chez Gaume ,
rue Pot-de-Fer-Saint-Sulpice. V. ci-d. p. ijS.
OEUVRES COMPLÈTES DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME. 435
la vigueur de ses raisonneraens. Comme oralenr, saint Jean
Clirysostôme est au-dessus de la plupart de ceux que la Grèce
a le plus admire'. Ses discours et ses commentaires sur l'Ecri-
ture ont toujours ^te' en grande estime dans l'Ei^lise; aussi
en a-ton fait plusieurs e'ditions. Une des plus belles est celle
du chevalier Henri Saville, qui parut à Eaton , en Angleterre,
en 1612; 8 vol. in-folio. Elle est en grec seulement. La plus
complète est celle du Père de Montfaucon, be'ne'dictin de la
congre'gation de Saint-Maur, et un des plus savans hommes de
cette e'cole. Cette e'dltion , grecque et latine, est en i3 vol.
in-f'. Le premier volume parut en 1718, et le dernier en inSS.
Dom Bernard de Montfaucon surve'cut peu à cette grande en-
treprise. Il mourut presque subitement, lesi de'cemlire 174N
dans l'abbaye de Saint-Germain-des-Pre's , où il re'sidait. Son
édition renferme beaucoup d'ouvrages qui e'taient encore iné-
dits, entr autres vingt-deux liome'lies. On y trouve beaucoup
de versions nouvelles, des lacunes remplies, un nouvel ordre
dans l'arrangement des pièces, des pre'faces, des avertissemens^
des tables, tout ce qui peut enfin rendre une e'dition agre'able
et utile.
Aussi les nouveaux e'diteurs se sont fait un devoir de suivre
l'e'dition de Montfaucon ; ils auraient regardé comme une folie
de chercher et de collationner de nouveaux manuscrits , après
le travail qu'avait fait à cet égard le savant bénédictin dans un
temps oîi tous les secours abondaient, et oii il trouvait dans sa
congrégation des bibliothèques bien fournies, des manuscrits
précieux et des coopérateurs habiles et laborieux. Un savant
étranger, M. Thllo , docteur et professeur en théologie à Halle,
a été d'avis de reproduire Montl'aucon , en y ajoutant ce qui
avait pu être découvert depuis. Voici un i'ragment de sa lettre
aux éditeurs cité dans leur prospectus :
« On peut vi.'^er a rendre l'édition de Savile complètement
inutile en insérant dans la nouvelle ce que Montfaucon a né-
gligé, les f^itœ sancti C/irysostoini , les Homiliœ apiiriœ , etc....
Dans l'état actuel, quiconipte veut approfondir saint Jean Cliry-
sostôme a besoin des deux éditions.
>» Il est clair que tous les écrits de saint Jean Chrysostôme
436 OEtVRES COMPLÈTES DE SAINT JEAN CHRYSOSTÔmE.
qui ont été publiés à une époque postérieure doivent être in-
sérés et rangés h leur place, par exemple, VHomilia in pœni-
tentiam Ninivitarum , qui se trouve dans Bandini , ( Grœcœ
Ecclaiœ vctcria Monwnenta , t. II, Florence, 1763, n" i , où
se trouve aussi , t. III , n° 2 , un Spccimcti Comincntarn in
Jobum ) ; et aussi celles que Matthaei a publiées pour la pre-
mière fois, que Harless a mentionnées dans son édition de
Fabricii Bibliotheca grœca , t. VIII , p. 5^5 , et dans sa Brevior
Noticia Litteratiirce grœcœ , p. 741- Il n'a pas indiqué les Mat-
thœi Lectiones Mosquenses , Leips. , 1779, oii se trouve aussi,
vol. I , n* I , une Homélie inédite de saint Jean Chrysostôme.
Je sais assez disposé à douter de l'authenticité de celte Homé-
lie; cependant il faut l'admettre. Je possède moi-même une
partie de ces publications de Matthaei, et Je m'offre de procurer
les autres.
» Pour ce qui concerne les notes et les variantes , on pour-
rait sans doute faire un cboix , i" dans les Joannis Chrysostorni
HOi'œ Eclogœ de Mattbaei , 1° dans les Chrysost. Oratt. IV, du
même ; 3° dans les Animach'ersiones in Chrysost. Homil. , du
même ; 4" dans Hemsterhusius in Chrysostom. Homilias a Ra-
phelio éditas; 5° dans l'édition de Leyde {\']^^) Aes Oradones I
et II in laucleni Paidi apostoli , qui sont en têfe des Heni-
sterhusii et Falckcnarii Oratt.; 6° dans les Commentaires de
Hughes, de J.-A. Bengel et de Giacomelli , sur le livre de Sa-
cerdotio ; 7" dans les deux nouvelles traductions allemandes
de ce livre par Hasselbach (Stralsund, 1820), et par Rltter
("Berlin , 1821 ). On y trouvera beaucoup de secours pour l'aug-
mentation de VOnomasticon, fort incomplet dans l'édition de
Montfaucon. L'ouvrage de Neander sur saint Jean Cbrjsostôme
doit aussi être consulté. On peut trouver beaucoup de vues
excellentes sur saint Clirysoslôme comme orateur et comme
théoloaien dans les Introductions de Cramer à sa Traduction
o
des QSuvres de saint Chrysostôme ( Leipsig , 1748 et suivantes,
10 vol. ). D''un autre côté, VAdinonitio de Savile de scriptori-
bus reruni Chrysostomi , publiée pour la première fois par Cave
[Historia liftcraria , edit. II , Bâle , 1741 , P- 327 et suivantes),
méritait d'être réimprimée, La réimpression de Venise offre
aussi quelques additions à l'édition de Montfaucon. »
437
TRADITION
CONSERVÉE CHEZ LES ARABES DE L'IDUMÉE
SUB. I.E TOMBEAU S'AARON ;
EXTR. DU VOYAGE DE M. DE LABOUDE DANS l'aRABIE-PÉTHÉE (1).
Le voyageur , sorti de Pe'tra pour retourner à Sinaï , jette un
coup-d'œil sur cette contre'e de'sole'e , et y reconnaît plusieurs
indications des faits raconte's dans la Bible.
<< Sur la gauche, en remontant vers le milieu s'e'tend la
Ouadi-Avaba , longue plaine de sable qui descend de la mer
Morte à la mer Rouge , dans une direction re'gulière et con-
tinue. On doit reconnaître dans cette disposition le lit d'un Jleuve
et celui du Jourdain avant l'e'ruption volcanique qui forma le
bassin actuel de la mer Morte. Sur la rive droite , à l'ouest ,
s'y joint la Ouadi-Gebb , valle'e par laquelle les Fellahs de Pe'tra
se rendent à Gaza. En appuyant à l'est , on remarque , au mi-
lieu d'une petite plaine , le rocher isolé , appelé' El Aase , sur-
monte' d'un tombeau. Plus à droite , un rocher e'ieve' , formant
comme le premier rempart aux abords de Pe'tra, s'élève eu
forme de tour : un autre le domine. En suivant la même di-
rection, on rencontre le mont Hor , le plus haut rocher de la
contre'e, au sommet duquel est construit le tombeau à'Aaron.
C'est a l'est de ce piton, enclavé au milieu de rochers dont
les masses semblent, en s'amoncelant , s'être resserre'es davan-
tage , qu'est bâtie la ville de Pe'tra , la capitale des Nabathe'ens.
Ce tableau , espèce de demi-panorama , est terminé par la grande
chaîne de montagnes qui sépare l'Arabie-Pétrée de l'Arabie-
Déserte. »
(i) V. ci-d. p. 167.
T. X. 30
438 SUR LE TOMBEAU d'aARON.
Après avoir décrit cette de'solation et cette solitade M. De-
laborde recherche et trouve la preuve de la fertilité' primitive de
ce pays dont parle la Bible.
« Notre route, dit-il, nous conduisait sur le dos de la mon-
tagne , ayant à notre gauche , à une e'norme profondeur , le fond
d'une Ouadi , où re'sonnaient de tanins à autre les e'houlfniens
de rochers que notre passage entraînait. Ce pays élevé' , <à me-
sure que nous avancions, se couvrait de terre ve'getale , et les
herbes qui croissaient de toutes parts , indiquaient à chaque
pas la probabilité' d'une culture dont on retrouvait des traces,
par des buttes de petites pierres amasse'es de distance en dis-
tance, et qui semblaient établir les limites des champs. Ces in-
dices reportaient à cette époque où l'agriculture nabathéenne
florissait , pour être plus tard vantée dans les auteurs arabes.
» On s'arrêta h la soui'ce du Dalège : on trouve "a une petite
distance les ruines d'un village qui exploitait sans doute la cul-
ture de ces environs, à l'époque où la ville de Pétra offrait
pour ses approvisionnemens tant de chances de gain. Le len-
demain , en marchante l'est, nous arrivâmes au point le plus
élevé de la montagne, d'où Ion domine d'un côté toute la
masse de rocbers qui descendent vers Ouadi-Araha ; de l'au-
tre , la gran'.Ie plaine de lArabie-Déserte qui s'étend, sans ho-
rizon , vers l'Orient. Ce qui frappe au premier moment , c'est
la différence de niveau des deux côtés de la montagne; l'un
s'affaissant rapidement en ravins profonds et saccadés, l'autre
s'élendant presque au niveau de la montagne dans une grande
plaine unie.
» Le chemin par lequel nous étions venus restait à notre
droite, et en remontant une petite plaine vers le sud, nous
découvrîmes la haute montagne qui domine les rochers des en-
virons, et sur laquelle ki tradition a conservé un antique sou-
venir. La Bible s'exprime ainsi en parlant du séjour des Israé-
lites dans le désert ;
« Et ayant décamj)é de Cadès, ils vinrent à la montagne de
» Hor , qui est aux confins de la terre d'Edom, où le Seigneur
» parla îi Moïse :
» Qu'Aaron , dit-il, aille vers son peuple j car il n'entrera point
SUR LE TOMBEAU d'aARON. 439
» dans la terre que j'ai donnée aux enfans d'Israël, parce qu'il
» ae'te' incre'dule à ma parole aux eaux de contradiction. Prends
» Aaron et son fils avec lui , et tu les conduiras sur la montagne
» de Hor; et quand tu auras de'pouille le père de ses vêtemens ,
» tu en revêtiras Ele'azar, son fils; Aaron sera re'uni à ses pères
»> et mourra en ce lieu.
» Moïse fit comme ie Seigneur lui avait commande, et ils
» montèrent sur la montagne de Hor devant toute la multitude;
» et lorsque Aaron eut de'pose' ses vêtemens, il en revêtit Ele'a-
» zar , son fiis. Aaron e'tant mort au sommet de la montagne,
« Moïse et Ele'azar descendirent. Or, toute la multitude voyant
)) qu'Aaron e'tait mort , pleuia trente jours sur lui dans toutes
» les familles (i). »
« Par des travaux sur la route suivie par les Israélites, tra-
vaux trop e'tendus pour les introduire ici , j'ai trouve' une
coïncidence remarquable entre cette position et celle qu'on doit
assigner au mont Hor de la Bible. Les Arabes , si fidèles dans
leurs traditions , ve'nèrent encore aujourd'hui, en haut de cette
montagne , le tombeau du prophète Haroun (Aaron ). Burchardt
prit le pre'texte d'un vœu qu'il avait fait de sacrifier une chèvre
à ce santon pour entreprendre le voyage de Ouadi Mousa ;
mais son conducteur refusa de le conduire plus loin que cette
plaine , et force lui fut de consommer son sacrifice en bas de
la montagne....
» Un vieil Arabe qui sert de gardien à ce lieu ve'ne're', habite
au haut du rocher, et reçoit les visites des habitans de Gaza,
et des Fellahs de Ouadi Mousa , qui s'y rendent quelquefois dans
un but religieux, mais le plus souvent pour cultiver quelques
portions de terre ve'ge'tale, que les terrasses du rocher offrent
à l'industrie des hommes dans une contre'e aussi aride. »
(i) Nombres XX, 22, 29.
30.
440
sua LES MISSIONS DU LEVANT (i).
Des lettres des missionnaires de Constantinople et du Levant
font connaître i'e'tat de la r^^ligion dans ces contre'es. Au collège
Saint-Etienne , tenu par BIM. de Saint-Lazare , près Constanti-
nople, on a fait cette anne'e la procession de la Fête-Dieu avec
la plus grande pompe, hors de la chapelle. Les e'ièves du col-
le'ge, en uniforme, chantaient des hymnes et des psaumes. La
nouveauté de la cérémonie avait attiré un grand nomhre de
personnes; des schismatiqaes €t des Turcs même étaient frappés
de ce spectacle. Les conversions sont fréquentes en ce moment
à Constantinople. Un prêtre schismatiqne a fait ahjuration , el
a été envoyé en Italie pour le soustraire au ressentiment de
ses co-religionnaires. Un élève du collège, âgé de vingt et un
ans, et d'une famille distinguée du pays, a voulu aussi faire
abjuration ; sa famille ne l'a pas trouvé mauvais , et sa mère
se dispose à suivre son exemple. Un autre Jeune Arménien a
fait la même démarche peu après, et n'a pas été aussi heureux :
sa famille irritée l'a redemandé, et il a fallu le lui rendre. Il
persévérait néanmoins encore dans ses bons sentimens. Le col-
lège est le refuge de tous ceux qui veulent renoncer à leurs
erreurs ; on y a reçu dernièrement un jeune Albanais hérétique
qui voulait se convertir, et un Arménien qui demandait h être
instruit. Un prêtre schismatiqne est encore rentré dans le sein
de l'Eglise , et s'est séparé de sa femme. Deux diacres armé-
niens ont fait abjuration. Un médecin arménien et sa famille
se sont déclarés catholiques. Deux antres laïques sont en voie
de conversion et montrent les dispositions les plus faTorables.
M. Elluin , missionnaire, dont nous avons annoncé le départ
de Paris l'année dernière , est arrivé à Constantinople le 1 1 dé-
cembre. Il donne une relation de son voyage. Il était destiné
pour le collège, et se félicite de cette destination.
M. Nurigian , archevêque et primat arménien à Constanti-
nople, envoie quelques renseignemens sur la situation de la re-
ligion dans le territoire soumis à sa juridiction. Le nombre des
(i) V. ci-d. p. 347.
SUR LES MISSIONS DU LEVANT. 441
calholiques arméniens qu'il gouverne est de 45,000 âmes, dis-
persées à Constantinople et les environs , Erzeroum , Tréîji-
zonde , etc. Les catholiques n'ont encore que quinze églises ou
chapelles, deux à Mouches , sept à Hodourgour , où il y a sept
villages , quatre à Artoine et dans les villages, une à Tréhizonde
qui est à réparer, et une nouvellement hâtle à Constantinople.
Mais OM doit tout l'argent emprunté pour cette construction.
Dans toutes les autres localités, le culte divin s'exerce dans les
maisons , mais librement. La religion catholique jouit d'une
liberté complète , en vertu du diplôme accordé par le Grand-
Seigneur. Le nombre des prêtres dans le diocèse est de cent
six , parmi lesquels il y en a quatre qui se sont convertis de-
puis lémancipation. Le nombre des conversions opérées à Con-
stantinople depuis trois ans est de trois cent soixante; les con-
versions sont bien plus fréquentes depuis qu'on a ouvert l'église.
A Ancyre seulement, depuis quelques mois, dix-huit personnes
se sont converties.
A Damas , M. Poussou , supérieur des lazaristes , est parvenu
à réaliser le projet qu'il avait formé depuis long-temps d'établir
des écoles. L'école des garçons a déjà quatre-vingts enfans , et
est dirigée par M. Tustet; on y enseigne l'arabe, qui est la
langue du pays, et l'italien, qui est fort utile pour le com-
merce. Il était plus difficile encore, vu les usages du pays,
d'établir une école de filles; cependant on en est venu à bout.
M. Poussou ^a bâti une école, et a fait venir du Liban une
maîtresse assez instruite. Il se propose d'avoir des filles pieuses
pour perpétuer la bonne œuvre , faire le catéchisme aux jeunes
filles, et instruire même les femmes du pays. On pourra en-
suite étendre cela aux autres missions de Syrie. Le patriarche
grec a chargé M. Poussou de faire chaque semaine aux prêtres
de sa nation une conférence de luorale , et il leur a ordonné
de s'y rendre. Outre cela, M. Poussou fait tous les dimanches
et fêles un cours d'instructions. On jouit à Damas d'une grande
tranquillité; les musulmans sentendent mieux, esi fait de li-
berté religieuse , que d'hypocrites défenseurs des droits de
Ihomme et de faux amis des lumières. Le nouveau gouverne-
ment du pacha d'Egypte cherche a introduire la civilisation
442
SUR LES MISSIONS DU LEVANT.
européenne; mais cette civilisation , telle qu'il la conçoit, serait
pire que la barbarie , ce serait l'impie'te' et la corruption. Il
vesiait d'arriver à Damas quatre saint-simoniens chasse's succes-
sivement de Conslaiitinople , de Smyrne et d'Alexandrie. On
doute qu'ils soient plus heureux en Syrie.
M. Hillereau , prélat français et visiteurapostolique de Smyrne,
fait connaître l'e'tat de cette mission. Ce prélat , qui avait reçu
d'abord le titre d'évèque de Calédonie, a aujourd'hui celui
d'archevêque de Pe'tra ; il est de plus coadjuteur du vicaire
apostolique de Constantinoplo , M. Coressi. Smyrne est aujour-
d'hui la seule ville de l'Asie-Mineure oîi il y ait un évêque et
des églises catholiques. Tout le reste a été envahi parle schisme
et l'hérésie. La mission de Smyrne comprend deux îles , Me-
telin, qui est l'ancienne Leshos , et Stanchio,et tout le littoral
de la Méditerranée, depuis les Dardanelles jusque visa-vis l'é-
glise de Chypre. Elle s'étend dans l'intérieur des terres jusqu'à
cinq on six jours de marche. Depuis environ cent ans , Smyrne
n'avait qu'un vicariat apostolique; Pie Vil l'a de nouveau érigé
en archevêché; mais M. Hillereau n'a que le titre d'archevêque
de Pétra et de visiteur apostolique. La ville de Smyrne est
grande et peuplée : on y compte 80,000 Turcs, et la moitié
moins de grecs non-unis ; il y a aussi des arméniens, des pro-
testans et des juifs en assez grand nombre. Les grecs et les ar-
méniens ont chacun leur archevêque. Les grecs ont plusieurs
églises , et en bâtissent une en ce njoinent. Les arméniens n'en
ont qu'une. Les protestans ont deux temples, l'un des anglais,
et l'autre des méthodistes. Le nombre des catholiques est d'en-
viron sept mille, dont neuf cents du rit arméiiien , et deux
cents du rit grec ; il peut y avoir quehjues maronites et quel-
ques syriens, mais en petit nombre. Les sept mille catholiques
se trouvent tous à Smyrne et dans deux villages près la ville.
Dans le reste du pays dépendant de celte mission, il y a deux
cents catholiques dispersés , cinquante à Metelin , deux familles
à Stanchio. Dans Smyrne, il n'y a que deux églises catholiques
de médiocre grandeur : l'une appartient aux capucins, et l'autre
aux récollets. L'archevêque et le clergé séculier sont sans église.
Les récollets ont une autre église dans un des deux villages près
SUR LES inSSIOWS DU LEVANT. 443
Smyrne. Il y avait autrefois à Smyrne quatre maisons de reli-
gieux, les capucins , les re'collets, les je'suiteset les dominicains-
Les lazaristes ont remplacé les je'suiles. Les capucins remplis-
sent les fonctions de cure' des Français; les re'collets desservent
la deuxième paroisse , appele'e paroisse italienne. Les premiers
sont sous la protection française , et les seconds sous la protec-
tion autrichieime. Les lazaristes, qui ne sont que deux, tiennent
une e'cole gratuite, et prêchent à la paroisse des capucins. De-
puis huit ans environ , les dominicains ont abandonne' leur
maison, qui est afferme'e ; ils ne paraissent pas avoir envie de
revenir. Les capucins sont au nombre de quatre pères et un
frère; les re'collets sont six pères et un fièie. En outre, il y
a dix prêtres natifs de Smyrne, dont six ont fait toutes leurs
études à la Propagande à Rome , quatre venus des Iles, et deux
du rit arménien. Mais parmi les religieux, cinq seulement sa-
vent le grec , et deux de ceux-ci sont infirmes : les autres re-
ligieux ne savent que l'italien, et ne peuvent pas beaucoup
confesser. Les prêtres du pays n'ont pas d'église ni de paroisse
à eux. 11 serait nécessaire de faire une nouvelle division de pa-
roisses , et d'en confier une au clergé séculier. Les grecs héré-
tiques sont à Smyrne très-intolérans pour les catholiques. Les
proteslans sont aussi très-ardens ; la société biblique tient une
école et répand des livres. De plus, il ne manque pas dincré.
dules pour calomnier la religion et le clergé. Malgré tous ces
obstacles, il y a de la religion à Smyrne, les églises sont fré-
quentées, on satisfait aux préceptes essentiels, on pime à en-
tendre la parole de Dieu. 11 y a sept confréries dans les deux
paroisses. On prêche dans les deux églises en quatre et cinq
langues , en grec , en français , en italien , en turc et en ragusan.
ÛJ. llillereau a commencé le ly mars de l'année dernière une
visite apostolique qu'il a terminée au mois de novembre. 11
en a envoyé la relation à Rome, et il espère que les ordres et
les secours qu'il recevra le mettront en état d'étemlre le bien
de sa mission. Le prélat réclamait l'assistance de l'œuvre de la
Proj)agalion de la Foi. 11 avait donné au mois de mai i833 une
retraite au cleigé du diocèse. La retraite se donnait chez les
lazaristes , et M. Daviers , un d'eux , faisait les instructions. II.
444 SUR LES MISSIONS DU LEVAITT.
sy trouva deux évêques , savoir , M. Hillereau et l'e'vêque ar-
me'nien , huit religienx, quatre prêtres arme'niens et quinze
prêtres se'cnliers. Tout s'est passe' de la manière la plus e'di-
fiante. Le visiteur apostolique a ordonne' que tons les quinze
jours ils se tiendrait une conférence ecclésiastique chez les
lazaristes. Les fidèles, à Smyrne, ont été invités par M. l'évêque
à contribuer à l'œuvre de la Propagation de la Foi.
M. Descamps . supérieur de la mission des lazaristes à Sa-
lonique, se réjouit d'avoir fait les deux dernières années la
procession de la Fête-Dieu avec beaucoup de pompe. Tous les
consuls étrangers, sans distinction de religion, ont contribué
à orner le reposoir. Cette année, ils y avaient été invités en
personne , et ils y sont venus tous; c'était à qui contribuerait
à l'éclat de la procession. Il n'y a point d'hôpital à Saloniqae,
et c'est la maison des lazaristes qui sert d'asile aux malheureux.
M. Descamps a établi une école de garçons qu'il fait lui-mêine,
en attendant qu'on lui envoie un frère. Les exercices du ju-
bilé, qu'il a donnés ce carême dernier, ont été bien suivis. Il
se félicite beaucoup du cboix du nouveau consul de Fraiice ,
M, Guis, homme religieux. Il était dans les meilleurs rapports
avec les consuls américain et anglais ; le premier lui avait confié
l'éducation de ses enfans en lui laissant carte blanche ; le con-
sul anglais laissait ses enfans assicter aux offices catholiques.
Le P. Eusèbe , mineur observantin , réside à Âlep. Cette ville
compte environ 12,000 catholiques , grecs, arméniens, syriens
et maronites : ils ont en tout 45 ministres. Les grecs ont leur
évêqne , M, Grégoire Chayat. Les arméniens ont perdu le leur ,
M. Abrabam Coupali, prélat très-vertueux et très-attaché au
Saint-Siège. La nation syrienne a son patriarche , M. Pierre-
Ignace Giarve, et un évêque. Les maronites ont aussi leur
évêque, M. Paul Arocchin ; mais il est bon d'entretenir au mi-
lieu de ces peuples des missionnaires eui'opéens pour les con-
firmer dans leur attachement au Saint-Siège. On voit de temps
en temps des conversions ; le missionnaire en cite plusieurs
exemples; il se croyait destiné pour la mission d'Abyssinie.
On disait que l'empereur de ce pays avait écrit à Rome , en i833,
pour demander des missionnaires. Il était question d'y envoyer
COMMISSION ROYALE d'hISTOIRE. 445
le père Eusèbe et le père Perpe'tuel de Solère , missionnaires à
Je'rusalem. La lettre da récollet annonce un bon religieux et
un missionnaire ze'le'.
Pour comple'ter cet extrait des nouvelles relatives aux mis-
sions du Levant , nous dirons deux mots de M. Bonamie , e'vê-
que de Babylone. Le prélat, parti de France en octobre ï833 ,
e'iait arrive' à Alep le 6 janvier avec son vicaire - ge'ne'ral ,
M. Leslrade. Il rend compte de sa traverse'e : il s était arrête'
à l'île de Syra, où il y a un e'vêque et environ 4ooo catho-
liques qui ont trois ou quatre églises; il avait visite' Alexan-
drie, et était même allé jusqu'au Caire. De retour à Alexandrie,
il s'était embarqué pour Larnaca, dans l'île de Chypre, doù il
avait passé à Latakié en Syrie. A la date de sa lettre , en mai
dernier, il était encore à Alep, attendai.t «ne caravane qui
allât à Bagdad. Le désert qu'il faut traverser est occupé parles
Arabes, qui ne laissent point passer les caravanes avant qu'on
leur ait donné satisfaction pour quelques griefs. — Extrait des
Annales de la Propagation de la Foi.
i wvwvvvw
Histoire nationale. — Extraits des Prochs-Verhaux de
la Commission royale d'Histoire (1).
Séance du^l octobre, à midi.
A l'ouverture de la séance , M. de Gerlache , président de la com-
mission, annonce qu'un de ses membres , M. Dewez , est décodé la
veille. Il exprime sur ce malheureux événement des regrets qui sont
vivement partagés par l'assemblée.
Le procès- verbal de la séance, précédente est lu et approuvé. Il
est également donné lecture de la correspondance. M. le ministre de
l'intérieur fait parvenir à la commission différcns catalogues des ma-
nuscrits concernant l'histoire de la Belgique conservés à Bruxelles ,
Liège , Louvain , Gand , Mons et Tournay. Il demande en outre un
avis motivé sur des publications projetées et pour lesquelles on sol-
(i) V. ci-d. p. 285.
446
COMMISSION ROYALE D HISTOIRE.
licite des encouragemens pécuniaires , ainsi que sur divers raonu-
mens historiques dont l'acquisition est proposée au gouvernement.
M. de ReiiTenberg lit ensuite des extraits de deux manuscrits com-
muniqués par MM. Gachard et de Ram.
Le premier de ces manuscrits appartient aux arcliives du royaume,
et contient une correspondance du comte de Golientzl avec le chef-
président de Neny , l'abbé de Nélis et Paquot , relativement à la
publication des monumens inédits de notre histoire et à d'autres des-
seins littéraires analogues :
— « Minute d'une lettre écrite par le chef-président de Neny ,
au nom du ministre comte de Cobentzl aux abbés , chapitres et
prieurés des Pays-Bas autrichiens , à l'effet d'en obtenir une note de
tous les manuscrits qui pouvaient se trouver dans leurs maisons ou
dans les archives de leurs églises , concernant l'histoire , soit ecclé-
siastique , soit civile de la Belgique.
— Mémoire de M. de Neny au comte de Cobentzl pour lui pro-
poser de faire imprimer , à la nouvelle typographie académique de
Louvain , une collection chronologique de documens historiques déjà
publiés, mais rares et exposés à se perdre à cause de leur peu de
volume , entre autres les pièces litigieuses destinées à soutenir les
droits du souverain.
La collection devait être distribuée en trois parties :
1° La première, comprenant les écrits antérieurs à l'abdication
de Charles-Quint ,
2' La seconde, ceux relatifs aux troubles des Pays-Bas, jusqu'à
la mort de Philippe II ;
3° La troisième enfin , les écrits postérieurs à cette époque.
Les morceaux composés en flamand auraient été imprimés dans
cette langue ; mais , dit le mémoire , il serait important d'en don-
ner aussi une traduction française,
Cliaque ouvrage devait être enrichi d'une notice historique sur son
auteur.
— Le comte de Cobentzl à Neny , 7 mai 1760. Il approuve ce
projet , et sjiécialement ce qui regarde les traductions françaises des
ouvrages flamands.
— Nélis an comte de Cobentzl, 11 mai 1760. Il remercie le
ministre de lui avoir communiqué le plan de M. de Neny, et de
COMMISSION ROYALE d'hISTOIRE. 447
l'avoir choisi avec MM. Verdussen et Vanlieurck , pour l'exécuter.
— Le même au même y 29 avril 1761. 11 s'occupait de recher-
cher des manuscrits, niais il croyait qu'il y en avait peu de curieux
restés dans le pays. Il était alors qnestion de réimprimer les ouvrages
des Chifllet. Fr. Varrentrapp , libraire à Francfort , auquel on avait
parlé de cette entreprise , ne la jugeait pas heureuse. 11 envoya ce-
pendant au comte de Cobentzl une liste des écrits des Chiiïlet beau-
coup plus complète que celle de JNélis.
— Nélis au comte de Cobentzl , 13 mai 1761. 11 plaide en
faveur de son projet de publier les écrits des Chifllet, et combat
l'opinion de Varrentrapp.
— Le comte de Cobentzl à Nélis , i Juillet 1762. La typographie
académique trouvait de l'opposition dans l'université; mais, disait
le ministre, ils ne doivent pas nous lasser : noîis les vaincrons
successivement.
— Nélis au comte de Cobentzl, 15 décembre 1763. Il s'était
procuré pour son usage particulier une petite imprimerie , et la chose
avait été considérée comme une infraction aux réglemens de police.
Il demande à être employé ailleurs qu'à Louvain , attendu que ses
études n avaient jamais été tournées vers V école,
— Le même au même, 24 octobre 1764. 11 se plaint qu'on cher-
che fi semer sa carrière de dégoûts ; puis , pour contrebalancer à
Louvain ce qu'il appelle vestigia ruris , il sollicite du ministre la
permission d'y éiablir sous ses auspices une petite académie qui pour-
rait faire renaître le goût étouffé par la mauvaise et frivole philo-
sophie de V Université.
— Le comte de Cobentzl à Nélis , 23 octobre 1764. 11 n'approuve
aucunement le projet d'académie. Ce serait, dit-il , établir uti es-
prit de parti, ranimer les jalousies que vous avez déjà essuyées,
et produire assurément plus de mal que de bien.
— En cette même année 1764, le comte de Cobentzl désirait
qu'on imprimât Macquereau , dont Paquot a donné la première partie
et dont M. J.-B. Barrois se ])répare à publier la seconde. Il voulait
se procurer aussi un recueil des lettres de Granvelle , que M. le
ministre Guizot a dessein de faire réimprimer en France.
— Nélis au comte de Cobentzl, 6 juillet 1763. Le ministre lui
avait envoyé les lettres d'iloppcrus pour les imprimer. Voici un pas-
448 COMMISSION ROYALE d'hISTOIRE.
sage textuel de cette lettre : « Ces lettres d'Hopperus m'ont fait
» penser à celles du président Viglius qui n'ont pas été toutes im-
ji primées. M. ïïoynck (Van Papendreclit) les avait destinées toutes
» à la presse ; mais son iniprimeur qui n'aimait pas à se mettre si
5> fort en frais , y a opposé tant de difficultés , qu'on a dû se con-
« tenter d'une partie. J'ai vu moi-même dans la bibliollièque de
)) M. d'Orlho, à Malines , qui avait hérité de celle de M. ïïoynck ,
)) ces lettres que ce dernier avait destinées à former le troisième tome
)) des lettres de Viglius dans les Analecta Belgica ; et je me
« souviens que le chanoine Major les acheta pour environ deux pis-
)) tôles. J'ai lu les mêmes lettres , mais éparpillées , dans huit gros
« volumes que l'on m'a communiqués du collège de Viglius à
n Louvain. »
Nous remarquerons ici que les lettres d'Hopperus sont conservées
à la bibliothèque de Bourgogne , et que , quant à celles de Viglius ,
on n'en trouve aucun recueil manuscrit indiqué dans le catalogue
de Major, qui porte seulement sous le n" 6270 : ï^iglii Zwichemi
ah Aytta Epistolœ ad Hopperum , Leovardiœ , 1661 , in-8°. Plu-
sieurs volumes des lettres de Viglius doivent se trouver à la biblio-
thèque de Gœtlingue.
— Nélis au comte de Cobentzl , 7 août 1765. Il envoie au mi-
nistre une relation du Concile de Trente , par deux théologiens , dont
l'un y avait été envoyé pas la gouvernante des Pays-Bas. Il la tenait
du comte Garampi , et , moyennant l'agrément de Cobentzl , il se
proposait de l'insérer dans un recueil dont on a une partie , qui est
devenue une véritable rareté bibliographique et où l'on trouve le
commencement de l'ancien cartulaire de la ville de Louvain , d'après
l'original, compilé vers 1380 , par un certain Lambertus de Insulâ.
Un mémoire de M. de Reiffenberg , inséré parmi ceux de l'académie,
et qui roule sur les tentatives faites au sein de cette compagnie pour
la publication des monumens inédits de notre histoire , contient une
notice détaillée de ce qui reste des Analectes , dont l'impression n'a
été qu'ébauchée par Nélis.
— Le comte de Cobentzl à Nélis , 22 novembre 1765. Le mi-
nistre avait fait acheter, à la vente de la bibliothèque des jésuites
de Paris , plusieurs porte-feuilles remplis de lettres du cardinal de
Granvelle. 11 en envoie l'analyse pour être examinée par Paquet et
Nélis , afin de savoir si ces lettres méritaient la publicité.
COMMISSION ROYALE d'hISTOIRE, 449
— Le même au même, "^Q juillet 1766. Ces recherches étaient
vnes de mauvais œil par certains docteurs. // est honteux , dit le
ministre , que nous ayons dans notre Université des gens si peu
faits pour maintenir le bon goût et entièrement livrés à la barbarie
pour les sciences et à la rusticité pour les mœurs. Je trouverai
moyen de les morigéner.
— Nélis au comte de Cobentzl , ^S janvier 1767. Envoi des
quatre premières pages imprimées des lettres d'Hopperus. A leur
suite l'éditeur se proposait de publier un choix de celles de Granvelle
et de Philippe II. ( Il existe deux porte-feuilles à la bibliothèque de
Bourgogne , renfermant des lettres autographes de Granvelle avec de
longues apostilles de la main de Philippe ; M. de Laserna Santander
avait conçu l'idée de les faire imprimer avec une traduction française
de l'espagnol, et ce qu'il avait terminé de ce travail fait partie, si
nous ne sommes pas dans l'erreur , de la précieuse collection de feu
M. Van Hulthem). Nélis changea ensuite de plan, comme on le
verra plus bas.
— Le même au même , 11 mars 1767. Compte rendu des ma-
nuscrits de Butkens qui se trouvaient chez le baron deRaet, maître
des postes à Louvain. Quant aux papiers du baron Jacques Le lloy ,
. M. de Raet , allié à sa famille , soupçonnait qu'ils étaient conservés
au château de Bunderfeld , du côté de Tirlemont.
— Nélis au comte de Cobentzl , 28 mars 1767. Envoi de la
première feuille de l'Hopperus ia-4 . (Le libraire Allheer d'Utrecht
a acquis le fonds de cette édition et y a ajouté un titre. L'exem-
plaire de la bibliothèque du savant Te Water est désigné au cata-
logue sous le n° 1411 , avec cette note : Deest titulus , deindè
prœficus ! adsunt autem editoris , qui fuit de Nélis , episcopus ant-
uerpuensis , annotationes multce mos nt /ronfe). Manuscrit histori-
que de Robert de la Marck soumis à l'examen de Nélis. Cet ouvrage
avait déjà été imprimé dans les mémoires de Bellay.
— Le même au même, 2 juin 1766. La typographie académique
ne possédait que trois presses avec lesquelles on imprimait simulta-
nément les mémoires littéraires de Paquot , Hopperus , Morgagni et
les thèses des étudians de Louvain.
— Le même au même , 13 mai 1768. Projet d'une académie ou
société littéraire communiqué à Nélis et sur lequel le célèbre Schoep-
450 COMMISSION BOYALE o'hISTOIIIE.
flin avait été consulté. Cela donna naissance quelque temps après à
racadérnie de Bruxelles.
— Le comte de Cobentzl à Nélis , 1-4 mai 1768. Des lettres de
Philippe II , accompagnées d'une traduction , devaient , comme un
choix de celles de Granvelle, servir de complément aux lettres
d'Hopperus.
— Paquot au comte de Cobentzl, 29 avril 1762. Diverses vues
sur la publication des monumens historiques. Les diplômes seraient
recueillis à part , comme supplément de Miraeus ; quant aux vies
des saints , on les abandonneraient aux Bollandistes , mais il serait
à désirer qu'on lit un recueil des ^cta Sanctorum de la Belgique ,
en suivant l'ordre des temps (ce qu'a exécuté Ghesquière jusqu'au
septième siècle). Les ouvrages flamands en prose devaient être ac-
compagnés d'une version latine 5 mais , s'ils étaient en vers il aurait
suffi d'y joindre des sommaires en latin.
Quant à l'arrangement des pièces , Paquot , qui voulait une col-
lection dont toutes les parties fussent liées et formassent un corps ,
préférait l'ordre géographique.
Il propose d'abord d'imprimer Edmond de Dinter , un manuscrit
du prieuré de Bethléem , contenant l'histoire des chanoines réguliers
du pays , et la chronique de Bruslhemius qui se conservait à Ever-
bode. C'était à Paquot que le ministre envoyait toutes les réponses
des abbayes et corporations religieuses , comme à l'historiographe de
l'impératrice.
— Paquot au comte de Cobentzl, 13 mai 1762. Il pense qu'il
faudrait faire copier les pièces suivantes qui appartenaient au mo-
nastère de St. Pierre de Gaad :
Annales Flandriœ ab anno 1244 usque ad annum 1356 (coté
n° 5).
Cronyck van Philippe hertog Jans-soone , 1420-1439 ( coté n° 6) .
Un extrait du Chronodromon seu cursus temporum , n° 10 , qui
contiendrait les généalogies des souverains des Pays-Bas.
Defensio comitis Flandriœ adversus parlementarios régis Fran-
corum (n° 16).
Au monastère de St.-Guilain :
Les chartes relatives aux privilèges de cette maison et un extrait
COMMISSION ROYALE d'hISTOIRE. 451
du volurae marqué D , renfermant ce qui regardait les comtes de
Flandre et de Hainaut qui allèrent à la croisade , ainsi que les ge'-
néalogies des maisons de Ligne , Rumegnies ou Rumigny , Fontaine ,
Rœulx , etc.
— de Corsendonck :
Annalia ( sic) civitatis Busciducensis ah exordio civitatis usquè
ad annum 15S0 (n° 2).
— d'Everhode :
Outre Brusthemius , un extrait du n" 4, contenant la partie qui
était de Jacques de Warnans.
Il faudrait , ajoute Paquet , voir ce que c'est que l'histoire de
Liège par George Munteras , laquelle se garde dans la même abbaye
et chez les Auguslins de Hasselt, comme je l'apprends du père Man-
telius (1762).
— de S t. -Gérard :
Les chartes du monastère.
— d'Epternach :
Cette maison ne semblait pas devoir rien fournir , à moins qu'elle
ne possédât des chartes et diplômes.
— Le comte de Cobentzl à Paquot, 5 juin 1762. Envoi d'un
manuscrit de l'abbaye d'Orval ( les mémoires de Jean d'Anly qui se
trouvent à la bibliothèque de Bourgogne , marqués autrefois n" 5261,
maintenant -4930). Suivant le vœu de l'abbé, il fallait trouver un
copiste assez prudent pour omettre ce qui se trouvait d'injurieux et
de préjudiciable aux propriétaires.
— Paquot au comte de Cobentzl , IS juillet 1762, Manuscrits
dont il propose définitivement l'impression :
1" Brusthemius.
2° Les mémoires de Jean d'Anly, qui écrivait vers 1583.
3" La chronique de Bethléem.
-4° Le Dinter conservé au prieuré de Corsendonck.
Quant aux ouvrages déjà imprimés qu'il serait bon de publier de
nouveau , vu leur rareté , Paquot s'arrêtait d'abord à ceux-ci ;
1° Joannes Balinus de Bcllo Belgico (imprimé à Bruxelles,
chez Rutger Velpius , en 1609, in-8°).
452 COMMISSION ROYALE d'hISTOIRE.
2° Bertelii Historia Lnxemburgensis , en y joignant les ouvrages
du P. Alexandre Wiltheim , encore inédits.
3° Antonio Carnero, avec une traduction de l'espagnol.
— Le comte de Cohentzl à J.-J. Michaux , sous-bailli de la
terre de Samson, par Nanmr , 23 aotît 1763. Invitation de con-
courir jiu dessein des chroniques , en communiquant ce qu'il y avait
de curieux dans les archives de son bailliage.
— Réponse du sieur Michaux , 4 septembre 1762. Presque tou-
tes les archives avaient été enlevées par les Français au premier
siège de Namur en 1692 ; le château de Samson avait été démoli
en 1691 , par trahison , et les archives emportées à Lille , au dire
des anciens.
— Le comte de Cobentzlà l'abbé de Géronsart , 1 ^septembre 1 764.
Le sieur Michaux sera requis d'aller compulser les archives de la
terre de Samson (le résultat ne produisit rien d'utile).
— Paquot au comte de Cobentzl, 11 mars 176-4. Pièces inédites
à publier :
1° La relation des troubles de Flandre par Weitsius.
2° Le mémoire de l'abbé de Rolduc sur le gouvernement du duché
de Limbourg.
Voici un passage textuel de la lettre de Paquot :
« J'ai appris que les Luciliburgensia ou antiquités du pays de
Luxembourg, du P. Alexandre Wiltheim, se trouvent dans l'abbaye
de Senones en Lorraine. C'est le plus curieux et le plus savant ou-
vrage qui ait été fait sur notre histoire. Votre Excellence trouvera
bien le moyen de le faire copier , avec les dessins des antiques qu'il
renferme , et il fera le plus bel ornement du fecueil qui paraîtra sous
ses auspices.... »
Quelques-unes des lettres suivantes ont rapport à l'impression de
Robert Maquereau :
— Paquot au comte de Cobentzl , Q juillet 1764. Renseignemens
demandés sur les filles naturelles de l'empereur Maximilien l" ; im-
possibilité d'en donner de sûrs , vu la confusion et la contradiction
des historiens.
— Du même au même, 29 novembre 1764. Nouvelles remar-
ques sur le P. Wiltheim ; mérite de son travail. De toutes les in-
scriptions qu'il renferme à peine s'en trouve-t-il la vingtième partie
COMMISSION ROYALE d'hISTOIRE. 453
dans les recueils imprimés de Goltzius , Gruterus , Du Choul , Mont-
faacon , etc. Wiltheim est le seul qui ait déterré les anciens noms
et la véritable situation des localités du Luxembourg , du temps des
Romains. Cet ouvrage exigerait environ 120 planches in-folio , ce
qui nécessiterait des frais considérables.
— Du même au même, 24 octobre 1765. Le commencement de
Jacques de Guyse ne mérite aucune attention.
(Malgré ce jugement rigoureux de Paquot, on n'en doit pas moins
de reconnaissance à M. le marquis de Fortia pour avoir publié un
de Guyse complet, parce que ses fables même témoignent de l'es-
prit du temps et peuvent dans certains cas mettre sur la voie de
quelques vérités perdues).
Les antiquités de Wieland ayant été presqu'entièrement copiées
par P. d'Oudegherst , il ne paraît pas fort utile d'en tirer copie.
(Nous en avons donné une analyse dans la première partie des
Notices et extraits des MSS. de la bibliothèque de Bourgogne).
— Du même au même , 9 décembre 176S. Intérêt que présente-
rait un choix de lettres du cardinal de Granvelle ; par exemple de
celles relatives à la St. -Barthélémy. Elles exigeraient des notes his-
toriques , politiques et même théologiques.
— Lettre à Paquot au nom du ministre plénipotentiaire ,
13 juillet 1778, pour lui demander un mémoire sur ce qui avait
été fait quelques années avant pour le recueil des historiens belges.
— Réponse de Paquot , 1k juillet 1778. « Il ne me fut pas dif-
ficile , dit-il , de m'apercevoir que la plupart de ceux à qui l'on
s'était adressé, ou n'avaient pas compris le but auquel on tendait,
ou n'étaient pas d'humeur d'y contribuer , ou n'étaient nullement
en état de le faire , quoique avec de la bonne volonté. »
A propos du recueil diplomatique de Le Mire il affirme que « tout
y fourmille de fautes , sans compter que les notes aident encore
souvent à se tromper. )>
« Je me trouve ici (à Bruxelles) , ajoute-t-il , destitué de presque
tous les livres nécessaires.... Il n'y en a peut-être pas quatre dans
la bibliothèque royale , même depuis qu'on y a transporté une par-
tie des livres historiques trouvés chez les ex-jésuites. Les listes en-
voyées autrefois par les monastères n'ont pas été conservées. » A
cette époque, c'est-à-dire en 1778, l'abbé Ghesquicre était chargé
T. X. 31
454 COMMISSION ROYALE d'hISTOIRE.
de la direction du travail de la collection projetée des Analecta
Belgica. M. Gérard s'était engagé , de son côté , à fouiller dans les
archives du gouvernement.
M. de Reiffenberg lit ensuite l'analyse du manuscrit communiqué
par M, de Ram. Ce manuscrit in-folio , provenant de la bibliothè-
que de M. de Nelis , porte ce titre : Collèges , Séminaires , Agio-
graphes. Voici ce qu'il contient d'essentiel sur l'objet dont la com-
mission a à s'occuper ;
Rapport sur rétablissement de l'historiographie , présenté /e 15
septembre 1779 à S. A. le prince de Stahremberg par le conseiller-
d'état et privé de Kulberg.
Le 10 mai précédent, M. de Kulberg avait adressé au ministre
un mémoire ou rapport sur l'établissement de V historiographie, en
général , dans l'abbaye de Caudenberg , et en particulier sur les
Analectes Belgiques. Mais il ne connaissait pas au juste les vues du
gouvernement.
On n'avait alors aucun plan arrêté , et l'on considérait l'achève-
ment des Acla Sanctormn comme le terme auquel on pourrait
commencer les Analectes. Jusque-là il ne s'agissait que des maté-
riaux. Telles étaient les seules idées auxquelles on se fût fixé.
Au surplus l'intention du gouvernement n'était pas d'employer à
^historiographie au-delà de la somme annuelle de 1500 florins , à
laquelle le produit du fonds du Musœmn Bellarmini avait été
évalué ; en outre après un certain nombre d'années , il ne devait
plus être question de ce subside : de sorte que , observe M. de
Kulberg, il fallait faire que l'établissement subsistât par lui-même.
M. de Kulberg témoigne beaucoup de zèle pour le projet des Ana-
lectes , accueilli dans toute l'Europe avec applaudissement et devant
faire au pays le pins grand honneur. En conséquence il propose un
plan pour le réaliser , plan sur lequel il avait conféré avec l'abbé de
Nélis qui était entièrement de son avis.
Il s'agissait d'abord de ne pas réduire l'abbé Ghesquière au simple
rôle de compilateur pendant nombre d'années , de mettre la main
immédiatement au travail de la publication , et , pour cela , de lui
associer quelques académiciens habiles tels que M. de Nélis , le baron
do Fraula , le doyen de Lierre , Heylen.
Il fallait ensuite trouver à l'abbé Ghesquière un collaborateur
^^t)MMlSSION ROYALE » HISTOIRE. 455
habituel, demeurant aussi à l'abbaye de Caudenberg et communi-
quant avec lui à tous les instans de la journée. M. de Kulberg fixe
son choix sur l'abbé Lensens , jésuite , qui avait été désigné en 1772
pour travailler aux Analectes Belgiques et qui avait commencé dès-
lors à se livrer à ce travail avec l'abbé Ghesquière. M. Warnot , abbé
de Caudenberg , à cause de son influence et de sa bonne volonté
devait être attaché également à la commission, laquelle serait présidée
par un commissaire impérial.
Suivent quelques détails financiers ; tout est réglé avec une par-
cimonie que permettaient les habitudes et les ressources monastiques.
M. de Kulberg demandait des assemblées hebdomadaires du
comité.
Il pensait qu'en 179S l'emploi des fonds de Musœmn Bellarmini
pourrait cesser , et qu'alors toute l'entreprise subsisterait de ses propres
bénéfices.
Ainsi à V historiographe Ghesquière , serait substituée une société
de gens de lettres occupée de la rédaction des Analectes Belgiques.
— Rapport du même , nommé commissaire pour l'établissement
des agioraphes et historiographes , au prince de Stahremberg ,
7 juillet 1778.
Ce rapport antérieur à l'aulre devenait inutile.
On y lit que les ci-devant jésuites agiographes et historiographes
de Bie, de Bue , Hubens et Ghesquière , étaient venus résider à
l'abbaye de Caudenberg , pour se conformer aux vues du gouver-
nement.
Ils attendaient la remise des archives des Bollandisles , qui avaient
été mises confusément et sans inventaire dans des caisses et transpor-
tées ainsi à Bruxelles. Cette remise devait s'opérer par l'auditeur de
la chambre des comptes , Gérard , chargé de la vente des bibliothè •
ques des jésuites.
« Ces Messieurs , dit ce rapport, sont dans la plus grande inquié-
» tude que , parmi la quantité de papiers intéressans que renfermait
Il leur bibliothèque , il n'y en ait d'égarés et de perdus. Ils disent
1) qu'ayant continué de travailler pendant un an et demi , après la
» dissolution de leur ordre, dans^leur quartier de la maison pro-
)> fesse, ils durent qnilter tout avec la plus grande précipitation,
31.
456 COMMISSION ROYALE d'hISTOIRE.
» au moment où on leur notifia que cette maison était destinée à
)> l'Académie militaire , et que depuis ce moment ils n'ont plus été
» à portée de savoir ce qu'on avait fait de leurs livres et papiers. Ils
» ajoutent que, lorsque la remise sera faite de ce qui a été trans-
it porté d'Anvers à Bruxelles , ils seront en état de juger si le tout se
]) trouve , et de désigner ce qui manquera , tant ils étaient fami-
n liarisés par un travail continuel avec leurs livres et papiers.
(1 L'historiographe Gliesquière sent plus vivement , à ce qu'il pa-
)) raît, de l'inquiétude à ce sujet. Occupé depuis huit ans, au
)) moins , à la recherche de tous les matériaux propres à l'ouvrage
1) intéressant des Analectes B&lgiques , il avait environ 200 feuilles
)) de notes rassemblées sur des faits et des objets essentiels.
» Il a sollicité, depuis quelque temps, à ce qu'on lui remît ce
)) recueil , et tout ce qu'il a pu en retirer jusqu'à présent , à ce qu'il
)) assure, consiste en la feuille onzième et la quatorzième.
!) Il serait bien fâcheux pour cet homme que le fruit de tant de
)» travail fût en partie perdu et qu'il se trouvât nécessité de recom-
)> mencer. Mais on doit suspendre tout jugement sur cet objet , jusqu'à
» ce que la remise des livres et papiers , sans inventaire , vienne
» déterminer l'état des choses. »
S. M. I. abandonnait au profit de l'abbaye de Caudenberg et des
agiographes les Acta sanctorum publiés ou à publier , moyennant
qu'ils se chargeassent de tous les frais et dépenses exigés pour cet
ouvrage.
Deux élèves étaient aggrégés aux PP. Jésuites ; c'étaient des re-
ligieux de la maison : François-Joseph Reynders , de Bruxelles ,
âgé de 28 ans , et Jean-Baptiste Fonson , aussi de Bruxelles , âgé
de 22 ans.
Suivent des détails sur l'ordre du travail des agiographes.
Les volumes des Acta sanctorum étaient tirés à 800 exemplaires.
Ils se répandaient dans le monde à mesure qu'ils paraissaient. Au
moment delà dissolution des jésuites, il n'en restait dans le magasin
des agiographes que deux exemplaires de chaque volume des mois
de janvier , février , mars , avril et mai , et une certaine quantité
des volumes consacrés aux mois postérieurs ; savoir : juin , juillet ,
août et septembre ; en sorte qu'il n'y en avait véritablement que deux
exemplaires complets.
COMMISSION ROYALE d'hISTOIRE. 457
C'était la coar de Vienne qui désignait le personnage à qui chaque
lome serait dédié , et qui devait approuver le portrait sur toile que
faisait exécuter le procureur des jésuites à Vienne, en vertu des
ordres de l'empereur. On gravait le portrait en Hollande , et l'on en
expédiait une épreuve à Vienne pour y subir la censure de la cour.
Quant à l'ouvrage lui-même , les agiograptes n'admettaient que la
censure ecclésiasti(jue , et rejetèrent constamment les prétentions des
censeurs royaux.
Pour la continuation des Acta sanctormn , on avait résolu quel-
ques réformes propres à abréger le travail ; mais on n'avait pas cru
devoir les annoncer, de peur de discréditer le livre. Par exemple ,
on n'imprimait plus textuellement toutes les vies déjà imprimées d'un
Saint , et l'on restreignait les notes et commentaires.
Au moment de la suppression , il y avait dans le magasin des
agiographes 880 pages déjà tirées pour le volume à paraître. On s'o-
bligeait à les compléter dans un an. Cinquante volumes avaient été
donnés dans l'espace d'un siècle et demi.
M. de Kulberg désirait rattacher aux Acta sanctormn la reprise
et continuation des Analectes Belgiques,
— Avertissement de la continuation de Vouvrage ayant pour titre :
Acta sanctormn.
Cet avis était destiné au public.
Marie-Tliérèse avait ordonné celte continuation
Le dernier volume livré au public était le troisième du mois d'oc-
tobre. ( On sait que le cinquième volume du mois d'octobre a été
imprimé à Bruxelles en 1786 , et le sixième à Tongerloo en 179-4 , de
manière que la collection est maintenant composée de S3 volumes
in-folio (1).
On annonçait en même temps la reprise des Analectes , assem-
blage méthodique de matériaux servant à l'histoire ecclésiastique et
civile de la Belgique,
— Rapport du conseiller d'état et privé de Kulberg au prince
de Stahremberg sur l'établissement des agiographes dans l'abbaye de
Caudenberg , 1 0 mai 1779.
(i) On conserve à la bibliothèque de la ville d'Anvers iia pages im-
primés du septième volume d'octobre.
458 COMMISSION ROYALE D'HISTOfRE.
M. de Knlberg, dans sod rapport du 15 septembre même année ,
dit qne , lorsqu'il rédigea celui-ci , il ne connaissait pas bien encore
les intentions du gouvernement.
L'adjonction des abbés Lensens et Cornet à l'abbé Ghesquière lui
semblait déjà très-utile.
— Idée de l'ouvrage annoncé en 1773 sons le titre d'Analectes
Belgiqnes , auquel l'historiographe Ghesquière continue de travail-
ler sous les auspices de S. M V ir.ipératricereine apostolique et
du gouvernement général des Pays-Bas
Ce prospectus signé Ghesquière , et daté de Bruxelles le 20
avril 1779 , n'a point été mis au jour. On y renvoie au programme
latin de 1773,
Le travail aurait été divisé en trois parties :
La première aurait contenu toutes les lechercbes qui concernent
les provinces et les peuples des Pays-Bas, suivant leurs divers états,
sous les Celtes , les-Romains , les Francs ; sous les divers comtes ,
ducs on seigneurs particuliers ; sous les Bourguignons et la maison
d'Autriche.
Ces recherches devaient consister en plusieurs dissertations , ori-
ginales sur les comraencemens , le nombre, les dilFérens noms et les
limites des anciens peuples des Pays-Bas qui s'y établirent en corps
de nation ; sur les origines des villes et de leurs dépendances ; sur
l'idiome , la religion , les usages , les mœurs , les sciences , les arts,
l'agriculture , le commerce des anciens Belges , et sur d'autres objets
également intéressans.
A ces dissertations aurait succédé un abrégé chronologique en forme
d'annales , comprenant le plus succinctement possible , ce que les
auteurs contemporains ou dignes de croyance attestent avoir été fait
par les Belges, soit chez eux, soit en pays étrangers. Le tout orné
de cartes , de plans , de médailles et d'inscriptions antiques.
La seconde partie aurait été consacrée aux vrais actes des vies- des
Saints des Pays-Bas , selon l'ordre chronologique. L'auteur était
bollandiste depuis 1763.
La troizième partie enfin aurait été composée de chroniques ,
telles que celles de Nicolas de Clerck , de Dinterus . de celle de
Corsendonck , de grand nombre de diplômes inédits ou mal publiés ,
des anciens actes ou procès- verbaux de démarcation des limites , etc.
GOMimssroN royale d'histoire. 459
L'auteur cite même une de ces dernières pièces en français oflPrant
la démarcation des anciennes limites de l'empire et du royaume de
France , et qu'il avait obtenue par la faveur de feu M. de Choiseul ,
archevêque de Cambrai.
Ghesquière avait alors 49 ans , ce qui l'empêchait d'espérer
d'achever un si grand travail. Il proposait donc pour ses collabo-
rateurs :
François Lensens , prêtre , né à Malines en 1742 , établi dans la
même ville :
Philippe Cornet , prêtre , né à Bruxelles en 1738 , établi à
Anvers ;
Donatien Dujardin , prêtre, né à Ypres en 1738 , élabli dans la
même ville ;
Jean de Mersseman, prêtre , né en 1739, établi à Dunkerque r,
Corneille Smet , prêtre , né à Morselle près d'Alost en 17-42 et
élabli dans le même endroit.
Mais Ghesquière déclarait que peu lui importait la profession et le
pays de ses associés , attendu qu'il n'en exigeait que de la capacité
et un caractère conciliant.
— Projet d'une lettre que Ghesquière enverrait aux abbayes ,
chapitres, etc. , pour obtenir communication des manuscrits , titres ,
diplômes , etc. , qu'ils possédaient.
Cette lecture terminée, M. Gachard fait remarquer qu'il existe aux
archives du royaume des pièces de nature à compléter ces renseigne-
mens , et il s'engage à en donner communication.
Le même, au nom de MM. Holvoet et J.-J. Vermeire de Brnges ,
met à la disposition de la commission trois manuscrits. Le premier
est une chronique du monastère de Saint- André ; le deuxième estin-
li'ulé : Chronicon comitum Flandriœ ^ ab anno 1321 , ad an-
num 14-42 , incerti auctoris. Le troisième est un recueil de pièces
de différentes époques.
La commission vote des remercîmcns h MM. Holvoet et Vermeire
et applaudit à leur zèle et à leur patriotisme.
Les deux premiers manuscrits sont confiés à M. Warnkœnig et le
dernier à M. de Reiffenberg , pour en faire l'examen.
La séance sera continuée demain à 9 heures du matin.
460 comaiissioN royale d'histoire.
Séance du ^S octobre.
Présens tous les membres de la commission , excepté M. l'abbé
De Ram.
Miil. de Gerlache, Warnkoenig et Willeras font un rapport sur
les catalogues des manuscrits historiques , lesquels ont été commu-
niqués par M. le ministre de l'intérieur.
Quoique de simples indications , souvent d'une extrême séche-
resse, ne puissent pas fournir beaucoup de lumière. M. de Gerlache
signale à l'aftention de la commission , dans le catalogue de l'uni-
versité de Liège , les articles suivans :
N' 18. P^ita sancti Huherti , conscripta per Adulphum Has-
pard. — Historia ahhatiœ Sti. -Huherti in Arduennâ; anni 1326,
fol. pap.
N° 16-4, 166. Recueil de paix, privilèges concernant le pays
de Liège (XVI^ siècle).
N" 183. Recueil des choses mémorahles concernantes le royaume
de Tongres , le pays de Liège et ses environs , depuis son origine
jusqu'au commencement de Vépiscopat de Ferdinand de Bavière,
^X" èvéque de Liège , fait par maître Jean d' Oustremeuse ; le reste
extrait des chroniques de Jean Dupas, par Jean de Stavelot ,
jusqu'à l'an 1626, fol. pap.
N° 186. Chronique du pays de Liège , depuis la fondation de
la cité jusqu'à l'an 1016, in-folio, écrit en 1601.
M. Gachard entretient ensuite la commission du catalogue de la
bibliothèque de Tournay, en ces termes :
Les manuscrits de la bibliothèque de Tournay sont , sur cette
liste , au nombre de vingt-sept. La plupart ayant été examinés par
le rapporteur , il y a quelques années , il se trouve à même d'en-
trer dans des détails sur leur contenu.
Les n"^ 2 , 3 , 8 , 10 , 18 , 19 , 21 , 22 , 23, 24 et 23 con-
cernent exclusivement la ville de Tournay et le Tournaisis. Ce sont
ou des collections de chartes et autres pièces en copie , ou des re-
cueils d'épitaphes, et des notes historiques sur difFérens sujets, ou
des mémoires dont la plupart se rapportent à des époques et à des
événemens particuliers, comme X Histoire des choses remarquables
arrivées à Tournay, de 1366 à 1370 ( n° 2); la relation du
COMMlSSIO-\ ROYALE d'hISTOIRE. 461
siège de Tournmj en 1681 , écrite par un bourgeois de la ville
( n° 3) ; le recueil de quelques particularités du siège de Tournay
en 1709 ( n'' 19) ; des réflexions historiques sur la persécution
exercée contre le chapitre de Tournay en 1710, 1711, 1712,
par les Etats-généraux des Provinces- Unies (n° 22).
Le n" 21 , Notes historiques sur Tournay et le Tournaisis par
Dufief, contient bien un extrait de la chronique de Gilles li Muisis ,
de 1308 à 1330; mais ce manuscrit étant du commencement du
11" siècle, ou tout au plus de la fin du 16% il ne paraît pas qu'on
s'en puisse servir utilement.
Le n° 5, Ritmes et refrains des Tournaisiens l'an 1-477, est
connu par la description qu'en ont donnée MM. Dumortier et de
ReifFenberg , dans les Nouvelles archives historiques.
Le n° 9 bis , Projet de Vhistoire de Tournay , par Sanderus ,
l'est également, grâce à la notice insérée par M. Dumortier dans le
même recueil.
Le n° -4 , Manuscrit relatif à l'histoire des Pays-Bas , depuis
la réunion des dix-sept provinces jusque vers la fin du l^"" siècle ,
n'est autre que l'ouvrage de M. de Neny.
Les n""^ 6 et 9 sont des recueils de coutumes de Tournay et de
Tournaisis , qui n'intéressent que la jurisprudence , de même que
le n° l'2. Arrêts rendus au grand conseil de Malines , etle n" 13,
Divers arrêts rendus dans le pays.
Les n"* 14 et 20 contiennent des généalogies et des blasons.
Le n° 25 est un recueil formé, en 1586 , d'épitaphes existantes
dans les églises de diftërentes villes , nommément Arras et Valen-
ciennes.
Le n° 17 offre une relation des vies de saint Piat et de saint
Eleutbère , écrites en vers français dans l'année 1-479, par messire
Alard Janvier. A la fin du volume on lit :
Voeilliés , Marie et Dieu , prier
Pour messir Alard Janvier.
Che livre cliy escripsi neuf
En l'an mil nil<^ LXXIX.
Le n° 11 est un hommage de félicitation à Charles-Quint sur sou
462 COMMISSION ROYALE d'hISTOIRE.
retour au Pays-Bas en 15-40 , lorsqu'il traversa la France pour pu-
nir les Gantois , retour ardemment désiré , dit l'écrivain ( ob divi
Caroli desideratissimum in patriam reditum aggratulatio).
Le n" 15 , Chroniques en hrief, commenchant Van trente avant
la descente des comtes de Flandre et de Bourgogne , est une chro-
nique rimée.
Le n° 27, P^ieille Chronique de Flandre, est un manuscrit du
17* siècle, qui contient un extrait des antiquités de Flandre par
PVeilant , et d'autres fragmens que l'on retrouve ailleurs.
La même observation s'applique au n° 1*"^ : Histoire des rébel-
lions des Flamands contre leur souverain, jusqu'en 1-450, et des
guerres de ceux-ci, manuscrit du milieu du 16" siècle.
Enfin le n° 16 est un recueil de plusieurs entreprises et actions
de l'empereur Charles-Quint environ l'an 15-40, petit in -8". Ce
dernier , dit le rapporteur , mériterait peut-être de figurer dans la
collection qui va être publiée.
Le titre littéral est : Brief recueil de plusieurs entreprinses ,
belles chasses et entrées faictes par la majesté impérialle , en pour-
suivant son voyage d'Argeil [Alger] environ VanXF^ quarante,
et ce rédigé par escript , au lieu de repos , par manière d'exerci-
tation , par un quidam suivant sadicte majesté en cherchant aven-
tures , lequel n'a aultres tesmoings pris que sa propre veue et
présence. ( M. de Reiffenberg l'a cité dans ses particularités sur
Charles-Quint et sa cour, )
L'auteur ne se nomme pas : il dit seulement qu'il avait été à la
cour ; qu'à Luxembourg , où la reine Marie prit congé de l'empe-
reur , il la quitta « pour veoyr du monde , espérant parvenir avec
le temps (après plusieurs services) au nombre des gentilshommes
de la maison de l'impériale majesté [ce qu'il fait) , etc. )• 11 ra-
conte en eflPet, lui-même, comment il obtint cette distinction près
de Burgos.
L'anonyme nous fait accompagner Charles-Quint à Spire , à Nu-
remberg , à Mayence , à Inspruck , à Milan , à Paris , à Gênes , en
Afrique, et, après que son expédition eût manqué, à Murcie, à
Valladoîid , à Burgos , aux royaumes de Catalogne , d'Arragon , de
Valence et de Castille. Il raconte ensuite son retour en Flandre par
l'Italie et l'Allemagne , enfin sa campagne en Gueldre qui eut pour
COMMISSIOÎf ROYALE d'hISTOIRE. 463
résultat la conquête de cette province. C'est là que l'auteur s'arrête.
Celte relation est sommaire , mais intéressante. L'expédition d'A-
frique y est plus détaillée que le reste.
Le manuscrit , s'il n'est l'original , est du moins une copie du
temps.
Le rapporteur termine en faisant observer qu'il existe encore à la
bibliothèque de Tournay un manuscrit historique qui ne figure pas,
sans doute par oubli , dans la liste qu'a envoyée le bibliothécaire.
Ce manuscrit qui , dans le catalogue général de la bibliothèque ,
section Histoire - Littérature , porte le n" 19, et qui est intitulé
Chroniques anciennes , serait peut-être digne de faire partie des
chroniques de Flandre; et, en tous cas, il mériterait d'être con-
sulté par l'éditeur de ces chroniques. Il est de la fin du IS"" ou du
commencement du lA" siècle, et renferme 246 chap. dont l'avaut
dernier précédé de cette rubrique : Comment H rois Philippe de
Franche espousa Marie seur li duc de Brahant et son coronément.
Résolu que M. le ministre de l'intérieur sera prié de demander
à la régence de Tournay , pour être mis à la disposition de la com-
mission , le Recueil des voyages de Charles-Quint , n" 16 de la
liste , le n" 17 contenant les vies de saint Piat et de saint Eleuthère ,
la chronique rimée du n° 15 , et les chroniques anciennes du n° 19
de la section Histoire -Littérature , dans le catalogue général.
M. Warnkoenig promet de faire , dans une prochaine séance, un
rapport détaillé sur le catalogue de la bibliothèque de Gand.
M. de Reiffenberg se charge d'examiner celui de la bibliothèque
de Mons.
M. Willems, après avoir parcouru le catalogue de la bibliothèque
de Bourgogne , regrette que les indications en soient d'une concision
telle, qu'on peut à peine connaître l'objet d'un manuscrit et qu'on
ignore toujours s'il est sur parchemin ou papier , d'une époque ré-
cente ou reculée. Il s'est néanmoins attaché de préférence aux ar-
ticles qui suivent ;
POUR 1,'histoire de uége.
8525-8832. Les chroniques de Jean d' Outremeuse , translaté
de latin en rouman franchois , 4 volumes.
464
COMMISSION ROYALE D HISTOIRE.
10,322. Chronique de Liège terminée e» 15-47.
8336. Chronique de Liège terminée à l'an 1643 , -4 volumes.
POUR l'histoire Dn BRABANT.
•492-4-4928. Dinteri chronicon ducum Brabantiœ , copie mo-
derne.
8420. Copie du même qui a appartenu à Jean Le Mire , évê-
que d'Anvers. (Voyez rinfroduction aux mémoires de Vander Vynctt ,
édition du sieur Lacrosse. )
5421. Premier texte de cette chronique, texte autographe, sui-
vant le catalogue , ce qui est une erreur.
4528. Autre copie.
4485. Hertogen van Lothryck , van Brabant en Limbourg
(en vers flamands).
4934. Cronyck van Brabant ende van Grimberg.
5467. Extrada è chronicâ vetustissimâ ducum Brabantiœ.
1737. Godefridi de Bullione epistola ad papam de suâ ex-
peditione,
9976. Processus inter Joannem , ducem Brabantiœ et Jacobam
de Bavariâ.
AQQl . Anticerpsche rym-chronxjkje beginnende met hetjaer 837
tôt 1542.
6154-6161. Annales antuerpienses ab anno 1307 ad 1685.
pocR l'histoire de fla:vdre.
6590-6265 et 2279. Iperii chronicon.
Les numéros 4868, 4494, 7952, 7954, 4535, 7953, 2427,
8370 , 8315, 7708, désignés sous les titres de chroniques, d'an-
nales ou de généalogies , paraissent pouvoir servir ; mais , comme
ces renseigneraens sont trop vagues , il faudra explorer les biblio-
thèques elles-mêmes pour constater leurs richesses historiques.
M. de ReiflFenberg promet à M. Gachard de lui prêter une copie
du P^oyage de Philippe -le -Beau en Espagne , par Antoine de
Lalaing , laquelle fait partie de sa bibliothèque particulière et dont
il a donné un extrait dans le premier volume de ses Archives Phi-
lologiques. Il remarque que la bibliothèque de JNamur possède un
COMMISSION ROYALE d'hISTOIRE. 465
manuscrit précieux renfermant Beda et presque tout Grégoire de
Tours , et que ce manuscrit , qu'il a décrit dans son supplément à
VArt de vérifier les dates , pourrait être utile au comité de l'his-
toire de France , lequel, sous les auspices du ministre de l'instruc-
tion publique , prépare une nouvelle édition de Grégoire. Il ajoute
que M. Guizot a bien voulu l'assurer qu'il favoriserait de tout son
pouvoir les recherches de la commission , et qu'il recourrait à elle
chaque fois que les relations étroites de la France et de la Belgique
pourraient faire soupçonner que nos annales sont de nature à éclair-
cir celles de nos voisins , ou lorsqu'on éprouverait à Paris le besoin
de consulter nos dépôts littéraires.
Il annonce qu'il s'est assuré que la chronique d'Anchin , recher-
chée par M. Warnkoenig, existe à la bibliothèque du roi, à Paris,
et qu'il en fera faire une copie ainsi que des chroniques rimées de
Philippe Moustes , de Gand , évêque de Tournay au IS*^ siècle, et
dont il n'existe qu'un seul manuscrit.
Enfin , il déclare qu'il est en mesure de mettre immédiatement
sous presse le premier volume de l'ouvrage dont on l'a chargé.
MM. Warnkoenig et Willems rendent compte de quelques excur-
sions qu'ils ont faites en Allemagne et en France , dans l'intérêt de
l'histoire nationale.
M. Warnkoenig dit qu'il s'est activement occupé des travaux pré-
paratoires à la publication des chroniques latines de Flandre.
Il a fait transcrire la chronique de Li Muisis , tant pour la par-
tie imprimée par M. Goethals-Vercruyce , que pour le reste. Il a
en outre examiné le manuscrit original , qu'il colîationnera avec ces
copies lorsque M. Goethals, qui le possède, le lui apportera à Gand.
Cette collation suffira pour mettre la chronique sous presse.
Le rapporteur désire pouvoir faire graver quelques-unes des belles
vignettes qui ornent ce manuscrit , ainsi qu'un fac-similé de l'é-
criture.
Il s'est de plus occupé de la chronique des comtes de Flandre ,
publiée par les Bénédictins dans le troisième volume du Thésaurus
Anecdotorum.
Il a fait faire une copie du texte des PP. Martène et Durand ,
en y ajoutant la pnrtie manquante dont on doit la connaissance au
célèbre Lessing qui l'avait trouvée dans un manuscrit de Wolfen-
466 GOMMISSIOJJ ROYALE d'hISTOIKE.
buttel. Cette copie est destinée à servir de base à la collation d'au-
tres manuscrits.
Or , trois manuscrits ont fixé son attention : celui de Wolfen-
buttel lui-même , celui de l'ancienne abbaye de Clairmarais près de
Saint-Omer , et enfin celui de la bibliothèque de Bourgogne.
M. Warnkoenig a écrit , à cet effet , à Wolfenbuttel pour avoir
le premier exemplaire en communication. M. Sclivenemann , le bi-
bliothécaire actuel , a offert obligeamment ses services pour la col-
lation , ce qui a paru suffire. De plus , un fac-similé de l'écriture
a été demandé.
M. Schvenemann a aussi donné des renseignemens sur d'autres
manuscrits relatifs à l'histoire de Flandre, qui se trouvent dans le
dépôt dont il a la garde.
Au commencement du mois d'octobre , M. Warnkoenig est allé
à St. -Orner où se conservent les manuscrits de Clairmarais. La chro-
nique désignée plus haut n'était pas marquée sur le catalogue , et
le bibliothécaire ne la connaissait pas. M. Warnkoenig a eu le plai-
sir de la retrouver à la suite d'un autre ouvrage , et il a bientôt
reconnu que c'était le manuscrit même qui avait servi aux Béné-
dictins. Les vingt-deux premiers feuillets, petit in-folio , ont été
écrits au commencement du 13" siècle et finissent à la bataille de
Bouvines. L'écriture en est belle et nette. Les quatorze derniers ont
été écrits après l'année 1348 , où la clironique s'arrête. Deux feuil-
lets ont été arrachés, ce qui forme, entre les années 1339 et 1346,
une lacune qui a trait à l'histoire d'Artevelde. L'écriture et le par-
chemin sont de mauvaise qualité.
M. Warnkoenig a consacré deux jours à comparer ce manuscrit
avec la copie qu'il possédait. Ce qui lui a fait apercevoir diverses
variantes et de nombreuses transpositions de mots.
A la même bibliothèque de St. -Orner , le rapporteur a découvert
quatre pages écrites en 961, et contenant des notices généalogiques
sur les comtes de Flandre , avec une espèce de panégyrique d'Ar-
noul-le-Vieux et de son fils Baudouin III. C'est sans contredit le
plus ancien manuscrit original qu'on ait sur l'histoire des comtes de
Flandre; aussi M. Warnkoenig s'est-il empressé de le copier.
A son retour de Saint-Omer, il s'est arrêté un jour à Lille, où
il espérait trouver la chronique d'Anchin que M. de Reiffenberg a
COMMISSION ROYALE D 'HISTOIRE. 467
vue à Paris. En fouillant la bibliothèque de Lille , le rapporteur y
a trouvé divers morceaux curieux , savoir ;
I " Une chronique de Tournay , inédite , écrite au quatorzième
siècle, en latin, et continuée jusqu'au dix-septième. En voici le
titre :
Cronica Tornacensis.
Prologus sequentis operis incipit.
Quoniam traditum tenemus primani constnictionem civitatis
Tornacensis prœstantem et memoriâ dignam fuisse , nobiles, etc.
Explicit prologus.
Incipit excerptum ex diœcesis auctoribus coliectum Tornacum
itaque GaUiœ Belgicœ civitatem antiquissimam etiam inter suas
finitirnas civitates nohilissimam claruisse , etc.
La suite des évêques va jusqu'au mois d'août 1S13 ; mais on y
a ajouté les autres jusqu'en 16-49. Le dernier est Franciscus P^il-
lanus de Gandaro ex comitibus d'Iseghem, anno regiminis tertio.
2° Un MS. marqué n° 769 et provenant de l'abbaye de Clairma-
rais. Hoc volumen continet vitam sancti Pétri Tharentasiensis
ûrchiepiscopi , vitam B. M. de Ogniaco et genealogiam comitum
Flandriœ.
3° Cronica comitum Flandriœ ab anno 621 ad annum 1490.
E. G. n° 3-4 , fol. (Section d'histoire, au catalogue. )
Le rapporteur avait d'abord pris ce dernier manuscrit pour une
copie de la chronique des comtes de Flandre donnée par les Béné-
dictins ; mais un examen plus sérieux lui a prouvé que c'était un
autre ouvrage : l'histoire fabuleuse de la Flandre , racontée d'une
manière très- circonstanciée. La partie chronologique n'en est pas
moins bien soignée : la grande chronique est précédée d'une plus
abrégée , laquelle va jusqu'à Philippe-le-Bon , duc de Bourgogne et
comte de Flandre.
L'auteur de cette histoire a souvent transcrit des passages entiers
de la chronique des Bénédictins, mais il a puisé encore dans d'au-
tres sources. M. Warnkoenig a vu avec satisfaction que le passage
donné par Lessing du manuscrit de Wolfenbuttel se trouve égale-
468 COMMISSION ROYALE d'hISTOIRE.
ment dans ce manuscrit. Il s'est assuré de plus qu'il a une grande
analogie avec celui de la bibliothèque de Bourgogne.
En conséquence il propose à la commission d'envoyer quelqu'un
à Lille , pour comparer la chronique des comtes de Flandre avec ce
manuscrit , y copier les passages qui ne se trouvent pas dans la
première , et faire une transcription complète de la chronique de
Tournay.
Le rapporteur a à sa disposition un jeune homme sûr et intelli-
gent qui fera cette besogne à peu de frais. Car, de l'aveu de M. le
bibliothécaire de Lille , il ne se trouve personne dans cette ville
qui , liabitué à lire les anciennes écritures , pût en tirer des copies
exactes. D'ailleurs , les manuscrits de ce dépôt ne se prêtent pas à
l'étranger.
M. Willems prend alors la parole pour rendre compte du résultat
de ses recherches à Cologne.
Elles avaient pour objet : 1° de prendre connaissance des actes
et diplômes qui se trouvent dans les archives de cette ville , rela-
tivement à la succession du Limbourg et à la bataille de Woeringen,
circonstances dans lesquelles Sifrid de Westerbourg , archevêque de
Cologne , s'est montré l'adversaire le plus actif et le plus redoutable
du duc Jean de Brabant (années 1282 à 1289).
2" D'inspecter et d'explorer les anciens raonumens et tableaux
conservés au Musée de Cologne, ou à Woeringen , et qui ont con-
sacré le triomphe des Belges , surtout l'inscription sur pierre dont
il est parlé dans le livre de Gelenius de Coloniœ Agrippinensis
magnitudine.
M. Willems a constaté que les dépôts d'archives des villes de
Cologne et d'Aix-la-Chapelle renferment un grand nombre de di-
plômes émanés de nos ducs de Brabant , protecteurs du commerce
sur le Bhin et avoués supérieurs de la ville d'Aix. Quoique MM. Ritz
et de Reiffenberg en aient publié récemment un grand nombre , la
plupart sont restés inédits.
Le rapporteur a examiné avec soin les trente volumes in-folio de
pièces diverses , déposés à l'hôtel- de-ville de Cologne et connus sous
le nom de Farrago Gelenii , ainsi que les anciens cartulaires , re-
gistres et documens de cette ville. Cette investigation lui a fait dé-
couvrir treize diplômes inédits , se rapportant à son travail sur le
COMMISSION ROYALE d'hISTOIRE. 469
poème de Van Heelu , et qu'il a copiés avec soin. La plus impor-
tante de ces pièces est une convention de paix et de reconciliation
entre le duc Jean et l'archevêque Sifrid , pour aplanir leurs dis-
sensions. Tarn de occisis in conflictu apud fVarhn et alibi ubi~
cunque , captivis , exactionihus , incendiis , damnis et rapinis
quant etiam de destructionibus castrorum , oppidorum et specia-
liter (dit l'évêque , fait prisonnier dans la bataille) occasione cap-
tivitatis nostrœ.
Une ancienne chronique de Bello TT^oeringensi ex libro manus-
cripto monasterii prœdicatorum Coloniensis , que Gelenius a con-
servée dans le seizième volume de sa collection, n'a pas moins at-
tiré l'attention du rapporteur. Il regrette de n'avoir pas eu le temps
de copier d'autres que celles pour lesquelles il s'était rendu à Co-
logne. Cependant il se félicite de la promesse qu'a bien voulu lui
faire M. Fuchs , secrétaire de la municipalité de cette ville , de
transmettre incessamment à M. Warnkoenig une liste complète des
chartes des ducs de Brabant que renferme le dépôt confié à ses soins.
Quant aux monumens non écrits , voici ce que M. Willems a
trouvé. Au rapport de l'ancienne chronique de Cologne, imprimée
par Koelhof en 1499 , les habitans de cette ville , pour perpétuer le
souvenir d'une victoire qui avait rendu la liberté à leur commerce
érigèrent en 1288, et peu de temps après, une église en l'honneur
de saint Boniface { car c'était le jour de la fête de ce saint que la
bataille avait eu lieu). Cette église ou chapelle n'existe plus, mais
l'inscription autrefois placée au-dessus de la porte de cet édifice se
conserve encore au musée. C'est une simple pierre de six à huit
pieds de long , sans ornemens et sans figures. On y lit en grands
caractères gothiques du temps : Anno M.CCLXXXVIII fuit
prœlium in PForingen et hoc in Sabath (sic).
Les huit tableaux de la même bataille , exposés dans ce musée
ne méritent aucune attention. Us ont été peints vers 1600 par Jean
Van Aken , et sont entièrement de son invention. Nos Brabançons
y sont représentés avec des canons et des arquebuses ! !
Lorsque Jean I" , le Victorieux , fit son entrée à Cologne le len-
demain de la bataille , les habitans , dans leur reconnaissance pour
les services que venait de leur rendre ce ])rince , le proclamèrent
bourgeois de la ville , et lui firent présent d'un magnifique hôtel ,
T. X. 32
470 COMMISSION ROYALE d'hISTOIBE.
nommé depuis la cour de Brahant , avec droit de franchise et d'a-
sile. Le rapporteur a reconnu que l'emplacement de ce palais est
maintenant occupé par les deux maisons marquées n°* 2119 et
2120 , près de la cathédrale, dans la rue dite AmHof (à la cour).
Les anciens titres de ces propriétés attestent qu'il a fallu , à chaque
aliénation du bien, obtenir une homologation du conseil de Brabant.
Quant à Woeringen, il n'y existe plus aucun monument de la
bataille. On n'y avait aucune connaissance du missel où était inscrit
le nombre des morts et des blessés , selon la chronique de Ster-
revian Cornerus (Eccard, Corpus hist. ntedii œvi , t. IV, p. 938);
seulement M. Willems a pu s'assurer que la bataille a eu lieu dans
une bruyère nommée die Fuhlingerheyd.
La commission , après avoir entendu ces détails , décide qu'il
sera écrit à M. Lavallée, à Liège , pour l'engager à communiquer
les monumens historiques qu'il rassemble et dont il fait un usage
éclairé.
Après avoir pris l'avis de plusieurs p rsonnes versées dans la pra-
tique de la typographie, la commission arrête l'avis qui sera inséré
dans les journaux et adressé aux imprimeurs. Cet avis sera de la
teneur suivante :
« La commission royale d'histoire invite ceux de MM. les im-
i> primeurs qui désireraient entreprendre l'impression des Chroni-
H ques belges , à remettre leur soumission cachetée , aux archives
■!i du royaume , avant le 30 novembre prochain,
» La soumission devra indiquer le prix par feuille , d'après con-
)» ditions suivantes :
)> L'ouvrage sera in-^".
)) Il sera tiré à 500 exemplaires sur papier d'Annonay , 1'" qua-
» lité (c'est-à-dire sur papier fabriqué dans le pays à l'imitation de
)) celui d'Annonay ).
)i Le caractère choisi pour le corps de l'ouvrage est le cicero ;
« mais la poésie sera en petit-romain ou en petit-texte , de même
)> que les notes et les pièces justificatives. Les notes marginales se-
rt ront en mignonne.
)) Tous les caractères à employer devront être neufs. Le soumis-
« sionnaire s'obligera à en avoir une quantité suffisante pour pou-
» voir imprimer trois volumes à la fois.
COMMISSION ROYALE d'hISTOIRE. 471
» Le prix sera établi sans distinction des caractères.
>' II comprendra les corrections , remaniemens et tous autres frais
» relatifs à l'impression.
» L'imprimeur sera tenu de fournir au moins trois épreuves.
)) La collection des Chroniques belges est supposée devoir former
» 20 à 25 volumes in-4*. »
Plus rien n'étant à l'ordre du jour , la prochaine séance est fixée
au premier samedi de décembre , à midi.
Pour extraits conformes :
Le secrétaire de la commission ,
Baron de Reiffeivbkbg.
472
VVVVC'Vfc'VVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVV VVVVVVVVVVV\VVVVV\'VVVVVVVVVV\AfVV^
MÉLANGES. — Novembre 1834.
Recherches sur la langue des Siamois. — Statistique des journaux. —
S. Vincent de Lerins. — Discours de Mgr. Mai sur la ressemblance
des anciennes sociétés secrètes avec les nouvelles. — Publication de
trois sermons inédits de S. Ambroise , par le P. Léandre Corrieri. —
Voyage de Pie VII à Gênes en i8i5 , par le card. Pacca. — Orai-
son funèbre de M. Fan Gils , par M. le prof. Wilmer. — Académie
de Bruxelles , séance du 22 novembre. — Nouv. édition de St. Augustin.
— M. Palegoix, missionnaire français à Siam , écrit, à la date
de 1833, à la Société géographique de Paris, pour se mettre en
rapport avec elle ; il annonce qu'il va parcourir le royaume de Siam
et les cinq petits états laociens qui en sont tributaires ; il demande
qu'on lui envoie des cartes du pays pour qu'il puisse les contrôler
et les rectifier. Dans l'état présent , à peine il arrive à Siam un na-
vire de Singapore , ce qui isole complètement cette contrée, et la
maintient dans la plus profonde ignorance. M. Pallegoix s'occupe
de composer un dictionnaire siamois et une grammaire de cette
langue ; il a déjà recueilli 20,000 mots , mais il lui faudra encore
trois ou quatre ans pour achever ce travail. Il fera les mêmes re-
cherches sur la langue de Laos , qui , du reste , a presque tous les
mots siamois , avec quelque altération et une prononciation diffé-
rente ; en même temps il s'occupe d'un vocabulaire de la langue
hâli , langue sacrée des Siamois.
Le Laos est un pays à peu près inconnu en Europe. M. Pallegoix
se propose de pénétrer jusqu'à Vieng-Chaune , la ville royale de la
lune. La nation laocienne se divise en trois tribus : Fhoung-Khao
(ventre blanc) , Phoung-Dam {\entve noir) , Phoung-Khio (ventre
vert). La première ne se tatoue pas , la deuxième se tatoue en noir,
et la troisième en vert. On a écrit jadis qu'il n'y avait pas de vo-
leurs parmi les Laociens , mais il faut croire que quelque civilisa-
tion s'est infiltrée parmi eux , car la ville royale delà lune est presque
constamment troublée par des pillages que les autorités ont peine
à empêcher.
MÉLANGES. 473
— Le nombre des journaux , celui de leurs abonnés , mis en com-
paraison avec les populations , forment deux bases d'appréciation
des habitudes de lecture d'une nation. En calculant ainsi , on trouve :
à Rome , 1 journal sur 31,000 liabitans , à Madrid , 1 sur 50,000,
à Vienne sur 11,338 , à Londres sur 10,600 , à Berlin sur 4,074-,
à Paris sur 3,700, à Stockholm sur 2,600 , à Leipsick 1,100. Le
reste du pays suit la même proportion que la capitale. Il existe en
Espagne un journal sur 864,000 habitans ; en Russie 1 sur 684,000 ;
en Autriche , sur 376,000 ; en Suisse , sur 66,000 • en France,
sur 52,000 ; en Angleterre, sur 46,000 ; en Prusse, sur 43,000;
dans les Pays-Bas , sur 40,000.
C'est en France qu'un journal, pris isolément, réunit le plus
d'abonnés. Mais il n'en est pas de même quand on compare le nom-
bre des abonnés avec la population. D'après M. Quetelet , il y a
en France un abonné sur 437 habitans, en Angleterre, sur 184;
dans les Pays-Bas , sur 100.
— Sur les beaux rivages de la Bléditerranée , à deux ou trois lieues
d'Antibes , il est une île que d'antiques ruines couvrent de toutes
parts ; c'est Lérins , où , vers l'an 410, saint Honorât, qui avait
conversé avec les solitaires de la Thébaïde , fonda , à l'imitation des
monastères de l'Orient , cette glorieuse abbaye qui donna à l'Eglise
douze archevêques , douze évêques et plus de cent martyrs. Per-
sonne avant lui n'avait voulu habiter cette île , parce qu'elle était
peuplée de toutes sortes de reptiles venimeux. Saint Honorât , qui
ne cherchait pas les commodités de la vie présente, mais la morti-
fication de tout ce qui peut flatter les sens , jugea que cette plage
infréquentée serait très-propre à sa pieuse entreprise. Il y débarqua
avec ses compagnons.
C^est à Lérins , dans cette académie de sainteté , cette ile bien-
heureuse , cette terre des miracles , cette île des saints , celte de
meure de ceux qui vivent en Christ (1), que saint Vincent vint
prendre l'habit monastique, et qu'il fut élevé a la dignité du sacer-
(i) C'est ainsi que ront a])pcléc saint Hilaire d'Arles, saint Césaire,
Sidonius de Clermont , etc. Voyez Gallia Chiistiana , tom. u.
474 MÉL/VMGES.
doce. <i Long-temps ballotte , dit-il dans le prologue de son Com-
monitorium peregrini , par les rudes et divers tourbillons de la vie
séculière, je me suis enfin abrité au port de la religion, refuge hos-
pitalier des misères humaines. Là , déposant toute pensée d'orgueil
et de vanité , apaisant Dieu par le sacrifice de l'humilité chrétienne,
je cherche à éviter non-seulement les naufirages de la vie présente ,
mais encore les flammes de la vie future. » Les détails de sa vie sont
enveloppés d'une obscurité séculaire qu'on n'a pu parvenir à dissiper
entièrement. Il paraît cependant qu'il avait suivi d'abord la profes-
sion des armes , et qu'ensuite il occupa dans le monde des emplois
distingués. Sa première éducation avait été soignée ; il était instruit
dans les lettres humaines et y avait fait de grands progrès. Arrivé au
monastère , il étudia les saintes Ecritures , lut les ouvrages des Pè-
res, et devint un théologien profond. Gennade , dans ses Hommes
illustres , le représente comme un homme d'une sainteté rare , d'une
grande éloquence , et éminemment versé dans les sciences ecclésias-
tiques. L'ouvrage le plus remarquable qu'ait publié Vincent est in-
titulé : Commonitorium peregrini , Commonitoire du pèlerin. Cet
ouvrage , d'une juste et sévère dialectique, a toujours été, pour les
dissidens de bonne foi , le guide qui les a ramenés au sein de la vé-
ritable Eglise.
Vincent composa le Commonitorium en 434 , trois ans après le
concile d'Ephèse , où le nestorianisme fut condamné. Il existe un
grand nombre de traductions de ce petit et admirable livre , mis avec
raison au rang de ce qui nous reste de plus excellent de l'antiquité .
Le père Labbe le qualifie de livre d'or , et Bellarmin , à cause de sa
brièveté, l'appelle Mole parvum , sedvirtute maximum.
Par une de ces fatalités qu'il faut peut-être expliquer par l'hu-
milité même de saint Vincent, cet illustre solitaire dont le livre de-
vait avoir un si long retentissement , est mort presque inconnu au
monde sous le règne de Théodose et de Valentinien. — Le Catholi-
que , magasin religieux ^ du 28 octobre.
— Le 1 1 octobre , l'Académie de la religion catholique termina sa
séance de l'année par une réunion brillante ( ci-dessus p. 382 ) , dans
laquelle le savant M. Mai , secrétaire de la Propagande , prononça un
discours pour montrer la ressemblance et la liaison des anciennes so-
MÉLANGES. 475
cîétés secrètes avec les nouvelles. L'autenr fit voir que les manx
arrivés de 1790 à 1815 sont dus aux manœuvres de ces sectes fa-
vorisées par une terrible révolution. M. Mai passa en revue les an-
ciennes sectes , leurs mystères et leurs impostures. 11 parla des sectes
grecques et asiatiques , des druides , des superstitions égyptiennes ,
des aruspices , des devins , des astrologues et des charlatans de toute
espèce qui trompaient les peuples. De là l'orateur passa aux sectes
hérétiques et à leurs turpitudes. Comparant les sectes nouvelles avec
les anciennes , il fit voir que de part et d'autre c'était la même hy-
pocrisie , la même dissimulation , la même ténacilé à garder leur
secret. Ces sectes nouvelles ont été frappées par les lois du prince
et surtout par les Papes ; mais elles n'en ont pas moins continué
dans l'ombre. M. Mai se proposait d'opposer à ce tableau celui de
la religion et de la société catholique ; mais , vu l'heure avancée ,
il se contenta de parler des anciens et des nouveaux apologistes de
la religion, parmi lesquels il cita l'ouvrage publié autrefois par le
Pape régnant. Ce discours fut fort applaudi par les cardinaux , pré-
lats et autres personnages de distinction qui étaient présens.
— Le père Léandre de Corrieri, auteur d'un ouvrage latin sur le
reliques de la Passion, annoncé ci-d. tom IX , p. 569 , vient de pu-
blier , avec des notes et observations critiques trois sermons attri-
bués à saint Ambroise. 11 a trouvé ces sermons dans un ancien ma-
nuscrit de la bibliothèque sessorienne ; ils portent le nom de saint
Ambroise sans plus. Le savant éditeur a entrepris de prouver par
des conjectures d'une saine critique qu'il s'agissait là de l'illustre
archevêque de Milan. Le soin de tirer de la poussière des bibliothè-
ques les ouvrages des Pères et des Docteurs de l'Eglise devient encore
plus estimable , quand on sait les enrichir de notes pleines d'érudi-
tion. C'est ce qu'a fait le père Léandre de Corrieri avec beaucoup
d'habileté. L'ouvrage est un volume in-4°, dédié à M. le cardinal
deBrignole; il est sorti de l'imprimerie des Beaux-Arts, rue m
Arcione.
— Ou vient de réimprimer à Modène la Relation du voyage de
Pie VU à Gênes dans le printemps de 1815, in-B" , 183-4. C'est
un opuscule qui fait partie des mémoires de M. le cardinal Pacca ,
476 MÉLANGES.
et qui fait désirer que Son Eminence publie le reste de l'ouvrage.
On a déjà de cet illustre doyen du sacré Collège des Mémoires sur
la nonciature du Rhin , et les Mémoires sur son ministère et sur
son séjour en France. Ces derniers mémoires ont été traduits en
français et il y en a même eu deux traductions , la première par l'abbé
James , imprimée à Caen , et la seconde par M. J. F. Queyras , im-
primée à Lyon et réimprimée à Louvain. On avait annoncé une
traduction des Mémoires sur la nonciature du Rhin ; nous ne croyons
pas qu'elle ait encore paru. Il resterait aussi à traduire la Relation
du voi/age à Gênes , dont nous venons de parler , ouvrage d'autant
plus intéressant , que l'auteur remplissait encore alors les fonctions
de secrétaire d'état. Les œuvres historiques du cardinal sont d'ail-
leurs marquées au coin d'une sévère exactitude et d'une sage im-
partialité.
— Lykrede op de plegfige Uitvaart van den îiitmuntenden zeer
eerwaardigen Hooggeleerden Heer den Heer Anthonics Van Gils ,
Président aan het Seminarie van 'S Hertogenhosch te Herlaar ,
onder St.-Michiels-Gestel , den 20 Juny 1834 , uitgesproken door
den T'Veleerwaarden Heer G. P. Wilmer , Professor der H. Gods-
geleerdheyd aan het voornoemd Seminarie. Bois-le-Duc , chez
Van Gemert , 56 pag. in-8° (1). La publication de ce discours si
riche de détails doit être considérée , non-seulement comme un hom-
mage rendu à la mémoire du vénérable défunt , mais aussi comme
un fragment précieux pour l'histoire ecclésiastique de notre époque.
L'auteur n'a rien omis de tout ce qui avait rapport à son sujet ;
il nous fait connaître la sagesse et les talens de M. Van Gils , son
zèle dans les fonctions ecclésiastiques , sa fermeté inébranlable dans
les souflFrances et les persécutions.
Dans les notes , pag. -47 et 48 , l'auteur indique deux écrits de
M. Van Gils qui n'ont pas été mentionnés ci-d. p. 100 : De twee
Cosijns , eenvoudige Samenspraeken over de Religie-zaeken van
dezentyd, Louvain 1796 , in-12 ; on y trouve p. 16 la déclaration
(i) Se trouve à Louvain chez Vanlinthodt et Vandenzande , prix
fr. i-a5
MÉLANGES. 477
énergique du 17 janvier 179S , par laquelle la faculté de théologie
notifie à la municipalité de Louvain son refus d'assister à l'ouverture
du Temple de la Raison. En 1797, à l'occasion de la fameuse dé-
claration , M. Van Gils publia l'écrit suivant qui a été traduit en
flamand : Motifs de Conscience, qui empêchent les ministres du
culte catholique de faire la déclaration exigée par la loi du 7 ven.
démiaire an IV ^ « je reconnais que l'universalité des citoyens
français est le souverain / et je promets soumission et obéissance
aux lois de la république. » La seconde édition a 88 pag, in- 12 ;
l'auteur y combat les écrits de MM. Ernst curé d'Afden , et Holea
arcbi prêtre de Malines.
Dans une prochaine livraison nous donnerons une lettre inédite
de M. Van Gils sur les propositions gallicanes de 1682, qu'il eut
la bonté de nous communiquer en 1826.
ACADÉÎIIE ROYALE DE SCIENCES ET BELtES-LETTRES SéanCe du
22 novembre 183-4. — M. Quetelet occupe le fauteuil ; M. le baron
Reifîenberg remplit les fonctions de secrétaire.
Présens vingt-cinq membres , dont cinq correspondans.
Lecture est donnée du procès -verbal de la séance précédente et
de la correspondance.
M. le ministre de l'intérieur adresse à l'Académie les procès-ver-
baux de la commission des Chroniques belges inédites.
L'Académie de Naples exprime le désir d'entrer en relation avec
la Société.
M. Sylvestre de Sacy remercie l'Académie do titre de correspon-
dant qu'elle lui a décerné.
MM. Cauchy , de Reiffenberg , de Gerlache , Fohman et Damor-
tier présentent divers rapports sur des Mémoires qui ont été renvoyés
à leur examen.
M. Lejeune donne lecture d'une notice sur plusieurs espèces du
genre Nasturtium à ajouter à la Flore Belgique. Impression dans le
Bulletin.
M. A. Dumon lit une notice sur la formation des volcans éteints
de l'Eiffel ( dans les Ardennes de Prusse ) , qu'il a observée pendant
son dernier voyage géologique. Impression dans le Bulletin.
T. X. 33
478
MELANGES.
M. Dandelin annonce un Blémoire sur la lumière qu'il présen-
tera à la prochaine séance.
M. Fohman annonce une Notice anatomique sur le serpent ap-
pelé AcLirocord [Achrocordus Javanicus).
M. Dumortier donne lecture d'une Notice sur le genre Maclenia
de la famille des Orchidées.
M. de Reiffenherg commence la lecture de son cinquième Mé-
moire sur les deux premiers siècles de l'université de Louvain.
M. A. Dumon fait part à l'Académie de son projet d'effectuer
la carte géologique de Belgique d'après les mêmes dimensions que
celles de France et d'Angleterre. L'Académie décide qu'elle prêtera
son concours à cette proposition.
M. Fohman communique des observations sur les tissus élémen-
taires des animaux , et présente diverses pièces anatomiques à l'ap-
pui de son opinion.
L'Académie procède à la nomination du secrétaire perpétuel , en
remplacement de M. Dewez , décédé. Sur 20 votans M. Quetelet
obtient 19 sufî'rages (l). En conséquence il est proclamé secrétaire
perpétuel; sa nomination sera soumise à l'agréation du Roi.
OUVRAGES PRÉSENTÉS.
M. Schmerling présente son 3*^ recueil d'ossemens fossiles.
M. P^illermé , son Mémoire sur la population de la Giande-
firetagne.
M. F^alerius , sa traduction des Elémens de chimie de Michelli.
M. Barlot j ses Recherches sur les lantilles achromatiques.
M. C V^erdyen , son Manuel d'antiquités grecques.
M. V^an Housenhrouck , son Mémoire sur les causes de l'ophtal-
mie de l'armée.
— On vient de publier à Paris le prospectus d'une édition du livre
de la Cité de Dieu , de saint Augustin. L'éditeur commence par un juste
éloge de cette importante production.
« Voici , dit-il , un livre qui n'a pas besoin de nos éloges pour être
accueilli favorablement. Le nom de saint Augustin porte avec soi sa
(i) On remarquera que M. Quetelet a été nommé à l'unanimité, puis-
qu'il ne lui a manqué que sa voix.
MÉLANGES. 479
recommandation , et tout le monde sait que la Cité de Dieu est le plus
important ouvrage de ce grand évêque.... Dans quel autre trouver plus
de variété^ plus d'érudition, plus d'éloquence ? Tout y entre : histoire,
philosophie , politique , religion ; et tout s'enchaîne , tout s'explique ,
tout marche au but avec ordre , précision, clarté... Qu'est-ce donc que
ce livre ? c'est un écrit polémique. Après la défaite des armées romaines
par Alaric , tout ce qu'il y avait d'hommes restés Bdèles au culte du
passé se répandit en plaintes amères contre les chrétiens. Ils attribuaient
les malheurs publics au renversement des autels de Jupiter et des autres
dieux protecteurs de l'empire. Ils demandaient compte à la religion nou-
velle de l'Italie asservie à un ennemi méprisé et de Rome saccagée par
les Barbares. Saint Augustin répondit par la Cité de Dieu, et sa réponse
est demeurée sans réplique. Ce livre est l'explication du mystère de la
Providence dans la dispensation des biens et des maux ; c'est l'histoire
delà philosophie et aussi la philosophie de l'histoire; c'est une piquante
biographie des 3o mille dieux selon Varron ; c'est l'exposition la plus
lucide et la plus savamment raisonnée des preuves de la divinité du chris-
tianisme ; c'est en un mot le jugement dernier de l'antiquité païenne ,
et l'établissement déBnitif de la croix au sommet du Capitule.
» Lisez ce livre , vous tous qui ne connaissez de saint Augustin ni le
génie pénétrant , ni la vaste science ; vous qui , dans ce siècle fatigué
du doute et de l'erreur , cherchez partout des doctrines certaines et les
saintes inspirations de la vérité. Là se débattent les plus graves questions
qu'il importe à l'homme de résoudre ; là se dénoue l'action d'une grande
et merveilleuse épopée, réalité imposante qui fait pâlir toutes les fictions
d'Homère. C'est le sort de l'humanité qui est en jeu ; devra-t-elle obéir
à l'esprit ou rester esclave de la matière? Quels personnages! Un monde
qui finit et un monde qui commence ! Quelle lutte ! Les partis sont aux
prises depuis quatre siècles. L'un a grandi et multiplié sous le fer qui
le décime , dans les bûchers qui le dévorent ; l'autre , c'est l'antique pa-
ganisme. Il s'est épuisé à force de frapper , et , bien qu'il se sente dé-
faillir et que le fer échappe de sa main , il est encore debout et presse
son ennemi par les clameurs d'une populace ignorante et par les sophis-
mes de ses orateurs. Mais son heure est venue ; voici descendre des hau-
teurs de l'intelligence et de la foi l'éloquent évêque d'Hippone. Dieu avait
préparé de loin ce vengeur h son Eglise , et le tenait en réserve pour
porter le dernier coup.
» Nous n'essaierons pas de donner ici une analyse de la Cité de Dieu ^
travail inutile à ceux qui l'ont lue, insulHsant à tous les autres. Nous
estimons avoir fait plus encore en facilitant à tous la possession du livre
même. Ils y verront avec étonnemcnt comme saint Augustin saisit le
vieillard de mensonge , le traîne devant l'éternelle vérité , et le juge se-
480 MELANGES.
Ion ses œuvres ; comme il révèle au jour et les turpitudes de ses dieux ,
et les crimes de ses héros , et les impostures de ses prêtres , et les so-
phismes de ses rhéteurs , et les fausses vertus de ses sages ; comme il
met à nu toutes ses plaies , comme il le défait pièce à pièce et le pousse
déshonoré dans la tombe ; puis , quand il a scellé sur sa tête la pierre
qu'il ne lèvera pas , quand il a uni de promener le marteau de la des-
truction sur l'édifice d'erreur , et qu'il ne reste plus de l'impure cité que
des ruines comme il asseoit sur d'immuables bases le nouvel édifice de
vérité la chaste Sion du christianisme , et convie sous ses divins porti-
ques les peuples régénérés , en chantant le cantique du prophète : Glo-
riosa dicta sunt de te, cwitas Del. »
C'est ainsi que l'éditeur donne une idée sommaire du livre de la Cité
de Dieu. Il paraît avoir médité beaucoup ce grand ouvrage. Entraîné
par son goût vers les écrits de saint Augustin , il commence par la pu-
blication de la Cité de Dieu l'exécution d'un plan plus vaste. Il se pro-
pose de reproduire saint Augustin tout entier; il suivra pour cela l'édition
donnée autrefois par les Bénédictins. La Cité de ZJ/cm forme le tome VII
de cette édition. L'éditeur, en la publiant d'abord , la laissera cependant
au même rang dans son édition , et fera paraître plus tard les premiers
volumes. Il a pris des mesures pour i-eproduire chaque vol. in-folio en
un vol. in-4°. Au prospectus est joint un spécimen du caractère qui a
été adopté à l'ouvrage ; ce caractère est assez gros et assez net pour con-
venir à toutes les vues. La Cité de Dieu sera divisée en trois livraisons
de 20 feuilles chacune. La première livraison paraîtra le i5 janvier pro-
chain et les autres de mois en mois. Le prix du volume sera de 9 fr.
à Paris, 12 fr. pour les départemens , et i5 fr. à l'étranger. Dans les
séminaires , les collèges , et partout où se réuniront dix souscripteurs ,
on passera l'ouvrage à 10 fr. et à 12 fr. pour l'étranger. La souscrip-
tion reste ouverte jusqu'au i5 janvier. Quelques exemplaires seront tirés
sur grand papier vélin superfin ; ce sera l'édition des évêques.
L'éditeur est M. J. Molroguier , ancien professeur de rhétorique , qui
paraît avoir le goût des études graves et solides , et qui a à cœur de faire
mieux connaître saint Augustin, et de répandre ses ouvrages soit parmi
le clergé , soit parmi les professeurs et les gens de lettres. Il croit avec
raison que les écrits du saint et savant docteur seraient , sous plus d'un
rapport , utiles à ces derniers. Nous faisons des vœux pour qu'il recueille
es fruits de son zèle éclairé. Les lettres doivent être adressées à l'éditeur
de saint Augustin , Paris rue de Condé, W ao. — V Ami de la Religion ,
«o 2347-
481
bVVVV%%VVVVVVVV\VVVVV».Vv-*.«V\VVVV\'VVVVVVVVVVVV'VVVVVVV*/VVVV\VVVVVVVV\
LETTRE INÉDITE DE M. VAN GILS
PRÉSIDENT DD SÉMINAIRE DE BOIS-LE-DCC , ETC.
SUR LES SENTIMENS DE L'ANCIENNE FACULTÉ DE THÉOLOGIE
DE LOUVAIN,
PAR RAPPORT A LA DECLARATION GALLICANE DE 1682(1).
Monsieur, très -cher et vénérable ami.
Votre élève et très-bon ami M^ R.... m'a apporté le volume,
qui contient la lettre de Mgr. de Chartres { Clausel de Montais )
contre M"" de La Mennais. Je sens profondément tout le prix de
cette gracieuse attention, que vous voulez bien conserver pour moi.
Agrëez-en , je vous prie , ma plus sincère reconnaissance. Je n'au-
rais pas tardé , jusqu'à ce jour, de vous la témoigner sans les an-
goisses et le surcroît de pénibles besognes , dont nous nous trou-
vons accables ici, dans les circonstances présentes, qui, je pense,
ne vous sont pas tout à fait inconnues (2). C'est la même raison
aussi pourquoi j'ai dû différer long-temps de lire l'ouvrage. Mais
l'ayant lu depuis, je dois vous avouer, que malheureusement il à
vérifié ma crainte , que j'avais pris la liberté de vous témoigner
l'autre jour en parlant de cette année de pénible mémoire. J'y vois
déjà la discorde et l'animosité se fixer dans le clergé de France,
et j'en crains un jour des suites amères , non-seulement pour la
(i) L'éditeur de cette lettre s'est fait un devoir de la reproduire exac-
tement d'après la copie , qu'il doit à la bienveillante amilié de l'auteur.
La lettre a été adressée, au mois d'août 1826, à un ecclésiastique de
Paris, autrefois précepteur des enfans d'une famille respectable de Bois-
le-Duc.
(2) La suppression des petits séminaires , l'érection du Collège philo-
sophique , etc. ( Note de Vèdil. )
T. X. 34
482 LETTRE ISÉDITE
France, mais aussi pour les autres églises, et nommément pour la
nôtre : car , de la part de notre gouvernemeut , on nous accorde
aussi des libertés de l'Eglise belgique citées et appuyées par un
ministre de culte (i) ; libertés même bien plus étendues que les
vôtres (2) : et l'on sait quel usage de ces libertés les hétérodoxes
ont fait en tout temps , surtout dans le nôtre. Mais je ne sache
pas, qu'aucun individu de notre clergé y ait donné son assentiment.
Quant h la lettre de Mgr. 1 evêque de Chartres , il ne m'appar-
tient pas d'en porter un jugement : mais , ce qui me fait de la
peine, dans les deux ouvrages oppose's, ce sont ces personnalités,
c'est ce style et ces expressions âpres et dures , qui s'y trou-
vent et qui ne peuvent qu'agraver la crainte que je viens de vous
exprimer.
Un endroit qui m'e'tonne , c'est cette re'ponse ou de'claration de
la faculté (de théologie, sans doute) de Louvain, qui se trouve
à la page 69. Je remarque d'abord , que la demande de M' Pitt
est de l'année 1789 : et la réponse de Louvain serait du 18 no-
vembre 1^88! Les réponses des facultés françaises du 5 janvier et
du 19 février de la même année de la proposition de M'^Pitt, 1789 :
celles des faculte's espagnoles sont encore de la même année 1 789
(i) M. Goubau. (Note de l'êdit.)
(a) Un jurisconsulte avait publié eu 18 16 une Notice sur les Libertés
de f Eglise belgique^ Bruxelles, chez De Mat, br. in-12 , de 3o pages,
dont on trouve la réfutation dans le Spectateur Belge de M. l'abbé De
Foere, t. v , p. i85-225. Avant l'année 1825 le gouvernement hollan-
dais fit circuler une note sur la discipline et les libertés de VEglise
belgique , et enfin au commencement de l'année 1827 l'on vit paraître
à Bruxelles les Observations sur les libertés de l'Eglise belgique ^ attribuées
à M. Van Ghert. M. Van Maanen, ministre de la justice, dans une
circulaire donnée au mois d'avril 1827 , recommanda cette détestable
rapsodie comme devant servir de boussole aux membres du ministère
public près les tribunaux dans les procédures oii servaient compromis les
ecclésiastiques , etc. Voyez le Courrier de la Meuse ^ n° laS, 126 et i3i
de l'année iSii"}] TEcho des f^t-ais Principes , t. 1 , p. "îqo , et Réfutation
des Observations sur les libertés de l'Eglise belgique , par un catholique
belge; Alost 1827, in-12. {Note de redit.)
DE M. VAN GILS. 483
du 17 février et du 17 mars! etc. Toutes ces dates, je l'avoue,
me gênent un peu pour les concilier. Mais regardons tout ceci
comme des errata : Le style et la langue surtout, qui expriment
les sentimens desLovanistes, m'étonnent encore. Connaissant depuis
ma jeunesse les fermes coutumes de la faculté , je suis bien per-
suadé que c'est le premier cas, où elle aurait donné ses réponses,
en matière qui regardent la dogmatique , en toute autre langue que
la latine , et en style si peu grave et si cavalier.
Mais une considération plus grave est celle-ci : en 1789, et
même depuis 1787 la faculté de théologie n'existait plus à Louvâin.
Dès l'année 1787 ses membres, fidèles à leurs devoirs, furent dé-
posés , dispersés , chassés , ou enfin bannis hors le territoire au-
trichien. Moi-même j'étais, jusqu^'en 1786, sous-directeur (on le
titulait à Louvain lecteur ) du collège ou se'minaire du Pape
Adrien VI; et cette anne'e même j'ai vu prendre les dimensions de
ma chambre , sous mes yeux , pour en faire les latrines du sémi-
naire général que l'empereur Joseph II y fonda l'année suivante.
Nota : c'est le même collège du Pape dont on forme actuellement
le Collège philosophique. C'est alors que je me suis retire' dans mon
diocèse natal de Bois-le-Duc, où j'ai vu les membres de la faculté
chasse's de Louvain. J'y reçus même l'ofifre , de la part de la cour,
d'une leçon de théologie dans la nouvelle faculté. L''universile' a été
rétablie pendant la déchéance sous Léopold II en 1790. Alors j'y
suis retourné , d'après les ordres de mon supe'rieur , le vicaire
apostolique de ce diocèse. J'y restais jusqu'en 1797. Chasse encore
alors , ou plutôt recherché à mort par les Sans-Culottes. Il n'est
donc pas à concevoir , comment en 1789 l'ancienne faculté' de
théologie de Louvain aurait signé la déclaration mentionnée : aussi
je désirerais beaucoup connaître les noms des signataires.
Mais vous trouverez peut-être ennuyante celte petite dissertation
sur l'authenticité de la déclaration des Lovanistes ; vous voudrez
bien toutefois considérer, que je suis le seul membre de l'ancienne
faculté de théologie qui subsiste encore en vie; j'ai donc cru, que
l'honneur de mon corps exige la déclaration que je vous fais ici,
et s'il le faut , à toute la France, nommément à la faculté rétablie
ou à rétablir à Paris. Notre ^/A«a Mater, la faculté de théologie,
tenait à gloire d'être attachée inviolableujent à ses sentimens de
34.
484
LETTRE INEDITE
vénération envers le Pasteur de tous les fidèles, dans tous les temps
de son existence , en faisait profession , elle et tous ses membres.
Un exemple très-connu fut celui de Martin Steyaert, célèbre doc-
teur en théologie à Louvain et vicaire apostolique de notre dio-
cèse de Bois-le-Duc. Dans l'ardeur des disputes sur ce point , et
parmi les intrigues du jansénisme naissant dans ce pays , vers
l'an i685, Steyaert fut accusé de la même ambiguité en doctrine,
qu'on vient d'imputer à Mgr. d'Hermopoiis : Voici la première des
3^ propositions déférées de la part des jansénistes à la faculté ,
et, à ce qu'on croit , à Rome même, comme enseignées par Steyaert :
Prop. I. — De quatuor famosis Cleri Gallicani articulis rectè
sentitille , qui Romce sentit , ut Roniœ ; Parisiis , ut Parisiis.
Sic , vacante lectione theologicâ in academiâ Gallice , sentire
poterit y ut in Gallia ; vacante in Hispaniâ , vel Italiâ; sentire,
ut ibi DeclAratio (Steyaertii) : Propositionem abominor et
detestor. Si Ecclesia illam damnare voluerit , mecum J'aciet et
me gaudente. Suh ditione Gallorum habilans ( à Ypres , alors
sous la domination française ) in ipso fervore quatuor articulorum
Cleri Gallicani, publiée me gessi tamquam illos non admittens,
atque adeo impediens ne a capitula cathedrali Ypris ( dont il
était membre alors) in regesta sua referrentur y édita etiam eodem
tempore libella , cui titulus : AcTio Epistolaris , ubi significavi ,
me jam pridem Romce contraria professum. Paulo past etiam
vocatus Duacum ad concursum pra lectione regiâ in theologiâ ,
ivi quidem , sub promissione viri illic tune magnœ notœ , quod
dum docendi essent isti articuli , ipse eos traderet loco mea :
sed quum antè concursum jurare vel promitlere unusquisque
concurentium deberet , se eosdent articulas traditurum , in fa-
ciem universitatis et magistratûs loci discessi , duobus aliis me
sequentibus.
Enfin on a attribué à la fermeté des théologiens de Louvain à
se tenir à son ancienne doctrine en cette matière , le bonheur de
la Belgique autrichienne d'avoir échappé au déchirement janséniste
à cette époque.
Quant aux articles même , je déclare , que de mon temps ( et
j'ai passé une bonne partie de ma vie à Louvain ) je n'ai jamais
entendu traiter dans des actes publics , soit des leçons , soit des
DE M. VAN GlLi 485
disputes en théologie, l^objet de la première proposition de la dé-
claration de 1682. On ne le regardait i jmme objet de la science
proprement ihéologique , mais plutôt curuuae faisant partie du droit
public : et , en conversation , quand on en parlait en particulier ,
on soutenait ordinairement l'opinion de Fénélon , connue seulement
ici depuis l'édition complète de ses OEuvres (tome II, chap. xxxix,
page 382). Cette opinion dit : que depuis la conversion univer-
selle de toute l'Europe dans l'union catholique, de l'Orient même,
de l'Asie et d'une partie de l'Afrique etc. , les constitutions ou les
lois constitutives de tous ces peuples , si profondément attachés à
la religion catholique , étaient , pour ainsi dire , enracinées dans
la foi catholique et dans ses lois comme le seul fondement de la
fidélité, et du souverain et de ses sujets; que constiluîionnellement
et le souverain ou le pouvoir législatif, et les lois même, devaient
être catholiques : en sorte que le législateur, en cessant d'être ca-
tholique, et membre reconnu de l'Eglise catholique, cessait détre
souverain légitime , et les lois contraires aux lois catholiques , ces-
saient d'être lois : et à qui le droit de déclarer la catholicité de
tel souveraia et de telles lois? sinon au Chef suprême de l'Eglise?
Même il en paraît suivre que tout citoyen ou sujet , en cessant
d'être catholique, cessait d'être citoyen, et se constituait félon ou
rebelle à la loi fondamentale , et se soumettait aux peines de fé-
lonie. Ceci semble pouvoir venir à propos , quand on traite la
question si débattue sur l'inquisition. Et en considérant la fermeté
et la vivacité des impressions religieuses dans tous les peuples de
ce siècle-là , on conçoit aisément qu'elles ne pouvaient manquer de
faire naître un pareil droit constitutif. Car la persuasion et les
sentimens si intimes , si vifs , si universels , si coustans dans un
peuple, et dans tous les peuples, ne sauraient manquer de prendre
absolument le dessus, quant au régime des états. Il est vrai, peut-
être , que ces lois ne se trouvent pas écrites dans les codes natio-
naux (qui n'existaient pas même en bien de pays) mais elles n'en
étaient pas moins gravées, comme beaucoup d'autres, dans tous
les cœurs, tant des souverains eux-mêmes que de leurs sujets. On
en trouve encore des exemples dans les temps présens , même chez
les acatholiques , comme en Suède , en Angleterre , en Turquie
même , et même naguère dans ma patrie. Et pour les temps passés
486 LETTRE INÉDITE
notre Belgique nous en fournit un exemple péremptoire , dans le
16" siècle , depuis le lègne de l'empereur Charles V, toutes nos
provinces étaient sous la domination de la maison d'Autriche en
Espagne. Le roi Philippe II en fit cession eu 1698 à sa fille Isa-
belle, et à son futur mari Albert d'Autriche, et parmi les articles ,
ou conditions prescrites , le X™" article est couché en ces termes :
« Item : à condition , et aultremenl non ( pour être icelle la prin-
» cipale et de plus grande obligation sur toutes les autres ) que
» tous les enfants et descendants des dits mariants , imitant la
») piété et religion , que reluit en eux , devront vivre et mourir en
» nostre sainte foy catholique , comme la tient et enseigne la
» sainte Eglise romaine. Et avant prendre la possession des dits
» pays d'en bas, en auront à prester le serment en la forme, que
» se trouve couchée après cet article. Et au cas ( ce que Dieu ne
)) veuille!) qu'aucun des dits descendants se dévoya de nostre sainte
» foy , et tomba en quelque hérésie , après que nostre saint Père
» le Pape l'aurait déclaré pour tel, soit prive de l'administration,
» possession et propriété des dites provinces , et que les sujets et
» vassaux d'icelles ne luy obéissent plus , ains qu'ils admettent et
» reçoivent le plus proche catholique , suivant en degré , qui au
)> cas du tre'pas de tel fourvoyé de la foy, lui devrait succéder :
» et sera tel hére'tique réputé comme si réellement il fut de'cédé
» de mort naturelle. »
Suivait le serment solennel à prêter par le nouveau souverain
en conformité de cette condition : « Ego juro ad sancta Evangelia... »
En voilà plus qu'assez sur le premier article de la déclaration ,
que nous n'avons jamais regardé comme très-essentiel, et qui n'est
guère plus applicable , les sentimens en cette matière étant tout-
à-fait bouleversés ,et la vraie religion regardée politiquement comme
assez indifférente. Même on a regardé dans ce pays - ci comme
une pratique très-peu sincère de la part des gallicans , et comme
une ruse maligne, qu'en traitant les afTaires de 1682 avec ceux
d'un sentiment opposé, ils ne manquaient jamais de mettre ce pre-
mier article de la déclaration toujours en avant , comme s'il était
le plus important; tandis que cette matière était la plus odieuse aux
puissaus de ce siècle : mais je vous assure encore que parmi nos
théologiens celte proposition n'a jamais été regardée comme de grand
DE M. VAN GILS, 487
intérêt , le pouvoir hétérodoxe ayant toujours des moyens assez ef-
ficaces pour faire pratiquer le contraire de ce qu'on soutenait dans
les temps passés.
Mais ce sont les trois autres articles que la faculté tliéologique
de Louvain, et avec elle toute la Belgique, a toujours rejeté avec
vigueur , non comme hérétiques ( nous obéissons à l'Eglise qui ne
les a pas déclarés tels ) mais comme éloignés de la vérité , comme
dangereux , et même comme très-pernicieux à l'Eglise catholique.
Il ne s'agit pas ici de vous détailler les raisons et les autorités
théologiques qui établissent notre persuasion ; elles sont connues,
alléguées , débattues , refutées , défendues partout : mais souffrez ,
que je vous raconte à ce sujet, en guise d'anecdote, un entretien,
que j'ai eu sur cet objet avec feu le respectable et savant M'Emery,
que vous avez connu sans doute; la nariation vous fera peut être
apercevoir les principales et peut-être de nouvelles raisons de notre
aversion pour la doctrine gallicane.
La nuit avant le dimanche des Rameaux i8io, notre vicaire apos-
tolique (i) fut par des gensdarmes enlevé de son lit, de son pres-
bytère, de sa paroisse et du diocèse qu'il était chargé de diriger,
enfin encagé, avec l'élite de notre clergé, à Vincennes. La cause
principale en fut, qu'il ne pouvait se résoudre à prescrire des ce»
rémonies religieuses de joie à l'occasion du second mariage de Na-
poléon, ni se conformer aux décrets tout à-fait schismatiques sur
la hiérarchie de notre Eglise (2). Le clergé de Bois-le-Duc et les
catholiques les plus considérables crurent convenir , que je le sui*
visse à Paris ( il avait refusé mon offre de l'accompagner ) pour
tenter des moyens de le délivrer , ou au moins d'alléger son sort.
Je dus donc employer la faveur et les avis de ceux que je croyais
y mettre de l'intérêt, et qui par faveur ou par leur place pouvaient
fléchir le gouvernement. C'est à cette occasion que je vis entre au-
tres M' Emery. Il me témoigna beaucoup de bonté et de l'intérêt
pour ma cause. Mais il s'agissait d'abord de détailler les conditions;
(i) A. Van Alphen. (Note de ledit.)
(2) Voyez Vandevelde , Synopsis Monumentorum , t. n, p. 62i-63o ,
et t. m, p. 879. [Note de Védil. )
488 LETTRE INÉDITE
là , comme partout ailleurs , la première et la principale était que
le vicaire ferait adopter et enseigner la déclaration de 1682. Ma
conviction et mon devoir était de re'pondre que M' le vicaire, ce
dont j'étais bien assuré, n'y pourrait jamais consentir; que même
il risquerait de trouver de la résistance dans son clergé, et peut-
être d'autres suites fâcheuses. Ici M"" Emery prit une certaine phy-
sionomie de sévérité , et me reprocha que nous regardons les gal-
licans comme des hérétiques. Je m'excusais très -humblement de
celte imputation comme ci-dessus. — ÎToiis rejetez du moins notre
sentence comme fausse j et vous la détestez. — Je dus l'avouer
avec un humble excuse. — Et la raison P — En séparant toujours
le premier article de la déclaration , je répondis que ce n'était pas
le lieu d'alléguer les textes, les faits, les autorités, les raisonne-
mens , mille fois produits , mille fois discutés scolastiquement :
mais je me plaignis d'après nos théologiens, que les Français avaient
toujours traité ces questions, uniquement en scolastiques , sans les
conside'rer assez moralement pour ainsi dire , ou selon les suites
morales qu'on pouvait dès-lors prévoir , et que d'autres , dès-lors ,
avaient prédites ; suites et couse'quences qui ne pouvaient pas sortir
de la vérité. — Et quelles sont ces suites P — C'était l'abus, qu'en
feraient les anciennes ou les nouvelles sectes contre l'autorité sacrée
du Saint-Siège et même de l'Eglise; c'était le danger de voir un
jour appliquer les mêmes principes , et de les pousser dans 'eurs
conséquences contre l'autorité civile ; enfin c'était que nombre de
sages dans notre pays se tiennent persuadés , que la révolution
en 179-2, dont on souffrait alors les suites, avait en effet une de
ses racines et de ses causes dans la déclaration de 1682.
Mais c'est ici que M'' Emery sembla prendre de l'humeur. II me
somma de prouver mes assertions : je tachai de le faire avec la
plus grande modération possible. La première se prouvait par le
fait même, dont toute l'Europe a senti les suites, puisqu'aucune
secte, née depuis dans aucun pays, n'a manqué d'appliquer, bien
ou mal , ces principes comme des boucliers pour soutenir leur ré-
bellion contre l'autorité infaillible de l'Eglise. Nous en sentons en-
core , notamment dans la Belgique septentrionale , les effets dans
le schisme d'Utrecht , qui soutient les articles , mais les pousse ,
quant à l'autorité de l'Eglise, jusqu'à toutes leurs conséquences où
DE M. VAN GILS. 489
il trouve son unique fondement. Napole'on lui-même , dans son ar-
deur innovatrice et inquiète, ne fit partout que sonner bien haut
ces principes qu'il appelait la religion de Bossuel.
L'autre raison touchée ci-dessus, qui regarde le civil, s'était assez
bien vérifie'e en France et ailleurs.
Mais la troisième raison , il fallait la prouver opéreusement. J'al-
léguais donc l'injure sanglante, qu'on ne cessait en France, depuis
plus d'un siècle, de faire au Saint-Sie'ge, reconnu comme chef spi-
rituel y maigre son opposition soutenue par tant de Papes depuis
Innocent XI et ses successeurs. Cette injure, et dans son origine
et dans toute sa continuation, ne cessait de provoquer une puni-
tion e'clalante de la part du suprême et divin Chef de l'Eglise. Dieu
l'a infligée , mais dans sa miséricorde \ on sent jusqu'à présent les
suites extrêmes pour la religion , qu'on pouvait en redouter. Une
autre raison que je crus pouvoir en déduire e'tait : que les curés et
les prêtres en France , voyant le peu d'e'gard que leurs évêques
portaient au Saint Siège, les imitaient envers eux^ envers les e'vê-
ques même , et ils se croyaient en droit d'agir comme évêques dans
leurs paroisses, comme les évêques même qui agissaient en Pape,
chacun dans son diocèse 5 et enfin les fidèles , voyant le peu de
respect des cure's envers leurs évêques , des e'vêques envers leur
chef universel , y prirent aussi l'habitude de me'priser leurs curés
et leurs prêtres , et se constituaient cure's, chacun dans sa famille;
toute la soumission , la vénération , l'obéissance hie'rarchique s éva-
nouissaient donc en bien des cœurs français, dans nombre d'endroits
de France. L'autorité' sacrée de l'Eglise détruite, il fallait, les cir-
constances conside're'es , que l'impiété , la philosophie en naquit et
prit le dessus : Or c'est bien la philosophie qui a été une des pre-
mières et la principale des causes de la révolution.
Ces raisons touchaient M' Eraery : j'y ajoutais une autre : —
« Si l'on pousse toutes les conséquences de vos articles et surtout
du 3"«, il s'en suivra qu'actuellement (en 181 o) vous n'avez pas
un seul évêque , pas un seul curé, pas un seul confesseur le'gitime
en France. » A ces mois M'^ Emery prit une physionomie tout-à-
fait autre envers moi ; et avec un sourire aimable il me demanda ,
si l'on connaissait dans ma patrie Les Corrections et yldditions pour
les nouveaux opuscules de Fleury. Croyant que sa demande regarda
490 LETTRE INÉDITE
les Nouveaux opuscules même(i), je répondis qu'oui! qu'on les
connaissait et qu'on les dévorait en Belgique ! et même qu'ils nous
confirmaient puissamment dans notre persuasion en cette matière.
— En connait-on l'éditeur P me demanda-t-il : je répondis, en le
fixant, et en souriant moi-même, qu'on ne le connaissait pas, mais
qu'on le conjecturait bien , et à ce que je crois , selon la vérité.
Et par son sourire il me confirma dans ma conjecture que c'était
lui-même. — « Mais, ajouta-t-il , toujours avec une bonté et bé-
nignité aimable , Je ne vous parle pas des nouveaux opuscules
mêmes , mais d'une petite brochure : corrections et additions
POUR LES NOUVEAUX OPUSCULES (2). — Non , M"^ , répliquais-je , cet
ouvrage n'est pas encore connu chez nous : — Je le crois bien; il
n'est pas encore connu à Paris même , maif; il va sortir des
presses aujourd'hui , et je vous en ferai cadeau. C'est dans
ce petit ouvrage , que je soutiens la même assertion que vous
venez de rn opposer. Cela me coûtera peut-être J^incennes ou
Bicêtre ou Vexil / mais on aura pitié , f espère , pour mes an-
nées. — Et en vérité on y trouve virtuellement la même assertion
page 6.
Au reste je me suis étonné de trouver en ce docte prêtre si peu
de ferme attachement à la doctrine gallicane. Il me paraissait assez
enclin à y renoncer; et à faire tant de cas, que nous, et je puis
dire la catholicité , de la nôtre. Aussi , du temps de l'émigration ,
dans mes exils et bannissemens ou voyages en Fi'ance , j'ai trouvé,
avec e'tonnement , grand nombre de personnages marquans parmi
le clergé français qui ne s'y trouvaient pas plus attachés que lui.
Tels , par exemple , M"" Pey , l'auteur du traité de V Autorité des
deux puissances ; M"" Poittiers , chanoine et ( je crois ) docteur de
Rheims , et qui a écrit le Système gallican atteint et convaincu
d'avoir été la première et principale cause de la révolution fran-
çaise ; M"" (Hulot) l'e'diteur de la Collectio Brevium PU FI, et
d'autres en nombre, que nous avons vus ici. Tels plusieurs antres
que j'ai trouvés à Paris même , en Bourgogne , lieu de mon exil
(i) Publiés en 1807, i vol. in-ia. {Note de Védit.)
(a) Brochure de 74 P^g- in-12. (Note de redit.)
DE M. VAN GILS. 491
en 1812 et 181 3. Enfin je n'y ai trouvé attachas que les ecclésias-
tiques du parti anticoncordatiste. Tels que quelques prêtres que nous
trouvions comme nous , mais pour une cause fort différente , en
exil dans ladite province. Croyant que nous étions de leur caté-
gorie, ils nous attaquaient, s'étonnaient sur noire communication
avec l'évêque concordatiste, qu'ils regardaient comme intrus, schis-
matique , hérétique. Et j'aurais bien voulu voir un bon gallican en
venir aux mains sur ce point avec ces gens-là : mais dès que nous
nous étions déclarés appartenir à d'autres sentimens , leurs tenta-
tives cessèrent.
Enfin dans les pays étrangers on se peine sur le mode et les cir-
constances et les causes , qui ont concouru à établir et à continuer
la profession de vos articles : dans les commencemens on regarda
cette affaire comme l'effet de la passion , à laquelle on a cédé avec
trop de complaisance et de condescendance , que 1 on regarderait
dans quelques-uns comme de la lâcheté 5 et dans la suite , jusqu'à
nos temps , comme un point d honneur à soutenir pour le clergé et
la nation, jointe encore une certaine crainte, qu'on ne regarde pas
ici comme appartenante îi la prudence et à la fermeté sacerdotale.
On se trouve en peine sur les moyens qu'on a employés pour sou-
tenir les articles pendant un siècle et demi. C'était toujours le pou-
voir civil, forcé le plus souvent par les parlemens,
C'étaient même des moyens peu conformes à la bonne foi, comme
les retranchemens , les suppressions de textes des ouvrages d'au-
teurs contemporains , français même , etc. , qui pourraient nuire
gravement à la propagation des maximes gallicanes. Tel est le re-
tranchemeut très-connu du témoignage de Tournely. {De Ecclesia
tom. II, art. m, pag. i34; édit. Paris, 17^6, vivente auctore.)
Témoignage qu'on trouve retranché dans les éditions données après
la mort de l'auteur : Tel est encore la suppression du traité de Fé-
nélon de Auctoritate Sum. Pontificis. Ajoutez enfin ici les diffé-
rences , les oppositions des auteurs gallicans de première marque ,
qui , sur des objets de la plus grande importance , soutiennent des
opinions opposées. Témoin la dispute entre Bossuet et Choiseuil sur
l'indéfectibilité de l'Eglise romaine.
Pardon , mon respectable ami , d'avoir osé mettre votre patience
à telle épreuve! c'est votre bonté de m'envoyer la lettre de mon-
492 EXAMEN DE l'hISTOIRE DE FRANCE
seigneur de Chartres qui m'a mis la plume en main , pour rectifier
les opinions sur la faculté tbeologique de Louvain dont j'ai eu l'hon-
neur d'être membre, et pour tacher de faire voir que, hormis les
raisons et les autorités connues partout , et qu'on n'a point dé-
montrées inefficaces , nous avons beaucoup d'autres raisons , pour
ainsi dire, morales, qui établiront à jamais, j'espère , ces sentimens
d'obéissance et de vénération envers notre Père commun dans ma
patrie , dont ils seront à jamais le palladium contre les dangers de
la séduction.
Je de'sire que ces sentimens soient connus de la manière et dans
les circonstances où vous le trouverez convenir. Agre'ez, etc.
EXAMEN DE L'HISTOIRE DE FRANCE
DE M. MICHEI^ET,
CONSIDÉRÉE SOUS LE RAPPORT DE LA RELIGION.
DEUXIÈME ARTICLE (1).
Faux système de M. Michelet , qui devient la cause de ses faux juge-
mens. — Erreurs sur les rapports de l'église celtique et de Rorae. —
Pelage, — Colomban. — Le clergé est le seul défenseur des pauvres,
— des bonnes mœurs et de la sainteté du mariage. — Appréciation de
Faction de Charlemagne sur la civilisation de son époque. — Incon-
cevable assertion sur l'Eucharistie.
Les ide'es de Herder et de Hegel sur la pliilosop')ie de l'his-
toire , semblent avoir inspire' la conception historique fonda-
mentale de M. Michelet. D'une part le principe identique ,
immuable, permanent; de l'autre, le principe mobile, im-
pressionnable, changeant incessamment de formes. Le premier
(i) V. ci-d. p. 389.
DE M. MIGHELET. 493
est représente par les Celtes , peuple tenace , persistant , opi-
niâtre ; race de pierre , immuable comme ses rudes monumens
druidiques , peu propre, comme on voit, à l'association et à
l'organisation : le second , par les Germains , aa caractère do-
cile, flexible, inde'cis , facile à se mouler, les plus disciplina-
bles des barbares , ceux dont le génie était le moins individuel ,
le moins original C'est da contact long-temps prolonge' de
ces deux e'ie'mens et de leur action re'ciproque , que se de'duit
la loi qui domine et explique tonte la suite de notre histoire.
— Celte observation ge'ne'rale de M. Michelet , re'duite à de
justes limites , a sûrement sa valeur que nous ne contestons
point ; mais ce qui mérite un blâme se'vère , ce sont les ten-
dances exclusives de l'historien, sa pre'tention de tout re'duire
à ce dualisme , de tout appre'cier à l'aide de cette unique loi.
Une semblable intention , arrête'e d'avance , le jette dans tous
les excès inse'parables de l'esprit de système. Il est triste de
le voir re'duit tout d'abord , sous peine d'inconse'quence , à la
triste ne'cessiîé d'alte'rer les faits, de de'figurer les personnages,
de donner l'exception pour la règle, le type d'un individu pour
celui d'une e'poque ; de rechercher , en un mot , dans le choix
des couleurs , dans la distribution des ombres et de la lu-
mière , beaucoup plus les effets de perspective , que la ve'rité
du tableau.
La première application qu'il fait de sa the'orie, nous servira
à justifier nos reproches.
Cet esprit d'inde'pendance qui caracte'rise les Celtes, M. Mi-
chelet le signale , au premier aperçu , dans les e'glises de ce
peuple. L'e'glise celtique , dit-il , est anime'e d'un indomptable
esprit d^ individualité et d' opposition ; elle ne se reconnaît point
inférieure à l'Eglise de Rome ; elle est son égale , non sa jille ,
mais sa sœur; elle rejeta sa discipline; de son sein sortirent
Pelage qui posa la loi de la philosophie celtique , la person-
nalité libre ; St.-Colomban , rude adversaire des Papes ; plus
tard, ScotErigcnc , le breton Abailard , et le breton Descartes...
L'histoire du christianisme dans les Iles britanniques est ,
jusqu'au lo^ siècle, pleine d'obscurite's qui laissent un libre
cours aux inventeurs de systèmes ; mais s'il y a quelque chose
494 EXAMEN DE l'hISTOIRE DE FRANGE
de constaté par les monumens de cette époque , c'est sans con-
tredit les rapports de cette église avec le sie'ge de Rome. Sans
discuter l'opinion de critiques respectables qui rapportent à
St. Pierre la première pre'dication de lEvangile en Bretagne,
ce fut le pape Eleuthère qui envoya des missionnaires au
prince breton Lucius , avant la fin du i^ siècle. Vers la fin
du 4" , St. Kiaran , que les Irlandais appellent le premier né de
leurs saints, entreprit un voyage à Rome, comme à la vraie
source de la foi et de la discipline; il y fut ordonné évêque,
selon les auteurs de sa nation , et il ramena avec lui eu Irlande
cinq clercs qui devinrent autant de pontifes.
St. Palladius, premier évêque des Scots , reçut l'onction des
mains de CélesHn I""^ , en 43i. — Une antique tradition attri-
bue au même Pape, l'ordination et l'envoi de St. Patrice, le
grand apôtre d'Irlande. — Peu d'années auparavant, lorsque
le pélagianisme s'étendit en Bretagne , les fidèles , non con-
tens de recourir aux évêques gaulois, envoyèrent des députés
au Saint-Siège , et ce fut encore St. Célestin qui, confirmant
la décision d'un concile des Gaules , désigna St. Germain et
St. Loup pour aller combattre 1 hérésie pélagienne. — Ces re-
lations avec la capitale du monde clirétien , étonneront peut-
être, si l'on considère qu'il s'agit d'îles à peine connues à cette
époque , reléguées hors des limites du monde civilisé , et qui
ne pouvaient communiquer avec Rome, qu'à travers 5oo lieues
de contrées toujours en proie à de cruelles et interminables
guerres.
Pelage lui-même était venu à Rome , et c'est dans ses murs
qu'il fut séduit par l'éloquence de Rufin le Syrien, disciple de
-Théodore de Mopsuelte. Saint Jérôme nomme comme vrais
auteurs du pélagianisme, Rufîin d'Aquilée, Palladius de Ga-
lace, Evagrius du Pont, Didyme et Origène. Aussi tout est- il
grec et oriental dans cette théorie ; envain y cliercherait-on
des traces du génie celtique; le breton Pelage n'inventa rien;
il propagea seulement une des mille solutions tentées par l'es-
prit humain pour expliquer l'éternelle énigme de l'origine du
mal. On sait combien ce problême avait tourmenté les orien-
taux , et que de monstrueux systèmes avaient été enfantés. Les
DE M. MICHELET. 495
hérétiques des premiers siècles renouvelèrent presque toutes
ces antiques erreurs que les Grecs avaient apporte'es à Alexan-
drie. Là , puisèrent leurs doctrines , les gnostiques , les Mani-
che'ens, Cerdon, Marcion, etc. Les uns supposèrent l'existence
de deux principes, les autres aimèrent mieux recourir à d'in-
nombrables ge'ne'rations , de'rivant d'un principe bon , mais se
de'gradant toujours à mesure qu'elles s'en e'ioignaient , d'au-
tres enfin trouvèrent plus facile de nier l'existence du mal.
C'est parmi ces derniers que peut être classe' Pe'lage. Toute sa
doctrine se re'duit , en principe , à la ne'gation du pe'che' ori-
ginel ; car si l'homme n'est point tombe', qu'a-t-il besoin d'un
secours divin pour se relever de sa chute? Pour voir là-dedans,
avec M. Michelet, la réhabilitation du libre arbitre, il faudrait
établir que le christianisme avait porte' atteinte à la liberté
humaine ; et cela devient d'autant plus difficile , que, sans la
liberté' humaine , il est impossible de concevoir le christia-
nisme. Au lieu donc du triomphe de la dignité individuelle ,
nous ne trouvons dans le pélagianisme , qu'une exube'rance
de l'orgueil qui, voulant tout expliquer, ne fait qu'obscurcir
les te'nèbres, et accroître les mystères, chaque fois qu'il veut
substituer ses propres inventions aux enseignemens de Pe'ter-
nelle ve'rite'.
Le pe'lagianisme se re'pandit rapidement en Bretagne ; mais
il ne fit que passer ; trente ans après la mort de Pelage , il
avait disparu. Ses progrès furent bien autrement effrayans
dans l'Italie, l'Afrique et l'Orient, où il fallut pour l'arrêter ,
de nombreux conciles , et les décrets re'pe'te's des Souverains-
Pontifes 5 chez les Bretons, il sufiit des deux missions de saint
Germain d'Auxerre. Si l'on en veut trouver des traces après
l'année 44^» '^ f'°'^t l^s chercher à l'extrémité méridionale de
la Gaule , dans les abbayes toutes romaines de Lérins et de
Saint-Victor, ou le moine Cassius l'avait apporté d'Orient. Mais
déjà , sous l'étroit manteau du sémi-pélagianisme , il a perdu
tout ce qu'il avait d'audacieux et de rationnel. A la place
d'une opinion philosophique, il n'y a plus qu'une mesquine
et vulgaire hérésie qui dégénère en subtilités scolastiques, et
n'a plus la prétention de rendre raison de quoi que ce soit ;
496 EXAMEN DE l'hISTOIRE DE FRANGE
aassi , c'est en pure perte , ce nous semble , que M. Michelet
s'efforce de nous faire de Le'rius, un couvent de philosophes,
une pépinière de libres penseurs , une manière d'Alexandrie oc-
cidentale ; de tontes ses alle'gations , il ne re'sulterait jamais
qu'une école sémi-pélagienne. Triste conclusion, sans doute!
pour en venir là , fallait-il donc prendre tant de peine , entas-
ser les citations, et, ce qui est plus grave, calomnier la me'-
moire d'hommes infiniment respectables (i)?
Saint Colomban est encore un type choisi par M. Michelet pour
confirmer sa thèse favorite d'une éternelle rivalité entre P Eglise
celtique et V Eglise romaine. Le caractère de saint Colomban n'a
peut-être pas e'te' ge'ne'ralement appre'cie'; on a fait de lui un
brouillon qui troublait l'Eglise et re'sistait au Pape : ses anciens
services , ses institutions monastiques (2) , ses fondations , me'-
(i) De tous les noms que cite M. Michelet, pag. 124, note, saint
Honorât et saint Hilaire d'Arles , Vincent , Faustus , ce dernier est le
seul qu'on puisse , avec quelque raison , accuser de sémi-pélagianisme.
Ce fut en combattant les prédestinations dont il fit abjurer les erreurs
au prêtre Lucidus , qu'il avança quelques propositions suspectes , les-
quelles méritèrent à ses écrits la censure du Saint-Siège. Cette condam-
nation , au reste , n'intervint que plusieurs années après la mort de
Faustus , dont la mémoire , loin d'être flétrie , a toujours été publiquement
honorée dans son diocèse de Riez. ( Voir sur S. Honorât et S. Hilaire le
Panégyrique du premier par le second, Bolland. 16 januar.; la Vie de
S. Hilaire , par S. Honorât de Marseille ; D. Ceillier , Histoire des au-
teurs sacrés et ecclés.; D. Rivet, Hist. litlér. de la France ^ t. 11.) Quant
à Vincent de Lérins , on n'a aucune preuve qu'il se soit écarté de la
vraie foi. « Avant le profane Pelage, dit-il ( Commonit. cap. 21 ), qui
présuma jamais assez du libre arbitre , pour penser que dans toutes les
bonnes choses et dans tous les actes , la grâce de Dieu n'était pas né-
cessaire ?» — Quelque jugement qu'on porte sur la conduite de l'évêque
d'Arles , héros si diversement apprécié par le pape Zozime et S. Prosper,
ce n'est nullement pour avoir combattu Pelage qu'il fut chassé de son
siège , mais bien parce que le peuple d'Arles le regardait comme un
intrus, et une créature de l'usurpateur Constantin, dont la chute en-
traîna celle de l'évêque.
(2) M. Michelet tombe dans deux singulières méprises , à l'occasion
des institutions de S. Colomban. Cette règle , comme on sait , était fort
DE M. MIGHELET. 497
ritaient plus de réserve. Les lettres qui nous restent de lui,
sont l'un des monumens les plus curieux de cette époque ; mais
on n'en cite guères que ce qu'il y a de plus bizarre , de plus
âpre, et le champ est vaste, il faut en convenir. Cependant,
parmi ces excès d'un zèle outre' , se lisent des passages inspires
par la foi la plus humble, et la plus tendre soumission envers
le Chef de l'Eglise. Voici comment il parle à saint Gre'goire le-
Gi'and, après avoir vivement soutenu sa tlièse sur la ce'le'bra-
rigoureuse j les plus légers manquemens étaient punis de ludes péni-
tences : six coups de discipline à celui qui toussait en commençant un
psaume ; cinquante pour des paroles oiseuses ; à celui qui , sans être ma-
lade , mangeait avant l'heure de noues , deux jours de pénilencejà celui
qui vomissait reucliarislie par faiblesse d'estomac , vingt jours , etc
0 Dans cet étrange code pénal , dit M. Michelet , bien des choses scan-
dalisent le lecteur moderne. — Un an de pénitence pour le moine qui
a perdu une hostie j pour le moine qui a failli avec une femme , deux
jours au pain et à Veau , un jour seulement s il ignorait que ce fût une
faute ( 269 , 270 ). î) A lappui , il cite le texte même de S. Colomban :
Si quis monachiis dormierit in unâ domo cum muliere , etc. Or, la seule
lecture de ce passage prouve combien est fautive et perfide la traduc-
tion de M. Michelet. Comment a-t-il pu ne point voir qu'il s'agit ici de
la cohabilation sous le même toit , et de rien davantage ? Ignore-t-il que,
parmi les conciles si nombreux de cette époque , il en est peu où cette
cohabitation n'ait été sévèrement prohibée? et surtout dans l'église cel-
tique , où il était défendu de voyager avec une femme dans le même
cliariot , et de s'arrêter dans la même hôtellerie ? ( I. Conc. de S. Patrice ,
can.'g. ) Il suffit d'ailleurs de lire le pénitentiaire de saint Colomban :
Si fornicaverit semel tantùm j tribus anuis monaclius pœniteat ; si sœpius
septem annis {,reg. 3).,.. Si quis fornicaverit.... et in notitiam hominiim
non venerit , si clericus j tribus annis; si monachus , vel diaconus ,
quinque annis ; 5/ sacerdos , septem ; si episcopus, duodecim annis (reg. 16).
Voilà pour le péché consommé ; voici pour la seule pensée : si quis per
cogitationem peccauerit , id est , concupierit homineni occidere , autfor-
nicari...., dimidio anno in pane et aqud pœniteat (reg. 1) , et toto se
abstineat anno vino et carnihus et communione allaris {reg Sa). Liber
depœnitent. mensurâ taxenda. — S. Colomb. {Max. Bibl. Patrum. t. 12).
On voit qu'il n'y a d'autre scandale que l'inexplicable préoccupation
de M. Michelet.
T. X. 35
EXAMEN DE L HISTOIRE DE FKANGE
tion de la Pâqae , et s'être étonne' que la coaturae contraire ne
soit pas encore condamnée :
« Je vous exposerais toutes ces choses et beaucoup d'autres,
» que la brièveté' d'une lettre ne saurait comporter, en un style
» plus humble et plus pur , si ma faiblesse corporelle et le soin
n de mes compagnons de voyage ne m'attachaient a ma demeure ;
» maigre' le de'sir que j'ai d'aller à cette source vive des eaux
» spirituelles, de puiser à cette fontaine vivifiante de la science,
n qui coule du ciel et jaillit dans la vie e'ternelle. Et si mon
» corps pouvait suivre mon esprit, Rome aurait encore à souf-
» frir un me'pris. Car, ainsi que nous lisons dans saint Je'rôme,
» que des voyageurs venus à Rome des plus lointains rivages ,
M demandèrent après (qui pourrait le croire)? quelque chose
» au-dessus de Rome ; moi aussi , j'imiterais leur exemple ; car
» c'est vous, et non Rome, qui êtes l'objet de mes vœux, sauf
» toutefois le respect des saints martyrs desquels j'irais ve'né-
» rer la cendre.... 0 bienheureux Père, que la charité vous
)» porte à me répondre, et que l'âpreté de mon langage ne vous
» en détourne point; celle-ci tient à mon ignorance, mais mon
» cœur brûle de vous rendre tout l'honneur qui vous est dû.
» Mon devoir était de vous interroger, de vous conjurer, de
» vous invoquer; le vôtre est de ne point rejeter ma prière,
» de rompre le pain de la doctrine, selon le précepte du Christ,
» à celui qui le demande. La paix soit avec vous et avec les
M vôtres ; pardonnez , je vous en supplie , à mon effronterie
» (procacitatl mece) , de vous écrire aussi hardiment, et dai-
» gnez, an moins une fois, vous souvenir du dernier des pé-
» cheurs , dans vos saintes prières à notre commun Maître (i). »
Mais c'est surtout dans sa seconde lettre au pape Booiface,
que S. Colomban se montre tout entier , avec la rudesse d'un
barbare, l'humilité d'un cénobite, l'emportement d'un réfor-
mateur et l'amour respectueux, d'un fils : on y trouve de la
vraie et simple éloquence , an milieu de phrases toutes relui-
santes du phébus du 7 siècle; des puérilités, des jeux de
(0 Epist. 5, ad Greg. pap. (Max. Bitil. PI^ t. la. )
DE M. MIGHELET. 499
mots qui provoquent le rire , à côté de paroles qui navrent et
effraient.
« Quel est le cbe'tif qui, entendant ceci, ne dise aussitôt,
» quel est cet effronté parleur qui ose écrire ainsi sans qu'on
)i l'interroge? Quel amateur de récriminations ne m'appliquera
» cet antique reproche de l'Hébreu à Moïse : Qui t'a établi
)» chefoujuge parmi nous P Je répondrai qu'il n'y a point lieu
» à la présomption lorsqu'il s'agit du salut de l'Eglise; et, si
» vous vous moquez de la personne, considérez, non celui qui
)> parle, mais ce dont il parle; car, quel chrétien pourra dé-
» sormais se taire, quand l'arien lui-même éclate à nos côtés?
» Il est écrit que les blessures d'un ami sont préférables aux
)) emhrassemens d'un ennemi : d'autres, pleins de joie, vous
» déchireront en secret; moi , c'est en public que je vous in-
»> crimine avec un cœur triste et désolé. Car ce n'est point la
» vanité et la jactance qui me portent, moi , homme de néant,
» à écrire aux plus hauts personnages , mais bien la douleur
» qui me force à vous déclarer , du ton le plus humble, comme
» il convient , que vos divisions font blasphémer le nom de
» Dieu parmi les nations. Je vous parle conime un ami, comme
» un disciple attaché à vos pas; c'est pourquoi je vous parlerai
» librement , comme à mon maître , au conducteur du vaisseau
)» spirituel , au mystique pilote ; et je dirai : veillez , car la mer
» est orageuse.... ; veillez, car les flots entrent dans la barque
» de l'Eglise , et la barque est en péril.... Nous sommes les dis-
» ciples de Pierre et de Paul, et nous avons conservé pure la
» foi catholique , telle que nous l'avons reçue de vous , suc-
» cesseurs des saints apôtres. Daignez donc écouter mes paroles
»> avec bienveillance; et, s'il y a quelque chose d'inconvenant,
» attribuez-le à l'ignorance, et non à l'orgueil.... Veillez donc,
» ô Pape! je vous le répète, veillez : c'est peut-être ^^zrce owe
» Vigile n'a pan bien veillé, que le scandale est entré dans
» l'Eglise (i)... Il est temps de sortir du sommeil ; le Seigneur
(i) S. Colomban ne parle, ainsi qu'il l'avoue, que d'après des ouï-
dire : il n'était point au fait de la question , et n'en savait que ce ^u'il
35.
500 EXAMEN DE l'hISTOIRE DE FRANGE
» approche ; noas sommes de'jà dans le pe'ril des derniers temps.
» Voici queles nations sont troublées, les royaumes cliancèlent;
» le Seigneur fera entendre sa voix, et la terre sera e'branle'e.
» Mol, que ma faiblesse rend timide, je m'efforce de re'veiller
» le clief des chefs {ducum principem) , par mes importunes
» clameurs. C'est vous que regarde le danger de l'arme'e du
» Seigneur, de cette arme'e presque endormie sur le champ de
» bataille ; et ( chose plus de'ploi'able encore) , qui semble plu-
)) tôt dispose'e à donner la main à l'ennemi qu'à le combattre.
» C'est vous seul qui avez le pouvoir de tout ordonner , de de'-
1» clarer la guerre, d'exciter les chefs, de crier aux armes, de
» ranger l'arme'e en bataille , de sonner les trompettes , de
» commencer l'attaque en marchant au premier rang.... »
Il poursuit long-temps encore sur ce ton , exhortant le Pape
k la vigilance , le rc'primandant , le pressant de dissiper tous
les soupçons qui peuvent planer sur le Saint-Siège, non que
ces soupçons lui paraissent fonde's, car il sait que la colonne
de V Eglise est inébranlable ^ et le conjurant mille fois d'excuser
en avait appris par les schisinatiques. On l'avait assuré que le P. Vigile
était cause du scandale arrivé à l'occasion de la condamnation des trois
chapitres, et que le cinquième concile avait approuvé JVeslorius ; c'est
ce qui le faisait s'écrier : Quia forte non henè vigilai'it Figilius. Saint
Colomban aimait les jeux de mots j ailleurs , parlant de S. Léon, mort
depuis long-temps , il dit au Pape , avec toute la grossièreté d'un Scot
stiipide (Scotum hchelcm , comme il s'appelle Xiùméme) , melior est
canis viuus Leone mortuo. Il glose sur son propre nom de Columbanus ,
le retourne en grec , en hébreu , et s'appelle tour à tour Tli^iç-ri^u. ou
Barjona (filius Columhœ). On connaît le titre de sa lettre à Boniface :
Pidcherrimo totius Europœ eccLesiarum capiti , papœ prœdulci ^ piœcelso
prœsidi , pastorum pastori , reuerendissimo speculatori , humillimus cet-
sissiino , mininnis maximo , agrcstis Urbano , micrologus eloquentissimo ,
exlremus primo , peregrinus indigence , paiipercidus propotenti ( miriim
dicta j noua tes ) rara auis , scribcre audel Bonijacio patri Palumbus.
— Et au pape Grégoire : Domino sancto et in Christo patri Romano ,
pulcherrimo ccclesiœ decori , totius Europœ flaccentis augustissimo quasi
cuidam Jlori , egregio speculatori . . . . ego Barjona vilis in Christo mitto
salutcm .
lyE M. nilCHELET. 501
les termes qai pourront offenser son oreille. <« Car, dit-il en
1) finissant, nous sommes liés à la chaire de Pierre, et si Rome
» est grande et renomme'e , c'est par cette chaire qu elle est
M grande et renomme'e parmi nous.... Que la paix soit donc
» re'tablie le plutôt possible, afin que tous, nous ne formions
M plus qu'un seul troupeau du Christ; vous, à la suite de
» Pierre ; nous, à la vôtre avec toute Tltalie. Quoi de mei!-
» leur que la paix après la guerre ? de plus doux que la re'u-
» nion de frères se'pare's depuis long-temps ? Quoi de plus joyeux
» que le retour d'un père après de longues années ? de pkis
)) ravissant pour une mère que l'arrive'e d'un fils long-temps
» attendu ? Ainsi la paix des enfans re'jouira Dieu , notre père,
)) dans les siècles des siècles; et l'Eglise, notre mère, tressail-
» lera d'une alle'gresse qui retentira dans l éternité' (i). »
Le spectacle qu'offrait alors la chrétienté était bien fait pour
exciter ie zèle de saint Colomban. Les beaux jours de VEglise
celtique étaient passés, les jours de saint Pallade et de saint
Patrice, quand ce dernier prêchait aux peuples, tenait des con-
ciles, rédigeait des canons, demandait compte au roi Corotic
du sang chrétien qu'il avait versé (2). Après eux vinrent saint
Colomb , saint Comgall, saint Brendan, et tant d'autres qui mé-
ritèrent à rirlande le nom de Vile des Sainls ; il fut glorieux,
le temps des ciildées , des immenses et innombrables abbayes,
des écoles florissantes oii affluaient les étrangers. Plus tard ,
au milieu de longues et sanglantes guerres, la discipline se re-
lâcha , les mœurs se corrompirent , les discussions s'échauffè-
rent ; mais loin que la ténacité du génie celtique soit la cause
unique de tous ces désordres, on doit les attribuer tout autant
aux malheurs des temps et à la difficulté des communications,
qui laissait une grande énergie aux anciennes traditions des Bur-
(i) Epist. 4î '^'^ Bonif.^ ibid.
(a) S. Pairie, episi. ad Corotic. Bolland. « Que tout homme , craignant
Dieu , dit le Saint , ep s'adrcssant aux chrétiens , sache que ceux-ci
I Corotic et les siens) sont séparés de moi et du Christ, mon Dieu....
II n'est point permis de manger ou boire avec eux , de recevoir leurs
502 EXAMEN DE l'hISTOIRE DE FRANGE
des et des Druides (i). L'arrivée des Saxons menaça de tout
ramener au chaos , lorsque saint Augustin fut envoya' par Gre'-
goire-le-Grand , et !e salut vint encore une fois de Rome.
Si le ge'nie des Celtes avait long-temps lutte' contre l'Eglise
romaine, il n'en fut point ainsi des races germaniques. A peine
arrives sur le sol de la Gaule , les Francs deviennent les auxi-
liaires de l'Eglise. Dès la seconde génération , ils sont à elle. Il
lui suffit de les toucher , les voilà vaincus. Ils vont rester mille
ans enchantés. Ces barbares , qui semblaient prêts à tout écraser,
ils sont, qu'ils le sachent ou non, les dociles instrumens de l'E-
glise. Elle emploiera leurs jeunes bras pour forger le lien d acier
qui va unir la société moderne (p. i32 ). Que la conversion des
Francs, et la protection accorde'e par Clovis au cierge' ne doi-
aumônes , jusqu'à ce qu'ils aient satisfait à Dieu par les larmes de la
pénitence , et rendu à la liberté les serviteurs et les servantes du Christ. »
(i) Les dissidences disciplinaires des Bretons ne touchaient point aux
choses essentielles du christianisme . elles étaient à peu près exclusive-
ment relatives au jour où il fallait célébrer la Pâque , et à la forme de
la tonsure ecclésiastique (Doct. Lingard , Aiitiq. de régi. Angl. Sax. p. 49).
M. Michelet prétend qu'en Irlande on baptisait avec du lait (263). Le
texte sur lequel il fonde son assertion, prouve seulement que le lait
était employé parmi les cérémonies du baptême des enfans des riches ,
lac adhibilum fuisse ad haptisandos diuilumjilios. ( Carpent. Suppl. au
Gloss. de Ducange). Personne n'ignore que , dès la [)lus haute antiquité,
on donnait du lait aux nouveaux baptisés après la communion. Ter-
tullien parle d'un mélange de lait et de miel {concordiam lactis et
rnelUs ) , qu'on faisait goûter aux catéchumènes en les retirant des fonts
sacrés {lib. de Coron, milit. e. 3). C'était un usage établi dans toutes
les églises d'Afrique ( id. adv. Marcion. lib. 1 , et codex can. eccles.
Afric. c. 37). S. Jérôme le regarde comme universellement reçu dans
l'Eglise ( dialog. adi>. Lucif. ) ; il parle aussi d'un mélange de vin et de
lait (inisaï cap. 55). Cette coutume dura en Occident jusqu'au milieu
du 9e siècle , et elle existait , il y a peu de temps encore , dans quel-
ques églises d'Orient , d'après Jean diacre ( epist. ad Senariuni , t. 1 ,
mus. Ital.). V. Edm. Martenne , De antiq. eccl. ritib. t. i, p. i46. —
Il est sensible, au premier aperçu, combien cet emploi du lait était en
harmonie avec les idées de régénération , de nouvelle vie . d'enfance
spirituelle , que la foi catholique a toujours attachées au baptême.
DE M. MIGHELET. 503
vent être rapportées en partie à des motifs politiques, c'est ce
qu'il serait frivole de contester; mais, pour mieux expliquer
l'influence exerce'e par l'Eglise, fabriciuer à un peuple un ca-
ractère de fantaisie, cela est indigne de la gravite' historique.
Selon M. Michelet, rien de plus soujîle que ces hordes franqnes
sortant de leurs forêts; ces doux Sicambres sont les plus ob-
se'qnieux des hommes, c'est une cire molle que le premier
clerc va modeler à son gre'. Tout cela ne s'accorde guère avec
les souvenirs que rappellent les noms de Clovis , de Clotaire ,
de Chilpe'ric , de Fre'de'gonde... Le Christianisme eut à vaincre
dans les Gaules , comme ailleurs , la violence , la cruauté' , la
soif de 1 or et de la vengeance , la de'banche sans frein.
Peu de pages dans l'histoire inte'ressent plus que celles qui
nous ont conserve' les de'tails de cette e'ducation de nos farou-
ches ancêtres. Ce ne fut point l'ouvrage d'un jour, ni d'un
siècle. Les e'vêques apparaissent dès-lors comme les pères et
les vrais instituteurs. De'jà revêtus d'une magistrature publique
sous l'administration romaine, ils devaient bien plus encore la
conside'ration dont les peuples les environnaient , à leurs lu-
mières et à leurs vertus. Ils avaient sauve' les villes des fureurs
d'Attila : Paris n'avait point oublie' le nom de Germain; Troies
celui de Loup; Orle'ans, celui d'Anianus. Dans cetîe reconstruc-
tion des sociéte's , les e'vêques repre'sentaient seuls la force in-
telligente; eux seuls parlaient au peuple de choses morales en
même temps qu'ils de'fendaient ses inte'rêts de chaque jour.
Prote'ger les faibles et les vaincus, nourrir les pauvres, affran-
chir les esclaves , racheter les captifs, recevoir les étrangers (i),
maintenir l'inviolabilité' des asiles , n'e'tait pas moins dans leurs
attributions , qu'annoncer l'Evangile et corriger les pe'cheurs.
Pour suffire à tant de travaux, ils avaient besoin de coope'ra-
teurs nombreux et de'voue's ; aussi le soin principal de l'e'pis-
copat fut-il de s'entourer d'un digne sacerdoce. Plus de cin-
(i) On ne nourrira point de chiens dans la maison de 'l'éuéque , de
peur que ceux qui viennent chercher des secours ne soient mordus ( a^ conc.
de Mâcon, can. i3 ).
504 EXAMEN DE l'hISTOIRE DE FRANCE
quante conciles, au 6 siècle, furent tenas clans la Gaaie pour
l'e'tablissement ou le maintien de la discipline. Nulles matières
n'y sont plus souvent traite'es que le célibat des prêtres, l'or-
ganisation de la hie'rarcliie , la liberté des élections , les peines
contre les usurpateurs du bien des pauvres, les secours dûs
aux malades et aux indigens.
Les décrets des conciles embrassaient en outre les principaux
actes de la vie; les mariages étaient réglés par eux : la pénitence
canonique tendait à se substituer aux lois pénales des barbares :
bientôt la législation ecclésiastique commence à recevoir la
sanction royale ; — les premières constitutions de nos rois (de
Cliildebert P"", de Clotaire, de Childebert II ) ne sont guère que
des recueils de canons.
Ce qui accroissait encore l'éclat de la mitre épiscopale , c'é-
tait la position que les bommes qui la portaient, avaient prise
vis-à-vis des cliefs de la nation. On va voir que ce n'est pas
cbose nouvelle dans l'Eglise , que d'entendre les évêques et les
prêtres prendre les intérêts des faibles et des pauvres, contre les
vices et les vexations des grands. — A peine Clovis a-t-il em-
brassé la foi cbrétienne , que S. Rémi lui écrit : « Choisis des
») conseiliers dont la sagesse bonore ton règne ; respecte les
a évêques et écoute leurs conseils Soulage les peuples , console
» les affligés, protège les veuves, nourris les orphelins, rends
» exactement la justice , ne reçois rien des pauvres ni des étran-
» gers. Que ton palais soit ouvert à tous , et que personne n'en
» sorte la tristesse dans le cœur; emploie au rachat des captifs
» les biens de ton domaine paternel (i). » Clotaire voulut exiger
que les églises de son royaume payassent au fisc le tiers de leurs
revenus; mais Injurlosus, évêque de Tours, lui tint ce langage :
« Si tu prétends enlever les biens de Dieu , Dieu t'enlèvera
» bientôt ton royaume; car il est inique que toij qui devrais
» nourrir les pauvres de tes greniers , tu remplisses tes greniers
» du blendes pauvres; » et, plein de colère, il sortit sans sa-
luer le roi (2). — Un seigneur austrasien , nommé Gontram-
(1) T. I. Conc. Gall. p. 176.
(2) Greg. Tur. Hist. 1. iv , c. 2.
DE M. MICHELET. 505
Boson , fuyant la colère du roi Chilpëric, se réfugia dans la
ce'lèbre basilique de Saint-Martin ; le roi , alte'rë de vengeance,
re'clama bientôt sa proie. D'abord ce fut une invitation amicale,
puis des insinuations menaçantes, puis enfin des mesures com-
minatoires capables d'agir par la terreur , non-seulement sur
le cierge' de Tours , mais sur la population entière. Un cbef
neustrien vint camper avec une tronpe d'hommes arme's aux
portes de la ville, et de là, il adressa ce message à l'évêque :
» Si vous ne faites sortir Gontram de la basilique , je brûlerai
)» la ville et les faubourgs. » L'e'vêque, qui e'tait saint Gre'goire
l'historien 5 auquel ces re'cits sont emprunte's, re'pondit avec
calme que la chose était impossible. Mais il reçut un second mes-
sage encore plus menaçant : « Si vous n'expulsez aujourd'hui
» même l'ennemi du roi , je vais de'truire tout ce qu'il y a de
» verdoyant à une lieue autour de la ville, si bien que la char.
» rue pourra y passer. » Gre'goire n'en fut pas moins impas-
sible ; et le Neustrien, après tant de jactance, se contenta de
piller et de de'molir la maison qui lui servait de logement. Peu
de temps après , le jeune prince Me'rove'e vint chercher dans
la même e'glise an abri contre la fureur de son père Cliilpe'iùc :
ce dernier envoya aussitôt une de'pêche conçue en ces termes :
« Chassez l'apostat hors de votre basilique , sinon j'irai brûler
» tout le pays. » L'e'vêque re'pondit simplement qu'une pareille
chose n'avait jamais eu lieu, pas même au temps des rois goths
qui e'taient be're'tiques, et qu'ainsi elle ne se ferait pas dans un
temps de ve'ritable foi chrétienne. Et Me'rove'e demeura dans
son asile (i).
La guerre e'tait sur le point d'e'claler entre les deux frères
Sighebert et Chilpëric , ou plutôt entre Brunehaut et Fre'de'-
gonde , les deux implacables ennemies: voici comment saint
Germain e'crit à la première de ces deux reines : «On dit que
» c'est à votre instigation que le glorieux roi Sigebert a re'solu
» de porter la de'solation dans cette province ( la Neustrie). Ce
>> n'est pas que j'ajoute foi îi ces bruits ; mais je vous conjure
(i) Grcg. Tur. 1. v, c. 4 et 14. Trad. d'Aug. Thieni.
506 EXAMEN DE l'hISTOIRE DE FRANCE
» (le n'y point donner occasion. Je sais que nous avons mérite'
M d'être punis pour nos pe'clie's , mais nous nous flattions que
w notre perle e'tait difFe're'e , dans l'attente de notre amendement..
n Je ne cesse de crier à tous de rentrer en eux-mêmes pour
I) e'viter la condamnation. Dieu le sait, et cela me suflit : j'ai
» souhaite' , ou de mourir pour leur procurer la vie , ou du
» moins d'être enlevé' de ce monde avant de voir la de'solation
» de ce pays ; mais personne ne m'e'coute.... Je vous e'cris ceci
» les larmes aux yeux , parce que je vois comment les peuples
» et les rois courent à leur perte en marchant dans les voies
» de l'iniquité'.... N'est-ce pas une victoire bien honteuse que
» vaincre un frère , ruiner sa propre famille , et de'truire l'he'-
» ritage de ses pères (i)? »
Fre'de'gonde ne voyait qu'avec peine Pre'textat re'tahli sur le
sie'ge de Rouen ; elle le menaçait de l'envoyer une seconde fois
en exil, ti Ici , ou dans l'exil, re'pond Pre'textat , j'ai e'té, je suis
» et je serai toujours e'vêque ; mais vous ne serez pas toujours
)» reine : Dieu m'e'lèvera, de l'exil, dans son royaume; mais
1» vous , de votre troue , vous serez précipite'e dans l'abîme , si
11 vous ne de'pouillez votre de'bauche et votre cruauté. » A ces
mots, la reine sortit furieuse; mais le jour de la fête de la
Re'surrection , Pre'textat e'tant venu à l'e'giise de meilleure heure,
et s'e'tant place' dans sa stalle, un meurtier le frappa d'un coup
de poignard dans le côte'. L'e'vêque jeta un cri pour appeler
ses clercs, mais personne ne venant à sou secours, il e'tendit
vers l'autel ses mains teintes de sang , adressant h Dieu sa prière
et ses actions de grâces. Les fidèles accoururent enfin, et le
prenant entre leurs bras , le portèrent sur son lit. Fre'de'gonde
vint aussi , feignant une sincère douleur : « Plût à Dieu , dit-
(i) Script, rer. franc.t. iv , p. 8o. Le même saint Germain, surmon-
tant son mal , va Irourer Sigebert au moment de son départ pour la
guerre : « Si tu pars sans avoir le dessein de tuer ton frère , tu retour-
neras vivant et vainqueur; mais si tu as d'autres pensées , tu mouri-as;
car le Seigneur a dit par la bouche de Salomon : tu tomberas dans la
fosse cjue tu creusais à ton frère. « Grég. T. 1. iv , c. 46-
DE M. MIGHELET. 507
» elle , qu'on pût découvrir l'assassin pour le punir comme il
)) me'rite. » — " Et quelle antre main a fait le coup , s'e'cria
» Pre'textat , que celle qui a tue' les rois , qui a verse' tant de
)> sang innocent , qui a t'ait tant de maux à ce royaume ?» —
La reine ajouta : « Nous avons d'iiabiles me'decins, qui pour-
)> ront gue'rir votre blessure ; souffrez qu'ils viennent auprès
)> de vous. i> — <t Je sens, dit l'e'vêque , que le Seigneur m'ap-
» pelle hors de ce monde : mais vous qui êtes l'auteur de tous
)) ces crimes, vous seule serez chargée de male'dictions sur la
» terre , et Dieu vengera mon sang sur votre tête. >- — Comme
la reine se retirait, le pontife rendit l'esprit (i).
Le roi Tliierri, plein de ve'néraiion pour Nicetius , qui ne
cessait de lui reprocher ses vices et ses crimes , favorisa beau-
coup son éle'vatio n sur le siège de Trêves, et voulut l'accompagner
lui-même à sa ville e'piscopale , avec un pompeux corte'ge. On
arriva le soir, au coucher du soleil, près de la ville; et pendant
qu'on dressait des tentes pour y passer la nuit, les cavaliers dé-
tachant leurs chevaux , les lâchèrent parmi les moissons des
pauvres : le Saint , touché de compassion à cette vue, s'écria
aussitôt : « Chassez vos chevaux de Li moisson des pauvres , ou
» je vous séparerai de ma communion. » Ceux-ci, humiliés,
s'étonnaient que , n'étant pas encore sacré évéque , il parlât
d'excommunication. «Le roi, répondit-il, m'a arraché à mon
1) monastère pour m imposer le fardeau de l'épiscopat; la volonté
» de Dieu sera faite , mais la mauvaise volonté du roi ne sera
» jamais accomplie tant que j'y pourrai mettre obstacle. » Alors,
d'un pas rapide, il alla lui-même chasser les chevaux, et puis
il entra dans la ville, en triomphe (2).
De toutes les mauvaises passions des mérovingiens , il n'y en
avait aucune de plus violente et de plus commune que la
luxure. Quoique cet instinct brutal eût déjà fait chasser du
royaume Chiidéric , père de Ciovis , leurs descendans n'en re-
cueillirent pas moins ce honteux héritage. Sur ce point, la
(i) Greg. Tur. HisL, 1. viii , c. 3i.
(2) Greg. Tur. ^à. VP. c 17. Max. Bihl. Patr. t. n.
508 EXAMEN DE l'hiSTOIRE DE FRANCE
plapart d'entr'eax ne reconnaissaient d'autre règle que leurs
appe'tits, d'autre loi que la violence. Il serait superflu, sans
doute, de de'velopper ici tous les re'sultats purement humains
d'un tel vice , le plus anti-social peut-être de tons , puisqu'il
de'truit la socie'te' dans sa base qui est la famille , e'nerve le sens
moral dans ce qu'il a de plus intime, épuise la vie dans sa source
même. C'est contre ce penchant que se re'unirent tous les efforts
des e'vêques; ils employaient tour à tour les prières, les exhor-
tations, les menaces, et enfin le terrible châtiment de l'ex-
communication ; rien ne les arrêta , ni la puissance de leurs
adversaires, ni la disgrâce des rois, ni le poignard des as-
sassins.
The'odebert ayant entrepris une expe'dition dans le midi de
la Gaule , trouva au camp de Cabrières, Deutérie, dont la beauté
et la barbarie sont demeure'es ce'lèbres : se croyant tout permis,
parce qu'il pouvait tout, il l'e'pousa , quoiqu'elle fût marie'e
aussi-bien que lui. Cette conduite fut d'un funeste exemple, et
les jeunes seigneurs de sa cour , après s'être iivre's h tous les
de'sordres , se portèrent jusqu'à contracter des mariages inces-
tueux (par cela seul ils encouraient, comme le roi lui-même,
l'excommunication). Nicetius , e'vêque de Trêves, duquel nous
avons de'jà parle' plus haut, n'e'pargnait pas au prince les re-
proches, et sur ce qu'il avait fait lui-même, et sur ce qu'il
permettait aux autres. Un jour , le roi suivi de ses courtisans
entra dans l'e'glise pour entendre la messe; mais après qu'on
eut re'cite' les leçons marque'es et pre'sente' l'oblation sur l'autel,
saint Nicetius , se tournant vers le peuple s'e'cria : « Nous ne
)> consommerons point le sacrifice , que les excommunie's ue
» soient sortis de l'e'glise. » Il publiait hautement les crimes des
pe'cheurs, et s'il e'chappa à la vengeance de ses ennemis, ce fut
par une protection spe'ciale de Dieu ; car il aimait à re'pe'ter
qu'il mourrait avec joie pour la justice (i). Le même Nicetius
excommunia plusieurs fois Clotaire, pour ses honteux de'por-
temens. Ce prince avait d'abord e'pouse' Ingonde; elle avait une
(i) Greg. Tur. rit. PP. c. 17. Max. Bibl. Patr. t. n.
DE M. MICHELET, 509
sœnr nommée Are'gonde, qa'elle pria le roi cle bien marier.
Clotaire l'ayant vue , et la trouvant à son gre' , l'e'ponsa loi-
même; pais il dit à Ingonde : « J'ai satisfait à ton de'sir , tu voa-
» lais pour ta sœur un homme riche et sage , je n'a rien trouve
i> de mieux que moi-même ; sache donc que je l'ai prise pour
» femme , ce qui , je pense , ne te de'plaira point. » Il e'ponsa
encore Gundeuca , veuve de Clodomir, son frère, et d'autres
femmes. De ce nombre fut Radegonde, sa captive, fille d'un roi
de Thuringe; mais cette princesse , touche'e de la grâce, quitta
sesornemens, coupa ses cheveux, et se consacra à Dieu, dans
un monastère qu'elle fonda auprès de Poitiers. Clotaire, qui
lui avait permis de s'e'loigner , ne put long-temps supporter
son absence, et ne pouvant l'engager à revenir, il re'solut d'al-
ler lui-même de Tours, où il e'tait , à Poitiers, pour l'enlever.
Le bruit en vint aux oreilles de Radegonde , qui , pleine d'effroi ,
écrivit de suite à saint Germain , qui avait accompagne' le roi
dans son voyage, afin qu'il employât tout son cre'dit pour dé-
tourner le coup dont elle était menacée. Le vieil évèque, pour
mieux toucher le roi , se jeta à ses pieds , devant le tombeau
de saint Martin, et le conjura, avec larmes, de ne point aller
à Poitiers. La vue de ce vieillard prosterné attendrit le roi, et
il y eut dans ce règne un scandale de moins (i). Brunehaut ,
fatiguée de la liberté avec laquelle saint Desiderius de Vienne
blâmait ses désordres et ceux de son fils, qu'elle entretenait
dans le libertinage, le fit tuer h coups de pierre. Cet exemple
n'intimida point saint Colomban ; il ne cessait de presser le
jeune roi Thierri de renvoyer toutes ses concubines, et de s'en
tenir à un légitime mariage ; mais sa mère Brunehaut l'en dé-
tournait toujours , dans la crainte que la présence d'une reine
ne lui fit perdre le premier rang et le souverain pouvoir. Un
jour que saint Colomban était au palais, elle lui présenta les
enfans illégitimes de Thierri ; l'homme de Dieu les voyant,
demanda ce qu'ils voulaient. « Ce sont, dit-elle , les fils du roi;
)• donnez-leur votre bénédiction. » — « Non , répondit saint
(i) G. T. Hist. 1. IV, c. 3. — Bantlon. nt. S. liadeg., 1. ii , c. 4-
510 EXAMEN DE l/niSTOIRE DE FRANCE
)> Colomban , ce ne sont point des fils de roi ; ils ne porteront
» jamais le sceptre; ce sont les fils de la de'bauche, car ils
j» sortent des lieux infâmes. » — La laxure de Dagobert n'avait
point de bornes; il avait trois femmes avec le titre de reines,
et an fort grand nombre de concubines ; ce fut un vaste cbamp
où s'exerça le zèle de saint Cunibert, de saint Arnulf et de saint
Amand , l'exil fut la re'compense de ce dernier (i).
Ceci se passait au commencement du 'j'^ siècle. Dès cette
époque, l'antique splendeur de l'Eglise avait pâli. Le clergë in-
férieur e'tait presque tout entier sorti du sang germain, de la
classe des serfs et des esclaves. L'ële'vatioiî subite de ces hommes
à demi-barbares , les richesses qui affluaient dans leurs mains ;
furent pour eux une e'preuve plus difficile que les perse'cutions.
Les e'coles e'piscopales perdaient leur e'clat; tes conciles devenaient
de plus en plus rares : cinquante-quatre au sixième siècle , vingt
au septième, sept seulement dans la première moitié du huitième
(Mich. p. 261 ). La voix puissante de Gre'goire-le-Grand avait
cesse' de retentir. Ce Pape, qui avait reconquis à la vraie foi
l'Angleterre, l'Espagne et une partie de l'Italie, rappelait .sans
relâche le sacerdoce à son ancienne dignité' , poursuivait de ses
invectives l'impudicite' des clercs, la simonie, ia promotion
irre'gulière des laïcs à l'e'piscopat ; e'crivait lettres sur lettres
aux e'vèques et aux rois, pressait la tenue d'un concile, ne
craignait point de s'adresser à la reine Brunehaut, et de louer
ses vertus, afin qu'elle aidât, par son pouvoir, à la re'forme
des mœurs du cierge' : « Car, disait-il dans une de ses lettres,
» ce sont les pe'che's des prêtres qui causent la ruine des peu-
» pies ; et qui intercédera pour les crimes des laïques , si les prê-
n très en commettent de plus grands (2)?.... » Le pontificat de
ce grand homme ( auquel aucun homreie en dehors du Chris-
tianisme ne saurait être e'gale') fut malheureusement trop court;
après sa mort, l'intelligence et la vertu se re'fugièrent dans les
(i) Fredegar. Append. Hist, Franc, cap. 3i , 35, 5g. — Boiland et
Baudemond. F^it, S. Aniand.
(2) Greg. epist. lxix,!. ii.
DE M. MIGHELET. 511
monastères; les cellules des enfans de saint Benoît devinrent
Aqs forteresses où la cii>ilisation se mit à couvert (Châteaab. ).
Au dehors , les te'nèbi'es s'épaississaient ; l'enfance et l'incapacité
des rois qui ne faisaient que passer sur le trône, les divisions
des grands, les guerres de Neustrie et d'Aquitaine, les courses
des Sarrazins , tout annonçait un lugubre avenir. Charles Mar-
tel , après avoir sauvé la civilisation , tint la conduite d'un vrai
barbare.
Quand il eut épuisé le trésor à payer ses troupes, il eut re-
cours au pillage des villes , à la confiscation des biens des égli-
ses et des monastères ; il chassait sans façon les évêques de
leur siège , et installait à leur place ses propres soldats. Au
temps de Charles Martel, dit Hincmar, la religion chrétienne
fut presque entièrement abolie dans la Germanie , la Belgique
et la Gaule (i).
La couronne de France , que le Pape saint Grégoire mettait
autant au-dessus des autres couronnes que la dignité royale sur-
passe les fortunes particulières , ne pouvait plus tenir sur la tête
des faibles enfans de Clovis j elle était prête a tomber, à être
mise en pièces. — Pépin la mit sur son front, et il était diffi-
cile d'en trouver alors un plus digne. Pépin descendait des évê-
ques et des saints ; il ne faut point s'étonner qu'il ait voulu
donner à son pouvoir la sanction du droit, en demandant l'ap-
probation du Souverain-Pontife ; qu'il ait réparé autant que
possible les spoliations de son père , protégé le Pape contre
les Normands , et rendu aux évêques l'autorité législative. Ce
règne était une préparation an règne de Charlemagne.
M. Michelel débute par contester à Charlemagne le titre de
Grand; il est dif&ciJe d'entrer plus malheureusement en ma-
tière. Pour le débaptiser irrévocablement, l'historien a recours
aux citations. Les chroniques de saint Denis , celle de Théophaue ,
sont apportées en preuve pour établir que Charlemagne est une
corruption du nom de Carloman; il pouvait y joindre Frédé-
gaire qui donne quelque part le nom de Carolus Magnus à
(i) Hincm. epist. vi, c. 19.
512 EXAMEN DE l'hISTOIRE DE FRANGE
Carioman, fils aîné de Charles Martel. Noas ne nous chargeons
nullement de rendre raison de ces textes, pas plus que de l'i-
dentltfi de nom entre les deux frères , qui existerait dans le
système de M. Michelet. Quelque nom que le fils de Pépin ait
reçu de ses contemporains, c'est un fait que l'autorité' de dix
siècles lui a confirme' le nom de Grand ; la question est de sa-
voir s'il l'a me'rite'. M. Michelet n'he'site point à le nier : Char-
lemagne serait, a l'en croire, un ravageur de provinces peu
diffe'rent de Genséric ou d'Attila; sans intelligence de son e'po-
que , il fit quelques tentatives en le'gislation , mais ce plagiat
de l'administration romaine, n'al)outit à rien, ne produisit rien.
Charlemagne mort, son empire fut brise', divise'; rien ne lui
survécut; personnage cruel et grotesque , tour-à-tour affublé de
la chappe d'un moine ou de la peau de bêle d'un barbare ,
il n'a guère laissé d'autres souvenirs de ses batailles que la dé-
faite de Roncevaux, d'autres institutions que des chants d'église
et des liturgies.
Reprenons en détail quelques-unes de ces allégations, et,
pour nous y)lacer d'abord au véritable point de vue, n'oublions
pas qu'il faut moins voir dans Charlemagne, le roi franc, le
maître d'un peuple ou d'un territoire, que l'homme de l'Europe
et de la chrétienté : Le prince était grand , dit Montesquieu ;
Vhomme l'était dai^antage.
Les guerres de Charlemagne ne furent que des guerres de dé-
vastation et de massacre ; rien n'indique quelles aient été
motivées par la crainte d'une invasion (p. 809, 3i i ). Vous l'af-
firmez sur votre parole et sans preuve aucune; il en faudrait
cependant pour prévaloir contre l'immense majorité, nous pour-
rions dire l'unanimité des historiens {i).Le temps des invasions
(i) Sans en excepter l'école moderne. i> M. Guizot remarque judicieu-
sement que la plupart de ces expéditions eurent pour motif d'arrêter et
de terminer les deux grandes invasions des barbares du nord et du
midi. .^ Chàleaub., Etudes hist., t. m, p. 235. —Il y a, selon M. Aug.
Tliicrri, entre les conquêtes de Chlodowig et celles de Karle-le-Grand ,
la distance de Vœuvre de la force hndale à Vœuure de la puissance éclai-
rée. Lettres sur l'hist. de Fr., lett. ix , p. i65.
DE M. MIGHELET. 513
était passé, dites-vous. — Depuis peu, sans doute : an demi-
siècle e'tait à peine e'coule' que les Sarrazins ravageaient à leur
aise la moitié' de la Gaule; et toutefois, d'après une autorité
que vous ne l'e'cuserez pas , ce n'est pas du coté du midi (jue
Charles Martel dut avoir le plus d'affaires , Vijwasion germa-
nique était bien plus à craindre que celle des Sarrazins ( Mich.,
p. 290) : voilà ce qui se passait quarante ans avant Cliarle-
magne. Ses cendres e'taient à peine refroidies, que les Normands
pillent trois cents lieaes de nos côtes ; bientôt ils remontent
la Seine et la Loire, brûlent, massacrent, assiègent Paris qui
ne dut son salut qu'à un e'vêque et à un moine ( l'e'vèque Gozlin
et l'abbe' de Saint-Germaîn-des-Pre's). Charlemagne lui-même
avait aperçu de son palais les premières voiles de ces audacieux
pirates. Il les reconnut à la le'gèrete' de leurs bâtimens. « Alors,
s'e'tant levé' de table, dit le chroniqueur (i), il demeura long-
temps le visage inonde' de larmes , et dit aux grands qui l'en-
touraient : « Savez-vous, mes fidèles, pourquoi je pleure amè-
» rement? Certes, je ne crains pas qu'ils me nuisent par ces
i> mise'rables pirateries ; mais je m'afflige de ce que , moi vivant ,
« ils ont ose' toucher ce rivage, et je suis tourmente' d'une
» violente douleur quand je pre'vois tout ce qu'ils feront de
o maux à mes neveux et à leurs peuples. » La pre'diction de
l'empereur fut accomplie ; qu'on nous dise maintenant ce qui
serait advenu, si, aux hommes du ISord, s'e'taient joints ceux
de l'Est et du Midi; si Charlemagne n'avait, pendant trente ans
refoulé ces peuplades loin de nos frontières ; s'il n'e'tait aile les
e'craser au cœur de leurs forêts ; s'il n'avait laisse' sur les Py-
rénées et sur le Rhin, à défaut de cordon sanitaire, la terreur
de son nom -.quelque soit ce nom dont il vous plaise l'appeler :
\ homme-grand , ou Vhomme-fort (2).
Selon M. Michelet, la gloire littéraire et religieuse du règne
de Charlemagne tient à des étrangers (334). ^^ j ^'^^t , ce nous
semble, un des plus grands mérites de ce prince, lorsque les
(i) Monach. San Gall. Trad. de M. Michelet.
(2) Karl-Man , Thomme fort ou robuste ( Aug. Thierri ).
T. X. 36
514 EXAMEN DE l'hISTOIRE DE FRANGE
ténèbres s'étendaient sur la France , d'avoir appelé' d'alllears
le renouvellement et les lainières : d'avoir amené' Paul War-
nafride et The'odulfe, d'Italie; attire' Alcuin et Cle'ment, da
fond de la Bretagne; Agobard , d'Espagne; Leidrade, d'Iliyrie.
L'apparition de tels hommes eut bientôt rallume le feu sacré
parmi les Français. Adhalard , Engbilbert, Eghinard, Ambroise
Autpert, Benoît d'Aniane (les premiers, parens ou alliés de
Charlemagne), quittèrent les emplois et le plus haut rang à la
cour pour se livrer a l'étude, à la propagation des lumières,
à la réformation des mœurs. L'empereur encourageait, récom-
pensait leurs travaux , ouvrait des écoles dans toutes les gran-
des villes et auprès des abbayes ; il écrivait aux métropolitains
et aux abbés : « Nous vous faisons savoir que nous avons jugé
it utile que, dans les évèchés et les monastères, on s'appliquât
)» non-seulement à maintenir la régularité, mais encore à en-
» seigner les lettres....; car, quoique ce soit une meilleure
» cbose de faire le bien que de le connaître , il faut le con-
« naître avant que de le faire (i). » Le zèle de Cbarlemagne
pour la saine doctrine et la discipline ecclésiastique éclate à
toutes les pages des Capitulaires , comme dans les actes des
conciles de Francfort (2) et d'Aix-la-Chapelle.
(i) Lett. de Charlem. à Baugulfe , abbé de Fulde.
(2) M. Michelet parle ea ces termes du concile de Francfort : Trois
cents êuêques condamnèrent à Francfort ce que trois cent cinquante eVé-
ques venaient cV app7^oui>er à Nicée. Il s'agit, comme on sait, du culte
des images; or, les pères de Francfort ne donnèrent nullement dans
les erreurs des iconoclastes, condamnées au deuxième concile de Nicée;
seulement^ trompés par des actes falsifiés, ils crurent que ce dernier
concile, qu'ils nomment, par erreur, de Constantinople , avait obligé
de rendre aux images , le culte et l'adoration dus à Dieu , et c'est là
ce qu'ils condamnèrent. (V. Longuei'aL, t. v , p. 21 et suiv. ) Il nous
serait impossible de relever toutes les assertions dénuées de fondement,
que M, Michelet énonce avec une assurance imperturbable ; c'est ainsi
qu'il rapporte à Charlemagne l'institution des Cours weimiques , accusa-
lion empruntée à Voltaire, et qu'il parle avec dérision de la prétendue
immoralité de ce prince. — V. là-dessus F elier , verbo Charlemagne.
DE M. MIGHELET. 515
Le senl espoir de re'gene'ration était dans le clergé, qni, malgré
sa déche'ance, conservait encore incomparablement plus de con-
naissances et de noLles qualités que les autres classes ; mais la
réforme du clergé ne pouvait s'opérer utilement et régulière-
ment que sous l'influence de Rome dont il fallait d'abord ga-
rantir l'indépendance. C'est à l'accomplissement de ce grand
dessein que se dévoua Charlemagne. Peut-être n'eut-il point
toute la conscience de sa mission ( quel grand bomme l'eut
jamais)! mais il n'est pas moins certain que , lorsque, à genoux
devant la confession de saint Pierre , il déposait aux pieds du
Pécheur sa célèbre donation, et jurait avec ses fidèles de main-
tenir le pouvoir temporel du Saint-Siège, 11 ne faisait autre
cbose que signer la cédule de l'intelligence contre la force
brute , de la civilisation contre l'ignorance et la barbarie.
Tout est en germe dans le l'ègne de ce prince, qu'on a jus-
tement nommé lepliis grand semeur dea temps modernes (B.dEck-
stein). Les écoles des cathédrales promettent l'université; Al-
cnin et Pierre de Pise présagent Gerson, Abailard, saint Thomas;
Benoît d'Aniane prélude à saint Bernard ; Léon ÎV est le pré-
curseur de Grégoire VIL Le sceau de Charlemagne fondait cette
biérarcbie catbolique du moyen-age , qui, en tenant compte
des abus et des vices, n'en demeure pas moins le plus beau
système gouvernemental qu'il eût été donné à l^homme de réa-
liser. « Car il avait transporté dans ce monde une image visible
» de l'attraction qui entraîne les corps célestes, en enfermant
» la terre dans une suite de cercles concentriques, dont la cir-
» conférence touchait aux extrémités du globe, dont le point
» de rayonnement était à Rome. Du point de vue philosophi-
» que, cette conception apparaît dans toute sa grandeur, et
» ses résultats n'en sont pas moins éclatans ; car, dès que vous
» placez quelque part un pouvoir dont la mission est univer-
» selle, vous lui imposez la loi de considérer dans tousses actes
» les seuls progrès de la masse humaine ; vous apprenez aux
)) peuples que leur fonction est subordonnée , dépendante ; vous
» agrandissez le patriotisme de toutes les zones de l'humanité;
» rien d'étroit alors, rien de borné; la variété infinie des pen-
» chans, des facultés, des forces individuelles, prend son rang
36.
516 EXAMEN DE l'hISTOIRE DE FRANCE
» dans l'échelle nationale ; la varie'té plas restreinte des nations
» a sa place dans le développement indéfini de la grande so-
» cie'te'. Les devoirs aussi se trouvent place's avec une re'gularité
» correcte et syme'trique. De la part du pouvoir , un de'voue-
» ment sans mesure à tous et k chacun des êtres que sa loi
» vivifie, que sa puissance prote'ge , que son impulsion perfec-
» tienne ; de la part des individus, soumission absolue au pou-
n voir, qui re'sume tous les intérêts, tous les besoins, toute
j> la vie intellectuelle et morale de l'humanité (i). » Le catho-
licisme seul pouvait concevoir et produire une semblable or-
ganisation, puisque seul il renferme la vraie et absolue notion
du pouvoir, laquelle implique nécessairement l'infaillibilité,
l'universalité, la perpétuité.
Tout ceci a complètement échappé à l'habituelle perspica-
cité de M. Michelet, et il y a lieu d'en être surpris (2). S'il nous
était permis de le suivre jusqu'à la fin de la seconde race, nous
trouverions encore bien des inexactitudes à relever, bien des
assertions à modifier. C'est ainsi qu'il suppose lestement une
excommunication qui n'a jamais existé (p. 364). Il est vrai
que lorsque Lothaire, voulant légitimer sa révolte aux yeux du
peuple, traîna en France le Pape Grégoire IV, il prit soin de
publier que le pontife venait pour excommunier l'empereur et
ses partisans. A celte nouvelle , les évêques attachés à Louis,
écrivirent au Pape en termes qui, au dire de l'auteur contem-
porain , étaient un peu entachés d'audace et de présomption ;
mais la réponse du Pape prouve que ces bruits d'anathème
n'avaient aucun fondement. Après avoir rudement réprimandé
les évêques du ton qu'ils avaient pris avec lui, il ajoute :
« Vous prétendez que nous venons fulminer sans aucun sujet,
1) je ne sais quelle excommunication , et vous nous exhortez en
)» termes confus et embrouillés de ne pas le faire , pai'ce que
(i) Feuilleton du National, du 24 août, signé A. A.
(2) De l'influence du christianisme sur la législatiou romaine , sur la
législation des barhares et sur le droit civil de la France. Voir VEcho
des ferais Principes , t. vni , p. 325.
DE M. MIGHBLET. 517
» ce serait de'shonorer la dignité' impe'riale et avilir la nôtre.
» Expliquez-voas , je vous prie ; que signifie ce langage? et di-
» tes-noas ce qui de'slionore plus la puissance impe'riale , ou
)) de l'excommunication , ou des œuvres dignes de l'excommu-
)) nication (i)? )> On connaît la suite de cette affaire. Le Pape,
après avoir tenté des voies d'accommodement enlise un prince
imbe'cile et des enfans de'nature's, laissa ces honteuses contes-
tations se terminer aussi indignement qu'elles avaient commence'.
De toute cette trame, il ne demeura que le nom de Champ
du mensonge , au lieu te'moin de la scène , comme un monument
de la fourberie de Lothaire, qui s'e'tait joue' de la bonne foi
du Pape , de la cre'dulitd de l'empereur , et de l'astuce de ses
frères.
Plus loin M, Miclielet veut faire d'Hincmar, ni plus ni moins
qu'an Pape, un vrai Pape français, un Pape de Rheims , par-
faitement indépendant de celui de Rome. Or, il est difficile,
dit le savant Thomassia, de se former une idée plus magnifique
de la majesté et de la grandeur du siège apostolique , que celle
qu'Hincmar nous en a laissée dans ses écrits (2). Sa conduite,
(i) Agobard nous a conservé cette lettre, t. 11, p. 48, édit. Baluz.
(2) Voici un passage d'Hincmar : «La sainte Eglise romaine, la mère,
la nourrice et la maîtresse de toutes les Eglises, doit être consultée dans
tous les doutes qui regardent la foi et les mœurs , particulièrement par
ceux qui, comme nous, ont été engendrés en J.-C. par son ministère^
et nourris par elle du lait de la doctrine catholique. » {Hincm. t. i,
p. 161.) Et ailleurs , avec encore plus d'énergie : >t Tout ce que nous
prêchons et décernons , nous évêqucs catholiques , selon les sacrés ca-
nons et les décrets du Siège apostolique , le Saint-Siège et TEglisc ca-
tholique le prêchent et le décernent avec nousj ils ordonnent avec nous,
quand nous ordonnons ; et quand nous jugeons , ils jugent avec nous ,
qui avons été créés évoques pour succéder aux apùtrcs. Mais , lorsque
nous maintenons sous l'autorité de la pierre apostolique , les sacrés ca-
nons et les décrets des pontifes romains , simples exécuteurs d'une juste
sentence , nous obéissons au Saint-Esprit qui a parlé par eux , et nous
nous tenons dans la dépendance du Siège apostolique, d'où la religion
a découlé, ainsi que la disciphne et les règles canoniques. Ibid., p. 463.
V. la tradil. de VEgl. sur L'iuslit. des Eu., t. 11, p. 345 et suiv.
518 EXAMEN DE l'hISTOIRE DE FRANGE
d ailleurs ëtait en harmonie avec sa doctrine, car son e'iection
aa siège deRheims, avait e'té confirmée par le Saint-Sie'ge, et
c'est aa Saint-Sie'ge qu'il demanda l'augmentation et le renou-
vellement des privile'ges de sa me'tropole.
Mais de toutes les affirmations incroyables du professeur, il
n'en est pas de plus incroyable, sans doute, que celle-ci : —
« Ce fut au g*' siècle , Paschase Ratbert qui , le premier enseigna
n d'une manière explicite, la merveilleuse poésie d'un Dieu en-
» fermé dans un pain.... Les anciens pères at^aïent entrevu cette
» doctrine , jnais le temps n'était pas venu. Ce ne fut qu'au
« 9 " siècle que Dieu daigna descendre pour confirmer le genre
» humain dans ses extrêmes misères , et se laisser voir ^ toucher^
!> goûter... )) A s'en tenir à la rigueur des termes (et la chose
en vaut la peine), nul dans l'Eglise Romaine, et pas plus Pas-
chase Ratbert qu'un autre, n'ont enseigne' le <.\ogme d'un Dieu
erfermé dans un pain. Pour trouver cette merveilleuse poe'sie,
il faut descendre jusqu'à Be'renger, ou peut-être à Luther et
an système de Vimpanaiion ; mais pre'tendre naïvement que
l'Eglise n'a point cru à la pre'sence re'elle avant le 9* siècle ,
c'est d'un trait de plume reporter la discussion au temps de
Basnage et de Me'lanchton. On n'attend point que nous venions
e'iucubrer les subtiles controverses de Rantramme et de Rat-
bert, moins encore que nous accumulions les monumens qui
attestent la pei'pe'tuite' de la foi catholique, relativement à
l'Eucharistie. Ces preuves remplissent d'immenses recueils, et
sont dans la me'moire , ou au moins sous la main de tous les
catholiques (i).
(1) On peut citer parmi les principaux. — Le Traité de l'Eucharistie
du carcl. Du Perron, contre Duplessis-Mornai. — La Perpétuité de la
foi sur V Eucharistie d'Arnauld , Nicole , Renaudot. — Schelstrate , De
disciplina arcani. — Pouget, Institut catholic, t. iv. — Le Traité de
VEucharislie de Pélisson , et surtout la Tradition de l'Eglise touchant
r Eucharistie y 1 vol. in-12, où le même auteur a recueilli les passages
des soixante-douze Pères ou écrivains ecclésiastiques , antérieurs au
9« siècle , qui établissent d'une manière irréfragable la croyance de l'Église
en cette matière,
DE M. MIGHELET. 519
Ce 9"^ siècle fut encore une e'poque de tle'cadence. Comme
sous la première race, la de'ge'ne'ration des rois, les incursions,
les guerres intestines portèrent de rudes atteintes à l'ouvrage
de Charlemagne. La barbarie reparut ; il faut pourtant recon-
naître que dans les 9 et lo*" siècles, la civilisation fut loin de
descendre aussi bas qu'auparavant. Des noms ce'lèbres reten-
tirent dans l'Eglise (i). L'intelligence subissait pe'niblement ton-
tes les e'preuves d'une rude et lente e'ducation , et un travail
secret de l'esprit apparaissait an-dessous du bouleversement des
formes exte'rieares de la socie'te'.
Quand le grain tombe dans un champ, il disparaît à l'œiî du
semeur; il faut qu'il se corrompe et meure; il est comme s'il
n'e'tait pas. Voilà une image de ce qui se passe au 10^ siècle.
L'ordre social paraît ane'anti, l'unité administrative est rompue,
l'empire morcelé'; de tristes pressentiraens s'emparent , comme
un vertige , de tous les esprits ; un seul soupir sort de tontes les
poitrines, un seul cri de toutes les bouches : voici le dernier
jour du monde ; voici le jugement de Dieu. Mais la violence
même de celte crise annonce une exube'rance de vie; dans ces
pensées de mort, brillent des présages de résurrection. Le
1 1' siècle s'ouvre , et déjà la semence jetée par la main de Char-
lemagne, croissait en un superbe épi, s'étendait en un arbre
immense qui devait long-temps abriter et nourrir l'humanité.
— annales de Phil. Chrét. 71° 62.
(i) Hincmar, archevêque de Rheims ; Prudentiiis, évêque de Troyes ;
Florus , diacre de Lyon; Lupus, abbé de Ferrières ; Christian Drutmar,
moine de Corbie ; Walafride Strabon, moine de Fulde ; Etienne, évêque
d'Autun ; Fulbert , évêque de Chartres ; Odon , abbé de Cluni ; Abbon
et l'illustre Gerbert.
520
GÉOLOGIE.
TABLEAU DES COUCHES DIIMÉRAI.ES SU GLOBE
ET DES FOSSILES Qu'eLLES REMFERMENT.
Nous avons souvent parlé de Géologie, et démontré combien
les découvertes toutes récentes de cette science, s'accordent
avec le récit que fait Moïse de la création. Mais, comme il est
peut-être plusieurs de nos abonnés qui n'ont pas étudié, d'une
manière spéciale , cette science , et que , par conséquent , ils
doivent avoir de la peine à bien saisir la force et la portée de
tout ce que nous avons dit de ces découvertes et de leur ac-
cord avec les récits de notre Bible , nous avons essayé de réunir
en un seul tableau et de mettre sous leurs yeux trois choses :
La première. La composition actuelle du globe, avec le nom
et la place des différentes couches qui le composent à partir
de sa surface jusqu'aux couclies les plus profondes auxquelles
on ait pu pénétrer.
La seconde. Quelles sont les matières Jbssiles ou objets pétrifiés
qui se trouvent dans ces différentes couches.
La troisième. L'indication des passages de la Genèse où la
création de ces différens fossiles est racontée.
Mais , comme nous ne pouvons renfermer dans ce tableau
tous les développemens qu'il peut comporter, nous ajouterons
ici quelques détails sur les différons animaux fossiles qui se
trouvent dans la terre à partir du CALCAIRE JURASSIQUE.
Calcaire jurassique , sable vert , etc.
Ici la classe des reptiles se multiplie et déploie des formes
gigantesques. On y rencontre Vichtyosaurus et le plésiosaurus ;
le premier de ces animaux monstrueux vivait, selon Cnvier, la
mâchoire d'un dauphin, les dents d'un crocodile, la tête et le
sternum d'un lézard , les extrémités d'un cétacé ( mais au nom-
bre de quatre ) , et les vertèbres d'un poisson. Le plésiosaurus
TABLEAU des formations géolo^e Humholdt. — RAPPORT
des couches avec les espèces d'aninhrès Cuvier, Brongniart ^
Bertrand, Boubée,Labèche etautresvec les jours de la création.
Genèse , ck. i« V. 37.
Genèse , ch. i , v. 24-
L"HOMjHE,Iedern
industrie, tels que des fragn
vent que dans les couches le
de espèce, dont plusieurs ge
JxiER. Discours surlcs révol. du gioLcAnSo^
5=e'd.p.i3i,etBouEÉE,GeoZ.pop«^, p.i'jS.
Quelques-uns de ces mammifères ont c'ie
Duves dans les contrées du nord, recouverts
^ leurs muscles et de leur peau ; preuve seu-
ble de la révolution récente qui les a fait
rir, et qui ne saurait remonter, dit Cu-
Mammifères marins, cotf""^ ' " l"'"" 'aurait remonter, ait
marines, végétaux, poisso" ' au-delà de 5 à 6000 ans, p. 283
CuTiER , p. ii3 et 290.
Coquilles de mer très-abc Cotieb , p. III et 290.
cents espèces, la plupart it
Premiers MAMMIFERES '
inconnus , crocodiles , lor
embellissaient alors notre
riums et les palœotlieriums
Pr
em
er
MAMMIFÈRES I
et au
Ire
5S
ands cétaCL
s qui.
mité
de
leu
r taille, on
per,
La découverte de ces animaux siii;^uliers
est due à Cuvier. Voy. son Discours ,
p. 3i5, et ses Recherches sur les quadru-
pèdes fossiles , t. m, p. 4^ et 60, 2eétUt.
CuviER. Recherches sur les ossemens des
quadr.Joss, , tom. v , p. Syg.
Reptiles, crocodiles , ton ,, / •,•, , r.-
• . , ' ', t.uviER, p. 204 cl 33l du Discours
luriers et autres veeetanx ' ' yi " ■• "•'» "" ^^....u.
Reptiles monstrueux qui ont dispari;
tortues de mer, quelques plantes mar
(".i;viEB , p. 295 et 3ll ,
Reptiles et végétaux.
Cuvier, p. 3o6.
Gen. ,c. I, V. 21.
Premiers OISEAUX. Reptiles gigantej ^ j^ ,-,p ^^
le sternum d'un lézar, les extrémités d ^gj^ ^ j^
tête d'un lézard , il joignait le cou d'un
tenait à la fois de l'oiseau, du reptile e
six pieds d'envergure. Huîti
qu
Plantes cicadées et conifères; baml,
'égétaux analogues à ceux de la zone
:;ae]n'.
Coquilles nombreuses.
DX.
35 CuviEB,p.295et 3oS, el
s BnoNCNiART, ï'ni/e«H (/e.t
— terrains qui composent
a l'ccorce du globe, Talil.
g XI, p. 4'2-
u
W CuviER, p. 3oo, et /fe-
cherches sur les oisem. des
2; quadr. Jossiles , tora. v,
5 p.249,445,453,47,'ï.
ce
ta Broncniart, p. 4t8.
Ces roctes primordiales , ces granités , rep
cua). Ces roches composent le noyau du S'o„, „•_,„_
un liquide immense. Elles ne renferment Al]"'™ITI VES.
La vie n'était donc point encore sur le glo]
Cette admirable concordance de la Genè.'L,
de toutes les cosmogonies, celle de Moi'se^**
P v-uviEiv , pag. 290 , et
g Bertrand, pag. 123.
S CuvIER, pag. 23.
jl^ Genoude. Prolégomè-
<! nesduPenlateuque,
S p. 66.
Ce tableau de toute la suite des couches aux plus modernes et aux plus
superficielles , est en quelque sorte , dit Cu'»o«r« sur les réuol. du globe.
T^ouv. Cens. Belge, t. X, pag. 52o-5
TABLEAU des formations géologiques dans l'ordre de leur super position, par M. Al. delJumholdt. — RAPPOP%T
des couches avec les espèces d'animaux et de plantes dont elles renferment les restes , d'après Cuvier, Tirongniart ,
Bertrand, Boubée,Labèche et autres géologues. — CONCORDANCE des faits géologiques avec les jours de ta création.
L'HOMME, le dernier ouvrage de la ci
industrie, tels que des fragmeos de briiju
vent que dans les couches les plus superf
de espèce, dont plusieurs geores vivent et
et de poteries, des scories dp I
Iclles du globe. Mammifères de
ore dans diverses parties do la t
DEPOTS D ALLUVION.
coquilles FORMATION LACUSTRE
AVEC MEUllÈRES.
GRES ET SABLES
DE FONTAINEBLEAU.
s KAMUIFËRES TERRESTRES. Pois
, crocodiles , tortues , plusieurs soi
ienl alors uotre sol , et qui ont e't<!
aai , palmiers qui GYPSE A OSSEMEN3.
,tr?è°L1''pl3re'1esrviiÔns"e°Pa°r'/sT CALCAIRE 8ILICEUX.
remiers MAMMIFERES MARINS. Lamemins ^dauphins inconnus , me
utres grands cétacés qui, malgré les forces que semblait lïur donner l'é
é de leur taille , ont pe'ri dans la catastrophe qui a bouleversé leur élém
ir- CALCAIRE GROSSIER.
GRES TERTIAIRE
A LIGNITES.
8",
C«y„,n. Discours surUj re'fol.ilugl.il,, _
Quelques-uns de ce. mamm/ère. on. i.U
trouvés dans les contrées du
deleurs muscles et do leur pi
silile de la révoIatioD récente qui I
[eU de 5 i 600,
dit Cu-
ï83.
a est duc à Cuvier. Voy. son Oise
^ p. 3i 5, et ses Recfterehes surlesqt
^ pldesjossiles , t. iti , p. 47 et 60 , 2
Bt p. 294 el 33l du Discour'
BLANCHE.
Reptiles monslrueui qui ont disparu de la surface du globe. Crocodiles, grandes rRiip l rriirirAii
tortues de mer, quelques plantes marines. I^KAlt...^ TUFFAU.
CHLORITÉE.
Reptile!
SABLE VERT.
SABLE FERRUGINEUX. GRF.S SECONDAIRE A LIGNITES.
s OISEAUX. Reptiles gigantesques , l'un , Xiclitrcsaurus , avait la mâchoire d'un danpliin , les dents d'un croc
■■ '• ' ^-..i. Tun cétacé et les vertèbres d'un poisson, le pKjinujauruj lui ressemblait beauc
„uàia..is de u.^...i.„,ù^eV7^^^^f::'i::XÔ^tt:t^!^ calcaire jurassique.
Fergure. Huîtres , po
; bambous , fougères et i
GRES BLANC.
Coquilles nombreos<
SIUSCHELKALK.
calcaire de CAEN.
LIAS MARNEUX.
GRES BIGARRE SALIFERE.
SCHISTE CUIVREUX.
:B,p.aQ5et3o8, el
KY,T.TabUaude,
nui composent
du globe, Tabl,
cherches sur les otsem.dt
îc quadr. fossiles ,lom. -v
3 p. 249,445,453,475.
PORPHYRE '^^
QUARTZIFÈRE. '"'■'
ues os de POISSONS, plant,
autres vcgélaux acotylédon
lières richesses végétales qi
e palmie
S,fnuKèrc
en arLrpdeiloù
. Grandes c
oucl.es de houil
du glolse
(Tous les
naturalistes re-
i de fougères dont c
crrafuï ont FORMATIONS COORDONNÉES DE PORPHYRE ,
Luerforïl DE GRÈS ROUGE ET DE HOUILLE.
rnAND I Lettres sur les re-
lations du globe ^ p. 3o7 f
•■ édit. , et CuTiBR « p. 396.
g^res , lycopodiacees de 60 à
t douteux , pensent Cuvier (
! à la surface du globe; elle j a commence par le règne v^i^étaK Les terraii
ment caracte'rises par des empreintes de VEGETAUX HERBACÉS, roseaui
I 70 pieds de Laut. On y trouve encore des zoophytes , des mollusques , di
animaux qui vivent sur la terre sèclie et respirent l'air en nature. Il e
Bertrand 4 que les mers renfermassent alors des poissons.
FORMATIONS
DE TRANSITION.
Ces roclie£
eu»).Cesto
un liquide immense, bl
La vie n'était donc po
Cette admirable con(
de toutes les eosmogoi
AUCUN VESTIGE,
"ol'vEGEVZiE NI AMMa''lT FORMATIONS PRIMITIVES.
Cuv
pag. 297.
Lettres .
i Adolphe
des végétaurjoisiles.
Cov
. P=S-
Genouoe. Prolégomi-
les du Pentatettque,
p. 66.
Ce tableau de toute la suite des couches du globe , depuis les plus anciennes que l'on connaisse jusqu'aux plus modernes et aux plus
superficielles, est en quelque sorte , dit Cuvier, le dernier résumé des efforts de tous les géologistes. Discours sur les révol. du globe.
Nouv. Cons. Belge, t. X, pag. 52o-52i.
COUCHES MINÉRALES DU GLOBE, ETC. 521
avait aussi les extrémités d'nnce'tacé, mais la tête d'on le'zard,
et un cou semblable au corps d'un serpent. La se montre e'ga-
lement le jnégalosaurus , reptile qui devait avoir au moins
soixante-dix pieds de longueur, et qui approchait de la taille de
la baleine; le géosaiirus de Cuvier; le plérodactyle , le'zard vo-
lant, qui tenait à la fois du reptile, de l'oiseau et du mammi-
fère, et dont une espèce avait Sl^ moins cinq pieds d'envergure.
Ce terrain renferme encore des restes de crocodiles , de tortues^
de coquilles, à'insectes, et enfin les premiers ossemens d'oiseaux,
et principalement d'oiseaux aquatiques , A' ibis , de hérons , de
cigognes et d'écliassiers.
Craie de différentes couleurs. Grès tertiaire à lignites.
Encore des reptiles monstrueux, et entr'autrcs le mosasaums,
qui devait avoir au moins vingt-cinq pieds de longueur. Croco.
dites et coquilles abondantes.
Calcaire grossier.
Premières traces de inamnùfères marins, de baleines , de dau-
phins inconnus , de lamantins et de morses. Cuvier remarque
que ces grands ce'tace's , malgré les forces que semblait leur
donner lénormite' de leur taille, n'ont pu re'sister aux catastro-
phes qui ont bouleverse' leur e'ie'ment, et y ont pe'ri.
Gypse à ossemens. Calcaire siliceux. Grès et sables de Fon-
tainebleau. Formation lacustre avec meulières .
Première apparition des mammifères terrestres. Ce sont des
pachydermes q^ai manquent entièrement parmi les quadrupèdes
de nos jours , et dont les caractères se rapprochent plus ou
moins des tapirs, des rbinoce'ros et des chameaux. Ces genres,
dont la découverte entière est àne à M. Cuvier, sont : les pa-
lœothériums , les lophiodons , les anoplotériums , les antracothé-
riums , ]es chéropotames ,les adapis. Les plâtrières des environs
de Paris renferment une quantité prodigieuse d'ossemens de
ces espèces. Avec ces animaux se trouvaient des carnassiers, des
rongeurs, plusieurs sortes d'oiseaux , des crocodiles , des tortues
et des poissons inconnus.
Dépôts d'allui'ion.
Dans ces terrains, que des ge'ologues ont partagés en diluviens
et post- diluviens y il n'y a plus, ni palœothériums , ni anoplo-
522 COUCHES MINÉRALES DU GLOBE ;
tliëriums , ni aacun de ces genres singuliers. Ce sont d'autres
pachydermes gigantesques : Véléjj'tant , appelé mammouth, par
Jes Russes , haut de i5 à i8 pieds , le mastodonte , dont la forme
massive e'talt aussi conside'rable , Vlàppopotame et le rhinocéros.
On trouve les de'bris de ces grands quadrupèdes , enfouis au
milieu des cailloux et des sables , et presque toujours arrondis
ou nse's par le frottement 5 quelques-uns cependant ont été
trouve's dans les contre'es du nord , recouverts de leurs mus-
cles et de leur peau : preuve sensible d'une révolution récente.
Ces mêmes teri'ains meubles , recèlent des mégatJiériums de la
famille des paresseux, dont la grande taille devait égaler celle
de l'éléphant; des mégalonix , de la même famille , remarqua-
ble par l'énorme dimension de ses ongles ; des tapirs, des
bœufs , des chevaux , des ours , des hyènes^ des cerfs , des daims,
•des sangliers, des lièvres, des chiens , Aescastors , des loutres,
des chats , des martres, des rats , des musaraignes , etc. Le plus
gi'and nombre de ces genres d'animaux vivent encore dans di-
verses parties du globe ; mais plusieurs des espèces que l'on
trouve dans les dépôts diluviens ont totalement disparu.
On trouve également , dans ces dépôts, des débris d'animaux
marins , confusément mêlés avec les précédens : ce sont des
coquilles , des madrépores , des osseraens de poissons , etc. Ces
débris portent également les marques d'un rude frottement.
On trouve un grand nombre de cavernes remplies de ces
divers débris, empâtés dans des argiles souvent rougeâtres. On
attribue le remplissage de ces cavernes , dites cavernes à osse-
mcns, à la catastrophe diluvienne. Toutefois , il en est un grand
nombre dont le remplissage est plus moderne.
Les dépôts diluviens sont le plus souvent accompagnés de
ùlocs erratiques ; on désigne ainsi ces énormes fragmens de ro-
chers , plus ou moins arrondis sur leurs angles , et dont le poids,
quelquefois est tel qu'il faudrait réunir les puissances les plus
énergiques pour les ébranler. On en connaît qui pèsent jusqu'à
3oo,ooo kilogrammes , et dont le volume dépasse mille mètres
cubes (i). Ces blocs sont formés des mêmes roches que les
(i) Boubéc. Géologie populaire, pag. i55 , i833. Nous nous sommes
FOSSILES qu'elles renfermeht. 523
cailloux ordinaires , au milieu desquels on les rencontre , ce
qui prouve qu'ils ont été' de'tachés des mêmes lieux. Enfin , l'on
remarque presque toujours qu'entre les cailloux les plus gros
et les blocs les plus petits, qui se ti'ouvent mêle's ensemble, il
y a, sous le rapport du volume, des passages si nombreux,
qu'il est difficile de de'signer, dans la se'rie de ces débris, ceux
qui doivent porter le nom de blocs erratiques, et ceux qui doi-
vent rester parmi les cailloux roulés. Cette circonstance prouve
que les uns et les autres, même les plus petits, ont été, ainsi
que les sables qui les accompagnent, charriés en même temps
et par les mêmes eaux.
On comprend dans le terrain post-diluvien tous les dépôts qui
se sont formés depuis !a retraite des eaux diluviennes jusqu'à
nos jours. Les fossiles qu'on y trouve sont les mêmes espèces
qui vivent encore dans le pays. On y trouve même des débris
d'ossemens Inimains , des fragmens de briques et de poteries ,
des scories de forges , des bois travaillés , et ces débris , qui
tous attestent la vie de l'homme, ne se trouvent avec quelque
fréquence que dans les terrains d'alluvion. Ils sont rares dans
le terrain diluvien ; s'il est vrai qu'on en ait trouvé dans le
midi de la France, comme quelques naturalistes le prétendent,
dans les mêmes cavernes et les mêmes dépôts qui contenaient
ceux d'une espèce perdue de rhinocéros et d'autres animaux
qu'on trouve ordinairement dans les grottes osseuses (i).
Ainsi donc, comme le dit l'Ecriture, c'est la création de
Vhomme qui couronne l'œuvre du Créateur, c'est lui qui a été
créé le dernier ; encore ici le récit de Moïse s'accorde avec
l'observation et avec les faits les mieux prouvés.
Pour faire mieux ressortir cet accord , r.ous allons mettre sous
les yeux de nos lecteurs les paroles du texte sacré.
D'après la Genèse, i. Dieu réunit les eaux dans un seul bas-
sin. — Genèse, chap. i, vers. 9. Congregéntur aqiiœ ut appareat
arida.
servi (le raiilorité et des recherches de ce savant professeur , pour cette
partie de notre travail.
(i) Manuel gèologùjue , par H. Delabèche , pag. 229, i833.
524 COUCHES MINÉRALES DU GLOBE , ETC.
2. Dieu féconde ensaite la terre de ve'ge'taux. Etprotiilit terra
herbain virentem et llgnwn pomifcrum. — Vers, 12. (Remarquez
bien que Moïse met ici lierbam avant lîgnum.)
3. Dieu peuple les eaux de reptiles et de poissons , et les ri-
vages d'oiseaux. — Vers. 21.
4. Dieu peuple ensuite la terre de quadrupèdes. — Vers. 24.
5. Enfin Dieu cre'e l'homme, et complète ainsi ses œuvres.
— • Genèse ,2^.
« On ne saurait trop remarquer, dit un naturaliste moderne,
cet ordre admirable , si bien d'accord avec les plus saines no-
tions qui servent de base à la ge'ologie positive. Quel hom-
mage , ajoute-t-il , ne doit-on pas rendre à l'écrivain inspire' ( i ) ! »
Nous ne pouvons mieux terminer cet article qu'en rappor-
tant ces paroles du savant ge'ologue que nous avons cite' plus
haut (2) :
« Ici se présente une conside'ration dont il serait difficile de
ne pas être frappé ; puisque un livre, e'crit à une e'poque où
les sciences naturelles étaient si peu éclairées , renferme ce-
pendant, en quelques lignes, le sommaire des conséquences les
plus remarquables, auxquelles il ne pouvait être possible d'ar-
river qu'après les immenses progrès amenés par le dix-huitième
et le dix-neuvième siècles; puisque ces conclusions se trouvent
«n rapport avec des faits qui n'étaient ni connus , ni même
soupçonnés à cette époque, qui ne l'avaient jamais été jusqu'à
nos jours, et que les philosophes de tous les temps ont tou-
jours considérés contradictoirement et sous des points de vue
toujours erronnés; puisque enfin, ce livre, si supérieur à son
siècle, sous le rapport de la science, lui est également supé-
rieur sous le rapport de la morale et de la philosophie natu-
relle, on est obh'gé d'admettre qu'il y a dans ce livre quelque
chose de supérieur à l'homme, et quelque chose qu'il ne voit
pas, qu'il ne conçoit pas, mais qui le presse irrésistiblement!!! «
Maintenant, si l'on veut jeter un coup d'œil attentif sur le
(i) Demerson. Histoire naturelle du globe terrestre.
(2) Boubée , Géologie populaire , p. 66.
PHYSIOLOGIE ET HYGIENE , ETC. 525
tableau , et IMtadier quelques instans , il nous semble qu'il sera
facile de se faire une ide'e nette de toutes les formations ge'olo-
giques. Nous avons pris pour base, comme nous le disons, le
tableau tracé par M. de Humboldt ; mais , tel que nous le don-
nons et avec les indications que nous y avons ajoute'es, nous
croyons que ce travail n'avait jamais e'te' fait , et qu'il peut pas-
ser pour neuf.
Nous espe'rons qu'il sera utile à nos lecteurs, et qu'ils pour-
ront y voir une nouvelle preuve de la re've'lation divine de nos
livres , et de l'avantage qu'on peut retirer de la connaissance
des sciences , pour re'pondre aux demi-savans qui re'pètent en-
core les vieilles objections ge'ologiques faites contre la Bible
dans le siècle dernier. — Annales de Philosophie Chrétienne ,
n" 5o.
•V V\ <\A/\ VV\ VV\ VtA VV^ «VVV /VV\ 'V'V% VV^ VV\ VV\ f*^^ "XA/* l\ A/\ VV\ ^'V^ VV\ /VV\ VV% A/VX (VV\ vv\ vv% /VVV VV\ iV^
FHTSÎOÎ.OGIE ET BTGIÈNE
DES HOMMES LIVRÉS AUX TRAVAUX DE L'ESPRIT (i).
Tel est le caractère de divinité qui distingue le christianisme ,
que les efforts de l'impie'té pour l'aoe'antir oat contribue' à affermir
son empire , et que les sciences qui lui paraissaient les plus oppo-
sées ou les plus e'trangères , fournissent des argumens invincibles
pour prouver la vérité de sa ce'leste origiae.
Le livre que nous annonçons offre une preuve frappante de cette
dernière assertion. Cet ouvrage , en effet , destiné à procurer la
santé, semblerait ne contenir que des considérations purement ma-
térielles , et cependant ou peut en tirer des preuves concluantes en
faveur de notre religion; car le résumé de cet ouvrage est que,
(i) Ou Recherchas sur le physique et le moral , les habitudes , les ma-
ladies et le j-égime (\cs ^cn^ de lettres, artistes, savaus, hommes d'état,
etc. Par J. H. Reveillé-Parise , docteur en médecine; 2 vol. in-S». Paris
chez Dentu. Prix : i4 fr.
526 PHYSIOLOGIE ET HYGIENE
pour se procurer une santé inalte'rable , il faut non-sealement être
sobre, chaste et tempe'rant , mais encore dompter ses passions et
acquérir un grand empire sur elles; or, que veut de plus le catho-
licisme ? c'est là , en y joignant la charité , dont personne ne s'a-
visera de contester l'excellence, tout ce que prêche l'Evangile;
avec cette différence que les conside'rations de santé que fait valoir
M. Reveillc-Parise sont insuffisantes pour arrêter la fougue de l'âge,
l'emportement des sens et le tyrannique empire des passions, tan-
dis que la religion chrétienne est seule capable de leur opposer un
frein efficace par les conside'rations d'un ordre plus élevé qu'elle
fait valoir aux yeux, de ses disciples.
Tandis que l'incre'dulité , en prêchant à l'homme le néant de
son avenir, le précipite par cela même dans les plus honteux e'ga-
remens , use sa santé, avance sa vieillesse, la religion, par ses
enseignemens et sa morale, rend l'homme heureux ici-bas; car la
sanle' est une condition indispensable de bonheur, puisque la po-
sition la plus brillante dans le monde devient mise'rable sans elle.
Je ne suivrai pas l'auteur dans son discours pre'limiuaire, où il
discute l'origine et l'utilité' de la médecine ; je pense comme lui
que les préventions contre elle s'affaiblissent. Car un fait digne de
remarque^ c'est que les gens du monde les plus acharnés contre les
médecins , sont les plus enclins à suivre les indications des charla-
tans; ce qui m'a toujours fait regarder cette prévention comme la
marque certaine d'un esprit borne et re'tréci. Il est impossible d'ail-
leurs de ne pas convenir que, par les grands de'veloppemens qu'ont
pris aujourd'hui les sciences médicales, elles n'aient contribué aux
progrès de l'esprit humain sur plusieurs points importans. Tout le
monde sait que l'auatomie et la physiologie sont les deux premiers
chapitres dune bonne philosophie.
Vers le milieu du siècle dernier, Tissot fit, sur la santé des gens
de lettres , un traite' qui eut beaucoup de vogue, que tout le monde
connaît, mais qu'on ne lit plus aujourd'hui, quoiqu'il contienne
d'excellens préceptes d hygiène. L'ouvrage de M. Panse est basé sur
les mêmes principes , mais il lui est bien supe'rieur par le style ,
les recherches dont il est parsemé, et la connaissance qu'il suppose
dans l^auteur de tous les progrès que les sciences me'dicales ont faits
depuis cette e'poque.
DES HOMMES LIVRÉS AUX TRAVAUX DE l'eSPRIT. 527
La première partie contient im excellent traite' de physiologie ,
la deuxième traite de la physiologie pathologique, et la dernière de
l'hygiène la mieux appropriée aux personnes qui s'adonnent aux
travaux de l'esprit.
PREMIÈRE PARTIE.
L'auteur commence par tracer les principaux phénomènes de la
vie : (( Ainsi chaque organe est fait pour soi , ayant en lui tout ce
» qui le complète; il a sa loi, ses conditions, son mode à part
» d'existence, et pourtant la raison de chaque partie n'est que dans
n le tout ; il y a la vie de la mole'cule , la vie de l'organe et la vie de
» l'animal, ou plutôt il y a mille existences et il n'y a qu'une seule
» vie ; admirable faisceau que l'étroite union des parties enlr'elles
» forme dès la fondation du germe ! Aussi , pe'nétrés de cette idée,
» les anciens philosophes regardaient-ils le corps humain comme
» la plus frappante image de l'univers , où tout se lie à tout dans
)) l'espace et dans le leuips ; qui ne reconnaît ici Vunum et Vomnia
» des anciens pythagoriciens, Dieu est un et toute chose. »
M. Reveillé-Parise, il faut bien le dire, évite avec soin, dans
tout son ouvrage, de s'expliquer sur les différentes questions qui
pourraient faire soupçonner ses croyances, et celte réserve doit
faire un peu tenir en garde le lecteur qui verrait dans cette der-
nière citation un panthe'isme bien prononcé , si M. Parisc rappli-
quait au système général de l'univers ; j'aime mieux croire qu'il n'a
eu en vue que l'organisation du corps humain.
L'auteur passe aux modes principaux de manifestation de la vie;
il définit ensuite les lois les plus générales de la sensibilité , de la
contractibilite' ou de la puissance musculaire, et décrit, ainsi qu'il
suit, la loi fondamentale du tempérament des personnes livrées aux
travaux de l'esprit : « D'un côté , disposition nerveuse originelle
» puis excès d'action; enfin, prédominance extrême du système
)) nerveux; de l'autre, diminution graduelle et presqu'absolue de la
» contractibilite. » M. Parise assure que telle est la condition or-
ganico-vitale , le caractère dominant de ce tempe'ramcnt qui se re-
trouve partout , et dont son ouvrage n'est que le déveloi)pement et
l'application. Suivant Galien, Plutarque, tous les physiologues an-
528 PHYSIOLOGIE ET HYGIENE
ciens et modernes, lorsque le système nerveux a beaucoup d'activité,
le système osso-musculaire acquiert peu de développement ; ou, ce
qui revient au même , les gens secs et grêles sont seuls capables
des travaux de l'esprit; les gens robustes, gras et frais, ne sont
bons qu'à faire de la chair et du sang. Heureusement pour ces der-
niers, Platon, Buffou, Le'onard de Vinci, le maréchal de Saxe,
Mirabeau, Joignaient à beaucoup d'esprit, comme chacun sait, des
épaules carrées et une grande vigueur de constitution. L'auteur, en
citant ces exemples, veut bien reconnaître qu'il existe en effet quel-
ques exceptions au système de Galien , mais il assure qu'elles sont
très-rares , et qu'on trouve bien rarement une heureuse coïncidence
d'un grand développement dans les deux systèmes a la fois. Il exa-
mine ensuite les effets de la loi citée plus haut sur le physique ,
l'intelligence en général, les actes de l'intelligence en particulier,
enfin sur le caractère et les habitudes. « A raison de son intelligence,
« l'homme se prétend supérieur aux animaux, il a la conscience de
» ce sentiment, il en a l'orgueil; or, quand cette intelligence ac-
» quiert un surcroît d'étendue, ce sentiment augmente nécessaire-
» ment et dans les mêmes proportions ; cela doit être , et cela est
» en effet Alexandre se fit le Bacchus de l'Inde ; on trouve à
» la fois dans ma famille, disait César, la sainteté des rois qui sont
)) les maîtres des hommes, et la majesté des dieux qui sont les
3» maîtres des rois.... Quand la fortune eut comblé Napoléon de ses
» faveurs , il prit le titre fastueux de Xliomme du desùn. »
Le lecteur doit lire dans l'ouvrage même toutes les conséquences
que l'auteur tire de cette loi. Le désir excessif de louange et de cé-
lébrité, l'irascibilité qu'éprouvent les gens d'esprit lorsqu'un désap-
pointement prend la place d'un succès; la misanthropie, la sauva-
gerie , les boutades qu'on reproche à des hommes du plus grand
mérite, en sont les principales; mais je ne puis être d'accord avec
lui sur la mobilité qu'il attribue aux personnes douées d'une ima-
gination vive, surtout exprimée d'une manière aussi absolue : « Je
» le répète , un phénomène extraordinaire serait de voir une sen-
» sibilité exquise et une placidité d'âme inaltérable : Socrate seul
)) peut-être en a donné l'exemple au monde ; mais rappelons-nous
» les constans efforts qu'il fit pour se vaincre : alors faut-il seîon-
»> ner que Socrate fut déclaré par l'oracle le plus sage des hom-
DES HOMMES LIVRES AUX TRAVAUX DE l'eSPRIT . 529
» mes. » Que la plupart des gens du monde éprouvent cette alter-
native , je le conçois ; mais pourquoi ne citer que l'exemple de
Socrate , lorsque tant de génies chrétiens anciens et modernes ont
donne au monde l'exemple d'une égalité admirable dans leur con-
duite, leurs opinions et leurs systèmes?
M. Parise fait, dans le chapitre X , de nouvelles applications des
principes précédens ; il avoue qu'il existe des hommes de lettres
dont les principes et la foi politique ou religieuse est inébranlable;
mais aussi il assigne une large part au re'giment des girouettes, et
fait ressortir avec beaucoup d'esprit les inconséquences des philo-
sophes , des poètes et des littérateurs. On verra avec plaisir la dé-
finition du génie : « Rien donc de plus démontré que cette vérité;
Il le génie , c'est-à-dire l'esprit humain élevé à la plus haute puis-
» sance, se compose de facultés opposées, mais qui se combinent
» admirablement; c'est Tharmonie des contraires; une organisation
)) mobile, irritable, du saug-froid et del'à-plomb; une sensibilité'
» exquise toujours excite'e, toujours active, puis une raison me'-
» thodique et positive; de l'exaltation et de la précision, de l'ar-
» deur et de la perse've'ranee; la patience de concevoir et la patience
» d'exécuter : c'est précisément cet ensemble si rare, si précieux,
» si difficile à obtenir, qui donne au génie une force inconnue,
» irre'sistible quand il apparaît. Muse ou démon, être immatériel
» ou simple mode de vitalité, il y a un je ne sais quoi diuconce-
» vable, de surnaturel, quelque chose d'humain et de ce'leste qui
» le place tout d'abord au sommet de la civilisation , et lui donne
)) l'empire du monde. »
Dans les chapitres suivans , l'auteur fait connaître les variétés c^
les dilTe'rences organiques que produit la constitution nerveuse; il
assure que ces différentes organisations influent d'une manière in-
contestable sur les mœurs et sur les habitudes. « D'après Gall , ces
» manifestations procèdent uniquement du cerveau ; mais selon le
» plus grand nombre de physiologistes , tout en faisant une large
» part à l'action cérébrale , l'instinct et les passions se lient prin-
» cipalement à l'ensemble du système nerveux ganglionnaire, aux
» excitations viscérales.... Gall a très-bien exposé l'influence géné-
» raie du cerveau sur le moral; il a présenté sur cet important
» appareil les vues les plus lumineuses ; mais quand il veut assigner
T. X. 37
530 PHYSIOLOGIE ET UYGIÈNE
» les limites de chaque sens en particulier , circonscrire nos facul-
» tés, parquer nos affections, dire là est le bon sens, ici est la
» folie, voilà l'organe de l'ambition, voilà l'organe de l'humilité,
» etc. , il se perd dans un labyrinthe de conjectures que les faits
» abandonnent, que l'expérience dément, » Dans les chapitres sui-
vans , l'auteur nous fait connaître les principaux agcns de l'élément
nerveux, qui se divise en deux divisions principales, l'appareil
nerveux ganglionnaire ou viscéral, et l'appareil cérébro-spinal. Les
physiologistes, à l'exception de Gall, ont placé les affections et les
passions dans le système viscéral , qui reçoit les impressions du
cerveau, et sur lequel il réagit à son tour. Enfin, dans les der-
niers chapitres , il discute les rapports du cerveau avec la capacité
intellectuelle , et fait connaître les données les plus remarquables
que la science possède sur ce sujet; je les transcrirai ici textuelle-
ment. « I''*' donnée. Le cerveau ou appareil encéphalique est l'in-
» trument de la pensée ; 2° l'appareil nerveux encéphalique est tout
Il à la fois actif et passif; 3' les variétés de forme et de structure
1» du cerveau correspondent aux divers degrés de capacité intellec-
1) tuelle; 4° l'homme a le cerveau le plus vaste et la face la plus
)> courte de tous les animaux ; 5° la sphère du cerveau peut déter-
11 miner jusqu'à un certain point la sphère de l'intelligence; 6' la
» perfection de structure cérébrale doit coïncider avec le volume de
i> l'organe. » A l'appui des observations dont chaque donnée est
suivie , et qu'il faut lire dans son ouvrage , l'auteur donne la des-
cription des têtes de Pascal , Voltaire , Jean- Jacques , Napoléon ,
Byron , Gall et Cuvier ; il avoue néanmoins que l'action de l'organe,
et ses rapports entre cette forme cérébrale et cette activité de fa-
cultés mentales , est encore inconnue , et que la nature a jeté un
voile épais sur cet important secret. « Acceptons, dit-il, la nature
»> humaine telle qu'elle est ; les lois de l'organisation sont l'ordre
» de Dieu ; sauf les cas de folie ou de maladie , l'instrument est
» toujours à la disposition de la puissance de l'homme; ii y a sub-
)) ordination de l'organe au moi recteur de la volonté. »
M. Parise considère ensuite la fonction elle-même de l'appareil
encéphalique , et la sphère d'activité depuis l'attention la plus légère
jusqu'à l'extase contemplative , véritable simplification de l'âme se-
lon Plotin. On lit avec intérêt les détails dans lesquels il entre sur
DES HOMMES LIVKÉS AUX TRAVAUX DE l'eSPRIT. 531
les effets produits par les différens degrés de tension de l'esprit ,
l'accablement auquel sont sujettes les personnes qui poussent à l'ex-
trême la force pensante , et qui finissent par compromettre la santé
et amènent les accidens les plus fâcheux ; il fait connaître ensuite
les avantages du tempérament avec prépondérance nerveuse, les
maladies qui en sont la suite ordinaire, les inconvéniens , et finit
cette première partie par des considérations sur ce mot d'Aristote,
que la plupart des hommes célèbi'es sont atteints de mélancolie. Il
attribue avec juste raison la prédisposition à cette maladie, aux
travaux et aux efforts d'esprit qu'ils sont obligés de faire pour par-
venir à la célébrité , et surmonter les obstacles qu'ils rencontrent
dans le monde de la part des hommes et des choses. Les bornes de
cet article ne me permettent pas d'entrer dans de plus amples dé-
tails, et me forcent à passer immédiatement à la seconde partie.
DEUX1È3IE PARTIE PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE.
D'après les principes exposés dans la première partie , on entend
bien que l'auteur attribue l'origine des affections pathologiques, si
fréquentes chez les hommes qui exercent outre mesure les forces
de l'esprit , àtine irritabilité qui ébranle à chaque moment l'écono-
mie , à la diminution progressive de la contractibiUté, et à l'inégalité
de la distribution des forces vitales ; à ces causes il faut joindre
la vie trop se'dentaire , le défaut d'air pur et renouvelé, les veilles pro-
longées et répe'te'esjla position dans le travail , la rétention des urines
et des matières fécales , les erreurs de régime , la solitude et les
habitudes bizarres. Après avoir développé Pinfluence de toutes ces
causes, M. Parise examine les organes les plus spécialement affectés
par les travaux de l'esprit. Il place au premier rang le cerveau et
ses dépendances; plus cet appareil a de supre'matie sur l'e'conomie,
plus il entraîne de dangers lorsqu'il est activé outre mesure , et s'il
est la source du bonheur pour les hommes qui ne vivent que de
la pensée, il est aussi l'origine des maux auxquels ils sont exposés;
car l'un des effets de la tension continuelle du cerveau est d'affaiblir
les autres organes qui se trouvent le plus sous sa dépendance, en
les privant de l'influx nerveux nécessaire à leur action. Aussi le
système digestif est-il le premier affecté chez les hommes de cabi-
net f ensuite le foie , et après le foie le système urinaire.
37.
532 PHYSIOLOGIE ET HYOlÈWE
L'auteur décrit ensuite les principales maladies des gens de let-
tres. D'abord les alTections du cerveau, qui toutes sont rapides,
toutes ne sont déterminées qu'à la longue ; il énumère tous les gens
d'esprit morts d'apoplexie. « Une petite atteinte de cette maladie
» peut s'appeler, suivant Ménage, un brevet de retenue de mort;
)> Napoléon, qui la craignait, demandait un jour à Corvisard quel-
» ques idées positives sur cette maladie. « Sire , lui repondit le
)) médecin, l'apoplexie est toujours dangereuse, mais elle a des
5) symptômes avant-coureurs; il est rare que la nature frappe sans
» avertir d avance ; une première attaque est une sommation sans
)) frais , la seconde une sommation avec frais , mais la troisième
1» est une prise de corps. » Corvisard lui-même donna une cruelle
» preuve de la ve'ritë de son assertion. » Plus l'action vitale est forte
dans l'encéphale, plus l'appareil digestif se trouve affaibli, et par
suite arrivent l'inflammation du foie et de l'estomac , l'ictère , la
gastralgie , les coliques nerveuses , les alTections cancéreuses et la
constipation. Suivant l'auteur, les calculs des reins et de la vessie,
le catharrhe chronique, sont l'apanage le plus ordinaire de la plu-
part des savans, et ces maladies, en maintenant l'économie dans
un état habituel d'irritabilité, contribuent à la misanthropie, qui
conduit par une pente insensible à l'hypochondrie. La mélancolie
se caractérise presque toujours par une idée fixe qui s'empare de
l'âme , et cette affection , portée à quelques degre's de plus , et à ce
point où il y a dissonnance entre les perceptions internes et les
rapports extérieurs, dégénère en monomanie. C'est ainsi que Pascal
voyait toujours un abîme à ses côtés , et que le Tasse entendait des
voix qui lui traduisaient ses propres pense'es. M. Parise traite en-
suite de la marche des maladies chez les gens de lettres, et réduit
à trois principales les circonstances particulières importantes à con-
naître dans leur traitement; i° les accidens nerveux, 2° l'irre'gu-
laritc des symptômes , 3° la rapidité des sympathies. Il passe en-
suite aux principes généraux de traitement. Il ne pre'tend pas fournir
aux yeux du monde les moyens de se traiter soi-même, son opinion
est que toute maladie doit être traite'e par un médecin ; mais il
donne des préceptes dont la généralité' s'applique aux affections pa-
thologiques des hommes livre's aux travaux de l'esprit , et comme
leurs maladies proviennent presque toujours d'une sur-activité du
DES HOMMES LIVRES AUX TRAVAUX DE l'i SPRIT. 533
système nerveux , il pense qu'il faut procéder autant que possible
par la méthode sédative, et qu'à cause de la tendance des malades
aux agitations nerveuses , il ne faut employer les stimulans qu'avec
une -extrême réserve. Il assure avoir guéri des savans par un régime
approprié à leur tempérament ; des délabremens d'estomac et de
poitrine par le lait donné sous toutes les formes, des affections bi-
lieuses par l'usage des fruits et du vin blanc coupé d'eau , bu à pro-
fusion, quelquefois même par l'usage soutenu des huîtres; le spleen
par le galop toute la journée et le Champagne le soir. 11 recom-
mande l'exercice , l'air pur , les bains , et ne veut l'emploi de la
saignée qu'avec une extrême circonspection. Cette réserve sur la
saignée m'a fort émerveillé, accoutumé que je suis a voir de jeunes
praticiens faire un étrange abus de la saignée et des sangsues ; je
demandais à l'un d'eux, qui ne manquait ni d'esprit ni d instruc-
tion , que feriez-vous , si l'ou ne pouvait se procurer de sangsues?
j'abandonnerais la me'dccine , me repondit-il sans hésiter. Peut-on
pousser plus loin le fanatisme?
En général « la the'rapeutique morale est pour les gens de let-
» très, pour les artistes et les savans, celle qui convient par ex-
)) cellence; chez eux, tout part de l'imagination, tout émane de
» ce foyer de conflagration ; dirigez bien le conducteur^ et vous
» obtiendrez de merveilleux effets. » L'auteur finit cette seconde
partie par un dernier chapitre sur les rapports des médecins avec
les gens de lettres. Je crois comme lui que, si les médecins étaient
assez lie's avec leurs malades pour connaître leurs peines morales,
s'ils lisaient dans leurs plus secrètes pensées , ils auraient bien plus
de moyens curatifs auprès d'eux. Mais , pour que cet épanchement
ait lieu , il faut avoir son médecin pour ami. « Si le hasard , 1 oc-
11 casiou, votre heureuse étoile, vous donnent un médecin non-
» seulement habile, mais un ami compatissant , empressé, qui sym-
» pathise avec les souffrances de ceux qui se confient en lui ,
)> confiez-vous sans réserve à ce bienfaisant mortel..., nul ne saura
i> mieux calmer vos angoisses du corps et de l'àme, parce que nul
» n'en connaît mieux la source, m Oh ! sans doute ce serait un
trésor qu'un me'decin pareil, non-seulement pour les savans, mais
encore pour toutes les gens du monde; car , parcourez l'échelle so-
ciale, et dites-moi si vous trouvez un homme d'un caractère un
534 PHYSIOLOGIE ET HYGIENE
peu élevé, qui n'ait des chagrins plus ou moins cuisans provenant
de l'esprit ou du cœur ? Si le physique influe sur le moral , les
peines de ce dernier influent à leur tour sur le physique , et sont
bien souvent la cause dominante d'un grand nombre de maladies.
TROISIÈME PARTIE. HYGIENE.
J'arrive enfin à la troisième partie. L'auteur blâme d'abord les
médecins qui veulent qu'aussitôt que la santé se trouve menacée ,
on renonce absolument aux travaux de l'intelligence ; ce n'est pas
là, dit-il, résoudre la question, mais bien la briser; il ne croit
pas que ce conseil soit facile à exécuter par la plupart des malades,
et il établit ainsi qu'il suit le problème dont les médecins doivent
chercher la solution : « étant doDné un tempérament avec pré-
» dominance extrême du système nerveux, et l'individu se livrant
» aux travaux de l'esprit, indiquer par quels moyens hygiéniques
» ces travaux compromettent le moins possible la vie et la santé.»
Il est évident que, comme la solution de ce problème dépend de
la mesure des forces et de l'appréciation de la nature des choses
sur lesquelles doit s'exercer la puissance organique , elle est très-
difficile à obtenir, à cause des obstacles qu'on rencontre dans la
volonté des malades; car beaucoup de gens d'esprit et de jugement
ne veulent jamais comprendre la nécessité d'agir avec méthode et
persévérance; ils attendent que le mal ait fait d'effrayans progrès,
et quoique bien supérieurs à la plupart des hommes , ils ressem-
blent souvent à des enfans mutinés contre la nature ; quelques
autres donnent dans un excès opposé, en soignant leur santé avec
une excessive minutie ; mais le plus petit nombre est bien certai-
nement ceux qui agissent d'une manière rationnelle. A tous ces
obstacles, il faut ajouter la position dans le monde, et si Ion con-
sidère des hommes de lettres ou des artistes dans une condition
inférieure , on trouve que ces obstacles se multiplient par l'obli-
gation de fournir aux besoins de la vie, à l'existence d'une famille,
et la nécessité de remplir les devoirs des emplois dont on est
chargé. Outre l'impossibilité qui souvent se rencontre de faire ces-
ser les travaux de l'esprit , il faut encore considérer l'habitude
que certains hommes ont pnsc de lire , penser , méditer ou écrire,
DES HOMMES LIVRES AUX TRAVAUX DE l'eSPRIT. 535
qui souvent a dégénéré chez eux en un irrésistible besoin 5 il se-
rait dangereux de les sevrer tout-à-coup de ce qui fait leur bon-
heur. « Pe'Uarque , fatigué par d'opiniâtres études , se plaignait
» de sa santé devant l'évèque de Cavaillon ; celui-ci en pénétra
» facilement les motifs, et lui demanda la clef de son cabinet pour
» quelque temps 3 Pétrarque y consentit ; mais le poète , malgré
» tous ses efforts , ne put y résister que trois jours : Rendez-moi
)) la clef de mon cabinet , dit-il à son ami , ou je tombe mort à
» vos pieds. » Après ces considérations, l'auteur trouve le meilleur
moyen de vaincre tous ces obstacles dans l'étude du tempérament
de chaque malade et dans la connaissance des modifications qu'il
a éprouvées ou qu'il peut éprouver encore ; il cite comme l'abrégé
de l'hygiène , ce passage de Cicéron : « V^aletudo sustentatur no-
» titiâ sui corporis et observatione quœ res aut prodesse soleant
» aut obesse postremo arte eorum quorum ad scientiam hœc
» pertinent (i). » Mais , pour étudier un tempérament , il pose
pour règle générale d'examiner l'habitude extérieure, les fonctions
de la nutrition , l'action des poumons , l'action circulatoire , les
fonctions de relation , les organes en particulier , les maladies ,
l'hérédité , les habitudes acquises , enfin l'influence du moral sur
le physique. Il fait connaître, par des exemples frappans, la puis-
sauce d'une bonne méthode d'hygiène. Newton , qui était né faible
et délicat, vécut jusqu'à 85 ans, exempt d'infirmités, malgré ses
hautes facultés et ses immenses études , et il dut cet avantage à
un régime simple et sévère. Fontenelle , qui fut homme du monde
et homme de lettres , a beaucoup écrit ; doué d'une complexion
faible, d'une poitrine délicate, il vécut un .siècle, grâces à sa tem-
pérance et à sa sobriété; Auguste, Kant et beaucoup d'autres, ont
prolongé leur existence par l'effet d'une vie sobre et bien réglée.
M. Parise, dans son chapitre intitulé Philosophie de l'Hygiène ,
nous fait connaître les agens modificateurs de l'économie , les ré-
(i) La santé se conserve par la connaissance que l'on acquiert de son
corps, et l'observation de ce qui a coutume de lui nuire ou de lui être
utile.... Ensuite par les soins de ceux qui ont fait tic ces choses l'objet
de leur science. De qfjiciis , lib. n , p. 86.
536 PHYSIOLOGIE ET HYGIENE
sultats généraux de leurs actions , et pose les bases fondamentales
de l'hygiène dans treize théorèmes qu'il serait trop long do répéter
ici; il cherche quelle est l'action de l'atmosphère, du climat, de
l'électricité, du régime alimentaire, des bains, des soins de pro-
preté, des vêtemens, du sommeil et de la veille, de l'exercice et
du repos , des sécrétions et des excrétions , enfin des affections et
des passions. Il pose eu principe qu'un climat doux et tempéré,
un air pur, un régime sobre et uniforme, sont les premières con-
ditions pour se bien porter : << Le calcul en a été fait, un homme
» opulent et enclin à la bonne chère prend 4o fois plus d'aliment
» qu il n'en a rigoureusement besoin ; il faut donc apaiser la faim ,
n ne jamais l'irriter , ne jamais confondre l'appétit du palais avec
» celui de l'estomac ; enfin , faire un choix d'alimens convenables
n à son estomac, n II défend le café, qui tue en caressant; mais,
en revanche, il est très-partisan du chocolat; il recommande sur-
tout la coutiuence et la chasteté : « Quibus neri^i dolent , semper
)) J^enuft iniinica , disait Celse , il y a 1800 ans. Mais ce danger
» s'accroît encore lorsque ces mêmes individus se livrent avec ar-
)) deur aux travaux de lintelligence , et ce n'est pas sans raison
» que les anciens faisaient les muses chastes et sobres ; on doit
)) donc les imiter , ou renoncer à leurs faveurs. »
Avec ces soins, un exercice convenable, beaucoup de modéra-
tion dans les travaux du cabinet , on peut espérer d'obtenir une
santé soutenue , surtout si l'on parvient à ne pas laisser prendre
trop d'empire aux affections et aux passions , dont l'influence sur
l'économie n'est que trop connue, influence que l'auteur décrit à
merveille dans une lettre à un magistrat , insérée à la fia du cha-
pitre VII ; je ne puis mempêcher d'en citer ici un passage : « A
)) toutes les époques de la science , les physiologistes ont considéré
» les passions comme de véritables maladies. Ce point de vue est
» fondé sur l'observation; dans toutes les passions, en effet, l'har-
» monie des actes vitaux a cessé d'exister ; il y a plus : que la
» passion soit le mobile des plus belles actions ou des plus cou-
» pables égaremens , elle ne peut avoir Heu sans uue sorte d'alié-
» nation temporaire, préjudiciable à l'organisme; car c'est la vio-
» Icnce de la passion , et non la direction morale , qui en fait le
» danger. Remarquez toutefois qu'il ne s'agit ici que de l'individu ,
DES HOMMES LIVRES AUX TRAVAUX DF l'esPRIT. 537
» et nullement de la socie'té : les passions funestes aux inte'rêts de
)) cette dernière , sont une sorte de guerre du moi d'un seul contre
» le moi de tous. Toujours est-il que le caractère de la passion
» reste le même, une perturbation extrême de l'économie, un trou-
» ble fatal à son bien-être , parce qu'il est toujours en dehors du
» cercle habituel de ses forces. »
Mais quel est le remède le plus efficace pour les dompter? M. Pa-
rise les trouve dans la modification organique , la force morale ,
enfin la nouvelle direction à imprimer aux ide'es , aux sentimens
et aux faculte's de l'intelligence. Pour moi , je pense qu'on les trou-
verait mieux dans les sentimens religieux , qui seuls peuvent leur
opposer une digue infranchissable.
Après avoir fait connaître la différence d'action des agens mo-
dificateurs de l'hygiène en raison des constitutions diverses , l'au-
teur examine l'ordre à établir dans le travail mental, sous le rapport
hygiénique. L'esprit ayant des phases de hauteur et d'abaissement,
il faut laisser jaillir le sentiment et la pensée dans les momens
d'exaltation ; mais lorsqu'on n'obtient plus rien de l'imagination ,
il faut quitter l'étude. Buffon s'enivrait de travail , mais il y re-
nonçait lorsqu'il sentait que le sang lui montait trop fortement à
la tête. — Beaucoup de gens de lettres emploient, pour aviver la
pensée , des stimulans physiques tels que le café , le vin , les li-
queurs, l'opium même; Turgot ne travaillait bien que lorsqu'il avait
dîné largement ; Pitt , lorsqu'il avait une affaire importante à dis-
cuter , buvait un peu de vin de Porto avec une cuillerée de quin-
quina ; un avocat célèbre de Londres se faisait appliquer un vesi-
catoire au bras toutes les fois qu'il avait une affaire intéressante à
plaider; tous ces excitans offrent beaucoup plus de danger que les
excitans moraux ; mais les uns et les autres occasionnent souvent
des accidens par l'excès d'excitation du cerveau, et alors il faut
par force avoir recours aux sédatifs. Malheureusement la médecine
est peu riche sous ce rapport, au moins pour l'efficacité des moyens;
les bains de pied, la promenade à l'air libre , les frictions d'e'thcr
sur les tempes , sont ceux qui re'ussissent le mieux , mais le repos
est le sédatif moral sur lequel on doit le plus compter.
On a beaucoup écrit sur la solitude ; mais pour qu'elle soit effi-
cace pour la santé , il faut , suivant M. Parise , se soucier peu de
538 PHYSIOLOGIE ET HYGîÈXE , ETC.
célébrité , avoir une imagination calme , et jouir d'une certaine
aisance: « Heureux le penseur philosophe qui consent à rester dans
» l'obscurité, qui ne désire et ne veut, dans le culte des muses ,
» d'autres charmes que ceux de l'étude et d'un loisir consacré aux
» jouissances intellectuelles. Sans illusion , sans regrets , sans mé-
)) comptes, il compensera les plaisirs douteux de la gloire par ceux
» de la "vie intime. Certes, celui-là peut bien demander au dieu
j) de la solitude un droit d'asile, un lieu secret oîx l'on demeure,
» où l'on vit , oii l'on oublie , oii l'on meurt. Dans cette libre et
)) douce possession de soi-même , non-seulement les plaisirs de l'es-
» prit sont toujours sans mélange d'amertume , mais la santé ob-
» tient toujours toutes les garanties possibles de durée. » Cependant
la solitude a aussi des dangers dans l'inaction , ou un travail ex-
cessif du cerveau.
Dans un dernier chapitre , l'auteur donne un aperçu des moyens
propres à rétablir une constitution épuisée. En général , c'est par
l'estomac que commence la détérioration vitale ; les digestions de-
venant pénibles et peu actives , le sang s'appauvrit , le malade
languit d'abord , et l'épuisement arrive ensuite , ainsi que tous les
maux qui s'en suivent. On doit, pour y remédier, chercher avec
soin la cause de cet état ; mais pour parvenir à la guérison , il est
indispensable de trouver chez le malade les trois conditions sui-
vantes : la volonté , le temps et la gradation. Ce n'est qu'en vertu
de la loi consensuelle des organes, qu'un plan d'hygiène bien conçu
peut rétablir l'harmonie des fonctions , mais cela n'a lieu que len-
tement. Autant que possible le régime alimentaire doit être préféré
à tout autre médicament ; l'air pur , les voyages , les eaux , les
bains de mer , produiront des effets merveilleux , pourvu qu'ils
soient accompagnés d'un calme entier du système nerveux.
Tels sont en abrégé les principaux objets traités dans ce livre
remarquable. Pour en donner une juste idée, il eût fallu entrer
dans beaucoup de détails , et multiplier les citations , ce qui aurait
allongé cet article outre mesure ; mais j'espère en avoir assez dit
pour engager mes lecteurs à se procurer l'ouvrage , et je leur pro-
mets dans sa lecture autant de plaisir que d'instruction. — An-
nales de Phil. Chrét. , n° 53.
VW'V.^'X W^ W»WA'WVWWX^ VVVVVVV\'\i'VV\, VVVVV'VA/*'V\'\ V\"»AA/tlV\/%'VV\A/V»'VV\ V»/% V\A/VV\V
539
DES PRINCIPAUX HISTORIENS
DE ROME (l).
« Dans la paix et dans la guerre , les mœars e'taient d'une
extrême se've'rite : parlout l'union ; l'avarice inconnue 3 le juste
et le bon avaient de la force plus encore par la nature que par
les lois. Ils faisaient payer aux ennemis leurs querelles et leurs
discordes; mais avec les citoyens les citoyens ne luttaient que
de vertus. Ils e'taient magnifiques dans le culte des dieux , e'co-
nomes au foyer domestique , fidèles à leurs amis. Par ces qua-
lite's et par leur audace ils servaient a la fois leur cause et
celle de la re'publique ; la paix naissait de la justice. »
Tel est le tableau que Salluste trace des aïeux de ces Romains
corrompus , parmi lesquels s'est e'coule'e sa jeunesse, et dont
s'il faut croire les biograpbes , il avait partage' les souillures.
Il est curieux de mettre en regard les ligres du même bisto-
rien sur ses contemporains.
« Quand ils commencèrent à honorer la ricbesse , quand la
gloire, le commandement, le pouvoir la suivirent, on rougit
de la vertu , on eut bonté de la pauvreté' , l'innocence fut trai-
te'e de factieuse. Avec l'or, la luxure, l'avarice et l'orgueil s'em-
parèrent de la jeunesse. !>
Au milieu de tontes ces corruptions , un homme se fit re-
marquer par ses de'bauches, ses crimes, et par l'audace de son
caractère. Cati'lna domina toutes ces têtes ride'es par le vice,
il agita la grande cite' en remuant toutes les basses passions de
la populace. Ce fut un factieux digne de poser devant le som-
bre peintre dont nous allons examiner l'oeuvre. Sallnste avait
e'te' dès vingt ans mêle' aux bommes politiques de son e'poque.
Il avait connu Gatilina, Cc'sar , Crassus, Cice'ron , Clodius. Son
ambition froisse'e l'avait rejeté' dans la solitude , et là , fatigue
(i) liewue Euro/KJciine , iv 38.
540 DES PRIXCIPAUX HISTORIEES
des âpres voluple's de sa première jeunesse , et de toutes les
folles intrigues de la politique, il se fit austère , au moins dans
ses e'crlts , et raconta ses souvenirs aux hommes.
Il n'y a pas de peintre plus e'nei'gique que Salluste; Tacite
est encore plus profond peut-être , mais ses tableaux n'ont pas
plus de coloris et de relief. Il affectionne surtout le portrait;
au de'but de son livre il esquisse ainsi celui de l'homme qui
est la première figure de sa composition.
(( Lucins Catilina , d'une naissance noble , fut doue' d'une
grande force d'àme et de corps , mais d'un ge'nie me'cliant et
de'prave'. Dès son adolescence ses plaisirs furent la guerre in-
testine, les meurtres, les rapines, la discorde civile. Voilà les
exercices de sa jeunesse. Son corps supportait à un degré' in-
croyable la faim, le froid, les veilles. Esprit audacieux, ruse',
mobile, feignant et dissimulant tontes choses, ambitieux de
ce qui n'e'talt pas à lui, prodigue du sien , ardent au pLiisir^
assez e'ioquent , quoique peu instruit. Son imagination vaste
appelait des choses sans bornes, incroyables, toujours trop
hautes. »
Tel e'tait cet homme qui avait rempli la ville du bruit de
ses criminelles amours avec une vestale et avec tant d'autres
femmes nobles! Voilà ce he'ros qui voulait, disait-il, combattre
pour les inte'rêts du peuple ! De nos jours on s'est pris d'une
beile passion pour détruire l'histoire. Après avoir doute', quel-
quefois avec raison, d'une foule de faits historiques, qui avaient
été' crus jusqu'alors sans difficulté', il a fallu leur substituer
d'autres faits, ou du moins en changer la nature ou le but.
Par exemple , un e'crivain demandait il y a peu de temps quel
e'tait le but de la conjuration de Catilijia, qui, disait-il, ne
de'plaisait pas à Ce'sar; voudrait-on par hasard ennoblir cette
guerre de tous les vices de Rome contre ses vertus ? Le but de
la conjuration de Catilina e'tait l'ambition de son chef. Et com-
bien compte-t on d'hommes politiques conduits par une autre
passion? Elle ne de'plaisait pas à Ce'sar, parce qu'il avait son
chemin à faire. Est-il quelqu'un qui doute de l'ambition de
Ce'sar ?
« Dans une cite' si grande et si corrompue, Catilina ( et ceci
DE ROME. 541
était très-facile) avait pour gardes-da-corps des bandes d'hom-
mes infâmes et charge's de crimes. Car tout impudique ou adul-
tère qui avait dissipé son patrimoine dans les mauvais lieux ;
livre' aux appe'tits grossiers des de'bauches de tontes sortes ,
celui qui avait vole l'or d'autrni pour en racheter sa honte et
sesforfoits, les parricides, les sacrile'ges, les hommes couverts
de condamnations , on les redoutant , ceux que leur main ou
leur langue nourrissaient par le parjure ou le sang des citoyens ,
tous ceux enfin que la honte, le besoin, ou la conscience tour-
mentaient , ceux-là e'taient les proches et les familiers de Ca-
tilina. »
Il serait en ve'rile' difficile d'assigner un but noble à ces amas
d'opprobres. Salluste avait passe' par le tribunat ; chasse' da
se'nat sous le pre'texte du retentissement de ses aventures ga-
lantes, il avait trente ans environ lorsqu'il entreprit de racon-
ter cette conjuration de Catilina , dont il avait connu les prin-
cijDaux acteurs. Ami de Ge'sar, comme Thucydide l'avait e'té
de Pe'riclès , il avait pu scruter à loisir les passions des hommes
politiques. Son temps lui livrait une galerie de rares ce'le'brite's.
D'abord, avant tout, Ce'sar , riiomme e'tonnant de son siècle,
l'homme le plus complet de l'histoire peut-être, mais sali par
des vices honteux ; Caton , extrême en ces vertus qui peuvent
conduire au crime; l'avide et millionnaire Crassus; Catilina,
tout audace et infamie ; enfin Cicéron , orateur souvent ver-
beux sans doute, et qu'il est presque de bon ton de de'crier
aujourd'hui , mais qui de'livra Rome de ses ennemis , et res-
tera un des esprits les plus e'tendus et les plus subtils de l'an-
tiquité'.
Ce re'cit de la conjuration est un chef-d'œuvre. Salluste suit
pas à pas toutes les phases de cette dramatique histoire ; il peint
chaque homme, sonde les replis de son cœur , de'voile ses pen-
se'es , ses ambitions, ses de'sordres. S'il rencontre sur son che-
min quelque femme qui ait eu de l'influence sur les affaires de
son temps, il esquisse sa vie avec cette liberté' qu'a surpasse'e
depuis notre Brantôme. Salluste n'est point un historien à illu-
sions, un de ces peintres qui vous jettent dans l'admiration des
re'publiques antiques, et faussent ainsi les ide'es de la jeunesse.
542
DES PRINCIPAUX HISTORIENS
Vivant dans une société corrompue, corrompu Ini-mêrae, il fait
surtout ressortir de ses tableaux cette ve'rité triste et profonde ,
que presque toujours les hommes politiques n'agissent que par
e'goïsme , couvrant leurs passions cupides des mots retentis-
sans de patrie ou de liberté. Cet homme voyait le fond des cho-
ses ; il n'admirait pas beaucoup plus le peuple que ses maîtres.
Lorsque les conjure's furent vaincus , il peint ainsi l'effet produit
dans ia cite' :
<t Cependant la conjuration de'couverte, le peuple, qui d'a-
bord s'e'tait montre' amoureux des choses nouvelles , et chaud
partisan de la guerre, se prit h exe'crer les desseins de Catilina ,
et à e'iever Cice'ron au ciel; et, comme s'il e'chappait à la ser-
vitude, il se répandait en joies et en plaisirs. »
Je sais un gré infini à Salluste d'avoir enfermé son œuvre
en soixante petites pages. Elles contiennent plus de science his-
torique , d'expérience des hommes , de pensées fortes, de pein-
tures énergiques et habilement dessinées, qu'une ibule d'his-
toires en plusieurs volumes, et qui jouissent de l'estime. Ce
que j'abhorre surtout, dans les lettres, c'est le bavardage , et,
il faut le dire , jamais époque ne s'est plus laissé entraîner que
la nôtre à cette misérable manie.
César fit rentrer Salluste dans l'ordre des sénateurs , et lui
donna le gouvernement de la Numidie, où il amassa d'immen-
ses richesses par les injustices les plus criantes. C'est cet homme
qui parla avec tant d'indignation contre l'avarice et la cupidité.
Salluste revint à Rome , et s'amusa à étonner les Romains
par son luxe oriental. Il bâtit sur le mont Quirinal un palais
splendide, et l'entoura de magnifiques jardins; Rome entière
se rendit long temps sous leurs ombrages , oîi se rencontraient
les chefs-d'œuvre de la sculpture grecque. Cependant, au sein
de la mollesse et des plaisirs, il était assailli de ses souvenirs
d'Afrique : la terre d'Annibal , si étrange à peindre, les vicis-
situdes si variées de cette terrible guerre contre Jugnrtha,
dans laquelle avaient combattu plusieurs hommes qui occupent
une place immense dans les annales de Rome, enfin le loisir
qui allonge tant les jours , tout engageait le peintre de Catilina
à reprendre la plume.
DE RoaiE. 543
Il commence son livre de Jugurllia par quelques pages phi-
losophiques , où il se prend a vanter l'âme au préjudice du
corps. Cet homme, plonge' dans le délire sensuel, semhle se
débarrasser de ses attaches puissantes. Peut-être n'était-ce qu'un
de ces amers instans de dégoût qui saisissent l'homme endormi
dans les voluptés , qu'une de ces lueurs qui apparaissent aux
plus aveugles , pour s'évanouir aussitôt au souffle abrutissant
des habitudes grossières. Il appelle l'âme incorruptible, éter-
nelle, reine du genre humain. 11 gémit de voir admirer la dé-
pravation de ceux qui, livrés aux plaisirs du corps, passent
leur vie dans le luxe et la paresse.
La satiété était venue pour Salluste ; non-seulement celle des
plaisirs, mais celle de l'ambition et du pouvoir. Il est mécon-
tent des hommes et des choses. «Véritablement, dit-il, je ne
vois pas que la magistrature et la puissance , que tout soin des
choses publiques soient maintenant désirables; car ce n'est pas
à la vertu qu'on rend hommage. »
Après ce préambule d'homme désabusé , position excellente
pour écrire l'histoire, Salluste entre en matière. Il raconte cette
guerre, parce qu'elle fut fière et grande, et parce que là com-
mença la lutte des plébéiens contre la noblesse. On reconnaît
au portrait qu'il nous trace de Jngurtha , au début de son li-
vre, les habitudes du peintre de Catilina. Un grand écrivain
moderne eût tiré plus de parti des descriptions de l'Afrique
et des souffrances des armées dans ses déserts. Les anciens crai-
gnaient de consacrer trop de pages à ces peintures, ils étaient
sobres de mots. Convenons que presque toujours ils faisaient
bien ; cependant nous devons de si belles choses aux modernes
en ce genre , qu'il y aurait de l'ingratitude à ne les en pas
remercier. Il ne faut se fâcher que contre les imitateurs sans
génie.
En voyant les hommes de Rome sur cette terre d'Afrique,
on ne peut se garder de songer aux tristes destinées de cette
partie du monde que la civilisation a tant de peine à atteindre.
Il semble que les grandes époques et les grandes nations aient
senti quil y avait quelque chose à tenter sur ce sol, que Dieu
n'avait pas créé ce continent immense pour servir de demeure
544 DES PRINCIPAUX HISTORIENS
aax lions et aux tigres. Aussi avons-nous va flans le monde
antiqaç, comme dans le monde chre'tien, les esprits e'Jeve's
chercher à civiliser ces re'gions terribles; noble tâche que Dieu
re'serve peut être à la France du dix-neuvième siècle. L'Afrique
e'tait pour Rome une sorte de cliamp clos où elle envoyait la
foule d'hommes qui la gênait dans son sein. La allaient se for-
mer les capitaines qui revenaient saisir le pouvoir, appuje's
sur les noms acquis parmi les Barbares.
Nous nous inte'ressons beaucoup plus à la première compo-
sition de Salluste qu'à la seconde. Les diverses phases de la
guerre de Jugurtha , cette victoire qui vole si souvent d'un
camp à l'autre, occupent trop de place dans ce re'cit, très-cu-
rieux toutefois par la pre'cision avec laquelle il rend compte
de la manière de combattre des Romains et des Barbares; Ju-
gurtha n'est pas moins qu'Annibal un type de la ruse africaine.
L'historien, d'ailleurs, n'est pas toujours en Afrique; il revient
souvent au Forum pour initier le lecteur aux affaires intestines
de Rome pendant que ses le'gions se battent au-delà de la Me'-
diterrane'e. Un des passages les plus remarquables est celui ou
Salluste peint le départ de Mari us pour l'Afrique. .Sa harangue
au peuple est d'une e'nergie rare; on sent que l'historien y a
jeté' toutes ses passions de'mocratiques , on dirait avec plus de
raison ses passions de haine contre la noblesse; car, si jai bien
juge' Salluste, il n'aimait guère le peuple, et de'testait l'aristo-
cratie. Croit-on que ce Marins, ple'béien lui-même, aimât ce
peuple que sa parole e'iectrisait, et qui avait la bonté d'avoir
foi en lui? Chaque cadavre de plébéien, tombé dans le com-
bat, était un degré qui l'élevait vei'S le pouvoir; il ne prisait
pas autrement un homme. Voici quelques paroles mises par
Salluste dans la bouche hypocrite de l'ambitieux au moment
où il va quitter Rome :
« Mes phrases ne sont pas arrangées ; je parle peu. La vertu
se montre assez elle-même : ceux-là ont besoin d'artifices, qui
couvrent par leurs discours l'opprobre de leur vie. Je n'ai pas
e'tudié les lettres grecques, je les aime peu ; car elles n'ont pas
conduit les savans à la vertu. Mais je suis savant dans tout ce
qui peut être utile à la république : frapper les ennemis , veil-
DE ROME. 545
1er snr vos villes, ne rien craindre qae la honte, supporter
également l'e'te' et l'hiver, dormir sur la terre, unir la misère
et le travail Votre noblesse me'prise vos ancêtres, parce
qu'elle n'a pas leurs mœurs ; elle nous me'prise parce que nous
cherchons à marcher sur leurs traces. Elle vous demande tous
les honneurs , non parce qu'elle les me'rite , mais parce qu'ils
lui sont dus. Au reste , les plus orgueilleux errent au loin ; leurs
aïeux leur ont laisse' tout ce qui e'tait en leur pouvoir : de l'or ,
des portraits, un grand nom ; mais leur vertu, ils ne le pou-
vaient pas. Celle-là seule ne se donne pas. Ils disent que je suis
commun, et de mœurs incultes, parce que je ne m'entends
point à orner un rej^as; que je n'entretiens pas d'histrions, et
que mon cuisinier ne vaut pas mieux que celui d'un paysan.
J'aime à vous dire ces choses , Romains ! car j'ai appris de mon
père, et d'autres hommes ve'ne'rahles , que les frivohle's conve-
naient aux femmes et le travail aux hoinmes, et qu'aux gens
de bien la gloire importe plus que les richesses.... Eh bien!
qu'ils passent leur vieillesse , comme leur adolescence , livre's
à l'impudicite' et à la gourmandise; qu'ils laissent la sueur, la
poussière , et toutes les fatigues , à ceux qui les pre'fèrent à
l'orgie. Mais ils ne se bornent pas là; car lorsque ces hommes
ignobles se sont fait une couronne de leur turpitude , ils vous
arrachent le prix dû h l'honneur.... »
Du jour où un homme put prononcer un tel di.scours devant
les Romains asserable's , la cause patricienne fut perdue , et l'on
marcha rapidement à ce de'plorable e'tat de choses que nous
verrons sous l'empire, où le chef e'tait nomme' par une multi-
tude passionne'e et aveugle, situation tellement de'gradante pour
la reine du monde, que Montesquieu la comparait à la re'gence
d'Alger.
Marins, après des chances diverses, termina la guerre afri-
caine contre Jugurtha. Nous voyons paraître , à la fin du re'cit
de Salluste , un jeune homme qui , à peine arrive' au camp de
Marins, « de rude et ignorant de la guerre qu'il e'tait, devint
en peu de temps le plus habile de tous ; » ce jeune homme est
Sylla , celui qui doit relever pour un temps le pouvoir aristo-
T. X. 38
546 DES PRIirClPAUX HISTORIENS
cratique. Il amena Jagurtha enchaîne à Marius. Le Jour n'était
pas éloigne' où ce jeune homme devait chasser de Rome son
géne'ral vaincu , j'ai presque dit de'trône'. Horrible temps ,que
celui où les plus forts d'entre les Romains n'agissaient que pour
se de'truire ; où l'hypocrisie et l'e'goïsme tenaient lieu de ver-
tus. C'e'tait la fin d'une puissance inouïe dans l'histoire, c'e'tail
nn monde qui croulait 5 l'humanité' était en travail , elle allait
s'e'panonir hien autrement belle et florissante; mais n'antici-
pons pas.
On dit que Salluste avait, dans toute la maturité' de son
ge'nie, e'crit un autre livre. « Il reprenait les choses, dit M. Ler-
minier, depuis le commencement des inimitie's entre Marins
et Sylla à leur retour d'Afrique; il avait à raconter les luttes
terribles de ces deux hommes, les Gaulois, Mithridate , l'Asie,
les fortunes diverses du parti aristocratique et de'mocratique,
la mort de Marius , l'abdication de Sylla , la jeunesse de Pora-
pe'e , l'e'poque de ses prospe'rités, jusqu'à ce qu il rencontra Ca-
tilina, dont il avait e'crit l'histoire. »
Quelle perle, quand on soDge an sujet et à l'historien? On
n'a retrouve' que quelques courts fragmens de cet ouvrage.
Salluste fut certainement le créateur de l'histoire à Rome.
Son style est admirable par sa concision et sa profondeur au-
tant que par le pittoresque de sa phrase. Comme moraliste ,
il semble qu'il ait voulu racheter les scandaleux de'sordres de
sa vie prive'e par l'auste'rité de sa parole et le me'pris qu'il
jette à pleines mains sur la débauche et le'goïsme. Salluste fut
admirablement place' pour e'crire l'histoire : recevant les con-
fidences de Ce'sar, comme Thucydide, son modèle naturel,
recevait celles de Pe'riclès.
On sait très-peu de choses sur la vie de Tite-Live , qui suc-
ce'da à Salluste comme historien de Rome. Il naquit à Padoue,
d'une ancienne famille , sous le consulat de Pison et dp Gabinins ,
l'an de Rome 695. On ignore s'il fut ou non mêle' aux e've'ne-
mens politiques. Tout j)orte à croire cependant qu'il vécut
e'ioigne des affaires dans l'e'tude des lettres, e'crivant l'histoire
sur les mate'riaux qu'il se procurait avec un infatigable zèle.
Son Histoire romaine comprend depuis la fondation de Rome
DE ROME. 547
jusqu'à l'an 'ji^3. On rappox'te qu'il était admis dans le cercle
intime d'Auguste, et qu'il lisait son histoire au tjran. On peut
douter de cette assertion en voyant les éloges qu'il fait de Brutus
et de Cassios , en songeant à son enthousiasme pour Pompe'e.
Toutefois il est possible que l'ombrageux dominateur de Rome
se soit montre' indulgent pour l'illustre historien, et il v aurait
de la te'me'ritë à nier ce fait rapporte' par ses biographes. Peu
d'annales sont e'crites avec le talent qui distingue celles de
Tite-Live. Il joint à une remarquable e'ie'gance une clarté d'ex-
pression bien rare. Ses descriptions sont pittoresques , ses ha-
rangues e'Ioquentes. Il classe les faits avec beaucoup d'habileté';
c'est enfin un narrateur parfait, un homme de lettres juste-
ment illustre; mais, outre que ce genre d'histoire est peu ana-
lysable , il n'a pas une individualité' assez saillante pour qu'il
entre dans le plan de ces pages de nous y arrêter plus long-
temps. Nous ne ferons aussi que rappeler en passant l'historien
d'Alexandre, Quinte Curce, maigre' le charm'^ de son style et
rinte'rêt de son livre qui pourrait bien n'êt: 'une sorte de
roman historique. Nous estimons surtout en histoire les œuvres
conçues au milieu des tourmentes politiques par des hommes
ëclaire's à leurs sanglantes lueurs. Rien ne grandit plus un homme
que le contact des sommite's de son siècle ; c'est ce qui donne
tant de prix aux me'moires du plus grand capitaine de Rome,
si célèbres sous le titre de Commentaires de César.
La première partie des Commentaires est pour nous une
œuvre nationale , et sans contredit le monument le plus pré-
cieux que l'on possède sur la vie et les mœurs de nos aïeux.
Il est permis sans doute de voir dans le soin qu'a mis César
à l'examen des Gaules et de l'Angleterre, une sorte de prévision
sur les hautes destinées réservées à ces deux grandes nations
dans l'histoire de l'humanité. Plus on examine les observations
du conquérant , plus on est convaincu de leus profondeur. A
voir cet homme pâle et amaigri parles veilles et les débauches,
partir pour les Gaules afin d'agrandir une renommée encore
trop peu vaste pour essayer la souveraine puissance , on ne
peut oublier que dix-huit siècles plus tard un jeune homme,
pâle et usé, mais seulement par la pensée et l'étude, entraînait
38.
548 DES PRITTCIPAUX HISTORIETTS
ces mêmes Gaulois en Egypte clans le ])ut aussi d'étonner les
hommes, afin de leur imposer un jour sa volontc pour loi. Et
ce rapprochement saisit l'âme, et donne encore un attrait de
plus au re'cit de Ce'sar.
Il peint les Gaulois comme de grands nmateurs de tontes nou-
veaute's, prenant facilement les armes; lenr imagination est
mobile et le'gère. Toutefois il a remarque' en eux un côté pro-
fonde'ment tragique, une grande v(^ne'ration pour les sacrifices
humains qu'ils pratiquent volontiers. Ils aiment à se dire des-
cendus de Pluton , et à cause de cette origine lugubre ils comp-
tent par nuits au lieu de compter par jours.
Qui ne reconnaîtrait dans ce tableau les traits saillans de
notre physionomie moderne? Nous sommes encore aujourd'hui
le jouet de notre passion pour la nouveauté' , et à côté de mille
exemples de légèreté nous avons donné de trop sanglantes preu-
ves de notre caractère sombre dans les horribles hécatombes
de nos révolutions.
Jamais guerre ne fut plus acharnée ni plus afFrevise que celle
de César dans les Gaules. Son récit donne une haute idée de
ce que peut la constance humaine. Nos aïeux ont montré dans
leur défense l'acharnement des Espagnols de nos jours contre
les soldats de Napoléon. Il faut lire ces descriptions de sièges
où Gaulois et Romains , également affamés par la dévastation
du pays, se traînent au combat , exaltés par les hurlemens des
femmes gauloises échevelées. Tous ces récits sont simples; et
quoique César se fiit exercé à l'éloquence, on voit que son plus
grand effort tendait à ne pas mettre dans une phrase un mot
qui ne fût pas de toute nécessité. C'est un homme qui examine
un peuple sous tous ses aspects, et dit ce qu'il a vu. Il y a
en lui une sorte de dédain pour les ornemens de l'artiste , et
il les évite avec sollicitude. La géographie l'occupe beaucoup;
il décrit les villes, trace les cours des fleuves et la position des
montagnes. La religion, les mœurs, les coutumes, la manière
de combattre , offrent à son esprit investigateur une vaste car-
rière. Quand un peuple a posé devant un tel peintre, il appa-
raît à la postérité dans toutes les nuances de sa vie publique
et intime. Je le répète, César a senti qu'il ne foulait pas un
DE ROME. 549
sol qui dût continuer à produire des peuples barbares ; il a
senti que ces passions e'nergiques, que cette exaltation dame,
celte finesse de tact, cette bravoure incroyable qui caractéri-
saient les Gaulois, e'taient des germes fe'conds de fortes ge'ne'-
rations à venir, et il les a observe'es avec pre'dilection. C'est
un spectacle saisissant que cet homme, le plus e'tonnant peut-
être du vieux monde romain : a l'instant où ce monde va mou-
rir, e'piant le premier cri d'une nation qui doit marcher en
tête des destip.e'es nouvelles de Ihumanite'.
Les courts me'nioires que Ce'sar a laisse's sur la guerre ci-
vile sont surtout remarquables sous le rapport militaire. Je ne
sais si la conquête est plus légitime que la guerre civile, mais
celle-ci a quelque chose de plus odieux encore , et l'on peut
à peine se garder d'un mouvement de haine en voyant Pom-
pée et César faire couler le sang humain pour une passion
aveugle , et petite après tout : celle du pouvoir. Tant et de si
belles facultés dépensées ainsi nous font jeter sur l'humanité
un regard dédaigneux , en nous dépouillant d'une foule d'il-
lusions nées de l'optique , à travers laquelle on nous a montre
le monde dans notre enfance.
Rome , après avoir dévoré toutes les nations , en était ré-
duite à se dévorer elle-même; c'est pour le philosophe un cu-
rieux et dramatique spectacle que toute celte décomposition
du vieux monde. Dieu semble avoir placé Tacite sur la lisière
du monde nouveau pour donner à l'avenir ces graves leçons
que malheureusement les peuples n'entendent pas. On n'est pas
certain du lieu qui vit naître Tacite , ni de quelle famille il
sortit. On sait seulement qu'il passa par les charges publiques ,
qu'il fut questeur sous Vesj)asien , et qu'il épousa la fille d'A-
gricola. Son début dans les lettres fut, à ce qu'il paraît, la
vie de son beau-père. Agricola donne à l'écrivain l'occasion de
dessiner la physionomie de la Grande-Bretagne; il semble vou-
loir reprendre en sous-œuvre la tache de César. Les Bretons
sont, en effet, le sujet principal de ses pages. Il peint à grands
traits, mais avec une rare intelligence, tout ce qui constitue
la vie d'un peuple. Ce i]ui me fait le plus admirer les histo-
riens de Rome, surtout Sallusle et Tacite, c'est la brièveté
550 DES PRINCIPAUX HISTORIENS
de lears œuvres. Chaque mot est une pensée. La mort d'A-
grlcola inspire à l'e'crivain des pages d'une noble éloquence.
Quant à la fin de ce morceau, que j'ai entendu vanter si sou-
vent avec tant d'emphase, c'est beau, sans doute; mais ce pres-
sentiment de l'immortalité de l'âme n'a rien de bien admirable
cliez un homme qui avait lu Platon , et j'en veux un peu à
Tacite d avoir pre'senté en cette occasion cette croyance pres-
que comme un doute. L'antiquité' est pleine de fragmens tout
aussi beaux sur cette grande verilë, et l'on n'en parle guère.
Ce qui me confirme encore plus dans l'ide'e que Cësar et
Tacite ont pressenti la grandeur future des peuples, c'est que,
les Gaulois et les Anglais explores, la race germaine a préoc-
cupe' l'esprit de Tacite. Son livre, ou plutôt sou chapitre sur
la Germanie, « cette terre sans beauté, dont le ciel est rude
et l^ aspect triste, » est un des plus substantiels que je connaisse
dans aucune langue. Est-ce une simple fantaisie d artiste , une
impression de voyage, ou, comme on l'a dit, Tacite avait-il
re'solu de faire rougir les Romains de son temps en leur mon-
trant les mœurs se'vères de la Germanie ? je n'en sais rien.
Quoi qu'il en soit , jamais plus frappant contraste ne s'e'tait
présenté dans l histoire ; et les hommes qui reculaient les bor-
nes de la débauche , et voyaient tranquillement des milliers
de gladiateurs nus se déchirer dans le Cirque , devaient s'é-
tonner au moins au récit de ces coutumes germaines si simples
et si austères.
Tacite se préparait ainsi aux grands travaux qu'il méditait
sur son histoire nationale. Un tel homme ne recherchait pas
le pouvoir pour le pouvoir 5 ses vues étaient plus hautes. Il
s'était mêlé aux hommes de son temps si fertile en grands
criminels, et aussi en vertus sublimes, mais isolées, pour les
étudier et les peindre. Il entreprit de raconter l'histoire ro-
maine depuis la mort de Néron jusqu'à celle de Domitien. Il
nous reste, des histoires , les quatre premiers livres et le com-
mencement du cinquième. Leur début est dune magnificence
que Bossuet seul a égalée en notre langue.
« J'aborde une époque féconde en catastrophes, ensanglan-
DE ROME. 551
te'e de combats, décliirëe par les séditions, cruelle même du-
rant la paix : quatre princes tombant sous le fer j trois guerres
civiles, beaucoup d'e'trangères , et souvent des guerres e'tran-
gères et civiles tout enseuible; des succès en Orient, des revers
en Occident; 1 lUyrie ayile'e ; les Gaules chancelantes; la Bre-
tagne entièrement conquise , et bientôt de'laisse'e ; les popula-
tions des Sarmates et des Suèves leve'es contre nous: le Dace
illustre par ses de'failes et les nôtres; le Parthe lui-même prêt
à courir aux armes pour un fantôme de Ne'ron ; et en Italie ,
des calamile's nouvelles ou renouvele'es après une longue suite
de siècles; des villes abîme'es ou ensevelies sous leurs ruines,
dans la partie la plus riche de la Campanie ; Rome désolée
par le feu , voyant consumer ses temples les plus antiques ;
le Capilole même brûlé par la main des citoyens ; les céré-
monies saintes profanées; l'adultère dans les grandes familles;
la mer couverte de bannis ; les rochers souillés de meurtres j
des cruautés plus atroces dans Rome : noblesse , honneurs,
opulence, refusés ou reçus, comptés pour autant de crimes ;
et la vertu devenue le plus irrémissible de tous; les délateurs,
dont le salaire ne révoltait pas moins que les forfaits , se par-
tageant, comme un bufin , sacerdoces et consulats, régissant
les provinces, régnant au palais, menant tout au gré de leur
caprice ; la haine ou la terreur armant les esclaves contre les
maîtres, les affranchis contre leurs patrons ; enfin, ceux à qui
manquait un ennemi , accablés par leurs amis.
M Ce siècle toutefois ne fut pas si stérile en vertus qu'on
n'en vît briller aussi quelques beaux exemples. Des mères ac-
compagnèrent la fuite de leurs enfans ; des femmes suivirent
leurs maris en exil ; on vit des parens intrépides, des gendres
courageux, des esclaves d'une fidélité invincible aux tortures,
des tètes illustres soumises à la dernière des épreuves, cette
épreuve même supportée sans faiblesse , et des trépas compa-
rables aux plus belles morts de l'antiquité. A ce concours
inoui d'évéîiemens humains se joignirent des prodiges dans le
ciel et sur la terre, et les voix prophétiques de la foudre et
mille signes de l'avenir , heureux ou sinistres , certains on
équivoques. Non , jamais plus horribles calamités du peuple
552 DES PRINCIPAUX HISTORIENS
romain, ni pins justes arrêts de la puissance divine, ne proa-
vèrent au monde que si les dieux ne veillent pas à notre se'-
curite', ils prennent soin de notre vengeance. »
( Tracl. de J. L. Burnouf. )
Les livres qui nous restent d'un travail qui s'annonçait ainsi,
offrent tous des beaute's dignes de ce morceau. Nous avons
surtout remarque' dans le premier la chute et la mort de Galba j
dans le second , Vitellius visitant le champ de bataille de Bé-
driac; dans le troisième, la bataille et le sac de Cre'mone ;
dans le quatrième, le discours de Vocula; enfin, dans ce que
nous avons du cinquième , le siège de Je'rusalem.
Les Annales sont ce que Tacite nous a le'gué de plus grand;
elles contiennent les cinquante anne'es qui se sont e'coule'es
entre la mort d'Auguste et celle de Ne'ron. Nous avons perdu
une partie de ce chef-d'œuvre. Quelques indications donneront
une ide'e de l'intérêt dramatique de ce qui nous reste : —
Germanicus , ses combats en Germanie. — Le champ de ba-
taille de Varus , et les honneurs funèbres rendus aux de'bris
de ses infortune'es le'gions. — La mort de Germanicus, et l'im-
mense douleur de Rome. Agrippine. — La guerre contre les
Thraces. — Tibère. Messaline , et ses de'sordres inouis. —
Claude et Ne'ron. — La mort d'Agrippine. — Les horreurs du
règne de son fils, qui remplissent presque trois livres entiers.
Je n'ose pas citer la peinture que fait Tacite des orgies de
Ne'ron , et de ses noces infâmes. Tout le monde connaît ses
chants durant l'incendie de Rome. Il est curieux de noter ici
comment l'historien parie des chre'tiens à celte occasion.
« Ne'ron , pour faire tomber ces bruits , livra comme cou-
pables , et accabla des peines les plus terribles , des hommes
haïs pour leurs infamies, et que le peuple appelait chre'tiens.
Ils tiraient leur nom de Christ , mis à mort, sous Tibère, par
le gouverneur Ponce-Pilate. Leur funeste superstition , refre'-
nee d'abord , se re'pandait de nouveau , non-seulement dans
la Jude'e, où ce mal prit naissance, mais même dans la ville,
où afflue et est ce'le'bre' tout ce qui est atroce et honteux. On
saisit donc d'abord tout ce qui s'avoua chre'tien , puis une
DE ROME. 553
immense maltitade ; ces hommes furent conTaincus moins du
crime d'incendie que de la haine du genre humain, et l'on
se fit on jeu de leur mort. On couvrit les uns de peaux de
bêtes, pour les faire de'chirer par des«hiens; d'autres furent
crucifie's, d'antres jete's dans les flammes, et, dès que la nuit
e'tait venue, on s'en servait comme de torches nocturnes. Né-
ron avait offert ses jardins pour ce spectacle, et il donnait ces
jeux dans le Cirque , mêie' au peuple sous le costume d'un
cocher, ou conduisant lui-même un char. C'est ce qui fit naî-
tre la pitié; car, quoique ces hommes fassent coupables, ils
moururent plutôt par la cruauté d'un homme que pour le
bien public. » ( Annales XV . )
Que Néron ait livré les chrétiens aux bêtes, c'est dans l'or-
dre , et le contraire étonnerait ; mais que Tacite , le plus
éclairé et le plus moral des historiens romains, représente les
martyrs comme des criminels, on ne peut alors se garder d'un
sentiment de douleur, d'un retour amer sur le néant du génie
humain. La société païenne avait comblé la mesure des cri-
mes ; elle était tombée à ce point de bassesse ou les nations
ne peuvent plus vivre, parce qu'il n'y a de vie pour elles que
dans une idée élevée et pure. Dans le monde du paganisme ,
ce qu'il y a eu incontestablement de plus élevé est la pensée
de Platon , ce spiritualisme épuré au-delà duquel était la re-
ligion du Christ. Voyez ce que les païens avaient fait des lois
morales du grand homme. Cicéron avait eu beau les revêtir
de la langue romaine , elles étaient foulées aux pieds , et le
cynisme le plus dégoûtant , le matérialisme le plus abject
avaient remplacé le culte de Dieu et de l'âme. Cependant, au
milieu de cette corruption infecte, des hommes purs et su-
blimes, héritiers de la parole de Dieu, préparaient l'avenir
de l'univers en mourant pour lui , et réhabilitaient l'humanité
par leurs supplices; c'étaient les criminels infâmes de Tacite!
C'est ici qu'il faut s'étonner de l'ascendant des préjugés con-
teinporains sur les esprits le plus fortement trempés, c'est ici^
encore une fois , qu'on peut se convaincre du néant du génie
humain. Il aurait manqué quelque chose à la glorieuse humi-
liation des héros du christianisme , s'ils n'avaient été traités
554 • DES PRINCIPAUX HISTORIENS
ainsi par la plume la plus éloquente et la plus pare de Rome
agonisante.
On a tellement e'puisé, à l'e'gard de Tacite , toutes les for-
mules de l'adulation , qu'on ne sait plus comment le louer.
C'est qu'en effet jamais peintre n'a e'te' plus admirable, jamais
philosophe plus profond. Il pre'sente le monde exte'rieur avec
des couleurs inimitables, et e'claire en même temps avec un
flambeau magique les plus myste'rieux abîmes de l'âme. Il est
tellement artiste , qu'un auteur e'crivait dernièrement : L'art
fui le dieu de Tacite. Puis il insinuait que ce besoin de pein-
dre avait e'té toute la passion de ce grand homme. Il nous
semble qu'au-dessus de cette passion il y avait dans Tacite
une ide'e morale très-haute , à laquelle il rapportait tout , et
du haut de laquelle il jugeait les actions humaines. C'est ce
qui imprime à son œuvre un caractère de grandeur ineffaça-
ble, et lui assure une vie immortelle. On ne nous persuadera
jamais que Tacite aimait le style pour lui-même, qu'il enten-
dait l'art comme on a pre'tendu l'entendre dernièrement, isolé
de toute mission sociale ; l'esprit vivifiant circule trop dans
ses livres, il y a en lui trop d'indignation contre le crime,
trop d'amour du beau et du vrai. <( De meilleurs temps re-
vinrent , dit Fre'de'ric Schlegel , et un Romain anime' de toute
la noblesse et de toute la grandeur des sentimens antiques ,
devait encore une fois gouverner le monde civilise', assis sur
le trône d'Auguste. De même que Trajan est le dernier parmi
les Ce'sars qui ait eu des sentimens romains , et qui se soit
montré grand par ses pensées et par ses actions ; de même
Tacite, dont on peut faire un élojj;e semblable , termine peu
de temps avant lui la série des grands écrivains que Rome a
produits. Il avait grandi sous Vespasien et Titus, les premiers
Césars qui après Néron gouvernèrent avec douceur. Sous Do-
mitien il avait appris à observer et à se taire , et sous Nerva
il vécut dans l'attente des temps glorieux dont Rome devait
encore une fois jouir sous Trajau.
« La profondeur de son génie, et son talent d'expression si
merveilleusement convenable à l'énergie de sa pensée, parais-
sent toujours plus inimitables à mesure que l'on voit plus
DE BOME. 555
d'aateurs faire d'inutiles efforts ponr l'imiter. On peat encore
l'appeler parfait sous le rapport de l'expression , quoique de'jà
a cette e'poque la langue ne fût plus la même , et ne pût plus
être celle du grand Ce'sar ou de Tite Live. Selon moi , la lan-
gue latine se pre'sente chez ces trois e'crivains dans toute sa
pureté' et dans toute sa perfection. Dans Ce'sar, elle a le ca-
chet de la grandeur et en même temps de la simplicité' ; dans
Tite-Live , elle hrille de tout l'e'clat et de tous les ornemens
d'un perfectionnement oratoire , mais sans exage'ration d'aa-
cune espèce; dans Tacite, elle a une profondeur, une e'nergie
et un art qui respirent la dignité' de la Rome d'autrefois (i). »
Aux e'poques de re'ge'ne'ration , lorsqu'une civilisation nou-
velle doit surgir , et que l'ancienne va se de'composant dans
toutes ses parties, une immense tristesse saisit l'âme des ve'-
ritahles grands hommes, de ceux qui sentent de vives et pro-
fondes sympathies pour Ihumanite' ; et si, l'œil fixe' sur le
passe', ils ne pressentent pas les destine'es futures, oh! alors,
ils tomhent dans un de'sespoir morne , et jettent un ge'misse-
ment luguhre; puis leur voix devient majestueuse, elle rap-
pelle les hautes ide'es morales, la lumière des peuples qui se
traînent aujourd'hui dans les agonies de la de'bauche et de
l'incroyance. Tel fut Tacite. Il n'est pas corrompu comme Sal-
luste, qui s'e'tonrdissait dans les festins et les orgies; ce n'est
pas non plus une nature calme comme celle de Tite-Live, qui
semble ne voir dans les e've'nemens qu'un beau sujet de livre;
il ne songe pas comme Ce'sar à exploiter à son profit les fai-
blesses et les crimes des hommes ; c'est une âme se'rieuse et
morale , c'est un prêtre du beau , gardien austère de l'ide'e
e'ieve'e de Platon , au milieu des ruines sanglantes de cet im-
mense pouvoir de Rome , qui pesa sur l'univers. Seulement
Tacite n'avait nul pressentiment de la civilisation chre'tienne ;
il nous l'a assez prouvé par les e'tranges lignes que nous ve-
nons de lire. Il appartenait tout entier au vieux monde ro-
main : de Ik les me'lancolies profondes de son âme , et la so-
(i) Histoire de la Littérature ancienne et moderne.
556
DOCTRINE DE MARGION
lennelle douleur de sa parole. C'était, en effet, un magnifique
et terrible spectacle que cette mort de Rome , de cette nation
qui porta dans l'univers les ide'es grecques sur les ailes de ses
aigles, et fit du genre humain un' seul peuple, pour qu'il pût
entendre mieux la parole de celui qui datait venir. Rome ,
comme toujours , ministre aveugle des vues providentielles
( car les socie'le's n'ont guère la conscience de leur œuvre ) •
Rome, dont aucun peuple n'a jamais e'gale' la puissance, Dieu
ne pouvait créer un plus digne pontife pour l'ensevelir!
Amédée Duquesnel.
DOCTRINE DE MARCION SUR I.A RÉDEMPTION.
La littérature des Arméniens a cela de particulier , qu'elle
est un fruit du christianisme chez cette nation , la première
qui se soit soumise à l'Evangile. L'intérêt de cette littérature
est surtout historique et théologique : on y trouve une foule
de documens neufs et intéressans, soit sur l'histoire des pre-
miers siècles de l'Eglise , soit sur les religions orientales dont
les hérésies gnostiques et manichéennes étaient une émana-
tion. Nous empruntons à un article des Annales bavaroises ,
sur \ Histoire ecclésiastique de l'abbé Dœllinger, un fragment
très-curieux où Eznik , écrivain arménien du cinquième siècle,
expose d'une manière très-curieuse la doctrine de Marcion.
Selon cet hérésiarque , il y a trois cieux : dans le premier
( quelquefois aussi dans le troisième ) , habite Vautre Dieu , le
Dieu étranger (i); le second est le siège du Dieu de la loi ;
dans le troisième régnent ses puissances ou ses armées. Dans
la terre est Hylé (la matière, la force terrestre). Elle est tou-
(i) Eznik se sert fréquemment de cette expression; elle est originai-
rement de Marcion ( voy. Jdst. , Jpolog. 1 , 26). tAu^yciava, ^i rivu
IIovriKov uXXov rtvcc vofti^nv /^ii^ovot tou ^tjftiouD'/oo êîov ; ailleurs
il l'appelle Iéxoî , le mot arménien odar a ces tleux sens à la fois.
SUR LA RÉDEMPTION. 557
jours considérée abstraclivement dans l'exposition d'Eznik :
ses fils sont mentionnes une fois, de manière à ce qne l'ide'e
d'Hyle' semble être la même que celle de Satan : il est dit
aussi d'elle, qu^elle a ce'de' la terre au Démiurge , pour qu'il
en formât l'homme. Après la cre'ation de l'homme , le Dé-
miurge vent l'arracher tout à fait à Hylé ; il se montre à lui,
et lui ordonne de ne point adorer d'autre Dieu que lui ; au-
trement il mourra de mort. L'homme , effraye' , se détache
d'Hyle'; celle-ci voit le tour que lui a joue' le Démiurge, et,
pour se venger , elle forme des idoles , et les fait adorer aux
hommes se'duits par elle. Le Démiurge entre en colère , et
condamne les hommes à l'enfer, où tous sont pre'cipite's jus-
qu'au vingt- neuvième siècle. (Il est difficile de comprendre
ce que Marcion a entendu par là , le nombre des anne'es du
monde jusqu'à l'ère chrétienne e'tant , suivant le plus faible
calcul, au moins de 3483). Ensuite vient la doctrine de la
Re'demplion , qui par sa singularité mérite d'être donnée tex-
tuellement : it Lorsque l'autre Dieu , le Dieu bon qui habite
dans le troisième ciel , vit l'humanité ainsi tourmentée entre
deux trompeurs, le seigneur des créatures et Hylé , il ressen-
tit de la pitié pour ceux qui étaient condamnés au feu. Il
envoya son fils pour les sauver, et celui-ci prit une forme hu-
maine semblable à celle des fils du Dieu de la loi. « Guéris
» leurs lépreux , lui dit son père , ressuscite leurs morts ,
» rends la vue à leurs aveugles , fais parmi eux de grandes
» merveilles de salut jusqu'à ce que le seigneur des créatures
» te voie, soit jaloux de toi et t'attache à la croix. Et, après
» la mort , tu descendras dans le monde inférieur , et tu dé-
» livreras ceux qui y sont. Le monde inférieur n'est pas ac-
» coutume à recevoir la vie en lui, et c'est pourquoi tu dois
» être crucifié et devenir semblable à un mort, pour que la
)) bouche du monde inférieur s'ouvre pour te recevoir, pour
1) que tu puisses y entrer et le rendre vide. » Et , après qu'on
l'eut crucifié, il descendit aux enfers , les rendit vides ; et,
délivrant les âmes qui y étaient, il les conduisit vers son père
dans le troisième ciel. Le seigneur des créatures se courrouça;
il déchira dans sa colère ses vêtemens et le voile de son tera-
558 DOCTRINE DE MARCION SUR LA REDEMPTION.
pie ; il obscurcit son soleil ; il revêtit son monde de tristesse ,
et se mit à se lamenter. Jésus vint pour la deuxième fois au
seigneur des cre'atures dans la forme de sa divinité', et lui de-
manda compte de sa mort. Lorsque le seigneur du monde vit
la divinité' de Je'sus , il reconnut qu'il y avait un autre Dieu
que lui. Et Je'sus lui dit : « Il y a un procès entre toi et moi,
)) et personne ne doit en être juge que tes propres lois, e'cri-
n tes par toi. » Les lois furent repre'sente'es devant eux , et
Jésus lui dit : « N'as-tu pas e'crit dans cette loi : Que celui
» qui a tué doit mourir , que celui qui a verse' le sang du
» juste doit verser son sang à son tour? » El il re'pondit : « Je
» l'ai e'crit. » Je'sus lui dit : « Livre-toi donc entre mes mains,
" que je te tue ! et que je verse ton sang comme tu m''as tué
» et comme tu as verse' mon sang! car je suis plus juste que
» toi , et j'ai re'pandu de grands bienfaits sur tes cre'atures. »
Et il commença à lui e'nume'rer ses bienfaits envers les cre'a-
tures. Mais , quand le seigneur des cre'atures se vit vaincu , il
ne sut que dire , parce qu'il e'tait condamné par sa propre loi;
il ne sut que répondre , parce qu'il avait mérité la mort ; et
il se mit à le supplier instamment : « C'est à mon insu, dit-il,
» que j'ai péché et que je t'ai mis à mort; car je ne savais
» pas que tu fusses Dieu ; mais je t'ai pris pour un homme :
» c'est pourquoi je te donne pour satisfaction tous ceux qui
» croiront en toi, et tu feras d'eux ce que tu voudras. » Alors
Jésus le quitta , et enleva Paul , qu'il envoya pour annoncer
à quel prix nous sommes rachetés, et comment tous ceux qui
croient en Jésus sont délivrés du Dieu juste par le Dieu bon.
Tel est , en substance , le fondement de l'hérésie des mar-
cionites : tous ne le savent pas parmi eux; mais seulement un
petit nombre. Ils se transmettent oralement la doctrine que
l'autre Dieu nous a rachetés du Seigneur des créatures ; mais
comment et par quel moyen , c'est ce que tous ne savent pas.
Où Eznik a-t-il puisé ses documens, c'est ce qu'il n est guère
possible de vérifier : ou il a fait lui-même un extrait des ou-
vrages de Marcion, ou il avait sous les yeux un résumé de sa
doctrine , rédigé peut-être par un disciple de Marcion. Il est
encore plus vraisemblable qu'il a fait usage des écrits de Bar-
ESQUISSES SUR LES PYRÉKÉES. 559
desanes contre les marcionites , que cite Moîse de Khorêne
(II, 53). Quoi qu'il en soit , les renseignemens qu'il donne
sur la manière dont la re'demption e'tait expliquée dans le sys-
tème de Marcion sont tout à fait nouveaux. — Reloue Euro-
péenne , n° 38.
ESQUISSES SUR XES PTELÉNÉES (I).
J'aime le peuple se'pare' des peuples par d'immenses de'serts
ou de hautes montagnes; sur le sable où dorment ses pères
il vit de siècle en siècle comme une seule ge'ne'ration ; son in-
dustrie, ses arts, sa religion , tout esta lui, jusqu'à son cos-
tume. Si ses progrès sont moins rapides, sa de'cadence est plus
tardive, et les e'trangers viennent de loin emprunter la poe'sie
de ses souvenirs , pour les porter dans les pays oti tant de re'-
volutions ont passé , qu'on n'y a plus me'moire d'autrefois.
Ainsi l'Espagne, l'Ecosse, Tltalie ont tour-k-tour subi l'exploi-
tation de notre lilte'rature qui s'est exile'e de la France, parce
qu'elle n'y voyait que Paris, ville mate'rielle, où tout, hom-
mes et choses n'ont qu'un jour , où nulle pense'e ne survit
pour rattacher le siècle au siècle , le père au fils. Il faut du
passe' à la poe'sie, mais sans sortir de notre patrie ne pouvons-
nous donc en trouver? N'avons. nous pas toutes les nations de
l'Europe sous le ciel de cette belle France , si peu connue , si
peu admire'e? L'Italie en Provence, la Suisse dans les Alpes
et dans nos Pyréne'es qui semblent sortir de l'oubli long et in-
jurieux qui les voilaient. Ne posse'donsnous pas autant de ri-
chesses que les compatriotes de Walter Scott dans leurs mon-
tagnes si chante'es ?
Là haut les fontaines sont pures aussi , là haut les forêts de
sapins s'e'tenderit sur les sommets des monts ondoyans , tantôt
blanches , tantôt bleues , comme une cbevelure que vieillit
(i) Rei'ue Européenne^ n" 29.
560
ESQUISSES
l'hiver et que le printemps rajeunit ; là haut, l'homme, ac-
coutnme' aux grands spectacles de la nature , a besoin de toute
sa liberté' pour vivre. Fier comme ses rochers, grand comme
ses horizons , religieux comme le bruit de ses cascades et le
silence de ses bois, le Toy (i) ne peut se faire à l'air res-
serre' des villes, et si parfois il descend au milieu d'elles pour
y porter le tribut de son travail , il aime à se faire remarquer
par la hauteur de sa taille , par l'orgueil de sa de'marche. On
dirait un roi descendu de son trône promenant sa majesté
parmi les hommes.
C'est dans ses domaines qu'il faut l'e'tudier ; le soir , quand
vous vous e'garez sur les montagnes, que l'air s'e'paissit autour
de vous , et que les tonnerres roulent sous vos pieds , vous
voyez quelquefois des ombres gigantesques se dessiner immo-
biles a travers le brouillard , c'est le pasteur qui garde son
troupeau ; un long bonnet de laine brune qui retombe sur le
côte , une grande cape de même e'toffe qui l'enveloppe entiè-
rement , voilà sa parure ; autour de son visage de grands che-
veux noirs, ses regards invariablement fixe's devant lui , et
son menton soutenu de ses deux mains qui s'appuient elles-
mêmes sur un long bâton plante' à dix pieds dans le roc ; on
dirait le ge'nie de la tempête, tant il la suit avec tranquillité'.
Rarement il parle français , et s'il possède assez bien cette
langue pour converser, ce n'est jamais sans revenir de temps
à autre à ses phrases favorites , à ses expressions naturelles
doue'es d'une e'nergie qui passerait difficilement chez nous. Du
reste, on peut toujours aise'ment le comprendre par le langage
de ses gestes; ses traits mobiles disent sa pense'e avant le son
de sa voix, et souvent même il a des signes que nul son de
voix n'accompagne, et qui ne se traduisent que par une ide'e.
Je m'e'tais un jour hasarde' sans guide sur le sentier qui
mène de Campan au Lhie'ris par le territoire de Hastets , la
difficulté du chemin m'avait forcé de mettre à mes pieds des
sandales de peau d'âne , et d'armer ma main d'un bâton ferré
(i) Nom patois des habitans des Pyrénées.
sua LES PYRÉNÉES. 561
que J'enfonçais dans le rocher pour me soutenir. Je montais
paisiblement sur de petits gradins tellement polis par îe pas-
sage continuel des gens de la montagne , que sans ma chaus-
sure j'aurais infailliblement glisse' jusqu'en bas. Le soleil de
midi m'aurait brûle' de ses rayons sans le voisinage d'un petit
bois de noisetiers qui m'envoyait en se balançant un souffle
encore fraîchi par la rose'e du matin. Toutà-coup j'entendis
un grand bruit au-dessus de ma tête ; on eût dit le fracas d'un
torrent qui se frayait une route nouvelle , ou i'e'croulement
d'un bloc de marbre de'tache' de quelque cime. J'avoue que
je ne pus me de'fendre d'un mouvement de frayeur, et ce qui
ne contribua pas peu à l'augmenter , ce furent les cris d'un
paysan qui montait derrière moi : « De côte', brave, de côté, »
me disait-il. Au même instant s'e'leva un nuage de poussière,
je n'eus que le temps de me jeter à plat ventre à côte' du che-
min pour laisser passer ce qui se pressait tant de descendre.
Lorsque je me fus relevé' sain et sauf , j'aperçus déjà à une
grande distance une femme charge'e de deux gros fagots de
rame'e qu'elle tenait sur chaque e'paule par une des plus fortes
branches, et dont le feuillage, traînant après elle, causait ce
bruit et cette poussière. J'admirais l'adresse avec laquelle la
Toya , pousse'e et retenue en même temps par le poids du far-
deau , glissait sur ce penchant , que j'aurais eu tant de peine
à descendre à reculons , lorsque je fus rejoint par l'homme
dont les cris charitables m'avaient fait une si belle pear. —
Elle va vite , me dit-il en me saluant; c'est qu'il ne faut pas
que le garde la trouve , elle paierait l'amende.
Le montagnard qui me parlait était un habitant du bourg
de Campan, et il allait traire ses vaches. — Ce sont, me dit-
il, celles que vous voyez là : Oh! Rougette ! — Et il jetait
un caillou à l'une d'elles qui broutait tranquillement les feuilles
d'un noisetier. L'animal tourna la tête de notre côte' , puis il
prit le chemin du sommet de la montagne. — Elles y seront
aussitôt que nous, dit le paysan. Parties le matin de l'e'table,
ces bêtes se re'pandent sans distinction de troupeaux ou de
proprie'taire sur les pâturages de la commune, et d'elles-mêmes
se rendent à heure fixe au lieu oii leur maître doit les traire.
T. X. 39
562 ESQUISSES
Pas une n'y manque ; pas une ne se trompe d'heure ou de
rendez-vous 3 à celui qui les liât et les attelle à la charrue,
elles apportent leur substance pour nourriture. Etrange leçon
que la nature donne à l'homme si souvent oublieux de ceux
• même qui lui font du bien.
Tout en discourant sur l'instinct des vaches, nous arrivâmes
au bout du petit sentier rocailleux où j'avais tant de fois tre'-
buché. Une vaste lande, couverte de bruyères fleuries, incli-
nait sa pelouse vers nous ; çà et là quelques cavales à moitié'
sauvages paissaient autour d'une petite cabane dont les murs,
forme's de cailloux non cimente's , s élevaient à hauteur d'ap-
pui pour soutenir un toit de chaume verdi par la mousse.
Deux vaches e'taient auprès, la tête tourne'e de notre côté. —
Je vous l'avais bien dit, brave, en voilà déjà deux qui m'at-
tendent, et les autres ne tarderont pas à arriver. — En effet,
nous avions à peine fait dix pas que nous en vîmes paraître
six autres se dirigeant de différens points vers la petite cabane.
A mesure qu'elles paraissaient le berger les nommait affec-
tueusement dans sa langue et leur adressait quelques compli-
mens sur leur exactitude ou leur beauté.
11 entra dans la chaumière dont la porte n'était fermée d'au-
cun verrou, y prit un grand vase de bois et se mit en devoir
de traire ses vaches. Pour moi, après avoir accepté une écuelle
d'excellent lait que je payai généreusement, je continuai ma
route.
Je sondai de l'œil en passant le précipice connu dans le
pays sous le nom de Traouc cVoqu pet , sans doute à cause
de l'explosion qui s'y fait entendre lorsqu'on y jette une pierre.
C'est un gouffre d'une immense profondeur. D'après les mon-
tagnai'ds il communique avec le Trou de Poiizac , espèce de
mare d'eau que l'on trouve à main droite en allant de Bagnè-
res à Tarbes , un peu avant Montgaillard. Voici la raison de
cette correspondance -• au temps où l'on croyait encore à la
parole de Dieu et aux vertus des saints, une vache tomba dans
le Traouc ; son maître vint prier saint Roch de la lui faire re-
trouver; l'homme de l'église iui dit d'aller au Trou de Pou-
zac , d'où bientôt il verrait sortir sa bête. La chose arriva
comme le saint l'avait prédite.
SUR LES PYRÉNÉES. 563
Là commence le bois de Hastets ; il faut le traverser pour
aller au Lliiéris. Des frênes aux troncs pourris , des chênes
en de'cre'pitude , des sapins aussi vieux que le monde, s'unis-
sent dans les airs pour cacher le soleil à la terre humide et
glissante. Quelquefois dans la fraîche obscurité' de cette voûte ,
à travers les hranches de'pouille'es d'un arbre mort, se glisse
un rayon pâle et tremblant comme le feuillage, alors on croi-
rait voir sous les herbes sèches se de'rouler d'e'normes sei-
pens ; ce sont des troncs noueux que le temps a de'racine's; la
mousse, les champignons, la moisissure qui les couvre , res-
semblent aux e'cailles d'un reptile; on craint de l'e'veiller en
marchant. D'autres fois il vous semble être entoure de fantô-
mes, de specties aux figures grimaçantes, tant les jeux divers
des rayons lumineux , seconde's des prestiges d'une imagina-
tion effraye'e , prêtent de formes fantastiques aux objets qui
vous environnent.
Encore une demi-heui'e de marche et je sors de ce roman-
tique passage , un joli vallon creuse devant moi son bassin
velouté' de gazons et de fleurs , c'est le Col du Lhiéris. A
gauche une e'norme pyramide de rochers menace perpétuelle-
ment d'e'craser le voyageur sous ses ruines , et renvoie en
e'chos furieux les cris indiscrets qui troublent son repos ; à
droite un autre rocher moins e'ieve', moins aride, oii quelques
maigres sapins se disputent le peu de tex're ve'ge'tale que le
de'luge n'ait pas entraîne dans sa fuite. Placez -vous à e'gale
distance de ces deux pitons, vous avez devant et derrière vous
un spectacle très-beau mais bien diffe'rent : au nord, la plaine ,
le se'jour des vivans , avec ses villes dont l'oreille devine au
loin le tumulte, avec ses routes oîi l'œil distingue les chariots
de toutes sortes, ses rivières charge'es de moulins de foulons
et de papeteries , ses champs oh tant de moissons se balancent
pour tant de proprie'taires. Là tout sent l'homme, j'aime mieux
la nature , tournons-nous de l'autre côte'.
Au devant de moi descend la montagne , dans le lointain ,
à une grande profondeur au milieu d'une terre inculte cou-
verte de broussailles, une verte prairie où coule une belle eau.
Puis autour de ce bas fond s'élancent comme un rempart
39.
564 ESQUISSES
inaccessible une triple rangée de montagnes, les unes hranes,
les autres blondes, les autres verdoyantes, selon quelles por-
tent des sapins, des fougères ou des frênes j elles apparaissent
plus ou moins hautes , on dirait une troupe de jeunes filles
curieuses-, se haussant les unes au-dessus des autres , pour voir
l'étranger qui visite leur demeure. Je m'assis pour contempler
ces merveilles , rien ne troublait le silence de ces lieux , que
le vol rapide d'un oiseau , ou le murmure d'une source cou-
lant goutte à goutte d'un rocher. Il me semblait que tout le
monde e'tait là ; ma pense'e s'e'largissait pour peupler cette en-
ceinte, s'e'levait avec les montagnes et plus haut qu'elles. Il
faut quitter les hommes pour trouver Dieu. La nature est son
œuvre aux environs des villes comme partout ; mais les ci'éa-
tures humaines s'y viennent toujours jeter orgueilleusement
entre nous et lui , elles appellent les premières nos regards ,
elles e'talent devant nous leur flatteuse magnificence, elles sem-
blent nous dire : Et toi , tu cre'es aussi. Dans le de'sert vide il
n'y a que Dieu. Ce n'est pas moi qui ai creuse' ces vallons ,
érigé ces montagnes , planté ces forêts ; ce n'est pas moi qui
retiens ce rocher sur l'abîme , qui fait distiller ces sources et
fleurir ces plantes. L'homme ne sait rien faire que de régu-
lier : il lui faut des plans , des compas , des mesures ; ici ,
tout est désordre; il fabrique pierre par pierre, morceau par
morceau : ces monts sont d'un seul jet; il lui faut du temps
pour tout achever : ces merveilles datent du même jour. Oh!
le scepticisme peut exister dans les villes, mais dans la soli-
tude, jamais !
Ma rêverie fut longue , et si la fraîcheur du soir ne m'eût
averti qu'il fallait songer à la retraite , je ne sais combien en-
core elle aurait duré. Par malheur je m'étais écarté du sentier
frayé au travers du bois , je perdis beaucoup de temps à le
chercher; enfin j'entendis une voix qui chantait la vieille ro-
mance montagnarde, et je ne tardai pas à voir passer un trou-
peau poussé par un pasteur au long bonnet.
Il me salua courtoisement et m'adressant le premier la pa-
role : « Tout seul! me dit-il, vous êtes un hardi étranger. Il
se fait tard , venez avec moi , je vous enseignerai le chemin le
SUR LES PYRÉWÉES. 565
plas court pour Ordensee , et de là vous regagnerez facilement
Bagnères. » J'acceptai vivement la proposition. Lorsque nous
eûmes tourne' la montagne , le pasteur s'arrêta , fit un geste ra-
pide accompagne' d'un son de voix inarticulé, et son attitude
orgueilleuse sembla me dire : Admirez! voilà mes domaines!
En effet la valle'e de Campan e'tait sous nos pieds.
Je n'essaierai pas de peindre ces lieax tant de fois ëbauche's
par le pinceau du voyageur. Et, qui se chargerait de de'crire
des collines verdoyantes, sillonne'es par de clairs ruisseaux,
surtout quand les derniers rayons du soleil couchant jettent
sur leur tête un diadème d'or et d'azur, et qu'une nappe de
vapeur le'gère, gonfle'e par la brise du soir, erre sur leurs
penchans , comme sur le front d'une vierge un voile blanc
qui voltige ?
Nos yeux qui s'e'taient abaissés d'abord, remontèrent de cîme
en cîme, s'arrétant à chaque échelon , découvrant partout des
effets de lumière que mon guide me signalait avec l'intelligence
d'un homme habitué à ces sortes de spectacles.
Tout-a-coup il se tut ; sa main , qu'il tenait élevée , retomba
pendante à son côté, sa figure prit une teinte de tristesse que
je ne lui connaissais pas encore; pensif, il reprit le chemin
de sa cabane , mais sa tête se tournait souvent ver§ le Mont
Aigu , dont le pic audacieux ne portait plus ses neiges habi-
tuelles. Cependant à l'approche du village il reprit la parole
pour m'inviter à souper et à dormir chez lui. Je n'osai refu-
ser, comptant d'ailleurs le dédommager amplement de son hos-
pitalité. A la vue de la cabane, les troupeaux poussèrent quel-
ques bêlemens, et nous vîmes accourir sur la porte deux petits
enfans , qui prirent aussitôt la fuite. « Ils ont honte à cause de
vous , )) nie dit leur père.
A mon entrée dans la cabane mes yeux s'arrêtèrent sur une
inscription patoise tracée au-dessus de la porte : la voici ;
Jesus-Maria! vioun Diou ayda-noiis (i)! Le pasteur me voyant
(i) Cette inscription se lit à Saint-Lézer ( Hautes-Pyréuées ) sur la
maison d'un paysan noiumé Dupicris.
566 ESQUISSES
arrête à celte lecture , m'expliqua comment , lorsqu'on bâtissait
sa maisonnette, le vent la renversa trois fois , et l'on n'en put
achever la construction qu'après avoir grave cette inscription
sur le mur. Je fus reçu par la femme du berj^er et son père,
vieillard de plus de soixante-dix-ans ; les enfans, blottis dans
un coin de la chambre , le bras devant leur figure, me regar-
daient à la de'robe'e , puis se cachaient en riant. La tristesse
que j'avais remarquée sur la figure du montagnard, je la trou-
val de même peinte sur celle de la Toja; le vieillard souriait
au contraire , et ce n'e'tait pas le sourire de la de'cre'pitude. Il
y avait du calme et de la dignité' dans le salut qu'il me fit,
puis il tendit la main à mon guide, et l'attirant dans ses bras,
lui montra par une fenêtre ouverte sur la vallée , la même mon-
tagne que regardait si souvent le Toy pendant notre trajet. Le
jeune homme et la jeune femme se jetèrent alors sur la poi-
trine du vieillard en sanglotant. Je ne comprenais rien à cette
douleur, et cependant elle avait quelque chose de si vrai que
je me sentais ému. Le vieux montagnard se tourna vers moi et
me dit en béarnais : « Excusez, Monsieur, c'est que le pic de
Mont-Aigu n'a plus de neige, et je l'ai déjà vu trois fois comme
cela ; c'est la dernière. Dieu vient de lui ôter son manteau ,
pour m'annoncer qu'il va bientôt m'ôter le mien. »
Je me rappelai alors d'avoir entendu quelquefois citer le
proverbe , Qui trois J'ois a liu terre de Mont- Aigu assez a vécu ,
que me développait si bien cette scène de famille. La résigna-
tion , la piété avec laquelle le vieillard prononça ces paroles
si naturelles en béarnais , me pénétrèrent d'admiration ; j'ad-
mirais la simplicité de ces bonnes âmes qui voient partout la
main de Dieu , et ne rougissent pas de paraître sensibles aux
yeux des étrangers. Le vieux Toy mit fin à cette effusion de
douleur en ordonnant à ses enfans de préparer le souper. C'é-
tait le brouet que l'on nomme dans le pays paste tourade , on
le fait avec de la farine de maïs que l'on a soin de faire préa-
lablement griller dans un vase de terre. Le maïs est très-sain ,
les Pyrénéens ne se nourrissent guère d'autre chose , et je ne
sais si c'est au grand usage qu'ils en font qu'ils doivent la force
de leur santé.
SUR LES Pï RÉNÉES. 567
On parla peu pendant le repas; quand il fut achevé' toute
la maison s'agenouilla devant on crucifix de bois , orné d'un
rameau de laurier, he'ni à Notre-Dame de He'as ; je fis comme
eux, ce qui ne parut pas peu les e'tonner. L'aïeul prononça
une prière patoise , et puis chacun gagna son lit.
De grand matin , je fus re'veille' par des chants ; le de'sir d'en
connaître la cause me fit passer la tête dans une petite lucarne
pratiquée sur le toit de la chaumière , et j'aperçus de joyeuses
troupes de Toys et de Toyas iiai descendaient de tous les points
de la montagne vers la valle'e , poussant des cris d'alle'gresse et
chantant des cantiques patois, u Etranger, me cria mon hôte»
venez-vous à la fête de saint Roch ? )>
Je lui re'pondis en descendant rapidement l'espèce d'e'chelle
qui conduisait de mon grenier à la salle basse. La famille avait
endosse' les habits du dimanche, la grossièreté' des e'toffes qui
les composent n'exclut pas toutefois une certaine e'ie'gance. C'est
pour les femmes un capnlet de laine rouge, borde' d'un large
velours noir, une brassière de gros drap et un cotillon rouge
gracieusement relevé par les bords , pour laisser voir un jupon
de toile blanche comme la neige. Le costume des montagnar-
des varie selon le canton : on reconnaît aisément le pays des
femmes h la couleur de leur capulel : celui des hommes est
le même partout, toujours le bonnet de serge, la veste ronde,
la culotte sans boucles, les grandes guêtres et la ceinture sans
laquelle il n'est pas de jour de fête et dont la couleur est inva-
riablement rouge.
Nous nous joignîmes à la troupe d'Ordensée ; tout le monde
marchait à pied, le vieux Toy lui seul était porté par un âne ;
la foule l'entourait, il avait tous les honneurs de la fête, c'é-
tait son dernier pèlerinage.
Ce fut un beau coup-d'oeil pour moi que celui de la vallée de
Campan, couverte d'une multitude de groupes animés, tous
se dirigeant vers un même point, la chapelle de Saint-Roch.
Chaque paroisse de son côté, les unes conduites processionnel-
lement par leur clergé avec la croix et la baimière en tête; les
autres précédées de leurs autorités civiles ; d'autres revêtues
du froc des pénitcns blancs on bleus , et faisant tinter la voix
568 ESQUISSES
raaqne des sonnettes à vaches. Toutes portaient des fleurs et
des fruits , toutes rendaient grâces à Dieu , et personne sur
leur chemin, personne ne s'arrêtait pour rire ou pour blas-
phe'nier.
Entre Campan et Sainte-Marie , à la droite de la route , se
trouve un autel de bois, surmonte' d'une statue de saint Roch;
l'autel est recouvert d'un toit de chaume et renferme' dans une
cabane dont une simple grille ferme J'entree ; un lierre touffu
tapisse exte'rieurement les murs de la chapelle. A cette même
place s'agenouilla saint Roch lorsqu'il pria Dieu de faire cesser
la peste qui de'vorait les habltans de la valle'e, et la tradition
porte qu'alors naquit le lierre qu'on y voit aujourd'hui et dont
le tronc atteste la vieillesse. La reconnaissance a e'ievé ce tem-
ple rustique. Toute l'anne'e les montagnards qui passent par ce
lieu se signent pieusement et jettent un sou en dedans de la
grille, pour faire dire une grand'messe au jour de la fête. Les
paysannes enceintes s'agenouillent devant l'autel afin d'obtenir
une heureuse de'iivrance , et les jeunes marie'es y vont de'poser
dans de jolis vases la fraîche jonquille ou la fleur odorante de
l'e'glantier.
Le lieu de la solennité' e'tait de'jà couvert de monde ; en y
arrivant je me crus transporte' dans les environs de Naples >
tant la coiffure des femmes avait de rapport avec celle des
Napolitaines : c'e'tait aussi un carre' d'e'tolFe e'ie'gamment posé
sur la tête, sans ruban, sans e'pingle pour le fixer, et qui ce-
pendant ne se de'rangeait jamais , quelque mouvement qu'elles
fissent. J'allais m'enque'rir de quel village étaient ces femmes,
lorsque Je vis celles d'Ordense'e , an milieu desquelles je me
trouvais, ôter lestement leur capulet, le plier en quatre et le
replacer ainsi sur le fichu de couleur dont leurs têtes e'taient
coquettement enveloppe'es ; cette pre'caution les garantit de la
chaleur cause'e par le poids de la laine.
Bientôt commença la ce're'monie. Toutes les voix qui chan-
taient naguères sans intervalle et sans mesure , rentrèrent su-
bitement dans un religieux silence, d'où elles ne sortaient que
pour re'pondre aux paroles du prêtre par un harmonieux unis-
son. Pendant la messe, un enfant de chœur promena dans l'as-
SUR LES PYRÉNÉES. 569
semblée un vaste plat d'e'tain , sur lequel s'e'levait autour d'un
corps Immain grossièrement sculpté, des flammes de bois pein-
tes en rouge; c'était une âme du purgatoire , et les fidèles s'em-
pressaient de jeter une petite pièce de cuivre dans ce plat qui
leur représentait si grotesquement les souffrances expiatoires
de leurs frères. Dieu vous le rende, s'écriait d'une voix rau-
que et gutturale ie jeune quêteur , et toute l'assemblée croyait
entendre les actions de grâces des morts souffrans (i). La messe
dite, l'officiant fit une exhortation patoise , bénit les chapelets
et les petites croix qui lui furent présentés de toutes parts , puis
le peuple se précipita sur le lierre de saint Roch , pour en
cueillir précieusement les rameaux. En un instant l'arbuste fut
privé de tonte sa verdure , mais l'an prochain il repoussera ,
image de cette bienfaisance infinie , que toujours l'on émonde
et qui refleurit toujours. La population de la vallée se dispersa
bientôt chantant les louanges de Dieu, portant triomphalement
des branches du lierre. Pour moi tout ému de ce touchant
spectacle , je pris congé de mes hôtes. Je serrai la main du vieux
Toy qui me bénit parce que j'étais le seul fils des terres plates
auquel il eût vu faire le signe de la croix, et quelques minutes
après j'étais sur le chemin de Bagnères.
(i) Cette cérémonie avait encore lieu il y a quelques années ; le
dernier évéque de Tarbes Fa supprimée.
570
WVW\W\ vV\rtAA\V\ W\A,'V\W\'W\'VV\'-V*'VV\'W\»VV»Vrf*W\'VV\WWW
NOUVEAUX VOYAGES ET I)IOUVELI.ES DECOUVERTES
DANS LE CENTRE DE l'aSIE.
La gazette de l'acade'mie de St.-Pe'tersbourg nous donne les
de'tails snivans sur un voyage exe'cale' dans le centre de l'Asie,
et dont la publication va paraître en Prusse.
« M. Dubois, ge'ologue ce'lèbre , est arrive' à Slmphe're'pol-
le-Garret, de retour du voyage qu'il avait entrepris dans les
provinces du Caucase , avec l'autorisation de S. M. l'empereur.
Il s'e'tait embarque' l'anne'e dernière à Sëvastopol pour l'Ab-
basie, dont il avait parcouru tout le littoral depuis Gbe'langik
jusqu'à Poti , et à la forteresse de Saint-Nicolas, examinant
tout le pays situe' entre la cliaîne occidentale du Caucase et
les montagnes neigeuses voisines des sources de la Koura , et
s'e'tait rendu à Tiflis pour y passer l'hiver, après avoir de'crit
les ruines remarquables à'Onpliss Tsissikké , en Karthalinie.
De Tiflis, il partit au commencement de fe'vrier, pour l'Ar-
me'nie , visita Erivan , pe'ne'tra jusqu'à l'extrême frontière de
cette province du côte' de la Perse et de la Turquie d'Asie, et
l'examina avec une attention particulière sous le rapport de
la ge'ognosie et des antiquite's; n'ayant pu monter sur l'Ararat,
à cause des neiges profondes qui le couvraient encore à cette
e'poque, M. Dubois revint à Tiflis par le Karabakh et Elisa-
betbpol.
Il fit encore un nouveau voyage en Kakhétie et dans le Ki-
sikh, et revint une seconde fois à Tiflis, d'où il prit la route
ordinaire pour se rendre aux eaux mine'rales par Vladi-Cau-
case et Catlie'rinograd , examinant en passant les montagnes
voisines, et visitant le sommet du Beschtau. De là il revint
par Stravropol , le long du Kouban , a Kertch , oii il dessina
quelques antiquite's nouvellement de'couvertes.
M. Dubois a rapporte' de ce voyage une foule d'observations
neuves et intéressantes sur la ge'ognosie , une importante col-
lection de pétrifications et de mine'raux, et plus de deux cents
DÉGOUVEBTE DE LA VILLE d'aZAWIE. 571
dessins , parmi lesquels nous citerons une vue ge'ne'rale de
tout le littoral de l'Abbasie , avec la repre'sentation exacte des
ruines de Pyteus (Pitsounda ou Bitclivinda ), et d'une foule
d'autres lieux qui s'y trouvent; une vue de'taille'e de la ville
d'Oupliss-Tsikhe', taiile'e dans le roc sur les bords de la Koura,
plusieurs vues de l'Ararat, des sites au bord de l'Araxe, dans
les environs d'Akhaltsikb , etc. , ainsi que les plans des e'glises
et des ruines que l'on trouve dans les provinces me'ridionales
du Caucase , et une foule de cartes et profils ge'ognostiques.
Son porte-feuille renferme en outre plus de mille petits des-
sins de me'dailles, costumes, ornemens d'architecture, etc., etc.
De'jà M. Dubois avait parcouru la Crimée avec le même ta-
lent d'observation , et avait re'ussi a composer une carte très-
de'taille'e et fort exacte de la Cliersonèse, carte si indispensable
pour l'histoire de la Russie. Il se propose de se rendre à Berlin
pour la publication de son voyage, n
Découverte de /avilie d'Azanie , dans la grande Phrygie ,
conservant encore la plus grande partie de ses magnifl-
ques monumens.
Sur la recommandation de l'Institut, M. Texier , Jeune ar-
chitecte plein de zèle et d'instruction , a e'te' envoyé' à Con-
stantinople par les ministres de l'inte'rieur et de l'instruction
publique, pour e'tudier les monumens de celte ville, et faire
des recherches dans diverses parties non explore'es de l'Asie-
Mineure. De'jà le voyageur a envoyé' des dessins de monumens
Jusqu'ici très- imparfaitement connus. Il explore maintenant
rAsie-Mineure , et l'extrait suivant d'une leltre que vient de
recevoir son frère , montre tout ce qu'on doit attendre du zèle
et du talent de M. Texier. Elle est relative à la ville A'Azanie,
dans la gi'ande Phrygie, ville de'jà visite'e par plusieurs voya-
geurs (i). Cette lettre contient l'annonce la plus inte'ressante
pour les amis des arts.
(i) Le journal des Débats ayanl rendu compte de cette découverte,
572 DÉCOUVERTE DE LA. VILLE d'aZANIE.
(( J'ai trouva là des antiquités du plas grand intérêt , un
temple magnifique entoure' d'une colonnade ionique; c'est nne
chose merveilleuse, et l'Italie ni la Grèce n'ont rien de sem-
blable , ni pour la pureté' du style ni pour Ja conservation.
Sur les murs de l'enceinte sont encore huit inscriptions grec-
ques et latines relatives aux grandes fêtes panhelle'niques et
aux actes de l'autorité' publique ; je les ai copie'es toutes. J'ai
dessine' et mesure' le temple avec le plus grand soin , car c'est
un monument qui doit faire un grand effet à Paris.
» La ville antique a encore presque tous ses monnmens :
les ponts de marbre , les quais , les tombeaux de marbre , le
tbe'âtre , le cirque enfin. Je ne pense pas que dans toute l'Asie
d'une manière peu exacte , a publié la réclamation suivante de M. Alexan-
dre de Laborde. — o Monsieur , au moment de publier mon voyage dans
r^sie-Mineure , il m'importe de rectifier une erreur qui s'est glissée dans
le compte que vous avez rendu des travaux du modeste et courageux
voyageur M. Texier.
» Vous dites : La ville antique ct/izani forme une des découfertes
les plus curieuses de son voyage. Là existe un grand temple grec j etc.
Ceci n'est point exact , et M. Texier dit lui-même dans ses lettres qu'il
a trouvé les traces de notre séjour dans ce lieu. En attendant la pu-
blication prochaine de nos dessins , qui prouvera le soin que nous avons
mis dans nos travaux , il me suffira de rapporter ici les paroles du res-
pectable M. Michaux, tome III, de sa Correspondance sur l'Orient ,
pag. 1^7 : « Longtemps les voyageurs avaient traversé le pays de Koutaya
sans y rencontrer les ruines d'Elanos ou d'Azania. Cette ville grecque
était comme perdue et entièrement effacée de la mémoire des hommes,
lorsqu'en 1826, M. Alexandre de Laborde, passant à Koutaya, apprit
qu'il existait de belles ruines à huit lieues de là , à l'ouest , près d'un
village appelé ChapDeer. Le voyageur, accompagné de son fils , M. Léon
de Laborde, se rendit au lieu qu'on lui avait indiqué, et trouva au
penchant d'une colline les restes magnifiques d'une antique cité , deux
temples ioniques bien conservés , etc.
» Cette réclamation de ma part n ote rien au mérite de M. Texier
qui vient de faire des découvertes bien autrement importantes dans la
Cappadoce , province que la violence de la peste en 1827 nous empê-
cha de visiter , ainsi que la singulière vallée d'Anarbus près d'Adaua ,
qui attend encore l'investigation de quelques voyageurs entreprenans. »
DÉCOUVERTE DE LA VILLE d'azAKIE. 573
je trouve rien de si parfait et de si bien conservé. Le tlie'âtre
est un monument dans le genre du temple ; il est aussi entier
que possible, c'est-à-dire que la scène, cbose si rarement con-
serve'e dans les the'âtres antiques , est encore là tout entière ,
mais les colonnes, par suite de quelque tremblement de terre
ou autre commotion, se sont e'croule'es , et l'on marcbe dans
l'orchestre sur un monceau de de'bris de chapiteaux, de cor-
niches sculptées avec un goût admirable, La frise du prosce-
nium repre'sente des chasses d'animaux sculpte's presque en
relief; on y remarque entre autres le bœuf bossu ou ze'bu ,
de'vore' par un lion : cet animal n'existe plus maintenant que
du côté de l'Inde; puis ce sont des cerfs, des sangliers, dé-
vorés par des chiens, des courses de chevaux, etc. Tous ces
morceaux admirables sont là , abandonnés dans la solitude la
plus profonde , car pas une âme ne visite ces ruines. Les co-
lonnes sont également d'ordre ionique. Les portes avec leurs
ornemens sont encore en place. Les salles des mimes, tous les
gradins de marbre, soutenus par des griffes de lion, sont pres-
que intacts. Si quelques-uns sont dérangés, ce sont les brous*
sailles qui poussent dans les joints qui les ont déplacés. En
face du théâtre est le cirque , tout de marbre blanc. C'est
comme une ville de fées. Au milieu de toutes ces beautés sont
pêle-mêle les maisons du village, bâties presque tontes des
débris d'autres monumens.
1) Près du temple est un grand portique , probablement le
Gymnase , avec des colonnes d'ordre dorique grec. J'ai fait
démolir une muraille pour en extraire un chapiteau que j'ai
dessiné. J'ai fait également , près du temple , plusieurs fouilles
pour reconnaître la porte d'enceinte dont j'ai retrouvé onze
colonnes. Tous ces travaux sont les premiers de ce genre qui
aient été exécutés en Asie ; car , jusqu'à présent , les Turcs
étaient ennemis jurés de ce genre de recherches. J'ai monté
sur le temple, qui a trente-six pieds d'élévation, par le moyen
de mon cerf-volant échelle. C'est le fils de l'iman qui m'a fourni
tous les agrès pour me hisser : on m'a monté dans un grand
panier.
» Mon voyage s'annonce bien; je voyage avec le luxe d'un
574
HISTOIRE NATIONALE.
bey ; j'ai toujours ane douzaine d'hommes à ma disposition.
J'espère, si je continue à trouver des choses aussi inte'ressan-
tes, que mon voyage ne sera pas sans inte'rêt.
)) Ma lettre de Kutaya a dû te paraître un peu ennuyeuse ;
c'est que je venais de bisquer contre mon Tartare ; je l'avais
même menace' d'e'crire à l'ambassadeur , mais tout s'est ar-
rangé : maintenant il est très-soumis.
» Je suis maintenant à Kedous, l'ancienne £fl!t^i de Strabon;
mais je n'y ai pas e'ie' aussi heureux en antiquite's. Il ne reste
absolument rien que le fleuve Hermus, qui coule toujours au
milieu des volcans ; car nous approchons de la Phrygie cata-
cécaiimène ou brûlée. Je vais à Karahissar , l'ancienne Prym-
nesia ; de là je chercherai Synnada dans les montagnes voi-
sines , puis à Eskiclicher ( Boryleum ). )>
HISTOIRE NATIONALE.
Extraits des Procès- Verbaux de la Commission royale
d'Histoire (1).
Séance du 5 décembre. — M. le ministre de l'inte'rieur , qui
prend aux travaux de la commission l'intérêt le plus flatteur , et
qui les facilite avec une extrême bienveillance, fait savoir qu'il re-
grette que des occupations urgentes et multipliées l'empêchent d'as-
sister à la séance.
Après la lecture de la correspondance , le pre'sident dépose sur
le bureau le catalogue des manuscrits relatifs à l'histoire de la Bel-
gique qui se trouvent à la bihiiothèque de Bruges. Ce catalogue ,
très-bien rédigé, a été envoyé' par le de'partement de l'intérieur.
M. l'abbe' De Ram y joint !a liste des manuscrits relatifs au même
objet, conservés aux archives de l'archevêché de Malines.
L'ordre du jour amène l'examen des différentes soumissions pour
l'impression des Chroniques.
(i) V. ci-d. tom. X, p. 285, et 445.
HISTOIRE NATIONALE. 575
La commission voit avec plaisir que son appel a été entendu par
MM. les imprimeurs , et que tous ils ont vu , dans l'entreprise qui
leur était proposée , une affaire d honneur et de nationalité plutôt
qu'une spéculation.
Après un mûr examen , l'impression des Chroniques a été adjugée
à M. Hayez de Bruxelles , eu égard à la modération de ses prix
et aux garanties qu'il présente sous tous les autres rapports.
M. Gachard demande la parole pour diverses communications.
II rappelle à la commission que l'un des ouvrages dont elle a ré-
solu l'impression dans sa première séance, est le Récit des trou-
bles de Gand sous Charles-Quint par un témoin oculaire. Dans
une tourne'e qu'il vient de faire en Flandre, par ordre de M. le
ministre de l'inte'rieur , pour l'examen des de'pôts d'archives , il a
donné une attention particulière à la recherche des pièces qui peu-
vent répandre quelque jour sur les événemens auxquels ce récit est
consacré. A Audenaerde , il en a trouvé de fort intéressantes. Jean
d'Hollander, dans son mémoire qui fait partie des Analecta Bel-
gica de Hoynck van Papendrecht , ne parle pas des commotions po-
pulaires qu'il y eut dans cette ville, à l'instigation des Gantois :
les documens que renferment les archives serviront à remplir cette
lacune; quelques lettres des Gantois et de la gouvernante, et plu-
sieurs autres pièces, me'riteut aussi d'être consultées. A Gand,
M. Parmentier , archiviste de la ville , qui a commencé d'introduire
de l'ordre dans l'important de'pôt dont la garde lui est confiée , et
auquel on est redevable déjà de la de'couverle de monumens pré-
cieux qui y étaient enfouis (i), lui a montre' la sentence originale
de Charles-Quint portée contre les Gantois le dernier avril i54o :
elle existe aux archives en français et en flamand. L'un et l'autre
texte est e'galement authentique : tous deux e'crits sur un cahier
(i) M. Parmenlicr a, entre autres, recueilli, parmi des papiers qui
avaient été regardés avant lui comme insignitians , des pièces du plus
haut intérêt sur ce qui se passa à Gand, à l'occasion de la reforme,
en i565 , i566, et dans les années suivantes : il eu a formé trois volumes.
Il a découvert aussi , dans des papiers du même genre , un original de
l'union d'Utrecht , en iSjg, le seul probablement qui existe dans la
Belgique. ( De Reiffenberg. )
576 ■ HISTOIRE NATIONALE.
Âe parcliemin , sont scellés du sceau de l'empereur, et portent sa
signature; mais, d'après M. Gacliard , le texte français serait ce-
lui dans lequel l'acte aurait d'abord été conçu , et cela résulte , selon
lui, d'une indication qui se trouve au bas du dernier feuillet écrit
de chaque cahier. On lit, en cet endroit, sur l'acte en français :
La sentence rendue par V. AI. au fait de Gand , et sur l'acte
rédigé en langue flamande : Duplicat de la sentence rendue par
V. M. au fait de Gand ^ en flamand. La commission sait que
c'est le texte flamand qtj'a publié Jean d'Hollander : M. Parmen-
lier , qui a comparé la leçon insérée dans les Analecta Belgica
avec le texte original , a reconnu c|u'ellc présentait des fautes nom-
breuses et considérables. Il y a encore, aux archives municipales
de Gand , un registre qui doit contenir un renseignement aussi
curieux que certain sur les faits qui se rattachent à la révolte de
cette ville : on y trouve les délibérations de la collace pendant
l'année iSSq. M. Gachard espère découvrir dans ce dépôt d'au-
tres documens encore , lorsqu'il l'examinera en détail , ce qu'il n'a
pas eu le loisir de faire dans sa dernière tournée.
Indépendamment de toutes ces pièces, qui répandent tant de
lumières nouvelles sur un des événemens les plus marquans de notre
histoire M. Gachard informe la commission que les archives du
royaume en recèlent beaucoup qui ne sont pas moins importantes,
et oui sont inédites aussi. 11 cite : i° Un compte, rendu par Thiéri
de Herlaer , prévôt-général des Pays-Bas , des exécutions criminel-
les faites par lui du 23 juillet iSSg au 26 janvier i543, compte
dans lequel figure l'exécution de plusieurs des principaux auteurs
de la révolte de Gand, condamnés à mort par Cliarles-Quint ; 2° un
manuscrit de la chambre des comptes , où se trouvent une relation
flamande (2) des troubles qui précédèrent l'arrivée de l'empereur,
et des pièces y relatives ; 3 ' quantité de lettres de la reine Marie ,
gouvernante des Pays-Bas à cette époque , écrites aux villes et aux
seigneurs de Flandre , avec les réponses de ceux-ci.
(i) Elle est intitulée . Corl -uerhael van de principaclstc gheschiede-
nissen gebeurt hinnen de stadL van Gendt in 't jaer iSBq; ende î54o.
( Idem. )
HISTOIRE 3ÏATI0NALE. 577
Ne serait-il pas fâcheux , dit-il en terminant , que , étant en pos-
session d'une collection aussi considérable el aussi riche de docu-
mens ignores jusqu'à nos jours sur les troubles de i536, i538
et iSSg, il n'en fut pas fait usage? Il propose donc que de nou-
velles de'marches soient faites auprès des héritiers de feu M. Van
Hulthem , aûn qu'ils veuillent rechercher , parmi les manuscrits qu'il
leur a légués , celui qui est indiqué au commencement de ce rapport.
Il est d'autant plus permis de compter sur des dispositions de leur
part conformes au vœu de la commission , que , en la mettant à
portée de publier l'ouvrage dont il s'agit, ils aideront à l'accomplis-
sement des intentions qu'avait annoncées le savant dont la mémoire
leur est chère.
M. Gachard présente ensuite à \\ commission la chronique de
l'abbaye de Tronchiennes , laquelle était gardée dans les archives
de ce monastère avant la suppression des établisscmens religieux.
La conservation de ce précieux monument historique est due à
M. Ferdinand de Caigny , de Gand, amateur zélé de nos antiquités
nationales. La chronique de Tronchiennes se trouvait parmi des pa-
piers que lui laissa un de ses parens, qui les tenait d un des der-
niers religieux de l'abbaye ; mais tous les feuillets en étaient dis-
persés. M. de Caigny la reconstruisit avec autant de discernement
que de soin ; et , pour ajouter encore à la reconnaissance des amis
de l'histoire nationale , il vient d'en faire don au plus considérable
de nos dépôts littéraires , aux archives du royaume.
La chronique de Tronchiennes, écrite dans un latin assez pur,
commence à l'année 66 1 , et elle se continue jusqu'à l'année i64o.
Elle forme 46 feuillets in-folio ; elle est suivie de notes et de pièces
historiques, qui comprennent 17 feuillets. Elle est sur papier.
La commission vote des remercîmens à M. de Caigny , et la chro-
nique est remise à M. Warnkœnig , auquel est confié le soin de
la publication des chroniques latines de Flandre.
M. Gachard entretient la commission d'un manuscrit qu'il a vu à
Audenaerde chez M. J.-F. Demerlier , employé de la régence, à qui
il appartient. Ce manuscrit est une chronique de la ville et de la
châtellenie d' Audenaerde, compilée par feu M. B. Derantere , beau-
père de M. Demerlier, qui consacra à ce travail près de vingt an-
nées. M. Derantere était archiviste de la ville : il puisa abondam-
T. X. 40
578 HISTOIRE NATIONALE.
ment en ce dépôt, ainsi que dans les archives de l'ancien châtellenie,
qu'il avait également à sa disposition. Il s'aida, de plus, des ma-
nuscrits de Vandenbroeke, qui fut pensionnaire de la ville et re-
ceveur de la châtellenie au commencement du 17'' siècle, ainsi que
de ceux du père de Bleckere , de la société de Jésus. Enfin il con-
sulta la plupart des historiens connus , tels que Gramaye , Sanderus,
Oudégherts, Van Meteren , Hooft , Pierre Bor, Strada, Carpentier,
Veranncman , Robyn , Vaernevpyck, Panckoucke, Dewez. Ces ren-
seignemens sont fournis par lui-même dans le titre de son ouvrage.
La chronique de M. Derantere commence à l'année 611 , et elle
est continuée sans interruption jusqu'à l'année i644' Elle est ré-
digée en flamand. Le compilateur y a joint un recueil des chartes
qui concernent Audenaerde ; une îiste des gouverneurs de cette ville,
depuis l'année i33o, et une liste de ses magistrats , à partir de i36r
jusqu'à nos jours. Son manuscrit comprend près de 3ooo feuillets,
format in-folio, écriture assez serrée : les événemens du 16" siècle
remplissent environ 1900 feuillets; le recueil des chartes en a 258.
Dans un très-rapide examen qu'en a fait M. Gachard, il a remarqué
que le récit des événemens était en général précédé ou suivi de
pièces y relatives , et c'est ce qui explique létendue de cet ouvrage.
Il paraît que sous le gouvernement précédent , il avait été fait
des propositions à M. Derantere, dans le but d'acquérir son manus-
crit pour l'Etat. M. Demerlier serait disposé à le céder pour cette
destination.
La commission croit devoir appeler l'attention de M. le ministre
de l'inte'rieur sur le rapport qui pre'cède.
Enfin , M. Gachard donne communication d'une lettre qu'il a
reçue de M. Holvoet, archiviste de la Flandre occidentale. « Pour
'> autant, dit M. Holvoet dans cette lettre, que mes faibles con-
» naissances me permettent de porter un jugement sur les diA^ers
» monuraens dont il est fait mention dans les procès-verbaux des
» séances de la commission d'histoire , j'ai cru remarquer que, les
» actes des Saints exceptés , ils avaient en général plus de rapport
» à l'histoire politique qu'à l'histoire des mœurs et de l'industrie.
» Cette dernière, qui est assurément la plus intéressante, la plus
» instructive et la plus utile , a été généralement ne'gligée par nos
» vieux auteurs : c'est à la génération présente qu'est re'.serve'e
HISTOIRE NATIONALE. 579
)) peut-être la gloire de remplir cette immense lacune. Les maté-
» riaux authentiques ne manquent pas. Les anciens comptes des
» villes et des cbàtellenies sont des mines très riches qui n'ont été
)) encore que peu exploitées. La ville de Bruges possède une série
). de comptes commençant en 1289 : les archives du Franc en ren-
» ferment une qui commence un siècle plus tard. Je pourrais m'oc-
)> cuper , dans mes momens de loisir, d'extraire de ces collections
» tout ce qui s'y trouve d'intéressant, et l'envoyer à la commission ,
)> si elle le juge convenable. » M. Holvoet dit ensuite qu'il est pos-
sesseur d'un manuscrit de la chronique de Despars, si souvent citée
par les historiens de la Flandre ; qu'il avait commencé , avant la
révolution, de le collationner sur l'original, qui appartient à M. de
Croeser, à Bruges, mais que les événemens politiques lui ont fait
interrompre ce travail; qu'il le reprendra très-prochainement, et
que, au fur et à mesure que quelque partie en sera achevée, il l'a-
dressera , soit à la commission , soit à l'un de ses membres qu'elle
voudra bien lui désigner. Il termine, en faisant observer que, s'il
entrait dans le plan de la commission de réimprimer d'anciens ou-
vrages devenus rares, la chronique de Flandre, intitulée : Dits
die excellente chronike van P laenderen , imprimée à Anvers
en i53i , mériterait peut-être cet honneur; qu'elle est très-curieuse,
principalement sous le rapport de l'histoire des mœurs , et que ce
n'est pas sans peine qu'on parvient à se la procurer aujourd'hui.
La commission, qui apprécie l'importance de la lacune indiquée
par M. Holvoet, relativement à l'histoire civile, morale et indus-
trielle de la Belgique, lacune qui existe encore, malgré les efforts
de plusieurs savans et même de quelques-uns de ses membres à qm
l'on doit de précieux matériaux sur cette matière, reconnaît avec
lui que le dépouillement des comptes des villes, des chàtellenies ,
des provinces, doit procurer, sous ces différens points de vue,
des lumières aussi certaines qu'abondantes. Elle applaudit donc hau-
tement au désir qu'il annonce de compulser ceux de la ville et du
Franc de Bruges; elle recevra avec gratitude le résultat de son tra-
vail , et elle émet le vœu que son exemple soit suivi dans d'autres
localités. Elle l'invite, en outre, à s'occuper le plus tôt possible,
ainsi qu'il en exprime l'intention , de la collation de son manuscrit
de la chronique de Despars , sur l'original , et à lui en adresser
40.
580 HISTOIRE NATIONALE.
successivement les diffe'rentes parties , avec les variantes et toutes
les remarques dont il jugera devoir les accompagner. Quant à
V excellente chronique de Flandre ^ la commission, qui en consi-
dère la réimpression comme très-utile , regrette que ce travail sorte
de ses attributions et du plan qu'elle s'est tracé.
Pour extraits conformes ;
Le secrétaire , Baron de Reiffenberg.
Séance du 6 décembre.
La commission arrête un projet de contrat à passer entre elle et
M. Haycz, sauf l'approbation et la ratification de M. le ministre
de l'intérieur.
M. Willems soumet à l'examen de la commission le résultat de
ses recherches pour la composition du Codex diplomaiicus , qu'il
se propose de joindre à son travail sur Van Heelu , et qui contient
environ i53 diplômes du règne de Jean I"', duc de Brabant, dont
la plupart sont inédits.
BI. De Ram informe l'assemblée que M. Goethals-Vercruyce , de
Courtrai , lui a fait remettre une copie des passages qui manquent
dans le testament attribué à sainte Aldegonde, publié par Mirasus,
Diplom. Belg. , t. fil, p. 557 , et Ghesquière , Acta SS. Belgii
selecta, t. TV, p. 3o5.
Il sera écrit à M. le président du séminaire de Gand, pour ob-
tenir communication de la copie de la chronique manuscrite de Saint-
Bavon , qui doit exister dans cet établissement.
M. Warnkœnig lit la notice suivante :
Chronique de li Muisis.
La suite de la chronique de li Muisis se trouve dans la biblio-
thèque de mademoiselle le Candele de Ghyseghem, à son château
près d'Alost.
C'est un volume sur parchemin, petit in-folio de 60 feuillets
de 10 pouces de long et 6 de large , avec 5 vignettes fond en or
et coté n' 362. Une main du i6^ siècle a écrit, sur le feuillet de
garde , la note suivante :
HISTOIRE NATIONALE. 581
JEgidii li Muisis , monasterii sancti Martini Tornacensis ab-
hatis XVII , tractatus de accidentibuf! anni MCCCXLIX ,
anni CCCL, LI, LU (i), in quo continetur prolixa narratio
de destructione Judœorum , de secta flagellantium ac de ingenti
mortalitate quce Tornaci tum temporis et in cûris circumvicinis
per totum viguerat mundiim , deque aliis pluribus eventibus. Ac-
cedit abbatum hujus cœnobii a primo usque ad decimum sextum
séries rythniice deducta.
L'écriture de ce manuscrit est beaucoup moins belle que celle du
manuscrit appartenant à M. Goethals de Courtrai. La copie a été
faite par ordre de li Muisis lui-même , mais d'une autre main que
ce dernier manuscrit, écrit également sous ses yeux par un calli-
graplie habile. A la première page du manuscrit de Ghyseghem, li
Muisis parle de sa chronique en ces termes :
Ego liumilis abbas monasterii sancti 3Iartini Tornacensis or-
dinis sancti Benedicti , decimus septimus post restauraiionem
cœnobii, postquam déstructura fuit a J^Vandalis et Normanis»
considerans in anno MCCCXLIX post festnm omnium sanc-
torum , quod est in capite mensis novembris , quod terminus ille
erat annus sexagesimus completus , quo fueram monachus in
dicta cœnobio , et annus septuagesimus cetatis meœ et XT^III
promotionis meœ in abbatem , librum scribi feceram in quo con-
tinentur , etc.
Il dit ensuite qu'il a rassemblé et classé les faits , et qu'il a fait
copier le tout : compilaveram , ordinaveram , et scribi feceram.
Il résulte de cette notice qui li Muisis est né l'an 12^9 ;
Qu'il est entré au monastère l'an 1289 , à l'âge de dix ans ;
Qu'on l'a nommé abbé l'an i33i , à l'âge de 52 ans;
Et qu'il -vivait encore en i352, où il avait -^4 ''"s-
Il nous raconte dans cette même préface qu'il avait eu pour ami
intime le magister Jean de Harlebeke , très-versé dans l'astrologie
et néanmoins très-catholique, qui, l'an 1298, lors de la guerre
entre le comte Guy de Flandre et le roi Philippc-le-Gros, lui avait
(i) Nelis se trompe donc en déclarant que la chronique finit en i3f)i
luiiiée de la mort tic li Muisis.
( De Reiffenberg. )
582 HISTOIRE NATIONALE.
fait des pronostics jusqu'à l'an 1349, auxquels li Sluisis n'avait pas
ajouté foi , quoiqu'ils se soient réalisés par la suite.
Cette continuation de la chronique de li Muisis est une espèce
de journal anecdotique , dans lequel les récits historiques étendus
sont entremêlés d'un grand nombre d'historiettes. Il y a , en outre»
des poèmes qui forment à peu près la moitié de l'ouvrage : par
exemple, un sur le pape Clément VI. La destruction des juifs par
le feu , l'histoire des flagellans et des caravanes qui arrivèrent par
200 , 400 , 5oo personnes de toutes les parties de la Flandre , de
la Hollande et d'ailleurs à Tournay , pour faire pénitence, ainsi
que le siège de Calais par les Anglais ( p. 59 et suiv. ) , sont lon-
guement racontés.
On voit , par les fréquens pronostics rapportés dans le livre , que
le chroniqueur était fort superstitieux. Il en cite entre autres d'un
certain Johannes de Mûris ( fol. 35) (i). En parcourant le vo-
lume , nous avons rencontré quelques observations dignes d'être
annotées :
Par exemple, en parlant du peuple flamand, page 20, il dit :
Flandriœ populus est capitosus et mutabilis ; tamen Cornes toto
iùlo tempore est dominât us ; et de textoribus et fuilonibus et aliis ,
qui in guerris maie se gesserant , facta est justitia non modica
publica et privata , secundum quod audivi a pluribus fide
diffnis.
o
L'an i35o, tout était fort cher à cause de l'altération de la mon-
naie. Li Muisis dit :
Masuria bladi vendebatur XX solidorum debilis monetce , et
vinum duobus solidis.
Et omnia cara erant propter monetam debilem.
M. de Reiffenberg fait observer que Jesn Cousin , en son histoire
de Tournay, publiée i'an 1620 , cite les chroniques de li Muisis ,
(1) C'était peut-être le docteur de Sorbonne , chanoine de Téglise de
Paris , conteaiparain de li Muisis et qui est considère comme Tun des
restaurateurs de la musique. II s'était aussi beaucoup occupé des ma-
thématiques avec lesquelles l'astrologie avait alors d'étroites liaisons.
( Idem.)
HISTOiaE NATJONALE. 583
t. I, p. 60 , 68, 80 , 84, 87 , 94 , 96, 98, 100, 101 , io5 , 106,
ii4; et que Sandëius , dans sa Bibl. mari. Belgii, en parlant de
la bibliothèque de St. -Martin de Tournay , donne les indications
suivantes, t. I, p. 128 :
5g. Liber primus chronicorum jEgidii li M assis ( li Muisis ),
ahbaf.is ILVII hujus cœnobii post resfaurationeni.
60. Liber secundus chronicorum jiEgidii li Mussis cum figuris
elegantibus.
61. Liber lamentationum JEgidii li Mussis .^ gallico idiomate.
La seconde édition de la Bibliothèque historique de la France
porte : 8G3i MS, De vita et obitu Andreœ Ghin de Florentia
et Joannis de Pralis , auctore j^gidio li Musis , abbate S.-Mar-
tini Tornacensis.
Avec cette note :
Cette vie est citée par Valère André dans sa Bibliothèque des
Flandres (sic). André Ghiu est mort en i342 , Jean des Prez
en 1349, et li Muisis en i353.
12,634 ^^^' Catalogus antistiturn cœnobii Martiniani , usque
ad annum i35o, rilhmo latino et gallico , auctore jEgidio li
Musis , hujus cœnobii abbate.
Avec celte note :
« Ce catalogue est cité par Valère André dans sa Bibliothèque
des Flandres, Cet abbé est mort en i353. »
17,020 MS. Libri duo chronicorum yEgidii li Musis ( siue
Musii)^ abbatis X.V11 cœn. Tornac. post restaurationem , ab
anno 972 ad annum i348. ( On a vu tout-à-l'heure que ces chro-
niques vont jusqu'en i352.)
Avec cette note :
« Cette chronique est conservée dans la bibliothèque de ce mo-
nastère, selon Sanderus , 1. 1 de sa Bibl. des MSS. belg. , p. 128.
Elle (était) aussi dans la bibliothèque de M. Colbert , n° 6994
(d'où elle a passe à celle du roi). L'auteur est mort en i353. Il
rapporte beaucoup de choses depuis le temps de St. -Louis jusqu'en
i35o (et sur le titre on dit qu'il s'arrête en i348)! qui regardent
les affaires de France et de Flandres. «
M. de Reiiïenberg rappelle aussi que le savant Bre'quigny a in-
sère' un extrait très-intéressant de la chronique de li Muisis , d'à-
584 HISTOIRE NATIONALE.
près le manuscrit de Colbert, dans les Notices et extraits des
manuscrits de la bibliothèque du roi (lySg), t. II , p. -ziS et
23o , et que M. Delpierre de Bruges vient d'en traduire une partie
dans ses Chroniques , traditions et légendes.
Ces observations terminées , M. Warnkœnig présente des ren-
seignemens sur d'autres MSS. qu'il a examinés chez mademoiselle
le Candele, oîi il s'était rendu avec MM. de Gerlache et Wiliems,
sur l'invitation de M. le ministre de lintérieur.
Le manuscrit n° 4^9 > ccrit au iS*" siècle, contient les généalo-
gies des ducs de Brabant et des comtes de Flandre.
Celle-ci se trouve aux dix derniers feuillets intitulés :
Catalogus ac genealogia forestariorum , principum et comitum
Flandriœ.
Elle finit l'an i43i avec Philippe-le-Bon.
L'histoire fabuleuse est , au commencement , mêlée avec les faits
historiques : on rencontre de temps en temps des arbres généa-
logiques.
Le manuscrit n" 366 contient une histoire du pays et de la ville
d'Alost. Elle est rédigée sans critique et sans citation des sources :
écrit en 1770.
On lit à la fin du manuscrit les phrases suivantes :
Hœc comitatus urbisque Alostanœ chronica , lector amantis-
sîme , ex veterrimo vitiosoque epitome in urbis Bruxellensis ra-
iiocinario nuper reperto , sedulo in quantum valui descripsi ,
animo ; et quoniam chartam adeo inquinatam reperi
Alosti ^ 18 januarii 1770.
/. B. t'Kint Alostanus , 1770.
N" 84. Cy commencent les chroniques de France : cy com-
mencent les chroniques d^ Angleterre. La déclaration du droit
que les Anglais prétendent au royaume de France. In-folio ,
i5® siècle.
N° 363. Une chronique de Flandre , inédite jusqu'en i^^i.
N° 3g I. Description de la Flandre gallicant , par Godefroi.
N° 385. TVetlen van Brushe : annales des bourgmestres et
échevins de Bruges, très-bien écrites, avec les armes dessinées.
HISTOIRE NATIONALE. 585
MANUSCRITS DE MM. HOLVOET ET VERMEIRE.
M. Warnkœnig s'est occupé également des manuscrits communi-
qués à la commission par MM. Holvoet et Vermeire de Bruges.
Le premier est une copie faite au iG*' siècle de la chronique du
monastère de Saint-André de Bruges. Cette chronique , qui a pour
auteur un moine de Saint-André nommé Goethals , a déjà fixé en
1829 l'attention de M. Van Praet, qui en a traduit un extrait à la
suite de son ouvrage sur l'origine des communes flamandes, p. 83.
M. Warnkœnig avait aussi examiné l'original en i832. Cette chro-
nique doit être publiée dans une collection des chroniques de Flan-
dres. Une copie de l'original se fait dans ce moment à Bruges, et
on y comparera le manuscrit de M. Holvoet pour voir s'il s'y trouve
quelques additions intéressantes.
Le commencement de cette chronique est surtout curieux ; l'au-
teur raconte avec beaucoup de détails l'insurrection des moines de
Saint-André , alors soumis à l'abbaye d^AfïIighem , et leur affran-
chissement de cette dernière.
Il y a en outre plusieurs chartes des comtes de Flandre du i3^
siècle insérées dans le récit historique, et qui n'existent plus :
Par exemple , une sur les écJievins de Flandre , institution qui
n'est mentionnée chez aucun auteur , et que M. Warnkœnig a ex-
pliquée dans son Histoire politique et législative de la Flandre
au moyen-âge , qui vient d'être publiée.
Le manuscrit communiqué par M. Vermeire est un vrai trésor
pour l'histoire de Flandre au moyen âge. Il est écrit vers 1422 et
contient la chronique des comtes, mais plus complète qu'aucune
autre connue jusqu'à présent.
Il renferme d'abord tout au long l'histoire fabuleuse des temps
les plus anciens , comme le manuscrit trouvé par M. Warnkœnig
à Lille.
Ensuite la chronique se continue depuis l'an i347 ? °^ ^^ partie
imprime'e par les Bénédictins cesse , jusqu'à l'an \^ii\ cette suite
forme 21 pages en petit in-folio, écriture très-serrée.
Toute l'histoire de la Flandre sous Philippe d'Artevelde y est
racontée.
M. Warnkœnig a fait copier sous sa direction celle partie de la
586 HISTOIRE NATIONALE.
chronique. Malheureusement l'e'criture est si difficile à déchiffrer
qu'il a dû laisser quelques lacunes , qu'on remplira sans doule à
l'aide du manuscrit qui se trouve à Lille.
M. Warnkœnig s'est convaincu par l'étude du manuscrit que
la suite de la chronique a été faite à Bruges et qu'elle a servi à
Custis , qui l'a souvent textuellement traduite dans ses Annales
de Bruges.
M. Warnkœnig avait été chargé de rendre compte du catalo-
gue des manuscrits de la bibliothèque de l'Université et de la ville
de Gand.
Il y a long-temps qu'il avait examiné les manuscrits de cette bi-
bliothèque , qui sont relatifs à l'histoire de Flandre. ( Il n'y a guère
d'autres manuscrits historiques. )
Il en a même de'crit quelques-uns dans l'introduction littéraire
de son Histoire politique et législative de la Flandre au moyen-
âge / notamment ceux-ci :
Le numéro 2i3, exécuté à la fin du g^ siècle , contient la vie
de saint Amand , fondateur des couvens de Saint-Bavon et de
Saint-Pierre à Gand ; on l'a imprimé dans les Acta sanctorum
et dans le recueil de Ghesquière , mais plusieurs morceaux n'ont
pas ëlé publiés.
M. Pertz a jugé les petites Annales de Saint-Amand , qui se
trouvent dans ce manuscrit , dignes d'être insérées dans la belle
collection des Monumenta Germaniœ historice , t. II, p. 184.
Le numéro 210, écrit vers l'an ioi4> contient la vie et les mi-
racles de saint Bavon; on y trouve des renseignemens très-précieux
sur l'état des personnes et sur les mœurs; on l'a continué jusqu'à
!oi4- Il fournit quelques variantes notables : par exemple, fol. 33,
le mot Dani pour clam , que les Bollandisîes avaient lu dans un
passage sur l'invasion des Normands.
M. Warnkœnig s'est assuré que plusieurs parties de ces légendes
ne sont pas reproduites même chez Ghesquière, qui semble avoir
connu le manuscrit.
Le numéro 10 contient une chronique de Saint-Bavon qui finit
en i34o, avec des additions de i345, «349, i35o; M. Pertz l'a
également publiée dans son recueil , t. II , p. i85. Elle est tirée
de la grande chronique de Saint-Bavon, et sera insérée dans noire
HISTOIRE NATIONALE. 587
collection avec les corrections de quelques inexactitudes, et les va-
riantes tirées d'un autre manuscrit de la même chronique qui se
trouve aux archives provinciales a Gand.
N° i5i. Designé comme un recueil astrologique au catalogue ,
p. 3,5 , et par dom Bertliod dans sa notice manuscrite sur les ma-
nuscrits de Belgique.
Cet ouvrage , de 3oo feuillets grand in-folio, e'crit vers 1120,
n'est autre que le Liber flnridus de l'ancienne abbaye de Saint-
Bavon , contenant près de 1 5o traite's différens sur tout le savoir
humain. C'e'tait 1 encyclopédie de l'abbaye, composé par un certain
Lambertus Onulphi filius , chanoine de Saint-Omer.
Il est mentionné avec éloge dans plusieurs autres manuscrits du
treizième siècle, et même par Custis.
11 contient beaucoup d'ouvrages historiques tels que la chronique
des Normands et de leurs invasions , et le plan avec un texte de
la petite chronique des comtes des Flandres , le tout enrichi de
quelques copies des documens du temps. M. Warnkœnig a publié
ce morceau dans l'appendice diplomatique de son Histoire politique
et législative de la Flandre au moyen-âge.
Le Liber Jloridus a été souvent extrait; il s'en trouve quelques
fragmens à la bibliothèque de Wolfenbuttel. Il mérite d'être exa-
miné à fond, non-seulement par ceux qui s'occupent d'histoire po-
litique , mais encore par les amateurs de 1 histoire des sciences et
des arts : par exemple , de l'astronomie , de la philosophie , même
de la musique.
Les numéros 217 , 220, 221 , 222 et 223, sont encore des ma-
nuscrits relatifs à l'histoire des 14", iS" et 16^ siècles : quelques-
uns sont imprimés , comme le n° 222 , manuscrit autographe du
père Dejonghe , Gentsche gescJiiedenissen (i 566-1 585).
Sous le n 224 se trouve une lettre de Philippe d'Artevtlde écrite
aux commissaires du roi de France, Charles VI , l'an i38o, peu
de temps avant la bataille de Rosebeque.
Dans le supple'ment du catalogue , il ne se trouve pas de ma-
nuscrits importans pour l'histoire belgique , sauf les numéros 120,
54 et 237.
M. de Pieifï'cnberg s'explique , à son tour , eu ces termes :
Le manuscrit de M. Vermeire , que je me suis chargé d'exami-
688 HISTOIRE NATIONALE.
ner , est un recueil de pièces diverses dëjk connues , sur papier et
à deux colonnes, copié pour Gilles Appelmau, curé de Ligny, par
Gilles de Aspelair , et achevé vers la fin du mois de mars 1472.
Il renferme :
1° Un traité de théologie mystique par Jacohus de Theranio.
1° Un long extrait de la vie de Charlemagne par le Faux-Turpin,
écrivain en faveur de qui M. Villenave a dernièrement re'veillé
l'attention , et dont M. le prince d Essling se propose de faire pu-
blier une traduction ancienne, tandis que mon savant confrère à la
société des bibliophiles français , M. de Monmerqué , prépare une
édition du texte même.
3° Un discours De excellentia sanctœ Aquensis ecclesiœ , qui
se retrouve dans A. Thymo et dans le recueil diplomatique d'Au-
bert le Mire, Donation pianj,m , p. i4, mais sans le pre'ambule.
4° Deux chapitres intitules : Genealogia regum Francorum et
De regibus Francorum : morceaux sans importance.
5° Liber Methodii martyris.
6° Lettre écrite par l'empereur Constantin , quatre ans avant la
croisade, à toutes les églises d'Occident, avec d'autres extraits re-
latifs à Pierre l'Ermite et aux expe'ditions d'outre-mer.
^^ Le livre, plusieurs fois imprimé, de Brocard ou Burcard ,
dominicain ; livre traduit en français , pour le duc de Bourgogne
Philippe-le-Bon , par Jean Mielot, chanoine de Lille, en Flandre.
8° Une courte succession des comtes de Flandre, depuis Lideric,
le forestier, jusqu'à l^an 1293.
g' Directorium ad passagium faciendum in terram • sanctam
per christianissimum Francorum regem.
10° Des notes historiques qui n'apprennent rien de nouveau.
11° L'itinéraire de Mandeville , publié en plusieurs langues.
12" Quelques vers et extraits du livre des Propriétés des choses
de Barthélemi de Glanville, et des Annales de Jacques de Guyse.
Parmi les vers j'ai remarqué ceux-ci qui expriment le prix de cer-
taines denrées en 1468 :
Très gheltas olei , vini de meliori
Et très mensuras frugum sextaria dictas
Vendi pro sola vidit Bruxella corona
Ecclesiam Paulus dum rexit papa secundus.
HISTOIRE NATIONALE. 589
Il résulte de cet examen que ce manuscrit ne peut être utile à la
commission ; mais M. Vermeire n'en mérite pas moins de recon-
naissance pour l'avoir communiqué.
Au nom de M. André Fryxcll , professeur à Stockholm , M. de
Reiffenberg demande à la commission s'il ne lui serait pas possible
de fournir quelques renseignemens sur des manuscrits historiques,
très-précieux , apportes autrefois en Belgique par des prélats ca-
tholiques suédois , qui avaient quitte' leur pays au commencement
de la réforme ; savoir : les archevêques Gustave Troll et Jean
Magnus, et levêque Brask. On sait que Troll était à Anvers en
i53o. Le gouvernement sue'dois attache beaucoup d'importance à
recouvrer ces manuscrits, soit en original, soit en copie, et M.Fryxell
compte sur la sympathie des savans de la Belgique pour l'e'clairer
dans ses perquisitions.
Il est décidé que , dès que les caractères de M. Hayez seront
fondus , on mettra sous presse A. Thyrao , Philippe Mousque et
Van Heelu.
La précipitation avec laquelle doit nécessairement s'imprimer un
journal quotidien, ayant été cause que plusieurs fautes typographi-
ques se sont glissées dans le compte rendu des quatre premières
se'ances, un errata devient indispensable.
Page 461 , ligne i , 1681 , Usez : i58i.
Pag. 462 , lig. 28, fait, lisez : feit.
Ibid. lig. 39, Paris, Wsci: Pavie.
Pag. 466 , lig. 7 et 10, Schvenemann , lisez : Schenemann.
Pag. 467. Le manuscrit n° 769 n'est pas à Lille, mais à Saint-
Omer.
Pag. 4% , lig. 4 > Warim , lisez : JVurinc.
Pag. 470, lig. 9, Sterman , lisez : Herman.
La prochaine séance est fixée au 3^ vendredi de janvier i835.
Pour extraits conformes;
Le secrétaire : Baron de Reiffenberg.
590
%fW\'W<./VV\ VV«'W\/VV\'V^/%v^AW«lVV\^AA
MÉLANGES. — Décembre 1834.
Notice de S. E. le card. Zurla. — It. de Mgr. fFhitfield , archevêque
de Baltimore. — Nouv. édition du Lexique latin de Facciolati par
Forcellini. — Notice de M. Marien Bedetli. — Economie politique
par le vicomte Alban de Villeneuve. — Adhésion du comte de Mon-
talembert aux Encycliques de SS. Grégoire XVI, — Notice sur le
Prieuré de Solesmes.
S. E. le cardinal Zurla est mort inopine'ment à Palermc le 29 oc-
tobre dernier. M, Placide Zurla e'tait né d'une famille noble le
2 avril 1769, à Legnago , dans l'état de Venise, et entra dès sa
jeunesse dans l'ordre des catnaldules. II habitait le couvent de Saint-
Michel de Murano à Venise. Son Enchiridion tJiéologique , ses
éclaircissemens de la mappe-monde du camaldule Maur, et surtout
ses dissertations sur Marco Polo et sur les plus fameux navigateurs
vénitiens lui avaient fait de la réputation dans le monde littéraire.
Devenu abbé de sa congrégation, il se rendit à Rome en 1821 , et
Pie VII le nomma préfet des études au collège de la Propagande.
En 1823, ce Pontife le décora de la pourpre, et Léon XII le fit
vicaire de Rome. Pie VIII lui confia la préfecture de la congréga-
tion des études. Le cardinal Zurla était général des camaldules. Au
mois de juin dernier , il lut à l'académie romaine d'arche'ologie une
dissertation qui fut depuis rendue publique , sur le groupe de la
Piété et sur les autres sujets religieux exécutés par Canova II ve-
nait d'entreprendre un voyage en Sicile pour y étudier les restes
d'antiquités qui abondent dans cette île , lorsqu'il fut frappé à Pa-
lerme du coup qui l'a enlevé. La religion et les lettres perdent en
lui un de leurs ornemens. — U Ami de la Religion, n° 234i.
— S. Em. le cardinal Joseph Albani, premier diacre de Sainte-
Marie in via latâ, bibliothécaire de la sainte Eglise , secrétaire
des brefs et légat d'Urbin et Pesaro , est mort à Pesaro le 3 décem-
bre après une longue maladie qu'il a supportée avec courage, et
après avoir reçu avec piété tous les secours de la religion. II était
MÉLANGES. 591
né à Rome, le i3 septembre l'jSo , de i'illustre famille qui a donné
à l'Eglise Cle'ment XI , et les cardinaux Annibal , Alexandre et
Jean-François Albani. Son père était le prince Horace âlbani , et sa
mère était de la maison des princes de Massa-Carrara. Le jeune
Joseph entra dans la carrière ecclésiastique et occupa différentes
places dans la prélature. Il était auditeur général de la chambre lors-
quePie Ville déclara cardinal dans le consistoire du 23 février 1801.
Pendant les troubles de l'Eglise en 1809, le cardinal Albani par-
tagea les disgrâces de ses collègues. Il fut obligé de venir en France
et d'y résider quelques années. Pie VII l'avait nommé préfet du
bon gouvernement , Léon XII le fit secrétaire des brefs et légat à
Bologne. Pie VIII le choisit pour secrétaire d'état , et le Pape ac-
tuel l'envoya commissaire extraordinaire dans les légations de Bo-
logne , Ferrare , Ravenne et Forli , sans lui ôter la légation d'Urbin
et Pesaro. Le cardinal était protecteur de la nation autrichienne et
des états du roi de Sardaigne. Le Saint-Père a nommé M. le car-
dinal Riario Sforza à la légation d Urbin et Pesaro. — Id. n° 2354.
— Mgr. Jacques Whitfield , archevêque de Baltimore, dont nous
avons annoncé la mort, était né le 3 novembre 1770 à Liverpool,
en Angleterre. Son père y faisait le commerce et lui procura les
avantages d'une bonne éducation. A l'âge de dix-sept ans, le jeune
Whitfield perdit son père. Il accompagna sa mère en Italie où elle
était allée pour se distraire de sa douleur et rétablir sa santé. A son
retour de l'Italie, où il s'était occupé quelque temps d'intérêts de
commerce , il se trouva en France h l'époque où Napoléon décréta
que tout Anglais qui était en France serait prisonnier. Il passa la
plus grande partie de son exil à Lyon, où il fit la connaissance
de M. Maréchal, depuis archevêque de Baltimore, et alors profes-
seur de théologie au séminaire de Lyon. La piété du jeune W^hitfield
le porta à entrer dans l'état ecclésiastique, et il commença l'étude
de la théologie sous la direction de l'habile et vertueux directeur.
Son jugement , sa pénétration , son assiduité au travail le firent re-
marquer dans ses études. En 1809, il fut ordonné prêtre à Lyon.
Après la mort de sa mère , il retourna en Angleterre et remplit les
fonctions pastorales à Crosby. M. Maréchal étant devenu archevêque
de Baltimore, écrivit à M. Whitfield pour l'engager à venir le se-
592 MéL ANGES.
conder dans ses travaux. M. Whitfield céda à ses instances , et
arriva aux Etats-Unis le 8 septembre 1817. Attaché presque aussitôt
à l'église St. -Pierre de Baltimore, il remplissait les fonctions du
ministère avec zèle et piété. En iSaS, un induit spécial lui con-
féra le titre de docteur en théologie à Rome. Son nom fut rais le
premier sur la liste envoyée au Saint-Siège à la mort de M. Maré-
chal pour le choix du successeur (i). M. Whitfield fut adminis-
trateur pendant la vacance, fut ensuite choisi par le Pape pour le
siège de Baltimore, et fut sacré le jour de la Pentecôte 1828. C'est
par ses soins que furent tenus les deux conciles provinciaux de
Baltimore en 1829 et eu i833. Sa prudence n'était pas moins grande
que sa sollicitude. Jouissant d'une belle fortune , il la consacrait
tout entière pour le bien de la religion. Sa cathédrale éprouva ses
libéralités , et l'édifice de Saint-Jacques à Baltimore est la dernière
preuve de sa générosité. On peut dire de lui ce qui ne convient
qu'à un petit nombre, c'est qu'entré riche dans la carrière des hon-
neurs , il en est sorti pauvre. M. "Whitfield voyant depuis quelque
temps décliner sa santé, avait demandé un coadjuteur qui lui fut
accordé 3 c'était M. Samuel Eccleston , pieux ecclésiastique, qui a
été élevé en France et qui était en dernier lieu président du col-
lège Sainte-Marie à Baltimore. M. Eccleston reçut lé titre d'évêque
de Termie, et fut sacré à Baltimore le i4 septembre dernier par
l'archevêque, assisté de M. l'évêque de Boston et de M. levêque
d'Arath, coadjuteur de Philadelphie. M. Whitfield était déjà très-
faible à cette époque , et cet état de faiblesse augmenta rapidement
bientôt après. Il s'occupait cependant encore de ses affaires. Le
7 octobre il perdit l'usage des jambes et ne put plus sortir de son
lit. Le 16 octobre il reçut les derniers sacremens des mains de son
coadjuteur et en présence de tout le clergé de la ville. Malgré sa
faiblesse, il prononça une allocution touchante et dont les assistans
furent émus. On lai appliqua l'indulgence à l'article de la mort.
Sa patience comme sa piété ne se démentirent jamais. Il rendit le
dernier soupir le dimanche 19, à onze heures du matin. M. Deluol,
(i) V. la Notice de M. Maréchal, dans ÏÀmi de la Religion, n» iS"]^,
tom. 6i,
MÉLANGES. 593
supérieur du séminaire, ne le quitta point pendant les derniers
jours. Aux obsèques, qui eurent lieu le 21 , il y avait un grand con-
cours. M. Eccleston officia et M, Deluol prononça l'éloge du de'funt.
M. l'évêque de Termie devient par cette mort archevêque en titre-
le prélat a eu trente-trois ans le 28 juin dernier. Le diocèse de
Baltimore a l'espoir de le conserver long-temps. Son mérite et sa
vertu le rendaient bien digne d'une place. si importante. — L'Ami
de la Religion , n° 2342.
— Lexicon totius latinitatis , consilio et cura Jacobi Facciolati ■
operâ et studio jEgidii Forcellini, seminarii Patavini alumni, lu-
cuhratum ; in hac tertia editione , auclem et emendatiim à Josepho
Furlanetto, ejiisdem seminarii alumno. Patavii , typis seminarii
1827-1831 (i). — Ce dictionnaire a été reconnu, dès l'époque de
sa publication , comme le plus complet et le plus exact qui eût été
encore exécuté, et dès-lors son mérite fut établi. L'auteur y a con-
sacré plus de cinquante années de travail. Composé dans la terre
classique de la latinité, dans le séminaire de Padoue , école antique
et ce'lèbre , à laquelle est attachée une imprimerie d'où sont sorties
beaucoup d'éditions estimées d'auteurs latins et autres , il y fut
publié en 1771 et réimprimé en i8o5. On y trouve tous les mots
latins depuis l'origine de la langue jusqu'au 8^ siècle , leur étymo-
logie , leurs différentes significations tant au propre qu'au fi"uié
établies par des exemples tirés des divers auteurs ; tous les noms
propres d'hommes, de femmes, de villes , de fleuves, de monta^aes
avec les adjectifs qui en sont dérivés. M, labbé Furlanetto, à qui
l'on doit la troisième édition que nous annonçons, donna en 18 16
une Appendice qui fut reçue avec applaudissement , et , depuis
il n'a cessé de travailler à perfectionner le travail de ses devanciers.
Il a revu avec un soin particulier les étymologies ; ses additions
vont à cinq mille mots, que lui ont fournis les inscriptions antiques
les marbres trouvés dans les fouilles entreprises depuis soixante
(i) Quatre gros vol. grand in-40 à deux col. , (riiiic exécution très-
soignée , ornés des portraits des trois auteurs. Prix : 1 15 francs. A Paris ,
chez Adrien Le Clere et Ce , quai des Augustiiis , n. 35.
T. X. 41
594 MÉLANGES.
ans , les manuscrits Palimpsestes récemment publie's , et aussi une
étude plus approfondie d'auteurs mêmes du siècle d'or de la latinité,
qui avaient été examinés assez légèrement par Forcellini. Enfin , il
a fait à l'ouvrage au moins dix mille corrections ; aussi cette nou-
velle édition a-t-elle ete apcueillie avec un grand empressement par
tous les professeurs et les amis des lettres.
— M. Marien Bedetti , archidiacre d'Ancôue , a été enlevé l'an-
née dernière à ce diocèse. Il était né à Ancùne le lo juin 1774-
Il y fit son séminaire et s'y distingua par ses succès. On lui confia
la chaire d'éloquence ; il s'appliquait encore plus à former les jeu-
nes gens à la pieté qu'aux lettres. Le séminaire ayant été fermé
en 1798 et changé en caserne, Bedetti ne voulut cependant pas
s'en éloigner , et attendit des temps plus heureux. I! refusa des
postes avantageux pour saisir l'occasion de rouvrir le séminaire ,
et il y parvint en effet. JLes évèques d'Ancôae lui donnèrent tous
des marques d'estime et des missions de confiance. L'abbé Bedetti
ranima le culte de saint Cyriaque , patron d'Ancône, culte que la
critique trop sévère de Papebroch avait affaibli. Baroni et lui prou-
vèrent très-bien que le Saint avait élc évêque d'Ancône et martyr.
C'est à Bedetti qu'on dut le rétablissement de la collégiale de Sainte-
Marie et de Saint-Roch. On érigea pour lui une chaire d'histoire
ecclésiastique au séminaire. En i83i , il fut nommé archidiacre,
qui est la première dignité de la cathédrale. Ses occupations ne
nuisaient point à sa piété ; on a trouvé dans ses papiers des réso-
lutions qu'il avait prises pour s'exciter à la perfection. Son zèle pour
la conversion des juifs trouvait à s'exercer dans une ville où ils
sont nombreux. Ses inclinations droites, ses senlimens honorables,
son désintéressement, sa modestie, sa charité, sa douceur, tout
avait contribué à lui procurer de nombreux amis. Il était fort lié
entr'autres avec le pieux et savant abbé Baraldi , et il a inséré plu-
sieurs articles dans ses Mémoires de religion et de litlérature. On
a de lui en outre des épigraphes latines , des leçons sur ce genre ,
un cours d'histoire ecclésiastique , des opuscules religieux et litté-
raires. Il serait à désirer que l'on s'occupât de l'impression de son
histoire ecclésiastique qu'il a laissée à la disposition de son évêque.
Sa dernière maladie a fait éclater ses sentimens vifs de foi et de
MÉLANGES. 595
pieté. Quand on lui annonça le viatique, il s'écria : Lœtatus sum
in his quœ dicta sunt milii. W adressa des choses touchantes à tous
ceux qui étaient prësens, et mourut la nuit du 16 au 17 juillet i833.
Une notice a paru sur lui dans la Continuation des Mémoires de
religion, de Modèue; elle est de M. Peruzzi , chanoine de Feriare
et pre'sident de l'université' de cette ville.
— Economie politique chrétienne , ou Recherches sur la nature
et les causes du paupérisme en France et en Europe, et les moyens
de le soulager elle prévenir , par le vicomte Alban de Villeneuve,
ancien conseiller d'e'tat et ancien préfet. — Cet ouvrage, composé
dans un excellent esprit, a sur les ouvrages du même genre des
avantages incontestables. Il est le fruit d'une longue expe'rience ;
son auteur était dans la position la plus favorable pour observer les
faits sur lesquels il appuie constamment ses raisonnemens. Il est
d'une impartialité' qui doit dissiper les pre'ventions chez les per-
sonnes les plus faciles à eu concevoir. Les ecclésiastiques trouveront
en lui un homme religieux , cl la lecture de son livre est d'autant
plus propre à inspirer les sentimens dont il est lui- même animé,
qu il ne fait nulle part une apologie directe de la religion. Le triomphe
de celle-ci est toujours la conséquence nécessaire de 1 impuissance
des théories philosophiques qui lui sont opposées.
Les questions auxquelles touche l'écrit de M. de Villeneuve sont
les plus hautes et les plus étendues dont l'homme d'état, le prêtre,
l'administrateur puissent s'occuper. Religion, philosophie , commerce,
industrie , constitutions politiques, toutes ces choses si grandes et
si compliquées tout h la fois ne sont point étrangères au paupé-
risme. Selon qu'elles sont bien ou mal comprises , dirigées avec sa-
gesse ou traitées avec imprudence, elles doivent diminuer ou ag-
graver cette plaie; plaie immense , qui doit attirer tous les regards,
exciter toutes les sollicitudes ; plaie que M. de Villeneuve a sondée,
et sur laquelle il a jeté les plus vives lumières. L'ouvrage forme trois
volumes in-8" de plus de 5oo pages chacun, k Paris, chez Paulin,
libraire-éditeur, rue de Seine, n" 6.
— VAmi de la Religion dans sou n» du '^3 décembre dit qu'il
est invité à publier que M. le comte de Moutalembert , absent de
596 MÉLANGES.
France depuis dix-huit mois , a écrit de Pise , oix il se trouve en
ce moment , à S. E. le cardinal Pacca , pour lui transmettre son
adhésion à l'Encyclique du i5 août i832, dans la forme prescrite
par le Bref du 5 octobre i833, et en même temps à l'Encyclique
du 25 juin i834.
— Notice sur le Prieuré de Solesmes ; in-8° , prix go cent. ,
au Mans chez Belon , et à Paris chez Adr. le Clere. — Cette no-
tice donne une description intéressante de l'église et des monumens
que renferme le Prieuré de Solesmes (/^. ci-d. tom. f^JII , p. 82,
i85 , 262 et 2^1.)
Le document suivant prouve de la manière la plus formelle l'in-
térêt que Mgr. lëvêque du Mans porte aux membres de cette com-
munauté :
<( Joannes - Baptista Bouvier , miseraiione divinâ et sanctce
Sedis apostolicœ gratiâ , Episcopus Cenomanensis ,
» Universis et singulis has litteras inspecturis , salutem in Do-
mino. Notum facimus omnibus , sive clericis , sive regularibus ad
quos pertinebit, societatem regularem quae militât sub régula sancti
Benedicti et constitutionibus congregationis sancti Mauri, in veteri
prioratu sancti Pétri de Solesmis , nostrœ diœcesis Cenomanensis ,
quamque praedecessor uoster faustœ recordationis auctoritate sua
firmavit et stabilivit , ut episcopali legente brachio cresceret, et
Sedis apostolicae suffragio , suo tempore postulando , digna fieret ,
nobis gratam esse et acceptissimam , uosque illius membra paterno
affectu indesinenter fovere. Ideb per praesentes testamur falsas pe-
nitùs et calumniosas esse assertiones quae à quibusdam circumferun-
tur, dictitantibus praedictam societatem novitatibus , opinionibus ,
systematibusque hujus seculi esse addictam. Hanc enim, certâ scien-
tiâ , novimus tam individuè quàm collective adhaerentem in orani
zelo universis Ecclesîae catholicae ac Sedis apostolicae decretis , et
presentim duabus postremis Litteris Encyclicis S. D. N. Gregorii
papœ XVI.
» Quapropter hancce societatem commendamus omnibus supe-
rioribus ecclesiasticis , tam secularibus quàm regularibus , ut in-
dueutes circà illam viscera caritatis ac paternitatis , uobiscum sint
MÉLANGES. 597
unanimes in fovendo tuendoque proposito fîliorum nostrorum ca-
rissimorum , qui magno ac plané meritorio operi instaurandae apud
nos rei mouasticae Benedictinas , verâ aboegatione , sub auspiciis
nostris incumbunt.
)) Datura Cenomani , in nostro palatio episcopali , sub signo si-
gilloque nostris, necnon sub cbirographo secrelarii diœcesis uostrœ,
die l'j noverabris i834. JoannesBaptista , Episcop. Cenom. De
mandat. LoUin , can. secret, episc. »
On suit à Solesmes la règle de saint Benoît , mais dans le sens
des constitutions de Saint -Maur. Seulement , le précédent évêque
du Mans , Mgr. Carron ( ci-d. tom. VIII , pag. 3oo ) , les a auto-
rises à ne célébrer matines qu'à quatre heures du matin, et à faire
usage d'alimens gras trois fois la semaine, hors le temps de l'Avent,
durant lequel l'abstinence est la même que celle du carême. L'office
se célèbre eu entier au chœur, partie chantée, partie psalmodiée,
suivant la règle du cérémonial monastique de Saint-Maur. Les fériés
et les simples, on a de quatre à cinq heures de chœur j les fêtes ,
tantôt sept , huit et quelquefois neuf heures , suivant le rit de l'of-
fice. Cet exercice n'a jamais e'té interrompu, bien que, pour cause
de maladies ou autres, les solitaires ne se soient quelquefois trouvés
que trois ou quatre présens au chœur. Leur intention est de vivre
ainsi dans la pratique de leurs exercices jusqu'à ce que , fortifie's
dans l'esprit de saint Benoît et des re'formateurs de Saint-Maur ,
ils puissent présenter assez de garanties de stabilité pour postuler
à Rome leur approbation. La maison n'est pas encore nombreuse;
elle le serait davantatre si l'on avait accédé à toutes les demandes
et SI tous ceux qui sont entrés avaient perse've're'. L'essentiel est
de se fortifier dans l'esprit intérieur : les corps qui ont le mieux
prospéré ne sont pas ceux qui se sont accrus rapidement.
Les travaux des solitaires ont principalement pour but l'e'tudc
de la tradition. Les offices du chœur et les autres exercices régu-
liers laissent disponibles aux membres de la communauté environ
sept à huit heures par jour. Leur principale occupation est de se
livrer aux recherches que nécessite un cours d'antiquité ecclésiasti-
que professé par le supérieur de la maison. Ce cours embrasse
toutes les questions historiques , dogmatiques, morales, canoniques
et critiques qui se rencontrent dans l'étude des monumens des trois
598 MÉLANGES.
premiers siècles. L'étude sérieuse de l'antiquité chrétienne est peut-
être la plus forte barrière qu'il y ait à opposer à l'esprit de nou-
veauté.
L'Association de Solesmes prépare uu travail historique qui pa-
raîtra sous le titre à! Annales ecclésiastiques du diocèse du Mans.
Le premier volume de cet ouvrage, dont M. l'évêque du Mans a
accepte la dédicace , renfermera une dissertation importante sur
l'époque de l'établissement du christianisme dans le Maine : ques-
tion vivement débattue entre les critiques du xvii^ siècle. On don-
nera aussi dans cet ouvrage le texte pur des Acta Episcopnrum
Cenomanensium , publiés déjà par Mabillon au troisième volume
de ses Analecta , mais sur une copie très-infidèle. Les éditeurs
actuels reproduiront dans le cours de leur travail, avec une entière
exactitude , cet important manuscrit , conservé autrefois dans les
archives de l'église cathédrale , et aujourd'hui déposé à la biblio-
thèque départementale.
Les bénédictins du Mont-Cassin et de Saint-Paul de Rome ont
déjà plusieurs fois donné à la petite communauté de Solesmes des
marques paternelles d'approbation. Les Pères du Mont-Cassin ont
bien voulu promettre la communication des plus importans manus-
crits de leur riche bibliothèque. Les bénédictins d'Einsidlen , ou
Notre-Darae-des-Ermites, en Suisse, entretiennent aussi avec l'éta-
blissement des relations pleines de bienveillance et d'intérêt.
599
W»'VV>VX»IVV»IVV»W»«A^W\W\IW»VV»W\X'V^'W»V\A.VV>rW>.V'V\,>A->W^
TABLE
DES MATIÈRES CONTENUES DANS CE VOLUME
I.
Du Progrès des Sciences et de lenr influence sur les Croyan-
ces religieuses. 5
Tableau synoptique contenant l'exposition de la Doctrine
renfermée dans les saintes Écritures , par M. l'abbé Frère. 1 3
Sur l'état de la Religion catholique dans le Hanovre. i5
Réflexions sur l'Histoire de France de M. Michelet, par
M. le baron d'Eckstein. 23
Annales du inoyen-âge , depuis la décadence de l'Empire
romain jusqu'à la mort de Cbarlemagne ; par M. Frantin. 4^
Lettre encyclique de S. S. Gre'goire XVI , à tous les Patriai*-
clies , Primats, Archevêques et Evêqnes, par laquelle
Sa Sainteté condamne les Paroles d'un Croyant. 6o
Bref de S. S. Gre'goire XVI aux Évêques de Belgique, pour
la collation de Grades en Tbe'ologie. 68
Circulaire des Évéques de Belgique pour l'ouverture des
Cours de l'Université catholique. 74
Discours sur l'Origine , le Développement et le Caractère
des Types imitatifs qui constituent l'Art du Christia-
nisme ; par M. Raoul-Rochette. 76
Critique du livre de Morale et d'Instruction religieuse à
l'usage des F^coles e'iementaires , par M. Cousin. 80
QSuvres deSalvien, traduction nouvelle avec le texte en
regard ; par J. F. Gre'goire et F. Coilouibet. 85
Notice sur M. l'Écuy , dernier abbe' de Prc'montre'. 8g
Sur la crise de l'Eglise anglicane. 96
600
TABLE DES MATIERES.
Mélanges. Juillet 1834. — Mort de M. Van Giis. — Con-
version du docteur anglican King. — Médaille de'cerne'e
à M. Triest; nombre de ses institutions. — Diffe'rentes
religions en Angleterre. — Des Devoirs des hommes , par
Silvio Pellico, — Bene'fices de l'Église anglicane. — Bi-
bliothèques de Paris. — Bibliothèque de St. Pe'tersbourg.
— Antiquités de'coavertes dans lîle de Ceylan. — Re'-
flexions du Franc- Parleur sur l'Université' catholique.
— Hie'rographie de M. Ganelli. — Se'ance de l'Académie
de Bruxelles du 7 Juillet. — Lettre de Mgr. l'Archevê-
que de Paris. — Conversion de M. Theiner. 100
IL
Tragédie de Thomas Morus , chancelier d'Angleterre , par
Silvio Pellico. 1 13
Etat du the'âtre en France , extrait d'un article de la Re-
vue d'Edimbourg. i3r
Considérations orthodoxes sur le Cëlibat eccle'siastique. Par
M. l'abbe' de l'Étang. i34
Dissertation sur la Re'habilitation des Mariages nuls, où
l'on traite particulièrement des Dispenses in radie e; ipar
M. l'abbe' Carrière, professeur du se'minaire deS.-Sulpice. i38
Cours d'Histoire des États europe'ens modernes ; par Fre'-
déric Samson Schoell. ( Troisième et dernier article. )
Des fausses Décre'tales. i4o
De la Taille de PHorame , et en particulier de celle des
ge'ans. iSa
Extr. du voyage de l'Ârabie-Pe'tre'e , par MM. Léon de
Laborde et Linant. iS^
Etudes hébraïques , par M. l'abbé Rossignol. 170
Chrestomathie hébraïque ,ou Choix de Morceaux tirés de
la Bible; par J. B. Glaire. 172
Morceaux choisis des saints Pères de l'Église grecque. 1^3
Vie de saint François de Sales, par M. Loyau d'Amboise. 179
Notice sur M. Charles Butler, écrivain catholique anglais. i83
TABLE DES MATIERES. 60l
Nouveaux Monumens découverts an Mexique , et prouvant
l'ancienne civilisation de ce pays. i86
Lettre pastorale de Mgr. l'Évêque de Bruges. i88
Mélanges. Août 1834. — Notice de M. de Ghampagny. —
Les infirmite's du ge'nie, par M. Madden. — Se'ance de
i'Acade'mie catholique du 19 Juin. — Écrit du P. Bo-
nola sur le Janse'nisme. — Cours de the'ologie par M. Bou-
vier. — Histoire de France par M. Mazas. — Mort de
Mgr. l'e'vêque de Tournai. — Médaille donne'e par S. S.
à M. le chan. Torricelli. — Sur les nouveaux Me'moires
l'elatifs à l'astronomie ancienne, lus à l'Académie des
Sciences de Paris par M. Biot. — Lettre de M. l'abbé
Gerbet à Mgr. l'arclievêque de Paris. 193
III.
Recliercbes sur la personne de Je'sus-Christ, et sur les plus
anciens Portraits qui le représentent. 2o5
Critique de lexamen du Mosaïsme et du Christianisme,
par M. Reghellini, de Schio. 227
Principes pour servir à l'Histoire comparée des langues. aSi
Voyage en Suisse, en Lombardie et en Pie'mont, par M. le
comte The'obald Walsh. 241
De'couvertes importantes faites par M. Ruppell en Abyssinie. 24^
Buonaparte devant 1 Officiallte' de Paris. a56
Des Secours que l'e'tude des Antiquite's égyptiennes doit
trouver dans les écrits de la Bible. Discours lu k l'A-
cadémie catholique de Rome par le P. Oliviéri , général
des Dominicains. 270
Bibliothèques des Peuples mahométans. 282
Histoire Nationale. — Extr. des Procès- Verbaux de la Com-
mission royale d Histoire. 285
Mélanges. Septembre i834. — Décret de la Congrégation
de l'Index du 28 juillet. — Statistique religieuse de l'Es-
pagne de M. Moreau de Jonnès rectifiée. — Écrit de
M. Theiner sur l'histoire des Séminaires épiscopaux. —
Monumens de l'île de Malte. — Séance de l'Académie
T. X. 42
602 TABLE DES MATIERES.
catholique da 17 juillet; dissertation du P. Piaciani. —
Aotiquite's asiatiques. — Discussion de MM. Biot et Pa-
ravey sur l'astronomie e'gyptienne. — Étude des langues
orientales en Russie. — Adhe'sions aux Encycliques du
Saint-Père ; de'claration de M. Charles de Ceux. — Dis-
cours du R. D. Paul ciel Signore à la re'nnion de i'Aca-
de'mie de la Religion catholique, à Rome. — Nouveau
Traité d'Embryologie sacre'e , par M. Rosiau. 297
IV.
Connaissances de Moïse et des He'breux sur la terre habi-
te'e. — Extr. de Malte])run. 3og
De la perte des Manuscrits et des Auteurs de l'antiquité. 822
Considérations sur l'Empire romain, la vie de S. Antoine, etc. 33 1
Opinion de Frédéric Schlegel sur Lamartine. 33^
Sur les Missions du Levant. 347
Description de Tolède. 35o
Avertissement de Mgr. l'évêque de Strasbourg sur l'En-
seignement de M. Bantain. 354
Décret d'érection de l'Université catholique. 36 1
Règlement pour l'inscription , les rétributions des Cours
et l'admission aux leçons de l Université catholique. 373
Règlement pour les élèves de la faculté de Philosophie et
des Lettres et de celle des Sciences de l'Université ca-
tholique. 376
Universitas catholica. — Séries lectionum per semestre
hibernnm anni MDCCCXXXIV-MDCCCXXXV haben-
darnm. 3^8
Mélanges. Octobre 1834. — Notice de Mgr. Jacques Doyle ,
évêque de Kildare. — It. de M. François de Rivaz ,
abbé de S. Maurice dans le Valais. — Séance de l'Aca-
démie catholique de Rome. — Note lue à l'Académie
des sciences de Paris sur les huit arbres du Jardin des
Oliviers de Jérusalem , par M. Bové. — Sur la mort du
voyageur Richard Landcr. — Découverte d'un village
indien caché sous terre. — Découverte de la lecture
d'une inscription rnnique. — Sur M. Margerin. 38 1
TABLE DES MATIERES. 603
V.
Examen de l'Histoire de France deM.Michelet,conside'rëe
sous le rapport de la Religion. ( Premier article. ) 889
L'Évêque Wittmann. 4^^
Sur la Conversion d'un noble anglais , M, Spencer. 4^9
(Euvres complètes de saint Jean-Chrysostôme. 4^4
Tradition conserve'e chez les Arabes de l'Idume'e sar le
tombeau d'Aaron ; extrait du voyage de M. de Laborde
dans l'Arabie-Pe'tre'e. 4^7
Sur les Missions du Levant. 44°
Histoire nationale. — Extraits des Procès-verbaux de la
Commission royale d'histoire. 44^
Mélanges. ISovembre 1834. — Recherches sur la langue
des Siamois. — Statistique des journaux. — S. Vincent
de Lerins. — Discours de Mgr. Mai sur la ressemblance
des anciennes socie'te's secrètes avec les nouvelles. — Pu-
blication de trois sermons ine'dits de S. Ambroise , par
le P. Léandre Corrieri. — Voyage de Pie VH à Gênes
en 181 5, par le card. Pacca. — Oraison funèbre de
M. Van Gils , par M. le prof. Wilmer. — Acade'mie de
Bruxelles , se'ance du 22 novembre. — Nouv. e'dition
de St. Augustin. 47^
VI.
Lettre ine'dite de M. Van Gils , pre'sident du se'minaire de
Bois-le-Duc, etc. sur les sentimens de l'ancienne faculté'
de The'ologie de Louvain , par rapport à la de'claration
gallicane de 1682. 4^"
Examen de l'Histoire de France de M. Michelet , conside're'e
sous le rapport de la Religion. ( Deuxième article.) 49^
Ge'ologie. — Tableau des Couches mine'rales du globe et
des Fossiles qu'elles renferment. ^20
Physiologie et Hygiène des hommes livrés aux travaux de
l'esprit. 525
604 TABLE DES MATIERES.
Des principaux Historiens de Rome. Sîg
Doctrine de Marcion sur la Rédemption, 556
Esquisses sur les Pyre'nées. 55q
Nouveaux Voyages et nouvelles De'couvertes dans le centre
de l'Asie. 570
Découverte de la ville d'Azanie , dans la grande Phrygie,
conservant encore la plus grande partie de ses magnifi-
ques Monumens. 571
Histoire nationale. Extraits des Procès-Verbaux de la Com-
mission royale d'Histoire. 574
Mélanges. Décembre 1834. — Notice de S. E. le card. Zurla.
— It. du cardinal Albani. — It. de Mgr. Whitfield , arche-
Teque de Baltimore. — Nouv. e'dition du Lexique latin
de Facciolati par Forcellini. — Notice de M. M arien
Bedetti. — Economie politique par ie vicomte Alban de
Villeneuve. — Âdhe'sion du comte de Montalembert aux
Encycliques de S. S. Grégoire XVI- — Notice sur le
Prieuré de Solesmes. 5qo
TYS DU TOME DIXIEME.