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Full text of "Le Nouveau conservateur belge : recueil ecclésiastique et littéraire"

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LE  NOUVEAU 

CONSERVATEUR  BELGE. 

POUR    SERVIR    DE    SUITE    A 

L'ANCIEN  CONSERVATEUR. 

TOME  X. 


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Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  witii  funding  from 

University  of  Ottawa 


Iittp://www.archive.org/details/lenouveauconserv10louv 


LE  NOUVEAU 

SERVATEUR 


RECUEIL    ECCLESIASTIQUE,     PHILOSOPHIQUE 
ET    LITTÉnAI&E. 


Quod  bonum  est ,  tenete. 
1.  Thessal.  5,   I2. 


TOME  X. 


LOUVAIN, 

CHEZ  VANLINTHOUT  ET  VANDENZANDE. 
1834. 


(VV»lVV»VV»VV\V>AAA/\VWIVVVVV»VV»VMVV»/V»«VV\IVWVV\VV»SrtAlVV\»A»IVV»V«(VV»lVV»AAl\fWV«AAIV«(^ 

LE  NOUVEAU 

CONSERVATEUR  BELGE. 

•vv\vv\vv^'V^^vv\'vv\'vvv^AAVv\vv%vv\fVv\(\A/\(vv\vv\«vv\(vv\ivv\^A^vv\^AA^A^  rvv\ivv*(vv*<vv\ivvi 

DU  PROGRÈS  DES   SCIENCES 

ET   DE   IiEUn    INFI.UENCE    SUR   I.ES   CROTANCES 
RELIGIEUSES. 

«  Les  ouvrages  littéraires  ne  possèdent  plus  le  privilège  exclusif  de  char- 

»  mer  les  loisirs  de  l'homme  et  de  fixer  ralfention  des  esprits  culfi- 

»  vés  j  si  la  lecture  des  poètes   et  des  grands  écrivains  séduit  Tima- 

»  gination  et  orne  la  mémoire ,  en  y  gravant  des  images  nobles  ou 

»  gracieuses ,  si  elle  développe  et  entretient  le  sentiment  exquis  du 

»  goût  ;  la  lecture  des  ouvrages  de  science  éveille  aussi  de  fécondes 

3)  idées ,  fait  passer  sous  nos  yeux  de  magiques  tableaux ,  agite  l'âme 

»  de  mouvemens  délicieux,  devient,  en  un  mot,  une  source  de  jouis- 

)i  sances  pures  et  multipliées.  Il  n'est ,  en  effet  ,  personne  aujourd'hui 

»  qui  n'aime   la    science  ,  qui  n'interroge   avec  curiosité  les  savans  , 

)>  qui  ne  consulte  leurs  livres  pour  y  chercher  l'explication  des  phé- 

»  nomènes  et  des  mervelles  de  la  nature.  »  (  Ctjvier  ,  Prospectus  du 
Dictionnaire  des  sciences  naturelles.  ) 

Le  siècle  de  Louis  XIV,  si  fe'cond  en  grands  evënemens  , 
ne  le  fat  pas  moins  en  grands  hommes  :  la  protection  que  ce 
monarque  accorda  aux  lettres  et  aux  arts,  se  refle'ta  sur  leurs 
ouvrages.  L'architecture  produisit  des  monuniens  dont  le  ca- 
ractère de  grandeur  les  fait  aise'ment  distinguer  entre  tous 
ceux  dont  fourmille  Paris  ;  la  Colonnade  du  Louvre  ,  l'Hôtel 
et  le  dôme  des  Invalides  ,  l'Arc  de  triomphe  élevé  en  son 
honneur,  sont  bien  au-dessus  de  l'Ecole  militaire  et  des  autres 


6  DU    PROGRES    DES    SCIENCES. 

constructions  cln  règne  suivant.  La  peinture  ne  prit  pas  un 
si  £;ran(l  essor  :  il  semble  que  ,  plus  courtisane ,  elle  voulût 
flatter  encore  la  mollesse  tle  la  cour.  Elle  excella  principa- 
lement à  faire  des  bergères  ,  des  grâces ,  des  enfans  et  des 
anges  ,  et  si  sous  la  main  de  Lesueur,  de  Lebrun  et  de  Lemoine, 
elle  produisit  des  tableaux  remarquables,  elle  ne  put  ne'an- 
moins  s'e'lever  à  ces  grandes  conceptions  qui  avaient  illustré 
les  e'coles  de  Raphaël  et  de  Micbel-Ange,  et  des  autres  grands 
maîtres  de  l'Italie. 

Parmi  les  grands  hommes  contemporains  du  grand  roi,  se 
dessinent ,  sur  le  premier  plan  ,  deux  grandes  figures ,  celle 
de  l'e'vêqne  de  Meaux,  dont  le  génie  et  la  mâle  e'ioquence 
forcent  l'admiration ,  et  celle  de  Fe'ne'lon ,  qui ,  par  la  douceur 
et  la  suavité  de  ses  écrits,  est  tant  goûté  des  gens  du  monde. 

Bien  d'antres  hommes  célèbres  se  distinguèrent  dans  des 
genres  divers.  Molière  excella  dans  la  peinture  des  mœurs, 
Boileau  dans  la  satire  ,  Racine  dans  l'expression  des  plus  no- 
bles et  des  plus  tendres  sentimens  ,  madame  de  Sévigné  est 
encore  le  modèle  le  plus  achevé  du  style  épistolaire ,  Descar- 
tes et  Pascal  reculèrent  les  bornes  des  sciences  exactes,  Tourne- 
fort  et  Jussien  enrichirent  la  botanique  de  leurs  découvertes  ; 
mais  les  autres  sciences  naturelles  ne  suivirent  pas  la  même 
impulsion ,  et  elles  ne  produisirent  en  France  aucune  décou- 
verte importante  sous  ce  règne  mémorable. 

La  régence  et  le  règne  de  Louis  XV  portèrent  la  corruption 
partout.  Il  semblait  que  les  mœurs  du  monarque  et  de  la 
cour  desséchaient  par  leur  influence  délétère,  toutes  les  sources 
de  la  vie  sociale  ,  et  telle  fut  l'action  de  cette  influence  ,  qu'elle 
parut  confisquer  au  profit  de  l'incrédulité  tous  les  travaux 
dessavans. 

Cependant  A^ollrt^av  ses  Leçomt  de  Physique  exjyérimentale , 
Gray  et  Diifay  ,  par  leurs  Recherches  sur  l'électricité  ,  Frank- 
lin, donnèrent  une  nouvelle  vie  à  la  Physique.  Buffoti  traçait 
dans  une  prose  harmonieuse  VHistoirc  du  règne  animal ,  mais 
son  ignorance  en  Géologie  laissa  un  vide  immense  dans  le 
tableau,  d'ailleurs  si  magnifique,  qu'il  nous  a  donné  de  la 
formation  et  de  la  construction  du  globe  terrestre  ;  tableau 


DU    PROGRES    DES    SCIENCES.  7 

qai   n'est   du  reste  qu'une  brillante  hypothèse,  incapable   de 
soutenir  l'examen  le  moins  approfondi. 

Plusieurs  autres  savans  commencèrent  à  explorer  le  vaste 
champ  de  la  Ge'ologie ,  mais  leurs  de'couvertes  ou  plutôt 
leurs  aperçus  e'taient  loin  d'avoir  le  degré'  de  probabilité'  que 
celte  science  a  acquis  de  nos  jours.  L'inspection  des  fossiles 
marins  les  amena  à  cette  conclusion  que  la  mer  avait  passé 
partout,  et  en  comparant  l'existence  des  continens  connus 
par  les  plus  anciens  historiens  avec  cette  hypothèse ,  ils  en 
déduisirent  pour  l'existence  du  monde  une  antiquité  effrayante 
pour  l'imagination  ,  et  en  contradiction  manifeste  avec  les  tra- 
ditions chrétiennes.  La  découverte  de  débris  d'éléphans  en 
Sibérie  sembla  augmenter  la  force  de  leurs  argumens;  car 
pour  que  cette  contrée  eût  jamais  eu  une  tempéi^ature  dans 
laquelle  cet  animal  eût  pu  vivre,  il  fallait  supposer  un  re- 
froidissement dont  la  durée  embrassait  une  suite  innombrable 
de  siècles.  Des  calculs  chaldéens  ou  chinois,  d'autres  docu- 
mens  venus  de  l'Orient ,  semblaient  confirmer  ces  conjectu- 
res ,  et  il  faut  bien  le  dire ,  les  écrivains  catholiques  les  plus 
instruits,  privés  de  faits  et  d'expériences  contradictoires,  pa- 
raissaient plutôt  éluder  que  combattre  ces  objections,  en  n'y 
opposant  sans  cesse  que  l'autorité  de  la  tradition. 

Tous  ces  faits  embellis  et  appuyés  du  sophisme  séduisant  de 
Jean-Jacques ,  de  l'épigramme  acérée  de  Voltaire ,  des  froids 
calculs  de  d'Alembert ,  du  jargon  philosophique  de  Diderot, 
devaient  entraîner  aisément  une  jeunesse  d'ailleurs  corrompue 
par  l'immoralité  des  hautes  classes.  Ce  débordement  d'impiété 
eut  pour  résultat  la  révolution,  dont  les  fureurs  mirent  le 
comble  au  mal,  en  abolissant  le  culte  catholique,  et  par  con- 
séquent toute  instruction  religieuse  et  morale. 

Pendant  cette  horrible  tempête,  tous  les  esprits  élant  tournés 
vers  la  politique,  les  sciences  furent  presque  muettes;  la 
Chimie  seule  fit  de  notables  progrès.  Le  célèbre  et  malheu- 
reux Lai>oiùer  lui  avait  fait  faire  un  pas  immense,  par  la 
décomposition  de  l'air  et  de  l'eau  ,  et  en  fixant  un  nomen- 
clature rationnelle  qui  détruisit  à  jamais  l'arbitraire  de  celles 
que   jusqu'alors  chaque   chimiste  adoptait    à  son  gré.  Ses  im- 


8  DU     PROGBÈS    DES    SCIEIVCES. 

mortels  travaux  ne  le  sauvèrent  pas  de  la  hache  re'volution- 
naire,  et  l'on  sait  qu'il  ne  pat  pas  même  obtenir  un  sursis  de 
trois  mois  pour  mettre  la  dernière  main  à  des  expe'riences 
commencées ,  que  l'emplirent  et  continuèrent  avec  beaucoup 
de  succès,  quand  la  France  eut  recouvré  un  peu  de  tranquil- 
lité',  l^ourcroy ,  5erf/io/e^ ,  Chaptal ,  Vauqiielin. 

L'extension  que  prit  la  Chimie  donna  aux  autres  sciences 
une  impulsion  nouvelle;  en  Italie,  Gahani  et  /^o/to  agran- 
dirent le  domaine  de  la  Physique  ;  en  Allemagne  de  Born  et 
TFerner  ^  en  France  Deluc ,  Dolomieu  et  Dauùenton  celui  de 
la  Géologie.  Précédemment  Pallas  avait  démontré  le  premier 
que  les  dépouilles  d'éiéphans  et  les  carcasses  de  rhinocéros, 
trouvés  avec  leurs  peaux  entières ,  et  des  restes  de  ligamens 
et  de  cartillages,  n'aui  aient  pu  échapper  à  la  putréfaction  dans 
un  pays  chaud ,  que  par  conséquent  ils  avaient  dû  être  trans- 
portés de  leur  soi  natal  dans  le  sol  glacé  de  la  Sibérie,  par 
une  violente  inondation;  Pallas  ajoutait  que  ces  restes  l'avaient 
convaincu  de  la  réalité  d'un  déluge,  tout  en  avouant  qu'il  n'a- 
vait pu  en  concevoir  la  vraisemblance,  avant  d'avoir  vu  par 
lui-même  tout  ce  qui  peut  servir  de  preuve  à  ce  mémorable 
événement  (i). 

Mais  voilà  qu'au  commencement  de  ce  siècle ,  Chateau- 
briand apparaît  avec  son  Génie  du  Christianisme,  météore 
lumineux  qui  devait  éclipser  tonte  la  fantasmagorie  voltai- 
rienue.  L'abbé  Haiiy  porte  le  flambeau  de  la  raison  dans  les 
Récherches  géologiques  :  «  En  jugeant,  dit-il,  du  progrès 
»  qu'ont  dû  faire  anciennement  les  causes  qui  produisent  les 
»  comblemens  ,  les  attérissemens  et  autres  effets  semblables  , 
M  par  celui  qu'elles  ont  fait  depuis  des  époques  connues ,  on 
»  peut  en  conclure  que  nos  continens  sont  d'une  date  peu  an- 
»  cienne,  et  qu'on  avait  eu  recours,  sans  fondement,  pour 
>'  expliquer  leur  formation,  à  des  causes  qui  auraient  agi  pen- 
>'   dant  une   longue  série  de  siècles  (i).  »  Mais  ce  savant  s'oc- 


(i)  Pallas,  Observations  sur  les  montagnes j  p.   72. 
(2)  Hrtiiy.   Minéralogie ,   t.  IV,  p.  426. 


DU  pbogbès  des  sciences.  9 

cupa  sortoat  de  Minéralogie.  Rome  de  Lisle  avait  ramené 
l'étude  de  la  cristallisation  à  des  principes  plus  exacts;  Berg- 
mann  avait  clierché  à  pénétrer  dans  le  mécanisme  de  la  struc- 
ture des  cristaux  ;  Haiiy  détermina  les  lois  de  la  cristallisa- 
tion ,  leurs  formes  primitives  et  leurs  molécules  intégrantes. 
Telle  est  la  sagacité  et  la  perfection  de  sa  méthode,  que  la 
décomposition  uaécanique  d'un  cristal  offre  toujours  des  ré- 
sultats conformes  aux  prévisions  rigoureuses  du  calcul. 

Bientôt  l'illustre  Ciwier  embrassa  l'étude  de  la  Géologie  sur 
une  plus  grande  échelle  :  sous  sa  main  le  gigantesque  mam- 
mout,  le  mastodonte  et  l'anoplotérium  reprirent  leurs  formes 
et  leurs  caractères.  Ses  travaux  sur  le  bassin  de  Paris  qui  ont 
servi  de  modèle  à  toutes  les  études  analogues,  le  confirmè- 
rent dans  les  opinions  émises  par  Pallas  et  Haiiy  ;  enfin  toutes 
ses  recherches  le  conduisirent  à  cette  conclusion ,  que  le  dé- 
luge est  le  dernier  cataclysme  qui  ait  bouleversé  notre  globe, 
et  que  la  date  assignée  par  Moïse  à  cette  catastrophe  est  désor- 
mais certaine  et  incontestable  (i). 

Un  savant  physicien  a  bien  voulu  rétablir  l'omniprésence 
de  la  mer,  en  la  supposant  la  cause  génératrice  de  l'irruption 
des  volcans  ;  mais  outre  que  son  système  est  plus  ingénieux 
que  probable,  il  ne  prouverait  rien  contre  l'époque  du  déluge, 
paixe  qu'avant  cet  événement ,  la  mer  pouvait  avoir  d'autres 
bassins  que  ceux  qui  existent  actuellement ,  et  qu'il  suffit,  pour 
que  la  science  soit  d'accord  avec  la  tradition ,  que  la  dernière 
révolution  du  globe  se  rapporte  au  temps  indiqué  par  l'É- 
criture. 

Depuis,  quelques  écrivains  ont  voulu,  en  conservant  les 
dates ,  substituer  un  autre  système  à  celui  de  Mo'ise ,  mais  ils 
n'ont  pas  trouvé  d'écho.  «  S'il  faut  J'aire  une  autre  Genèse, 
»  dit  un  savant  médecin  ,  faime  autant  in^en  tenir  à  celle  de 
»  iJ/oise  (2).))  Ecoutons  un  des  chefs  de  la  littérature  actuelle  : 
«  On  ne  me  soupçonnera  pas  d'assez  mauvais  goût,  pour  avoir 


(i)  Cuvier,  Discours  sur  les  réuolutions  du  Globe. 
(2)  Cordât,  Cours  de  physiologie,  Montpellier,   i83i. 


10  DU    PROGRÈS    DES    SCIENCES. 

»  attendu  à  substituer  mes  théories  aux  faits  de  la  re'vélation , 
»  le  moment,  unique  dans  les  longs  âges  du  christianisme, 
M  où  il  rallie  comme  le  seul  palladium  de  la  dernière  civi- 
»   lisation,  toutes  les  puissance  ralionelles  du  genre  humain  (i).  » 

Le  système  ge'ne'ralement  adopte'  par  les  savans,  la  division 
des  terrains  en  primitifs,  secondaires  et  terciaires,  concorde 
très  bien  avec  i'ide'e  d'un  de'luge ,  puisque  dans  les  premiers 
on  ne  trouve  aucun  reste  d'animaux  ni  de  ve'ge'taux  et  que  leur 
pre'sence  dans  les  autres  suppose  une  formation  poste'rieure  qui 
doit  ne'cessairement  son  origine  à  de  grands  courans  qui  au- 
raient dissous  les  terres  et  les  auraient  de'posées  successivement 
suivant  l'ordre  de  leur  pesanteur  spécifique  dans  les  valle'es 
où  ils  furent  arrête's.  Partout,  en  effet,  les  formations  secon- 
daires se  trouvent  adosse'es  aux  montagnes  primitives  et  con- 
servent le  même  niveau  des  deux  côle's  des  vallons  où  on  les 
rencontre. 

Si  l'on  ne  trouve  pas  d'ossemens  bumains  dans  ces  forma- 
tions, c'est  parce  que  Ihomme  et  le  singe  e'taient  les  seuls 
animaux  qui  ne  napent  pas  naturellement  et  dont  les  corps 
ne  surnagent  qu'au  bout  de  quelques  jours ,  tandis  que  tous 
les  antres  ,  au  contraire  ,  flottent  quelques  heures  après 
leur  submersion.  Il  est  e'vident  que,  les  premiers  durent  ou 
être  broye's  par  les  nombreux  de'bris  que  les  eaux  traînaient 
après  elles,  ou  du  moins  être  enterre's  à  une  grande  profon- 
deur ,  et  que  les  derniers  ne  durent  être  recouverts  que  d'une 
coucbe  peu  e'paisse. 

Mais  ce  n'est  pas  seulement  la  Ge'ologie  qui  a  concouru  à 
démontrer  la  ve'rite'  de  nos  traditions.  ChampoUion-le-jeune , 
en  découvrant  la  langue  des  bie'roglyphes  ,  a  prouve'  qne  le 
zodiaque  de  Denderab  avait  e'té  mal  explique' ,  que  son  exis- 
tence ne  remontait  pas  plus  haut  que  les  premiers  empereurs 
romains,  et  il  a  de'truit  par  là  toutes  les  inductions  que  les 
incre'dules  tiraient  de  son  antiquité'  pre'tendue.  Abel  Remusat 
a   également  recueilli  dans  l'e'tude  des  langues  orientales,  des 


(i)  Charles   Nodier,    Élémens    de  linguistique ,    dans  les   feuilletons 
du  Temps. 


DU    PROGRES    DES    SCIENCES.  11 

faits  qai  clëmeatent  ceux  qn'allégaaient  les  philosophes  du  dix- 
huitième  siècle  ;  enfin  les  voyageurs  ont  fait  des  de'coavertes 
également  pre'cieuses  pour  la  science  et  la  religion,  et  ten- 
dant à  prouver  les  faits  racontés  dans  la  Bible ,  et  l'unité  d'o- 
rigine de  l'espèce  humaine. 

Ainsi  donc ,  les  progrès  de  la  physique ,  de  l'histoire  natu- 
relle, de  la  géologie,  de  l'archéologie,  de  l'astronomie,  l'é- 
tude des  langues ,  les  découvertes  des  voyageurs  ont  de  nos 
jours  battu  en  ruine  tous  les  argumens  des  philosophes  du 
dernier  siècle,  et  il  n'est  pas  douteux  que  cette  circonstance 
n'ait  exercé  sur  les  gens  instruits  de  notre  époque  une  grande 
influence,  en  faisant  voir  que  la  religion  catholique  n'avançait 
rien  dans  ses  enseignemens  qui  fut  contraire  aux  faits  positifs 
attestés  par  l'expérience  ou  démontrés  par  la  science  et  le 
calcul. 

D'un  autre  côté,  l'impulsion  donné  aux  lettres  par  Chateau- 
briand ,  a  porté  son  fruit  ;  ses  œuvres ,  celles  de  Lamartine 
ont  prouvé  que  le  catholicisme  était  éminemment  poétique; 
et  c'était  beaucoup  que  de  faire  abandonner  la  vieille  mytho- 
logie pour  des  sujets  chrétiens.  Ce  mouvement  a  merveilleu- 
sement secondé  celui  de  la  science ,  et  déjà  tous  les  hommes 
remarquables  par  le  talent  et  le  génie  inclinent  vers  le  catho- 
licisme :  littérateurs  et  philosophes ,  tous  conviennent  de  la 
nécessité  ,  du  besoin  d'une  croyance.  Cette  concession  est  un 
pas  immense,  car  s'il  faut  une  croyance,  il  faut  une  religion, 
et  comme  on  n'en  trouve  pas  encore  d'aussi  parfaite  que  la 
nôtre,  sa  cause  est  désormais  gagnée  auprès  de  tous  les  hommes 
de  bonne  foi. 

L'aperçu  rapide  que  je  viens  d'esquisser  démontre  d'une 
manière  irrécusable  que  l'étude  des  sciences  est  d'an  haut  in- 
térêt, non  seulement  pour  l'homme  du  monde,  mais  encore 
pour  le  chrétien ,  et  qu'il  est  indispensable  à  quiconque  se 
voue  à  l'étude  d'en  prendre  au  moins  une  teinture  générale, 
et  une  idée  assez  exacte  j)oor  pouvoir  en  raisonner  en  con- 
naissance de  cause.  Le  littérateur  qui  les  ignorerait,  s'expose- 
rait à  d'étranges  méprises,  qui  déconsidéreraient  ses  ouvrages, 
quelques  parfaits  qu'ils  fussent  d'ailleurs. 


J2  DD    PROGRÈS    DES    SCIENCES. 

Qae  diront  à  présent  les  contempteurs  de  la  religion ,  les 
ennemis  da  catholicisme  qui  font  de  l'ignorance  sa  compagne 
obligée  ?  Sans  doate ,  ils  ne  savent  pas  que  les  de'convertes 
de  la  science  ont  aussi  contribue'  au  mouvement  religieux  qui 
se  manifeste  en  ce  moment  ;  ils  ne  font  pas  attention  à  l'ac- 
tion salutaire  qae  les  travaux  des  savans  ont  eue  sur  les  gens 
du  monde  et  à  l'influence  que  ceux-ci  exercent  sur  les  mas- 
ses ;  les  premières  classes  de  la  socie'té  se  reflétant  toujours  sur 
le  peuple.  Il  serait  d'ailleurs  facile  de  prouver  par  des  calculs 
sta-'istiques  irrécusables  que  les  départemens  les  plus  ignorans 
sont  aussi  ceux  où  les  crimes  sont  plus  fréquens  ;  que  dans 
ceux ,  au  contraire ,  oii  l'instruction  est  pins  répandue ,  on 
trouve  dans  les  populations  plus  d'attachement  à  la  religion 
et  plus  de  moralité  publique. 

Mais  je  m'aperçois  que  cette  discussion  me  mènerait  trop 
loin  de  mon  sujet ,  et  d'ailleurs,  j'ai  atteint  le  but  que  je  m'é- 
tais proposé,  si  j'ai  démontré,  comme  je  l'espère,  que  si  les 
philosophes  du  dix-huitième  siècle  s'emparèrent  des  découver- 
tes des  savans  pour  étayer  des  systèmes  anti-chrétiens,  leurs 
argumens  et  leurs  sophismes  ont  été  complètement  détruits 
par  l'extension  et  le  perfectionnement  de  toutes  les  sciences, 
et  que  c'est  en  partie  à  leur  influence  réparatrice  que  nous 
devons  de  voir  aujourd'hui  une  réaction  du  principe  religieux 
contre  l'incrédulité  et  Tindifierence  qui  naguère  menaçaient 
encore  d'envahir  toutes  les  classes  de  la  société.  —  Annales 
de  Phil.  Chrét.  tom.  VUl ,  p.  i. 


13 


»VV\ V\ A  VVVVV\iVM  VV\ VV\  */V\  .VV\-VV»^A*  VV\AAA VV\  «VVVVV*  VM  ^A^  ^A^  VV\  ^V\  ^^ 

TABLEAU    SYNOPTIQUE 

CONTENANT     lEXPOSlTION      DE     LA      DOCTRINE     RENFERMÉE 
DANS    LES  SAINTES    ÉCRITURES,  PAR  M.   l'aBBÉ  FRÈRE  (1). 

Le  tableau  suivant  est  une  preuve  qui  parle  aux  yeux ,  pour 
ainsi  dire ,  et  prouve  la  divinité  de  nos  Écritures  et  de  notre  foi. 

En  effet ,  on  peut  sans  crainte  en  faire  le  défi  à'  tout  incre'dule 
et  à  tout  contradicteur  j  ils  seront  impuissans  à  nous  offrir  un  li- 
vre ,  un  seul  livre,  qui  contienne  un  système  de  doctrine  plus  su- 
blime ,  plus  vrai ,  sur  tout  ce  qui  existe ,  embrassant  mieux  l'en- 
semble de  ce  qui  est.  Dieu,  l'homme,  l'univers,  et  non-seulement 
l'ensemble,  mais  encore  chaque  point  en  particulier.  Oui,  que  l'on 
nous  montre  un  livre  qui  dise  quelque  chose  de  mieux  que  notre 
Bible  sur  Dieu,  son  être,  sa  substance,  ses  attributs  ;  ses  oeuvres, 
l'univers ,  l'homme  ;  l'origine ,  les  devoirs  ,  les  croyances  ,  la  destinée 
de  ce  dernier.  Oui,  sur  aucun  de  ces  points,  et  sur  aucun  autre  de 
dogme  et  de  morale,  il  n'est  pas  de  livre,  pas  de  philosophe,  qui 
disent  quelque  chose  de  mieux  que  nos  Écritures.  Ils  peuvent  dire 
quelquefois  aussi  bien ,  mais  c'est  qu'alors  ils  ont  appris  d'elles  ce  qu'ils 
enjdiseutj  c'est  de  Dieu  que  les  vérités  sont  sorties  pour  se  répan- 
dre dans  tout  le  genre  humain  ;  car  tous  les  hommes  sont  frères , 
et  un  jour  ils  étaient  tous  rassemblés  auprès  de  leur  père ,  qui  leur 
racontait  les  merveilles  de  leur  naissance  ,  et  les  communications 
qu'ils]  avaient  reçues  de  Dieu. 

C'est  ici  un  des  points  les  plus  essentiels  ,  et  que  nous  recomman- 
dons à  l'attention  de  tous  ceux  qui  ont  mission  ou  emploi  d'ensei- 
gner la  jeunesse,  ou  qui  aiment  à  prendre  la  défense  de  la  vérité 
de  Dieu  quand  elle  est  attaquée.  Les  vérités  générales   sur  Dieu  , 


(i)  Extr.  àQ&  Annales  de  Phil.  Chrèt.  n*»  46 ,  —  V.  ci-d.  tom.  VIll , 
pag.  55o. 


14  TABLEAU    SYNOPTIQUE   ETC. 

sa  nature ,  ses  attributs  j  sur  l'homme ,  ses  devoirs  ,  ses  perfec- 
tions ,  ses  rares  qualités  ,  ses  de'fauts  ,  etc. ,  tout  cela  est  générale- 
ment connu  ;  la  lumière  de  PÉvangile  a  si  bien  dissipé  les  te'nèbres, 
que ,  sans  le  vouloir  même  ,  les  hommes  les  plus  éloignés  de  croire 
à  l'Évangile,  n'ont  cependant  pas  d'autre  croyance  que  celle  con- 
tenue dans  ce  livre  divin.  Aussi  il  n'est  personne  qui  nie  toutes  ces 
grandes  vérités.  Mais  ordinairement  on  n'en  connaît  pas  l'ensemble  , 
l'oriqine  ;  on  ne  sait  pas  que  tout  ce  que  l'on  connaît  sur  Dieu  et  sur 
l'homme ,  est  venu  de  la  révélation  que  Dieu  en  a  faite ,  et  se 
trouve  renfermé  dans  nos  saintes  Écritures. 

C'est  cet  ensemble  et  cette  généralité  des  doctrines  catholiques, 
qu'il  faut  faire  remarquer. 

Nous  prions  donc  nos  lecteurs  d'étudier  ce  tableau  avec  une  at- 
tention particulière  :  toute  la  doctrine  catholique  y  est  exposée  avec 
un  ordre ,  une  suite  et  une  clarté  admirables. 

Nous  croyons  surtout  qu'il  peut  être  d'une  grande  utilité  pour 
ceux  qui  ont  mission  et  charge  d'enseigner  aux  hommes  la  ré- 
vélation de  Dieu.  On  se  plaint  souvent  que  les  instructions  sont 
vagues  ,  sans  ordre ,  comme  faites  au  hasard  ;  qu'elles  manquent 
surtout  de  cet  ensemble  qui  en  ferait  un  cowrs  complet  de  religion, 
lequel  comprendrait  toute  la  doctrine  catholique,  et  attacherait  les 
auditeurs,  par  la  régularité  des  leçons;  les  obligerait  à  ne  pas  s'ab- 
senter ,  par  la  crainte  de  perdre  le  fil  de  cet  admirable  enseigne- 
ment, et  surtout  par  la  variété  qui  entrerait  nécessairement  dans  un 
tel  cours  ;  car,  on  le  voit ,  toutes  les  sciences  peuvent  être  appelées 
à  l'explication  de  ce  tableau ,  et  précisément  selon  le  degré  d'in- 
struction des  auditeurs  et  des  maîtres. 


E^OSITION    DiTVnss. 


DÉFINITION 


{        DiEi"";32- 


,        SON 
ÊTK£. 


I  SA. 

ISUBSTAtr 


tout    ce    qu'il  possède  ,    aimer 


SES 
lATTBIB 


Disn 


= 


Opere'e 


slasic   d'une  partie    Jid.  6. 


LA 
CRÉATION. 


Perfect 


pour  être  uni  à  Dieu  et  à  un    corps 
régir.   Gen.    i;    26  —  28. 


Repos 


les 
quii 
trei 
pn 

L 


n.  Rom.   m;  9—18.  Tit.  lU  ;   3. 
1  obtient  la  rémission  des  péchas  , 


éissance  à  Dieu.   Ges.    m;   i— 13. 

els    et    e'ternels.    Gen.  m;    l3 — 24. 
(„.>..    «joi..    »iii  ,-    ig  ,    20. 

Mariage.   Eph.  v  ;   25—33. 

12- 

I.  vui  ;  I — 39. 

Inion  et  la  Paii.  Epii.   11  ;   i3 22. 

CoLoss,  I  ;  12  ,    i3. 

ers  Dieu  :  Foi ,  Espérance ,  Charité. 

lATTH.  TI. 

ers  soi-même.  Mattb.  v  ;  39  ,  3o. 
SES  EPF*"  '*  proclioin    Matth.  vii  ;  12. 

^rs  les  créatures.  M  atth.  vx;  20,  i5. 
^eraios.  Rom.  siii  ;  3 ,  4- 
^slrats.  I  Petii.  11  ;  i3 ,  l/^. 
is  et  Pères.  Eph    v  ;  25—33.  vi  ;  4 
«ses  et  Mères.  I  Petr.  m  ;  1  ,  2. 
ves  et  Femmes  âgées.  ITim.  v;4 — 8. 
Ilards.  Tit.  11  ;  2. 
1res.  CoLoss.  iv;  i. 
Ues.  Hebr.  xiii;  1^. 
its.  Rom.  xiii;  i — 7. 
aes  liommcs.  1  Petr.  y  ;  5. 
«ns.  Eph.  ti;  i  — 3. 
rges.  I  Cor.  vu;  aS — 28. 


ies.  I  TiM.  vi;  i-j  — 19. 
'iteurs.  I  Petr.  11;  18.  E 


PH.  vi;5— 8. 


Now.  Cons.  Tom.  X ,  p.  14. 


EZEOSrriON    de    KA   SOCTBINX    BXNFXSLMÉE    dans   IiES   saintes    ÉcaiTUUES. 

■  DÉFI?iITIO>.  , 


/  Preuves  de  son 
■  /  par  lui-même.  (   We'cessit^  de  le 

_.  (  Espèce  :  elle  est  esprit,  i: 

cS.«niîJ  Proprifc'  :  trinile'  de   pers 


Q  existence.. 


EiuD.  m;  14,  l5.  Saf.  iiii 
Motifs.  Sap.  it  ;  3.  Ps.  Livi 
Uojeus.  II  Tm.  w,   16.  Jo 

i  »4- 

Père  ,  Fils   et  Saiut-Esprit.   Posséder   l( 


uprélieusibilit 


«leur.  Il  Ma 

Liberté.  Epli.  l 
I  Immensité.  Bar< 
'  Bouté.  Ps.   Lixti 


Véii 


JOA 


/  Sainteté.  Levii.  su  ;  a. 

)  Justice.  I  EsD.  it;  i5. 

'"i  Miséricorde.  Ps.  xuv  ;   l3 

(  Poliencc  et  Douceur. 'JuD 


vu;  4-,.    Co»c 
;  3-S. 
I  i  6-8. 


"""^ (Prôduclio 

4^  Jour Le  Soleil 

I  5«  Jour  S  '-'=*   '^°"' 


Les  Anges.  Job 
La  Lumière.  Gi 
Le  Firmament. 

Séparation  de'la  Terre  d'avec  la  M, 
de  l'Herbe  et  des  Arbr< 
la  Lune,  les  Étoiles.  Gt 
!*■  j  Gek.   ij   ao— s3. 


Repos  du  seplprae  j 
SA  NATCRE. 


i  Sa  Salure..  (  *»!■"'  '"f°"''l  fV°"'  ""  "°',»  "V 
j  (       organise  qu  il  doit  rigir.  Gkn.   1;   ab 

S  Ses   rapports.   EccLl.    xvit  ;   1 — la. 
(  Sa  Deslinée.  Sap.  11  ;  a3. 


Uieu  leur  fail 
Jésus-Cl.risl  pa 
l'envoi   du  S; 


lit  dans  le 
nt-Esp,il 


I  les  lio 


claient  dans  l'état  de  péclié.  JoAK.  I  ;  lu  ,  II.   Rt 
en   cnvojant  Jésus.Clirist  pour   les  sauver.   I    TiM.   i;    l5,   16. 
cmps   dcleimiué  par  la  prescience  de  Uieu,  et  ,  pal-  sa  moit,  il  obtil 
t  la  réconcllialion   des  tiommcs   avec  Dieu.   1  Petb.  i  ;    18  ,   19. 
Sa  Nature  ;.  originel  et  actuel.  Rom.  v;    13,  l3. 
,     P .  ,  ,  j  Ses  causes  ;    la  suggestion  du  démon ,  l'orgueil ,  la  désobéîssanc 

'  '"  '^""'^ \  Ses  effcls  :  la  séparalion  de  Dieu,  tous  les  maux  temporels   et 

Impossiliililé  d'eu   Êlre   délivré  par  des    forces  créées.   Acr.  IV  ; 

■*  4— )■  «'"■  "i  4-7- 

de  j,!aus-Clirist.   I  Pkt 

des  Hommes.  I!  TiM. 

r  des  Allie 


3-18.  Tir.  m;   3. 
imission  Je,  péchés  , 


lélivré  par  d 
ifime.  TiT. 


La  Prédestination.. 

(  par  des  Alliances.GiN.  ix;  8.17.  rvli;  i-< 
La  Préparation  à  l'Évangile  J  par  des  Propliéties.  Iles.  1  ;  I, 

(  Par  l'Election  du  peuple  Juif.  Dect. 


lidérée  eu 
nside'réo 


L  le  Verbe  fait  clia 


/■  !•  ...  t  Temoignases.  DlATT.  svli  ; 
Maluro  S  ,  ,^^";,.  )  Miracles.  JoA».  x  ;  3-,  ,  38 
vine.     S  ^'  '°  1)'V"»"Ï-  (  Propliélies.  JoAN.  xiv  ;  a8 

(  Caractères  do  sa  divinité.   JoA».   i  1  3o. 


i  Finale 


RÉUEMPTIOU.I 


et  le  salut  des  lie 
(   La  justi6c3tion 


'''^'°'"'    J  La  Nature  (    Sa  Vie.  Loo 
f  liuniuinu.   /    Sesllircs,, 


4" 


tat  de  péché  dans  leeiuel  nous  naissons  comme  enfans  d'Adai 
is  sommes  établis  par  la  grJco  de  N.-S.  J.-C.  TiT.  m  1  3--. 
OA».  VI J  44.  BoM.  vui;  3o. 

La  Foi  en  Jésus-Clirist.Ro».  i  i  16  ,  l^. 
'  La  Pénitence.   Mail   ly  1    17. 
iiii  5,  6. 


nielle,  les  Sacremens,. 


Biens  qu'elle  procun 
Maux  dont  elle  délivi 


qui  la  confèrent  : 

qui  l'augmentent 

T  chaque  Chrélie 
à  toutes  lei  "  ' 
Tempo, 


(   Le  Bapli 

(  La  Pénit 

La  Coni; 


.  JoA». 


/  La  Conlirmation.  AcT.  il;  14 
\  L'Euch;.rislie.  JoA».  VI  ;  54- 
i  i.'EilrSme-Onclion.  Jac.  v;  1 
1  L'O.Jro.  Lue.  un;  .9,  ™. 
Q  Le  Mariage.  Bps.  v  ;  aS-SJ. 


Epn. 


Rom.  vui  ;  1—39. 
■  ,  rinion  et  lo  Paii 
;   8.  (loLOSS,  1  ;  12 


Eternels. 
Généralement 
les  Chrétiens, 


Spécialement 
de  la  Société. 


I  Dieu  :  Foi ,  Espérance,  Charité 
v;39,  3o. 


le  prochnio   Ma 
les  créatures.  Matth.  vi;  ao, 
ains.  Rom.  xiii;  3,4, 
ata.  IParn.  11;  i3,  14. 
Maris  et  Pères.  Epn.  v  ;  25—33.  vi  ; 
Mires.  I  PrTR.  m;  i  ,  a. 
igées.lTiM.  v;4- 


Meigisl 


Vieillards.  Tu 


.  CoL< 


Le  Jugement.  Ma 


..(  La  V.e  et. 


I  Enfles.  EpB.  vi;i-3. 
Vierges.  I  Coi!,  vu;  aS— a8. 

Riche»     ITlM.    Vl;   17  —  19. 

.  Serviteurs. I  Psrn.  11;  18,  Eru.  vi;  5- 


Nouv,  Cons.  Tom.  X ,  p.  i4. 


15 


VV'VWVWVW 


,VV^lVV\'V*rtA/V\(VV\^.V\VV^\rtAVV.;VV\*/V\^A^VV\VV\VV\VV\A/V»>AA^V»VV^'VV\v^ 


SUA   X.'ÉTAT   DE   LA   RELIGION    CATHOLIQUE    DANS 
LE    HANOVRE. 

Dans  les  pays  appartenant  à  l'ancien  électoral  de  Hanovre ,  il 
n'y  avait  que  cinq  congre'gations  catholiques,  qui  n'e'taient  pas  nom- 
breuses. Une  e'tait  restée  constamment  catholique  depuis  la  réforme, 
une  autre  avait  été  conservée  accidentellement  par  une  clause  du 
traité  de  Westphalie.  Les  trois  autres  furent  érigées  dans  le  der- 
nier siècle,  deux  à  la  demande  de  la  cour  d'Autriche ,  l'autre  pour 
les  étudians  qui  suivaient  l'université  de  Gottingue.  Ce  n'est  que 
par  les  nouveaux  accroissemens  du  Hanovre  que  le  nombre  des  ca- 
tholiques s'y  est  beaucoup  augmente.  En  1802,  la  principauté 
d'Osnabruck  fut  ajoute'e  au  Hanovre  ;  les  autres  acquisitions  sont 
de  18 14  et  181 5.  Il  y  a  quatre  congre'gations  dans  l'Est-Frise  , 
plusieurs  dans  le  comte'  de  Lingen  ;  le  plus  grand  nombre  est  dans 
le  pays  d'Osnabruck ,  d'Arenberg ,  de  Bentheim ,  d'Eichsfield  et 
d'Hildcsheim.  A  Arenberg  et  dans  tout  le  territoire  dépendant  au- 
trefois de  l'évêché  de  Munster ,  la  religion  catholique  était  et  est 
encore  la  seule.  Il  en  est  de  même  d'Eichsfield.  Dans  les  autres 
provinces,  les  deux  religions  se  trouvaient  mêlées;  mais  la  religion 
catholique  était  domiuante.  Par  le  traité  de  Westphalie  du  16  oc- 
tobre 1648,  il  fut  stipule'  que  le  siège  d'Osnabruck  serait  possédé 
alternativement  par  un  catholique  et  par  un  prince  de  la  maison 
d'Hanovre ,  sous  lequel  la  juridiction  spirituelle  serait  de'voiue  à 
l'archevêque  de  Cologne.  En  conséquence  de  cet  arrangement ,  fat 
dressé,  le  25  juillet  i65o,  l'acte  appelé  Capitulation  perpétuelle 
d'Osnabruck ,  qui  e'tait  jurée  par  tous  les  e'vêques  séculiers  ,  y 
compris  le  dernier  duc  d'York.  Cet  acte  portail  que  le  souverain 
temporel  n'avait  aucun  droit  d'intervenir  dans  les  matières  reli 
gieuses  ou  purement  ecclésiastiques ,  et  que  toutes  les  ordinations , 
les  visites,  les  censures,  les  synodes ,  la  juridiction  dans  toutes 
les  causes  ecclésiastiques ,  tous  les  cas  matrimoniaux  et  tout  ce 
qui  en  dépend ,  la  discipline  des  églises  et  des  écoles ,  et  les  au- 
tres objets  de  la  même  nature ,  seraient  entièrement  laisses  aux 
prélats  et  supérieurs  catholiques.  Celte  garantie  de  la  liberté  reli- 


16  SUR    l'état    de    la.    RELIGIO^    CATHOLIQUE 

gieuse ,  stipulée  couformément  à  l'article  1 3  du  traite  de  Westpha- 
lie  ,  n'a  jamais  e'té  révoquée.  La  plus  grande  innovation  en  matière 
eccle'siastique  fut  celle  qai  fut  introduite  par  le  recez  impérial  du 
i5  février  i8o3,  qui  supprima  les  abbayes,  monastères  et  autres 
fondations;  mais  là  même  il  fut  déclare'  expressément,  dans  la 
soixante-troisième  section ,  que  Cexercice  de  la  religion ,  tel  quil 
existait  )usqtû alors  dans  chaque  pays  ,  serait  protégé  contre  toute 
espèce  de  suppression  et  de  vexation,  et  spécialement  que  la  pos- 
session et  la  jouissance  des  propriétés  de  PEglise  et  des  fonds 
des  écoles  resteraient  inviolables  ^  conformément  aux  dispositions 
du  traité  de  Westphalie, 'En^n ,  en  i8i5,  l'Eglise  catholique,  telle 
qu'elle  existait  en  Hanovre ,  fut  formellement  reconnue  par  une 
loi  de  l'Etat ,  et  confirmée  dans  la  possession  de  toutes  ses  immu- 
nités et  privilèges  eccle'siastiques. 

Après  de  telles  déclarations  et  de  telles  garanties,  les  catholi- 
ques ,  qui ,  dans  les  nouvelles  provinces ,  forment  une  population 
de  200,000  âmes ,  le  sixième  de  la  population  totale  du  royaume, 
se  croyaient  entièrement  à  l'abri  de  toute  intervention  de  la  légis- 
lation dans  ce  qui  constitue  le  libre  exercice  de  leur  religion ,  et 
ils  avaient  d'autant  plus  de  raisons  de  s'en  flatter ,  qu'il  paraissait 
exister,  même  depuis  le  concordat  de  1824,  une  bonne  intelligence 
entre  le  gouvernement  et  le  Saint-Siège.  Peut-être  cette  sécurité 
explique-t-elle  en  partie  le  petit  nombre  de  catholiques  qui  paru- 
rent à  la  dernière  réunion  des  Etats.  Nous  allons  donner  actuelle- 
ment Ihistorique  des  mesures  prises  contre  les  catholiques. 

En  i83i  ,  le  projet  d'une  nouvelle  charte  constitutionnelle  pour 
le  royaume  fut  porte'  devant  une  réunion  de  conseillers  royaux  et 
un  comité  des  anciens  Etats.  Dans  le  chapitre  V  se  trouvaient  quel- 
ques dispositions  qui  blessaient  directement  et  gravement  les  droits 
essentiels  des  évêques ,  et ,  comme  l'observait  un  savant  écrivain 
allemand ,  le  docteur  Wein ,  ces  dispositions  mettaient  entièrement 
l'Eglise  sous  le  joug  du  pouvoir  civil.  L'e'vêque  et  le  chapitre  d'Hil- 
desheim  présentèrent  au  duo  de  Cambridge,  le  5  janvier  i832,  un 
mémoire  à  la  fois  judicieux,  ferme  et  respectueux,  pour  demander 
des  modifications  sur  certains  points.  Le  mois  suivant,  les  doyens 
ruraux  du  diocèse  d'Osnabruck  adressèrent  un  mémoire  pressant  au 
vicaire-général ,  évêque  suffragant ,  M.  Lupkén  (  car  le  Sie'ge  est 


DANS    LE    HANOVRE.  17 

encore  vacant  ) ,  pour  le  prier  de  porter  à  la  connaissance  du  gou- 
vernement une  re'clamatlon  fortement  motivée,  et  signe'e  d'eux  tous, 
au  nom  du  clergé  et  des  fidèles.  Outre  l'injustice  des  réglemcns  pour 
tous  les  catholiques  du  Hanovre ,  le  clergé  du  diocèse  d'Osnabruck 
a  des  raisons  de  craindre  quelque  chose  de  particulier  contre  lui. 
Ou  remarque  que  partout  où  il  est  parlé  ,  dans  la  charte,  de  l'exer- 
cice de  la  religion,  aucune  mention  n'est  faite  de  l'évêque  dOsna- 
bruck.  Ce  silence ,  et  le  retard  que  met  le  gouvernement  à  remplir 
ce  Siège ,  autorisent  à  croire  qu'il  a  l'intention  de  laisser  les  choses 
comme  elles  sont ,  au  lieu  d'exécuter  la  convention  faite  avec  le 
Saint-Siège  ;  car  la  bulle  de  Léon  XII  Impensa  romanorum  pon- 
tificum,  enregistrée  parmi  les  lois  du  Hanovre,  le  20  mai  1824, 
et  publie'e  avec  le  placet  royal ,  porte  qu'aussitôt  que  les  circon- 
stances le  permettront ,  l'évêché  d'Osnabruck ,  son  chapitre  et  le 
séminaire  seront  érigés  sur  le  même  pied  que  celui  d'Hildesheim. 
En  vertu  du  décret  du  25  février  i8o3  ,  les  fonds  des  monastères 
supprimes  devaient  être  employés  à  la  dotation  de  l'évêché;  et  il 
est  à  remarquer  que,  quoique  des  e'glises,  des  écoles,  une  univer- 
sité ,  et  d'autres  établissemens  de  la  même  nature ,  aient  été  érigés 
et  dotés  avec  ces  fonds  ,  on  ne  s'est  cependant  point  occupe  de  l'é- 
tablissement du  siège  épiscopal.  On  en  a  pourtant  encore  les  moyens 
sous  la  main;  et^  après  les  stipulations  précédentes,  il  est  inex- 
plicable comment,  dans  une  loi  permanente,  il  n'est  fait  mention 
que  d'un  administrateur  du  Siège ,  si  l'intention  n'était  pas  que 
cela  restât  ainsi. 

Revenons  au  projet  de  charte.  En  conséquence  des  remontran- 
ces du  clergé,  le  gouvernement  y  fit  quelques  changemens,  mais 
de  très-peu  d'importance.  En  mai ,  le  projet  fut  porté  devant  les 
nouveaux  Etats,  composés  principalement  d'hommes  de  loi  dispo- 
sés ,  là  comme  partout  ailleurs ,  à  étendre  l'autorité  civile  aux  dé- 
pens de  l'autorité  ecclésiastique.  Là  siégeaient  aussi  des  hommes 
remplis  de  préjugés  contre  les  catholiques.  Au  fait,  pour  représen- 
ter les  intérêts  du  sixième  de  la  population,  il  n'y  avait  dans  la 
chambre  haute,  composée  de  cinquante  à  soixante  membres,  que 
l'évêque  d'Hildesheim ,  qui  ne  put  que  protester  contre  les  mesures 
que  l'on  prenait,  et  se  retirer.  Dans  la  chambre  basse  ,  sur  soixante 
députés ,  il  ne  se  trouvait  que  trois  catholiques  ,  qui  s'opposèrent 
T.  X.  .2 


18  SUR    l'état    de    la    REUG10^    CATHOLIQUE 

en  vain  aux  résolutions  de  la  chambre.  Le  docteur  Sermes,  dc'puté 
de  la  ville  catholique  de  Meppen,  se   distingua  particulièrement. 
Le  clergé  catholique,  de  son  côté,  ne  s'endormit  point.  Le  12  sep- 
tembre ,  l'évêque  et   le   chapitre  d'Hildeshcira  présentèrent  un  se- 
cond mémoire  aux  Etats  contre  la  loi  fondamentale.  Ce  mémoire 
était  long  et  raisonné.  Ils  montraient  combien  quelques  clauses  du 
cinquième  chapitre  étaient  contraires  aux  droits  essentiels  des  ëvê- 
ques,  limitaient  l'exercice  d'une  autorité  qu'ils  croient  venir  direc- 
tement  de  Dieu,  et  s'immisçaient   dans   ce  qu'il  y  avait  de  plus 
respectable  dans  la  discipline  intérieure  de  l'Eglise.  Un  comité,  au- 
quel cette  remontrance  et  celle  du  chapitre  d'Hildesheim  furent 
renvoyées  ,  était  d'avis  qu'on  les  prît  en  grande  considération  ;  mais 
cet  avis  fut  dédaigné ,  et  les  chambres  adoptèrent  la  loi  propose'e 
par  le  ministère.  Non-seulement  les  nouveaux  réglemens  émanaient 
du  gouvernement,  mais  la  lettre  qui  accompagnait  le  projet  de  loi 
prétendait  que  la  loi  de  l'Etat,  qui ,  en   18 15,  avait  rendu  à  l'E- 
glise catholique  ses  droits  ,  avait  attribué  à  cette  église  ce  qui  ap- 
partenait au  pouvoir  temporel.  Cette  lettre  était  signée  du  duc  de 
Cambridge  et  des  quatre  ministres  d'Etat,  Alten ,  Schuttet,  Stra- 
lenheîm  et  Wish. 

Nous  avons  maintenant  à  faire  connaître  les  dispositions  contre 
lesquelles  le  cierge'  réclamait.  Nous  n'avons  point  la  loi  sous  les 
yeux ,  et  nous  devons  nous  en  rapporter  au  mémoire  du  clergé 
d'Hildesheim,  qui,  supposant  que  le  texte  du  projet  e'tait  entre  les 
mains  de  ceux  auxquels  il  s'adressait ,  a  cru  inutile  de  reproduire 
dans  leur  entier  les  termes  précis  ,  et  n'a  indiqué  que  les  omissions 
dont  il  avait  à  se  plaindre,  ou  les  changemens  qu'il  sollicitait.  Ce 
clergé  commence  le  mémoire  par  exposer  clairement  la  diffe'rence 
entre  les  cas  purement  spirituels  et  les  cas  mixtes.  Il  range  les 
premiers  sous  quatre  chefs ,  et  explique  la  nature  da  droit  du  ma- 
gistrat circa  sacra  ,  en  posant  ce  principe,  que  dans  toutes  les 
matières  purement  spirituelles  l'Eglise  seule  a  le  droit  de  juger  et 
de  de'cider.  Il  entre  ensuite  dans  le  détail  des  points  qui  faisaient 
l'objet  de  sa  re'clamation. 

I.  Dans  la  première  section  du  projet,  il  est  dit  que  la  liberté 
de  culte  est  garantie  awa;  membres  de  la  religion  évangélique  et  de 
la  religion  catholique.  Cette  liberté  était   déjà  depuis   long-temps 


DANS    LE    HANOVRE.  19 

garantie  par  des  traités  et  des  pactes  solennels  qui  reconnaissaient 
non-seulement  les  droits  des  membres  de  l'Eglise,  mais  aussi  les 
droits  de  l'Eglise  comme  Eglise.  Pourquoi  ces  droits  ne  sont-ils  pas 
aussi  reconnus  dans  le  projet  ?  Pourquoi  n'y  garantit-on  que  la 
liberté  des  individus? 

2.  Dans  la  deuxième  section  ,  il  est  dit  qu'aw  roi  appartient  le 
droit  de  patronage  et  d'inspection  compris  dans  sa  souveraineté 
sur  V Eglise,  Dans  la  première  rédaction  du  projet,  on  disait  que 
le  roi  possédait  ce  droit  en  vertu  de  sa  souveraineté  sur  le  pays. 
Ce  changement  de  mauvais  augure  a  vivement  alarmé  les  catholi- 
ques, en  ce  qu'il  indique  une  prétention  à  quelque  chose  de  plus 
que  l'inspection  ordinaire  du  magistrat. 

3.  La  troisième  section  est  rédigée  de  manière  à  reconnaître  à 
l'Eglise  catholique  un  pouvoir  sur  les  choses  purement  spirituelles; 
mais  elle  exerce  son  autorité'  sur  les  objets  mixtes,  comme  mariage, 
éducation ,  etc. 

4.  Par  la  section  sept ,  on  exige  la  permission  du  pouvoir  civil 
pour  toute  publication  eccle'siastique  ;  ce  qui  comprend  les  mande- 
mens  de  carême,  les  prières  à  la  messe  ,  les  actions  de  grâces,  etc. 
Le  clergé  demande  instamment  que  l'on  excepte  tout  ce  qui  est 
purement  spirituel. 

5.  La  huitième  section  rompt  toute  communication  entre  les  ca- 
tholiques et  le  Saint-Siège,  à  moins  que  cela  ne  passe  par  les  mains 
du  gouvernement.  On  ue  fait  point  d'exception  pour  les  dispenses 
dans  le  for  intérieur  ou  dans  les  matières  les  plus  délicates  j  mais 
toutes  les  bulles,  brefs,  rescrits ,  de'cisions  ,  soit  qu'ils  soient  adres- 
sés à  tous  les  catholiques ,  soit  qu'ils  ne  regardent  qu'un  individu  , 
doivent  être  soumis  à  l'inspection  et  être  revêtus  du  placet  royal 
avant  de  pouvoir  être  mis  à  exécution.  Cet  article  est  rendu  plus 
dur  encore  par  la  qualification  de  pouvoir  étranger  appliquée  au 
Pape. 

6.  Par  la  neuvième  section ,  la  juridiction  ecclésiastique  est  ren- 
versée, même  en  matières  purement  spirituelles. 

7.  Dans  la  dixième  section  ,  le  droit  d'installation  des  prêtres  des 
paroisses  et  autres  est  re'servé  à  la  couronne ,  et  il  leur  est  défendu 


20  SUR  l'état  de  1-a  religion  catholique 

à  tous  d'exercer  aucune  fonction  ecclésiastique  sans  avoir  obtenu 
cette  installation.  C'est  une  violation  flagrante  des  lois  canoniques, 
et  une  limitation  ou  plutôt  une  violation  du  pouvoir  ecclésiastique 
ordinaire. 

8.  La  section  onzième  interdit  la  déposition  ou  le  renvoi  de  tout 
eccle'siastique  sans  la  permission  de  l'autorité  séculière ,  et  cela  sans 
excepter  les  motifs  purement  spirituels,  l'enseignement  de  l'hérésie, 
la  désobéissance ,  etc. 

g.  La  section  suivante  s'immisce  dans  l'administration  des  pro- 
priétés de  l'Eglise ,  et  restreint  le  pouvoir  d'administration  conféré 
par  les  canons  aux  supe'rieurs  ecclésiastiques ,  et  cela  même  pour 
les  fonds  consacrés  à  des  usages  purement  spirituels ,  comme 
messes ,  etc. 

10.  Enfin,  ce  système  d'empiétement  est  complété  parla  treizième 
section  ,  qui  porte  que  les  surveillans  des  fonds  de  l'Eglise  ne  seront 
plus,  à  l'avenir,  choisis  par  le  curé,  comme  ils  l'ont  ëte  jusqu'ici, 
mais  par  les  paroissiens ,  et  qu'au  lieu  de  conseillers  ils  seront  ab- 
solument administrateurs ,  quoique  les  comptes  aient  toujours  e'te 
soumis  à  l'inspection  des  deux  puissances ,  et  qu'il  n'y  ait  pas  eu 
la  moindre  plainte  sur  la  gestion. 

Les  partisans  les  plus  déclarés  de  l'autorité  civile  doivent  avouer 
que  ces  dispositions  de  la  charte  du  Hanovre  touchent  à  l'essence 
de  l'autorité  de  l'Eglise,  et  de  savans  écrivains  d'Allemagne  sont 
d'avis  que  le  clergé  n'a  d'autre  parti  à  prendre  que  de  refuser  d'o- 
béir à  ces  re'glemens,  quelles  qu'en  soient  les  conséquences.  On 
verra  par  un  passage  de  l'adresse  du  clergé  d'Osnabruck  avec  quelle 
force  il  réclame  contre  la  nouvelle  charte  : 

«  Le  vrai  catholique  croit ,  conformément  à  la  doctrine  de  son 
Eglise ,  que  les  princes  sont  placés  par  Dieu  même ,  et  tirent  leur 
autorité  de  lui  et  non  des  suffrages  variables  du  peuple.  En  con- 
se'quence,  il  obéit  à  l'autorité  à  cause  de  la  conscience,  et  regarde 
la  de'sobeissance  comme  un  péché.  Le  catholique  ne  connaît  qu'un 
cas  où  les  lois  temporelles  ne  peuvent  l'obliger ,  c'est  lorsqu'elles 
sont  manifestement  contraires  aux  lois  divines  ;  car  alors  il  doit 
dire  avec  l'Apôtre  :  //  vaut  mieux  obéir  à  Dieu  qu'aux  hommes. 
C'est  un  grand  sujet  d'humihation  pour  les   catholiques ,   comme 


DANS    lE    HANOVRE.  21 

pour  nous ,  de  voir  que  les  lois  fondamentales  du  royaume  semblent 
jeter  à  l'avance,  sur  leur  correspondance  à  eux  seuls  avec  le  Pape 
et  les  évèques ,  l'horrible  soupçon  d'avoir  une  tendance  dange- 
reuse pour  l'Etat ,  jusqu'à  ce  que  le  ministère  se  soit  bien  convaincu 
du  contraire  par  un  examen  sévère.  Qu'avons-nous  fait  pour  me'ri- 
ter  ce  règlement  inquisitorial  ?  Nous  autres  catholiques  du  diocèse 
d'Osnabruck ,  sommes  nous  les  auteurs  ou  les  fauteurs  des  derniers 
troubles  (i)  de  ce  royaume,  dont  la  mémoire  est  encore  si  fraîche 
parmi  nous?  Nos  supérieurs  ecclésiastiques  nous  ont-ils  excité  à  y 
prendre  part?  Ne  nous  ont-ils  pas  au  contraire  exhortés,  dans  les 
termes  les  plus  pressans,  à  ne  point  nous  y  mêler?  Rome  a-t-elle 
essayé  d'intervenir  dans  le  gouvernement  civil  de  cet  Etat?  Pour- 
quoi donc  ce  soupçon  révoltant  d'une  correspondance  coupable 
entre  notre  Pasteur  suprême  et  quelques  congrégations  ou  quelques 
individus  catholiques  ?  Votre  Altesse  royale  et  Vos  Excellences  sont 
certainement  persuadés  du  contraire ,  et  ont  dans  leurs  mains  des 
preuves  de  la  fidélité  de  vos  sujets  catholiques.  Ce  n'est  point  l'in- 
tention de  Sa  Majesté  notre  gracieux  souverain  ,  Guillaume  IV, 
que  les  pactes  solennels  souscrits  par  ses  ancêtres  en  faveur  des  ca- 
tholiques du  diocèse  d'Osnabruck  soient  -violés  ,  et  que  la  liberté 
de  religion  et  de  conscience  de  ses  fidèles  sujets  allemands  soit  as- 
treinte,  par  la  nouvelle  loi  fondamentale,  à  des  restrictions  oppres- 
sives et  humiliantes ,  inconnues  à  ses  nombreux  sujets  catholiques 
en  Grande-Bretagne  et  en  Irlande ,  pour  l'émancipation  desquels 
Sa  Majesté  a  témoigné  une  si  noble  bienveillance  ?  » 

Les  chambres  comme  nous  l'avons  dit,  n'ont  même  pas  voulu 
prendre  ces  remontrances  en  considération  ;  mais  les  catholiques 
ont  trouvé  de  courageux  avocats ,  même  parmi  les  membres  d'une 
autre  communion.  Le  docteur  Grote,  entre  autres,  éditeur  d'un 
journal  hanovrien  ,  a,  dans  un  long  article,  plaidé  la  cause  des 
catholiques  sous  le  rapport  constitutionnel ,  refusant  absolument  au 
pouvoir  le  droit  de  mettre  de  telles  entraves  après  les  traités  exis- 
tans.  Il  finit  son  article  en   disant  que  ce  serait  encore  une  soile 


(i)  Allusion  aux  troubles  qui  eurent  lieu  à  Gottingue  après  la  révo- 
lution de  juillet. 


22  suK  l'état  de  la  religion  g\tuolique  dans  le  hanovbe. 

de  satisfaction ,  si  du  moins  le  présent  pouvait  être  considéré  comme 
définitif;  mais  les  termes  de  la  loi  sont  si  vagues,  qu'ils  laissent 
craindre  aux  catholiques  de  nouveaux  empiétemens  sur  le  libre  exer- 
cice de  leurs  droits  religieux.  Il  est  assez  remarquable  encore  que 
les  Etats  catholiques  ont  bien  autrement  entendu  la  décision  du 
congrès  de  Vienne  sur  la  liberté  de  conscience.  Ils  en  laissent  jouir 
pleinement  leurs  sujets  protestans  ;  aucune  restriction  n'a  été  im- 
posée sur  ceux-ci  par  aucun  Etat  catholique.  Si  un  prince  catholi- 
que l'avait  tenté,  c'aurait  été  dans  toute  l'Europe  un  cri  général 
contre  l'intolérance  et  le  fanatisme  des  catholiques.  Que  dire  donc 
de  la  tolérance  et  de  la  modération  des  Etats  protestans,  qui  mo- 
lestent et  oppriment  à  qui  mieux  mieux  les  catholiques  ?  car  plu- 
sieurs Etats  protestans  suivent  la  même  tactique.  Nous  avons  vu 
naguère  comment  en  Prusse  on  agit  envers  les  catholiques  ;  on 
connaît  la  pragmatique  adoptée  relativement  aux  affaires  de  l'Eglise 
par  des  princes  ou  Etats  des  bords  du  Rhin  ;  et  enfin ,  nous  avons 
donné  dernièrement  une  idée  du  plan  proposé  par  la  conférence  de 
Bade  sur  ce  qui  concerne  le  clergé  catholique.  Tout  cela  est  dans 
le  même  esprit  que  le  cinquième  chapitre  de  la  constitution  de  Ha- 
novre, et  annonce  un  système  suivi  contre  l'Eglise  j  système  illi- 
béral, injuste  et  vexatoire,  s'il  en  fut  jamais.  —  V Ami  de  la 
Religion,  n"  2281. 


23 


RÉFLEXIONS 
SUR    LHISTOIRE    DE    FRANCE 

DE  M.  MICHELET, 

PAR  M.  LE  BARON  U'ECKSTEIN  (l). 


§  III. 

Nous  avons  vu  M.  Michelet  fonder  sa  théorie  de  l'iraperson- 
nalité  des  Allemands  sur  la  domination  de  la  nature  physique  ; 
maintenant  il  nous  montre  au  moral  cette  impersonnalite'  re'- 
sultant  d'une  religion  inde'termine'e  aussi  ,  quoique  cherchant 
à  prendre  dans  le  culte  forme  et  consistance. 

D'abord  il  nous  entretient  de  deux  croyances  de  l'antique 
Germanie:  l'ancienne  peu  connue;  la  nouvelle  ou  l'Odinisme, 
re've'le'e  par  les  institutions  et  la  mythologie  des  Scandinaves. 
Ensuite  il  e'tablit  leurs  rapports  dans  le  domaine  du  culte  et 
de  la  constitution  sociale. 

Quant  au  culte  dominant ,  avant  l'e'tablisseraent  de  l'Odi- 
nisme,  c'est,  selon  l'auteur,  l'adoration  des  arbres ,  des  élé- 
mens ,  des  J'ontaines  (p.  164  )•  Si  les  Allemands  ont  un  génie 
vague  pour  avoir  adore  les  e'ie'mens;  les  Indiens,  les  Bactriens, 
les  Pëlasges ,  les  Latins  sont  coutnmiers  du  fait.  Une  partie 
de  l'ancienne  religion  de  la  nature  embrassait  un  système  phy- 
siologique et  reconnaissait  les  harmonies  pre'existantes  entre 
les  organes  du  corps  humain  et  les  diverses  parties  de  l'uni- 
vers. On  avait  observe  que  tout,  chez  l'homme,  e'tait  cre'e'  en 
conformité  avec  la  nature  ;  ainsi  la  vue  correspond  k  la  lu- 
mière ;  l'ouïe  correspond  à  l'espace  ;  le  tact  correspond  aux 

(1)  V.  ci-dessus  tom.  IX,  p.  40a  et  449- 


24  RÉFLEXIONS 

impressions  de  l'air;  l'odorat  se  rapporte  aux  exhalaisons  de 
la  terre  ;  dans  l'eaa  est  le  principe  de  la  saveur.  Les  Indiens 
céle'braient  leur  Poorotislia ,  les  Bactriens  leur  Kaiomors,  les 
Grecs  leur  Titan  ,  les  Scandinaves  leur  Ymir ,  Dieu-homme, 
symbole  du  monde.  Il  y  a  des  traces  nombreuses  de  cette  ma- 
nière de  voir  dans  les  fables  allemandes  du  moyen-âge.  Sacer- 
dotale, naïve,  profonde,  elle  ne  s'adressait  pas  à  tel  e'ie'ment 
isolé  ;  mais  à  l'ensemble  des  e'Iémens.  Les  e'ie'mens  n'e'taient 
pas  des  dieux,  c'e'taient  des  génies  subalternes.  La  mythologie 
populaire  les  individualisait  sous  diverses  formes. 

Les  Germains  adoraient  les  arbres  comme  emblèmes  de 
l'homme  et  comme  figures  du  système  des  mondes.  L'homme 
el  la  femme  proce'daient  de  l'arbre  Âskr ,  type  de  l'espèce  ha- 
maine;  dans  le  règne  ve'ge'tal,  les  deux  sexes  se  trouvent  re'u- 
nis  sur  la  même  tige  :  la  séparation  des  sexes  n'a  lieu  que  dans 
le  règne  animal.  On  supposait  nn  homme  primitif,  herma- 
phroditique ,  auquel  on  donnait,  pour  emblème,  l'arbre  le  plus 
sublime  des  végétaux  :  1  homme  s'en  dégageait  par  la  sépara- 
tion des  sexes.  Dans  l'Edda ,  le  chêne  Ygdrasill  est  un  symbole 
de  l'univers ,  comme  l'Ashwattha  des  Indiens  ,  comme  leur 
Kalpa-Vricsha  ,  figure  du  temps  et  de  la  plénitude  des  êtres  ; 
car  ils  se  développent  dans  le  temps  ;  ceci  rappelle  le  chêne 
de  Dodonc ,  séjour  de  Zeus  et  de  Dione  ,  du  dieu  et  de  la 
déesse,  on  des  deux  principes  de  l'existence  animale,  qui  se 
trouvent  unis  dans  le  règne  végétal. 

L'adoration  des  sources  sacrées  résultait  de  l'adoration  du 
principe  humide ,  a  la  fois  fécondé  et  fécondant.  Le  cours  de 
la  civilisation  suivait  les  fleuves;  ainsi  ont  été  vénérés  le  Gange, 
le  Nil ,  tant  de  rivières  de  la  Grèce  pélasgique ,  fleuves  qui 
fertilisaient  les  campagnes  et  favorisaient  leur  culture.  Sortie 
de  l'Océan  ,  dans  la  nuit  des  temps  ,  la  terre  était  constam- 
ment restaurée  par  la  pluie,  rafraîchie  par  la  rosée.  Les  Chattes 
et  les  Hermundures  se  disputaient  la  possession  d'une  rivière 
saline  :  c'était  une  guerre  sacrée,  car  tout  revêlait  le  costume 
sacré  dans  les  législations  de  l'antiquité. 

Qu'y  a-t-il  en  cela  de  vague?  C'est  de  la  physiologie  excen- 
trique mais  positive. 


SUR    l'histoire    de    FRA.NCE.  25 

Mais  n'en  déplaise  à  M.  Michelet,  en  cela  ne  consistait  pas  { 
la  religion  ancienne  ;  elle  relevait  de  qaelqae  cliose  de  plus  \ 
de'termine' ,  dont  les  traces  efface'es  brillent  encore  dans  les  \ 
re'cits  des  auteurs  de  l'antiquité'  classique ,  dans  la  tradition  \ 
des  peuples ,  et  dans  la  coutume  du  moyen-âge. 

Tacite  parle  de  la  de'esse  Hertlia ,  adorée  dans  une  île  de 
rOce'an  ;  les  uns  croient  que  c'est  l'île  de  Rngen  ,  les  antres 
l'île  de  Se'lande  :  il  est  probable  que  les  mystères  de  la  de'esse 
étaient  ce'ie'bre's  dans  les  deux  contrées.  Hertha  a  toute  l'allure 
d'une  De'meter  ou  d'une  Alhe'ne'  pélasgique,  d'une  de'esse  de 
la  culture  patriarcale  du  sol ,  pre'sidant  aux  travaux  domesti- 
ques des  femmes.  On  pourrait  la  comparer  à  Sris  ou  à  Lak- 
sclimi,  de'esse  indienne  qui  repre'sente  la  terre  fe'conde ,  sortie 
du  sein  des  eaux  :  comme  telle  elle  est  l'e'pouse  de  Vishnou  , 
du  conservateur  des  mondes;  elle  pre'side  aux  occupations  de 
l'e'pouse,  dans  la  maison  patriarcale,  aux  soins  de  la  mère  de 
famille  :  en  cetle  qualité'  elle  est  la  fiance'e  d'Agnis,  dieu  du 
foyer  sacre',  le  plus  ancien  des  Pe'nates.  Hertha  de  même;  elle 
civilise  les  peuples  ;  elle  leur  enseigne  le  labour  ;  des  vacbes 
traînent  son  char  ;  un  voile  la  couvre  ,  c'est  le  tissu  sacré  , 
brode'  par  la  main  des  femmes  ;  toute  la  vie  domestique  re- 
lève d'elle  ;  sortie  des  eaux ,  elle  redescend  dans  les  eaux  dont 
elle  tirait  son  origine.  On  ensevelissait  jadis  les  morts  ,  on  les 
confiait  au  sein  maternel  de  la  terre;  plus  tard  on  les  brûla, 
ce  qui  était  surtout  la  coutume  des  peuples  héroïques.  Le  mode 
primitif  de  la  sépulture  se  rapporte  au  culte  des  dieux  Chtho- 
niens  cbez  les  Pélasges  ,  à  leur  religion  des  morts;  en  ce  sens 
ils  se  disaient  Autocblbones  :  il  existe  des  indices  d'un  état 
pareil  de  cboses  cbez  les  anciens  Germains. 

Telle  était  cette  religion  de  la  vieille  Hertha  ,  ou  de  l'anti- 
que Jormum  des  Scandinaves  ;  terre  enveloppée  par  l'Océan  , 
embrassée  par  le  serpent  Jormungandur  son  symbole.  C'est  le 
même  serpent  que  la  mythologie  indienne  appelle  le  Gouna, 
la  corde  qui  enchaîne  les  mondes  et  la  divinité,  car  elle  1  at- 
tache au  système  des  mondes.  Celte  religion  s'alliait  à  un  vieux 
culte  de  la  lune  ,  et  à  un  antique  calendrier  sacerdotal  ,  qui 
servait  à  régler  les  assemblées  du  peuple,  h  indiquer  les  divi- 


26 


KEFLEXIONS 


sions  du  temps,  l'époque  des  ensemenceiuens ,  delà  moisson, 
etc. ,  toutes  choses  dont  la  science  demeurait  entre  les  mains 
des  prêtres;  car  ils  e'taient  consulte's  sur  toutes  choses  parmi 
les  Germains  comme  dans  l'antique  Rome. 

A  ce  culte  de  Hertha ,  se  joignait  celui  de  Thor ,  dieu  ca- 
birique ,  dieu  industriel,  dieu  des  me'tiers ,  invoque'  chez  les 
Germains  comme  chez  les  Scandinaves. 

«  Par-dessus  ces  races  et  ces  religions,  sur  cette  première 
»  Allemagne,  pâle,  vague,  indécise,  monde  enfant,  encore 
»  engage'  dans  Vadoratlon  de  la  nature ,  vint  se  poser  une  Al- 
»  lemagne  nouvelle ,  comme  nous  avons  vu  la  Gaule  druïdi- 
»  que  e'tablie  dans  la  Gaule  gallique  par  l'invasion  des  Kjmry.» 
(Pag.  i65.  ) 

Il  s'agit  de  rOdinisme.  J'ai  cite'  les  rapports  directs  de  TLor 
avec  l'indnstrie  et  les  métiers  ;  de  Hertha  avec  l'agriculture  et 
les  travaux  des  femmes  ;  de  l'un  et  de  l'autre  avec  les  lois  et 
les  rites  ;  le  tout  fonde'  sur  les  ordonnances  d'un  antique  sa- 
cerdoce ;  le  tout  offrant  des  analogies  avec  les  coutumes  et  les 
e'tablissemens  des  Pe'lasges  de  la  Grèce  et  de  l'Italie,  avec  les 
institutions  domestiques  de  l'Inde,  si  on  sait  les  lire  à  travers 
les  de'figurations  de  l'ascèse  brahmanique.  Voilà  pour  ce  qui 
est  de  la  première  Allemagne  si  décolorée. 

La  religion  d'Odin,  religion  guerrière,  rappelle  le  culte  d'In- 
dra et  de  Siva ,  chez  les  Kshatriyas  de  l'Inde  et  celui  de  l'A- 
pollon Justicier,  du  dieu  du  glaive,  chez  les  Hellènes.  Je 
n'assimile  rien  et  ne  parle  que  de  certains  rapports.  Tous  ces 
dieux  appartenaient  à  une  religion  plus  ancienne  que  celle  des 
hommes  de  guerre  ,  qui  leur  confe'rèrent  le  baptême  d'une 
existence  nouvelle.  Les  Doriens  ont  me'tamorphosé  ainsi  leur 
He'raclès  ,  fils  de  He're',  qui  e'tait  un  ancien  dieu  de  la  nature, 
pour  en  former  un  dieu  he'roïqne. 

Cette  religion  d'Odin  avait  sa  loi  pre'cisè ,  ses  pontifes  guer- 
riers,  ses  e'tablissemens  permanens ,  ses  rites  et  ses  formes. 
M.  Michelet  paraît  croire  que  l'Odinisme  enveloppa  toute  la 
Germanie  :  Je  ne  saurais  partager  cette  opinion.  Nous  le  re- 
trouvons chez  les  Scandinaves  ,  où  il  re'sista  opiniâtrement  à  la 
religion  chrétienne  ;  chez  les  Saxons...  chez  les  Anglo-Saxons... 


SUR  l'histoire  de  frasce.  27 

enfin  chez  les  Lombards  el  les  Saèves.  Mais  les  Anses  des  Gotbs 
ne  sont  pas  les  Ases  ou  les  compagnons  d'Odin  ;  rien  ne  le  pi'ouve. 
Ansa ,  en  sanskrit,  signifie  une  portion  d'un  tout,  entre  autre 
la  portion  d'une  divinité',  un  demi-dieu;  mais  je  n'insiste  pas 
SUT  ce  rapprochement.  Ermanaric ,  il  est  vrai,  joue  un  rôle  dans 
l'Edda  Scandinave;  il  est  cite' dans  la  poe'sie  anglo-saxonne;  mais 
c'est  e'videmment  une  importation  e'trangère.  Quant  aux  Francs 
et  aux  Golhs  ils  ont  dû  invoquer  Thor  comme  dieu  de  la  guerre , 
en  transformant  ce  porteur  du  marteau  des  Cabires  en  dieu 
militaire,  à  cause  de  sa  force.  Plusieurs  chefs  amaîes  et  me'- 
rovingiens  portent  le  nom  de  Thor.  Du  reste,  les  compagnons 
de  Thor,  qui  e'migraient  à  l'e'tranger ,  et  les  associe's  d'Odin, 
changeaient  facilement  de  religion  ;  la  raison  en  est  e'vidente. 
Les  Amales  ,  les  Ballhes  ,  les  Wodenungs ,  les  Me'rovingiens , 
les  chefs  lombards  ,  etc. ,  e'taient  à  la  fois  pontifes  et  chefs 
d'arme'e.  La  politique  devait  avoir  une  grande  part  dans  leurs 
de'terrainations.  Pour  commander  aux  peuples  conquis  il  fal- 
lait se  rapprocher  de  leurs  croyances  ;  et  l'exemple  des  chefs 
entraînait  souvent  les  compagnons  ,  les  parens  ,  les  fidèles  , 
car  ils  exaltaient  dans  la  personne  de  leurs  chefs  les  fils  de 
leurs  dieux,  et  ne  craignaient  pas  d'offenser  les  pères  en  voyant 
les  fils  de'sobe'ir  aux  comraandemens  des  dieux  dont  ils  tiraient 
leur  origine.  En  changeant  de  religion  ils  ne  changeaient  pas 
de  moeurs.  Sur  ces  esprits  indiscipline's  l'action  du  christia- 
nisme fut  très-lente. 

Pour  prouver  l'Odinisme  des  Francs  on  s'est  appuyé'  sur  les 
Volsnngs  de  l'Edda  ,  qui  sont  fils  de  Sigge,  l'arrière-fils  d'Odin; 
la  Volsunga  Saga  ,  et  la  tradition  anglo-saxonne  ,  de'peignent 
ces  Volsnngs  à  grands  traits,  sous  des  formes  be'roïques  et  my- 
thologiques d'une  antiquité'  barbare.  Dans  ces  fils  de  Sigge  on 
a  voulu  retrouver  les  Sicambres  (ce  qui  n'est  pas  de'montre  )  ; 
mais  il  est  très-possible  qu'ils  aient  été'  les  ancêtres  des  Me'- 
roringiens.  Beaucoup  de  chefs  et  de  héros  de  cette  race  por- 
tent le  nom  de  Sigge ,  le  dieu  de  la  victoire.  La  religion  odi- 
nique  s'est  introduite  parmi  les  fils  de  ce  Sigge,  ainsi  que  le 
prétendent  la  Saga  des  Volsungs ,  et  la  poésie  anglo-saxonne. 
Le  nom  des  Fraks ,  c'est-à-dire  des  Francs ,  se  lit  aussi  dans 


28  KÉFLEXIONS 

l'Edda ,  grâce  à  la  renommée  de  cette  race ,  renomme'e  qui  , 
de  bonne  henre,  a  pene'tre'  dans  le  nord  Scandinave.  Sans  se 
trouver  mêle's  à  la  ruine  de  l'empire  gothique,  les  Scandinaves, 
comme  les  A.nglo  Saxons ,  en  ont  recueilli  le  souvenir.  Ils  ont 
chante' ,  de  bonne  heure ,  Attila  et  Ermanaric  ;  ils  ont  connu 
The'odoric.  Cela  indique  des  communications  entre  les  peuples 
de  la  Scandinavie  et  de  la  Germanie  ;  mais  les  traces  de  ces 
communications  sont  efface'es  de  l'histoire. 

M.  Michelet  affirme  que  la  religion  d'Odin  fut  beaucoup  plus 
positive  que  celle  qu'elle  a  supplante'e,  en  se  l'incorporant  avec 
des  modifications  et  suppressions  nombreuses.  S'il  avait  ap- 
profondi le  droit  et  les  antiquite's  germaniques,  cette  ancienne 
religion  ne  lui  paraîtrait  plus  si  vague.  Le  positif  de  la  reli- 
gion odinique,  pour  me  servir  de  l'expression  favorite  de  l'au- 
teur ,  re'sulte  de  son  caractère  militaire  ;  c'est  la  religion  d'un 
camp,  mais  non  pas  d'un  camp  formant  une  arme'e  nationale; 
c'est  la  croyance  d'un  culte  d'initie's  militaires,  groupe's  au- 
tour d'un  chef  de  leur  choix  ,  qui  ce'lèhre  avec  eux  les  mys- 
tères de  son  culte.  Assis  autour  de  la  table  ronde,  de  la  table 
du  conseil,  ils  vivent  dans  un  Asgard  terrestre,  dans  une  cite' 
des  Ases.  Là  circule  la  coupe  pleine  d'ambroisie,  coupe  mys- 
tique ,  où  s'inspiraient  les  héros  à  des  actions  communes,  dé- 
libe'rant  les  entreprises  communes ,  se  vouant  à  la  cause  d'un 
chef,  salue'  par  eux  du  titre  du  fils  d'Odin,  dont  ils  étaient 
les  compagnons  fidèles.  Cette  religion  a  de  l'analogie  avec  celle 
de  rOlympe  des  Hellènes,  avec  celle  du  dieu  Indra  et  de  son 
ciel  chez  les  Kshatriyas  de  l'Inde.  Là  aussi  il  y  a  une  table  , 
un  conseil  militaire,  une  boisson  commune,  des  plaisirs  et  des 
fêtes,  des  batailles  et  des  jugemens.  La  religion  primitive, 
au  contraire,  loin  d'être  vague,  comme  le  prétend  M.  Miche- 
let ,  s'attachait  avec  force  à  la  culture  du  sol  ,  à  l'industrie  , 
à  la  vie  domestique ,  aux  premiers  arts  de  la  paix  ,  à  la  pieuse 
commémoration  des  morts  ;  la  tribu  s'y  réunissait  autour  d  un 
sacerdoce  de  la  même  origine ,  mais  qui ,  peu  à  peu ,  s'était 
détaché  du  peuple  pour  devenir  son  instituteur,  le  gardien  de 
sa  foi ,  de  son  droit ,  de  son  état  social. 

Il  est  fâcheux  de  rencontrer  chez  un  historien ,  homme  aux 


SUR    l'histoire    de    FRANCE.  29 

pensées  graves ,  ces  accnsations  rëite're'es  de  vague  ;  car  l'in-  : 
certitude  de  la  pensée  de  IVcrivain  se  trahit  constamment  par  | 
ces  appellations  bannales.  Le  mot  vague  ne  nous  apprend  rien  | 
sur  la  religion  ancienne,  pas  plus  que   le  mot  positif  ne  nous  .* 
en  dit  sur  la  religion  nouvelle.  Il  y  avait,  puisque  la  poe'sie|| 
se  mêle  à  tout  ce  qui  concerne   les  croyances  des  hommes  ,|  | 
dans  la  croyance  primitive  une  poe'sie  qui  pe'ne'trait  plus  avant!  (■ 
dans  les  entrailles  de  la  nature  physique  ,  qu'il  s'agissait  de'; ' 
dompter;  il  y  avait,  dans  l'Odinisme,  une  poe'sie  plus  en  rap- 
port avec  les  sentimens  moraux  de  l'homme  auquel  il  fallait 
commander  l'he'roïsme   le  plus   inde'pendant ,    l'abne'gation  et 
Fobe'issance  la  plus  cxalte'e.  Cependant  Ion  se  tromperait  fort  . 
si  l'on  admettait,  dans  la  religion   ancienne,  moins  de  mora- | 
lite' ,  et ,  dans  la  nouvelle  ,  moins  de  physique.  Des  classifica- 
tions sociales  diflfe'rentes  donnaient  un  cai'actère  difFe'rent  à  un 
fond  de  croyances  communes. 

M.  Michelet ,  qui  a  l'âme  poe'tique ,  et  c'est  là  le  côte'  vrai-  | 
ment  brillant  de  son  ge'nie ,  M.  Michelet  a  très-bien  saisi  le  l 
caractère  profonde'ment  se'vère  et  enthousiaste  de  l'ancienne  ^ 
poe'sie    héroïque  des  nations   germaniques.  11  sent  bien    leur  ' 
e'pope'e,  tout  en  ne  l'ayant,  peut-être,  pas  assez  spe'cialise'e  ; f 
comment  celte  poe'sie  ne  lui  a-t-elle  pas  fait  toucher  au  doigt | 
le  peu  de  fondement  de  son  système  sur  l'impersonnalite'  alle-:^ 
mande?  Tout,  au  contraire,  est  profonde'ment  personnel  danS;' 
cette  vieille  poe'sie  ,  qui  explique   si   bien  le   mouvement  des 
races  guerrières  et  leur  esprit  de  conquête  au  moment  de  là 
grande  migration  des  peuples. 

»  L'immense  poésie  ))  he'roïque  des  Germains,  dit-il  (p.  172, 
173),  se  résume  en  Sigfrid  et  en  Tliéodoric.  Sigfrid  personnifie 
les  Francs  ;  The'odoric  personnifie  les  Goths.  Je  dirai  que  cela 
est  vrai  pour  ce  qui  nous  reste  de  ces  anciens  poèmes;  mais, 
même  dans  leurs  formes  du  moyen-âge ,  on  voit  que  d'autres 
he'ros  ont  \o\xê  an  rôle  aussi  grand  ,  et  cela  est  confirmé  , 
quant  à  Ermanaric  ,  par  le  témoignage  de  Jornandes  et  de 
l'Edda  Scandinave.  Odoacre  et  les  chefs  lombards  ne  furent  pas 
non  plus  oublie's.  Quant  aux  he'ros  anglo-saxons  ,   ils  ne  dé- 


30  RÉFLEXIONS 

bordent  pas  de  lear  île  :  mais  les  Anglo-Saxons  ont  chanta  les 
héros  francs  et  goths. 

La  fable  de  Sigfrid  se  compose  d'un  éle'ment  mythologique 
et  d'un  e'iément  historique.  Le  Sigfrid  mythologique  est  le  Vol- 
sung  ou  le  loup,  le  fils  de  Sigraund;  race  d'hommes  fe'roces 
et  vaillans,  dont  on  croyait  qu'ils  pouvaient  se  rae'tamorphoser 
en  loups  ;  croyance  que  He'rodote  retrouve  chez  les  Neures  de 
l'Ukraine,  mais  qui  est  très-ancienne  dans  l'Europe  pe'lasgique 
et  latine,  et  se  rapporte,  probablement,  an  souvenir  effacé 
d'un  vieux  culte,  où  des  hommes  e'taient  immole's.  Ce  culte  et 
ses  sectateurs  reçurent  une  dénomination  outrageante  de  la  part 
de  leurs  adversaires  qui  l'abolirent. 

Le  Sigfrid  mythologique  est  mis  en  rapport  avec  la  fable  de 
l'âge  de  fer,  succédant  à  un  âge  d'or  :  cet  état  de  troubles  et 
de  guerre  met  fin  à  un  état  de  concorde  et  de  paix.  Le  héros 
enlève  les  trésors  a  l'homme  de  la  religion  ancienne ,  au  peu- 
ple industriel ,  dont  on  fit  un  dragon  ,  parce  qu'il  avait  le 
serpent  pour  emblème.  Ce  mythe  vous  le  retrouvez  ,  sous  dif- 
férentes formes ,  chez  les  Indiens ,  chez  les  Bactriens  et  dans 
la  haute  Asie  ,  où  les  Arimaspes  combattent  les  griffons  pour 
la  même  cause  :  un  poème  antique  le  célébrait;  je  veux  par- 
ler des  Arimaspées  du  fameux  Aristée  de  Proconnèse.  A  cette 
donnée  se  rattache  ensuite  nne  idée  morale.  La  malédiction 
du  vieux  serpent  de  l'ancienne  religion ,  persécutée  dans  cet 
animal  qui  est  son  emblème  terrestre  et  scientifique,  s'attache 
à  la  possession  de  l'or  ;  le  héros  Volsung  périt  pour  l'avoir 
enlevé,  et  avec  lui  périssent  tous  ceux  qui  y  mettent  la  main. 
L'or  devient  la  cause  des  divisions  entre  les  amis  et  les  frères , 
les  uns  tombent  par  l'épée  des  autres.  C'est  nn  feu  dévorant} 
le  trésor  que  le  serpent  garde  est  enveloppé  de  flammes. 

Le  vieux  Sigge,  le  fils  ou  descendant  d'Odin,  est  d'abord  un 
Volsung.  J'ai  déjà  eu  l'occasion  de  remarquer  qu'il  se  pouvait 
que  les  Mérovingiens  tirassent  leur  origine  de  la  famille  des 
Volsungs  ,  appelée  de  ce  nom  ,  soit  à  cause  de  son  ancienne 
religion  ,  soit  à  cause  de  ses  traditions  domestiques  et  de  la 
férocité  de  ses  moeurs.  La  fable  des  Volsungs,  dont  il  ne  reste 
plus  trace  chez  les  Francs ,  a  été  conservée  dans  lEdda  et  la 


SUR    L^HISTOIRE    DE    FRANCE.  31 

Saga  islandaise  ;  elle  e'tait  connue  des  Anglo-Saxons.  S'il  m'est 
permis  de  hasarder  une  conjecture,  j'oserai  dire  que  plusieurs 
Iraits  de  l'histoire  de  Clovîs,  telle  que  nous  la  lisons  dans  Gre'- 
goire  de  Tours  ,  paraissent  se  rapporter  à  ces  Volsungs ,  et 
serablent  plutôt  tenir  de  la  poe'sie  ou  de  la  tradition  e'pique 
et  he'roïque  que  de  la  ve'ritable  histoire.  Tel  est  entre  autre 
le  re'cit  de  la  mort  de  Sigebert-le-Boîteux ,  roi  de  Cologne  ;  il 
y  a  là  des  rapports  remarquables  avec  quelques  parties  des  plus 
importantes  du  poème  des  Nibelungen. 

«  Clovis  envoie  dire  au  fils  du  roi  de  Cologne ,  Sigebert-ie- 
Boîteux  :  «  Ton  père  vieillit  et  boîte  de  son  pied  malade.  S'il 

»   mourait,  je  te  rendrais  son  royaume  avec  mon  amitié » 

Chlode'ric  envoya  des  assassins  contre  son  père,  et  le  fit  tuer, 

espe'rant  obtenir  son  royaume et  Clovis  lui  fit  dire  :  «  Je 

»  rends  grâces  à  ta  bonne  volonté' ,  et  je  te  prie  de  montrer  tes 
»  trésors  à  mes  envoye's,  après  quoi  tu  les  posséderas  tous.  « 
Chlode'ric  leur  dit  :  «  C'est  dans  ce  coffre  que  mon  père  amas- 
«  sait  ses  pièces  d'or.  »  Ils  lui  dirent  :  «  Plonge  ta  main  jus- 
»  qu'au  fond  pour  trouver  tout.  »  Lui,  l'ayant  fait  et  s  étant 
tout-à-fait  baissé ,  un  des  envoye's  leva  sa  hache  et  lui  brisa 
le  crâne.  Clovis  ayant  appris  la  mort  de  Sigebert  et  de  son  fils, 

vint  dans  celte  ville,  convoqua  le  peuple  et  dit «  Je  ne 

»  sais  nullement  complice  de  ces  choses;  car  je  ne  puis  re'- 
»  pandre  le  sang  de  mes  parens  ,  cela  est  défendu.  Mais  puis- 
»  que  tout  cela  est  arrive',  je  vous  donnerai  un  conseil,  voyez 
»  s'il  peut  vous  plaire.  Venez  à  moi ,  et  mettez-vous  sous  ma 
»  protection.  Le  peuple  le  prit  pour  roi.  »  —  (  Lib.  II,  c.  ^i.  ) 
Je  ne  doute  pas  que  Clovis  nait  fait  assassiner  son  parent  et 
les  autres  rois  dont  il  est  question  dans  la  suite  de  ce  passage  ; 
mais  les  circonstances  de  ce  meurtre  en  particulier  ,  et  des 
antres  meurtres  en  ge'ne'ral,  me  paraissent  appartenir  à  la  poe'- 
sie,  a  1  ancienne  fable  des  Volsungs,  conserve'e  dans  la  bouche 
du  peuple  cl  confondue,  après  que  les  Francs  eurent  embrasse' 
le  christianisme  ,  avec  des  circonstances  de  la  vie  de  Clovis  , 
leur  chef.  Voici  comment  je  le  prouve. 

Dans  un  très-vieux  chant  de  l'Edda  ,  il  est  question  d'un 
Alf,  c'est-à-dire  d'un  demi-dieu  du  nom  de  Voeiundur  j  c'est 


32  RÉFLEXIONS 

le  Vulcain  des  Scandinaves  ;  c'est  l'orfèvre  parmi  les  dieux  , 
celai  qai  fabrique  des  ornemens  pour  les  de'esses.  Il  est  connu 
dans  la  fable  anglo-saxonne  et  germanique;  on  le  retrouve 
même  dans  la  poe'sie  française  du  moyen-rige ,  preuve  qu'il  a 
été  adore'  cbez  les  Francs.  Comme  le  Vulcain  des  Grecs  ,  ce 
forgeron  est  boiteux.  Durant  son  sommeil ,  un  roi  le  surprend 
pour  le  voler,  lui  coupe  le  jarret  et  le  force  à  entrer  à  son 
service,  pour  fabriquer  les  armes  du  prince  et  les  bijoux  de 
la  reine.  Mais  le  forgeron  songeait  à  la  vengeance.  Occupe'  nuit 
et  Jour  à  ses  travaux  d'esclave,  il  voit  accourir  les  deux  jeu- 
nes fils  du  roi ,  qui ,  pleins  de  curiosité' ,  demandent  à  voir  ce 
que  renferme  le  coffre  oii  se  trouvaient  les  tre'sors  de  leur 
père ,  dont  le  boiteux  avait  la  garde.  Le  coffre  e'tant  ouvert , 
Voelundur  fait  tomber  le  couvercle  sur  la  tête  des  jeunes  en- 
fans  ,  et  accomplit  ainsi  une  partie  de  sa  vengeance. 

Dans  cette  fable  ,  dont  Je  ne  fais  qu'e'noncer  quelques  cir- 
constances,  nous  retrouvons  l'homme  boiteux;  Voelundur  est 
roi  des  Alfs ,  prince  de  ces  demi-dieux  ;  nous  retrouvons  le 
coffre  ,  la  curiosité  de  l'homme  punie  d'une  manière  cruelle, 
et  le  mode  de  l'assassinat.  Quelques-unes  des  circonstances  de 
celte  fable  se  reproduisent  dans  la  Niflunga  Saga,  compilation 
faite  par  un  Norve'gien  dans  le  moyen-âge ,  sur  des  mate'riaux 
en  partie  très-anciens.  Le  roi  Attila  a  fait  tuer  les  Niflungs  , 
gardiens  du  tre'sor  que  Sigfrid  a  arrache'  au  dragon  ,  et  dont 
les  Niflungs  ses  allie's  se  sont  traîtreusement  empare's.  Mais  les 
Niflungs ,  qui  se  méfiaient  d'Attila  ,  avaient  enfoui  le  tre'sor 
dans  la  terre,  et,  en  mourant  ,  se  re'jouissaient  d'avoir  trompé 
leur  ennemi.  Aldrian ,  fils  de  Hagen  (  Hoegni  )  ,  un  des  Nif- 
lungs, n'est  pas  satisfait  de  cette  vengeance;  il  lui  faut  la  mort 
du  meurtrier  de  son  père.  Entré  Jeune  au  service  d'Attila,  il 
lui  demande  un  Jour  comment  le  roi  compterait  le  récom- 
penser s'il  lui  livrait  le  trésor.  Attila  lui  promet  de  l'élever  en 
puissance  au  premier  rang  dans  son  empire.  Le  vieil  avare  et 
le  jeune  homme  vindicatif  s'acheminent  la  nuit  dans  la  forêt; 
ils  arrivent  devant  une  montagne  dont  Aldrian  avait  les  clefs. 
Ouvrant  successivement  trois  portes  ,  il  introduit  le  roi  dans 
le  lieu  où  le  trésor  de  Sigfrid  avait  été  caché  avec  ses  armes. 


SUR    l'histoire    de    FRANCE.  33 

Alflrîan  s'enfonce  dans  la  montagne ,  et  découvre  des  tre'sors 
de  plas  en  plus  nombreux  aux  yeux  d'Attila  qui  est  dans  les 
transports  de  la  joie.  Mais  Aldrian  ,  revenant  par  nn  de'tour  à 
l'issue  de  la  montagne,  ferme  rapidement  une  première  porte, 
et  puis  une  seconde  ,  et  puis  une  troisième  ,  laissant  Attila 
prisonnier.  Puis  il  roule  des  rochers  e'normes  devant  l'entre'e 
de  la  caverne.  Au  troisième  jour  il  revient  ;  Attila  e'tait  par- 
venu à  arracher  l'une  des  trois  portes ,  sans  pouvoir  soulever 
le  poids  des  autres.  Il  conjure  son  bon  ami  Aldrian  de  lui 
ouvrir ,  lui  promettant  des  richesses ,  du  pouvoir  et  une  im- 
mense expiation  pour  le  meurtre  de  ses  parens.  Il  implore  de 
sa  pitié'  un  morceau  de  pain  et  un  peu  d'eau  ;  mais  Aldrian  , 
en  le  félicitant  des  trésors  qu'il  a  conquis ,  l'invite  à  boire  cet 
or  ,  dont  il  avait  une  soif  si  inextinguible,  et  le  roi  des  Huns 
meurt  de  faim  au  milieu  de  ses  innombrables  richesses. 

La  caverne  qui  renferme  les  trésors  de  Sigfrid  rappelle  le 
coffre  qui  recèle  les  trésors  de  Sigebert  ;  le  genre  de  mort  et 
la  trahison  qui  le  détermine ,  offrent  aussi  de  grandes  analo- 
gies. Sigfrid ,  dans  les  Nibelungen ,  est  blessé  au  talon  par  ses 
parens,  qui  l'égorgent  pour  posséder  ses  trésors;  circonstances 
qui  font  supposer,  avec  quelque  apparence  de  vérité,  que  la 
vie  de  Clovis  ,  telle  que  les  historiens  nous  l'ont  transmise  , 
est  empreinte  de  locutions  symboliques,  appliquées  à  des  cir- 
constances de  la  vie  réelle  de  ce  prince  ,  et  renfermant  des 
souvenirs  de  la  famille  des  Volsungs,  les  descendans  de  Sigge, 
prétendu  descendant  d'Odin. 

M.  Michelet  a  saisi ,  mais  aussi  exagéré  en  poète  ,  et  toujours 
au  profit  de  son  système  favori,  ce  mythe  de  l'or,  et  le  rôle 
qu'il  joue  dans  l'épopée  germanique.  L'or  arme  les  Allemands 
contre  les  Allemands.  «  Qui  entraîne,  se  demande-t-il  (p.  iy3, 
»  174)»  les  tribus  germaniques  dans  ces  guerres  parricides? 
»  C'est  celte  fatalité  terrible  dont  parlent  1  Edda  et  les  Nibe- 
I)  lungen  :  c'est  l'or  que  Sigurd  enlève  au  dragon  Fafnir  ,  et 
»  qui  doit  le  perdre  lui-même  ;  cet  or  fatal  qui  passe  à  ses 
»   meurtriers  ,  pour  les  faire  périr  au  banquet  de  l'avare  Attila.  » 

Tout  ce  luxe  de  réminiscences  poétiques  est  pour  dire  que 
les  Allemands  qui ,  dans  les  guerres  d'Attila  et  dans  d'autres 
T.  X.  3 


34  EÉFLEXIONS 

guerres  se  sont  de'truits  les  uns  les  antres,  ont  e'te'  pousse's  à 
cela  par  un  mobile  mystique  et  poe'lique  :  voilà  une  base  bien 
extraordinaire  pour  des  e've'iiemens  parfaitement  connus  dans 
leurs  circonstances  principales.  Gaulois  contre  Gaulois  combat- 
taient aussi  à  la  solde  de  Rome  et  de  Cartbage  ;  Français  lut- 
tèrent contre  Français  dans  les  guerres  anglaises,  sur  les  champs 
de  bataille  de  la  ligue  et  de  la  re'volution  ;  ce  sont  les  tristes 
effets  des  troubles  civils ,  ce  sont  aussi  les  produits  des  enga- 
gemens  et  de  la  discipline  militaire.  Pour  le  poète,  il  y  a  là  , 
sans  contredit  ,   une  espèce  de  fatalité  ;   cependant  ceux  qui 
s'e'gorgent  ainsi,  ne  savent  pas  qu'ils  obe'issent  à  une  volonté 
,  fatale.  On  dirait,  du  reste,  dès  qu'il  s'agit  des  Allemands,  que 
I    M.  Micbelet  lui-même  devienne  l'esclave  de  la  fatalité',  en  ex- 
I   pliquant  par  une  fable  poe'tique  les  motifs  très -prosaïques  qui 
I   mirent  les  armes  à  la  main  aux  Germains  des  arme'es  d'Attila 
l  contre  les  Germains  des  arme'es  d'Âe'tius.  A  ses  yeux,  les  Ger- 
I   mains  sont  esclaves  de  la  nature  au  point  que  l'or  leur  com- 
l    mande  directement,  non  pas  à  cause  du  butin,  mais  par  suite 
de  sa  puissance  mystérieuse. 

Après  la  fable  de  l'or ,  vient  le  mythe  de  la  femme  ,  qui 
joue  un  grand  rôle  dans  la  vieille  épopée  tudesque.  Nul  doute 
que  le  héros  principal  de  l'épopée  des  Nibeiungen  n'ait  quel- 
que parenté  avec  Sigebert,  roi  d'Austrasie ,  époux  de  Brune- 
haut,  qui  porte  le  nom  de  Brutihild  dans  le  poème  germani- 
que. La  rivalité  de  FréJégonde  et  de  Brunehaut  se  retrouve 
en  partie,  dans  la  rivalité  de  Chriemhild  et  de  Brunehild  de 
la  tradition  épique.  Cependant  je  suis  loin  de  croire  que  ce 
soit  là  bien  réellement  l'origine  de  la  fable  des  Nibeiungen. 
Brynhild  ,  dans  TEdda ,  est  une  Valkyrie  ,  un  sombre  génie 
femelle  qui  excite  les  ennemis  de  Sigurd  au  meurtre  du  héros 
qu'elle  aime  ,  parce  que  Sigurd  ,  après  l'avoir  conquise  les 
armes  à  la  main  ,  est  forcé  de  la  céder,  d'après  la  promesse 
qu'il  en  avait  faite  à  son  ami  Gunnar,  l'homme  de  la  race  des 
Niflungs.  Sigurd  épouse  la  sœur  de  Gunnar,  et  Brynhild,  se 
regardant  comme  la  première  et  légitime  fiancée  de  Sigurd  , 
•se  brûle  auprès  du  cadavre  de  son  premier  amant.  Eu  tout 
ceci ,  rien  ne  rappelle  le  roi  d'Austrasie  et  la  rivalité  de  Bru- 


sus    l'histoire    de    FRAS'GE.  35 

nehaut  et  de  Frëdegoncle  :  mais  je  ne  nie  pas  qne  l'histoire 
franqne  n'ait  puissamment  influé  sur  la  forme  de'finitive  que 
le  poème  des  Nibelungen  a  revêtue  au  moyen-âge. 

La  Valkyrie ,  i'iie'roïne  de  la  religion  odinique,  l'amante  de 
Sigge,  du  fils  d'Odin  ,  est  un  être  à  moitié'  humain,  à  moitié' 
surnaturel,  un  être  douteux,  magique,  terrible.  On  peut  la 
comparer  aux  Amazones  de  la  fable  grecque.  Elle  ressemble 
aux  Apsaras  du  ciel  d'Indra,  dieu  des  guerriers  du  Radscb- 
poutana.  Ces  Apsaras  combattent  ,  sur  le  champ  de  bataille  , 
auprès  des  he'ros  leurs  amans.  Quand  ceux-ci  succombent  , 
dans  un  baiser  elles  leur  enlèvent  l'âme  ,  et  les  attirent  ainsi 
jusqu'au  ciel  dindra,  au  fond  des  cieux,  oii  ces  he'ros  se  nour- 
rissent d'Amrita  ,  c'est-à-dire  de  la  boisson  de  l'immortalité'. 
Sur  ces  femmes  he'roïques ,  M.  Micbelet  e'met,  selon  nous,  des 
ide'e  bien  bizarres. 

a  L'or  et  \di femme,  dit-il,  voilà  l'objet  des  guerres,  le  but 
»  des  courses  he'roïques  »>  (pag.  174)-  — Nouvelle  manie  de 
confondre  la  fable  lie'roïque  qui  se  reflète  jusques  dans  les 
e'pope'es  du  moyen-âge,  et  dont  la  source  est  antérieure  à  l'his- 
toire, avec  les  grands  e've'nemens  de  l'histoire,  oii  l'homme  et 
la  femme  n'ont  rien  à  faire.  Brynbild,  la  Valkyrie,  et  Fafnir, 
le  gardien  de  l'or  ,  ne  sont  pas  les  mobiles  de  la  guerre  des 
Goths  ou  des  Francs ,  pas  plus  que  la  toison  d'or  ou  la  belle 
He'lène ,  et  que  tant  d'e've'nemeus  semblables  de  la  fable  he'- 
roïque  des  guerriers  de  llnde  et  de  la  Me'die  ,  ne  sont  les  cau- 
ses re'elles  de  tout  ce  qu'il  peut  y  avoir  d'hiîitorique  dans  les 
navigations  des  Argonautes ,  dans  les  invasions  des  Grecs  dans 
la  Troade  et  l'Asie-Mineure ,  etc.  Que  de  temps  à  autres  il  y 
ait  eu  rapt  et  se'duction  ;  que  l'amour  du  butin  ait  e'te'  pour 
beaucoup  dans  les  anciennes  expe'dilions  militaires,  ])ersonne 
ne  le  nie;  mais  il  ne  s'agit  pas  de  l'or  et  de  la  femme  des  poè- 
mes Scandinave  et  germanique ,  dans  les  e'tablissemens  politi- 
ques et  les  conquêtes  des  Goths,  des  Francs,  des  Anglo-Saxons, 
des  Lombards. 

Souvent ,  je  ne  dis  pas  toujours,  la  femme,  dans  les  anciens 
poèmes  ,  est  la  personnification  d'une  de'esse ,  et  cette  de'esse 
c'est  très-souvent  le  territoire  conquis,  envahi,  la  beauté'  ra- 

3* 


36  RÉFLEXIONS 

vie.  Parfois  elle  est  le  symbole  «le  la  discorde,  portant  le  trou- 
ble dans  les  sens  et  excitant  des  jalousies  rivales.  Il  y  a,  dans 
tout  ceci,  un  me'Iange  de  re'alite'  et  d'ide'alite,  ce  qui  constitue 
le  genre  à  la  fois  e'piqne  et  symbolique. 

«  L'amour,  dit  M.  Miclielet,  ici  (  cbez  les  Germains)  n'a 
»  rien  d'amollissant  ;  la  grâce  de  la  femme ,  c'est  sa  force ,  sa 
>i   taille  colossale.  » 

Cela  est  vrai  par  rapport  aux  Valkyries  ,  qui  ressemblent 
anx  Amazones  et  sont  des  êtres  fantastiques.  Il  y  avait  Aes  filles 
du  bouclier  {Skîold-moe)  comme  les  appellent  les  Scandinaves, 
qui  assistaient  aux  combats;  mais  ce  n'e'lait  pas  la  règle  ge'né- 
rale.  De  cela  l'auteur  tire  une  conse'quence  bien  forcée;  tour- 
nant avec  adresse  une  vertu  en  reproche,  il  attribue  la  chas- 
teté' que  Tacite  loue  dans  les  femmes  germaniques  à  la  froideur 
de  leur  tempe'rament.  Puis  il  donne  un  certain  e'clat  au  li- 
bertinage des  mœurs  que  les  e'crivains  du  moyen  âge,  et  quel- 
ques anciens  reprochent  aux  Irlandaises  et  aux  femmes  bre- 
tonnes. Sans  qu'il  en  fasse  de'cidement  une  vertu ,  il  lui  trouve 
une  excuse  dans  l'ardeur  et  la  ge'ne'rosite'  du  sang.... 

Du  reste  ,  nous  ne  sommes  pas  au  bout  des  hypothèses  ; 
comme  il  y  avait  deux  religions  dans  la  Germanie ,  l'ancienne  , 
que  l'auteur  appelle  la  vague;  la  nouvelle,  qu'il  de'core  du 
titre  de  positive,  il  faut  aussi  deux  conditions  aux  femmes  : 
sous  la  religion  vague  la  femme  est  ne'cessairement  esclave , 
c'est  une  personnification  de  la  nature;  sous  la  religion  posi- 
tive, la  femme  est  ne'cessairement  libre ,  c'est  une  personnifi- 
cation de  la  volonté.  Si  cette  antithèse  n'e'tait  pas  soutenue, 
l'hypothèse  ne  serait  pas  complète.  Nous  lisons  donc  : 

«  La  femme ,  dans  la  Germanie  primitive,  e'iait  encore  courbée 
»   sur  la  terre  qu'elle  cultivait.  » 

C'est  la  une  interpre'tation  fausse  d'un  passage  de  Tacite 
(  Germ. ,  cap.  i5).  Les  hommes  puissans,  les  chefs  et  les  prin- 
ces ne  pre'sidaient  pas  en  personne  a  la  culture  de  leurs  champs  ; 
ils  abandonnaient  à  leurs  femmes  les  soins  domestiques,  les 
champs  et  l'agriculture.  La  femme  dominait  à  l'intc^rieur,  di- 
rigeant les  travaux  ;  indice  d'une  haute  dignité',  pareille  à  celle 
de  la  matrone  de  Rome.  Les  grands  s'occupaient  des  armes. 


SUR    l'histoire    de    FRANCE.  37 

de  la  chasse,  de  la  politiqae  ,  des  jugemens  publics  et  privés; 
le  reste  était  abandonne'  à  leurs  e'ponses ,  aux  vieillards  qui 
ne  pouvaient  plus  mener  une  vie  active ,  et  qui  avaient  les 
colons  sous  leur  surveillance.  Tacite  nous  de'peint  l'existence 
d'un  peuple  nouveau  et  militaire ,  ente'  sur  un  peuple  ancien 
et  agricole  qu'il  domine.  C'est  un  e'tat  re'cent  et  qui  ne  se  ren- 
contrait pas  sur  tous  les  points  de  la  Germanie.  Le  culte  de 
Hertha  prouve  à  lui  seul  le  haut  rang  qu'occupaient  les  fem- 
mes dans  la  société'  germaniffue  primitive ,  fonde'e  sur  les  arts 
de  la  paix  et  de  l'industrie.  Freya  ,  la  de'esse  de  l'amour,  avant 
d'être  de'grade'e  jusqu'au  point  où  nous  la  i-enconlrons  dans  le 
culte  odinique  ,  avant  detre  une  Ve'nus  profane  ,  e'tait  une  de'esse 
sévère,  pre'sidant  au  mariage;  et  l'e'pouse  germanique  tirait 
d'elle  son  titre  de  Frau;  la  vierge  germanique,  en  allemand 
moderne,  est  la  Jung-Frau ,  la  jeune  Freya.  Freyr,  le  frère 
de  Freya,  est  l'amant  de  la  jeune  fille  (  Freier  en  allemand 
moderne),  son  futur. époux.  Cette  assimilation  de  la  femme 
et  de  la  jeune  fille  à  la  déesse ,  ne  suppose  pas  un  état  de 
dégradation  du  sexe  le  plus  faible. 

Cela  doit  suffire  pour  prouver  que  la  femme  de  la  Germa- 
nie primitive,   la  femme  de   la  religion  ancienne  n'était    pas 

exclusivement  esclave 

Comparer  ce  qu'il  y  a  de  plus  récent  à  ce  qu'il  y  a  de  plus 
ancien  ,  pour  retrouver  partout  la  filiation  des  sentimens  et 
des  croyances ,  et  cela  à  des  époques  de  mélange ,  c'est  là  une 
manie  qui  a  conduit  M.  Michelel  à  un  singulier  rapproche- 
ment. Il  jette  ainsi,  sur  le  fond  de  sa  méthode,  une  lumière 
piquante,  et  prouve  jusqu'à  quel  point  la  vérité,  quand  on 
l'outre  et  quand  on  la  défigure  par  esprit  de  système  ,  peut 
s'égarer  jusqu'au  burlesque  ;  quel  que  soit ,  du  reste  ,  le  talent 
d'un  écrivain  à  l'imagination  riche  et  fertile. 

Ainsi,  aux  pages  i'j^-i'j5,  il  compare  l'ancienne  Valkyrie 
du  Nord,  la  fille  du  bouclier,  l'Amazone  germanique  à  «  celte 
courageuse  Anglaise  qui,  pour  retrouver  son  jeune  époux, 
retourna  tous  les  morts  de  Waterloo.  »  —  Voici  sur  quelle 
obscure  analogie  l'auteur  s'est  cru  en  droit  d'établir  ce  parallèle 
Autour  du  héros  de  llnde  une  Apsara  voltige  sur  le  champ 


38  RÉFLEXIONS 

de  bataille,  et,  quand  son  amant  succombe,  cherche  à  le  re- 
trouver parmi  les  morts  pour  l'enlever  au  ciel  d  Indra  ;  ainsi 
la  Valkyrie  se  ment  autour  duhe'ros  Scandinave  de  son  choix, 
et,  l'ayant  cherche'  parmi  les  morts,  s'en  empare  pour  le  con- 
duire au  Valhalla.  La  jeune  Anglaise  c'est,  pour  M.  Michelet, 
une  re've'Iation ,  un  trait  de  lumière;  elle  lui  fait  deviner  l'Ap- 
sara  indienne ,  la  Valkyrie  Scandinave.  Certes ,  le  trait  que 
l'auteur  cite  est  très  beau,  mais  il  n'a  rien  de  commun  avec 
les  êtres  poe'tîques  qui  lui  en  rappellent  le  souvenir.  Si  sa 
comparaison  e'tait  exacte  ,  nos  arme'es  seraient  peuple'es  de  Val- 
kyries ,  femmes  ou  amantes  de  nos  soldats.  Il  est  vrai  qu'en 
poursuivant  l'analogie  sur  ce  terrain  ,  la  moderne  Anglaise 
n'aurait  pu  y  figurer  d'une  manière  caractéristique  ,  comme 
reproduisant  «  Edith  au  col  de  cygne  cherchant  Harold  après 
la  bataille  dHastings.  » 

Dans  son  ardeur  de  poe'tiser  l'histoire,  M.  Michelet  fait  du 
he'ros  germanique,  de  Sigfrid  et  de  TheoJoric  unWargr;  nous 
verrons  plus  loin  le  peu  de  fondement  de  cette  hypothèse.  Parce 
que  Sigfrid  court  les  aventures  ,  l'auteur  y  voit  un  exile',  con- 
fondant l'exile'  avec  le  Wargus  ,  ou  le  profanateur  des  tom- 
beaux et  des  temples,  la  bête  féroce,  le  loup.  Dans  l'Edda , 
Sigurd  tombe  au  servage  de  son  beau-père ,  qui  avait  e'pouse 
la  mère  du  Jeune  he'ros  ,  sa  captive  et  veuve  du  père  de  Si- 
gurd ;  il  s'affranchit  de  ce  servage  par  un  exil  volontaire.  «  Le 
conque'rant  du  Nord  (dit  M.  Michelet,  pag.  173)  ,  le  Wargus 
franc  ou  Scandinave,  c'est  Sigurd,  c'est  Dietrich  von  Bern.  » 
L'auteur  se  demande  ensuite  si  Dietrich  von  Bern  est  The'o- 
doric  de  Ve'rone?  Rien  n'est  plus  sûr.  Mais  quand  il  ajoute 
que  le  tombeau  de  The'odorlc  à  Ravenne  est  un  tombeau  gothi- 
que ,  je  m'étonne  qu'il  puisse  reproduire  ce  vieux  conte,  tant 
de  fois  re'fute'.  C'est  une  architecture  byzantine  du  temps  de 
la  de'cadence  des  arts  dans  l'empire  romain.  Il  n'y  a  là  rien  de 
pe'lasgique,  comme  le  veut  l'auteur;  c'est  tout  bonnement  une 
masse  informe,  c'est  l'art  non  pas  dans  l'enfance,  mais  dans 
la  de'cre'pitude  delà  vieillesse.  Les  Germains  n'avaient  ni  villes. 
ni  palais,  ni  ce  que  nous  appelons  des  temples.  Odin,  il  est 
vrai,  posse'dait  un  temple  à  Sigtuna  en  Suède;  mais  les  Goths 


SUK    l'histoire    de    FRANCE.  39 

n'onl  nulle  part  laisse  de  traces  Je  leurs  monumens,  et  la  pré- 
tendue architecture  gothique  porte  ce  nom  à  contre-sens. 

Si  en  conscience  ,  je  suis  obligé  de  refuser  aux  héros  ta- 
desques  le  goût  des  arts ,  et  de  repousser  la  dénomination  de 
Wargns  qui  leur  est  faussement  appliquée  ,  Je  ne  saurais  non 
plus  admettre  que  la  ruse  et  la  perfidie  aient  été  représentées 
d'une  manière  particulièrement  haïssable  dans  les  vieilles  épo- 
pées du  Nord.  Les  héros  de  prédilection  de  ces  poèmes  n'ont 
pas  été  des  hommes  simples  jusqu'à  l'excès  presque  de  la  niai- 
serie, de  bons  eiifans ,  ou  plutôt  de  bonnes  dupes,  pour  me 
servir  d'une  expression  triviale  ;  à  cet  égard  M,  Michelet  pré- 
tend opposer  la  muse  et  le  génie  dès  Grecs  à  la  muse  et  au 
génie  des  Allemands.  Les  Grecs  célèbrent  la  ruse  et  la  perfidie 
dans  leur  Ulysse  ;  les  Allemands  les  maudissent  dans  leur  Hagen. 
Mais  Hagen,  tout  perfide  qu'il  est,  est  un  héros;  mais  ce  héros 
est  dépeint  avec  une  faveur  marquée  dans  l'Edda  Scandinave. 
Le  meurtre  de  Sigfrid  et  la  malice  de  Hagen  ,  qui  le  conseille, 
ont  même  un  type  religieux  dans  la  mythologie  du  Nord.  Sig- 
frid, c'est  le  représentant  terrestre  du  dieu  Balldnr;  Hagen, 
c'est  le  représentant  du  frère  de  Balldur,  qui  est  tué  par  lui. 
Ces  deux  personnages  appartiennent  à  une  religion  ancienne, 
où  il  y  avait  opposition  entre  la  lumière  et  les  ténèbres,  le 
bien  et  le  mal;  l'Odinisme  ,  dans  les  temps  postérieurs,  leur  a 
imposé  une  forme  héroïque. 

Pour  conclure  sur  le  chapitre  de  la  religion  guerrière,  je  dirai 
que  l'auteur  n'aurait  jamais  dû  méconnaître  le  caractère  de 
personnalité  libre,  pour  me  servir  de  son  expression  favorite, 
qui  distingue  la  religion  d'Odin  d'une  manière  très  marquée, 
n  n'ose  pas  la  nier;  mais  il  fait  tout  ce  qu'il  peut  pour  en 
amoindrir  le  résultat;  pour  y  parvenir  il  tombe  même  en  con. 
tradiction  avec  sa  propre  tliéorie  ,  fondée ,  comme  nous  le  sa- 
vons,  sur  la  mollesse  de  la  race  allemande,  mollesse  qu'il  pré- 
tend prouver  par  Xinstabililé  de  ses  demeures  ;  tout  k  coup , 
et  pour  diminuer  l'héroïsme  de  ces  mêmes  Germains ,  il  les 
transforme  en  un  peuple  casanier.  Or,  un  peuple  casanier  a 
nécessairement  des  institutions  fixes.  S'il  en  était  autrement  il 
serait  vagabond.  Quant  aux  aventuriers  allemands  qui  se  par- 


40  RÉFLEXIONS 

tagent  l'empire  romain,  ce  sont,  dit-il,  de  jeunes  gens  sem- 
blables aux  e'tudians  des  universite's ,  buveurs  de  bière,  tapa- 
geurs qui  brisent  tout,  du  reste  assez  bons  enfans.  En  outre, 
ce  sont  des  Wargr,  des  expalrie's.  Anime'  de  cet  esprit  bostile, 
voici  comment  il  s'e'nonce  sur  les  races  allemandes.  «  Nous  ne 
»  remarquons  pas  en  elles  cet  esprit  d'aventure  qui  a  promené 
»  les  Celtes  antiques,  les  Tartares  modernes  à  travers  l'Europe 
»  et  l'Asie  (  pag.  i63).  » 

Était-ce  l'esprit  d'aventure  qui  a  mis  les  Celtes  en  monve- 
I  ment?  Qu'une  fois  e'branle's ,  cet  esprit,  sous  des  chefs  he'roï- 
i  qnes,  se  soit  mêle'  à  leurs  expe'ditions,  cela  se  j)eut;  mais  qu'il 
I  ait  détermine'  les  nombreuses  migrations  celtiques ,  il  faudrait 
^       le  prouver  et  ne  pas  se  borner  h  l'avancer. 

Les  Gaulois,  en  passant  les  Alpes  par  saite  de  causes  incon- 
nues, qui  se  rapportaient  à  de  grandes  commotions  internes, 
I'  cbercbaient  des  terres  et  non  pas  des  aventures.  Les  Etrusques 
et  les  Romains  n'avaient  pas  envie  de  partager  avec  eux;  ce 
fut  force'ment ,  et  parce  qu'ils  se  voyaient  attaque's  et  repous- 
se's ,  que  les  Gaulois  se  livrèrent  à  la  vie  guerrière.  Ils  se 
trouvaient  dans  une  situation  analogue  à  celle  des  Gotbs ,  que 
les  Huns  avaient  repousse's  de  leur  territoire.  Telle  n'e'tait  pas 
la  position  des  Francs,  des  Suèves,  des  Vandales,  des  Anglo- 
Saxons,  des  He'rules,  des  Normands;  chez  eux  c'e'taitbien  re'el- 
lement  la  soif  des  conquêtes,  le  ge'nie  des  aventures.  L'odi- 
nismea  inspiré  les  Anglo-Saxons,  les  Lombards,  les  Scandinaves; 
mais  la  cause  de'torminante  de  leurs  excursions  se  rapporte  à 
une  vieille  institution  de  la  Germanie  guerrière.  Des  chefs  re- 
nomme's  s'attachaient  une  jeunesse  ardente,  l'admettaient  à  leurs 
réunions  politiques  et  religieuses,  à  leurs  repas,  dans  leurs 
familles  :  voilà  lorigine  des  fidèles;  voilà  le  premier  germe 
dont  s'est  développé  le  système  féodal,  an  temps  des  Carlo- 
vingiens,  après  que  l'institution  primitive  eut  envahi  les  pays 
conquis  ,  en  subissant  de  nombreuses  vicissitudes.  C'est  cet 
\  héroïsme  germanique  qui  a  complètement  changé  l'Europe  ro- 
I  maine  ;  l'héroïsme  celtique  s'est  écoulé  sans  laisser  de  traces. 
M.  Michelet  cite  les  Tartares;  ils  courent  le  monde,  mais 
ce  n'est,  certes,  pas  par  orgueil  d'héroïsme;  flottant  entre  la 


SUR    l'histoire    de    FRANCE.  41 

Chine  et  la  Transoxane ,  ils  mènent  pendant  des  siècles  une 
vie  nomade.  Ce  qui  les  force  à  se  rejeter  sur  l'Occident,  à  de'- 
border  sur  l'Asie  rae'ridionale ,  à  essayer  de  pe'ne'trer  dans  la 
Chine ,  c'est  la  politique  des  Chinois  ;  tantôt  elle  essaie  de  les 
affamer,  tantôt  elle  cre'e  des  rivalite's  entre  les  tribus  pour 
s'assurer,  sur  ces  peuples,  une  longue  pre'dominance,  et  les 
empêcher  de  s'accumuler  sur  les  frontières  de  l'empire.  Un 
Attila,  un  Gingiskan  ,  un  Tamerlan  sont,  chez  ces  hordes,  des 
exceptions,  des  phe'nomènes.  Rien  chez  les  Tartares  ne  rappelle 
les  migrations  des  Gaulois,  des  Goths ,  les  expe'ditions  des 
Francs  et  des  Barbares  de  l'Occident. 

M.  Michelet  dit  fort  bien  «  que  les  premières  migrations  des 
Germains  sont  ge'ne'ralement  rajjporte'es  à  des  causes  pre'cises;» 
mais  elles  ne  le  sont  ni  plus  ni  moins  que  celles  àes  Gaulois. 
Les  Germains  e'iant  les  derniers  venus,  nous    les  connaissons 
mieux  que  les  Gaulois,  qui  datent  de  l'enfance  de  la  re'publi- 
qae  romaine.   Dans  ces  e've'nemens   il   y   a   toujours    quelque 
chose  de  cache';  nous  voyons  les  effets  plutôt  que  nous  com- 
prenons les  causes.  La  migration  des  Cimbres  paraît  contem- 
poraine de  quelque  grande  re'volution  de  la  nature  ;  mais  le 
dire  de  Plutarque,  e'crivain  peu  judicieux,  ne  forme  pas  au- 
torité'. Quand  les  anciens  ignoraient  la  raison  d'un  e've'nement , 
ils  supple'aient  trop  souvent  à  leur  ignorance  en  inventant  une 
cause;  mais  je  ne   vois  pas  ce  qui  a  pu   autoriser  l'auteur  à 
soutenir  que,  selon  Tacite ,  la  guerre  et  la  faim  aient  fre'qnem- 
ment  pousse  «  les  tribus  les  unes  sur  les  autres.  »  Cette  manière 
de  repre'senter  les  hommes  comme  des  troupeaux  de  bêtes  fé- 
roces qui  se  ruent  sur  d'autres  hommes  comme  sur  des  trou- 
peaux domestiques  pour  les  poursuivre   jusque  sur  la  terre 
e'trangère  ,  me  paraît  une   invention   de   l'Evbe'me'risme.  C'est 
un  système  pareil  à  celui  qui  fait  sortir  les  hommes  de  dessons 
terre,  comme  Autochihones,  qui  leur  donne  des  glands  pour 
nourriture,  qui  les  repre'sente  comme  inventant  leur  langage 
en  imitant  les  cris  des  animaux,  etc.,  etc.  Rien  de  cela  n'a  de 
fondement  dans  l'expe'rience. 

Si  donc  les  Germains  de  M.  Michelet  sont,  d'une  part,  une 
race  flottante ,  quand  il  veut  les  repre'senter  comme  des  êtres 


42  RÉFLEXIONS 

impersonnels,  enfans  de  la  nature;  ils  sont,  d'antre  part,  ane 
race  casanière,  dès  qu'il  a  inte'rét  à  leur  ravir  leur  âge  d'he'- 
roïsme  et  le  ge'nie  des  aventures.  Il  cite  les  Frisons ,  qui  n'ont 
pas  e'migre';  mais  il  y  eut  des  Frisons  en  Angleterre,  et  il  est 
probable  qu'il  y  en  eut  parmi  les  Francs.  Et  de  plus  ,  cet 
exemple  me  paraît  mal  choisi,  car  il  n'est  pas  exac^  de  dire 
que  leur  territoire  soit  «  un  sol  de'lendu  par  la  nature.  »  Mo- 
bile comme  la  Hollande  ,  le  Dithmarseo  est  le  pays  des  Chances, 
il  a  fallu  le  conque'rir  sur  les  flots,  par  les  travaux  et  l'indus- 
trie de  lliomme,  à  l'instar  de  Venise  et  de  la  Lombardie ,  des 
valle'es  du  Nil,  du  Hoangho  et  du  Gange. 

Mais  avec  M.  Michelet  on  ne  sait  jamais  positivement  pour 
quel  système  il  se  de'cide.  Par  une  contradiction  nouvelle  ,  à 
la  page  166,  il  nous  pre'sente  les  mêmes  Germains  si  casaniers 
comme  une  race  aventureuse,  et  cela  dans  le  seul  but  de  prou- 
ver qu'ils  ont  constamment  poursuivi  des  chimères.  Ainsi , 
dans  son  hypothèse ,  les  peuples  odiniqoes  auraient  recherche 
un  Asgard,  une  cite'  des  Ases  ou  des  dieux  ;  ils  auraient  couru 
l'Europe  pour  de'couvrir  ce  Valhalla  terrestre,  terre  promise, 
comme  la  Je'rasalem  des  Croisades.  Les  voilà  transforme's  en 
une  sorte  de  Croise's  du  paganisme  se  pre'cipifant  à  la  de'cou- 
verte  d'une  terre  sainte.  Mais  l'auteur  ne  veut  pas  observer 
que  les  fils  d'Odin  ,  titre  dont  s'enorgueillissaient  ces  pre'tendas 
descendans  des  Ases  ,  en  se  jetant  sur  l'e'tranger ,  laissaient  leur 
Asgard  derrière  eux ,  au  milieu  de  leur  patrie.  Ils  n'avaient 
pas  besoin  de  !e  chercher  ailleurs  ;  du  reste  ,  dans  leur  système, 
Asgard  devait  être  partout  oîi  ils  transportaient  leurs  bataillons. 
Cette  cite'  e'tait  un  camp,  et  dans  ce  camp  dominait  Odin  dans 
la  personne  de  son  fils  ou  descendant ,  Hengist,  Horsa ,  Sigge, 
etc.,  etc.  Ce  n'est  qu'au  de'clin  de  la  religion  des  Ases,  ce  n'est 
qu'à  l'aurore  du  christianisme,  que  certains  aventuriers  Scan- 
dinaves allèrent  à  la  rechei'che  de  cette  contre'e  mythologique 
dont  ils  avaient  perdu  la  connaissance.  On  les  vit  courir  du 
côte'  de  la  Russie  pour  de'couvrir  le  grand  Svilhiod ,  qu'ils  pla 
çaient  h  l'Orient ,  et  qtt'ils  croyaient  être  la  patrie  originelle 
des  Sviar  ou  Sne'dois.  Quelle  est  donc  l'analogie  entre  les  ex- 
péditions des  Croise's  et  celles  des  Germains  et  des  Scandinaves? 


SUR    l'histoire    de    FRANCE.  43 

Me  voici  parvenu  à  une  des  suppositions  les  plus  extraor- 
dinaires qui  ait  jamais  e'te'  avance'e  par  nn  historien  ancien 
ou  moderne.  A  cet  e'gard  il  nous  fait  entrer  dans  quelques 
explications. 

Les  vieux  codes  germaniques  parlent  d'une  classe  de  gens 
qu'ils  nomment  les  Wargi ,  dans  la  loi  des  Saliens  et  des  Ri- 
puaires ,  les  Wargr  dans  celle  des  Scandinaves,  et  que  la  loi 
d'Edouard  le  Confesseur  (lib.  VII,  de  Vllagatis,  des  gens  hors 
de  la  loi  )  de'signe  sous  le  nom  de  Wulfcs-heofod ,  têtes  de 
loups;  ces  gens  sont  les  loupa ,  c'est-à-dire  les  profanateurs  des 
temples  et  des  tombeaux,  chasse's  de  la  communauté'  politique 
et  religieuse ,  des  gens  mis  à  jamais  hors  la  loi  de  leur  pays. 

Il  est  encore  question  (chez  Grimm,  Ucchtaaltcrthumer ^ 
pag.  3g6,  sur  l'autorité'  duquel  M.  Michelet  s'appuie),  il  est 
question  ,  dis-je,  dans  la  loi  lombarde,  du  TFargangus ,  c'est- 
à-dire  de  l'homme  qui  s'est  e'ioigne'  de  sa  demeure  ;  gfing 
voulant  dire  marche,  et  IFar  signifiant  demeure.  Il  s'agit  des 
mendians ,  des  vagabonds,  gens  sans  asile,  mais  qui,  pour 
cela,  ne  sont  pas  ne'cessairement  des  criminels,  des  loups.  Eh 
bien ,  ces  deux  sortes  de  gens ,  les  JFargi  et  les  Wargangi , 
M.  Michelet  les  confond  ,  les  pe'trit  comme  une  même  pâte  ; 
voilà,  selon  lui,  l'origine  des  Clovis,  Hengist,  Ariovisle ,  Mar- 
bod,  The'odoric  ,  Afaulph,  Gense'ric  ,  etc.,  etc.,  voilà  leurs 
compagnons  d'armes;  d'un  trait  de  plume,  ces  he'ros  des 
temps  barbares,  sont  transforme's  en  un  vil  gibier  de  potence 
(pag.  21 3). 

«  Du  jour,  dit  M.  Michelet,  pag.  172  ,  où  le  Wargus  a  jeté' 
»  de  la  poussière  sur  tous  ses  parens  et  lance'  l'herbe  par  dessus 
»  son  e'paule  ,  ou  s'appuyant  sur  son  bâton  il  a  saute'  la  petite 
»  enceinte  de  son  champ,  alors  (ju'il  laisse  aller  la  plume  au 
»  vent,  qu'il  délibère  comme  Attila,  s'il  attaquera  l'empire 
»  d'Orient  ou  l'empire  d'Occident,  à  lui  l'espoir,  à  lui  le 
»   monde  !  » 

On  a  besoin  de  lire  deux  fois  pour  y  croire.  Quoi!  les 
Eerserker  de  la  Scandinavie,  les  descendans  d'Odin,  ces  hom- 
mes que  Wodan  enflammait  de  la  rage  des  batailles,  c'e'taient 
des  mendians  courant  le  monde  et  demandant  l'aumône  aux 


44  HÉFLEXIOITS 

pays  étrangers ,  c'étaient  des  criminels  en  horreur  à  tous  leurs 
concitoyens  ;  tout  cela  c'e'tait  la  graine  d'où  devait  e'clore  un 
Attila,  roi  des  Huns,  qui,  soit  dit  en  passant,  n'a  rien  de 
commun  avec  les  Germains?  M.  Michelet ,  e'crivain  de  bean- 
conp  d'imagination,  poe'tise  tout.  Le  Wargus ,  c'cst-à  dire 
l'homme  infâme ,  qui  ouvrait  les  tombeaux  pour  voler  les 
morts  (loi  salique  ,  tlt.  5'j ,  cap.  5;  loi  ripuaire ,  tit.  85-i  )  ; 
le  TVargri  Feom  des  Scandinaves  ,  c'est-à-dire  l'homme  qui 
envahissait  les  temples  ,  pour  souiller  les  lieux  sacre's  ;  un  m\- 
se'rable  de  cette  espèce  ,  voilà  donc  l'e'toffe  dont  la  nature  se 
servait  pour  fabriquer  les  conque'rans  et  les  he'ros  de  l'anti- 
quité'? Cependant  ne  jugeons  pas  avec  trop  de  se've'rite';  sans 
faire  attention  aux  actions  sanguinaires  du  Wargus ,  à  la  pro- 
fanation de  tout  ce  qui  est  saint  et  sacré ,  l'auteur  ayant  ren- 
contre' quelque  part  les  usages  symboliques  de  la  Chrene-Chruda, 
coutume  énonce'e  dans  la  loi  des  Saliens  et  des  Ripuaires ,  a 
été  saisi  par  les  circonstances  pittoresques  de  cette  coutume; 
son  imagination  y  a  trouvé  la  matière  d'un  tableau,  et  la  vé- 
rité historique  a  été  sacrifiée  au  désir  d'intéresser. 

Celui  qui  ramasse  l'herbe  pure,  ou  la  Chrene-Chruda,  n'est 
pas  un  Vargus,  et  n'est  pas  un  Wargangus  ;  c'est  un  iiuolvahle , 
qui  ne  peut  payer  le  prix  du  sang ,  pour  le  meurtre  qu'il  a 
commis,  qui  ne  peut  pas  satisfaire  à  la  loi.  Il  entre  dans  son 
domaine;  il  arrache  quatre  poignées  de  gazon  des  quatre  coins 
de  son  territoire;  debout  sur  le  seuil  de  la  porte,  jetant  un 
regard  inquiet  an-dedans  de  sa  maison,  dont  il  va  s'éloigner, 
jusqu'à  ce  qu'il  ait  satisfait  à  la  loi ,  il  jette  cette  herbe  et 
cette  terre  par  dessus  l'épaule  et  en  couvre  le  plus  proche  de 
ses  parens.  Puis,  déchaussé,  vêtu  de  la  seule  chemise,  un  bâ- 
ton à  la  main,  il  disparaît,  après  s'être  élancé  par  dessus  la 
haie  de  son  champ. 

Jamais  le  Wargus  ne  pouvait  revoir  sa  patrie;  le  mendiant 
n'y  avait  aucun  intérêt,  il  n'y  avait  rien  possédé;  mais  l'autre 
exilé  n'avait  qu'à  satisfaire  à  la  composition  de  la  loi ,  pour 
rentrer  dans  son  droit.  Qu'est-ce  ensuite  que  cette  plume,  que 
le  fugitif  laisse  aller  au  vent  ,  pour  lui  indiquer  s'il  doit  se 
diriger  au  hasard ,  vers  l'Orient  ou  vers  lOccident ,  afin  de  se 


SUR    l'histoire    de    FRANCE.  45 

joindre  à  ses  pareils,  qui  veulent  explorer  les  contre'es  e'tran- 
gères  ?  Cela  me  paraît  emprunte  à  quelque  coutume  des  com- 
pagnons ouvriers,  pue'rilité  indigne  de  la  comme'moration  de 
l'histoire  :  telles  sont  cependant  les  circonstances  poe'tiques  dont 
M.  Michelet  a  fabrique'  un  ensemble  ,  en  assimilant  ce  qui 
devrait  être  distingue',  genre  de  fusion  ou  de  confusion  que 
l'on  rencontre  malheureusement  plus  d'une  fois  dans  son 
ouvrage. 

L'espèce  de  rape'tisseraent  syste'matique  que  l'auteur  fait  sa- 
bir au  génie  de  la  nation  allemande  ,  ne  connaît  pas  de  bornes. 
Non  content  de  la  pre'senter  comme  vague  et  inde'lermine'e , 
il  veut  encore  lui  ravir  toute  originalité,  la  confondre  dans 
la  masse  des  populations  les  plus  grossières.  Les  mœurs  des 
Germains ,  dit-il ,  sont  semblables  à  celles  de  tous  les  autres 
Barbares.  On  sait  que  les  sauvages  des  forets  du  nord  de  l'A- 
me'rique  et  les  Tartares  de  la  baute  Asie  ,  menant  une  vie  fai- 
néante, condamnent  leurs  femmes  à  des  travaux  d'esclaves, 
et  les  obligent  même  à  la  culture  des  cbamps  ;  aussitôt  il  leur 
assimile  les  Germains  sur  l'autorité  de  Tacite  :  «  La  culture  est 
abandonne'e  aux  femmes  (i63).  »  Nous  avons  de'jk  eu  occasion 
de  discuter  le  vrai  sens  de  ce  passage.  Il  s'agit  de  la  race  guei'- 
rière  chez  laquelle  les  femmes  dominaient  dans  la  maison  et 
le  domaine.  Il  ne  peut  être  nullement  question  des  petits  cul- 
tivateurs libres,  gens  a  fortune  me'diocre,  et  qui  se  pi^e'sen- 
taient  rarement  aux  assemble'cs  politiques  de  la  nation,  sinon 
dans  les  occasions  majeures,  où  leur  concours  devenait  indis- 
pensable. 

Rendons  toutefois  Justice  à  M.  Micbelet  ;  s'il  cherche  à  en- 
lever aux  Germains  toute  originalité',  s'il  compare  leurs  mœurs 
à  celles  du  commun  des  Barbares;  cependant  il  daigne  encore 
les  prote'ger  contre  l'autorité'  de  Gibbon  et  de  M.  Guizot  ;  il 
ne  veut  pas  qu'on  les  confonde  avec  ces  mêmes  sauvages  et 
ces  mêmes  Tartares.  Gibbon ,  imbu  de  souvenirs  classiques  , 
de'testait  les  Gotbs,  parce  qu'ils  avaient  renverse'  l'empire  ro- 
mam  :  mais  ,  pour  être  conse'quent ,  il  aurait  dû  se  maudire 
lui-même,  pour  son  origine  anglo-saxonne.  M.  Michelet  n'en 
est  pas  encore  à  ce  point  ;  lui-même  s'est  enivre'  de  la  coupe 


46 


ANNALES    DU    MOYEN-AGE. 


magique  que  la  nature  lui  a  presente'e,  lorsqu'elle  lui  a  redit 
cette  vieille  poe'sie  germanique  qu'il  idolâtre. 

Baron  d'Eckstein. 


ANNAXES   DU   MOTEN-AGE, 

DEPUIS    LA    DÉC\DENCE    DE    l'eMPIRE    ROMAIN    JUSQu'a     LA     MORT 
DE    CHARLEMAGNE  ',    PAR    M.    FRANTIN    (1). 

Tel  est  le  titre  de  la  première  partie  d'un  livre  comme  il  ne  s'en 
fait  guère  :  œuvre  de  longue  et  puissante  haleine  ,  de  sérieux  et 
patient  labeur ,  d'e'rudilion  consciencieuse  et  vraie ,  dont  un  des 
juges  les  plus  competeus  qui  soient  en  Europe  ,  M.  Heeren,  a  dit  : 
«  qu'il  considérait  ce  travail  comme  un  des  principaux  ouvrages 
»  historiques  des  temps  modernes  (2).  »  Ce  livre,  il  est  vrai,  n'est 
pas  d'hier  ;  mais  il  pourrait  bien  être  de  demain.  A  ce  titre ,  il  se 
sépare  de  ceux  que  la  critique  ensevelit  entre  le  feuilleton  de  la 
veille  et  celui  du  jour.  Il  se  continue  d'ailleurs  en  ce  moment,  et 
la  comparaison  d'une  production  de  ce  caractère  avec  d'autres  plus 
récentes  et  plus  caressées  offre  plus  d'une  donnée  peut-être  pour 
la  solution  d'un  problème  :  celui  des  destinées  prochaines  de  l'art 
historique  en  France. 

Il  se  passe  en  effet  quelque  chose  qui  n'a  pas  été  observé  que 
je  sache  ,  et  qui  certes  me'rite  de  l'être  ,  quelque  chose  qui  ne  res- 
semble pas  mal  à  une  réaction  contre  V histoire  conjecturale ,  comme 
on  disait  en  1828  au  cours  de  M.  Villemain.  Écoutez  plutôt,  par 
la  voix  scrai-officielle  du  doyen  de  la  Faculté'  de  lettres  de  Paris 
(M.  Leclerc  ) ,  l'université'  dénonçant  chaque  jour  comme  des  té- 
mérités les  hypothèses  historiques  de  l'érudition  allemande.  Voyez 


(i)   Paris^  Gaume  frères,  nie  du  Pot-de-Fer ,  n.   1  ,  8  vol.  in8°. 
(2)  Notices  sauanles  de  Gœtlini'ue ,   1828^  n"  12. 


ANNALES    DU    MOYES-AGE.  47 

(  présage  plus  palpable  encore  !  )  un  esprit  qu'on  n'accusera  pas  de 
timidité  ,  M.  d'Eckstein ,  niant  une  à  une ,  dans  ce  recueil  même 
toutes  les  prémisses  de  l'Histoire  de  France  de  M.  Michelet.  Et 
ce  ne  sont  pas  seulement  les  prémisses,  c'est-à-dire  l'exposition  des 
temps  qui  se  perdent  daus  la  nuit  du  passé ,  l'exposition  des  siècles 
anté-historiques  dont  l'imminent  discrédit  me  frappe.  Ce  que  le  ca- 
ractère positif  de  notre  nation  repousse  au  fond  de  tout  cela ,  c'est 
le  rationalisme  appliqué  aux  faits  ,  soit  qu'il  ait  la  prétention  de 
donner  ce  qu'on  nomme  la  formule  d'un  peuple ,  de  construire  à 
priori  les  événemens  qui  ont  dii  remplir  son  existence  historique, 
soit  qu'il  se  borne  à  raconter  ces  événemens  avec  un  parti  pris  à 
l'avance ,  et  qu'il  les  fasse  plier  sous  un  système  préexistant  dans 
la  pensée  de  l'écrivain.  Eu  supprimant  l'étude  de  l'histoire  au  nom 
de  la  philosophie,  en  devinant  les  faits  par  induction  de  telle  loi 
psycologique  ou  physiologique ,  comme  en  admettant  même  l'étude 
des  faits  pour  en  subordonner  le  re'cit  à  larbitraire  de  telle  ou 
telle  spéculation  ,  on  ne  laisse  guère  que  du  scepticisme  dans  les 
esprits.  J'oserais  donc  le  prédire,  le  temps  n'est  pas  loin  où  le 
public  avant  tout  voudra  des  faits ,  demandera  des  faits.  Ce  sera 
le  temps  des  Annales  du  moyen-âge, 

Est-ce  à  dire  que  toute  l'histoire  soit  dans  les  chroniques  du 
temps  ,  que  les  faits  nus  suffisent  à  l'inteHigence ,  et  que  Vidée  , 
comme  eût  dit  Platon,  doive  être  absente  du  re'cit?  A  Dieu  ne 
plaise!  et  il  s'en  faut  bien  que  l'auteur  des  Annales  fausse  et  ré- 
trécisse à  ce  point  la  mission  de  l'histoire.  La  réaction  pourrait  aller 
jusque-là ,  je  le  sais  ;  mais  à  l'instant  même  la  pensée  réclamerait 
ses  droits ,  et  la  réaction  serait  vaincue.  Avant  tout  sans  doute 
l'histoire  est  un  récit,  et  dans  tout  récit  les  fait^  prédominent  de 
droit  ;  mais  il  faut  que  de  leur  exposition  jaillisse  l'intime  corapré- 
Lcnsion  de  leurs  causes,  de  leur  enchaînement,  de  leur  portée.  A 
ce  prix  seulement  l'histoire  est  œuvre  complète  et  virile.  Ce  n'est 
plus  alors  un  passe-temps  d'oisifs,  c'est  une  autorité  pleine  d'en- 
seignemens  et  de  majesté;  en  un  mot,  la  prédominance  ou  l'assu- 
jettissement des  faits  décident  de  la  légitimité  ou  de  l'ille'gitimité 
de  l'histoire:  j'applaudis  donc  à  l'historien  philosophe,  mais  je  me 
défie  du  philosophe  historien. 

Veut-on  des  exemples?  écoutons,  j'y  consens,  ce  qu'on   donne 


48  ANNALES    DU    MOYEN-AGE. 

depuis  quelques  anne'es  comme  la  philosophie  de  l'histoire  :  roman 
pour  roman ,  il  va  sans  dire  que  nous  pre'férons ,  vous  et  moi ,  les 
moins  ennuyeux  ;  Walter  Scott ,  par  exemple ,  à  M.  Bûchez.  Mais 
qu'on  prenne  d'un  côté,  je  ne  dirai  pas  même  la  philosophie  âpre 
et  tranchante  de  M.  Augustin  Thierry,  mais  le  rationalisme  aven- 
tureux de  M.  Michelet  ;  de  l'autre,  la  sagesse,  la  réserve  sans  timidité 
deM.Frantin,  Tauteur  des  Annales  du  moyen-âge^ 

J'ai  hâte  de  le  dire ,  je  ne  méconnais  point  les  qualités  éminen- 
tes  et  trop  peu  célèbres  peut-être  de  M.  Michelet  ,  l'étendue ,  le 
nerf,  l'acuité  de  son  esprit,  le  jet  vigoureux  de  sa  pensée,  le  so- 
bre et  mâle  coloris  de  son  style ,  la  singulière  variété  de  ses  lec- 
«  tures  et  sa  volonté  sincère  d'être  impartial.  Je  dirai  plus  ,  j'aime 
I  M.  Michelet  parce  que  c'est  un  homme  de  notre  âge  ;  un  homme 
i  de  conscience  et  de  travail  ;  un  homme  qui  a  cheminé  solitaire  en 
dehors  des  coteries  et  des  prôneurs  ,  cloîtré  en  quelque  sorte  dans 
ses  études  qui  l'ont  blanchi  et  ridé  avant  le  temps  ,  anachorète  et 
martyr  de  la  science  ,  comme  l'a  dit  quelque  part  un  de  nos  col- 
laborateurs. Je  l'aime ,  parce  qu'il  a  des  envieux  hors  de  nos  rangs. 
Je  l'aime  encore,  parce  que,  malgré  de  graves  imperfections ,  son 
Histoire  de  France  enterre  définitivement  V Histoire  des  Fran- 
çais ,  cette  lourde  ,  sèche  et  partiale  compilation  écrite  en  genevois 
par  M.  de  Sismondi.  Qu'a-t-il  donc  manqué  à  M.  Michelet  pour 
remplir  tout  le  me'rite  qui  est  en  lui,  pour  que,  dès  aujourd'hui, 
l'histoire  de  France  ne  fût  plus  à  faire  ?  Deux  choses  :  d'être  moins 
impatient  de  la  gloire  et  d'être  entièrement,  intimement,  véritable- 
ment chrétien. 

Il  n'a  pas  su  attendre  ;  il  a  voulu  arriver  le  premier,  arriver  vite  : 
de  là  et  la  précipitation  de  certains  jugemens  et  le  défaut  de  dé- 
veloppement de  certains  pe'riodes  de  fait ,  et  le  manque  d'air  et  d'es- 
pace que  l'on  remarque  dans  son  tableau.  Son  livre  a  mérité  un 
reproche  que  n'encourent  jamais  les  esprits  médiocres,  il  est  trop 
plein.  Les  faits  y  sont  condensés  à  l'excès  ;  trop  souvent  l'attention 
du  lecteur  est  tendue  comme  la  phrase  de  l'écrivain  jusqu'à  la  fa- 
tigue. Puis  la  rapidité  même  du  récit  fausse  parfois  la  couleur  des 
e'véneraens  en  rapprochant  plus  qu'il  ne  convient  des  faits  très-in- 
dépendans  les  uns  des  autres ,  et  qui  apparaissent  ainsi  dans  une 


AKSALtS    DU    MO  YEN- AGE.  49 

sorte  de  subordioation  respective  ,  bien  qu'ils  se  soient  succédé  à 
de  longs  intervalles  et  sans  encbaînement  aucun. 

L'absence  d''une  conviction   chrétienne ,  l'absence  de   foi   laisse 
d'ailleurs  au  milieu  de  cette   plénitude   même  une  lacune  que  les 
plus  hautes  facultés  intellectuelles  ne  sauraient  combler.   Comment 
ne  pas  voir  que  l'histoire  du  moyen-âge,  et  même  l'histoire  mo- 
derne, oîi  l'on  ne  peut  creuser  sans  trouver  partout  le  catholicisme 
et  ses  innombrables  racines,  ont  pour  le  croyant,  liomme  de  génie,         | 
un  sens  profond  ,  un  sens  supérieur ,  inaccessible  a  toute  la  péné-         f 
tration  du  rationalisme  ,  parce  qu'il  y  là  un  centre  qui  n'est  pas  seu- 
lement lumière ,  mais  qui  est  amour  ?  Le  croyant  seul  aura  sym-       •  | 
pathie  naïve  et  réelle  pour  ces  âges  de  croyance,  sans  rien  perdre         I 
de  la  saine  critique  et  de  la  clairvoyance  du  nôtre,  au  lieu  que  votre         | 
incrédulité  bienveillante  ne  suffit  point  à  sentir  la  foi ,  à  lui  don- 
ner vie  dans  vos  récits.  L'a,  je  le  reconnais,  votre  probité  histori- 
que demeure  entière  ,  mais  votre  impuissance  n^en  est  qu'amoindrie. 
Plus  intègre  que  la  plupart  de  vos  devanciers  ,  vous  ne  voulez  rien 
effacer  de  1  histoire ,   vous  ne  supprimez   pas  l'enthousiasme  reli-         | 
gieux;  mais  le  reproduire  tel  qu'il  est,  le  faire  jaillir  du  cœur   et         | 
non  de  la  tête,  dépasse  vos  forces.  Encore  une   fois,  ceci   est  le        j- 
tort ,  non  de  votre  esprit  qui  est  grand  ,  non  de   votre  caractère        | 
qui  est  généreux ,  mais  de  votre  point  de  vue  qui  tend  sans  cesse        | 
à  remplacer  les  sentimeus  par  les  idées  ,  mutilant  les  faits  à  votre        f 
insu  et  comme  malgré  vous.  Oh  !  qui  mieux  que  M.  Michelet  pourra 
remplir  ce  vide  de  son  livre,  quand,  redevenu  ce  qu'il  a  été,  ca- 
tholique d'esprit  et  de  cœur,   il  reprendra  en  sous-œuvre  cet  ou- 
vrage ,  comme  fait  Gœrrez   converti  de  son  Histoire  des  mytho- 
logies ,  pour  en  faire  un  monument  que  tous  admireront  et  que  nul 
ne  recommencera  plus  ! 

M.  Frantin  n'a  point  eu  l'ambition  de  cette  lâche  de  géant,  une 
histoire  de  France  complète.  Son  sujet,  tel  qu'il  l'a  conçu,  est  en- 
core assez  vaste  :  c'est  une  histoire  universelle  des  temps  qui  sé- 
parent l'avènement  de'fînilif  du  christianisme,  sous  Constantin,  de 
la  première  aurore  du  monde  moderne  qui  poind  aux  croisades  ; 
c'est  tout  à  la  fois  la  fin  de  Rome  et  de  Byzance  dans  l'ordre  po- 
litique ,  la  rénovation  de  l'Orient  par  le  mahométisme  qui  déjà 
de'borde  sur  l'Occident ,  la  grandeur  et  la  chute  e'galement  rapides 
T.  X.  4 


50  ANNALES    DU    MOYEN-AGE. 

des  grandes  monarchies  barbares  (Goths,  Bourguignons,  Vanda- 
les ,  Suèves ,  Lombards  )  ,  la  persistance  de  la  domination  franque  , 
et  simultanément  la  renaissance  de  l'Espagne  sous  Pelage ,  l'An- 
gleterre d'Alfred  et  de  Guillaume-le-Conque'rant ,  les  origines  en 
un  mot  de  toutes  les  nations  modernes.  Son  livre  peut  tenir  lieu  , 
sinon  tout-à-fait  de  Gibbon,  au  moins  de  Lcbeau  et  de  ses  vingt- 
sept  ennuyeux  volumes  sur  le  Bas-Empire,  comme  de  M.  Sismondi 
et  autres  qui  ont  écrit  inextenso  sur  les  premiers  siècles  de  notre 
histoire.  Quand  il  sera  termine  ,  il  formera  l'introduction  naturelle 
de  {'Histoire  des  Croisades  par  M.  Michaud  ,  écrivain  de  la  même 
école ,   j'ai   presque  dit  de  la  même   famille. 

Voici  comment  l'auteur  expose  le  dessein  de  ces  Annales. 

«  La  chute  de  l'empire  romain  a  été  l'objet  des  me'ditations  de 
plusieurs  écrivains;  la  fondation  des  monarchies  modernes  a  servi 
de  matière  aux  recherches  de  plusieurs  autres.  Mais  la  plupart  de 
ceux  qui  ont  travaillé  a  éclalrcir  celte  période  obscure  de  l'histoire, 
n'ont  point  considéré  dans  leur  ensemble  les  grands  événemens  qu'elle 
renferme.... 

»  La  ruine  de  l'empire ,  résultat  des  vices  accumulés  qui  étaient 
nés  avec  lui  ou  que  le  temps  avait  développés ,  forme  par  elle-même 
un  sujet  grave,  digue  d'une  étude  à  part,  et  qui  ne  se  lie  qu'indi- 
rectement aux  re'volutions  des  autres  états.  Mais  il  n'en  est  pas  de 
même  des  monarchies  modernes.  Les  peuples  qui  les  ont  fondées , 
ayant  paru  d'abord  dans  les  provinces  romaines  en  qualité  d'hôtes , 
d'allie's  ou  de  supplians,  ont  été  en  quelque  sorte  des  membres  de 
cet  empire  jusqu'à  sa  dissolution.  Après  cette  chute ,  dont  les  pro- 
grès ont  été  successifs  et  presque  insensibles ,  l  état  reUgieux  et 
civil  des  provinces  où  ils  avaient  pris  leurs  établissemens  a  continué 
de  subsister  en  grande  partie  ;  la  langue  même  des  Romains  a  fini 
par  être  la  langue  officielle  du  peuple  dominant.  Les  nations  nou- 
velles ayant  acquis  par  ce  mélange  une  double  origine ,  on  ne  peut 
la  découvrir  et  la  reconnaître  pleinement  que  sous  les  débris  de 
l'empire  romain. 

»  Le  contraste  de  la  ruine  et  de  la  naissance  des  états  fournit 
un  des  tableaux  les  plus  instructifs  et  les  plus  frappans  que  l'his- 
toire et  la  philosophie  puissent  offrir  à  la  méditation  des  hommes. 


ANNALES    DU    MOYEN-AGE.  51 

Si  d'un  côté,  dans  la  décadence  des  états,  nous  de'couvrons  les 
vices  inhérensàlcur  constitution  et  qui  devaient  en  amener  la  chute; 
de  l'autre ,  dans  leur  formation ,  nous  voyons  les  premiers  essais 
d'un  peuple  grossier  qui  se  dégage  de  la  barbarie ,  nous  voyons  ses 
mœurs  et  ses  coutumes  ,  qui  ont  fait  d'abord  toute  sa  police  ,  se 
former  en  lois  à  mesure  que  ses  intérêts  se  compliquent.  Nous  re- 
connaissons ainsi  que  la  création  des  gouvernemens  n'appartient 
point  à  la  volonté  des  hommes  ;  qu'ils  naissent  en  quelque  sorte 
d'eux-mêmes  et  se  développent  par  la  seule  force  des  mœurs;  que 
le  génie  ne  peut  guère  qu'en  diriger  les  développemens  ;  que  les 
états  ont  plus  ou  moins  de  dure'e ,  scion  que  les  mœurs  ont  plus 
ou  moins  de  vigueur;  que  c'est  par  cette  force  secrète  et,  pour 
ainsi  dire ,  par  cette  sève  qui  y  circule ,  que  l'état  naît ,  croît , 
parvient  a  sa  maturité'.  Et  comme  dans  la  de'cadence  de  l'un  nous 
avons  suivi  les  causes  de  sa  ruine,  nous  pouvons  signaler  dans  celui 
qui  se  forme  les  causes  prochaines  de  son  accroissement  et  de  sa 
splendeur.  Conside'raut  ainsi  d'une  même  vue  la  société'  civile  sous 
cette  double  face  ,  nous  apprenons  à  connaître  en  quoi  consiste  l'es- 
prit de  vie  qui  anime  les  empires. 

»  Nous  apprenons  que  les  lois  des  peuples  ce'lèbres  leur  survi- 
vent ,  soit  qu'elles  se  transmettent  en  entier  à  des  peuples  nouveaux  , 
soit  qu'elles  se  modifient  avec  des  mœurs  e'trangères.  Ainsi  ,  après  la 
ruine  de  la  puissance  romaine ,  nous  voyons  dans  notre  Occident 
des  peuples  de  diverse  origine,  vaincus  et  victorieux,  régis  d'abord 
par  leurs  propres  lois ,  bien  que  vivant  sur  un  sol  commun  ;  puis, 
ces  peuples  venant  à  se  confondre,  les  usages  même  se  sont  con- 
fondus ,  et  la  législation  nouvelle  s'est  empreinte  des  mœurs  et 
des  lois  des  divers  peuples  qui  avaient  mêlé  leur  sang. 

))  D'autre  part,  les  pays  limitrophes  e'changent  leurs  lois  et  leurs 
coutumes.  Des  alliances  et  des  intérêts  communs,  l'ascendant  qu'un 
peuple  obtient  sur  les  autres  par  le  génie  ou  par  la  fortune ,  cet 
esprit  d'imitation  naturel  aux  hommes  et  qui  entraîne  les  nations 
comme  les  particuliers,  toutes  ces  causes  tendent  à  mêler  et  à  con- 
fondre les  institutions  et  les  mœurs. 

»  C'est  pourquoi  nous  devons  étudier  à  la  fois  les  lois  et  les 
usages  des  devanciers  et  des  contemporains  pour  bien  connaître  le 
génie  d'un  peuple...   en   démêlant  avec  soin  ce  qu'il  tient  de  lui- 

4* 


52  ANNALES    DU    MOYEN-AGE. 

même,  ce  qu'il  a  reçu  du  dehors  et  souvent  des  peuples  conquis 

nous  tirerons  une  instruction  solide  de  l'histoire  ,  qui  n'offre  qu'un 
enchaînement  ste'rile  de  faits  ,  si  l'on  en  se'pare  la  science  des  mœurs 
et  l'intelligence  des  causes  qui  ont  présidé  aux  institutions  hu- 
maines. 

»  Mais  les  époques  de  l'histoire  les  plus  propres  à  cette  étude, 
ce  sont  celles  ,  sans  doute,  où  le  genre  humain  ,  en  quelque  sorte, 
s'est  renouvelé ,...  où  les  vieilles  sociétés  font  place  à  des  peuples 
jeunes  ,  dont  la  barbarie  vigoureuse  est  destinée  à  remplacer  une 
civilisation  énervée.  Alors,  la  société  humaine  change  de  face;  des 
noms  de  cités  et  de  peuples  s'éteignent;  d'autres,  inconnus  juscjue- 
là ,  paraissent;  de  nouvelles  races  viennent  s'enter  sur  les  ancien- 
nes. Ainsi ,  à  la  suite  d'une  violente  convulsion  de  la  nature ,  une 
nouvelle  terre,  dit- on,  s'est  montrée  quelquefois  avec  d'autres  co- 
teaux ,  d'autres  rivages ,  des  aspects  inconnus  ;  et ,  long-temps  après, 
l'observateur,  en  étudiant  le  sol  qu'il  foule,  prétend  reconnaître 
encore  la  trace  de  ces  grands  bouleversemens.... 

»  C'est  un  tableau  semblable  que  nous  nous  proposons  d'offrir 
à  la  me'ditation  des  lecteurs ,  dans  le  plus  ce'lèbre  empire  qui  ait 
paru  ,  celui  même  dont  nous  tenons  en  partie  nos  lois  ,  et  dont 
nous  ne  sommes,  à  vrai  dire,  qu'un  démembrement^  l'empire  romain. 
Nous  prendrons  notre  sujet  au  point  où  l'on  peut  marquer  la  dé- 
cadence de  cet  empire ,  jetant  un  léger  coup-d'œil  au-delà.  Mais 
notre  récit  acquerra  plus  d'étendue  au  moment  où  les  nouvelles  na- 
tions paraissent  sur  la  scène,  mêlent  leurs  intérêts  à  ceux  de  Rome, 
et  lui  apportent  une  nouvelle  cause  de  ruine.  Nous  lâcherons  d'é- 
clairer cette  confusion  de  peuples  qui  se  pressent  l'un  sur  l'autre , 
et  viennent  se  perdre  tour-à-tour  dans  l'empire  ,  jusqu'à  ce  qu'ils 
parviennent  à  le  renverser.  Sur  cette  scène  tumultueuse,  nous  choi- 
sirons les  peuples  et  les  éveneraens  qui  ont  laissé  quelque  trace. 
Nous  signalerons  les  progrès  des  Barbares  jusqu'à  leur  entier  e'ta- 
blissement,  et  jusqu'à  V époque  où  commence  L'histoire  moderne  , 
si  toutefois  les  forces  ne  nous  abandonnent  pas  dans  une  entreprise 
de  si  longue  haleine. 

»  Durant  cette  pe'riode ,  nous  verrons  le  christianisme ,  né  dans 
l'obscurité,  et  combattu  dès  l'origine,  s'élever  sur  le  trône  des  Ce'- 
sars,  qui  ont  voulu  l'abolir;  à  la  fois  détruire  l'idolâtrie  dans  la 


AWNiLES    DU    MOYEIV-AGE.  53 

vieille  Rome  ,  et  attirer  à  lui  les  Barbares  par  l'autorité  de  la  pa- 
role. Nous  les  verrons  empreindre  de  son  esprit  les  mœurs ,  les 
usages  et  les  lois  des  peuples  nouveaux  qui  prennent  place  sur  les 
ruines  de  l'empire  ;  donner  la  forme  à  leurs  gouverncmens  ;  pré- 
parer enfin  la  civilisation  moderne  à  travers  la  série  longue  encore 
des  crimes,  des  excès  ,  des  troubles  et  des  désordres  ,  fruits  natu- 
rels des  mœurs  violentes  de  ces  peuples  transplantés  tout-à-coup  au 
sein  de  la  société  romaine. 

»  Nous  n'ignorons  pas  qu'un  tel  sujet,  grand  dans  son  dessein, 
étendu  dans  son  pian  ,  fécond  en  leçons  de  morale ,  de  politique 
et  de  philosophie ,  n'offre  point  toujours  un  bien  vif  attrait.  La 
multiplicité  des  petits  faits  rebute  l'attention;  la  complication  des 
éve'nemens  la  fatigue  ;  le  de'sordre  qui  règne  sur  ce  théâtre  où  se 
meuvent  tant  de  peuples,  la  distrait ,  l'embarrasse  ,  nuit  à  l'intérêt 

en  le  divisant Mais  c'est  une  raison  de  redoubler  d'efforts  pour 

tromper  la  fatigue  des  lecteurs ,  en  dissimulant  ce  que  le  récit  a  de 
pénible  ,  par  la  grandeur  des  résultats ,  et  surtout  par  la  peinture  des 
moeurs 

))  D'ailleurs,  le  sujet  a  son  intérêt  et  sa  ple'nitude;  il  embrasse 
toute  une  période,  et  forme  le  nœud  qui  lie  l'ancienne  histoire  à 
la  moderne ,  comprenant  cette  suite  de  re'volutions  qui  remplissent 
la  scène  du  monde  dans  cet  intervalle,  et  ouvrant  l'intelligence  des 
temps  modernes,  qu'on  ne  peut  bien  connaître  sans  une  élude  ap- 
px'ofondie  du  moyen-âge. 

»  Cest  surtout  sur  l'Occident  que  nous  devons  porter  nos  re- 
gards  ;  et,  parmi  les   nations  nouvelles,   nous   distinguerons  la 

nôtre ,  moins  encore  par  un  sentiment  d'amour  propre  et  d'affec- 
tion naturelle ,  que  parce  qu'elle  a  été  la  plus  célèbre  de  toutes. 
Elle  a  vu  périr  la  plupart  des  états  barbares ,  formés  et  établis  au- 
tour du  sien  ;  elle  en  a  détruit  elle-même  plusieurs  et  a  recueilli 
les  héritages  de  presque  tous  les  autres  ;  enfin  ,  elle  a  fonde  le  nouvel 
empire  des  Francs  et  de  Charlemagne  ,  qui  a  été  comme  une  image 
de  l'empire  romain. 

»  Ainsi ,  pour  assurer  notre  marche  dans  une  route  si  longue  et 
si  embarrassée,  nous  aurons  successivement  devant  les  yeux,  sui- 
vant la  différence  des  époques ,  deux  objets  principaux ,  auxquels 
nous  rattacherons  le  reste  du  récit.  —  Nous  suivrons  d'abord  les 


54  ANNALES    DU    MOYEIf-AGE. 

vicissitudes  de  l'empire  romain  jusqu'à  sa  décadence  et  à  sa  chute, 
rangeant  autour  de  cet  empire  les  re'volutions  des  e'tats  barbares. 
—  Puis,  nous  nous  attacherons  à  la  nation  qui  domine,  c'est-à- 
dire  à  la  nation  française,  disposant  également  autour  d'elle  les: 
mouvemens  des  autres  barbares,  dont  elle  devient  à  son  tour  le 
centre.  Nous  la  suivrons  dans  ses  progrès  et  son  éle'vation  succes- 
sive jusqu'à  la  fondation  du  nouvel  empire  d'Occident.  Nous  pour- 
suivrons de  là  notre  marche  ;  nous  retracerons  la  décadence  des 
nouveaux  conquérans  et  le  démembrement  de  leur  monarchie.  Nous 
arriverons  ainsi  jusqu'à  Venlière  division  de  lOccident  entre  les 
diverses  nations  qui  s'en  partagent  présentement  les  provinces ,  oii 
elles  ont  fondé  un  nouveau  système  de  lois  et  de  droit  public. 
Alors  nous  aurons  atteint  le  terme  de  notre  travail.  » 

Voilà  une  citation  démesurément  longue  ;  mais  elle  abrège  plus 
que  je  ne  puis  dire  la  tâche  de  l'auteur  de  cet  article.  Il  lui  eût 
fallu  le  double  de  paroles  pour  faire  connaître  bien  moins  à  fond 
le  sujet  ,  le  plan  ,  l'esprit  ,  le  style  même  des  Annales  du  moyen- 
âge. 

Le  préambule  qu'on  vient  de  lire  rappelle  involontairement  le 
mot  de  Pline  :  Quanta  dignitas  ^  quanta  maj estas  ;  quantum 
denique  numen  sit  historiœ  ,  cum  fréquenter  aliàs  ,  tuni  lac 
maxime  sensi.  Il  a  je  ne  sais  quoi  de  simple  et  de  solennel  tout 
ensemble  ,  comme  les  préambules  des  historiens  de  l'antiquité.  C'est 
la  gravite  naturelle  et  toute  virile  d'un  de  Thou  ,  non  la  pompe 
un  peu  rhe'toricienne  d'un  Thomas  ou  d'un  Gibbon.  Rien  de  vague 
dans  cette  exposition  ,  rien  d'indécis  et  de  flottant  dans  la  pensée 
ni  dans  la  diction  de  l'historien.  On  dirait  d'un  écrivain  du  xvu" 
siècle  ,  tant  le  style  est  ferme  et  plein ,  la  conception  nette  et 
substantielle.  C'est  toute  la  physionomie  littéraire  de  ce  temps  avec 
ses  contours  précis  et  arrêtés  ,  et  ce  mouvement  calme  et  vrai 
d'une  force  qui  n'a  pas  besoin  de  s'exagérer,  par  ce  qu'elle  est  sure 
d'elle-même  :  incorruptus  ille  sanguis ,  et  naUiralis  quidem ,  non 
fucatus  nitor. 

M.  Frantin  réunit  en  outre  les  deux  qualités  que  nous  espérons 
un  jour  dans  M.  Michelet.  Son  obscurité  ne  lui  pesait  point  ;  il  ne 
s'est  pas  hâté  de  paraître.  Il  a  voué  quinze  années  de  sa  vie  à  Xi- 


ANWALES    DU    MOYEN-AGE.  55 

laboiation  consciencieuse  de  la  première  moitié  de  son  œuvre  ;  et, 
depuis  qu'il  l'a  publiée,  il  est  rentré  dans  le  studieux  silence  où  il 
s'était  si  long-temps  renferme,  pour  accomplir,  sans  précipitation 
comme  sans  relâche ,  sa  vocation  tout  entière.  Ce  respect  pour  le 
public ,  si  remarquable  au  milieu  de  cette  incontinence  de  publi- 
cité qui  est  une  des  plaies  de  notre  époque,  tient  sans  doute  à  la 
modestie  innée  de  l'écrivain  ;  mais  il  est  permis  de  croire  que  sa 
conviction  religieuse  n'y  est  point  étrangère.  Les  catholiques  peu- 
vent se  glorifier  des  Annales  du  moyen-âge  ;  car  la  foi  de  l'au- 
teur est  la  nôtre ,  et  elle  éclate  en  toute  occasion  dans  son  livre , 
sans  affectation  ,  mais  sans  mauvaise  honte ,  comme  aussi  sans  at- 
tenter à  lindependance  de  ses  jiigemeus.  Celui  qui  écrit  ceci  ne 
souscrirait  pas  toujours  à   ceux  qu'il  porte  sur  la  papauté. 

Qu'est-il  besoin  d'insister  sur  l'exubérante  richesse  du  sujet  qu'il 
s'est  choisi  ?  On  l'a  dit  ailleurs  :  «  Piome  vieillissante  et  ébran- 
le'e  ;  le  christianisme  qui  se  lève  et  qui  va  couvrir  le  monde;  Constan- 
tin ,  Julien ,  Théodose  -,  les  invasions  des  Barbares  et  l'empire  s'é- 
croulant  pièce  à  pièce;  Attila  et  ses  Huns;  avant  lui,  ces  deux 
autres  fléaux  de  Dieu,  Alaric  etGense'ric,  la  monarchie  du  grand 
Théodoric  ,  celle  des  Bourguignons,  puis  enfin  ,  les  Francs  et  Clovis. 
Tels  sont  les  faits  culminans  qui  se  pressent  dans  les  deux  pre- 
miers volumes,  lesquels  s'arrêtent  aux  premiers  exploits  de  Bélisaire. 
Alors  paraissent  la  vigueur  native  et  i  inépuisable  activité  de  la 
socie'té  religieuse  ,  avec  son  unité  de  le'gislatiou,  maintenue  par  ses 
conciles,  et  la  vie  dont  elle  abonde  ,  re'véle'e  par  ses  monastères; 
la  dissolution  lente  de  la  socie'té'  romaine  ;  les  premiers  de'velop- 
pemens  de  l'éle'ment  germanique  dans  la  civilisation  moderne  ;  puis 
la  fe'odalite'  qui  commence  à  poindre  du  milieu  des  déchiremens 
dans  lesquels  pe'rit  la  socie'té  barbare  avec  la  sauvage  royauté  qui 
en  était  sortie  ,  pour  faire  place  un  moment  à  l'action  régulière  du 
pouvoir,  concentré  dans  la  main  forte  des  premiers  carlovingiens.» 
Et  ce  n'est  là  qu'un  côté  de  la  première  partie  des  Annales.  L'é- 
clat des  armes  des  lieutenans  de  .Tuhtinieu  dans  l'Orient,  la  légis- 
lation immense  qui  a  gardé  son  nom  ,  Narsès  l'eunuque ,  conti- 
nuant en  Italie ,  Stilicon  le  Vandale  et  le  Scythe  Actius;  les  Lom- 
bards ,  les  derniers  et  les  plus  fe'roces  peut-être  des  enfans  d'Odin  ; 
le  drame  sanglant  de  Fre'de'gonde  et  de  Brunehaut  ;  la  grandiose 


53  ANNALES    DU    MOYEN  AGE. 

figure  de  saint  Grégoire  I^',  recevant  successivement  dans  l'Église 
les  Goths  d'Espagne  ,  les  Lombards  et  les  Saxons  de  la  Grande- 
Bretagne  ;  l'éclatant  e'pisode  de  Mahomet,  qui  fournit  tout  un  livre  à 
M.  Frantin,  et  le  plus  achevé'  peut-être  de  son  ouvrage;  les  révo- 
lutions de  cour  de  Constautinople  et  celles  qui  font  grandir  la  mairie 
du  Palais  dans  la  Neustrie  et  surtout  dans  l'Austrasie  ;  la  rivalité  des 
Omraiades  et  des  Alides  ,  cause  encore  subsistante  des  inimitiés  des 
Turcs  et  des  Persans  ;  le  premier  e'tabiissement  des  Slaves  dans  la 
Germanie;  la  fin  des  Goths  au-delà  des  Pyre'nées  ;  Pelage,  pre- 
mier type  du  caractère  indompté  de  l'Espagnol  moderne ,  retrem- 
pant cette  noble  race  et  recommençant  une  nation  dans  les  Âstu- 
ries  ;  enfin,  la  puissance  des  Abbassides  dans  l'Orient  et  dans 
l'Occident ,  Charlemagne  ,  qui  apparaît  debout  sur  les  confins  de 
deux  mondes  ,  et  qui  clôt  magnifiquement  cette  première  moitié 
des  Annales  ,  comme  il  clôt  ailleurs  le  plus  grand  monument  his- 
torique que  l'esprit  humain  ait  élevé  ,  le  Discours  sur  l'Histoire 
universelle. 

On  ne  peut  nier  que  l'unité  ne  disparaisse  plus  d'une  fois  dans 
ce  double  plan  ;  car,  à  partir  des  fils  de  Théodose,  l'Orient  et  l'Oc- 
cident suivent  des  fortunes  diverses.  Les  guerres  d'Héraclius  contre 
les  Perses,  par  exemple,  n'ont  aucun  lien  réel  avec  les  destinées 
des  Francs,  des  Goths,  des  Lombards.  M.  Frantin  sauve,  autant 
qu'il  est  en  lui ,  cette  difficulté  du  sujet  ,  en  faisant  prédominer 
le  seul  intérêt  commun  qui  fût  alors  ,  l'intérêt  catholique  ,  égale- 
ment menacé  par  les  armes  de  Khosroès  et  par  celles  des  Barba- 
res,  tous  ariens,  à  l'exception  des  Francs,  comme,  plus  tard, 
par  le  prosélytisme  guerrier  des  fils  du  Prophète.  Attentif  à  grou- 
per les  faits  par  masses ,  il  ne  quitte  un  théâtre  pour  un  autre 
qu'après  avoir  parcouru  d'uue  haleine,  et  avec  le  développement 
convenable  ,  une  période  qui  a  en  elle-même  son  unité,  qui,  à  elle 
seule ,  forme  un  tout.  On  ne  peut  nier  que  ces  événemens  si  com- 
pliqués ne  se  déroidcnt  dans  son  livre  avec  une  clarté  de  caractè- 
res peu  commune  ;  et  c'est  là  ,  certes,  un  des  mérites  éminens  des 
Annales  du  moyen-âge. 

Pour  faire  d'un  seul  coup  la  part  de  la  critique  ,  nous  regret- 
terons que  M.  Frantin  n'ait  pas  resserré  son  récit  en  plus  d'un  lieu; 
qu'il  affectionne  trop  exclusivement  le  tour  un  peu  lent  et  uniforme 


ANNALES    DU    MOYETî-AGE.  57 

de  la  période  oratoire  du  siècle  de  Louis  XIV.  Nous  aurions  voulu, 
dans  une  telle  histoire,  des  couleurs  locales  plus  tranchées  ,  parfois 
une  critique  ])lus  incisive  et  des  conclusions  plus  hardies. 

Mais  ces  imperfections  sont  largement  compensées  par  des  qua- 
lités supérieures.  Les  faits  qui  complètent  le  tahleau  du  droit  puhlic 
et  domestique  de  Pépoque,  y  sont  résumés  avec  une  probité  histo- 
rique ,  telle  qu'on  ne  soupçonne  pas  même  dans  l'historien  ces  mal- 
heureuses réminiscences,  si  fréquentes  ailleurs,  des  passions  politi- 
ques de  noire  âge.  De  là  tous  les  reproches  adressés  aux  Annales^ 
lors  de  leur  publication,  par  la  nouvelle  école  historique,  et  dont 
les  chefs  même  de  cette  école  ont  fait  justice  depuis.  Ainsi,  Ton 
chercherait  vainement  dans  M.  Frantin  le  rêve  de  M.  Sismondi , 
qui  fait  d'Ebroïn  le  chef  du  parti  des  hommes  libres,  au  vu^  siècle 
de  notre  ère.  M.  Michelet  lui-même,  qui  s'est  gardé  de  reproduire 
cette  énormité ,  tronque  le  récit  de  cette  phase  importante  de  la  mai- 
rie du  Palais. 

On  ne  trouve  point  non  plus  dans  les  Annales ,  l'hypothèse  fa- 
meuse, avancée  par  M.  Guizot  dans  ses  essais,  puis  retracte'e  dans 
son  cours  public  de  1829  ,  et  abandonnée  par  M.  Michelet,  après 
avoir  é?é  tant  redite  et  tant  célébrée  ,  d'une  seconde  conquête  des 
Gaules  par  une  nouvelle  invasion  germanique  ,  au  temps  de  Pepin- 
le-Gros  et  de  Charles-Martel.  M.  Frantin  a  proteste  le  premier,  le 
texte  à  la  main,  contre  cette  explication  du  changement  de  dynastie 
consomme  sous  Pépin-le-Bref.  Il  montre  les  peuplades  transrhe'nanes 
rompant  avec  les  maires  d'Austrasie  eo  quod  non  poluerunt  regi- 
bus Meroveis  servira,  sicui  anteà  sol! ti  fuerant  (^\) ,  et  les  quatre 
fondateurs  de  la  puissance  carlovingienne ,  sans  cesse  occupés  à 
combattre  la  Germanie  ,  plutôt  dépeuplée  que  réduite  par  le  plus 
grand  de  ces  grands  hommes,  par  Charlemagne. 

Et  le  Charlemagne  de  M.  Frantin  n'est  point  le  Karl  d'Augus- 
tin Thierry,  profil  mesquin  d'un  Barbare  assez  vulgaire.  C'est  le 
Charlemagne  de  l'histoire  ,  le  plus  national  des  rois  francs  ,  le  plus 
fidèle  au  vêlement,  à  l'idiome  he'iéditaire  de  sa  race;  mais  déjà 
pourtant   le  représentant  le  plus  complet  du  moyen-âge  :  l'élève 


(i)  Eschempert,  collcct.  de  D.   Bouquet,  II,  690. 


58 


ANJVALES    DU    MOYEN    AGE. 


d'Alcuin  el  de  P.  de  Pise,  le  haut  protecfeur  de  la  scolastique  ; 
pieux  comme  un  croisé  et  docte  comme  un  théologien  du  xi''  siècle; 
cher  aux  péleiins ,  terrible  aux  infidèles  ;  homme  de  guerre ,  ob- 
sédé par  des  rêves  de  centralisation  administrative j  simple  comme 
un  soldat  dans  son  intérieur ,  mais  non  moins  fameux  au  loin  par 
la  richesse  de  ses  aumônes  que  par  ses  victoires,  magnifique  ,  enfin, 
dans  la  construction  des  églises  ,  et  portant ,  aux  jours  solennels  , 
des  pierreries  à  la  garde  de  sou  e'pce.  Ge'nie  colossal ,  qui  a  fait  jeter 
des  cris  d'admiration  à  Montesquieu  comme  à  Bonaparte,  et  qu'on 
aura  tenté  en  vain  de  rabaisser  à  la  taille  d'un  chef  de  bandes 
teutoniques. 

M.  Frantin  ne  tombe  pas  non  plus  dans  cet  abus  de  l'érudition , 
qui  a  été  si  souvent  le  tort  de  Gibbon ,  quelquefois  celui  de  Mi- 
chelet ,  et  qui  consiste  à  exhumer  un  fait  ignore  ,  curieux  sans 
doute  et  digne  d'être  connu  ,  mais  en  le  généralisant ,  en  le  plaçant 
sur  le  premier  plan  ,  en  faisant  d  une  particularité  exceptionnelle 
un  des  traits  caractéristiques  d'uue  époque. 

Point  de  notes  dans  les  Annales  ,  point  de  ces  rognures  du  texte , 
qui  coupent  l'attention  et  qui  la  divisent,  seulement,  en  marge  , 
une  brève  indication  des  sources.  Le  prince  des  annalistes,  Tacite, 
n'a  pas  fait  de  notes. 

Pas  de  ces  complimens  à  des  céle'brite's  vivantes  ,  dont  M.  de 
Chateaubriand  a  donné  le  respectable  exemple,  mais  qu'il  avait  du 
moins  rejete's  dans  l'avant-scène  d'une  préface.  De  pareilles  cour- 
toisies sentent  trop  la  camaraderie  du  dix-huitième  siècle  ou  les  bien- 
veillances banales  du  nôtre;  elles  sont  peu  conciliables  avec  la 
dignité  d'une  composition  historique. 

Il  est  temps  de  finir  ce  long  article  ,  mais  ce  ne  sera  pas  du 
moins  sans  avoir  rendu  hommage  à  deux  magnifiques  re'cits  de  M. 
Frantin  ,  celui  du  choc  de  l'Orient  et  de  l'Occident  dans  les  champs 
catalauniques  où  Attila  vit  briser  ses  flots  de  barbares,  et  la  bataille 
de  Poitiers  où  le  cimeterre  musulman  recule  pour  la  première  fois  de- 
vant la  hache  franque  et  la  masse  d'armes  de  Charles  Martel.  J'ose 
dire  que  M.  de  Sîsmondi  lui  est  bien  inférieur  en  ces  endroits,  sur 
lesquels  M.  Michelet  a  passé  si  légèrement. 

On  a  pu  juger  plus  haut  le  style  de  l'auteur.  Dans  ces  temps  de 
transition  et  de  tâtonnement  où,  selon  la  remarque  d'un  homme 


ANNALES    DU    MOYEN    AGE.  59 

de  goût  et  de  savoir,  le  néologisme  a  distendu  notre  pauvre  lan- 
gue jusqu'à  la  faire  craquer^  ce  n'est  pas  la  moindre  recommanda- 
tion des  Annales  qu'une  diction  si  pleine  ,  si  ferme  ,  si  simple^  si 
fidèle  aux  lois  originelles  de  notre  idiome.  Elle  fait  penser,   nous 
lavons  dit,  à  l'élégance  pleine  d'éle'vation  des  grands  écrivains  du 
xvii«  siècle,    et  pourtant  il  n'y  a  rien  là  qui  sente  le  pastiche  ou 
le   calque  ,  rien  Je  ce  qu'on  a  reproche'  d'artificiel  aux  tentatives 
d'une  jeune  et  brillante  e'cole  pour   renouveler  la  langue  par  l'ar- 
chaïsme et  lui  rendre  quelque  chose  de  sa  sève  première  et  de  sa 
physionomie  latino-gauloise.  Ce    mérite    d'un    style   véritablement      | 
classique  ,  dans  le  vrai  sens  d'un  mot  trop   profané  de  nos  jours  , 
fait  des  Annales  un  livre  rare  ,  original   même    par   le    contraste     | 
avec  ceux  du  temps  qui  court ,  un  livre  doublement  précieux  aux     1 
ëtablissemens    d'instruction    publique  où  les    cours   d'histoire  sont     | 
livrés  à  la  science  incomplète  et  fausse  de  quelques  manuels  ira- 
provise's. 

Que  l'auteur  des  Annales  achève  son  œuvre.  Nous  attendons 
avec  confiance  son  Gre'goire  VII  pour  l'opposer  à  celui  que  nous 
garde  si  discrètement  M.  Villemain  ,  et  ses  Normands  pour  les 
comparer  avec  ceux  de  M.  Thierry.  Dès  à  présent  toutefois  les  An- 
nales du  moyen-âge  justifient  le  magnifique  éloge  de  M.  Heeren, 
et  elles  se  sont  conquis  une  place  entre  les  deux  plus  belles  pro- 
ductions de  l'école  catholique  ,  Vllistoire  d'Angleterre  du  docteur 
Lingard  et  celle  des  croisades  de  M.  Michaud. 

Th.  Foisset. 


60 


-VV^A/W^XA^VVXVW^VV^  VV«VV%\AM<VV\^A/\^A««<\A<\VV\(%AAVV«VV\'VV\<VV\VV\IVV%V\^ 


LETTRE    ENCYCLIQUE 

DE  S.  S.  GRÉGOIRE   XVI, 

A   TOUS  LES   PATRIARCHES  ,   PRIMATS  ,    ARCHEVÊQUES 
ET    ÉVÊQUES , 

PAR    LAQUELLE   SA    SAINTETÉ   CONDAMNE 
LES   FAROIiSS   D'UN    CROTANT. 


GREGORIUS    PP.   XVI  , 
VENERABILES  FRATRES 

Salutem  et  apostolicam  hetiedictionem. 


Singulari  Nos  affecerant  gau- 
dio  illustria  fidei  ,  obedienlias  , 
ac  religionis  testimonia  ,  quœ  de 
exceptis  ubique  alacriter  Encycli- 
cisNoslris  litteris  datis  die  15  au- 
gusli  anni  1832  perlerebantur  , 
quibus  sanam  ,  et  quam  sequi 
unice  Tas  sit  ,  doctrinam  de  pro- 
positis  ibidem  capilibus  pro  Nos- 
tri  officii  niunereCalholico  Gregi 
universodenunciavimus.Nostrum 
hoc  gaudium  auxerunt  editaî  in 
eani  rem  declarationes  a  nonnullis 
ex  lis  ,  qui  consilia  illa  ,  opinio- 
numqne  commenta ,  de  quibus 
qucrebamur,  probaverant,  el  eo- 
rum  laulores,  defcnsuresque  in- 
caute  segesserant.  Agnoscebanius 
quidam  ,  nondum  sublatum  ma- 
lum  illud  ,  quod  adversas  rem  et 


Nous  avions  été  comblé  de  joie, 
en  apprenant  les  illustres  témoi- 
gnages de  foi ,  d'obéissance  et  de 
religion  qui  ont  partout  accueilli 
notre  Lettre  encyclique  du 
IS  août  1832 ,  dans  laquelle  nous 
avons  fait  connaître  ,  d'après  le 
devoir  de  notre  charge  ,  à  tout  le 
troupeau  catliolique,  la  doctrine 
saine  et  seule  à  suivre,  sur  les 
difTérens  points  qui  y  ont  été 
traités.  Notre  joie  fui  augmentée 
par  les  déclarations  de  quelques- 
uns  de  ceux  qui  avaient  approuvé 
les  projets  et  les  systèmes  dont 
nous  nous  plaignions  ,  et  qui  s'en 
étaient  montrés  imprudemment 
les  fauteurs  et  les  défenseurs. 
Nous  comprenions  bien  quele  mal 
n'était  pas  entièrement   détruit  ; 


LETTRE    ENCYCLIQUE. 


61 


sacrara  et  civilem  adhuc  conflari, 
iinpuclenlissimi  libelli  in  vulgus 
dispersi  ,  et  tenebricosœ  quaedam 
inachinaliones  maniCesto  porten- 
debant  ,  quas  incirco  ,  niissis 
lîiense  Oclobri  ad  Venerabilem 
Fraliem  Episcopum  Rhedonen- 
sem  litleris,  graviter  improbavi- 
mus.  At  anxiis  Nobis ,  maxime- 
que  ea  de  re  sollicitis  pergratum 
sane ,  ac  jucundum  estitit ,  illum 
ipsum  ,  a  quo  prœcipue  id  nobis 
moeroris  inlerebatur ,  missa  ad 
Nos  declaralione  die  11  decem- 
bris  anni  superioris,  diserte  con- 
firmasse ,  se  doctrinam  Nostris 
Encyclicis  lilteris  traditani  nnice 
et  absolute  sequi  ,  niliilque  ab 
illa  ailienum  aut  scripturum  se 
esse,  aut  probaturum.  Dilalavi- 
mus  illico  viscera  paternfe  chari- 
talis  ad  Filium  ,  quem  nostris 
monitis  pcrmotum  luculentiora  in 
dies  documenta  daturum  forecon- 
fidere  debueramus  ,  quibus  cer- 
tius  constaret ,  INostro  ipsum  ju- 
dicio  et  voce  et  re  paruisse. 


Verum  ,  quod  vix  credibile  vi- 
debatur  ,  quem  tantae  benignita- 
tis  aflectu  exccperamus,  imme- 
mor  ipse  Noslr.ne  indulgentiœ  cite 
e  proposito  defecit ,  bonaque  illa 
spes ,  qu;i;  deprœceptionis  nosfrce 
/rt<c^«  Nos  tenuerat,  in  irritum 
cessit ,  ubi  primum ,  celalo  qui- 
d(!m  nominc  ,  scd  publicis  pate- 
l'actomonumcnlis,  nupertraditum 
ab  codem  lypis ,  atque  ubiquc 
pervulgatum    novimus    libcUum 


desécrilsimpudens  répandus  dans 
le  public  et  d'obscures  menées 
nous  avertissaient  trop  bien  des 
dangers  dont  l'Eglise  et  l'ordre 
temporel  étaient  encore  menacés  ; 
c'est  pourquoi  nous  désapprou- 
vâmes liautement  ces  machina- 
tions, dans  le  Bref  que  nous 
adressâmes  au  mois  d'oct.  1833 
à  notre  vénérable  Frère  l'Evéque 
de  Rennes.  Mais  pendant  que  cette 
affaire  nous  causait  une  vive  in- 
quiétude ,  celui-là  même  qui 
était  le  principal  auteur  de  notre 
affliction  ,  nous  rendit  à  la  joie, 
en  nous  envoyant ,  le  1 1  décem- 
bre dernier  ,  une  déclaration  dans 
laquelle  il  assurait,  en  termes 
clairs  et  formels,  qu'il  admettait 
uniquement  et  absolument  la 
doctrine  exposée  dans  notre  Lettre 
encyclique ,  et  qu'il  n'écrirait  et 
n'a})prouverait  rien  qui  y  fût  con- 
traire. Nous  avons  donc  aussitôt 
ouvert  les  bras  de  notre  cliarité 
paternelle  à  notre  Fils ,  plein  de 
confiance ,  comme  nous  devions 
l'être  ,  que ,  touché  de  nos  avis , 
il  nous  prouverait  tous  les  jours 
d'une  manière  plus  claire  et  plus 
certaine  qu'il  était  vraiment  sou- 
mis à  notre  jugement ,  d'effet 
comme  de  parole. 

Mais  (  chose  à  peine  croyable  ) , 
après  avoir  été  traité  avec  une 
alFeclion  si  bienveillante ,  il  ou- 
blia bientôt  notre  indulgence 
et  sa  résolution  ;  et  le  bon  es- 
poir que  nous  avions  conçu  sur 
le  fruit  de  notre  instruction  ,  se 
dissipa  ,  aussitôt  que  nous  eûmes 
a])pris  qu'il  venait  de  faire  im- 
primer et  de  répandre  partout  un 
libelle  français,  jielit  de  volume, 
mais  gros  de  perversité  ,  intitulé  : 


62 


LETTRE    ENCYCLIQUE. 


Gallico  idiomate  ,  mole  quidem 
exiguum  ,  pravitate  tamen  in- 
gentem ,  cui  titulus  «  Paroles 
d'un  Croyant.  )> 

Horruinius  sane  ,  VV.  FF.  vel 
ex  primo  oculorum  obtutu ,  Auc- 
torisfjue  caecitatem  miserati  in- 
telleximus,  quonam  scienliapro- 
rumpat  ,  quae  non  secundum 
Deutn  sit,  sed  secundum  niundi 
elementa.  Enirnvero  contra  fidem 
sua  illa  declaratione  solemniter 
datam  ,  captiosissimis  ipse  ut  plu- 
rimum  verborum ,  ftclionumque 
involucrisoppugnandam,everten- 
damque  suscepit  catliobcam  doc- 
trinam,  quam  memoratis  Nostris 
litteris,  tum  de  débita  erga  Potes- 
tates  subjectione,  tum  de  arcenda 
a  populis  exitiosa  Indifferentismi 
conlagione,  deque  frenis injicien- 
dis  evaganti  opinionum,  sermo- 
numque  licentiœ ,  tum  demum  de 
damnanda  omnimoda  consciea- 
tiœ  liberlate  ,  teterrimaque  socie- 
tatum  ,  vel  ex  cujuscumque  falsae 
religionis  cultoribus  ,  in  sacrœ  et 
publicse  rei  perniciem  conflata- 
rum  conspiratione,  pro  auctori- 
tate  humiiitatiNoslrae  tradita  de- 
finivimus. 


Refugît  sane  animus  ea  perle- 
gere  ,  quibus  ibidem  Auctor  vin- 
culumquodlibet  iideiitatis  subjec- 
tionisque  erga  Principes  disrum- 
pere  conalur  ,  face  undequaque 
perduellionis  immissa  ,  qua  pu- 
blici  ordinis  cladcs,  Magistratuum 
contemptus,  legum intractio  gras- 


Paroles  d'un  Croyant  ;  et  quoi- 
que cet  ouvrage  ait  paru  sans 
nom  d'auteur,  des  écrits  publics 
l'ont  fait  assez  connaître. 

Nous  avons  été  saisi  d'horreur, 
Vénérables  Frères  ,  au  premier 
coup-d'œil  que  nous  y  avons  jeté, 
et  déplorant  l'aveuglement  de 
l'auteur  ,  nous  avons  compris  à 
quels  excès  se  porte  la  science  , 
qui  n'est  pas  selon  Dieu,  mais 
qui  est  selon  les  enseignemens 
du  monde.  Car  au  mépris  de  la 
promesse  qu'il  nous  avait  faite 
dans  sa  déclaration  ,  il  a  entre- 
pris ,  sous  le  voile  trompeur  de 
belles  phrases  et  à  la  faveur  de 
quelques  fictions  captieuses,  d'at- 
taquer et  de  renverser  la  doctrine 
catholique  que  nous  avons  expo- 
sée ,  en  vertu  de  l'autorité  con- 
fiée à  notre  humilité  ,  dans  notre 
susdite  Lettre  encyclique ,  sur  la 
soumission  due  aux  puissances , 
sur  l'obligation  de  délivrer  les  peu- 
ples de  la  funeste  contagion  de 
VIndifférentismey  et  de  mettre  un 
frein  à  cette  exti  ême  licence  d'o- 
pinions et  de  discours  ,  enfin  sur 
cette  damnable  liberté  de  con- 
science qu'on  étend  à  tout,  et 
sur  cette  détestable  conjuration 
d'associations  formées  de  membres 
appartenant  à  toutes  sortes  de 
sectes  et  liguées  contre  l'Eglise  et 
contre  la  puissance  temporelle. 

Notre  esprit  répugne  à  citer 
tout  ce  que  l'Auteur  a  écrit ,  pour 
rompre  tous  les  liens  de  la  fidé- 
lité et  de  la  soumission  due  aux 
princes ,  les  efforts  qu'il  a  faits 
en  jetant  partout  le  brandon  de 
la  discorde,  pour  troubler  l'ordre 
public ,  faire  mépriser  les  magis- 
trats ,  enfreindre  les  lois ,  et  dé- 


LETTRE    ENCYCLIQUE. 


63 


setur  ,  omniaque  et  sacrœ  et  ci- 
vilis  potestatis  elementa  convellan- 
tur.  Hicûovo  etiniquo  commento 
pofestatem  Principuni ,  veluli  di- 
vinae  legi  infestam  ,  imo  opus 
peccati ,  et  Satanœ poteslatem  in 
calumnise  portentum  traducit  , 
PrœsidibusqueSacroruiii  easdem , 
aclniperantibusturpiludinis  notas 
inurit  ob  criniinum  molilionum- 
que  f'œdus ,  quo  eos  sonmiat  inîer 
se  adversus  Populorum  juracon- 
junctos.  Neqne  tanto  hoc  ausu 
contcnlus  omnigenam  insuper 
opinionum  ,  sermonuni  ,  con- 
scientiaeque  libertatem  obtrudit , 
militibusfjue  ad  eain  a  tyrannide , 
ut  ait  ,  liberandam  dimicaluris 
fausta  oninia  ac  felicia  conipre- 
catur ,  cœtus,  ac  consocialiones 
furiali  seslu  ex  universo  qua  pa- 
tet  Orbe  advocat,  et  in  tam  ne- 
faria  consiiia  urgens  atcjue  instans 
coropellit ,  ut  eo  eliain  ex  capite 
monitaprœscriplaquenostra  pro- 
culcata  ab  ipso  sentiamus. 


Piget  cuncta  hic  recensere  , 
quœ  pessirao  hoc  impietatis  et  au- 
daciœ  faîlu  ad  divina  huraanaque 
omnia  perturbanda  congeruntur. 
Sed  illud  pra3sertim  indignatio- 
nem  excitât,  religionique  plane 
intolerandurn  est  divinaspra>scrip- 
tionestantis  erroribus  adserendis 
ab  Auclore  alTcrri  ,  et  incaulis 
vcndilari  ,  eumque  ad  populos 
legeobedientia3Solvendos,perinde 
ac  si  a  Dec  missus  et  inspiratus 


truire  tous  les  élémens  de  la  puis- 
sance spirituelle  et  delà  puissance 
temporelle.  De  là  cette  supposition 
nouvelle  et  injuste  .  par  laquelle 
il  représente  la  puissance  tempo- 
relle comme  contraire  et  hostile 
à  la  loi  Divine  ;  de  là  cette  ca- 
lomnie monstrueuse  où  elle  est 
appelée  Yœuvre  du  péché  et  la 
puissance  de  Satan;  de  là  les 
outrages  adressés  aux  supérieurs 
ecclésiastiques  comme  aux  prin- 
ces, sousleprétexte;ibsurded'une 
alliance  criminelle  formée entr'eux 
pour  détruire  les  droits  des  peu- 
ples. Non  content  de  cette  tenta- 
tive audacieuse,  il  prétend  faire 
admettre  une  liberté  absolue  d'o- 
pinions ,  des  paroles  et  de  con- 
science ;  il  félicite  et  bénit  les 
soldats  qui  vont  combattre  pour 
arracher  ,  dit-il ,  cette  liberté  à 
latyrannie;  emporté  comme  par 
un  accès  de  fureur  ,  il  appelle  de 
toutes  les  parties  de  la  terre  les 
ligues  et  les  associations ,  les  pres- 
sant ,  les  excitant  elles  poussant 
à  ces  attentats  criminels,  avec 
tant  de  violence  que ,  sur  ce  point- 
là  aussi  ,  nous  comprenons  bien 
qu'il  foule  aux  pieds  nos  avis  et 
nos  instructions. 

Nous  nous  lasserions  s'il  fallait 
énumérer  tout  ce  qui  est  entassé 
dans  cette  production  impie  et 
audacieuse,  pour  détruire  les  in- 
stitutions divines  et  humaines. 
Biais  ce  qui  excite  particulière- 
ment l'indignation  ;  ce  que  la  re- 
ligion ne  saurait  absolunient  to- 
lérer ,  c'est  que  l'Auteur  ose 
invoquer  les  lois  divines  pour  se- 
mer ses  erreurs  et  faire  étalage  de 
cet  amalgame  auprès  des  lecteurs 


64 


LETTRE    ENCYCLIQUE. 


esset,  postquam  in  sacralissimo 
Triuilatis  Auguslae  nomine  pra»- 
falus  est ,  Sacras  Scripturas  ubi- 
que  oblendere,  ipsarumque  ver- 
ba ,  quoe  verba  Dei  sunt,  ad  prava 
hujuscemodi  deliramenfa  incul- 
canda  callide  audacterqiie  detor- 
quere  ,  quo  lidenlins,  uliinijuie- 
hatS. Bevnixrdns,proliicete)tebras 
offandat ,  et  jno  nielle  ,  vel  po- 
tius  in  melle  venenuin  propinet , 
novttm  cudens  populis  evange- 
lium,  aliudqueponensfundamen- 
tumprœter  id ,  quodpositum  est. 


Verom  tanlam  hanc  sanaj  doc- 
Irinœ  illalain  pernicieni  silenlio 
dissimulare  ab  Eo  vetamur,  qui 
speculatores  Nos  posuit  in  Israël, 
ut  de  errore  illos  moneanjus ,  quos 
Auctor  et  Consunimalor  fidei 
JESUS  Nostrse  curœ  concredidit. 

Quare  auditis  nonnullis  ex 
Venerabilibus  Frafribus  Nosiris 
S.  R,  E.  Cardinalibus ,  molu 
proprio  ,  etex  cerlascientia  ,  de- 
que  Apostolicœ  poteslalis  pleni- 
tudine  niemoralum  librum  ,  cui 
tilulus  <(  Paroles  d'un  Croijant  » 
quo  per  iinpiuin  Verbi  Dei  abu- 
sum  Populi  corrumpunlur  ad 
omnis  ordinis  publici  vincula  dis- 
solvenda  ,  ad  ulramque  auotori- 
talcm  labelactandam  ,  ad  scdilio- 
nes    in    imperiis  ,     tumultus   , 


imprudens  ;  c'est  que ,  se  pré- 
sentant devant  eux  comme  un  au- 
teur inspiré ,  comme  un  homme 
envoyé  de  Dieu  ,  et  commençant 
son  œuvre  au  très-saint  Nom  de 
l'Auguste  Trinité  ,  il  ose  partout 
afTecler  le  langage  des  Saintes- 
Ecritures  ,  pour  délier  les  peu- 
])les  de  la  loi  de  l'obéissance  ,  et 
en  employer  les  paroles  ,  qui  sont 
les  ]>aroles  de  Dieu  ,  pour  leur 
incubjuer  ces  coupables  extrava- 
gances ,  détournant  artificieuse- 
ment  et  audacieusement  le  sens 
du  texle,  afin  de  pouvoir  avec 
d'au  tant  plus  de  confiance,  comme 
disait  saint  Bernard  ,  donner  les 
ténèbres  à  la  place  de  la  lumière, 
et  le  poison  au  lieu  du  miel,  ou 
plutôt  le  poison  mêlé  avec  le  miel, 
forgeant  ainsiun  noue  el  évangile 
pour  les  peuples  ,  et  établissant 
un  autre  fondeinent  que  celui  qui 
a  été  établi. 

Mais  Celui  qui  nous  a  placé 
comme  une  sentinelle  en  Israël , 
afin  d'avertir  de  l'erreur  ceux  que 
Jésus-Christ ,  l'auteur  el  le  con- 
sommateur de  la  Foi ,  a  confiés 
à  nos  soins  ,  nous  défend  de  gar- 
der le  silence  sur  cet  énorme  at- 
tentat contre  la  sainle  doctrine. 
C'est  pourquoi  ,  après  avoir 
pris  l'avis  de  quel(|ues-uns  de  nos 
vénérables  Frères  les  cardinaux  de 
la  sainte  Eglise  romaine,  de  notre 
propre  mouvement ,  de  science 
certaine  et  de  la  plénitude  de  l'Au- 
torité Apostolique  ,  nous  reprou- 
vons et  condamnons  le  livre  inti- 
tulé :  Paroles  d'un  Croyant,  dans 
lequel ,  par  un  abus  impie  de  la 
parole  de  Dieu ,  on  séduit  les  peu- 
ples et  on  les  invite  à  rompre  tous 
les  liens  de  l'ordre  public,  à  ébran- 


LETTRE    ENCYCLIQUE. 


65 


rebellionesqueexcilandas ,  foven- 
das ,  roborandas  ,  libruin  ideo 
propositiones  respective  falsas , 
calumniosas ,  temerarias  ,  indu- 
centes  in  anarcliiam,  contrarias 
Verbo  Dei ,  inipias,  scandalosas, 
erroneas ,  jani  ab  Ecclesia  pr2s- 
sertim  in  Valdensibus ,  Wiclefi- 
lis  ,  Hussitis  ,  aliisque  id  gcneris 
Hœreticis  damnalas  conlinenteni , 
reprobamus ,  dainnamus ,  ac  pro 
reprobato  et  damnato  in  perpe- 
tuumbaberivolumus  ,  atque  de- 
cernimus. 


Vestrum  nunc  erit ,  Venera- 
biles  Fratres  ,  Nostris  hisce  nian- 
datis  ,  quœ  rei  et  sacrœ  et  civilis 
salus  et  incolu mitas  necessario 
efflagitat ,  omni  contenlioue  ob- 
secundare  ,  ne  scriptum  istius- 
modi  e  latebris  ad  exilium  cmis- 
sum  eo  fiat  pcrniciosius,  quo 
magis  vesanœ  novitatis  libidini 
velificatur,  et  late  ut  cancer  ser- 
pit  in  populis.  Muneris  vcstri  sit , 
urgere  sanam  de  tanto  lioc  nego- 
tio  doctrinain  ,  valrilienique  no- 
vatorum  patefacere  ,  acriusque 
pro  Cliristiani  Gregis  cusiodia 
"vigilare  ,  ut  studium  religionis  , 
pietas  actionum ,  pax  publica  flo- 
reant ,  et  augeantur  feliciler.  Id 
sane  a  veslra  fide  ,  et  ab  impensa 
vestra  pro  commuai  bono  instan- 
tia  fidenteropperimur,  ut  Eo  ju- 
vante  ,  qui  Pater  est  luminum  , 
gralulcniur ,  (dicimus  cum  S.  Cy- 
prjano)  fuisse  intellcclnm  crro- 
rem  ,  et  retusuin  ,  et  ideo  pros- 
tratum  ,  quia  agnitnm  ,  atqtie 
delectum. 

T.  X. 


1er  et  renverser  les  deux  autori- 
tés ,  à  exciter,  fomenter  et  sou- 
tenir les  séditions ,  les  troubles 
et  les  révoltes  dans  les  empires  ; 
nous  condamnons  ce  livre  comme 
contenant  des  propositions  respec- 
tivement fausses,  calomnieuses  , 
téméraires,  poussant  à  l'anarchie , 
contraires  à  la  parole  de  Dieu , 
impies,  scandaleuses,  erronées, 
déjà  condamnées  par  l'Eglise  , 
surfout  dans  les  Vaudois  ,  les 
AVicléfites  ,  les  Hussites  et  autres 
hérétiques  de  cette  espèce.  Et 
nous  voulons  et  décidons  que  ce 
livre  soit  tenu  pour  réprouvé  et 
condamné  à  perpétuité. 

C'est  à  vous  maintenant,  Vé- 
nérables Frères ,  de  nous  secon- 
der de  tous  vos  efforts  ,  et  de  faire 
tout  ce  que  demande  nécessaire- 
ment le  salut  de  l'Eglise  et  de 
l'Etat,  de  peur  que  cet  écrit, 
sorti  des  ténèbres  pour  la 
perte  des  hommes  ,  ne  devienne 
d'autant  plus  pernicieux  qu'on 
s'abandonne  aujourd'hui  avec 
une  sorte  de  fureur  au  désir  de 
ces  nouveautés ,  et  que  le  mal 
s'étend  comme  un  cancer  parmi 
les  peuples.  Faites-vous  donc  un 
devoir  de  propager  la  saine  doc- 
trine sur  cette  matière,  de  faire 
connaître  l'astuce  des  novateurs  , 
de  veiller  avec  plus  de  soin  que 
jamais  à  la  garde  du  Troujjeau  de 
Jésus-Christ,  afin  fpie l'amour  de 
la  Religion  ,  la  piété  des  actions 
et  la  paix  publique  fleurissent  et 
augmentent  heureusement.  Nous 
attendons  avec  confiance  cette 
coopération  de  votre  foi  et  des 
soins  empressés  avec  lesquels  vous 
travaillez  au  bien  commun,  afin 

5 


66 


LETTRB    ETfCYCLrQUE. 


Celerum  lugendum  valde  est , 
quonam  prolaliantur  liumanœ  ra- 
tiouife  deliramenta  ,  ubi  quii>  no- 
vis  rébus  studeat ,  atqne  contra 
Apostoli  monilurn  nitatur  plus 
sapere  ,  qtiam  oporteat  sapere  , 
sibique  niraium  praeGdens  verita- 
tem  qnsererirtam  aitumetur  ex- 
tra Catholicaui  Ecclesiam,  in  qua 
absque  vel  levissimo  erroris  cœno 
ipsa  invenitur  ,  quœque  idcirco 
Columna  ac  firmamentiim  ve- 
ritatis  appelatur  et  est.  Probe 
autem  intelligitis  ,  Venera!)iles 
Fratres ,  Nos  hic  loqui  etia:a  de 
fallaci  illo  baud  ita  pridem  in- 
veclo  Philosopbiœsystemate  plane 
improbando  ,  que  ex  projecta  et 
efFrenala  novilatum  cupiditate 
Veritas  ,  ubi  cerlo  consislit ,  non 
quœritur  ,  sanctisque  et  Aposto- 
licis  traditionibus  poslhabitis  , 
doctrinœaliœinanes,  futiles,  in- 
certeque,  necab  Ecclesiaprobatœ 
adsciscuntur ,  quibus  vcritatem 
ipsam  fulciri ,  ac  sustineri  vanis- 
simi  homines  perperam  arbilran- 
tur. 


Dum  vero  pro  delata  divinitns 
Nobis  sanœ  doctrin;e  cognoscen- 
dai,  decernendœ  ,  custodicndœ- 
que  cura  ,   ac  sollicitudine  liœc 


qu'aidé  par  Celui  qui  est  le  Père 
des  lumières ,  nous  puissions  nous 
réjouir  ,  disant  avec  S.  Cyprien 
que  l^erreur  a  été  comprise  et 
réfutée^  qu'  elle  a  ététerrassée  par 
cela  même  qu'elle  a  été  reconnue 
et  découverte. 

Du  reste  ,  c'est  un  grand  sujet 
d'affliction  de  voir  à  quels  excès 
et  à  quelles  extravagances  se  porte 
la  raison  humaine  ,  lorsque  s'a- 
baudonnant  aux  nouveautés  ,  on 
s'efforce  contre  l'avis  de  l'Apôtre 
d'être  plus  sage  qu'il  ne  convient 
de  Vétre,  et  que  se  fiant  trop  à 
soi-même  ,  on  croit  devoir  cher- 
cher la  vérité  hors  de  l'Eglise 
Catholique,  dans  laquelle  elle  se 
trouve  sans  la  moindre  tache  d'er- 
reur ,  et  qui  ,  pour  cette  raison, 
s'appelle  et  est  véritablement  la 
colonneetlefondevientde  laver  ité. 
Vous  comprenez  sans  peine,  Vé- 
nérables Frères  ,  que  nous  par- 
lons ici  également  de  ce  système 
de  philosophie  nouvellement  in- 
troduit, de  ce  système  trompeur 
et  absolument  indigne  d'être  ap- 
prouvé, dans  lequel,  par  cette 
passion  effrénée  pour  les  nouveau- 
tés ,  on  ne  cherche  point  la  vé- 
rité là  où  elle  se  trouve  certai- 
nement ;  dans  lequel  dédaignant 
les  traditions  saintes  et  apostoli- 
ques ,  on  prêche  des  doctrines 
vides  de  raison  ,  frivoles ,  incer- 
taines ,  non  approuvées  de  l'E- 
glise ,  et  dont  des  hommes  ex- 
trêmement vains  prétendent  abu- 
sivement faire  le  soutien  et  l'appui 
de  la  vérité  même. 

Mais  pendant  que  nous  sommes 
occupé  à  écrire  ceci  et  que  nous 
nous  acquittons  ainsi  de  la  charge 
qui  nous  a  été  imposée  d'en  haut , 


LETTRE    ENCYCLIQUE. 


67 


scribimus ,  peracerbum  ex  Filiî 
errore  vulnus  cordi  nostro  inflic- 
tum  ingemisciîTius,  neque  in  sum- 
mo  ,  quo  inde  conficimnr,  rnœ- 
rore  spes  uUa  est  consola  lionis, 
nisi  idem  in  vias  revocetur  jus- 
titia;.  Levemus  idcirco  simul  ocu- 
los  et  manus  ad  Eum ,  qui  sa- 
pientiœ  dux  est,  et  emendator 
sapientium  ,  Ipsumque  inulta 
prece  rogemus  ,  ut  dato  illi  corde 
docili  et  animo  magno ,  quovo- 
cem  audiat  Patris  amanlissimi  et 
mœrentissimi ,  lœta  ab  ipso  Ec- 
clesiae  ,  lœta  Ordini  vestro  ,  L-Bta 
Sanctae  huic  Sedi  ,  lœta  Ilumili- 
tati  Nostrœproperenlur.  Nosccrte 
fauslum  ac  feliceni  illum  duce- 
nius ,  diem ,  quo  iilium  hune  in 
se  reversum  paterno  sinu  com- 
plecti  Nobis  contingat ,  cujus 
exemple  magna  in  spe  sumus  , 
fore  ut  rescipiscant  ceteri ,  qui 
60  anctcre  in  errorem  induci  po- 
tuerunt,  adeo  ut  una  apud  om- 
nes  sit  pro  publicœ  et  sacrœ  rei 
incolumitate  consensio  doclrina- 
rum ,  una  consiliorum  ratio ,  una 
actionum  studiorumque  concor- 
dia.  Quodlantum  bonum  ut  sup- 
plicibus  votis  Nobiscuiii  a  Do- 
mino exorelis,  abs  vestra  pastorali 
solicitudine  requirimus  et  expec- 
tamus.  In  id  autem  operis  divi- 
num  pncsidium  adprecantes,  aus- 
picem  ipsius  Apostolicam  Bene- 
dictionem  Vobis  ,  Gregibusquc 
Vestris   peramanter  iniperlimur. 


de  connaître ,  distinguer  etgarder 
la  saine  doctrine,  la  cruelle  bles- 
sure faite  à  notre  cœur  par  l'é- 
garement de  notre  Fils  ,  nous 
fait  gémir ,  et  dans  la  profonde 
douleurdontil  nous  accable ,  nous 
n'avons  d'autre  espoir  de  conso- 
lation que  dans  son  retour  aux 
voies  de  la  justice.  Levons  donc 
ensemble  nos  yeux  et  nos  mains 
vers  Celui  qui  est  le  guide  de  la 
sagesse ,  et  le  réformateiir  des 
sages  ;  supplions-le ,  par  un  re- 
doublement de  prières  ,  de  lui 
donner  un  esprit  docile  et  un 
grand  cœur,  pour  qu'il  entende 
la  voix  du  plus  tendre  et  du  plus 
affligé  des  Pères ,  et  pour  qu'il  se 
hâte  de  réjouir  l'Eglise ,  et  votre 
Ordre ,  et  ce  Saint-Siège ,  et  Nons- 
même  enfin.  Il  est  certain  que 
nous  regarderons  comme  un  jour 
heureux ,  celui  où  il  nous  sera 
donné  de  voir  revenir  notre  Fils  et 
de  le  presser  contre  notre  sein  pa- 
ternel; et  nous  espérons  beaucoup 
que  son  exemple  fera  revenir  tous 
les  autres ,  qui ,  séduits  par  ses 
leçons  ,  ont  pu  se  laisser  induire 
en  erreur  ;  c'est  alors  qu'il  y  aura 
entre  tous  cet  accord  de  doctri- 
nes ,  de  conseils  et  de  moyens , 
cette  unité  d'action  et  d'affection  , 
qu'il  faut  pour  défendre  l'Etat  et 
l'Eglise.  Nous  attendons  de  votre 
sollicitude  pastorale  ,  que  vous 
supplierez  le  Seigneur  ,  de  vou- 
loir bien  nous  accorder  cette  grâce 
signalée.  Implorant  pour  cet  effet 
l'assistance  divine  ,  nous  vous 
donnons  de  bon  cœur  notre 
Bénédiction  Apostolique  ,  ainsi 
qu'aux  Troupeaux  qui  vous  sont 
confiés. 


5^ 


68 


BREF    DE    SA.    SAINTETÉ. 


Datum  RomîB  apud  S.  Petrum 
VIT  kal.  Julias  an.  mdcccxxxiv  , 
Pontificatus  Nostri  an.  iv. 

GREGORIUS  PP.  XVI. 


Donné  à  Rome  à  Saint-Pierre, 
le7descalendesdejuillet(2S5juin) 
de  l'an  183-i  de  notre  Pontificat 
le  4^ 

GRÉGOIRE  PP.  XVI. 


't  ^AA  fVV\  VV*. -VX/V  VXA  VV:  fVV\  <VV\  W\  Wk 'W\V^A'VV\  «n/V 


BREF  DE  S.  S.  GREGOIRE  XYI 

AUX    ÉV£QU£S   D£    BELGIQUE, 

POUR  LA  COLLATION  DE  GRADES  EN  THÉOLOGIE. 


GREGORIUS   PP.  XVI 

Ad  perpétuant  rei  memoriam. 


Catholicae  religionis  sains  et 
populorum  bonum  atque  ulilitas 
omnino  postulant  ut  ii  omnes  qui 
in  sortcm  Domini  vocati ,  eccle- 
siasticœ  niilitiœ  nomen  dare  exop- 
tant  ,  non  solum  virtutum  om- 
nium splendore  pra;fulgeant  ,  quo 
seipsos  praîbeantin  omnibus  exem- 
plum  bonorum  operum  ,  verum 
ctiamsumma  animi  contenlionein 
litteras  severioresque  disciplinas 
addiscendas  sedulô  incumbant, 
qno  possint  exhorlari  in  doctrina 
sana  ,  et  eos  qui  contradicunt 
arguere.  Cum  enim  sacerdolis 
labiis  scientia  sit  custodienda, 
et  lex  roquircnda  ex  ore  ejus  , 
tum  îgnorantia  quse  cunctorum 
mater  errornm  ,  maxime  in  sa- 
cerdotibus  vilanda  qui  doceiidi 
officium    in   populis  suscipiunt. 


La  conservation  de  la  Religion 
catbolique,  de  même  que  lebien  et 
le  salut  des  peuples ,  demandent 
absolument  que  tous  ceux  qui,  ap- 
pelés dans  la  vigne  du  Seigneur  , 
désirent  s'enrôler  dans  la  milice 
sacrée  ,  non-seulement  brillent 
par  l'éclat  de  toutes  les  vertus  , 
afin  qu'ils  puissent  donner  en 
tout  l'exemple  des  bonnes  œu- 
vres, mais  aussi  qu'ils  s'appliquent 
de  toutes  leurs  forces  à  l'étude 
des  lettres  et  des  connaissances 
sérieuses,  afin  qu'ils  puissent eo;- 
horter  cVaprès  la  saine  doctrine 
et  convaincre  ceux  qui  s'y  op- 
posent. En  effet ,  comme  c'est  sur 
les  lèvres  du  prêtre  que  la  science 
doit  se  conserver  ,  comme  c'est 
de  sa  bouche  que  le  peuple  doit 
apprendre  la  règle  de  sa  conduit 


BREF    DE    SA    SAINTETE. 


69 


Qnamobrem  jure  meritoque  Ro- 
mani Pontiûces  omni  quidem  vi- 
gilantia  et  studio  id  unum  vel 
maxime  semper  spectarunt  ,  ut 
ecclesiastici  viri  non  modo  vitœ 
integrilale  verum  etiain  doctrinse 
laude  elucerent  et  crescerent  in 
scientia  Dei.  NiLil  enim  est  quod 
populorom  animos  ad  pietatem 
et  ad  religionem  magisexcitetat- 
que  inflamniet  ,  quam  eorum 
exemplum  et  doctrina  qui  divino 
se  ministerio  dicarunt.  Atque  id- 
circo  providissimis  gravissimisque 
Ecclesiae  legibus  cautum  semper 
fuit ,  ut  adolescentes  clerici  vel 
ab  inennte  aîtate  in  seminariis 
praesertim  ad  pietatem  ,  probila- 
tem,  omnemque  virtutem  etdoc- 
trinam  rite  efformentur,  quo  esse 
possint  in  tempore  verè  adjuto- 
res  Dei  etChristi  ministri ,  atque 
operarii  missi  in  vineam  suam  , 
qui  fructus  alïérant ,  et  opponen- 
les  muruni  pro  domo  Israël  piae- 
lientur  prœlia  Doiiiini,  Quod  qui- 
dem si  semper  ,  liisce  prœserlini 
asperrimis  ac  luctuossissimis  ci- 
vilis  non  minus,  quam  christianœ 
reipublica;  temporibus  magis  ma- 
gisque  summopere  curandum  , 
quibus  perditissimi  bomines  des- 
pumantes  confusiones  suas  et  se- 
cundum  desideria  sua  ambulan- 
tes ,  tôt  opinionum  commentis 
tôt  omnigenum  scelerum  monstris 
jura  qmrque  divina  et  bumana 
violare  ,  perlurbarc,  pcrmiscere 
moliuntur  ,  et  religionis  l'unda- 
menta  labefactare ,  inimo  fundi- 
tuseverteremaximocum  omnium 
Christi  fidelium  detrimento  im- 
pie nefariequc  conantur.  Majore 
igitur  vigilantia  ,  cura  ,  et  studio 
est  prospiciendum  ut  ecclesiastici 


l'ignorance ,  mère  de  toutes  les 
erreurs  ,  doit  surtout  être  évitée 
par  les  ministres  de  Dieu  ,  par 
ceux  qui  se  chargent  d'instruire 
les  peuples.  Aussi  les  Pontifs  Ro- 
mains ont-ils  toujours  veillé  et 
travaillé  avec  un  soin  particulier 
à  réunir ,  dans  le  prêtre ,  l'in- 
tégrité des  mœurs  et  les  lumières  j 
ils  ont  toujours  voulu  que  le 
Clergé  se  distinguât  par  ses  con- 
naissances ,  par  ses  progrès  dans 
la  science  de  Dieu  ,  comme  par 
ses  vertus.  Car  rien  n'est  plus 
capable  de  porter  l'esprit  des  peu- 
ples à  la  piété  et  à  la  Religion , 
rien  n'est  plus  propre  à  l'enflam- 
mer de  ce  feu  sacré  ,  que  l'exem- 
ple et  les  lumières  de  ceux  qui 
se  sont  consacrés  au  saint  Minis- 
tère. C'est  pourquoi  l'Eglise  a 
toujours  eu  soin,  en  établissant 
à  ce  sujet  les  lois  les  plus  sages, 
que  les  jeunes  clercs  ,  dans  les 
séuiinaires  ,  fussent ,  dès  leur  bas 
âge  ,  formés  surtout  à  la  piété ,  à 
toute  vertu  comme  h  toute  science, 
afin  qu'ils  fussent  dans  le  temps 
d'utiles  instrumens  dans  la  main 
du  Tout-Puissant,  de  vrais  mi- 
nistres de  Jésus-Christ  ;  afin  ,  di- 
sons-nous ,  qu'envoyés  travailler 
dans  la  Vigne  ,  ils  en  rapportas- 
sent des  fruits  ,  et  que  ,  combat- 
tant pour  le  Seigneur  ,  ils  servis- 
sent de  rempart  à  la  maisond'Israël. 
Et  s'il  a  toujours  fallu  travailler 
à  cette  œuvre  ,  la  cliose  est  sur- 
tout nécessaire  aujourd'hui  ;  c'est 
dans  les  temps  malheureux  et 
déplorables  où  se  trouve  non- 
seulement  la  Religion  mais  aussi 
le  pouvoir  civil ,  qu'il  faut  redou- 
bler desoinsctd'elTorts  ;  car  nous 
sommes  arrives  à  une  époque  où 


70 


Er.EF    DE    SA    SAIMETE. 


homines  non  solum  virtutis  et 
pielatislaade  floreantverum  eîiam 
litteris  severioribusque  disciplinis 
potissimuni  sacris  praesteiit,  quo 
tamquain  lucernaj  ardentes  iu- 
ceant  coraiu  hominibus  et  lo- 
quenies  quae  décent  sanam  doc- 
trinam  ,  possint  vafenimos  im- 
piorum conatusrefiingere,  fraudes 
detegere  ,  et  aculcata  sophisina- 
ta  ,  fallacesque  erroi'es  releilere  , 
atque  eoruni  obstruere  ora,  quo- 
rum labia  loquuntur  iniquitateni 
etlinguajmeditantiirmcndaciura. 
Non  mediocri  itaque  animi  nos- 
tri  vob^ptafe  a  Venerabilibus  Fra- 
tribus  Belgi  i  Archispiscopo  et  Epis- 
copis  aecepimus,  eosprovido  con- 
silio  ac  vohmtati  fel.  ineni.  Léo- 
nisXlIPrœdecessoris  nostri  ultro 
libenterque  obtempérantes  ,  et 
singulari  sollicitudiue  eorum  gre- 
gis  bono  atque  nlilitati  consulere 
cupientes,  clericorum  seminaria 
eorum  in  Diœcesibus  ita  consli- 
tuisse  ,  lit  juniores  clerici  ad  re- 
ligionem  ,  pietatem  ,  et  canoni- 
cam  disciplinam  veluti  novellœ 
plantationes  in  juventute  sua  ma- 
ture efformentur,  ac  litteris  sacris- 
que  prœsertim  disciplinis  naviter- 
qne  scienler  erudiantur.  Omnes 
enim  cujusqne  seminarii  clerici 
quinque  annos  amœnioribus  litte- 
ris ,  duo  pliilosophicis  disciplinis , 
quatuor  vero  sacra?  Theologiœope- 
ram  navare  debent.  Ut  autem  cle- 
rici studiorum  curriculo  in  semina- 
riis  peracto,  majores  sacris  in  stn- 
diis  profectusfacerc  possint  jiidem 
Venerabiies  fratres  altioris  ordinis 
Cathedras  Meclilinia3  pro})e  senii- 
narium  Metropolilanum  consti- 
tuendas  existimarunt ,  ut  prœs- 
tantiorc  ingénie  clerici  variarum 


des  hommes  corrompus,  mar- 
chant d'après  leurs  désirs  et  re- 
jetant, pour  ainsi  dire  ,  leurs  im- 
puretés  et  leurs  infamies,  essaient 
par  mille  systèmes  ,  par  mille 
crimes  et  monstruosités  ,  de  con- 
fondre ,  de  fouler  aux  pieds  et 
de  détruire  tous  les  droits  divins 
et  humains  ,  s'efForçant  en  outre , 
}>ar  leurs  attentats  impies  ,  d'é- 
branler ,  ou  pour  mieux  dire  ,  de 
renverser  totalement  l'édifice  de 
la  Religion ,  au  grand  détriment 
de  tous  les  fidèles  disciples  de  Jé- 
sus-Christ. II  faut  donc  travail- 
ler avec  un  redoublement  de  soins 
et  d'ardeur  ,  pour  que  les  Ecclé- 
siastiques se  distinguent  non- 
seulement  par  leur  vertu  et  leur 
piété,  mais  aussi  par  leurs  con- 
naissances dans  les  lettres ,  dans 
les  sciences  sérieuses  et  relevées  , 
et  surtout  dans  les  sciences  sa- 
crées ,  et  qu'ils  soient  comme  des 
lumières  qui  éclairent  le  monde  , 
parlant  le  langage  de  la  saine 
doctrine,  capables  de  faire  avor- 
ter les  ruses  des  impies,  de  ré- 
véler leurs  fraudes,  de  réfuter 
leurs  sophismesles  plus  subtils  et 
leurs  trompeuses  erreurs  ,  de  fer- 
mer la  bouche  à  ceux  dont  les 
lèvres  ne  distillent  que  l'ini- 
quité ,  dont  la  langue  est  l'in- 
strument du  mensonge.  C'est  donc 
avec  un  grand  plaisir  que  nous 
avons  appris  de  nos  Vénérables 
Frères  rÀrchevèque  et  les  Evoques 
de  la  Belgique ,  que ,  pour  se 
conformer  aux  vœux  et  aux  sages 
dispositions  de  notre  Prédécesseur 
Léon  Xll ,  de  glorieuse  mémoire , 
et  désirant ,  avec  une  sollicitude 
peu  commune  ,  de  pourvoir  aux 
besoins  de  leur  troupeau  ,  ils  ont 


BUEF    1)E    SA     SAINTETÉ. 


71 


Diœcesiam  inecclesiasticas  disci- 
plinas penitiùs  addiscendas  in- 
cumbant ,  et  majore  doctrinœ  at 
qae  eruditionis  copia  instructi , 
graviora  munera  obire  et:  Eccle- 
siœ  ornamento  ac  prsesidio  esse 
valeant.  Amplam  propterea  do- 
mum  ipsi  Venerabiles  Fratres 
coinmuni  aère  in  Metropolitana 
civitale  parandam  curarunt ,  in 
qua  sex  professores  et  quadraginta 
alurani  commorari  possunt.  Ve- 
rum  ut  ejusdem  instiluli  decus 
et  splendor  augeaturalque  alum- 
norum  animi  acriori  quodani  sli- 
mulo  ad  scientiam  acquirendam 
■virtutemque  amplectendam  exci- 
tentur,atqueinilammenlur,iidem 
Venerabiles  Fratres  summopere 
cuperent  doctoris  lauream  alios- 
que  gradus  in  sacra  Theologia  et 
in  jure  canonico  illis  instituti 
alunmis  posse  donari  qui  doctrinse 
facto  periculo  ,  non  soluni  scien- 
tiae  laude  verum  eliam  egregiis 
aliis  auimi  ingeniique  doîibus  ce- 
teris  antecellunt.  Ouocirca  a  no- 
bis  poslularunt  ut  commemorafo 
Mechliniœ  institnto  seu  Magno 
seminario  ex  nostra  indulgentia 
facultatem  tribuere  velimus  con- 
fereudi  doctoris  laureas  ceteros- 
que  gradus  quemadmodum  in 
studiorum  nnivcrsilatibns  fieri 
solet.  Nos  ver6  quibus  nihil  po- 
tins ,  nihil  gratins  ,  niliilque  prœ- 
stabilius  esse potest  quam  univers! 
Doniiuici  gregis  saluli  maxiina  vi- 
gilaiitia  prospicere  et  rect;c  cccle- 
siaslicoruminstitutioniproviribus 
consulere  ,  ut  in  tantaleinporum 
asperitate  virtutum  omnium  ap- 
paratu  ornati  et  spiritu  sapicnlia; 
atquc  intellectus  repleli ,  possint 
œdificare    Domini   domum  fide- 


organisé  leurs  séminaires ,  diocé- 
sains de  manière  que  les  élèves 
y  sont  formés ,  de  bonne  heure  , 
comme  de  jeunes  plantes  ,  à  la 
Religion  ,  à  la  piété ,  au  droit 
canon  ,  et  qu'ils  s'instruisent  avec 
soin  et  solidement  dans  les  lettres 
et  sur-tout  dans  les  sciences  sacrées. 
Tous  les  élèves  de  chaque  sémi- 
naire ,  outre  cinq  années  d'hu- 
manités ,  ont  à  faire  un  cours  de 
philosophie  de  deux  ans  ,  et  un 
cours  de  théologie  de  quatre  ans. 
Or  ,  pour  que  les  jeunes  élèves  , 
ajjrès  avoir  achevé  leur  cours  d'é- 
tudesdans  les  séminaires,  puissent 
pénétrer  plus  avant  dans  les  scien- 
ces ecclésiastiques,  nos  Vénéra- 
bles Frères  ont  cru  devoir  ériger , 
près  du  sénnnaire  métropolitain 
de  Malines  ,  des  chaires  d'un  or- 
dre plus  élevé,  afin  que  les  élèves 
les  plus  distingués  des  difFcrens 
diocèses  puissent  aller  là  se  livrer  à 
des  études  i)lus  sérieuses  et  appro- 
fondir vraiment  les  sciences  sa- 
crées ,  etque  revenant  dclàchargés 
d'une  riche  moisson  de  connais- 
sances et  d'érudition,  ils  soient 
en  état  de  remplir  les  emplois  les 
])lus  importans  et  puissent  servir 
d'ornement  et  de  soutien  à  l'Eglise. 
C'est  pour  cette  raison  que  nos 
Vénérables  Frères  ont  eu  soin  de 
préparer  ,  à  frais  communs ,  dans 
la  Métropole  ,  une  vaste  maison 
capable  de  recevoir  six  proiesseurs 
et  quarante  élèves.  Mais  pour 
donner  plus  d'éclat  et  de  splen- 
deur à  cet  établissement ,  pour 
exciter  en  même  temps  et  animer, 
par  un  aiguillon  plus  puissant , 
les  jeunes  gens  à  s'enrichir  de  scien- 
ces et  de  vertus  ,  nos  Vénérables 
Frères  désireraient  vivement  que 


72 


BREF    DE    SA.    SAINTETE. 


lem  ,  poteules  ia  opère  el  ser- 
mone coram Deo  et  omni  populo, 
eorumdem  V^enerabiliumFratrum 
volis  quam  Ubenfissime  annuen- 
dum  censuimus.  Omnes  igitur  et 
singuîos  quibus  hœ  littcrœ  favent 
paterna  benevoîentia  prosequi  vo- 
ienles  et  a  quibusvis  excomnmni- 
cationis  ,  suspcnsionis  ,  et  inter- 
dicti  aliisque  ecclesiaslicis  censu- 
ris,  sentenlijs,  etpœnis,  quovis 
modo  ,  et  quacumque  de  causa 
latis  si  quas  forte  incurrerint , 
hujus  tantum  rei  gratia  absolven- 
tes  et  absolulos  fore  censenfes  , 
auctoritate  noslra  Apostolica  liisce 
litteris  perpétue  facullalem  faci- 
rnus  atque  impertimur  ut  in  am- 
pla  donio  seu  magno  Mechlinia; 
Clericorum  seminario  de  quo  ha- 
bita menlio  est ,  ils  qui  codera 
in  seminario  seu  instiîuto  mo- 
rantes  ,  sludiorum  curriculo  rite 
confecto  et  doctrinse  facto  pericu- 
lo  ,  scieiitia  et  pietafe  ceteris  an- 
tecellunt ,  Doctoris  laurea  allique 
gradus  tamin  sacra  Theologia  qua 
in  jure  canonico  libère  et  licite 
conferri  possint  eodem  prorsus 
modo  ac  ratione ,  quibus  in  pu- 
blicis  Atlienœis  seu  Universita- 
tibus  fieri  solet.  Atque  idcirco 
concedlmus  et  indulgemns  ,  vo- 
lumus  atque  mandamus  ut  ii 
omnes  qui  eosdem  gradus  et 
Doctoris  laureas  vel  in  sacra  Theo- 
logia vel  in  jure  canonico  eodem 
ininslituto  seu  Magno  Blechliniae 
seminario  adepli  fuerint ,  omni- 
bus elsingulisquibusqucjuribns , 
privilegiis,  prœrogativis,  indultis 
quocumque  nomine  appcUandis 
utantur  ,  fruantur  atque  uti  et 
frui  possint  quibus  utuntur  et 
fruuntur  vel  uti  ac  frui  possunt 


les  élèves  de  cette  maison  qui 
l'emporteraient  sur  leurs  condisci- 
ples non-seulement  par  leur  sa- 
voir mais  aussi  par  d'autres  bon- 
nes qualités  du  cœur  et  de  l'esprit, 
pussent  recevoir  le  diplôme  de 
docteur  en  Théologie  et  en  droit 
canon  et  les  autres  grades  usités  , 
après  qu'ils  auraient  donné  des 
preuves  de  leur  capacité.  En  con- 
quence ,  ils  nous  ont  prié  de  vou- 
loir bien  accorder  au  susdit  éta- 
blissement ou  grand  séminaire  de 
Malines  ,  le  pouvoir  de  conférer 
le  grade  de  docteur  et  les  autres 
grades ,  comme  cela  se  pratique 
dans  les  universités.  Or,  comme 
le  plus  important  et  le  plus  agréa- 
ble de  nos  devoirs  est  de  veiller 
avec  soin  au  salut  de  tout  le 
Troupeau  du  Seigneur  ,  et  de 
travailler  de  toutes  nos  forces  à 
la  bonne  instruction  des  Ecclé- 
siastiques ,  afin  qu'au  milieu  des 
tristes  circonstances  où  nous  vi- 
vons, ornés  de  toutes  les  vertus 
et  remplis  de  l'esprit  de  sagesse 
et  d'entendement ,  puissans  en 
paroles  et  en  œuvres  ,  ils  puissent 
bâtir  une  maison  fidèle  au  Sei- 
gneur ;  nous  avons  éprouvé  beau- 
coup de  satisfaction  à  répondre 
aux  vœux  de  nos  Vénérables 
Frères.  Voulant  donc  montrer 
notre  bienveillance  paternelle  à 
tous  ceux  ,  en  faveur  de  qui  cette 
lettre  est  écrite,  et  les  absolvant , 
si  besoin  est ,  de  toute  excom- 
munication, suspense,  interdit 
et  de  toutes  autres  censures,  sen- 
tences et  peines  ecclésiastiques , 
de  quelque  manière  et  pour  quel- 
que sujet  qu'ils  puissent  les  avoir 
encourues  ;  usant  à  leur  égard  de 
notre  autorité  apostolique  ,  nous 


BREF    DE    SA    SAINTETÉ. 


73 


et  poterunt  alii  omnes  qui  gradus 
eosdem    et  Doctoris  laureas  pu- 
blicis  in  gymnasiis  seu  Universi- 
tatibus  consequuntur.  Haec  con- 
cedimus  alqne  indulgemus,  vo- 
luuius  ,  prœcipimus  atque  man- 
damus    deccrnentes   lias    litteras 
firmas  validas  et  eflicaces  existere 
et  fore  suosque  pleuaiios  et  intè- 
gres efleclus  sorliri  et  oblinere  , 
dicfisque  in  omnibus  et  per  om- 
nia  plenissinie  suiTragan  sicque  in 
prsemissis  per  quoscunique  judi- 
ces  ordinarios  et  dclegatos  etiam 
causarum   Palatii  Aposlolici    Au- 
ditores  sedis  Apostolicse   nuntins 
ac  sanctae  Ronianae  Ecclesiae  Car- 
dinales etiam  de  latere  legatos  , 
sublafa  iis ,    et  eorum   cuilibet, 
quavis  aliter  judicandi  et  inter- 
pretandi    l'acultate   et  auctoritate 
jadicari  et  deliniri  dcbcre  ,  ac  ir- 
rituni  et  inane  si  secus  super  bis 
a    quoquam    quavis    auctoritate 
scienter  vel  ignoranter  contigerit 
attentari.  Non  obstantibus  Apos- 
tolicis  ac  universalibus  provincia- 
libusque  et  synodalibus  conciliis 
edilis  generalibus  vel  specialibus 
constilulionibus  et  ordinationibus 
ceterisquc  etiam  spécial!  et  indi- 
vidua  nientione  dignis  in  contra- 
riiun  facienlibus  quibuscumque. 
Dalum  llonia;apiidS.  Petrum  sub 
annule  Piscatoris  die  VIII  apri- 
lis  MDGGCXXXIV.  Poutiûcatus 
noslri  anno  IV. 
Pru  Domino  Cardinali Mj^M:\0 
A.  PICCHIONI    suhstlt utils. 
Colla'uin  concordat  cum  originali. 
Roniie  die  la  aprilis  1834. 
J.    CAPACCIJNI,  secrelariœ  sta- 
tus  substilutus. 


leur  accordons  à  perpétuité ,  par 
cette  lettre ,  le  pouvoir  de  con- 
férer librement  aux  élèves  de  l'é- 
tablissement ou  grand  séminaire 
deMalines ,  lesquels  se  distinguant 
par  leur  savoir  et  par  leur  })iété  , 
auront  subi  les  examens  néces- 
saires ,  le  diplôme  de  Docteur  et 
les  autres  grades  en  Tbéologie  et 
en  Droit  canon  ,  absolument  de 
la  même  manière  que  cela  se  fait 
dans  les  Athénées  et  dans  les  Uni- 
versités. Et  c'est  pourquoi  nous 
accordons  ,  octroyons ,  voulons  et 
ordonnons  que  tous  ceux  qui  au- 
ront obtenu  ces  grades  elle  diplôme 
de  Docteur  en  Théologie  ou  ea 
Droit  canon,  dans  le  susdit  grand 
séminaire  de  Malines  ,  jouissent 
de  tous  les  droits ,  privilèges  ,  pré- 
rogatives ,  induits ,  sous  quelque 
nom  qu'ils  puissent  être  désignés  , 
dont  jouissent  et  peuvent  jouir  tous 
ceux  qui  obtiennent  ces  mêmes 
grades  dans  les  Gymnases  publics 
ou  dans  les  Universités.  Nous 
accordons  ,  octroyons  ,  etc. 

Pr  Mgr.  le  Cardinal  ALBANI  ^ 
A.   PICCHÎOM,   Substitut. 
Collationné     et  reconnu  con- 
forme à  l'original. 
Rome  ,  le  12  avril  iS34- 
J.  CAPPACCINI,  Substitut  du 
Secrétaire  d'Etat. 


74 

«A,^vMvvv,vv^VMVv»vv^vv»vv«vv»vv^vv»^/v»vv»vMvv>.vv^vv^-^A*^^vv^vvkvv^vv^vv^vv»vv^*^ 

CIRCULAIRE 

BES    ÉVÉQUES    DE   BELGIQUE 

POUR 

L'OUVERTURE    DES    COURS    DE    L'UNIVERSITÉ 
CATHOLIQUE. 

NOS  TRÈS-CHERS  FRÈRES  , 

Nous  avons  fait  naguères  un  appel  à  votre  générosité  ,  à  l'effet  de 
nous  aider  à  établir  une  Université  catholique  :  nous  éprouvons  au- 
jourd'hui la  bien  douce  consolation  de  pouvoir  vous  témoigner  notre 
reconnaissance  pour  le  zèle  avec  lequel  vous  y  avez  répondu.  Nous 
nous  hâtons  de  vous  annoncer ,  et  nous  espérons  que  vous  aurez 
quelque  satisfaction  à  l'apprendre  de  notre  bouche  ,  que  les  sous- 
criptions de  cette  année  suffisent  pour  commencer  cette  œuvre  im- 
portante. 

Honneur  donc  aux  catholiques  belges  ,  qui  ofi'rent  pour  leurs  en- 
tans  ,  dans  l'établissement  d'une  Université  catholique ,  les  moyens 
de  faire  faire  à  la  science ,  basée  sur  la  religion  ,  tous  les  progrès 
que  réclame  la  civilisation  de  notre  époque.  Continuez  ,  fidèles  ouail- 
les ,  à  unir  vos  efforts  aux  nôtres  ;  le  Ciel  les  couronnera  d'un  heu- 
reux succès. 

Après  avoir  pris  l'avis  de  plusieurs  personnes  distinguées  par  leur 
position  sociale  et  leur  haute  capacité  ,  nous  avons  résolu  d'ouvrir 
l'Université  vers  le  1"^'' novembre  de  cette  année  :  cette  ouverture  aura 
lieu  à  Malines  ,  où  l'Université  commencera  par  la  faculté  de  Théo- 
logie ,  la  faculté  de  Philosophie  et  Lettres ,  et  celle  des  Sciences 
mathématiques  et  physiques.  La  faculté  de  Théologie,  établie  dans 
le  séminaire  provincial  ,  sera  fréqueuléc  par  les  ecclésiastiques  qui 


CIRCULAIRE    DES    ÉVEQUES    DE    BELGIQUE.  75 

ont  déjà  aclievé  leurs  conrs  de  théologie  au  séminaire  diocésain  ,  et 
qui  désirent  acquérir  une  connaissance  plus  étendue  des  sciences  sa- 
crées. Notre  Saint  Père  le  Pape  Grégoire  XVÏ  a  daigné  nous  autoriser 
à  leur  conférer  les  grades  tant  en  théologie  qu'en  droit  canon  ,  par 
brel"  spécial  en  date  du  8  avril  1834. 

Quant  à  la  faculté  de  Philosophie  et  Lettres  et  à  celle  des  Scien- 
ces ,  comme  elles  forment  la  préparation  nécessaire  aux  autres  étu- 
des ,  nous  avons  cru  devoir  canimencer  par  elles  et  nous  y  borner 
cette  année  :  mais  nous  sommes  pleins  de  confiance  que  déjà  dans 
le  courant  de  la  seconde  année  ,  nous  pourrons  compléter  l'ensei- 
gnement académique  par  l'établissement  des  facultés  de  Droit  et  de 
Médecine. 

Cependant  nous  aimons  à  exprimer  dès  à-présent  un  vœu  que  nous 
désirons  vivement  voir  s'accomplir  ,  c'est  qu'à  l'Université  catholique- 
les  études  philosophiques  soient  fortes  et  solides.  On  est  généralement 
convaincu  que  c'est  de  là  que  dépend  le  succès  des  études  en  droit 
et  en  médecine  ,  et  que  même ,  si  trop  souvent  dans  ces  dernières 
facultés  les  élèves  répondent  peu  aux  espérances  que  l'on  était  en 
droit  de  concevoir  d'eux ,  il  faut  principalement  l'attribuer  au  dé- 
faut de  bonnes  études  préparatoires.  C'est  pour  cette  raison  que  dans 
l'Université  catholique  nous  allons  offrir  aux  élèves  de  la  faculté  de 
Philosophie  et  Lettres ,  et  de  celle  des  Sciences ,  toutes  les  facilités 
qu'eux-mêmes  pourront  désirer,  afin  d'approfondir  la  seconde  année 
les  études  qu'ils  auront  commencées  la  première.  Il  n'en  résultera 
d'ailleurs  aucun  obstacle  à  suivre  en  même  temps  cette  seconde  an- 
née les  y)remiers  cours  de  Droit  et  de  Médecine. 

Nous  ferons  connaître  l'époque  où  s'assemblera  la  commission  de- 
vant laquelle  devront  se  présenter  les  élèves  qui  désirent  prendre 
leur  inscription.  Pour  la  faculté  de  Philosophie  et  Lettres  et  pour 
celle  des  Sciences,  les  élèves  seront  tenus  d'exhiber  un  certificat  de 
bonne  conduite  et  un  autre  certificat  constatant  qu'ils  ont  régulière- 
ment terminé  leurs  humanités.  Aux  élèves  de  la  faculté  de  théologie 
il  suffira  de  produire  un  certificat  de  leur  ordinaire. 

Nous  terminerons  celte  lettre,  N.  T.  C.  F. ,  comme  celle  que  nous 
vous  avons  adiessée  au  mois  de  février  de  celte  année ,  en  vous  ex- 
hoi  tant  de  tout  notre  cœur  à  ajouler  aux  cfforls  de  votre  boinie  vo- 
iouléles  plus  ferventes  ju'ièrcs.  Nous  avons  placé  l'Univcrsilé  catlio- 


76       DISCOURS    SUR    l'origine  ,    LE    DEVELOPPEMENT    ET    LE 

lique  sous  la  protection  de  la  Reine  des  Gieux.  L'époque  approche 
où  l'Eglise  célèbre  son  Iriomphe.  Profitez  ,  N.  T.  G.  F. ,  de  ces  jours 
de  dévotion  pour  obtenir  les  eflPets  de  sa  puissante  intercession  sur 
une  œuvre  qui  intéresse  si  vivement  le  bien-être  de  la  religion  et  de 
la  patrie. 

Donné  en  juillet  ISS^'. 

f  ENGELBERT  ,  Archevêque  de  Malines. 
f  JEAN-JOSEPH ,  Evêque  de  Tournay. 
f  JEAN-FRANÇOIS ,  Evêque  de  Gand. 
f  CORNEILLE ,  Evêque  de  Liège. 
f  JEAN-ARNOLD ,  Evêque  de  Namur. 
f  FRANÇOIS ,  Evêque  adm'  de  Bruges. 

VX^V\'V*'VVVV'*,»iAfVVVVVV*  VVVVVl(V\'VV\A''VV*VVWVVV\/V/*VV»VV\lVVVVV\VVVVVV\AiiVvVV 


DISCOURS  sur  l'Origine,  le  Développement  et  le  Caractère 
des  Types  imitalifs  qui  constituent  V Art  du  Christianisme  ; 
par  M.  Raoul-Rochetle  (1). 

L'auteur  distingue  trois  systèmes  dans  les  arts  :  le  système  égyp- 
tien ,  qui  était  celui  de  l'ancienne  civilisation  orientale;  le  système 
grec ,  qui  embrasse  toute  l'autiquitë  classique ,  et  le  système  chré- 
tien ,  qui  comprend  tout  l'art  des  modernes.  L'art  chrétien,  d'accord 
en  ce  point  avec  l'art  antique,  qu'il  prit  aussi  la  nature  pour  guide 
et  pour  modèle  ,  s'exerce  sur  des  types  différens ,  et  de  manière  à 
intéresser  le  sens  moral  plus  encore  qu'à  flatter  le  sens  physique. 
L'art  du  christianisme  produisit  dans  la  région  imitative  une  révo- 
lution pareille  à  celle  que  le  christianisme  lui-même  avait  opérée 
dans  le  monde  moral.  Mais  comment  se  formèrent  les  types  de  ce 
nouveau  monde  idéal;  et  à  travers  quelles  modifications  successives 
l'art  chrétien  est-il  parvenu  aux  chefs-d'œuvre  modernes  ?  C'est  là 

(i)  In-8o.  Prix  :  2  fr.  ,  et  2  fr.  5o  c.  franc  de  port.  A  Paris,  chez 
Adrien  Le  Clerc  et  C« ,  quai  des  Augustins ,  n"  35. 


CARACTÈRE    DES    TYPES    IMITATIFS    QUI    CONSTITUENT,  ETC.  77 

ce  que  M.  Raoul-Rochette  recherche  avec  autant  de  sagacité  que 
d'e'rudition.  Nous  essaierons  de  donner  une  idée  abrégée  de  son 
travail  sur  un  objet  qui  peut  offrir  quelque  intérêt  h  nos  lecteurs. 

Dans  le  monde  pittoresque ,  tel  que  l'a  conçu  l'art  du  christia-" 
nisme,  se  présentent  d'abord  deux  grandes  figures  idéales,  l'Homme- 
Dieu  et  la  Sainte-Vierge;  puis  les  apôtres,  les  martyrs  et  les  autres 
saints  personnages  qui  appartiennent  k  l'histoire  de  lEglise.  Dans 
le  premier  âge  de  PEglise,  on  ne  paraît  pas  avoir  eu  des  portraits 
authentiques  du  Sauveur,  de  la  Sainte-Vierge  et  des  apôtres.  L'hor- 
reur que  l'on  avait  pour  l'idolâtrie  encore  subsistante  fît  compren- 
dre dans  la  même  proscription  les  monumens  de  l'art  qui  servaient 
de  base  et  d'ornement  au  paganisme.  Aussi  ne  citerait-on  guère , 
dans  les  premiers  siècles,  un  ouvrage  d'art  sorti  de  mains  chré- 
tiennes, et  Eusèbe  semble  l'insinuer  des  portraits  du  Christ  et  des 
apôtres  qui  circulaient  de  son  temps.  Saint  Augustin  déclare  qu'on 
ignorait  de  son  temps  quelle  était  la  figure  du  Sauveur,  ce  qui 
achève  de  montrer  que  les  images  attribuées  à  saint  Luc  ou  a  d'au- 
tres méritent  peu  de  confiance.  Les  petites  figures  du  Christ  qui 
circulèrent  vers  le  m  siècle  étaient  probablement  l'ouvrage  des 
gnostiques ,  et  étaient  faites  pour  ces  sectaires  ;  les  chrétiens  purent 
les  adopter  à  mesure  que  l'idolâtrie  s'affaiblissant ,  l'ancienne  aver- 
sion pour  elle  s'affaiblissait  aussi.  On  a  encore  aujourd'hui  de  ces 
figures,  et  M.  Raoul-Rochette  a  fait  graver  au  frontispice  de  sa 
dissertation  une  pierre  sur  laquelle  est  une  tête  de  Christ  avec  le 
mot  Christou  en  caraclères  grecs;  cette  pierre  est  dans  le  cabinet 
de  M,  le  marquis  de  Fortia  dUrban. 

La  plus  ancienne  image  du  Sauveur,  due  h  un  pinceau  chrétien, 
que  le  temps  nous  ait  conserve'e ,  est  celle  qui  se  voit  à  la  voûte 
d'une  chapelle  du  cimetière  de  Saint-Callixte,  à  Rome.  On  y  trouve 
le  type  de  la  figure  du  Christ ,  tel  qu'il  avait  été  fixé  d'abord  dans 
le  sein  de  l'Eglise  grecque,  et  tel  qu'il  fut  adopté  généralement  en 
occident  vers  le  v*  siècle.  Le  Sauveur  y  paraît  avec  une  figure  ovale, 
une  physionomie  grave  et  douce,  la  barbe  courte  et  rare,  etc.  Ce 
type  se  reproduit  dans  toutes  les  œuvree  de  l'art  byzantin  et  dans 
toutes  les  imitations  qui  en  furent  faites  en  occident. 

On  peut  dire  de  la  Sainte-Vierge  la  même  chose  que  du  Sauveur. 
Saint   Augustin  reconnaissait  qu'on  n'avait  pas,  de  son  temps,  la 


78       DISCOURS    SUR    l'0RIGI>'E,     LE    DÉVELOPPEMEJVT    ET    LE 

figure  dejla  Sainte -Vierge.  Les  plus  anciens  portraits  ont  ete  for- 
més d'après  un  type  idéal  qui  oCfre  l'expression  de  la  beauté  et  de 
la  pureté.  Dans  le  moyen-âge,  on  imagina  de  donner  à  la  Sainte- 
Vierge  une  couleur  noire ,  peut-être  d'après  ces  mots  du  Cantique 
des  Cantiques ,  nigra  sum  sed  formosa.  L'auteur  parle  ici  des  ma- 
dones dites  de  Saint  Luc,  si  communes  en  Italie,  et  qui  datent  du 
moyen-âge  ;  il  ne  croit  pas  que  leur  authenticité  puisse  soutenir  la 
critique. 

Pour  les  apôtres,  nous  apprenons  encore  par  saint  Augustin  qu'on 
n'avait  point  leurs  portraits  véritables,  et  cependant  des  images  du 
Christ  et  des  apôtres  étaient  peintes  de  tout  côté  dans  les  églises; 
c'est  qu'on  avait  adopté  aussi  pour  eux  un  type  convenu  dont  on 
ne  s'écartait  pas.  L'auteur  le  montre  par  les  sarcophages  et  par  tout 
ce  qui  nous  est  resté  de  monumens  de  l'antiquité.  Il  est  assez  re- 
marquable, dit-il,  qu'à  Rome  les  scènes  de  martyre  furent  à  peu 
près  inconnues  tant  que  dura  l'ère  des  martyrs.  Il  décrit  cependant 
quelques  peintures  de  ce  genre  qu'il  regarde  comme  des  exceptions. 
Ce  n'est  que  vers  la  fin  du  vii^  siècle  que  les  représentations  de 
martyrs  se  multiplièrent.  Alors  on  voit  paraître  le  crucifix,  qui  ne 
se  trouve  jamais  dans  les  catacombes.  Les  premiers  crucifix  furent 
apporte's  de  Grèce  à  Rome  vers  le  même  temps,  ainsi  que  ces  pein- 
tures de  martyrs  et  d'anachorètes  ,  qui  furent  pendant  presque  tout 
le  moyen-âge  la  principale  occupation  des  artistes  bizantins,  pres- 
que tous  moines  eux-mêmes ,  et  souvent  aussi  martyrs  pendant  les 
persécutions  des  iconoclastes.  Ces  sujets  ne  se  retrouvent  plus  pour 
nous  que  dans  des  miniatures  de  manuscrits ,  ouvrages  de  moines 
grecs  ou  latins. 

Enfin  l'auteur  raconte  comment,  au  lieu  de  ces  maigres  ébauches, 
on  vit  tout  à  coup,  à  la  renaissance  des  arts,  le  génie  et  le  goût 
s'élever  à  une  haute  perfection. 

«  A  la  voix  des  pontifes  ,  au  sein  des  états  libres ,  toutes  les  idées 
chrétiennes  se  produisent  en  foule  dans  le  vaste  champ  qu'avait 
embrassé  la  grande  trilogie  du  Dante.  Entre  les  mains  d'un  Giotto 
et  d'un  Orgagna  ,  d'un  Nicolas  et  d'un  Jean  de  Pise,  tous  ces  types 
sacrés,  restés  inertes  dans  la  longue  léthargie  du  moyen-âge_^,  com- 
mencent à  s'animer  et  à  se  mouvoir.  Le  Sauveur  reparaît  avec  tout 


CARACTÈRE    DES    TYPES    IMITATIFS    QUI    CONSTITUENT,    ETC.    79 

SOD  caractère;  la  T^ierge,  avec  toute  sa  pureté;  comme  si,  au  sortir 
de  ces  profondes  ténèbres  du  moyen-âge  ,  il  s'agissait  encore,  pour 
l'un,  d'une  ascension  nouvelle,  et,  pour  l'autre,  d'un  nouveau 
triomphe.  Tout  respire ,  tout  vit ,  dans  le  domaine  du  christia- 
nisme ,  par  les  travaux  de  l'art  qui  le  féconde.  Les  apôtres,  les 
martyrs,  les  docteurs  renaissent  de  toutes  parts  à  une  existence  qui 
n'a  désormais  plus  rien  à  craindre,  ni  de  la  main  des  hommes,  ni 
des  atteintes  du  temps;  et  déjà  ,  dans  la  Mort  de  la  Sainte-Vierge , 
de  Giotto  ,  se  trouve  recréé  ,  en  traits  impérissables  ,  tout  le  monde 
idéal  du  christianisme,  chacun  avec  sou  caractère,  son  âge,  son 
costume;  et  déjà  le  Triomphe  de  la  Mort,  d'Orgagna,  au  Campo 
Santo  de  Pise,  annonce  le  Jugement  dernier  de  Michel-Ange.  Tout 
marche,  dans  cette  voie  nouvelle,  avec  un  ordre,  un  accord,  une 
régularité  admirables,  toujours  sous  la  double  et  puissante  influence 
de  la  religion  et  de  la  liberté,  sans  que  l'art  moderne,  qui  devait 
tout  au  christianisme,  empruntât  encore  presque  rien  à  l'antiquité, 
sans  que  le  respect  des  traditions  fît  rien  perdre  à  l'indépendance 
du  talent  et  à  l'originalité  de  l'artiste;  et  cette  longue  et  brillante 
carrière  où  chaque  pas  dans  la  même  route  est  marqué  par  un  nou- 
veau progrès  ;  où  tant  de  talens  divers  ne  cessent  de  puiser  à  la 
même  source  ;  où  ,  partout ,  des  hommes  doués  de  facultés  si  dif- 
férentes,  mais  animés  du  même  esprit,  tels  que  Francia  et  Ghir- 
landaio  ,  Pinturicchio  et  Perugiu,  Mantegna  et  Masaccio,  se  trou- 
vent arrivés,  presque  en  même  temps,  si  près  de  la  perfection  5  celte 
carrière ,  remplie  de  trois  siècles  de  travaux  et  de  chefs-d'œuvre  , 
tous  chrétiens,  par  le  sujet,  par  la  physionomie,  par  le  costume, 
aboutit  enfin  à  Fra  Bartholommeo ,  à  Léonard  de  Vinci  et  à  Ra- 
phaël, par  les  mains  desquels  se  montre  définitivemeut  accompli 
le  triomphe  des  idées  chrétiennes  ,  dans  le  miracle  même  de  l'i- 
mitation. » 

M.  Raonl-Rochette  déplore,  en  finissant,  les  invasions  du  mau- 
vais goût ,  qui  s'est  écarté  de  la  route  tracée  par  les  grands  maîtres. 
Son  Discours,  qui  a  été  lu  à  l'Acade'mie  des  beaux-arts,  annonce 
beaucoup  de  recherches,  d'étude,  de  tact  et  de  goût.  En  s'expli- 
quant  sur  des  sujets  qui  touchent  plus  ou  moins  h  la  religion  ,  l'au- 
teur le  fait  avec  une  sage  réserve  que  n'ont  pas  toujours  les  savans. 
Son  langage  offre  constamment  non- seulement  ces  égards  extérieurs 


\ 


\ 


80  LIVRE    DE    MORALE    ET    d'inSTRUCTION    RELIGIEUSE. 

qu'on  doit  à  la  religion  de  son  pays,  mais  encore  ce  respect  qui 
naît  d'une  conviction  inte'rieure  et  profonde.  —  L'Ami  de  la  Re- 
ligion ,  n"  2*279. 

*VV\  V^A  \AA  \AA  %*\  VV%  V-V^  ^A^  VV\  VVA  VV\  VV\  VV»  VV\  X A/\AAAAA/\ -VV» 'VV\  ^AA  V V\  V\A  VV\  VV^ -VV*  VV\ /VV»  VV»  VV»  VV*  .VV% 

IiIVKE    SE   raORAIiC    ET    D'IBTSTKUCTIOSï    REI.IGIEUSE 

A    l'usage    des    ECOLES    ELEMENTAIRES.     1834,    in-12. 

Ce  titre  suppose  déjà  une  erreur  :  pent-il  y  avoir  une  morale 
avant  ou  sans  religion  ?  Le  philosophe  répond  :  Oui.  Le  bon  sens, 
l'histoire,  la  raison  même  répondent  :  Non.  La  morale  est  une  rè- 
gle antérieure  à  toute  société  ;  l'homme  n'a  pu  la  faire  ou  se  l'im- 
poser à  lui-même  :  elle  vient  donc  de  Dieu  ;  et  toute  loi  divine  qui 
a  pour  objet  de  diriger  l'homme  fait  nécessairement  partie  de  la 
religion. 

Du  titre  passons  à  l'ouvrage.  Il  renferme  un  abrégé  de  l'ancien 
et  du  nouveau  Testament,  et  un  abrégé  du  Catéchisme.  Ce  n'est 
pas  une  œuvre  ennemie ,  car  elle  ne  renferme  point  des  erreurs 
du  moins  d'une  certaine  gravité  ,  mais  une  oeuvre  rivale.  Expliquons- 
nous  :  Tous  les  livres  catholiques  pour  l'enseignement  religieux 
étaient  soumis  jusqu'ici  à  lapprobation  de  l'ordinaire.  Le  Catéchisme 
e'manait  toujours  de  la  même  autorité  ;  les  commentaires  destinés  à  le 
de'velopper  n'étaient  livre's  au  public  qu'après  qu'elle  les  avait  exa- 
minés et  autorises.  Le  Lii^re  de  Morale  et  d'Instruction  religieuse 
paraît  avec  la  seule  approbation  du  conseil  royal,  qui ,  peu  content 
du  monopole  scientifique  et  littéraire  ,  fait  déjà  un  pas  pour  s'em- 
parer du  monopole  de  Ja  foi.  Ce  fait  est  grave,  très-grave  ;  il  exci- 
tera ,  je  n'en  doute  point ,  l'attention  des  e'vêques. 

Si  la  doctrine  ne  constitue  pas  la  religion  tout  entière ,  elle  en 
est  incontestablement  l'appui  et  le  fondemnet  nécessaire.  Enseignez 
la  doctrine,  vous  enseignez  les  dogmes,  la  morale  et  les  principes 
sur  lesquels  reposent  le  culte,  la  hiérarchie,  la  discipline,  le  catho- 
licisme tout  entier  :  d'où  il  suit  que  celui  qui  se  rend  maître  de 
l'enseignement  religieux  aspire  à  s'emparer  de  ce  qui  fait  la  vie 
même  de  la  religion.  L'auteur  usurpe  donc  une  des  attributions  les 


LIVRE    DE    MORALE    ET    D  INSTRUCTION    RELIGIEUSE.  81 

plus  essentielles  de  l'e'piscopat  en  publiant  un  livre  élémentaire  de 
la  doctrine  chrétienne.  Je  ne  sais  comment  concilier  son  entreprise 
avec  la  notion  qu'il  nous  donne  de  l'Eglise.  Si  elle  est,  comme  il 
l'affirme ,  soumise  à  un  gouvernement  dont  le  Pape  est  le  chef  visi- 
ble, il  sera  facile  de  prouver  que  le  premier  droit  comme  le  premier 
devoir  de  ce  pouvoir  est  d'enseigner  ce  qu'il  a  la  présomption  d'en- 
seigner à  sa  place  ou  concurremment  avec  lui. 

C'est  à  la  concurrence  que  se  bornent  ses  prétentions.  Cet  ex- 
trait, dit-il ,  uniquement  destiné  aux  écoles ,  ne  dispense  point 
du  catéchisme  diocésain.  Mais  si  le  vôtre  ,  que  vous  n'avez  publié 
sans  doute  que  parce  que  vous  l'avez  cru  pre'férable,  est  appris  par 
les  élèves  pourquoi  leur  en  faire  apprendre  un  second?  Si  vous 
avez  pu  le  rédiger ,  de  quel  droit  défendrez-vous  aux  instituteurs 
de  le  commenter  ?  La  conséquence  est  rigoureuse.  La  loi  rehgieuse 
émanée  de  l'université' doit  naturellement  être  expliquée  par  ses  sub- 
ordonnés. Que  l'évêque  fasse  apprendre  ,  expliquer  son  catéchisme  , 
c'est  son  aS'airej  mais  les  enfans  qui  sauront  de'jà  la  lettre  du  li- 
vre universitaire ,  et  qui ,  grâce  aux  doctes  commentaires  du  maître 
d'école  ,  en  auront  compris  le  sens  et  l'esprit ,  n'auront  que  faire 
des  explications  du  cure'.  Apprendre  deux  fois  la  lettre,  c'est  brouiller 
leur  me'moire  ;  c'est  porter  la  confusion  dans  leur  esprit  que  de  leur 
en  offrir  des  développemens  différens  ,  lors  même  que  le  fonds  ne  se- 
rait pas  changé. 

Nous  connaissons  du  reste  des  diocèses  où  les  écoles  primaires 
sont  très-fréquentées,  et  oii  la  lettre  du  Catéchisme  diocésain  n'est 
apprise  que  par  les  soins  de  l'instituteur.  S'il  est  remplacé  par 
celui  de  l'université,  le  cure',  qui  ne  voudra  pas  commenter  ce 
dernier ,  sera  re'duit  à  expliquer  un  texte  inconnu.  La  conséquence 
de  ce  nouveau  mode  de  transmettre  l'enseignement  religieux  est  de 
faire  demander  :  A  quoi  bon  des  prêtres  ,  lorsque  des  maîtres  d'école 
nous  suffisent? 

Etrange  prétention  de  l'université'!  Ce  n'est  pas  assez  pour  elle 
d'avoir  chassé  le  sacerdoce  d'un  genre  d'enseignement  qui  ne  de- 
mande d'autre  mission  que  la  confiance  des  pères  de  famille,  et 
d'autre  condition  qu'une  capacité  et  une  sagesse  de  conduite  recon- 
nues, il  lui  faut  usurper  aussi  l'enseignement  de  la  religion,  afin 
d'y  porter  ses  doctrines  vides  de  foi  alors  même  qu'elles  sont  or- 
T.  X.  6 


82         LIVRE    DE    MOEALE    ET    d'iNSTRUGTION    RELIGIEUSE. 

thodoxes.  Nous  disons  vides  de  foi,  cela  n'est-il  pas  évident,  lors- 
qu'en  donnant  un  catéchisme  catholique,  elle  annonce  que  les 
protestans  auront  aussi  le  leur?  Ainsi,  la  même  bouche  dira  oui 
et  non  sur  la  constitution  de  l'Eglise ,  sur  les  sacremens ,  sur  le 
purgatoire ,  sur  la  grâce ,  les  bonnes  œuvres ,  etc.  N'est-ce  pas  là 
une  de'rision  ,  et,  ce  qui  n'est  pas  moins  de'plorable  ,  une  leçon 
cl'indiffe'rence  ?  Quand  le  législateur  a  autorisé  la  liberté  des  cul- 
tes, il  n'a  voulu  ,  au  dire  même  des  philosophes,  que  respecter  des 
convictions  et  laisser  à  chacun  la  faculté  d'y  conformer  sa  conduite. 
Dès  lors  il  entrait  dans  sa  pensée  que  celui  qui  voudrait  être  catho- 
lique irait  au  pied  de  la  chaire  de  son  pasteur,  comme  le  protestant 
se  rend  au  prêche  de  son  ministre.  Mais  il  n'a  pu  concevoir  la  cou- 
pable hypocrisie  qui  adresse  au  calviniste  el  au  catholique  des  ensei- 
gnemens  contradictoires. 

On  assure  que  c'est  un  philosophe  (  M.  Cousin  )  descende!  de  la 
hauteur  de  ses  spe'culations  métaphysiques  pour  parler  aux  enfans  de 
nos  écoles ,  qui  a  rédigé  le  Livre  d^ Instruction  morale  et  religieuse. 
Si  cela  est,  on  conçoit  comment  Rome  et  Genève  lui  sont  également 
indifférentes  5  mais  on  ne  comprend  pas  si  facilement  comment  il  peut 
avec  la  même  conviction  adopter  tour  h  tour  leur  doctrine.  On  se 
plaint  que  la  religion  s'affaiblit  et  que  sa  ruine  entraîne  celle  des 
mœurs ,  et  on  la  traite  soi-même  de  manière  à  prouver  qu'on  est  dé- 
nué de  conviction.  Cependant ,  la  religion  est-elle  quelque  chose  sans 
la  foi  ? 

Nous  avons  supposé  jusqu'ici  que  la  doctrine  n'était  pas  altérée  ; 
mais  les  imitateurs  de  l'auteur  du  Livre  de  morale  ,  etc. ,  seront- 
ils  aussi  circonspects?  Voudront  ils  toujours  faire  le  sacrifice  de  ce 
qu'ils  appellent  leurs  lumières ,  et  de  ce  que  nous  appelons  leurs 
préjugés  ?  Quoi  !  au  xix.''  siècle  ,  faire  ce  que  l'on  faisait  au  i"  !  Ré- 
diger un  catéchisme  comme  saint  Cyrille  et  Bossuet!  Pas  un  pro- 
grès en  morale  et  en  religion,  lorsque  tout  progresse  dans  le  monde l 
Où  est  donc  l'obscurantisme,  s'il  n'est  dans  une  marche  aussi  ré- 
trograde ? 

Ces  réflexions  nous  dispenseraient  d'examiner  le  mérite  intrin- 
sèque de  l'ouvrage.  Nous  en  dirons  assez  toutefois  pour  faire  jager 
qu'il  suppose  une  autre  témérité  que  celle  d'enseigner  sans  mission. 
Dans  l'abrégé  de  l'ancien  Testament ,  l'auteur  n'a  ni  cette  exactitude 


LIVRE    DE    MORALE    ET    d'iNSTRUCTI05    RELIGIEUSE.  83 

qui  fait  éviter  jusqu'aux  plus  légères  erreurs ,  ni  cette  intelligence 
du  texte  qui  le  dc'veloppe  quelquefois,  sans  jamais  s'écarter  de  son 
esprit ,  et  sans  produire  une  seule  pensée  peu  en  harmonie  avec 
celle  de  l'écrivain  sacre.  Citons  des  exemples  :  la  Bible  ne  dit  nulle 
part  qu'au  moment  de  la  création  la  terre  parut  telle  que  nous  la 
voyons  au  printemps ,  que  les  plantes  et  les  arbres  étaient  cou- 
verts de  Jleurs.  Il  est  probable,  au  contraire,  qu'il  y  avait  aussi  § 
quelques  fruits  pour  nourrir  l'homme  et  les  animaux.  Elle  ne  dit  pas 
que  la  mer  fourmillait  de  poissons  ,  que  l'air  était  rempli  doi- 
seaux.  Elle  suppose  plutôt  que  Dieu  ne  créa  qu'un  couple  de  cha- 
que espèce.  Le  serpent  qui  séduisit  Eve  est  placé  par  l'auteur  dans 
les  branches  de  l'arbre  de  vie  ;  Moïse  n'en  dit  rien.  Dieu  n'inflige 
à  la  femme,  selon  notre  auteur,  que  de  souffrir  beaucoup  de  ses 
enfans  ;  le  mot  multiplicaho  œrumnas  tuas  dit  quelque  chose  de 
plus.  Dieu  ne  bénit  pas  les  travaux  de  Cain;  c'est  une  imagi- 
nation ,  et  elle  n'est  pas  heureuse.  Il  n'est  conforme  ni  au  bon 
goût,  ni  au  style  de  la  Genèse,  de  comparer  le  péché  à  un  lion  i 
altéré  de  sang.  Abel  défiguré,  sans  vie,  nageant  dans  son  sang ^  | 
offre  à  Adam  et  à  Eve,  qui  contemplent  son  cadavre,  non  pas 
Vimage,  mais  le  spectacle  et  la  l'e'alité  de  la  mort.  Nous  n'en  sommes 
encore  qu'à  la  page  7  d'un  livre  qui  en  a  286.  A  la  page  12  ,  Dieu 
promet  à  Sem  et  à  Japhet  les  plus  heureuses  destinées,  tandis  que 
c'est  la  multiplication  et  la  supériorité  de  leur  race  qu'il  annonce. 
Au  lieu  de  trois  anges  auxquels  Abraham  prépare  un  festin  ,  l'auteur 
substitue  Dieu  lui-même  ,  accompagné  de  deux  de  ces  esprits  cé- 
lestes. 

Nous  nous  arrêtons ,  pour  ne  pas  faire  un  volume  ;  mais  qu'on 
remarque  bien  que  nous  n'avons  pas  dépassé  la  16®  page.  Nous  au- 
rons moins  de  remarques  à  faire  sur  le  Cate'chisme.  Voici  quelques 
citations  prises  au  hasard  : 

Page  1Z0.  Pourquoi  dites-vous  que  l'homme  ne  se  connaît  pas 
lui-même?  —  R.  Parce  qu^il  ne  songe  pas  qu'il  ait  rien  au-des- 
sus des  bêtes  y  mettant  toute  la  félicité  dans  les  plaisirs  des  sens^ 
Et  que  faites-vous  donc  de  l'orgueil,  qui  produit  tant  d'aveuglement? 

Après  avoir  ënuméré  les  péchés  engendrés  par  la  paresse ,  parmi 
lesquels  se  trouve  l'insensibilité,  l'auteur  dit  que  celle-ci  consiste  à 
Tbêtre  ému   de   rien ,    ni  par  les  avis ,  ni  par  les  exhortations , 

6* 


84  LIVRE    DE    MORA.LE    ET    d'iNSTRUGTIOS    RELIGIEUSE. 

ni  par  les  bons  exemples  qui  engageai  à  rempli?'  les  devoirs  que 
la  relio-ion  et  V Etat  prescrivent.  Il  est  vrai  que  c'est  une  obligatioa 
de  conscieace  que  d'obéir  à  l'Etat,  lorsque  l'Elat  lui-même  ne  blesse 
pas  la  conscieace.  Nous  sommes  loin  d'être  favorables  à  tout  principe 
qui,  de  loin  ou  de  près,  conduit  à  négliger  les  prescriptions  civiles  ; 
mais  on  pouvait,  sans  être  insensible  ,  ne  pas  se  presser  d'obéir  aux 
décrets  de  l'assemblée  constituante  qui  introduisait  une  nouvelle  con- 
stitution dans  l'Église.  Plus  d'une  âme  sensible  eut  peu  de  zèle  à  se 
soumettre  à  la  convention ,  et ,  sans  remonter  si  haut  ,  est-ce  par 
sensibilité  que  nous  devrions  approuver  et  exécuter  la  loi  du  divorce  , 
si  elle  vient  à  prévaloir  ? 

Ne  suppose-t-on  pas  l'homme  trop  parfait  ;  et ,  dans  tous  les  cas, 
ne  méconnaît-on  pas  la  doctrine  catholique ,  lorsqu'après  avoir  de- 
mandé qu' appelez-vous  mourir  au  péché  ,  on  répond  :  N'en  plus 
commettre. 

La  définition  de  l'Eglise  est  très-catholique  ,  on  peut  même  dire 
qu'elle  est  assez  ultramontaine.  On  n'y  parle  ni  des  ëvêques ,  ni  des 
pasteurs  du  second  ordre  ;  mais  seulement  d'une  société  soumise  à 
un  même  gouvernement  ^  dont  le  Pape  est  le  chef  visible.  (Voyez 
pag.  262.  ) 
\  Nous  n'avons  signalé  aucune  erreur  grave.  Nous  ne  pensons  pas  que 
?î  \&  Livre  d'Instruction ,  etc. ,  en  renferme  aucune  de  ce  genre,  bien 

i  que  nous  ne  l'avons  parcouru  que  très-rapidement.  Ce  que  nous  en 

1  \  . 

■  avons  relevé  d'inexactitudes  ne  suffirait  pas  sans  doute  pour  exciter 

la  sollicitude  des  gardiens  de  la  foi,  si  elle  ne  devait  être  plus  alar- 
mée par  la  destination  qu'on  prétend  lui  donner. 

Nous  trouvons  cependant ,  dans  ce  fait ,  une  réflexion  consolante. 
Il  ne  suffit  donc  pas  d'avoir  interrogé  les  oracles  de  l'antique  sa- 
gesse, d'avoir  visité  en  Allemagne  ses  plus  savans  interprètes  ,  de 
s'être  placé  soi-même  à  leur  tête  ,  ou  du  moins  au  premier  rang  des 
célébrités  philosophiques  de  notre  époque,  pour  trouver  dans  ces 
vaines  spe'culations  des  ve'rités  utiles.  Il  faut  retourner  au  Caté- 
chi.-ime  pour  parler  d'une  manière  intelligible  de  Dieu ,  de  l'origine 
de  l'homme ,  de  sa  foi ,  de  ses  devoirs,  et  de  tout  ce  qui  est  néces- 
saire à  une  socie'té  d'êtres  iatelligens.  —  VAmi  de  la  Religion^ 


85 


(VVS'V\AV\AVV\VV\<VV^fV'V»W\'V'VA/W\'W\^At(W*W*  WXVV  W\^V,  A-Vt  W\»'V\;VX'\'W\<W\-W\iVV*VV\*Wl  ^ 


ŒUVRES    DE    SAI.VIEN, 

TRADUCTIOIV    NOUVELLE    AVEC    LE    TEXTE    EN    REGARD   ; 
par    J.  F.    GRÉGOIRE    ET    F.    GOLLOMBET    (1). 

C'est  un  spectacle  bien  digne  d'être  suivi  dans  tous  ses  détails 
que  celui  de  cette  lutte  longue  et  opiniâtre  que  les  Pères  de  PE- 
glise  eurent  à  soutenir  contre  les  ennemis  du  christianisme  naissant. 
Jamais  victoire  ne  fut  plus  long-temps  dispute'e;  et  si  l'on  n'avait 
eu  pour  garant  du  succès  la  parole  même  d'un  Dieu  ,  on  aurait 
pu  douter  du  triomphe.  Des  adversaires  redoutables  par  leur  nom- 
bre et  par  le  faux  éclat  d'une  science  trompeuse  unirent  alors  leurs 
attaques  pour  étouffer  dans  son  berceau  une  religion  qui  venait  à 
jamais  confondre  leur  orgueil  et  détruire  les  mensonges  qui  faisaient 
leur  puissance.  C'étaient  les  néoplatoniciens,  qui,  mêlant  aux  dog- 
mes de  l'Académie  les  rêveries  merveilleuses  de  l'Orient  et  les  sou- 
venirs des  nombres  de  Pytbagore,  voulaient  expliquer  les  mystères 
de  la  foi  par  des  déductions  métaphysiques  ;  entreprise  insensée  et 
qu'on  a  voulu  renouveler  de  nos  jours.  C'étaient  des  magistrats  qui, 
alléguant  que  le  de'pe'rissement  de  l'empire  coïncidait  avec  l'appa- 
rition du  christianisme  ,  re'clamaient  avec  force  le  rétablissement  des 
antiques  cérémonies ,  et  promettaient  à  ce  prix  la  victoire  aux  sol- 
dats et  le  bonheur  aux  citoyens. 

Au  nombre  de  ceux  qui  combattirent  alors  pour  la  foi  nouvelle, 
Salvien  se  fait  remarquer  par  la  pureté  de  sa  morale ,  la  noblesse 
de  ses  sentimens,  la  gravité  mélancolique  de  son  éloquence,  l'abon- 
dance facile  et  coulante  d'un  style  cicéronien.  Il  était  ne',  selon 
Tillemont,  vers  Sgo,  à  Cologne  ou  à  Trêves  ,  et  ses  parens  tenaient 
un  rang  considérable  dans  les  Gaules.  Il  se  maria  assez  jeune  à  une 
fille   encore  païenne ,   mais   qu'il   convertit   au  christianisme.   Peu 


(i)  Deux  vohimcs  ia-8°.  Prix  :  i5  fr.  ,  et  18  fr.  5o  c.  franc  de  port. 
A  Lyon  ,  chez  Sauvignct  ;  et  à  Paris ,  chez  Bohaire  ,  boulevard  des  Ita- 
liens ,  no  10. 


88  OEUVRES    DK    SALVIEN. 

après ,  ils  se  séparèrent  d'un  comnaun  accord.  On  croit  que  la  femme 
entra  dans  un  monastère,  ainsi  qu'une  fille  qu'elle  avait  eue  de 
Salvieu.  Celui-ci  vendit  ses  biens  ,  en  distribua  le  prix  aux  pauvres, 
et  embrassa  la  vie  religieuse.  Tl  passa  quelque  temps  à  l'abbaye  de 
Le'rins,  si  célèbre  à  cette  e'poque,  et  s'établit  ensuite  à  Marseille, 
où  il  l'ut  ordonné  prêtre.  Tiliemont  place  sa  mort  vers  484-  ^^^ 
nombreux  ouvrages  qu'avait  composés  Salvien,  il  n'en  reste  que 
deux  ;  mais  cet  écrivain  eut  une  grande  réputation  de  son  temps. 
On  1  appelait  le  maître  des  évêques  ,  et  il  était  estimé  pour  son  es- 
prit de  modestie,  de  douceur  et  de  charité.  A  la  vérité,  ses  ouvra- 
ges, plutôt  moraux  que  polémiques  ou  apologe'tiques,  n'offrent  pas 
l'intérêt  saisissant  des  écrits  de  saint  Augustin ,  d'Origènc ,  de  Ter- 
tullien  ;  mais,  outre  qu'ils  peuvent  être  consultés  comme  de  précieux 
documens  historiques,  ils  ont  encore  le  mérite  de  l'à-propos  pour 
une  époque  qui  voit  avec  indifférence  la  morale  attaquée  dans  ce 
qu'elle  a  de  plus  respectable ,  et  qui ,  sous  ce  rapport ,  ressem- 
ble à  celle  qui  peut  entendre  la  voix  éloquente  de  Salvien.  C'est 
même  cette  ressemblance  entre  la  destruction  matérielle  de  l'empire 
romain  et  la  destruction  morale  de  notre  société  qui  a  engagé 
MM.  Grégoire  et  Collombet  à  choisir  Salvien  comme  le  début  d'une 
œuvre  consciencieuse,  et  que  tous  les  amis  des  lettrrs  et  de  la  re- 
ligion doivent  encourager  de  leurs  vœux  la  traduction  des  Pères 
de  l'Eglise  les  plus  remarquables  comme  apologistes,  comme  ora- 
teurs ,  comme  moralistes ,  comme  savans ,  comme  poètes. 

Ecoutons  les  deux  traducteurs  expliquer  dans  quel  esprit  ils  ont 
conçu  leurs  travaux  ,  et  quelles  puissantes  considérations  les  ont 
déterminés  à  se  charger  d'une  entreprise  qui  peut-être  ne  sera  pas 
appréciée  autant  qu'elle  mérite  : 

«  C'est  que  la  grande  époque  de  destruction  matérielle  doit  avoir 
avecla  grande  époque  de  destruction  morale  une  mystérieuse,  mais 
réelle  analogie;  c'est  que  les  esprits  sont  sous  le  poids  des  événe- 
mens  qui  les  entourent;  c'est  que,  voyant  une  seconde  fois  le  monde 
emporté  dans  des  régions  inconnues ,  ils  ne  trouvent  plus  que  des 
accens  tristes  et  des  pensées  sombres  comme  la  situation.  Et  ne 
nous  plaignons  pas  trop  de  cet  état  de  notre  littérature.  Le  déses- 
poir est  plus  près  qu'on  ne  croit  du  repentir,  le  fatalisme  de  la 


OEUVRES    DE    SALVIES.  87 

croyance  :  ces  deux  nuances  sont  la  transition  de  la  philosophie  à 
la  religion. 

»  Animés  par  ces  considérations ,  nous  nous  mîmes  à  feuilleter 
les  Pères,  et  nous  y  trouvâmes  ce  qui  nous  cherchions  inutilement 
ailleurs.  Nous  ne  saurions  peindre  tout  ce  que  nous  ont  procuié  de 
plaisir  ces  lectures  faites  en  commun  dans  les  longues  soirées  d'hi- 
ver,  près  d^un  foyer  araî ,  à  l'heure  où  la  pensée  est  plus  mysté- 
rieuse, plus  expansive.  Salvien  nous  parut  celui  de  tous  qui  avait 
le  plus  de  rapport  avec  notre  époque  de  crise  et  de  transition  j  nous 
commençâmes  à  le  traduire ,  et  voici  que  nous  l'abandonnons  au 
pubhc.  » 

Il  existait  déjà  plusieurs  traductions  de  Salvien,  mais  toutes  si 
imparfaites ,  si  remplies  de  fautes  ,  qu'on  peut  dire  que  cet  auteur 
a  été  aujourd'hui  traduit  pour  la  première  fois.  L'édition  de  MM.  Gré- 
goire et  Collombet  est  complète;  elle  contient  les  huit  livres  delà 
Providence ,  les  quatre  livres  contre  l  Avarice ,  et  neuf  lettres, 
restes  d'une  longue  correspondance  qui ,  d'après  Gennade ,  remplis- 
sait un  volume  entier.  La  traduction  est  élégante  et  fidèle,  et, 
malgré  l'obstacle  qu'a  dû  présenter  la  diffusion  de  Salvien  dans  cer- 
tains endroits  où  il  est  trop  plein  de  son  sujet ,  elle  reproduit  par- 
tout l'original  avec  une  vérité  de  couleurs  vraiment  remarquable. 
Le  second  volume  contient  des  notes  philologiques  et  historiques , 
oïl  les  traducteurs  n'ont  pas  voulu  mettre  toute  leur  bibliothèque 
à  la  manière  des  Allemands,  mais  qui,  choi.sies  avec  goût,  suffi- 
sent à  la  complète  intelligence  du  texte,  et  à  la  justification  des  sens 
adoptés  dans  les  passages  douteux  et  contestables.  Nous  désirerions 
que  les  notes  eussent  été  indiquées  dans  le  texte ,  afin  d'éviter  au 
lecteur  la  peine  d'aller  chercher ,  à  la  fin  du  second  volume ,  des 
éclaircissemens  que  quelquefois  il  ne  trouve  pas ,  et  le  désagrément 
d'en  négliger  qui  puissent  lui  être  utiles.  Ces  notes  seraient  aussi, 
ce  nous  semble  ,  plus  commodément  placées  h  la  fin  de  chaque 
volume. 

A  la  tête  du  premier  volume  se  trouvent  quelques  pages  éloquen- 
tes où  M.  Grégoire  cherche  à  venger  les  Pères  de  l'Eglise  de  l'oubli 
où  paraît  les  avoir  plongés  l'exclusive  préférence  généralement  ac- 
cordée aux  auteurs  de  Rome  païenne  : 

«  Qu'on  ne  me  parle  plus  de  Pcriclès ,  de  Cicéron  ,  de  Démos- 


88  OEUVRES    DE    SALVIEN. 

thène!  Que  me  fait  à  moi  ce  froid  ihéleur,  qui  s'en  vient  là,  de- 
vant de  froides  cendres,  au  milieu  d'une  assemblée  froide  et  distraite, 
me  jeter  quelques  phrases  froidement  compassées  et  arrangées  d'a- 
vance !  Que  me  fait  à  moi  ce  philosophe  orgueilleux  qui  me  débite 
quelques  vagues  déclamations  contre  le  luxe ,  quand  toutes  ses  ver- 
tus ,  à  lui ,  ne  sont  qu'un  manteau  dont  il  voile  ses  vices  infâmes 
et  ses  turpitudes  secrètes  ?  Que  me  fait  à  moi  cet  orateur  qui  s'ex- 
ténue à  remuer  lindolence  de  ses  concitoyens,  quand  il  n'a  pas 
rougi ,  lui ,  de  fuir  lâchement  des  combats  ?  Que  me  fait  à  moi  ce 
beau  parleur  de  Rome  qui  flagelle  l''ambileux  Antoine  de  sa  molle 
et  flasque  éloquence,  quand  toute  sa  vie,  à  lui,  ne  m'offre  qu'un 
long  rêve  d'ambition  et  d'amour-propre?  Ah  !  rendez-moi  les  Bouche- 
d'Or ,  les  TertuUien,  les  Cyprien  ,  les  Gre'goire.  A  eux,  il  sied  de 
ce'lébrer  les  triomphes  des  martyrs ,  de  fle'trir  le  luxe  des  femmes , 
de  ranimer  le  courage  des  faibles,  et  de  châtier  les  tyrans!  Ont- 
ils  pâli  devant  l'appareil  des  supplices  ?  ont-ils  approché  de  leurs 
lèvres  la  coupe  des  voluptés?  ont-ils  balancé  devant  les  séductions? 
ont-ils  abandonné  leur  poste  a  l'heure  du  danger?  Toi,  rhéteur, 
tu  ne  me  jettes  que  des  motsj  eux  ,  ils  me  donnent  des  exemples! 
Tes  pe'riodes  sonores  ne  font  que  m'effleurer  ;  eux ,  ils  me  remuent 
et  me  transportent.  » 

MM.  Grégoire  et  CoUombet  promettent  de  donner  successivement 
la  traduction  de  Vincent  de  Lérins,  Sidoine  Apollinaire,  des  Lettres 
de  saint  Jérôme,  de  celles  de  saint  Cyprien,  de  la  Cité  de  Dieu, 
des  Stromates  ,àQ  TertuUien,  etc.  Espérons  que  le  succès  de  Sal- 
vien  les  engagera  à  tenir  une  promesse  que  cette  première  traduc- 
tion nous  rend  si  pre'cieuse.  —  VAmi  de  la  Religion  ,  n°  22^0. 


89 


%V**Vl'VV\-X'V*W\-VV\WliW\(W>WWV\'W\  W\iVV\ 


VV\VV\/VV\'VV\V*A^/V\<VV\VVWVVWVV\VVK/VV'V'VV\<VVVVVVVV\X 


NOTICE    SUR   M.    I.'ÉCDY, 

DERNIER     ABBÉ     DE     P  RE  M  O  NT  R  É  (1). 

M.  l'Ecuy  a  vécu  près  d'un  siècle  ;  il  était  le  chef  d'un  ordre 
florissant  ;  il  a  traversé  des  temps  fâcheux  ;  il  a  publié  beaucoup 
d'ouvrages.  A  tous  ces  titres ,  sa  notice  doit  offrir  de  l'intérêt.  Elle 
présentera  le  contraste  d'une  époque  de  calme  et  d'une  époque  d  a- 
gitation,  et  montrera  un  homme  aussi  modeste  dans  la  prospérité  que 
résigné  dans  la  disgrâce ,  et  à  toutes  les  époques  aussi  laborieux 
qu'exemplaire. 

Jean-Baptiste  l'Ecuy  naquit  le  3  juillet  1740,  à  YvoisCarignan, 
dans  le  Luxembourg  français ,  aujourd'hui  département  des  Arden- 
nes.  Il  paraît  que  son  nom  de  famille  était  TEcuver ,  qui  fut  peu  à 
peu  abrégé  dans  l'usage  ordinaire.  On  remarque  qu'il  reçut  la  con- 
firmation à  l'âge  de  cinq  ans,  des  mains  de  M.  de  Nalbach,  suffra- 
gant  de  Trêves,  diocèse  dont  Yvois  dépendait  alors.  11  commença  ses 
études  en  1748  ,  au  petit  collège  d'Yvois  ,  et  reçut  la  tonsure  en  1734  , 
de  M.  Hontheim  ,  suffragant  de  Trêves  ,  l'auteur  du  Febro^iius. 
On  l'envoya  faire  sa  rhétorique  et  sa  philosophie  sous  les  jésuites  , 
à  Charleville  ,  et  en  17o8  il  fut  admis  au  séminaire  du  Saint-Esprit. 
L'année  suivante  ,  il  prit  l'habit  à  l'abbaye  de  Prémontré  ,  et  y  pro- 
nonça ses  vœux  le  30  mars  1761.  Peu  après  ses  supérieurs  le  firent 
passer  au  collège  de  Prémontré  ,  à  Pazis  ,  pour  y  suivre  le  cours  or- 
dinaire des  études.  Le  jeune  l'Ecuy  reçut  les  ordres ,  et  fut  ordonné 
prêtre  le  22  septembre  1764.  Le  25  janvier  suivant  ,  il  fut  reçu  ba- 
chelier en  théologie.  On  le  rappela  à  Prémontré  pour  y  enseigner 
la  philosophie,  puis  la  théologie.  De  retour  à  Paris  en  1767  ,  on  le 
chargea  d'enseigner  la  philosophie  dans  le  collège  de  Prémontré.  II  ; 
entra  en  licence  en  1768  ,  et  y  eut  pour  condisciples  l'abbé 'de  La  | 
Luzerne ,  depuis  cardinal,  l'abbé  Duvoisin,  depuis  évêque  de  Nan-  j 
tes,  l'abbé  Taillct  et  autres  hommes  distingués  dans  le  clergé.  L'hea-     | 

(i)  VAini  de  la  ReUi^ion ,  u»  2271. 


90 


NOTICE    SUR    M.    L  EGUY. 


reux  caractère  de  M.  l'Ecuy  l'avait  fait  aimer  de  tous  ceux  de  son 
âge,  en  même  temps  que  son  application  au  travail  lui  procura  une 
place  honorable  en  licence.  Il  fut  reçu  docteur  le  20  mars  1770. 

Pendant  sa  licence  ,  M.  Parcliape  de  Vinay  ,  abbé  général  de  Pré- 
montré, était  mort  le  -4  mars  1769.  M.  Manoury  fut  élu  en  sa  place, 
et  choisit  M.  l'Ecuy  pour  secrétaire.  Ils  visitèrent  ensemble  ,  en  1771 
et  1772,  les  abbayes  de  l'ordre  dans  les  Pays-Bas.  En  1773  ,  l'abbé 
le  nomma  prieur  du  collège  de  Prémontré  à  Paris  ,  sans  toutefois 
lui  retirer  ses  fonctions  de  secrétaire.  En  1776  ,  M.  l'Ecuy  soutint 
sa  résompte.  Le  roi  lui  accorda  une  pension  de  600  liv.  sur  l'ab- 
baye de  Beaulieu ,  et  peu  après  un  de  ses  confrères  lui  résigna  un 
prieuré  simple  dans  l'évêché  de  Beauvais.  En  1779  ,  on  lui  résigna 
encore  un  autre  prieuré  dans  le  diocèse  d'Aire.  En  1778  et  1779, 
son  abbé  et  lui  visitèrent  les  abbayes  de  leur  ordre  eu  Normandie  et 
en  Bretagne.  M.  Manoury  mourut  le  18  juillet  1780.  Le  chapitre 
général  pour  Pcleclion  d'un  nouvel  abbé  eut  lieu  en  septembre  sui- 
vant. L'abbé  de  Floreffe  y  présidait ,  et  M.  de  Dillon ,  archevêque 
de  Narbonne  et  M.  Lepelletier  de  Morfontaine  assistaient  comme 
commissaires  du  roi  à  l'élection.  Le  prélat  affectionnait  M.  l'Ecuy  , 
qui  fut  élu  unanimement,  le  18  septembre,  pour  abbé  et  général 
de  son  ordre.  Le  i^"^  novembre  suivant,  il  fut  présenté  au  roi 
Louis  XVI,  et  le  4  février  suivant,  ayant  reçu  ses  bulles,  il  fut  béni 
abbé  par  M.  de  Conlrisson  ,  évêque  de  Thermopyles,  à  la  place  de 
M.  l'évêque  de  Laon. 

Son  premier  soin  fut  d'accroître  et  d'enrichir  la  bibliothèque  de 
son  abbaye.  Il  aimait  les  livres,  et  pendant  son  séjour  à  Paris  ,  dans 
sa  jeunesse  ,  il  avait  appris  l'italien  et  l'anglais.  Plus  de  50,000  liv. 
de  son  propre  revenu  furent  employées  à  des  acquisitions  de  livres, 
et  au  moment  de  la  révolution  la  bibliothèque  était  considérable.  Le 
nouvel  abbé  s'occupa  aussi  de  l'amélioration  des  études  ;  ce  fut  un 
des  objets  traités  dans  les  chapitres  qu'il  présida  en  1782,  178S 
et  1788.  On  y  décida  la  réforme  et  la  réimpression  du  Bréviaire  et 
des  autres  livres  liturgiques  de  l'ordre  ;  la  rédaction  du  Bréviaire 
fut  confiée  à  un  prémontré,  Lissoir  ,  abbé  de  la  Valdieu  (1).  Il  pa- 

k         (i)  Remacle  Lissoir  est  auteur  d'un  abrégé  assez  hardi  de  Febronius. 
\   Depuis,  il  donna  pleinement  dans  la  révolution,  fut  administrateur  du 


NOTICE    SUR    M.    l'eCUY.  91 

raîl  qu'on  y  suivit  à  peu  près  le  Bréviaire  de  la  congrégation  de  Saint- 
Vannes.  M.  l'Ecuy  prescrivit  l'usage  du  nouveau  Bréviaire  par  une 
circulaire  latine  du  i"  janvier  1 786  ;  elle  est  imprimée  à  la  tête  d'un 
des  volumes  du  Bréviaire.  Il  est  un  autre  ouvrage  dont  M.  l'Ecuy 
avait ,  vers  le  même  temps  ,  conçu  l'idée ,  tracé  le  plan  et  surveillé 
l'exécution;  c'est  les  Principes  de  Véloquence  sacré  ^  1787,  in-12. 
Ce  livre  était  destiné  à  l'instruction  des  jeunes  religieux.  L'épître 
dédicatoire  et  l'avertissement  étaient  de  M.  l'Ecuy  ;  le  reste  avait 
été  rédigé  par  un  jeune  prémontré,  J.  B.  A.  Hédonin,  mort  en 
octobre  1792  ,  qui  est  encore  auteur  de  Y  Esprit  de  Raynal. 

L'abbé  l'Ecuy  établit  dans  son  abbaye  des  conférences  théologi- 
ques ,  des  cours  de  mathématiques  et  de  belles-lettres  ;  il  y  forma 
un  cabinet  de  plivsique.  Soigneux  d'établir  la  concorde  entre  les 
deux  branches  de  l'ordre  de  Prémontre  ,  il  présida  plusieurs  fois  les 
chapitres  de  ceux  de  la  Stricte-Observance.  Il  visita  les  abbayes  de 
son  ordre  en  Suisse  ,  dans  le  pays  de  Porentry  et  dans  diverses 
parties  de  la  France.  En  1787  ,  le  roi  le  nomma  membre  de  l'as- 
semblée provinciale  de  Soissons  et  président  de  celle  de  Laon. 

La  révolution  éclata ,  et  amena  une  suite  de  décrets  hostiles  à  la 
religion  et  au  clergé.  Le  i''''  novembre  1790  ,  on  signifia  à  M.  l'E- 
cuy de  quitter  son   abbatiale.  Il  se  retira  à  Penancourt,  qui  était 
sa  maison    de  campagne.  Une  pension    de  6000  liv.    lui  fut  assi- 
gnée comme  indemnité  de  sa  mense  abbatiale;  mais  à  peine  lui  en 
avait-on  payé  une  petite  portion  qu'elle  fut  réduite  à  1000  fr.  que 
l'on  payait   en  papier,  à  perte.  Par  la  suite,    ces  1000  fr.    furent 
encore  réduits  au  tiers.  C'était  assurément  une  grande  chute  pour 
un  général  d'ordre  qui  jouissait  de  60,000  liv.  de  rente  ,   et   qui       j 
étendait  sa  juridiction  sur  tant  d'abbayes.  Nous  devons  dire  que  BI.      | 
l'Ecuy  supporta  sa  disgrâce  avec  une  résignation  qu'il  devait  à  la      ' 
modération  de  son  caractère  ,  mais  surtout  à  la  religion.  Bientôt  on 
vint  l'inquiéter  dans  sa  retraite.  Il  fut  incarcéré  à  Chauny  le  2  sep- 


dépaitcment  îles  Ardeiuies  en  1790,  député  suppléant  à  la  législature 
en  1791  ,  présiilent  des  élections  pour  la  convention  en  1792,  curé  con- 
stitutionnel de  Charieville  ,  puis,  en  1797,  membre  du  concile  de  ce 
parti.  Il  mourut  en  1806,  aumônier  des  Invalides. 


92 


NOTICE    suit    M.    LÉGUY. 


tembre  1793,  mais  relâché  le  U  du  môme  mois.  Le  voisinage  de 
Préraontré  lui  paraissant  dangereux  ,  il  se  retira  ,  en  mai  1794  ,  à 
Grandval  ,  maison  solitaire  près  Melun ,  où  il  vivait  avec  son  frère, 
comme  lui  religieux  Préinontré.  En  1793  ,  il  obtint  la  restitution  de 
ses  livres,  qui  étaient  déposés  dans  les  caisses  au  district  de  Chauny. 
En  1797  ,  le  besoin  de  s'occuper  lui  fit  prendre  quelques  élèves  qu'il 
instruisait  de  concert  avec  son  frère. 

En  1801  ,  M.   l'Ecuy  vint  se  fixer  à  Paris  ,  où  il  avait  de  nom- 
i   breux  amis.   Un  d'eux  ,  l'abbé  Lissoir ,  ancien  abbé  de  la  Valdieu, 
I   le  mit  en  relation  avec  les  rédacteurs  du /oMrao/  de  Paris,  et  l'abbé 
I   l'Ecuy  y  donna  des  articles  jusqu'en  1811.  En  1803 ,  il  fut  nommé 
chanoine  honoraire  de  Notre-Dame.  En   1806,  il  devint  aumônier 
de  la  femme  de  Joseph  Buonaparte ,   et  distribua  en  cette  qualité 
pendant  plusieurs  années  des  sommes  importantes  pour  les  pauvres 
I  et  pour  toute  sorte  de  bonnes  œuvres.  En  décembre  1812,   on  le 
■"  chargea  de  prêcher  un  discours  à  Notre-Dame  pour  l'anniversaire  du 
couronnement,  et  le  IS  août  1813  il  prêcha  dans  la  même  église 
pour  le  rétablissement  du  culte.  En  1818,  Louis  XVIII  lui  accorda 
une  pension  de  500  fr.  En  1824,  M.  l'archevêque  le  nomma  cha- 
noine de  Notre-Dame  ,  et  l'admit  dans  son  conseil.  Le  prélat  lui  écri- 
vit à  celte  occasion  la  lettre  la  plus  bienveillante  et  la  plus  flatteuse. 
U  le  chargeait  en  même  temps  de  l'examen  de  livres  soumis  à  sou 
approbation. 

Le  vénérable  vieillard  avait  conservé  toutes  ses  facultés  morales  et 
physiques,  quand,  le  6  avril  1828,  il  tomba  dans  la  sacristie  de 
Notre-Dame.  On  le  releva;  depuis  ce  temps  il  n'a  pu  marcher,  ses 
jambes  lui  refusaient  le  service.  Il  continua  cependant  encore  de  se 
livrer  au  travail.  La  lecture  et  la  prière  faisaient  ses  seules  distractions. 
Sa  mémoire  conservait  encore  sa  fraîcheur.  Ce  n'est  que  sur  la  fin 
de  l'année  dernière  que  ses  forces  diminuèrent  progressivement.  Il 
supportait  avec  courage  ses  infirmités  et  sa  solitude.  Enfin ,  il  s'é- 
teignit doucement  ,  le  22  avril ,  dans  sa  quatre-vingt-quatorzième 
année  après  avoir  reçu  tous  les  secours  de  la  religion.  Ses  obsèques 
eurent  lieu  à  Notre-Dame ,  le  24  ,  avec  un  plus  grand  concours 
qu'on  n'eût  pu  l'attendre  pour  un  homme  qui  n'avait  plus  de  con- 
temporains. Mais  le  caractère  aimable  et  conciliant  de  l'abbé  l'Ecuy 
lui  avait  procuré  beaucoup  d'amis  même  parmi  ceux  qui  étaient  se- 


NOTICE    SUR    M.    l'ÉGUY.  93 

parés  de  lui  par  une  grande  différence  d'âge.  Homme  droit ,  officieux, 
instruit  sur  beaucoup  de  matières ,  aimant  la  littérature  ,  avant  tou- 
jours vécu  dans  la  société  des  gens  de  lettres ,  il  portait  beaucoup 
d'agrémens  dans  la  conversation.  Personne  n'eut  jamais  à  se  plain- 
dre de  lui  ;  la  médisance  ,  la  raillerie  ,  l'épigramme  ne  sortaient  ja- 
mais de  sa  bouche.  Les  relations  qu'il  avait  eues  autrefois  avec  les    ^| 
évêques  et  avec  les  membres  les  plus  distingués  de  l'ancien  clergé    i! 
rendaient  ses  entretiens  une  espèce  de  tradition  vivante  sur   cette  /,' 
matière. 

D'après  ses  intentions  ,  son  corps  a  été  embaumé  par  les  soins  du 
docteur  Martin  ,  son  ami ,  qui  le  voyait  assidûment  depuis  bien  des 
années,  et  qui  a  prolongé  sa  carrière  à  force  de  zèle  et  de  prudence. 
Le  cœur  doit  être  transporté  à  l'abbaye  de  Straliow  ,  de  l'ordre  de 
Prémontré ,  à  Prague ,  selon  les  désirs  de  l'abbé  l'Ecuy ,  et  afin  , 
dit-il  dans  un  écrit  qu'il  a  laissé  sur  ce  sujet ,  que  ses  confrères  son- 
gent à  prier  pour  lui.  11  ne  voulait  pas  que  l'on  crût  que  la  vanité 
l'avait  porté  à  ordonner  ces  dispositions ,  et  en  effet  tous  ceux  qui 
ont  connu  la  simplicité  de  son  caractère  ne  l'en  soupçonneront 
pas.  Mais  il  était  naturel  qu'il  souhaitât  que  quelque  chose  de  sa 
dépouille  mortelle  fût  conservé  dans  une  abbaye  de  son  ordre.  Lui- 
même  a  tracé  aussi  son  épitaphe ,  que  nous  donnerons  à  la  fin  de 
cette  notice.  Dans  son  testament  ,  il  n'a  oublié  aucun  de  ses  amis, 
et  leur  a  laissé  des  marques  de  souvenir.  11  a  prié  M.  l'archevêque, 
pour  lequel  il  professait  une  tendre  vénération ,  d'accepter  un  petit 
tableau  de  sainte  Catherine  de  Sienne  ,  et  un  exemplaire  du  livre  rare 
imprimé  aux  frais  de  M.  le  baron  de  Vincent. 

Actuellement  ,  nous  donnerons  la  liste  de  ses  ouvrages  ; 

1"  OEuvres  de  Franklin  ,  traduites  de  l'anglais,  1773  ,  2  volu-     I 
mesin-4°.  '^''  Discours  pour  la  Rosière  de  Salencij,  en  1776,  in-8°.       | 
3°  Discours  pour  l'ouvetiure  du  chapitre  de  Prémontré ,  en  1779,       * 
in-4°  ;  traduit  en  latin  par  l'abbé  de  Strahow.  -4"  Jmintor  et  Théo-     . 
dora,  suivi  de  l'Excursion  ou  les  Merveilles  delà  nature,  1797,    | 
3vol.  in-12  ;  c'est  une  traduction  de  l'anglais,  de  David  Mallet.  S"»    | 
Nouveau  Dictionnaire  historique,  biographique  et  bibliographique, 
in-8',  1803;  traduit  del'anglais,  de  Watkins.  Q>"  Dictionnaire  de  poche 
latin- français,  180o,  in-12,  oblong  ,  réimprimé  en  1831.  7"  Abrégé 


94  NOTICE    SUR    31.     l'ÉCUY. 

de  l'Histoire  de  V  Ancien  et  du  Nouveau  Testament ,  1810  ,  2  vol. 
in-8° ,  réimprimé  en  1  vol.  ia-12  et  connu  sous  le  nom  de  Bible 
de  la  Jeunesse.   8°  Discours  pour  l'anniversaire  du  Couronnement 

!   et  pour  l'Assomption,  1813,  2  brochures  in-8''.  9''  La  partie  ecclé- 
siastique du  Supplément ,  en  A  vol.  ,  au  Dictionnaire  historique 
I  de  Feller  ,  1818  et  1819;  le  reste  du  Supplément,  était  rédigé  par 
M.Bocous.  \Q^  Manuel  d'une  Mère  chrétienne  ou  courtes  Homélies 
sur  les  Epîtres  et  Evangiles  des  dimanches  et  fêles  ,  1822,  2  vol. 
in-12,  avec  figures.  \\°  Annales  civiles  et  religieuses  d'Yvois-Ca- 
rignan  et  de  3Iouzon ,  1822  ,  in-8''.    12°  Un  Recueil  sur  la  prise 
l^e  Constantinople ,  pour  faire  suite  à  l'Histoire  Bysantine,  1823, 
fin-fol.  imprimé  à  60  exemplaires  au  frais  de  M.  le  baron  de  Vincent 
ï  et  de  sir  Charles  Stuart ,  alors  ambassadeurs  d'Autriche  et  d'Angleterre 
I  en  France.  13°  Strenœ  Norberteœ  ,  1827,  in-8'';  traduction  en  vers 
français  d'une  élégie  latine  du  jésuite  Werpen  ,  sur  la  conversion  de 
saint  Norbert.   1-4°  Il  est  auteur  du  8^  volume  de  l'ouvrage  de  Bas- 
sinet,  Histoire  sacrée  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament;  ce 
volume  contient  les  Actes  des  Apôtres  et  l'Apocalypse.    lo°   Il  a 
fourni  beaucoup  d'articles  de  littérature  au  Journal  de  Paris  ,  de- 
puis 1801  jusqu'en  1811  ;  des  notices  à  \a  Biographie  utiiverselle , 
de  Michaud  ,  depuis  1811  jusqu'en  182S,  et  des  articles   aux  trois 
i     premiers  volumes  de  Y  Ami  de  la  Religion.  16°  Essai  sur  la  Vie 
S     de  Gerson  ,  1832,   1  vol.  in-8°. 

On  assure  que  cette  vie  de  Gerson  n'était  point  destinée  à  l'impres- 
sion; seulement,  le  manuscrit  devait  en  être  déposé  à  la  bibliothèque 
de  l'archevêché  pour  servir  de  matériaux  aux  historiens  futurs. 
Mais  ,  cette  bibliothèque  ayant  été  dévastée  et  anéantie ,  l'auteur 
se  laissa  persuader  de  publier  son  ouvrage.  La  vie  de  Gerson  est 
précédée  d'une  longue  introduction  sur  le  grand  schisme  d'Occi- 
dent ,  et  sur  les  causes  qui  l'ont  préparé.  La  vie  elle-même  est  à 
peu  près  l'histoire  contemporaine  ,  et  Gerson  y  disparait  souvent  au 
milieu  du  récit  des  grands  événemens  de  cette  époque.  De  plus  , 
nous  n'oserions  assurer  que  l'auteur  eût  fait  assez  de  recherches  et 
eût  apporté  autant  de  critique  que  l'exigeait  un  sujet  si  délicat.  En- 
fin ,  il  nous  a  paru  s'expliquer  sur  certains  papes  de  ce  temps  avec 
une  dureté  qui  nous  étonne  dans  un  écrivain  ordinairement  si  sage 
et  si  retenu.  An  total,  on  ne  peut  se  dissimuler  que  cette  production 


NOTICE    SUR    M.    l'ÉGUY.  95 

se  sente  de  la  vieillesse  de  l'autear  ;  il  avait  alors  92  ans,  et  il  est  donné 
à  peu  de  gens  de  pouvoir  écrire  à  cet  âge. 

Nous  ne  compterons  pas  au  nombre  des  ouvrages  de  l'abbé  l'E-       \ 
cuy  une  Flore  de  Prémontré  (  Flora  Prœmonsfratensis  )  ,   qui  fut       / 
faite  par  ses  soins  et  à  ses  frais.  Les  plantes  qui  se  trouvent  dans       ? 
le  voisinage  de  l'abbaye  y  sont  peintes.  M.   Le  Marcant  de    Cam-      '' 
bronne  .  botaniste  de  Laon  ,  était  chargé  de  décrire  les  plantes.  Ces 
descriptions  sont  faites  à  la  main.  Dans  les  années  1787  et  1788  , 
il  y  eut  plus  de  600  plantes  décrites.  Le  recueil  forme  trois  gros  vo- 
lumes in-folio  ,  grand  papier  ;  c'est  un  exemplaire  unique  dont  l'abbé       . 
l'Ecuy  a  fait  présent  à  la  bibliothèque  publique  de  Laon.  La  révo-  1 1 
lulion  empêcha  de  continuer  cet  ouvrage.  t 

M.  l'abbé  l'Ecuy  a  laissé  un  manuscrit  curieux  ,  c'est  un  abrégé 
de  sa  vie  :  P^itœ  mece  brève  Compendium.  Cet  abrégé  ,  qui  s'arrête 
en  182A  ,  rappelle  les  principales  époques  de  sa  vie.  A  la  fin  ,  l'au- 
teur a  inséré  quelques  lettres  et  discours  ,  une  chronologie  des  abbés 
de  Prémontré  (  il  était  le  57"  ),  Planctus  norbertinus ,  élégie  en 
vers  latins  et  en  vers  français  ,  composée  par  lui  en  1820,  et  au- 
tres pièces.  La  vie  nous  a  été  fort  utile  pour  la  présente  notice.  Nous 
nous  sommes  aussi  beaucoup  servi  d'une  notice  qui  se  trouve  dans 
la  Biographie  ardennoise  ,  de  M.  BouUait.  Le  Compendium  de 
M.  l'Ecuy  est  écrit  en  latin  ,  et  d'un  style  qui  prouve  que  l'auteur 
avait  étudié  avec  fruit  les  auteurs  classiques. 

En  1816,  il  avait  traduit  du  portugais  d'Antoine  Pereira  de  Fi- 
gueredo  l'Abrégé  des  écrits  et  de  la  doctrine  de  Gerson.  Cet  ouvrage  , 
que  Pereira  avait  dédié  au  marquis  de  Pombal ,  est  dans  un  esprit 
que  Gerson  n'eût  sans  doute  pas  approuvé.  L'abbé  l'Ecuy  ne  publia 
pas  sa  traduction  ;  un  semblable  travail  s'accordait  mal  avec  la  mo- 
dération de-  son  caractère. 

Nous  terminons  cette  notice  par  l'épitaphe  que  M.  l'Ecny  avait  faite 
pour  lui-même  ,  et  qui  a  été  gravée  sur  son  tombeau  ; 

D.  O.M. 

Lapide  sub  hoc  funereo 

R.  R.  D.  D.  Joannis  Baptistœ  l'Ecuy 

Conduntur  humiks  Exuviœ. 


96  SUR    LA    CRISE    DE    l'ÉGLISE    ANGLICANE. 

Patriâ  Yvodiensis 
Canonicus  regularis  professione 
Studiis  doctor  Sorbonicus 
Dignitate  abbas  Prœmonstrati  LP^IP" 
Totimque  ordinis  Prœmonstratensis  caput  ac  generalis. 
Anno  MDCCLxxxx 
Regno  procaci  libertate  deturbato  , 
P^otis  Deo  jîiratis 
Ecclesiœ  suce  ,  fratrum  consortio  ,  infulis 
Miserahiliter  ereptus. 
Diversis  dein  exagitatus 
Hic  tandem  quiescit 
Beatœ  immortalitati  utinam  maturus  / 
Transi  viator  et  ont  pro  eo. 


Natus  3  Juin  anno  mdccxl 

Obiit,  Ecclesiœ  Parisiensis  canonicus  titularis 

Et  illustrissimi  Parisiensis  Archipiscopi  vicarius  generalis. 

Die  22^  mensîs  aprilis  , 

Anno  Dotnini  mdcccxxxiv. 

SUR    S. A    CRISE    PE    I.'ÉGI.ISE    ANGLICABTE. 

Le  célèbre  Pitt ,  pendant  son  long  ministère ,  avait  repoussé  toutes 
les  propositions  pour  la  réforme  parlementaire ,  parce  qu'il  sentait 
bien  que  si  l'on  entrait  une  fois  dans  cette  voie ,  tout  l'édifice  de  la 
constitution  anglaise  ne  tarderait  pas  à  èlre  attaqué  et  ébranlé  par 
des  réformes  successives  ;  c'est  en  efifet  ce  qui  est  arrivé  depuis  la 
grande  mesure  prise  par  lord  Grey,  Les  propositions  succèdent  aux 
propositions  ,  et  l'alarme  commence  à  se  répandre  parmi  ceux  qui 
tiennent  aux  intérêts  et  aux  abus  de  l'Eûlise  établie.  Ces  abus  ne  sont 


SUR    LA    CRJSE    DE     l'ÉGLISE    ANGLICANE.  97 

nulle  part  plus  choquante  qu'en  Irlande  ,  où  l'Eglise  protestante  jouit 
d'immenses  revenus ,  quoique  ses  sectateurs  ne  forment  qu  un  huitième 
ou  même  un  dixième  de  la  population  ;  tandis  que  l'Eglise  catholi- 
que, qui  compte  pour  elle  les  trois  quarts  de  la  population  ,  ne  vit 
que  d'aumônes.  L'Eglise  protestante  a  envahi  à  la  fois  les  biens  et 
les  églises  ;  elle  reçoit  les  dîmes  ,  et  partout  les  anglicans  sont  en 
minorité.  11  y  a  même  des  endroits  où  à  peine  on  en  compte  quel- 
ques-uns. Cet  état  de  choses  excite  depuis  long-temps  de  vives  ré- 
clamations de  la  part  des  catholiques.  Obligés  de  pourvoir  à  l'entre- 
tien de  leur  clergé ,  ils  sont  obligés  en  outre  de  nourrir  le  luxe  des 
prélats  anglicans  ,  dont  plusieurs  ne  résident  même  pas  dans  le  pays; 
de  payer  la  dîme  à  des  bénéGciers  qu'on  ne  voit  jamais  ,  et  qui  dé- 
pensent leurs  revenus  à  Londres  ou  sur  le  continent. 

Tout  le  monde  sent  donc  le  besoin  d'une  réforme  ;  mais  l'Eglise 
anglicane  la  redoute  avec  raison  ,  parce  qu'elle  y  voit  le  terme  de  sa 
longue  prospérité.  Les  attaques  se  sont  si  fort  multipliées  depuis 
quelque  temps ,  que  les  évêques  ont  pris  l'alarme.  Ils  se  sont  adres- 
sés au  roi  d'Angleterre  ,  chef  et  protecteur  de  l'Eglise  ,  et  plusieurs 
d'entre  eux  ,  conduits  par  les  archevêques  de  Canlorbéry  et  d'Armagh , 
primats  d'Angleterre  et  d'Irlande ,  ont  eu  une  audience  du  prince , 
et  lui  ont  exposé  leurs  inquiétudes.  Quelques  journaux  anglais  ont 
rapporté  la  réponse  de  Guillaume  ;  elle  n'a  aucun  caractère  officiel  ; 
mais  il  y  a  tout  lieu  de  croire  qu'elle  est  authentique ,  et ,  d'après 
la  manière  dont  lord  Grey  en  a  parlé  dernièrement  à  la  chambre  des 
lords ,  on  ne  saurait  en  douter.  Nous  citerons  un  fragment  de  cette 
réponse  : 

«  Dans  toutes  les  circonstances  de  ma  vie  ,  et  par  conviction ,  j'ai 
toujours  été  porté  à  étendre  la  tolérance  jusqu'à  ses  limites  équitables; 
mais  la  tolérance  ne  peut  pas  aller  jusqu'à  autoriser  la  licence.  Il 
y  a  des  bornes  qu'il  est  de  mon  devoir  d'empêcher  qu'on  ne  fran- 
chisse. Je  suis  attaché  à  la  pure  foi  protestante ,  que  cette  Eglise , 
dont  je  suis  le  chef  temporel ,  répand  et  conserve  dans  notre  pays. 
Je  ne  saurais  oublier  les  événemens  qui  ont  placé  ma  famille  sur  le 
trône  que  j'occupe.  Ces  événemens  se  sont  accomplis  dans  une  ré- 
volution devenue  nécessaire ,  et  qui  ne  s'est  pas  effectuée ,  comme 
on  l'a  dit  souvent ,  dans  l'intérêt  des  libertés  temporelles  du  peuple, 
T.  X.  7 


98  SUR    LA.    CRISE    DE    l'kGLISE    ANGLICANE. 

mais  pour  la  conservation  de  sa  religion.  C'est  pour  la  défense  de 
la  religion  et  du  pays  qu'ont  été  fondées  les  institutions  politiques 
en  vertu  desquelles  je  règne  aujourd'hui  ;  et  celte  Eglise  d'Angleterre 
et  d'Irlande  (le  roi  a  particulièrement  appuyé  sur  ce  second  mot) ,  cette 
Eglise  ,  dont  les  prélats  sont  en  ce  moment  devant  moi ,  c'est  mon 
ferme  dessein ,  ma  détermination  et  ma  résolution  de  la  maintenir. 
Les  évèques actuels  (j'en  suis  bien  satisfait ,  et  je  suis  bien  lieureux 
de  savoir  qu'il  en  est  de  même  du  clergé  placé  sous  leur  direction) 
n'ont  jamais  été  surpassés  en  aucun  temps  par  leurs  prédécesseurs  en 
fait  de  savoir ,  de  piété  et  de  zèle.  Si  dans  les  parties  secondaires 
de  la  discipline  de  l'Eglise  il  y  a ,  ce  dont  je  doute  fort  (le  roi  insiste 
beaucoup  sur  ces  derniers  mots  )  ,  des  abus  qui  réclament  des  modi- 
fications intelligentes ,  j'ai  la  pjlus  grande  confiance  dans  l'aptitude 
et  dans  l'empressement  des  prélats ,  qui  sont  devant  moi ,  à  corriger 
ces  abus.  » 

Il  est  aisé  de  voir  que  tout  cela  est  vague.  Le  roi  promet  bien  le 
maintien  de  l'Eglise  protestante  ;  mais  il  ne  promet  pas  le  maintien 
de  ses  gros  revenus ,  et ,  quand  il  le  promettrait ,  ce  ne  serait  pas 
une  raison  pour  que  la  réforme  ne  se  fit  pas.  On  sait  qu'en  Angle- 
terre c'est  le  ministère  qui  gouverne  sous  le  nom  du  roi.  Les  opinions 
personnelles  du  roi  n'ont  pas  beaucoup  d'influence  sur  la  marche 
de  l'administration,  et ,  comme  les  conseillers  de  la  couronne  sont 
responsables ,  ils  ne  manquent  pas  de  raisons  pour  montrer  que  leur 
avis  est  le  seul  qu'il  soit  possible  de  suivre.  Dans  la  circonstance 
présente  ,  lord  Grey,  répondant  à  un  membre  qui  lui  avait  objecté 
la  réponse  faite  aux  évoques,  a  répondu  qu'il  n'avait  rien  à  dire  sur 
celte  déclaration ,  attendu  qu'il  ne  l'avait  pas  conseillée  au  roi.  On  peut 
donc  prévoir  que  la  réponse  n'arrêtera  rien  ,  et  que  le  plan  de  réforme 
ira  son  train. 

Aussi ,  dans  le  temps  où  le  roi  parlait  aux  évêques  ,  comme  nous 
venons  de  le  voir,  M.  Ward  faisait  sa  motion  à  la  chambre  des  com- 
munes ,  pour  une  réforme  dans  l'établissement  de  l'Eglise  protestante 
en  Irlande.  Cette  motion  excita  une  scission  dans  le  ministère  an- 
glais ;  quatre  membres  se  retirèrent  pour  ne  pas  prendre  part  à  une 
mesure  qu'ils  regardaient  au  moins  comme  inopportune.  Le  ministère 
a  été  reformé  tout  de  suite  et  lord  Althorp  n'a  écarté  la  motion  qu'en 


SDR    LA    CRISE    DE    l'ÉGLISE    ANGLICANE.  99 

proposant  une  commission  laïque  d'enquête  qui  visiterait  les  paroisses 
d'Irlande  ,  dresserait  un  état  du  nombre  des  membres  du  clergé 
protestant  et  du  montant  de  leurs  bénéfices  ,  ferait  connaître  s'ils  ré- 
sident ou  non  ,  quel  est  le  nombre  de  leurs  ouailles  ,  quel  est  d'un 
autre  côté  celui  des  catholiques  et  celui  des  protestans  dissidens , 
quel  est  l'état  des  écoles,  etc.  La  proposition  de  lord  Altliorp  a  été 
acceptée,  dans  la  séance  du  2  juin,  par  296  voix  contre  120.  Il  est 
aisé  de  voir  par  les  dispositions  du  ministère  quel  sera  le  résultat  de 
la  commission  d'enquête. 

Aussi  le  parti  de  l'opposition  a  attaqué  à  ce  sujet  le  ministère  dans 
la  séance  du  6  juin.  Lord  Wicllow  a  blâmé  l'établissement  de  la 
commission.  Lord  Grey  a  soutenu  que  cette  mesure  ne  préjugeait 
rien  ,  que  personne  ne  songeait  à  assimiler  l'Eglise  d'Angleterre  à 
l'Eglise  d'Irlande  ;  mais  que  l'on  ne  pouvait  disconvenir  que  celle-ci 
avait  besoin  d'une  meilleure  répartition  des  biens.  L'archevêque  de 
Cantorbéry  et  les  évêques  de  Londres  et  d'Exeter  réclamèrent  forte- 
ment pour  l'Eglise  protestante  d'Irlande ,  et  le  dernier  surtout  se 
plaignit  que  le  ministère  faisait  violer  au  roi  ses  sermens.  Lord 
Brougham  répondit  aux  évêques  en  se  moquant  un  peu  de  leurs  do- 
léances. La  motion  de  lord  AVicklow ,  pour  que  l'on  fit  connaître  la 
base  des  travaux  de  la  commissioa ,  a  été  adoptée. 


100 


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MSIiANGES.  —  Jnillet   1 834. 

Mort  de  M.  Van  Gils.  —  Conversion  du  docteur  anglican  King.  —  Mé- 
daille décernée  à  M.  Triest  ;  nombre  de  ses  institutions.  —  Différentes 
religions  en  Angleterre.  —  Des  det'oirs  des  hommes  ,  par  Silvio  Pellico. 
Bénéfices  de  l'Eglise  anglicane.  —  Bibliothèques  de  Paris.  —  Bi- 
bliothèque de  St.-Pétersbourg.  —  Antiquités  découvertes  dans  l'île  de 
Ceylan.    —  Piéflexions  du  Franc-parleur  sur  l'Université  catholique. 

Hiérographie  de  M.  Ganelli.  —  Séance  de  l'Acadéaiie  de  Bruxelles 

du  7  Juillet.  —  Lettre  de  Mgr.  PArchevêque  de  Paris.  —  Conversion 
de  M.  Tbeiner. 

■ —  Le  savant  et  respectable  M.  Antoine  Van  Gils  est  mort  le 
10  juin  dernier  au  séminaire  de  Bois-le-Duc.  Il  était  né  à  Tilbourg, 
dans  le  Brabant  septentrional  ,1e  29  juillet  1738.  Proclamé prewi/er 
à  l'ancienne  Université  de  Louvain  le  17  août  1779,  il  fut  ordonné 
prêtre  à  Anvers  le  14  juin  1783.  Après  avoir  été  successivement 
lecteur  en  théologie  au  collège  du  Pape  et  à  l'abbaye  de  Ste.-Ger- 
trude  ,  il  fit  sa  licence  et  alla  exercer  le  saint  ministère  à  Eindhoven 
et  à  Bois-le-Duc.  Rappelé  à  Louvain  ,  il  fut  nommé  en  1790  pré- 
sident du  collège  de  Malderus  ,  chanoine  de  St. -Pierre,  et  professeur 
de  théologie.  Il  occupa  aussi  la  chaire  de  littérature  grecque  au 
collège  dit  des  Trots-Langues.  Le  11  avril  1794  il  soutint  les  exer- 
cices accoutumés  pour  le  grade  de  docteur  en  théologie  ,  mais  l'en- 
trée des  Français  dans  la  Belgique  l'empêcha  d'être  proclamé  dans 
la  forme  ordinaire.  Dans  le  cours  de  la  même  année  M.  Van  Gils 
fut  élevé  à  la  dignité  de  recteur  magnifique  de  l'Université.  Après  la 
suppression  de  l'Université  il  fut  nommé  président  et  professeur  au 
nouveau  séminaire  de  Bois-le-Duc  qui  s'ouvrit  à  Herlaer  le  29  jan- 
vier 1798.  Sa  conduite  ferme  et  courageuse  lui  avait  mérité,  sous 
le  gouvernement  impérial ,  les  honneurs  de  la  persécution  ;  arrêté 
en  1812  ,  il  vécut  en  exil  à  Malines  et  à  Dijon,  et  n'obtint  sa  li- 
berté que  le  22  février  1814.  Nous  espérons  qu'une  notice  détaillée 
sera  consacrée  à  la  mémoire  d'un  homme  si  justement  vénéré  dans 
la  Belgique.  Il  laisse  plusieurs  écrits  en  manuscrit  ;  parmi  ceux  qu'il 
a  publics  on  dislingue  1°  De  Grondcn  eau  het  Christen-Cutholiek 
Geloof,  tegen  overdc  Grondcn  der  Philosophie  ;  Bois-le-Duc  1800, 
in-8°;  2°  Roomsch-KathoUjk  meijerysch  Memorie-boek  etc.  ibid  in-8°. 


UÉLÂl^GES.  101 

3°  Anahjsis  epistolarum  B»  Pauli,  ad  usum  seminarii  Sylvœ- 
Ducensis ,  Louvaiu  1816,  3  vol.  in,-12. 

—  Un  ministre  protestant ,  le  docteur  King  ,  de  Londres  ,  a  suivi 
l'exemple  de  l'honorable  M.  Spencer  (V.ci-d.  t.  VII,  p.  488)  ,  et 
s'est  fait  catholique  ;  après  avoir  cherclié  la  vérité  pendant  deux  ans  , 
il  a  fait  sa  profession  de  foi  entre  les  mains  du  docteur  Baines , 
évêque  de  Siga  et  vicaire  apostolique  du  district  de  l'Ouest.  A 
New-York  ,  un  protestant ,  M.  Gardner  Jones  ,  a  fait  connaître  dans 
un  journal  de  cette  ville  les  sept  raisons  qui  l'ont  engagé  à  se  faire 
catholique.  Il  déclare  qu'il  n'a  été  influencé  par  aucun  catholique, 
et  qu'il  doit  sa  conversion  au  docteur  protestant  Brownler  et  à  la 
manière  dont  il  a  défendu  le  protestantisme  dans  sa  controverse  avec 
trois  prêtres  catholiques  de  New-York.  Ses  sept  raisons  sont  que 
l'Eglise  romaine  est  la  seule  catholique  ,  qu'elle  remonte  jusqu'aux 
apôtres ,  qu'elle  a  résisté  aux  révolutions  et  aux  hérésies ,  tandis  que 
les  églises  séparées  n'ont  point  de  règle  de  foi ,  rejettent  des  dogmes 
anciennement  reconnus  et  des  pratiques  respectables  ,  et  conduisent 
à  l'oubli  de  la  religion.  Sa  lettre,  datée  du  18  janvier  dernier,  a 
été  insérée  dans  le  Wecklij  Register  et  CathoUc  Diary  de  New-York. 
Depuis,  M.  Gardner  Jones  a  répondu  dans  le  même  journal  à  des 
attaques  des  journaux  proteslans. 

—  La  direction  de  la  société  Montyon  et  Franklin ,  a  décidé  de 
décerner  à  M.  le  chanoine  Triest ,  non-seulement  sa  magnifique 
médaille  d'or  des  Bienfaiteurs  de  V Humanité  (1)  ,  mais  en  outre, 
de  faire  graver  son  portrait ,  accompagné  d'une  notice  très-développée. 
Jusqu'à  présent,  si  nous  ne  nous  trompons  ,  cette  honorable  distinction 
n'avait  eu  lieu  ,  pendant  la  vie  des  hommes  utiles  ,  qui  en  sont  l'ob- 
jet,  que  pour  M.  Paillette,  chevalier  de  la  Légion- d'Honneur  «  qui, 
51  dit  sa  notice  biographique  ,  a  sauvé  plus  d'hommes ,  Français  ou 
«  étrangers  ,  que  le  plus  terrible  soldat  de  toutes  les  armées  de  la 
»  république  ou  de  l'empire  ne  pourrait  se  vanter  d'en  avoir  tué  de 
»  sa  main.  »  Celte  décision  de  la  société  philanthropique  de  Paris  , 
fut  prise  après  la  lecture  d'un  extrait  de  la  Notice  historique  sur 
Gand ,  ses  monumem  ,  ses  institutions  ,  sa  statistique  ,  etc.,  dans 

(i)  La  remise  de  cette  médaille  a  été  faite  le  21  juin  à  M.  Tiiest, 
par  M.  le  bourgmestre  de  Gand  ,  en  présence  du  conseil  de  Régence 
et  de  M.  Paillette,  envoyé  de  la  société. 


102  MÉLANGES. 

lequel  sont  résumés  les  travaux  évangéliques  de  M.  Triest.  Cet  ex- 
trait a  été  envoyé  à  Paris ,  certifié  et  appuyé  par  la  signature  de 
plusieurs  citoyens recommandables  de  Gand.  Le  livre  de  M.  A.  P^oisiny 
se  trouvant  entre  les  mains  de  beaucoup  de  personnes  ,  nous  croyons 
inutile  de  reproduire  le  passage  dont  nous  parlons. 

Voici  des  renseignemens  entièrement  neufs  et  positifs  que  nous 
nous  sommes  procurés  sur  le  nombre  des  institutions  fondées  par 
notre  St.-F^incent  de  Paul ,  et  l'on  verra ,  qu'il  n'y  a  peut-être  pas 
maintenant  en  Europe  un  homme,  soit  prince,  soit  simple  parti- 
culier ,  qui  ait  mieux  mérité  la  juste  distinction  de  la  société  Mon- 
tyon  et  Franklin. 

Depuis  1803,  il  a  créé  quinze  maisons  desservies  actuellement 
par  deux  cents  sœurs  de  la  charité  de  Jésus  et  de  Marie.  Servir  les 
malades  des  deux  sexes ,  soigner  les  femmes  aliénées ,  instruire  les 
sourdes-muettes  ,  diriger  des  pensionnats  de  filles  ,  élever  enfin  des 
orphelines  et  d'autres  enfans  pauvres ,  telle  est  le  vœu  de  ces  bonnes 
sœurs.  Ces  quinze  maisons  renferment  une  population  d'environ 
1800  individus  :  elles  sont  établies  à  Gand  ,  où  l'on  en  compte  trois, 
à  Tournai  ,  à  Lovendeghem,  Eccloo ,  Bruges,  Courtrai  ,  St. -Génois, 
Renaix  ,  Berleghem  ,  Saffelaer  ,  Melsele  ,  Anvers  ,  Berlhem  et 
Bruxelles.  M.  Triest  est  sur  le  point  de  faire  construire,  au  rempart 
des  Moines  ,  de  cette  dernière  ville ,  pour  les  aliénées  et  les  incu- 
rables, un  hoîel  dont  tous  les  plans  sont  déjà  tracés. 

Ces  mêmes  sœurs  ont  encore  à  Gand  deux  pharmacies  parfaite- 
ment tenues  ;  l'une  à  l'hospice  des  femmes  aliénées  ,  l'autre  à  l'in- 
stitut des  sourdes-muettes  :  elles  y  distribuent  gratis  aux  pauvres  les 
médicamens  qui  sont  fournis  par  le  bureau  de  bienfaisance. 

Si  nous  passons  maintenant  aux  institutions  desservies  par  les 
frères  de  la  charité  de  St. -Vincent  de  Paul ,  qui  sont  au  nombre 
de  70  ,  nous  trouvons  qu'ils  possèdent  dix  maisons  dont  cinq  sont 
situées  à  Gand  ,  et  les  cinq  autres  à  Froidmont ,  près  de  Tournai , 
à  Anvers,  Louvain ,  Bruges  et  St.-Trond.  L'établissement  de  celte 
dernière  ville  recevra  aussi ,  avant  la  fin  de  l'année,  des  vieillards, 
des  aliénés  et  des  orphelins. 

Ces  10  maisons  comptent  plus  de  2300  individus  :  ainsi  les  2o  éla- 
blissemens  fondés  ou  dirigés  par  M.  le  chanoine  Triest ,  renferment 
plus  de  -4200  personnes  ,  sans  y  comprendre  270  sœurs  et  frères  de 
la  charité.  Ceux  de  ces  établissemens  ,  dont  la  disposition  et  l'éten- 
due des  locaux  le  permettent ,  donnent  asyle  à  plusieurs  classes 
d'infortunés  ,   mais  toujours  du  même  sexe.  C'est  ainsi ,  par  exem- 


MÉLANGES.  103 

pie ,  que  la  maison  de  Tournai ,  érigée  dans  le  vaste  local  de  l'an- 
cien séminaire ,  et  dont  la  population  est  de  plus  de  230  individus, 
est  divisée  en  trois  corps  de  bàtimens  bien  distincts  :  l'un  est  pour 
les  incurables,  un  autre  pour  les  aliénées,  et  le  troisième  pour  les 
orphelines;  à  Gand ,  la  maison-mère,  établie  dans  l'abbaye  de  Ter- 
Laegben  ,  est  aflTectée  à  l'institut  royal  des  sourdes-muettes  ainsi 
qu'aux  incurables.  Depuis  trois  ou  quatre  ans ,  M.  Triest  y  a  même 
fait  construire  un  local  pour  les  aveugles  :  mais  jusqu'à  présent  on 
n'y  a  présenté  qu'une  petite  fille.  Comme  elle  est  seule ,  elle  est  éle^ 
vée  avec  les  sourdes-muettes.  Il  n'y  a  rien  d'attendrissant  comme 
de  voir  catiser  cette  intéressante  et  spirituelle  enfant  avec  des  infor- 
tunées ,  privées  de  l'onïe  et  de  la  parole.  On  lui  a  créé  un  langage 
à  part  ;  elle  formule  ses  idées ,  même  les  plus  déliées  ,  en  palpant 
soit  les  mains ,  soit  les  vêtemens  de  ses  compagnes  ,  qui  lui  répon- 
dent de  la  même  manière.  Tout  le  monde  sait  que  les  sourds-muets 
expriment  toutes  les  lettres  de  l'alpbabet  à  l'aide  des  mains,  res- 
source dont  est  privé  l'aveugle. 

Si  nous  faisons  la  statistique  rapide  des  diverses  espèces  d'insti- 
tutions ,  desservies  par  les  sœurs  de  la  charité  de  M.  Triest ,  nous 
en  trouvons  1 1  pour  les  incurables  ;  2  pour  les  aliénées  ;  2  pour  les 
sourdes-muettes;  2  écoles  de  pauvres  filles;  3  pensionnats  de  jeu- 
nes demoiselles  ;  2  hospices  d'orphelines  ;  1  maison  d'aveugles  ; 
8  écoles  d'externes;  3  ateliers  de  travail;  1  hôpital  :  total  3-i.  Les 
institutions,  desservies  par  les  frères  sont  au  nombre  de  12,  savoir; 
2  hospices  d'aliénés;  un  institut  royal  de  sourds-muets;  6  écoles  de 
pauvres  très-nombreuses;  1  d'orphelins;  1  école  d'externes  paysans; 
1  de  vieux-hommes  :  ensemble  46  institutions  fondées  dans  23  mai- 
sons. Le  vénérable  philanthrope  qui  croit  n'avoir  rien  fait ,  tant 
qu'il  reste  quelque  chose  à  faire ,  exécute  encore  en  ce  moment  de 
grands  projets ,  et  il  est  probable  que  sous  peu  de  mois ,  ses  pieux 
établissemens  serviront  d'asyle  à  environ  cinq  mille  individus. 

Nous  terminerons  cet  article  en  disant  que  la  société  Blontyon  et 
Franlilin,  outre  les  médailles  d'or  qu'elle  ne  décerne  qu'avec  une 
très-prudente  réserve,  publie  tous  les  ans  24  portraits,  accompagnés 
de  leurs  notices  historiques ,  des  bienfaiteurs  de  rhumanitc  et  des 
hommes  utiles  de  tous  les  pays.  Ces  portraits  gravés  sur  acier  sont 
tous  admirablement  exécutes  ,  et  celui  de  notre  vénérable  concitoyen, 
sera  confié  au  premier  artiste  de  la  capitale.  Les  personnes  qui  dé- 
sirent prendre  connaissance  de  l'excellente  et  belle  publication  de  la 
société  peuvent  s'adresser  au  libraire  Van  Ryckeghem  à  Gand.  — 
Journal  des  Flandres,  n°  173. 


104  MiLATfGES. 

—  Des  journaux  anglais  ont  donné  dernièrement  des  calculs  plus 
ou  moins  exacts  sur  le  nombre  des  sectateurs  des  différentes  religions 
dans  la  Grande-Bretagne.  Le  Morning  Chronicle  porte  plus  haut  le 
nombre  des  dissidens  ;  et  le  Standard,  journal  tory,  prétend  au 
contraire  que  les  anglicans  dominent.  Biais  ils  s'accordent  à  comp- 
ter 144,244  catholiques  et  84  chapelles  dans  le  comté  de  Lancaster, 
Sur  ce  nombre  ,  il  y  en  a  ,  dit-on  ,  60,000  à  Liverpool.  On  estime 
à  116,000  les  dissidens  de  toutes  les  sectes  diverses.  Le  Morning 
Chronicle  prétend  qu'il  y  a  160,000  catholiques  à  Londres.  La  so- 
ciété dite  de  la  réformation,  qui  a  pour  objet  de  combattre  les  pro- 
grès de  la  religion  catholique  et  qui  est  accusée  de  les  exagérer  un 
peu  pour  jeter  l'alarme  parmi  les  protestans  ,  a  publié  une  carte  qui 
offre  les  noms  et  la  situation  des  chapelles  ,  séminaires  et  collèges 
catholiques.  Elle  portait  à  423  le  nombre  des  chapelles  catholiques 
dans  l'Angleterre  et  le  pays  de  Galles  et  à  74  celles  de  l'Ecosse.  Il 
y  avait  eu  ,  suivant  cette  carte  ,  6o  nouvelles  chapelles  en  Angleterre 
depuis  1824  et  23  en  Ecosse  depuis  1829.  Les  comtés  en  Angleterre 
où  il  y  a  le  plus  de  chapelles  sont  ceux  de  Lancasfre ,  où  il  y  en 
a  87  ;  York  ,  53;  Stafford  23  j  Northumberland  et  Middlesex ,  cha- 
cun 19;  Warwick  et  Durham  ,  chacun  14;  Harapshire  ,  12;  Lin- 
coln ,  11.  Il  n'y  en  a  point  dans  les  comtés  de  Rutland  et  de  Hun- 
tingdon.  Dans  le  pays  de  Galles  ,  sur  onze  comtés  il  y  en  a  six  qui 
n'ont  point  de  chapelles ,  et  il  n'y  en  a  que  huit  en  tout  dans  la 
principauté.  En  Ecosse  ,  les  comtés  d'Inverness  et  de  Banff  sont  ceux 
qui  ont  le  plus  de  chapelles.  Le  premier  en  a  17  ,  et  le  second  12. 
La  société  de  la  réforme  établit  ce  qu'elle  appelle  des  stations  pour 
contrebalancer  l'action  et  les  progrès  de  la  religion  catholique.  Elle 
a  jusqu'ici   formé  46  stations  dans  toute  la  Grande-Bretagne. 

—  DES  DEVOIRS  DES  HOMMES  :  Traité  offert  à  la  jeunesse  ; 
par  Silvio  Pellico  ,  de  Saluées.  — S'il  est  un  homme  digne  de  tracer 
à  la  jeunesse  ses  devoirs  dans  la  carrière  de  la  vie  ,  c'est  sans  doute 
celui  qui  ,  éprouvé  par  de  longues  infortunes ,  n'a  rapporté  d'un 
affreux  exil  noblement  souffert  pendant  dix  années  ,  qu'un  cœur 
calme  et  compatissant  ,  et  des  paroles  de  paix  et  d'amour  pour  tous 
les  hommes.  Or  ,  tel  fut  l'illustre  prisonnier  des  plombs  de  Venise  , 
et  du  Sj)ielberg.  A  lui  donc  la  sublime  tâche  de  nous  frayer  la  route 
du  devoir  et  des  vertus.  C'est  avec  un  vif  plaisir  que  nous  voyons 
se  publier  à  la  fois  plusieurs  éditions  de  ce  précieux  opuscule ,  digne 
de  l'auteur  de  Mie  Prigioni.  Puisse-t-il  tomber  entre  les  mains  de 


MÉLANGES.  105 

tous  ceux  qui  ont  voulu  lire  l'histoire  de  ses  malheurs.  Ils  pourront 
ainsi ,  à  l'école  de  Silvio  Pellico  ,  s'instruire  et  s'édifier  tour  à  tour 
par  la  voie  des  préceptes  et  par  celle  de  l'exemple. 

■ —  Un  journal  protestant,  le  Libre  Examen,  donne  la  notice 
suivante  sur  les  bénéfices  de  l'Eglise  anglicane.  —  «  Dans  la  cham- 
bre des  pairs  d'Angleterre  ,  il  y  a  plus  de  deux  cents  propriétaires 
du  droit  de  présenter  aux  bénéfices  ecclésiastiques  ,  sans  compter  le 
lord  chancelier  et  les  évêques.  On  sait  d'ailleurs  que,  malgré  les 
lois  contre  la  simonie,  une  foule  de  changeurs  et  de  Irafiqueurs  se 
sont  introduits  dans  le  temple.  En  Angleterre  ,  on  achète  ,  on  cède, 
on  hypothèque  le  droit  de  collation  aux  bénéfices.  Aussi  il  est  facile 
de  prévoir  que  toute  mesure  de  réforme  qui  n'aurait  point  pour  ré- 
sultat de  mettre  un  terme  à  ce  trafic  scandaleux  rencontrera  la  plus 
vive  opposition  dans  la  chambre  des  communes.  Il  ne  serait  pas 
impossible  non  plus  que  plusieurs  membres  ,  qui  appuient  ordinai- 
rement le  ministère ,  votassent  contre ,  dès  qu'il  s'agira  de  toucher 
aux  propriétés  de  l'Eglise.  Pour  justifier  nos  craintes  à  ce  sujet,  il 
sufiûra  de  transcrire  la  liste  suivante  ,  qui  renferme  le  nom  des  prin- 
cipaux propriétaires  du  droit  de  collation  à  la  chambre  haute.  Le 
comte  de  Craven  possède  treize  bénéfices  ;  le  comte  d'Albemarle  , 
neuf;  le  duc  de  Cleveland  ,  quatorze  ;  le  duc  de  Sutherland ,  huit; 
le  duc  de  Portland,  dix  ;  lord  Yarborough,  quinze  ;  le  duc  de  Bed- 
ford  ,  vingl-sept  ;  le  comte  de  FitZAvilliam  ,  trente-un  ;  le  duc  de 
Devonshire  ,  quarante-huit,  le  duc  de  Norfolk,,  vingt-un.  Tous  ces 
seigneurs  sont  du  parti  qui  soutient  le  ministère  ,  c'est-à-dire  du  parti 
whig  ;  voici  maintenant  quelques  notabilités  du  parti  tory  :  le  mar- 
quis d'AUesbury  dispose  de  neuf  bénéfices  ;  le  marquis  de  Bath,  de 
treize  ;  le  comte  de  Lansdale  ,  de  trentredeux  ;  le  duc  de  Bucking- 
ham  ,  de  treize  ;  le  marquis  de  Bristol  ,  de  vingt  ;  le  comte  de  Shaf- 
tesbury  ,  de  douze  ;  le  duc  de  Northumberland  ,  de  treize  ;  le  duc 
de  Rutland  ,  de  vingt-neuf;  le  duc  de  Beaufort ,  de  vingt-neuf.  Quant 
au  lord  chancelier ,  il  jouit  du  droit  de  collation  à  non  moins  de 
huit  cent  sept  places  de  ce  genre.  Tous  les  évêques  du  parlement  en- 
semble ,  y  compris  ceux  d'Irlande  ,  disposent  d'environ  dix-neuf 
mille  bénéfices.  On  évalue  à  quatre  mille  cinquante  le  total  de  ceux 
dont  la  chambre  des  pairs  peut  disposer.  Il  y  a  aussi  un  nombre 
assez  fort  de  propriétaires  de  ce  singulier  privilège  à  la  chambre  des 
communes  ;  mais  ce  chiffre  est  insignifiant  quand  on  le  compare  à 
celui  de  l'autre  chambre.  » 


106 


MELANGES. 


—  Bibliothèques  de  Paris.  —  La  bibliothèque  royale  se  composait 
de  910  volumes  sous  Charles  V,  de  1,890  sous  François  I  ,  et  de 
16,746  sous  Louis  XIII.  En  1684,  elle  possédait  50,342  volumes; 
en  1775,  près  de  loO,000  volumes  ,  et  environ  200,000  en  1790. 
Elle  est  riche  aujourd'hui  de  plus  de  600,000  volumes  imprimés , 
et  de  80,000  manuscrits ,  sans  compter  plusieurs  centaines  de  mil- 
liers de  pièces  relatives  à  l'histoire  générale  et  surtout  à  l'histoire  de 
France. 

La  Bibliothèque  Mazarine  se  composait,  en  1684,  de  40,000  vo- 
lumes :  elle  en  compte  aujourd'hui  90,000  imprimés,  et  3437  ma- 
nuscrits. On  y  remarque  surtout  beaucoup  d'anciens  livres  de  droit, 
de  théologie  ,  de  médecine  et  de  sciences  physiques  et  mathématiques. 
Elle  possède  la  collection  la  plus  complète  des  auteurs  luthériens  et 
protestans. 

La  bibliothèque  de  l'Arsenal  ,  créée  par  le  marquis  de  Paulmy  , 
a  été  acquise,  en  1781  ,  par  le  comte  d'Artois.  Elle  se  compose  de 
plus  de  173,000  volumes,  sur  lesquels  il  y  a  environ  6000  manus- 
crits. Elle  est  surfout  riche  en  romans  ,  pièces  de  théâtre  ,  anciennes 
et  modernes ,  poésies  françaises ,  et  possède  quelques  ouvrages  im- 
portans  d'histoire  qui  ne  se  trouvent  pas  ailleurs. 

La  bibliothèque  de  Sainte-Geneviève  fut  fondée  en  1624.  Elle  s'est 
SDCcessiveraent  accrue  de  600  volumes  à  160,000  ,  parmi  lesquels  il 
y  a  3300  manuscrits.  On  y  trouve  toutes  les  collections  académiques, 
et  de  précieux  ouvrages  historiques.  Ses  manuscrits  les  plus  remar- 
quables sont  des  manuscrits  grecs  ou  orientaux. 

Récapitulation  : 

Bibliothèque  royale 680,000  volumes. 

Bibliothèque  Mazarine 93,437 

Bibliothèque  de  l'Arsenal.   .    .   .  173,000 

Bibliothèque   Sainte- Geneviève.  163,500 

Total 1,111,937  volumes. 

—  Bibliothèque  de  Saint-Pétersbourg .  —  La  bibliothèque  pu- 
blique impériale  possédait ,  au  commencement  de  1833 ,  263,647  vo- 
lumes imprimés,  et  14,632  manuscrits.  Dans  le  courant  de  celte 
année  S.  M.  l'a  enrichie  par  le  don  de  7728  livres  de  la  bi- 
bliothèque de  Pulawy ,  de  13  cartons  de  manuscrits  de  l'ancienne 


MÉLANGES.  107 

société  des  amis  des  sciences  de  Varsovie ,  et  -499  caisses  de  la  bi- 
bliothèque de  Varsovie. 

On  n'a  déballé  jusqu'à  présent  que  200  caises  ;  les  ouvrages 
qu'elles  contenaient  seront  placés  au  rez-de-chaussée  d'un  pavillon 
nouvellement  bâti.  Toutes  les  caisses  renferment  130,000  volumes 
d'ouvrages  classiques  dans  presque  toutes  les  langues  vivantes.  Par 
achat  et  par  dons  particuliers,  la  bibliothèque  s'augmenta  en  1833 
de  1019  livres  et  de  12  manuscrits.  Autrefois  elle  était  ouverte  au 
public  trois  fois  par  semaine  ,  maintenant  on  l'a  fermée  à  cause  de 
réparation  et  de  l'agrandissement  que  subit  l'édifice. 

—  Des  antiquités  fort  curieuses  viennent  d'être  découvertes  dans 
l'île  de  Ceylan ,  aux  environs  de  Topary.  Il  s'agit  de  temples  circu- 
laires de  cent  pieds  de  haut  ,  surmontés  d'obélisques  ,  et  entourés 
de  tumulus ,  comme  chez  la  plupart  des  nations  antiques.  Mais  la 
plus  surprenante  découverte  consiste  dans  une  statue  haute  de  plas 
de  cinquante  pieds  ,  bien  proportionnée  ,  et  une  autre  en  adoration 
devant  elle  ,  portées  toutes  deux  sur  un  soubassement  de  rochers  en 
tallus ,  de  trente  pieds  de  haut  sur  quatre-vingts  de  large.  On  a  cru 
reconnaître  dans  la  grande  figure  la  divinité  Eouddha.  Ces  deux  sta- 
tues et  leur  soubassement  ont  été  taillés  dans  le  roc. 

—  Un  journal  qu'on  n'accusera  point  d'être  trop  favorables  aux  ca- 
tholiques ,  donne  les  réflexions  suivantes  sur  l'Université  catholique  : 

«  Le  clergé  qui  fut  si  long-temps  à  la  tête  de  l'enseignement  pu- 
blic ,  qui  si  long-temps  eut  seul  entre  les  mains  ce  levier  puissant , 
ne  s'est  pas  endormi  au  milieu  de  l'espèce  d'apathie,  de  l'espèce 
d'indifférence  que  nos  hommes  d'état  montrent  à  l'égard  de  l'instruc- 
tion, surtout  de  l'instruction  universitaire.  Tandis  que  le  haut  en- 
seignement est  partout  incomplet ,  que  les  universités  sont  à  peu  près 
désorganisées ,  qu'il  y  règne  une  espèce  d'anarchie  ,  car  jusqu'ici  on 
ne  s'est  occupé  de  ces  utiles  établisseraens  que  pour  leur  nuire,  le 
clergé  se  concerte ,  se  coalise  ,  se  cotise  ,  sollicite  la  générosité  des 
fidèles,  trouve  de  l'argent,  beaucoup  d'argent  pour  fonder  une  uni- 
versité, et  il  l'appelle  catholique,  non  sans  doute  par  opposition 
avec  les  autres ,  mais  parce  que  c'est  son  ouvrage ,  sa  création.  11 
met  à  profit  cette  liberté  illimitée  de  l'enseignement  que  la  charte 
belge  a  proclamée ,  il  donne  un  exemyjle  qui  paraît  être  perdu  pour 
le  gouvernement   qui  a  le  plus  grand  intérêt  à  ne  pas  abandonner 


108  MÉLANGES. 

l'instraction  publique  à  une  classe  particulière  de  citoyens  ,  quelque 
bonnes  ,   quelque  pures  que  puissent  être  ses  intentions. 

«  De'jà  on  annonce  que  les  facullés  préparatoires,  la  faculté  des 
sciences  ,  la  faculté  de  la  pliilosopliie  et  des  lettres  de  l'université 
catholique  seront  en  état  de  recevoir  des  élèves,  au  mois  d'octobre 
prochain  ;  ceux  qui  ont  fondé  cette  grande  institution  auront  donc 
l'année  suivante  des  jeunes  gens  bien  et  duement  préparés  à  suivre 
les  cours  de  théologie ,  de  droit  et  de  médecine  ,  et  c'est  un  immense 
avantage  qu'ils  auront  sur  l'université  ou  les  universités  à  établir  par 
le  gouvernement,  si  toutefois  elles  sont  organisées  même  dans  un 
an  ;  car  qu'on  ne  s'y  trompe  pas  ,  la  manière  dont  les  jeunes  gens 
sont  préparés  aujourd'hui  à  la  candidature  en  sciences  ,  ou  en  phi- 
losophie et  lettres ,  et  celle  surtout  dont  ils  y  sont  admis ,  est  bien 
loin ,  au  moins  en  général ,  d'offrir  des  garanties  suffisantes.  Puis- 
qu'on ne  se  décidait  pas  à  régler  convenablement  le  haut  enseigne- 
ment,  on  aurait  dû,  ce  nous  semble,  établir  au  préalable  un  jury 
indépendant  d'examen  ,  pour  la  collation  des  grades  universitaires  ; 
alors  l'éducation  particulière  pour  l'obtention  de  ces  grades  auraient 
pu  avoir  des  résultats  avantageux  ,  réels  ,  positifs  ,  tandis  qu'aujour- 
d  hui  on  devient  candidat  et  même  docteur ,  à-peu-près  par  suite 
d'un  marché  ,  et  la  chose  est  plus  ou  moins  facile  selon  que  l'insti- 
tuteur qui  a  préparé  les  élèves  a  plus  ou  moins  de  crédit ,  plus  ou 
moins  d'influence  sur  les  membres  du  corps  académique. 

"  Le  clergé  a  donc  bien  fait ,  pour  ce  qui  l'intéresse  ,  de  combler 
le  vide  laissé  ,  comme  de  propos  délibéré  par  le  ministère  dans  le 
système  de  l'instruction  publique  ;  il  en  avait  le  droit ,  et  il  en  a 
usé  ;  qu'il  l'ait  fait  soit  dans  des  intentions  toutes  philanthropiques, 
soit  dans  des  vues  qu'il  ne  nous  appartient  pas  de  pénétrer,  il  l'a 
fait ,  et  en  cela  il  s'est  montré  beaucoup  plus  sage ,  beaucoup  plus 
adroit  que  nos  hommes  d'état  ;  il  a  compris  ce  que  peut  l'éducation, 
nous  ne  dirons  pas  pour  l'affermissement  d'un  parti ,  mais  pour  la 
propagation  d'une  doctrine  quelconque.  » 


—  M.  Ganellt  ,  de  Naples  ,  vient  de  terminer  un  important  ou- 
vrage en  quatre  volumes ,  qui  a  pour  titre  :  Exposition  du  système 
de  Hiéroqraphie  cryptique  des  Nations  de  V Antiqtiité .  L'auteur 
s'est  proposé  d'établir  la  théorie  universelle  des  nombreux  systèmes 
de  l'Ecriture  sainte  en  usage  chez  les  anciens. 


MÉLANGES.  109 

—  Académie  royale  des  sciences  et  belles-lettres  de  Bruxelles. 
—  Extrait  du  bulletin  de  la  séance  du  1  juin.  —  M.  Dewez ,  se- 
crétaire perpétuel,  donne  lecture  1°  d'ane  lettre  de  M.  le  ministre 
de  l'intérieur  et  de  l'arrêté  royal  y  joint ,  qui  approuve  leâ  élections 
faites  par  l'Académie  ;  2"  d'une  autre  lettre  de  31.  le  ministre  de  l'in- 
térieur ,  demandant  l'avis  motivé  de  l'Académie  sur  le  mérite  et  l'u- 
tilité de  l'ouvrage  de  MM.  Courtois  et  Lejeune ,  intitulé  :  Cornpen- 
dium  florœbelgiœ.  Une  commission,  composée  de  trois  membres  , 
est  cliargée  de  faire  un  rapport  sur  cet  ouvrage. 

M.  Quetelet ,  en  sa  qualité  de  directeur,  communique  une  lettre 
de  M.  le  ministre  de  l'intérieur  ,  en  réponse  à  celle  qu'il  lui  avait 
adressée  ,  en  lui  envoyant  son  rapport  sur  les  travaux  de  l'Académie. 
M.  le  ministre  reconnaît  que  l'Académie  a  fait  tout  ce  qui  dépen- 
dait d'elle  ,  dans  les  circonstances  où  elle  s'est  trouvée ,  pour  accom- 
plir sa  mission ,  et  ajoute  qu'il  ne  peut  qu'applaudir  à  ses  efforts  et 
l'engager  à  y  persévérer. 

Il  est  donné  lecture  des  rapports  de  MM.  d'Omalius ,  Cauchy  et 
Sauveur,  sur  un  Mémoire  de  M.  Morren,  relatif  aux  ossemens  fos- 
siles d'éléphans  trouvés  en  Belgique  et  sur  une  nouvelle  espèce  d'é- 
léphant fossile  qu'il  nomme  Elephas  Macrorynchus.  Les  conclusions 
de  ces  rapports  sont  que  le  travail  de  M.  Morren  renferme  des  ren- 
seignemens  d'uu  grand  intérêt  pour  la  géologie  de  notre  pays.  Des 
remercîmens  seront  adressés  à  M.  Morren  pour  cette  nouvelle  com- 
munication. . 

D'après  les  recherches  de  M.  Morren  ,  les  localités  de  la  Belgique 
où  l'on  a  jusqu'ici  rencontré  des  débris  fossiles  d'éléphans  ,  senties 
environs  d'Ostende,  de  Bruges,  d'Anvers  et  de  Louvain  ;  les  com- 
munes de  Tamise,  de  Melsbroeck ,  de  Smermaes  et  de  Niel  (pro- 
vince d'Anvers)  enûn  les  communes  de  Cheratte  ,  de  Chênée  et  de 
Chotier ,  dans  la  province  de  Liège. 

M.  Van  Mons  communique  trois  Notices  manuscrites  : 
1°  Sur  les  combinaisons  indestructibles  par  la  chaleur  que  les 
chlorures  métalliques  et  non  métalliques  contractent  entre  eux  et 
avec  d'autres  composés  ,  et  sur  le  motif  chimique  de  ces  combinai- 
sons; 2"  de  la  matière  dont  se  forment  les  charges  électriques  opposées  ; 
3"  du  semis  des  pommes  de  terre  en  vue  d'en  restaurer  le  plant  et 
d'en  améliorer  l'espèce. 

M.  de  ReilTenberg  met  sous  les  yeux  de  l'Académie  une  copie  gra- 
vée des  diverses  antiquités  qu'il  avait  communiquées  dans  une  séance 


110 


aiELÀKGES. 


précédente ,  et  demande  que  cette  planche  soit  distriJ^uée  avec  le 
bulletin  de  la  séance  d'aujourd'hui ,  afin  de  mettre  les  connaisseurs 
à  même  de  dire  leur  avis  sur  ce  point  d'archéologie. 

Il  présente  ensuite  un  ouvrage  de  sa  composition  intitulé  :  le  Di- 
manche,  récits  de  Marsilius  Brunck ,  docteur  en  philosophie  de  l'u- 
niversité de  ïïeidelberg.  Bruxelles,  1834,  2  vol.  in-18. 

M.  Quetelet  donne  communication  de  plusieurs  lettres  de  corps 
savans  étrangers,  relatives  à  l'échange  des  mémoires  de  l'Académie. 

Il  communique  également  l'extrait  suivant  d'une  lettre  de  M.  Bar- 
low  correspondant  de  l'Académie  ,  sur  la  construction  de  ses  gran- 
des lunettes  achromatiques  à  lentilles  fluides  :  «  Mes  derniers  efforts 
ont  surtout  eu  pour  objet  la  recherche  d'une  lentille  propre  à  am- 
plifier l'image  d'une  planète,  sans  changer  l'oculaire.  C'est  une  petite 
lentille  concave,  rendue  achromatique  et  libre  d'aberration  sphérique, 
qui  est  placée  à  une  faible  distance  derrière  l'oculaire.  L'image  ainsi 
se  trouve  amplifiée  ,  mais  les  fils  du  micromètre  ne  sont  point  agran- 
dis •  au  contraire  ,  ils  paraissent  du  moins  rendus  plus  minces ,  etc. 

M.  Quetelet  lit  aussi  une  note  qu'il  a  reçue  de  M.  Villermé,  cor- 
respondant de  l'Académie  et  membre  de  l'institut  de  France  ;  cette 
note  a  pour  objet  l'influence  des  terrains  marécageux  ,  et  particu- 
lièrement de  ceux  de  l'île  d'Ely  en  Angleterre.  Elle  porte  entr'autres 
ce  qui  suit  : 

SDR    10,000   DÉCÈS  QUI   ONT  EU   UEU   DEPUIS 

L'âge  de  10  ans 
jusqu'à  la  plus 
grande  vieil- 
lesse ,  on  en 
compte  pour  la 
période  de  10  à 
-40  ans  : 


La  naissance  jus- 
qu'à l'âge  le  plus 
avancé  ,  on  en 
compte  avant 
l'âge  de  10  ans 
accomplis  : 


Dans  l'île  d'Ely    .... 

Dans  l'ensemble  des  districts 
agricoles  ,  parmi  lesquels 
se  range  l'île  marécageuse 
d'Ely 

Dans  l'ensemble  de  districts 
en  partie  agricoles  et  en 
partie  manufacturiers  .  . 


4731 


3505 


3828 


3712 


3U2 


3318 


MÉLANGES.  111 

Dans  l'ensemble  des  districts 

manufacturiers    ....  4335  3727. 

11  faudrait  avoir  les  résultats  mois  par  mois ,  mais  malheureuse- 
ment ils  manquent. 

Le  secrétaire  présente  le  projet  du  programme  pour  le  concours 
de  183o  ,  qui  a  été  discuté  article  par  article ,  et  a  subi  les  mo- 
difications qui  ont  été  jugées  nécessaires.  Une  huitième  question  a 
été  ajoutée  à  la  classe  des  sciences  ,  ainsi  qu'il  suit  : 

u  Discuter  les  diverses  opinions  relatives  à  la  manière  dont  les 
élémens  sont  combinés  ,  dans  les  composés  organiques  ,  et  appuyer 
celle  qui  paraîtra  la  plus  satisfaisante  sur  quelques  faits  inédits  dé- 
pendant de  la  composition  chimique  de  quelques-uns  de  ces  corps.» 

La  question  suivante  a  été  proposée  pour  1836: 

«  Exposer  et  discuter  les  faits  qui  tendent  à  établir  l'existence  des 
vaisseaux  lymphatiques  dans  les  différentes  classes  des  animaux  in- 
vertébrés. 11 

—  Mgr.  l'Archevêque  de  Paris  a  envoyé  la  nouvelle  Encyclique 
du  Saint-Père  à  MM.  les  Curés  ,  avec  la  circulaire  suivante  ; 

Paris,  le  13  juillet  1834. 

«  Monsieur  le  Curé  ,  avant  de  connaître  la  Lettre  Encyclique  de 
notre  saint  Père  le  Pape,  relative  à  l'ouvrage  intitulé  :  Paroles  d'un 
Croyant,  j'avais  eu  l'occasion  de  manifester  mon  sentiment  sur  un 
livre  que  j'ai  vu  paraître  avec  une  douleur  d'autant  plus  vive  ,  que 
j'avais  moins  lieu  de  m'y  attendre ,  d'après  mes  relations  avec  celui 
que  le  public  désigne  pour  en  être  l'auteur.  Le  jugement  du  Doc- 
teur des  Docteurs  ne  laisse  place  désormais  à  aucune  hésitation , 
ni  à  aucun  subterfuge.  Quoiqu'il  n'y  ait  point  eu  de  dissidence 
parmi  les  prêtres  de  mon  diocèse  ,  à  l'égard  des  doctrines  contenues 
dans  cette  trop  malheureuse  brochure  ,  je  regarde  cependant  comme 
un  devoir  d'appeler  la  méditation  la  plus  respectueuse  et  la  plus 
soumise  du  clergé  de  Paris  ,  sur  l'instruction  que  le  Souverain- 
Pontife  adresse  à  tous  les  évoques,  aGn  de  réunir  dans  un  même 
esprit  et  dans  une  môme  action ,  par  cet  acte  solennel  ,  tout  ce  qui 
est,  tout  ce  (jui  voudra  demeurer  catholique.  Puisse  la  voix  du  Père 
commun  et  du  Pasteur  suprême ,  retenir  sur  le  bord  de  l'abîme  la 
brebis  qui  s'égare,  la  ramener  au  bercail,  ou  préserver  au  moins 
du  danger  toutes  celles  qui  auraient  l'imprudence  de  la  suivre  ! 


112 


MELANGES. 


»  Je  vons  envoie  un  exemplaire  de  la  nouvelle  Lettre  Encyclique. 
Elle  vons  servira ,  ainsi  qu'à  vos  collaborateurs ,  de  règle  de  con- 
duite dans  l'exercice  du  saint  ministère  ,  tant  au  for  extérieur  qu'au 
for  intérieur. 

»  Recevez ,  monsieur  le  Curé  ,  l'assurance  de  mon  tendre  attache- 
ment. 

»  tllYACiNTHE,  Archevêque  de  Paris.» 

—  Il  doit  paraître  prochainement  à  Mayence  un  ouvra£;e  alle- 
mand qui  a  pour  titre  :  Huit  jours  à  Saint-Eusèbe  oti  Histoire 
des  Séminaires.  L'auteur  est  M.  Auguste  Theiner ,  connu  dans  le 
monde  littéraire  par  ses  talens  et  aussi  par  ses  attaques  contre  la 
religion.  Ses  connaissances  en  histoire  ecclésiastique  l'avaient  fait 
regarder  par  un  gouvernement  d'Allemagne  comme  un  instrument 
utile  pour  ce  qu'on  appelle  la  réforme  du  clergé  catholique,  et  qui 
serait  la  perte  du  clergé  et  la  ruine  de  la  religion.  Theiner,  imbu 
des  fausses  doctrines  qui  régnent  dans  les  universités  allemandes  et 
entraîné  par  les  exemples  qu'il  trouvait  dans  une  partie  du  clergé  du 
pays  ,  céda  aux  offres  qu'on  lui  fit ,  attaqua  le  célibat  religieux  et 
voyagea  en  Europe  pour  y  faire  des  recherches  scientifiques.  11  visita 
l'Autriche  ,  l'Angleterre  ,  les  Pays-Bas  et  la  France.  Elevé  dans  la 
religion  catholique  ,  il  fut  frappé  de  ce  qu'il  vit  dans  ces  pays ,  et 
les  entretiens  de  quelques  personnes  éclairées  commencèrent  à  dis- 
siper chez  lui  quelques  préjugés.  Enfin  il  alla  à  Rome  ,  quoi  que 
pussent  faire  ses  amis  et  le  gouvernement  qui  l'employait.  Là  après 
beaucoup  d'irrésolutions ,  il  alla  voir  le  père  Kolman  ,  jésuite  alsa- 
cien, dont  précisément  on  lui  avait  conseillé  d'éviter  les  entretiens. 
Après  plusieurs  conférences  avec  ce  père ,  il  se  rendit  à  la  maison 
des  exercices  de  Saint-Eusèbe  pour  y  faire  une  retraite.  Ce  fut  là 
qu'il  recouvra  la  paix  et  le  bonheur  qu'il  ne  connaissait  plus  5  ce  fut 
alors  qu'il  conçut  le  dessein  de  l'ouvrage  dont  nous  avons  parlé. 
Dans  la  préface ,  il  fait  une  rétractation  très-franche  et  raconte  ses 
égaremens.  Il  eut  le  bonheur  d'être  admis  auprès  du  Saint-Père  ;  et 
là  ,  dit-il ,  pressé  par  une  émotion  intérieure  bien  plus  que  par  l'é- 
tiquette ,  je  me  jetai  à  ses  pieds  ,  et  au  milieu  du  repentir  le  plus 
sincère  et  de  la  joie  la  plus  vive  ,  les  yeux  baignés  de  larmes,  je  fis 
devant  Dieu  la  belle  profession  de  loi  de  Fénelon  envers  l'Eglise 
romaine.  «  Voilà,  dit  le  Journal  historique,  de  Liège,  auquel 
,  nous  empruntons  ces  détails ,  voilà  des  rétractations  comme  il  en 
I  faut;  puisse  la  réaction  religieuse,  dont  on  nous  parle  tant,  nous 
f  donner  de  pareils  exemples  !  et  tout  le  monde  y  croira.  »  L'ouvrage 
%  de  M.  Theiner  s'imprime  en  italien  à  Rome,  en  même  temps  qu'en 
allemand  à  Mayence  ;  nous  espérons  pouvoir  en  rendre  compte.  Les 
aveux  d'un  homme  si  droit  doivent  exciter  un  vif  intérêt. 


113 
TRAGÉDIE    DE    THOMAS    MORUS, 

CHANCELIER    D^ANGLETERRE  , 

Par    SILVIO    PELLICO. 


Coup  d'œil  sur  l'histoire  d'Angleterre  sons  le  règne  d'Henri  VIII.  — 
Quelques  traits  du  caractère  de  ce  roi.  —  Anne  de  Boleyn ,  Wolsey, 
Cranmer.  —  Tragédie  de  Morus  ,  de  Cliénier.  —  Celle  de  Shakespear. 
—  Analyse  de  celle  de  Silvio  Pellico.  —  Jugement  sur  cet  ouvrage. 

Il  n'entre  guère ,  peot-êlre  ,  dans  notre  plan  de  s'occuper 
de  tragi'dics.  Mais  celle  qni  sort  de  la  plume  de  Pellico  me'- 
rite  une  exception.  Cominent  ne  pasde'sirer  de  connaître  toutes 
ces  productions ,  qui  sont  le  fruit  de  l'âme  ardente  et  du  cœur 
religieux,  qui  a  raconte'  avec  cette  douce  e'ioquence,  avec  celte 
re'signation  clire'tienne,  dix  ans  de  prison  passe's  dans  le  Sp'.el- 
Lerg?  D'ailleurs,  le  sujet  lui-même  entre  dans  nos  travaux;  les 
troubles  suscite's  en  Angleterre  par  le  schisme,  les  emporte- 
mens  du  roi  Henri,  le  supplice  qu'il  inflige  à  son  chancelier, 
parce  qu'il  ne  veut  pas  reconnaître  sa  ridicule  supre'matie  re- 
ligieuse; tout  cela  constitue  un  trait  d'histoire  curieux  à  oL- 
«erver.  C'est  l'acte  de  martyre  d'un  saint. 

Il  est  peu  d'e'poques  dans  l'histoire,  aussi  fortement  nuan- 
cées, aussi  pleines  d'e've'ncmens  ,  aussi  dramatiques,  que  celle 
d'Henri  VHI,  roi  d'Angleterre.  Quel  homme  ,  que  Henri  VIII  ! 
C'est  d'abord  un  jeune  et  brillant  cavalier ,  étalant,  au  milieu 
des  plaisirs,  celle  geoe'rosité,  cette  noblesse,  ce  cordial  aban- 
don, qui  donnent  si  bel  air  h  un  prince.  Catherine  d'Aragon, 
son  épouse,  plus  âgée  que  lui  de  six  ans,  porte  dans  toute 
sa  physionomie  celte  expression  de  vertu  avenante,  qui  brille 
T.  X.  8 


114  TRAGÉDIE    DE    THOMAS    MORUS. 

plas  qu'une  couronne,  et  se'dait  mieux  que  la  beauté'.  Femme 
ange'lique  !  elle  aura  de  bons  et  de  mauvais  jours  :  «  Pendant 
»  vingt  ans  elle  sera  suspendue,  comme  un  joyau  précieux, 
»  au  cou  de  Henri ,  sans  rien  perdre  de  son  lustre  ;  elle  l'ai- 
»  mera  de  cet  amour  divin  et  pur,  dont  les  esprits  célestes 
»  aiment  les  bommes  de  bien;  et,  lorsque  le  plus  grand 
»  revers  l'accablera ,  elle  be'nira  encore  le  roi  qui  l'aura 
1)  frappe'e  (i).  » 

Les  anne'es  passent,  et  Henri ,  bouillant  de  passions  et  d'in- 
coîistance,  s'abandonne,  comme  un  enfant,  à  toutes  les  folles 
joies  que  le  cardinal  Wclsey  sème  sur  sa  route.  Fils  d'un  bou- 
eber  d'Ipswik  ,  e'ieve'  par  l'intrigue  ,  cherchant  à  surpasser  par 
son  faste  le  roi  dont  il  a  capte'  la  faveur,  Wolsey  règne  seul 
à  Greemvich  et  à  Londres.  A  qui  lui  apporterait  la  tiare,  on 
ne  sait  ce  qu'il  donnerait.  A  Charles-Quint  il  promet  son  al- 
liance ;  a  François  F'  une  paix  honorable,  et  pour  Henri,  il 
n'est  pas  d'e'garemens  dont  il  ne  cherche  à  Fe'toui'dir.  Les  sa- 
lons de  Wolsey  resplendissent  de  feux  et  d'or;  des  accords  eni- 
vrans,  des  vins  exquis,  des  beaute's  charmantes  en  renouvellent 
sans  cesse  la  magie  et  les  se'ductions.  Or,  Catherine  ,  la  vertueuse 
épouse  ,  ignore  ces  ruses  de  la  coquetterie ,  cette  causerie  fo- 
lâtre et  ce  mane'ge  hypocrite  ,  auquel  la  verve  d'un  esprit  ma- 
lin et  rieur  donne  une  agacerie  piquante  et  une  apparente 
ingénuité',  Catherine  n'est  que  vertueuse  et  bonne,  tandis  que 
ses  filles  d  honneur  ont  je  ne  sais  quoi  d'astucieux  et  de  perfide 
qui  va  mieux  au  roi.  Anne  Boleyn  ,  surtout ,  tout  nouvellement 
débarquée  de  Calais,  avec  les  bonnes  manières  et  les  coutu- 
mes peu  scrupuleuses  de  la  cour  de  France  ,  Anne  Boleyn  est 
charmante,  malgré  les  six  doigts  de  sa  main  droite,  ses  dents 
mal  rangées  et  les  tumeurs  de  son  cou ,  qu'elle  dissimule 
gentiment  sous  une  fraise  à  dentelle.  Mais  depuis  qu'elle  a  tou- 
ché le  sol  anglais,  Anne  Boleyn  s'est  amendée,  et  elle  est  de- 
venue réservée  et  dévolieuse. 

Des  remords  de  conscience  eu  viennent  au  roi  j  il  se  souvient 


(i)  Shakespear's  fForsks.    —  Henri  FUI. 


TRAGÉDIE    DE    THOMAS    BIORUS.  115 

que  Catherine  d'Aragon  était  veuve  de  son  frère  lorsqu'il  la 
prit  à  femme;  et,  en  sa  qualité  de  tlie'ologien,  il  n'a  pas  oublié 
que  le  Léi^iticjue  prohibait,  au  temps  de  Moïse,  de  semblables 
unions.  Vainement  cherche-t-on  à  le  rassurer  par  le  chapitre 
du  Deuu'ronome  ,  qui  ordonnait  au  frère  d'épouser  la  veuve 
de  son  frère,  lorsque  celui-ci  n'avait  pas  eu  d'enfant,  Henri  a 
une  conscience  timorée  et  craintive;  il  a  éprouvé  des  alarmes, 
des  sfiulérèses ,  et  le  Bcutcronome ,  pas  plus  que  la  dispense 
du  Pape,  ne  peut  rendre  à  sou  âme  le  calme  et  le  sommeil. 
Mais,  ici,  le  mépris  fait  place  à  l'indignation;  Catherine  est 
traînée  devant  un  tribunal ,  dont  elle  renie  fièrement  la  com- 
pétence. Épouse  outragée,  elle  a  des  paroles  d'oubli  pour  les 
injures  ,  mais  aussi  une  éloquence  d'entraînement  contre  la 
honte  et  l'humiliation  qu'on  veut  lui  imposer  :  ce  n'est  plus 
seulement  une  épouse  :  c'est  une  mèi'e  ,  c'est  une  reine!  Le 
tribunal  hésite  ;  la  passion  ne  peut  s'accommoder  d'attendre , 
et  Henri  épouse  Anne  Bolcyn  ,  la  luiquenée  de  V Angleterre , 
comme  on  l'appelait  toute  jeune  a  la  cour  de  France;  l'ambi- 
tion, l'hypocrisie,  l'impudicité  ne  craignent  pas  de  ceindre  la 
couronne  qu'on  vient  d'arracher  à  la  vertu  ! 

Ici  commence  toute  une  ère  nouvelle  pour  la  vieille  patrie 
des  Edouard  et  des  Dunstan.  A  Wolsey  vient  de  succéder  Cran- 
mer ,  vil  intrigant,  courtisan  insidieux  et  souple,  évoque,  qui 
changea  dix-sept  fols  de  religion,  et  se  lit  un  jeu  de  l'adula- 
tion et  de  l'ingratitude ,  suivant  l'intérêt  du  moment  et  les  in- 
spirations de  la  cour.  Agent  dévoué  des  passions  d'Henri,  il  a 
quêté  par  tout  le  monde  chrétien  des  consultations ,  des  uni- 
versités et  des  docteurs  en  faveur  du  divorce  de  son  maître; 
puis,  lorsque  le  maître  est  las  des  retards  que  Rome  apporte 
à  le  contenter,  Cranmer  se  trouve  là  pour  fouler  aux  pieds 
tous  les  droits  de  la  hiérarchie  catholique ,  et  pour  répudier 
la  juridiction  d'un  pontife  qui  ose  parler  de  justice  aux  capri- 
ces  des  rois. Dès-lors,  le  masque  est  déchiré;  la  vieille  religion 
de  l'Angleterre,  cette  religion  à  qui  elle  doit  ses  plus  beaux 
monumens  des  arts,  et  même  ses  lois  |)olitiques;  celte  reli- 
gion, qui  avait  humilié  chez  elle  l'orgueil  des  despotes,  mieux 
que  ne  l'ont  pu  toutes   les  remontrances  des   parlemens,  est 

8* 


IIG  TRAGÉDIE    DE    THOMAS    MORUS. 

déclarée  anti-nationale  dans  an  boudoir,  de  par  une  courti- 
sane ,  un  roi  flétri  de  de'bauclies  et  un  arclievêquc  avide  et 
rampant.  C'est  par  le  même  concile  ,  c'est  dans  le  même  boa- 
doir  que  les  questions  de  foi  sont  désormais  de'cide'es  :  On  n'ad- 
mettra plus  que  trois  sacremens  au  lieu  de  sept,  ou  l'on  mourra; 
on  ne  prononcera  plus  le  mot  de  Pape,  ou  l'on  mourra;  on 
ne  sera  plus  parent,  ami,  allié  d'un  cardinal,  ou  de  toute 
antre  personne  suspecte,  ou  l'on  mourra.  Un  statut  de  sang, 
hlondy  bill,  condamne  au  feu  tous  ceux  qui  contesteront  le 
moindre  article  du  symbole  nouveau;  et,  afin  d'enche'rir  sur 
l'inquisition  ,  aucune  re'tractalion  ne  devra  être  admise. 

Alors  on  vit  d'affreuses  choses  :  catholiques,  luthe'riens,  ana- 
baptistes e'taient  traînes  sur  des  claies  par  les  rues  de  Londres; 
il  y  en  avait  qu'on  chargeait  de  bois  sec,  et  qu'on  prenait  plai- 
sir h  voir  se  de'battre  contre  le  feu  ;  la  vieille  comtesse  de  Sa- 
lisbury  e'tait  hache'e  sur  l'e'cbafaud,  oii  elle  refusa  toujours  de 
pre'senter  sa  tête  au  supplice  :  la  jeune  et  belle  Anne  Askew 
expirait  au  milieu  des  tortures  pour  avoir  voulu  discuter  sa 
religion;  Thomas  Morus  et  le  ve'ne'rable  Fisber  allèrent  au  mar- 
tyre comme  les  fidèles  de  la  primitive  Eglise;  enfin,  72,000 
individus,  de  tout  cage  et  de  tout  sexe,  e'taient  offerts  en  ho- 
locauste aux  amours  du  l'oi  ! 

Henri  VIII  avait  toujours  eu  la  manie  de  la  the'ologie;  long- 
temps avant  qu'Anne  Boleyn  le  de'tachât  de  la  communion  ro- 
maine, il  s'e'tait  e'vertué  k  combattre  Luther;  et  son  livre, 
De  septem  sacramentis  contra  Martinurn  Luther  uni,  lui  avait 
valu  le  titre  de  défenseur  de  la  foi.  Une  fois  devenu  pontife, 
son  humeur  the'ologique  n'en  fut  que  plus  beliige'rante  ;  il 
e'tait  prêt  à  rompre  des  lances  conti'e  tout  venant.  Or,  un  pau- 
vre maître  d'école  de  Londres,  Lambert,  eut  l'imprudence  de 
s'essayer  avec  un  aussi  rude  jouteur.  La  controverse  fut  vive 
de  part  et  d^autre  ;  elle  durait  depuis  cinq  heures;  lorsque, 
tout-à-coup,  le  roi  résumant  en  deux  mots  la  discussion: 
«  Veux-tu  vivre  ou  mourir?»  dit-il  à  Lambert  :  Lambert  pré- 
féra la  mort. 

En  même  temps  les  coffres  royaux ,  tant  de  fois  épuisés  , 
s'emplissaient  des  dépouilles  des  catholiques.  Ce  n'était  pas  assez 


TRAGÉDIE    DE    THOMAS    MORUS.  117 

tle  tuer,  il  fallait  tout  flétrir  par  la  calomnie.  Thomas  Cromwell 
digne  suppôt  du  roi ,  avait  reçu  ordre  de  parcourir  l'Angleterre, 
et  de  mellre  au  grand  jour  toutes  les  turpitudes  qu'il  lui  plai- 
rait attribuer  aux  religieux  et  religieuses.  Le  livre  de  Cromwell 
fait  horreur;  il  n'est  pas  d'abominations  sous  le  soleil  qui  ne 
fussent,  suivant  lui ,  commises  journellement  dans  les  sanctuai- 
res. Les  moines  e'taient  des  monstres ,  les  nonnes  pis  que  des 
prostitue'es  ;  et  ce  n'e'lait  pas  encore  tout  :  ces  monstres  ,  ces 
prostitue'es  rugissaient  dans  le  plus  abrutissant  esclavage,  et 
soupiraient  après  le  jour  où  leurs  fers  seraient  ])rise's.  Eh  bien  ! 
les  fers  furent  brise's,  et  les  esclaves  ne  bougèrent;  on  leur 
ordonna,  de  par  le  roi,  de  quitter  ces  cloîtres,  qui  ne  leur 
rappelaient  que  d'affligeans  souvenii's  ,  et  ils  ne  bougèrent  j 
stupides!  Il  fallut  des  hallebardiers  et  des  coups  de  crosse  pour 
leur  faire  goûter  la  liberté'  ! 

Alors  sortit  du  ne'ant  une  foule  de  gens  sans  aveu  ,  pour  venir 
prendre  leur  part  de  cette  honteuse  cure'e;  une  cuisinière,  re- 
çut toute  une  abbaye  ,  comme  re'compense  d'uu  pudding  qu'elle 
avait  fait  au  gre'  du  roi.  Ces  nouveaux  riches ,  associes  aux  de'- 
pre'datlons  du  maître,  se  firent  les  apologistes  de  sa  tyrannie. 
Fiers  de  leurs  tre'sors,  jaloux  des  vieilles  familles,  qui  ne  leur 
accordaieiit  qu'une   moyenne   conside'ralion  ,  il  n'était  pas  de 
violence  dont  ils  ne  se  fissent  les  apôtres.  Tout  ce  qui   e'tait 
plus  ancien  qu'eux,  tout  ce  qui  e'tait  mieux  acquis  que  leur 
fortune  les  blessait.  Aussi,  eut-il  fallu,  pour  leur  plaire,  tout 
bouleverser,  tout  changer!  Ajoutez  que  ces  fortunes  raj)ides  et 
honteusement  e'cliues ,   devinrent  un  dissolvant  actif  pour  les 
mœurs;  alors  on  vit,  sans  doute,  les  vieux  sanctuaires  souil- 
les parla  de'bauche  ;  des  danses  lascives  troublèrent  le  sommeil 
de  la  tombe,  et  les  cloîtres  gothiques  retentirent  nuit  et  jour 
des  clameurs  des  orgies,  pendant  que  les  vieilles  reliques,  les 
châsses  des   saints  ,   les  religieux   monumens  de  la  statuaire  , 
formaient  d'e'clatans  feux  de  joie  au  milieu  de  ces  troupes  hi- 
deuses et  dissolues. 

Or  ,  prenez  garde  que  tout  cela  s'est  passe'  à  la  face  du  monde, 
et  que  les  protestans  eux-mêmes  n'ont  pu  le  nier.  Bayle  lui- 
même,  le  sceptique  Bayle,  îe  fauteur  de  tout  ce  qui  e'tait  anti- 


]  18  TRAGÉDIE    DE    THOMAS   MORUS. 

catholique  a  été  ol>!igé  de  reconnaître  que  le  portrait  d'Anne 
Boleyn  ,  par  le  grand  e'vêque  de  Meaux.,  n'était  pas  charge'  : 
or ,  Bossuet  disait  : 

«  Quand  on  voudrait  la  justifier  des  infamies  dont  ses  fa- 
voris la  chargèrent  en  mouraiit,  M.  Burnet  ne  nie  pas  que  son 
enjouement  ne  fut  immodeste,  se^  libertés  indiscrètes  ,  sa  con- 
duite irrégnlière  et  licencieuse.  On  ne  vit  jamais  une  honnête 
femme,  pour  ne  pas  dire  une  reine,  souffrir  des  déclarations 
telles  que  des  gens  de  toute  qualité,  même  de  la  plus  basse, 
en  firent  à  cette  princesse  (i).  » 

Anne  Boleyn  jouit  peu  de  sa  grandeur  et  de  son  crime.  lo- 
souciense  et  dévergondée  ,  elle  porta  sur  le  trône  l'adultère  et 
linceste;  puis  une  rivale  s'éleva  contre  elle  comme  elle  s'était 
élevée  contre  Catherine  d'Aragon  ,  et  ii  lui  fallut  périr  par  ordre 
de  son  époux,  et  par  arrêt  d'un  tribunal  présidé  par  le  duc  de 
Norfolk  son  oncle. 

Jeanne  Seymour,  qui  lui  succéda,  mourut  en  couches  au 
bout  de  neuf  mois  :  Anne  de  Clèves  ne  plut  jamais  à  Henri  j 
c'était  une  gros<:e  cavale  flamande^  disait-il;  le  divorce  en  fit 
justice.  Catherine  Howard  était  jeune  et  jolie  comme  Anne 
Boleyn  ;  elle  fut  légère  comme  elle ,  et  porta  comme  elle  sa  tête 
sur  l'échafaud  avec  ses  parens  et  ses  complices.  Enfin  Catherine 
Parr  fut  assez  heureuse  pour  mettre  un  terme  aux  inconstan- 
ces du  tyran,  mais  bien- lui  prit  d'être  souple  et  menteuse, 
car  deux  fois  la  mort  plana  sur  sa  tête.  A  mesure  qu'Henri 
avançait  en  âge,  il  devenait  plus  lourdement  stupide;  le  sr.ng 
et  la  débauche  en  avaient  fait  une  niasse  informe  d'une  obésité 
repoussante,  oii  le  clignotement  de  deux  yeux  rouges  révélait 
seul  qu'il  y  avait  encore  là  une  âme  qui  vivait  et  qui  souffrait. 
Une  profonde  jalousie  ,  une  jalousie  qui  dégénérait  en  habi- 
tude, torturait  incessamment  cette  âme;  elle  devenait  plus 
sou])çonnense  à  mesure  que  ses  forces  s'en  allaient;  ses  seuls 
mouvemeiis,  ses  dernières  inspirations  n'étaient  plus  que  pour 
des  condamnations    à   mort,    ou   pour  des  modifications  à   la 


(i)  Histoire  des    Farialions  ,  liv.    vu. 


TRAGÉDIE    DE    THOMAS    MORUS.  119 

religion  de  l'Etat,  qa'i!  avait  déjà  vingt  fois  modifie'e.  On  était 
en  1547;  '^  jeune  comte  de  Surrey  venait  de  mourir  pour 
expier  le  pre'tendu  crime  d'opposition  à  la  reine;  son  père  le 
duc  de  Norfolk  allait  le  suivre,  loi'sque  Henri  tre'passa.  Suivant 
quelques-uns  ses  dernières  paroles  furent  :  nous  avorta  perdu 
l'état,  la  conscience  et  le  ciel.  Suivant  le  plus  grand  nombre, 
affaissé ,  frappe'  encore  vivant  d'une  de'composition  ge'ne'rale , 
il  arriva  au  dernier  terme  comme  la  brute,  sans  sentiment, 
sans  espoir  et  sans  regret. 

Si  maintenant  on  voulait  s'e'lever  à  de  bautes  conside'rations  , 
quelle  e'poque  serait  plus  curieuse  h  e'tudier  que  cette  transition 
de  la  vieille  à  la  nouvelle  Angleterre?  que  ces  persécutions  de 
la  reine  Marie  et  de  la  reine  Elisabeth  répondant  à  celles  de 
leur  père?  que  cet  abaissement  du  parlement  anglais  sanction- 
nant tous  les  excès,  toutes  les  turpitudes  du  maître,  le  trai- 
tant de  doux  et  clément  [gentle  and  merci  fui)  au  moment  on 
la  potence  et  le  bourreau  ne  pouvaient  suffire  au  nombre  des 
victimes,  et  surpassant  tout  le  comble  de  servilité  auquel  se 
prostitua  plus  tard  le  parlement-croupion  de  Cromwell  !  Tous 
les  troubles  de  l'Angleterre,  toutes  les  luttes  intestines,  tout 
le  sang  qui  l'a  inondée  depuis  le  seizième  siècle,  accusent  la 
mémoire  d'Henri  et  d'Anne  Boleyn.  Et  si  parmi  toutes  les  na- 
tions civilisées  de  rEuroj)e,  l'Angleterre  est  la  seule  qui  re- 
produise l'aspect  hideux  de  Tltide  avec  ses  ])arias  et  ses  fakirs; 
si  elle  est  intolérante,  si  chaque  année  il  lui  faut  de  nouvelles 
lois  pour  assujettir  des  esclaves  autrement  impatiens  du  joug 
que  les  religieux  et  que  les  nonnes,  dites,  quelle  en  est  la 
cause,  si  ce  n'est  Henri  VIII  et  Anne  Boleyn?  Nous  pourrions 
suivre  ce  parallèle  de  l'Angleterre  telle  que  l'avait  ftiite  le  ca- 
tholicisme, et  de  l'Angleterre  telle  que  l'a  faite  la  réforme,  et 
nous  arriverions,  comme  Cobbetl  ,  à  cette  conséquence  que 
tout  ce  qu'il  y  a  de  grand  chez  elle  ,  tout  ce  qui  lui  a  donné 
un  empire  si  puissant  sur  un  grand  nombre  de  peuples,  lois 
civiles  et  politiques,  hiérarchie  sociale  ,  équilibre  des  pouvoirs 
de  l'Etat ,  tout  cela  est  antérieur  à  la  réforme  ;  et  que  tons  les 
abus  qui  la  minent  sourdement ,  le  paupérisme  qui  s'est  attaché 
a  elle  comme  la  gangrène  ,  les  biens  ecclésiastiques  se  perpé- 


120  TRAGÉDIE    DE    THOMAS    MORUS. 

tuant  dans  lîes  familles  privilégiées,  stipule's  comme  dot  dans 
les  mariages ,  se  transmettant  de  père  en  fils  par  voie  he're'di- 
taire  ,  servant  à  nourrir  la  corpuleuse  oisiveté  des  pontifes  ,  qui 
ont  leur  famille  à  pourvoir  avant  de  songer  à  leur  troupeau  j 
tout  cela  est  poste'ricur  à  la  reforme. 

Aussi  ,  pour  embrasser  une  pareille  e'poque,  pour  la  rendre 
avec  toute  sa  ve'rité  originale ,  avec  toutes  ses  anomalies  de  ca- 
ractère ,  tontes  ses  passions  et  toutes  ses  erreurs,  il  faut  un  de 
ces  ge'nies  profonds  qui  sachent  saisir  le  crime  au  milieu  des 
transformations  par  lesquelles  il  s'efforce  ,  nouveau  Prote'e ,  d'e'- 
chapper  à  une  investigation  se'vère  ;  un  ge'nie  qui  sache  le  de'- 
voiler,  mettre  à  nu  ses  fibres  palpitantes,  et  s'effrayer  lui-même 
de  sa  difformité'  et  de  sa  laideur.  D'un  autre  côte',  Henri  VIII 
est  un  de  ces  hommes  qu'il  faut  prendre  dans  leur  entier,  car 
tout  inconse'quens  qu'ils  soient,  toutes  les  actions  de  leur  vie 
se  re'pondent  ;  il  faut  suivre  le  labyrinthe  de  leurs  pense'esj 
monter  avec  eux  d  échelon  en  échelon  dans  la  voie  de  perdi- 
tion qu'ils  ont  prise,  afin  de  se  rendre  mieux  compte  de  leurs 
aberrations,  de  mieux  comprendre  tout  ce  que  leur  passage  sur 
la  terre  a  eu  de  bizarre  et  d'extravagant.  Ajoutons  qu'il  est  utile 
à  la  morale  de  voir  où  l'orgueil ,  où  un  vil  libertinage  ,  oh  une 
ambition  démesurée,  conduisent  les  peuples  et  les  rois.  Si  vous 
ne  prenez  qu'un  des  épisodes  de  la  vie  de  Henri  VIII ,  cet 
épisode  isolé  de  ses  antécédens  et  de  ses  suites  ,  n'est  plus  qu'un 
fait  mort,  et  dont  le  tableau  ne  peut  en  rien  servir  à  l'intelli- 
gence des  temps  et  des  personnages.  Lisez  par  exemple 
VHenri  VllI  de  Chénier;  l'auteur,  imbu  de  préjugés  anti-ca- 
tholiques, a  voulu  relever^  ennoblir  le  caractère  d  Anne  Boleyn; 
et  ce  lui  a  été  chose  facile,  en  mettant  de  côté,  et  la  jeunesse 
perdue  de  celte  femme  à  la  cour  de  France,  et  ses  intrigues 
pour  culbuter  du  trône  la  reine  sa  bienfaitrice,  et  les  exécu- 
tions sanglantes  auxquelles  elle  prêta  la  main.  Il  l'a  prise  dans 
son  cachot,  seule  avec  la  fille  qu'elle  a  eue  de  ce  roi  qui  la 
persécute ,  flétrie  dans  son  honneur  par  l'arrêt  qui  déclare  cette 
fille  illégitime,  déçue  de  toutes  ses  espérances  par  la  condam- 
nation qui  vient  d'être  prononcée  contre  elle,  à  être  pendue  ^ 
ou  être  écarteléc ,  suivant  le  bon  plaisir  du  roi,  et,  quelque 


TRA.GÉDIE    DE    THOMAS    M0RU9.  121 

coapable  que  soit  une  malheureuse  cre'atare  ,  il  est  impossible 
que  dans  une  telle  position  elle  n'e'meuve  et  ne  fasse  Terser 
des  larmes.  Ce  sont  là,  sans  doute,  d'heureuses  combinaisons 
tragiques,  mais  pour  de  l'histoire,  non.  Quand  on  veut  faire 
une  trage'die  historique,  il  ne  faut  tenir  compte  de  l'anatlième 
de  Boileau,  mais  s'attacher  à  tout  un  individu,  comme  Sha- 
kespear  à  la  vie  et  la  mort  de  Richard  lll. 

Shakespear  cependant  a  fait  une  trage'die  d'Henri  VIII,  et 
c'est  un  de  ses  moins  bons  ouvrages.  La  cause  en  est  simple; 
celte  trage'die  e'tait  e'crite  sous  les  yeux  d'Elisabeth  ,  fille  d  Henri 
et  d'Anne  Roleyn  ;  elle  devait  être  repre'sentee  devant  cette  prin- 
cesse ,  et  dès-lors  il  e'tait  ne'cessaire  d'atte'auer  les  nuances  pour 
flatter  et  re'ussir.  Shakespear  n'a  embrasse  que  douze  années 
de  la  vie  d'Henri  VIII  :  sa  jeunesse ,  les  folles  joies  auxquelles 
l'entraîna  le  cardinal  V^'olsey ,  la  mort  de  Buckingham  ,  le  di- 
vorce avec  Catlierine  d'Aragon,  le  mariage  avec  Anne  Boleyn, 
et  la  pièce  est  termine'e  par  le  pompeux  appareil  des  re'jouis- 
sances  qui  ce'le'hrèrent  la  naissance  d'Elisabeth.  Ce  qu'il  y  a  de 
Lien  dans  cet  ouvrage,  c'est  la  dignité  parfaite  de  Catherine; 
ici  la  ve'rite'  a  e'té  plus  forte  que  l'adulation;  Catherine  est 
grande  ,  est  sublime,  lorsqu'Iienri  VIII  la  contraignant  à  par- 
ler devant  les  cardinaux  charges  de  f  instruction  du  divorce  ,  elle 
se  lève  et  dit  : 

a  Sire ,  je  vous  demande  de  me  rendre  la  justice  qui  m'est 
»  due,  et  je  vous  conjure  de  m'accorder  votre  pitié',  car  je 
»  suis  une  femme  des  plus  infortune'es  et  une  faible  e'irangère. 
»  He'las,  Sire,  en  quoi  vous  ai-je  offense'  ?  quelle  faute  dans 
»  ma  conduite  a  pu  m'attirer  votre  courroux,  que  vous  ea 
»  veniez  à  celte  pi^oce'dure  pour  me  rejeter  et  retirer  de  moi 
»  vos  bonnes  grâces?  Le  Ciel  m'est  te'moin  que  j'ai  e'te  pour 
»  vous  une  e'pouse  fidèle  et  soumise,  qui,  dansions  les  temps, 
»  s'est  pliee  à  vos  volonte's  ,  qui  toujours  a  craint  d'e'veiller  ea 
«  vous  le  moindre  dc'plaisir  ;  et  je  poussais  l'obéissance  jusqu'à 
»  me  conformera  votre  humeur,  triste  ou  gaie,  suivant  que 
»  je  vous  voyais  enclin  à  la  joie  ou  à  la  me'lancolie.  Quand  est 
>'  il  arrive'  que  j'aie  contredit  vos  de'sirs,  ou  que  je  n'en  aie 
»    pas  fait  les  miens  ?  Quel  homme  e'tait  votre  ami ,  que  je  ne 


122  TRAGÉDIE    DE    THOMAS    MORUS. 

»  me  sois  pas  efforcée  d'aimer,  même  lorsque  je  savais  qu'il 
»  e'tait  mon  ennemi?  et  qui  de  mes  amis  a  conserve  mes  bon- 
»  nés  grâces  après  qu'il  avait  perdu  les  vôtres?....  Sire,  rappe* 
»  lez  à  votre  souvenir  que  j'ai  e'te'  votre  épouse ,  fidèle  à 
»  cette  obëissance ,  sans  re'serve  ,  pendant  l'espace  de  plus  de 
»  vingt  anne'es ,  et  que  le  Ciel  m'a  accordé  d'être  mère  de  plu- 
»  sieurs  enfans  de  vous.  Si,  durant  tout  le  cours  de  cette  lon- 
»  gue  suite  d'anne'es  ,  vous  pouvez  citer  quelques  reproches 
»  contre  mon  honneur,  contre  le  nœud  conjugal,  quelque 
»  occasion  où.  j'aie  manque'  d'amour  et  de  respect  envers  vo- 
))  tre  personne  sacrée,  au  nom  de  Dieu,  repoussez-moi  hau- 
»  tement,  et  que  le  mépris  le  plus  ignominieux  me  ferme  la 

»   porte Du  moins,  Sire,  je   vous  conjure  humblement  de 

»  m'épargner  jusqu'à  ce  que  j'aie  envoyé  en  Espagne  consulter 
»  mes  amis,  dont  je  vais  implorer  les  conseils.  Si  vous  le  re- 
»  fusez,  au  nom  de  Dieu,  que  votre  volonté  s'accomplisse  (i). 

Et  lorsque ,  insultée  par  Wolsey  ,  elle  s'écrie  avec  indigna- 
tion :  «  Cardinal ,  je  suis  prête  à  pleurer  ;  je  croyais  pourtant 
»  être  reine,  ou  du  moins  j'ai  rêvé  long-temps  que  je  l'étais.» 

La  dernière  scène  du  4"  acte,  où  Catherine  délaissée  à  Kim- 
bulton  ,  passe  doucement  de  vie  à  trépas,  sans  effort,  sans  lar- 
mes ,  au  bruit  lointain  des  applandissemens  qui  accueillent  le 
triomphe  de  sa  rivale,  est  entraînante  d'émotion.  On  ne  peut 
s'étonner  que  Johnson  la  mette  au-dessus  de  tout  ce  qu'il  y  a 
de  beautés  dans  les  tragédies  de  Shakespear ,  et  peut-être  au- 
dessus  de  toute  scène  d aucun  autre  poète. 

Le  caractère  d'Henri  VIIÏ,  dans  Shakespear,  est  manqué  ; 
c'est  un  juste-milieu,  terne  et  faux  ;  on  reconnaît  que  le  poète 
avait  à  parler  du  père  d'Elisabeth.  Pour  Anne  Boleyn ,  il  a 
parfaitement  saisi  ,  dans  les  premières  scènes ,  cette  humeur 
folâtre  et  rieuse  que  lui  prête  l'histoire  ;  mais  il  en  a  trop 
fait  une  jeune  fille  candide,  et  trop  pris  Thypocrisie  pour  de 
l'ingénuité  ,  et  lorsque  le  poète  met  dans  la  bouche  de  l'im- 
pur Cranmer  une  espèce  de   prophétie ,  qui  annonce  à  la  fille 


(i)  Shakcspear's    fVorsks.  —  Hcnrj  FUI ,  act.   ii ,  se.  4- 


TRAGÉDIE    DE    THOaiAS    MORUS.  123 

d'Anne  Boleyn  ,  toutes  les  vertus  qu'elle  a  de'naenties  par  la 
suite  ,  depuis  la  virginùé  du  Phénix ,  jusqu'à  la  douceur ,  on  est 
pris  d'une  grande  pitié'  pour  le  degré'  de  bassesse  auquel  peut 
se  ravaler  ce  qu'il  y  a  de  plus  grand  parmi  les  hommes  ,  le 
ge'nie. 

Venons  maintenant  à  Pellico  ;  il  s'est  restreint  au  procès  et 
à  l'exe'cution  de  Thomas  Morus ,  et  l'on  a  pu  voir  que  cette  ma- 
nière de  traiter  l'histoire  ne  me  semble  pas  la  plus  parfaite. 
Le  martyre  du  chancelier  et  de  l'e'vêque  Fisher,  est  un  des 
plus  beaux  triomphes  du  catholicisme,  depuis  les  premiers  siè- 
cles; mais  combien  ne  saillirait-il  pas  davantage,  si,  en  face 
de  ces  deux  hommes  si  dignes  et  si  re've're's ,  en  pre'sence  de 
leurs  angoisses  ,  de  leur  torture,  de  leur  supplice  ,  Pellico  avait 
tracé  d'un  pinceau  e'nergique ,  toutes  les  folles  joies  de  leurs 
oppresseurs  ;  s'il  avait  traduit  sur  la  scène,  pieds  et  poings 
lie's,  cet  anglicanisme  naissant  avec  ses  bizarreries,  ses  inco- 
he'rences  ,  son  immoralité'  honteuse,  personnifie'e  dans  Henri 
et  Cranmer  ?  Ne  pouvait-il  pas  prendre  à  tâche  de  de'voiler  tout 
ce  que  l'habitude  de  l'ambilion  et  de  la  de'bauche  jette  d'in- 
sensibilité' dans  le  cœur  naturellement  le  plus  sensible  ,  celui 
de  la  femme?  com])ien  la  foi  est  intimement  lie'e  à  la  pratique  des 
vertus  qu'elle  enseigne,  et  combien  ,  lorsque  ces  vertus  viennent 
à  manquer,  la  foi  s'e'tiole  vite  ?  Toutes  ces  e'tiules  morales  et 
])ien  d'autres,  eussent  pu  trouver  place  dans  la  trage'die  de 
Pellico.  C'aurait  e'te'  Anne  Boleyn  ,  c'aurait  e'te'  Henri  et  l'e'vê- 
que Cranmer,  vivant  ])ubliquement  dans  le  concubinage,  et 
mettant  la  religion  à  l'enchère;  puis,  lorsque  cette  longue  suite 
de  crimes  et  d'abrutissemens  ,  aurait  jeté'  le  de'sespoir  dans 
lame  du  spectateur;  lorsque,  perdu  au  milieu  de  cette  mer 
houleuse  des  passions,  il  se  serait  ccrie  comme  le  prophète, 
undè  i^cniet  auxUiwn  milii  ?  alors ,  la  belle  et  noble  figure  du 
chancoh'er  se  serait  leve'e  d'autant  plus  grande  (jue  les  autres 
se  seraient  montre'es  plus  viles  :  l'effet  dramatique,  comme  l'ef- 
fet moral,  y  eiit  gagne',  et  tous  les  applaudissemeus  qui  ont 
entraîne'  l'admiration  pour  la  vertu  souffrante  ,  eussent  acquis 
une  nouvelle  force  de  l'horreur  cause'e  par  le  vice  hideux  et 
couronne'. 


124  TRAGÉDIE    DE    THOMAS    MORUS. 

Mais  Pellico  a  une  belle  âme,  une  trop  belle  âme  pour  com- 
Tîrendre  la  fausseté' ,  l'ambition ,  l'ori^ueil  avec  toutes  leurs  nuan- 
ces diverses;  demandez-lui  des  e'raotions  douces,  et  il  vous  en- 
chantera, car  il  a  un  excellent  cœur  ;  mais  cet  excellent  cœur 
se  prête  mal  à  l'ide'e  de  ce  qui  n'est  pas  noble  et  pur.  Aussi  le 
crime,  tel   qu'il  le  repre'seute  dans   ses  ouvrages,   n'est-il  pas 
conçu  profonde'ment  ?  son  Henri  VllI,  n'est  pas  assez  caracte'- 
risé  ,  et  il  n'a  su  comprendre  Anne  Boleyn,  que  repentante  et 
mise'ricordieuse.  Pour  Thomas   Morus,  c'est  la  belle  partie  de 
la  trage'die  de  Pellico;  c'est-à-dire,  que  c'est  beau,  très-beau  : 
je  regrette  cependant  que  le  poète  n'ait  pas  cliercbe'  à  repro- 
duire davantage  tous  les  traits  distinctifs  du  chancelier,   dans 
l'histoire.  A  une  austérité'  de  mœurs  remarquable  ,  et  à  cette 
hauteur  de  pense'e ,   apanage  ordinaire  des  philosophes  chre'- 
fiens  ,  Morus  savait  joindre  une  gaieté'  franche  et  cordiale  ,  qui 
ne  l'abandonna  même  pas  dans  sa  prison  ;  ses  re'parties  e'taient 
vives  ,  et  revêtant  le    plus  souvent  une  couleur  originale  :  la 
justice  m'est  si  chère ,  disait-il  un   jour  à  un   plaideur    de'sap- 
pointe',  que  si  mou  père  plaidait  contre  le  diable^  et  qu'il  eût 
tort,  je  le  condamnerais  sans  hésiter.  C'est  encore  lui  qui  disait  : 
je  suisjîls  de  Thémis  ,  et  aussi  ai'eugle  que  ma  mère.  Pendant 
l'instruction  de  son  procès,  lorsqu'on  lui  pre'senta  le  statut  du 
parlement,  qui  ordonnait  de  prêter  serment  à  la  supre'matie 
du   roi  :  cest   une  arme  à  deux  tranchans ,  répondit   Morus, 
elle  tue  l'âme  ou  le  corps.  A  cela  ou  lui  fit  observer  qu'il  ne 
devait   pas   se  réputer  plus  habile  que  le  grand  conseil  d'An- 
gleteri'e;  j'ai  pour  moi,  re'pliqua  51orus,  le  grand  conseil  des 
chrétiens ,   qui  est  toute  l'Eglise  ;  tout  cela  est  historique ,  et 
je  suis  e'ionne' que  Pellico  ne  l'ait  pas  reproduit  dans  son  œu- 
vre. Un  pareil  dialogue  aurait  mieux  fait  connaître  le  chancelier  , 
que  les  scènes  les  plus  brillantes  de  vie  et  d'e'clat. 

Le  premier  personnage  de  la  trage'die  de  Pellico  ,  qui  pa- 
raît sur  le  the'âtre  ,  est  Anne  Boleyn ,  ou,  comme  l'appelle  la 
langue  mélodieuse  de  VliaVie ,  Anna  Bulena.  Naturellement  ge'- 
néreuse  ,  lasse  de  voir  le  sang  couler  pour  elle,  elle  voudrait  sau- 
ver Morus,  mais  la  colère  du  roi  l'effraye  ,  mais  elle  est  femme  , 
et  l'opposition  du  chancelier  à  son  mariage  l'a  profondément 


TRAGÉDIE    DE    THOMAS    MORUS.  125 

outragée.  Un  vieux  magistrat ,  enclin  à  la  vertu  lorsque  la  verta 
ne  risque  pas  de  le  compromettre  ,  profite  des  he'sitations  de 
la  malheureuse  Anne  pour  lexclteràla  pitié';  il  lui  vepre'sente 
les  malheurs ,  qui  affligent  le  royaume  ,  et  tous  ces  malheurs 
lui  sont  attribue's  par  la  foule.  La  fille  de  Morus,  Marguerite  ^ 
se  précipite  alors  dans  l'appartement  de  la  reine;  elle  implore 
la  grâce  de  voir  son  père. 

«  Pourquoi  mon  père  ,  s'e'crie-t-elle,  est-il  retenu  depuis  un  an 
»  entre  ces  murs  exe'crables?  n'est-ce  pas  pour  vous  avoir  de- 
»  plu?  Eh  bien!  soyez-lui  miséricordieuse  ;  que  la  franchise  de 
»  ses  sentimens,  que  ses  pense'es  magnanimes,  vous  e'meuvent  de 
»  compassion  et  de  respect  !  ne  donnez  pas  le  nom  de  crime  à 
»  son  opposition  loyale  et  sans  haine  contre  vous  ;  si  l'ardeur 
»  de  son  zèle  l'a  entraîne'  trop  loin  lorsqu'il  a  exprime'  combien 
V  il  de'sapprouvait  votre  union  avec  le  roi,  songez  que ,  s'il  se 
»  trompait,  c'e'tait  par  amour  de  la  patrie,  de  la  justice  et 
»  de  vous-même!  oui ,  de  vous  !  Mon  père  ne  fut  pas  le  seul  à 
»  craindre  que  cette  union  ne  vous  devînt  funeste  ;  plus  d'un 
»  ami  s'efforça  de  vous  en  de'tonrner  ;....  ne  vous  irritez  pas 
»  de  mes  paroles,....  e'coutez...  Puisque  Dieu  a  permis  cette 
»  union  tant  redoutc'e ,  du  moins  qu'il  la  be'nisse;  mais  il  ne 
»  pourra  jamais  la  be'nir,  si  Anne  Boleyn  ne  devient  elle-même 
»  un  ange ,  si  les  justes  pe'rissent  pour  sa  cause  ,  si  mon  père, 
»  le  plus  fidèle  des  ministres  du  roi,  est  traité  comme  un  cri- 
»   minel  !  » 

Je  ne  connais  personne  comme  Pellico  pour  rendre  les  ca- 
ractères du  cœur  :  lorsque  Marguerite  dit  à  Anne  Boleyn  : 
Dieu  ne  pourra  bénir  votre  union  si  Anne  Boleyn  ne  des^ient 
un  ange  ,  elle  est  sublime  ;  aussi ,  ne  nous  e'tonnons  pas  de 
voir  Anne  Boleyn  s'associer  aux  douleurs  de  Marguerite.  Mais 
ici  apparaît  la  hideuse  figure  du  roi;  il  s'indigne  de  voir  la  fille 
d'un  traître  dans  son  palais  ;  et  c'est  à  grande  peine  qu'Anne 
Boleyn  parvient  h  faire  rentrer  le  calme  dans  cette  âme  agitée, 
comme  la  harpe  de  David  dans  l'esprit  égaré  de  Saiil,  Mais  le 
farouche,  le  perfide  Henri,  ne  peut  accorder  une  grâce  qu'a- 
vec une  bienveillance  hypocrite  ;  on  vient  de  lui  annoncer  la 
condamnation  de  l'évêque  Fisber,  l'ami  de  Morus,  et  il  veut 


126  TRAGÉDIE    DE    THOMAS    MORUS. 

profiter  de  cette  circonstance  pour  vaincre  le  chancelier  ,  il  veut 
lui  offrir  la  grâce  de  Fislier  ,  à  condition  que  lui-même  il  prê- 
tera le  serment  voulu  ;  insensible  à  ses  propres  dangers,  pourra- 
t-il  être  insensible  à  ceux  des  autres? 

Au  second  acte  nous  sommes  transporle's  dans  la  prison  de 
Morus.  Les  douleurs  d'un  cacliot  affreux,  les  privations  de  tou- 
tes sortes  ,  auxquelles  il  est  condamne' ,  ont  ruine'  ses  forces  phy- 
siques ,  mais  laisse'  toute  son  ancienne  vigueur  à  son  âme.  Père 
tendre ,  ëpoux  inconsolé ,  il  promène  de  tristes  regards  sur  sa 
famille  ,  dont  il  est  se'pare'  pour  toujours  ;  mais  il  a  foi  dans 
la  bonté'  de  la  Providence  ,  et  il  confie  tout  ce  qui  lui  est  cher 
à  sa  mise'ricorde.  Il  est  là ,  le  malheureux  vieillard  ,  priant  et 
calme  ,  lorsque  tout- à-coup  sa  fille  est  dans  ses  bras.  Des  pleurs 
inondent  son  visage;  depuis  un  an  on  avait  interdit  i  entre'e  de 
sa  prison  à  sa  famille  :  serait-ce  donc  que  sa  constance  a 
enfia  lasse'  ses  perse'cuteurs  ?  Mais  sa  fille  ne  lui  a  e'té  envoye'e 
que  pour  mieux  e'branler  son  courage.  Pauvre  enfant  !  elle  voit 
avant  tout  les  souffrances  de  son  père  ;  et  son  père  voit  quel- 
que chose  au-dessus  :  son  devoir!  Les  supplications  de  Margue- 
rite lui  semblent  peu  dignes  de  sa  fille  ;  il  les  repousse  avec 
douceur  ,  mais  Marguerite  insiste  ;  elle  lui  peint  sa  famille  aban- 
donne'e,  ses  enfans  sans  secours,  son  ami,  le  vertueux  Fisber, 
pe'rissant  sur  l'e'chafaud  ,  parce  que ,  lui ,  Morus  ,  n'aura  pas 
voulu  le  sauver.  Mais,  à  cela  ,  le  chancelier  élève  sa  voix  forte 
et  puissante  :  «  Faudra-t-il  donc,  s'écrie-t  il ,  que  je  demande  à 
»  mon  cœur  brisé  des  paroles  pleines  de  l'autorité  d'un  père 
»  pour  les  faire  entendre  à  ma  fille  ?  Cesse  ,  m'entends-ta  , 
»  cesse  de  m'exciter  à  une  bassesse  !  un  oflice  aussi  vil  convient 
))  mal  à  ma  fille!  Ignores-tu,  cruelle,  que  tes  accens  si  chers,  tes 
»  larmes,  le  douloureux  tableau  de  ma  famille  désolée,  l'horrible 
»  idée  du  coutelas  suspendu  sur  la  tète  de  mon  meilleur  ami , 
)>  sont  un  tourment  au-dessus  de  mes  forces? 

»   Marguerite  :  Mon  père  ! 

»  Morus  :  N'achève  pas  ;  essuyons  tous  les  deux  d'aussi  in- 
»  dignes  larmes;  retourne  vers  le  roi  avec  plus  de  courage; 
»  montre-toi  fille  de  Morus;  dis-lai,  que  je  n'ai  jamais  été  son 
»  ennemi  et  que  je  ne  le  serai  jamais  ;  mais ,  que  s'il  m'ordonne 


TRAGÉDIE    DE    THOMAS    MORUS.  127 

»  de  briser  les  autels  de  mes  pères ,  dabliorrer  de  nobles  et 
»  excellens  amis,  et  de  m'elever,  puissant  et  applaudi,  sur 
»   leurs  exils  et  sur  leurs  morts....  je  ne  puis  lui  obe'ir.  » 

Morus  a  triomphe'  daus  la  lutte  si  poignante  des  sentimens 
du  cœur  ;  sera-t-il  plus  faible  lorsqu'un  roi  astucieux  viendra 
le  tenter  dans  son  cacliot ,  et  s'efforcera  de  re'pondre ,  par  des 
snbtilite's  tbe'ologiques ,  à  ses  ge'nëreux  scrupules? 

Henri  YIII  a  re'solu  de  parler  lui-même  a  Morus;  mais  il 
ne  se  dissimule  pas  toutes  les  diiîlculte's  de  cette  entrevue  ;  il 
en  pre'voit  les  conse'quences  :  o  domarlo ,  o  estingucrlo ,  —  ou 
le  dompter,  ou  le  tuer  ^  —  et  il  en  a  pris  son  parti ,  ho  deciso. 
Celte  scène  culminante  du  3"  acte,  enti'e  Henri  et  Morus,  est 
grande  et  belle;  le  chancelier  y  conserve  tout  l'avantage  de 
IMiorame  de  conscience  et  de  foi,  en  pre'sence  de  l'incrédule 
et  de  l'hypocrite.  Après  avoir  repousse'  les  raisons  captieuses 
par  lesquelles  Henri  cherche  à  justifier  son  schisme,  après  avoir 
de'peint  les  malheurs  dont  il  est  la  cause,  Morus  continue  :  «i  Si 
M  un  jour  ,  si  après  ce  règne  exe'cre  ,  l'Angleterre  repousse  vos 
»  traditions  iniques,  si  elle  a  soif  de  justice  et  de  tole'rance  , 
M  l'iionneur  ne  vous  en  appartiendra  pas.  0  Henri!  il  sera  con- 
»  signe'  à  jamais  dans  l'histoire  en  caractères  de  sang,  le  nom 
»  de  celai  qui  a  impose'  un  nouveau  culte,  sous  peine  des  sup- 
»>   plices  et  du   gibet. 

M   Henri  :  Quoi  !  tu  oses  m'adresser  tes  reproches  ! 
»   Morus  :  Ce  ne  sont  pas  les  miens  ,  ce  sont  ceux  que  l'bis- 
»   toire    fait  peser  infailliblement  sur   tout  prince  cruel  ,  sur 
M   tous  ceux  qui  outragent  la  conscience.  Du  moins ,  vous  pou- 
«   vez  encore  déchirer  cette  page  affreuse.... 

»  Henri  :  Sans  doute,  en  ployant  mon  front  royal  devant 
H  quelque  superbe  anachorète?  je  comprends;  devant  quelque 
»  imposteur,  qui  m'ordonnera  d'appauvrir  mes  peuples  pour 
»   expier  mes  crimes  ? 

»  Morus  :  Je  ne  courbe  pas  mon  front  devant  les  imposteurs, 
»  et  pourtant  je  suis  chre'tien  et  catholique.  Eh  bien  !  vous  aussi , 
»  prince,  vous  ne  devez  courher  votre  front  que  devant  les 
»  dignt's  ministres  de  Dieu!  ceux-là  ne  vous  imposeront,  pour 
»  rexpialioii  de  vos  fautes,  que  la  vertu!  Laissons,  laissons  lu- 


128  TB.VGÉDIE    DE    THOMAS    MORUS. 

»  sage  de  tout  travestir  aux  seuls  esprits  abjects ,  qui  en  font 
«  leur  pâture.  Ne  les  voit-on  pas  aujourd'hui ,  dans  leur  aveuqle 
»  liaine  contre  ceux  qui  perse'vèrent  dans  le  culte  de  leurs 
))  aïeux,  les  noircir  d'affreuses  couleurs  dans  leurs  peintures? 
»  Ne  vont-ils  pas  jusqu'à  nier  la  lumière,  ou  du  moins  ne 
))  s'efForcent-ils  pas  de  l'obscurcir?  Qu'il  n'en  soit  pas  ainsi  de 
»  vous,  prince!  qu'il  n'en  soit  pas  ainsi!  le  jugement  des  âmes 
»)   fortes  et  sages  doit  être  inde'pendant  des  jugemens  vulgaires. 

M   /fe;in  ;  L'Eglise  britannique.... 

y>Moriis  : ....  avait  des  ministres  indignes,  mais  elle  en  avait 
»  aussi  de  justement  re've're's  ;  elle  avait  des  troupes  d'hypocri- 
»  tes ,  mais  elle  comptait  en  même  temps  de  sincères  adorateurs 
»  de  Dieu.  Il  fallait  purifier  cette  Eglise,  l'e'clairer,  et  non  pas 
»   l'arroser  de  sang.  » 

Le  sort  de  Morus  est  décidé;  il  n'a  pas  encensé  l'idole,  et 
l'idole  veut  du  sang  ou  des  victimes. 

Le  quatrième  acte  présente  le  dégoûtant  tableau  d'un  tribu- 
nal où  les  juges  tremblent  tous  autant  devant  les  regards  de 
l'accusé  que  devant  les  injonctions  du  maître.  Thomas  Crom- 
well  préside  la  cour  ;  il  interroge  les  gestes  et  le  visage  de 
cbacnn  de  ses  membres;  il  rappelle  à  l'un  son  fils,  sa  femme; 
à  l'autre,  la  place  qu'il  sollicite  et  que  la  volonté  du  roi  peut 
lui  refuser.  Automates  dociles,  les  juges  cèdent  à  l'impulsion 
de  Cromvrell  ;  et  le  misérable,  après  avoir  tenté  le  courage  du 
cbancelier,  après  lui  avoir  dit  que  son  ami  Fisher  a  renié  son 
Dieu  et  obtenu  sa  grâce,  après  n'avoir  retiré  de  cette  infâme 
supposition  que  l'indignation  et  le  mépris  du  martyr,  prononce 
la  condamnation  à  mort.  C'est  alors  que  Morus  fait  entendre  ces 
belles  paroles  conservées  par  Pellico. 

«  De  même  qu'on  vit  saint  Paul  assister  au  supplice  du  pre- 
»  mier  martyr,  et  qu'ils  sont  aujourd'hui  tous  les  deux  dans  le 
»  ciel,  ainsi  puissent  mes  juges  avoir  part  an  jour  avec  moi 
»  à  la  miséricorde  de  Dieu  !  » 

Le  cinquième  acte  est  entièrement  pris  par  les  détails  de 
l'exécution  de  Morus.  Une  foule  nombreuse  emplit  les  rues  et 
les  places;  les  citoyens  se  racontent  le  courage  du  chancelier 
et  la  douleur  de  sa  famille  ;  ils  sont  attendris  par  l'égarement 


TRAGÉDIE    DK    THOMAS    MORUS.  129 

de  sa  fille  Marguerite,  qui,  se'parëe  violemment  de  son  père, 
appelle  et  demande  du  secours.  Les  passions  les  plus  ge'ne'reu- 
ses  fermentent  dans  les  cœurs;  mais  une  main  invisible  en 
reprime  l'essor  ;  on  se  regarde  ,  on  fre'mit ,  on  tremLle  au  seul 
nom  du  roi!  Bientôt  le  chancelier  paraît  environne'  de  gardes; 
quelques  cris  de  V^we  Monts!  se  font  entendre,  mais  faibles 
et  isole's  au  milieu  d'un  silence  de  mort.  Seul ,  le  vieux  ma- 
gistrat ne  craint  point  de  parler  à  son  heure  dernière.  Il  marche 
avec  la  paix  du  juste,  dit  adieu  à  son  toit  paternel  ;  mais  tout  à 
coup  de  jeunes  filles,  des  enfanss'e'lancent  à  travers  la  foule;  c'est 
la  famille  de  Morus.  Ils  s'agenouillent  autour  du  martyr,  et  lui  : 
«  Avec  tout  ce  que  njon  cœur  de  père  a  de  force  et  de  pnis- 
»  sance,  mes  enfans,  je  vous  be'nis  tous,  tous  d'une  e'gale  be'- 
»   ne'diction.  » 

»  Marguerite  :  Notre  mère  n'a  pu  nous  accompagner  à  ce 
»  dernier  adieu. 

»  Morus  :  Soyez-lui  toujours  en  aide,  ô  mes  chers  enfans  ! 
»  environnez-la  de  respect  et  d'amour  ,  et  Dieu  vous  en  re'com- 
»  pensera.  Supportez  avec  dignité'  et  courage  la  pauvreté'  et  les 
»  douleurs;  je  vous  en  donne  l'exemple.  Je  ne  puis  vous  laisser 
»  d'autres  tre'sors  ;  mais  cet  exemple  vous  soutiendra.  Que  vos 
»  cœurs  de'chire's  ne  me  pleurent  pas  outre  mesure;  priez  pour 
M  moi  et  je  prierai  pour  vous;  puis  ,  tous  ensemble,  moi,  du 
))  haut  du  ciel,  vous,  sur  la  ten  e ,  nous  prierons  pour  notre 
»  malheureux  roi  ,  pour  tous  ceux  qui  m'arrachent  h  vous.  Si 
»  jamais  un  de  mes  meurtriers  se  voyait  un  jourpre'cipite'  dans 
»  le  malheur  ,  s'il  hasardait  un  pied  fugitif  sur  le  seuil  de  votre 
»  porte,  donnez-lui  asile,  portez-lui  secours  pour  l'amour  de 
n  moi ,  comme  vous  le  feriez  pour  uu  frère  ;  car  j'ai  pardonné 
»  a  tous! » 

Et  le  cortège  se  remet  en  route ,  et  le  chancelier  monte  sans 
pâlir  sur  l'e'chafaud,  et  il  renouvelle,  à  la  face  du  peuple,  sa 
profession  de  foi ,  d'une  voix  haute  et  ferme ,  et  meurt  en  em- 
brassant le  bourreau. 

J'ai  supprime  ,  dans  l'analyse  du  cinquième  acte  ,  une  der- 
nière tentative  faite  auprès  de  Morus  pour  obtenir  une  rétrac- 
tation. Ceci  m'a  paru  de  trop;  on  ne  s'expose  pas  trois  fois 
T.  X.  9 


130  TRAGÉDIE    DE    THOMAS    MORL'S. 

aux  refus  d'un  homme  qu'on  veut  humilier,  et  que  n'ont  in- 
timide ni  le  cachot  ni  la  sellette.  Morus  savait  parfaitement 
que  ,  sitôt  qu'il  plierait  le  genou  devant  Henri ,  il  aurait  sa 
grâce  ,  sans  que  Henri  le  lui  envoyât  dire  une  dernière  fois  sur 
l'e'chafaud. 

—  Je  remarquerai  en  même  temps  que  les  prières  de  la  fille 
de  Morus ,  au  2«  acte  ,  pour  ohtenir  que  son  père  prête  le 
serment  exigé,  ont  quelque  chose  de  pe'nihle.  Ce  n'est  pas 
ainsi  que  les  filles  et  les  e'pouses  des  martyrs  parlaient  à  leurs 
e'poux  et  à  leurs  pères,  au  moment  où  on  les  traînait  à  l'ara- 
phlthc'âti-e.  Pauline,  dans  Corneille,  sollicite  hien  Polyeucte 
de  renoncer  à  la  foi  qu'il  a  emhrasse'c,  mais  Pauline  est  païenne; 
la  mère  de  saint  Jean-Chrysostômo  suppliait  bien  son  fils  de 
ne  pas  l'abandonner,  pour  aller  s'enfuir  dans  le  de'sert  ;  mais 
c'est  que  la  religion  n'exigeait  pas  de  S.  Jean  un  pareil  sacri- 
fice ,  et  d'ailleurs  sa  mère  ne  lui  demandait  qu'une  seule  chose, 
de  remettre  ses  desseins  pour  quelque  temps.  —  <«  Attendez 
»  au  moins  le  jour  de  ma  mort;  peut-être  n'est-il  pas  e'ioigne'; 
«  ceux  qui  sont  jeunes  peuvent  espe'rer  de  vieillir  ;  mais  à  mon 
I)  âge,  je  n'ai  plus  que  la  mort  à  attendre.  Quand  vous  m'au- 
.)  rez  ensevelie  dans  le  tombeau  de  votre  père,  et  que  vous 
»  aurez  re'uni  mes  os  à  ses  cendres  ,  entreprenez  alors  d  aussi 
»  longs  voyages ,  et  naviguez  sur  telle  mer  que  vous  voudrez, 
»  personne  ne  vous  en  empêchera;  mais,  pendant  que  je  res- 
I)  pire  encore  ,  supportez  ma  pre'sence  et  ne  vous  ennuyez  point 
»   de  vivre  avec  moi.» 

Il  faut  dire  ne'anmoins  que  la  scène  dePellico  est  historique, 
sinon  de  la  part  de  la  fille  de  Morus,  du  moins  de  celle  de  sa 
femme  ;  elle  est  d'ailleurs  traite'e  avec  trop  de  naturel  et  de 
charme,  pour  que  ma  critique  ne  soit  pas  hardie  ,  seulement 
sous  forme  de  conjecture.  J'aurais  de'siré  enfin  que  Pellico  s'ins- 
pirât de  la  lecture  des  actes  des  martyrs  :  il  y  a  dans  ces  vieux 
re'cits  de  la  primitive  Église  des  interrogatoires  sublimes,  et 
dont  plusieurs  traits  auraient  pu  parfaitement  s  adapter  à  celai 
de  Morus. 

Nonobstant  ces  observations  ,  Tomaso  Moro  n'en  est  pas 
moins  an  grand  et  bel  ouvrage.  Les  hautes  pense'es ,  les  nobles 


ÉTAT  DU  THÉÂTRE  EN  FRANGE.  131 

sentimens  y  sont  toujours  exprimes  avec  cette  e'ioquejice  du 
cœur,  que  possède  si  bien  Pellico.  On  y  respire  d'un  bout  à 
l'autre,  comme  dans  une  atmospbère  de  vertu,  dont  le  style  si 
simple,  mais  si  abondant,  si  moelleux  et  si  facile  de  1  auteur 
des  Prisons ,  semble  comme  parfume'.  Les  anciens  disaient  que 
la  poe'sie  e'tait  le  langage  des  dieux;  jamais  on  ne  peut  mieux 
s'en  convaincre  qu'en  lisant  Pellico ,  en  e'coutaut  ses  douces  et 
eqivrantes  me'lodies. 

Eugène  de  la  Gournerie. 


ETAT    BU    THEATRE    EN    FRANCE, 

EXTRAIT    d'un    ARTICLE    DE    LA    REVUE  d'eDIMBOURG. 

Le  critique  anglais  après  avoir  passé  en   revue  les  productions  de 
MM.Victor  Hugo  et  Alexandre  Dumas,  ajoute  les  réflexions  suivantes  : 
«  Nous    insisterons  peu   sur   le  me'rite  litte'raire  de    ces  œuvres  ; 
d'abord,  parce  que  c'est  sur  leur  tendance  morale ,  ou  plutôt  im- 
morale, que  nous  avons  voulu  appeler  l'attention;  en  second  lieu, 
parce  que  le  temps  nous  manquerait  :  chaque  pièce  demanderait  à 
elle  seule  un  article;  enfin,  parce  que  cette  litte'ralure  n'ayant  que 
la  prétention  de  la  pensée  ,  ne  doit  pas  être  jugée  sous  le  rapport 
poétique.  Il  est  évident  que  le  but  des  auteurs  a  e'te'  d'émouvoir  par 
la   situation,   que   ces   vieux   ressorts    de   l'ancienne    tragédie,    la 
Terreur  et  la  Pitié,  ont  e'té  sacrifiés  à  ce  que  les  Italiens  appellent 
Imbroglio,  et  qui ,  à  bien  dire,  convient  mieux  à  une  comédie  ou 
à  une  farce.  Beaumarchais  a  donné  ,  sinon  les  premiers,  au  moins 
les  plus  remarquables  exemples  de  ce  style ,  et  ses  deux  comédies 
sont  deux  morceaux  à^ Imbroglio  fort  amusans,  quoique  licencieux. 
II  essaya  de  continuer  le  même  genre  dans  la  suite  qu'il  donna  à 
ces  drames.  La  Mère  coupable ,  qui  conservait  encore  quelque  ré- 
serve, était  pourtant  d'un  eflet  bien  pathétique  :  nous  regardons 
en  ye'rité  la  Mère  coupable  comme  la  coupable  mère  des  extrava- 
gances d'Hugo  et  de  Dumas.  Mais  Beaumarchais  touche  le  senti- 
ment avec  une  graude  puissance,  et  ses  imitateurs  ne  frappent  que 
parla  situation.  Celui-là  émouvait,  ceux  ci  étonnent.  Comme  pu- 
res œuvres  d'art,  ces  drames  ont  des  défauts  si  frappans,  que  nous 
ne  pouvons  les  passer  sous  silence.  Le  principal ,  est  le  peu  d'ia- 

9* 


13^  ETAT    DU    THEATRE    EN    FRATVCE. 

vention  qui  pousse  les  auteurs  dans  une  répétition  continuelle  et  fa- 
tigante des  mêmes  caractères  et  des  mêmes  situations.  Rien  de  moins 
nouveau  que  leurs  nouveautés,  de  plus  servile  que  leurs  libertés, 
de  plus  menaçant  que  leurs  extravagances.  La  bâtardise ,  la  séduc- 
tion ,  le  rapt ,  l'adultère  ,  l'inceste  ;  voilà  leurs  motifs.  —  Le  poi- 
gnard ,  le  poison  ,  la  prostitution  ;  voilà  leurs  moyens.  —  Et  encore 
cela,  ils  se  l'empruntent  l'un  à  l'autre,  ou  chacun  à  sol-même,  con- 
tinuellement ,  et  de  la  manière  la  plus  monotone. 

»  Des  femmes ,  que  peignent  les  dix  pièces  dont  nous  venons  de 
parler,  huit  sont  adultères ,  cinq  prostituées  de  dilTérens  ordres, 
six  victimes  de  la  séduction  ,  et  de  ces  six  deux  accouchent  pres- 
que sur  la  scène.  Quatre  mères  aiment  leurs  propres  fils,  ou  leurs 
gendres ,  et  dans  trois  cas  le  crime  est  consomme'.  Onze  personna- 
ges sont  tués,  directement  ou  indirectement ,  de  ceux  dont  ils  sont 
aime's  ;  et  dans  six  de  ces  pièces  les  he'ros  sont  des  bâtards  ou  des 
enfans  trouvés.  Et  c'est  dans  l'espace  de  trois  ans  que  ces  horreurs 
se  sont  accumulées  dans  dix  pièces  sur  le  théâtre  de  Paris  !  Nous 
convenons  que  le  crime ,  et  les  plus  abominables  motifs ,  ont  été  de 
tout  temps  le  domaine  de  la  tragédie.  Nous  n'oublions  pas  que  les 
familles  d'Atrée  et  de  Laïus,  dans  l'antiquité';  —  que  la  Belle  pé- 
ni tente ,  Jeanne  S/iore  ,  George  Barnwell ,  et  tant  d'autres  dans 
les  temps  modernes,  sont  des  sujets  horribles  ;  mais,  pour  la  plu- 
part ,  ils  sont  traite's  de  manière  à  inculquer  des  leçons  morales.  — 
Jamais  ils  ne  choquent  la  décence  ;  —  jamais  surtout  ils  rCallument 
de  passions  criminelles.  Dans  Us  premiers  temps  du  drame  anglais, 
on  trouve  des  expressions  grossières,  une  scène  un  peu  libre;  mais 
chez  nous  le  goût  moderne  a  fait  justice  de  ces  vieilles  et  inde'lica- 
tes  licences.  Ce  qui  nous  étonne  et  nous  afflige  le  plus  dans  l'état 
actuel  du  drame  français ,  c'est  qu'il  n'y  ait  aucune  turpitude  qui 
ne  se  voie  chaque  soir ,  sur  chaque  théâtre ,  —  qui  ne  soit  jetée  à 
ce  peuple  civilise'  par  les  écrivains  les  plus  populaires,  pendant  qua- 
rante ,  cinquante,  soixante  représentations;  dans  le  fait,  jusqu'à 
ce  que  l'auteur  ait  eu  le  temps  d'imaginer  et  d'achever  quelque  chose 
de  plus  monstrueux.  Il  nous  semble  que  la  conséquence  de  ce  fait, 
ou  sa  cause  peut-être ,  c'est  un  grand  relâchement  moral ,  une  grande 
dissolution  sociale  dans  la  nation  qui  se  pre'cipitc  chaque  soir  vers 
ces  sources  empoisonnées  ;  et  quand  nous  dirous  à  nos  lecteurs  que 


ÉTAT  DU  THÉATKE  EN  FRASGE.  J  33 

les  deux  hommes  (i)  que  nous  avons  choisis  sout  les  chefs  de  la  litté- 
rature française,  quand  nous  leur  dirons  que  des  milliers  de  petits 
litte'rateurs  n'ont  d'autre  métier  ni  d'autre  occupation  que  de  ren- 
chérir sur  les  mauvaises  qualités  de  leurs  maîtres,  ne  conviendront- 
ils  pas  avec  nous  que  l'état  de  l'esprit  public  en  France  est  un  phé- 
nomène, un  effrayant  phe'noraène  ,  que  le  monde  civilise  n'avait  pas 
encore  vu?  L'influence  du  théâtre  bien  dirigée  peut  être  quelque- 
fois salutaire,  ou  au  moins  innocente;  et  le  long  temps  pendant  le- 
quel ,  en  France  et  en  Angleterre ,  cette  influence  s'est  tenue  dans 
les  limites  de  la  réserve  et  de  la  décence  ,  a  laisse'  les  hommes  d'état 
indécis  sur  les  effets  de  celle  action  morale.  Mais  aujourd'hui  cela 
devient  une  passion  populaire  qui  appelle ,  en  vérité  ,  l'atlenlion 
des  gouvernemens  ;  et  nous  verrons  qu'en  France  le  gouvernement 
se  verra  force'  de  censurer  le  théâtre  ou  que  le  the'âtre  renversera 
le  gouvernement  et  la  société.  MM.  Hugo  et  Dumas  se  vantent  de 
ce  que  leur  génie  s'est  ainsi  élevé  sur  les  ruines  de  tout  contrôle 
gouvernemental  ;  et  c'est  ainsi  encore  qu'en  Angleterre  la  licence 
repousse  toute  autorité;  mais,  sans  cette  autorité,  il  n'y  a  plus 
aucune  paix  domestique ,  aucune  tranquillité  publique 

»  Ce  sujet  important  demanderait  ici  un  grand  développement, 
mais  nous  croyons  en  avoir  dit  assez  pour  quiconque  désire  voir 
se  conserver  un  reste  de  solidité  sociale  et  d'ordre  moral  chez  cette 
grande  nation  qui,  par  sa  position  et  sa  puissance,  est  destinée  à 
exercer  une  si  profonde  action  sur  le  monde,  pour  le  bien  comme 
pour  le  mal.  » 


(i)  Victor  Hugo  et  Alexandre  Dumas. 


134 


CONSIDÉRATIONS    ORTHODOXES    SUR    LE    CELIBAT 
ECCLÉSIASTIQUE . 

PAR  M.  l'abbé  db  l'Étang  (1). 

Lors  d'un  procès  qui  a  retenti  naguère  dans  les  tribunaux,  oa 
ne  demandait  la  liberté  du  mariage  que  pour  le  prêtre  qui  voulait 
renoncer  h  ses  fonctions  :  aujourd'hui  on  va  plus  loin ,  et  l'on  pré- 
tend que  le  prêtre  allie  le  mariage  avec  l'exercice  de  son  ministère. 
Tel  est  l'esprit  d'une  brochure  qui  a  paru  l'année  dernière  sous  le 
titre  de  Nouvelles  Considérations  sur  le  Célibat  des  Prêtres  ;  l'au- 
teur, qu'on  dit  être  un  prêtre,  et  qui  se  cachait,  sous  le  nom  de 
Durosoy ,  présente  l'abolitioa  du  célibat  ecclésiastique  comme  une 
mesure  aussi  facile  que  nécessaire  ;  il  donne  les  moyens  d'en  venir 
à  l'exécution.  Son  plan  ,  dont  nous  dirons  quelque  chose  à  la  fia 
de  cet  article ,  est  d'un  homme  qui  traite  lestement  les  matières 
les  plus  graves.  Ce  n'est  point  ainsi  que  procède  M.  l'abbé  de  l'E- 
tang. 11  commence  par  produire  des  témoignages  historiques  en  fa- 
veur de  l'antiquité  de  la  discipline  sur  le  célibat  eccle'siastique.  Il 
s'est  contenté  d'interroger  les  monumens  des  premiers  temps  de 
l'Eglise  ;  car  on  convient  assez  que ,  dans  les  siècles  suivans ,  les 
preuves  de  l'existence  de  cette  discipline  sont  nombreuses.  Le  con- 
cile de  Trente  ,  que  l'on  pourrait  dire  avoir  fermé  sur  ce  point  la 
chaîne  de  la  tradition  ,  a  porté  un  canon  exprès  contre  ceux  qui 
soutiendraient  que  les  prêtres  peuvent  contracter  mariage.  Pour 
montrer  la  sagesse  de  cette  décision  ,  l'auteur  des  Considérations 
orthodoxes  discute  trois  questions  :  Le  célibat  ecclésiastique  peut-il 
être  aboli  ?  Doit-il  l'être  ?  Quelle  serait  pour  cela  l'autorité  com- 
pétente ? 

Sur  la  première  question  ,  M.  de  l'Etang  prouve  que  le  célibat 
ecclésiastique,  tenant  à  la  discipline  géne'rale  de  l'Eglise,  ne  peut 


(i)  Brocliure  in-8".  Prix  :  2  fr. ,  et  2  fr.  25  c.  franc  de  port.  A  Paris, 
chez  Adi  ieii  Le  Clerc  et  C« ,  iiuprioxrurs-iibraires  ,  quai  des  Âugustins. 


SUR    LE    CÉLIBAT    ECCLÉSIASTIQUE.  135 

être  aboli  que  par  une  mesure  générale ,  ou  par  un  coucile  uni- 
Tersel ,  ou  par  le  Pape,  et  qu'une  abolition  partielle  pour  la  France 
est  ou  un  rêve  ou  une  source  de  scandales  et  de  schismes. 

Sur  la  deuxième  question  ,  l'estimable  auteur  considère  le  célibat 
sous  trois  aspects,  l'aspect  religieux  ,  l'aspect  social  et  l'aspect  privé. 
Que  demandent  la  dignité  et  l'intégrité  de  la  religion  ? 

«  Voilà  que  dans  notre  siècle  si  profondément  empreint  dindif- 
fe'rentisiuc  religieux,  on  se  prend  tout  à  coup  dune  étrange  pas- 
sion pour  l'honneur  de  la  religion.  Chacun  prétend  à  la  réputation 
de  réformateur  :  on  dirait  que  le  peuple  veut  se  idàvG  grand-prêtre  ; 
et,  aussi  bien,  pourquoi  non?  Il  s'est  bien  fait  roi!  En  entendant 
parler  de  la  religion  ,  vous  pensez  peut-être  qu'on  va  déchirer  tou- 
tes ces  pages  si  sales  d'invectives  et  de  quolibets  contre  ses  dogmes 
et  son  culte  ,  qu'on  va  interdire  ces  parodies  sacrilèges  dont  le  but 
est  d'avilir  les  choses  sacre'es?  Vous  jugez  que  pour  faire  respec- 
ter la  religion  il  faudrait  la  respecter  soi-même  ,  protéger  son  sanc- 
tuaire ,  ne  pas  démolir  ses  temples  ,  ne  pas  renverser  la  croix  qu'elle 
présente  a  nos  adorations.  Que  vous  êtes  dans  l'erreur!  Ignorez- 
vous  que  pour  les  maux  désespérés  il  faut  des  remèdes  puissans?  Il 
s'agit  de  sauver  la  religion.  He'  bien,  on  vient  offrir  des  épouses  à 
ses  ministres  !  En  vérité  ,  ou  pourrait  ne  voir  là  f]u'une  indécente 
plaisanterie ,  s'il  n'était  facile  d'apercevoir  des  intentions  mauvai- 
ses. Et  pourquoi  des  paroles  pacifiques,  quand  les  pensées  sont  hos- 
tiles ?  pourquoi  ne  pas  ctre  francs  ?  pourquoi  ne  pas  avouer  qu'après 
avoir  en  vain  tenté  d'anéantir  la  religion  par  les  persécutions,  on 
tente  de  le  faire  par  le  déshonneur?  On  n'a  pu  effrayer;  on  cher- 
che à  sc'duire  :  la  hache  s'est  emousse'e;  on  tend  des  pleines.  Cette 
marche ,  au  reste  ,  n'est  pas  nouvelle  :  l'Ecriture  elle-même  nous  en 
fournit  des  exemples.  Ainsi ,  les  Philistins  ,  ne  pouvant  dompter 
Samson,  introduisent  près  de  lui  Dalila ,  pour  le  gagner  par  ses 
artifices 

»  Il  est  de  la  dignité  de  la  religion  que  ses  ministres  soient  voués 
au  célibat,  soit  à  raison  de  leurs  nobles  fonctions,  soit  à  cause  de 
l'opinion  des  peuples,  soit  enfin  pour  obtenir  le  plus  de  garanties 
possibles  dans  l'admission  aux  ordres 

»  Nos  adversaires  nous  accusent  d'injustes  défiances.  Pourquoi , 
disent-ils ,  cet  effroi  sans  motifs  ?  Nous  n'avons  garde  de  toucher 


136  CONSIDÉRATIONS    ORTHODOXES 

au  dogme;  à  Dieu  ne  plaise  que  nous  voulions  détruire  l'édifice  res- 
pectable de  la  religion  :  nous  voulons  seulement  le  rajeunir,  en  le 
débarrassant  de  ses  gothiques  ornemcns.  Et  ne  savez-vous  pas,  ré- 
pondrai je  ,  que  pour  qu'un  ancien  édifice  parle  au  cœur  ,  il  n'y 
faut  rien  clianger,  mais  lui  laisser  cette  teinte  antique  qui  lui  im- 
prime tout  le  charme  des  souvenirs?  Et  puis,  est-il  bien  vrai  que 
vous  n'attaquiez  que  la  discipline ,  en  attaquant  le  célibat  ecclésias- 
tique ?  Ne  voyez-vous  pas  qu'en  même  temps  vous  rendez  le  dogme 
moins  respectable  aux  yeux  des  peuples  ,  et  que  ,  sur  quelques  points 
du  moins  ,  vous  les  portez  à  s'éloigner  de  la  foi.  Qu'ont  fait  les  pro- 
testans  ?  En  abandonnant  le  célibat  ecclésiastique,  ils  se  sont  vus 
forcés  d'abandonner  le  dogme  :  dès  qu'ils  ont  renonce  à  la  virgi- 
nité pour  eux-mêmes  ,  ils  ne  l'ont  plus  voulu  reconnaître  dans  la 
Mère  de  Dieu  ;  dès  qu'ils  ont  manifesté  leur  faiblesse  en  prenant 
des  épouses,  ils  se  sont  sentis  incapables  de  recevoir  les  aveux  de 
la  faiblesse ,  et  ils  ont  supprimé  la  confession.  N'en  doutez  pas,  les 
mêmes  causes  produiraient  parmi  nous  les  mêmes  effets.  Si  donc 
il  vous  reste  quelque  attachement  pour  la  foi  de  vos  pères  ,  repoussez 
tout  ce  qui  pourrait  l'altérer.  Tenons  à  honneur  de  léguer  à  nos 
derniers  neveux  les  croyances  que  nous  ont  léguées  nos  ancêtres.  » 

Sous  le  rapport  social  se  présentent  trois  questions  ,  la  questioa 
dépopulation,  la  question  morale,  la  question  financière.  D'abord, 
nous  avons  partout  surabondance  de  population,  et  le  le'gislateur 
est  bien  dispensé  de  chercher  à  l'accroître  ;  ensuite ,  le  prêtre  marié 
perdrait  certainement  son  influence  salutaire.  Enfin  ,  le  clergé  est 
assez  pauvre  aujourd'hui  :  serait-il  en  état  de  soutenir  une  famille, 
et  ceux  qui  poussent  au  mariage  des  prêtres  seraient-ils  dispose's  à 
augmenter,  dans  cette  supposition,  le  budget  du  cierge'? 

Le  célibat  eccle'siastique  n'est  point  un  joug  intolérable,  comme 
on  le  suppose  ;  c'est  un  état  auquel  le  prêtre  s'est  soumis  par  choix  , 
et  il  a  des  moyens  de  fidélité'.  L'abolition  du  célibat  nuirait  au  prê- 
tre à  qui  on  l'offre  ;  elle  susciterait  contre  lui  des  méfiances,  et  serait 
pour  lui  une  source  d'inquiétudes  pour  l'avenir. 

Dans  la  troisième  partie  de  son  écrit ,  M.  de  TEtang  re'fute 
spécialement  l'auteur  des  Nouvelles  Considérations  y  celui-ci  avait 
dit  : 

«  Bientôt  l'affaire  sera  discutée  à  la  chambre ,  et  si  la  loi  passe 


SUR    LE    CÉLIBAT    ECCLÉSIASTIQUE.  137 

dans  le  sens  que  nous  l'entendons  ,  le  roi  sera  prie'  de  prendre 
avec  Rome  les  arrangemens  convenables...  C'est  alors  que  le  Souve- 
rain-Pontife, voyant  les  inconvéniens  graves  qui  pourraient  résul- 
ter pour  la  religion  d'un  refus  obstiné  de  sa  part,  comprendra  qu'un 
point  de  discipline  ne  doit  pas  mettre  toute  la  religion  en  pe'ril... 
Quant  aux  moyens  à  prendre ,  ils  sont  faciles  :  il  faut  demander 
cette  délivrance  au  roi ,  aux  chambres  surtout.  Nous  ne  pouvons 
conjecturer  d'une  manière  certaine  à  quel  parti  s'arrêtera  le  Saint- 
Sie'ge  ;  mais  nous  espe'rons  qu'il  fera  un  sacrifice  aux  circonstances 
pour  le  bien  de  la  paix.  S'il  en  e'tait  autrement,  nous  pourrions  bien 
voir  des  choses  fort  de'sagréables  ?  n 

Ne  faut-il  pas  admirer  le  tact  et  la  mesure  d'un  prêtre  qui  fait 
intervenir  les  chambres  dans  une  décision  de  cette  nature,  qui  veut 
qu'on  force  la  main  au  Pape ,  et  qui  le  menace  de  choses  fort  dés- 
agréables. Singulière  obstination  de  ce  prêtre  ,  qui  se  plaint  de 
l'obstination  du  Pape!  Que  l'on  remarque  aussi  ce  mot  de  délivrance  ; 
il  est  caractéristique.  Pour  délivrer  l'auteur  d'un  joug  qui  lui  pèse, 
il  faut  bouleverser  toute  l'Eglise.  Quelle  heureuse  délivrance  !  M. 
l'abbé  de  l'Etang  réfute  très-bien  le  plan  scandaleux  du  prêtre  dé- 
goûte de  la  sainte  sévérité  de  son  état ,  et  finit  par  des  vœux  pour 
que  la  France  repousse  une  innovation  qui  ,  en  avilissant  le  sacer- 
doce et  en  lui  ôtant  son  influence  ,  nuirait  à  l'Etat  et  serait  une 
source  de  troubles ,  de  divisions  et  de  désordres.  Nous  citerons  ce 
morceau  : 

«  La  France  repousse  le  schisme  comme  elle  repousse  l'irréligion, 
elle  a  trop  long-temps  gémi  sous  le  joug  de  l'impiété  qu'on  voudrait 
lui  imposer  encore.  La  France  a  besoin  de  relever  ses  yeux  vers  le 
ciel  pour  oublier  les  crimes  de  la  terre  ,  dont  elle  fut  témoin  et  vic- 
time ;  elle  ne  peut  donc  chercher  à  se  séparer  de  ses  prêtres  qui  le 
lui  montrent,  ce  ciel  ;  elle  ne  peut  ne  pas  aimer  ses  prêtres  qui  con- 
solent ses  infortunés  et  soulagent  leurs  douleurs.  La  France  doit 
avoir  perdu  les  préjugés  qu'on  lui  inspirait  contre  ses  prêtres.  On 
les  lui  repre'sentait  con)me  ses  ennemis,  et  ils  se  de'voucnt  pour  elle, 
et  un  fléau  récent  a  montré  leur  zèle  ;  on  les  lui  repre'sentait  comme 
de  mauvais  citoyens;  et  elle  les  voit  soumis  aux  lois;  on  les  lui 
représentait  comme  opposés  aux  lumières,  et  eux-mêmes  propagent 
les  lumières ,   éloignant  seulement   des   jeunes   intelligences  ce  qui 


138  DISSERTATION    SUR    LA.    REUABILITATION 

n'ornerait  l'esprit  qu'aux  dépens  du  cœur  ;  enfin  ,  on  repre'sentait 
les  prêtres  comme  des  hommes  ardens,  et  ils  se  montrent  de  mœurs 
douces  et  régulières,  exclusivement  voués  à  leurs  fonctions  saintes. 
La  France  veut-elle  que  son  clergé  conserve  ces  nobles  sentimens  ? 
Qu'elle  ne  tente  rien  contre  ses  institutions  ,  qu'elle  n'oublie  pas 
que  c'est  à  l'affraucliisstment  de  tout  lien  mondain  qu'il  doit  et  ses 
vertus  et  sou  goût  pour  la  retraite.  Que  la  France  donc ,  par  ses 
organes  naturels  ,  s'oppose  à  toute  innovation  qui  nuirait  k  lEtat  sans 
aucun  avantage  pour  les  particuliers.  » 

Cette  brochure ,  bien  écrite  et  bien  pensée  ,  est  une  protestation 
contre  de  funestes  tentatives.  L'auteur  rappelle  à  propos ,  dans  son 
épigraphe  ,  la  recommandation  faite  par  le  Pape  dans  son  En- 
cyclique de  conserver  et  de  venger  par  tous  les  moyens  la  loi 
importante  du  célibat  sacerdotal.  Il  est  honorable  pour  lui  d'avoir 
rempli  à  cet  égard  le  vœu  du  Saint  Père.  —  L' Ami  de  la  Reli- 
gion ,  n°  2280. 


Dissertation  svr  la  Réhabilitation  des  Mariages  nuls ,  oit 
l'on  traite  particulièrement  des  Dispenses  in  radiée  j  par 
nn  professeur  en  Théologie  (  M.  l'abbé  Carrière,  profes- 
seur du  séminaire  de  Sl.-Sulpice  )  (1). 

La  première  édition  de  cette  dissertation  parut  en  1828 
(  'V.  l'Ami  de  la  Religion  n°  1461  ,  tome  LVI  ).  Elle  fut  favorable- 
ment accueillie  par  les  théologiens,  et  on  n'a  fait  que  l'abréger  dans 
la  nouvelle  théologie  de  Bailly  en  1829,  dans  la  théologie  de  Tou- 
louse et  dans  la  circulaire  de  M.  l'évêque  de  Digne  sur  les  confé- 
rences ecclésiastiques  de  i83o.  Toutefois,  l'estimable  et  docte  au- 
teur a  voulu  revoir  encore  son  ouvrage  ,  et  est  parvenu  à  l'améliorer. 
Il  annonce  modestement  qu'il  a  été  aidé  dans  son  travail  par  les 
judicieuses  observations  d'un  habile  professeiir  de  théologie. 


(i)   In-8».   Chez  Méquignon  Junior,  rue  des  Grands-Aiigustins. 


DES    MARIAGES    KULS,    ETC.  139 

Les  augmentations  qu'a  reçues  la  Bisserlation  forment  environ 
un  tiers  en  sus.  L'auteur  a  mieux  spécifié  les  divers  cas  où  le  ma- 
riage peut  être  nul  par  défaut  de  consentement ,  afin  de  mieux  ex- 
pliquer les  difi'érentes  décisions  du  droit  canonique  ,  principalement 
sur  l'erreur  et  la  crainte.  11  s'est  beaucoup  plus  étendu  sur  la  nature 
des  dispenses  in  radice ,  et  il  en  a  exposé  les  divers  effets  avec  la 
manière  dont  ils  sont  produits.  C'est  la  principale  addition.  Au  lieu 
d'indiquer  seulement ,  comme  dans  la  première  édition  ,  les  divers 
exemples  de  dispenses  in  radice  accordées  par  les  Papes ,  il  les  a 
parcourues  en  détail  pour  en  faire  remarquer  les  circonstances  pro- 
pres à  jeter  du  jour  sur  la  question.  Il  a  cherché  à  expliquer  avec 
plus  de  clarté  les  précautions  à  prendre  pour  l'emploi  des  dispenses 
in  radice,  spécialement  pour  les  cas  où  il  y  a  lieu  d'y  recourir  au- 
jourd'hui en  France  ,  et  par  rapport  à  la  nécessité  d'un  consente- 
ment persévérant,  laquelle  a  été  contestée  par  un  théologien  dis- 
tingué. 

On  aajouté  parmi  les  pièces  justificatives  un  rescritdeClémentXIII 
qui  offre  un  exemple  de  dispense  in  radice,  et  qui  est  important, 
surtout  pour  fixer  le  sens  de  certaines  expressions  employées  dans 
les  induits  que  le  Saint-Siège  a  coutume  d'accorder  aux  évêques 
pour  la  dispense  de  l'empêchement  qui  résulte  des  degrés  de  parenté 
ou  d'affinité.  Enfin  ,on  a  mis  une  table  analytique  des  matières  qui 
présente  d'un  coup-d'œil  un  résumé  de  toute  la  Dissertation. 

On  sait  que  cette  Dissertation  est  destinée  à  servir  de  suite  et 
de  supplément  au  Traité  des  dispenses  de  Collet ,  édition  de  M.  Com- 
pans.  On  remarquera  que  l'habile  théologien  réfute  assez  souvent 
l'abbé  Baston ,  auteur  d'une  Concordance  des  lois  civiles  et  ecclé- 
siasticjues  sur  le  Mariage ,  ouvrage  où  il  y  a  beaucoup  d'esprit, 
de  savoir  et  de  recherches,  mais  où  il  y  a  aussi  des  opinions  ha- 
sardées et  hardies.  L'abbé  Baston  était  un  esprit  subtil,  mais  qui 
ne  haïssait  pas  les  paradoxes.  Il  traite,  dans  cet  ouvrage,  beaucoup 
de  questions  différentes,  et  les  résout  plus  par  le  raisonnement  que 
par  l'autorité.  On  ne  voit  pas  qu'il  cite  un  seul  théologien.  Ce  qu'il, 
y  a  encore  de  singulier  dans  cet  ouvrage,  c'est  quelauteur,  ayant 
perdu  son  manuscrit  dans  un  voyage,  le  refit  de  mémoire.  Il  y  a 
peu  d'auteurs  qui  eussent  assez  de  facilité  et  assez  de  patience  pour 
entreprendre  deux  fois  le  même  travail.  La  Concordance  est  un 
in-i2  publié  en   i^l^.  —  L'Ami  de  la  Religion  ,  n°  i'2']5. 


140 


COURS    D'HISTOIRE 

DES     ÉTATS     EUROPÉENS    MODERNES; 

Par  Frédéric-Samson  SCHOELL. 


TROISIÈME   ET   DERNIER   ARTICLE  (1). 

DES     FAUSSES    DECR^TALES. 

Origine  des  fausses  Décrétales.  —  Diverses  collections  de  canons.  — 
Recueil  d'Isidore  Mercator.  —  Il  y  a  des  pièces  fausses.  —  Elles  ont 
été  adoptées  par  défaut  de  critique  ,  non  par  dessein  de  tromper.  — 
Leur  succès  prouve  qu'elles  n'ont  rien  innové.  —  Témoignages  du 
règne  de  Charleiuagne. 

Je  demande  aux  lecteurs  la  permission  de  prendre  congé  de 
cet  immense  ouvrage.  J'y  trouverais,  depuis  le  9^  siècle,  plus 
de  concessions  à  prendre  que  d'erreurs  à  combattre,  et  J'aurai 
d'ailleurs  plus  d'une  occasion  d'y  revenir  indirectement  dans 
les  diverses  parties  dliistoire  eccle'siastique  qu'il  peut  être  utile 
de  traiter.  Il  importait  surtout  de  rectifier  le  point  de  de'part 
adopte'  par  l'auteur,  et  de  dissiper  cette  vieille  fable  protes- 
tante de  l'ancienne  et  obscure  faiblesse  du  Saint-Sie'ge  ;  on  avait 
re'nssi  à  en  faire  depuis  long-temps  un  pre'jugé  bistorique;  le 
simple  re'cit  des  principaux  e've'nemens  a  de'montré  que  la  vé- 
rité est  précisément  le  contraire.  Pour  acbever  la  tâcbe  que 
je  m'étais  prescrite  ,  il  ne  me  reste  plus  qu'à  éclaircir  la  nébu- 
leuse influence  attribuée  aussi  sans  bésitation  aux  fausses  Dé- 
crétales. Nous  sommes  en  France  ,  il  en  faut  convenir,  un  sin- 
gulier peuple;  nous  admettons  avec  une  inconcevable  facilité, 
tout  ce  qui  nie,  tout  ce  qui  fronde,  tout  ce  qui  contredit  , 
avec  la  moindre  apparence  d'érudition  :  aussi  en  doit- on  tirer 
quelque  espérance  aujourd'hui  :  ne  fût-ce  que  par  vicissitude, 

(i)  Voy.  ci-d.  tom.  VIII,  p.  36i  ,  et  tom.  IX,  Si;. 


DES    FAUSSES    DÉCRÉTA  LES.  141 

il  nons  prendra  à  la  fin  fantaisie  de  jnger  re'ellement  noas-mê- 
mes ,  et  l'esprit  de  contradiction  nous  ramènera  à  la  ve'rite'. 

En  ge'ne'ral ,  on  ne  voit  qu'un  côte  des  choses  ;  on  e'tudie 
l'histoire,  quand  on  l'e'tudie  ,  par  de'cou pures  ,  sans  suite  ,  sans 
ensemble.  L'ancienne  manière  de  l'e'crire,  d'en  morceler  l'es- 
prit en  petits  ou  longs  chapitres  de  conside'ratious  et  d'anec- 
dotes :  cette  manière ,  fort  en  vogue  au  isiècle  dernier,  et  si 
commode  pour  l'ignorance  des  lecteurs  et  des  auteurs ,  a  mis 
le  comble  à  la  prévention  de  nos  ide'es.  Ainsi  jamais  on  ne  nous 
parle  des  Décrétales  que  hors  de  leur  place,  hors  du  cadre 
des  e've'neraens  contemporains  et  ante'rieurs  (i).  On  ne  fait  nulle 
attention  à  l'époque  qui  a  prépare'  ce  recueil  fameux  :  il  ne 
sera  donc  pas  inutile  de  retracer  en  peu  de  mots  ce  que  nous 
dit  l'histoire  de  tous  les  recueils  de  canons  qui  furent  re'unis  à 
cette  e'poque ,  et  de  l'e'tat  ge'ne'ral  de  l'Eglise  chre'tienne. 

Dès  le  règne  de  Charlemagne  on  s'e'tait  occupe'  beaucoup  de 
travaux  de  ce  genre,  et  même  long-temps  auparavant.  Il  s'e'- 
tait fait  de'jh  vers  le  milieu  du  6*  siècle  deux  collections  de 
canons ,  l'une  pour  l'orient  par  Jean  le  scholastique ,  et  Jusli- 
nien  l'autorisa  ;  l'autre  pour  l'occident  par  Denys-lePetit,  à 
laquelle  il  ajouta  \es  Décrétâtes  ou  lettres  dogmatiques  des  Pa- 
pes.  Vers  le  même  temps,  peut-être  même  auparavant,  circu- 
lait en  Espagne  une  autre  collection,  antérieure  conse'quemment 
à  S.Isidore  de  Se'ville ,  et  qu'on  lui  attribua  par  la  suite.  Selon 
le  père  Burriel ,  cet  e'vêque  en  re'unit  ve'ri  table  ment  une,  qui 
existerait  encore  (2).  il  n'est  pas  du  moins  de'montre'  que  S.  Isidore 


(i)  Les  lacunes  énormes  ,  le  manque  do  méthode  et  les  préjugés  ,  sont 
les  (léfiuils  évidens  du  peu  d'ouvrages  qui  portent  en  France  le  noai 
iX Histoire  ecclésiastique.  L'auteur  de  cet  article  s'est  attaché  depuis  long- 
temps à  cette  étude.  Il  pense  que  le  temps  est  venu  de  montrer  enfin 
le  christianisme  tel  qu'il  est  et  qu'il  a  toujours  été.  Il  espère  ne  pas 
tarder  beaucoup  à  publier  un  premier  travail  ,  qu'il  veut  sur-tout  ren- 
dre utile  par  sa  forme  ,  son  cxactitudvO  et  sa  plénitude. 

(i)  L'auteur  de  cet  article  aurait  dû  consulter  la  savante  Dissertation 
publiée  par  M.  do  La  Sernn-Santander  (Prœfatio  Jùstorico-crilica  in 
■veram  et  gcnuinam  collecLioncrn  veterum  Canonum  Ecclesiœ  Hispanœ  etc. 
Briix.   1800,  in-S").  V.  la  nouv.  édit.  de  Butler,  t.  IV,  p.  4-^5  ,  not.  a. 


142  COURS    d'histoire  ,    PAR    SCQOELL. 

n'ait  pris  aucune  part  au  recueil  qui  porta  plus  tard  son  nom, 
qui  s'accrut  de  divers  supplemens ,  empruntés  en  partie  à  De- 
nys-!e-Petit ,  de  De'cre'tales  poste'rieures  et  de  conciles  tenus 
après  S.  Isidore.  Ce  recueil ,  dit  M.  Scliœll ,  fut  porte'  en  Gaule 
vers  le  8"  siècle,  et  il  y  en  a  encore  des  copies  e'critcs  à  cette 
e'poque. 

Vinrent  ensuite  les  36  canons  de  S.  Boniface^  au  milieu  du 
niêfue  siècle;  à  ces  re'glemens  particuliers,  qui  ne  peuvent  se 
comparer  avec  les  collections  pre'ce'dentes ,  se  rattache  cepen- 
dant un  fait  inte'ressant.  La  publication  de  ces  canons  paraît 
avoir  suivi  le  5^  concile  de  Germanie,  ou  S.  Boniface  fit  lire 
les  quatre  premiers  conciles  œcume'niques  et  souscrire  aux  évê- 
ques  rassemble's  une  profession  de  foi ,  qu'il  envoya  au  pape 
Zacharie.  Ce  fut  l'occasion  d'une  lettre  du  Pontife  à  treize  e'vê- 
ques  de  Gaule. 

«  Votre  foi,  dit-il,  et  votre  union  avec  nous  est  pre'ciense, 
»  et  connue  de  Dieu  et  des  hommes.  Depuis  que  vous  êtes  re- 
»>  tourne's  à  St.  Pierre,  le  prince  des  apôtres,  cjiie  Dieu  vous 
»   a  donné  pour  maître,  vous  ne  faites  plus,  par  la  grâce  de  Dieu, 

»   qu'une  même  socie'ie'  et  un  même  hercail Vous  avez  en 

»  notre  place  le  très-saint  archevêque,  notre  frère  Boniface,  lé- 
»  gat  du  Sie'ge  apostolique  ;  montrez  votre  constance  contre  tous 
»)  ceux  qui  ont  des  sentimens  contraires.  •> 

Cette  re'sistance  momentane'e  de  quelques-uns,  sur  laquelle 
on  n'a  pas  d'autre  indication,  avait  probablement  pour  cause 
la  le'gation  apostolique  confe're'e  à  S.  Boniface  pour  la  Gaule 
comme  pour  la  Germanie. 

Mais  quelle  que  fût  cette  petite  et  courte  division,  elle  sert 
à  constater  dans  ce  temps  même  l'obéissance  ge'nérale  de  l'e'- 
piscopat  Gallo-Franc  au  St. -Sie'ge  et  à  la  juridiction  intermé- 
diaire d'un  légat  ;  et  cependant  on  était  peu  accoutumé  jusqu'a- 
lors à  cette  intervention.  Les  métropolitains  de  Gaule  n'avaient 
jamais  étépuissans,  et  nul  d'entre  eux,  pas  même  celui  d'Arles, 
n'avait  reçu  du  St. -Siège  avec  le  pallium  une  primatie  entière 
et  permanente;  on  communiquait  directement  avec  Rome. 

On  commençait  à  s'occuper  de  la  réforme  des  abus.  Pepin- 
le-Bref,  non  encore  roi,  en  747 >  adressa  au  Pape  une  consul- 


DES    FAUSSES    DÉCRiTALES.  143 

tatîon  sur  plusieurs  points  de  discipline.  Zacliarie  VII  répondit 
par  1']  articles,  pris  dans  les  anciens  canons  et  clans  son  au- 
torité apostolique ,  comme  il  le  dit  lui-même.  Charlemagne  ,  qui 
fit  bien  plus  encore  que  son  père,  remporta  pre'cieusement  de 
son  premier  voyage  à  Rome  ,  en  774,  une  collection  assez  con- 
side'rable.  C'e'tait  un  présent  d'Adrien  P"^  ;  il  y  avait  rassemblé 
les  canons  des  conciles  d'Ancyre  ,  de  Ne'oce'sare'e  ,  de  Gangres , 
d'Aiitioche  ,  de  Laodice'e  ,  de  Sardique  ,  de  Carlhage  et  des  au- 
tres conciles  d'Afrique. 

«  Charlemagne  veilla,  dit  M.  Guizot  (i) ,  à  l'observation  de  ces 
canons  et  en  fit  dresser  de  nouveaux.  Il  portait  la  même  vi- 
gilance sur  les  affaires  de  l'Eglise ,  que  sur  celles  du  gouver- 
nement ;  non-seulement  33  conciles  se  tinrent  sous  son  règne 
dans  son  empire,  mais  ses  capitulaires  sont  remplis  d'instruc- 
tions et  de  re'glemens  eccle'siasliques.  Il  fit  perfectionner  les 
Hures  de  liturgie ,  re'diger  en  grand  nombre  des  pénitentiels  ^  et 
publier  des  recueils  d'homélies.  »  On  sait  tout  ce  que  son  zèle 
entreprit  et  exe'cuta  pour  relever  les  e'tudes  et  re'pandre  l'in- 
struction parmi  les  grands,  le  peujile  même,  et  surtout  dans 
le  cierge'.  On  mit  donc  à  cette  e'poque  une  grande  activité'  et 
une  application  constante  à  connaîtie  et  à  re'unir  tous  les  do- 
cumens  de  discipline.  On  cite  parmi  les  travaux  de  ce  genre  la 
collection  de  80  canons  pre'senle'e  ou  reçue  à  Rome  par  En- 
gelram ,  e'vêque  de  Metz  en  784.  Voici  quelques-uns  de  ces  ca- 
nons qui  nous  font  connaître  quelle  e'tait  alors  la  snpre'matie 
de  l'Eglise  de  Rome. 

«  3.  Nul  e'vêque  accuse'  de  quelque  crime  que  ce  soit  ne  peut 
être  entendu  ou  poursuivi ,  sinon  dans  un  concile  le'gitime  , 
coDVO({ue' par  i'autorile'  du  Saiut-Sie'ge,  à  qui,  par  l'ordre  du 
Seigneur  et  les  me'rites  de  St.  Pierre ,  a  e'te'  donne'e  une  auto- 
rite' spéciale  pour  assembler  les  conciles.  " 

«  20.  Si  le  métropolitain  et  les  autres  juges  sont  suspects  à 
l'évêque  accusé,  qu'il  soit  jugé  parle  primat  ou  par  le  Pape.  » 


(i)   Cours  d^ Histoire. 


144  COUBS    d'histoire  ,    PAR    SCHOELL. 

«  ^3.  Si  un  evêqae  accuse  appelle  au  Pape,  il  faudra  s'en  te- 
nir à  ce  que  le  Pape  aura  juge'.  » 

«  39.  Les  ordonnances  contraires  aux  canons ,  aux  de'crets 
des  Papes  ou  aux  bonnes  mœurs,  sont  nulles.  » 

«  56.  Le  Souverain-Pontife  ne  sera  juge'  par  personne,  parce 
que  le  Seigneur  a  dit  que  le  disciple  n'est  pas  au-dessus  du 
maître.  » 

Celte  collection  se  re'pandit  rapidement  dans  la  Gaule,  et  si 
l'on  veut  mettre  pour  quelque  chose  dans  ce  succès  le  rae'rite 
d'Engelram  et  sa  charge  d'archi-chapelain,  dans  laquelle  il  ve- 
nait de  succe'der  re'cemment  à  S.  Fulrade,  je  suis  un  peu  de 
cet  avis,  mais  dans  un  sens  tout  autre  que  celui  qui  semble  se 
présenter  d'abord. 

Si  l'on  s'en  rapporte  à  Hincmar  ,  qui  vivait  dans  le  siècle 
suivant,  et  qui  n'estimait  guères  les  canons  d'Engelram,  ce  se- 
rait pre'cise'ment  vers  ce  temps  qu'aurait  paru  la  Collection  du 
Faux  Isidore;  cet  ouvrage  apporte'  d'Espagne  en  Germanie, 
aurait  e'te'  accre'dite'  par  Rlculfe  ,  archevêque  de  Mayence  ,  que 
quelques-uns  même  en  ont  cru  l'auteur.  Mais  on  convient  que 
ce  ne  sont  pas  là  les  fausses  De'cre'tales.  Toutefois  il  faut  noter 
cette  deuxième  grande  collection  venue  d'Espagne  en  Germa- 
nie,  et  qui   obtint  en  Gaule  un  grand  cre'dit. 

En  802 ,  dans  une  assemble'e  ge'ne'rale  au  champ  de  Mai  d'Aix- 
la  Chapelle ,  oh.  assista  un  le'gat  du  St.Sie'ge  ,  les  e'véques  lu- 
rent, par  ordre  delempereur,  un  recueil  de  tons  les  canons, 
et  promirent  de  les  observer  ;  l'empereur  leur  en  fit  remettre 
à  chacun  une  copie. 

Enfin  «  entre  les  anne'es  820  et  849 ,  on  voit  paraître  tont- 
»  à-coup,  dit  AL  Guizot(i),  toujours  sous  le  nom  de  St.  Isidore, 
ï)  une  nouvelle  collection  de  canons  beaucoup  plus  considérable. 
»  C'est  dans  le  nord  et  l'est  de  la  Gaule  Franque,  dans  les  dio- 
»  cèses  de  Mayence  ,  Trêves,  Metz ,  Reims,  etc.,  qu'on  la  ren- 
»  contre  d'abord  ;  elle  y  circule  sans  contestation  ;  à  peine 
»  quelques  doutes  percent  çà  et  là  sur  leur  authenticité';  elle 


(1)  Cours  cl' Histoire ,  tom.  III ,  leçou  26. 


DES    FAUSSES    DÉGRÉTALES.  145 

))  acquiert  bientôt  une  autorité  souveraine.  C'est  la  collection 
)»  dite  des  fausses  Décrétales.  Elle  a  reçu  ce  nom ,  parce  qu'elle 
M  contient  une  multitude  de  pièces  e'videmment  fausses,  et 
»  porte  tous  les  caractères  d'une  fabrication  mensongère.  Elle 
»  commence  par  60  lettres  des  plus  ancienu  éuéques  de  Rome, 
»  depuis  St.  Cle'ment  jusqu'à  Meichiade,  c'est-à-dire  ,  de  l'an  91 
»  jusqu'à  l'an  3i4,  lettres  dont  aucun  monument  n'avait  en- 
»  core  fait  mention  ,  et  dont  la  fausseté'  e'clate  au  premier  coup- 
»  d'oeil.  Les  Papes  des  trois  premiers  siècles  s'y  servent  con- 
)>  tinuellement  de  la  traduction  de  la  bible  de  St.  Je'rôme,  faite 
»  à  la  fin  du  4"  siècle  ;  ils  font  allusion  à  des  ouvrages  du  6" 
))  et  du  j''  siècle.  La  fabrication  en  un  mot  ne  peut  plus  être 
))  aujourd'hui  re'voque'e  en  doute  par  aucun  homme  de  quel- 
»  que  instruction  et  de  quelque  sens....  On  l'a  attribue'e  à  Be- 
»  noît,  diacre  de  Mayence ,  qui  a  fait  la  seconde  collection  des 

»    Capitulaires Elle  se  re'pandit  rapidement;  beaucoup  la 

»  prirent  pour  l'ancienne  collection  déjà  connue  sous  le  nom 
»  d'Isidore  ;  d'autres  la  croyant  nouvelle ,  ne  songèrent  seule- 
»  ment  pas  à  en  examiner  le  contenu.  « 

Selon  M.  Schœll  (i) ,  «  elle  ne  peut  remonter  au-delà  de  82g 
»  puisqu'on  y  trouve  des  passages  emprunte's  mot  pour  mot  des 

))  actes  du  concile  de  Paris  de  cette  anne'e Elle  est  cite'e 

))  pour  la  première  fois  dans  une  lettre  de  Charles-le-Chauve 
))  aux  e'vèques  assemble's  à  Cressy  ou  Kiersy  en  857.  Benoît, 
»  diacre  de  Mayence,  qu'on  a  soupçonne'  de  l'avoir  forge'e , 
»  l'inse'ra  du  moins  dans  une  collection  des  Capitulaires  qu'il 
»  publia.  )) 

On  ne  sait  au  vrai  ni  l'e'diteur  ni  l'auteur  de  ce  nouveau  re>i 
cueil,  hors  duquel  on  ne  retrouve  aucune  trace  d''Isidore  Mer- 
cator  ou  Peccator  :  ce  pseudonyme  n'a  probablement  jamais 
existe'  ;  il  est  vraisemblable  aussi  que  le  diacre  Benoît  ou  l'au- 
teur quelconque  de  cette  compilation  a  pris  à  la  collection  es- 
pagnole non-seulement  le  nom  d  Isidore,  mais  le  premier  fonds 
de  son  travail;  car  on  ne  peut  pre'tendre  que  tout  y  soit  faux; 


(1)  Cours  d'Histoire ,  tom.  I,  liv.  I'"'' ,  ch.  9. 

T.  X.  10 


140  COURS  d'histoire,   par  SCnOELL. 

Marchetti  et  Muzzarelli ,  tout  en  passant  con(îamnation  sur  ce 
recaeil ,  ont  très-justement  fait  celte  remarque.  J'adopte  e'gale- 
ment  leur  conjecture  qu'il  y  eut  là-dedans  plus  d'ignorance 
que  d'imposture.  Le  peu  de  critique  du  temps  peut  très-bien 
expliquer,  sans  dessein  de  tromper,  les  additions,  les  interpo- 
lations et  les  be'vues  ;  il  n'est  pas  même  certain  que  les  pièces 
reconnues  fausses  et  qu'on  doit  ne'cessairement  rejeter,  le  soient 
re'ellement;  car  ne  s'est-il  pas  perdu  depuis  cette  e'poque  beau- 
coup de  monumens  sacre's  et  profanes?  te'moin  la  Répuùlinue 
de  Cicéron,  que  les  recherches  de  l'abbe'  Moï  n'ont  pu  re'tablir 
en  entier,  et  que  l'on  avait  complète  au  g"'  siècle. 

Si  les  contemporains  et  ceux  qui  suivirent  durant  plusieurs 
siècles  ne  furent  pas  assez  habiles  pour  discerner  la  îaussete'  de 
tant  de  documens  ,  celui  qui  les  rassembla  ne  pouvait  l'être 
davantage  :  on  ne  voit  pas  que  lui  imputer  une  falsification  vo- 
lontaire c'est  lui  attribuer  une  supe'riorite'de  savoir  e'videmment 
impossible.  Quoique  ces  re'flexions  ne  soient  peut-être  pas  inu- 
tiles, peu  importe  après  tout  le  pauvre  anonyme  et  son  ouvrage; 
il  s'agit  surtout  des  conse'quences ,  et  de  ce  côte'  tout  est  clair 
et  facile. 

Ceux  qui  ont  bien  voulu  lire  nos  deux  articles  pre'ce'dens,et 
qui  ne  se  sont  point  jusquà  pre'sent  occupe's  de  cette  question, 
seront  bien  surpris  quand  ils  sauront  qu'on  l'eproche  au  diacre 
Benoît  d'avoir  change'  toute  la  discipline  de  l'Eglise  et  son  gou- 
vernement, en  introduisant  trois  principes  inconnus  :  les  ap- 
pellations au  St.-Siége  ,  sa  soin>eraine  juridiction  sur  les  épéques 
et  sur  les  conciles,  c'est-à-dire,  en  d'autres  termes,  d'avoir  de'- 
natnre'  le  pouvoir  spirituel ,  sape'  les  règles  fondamentales  de 
l'Eglise,  et  fait  pre'valoir  contre  elle  les  portes  de  l'enfer,  mai- 
gre' la  promesse  donne'e  à  Pierre.  Heureusement  il  n'y  a  pas 
d'absurdité'  plus  facile  à  re'f  uter.  Ces  trois  pre'rogatives  du  Saint- 
Sie'ge  n'ont  jamais  e'te'  plus  fortement  exercées  qu'au  commen- 
cement par  St.  Cle'ment ,  St.  Anicet ,  St.  Victor ,  St.  Etienne  , 
St.  Jules,  St.  Innocent,  St.  Le'on  ;  les  faits  sont  nombreux  et 
evidens. 

Mais  il  y  a  plus  :  quand  les  faits  auraient  manque'  à  la  tra- 
dition, j'oserais  dire  que  le  succès  des  fausses  De'cre'tales  serait 


DES    FAUSSES    DÉCRÉTALES.  147 

tout  seul  on  fait  décisif ,  une  preuve  invincible  contre  les  pre'- 
tendues  innovations  qu'on  leur  impute  :  que  Benoît  ait  e'ië 
un  ignorant  ou  un  imposteur,  il  n'a  point  cependant  falsifie' 
la  doctrine  hieVarcliiqne  ;  qu'il  l'ait  appuye'e  par  des  pièces  de 
son  invention  ,  ce  serait  une  indigne  et  sotte  fourberie  ;  mais 
encore  une  fois,  puisque  son  recueil  a  e'ie'  admis  au  point  de 
faire  loi  pendant  si  long-temps,  c'est  qu^il  ne  contient  rien  au 
fond  de  contraire  aux  coutumes  et  aux  sentimens  de  i'Egiise. 
En  effet ,  eût-il  paru  à  l'e'poqae  de  la  plus  grande  de'grada- 
tion  intellectnelie ,  au  7^  siècle ,  l'ignorance  et  la  liberté'  des 
passions  ne  rendant  pas  les  esprits  plus  souples,  je  ne  verrais  pas 
encore  comment  les  e'vêques,  dont  le  plus  grand  nombre  e'faicnt 
fort  peu  réguliers ,  eussent  adopte'  facilement  une  juridiction 
si  gênante ,  dont  jamais  ils  n  anraient  jusque-là  entendu  par- 
ler ;  mais  an  8"  siècle  il  y  avait  an  grand  zèle  de  science  et 
surtout  de  science  eccle'siastique  ;  on  vient  de  voir  combien  en 
particulier  on  s'appliquait  aux  recueils  de  canons.  Il  y  avait 
donc  une  connaissance  certaine  de  la  discipline,  des  principes 
e'tablis,  que  le  8°  siècle  communiqua  au  9*^,  et  qui  ne  permet- 
taient pas  qu'on  fût  trompé  sur  le  fonds  des  choses,  si  l'on  pou- 
vait l'être  sur  les  de'tails  de  critique.  Comment  donc  n'aurait- 
on  pas  même  aperçu  les  nouveaute's  des  fausses  De'cre'tales  ? 
Comment  un  recueil,  dont  on  n'a  jamais  connu  le  ve'ritable 
compilateur,  conse'querament  sans  autre  recommandation  que 
son  contenu,  anrait-il  pu  subitement  tirer  l'e'vêque  romain  de 
Te'galite'  pastorale  au  spirituel ,  de  la  suje'tion  commune  au  tem- 
porel ,  et  cbanger  un  rae'tropolitain  ,  ou  patriarche  tout  au  plus , 
en  Souverain-Pontife  des  e'vêques  et  des  antres  métropolitains 
auparavant  indépcndans  ?Une  pareille  révolution  faite  par  une 
compilation  pseudonyme  toute  seule ,  serait  un  événement 
unique ,  qui  tiendrait  du  prodige  et  qu'on  n'aurait  pas  encore 
assez  admiré  :  une  certaine  année,  à  un  lever  de  soleil,  l'ap- 
parition des  fausses  De'cre'tales  aurait  fasciné  tons  les  esprits, 
persuadé  à  tous  ce  qu'ils  ne  voulaient  pas  la  veille,  et  aveuglé 
le  monde  chrétien  pour  six  siècles.  Car,  encore  une  fois,  on 
conçoit  très-bien  que  ceux  qui  prirent  ce  recueil  pour  l'ancienne 
collection  déjà  connue  sous  le   nom  d'Isidore,  et  ceux  çui  k 

10* 


148  COURS  d'histoire,  par  schoell. 

crnrent  nouvelle ,  ne  songèrent  pas  à  en  examiner  le  travail  j 
mais  quant  h  la  doctrine,  il  fallait  hien  lexaminer  pour  l'ap- 
pliquer au  besoin. 

Et  la  preuve  que  les  e'vêques  l'ont  examine'e  ,  c'est  qu'ils  l'ont 
soutenue  avec  empressement.  Le  motif  qu'on  donne  de  cet  em- 
pressement est  très-vraisemblable  et  très-naturel ,  sans  pour- 
tant rien  expliquer.  «  Cette  collection,  dit  M.  Gnizot,  n'était 
point  re'dige'e  dans  l'inte'rèt  exclusif  de  la  papauté.  Elle  semble 
même  plus  spe'cialement  destine'e  à  servir  les  e'vêques  contre  les 
me'tropolitains  et  les  souverains  temporels...  et  ainsi  l'inte'rèt  du 
moment ,  sans  pre'voyance  de  l'avenir  ,  emporta  l'assentiment 
des  e'vêques  (i).  »  D'accord;  mais  ils  devaient  voir  aussi  que 
cette  protection  de  l'e'piscopat  contre  les  me'tropoles ,  apparte- 
nait e'galement  an  cierge'  infe'rieur  contre  1  épiscopat ,  et  il  y 
avait  de  quoi  refroidir  leur  zèle;  mais  les  me'tropolitains  qui 
n'y  trouvaient  pas  leur  compte  devaient  re'clamer;  mais  les 
souverains  temporels  devaient  mettre  bien  plus  encore  d'oppo- 
sition ;  cependant  e'vêques ,  me'tropolitains ,  princes  ;  tous  ont 
donne' tête  baisse'e  dans  les  fausses  Décre'tales!  et  lorsqu'Engel- 
ram,  l'ami,  le  cliapelain  de  Charlemagne  ,  publia  ces  canons 
que  j'ai  rapporte's ,  et  qui  avaient  ainsi  de'ja  fait  connaître  les 
nouveautés  d'Isidore  cinquante  ans  avant  lui ,  personne  ne  dit 
mol;  pas  un  me'tropolitain  ne  s'e'leva  contre,  et  Charlemagne, 
qui  avait  tant  à  cœur  d'établir  l'autorité  métropolitaine,  ne  se 
fâcha  point  !  voilà  qui  est  bien  singulier  ! 

Dira-t-on  que  ce  fut  Charlemagne  lui-même  qui  disposa  les 
choses  à  dessein  ou  par  mégarde  pour  l'accroissement  du  Saint- 
Siège  ?  Cette  idée  n'est  pas  plus  soutenable.  On  s'est  plu  assez 
souvent  à  remarquer  que  Charlemagne  s'était  réservé  la  sou- 
veraineté sur  Rome  et  sur  les  terres  même  île  la  donation,  dès 
avant  son  sacre  impérial.  Cela  est  vrai.  —  Les  Papes  étaient 
sous  la  domination  administrative  ;  leur  intronisation  ne  pouvait 
avoir  lieu  sans  son  consentement  ;  ses  commissaires  surveil- 
laient Rome  comme  les  autres  cités,  et  le  jugement  des  assas- 


(i)  M.  Guizol ,  Cours  dTIisloirc ,   totn,  III. 


DES    FAUSSES     DÉCRÉTALES.  149 

sins  de  Léon  III  suflarait  pour  prouver  qae  Chariemagne  n'avait 
pas  prétendu  rendre  les  Papes  ni  les  Romains  indépendans.  II 
est  certain,  au  contraire,  que  jusqu'à  Charles-le -Chauve ,  ils 
demeurèrent  pour  le  temporel  dans  une  assez  étroite  dépen- 
dance des  princes  carlovingiens;  j'ajouterai  même,  parce  que 
le  vrai  n'est  jamais  nuisible  au  vrai ,  que  la  puissance  spirituelle 
du  St. -Siège  a  plutôt  été  contrainte  que  favorisée  par  Char- 
lemagne. 

M.  Guizotavu  à  merveille,  et  je  crois  le  premier,  que  Char- 
lemagne  fut  un  monarque  absolu  ,  par  position  ,  si  l'on  veut, 
autant  que  par  caractère  ;  mais  enfin  il  agit  sans  cesse  en  maî- 
tre ,  et  particulièrement  dans  les  affaires  de  la  religion.  Aucun 
roi  de  France  avant  lui  n'y  avait  mis  une  main  si  haute,  et 
ne  s  était  mêlé  avec  une  pareille  volonté,  de  la  discipline  et  du 
dogme  (i),  de  sorte  que  l'Eglise  perdit  sous  son  règne  en  li- 
berté ce  qu'il  lui  fit  retrouver  en  régularité,  en  science  et  en 
distinctions.  Il  nommait  lui-même  les  évêques  ,  assemblait  les 
conciles,  faisait  des  réglemens  ecclésiastiques,  et  beaucoup 
d'articles  de  ses  Capitulaires  sont  devenus  des  canons;  l'activité 
de  son  génie  s'étendait  jusqu'aux  moindres  détails  de  la  liturgie 
et  de  la  correction  des  textes  sacrés.  Une  intervention  si  géné- 
rale laissait  peu  de  place  à  celle  du  St.-Siége  ;  ses  relations 
même  avec  Adrien  T'  et  Léon  III ,  l'amitié  personnelle  qui  s'é- 
tablit entre  eux  et  lui ,  le  zèle  qui  lui  fit  recueillir ,  sous  le  nom 
de  Code  Carolin,  les  lettres  de  leurs  prédécesseurs  à  son  aïeul, 
à  son  père  et  à  lui-même;  sa  munificence,  sa  protection  qui 
mettait  Rome  et  le  Pape  à  l'abri  du  ressentiment  de  Gonstanti- 
nople  ;  enfin  la  couronne  impériale  qu'il  reçut  de  Léon  III , 
tout  cela  lui  donna  dans  l'Eglise  une  autorité  dont  il  n'y  avait 
pas  d'exemple  depuis  Constantin,  et  qui  n'était  pas  même  sans 
danger  pour  l'avenir.  Sans  doute  ,  le  chef  de  l'Eglise  reçut  de 
la  grandeur  et  de  la  familiarité  du  monarque  un  nouvel  éclat 
extérieur,  mais  si  la  dignité  brille  alors  davantage,  le  pouvoir 
se  sent  moins;  le  pontife  agit  moins  directement,  moins  sou- 


(i)  M.  Guizot,  Cours  d'Histoire  ,  lom.   II,  leçou. 


150  coui'.s  d'iiistoirk,   par  schoell. 

vent ,  avec  un  ton  moins  ferme  ;  il  rae'nage  les  habitudes  des- 
potiques d'un  ami  souverain;  il  souffre  l'impertinence  des  Ui>res 
Carolins contre\e  7*^  concileœcume'nique  et  l'initiative  AaJîiiOfjue 
ajoute'  au  symbole  ;  enfin ,  excepte'  la  publication  de  ce  concile  , 
on  ne  voit  guère  à  cette  e'poque  d'autre  acte  solennel  de  juri- 
diction pontificale;  et  ces  4^  ans  de  protection  dominante,  mai- 
gre' tout  ce  qui  s'y  fit  d'utile  pour  la  discipline  ,  n'en  furent  pas 
moins  le  premier  e'chec  du  St.-Sie'ge.  L'avantage  le  plus  appa- 
rent qu'il  en  ait  retire,  la  donation,  a  moins  servi  peut-être  à 
l'inde'pendance  temporelle  du  St.-Sie'ge  ,  qu'elle  n'a  excite'  contre 
lui  la  cupidité'  des  princes.  Après  cela,  on  ne  se  jettera  pas  ,  je 
pense,  dans  une  supposition  contraire,  que  les  fausses  De'cre'- 
tales  furent  un  commencement  de  re'action  en  faveur  du  Saint- 
Sie'ge  ,  après  la  mort  de  Gharlemagne.  Outre  qu'on  n'affaiblirait 
nullement  ainsi  ce  qui  a  e'te'  dit  plus  haut,  il  est  certain  d'ail- 
leurs que  ce  prince,  non  plus  que  son  siècle,  n'a  point  de'menti 
l'antique  tradition  de  l'autorité  spirituelle  des  Papes  ,  et  qu'il 
l'a  reconnue  formellement. 

En  775  Adrien  P'',  donnant  le  pallium  à  Tilpin,  archevêque 
de  Rheims,  confirma  par  l'autorité'  de  St.  Pierre  les  privile'ges 
de  cette  e'glise ,  et  ordonna  qu'elle  demeurât  me'tropole  :  «  que 
»  personne,  dit-il,  ne  présume,  dans  la  suite,  de  vous  dépo- 
»  ser,  ni  aucun  de  vos  successeurs,  sans  un  jugement  canoni- 
))  que  et  sana  le  consentement  duPape ,  si  on  appelle  au  Saint- 
))  Siège...  »  Il  le  chargea  en  outre  d'examiner  avec  deux  évê- 
ques  et  des  missiroyaux  les  plaintes  portées  contre  St.  Lui, 
archevêque  de  Mayence. 

En  786,  Gharlemagne  consulta  le  même  Pape  sur  la  manière 
de  recevoir  les  Saxons  apostats. 

Dans  un  capitulaire  de  789  ,  il  ordonnait  aux  moines  de 
suivre  le  chant  romain  ,  pour  mieux  conserver  l'union  auec  le 
St.-Siége  et  l'uniformité  dans  l'Eglise. 

Par  le  8    canon  du  concile   de  Francfort,  on  termina  une 

querelle  de  limites  entre  deux  évêques,  d'après  les  décisions 

anciennes  de  Zozime  ,  de  St.  Léon ,  de  Synimaque  et  de  saint 

Grégoire  :  trois  autres  évêques  qui  avaient  un  différend  pareil 

furent  renvoyés  au  jugement  du  St.-Siége.  Gharlemagne  notifia 


DES    FAUSSES    DÉGRÉTALES.  151 

aa  même  concile  la  dispense  tle  résidence,  qu'il  avait  obtenue 
da  Pape  pour  son  nouvel  archichapelain  1  évêque  Hildebolde, 
comme  auparavant  pour  l'e'vêque  Engelram. 

Lorsqu'on  apprit  en  Gaule,  en  799,  l'assassinat  de  Le'on  III, 
Alcuin ,  consulte'  par  le  prince ,  lui  re'pondit  :  «  Il  y  a  trois  di- 
w  gnite's  sape'rieares  dans  le  monde.  La  première  est  la  dignité 
3)  apostolique ,  qui  gouverne  le  sie'ge  de  St.  Pierre...  La  seconde 
))  est  la  dignité' impe'riaîe  ,  qui  commande  à  la  seconde  Rome... 
»   La  troisième  est  la  dignité'  royale ,  oii  le  Seigneur  vous  a 

))  e'ieve' Vous  êtes  la  ressource  de  l'Eglise ,   le  vengeur  des 

»   crimes Vous  ne  devez  pas  ne'gliger  de  prendre  soin  de  ce 

»  chej"  (le  Pape);  le  mal  des  pieds  est  plus  le'ger  que  celui  de 
»   la  télé.  » 

Cliarlemagne  ne  se  contenta  pas  de  donner  appui  au  Pape  : 
il  se  rendit  lui-même  à  Kome  ,  et  comme  les  conspirateurs 
avaient  accuse'  Le'on  III  de  plusieurs  crimes ,  il  proposa  dans 
une  assemble'e  l'examen  de  ces  accusations ,  à  quoi  le  Pape 
consentait  :  tout  le  cierge'  se  re'cria  :  «  ^ous  sommes  tous  jugés 
»  par  ce  siège  ,  qui  n'est  jugé  par  personne  ;  c'est  l'ancienne 
»  coutume.  Que  le  Souverain-Pontife  nous  commande,  nous 
»  obe'irons  selon  les  canons.  «  Le  Pape  l'e'pondit  :  «  Je  suis  prêt, 
»  comme  mes  pre'de'cesseurs  ,  à  me  justifier  par  serment,  »  et  il 
le  fit  le  lendemain  publiquement,  de'clarant  qui!  agissait  de  son 
plein  gré .,  sans  ai'oir  été  ni  jugé  ni  contraint ,  et  sans  vouloir J'aire 
loi  pour  ses  successeurs.  Il  y  a  encore  quelque  chose  de  plus  : 
un  capitulaire  de  801  contient  les  paroles  suivantes  :  «  Eu  me'- 
)>  moire  du  prince  des  apôtres  ,  honorons  la  sainte  Eglise  ro- 
»  maine  et  le  Sie'ge  aportoliquc  ;  afin  que  celle  qui  est  la  mère 
j>  de  la  dignité  sacerdotale  ^  soit  aussi  notre  maîtresse  dans  les 
n  choses  eccle'siastiques.  Il  faut  pour  cela  conserver  à  son  cgard 
»  l'humilité  et  la  douceur  pour  supporter  avec  des  sentiraens 
»  de  pie'te'  le  joug  que  ce  Sie'ge  nous  imposerait ,  fut-il  en  quel- 
))  que  sorte  intolérable.  » 

Certes ,  pour  que  Charlemagne  permît  et  dît  lui-même  pu- 
bliquement de  pareilles  choses,  il  fallait  bien  qu'il  fût  convaincu 
du  divin  caractère  de  cette  supre'matie  spirituelle.  Il  est  assez 
remarquable  qu'uu  tel  dominateur  se  soit  accorde'  d'avance  avec 


152  DE    LA    TAILLE    DE    l'hOMME  , 

le  diacre  Benoît,  et  l'on  ne  pourra  cVisconvenir  qu'après  un 
siècle  si  peu  dispose  à  exage'rer  les  droits  du  St. -Siège,  et  ce- 
pendant si  exact  k  les  reconnaître,  les  fausses  De'cre'tales  n'ont 
rien  introduit  de  nouveau. 

Edouard  DxnioNT. 

VVV  VVV VV^  VVX  V*  A  VVV  VV^  VV^  VV  V  VVV  VV^  VXX  X/»/*.  VV^  kiO^  VVV  VVV  V V\  VV^ VVX  \A^ 


DE  LA  TAILLE  DE  L'HOMME, 

ET   EKT    PARTICULIER    DE    CELLE   DES   GEANS. 

Tel  est  le  titre  d'un  article  reproduit  naguères  par  quelques 
journaux  ,  et  qui  ne  sera  pas  de'place'  dans  notre  recueil,  parce 
qu'il  touclie  d'assez  près  à  la  critique  sacre'e. 

Quelques  naturalistes  ont  e'tudie'  les  lois  que  suivent  les  va- 
riations de  la  taille  humaine  ,  d'après  les  différentes  races  , 
l'e'tat  de  civilisation  ,  le  climat  et  l'e'poque.  En  ge'ne'ral ,  la 
taille  des  femmes  est  beaucoup  moins  variable  que  celle  des 
hommes ,  et  c'est  à  ces  derniers  seulement  que  s'appliqueront 
les  remarques  suivantes.  Les  voyageurs  modernes,  les  naviga- 
teurs surtout,  ont  pris  avec  soin  la  taille  moyenne  des  divers 
peuples  qu'ils  ont  visite's.  Pour  mieux  fixer  les  ide'es  à  ce  sujet, 
nous  allons  donner  quelques-unes  de  ces  mesures,  en  ne  citant 
que  les  extrêmes. 

Peuples  de  petite  taille. 

Pieds,     pouces. 

Boschimans    montagnards 4  " 

Esquimaux 4  " 

Papous  me'tis  d'Offack 4  7 

Kamtschadales 4  ^^ 

Tartares  mongols 4  ^^ 

Peuples  de  grande  taille. 

Noaveaux-Ze'landais 5  7 

Caraïbes  de  l'Arae'rique  me'ridionale 5  9 

Habitans  des  Iles  des  Navigateurs 5  10 

Patagons,  les  plus  grands 6  » 


ET    EN    PARTICULIER    DE    CELLE    DES    GÉANS.  153 

Ainsi,  la  taille  des  peuples  nains  est  de  quatre  pieds,  et  celle 
des  peuples  ge'ans  est  de  six  pieds  ;  la  moyenne  entre  ces  deux 
extrêmes  est  de  cinq  pieds.  Mais,  pour  obtenir  la  vraie  moyenne 
de  la  taille  du  genre  humain  ,  il  faudrait  mesurer  dans  cha- 
que peuplade  la  même  fraction  du  nombre  des  hommes  qui 
la  composent  ,  et  prendre  la  moyenne  de  tous  les  re'sultats. 
Ce  genre  de  recherches  se  ferait  aise'ment  pour  une  nation 
en  particulier  ,  habitant  une  portion  de  la  surface  terrestre  , 
se'pare'e  de  toutes  les  autres  par  des  barrières  naturelles. 

En  suivant  celte  marche,  qui  a  de'ja  fixe'  l'attention  de  quel- 
ques savans  ,  on  apprendrait  enfin  si  la  taille  des  hommes 
éprouve  ou  non  quelque  variation  ge'ne'rale.  Aujourd'hui,  que 
les  circonstances  atmosphe'riques  sont  arrive'es  à  un  e'iat  sta- 
tionnaire,  il  semble  qu'il  en  soit  de  même  pour  tous  les  êtres 
organise's ,  en  sorte  que  le  genre  humain  possède  un  principe 
de  vie  capable  d'entretenir  à  perpe'tuité  certaines  dimensions 
moyennes  du  corps ,  au  milieu  de  toutes  leurs  variations  acci- 
dentelles. Mais  on  peut  croire  aussi  que  ce  principe  se  for- 
tifie, ou  bien  qu'il  s'affaiblit  d'une  manière  continue,  ou  enfin 
qu'il  doit  avoir  une  marche  ascendante  et  descendante  ,  ana- 
logue à  celle  de  chaque  individu  en  particulier.  Tout  le  monde 
sait  que  l'on  n'a  point  encore  trouvé  de  corps  humain  à  l'état 
fossile  ;  il  serait  donc  difficile  d'assigner  la  taille  de  l'homme 
à  son  apparition  sur  la  terre ,  alors  que  la  chaleur  propre  da 
globe  pourrait  avoir  sur  l'espèce  humaine  le  même  genre  d'in- 
fluence que  sur  les  plantes  et  les  animaux  contemporains.  Ces 
animaux  et  ces  plantes  qui  ont  vécu  dans  les  premiers  âges 
du  monde ,  et  que  l'on  retrouve  aujourd'hui  dans  les  couches 
de  la  terre,  ont  en  effet  des  dimensions  beaucoup  plus  fortes 
que  les  espèces  analogues  vivantes.  Ce  genre  de  pi'euves  n*est 
point  encore  venu  justifier  les  traditions  que  les  peuples  an- 
ciens nous  ont  conservées  sur  l'existence  primitive  d'une  race 
de  géans. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  ces  époques  géologiques,  il  est  à-pea- 
près  certain  que  la  taille  de  l'homme  n'a  point  varié  depuis 
les  temps  historiques  les  plus  reculés;  c'est  ce  que  prouvent 
les  momies   égyptiennes ,  et  ce  que  prouverait  au  besoin  la 


154  DE    LA    TAILLE    DE    l'hOMME  , 

connaissance  des  mesures  de  l'antiquité.  En  admettant ,  ce  qui 
est  infiniment  probable,  que  ces  mesures  ont  e'te'  prises  sur  la 
nature  humaine  ,  on  trouve  que  la  taille  des  Egyptiens  e'tait 
de  cinq  pieds  deux  pouces  dix  lignes  ;  celle  des  Grecs  ,  de 
cinq  pieds  quatre  pouces  six  lignes;  celle  des  Romains,  cinq 
pieds  un  pouce  huit  lignes ,  et  celle  des  Arabes ,  cinq  pieds 
sept  pouces.  Enfin  ,  il  serait  bon  de  connaître  les  valeurs  ex- 
trêmes de  la  taille  humaine  dans  son  e'tat  actuel ,  c'est-à-dire 
la  taille  des  plus  petits  nains  et  celle  des  plus  grands  ge'ans. 
Rarement  les  premiers  ont  eu  moins  de  deux  pieds  ;  mais  on 
ne  connaît  pas  aussi  bien  la  limite  des  tailles  gigantesques  ; 
et  c'est  pour  la  fixer  avec  pre'cision  que  nous  allons  donner 
ici  l'histoire  des  ge'ans  les  plus  remarquables.  Dans  cette  e'nu- 
me'ration,  nous  suivrons  Tordre  des  grandeurs,  et  non  l'ordre 
chronologique  ;  et  pour  ope'rer  la  conversion  des  anciennes 
mesures  actuelles  ,  nous  mettrons  à  profit  des  connaissances 
puise'es  dans  une  étude  spéciale  de  la  métrologie  ancienne. 

Au  rapport  de  Manéthon  ,  Sésostris  ,  ce  puissant  roi  d'E- 
gypte, qui  porta  ses  armes  jusque  chez  les  Scythes  et  les  Thra- 
ces,  et  qui,  de  retour  dans  sa  patrie,  fit  creuser  une  foule  de 
canaux  et  élever  des  monumens  gigantesques  par  les  peuples 
vaincus,  avait  lui-même  la  taille  d'un  héros.  Il  portait  quatre 
coudées  trois  palmes  et  deux  doigts  ,  qui  font  six  pieds  qua- 
tre pouces  deux  lignes. 

Rudsbeck,  dans  son  ouvrage  intitulé  Athlantis ,  dit  avoir 
vu  lui-même  un  paysan  suédois,  dont  la  taille  était  de  huit 
pieds  de  Suède ,  c'est-k-dire  sept  pieds  trois  pouces  neuf  lignes 
de  Paris. 

L'empereur  Maximin  était  originaire  de  la  Tiirace.  Entré 
comme  simple  soldat  dans  les  armées  romaines ,  ce  jeune  bar- 
bare franchit  rapidement  tous  les  grades  ;  et ,  à  la  mort  de 
Septime-Sévère ,  il  fut  proclamé  par  les  troupes,  émerveillées 
de  sa  taille  et  de  la  vigueur  de  son  bras.  En  effet ,  Blaximin 
avait  huit  pieds  quatre  pouces  romains  ,  ou  sept  pieds  six 
pouces  de  Paris.  On  raconte  de  lui  des  choses  extraordinaires; 
il  pouvait  briser  avec  la  main  des  pierres  très-dures  ,  arra- 
cber  de  jeunes  arbres,  traîner  des  chars  pesamment  chargés. 


ET    EN    PARTICULIER    DE    CELLE    DES    GEANS.  155 

Il  buvait  par  jour  une  amphore  de  vin  (26  litres),  et  man- 
geait trente  ou  quarante  livres  de  viande  (  dix  à  treize  kilo- 
grammes ). 

Dans  la  guerre  qu'il  entreprit  contre  la  Grèce,  Xercês,  roi 
de  Perse,  fit  couper  la  presqu'île  du  mont  Atlios,  pour  livrer 
passage  à  sa  flotte.  Cet  ouvrage  prodigieux  s'exe'cntait  sous  la 
direction  de  deux  seigneurs  persans,  Bubarès  et  Artache'e.  Ce 
dernier  y  mourut  de  maladie  ;  c'e'tait  un  homme  d'une  taille 
remarquable,  et  il  ne  s'en  fallait  que  de  quatre  doigts  qu'elle 
atteignît  cinq  coudées  royales.  Artache'e  avait  donc  sept  pieds 
dix  pouces  deux  lignes.  Sa  mort  affligea  Xercès  ,  et  l'arme'e 
persanne  lui  e'ieva  un  monument  après  lui  avoir  fait  de  magni- 
fiques funérailles. 

Ryckius  parle  d'un  Hollandais  qui  n'avait  pas  moins  de  huit 
pieds  et  demi  du  Rhin  ;  ce  qui  fait  huit  pieds  deux  pouces 
sept  lignes  de  Paris.  Le  géant  Gabbara  ,  envoyé  d'Arabie  à 
l'empereur  Claude,  avait,  selon  Pline,  neuf  pieds  neuf  ponces 
romains,  lesquels  valent  huit  pieds  dix  pouces  de  Paris.  Qui 
ne  connaît  l'histoire  de  Goliath,  ce  géant  à  l'éca  ,  aux  jam- 
bières et  au  casque  d'airain,  qui  faisait  porter  devant  lui  une 
cuirasse  du  poids  de  six  mille  sicles  (soixante-une  livres  neuf 
onces),  et  qui ,  armé  d'une  lance  dont  le  fer  pesait  six  cents 
sirles  (sept  livres  six  onces),  sortait  du  camp  des  Philistins, 
et  venait  se  placer  devant  l'armée  de  Saiil ,  proposant  de  vider 
la  querelle  par  un  combat  singulier  ,  et  insultant  ainsi  les 
guerriers  d'Israël  durant  quarante  jours?  Ce  géant  redoutable, 
auquel  le  petit  David  coupa  la  tête  après  l'avoir  frappé  d'une 
pierre  au  front,  avait  de  hauteur  six  coudées  et  un  empan. 
On  a  beaucoup  discuté  sur  la  taille  de  Goliath  ;  mais  depuis 
que  l'on  a  trouvé  dans  les  tombeaux  égyptiens  les  coudées  en 
usage  à  cetle  époque,  on  peut  la  fixer  d'une  manière  positive, 
à  neuf  pieds  de  Paris  très-exactement.  Celte  taille  de  Goliath 
n'est  pas  invraisemblable;  et,  en  effet,  Deirio,  dans  ses  notes 
sur  VOEc/ipc  de  Séncque ,  dit  avoir  vu,  en  i572,à  Rouen,  un 
Piémontais  dont  la  taille  dépassait  neuf  pieds. 

Pline  rapporte  que  l'on  vit,  sous  le  règne  d'Auguste,  un 
géant  et  une  géante  ,   nommés  Pusio  et  Secundilla  ,  qui  n'a- 


156  DE    LA    TAILLE    DE    l'uOUUE. 

vaient  pas  moins  de  dix  pieds  trois  pouces  romains  ,  c'est-à- 
dire  ,  neuf  pieds  trois  pouces  six  lignes  de  Paris.  Leurs  sque- 
lettes e'taient  conserve's  dans  les  jardins  de  Salluste. 

Resterait  à  discuter  la  taille  du  géant  Ele'azar ,  Juif  de  nais- 
sance, qu'Artaban,  roi  des  Parthes,  avait  envoyé'  à  l'empereur 
Tibère.  Josèphe,  dans  ses  Antiquités  judaïques ,  lui  donne  sept 
coude'es  de  haut.  S'il  a  entendu  parler  de  la  coude'e  romaine, 
qui  e'tait  la  plus  courte  de  toutes ,  Eléazar  devait  avoir  neuf 
pieds  six  ponces  de  Paris. 

Telle  est  la  limite  de  la  taille  des  ge'ans  dont  le  souvenir 
nous  a  e'te'  conserve'  par  les  historiens  ;  elle  contient  presque 
deux  fois  la  taille  moyenne  de  l'homme  ,  et  quatre  fois  trois- 
quarts  celle  des  nains  les  pins  petits.  Mais  pour  se  former, 
autrement  que  par  des  chiffres,  une  juste  ide'e  de  ces  aberra- 
tions de  la  nature,  il  est  ne'cessaire  de  figurer  contre  une  mu- 
raille, et  avec  leurs  dimensions  re'elles,  le  profil  du  nain  Be'be' 
à  côté  d'an  Ele'azar,  d'un  Goliath  ou  d'un  Gabbara. 


157 


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%  vv»^A-^'vv\^AAAAA(Vv^'vvvvv^'Vv\(Vv\lVv\vv'\'vv\'Vv^^vv\'vvvvv» 


VOYAGE  BE  L'ARABIE-PETREE, 

PAU    MM.    LÉOÎf    DE    LàBORDE    ET    LINAWT. 

Conformité  parfaite  du  récit  de  Moïse  avec  la  situation  actuelle  du  pays 
qu'il  a  décrit.  —  La  montagne  de  Séir-Ezéchiël.  —  Preuves  de  la  ca- 
tastrophe de  Sodôme  et  Gomorrhe.  —  Découverte  de  l'ancien  lit  du 
Jourdain  —  La  terre  de  Gessen.  —  Rencontre  de  Jacob  et  de  Jo- 
seph. —  Moïse  mettant  à  mort  un  Egyptien.  —  Scène  du  désert.  — 
Désolation  de  l'Idumée  prédite  par  le  prophète.  —  Preuve  de  l'an- 
cienne fécondité  de  ce  pays.  —  Raisins  et  sauterelles  de  ce  pays.  — 
Inscriptions  sinaïtes. 

Après  avoir  donné  un  premier  extrait  du  bel  ouvrage  de  M.  Léon 
de  Laborde  (i) ,  nous  allons  encore  extraire  de  sa  relation  tout 
ce  qui  peut  inte'resser  les  lecteurs  catholiques.  Nous  prendrons  peu 
de  choses  de  son  introduction  ,  quoiqu'il  y  traite  différentes  ques- 
tions qui  ont  rapport  à  la  Bible.  Mais  c'est  que  M.  de  Laborde 
nous  avertit  lui  même  que  ce  n'est  que  superficiellement  qu'il  traite 
ces  questions  ;  car  il  nous  annonce  qu'il  s'occupe  d'un  autre  ouvrage 
dans  lequel  entreront  ses  principales  recherches  sur  la  presqu'île  de 
Sinaï ,  le  pays  d'Edom ,  la  terre  de  Canaan ,  et  tout  le  pays  qui  a 
servi  de  théâtre  aux  faits  contenus  dans  les  cinq  livres  de  Moïse. 
Nous  attendrons  donc  la  publication  de  ces  recherches  ,  et  nous 
nous  contenterons  de  citer  les  passages  les  plus  remarquables,  ceux 
qui  ont  le  plus  de  rapport  au  récit  de  la  Bible.  Voici  comment  il  entre 
en  matière  dans  son  introduction  : 

«  C'est  au  récit  de  la  Bible,  rempli  de  renseignemens  si  précieux, 
qu  il  faut  recourir  chaque  fois  qu'on  veut  remonter  à  une  époque 
reculée  de  l'histoire  de  l'Arabie. 

Bien  qu'elle  ne  désigne  pas  ce  pays  par  son  nom  (2) ,  ni  dans 


(i)   Voy.  cid.  lom.  IX,  p.  323. 

(2)  Le  ne  livre  des  Paralipomènes ,  ch.  ix  ,  i4,  cite  les  cheick  des 
Arabes.  —  Ezéchiël ,  ch.  xxvii ,  21  ,  parle  de  l'Arabie  et  de  son  com- 
merce; mais  avant  lui  ce  nom  n'avait  pas  paru.  Le  grand  pays  qui  tou- 


158  VOYAGE    DE    l'aRABIE-PÉTEÉE. 

ses  limites  pre'cises  ,  cependant  elle  repre'sente  son  aridité',  elle  fait 
connaître  ses  peuples  et  les  divers  territoires,  mieux  qu'aucun  auteur 
poste'ricur  n'a  pu  le  faire. 

Sans  nous  arrêter  aux  différens  noms  des  campemens  des  Israé- 
lites ,  se  rapportant  à  des  circontances  ou  à  des  localités  qui  ont 
dispara  de  nos  jours,  et  qui  n'ont  d'inle'rêt  que  dans  une  discus- 
sion sur  la  route  suivie  par  ce  peuple  ,  nous  devons  loulefois  re- 
marquer l'analogie  qui  existe  entre  l'aspect  du  pays  à  cette  époque, 
et  celui  qu'il  offre  de  nos  jours. 

Le  désert  commençait  aux  environs  de  Suez,  au  pays  de  Ges- 
sen ;  les  sources,  les  palmiers,  presqu'aussi  rares  qu'aujourd'hui, 
offraient  à  la  vue  le  même  charme  après  les  mêmes  fatigues  du 
voyage.  Les  tarfa ,  plus  abondans,  ombrageaient  les  vallées  j  le 
Sinaï  ,  le  mont  Horeh  ,  étaient  arrosés  de  sources  ;  le  désert ,  au 
nord  de  Tih  ,  était  plus  aride ,  plus  fatigant  que  le  reste  du  pays  ; 
la  montagne  de  Seir  s'étendait  jusqu'à  la  mer ,  en  côtoyant  le 
chemin  de  la  mer  Rouge ,  qui  désigne  évidemment  la  Ouadi-Araha; 
le  pays  dUEdom  avait  sa  brillante  fertilité  ;  ce  sont  les  montagnes 
environnant  Petra  auxquelles  il  est  facile  de  reconnaître  ces  qua- 
lite's.  Les  montagnes  des  Moabites  et  des  Amorrhe'ens  conservent 
le  même  caractère  qui  leur  est  donné;  en  effet,  la  constitution  du 
pays  est  la  même. 

Plus  tard,  les  prophètes  citent  une  grande  quantité  de  noms 
de  lieux  et  de  villes  dans  le  territoire  de  chaque  peuplade,  Moa- 
bites,  Ammonites,  Edomites....  Je  citerai  un  passage  d'Ezéchiël, 
qui  a  rapport  à  la  montagne  de  Séir;  il  en  décrit  fort  bien  la 
structure  :  «  Je  remplirai  ces  montagnes  des  corps  de  leurs  enfans 
»  qui  auront  été  tues ,  et  ils  tomberont  percés  de  coups  d'e'pées , 
»  le  long  de  vos  rochers ,  de  vos  vallées  ,  de  vos  torrens  (i).  » 

»   Quant  à  l'emplacement  fixé  par  la  Bible  aux  différentes  pen- 


chait de  si  près  aux  intérêts  de  Thistoire  sainte  est  appelé  le  pays  de 
Vorient  (  kedem  )  ;  les  habitans,  lesjïls  de  l'orient,  ceux  qui  habitent  vers 
l'orient.  Les  lîois ,  liv.  ii ,  eh.  iv  ,  3o.  —  Les  Juges ,  ch.  vi,  3.  —  Jéré- 
mie  ,  ch.  xlix  ,  28.  —  Tsaïe ,  ch.  xi ,  1 4-  —  Job  .  ch.  i  ,  3. 
(i)  Ezéchiël ,  ch.  XXXV  ,  8. 


VOYAGE    DE    L'ARABIE-PiTREE.  159 

plades  ,  il  se  rapporte  singulièrement  à  la  division    des  territoires 
qu'ont  adoptée  les  tribus  arabes  de  nos  jours.  » 

M.  de  Laborde  fait  observer ,  ensuite  qu'après  les  docuraens  que 
nous  donne  la  Bible,  un  long  espace  de  temps  s  écoule  avant  de 
trouver  un  auteur  qui  nous  parle  encore  de  l'Arabie.  Il  faut  arriver 
à  Strahon  (  premier  siècle  )  et  à  Plolémée  (  deuxième  siècle  de 
notre  ère)  pour  entendre  parler  encore  de  l'Arabie.  A  cette  e'po- 
que ,  elle  était  divisée  en  Arabie- H eureuse ,  Arabie-Déserte  et 
Arabie-Pétrée.  Cette  dernière  ,  ainsi  nommée  de  la  ville  de  Pétra  , 
sa  capitale,  laquelle  paraît  avoir  pris  son  nom  des  rochers  au  mi- 
lieu desquels  elle  est  assise,  avait  pour  limites  à  Pouest  V Egypte  ,  en 
tirant  une  ligne  depuis  Peluse,  et  en  suivant  les  terrains  cultivés  , 
jusqu'à  Suez  ;  au  sud,  la  mer  Rouge ,  au  nord,  la  Judée  et  le  lac 
Asphaltique  ,  et  à  l'est,  le  Grand- Désert ,  reculant  plus  ou  moins 
ses  limites  selon  les  besoins  de  sa  population  ou  ses  alliances  con- 
tractées avec  les  peuples  nomades.  M.  de  Laborde  pense  que  l'A- 
rabie peut  être  divisée  en  trois  parties. 

i"  La  plus  considérable,  en  déserts  rocailleux;  2"  en  plaines  ou 
déserts  de  sable  ;  3"  en  pays  fertile  et  habite'. 

Nous  allons  suivre  M.  de  Laborde,  et  extraire  de  sa  narration 
ce  qui  a  rapport  à  la  géographie  sacrée. 

«  La  première  division  ,  qui  comprend  au-delà  des  deux  tiers  du 
pays,  doit  s'entendie  particulièrement  de  toute  la  contrée  entre  Suez 
et  l'Accabah. 

C'est  après  avoir  montre  aux  plaines  à'Homs  etd'Hamah,  ses 
pics  hardis ,  ses  sommets  couverts  de  neige ,  que  le  mont  Liban 
se  sépare  en  deux  chaînes  qui  prennent  chacune  un  nom  ,  l'une 
celui  de  Liban ,  l'autre  celui  è^ Anti-Liban.  Ces  deux  grands  ra- 
meaux continuent  à  s'étendre  vers  le  sud  ,  laissant  couler  entr'eux 
le  ISahar  el  Casmia ,  et  plus  loin  le  Jourdain,  auquel  ils  font 
prendre  une  direction  continue ,  non-seulement  à  travers  le  lac  de 
Tibériade  et  jusqu'à  la  mer  Morte ,  qui  aujourd'hui  interrompt 
son  cours ,  mais  aussi ,  et  dans  une  ligne  directe ,  au  milieu  de  la 
large  Ouadi-Araba,  qui  s'e'tend  jusqu'à  la  mer  Rouge  ,  et  qui  porte 
des  traces  évidentes  d'un  ancien  lit  de  fleuve. 

Cette  vallée  du  Jourdain,  Wadi-Araba  ,  long-temps  ignorée, 
retrouvée  par  Burkhardt  qui  la  traversa  ,   n'avait   e'té  suivie  par 


160  VOYAGE    DE    L^ARABIE-PÉTRÉE. 

aucun  voyageur  européen.  J'eus  le  bonheur,  dans  mon  voyage,  par 
une  route  de  11  lieues,  de  pouvoir  en  indiquer  la  direction  et  la 
configuration;  et  il  ne  doit  rester,  je  pense,  maintenant  aucun  doute 
qu'à  une  e'poque  reculée  le  Jourdain  ait  eu  son  écoulement  dans 
la  mer.  Cette  opinion  se  trouve  admirablement  soutenue  ])ar  le 
récit  de  la  Genèse ,  qui  nous  raconte  l'interruption  de  son  cours. 

»  Lot,  levant  donc  les  yeux,  conside'ra  toute  la  plaine  du  Jour- 
»  dain,  qui,  avant  que  le  Seigneur  eût  détruit  Sodôme  et  Gomor- 
»  rbe,  était  partout  arrosée  d'eau  ;  jusqu'à  ce  qu'on  vînt  à  Segor  , 
))  et  était  comme  le  jardin  du  Seigneur,  comme  le  pays  d'Egypte. — 
))  Il  y  avait  beaucoup  de  puits  de  bitume  dans  celte  vallée  de  Sit- 
»  tim.  —  Alors  le  Seigneur  fit  descendre  du  ciel  sur  Sodôme  et 
»  Goraorrhe  une  pluie  de  souffre  et  de  feu ,  et  il  détruisit  ces  vil- 
»  les ,  et  toute  la  plaine,  tous  les  habitans  de  ces  villes,  et  tout  ce 
»  qui  avait  quelque  verdure  sur  la  terre. 

»  Or ,  Abraham  s'ëtant  levé  le  matin ,  vint  au  lieu  où  il  avait 
))  été  auparavant  avec  le  Seigneur;  —  et ,  regardant  vers  Sodôme 
»  et  Gomorrhe  ,  et  vers  tout  le  pays  de  la  plaine ,  il  vit  s'élever 
»  de  la  terre  une  fumée  semblable  à  celle  d'une  fournaise  (i).  »> 

Ce  re'cit  simple  et  concis ,  comme  tout  le  texte  de  la  Genèse , 
dit  M.  de  Laborde ,  donne  une  idée  suffisante  d'une  éruption 
volcanique  ;  je  n'eu  doutai  plus  lorsque  j'en  eus  sous  les  yeux  les 
effets. 

Lot  vit  la  plaine  de  Sittim  arrosée  parle  Jourdain  comme  l'Egypte 
par  le  Nil ,  et  après  la  punition  infligée  par  le  Seigneur ,  la  terre 
avait  perdu  toute  sa  verdure ,  et  il  s'e'levait  de  la  plaine  une  fumée 
semblable  à  celle  d'une  fournaise. 

Sans  discuter  les  différentes  opinions  des  auteurs  qui  ont  cher- 
ché à  établir,  les  uns,  que  la  nature  dans  son  cours,  les  autres, 
que  la  volonté  du  Seigneur  ,  dans  son  indignation  ,  enflammèrent 
les  puits  de  bitume  dont  il  est  question  au  verset  10,  il  reste  évi- 
dent qu'ils  furent  l'origine  du  volcan  qui  détruisit  les  villes  de  So- 
dôme et  de  Gomorrhe  et  la  plaine  qui  s'étendait  auprès  d'elles  et 
qu'ils  formèrent ,  par  l'irruption  des  matières  volcaniques,  un  large 


(i)  Genèse f  ch.  xni ,  10,  et  xiv  ,   10. 


VOYAGE    DE    l'aRABIE   PÉTRÉE.  lÔl 

bassin  où  le  Jourdain ,  en  se  précipitant  ,  cessa  son  cours  vers  la 
mer  Rouge  (i).  Ce  bassin,  qui  prit  plus  tard  le  nom  de  lac  As- 
phaltique  et  de  mer  Morte  ,  devait  en  effet ,  dans  les  premiers  temps, 
et  en  recevant  les  eaux  du  Jourdain  ,  exhaler  une  fumée  semblable 
à  celle  d' une  fournaise.  Depuis  ,  des  ëcoulemens  souterrains  ,  ainsi 
qu'une  évaporation  considérable  compensaient  le  trop-plein  de  cette 
espèce  d^entonnoir. 

La  Ouadi-Araba,  depuis  qu'elle  est  devenue  déserte,  s'est  en- 
combrée dans  quelques  parties  de  buttes  de  sable  ;  mais  son  encais- 
sement au  milieu  des  montagnes  de  granit  et  de  porphyre,  ne  laisse 
aucun  doute  sur  celte  antique  direction  naturelle...  Quelques  voya- 
geurs ont  dit  qu'une  chaîne  de  collines  flanque  sa  partie  méri- 
dionale ;  on  ne  doit  pas  faire  attention ,  pour  expliquer  un  fait 
aussi  ancien,  à  des  collines  de  formation  toute  récente,  et  qui  sou- 
vent même  n'ont  été  composées  que  par  l'agglomération  du  sable  avec 
les  débordemens  d'eau  saline,  ou  l'ëvaporation  de  la  mer  Morte.  » 

M.  de  Laborde  trace  ici,  d'une  manière  très-sommaire,  le  ta- 
bleau historique  de  la  mer  Rouge  ,  de  sa  population ,  du  commerce 
de  cette  contrée  ,  des  voyageurs  qui  l'ont  traversée  ,  et  passe  ensuite 
à  la  description  des  belle  planches  qui  forment  la  partie  principale, 
la  plus  curieuse  et  la  plus  soignée  de  son  voyage.  Voici  com- 
ment il  décrit  le  lieu  qui  sépare  la  terre  de  Gessen  du  de'sert 
d'Egypte. 

«  Quelques  blocs  de  granit  sans  sculpture ,  des  monticules  de  dé- 
bris de  poterie  ,  indiquent  le  site  d'une  ville  égyptienne  ancienne. 
L'ouvrage  sur  l'Egypte  appelle  ce  heu  Ahoucheycheyd,  notre  con- 
ducteur le  nomma  Tel  Masrouta. 


(i)  Le  Coran,  qui  paraît  contenir  qiu'lques-unes  des  traditions  des 
Arabes  sur  Sodôme ,  place  celte  ville  sur  le  grand  chemin.  Sodôme 
dit  Mohammed  ,  était  située,  awant  sa  destruction ,  sur  le  grand  chemin; 
et  plus  loin  ,  en  parlant  d'Ailah  également  :  ces  deux  villes  étaient  si- 
tuées sur  la  voie  publique.  (Coran,  Ledgr.  ch.  xv.)  Bien  que  ce  docu- 
ment ne  remonte  pas  à  une  haute  antiquité  (  le  7e  siècle  ) ,  cependant 
on  ne  peut  douter  que  Mohammed  ne  fût  plus  à  portée  que  tout  autre 
de  recueillir  les  anciennes  traditions  du  pays  ,  et ,  dans  ce  cas  ,  elles  sont 
conformes  à  l'idée  de  la  longue  vallée  du  Jourdain  ,  dont  les  bords  étaient 
suiyis  par  la  grande  route. 

T.  X.  U 


1G2  VOYAGE    DE    l'aRABIE-PKTRÉE. 

»  Ce  lieu  cependant  offre  un  autre  inte'rêt  ;  arrivé  là ,  on  se 
trouve  sur  le  théâtre  de  l'un  des  épisodes  les  plus  touchans  de  TE- 
criture.  C'est  ici  la  province  de  Gessen ,  où  les  enfans  d'Isaac  s'éta- 
blirent et  se  multiplièrent,  et  c'est  là  qu'eut  lieu  cette  rencontre  du 
père  avec  le  fils ,  de  Jacob ,  le  patriarche  ,  le  chef  de  tribu ,  avec 
Joseph  ,  le  ministre  ,  le  maître  de  l'Egypte;  mais  qui  trouverait  des 
expressions  plus  touchantes  que  le    texte  même? 

«  Hâtez-vous  de  monter  vers  mon  père  ,  et  vous  lui  direz  :  voici 
»  ce  que  vous  mande  votre  fils  Joseph  :  Dieu  m'a  établi  Seigneur 
»  sur  toute  l'Egypte  ;  descendez  donc  vers  moi ,  ne  tardez  point  : 
»  vous  habiterez  eu  la  terre  de  Gessen  ;  vous  serez  près  de  moi , 
»  vous  et  vos  enfans ,  et  les  enfans  de  vos  enfans ,  et  vos  brebis 
»  et  vos  bœufs ,  et  tout  ce  que  vous  possédez  ;  je  vous  j  nourrirai 
»  (car  il  y  aura  encore  cinq  ans  de  famine),  afiu  que  vous  ne 
»  périssiez  pas,  vous  et  votre  maison,  et  tout  ce  qui  est  à  vous. 
»  Vos  yeux  voient ,  et  ceux  de  mon  frère  Benjamin  aussi ,  que 
»  c'est  ma  bouche  qui  vous  parle  :  annoncez  donc  à  mon  père  toute 
»  ma  gloire  en  Egypte  ,  et  tout  ce  que  vous  avez  vu  ;  hâtez-vous  ,  et 
)»   amenez  mon  père  vers  moi. 

»  Et  penché  sur  le  cou  de  Benjamin  ,  son  frère  ,  il  l'em- 
brassa et  pleura  ,  et  Benjamin  pleura  aussi  penché  sur  son  cou... 

»  Il  renvoya  donc  ses  frères,  et  leur  dit  lorsqu'ils  partaient  : 
n  allez  en  paix.  Ils  montèrent  donc  de  l'Egypte  ,  et  parvinrent  au- 
»  près  de  Jacob ,  leur  père ,  en  la  terre  de  Chanaan ,  et  ils  lui  di- 
»   rent ,  savoir  ; 

»   Joseph  vit  encore ,  et  il  règne  sur  tout  le  pays  d'Egypte. 

»  Ce  que  Jacob  entendant  ,  il  s'éveilla  comme  d'un  profond  som- 
»  meil ,  et  toutefois  il  ne  croyait  point  en  eux  ;  mais  ils  lui  redi- 
»  rent  toutes  les  paroles  que  Joseph  leur  avait  dites  ;  et  lorsqu'il 
»  vit  les  charriots  que  Joseph  avait  envoyés  pour  le  transporter, 
»  son  esprit  se  ranima  ,  et  il  dit  :  //  suffit}  mon  fils  Joseph  vit 
))   encore  ;  j'irai,  et  je  le  verrai  avant  que  je  meure.... 

»  Israël  partit  donc  avec  tout  ce  qu'il  avait ,  et  il  arriva  avec 

»   toute  sa  famille  en  Egypte ;  or ,  Jacob  envoya  Judas  devant  lui, 

»  vers  Joseph  ,  pour  l'avertir  qu'il  se  rendrait  en  la  terre  de  Gessen, 
»   afin  que  Joseph  y  vînt  à  sa  rencontre. 

»  Lorsqu'il  fut  arrivé,  Joseph  fit  atteler  son  char,  et  vint  au 


VOYAGE    DE    L  ARAEIE-PETREE.  Ig3 

»  même  lieu  à  la  rencontre  de  son  père  ;  et  le  voyant,  il  se  jeta  à 
»  son  cou,  et  pleura  en  l'embrassant.  Israël  dit  à  Joseph:  Mainte- 
))  nantje  mourrai  avec  joie ,  puisque  fai  vu  ton  visage  et  que  je 
»   te  laisse  vivant  {\) .  » 

«  La  singulière  conformité  qui  semble  exister  dans  la  manière 
de  vivre ,  les  mœurs ,  le  costume  des  habitans  actuels  de  l'Arabie 
et  les  traditions  qui  nous  restent  du  temps  des  patriarches,  ont  donné 
l'idée  de  représenter  l'aspect  de  ce  pays  et  de  ses  mœurs  dans  l'une 
des  scènes  les  plus  touchantes  de  l'Ecriture  ,  et  qui  eut  lieu  en  effet 
dans  ce  pays  même.  De  semblables  tableaux  se  reproduisent  encore 
quelquefois  au  milieu  de  ces  vastes  solitudes,  pour  embellir  un  in- 
stant leur  aridité.  L'homme  qu'on  pourrait  y,  supposer  étrantrer 
aux  douceurs  de  la  vie ,  ne  l'est  pas  également  aux  senlimens  de 
la  nature;  sa  famille,  sa  tribu,  ses  troupeaux,  sont  pour  lui  une 
patrie  mobile  qui  sufEit  à  ses  de'sirs  ,  puisqu'il  lui  reste  fidèle  et 
que  de  temps  immémorial  il  n'en  a  point  cherché  d'autres.  «  Que 
faites-vous  »  ,  dit  Pharaon  aux  frères  de  Joseph;  et  ils  répondent: 
«  Vos  serviteurs  sont  pasteurs  de  brebis ,  comme  l'ont  été  leurs 
»  pères  »  ;  et  encore  aujourd'hui ,  si  le  voyageur  les  interroge  ils 
répondront  :  «  Nous  sommes  pasteurs  de  brebis ,  comme  l'ont  été 
n  nos  pères.  » 

»  J'ai  encore  ,  continue  M.  de  Laborde,  à  rappeler  une  autre  scène 
qui  peint  le  caractère  et  ces  premiers  mouvemens  de  la  jeunesse  du 
grand  le'gislatcur ,  de  Moïse,  l'auteur  du  Pentateuque. 

»  Moïse  étant  devenu  grand  ,  dit  la  Bible,  sortit  pour  aller  voir 
»  ses  frères;  il  vit  l'affliction  où  ils  e'taient ,  et  il  trouva  que  l'un 
:>  d'eux,  Hébreu  comme  lui,  était  outragé  par  un  Égyptien;  il  re- 
»  garda  en  même  temps  de  tous  côte's  ,  et  voyant  qu'il  n'y  avait 
»   là  personne ,   il  assomma  lÉgypticn  et  le  cacha  dans  le  sable.  « 

M.  de  Laborde  fait  sur  ce  fait  les  remarques  suivantes  :  u  II  as- 
somme l'Egyptien  et  le  cache  dans  le  sable.  »  La  Bible  est  si  con- 
cise ,  mais  en  même  temps  d'une  précision  si  vraie  ,  que  c'est  avec 
une  attention  fixde  sur  chaque  mot  ,  qu'on  peut  en  retrouver  tout 
le  mérite  :  ici,  par  exemple,  nous  retrouvons  l'arme  du  désert ,  cette 
petite  massue  appelée  cohbous  ,  formée  d'un  bâton  noueux  ,  puis  , 

(i)   Genèse ,   ch.  xlv  et  xlvi. 

Il* 


164  VOYAGE    DE    l'aRABIE-PIÎTRÉE. 

la  position  du  pays  de  Gessen  sur  Ja  limite  du  déscit  et  du  pays  cul- 
tive ,  car  il  cache  sa  victime  dans  le  sable . 

C'est  là  que  les  voyageurs  commeacent  à  s'enfoacer  dans  les  dé- 
serts de  sable,  si  difficiles  à  traverser.  Voici  comment  M.  de  La- 
borde  de'crit  ce  premier  départ  :  «  Une  plaine  de  sable  raine'e  par 
les  eaux,  défoncée  par  les  pas  des  chameaux,  s'étend  au  sud  des  tra- 
ces du  canal;  c'est  avec  peine,  même  avec  danger,  que  nous  tra- 
versons cette  plage  aride  au  milieu  d'un  désert ,  ce  réservoir  hu- 
mide et  salin  au  milieu  de  la  sécheresse....  Le  soleil  s'e'Ievait  déjà 
près  de  l'horizon  ,  lorsque  les  chameaux  firent  retentir  le  désert  des 
cris  plaintifs  que  leur  arrache  le  moment  où  on  les  charge;  de 
longs  ravons  d'une  lumière  froide  projettent  au  loin  l'ombre  des 
animaux  et  des  hommes  ,  pendant  que  chacun  porte  son  bagage  sur 
sa  monture ,  puis  se  laisse  enlever  par  elle  en  plaçant  un  genou 
sur  la  selle.  Voilà  le  départ ,  souvenir  si  vif  de  ces  voyages  du 
de'sert.f  » 

Nous  ne  suivrons  pas  exactement  ici  M.  de  Laborde  dans  sa  lon- 
gue route  pour  faire  le  tour  de  la  presqu'île  du  Sinaï ,  et  parvenir 
au  fond  da  golfe  Elanitique ,  jusqu'à  la  ville  de  Pétra,  ancienne 
capitale  du  pays  des  Nabathéens.  Nous  ne  dirons  rien  non  plus  de 
cette  ville  de  pierre,  merveille  du  désert,  qui  est  là  depuis  tant  de 
siècles,  assise,  silencieuse,  avec  ses  temples,  ses  palais,  ses  théâ- 
tres,  ses  arcs  de  triomphe,  ses  pyramides,  d'une  exécution  si  par- 
faite,  et  entourée  de  ses  tombeaux  vides  taille's  dans  le  roc,  et  plus 
beaux  encore  que  ses  théâtres,  ses  palais  et  ses  temples.  Nous  di- 
rons seulement  que  M.  de  Laborde  est  parvenu  le  premier  à  pou- 
voir prendre  les  dessins  de  tous  ces  monumens  ,  et  à  rapporter, 
pour  ainsi  dire,  cette  ville  en  Europe,  dans  des  planches  qui  peu- 
vent lutter  avec  celles  du  grand  ouvrage  sur  l'Egypte. 

Maintenant  nous  allons  nous  transporter  au  nord-est  du  Sina'i  , 
tout  près  de  la  ville  de  Pétra,  et  à  six  lieues  seulement  de  la  mon- 
tagne de  Hor ,  célèbre  par  la  mort  d'Aaron  ,  et  par  son  tombeau 

que  les   Arabes  y  révèrent  encore  ;  et    nous  allons]  voir  comment 

M.  de  Laborde  constate  l'accomplissement  des  prophéties  qui  avaient 

prédit  la  ruine  et  la  désolation  de  ce  pays. 

«  Après  avoir  traversé  une  petite  plaine,  formée  par  la  réunion 

de  quelques  ouadis  ,  on  monte  avec  peine  un  chemin  qui  s'élève  en 


VOYAGE    DE    l'aKABIE-PÉTBÉE.  165 

zig-zag  sur  une  pente  rapide  ;  arrivé  au  haut  de  cette  montagne 
appelée  El  Nackb  ,  on  découvre ,  en  se  tournant  vers  le  chemin 
que  l'on  a  suivi,  un  panorama  singulier.  Tout  le  pays,  à  six  lieues 
à  la  ronde,  se  pre'sente  en  relief  dans  une  sorte  de  vue  cavalière; 
les  montagnes  ,  divise'es  par  les  ouadis  ,  montrent  leurs  positions 
et  leur  direction  ;  on  peut  juger  ainsi  de  leur  élévation  et  de  l'as- 
pect général  du  pays  ,  dont  le  triste  et  lugubre  caractère  est  dif- 
ficile h  faire  comprendre ,  à  l'aide  seul  de  la  plume.  Plusieurs  pro- 
phètes avaient  annoncé  le  malheur  de  l'Idumée  ;  mais  la  forte 
parole  d'Eze'chiël  peut  seule  s'élever  h  la  hauteur  de  cette  grande 
désolation. 

«  Le  Seigneur  me  dit  encore  ces  paroles  :  Fils  de  l'homme , 
»  tourne  le  visage  contre  la  montagiie  de  Séir  ;  prophétise  contre 
))  elle  ,  et  dis-lui  :  Voici  ce  que  dit  le  Seigneur  Dieu  :  Je  viens  à 
))  toi  ,  montagne  de  Séir ,  j'étendrai  ma  main  sur  toi ,  et  je  te 
»  rendrai  déserte  et  abandonnée  ;  je  détruirai  tes  villes ,  et  je  te 

»  réduirai  en  un  désert Je  rendrai  la  montagne  de  Séir  toute 

»  déserte  et  abandonnée  ,  et  j'en  écarterai  tous  ceux  qui  y  pas- 
))  saient  et  y  repassaient.  Je  remplirai  ces  montagnes  des  corps 
»  de  ses  enfans  qui  auront  été  tues  ,  et  ils  tomberont  percés  de 
»  coups  d'c'pe'es ,  le  long  de  tes  collines  ,  de  tes  valle'es  et  de  tes 
)>  torrens  ;  je  te  réduirai  en  des  solifudes  éternelles  ;  tes  villes  ne 
))  seront  plus  habitées,  et  tu  sauras  que  c'est  moi  qui  suis  le  Sei- 
»  neur  Dieu  (i).  » 

))  On  trouve  sur  ce  sommet  les  traces  bien  distinctes  d'une  an- 
cienne voie  qui  s'étend  du  nord-est  an  sud-ouest,  ou  plutôt  dePéira 
a  VAaccahah.  Celte  route  était  l'ancienne  direction  du  commerce 
de  la  mer  Rouge  et  à^^yla,  au  grand  entrepôt  de  Pélra 

))  Sur  la  pente  de  la  montagne  ,  nous  rencontrâmes  d'autres  rui- 
nes de  villages  ,  qui  portent  des  traces  d'une  habitation  peu  an- 
cienne. Nos  conducteurs  nous  assureront  qu'on  en  trouve  à  l'iofini 
sur  tout  ce  versant.  Une  source  abondante  ,  et  un  réservoir  con- 
struit pour  la  maintenir  ,  déversent  ses  eaux  dans  la  plaine  ,  et 
servent  à  arroser  les  terrains  cultivés  par  les  Fellahs.  La  fertilité 

(i)  Ezéchiël ,  ch,  xxv. 


166  VOYAGE    DE    l'aRAB!E-PÉTRÉE 

surprenante  de  quelques  rares  enclaves  au  milieu  de  cette  contrée 
désole'c ,  semble  être  faite  pour  rappeler  que  ce  pays  fut  uu  jour 
heureux  ,  alors  qu'une  main  puissante  ne  s'était  pas  appesantie 
sur  lui. 

»  On  trouve  à  Kerac  une  espèce  de  blé  barbu  qui  défend  le 
texte  de  la  Bible  contre  les  reproches  d'exagération  qu'on  lui  a 
adressés  ;  et  les  vignes  de  ce  pays  expliquent ,  par  quelques  échan- 
tillons, la  grappe  énorme  que  rapportèrent  de  leur  message  les  es- 
pions envojés  par  Moïse.  » 

«  Aujourd'hui,  continue  le  voyageur,  dans  ce  pays  frappé  de 
malédiction ,  il  faut  connaître  la  misère  des  habitans  ,  pour  s'ex- 
pliquer leur  persévérance  à  faire  produire  la  terre  ,  en  dépit  des 
fléaux,  compagnons  habituels  de  leurs  efforts  ;  d'aborJ  les  hommes, 
ces  Bédouins  rapaces  ,  qui  viennent  à  l'inlini  réclamer  du  pauvre 
cultivateur  des  droits  sur  ses  produits,  droits  fondés  sur  une  pro- 
tection précaire  ,  sur  d'iuiques  habitudes  ,  mais  exigés  avec  trop 
d'autorité  pour  les  refuser;  et  puis  la  sauterelle,  qui  s'inquiète  peu 
du  droit ,  mais  qui  vient  avec  sa  troupe  ,  passe  sur  le  champ  et 
s'envole ,  e'tendant  sur  toute  la  route  le  linceul  de  ses  ravages.  » 

«  Le  Prophète  la  connaissait  bien,  ainsi  que  ses  ravages,  quand 
)>  il  disait  :  La  sauterelle  a  dévoré  les  restes  du  gazam....;  réveil- 
»  lez-vous ,  hommes  enivrés  ;  pleurez  et  poussez  des  liurleraens  , 
»  vous,  qui  mettez  vos  délices  dans  le  vin;  le  vin  est  ravi  de 
»  votre  bouche.  Une  nation  est  venue  fondre  sur  ma  terre,  forte, 
»  innombrable;  sa  dent  sévit  comme  les  dents  d'un  lion,  comme 
»  les  dents  d'un  lionceau.  Elle  a  dévasté  ma  vigne,  elle  a  arraché 
»  Te'corce  de  mes  figuiers ,  elle  les  a  de'pouille's ,  ils  sont  tombés , 

»   et  leurs  rameaux  ont  blanchi Les  laboureurs  sont  confondus, 

»  les  vignerons  poussent  des  cris  lamentables  ;  plus  d'orge  ,  plus 
»  de  bled;  la  moisson  des  champs  a  péri  ;  la  vigne  est  dans  la 
»  honte  ;  l'huile  dans  la  langueur;  les  grenadiers,  les  palmiers,  les 
»  pommiers  et  tous  les  arbres  des  champs  sont  dépouillés  ,  et  la 
»  joie  a  fui  le  visage  des  hommes 

»  Comme  la  lumière  de  l'aurore  s'étend  en  un  moment  sur  les 
»   montagnes ,  ainsi   un  peuple  nombreux  et  puissant  a  paru  sur 

»  cette  terre Avant  sa  venue  ,  cette  terre  était  un  jardin  de 

»  délices;  après  son  passage,  elle  n'est  plus  qu'un  désert,  et  rien 


VOYAGE    DE    L'ARABIE-PETRiE.  167 

n  n'échappe  à  sa  violence.  A  les  voir  marcher,  on  les  prendrait 
))  pour  des  chevaux  de  combat  ;  et  ils  s'élancent  comme  une  troupe 
»  de  cavaliers  ;  ils  franchissent  le  sommet  des  montagnes  avec  un 

»  bruit  semblable  à  celui  des  chariots La  terre  tremble  devant 

n  eux  ,  les  cieux  sont  ébranlés,  le  soleil  et  la  lune  en  sont  obscur- 
»   cis,  et  l'on  ne  voit  plus  la  lumière  des  étoiles  (i).  » 

Après  avoir  parcouru  une  grande  partie  du  désert  ,  M.  de  La- 
borde  revient  visiter  en  détail  le  mont  Sinaï.  Voici  ce  qu'il  nous 
dit  des  fameuses  inscriptions  sinaïtes,  que  les  savans  n'ont  pas  en- 
core pu  déchiffrer  en  entier. 

«  Les  premiers  renseignemens  que  nous  pouvons  trouver  sur  les 
inscriptions  sinaïtes,  sont  dans  Cosmas  (2),  dans  Belon  (3),  dans 
la  Contemplation  du  monde  de  Neitzschitz  (4),  dans  Monconys  (5), 
et  dans  Kirchpr  (6) ,  qui  explique  avec  plus  de  hardiesse  que  de 
succès,  celles  du  père  Tomaso  da  Novarra ,  etc.  Mais  ces  rensei- 
gnemens avaient  à  peine  réveillé  ^intérêt ,  parce  qu'il  s'agissait  des 
inscriptions  peu  nombreuses  qu'on  trouve  dans  chaque  vallée  de 
la  presqu'île  5  surtout  aux  environs  de  Sinaï.  En  1722,  le  supérieur 
des  Franciscains ,  en  revenant  du  couvent  qu'il  avait  visité  avec 
plusieurs  ecclésiastiques  ,  passa  par  Ouadi-Mokatteb  ;  son  étonne- 
ment  fut  grand  à  la  vue  de  deux  rangs  de  rochers  couverts  d'in- 
scriptions, sur  une  lieue  de  longueur  ,  et  il  chercha  à  le  faire  passer 
dans  son  re'cit  que  voici   : 

«  Ces  montagnes  s'appellent  Gebe.l  el  Mokattah  y  c'est-à-dire, 
les  montagnes  écrites.  Car,  aussitôt  que  nous  avons  quitté  les  mon- 
tagnes de  Faian,  nous  en  côtoyâmes  d'autres  pendant  une  heure 
de  temps,  qui  étaient  couvertes  d'écritures  en  caractères  inconnus 
et  creuse's  dans  ces  durs  rochers  de  marbre ,  à  une  hauteur ,  qui , 
dans  quelques  endroits,  était  de  dix  à  douze  pieds  au-dessus  du 

(i)  Joël,  ch.  I  et  II. 

(a)  Topographia  christiana ,  éd.  de  Montfaucon. 

(3)  Liv.  n  ,  ch.  69  ,  p.  294. 

(4)  Pages  145-167. 

(5)  Page  449. 

(6)  OEdipus  Egyp. ,  ch.  n  ,  p.  lao. 


168  VOTAGE    DE    l'aRABIE-PÉTRÉe, 

sol,  et  quoique  nous  ayoas  dans  notre  compagnie  des  hommes  qui 
comprissent  l'arabe,  ie  grec,  rbébreu ,  le  syrien,  le  copte,  le  la- 
tin, l'arme'nien  ,  le  turc,  l'anglais,  l'illirien ,  l'allemand  et  le  bo- 
hème, il  n'y  eu  avait  cependant  aucun  qui  eût  quelque  connais- 
sance de  ces  caractères ,  qui  n'en  sont  pas  moins  gravés  dans  ces 
durs  rochers,  avec  une  grande  peine,  dans  une  contre'e  oîi  l'on 
ne  trouve  ni  eau  ni  rien  à  manger.  C'est  pourquoi  il  est  probable 
que  ces  caractères  contiennent  quelques  secrets  cachés,  qui  ont  été, 
long-temps  avant  la  naissance  de  Jésus-Christ ,  gravés  dans  ces  ro- 
chers par  des  chaldéens  ou  d'autres  personnes. 

»  Celte  description ,  qui  pèche  seulement  par  l'appréciation  de 
la  nature  du  rocher ,  qui  est  de  grès  friable ,  au  lieu  de  marbre 
très-dur ,  excita  vivement  l'attention  à  une  époque  où  tout  ce  qui 
se  rattachait  à  l'Écriture  Sainte ,  avait  un  si  haut  intérêt.  L'évêque 
de  Glogher,  Robert  Clajlon  ,  proposa  une  somme  d'argent  consi- 
de'rable  à  celui  qui  ferait  le  voyage ,  et  rapporterait  copie  de  ces 
inscriptions,  qui,  dans  son  opinion,  ne  devaient  cire  rien  moins 
qu'israélites ,  et  servir,  comme  s'exprime  un  auteur  allemand  de  l'é- 
poque ,  à  fermer  la  bouche  à  tous  les  commentateurs  imprudens. 

))  Pokockc ,  puis,  après  lui  jMontaigu,  rapportèrent  quelques  co- 
pies d'inscriptions  sinaïles  ;  mais  leurs  renseignemens  étaient  insuf- 
Csans.  Eu  1762,  Niebuhr,  envoyé  par  le  roi  de  Danemarck  pour 
explorer  l'Arabie  ,  mais  spécialement  dans  le  but  de  copier  les  e'cri- 
tures  de  Ouadi  el  Mokattcb,  rapporta  la  copie  de  quelques  inscrip- 
tions en  même  caractère ,  qu'il  trouva  dans  les  environs  de  Sinaï. 
Quarante  ans  plus  tard,  MM.  Coutelle  et  Rosière  en  copièrent 
soixante-quinze  (i).  De  1808  à  1820,  Seelzeu ,  Burckhardt  et 
Henicker  rapportèrent  successivement  la  description  de  la  vallée , 
et  copie  de  ses  inscriptions.  Enfin,  ]M.  Grey  vient  de  publier  (2) 
cent  quatre-vingt-sept  inscriptions  qud  copia  en  1820  dans  Ouadi- 
Mokatteb  et  ses  environs  ;  dans  ce  nombre  on  remarque  neuf  £veci 
ques  et  une  latine. 

»  Parmi  celles  que  j'ai  rapportées,  il  s'en  rencontre  également 


(i)  Antiquités ,  vol.  v,  p-  57. 

(2)  Transactions  qf  the  royal  society ,  vol.  11,  part,  i,  i832. 


VOYAGE    DR    l'aBABIE-PÉtrÉE.  169 

quelques-unes  en  langue  grecque  ;  elles  semblent ,  par  leur  briè- 
veté et  les  noms  propres  fréquemment  répe'tés,  pouvoir  donner 
une  idée  du  contenu  de  celles  dont  on  n'a  pu  encore  déterminer 
le  caractère.... 

»  Plutôt  grattées  que  grave'es,  ces  inscriptions  ressortent  en 
clair  sur  la  couleur  rouge  foncée  du  rocher ,  et  leurs  lignes  trem- 
blées annoncent  l'inhabilité  de  ceux  qui  confiaient  à  la  pierre  de 
ces  rochers  leurs  souvenirs. 

»  Plusieurs  savans  philologues  se  sont  occupes  vainement  de  la 
traduction  des  inscriptions  sinaïtes  ;  pour  les  déchiffrer  toutes,  et 
pour  fixer  la  date  précise  de  chacune  d'elles ,  il  faudra  attendre 
que  la  paléographie  et  la  connaissance  des  anciennes  langues  de 
l'orient  aient  fait  de  nouveaux  progrès.  L'opinion  la  plus  générale, 
cependant ,  est  qu'elles  ont  été  gravées  par  des  pèlerins  qui  visi- 
taient le  Sin;ii  vers  le  sixième  siècle. 

»  De5  dessins  d'hommes  et  d'animaux  qui  les  accompagnent, 
sont  en  partie  contemporains  ;  d'autres  datent  de  notre  époque  : 
tous  indiquent  l'enfance  de  l'art,  si  toutefois  on  y  trouve  quelque 
chose  qui  ressemble  à  l'idée  que  nous  attachons  au  mot  art.  Dans 
ce  pays  les  premiers  essais  et  la  décadence  de  la  science  du  dessin 
semblent  s'unir  sans  intermédiaire,  et  le  Bédouin,  en  gardant  ses 
chameaux,  dessinera  des  hommes  et  des  animaux  comme  les  Arabes, 
à  une  époque  bien  reculée,  les  représentaient. Le  capitaine  Tuckey, 
dans  un  voyage  sur  la  rivière  Zaïre ,  appelée  communément  le  Congo, 
a  trouvé  au-dessus  de  Lomhe  ,  des  sculptures  modernes  sur  les  ro- 
chers, qui  rappellent  le  caractère  d'enfance  de  celles  de  lapresquîle 
de  Sinaï.  » 


170 

^XV  l'VV  VVV  VV\l  VVV  X/VX  VV\  VVV  VVV VVV  VVV  VV^  VVV  VVV  VVV  V< VV  VVV  VV\I  VVV%A/VAA'V  VX/V  VVAr VVV  W^ 

ETUDES   hébraïques, 

PAR    M.    l'abbé    rossignol    (1). 

M.  l'abbe  Rossignol  écarte  les  points-voyelles,  ces  nitgce  dif- 
ficiles des  M  Assorèles.  Ver  soane  n'ignore  que,  les  points  voyelles 
retranches  ,  la  grammaire  he'Iîraïque  se  re'duit  à  rien.  Elle  tient 
tout  entière  en  dix  pages  servant  d'introtluction  à  l'ouvrage. 
C'est  l'exposition  pure  et  simple  des  noms ,  des  pronoms  et  des 
verbes ,  de'pouille's  de  ce  fatras  technologique  qui  fait  horreur 
aux  oreilles  françaises.  Trois  lettres  suffisent  pour  marquer  la 
distinction  des  cas  dans  les  noms;  et  les  pronoms  une  fois  sus, 
on  peut  dire  qu'on  sait  les  verbes,  dont  les  de'sinences  offrent 
des  débris  e'videns  des  pronoms  personnels.  L'he'bren  n'a  pas 
de  syntaxe  proprement  dite.  La  simplicité  de  la  phrase  n'y  ad- 
met point  nos  complications  modernes. 

Beaucoup  de  bons  esprits  avaient  reconnu  de'Jà  la  ne'cessité 
de  ramener  la  grammaire  he'braïque  à  sa  simplicité'  native.  Ce 
qui  fait  la  partie  ve'ritablement  neuve  de  l'ouvrage  de  M.  Ros- 
signol ,  c'est  la  classification  des  racines. 

Ces  racines  ne  sont  point  arbitraires.  Quatre  organes  con- 
courent à  l'e'mission  de  la  parole  :  le  gosier ,  la  langue  ,  les 
dents  et  les  lèvres.  De  là  ,  quatre  classes  de  sons  articulans  , 
qui  sont  les  clefs  d'autant  de  racines. 

Ainsi,  par  exemple  :  Boh-kûi  ,  vcscor  et  pasco  ,  sont  autant  de 
modifications  d'un  même  mot  primordial  ;  caput ,  en  latin  ; 
capo ,  en  italien;  cabo ,  en  espagnol;  hef ,  en  patois  picard, 
et  chef,  en  français,  sont  de'rive's  de  la  même  racine;  dangh- 
ter ,  en  anglais;  tochter ,  en  allemand,  sont  une  même  chose 
que  Q'jyciT>if  en  grec. 

Et  non-seulement  l'auteur  donne ,  d'après  ces  règles,  toutes 
les  racines  de  l'he'breu  ;  mais  il  range  par  groupes  celles  qui 
se  lient  les  unes  aux  autres  ,  et  souvent  il  les  rattache  à  d'au- 

(i)  Vol,  in-8o,  à  Dijon,  chez  Popelain,  libraire,  Place-St.-Jean,  Prix  5  fr. 


ÉTUDES    HÉBRAÏQUES.  171 

très  racines  grecques  ou  latines,  qui  offrent  les  plus  e'ionnantes 
idenlite's  de  son  et  de  sens. 

C'est  ainsi  qu'il  associe  au  mot  he'brea  ans  {achab  ou  acheb.) 
le  mot  grec  <eyss5r-«6; ,  traduction  exacte  du  premier.  Puis  il  fait 
remarquer  que  si  3nN  »  e'crit  ainsi  par  des  consonnes  faibles, 
signifie  aimer;  e'crit  avec  des  lettres  plus  gutturales 3;iP(«g^a6), 
il  veut  dire  consumé  d'amour,  etc.,  etc. 

L'espace  manque  pour  multiplier  les  exemples. 

Ces  racines  sont  distribue'es  dans  une  sorte  de  dictionnaire 
divise'  en  trois  colonnes.  Dans  la  première  sont  inscrites  les 
racines  ,  par  ordre  alpbabëtique  ;  dans  la  seconde  ,  le  sens 
ge'ne'ral  du  mot  ;  dans  la  troisième ,  un  de'rive'  de  l'be'breu  , 
on  un  cbi fifre  qui  renvoie  aux  notes  ou  ve'ritables  e'tudes  de 
la  racine.  Par  ce  moyen,  il  est  aise'  de  juger  du  petit  nombre 
de  mots  qu'il  faut  graver  dans  la  me'raoire ,  et  de  la  simpli- 
fication de  ce  travail. 

M.  Rossignol  fait  encore  observer  que  les  lettres  be'braïques 
elles-mêmes  sont  moins  étranges  qu'elles  ne  semblent  au  pre- 
mier aperçu.  Il  donne  un  tableau  synoptique  des  alphabets 
grec  et  be'breu  ;  et  les  lettres  qu'on  croirait  de  prime-abord 
fort  diverses  ,  ne  sont  que  la  même  lettre  tournée  en  sens 
contraire. 

Ces  recherches  consciencieuses ,  ces  rapprochemens  ,  ces 
analogies  frappantes  ,  ne  lui  donnent-ils  pas  le  droit  de  con- 
clure que  son  oui^rage  pourra  tenir  lieu  de  Maître,  de  Gram- 
maire et  de  Dictionnaire  P  Et ,  pour  achever  du  reste  de  faire 
connaître  ce  savant  travail ,  nous  ne  pouvons  mieux  faire  que 
de  laisser  parler  l'auteur  lui-même. 

«  Sans  se'cheresse  ni  aridité,  cette  e'tade  est  un  amusement 
de  philosophe,  où  l'esprit  a  plus  de  part  que  la  me'moire. 
Dès  le  premier  jour,  on  commence  à  s'apercevoir  qu'on  n'est 
pas  en  pays  dtranger  ;  on  distingue,  rà  et  là,  le  type  primitif 
d'une  foule  de  mots  re'pandus  dans  les  langues  modernes;  vieil- 
les figures  qui  apparaissent  au  milieu  de  notre  civilisation  , 
comme  les  patriarches  des  premiers  siècles  ,  avec  toute  leur 
majesté'  et  leur  simplicité'  naturelles.  A  mesure  qu'on  lève  le 
rideau,  l'horizon  s'e'tend  et  devient  lumineux;  chaque  instant 


172  CHRESTOMATniE    HEBRAÏQUE. 

chasse  nn  nuage,  et  chaque  nuage  qui  disparaît  de'couvre  de 
nouveaux  mondes.  Avez-vous  une  racine?  c'est  l'empreinte  qui 
caractérisera  la  foule  de  ses  de'rivés.  Une  nombreuse  famille 
rient  se  ranger  autour  de  l'ide'e-mère  ,  et  former  de  brillan- 
tes pléiades,  qui  empêchent  de  s'e'garer  dans  l'immensité  du 
livre.  Et  puis  ,  quel  enchaînement!  Etre  J'erme,  voilà  la  racine; 
fidélité,  vérité,  Dieu,  nourriture,  sont  les  de'rivés.  Ce  groupe 
d'idées  n'est-il  pas  le  texte  d'une  belle  leçon  de  philosophie  ? 
hdi  fidélité  n'estelle  pas  ybrwe  ,  immuable?  La  rérité  n'est-ce 
pas  ce  qui  est  p  Et  ce  qui  esZ  est  Dieu,  comme  il  est  lui-même 
nourriture  par  essence  :  il  est  à  l'âme  ce  que  le  pain  est  au 
corps.  »   —  Extr.  des  Annales  de  Phil.  Clirét.  n^  46. 

(XAA  V«A'VV^A/V\  VV\  VV\  ^A/%/VV^  iVV%  VV^  (XAf^  VV\  VV\  VV^  V\^  VVt  rvv^  VV%  VV«  VV^  IV%A'VXA^A^  ^^ 

Chrestomathie  hébraïque ,  ou  Choix  de  Morceaux  tirés  de 
la  Bible  ,  avec  une  traduction  française  et  une  analyse 
grammaticale  ;  par  J.  B.  Glaire  (1). 

Le  but  que  M.  l'abbé  Glaire  s'est  proposé  dans  cet  ouvrage, 
qui  fait  suite  à  sa  Grammaii'e  et  à  son  Dictionnaire  ,  est  d'ap- 
planir  les  difficultés  qu'on  éprouve  ordinairement ,  quand  on 
veut  passer  immédiatement  de  la  lecture  de  la  grammaire  hé- 
braïque à  l'étude  du  texte  original  de  la  Bible.  Il  offre  en 
effet  un  moyen  assez  facile  d'apprendre  la  langue  primitive  de 
nos  livres  saints  sans  le  secours  d'un  maître. 

Cet  ouvrage  est  divisé  en  plusieurs  numéros ,  dont  chacun 
contient  un  texte  hébreu  ,  avec  sa  traduction  en  français  ,  et 
une  analyse  grammaticale.  L'ordre  méthodique  qui  règne  dans 
toutes  les  parties  du  travail  de  l'auteur ,  ne  laisse  rien  à  dé- 
sirer,  puisqu'il  ne  présente  les  difficultés  que  graduellement. 
C'est  ainsi  que  les  premiers  morceaux  du  texte  sont  d'an  style 
plus  simple  et  plus  facile  à  saisir;  que  dans  les  premiers  nu- 
méros le  français  est  placé  en  regard  de  l'hébreu  ,  et  que  la 

(i)  Un  volume  in-S».  Prix  :  4  fr. ,  et  5  fr.  franc  de  port.  A  Paris, 
chez  l'auteur,  impasse  Saint-Dominiqued'Enfer ,  ix°  6;  J.-J.  Biaise,  li- 
braire-éditeur ,  rue  Férou-Saint-Sulpice  ,  n"  24. 


MORCEAUX    CHOISIS    DES    SAINTS    PERES  ,    ETC.  173 

tradaction,  cVabord  très-litterale ,  devient  de  plus  en  plus  li- 
bre à  mesure  qu'on  avance.  Mais  un  des  plus  grands  avantages 
qu'offre  cet  ouvrage,  c'est  non- seulement  la  fidélité'  avec  la- 
quelle l'auteur ,  dans  son  analyse  grammaticale,  explique  cha- 
que mot  dans  tous  ses  de'tails,  et  fait  remarquer  les  idiotismes 
de  la  langue  sacre'e,  mais  encore  le  soin  scrupuleux  qu'il  a  de 
citer  les  paragraphes  de  sa  Grammaire ,  dans  lesquels  se  trou- 
vent de'veloppe'es  les  différentes  règles  grammaticales  dont  il 
fait  l'application;  car,  par  ce  moyen  il  aide  puissamment  les 
efforts  que  doit  faire  la  me'moire  pour  apprendre  et  retenir 
ces  pre'ceptes  de  grammaire  dont  l'e'tude  est  si  sèche  et  si 
aride.  On  saura  e'galement  gré  à  M.  lahbé  Glaire  d'avoir  mis 
en  tête  de  sa  Chrestomathie  un  Exercice  de  lecture ,  suivi  d'une 
explication  qui  justifie  la  prononciation  des  mots  ,  des  syllabes 
et  des  lettres.  C'est  un  vrai  service  rendu  à  toutes  les  per- 
sonnes qui  veulent  se  livrer  à  l'e'tude  de  l'he'breu,  car  la  plu- 
part, effraye'es  des  difûculte's  qu'elles  ont  à  surmonter  avant 
de  pouvoir  lire  dans  cette  langue,  se  rebutent  dès  les  com- 
mencemens.  Nous  espe'rons  que  les  jeunes  eccle'siastiques  aux- 
quels M.  l'abbe'  Glaire  consacre  ses  travaux,  et  qui  se  trouvent 
dans  le  cas  de  pouvoir  se  livrer  dune  manière  plus  spe'ciaie 
à  l'e'tude  de  l'Ecriture  sainte,  ne  manqueront  pas  de  se  pour- 
voir d'un  ouvrage  qui  peut  leur  être  d'une  grande  utilité'.  — 
L'Ami  de  la   Religion,  n°  2290. 

VVVVVVV\/WwV«VVVVV^VVV.A/Vt(VVVVVvVVVVVVV\l  VVVVVVVVVVVVVVVVVVVV^  t/V*VWVWVWVWWVv 


BIOaCEAUX   CHOISIS   DES    SAINTS    PERES    SE    L'ÉGLISE 
GRECQUE  (!)• 

C  est  sans  doute  une  heureuse  idée  de  donner  une  édition  clas- 
sique des  Pères  de  l'EgUse  ;  certes ,  il  n'est  pas  sans  intérêt  pour 


(i)  Paris,  Poussiclgue  et  Hachette,  4  vol.  in-12,  texte  seul,  prix 
10  fr.  Les  deux  premières  livraisons  parues,  2  fr.  5o  cent.  —  Voyez 
ci-d.  t.  IX  ,  p.  io6. 


174  MORCEAUX    CHOISIS    DES    SAINTS    PERES 

l'éloquence ,  de  faire  revivre  le  génie  de  ces  puissans  modèles  ,  qui , 
nourris  de  la  plus  pure  substance  des  saintes  Ecritures ,  nous  ap- 
paraissent partout  empreints  de  cette  première  sève  du  christianisme 
dont  parle  Bossuet.  Mais  la  difficulté  est  de  choisir  entre  les  nom- 
breux chefs-d'œuvre  de  ces  hommes  ,  dépositaires  d'une  doctrine 
toujours  une  et  invariable  ;  de  ces  docteurs,  dont  l'autorité  proclame 
le  même  langage  dans  tous  les  temps  ,  pour  toutes  les  conditions  , 
pour  tous  les  peuples  ,  chœur  immense  et  univoque  auquel  s'unissent, 
à  mesure  qu'il  avance  dans  la  profondeur  des  âges ,  les  plus  beaux 
génies  que  la  Providence  ait  dispensés  à  la  terre. 

A  Dieu  ne  plaise  ,  qu'en  recommandant  ce  précieux  recueil  aux 
professeurs  et  aux  chefs  d'établissemens ,  notre  prétention  soit  de 
bannir  de  l'enseignement  les  chefs-d'œuvre  de  l'antiquité  païenne  ! 
Ce  que  nous  voulons,  c'est  que  la  jeunesse  ne  soit  pas  exclusivement 
renfermée  dans  les  limites  de  ces  régions  profanes  ;  c'est  que  cette 
littérature ,  toute  riche  qu'elle  est ,  ne  revendique  pas  à  elle  seule 
la  domination  des  intelligences,  u  Ne  serait-ce  point  fausser  le  goût 
"  des  élèves,  et  leur  inspirer  contre  la  religion  des  répugnances  aussi 
»  injustes  que  funestes,  en  leur  laissant  croire  que  Xa.  fiction  est  l'u- 
»)  nique  source  du  beau  ;  et  que  les  idées  religieuses  ,  dont  se  com- 
»  pose  le  christianisme  ,  utiles  tout  au  plus  comme  règle  intérieure 
5»  des  sentimens  et  des  actions ,  ne  peuvent  trouver  leur  place  dans 
»  le  vaste  et  brillant  empire  des  lettres?  »  Ce  que  nous  voulons, 
c'est  qu'il  soit  possible  au  maître  de  rapprocher  des  noms  diverse- 
ment célèbres  ,  de  montrer  par  quels  secrets  les  prédicateurs  de  la 
bonne  nouvelle  savaient  frapper  avec  vigueur  les  âmes  engourdies 
dans  un  long  abaissement,  s'emparer  des  cœurs  et  commander  aux 
passions  humaines  ;  de  marquer  enlin  à  chacun  sa  place  dans  l'élo- 
quence ,  dans  la  poésie ,  dans  la  métaphysique ,  dans  l'histoire  et 
dans  l'art  de  conduire  les  hommes. 

Sans  doute ,  il  fallait  des  vues  larges  pour  embrasser  dans  toute 
l'étendue  de  la  puissance  de  leur  action  les  fondateurs  du  christia- 
nisme ,  les  hommes  qui  ont  opéré  cette  immense  révolution  morale  , 
sans  exemple  dans  les  annales  du  monde.  C'est  ce  qu'ont  tenté  des 
amis  de  l'enfance  ,  des  prêtres  de  dévouement  et  de  cœur ,  dont  le 
zèle  n'a  point  défailli  eu  face  des  difficultés  de  cette  glorieuse  tâche. 


DE  l'Église  grecque.  175 

Les  Pères  grecs,  dans  leurs  écrits  ,  offrent  plus  d'éclat  et  de  coloris  , 
plus  de  chaleur  et  d'entraînement,  plus  de  variété,  plus  de  poésie; 
ils  semblent  mieux  appropriés  au  goût  du  jeune  âge.  Les  éditeurs 
ont  dû  commencer  par  celle  riche  moisson  :  les  Pères  latins  vien- 
dront en  leur  temps. 

Le  premier  volume  a  paru  :  il  est  digne  de  l'œuvre  ,  et  répond  aux 
espérances  qu'avait  fait  naître  le  Prospectus. 

Destiné  aux  classes  élémentaires,  ce  premier  volume  renferme  des 
extraits  de  saint  Clément,  pape  ;  de  saint  Ignace  d'Antioche,  de  saint 
Polycarpe ,  de  saint  Clément  d'Alexandrie  ,  d'Eusèbe  de  Césarée  ,  de 
Théodoret ,  et  les  plus  belles  homélies  de  saint  Chrysostôme  sur  ré- 
version des  statues.  Nous  avons  la  confiance  que  la  suite  de  l'ouvrage 
répondra  au  début  ;  c'est  une  joie  pour  nous  de  prendre  l'engage- 
ment d'en  rendre  compte  à  nos  lecteurs  5  car  ce  livre  ne  peut  man- 
quer d'obtenir  un  succès  mérité. 

A  très-peu  d'exceptions  près  ,  les  éditeurs  ont  été  bien  inspirés 
dans  leur  choix.  Le  martyre  de  saint  Ignace  et  de  saint  Jacques  , 
l'histoire  si  suave  et  si  touchante  du  jeune  homme  devenu  chef  de 
brigands,  et  converti  par  saint  Jean;  l'enfance  d'Origène,  la  mort 
et  les  funérailles  de  Constantin ,  le  siège  de  Nisibe ,  le  massacre  de 
Thessalonique  et  la  pénitence  de  Tliéodose  ,  sont  autant  de  traits 
anecdotiques ,  de  grands  exemples  ,  pleins  d'intérêt  pour  le  jeune 
âge ,  qui  ne  peut  s'élever  que  progressivement  aux  choses  sérieuses. 
Les  éditeurs  l'ont  compris  :  il  faut  à  cet  âge  peu  et  très-pea  de  cette 
morale  vague  et  générale  qui  ne  captive  pas  les  esprits;  et  ils  en 
ont  été  sobres.  L'enfant  se  lasse  bientôt  ;  il  a  bien  assez  de  lutter 
contre  les  difficultés  grammaticales,  sans  qu'il  faille  laborieusement 
épier  et  suivre  le  sens  des  pensées. 

A  d'autres  titres  ,  la  convocation  du  concile  de  Nice  aurait  pu  être 
remplacée  avec  bonheur  :  elle  manque  de  couleur  et  d'attraits.  Nous 
avons  pareillement  regretté  de  trouver  dans  ce  premier  volume  l'é- 
pître  de  saint  Ignace  aux  Romains  ,  si  élevée ,  si  brûlante  de  foi  , 
de  charité,  et  du  désir  du  ciel.  La  traduction  de  la  lettre  en  est 
assez  facile  ;  mais  est-il  un  seul  commençant  capable  de  sentir ,  de 
comprendre  le  cri  sublime  de  cette  âme  chrétienne? 


176  MORCEAUX    CHOISIS    DES    SAINTS    PERES 

îlous  aurions  encore  désiré  quelques  notes  grammaticales  de  plus 
pour  mettre  l'élève  sur  la  voie  des  verbes  et  des  phrases  irrégulières. 

Nous  demanderons  la  permission  de  faire  une  dernière  observa- 
tion. S'il  ne  faut  pas  trop  se  déQer  de  l'intelligence  de  l'enfant ,  il 
y  a  aussi  danger  à  ne  pas  tenir  compte  des  forces  naturelles  de  son 
esprit.  C'est  s'élever  au-dessus  de  leur  portée,  que  de  les  appeler  à 
traduire  les  homélies  de  Tliéodoret ,  sur  la  Providence ,  et  surtout 
l'hymne  si  elliptique  de  saint  Clément  à  Jésus ,  sauveur.  Cette  poésie 
fraîche  ,  suave  et  pleine  d'âme  ,  offre  néanmoins  des  difficultés  tout- 
à-fait  inaccessibles  aux  commcnçans.  Sa  place  était  naturellement 
marquée  dans  le  volume  de  vers ,  à  côté  de  saint  Grégoire  de  Na- 
ziance  et  de  Synésius  ,  dont  elle  n'eût  pas  déparé  les  chants  si  neufs, 
si  intimes  et  si  vrais.  Cette  petite  pièce  est  peu  connue.  Nous  ne 
pouvons  mieux  terminer  l'examen  de  ce  livre  ,  qu'eu  la  traduisant 
littéralement. 


A   JESUS,    SAUVEUR* 


Frein  des  jeunes  coursiers  indomptés , 

Aile  des  oiseaux  qui  ue  s'égarent  point, 

Gouvernail  assuré  de  l'enfauce  , 

Pasteur  des  agneaux  du  Roi , 

Tes  simples  enfans 

Rassemble-les  , 

Pour  louer  saintement, 

Chanter  avec  candeur , 

D'une  bouche  innocente , 

Le  chef  des  enfans  ,  le  Christ. 


O  Roi  des  Saints  , 

Verbe  triomphateur  suprême , 

Dispensateur  de  la  sagesse 

Du  Père  ,  du  Très-Haut  ; 

Toi ,  l'appui  dans  les  peines  , 

Heureux  de  toute  éternité , 

Sauveur  de  la  race  mortelle ,  Jésus! 


DE  l'Église  grecque.  177 

Pasteur  ,  agriculteur , 

Frein ,  gouvernail , 

Aile  céleste 

Du  très-saint  troupeau  : 

Pêcheur  des  hommes  rachetés, 

Amorçant  à  réternelle  vie 

L'innocent  poisson 

Arraclié  à  l'onde  ennemie 

De  la  mer  du  vice  ; 

Sois  le  guide  des  brehis  spirituelles , 
O  saint  Pasteur  :  sois  le  guide,     . 
O  Roi ,  des  enfans  sans  tache. 
Les  vestiges  du  Christ 
Sont  la  voie  du  Ciel. 

Parole  incessante , 

Eternité  sans  bornes , 

Éternelle  lumière. 

Source  de  miséricorde, 

Auteur  de  toute  vertu, 

La  vie  irréprochable 

De  ceux  qui  louent  Dieu ,  ô  Jésus-Christ  ! 

Nous  ,  petits  enfans  , 

Qui ,  de  nos  tendres  bouches , 

Suçons  le  lait  céleste 

Exprimé  des  douces  mamelles 

De  ta  sagesse ,  la  Grâce  des  Grâces  j 

Abreuvés  de  la  rosée  de  l'Esprit 

Qui  découle  de  ta  nourrissante  Parole  j 

Chantons  ensemble 

Des  louanges  ingénues , 

Des  hymnes  sincères  , 

A  Jésus-Christ ,  Roi. 

Chantons  les  saintes  récompenses 

De  la  doctrine  de  vie  j 

Chantons  avec  simplesse 

L'enfant  tout-puissant. 

Chœur  pacifique , 

Enfans  du  Christ , 

Troupe  innocente , 

Chantons  tous  ensemble  le  Dieu  de  paix. 

T.  X.  12 


178  MORCEAUX    CHOISIS    DES    SAINTS    PERES,    ETC. 

Ceux  qai  aiment  les  rapprocliemeus  pourront  comparer  ce  mor- 
ceau avec  Y  Hymne  de  V  Enfant  à  son  réveil ,  dans  les  Harmonies. 
Peut-être  trouvera-t-onque  M.  de  Lamartine  est  plus  poète,  saint  Clé- 
ment,  plus  clirétien  et  plus  vrai.  Les  pensées,  les  sentimens  d'un 
homme  fait  percent  à  cliaque  instant  dans  l'hymne  moderne  ;  il  est 
vague  d'ailleurs  ;  un  déiste  presque  pourrait  l'avoir  fait.  Sous  un 
accent  enfantin  ,  c'est  de  la  poésie  adulte,  savante,  raisonnée  (1). 
Dans  le  chant  du  Père  de  l'Eglise  rien  de  pareil  ;  tout  est  simple  , 
d'une  simplicité  antique ,  le  vers  se  brise  avec  chaque  exclamation 
de  l'enfant.  Ce  ne  sont  presque  que  des  hémistiches,  et  cette  poésie 
de  courte  haleine  est  un  trait  de  vérité  de  plus.  C'est  assez  :  l'aile 
du  papillon  ne  s'analyse  point;  la  grâce  ne  se  commente  pas.  — 
Annales  de  Phil.  chrét.  n°  46. 


(i)  Nous  transcrivons  ici  cet  hymne. 

HYflINE  DE  L'ENFANT  A  SON  RÉVEIL. 

O  Père  qu'adore  mon  père  !  O  Dieu  !  ma  bouche  balbutie 

Toi  qu'on  ne  nomme  qu'à  genoux  !  Ce  uom  des  anges  redouté. 

Toi  dont  le  nom  terrible  et  doux.  Un  enfant  inème  est  écouté 

Fait  courber  le  front  de  ma  mère  !  Dans  le  chœur  qui  te  glorifie. 

On  dit  que  ce  brillant  soleil  On  dit  qu'il  aime  à  recevoir 

N'est  qu'un  jouet  de  ta  puissance  ;  Les  vœux  présentés  par  l'enfance  , 

Que  sous  tes  pieds  il  se  balance  A  cause  de  cette  innocence 

Comme  une  lampe  de  vermeil.  Que  nous  avons  sans  le  savoir. 

On  dit  que  c'est  toi  qui  fais  naître       On  dit  que  leurs  humbles  louanges 

Les  petits  oiseaux  dans  les  champs  ,  A  son  oreille  montent  mieux  , 

Qui  donnes  aux  petits  enfans  Que  les  anges  peuplent  les  cieux  , 

Une  âme  aussi  pour  te  connaître.  Et  que  nous  ressemblons  aux  anges  ! 

On  dit  que  c'est  toi  qui  produis  Ah  !  puisqu'il  entend  de  si  loin 

Les  fleurs  dont  le  jardin  se  pare  ,  Les  vœux  que  notre  bouche  adresse. 

Et  que  sans  loi ,  toujours  avare  ,  Je  veux  lui  demander  sans  cesse 

Le  verger  n'aurait  point  de  fruits.  Ce  dont  les  autres  ont  besoin. 

Aux  dons  que  ta  bonté  mesure  Mon  Dieu!  donne  l'onde  aux  fontaines 

Tout  l'univers  est  convié  ;  Donne  la  plume  aux  passereaux  , 

Nul  insecte  n'est  oublié  Et  la  laine  aux  petits  agneaux  , 

A  ce  festin  de  la  nature.  Et  l'ombre  et  la  rosée  aux  plaines. 


179 


VIE    DE   SAINT   mAIffÇOIS   X>E   SAI.ES , 
PAR    M.  LOYAU    d'aMEOISE. 

La  vie  la  plus  connue  et  la  plus  csiimée  de  saint  François  de 
Sales  était  celle  de  MarsoUier  ,  qui  a  été  réimprimée  bien  des  fois. 
Elle  est  écrite  avec  simplicité.  Nulle  recherche,  nulle  prétention, 
nulle  pompe  dans  le  style.  M.  Loyau  d'Amboise  a  cru  que  ce  genre 
ne  convenait  pas  au  goût  du  siècle.  Son  sentiment  à  cet  égard  n'est 
même  pas  particulier  à  la  vie  de  MarsoUier.  Il  pense  que  les  vies 
des  Saints  sont  presque  toutes  à  refaire,  et  qu'il  faut  délivrer  ces 
sortes  d'ouvrages  non  de  mysticisme,  mais  de  puérilités.  Cet  arrêt 
semble  bien  sévère.  Nous  avons  beaucoup  de  vies  de  Saints;  dans 
le  nombre ,  il  en  est  sans  doute  qui  sont  d'un  style  uu  peu  su- 
ranné j  mais  il  en  est  aussi  bien  d'autres  qu'on  lit  toujours  avec  in- 
térêt, précisément  parce  qu'on  y  trouve  cette  simplicité  qui  inspire 
la  confiance  cl  qui  paraît  convenir  spécialement  aux  livres  de  piété. 
Si  le  public  est  aujourd'hui  d'un  autre  goût ,  c'est  ce  quj  nous  igno- 
rons. Il  décidera  qui,  de  MarsoUier  ou  de  M.  Loyau  d'Amboise, 
fait  mieux  connaître  et  mieux  aimer  saint  François  de  Sales.  Pour 
nous  ,  sans  nous  prononcer  ici  à  cet  égard  ,  nous  voyons  que  nous 
aurons  deux  vies  du  saint  évcque  pour  une ,  celle  de  MarsoUier 


L'agneau  broute  le  serpolet , 
La  chèvre  s'attache  au  cytise  ; 
La  mouche  au  bord  du  vase  puise 
Les  blanches  gouttes  de  mou  lait. 

L'alouette  a  la  graine  araère 
Que  laisse  envoler  le  glaneur; 
Le  passereau  suit  le  vanneur, 
Et  l'eufant  s'attache  à  sa  mère. 

Et  pour  obtenir  chaque  don  , 
Que  chaque  jour  tu  fais  éclorc  , 
A  midi,  le  soir,  à  l'aurore, 
Que  faut  il?  prononcer  ton  nom! 


Donne  aux  faialades  la  santé, 
Au  mendiant  le  pain  qu'il  pleure  , 
A  l'orphelin  une  demeure , 
Au  prisonnier  la  liberté. 

Donne  une  famille  nombreuse 
Au  père  qui  craint  le  Seigneur; 
Donne  à  moi  sagesse  et  bonheur. 
Pour  que  ma  mère  soit  heureuse! 

Que  je  sois  bon  ,  ((uoique  petit , 
Comme  cet  enfant  dans  le  temple  , 
Que  chaque  matin  je  contemple, 
Souriant  au  pied  de  mon  lit. 

12* 


Ï80  VIE    DE    SAIST    FRANÇOIS    DE    SALES. 

pour  ceux  qui  tiennent  à  l'ancienne  me'thode ,  celle  de  M.  Loyau 
d'Amboise  [lour  la  jiunesse,  pour  les  gens  du  monde,  pour  tous 
ceux  qui  aiment  un  peu  de  brillant  ,  de  fleurs  et  de  mouvement 
dans  le  style.  Les  inteiitions  de  M.  Lojau  d'Amboise  sont  ex- 
cellentes; il  a  voulu  réconcilier  son  siècle  avec  les  vies  des  Saints, 
il  a  cherche'  à  allécher  les  gens  du  monde  par  l'éclat  des  images, 
par  les  ornemens  de  Tart  ,  par  la  variété  ,  par  l'harmonie.  Admi- 
rateur de  M.  Chateaubriand,  il  envie  à  plusieurs  reprises  la  magie  de 
son  style  plein  de  magnificence.  Son  enthousiasme,  nous  le  croyons, 
l'a  entraîné  un  peu  loin  dans  les  e'iogcs  qu'il  fait  du  célèbre  écri- 
vain ;  mais  ce  n'est  pas  de  cela  que  nous  devons  nous  occuper. 
Revenons  à  la  vie  de  saint  François  de  Sales. 

M.  Loyau  d'Amboise  a  partagé  la  sienne  en  six  livres,  la  jeu- 
nesse de  François  de  Sales,  la  mission  du  Chablais  ,  depuis  la  mis- 
sion de  Chablais  jusqu'à  l'épiscopat  du  Saint,  l'episcopat ,  la  fon- 
dation de  la  Visitation  et  le  reste  de  la  vie  jusqu'à  la  mort  du  saint 
évêque.  Dans  ces  six  livres  ,  la  narration  n'est  pas  continue  et  mo- 
notone :  l'auteur  l'entremêle  souvent  par  des  descriptions  et  des  ré- 
flexions. Il  avoue  même  qu'il  ne  s'est  point  épargne  les  digressions ,  et 
en  effet,  il  y  en  a  quelques-unes.  La  suivante  n'est  pas  une  des  moins 
belles,  et  nous  la  donnons  comme  un  cchantilion  du  style  de  l'auteur 
et  en  même  temps  comme  un  le'moignage  de  ses  religieux  sentimens. 
Cette  citation  est  empruntée  au  récit  du  voyage  de  saint  François  de 
Sales  à  Rome  pendant  sa  jeunesse  : 

«  Un  soir,  François  de  Sales  s'était  assis  sur  un  banc  de  mar- 
bre, devant  cette  métropole  de  Saint-Pierre  que  le  génie  de  Sixte- 
Quint  venait  d'achever.  L'astre  des  nuits  montait  lentement  dans  le 
cieux,  et  ses  regards  suivaient  sa  marche  au  milieu  de  ce  champ 
d'azur.  Il  n'entendait  d'autre  bruit  que  celui  d'une  brise  douce  (jui 
froissait  à  peine  l'air.  Ce  portique,  superbe  introducteur  du  pre- 
mier temple  de  1  univers,  ces  colonnes  aussi  sveltes  qu'un  palmier 
de  Délos ,  celte  coupole  jetée  dans  les  nuages,  les  clartés  delà  lune 
se  «lissant  à  travers  les  arcs-boutans ,  et  les  dentelures,  ce  calme, 
ce  silence,  le  jetaient  dans  un  ravissement  auprès  duquel  ce  qu'il 
avait  éprouvé  à  l'amphithe'àtre  de  Titus  et  au  Panthéon  d'Agrippa 
n'e'tait  qu'une  admiration  froide.  Soudain ,  il  entendit  d'un  monas- 
tère peu  e'ioigné,  des  voix  de  jeunes  filles  qui  chantaient  un  hymne 


VIE    DE    SAmT    FRANÇOIS    DE    SALES.  181 

à  la  Vierge.  Cette  mélodie  arrivait  à  lui  adoucie  par  son  passage 
dans  l'air  el  elle  lui  inspirait  le  même  plaisir  que  s'il  eût  écouté  les 
concerts  du  ciel.  Les  triomphes  de  la  religion  l'entouraient.  Devant 
lui,  Dieu  dans  sa  magnificence;  presqu'à  ses  côtés.  Dieu  dans  sa 
douceur  !  Et  pourtant  il  se  trouvait  dans  cette  même  ville  qui  s'é- 
branlait de  joie  quand  des  milliers  de  chrétiens  tombaient  sous  l'on- 
gle des  bêtes  ou  sous  la  liache  de  Dioclétien.  Oh  !  que  la  religion 
est  grande,  quand  on  l'envisage  dans  cette  capitale  de  toutes  les  gran- 
deurs !  Là  oîi  toute  la  puissance  humaine  s'était  levée  contre  le  Christ, 
là  il  a  bâti  la  sienne;  et  la  croix,  d'abord  cachée  dans  les  souterrains 
de  Rome,  est  montée  d'échelon  en  échelon  jusque  sur  la  coupole  de 
Saint  Pierre. 

»  Ne  comprend-on  pas  que  Dieu  n'avait  point  élevé  Rome  au 
dessus  de  toutes  les  nations  pour  assouvir  le  bonheur  d'un  Cali- 
gula  ou  d'un  Tibère,  mais  pour  en  faire  sa  ville,  la  ville  de  son 
Christ.  Son  empire,  avant  qu'elle  commandât  au  nom  de  Ja  croix 
n'e'tait  qu'une  figure  grossière  de  celui  que  la  sagesse  éternelle  lui* 
réservait.  Aussi ,  pendant  que  les  barbares  faisaient  pousser  l'herbe 
où  avaient  été  les  villes  de  l'ancien  monde  ,  et  balayaient  devant 
eux  nionumens  et  peuples,  Rome  restait  immobile.  Echappée  au 
torrent  qui  avait  envahi  le  reste  de  la  terre  ,  Rome  se  montre  de 
loin  comme  un  phare  immense  qui  guidera  les  peuples  renaissans 
à  la  civilisation  et  aux  lumières.  Dieu  ne  lui  a  point  donné  d'ar- 
mées, mais  ses  droits,  qui  sont  plus  forts  que  des  armées.  Si  elle 
parle,  sa  voix  ébranle  la  terre  et  consterne  les  oppresseurs.  Ils 
auraient  pu,  sortis  de  tant  de  berceaux  différens,  si  opposés  entre 
eux  de  lois  et  d'usages  ,  défigurer  la  religion  du  Christ.  Mais  Dieu, 
qui  a  tout  prévu  ,  a  établi  un  gardien  qui  veillera  sur  cet  arbre  du 
miracle.  D'un  mot  il  arrêtera  les  maîtres  des  peuples ,  s'ils  veulent 
poser  leurs  mains  sur  l'arche  sainte.  O  lois  d'une  éternelle  sagesse  ! 
Les  nations  ont  passé  ,  et  elles  ne  passent  point.  Des  flots  de  colère, 
partis  de  tous  les  points  du  monde  ,  se  sont  rendus  contre  les 
murs  de  Rome  et  s'y  sont  brisés;  le  représent^jnt  du  Christ  n'a  point 
quitté  cette  chaire,  de  laquelle  Dieu  a  décidé  que  sortirait  toujours 
la  vérité.  11  y  règne  ,  malgré  les  tempêtes  qui  ont  tout  change  autour 
de  lui  ,  et  il  trouve  la  même  soumission  dans  ses  cnfans  qu'au  temps 
où  il  imprimait  la  poussière  de  ses  pieds  sur  le  front  des  rois.  L'hé- 


182  VIE    DR    SA1>T    FRANÇOIS    DE    SALES. 

ritace  du  Christ  s'est  rétréci,  mais  la  ville  éternelle  ne  cesse  point 
d'en  être  le  centre.  Cela  fut  ordonné  par  un  maître  que  l'impie  peut 
insulter,  mais  dont  il  n'arrête  pas  la  puissance.  Il  a  dit,  en  condui- 
sant Pierre  à  Rome  :  «  Ici  je  bâtirai  mon  Eglise,  et  les  portes  de 
l'enfer  ne  prévaudront  jamais  contre  elle.  » 

Cette  digression  ne  finit  même  pas  là  ,  et  l'auteur  a  ensuite  un 
antre  morceau  sur  Gre'goire  VII  et  sur  sa  politique.  Il  est  tout  en 
faveur  de  ce  grand  Pape  ,  car  iM.  Loyau  d  Amboise  se  montre  par- 
tisan déclaré  de  l'autorité  du  Saint-Siège.  Dans  un  autre  endroit, 
il  ven-^e  la  vie  religieuse  des  critiques  et  des  dérisions  d'un  monde 
frivole.  A  la  fin  de  l'ouvrage  surtout  il  y  a  une  très-longue  digres- 
sion où  l'auteur  compare  saint  François  de  Sales  avec  les  philoso- 
phes anciens  et  modernes.  Il  y  a  là  des  choses  vraies  et  bien  sen- 
ties ;  mais  il  y  a  aussi  parfois  des  traces  d'exagération.  Ainsi ,  M. 
Loyau  d'Amboise  dit  que  Voltaire  est  passé  de  mode ,  comme 
Ronsard,  comme  Arislote ;  il  le  croit,  puisqu'il  le  dit,  mais 
n'est-ce  pas  manifestement  une  illusion  ?  Personne  assurément  ne 
lit  Ronsard,  en  est-il  de  même  de  Voltaire?  Peut-on  dire  que  per- 
sonne ne  le  lit?  L'auteur  remarquait  lui-même,  quelques  lignes 
plus  haut,  que  les  adorateurs  de  Voltaire  n'ont  rien  perdu  de  leur 
haine  contre  la  vérité;  si  Voltaire  a  encore  des  adorateurs ,  il  n'est 
donc  point  tout-à  fait  passé  de  mode. 

Quoi  qu'un  goût  pur  et  une  sévère  exactitude  puissent  trouver 
à  reprendre  dans  ce  livre,  cependant  les  sentimens  religieux  de 
l'auteur  ,  sa  vénération  pour  saint  François  de  Sales  ,  son  zèle  pour 
le  faire  connaître,  ses  réflexions,  ses  raisonncmens  ,  ses  digres- 
sions même,  qui  ont  un  bon  motif,  tout  cela  le  recommande  à 
l'estime  des  gens  de  bien.  Nous  l'engagerions  seulement  h  retran- 
cher quelque  chose  de  ce  luxe  d'ornemens  dont  il  a  voulu  parer 
son  sujet.  Une  vie  des  Saints  ne  doit  pas  s'écrire  comme  un  ou- 
vrage d'imagination,  et  si  le  romantisme  doit  envahir  tous  les  gen- 
res de  littérature,  souhaitons  du  moins  que  les  livres  de  piété 
soient  préservés  do  tout  ce  qui  y  ressemble  de  près  ou  de  loin.  — • 
L'Ami  de  la  Religion  ,  »»  2256. 


183 


<VV*'W%  W\V\AVV\'VWW»  W^'VVt/WX  WX-V-WW*  VV»*Vl(v\A'VV\-VV-»VV*'VV\*'^AVV*'VV*<VV\VV\'VV*VV\/VV\\rtA.VV\VV\ 

NOTICE   SUR   M.    CHARI.ES   BUTLER, 

ÉCRIVAIN    CATHOLIQUE    ANGLAIS. 

La  vie  de  M.  Charles  Butler  serait  presque  l'histoire  des  efforts 
faits  en  Angleleire ,  depuis  SO  ans ,  pour  tirer  les  catholiques  de 
l'état  d'oppression  où  ils  étaient.  Il  prit  une  grande  part  à  toutes  ces 
tentatives,  et,  si  sa  coopération  ne  fut  pas  toujours  heureuse,  elle 
ne  fut  pas  néanmoins  sans  éclat ,  et  l'entraîna  dans  de  longues  dis- 
cussions qui  firent  beaucoup  de  bruit.  D'ailleurs  ,  M.  Butler  a  at- 
taché son  nom  à  dilïérens  ouvrages  qui  ont  eu  plus  ou  moins  de 
succès,  et,  à  ce  titre  encore,  une  notice  sur  ce  personnage  est  sus- 
ceptible d'iutérét. 

Charles  Butler  naquit  à  Londres  le  1-4  août  17S0,  d'an  père  qui 
était  dans  le  commerce,  et  d'une  mère  qui  était  Française.  Un  frère 
de  son  père ,  Alban  Butler ,  était  un  pieux  et  savant  prêtre ,  qui 
est  devenu  célèbre  par  son  excellent  ouvrage  des  P^ies  des  Pères, 
que  l'abbé  Godescard  a  traduit  en  français.  Toute  cette  famille  était 
catholique.  Charles  Butler  fut  élevé  avec  soin  dans  une  école  catho- 
lique à  Hammersmith  ,  près  Londres  ;  de  là ,  on  l'envoya  sur  le 
continent ,  à  Esquerchin  ,  école  dépendante  du  collège  anglais  de 
Douai.  Il  termina  ses  études  classiques  à  Douai  même.  De  retour 
en  Angleterre,  vers  1766,  il  se  livra  à  l'étude  du  droit  sous  quel- 
ques jurisconsultes  catholiques.  En  1773,  il  commença  à  travailler 
pour  lui-même,  et  entra  à  Lincoln's-Inu  ;  mais  ce  ne  fut  qu'en  1791 
que  le  barreau  fut  ouvert  aux  catholiques.  Bl.  Butler  acquit  beau- 
coup de  réputation  comme  avocat ,  et  sa  fortune  s'accrut  rapidement. 
11  avait  épousé  en  1776  BTarie  Eyston ,  dont  il  eut  deux  filles. 

En  1787  ,  on  forma  un  comité  pour  défendre  les  intérêts  géné- 
raux des  catholiques ,  et  essayer  de  faire  rapporter  les  lois  ancienne- 
ment portées  contr'eux.  31.  Butler  fui  nommé  secrétaire  de  ce  comité, 
et  y  eut  beaucoup  d'influence.  Actif,  remuant,  instruit,  il  fit  beau- 
coup de  démarches  auprès  des  ministres  et  dn  parlement ,  et  fut 
regardé  comme  l'Ame  du  comité.  Malheureusement  ce  comité  agit 
comme  s'il  eût  été  indépendant  des  évêques  catholiques ,  qu'il  aurait 


184  NOTICE    SUR    M.    CHARLES    BUTLER. 

dû  consulter  avant  tout.  De  là  de  fâcheuses  diTÏsions  que  l'on  trouve 
racontées  dans  divers  ouvrages.  Voyez  les  Méinoires  pour  servir  à 
l'Histoire  ecclésiastique  pendant  le  18^  siècle,  tome  III  ,  pag.  161. 
M.  Butler  lui-même  a  parlé  de  ces  démêlés  dans  ses  Mémoires  des 
catholiques  anglais,  et,  s'il  a  mis  de  la  réserve  et  de  la  mesure 
dans  ses  récits  ,  il  relève  néanmoins  tout  ce  qu'il  a  fait  et  dissimule 
ses  torts.  Ces  torts  ont  été  exposés  par  M.  Miller  dans  ses  Mémoi- 
res supplémentaires  ^  Londres,  1820,  in-8°  ;  mais  il  faut  avouer 
que  l'ouvrage  n'est  pas  exempt  de  dureté  et  môme  d'aigreur. 

On  attribua  généralement  à  M.  Butler  et  la  protestation  publiée 
par  le  comité  en  1789,  et  les  livres  hleus  et  rouges,  qui  parurent 
à  cette  époque  pour  la  défense  du  comité.  Pour  être  juste,  nous  de- 
vons faire  connaître  ce  qu'il  nous  dit  à  cet  égard  dans  une  lettre  du 
20  avril  1818,  que  nous  avons  conservée  :  «  Dans  vos  Méinoires , 
vous  m'attribuez  des  ouvrages  dont  non-seulement  je  ne  suis  pas  l'au^ 
teur ,  mais  qui  n'ont  jamais  existé  ,  si  vous  considérez  les  Livres 
hleus  comme  une  publication  distincte  des  lettres  du  comité.  Quel 
que  soit  le  mérite  ou  le  démérite  de  ces  lettres,  la  part  que  le  co- 
mité prit  dans  cette  affaire  finit  avec  elles.  Les  membres  du  comité 
et  leurs  amis  s'abstinrent  entièrement  de  rien  écrire,  depuis,  sur 
ces  contestations.  Depuis  cette  époque  jusqu'à  présent,  aucun  catho- 
lique anglais  n'a  pris  la  moindre  mesure  qui  pût  affecter,  môme  de 
loin  ,  la  foi  ou  la  discipline  de  l'Eglise.  La  dispute  du  veto  n'a  eu 
lieu  qu'avec  les  Irlandais  ;  le  docteur  Milrier ,  seul ,  y  a  pris  part,  » 

M.  Butler  publia  cependant,  lors  de  la  dispute  sur  le  veto,  une 
lettre  à  un  catholique  romain.  11  fut  un  des  membres  du  nouveau 
bureau  catholique  formé  en  1803;  mais  il  n'en  était  plus  secrétaire. 
Il  fit  paraître  en  1813  et  en  1817  des  adresses  aux  protestans  anglais 
pour  dissiper  leurs  préventions  contre  les  catholiques.  Ses  brouille- 
ries  avec  M.  Milner  aboutirent  en  1813  à  une  exclusion  du  bureau 
prononcée  contre  ce  prélat ,  mesure  qui ,  dans  l'opinion  des  catho- 
liques ,  ne  fut  pas  favorable  à  M.  Butler.  Cependant,  il  vécut  tou- 
jours bien  avec  M.  Poynter ,  vi(;aire  apostolique  de  Londres;  et  ce 
prélat,  qui  n'avait  pas  moins  de  zèle  que  de  prudence,  nous  en  a 
parlé  avec  estime.  Dans  ces  derniers  temps  ,  M.  Butler  vivait  dans 
les  habitudes  de  la  piété.  En  1823,  sa  vue  s'afTaiblissant ,  il  cessa 
de  s'occuper  des  affaires  du  barreau.  Il  mourut  le  2  juin  1832,  âgé 
de  près  8^  ans. 


NOTICE    SUR    M.    CHARLES    BUTLER.  185 

Ses  onvrages  sont  nombreux  et  variés  ;  nous  indiquerons  les  plus 
importans  :  1°  Horœ  Bihlicœ  ou  Recherches  littéraires  sur  la  Bible, 
Oxford  1799;  elles  ont  eu  plusieurs  éditions,  et  les  dernières  conte- 
naient quelques  dissertations  accessoires.  Cet  ouvrage  a  été  Iraduit 
en  français  par  M.  Boulard  ,  1810,  in-8°  ;  2°  Horœ  juridicœ  siih- 
secivœ ,  in-8"  ;  ce  sont  des  documens  sur  les  principaux  codes  et  sur 
les  recueils  de  lois  ;  3°Jbrégé  des  Révolutions  de  Vempire  d'Alle- 
magne ;  A'  des  Vies  abrégées  de  Bossuet ,  de  Fénélon ,  de  saint 
Vincent  de  Paul ,  de  Thomas  à  Kentpis,  de  Rancé ,  de  BoudoUj 
d'Alban  Bvtler ,  du  chancelier  de  l'Hôpital,  du  chancelier  d'A- 
guesseau ,  d'Erasme,  de  G  rotins  ;  5'  Histoire  des  Fonnvlaires  et 
des  Confessions  de  foi,  1816,  in  8°  ;  6°  Mémoires  historiques  de 
l'Eglise  de  France,  1817,  in-8'.  Nous  en  avons  rendu  compte 
dans  ce  journal  ,  n'  380  ;  7°  Mémoires  historique^  des  Catholiques 
anglais ,  1 8 1 9  ,  2  vol.  in-8°  ;  8"  Continuation  des  Vies  des  Saints, 
d'Alban  Butler,  1823,  in- 8°.  On  y  a  ajouté  des  notices  sur  quel- 
ques |)ieux  personnages ,  sur  Pie  VI  ;  des  Mémoires  historiques  sur 
les  Jésuites ,  etc.  Ce  volume  a  été  traduit  en  français  ;  9°  Rémini- 
cences  ,  2  vol.  în-8°  ;  le  premier  volume  contient  une  Lettre  sur 
l'auteur  de  Junius  ;  une  Lettre  sur  la  musique  et  sur  le  charit  gré- 
gorien ,  et  un  Discours  à  l'ouverture  de  l'Institut  pour  la  mission  de 
Londres  en  1815  ;  10  Défense  de  l'Eglise  romaine  contre  sir  Ro- 
bert Sauthey  ,  in-8"  ,  traduite  en  français.  Paris,  1823  ,  in-8''  (l). 
L'auteur  y  ajouta  depuis  une  ré[)onse  à  des  observalions  de  l'évêcjue 
anglican  de  Londres;  11°  Réponse  à  des  Observations  contre  la 
sanction  du  Roi  aux  bills  en  faveur  des  Catholiques  ;  et  un  Essai 
pour  prouver  la  soumission  et  la  fidélité  des  Catholiques  à  l'Etat, 
malgré  leur  attachement  à  l'autorité  du  Pape  (2). 


(i)  L'ouvrage  contre  le  docteur  Southey  ,  porte  en  angKiis  le  titre  de 
Litre  de  C Eglise  calholinue ,  par  opposition  au  titre  de  l'ouvrage  de 
Southey,  Z/Vre  de  l'Ei^lise.  L'ouvrage  fut  suivi  dune  défense.  L'im  et 
l'autre  ont  en  deux  éditions.  Le  livre  de  Southey  donna  lieu  à  une  con- 
troverse ,  sur  laquelle  Butler  donne  quelques  détails  dans  le  second  vo- 
lume de  ses  Réminiscences. 

(2)  Une  liste  que  nous  trouvons  dans  le  Catholic  magazine  d'Edim- 
bourg, indique  d'autres  écrits  moins  importans  ou  politiques  de  M.  Butler. 


186  NOUVEAUX    MONUMENS    DÉCOUVERTS    AU    MEXIQUE. 

M.  Butler  était  un  homme  instruit  et  laborieux  ;  il  aimait  la  lit- 
térature ,  et  ce  ne  fut  que  par  un  exact  emploi  de  son  temps  qu'il 
pars'int  à  concilier  la  composition  de  tant  d'ouvrages,  avec  les  oc- 
cupations de  sa  profession.  S'il  se  méprit  dans  ses  vues  politiques 
lorsqu'il  était  secrétaire  du  comité  catholique,  s'il  soutint  des  me- 
sures qui  auraient  été  funestes  à  la  religion  ,  ce  fut  plutôt  par  défaut 
de  prévoyance  que  de  zèle.  Cependant ,  les  catholiques  anglais  lui 
ont  généralement  su  peu  de  gré  de  sa  conduite  ;  ils  ne  le  trouvaient 
point  assez  prononcé ,  et  lui  reprochaient  quelques  concessions  aux 
préjugés  des  proteslans.  Le  malheur  de  M.  Butler  fut  peut-être  d'a- 
voir puisé  dans  les  ouvrages  de  plusieurs  jurisconsultes  des  idées  peu 
exactes  sur  les  droits  et  l'autorité  de  TEglise.  Du  reste  ,  il  y  a  lieu 
de  croire  qu'il  n'eût  pas  approuvé  lui-même,  dans  ces  derniers  temps  , 
quelques-unes  de  ses  anciennes  démarches  lorsqu'il  était  secrétaire 
du  comité.  C'est  à  ceux  qui  n'ont  jamais  failli  à  lui  jeter  la  pierre. 
—  L'Ami  de  la  Religion,  n°  2284. 


IVV\/VV^  ^A/*  vv\  ^/*^  VV^  VVV  VVV  VVV  VVV  VVX  VV V  VVV  VV\  V VV  «/V/V  VVV  vvv  vvv  vv\ 


NOUVEAUX   MONUBÏENS   DÉCOUVERTS   AU   MEXIQUE, 

ET    PROUVANT    l'aNCIENNE    CIVILISATION    DE    CE    PAYS     (1). 

M.  G.  Nebel  a  été  assez  heureux  pour  découvrir  des  matériaux 
nombreux,  et  qui  constatent  d'une  manière  positive  l'histoire  de 
l'art  chez  les  anciens  Mexicains. 

Parmi  les  antiquités  monumentales  de'criles  dans  son  ouvrage, 
nous  avons  remarqué  surtout  un  temple  ,  dont  il  reste  encore  au- 
jourd'hui assez  de  matériaux  pour  permettre  d'en  faire  une  restau- 


Ces  écrits  dont  un  Essai  sur  les  maisons  d'industrie  j  un  Essai  sur  la 
légalité  de  la  presse  pour  les  niaLelots  ,  une  édition  avec  hargrave  des 
commentaires  du  lord  Coke  sur  le  Traité  des  inom'ances  des  fiefs  de  Tho- 
mas Littleton  (  Je  travail  de  BmIIct  sur  ce  cooimenlaire  est  fort  estimé 
et  a  eu  sept  éditions  ),  une  édition  ô^nw  autre  ouvrage  de  jurisprudence 
de  Féarne. 

(i)  V.  ci-d.  tom.  Vlir  ,  p.  4G8. 


NOUVEAUX    MONUMENS    DECOUVERTS    AU    MEXIQUE.  187 

ration  exacte.  Ce  temple  est  d'ane  forme  pyramidale,  mais  forme 
par  de  hautes  assises  carrées,  qui  sont  comme  autant  de  gradins. 
Sur  la  face  principale ,  des  degrés  servent  à  monter  sur  la  pente 
de  cette  pyramide,  iu^qu'à  une  certaine  hauteur  :  là,  se  trouve, 
sur  une  plate -forme,  la  statue  du  dieu  :  devant  elle,  sur  une 
pierre  à  sacrifice,  on  immolait  des  victimes  humaines,  dont  on 
jetait  ensuite  les  cadavres  en  bas.  Plusieurs  petites  statues ,  en 
terre  cuite  ou  en  pierre  sculptée ,  représentent  les  piètres  sacrifi- 
cateurs,  vêtus  de  la  peau  d'une  victime  humaine  :  cette  peau  ne  re- 
couvre que  le  buste  ,  à  partir  du  cou  ,  les  bras  et  la  moitié  des 
jambes;  le  reste  a  disparu  ,  à  l'exception  des  mains  que  l'on  a  lais- 
se'es  pendantes;  sur  la  poitrine,  on  remarque  à  toutes  les  peaux 
l'ouverture  qui  a  dû  être  pratiquée  pour  arracher  le  cœur  du  sa 
crifié.  Il  est  curieux  de  voir  avec  quelle  vérité  quelquefois  ces  pe- 
tites statues  sont  exécutées.  C'était  dans  ce  costume  ([ue  les  prêtres 
se  présentaient  au  peuple,  pour  en  recevoir  des  offrandes. 

Une  chose  digne  de  remarque  encore ,  ce  que  ces  peiqjles  con- 
naissaient l'art  de  multiplier  les  empreintes,  en  les  reproduisant, 
au  moyen  d'une  espèce  de  matrice  en  bois,  gravée  en  relief;  ainsi 
l'on  a  retrouve'  plusieurs  de  ces  instrumens  de  formes  différentes, 
ayant  un  raanclie  pour  en  faciliter  l'emploi.  Ceux  que  M.  C.  Nebel 
a  dessinés,  d après  les  originaux,  représentent  des  ornemens,  et 
devaient  probablement  servir  à  imprimer  des  étoffes. 

Des  savans  ont  prétendu  que  la  civilisation  et  les  arts  n'étaient 
pas  d'une  origine  beaucoup  moins  reculée  dans  le  nouveau  monde 
que  dans  l'ancien.  Un  fait  qui  viendrait  à  l'appui  de  cette  opinion, 
c'est  la  découverte  d'un  temple  entièrement  conserve  au  milieu 
dune  des  forets-vierges  du  Mexique,  et  dont  la  masse  était  cou- 
verte d'une  végétation  forte  et  vigoureuse,  comme  celle  de  ces 
contrées.  M.  C.  Nebel  l'a  fait  dégager,  et  Ton  a  reconnu  que  ce 
temple  n'e'tait  pas  seul  à  celte  place  :  une  ville  avait  existé;  les 
de'combres  rencontrées  à  chaque  pas  en  font  foi.  Combien  de  siè- 
cles ont  dû  passer  sur  ces  ruines  avant  de  les  avoir  ainsi  cache'es 
sous  de  sombres  et  épaisses  savanes  !  Quel  vaste  champ  ouvert  à 
l'historien  et  à  l'archéologue  !  —  Mémorial  encyclopédique. 


183 


•VVtfWHV^'^  vv\^v\w\  \ 


LETTRE    PASTORALE 

DE    MGR.    Ii'ÉVÊÇUE    SX    BB.UG£S~(i)- 


FRANCOIS-REIVÉ  BOUSSEN  ,  par  la  miséricorde  de  Dieu 
et  la  grâce  du  Saint-Siège  Apostolique,  Evèque  de  Bruges, 
au  Cierge  et  aux  Fidèles  de  notre  Diocèse ,  salut  et 
bénédiction  en  Notre  Seigneur  Jésus-Christ. 

Nos    TRÈS-CHERS    FrÈRES  ! 

Notre  Saint  Père  le  Pape,  Grégoire  XV.I ,  successeur  de  saint 
Pierre,  Prince  des  Apôtres,  en  vertu  du  pouvoir  à  lui  confie  par 
Je'sus-Christ  même,  comme  au  Pasteur  universel  de  l'Église  de 
Dieu,  vient,  par  sa  buile  du  six  des  calendes  de  Juin  dernier, 
d'e'riçer  définitivement  le  nouvel  évêché  de  Bruges  ,  auquel  il  as- 
signe pour  territoire  toute  la  Flandre-Occidentale.  Sa  Sainteté 
ériire  par  la  même  bulle,  l'église  paroissiale  de  Saint-Sauveur  en 
Cathe'dralc,  et,  tout  en  lu!  conservant  son  ancien  titre,  lui  donne, 
ainsi  qu'au  nouvel  évêché  de  Bruges  ,  saint  Donatien  pour  Patron. 
La  fête  de  S.  Donatien  se  célèbre  le  quatorze  Octobre,  et  la  nou- 
velle Cathédrale  a  eu  le  bonheur  de  recevoir  ses  pre'cieuses  reliques. 

Nous  devons  encore  vous  annoncer,  nos  très  chers  frères,  que 
le  Saint-Père  ,  dans  le  consistoire  du  23  Juin  dernier,  a  daigne  e'ie- 
yer  notre  faiblesse  à  la  dignité  devêque  de  Bruges.  Maintenant 
que  Mgr.  l'archevêque  de  Malines,  en  qualité  de  délégué  du  Saint- 
Siège,  après  avoir  publié,  en  due  forme,  la  bulle  d'e'rection  de 
re'vêché ,  nous  a  mis  en  possession  du  siège,  auquel  la  voix  du 
Vicaire  de  Jésus-Christ  nous  a  appelé,    nous  nous  sentons  le  be- 

(0  V.  ci  cl.  t.  Vir,  p.  22'|.  L'installation  de  Mgr.  l'évêque  de  Bruges 
a  été  célébrée  le  23  juillet  dernier.  V.  le  Journal  hist.  et  litt.  de  M.  Rers- 
ten,  t.  I ,  p.  214. 


LETTRE    PASTORALE. 


189 


soin  ,  N.  T.  C.  F.,  de  -vous  ouvrir  notre  cœur,  et  de  vous  mettre 
a  découvert  les  pensées  et  les  sentimens  dont  il  est  animé. 

A  ne  consuUur  que  notre  repos,  nos  inclinations  et  nos  capa- 
cités personnelles ,  jamais  nous  n'aurions  pu  nous  résoudre  à  pren- 
dre sur  nos  faibles  épaules  le  terrible  fardeau  de  l'épiscopat.  Mais 
nous  aurions  cru  résister  à  la  voix  de  Dieu  même ,  en  ne  pas  ac- 
quiesçant à  la  volonté  bien  expresse  du  Souverain-Pontife  et  de 
Monseigneur  l'ëvêque  de  Gand  ,  qui  nous  appelaient  à  l'adminis- 
tration spirituelle  de  la  Flandre-Occidentale.  Il  y  a  près  d'un  an 
et  demi  que  nous  sommes  venu  résider  au  milieu  devons,  en  qua- 
lité d'evêque-administrateur  ;  durant  ce  temps ,  nous  avons  pu 
nous  convaincre,  par  notre  propre  expe'rience,  combien  étaient 
fondées  nos  craintes  et  nos  répugnances  pour  l'acceptation  du  far- 
deau e'piscopal,  et  combien  l'apôtre  S.  Paul  a  eu  raison  de  nom- 
mer l'e'piscopat  une  bonne  œuvre  (I.  Tim.  III),  c'est-à-dire,  d'après 
l'interprétation  de  S.  Augustin,  de  S.  Jérôme,  de  S.  Grégoire  le- 
Grand,  de  S.  Ansebne  et  autres,  une  forte  besogne,  une  charge  difficile. 

Toutefois,  ce  qui  nous  console  et  nous  encourage,  cest  de  sa- 
voir avec  le  même  apôtre ,  que  Dieu  est  fidèle  ,  gu'il  ne  pev' 
mettra  jamais  que  nous  soyons  tentes  au-dessus  de  nos  forces 
(I  Cor.  X);  que  Dieu  employé  souvent  ce  qui  est  faible,  pour 
confondre  ce  qui  est  fort  (  I  Cor.  I  ),  et  que  même  ,  au  moment  de 
notre  plus  grande  faiblesse,  nous  sommes  forts  (II  Cor.  XII),  parce 
que  nous  pouvons  tout  dans  Celui  qui  nous  fort  fie  [^hxWv).  IV). 

Déjà  depuis  long-temps  nous  connaissions,  étant  né  et  élevé  au 
milieu  de  vous ,  et  ayant  rempli  pendant  plusieurs  années  les  fonc- 
tions de  secrétaire  de  l'c'vêche,  nous  connaissions  ,  disons-nous 
toute  la  vivacité  de  votre  foi,  toute  l'e'tendue  du  respect  que 
vous  portez  envers  ceux  qui  sont  constitiies  les  pasteurs  de  vos 
âmes,  et  qui  vous  régissent  au  nom  ;  de  Jésus-Christ  même.  Mais 
ce  que  nous  avons  vu  de  nos  propres  yeux  ,  et  entendu  de  nos 
propres  oreilles,  depuis  un  an  et  demi  que  nous  re'sidons  au  milieu 
de  vous,  n'a  fait  qu'augmenter  notre  respect  et  notre  attachement 
pour  vous  ,  N.  T.  C.  F.  ;  et  nous  ne  craignons  pas  de  vous  appliquer 
ce  que  l'Apôtre  des  nations  disait  autrefois  des  fidèles  de  Rome  : 
Votre  foi  est  annoncée  et  Xanéa  dans  tout  le  monde.  (Rom.  I.) 

Uq  autre  sujet  de  consolation  se  trouve  dans  la  soumission,  le 


190  LETTRE    PASTORALE. 

zèle ,  les  vertus  et  les  lumières  de  nos  chers  coopërateurs.  Nous 
possédons  en  effet ,  N. T. CF.  ,  un  c'.ergé  qui  s'est  dislingue'  de  tout 
temps  par  un  altacbement  inviolable  à  la  Chaire  apostolique,  à  cette 
Église  Romaine,  la  Mère  et  la  Maîtresse  de  toutes  les  églises,;  dans 
laquelle  (nous  parlons  avec  S.  Augustin  )  Dieu  a  placé  la  doctrine 
de  la  vérité  (Epist.  CX  )  ;  un  clergé,  dont  les  lumières  et  le 
zèle  dissipent  les  ténèbres  de  l'ignorance,  et  dont  les  vertus  peu- 
vent servir  d'exemple  au  troupeau  confie  à  leurs  soins.  Ce  clergé 
exemplaire,  nous  en  sommes  redevables  ,  N.  T.  C.  F.  ,  après  Dieu , 
aux  supérieurs  ecclésiastiques  qui  nous  ont  précédé  ;  leur  courage 
et  leur  vigilante  sollicitude  ont  su  triompher  de  toutes  les  manœu- 
vres ,  employées  à  diverses  époques ,  pour  altérer  la  foi  et  ternir 
l'éclat  du  sanctuaire. 

Nous  avons  organisé  notre  grand  séminaire  depuis  un  an  :  l'éten- 
due et  la  solidité  des  études  qu'on  y  fait ,  pre'parent  à  l'Église  de 
zélés  et  doctes  ministres.  Notre  petit  séminaire  est  connu  depuis 
long-temps;  il  peut  rivaliser  avec  les  meilleurs  collèges  du  pays. 

Il  y  a  aussi,  dans  notre  diocèse,   un  grand  nombre  d'cxcellens     ' 
collèges  et  de  maisons  d'éducation  ,   où  l'étude  de   la  religion  se 
joint  à  la  culture  des  belles-lettres  ,  et  d'autres  sciences  utiles  et 
variées. 

Enfin  ,  de  nombreuses  écoles ,  dirigées  selon  l'esprit  de  la  sainte 
Eglise,  donnent  aux  classes  pauvres,  ou  moins  aisées,  l'occasion 
d'apprendre  les  principes  de  la  religion ,  et  de  se  procurer  une 
instruction  ,  proportionnée  au  rang  que  chacun  d'eux  occupera  plus 
tard  dans  la  socie'té. 

Que  dirons  nous  des  hôpitaux  et  autres  e'tablissemens  de  cha- 
rité, fondés  en  si  grand  nombre  et  conservés  par  la  religion;  de 
ces  asyles,  où  la  maladie,  la  vieillesse  ,  les  misères  humaines,  en  un 
mot ,  trouvent  une  retraite  assurée  et  des  adoucissemens  à  leurs 
peines  ;  où  la  charité  chre'tienne  ne  rencontre  aucun  sacrifice  trop 
grand  ,  ni  aucune  répugnance  trop  forte  pour  son  héroïsme  ! 

Enfin,  nous  avons  la  consolation  de  voir  les  ordres  religieux, 
de  l'un  et  de  l'autre  sexe,  se  relever  en  plusieurs  endroits  de 
notre  diocèse.  Les  prières  de  ces  âmes  ferventes,  qui  ne  sem- 
blent plus  être  de  la  terre,  ne  manqueront  pas  d'attirer  sur  no- 
tre administration  l'abondance  des  bénédictions  célestes;  tandis  que 


LETTRE    PASTORALE.  191 

leur  recueillement ,  leurs  privations ,  leurs  pe'nitences  confondront 
notre  lâcheté,  et  serviront,  parleur  admirable  varie'té,  h  rehausser 
la  beauté  de  l'Épouse  de  Jesus-Christ.  (Psalm.  XLIV.  ) 

L'esprit  d'irréligion,  il  est  vrai,  a  exercé  ses  ravages  chez  nous, 
comme  partout  ailleurs  ;  les  bonnes  mœurs  ont  souffert  beaucoup , 
par  suite  de  diverses  causes  qu'il  serait  trop  long  d'énumérer  ici  : 
mais  nous  avons  la  douce  satisfaction,  de  savoir  que  la  grande  ma- 
jorité de  nos  dioce'sains  n'a  pas  fle'cbi  le  genou  devant  lidole  de 
l'irre'ligion  ;  et  les  fruits  abondans  que  les  missions  ont  produits 
partout  où  elles  ont  eu  lieu ,  sont  une  preuve  certaine  que  les  mi- 
se'ricordes  du  Seigneur  sont  loin  dêtre  épuise'es  :  ils  démontrent 
ce  que  nous  pouvons  attendre  dans  la  suite ,  si  la  divine  Provi- 
dence daigne  nous  accorder  quelques  années  de  paix. 

O  vous  donc,  nos  chers  coopérateurs!  vous,  notre  joie  et  notre 
coM/on/zg  (Philipp.  IV),  aidez  noire  faiblesse  à  soutenir  le  fardeau 
de  l'épiscopat.  Jusqu'ici  les  sentimens  étaient  partage's  sur  des 
questions  de  haute  importance;  maintenant  Rome  a  parlé,  la 
cause  est  finie  (S.  Augustin).  Rendons  à  Dieu  tout-puissant  d'im- 
mortelles actions  de  grâces,  pour  cette  insigne  faveur  accorde'e  à 
son  Eglise.  Pressons-nous  autour  de  la  Chaire  apostolique,  nous  res- 
souvenant avec  saint  Ambroise  ,  que  là  où  est  Pierre  ,  là  est  l'E~ 
glise  (S.  Arab.  in  Psalm.  XL);  et  avec  saint  Jérôme,  que  quicon- 
que ne  recueille  pas  avec  Pierre  ,  dissipe  (S.  Hier.  Ep.  LVII  ad 
Damasum  Papam).  Consolons  le  cœur  affligé  de  notre  Père  com- 
mun ,  par  une  soumission  filiale  et  inviolable  à  tous  ses  décrets. 
Soyons  un  de  sentiment  et  d'action  ,  comme  Jésus-Christ  est  un 
de  nature  et  de  volonté  avec  son  Père  (Joann.  XVII).  Ah!  que 
cest  une  chose  bonne  et  agréable  ,  que  les  frères  soient  unis 
(  Psalm.  CXXXII  ')  ;  que  nous  servirons  bien  la  cause  de  Dieu  , 
aussi  long-temps  que  nous  nous  aiderons  les  uns  les  autres  en 
frères  (  Prov.  XVIII).  Et  vous  tous.  Nos  Chers  Diocésains,  imi- 
tez la  soumission  et  la  concorde  de  vos  respectables  Pasteurs, 
n'oubliant  jamais  que  la  loi  chrétienne  est,  par  excellence,  une 
loi  de  charité  et  d'ordre. 

Nous  ne  pouvons  finir  cette  Lettre  pastorale,  N.  T.  C.  F.  ,  sans 
vous  dire  un  mot  du  devoir  de  reconnaissance  que  vous  avez  à 
remplir   envers  Monseigneur   l'évèque  de   Gand.    Vous   savez    en 


192  LETTRE    PASTORALE. 

quelles  clrconslances  critiques  ce  cligne  Pasteur  s'est  arraclid  du  mi- 
lieu de  ses  ouailles,  pour  se  charger  du  fardeau  énorme  d'un  dio- 
cèse de  près  d'un  million  et  demi  d'habitans  !  Vous  savez  avec  quel 
zèle ,  quelle  douceur,  quelle  prudence  il  vous  a  gouvernes  diirant 
des  temps  difficiles.  La  reconnaissance  exige  que  vous  ne  perdiez 
jamais  le  souvenir  de  cette  administration  paternelle  :  elle  exige 
que  vous  adressiez  au  Ciel  de  fréquentes  prières  pour  la  conserva- 
tion de  ce  digne  prélat. 

Nous  mettons  notre  diocèse ,  notre  administration  et  notre  per- 
sonne sous  la  protection  de  la  très-sainte  Vierge  Marie,  de  S.  Jo- 
seph,,  patron  de  la  Belgique,  et  des  saints  Anges  gardiens  j  et, 
afin  de  remercier,  comme  il  est  juste,  la  divine  Providence,  pour 
l'heureuse  érection  du  diocèse  de  Bruges ,  et  d'attirer  les  bénédic- 
tions célestes  sur  notre  administration  ,  nous  ordonnons  ce  qui  suit  : 
I.  Le  Dimanche  qui  suivra  la  publication  de  notre  présente  Lettre 
pastorale ,  on  chantera  avant  la  Messe  paroissiale  dans  toutes  les 
églises  de  notre  diocèse,  l'hymne  Keni,  Creator  Spiritus ,  avec  le 
verset  Emilie  Spirilum  tuum ,  et  l'oraison  Deus ,  qui  corda  fi- 
delium, 

IL  Pendant  un  mois,  à  dater  de  la  même  publication,  chaque 
prêtre  ajoutera  aux  oraisons  de  la  Messe  la  collecte  de  Spiritu 
Sancto,  au  lieu  de  la  collecte  Ne  despicias ,  qu'on  récitera  de 
nouveau  après  le  mois  écoulé. 

III.  Pendant  le  même  espace  de  temps,  on  chantera  au  salut  le 
psaume  XC  :  Qui  habilat  in  adjutorio  Allissimi,  avec  l'oraison 
pro  Episcopo. 

Sera  notre  présent  Mandement   lu  au  prône,  dans  toutes  les 
églises  de  notre  diocèse,  le  Dimanche  qui  en  suivra  la  réception. 
Donné  à  Bruges,  dans  la  maison  de  notre  résidence  e'piscopale, 
le  26  Juillet  1834. 

f  FRANÇOIS ,  Évêque  de  Bruges. 
Par  Monseigneur  l  Evêque , 
A.  De  Smet,  Secre'taire. 
Lieu  )$(  du  sceau. 


193 


'wv^wvvfcvvvvvwvv*'vvvvvvvvvv^vvvvvvvv^vvvvwvvvvvvvvv%vvvvv^vv\.vv^vvv%/vvv^ 

MÉLANGES.  —  Août   i834. 

Notice  de  M.  de  Charapagny. — Les  infirmités  du  génie,  par  M.  Madden. 

—  Séance  de  TAcadémie  catholique  du  19  Juin. — Écrit  du  P.  Bonola 
sur  le  Jansénisme. — Cours  de  théologie  par  M.  Bouvier. — Histoire  de 
France  par  M.  Mazas. — Mort  cLe  Mgr.  l'évèque  de  Tournai. — Médaille 
donnée  par  S.  S.  à  M.  le  chan.  Torricelli. — Sur  les  nouveaux  Mé- 
moires relatifs  à  rastronomie  ancienne,  lus  à  l'Académie  des  Sciences 
de  Paris  par  M.  Biot.  —  Lettre  de  M.  l'abbé  Gerbet  à  Rf^r.  l'ar- 
chevêque de  Paris. 

—  Une  des  grandes  notabilités  du  régime  impérial  vient  de 
mourir  dans  un  âge  avancé,  M.  Jean-Baptiste  Nompère  de  Cham- 
pagny  ,  duc  de  Cadore ,  a  succombé  le  3  juillet  à  de  longues  in- 
firmités. Il  était  né  à  Roanne  en  lySG,  et  fut  destiné  à  la  marine. 
Il  se  trouva  au  fatal  combat  du  12  avril  1782,  et  devint  de  bonne 
heure  major  de  vaisseau.  Député  de  la  noblesse  du  Forez,  il  fut 
un  des  premiers  à  se  réunir  au  tiers  et  vota  avec  la  majorité.  Cela 
ne  l'empêcha  point  d'être  emprisonné  sous  la  terreur,  et  il  ne  re- 
couvra la  liberté  qu'après  le  g  thermidor.  Après  le  18  brumaire, 
Buonaparte  l'appela  au  conseil-d'état,  et,  en  1801  ,  l'envoya 
comme  ambassadeur  à  Vienne.  En  i8o5,  il  le  fît  ministre  de  l'in- 
térieur, et  c'est  comme  tel  que  M.  de  Champagny  fit  un  rapport 
sur  la  restauration  des  églises  de  Ste. -Geneviève  et  de  St. -Denis. 
Devenu  ministre  des  relations  extérieures  en  1807,  il  coopéra  aux 
mesures  violentes  prises  contre  le  Pape  et  contre  les  Bourbons 
d'Espagne.  Il  se  rendit  à  Bayonne  en  1808,  et  y  fui  chargé  de 
négociations  qui  devaient  faire  tomber  dans  le  piège  la  maison 
régnante.  On  trouve  aussi  souvent  le  nom  de  M.  de  Champagny 
dans  la  correspondance  officielle  entre  le  Saint-Siège  et  Buona- 
parte ,  en  1807  et  1808.  On  peut  voir  enlr'autres  les  notes  du 
20  août  et  du  21  septembre  1807,  les  articles  proposés  le  9  jan- 
vier 1808,  et  surtout  la  note  du  3  avril  suivant.  Dans  ses  dépê- 
ches, le  ton  était  tout-à-fait  en  harmonie  avec  le  fond,  et  Buo- 
naparte dictait  ses  volontés  avec  !a  hauteur  d'un  maître  qui 
commande.  Il  faut  plaindre  le  ministre  qui  s'était  cru  obligé  de 
se  rendre  l'instrument  d'une  politique  si  injuste ,  si  perfide  et  si 
violente. 

T.  X.  13 


194  MÉLANGES. 

M.  de  Champagny  se  rendit  à  Vienne  en  i8og,  et  y  conclut  le 
traite  de  paix  qui  amena  le  mariage  de  Marie-Louise.  C'est  à  cette 
occasion  qu'il  iut  créé  duc  de  Cadore.  Néanmoins  le  ministre  fut 
disgracié  en  1811.  Buonaparte  le  fit  pourtant  intendant-géne'ral 
du  domaine  de  la  couronne  et  sénateur  en  i8i3.  En  i8i4,  le  duc 
de  Cadore  suivit  Marie-Louise  à  Blois.  Bientôt  il  reconnut  les  Bour- 
bons, et  fut  nomme  pair  par  le  roi  ;  mais  ,  ayant  accepte'  des  fonc- 
tions dans  les  cçnt-jours,  il  fut  privé  de  la  pairie  au  second  retour 
du  roi.  Elle  lui  fut  rendue  dans  la  grande  promotion  de  M.  Deca- 
zes.  Depuis  ce  temps,  M.  de  Cadore  ne  marqua  point  dans  la 
cliambiie ,  où  il  votait  dans  le  sens  du  gouvernement.  Une  grande 
fortune,  et  une  famille  nombreuse  et  fort  unie,  semblaient  devoir 
le  rendre  aussi  heureux  qu'il  est  permis  de  l'être  ici-bas  ;  mais 
dans  ces  derniers  temps,  les  infirmités  se  firent  sentir  :  le  duc  se 
prépara  clire'liennement  à  la  mort.  Il  se  confessa  à  M.  le  curé  de 
Saint- Valère ,  qui  l'a  vu  plusieurs  fois  dans  sa  dernière  maladie. 
M.  de  Cadore  était  recomraandable  dans  la  vie  privée  par  la  dou- 
ceur de  ses  mœurs ,  par  son  caractère  conciliant  et  par  toutes  les 
qualités  domestiques.  Nous  devons  croire  qu'il  a  gémi  le  premier 
de  s'être  trouve'  sous  l'influence  d'un  homme  auquel  il  était  diffi- 
cile de  résister ,  et  d'avoir  été  ainsi  entraîné  à  prendre  part  à  des 
violences  tout-à-fait  en  opposition  avec  son  caractère. 

—  Les  infirmités  du  génie. —  Une  Revue  ame'ricaine  rend 
compte  d'un  ouvrage  publie'  snr  ce  noble  et  curieux  sujet. 
L'auteur  est  M.  Madden  ,  que  la  relation  d'un  voyage  en  Turquie 
a  de'jà  fait  connaître  avantageusement  dans  les  lettres.  11  paraît 
s'être  proposé  un  double  objet. 

D'abord  de  prouver  que  les  travaux  scientifiques  et  litté- 
raires n'exercent  sur  la  santé  de  ceux  qui  s'y  livrent,  même 
avec  ardeur,  aucune  influence  funeste. 

Ensuite,  que  plus  le  genre  des  études  est  élevé  et  grave, 
plus  aussi  le  degré  de  longévité  est  ordinairement  remarquable 
chez  les  individus. 

Pour  démontrer  ces  deux  points  ,  M.  Madden  a  choisi  dans 
chaque  partie  de  la  science ,  de  l'art  et  des  lettres ,  un  nombre 
égal  d'hommes  parmi  les  plus  célèbres  ;  il  a  mis  ensemble  les 
diverses  sommes  d'années  appartenant  à  chacun  d'eux ,  et  en 
a  composé  le  tableau  comparatif  suivant  : 


MELAITGES. 

195 

Ans. 

Pour  chacun. 

Philosophes  naturalistes, 

i494 

75 

Philosophes  moralistes, 

1417 

70 

Jarisconsultes  ,  publicistes. 

1394 

69 

Ecrivains  en   matière  de  physi- 

que et  de  me'decine. 

i368 

68 

Ecrivains  religieux, 

i35o 

67 

Philologues , 

i323 

66 

Compositeurs  de  musique. 

1284 

64 

Romanciers , 

1257 

62  i 

Ecrivains  dramatiques  , 

1244 

62 

Poètes, 

1144 

57 

La  force  d'intellect  chez  les  individus  devient,  selon  M.  Mad- 
den ,  une  cause  de  longe'vite',  et  la  vivacité'  de  l'imagination 
ne  possède  pas  le   même  privilège. 

Voici  les  noms  des  philosophes  naturalistes  dont  se  compose 
le  chifFre  de  i494>  *l"i  ^^^  ^^  P'"^  favorise'  du  tableau  ci- 
dessus,  et  ceux  des  poètes  formant  le  total  de  i:44  aos,  le 
plus  faihle  de  tous  : 


Bacon, 

78  ans. 

Arioste , 

59  ans. 

Buffon , 

81 

Burns , 

38 

Copernic , 
Cuvier , 

70 

64 

Byron  , 
Camoè'ns, 

37 
55 

Davy , 
Euler, 
Francklin, 
Galile'e , 

5i 

76 
85 
78 

Collins , 
Cowley , 
Cowper , 
Dante, 

56 

% 
69 

56 

D^  Halley , 
Herschel , 

86 
84 

Dryden  , 
Goldsmith  , 

70 

44 

Kepler, 
Lalande  , 

60 

75 

Gray , 
Métastase , 

57 

84 

La  Place, 

77 

Milton, 

66 

Leevenhoek , 
Leihnitz , 

91 

70 

Pe'trarque , 
Pope, 

68 
56 

Lin  ne , 

72 

Shcnstone, 

5o 

Newton , 
Tycho-Erahe 

84 
,  55 

Spencer , 

Tasse , 

46 

52 

Whiston , 
Woollaston , 

95 

62 

Thompson, 
Young , 

48 
84 

1494 


1144 


196  MÉLANGES. 

Il  y  a  dans  la  liste  des  poètes  clioisis  par  M.  Madden  ,  de 
singulières  omissions  et  quelques  pre'fe'rences  qu'on  pourrait 
lui  reprocher.  Pour  ne  rien  dire  de  la  France  qu'il  ne'glige 
tout-à-fait,  on  peut  lui  citer  en  Allemagne  Gœthe,  le  poète 
universel,  ainsi  que  ses  compatriotes  l'ont  nomme,  qui  mou- 
rut à  83  ans  ,  Klopstock  qui  en  a  ve'cu  yg  et  Wielland  qui  est 
parvenu  au  même  âge.  H  y  a  erreur  aussi  sur  le  nombre  d'an- 
ne'es  que  Camoens  a  ve'cu.  Il  est  mort  à  62  ans  et  non  à  55 
comme  le  pense  M.  Madden.  On  pourrait  multiplier  infini- 
ment ces  observations  et  de'duire  de  leur  rapprochement  que 
les  calculs  de  M.  Madden  pèchent  contre  la  justesse.  Mais  son 
travail  ne  laisse  pas  d'être  pour  cela  très-piquant. 

—  Dans  la  réunion  académique  de  la  religion  catholique,  qui  a 
eu  lieu  le  i g  du  mois  passé  dans  une  des  salles  de  i'Archigymnase 
romain  sous  la  pre'sidence  du  réve'rend  père  Jean-Baptiste  Rosani , 
procureur-ge'néral  des  écoles  sacre'es  et  pro-secre'taire  de  cette  Aca- 
démie,  on  a  lu  une  dissertation  du  chevalier  Ange-Marie  Ricci  sur 
l' influence  que  la  religion  catholique  a  toujours  eue  sur  les  pro- 
grès des  lettres  et  des  arts. 

—  On  vient  de  re'imprimer  en  Italie  un  ouvrage  qui  a  pour 
titre  :  La  Ligue  de  la  Théologie  moderne  avec  la  Plàlosophie , 
pour  le  malheur  de  l'Eglise.  L'ouvrage  parut  in-12  en  1789, 
sans  nom  d'auteur ,  d'imprimeur  ou  de  pays.  Il  est  suivi  d'une 
lettre  sous  le  nom  d'un  cure'  de  ville  a  un  cure' de  campagne, 
pour  re'futer  les  beaux  re'glemens  que  l'on  faisait  alors  à  Pistoie  et 
ailleurs  sur  la  re'forme  de  l'Eglise.  Le  tout  a  été  traduit  en 
français,  et  publié  à  Avignon,  chez  Seguin,  1820  {1).  La  Ligue 
fait  assez  bien  sentir  la  politique  et  les  manœuvres  du  parti 
astucieux  qui  a  troublé  et  déchiré  l'Eglise  pendant  cent  cin- 
quante ans.  On  y  a  joint  quelques  passages  des  lettres  de 
Frédéric  II,  roi  de  Prusse,  pour  prouver  la  conjuration  phi- 
losophique ,  et  un  autre  écrit  qui  a  pour  titre  VEsprit  du  dix- 
huiticme  siècle  montré  aux  imprudcn-;  pour  leur  servir  de  pré- 
servatif ou  de  remède  contre  la  séduction  de  ce  temps.  Cet 
écrit,  qui  n'a  guère  qu'une  feuille  d'impression,  avait  para 


(i)  Un  volume  iu-80.  Prix  :   i  fr.  jo  c.  ,  et  2  fr.  franc  de  port. 


MÉLANGES.  197 

en  1790,  et  a  pour  objet  de  montrer  de  plus  en  plus  la  ne'- 
cessite'  tle  s'attacher  à  l'Eglise  et  au.  Saiut-Sie'ge.  Le  volume  est 
termine'  par  la  bulle  Auctorem  fidei ,  contre  le  synode  de 
Pistoie.  L'auteur  de  La  Ligue  e'tait  Ui  père  Roch  Bonola  ,  je'suite , 
né  à  Novarre  ou  à  Bergame.  On  a  de  lui  une  lettre  à  Ricci , 
ui'.e  autre  sur  les  Droits  originaires  des  ivcqnes ,  sous  le  nom 
de  A.  M.  A.  ]).  F.  contre  les  pre'ten  tiens  du  même  pre'lat;  deux 
autres  lettres  sous  le  nom  d'un  arclnevêque  ,  publie'es  à  Ajaccio, 
contre  les  lettres  pastorales  de  Ricci  du  5  octobre  l'jSy  et  du 
18  mai  1788  ,  et  les  Doutes  proposés  aux  professeurs  de  la 
faculté  de  théologie  deDavie,  179O',  in-8\  La  Ligue  a  eu  plu- 
sieurs e'ditions  ;  Pie  VI  en  a  fait  l'e'loge,  et  recommandait  de 
la  lire  tout  entière  comme  de'voila)at  très-bien  les  artifices  des 
novateurs.  Nous  ne  savons  si  le  petit  e'crit  V Esprit  du  dix- 
huitième  siècle  est  du  père  Bonola  j  l'e'dition  de  M.  Seguin  ne 
dit  rien  qui  puisse  le  faire  soupçonner.  Cependant  nous  trou- 
Tons  quelque  ressemblance  entre  cot  e'crit  et  la  La  Ligue. 

—  Instiluiiones  Theologicœ  ad  usum  Seminariorum  ,  auctore 
J.  B.  Bouvier  ,  episcopo  Cenomanensi  (i).  —  Quand  M.  Bouvier 
fut  appelé'  en  181 1  du  coUe'ge  où  il  enseignait  la  philosophie 
au  graud-se'minaire  du  Mans  pour  y  enseigner  la  théologie,  il 
vit  avec  peine  que  les  e'ièves  n'avaient  entre  les  mains  qu'un 
auteur  incomplet  et  insuffisant.  Il  essaya  d'y  supple'er  par  des 
additions  manuscrites,  et  depuis  il  composa  et  dicta  des  îraite's 
entiers  adaple's  au  nouveau  di'oit  civil.  Mais  bientôt  la  perte 
de  temps,  l'ennui  des  dicte'es  pour  les  jeunes  gens,  les  fautes 
qui  s'y  glissaient  ne'cessairement ,  le  firent  songer  à  livrer  à 
l'impression  quelques-uns  de  ses  traités.  En  1818  et  1819,  il 
publia  les  traités  de  la  restitution  et  des  contrats,  et  succes- 
sivement il  mit  au  jour  d'autres  traités  qui  eurent  tous  plu- 
sieurs éditions ,  et  même  quelques-uns  jusqu'à  huit  et  neuf. 
Le  savant  professeur  conçut  donc  le  projet  de  réunir  ces  traités 
en  un  cours  de  théologie,  et  il  travaillait  à  l'exécution  de  ce 
plan  quand  il  fut  a])pelé  à  gouverner  le  diocèse  auquel  il  avait 
déjà  rendu  tant  de  services  signalés.  Les  soins  de  l'adminislra- 


(l)  Six  volumes  in-12.  Prix,  broché,  i5  fr.  A  Paris  ,  chez  Mcquignon 
Junior ,  et  chez.  Achicn  Le  Clerc  et  C^ ,  quai  des  Auguslins ,  u»  35. 


198  MÉLANGES. 

tion  ne  permettant  pas  aa  prélat  de  diriger  l'e'dition  de  son 
cours  de  tlie'ologie ,  il  en  a  chargé  des  eccle'siastiques  instruits 
et  laborieux ,  qui  s'y  appliquent  sans  relâche  depuis  plusieurs 
mois. 

L'ouvrage  formera  six  volumes  qui  renfermeront  les  traite's 
de  dogme  et  de  morale.  Dans  le  tome  premier  sont  les  traite's 
de  la  vraie  religion  et  de  l'Eglise;  dans  le  deuxième,  ceux 
de  la  Foi,  de  la  Trinité'  et  de  l'Incarnation,  de  la  grâce,  des 
Sacremens  en  ge'ne'ral ,  du  Baptême  et  de  la  Confirmation  ;  dans 
le  troisième,  ceux  de  l'Eucharistie,  de  la  Pe'nitence  et  de  1  Ex- 
trême-Onction ;  dans  le  quatrième ,  ceux  de  l'Ordre  ,  du  Ma- 
riage ,  des  actes  humains  ,  de  la  conscience ,  des  lois  et  des 
pe'che's  ;  dans  le  cinquième,  celui  des  pre'ceptes  du  de'calogue 
et  de  l'Eglise;  dans  le  sixième,  ceux  de  la  justice  et  de  la 
restitution ,  des  contrats  et  des  censures ,  et  une  table  ge'ne'rale 
des  matières.  Ce  sont  tous  les  ouvrages  de  the'ologie  du  pre'lat, 
à  l'exception  de  la  dissertation  sur  le  sixième  pre'cepte  du 
de'calogue,  du  supple'ment  au  traite'  du  Mariage  et  de  l'ou- 
vrage qui  a  pour  titre  Traité  des  Indulgences.  M.  Bouvier  n'a 
pas  cru  non  plus  devoir  faire  entrer  dans  son  e'dition  les  traite's 
de  Dieu ,  de  la  cre'ation  et  des  anges ,  ni  celui  de  la  religion 
naturelle  ;  il  les  re'serve  pour  le  cours  de  philosophie,  dont  il 
veut  faire  une  pre'paration  à  la  the'ologie. 

Ce  cours  de  the'ologie  n'a  besoin  d'autre  recommandation 
que  le  nom  de  son  auteur.  Ses  longues  e'tndes  ,  l'expe'rience 
de  l'enseignement  et  celle  du  ministère  reçoivent  une  nouvelle 
autorite'  de  sa  dignité'  actuelle.  Les  eccle'siastiques  charge'.?  de 
l'e'dition  se  sont  attache's  à  la  rendre  digne  de  la  re'putation 
du  docte  évêque.  Ils  ont  revu  tous  les  textes  cite's  dans  l'ou- 
vrage ,  et  ont  donne'  tous  leurs  soins  à  la  correction  typo- 
graphique. —  LAmi  de  la  Religion  n"  2289. 

—  Nouveau  Cours  d'Histoire  de  France ,  depuis  les  temps  les 
plus  reculés  de  la  Gaule  Jusqu'au  règne  de  Henri  If^;  par 
A.  Mazas.  2  vol.  in-8°.  Prix  :  10  fr. ,  et  i3  fr.  franc  de  port.  Paris, 
chez  Ilivert. 

On  se  plaint  depuis  long-temps  qu'il  n'y  ait  point  d'histoire  de 
France  pour  la  jeunesse.  Les  ouvrages  qu'on  avait  sur  cette  matière 
e'taient  ou  trop  longs  ou  trop  maigres ,  ou  rédige's  dans  un  mau- 
vais esprit.  Le  Eagois  et  AUetz  sont  décrédités ,  Royon  est  partial , 


MiLA.I7GES.  199 

hostile  à  la  religion ,  et  propre  à  donner  des  idées  fausses.  L'a- 
bre'gé  en  deux  \oluraes  in-i2,  par  M.  L. ,  est  bien  fait,  et  con- 
vient à  la  première  jeunesse;  mais  il  est  un  peu  exigu  pour  les  jeu- 
nes gens  sortis  de  l'enfance,  et  qui  veulent  connaître  l'histoire  de 
leur  pays.  C'est  sans  doute  ce  qui  a  fait  naître  à  M.  Mazas  l'ide'e 
d'une  nouvelle  histoire  de  France  qui  tint  le  milieu  entre  les  abré- 
ge's  trop  courts  et  les  longues  histoires.  Or ,  sous  ce  rapport ,  son 
pian  nous  paraît  assez  bien  conçu.  L'auteur  donne  deux  volumes 
jusqu'à  Henri  IV  :  le  premier  volume  embrasse  depuis  le  commen- 
cement de  notre  histoire  jusqu'à  la  mort  de  Philippe  Auguste-,  le 
second  va  jusqu'à  la  mort  de  Henri  III.  Sans  doute,  c'est  parcou- 
rir bien  des  siècles  en  peu  de  temps  ;  mais  il  est  permis  d'être  court 
sur  les  premières  races ,  qui  n'ont  pas  pour  nous  le  même  intérêt. 
Sur  ces  époques  reculées  ,  ce  sont  les  grands  traits  qu'il  faut  saisir, 
et  c'est  à  quoi  M.  Mazas  paraît  avoir  visé. 

L'auteur  donne  quelques  notions  sur  les  temps  antiques  de  la 
Gaule  ,  sur  les  Druides ,  sur  l'invasion  des  Romains  et  sur  l'état 
du  pays  sous  leur  domination.  Il  a  un  chapitre  sur  l'établissement 
du  christianisme  dans  les  Gaules.  Ce  chapitre  embrasse  tout  le  temps 
des  perse'cutions  jusqu'à  Constantin;  il  nous  a  paru  offrir  yn  tableau 
abrège,  mais  fidèle,  de  l'histoire  de  lEglise  des  Gaules  à  cette  épo- 
que. Les  époques  de  Clovis,  de  Charlemagne ,  de  Hugues  Capet, 
de  Philippe-Auguste ,  sont  naturellement  celles  sur  lesquelles  l'auteur 
s'arrête  d'avantage.  Il  parle  convenablement  des  croisades. 

Dans  le  second  volume  ,  on  rencontre  plusieurs  règnes  remarqua- 
bles :  ceux  de  saint  Louis  ,  de  Philippe-le-Bel ,  de  Philippe-de-Va- 
lois,  de  Charles  V,  de  Charles  VI,  de  Charles  VII,  etc.  L'auteur 
peint  très-bien  saint  Louis,  Charles  V,  Louis  XII.  Ses  tableaux  de- 
viennent plus  développés  à  mesure  qu  il  se  rapproche  de  nous.  Le 
règne  de  François  I'"^  embrasse  deux  chapitres,  et  les  grands  traits 
de  ce  règne  tour  à  tour  brillant  et  malheureux  y  sont  bien  mar- 
qués ;  seulement  j'ai  été  surpris  que  l'auteur  eût  omis  de  parler  du 
concordat  avec  Léon  X,  qui  forme  un  des  principaux  événemens 
de  ce  règne. 

Son  histoire  du  protestantisme ,  de  son  introduction  en  France , 
de  la  conjuration  dAmboise,  des  menées  des  protestans ,  est  rapide, 
mais  intéressante.  Elle  fait  connaître  l'esprit  de  ces  sectaires ,  qui 
appelèrent  à  plusieurs  reprises  l'étranger  eu  France ,  et  démasque 
l'amiral  de  Coligny ,  ce  politique  ambitieux  et  habile ,  qui  fomenta 


200  qi£la5ges. 

les  troubles  dans  le  royaume ,  et  balança  pendant  dix  ans  l'autorité 

royale. 

Celte  courte  esquisse  suffira  pour  montrer  l'esprit  de  ce  cours 
d'iiistoîre.  On  ne  peut  qu'engager  l'auteur  à  le  continuer.  Il  trou- 
verait aisément ,  dans  le  règne  de  Henri  IV  et  de  ses  successeurs 
jusqu'en  i8i4,  la  matière  de  deux  volumes  qui  compléteraient  son 
cours  et  procureraient  à  la  jeunesse  une  lecture  intéressante  et  in- 
structive. —  VAmi  de  la  Religion  n°  225g. 

—  MM.  P.  J.  Godcfroy ,  A.  J.  Mocq  et  G.  J.  Labis  ,  vicaires 
généraux  capilulaires  de  Tournay  ,  ont  publié  en  date  du  3o  juil- 
let dernier  un  mandement  à  l'occasion  de  la  mort  de  Mgr.  Jean- 
Joseph  Delplancq,  dont  voici  un  extrait. 

«  C'est  sous  l'impression  de  la  plus  profonde  douleur,  et  acca- 
blés du  coup  funeste  autant  qu'inattendu  qui  vient  de  nous  frapper, 
que  nous  nous  empressons  de  remplir  auprès  de  vous  un  pénible 
et  lugubre  ministère.  Notre  ve'ne'rable  évêque ,  celui  qui  en  arrivant 
dans  ce  diocèse,  après  une  viduite  aussi  longue  que  douloureuse, 
avait  rempli  tous  les  cœurs  d'allégresse,  ce  père  si  tendre  qui  vous 
portait  tous  dans  son  cœur,  et  qui  e'tait  si  jaloux  de  la  place  qu'il 
avait  dans  le  vôtre ,  a  été  enlevé  à  la  tendresse  de  ses  enfans  dé- 
sole's.  Le  Ciel,  dont  les  desseins  sont  toujours  adorables,  même 
lorsqu'ils  sont  le  plus  rigoureux,  a  voulu  ajouter  aux  maux  qui  af- 
fligent ce  diocèse  ,  une  épreuve  plus  cruelle  encore.  Et  lorsque  nous 
goûtions  la  délicieuse  espéi^ance  de  le  voir  long-temps  gouverner  le 
troupeau  confie'  à  ses  soins  ,  les  portes  de  l'éternité  se  sont  ouver- 
tes tout-à-coup  devant  lui.  Ce  fut  le  27  juillet ,  vers  les  quatre  heu- 
res du  matin,  qu'il  termina  en  paix  sa  carrière,  après  avoir  reçu, 
avec  les  plus  édifiantes  dispositions ,  les  sacremens  de  notre  Mère 
la  Ste.  Eglise. 

»  N'en  doutez  pas,  N.  T.  C.  F.,  le  bon  pasteur  que  nous  pleu- 
rons, plein  de  vertus,  consumé  de  zèle  et  de  travaux,  avait  su  pré- 
voir le  jour  du  Seigneur.  C'était  dans  la  méditation  de  la  mort  qu'il 
puisait  les  règles  de  ce  ministère  terrible  ,  qu'il  remplissait  avec 
une  application  si  soutenue,  et  un  dévoûment  si  exemplaire.  Nous 
pouvons  bien  le  dire,  nous  qui  avons  été  les  te'moins  de  sa  con- 
stante sollicitude ,  depuis  que  la  Providence  l'a  chargé  du  gouver- 
nement du  diocèse  de  Tournay ,  ce  courageux  athlète  a  combattu 
dignement  les  combats  du  Seigneur.  Il  a  consacré  à  la  gloire  de 
Dieu  les  années  si  pleines,  mais  hélas!  si  courtes  de  son  épiscopat- 


MELANGES. 


201 


Il  a  honoré  son  ministère  par  une  foi  vive  et  inaltérable,  et  sa  re- 
ligion comme  sa  vertu  ne  se  démentirent  a  aucune  époque  de  sa 
vie.  Les  qualités  qui  caractérisaient  le  vénérable  prélat ,  sont  bien 
propres  sans  doute  à  augmenter  le  regret  de  sa  perte;  mais  pen- 
dant que  notre  amour  et  notre  reconnaissance  font  couler  nos  lar- 
mes sur  sa  tombe,  il  nous  reste,  pour  pre'cieuse  consolation,  la 
ferme  confiance  qu'ayant  plu  au  Seigneur  pendant  sa  vie ,  il  a 
été  trouvé  juste  au  tribunal  suprême  ,  et  qu'il  a  de'jà  reçu  la  cou- 
ronne de  justice ,  qui  est  le  prix  de  ses  vertus.  » 

Mf^r.  Delplancq,  le  vénérable  doyen  de  lEpiscopat  Belge  était 
né  à  Thieu  dans  le  Hainaut,  le  3o  janvier  1766.  Il  fut  nommé 
desservant  à  Ville-en-Heshaie ,  le  9  floréal  an  XL  Transfère'  delà  à 
la  cure  primaire  de  Hannut  le  26  août  1828,  il  fut  nommé  l'an- 
née suivante  e'vèque  de  Tournay  et  sacré  à  Namur  par  Mgr.  On- 
dernard  le  iS  octobre  de  la  même  année. 

—  M.  J.-B.  ToRP.iCELLi,  chanoine  de  Lugano,  connu  par  ses 
écrits  pour  la  religion  et  par  son  zèle  pour  elle ,  a  reçu  du  Saint- 
Père  une  médaille  d'or  avec  un  bref  très-honorable.  La  me'daille 
offre  l'image  de  Sa  Sainteté  ,  et  au  revers  cette  épigraphe  :  benè 
merenti.  Cette  me'daille  a  été  transmise  à  M.  Torricelli  par  Mgr. 
de  Angelis  ,  nonce  de  Sa  Sainteté'  en  Suisse. 

—  Il  fut  une  époque  où  les  journaux  vantaient  sans  cesse  les 
livres  de  M.  Biot,  de  M.  Letronne ,  de  M.  Champollion  le  jeune, 
comme  défendant  la  religion,  comme  battant  en  brèche  les  doc- 
trines des  Dupuis,  des  Volney  et  des  Fourrier  :  quand  il  fallait 
obtenir  des  places  lucratives,  cumuler  sur  une  seule  tête,  ce  qui 
pouvait  servir  à  l'existence  de  trois  ou  quatre  savans,  on  se  vantait 
de  ces  éciils,  et  l'on  priait  M.  le  baron  Cuvier  de  les  citer  dans 
son  éloquent  Discours  sur  l' Histoire  des  Résolutions  de  la  sur- 
face de  la  terre. 

Autres  temps,  autres  combinaisons.  On  a  vu  de'molir  Saint-Ger- 
main-1'Auxerrols,  demander  la  suppression  des  évêchés  ;  on  a  craint 
que  ces  ouvrages  dont  on  était  si  fier,  ne  fissent  perdre  un  jour 
ces  places  lucratives  qu'il  est  si  doux  de  posséder  5  et  dès-lors  on 
a  embrasse  de  nouvelles  théories. 

S'appuyanl  sur  la  chronologie  fabuleuse  de  Manétlion,  contraire 
à  la  Bible,  comme  la  ii  bien  prouve  le  savant  archevêque  de  Tou- 
louse ,  Mgr.  de  Bouvet ,  on  est  remonte  à  des  époques  tout-à-fait 
T.  X.  14 


202  MÉLANGES. 

inconciliables  avec  les  doctrines  de  MM.  Cuvier,  Deluc  ,  Buckland, 
et  autres  géologues  distingues  >  sur  l'e'poque ,  peu  reculée  encore, 
où  les  hommes  ont  pu  être  créés  et  placés  sur  la  terre. 

On  a  été  plus  loin,  on  a  nié  le  déluge  de  Noé ,  tel  que  le  rap- 
porte la  Bible  ,  et  négligeant  les  sublimes  passages  du  livre  de  Job  , 
où  devançant  Newton ,  il  suspend  la  terre  dans  les  espaces  que  lui 
assigna  la  volonté  de  Dieu ,  on  a  prétendu  que  la  Bible  ,  en  cela 
suivie  par  les  principaux  Pères  de  l'Eglise ,  offrait  les  erreurs  les 
plus  monstrueuses  sur  la  cosmographie  et  la  physique  du  globe  (i). 

Toujours  émule  de  M.  Letronne,  M.  Biot  a  voulu  aussi  devant 
les  académies  venir  de'fendre  cette  haute  antiquité'  des  hommes  et 
des  sciences  sur  la  terre  :  se  posant  en  contradiction  avec  ses  an- 
ciens écrits  ,  il  vient  de  lire  à  l'Acade'mie  des  inscriptions  et  à  l'Aca- 
démie des  sciences,  des  mémoires  où  il  prétend  établir  qu'environ 
33oo  ans  avant  Jésus-Christ,  il  existait  déjà  en  Egypte  toute  une 
astronomie  savante,  astronomie  encore  subsistante  en  iy8o  avant 
Jésus-Christ  (c'est-à-dire  à  l'époque  de  Joseph,  ministre  de  Pha- 
raon), et  qui  n'a  jimais  cessé  d'être  cultivc'e;  ici,  on  le  voit,  il 
suit  Manéthon  ,  et  Maaéthon,  avons-nous  dit,  est  inconciliable  avec 
la  Bible  et  avec  les  beaux  résultats  des  travaux  du  grand  Cuvier, 
des  Deluc  et  des  Buckland. 

M.  Biot  va  plus  loin  encore  ,  il  nie  qu'il  y  ait  eu  aucune  com- 
munication entre  les  Egyptiens  et  les  Chinois,  depuis  l'an  3285 
avant  Jésus-Christ.  Et  comme  il  admet  dès-lors  des  empires  puis- 
sans  et  conslitue's,  soit  en  Egypte,  soit  en  Chine,  on  voit  qu'il 
remonte  ainsi  pour  la  dispersion  des  hommes  ,  si  toutefois  il  admet 
un  centre  unique  pour  la  race  humaine,  à  plus  de  quatre  à  cinq 
mille  ans ,  avant  notre  ère  ;  ainsi  ces  travaux  se  lient  et  s'enchaî- 
nent avec  ceux  de  M.  Letronne  qui ,  au  collège  de  France ,  vient, 
publiquement  dans  son  cours,  de  nier  le  de'luge  de  Noé,  et  nous 
le  re'pétons ,  ils  renversent  tous  les  résultats  établis  avec  tant  de 
force  et  de  logique  par  le  célèbre  M.  Cuvier. 

M.  de  Paravcy,  dont  une  coterie  philosophique  étouffe  depuis 
long-temps  les  écrits  ,  et  arrête  les  travaux  par  mille  moyens 
odieux;  M.  de  Paravey  qui,  pendant  trois  mois,  se  vit  refuser  la 
communication  du  planisphère  de  Dendera ,  lorsque  ce  monument 


(i)  V.  ci-<l.    fom.  IX,  p.    339,   la  réponse  de  M-  Th.    l'oisset  à  un 
article  de  M.  Letronne. 


MÉLANGES.  203 

arriva  à  Paris,  et  à  qui  on  refuse  encore  en  ce  moment  la  commu- 
nication des  dessins  astronomiques  rapportés  récemment  d  Egypte 
par  M.  CliampoUion,  -vient  d'écrire  à  l'académie  des  sciences  qu'il 
niait  tous  les  résultats  des  travaux  actuels  de  M.  Biot,  et  qu'il  ré- 
clamait la  plus  grande  part  dans  les  anciens  écrits  publie's  par  cet 
académicien. 

Il  a  déclaré  en  même  temps  qu'il  avait  déjà  prouvé,  et  qu'il 
était  prêt  à  e'tablir  de  nouveau  l'identité  complète  de  l'astronomie 
et  des  constellations ,  chez  les  anciens  Egyptiens  et  chez  les  Chi- 
nois, qui  n'ont  fait  les  uns  et  les  autres  qu'emporter  de  la  Chaldée 
les  anciens  livres  écrits  en  hiéroglyphes ,  où  ces  re'sultals  des  tra- 
vaux des  premiers  hommes  se  trouvaient  consacres ,  comme  ils  l'é- 
taient également  sur  les  murs  en  briques  écrites  de  l'antique  Babylone. 

L'Académie  des  sciences  a  nommé  une  commission  compose'e  de 
MM.  Arago,  Poinsot  et  Gérard  ,  qui  doit  examiner  spécialement 
cette  identité  des  constellations  et  des  méthodes  astronomiques  des 
Chinois ,  des  Chaldéens  et  des  Egyptiens  j  identité  que  M,  Biot  re- 
fuse d'admettre. 

Et  quand  M.  Guizot,  averti  par  la  clameur  publique,  lui  aura 
enfin  permis  de  voir  les  dessins  de  M.  Champollion  ,  sur  lesquels 
M.  Biot  s'appuie ,  dessins  astronomiques  de  la  plus  haute  îrapor'- 
tance ,  M.  de  Paravey  se  fait  fort  d'e'tablir  que  ces  monumens  eux- 
mêmes  ne  remontent  pas  avant  l'époque  de  Joseph,  e'poque  où  lE- 
gypte  commença  seulement  à  devenir  puissante  :  ce  qui  fait  que  le 
canal  du  Fayoum,  le  puits  du  Caire,  les  Pyramides  elles-mêmes  sont 
attribués,  en  Egypte,  à  Joseph  et  nullement  à  tout  autre  Pharaon 
antérieur. 

La  voix  du  peuple  est  partout  celle  de  la  vérité  :  dans  la  Babylo- 
nie,  c'est  à  Nemrod,  à  Se'miramis,  àNinus,  que  tous  les  monumens 
antiques  sont  attribués  ;  en  Egypte ,  c'est  à  Joseph ,  et  les  psaumes 
de  David  nous  le  peignent  en  effet  comme  enseignant  les  sciences 
aux  sages  de  l'Egypte  :  dans  les  Gaules ,  nous  voyons  partout , 
comme  sur  le  Rhin,  les  monumens  antiques  attribués  à  César,  et 
nous  savons ,  en  effet ,  que  César  et  les  autres  Césars ,  ses  succes- 
seurs ,  ont  les  premiers  civilisé  la  Gaule,  y  ont  construit  des  camps, 
des  villes,  de  vastes  palais. 

Dans  deux  mille  ans  d'ici,  le  voyageur  qui  traversera  les  Alpes, 
apprendra  des  simples  paysans  de  ces  contrées  que  ces  routes  faci- 
les ,  qui  les  traversent ,  ont  clé  faites  par  les  Français ,  et  com- 
mande'es  par  Bonaparte. 


204  MÉLANGES. 

Ces  souvenirs  des  peuples  sont  des  me'dailles,  et  MM.  Biot,  Le- 
troune  et  CbampoUion  eussent  dû  les  consulter  avant  de  renouveler 
les  idées  de  MM.  Fourier ,  Dupuis  et  Volney;  ide'es  que  M.  Fourier 
lui-même  avait  abandonnées  dans  les  dernières  années  de  sa  vie. — 
Extr.  de  r  Univers  Religieux. 

—  La  lettre  suivante  a  été  adressée  par  M.  l'abbé  Gerbet  à  Mgr. 
l'Archevêque  de  Paris. 

Trelon  par  Avesnes  (Nord),  19  juillet  i834. 

«  Monseigneur ,  me  trouvant  en  ce  moment  loin  de  Paris  ,  je  viens 
seulement  d'avoir  connaissance ,  par  la  voie  des  journaux ,  de  la  nou- 
velle Lettre  encyclique  de  S.  S.  Grégoire  XVI ,  en  date  du  25  juin 
dernier. 

n  Comme  cette  Encyclique,  outre  son  objet  principal,  renferme  un 
passage  dirigé  contre  un  système  de  philosophie  soutenu  dans  quelques- 
uns  de  mes  écrits ,  elle  m'impose  par-là  même  un  devoir  particulier  que 
je  m'empresse  d'accomplir.  En  conséquence,  je  déclare  adhérer  unique- 
ment et  absolument,  sans  séparation  ni  réserve,  à  la  doctrine  promul- 
guée par  cet  acte  du  Souverain  -  Pontife  ,  improuvant  tout  ce  qu'il  im- 
prouve, condamnant  tout  ce  qu'il  condamne,  et  déterminé  à  ne  rien 
écrire  et  à  n'approuver  rien  qui  soit  contraire   à  celte  doctrine. 

31  Vous  savez,  Monseigneur,  que  ces  dispositions  ne  sont  pas  nou- 
velles d:ins  mon  cœur.  Mais  si,  pour  entrer  dans  ces  scnlimens ,  j'avais 
eu  besoin  d'un  puissant  exemple  ,  je  l'aurais  trouvé  tout  près  de  moi. 
Je  visite  en  ce  moment  des  lieux  pleins  des  souvenirs  de  Fénelon  5  il 
n'y  a  point  de  présomption  à  vouloir  suivre  ses  traces  dans  l'obéissance 
dont  la  grâce  de  Dieu  applanit  la  route. 

»  Veuillez  me  permettre,  INIonseigneur ,  d'user  encore  de  votre  entre- 
mise pour  faire  parvenir  au  Saint-Siège  ma  déclaration.  Je  désire  égale- 
ment que  ce  témoignage  de  ma  soumission  reçoive  toute  la  publicité 
nécessa'ire.  S'il  peut  contribuer  à  entretenir  dans  quelques  esprits  l'o- 
béissance due  à  l'autorité  divine  dont  le  vicaire  de  Jésus-Christ  est 
dépositaire  ,  ce  sera  pour  moi  uue  vraie  consolation  parmi  les  tristesses 
du  temps  présent.  L'Eglise  est  au-dessus  de  tout  dans  mon  cœur. 

I)  J"ai  l'honneur  d'être  ,  avec  le  plus  profond  respect ,  Monseigneur, 
votre  très-humble  et  très-obéissant  serviteur ,  Ph.  Gerbet. 

Réponse  de  M.  l'Archevêque. 

Paris,  le  24  août  i834- 

«  Monsieur  l'Abbé  ,  j'étais  à  la  campagne  lorsque  votre  lettre  du 
19  juillet  m'est  parvenue.  Aussitôt  qu'il  m'a  été  possible  ,  j'ai  pris  , 
selon  vos  désirs  ,  les  moyens  de  faire  arriver  à  Sa  Sainteté  l'expression 
de  vos  sentimens  au  sujet  de  la  nouvelle  Lettre  encyclique.  Son  cœur 
en  éprouvera  de  la  consolation.  Je  ne  vous  dis  pas,  je  ne  saurais  vous 
dire  combien  j'en  ai  éprouvé  moi-même  en  recevant  ce  témoignage  de 
votre  persévérance  dans  la  soumission  de  votre  esprit  et  de  votre  cœur 
aux  doctrines  enseignées  par  le  chef  des  docteurs.  Avec  cette  disposi- 
tion catholique,  on  marche  d'un  pas  ferme  et  assuré  dans  la  voie  de 
toute  science  j  sans  elle  les  plus  beaux  génies  ne  peuvent  faire  que  de 
tristes  naufrages. 

»  Recevez  ,  Monsieur  l'Abbé  ,  l'assurance  du  très-sincère  attachement 
avec  lequel  je  suis  votre  très-humble  et  très-dévoué  serviteur, 

»  •{•  Hkacintue,  Archevêque  de  Paris.  » 


S\v  pPu.^  tXiwieUi)  ^ctiirtit.^  c\'   jt\>iuvCTuû>t. 


205 

VVVWV«VVVVVVVVVVVV%>VVVVVVVVV%AfVVV\A'VVV%tAA.V\IV%A/VVVVtA/VVV\VVVVVVvvVVV^VV^ 

RECHERCHES 
SUR  LA  PERSONNE  DE   JÉSUS-CHRIST , 

ET 

SUR  LES  PLUS  ANCIENS  PORTRAITS  QUI  LE  REPRÉSENTENT. 


Lettre  d'Abgare  ,  roi  d'Edesse ,  à  J.-C. ,  et  réponse  de  Jésus  à  Abgare. 
—  De  l'image  miraculeuse  d'Edesse.  —  De  la  statue  érigée  à  J.-C. 
par  rHémorroïsse.  —  Lettre  du  P.  Lcntulus  sur  la  personne  de  J.-C. 
Portrait  de  J.-C.  d'après  Nicéphore  Calliste.  —  De  quelques  autres 
portraits,  saintes-faces,  larmes  et  sang  de  J.-C. —  D'un  portrait  re- 
présentant Jésus  dans  sa  jeunesse.  —  Médaille  juive  de  J.-C. — Portrait 
en  buste  de  J.-C. ,  tiré  des  catacombes  de  Rouie.  —  Premières  mon- 
naies chrétiennes  frappées  à  reflîgie  de  J.-C. 

Ce  n'est  pas  un  des  traits  les  moins  extraordinaires  de  nos 
e'vange'listes,  qui  nous  parlent  avec  tant  de  soin  et  de  de'tail 
des  moindres  actions  et  des  points  les  plus  minutieux ,  en  ap- 
parence, de  la  doctrine  de  leur  divin  Maître,  que  de  voir  qu'ils 
ne  nous  disent  pas  un  seul  mot  de  sa  personne ,  de  sa  pliy- 
sionomie ,  de  la  forme,  en  un  mot,  sous  laquelle  le  Verbe- 
Dieu  a  paru  en  ce  monde.  C'est  qu'aussi  l'Evangile  n'est  pas 
un  livre  comme  un  autre  :  ceux  qui  ont  e'crit  ce  livre,  en 
nous  racontant  la  vie  d'un  homme,  ont  e'te' tellement  aijsorbe's 
par  la  pense'e  que  cet  homme  est  Dieu  ,  qu'ils  semblent  n'a- 
voir pas  fait  attention  à  sa  forme  corporelle.  Et,  en  effet,  on 
ne  s'occupe  dans  ce  livre  que  du  monde  ce'lestej  ou,  s'il  est 
parle'  de  ce  monde  terrestre  ,  c'est  dans  ses  rapports  avec  le 
monde  futur.  Quand  on  croit  fermement  que  Dieu  est  là,  com- 
ment s'occuper  de  l'homme,  de  son  enveloppe  matérielle?  Ils 
ne  nous  ont  donc  rien  dit  des  traits  de  sa  personne. 

Cependant  il  n'est  pas  permis  de  supposer  que  les  premiers 
chre'tiens,  qui  n'avaient  pas  eu  le  bonheur  de  contempler  les 
traits  de  Jc'sus  ,  ne  se  soient  pas  adresses  aux.  apôtres  et  anx 
T.  X.  15 


208  RECHERCHES  SUR  LA  PERSONNE 

disciples  ,  et  ne  leur  aient  fait  de  nombreuses  questions  sur 
les  traits  extérieurs  de  la  personne  du  Sauveur.  Il  n'est  pas 
douteux  non  plus  que  les  apôtres  et  les  disciples  n'aient  ré- 
pondu avec  bienveillance  et  de'tail  à  ces  demandes,  et  qu'ainsi 
la  tradition  ait  pu  conserver  ,  sinon  entière  et  parfaite ,  la  fi- 
gure du  Christ ,  du  moins  les  principaux  traits  de  sa  personne 
et  de  son  visage. 

Aussi  sommes-nous  assare's  d'excitey  vivement  la  sympathie 
de  nos  lecteurs,  en  recueillant  ici,  dans  un  seul  article,  quel- 
ques traits  de  sa  vie ,  qui  n'ont  pas  e'te'  cite's  par  les  e'vangë- 
listes ,  et  les  traditions  consacrées  dans  les  difTe'rentes  églises 
sur  sa  personne  et  les  traits  de  son  visage. 

Quoique  la  plupart  de  ces  de'tails  ne  soient  pas  d'une  au- 
thenticité' absolue  ,  cependant  ils  sont  respectables  ,  parce 
qu'ils  peuvent  être  vrais  ,  on  au  moins  nous  font  connaître 
ce  que  l'on  a  pense'  dans  les  diffe'rens  temps  de  la  personne 
du  Sauveur. 

LETTRE    d'aBOARE,    ROI    d'ÉDESSE,    A    jÉSUS-CHRlST ,    ET    REPONSE 
DE    JÉSUS-CHRIST    A    ABGARE. 

Noos  allons  d'abord  citer  ces  deux  lettres  si  curieuses.  Nous 
ferons  ensuite  connaître  les  difTe'rentes  opinions  qui  ont  cours 
parmi  les  savans  sur  la  foi  qu'on  peut  y  ajouter. 

Abgare  e'tait  un  roi  d'Edesse ,  ville  au-delà  de  l'Euphrate  , 
en  Mésopotamie.  Depuis  long-temps  il  était  affligé  d'une  tna- 
ladie  fâcheuse  et  incurable  (i);  le  bruit  des  miracles  de  Jésus- 
Christ,  qui,  suivant  les  évangélistes  ,  s'était  répandu  dans  toute 
la  Syrie  (2),  arriva  jusqu'à  lui.  Alors  il  prit  le  parti  d'écrire 
à  Jésus,  pour  le  prier  de  venir  le  guérir.  Voici  la  traduction 
de  cette  lettre  : 


(i)  Selon    Procope  ,  de   bello   Persico  ,    c'était  la   goutte;    Cédrcne 
p.  145  ,  y  ajoute  la  lèpre  noire. 

(2)  Et  abiit  opinio  ejus  in  totam  Syriam,  S.  Math,  ch,  iv,  v.  24- 


ET    LES    PORTRAITS    DE    JÉSUS-GHRIST.  207 

Copie  de  la  lettre  écrite  par  le  roi  ALgare  à  Je'sus,  et  en- 
voye'e  à  Je'rusalem  ])ar  un  courrier  nomme'  Ananias. 

«  Abgare,  fiJs  cl'UcLanias,  Toparqae,  à  Je'sus,  sauveur  plein 
»  de  bonté  ,  que  Ion  a  va  dans  les  environs  de  Je'rusalem  , 
»  salut  :  J'ai  appris  que  vous  rendez  la  santé'  aux  malades  sans 
M  employer  ni  remèdes,  ni  simples  ,  et  que  d'un  seul  mot  vous 
»  faites  que  les  aveugles  voient ,  les  boiteux  marchent  droit  ; 
»  vous  purifiez  les  le'preux  ;  vous  chassez  les  de'mons  et  les 
»  esprits  immondes  ;  vous  guérissez  les  maladies  inve'te're'es  , 
»  et  vous  ressuscitez  les  morts.  Etant  instruit  de  ces  merveil- 
»  les,  je  ne  fais  aucune  difficulté'  de  croire  l'une  de  ces  deux 
»  choses  :  ou  vous  êtes  un  Dieu  descendu  du  ciel  pour  ope'rer 
»  ces  prodiges;  ou  vous  êtes  le  Fils  de  Dieu,  qui  les  faites. 
»  C'est  pourquoi  je  vous  prie  par  cette  lettre  de  prendre  la 
»  peine  de  venir  chez  moi  ,  et  de  me  gue'rir  de  la  maladie 
»  dont  je  suis  affecté  depuis  long-temps.  Je  sais  que  les  Juifs 
»  murmurent  contre  vous,  et  qu'ils  veulent  vous  perse'cuterj 
»  ma  ville,  quoique  petite,  est  assez  agre'able;  elle  suffira  pour 
)>   nous  deux  (i).  » 

Je'sas  reçut  cette  lettre,  mais  il  n'alla  point  a  Edesse  ;  il  fît 
à  Abgare  la  réponse  suivante  : 

Copie  de  la  réponse  faite  par  Jésus-Christ  à  Abgare  ,  et  en- 
voyée par  le  même  courrier  Ananias. 

(i)  Exemplar  epistolœ  scriptae  à  rcge  Abgaro  ad  Jesum  ,  et  inissœ 
ad  Hierosoljmam   per  Ananiam  cursorcm. 

»  Abgarus ,  Uchanise  filius  ,  Toparcha  ,  Jesu  salvatori  bono  qui  apparuit 
in  locis  Hierosolymorum  ,  salutem.  Auclilum  mihi  est  de  te  et  de  sani- 
tatibus  quas  facis ,  quod  sine  medicamcntis  aul  herbis  fiant  ista  per  te, 
et  quod  verbo  tantum  cœcos  facis  videre  ,  et  claudos  ainbularc ,  et  le- 
prosos  mundas ,  et  immundos  spiritus  ac  daemones  ejicis ,  et  eos  qui  è 
longis  œgrifudinibus  afilictanlur  curas  et  sanas,  raortuos  quoque  suscitas. 
Quibus  omnibus  auditis  de  te,  statui  in  anime  meo  unum  esse  è  duo- 
bus  ,  aut  quia  tu  sis  Deus  et  descenderis  de  cœlo  ut  hnec  facias ,  aut 
quod  filius  Dei  sis  qui  hœc  facis.  Propterea  eigo  scribens  rogaverim 
te  ut  digneris  usque  ad  me  fatigari ,  et  œgritudineni  mea/n  quâ  jam  diù 
laboro  ,  curare.  Nam  et  illud  comperi  quod  Jud;ci  murmurant  advcrsùm 
le,  et  voluiit  tibi  insidiari.  Est  autem  civitas  mibi  parva  quidcm  scdlio. 
nesta ,  quœ  sufïiciat  ulrique.  h 

15. 


208  RECHERCHES  SDR  L\  PERSONNE 

<(  Voas  êtes  lieureax ,  ô  Aîjgare  ,  d'avoir  cra  en  moi  sans 
»)  m'avoir  va.  Car  c'est  de  moi  qu'il  est  e'crit  que  ceux  qui 
»  m'auront  vu  ne  croiront  pas  en  moi ,  et  que  ceux  qui  ne 
»  m'auront  point  vu  croiront  et  recevront  la  vie.  Quant  à  ce 
»  que  vous  me  mandez  d'aller  vous  trouver,  il  faut  que  j'ac- 
»)  complisse  ici  toutes  les  choses  pour  lesquelles  j'ai  e'té  en- 
»  voye';  ensuite  je  retournerai  vers  celui  qui  m'a  envoyé;  et 
n  lorsque  j'y  serai  retourne',  je  vous  enverrai  l'un  tle  mes  dis- 
1»  ciples,  afin  qu'il  vous  guérisse  de  votre  maladie,  et  qu'il 
»    vous  donne  la  vie  à  vous  et  à  ceux  qui  sont  avec  vous  (i).  » 

Examinons  maintenant  la  foi  que  méritent  ces  deux  lettres. 
L'auteur  qui  nous  les  a  conservées  est  Eusèbe ,  évêque  de  Cé- 
sarée  en  Palestine,  vivant  vei's  le  milieu  du  iv°  siècle,  l'un 
des  hommes  les  plus  éclairés  et  les  plus  érudits  de  son  temps; 
il  les  a  insérées  dans  son  histoire  ecclésiastique  (2),  et  annonce 
les  avoir  tirées  des  archives;  publiques  de  la  ville  d'Edesse ,  oh 
elles  se  trouvaient  en  syriaque.  Saint-Ephrem,  le  Syrien,  dia- 
cre de  cette  même  ville  d'Edesse  vers  l'an  S^g,  homme  dis- 
tingué par  son  esprit  et  par  sa  vertu,  parle  de  celte  histoire 
comme  d'une  chose  reçue  de  son  temps ,  de  tout  le  monde  , 
et  sans  aucune  difliculté. 

Ea  effet ,  plusieurs  auteurs  ecclésiastiques  de  cette  époque 
en  font  éj^alement  mention.  Ou  peut  citer  entre  autres  ,  le 
comte  Darius,  dans  une  lettre  à  saint  Augustin,  Procope , 
Et>agre,  saint  Jean  Damascène ,  saint  Tliéodore-le-lecteur ,  et 


(i)  Exemplum  rescripti  ab  Jesu  per  Ananiam  cursorem  ad  Abgarum. 
a  Beatus  es  quia  crediJisli  in  me  cùm  ipse  me  non  videris.  Scriptum 
est  enira  de  me  quia  hi  qui  me  vident  non  credent  in  me,  et  qui  non 
vident  me  ipsi  credent  et  vivent.  De  eo  aulem  quod  scripsisti  milii  ut 
veniam  ad  te  ,  opportet  me  omnia  propter  quœ  missus  sum  hùc  ex- 
plere  ,  et  postcaquara  complevero ,  recipi  ad  aura  à  quo  missus  sum. 
Cùm  ergo  fuero  assuraptus ,  mittam  tibi  aliquem  ex  discipulis  meis  ut 
curet  œgritudinem  tuam,  et  vitam  tibi  atque  his  qui  tecum  sunt  prae- 
stet.  11  —  Cette  traduction  latine  est  de  Rufln,  qui  l'a  traduite  du  grec 
d'Eusèbe. 
(a)  Livre  i ,  ch.  1 3. 


ET    LES    PORTRAITS    DE    JESUS-CHRIST.  209 

beaiicoap  d'autres  anciens  auteurs  qui  ne  font  aucune  difficulté 
de  reconnaître  ces  lettres  pour  authentiques. 

Vers  ces  derniers  temps,  pins  d  une  controverse  s'est  éleve'e 
à  l'occasion  de  ces  lettres  :  le  P.  Noël  Alexandre,  le  critique 
Dupin  et  plusieurs  autres  auteurs  catholiques,  les  ont  regar- 
de'es  comme  non  authentiques.  Le  Nain  de  Tillemont,  criti- 
que non  moins  ce'lèbre,  croit  cette  correspondance  ve'ritahle. 
C'est  aussi  le  sentiment  de  l'abbé  Bergier.  «  On  ne  fonde  sur 
»  ce  monument,  dit  ce  théologien,  aucun  fait,  aucun  dogme, 
3»  aucun  point  de  morale;  et  c'est  pour  cela  même  qu'il  ne 
3>  paraît  pas  probable  que  l'on  ait  fait  une  supercherie  sans 
j>   motifs  (i),  » 

Il  faut  en  eifet  convenir,  dit  un  auteur  distingué  (2),  que 
si  cette  lettre  a  été  fabriquée  ,  le  faussaire  n'a  pas  été  mala- 
droit, car  il  n'y  a  aucune  expression  qui  ne  convienne  parfai- 
tement au  caractère  ,  à  l'esprit  et  à  la  position  du  Sauveur  j 
bien  plus,  il  est  prouvé  que  la  promesse  faite  par  Jésus  à  Ab- 
gare  a  reçu  son  accomplissement.  Lorsqu'il  fut  monté  au  ciel, 
saint  Thomas,  l'un  des  apôtres,  envoya  par  son  ordre  à  Edesse, 
Thadée ,  l'un  des  soixante  douze  disciples.  Celui-ci  y  guérit  le 
roi,  y  opéra  grand  nombre  de  miracles,  et  y  établit  si  bien 
l'Evangile,  qu'Edesse,  comme  on  le  voit  dans  l'histoire  ecclé- 
siastique, se  distingua  plusieurs  siècles  de  suite  par  la  foi  et 
par  la  piété  de  ses  princes  et  de  ses  habitans. 

DE  l'image  miraculeuse  d'édesse. 

A  la  lettre  que  nous  venons  de  citer  du  roi  Abgare  ,  se  rat- 
tache l'histoire  d'un  portrait  dit  Vlinage  miraculeuse  cVEdesse^ 
ou  Portrait  de  Jésus-Christ  peint  par  lui-même.  On  dit  en  elfet 


(1)  Dictionnaire  de  Théologie,  au  mot  Abgare. 

(2)  M.  Peignot ,  tlans  son  ouvrage  intitulé  Recherches  historiques  sur 
la  personne  de  Jésus-Christ  et  sur  celle  de  Marie,  in-S"  ,  prix  4  f*"- 5 
à  Dijon  ,  chez  Lagier.  C'est  dans  cet  ouvrage  que  nous  avons  puisé  la 
plupart  des  détails  que  nous  cousignons  ici. 


210  RECHERCHES  SUR  LA.  PERSONNE 

qu'Abgare,  affligé  ([ue  le  Sauveur  n'eût  pu  venir  le  voir,  en- 
voya à  Jérusalem  un  peintre  chargé  de  faire  sou  portrait.  Mais 
ce  peintre  n'ayant  pu  venir  à  bout  de  son  dessein,  empêclié 
qu'il  était  par  leclat  brillant  qui  sortait  du  visage  de  Jésus,  le 
Sauveur  prit  la  toile  sur  laquelle  le  peintre  travaillait,  la  trempa 
dans  l'eau,  et  l'ayant  appliquée  sur  sa  figure,  les  traits  de  son 
■visage  y  furent  miraculeusement  empreints.  Ce  portrait,  trans- 
porté à  Edesse ,  y  aurait,  d'après  Evagre ,  historien  du  v''  siè- 
cle ,  saavé  la  ville  assiégée  par  Cosroës ,  roi  des  Perses ,  et  y 
aurait  été  conservée  Jusqu'en  l'année  944  de  Jésus- Christ , 
époque,  où  l'émir  d'Edesse  la  céda  à  l'empereur  romain  Lé- 
capène  ,  qui  la  fit  venir  à  Constantinople  ,  oti  elle  arriva  le 
16  août  944-  Nous  ne  raconterons  pas  plus  au  long  1  histoire  de 
cette  image  ,  parce  que  la  plupart  des  auteurs  conviennent  que 
plusieurs  circonstances  au  moins  sont  falsifiées  (i). 

DE    LA    STATUE    ÉRIGÉE    A    JESUS-CHRIST    PAR    l'hÉMORROÏSSE. 

Trois  évangélistes  (2)  nous  apprennent  qu'une  femme,  tour- 
mentée pendant  douze  ans  par  nn  flux  de  sang  rebelle  jusqu'a- 
lors à  tous  les  efforts  de  la  médecine  ,  se  glissa  dans  la  foule 
qui  suivait  Jésus  ,  et  qu'ayant  seulement  touché  la  frange  ou 
vêlement  du  Sauveur,  elle  fut  guérie  à  l'instant  :  votre  J'ai 
vow;  a  sauuée  ,  lui  dit  Jésus.  C'est  là  tout  ce  que  l'évangile 
nous  dit  sur  ce  fait  :  mais  la  tradition  et  l'histoire  ont  parlé 
d'une  statue  que  cette  même  femme  fit  ériger  en  l'honneur  de 
Jésus-Christ,  pour  lui  témoigner  sa  reconnaissance  du  bien- 
fait qu'elle  en  avait  reçu.  Nous  allons  faire  une  revue  succincte 
des  écrivains  qui  nous  ont  transmis  des  détails  à  ce  sujet. 

Eusèbe  deCésarée,  mort  en  338,  nous  dit  (3)  que  l'Hémor- 


(i)  Ceux  qui  voudront  de  plus  grands  détails  les  trouveront  dans  les 
Recherches  liisforicjues  sur  la  personne  de  Jésus-Christ  j  p.  49  >  ^t  dans 
Fleury  ,  histoire  ecclésiastique ,  liv.  LV,  parag.  3o. 

(2)  S.  Math.  IX,  20.  —  S.  Marc ,  v,  25.  —  S.  Luc  ,  vui,  43- 

(3)  Histoire  ecclésiastique  j  lib.  vni,  ch.  18. 


ET    LES    PORTRAITS    DE    JÉSUS-GHRIST.  211 

roïsse  gaérie  par  Jesus-Christ,  habitait  la  ville  de  Pane'ade  , 
et  que  l'on  voyait  devant  la  façade  de  sa  maison ,  au  pied 
d'une  fontaine  ,  deux  statues  d'airain  ,  l'une  la  représentant 
elle-même  dans  une  attitude  suppliante  ,  et  l'autre  repre'sen- 
tant  le.  Sauveur  ,  debout,  enveloppe'  dans  un  manteau,  et  lui 
tendant  la  main.  On  a  ignore'  pendant  long-temps,  continue- 
t-il ,  à  quel  propos  cette  statue  avait  e'te'  e'rige'e,  et  même  qui 
elle  repre'sentait ,  parce  que  ce  monument  e'tait  à  moitié'  cou- 
vert de  ruines  et  de  terre;  mais  enfin  on  a  de'couvert  la  base, 
et  l'on  y  a  trouve'  une  inscription  ,  portant  Ihistoire  de  son 
e'rection  et  le  nom  de  Jésus-Christ,  comme  e'tant  celui  qn^elle 
représentait.  Eusèbe  dit  ensuite  qu'il  a  vu  lui-même  cette  sta- 
tue ,  faite  selon  la  ressemblance  de  la  Jigure  de  Jésus  ,  et 
cela,  continue-til  ,  n'a  rien  de  surprenant,  puisque,  de  son 
temps  l'on  voyait  beaucoup  de  tableaux  et  de  dessins  repre'sen- 
tant  les  apôtres  Pierre  et  Paul ,  et  même  le  Sauveur. 

Aste'rius  ,  e'vêque  d'Amase'e  ,  dont  plusieurs  e'crits  ont  e'té 
conservés  par  Pliotius  (i),  parle  aussi  de  celte  statue  en  ces 
termes  : 

«  Cette  statue  a  subsisté  long-temps  ,  pour  la  réfutation  de 
ceux  qui  osaient  accuser  les  apôtres  de  mensonge ,  et  elle  sub- 
sisterait encore  de  nos  jours ,  si  Maximin  ,  qui  fut  empereur 
avant  Constantin ,  adorateur  impie  des  idoles  ,  voulant  persé- 
cuter le  Christ  dans  le  monument  qui  le  représentait ,  n^eiit 
fait  enlever  cette  statue  d'airain,  quoiqu'il  n'ait  pu  faire  dis- 
paraître le  souvenir  de  ce  fait.  » 

Cependant  la  statue  n'avait  pas  été  détruite  ;  aussi ,  dit  cet 
auteur,  fut-elle  recherchée  dans  la  suite,  et  placée  dans  la 
sacristie  de  l'église  {in  diaconico  ecclcsiœ)  ;  mais  elle  en  fut 
tirée  du  temps  de  Julien  l'apostat,  traînée  sur  la  place  publi- 
que et  brisée  (2). 


(1)  Voir  son  Mjrriobihlon  ,   cod.  2ji,    clans    sa   Bibliolheca,  in-fol.  , 
p.  15—17. 

(2)  Voir  aussi  Soznrnène ,  1.  v,  ch.  21.  —  Pliilostorge ;   lib.  vu,  ch.  3. 
—  Uaucluariutn  novuni  de  Combefis,  t.  i,  p.  2G4 ,  —  et  Jac.  Godeti'oy, 


212  RECHERCHES    SUR    LA    PERSONNE 

Comme  Fleury  raconte  ce  fait  avec  quelques  autres  circon- 
stauces  ,  nous  allons  faire  connaître  ce  qu'il  en  dit  (i). 

«  Julien  (jie'  en  33 1  ,  mort  en  363),  fit  abattre  ,  dit  il,  cette 
statue  et  mettre  la  sienne  à  sa  place  ;  mais  la  foudre  tomba 
sur  celle-ci  avec  tant  de  violence,  qu'elle  la  coupa  par  le  mi- 
lieu du  corps,  lui  abattit  la  tête  et  l'enfonça  le  visage  en-des- 
sous. Elle  demeura  ainsi  noircie  de  la  foudre  ,  et  s'y  voyait 
encore  au  temps  de  Sozomène  (  mort  vers  4^0  ).  Quant  à  la 
statue  de  Je'sus-Clirist ,  les  païens  la  traînèrent  dans  la  ville 
par  les  pieds  et  la  brisèrent.  Mais  les  Clire'tiens  la  recueillirent 
et  la  mii'ent  dans  l'e'glise ,  où  on  la  gardait  encore  du  même 
temps  de  Sozomène.  Il  est  vrai  qu'elle  n'e'tait  que  dans  la  dia- 
conie  ou  sacristie,  et  qu'on  ne  l'adorait  pas,  parce  que,  dit 
Philostorge,  il  n'est  pas  permis  d'adorer  du  bronze  ni  d'antres 
matières.  Mais  on  la  conservait  avec  la  biense'ance  convenable, 
pour  la  montrer  a  ceux  qui  venaient  la  voir  par  de'votion. 
Quelques  particuliers  conservèrent  soigneusement  la  tête  qui 
s'e'tait  se'parée  du  corps  de  la  statue  comme  on  la  traînait. 

Un  auteur,  Jean  d'Antiocbe  (2),  nomme  cette  femme  Fé- 
ronique ,  et  rapporte  en  entier  la  requête  qu'elle  pre'senta  à 
Herode,  pour  obtenir  la  permission  d'élever  celte  statue.  Après 
quelques  louanges  adresse'es  à  ce  roi,  cette  femme  y  racontait 
i'bistoire  de  sa  gue'rison  ;  elle  e'tait,  dit-elle,  afflige'e  de  celte 
maladie  depuis  son  enfance;  pour  le  reste,  son  re'cit  est  con- 
forme à  celui  de  l'Evangile,  et  elle  finit,  en  priant  He'rode 
de  lui  permettre  d'e'lever  une  statue  à  son  sauveur  et  bienfaiteur. 

Cet  He'rode,  second  du  nom,  et  père  de  Philippe,  celui  qui 
avait  fait  trancher  la  tête  a  saint  Jean-Baptiste,  accueillit  gra- 
cieusement la  demande  de  Véronique ,  et  lui  fit,  d'après  Jean 
d'Antioche ,  la  re'ponse  suivante  : 


ad  Philostorg.  ^  p.  276.  — Theophilactc ,  in  Lucam ,  fait  aussi  mention 
de  cette  statue. 

(i)  Histoire  ecclésiastique,   lib.  xv,  n»  20. 

(2)  Dit  aussi   Jean   Malala]  voii*   la  Chronographia ,  Oxonii ,   1691 
in-80 ,  p.  3o5. 


ET    LES    PORTRAITS    DE    JESUS-CHRIST.  213 

a  Femme  ,  la  gue'rison  qui  a  e'té  ope're'e  sur  von  s  est  assu- 
»  re'ment  digne  d'un  beau  monument.  Allez  ;  e'n'gez  à  votre 
i>  sauveur  la  statue  que  vous  lui  destinez  ,  et  rendez  ainsi  à 
»  celui  qui  vous  a  gue'rie  l'honneur  que  vous  voulez  lui 
»   rendre.   » 

J'ai  trouve'  cette  statue  ,  ajoute  Jean  d'Antioclie  ,  dans  la 
ville  de  Pane'ade,  chez  un  certain  Bassus,  qui  de  juif  s'e'tait 
fait  chre'tien. 

LETTRE     DE     P.  LENTULIJS     SUR    LA     PERSONNE     DE     jÉSUS-GHRIST. 

L'antiquité'  eccle'siastique  n  a  point  fait  mention  de  celte  let- 
tre ;  ce  n'est  que  vers  le  i4*  ou  le  i5«  siècle  qu'elle  a  c'te'  pu- 
blie'e  et  cite'e;  il  est  donc  probable  qu'elle  a  e'te'  invente'e  par 
quelque  auteur  du  moyen-âge,  qui ,  encore,  n'a  pas  frit  grande 
preuve  d'habilete'. 

Nous  allons  d'abord  donner  quelques  renseignemens  sur 
son  origine  et  sur  son  authenticité' j  nous  la  ferons  connaître 
ensuite. 

Il  existait  dans  la  bibliotbèque  d'Ie'na  un  manuscrit  des  e'van- 
giles,  exe'cule'  dans  le  i5"  siècle,  en  tête  duquel  on  lisait  : 

«  On  assure  qu'au  temps  de  Ce'sar  Octave,  Publius  Lentu- 
lus,  proconsul  en  Judée,  sous  le  roi  He'rode ,  e'crivit  aux 
se'nateurs  romains  la  lettre  suivante,  qui  fut  trouve'e  plus  lard 
par  Eutrope ,  dans  les  Annales  de  Rome.  »> 

Venait  ensuite   la  lettre,  e'crite  en  belles  lettres  d'or. 

S'il  faut  s'en  rapporter  à  ce  texte  ,  la  non-authenticite'  de 
celte  lettre  n'est  pas  douteuse.  En  effet  ,  ce  Publius  Lentulus 
n'est  point  connu  dans  l'histoire ,  et  c'est  à  tort  qu'on  nous  le 
pre'sente  comme  proconsul  ,  et  ayant  exerce  les  fonctions  de 
gouverneur  en  Jude'e  ,  avant  Ponce-Pilale.  —  C'e'tait  Vale'rius 
Gratus  qui  remplissait  alors  ces  fonctions,  ou  ,  pour  parler  plus 
exactement ,  les  fonctions  de  procurateur  de  la  Jude'e.  Gratus 
fut  envoyé'  dans  ce  pays  l'an  i5  de  l'ère  vulgaire.  — Pilate  lui 
succe'da  l'an  Ci6 ,  et  y  exerça  cet  emploi  jusqu'en  l'an  38  ,  cinq 
ans  à-peu-près  après  la  mort  de  Je'sus ,  époque  où  il  fut  de'- 
nonc^,  jugé  et  condamné  à  l'exil. — Il  eut  ensuite  pour  suc- 


214  RECHERCHES    SUR    LA.    PERSONNE 

cesseur  Marcellas.  —  On  voit  donc  qu'il  n'est  nallement  parlé 
(îe  Lentulus. 

Quant  à  cet  Eutrope,  que  l'on  dit  avoir  recueilli  cette  lettre 
dans  les  archives  du  se'nat,  son  existence  n'est  pas  plus  connue 
que  celle  de  Lentulus.  Suivant  les  uns,  ce  serait  Vabréi^iateiir 
de  P Histoire  romaine  (  ue'  vers  l'an  3io,  et  mort  vers  Sgo  ), 
que  l'on  a  voulu  faire  passer  pour  chre'tien ,  parce  qu'il  a  dit 
que  Julien  avait  perse'cute'  le  christianisme,  mais  sans  verser 
de  sang.  Suivant  d'autres ,  ce  serait  un  Eutrope ,  disciple  d'un 
certain  Ahdias,  que  l'on  dit  avoir  e'te' premier  e'vêque  de  Ba- 
hylone,  et  l'un  des  soixante-douze  disciples  du  Sauveur.  Ces 
deux,  opinions  sont  aussi  dénue'es  de  preuves  l'une  que  l'antre. 

Cependant,  si  cette  lettre  nest  pas  authentique,  les  rensei- 
gnemens  qu'elle  renferme  ne  sont  pas  moins  curieux,  en  ce 
qu'ils  parais.sent  contenir  toutes  les  traditions  qui  avaient  cours 
sur  la  personne  du  Sauveur  Je'sus ,  à  l'e'poque  où  elle  a  e'té 
compose'e.  Elle  pre'sente  encore  cette  circonstance  assez  parti- 
culière, que  les  traits  du  visage  sont  semhlaLles  à  ceux  qui 
sont  assigne's  à  la  figure  du  Sauveur  dans  le  portrait  d'une 
haute  antiquité  ,  qui  existe  dans  la  chapelle  de  Saint-Caliste  des 
Catacon)hes,  et  que  nous  donnons  dans  la  lithographie  jointe 
à  ce  n°  ,  figure  3. 

Voici  la  traduction  litte'rale  de  cette  lettre ,  qui  a  été  repro- 
dulle  plusieurs  fois  en  toutes  les  langues. 

«  On  a  vu  dans  ce  temps  })araître  un  homme,  et  il  vit  en- 
»  core  ,  un  homme  d'une  i^rantle  vertu,  qui  se  nomme  Je'sus- 
»  Christ;  on  le  dit  un  prophète  puissant  en  œuvres,  ses  disciples 
»  l'appellent  Fils  de  Dieu.  Il  ressuscite  les  morts,  et  guérit 
M  toute  espèce  de  maladies  et  d  incommodités.  Cet  homme  est 
»  d'une  stature  haute  et  hien  proportionnée  (i).  Sa  physiono- 


(i)  Jean-Hciiri  Maius  (thcologi  cognominis  Jilius)  dans  ses  Ohserva- 
tiones  sacrœ  ,  lit),  in,  pag  21,  rciiiarque  (d'après  une  lettre  de  S.  Jean 
Damascène  ,  à  l'empereur  Théophile,  donnée  par  Combefis ,  dans  son 
Originum  Con  slantinopoUtarum  ma  ni/m  lus  ,  p.  Ii4),  que  le  Sauveur  est 
représenté  exceilenti  staturd  ,  junctis  superciUis  ,  oculis  venustis  ;  et  que 
Nicéphore  (dont  nous  parlerons  bientôt)  ,  lui  donne  une  taille  de  sept 


ET    LES    PORTRAITS    DE    JÉSUS-GHRIST.  215 

»  mie  annonce  la  se  ver  lie',  mais  elle  a  Leaucoap  d'expression, 

))  de  sorte  que  ceux  qui  le  regardent  ne  peuvent  s'empêcher 

n  de  l'aimer,  et  en  même  temps  de  le  craindre.  Ses  cheveux, 

»  tirant  sur  le  roux  ,  descendeut  lisses  jusqu'au  bas  des  oreilles , 

»  et  de    là  tombent  en   boucles  flottantes  avec  grâce  sur  ses 

M  épaules;  ils  sont  parlage's  sur  le  sommet  de  la  tête  à  la  ma- 

n  nière  des  Nazare'ens.  Sou  front  est  uni  et  serein ,  il  n'a  aucune 

>>  tache  sur  la  ligure.  Ses  joues  sont  releve'es  d'un  certain  in- 

»  carnat  qui  n'est  point  trop  fonce'.  Il  est  d'un  aspect  agre'able 

»  et  ouvert.  Son  nez  et  sa  bouche  sont  très-bien.  Sa  barbe , 

»  assez  touffue  et  de  la  couleur  de   ses  cheveux ,  se  partage 

»  en  deux  au  bas  du  menton.  Il  a  les  yeux  bleus  et  très  bril- 

»  lans.  On  remarque  en  lui  quelque  chose  de  formidable  quand 

»  il  re'primande  et  qu'il  fait  des  reproches,  tandis  que  la  dou- 

))  ceur  et  l'amabilité'  accompagnent  toujours  ses  instructions  et 

»  ses  exhortations.  Son  visage  a  une  grâce  admirable  raêle'e 

))  de  gravité.  On  ne  la  jamais  vu  rire,  mais  on  l'a  vu  pleurer. 

M  Sa  taille  est  bien  prise;  ses  mains  sont  longues  et  belles,  et 

))  ses  bras  ont  beaucoup  de  grâce.  Son   langage  est  toujours 

»  grave  et  mesure';  mais  il  parle  peu.  Enfin  on  ne  peut  discon- 

»  venir,  en  le  voyant  que  c'est  le  plus  beau  des  hommes  (i).» 


palmes  (5  pieds,  4  pouces,  a  lignes),  quoique  le  P.  Vavassor ,  d'après 
le  moine  Epiphanius,  ne  lui  donne  que  six  palmes.  Voy.  son  de  Jornid 
Christi ,  c.  ni  ,  n"  5,  §  4- 

L'Evangile  semblerait  donner  à  entendre  que  Jésus-Christ  n  était  pas 
très-grand;  car  s'il  eût  été  d'une  taille  supérieure,  Zachée  (S.  Luc, 
XIX,  a,  5,  8),  n'aurait  pas  eu  besoin  de  monter  sur  un  sycomore  pour 
le  voir  et  le  distinguer  dans  la  foule. 

(i)  «  Hoc  teuipore  vir  apparuit ,  et  arlhuc  vivil ,  vir  prredilus  potcn- 
tiâ  magnâ  ;  nomen  ejiis  Jesiis  Christus.  Homines  eum  proplaelam  poten- 
lem  dicunt  ;  discipuli  cjus  Filium  Dei  vocant.  Morluos  viviBcat ,  et 
aegros  ab  omnis  generis  aegritudinibus  et  morbis  sanat.  Vir  est  altre  sta-. 
tune  proporlionalae ,  et  conspcctus  vultûs  ejus  cum  severitale  ,  et  plenus 
effîcaciâ,  ut  spectalores  amare  eum  possint  et  rursùs  timere.  Pili  ca- 
pitis  ejus  vinei  coloris  usque  ad  fundamenlum  aurium,  sine  radi..tione 
et  erccii ,  et  à  fundaniento  aurium  usque  adhumeros  conlorli  ac  hicidi , 
et  ab    bumcris   dcorsum   pendentes ,  bilido   verlicc  dispositi  in    morem 


216  KECHERGHES  SUR  LA  PERSONNE 

Tel  est  le  portrait  de  Je'sas-Christ,  trace  par  le  pre'tendu 
Lenttilus.  Il  est  certain  qu'on  n'y  trouve  rien  qui  re'pugnc  à 
l'ide'e  que  l'on  peut  se  faire  de  la  personne  du  Sauveur,  ni  à 
ce  que   nous  en  dit  l'Evangile. 

PORTRAIT    DE    JÉSUS-GHRIST  ,    d'aPRÈS    NICÉPHORE    CALLISTE. 

Nice'pliore  Calliste  e'crivait  sous  le  règne  des  Pale'ologues  ;  on 
croit  qu'il  ve'cut  jusqu'à  l'an  i35o.  Arrive  à  l'aurore  de  la  re- 
naissance des  lettres,  il  s'occupa  beaucoup  du  soin  de  rassem- 
bler tous  les  ouvrages  des  e'ciivains  préce'dens  ,  et  forma  ,  de 
tous  les  renseignemens  qu'il  y  trouva,  xxnQ  Histoire  ecclésiasti- 
que qui  surpasse  en  goût  et  en  e'Ie'gance  toutes  celles  qui  1  ont 
pre'ce'de'e.  C'est  dans  cet  ouvrage  qu'il  trace  le  portrait  suivant 
de  Je's us-Christ. 

«  Voici  le  portrait  de  notre  Seigneur  Je'sus-Clirist ,  d'après 
)>  ce  que  nous  en  ont  appris  les  anciens,  et  tel,  à-peu-près , 
»  qu'on  peut  le  rendre  dans  une  description  par  écrit  et  lou- 
))  jours  imparfaite.  Son  visage  e'tait  remarquable  par  sa  beauté 
»  et  par  son  expression.  Sa  taille  e'tait  de  sept  palmes  au  moins 
n  (  5 pieds,  ^p.,  2  lig.  ).  Ses  cheveux  tiraient  sur  le  blond  ;  ils 
»  n'étaient  pas  fort  épais,  mais  an  peu  crépus  à  l'extrémité. 
»  Ses  sourcils  étaient  noirs,  mais  pas  exactement  arqués.  Ses 
))  yeux  tirant  sur  le  brun  et  pleins  de  vivacité,  avaient  un 
»  charme  inexprimable.  Il  avait  le  nez  long.  Sa  barhe  était 
»  rousse   et   assez  courte  ;  mais  il  portait  de  longs  cheveux. 


Nazarœornm.  Frons  plana  et  pura ,  faciès  cjus  sine  macula ,  quam  ru- 
bor  qtiidem  temperatus  ornât.  Aspectiis  ejus  iiigenuîis  et  gratus.  Nasus 
et  os  ejus  nulle  moJo  reprehensibilia.  Barba  ejus  multa  ,  et  colore  pi- 
loruni  capitis  Mfurcata  :  oculi  ejus  cœrulei  et  extrême  liicicli.  In  re- 
prehendcndo  et  objurgando  foi  midabilis;  in  docendo  et  exhortando  blandaâ 
linguae  et  amabilis.  Gralia  miranda  vullûs  ,  cum  gravitale.  Vol  semcl 
eum  riilentetn  nemo  vidit ,  sed  flentem  imo.  Protracla  slatura  corporis, 
maniis  ejus  reclie  et  erectte ,  brachia  ejus  dclcctabilia.  In  loquendo 
ponderaus  et  gravis ,  et  parcus  ioquelâ.  Pulcherrimus  inter  homines 
satos.  » 


ET    LES    PORTRAITS    DE    JÉSUS-GHRIST.  217 

u  Jamais  le  ciseau  n'a  passé  sur  sa  tête;  nulle  main  d'homme 
»  ne  l'a  touchée,  si  ce  n'est  celle  de  sa  mère,  lorsqu'il  e'iait 
»  encore  enfant.  Il  penchait  un  peu  la  tête,  et  cela  lui  faisait 
»  perdre  quelque  chose  de  sa  taille.  Son  teint  e'iait  à  peu-près 
»  de  la  couleur  du  ùol\^c^^t{/or.<:quil  commence  à  miirir).  Son 
»  visaije  n'e'tait  ni  rond  ni  alonge' ,  il  tenait  heaucoup  de  celui 
»  de  sa  mère,  surtout  pour  la  partie  inférieure.  Il  e'tait  ver- 
»  meil.  La  gravite',  la  prudence,  la  douceur  et  une  cle'mence 
a  inalte'iahie,  se  peignaient  sur  sa  ligure.  Enfin  il  ressemblait 
»   en  tout  à  sa  divine  et  chaste  mère  (i).  » 

On  voit,  par  le  commencement  de  ce  portrait,  que  Nice'phore 
l'a  trace'  d'après  la  tradition,  siciiti  à  vcteribus  acccpirniis  ;  et 
sans  doute  il  aura  recueilli  soigneusemeut  et  scru|)uleusement 
tous  les  renseigncmens ,  soit  écrits,  soit  traditionnels,  cju'il 
aura  pu  de'couvrir  sur  la  personne  de  Je'sus-Cl<rist.  Sa  descrip- 
tion ne  diiïère  guère  de  celle  du  pre'tendu  Lentulus,  que  pour 
la  couleur  des  yeux  du  Sauveur,  c^ue  l'un  fait  ikus  et  1  autre 
bruns;  tout  le  reste  est  assez  semblable,  à  part  quelques  dé- 
tails e'nonce's  dans  l'un  et  omis  dans  l'autre. 


(i)  Porro  effigies  formne  Domiiii  nostri  Jesii  Cliristi ,  siciili  à  veteri- 
bus  accepiruus,  talis  propemodiim  ,  cpiiilenus  cam  cravsiiis  veibis  com- 
prebendere  licet ,  fuit.  Egregio  Is  viviiioqiie  vultii  fnic.  Corporis  statura 
ad  palmas  prorsus  septem.  Cesariem  liabuil  siiLflavam,  ac  non  ad- 
modùm  dcnsam  ,  leniter  quodam  modo  ad  crispos  declinanfem.  Super- 
cilia  nigra  ,  non  perindè  inflexà.  Ex  oculis  fulvis  et  snbflavesceiilibus 
miriGca  promincbat  gratia.  Acres  ii  erant  ,  et  nasus  longior.  Baiba; 
capilius  fiavus  nec  admodùm  demissus.  Capitis  porrô  ca|)illos  tulit  pro- 
lixiores.  Novacula  enim  in  caput  ejiis  non  ascendit ,  neque  maïuis  ali- 
qua  bominis ,  pr.ieterquam  matris ,  in  tcnerâ  diintaxat  œtate  ejus.  Col- 
lum  fuit  sensim  déclive  ,  ilà  ut  non  arduo  et  extento  nimiiim  corporis 
statu  esset.  Ponô  trilici  rcferens  colorera  ,  non  rotundam  aut  acutam 
habuit  faciem  ,  sed  qualis  matris  ejus  erat ,  paulùm  deorsùm  versuni 
vergentem  ,  ac  modéré  rubicundam  :  gravitatem  atque  prudenliam  cum 
lenitate  conjunctam ,  placabililatem  iracunJix  expertam  prœ  se  feren- 
tem.  Persimile  deuiquc  per  omnia  fuit  divinœ  et  immaculatae  sua; 
Genitrici. 


218  RECHERCnES    SUR    LA    PERSONNE 

DE    QUELQUES     AUTRES     PORTRAITS,      SAINTES     FACES,      SUAIRES, 
LARMES    ET    SANG    DE    JESUS-CHRIST. 

Oa  parie  en  cîifFerens  endroits  de  reliques  portant  le  nom 
de  portraits,  saintes  faces,  larmes  et  sang  de  Je'sus-Christ. 
11  n'entre  pas  dans  notre  plan  de  recbérclier  on  de  discu- 
ter rantheiiticite'  de  toutes  ces  reliques  ,  sur  lesquelles  il  a 
e'te'  compose'  des  traite's  et  des  ouvrages  spe'ciaux.  Pour  les 
personnes  qui  douteraient  de  cette  authenticité' ,  et  qui  vou- 
draient en  me'dire,  nous  nous  contenterons  de  citer  le  passage 
suivant  de  Bossuet  (i). 

«  Savoir,  dit-il,  s'il  reste  quelque  portion  de  ce  sang  et  de 
ces  larmes,  c'est  ce  que  l'Eglise  ne  décide  pas.  Elle  tolère 
même  sur  ce  sujet  les  traditions  de  certaines  e'glises ,  sans  qu'on 
doive  se  soucier  de  remonter  à  la  source.  Tout  cela  est  in- 
diffe'rent,  et  ne  regarde  pas  le  fond  de  la  religion.  Je  dois 
seulement  vous  avertir  que  le  sang  et  les  larmes  qu'on  re- 
garde comme  e'tant  sortis  de  Je'sus-Christ,  ne  sont  ordinaire- 
ment que  du  sang  et  des  larmes  qu'on  pre'tend  sortir  de  certains 
crucifix,  dans  des  occasions  particulières,  et  que  quelques 
e'glises  ont  conserve's  en  me'moire  du  miracle;  pense'es  pieuses, 
mais  que  l'Eglise  laisse  pour  ce  qu'elles  sont,  et  qui  ne  font, 
ni  ne  peuvent  faire  l'objet  de  la  foi.  » 

d'un    PORTRAIT    REPRESENTANT    JÉSUS-CHRlST    DANS  SA  JEUNESSE. 

S'il  faut  en  croire  M.  Raoul  Rochette  (2),  c'est  à  une  secte 
d'he're'tiques  que  l'on  doit  les  plus  anciennes  figures  du  Christ 
et  des  apôtres.  C'est  pour  l'usage  des  gnostiques,  dit-il,  et  par 
la  main  de  ces  sectaires,  que  furent  fabrique'es  d'abord  de 
petites  figures  du  Christ ,  dont  ils  rapportaient  le  premier  mo- 


(i)  Lettre  sur  V adoration  de  la  Croix. 

{•i)  Discours  sur  l'origine ,  le  développement  et  le  caractère  des  tjpes 
imitatijs  qui  constituent  V  art  du  christianisme  j  in-8°,  p.  i5.  A  Pans, 
chez  Adrien  Lcclère,  i834. 


ET    LES    PORTRAITS    DE    jisUS-CHRIST.  219 

dèle  à  Pllate  Inî-mème  (i) Ces  statuettes  se  faisaient  d'or, 

ou  d'argent,  ou  d'autre  manière,  à  l'instar  de  celles  de  Pytlia- 
gore ,  de  Platon,  d'Aristote  et  des  autres  sages  de  l'antiquité, 
que  ces  sectaires  exposaient  couronue's  de  fleurs,  dans  leurs 
conciliabules,  et  qu'ils  honoraient  toutes  du  même  eu  lie. 

Celte  superstition  qui  admettait  aussi  les  images  peintes  du 
Christ,  e'tait  surtout  en  vogue  chez  les  gnostiques  de  la  secte 
de  Carpocrate  (2) ,  et  riiistoii'e  a  conserve  le  nom  d'une  femme, 
Marcelline ,  aflîliée  à  cette  secte,  pour  la  propagation  de  laquelle 
elle  s'e'tait  rendue  du  fond  de  l'Orient  à  Rome,  et  qui,  dans 
l'espèce  de  petite  église  gnostique  quelle  y  dirigeait,  exposait 
à  l'adoration  de  ses  fidèles  des  images  de  Jésus  et  de  saint  Paul , 
à'Honière  et  de  Pytliagore. 

A  la  suite  de  ces  reflexions,  M.  Raoul  Rochette  pense  que 
c'est  à  cette  coutume  des  gnostiques  que  les  chre'tiens  doivent 
l'ide'e  d'avoir  aussi  fait  des  images  du  Christ.  Nous  ne  contre- 
dirons pas  sur  cela   le  savant  professeur  d'arche'ologie  ,  quoi- 


(i)  Les  lîéréliques  préfentlaient  que  Pilale  avait  envoyé  le  portrait 
de  J.-C.  à  Rome  ,  en  même  temps  que  les  actes  de  son  supplice. 

Les  acf es  dits  de  Pilate ,  consistent  dans  la  re/a^/o«c?e  la  condamnation 
de  J.-C. ,  et  deux  lettres  adressées  à  Tibère  ;  ces  actes  ont  été  un 
grand  sujet  de  discussion  pour  les  savans.  S.  Justin,  martyr,  mort  en  167, 
est  le  premier  qui  en  ait  parlé;  il  en  est  aussi  question  dans  l  histoire  du 
martyre  de  S.  Ignace  d^ Anliochc  ,  arrivé  l'an  107,  et  dans  V Apologéti- 
que de  Tertullien.  Ce  sont  là  les  plus  anciennes  autorités  que  l'on  cite 
en  faveur  de  ces  actes.  Mais  ils  ont  été  rapportés  depuis  par  un  grand 
nombre  d'auteurs,  et  avec  de  telles  variantes,  qu'il  est  plus  que  pro- 
bable que  ceux  que  nous  avons  encore  sont  apocryphes.  On  en  trouve 
une  traduction  en  français  dans  la  Collection  d'anciens  éx^angiles,  in-S». 
—  Voir  aussi  le  Codex  apocryphus  nofi  testamenti y  de  Fabricius,  t.  i , 
p.  221 ,  et  t.  u,  p.  455.  —  Et  l'excellente  dissertation  de  Dom  Calmet, 
dans  le  t.  m  de  ses  Dissertations ,  p.  65 1. 

(2)  C'est  ce  que  nous  assurent  S.  Irénée,  adu.  hceres.,  1.  i,  cb.xxv, 
§  6  de  l'édition  de  Massuet  ,  —  et  S.  Epiphane,  hœrcs.  xxvii ,  §  6.  — 
Voir  aussi  à  ce  sujet,  la  dissertation  de  Jablonsky,  de  origine  imagi- 
num  Christ i  Domini  in  ecclesid  christianu ,  §  10,  dans  ses  Opuscula  phi- 
lolog.,   t.  m,  p.  394. 


220 


RECHERCHES  SUR  LA  PERSONNE 


qae,  pourtant ,  la  seule  tradition,  vraie  ou  fausse,  qui  attribue 
des  portraits  du  Christ  à  Je'sus  lui-même,  à  saint  Luc  et  à 
d'autres  chre'tiens  contemporains,  puisse  faire  douter  que  l'E- 
glise ait  jamais  regarde'  ces  portraits,  ou  la  profession  de  pein- 
tre, comme  interdits  (i).  Rien  ne  s'opposerait  donc  à  ce  que  la 
figure  dont  nous  donnons  la  repre'sentation  (  fig.  i"=)  fût  l'ou- 
vrage d'une  main  clire'lienne.  Cependant  nous  allons  en  parler 
d'après  M.  Raoul  Rochelle  ,  en  supposant  avec  lui  que  c'est  une 
de  ces  amulettes  que  les  gnostiques  portaient  à  leur  cou. 

Ce  portrait  du  Clirist  est  grave'  sur  la  hase  d'un  cône  tron- 
que',  perce'  de  part  en  part,  et  destine'  par  conse'quent  à  être 
porte'.  La  matière  est  une  calce'doine  blanche,  et  le  travail, 
oîi  se  remarque  une  sorte  d'afTectalion  du  style  anliqne,  em- 
preint de  se'cheresse,  doit  s'e'ioigner  peu  de  1  e'poque  d'Alexan- 
dre Sévère,  c'est-à-dire,  du  2*  ou  3®  siècle  (2). 

On  doit  remarquer  que  le  Christ  y  est  repre'sente'  de  profil  ; 
sa  figure  est  jeune  et  imberbe  ;  peut-être  l'amulette  e'tait-elle 
desline'e  à  des  enfans,  et,  à  cause  de  cela,  a-ton  voulu  de'- 
peindre  le  Christ  dans  sa  jciunesse.  Autour  de  la  tête  se  trouve 
le  nom  de  CHRIST,  en  caractères  grecs,  XPISTOY;  au-dessous 
se  voit  la  figure  du  poisson  ,  qui  e'tait  à  cette  e'poque  une 
tessère  ,  ou  marque  de  reconnaissance ,  en  usage  parmi  les 
chre'tiens. 

Il  ne  sera  pas  sans  inte'rêt  de  donner  ici  quelques  de'tails 
sur  ce  point  d'archéologie  chre'tienne. 

Les  premiers  chre'tiens  se  servaient  du  poisson  pour  se  re- 
connaître, parce  que  le  nom  du  poisson,  quiestlXOYS,  /c/z- 

(i)  Il  serait  facile  de  prouver  que  déjà  dès  les  premiers  temps  les 
chrétiens  axaient  des  images  de  Jésus-Ciirist,  des  apôtres,  etc.  L'opinion 
de  M.  Raoul  Ilochette  sur  l'origine  des  plus  anciennes  figures  de  J.-C. 
et  des  apôtres  nous  parait  sujette  à  caution.  Voyez  Devoti ,  Institutinnes 
Canonicœ ,  lom.  I,  pag.  61 3  ;  Binterim  ,  Epislola  Catholica  prima  de 
prohationibus  (heologicis  per  acla  Marlyrum ,  p.  164  ;  et  Bergier ,  Dic- 
tion, thèol.  art.    images, 

(2)  Voir  ci-après  la  fig.  1  ;  elle  a  été  faite  sur  une  empreinte  en  cire, 
que  nous  devons  à  l'obligeance  de  M.  Raoul  Rochette.  L'original  est 
daus  le  cabinet  de  M.  Fortia  d'Urban. 


ET    LES    PORTRAITS    DE    JESUS-CHRIST.  221 

tus  ,  en  grec  ,  est  forme'  des  premières  lettres  de  la  phrase 
suivante  : 

qui  signifie  :  Jésus-Christ,  fils  de  Dieu,  Sauveur.  Le  mot  IX0Y2, 
poisson  qui  contient  les  premières  lettres  de  cette  phrase,  e'tait 
donc  comme  un  hiéroglyphe  qui  leur  servait  à  fiiire  la  pro- 
fession de  leur  foi  et  de  leur  croyance  ,  tout  e«i  paraissant  ne 
prononcer  qu'un  mot  commun  et  insignifiant;  outre  cela,  le 
poisson  ,  qui  ne  peut  vivre  que  dans  Veau  ,  e'tait  encore  une 
image  des  chrétiens,  qui  ne  peuvent  avoir  une  ve'ritable  vie 
que  celle  qu'ils  reçoivent  dans  les  eaux  du  baptême.  C'est  pour 
cela  aussi  qu'ils  s'appelaient  entre  eux  i^èôè^ioi ,  pi sciculi ,  petits 
poissons  ;  et  c'est  à  cette  coutume  que  fait  allusion  saint  Cle'- 
ment,  quand  il  dit  dans  l'hymne  à  Jésus  Sauveur  (  cl-d.  p.  1 76  )  : 

Pêcheur  des  hommes  rachetés  , 
Amorçant  à  rélernelle  vie 
U' innocent  poisson 
Arraché  à  l'onde  ennemie 
De  la  mer  du  vice. 

MÉDAILLE    JUIVE    DE    JESUS-CHRIST. 

Le  révérend  R.  Walsh,  dans  un  livre  tout  re'cent,  consacre' 
aux  monuroens  rares  ou  inédits  du  premier  âge  du  christia- 
nisme (i)  vient  de  rappeler  l'attention  sur  une  médaille  fort 
curieuse,  déjà  connue  vers  le  iS''  siècle.  Voici  la  description 
qu'il  en  donne.  (Voir  la  figure  2.) 

«  La  face  représente  la  tétc  de  Noire-Seigneur,  vue  de  profil , 
telle  à  peu  près  qu'elle  est  décrite  dans  la  lettre  que  l'on  dit 
avoir  été  envoyée  par  Lentulus  à  Tihère  :  les  cheveux  sont 
partagés  à  la  manière  des  Nazaréens ,  applatis  jusqu'aux  oreil- 
les,  et  ondulans  sur  les  épaules,  la  liarhe  touffue,  peu  longue, 


(i)  ^n  Essay  on  ancient  Coins ,  Medals  and  Gems  ^  as  illustraling 
the  progressj  oj' christianity  in  the  early  ^ges ,  by  the  Rev.  R.  Walsh, 
3c  édit.  London ,  i83o. 

T.  X.  16 


222  REGBEKCnES    SUR    LA.    PERSONNE 

mais  fourchue,  le  visage  beau,  ainsi  que  le  busle ,  sur  lequel 
la  tunique  tombe  en  plis  gracieux.  )i 

Sur  la  face  de  la  rae'daille  est  la  lettre  he'braïque  X  aleph , 
qui  paraît  être  i'abre'viation  du  mot  yldonéiiou,  notre  maître, 
et  le  mot  1^£^» ,  lechou  ,  le  nom  juif  de  J('sil<;.  Il  est  à  remar- 
quer que  cette  tête  n'est  pas  entourée  du  nimbe  ou  auréole^ 
circonstance  qui  donne  quelque  poids  (i)  à  l'opinion  qui  re- 
connaît une  assez  haute  antiquité'  à  ce  monument.  Sur  le  revers 
on  lit  cette  inscription  hébraïque  : 

♦n  n*^y  dtnq  "jni  uhv2  n3  i^a  n'tya  (2)- 

c'est-à  dire  :  le  Messie  ,  Roi  ;  il  vînt  en  paix  ,  et  étant  devenu 
la  lumière  de  l'homme  (3)  //  vit. 

M.  Raoul  Rochelle  croit  encore  que  cette  me'daille  ,  qui , 
comme  on  le  voit  dans  la  lithographie  que  nous  en  donnons, 
e'tait  destitie'e  à  être  suspendue  et  portée  ,  servait  d'amulette 
et  de  tessère  à  des  juifs  convertis  au  christianisme  ;  il  croit 
aassi  qu'elle  est  conforme  aux  types  gnostiques  du  premier  âge. 

PORTRAIT    EN    BUSTE    DE    JÉSUS-GHRIST  ,    TIRE     DE    LA.     CHAPELLE 
DU    CIMETIÈRE    DE    SAIXT-GALLISTE ,    A    ROME, 

Enfin,  il  est  encore  plusieurs  images  du  Sauveur,  qui  sont 
d'autant  plus  dignes  de  notre  attention,  qu'elles  sont  dues  in- 

(i)  M.  Raoul  Rochctte  ainsi  que  Heyue ,  doutent  cependant  de  Fau- 
thenticité  de  cette  médaille. 

(2)  Le  texte  hébreu  donné  par  le  R.  Walsh  est  rempli  d'incorrec- 
tions ,  et  est  absolument  incompréhensible.  Kous  le  rétablissons  ici  avec 
le  secours  de  MM.  Bore  et  Cahen ,  et  surtout  de  M.  Munk,  qui  s'est 
occupé  avec  beaucoup  de  zèle  à  déchiffrer  cette  inscription.  Il  nous  a 
même  procuré  un  exemplaire  de  la  médaille  ,  que  nous  donnons  ici. 
A  la  vérité ,  la  troisième  et  la  quatrième  ligne  de  cette  médaille  sont 
illisibles  :  mais  une  autre  très-bien  conservée,  qui  nous  a  été  communi- 
quée à  la  Bibliothèque  du  Roi  ,  donne  l'inscription  telle  qu'elle  est 
gravée  sur  la  médaille  Jig.  a*  ,  et  telle  que  nous  la  transcrivons  en  lettres 
modernes. 

(3)  M.  Munk  nous  a  fait  observer  que  l'hébreu  dit  lux  ex  homine , 
et  non  lux  hominis  ;  est-ce  une  faute  de  celui  qui  a  frappé  la  médaille? 


ET    LES    PORTRAITS    DE    JÉSUS-GHBIST.  223 

contestablenient  à  des  pinceaux  chre'tiens.  Nous  avons  fait  li- 
tliographier  la  principale  et  la  plus  ancienne  de  ces  images 
dans  la  fig.  3.  Nous  la  laisserons  de'crire  par  M.  Raoul  Rocliette, 
qui  nous  fera  connaîtx'e  aussi  les  plus  lenomme'es  de  ces  pein- 
tures chre'tienues. 

«  La  plus  ancienne  image  du  Christ,  due  à  un  pinceaa  chre'- 
tien  ,  que  le  temps  nous  ait  conserve'e  ,  est  sans  doute  celle 
qui  se  voit  à  la  voûte  d'une  chapelle  du  cimetière  de  Saint- 
Callisfe  ,  et  qui  est  puhlie'e  dans  le  recueil  de  Bottari  (i).  Le 
Saiweur  des  hommes  y  est  repre'sente'  en  buste.,  à  la  manière 
des  anciennes  imag;iiies  dypeata  des  Romains  (2);  du  reste, 
sous  cette  forme  hie'ratique  ,  qui  paraît  avoir  e'te'  de'jà  fixe'e  à 
cette  époque  ,  telle  qu'elle  se  trouve  dans  les  monumens  de 
l'art  clire'tien  ,  à  travers  toute  la  pe'riode  byzantine,  le  Christ 
s'y  montre  avec  le  visage  de  forme  ovale  le'gèrement  alonge'e, 
cette  physionomie  grave,  douce  et  me'lancolique  ,  cette  barbe 
courte  et  rare ,  ces  cheveux  ,  se'pare's  sur  le  milieu  du  front 
en  deux  longues  masses  qui  retombent  sur  les  e'paules ,  abso- 
lument comme  on  le  voit  figure'  sur  cinq  sarcophages  da  ci- 
metière du  Vatican  ,  dont  le  style  et  l'exe'cution  appartiennent, 
suivant  toute  apparence ,  au  siècle  de  Julien  (3). 

(i)  Pillure  e  ScuUurc  sacre ,  etc.  ,  t.  11,  tav.  lxx,  p.  /(2. 

(2)  Sur  cette  manière  de  représenter  le  Christ  en  buste j  imitée  des 
images  sur  bouclier,  voyez  Buonarotli ,  qui  en  cite  pour  exemple  la 
mosaïque,  aujourd'hui  détruite,  du  grand  arc  de  Saint-Paul  hors  des 
murs ,  Ditdco  sacro,  etc.,  p.  262.  Cet  usage  durait  encore  au  septième 
siècle ,  et  l'on  en  a  acquis  la  preuve  par  la  peinture  de  l'Oratoire  de 
Sainte-Félicité,  découvert  en  1812  dans  les  Thermes  de  Titus ,  en  haut 
de  laquelle  était  une  image  pareille  du  Saui'eur  en  buste  5  Guattani  , 
Memorie  e/iciclopediche ,  etc.,  t.i,  tiv.  xxi. 

(3)  C'est  ropiniou  d'un  observateur  très-cclairé ,  feu  M.  Sickler ,  qui 
a  publié  dans  YAlinanach  ans  Rom.  ,  18 10,  le  résultat  de  recherches  in- 
téressantes sur  les  premiers  monumens  de  l'art  chrétien,  ûber  die  Ent- 
stehung  der  chrislichen  Kunst ,  p.  179-180.  Les  sarcophages  sont  publiés 
dans  le  recueil  de  Bottari,  t.  1,  lav.  xxixxv.  L'un  de  ces  monumens, 
qu'on  croit  avoir  servi  de  cercueil  à  Olybrius  ,  fils  de  Probus ,  mort 
en  J95,  est  coniéquemraent  un  ouvrage  du  4®  siècle.  Voyez  Emcric 
David  ,  Discours  historitjues  ,   p.  64  et  92. 

16. 


224  RECHERCHES  SUR  LA  PERSONNE 

»  Une  aatre  image  du  Christ,  qni  ofTre  a-pen-près  les  mêmes 
traits,  se  retrouve  clans  une  chapelle  tlu  cimetière  de  Saint- 
Pontian  (i);  et  une  peinture  toute  seuiblable  avait  e'te  décou- 
verte dans  la  cataconibe  de  Saint-Calliste  ,  par  Boldetti  ,  qui 
eut  le  chagrin  de  la  voir  pe'rir  sons  ses  yeux ,  et  en  quelque 
sorte  sous  ses  mains ,  en  essayant  de  la  faire  enlever  de  la  mu- 
raille (2).  Mais  la  peinture  du  cimetière  de  Saint-Pontian  ac- 
cuse manifestement  une  e'poque  beaucoup  plus  récente,  pro- 
bablement celle  du  Pape  Adrien  P"^ ,  qui  fit  restaurer  les 
peintures  de  ce  cimetière,  suivant  le  te'moignage  de  son  bio- 
graphe (3);  et  l'on  ne  peut  y  voir  qu'un  te'moignage  de  l'ha- 
bitude e'tablie  parmi  les  artistes  d'un  temps  de'jà  bien  avance 
dans  la  de'cadence  ,  de  re'pe'ter  un  type  produit  à  une  plus 
haute  e'poque,  et  consacre'  par  la  tradition.  En  nous  attacliant 
donc  uniquement  aux  peintures  du  cimetière  de  Saint  Calliste  , 
qui  sont  certainement  les  plus  voisines  du  premier  âge  du 
christianisme,  et  de  la  meilleure  manière,  nous  sommes  à- 
peu-près  sûrs  d'y  trouver  le  type  de  la  figure  du  Christ,  tel 
qu'il  avait  e'te'  fix»  d'abord  dans  le  sein  de  l'Eglise  grecque  , 
et  ge'ne'ralement  adopté  par  les  fidèles  d'Occident,  au  cinquième 
siècle  de  notre  ère. 

»  Tout  prouve  ,  en  effet ,  que  ce  type ,  reproduit  invaria- 
blement dans  les  œuvres  de  l'art  byzantin  que  nous  connais- 
sons, fut  l'œuvre  des  artistes  grecs;  car  c'est  lui  qui  se  re- 
trouve dans  les  miniatures  des  manuscrits  grecs  du  moyen 
âge  ,  plusieurs  desquels  font  partie  du  riche  Muséum  Chris- 
tiatium  du  Vatican  (4);  et  c'est  aussi  celui  qui  servit  de  type 


(i)  Bottari ,  Pitture ,   etc.  tom.  i,  tav.  xlih. 
(a)  Boldetti,   Osseruazioni ,  etc.,  p.  21  et  64. 

(3)  Anastas.  in  Hadrian...  c.  i.  Voyez  Aringhi ,  iZom.  Sotteran.  liv.  ii, 
c.  29,  1. 1,  p.  36i  sqq.  A  défaut  même  de  ce  témoignage,  on  ne  sau- 
rait s'empêcher  de  regarder  l'image  en  question  comme  une  œuvre  des 
•je  ou  8«  siècles  ;  telle  est  aussi  l'opinion  de  M.  Sickler,  Âlrnanac.h  nus 
Rom.  ,  etc.  ,  p.  i83,  et  celle  de  M.  le  Ch.  Settele  ,  dans  les  Au.  delV 
Acad.  Rom.  d^Archeol.  ,  t.  11,  p.  y3. 

(4)  Une  de  ces  têtes  du  Christ ,    de  style  byzantin  ,  tirée  de  la  col. 


ET    LES    PORTRAITS    DE    JESUS-CHRIST.  225 

aax  monnaies  byzantines ,  dès  l'e'poque  où  la  iête  du  Christ 
fat  employée  à  cet  usage ,  à  partir  du  règne  de  Justinien  II 
Rhinotmète.  » 

PORTRAITS    DE    JÉSUS-GHRIST    d'aPRÈS    LES    PREMIERES     ÎIONNAIES 
FRAPPÉES    EN    SON    HONiNELR    PAR    LES    EMPEREURS    CHRETIENS. 

Nous  allons  terminer  cette  revue,  en  citant ,  d'après  le  doc- 
teur Walsh  ,  «ne  des  premières  monnaies  qui  aient  été  frap- 
pe'es  à  l'ejDfigie  du  Christ.  Celle  dont  nous  donnons  la  lithogra- 
phie (  fig.  4  )»  ^^^  ^"  *^^  '  ^^  '^^  ''•  P'"^  helle  fabrique.  Elle 
date  du  règne  de  Justinien  II  ,  dit  Rhinotmète  ,  e'ievé  sur  le 
trône  impe'iial  l'an  685  et  mort  l'an  711  (i). 

Depuis  la  conversion  de  Constantin  ,  les  empereurs  chre'tiens 
avaient  bien  mis  sur  leurs  me'dailles ,  comme  sur  leurs  dra- 
peaux, la  croix,  ou  le  monogramme  du  Christ,  le  X,  c///grec, 
surmonté  d'un  P,  rho  grec;  mais  Justinien  II  fut  le  premier 
qui  voulût  que  la  figure  même  du  Christ  figurât  à  la  place  de 
celle  des  empereurs  ,  sur  les  monnaies  de  l'empire.  Voici  la 
description  de  cette  médaille ,  donnée  par  Walsh  : 

«  La  face  représente  le  buste  du  Christ,  tenant  à  la  main 
gauche  lEvangile  ou  le  livre  des  prophéties,  qu'il  semble  ex- 
pliquer par  le  geste  du  doigt  index  de  la  main  droite;  la  tête 
est  couronnée  de  rayons.  La  légende  est  un  mélange  de  lettres 
grecques  et  gothiques,  et  porte  ces  mots  : 


lection  des  manuscrits  grecs  du  Vatican ,  est  publiée  par  M.  Sickler  , 
qui  l'a  rapprochée  d'une  tête  de  Giotto.  Voyez  son  Almanach  ans  Rom., 
tav.  n,  no  5  et  6,  p.  190  et  iy6.  3c  n'ai  pas  cité  une  tète  du  Christ, 
en  mosaïque,  publiée  par  M  d'Agincourt ,  comme  une  œuvre  des  pre- 
miers siècles,  Peinture  pi.  i3  ,  n"  22  ,  parce  qu'elle  ne  m'offre  aucune 
date  certaine. 

(i)  Voir  aussi  quelques  autres  de  ces  médailles  dans  Eckel ,  Doclr. 
Num. ,  liv.  VIII ,  p.  238  ;  —  et ,  dans  Ducange  ,  famil.  Jugiist.  Bjrzant., 
p.  116,  i23,  128  et  i?>6,  et  les  nombreuses  médailles  au  même  type, 
appartenant  aux  autres  empereurs  grecs. 


226  HEGHERCHES    SUR    LA.    PERSONNE  ,    ETC. 

JESUS  CHRISTUS  ,  EEX  REGNÂNTIUM , 

Jésus-Christ ,  Roi  des  Rois. 

Le  revers  représente  l'empereur  en  roLe  à  bandes  croise'es  ; 
sur  la  tête  il  porte  une  croix  ordinaire,  et  il  tient  à  sa  main 
droite  la  croix  de  Justinien  ,  ou  la  crois  grecque. 

La  le'gende  est  : 

DOMINUS  JUSTINIANUS  SERVUS  CHRISTL 
Le  seigneur  Justinien,  serviteur  du  Christ. 

A  l'exergue  on  lit  : 

CONOB,  c'est-à-dire,  CONstantinopoleôs  OBsio-sx-tx,  Frappée 
à  C onstantinople. 

Tels  sont  les  principaux  renseignemens  que  la  tradition  et 
l'histoire  nous  ont  conserve's  sur  la  personne  et  les  portraits  du 
Sauveur.  Nous  espe'rons  qu'ils  auront  inte'resse  nos  lecteurs, 
et  qu'aussi  ils  ne  verront  pas  avec  moins  de  plaisir  ceux  que 
nous  nous  proposons  de  donner  sur  la  personne  de  la  sainte 
Vierge  Marie. 

A.    BONTÎETTY  , 
De  la  société  asiatique  de  Paris. 


227 


EXAMEN   SU   MOSAISME    ET   SU   CHRISTIANISME, 

PAR  M.  REGHELLINI^  DE  SCHIO.  PARIS,  1833,  TROIS  VOLUBIES  lN-8°. 

L'examen  d'une  religion  n'est  point  celui  des  difficultés  que  peu- 
vent faire  naître  son  histoire,  ses  dogmes,  ses  lois,  ses  rits.  Si  elle 
nous  a  conservé  des  faits  pre'cieux  omis  ou  altére's  dans  les  annales 
de  tous  les  peuples  ,  si  elle  renferme  une  le'gislation  sage  et  les 
maximes  de  la  morale  la  plus  pure  ,  si  la  foi  d'un  Dieu  unique  , 
créateur,  souverainement  juste,  doue'  d'une  puissance  infinie,  d'une 
bonté  sans  bornes,  est  demeurée  intacte  dans  celte  seule  religion; 
si  elle  a  été  pendant  plusieurs  siècles  la  scuIk  digne  de  l'homme  et 
de  celui  qui  lui  a  donné  l'être  ,  l'auteur  qui  l^cxamine  ne  peut ,  sous 
peine  d'une  partialité  re'voltante,  se  dispenser  de  le  dire.  Cependant, 
sur  toutes  ces  choses,  M.  ReghcUini  garde  un  profond  silence.  Sa 
bonne  foi  est-elle  néanmoins  à  l'abri  de  tout  reproche,  quand  il 
discute  les  difficultés  que  présente  la  Bible?  Pas  davantage.  Il  re- 
garde comme  une  approbation  de  certains  actes  le  simple  récit  qu'en 
fout  les  écrivains  sacrés.  Ce  n'est  pas  tout.  Dans  le  doute  ,  il  pré- 
sente toujours  les  faits  sous  la  couleur  la  plus  défavorable.  Mais 
que  penser  de  l'ignorance  ou  de  la  mauvaise  foi  d'un  auteur  qui 
attribue  l'approbation  de  certains  crimes  à  celui  qui  les  condamne 
formellement?  Que  penser  de  sa  critique,  lorsqu'il  donne  comme 
incontestablement  vrai  ce  qui  est  incontestablement  faux?  C'est  dans 
cet  esprit  qu'a  été  écrit  V Examen  du  Judaïsme  et  du  Christia- 
nisme. Les  erreurs  y  fourmillent;  il  a  été  composé  sous  l'impression 
d'une  haine  violente  contre  le  christianisme;  sentiment  triste,  et 
qui  n'a  pas  eu  Tavanlnge  de  lui  donner  un  peu  de  verve,  car  son 
livre  est  aussi  mal  rédigé,  aussi  lourd  qu'il  est  mal  pensé.  Ce  ne 
sont  pas  d  ailleurs  des  erreurs  nouvelles  qu'il  met  au  jour  :  ce  sont 
les  impiétés  de  Baylc  et  de  Frérit,  avec  leur  érudition  de  moins; 
ce  sont  les  diatribes  de  Voltaire  dépouillées  de  son  esprit.  M.  Re- 
ghcUini  n'a  point  lu  tout  ce  que  la  crilupie  moderne  a  produit  de 
travaux  bibliques  en  Allemagne.  Il  en  est  h  des  objections  qui  an- 
noncent une  absence  totale  de  sagacité  et  de  logit^uc ,  et  que  les 


228  EXAMEN    DU    3I0SAÏSME 

savans  protestans  d'outre  Rhin ,  fort  hardis  d'ailleurs  sur  d'autres 
points,  rejettent  avec  mépris.  Nous  ne  pouvons  e'nurnérer  et  discu- 
ter ses  innombiables  méprises.  Il  faudrait  un  ouvrage  plus  étendu 
que  le  sien.  Nous  nous  bornerons  à  relever  les  deux  erreurs  les 
plus  importantes  :  la  première  attribue  le  Pentateuquedi  un  auteur 
postérieur  aux  conquêtes  d  Alexandre-le-Grand, 

«  Les  livres,  dit-il,  dont  l'ensemble  forme  la  Bible  furent  écrits 
depuis  le  règne  de  ce  conquérant  et  pendant  que  les  juifs  se  trou- 
vaient sous  la  domination  des  princes  qui  gouvernèrent  après  lui  la 
Judée ,  l'Assyrie  et  l'Egypte.  Par  là  ils  contiennent  des  idées  em- 
pruntées aux  anciennes  mythologies  grecques  et  orientales;  il  est 
également  possible  que  les  rabbins  aient  connu  Lucain,  qui  décrit 
un  déluge  dans  lequel  Deucalion  se  sauve  avec  sa  famille,  n  Tom.  i, 
pag.  8. 

Ainsi,  ce  sont  les  rabbins  qui  ont  composa  la  Bible.  Nous  avions 
eu  tort  de  dire  que  M.  Reghellini  n'écrivait  rien  de  nouveau.  Et 
que  pensez-vous  de  Lucain ,  de  l'auteur  de  la  Pharsale^  que  l'on 
suppose  avoir  fourni  à  l'auteur  de  la  Genèse  l'idée  du  déluge?  En 
vérité ,  la  plume  tombe  des  mains  quand  on  veut  répondre  à  des 
assertions  dictées  par  une  aussi  grossière  ignorance.  Hobbes,  Spi- 
nosa,  Peyreira ,  Richard  Simon,  Voltaire,  et  parmi  les  Allemands, 
Hasse ,  Frédéric  Fulda  ,  Nachtigal ,  Vater ,  Le  Brecth  de  Wete, 
ont  bien  contesté  la  date  du  Pcntateuque ,  o\i  Si&.viaé  que  les  écrits 
de  Moïse  avaient  été  retouchés  plus  tard  ;  mais  ils  n'auraient  ja- 
mais osé  s'exposer  au  mépris  public  en  attribuant  à  des  rabbins 
et  en  plaçant  dans  une  époque  aussi  moderne  la  rédaction  du  Pen- 
tateuque. 

C'est,  du  reste,  un  fait  bien  démontré,  que  les  cinq  livres  de 
Moïse  nous  sont  parvenus  sans  altération  essentielle.  Le  savant  Ro- 
senrauller  défend  leur  authenticité  par  les  preuves  intrinsèques  et 
par  les  témoignages  nombreux  et  irrécusables  qui  l'ont  attestée  de 
siècle  en  siècle  (i).  Il  n'y  a  qu'un  auteur  ayant  sous  les  yeux  les  évé- 


(i)  Rosenmuller  n'a  donné  les  preuves  de  rauthenticilé  du  Pentateu- 
que  que  dans  la  seconde  édition  de  son  Commentaire  sur  la  Bible,  en 
tête  du  premier  volume  j  cet  ouvrage  est  en  latin. 


ET    DU    CHRISTIANISME.  229 

nemens  qui  puisse  les  raconter  comme  le  fait  Moïse.  On  voit  qu'il  est 
dans  le  désert  quand  il  les  décrit ,  et  que  ses  discours  n'ont  ëte  pronon- 
cés qu'en  présence  du  peuple.  Ses  lois  n'ont  pu  être  rédigées  après 
coup  ;  l'événement  qui  les  a  provoquées  ou  accompagnées  est  là  pour 
eu  expliquer  la  cause  et  l'occasion.  Si  ce  n'est  pas  le  législateur  d'un 
peuple  voyageur,  on -n'explique  pas  pourquoi  quelques-unes  de  ses 
prescriptions  ne  sont  pas  terminées.  On  explique  encore  moins  cel- 
les qui  n'avaient  de  rapport  qu'à  cette  position  transitoire.  Vous 
voyez  à  ses  récits  brises  un  chef  campé  sous  la  tente  et  occupé  de 
mille  soins  divers;  on  peut  remarquer  les  endroits  oîi  il  a  posé  et 
repris  la  plume. 

Les  preuves  intrinsèques  sont  encore  plus  de'cisives.  C'est  une 
suite  non  interrompue  d'écrivains  diflerens  par  le  style,  l'cpoque, 
l'objet  de  l'ouvrage,  qui  citent  en  une  multitude  d'endroits  les  li- 
vres de  Moïse ,  et  qui  rappellent  l'observation  de  ses  lois.  C'est  la 
tradition  de  tout  un  peuple,  ses  moeurs,  ses  fêtes,  son  culte  qui 
reposent  sur  ces  mêmes  livres.  Que  deviendront  les  règles  de  la  cri- 
tique, quelle  assurance  aurons-nous  des  faits,  si  l'on  peut  braver 
ainsi  un  des  plus  ëvidens  ? 

Disons  un  mot  des  évangiles.  Quelques  critiques  hardis  ne  font 
pas  remonter  leur  publication  avant  la  fin  du  n  siècle.  Mais  aucun , 
avant  M.  Reghellini  ,  n'avait  eu  l'incroyable  témérité  de  la  placer 
au  iv"  siècle ,  trente-sept  ans  après  le  concile  de  Nicée.  Le  passage 
est  trop  curieux  pour  n'être  pas  cité. 

«  Le  concile  de  Nicée  ne  cite  jamais  ni  Mathieu ,  ni  Marc ,  ni 
Luc,  ni  Jean  ,  quoiqu'on  lise  de  temps  à  autres  quelques  passages 
de  tous  ces  évangiles ,  sans  les  citer  dans  le  corps  des  Actes.  » 

Vous  pensez  que  de  la  transcription  de  ces  fragmens ,  oîx  le  nom 
des  évangëlistes  est  seulement  omis,  il  va  conclare  qu'ils  existaient. 
Point  du  tout. 

«Il  paraît,  dit-il,  que  ces  passages  sont  des  pièces  intercallées 
pour  donner  un  vernis  d'antiquité  et  d'autorité  à  ces  écrits,  qui 
n'existaient  pas  encore.  Il  est  bien  vrai  que  deux  évangiles  ont  pu 
exister  trente-sept  ans  après  ce  cortcile.  Julien  en  fait  mention  dans 
une  lettre.  »  Tom.  III,  pag.  i34. 


230  EXAMEN    DU    MOSAÏSME    ET    DU    CHRISTIANISME. 

Ainsi,  les  actes  d'un  concile  universel  ne  prouvent  rien,  mais 
une  lettre  de  Julien  est  irrécusable.  En  mettant  d'ailleurs  a  part 
l'autorité  du  concile  ,  les  témoignages  des  Pères  du  iii^  siècle  sont 
si  nombreux,  si  unanimes,  il  est  en  outre  si  universellement  re- 
connu que  les  évangiles  étaient,  dès  la  fin  du  n*"  siècle,  répandus 
dans  toutes  les  églises  chrétiennes,  que  l'on  est  jugé  quand  on  ose 
contester  ces  faits.  Mais  il  y  a  plus  :  il  est  impossible  de  ne  pas 
attribuer  aux  auteurs  dont  ils  portent  le  nom  ces  livres  du  nouveau 
Testament.  Oishauscn  a  très-bien  prouvé  que  le  témoignage  de  Papias, 
lequel  affirme  que  saint  Mathieu  avait  composé  son  Evangile  en 
hébreu,  ne  pouvait  être  re'cusë.  Papias  e'tait  disciple  des  apôtres, 
et  il  invoque  le  témoignage  du  prêtre  Jean  ,  disciple  de  Jésus-Christ. 
La  même  autorite  garantit  l'authenticité  de  l'Evaugile  de  saint  INIarc. 
Les  plus  habiles  critiques  ont  démontre' que  l'Évangile  de  saint  Luc 
était  antérieur  à  l'un  des  faux  e'vaugiles,  celui  de  Marcion  ;  or,  ce 
dernier  remonte  h  l'an  i4o  de  notre  ère  ;  mais  comme  Marcion  n'a- 
vait fait  que  mutiler  saint  Luc,  et  qu'il  avait  voulu  donner  à  son 
écrit  l'autorité  déjà  acquise  à  un  ouvrage  ancien,  il  n'est  pas  dou- 
teux que  celui-ci  ne  remontât  jusqu'aux  apôtres.  Il  n'est  enfin  au- 
cun critique  qui  n'attribue  au  même  écrivain  les  e'pîtres  et  l'Evan- 
gile qui  portent  le  nom  de  saint  Jean.  Or,  la  première  e'pître  de 
cet  apôtre  est  citée  par  saint  Polycarpe  ,  son  disciple. 

Un  témoignage  plus  clair  et  plus  décisif  sur  l'authenticité  des 
quatre  évangiles  est  celui  de  saint  Irene'e.  Il  était  l'ëiève  de  saint 
Polycarpe  ,  lequel  avait  été  instruit  et  fait  ëvêque  par  les  disciples 
de  Jésus-Christ.  Ayant  visité  la  moitié  du  monde  chre'licn,  connu 
les  principales  c'glises,  vécu  en  Asie,  où  il  était  né,  dans  les  Gau- 
les, oii  il  fut  évêque,  à  Rome,  où  il  fit  un  voyage  avant  son  épis- 
copat,  personne  mieux  que  lui  ne  pouvait  parler  avec  connaissance 
de  cause  des  quatre  évangiles.  Non-seulement  il  nomme  leurs  au- 
teurs dans  l'ordre  où  ils  sont  aujourd  hui ,  mais  il  assure  qu'ils  étaient 
reçus  par  toutes  les  e'glises  qu'il  avait  parcourues,  que  les  héréti- 
ques leur  rendaient  témoignage,  et  que  partout  on  les  attribuait 
aux  apôtres.  Tertullien  et  saint  Clément  d'Alexandrie  sont  des  té- 
moins non  moins  pre'cis,  quoiqu'un  peu  moins  anciens.  On  trouvera 
les  preuves  de  l'authenticité  des  évangiles ,  que  nous  ne  pouvons 
qu'indiquer  sommairement ,  dans  l'ouvrage  d'Olsbausen ,  l'un  des 


J.-J.    AMPÈRE,    mSTOIRE    COMPAREE    DES    LAITGUES.       231 

meilleurs  sur  cette  partie  de  la  critique  sacrée.  Il  re'fute  victorieu- 
sement,  non  pas  des  adversaires  aussi  ignorans  que  M.  Regbellini, 
mais  aussi  quelques  déistes  et  quelques  protestans,  qui,  sans  être 
plus  dans  le  vrai ,  fout  remouler  au  n®  siècle  la  composition  des 
évangiles. 

L'ouvrage  de  M.  Regbellini  renferme  une  multitude  d'assertions 
du  genre  de  celle  que  nous  venons  de  citer.  Il  en  est  dans  le  nom- 
bre de  bien  révoltantes.  Il  attribue  aux  juifs  et  aux  premiers  chré- 
tiens la  pratique  de  la  communauté  des  femmes.  Ne  lui  demandez 
pas  de  preuves,  il  ne  sait  que  calomnier  à  tout  prix.  Heureusement 
qu'en  comptant  sur  l'ignorance  de  ses  lecteurs  ,  il  n'a  pas  pensé 
qu'ils  trouveraient  dans  l'ennui  que  cause  son  livre  un  contrepoison 
efficace.  —  L'Ami  de  la  Religion,  n°  2288. 

V  VVV  VVV  VVV  VVV  VVV  t-VV  WVV  VVV  VVV  VVV  lAA.  vvv  vvv  vv\  v%>  wvv  vvvvvv  vv\.  vv\  vvv- V^ 


PRINCIPES 

FOUR  SERVIR  A  L'HISTOIRE  COMPAREE  PES  IiANGUES. 


Rapports  de  mots.  —  Rapports  de  formes.  —  Résultats  des  travaux  des 
savans  étrangers. — Les  langues  primitives  étaient  plus  parfaites  que 
les  langues  modernes.  —  N'a-t-il  pas  existé  une  langue  monosyllabi- 
que,  la  plus  riche  de  toutes  ? 

L'histoire  compare'e  des  langues  est  une  des  sciences  qui 
sont  destine'es  à  jeter  un  jour  inattendu  sur  l'existence  des  an- 
ciens peuples,  sur  leur  origine  commune  et  leurs  migrations 
successives.  Plusieurs  fois  de'jà  nous  avons  fait  ressortir  les 
preuves  nouvelles  que  la  Linguistique  est  venue  apporter  aux 
récits  de  nos  écritures.  Et  cependant ,  à  peine  l'impulsion  a 
été  donnée,  à  peine  cette  science  est  née  et  a  fixé  l'attention 
de  quelques  hommes  qui  l'ont  étudiée  par  pure  curiosité  j  mais 
nous  savons  que  quelques  savans  chrétiens  s'en  occupent ,  et 
qu'un  plus  grand  nombre  désire  connaître  les  règles  qui  doi- 
vent le  guider  dans  cette  étude.  Nous  croyons  donc  faire  une 


232  J.-J.    AMPÈRE  , 

chose  agréable  et  utile  à  nos  lecteurs ,  en  leur  offrant  ici  les 
re'flexions  pleines  de  justesse  qu'un  savant  distingue  M.  J.  J.  Am- 
père, a  enlises  sur  la  qiieslion  de  i'e'lude  des  langues  (i). 

M.  Ampère  fait  d'abord  observer  que  les  rapports  qui  exis- 
tent entre  les  langues  sont  de  deux  sortes  :  selon  que  l'on  com- 
pare les  mots  ou  les  formes,  le  vocabulaire  ou  la  grammaire 
de  ces  langues. 

II  fait  observer  ensuite  que  l'on  peut  abuser  des  rapports 
de  mots,  parce  qu'on  peut  à  toute  force  supposer  que  la  bou- 
che ait  prononce',  en  diffe'rens  pays  ,  le  même  son  pour  ex- 
primer la  même  chose  ;  il  peut  se  faire  aussi  que  quelques 
mots  aient  voyage',  et  aient  e'té  naturalise's  dans  une  langue, 
sans  que  pour  cela  on  doive  conclure  que  les  deux  langues 
sont  semblables  ou  identiques.  C  est  ainsi  que  les  Français  ont 
porté  quelques-uns  de  leurs  mots  dans  toutes  les  parties  du 
monde,  lesquels  ont  e'té  reçus  et  retenus  par  les  différens 
peuples.  Entrant  ensuite  dans  l'examen  intime  des  rapports 
des  langues  entre  elles,  M.  Ampère  continue  en  ces  termes  : 
«  La  comparaison  de  séries  de  mots  prouve  plus  que  la  com- 
paraison de  mois  isole's  ;  mais  ici  encore  il  reste  beaucoup  de 
place  pour  le  hasard.  D'ailleurs ,  par  ce  moyen ,  on  ne  saurait 
appre'cier  d'une  manière  exacte  le  degré  d'afîlnité  de  deux 
langues,  on  établit  seulement  qu'elles  ne  sont  pas  entièrement 
étrangères  l'une  à  l'autre  ;  et,  comme  cette  méthode  de  com- 
paraison a  réussi  à  peu  près  pour  toutes,  l'universalité  même 
de  ce  succès  en  diminue  l'importance;  il  en  résulterait  tout 
au  plus,  pour  les  langues  comparées,  une  origine  commune, 
non  une  fraternité  véritable.  Un  généalogiste  croirait-il  avoir 
suffisamment  établi  la  parenté  de  deux  familles,  en  démon- 
trant qu'elles  descendent  toutes  deux  en  ligne  directe  d'Adam?.... 
»  11  est  des  mots  fondamentaux  qu'on  n'eniprunte  guère  aux 
autres  :  tels  sont  les  pronoms,  surtout  les  pronoms  personnels. 


(i)  Ces  reflexions  sont  extraites  de  l'ouvrage  que  vient  de  publier 
M.  Ampère ,  sous  le  titre  de  Littérature  et  f^oyages  ,  Allemagne  et 
Scandinavie  ;  vol.  ia-S»  ,  chez  Paulin.  Prix  ,  8  fr. 


HISTOIRE    COMPABÉE    DES    LANGUES.  233 

On  ne  va  point  chercher  dans  une  langue  étrangère  une  ma- 
nière de  se  de'ïigner  soi-mrme,  de  de'signer  la  isersonoe  à  qui 
l'on  s'adresse,  ou  celle  de  qui  l'on  parle;  tel  est  le  verbe  étre^ 
lien  de  toute  proposition  ,  base  de  tout  langage;  tels  sont  les 
mots  qui  servent  a  dénommer  soit  les  parties  du  corps  ,  soit 
les  objets  naturels  les  plus  frappans,  soit  enfin  les  sentimens 
ou  les  actes  les  plus  simples  et  les  plus  essentiels. 

M  Tous  ces  mots  primitifs  et  indispensables  forment  le  fond 
propre  d'une  langue,  et  c'est  parmi  eux  qu'il  faut  choisir,  de 
préférence,  des  termes  de  comparaison. 

»  Mais  si  cette  comparaison  se  fait  au  hasard,  on  sera  son- 
Tent  trompé  par  1  apparence  d'un  faux  rapport ,  et  Ton  mécon- 
naîtra celle  d'un  rapport  certain. 

»  Ce  sont  ces  jeux  arbitraires  de  l'étyraologie  qui  l'ont  si 
fort  discréditée.  Le  ridicule  a  fait  justice  de  cette  science  pré- 
tendue,  qu'aucune  difficulté  n'arrêtait,  qui,  de  changement 
en  changement,  de  suppression  en  suppression,  dénaturait 
complètement  un  mot  pour  le  ramènera  un  autre,  qui  faisait 
venir  laquais   de  vernacula, 

»  D'autre  part,  il  est  certain  que  des  mots,  dont  la  phy- 
sionomie semble  au  premier  coup-d'œil  complètement  diffé- 
rente, ont  un  rapport  très-réel  ;  il  n'est  pas  douteux  que  y'owr 
ne  vienne  de  dies  ^  et  que  lucua  ne  soit  la  racine  de  rossignol {i), 
n  Embarrassé  de  cette  double  difficulté,  et  averti  par  un 
tact  pratique  exquis,  combien  les  rapports  de  mots  diffèrent 
de  leurs  ressemblances  ou  de  leurs  dissemblances  aj)parentes, 
W,  Jones  en  était  venu  à  dii'e  qu'il  n'y  avait  point  de  règle, 
et  qu'il  fallait  s'en  rapporter  à  l'instinct  des  étymologistes. 
C'était  une  ressource  périlleuse   et  un  peu  désespérée. 

»  Enfin,  plusieurs  savans  de  l'Allemagne  et  du  nord  ,  à  la 
tête  desquels  on  doit  placer  MM.  Frédéric  Schlegel ,  Jacques 
Grimm  ,  Chrétien  Rask  et  François  Bopp ,  ont  posé  les  vérita- 
bles bases  de  la  science  e'tymologique  ,  par  des  travaux  d'une 


(i)  Dics  ,  (liiirnus  ,  giorno  (  pr.  (Ijiorno  )  anc.  fiançais  ,  y'or,,  (r.  jour. 
Lucus  ,  lucinia  ,  lucinolia  j  it.  ussignuolo  ,  fr.  rossignol. 


234  J.-J.    AMPÈRE, 

sagacité'  et  d'une  critique  admirables.  Comme  ces  travaux,  en 
grande  partie  inconnus  en  France ,  entrepris  d'une  manière 
inde'pendante  ,  n'ont  pas  encore  e'te'  coordonne's  entre  eux, 
même  dans  les  pays  qui  les  ont  vus  naître,  et  comme  ils  ont 
pour  oLjet  la  grande  famille  de  langues  dont  font  partie  les 
idiomes  Scandinaves,  je  crois  utile  d'en  pre'senter  ici ,  d'une 
manière  syste'matique ,  les  principaux  re'sullats. 

»  Ces  re'sullats  portent  sur  les  règles  qui  doivent  servir  à 
reconnaître  et  à  mesurer  l'analogie  qu'offrent  les  mots  de  di- 
verses langues,  et  sur  les  rapports  plus  importans  pour  la  com- 
paraison de  ces  langues,   de  leurs  formes  grammaticales. 

»  Je  commencerai  par  les  rapports  qui  peuvent  exister  entre 
les  mots. 

»  Je  suis  oblige'  d'entrer  ici  dans  quelques  conside'rations  sur 
les  e'ie'mens  même  du  langage ,  c'est  à-dire  ,  sur  les  lettres.  Je 
prie  mes  lecteurs  de  ne  point  penser  au  maître  de  grammaire 
M.  Jourdain.  L'importance  des  lois  que  nous  voulons  e'tablir, 
la  grandeur  des  rapports  qui  en  de'rivent,  la  portée  des  résul- 
tats historiques  oii  ils  peuvent  nous  conduire,  commandent 
la  méthode  la  plus  rigoureuse,  et  demandent  grâce  pour  la 
minutie  ine'vitable  des  de'tails. 

»  Il  faut  d'abord  poser  en  thèse  gcne'rale  que  chacune  des 
consonnes  peut  se  changer  en  tonte  autre  consonne  ,  et  chacune 
des  voyelles  en  toute  antre  voyelle ,  soit  immédiatement ,  soit 
en  parcourant  une  se'rie  de  transformations  intermédiaires. 

»  D'où  il  suit  :  1"  qu'aucun  changement  n'est  impossible  et 
ne  doit  être  rejeté'  à  priori  ;  ainsi ,  les  deux  mots  qui  parais- 
sent les  plus  e'Ioigne's  peuvent  venir  l'un  de  l'autre,  et  en  se 
moquant  des  e'tjmologies  qui  semblent  les  plus  force'es ,  on 
court  risque  de  se  moquer  d'un  fait. 

»  2°  Qu'on  ne  peut  croire  à  un  changement,  par  cela  seu- 
lement qu'il  est  possible,  car  tous  le  sont,  et  que  par  con- 
se'quent  il  faut  des  raisons  particulières  pour  se  de'terminer 
en  faveur  dune  e'tymologie. 

»  Ces  raisons  sont  de  deux  sortes. 

»  Ou  l'on  possède  les  degre's  interme'diaires  qu'un  mot  a 
parcourus  en  passant  d'une  langue  à  l'autre,  ou  l'on  connaît  les 


HISTOIRE    COMPARÉE    DES    LANGUES.  235 

lois  générales  et  particulières  qui  pre'sident  à  la  permutation 
des  lettres  entre  ces  deux  langues. 

M  De  ces  lois,  celles  que  j'appelle  générales  e'taient  connues 
de  tout  temps,  et  je  me  bornerai  à  les  rappeler;  elles  se  ion- 
dent  sur  l'analogie  organique  des  lettres.  Certaines  lettres  sont 
voisines  dans  la  se'rie  des  sons,  elles  sont  produites  par  une 
disposition  sembla!)Ie  des  organes.  Le  passage  de  l'une  a  l'autre 
est  plus  naturel,  plus  fre'quent,  par  conse'quent  plus  probable 
que  s'il  s'agissait  de  deux  lettres  plus  dilTe'rentes  entre  elles. 
D'après  cela  on  conçoit  que  les  permutations  doivent  s'ope'rer 
facilement  entre  les  lettres  de  même  classe ,  qui  ne  sont  que 
la  même  lettre,  douce ,  forte  ou  aspirée. 

»  C'est  celte  loi  ge'ne'rale ,  et  depuis  long-temps  reconnue, 
du  rapport  organique  de  certaines  lettres  entre  elles,  qui  doit 
servir  de  pjoint  de  de'part  dans  la  comparaison  des  mots. 

»  Mais  il  est  des  lois  particulières  qui  gouvernent  une  fa- 
mille de  langues,  en  vertu  desquelles,  non-seulement  les  lettres 
de  même  organe  se  remplacent,  mais  cncoi'e  se  reniplacent 
dune  manière  constante  dans  un  ordre  invariable,  et  pour 
ainsi  dire  dans  un  sens  de'termine'.  Celui  qui  a  de'couvert  ce 
principe,  M.  Jacob  Grimm,  a  montré,  pour  en  donner  nu 
exemple,  que  dans  les  mots  où  il  y  avait  un  ^7 ,  en  islandais 
(^Fepn,  Armes),  il  y  avait  en  allemand  un J\Waffen)^  mais 
que  la  rc'ciproque  n'e'tait  pas  vraie,  c'est-à-dire  ,  que  là  où  e'tait 
un  yen  islandais  {Yfar^  sur),  il  y  avait  en  allemand  non 
pas  un  p  mais  un  b  [U  Lier)  \c  est  plus  que  de  dire  ce  qu'on 
savait ,  que  le  p ,  le/  et  le  0  ne  sont  que  la  même  lettre  ar- 
ticule'e  différemment,  et  que  par  conse'quent  ces  trois  sons  se 
Substituent  facilement  les  uns  aux  autres.  C'est  un  pas  de  plus, 
et  un  pas  très-important,  d'avoir  reconnu  que,  dans  une  même 
famille,  cette  substitution  ne  se  fait  pas  arbitrairement,  mais 
toujours  de  la  mcme  manière,  de  sorte  que  les  langues,  où 
elle  s'opère ,  passent  les  unes  aux  autres  par  une  progression 
re'gulière. 

»  D'après  cela,  il  doit  arriver  que  des  mots  qui,  dans  les 
diverses  langues  paraissent  assez  e'ioignés  au  premier  coup- 
d'œil,  soient  reconnus  au  fond  identiques.  Seulement,  les  sons 


236  J.-J.     AMPÈRE, 

qui  les  composent  ont  été  altcre's  diversement,  en  vertu  d'une 
diirércnce  ne'cessaire  d'articulation  qui  repose  sur  une  difie- 
rence  essentielle  d'organes. 

»  Voilà  pour  les  rapports  des  mot<;.  Les  rapports  i\QsJ'ormes 
gvaminat:cales  sont  d'une  toute  autre  importance;  on  conçoit 
que  le  hasard  ou  certaines  circonstances  produisent  entre  les 
mots  une  analogie  accidentelle.  Mais,  si  le  nie'canisme  intérieur 
de  deux  langues  est  le  même,  si  les  grandes  divisions  gram- 
maticales ,  les  déclinaisons  et  les  conjugaisons  correspondent 
et  si  ces  conjugaisons  et  ces  de'clinaisons  qui  correspondent 
ont  des  terminaisons  analogues  ;  si  en  appliquant  à  celles-ci  les 
lois  du  rapport  des  lettres  observe'es  entre  les  racines  des  mots, 
ou  des  lois  semblables ,  on  les  trouve  identiques  ,  quel  doute 
pourra-t-il  rester  sur  l'e'troite  parente'  des  langues  que  l'on 
compare  ?  Au  moyen  des  rapports  que  nous  avons  e'tudie's 
jusqu'ici,  on  peut  de'terminer  d'une  manière  certaine  les  affi- 
nlte's  des  langues  entre  elles.  Plus  ces  rapports  sont  nombreux, 
constans ,  moins  l'alte'ration  des  sons,  soit  dans  l'inte'rieur  àes 
mots  ,  soit  dans  les  de'sinences  grammaticales  ,  est  grande , 
plus  les  langues  sont  voisines;  ainsi  l'existence  de  ces  rapports 
constate  la  parente'  des  idiomes  ,  leur  constance  ,  leur  nombre, 
et  leur  extension  en  mesure  le  degré'. 

»  Mais  pour  de'terminer  l'ordre  de  filiation,  c'est  à-dire,  le 
degré  d'antiquité  relative  des  langues  de  même  famille,  il  faut 
avoir  recours  à  d'autres  lois, 

»  Les  changemens  re'guliers  dont  j'ai  parlé  ont  bien  lieu  éga- 
lement ,  soit  lorsqu'il  s'agit  de  langues  contemporaines ,  soit 
lorsqu'il  s'agit  de  langues  successives;  mais  ce  n'est  pas  eux 
qui  peuvent  établir  le  fait  de  cette  succession  ni  en  révéler 
l'ordre.  En  un  mot,  nous  savons  quand  deux  langues  tiennent 
l'une  à  l'autre,  nous  pouvons  apprécier  jusqu'à  quel  point  elles 
se  tiennent  de  près;  il  reste  à  indiquer  les  moyens  par  lesquels 
on  peut  découvrir  que  l'une  a  pi'écédé  l'autre. 

»  Ici,  les  mêmes  hommes  qui  nous  ont  fourni  les  principes 
posés  plus  haut ,  nous  fourniront  encore  ceux  dont  nous  avons 
besoin.  Un  nom  illustre  viendra  se  joindre  aux  leurs  ,  celui 
de  M.  Guillaume  de  Humboldt ,  qui  a  appliqué  son  immense 


HISTOIRE    COMPARÉE    DES    LANGUES.  237 

connaissance  des  langues  ,  et  la  force  d'une  des  têtes  les  plus 
remarquables  de  l'Europe  ,  à  lëtude  du  langage  ,  conside'ré 
surtout  dans  ses  rapports  avec  les  pcnse'es.  Avec  cet  appui  de 
plus,  après  avoir  donne'  une  ide'e  de  ce  qui  peut  fonder  d'une 
manière  précise  le  rapport  de  ressemblance  entre  les  langues, 
Je  vais  rechercher  ce  qui  peut  indiquer  leur  rapport  de  suc- 
cession. 

»  Une  langue  est  un  être  qui  a  son  organisation,  sa  vie;  elle 
s'assimile  les  e'ie'mens  qui  lui  sont  nécessaires,  et,  par  une 
sorte  de  vertu  plastique,  leur  donne  sa  forme.  Elle  croît,  elle 
produit ,  pois  se  de'compose  et  se  dissout ,  laissant  après  elle 
d'autres  langues  ne'es  de  son  sein, 

M  Eh  bien!  ce  de'veîoppement  successif,  si  semblable  a  celai 
de  la  vie  dans  les  corps  organise's,  se  fait  de  même  d'après  cer- 
taines lois.  La  plus  importante ,  celle  qui  renferme  toutes  les 
autres  ,  est  celle  ci. 

>»  En  remontant  aussi  loin  qu'il  nous  est  possible  dans  l'his- 
toire du  développement  des  langues  ,  nous  trouvons  celte  loi 
remarquable  :  c'est  que  leur  richesse  essentielle,  au  lieu  de 
s'accroître,  va  toujours  diminuant. 

»>  Cette  tendance  universelle  et  fondamentale  des  langues  s'ob- 
serve, et  par  rapport  aux  mots,  et  par  rapport  aux  formes 
grammaticales  dont  elles  se  composent. 

1)  Prenons  les  mots;  c'est  un  fait,  que  plus  on  s'élève  haut 
dans  l'histoire  dune  langue  ou  d'une  famille  de  langues,  plus 
on  trouve  les  mots  harmonieux  ,  pleins  de  voyelles  retentis- 
santes ;  plus  on  descend ,  plus  on  les  trouve  e'courte's ,  appau- 
vris ,  pour  ainsi  dire  ;  les  voyelles  sonores  cèdent  la  place  aux 
voyelles  sourdes  :  de  sourdes  elles  deviennent  tout-k-fait  étouf- 
fées, mMe/fc.ç enfin,  et  finissent  par  disparaître.  Les  diplithongues 
se  contractent,  les  consonnes  for/cs  s'affaiblissent,  \qs  finales 
se  détachent  et  se  perdent;  de  tout  cela,  il  résulte  que  les 
mots  sont  moins  pleins,  moins  harmonieux,  qu'ils  vont  tou- 
jours s'attënuant  et  s'amaigrissant  davantage.  Ils  perdent  de 
plus  en  plus  la  puissance  de  charmer  l'oreille,  d'ëbranler  l'àuie 
par  les  sons  :  ils  se  bornent  à  e'veiller  une  ide'e  dans  l'esprit  , 
ils  ne  sont  plus  des  images ,  ils  ne  sont  que  des  signes.  Ainsi 
T.  X  17 


238  J.-J.    AMPÈRE  , 

on  voit  tonte  langue  commencer  par  être  une  peinture  et  une 
musique,  et  finir  par  être  un  ali^cbre.  En  latin  on  disait  ele- 
mosyna;  ce  mot  est  devenu  successivement  en  français  almosne, 
aumône  ;  en  anglais  alins  qu'on  prononce  anis.  —  Son  histoire 
est  l'histoire  universelle  des  mots. 

»  Il  en  est  des  formes  grammaticales,  comme  des  mots. 
Cest  aussi  une  loi  du  langage  d'aller,  j)erdant  toujours  quelque 
forme  grammaticale ,  quelque  richesse  de  de'sinence  ,  quelque 
ressource  de  composition.  A  une  certaine  e'poque  de  la  plupart 
des  langues ,  les  formes  sont  abondantes  ,  flexibles  ;  toutes  les 
modifications  de  l'ide'e  peuvent  se  rendre  par  les  modifications 
de  la  racine;  les  racines  elles-mêmes  se  groupent,  et  forment, 
par  leur  association  ,  des  mots  compose's ,  pour  expliquer  des 
idées  complexes;  mais  il  vient  un  moment  oii  cette  fe'condité 
s'arrête ,  oii  cette  première  sève  semble  tarir  ;  les  flexions  se 
perdent,  les  rapports  ne  s'expriment  plus  par  l'association  im- 
me'diate  des  racines  ;  les  marques  des  cas  ,  des  temps  ,  des 
personnes  ,  disparaissent  :  il  est  ne'cessaire  de  les  remplacer 
par  des  articles,  des  auxiliaires,  des  pronoms;  la  de'pendance 
respective  des  ide'es  a  besoin  d'être  exprime'e  par  des  pre'po- 
sitions ,  des  conjugaisons,  et  il  faut  alors  un  mot  tout  exprès 
pour  e'noncer  lourdement  ce  qu'indiquait  d'une  manière  rapide 
un  simple  changement  de  terminaison.  C'est  ce  qui  est  advenu, 
par  exemple,  à  l'italien  et  au  français.  Le  Romain  disait  :  Je 
serai  aimé  (amahor)  (i);  son  descendant  est  oblige',  comme 
nous,  d'employer  trois  mots  au  lieu  de  trois  lettres.  Pour  ren- 
dre deux  mots  (Liber  Pétri),  nous  en  mettons  (juatre  ;  le  Ltire 
de  Pierre;  et  une  expression  compose'e ,  comme  !tuai>ilo(juenSy 
devient  une  phrase  entière  :  Celui  qui  parle  agréablement. 

»  Le  même  principe  s'applique  à  la  plus  grande  partie  des 
langues  que  nous  connaissons  :  comparez  le  grec  ancien  au 
grec  moderne,  la  langue  de  Zoroastre  au  persan  d'aujourd'hui. 


(i)  Des  trois  lettres  de  la  terminaison  (  bor  ) ,  la  première  indiquait 
ridée  de  futur  ;  la  seconde ,  celle  de  la  première  personne  j  la  troisième 
celle  de  la  passivité. 


HISTOIRE    COMPARÉE    DES    LANGUrS.  239 

le  sanscrit  aux  dialectes  actuels  de  l'Intloustan  ,  l'angle  saxon 
à  l'anglais  ,  le  frison  au  hollandais  ,  l'ancien  tudcsque  a  l'alle- 
mand ,  enfin  la  vieille  langue  Scandinave,  conserve'e  en  Islande, 
avec  celle  qne  parlent  la  Norvège,  !e  Danneraark  ,  la  Suède, 
vous  verrez  partout  l'ahondance  des  formes  ,  la  ple'nitude  des 
mots  diminuer  considerahletnent ,  en  passant  de  l'idiome  anti- 
que à  l'idiome  moderne. 

»  Ce  re'sultat  peut  e'tonner  d'ahord  ,  il  semLle  contraire  à 
l'ide'e  si  naturelle  du  perfectionnement  humain.  Mais  on  doit 
envisager  ce  perfectionnement  dans  son  ensemble,  et  non  pas 
le  faire  porter  sur  telle  ou  telle  faculté'  de  la  nature  humaine; 
il  est  trop  clair  que  pour  gagner  d'un  côté  il  faut  se  re'signer 
à  perdre  de  l'autre  :  si  l'on  gagne  plus  qu'on  ne  perd  ,  il  y  a 
perfectionnement;  ainsi  l'homme,  à  mesure  que  la  re'flexion 
grandit  et  mûrit  en  lui,  perd  beaucoup  des  qualite's  aimables 
du  premier  âge,  e'poque  charmante  de  l'inspiration  et  de  l'en- 
traînement ;  mais  il  avance,  car  il  s'e'lève  à  la  maturité',  à  la 
dignité'  de  son  âge  viril,  il  gagne  en  philosophie  tout  ce  qu'il 
perd  en  poe'sie.  11  en  est  du  langage  comme  de  l'homme,  il  faut 
qu'il  renonce  à  cette  abondance,  à  cette  grâce  de  la  jeunesse; 
mais  tandis  que  sa  beauté'  mate'rielle  diminue,  il  devient  plus 
pre'cis,  moins  rapide,  moins  nombreux  peut-être,  mais  meil- 
leur pour  exprimer  les  abstractions  plus  profondes  et  les  com- 
binaisons plus  varie'es  de  la  pense'e.  La  grammaire  est  moins 
riche,  les  mots  sont  moins  sonores,  mais  l'art  qui  augmente 
reme'die  à  ces  défauts  par  des  tours  inge'nieux,  par  des  nuances 
de'licates  ou  des  associations  habiles. 

»  Il  faut  avouer  même  qu'on  a  pousse'  jusqu'au  paradoxe 
l'admiration  pour  celte  richesse  primitive  des  langues  ,  qui  , 
porte'e  trop  loin,  produit  la  confusion.  Elle  fournit  le  moyen 
d'exprimer  rapidement  d'un  seul  mot  plusieurs  pense'es  k-la- 
fois,  mais  seulement  certaines  pense'es  ou  certaines  associations 
de  pense'es;  je  m'explique  :  en  finnois ,  par  exemple,  une  le'- 
gère  modification  dans  la  terminaison  d'un  nom  de  lieu  indi- 
que, dit-on,  si  celui  qui  va  vers  ce  lieu  veut  y  entrer,  s'il 
veut  y  entrer  et  en  sortir,  ou  aller  auprès  sans  y  entrer.  Vollk 
qui  est  beau ,  mais  supposons  un  homme  qui  n'ait  pas  décide 

17. 


240       J.-J.    AMPÈRE,    HISTOIRE    COMPARÉE    DES    LANGUES. 

ce  qu'il  veut  faire,  il  sait  seulement  qu'il  va  à  tel  endroit  , 
mais  il  ne  sait  pas  s'il  s'arrêtera  ou  non  (i);  il  est  possible 
qu'il  soit  fort  embarrasse'  avec  ces  trois  datifs  ,  dont  chacun 
dit  plus  que  lui  ne  vent  dire,  et  qu'il  pre'fère  une  langue  bien 
moins  pourvue  de  formes  compre'hensives,  où  l'on  finit  tou- 
jours, avec  des  prépositions,  par  dire  ce  que  l'on  veut,  un 
peu  plus  longuement ,  il  est  vrai ,  mais  oii  du  moins  on  n'est 
pas  force'  de  dire,  au  lieu  de  ce  qu'on  pense,  ce  que  la  langue 
a  pense  pour  vous. 

»  Le  ve'ritable  point  de  la  perfection  des  langues  n'est  donc 
pas  dans  l'excès  d'une  richesse  de  lexique  et  de  grammaire, 
souvent  fort  incommode,  en  ce  qu'elle  prive  de  tout  secours 
étranger,  sans  être  jamais  capable  de  les  compenser  entière- 
ment, mais  dans  ce  degré  d'abondance  mesurée,  qui  n'exclut 
pas  l'emploi  de  diverses  sortes  d'auxiliaires ,  mais  aide  en  gé- 
néral à  s'en  passer,  et  par  la  facilité,  la  rapidité,  le  mouvement 
de  la  phrase ,  autorise  la  liberté  des  inversions  ;  la  langue  greC' 
que  et  la  langue  sanscrite  sont  peut-être  celles  qui  offrent  le 
mieux  cette  sorte  d'avantage. 

»  Ces  deux  langues  sont  placées  à  on  haut  degré  d'antiquité 
dans  la  série  dont  elles  font  partie.  On  ne  peut  remonter  histo- 
riquement plus  loin  qu'elles.  Peut-être,  si  on  le  pouvait,  trou- 
verait-on avant  leur  âge  celui  des  langues  démesurément  ri- 
ches, comme  le  sont  en  général  celles  des  peuples  peu  avan- 
cés dans  la  civilisation,  des  Lapons,  des  Basques,  des  nègres 
Wolof ,  ou  des  Indiens  de  la  Delaware  ;  peut  être  avant  toutes 
ces  langues,  toujours  plus  abondantes  en  formes  à  mesure  qu'on 
remonte  davantage,  trouverait-on  enfin  les  langues  plus  sim- 
ples qui  ont  dû  les  devancer.  Cette  époque  de  puissance  de  la 
fécondité  ne  fut-elle  pas  celle  de  la  puberté  du  genre  humain? 
celle  de  son  enfance  n'a-t-elle  pas  précédé  ?  n'y  a-t-il  pas  eu 


(i)  Ne  sachant  point  le  finnois  ,  j'ignore  si  cette  langue  ne  présente 
pas ,  ce  qui  est  probable ,  quelques  moyens  indirectes  de  se  tirer  de 
J'espèce  d'embarras  que  je  suppose  ;  il  est  clair  que  ce  n'est  qu  un 
exemple  pour  faire  comprendre  ma  pensée. 


VOYAGE  EW  SUISSE  ,  EN  LOMBAROIE  ET  EN  PIEMONT.       241 

avant  l'époque  des  langues  polysyllabiques  et  flexibles,  celle 
des  langues  monosyllabiques  sans  flexions,  dont  la  langue  chi- 
noise, arrête'e  par  l'invention  pre'mature'e  et  imparfaite  de  l'e'- 
criture ,  et  par-là  avorle'e  et  noue'e  ,  pour  ainsi  dire  ,  serait 
reste'e  comme  un  curieux  monument?» 


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XVVVVVVVVVVVVVVVVVVVV\>VVVVVVVVVWVV%'V\k/VVVVVVVVVVVWVVVV\.VVV 


VOTAGE  EN  SUISSE  ,  EN  I.OMBARDIE  ET  EN  PIÉMONT, 

PAR  M.  LE  COMTE  THÉOBALD  WALSH. 

«  Une  connaissance  approfondie  des  hommes  et  des  choses , 
un  rare  talent  d'observation,  et,  ce  qui  est  plus  pre'cieux  en- 
core, un  grand  esprit  de  justice  et  de  ve'rite' ,  des  aperçus 
historiques  aussi  profonds  qu'inge'nieux  ,  des  descriptions  qui 
se  font  lire  avec  plaisir,  un  style  naturel,  facile  et  anime, 
toujours  exempt  d'empiiase  et  de  pre'lention,  une  foule  d'a- 
necdotes neuves  et  piquantes,  des  de'tails  charmans,  d'excel- 
lentes plaisanteries  et  de  l'esprit  partout;  —  voilà  ce  que  l'on 
trouve  dans  le  Voyage  en  Suisse,  en  Loinbardie  et  en  Piémont, 
de  M.  le  comte  The'obald  Walsh,  et  ce  qui  doit  le  placer  bien 
haut  parmi  les  plus  remarquables  productions  de  l'e'poque. 

»  Nous  ne  devons  pas  oublier  d'ajouter  que  M.  Thëobald 
Walsh  a  joint  à  son  intc'ressant  Voyage  le  tableau  re'sumé  des 
éve'nemens  de  la  Suisse  depuis  i83o  ,  et  un  Itine'raire,  dont 
les  voyageurs  sauront  appre'cier  le  me'rile  et  l'utilité.  » 

Telle  est  la  notice  que  re'pand  sur  l'ouvrage  de  M.  le  comte 
The'obald  Walsh  le  libraire  qui  s'en  est  fait  l'e'diteur  à  ses  ris- 
ques et  pe'rils;  et  nous  pouvons  affirmer  qu'elle  est  d'une  exac- 
titude rigoureuse,  si  l'on  excepte  toutefois  la  profondeur  que 
l'auteur  au  contraire  semble  s'attacher  à  éviter.  On  a  e'crit 
qu'il  a  paru  jusqu'à  ce  jour  deux  cents  ouvrages  sur  la  Suisse; 
celui-ci  serait  donc  le  deux  cent-unième;  et  nous  n'he'sitons 
pas  à  dire  qu'il  n'est  pas  seulement  destine'  à  augmenter  le 
chiffre  de  celte  nombreuse  collection,  mais  qu'il  y  prendra  cer- 
tainement un  rang  distingue.  Ce  n'est  point  ici,  en  effet,  une 


242  VOYAGE    EN    SUISSE, 

de  ces  descriptions  banales  ,  faites  sur  des  impressions  passa- 
gères,  et  le  plus  souvent  d'après  les  livres,  sans  connaissance 
ve'ritable  des  hommes,  des  usages  ,  des  lieux  même.  M.  le  comte 
The'obald  Walsh  a  étudie'  les  pays  dont  il  parle  ;  il  en  sait  la 
langue;  il  a  fait  plus  que  les  traverser  rapidement;  il  lésa, 
en  quelque  sorte,  habite's;  et  il  a  droit  de  dire  que  la  Suisse 
est  sa  chose.  «  Je  l'aime,  ajoute-t-il  ;  je  l'ai  parcourue  dans 
«  tous  les  sens  ,  à  diverses  reprises  ;  j'ai  fouille'  aux  sources  de 
»  son  histoire  ,  e'tudie'  ses  mœurs  tVautrefois  et  ses  mœurs  d'aa- 
»  jourd'hui  ;  J'ai  tâche'  de  faire  ressortir  les  traits  du  carac- 
»  tère  national  et  les  nuances  qui  distinguent  les  habitans  des 
M  divers  cantons;  je  me  suis  mis  en  relation  avec  les  hommes 
»  les  plus  marquans  du  pays,  en  tous  genres;  et  j'ai  puisé, 
H  dans  leur  conversation  ,  de  quoi  rectifier  mes  propres  re- 
»  marques  et  suppléer  à  leur  insuffisance.»  On  doit  avoir  con- 
fiance à  un  ouvrage  écrit  dans  de  telles  circonstances  et  avec 
de  tels  élémens ,  par  un  homme  que  le  ciel  a  mis  à  l'abri  des 
soucis  que  donnent  les  besoins  de  la  vie ,  et  son  caractère  au- 
dessus  des  préoccupations  de  l'ambition  et  des  partis,  par  un. 
homme  intelligent,  érudit  et  consciencieux.  Aussi  cet  ouvrage 
est  il  l'un  des  plus  instructifs ,  des  plus  complets,  qui  aient 
été  publiés  sur  le  même  sujet,  en  même  temps  qu'il  est  un 
des  plus  variés  et  des  plus  amusans. 

M.  Walsh,  après  avoir  ennméré  les  sept  classes  de  voyageurs 
que  Sterne  distingue  :  le  voyageur  sentimental,  le  voyageur 
paresseux,  le  voyageur  curieux,  le  voyageur  menteur,  le 
voyageur  oiseux,  le  voyageur  vain,  le  voyageur  morose,  ne  se 
reconnaît  point  dans  cette  classification,  et  il  se  range  de  lui- 
même  parmi  les  voyageurs  sans  avcu^W  a  raison,  s'il  entend 
par  là  un  écrivain  d'une  parfaite  liberté  d'esprit,  d'une  noble 
indépendance  de  sentimens,  sans  prétention  aucune,  dont  la 
plume  légère  et  facile  ne  connaît  point  l'intolérance,  ne  tient 
à  rien  comme  à  un  système  ,  ne  veut  enchaîner  personne  à  sa 
pensée ,  qui  dit  les  choses  tristes  et  les  choses  gaies ,  mais  qui 
cependant  aime  mieux  faire  rire  son  lecteur  que  de  l'émouvoir 
et  lui  tirer  des  larmes. 

Pour  justifier  nos  observations,  nous  ferons  quelques  cita- 


EIÏ    LOMBARDIE    ET    EN    PIÉMONT.  243 

tions ,  prises  aa  hasard  :  l'auteur  consacre  un  chapitre  à  la  ville 
de  Bâle;  son  récit  est  toujours  assaisonné  de  traits  anmsans  : 
«  En  i8i5,le  bourgmestre  avait,  m'a-t-on  dit,re'uni  quelques 
amis  à  souper  dans  sa  maison  située  proche  du  rempart  :  tan- 
dis qu'on  discutait  paisiblement,  en  mangeant ,  sur  la  marche 
des  armées  et  l'issue  probable  de  la  campagne ,  voilà  qu'une 
bombe,  lancée  au  hasard  des  batteries  d'Huningue,  enfonce 
le  toit,  travei'se  l'étage  supérieur  et  tombe  avec  fracas  au  milieu 
de  la  table.  Ce  plat ,  qui  n'était  pas  porté  sur  le  menu ,  fit 
perdre  l'appétit  aux  convives,  lesquels  se  dispersèrent  tout 
effrayés.  On  commença  dès-lors ,  à  Bâle,  à  faire  de  sérieuses 
réflexions  sur  les  inconvéniens  d'un  si  importun  voisinage  qui 
rendait  la  clause  de  la  neutralité  fout-à-fait  illusoire  à  l'égard 
de  la  ville.  Il  était  clair,  en  effet,  que  le  commandant  de 
Huuingue,  manquant  de  vivres,  n'avait  qu'à  en  faire  demander 
aux  autorités  bâloises ,  en  ayant  soin  d'appuyer  sa  requête 
dune  ou  deux  bombes,  pour  être  assuré  de  voir  aussitôt  ar- 
river le  nécessaire, et  même  le  superflu.  Il  fut  résolu,  en  con- 
séquence, qu'on  insisterait  fortement  auprès  des  puissances 
alliées  afin  d'être  débarrassé  de  cette  fâcheuse  sujétion  qui  en- 
travait aussi  évidemment  le  libre  arbitre  des  Bâlois,  en  dépit 
de  l'inscription  bienveillante  placée  par  Louis  XIV  au-dessus 
de  la  forteresse  :  Socils  tutclam ,  liostibus  tcrrorem.  »  Tout  le 
monde  connaît  l'anecdote  suivante  j  M.  Walsh  ne  lui  consacre 
que  quelques  lignes.  «  L'étranger  qui  se  promène  sur  le  pont 
regarde,  avec  curiosité,  une  grotesque  figure  en  bois  appa- 
raissant à  une  des  fenêtres  de  la  haute  tour  et  tirant  la  langue 
aux  passans  par  un  mouvement  régulier  que  lui  imprime  le 
balancier  de  l'horloge.  Cette  figure,  fort  ancienne,  remonte  à 
une  époque  où  les  habitans  du  petit  Bâle  étaient  en  hostilité 
continuelle  avec  ceux  de  la  ville.  Un  plaisant  Bâlois  imagina 
de  les  narguer  par  cette  grimace  permanente  ;  mais  ceux-ci 
opposèrent  à  l'injurieuse  facétie  une  image  encore  plus  malhon- 
nête qui  mit  les  rieurs  de  leur  côté.  » 

En  parlant  du  peintre  Holbein,  l'auteur  dit  que  c'était  un 
homme  d'un  caractère  original,  bizarre,  ne  travaillant  qu'à 
ses  heures  ,  souvent  à  court  d'argent,  en  prenant  peu  de  souci, 


244  VOYAGE    EN    SUISSE, 

en  nn  mot,  nn  vrai  artiste.  II  raconte  de  lai  le  trait  suivant  : 

«  Il  avait  fait  prix  avec  nn  apothicaire  pour  lui  peindre  à 
fresque  la  façade  de  sa  maison.  L'ouvrage  avançait  lentement, 
par  suite  des  longues  libations  que  le  peintre  alte'ré  faisait  aa 
cabaret  voisin  oii  l'impatient  pharmacopole  venait  souvent  le 
relancer.  Holbein  imagina  un  moyen  inge'nieux  pour  se  sous- 
traire à  son  importunite';  ce  fut  de  peindre  au-dessous  de  son 
e'cliafaudage,  que  recouvrait  une  toile,  deux  jambes  pendantes 
qui  firent  tellement  illusion  que  l'argus  lui  adressa  de'sormais 
des  complimeus  sur  son  infatigable  assiduité'.   » 

.Voulez-vous  une  ide'e  du  style  descriptif  de  M.  le  comte  Walsh? 
vous  le  trouverez  ferme  et  concis;  il  ne  se  perd  point  en  dé- 
tails inutiles ,  en  phrases  prétentieuses  ;  c'est  toujours  de  Baie 
qu'il  parle  : 

«  Pour  qui  n'a  vu  que  nos  places  de  guerre  fortifie'es  a  la 
Vauban  et  à  la  Coborn  ,  c'est  un  aspect  frappant  et  original 
que  celui  que  pre'sente  une  ancienne  ville  suisse  avec  ses  for- 
tifications du  moyen-âge;  ce  long  mur  d'enceinte,  recouvert 
d'un  toit  au-dessous  duquel  règne  une  galerie  d'où  les  assie'ge's 
pouvaient  tirer  à  couvert  sur  les  assaillans;  ces  fortes  tours 
cre'nele'es  s'e'levant  d'espace  en  espace  pour  servir  d'arsenal  et 
de  retraite  lorsque  le  mur  n'était  plus  tenable  ;  ces  portes  en 
ogive  surmonte'es  d'un  beffroi  d'une  e'ie'vation  prodigieuse  , 
aux  quatre  ang'es  duquel  sont  comme  suspendues  de'le'gantes 
tourelles  destine'es  aux  vigies ,  tout  ce  que  vous  voyez  vous 
reporte  à  un  temps  qui  n'est  plus.  Ce  système  de  de'fense  est 
par  lui-même  bien  autrement  pittoresque  ,  parle  bien  davan- 
tage à  l'imagination  que  nos  ravellns,  nos  courtines  et  nos 
ouvrages  à  cornes.  La  poudre  à  canon  a  tue'  ce  que  la  guerre 
avait  de  plus  poe'tique.  »> 

M.  Walsh  possède  les  arts  et  en  parle  en  homme  de  goût  : 
Il  a  vu  à  Baie  dans  la  salle  où  Erasme  faisait  son  cours  ,  les 
portraits  de  cet  homme  ce'lèbre  et  de  Luther.  Ces  portraits 
sont  de  Holbein  et  celui  d'Érasme  est  regarde'  comme  un  chef- 
d'œuvre  :  «  C'est ,  dit-il ,  le  comble  de  l'art  que  d'avoir  sa 
re'unir  tant  de  choses  dans  un  simple  profil.  Rien  de  ce  qui 
peut  re've'ler  l'homme  supérieur,  n'y  est  omis  :  le  caractère 


EW    LOMBARDIE    ET    EN    PIÉMONT.  245 

pensif  de  ce  front ,  cet  œil  qui,  bien  que  voile'  par  la  paupière, 
semble  laisser  e'cliapper  l'e'clat  du  feu  dont  il  brille  ;  cette  bou- 
cbe  si  expressive  dont  les  lèvres  minces  et  les  coins  légère- 
ment releve's  indiquent  l'atticisme  d'un  esprit  enclin  à  la  rail- 
lerie ;  ce  nez  effile'  qui  passait  chez  les  anciens  pour  l'un  des 
caractères  de  la  sagacité'  ;  l'effet  ge'ne'ral  re'sultant  de  l'ensemble 
de  ces  de'tails  si  finiment  sentis  et  si  heureusement  rendus  , 
tout  enfin  ,  dans  cet  admirable  morceau ,  rappelle  le  ge'nie  sur 
le  fait.  » 

Il  en  vient  au  portrait  de  Luther  :  «  Tout  ce  que  j'en  puis 
dire,  c'est  que  le  voisinage  du  premier  de  ces  deux  morceaux 
fait  autant  de  tort  à  celui-ci  que  l'inge'nieux  et  tole'rant  Hol- 
landais en  eût  pu  faire  jadis  an  fougueux  re'formateur ,  s'ils 
se  fussent  trouves  en  pre'sence.  Le  pinceau  de  l'artiste  n'a  re- 
produit ici  que  la  repre'sentation  d'une  nature  commune,  je 
dirai  presque  ignoble  ,  à  laquelle  le  mens  d'winior  semble  avoir 
manque'  tout-à-fait.  J'aime  à  croire  que  le  peintre  n'a  pas  rendu 
fidèlement  son  modèle  ;  car,  à  voir  celte  large  figure  ,  ce  regard 
sans  expression ,  ces  traits  épais  ,  de'pourvus  de  caractère  mo- 
ral, on  croirait  avoir  sous  les  yeux  un  vrai  moine  de'froqué 
ou  quelque  bon  vivant  de  bas  e'tage  plutôt  qu'un  homme  ap- 
pelé, par  des  facnlte's  supe'rieures  et  par  une  foi  ardente,  à 
consommer  une  grande  re'volution  religieuse.  Il  ne  manque 
au-dessous  d'un  pareil  portrait  que  ce  distique  connu  du 
re'formateur  : 

Wer  nicht  liebt  weib,  wein  und  gesamb, 
Der  bleibt  ein  narr  sein  leben  lang. 

M.  Walsh  n'oublie  ni  les  monumens,  ni  les  points  de  vue, 
ni  les  traits  historiques,  ni  les  e'crivains ,  ni  les  hommes  su- 
pe'rieurs  en  tous  genres  ;  mais  il  ne  raconte  pas  toujours ,  il 
a  aussi  sa  pense'e  propre  :  il  dit  en  parlant  du  protestantisme 
qui  a  tant  agite'  la  ville  de  Bàle  : 

«  Si  l'on  e'tudie  cette  grande  révolution  religieuse  ailleurs 
que  dans  les  histoires  toutes  faites ,  on  est  amené  à  juger  peu 
favorablement  les  motifs  qui  l'ont  déterminée  même  en  met- 


246  VOYAGE    EN    SUISSE  , 

tant  à  part  le  caractère  de  plusieurs  des  principaux  acteurs. 
Il  est  aise'  de  se  convaincre  par  les  faits  que  ,  dans  ces  abju- 
rations en  masse,  lentraînenîent ,  l'esprit  d'imitation,  1  attrait 
de  la  nouveauté',  les  conside'ralions  politiques,  souvent  même 
1  inte'rêt  prive',  ont  eu  une  plus  grande  part  que  la  conviction 
consciencieuse.  En  mainte  occasion  ,  des  mesures  coërcitives 
sont  venues  stimuler  le  zèle  des  populations  indécises  ,  et  le 
protestantisme  a  eu  aussi  ses  dragonnades.  Ici  on  ne  retrouve 
rien  de  cette  haute  moralité',  de  cette  cliaritc'  immense,  de  ce 
grand  caractère  de  ge'ne'ralion  sociale  que  présente  l'avènement 
du  christianisme;  le  doigt  de  Dieu  ne  s'y  montre  nulle  part, 
et  partout  se  trahit  l'œuvre  des  passions  humaines  ;  on  sent 
enfin  qu'on  assiste  ,  non  à  la  naissance  d'une  religion  ,  mais  à 
l'établissement  d'une  secte.  » 

L'auteur  du  Voyage  en  Suisse  se  plaît,  suivant  sa  promesse 
à  opposer  les  mœurs  anciennes  aux  mœurs  nouvelles  :  «  L'an- 
cienne ville  impériale,  la  ville  savante  et  guerrière  du  moyen- 
âge  n'est  plus  aujourd'hui  qu'un  vaste  comptoir,  une  immense 
fabrique;  l'esprit  mercantile  y  a  passé  son  niveau  de  plomb, 
et  des  noms  qui  se  sont  jadis  illustrés  dans  la  république  des 
lettres  et  sur  les  champs  de  bataille,  figurent  aujourd'hui  sur 
la  porte  des  magasins  et  sur  les  lettres  de  change.  Le  descen- 
dant du  fier  Baron  s'est  fait  fabricant  de  rubans,  et  les  M*****, 
les  F****,  font  parler  d'eux  sur  toutes  les  places  de  l'Europe, 
comme  autrefois  les  Schalor  et  les  Mœneheu  dans  les  tournois 
de  l'Allemagne.  »  Oii  demeure  M.  de***?  deniandai-je  a  quel- 
qu'un de  Vhôtel  de  la  Cigogne.  Un  Bâlois  qui  était  présent  me 
répondit  :  «  Nous  n'avons  pas  ici  de  De.  »  Voilà  des  gens  bien 
anti-féodaux ,  pensai-je  à  part  moi ,  et  je  menquis  plus  tard 
de  la  cause  de  cette  singularité;  la  voici  :  la  ville  de  Bâle  est 
la  .seule  de  toute  la  Suisse  où  l'ombrageuse  vanité  des  bour- 
geois ait  imposé  le  sacrifice  de  la  particule  nobiliaire  à  tous 
les  seigneurs  qui  ont  sollicité  chez  eux  le  droit  de  bourgeoisie; 
la  morgue  praticienne  n'est  pas  la  seule  ni  la  plus  ridicule 

«  A  Bâle ,  la  vie  sociale  a  peu  d'intérêt  et  de  mouvement. 
Les  hommes  ,  après  avoir  employé  toute  la  journée  à  leui's 
affaires  ,  se  font  voiturer  à  leur  maison  de  campagne  où  ils 


EN    LOMBARDIE    ET    EN    PIEMONT.  247 

passent  leur  soirée  en  famille.  Dans  l'hiver,  ils  se  re'unissent 
pour  boire,  fumer,  deviser  sur  le  prix  des  soies  et  le  faux 
des  elfeis  publics  et  parler  j)olitique.  Les  femmes,  absorbées 
par  le  soin  de  leurs  enlans  ,  la  tenue  du  me'nage ,  les  devoirs 
de  famille,  vivent  fort  retire'es.  Les  petits  parlages  de  coterie 
(  Small  Talk  ) ,  le  tricot,  les  miroirs  explorateurs  place's  aux 
deux  côte's  de  la  fenêtre  ,  emploient  le  peu  de  momens  qui 
leur  restent,  et  le  passage  du  salon  d'ete'  au  salon  d'hiver,  du 
salon  de  gala  au  salon  de  famille,  forment,  avec  les  mariages 
et  les  naissances,  les  e've'nemens  de  leur  vie  monotone.  Elles 
n'ont  ni  le  temps  ni  la  facilite'  d'acque'rir  des  taîens  et  de  cul- 
tiver leur  intelligence  ;  les  jeunes  gens  terminent  pour  la  plu- 
p;irt  à  quinze  ou  seize  ans  des  e'tudes  superficielles,  et  cher- 
chent un  emploi  plus  lucratif  de  leur  temps  ,  soit  dans  le 
comptoir  paternel  ,  soit  dans  quelque  maison  de  banque  ou 
de  commerce  à  l'e'tranger.  Si  les  arts,  les  sciences  et  la  litte'- 
rature  sont  cultive's  à  Bâie,  c'est  par  exception  et  comme  à 
la  de'robe'e.  Les  seuls  plaisirs  qu'on  y  connaisse  sont  les  dîners 
et  puis  encore  les  se'jours  annuels  aux  eaux  de  Bade  et  de 
Schinzenach. 

»  Avec  les  vieilles  mœurs  ,  Bâle  a  conserve'  beaucoup  de 
vieilles  institutions.  Les  lois  somptuaires,  par  exemple,  y  sont 
toujours  en  vigueur ,  et  les  Jîâloises  qui  ont  des  diamans  ,  ne 
les  peuvent  porter  qu'aux  eaux.  Parmi  toutes  ces  femmes  de 
millionnaires,  il  n'en  est  aucune  qui  ose  avoir  nn  cachemire!!!  n 

Nous  avons  emprunte'  nos  citations  h  un  même  chapitre  de 
l'ouvrage  de  M.  Walsh.  Il  n'en  est  aucun  qui  n'eût  pu  nous 
offrir  des  re'cits  et  des  traits  également  inte'ressans.  Plusieurs 
pages  du  livre  nous  ont  même  paru  de  beaucoup  supe'rieures 
à  celles  que  nous  avons  transcrites.  Tous  ceux  qui  ont  par- 
couru la  Suisse  et  qui  voudront  rafraîchir  leurs  souvenirs  ou 
les  comple'tcr,  tous  ceux  qui  ont  le  dessein  de  visiter  cette 
contre'e,  et  qui  voudront  se  munir  d'un  guide  sincère  et  in- 
structif, se  procureront  le  J'oya^c  de  M.  Théobald  Walsh  ; 
il  ne  sera  pas  moins  agréable  et  utile  aux  personnes  qui  ne 
peuvent  voir  par  elles-mêmes  ce  pays  extraordinaire  sous  le 
triple  rapport  des  mœurs ,  des  institutions  ,  de  la  nature.  — 
Kevuc  Européenne ,  n°  34- 


248 


DÉCOnVCnTES   inCFOILTANTES 

FAITES    PAR    M.  RUPPELL    EN    ABYSSINIE. 

Etat  actuel  de  FAbyssinie.  —  Nature  du  sol.  —  Apparence  de  sa  sur- 
face. —  Anarchie  générale.  —  Antiquité  de  son  origine.  —  Livres  et 
manuscrits  curieux  rapportés  par  M.  Ruppell.  — Une  bible;  un  ouvrage 
attribué  à  Salomon  ;  deux  nouveaux  livres  d'Esdras  :  addition  au  livre 
d'Esther  ;  le  livre  d'Enoch  j  quinze  nouveaux  psaumes.  —  Code  de 
l'Abyssinie.  ■ —  Corruption. —  Commerce.  — Ruines. —  Inscriptions 
découvertes.  —  Religion. 

Nous  avons  annoncé  l'arrive'e  au  Caire  du  savant  M.  Ruppell ,  qui 
vient  de  terminer  un  voyage  en  Abyssinie  ;  nous  annoncions  ea 
particulier  que  d'iinportans  naanuscrits  avaient  été  trouvés  par  ce 
voyageur  (ci-dessus  tom.  IX,  p.  216).  Voici  d'autres  détails  sur 
son  voyage  et  sur  les  précieux  manuscrits  qu'il  eu  rapporte,  extraits 
du  journal  qui  se  publie  en  français  à  Alexandrie  sous  le  titre  de 
Moniteur  c'gypt'en, 

((  M.  Ruppell  vient  de  partir  pour  l'Europe,  emportant  avec  lui 
une  prodigiouse  quantité  d'objets  précieux  ,  et  surtout  dobjets 
d'histoire  naturelle  qu'il  a  recueillis  pendant  son  séjour  en  Abys- 
sinie. La  ville  de  Francfort  devra  bientôt  à  ce  voyageur  illustre 
une  des  collections  les  plus  rares  et  les  plus  curieuses.  A  lui  est 
réservé  de  donner  la  description ,  et  de  faire  connaître  en  même 
temps  le  pays  qu'il  a  parcouru,  sous  ses  rapports  historiques, 
geographicjues  et  statistiques.  Voici ,  en  attendant,  quelques  uns  des 
renseignemens  que  nous  avons  puisés  dans  sa  conversation  : 

Lorsque  M.  Ruppell  se  rendit  en  Abyssinie,  il  y  a  trois  ans, 
il  n'ignorait  pas  les  dangers  qu'il  aurait  à  courir  dans  son  voyage, 
et  ceux  qui  l'attend  ucnt  durant  son  séjour.  Mais  une  volonté  ferme 
et  tenace  devait  triom|)her  de  tous  les  obstacles,  et  il  est  heureu- 
sement venu  à  bout  d'accomplir  sa  belle   entreprise. 

La  première  chose  qui  la  frappé  dans  l'aspect  général  de  l'A- 
byssinie a  été  la  nature  volcanique  du  terrain.  Il  est  évident  que* 


DÉCOUVERTES    FAITES    PAR    M.    RUPPELL    EN    ABYSSINIE.      249 

dans  des  temps  reculés,  ce  pays  a  ëtë  bouleversé  par  les  érup- 
tions du  feu  central.  On  y  voit  peu  de  vastes  plaines,  mais  des 
montagnes  fort  hautes  en  couvrent  la  surface.  Quelques-unes  ont 
jusqu'à  i3,ooo  pieds  d'élévation  au-dessus  du  niveau  de  la  mer, 
d'après  les  observations  barométriques  de  notre  voy.igeur.  Le  som- 
met de  ces  montagnes  est  à-peu-près  constamment  couvert  de  neige  ; 
car,  même  lorsqu'elle  vient  à  fondre,  durant  le  jour,  aux  rayons 
ardens  du  soleil,  le  froid  de  la  nuit  rassemble  de  nouveau  autour 
des  pitons  élevés  les  vapeurs  dont  l'atmospLère  est  chargée  con- 
tinuellement. Ces  vapeurs  qui,  sur  les  montagnes,  se  condensent 
en  flocons  de  neige,  descendent  dans  les  régions  inférieures  en 
pluies  abondantes  durant  toute  l'année,  mais  principalement  depuis 
le  mois  de  mai  jusqu'à  la  fin  de  septembre.  Ces  pluies  continuelles 
alimentent  ou  grossissent  les  rivières  qui  parcourent  le  pays,  et 
surtout  l'un  des  principaux  afîluens  du  Nil ,  connu  sous  le  nom 
de  Nil  Bleu.  Aucune  de  ces  rivières  n'est  cependant  navigable, 
et  cet  inconvénient  est  une  des  causes  nombreuses  qui  entravent 
toutes  les  relations  commerciales. 

Depuis  70  ans  surtout  ,  lAbyssinie  est  on  peut  dire  livrée  à 
une  anarchie  continuelle.  La  guerre  en  est  l'état  habituel.  Dans 
claque  localité  la  force  brutale  écrase  le  faible.  Partout,  le  plus 
fort  et  le  plus  adroit  s'empare  du  pouvoir.  Sa  réputation  de  bra- 
voure lui  vaut  des  partisans  qui  sont  prêts  à  le  seconder  dans 
toutes  les  circonstances.  On  se  bat  de  province  à  province ,  de 
village  à  village.  Dans  une  invasion,  ou  pille,  on  brûle,  on  sac- 
cage tout ,  et  les  habilaus  du  pays  conquis  sont  emmenés  et  ven- 
dus comme  esclaves.  Tel  est  le  tableau  déplorable  que  pre'sente 
une  contre'e  ou  il  n'y  a  plus  d'autorité  suprême  reconnue.  Là  , 
on  ne  peut  espérer  quelque  repos  que  sous  un  chef  qui  fait  trem- 
bler ses  voisins.  La  terreur  qu'il  inspire  est  la  seule  sauve-garde 
que  l'on  ait  contre  les  entreprises  des  autres  tribus.  Mais  ordinai- 
rement, à  sa  mort,  il  y  a  de  terribles  représailles  du  dehors, 
tandis  qu'au  dedans  on  se  tue  ,  on  s'égorge  pour  lui  succe'der. 
Nous  ne  connaissons  pas  d'état  plus  effroyable  que  celui-là,  d'après 
la  peinture  que  nous  en  a  faite  M.  Ruppell. 

Cependant ,  ce  peuple  d'Abyssinie ,  tout  detliire'  qu'il  est  par 
les   divisions   intestines ,   u'eu  conserve  pas  moins  une  haute  opi- 


250  i>ÉCOUVERTES    EN     \BYSSINIE  , 

nioa  de  son  importance  et  de  l'antiquité  de  son  origine.  Il  fait 
remonter  son  e'tablissement  à  la  dispersion  des  peuples  après  la 
confusion  des  langues  de  la  tour  de  Babel  ;  et  comme  ,  d'après 
lui,  on  parlait  quatre-vingts  langues  à  l'époque  de  la  conslructioa 
de  cette  fameuse  tour  ,  et  qu'il  y  a  dans  son  pays  environ  qua- 
rante dialectes ,  il  en  conclut ,  d'après  une  logique  particulière , 
qu'il  vaut  à  lui  seul  autant  que  tous  les  autres  peuples  ensemble. 
Du  reste ,  les  annales  que  les  Abyssiniens  ont  conservées  répon- 
dent assez  bien  à  l'opinion  emphatique  qu'ils  ont  de  leur  première 
origine.  Ils  prétendent  que  leurs  souverains  et  plusieurs  de  leurs 
familles  se  rattachent ,  par  une  filiation  non  interrompue ,  au  roi 
Salomon  et  aux  juges  place's  à  la  tête  des  douze  tribus  d'Israël. 
Voilà  sans  doute  une  antiquité  assez  respectable  ;  il  ne  reste  plus 
qu'à  l'établir  sur  des  preuves  bien  authentiques  ;  ce  qui  n'a  pas 
encore  été  fait  (i). 

M.  Ruppell ,  qui  a  rapporte'  avec  lui  une  trentaine  de  manus- 
crits abyssiniens  de  différents  formats,  a  pu  cependant,  à  leur 
aide,  et  en  les  corrigeant  ou  les  suppléant  les  uns  par  les  autres, 
composer  une  chronologie  satisfaisante  depuis  J.-G,  ,  et  surtout  de- 
puis le  treizième  siècle.  Il  n'y  a  qu'une  seule  lacune  qui  se  présente 
au  dixième  siècle  ,  époque  oii  le  pays  fut  ravagé  complètement 
par  une  invasion  étrangère.  Ces  manuscrits  ,  dont  le  plus  ancien 
ne  remonte  pas  au-delà  du  quinzième  siècle,  sont  tous  écrits  sur 
parchemin  ;  plusieurs  sont  même  tout-à-fait  modernes.  L'un  d'eux 
contient  une  hisloire  et  une  ^<?o^/«/) Aie  géne'rales  du  globe.  M.  Rup- 
pell le  regarde  comme  la  traduction  de  quelque  ouvrage  arabe;  car 
les  Abyssiniens  ne  paraissent  pas  avoir  jamais  été  en  position 
d'acque'rir  des  notions  suffisantes  pour  composer  un  pareil  livre. 
Les  deux  manuscrits  les  plus  précieux  qu'il  a  pu  se  procurer 
sont  ,  en  premier  lieu,  une  Bible  qui  renferme  un  nouvel  ouvrage 
de  Salomon  ,  un  ou  deux  nouveaux  livres  d'Esdras  et  une  ad- 
dition  conside'rable  au  livre  d'Esther  ;  le  tout  complètement  in- 


(i)  Le  rédacteur  du  journal  égyptien  paraît  ignorer  les  travaux  de 
Bruce,  do  Ludolf,  de  Sali,  d'Ejriès  et  de  Sylvestre  de  Sacy  sur  l'his- 
toire de  TAbyssinie.  Voir  ci-dessus  tom.  VII,  p.  537- 


FAITES    PAR    M.    KUPPELL.  251 

connu  à  l'Europe.  Elle  conlient  aussi  le  livre  d'Enoch  (i)  et  les 
quinze  nouveaux  Psaumes ,  dont  l'existence  avait  déjà  été  révéle'e 
aux  savans. 

Le  second  de  ces  manuscrits  est  une  espèce  de  code  que,  les 
Abyssiniens  font  remonter  au  concile  de  Nicée ,  époque  où  il  fut 
promulgué  par  un  de  leurs  rois.  Ce  code  est  divisé  en  deux  livres. 
Le  premier  se  rapporte  au  droit  canon ,  et  traite  des  rapports  de 
l'Église  avec  le  pouvoir  temporel,  le  second  est  une  sorte  de  code 
civil  qui  règle  les  rapports  des  divers  membres  de  la  société 
entre  eux. 

Ces  manuscrits ,  qui  embrassent  tout  ce  qu'il  y  a  d  inte'rcssant 
dans  la  littérature  des  Abyssiniens  ,  si  l'on  peut  se  servir  de  ce 
terme,  ne  renferment  aucun  ouvrage  de  poésie  ;  à  moins  que  l'on 
ne  veuille  qualifier  de  ce  nom  une  espèce  de  poème  où  sont  célé- 
brés, avec  le  retour  d'une  certaine  coiisonnance  dans  les  phrases, 
mais  sans  aucun  rhytiime  suivi ,  les  cvénemeus  d'une  grande  ré- 
volution politique  qui  se  passa  au  quinzième  siècle.  Quelques  chants 
d'église  présentent  aussi  le  retour  de  la  consonnance  dont  nous 
parlons,  mais  rien  de  plus.  Tout  cela  prouve  que  ce  peuple  n'a 
jamais  eu  de  véritables  poètes.  Les  manuscrits  dont  il  s'agit  sont 
écrits  dans  l'ancienne  la:jgue  du  pays  ,  appelée  la  langue  ghiz  ou 
ghez ,  aujourd'hui  comprise  de  Irès-peu  d'individus  ,  si  ce  n'est  dans 
la  partie  orientale  de  l'Abyssinie  où  l'on  parle  encore  un  idiome 
qui  a  quelques  rapports  avec  l'aucien. 

Le  code  dont  nous  venons  de  parler  a  éprouvé  beaucoup  de  va- 
riantes ,  h  travers  le  laps  des  temps  ,  dans  les  diflérentes  contrées 
de  l'Abyssinie.  Le  texte  qu'en  a  rapporté  M.  Ruppell  lui  a  été 
donné  comme  le  plus  pur  par  le  chef  d'une  de  ces  familles  que  l'on 
fait  descendre  des  juges  d'Israël,  et  qui ,  de  temps  immémorial,  ont 
conservé  le  droit  de  rendre  dans  le  pavs  une  sorte  de  justice.  C'est 
le  seul  homme  honnête  que  notre  voyageur  nous  a  dit  avoir  ren- 
contré dans  toute  l'Abyssinie.  Voilà,  certes,  un  bien  effroyable 
peuple  ,  que  celui  où  l'on  ne  pourrait  pas  même  trouver  les  sept 


(i)  Le  livre  d'Enoch,    apporté  déjà  par  Bruce,  a  été  traduit  en  an- 
glais ,  mais  non  en  français. 


252  DÉCOUVERTES    EN    ABTSSINIE  , 

justes  que  Dieu  demandait  à  la  coupable  Sodôrae  pour  la  sauver 
du  feu  du  ciel.  Quant  à  la  justice  qui  est  rendue  par  les  individus 
en  question  ,  il  ne  faut  pas  oublier  que  c'est  un  droit  à  peu  près 
illusoire.  Cette  justice  n'ayant  pas  la  force  de  se  faire  obéir,  oa 
se  conforme  à  ses  décisions  ou  on  les  rejette ,  comme  on  l'entend. 
En  Abyssinie ,  chacun  se  fait  son  droit  à  soi-même.  La  propriété, 
par  exemple,  n'y  paraît  constituée  sur  aucun  principe  fixe.  Aussi, 
dans  les  familles,  un  père,  un  mari,  donne  arbitrairement  à  une 
femme  ou  à  un  enfant  ce  qui  lui  convient.  Si  les  autres  murmu- 
rent contre  le  partage  ,  ils  s'adressent  aux  juges  ,  quitte  à  se  battre 
ensuite ,  lorsqu'ils  ne  sont  pas  contens  de  la  décision. 

Il  est  presque  inutile  de  dire  que ,  dans  une  société  ainsi  orga- 
nisée ,  tous  les  liens  les  plus  doux  et  les  plus  sacrés  sont  singuliè- 
rement relâchés.  Un  mari  peut  avoir  autant  de  femmes  que  bon  lui 
semble.  Il  les  prend  et  les  répudie  à  volonté ,  et  lorsqu'il  a  recours 
à  l'intervention  religieuse  pour  sanctionner  un  simulacre  de  mariage  , 
sa  main  placée  par  le  prêtre  dans  la  main  de  la  femme  à  laquelle 
il  s'unit,  suffit  pour  engager  sa  foi,  autant  de  temps  qu'il  le  veut 
ou  qu'elle  le  veut  j  car ,  les  deux  sexes  jouissent  de  la  même  liberté 
pour  se  séparer  l'un  de  l'autre.  Couçoit-on,  avec  tout  cela,  que 
dans  un  pareil  pays ,  les  membres  d'une  même  famille  aient  con- 
servé, à  la  lettre  ,  la  singulière  coutume  de  se  nourrir  mutuelle- 
ment ,  en  portant  à  la  bouche  les  uns  des  autres  les  mets  dont  ils 
font  usage?  Lorsqu'on  reçoit  un  étranger,  la  politesse  abyssinienne 
veut  aussi  que  la  maîtresse  du  logis  lui  pre'sente  pendant  le  repas, 
comme  à  un  enfant  à  la  bavette,  tout  ce  qu'il  doit  manger.  C'est 
une  règle  qui  n'admet  pas  d'exception. 

Quant  à  leurs  principaux  alimens ,  outre  le  pain  fait  avec  des 
céréales  particulières  au  pays,  ils  font  aussi  usage  de  la  viande  de 
bœuf  toute  crue.  Ils  ont  soin  de  la  de'pe'cer  encore  toute  fumante 
au  moment  où  l'animal  vient  d'être  tué.  Pour  la  chair  de  mouton  , 
ils  se  contentent  de  l'approcher  quelques  instans  d'un  feu  vif  avant 
de  la  manger.  Un  bœuf  ne  coûte  guère  que  deux  ou  trois  talaris  [i) , 
et  l'on  a  plusieurs  moutons  ou  une  centaine  de  poules  pour  le  tiers 


(i)  Le  talari  vaut  à  peu  près  5  francs  de  notre  monnaie. 


FAITES    PAR    M.     RUPPELL.  253 

de  cette  valeur.  Quant  aux  objets  de  moindre  importance,  on  se 
les  procure  par  Toie  d'e'cbange.  Des  grains  de  poivre  ,  des  morceaux 
de  sel  gemme  d'un  poids  déterminé  servent  généralement  à  ope'rer 
ces  transactions.  Une  trentaine  environ  de  ces  morceaux,  de  sel 
équivalent  à  un  talari.  Le  commerce  de  ces  contrées  est  à  peu  près 
nul.  Massouah  qui  est  le  seul  port  où  vienne  aboutir  le  commerce 
d importation  et  d'exportation,  ne  voit  jamais  les  droits  de  douane 
s'ëlever  au-dessus  de  35,ooo  talaris  dans  l'espace  d'une  année. 
Qu'est-ce  que  cela  pour  toute  une  contrée  aussi  vaste  que  l'Abyssi- 
nie  ;  mais,  il  faut  le  dire  aussi,  privée  de  tout  genre  d'industrie 
et  presque  dépeuplée  ?  C'est  à  peine  si  Massouah  compte  2,000  âmes. 
Gondar,  qui  en  est  la  capitale,  en  a  tout  au  plus  6,000.  Cette  éva- 
luation est  loin  de  celle  de  Bruce ,  qui  donne  5o,ooo  âmes  à  cette 
dernière  ville.  Il  est  vrai  que  depuis  les  choses  ont  bien  change. 
La  guerre  et  la  barbarie  se  sont  presse'es  de  de'truire.  Aujourd'hui, 
les  deux  tiers  des  maisons  de  Gondar  ne  pre'sentent  que  l'aspect 
d'une  dévastation  générale.  Au  reste,  dans  tout  le  pays,  les  de- 
meures des  habitans  sont  l'image  vivante  de  la  misère.  Du  chaume 
ou  quelques  pierres  cimentées,  à  de'faut  de  chaux ,  avec  ufl  peu  de 
terre  glaise,  forment  les  murs  des  habitations  recouvertes  en  toits 
d'une  forme  conique.  C'est  là  que  vivent  pêle-mêle  hommes  et  bes- 
tiaux,  les  premiers  étendus  sur  des  peaux  de  bêtes,  et  ne  se  ga- 
rantissant durant  la  nuit ,  de  l'invasion  des  lions  et  des  léopards, 
que  par  la  clôture  la  plus  simple  ,  et  par  une  espèce  de  cour  an- 
térieure où  ces  animaux  viennent  quelquefois  dérober  le  bétail  qui 
a  e'te'  oublié. 

Le  pays  ne  présente  nulle  part  des  ruines  comparables  à  celles 
de  l'Egypte  et  de  Nubie,  si  ce  n'est  à  Axum  où  se  trouvent  quel- 
ques obélinquesul' une  grande  beauté  ,  et  quelques  labiés  de  marbre 
sur  lesquelles  sont  gravées  d'anciennes  inscriptions  grecques  con- 
nues avant  M.  Ruppcll.  Mais  nous  devons  ajouter  que  lui-même  a 
découvert,  au  milieu  des  décombres,  trois  nouvelles  tables  en  pierre 
calcaire  à^ environ  trois  pieds  de  hauteur,  sur  lesquelles  se  trouvent 
gravées  des  inscriptions  en  langue  ghiz  ou  éthiopienne ,  qui  re- 
montent au  4  siècle ,  et  qui  ont  rapport  aux  e've'nemens  de  l'épo- 
que. Les  naturels  du  pays  pre'tendent  que  beaucoup  plus  au  midi , 
ou  rencontre  des  restes  d'cdiQccs  tout-à  fait  imposaus  ;  mais  il  est 
T.   X.  18 


254  DÉCOUVERTES    E?î    ABYSSINIE  , 

impossible  de  s'y  rendre  ,  à  cause  des  peuplades  ennemies  qui  ne 
manqueraient  pas  de  vous  dépouiller  au  passage ,  et  même  d'atten- 
ter à  votre  yie.  Les  Galla,  principalement,  peuples  pasteurs  et  fé- 
roces,  adonnés  à  une  vie  nomade,  se  sont  enclavés  dans  le  pays 
au  point  de  séparer  complètement  aujoui'd'lnu  des  peuples  d'une 
même  origine.  C'est  ainsi,  qu'au-dtlh  de  la  partie  qu'ils  occupent, 
se  trouve  la  province,  tout  abyssinienne  de  CafTa,  qui  a  donné  son 
nom  à  la  précieuse  graine  que  l'on  cultive  dans  l'Yémen.  Le  café 
y  est  même,  dit-on,  supérieur  par  son  arôme  et  sa  qualité  à  celui 
de  Moka.  Malheureusement  Texportatiou  en  est  impo'^sihle,  soit  k 
cause  des  pays  qu'il  faut  traverser,  soit  à  cause  de  l'énormité  des 
droits  qu'il  faudrait  payer  sur  toute  la  roule  qui  sépare  l'Abyssinie 
de  l'Egypte. 

Si  nous  passons  maintenant  aux  mœurs  des  Abyssiniens,  nous 
les  verrons  sujets  aux  vices  les  plus  honteux  qui  puissent  flétrir 
l'humanité.  Le  vol,  le  mensonge,  la  débauche  ,  l'ivrognerie  leur  sont 
familiers.  Cruels  à  l'excès ,  ils  tirent  de  leurs  ennemis  les  vengean- 
ces les  plus  atroces.  Leur  cupidité  est  telle  qu'on  ne  peut  en  être 
garanti  que  par  leur  jalousie  réciproque. 

II  est  sans  doute  peu  intéressant  de  connaître  la  religion  que  suit 
un  peuple  aussi  corrompu;  car  la  religion  pour  lui  a  cessé,  bien 
évidemment,  d'être  un  frein  salutaire.  Le  christianisme,  comme 
chacun  sait ,  a  long-temps  fleuri  en  Abyssinie.  La  plupart  des  ha- 
bitans  se  disent  encore  chrétiens  cophtes  ,  et  reconnaissant  pour 
chef  le  patriarche  qui  réside  au  Caire.  C'est  de  lui  que  toutes  les 
années  ils  devraient  recevoir  une  espèce  de  légat ,  chargé  de  con- 
férer les  ordres  aux  piètres  du  pays.  Mais  il  paraît  que,  depuis 
long-temps,  ils  ont  évité  de  le  demander,  à  cause  de  la  dépense 
que  leur  occasionne  un  pareil  voyage ,  dont  les  frais  sont  à  leur 
charge.  En  effet ,  il  ne  faut  pas  moins ,  généralement ,  de  quatre 
mille  talaris  pour  arriver  jusqu'en  Abyssinie  ,  à  cause  des  redevances 
continuelles  qu'il  faut  payer  sur  la  route  aux  diverses  tribus.  Les 
Abyssiniens  ne  pratiquent  donc  aujourd'hui  qu'une  sorte  de  chris- 
tianisme dégénéré.  Il  y  a  aussi  beaucoup  de  Mahomélans  parmi  eux 
depuis  le  quinzième  siècle ,  époque  où  un  souverain  musulman  de 
la  côte  de  Somaulis  .fît  une  invasion  dans  leurs  provinces  ,  dont  ils 
ne  furent  délivrés  que  par  les  Portugais  établis  sur  la  côte  orien- 


FAITES    PAR    M.    RUPPELL.  255 

taie  d'Afrique.  Ces  derniers,  au  nombre  de  cinq  cents,  vinrent  à 
leur  secours  sous  la  conduite  d'un  fils  de  Vasco  de  Gama.  Beaucoup 
de  Juifs  se  trouvent  aussi  confondus  parmi  les  Abyssiniens ,  dont 
on  peut  même  dire  que  le  culte  est  un  grossier  me'lange  de  judaïsme 
et  de  christianisme.  Ajoutons  à  cela  qu'ils  sont  très-superstitieux; 
si  on  les  jugeait  par  le  nombre  de  fêtes  qu'ils  chôment  dans  l'an- 
née ,  on  les  croirait  même  plus  que  religieux  ;  car  le  nombre  de 
ces  fêtes  ne  s'élèvent  pas  à  moins  de  deux  cents.  Il  y  a  une  foule 
de  saints  dont  ils  consacrent  la  mémoire  une  fois  par  mois.  Ils 
reconnaissent  la  Vierge  comme  mère  du  Christ ,  et  en  cette  qualité 
ils  lui  adressent  de  profonds  hommages.  Leurs  églises  offrent  de  tou- 
tes parts  des  images  grossières  des  objets  de  leur  culte.  II  peut  être 
curieux  d'apprendre  que,  vers  le  quinzième  srècle ,  un  artiste  ita- 
lien de  Venise,  nommé  Branca,  s'était  réfugié  dans  ce  pays,  et  v 
avait  continué  à  cultiver  la  peinture.  C'est  à  lui  que  l'on  doit  sans 
doute  les  souvenirs  informes  d'un  art  dans  lequel  on  prétend  qu'il 
avait  quelque  habileté.  Au  reste ,  toutes  les  industries  de  quelque 
utilité  sont  exercées  dans  le  pays  par  des  étrangers,  et  surtout  par 
des  Juifs  et  des  Levantins. 

Tout  prouve ,  cependant ,  que  l'Abyssinie  a  joui  autrefois  des 
bienfaits  d'une  civilisation  plus  ou  moins  parfaite.  M.  Ruppell  nous 
a  montré  quelques  médailles  abyssiniennes  de  l'époque  bysantine  , 
parfaitement  conservées ,  et  qui  servent  de  preuve  à  certains  pro- 
grès dans  les  arts,  puisque  jamais  une  branche  ne  prospère  et  ne 
fleurit  seule.  Fasse  le  ciel ,  que  de  beaux  jours  reviennent  pour  ce 
pays,  et  qu'ils  puissent  s'enorgueillir  dans  l'avenir  d'occuper  un 
rang  parmi  les  nations  policées.  » 


18. 


256 


iVV\^/V«i\AA(\AAVV«V\AVV«'VV\V«Af\A'\VV%AA/\(VV\V\Aa'V\'VV\^AAVV\VV\(V^ 


-^(vv^  l^AA(Vv\»AA^wv'V^/%vv» 


BDOSrA7AILT£    DEVANT    L'OFFICI ALITÉ   DE    PARIS    (i). 

Un  des  ëvenemens  de  l'histoire  contemporaine  sur  lesquels 
il  est  reste'  plus  de  nuages,  est  la  proce'dure  qui  eut  lieu  avant 
le  second  mariage   de   Buonaparte,  en   1810.  On  savait  qu'un 
senatus-consulte  du  16  décembre  1809  avait  de'clare'  le  premier 
mariage  avec  Jose'jdiine  dissous.  On  avait  ouï  dire  vaguement 
que  l'olTicialite'  de  Paris  e'tait  intervenue  dans  celte  affaire;  mais 
on  n'avait  à  cet  e'gard  aucun  renseignement  positif.  Tabaraud, 
qui   publia    en    181 5  une  brochure   inlitule'e   du  Divorce  de 
N.  Buonaparte  avec  Joséphine,  iu-8'  de  56  pages,  ne  connais- 
sait presque  rien   des   faits  :  ce  qui  n'est  pas  e'tonnant  quand 
on  se  rappelle  à  que!  point  la  presse  e'tait  encbaîne'e  sous   le 
re'gime  impe'rial.  Les  historiens  qui  sont  venus  depuis  n'ont 
pu  donner  que  des  conjectures  assez  inexactes.  Cest  ce  qui  a 
engage  un  eccle'siastique  qui  s'e'lait  trouvé  mêle'  dans  cette  af- 
faire à  raconter  ce  qui  s'est  passe'.  M.  l'abbé  Rudemare  était 
alors  promoteur  de  i'officialité  diocésaine;  il  est  le  seul  survi- 
vant parmi  les  officiaux  et  les  promoteurs  de  ce  temps-là.  MM.  Le- 
jeas ,  Corpet  et  Boislesve  sont  morts.  M.  l'abbé  Rudemare ,  qui 
a  été  depuis  curé  des  Blancs-Manteaux ,  et  qui  a  donné  sa  dé- 
mission en  i83o,  a  donc  rédigé  un  récit  de  la  procédure  sui- 
vie à  I'officialité  relativement  au  premier  mariage   de   Buona- 
parte. Ce  récit,  qui  était  resté  dans  ses  papiers  depuis  1810, 
il  l'a   fait    imprimer    à  quelques  exemplaires   pour  plusieurs 
bibliothèques  publiques  et  pour  ses  amis.  Il  a  bien  voulu  noas 
en  adresser  un.  Ce  récit  est  curieux,  et  nous  avions  d'abord 
songé   à    en  faire   une  analyse;  mais  nous  en  avons   reconnu 
ensuite  la  difficulté.  Ce  récit  est  simple  et  précis;  il  est  sans 
phrases ,  et  l'on  ne  pourrait  le   mutiler  sans  lui  faire  perdre 
quelque  chose  de  son  intérêt.  Nous  le  donnerons  donc  tel  que 
l'auteur  l'a  dressé  ;  c'est  une  pièce  pour  l'histoire  ecclésiastique 
et  politique  de  l'époque  : 

(i)  VAmi  de  la  Religion,  n"  2808  et  aSii. 


BUONAPARTE    DEVAîïT    l'oFFICIALITÉ    DE    PARIS.  257 

Narré  de  la  Procédure  à  loccasion  de  la  demande  en  nullité 
du  mariage  de  Napoléon  Buonaparte  et  de  Joséphine  Tascher 
de  la  Pagerie. 

Ils  reçurent  dans  la  chambre  del'impe'ratrice  ,  aux  Tuileries, 
la  be'ne'diction  nuptiale,  des  mains  du  cardinal  Fesch,  grand- 
aumônier,  le  samedi    i"  de'cembre  1804. 

Les  moyens  de  nullité'  qu'on  mit  en  avant,  furent  : 

Le  défaut  de  présence  du  propre  prêtre. 

Le  défaut  de  présence   des  témoins. 

Le  défaut  de  consentement  de  la  part  de  l'empereur. 

Le  vendredi  11  de'cembre  1809,  les  deux  ofïiciaux  de  Paris, 
MM.  Lejeas  et  Boilesve,  et  les  deux  promoteurs,  MBL  Corpet 
et  Rudemare  ,  furent  invile's  à  se  rendre  le  jour  même  chez 
rarchi-chancelier,  qui  avait  auprès  de  lui  le  ministre  des  cultes. 

n  Par  un  article  inse're'  au  se'natiis-consulte  du  16  de  ce  mois, 
leur  dit-il,  je  suis,  comme  vous  l'avez  pu  voir,  autorise  à  pour- 
suivre par-devant  qui  de  droit ,  l'efTet  des  volonte's  de  Sa  Ma- 
jesté'. L'empereur  ne  peut  espe'rer  d'enfant  de  l'impe'ratrice 
Jose'pbine.  Cependant  il  ne  peut ,  en  fondant  une  nouvelle  dy- 
nastie, renoncer  à  l'espoir  de  laisser  un  be'ritier  qui  assure  la 
tranquillité',  la  gloire  et  l'inte'grite'  de  l'empire  qu'il  vient  de 
fonder.  Il  est  dans  l'intention  de  se  remarier,  et  veut  épouser 
une  catholique;  mais,  auparavant,  son  mariage  avec  l'impe'- 
ratrice Jose'pbine  doit  être  annulé,  et  mon  intention  est  de  le 
soumettre  à  l'examen  et   à  la  décision  de  l'ofïicialité.  » 

Cette  cause,  dirent-ils  aussitôt,  est  une  de  celles  qui  sont 
réservées,  sinon  de  droit,  au  moins  de  fait,  au  Souverain- 
Pontife. —  Je  ne  suis  pas,  répondit  l'archi-chanceîier  ,  autorisé 
à  recourir  à  Rome.  —  Il  n'est  pas  besoin,  répliquai-je ,  de  re- 
courir à  Rome  pour  avoir  la  décision  du  Pape  ;  il  est  à  Savonne. 
—  A  la  bonne  heure,  reprit-il  ;  mais  je  ne  suis  pas  chargé  de 
traiter  avec  lui;  et,  dans  les  circonstances  actuelles,  cela  est 
impossible.  —  Monseigneur,  il  y  a  à  Paris  nombre  de  cardinaux 
à  qui  on  peut  soumettre  celte  affaire.  —  Ils  n'ont  pas  ici  de 
juridiction,  dit  l'arcbi-chancelier.  —  Mais,   monseigneur,  il 


258  BUOÎÏAPA.RTE 

existe  ici  une  commission  de  cardinaux ,  archevêques  et  e'vêques 
assembles  relativement  aux  affaires  de  l'Eglise.  — Ils  ne  forment 
pas  un  tribunal,  re'pliqua-t-il;  1  officialite' en  est  un  e'tabli  pour 
connaître  de  ces  sortes  de  causes.  —  Oui,  prince,  entre  par- 
ticuliers ;  mais  la  dignité  e'minente  des  personnes  en  cause  ne 
permet  pas  à  l'officialité  de  se  regarder  comme  un  tribunal 
compe'tent.  — Pourquoi  donc?  est-ce  qu'il  n'est  pas  libre  à  S.  M. 
de  se  pre'senter ,  si  bon  lui  semble,  devant  un  tribunal  e'tabli 
pour  ses  sujets  et  compose'  de  ses  sujets?  Qui  peut  lui  en  con- 
tester le  droit?  —  Il  le  peut,  continuai  je  ;  mais  cela  est  tel- 
lement contre  l'usage ,  que  nous  ne  pouvons  prendre  sur  nous 
de  nous  regarder  comme  juges,  à  moins  que  ce  comité'  ne 
de'cide  sur  notre  compe'tence.  Dispose's  que  nous  sommes  à 
faire  tout  ce  qui  est  en  nous  pour  prouver  à  S.  M.  notre  de'- 
vouement ,  nous  ne  pouvons  nous  dispenser  de  prendre  tous 
les  moyens  de  mettre  notre  responsabilité  à  couvert  et  notre 
conscience  en  repos.  En  nous  chargeant  de  cette  affaire  ,  nous 
devenons  un  spectacle  au  monde  ,  aux  anges  et  aux  hommes. 
—  Mais,  dit  le  prince,  nous  ne  voulons  pas  que  cette  affaire 
soit  publique  et  que  les  journaux  anglais  s'en  saisissent.  Toutes 
les  pièces  en  seront  dépose'es  dans  la  cassette  de  S.  M.  (i), 
et  nous  vous  demandons  le  plus  profond  secret.  Le  ministre 
des  cultes  vous  fera  passer  la  de'cision  que  vous  demandez. 
Là  dessus  ,  il  lut  le  projet  de  requête  qu'il  e'tait  dans  l'in- 
tention de  soumettre  au  tribunal,  et  dans  laquelle  il  pre'sentait 
comme  moyen  de  nullité'  le  de'faut  de  pre'sence  du  propre  prêtre 
et  des  témoins.  Sur  l'observation  qui  lui  fut  faite  que  tout  Paris 
voulait  que  le  mariage  eût  e'ie' fait  dans  les  formes  à  Paris  en  1796, 
il  dit  que  le  samedi  i"'  de'cembre  i8o4  ,  veille  du  sacre,  Sa 
Majesté,  qui,  prévoyant  ce  qui  arrive  aujourd'hui,  n'avait  ja- 
mais voulu  consentir  que  son  mariage  fût  béni ,  qui  s'y  était 


(i)  Ces  pièces  au  nombre  de  onze,  ont  été,  le  20  janvier  1810,  par 
noire  greHier  ,  remises  à  M.  lî.  M.,  duc  de  Bassano .  ministre-secré- 
taire d'État,  qui  lui  en  a  donné  une  décharge  restée  avec  l'inventaire 
de  ces  pièces  au  greffe  de  l'oflicialité. 


DEVANT    l'oFFICIALITÉ    DE    PARIS.  259 

même  refuse  quand  la  henediction  nuptiale  Tut  donnée  dans 
le  château  au  roi  et  à  la  reine  de  Naples ,  au  roi  et  à  la  reine 
de  Hollande,  au  duc  d'Aremberg  et  à  M""  Tascher  ,  fatigue'  des 
instances  de  l'impératrice,  avait  dit  au  cardinal  Fesch  de  leur 
donner  la  be'ne'diction  nuptiale,  et  que  le  cardinal  la  leur  avait 
donne'e  dans  la  chambre  même  de  l'impe'ratrice  ,  sans  témoins 
et  sans  cure'.  Je  demandai  l'acte  de  ce'le'bration. — Il  n'y  en 
a  pas,  re'pondit  l'arcliichancelier.  —  L'acte  de  baptême  de  l'em- 
pereur?—  Je  ne  l'ai  pas,  rt'pliqua-t-il.  —  C'est  pourtant  une 
pièce  qu'il  nous  est  prescrit  de  nous  procurer.  —  Je  ne  puis 
vous  la  procurer,  mais  je  l'ai  vue;  et  il  me  semble  que  la 
parole  d'un  prince  doit  vous  suffire.  Puis  il  ajouta  :  Nous  de'- 
sirons  que  celte  aflaire  se  termine  promptement,  et  avoir  le 
plus  tôt  possible  la  décision  du  tribunal.  —  Monseigneur,  ré- 
pondis-je ,  cette  aflaire  ,  suppose'  que  la  compe'tence  du  tribunal 
soit  de'cide'e  ,  doit  absolument  être  instruite  et  jugée  comme 
celle  de  tous  les  sujets  de  S.  M. — Quoi!  dit  l'archi  chancelier, 
vous  voulez  suivre  les  formes?  tout  cela  va  traîner  en  lon- 
gueur :  j'ai  e'té  jurisconsulte;  eiles  tuent  le  fonds.  —  Quelque- 
fois, monseigneur;  mais  elles  servent  beaucoup  à  conduire  à 
la  coimaissance  delà  ve'rite',et  nous  ne  pouvons  nous  y  soustraire 
sans  que  notre  procédure  soit  frappe'e  de  nullité'.  Nul  doute 
cependant  que  tout  ne  se  fasse  avec  les  e'gards  et  la  de'ference 
dus  à  la  majesté  impériale.  D'ailleurs,  rien  ne  s'oppose  à  ce 
que  celte  seconde  question  soit  encore  soumise  au  comité ,  sur 
ce ,  on  se  sépara. 

Le  26,  n'entendant  parler  de  rien ,  j'écrivis  à  l'archi-cbancelier  : 

«  Mandés  par  V.  A.  S.  pour  l'entendre  sur  une  affaire  à 
laquelle  nous  n'étions  point  préparés,  nous  n'avons  pu  préci- 
ser les  points  sur  lesquels  le  tribunal  diocésain  désirait  que 
la  commission  voulût  bien  l'éclairer  :  l'olGcialité  craint  de 
compter  parmi  ses  justiciables  le  chef  de  1  État.  La  majesté 
du  trône,  qui  lui  paraît  inconciliable  avec  les  attributions  d'un 
tribunal  diocésain  ,  l'importance  qu'attache  à  un  jugement  le 
rang  suprême  se  présentant  devant  la  justice ,  enfin  l'usage  in- 
variable de  soumettre  ces  sortes  de  causes  au  chef  suprême 


260  BUONAPARTE 

de  l'Eglise,  tout  lui  fait  une  loi  de  recourir  aux  lumières  du 
comité'  assemblé  chez  S.  A.  E.  le  cardinal  Fesch. 

«  Voici  donc  les  articles  sur  lesquels  le  tribunal  demande 
que  le  comité'  veuille  bien  s'expliquer  : 

»  i''L'officialite'  dioce'saine  de  Paris  est-elle  compe'tente  pour 
prononcer  sur  la  validité'  du   mariage  de  leurs  Majeste's  ? 

»  2"  Suppose'  quelle  le  soit,  £erait-el!e  justifiable  de  juger 
cette  affaire  sans  remplir  les  formalités  auxquelles  elle  est 
assujettie  ? 

j»  3°  Enfin  ne  sera-t-il  pas  nécessaire  d'épuiser  tous  les  de- 
grés de  juridiction? 

1)  Nous  soiumes  aux  pieds  de  S.  M.  Notre  amour  et  notre 
fidélité  sont  sans  bornes.  Tout  ce  qui  n'excède  pas  nos  pouvoirs, 
S.  M,  est  en  droit  de  l'attendre  de  notre  dévouement.  Tout 
ce  qui  ne  blesse  pas  notre  conscience  nous  devient  un  devoir, 
et  nous  ne  craindrons  pas  de  lui  être  fidèles  ,  en  voyant  le 
plus  puissant  des  souverains  soumettre  la  sienne  à  un  jugement. 

1)   RuDEMARE ,  Prom.  dioc.  » 

Nous  fûmes  sans  réponse  jusqu'au  i^' Janvier, que  M.  Guyeu, 
secrétaire  des  commandemens  de  madame-mère ,  écrivit  à 
M.  l'oilicial  que ,  chargé  des  pouvoirs  du  prince  pour  suivre 
auprès  de  l'officialité  une  affaire  importante  et  dont  l'urgence 
est  extrême,  il  désirait  en  entretenir  le  tribunal. 

Le  2  au  malin  ,  il  apporta  la  requête  de  l'arcbi-cbancelier. 
Cette  requête  portait  que  la  bénédiction  nuptiale  départie  à 
LL.  MM.  n'avait  été  précédée,  accompagnée  ni  suivie  des  for- 
malités prescrites  par  les  lois  canoniques  et  les  ordonnances. 
Elle  contenait  un  nouveau  moyen  qui  nous  surprit  beaucoup, 
le  défaut  de  comtentcinent  de  la  part  de  l  empereur  ;  et  finissait 
par  demander  au' il  fût  dit  et  déclaré  que  le  mariage  de  LL.  MM, 
a  été  mal  et  non  valablement  contracté  ,  et  qu'il  sera ,  comme 
tel ,  réputé  nul  et  de  nul  effet  quoad  foedus. 

Au  bas  de  cette  requête ,  j'écrivis  :  Je  suis  d'avis  qu'avant 
toute  procédure ,  la  décision  des  prélats  soit  attendue. 

Elle  fut  présentée  de  suite,  signée  du  cardinal  Maury,  et 


DEVAITT    l'0FFIGIA.L1TÉ    DE    PARIS.  261 

le  tribunal  décida  qa'on  attendrait  qu'elle  fût  indiTidnellement 

sigrie'e  par  les  pre'lats. 

Le  3 ,  M.  Gayeu  l'apporta  signëe  des  cardinaux  Maury  et 
Cnzelli,  de  l'arclievèque  de  Tours  ,  M.  de  Baral ,  et  des  e'véques 
de  Verceil,  M.  Canaveri  ;  dEvreux,  M.  Bourlier;  de  Ti'èves, 
M.  Mannay,  et  de  Nantes,  M.  Du  Voisin. 

Cette  de'cision ,  portant  la  compe'tence  de  l'officialite'  et  le 
recours  aux  trois  degre's  de  Juridiction  dioce'saine,  me'tropo- 
litaine  et  primatiale,  statuait  sur  un  point  sur  lequel  la  com- 
mission n'avait  certes  pas  e'te'  consultée ,  c'est-à-dire  qiCà  moins 
que  le  consentement  ne  fût  Lien  prouué,  le  mariage  était  nul 
de  plein  droit!  !  !  et  ne  disait  rien  sur  la  forme  de  proce'dure 
à  suivre. 

Ayant  pris  de  nouveau  lecture  de  la  requête  en  pre'sence 
de  M.  Giiyeu  ,  je  lui  observai  qu'elle  e'tait  entortille'e  et  presque 
inintelligible.  Les  de'clarations  des  te'moins  ,  me  re'pondit-il, 
mettront  le  tribunal  au  fait  de  tout. 

Alors  il  se  mit  en  devoir  d'exposer  l'affaire  à  peu  près  comme 
avait  fait  le  prince  ,  avec  cette  diffe'rence  que  ,  laissant  presque 
de  côte'  le  de'faut  de  pre'sence  de  te'moins  et  de  cure' ,  il  in- 
sista beaucoup  sur  le  de'faut  de  consentement,  qu'il  repre'senta 
comme  un  consentement  simuld,  donne'  seulement  pour  con- 
tenter l'impe'ratrice.  Il  ajouta  que  les  te'moins  qu'il  voulait 
faire  entendre  e'taient  le  duc  de  Frioul  Duroc  ,  le  prince  de 
Neufcbâtel  Bertliier,le  prince  vice-graiul-electeur  Talieyrand , 
et  le  cardinal  grand-aumônier  Fescb.  On  fixa  pour  l'enquête  le 
samedi  6. 

Le  6,  l'enquête  se  fit  à  dix  beures  du  matin,  l'offici al  et  le 
greffier  s'étant  transporte's  chez  les  te'moins.  Le  procès-verbal 
et  les  de'clarations  me  furent  remis  le  lendemain  dimancbe, 
à  midi;  et,  presqu'au  même  moment,  un  commissionnaire 
m'apporta  deux  lettres,  une  de  M.  Guyeu  ,  qui  me  pro'venait 
que  mes  conclusions  e'taient  attendues  ])our  le  lendemain  8, 
à  onze  heures  ,  me  menaçant  de  la  colère  de  S.  M.,  si  la  sen- 
tence n'était  pas  rendue  ledit  jour  à  l'heure  indiquc'e;  et  l'autre 
de  l'official  me'tropolitain,  dans  le  même  seus.  Je  passai  la  nuit, 


262  BUONAPARTE 

et  fus  prêt  ;  mais  M.  Guyea ,  sans  donner  de  motif,  fît  remettre 
la  se'ance  aa  mardi. 

Je  profitai  de  ce  re'pit  pour  communiquer  mes  conclusions 
a  M.  l'alibé  Desjardins ,  docteur  de  Sorbonne  ,  ancien  vicaire- 
ce'ne'ral  d'Orléans  et  cure'  des  missions  e'trangcres  ;  à  M.  Lagct- 
Bardolin ,  avocat  du  cierge',  et  à  M.  l'abbé  Euiery,  docteur 
de  Sorbonne  et  supe'rieur  du  se'minaire  Saint-Sulpice  ,  qui  les 
approuvèrent. 

Le  tribunal  se  re'unit  donc  le  mardi  9,  à  midi,  dans  le  pre'- 
toire  de  l'officialite',  c'tabli  pour  lors  dans  l'ancienne  cbapelle 
haute  de  l'arcbevêcbe'. 

Là,  après  que  M.  Guyea  eut  extravague'  pendant  une  demi- 
heure  et  plus  sur  le  non-consentement  de  l'empereur,  disant 
qa^il  n'avait  jamais  eu  l'intention  de  contracter,  et  faisant  va- 
loir en  faveur  d'un  homme  qui  nous  fait  tous  trembler  ,  un 
moyen  de  nullité'  qui  ne  fut  jamais  invoque'  utilement  que  par 
un  mineur  surpris  ou  violente',  je  fis  mon  rapport,  et  donnai 
mes  conclusions  comme  il  suit  : 

«  La  question  porte'e  au  tribunal,  e'tant  unique  dans  son  es- 
pèce ,  paraît  au  promoteur  aussi  difficile  qu'elle  est  impor- 
tante. Il  n'a,  pour  le  guider  dans  ses  conclusions,  ni  l'autorité' 
des  jugemens  pre'ce'dens,  ni  celle  des  jurisconsultes.  Il  ne  voit 
devant  lui ,  pour  se  conduire,  que  la  lumière  de  sa  conscience 
et  son  de'vouement  sans  bornes  pour  S.  M.  I.  et  R. 

»  Mais  ce  dernier  sentiment,  grave'  dans  son  cœur  en  traits 
profonds,  loin  d'aplanir  à  ses  yeux  la  difficulté',  la  rend  plus 
e'pineuse  ;  il  ne  craindra  pas  d'avouer  qu'il  concluerait  plus 
hardiment  en  faveur  de  S.  M.  s'il  de'sirait  moins  de  lui  plaire. 
S'il  tremble,  c'est  de  surprendre  en  soi  un  mouvement  de  zèle 
pour  la  personne  là  où  il  ne  doit  conside'rer  que  la  cause. 

»  Cependant,  recueilli  devant  Dieu,  le  promoteur  conclura 
selon  ses  faibles  lumières;  et  cette  liberté'  de  ministère  sera 
un  te'moignage  e'clatant  en  faveur  du  plus  puissant  souverain 
de  l'univers,  à  qui  il  convient  d'avoir  pour  serviteurs  les  ma- 
gistrats les  plus  intègres  et  dans  leurs  saintes  fonctions  les  plus 
iodépeDdans. 


DEVAWT    l'oFFIGIALITÉ    DE    PARIS.  263 

)»  La  cause  a  été  introduite  par  un  expose'  de  S.  A.  S.  le 
prince  arclù-chancelier  de  l'empire,  portant  : 

»  i"  Que  la  bénédiction  nuptiale  départie  à  S.  M.  n'a  été 
précédée,  accompagnée  ni  suivie  des  J'ornialités  prescrites  par 
les  lois  canoniques  et  les  ordonnances  ; 

»  1°  Qu'il  n^y  a  pas  eu,  de  la  part  de  S.  M.  l'empereur  et 
roi ,  consentement  à  ce  mariage. 

»  Ordonnance  d'information  snr  ces  deux  faits  ;  audition  de 
témoins,  an  nombre  de  quatre.  Dépositions  faites  par  écrit, 
et  consignées  dans  des  déclarations  sous  serment  ,  écrites  et 
signées  de  chacun  des  déposans. 

»   Le  tribunal  a  à  s'éclairer  sur  ces  deux  points. 

»  Trois  déposans  s'accordent  à  dire ,  sur  les  deux  chefs  , 
que  la  bénédiction  nuptiale,  si  elle  a  eu  lieu  entre  LL.  MM.^ 
a  eu  lieu  sans  consentement  véritable  de  la  part  de  S.  M.  l'em- 
pereur,  sans  propre  prêtre ,  sans  témoins,  et  sans  pièce  autheii- 
ticjue  qui  constate  son  existence. 

»  Or,  un  acte  dont  il  n'y  a  ni  titres  ni  témoins,  n'a  pas  de 
réalité  aux  yeux  du  juge;  il  n'existe  pas,  et,  s'il  n'existe  pas, 
il  n'y  a  lieu  à  déclarer  le  mariage  valablement  ou  non  vala- 
blement fait,  avec  ou  sans  consentement  suffisant  :  il  est  non 
avenu.  Ce  qui  se  passe  dans  le  secret  d  un  appartement  entre 
deux  personnes,  sans  aucune  trace  légale,  est,  devant  la  loi, 
comme  ce  qui  se  passe  dans  l'intéiieur  de  l'âme,  et  n'a  que 
Dieu  pour  juge. 

»  Si  donc  nous  nous  en  tenions  aux  trois  déclarations  sus- 
dites ,  nous  n  y  chercherions  des  éclaircissemens  ,  ni  sur  le 
premier  ,  ni  sur  le  deuxième  chef  de  l'information  ;  mais  nos 
conclusions  seraient  que,  n'y  ayant  aucun  monument,  ni  écrit, 
ni  testimonial  de  mariage  entre  LL.  INDL  ,  il  n'y  a  lieu  à  ju- 
gement, puisqu'on  ne  peut  statuer  sur  la  qualité  d'un  acte  qui 
n'existe  pas,  ni  déclarer  nul  ou  valable  ce  qui  n'est  aux  yeux 
de  la  loi  qu'un  être  idéal  et  fantastique. 

»  Mais  la  déclaration  de  S.  A.  E.  le  cardinal  Fesch  ne  nous 
permet  pas  de  considérer  la  cause  sous  cet  aspect.  Ici,  c'est 
un  témoin  et  le  ministre  même  de  la  bénédiction  nuptiale.  Sa 
déclaration  est  un  monument  qui  l'établit  incontestablement. 


264 


BUONAPARTE 


Il  en  a  même  délivré  le  certificat  a  S.  M.  l'impe'ratrice.  La 
question  se  pre'sente  donc  tout  entière  ;  et  nous  avons  à 
examiner  : 

»  I"  Si  la  ce'le'bralion  a  e'té  revêtue  des  formalite's  prescrites 
sous  peine  de  nullité'  par  les  saints  canons  et  les  ordonnances; 

»  2"  Si  le  de'faut  allègue'  est  tel  qu'il  puisse  motiver  une  sen- 
tence de  nullité'. 

..  Quant  au  premier  point,  les  lois  de  l'Eglise  et  de  lEtat 
prescrivent,  sous  peine  de  nullité'  du  lien  conjugal,  que  la  ce'- 
le'bration  ait  lieu  devant  le  propre  prêtre  et  en  pre'sence  de 
deux  te'moins,  selon  le  concile  de  Trente,  et  de  quatre,  selon 
l'ordonnance  de  Blois, 

»  Dans  le  cas  actuel,  il  y  a  de'faut  de  pre'sence  des  te'moins; 
il  est  atteste'  par  les  de'clarations  annexe'es  à  l'enquête  ;  il  y 
a  de'faut  de  pre'sence  du  propre  prêtre.  En  effet  ,  c'est  par 
S.  A.  E.  le  cardinal  grand -aumônier  que  la  be'ne'diction  nup- 
tiale a  e'te'  de'partie  hors  la  pre'sence  du  cure'  :  ce  fait  est  e'ga- 
lement  constant.  Ce  qui  ne  l'est  pas  moins,  c'est  que  ces  deux 
de'fauts  ne  peuvent  être  couverts  par  la  dispense  qu'il  a  ob- 
tenue du  chef  de  l'Eglise  universelie.  S.  A.  E.  n'ayant  demandé 
que  les  dispenses  qui  lui  sont  quelquefois  indispensables  pour 
remplir  ses  devoirs  de  grand-aumônier  ^  et  n'ayant  point  par- 
ticularisé et  nominativement  spécialisé  la  fonction  extraordi- 
naire et  curiale  qu'il  allait  exercer  auprès  de  S.  M.,  n'a  pu 
recevoir  et  n'a  reçu  ni  la  dispense  des  témoins  exigés  par  les 
lois  civiles  et  canoniques ,  ni  le  pouvoir  de  se  substituer  au 
curé,  on  à  l'ordinaire,  dont  l'intervention  est  absolument  re- 
quise par  le  concile  et  la  déclaration  de  i63g,  nonobstant  tout 
privilège  et  coutume  quelconque.  Ainsi  l'a  décidé  Grégoire  XIII. 
C'est  aussi  un  sentiment  unanimement  reçu  en  France ,  qu'en 
fait  de  mariage ,  l'évêque  seul  est  ordinaire. 

»  Louis  XIII  dans  son  édit  de  162g,  et  Louis  XIV  dans 
celui  de  1697,  l'ont  insinué  assez  clairement,  en  ne  s'y  ser- 
vant pas  du  ternie  d'ordinaire,  mais  de  celui  d'évêque  ou  d'ar- 
clievcque  diocésain. 

«   Voilà  pour  le  premier  point  de  l'enquête. 

»  Pour  le  second  point,  relatif  au  défaut  de  consentement. 


DEVANT    l'oFFICIALITÉ    DE    PARIS.  265 

la  question  se  présente  environne'e  de  difficulte's  et  d'obscurité'. 
A  !a  ve'nle' ,  S.  jM.  l'empereur  ne  s'est  prête'  à  la  cele'bration 
qu'avec  re'pugnance  ,  et  pour  céder  aux  instances  de  S.  M.  l'im- 
pe'ratrice  ;  à  la  ve'rite' ,  il  n'a  pas  voulu  se  lier  par  un  engage- 
ment indissoluble  ;  mais  il  est  difficile  d'e'tablir  suffisamment 
qu'il  y  ait  eu  défaut  du  consentement  nécessaire  à  la  forma- 
tion du  lien.  La  question  se  re'duit  à  savoir  si  l'intention  for- 
melle de  ne  se  point  lier  irre'vocableraent,  intention  contraire 
à  la  nature  du  lien  conjugal,  e'tait  un  obstacle  invincible  à  la 
formation  du  lien ,  ou  si  le  consentement  donne'  dans  la  ce'le'- 
bration  suffisait  pour  en  produire  les  effets  essentiels ,  nonob- 
stant tonte  intention  contraire.  Question  al)struse  et  très-diffi- 
cile à  re'soudre  en  droit  comme  en  fait.  Si  donc  l'examen  de 
cette  question  n'e'tait  pas  ne'cessaire ,  il  semble  qu'il  faudrait 
éviter  de  s'y  engager. 

M  Mais  le  seul  de'fant  de  te'moins  n'est-il  pas  un  vice  qui 
emporte  de  soi  nullité?  Oui,  sans  doute.  La  seule  difficulté'  qui 
se  pre'sente,  et  elle  est  grave,  c'est  qu'un  de'faut  de  formalite's 
ne  peut  être  favorable  à  celui  qui  l'a  produit  librement.  Aussi 
les  tribunaux  ont-ils  coutume  de  juger,  en  pareil  cas,  que  le 
mariage  a  e'te'  mal  et  non  valablement  contracte'  par  de'faut 
d'une  formalité'  essentielle  ,  mais  d'enjoindre  en  même  temps 
aux  parties  de  couvrir  incontinent  ce  de'faut ,  en  renouvelant 
le'galement  leur  consentement. 

»  Il  y  a  donc  en  ces  jugemens  deux  parties  très-distinctes, 
l'une  qui  déclare  le  mariage  nul  quand  fœdus  ,  l'autre  qui 
condamne  à  le  re'liabiliter ,  et  l'on  sent  que  cette  dernière  est 
ne'cessite'e  par  les  raisons  les  plus  graves  d'e'quite'  et  d'ordre 
public. 

»  Cependant  il  n'est  pas  moins  vrai  que ,  pour  des  raisons 
majeures  qui  sortent  de  l'ordre  commun,  des  raisons  d'Etat, 
par  exemple,  il  se  pourrait  bien  qu'il  n'y  eût  pas  lieu  d'in- 
sister sur  la  re'liabilitation.  C'est  à  M.  l'official  à  conside'rer  dans 
sa  sagesse  si  les  circonstances  pre'sentes  ne  l'autorisent  pas  à 
s'e'carter  sur  ce  point  des  règles  de  son  tribunal. 

»  D'après  ces  observations  pre'liminaires ,  qui  lui  ont  para 
essentielles  pour  motiver  ses  conclusions , 


266  BUON APARTE 

»  Le  promoteur  ge'ne'ral  du  diocèse  de  Paris ,  le  siëge  va- 
cant ,  qui  a  vu  : 

»  i"  L'acte  présente'  an  nom  de  LL.  MM.  IL  et  RR.  par  S. 
À.  S.  le  prince  arcliichancelier  de  l'empire,  duc  de  Parme, 
leur  procureur  fonde',  ainsi  qu'il  appert  d'une  clause  du  se- 
natus-consulte  du  i6  de'cembre  1809,  ledit  acte  en  date  da 
3o  de'cembre  même  anne'e  ,  portant  de'claration  d'un  mariage 
ce'le'bre'  entre  S.  M.  l'empereur  et  roi  Napole'on  et  S.  M.  l'im- 
pe'ralrice  et  reine  Jose'phine  ,  à  Paris,  le  i^"^  de'cembre  1804, 
et  demande  en  nullité  dudit  mariage  ; 

»   2°  Le  se'natus-consulte  susdit  j 

1)  3°  La  de'cision  des  sept  pre'lats,  qui  porte  que  cette  cause, 
de'fe're'e  à  notre  ofïicialité ,  est  de  notre  compe'tence  ordinaire  : 
ladite  de'cision  transcrite  dans  notre  re'quisitoire  du  3  de  ce 
mois  ; 

»  4°  Les  ordonnances  et  re'quisitoires  ensuite  de  l'acte  ex- 
positif de  la  demande  ; 

M  5°  Le  procès-verljal  d'enquête  ; 

»  6'  Enfin,  les  de'clarations  assermente'es  des  témoins,  en 
date  du  6  janvier  18 10, 

)»  Estime  I"  que  le  mariage  entre  LL.  MM.  l'empereur  et  roi 
Napoléon  et  l'impératrice  et  reine  Joséphine,  doit  être  regardé 
comme  mal  et  non  valablement  contracté,  et  nul  qiioad fœ- 
diis ,  faute  de  la  présence  du  propre  pasteur  et  de  celle  des 
témoins,  voulues  par  le  concile  de  Trente  et  les  ordonnances; 

»  2''  Que  les  parties  doivent  cesser  de  se  regarder  comme 
époux ,  jusqu'à  réhabilitation; 

1)  3°  Que  lui,  promoteur,  doit  s'en  rapporter,  comme  de 
fait  il  s'en  rapporte  à  la  sagesse  de  M.  l'ofïicial ,  pour  pronon- 
cer ,  s'il  y  a  lieu ,  dans  les  circonstances  majeures  où  nous 
sommes  ,  et  pour  raisons  d'Etat ,  à  déclarer  LL.  MM.  IL  et 
RR.  libres  de  cet  engagement  ,  avec  faculté  d'en  contracter 
an  autre. 

»  Fait  et  conclu  à  Paris,  le  8  janvier  1810. 

»  RuDEMARE,  promot.  dioc.  »> 


DEVANT    l'oFFICIALITÉ    DE    PARIS.  267 

Suit  la  sentence  de  M.  i'official ,  dont  voici  la  teneur  : 

a  Nous,  Pierre  Boilesve  ,  prêtre,  docteur  en  droit  canon  , 
chanoine  honoraire  de  l'e'glise  me'tropolitaine  de  Paris,  et  of- 
ficiai dioce'sain ,  le  sie'ge  vacant,  à  tous  ceux  qui  ces.  pre'sentes 
lettres  verront,  salut  : 

»  Savoir  faisons  que  ,  vu  l'acte  à  nous  pre'sente  le  3o  de'- 
cembre  1809 ,  au  nom  de  LL.  MM.  II.  et  RR. ,  par  son  S.  A.  S. 
le  prince  archi-chancelier  de  l'empire ,  leur  procureur  fonde', 
ainsi  qu'il  appert  d'une  clause  du  se'natus- consulte  du  16  de'- 
cembre  1809  ,  ledit  acte  en  date  du  3o  de'cembre  même  an- 
ne'e,  portant  de'claration  d'un  mariage  ce'le'bre'  entre  S.  M.  l'em- 
pereur et  roi  Napoléon  et  S.  M.  l'impe'ratrice  et  reine  Jose'pbine, 
à  Paris,  le  i*""  de'cembre  i8o4,  et  demande  en  nullité'  dudit 
mariage  ; 

»  Et  attendu  la  difficulté'  de  recourir  au  chef  visible  de  l'E- 
glise ,  à  qui  a  toujours  appartenu  de  fait  de  connaître  et  pro- 
noncer sur  ces  cas  extraordinaires  ; 

»  Vu  la  de'cision  des  sept  prélats,  qui  porte  que  cette  cause, 
de'fe're'e  à  notre  tribunal,  est  de  notre  compe'tence  ordinaire  : 
ladite  de'cision  signe'e  de  tous  et  transcrite  au  dos  de  l'acte 
susdit  ; 

»  Le  se'natus-consulte  susdit  ,  les  ordonnances  et  re'quisi- 
toires  ensuite  de  cet  acte,  ensemble  le  procès  verbal  d'enquête, 
avec  les  déclarations  assermente'es  des  te'moins  en  date  du  6 
janvier  1810  ; 

»  Après  avoir  ou'i  M.  Rudemare ,  prêtre,  chanoine  hono- 
raire de  Paris,  et  promoteur-ge'ne'ral  du  diocèse,  en  ses  con- 
clusions laissées  sur  le  bureau,  en  date  du  jour  d'hier,  et 
dont  expe'dition  signe'e  de  lui  sera  annexe'e  à  la  pre'sente 
sentence  ; 

»  Tout  conside're',  après  avoir  invoque'  le  saint  nom  de  Dieu, 
de  qui  procède  tout  jugement , 

»)  Disons  et  déclarons  que  le  mariage  entre  LL.  MM.  l'em- 
pereur et  roi  Napole'on  et  l'impe'ratrice  et  reine  Jose'phine ,  a 
e'ie  mal  et  non  valablement  contracte',  et  qu'il  est  comme  tel 
nul  et  de  nul  efl'et ,  giioadj'œdus ; 


268 


BUONAPARTE 


»  Déclarons  et  prononçons  LL.  MBI.  II.  et  RR.  libres  de  cet 
engagement,  avec  la  faculté'  d'en  contracter  un  autre,  en  ob- 
servant toutefois  les  formes  voulues  par  le  saint  concile  de 
Trente  et  les  ordonnances  ; 

»>  Disons  que  LL.  MM.  ne  peuvent  plus  se  banter  ni  fre'- 
quenter,  sans  encourir  les  peines  canoniques; 

»  De'ciarons  en  outre  aux  parties ,  qu'à  raison  de  la  contra- 
vention par  elles  commise  envers  les  lois  de  l'Eglise,  dans  la 
pre'tendue  célébration  de  leur  mariage  ,  il  est  de  leur  devoir 
pour  re'paration  de  ladite  contravention  ,  de  faire  aux  pauvres 
de  la  paroisse  Notre-Dame  une  aumône  dont  nous  leur  laissons 
la  libre  appréciation. 

»  Ce  fut  ainsi  fait  et  Jugé  par  nous  officia!  susdit,  au  pré- 
toire de  l'officialité  diocésaine,  le  mardi  g  janvier  i8io. 

»   Signé  BoiLEsvE  ,  officiai.     Signé  Barbie  ,  greffier.  » 

De  cette  sentence  ,  aussitôt  et  séance  tenante  ,  j'appelai  au 
métropolitain.  Mon  appel,  fondé  sur  ce  que  M.  l'official ,  qui 
a  jugé  selon  sa  sagesse,  n'en  a  pas  moins  j'igé  contre  la  pra- 
tique ordinaire  des  tribunaux  en  pareil  cas  ,  fut ,  le  même 
jour,  signifié  par  notre  greffier  an  promoteur  métropolitain, 
qui ,  le  surlendemain ,  donna  des  conclusions  conformes  à  la 
sentence  diocésaine. 

Quant  à  l'official  métropolitain  ,  il  donna  ,  dans  le  sens  de 
M.  Guyeu ,  une  sentence  confirmative  qu'il  fonda  particulière- 
ment sur  le  non-consentement  de  lempereur;  de  plus,  il  cen- 
sura le  mode  de  réparation  expressément  exigé  par  les  lois 
canoniques,  et  réforma  la  partie  de  la  sentence  diocésaine  qui 
la  contient,  prononçant  qu'elle  serait  annulée  et  regardée  comme 
non  écrite  dans  ladite  sentence. 

Le  dimanche  14?  le  Moniteur  ayant  rendu  de  l'affaire  un 
compte  inexact,  et  avancé  que  l'official  diocésain  avait  déclaré 
la  nullité  du  mariage  de  S.  M.  quant  au  lien  spirituel,  je  m'en 
plaignis' à  l'arcbi-chancelier,  lui  disant  que  le  tribunal  ne  dis- 
tinguait pas  dans  le  mariage  le  lien  civil  et  le  lien  spirituel  ; 
qu'il  ne  connaissait  que  le  lien  purement  et  simplement,  aux 
termes  des  saints  canons,  lej'œdus  dont  la  requête  demandait 
qu'on  prononçât  l'annulation.  L'arcbi-chancelier  me  répondit 


DEVAIT    l'oI'FICIALITÉ    DE    PARIS.  269 

que  les  re'dacteurs  île  joarnaux  n'e'taient  pas  des  canoaistes. 
Et  puis,  contlnuai-je ,  comment  concilier  le  silence  que  vous 
nous  avez  recommandé  avec  la  publicité  que  vous  venez  de 
donner  à  notre  sentence?  Ne  trouvez-vous  pas  qu'on  est  en 
droit  de  lui  faire  le  même  reproche  que  nous  avons  fait  au 
mariage,  et  que,  s'il  n'en  reste  aucun  vestige  dans  notre  greffe, 
on  est  justifie'  d'en  contester  la  re'gularité  et  même  l'existence? 
Le  prince  alors  consentit  ;i  ce  que  les  conclusions,  sentences 
et  appel  fussent  portés  sur  les  registres  des  oiïicialités ,  comme 
d'usage. 

Voilà  comme  a  été  terminée  cette  affaire  ,  dont  je  ne  me 
suis  réservé  ce  mémorial  que  pour  m'aider  à  me  laver  au  be- 
soin devant  l'Eglise,  dont  je  fais  profession  de  craindre  plus 
les  censures  que  la  colère  de  S.  M.,  du  reprocbe  d'usurpation 
de  juridiction  ,  de  précipitation  et  de  prévarication. 

Paris,  3o  janvier  1810.    Rldemare,  promoteur  diocésain. 

Ce  qui  suit  est  en  écriture  à  la  main  sur  notre  exemplaire  : 

«  Les  jugeraens  hasardés  qu'ont  portés  sur  la  question  da 
mariage  de  Buonaparle  les  nouvelles  Histoires  de  France  qui 
me  sont  tombées  sous  la  main  ,  celles  entr'autres  de  Rojou  , 
de  Monfgaillard  et  de  Gallais  ,  continuateur  d'Anquetii ,  m'ont 
déterminé  à  faire  d'abord  transcrire,  puis  inijuimer  quelques 
exemplaires  de  ce  Narré  qui  était  resté  dans  mon  porte-feuille 
depuis  1810,  et  à  en  déposer,  de  moi  signés,  dans  plusieurs 
bibliothèques  publiques  de  la  capitale. 

»  J'ai  cru  aussi  devoir  en  remettre  à  de  respectables  amis, 
avec  prière  de  les  communiquer  aux  personnes  qui  ,  pensant 
a  faire  entrer  dans  des  mémoires  du  temps  cette  procédure  , 
leur  demanderaient  des  renseignemens  positifs  sur  la  manière, 
dont  a  été  conduite  à  l'ofllcialité  de  Paris  ,  dans  des  temps 
difficiles,  cette  affaire  à  laquelle  j'ai  été  obligé,  par  le  devoir 
de  ma  place ,  de  prendre  une  part  active. 

))  Paris,  t4  août  1826. 

»  RuDEMARE,  cban.  bon.  de  Paris,  ex-promoteur 
diocésain ,  et  curé  de  N.-D.  des  Blancs-Manteaux.  » 

T.  X.  19 


2.70  ANTIQUITÉS    ÉGYPTIENNES  , 


VW  WV  WW  WWWVW  VW  WWW  W\<  VWVW 


DES  SECOURS 

QUE   Ii'ÉTUSE    DES    ANTIQUITÉS    ÉGTFTIEMNES 

DOIT   TROUVER  DANS   LES   ÉCRITS  DE   LA   BIBLE. 

DISCOURS     LU      A    l'aGADÉMIE     CATHOLIQUE     DE     ROME     PAR     LE 
P.     OLIVIÉRI  ,    GÉ^ÉRAL    DES    DOMINICAINS    (1). 


Avantages  <\e  1  ctucle  des  antiquités  égyptiennes.  —  La  statue  de  Mem- 
non  expliquée.  —  Système  de  Manélhon. — L'Egypte  n'est  pas  aussi 
ancienne  que  le  disent  certains  savans.  —  Preuves  tirées  de  la  for- 
mation du  sol.  —  De  son  astronomie.  —  Peuplée  par  Cham.  — 
Amnon  Jupiter.  —  La  plupart  des  arts  sont  antérieurs  au  déluge. 

«  Le  but  des  fondateurs  de  V Académie  de  la  Tieligion  catholi- 
que a  ctë  de  suivre  les  progrès  de  l'esprit  bumaiu  dans  toutes  les 
branches  des  sciences  ,  pour  montrer  que  ,  loin  d'arriver  à  aucune 
conséquence  défavorable  à  la  religion ,  chacune  des  sciences  en 
présente  une  preuve  nouvelle ,  et  en  reçoit  à  son  tour  une  direc- 
tion plus  vraie  et  des  lumières  plus  grandes.  C'est  sous  ce  point 
de  vue ,  que  j'ai  cru  devoir  vous  entretenir  aujourd'hui  des  élu- 
des sur  les  Antiquités  égyptiennes  ;  déjà  un  des  membres  de  cette 
Académie  vous  a  parlé  des  zodiaques  de  Denderah ,  auxquels  on 
avait  tenté  d'attribuer  une  antiquité  prodigieuse  \  il  vous  a  prouve 
qu'ils  ne  pouvaient  être  que  modernes  ;  les  vrais  savans  applau- 
dirent à  ses  paroles  de  toutes  les  parties  de  l'Europe,  et  le  nom 
de  monseigneur  Testa  est  rangé  parmi  ceux  des  restaurateurs  de 
la  science  astronomique.  Il  s'est  ensuite  trouvé  que  les  peintures 
égyptiennes  des  zodiaques  du  temple  de  Denderah  appartiennent 
à  l'époque  de  la  domination  romaine ,  comme  il  résulte  des  in- 
scriptions soit  grecques  soit  hiéroglyphiques ,  dans  une  desquelles 


(i)  Annales  de  Phil.   Chrél.  n°  5o. 


EXPLIQUÉES    PAR    LES    RÉCITS    DE    LA    BIBLE.  271 

est  nommé  Tibère,  tandis  que  dans  une  autre  est  mentionné  le 
titre  d'Juiocrator.  Le  petit  temple  de  Esné ,  dont  on  faisait  re- 
monter l'origine  à  2'joo  ou  3ooo  ans  avant  Jësus-Christ ,  a  une 
colonne  peinte  et  sculptée  la  dixième  année  du  règne  d'Antonin, 
i4y  ans  après  Jésus-Christ  (i). 

»  Monseigneur  Testa  avait  traité  un  seul  point  des  antiquités  égyp- 
tiennes. J'ai  pense  qu'il  serait  avantageux  d'offrir  quelques  consi- 
dérations générales  sur  ces  mêmes  antiquités  dans  le  but  de  prou- 
ver que  leur  étude  exige  le  secours  de  la  sainte  Écriture  pour  ne 
pas  s'écarter  de  la  vérité,  pour  acquérir  des  fondemens  plus  so- 
lides et  des  lumières  plus  sûres. 

»  Je  dois  dire  d'abord  que  je  suis  bien  loin  de  de'nigrer  l'étude 
des  antiquite's  égyptiennes;  je  suis  au  contraire  convaincu  qu'elles 
jettent  de  la  lumière  sur  1  histoire  ,  les  arts,  les  sciences,  et  que 
par-dessus  tout  elles  doivent  servir  au  triomphe  de  la  religion  ; 
ainsi  les  efforts  de  la  curiosité  humaine  pour  les  explorer  ,  quel 
que  soit  le  but  des  investigateurs ,  aura  pour  dernier  résultat  de 
lui  fournir  de  précieux  documens. 

«  Pour  en  citer  un  exemple ,  vous  avez  tous  entendu  dire  que  le 
colosse  de  Memnon,  frappé  par  les  rayons  du  soleil  naissant,  fai- 
sait entendre  des  sons  harmonieux  ;  plusieurs  écrivains  en  ont 
parlé,  le  géographe  Strabon  assure  l'avoir  entendu  lorsqu'il  ac- 
compagnait Elius-Gallus.  Il  pre'vient,  il  est  vrai,  qu'il  ne  sait  si  le 
bruit  venait  du  colosse,  ou  de  sa  base,  ou  de  quelqu'un  des  as- 
sistans.  Or,  nous  savons  aujourd'hui  qu'un  voyageur  anglais,  en 
explorant  les  ruines  de  cette  antique  Thèbes ,  a  découvert  la  base 
de  la  fameuse  statue  ,  et  qu'il  y  a  remarqué  une  cavité  dans  la- 
quelle un  homme  pouvait  se  placer,  et  produire  les  sons  mys- 
térieux (2). 

»  Mais  pour  en  revenir  à  mon  sujet,  si  nous  conside'rons  la  con- 
nexion de  l'Egypte   avec   les  événemens  de  l'histoire  sacrée  ,  sa 


(i)  V.  ci-d.  tom.  III,  p.   10. 

(2)  Ce  voyageur  anglais  est  M.  Wilkinson  :  quelques  auteurs  ont  voulu 
douter  de  sa  découverte  ;  mais  ceux-là  même  ont  expliqué  le  phénomène 
de  la  voix  de  Memnou.  Voir  eu  particulier  la  Dissertation  de  M.  Letronne. 

19. 


272  LES    ANTIQUITÉS    ÉGYPTIENNES, 

proximité  de  la  Terre-Sainte,  le  contact  des  peuples  dans  leurs 
révolutions  réciproques,  les  fréquentes  allumions  des  prophètes  aux 
événemens  et  au  pays  de  l'Egypte ,  nous  comprendrons  bientôt 
que,  pour  ne  pas  se  tromper  cl  obtenir  des  eclaircissemens  cer- 
tains, l'on  est  obligé  d'avoir  recours  aux  livres  sacrés.  On  ne  parle, 
il  est  vrai,  le  plus  souvent,  que  de  cavités  sépulcrales,  de  cada- 
vres conservés  avec  tout  leur  appareil.  Mais  comme  on  ne  se  pro- 
pose rien  moins  que  de  refaire  avec  ces  documeus ,  l'hiètoire  des 
rois  qui  gouvernèrent  l'Egypte,  et  de  l'Egypte  elle-même,  ce  qui 
comprend  l'histoire  du  moude,  quant  h  son  origine  et  à  sa  durée, 
et  aussi  une  grande  partie  de  l'histoire  générale  ou  particulière 
des  autres  peuples  ;  comme  on  en  tire  des  notions  sur  les  gouver- 
nemens ,  la  civilisation,  les  sciences,  les  arts  qui  y  fleurirent  dès 
les  temps  les  plus  anciens  ;  sur  les  mœurs ,  la  religion  dont  nous 
devons  constater  l'état,  au  milieu  des  plus  monstrueuses  supersti- 
tions, pour  ne  pas  confondre  les  inventions  de  la  folie  humaine 
avec  les  traces  primitives  qui  viennent  de  Dieu,  et  1  intervention 
du  démon  avec  les  œuvres  du  Tout-Puissant ,  on  ne  saurait  ac- 
corder trop  d'attention  à  celte  étude.  » 

Le  savant  religieux  nous  donne  ici  un  tableau  rapide  des  re- 
cherches faites  par  les  amateurs  d'antiquités  égyptiennes  ;  \\  nous 
les  peint  fouillant  dans  les  entrailles  de  la  terre,  ouvrant  les  mo- 
mies, pénétrant  dans  les  nécropolis,  descendant  dans  les  puits 
sacrés,  se  glissant  dans  les  conduits  souterrains,  partout  oii  un 
temple,  une  colonne,  une  inscription  leur  permettra  de  déchiffrer 
une  page  ou  seulement  une  ligne  de  cette  histoire  encore  envelop- 
pée de  tant  de  nuages  ;  puis  il  continue  en  ces  termes  : 

«  Tels  sont  les  monumens  à  l'aide  desquels  on  espère  retrouver 
les  noms  et  les  annales  de  plusieurs  des  plus  anciens  rois-hommes 
des  quinze  premières  dynasties  d'Egypte ,  e'nuraérées  par  Manéthon. 
J'ai  dit  des  rois- hommes ,  car ,  pour  le  règne  des  dieux  et  des 
demi-dieux  ^  il  n'est  pas  considéré  comme  historique.  On  prétend, 
a  partir  de  la  i6®  dynastie,  e'tablir  avec  les  monumens  la  succes- 
sion des  Pharaon  jusqu'à  la  26^  dynastie"',  sous  le  règne  de  laquelle 
eut  lieu  la  conquête  de  l'Egypte  par  les  rois  de  Perse ,  et  de  là 
jusqu'à  la  3i®  dynastie  ,  sous  laquelle  l'Egypte  fut  conquise  par 
Alcxandre-lc-Grand.  Les  preuves  sur  lesquelles  on  s'appuie   sont 


EXPLIQUÉES    PAR    LES    RECITS    DE    LA.    BIBLE.  273 

le  Tableau  qui  se  trouve  sur  la  muraille  du  temple  d''Abydos,  le 
tombeau  de  Ben  Hassan ,  la  procession  du  Ramesseion ,  le  tombeau 
de  Carnah  ,  la  procession  de  Wédinet  Abu  et  autres  monumens 
épars  en  diffe'rens  lieux.  Or,  à  l'aide  de  ces  monumens,  on  pré- 
tend justifier  les  listes  des  dynasties  de  Manéthon  ,  qui  se  trouvent 
être  successives,  excepte  celles  des  rois  pasteurs,  qui  sont  colla- 
térales à  celles  des  rois  Ic'gitimes. 

Les  rois  pasteurs  ont  envahi  l'Egypte,  sous  le  règne  du  der- 
nier roi  de  la   16"^  dynastie. 

Quant  à  la  civilisation  de  l'Egypte,  le  professeur  Rosellini  (i) 
observe  que  «  les  monumens  encore  debout  nous  repre'sentent  cet 
))  ancien  peuple  comme  parvenu  h  un  haut  degré  dans  la  science 
»  et  les  arts ,  sans  que  l'ont  ait  aucune  trace  de  principes  de  sa 
«  constitution  civile.  »  Et  parlant  d'une  des  peintures  des  tombes 
de  Ben-Hassan,  il  dit  encore  :  «  Ce  morceau  nous  offre  une  des 
»  plus  anciennes  productions  de  l'art  ,  auprès  de  laquelle  toutes 
»  les  autres  peintures  données  pour  antiques  peuvent  être  consi- 
»   dére'es  comme  modernes.  » 

Or,  on  demandera  si,  pour  expliquer  les  monumens  e'gyptiens, 
on  a  les  mêmes  secours  que  pour  les  monumens  grecs  ou  latins, 
c'est-à-dire  ,  si  l'on  trouve  drs  écrivains  de  la  langue  égyptienne 
même,  qui  nous  aident  à  les  expliquer.  Nous  n'avons  jamais  en- 
tendu parler  d'aucun  ouvrage  égyptien  sur  l'histoire  ou  la  poésie, 
sur  les  sciences  ,  les  arts  ou  la  littérature,  nous  ne  pouvons  tirer 
aucune  lumière  de  ce  côté  ;  on  a  bien  quelques  restes  de  l'an- 
cienne langue  égyptienne  dans  le  copie,  qu'on  parla  ])lus  tard, 
mais  les  caractères  de  l'écriture  copte,  empruntés  au  grec,  ne  re- 
montent pas  au  delà  du  io«  siècle.  Le  petit  nombre  des  écrivains 
qui  en  ont  usé  sont  chrétiens. 

Quant  aux  plus  anciens  ouvrages  que  nous  ayons  sur  l'Egypte, 
on  sait  que  ce  sont  des  catalogues  de  rois ,   les  annales  de  leurs 


(1)  Le  profcs.scur  Rosellini  de  Fisc  accompagna  Champollion  clans  sa 
dernière  excursion  en  Egypte.  Plus  heureux  que  celui-ci ,  et  de  retour 
dans  sa  patrie,  il  publia  sur  les  antiquités  égyptiennes  un  grand  ouvrage 
où  Ton  regrette  de  ne  pas  voir  les  traditions  de  la  Bible  Irailces  avec 
assez  de  respect.  (  Note  du  P.  OUvièri.  ) 


274  LES    ANTIQUITÉS    ÉGYPTIENNES  , 

actious ,  conservées  dans  leurs  archives  par  les  prêtres,  comme 
aussi  les  easeignemens  secrets  de  leur  doctrine,  soustraits  à  la 
connaissance  du  vulgaire. 

On  conjecture  que  c'est  de  h  que  vient  la  liste  de  38  rois 
tbébains ,  donne'e  par  Eratoslliène  ,  et  la  liste  de  la  vieille  chro- 
nique,  qui,  avant  le  règne  des  hommes,  parle  de  la  domination 
des  dieux  et  plus  tard  des  demi-dieux  ,  avec  une  supputation  d'an- 
nées ne'cessairement  étrangère  à  l'histoire  ,  et  que  l'on  doit  rap- 
porter à  des  doctrines  cachées.  Mais  c'est  à  cette  source  que  dut 
puiser  Manéthon  pour  composer  son  ouvrage  grec,  ouvrage  divisé 
en  deux  parties,  et  présenté  au  roi  grec  de  l'Egypte,  qui  le  lui 
avait  commandé.  Une  partie  se  composait  de  canons  judiciaires, 
de  règles' pour  connaître  l'avenir;  l'autre  partie  était  historique, 
et  contenait  les  trente  dynasties  qui  avaient  régné  en  Egypte.  Nous 
avons  un  fragment  de  la  liste  de  ces  dynasties  dans  Josèphe,  nous 
en  avons  encore  des  extraits  faits  par  Jules  l'Africain  au  temps 
d'Origènc,  et  que  Sincellus  a  conserves;  Eusèbe  en  avait  fait  d'au- 
tres extraits  dans  sa  chronique,  nous  avons  retrouvé  dans  une 
traduction  arménienne ,  la  partie  que  nous  croyions  perdue. 

On  rencontre  à  la  vérité  de  notables  différences  dans  les  ex- 
traits faits  par  Josèphe  ,  Jules  l'Africain  et  Eusèbe;  mais,  même 
en  dissimulant,  en  arrangeant  pour  le  mieux  ces  extraits,  et  en 
les  comparant  ensuite  avec  les  monumens  qui  paraissent  s'accorder 
avec  eux ,  pour  leur  donner  ou  en  recevoir  des  preuves  et  des 
éclaircissemens  réciproques,  c'est  eu  vain  que  l'on  prétend  que  les 
processions  successives  de  séries  de  rois,  ou  de  personnes  appar- 
tenant à  la  famille  royale,  que  Ton  trouve  sur  certains  monumens, 
puissent  résoudre  la  grande  question  de  savoir  si  les  dynasties  sont 
successives,  ou  si  quelques-unes  d'eutr'eiles  sont  contemporaines. 
Eli  prenant,  d'après  cette  seconde  supposition,  les  différentes  dé- 
nominations de  rois,  Buùasiites  ,  Diospolilains ,  etc.,  pour  des 
indications  de  dilTérens  royaumes,  qui  ont  pu  avoir  leurs  rois  dans 
le  même  temps,  plusieurs  savans,  et  parmi  eux  Fourmout,  croient 
voir  divers  indices  de  cette  cor)temporane'ité  ,  Jusque  dans  les  ca- 
talogues de  Mane'thon  ,  et,  dans  ce  cas,  elles  peuvent  très-bien 
se  concilier  avec  la  série  des  temps  indique'e  par  la  Sainte-Ecri- 
ture ;  tandis  qu'en  les  considérant  comme  successives  ,  on  arrive 
à  un  nombre  d'anne'es  inconciliable  avec  toute  apparence  de  vérité. 


EXPLIQUÉES    PAR    LES    BÉCITS    DE    LA    BIBLE.  275 

Mais  outre  Manélhon  et  ceux  qui  ont  puisé  chez  lui,  trouvons- 
nous  dans  la  littérature  profane  quelques  preuves  à  l'appui  des  ré- 
cits des  prêtres  égyptiens?  Nous  trouvons  qu'avant  Manéthon  des 
philosophes  de  la  Grèce,  tels  que  Pjthagore,  Thaïes,  Selon,  Pla- 
ton et  d'autres  moins  connus  ,  étaient  venus  chercher  l'art  et  la 
science  en  Egypte. 

Mais,  quoiqu'il  en  soit,  nous  ne  trouvons  par  rapport  aux  évé- 
nemens  historiques,  que  des  faussetés  palpables 

Avant  Manéthon,  il  faut  encore  placer  le  voyage  d'Hérodote, 
père  de  Phistoire  profane;  il  visita  l'Egypte  lorsqu'elle  avait  déjà 
passé  sous  la  domination  des  Perses. 

Dans  son  second  livre  il  rapporte  les  récits  que  lui  avaient  faits 
les  prêtres ,  récits  très-oppose's  à  ceux  de  Mane'thon ,  et  encore 
remplis  de  falsifications  étrangères. 

Diodore  de  Sicile  alla  puiser  aux  mêmes  sources  ;  quand  les 
Romains  se  furent  emparés  de  ces  contrées  ,  les  prêtres  lui  firent 
encore  d'autres  récits  contradictoires  sur  des  points  de  la  première 
importance ,  comme  on  jjeut  le  voir  dans  sa  Bibliothèque. 

Un  pareil  chaos  de  contradictions  força  Pétau,  le  chef  des  chro- 
nologistes  ,  à  renoncer  à  établir  aucun  ordre  dans  l'histoire  de 
l'Egypte.  D'autres  hommes  distingués  ne  se  sont  pas  senti  plus  de 
courage,  et  Marsham,  qui  l'a  tenté,  a  mis  a  la  tête  de  son  livre 
cette  épigraphe  d'Aristote  :  //  est  difficile  de  mettre  en  bon  ordre 
ce  qui  est  mal  disposé. 

Les  monumens  découverts  plus  tard  ne  peuvent  donc  puiser 
qu'un  appui  défectueux  des  renseigneraens  préexistans  sur  l'Egypte, 
et  ils  seraient  propres  à  devenir  une  matière  à  mille  erreurs,  si 
l'on  prétendait  que  seuls  ils  suffisent....  Sans  doute  ils  peuvent 
être  dune  grande  utilité';  mais,  lorsque  pour  les  étudier  on  suivra 
les  lumières  que  nous  fournissent  les  Saiiites-Ecritures  ,  on  évitera 
bien  mieux  les  écarts ,  et  on  leur  donnera  des  fondemeus  bien 
plus  solides  et  bien  plus  vrais  ;  c'est ,  j'espère ,  ce  qui  va  vous 
devenir  évident. 

Les  Saintes-Ecritures  nous  enseignent  que  les  eaux  du  dc'liige 
couvrirent  toute  la  terre,  et  que  tous  les  hommes  furent  détruits, 
excepte'  la  seule  famille  de  Noé ,  dont  les  descendans  repeuplèrent 
le   monde.  Aujourd'hui  les  ge'ologues  out,  en  examinant  les  conti- 


276  LES    ANTIQUITÉS    ÉGYPTIENNES  , 

tinens  actuels ,  fait  voir  avec  la  dernière  e'vidcace  que ,  d'après 
l'état  de  ces  coutincns,  l'antiquité  du  monde  et  le  déluge  ne  peu- 
vent remonter  au-delà  de  l'époque  fixée  par  les  chronologistes.  La 
même  observation  se  présente  pour  l'Egypte  :  Hérodote  nous  ap- 
prend que  de  son  temps  la  Basse-Egypte  était  regardée  comme  un 
présent  du  JSil.  On  voit,  d'après  Homère,  que  1  île  du  Fare  était 
éloignée  d'une  journée  du  rivage  égyptien  ,  mais  elle  le  touche 
aujourd'hui,  par  un  effet  des  alluvions  formées  par  le  fleuve.  M.  Ro- 
sellini  ,  dans  son  troisième  volume,  en  nous  déciivant  la  pierre 
de  Thcbes,  nous  apprend  qu'elle  est  calcaire,  d'un  grain  très-fin; 
c'est  dans  cette  pierre  que  sont  creusés  les  hypogées  de  la  grande 
Nécropolis  ;  il  observe  qu'il  n'est  pas  rare  d'y  trouver  incrustés 
des  morceaux  de  silex  et  de  pétrifications  coquillières.  Donc  l'E- 
gypte fut  un  fond  de  mer,  fut  subiijerge'e  par  les  eaux  du  déluge, 
et  cette  prodigieuse  antiquité  que  lui  donnaient  les  prêtres  s'e'va- 
nouit ,  et  toutes  les  dynasties  qui  excèdent  celte  mesure  ne  sont 
que  des  songes. 

Nous  voyons  dans  la  Genèse  la  période  de  sept  jours,  consa- 
crée jusque  dans  la  création  du  monde  ;  nous  avons  dans  l'histoire 
du  déluge  clairement  indiquée  l'année  de  douze  mois  ,  qui  dès-lors 
était  en  usage.  Nous  avons  parmi  les  peuples  primitifs  une  tradition 
universelle,  soit  de  la  semaine,  soit  de  l'année  de  douze  mois,  et 
dès-lors  des  multiples  et  des  sous-multiples  de  douze  dans  la  divi- 
sion des  temps.  11  y  en  a  qui  prétendent  que  ce  sont  de  de'cou- 
vertes  faites  par  les  Egyptiens  depuis  un  nombre  de  plusieurs  mil- 
liers d'années;  cependant,  quoique  les  ingénieurs  de  ces  peuples 
aient  su  placer  les  quatre  faces  des  pyramides  du  côté  des  quatre 
points  cardinaux  ,  on  peut  dire  que  les  Egyptiens  avaient  encore 
assez  tard  une  année  imparfaite  et  sans  rapport  fixe  avec  les  sai- 
sons ;  comme  aussi  la  véritable  astronomie  ne  commença  à  Alexan- 
drie, sous  les  rois  grecs,  que  deux  ou  trois  siècles  avant  J.-G.  j 
Hipparque  en  fut  le  princijjal  fondateur. 

De  même,  si  l'on  cherche  des  observations  exactes  antérieures 
à  cette  époque,  ces  astronomes  n'en  trouvent  aucune  dans  leur 
Egypte;  ils  n'en  purent  obtenir  de  la  Chaldée  que  trois  sur  la 
lune,  de  ^20  ans  avant  notre  ère.  Il  est  manifeste  que  l'Egypte 
des  Pharaons,  quclqu'admiration  qu'on  ait  pour  elle,  ne  put  jamais 


EXPLIQUÉES    PAR    LES    RECITS    DE    LA.    BIBLE.  277 

faire  de  progrès  dans  la  véritable  astronomie  ;  ainsi  l'on  peut  trou- 
ver quelque  vraisemblance  au  récit  de  Josèphe ,  lorsqu'il  dit  qu'A- 
braham ,  Clialdéen  d'origine  ,  apporta  aux.  Egyptiens  les  connais- 
sances astronomiques  de  son  pays  (i). 

Nous  voyons  dans  la  Genèse,  queChara,  second  fils  de  Noé  , 
fut  le  père  des  Égyptiens,  et  en  effet,  dans  les  Psaumes,  l'Egypte 
est  appelée  le  pays  de  Cham.  Jacoh  accola  fuit  in  terra  Cham. 
Nous  observerons ,  d'après  les  Saintes-Écritures ,  que  l'ancienne 
Thèbes  s'appelait  No-Amon ,  Amon-No  ,  c'est-à-dire,  habitation 
A  mon  ou  CJiam ,  en  ajoutant  la  désinence  on. 

Nous  aussi  nous  ne  devons  pas  chercher  hors  de  Cham  les  rois 
de  l'Egypte.  Qu'une  ville  ait  pris  le  nom  d'un  homme,  nous  le 
voyons  dès  le  commencement  du  monde  ;  Gain  appela  la  ville  qu  il 
bâtit  du  nom  de  son  fils  Enos.  Ce  Cham  ou  Amon  fut  plus  tard 
l'objet  d  un  culte  idolâtrique ,  transporté  en  Gièce,  où  il  prit  le 
nom  de  Zeu?  ,  àlo? ,  elles  Grecs,  traduisant  dans  leur  langue  le  nom 
de  sa  ville  Amon  No ,  l'appelèrent  Diospolis. 

Mais,  dirons-nous  que  celte  Amon  No,  cette  Diospolis  ,  fut  dès 
le  commencement  la  capitale  de  toute  l'Egypte  ?  Je  ne  le  pense 
pas,  et  d'apiès  les  Saintes-Ecritures,  nous  devons  conclure  le 
contraire. 

Abraham  va  en  Egypte ,  pousse'  qu'il  est  par  la  famine  qui  af- 
fligeait la  terre  de  Chanaan;  que  lui  arriva-t-il?  Le  roi  fait  en- 
lever Sara  son  épouse,  qu'Abraham  avait  en  arrivant  appelée  sa 
sœur.  Or,  d'abord  ce  roi,  si  nous  considérons  qu  Abraham  venait 
en  Egypte  par  la  côte  occidentale  de  l'isthme  de  Suez  (  au  moins  pa- 


(i)  Les  ailleurs  du  grand  voyage  en  Egypte  ont  constaté  que  l'état 
de  l'atmosphère  et  Ihorizon  de  l'Egypte  ,  s'opposent  à  ce  qu'aucune 
observalion  du  lever  héliacjue  du  soleil  et  des  étoiles  de  première  gran- 
deur soit  possible.  Les  recherches  de  quelques  savaus  ,  entre  autres  de 
M.  de  Paravey ,  ont  prouvé  qu'il  existait  en  Egypte  une  année  fixe, 
en  même  temps  qu'une  année  vague.  Les  travaux  de  ce  dernier  savant 
démontrent  aussi  qu'avant  Yastronomie  savante  et  alphabétique ,  appor- 
tée par  Hpparque  en  M^f,y\t\Q  .,\\  y  3,sa\i\iï\ç,  aslrononne  hiéroglyphique  , 
également  savante,  mais  dont  les  calculs  se  renferment  dans  les  bornes 
aisignées  par  la  Bible.  (A oie  du.  D.  des  Annales.) 


278  LES    ANTIQUITÉS    ÉGYPTIENNES, 

laît-il  ainsi),  ne  devait  pas  être  loin  de  Thèbes.  Ensuite,  le  fait 
de  lui  ravir  sa  femme  nous  montre  que  ce  devait  être  un  petit  roi; 
du  reste,  il  y  en  avait  là  un  grand  nombre.  Abraham  avec  ses  ser- 
viteurs, n'en  poursuivit-il  pas  cinq,  et  ne  les  vainquit-il  pas?  ceux 
qui  vinrent  foudre  sur  la  Palestine  même,  en  avaient  combattu 
quelques  autres;  n'est-il  pas  contre  la  nature  des  cboscs,  qu'auprès 
d'uu  roi  puissant,  tel  que  l'aurait  été  un  roi  de  toute  l'Egypte,  on 
eût  vu  de  petits  princes  guerroyer  sans  cesse  entre  eux  ,  et  se 
piller  et  se  de'truire  mutuellement?  Tant  que  durèrent  ces  petits  rois, 
et  il  n'y  en  eut  pas  d'autres  à  l'origine  des  peuples,  c'est  folie  de 
supposer  l'érection  de  vastes  monumens.  Aucun  roi  égyptien  ne 
pouvait  les  construire,  pas  plus  que  ne  l'eussent  pu  ces  rois  dont 
nous  parle  Homère ,  dont  les  palais  consistaient  dans  une  salle  ,  et 
une  pièce  dans  le  fond,  de  façon  que,  pour  loger  avec  honneur 
d'autres  rois  leurs  hôtes,  ils  étendaient  en  plein  air  des  couvertu- 
res de  peau  ,  sur  lesquelles  ils  les  faisaient  dormir  à  la  belle  étoile  (i); 
les  filles  de  ces  rois  allaient  elles-mêmes  avec  leurs  servantes  laver 
les  tuniques  dans  les  fleuves.  Ces  mœurs  étaient  encore  générales 
au  temps  d'Abraham,  et  nous  ne  saurions  douter  que  ce  ne  fussent 
celles  des  principicules  de  l'Egvpte. 

En  laissant  de  côté  les  progrès  sociaux,  nous  voyons  le  roi  à 
qui  Joseph,  petit  fils  d'Abraham,  interpréta  les  songes,  entouré 
déjà  d'une  certaine  magnificence;  peut-être  alors  son  royaume  s'é- 
tendait-il sur  une  grande  partie  ,  et  même  sur  toute  l'Egypte.  Je 
dis  de  l'Egypte  d'alors  ,  mais  comme  ce  fut  Joseph,  qui  fit  vendre 
aux  Egyptiens,  pressés  par  la  disette,  les  terres  qu'ils  possédaient, 
de  façon  qu  ils  ne  furent  plus  que  les  fermiers  des  rois  ,  on  peut 
dire  que  de  cette  époque  date  la  grande  puissance  de  ceux-ci;  alors 
ils  eurent  les  moyens  de  faire  exécuter  par  de  nombreux  ouvriers 
les  plus  immenses  travaux  ;  c'est  un  rêve  que  de  se  figurer  que  les 
pyramides,  les  labyrinthes,  les  excavations  des  montagnes,  en  un 
mot,  toutes  ces  constructions  si  prodigieuses,  aient  pu  être  con- 
struites dans  des  temps  antérieurs. 

L'obligation  imposée  aux  Hébreux  de  faire  de  la  brique,  dénote 


(i)  Voyez  dans  Homère  la  réception  de  Tclémaqiie  par  Ménélas. 


EXPLIQUÉES    PAR    LES    RÉCITS    DE    LA    BIBLE.  279 

des  progrès  toujours  croissaos  dans  les  moyens  d'exécution,  et  il 
faut  convenir  qu'on  se  trompe  grandement  quand  on  assigne  à  des 
monumcns  qui  exigent  une  si  grande  multitude  de  bras,  une  épo- 
que plus  reculée. 

Ceci  se  confirme  encore  par  l'observation  du  professeur  Rosellini 
au  sujet  de  deux  pressoirs  qu'on  voit  dans  les  gravures  de  son 
ouvrage.  «  Ces  deux  pressoirs  ,  dit-il ,  montrent  combien  les  Egyp- 
»  tiens  avaient  encore  de  simplicité  dans  leur  mécanisme,  nous  di- 
))  rons  même  d'ignorance.  »  Il  fallait  donc  travailler  à  force  de 
bras;  et  c'est  le  principal  caractère  des  arts  me'caniques  chez  les 
anciens  Egyptiens  ;  car  si  nous  savons  ,  par  les  résultats  ,  qu'ils  ont 
eu  une  immense  puissance  ,  nous  savons  aussi  que  c'est  seulement 
à  force  de  bras  qu'ils  ont  pu  venir  à  bout  de  terminer  des  monu- 
mens  d'une  grandeur  si  effrayante.  Il  est  donc  toujours  plus  im- 
possible que  de  tels  ouvrages  aient  été  exécutes  dans  des  temps  plus 
anciens.  Mais,  dira-t-on  ,  les  arts  et  les  sciences  veulent  des  mil- 
liers et  des  milliers  d'années  pour  être  inventés  et  pour  se  porter 
à  la  perfection  à  laquelle  ils  parvinrent  chez  les  Egyptiens. 

Cette  objection  suppose  un  état  primitif  d'abrutissement ,  dont 
les  hommes  sont  sortis  peu  à  peu ,  en  commençant  par  acquérir  la 
faculté  de  parler ,  et  en  passant  par  divers  degrés  Jusqu'à  la  der- 
nière perfection.  Cette  supposition  a  eu  de  la  vague  dans  le  siècle 
passé,  lorsque  des  savans  ingénieux  prenant  un  homme  machine  , 
l'ont  doué  peu  à  peu  des  sens,  l'un  après  l'autre;  mais  cette  hy- 
pothèse a  dû  être  abandonnée  à  cause  de  sa  folie  et  de  ses  funes- 
tes conséquences.  Le  fait  est  que  Dieu  ,  en  créant  l'homme,  l'a  doué 
d'une  faculté  de  parler,  non -seulement  possible,  mais  réelle ,  en 
exercice  avec  tous  les  mots  nécessaires  ;  qu'il  lui  fit  donner  un  nom 
aux  objets  qui  tombaient  sous  ses  sens;  qu'il  lui  conduisit  les  ani- 
maux ,  afin  qu'il  les  nommât  ;  en  un  mot  ,  il  ne  le  créa  pas  dans 
l'état  d'enfant ,  mais  dans  celui  d'homme  fait  ;  le  soin  des  trou- 
peaux et  des  champs  se  trouva  dès  le  commencement  appartenir  au 
genre  humain  ;  l'art  de  travailler  et  de  fondre  les  métaux  est  en- 
core anté-diluvien  ;  la  musique  exécutée  sur  les  instrumens  l'est 
aussi  :  on  trouve  parmi  les  desccndans  de  Caïn  le  père  de  ceux 
qui  chantaient  avec  les  instrumens,  canentium  in  citharâ  et  or- 
gano.  L'art  d'écrire  est  anté-dduvien  ;  on  en  a  des  preuves  dans 


280  LES    ANTIQUITÉS    ÉGrPTîENKES, 

la  Bible,  outre  la  prophétie  d'Euoch  ,  contenue  dans  son  livre  ,  et 
citée  par  l'apôtre  St.  Jude. 

En  entendant  parler  de  la  supériorité  des  Egyptiens  dans  les 
sciences  et  dans  les  arts  ,  nous  ne  devons  pas  nous  laisser  surpren- 
dre par  la  conservation  de  tant  de  momimens  ,  qui  est  due  en  grande 
partie  à  la  qualité  des  pierres  fournies  par  le  pays.  On  cite  de^ 
ouvrages  prodigieux  des  Chaldéens  ,  dont  il  n'y  a  aucun  vestige, 
parce  qu'ils  e'taicnt  construits  avec  des  briques  mal  cuites. 

Nous  avons  vu  à  quelle  médiocrité  les  Egyptiens  étaient  restes 
en  fait  d'astronomie  ;  nous  n'entendons  pas  dire  qu'ils  aient  été 
loue's  pour  la  poésie  et  la  musique  ,  qui  se  retrouvent  cependant 
chez  les  peuples  enfans.  Toutefois,  le  cantique  de  Moïse  après  le 
passage  delà  mer  Rouge,  et  la  musique  dont  sa  sœur  l'accompagna, 
indiquent  quelques  traces  de  ces  arts  en  Egypte.  Les  Egyptiens  n'ont 
pas  eu  d'écrivains.  Nous  avons  vu,  avec  le  professeur  Roselliui , 
combien  ils  étaient  en  retard  pour  la  mécanique;  on  ne  voit  pas 
qu'ils  fussent  fort  avancés  dans  Part  nautique  ;  Salomon ,  quoiqu'il 
eût  épousé  une  fille  du  roi  d  Egypte  ,  ne  s'adressa  pas  à  lui  pour 
avoir  des  vaisseaux,  mais  aux  Phéniciens ,  bien  que  les  ports  d  E- 
liongaber  et  d'Elath  fussent  sur  la  mer  Rouge ,  en  face  de  l'Egypte. 
Je  trouve  dans  Cuvier ,  que  les  prêtres  égyptiens  de  toutes  les  clas- 
ses ont  dit  mille  extravagances  en  histoire  naturelle. 

En  peinture,  ils  ignorèrent  la  perspective  et  la  gradation  des 
couleurs  :  tous  les  hommes  étaient  peints  en  rouge  foncé,  les  fem- 
mes eu  jaune.  Roscllini  a  fait  observer  la  ne'gligence  des  dessina- 
teurs e'gyjitiens  dans  les  proportions.  11  remarque  que  les  anciens 
Egyptiens  furent,  même  dans  les  grands  monumens  publics,  peu 
attentifs  à  une  rigoureuse  régularité  de  plan.  Bien  que  ion  observe 
dans  les  figures  égyptiennes ,  une  certaine  légèreté  et  un  certain 
mouvement ,  cependant  les  pieds  et  les  mains  sont  tout-à-fait  dif- 
formes dans  les  figures  humaines.  Le  professeur  Paolo  Savy  ,  en 
parlant  des  animaux  ,  dit  :  «  Les  détails  sont  ordinairement  négli- 
))   gés ,  et  surtout  ceux  de  la  tête  et  des  extrémités.  » 

Je  m'arrête,  et  je  conclus  que  les  anciens  Egyptiens,  dans  tous 
les  arts  et  toutes  les  sciences,  sont  restés  dans  la  médiocrité,  et 
trop  souvent  dans  la  presque  nullité  ;  que  les  Ecritures  nous  font 
connaître  des  iaveulions  cousidérables  qui  leur  sont  antérieures. 


EXPLIQUÉES    PAR    LBS    RECITS    DE    LA    BIBLE.  28 1 

On  me  dira  peut-être  :  les  apôlres  ne  representent-ils  pas  Moïse  comme 
instruit  dans  toutes  les  sciences  des  Egyptiens?  Je  réponds  :  qu'il 
a  reçu  une  éducation  parfaite  dans  le  cercle  des  connaissances  égyp- 
tiennes ,  mais  ces  sciences  étaient  loin  de  la  perfection  à  laquelle 
elles  arrivèrent  plus  tard.  Moïse  n'est  pas  grand  par  la  science  des 
Egyptiens,  mais  par  la  sagesse  que  Dieu  lui  communiqua  en  lui 
parlant  face  à  face,  par  l'affranchissement  de  son  peuple,  par  la 
manière  dont  il  le  conduisit  quarante  ans  dans  le  désert ,  par  les 
lois   qu'il  lui  donna  ,  par  les  miracles  que  Dieu  fit  par  lui. 

Il  me  reste  à  parler  enfin,  du  nombre  des  dynasties  Egyptien- 
nes sur  lesquelles  iManéthon  ne  peut  être  soupçonné  d'imposture, 
et  encore  ici ,  l'Ecriture  nous  donne  des  lumières  admirables.  Je 
ne  vous  citerai  que  la  dynastie  des  princes  Ismaélites  et  de  ceux 
d'Aluph  ou  chefs  Iduniéens  descendans  d'Esaii;  ces  deux  dynasties 
sont  nomme'es  dans  la  Genèse,  citées  en  ligne  respective.  Je  ne  crois 
pas  que  personne  soit  tenté  de  mettre  ces  deux  listes  ensemble  l'une 
après  l'autre  pour  en  former  une  seule  succession  ;  pourquoi  ne  pas 
dire  la  même  chose  des  dynasties  Egyptiennes?  pourquoi  ne  pas 
les  laisser  chacune  avec  leurs  propres  dénominations  dans  les  listes 
de  Manéthon  ,  toutes  les  fois  qu'il  n'y  a  aucune  raison  particulière 
de  les  unir.  Que  l'on  s'en  tienne  exactement  aux  limites  fixées  par 
le  déluge  aux  diverses  époques  ,  que  l'on  suive  les  autres  données, 
celle  entr'autres  de  l'émigration  d'Abraham  et  de  l'état  social  de  son 
époque  ,  celui  du  gouvernement  de  Joseph  sur  l'Egypte  ,  et  1  on  aura 
pour  se  guider  dans  l'histoire  de  ce  pays  des  lumières  que  l'on  ne 
saurait  trouver  ailleurs.  » 

Le  P.  Oliviéri  , 
Commissaire  du  Saint-Office  et  général  des  Dominicains  à  Rome. 


282 


BIBLIOTHÈQUES    SES    PEUPLES    MAHOMETANS. 

Les  Musulmans  n'ont  pas  toujours  été  dans  cet  état  d'ignorance 
où  nous  les  voyons  aujourd'hui.  Il  est  vrai  qu'Omar  ordonna  à  son 
lieutenant  Amrou  de  brûler  tous  les  livres  qui  composaient  la  se- 
conde bibliotlicque  d'Alexandrie  (on  sait  que  la  première  avait  été 
incendiée  accidentellement  du  temps  de  Jules-César,  sept  siècles  au- 
paravant). Mais  tous  les  califes  n'ont  pas  été  des  Omar.  Les  noms 
d'Al-Mansour ,  de  Haroun-ÂlReschyd  et  d'Al  Mamoun  ,  rappellent 
l'époque  où  les  sciences  et  les  lettres,  négligées  ou  inconnues  ea 
Europe  ,  s'étaient  réfugiées  à  Bagdad  ,  où  des  hommes  spéciaux 
étaient  envoyés  à  Constantinople  ,  pour  y  traduire  en  arabe  les  meil- 
leurs ouvrages  des  Grecs  ;  où  enfin ,  parmi  les  conditions  de  trai- 
tés de  paix  imposées  par  le  calife  vainqueur,  figurait  la  cession 
d'une  certaine  quantité  de  livres  grecs. 

Nous  avons  peu  de  renseignemcns  sur  la  bibliothèque  particulière 
des  califes  et  sur  celle  des  nombreux  collèges  qu'ils  avaient  fondés 
à  Bagdad.  Un  seul  fait  pourra  faire  juger  de  l'immensité  de  ces 
collections.  Lorsque  Bagdad  fut  prise  par  les  Tartarcs,  l'an  1258, 
ceux-ci  jetèrent  tous  les  livres  dans  le  Tygre ,  et  le  nombre  en  fut 
si  orand,  qu'ils  formèrent,  disent  les  Arabes,  une  chaussée  sur  la- 
quelle passaient  les  gens  de  pied  et  les  cavaliers. 

En  Egypte,  en  Mauritanie,  en  Espagne ,  en  Syrie,  à  Bokhara , 
à  Samarkand,  dans  toutes  les  contrées  soumises  au  joug  du  Coran, 
des  princes  rivaux  ou  vassaux  des  califes  se  distinguèrent  par  l'a- 
mour des  lettres ,  et  fondèrent  des  bibliothèques  et  des  acade'mies. 
Celle  des  califes  d'Egypte  e'tait  contenue  dans  4o  salles  de  leur 
palais  au  Caire ,  et  contenait  plus  d'un  million  six  cent  mille 
volumes ,  parmi  lesquels  se  trouvaient  un  grand  nombre  de  manus- 
crits autographes.  Tous  ces  livres  e'taient  remarquables  par  la  beauté 
des  caractères  et  des  reliiires  enrichies  d'or ,  d'argent  et  de  pier- 
reries. Pendant  les  désordres  qui  signalèrent  une  partie  du  règne 
du  calife  Moskanser,  vers  l'an  1080,  cette  bibliothèque  fut  dila- 


BIBLIOTHÈQUES    DES    PEUPLES    MAHOMÉTANS.  283 

pidée  par  les  milices  turques  qui  prenaient  des  livres  en  paiement 
de  leur  solde  arriérée.  Un  jour  le  visir  lui-même  en  fît  transpor- 
ter chez  lui  la  charge  de  25  chameaux  ,  d'après  une  autorisation 
qui,  pour  5ooo  dinars  (  5o,ooo  f.  )  qui  lui  étaient  dus,  lui  adju- 
geait la  valeur  de  100,000  dinars  {un  million  de  francs)  en  li- 
vres. Après  le  pillage  de  la  maison  de  ce  ministre,  les  esclaves 
prirent  une  partie  des  couvertures  de  ces  livres  pour  se  faire  des 
chaussures  et  en  brûlèrent  les  feuillets.  Les  autres  furent  mis  en 
pièces,  périrent  dans  les  flammes  ou  dans  les  eaux,  du  jNil,  ou  fu- 
rent transportés  dans  les  pays  étrangers.  Le  reste  enfin  demeura 
entassé  par  monceaux  sur  lesquels  les  vents  amoncelèrent  une  si 
grande  quantité  de  sables  et  de  terre  qu'ils  formèrent  plusieurs 
monticules  qui  subsistèrent  long-temps  près  du  Caire  ,  et  qu'on  nom- 
mait les  collines  de  livres. 

La  bibliothèque  particulière  des  califes  d'Egypte  fut  respectée  dans 
cette  occasion;  elle  contenait  plus  de  12,000  volumes  reliés,  sans 
compter  ceux  qui  étaient  brochés.  Après  la  destruction  du  califat 
d'Egypte,  tous  ces  livres  furent  vendus  par  ordre  du  sultan  Sa/a- 
din  ,  dont  les  vertus  privées,  les  qualités  guerrières  et  le  zèle  reli- 
gieux n'étaient  pas  favorables  aux  lettres. 

Les  Arabes  ,  maîtres  deTEspagne,  y  firent  fleurir  leur  littérature 
et  leurs  arts.  Les  rois  ,  depuis  le  califat  de  Cordoue,  fondèrent  dans 
leur  capitale  des  académies  et  des  colle'ges.  L'un  d'eux  ,  Al  Hakem  II, 
surnommé  Âl-Moskanser ,  ne  se  borna  pas  à  attirer  à  sa  cour  les 
hommes  les  plus  célèbres  de  l'Orient.  11  entretenait  en  Afrique,  en 
Egypte ,  en  Perse,  des  agens  chargés  d'acheter  ou  de  faire  copier, 
à  tout  prix,  les  manuscrits  les  plus  précieux.  Son  palais  était  con- 
stamment ouvert  aux  savans  et  aux  gens  de  lettres.  Il  y  avait  ras- 
semblé une  bibliothèque  de  six  cent  mille  volumes  rangés  par  ordre 
de  matières,  dans  différentes  salles.  Plusieurs  furent  enrichis  de 
notes  savantes  de  la  main  même  de  ce  prince.  Le  catalogue  seul 
formait  44  volumes  in  folio. 

Les  cours  de  Bagdad,  du  Caire,  de  Fez,  de  Cordoue,  étaient 
des  foyers  conservateurs  des  lumières.  Ce  fut  chez  les  Maures  d'Es- 
pagne que  Gcrbert ,  archevêque  de  Reims ,  et  qui  fut  depuis  un 
des  Papes  les  plus  illustres  sous  le  nom  de  Sylvestre  II,  alla  ap- 
prendre la  géométrie. 


284  BIBLIOTHÈQUES    DES    PEUPLES    MAHOJIÉTANS. 

Lorsque,  sur  les  ruines  du  califat  de  Cordoue  ,  s'e'tablirent  en 
Espagne  plusieurs  dynasties,  des  princes  moins  puissans  élablirent 
des  bibliothèques  à  Valence  ,  à  SeviUe,  à  Grenade  ,  etc.  On  eu  comp- 
tait, dit-on,  soixante-dix  dans  la  pe'ninsulc.  Elles  furent  successive- 
ment pillées  el  détruites  par  les  Espagnols  ,  et  leurs  débris  ont  passé 
dans  celle  de  l'Escurial. 

De  toutes  les  bibliothèques  publiques  dont  parlent  les  auteurs 
orientaux,  la  plus  considérable  était  celle  que  les  princes  Ammari- 
des  avaient  formée  à  Tripoli  de  Syrie.  Elle  se  composait  de  trois 
millions  de  volumes.  On  y  comptait  cinquante  mille  exemplaires 
du  Coran  ,  et  vingt  mille  commentaires  sur  ce  code  religieux,  civil 
et  politique  des  Musulmans.  Elle  était  annexée  à  une  académie. 
Cent  copistes  y  jouissaient  dun  traitement  annuel,  et  il  y  en  avait 
trente  qui  ne  quittaient  cet  édifice  ni  le  jour  ni  la  nuit.  D'autres 
hommes  étaient  spécialement  chargés  d'acheter  en  diverses  contrées 
les  ouvrages  les  meilleurs  et  les  plus  rares.  Sous  le  gouvernement 
des  Ammarides ,  Tripoli  était  devenu  le  rendez-vous  des  savans 
de  tous  les  pays.  Lorsque  cette  ville  tomba  au  pouvoir  de  Bertrand, 
comte  de  Saint-Gille,  l'un  des  chefs  des  croisés  (iiog),  les  vain- 
queurs demeurèrent  stupéfaits  a  la  vue  des  livres  que  renfermait 
la  bibliothèque.  Une  personne  qui  se  trouvait  dans  la  salle  oii 
étaient  les  exemplaires  du  Coran,  ayant  pris  successivement  plu- 
sieurs volumes,  et  reconnaissant  toujours  le  même  ouvrage,  déclara 
que  cet  édifice  ne  contenait  que  des  Coran.  Cette  déclaration  fut 
l'arrêt  de  la  Bibliothèque;  les  chrétiens  la  réduisirent  en  cendres. 
Le  peu  de  livres  qui  échappèrent  à  l'incendie  furent  dispersés  en 
différens  pays. 

Ispahan  ,  Scbiraz  doivent  avoir  eu  aussi  des  bibliothèques  roya- 
les fort  nombreuses ,  si  l'on  en  juge  par  celle  du  savant  Aboul  Ca- 
cein  Israaël  Saheb  Ibu-Abad ,  la  plus  considérable  qu'ait  jamais 
possédée  un  particulier,  si  l'on  en  excepte  celle  de  M.  Boulard. 

On  peut  se  faire  une  ide'e  de  la  richesse  de  la  bibliothèque  im- 
périale deDehIy,  d'après  la  beauté  d'un  ouvrage  qui  en  faisait  par- 
tie ,  lors  de  la  révolution  qui  a  consommé  la  ruine  de  l'empire 
mogol.  C'est  l'exemplaire  autographe  de  Ayyn  Ahbery ,  composé 
et  copié  par  l'empereur  Akbar.  Cet  exemplaire,  sur  papier  sablé 
d'or  et  orné  de  portraits  et  de  vignettes,  a  été  vendu  16,200  fr., 
à  la  vente  de  la  bibliothèque  de  Langlés,  1825. 


HISTOIRE    NATIONALE.  285 

Les  Turcs  ottomans  ou  osmanlis,  Tartares  d'origine  et  moins  por- 
tés vers  l'e'tude  des  sciences  et  dos  lettres  que  les  Arabes  et  les 
Persans,  n'ont  jamais  formé  d'aussi  vastes  de'pôts  de  livres.  La  bi- 
bliothèque du  sërail  h  Constanlinople ,  fondée  par  le  sultan  Ahmed  III, 
en  17 19,  et  augmente'e  par  ses  successeurs  ,  peut  contenir  au  moins 
quinze  mille  volumes  et  s'accroît  continuellement  par  suite  des  con- 
fiscations. Il  y  a  en  outre  h  Constantinople  douze  académies,  et 
au  moins  autant  de  bibliothèques  publiques  qui  portent  les  noms 
de  Sainte-Sophie,  des  sultans  Mahomet  II,  Soliman  l^^ ,  Bajazet  II, 
Osman  III  et  Abd'ul  Hamid,  de  la  sultane  Validé  ,  des  grands  visirs 
Mehemed  Kiuproli ,  Ibrahim  Pacha.  Rcghib  Pacha,  etc.  Ces  biblio- 
thèques, place'es  dans  des  édifices  élégans,  ne  contiennent  guère 
qu'environ  deux  mille  manuscrits  chacune. 

Qui  croirait  aujourdhui  que  Fez  et  Maroc  ont  été  dans  le  moyen 
âge  des  villes  célèbres  par  leurs  académies  et  leurs  bibliothèques  ? 
Aujourdhui,  elles  offrent  les  mêmes  traces  d'ignorance  et  de  bar- 
barie que  les  tribus  maures  qui  errent  sur  la  côte  et  dans  l'inté- 
rieur de  l'Afrique. 

VVVVVVW^/WVVVVV\VVVVV^VV\VVVVVV<VVVV%^VVVVV\VVVVV^.VV'VV\rVV\AAA'^^ 

HISTOIRE    NATION  AI,!:. 

Rapport  au  roi  j  —  Arrêté  royal  du  22  juillet  ;  —  Séances  de  la 
commission  d'histoire  du  4  et  du  16  août. 

Sire, 

L'histoire  de  la  Belgique  ,  comme  celle  de  la  plupart  des 
nations  de  l'Europe,  n'est  encore  qu'imparfaitement  connue, 
maigre'  les  travaux  recommandables  de  plusieurs  e'crlvains 
distingue's. 

Ce  qui  a  manqué  à  ces  écrivains  c'est  moins  le  talent  ;  il 
est  juste  de  le  reconnaître  que  les  matériaux  qu'ils  auraient 
pu  mettre  en  oeuvre  avec  succès ,  et  c[ui  étaient  restes  enfon- 
cés dans  la  poussière  des  archives  et  des  bibliothèques. 

Cependant ,  depuis  que  la  Belgique  ,  après  tant  de  vicissitu- 
des, a  recouvré  une  existence  indépendante,  la  connaissance 
de  tous  les  faits  qui  se  rattachent  à  son  histoire  a  acquis  un 
T.  X.  20 


286  HISTOIRE    NATIONALE. 

degr^  d'importance  qu'elle  n'eat  à  aucune  autre  époque;  aussi 
les  esprits  se  sont-ils  repoi'te's  ,  avec  une  activité' remarquable, 
vers  les  traditions  du  passé,  et  l'élude  de  nos  fastes  civiques 
a  pris  un  essor  qui  s'est  manifesté  par  des  indices  non  équi- 
voques. 

Il  appartenait  au  gouvernement ,  auquel  le  vœu  national  a 
confié  les  destinées  du  pays  ,  de  seconder  de  tout  son  pouvoir 
une  tendance  non  moins  favorable  au  développement  du  patrio- 
tisme qu'au  progrès  des  lettres. 

Dans  un  rapport  que  j'ai  soumis  récemment  à  Votre  Majesté, 
j'ai  retracé  ce  qui  ,  dès  le  principe  de  notre  régénération  po- 
litique et  maigre  les  embarras  de  tout  genre  qui  préoccupaient 
l'administration ,  a  été  fait  pour  la  mise  en  ordre  de  nos  dé- 
pôts aux  archives;  j'ai  proposé  à  Votre  Majesté,  comme  l'une 
des  mesures  les  plus  propres  à  encourager  les  investigations 
sur  l'iiistoire  nationale  ,  la  publication  des  catalogues  de  ces 
dépôts.  Votre  Majesté  a  donné  son  assentiment  à  cette  mesure. 

Là  ne  s'est  pas  bornée  la  sollicitude  du  gouvernement. 

Par  une  disposition  qui  date  de  l'année  i832  ,  la  mise  en 
lumière  de  docuraens  intéressans  pour  l'histoire  générale  de 
la  Belgique ,  que  renferment  non  pas  seulement  les  archives  de 
l'Etat,  mais  tous  les  dépôts  de  titres  du  pays,  a  été  ordonnée  : 
cette  publication ,  confiée  aux  soins  de  l'archiviste  général  du 
royaume,  se  poursuit  avec  activité.  Déjà  deux  volumes  de  do- 
cumens  ont  paru  ;  le  troisième  sera  imprimé  dans  le  courant 
de  cette  année. 

Mais  il  est  une  autre  source  précieuse  pour  l'histoire  et  à 
laquelle  jusqu'ici  il  a  été  trop  peu  puisé  :  je  veux  parler  des 
chroniques ,  des  mémoires ,  des  relations  de  tel  ou  tel  événe- 
ment rédigés  par  des  contemporains. 

La  Belgique  était  autrefois  très-riche  en  monumens  de  ce 
genre  :  on  y  comptait  peu  d'abbayes  et  de  chapitres  dans  les- 
quels il  ne  s'en  conservât;  les  archives  des  corps  administra- 
tifs et  judiciaires  en  recelaient  aussi,  quoiqu'en  moins  grand 
nombre. 

Les  événemens  qui  marquèrent  la  fin  du  dernier  siècle  , 
ont  malheureusement  occasionné  la  perte  de  beaucoup  de  nos 


HISTOIRE    NATIONALE.  287 

chroniques ,  comme  d'une  quantité'  conside'rable  de  nos  char- 
tes :  les  unes  ont  élé  de'truites,  d'antres  sont  passe'es  à  l'e'tran- 
ger;  toutefois  il  nous  en  est  reste'  qui  me'ritent  l'attention  des 
savans  :  telle  est  la  chronique  de  Vanderheyden  ,  dit  à  Tliymo , 
pensionnaire  ou  secre'taire  de  la  ville  de  Bruxelles  pendant 
près  d'un  demi-siècle  et  de  plus  chanoine  et  tre'sorier  de  Sainte- 
Gudule ,  mort  en  i473;  on  crut  long-temps  qu'elle  avait  e'té 
la  proie  des  flammes  lors  du  bomhai'dement  de  Bruxelles  en 
1695.  Tels  sont  encore  la  chronique  d'Emond  de  Dinter,  qui 
fut  successivement  secre'taire  des  ducs  de  Brabant,  Antoine  P"", 
Jean  III,  Philippe  P'  et  Philippe  II;  les  chroniques  flamandes 
rime'es  de  Jean  Vanhélu  et  de  Declercq,  les  voyages  de  Phi- 
lippe-le-Bean  et  de  Cliarles-Quint ,  et  d'autres  ouvrages  sans 
doute  qui  ne  sont  pas  connus. 

Je  viens  proposer  à  Votre  Majesté  la  publication  de  ces 
chroniques. 

Bien  des  fois  déjà,  Sire,  la  même  entreprise  a  e'té  tentée, 
sans  avoir  en  jamais  un  résultat  satisfaisant. 

Dans  le  16''  et  le  i'^'^  siècle,  des  savans  isolés  en  conçurent 
le  projet;  mais  leurs  plans  reçurent  à  peine  un  commencement 
d'exécution. 

Sous  le  règne  de  l'impératrice  Marie-Thérèse ,  ce  fut  le  gou- 
vernement lui  même  qui  la  forma  :  le  comte  de  Cobenzel  fit 
faiie  beaucoup  de  recherches  et  d'écrits  dans  ce  but  ;  il  s'as- 
sura de  la  coopération  d'hommes  distingués  par  leurs  connais- 
sances dans  l'histoire  du  pays  ,  le  comte  de  Nény ,  chef  et 
président  du  conseil  privé  ,  l'abbé  Paquet ,  historiographe  de 
l'impératrice ,  Tabbé  Nélis  ,  bibliothécaire  de  l'université  de 
Lonvain  ,  MM.  Vanhenrck  et  Verdussen.  Différentes  circon- 
stances ,  mais  principalement  la  mort  du  comte  de  Cobenzel  , 
arrivée  en  1770,  rendirent  infructueux  tous  les  travaux  pré- 
paratoires qui  avaient  été  faits  pour  la  publication  du  recueil 
dont  le  plan  avait  été  adopté  par  lui. 

Plus  tard  ,  l'académie  impériale  et  royale  des  sciences  et 
belles-lettres  de  Bruxelles  créa  dans  son  sein  un  comité  qu'elle 
chargea  de  la  mise  an  jour  des  chroniques,  mémoires  et  au- 
tres monumens  propres  à  servir  de  matériaux  à  une  histoire 

20. 


288 


HISTOIRE    NATIONALE. 


générale  de  la  Belgique.  Cette  cre'ation  semblait  promettre  de 
grands  re'siiUats  ;  mais ,  soit  de'faut  de  zèle  ou  de  loisir  de  la 
part  des  membres  du  comité',  soit  manque  des  fonds  ne'ces- 
saires,  tout  ce  qui  en  sortit  se  re'duisit  à  l'e'dition ,  par  le  mar- 
quis de  Cliasteler,  de  la  clironique  de  Gilbert ,  cbancelier  des 
comte's  de  Hainaut  sur  la  fin  du  12'=  et  au  commencement  du 
i3    siècle. 

L'œuvre  pour  l'accomplissement  de  laquelle  l'acade'mie  et  le 
gouvernement  lui-même  s'e'taient  en  quelque  sorte  montrés 
impuissans,  M.  de  Nélis ,  devenu  e'véqne  d'Anvers,  crut  pou- 
voir l'entreprendre  aide'  de  ses  seules  forces.  Il  s'e'tait  livré  à 
des  recherches  étendues  sur  l'histoire  de  la  Belgique  ;  il  avait 
un  accès  aux  bi!)liothèques  et  aux  chartriers  qui  contenaient 
le  plus  de  richesses  :  il  annonça  en  i'y83  le  dessein  de  publier, 
en  trente  à  trente-cinq  volumes  in-4°  ,  one  collection  d'histo- 
riens des  Pays-Bas. 

Cette  entreprise,  ainsi  que  toutes  celles  dont  le  projet  avait 
été  précédemment  conçu  ,  n'eut  point  de  suite.  Il  faut  d'autant 
plus  le  regretter  que  ,  dans  son  Prodromiis  reruih  Belgicarum , 
le  seul  monument  que  nous  possédions  de  ses  longs  et  impor- 
tans  travaux ,  le  savant  évêque  d'Anvers  a  prouvé  qu'il  eût 
été  capable  de  s'acquitter  de  la  tâche  difficile  qu'il  s'était 
imposée. 

Dans  les  dernières  années  de  notre  communauté  politique 
avec  la  Hollande,  le  gouvernement  avait  résolu  de  faire  pu- 
blier aux  frais  de  l'état  les  chroniques  belges  inédites ,  et  il 
avait  institué  une  commission  à  cet  effet. 

Au  mois  de  septembre  i83o,  la  commission  dont  je  viens 
de  parler  n'avait  encore  livré  au  public  aucun  des  ouvrages 
qu'elle  avait  annoncé  l'intention  d'éditer  j  seulement  deux  de 
ces  ouvrages  se  trouvaient  entre  les  mains  de  l'imprimeur  :  le 
premier  volume  de  la  chronique  d'<à;  Thymo  et  quelques  feuilles 
de  la  cbronique  flamande  de  Jean  Vanhélu  venaient  de  sortir 
de  la  presse. 

Je  viens  proposer  à  Votre  Majesté  de  reprendre  une  œuvre 
nationale  ,  aussi  souvent  abandonnée  ou  interrompue  qu'en- 
treprise. Je  ne  m'arrêterai  pas  à  démontrer  que  c'est  sous  les 


HISTOIRE    NATIOITA.LE.  289 

auspices  des  gouvernemens  seals  que  àe  pareilles  entreprises 
peuvent  aujourd'hui  être  exe'cute'es;  seuls  ils  possèdent  les  res- 
sources de  tout  genre  qu'elles  exigent  :  d'une  part,  en  effet, 
les  dépenses  qu'elles  entraînent  ne  sauraient  être  bien  oné- 
reuses pour  eux,  et  de  l'autre  ils  sont  de'positaires  des  maté- 
riaux les  plus  importans  qui  doivent  y  être  employés.  Des  in- 
dividus isolés,  quels  que  fussent  leurs  efforts,  n'obtiendraient 
que  des  résultats  partiels  et  nécessairement  bornés. 

Le  projet  d'arrêté  ci -joint  a  été  basé  sur  celte  donnée. 

L'article  premier  institue  une  commission  pour  la  recbercbe 
et  la  mise  en  lumière  des  chroniques  belges  inédites. 

Il  est  évident  qu'un  aussi  grand  travail  réclame  le  concours 
d'un  certain  nombre  de  coopérateurs.  Les  hommes  que  je  dé- 
signe an  choix  de  Votre  Majesté  ,  se  recommandent  a  cette 
distinction  par  leurs  connaissances  et  par  leurs  travaux  sur 
l'histoire  nationale. 

L'article  2  porte  que  la  commission,  aussitôt  après  qu'elle 
aura  été  installée  ,  s'occupera  de  rédiger  un  plan  pour  ses 
travaux. 

Je  pense,  Sire,  qu'à  cet  égard  une  grande  latitude  doit  être 
laissée  à  la  commission. 

Par  l'art.  3  du  projet  d'arrêté,  une  somme  annuelle  de  cinq 
mille  francs  ,  à  prélever  sur  le  crédit  alloué  au  budget  du 
département  de  l'intérieur  pour  l'encouragement  des  sciences 
et  des  lettres  ,  est  mise  à  la  disposition  de  la  commission  , 
jusqu'à  ce  qu'elle  ait  rempli  la  tâche  qui  lui  est  confiée. 

Il  m'a  paru  de  toute  nécessité  ,  pour  assurer  aux  travaux 
de  la  commission  une  marche  régulière  ,  de  lui  allouer  un 
subside  fixe  et  sur  lequel  elle  ])uisse  compter;  elle  fera  ses 
arrangemens  en  conséquence.  Il  arrivera  que  ,  une  année  ,  les 
5ooo  francs  ne  seront  pas  dépensés  ;  une  autre  année ,  ils  au- 
ront été  insuffisans  :  le  déficit  de  l'une  sera  couvert  par  l'ex- 
cédant de  l'autre. 

An  surplus,  la  commission  est  tenue,  d'après  le  même  article, 
de  rendre  compte  chaque  année,  au  département  de  l'intérieur, 
de  l'emploi  des  fonds  affectés  à  ses  travaux. 

La  somme  annuelle  de  5ooo  fr.  est  destinée  à  faire  face  aux 


290  HISTOIRE    NATIONALE. 

frais  de  copie ,  aux  frais  de  de'placement  des  membres  de  la 
commission,  et  aux  frais  d'impression  que  ne  couvrira  pas  la 
vente  des  ouvrages. 

Dans  l'art.  4  ^^  dernier  ,  le  gouvernement  fait  espe'rer  aux 
membres  de  la  commission  les  distinctions  ou  les  re'compenses 
que  leurs  travaux  auront  pu  me'riter  :  c'est  un  encouragement 
dont  Votre  Majesté'  reconnaîtra  l'opportunité  autant  que  la 
justice. 

J'ose  me  flatter,  Sire,  que  l'ensemble  de  ces  dispositions  re'- 
pondra  aux  vues  libe'rales  de  Votre  Majesté' ,  et  je  les  soumets 
avec  confiance  à  son  approbation. 

Le  ministre  de  l'inte'riear, 
Ch.  Rogier. 

LÉOPOLD ,  roi  des  Belges  , 

A  tous  pre'sens  et  à  venir ,  salut. 

Considérant  que  tons  les  travaux ,  qui  ont  pour  objet  de  re'- 
pandre  des  lumières  sur  l'histoire  de  la  Belgique  ,  me'ritent 
notre  sollicitude  ; 

Qu'ils  doivent  contribuer  à  la  fois  au  de'veloppement  du  pa- 
triotisme et  au  progrès  des  lettres  ; 

Que,  de'jà ,  mu  par  ce  motif,  nous  avons  ordonne'  la  pu- 
blication des  catalogues  des  archives  de  l'Etat  et  celle  des  do- 
cumens  intéressans  pour  l'histoire  géne'rale  du  royaume,  qui 
existent  tant  dans  ces  archives  que  dans  les  autres  de'pôts  de 
titres  du  pays. 

Conside'rant  que  la  mise  au  jour  des  chroniques  belges  ine'- 
dites  doit  concourir  puissamment  au  même  but; 

Sur  le  rapport  de  notre  ministre  de  l'inte'rieur , 

Nous  avons  arrêté  et  arrêtons  : 

Art.  i'^'.  Une  commission  est  instituée  à  l'effet  de  rechercher 
et  mettre  au  jour  les  chroniques  belges  inédites. 

Cette  commission  est  composée  de  : 

MM.  de  Gerlache  ,  premier  président  de  la  cour  de  cassa- 
tion ,  membre  de  l'académie  royale  des  sciences  et  belles-lettres 
de  Bruxelles  5 


HISTOIRE    NATIONALE.  291 

L'abbë  de  Ram ,  arcliiviste  de  l'archevêché  et  professeur  au 
se'minaire  archiépiscopal  de  Malines  ; 

Le  baron  de  Reiffenberg  ,  professeur  à  l'université  de  Lou- 
yain ,  membre  de  l'académie  de  Bruxelles  ; 

Dewez,  inspecteur  des  athénées  et  collèges,  secrétaire  per- 
pétuel de  l'académie  de  Bruxelles  ; 

Gachard  ,  archiviste  général  du  royaume  ; 

Warnkœnig  ,  professeur  à  l'université  de  Gand  ; 

Et  J.-F.  Willeras,  receveur  à  Eecloo. 

Art.  2.  La  commission  sera  installée  par  notre  ministre  de 
l'intérieur. 

Elle  s'occupera,  dans  ses  premières  séances,  de  la  rédaction 
d'un  plan  pour  ses  travaux,  qu'elle  soumettra  k  l'approbation 
de  notre  dit  ministre. 

Art.  3.  Il  sera  mis  à  la  disposition  de  la  commission  jusqu'à 
l'entier  accomplissement  de  la  tâche  qui  lui  est  confiée  ,  une 
somme  annuelle  de  cinq  mille  francs,  destinée  à  couvrir  les 
frais  de  tonte  nature  qu'elle  aura  à  supporter. 

Cette  somme  sera  prélevée  sur  le  crédit  alloué  au  budget  du 
département  de  l'intérieur  pour  l'enconragemeut  des  sciences 
et  des  lettres. 

La  commission  rendra  compte  de  son  emploi,  chaque  année, 
à  notre  ministre  de  l'intérieur. 

Art.  4-  Nous  nous  réservons  d'accorder  aux  membres  de  la 
commission  telles  distinctions  et  récompenses  dont  nous  les  au- 
rons jugés  dignes. 

Art.  5.  Notre  ministre  de  l'intérieur  est  chargé  de  l'exécu- 
tion du  présent  arrêté,  qui  sera  inséré  au  Bulletin  officiel. 

Donné  à  Bruxelles,  le  11  Juillet  1834. 

LÉOPOLD. 

Par  le  Roi  : 

Le  ministre  de  l'intérieur, 

Ch.   ROGfER. 


292  HISTOIRE    NATIONALE. 

Séance  de   la  Commission  d'histoire  du  4  aoiît, 

A  dix  heures  da  matin,  au  ministère  de  l'intérieur. 

M.  le  ministre  de  l'intérieur  ne  pouvant  se  rendre  dans  le 
sein  de  la  commission,  M.  le  secre'taire-géne'ral  de  son  de'par- 
tement ,  de'le'gue'  à  cet  effet ,  de'ciare  au  nom  du  Roi  qu'elle 
est  installe'e. 

On  procède  imme'diatement  à  la  formation  du  harean. 

M.  de  Gerlaclie  est  choisi  pour  pre'sident,  M.  le  baron  de 
Reiffenberg  pour  secre'taire ,  et  M.  Gachard  pour  tre'sorier. 

Conforme'ment  a  l'art.  i  de  l'arrête'  royal  du  22  juillet,  la 
commission  s'occupe  du  plan  de  ses  futurs  travaux. 

Elle  de'cide  qu'elle  commencera  par  mettre  au  jour  les  do- 
cumens  ine'dits  qui  suivent,  et  dont  la  plupart  entraient  dans 
le  plan  du  comte  de  Cobentzel  et  de  l'e'vêque  d'Anvers,  de 
Nelis  : 

1°  Les  Acta  sanctorum  Belgii ,  ou  les  vies  des  Saints  de  la 
Belgique  qui  doivent  comple'ter  la  collection  de  Ghesquière  ; 

2^  L'histoire  du  Brabant,  d'Edmond  de  Dinter ,  en  latin 
(XV-^  siècle); 

3'  L'histoire  diplomatique  de  la  même  province  par  Van- 
derheyden  (Pierre)  dit  a  Thymo ,  en  latin,  flamand  et  fran- 
çais (XV'  siècle).  On  y  joindra  quelques  chroniques  de  peu 
d'e'tendue; 

4'  La  chronique  flamande  de  Van  Heelu  (  Jean),  où  se  trouve 
de'crite  la  bataille  de  Woeringen ,  à  laquelle  il  assista  en  1298 
(XIII  siècle).  Cette  narration  me'trique  sera  accorapagne'e  d'un 
grand  nombre  de  diplômes  et  pièces  justificatives; 

5°  La  chronique  flamande  de  Klerk  (Nicolas),  connue  sons 
le  titre  de  Brabantsche-Jesten  (  XV"  siècle  )  ; 

6'LTn  corps  de  chroniques  latines  des  Flandres,  disposées  de 
manière  à  faire  voir  en  quelque  sorte  leur  liaison  et  leur  gé- 
néalogie et  qui  comprendra  :  («)  La  chronique  connue  sous  le 
titre  de  Plandria  generosa ,  avec  ses  continuations  ;  {b)  les  3 
chroniques  de  St.-Bavon  ,  pre'cédées  des  annales  de  son  mo- 
nastère; (c)  les  fragmens  de  la  chronique  de  St.-Pierre  à  Gand; 
{d)   le  Monachus  Gandensis ^  imprimé  à  Hambourg,  dans  un 


HISTOIRE    NATIONALE.  293 

programme  académique  qu'on  ne  rencontre  plus  dans  le  com- 
ujerce  ;  enfin  (e)  la  chronique  d'Ancliin,  si  on  peut  la  recouvrer; 
']''    La    chronique    lie'geoise  ,   en   prose  ,  de  d'Ootremeuse 
(XIV'  siècle); 

8"  Les  antiquite's  de  la  Flandre,  de  Philippe  Wielant,  en 
français  (  XV''  siècle  )  ; 

9^  La  relation  française  du  voyage  de  Philippe-le  Beau  en 
Espagne  en   i5oi  (XVP  siècle); 

lo"  Le  re'cit  des  troubles  de  Gand ,  sous  Charles-Quint,  par 
un  te'moin  oculaire,  en  français  (XVI^  siècle). 

Tels  sont  les  documens  dont  l'impression  a  e'ié  arrête'e  d'a- 
bord ,  et  qui  seront  suivis  de  ceux  qu'une  recherche  active 
pourra  faire  de'couvrir  dans  le  pays  ou  à  l'e'tranger. 

La  publication  des  n"'  i  et  2  (  environ  5  volumes),  sera  soi- 
gne'e  par  M.  l'abhe'  de  Ram  ; 

Idem  du  n°  3  (  7  volumes),  par  M.  de  Relffenberg; 
Idem  des  n°'  4  et  5  (  3  volumes  ) ,  par  M.  Willems  ; 
Idem  du  n°  6  (  I  volume  )  ,  par  M.  Warnkoenig  ; 
Idem  du  n'  7(1  volume),  par  M.  de  Gerlache; 
Idem   du  n"  8  (  I  volume),  par  M.  Dewez  ; 
Idem  des  n"'  9  et  10  (  i  volume) ,  par  M.  Gachard. 
Le  format  adopte'  est  V in-quarto ,  plus  facile  à  manier  que 
\ in-folio ,  plus   commode  que  l'/zz-S"   pour  la   disposition  des 
notes  et  commentaires,  et,  d'ailleurs,  plus  convenable  pour 
les  grands  recueils  scientifiques  et  litte'raires. 

La  commission  discute  ensuite  les  moyens  mate'riels  de  pu- 
blication. Un  rapport  sera  pre'senté  à  ce  sujet  à  M.  le  ministre 
de  l'iute'rieur,  et  l'on  y  admettra  le  principe  de  l'adjudication 
publique. 

Passant  de  ces  détails  mate'riels  a  l'exe'cation  littéraire  ,  la 
commission  se  pose  cette  question  : 

En  quelle  langue  rédigcra-t-on  les  discours  préliminaires  et 
les  notes  dont  seront  accompagnés  les  textes  originaux  P 

Plusieurs  membres ,  dans  l'inte'rèt  de  la  popularité  de  l'en- 
treprise ,  désiraient  qu'on  employât  exclusivement  la  langue 
française. 

Mais  d'autres  ont  répondu  : 


294  HISTOIRE    ITATIOITALE. 

Que  les  notes  en  français  sur  an  texte  flamand  ou  latin  for- 
meraient une  marqueterie  de'sagre'able  ; 

Que  la  cliose  serait  contraire  à  l'usage  gëne'ralement  observé, 
même  en  France  ; 

Que  les  notes  philologiques  surtout  doivent  être  e'crites  dans 
la  langue  des  textes; 

Que,  quant  à  la  popularité',  il  ne  faub  pas  exage'rer  celle 
d'un  travail  d'e'rudition  ;  que  ceux  qui  populariseront  re'elle- 
ment  l'histoire  du  pays ,  seront  les  hommes  de  talent  et  d'ima- 
gination qui  mettront  en  oeuvre  les  mate'riaux  que  la  com- 
mission est  charge'e  de  leur  pre'parer  ;  qu'il  serait  impossible 
de  donner  des  traductions  de  textes  souvent  barbares  ou  d'une 
naïveté'  trop  crue;  que  d'autre  part,  ces  traductions  double- 
raient l'entreprise,  et  qu'enfin  les  personnes  curieuses  de  con- 
sulter ces  vieux  monumens  sont  cense'es  les  comprendre. 

La  commission ,  après  avoir  balance'  les  raisons  pour  et  contre , 
arrête  : 

Qu'on  donnera  les  textes  sans  traduction  et  les  notes  dans 
la  langue  des  textes  ;  mais  que ,  pour  rendre  l'usage  de  ces 
chroniques  plus  facile  ,  surtout  aux  e'trangers ,  on  les  fera  pre'- 
ce'der  de  longues  et  substantielles  introductions,  et  de  tables 
analytiques  en  français,  où  tous  les  faits  et  particularite's  es- 
sentiels seront  re'unis  et  les  passages  les  plus  marquans  traduits , 
s'il  est  ne'cessaire. 

Les  introductions  contiendront,  en  outre,  des  notions  litte'- 
raires  sur  les  auteurs,  avec  le  compte-rendu  des  recherches 
dont  ils  auront  e'té  l'objet. 

Les  notes ,  mises  au  bas  des  pages  et  re'dige'es  avec  concision , 
seront  strictement  re'servées  aux  passages  obscurs. 

Les  appendices  pourront  offrir  des  pièces  ine'dites  relatives 
aux  textes ,  des  extraits  ou  des  dissertations  qui  s'y  rapporte- 
ront e'galement. 

Des  cartes  et  des  planches  sont  place'es  là  où  on  les  jugera 
indispensables. 

Quatre  sortes  d'objets  seront  embrasse's  dans  les  tables  :  les 
mots  vieux  oa  coiTompus  ,  les  choses,  les  noms  de  personnes, 
les  noms  ge'ographiques. 


HISTOIRE    NATIONALE.  295 

Les  possesseurs  de  pièces  historiques  ,  et  en  ge'ne'ral ,  toutes 
les  personnes  qui  s'occupent  de  l'histoire  du  jjajs  ,  seront  in- 
vite's  à  communiquer  leurs  observations  et  leurs  renseignemens 
aux  e'diteurs.  Les  manuscrits  qu'on  voudra  bien  leur  prêter 
seront  conserve's  religieusement.  On  pourra  les  adresser  au 
ministère  de  l'intérieur,  en  indiquant  le  temps  pendant  lequel 
il  sera  loisible  de  s'en  servir  ainsi  que  le  mode  de  restitution. 

Un  prospectus  sera  re'dige',  soumis  au  ministre  de  l'inte'rieur 
et  publie'  incessamment. 

On  aura  la  faculté'  de  souscrire  ,  soit  pour  la  collection  en- 
tière ,  soit  pour  chaque  ouvrage  se'pare'ment. 

Séance  du  iQ  août. 

A  onze  heures  du  matin. 

M.  le  ministre  de  l'inte'rieur  est  pre'sent. 

Le  procès-verbal  de  la  se'ance  pre'ce'dente  est  lu  et  approuve. 

Un  registre  des  archives  de  lEtat,  contenant  la  correspon- 
dance du  comte  de  Cobentzel  avec  MM.  de  Neny,  de  Nelis  et 
Paquot ,  relativement  à  la  publication  plusieurs  fois  projete'e 
des  cbroniques  belges,  est  mis  sous  les  yeux  de  la  commis- 
sion. Le  secrétaire  se  charge  d'en  extraire  tout  ce  qui  pourrait 
servir  an  travail  qui  doit  maintenant  paraître. 

La  discussion  est  ouverte  sur  plusieurs  objets  d'administration. 

On  règle  ensuite  les  points  suivans  : 

1°  Le  titre  ge'ne'ral  du  recueil  à  publier  sera 

Collection  des  chroniques  belges  inédites ,  publiées  par  ordre 
du  gouvernement. 

2"  Le  titre  particulier  de  chaque  ouvrage,  e'crit  dans  un 
antre  idiome  que  le  français ,  sera  conçu  dans  cette  langue  et 
dans  celle  de  l'original. 

3°  Des  extraits  des  procès-verbaux  des  se'ances  de  la  com- 
mission,  destine's  a  mettre  le  public  au  courant  de  ce  qu'elle 
aura  fait  et  provoquer  les  observations  et  le  concours  de  per- 
sonnes ëclaire'es,  seront  inse'rc's  dans  \e  Moniteur.  MM.  les  ré- 
dacteurs des  autres  journaux  sont  invit(^s  à  les  re'pe'ter. 

Après  plusieurs  autres  re'solutions ,  M.  le  ministre  de  Tin- 


296  HISTOIRE    NATIONALE. 

teriear  témoigne  sa  satisfaction  à  l'assemblée  et  l'assure  de 
tout  l'inte'rêt  que  lui  inspirent  ses  travaux,  qu'il  considère 
comme  un  des  e'ie'mens  les  plus  puissans  de  nationalité'.  Il 
ajoute  qu'il  fera  dresser  des  inventaires  de  tous  les  documens 
historiques  appartenant  au  pays  et  relatifs  à  son  histoire  ,  et 
qu'il   les  transmettra  à  la  commission. 

La  commission  remercie  M.  le  ministre  de  sa  bienveillance, 
et  se  flatte  qu'elle  pourra  le  mettre  à  même,  vers  le  commen- 
cement de  l'anne'e  i835,  de  pre'senter  au  Roi  et  aux  Chambres 
les  premiers  volumes  de  la  Collection  des  Chroniques  belges. 
La  prochaine  séance  est  fixe'e  au  26  octobre. 

Pour  extraits  conformes  : 

Le  secre'laire, 
Baron  De  Reiffenberg. 


297 


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•A*iVV\X-V»VV\VV\V*AvvVVV\'VVVVVV^AA.VVVVVVVV\  VVVVVVVVV\VVtAA  VV\VWVWVWVWVWWVW\ 

MÉLANGES.  —  Septembre  i834. 

Décret  de  la  Congrégation  de  l'Index  du  28  juillet.  —  Statistique  reli- 
gieuse de  l'Espagne  de  M.  Moreau  de  Jonnès  rectifiée.  —  Ecrit  de 
M.  Theiner  sur  l'histoire  des  Séminaires  épiscopaux.  —  Monumens 
de  l'ile  de  Malle.  —  Séance  de  l'Acadéuiie  catholique  du  17  juillet; 
dissertation  du  P.  Piaciani.  —  Antiquités  asiatiques.  —  Discussion  de 
MM.  Biot  et  Paravey  sur  l'astronomie  égyptienne.  —  Etude  des  lan- 
gues orientales  en  Russie.  —  Adhésions  aux  Encycliques  du  Saint- 
Père  ;  déclaration  de  M.  Charles  de  Coux. — Discours  du  R.  D.  Paul 
del  Signore  à  la  réunion  de  l'Académie  de  la  Religion  catholique, 
à  Rome. — Nouv.  Traité  d'Embryologie  sacrée  ,  par  M.   Rosiau. 

—  Un  décret  de  la  congréyation  de  l'Index  (i)  du  28  juillet,  con- 
damne les  ouvrages  suivans  :  Philosophie  du  droit,  par  C.  Ler- 
minier  ;  de  P injlnence  de  la  philosophie  du  xviii^  siècle  sur  la 
législation ,  et  de  la  sociabilité  du  xix^  siècle ,  par  le  même  ; 
Essai  sur  l histoire  de  la  philosophie  en  France  au  xix*  siècle, 
par  Pli.  Damiron  -,  Manuel  de  philosophie  expérimentale  ,  par 
J.-F.  Amice ,  première  version  italienne,  avec  une  nouvelle  ap- 
pendice et  des  observations  critiques  j  Nouveau  système  de  chi- 
mie organique ^  fondé  sur  des  méthodes  nouvelles  d'observation, 
par  F.  V.  Raspail;  Mémoires  de  Casanova  de  Seirtgalt ,  écrits 
par  lui-même  ;  Notre-Dame  de  Paris,  par  Victor  Hugo  ;  Obser- 
vations demi- sérieuses  d'un  exilé  sur  V  Angleterre  ,  en  italien; 
Jiésumé  de  l'Histoire  de  France,  par  Félix  Bodin;  les  crimes  des 
Papes,  depuis  saint  Pierre  jusqu'à  Pie  J^I ,  par  Lavicomterie; 
Chansons  de  Bérenger  ;  Romans  de  Pigault-le  Brun  ;  des  Papes , 
lecture  utile  et  agréable  pour  le  peuple  de  toutes  les  commu- 
nions,  en  allemand;  Rome  et  ses  pontifes^  vraie  histoire  du 
pontificat,  F.  Grégoire,  traduit  du  français,  en  allemand.  Ce 
décret  ayant  été  soumis  à  Sa  Sainteté',  elle  l'a  approuve  et  en  a 
ordonne'  la  publication.  Donné  à  Rome  le  4  3oiit ,  et  signé  J.  A. 


(i)  Los  journaux  ont  dit  que  c'était  un  décret  de  l'inquisition;   c'est 
une  erreur. 


29S 


MELANGES. 


cardinal  Sala ,  préfet  de  la  congrégation  ;  et  Thomas-Antoine 
Degola  ,  dominicain ,  secrétaire.  On  remarque  que  le  livre  de 
chimie  de  Raspail  est  le  seul  condamne  avec  la  formule  :  donec  ex- 
purgetur. 

—  Il  n'est  personne  qui  n'ait  entendu  parler  des  travaux  de 
M.  Moreau  de  Jonnès,  savant  distingué,  habile  géographe,  auteur 
de  plusieurs  ouvrages  de  statistique,  et  membre  peut-être  de  trente 
académies.  Il  a  fait  inse'rer  dans  le  Journal  des  Travaux  de  la 
Société  de  Statistique  universelle  une  statisque  de  l'Espagne.  Il 
y  est  dit  que  l'état  statistique  de  la  monarchie,  dressé  en  i56o, 
par  ordre  de  Philippe  II,  a  été  perdu,  mais  que  l'on  a  conservé 
des  données  numériques  sur  le  nombre  des  fonctionnaires  et  des 
magistrats  :  L'état  de  V Eglise,  dit-on,  nous  est  ainsi  donné  par 
les  vestiges  de  ce  curieux  document,  M.  Moreau  de  Jonnès  compte 
donc,  dans  les  e'iats  re'unis  ,  sous  la  monarchie  de  Philippe  II , 
58  archevêques,  684  e'vêques,  i  i,4oo  abbés,  986  chapitres,  127,000 
paroisses  ,  "^,000  hôpitaux  religieux  ,  23,ooj  ordres  monastiques 
et  congrégations  ,  5g,5oo  couvens ,  dont  46,000  d'hommes ,  et 
i3,5oo  de  femmes;  3 12,000  prêtres  se'culiers ,  4^0,000  moines 
et  religieuses ,  200,000  frères  et  autres,  et  912,000  eccle'siastiques. 
Nous  copions  cet  état  tel  qu'il  se  trouve  rapporté  dans  le  Consti- 
tutionnel du  mercredi  2y  août.  Mais  cet  état  est  plein  d'exage'ra- 
tion.  Jamais  la  monarchie  espagnole ,  même  sous  Philippe  II ,  n'a 
réuni  58  archevêques  et  684  évêques.  La  domination  de  ce  prince 
s'e'tendait  alors  ,  à  la  ve'rité  ,  sur  un  immense  territoire  ;  elle  com- 
prenait l'Espagne,  le  Portugal,  les  Pays-Bas  ,  leMinalais  ,  le  royaume 
de  Naples,  la  Sicile,  la  Sardaigne  et  les  colonies  espagnoles  et 
portugaises  en  Ame'rique ,  en  Asie  et  en  Afrique.  Mais  dans  tout 
ce  territoire,  si  différent  de  celui  de  la  monarchie  espagnole  ac- 
tuelle, il  n'y  a  jamais  eu  autant  d'archevêques  et  d'évêques  qu'en 
compte  M.  Moreau  de  Jonnès.  Quant  à  l'Espagne  proprement  dite, 
il  n'y  avait  alors ,  et  il  n'y  a  encore  aujourd'hui  que  8  archevêques 
et  46  évêques.  Le  reste  du  tableau  a  l'air  d'une  folie,  ii,4oo 
abbés,  1 217,000  paroisses,  23,ooo  ordres  monastiques  ou  congré- 
gations !  Qui  pourrait  croire  à  de  semblables  calculs  !  23, 000  or- 
dres monastiques  et  congrégations,  c'est  une  exagération  insensée; 


MÉLANGES.  299 

il  nV  en  a  jamais  eu  autant  dans  toute  la  cbrétienté  pendant  la 
longue  suite  des  siècles.  Les  59,000  couvens  et  les  400,000  reli- 
gieux et  religieuses  sont  aussi  fort  ridicules.  Enfin,  les  3i2,ooo 
prêtres  se'culiers ,  et,  après  cela  912,000  eccle'siasliques,  sont  évi- 
demment un  double  emploi;  on  a  joint  au  nombre  des  prêtres 
se'culiers  celui  des  religieux,  des  religieuses  et  des  frères  iodiqués 
dans  le  tableau  ci-dessus,  et  tout  cela  fait  ea  effet  912,000,  non 
pas  d'ecclésiastiques,  mais  de  personnes  consacrées  à  Dieu.  Mais, 
même  après  cette  explication  ,  la  supputation  de  M.  Moreau  de 
Jonnès  est  prodigieusement  enflée.  Il  paraît  qu'il  l'a  prise  dans 
V Edimbourg  Revietv  du  mois  de  Juillet  i832  (i).  Il  est  e'ton- 
nant,  qu'un  homme  aussi  instruit  que  M.  Moreau  de  Jonnès  re- 
produise de  semblables  données ,  dont  un  peu  d'examen  lui  aurait 
montré  la  fausseté'.  Quant  aux  lecteurs  du  Constitutionnel  qui  au- 
ront parcouru  ce  tableau,  je  ne  doute  point  que  les  trois  quarts 
d'entr'eux  n'aient  cru  que  le  tableau  ci-dessus  e'tait  la  statistique 
actuelle  du  clergé  en  Espagne,  taudis  que,  comme  nous  l'avons 
remarque'  ailleurs  ,  le  cierge'  dans  ce  pays  ,  même  en  y  compre- 
nant les  moines,  les  religieuses,  les  domestiques  et  les  employés 
des  monastères,  ne  s'e'levait  pas  à  i5o,ooo  individus.  —  L'Ami 
de  la  Religion  f  n°  23o6. 

—  On  vient  de  publier  ,  à  l'imprimerie  du  collège  Urbain  à  Rome, 
la  traduction  d'un  ouvrage  allemaud ,  sous  le  titre  du  Séminaire 
ecclésiastique  ou  huit  jours  à  Saint-Eusèbe,  dont  nous  avons  déjà 
parlé  p.  112.  L'auteur  est,  comme  nous  l'avons  vu,  le  docteur 
Augustin  TLeiner,  jeune  allemand  de  beaucoup  d'esprit  et  de  sa- 
voir, qui,  après  s'être  éloigne'  plusieurs  années  de  la  saine  doc- 
trine, s'est  re'concilié  pleinement  à  Rome  avec  la  vérité  et  avec 
l'Eglise  qui  seule  l'enseigne  infailliblement.  Regrettant  amèrement 
d'avoir  dans  ses  précédens  écrits  e'té  une  occasion  de  scandale  pour 
l'Allemagne  catholique,  il  a  voulu  lui  consacrer  dans  cet  ouvrage 
les  prémices  de  sa  conversion.  Comme  il  connaissait  parfaitement 


(i)  Les  erreurs  de  ce  recueil  ont  été  rectitîées  dans  VAini  de  la  Re- 
ligion,  II"  21 12,  8  juin  j833. 


300  MÉLANGES. 

l'ëtat  de  décadence  de  la  discipline  ecclésiastique  dans  plusieurs 
parties  de  l'Allemagne,  les  vices  de  l'éducation  que  le  jeune  clergé 
reçoit  dans  les  universités  et  le  peu  d'estime  que  Ion  a  pour  les 
séminaires  épiscopaux ,  il  s'est  proposé  de  ranimer  dans  ce  pays 
le  véritable  esprit  du  sacerdoce ,  en  montrant  quel  est  le  caractère 
propre  de  l'éducation  ecclésiastique  et  quelles  sont  les  institutions 
sagement  établies  dans  l'Eglise  pour  former  le  clergé.  Son  histoire 
des  Séminaires  est  en  trois  parties.  Les  deux  premières  contien- 
nent les  deux  périodes  depuis  le  4*^  siècle  jusqu'à  Charlemagne ,  et 
depuis  Charlemagne  jusqu'au  concile  de  Trente.  L'auteur,  qui  est 
familier  avec  les  monumens  de  l'antiquité ,  confirme  ce  qu'il  dit 
par  des  passages  des  écrivains  de  ces  siècles.  Dans  la  troisième 
partie,  qui  est  assez  étendue  et  qui  va  du  concile  de  Trente  jusqu'à 
nos  jours,  il  relève  les  services  rendus  par  saint  Ignace  et  sa  com- 
pagnie pour  l'éducation  du  clergé.  Il  trace  l'origine  du  collège 
germanique ,  qui  a  excité  le  concile  de  Trente  à  rendre  son  décret 
pour  l'établissement  des  séminaires  dans  toute  l'Eglise.  On  voit 
ensuite  comment  les  évêques  et  les  princes  religieux,  et  surtout  les 
Papes,  ont  travaille  à  réaliser  le  vœu  du  concile,  et  comment  leurs 
efforts  ont  enrichi  l'Eglise  d'instituts  pre'cieux.  A  la  fin  du  18"  siè- 
cle ,  les  ravages  d'une  fausse  philosophie  et  les  révolutions  politi- 
ques ont  été  funestes  à  l'éducation  cléricale.  L'auteur  expose  la 
ruine  des  se'minaires  surtout  en  Allemagne,  raconte  les  efforts  faits 
dernièrement  pour  les  rétablir  et  finit  par  des  réflexions  sur  les 
besoins  spirituels  de  l'Allemagne  catholique.  Le  volume  est  terminé 
par  un  appendice  de  pièces.  Au  commencement  est  une  leltre ,  où 
M.  Theiner  raconte  avec  candeur  ses  égaremens,  ses  voyages  et  les 
moyens  dont  Dieu  s'est  servi  pour  le  ramener.  L'ouvrage,  qui  a 
environ  5oo  pages,  a  élé  traduit  du  manuscrit  allemand  par  M.  Jac- 
ques Mazio;  on  l'imprime  en  ce  moment  en  Allemagne.  L'édition 
romaine  est  de  60  bajoques. 

—  Le  Temps  publie  une  lettre  écrite  de  Malte,  le  3o  juillet 
dernier,  par  le  capitaine  d'artillerie  Hoart  qui,  accompagné  du  ca- 
pitaine d  état-major  Bruneau  et  du  chirurgien-major  Fourcadc,  est 
allé  en  Egypte  rejoindre  les  saint-simoniens.  On  remarque  dans  cette 
lettre  les  détails  suivans  relatifs  aux  chevaliers  de  Malte  : 


MÉLANGES.  301 

«  Rien  n'est  plus  riche  et  plus  varié,  pins  digne  de  la  gran- 
deur du  christianisme ,  que  les  monumens  construits  sous  l'influence 
des  chevaliers  de  Malte. 

»  Le  palais  du  grand-maître  présente  de  vastes  salles  ornées  de 
colonnes  en  marbre  blanc  d'une  grande  beauté.  De  tous  côtés  on 
aperçoit  les  portraits  des  grands-maîtres  et  des  chevaliers  qui  se 
sont  distingués  dans  les  expéditions  militaires  contre  les  Turcs.  Il 
y  a  surtout  un  salon  très  pittoresque  par  ses  planchers  recouverts 
d'une  natte  jaunâtre,  et  par  ses  lambris  décorés  de  tapisseries  re- 
présentant les  productions  les  plus  variées  et  les  plus  riches  de  l'A- 
frique et  de  l'Asie....  On  y  respire  je  ne  sais  quel  parfum  oriental 
qui  exalte  l'imagination  et  occasionne  la  vitesse  du  pouls. 

»  C'est  surtout  l'église  de  Saint-Jean,  où  sont  renfermés  les  tom- 
beaux des  grands-maîtres  et  des  chevaliers ,  qui  est  très-propre  à 
faire  pénétrer  dans  les  cœurs  cette  foi  douce  et  tendre  des  chre'- 
tiens,  revêtue  de  toutes  les  couleurs  les  plus  brillantes  de  cet  orien- 
talisme oîi  l'homme  d'action,  jusqu'à  présent,  n'a  rêvé  que  canons, 
drapeaux,  cimeterres  ,  combats,  sièges,  victoires. Du  pavé  en  marbre 
du  sanctuaire  jusqu'à  la  voûte,  il  n'y  a  pas  un  point  où  il  n'y 
ait  un  ornement.  Le  pavé  lui-même  est  une  mosaïque  variée  de 
mille  nuances,  de  mille  tons;  chaque  chapelle,  chaque  tombeau  a 
une  décoration  différente ,  où  le  marbre,  la  sculpture,  la  peinture, 
l'or  et  la  pierre  se  disputent  d'éclat  et  de  splendeur.  Rien  n'est 
plus  imposant,  plus  solennel,  plus  susceptible  d'enthousiasmer, 
plus  entraînant  à  l'action  que  de  voir  ces  canons,  ces  draperies, 
ces  vaisseaux,  ces  nègres,  ces  Africains,  ces  Turcs,  ces  turbans, 
ces  cimeterres,  ces  cuirasses,  briilans  au  milieu  de  ces  croix  de 
Malte  qui  les  dominent  de  toute  la  puissance  de  l'énergie  et  de  la 
constance.  Autrefois  le  nom  de  chevalier  de  Malle  avait  peu  de 
puissance  sur  mon  cœur  :  maintenant  que  je  me  suis  promené  au 
milieu  de  leurs  tombeaux ,  que  j'ai  touché  les  monumens  de  leur 
grandeur  passée,  je  les  admire  et  mon  sang  bouillonne  au  souvenir 
de  Vile  Adam  et  de  La  Valette ....  » 

—  Dans  une  séance  de  X Académie  Catholique  tenue  le  17  juil- 
let dernier  ,  le   R.   P.  Jean-Baptiste  Piaciani  de   la   compagnie  de 
Jésus  ,  membre  du  Collège  philosophique  et  professeur  de  physique- 
T.  X.  21 


302  MÉLANGES. 

chimie  au  collège  romain,  a  lu  une  dissertation  savante  sur  le  sujet 
suivant  :  Examen  et  démonstration  de  la  faiblesse  de  l'accusation 
intentée  par  un  écrivain  moderne  contre  le  gouvernement  ponti- 
fical,  d'avoir  causé  la  ruine  de  l'acadénne  de  Cimento,... 

Ce  savant  académicien  a  traité  ce  sujet  avec  une  force  de  logique 
et  une  clarlc  d'expression  qui  ont  ravi  l'assentiment  et  provoqué 
les  éloges  de  son  nombreux  et  brillant  auditoire. 

Un  savant  de  Toscane,  dans  un  Mémoire  lu  publiquement  à  Paris 
sur  le  thermomètre  de  l'académie  de  Cimento  ,  a  affirmé  que  des 
raisons  politiques  ayant  déterminé  le  prince  Léopold  de  Médicis, 
protecteur  de  cette  académie ,  à  demander  le  chapeau  de  cardinal , 
on  ne  voulut  accéder  à  sa  demande  qu'à  condition  qu'il  sacrifierait 
l'académie  à  la  haine  implacable  que  la  cour  de  Rome  vomissait 
contre  la  mémoire  de  Galilée  et  de  ses  disciples.  En  conséquence, 
ajoute-t-il ,  l'académie  fut  dissoute;  on  vit  Borrelli  mendier  dans 
les  rues  de  Rome,  et  Oliva,  les  os  à  demi  brisés  par  les  tortures, 
se  soustraire  par  le  suicide  aux  nouveaux  tourmens  que  lui  pré- 
parait l'inquisition.  Plusieurs  récits  de  Galilée  et  de  ses  disciples 

furent  livrés  aux  flammes La  proscription  n'épargna  pas  même 

les  instrumens  :  ceux  qui  échappèrent  à  la  destruction....,  etc. 

Le  docte  académicien  a  d'abord  fait  voir  combien  l'auteur  de 
ces  déclamations,  tout  jaloux  qu'il  paraît  de  la  gloire  de  l'Italie, 
a  mal  servi  la  réputation  de  ce  pays ,  et  particulièrement  celle  de 
la  Toscane  sa  patrie.  Ensuite ,  examinant  le  but  de  l'académie  de 
Cimento,  le  caractère  d'Alexandre  VII,  de  Clément  IX,  du  grand 
duc  Ferdinand  II  et  de  son  frère  Léopold,  ainsi  que  d'autres  cir- 
constances,  il  a  fait  voir  combien  les  assertions  du  Toscan  sont 
dénuées  de  vraisemblance  et  même  tout-à-fait  absurdes. 

Enfin  ,  les  faits  en  main  et  appuyé  sur  le  témoignage  des  écri- 
vains contemporains  et  des  académiciens  eux-mêmes,  il  a  prouvé 
jusqu'à  l'évidence,  i°  qu'il  n'est  rien  de  plus  faux  que  la  préten- 
due condition  imposée  au  cardinalat  de  Paul  de  Médicis  ;  2°  que 
l'académie  de  Cimento  n'a  jamais  été  formellement  dissoute ,  mais 
qu'elle  a  déclaré  et  qu'elle  s'est  anéantie  naturellement  par  des  rai- 
sons toutes  simples ,  et  surtout  parce  que  les  trois  académiciens , 
Rinaldi,  Bouilli  et  Oliva,  quittèrent  la  Toscane  spontanément,  au 


MÉLANGES.  303 

déplaisir  du  grand  duc  et  du  prince  Léopold  ;  ainsi,  quoiqu'il  ait 
pu  advenir  ensuite  à  ces  deux  derniers,  leur  destinée  ulte'rieui'e 
n'a  rien  de  commun  avec  la  ruine  de  l'Acadc'mie ,  qui  ne  fui  pas 
la  cause,  mais  qui  fut  plutôt  l'effet  de  leur  retraite;  3°  qu'on  n'a 
vu  Borelli  mendier  dans  les  rues  de  Rome  qu'après  quil  eut  quitté 
la  Toscane  pour  retourner  enseigner  h  Messine,  et  que  banni  de 
cette  ville  pour  des  raisons  politiques ,  il  trouva  à  Rome  un  asile 
jusqu'à  sa  mort;  4°  que  Oliva  Calabresse  s'établit  à  Rome,  où  il 
trouva  une  meilleure  position  qu'il  n'avait  droit  de  l'espérer  d'après 
sa  conduite  ;  mais  que  peu  d'années  après ,  ayant  été  reconnu  le 
fondateur  de  certains  clubs  immoraux ,  il  fut  mis  en  prison  ;  con- 
duit pour  la  seconde  fois  à  l'interrogatoire,  il  se  tua  en  se  préci- 
pitant par  une  fenêtre.  (On  ignore  d'oîi  l'auteur  du  Mémoire  a  tiré 
la  circonstance  des  os  à  moitié  brisés);  5'  les  écrits  de  Galilée  et 
de  ses  disciples  n'eurent  absolument  rien  à  souff'rir  à  l'époque,  et 
encore  moins  à  1  occasion  de  la  promotion  de  Léopold  au  cardinalat; 
6"^  les  instruraens  de  physique  n'en  souffrirent  pas  davantage  ;  par 
un  l)onheur  assez  rare  à  cette  époque,  il  s'en  est  conservé  un  très- 
grand  nombre  à  Fienza,  même  depuis  que  cette  ville  est  passée  sous 
la  domination  impériale.  —  Diaiio  di  Roma. 

—  L'art  antique  de  la  Haute-Asie  offre ,  dans  le  peu  de  notions  que 
nous  en  possédons,  et  dans  les  rares  monumens  qui  en  subsistent, 
une  particularité  nouvelle;  c'est  que  les  figures  colossales  y  furent 
généralement  sculptées  dans  le  roc.  Tel  est,  en  effet j  le  caractère 
essentiellement  propre  à  l'archéologie  asiatique  ,  qu'on  y  trouve  les 
grandes  masses  de  la  nature  employées  comme  les  seuls  élémens  qui 
puissent  servir  à  éterniser  la  gloire  et  l'ambition  des  princes.  C'était 
en  perçant,  en  taillant  des  montagnes  entières,  sur  la  face  aplanie 
desquelles  se  détachaient  d'immenses  bas-reliefs  et  se  projetaient 
d'énormes  figures ,  que  l'art  babylonien  savait  honorer  les  maîtres 
de  ces  vastes  empires.  Un  groupe  considérable  de  montagnes,  situé 
sur  la  route  antique  de  lîabylone  à  Ecbatane  ,  et  qui  repond  au  raout 
Baghtan  de  Ihistoire  ancienne,  offre,  en  divers  endroits  et  à  di- 
verses hauteurs,  des  sculptures  appartenant  aux  principales  dynas- 
ties de  la  Médie  et  de  la  Perse.  La  plus  remarquable  de  ces  sculp- 
tures consiste   en   un  immense  bas-relief  exécuté  à   une   grande 


304  MÉLANGES. 

hauteur ,  mais  malheureusement  trop  dégradé  pour  qu'on  ait  pu  en 
saisir  la  composition  eutiète.  Le  tout  a  élé  renfermé  dans  une  exca- 
vation ou  cadre,  d'un  développement  énorme,  où  la  plupart  des 
figures  n'apparaissent  plus  maintenant  que  comme  des  masses  in- 
formes ,  privées  de  détails,  mais  oîi  l'on  peut  encore  en  distinguer 
quelques  unes  moins  maltraitées  par  le  temps,  d'un  relief  considé- 
rahle,  d'une  proportion  fortement  colossale,  qui  se  reconnaissent, 
à  leurs  visages  barbus,  à  leurs  costumes  médiques ,  pour  de  grands 
personnages  d'une  monarchie  asiatique. 

En  parlant  des  conquêtes  de  Sésostris  en  Asie,  et  des  monumens 
qu'il  y  avait  laisse's  sur  sa  route  ,  Hérodote  assurait  qu'il  avait  vu 
lui-même  plusieurs  des  images  de  ce  roi,  sculptées  dans  le  rocher, 
en  Phenicie  et  ailleurs.  Il  ajoutait  que  deux  de  ces  figures ,  de  pro- 
portion colossale ,  avec  une  inscription  en  caractères  hiéroglyphi- 
ques allant  d'une  épaule  à  l'autre ,  se  trouvaient  encore  de  son 
temps  sur  la  route  qui  conduisait  de  Sardes  à  Smyrne  ,  et  sur 
celle  d'Ephèse  à  Phocée.  Des  détails  si  précis  n'avaient  pas  empê- 
ché des  savans  de  notre  âge  de  rejeter  parmi  les  fables  les  con- 
quêtes de  Sésostris  et  les  monumens  qu'on  en  citait.  Mais  voilà 
qu'en  i833  un  voyageur  vient  de  s'assurer  par  ses  propres  yeux 
qu'il  existe  près  de  l'ancienne  Béryte ,  en  Syrie,  une  de  ces  images 
de  Se'sostris  ,  sculptée  dans  le  roc  avec  une  inscription  hiérogly- 
phique efface'e  à  dessein ,  mais  où  il  se  lit  encore  le  nom  de  Pharaon 
Rarasès  ,  et  avec  une  inscription  persépolitaine  ,  qui  date  sans  doute 
du  temps  de  Cambyse.  Les  détails  de  cette  intéressante  découverte, 
déjà  connus  de  feu  M.  Champollion  jeune,  sont  donne's  dans  le 
Bulletin  de  l' Institut  arclu'ologique  ,  i834,  janvier,  p.  3o-32  ; 
d'après  une  lettre  de  M.   Bunsen  ,  ministre  de  Prusse  à  Rome. 

—  On  sait  que  M.  Biot  profita  dernièrement  de  la  communica- 
tion officielle  de  certains  monumens  pour  émettre  des  assertions 
contraires  "a  la  véracité'  de  nos  livres  saints  (  V.  ci-dessus  p.  201). 
Prive'  du  privilège  de  la  même  communication ,  M.  de  Paravey  prit 
le  parti  de  citer  M.  Biot  devant  ses  juges  naturels ,  c'est-à-dire 
devant  l'Académie  des  sciences ,  qui  institua  pour  prononcer  entre 
ces  deux  savans ,  relativement  à  l'antiquité  de  l'astronomie  égyp- 
tienne,  une  commission  composée  de  MM.  Arago,  Poinsot  et  Gi- 


MÉLANGES.  305 

nard,  de  \ Institut  d'Egypte.  Sur  la  demande  de  cette  commis- 
sion, M.  de  Paravey  -vieul  de  lui  envoyer  un  mémoire  spécial, 
pour  la  mettre  en  état  de  procéder  avec  les  moyens  convenables 
à  l'examen  de  celte  grave  question. 

Dans  ses  Recherches  sur  l'Astronomie  égyptienne ,  publiées 
cliez  Didot ,  en  1823,  M.  Biot  lui-même  posait  en  principe,  que 
nulle  astronomie  savante  n'existait  chez  les  anciens  Egyptiens,  dont 
le  ciel  toujours  nébuleux  s'opposait  à  l'observation  des  astres 
(ci-dessus  p.  2'jy  ). 

M.  de  Paravey,  oppose  à  M.  Biot  ses  contradictions;  il  expose 
les  emprunts  que  ce  dernier  lui  a  faits ,  et  la  manière  adroite 
dont  il  cherche  à  les  déguiser.  Il  finit  par  établir  que  nulle  as- 
tronomie savante  ne  peut  se  démontrer  pour  une  ë|)oque  anté- 
rieure à  l'an  23oo  à  2400  avant  notre  ère,  époque  où  les  Chal- 
déens  se  formaient  en  corps  de  nation,  oîi  la  tour  de  Babel,  dont 
il  reste  encore  des  ruines  immenses  dans  le  pachalik  de  Bagdad, 
commençait,  à  s'élever,  et  ou  les  observations  des  anciens  Chal- 
dëcns  donnaient  lieu  au  renouvellement  de  l'idolâtrie. 

—  Ce  n'est  pas  seulement  en  Europe  que  les  savans  ont  pris 
les  peuples  de  l'Asie  pour  sujet  de  leurs  éludes  et  de  leurs  obser- 
vations. On  dirait,  pour  ainsi  dire,  que  quelque  nouvel  univers 
est  à  découvrir  dans  ce  monde  asiatique ,  tant  les  esprits  ont  d'ar- 
deur à  l'explorer.  Voici  ce  que  nous  lisons  dans  le  Journal  de 
St.  -Pétershourg. 

«  L'élude  des  langues  anciennes  est  devenue  aujourd'hui  la  base 
de  toute  éducation  soignée  ,  et  c'est  dès  notre  enfance  que  nous 
commençons  à  nous  familiariser  avec  les  antiquités  de  la  Grèce  et 
de  Rome  ;  aussi  la  connaissance  de  ces  littératures  ,  et  surtout  de 
la  dernière  ,  est-elle  généralement  répandue.  Mais  si  1  étude  des 
auteurs  grecs  et  latins  nous  pre'sente  d'incontestables  avantages, 
celle  de  l'Orient  nous  ouvrira  une  carrière  plus  vaste  et  non  moins 
utile.  C'est  l'Orient  qui  fut  le  berceau  du  genre  humain  ;  c'est  là 
que  fleurirent  les  premiers  arts. 

n  Le  zèle  infatigable  des  savans  anglais  nous  a  dévoilé  une  partie 
des  immenses  richesses  arche'ologiques  que  l'Inde  ollVe  à  nos  in- 
vestigations. Us  nous  ont  fait  admirer  les  temples  souterrains  de 


306  MÉLANGES. 

Bouddah  et  de  Schiva  ,  devant  lesquels  l'imagination  s'arrête 
étonnée  ;  ils  nous  ont  fait  entendre  les  chants  du  Ramaïana  et 
du  Baha-Bharata.  Et  qui  sait  combien  de  chefs-d'œuvre ,  encore 
ensevelis  dans  les  temples   de   Brahma,    peuvent  être  découverts 

par  leurs  savantes  recherches  !  

»  La  Russie ,  par  sa  position  et  ses  ressources ,  semble  appele'e 
à  marcher  avec  succès  sur  la  trace  des  explorateurs  de  l'Orient  ; 
aussi  le  gouvernement ,  jaloux  de  lui  assurer  tous  les  genres  de 
gloire  auxquels  elle  a  droit  de  pre'tendre,  ne  laisse  e'chapper  au- 
cune occasion  de  protéger  l'élude  des  langues  orientales  ,  en  en- 
courageant les  savans  qui  s'y  livrent  avec  succès,  déjà  nous  avons 
plusieurs  fois  appelé'  l'attention  du  public  sur  les  travaux  de  nos 
orientalistes,  et  les  noms  de  nos  Fraehn,  nos  Schmidt ,  nos  père 
Hyacinthe,  etc.,  etc.,  ont  été'  se  placer  auprès  de  ceux  dont 
s'enorgueillissent  à  si  juste  titre  l'Angleterre,  la  France  et  l'Alle- 
magne.  Dans  son  infatigable  soUicitnde  ,  pour  la  propagation  des 
lumières  de  l'instruction,  dont  il  dirige  le  ministère,  M.  le  con- 
seiller prive'  d'Ouvaroff  a  voulu  doter  la  Russie  de  l'enseignement 
de  la  langue  sanscrite ,  dans  laquelle  un  jeune  professeur  russe  » 
M.  Lentz ,  a  faits  des  progrès  assez  remarquables  pour  nous  in- 
spirer les  plus  flatteuses  espérances.  Sur  la  proposition  de  ce  mi- 
nistre,  S.  M.  l'empereur  a  daigne'  accorder  à  M.  Lentz  un  trai- 
tement avantageux  ,  pendant  le  séjour  de  deux  années  qu'il  va 
farre  en  Angleterre  pour  s'y  perfectionner.  A  son  retour,  une 
chaire  de  sanscrit  lui  sera  confiée  ;  déjà  M.  Lentz  s'est  fait  con- 
naître par  une  e'dition  de  YUruasia  (drame  sanscrit  du  fameux 
Calidasi ,  auteur  de  Sacontala) ,  avec  une  traduction  latine  et  des 
notes  publiées  cette  année  à  Berlin.  Ses  travaux  ultérieurs  doivent 
donc  nous  permettre  les  résultats  les  plus  favorables.  » 

—  Tandis  que  M.  de  La  Mennais  demeure  fixe  dans  les  prin- 
cipes que  le  chef  de  1  Eglise  a  solennellement  condamnés,  et  qu'il 
s'engage  dans  les  voies  malheureuses  de  l'erreur,  l'on  voit  avec  la 
plus  vive  satisfaction  que  ceux  qui  avaient  adhéré  aux  doctrines 
de  M.  de  La  Mennais ,  ne  cessent  de  donner  des  témoignages  pu- 
blics de  leur  soumission  au  jugement  du  Souverain-Pontife. 

Aux  nombreuses  adhésions  et  rétractations ,  détermine'es  par  la 


MÉLANGES.  307 

dernière  lettre  encyclique  ,  il  faut  ajouter  celle  que  vient  de  donner 
M.  Charles  de  Ceux ,  dont  la  soumission  n'a  jamais  été  douteuse , 
dans  la  lettre  suivante  adressée  à  M.  l'abbë  de  Ram ,  recteur  de 
l'Université  Catholique. 

«  Monsieur  l'abbé, 
»  Ma  nomination  à  la  chaire  d'économie  politique  dans  la  nou- 
velle Université  fondée  à  Malines  vient  d'obtenir  une  certaine  pu- 
blicité, et  je  crois  devoir  profiter  de  cette  circonstance  pour  ma- 
nifester dans  toute  leur  plénitude  les  sentimens  d'obéissance  et  de 
soumission  dont  je  suis  animé  envers  le  Saint  Siège.  Plus  tôt  , 
j'aurais  eu  peur  ,  moi  simple  laïque,  d'aller  au-delà  des  convenances 
en  importunant  le  public  de  ma  profession  de  foij  plus  tard,  j'é- 
prouverais la  même  crainte. 

»  J'ai  toujours  considéré  l'infaillibilité  duSouverain-Pontife  comme 
une  vérité  fondamentale  et  inébranlable,  et  cette  conviction,  qui 
fait  partie  de  ma  foi,  n'a  pas  été  un  moment  ébranlée.  J'accepte 
donc  tous  les  actes  du  Saint  Siège,  j'approuve  ce  qu'il  approuve, 
j'improuve  ce  qu'il  improuve,  j'adhère  sans  restriction  aucune  aux 
deux  Encycliques  de  notre  très-saint  Père  le  Pape  Grégoire  XVI 
données  en  date  du  i5  août  i832  et  du  25  juin  dernier,  et  je 
suis  déterminé  à  ne  rien  écrire  et  à  n'approuver  rien  qui  soit  con- 
traire k  ces  jugemens. 

»  En  donnant  toute  la  publicité  nécessaire  à  la  présente  décla- 
ration ,  vous  me  rendrez  un  véritable  service  ;  elle    ne  surprendra 
aucun  de  ceux  qui  me  connaissent,  et  ceux  qui  ne  me  connaissent 
pas  sauront  d'avance  la  direction  qu'aura  mon  enseignement. 
»  J'ai  1  honneur  d'être,  etc.  C.  de  Coux.  » 

—  Le  R.  D.  Paul  dcl  Signore ,  professeur  d'histoire  ecclésiastique  à 
l'archigymnase  romain,  a  lu  dans  la  sixième  réunion  que  vient  de  tenir 
Y/lcarlèinie  de  la  ReUgion  catholique ,  à  Rome,  un  très-beau  discours 
dans  lequel  il  démontre  que  la  tolérance  de  la  philosophie  moderne  à 
regard  de  toutes  tes  croyances  religieuses,  sauf  la  religion  catholique, 
APOSTOLIQUE  ET  ROMAINE  ,  est  Une  preuue  <jue  nos  ennemis  mêmes  semblent 
nous  donner  que  cette  religion  est  la  seule  vraie. 

Après  avoir  indiqué  sommairement  la  nature  et  l'origine  du  tolèran- 
lisme ,  le  célèbre  Académicien  prouve  par  des  argumeus  sohdcs  tirés  de 


308  MÉLANGES. 

l'histoire  :  i°  que  toutes  les  sectes ,  bien  que  divisées  et  opposées  en- 
tr'elles ,  sont  néanmoins  d'accord  en  un  point ,  c'est  qu'elles  se  posent 
toujours  avec  leurs  systèmes  comme  ennemies  de  la  foi  catholique  dont 
elles  se  sont  séparées  ;  2°  que  l'indifTérentismc  de  la  tolérance  absolue 
n'ayant  rien  de  précis  ni  de  certain,  et  ne  s'appuyant  sur  aucune  base 
solide  de  foi  et  de  morale  ,  ne  peut  contribuer  au  bien  de  la  société  , 
parce  qu'il  divise  ses  membres  en  une  infinité  d'opinions  religieuses  • 
3°  que,  malgré  cette  tolérance  proclamée  si  haut,  on  n'en  cherche  pas 
moins  par  tous  les  moyens  secrets  et  ténébreux  que  met  en  usa^e  une 
fausse  philosophie,  à  avilir  et  à  détruire  la  religion  catholique ,  laquelle 
réunit  tous  les  caractères  de  vérité  qui  manquent  à  toute  opinion  reli- 
gieuse séparée  de  nous.  L'orateur  conclut  enfin,  de  cette  instabilité  et 
de  cette  contradiction  de  principes  ,  de  cette  incurable  manie  de  bâtir 
chaque  jour  des  systèmes  religieux ,  de  cette  haine  secrète  et  de  ce  mé- 
pris pour  la  religion  catholique  ,  que  la  tolérance  absolue  fournit  elle- 
même  une  preuve  incontestable  de  la  vérité  de  celle-ci. 

Le  savant  académicien  a  reçu  les  plus  grands  éloges  des  personnages 
distingués   qui  assistaient  à  cette  séance.  (  Diario  di  Ronia.  ) 

—  Alédecine-Pratique  populaire  ;  Secours  à  donner  aux  empoisonnés 
et  aux  asphyxiés ,  et  noui'eau  traité  d'embryologie  sacrée;  par  M.  Ro- 
siau  (i).  —  L'auteur  s'est  proposé  d'offrir  un  guide  à  ceux  que  la  re- 
ligion porte  à  s'occuper  du  soulagement  des  douleurs  des  misères  hu- 
maines. Il  a  travaillé,  dit- il,  pour  le  prêtre  et  pour  le  chrétien.  Son 
ouvrage  paraît  en  effet  d'un  homme  consciencieux.  Il  est  dédié  à  M.  l'é- 
vèque  du  Mans  ,  qui  a  lu  particulièrement  le  traité  d'embryologie  ,  et 
qui  déclare  n'y  avoir  rien  trouvé  que  de  conforme  aux  principes  théo- 
logiques. Dans  la  première  partie,  l'auteur  traite  des  affections  morbi- 
des ,  de  leurs  causes  ,  de  leurs  symptômes  ,  de  leur  traitement  ,  etc. 
Dans  la  seconde ,  il  parle  des  empoisonnemens  ,  des  asphyxies  et  des 
moyens  d'y  porter  remède.  La  troisième  partie  est  l'embryologie,  où 
Tauteur  a  considéré  son  sujet  sous  le  point  de  vue  religieux  et  sous  ce- 
lui de  la  science.  Ce  volume  est  terminé  par  trois  appendices  :  i"  l'a- 
nalyse chimique  des  poisons  :  1°  une  série  de  recettes,  d'ordonnances 
et  formules  pour  chaque  maladie  ;  3°  un  dictionnaire  des  mots  techni- 
ques usités  en  médecine.  L'estimable  auteur  de  cet  ouvrage  paraît  join- 
dre à  des  connaissances  positives  le  zèle  le  plus  louable  et  les  sentimens 
les  plus  propres  à  inspirer  la  confiance. 

(i)  In-8o.  Prix,  6  fr.,  et  8  fr.  franc  de  port.  A  Mamers,  chez  l'au- 
teur ,  et  à  Paris ,  chez  Legay ,  rue  de  Seine. 


309 

(VV^  "VVXlVVX  fVV\  fWV\  V^A  lVV^  VV\  (V V\  AA^  VV\  •V'V\  VV\ -VV  \  V V\  VVt /V\  >  (\A^ 

CONNAISSANCES   DE    DIOISE    ET   DES   HÉBREUX 

SUR    LA.    TERRE    HABITEE.  EXTR.     DE    MALTEBRUK. 


Merveilleux  accord  de  Moïse  et  des  plus  anciens  historiens  sur  l'origine 
des  peuples.  —  Descendans  de  Japhet  en  Grèce.  —  Descendans  de 
Sem  en  Syrie  et  en  Arabie.  —  Descendans  de  Ham  ,  ou  Cham  et 
Chanaan ,  en  Abyssinie. 

La  geograpliie  est  une  des  sciences  qui  out  e'te'  le  plus  ciil- 
tive'es  dans  ces  derniers  temps  :  grâces  aux  recherches  des 
e'rudits  et  aux  voyages  de  quelques  hommes  anirae's  d'un  im- 
mense dësir  de  connaître  les  peuples  sur  lesquels  on  n'avait 
que  des  donne'es  vagues  et  incertaines,  la  ge'ographie  tant  an- 
cienne que  moderne  ,  a  e'te'  renouvele'e  ;  les  plus  anciens  empires 
ont  e'te'  refaits,  pour  ainsi  dire;  leur  e'tendue ,  leurs  limites 
ont  e'te'  fixe'es  ;  les  anciennes  conquêtes  des  he'ros  grecs  et  ro- 
mains ont  e'te'  suivies  dans  tous  leurs  de'tours  ;  les  ruines  des 
villes  les  plus  incertaines  ont  e'te'  fouille'es  ,  examine'es,  fixe'es 
de  nouveau  sur  les  caries.  Il  e'tait  impossible  que ,  dans  ces 
recherches ,  on  ne  revînt  pas  à  examiner  ce  que  le  plus  ancien 
des  livres,  la  Bible ^  nous  a  conserve'  sur  les  anciens  peuples 
et  les  anciens  royaumes.  On  y  est  revenu  donc ,  et  tous  les 
ge'ograplies  sont  tombe's  d  accord  qu'aucun  livre  ne  donne  des 
rcnseignemens  plus  clairs,  plus  certains,  plus  de'taille's ,  sur 
le  commencement  des  peuples,  et  leurs  diffe'rentes  transfor- 
mations ou  transmigrations.  Pour  mettre  cette  ve'rite'  dans  tout 
son  jour,  nous  allons  citer  le  passage  suivant,  où  un  maître 
de  la  science  ge'ographique,  M.  Maltebrun,  rend  un  magnifique 
hommage  aux  connaissances  que  Moïse  nous  a  conserve'es  sur 
la  ge'ographie. 

«  Nous  n'avons  point  d'aperçus  ge'ographiques  dignes  d'at- 
tention, qui  soient  antérieurs  à  ceux  de  Moïse  (an  du  monde  2460). 
Les  livres  de  cet  historien ,  et  ceux  de  ses  successeurs ,  con- 
T.  X.  22 


310  CONNAISSANCES    DE    MOÏSE    ET    DES    HEBREUX 

tiennent  les  notions  des  He'breax,  des  Phe'niciens  ,  des  Arabes, 
et  des  autres  peuples  de  l'Asie  occidentale  (i).  Après  Moïse, 
le  plus  ancien  auteur  qui  nous  fournisse  l'ide'e  d'uiïe  gc'ogra- 
pliie,  c'est  Homère  (an  da  monde,  3ooo  )  ;  il  nous  fait  par- 
courir toute  la  sphère  des  connaissances  ,  des  traditions  et  des 
fables  re'pandues  en  Grèce  et  dans  l'Asie-Mineure  (2). 

Nés  de  la  même  manière,  tous  les  systèmes  primitifs  durent 
pre'senter  quelques  traits  de  ressemldance.Les  bases  communes 
aux  premières  gëograpliies  furent  presque  toutes  prises  dans 
les  pre'juge's  des  siècles  pea  éclaire's  qui  les  virent  naître. 
D'abord  chaque  peuple  se  crut  naturellement  place'  au  centre 
du  monde  habite'.  Cette  idée  e'taït  si  ge'ne'ralement  répandue 
que,  chez  les  ïndous ,  voisins  de  l'e'quateur,  et  chez  les  Scan- 
dinaves ,  rapproche's  du  pôle  ,  deux  mots,  et  même  deux  mots 
assez  semblables,  midhîama  et  midgavd ,  signifiant  tous  les 
deux  la  demeure  du  inilieu ,  e'taient  souvent  employés  pour 
de'signer  les  contre'es  qu'habitaient  ces  deux  peuples  (3).  L'O- 
lympe  des  Grecs  passait,  comme  le  mont  Mérou  des  Ïndous, 
pour  le  centre  de  toute  la  terre  :  tous  ces  peuples  se  repré- 
sentaient le  monde  habite'  comme  un  vaste  disque  ,  borné  de 
tous  les  côtés  par  un  océan  merveilleux  et  inaccessible;  aux 
extrémités  de  la  terre ,  on  plaçait  des  pays  imaginaires ,  des 
îles  fortunées  et  des  peuples  de  Géans  ou  de  Pygmées.  La 
voûte  du  firmament  était  supportée  par  des  montagnes  énor- 
mes ou  par  des  colonnes  mystérieuses 


(i)  Bochart  ,  Geogr.  Sacra.  —  Michaèlis  ,  Spiciicg.  Geogriiph.  hc- 
brœorum. 

(2)  Voss  ,  Cosmographie  des  anciens  en  ail.  —  Schœnemann  ,  geogra- 
pJiia.  Ilom.  —  Schlegel  ,  de  géograph.  Hoin. 

(3)  Wahl ,  VIndostan  ,    1,229.   ~"  Suhm  ,   Odin  ,    10. 

—  Ce  que  ne  dit  pas  Maltebrun  et  ce  qu'il  est  facile  de  compren- 
dre ,  par  cette  croyance  répandue  chez  ces  peuples,  c'est  qu'ils  ont  une 
origine  commune,  et  qu'ils  ont  porté,  dans  ces  pays  qu'ils  sont  allés 
habiter  ,  la  tradition  de  ce  rojauine  du  milieu  .  qu'ils  form:iicnt  dès  le 
oammenccment.  Cette  vérité  sera  mise  dans  tout  son  jour  par  les  Mé- 
moires de  M.  de  Paravey  ,  dont  nous  avons  déjà  parlé  quelque  part. 


SUR    LA    TERRE    HABITÉE.  311 

Il  ne  faat  chercher,  clans  les  livres  de  Moïse  et  dans  les  autres 
anciens  e'crits  des  He'breax,  que  ce  que  l'ensemble  du  texte 
engage  à  y  chercher  ,  savoir  :  des  indications  sur  le  sie'ge  pri- 
mitif des  nations  de  l'Asie  occidentale.  Charge  d'une  mission 
plus  sublime  ,  l'auteur  de  hi  Ge'nèse  n'a  pas  voulu  faire  une 
ge'ographie  ;  il  ne  s'explique  ]}oint  sur  la  structure  ge'ne'rale 
de  la  terre  ;  il  n'indique ,  d'une  manière  reconnaissable,  d'au- 
tres grands  fleuves  que  le  Pltrat  ou  VEuphrate ,  et  le  Nil,  qu'il 
appelle  fleuve  de  Mizraini  ou  (ÏEgypte.  Une  ciiaîne  de  mon- 
tagnes est  nomme'e  Ararat ;  et,  si  l'on  compare  tous  les  pas- 
sages oîi  il  en  est  parle'  (i)  ,  on  reste  persuade'  que  c'est  dans 
les  branches  du  Taurus,  re'panduesen  Arme'nie  et  en  Churdistan, 
qu'il  faut  chercher  ces  fameuses  montagnes,  près  desquelles 
l'historien  he'breu  place  le  second  berceau  du  genre  humain  (2). 
Il  est  certainement  remarquable  que  le  point  de  de'part  d'où 
Mo'ise  fait  commencer  la  disj)ersion  des  peuples,  est  place'  par 
lui  à  peu  près  dans  le  pays  le  plus  central  de  toutes  les  con- 
tre'es  anciennement  peuple'es  ;  car,  les  Indiens  à  l'est,  les 
Scandinaves  ou  Goths  au  nord,  et  les  Nègres  ou  Éthiopiens 
occidentaux,  trois  races  très-anciennement  e'tablies  dans  les 
contre'es  qui  portent  leur  nom  ,  se  trouvent  à  peu  près  à  des 
dislances  e'gales  de  la  Me'sopotamie  ou  de  l'Arme'nie.  D'un  autre 
côte',  on  est  frappe'  de  l'extrême  faiblesse  de  la  population  de 
l'Ame'rique,  des  terres  du  gi-and  Oce'an  et  de  l'Afrique  me'ri- 
dionale,  maigre'  la  beauté'  et  la  fertilité'  de  ces  re'gions.  Ces 
deux  circonstances  pourraient  bien  engager  un  historien  judi- 
cieux à  placer  en  Asie  occidentale  le  point  oii  a  dû  commencer 
la  population  du  globe,  s'il  fallait  absolument  prendre  un  parti (3). 


(i)  Gcn.  vm,  /,.  _  Reg.  n,  19,  y.  37.  —  Isaïe ,  xxxvu  ,  38.  —  Jé- 
rem,  li  ,  27.  —  Tob.  i,  24. 

(a)  Bochart,  Phaleg.  i,  3. 

(3)  Cette  question  aujourd'hui  n'est  plus  douteuse.  Les  savans  de  Cal- 
cutta ont  montré  que  l'histoire  des  nations  ,  les  progrès  de  leurs  émigra- 
tions et  populations,  nous  ramènent  au  point  central  déterminé  par  Moïse. 

Le  célèbre  William  Joncs,  président  de  la  Société  asiatique,  a  prouvé 
dans  une  dissertation;  que  tous  les  peuples  de  la  terre  <lesccndaient 

22* 


312  CONNAISSANCES    DE    MOÏSE    ET    DES    HÉBREUX 

Mais,  sans  entrer  dans  des  discussions  interminables,  bornons- 
nous  à  exposer  ce  qu'il  y  a  de  plus  positif  dans  le  texte  de 
Moïse.  Nous  y  voyons  toutes  les  nations  de  l'Asie  occidentale, 
que  cet  bistorien  a  connues,  ramene'es  à  trois  familles  :  l'une, 
celle  de  Scni ,  comprend  des  peujiles  pasteurs  ,  babitant  sous 
des  tentes;  l'autre,  se  compose  des  nations  industrieuses  et 
commerçantes  ,  dont  Cham  est  la  soucbe  ;  enfin  ,  au  nord  des 
deux  autres,  la  race  de  Japhet  e'tablit  ses  belliqueux  empires. 

Sur  un  de  ces  points,  l'antique  tradition  des  nations  les  plus 
e'claire'cs  coïncide  d'une  manière  frappante  avec  les  re'cits  de 
Moïse.  Cet  auteur  ,  et  plusieurs  autres  écrivains  be'hreux ,  disent 
positivement  que  les  contre'es  riveraines  de  la  Me'diterrane'e , 
les  îles  des  Gentils ,  furent  peuple'es  par  les  descendans  de 
Japhet.  Or ,  les  Grecs  et  les  Romains  font  descendre  le  genre 
humain  ,  c'est-à-dire ,  toutes  les  nations  à  eux  connues ,  de 
Japetus^  dont  le  nom  ne  diffère  pas  essentiellement  de  celui 
de  Japhet  (i). 

Encourage's  par  cet  accord,  vraiment  surprenant ,  des  bom- 
mes  d'une  vaste  e'rudilion,  ont  cbercbe'  à  fixer  le  nom  et  le 
sie'ge  primitif  de  cbaque  peuple  descendant  de  Japbet ,  de 
Sem  et  de  Ghara  (2).  Mais ,  comment  supposer  que  de  simples 


d'une  souche  commune  et  avaient  eu  autrefois  le  même  berceau  ;  d'après 
cela  ,  il  se  propose  cet  intéressant  problème  ;  quel  doit  être  le  lieu  d'où 
les  différentes  peuplades  sont  parties ,  comme  d'un  point  central ,  pour 
aller  habiter  les  diverses  contrées  de  la  terre  ?  et  il  montre  qu'il  n'y  a 
d'autre  point  propre  à  satisfaire  ce  problême ,  que  oelui  qui  nous  est 
assigné  par  Moïse.  Voyez  les  Recherches  Asiatiques. 

(i)  Hésiode.  Op.  dies.  v.  5o.  —  Ovid  Metam.  i.  v.  82.  —  Aristoph. 
Nub. ,  v.  994-  —  Hor.   i.  od.   3. 

(2)  Parmi  ces  savans  ,  on  distingue  Bochart ,  Cumberland  ,  Fourmont, 
Court  de  Gebelin ,  etc.  Ce  dernier  ,  dans  le  discours  préliminaire  sur 
les  origines  grecques ,  parle  des  connaissances  historiques  de  Moïse  d'une 
manière  bien  remarquable.  «  Mais  qu'a  de  commun  Moïse  avec  les 
Grecs  ,  diront  ceux  qui  affectent  de  ne  faire  aucun  usage  des  connais- 
sances historiques  de  Moïse  ,  sous  prétexte  qu'il  ne  faut  pas  mêler  le 
sacré  avec  le  profane?  Ce  qu'il  a  de  coznmun  avec  les  Grecs,  poursuit 


SUR    LA    TERRE    HABITÉE.  313 

noms  de  familles  aient  ëte  conserve's  à  travers  les  vicissitudes 
des  siècles?  comment  reconnaître  les  demeures  ou  les  traces 
des  tribus  errantes,  qui  n'e'levaient  aucun  monument?  D'ail- 
leurs ,  ces   recherches   n'appartiennent  pas ,    dans    toute    leur 


Gebelin  ,  le  voici  :  C'est  de  nous  avoir  conservé  le  vrai  tableau  de  leur 
origine,  c'est  de  nous  avoir  transmis  une  tradition  infiniment  précieuse, 
dont  tes  Grecs  eux-mêmes  ont  laissé  flétrir  la  pureté  :  c'est  en  appre- 
nant aux  Israélites  leur  propre  origine  ,  d'avoir  tracé  de  main  de  maître 
la  première  carte  géographique  qui  ait  existé ,  restes  précieux  des  an- 
tiques connaissances  qu'on  irait  acheter  au  poids  de  l'or  chez  les  In- 
diens ,  les  Chinois  ou  les  Mexicains  ,  et  qu'on  dédaigne  parce  qu'on  les 
trouve  dans  l'ouvrage  d'un  législateur  qui ,  n'eùt-il  été  qu'un  homme 
ordinaire ,  aurait  droit  de  nous  étonner  par  ses  profondes  connaissances 
dans  les  arts  et  dans  les  sciences  ,  et  qui  joignait  à  l'avantage  d'être  his- 
torien ,  celui  de  poète  sublime.  "  RIoncle  primitif,  t.  ix  ,  p.  cslvi. 

a  La  géographie  de  l'Ecriture,  dit  le  savant  Pluche ,  est  d'un  prix 
inestimable.  Prenons  le  Pcntateuque  ou  la  Genèse  seule  ;  voyons  l'ori- 
gine et  les  premiers  progrès  des  nations.  Dans  le  récit  de  Moïse  ,  on 
trouve  ,  je  l'avoue  ,  des  lieux  et  des  peuples  que  l'éloignement  des  temps 
obscurcit  :  mais  de  tout  ce  qu'il  nomme  ,  ce  qui  est  encore  reconnais- 
sable  dans  des  temps  postérieurs ,  justifie  sa  narration  par  une  étendue 
de  connaissances  qui  prouvent  ou  l'inspiration,  ou  le  secours  d'une  tra- 
dition fidèle.  Vous  ne  trouverez  nulle  part  chez  les  profanes  une  pa- 
reille exactitude.  »  Concordance  de  la  Géographie  ,  et  Prépar.  ét^angél. 
1'"  partie,  pag.  io5.  Voyez  aussi  la   Géographie  ancienne  de  d'Anville. 

Terminons  cette  note  par  le  témoigna^'c  récent  d'un  Orientaliste  mo- 
derne,  qui  se  distingue  par  l.i  variété  et  l'étcncUie  de  ses  connaissances  : 

«  De  tous  les  voyages  que  nous  cachent  les  siècles,  dit  cet  écrivain  , 
le  plus  imposant,  sans  doute,  fut  celui  de  ce  solitaire  qui,  s'échappant 
de  Memphis ,  conduisait  une  nation  dans  le  désert ,  parlait  face  à  face 
avec  Dieu,  et  donnait  une  croyance  au  peuple  législateur Le  Pcn- 
tateuque eft  le  monument  écrit  de  ce  grand  voyage  ,  et  chose  étrange  ! 
si  nous  nous  en  rapportons  à  l'historien  qui ,  de  nos  jours  ,  a  cherché 
le  plus  laborieusement  les  origines,  ce  livre  a  reconquis  historiquement 
l'importance  que  lui  attribuaient  les  croyances  religieuses  ;  Schlosser 
y  trouve  la  première  origine  certaine  des  chronologies.  «  Ferdinand 
Denis.  La  Philosophie  des  voj-ages ,  dans  la  liei-'ue  de  Pans  de  dé- 
cembre  i832. 


314  CONNAISSANCES    DE    MOÏSE    ET    DES    HEBREUX 

etendae ,  au  plan  de  ce  traite'  ;  nous  nous  hornerons  aax  ré- 
sultats ge'ographiques  les  moins  sujets  à  contestation. 

DESGENDANS    DE    JAPHET. 

On  reconnaît  VIon  on  Icloii  des  Grecs ,  père  des  Ioniens  , 
dans  lavan  ;  et  Madai  désigne  vraisemblablement  les  Mèdes. 
Il  y  a  d'autres  non)s  d'une  interprétation  plus  difficile;  tels 
sont  ceux  de  Gomer ,  de  Magog,  et  autres.  Ils  paraissent  dé- 
signer des  peuples  voisins  du  Pont-Euxin  et  du  Caucase.  Cette 
mer  inhospitalière,  ces  montagnes  redoutables  ,  semblent  être 
les  limites  de  la  géographie  mosaïque  du  côté  du  Nord;  da 
moins  les  princes  mêmes  de  l'érudition  ne  nous  ont  rien  appris 
de  positif,  dès  qu'ils  ont  voulu  conduire  les  fils  de  Japhet 
plus  loin  (i)  ;  cependant  Tlu'ras  pourrait  bien  avoir  du  rapport 
avec  les  Tliraces ,  si  voisins  de  l'Asie. 

Un  des  descendans  de  Japhet,  par  lavan,  est  nommé  Thars- 
cJiicli ,  et  serait,  selon  Josèphe,  la  souche  des  Ciliciens ,  dont 
Tarsus  était  la  ville  principale  :  cette  opinion  n'a  rien  d'in- 
vraisemblable; elle  se  rattache  à  l'explication  du  nom  d'Iavan 
qu'on  vient  de  donner,  ainsi  qu'à  celle  des  noms  Dodanim 
ou  plutôt  Rodanùn  ,  les  liabitans  de  Rhodes  et  à'EUsa ,  V Bolide 
oa  bien  VElide.  Mais  il  est  difficile,  malgré  les  efforts  de  quel- 
ques savans  modernes  (2) ,  de  voir  dans  ce  Tharsis  de  la  Genèse, 
le  pays  lointain  dont  les  richesses  furent  l'objet  des  voyages 
entrepris  en  société  par  les  Hébreux  et  les  Phéniciens  ,  du 
temps  de  Salomon.  Saint  Jérôme  a  observé ,  et  M.  Gosselin  (3) 
a  prouvé  que  le  mot  Tharachich ,  dans  les  passages  où  il  est 
question  des  voyages  que  les  Phéniciens  et  les  Hébreux  fai- 


(i)  Bochart  ,  Phaleg.  —  Cuniberland  ,  Orig.  gentium  ,  Leibnitz , 
Suhm  ,  etc. 

(3)  Hartmann,  Recherches  sur  VAsic,  i.  69.  Comp,  —  Bredavv,  Re- 
cherches ijéogr.  II.  253. 

(3)  Gosselin,  Recherches  sur  la  Géographie  ancienne ,    11,  126 — 185. 


SUR    L\    TERRE    HABITÉE,'  315 

saient  en  partant  du  port  à'Eziongeber ,  sur  la  iner  Bouge ,  ne 
de'note  autre  cliose  que    «  la  grande  mer  (i).  » 

Jamais  un  mot  n'a  produit  des  recherclies  plus  savantes,  ni 
un  plus  grand  nom])re  d'e'crils.  Le  seul  Ophir  peut  lui  être 
compare'  à  cet  e'gard.  Il  paraît  que  VOphir  (2)  d'où  les  flottes 
de  Salomon  rapportaient  les  tre'sors  de  l'Indostan  ,  et  VOphir 
dont  parle  Moïse  (3) ,  e'taient  deux  contre'es  absolument  diffe'- 
rentes  ,  comme  la  différence  orthographique  des  deux  noms 
he'braïques  aurait  dû  le  faire  voir  aux  savans  qui  ont  discuté 
cette  question  ,  d'autant  plus  que,  dans  la  version  des  Septante, 
YOpJiir  de  MoJfse  est  rendu  par  Oiipheir,  et  celui  des  temps  de 
Saiomon,  par  Soopheira  (4).  Le  premier  e'tait  sans  doute  une 
contrée  de  rAra])ie-Henreuse;  mais  l'autre,  la  patrie  des  pierres 
gemmes,  des  bois  odorife'rans,  de  1  or  et  de  l'e'tain ,  semble 
devoir  être  cherché  dans  les  Intles  orientales.  Les  Phéniciens, 
ignorant  probablement  la  nature  des  moussons  ou  vents  pério- 
diques ,  pouvaient  bien  avoir  besoin  de  trois  ans  pour  aller  à 
la  côte  de  l'Indostan  méridional,  pour  y  faire  leurs  achats  et 
pour  revenir  aux  ports  deTIdumée.  Les  successeurs  de  Salomon 
ayant  perdu  la  souveraineté  de  ces  ports,  on  conçoit  que  les 
navigations  des  Phéniciens  et  des  Hébreux  durent  cesser  ;  et 
cette  première  découverte  de  l'Inde  n'eut  aucune  suite. 

DESCEIXDÂNS    DE    SEM. 

Mais  ,  après  avoir  suivi  les  indications  géographiques  des 
écrivains  hébreux  jusqu'aux  dernières  limites  de  leur  mappe- 
monde ,  vers  l'Orient  et  le  Nord  (  ce  qui  déjà  nous  a  obligé  de 
descendre  à  des  siècles  postérieurs  à  Moïse  )  ,  il  est  temps  de 
revenir  à  l'examen  des  pays  désignés  comme  le  séjour  des  Se. 
mites  ou  descentlans  de  Sem.  Les  Hébreux  étaient  à  même  de 


(i)  AVahl.   Indostan.   i,  20.  not.  3. 

(2)  Chron.  n ,  3  ,  6.  ISIN. 

(3)  Gen.  x,  29.  HSlN. 

(4)  Cp.  Michaël.  Spccilcg.  gèogr.  heh.  a,  184  sqq. 


316  CONNAISSANCES    DE    MOÏSE    ET    DES    HEBREUX 

bien  les  connaître ,  puisque  c'e'taient  leurs  frères  et  leurs  voi- 
sins. Aussi  cette  partie  de  la  ge'ographie  lie'braïque  est  bien 
précieuse  j  elle  indique  l'idenlite'  d'origine  de  presque  tous  les 
anciens  peuples  des  bords  de  l'Euplirate,  d'une  partie  de  l'Asie- 
Mineure  ,  de  la  Syrie  et  de  l'Arabie  :  identité  parfaitement 
constate'e  par  la  ressemblance  de  leurs  langues  ;  car  l'arabe  , 
l'he'breu  ,  l'arame'en  ou  ancien  syriaque,  ont  autant  de  rapport 
entre  eux  que  l'italien,   l'espagnol  et  le  français  (i). 

\JElam,  l'Elymaïs  des  Grecs,  long-temps  un  royaume  in- 
de'pendant  ;  VAssur  ou  V Assyrie  et  VArain ,  qui  est  la  Syrie  , 
rappellent  incontestablement  trois  noms  des  fils  de  Sem  ;  le 
dernier  semble  connu  d'Homère  qui  en  aura  fait  ses  Arimi. 
Mais  ou  ne  s'accorde  pas  aussi  bien  sur  Lad ,  qui  nous  paraît 
pourtant  être  la  nation  des  Lydiens  ,  si  puissante  dans  l'Asie- 
Mineure.  On  dispute  aussi  pour  savoir  si  les  Chaldéens ,  si 
tristement  ce'lèbres  dans  l'bistoire  juive  ,  descendent  à^Ar- 
phacsad ,  qui  est  la  souche  des  He'breux  et  de  tant  d'autres 
peuples  se'mitiques ,  et  qui  paraît  s'être  d'abord  établie  dans 
l'Arménie  et  dans  la  Haute  Assyrie,  où  l'on  trouve  une  pro- 
vince Arrapachiits.  On  a  même  cberché  à  retrouver  les  Chal- 
déens ,  tantôt  dans  les  Chalybes  des  Grecs  ,  tantôt  dans  les 
Scythes  qui  firent  une  invasion  dans  l'Asie  ;  on  en  a  voulu 
faire  une  race  indigène  qui  serait  la  souche  des  Arméniens  et 
des  Curdes  (2).  Mais  toutes  ces  discussions  des  savans  moder- 
nes n'ont  pu  fixer  le  sens  des  indications  vagues  que  les  écri- 
vains hébreux,  postérieurs  à  Moïse,  donnent  en  passant  sur  ce 
peuple  d'abord  féroce  et  conquérant,  bientôt  riche,  civilisé 
et  adonné  aux  sciences. 

C'est  dans  l'Asie  occidentale  que  la  géographie  hébraïque  , 
d'accord  avec  tous  les  auteurs  profanes  ,  indique  les  plus  an- 
ciens empires  que  nous  connaissons.  Leurs  immenses  capitales, 
Babel  ou  Babylone,   et  ISiiwe  ou  Ninus  ,  ont  dispara.  Nous 


(1)  V^oyez  les  auteurs  cités  par  Adelung,  Midividate ,  i,  3oo  et  suiv. 

(2)  Michaël  ,  Specileg.  gcog.  11,  77  ;  104.  —  Schlœzer,  dam  Eich- 
horn  j  répertoire  Oriental,  vni ,  ii3.  —  Friederich  ,  dans  Eichorn , 
hilliodicque  Orient,  x,  425. 


SUR    Lk    TERRE    HABITEE.  317 

cherchons  en  vain  leurs  de'comhres  (i)  ,  mais  le  souvenir  des 
Assyriens  et  des  Chalde'ens  est  conserve'  par  l'histoire  des  peu- 
ples qu'ils  ont  soumis.  Alors,  plus  encore  qu'aujourd'hui,  les 
ravages  de  la  guerre  changeaient  l'e'tat  et  les  limites  des  pays 
qui  devenaient  la  proie  d'un  conque'rant.  On  amenait  en  cap- 
tivité' des  nations  entières  ;  on  leur  assignait  de  nouvelles  de- 
meures (2).  Dans  les  superhes  capitales  de  Ninive  et  de  Bahy- 
lone  ,  les  princes  captifs  et  les  hommes  les  plus  distingue's 
parmi  les  nations  conquises,  apprenaient  à  se  connaître  ;  des 
caravanes  y  apportaient  tout  ce  qui  e'tait  ne'cessaire  au  luxe 
barbare  de  ces  temps.  De  semblables  communications  ont  dû 
faire  naître  les  ide'es  e'ie'mentaires  de  la  ge'ographie.  Toutes  les 
grandes  arme'es  qui,  dans  ces  siècles,  inondaient  l'Asie  occi- 
dentale, tiraient  leur  force  principale  de  la  cavalerie.  Un  e'cri- 
vain  hébraïque  dit  en  parlant  des  Chalde'ens  :  <;  Leurs  che- 
»  vaux  surpassent  en  vitesse  les  panthères  ;  leur  cavalerie 
»  arrive  comme  un  essaim  d'aigles,  plus  rapides  que  le  vent  (3).»> 
Ces  circonstances  expliquent  à  la  fois  la  rapidité  des  conquêtes 
dont  parle  Ihistoire  de  ces  siècles  ,  et  l'e'tendue  des  connais- 
sances ge'ographiques  re'pandues  parmi  les  peuples  de  lAsie 
occidentale,  mais  qui  semblent  cependant  se  bornera  ce  qu'on 
pouvait  connaître  au  moyen  des  voyages  par  terre. 

Au  midi  des  empires  de  Ninive  et  de  Babylone  ,  plusieurs 
peuples,  amis  de  la  liberté',  changeaient  de  domicile  au  gré 
de  leur  humeur  inquiète.  La  géographie  des  siècles  les  plus 
reculés  distingue  déjà  les  Eclo/nites  ,  connus  des  Grecs  sous  le 
nom  ùi^ Idumécna  ;  les  Madianiics ,  très-anciennement  adonnés 
au  commerce  ,  mais  dont  le  nom  disparaît  bientôt  ;  les  ]Sa- 
baïoths  ou  ISabatliéems  des  Grecs  et  des  Romains ,  tribu  prin- 
cipale parmi  celles  du   r.ord-ouesl  de  l'Arabie  ,  qui  font  re- 


(i)  Depuis  le  moment  où  écriv.iit  Maltebrun  ,•  i8io,  plusieurs  voj^a- 
gcurs  ont  découvert  les  immenses  ruines  de  Biibylotie  et  de  Ninive,  et 
les  ont  décrites  avec  beaucoup  de  détail  ;  voir  ci-dessus  toai.  VI,  p.  35. 

(2)  Jcrém.  c.  89.  Ezéchiël ,  c.   3o ,  etc.  etc. 

(3)  Habacuc.  1,6,9. 


318  CONNAISSANCES    DE    MOÏSE    ET    DES    HEBREUX 

monter  leur  origine  à  Ismaël  :  beaucoup  d'autres  tribus  arabes 
du  centre  et  du  midi ,  qui  regardent  comme  leur  souclie  Joc- 
tan  [Jectan),  et  parmi  lesquelles  les  Homérites  e'tablirent , 
dans  VYemen,  un  empire  long-temps  lieureux  et  puissant  (î); 
enfin,  les  ce'ièbres  Hébreux,  qui,  d'après  leurs  propres  livres, 
sont  en  parente'  avec  tous  ces  peuples  ,  et  se  disent  comme 
eux  desceiidans  de  Sem  par  Arphacaad  ;  assertion  confirme'e 
par  la  ressemblance  des  langues  (2).  Moïse  connaissait  même 
le  nom  de  Hadramaulh  ou  Hazarmm>eth ,  contre'e  d'Arabie , 
encore  ainsi  nommée  de  nos  jours.  De  même  que  nos  voya- 
geurs modernes,  il  distingue  deux  cantons  du  nom  de  Cha- 
vilali  ou  Chaulan  (3).  Il  de'signe  Sana  sous  le  nom  d'Uzal , 
encore  usité'  (4).  Semblables  aux  Be'douins  modernes,  la  plu- 
jiart  des  anciens  Arabes  ,  et  les  He'breux  eux-mêmes,  menaient 
une  vie  errante;  rois  de  leurs  de'serts,  au  milieu  de  leur  beu- 
reuse  famille  et  de  leurs  troupeaux  innombrables,  ces  patriar- 
cbes  n'avaient  rien  à  envier  aux  monarques  de  la  terre  ;  ils  ne 
demandaient  au  ciel  qu'un  peu  d'ombrage ,  du  gazon  et  une 
fontaine.  Il  y  avait  aussi  des  tribus  agricoles  ;  les  Home'rites 
e'ievèrent  des  digues  pour  retenir  les  torrens  des  montagnes , 
et  des  aqueducs  pour  en  distribuer  les  eaux  dans  les  cbamps  (5). 
D'autres  tribus  ayant  dompte'  le  chameau  ,  employèrent  ce  na- 
vire du  de'sert  à  transporter  en  Syrie,  à  Babylone  et  en  Egypte, 
les  parfums  et  les  pierres  fines  de  l'Arabie-Heureuse ,  et,  plus 
tard,  les  produits  de  l'Inde,  que  le  commerce  maritime  ame- 
nait sur  les  côtes  de  l'Arabie  (6).  Il  est  impossible  de  de'ter- 
miner  à  quelle  e'poque  ont  commence'  les  liaisons  des  Arabes 
me'ridionaux  avec   l'Inde ,   et  leurs  e'tablissemens   sur  la  côte 


(1)  Schultens ,  Hisioria  imp.  Joclanid. ,  11,  3g,  etc. 
(•2)   Gen.  X  ,  21  ,  25. 

(3)  Gen.  x ,  7  et  29.  —  Micbaëlis ,  Speclleg.  n,  2o3.  — Hartmann, 
Recherches  11  ,  25. 

(4)  Niebuhr.  Descript.  i,   2r)i.  (en  ail.) 

(5)  Reiske  de  Arahum  epochd  veluslissiinâ.  Lips.  1748- 

(6)  Messudi ,  IJist.   Joclanid. ,  p.   181. 


SUR    LA    TERRE    HABITÉE.  319 

orientale  rrAfrique;  ils  connurent  l'art  d'ëcrire  (i)  ,  mais  il 
n'est  reste'  de  leurs  plus  anciens  ouvrages  ,  que  des  poe'sies 
admirables  ,  qui  ne  fournissent  aucun  renseignement  ge'o- 
graphique. 

DESCEÎÎDANS    DE    HAM   OU  GHAM. 

La  troisième  race  d'hommes  connue  a  Moïse  et  aux  He'brenx 
est  repre'sente'e  comme  la  poste'rite'  de  Cham  ou  Ham ,  troi- 
sième fils  de  Noe'  ;  et  les  male'dictions  dont  tous  les  e'cri  vains 
he'breux  la  chargent,  semblent  prouver  qu'elle  a  dû  difFe'rer 
des  peuples  se'mitiques,  soit  pour  la  constitution  physique, 
soit  pour  la  langue  et  les  mœurs.  Le  nom  même  de  Ham  ou 
Cliam  signifie  en  he'breu  ,  ou  la  couleur  fonce'e  de  ces  peu- 
ples,  ou  la  chaleur  du  climat  sous  lequel  ils  habitent  (2).  Ce 
nom  se  retrouve  e'videmment  dans  celui  de  Cliam  ou  Chamia, 
donne'  à  l'Egypte  par  les  indigènes  dans  les  temps  anciens  et 
modernes  (3).  Il  est  e'galement  incontestable  que  le  nom  d'un 
des  fils  de  Ham,  Mizr  (au  pluriel  Mizraim),  est  le  même 
qui ,  chez  les  Arabes  et  les  Turcs,  de'signe  encore  aujourd'hui 
l'Egypte,  principalement  le  Delta  (4).  Ce  point  de  la  ge'ogra- 
pbie  mosaïque  semble  donc  très-clair,  et  s'il  nous  est  impos- 
sible de  retrouver  d'une  manière  certaine  tous  les  peuples  in- 
dique's  comme  descendans  de  Mizraïm  ,  il  nous  est  pourtant 
permis  de  croire  que  les  He'breux  connaissaient  toute  l'Egypte 
et  une  partie  des  côtes  africaines  du  golfe  arabique. 

On  ne  peut  guère  non  plus  douter  que  le  nom  de  Kusch , 
donne'  à  un  des  fils  de  Ham ,  ne  désigne  les  peuples  de  l'Ara- 
bie me'ridionale  et  orientale  ,  où  les  ge'ographes  grecs  et  ro- 
mains connurent  les  villes  ou  peuples  de  Saba,  de  Sabbatha, 
de  Rhegma  ,  et  autres ,  dont  les  noms ,  selon  les  auteurs  be'- 
breux,  appartiennent  à  des  descendans  de  Kusch.  Mais  que, 


(1)  Job.  ,  XIX,   24. 

(2)  nn  ou  mn.   Forstcr ,  Epist. 

(3)  Plut,  in  Iside.  —  Hartmann  ,  Egypten ,  p.  4. 

(4)  Edrisi   Africa ,  éd.  Hartmann,  p.  324- 


320  CONNAISSANCES    DE    MOÏSE    ET    DES    HEBREUX 

d'un  côte ,  ces  mêmes  peuples  se  soient  re'pandus  autour  du 
golfe  persique,  et  que  de  l'autre  ils  aient  envoyé'  une  colonie 
en  Abyssinie  ,  ce  sont  des  questions  pour  la  solution  desquel- 
les, ni  les  e'crits  des  He'breux,  ni  les  autres  monumens  ne  nous 
fournissent  des  de'tails  assez  e'tendus  et  assez  authentiques  (i). 
La  ge'ographie  des  He'breux  pre'sente  des  lumières  bien  plus 
pures ,  quand  elle  nous  retrace  l'ancien  e'tat  de  la  Palestine. 
Cette  contre'e  ,  tlie'âtre  d'une  des  plus  anciennes  re'volutions 
pliysiques  consacre'es  par  l'histoire,  de  celle  qui  fit  e'crouler 
Sodôme  et  Gonoorre  dans  les  abîmes  de  la  mer  Morte  (2) ,  de- 
vait le  nom  sous  lequel  les  Giecs  la  connuï'ent,  aux  Philistins, 
peujile  sorti  de  l'Egypte,  et  qui  avait  d  abord  cberche  un  asile 
en  Chypre  (3).  La  Palestine  e'tait  encore  habite'e  par  une  foule 
d'autres  tribus  ,  qui  toutes  descendaient  de  Canaan  fils  de 
Ham.  Celte  circonstance  pourrait  servir  à  expliquer  pourquoi 
les  Phe'niciens  ,  qui  parlaient  la  langue  canane'enne  ,  trouvè- 
rent tant  de  facilite'  à  se  répandre  en  Afrique.  Le  commerce 
florissant  de  Tyr  et  de  Sidon  nous  e'îonnera  moins  ,  lorsque 
nous  nous  rappellerons  combien  les  auteurs  he'breux  nomment 
de  villes  mure'es  dans  la  Palestine  et  dans  la  Syrie.  Damas , 
Héinatli ,  Hébron  ,  Jéricho,  existaient  long-temps  avant  Athè- 
nes ;  Sidon  est  de'jà  ce'lëbre'e  par  Homère;  et  la  superbe  jyr, 
la  reine  des  mers  ,  nomme'e  par  les  e'crivains  hébreux  du 
temps  de  David,  a  dû  préparer  pendant  plusieurs  siècles  cette 
grandeur  commerciale  dont  le  prophète  Ezéchiël  traça  le  bril- 
lant tableau  à  une  époque  où  Rome,  sous  le  premier  des 
Tarquins  ,  commençait  à  changer  ses  chaumières  en  des  mai- 
sons. Les  cèdres  du  Lihan  ,  les  chênes  de  la  Bazanée ,  les  bois 
les  plus  précieux  du  Chitlim  {  Citiuni ,  en  Chypre),  servaient 
à  la  construction  des  flottes  de  Tyr;  son  port  était  le  marché 


(1)   Michaël,  Spicileg.  géog.  1,   i43. —  Eichorn.   Prog.  de  Kuschœis , 
Arnsladt ,   1774-  —  Ludolf,  elc. 

(2;  Biisching  ,  dans  les  Annales  des  Vojages.   t.  v,  p.  ô. 
(3)   Michaël.  Spicileg.   1,278,308. 


SUR    LA    TERRE    HABITEE.  32 1 

de  l'Asie,  de  l'Egypte  et  de  la  Grèce;  les  caravanes  de  l'Ara- 
bie lieureiise,  venues  iVÂ(h?i ,  de  Ca?ie  et  d'autres  villes  ,  y 
apportaient  les  pierres  gemmes,  les  e'piceries  et  les  e'tofîes  de 
l'Inile  ;  l'Egyptien  y  vendait  les  toiles  fines  ;  Damas  y  envoyait 
ses  laines,  d'une  Llancheur  e'Llouissante  ;  l'argent,  i'e'tain ,  le 
plomb ,  tous  les  me'taux  de  l'Asie  mineure  y  arrivaient  par  les 
vaisseaux  de  TarscJiisch ,  qui  peut-être  ici  de'signe  Tarsus  en 
Cilicie;  les  Ioniens  y  achetaient  des  esclaves,  et  probablement 
toute  sorte  d'ouvrages  de  nianufarture  (i). 

Place's  dans  le  voisinage  d'une  ville  où  refluaient  tant  de  na- 
tions,  les  He'breux  ,  qui  eux-mêmes  vendaient  aux  Tyriens 
leurs  ble's,  leurs  huiles  et  les  autres  productions  de  leur  soi  (2) , 
ne  purent  sans  doute  rester  absolument  e'trangers  aux  connais- 
sances ge'ograpbiques  re'pandues  dans  la  capitale  de  la  Phe'ni- 
cie.  Mais  en  restreignant  la  sphère  de  la  ge'ographie  be'braïque 
dans  une  limite  qui  ne  de'passe  guère  le  Caucase  au  nord  , 
l'Archipel  de  Grèce  à  l'ouest,  et  l'embouchure  du  golfe  Arabi- 
que au  midi ,  nous  avons  cru  mieux  appre'cier  le  ve'rltable 
esprit  des  antiques  monumens  de  la  Judée  ,  que  ne  l'ont  fait 
ces  commentateurs  trop  zéle's,  selon  lesquels  Moïse  aurait  pre'- 
tendu  nous  enseigner  comment  toute  la  terre  habitable  fut 
divise'e  comme  par  lots  entre  les  descendans  de  Noe'.  Peut-on 
raisonnablement  attribuer  à  Moïse  des  notions  sur  le  nord  et 
l'occident  de  l'Europe  ,  lorsque  ,  chez  des  e'crivains  lic'breux 
qui  lui  sont  poste'rieurs  de  six  à  huit  siècles  ,  les  Chalde'ens  et 
les  Mèdes  ,  originaires  des  re'gions  oîi  sourdit  l'Eupbrate,  sont 
de'peints  comme  des  peuples  qui  babitent  les  extre'mite's  de  la 
terre  ?  » 


(i)  Ezéchiël ,  xxyn,  5,  26. 
(2)  Ibid.  17. 


322  DE    LA    PERTE    DES    MANUSCRITS 


tVWVWWVWV  •^^VVVVVVVVAIVVVVVVVVVvVVVV^VNA(VVVVVXVVVVVVVVVVV^L^A'VVVVVVVV\lVV%VVVVV\VVVVV^ 

SE    I.A   PERTE    DES   MANUSCRITS 

ET    DES    AUTEURS    DE    l'aNTIQUITÉ. 


Espoir  peu  fondé  de  Irouver  de  nouveaux  manuscrits.  —  Les  auteurs 
latins  perdus  ne  peuvent  être  de  grande  importance.  —  Les  auteurs 
grecs  perdus  sont  plus  nombreux  et  plus  importans.  —  Pourquoi  la 
plupart  des  copies  qui  nous  restent  ne  remontent  pas  au-delà  du 
9»  siècle? 

Nous  avons  parlé  avec  assez  de  détail  des  moyens  par  lesquels 
les  moines  du  moyen-âge  nous  ont  conservé  les  richesses  littéraires 
de  l'antiquité  que  nous  possédons  en  ce  moment  (i).  Nous  avons 
cru  devoir  compléter  ce  travail,  en  insérant  ici  quelques  recherches 
sur  les  manuscrits  qui  ont  été  perdus,  et  sur  l'espérance  qui  pour- 
rait nous  rester  d'en  retrouver  encore  quelques-uns. 

Pendant  fort  long-temps  on  s'était  flatté  de  l'espoir  que  des  res- 
tes précieux  de  l'antiquité  demeuraient  cachés  en  différentes  bi- 
bliothèques de  l'Europe,  mais  surtout  dans  celles  de  l'Italie.  On 
ne  doutait  pas  que  des  recherches  faites  par  des  antiquaires ,  avec 
zèle  et  persévérance,  ne  ramenassent  perpétuellement  au  jour,  tantôt 
des  ouvrages  entiers  ,  tantôt  d'intéressans  fragmens  d'auteurs  grecs 
et  latins.  Malheureusement  cette  espérance  était  plus  flatteuse  que  rai- 
sonnable. Les  soins ,  la  patience  et  l'assiduité  que  les  savans  italiens  du 
quinzième  et  du  seizième  siècle,  tels  que  Pétrarque,  Boccace,  Poggio, 
Arétin  ,  Manuzio ,  mirent  à  rechercher  les  manuscrits  des  auteurs 
classiques,  ne  permettent  guère  de  penser  qu'ils  aient  laissé  beau- 
coup à  faire  à  ceux  qui  viendraient  après  eux.  On  voit,  diaprés 
des  lettres  écrites  à  cette  époque,  que  l'on  n'épargnait  ni  peines 
ni  dépenses  pour  parvenir  au  but  que  l'on  se  proposait.  Tant  que 
l'imprimerie  ne  fut  pas  encore  connue ,  on  éprouvait  de  grands 
obstacles  dans  les  recherches  quel^on  voulait  faire  dans  les  couvens, 


(i)  Voy.  ci-dessus  toai.  III,  p.  29. 


ET    DES    AUTEURS    DE    l'aNTIQUITÉ.  323 

parce  que  les  moines,  tirant  un  profit  considérable  des  copies  qu'ils 
faisaient  de  leurs  manuscrits,  n'aimaient  pas,  comme  de  raison,  à 
ouvrir  à  autrui  la  source  des  trésors  qu'ils  posse'daient.  Les  choses 
ctangèrent  d'aspect  plus  tard,  quand  le  stimulant  du  commerce  porta 
les  imprimeurs  à  joindre  leurs  efforts  h  ceux  des  savans. 

Mais  par  quel  malheureux  concours  d'événemens  se  fait-il  qu'une 
partie  si  considérable  des  anciens  auteurs  ne  nous  soit  parvenue 
que  dans  un  état  imparfait  et  mutilé ,  et  qu'il  y  en  ait  tant  dont 
nous  ne  connaissons  plus  que  les  noms,  quoique  bien  certainement 
de  nombreuses  copies  de  leurs  ouvrages  aient  été  répandues  en 
Italie,  dans  l'orient  de  l'Europe  et  sur  les  côtes  de  l'Asie-Mineure? 
qu'ainsi ,  par  exemple ,  des  auteurs  tragiques  de  la  Grèce  nous 
ne  possédions  qu'un  petit  nombre  de  pièces ,  et  que  ceux  de  Van- 
tique  Italie  ne  nous  soient  connus  que  par  des  fragtnens  épars? 
quil  ne  nous  reste  presque  rien  des  poètes  lyriques!  que  Ménan- 
dre  ^  Philémon  ,  et  tous  les  poètes  comiques  qui  les  ont  suivis 
sont  perdus,  tandis  que  ceux  qui  ont  survécu  ne  se  retrouvent  que 
dans  un  état  de  mutilation  bien  digne  de  pitié'?  Ce  sont  là  des 
questions  qu'ont  dû  bien  souvent  se  faire  les  personnes  livrées  à 
l'étude  de  l'antiquité,  et  qui  n'ont  jamais  e'té  e'claircies  d'une  ma- 
nière satisfaisante.  Il  est  facile,  à  la  vérité',  d'indiquer  certaines 
circonstances  qui  ont  pu  contribuer  à  ces  pertes  ;  mais  il  est  diffi- 
cile d'expliquer  parfaitement  la  singulière  destinée  de  plusieurs  des 
plus  grands  monumens  litte'raires  de  l'antiquité'. 

A  la  vérité ,  pour  ce  qui  regarde  les  classiques  latins ,  il  faut 
remarquer  que  l'introduction  de  la  théologie  scolastiquc  décrédita 
peu  à  peu  l'étude  des  anciens  auteurs.  Il  ne  faut  pas  s'étonner, 
d'après  cela,  si  les  manuscrits  sur  parchemin  des  auteurs  classiques 
furent  employés  à  relier  les  nouveaux  ouvrages  de  scolastique , 
tandis  que  le  petit  nombre  de  ceux  que  l'on  épargnait  pourrissait 
dans  quelque  coin  de  ces  bibliothèques  décrites  par  Poggio.  Ce  fut 
dans  un  de  ces  réduits  obscurs,  que  Poggio  compare  à  un  cachot 
dans  lequel  on  n'aurait  pas  voulu  renfermer  un  criminel,  qu'il  trouva 
Quintilien ,  les  Argonauliques  de  Kalerius  Flacus  ,  et  le  com- 
mentaire d' Asconius  Pœdianus  sur  les  Oraisons  de  Cicéron. 

S'il  faut  en  croire  quelques  récits,  l'œuvre  de  destruction  s'est 
continue'e  bien  au-delà  du  temps  de  Poggio  et  d'Are'tin.  Le  poète 


324  DE    LA    PERTE    DES    MANUSCRITS 

Chapelain  raconte  qu'un  pre'cepteur  du  marquis  de  Rouville  lui 
avait  dit  qu'ayant  eu  occasion  d'envoyer  à  Saumur  acheter  des  ra- 
quettes ,  il  avait  ëte'  suipris  de  la  singulière  apparence  du  parche- 
min dont  elles  étaient  faites,  et,  qu'en  l'examinant  de  plus  près, 
il  avait  cru  y  reconnaître  les  titres  des  8'',  lo  et  ii«  décades 
de  Tile-Live  ;  qu'il  s'était  alors  adressé  au  marchand  de  raquettes  , 
de  qui  il  avait  appris  que  l'apothicaire  de  l'abbaye  de  Fontevraud 
ayant  vu  dans  une  chambre  de  cette  abbaye  une  pile  de  volumes 
en  parchemin ,  en  tête  desquels  il  avait  lu  qu'ils  faisaient  partie 
de  l'histoire  de  Tite-Live  ,  il  les  avait  demandes  à  l'abbesse  en 
l'assurant  que  ces  volumes  étaient  inutiles,  parce  l'ouvrage  était 
imprimé.  L'apothicaire  les  ayant  obtenus,  les  avait  vendus  au  mar- 
chand de  raquettes  qui  en  avait  fait  une  multitude  très-grande  de 
battoirs ,  et  qu'il  lui  en  restait  encore  douze  douzaines.  Tel  est  le 
récit  de  Chapelain;  on  ne  saurait  guère  mettre  en  doute  sa  ve'ra- 
cité,  mais  il  est  fort  probable  qu'd  aura  été  mystifié.  Tite-Live 
€st  ,  du  reste,  sous  ce  rapport,  un  auteur  malheureux  :  tous  les 
efforts  que  l'on  a  faits  pour  compléter  son  ouvrage  ont  été  inutiles. 
Pietro  délia  Valle  raconte  qu'il  avait  acheté  un  Tite-Live  complet 
du  bibliothécaire  du  Grand-Seigneur,  et  que  !e  prix  convenu  était 
dix  mille  écus;  mais  quand  il  fut  question  de  livrer  le  manuscrit, 
il  avait  disparu  :  peut  être  n'avait-il  jamais  existé. 

L'histoire  des  raquettes  de  Chapelain,  tout  apocryphe  qu'elle  est, 
me  rappelle  celle  de  l'original  de  la  grande  Charte  anglaise,  que 
sir  Robert  Cotton  sauva  d'entre  les  mains  d'un  tailleur  qui  allait  la 
couper  pour  en  faire  des  mesures.  On  croira  peut-être  après  cela 
que  ce  document ,  base  fondamentale  de  ces  libertés  dont  les  An- 
glais sont  si  fiers,  aura  été  déposé  dans  les  archives  da  royaume: 
nullement.  Il  se  conserve  au  Musée  britannique  entre  des  papil- 
lons ,  des  vases  étrusques  et  des  curiosités  taïtiennes. 

Quant  à  ce  qui  a  été  dit,  que  divers  Papes,  par  un  zèle  mal  en- 
tendu, avaient  contribué  à  la  destruction  des  trésors  de  l'antiquité, 
il  ne  faut  pas  ajouter  une  foi  implicite  à  tout  ce  que  la  malveil- 
lance et  l'esprit  de  secte  ont  débité  à  ce  sujet.  Ainsi ,  parce  que  le 
pape  S.  Grégoire-le-Grand  ne  faisait  pas  grand  cas  des  sciences 
profanes  ,  on  l'accuse  d'avoir  fait  briller  la  bibliothèque  palatine 
formée  à  Rome  par  l'empereur  Auguste  j  mais  à  cela  il  faut  observer 


ET    DES    AUTEURS    DE    l'aNTIQUITÉ.  325 

d'abord  que  rien  ne  prouve  que,  du  temps  de  Grégoire,  qui  vi- 
vait à  la  fin  du  sixième  siècle,  il  existât  à  Rome  une  bibliothèque 
palatine.  J'ajouterai  ensuite  que  cette  accusation  ne  repose  que  sur 
un  passage  mal  compris  du  Polycratique  de  Jean  de  Salisb:ri,  e'cri- 
vain  du  douzième  siècle ,  qui  dit  que  le  saint  Pape  fit  briller  de  la 
bibliothèque  palatine  tous  les  ouvrages  reprobatœ  lectionis ,  ce  qui 
signifie  les  livres  d'astrologie  judiciaire,  uomme's  dans  le  digeste: 
Libri  improbatœ  lectionis.  Et ,  quant  à  ces  livres ,  il  en  existe 
encore  assez. 

Ainsi  encore,  Machiavel  et  Cardan  prétendent  que  S.  Grégoire  VII 
brûla  les  ouvrages  de  Varron  (  i),  de  peur  que  S.  Augustin  ,  qui  avait 
cité  un  grand  nombre  de  passages  de  cet  auteur  dans  sa  Cité  de 
Dieu.,  ne  fût  reconnu  comme  plagiaire;  mais  ceci  est  passablement 
ridicule,  car  toutes  les  fois  que  S.  Augustin  cite  Varron,  c'est  ou- 
vertement et  presque  toujours  dans  le  but  de  le  réfuter.  D'ailleurs 
Naudé  a  prouvé  que  les  ouvrages  de  Varron  n'étaient  plus  lus  de- 
puis long-temps ,  et  qu'ils  ont  péri  plutôt  par  ne'gligence  que  par 
un  acte  de  vandalisme. 

Il  paraît,  après  tout,  que  sur  les  auteurs  latins  dont  les  ouvrages 
ont  totalement  péri ,  il  n'y  en  a  pas  beaucoup  qui  soient  dignes 
de  grands  regrets  de  notre  part.  Les  poètes  romains  qui  ont  écrit 
avant  le  siècle  d'Auguste  seraient  à  peine  intelligibles  aujourd'hui; 
on  peut  eu  juger  par  des  fragmens  qui  nous  restent  à'Ennius  et 
de  Lucilius.  En  conséquence ,  ou  peut  hardiment  conclure  qu'à 
l'exception  des  cent  cinq  livres  de  Tite-Lii^e ,  et  des  harangues  et 
épilres  de  Cicéron ,  les  pertes  que  nous  avons  faites  ne  sont  pas 
d'une  importance  majeure.  Il  ne  nous  reste  ,  à  la  vérité ,  que  six 
comédies  de  Térencc;  mais  ce  sont  sans  doute  ses  meilleures  (2). 


(1)  Voyez  dr.ns  le  Christianisme  de  Bacon,  public  par  Emery,  t.  II, 
p.  332  ,  des  éclaircisseinens  sur  raccusalion  d'avoir  voulu  anéantir  tous 
les  auteurs  et  tous  les  monumens  de  l'antiquité  païenne  ,  intentée  con- 
tre S.  Grégoire. 

(2)  Le  P.  Matthieu  Aimerich  ,  jésuite  de  la  province  arragonaise  et 
chancelier  de  l'université  de  Gandie,  qui,  après  la  suppression  de  son 
ordre  se  relira  à  Ferrare ,  y  a  publié  en  1784  une  notion  hislori(|ue  et 
critique  des  Romains  célèbres  par  leur  érudition ,  parliculièrcment  de 

T.  X.  23 


326  DE    LA    PERTE    DES    MANUSCRITS 

Il  n'en  est  pas  de  même  des  auteurs  grecs,  ce  qui  est  d'autant  plus 
digne  de  remarque  que  la  langue  grecque  est  demeurée  une  langue 
vivante  bien  plus  long-temps  que  la  latine,  tandis  que  les  innom- 
brables monastères  re'pandiis  dans  tout  l'empire  Byzantin  et  dans 
l'Asie-Mineure,  semblaient  devoir  assurer  à  la  postérité  les  ou- 
vrages d'une  foule  de  poètes  et  de  philosophes  dont  il  ne  nous 
reste  pourtant  que  quelques  fragmens  insignifians. 

Ea  attendant,  si  l'on  y  re'fléchit  mûrement,  on  verra  que  ce 
sont  précisément  ces  motifs  qui  peuvent  servir  en  quelque  sorte 
à  en  expliquer  la  perte.  La  langue  grecque  a  continué,  à  la  vérité, 
à  re'gner  dans  l'empire  d'Orient  jusque  vers  le  milieu  du  moyen- 
âge  ;  mais  elle  s'e'tait  fort  corrompue  et  mêle'e  de  tournures  latines  , 
françaises  et  asiatiques.  Le  résultat  en  fut  que  l'on  étudia  peu  la 
langue  des  classiques.  En  Italie  ,  au  contraire  ,  où  le  latin  avait  en- 
tièrement disparu  de  l'usage,  on  continua  à  l'apprendre  comme 
langue  savante  ;  on  s'en  servit  dans  les  discussions  théologiques  et 
dans  tout  ce  qui  avait  rapport  aux  lois.  Le  grand  nombre  de  cou- 
vens  de  l'empire  d  Orient  a  e'té  aussi  plutôt  de'favorable  qu'avan- 
tageux à  la  conservation  des  anciens  auteurs  ;  les  bibliothèques  de 
ces  établissemcns ,  avaient  fini  par  accaparer  toutes  les  copies  qui 
existaient  ;  les  auteurs  classiques  n'e'taieut  e'tudiés  que  dans  les  éco- 
les, et  toutes  les  écoles  e'taient  dans  les  couvens  ;  les  professeurs 
étaient  des  moines  qui  ne  se  donnaient  la  peine  de  transcrire  des 
anciens  poètes  et  prosateurs,  que  les  passages  qu^ils  avaient  l'in- 
tention de  citer  dans  leurs  cours  ;  le  reste  des  volumes  était  aban- 
donné pour  être  mange  aux  vers,  ou  bien  on  coupait  les  feuillets 
pour  servir  d'enveloppe  aux  livres  de  classe.  On  ne  doutera  point 
de  la  Justesse  de  cette  hypothèse  quand  on  réOécliira  qu'il  existe 
encore  aujourd'hui  un  grand  nombre  danciennes  copies  des  trage'- 


ceiix  dont  les  ouvrages  sont  perdus  en  entier  ou  en  partie  :  Spécimen 
Veteris  romance  liueraturœ  deperditœ  j  vel  adhuc  latentis  ;  seu  syllabus 
historiens  el  crilicus  velerum  olim  notœ  erudilionis  Romanorum  ab  Urbe 
condild  ad  Ilonorii  ^ugusti  excessum  .•  eorum  in  primis  quorum  latina 
opéra ,  veL  oninino  vel  ex  parte  desiderantur.  Accedunt  opportunœ  ad- 
nolationes  ,  multa  corolLaria  el  nonnuUce  dissertationes .  Vol.  in-8°.  Voyeï 
Tellcr^  Journal  hist.j  mars  1786  ,  p.  35q  j  it.  Mélanges  j  tom.  II ,  p.  543. 


ET    DES    AUTEURS    DE    l'aî^TIQUITÉ.  327 

dies  les  plus  faciles  dUEscJiyle  ,  tandis  qu'on  ne  connaît  qu'un  ou 
deux  manuscrits  des  pièc-es  plus  difficiles  du  même  poète,  Ainsi 
encore,  et  par  la  même  raison,  les  Epinicia  de  Pindare  nous  sont 
parvenus,  mais  ses  Threniy  ses  Hyporchemata  ^  etc.,  sont  perdus. 

Les  écrits  de  yiénandre,  de  Philémon  et  des  autres  poètes  plus 
modernes,  e'taient  regardés  comme  peu  convenables  à  être  mis  dans 
les  mains  de  la  jeunesse  chiétienne,  et  Aristophane  aurait  sans 
doute  subi  lemêmesort  sans  la  protection  de  S.  Jean  Chrysostôme, 
dont  on  connaît  la  prédilection  pour  cet  écrivain  spirituel.  La  con- 
servation de  tous  les  ouwrages  de  Platon  et  de  la  plus  grande 
partie  de  ceux  d'Aristote  est  due  aux  efforts  de  l'école  d'Alexan- 
drie pour  greffer  le  platonisme  sur  le  christianisme ,  ainsi  qu'au 
règne  de  la  théorie  scolastique. 

Il  serait  difficile  de  fixer  avec  quelque  apparence  de  probabilité 
l'époque  précise  où  tant  de  précieux  restes  de  l'antiquité  ont  dis- 
paru. Procope  l'historien ,  qui  florissait  dans  le  sixième  siècle ,  cite 
une  tragédie  d'Eschyle  que  nous  ne  posse'doos  plus,  et  Simplicius, 
qui  vivait  au  milieu  du  même  siècle,  transcrit  de  nombreux  pas- 
sages des  poèmes  d'Empedocle.  Photius ,  patriarche  de  Constanti- 
nople  dans  le  neuvième  siècle,  donne,  dans  son  Myriobiblon ,  des 
extraits  de  plusieurs  auteurs  qui  n'existent  plus,  ou  bien  qui  ne 
nous  sont  parvenus  que  mutilés.  Michel  Psellus  avait  composé , 
dit-on,  dans  le  onzième  siècle,  un  commentaire  sur  vingt-quatre 
comédies  de  Ménandre ;  mais  ce  fait  n'est  pas  très-certain;  et  il 
est  bien  reconnu  que  Eustathe ,  archevêque  de  Thessalouique ,  qui 
e'crivait  dans  le  douzième  siècle,  ne  possédait  point  d'auteurs  que 
nous  n'ayons  aussi  aujourd'hui ,  à  l'exception  de  quelques  grammai- 
riens j  et  il  en  est  de  même  de  l'impératrice  Eudoxie  Macrembo- 
litissa,  qui  composa  l'ouvrage  intitulé  la  Couche  de  Violettes ,  vers 
la  fin  du  onzième  siècle.  Nous  pouvons  conclure  de  là  que  les  li- 
vres dont  nous  déplorons  la  perte  devaient  avoir  disparu  successi- 
vement avant  le  dixième  et  peut-être  même  avant  le  huitième  siècle. 

Pour  ce  qui  regarde  les  causes  de  cette  disparition ,  j'en  ai  déjà 
dit  quelques  mots;  mais  je  vais  maintenant  entrer  dans  de  nouveaux 
détails  à  ce  sujet.  Pierre  Alcyonius,  dans  son  traité  de  Exilio  ^ 
nous  apprend  que  le  cardinal  Jean  de  Médicis  (  plus  tard  Pape  sous 
le  nom  de  Léon  X)  avait   coutume   de  dire  que  les  prêtres  grecs 

23. 


328  DE    LA    PERTE    DES    MAI^USCRÎTS 

avaient  acquis  tant  de  crédit  sur  l'esprit  des  empereurs  d'Orient , 
qu'à  leur  instigation  des  ordres  furent  donnes  pour  brûler  plusieurs 
anciens  poêles,  surtout  les  poètes  lyriques  et  comiques,  et  cela 
parce  qu'ils  préféraient  les  vers  de  S.  Grégoire  de  Nàzianze,  à  ceux 
de  Ménandre  et  d'Alcée.  Ce  fait  est  confirmé  par  une  lettre  d'E- 
tienne Geslacliius  à  Martin  Cressius,  écrite  deConstantiuople  en  i5y4' 
De  quelques-uns  des  poètes  classiques  ,  les  moines  se  contentèrent 
deffacer  les  passages  les  plus  contraires  à  la  décence  et  à  la  mo- 
rale ,  ou  bien  ils  les  corrigeaient  et  les  transmettaient  à  la  posté- 
rité dans  un  état  qu'ils  regardaient  sans  doute  comme  bien  préfé- 
rable à  l'ancien. 

Le  plus  audacieux  innovateur  de  ce  genre  fut  Maximus  Planudes, 
moine  du  quatorzième  siècle,  qui  entreprit  d'épurer  V Anthologie. 
C'est  probablement  le  même  Planudes  qui  priva  Théognis  de  cent 
cinquante-neuf  vers  ,  que  l'on  a  depuis  découverts  dans  un  seul 
ancien  manuscrit.  Il  serait  difficile  de  décrire  toute  la  confusion 
que  ce  compilateur  mil  dans  l'Anthologie. 

Je  ne  dois  pas  oublier  d'indiquer  une  autre  cause  encore  de  la  perte 
de  beaucoup  d'anciens  écrivains.  On  fit  des  abrégés  des  plus  vo- 
lumineux d'entre  eux,  et  ces  abrégés,  étant  d'un  usage  plus  com- 
mode ,  finirent  par  remplacer  totalement  les  originaux.  C'est  ainsi 
que  nous  avons  perdu  les  deux  premiers  livres  du  grand  ouvrage 
d^  Athénée ,  l'original  d'Etienne  de  Byzance ,  les  précieux  lexiques 
d' Harpocrate  et  de  Phrynicus. 

Il  nous  serait  possible  de  déterminer  avec  plus  d'exactitude  l'é- 
poque où  les  dernières  copies  de  plusieurs  anciens  auteurs  ont  dis- 
paru ,  si  nous  savions  précisément  dans  quelle  année  fut  brûlée  la 
grande  bibliothèque  composée  de  36,ooo  volumes,  et  qui  était  placée 
dans  la  basilique  des  empereurs  à  Constanlinople.  Elle  avait  été  fon- 
de'e  par  Constance ,  et  considérablement  augmentée  par  Julien  l'a- 
postat. Ce  dernier  e'tait  livré  à  une  véritable  bibiiomanie  :  «  Ceux- 
))  ci,  nous  dit-il,  dans  une  de  ses  e'pîtres,  sont  amoureux  de  che- 
•>  vaux,  ceux-là  d'oiseaux-,  d'autres  de  bêtes  féroces  ;  quant  à  moi, 
»  j'ai  brûlé,  avec  toute  la  véiiémente  passion  d'un  enfant,  du  désir 
»  d'amasser  des  livres.  »  La  bibliothèque  dont  je  viens  de  parler 
ayant  été  consume'e  par  le  feu  ,  fut  reconstruite  par  l'empereur  Zenon 
dans  le  cinquième  siècle,  et  fit  partie  d'un  coUe'ge  habité  par  douze 


ET    DES    AUTEURS    DE    l'aNTIQUITÉ.  329 

professeurs.  Du  temps  de  Le'on  l'Isaurien,  vers  l'aa  720,  elle  con- 
tenait, dit  on ,  36,5oo  Aoliimes,  et  les  derniers  historiens  bizantins 
racontent  que  ce  prince  ,  qui  était  un  fougueux  iconoclaste  ,  ne  pou- 
vant faire  partager  son  opinion  aux  professeurs  ,  les  renferma  dans 
leur  collège  ,  qu'il  entoura  de  matières  combustibles  ,  et  les  brûla 
ainsi  avec  leurs  livres.  Cependant  Basnage,  dans  son  Histoire  ec- 
clésiastique, réfute  ce  récit,  et  prouve  qu'il  est  question  de  cette 
bibliothèque  comme  subsistant  encore  dans  le  siècle  suivant.  Il  y 
aurait  peut-être  moven  de  concilier  ces  deux  assertions,  en  disant 
que  l'édifice  a  été  incendié  accidentellement  pendant  le  règne  de 
Léon,  et  qu'ayant  été  reconstruit  sous  le  règne  suivant,  la  biblio- 
thèque a  été  de  même  en  partie  rétablie. 

L'étendue  des  pertes  faites  par  les  sciences  et  les  lettres ,  lors 
de  l'incendie  de  la  grande  bibliothèque  d'Alexandrie  par  Omar,  a 
etë  révoquée  en  doute  par  les  historiens  du  18^  siècle.  Gibbon 
surtout  déclare  (ju'il  croit  devoir  nier  à  la  fois  et  le  fait  et  ses  con- 
séquences. Mais  il  est  inutile  de  faire  observer  que  Gibbon,  écri- 
vain très-partial,  cherche  toutes  les  occasions  de  favoriser  les  païens 
et  les  mahométans.  Dun  autre  côté,  Orose  prétend  que  les  livres 
de  cette  bibliothèque  furent  détruits  ou  dispersés  par  les  chrétiens, 
lorsqu'en  891  ils  brûlèrent  le  temple  deSérapis;  mais  on  n'ignore 
pas  que  cet  auteur,  fort  cre'dule,  a  rempli  son  ouvrage  d'une  foule 
de  bruits  populaires ,  qui  ne  permettent  guère  de  le  citer  comme 
une   autorite'. 

Après  avoir  fait  connaître  quelques-unes  des  causes  de  la  destruc- 
tion de  tant  de  précieux  monumens  des  siècles  classiques ,  il  reste 
à  examiner  pourquoi  parmi  les  copies  qui  nous  sont  parvenues  il  y 
en  a  si  peu  qui  soient  d'une  antiquité'  reculée.  A  très-peu  d'excep- 
tions près,  il  n'y  en  a  point  qui  remontent  au-delà  du  9^  siècle 
de  notre  ère. 

A  ce  sujet ,  il  faut  remarquer  que ,  dans  le  moyen-âge  ,  les  moi- 
nes étaient  les  seuls  copistes  des  anciens  livres.  Ils  ne  manquaient 
pas  de  loisir  pour  cette  occupation  ,  et  les  calligraphes ,  qui,  par 
une  longue  habitude,  avaient  acquis  un  talent  considérable  pour 
bien  peindre,  étaient  amplement  payés  de  leurs  peines.  Or,  par 
les  divers  motifs  que  j  ai  assignés  plus  haut ,  les  poètes  et  les  phi- 
losophes classiques  étant  tombes  dans  le  discrédit ,  il  arriva  que  les 


330  DE    LA    PERTE    DES    MA7ÎUSGRITS  ,    ETC. 

copistes  recevaient  cinquante  demandes  pour  les  œuvres  de  saint 
Grégoire  de  Nazianze  ou  de  Sedulius ,  contre  une  pour  celles  d'Eu* 
ripide  ou  de  Virgile.  La  conséquence  naturelle  en  fut  que,  pour 
se  dispenser  d'acheter  du  parchemin,  qui  était  un  objet  de  prix, 
ils  songèrent  à  se  servir  des  ouvrages  des  auteurs  anciens  ,  qui  ne 
faisaient  qu'encombrer  inutilement  les  tablettes  de  leurs  bibliothè- 
ques. Ils  imaginèrent  d'après  cela  deux  manières  d'oblitérer  l'écri- 
ture et  de  mettre  le  parchemin  en  état  de  recevoir  les  oeuvres  d'é- 
crivains dont  le  débit  était  plus  assuré.  Tantôt  ils  effaçaient  les 
caractères  par  le  moyen  d'une  préparation  chimique,  tantôt  ils  les 
grattaient  avec  un  instrument  tranchant  :  cette  dernière  méthode 
s'employait  quand  le  parchemin  était  d'une  épaisseur  considérable. 

Les  manuscrits  qui  ont  subi  une  de  ces  deux  opérations  s'appel- 
lent codlces  palimpsesti  ou  rescripti ,  et  il  existe  des  preuves  cer- 
taines que  plusieurs  pièces  de  théâtre  grecques ,  diverses  oraisons 
de  Cicéron  et  quelques  comédies  de  Plaute  ont  été  perdues  de  cette 
façon  ;  car  des  fragmens  de  ces  différens  ouvrages  ont  été  reconnus 
sous  la  nouvelle  écriture  dont  ou  les  avait  surchargés. 

J'ai  dit  plus  haut,  comme  un  motif  de  consolation,  que,  selon 
toute  apparence ,  les  pertes  que  nous  avons  faites ,  bien  qu'incon- 
testablement fort  nombreuses ,  n'ont  pas  l'importance  et  l'inte'rêt 
que  l'on  pourrait  penser.  Par  la  même  raison  ,  jointe  à  celle  de  la 
grande  libe'ralité  avec  laquelle,  depuis  un  siècle,  tous  les  gouver- 
nemens,  tous  les  établisseraens  publics  ont  donne  accès  aux  savans 
dans  les  dépôts  de  leurs  trésors  litte'raires,  il  n'y  a  pas  lieu  d'es- 
pérer que  de  grandes  découvertes  restent  encore  à  faire  dans  ce 
genre  ;  celles  que  nous  devons ,  il  y  a  une  vingtaine  d'années  ,  à 
M.  Angelo  Mai ,  professsur  de  langues  orientales  à  la  bibliothèque 
ambroisienne  de  Milan,  et  plus  tard  bibliothécaire  du  Vatican,  sont 
les  dernières  qui  aient  offert  quelque  inte'rêt.  Jusqu'à  présent  on 
n'a  rien  trouvé  dans  les  ruines  d'Herculanum  et  de  Pompéï,  qui 
soit  digne  de  fixer  l'attention. 

Je  termine  ici  une  discussion  qui  probablement  paraîtra  beau- 
coup trop  longue  à  plus  d'un  lecteur,  et  j'ajouterai  seulement  que 
la  bibliothèque  Laurentienne  à  Florence ,  et  celles  des  couvens  de 
la  Calabre,  sont  les  seules  où  nous  puissions  encore  espérer  de  faire 
quelques  découvertes  intéressantes.  —  Annales  de  Phil.  Chrét. 
tom.  IX  ,  p.  i^. 


331 


CONSIDERATIONS 

SUR  Ii'EMFIRE   ROMAIN,   LA  VIE  DE  S.  ANTOIXE,  ETC. 


Le  Journal  de?  Débats  du  12  octobre  contient  un  article  de 
M.  St. -Marc  Girardin  sur  la  Collection  des  Pères  (i)  publie'e  par 
Me'quignon-Havard ,  dans  lequel  l'auteur,  exauiinant  la  vie  de 
saint  Antoine,  e'crite  par  St.  Athanase,  se  livre  à  des  considéra- 
tions philosophiques  de  la  plus  haute  porle'e.  Nous  en  citerons 
les  principaux  passages  : 

«  Notre  siècle  a  beaucoup  d'esprit,  de  lumières,  d'intelli- 
gence; il  discute,  il  raisonne  à  merveille.  Pourquoi  donc  ne 
créé-t-il  rien  ?  Pourquoi  y  a  t-il  sur  tout  ce  que  nous  faisons  un 
cachet  d'avortement  et  d'impuissance  ?  Systèmes  politiques  et 
systèmes  religieux,  constitutions,  chartes,  lois,  ordonnances, 
rituels  de  toutes  sortes  de  sectes,  cultes  de  toutes  sortes  de  dog- 
mes, combien  n'en  naît-il  pas  chaque  jour  de  notre  cerveau?  Et 
combien  n'en  meurt-il  pas  aussi  chaque  Jour!  Tant  qu'il  s'agit 
de  parler  et  décrire,  de  raisonner  et  de  critiquer,  c'est  à  mer- 
veille; aussitôt  qu'il  faut  agir,  tout  languit  et   s'arrête  :   nous 


(i)  Collectio  selccla  Ecclesiœ  Palruni.  —  <.<  Celte  excellente  collec- 
»  tion ,  dit  M.  St.-Marc,  interrompue  pendant  quelque  temps,  re- 
»  commence  aujourd'hui  à  paraître  régulièrement.  Les  temps  sont  pins 
«  favorables  à  celte  publication  qu'ils  ne  semblent  devoir  l'être.  Ou 
»  revient  aux  idées  religieuses  ,  et  les  Pères  de  l'Lglise  ue  sont  plus  dé- 
)>  daignés.  Bizarre  exemple  du  changement  des  esprits  !  C'est  VEncj- 
»  cLopéiUe  aujourd'hui  qui  est  délaissée  ,  et  ce  sont  les  Pères  qui  rc- 
»  prennent  laveur.  Trois  éditions  des  Pères  ont  paru  depuis  quelque 
»  temps  :  celle  de  M.  l'abbé  Guillon  ,  latine  et  française  ;  celle 
»  dont  nous  nous  occupons  aujourd'iiui  ,  toute  latine ,  et  celle  de 
»  MM.  Gaume ,  grecque  et  latine  ,  dont  nous  avons  dernièrement  an- 
»  nonce  le  Saint-Chrjsoslô/ne.  Trois  éditions  des  Pères  en  six  ans  au 
»   plus ,  qui  l'eût  dit  il  y  a  soixante  ans  ,  sous  Voltaire  !  « 


332 


CONSIDERATIONS    SUR    l'eMPIRE    ROMAIN, 


sommes  excellens  pour  la  discussion,  ponr  la  prédication ;, 
pour  tout  ce  qui  ne  demande  à  Thomme  que  ses  idées  et 
ses  paroles;  l'action  nous  manque.  Faire  des  journaux,  faire 
des  brochures,  faire  des  lois,  tout  cela  avec  ardeur,  avec  opi- 
niâtreté ,  avec  se'rieux ,  et  comme  si  les  effets  devaient  suivre  les 
paroles  ;  voilà  où  nous  brillons.  Je  ne  parle  pas  de  tant  de  lois 
qui  ne  sont  que  sur  le  papier;  mais  voyez  ce  que  sont  deve- 
nues les  sectes  religieuses,  ou  soi-disant  telles,  que  nous 
avons  vues  e'clore.  Tant  qu'il  a  fallu  e'crire  et  parler,  elles 
ont  eu  de  l'e'clat ,  elles  ont  fait  du  bruit.  Quand  il  a  fallu 
agir,  s'organiser,  être  autre  chose  que  des  sons  et  des  paro- 
les, devenir  un  corps  ,  quand  elles  en  sont  venues  an  /lat  cre'a- 
teur,  à  l'œuvre,  à  l'action  ,  alors,  à  cette  dernière  et  de'cisive 
expe'rience,  elles  sont  tomhe'es  à  plat 

»  Dans  notre  siècle  tout  va  de  cette  manière ,  gros  de  pa- 
roles,  vide  d'effets.  A  cet  e'gard  ,  nous  savons  bien  notre  fai- 
blesse, et  nous  ne  sommes  pas  dupes  de  nos  phrases.  Combien 
de  fois  ai -je  entendu  dire  que  ce  qui  nous  manquait,  c'e'tait 
le  caractère,  et  personne  ne  reclamait,  excepte'  pour  soi  et 
tout  bas.  Nous  avons  la  volonté'  qui  parle,  mais  non  la  volonté' 
qui  fait.  L'action  vient  du  caractère  et  non  de  l'esprit.  Dou- 
blez notre  intelligence  et  nos  lumières  ,  vous  ne  ferez  rien  si  le 
caractère  n'y  est,  c'est-à-dire  la  force  qui  agit  et  qui  cre'e.  Vou- 
lez-vous une  preuve  que  notre  siècle  sait  fort  bien  à  quoi  s'en 
tenir  là-dessus?  Sans  cesse  il  parle  de  la  force  des  choses,  de 
la  ne'cessite' ,  de  l'empire  des  e've'nemens  5  personne,  disons- 
nous,  ne  peut  lutter  contre  la  force  des  choses;  telle  est  la 
philosophie  du  jour  :  nous  avons  tous  notre  coin  de  fatalisme 
musulman;  nous  ne  croyons  plus  à  la  force  de  l'homme,  ni 
qu'il  soit  au  pouvoir  de  quelqu'un  de  faire  rebrousser  les 
e've'nemens.  Nous  savons  commenter  les  e've'nemens  d'une  ma- 
nière savante  et  inge'nieuse  ;  nous  savons  leur  trouver  toutes 
sortes  de  me'rites  ;  mais  nous  ne  savons  guères  plus  les  pren- 
dre corps  à  corps  ,  et  quand  nous  pensons  avoir  contre  nous 
cette  force  myste'rieuse  que  nous  appelons  la  force  des  cho- 
ses, nous  nous  de'clarons  vaincus  d'avance. 

»  Le  monde  romain,  aux  deuxième  et   troisième  siècles, 


LA    VIE    DE    S.    ATfTOTKE  ,    ETC.  333 

avait  aassi  beaucoup  d'esprit ,  d'intelligence  et  de  lumières. 
Il  raisonnait  aussi  et  discutait  à  merveille  ;  comme  à  nous , 
il  ne  lui  manquait  que  l'action  et  le  caractère.  Ses  œuvres 
e'taient ,  comme  les  nôtres  ,  marque'es  d'un  signe  d'avorte- 
ment.  Voyez  ses  Stoïciens  !  Ils  gouvernent  le  monde  sous  les 
Antonins  ;  et,  maigre'  tout  leur  esprit,  maigre  toute  leur  sa- 
gesse,  maigre'  même  tout  leur  pouvoir,  ils  ne  cre'ent  rien, 
et  le  dernier  de  leurs  empereurs ,  Marc-Aurèle  ,  semble  laisser 
l'empire  à  Commode,  comme  pour  donner  la  preuve  que  ni 
lui-même  ni  ses  sages  devanciers  n'ont  rien  pu  faire  pour  ra- 
jeunir Rome  et  mettre  sa  liberté'  à  l'abri  des  folies  du  premier 
despote  venu.  Voyez  à  côte'  de  rimpuissanae  de  la  philosophie 
l'impuissance  des  tentatives  religieuses  qui  se  font  à  cette 
e'poque  ;  voyez  Apollonius  de  Tbyanes  ;  voyez  le  culte  de  Mi- 
tbra  ;  tant  qu'il  s'agit  de  faire  des  phrases  ou  de  sculpter  des 
idoles,  tant  qu'il  s'agit  de  sons  et  de  formes,  tout  va  a  sou- 
hait; mais  quand  il  faut  en  venir  à  l'action,  quand  il  faut 
inspirer  aux  hommes  la  force  de  dévouer  sa  vie  et  ses  biens 
à  ces  religions  d'essai,  alors  apparaît  la  faiblesse  et  leur  im- 
puissance. 

))  D'oii  venait  au  monde  romain  ce  manque  d'action  et  de 
caractère  ?  Du  manque  de  foi  ;  il  n'y  a  que  la  foi  qui  donne 
aux  hommes  la  force  d'agir  ,  car  il  n'y  a  qu'elle  qui  leur  fasse 
faire  le  sacrifice  de  leur  vie,  et  l'homme  ne  cre'e  rien  que 
par  le  de'vouement  et  le  sacrifice.  Liquitque  in  vulnere  vitam , 
Toilà  le  mot  de  toutes  les  grandes  actions  ,  et  quelque  e'difice 
que  nous  bâtissions,  religieux  ou  politique,  il  ne  durera  que 
s'il  est  cimente'  par  le  sang  des  martyrs.  Agir,  c'est  risquer; 
toute  action  est  un  risque,  et  pour  risquer  il  faut  croire. 
Rome  ne  croyant  à  rien  ne  risquait  rien.  Que  voulez-vous 
qu'elle  cre'ât  ? 

»  C'est  dans  ce  monde  romain,  ainsi  e'puise  de  foi  et  inca- 
pable d'action  ,  que  naquit  le  christianisme  ,  et  dès  le  com- 
mencement il  mai'qua  son  caractère,  il  agit;  non-sculcment 
il  eut  des  docteurs ,  des  pre'dicatears ,  il  eut  de  plus  des  mar- 
tyrs. C'est  par  là  ,  c'est  par  ce  caractère  d'effîcacite'  et  de  puis- 
sance qu'il  se  distingue  des  œuvres  du  monde  romain,  les  lais- 


334  CONSIDÉRATIONS    SUR    l'eMPIRE    ROMAIN  , 

sant  à  leur  néant  oi^iginel ,  et  annonçant  dès  cette  heure  son 
immortel  avenir.  L'intelligence  et  l'action ,  la  parole  et  l'œu- 
vre ,  voilà  dès  le  commencement  les  deux  forces  du  christia- 
nisme ;  voilà  à  quels  signes  le  monde  put  comprendre  que 
c'e'tait  quelque  chose  d'entier  et  de  complet,  quelque  chose 
où  il  n'y  avait  point  de  manque  et  point  de  lacune.  Prenez 
riiistoire  du  christianisme;  toujours  il  parle  et  il  agit  tou- 
jours :  les  deux  forces  se  font  e'quilihre  et  se  balancent  ;  tou- 
jours à  côté  de  l'intelligence  qui  persuade  par  la  parole,  il  y 
a  l'action  qui  persuade  par  l'exemple. 

»  C'est  ici  que  vient  se  montrer  l'utilité  de  la  Thébaïde  et 
de  ses  pieuses  austérités;  après  les  martyrs,  après  la  victoire 
que  leur  sang  a  donnée  h  l'Église,  ce  sout  les  solitaires  de  la 
Haute-Euypte ,  ce  sont  les  disciples  de  saint  Antoine  qui  per- 
pétuent l'action  dans  1  Eglise.  Les  évêques  parlent,  instruisent, 
enseignent  :  ils  sont  l'intelligence.  Les  anachorètes  vivent  dans 
les  misères  de  la  solitude,  dans  le  jeûne,  dans  les  veilles, 
dans  les  tentations  du  diable  ;  ils  sont  l'action.  Ce  sont  eux  qui 
immolent  leurs  biens  et  leur  vie  à  la  foi  chrétienne ,  et  qui  en- 
tretiennent la  tradition  du  dévouement  et  du  sacrifie.  S.  Atha- 
nase  discute  contre  les  Ariens;  mais  dans  toutes  les  discus- 
sions, il  y  a  la  part  du  doute  et  du  scepticisme.  Une  religion 
qui  n'aurait  contre  les  hérésies  que  la  force  de  la  discussion 
serait  bientôt  ruinée.  Il  lui  faut  de  plus  des  exemples  et  des 
actions;  il  faut  qu'elle  puisse  dire  :  Voyez  ce  que  je  fais  faire; 
voyez  ces  solitaires  à  qui  je  fais  braver  les  rigueurs  du  désert 
et  de  la  pénitence,  qui  couchent  ,  sur  le  sable  enflammé,  qui 
vivent  d'eau  et  de  pain  grossier  ;  ce  sont  là  sans  doute  pour 
le  philosophe  de  fort  mauvais  argumens;  pour  le  peuple,  ils 
sont  exccllens,  et  le  peuple  a  raison.  Il  sent  qu'il  y  a  dans  la 
religion,  ((ul  inspire  ces  dévouemens,  quelque  chose  de  supé- 
rieur à  la  raison  ,  et  qui  vaut  mieux  qu'elle;  il  sent  qu'il  y  a 
dans  l'action  quelque  chose  de  plus  fort  que  dans  la  parole.  Il  n'y 
a  pas  de  raisoimement ,  si  bon  qu  il  soit,  auquel  on  ne  puisse 
répondre  par  un  raisonnement  également  bon  ,  mais  que  ré- 
pondre aux  austérités  de  saint  Antoine.^ —  Qu'elles  sont  inuti- 
les? —  Jamais  le  peuple  ne  juge  les  choses  sur  leur  utilité, 


LA    VIE    DE    S.   ANTOINE,   ETC.  335 

et  c'est  pour  cela  qu'il  est  bon  jage  de  la  grandeur  et  de  la 
dignité'.  Il  juge  toujours  le  motif;  et  dans  les  ausle'rite's  de 
saint  Antoine  ,  il  voit  la  foi  ardente  qui  les  lai  inspire ,  et 
il  cède  à  l'ascendant  de  cette  foi;  il  eût  langui  aux  raison- 
nemens. 

»  La  foi  et  sa  supe'riorite'  sur  l'intelligence  ;  parce  qu'elle 
fait  agir,  voilà  ce  qui  fait  le  me'rite  des  solitaires  de  la  Tlie'- 
Laïde,  voilà  le  service  qu'ils  rendent  à  l'Eglise.  Ils  sont  par 
leurs  œuvres  les  te'moins  de  la  foi  chre'lienne  ;  les  docteurs 
et  les  ëvêques  par  leurs  paroles  en  sont  les  interprètes.  Saint 
Antoine,  dans  un  discours  que  nous  a  conserve' St.  Atbanase, 
de'montre  admirablement  cette  supériorité'  de  la  foi  sur  Je 
raisonnement.  Il  s'adresse  aux  gentils,  aux  hommes  du  vieux 
monde  romain  ,  et  il  leur  dit  :  «  Vous  n'avez  plus  aucune  foi, 
»  puisque  vous  avez  recours  aux  argumens.  Nous  ,  ce  n'est 
a  point  des  paroles  persuasives  de  la  sagesse  des  Grecs  que 
»  nous  nous  servons;  c'est  par  la  foi  que  nous  persuadons, 
»  la  foi  qui  pre'cède  et  qui  surpasse  toutes  les  paroles.  »  Et 
ailleurs  :  «Nous  ne  sommes  que  des  ignorans  qui  croyons  en 
»  Dieu  ,  dont  les  œuvres  nous  re'vèlent  la  Providence.  Eii  bien  ! 
»  notre  foi  grossière  est  efficace  et  puissante  ;  car  notre  culte 
»  se  re'pand  ,  tandis  que  ,  maigre'  tous  vos  raisonnemens  so- 
»  phistiques ,  vos  idoles  tombent  de  toutes  parts.  Avec  tous 
»  vos  argumens  et  vos  discussions,  vous  n'avez  pas  converti 
»  un  cbre'tien  au  paganisme,  tandis  qu'avec  notre  foi  nous 
»   diminuons  sans  cesse  le  nombre  de  vos  croyans.  » 

»  Repre'sentans  de  la  foi  chre'tienne  et  du  dévouement  qu'elle 
inspire,  c'e'taient  ces  moines  du  désert  que  saint  Athanase  in- 
voquait dans  les  jours  de  pe'rll ,  quand  la  religion  e'tait  me- 
nace'e  par  l'arianisme.  La  foi  qui  raisonne  et  qui  discute 
avouait  pour  ainsi  dire  son  impuissance  ,  et  faisait  un  appel 
à  la  foi  agissante.  Alors  quelques-uns  des  solitaires  ,  saint  An- 
toine à  leur  tête,  quittant  leurs  grottes,  leurs  ruines,  leurs 
auste'rite's ,  venaient  à  Alexandrie  exhorter  le  peuj)le  à  l'or- 
thodoxie ,  et  tout  ce  peuple  ,  repu  de  paroles  et  de  discussions, 
sans  que  de  toutes  ces  discussions  aucune  peut-être  l'eût  de'- 
cide' ,  courait  voir  et  entendre  ces  hommes  d'action,  ces  pë- 


336  CONSIDÉRATIONS    SUR    l'eMPIRE    ROMAIN  , 

nitens  vieillis  dans  le  désert,  ces  nouveaux  martyrs  du  cliffs*- 
tianisme.  Voulez-vous  juger  de  l'ascendant  de  ces  moines?  H 
fallait,  quand  les  juges  ariens  ,  envoye's  à  Alexandrie  ,  voulaient 
faire  le  procès  à  quelque  callioiique  rebelle  aux  ordres  de 
l'empereur,  il  fallait  qu'ils  défendissent  aux  moines  d'entrer 
dans  la  salle  du  tribunal,  et  souvent  même  ils  leur  ordon- 
naient de  quitter  la  ville.  Cëtait  surtout  saint  Antoine  que 
le  peuple  e'coutait  avec  un  respect  myste'rieux,  comme  un 
bomrae  que  Dieu  inspirait  :  «  Tout  le  monde  voulait  le  voir; 
les  gentils  eux  mêmes  et  leurs  prêtres  venaient  à  la  maison 
où  il  habitait ,  disant  :  Laissez-nous  voir  l'homme  de  Dieu. 
Plusieurs  parmi  les  gentils  voulaient  toucher  ses  vêtemens, 
croyant  que  cela  leur  porterait  bonheur  ;  »  et  ne  croyez  pas 
que  cet  eui])ressement  et  celte  foule  troublassent  le  pieux 
solitaire.  Il  avait  ce  calme  et  cette  assurance  qu'ont  les  hom- 
mes d'action;  «  tranquille  et  toujours  e'gal  à  lui-même,  le 
visage  serein,  sans  mouvement  de  joie  ni  de  tristesse,  il  re- 
gardait la  multitude  et  lui  parlait,  »  Venu  à  Alexandrie  pour 
aider  saint  Atbanase ,  il  avait  hâte,  aussitôt  sa  tâche  accom- 
plie, de  retourner  au  de'sert  avec  ses  frères.  «  Les  poissons 
meurent,  disait-il,  quand  on  les  tire  à  terre,  et  les  moines 
s^e'nervent  quand  ils  restent  trop  long-temps  dans  les  villes. 
Retournons  à  la  montagne!  »  Et  il  y  retournait  pour  repren- 
dre ses  auste'rite's.  Mais  le  monde  ne  lâche  point  ainsi  sa  proie; 
le  bruit  des  affaires  du  siècle  venait  jusqu'à  lui.  Les  empe- 
reurs qui  savaient  la  puissance  de  cet  anachorète ,  lui  e'cri- 
vaient  de  leur  main.  Alors,  maigre'  leur  renoncement  au  mon- 
de,  les  moines  du  de'sert  se  troublaient  et  s  e'norgueillissaient; 
c'e'tait  un  e've'nement ,  c'e'tait  un  honneur  qu'une  lettre  de  1  em- 
pereur. ]\Iais  saint  Antoine  ,  sans  se  troubler,  disait  :  «  Ne  vous 
e'tonnez  point  que  l'empereur  nous  e'crive  ,  qui  n'est  qu'un 
homme  ;  e'tonnez-vous  jdutôt  de  Dieu  qui  a  e'crit  la  loi  que 
nous  devons  suivre  ,  et  qui  nous  l'a  envoye'e  par  son  Fils  unique!  » 
»  Cet  ascendant  de  l'action  dans  un  siècle  livre'  à  la  dispute 
est  tout  naturel.  Voyez  aujourd'hui  quand  un  homme  a  non  pas 
e'crit  ou  dit,  mais  fait  quelque  chose  de  grand,  gagne  une  ba- 
taille ,  exe'cute'  un  voyage  périlleux,  affronte'  quelques  dangers 


LA    VIE    DE    S.    ANTOINE,    ETC.  337 

extraordinaires ,  voyez  comme  raclmiration  et  la  vogue  popu- 
laire s'attachent  à  lui;  comme  ou  veut  le  voir;  couime  on  fait 
foule  à  sa  demeure  !  Tant  est  grand  le  pouvoir  de  l'action  !  tant 
elle  subjugue  les  esprits!  Le  siècle  en  cela  se  fait  justice;  siècle 
de  paroles  et  de  the'ories,  l'action  est  pour  lui  quelque  cliose 
d'étrange  et  de  nouveau  qui  l'e'tonne ,  qui  le  saisit ,  qui  le  fait 
courir  pour  voir  Thomuie  merveilleux  qui  agit ,  et  qui  fait 
suivre  sa  volonté'  d'un  effet.  » 


OPINION 

DE  FRÉDÉRIC  SCIILEGEL  SUR  LAMARTINE  (1). 


Ce  qui  se'pare  les  nations  et  les  rend  e'trangères  les  unes  aux 
autres,  c'est  bien  plus  une  grande  et  fondamentale  différence 
dans  la  direction  de  leur  culture  intellectuelle,  que  toutes  les 
de'limitations  et  oppositions  politiques.  Mais  il  est  dans  le  itionde 
un  principe  supérieur,  un  lien  spirituel,  par  lequel  se  rap- 
prochent et  s'unissent  intimement  des  nations  long-temps  en- 
nemies ou  profonde'ment  divise'es  ;  et,  de  même  que  ce  fut 
d'abord  le  christianisme  qui ,  des  peuples  de  la  moderne  Eu- 
rope,  forma  une  seule  famille,  de  même  touchons-nous  peut- 
être  à  l'e'poque  où  cette  divine  religion,  se  relevant  avec  une 
force  nouvelle  au  fond  des  cœurs  oppresses  ,  et  renouant  les 
noeuds  rompus,  réunira  ce   qui  prece'dcmment   e'tait   se'pare 


(i)  Le  morceau  dont  nous  donnons  ici  une  traduction  a  paru  eu  1S20, 
sous  le  simple  titre  iVnnnonce  {anzeigc),  dans  la  cinquième  livraison 
de  la  Concordia  ,  recueil  rédige  par  Frédéric  Schlegel ,  avec  l'assistance 
de  quelques  amis.  Nous  prions  nos  lecteurs  de  ne  pas  perdre  de  vue 
que  les  observations  du  célèbre  critique  allemand  ne  portent  que  sur 
le  premier  \0\umiiAe5  Méditations  poétiques ,  seul  ouvrage  de  Lamartine 
liublié  à  cette  époque. 


338  OPINION    DE    FRÉDÉRIC    SCKLEGEL. 

comme  par  un  abîme.  La  puissance  du  Verbe  vivant  pénètre 
à  travers  toutes  les  barrières  mate'rielles ,  et  le  mur  de  se'pa- 
ration  des  langues  tombe  lui-même  aussitôt  que  l'esprit  est 
devenu  un,  et  que  les  âmes  sont  remplies  ,  pe'netre'es  de  scn- 
timens  semblables.  Le  nouveau  poète  que  la  France  vient  de 
produire,  et  qui  est  si  spe'cialement  sorti  du  sein  de  la  reli- 
gion, Lamartine  en  offre  un  e'clatant  exemple. 

Il  ne  serait  pas  facile    de   trouver,  dans  le  domaine  entier 
de  l'intelligence,  une  opposition  plus  trancbe'e  que  l'opposition 
existant  entre  la  poe'sie  et  le  sentiment  poe'tique  de  l'Allemagne, 
et  ce  qui,  en  France,  tient  la  place  de  l'une  et  de  l'autre.  Ici, 
ce  qui  forme  la   note  fondamentale  de  la  vie ,  et  de'termine 
<lans  les  esprits  une  vue  particulière  du  monde,  c'est  comme 
une  divination  profonde   de  l'imagination,  un  sentiment,   un 
effort  qui  sévanouit  dans  l'infini,  ou,  le  plus  souvent,  ne  se 
majiifeste  qu'avec  quelque  cbose  d'e'nigmatique  ,  par  fragmens 
et  sous  des  formes  inacbeve'es.  Chez  les  Français  ,  ce  que  l'on 
regarde  (ou  du  moins  ce  qu'on  avait  regarde'  jusqu'à  pre'sent) 
comme  la  poe'sie  la  plus  parfaite ,  c'est  une  expression  calcule'e 
sur  tous  les  rapports  et  tous  les  e'gards  de  la  vie  de  socie'te', 
tandis  que  cela  ne  nous  fait  guère,  à  nous  autres,  que  l'effet 
id'une  bonne  prose.  La  poe'sie  allemande  aime  à  se  reporter  de 
plus  en  plus  vers  le  passe';  elle  plonge  ses  racines  dans  la  tra- 
dition populaire  ,  source  d'où  les  vagues  de  l'imagination  s'e'- 
lancent  encore  fraîches  ;  tout  au  plus  le  temps   actuel  et  le 
monde  re'el  lui  fournissent-ils  quelques  traits  d'humeur,  qui  la 
rejettent  aussitôt  dans  le  domaine  de  ses  fantaisies.  Le  pre'sent, 
au  contraire ,  voilà  le  terrain  naturel  de  l'exposition  poe'tique 
des  Français  ;  ils  s'inquiètent  peu  du  choix  des  vraies  couleurs 
locales  dans  la  repre'sentation  du  passe',   s'altachant  à  une  ge'- 
ne'ralité  idéale,  et,  du   reste,  produisant   de  1  effet  par   une 
vivacité  qui   en  impose,  par   l'entraînement   de  la   passion  et 
par  les  coups  de  théâtre.  Mais  il  y  a   quelque  chose  de   plus 
central  et  de   plus   profond    que  le  sentiment   purement  pas- 
sionné, lequel  reste  toujours  très-près  de  la  réalité  prosaïque, 
et  aussi ,  en  tant  que  reflet  magique  de  l'imagination  dans  le 
jeu  de  ses  récits  pleins  d'énigme,  forme,  sans   aucun  doute, 


OPINION    DE    FRÉDÉRIC    SCHLEGEL.  339 

la  matière  principale,  et,  à  proprement  parler,  le  corps  spiri- 
tuel de  la  poe'sie.  Cet  e'ie'meut  plus  intime  ,  dans  lequel  les 
deux  autres  sont  réunis  comme  dans  leur  source  primitive  et 
commune,  est  ce  que  l'on  appelle  l'enthousiasme,  sentiment 
supe'rieur  à  la  passion.  De  l'enthousiasme  profond  et  réellement 
inte'rieur  de'coule  toute  vie,  celle  de  l'imagination  et  tout  essor 
intellectuel.  Mais  il  n'y  a  d'enthousiasme  ve'ritable,  que  celui 
qui  part  du  fond  d'un  amour  intime,  exalté,  pénétrant  toutj 
et  là  oii  manque  cet  amour,  l'enthousiasme  est  vide  et  faux; 
ce  n'est  que  de  la  passion.  Au  reste  le  véritable  enthousiasme 
lui-même  a  besoin  d'un  rayon  d'en  haut  et  du  souffle  d'un 
esprit  supérieur  pour  prendre  son  vol  vers  les  resplendissantes 
clartés. 

Cette  élévation  de  l'enthousiasme  et  cette  profondeur  du 
sentiment  est  précisément  la  région  dans  laquelle  nous  rencon- 
trons Lamartine,  et  nous  nous  unissons  à  lui  si  étroitement 
que  la  différence  de  sa  langue  avec  la  nôtre  disparaît.  Les  sons 
que  l'on  entend  là  forment  un  écho  à  nos  sentimens  les  plus 
intimes;  nous  croyons  ,  pour  ainsi  dire  ,  que  c'est  notre  propre 
langue  que  nous  entendons,  parce  que  nous  entendons  la  langue 
qui  fait  le  fonds  des  diCférens  idiomes  nationaux  et  leur  donne 
la  vie  intérieure. 

Examinons  maintenant  de  plus  près  et  caractérisons  en  dé- 
tail les  divers  points  du  sentiment  poétique  de  Lamartine,  tel 
qu'il  se  manifeste  dans  ses  Méditations.  Le  premier  point  et 
ton  fondamental ,  par  lequel  notre  poète  se  rattache  tout  entier 
à  son  siècle,  c'est  un  sentiment  dont  tant  de  coeurs  généreux 
et  de  fortes  âmes  sont  puissamment  saisis  de  nos  jours,  celte 
tristesse  élevée,  d'où  jaillit  un  irrésistible  désir,  qui,  brisant 
les  liens  de  l'opinion,  s'élance,  à  travers  l'incroyance  domi- 
nante ,  vers  la  vérité  et  l'amour  ,  ou  s'il  manque  cette  voie  , 
trouve  un  som])re  plaisir  à  parer  de  poétiques  couleurs  l'abîme 
même.  Ce  dernier  genre  fait  la  magie  entraînante  des  chants 
de  lord  Bvron,  lequel,  précisément  à  cause  de  cela,  est  de- 
venu le  poêle  favori  de  tant  d'âmes  montées  à  l'unisson  de  la 
sienne.  L'influence  exercée  par  le  poète  anglais  sur  Lamartine, 
avant  que  celui-ci    ne  fût  sorti  de  cet  obscur  labyrinthe  de 


340  OPIJVION    DE    FRÉDÉRIC    SGHLEGEL. 

peintures  de'sespe're'es  d'un  enthousiasme  sans  Dieu ,  apparaît 
manifestement  dans  le  discours  qu'il  lai  adresse  : 

Qui  que  tu  sois,  Byron,  bon  ou  fatal  génie, 
u  J'aime  de  tes  concerts  la  sauvage  harmonie.  » 

Mais  qu'il  crie  seulement  une  fois  vers  le  ciel,  ce  poète  de 
l'enfer,  continue  le  nôtre,  et  un  rayon  de  la  lumière  de'  vie 
descendra  dans  son  âme,  et  son  coeur  s'adoucira  lui-même  par 
la  puissance  de  ses  propres  accords. 

Fais  silence ,  ô  ma  lyre  !  Et  toi  qui  dans  tes  mains. 
Tiens  le  cœur  palpitant  des  sensibles  humains 
Byron,   viens  en  tirer  des  torrens  d  harmonie; 
C'est  pour  la  vérité  que  Dieu  fit  le  génie 

Des  vers  aussi  entraînans  par  le  sentiment  et  aussi  parfaits 
dans  l'expression  n'avaient  pas,  depuis  long-temps,  e'te'  chante's 
en  langue  française,  et  il  est  très-rare,  en  général,  d'en  voir 
apparaître  de  pareils. 

Plusieurs  pièces  de  ce  recueil  décrivent  les  combats  du  pas- 
sage de  l'état  sans  espoir  de  Byron  à  une  espérance  nouvelle, 
pleine  d'amour  ,  à  travers  tous  les  degrés  du  plus  ardent  désir, 
et  certains  traits  qu  on  y  trouve  appartiennent  encore  à  une 
première  époque  de  sombre  inquiétude.  La  poésie  de  Lamar- 
tine est  inégale  ;  cela  est  essentiellement  lié  à  son  caractère  ; 
toutefois,  parmi  ces  premiers  chants  de  sa  muse,  il  n'en  est 
pas  un  seul  où  ne  brillent  une  foule  de  passages  grandioses 
et  variés. 

Le  deuxième  point  de  départ  de  notre  poète  ,  l'élément  es- 
sentiel de  son  inspiration  poétique  et  de  sa  contemplation  du 
monde,  c'est  l'amour,  non  l'amour  purement  passionné,  comme 
chez  la  plupart  des  poètes  français  ,  mais  élevé  ,  tendre,  pro- 
fond, durable,  pénétrant  tout,  mêlé  an  souvenir  et  au  désir 
de  la  mort,  genre  de  sentiment  qui  se  rapproche  le  plus  de 
l'amour  véritable.  Elvire,  fille  d'un  |)oète  portugais  banni,  a 
été  enlevée  par  la  mort  au  chantre  des  Méditations ,  après  un 
bonheur  de  peu  de  durée  ;  mais  dès  ici-bas  et  vivant  encore 


OPINION    DE    FRÉDÉRIC    SCHLEGEL.  341 

elle  lai  apparaissait  comme  une  sœur  des  Anges ,  de  sorte  qu'il 
ne  se  sent  point  se'pare'  d'elle,  et  qu'en  s'abandonnant  sans 
re'serve  au  chagrin  de  l'avoir  perdue,  il  la  voit  se  promener 
solitaire  et  exhalant  ses  plaintes  sur  les  rivages  d  un  monde 
sape'rieur.  Et  de  même  que  l'enveloppe  corporelle  de  ce  monde 
des  sens  ne  le  peut  se'parer  de  l'âme  aimc'e ,  de  même  s'éva- 
nouit la  distance  entre  le  sentiment  religieux  et  un  pareil 
amour,  ennohli  par  la  fidélité,  sanctifie'  par  le  malheur.  Lorsque 
se  lève  le'toile  solitaire  du  soir ,  sa  douleur  se  re'fugie  dans  une 
e'glise  au  milieu  des  champs  :  là,  de'chargeant  son  cœur  op- 
presse d'amour,  il  ose,  jusqu'au  pied  des  saints  autels,  et  avec 
le  sentiment  de  respect  dont  le  pe'nètre  la  pre'sence  de  Dieu ,  , 
prononcer,  du  plus  profond  de  son  âme,  le  nom  de  sa  digne 
Elvire.  Il  y  a  quelque  chose  d'enchanteur  dans  la  promenade 
du  poète  avec  sa  bien-aime'e  ,  sur  le  golfe  de  Bahia ,  le  long 
de  ces  de'licieux  rivages,  pleins  de  grandes  ruines  et  de  tou- 
chans  souvenirs.  En  géne'ral  le  monde  visible  se  montre  à 
Lamartine  comme  transfiguré  dans  le  reflet  de  son  amour, 
et  cette  profonde  manière  de  sentir  la  nature  est  chez  lui  le 
troisième  élément  de  l'enthousiasme  poétique.  Ce  genre  de 
descriptions  tantôt  pleines  d'élévation  et  de  magnificence  ,  tanlôt 
descendant,  avec  autant  d'exactitude  que  de  grâce,  aux  moin- 
dres détails,  ce  genre,  disons-nous,  qui  occupe  une  si  grande 
place  dans  la  nouvelle  poésie  anglaise,  avait  été  précédemment 
transplanté  par  d'autres  sur  le  sol  français  et  soumis  là  à  la 
même  règle  générale  d'une  soigneuse  mesure  de  l'expression. 
Mais  notre  poète,  ce  n'est  nullement  ce  genre  de  descriptions 
artificielles  de  la  nature  qu'il  cherche  et  nous  donne  de  la 
plénitude  de  son  cœur;  c'est  un  sentiment  plus  puissant ,  tout 
intime,  et,  pour  ainsi  dire,  plein  de  divination.  A  la  vérité, 
il  sait  admirablement  retracer  en  quelques  grands  traits  les  plus 
beaux  spectacles  du  monde  sensible,  soit  un  magnifique  cou- 
cher du  soleil,  soit  une  mer  émue,  on  les  feux  étincellans  de 
la  nuit;  mais  ce  qui  prend  tout  à  fait  le  dessus  et  l'occupe  prin- 
cipalement, c'est  toujours  une  profonde  et  douce  rêverie.  Aussi 
le  moindre  comme  le  plus  grand  objet  de  la  nature  sutfit-il 
pour  émouvoir  en  lui  le  sentiment  à  une  grande  profondeur; 

T.  X.  24 


342  OPINION    DE    FRÉDÉRIC    SCHLEGEL. 

la  vue  du  firmament  paré  d'e'toiles,  on  bien,  dans  la  vallée 
solitaire,  une  petite  source,  près  de  laquelle  il  tombe  plonge 
dans  un  doux  assoupissement,  tandis  que  son  oreille  n'entend 
plus  rien  que  le  bruit  de  l'eau  qui  murmure,  et  que  ses  yeux 
n'aperçoivent  autre  cbose  que  le  ciel  azuré.  La  manière  par- 
ticulière dont  le  poète  envisage  le  monde  extérieur,  ou  plutôt 
l'aspect  sous  lequel  ce  monde  s'offre  transfiguré  à  son  regard, 
a  été  parfaitement  exprimé  par  lui-même.  L'àme ,  s'écrie-t-il, 
est  un  rayon  de  la  lumière  et  de  l'amour,  et  elle  est  dévorée 
du  désir  de  remonter  à  sa  source  de  flamme. 

it  Je  respire,  je  sens,  je  pense,  j'aime  en  toi. 

«  Le  monde  qui  te  cache  est  transparent  pour  moi.  i> 

Ce  que  le  poète  vient  de  dire  ici  avec  une  si  belle  brièveté 
renferme  l'essentiel.  La  nature  est  transparente  pour  le  vrai 
sentiment  poétique ,  et  si  le  voyant  ne  peut  ou  ne  doit  pas 
soulever  entièrement  le  voile,  la  sombre  barrière  de  l'appa- 
rence sensible  cesse  néanmoins  de  l'arrêter;  il  devine  en  la  sen- 
tant, la  vie  intérieure,  ce  qui  est,  pour  lui,  plus  que  tout 
l'éclat  des  impressions  du  deliors.  Par  nn  autre  effet  de  ce  sen- 
timent plus  profond  de  la  nature,  une  foule  de  pressentimens 
spirituels  viennent  se  joindre,  cbez  Lamartine,  au  regard 
poétique  jeté  sur  les  beautés  du  monde  visible,  et  alors  une 
encbanteresse  douceur  d'émotion  et  d'expression  encadre  les 
grands  traits  d'une  exposition  pleine  de  simplicité.  Plongé  dans 
les  calmes  lueurs  de  l'amoureuse  étoile  du  soir,  il  est  tout  à 
coup  toucbé  au  front  par  un  doux  rayon  de  la  lune,  et  il  se 
demande  :  Quels  sont  les  secrets  du  monde  invisible  que  ren- 
ferme ce  magique  reflet?  Est-ce  le  premier  rayon  matinal  du 
jour  qui  ne  doit  point  s'éteindre  ;  ou  bien  est-ce  l'âme  aimée; 
sont-ce  les  ombres  de  parens  ,  d'amis  enlevés  à  notre  amour, 
qui  se  meuvent  au  milieu  de  cette  clarté  nocturne  et  nous 
saisissent  au  cœur?  11  éprouve  un  tressaillissemenl  inexplica- 
ble, pense  à  ceux  qu'il  a  perdus  et  voudrait  savoir  si  ce  n'est 
point  peut-être  leur  esprit  plaintif  qui  l'efTIeure  dans  la  douce 
clarté.  Certes,  ce  ne   sont  pas  là  de  fugitives  saillies,  comme 


OPINION    DE    FRÉDÉRIC    SGHLEGEL  343 

cliez  beanconp  d'autres  poètes,  ni  une  manière  emprunte'e  ; 
c'est  une  vérité'  profonde'ment  sentie,  laquelle  va  remuer  les 
cordes  les  plus  intimes  de  nos  secrets  pressentimens ,  d'une 
manière  qui  n'est  accorde'e  qu'au  poète  ve'ritable ,  parce  qu'en 
efFet  lui  seul  saisit,  par  une  sorte  de  divination,  ce  qu'aucune 
science  ne  peut  atteindre. 

Souvent  Lamartine  de'crit  avec  une  touche  grandiose  le  cou- 
cher du  soleil  ;  mais  les  sublimes  clarte's  de  cet  astre  ne  suf- 
fisent point  à  son  cœur ,  qui  s'e'lance  d'un  vol  hardi  vers  un 
autre  soleil.  De  tout  ce  qu'e'claire  la  lumière  fugitive  de  l'œil 
du  jour,  rien  ne  lui  semble  digne  d'envie;  mais,  de  l'autre 
côte'  de  la  sphère  e'toile'e,  là,  oii  le  vrai  soleil  e'claire  an  autre 
ciel,  là  se  pre'cipite  son  âme  enlvre'e ,  pour  y  retrouver  l'es- 
pe'rance  et  l'amour,  et  tout  ce  qui  n'a  point  de  nom  ici-bas, 
dans  notre  prison  terrestre  ;  il  voudrait  s'élever  jusqu'à  cette 
re'gion  sur  les  ailes  de  l'aurore. 

Passons  au  quatrième  e'ie'ment,  à  l'e'le'ment  le  plus  e'ieve' que 
nous  offre  dans  ses  degre's  successifs  la  poe'sie  de  Lamartine, 
et  vers  lequel  tendent  tous  les  autres  ,  nous  voulons  dire  le 
sentiment  de  la  piéte'  jointe  à  l'inspiration  religieuse  qui  lui 
est  propre.  Mais ,  au  lieu  de  descendre  dans  le  de'lail  des  cita- 
tions ,  prenons  tout  de  suite  un  passage  qui  re'sume  ce  que  le 
poète  a  saisi  dans  une  pleine  clarté',  alors  qu'il  distingue  deux 
langages,  l'un  physique,  borné  à  la  vie  commune;  l'autre  ira- 
matériel  ,  organe  du  cœur  et  de  la  vie  véritable. 

Dieu  fit  pour  les  esprits  deux  langages  divers  ; 

En  sons  articulés  l'un  vole  dans  les  airs  ; 

Ce  langage  borné  s'apprend  parmi  les  hommes  , 

Il  suffit  au  besoin  de  l'exil  où  nous  sommes  , 

Et  suivant  des  mortels  les  destins  inconstans , 

Change  avec  les  climats  ,  ou  passe  avec  les  temps. 

L'autre  éternel ,  sublime  ,  universel ,  immense , 

Est  le  langage  inné  de  toute  inteUigence  ; 

Ce  n'est  point  un  son  mort  dans  les  airs  répandu , 

C'est  un  verbe  vivant  dans  le  cœur  entendu  ; 

On  l'entend ,  on  l'explique  ,  on  le  parle  avec  l'âme  ; 

Ce  langage  senti ,  touche  ,  illumine  ,  enflamme  ; 

.       24* 


344  OPINION    DE    FRÉDÉRIC    SGHLEGEL. 

De  ce  que  l'âme  éprouve ,  interprètes  brûlans , 
Il  n'a  que  des  soupirs  .  des  ardeurs  ,  des  élans  ; 
C'est  la  langue  du  ciel  que  parle  la  prière  , 
Et  que  le  tendre  amour  comprend  seul  sur  la  terre. 

Dans  ces  paroles  se  troave ,  à  proprement  parler,  l'expli- 
cation  complète  du  caractère  particulier  de  la  poésie  de  La- 
martine. Il  en  a  e'te'  ainsi  pour  lui.  Dans  le  sentiment  du  plus 
ardent  de'sir ,  de  l'amour  ve'ritable  et  de  la  nature  iransfigu- 
re'e,  il  a  retrouve',  en  même  temps  que  la  foi  et  l'espe'rance  , 
le  verbe  de  vie,  comme  il  arrive  à  tout  vrai  poète,  à  tout  vrai 
voyant ,  la  poésie  elle-même  n'e'lant  autre  chose  que  la  pare 
expression  du  verbe  inte'rieur  et  e'ternel ,  qui  se  re'vèle  dans 
des  images  et  des  cbants  approprie's  à  la  manière  de  sentir 
des  peuples,  au  moyen  de  quoi  cette  poe'sie  prend  racine  dans 
les  coeurs  et  croît,  avec  les  siècles,  comme  un  arbre  vivant 
de  riches  traditions.  Le  passage  cite'  tout  à  l'heure  nous  ramène 
aussi  à  l'observation  par  laquelle  nous  avons  commence',  sa- 
voir que  Lamartine  a  brise'  complètement,  par  la  puissance 
de  sa  poésie,  la  langue  et  la  manière  de  sentir  françaises. 

Ces  poétiques  épancheraens  d'inspiration  religieuse  ne  for- 
ment que  des  fragmens ,  et  ils  sont  inégaux  entre  eux  ;  dans 
le  morceau  final,  il  passe  en  revue  les  principaux  momens  de 
l'Ecriture -Sainte ,  c'est  plutôt  une  suite  de  beaux  cbants  dé- 
tacliés.  Quant  à  la  question  de  savoir  si,  par  la  suite,  Lamar- 
tine atteindra  le  talent ,  qui  lui  manque  encore  ,  d'une  com- 
position en  grand  ,  je  veux  dire  d'une  conception  et  d'une 
ordonnance  poétiques  plus  étendues,  c'est  ce  que  l'on  verra, 
s'il  continue  à  marcher  dans  cette  nouvelle  carrière  de  poésie 
sacrée,  non  pas  en  n'écoutant  que  ses  .sentimens  intérieurs, 
mais  en  s'attacbant  aux  modèles  et  aux  sources  de  l'Ecriture 
et  de  la  tradition  chrétienne. 

Puisse  du  moins  sa  musc  conserver  toujours  la  même  force! 
car  cette  muse,  ainsi  que  son  amour,  n'est  pas  un  feu  d'en- 
thousiasme superficiel ,  mais  une  dévorante  flamme  ,  qui  pé- 
nètre jusqu'à  la  moelle,  comme  la  puissance  de  cette  parole, 
qui  sépare  l'esprit  et  l'âme  et  devant  laquelle  tremblent  tous 


OPINION    DE    FRÉDÉRIC    SGHLEGEL.  345 

ses  sens  comme  nne  victime.  De  même  que  ,  dans  la  fable 
païenne,  Ganymède  emporte'  par  l'aigle  de  Jupiter  est  jeté' 
tremblant  aux  pieds  des  dieux,  de  même  il  est  saisi  d'un  ef- 
froi sacre',  lorsque  l'aile  de  flamme  de  l'inspiration  a  touclié 
son  cœur.  Ses  e'motions  ne  sont  pas  moins  vives  ,  quand  il 
s'abandonne  tout  entier  au  jeune  souvenir  de  sa  bien-aime'e 
perdue.  Mais  bien  autrement  sublime  s'e'lève  son  vol  dans  les 
re'gions  supe'rieures  de  l'enthousiasme  poe'tique,  lorsque  e'mu, 
de'chire'  au  spectacle  du  monde  qui  s'écroule  et  de  l'univer- 
selle incrovance  que  ne  peuvent  arracher  d'un  sommeil  lé- 
thargique ni  la  merveilleuse  magnificence  de  la  nature,  ni  les 
grandes  catastrophes  de  l'humanité' ,  il  ouvre  ainsi  passage  à 
ses  de'sirs  brûlans  : 

Réveille-nous ,  grand  Dieu  !  parle  et  change  le  monde  ; 
Fais  entendre  au  néant  ta  parole  féconde. 
Il  est  temps  !  lève-toi  !  sors  de  ce  long  repos  ; 
Tire  un  autre  univers  de  cet  autre  chaos. 
Change  l'ordre  des  cieux  qui  ne  nous  parle  plus  ! 
Lance  un  nouveau  soleil  à  nos  yeux  éperdus! 
Détruis  ce  vieux  palais  indigne  de  ta  gloire  ; 
Viens  !  montre-toi  toi-même  et  force-nous  de  croire  ! 

Hauteurs  sublimes  de  la  poe'sie ,  où  elle  devient  une  avec 
la  divine  ve'rite'  !  Ainsi  s'exprimait  dans  les  chants  sacre's  et 
dans  les  grandes  pre'dictions  inspire'es  de  l'ancienne  alliance  le 
de'sir  brûlant,  la  sainte  impatience  de  voir  arriver  le  jugement 
du  monde  et  d'effrayans  mais  salutaires  coups  de  destruction 
divine.  La  poésie,  dont  nous  entendons  ici  les  premiers  sons, 
n'est  ])lus ,  comme  l'ancienne  poésie  ,  consacrée  aux  beaux 
souvenirs  et  au  passé  ;  elle  est  entièrement  appliquée  à  la  plus 
haute  inspiration  divinatrice  de  l'avenir.  Sans  doute  il  faudrait 
la  poitrine  et  la  voix  du  prophète,  pour  porter  jusqu'à  une 
force  entière,  une  complète  clarté,  ce  premier  essor  de  l'en- 
thousiasme le  plus  hardi  ,  et  afin  qu'il  ne  se  bornât  pas  à  de 
simples  fragmens.  Mais  le  poète  ne  plane  pas  toujours  sur  ces 
redoutables  hauteurs;  il  sait  aussi,  descendant  à  des  tons  plus 
doux  sur  le  même  sujet  et  dans  le  même  sentiment ,  faire  vi- 


346  OPINION    DE    FRÉDÉRIC    SCHLEGEL. 

bi'er  les  cordes  de  l'âme  humaine  ,  comme  ,  par  exemple  , 
dans  cette  strophe  qui  termine  d'une  manière  si  belle  et  si 
suave  le  recueil  entier ,  et  par  laquelle ,  nous  aussi ,  nous  ter- 
minerons cette  annonce  : 

Silence ,  ô  lyre  !  et  vous  silence , 

Prophètes,  voix  de  l'avenir  ! 

Tout  l'univers  se  tait  d'avance 

Devant  celui  qui  doit  venir  ! 

Fermez-vous  lèvres  inspirées  ; 

Reposez-vous  harpes  sacrées  , 

Jusqu'au   jour  où  ,  sur  les  hauts  lieux  , 

Une  voix,  au  monde  inconnue, 

Fera  retentir  dans  la  nue  : 

Paix  sur  la  terre,  et  gloire  aux  cieux  ! 

De  tels  accords,  pleins  de  l'amour  le  plus  doux,  me'ritent 
de  pre'ce'der  aussi  la  renaissance  du  verbe  inte'rieur  et  e'ternei 
dans  le  monde  de  la  poësie. 


Dans  l'e'dition  de  ses  œuvres  complètes  ,  que  Fr.  Scblegel 
avait  commence'  de  publier  lui-même,  mais  qui  est  reste'e 
inacbeve'e,  on  lit  (t.  X™« ,  p.  256  et  suiv.  )  à  la  date  de  1824, 
une  longue  note  de  huit  pages  ajonte'e  an  morceau  pre'cedent. 
Quoique  cet  appendice  renferme  plusieurs  choses  intéressantes, 
nous  n'avons  point  voulu  le  joindre  à  notre  traduction ,  parce 
que  nous  ne  partageons  nullement  l'ide'e  principale  qui  y  est 
exprime'e,  savoir  que,  dans  la  deuxième  partie  de  ses  Médi- 
tations poétiques  ,  Lamartine  aurait  de'vié  du  vol  qu'il  avait 
pris  dans  la  première.  Il  faut  dire,  au  reste,  que  Scblegel  n'a- 
bandonnait pas ,  pour  cela ,  l'espoir  de  voir  Lamartine  s'e'le- 
ver  de  nouveau  à  cette  haute  re'gion  de  poe'sie  religieuse,  qu'il 
regardait  comme  le  domaine  naturel ,  comme  la  vocation  de 
notre  plus  grand  poète.  Si  le  roi  de  la  critique  allemande  avait 
ve'cu  une  année  de  plus,  il  aurait  entendu  les  Harmonies ,  et 
aurait  donne  raison  à  ses  espe'rances.  —  B.ei>ue  Européenne , 
n-XXXVII. 


^W\  WVWWWX  WVi.-V'WVl  WVW\»AA.  VWWVVW  WVVWVWWV 


347 


SUR    IiES    MISSIONS    BU    I.EVANT. 

On  sait  que  M.  Auvergne  ,  ecclésiastique  français  et  membre 
d'une  congrégation  estimable  ,  a  été  pourvu  l'année  dernière  par 
la  Propagande  d'uu  titre  d'évêché  in  parlibus  ,  et  envoyé  comme 
délégué  ou  délégat  dans  les  missions  du  Levant.  Il  fut  sacré  à  Rome 
le  I*'  mai  i833  ,  sous  le  titre  d'archevêque  d'Icone.  Il  est  en 
outre  vicaire  apostolique  d'Hierapolis.  Il  doit  résider  spécialement 
au  Mont-Liban;  mais  sa  mission  s'étend  en  Chypre,  en  Egypte, 
en  Syrie  et  en  Arabie.  Il  a  la  juridiction  sur  tous  les  Latins  qui 
se  trouvent  dans  ce  pays,  excepté  sur  les  Pères  de  la  Terre-Sainte, 
qui  ne  relèvent  que  du  Pape.  Comme  délégat  du  Saint-Siège,  il  a 
encore  une  mission  particulière  auprès  des  diffe'rentes  communions 
catholiques  répandues  dans  ces  contrées  ,  comme  les  Cophtes  ,  les 
Melchites  ,  les  Maronites  et  les  Arméniens.  Chacune  de  ces  com- 
munions a  un  patriarche  et  plusieurs  évêques.  Le  dëlégat  entre- 
tient leurs  rapports  avec  Rome,  et,  d'Antoura  ,  où  il  réside,  il 
se  rend  dans  les  différentes  provinces  qu'il  doit  visiter. 

M.  l'archevêque  d'Icone  s'embarqua  à  Toulon ,  le  2  novembre  , 
sur  la  corvette  la  C  orné  lie  ;  il  était  accompagne' de  M.  l'abbé  Gui- 
noir,  supérieur  du  petit-séminaire  de  Beaucaire,  que  le  zèle  en- 
core plus  que  l'amitié  avaient  porté  à  se  consacrer  à  cette  mis- 
sion. Le  21  novembre,  ils  arrivèrent  à  Napoli  de  Remanie,  où  ils 
furent  transfe'rés  sur  la  gabarre  la  Lamproie.  Ils  débarquèrent  à 
Smyriie  le  2  décembre.  M.  Hillereau,  évêque  de  Calëdonie  et  vi- 
siteur apostolique  à  Smyrne,  les  accueillit  avec  bonté.  Ce  prélat 
est  aussi  Français,  et  était  arrivé  depuis  peu  de  temps  dans  cette 
mission.  M.  l'archevêque  d  Icône  et  M.  Guiuoir  acceptèrent  l'hos- 
pitalité que  leur  offrirent  MM.  de  Saint-Lazare,  qui  ont  une  mai- 
son à  Smyrne.  Le  jour  de  la  fcte  de  la  Conception,  ils  assistèrent 
à  l'oflico  dans  l'cglise  des  récollets  ,  trois  évêques  y  e'taient  réunis, 
M.  Hillereau,  M.  Auvergne,  et  un  évêque  arménien,  iM.  Paj)as , 
qui  est  âgé,  et  qui  s'est  retiré  h  Smyrne.  Les  prélats  furent  e'difiés 
du  recueillement  des  pieux  chrétiens  qui  assistaient  à  l'oflice. 

Le  19  décembre,  M.  d'Icone,  et  son  grand-vicaire  ,  M.Guinoir, 


348 


SUR    LE8    MISSIONS    DU    LEVANT. 


s'embarquèrent  sur  la  gabarre  P Astrolabe.  Ils  passèrent  le  jour  de 
Noël  dans  la  rade  de  Macri,  visitèrent  les  monumeus  de  l'île  de 
Rhodes,  et  arrivèrent  le  i*^^  janvier  à  Alexandrie,  où  ils  célébrè- 
rent la  messe  dans  l'église  desservie  par  le  Pèrede  la  Terre-Sainte. 
Le  3  janvier,  on  remit  à  la  voile,  et  l'on  arriva  le  8  à  Bairout, 
où  les  missionnaires  furent  accueillis  par  M.  Guis,  consul  de  France. 
Ils  se  louent  beaucoup  de  son  zèle  pour  la  religion  et  des  exem- 
ples qu'il  donne ,  lui  et  sa  famille.  Au  bout  de  deux  jours,  les  deux 
missionnaires  arrivèrent  à  Antoura  ,  terme  de  leur  voyage.  Leurs 
premiers  soins  furent  de  reconnaître  l'état  des  choses  et  de  visiter 
les  patriarches  qui  re'sident  au  Mont-Liban.  Ils  conservèrent  le 
costume  européen  j  seulement  ils  laissèrent  croître  leur  barbe ,  sui- 
vant l'usage  du  pays. 

Le  quatrième  dimanche  de  carême,  le  prélat  et  son  grand-vicaire 
ouvrirent  une  mission  à  Bairout ,  une  des  principales  villes  de  Sy- 
rie. Elle  fut  annoncée  par  un  mandement  adressé  à  tous  ceux  qui 
appartenaient  au  rit  latin.  Il  y  avait  quatre  missionnaires  ,  deux 
pour  les  Francs  et  deux  pour  les  Arabes.  On  faisait  à  chacun  d'eux 
des  iuslruclions  dans  leur  langue.  Bientôt  l'église  devint  insuffisante 
pour  les  uns  et  pour  les  autres.  Il  fallait,  pour  les  Arabes  surtout, 
prendre  deux  jours  dans  la  semaine  pour  leur  donner  des  instruc- 
tions à  part.  Elles  furent  suivies  aussi  régulièrement  que  celles  de 
l'église  paroissiale  ,  et  entendues  avec  des  marques  touchantes  de 
piété  et  de  componction.  Les  exercices  avaient  lieu  le  matin  et  le 
soir;  le  matin,  après  la  prière  et  la  messe  que  le  prélat  célébrait, 
on  prêchait  en  arabe  ;  le  soir  il  y  avait  toujours  glose  et  discours. 
Quand  le  discours  e'tait  en  français ,  la  glose  était  en  arabe ,  et  ré- 
ciproquement. Quelques  Francs  formaient  les  chœurs  de  cantiques. 
Cet  exercice  a  tellement  plu  aux  Arabes,  qu'ils  ont  demandé  qu'on 
l'établît  aussi  dans  leur  église.  L'amende  honorable ,  le  renouvelle- 
ment des  vœux  du  baptême  et  la  consécration  à  la  Sainte-Vierge  ont 
été  remarquables  par  les  bons  efléts  que  ces  cérémonies  ont  produits. 
Le  Vendredi-saint,  on  fitja  plantation  de  la  croix.  Le  samedi,  le 
prélat  baptisa  une  jeune  négresse.  Il  ouvrit  et  ferma  la  mission  par 
des  discours. 

Il  voulut  établir  des  retraites  ecclésiastiques  au  Mont-Liban  ,  et 
la  première   a  eu   lieu  au    mois  d'avril    dernier.   Il  se  proposait 


SUR    LES    MISSIONS    DO    LEVANT.  349 

d'aller  à  Alep,  où  il  avait  à  traiter  des  affaires  importantes.  Son 
intention  e'tait  de  visiter  successivement  l'île  deCbjpre,  l'Egypte, 
la  Palestine,  Damas  et  la  Syrie.  Il  avait  vu  Ibrahim  a  Bairout,  et 
en  avait  été  bien  reçu ,  toutefois  sans  présent.  Il  se  fit  traduire  en 
turc ,  dans  le  moment  même ,  la  lettre  du  général  Lahitte ,  et 
l'écouta  avec  intérêt.  M.  l'archevêque  d  Icône  se  louait  beaucoup  de 
la  coopération  et  du  zèle  de  M.  Guinoir,  et  le  res])ectable  grand- 
•vicaire  se  félicitait,  de  son  côté,  d'être  avec  un  prélat  si  pieux, 
si  actif,  si  dévoué  à  tout  ce  qui  est  du  bien  de  la  religion.  Cette 
mission  doit  exciter  un  vif  intérêt  parmi  tous  ceux  qui  souhaitent 
le  bien  de  l'Eglise  et  le  salut  des  âmes. 

La  disette  des  ouvriers  est  grande.  MM.  de  Saint-Lazare  en  ont 
envoyé  quelques-uns.  Trois  jésuites  ,  les  pères  Riccadonna  et  Flan- 
chet, et  le  frère  Henze  ,  sont  arrivés  au  JVlont-Liban  en  i83i.Ils 
doivent  être  suivis  de  quelques  autres.  Ils  ont  commencé  deux  éta- 
blissemens ,  l'un  au  centre  du  Mont-Liban,  l'autre  dans  la  plaine 
de  Balbek.  Ils  ont  trouvé  dans  le  pays  le  souvenir  des  anciens 
jésuites.  Il  leur  a  fallu  d'abord  apprendre  l'arabe,  et  puis  se  met- 
tre à  voyager.  Le  pays  est  divisé  en  plusieurs  religions.  On  distin- 
gue d'abord  en  Syrie  les  Grecs  schismatiques,  les  Grecs  catholiques 
et  les  Maronites.  Il  y  a  des  Arméniens  ,  des  Mahométans  de  di- 
TCrses  sectes ,  et  des  idolâtres ,  comme  les  Druses.  Ceux-ci  ont 
moins  d'éloignement  pour  le  christianisme  que  les  Mahométans.  Il 
n'est  même  pas  impossible ,  en  certains  lieux ,  de  faire  connaître 
la  vérité  aux  Mahométans  ;  car  le  prince  du  Liban  étant  chrétien , 
quoique  vassal  des  musulmans,  on  n'a  point  à  craindre  dans  ce 
territoire  les  mêmes  persécutions  qu'occasionnerait  une  abjuration 
dans  les  pays  immédiatement  soumis  à  la  domination  musulmane. 

Dans  l'été  de  i833  ,  les  pères  Planchet  et  Riccadonna  firent  une 
excursion  à  Damas  et  à  Zahlet.  A  Damas  ,  ils  furent  reçus  chez  /es 
franciscains.  Ils  officièrent  le  jour  de  Saint-Vincent-cle-Paul  chez 
les  lazaristes  qui  occupent  l'ancienne  maison  des  jésuites.  H  y  a 
dans  cette  ville  deux  lazaristes,  MM.  Poussou  et  Teste,  et  un 
seul  capucin,  le  père  Thomas.  On  compte  à  Damas  de  5  à  6000  chré- 
tiens du  rit  grec  uni  ;  les  schismatiques  sont  à  peu  près  en  égal 
nombre.  Les  musulmans  se  sont  emparé  de  l'ancienne  cathédrale, 
dont  ils  ont  fait  une  mosquée.  Le  fanatisme  mahométau  s'est  cou- 


350  DESCBIPTIOÎT    DE    TOLEDE. 

serve  dans  toute  sa  force  à  Damas.  De  cette  ville ,  les  mission- 
naires se  rendirent  à  Zalilet ,  petite  ville  sur  les  limites  de  la 
grande  plaine  de  Balbek.  Ils  y  furent  reçus  à  bras  ouverts  par  le- 
vêque  grec-uni,  M.  Ignace  Âggiuri,  chez  lequel  ils  passèrent  onze 
jours.  Au  retour,  ils  visitèrent  les  ruines  de  Balbek,  qui  est  l'an- 
cienne Hëliopolis  ;  ou  y  remarque  les  ruines  imposantes  du  temple 
du  Soleil.  Au  Liban,  ils  passèrent  quelques  jours  chez  le  patriarche 
maronite,  qui  était  à  sa  maison  de  campagne,  et  visitèrent  le  cou- 
vent Cannubin,  résidence  ordinaire  du  patriarche. 

Depuis  ,  les  missionnaires  ont  été  obligés  de  quitter  Antoura.  Le 
père  Riccadonna  sest  fixé  à  Bekfaya ,  au  centre  du  Mont  Liban, 
cil  un  e'mir  lui  a  bâti  une  maison.  Un  autre  prince  maronite  en 
bâtit  une  pour  le  père  Planchet  en  face  de  la  grande  plaine  de 
Balbek,  entre  deux  villages,  Zahlet  et  Malaka  ,  où  se  trouvent 
réunis  4  ^  5ooo  chre'tiens.  Ces  chre'tiens  sont  pauvres  et  ignorans. 
Les  missionnaires  ont  beaucoup  à  souffrir  de  la  pauvreté;  mais  la 
perspective  défaire  quelque  bien  les  soutient.  Déjà  le  père  Planchet 
a  fait  de  grands  fruits  à  Bairout,  à  Blaler  et  en  d'autres  lieux.  Il 
exerce  en  même  temps  la  médecine  ;  les  chre'tiens  et  les  infidèles 
s'empressent  également  de  le  consulter.  Le  frère  Henze  passe  aussi 
pour  être  très-habile  dans  l'exercice  de  la  médecine. 

Nous  tirons  ces  détails  d'une  lettre  de  M.  Guiuoir,  dont  on  a 
Lien  voulu  nous  communiquer  un  extrait ,  et  de  plusieurs  autres 
lettres  rapportées  dans  le  n"  xxxvii  des  Annales  de  la  Propaga- 
tion de  la  Foi.  Il  est  consolant  de  voir  les  premiers  succès  des 
missionnaires  français  dans  les  pays  infidèles. 


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DESCRIPTION    DE    TOLEDE. 

L'impression  particulière  que  fait  e'prouver  cette  vieille  capitale 
de  l'empire  des  Vi.'jigoths ,  ce  séjour  favori  de  tant  de  rois  de  Cas- 
tille,  qui  n'a  retenu  de  son  ancien  éclat  que  de  nombreux  monumens 
d'architecture  et  le  surnom  d'impériale  {la  impérial  Tolède)  ,  est 
encore  augmentée  par  le  contraste  qu'elle  offre  ,  lorsqu'on  la  com- 
pare à  Madrid  ,  la  nouvelle  capitale ,  avec  ses  bâtisses  récentes  et 


DESCRIPTION    DE    TOLEDE.  351 

son  mauvais  goût  moderne.  Le  pays  entre  Madrid  et  Tolède  est 
nn,  assez  inégal,  et  s'élevant  insensiblement  jusqu'aux  hauteurs 
rocailleuses  de  la  Sierra  de  Toledo.  On  arrive  à  travers  une  étroite 
vallée  à  un  enfoncement  entouré  de  roebers,  que  circonscrit  le  Tage 
et  au  milieu  duquel,  sur  une  colline  escarpée  en  forme  de  terrasse, 
s'ëlève  Tolède  avec  ses  vieux  murs  ,  ses  vieilles  tours,  ses  portes, 
ses  débris  antiques ,  sa  magniflque  cathédrale  et  les  ruines  de  son 
Alcazar.  Cet  amphithéâtre  de  rochers  qui  empêche  toute  vue  éloi- 
gnée, excepte'  de  quelques  points  très-élevés  de  la  ville,  ne  laisse 
place  qu'à  une  petite  plaine  entre  la  ville  et  les  collines  les  plus 
prochaines  :  cette  plaine  qui  s'étend  le  long  du  Tage,  bruyant  et 
écumeux  du  côté  où  il  sort  de  Tolède,  est  si  petite,  que  le  nom 
de  Vega  qu'on  lui  donne  ,  a  l'air  d'une  de'rision.  Quelques  e'troits 
jardins  s'abritent  à  l'ombre  du  mur  de  rochers  qui  domine  la  ville, 
et  ne  peuvent  plaire  aux  yeux  (  on  les  appelle  las  delicias  )  que 
parce  qu'ils  reposent  des  aspects  âpres,  dépouilie's ,  pierreux  du 
pays  environnant  :  c'est  pourtant  là  que  la  tradition  place  les  pa- 
lais et  les  jardins  enchante's  des  princesses  mauresques. 

Le  caractère  géne'ral  de  la  ville  est  d'accord  avec  la  nature  sé- 
vère qui  l'environne.  Des  murs  épais  et  de  fortes  tours  ferment 
l'entrée  de  l'espèce  de  presqu'île  sur  laquelle  la  ville  est  bâtie.  L'é- 
le'gant  écusson  sculpté  sur  la  première  porte  {puerta  de  Bisagra) , 
présente  l'aigle  autrichien  près  des  armoiries  d'Aragon  et  de  Cas- 
tille ,  et  rappelle  l'époque  mémorable  pour  l'Espagne  ,  l'Europe  et 
le  Nouvcau-3Ionde,  où  les  deux  monarchies  espagnole  et  autrichienne 
s'unirent  par  le  mariage  de  l'archiduc  Philippe  avec  Jeanne -la- 
Folle,  fille  de  la  magnanime,  de  la  sage,  de  la  pieuse  Isabelle 
et  de  l'habile  politique  Ferdinand.  Ce  sont  les  rois  catholiques  dont 
la  mémoire,  ainsi  que  celle  de  leur  ministre,  le  cardinal  Ximcnès , 
est  honorée  du  peuple  espagnol  plus  que  celle  de  tous  leurs  autres 
princes,  en  dépit  des  jugcmens  défavorables  des  historiens  éclaiiés  : 
ce  sont  ceux  dont  le  gouvernement  a  donné  pour  des  siècles  au 
caractère  national  sa  direction  et  ses  qualitr's  fondamentales  ;  la 
fide'lité  monarchique  et  la  piété  catholique  ;  qualilc's  qui  n'ont  jamais 
de'ge'néré  en  une  aveugle  servilité ,  grâce  à  l'indépendance  des  cor- 
porations et  à  la  fierté'  espagnole ,  fondée  sur  de  grandes  actions  et 
le  souvenir  qu'elles  ont  laissé.  Sur  la  seconde  porte  ,  deux  colon- 


352  DESCRIPTION    DE    TOLEDE. 

nés  et  la  devise  bien  connue  :  «  Plus  oultre ,  »  rappellent  la  plus 
magnifique  efflorescence  de  la  vie  du  peuple  espagnol  au  xvi°  siè- 
cle ,  sous  Charles-Quint, 

De  ce  premier  et  imposant  boulevard  ,  on  se  rend  le  long  des  plus 
antiques  murailles  de  la  ville ,  à  la  porte  véritable  d'entrée,  la 
puerta  dcl  Sol.  Son  architecture  mauresque,  les  ceintres  en  fera 
cheval  de  la  porte  et  des  fenêtres ,  les  élegans  ornemens  en  forme 
d'arabesques,  la  main  avec  la  clef,  symbole  de  salut  pour  les  fidèles 
Musulmans,  l'inscription  en  caractères  arabes  :  Honneur  soif,  à 
Dieu ,  il  n'y  a  pas  d'autre  Dieu  que  Dieu.,  et  Mahomet  est  son 
■prophète,  tout  cela  réveille  bien  vivement  le  souvenir  des  merveil- 
les de  la  domination  arabe  en  Espagne ,  du  khalifat  des  Ommiades, 
de  celte  lutte  de  sept  siècles  entre  l'élément  chrétien  et  romain ,  et 
l'élément  mahométan  et  arabe ,  si  féconde  de  deux  côtés  en  he'ros 
de  la  poésie  et  de  l'histoire ,  et  qui  semble  concentrée  ici  dans  un 
espace  resserré  comme  dans  un  microcosme.  Quand  on  entre  dans 
les  étroites  et  tranquilles  rues  de  la  ville ,  les  souvenirs  historiques 
de  toutes  les  époques  de  la  monarcliic  espagnole  s'offrent  en  telle 
quantité  que  nous  ne  pouvons  entreprendre  de  les  détailler.  La  do- 
mination romaine  a  aussi  laissé  ici  ses  traces  puissantes  auprès  de 
celles  de  la  monarchie  bâtarde  des  Visigoths.  A  côté  de  la  porte  de 
Cembron  se  trouvent  les  restes  d'un  théâtre  :  plus  loin ,  sur  les 
bords  du  fleuve,  celles  d'un  aqueduc.  La  domination  des  Goths  est 
rappelée  par  les  ruines  d'une  chapelle  où  doivent  s  être  tenus  les 
antiques  Conciles  de  Tolède ,  et  aussi  les  grandes  statues  des  rois 
de  cette  race  à  la  puerta  de  los  Rayes ,  quoique  ce  soient  des  por- 
traits de  fantaisie  faits  à  une  époque  postérieure.  Le  caractère  do- 
minant des  édifices  est  celui  du  moyen-âge,  depuis  les  temps  les 
plus  anciens  jusqu'à  la  pleine  floraison  de  l'architecture  gothique  : 
c'est  souvent  aussi  l'architecture  du  xvi*  siècle,  moins  indépendante, 
moins  pure  et  moins  grandiose  dans  ses  masses;  mais  si  riche  et  si 
cbarmante  dans  ses  détails,  que  l'école  d'Herrera  a  élevée  à  la  sim- 
plicité la  plus  noble  et  la  plus  originale.  L'une  et  l'autre  se  repro- 
duisent à  Tolède  sous  toutes  les  formes,  dans  de  grands  et  de  petits 
bâtimens  ,  dans  des  édifices  entiers  et  dans  des  parties  isolées  ;  et 
l'impression  qu'on  en  reçoit  est  rarement  troublée  par  un  monu- 
ment de  la  barbarie  des  xvii''  et  xvii^  siècles,  encore  moins  par 


DESCRIPTION    DE    TOLEDE.  353 

une  production  du  style  acade'mique ,  meilleur  assure'ment ,  de  l'é- 
poque actuelle. 

Au-dessus  de  tous  les  monumens  de  cette  ville  -vraiment  histo- 
rique, s'élève  la  cathédrale.  Dans  ses  plus  vieilles  et  ses  principales 
parties ,  qui  sont  de  la  fia  du  xiii"  siècle  et  du  commencement 
du  xiv°  ,  l'unité  architectonique  est  souvent  brisée  par  des  construc- 
tions des  deux  siècles  suivans  ;  mais  la  beauté  de  ces  appendices 
laisse  à  peine  le  courage  de  regretter  ce  défaut.  L'intérieur  de  l'é- 
glise répond  à  la  richesse  de  l'architecture  et  de  la  statuaire  qui 
en  ont  orné  les  dehors.  C'est  un  tel  trésor  de  tableaux,  de  sculp- 
tures en  or ,  en  argent ,  en  marbre  et  en  bois ,  de  châssis ,  de  ta- 
bourets ,  de  grilles,  de  tombeaux  et  de  stalles,  que  c'est  comme 
la  révélation  de  tout  un  monde  de  l'art  du  moyen  âge ,  non  ras- 
semblé au  hasard ,  ou  systématiquement  par  un  faiseur  de  collections, 
mais  oîi  tout  est  lié  par  les  lois  organiques  qui  ont  présidé  au  dé- 
veloppement de  la  civilisation  espagnole,  dont  le  foyer  puissant 
était  l'Eglise  ,  qui  a  élevé  ce  monument  de  sa  magnificence  5  un 
monde  qu'on  ne  peut  regarder  quà  la  hâte  et  superficiellement  en 
plusieurs  jours,  et  où  l'on  pourrait  trouver  de  l'intérêt  et  des  jouis- 
sances pour  toute  une  vie  d'homme.  Il  y  a  pourtant  |des  gens  qui 
trouvent  Tolède  horriblement  ennuyeuse.  — Esquisse  de  P  Espagne  y 
par  HuBER ,  tome  III, 


354 


V\/V  VVV  VVV  UVX  VVX  V^A.  VVV  l'I'V  VVV  VVVVA;^  vA^  VVV  V\AI  VVV  V\^  VXA- V  bVVVV  V\^  VV\  V^A' V*^ 


AVERTISSEMENT  SUR  I.'ENSEIGN£MENT  DE  M.BAUTAZN, 

PAR    M.     l'ÉvÈQUE    de    STRASBOURG    (l). 

On  a  ouï  parler  d'une  école  particulière  qui  s'est  forrae'e  à 
Strasbourg  ,  et  d'an  enseignement  nouveau  qui  s'est  produit 
soit  dans  des  e'crits  imprime's ,  soit  dans  un  cours  public. 
M.  le'vêque  de  Strasbourg  n'a  pas  cru  pouvoir  se  dispenser 
d'e'lever  la  voix  contre  l'enseignement  d'un  prêtre  de  son  dio- 
cèse, h' Avertissement  que  nous  annonçons,  et  qui  est  date'  du 
i5  septembre  dernier,  est  une  re'clamation  motive'e  contre  des 
doctrines  te'me'ralres  et  dangereuses.  Ne  pouvant  reproduire 
cette  pièce  en  entier,  elle  a  53  pages,  sans  compter  l'Appen- 
dix ,  nous  nous  bornerons  à  quelques  extraits  qui  feront  juger 
de  la  gravite'  des  matières  en  discussion  et  de  la  mode'ration 
avec  laquelle  M.  l'e'vêque  a  proce'de'  dans  cette  affaire.  Le  pre'lat 
s'adresse  ainsi  au  cierge'  et  aux  fidèles  de  son  diocèse  : 

«  Lorsque  nous  sommes  arrivé  dans  ce  grand  et  beau  dio- 
cèse, nous  e'tions  bien  loin  de  pre'voir  les  tristes  e'preuves  qui 
nous  y  attendaient,  et  qui  nous  sont  venues  de  ceux  qui,  ou- 
bliant leurs  promesses  sacre'es,  n'ont  re'pondu  à  notre  bienveil- 
lance que  par  l'insurbordination.  Mais  aucune  ne  nous  a  frappé 
si  douloureusement  au  cœur  que  celle  dont  nous  nous  voyons 
contraint  de  vous  entretenir,  après  avoir  inutilement  tenté  d'en 
écarter  la  nécessité.  Faut-il  qu'une  fin  si  affligeante  succède  au 
plus  heureux  début  ! 

»  A  peine  étions-nous  établi  à  Strasbourg ,  que  le  professeur 
académique  de  philosophie  vint  nous  ouvrir  son  cœur.  Il  nous 
confia  que,  devenu  déiste  au  sortir  du  collège,  et,  depuis, 
toujours  mécontent  de  lui-même ,  il  n'avait  cessé  de  chercher 
la  vérité  dans  les  livres,  en  France  et  en  Allemagne;  et  qu'en- 
fin, ayant  eu  le  bonheur,  il  y  avait  plus  de  trois  ans  ,  d'ou- 


(i)  In-8o.  A  Paris,  chez  Potey  ,  rue  du  Bac,  u"  4^- 


AVERTISSEMENT    SUR    1,'eNSEIGNEMENT  ,    ETC.  355 

yrlr  l'Evangile,  il  y  avait  troavë  cette  vraie  philosophie,  dont 
il  avait  long-temps  senti  la  soif  et  le  hesoin.  Nons  le  félicitâ- 
mes du  changenoent  que  la  grâce  avait  ope're'  eu  lui.  Il  ajouta 
que  depuis  cette  heureuse  e'poque  de  sa  vie  ,  il  s'e'tait  donné 
tout  entier  à  la  lecture  de  nos  plus  grands  the'ologiens ,  tels 
que  Pascal  et  Bossuet ,  Bourdaloue  et  Masillon  ,  et  à  une  e'tude 
approfondie  de  la  religion.  Ce  qui  mettrait  le  comble  à  son 
bonheur,  nous  dit-il  ensuite,  serait  d'entrer  dans  l'e'tat  ecclé- 
siastique, et  de  devenir  an  des  apologistes  d'une  religion  trop 
long-temps  méconnue.  Sachant  sa  position  dans  l'Université , 
et  celle  de  ses  élèves  convertis  par  ses  soins ,  nous  convînmes 
qu'ils  se  rendraient  à  Molsheini,  que  pour  lui  il  suivrait  en 
son  particulier  et  dans  les  mêmes  auteurs  les  grandes  questions 
théologiques  que  l'on  y  étudiait  sous  la  direction  d'un  habile 
ecclésiastique. 

))  Nous  devons  à  la  vérité  de  déclarer  que  nos  conventions 
furent  fidèlement  observées.  Ses  anciens  élèves  ,  devenus  ceux  de 
Molsheim ,  nous  édifièrent  par  leur  piété,  leur  assiduité  à  l'é- 
tude, comme  ils  nous  attachèrent  par  l'aménité  de  leurs  mœurs, 
la  simplicité  et  la  candeur  de  leur  conversation.  Les  uns  et  les 
autres  obtinrent  successivement  les  ordres  j  et  nous  nous  féli- 
citâmes de  ces  nouvelles  conquêtes  pour  notre  diocèse.  Plus 
lard  cependant  des  inquiétudes  nous  furent  communiquées  sur 
quelques  points  de  leur  doctrine  particulière.  Nous  examinâ- 
mes 5  les  explications  données  par  leur  premier  maître  et  par 
enx-mêmes,  nous  firent  penser  que  peut-être  un  peu  de  ja- 
lousie avait  donné  lieu  h  des  plaintes  non  fondées.  Nous  crû- 
mes donc  devoir  par  la  suite  accéder  à  la  demande  qu'ils  nous 
firent  de  prendre  la  direction  de  notre  petit-séminaire,  nou- 
vellement acquis  à  grands  frais ,  et  sur  l  ordre  du  ministère. 
Ces  messieurs  s'offrirent  d'y  travailler  sans  émolument.  Dans 
nos  grands  embarras  de  finance,  cette  olFre  généreuse  ne  lais- 
sait pas  d  avoir  son  mérite  ;  elle  fut  acceptée.  La  maison  fut 
mise  sur  un  bon  pied  ,  les  enf'ans  soignés  et  bien  tenus.  Nous 
nous  applaudissions  ;  mais  pourtant  des  rapports  fâcheux  sur 
l'enseignement  de  la  philosophie  nous  arrivèrent  de  temps  en 
temps  :  nous  exigeâmes  qu'il  se  fît  en  langue  latine ,  comme 


356  AVERTISSEMENT    SUR    l'eNSEIGNEMENT 

dans  tons  les  petits-seminaires ,  et  que  la  philosopliie  de  Lyon 
oa  du  Mans  y  fût  enseigne'e.  Cela  lut  promis,  et  mal  exe'cuté. 
Nous  en  fîmes  des  reproches  au  supe'rieur  de  la  maison.  Ce 
fut  alors  que  nous  le  trouvâmes  lui-même  dans  des  opinions 
que  nous  jugeâmes  fausses  et  dangereuses.  Nous  espe'râraes  le 
ramener  lui  et  les  siens  par  la  conviction.  Nous  lui  envoyâmes 
les  e'crits  des  plus  grands  auteurs.  Nous  fîmes  même  pour  lai 
un  recueil  de  passages  des  Pères ,  et  nous  les  transcrivîmes  de 
notre  main.  Cependant  les  plaintes  redoublaient  de  la  part  de 
notre  cierge;  des  lettres  nous  arrivaient  des  provinces.  On  nous 
Llâmait  de  trop  d'indulgence.  Nous  re'pondîmes  que  le  mal  ne 
nous  e'iait  plus  inconnu ,  mais  que  la  voie  de  persuasion  nous 
semblait  pre'fe'rable  à  tout  e'clat  pre'mature.  Nos  entretiens  con- 
fidentiels avec  le  professeur  se  renouvelèrent,  mais  sans  nous 
satisfaire.  Ses  explications  n'avaient  pas  l'ouverture  franche  et 
pre'cise  que  nous  de'sirions.  Nous  prîmes  donc  le  parti  de  lui 
adresser  six  questions  ,  auxquelles  il  attacherait  ses  re'ponses. 
Alors  le  danger  et  le  faux  de  sa  doctrine  parurent  à  de'couvert. 
Nous  en  avertîmes  les  principaux  personnages  qui  lui  e'taient 
le  plus  attaches.  Ils  nous  montrèrent  un  vif  inte'rêt  pour  lui, 
en  de'clarant  ne'anmoins  qu'étant  prêtre  il  devait  obe'ir  à  son 
e'vêque.  Nous  eûmes  peu  après  un  dernier  entretien  avec  lui 
et  un  de  ses  principaux  élèves.  A  notre  grande  surprise,  nous 
le  trouvâmes  aussi  obstine  que  jamais;  nous  ne  pouvions  douter 
ne'anmoins  que  leurs  ze'Ie's  protecteurs  ne  leur  eussent  tenu  le 
même  langage  qu'à  nous. 

»  Enfin ,  après  avoir  inutilement  employé  les  deux  premiè- 
res règles  de  l'Evangile  :  «  Reprenez-le  en  particulier  ;  appelez 
un  ou  deux  te'moins  inflnens,  »  nous  nous  sommes  vu  oblige' 
d'en  venir  à  la  troisième  :  «  Parlez  à  l'Eglise.  » 

»  C'est  donc  à  vous  que  nous  devons  exposer  aujourd'hui 
les  questions  proposées  de  notre  part,  et  les  re'ponses  qui  leur 
ont  e'te'  faites  ;  nous  y  joignons  nos  observations.  » 

Nous  rapporterons  simplement  les  six  questions  proposées 
par  M.  l'évêque  ,  et  qui  sont  relatives  aux  principes  énoncés 
et  développés  dans  des  écrits  et  dans  renseignement  public  ou 
particulier  : 


DE    M.    BAUTAIN.  357 

«  I.  Pensez -VOUS  qne  le  raisonnement  seul  ne  saffit  pas  pour 
prouver  avec  certitude  l'existence  du  Cre'ateur,et  rinfmite'  de 
ses  perfections  ? 

»  2.  Pensez-vous  que  !a  réve'lation  mosaïque  ne  se  prouve 
pas  avec  certitude  par  la  tradition  orale  et  e'crite  de  la  syna- 
gogue et  du  christianisme? 

»  3.  Quant  à  la  re've'lation  chre'tienne ,  je  vous  demanderai 
si  la  preuve  tire'e  des  miracles  de  Je'sus-Clirist ,  sensible  et 
frappante  pour  les  témoins  oculaires,  a  perdu  sa  force  avec 
son  e'clat  vis-à-vis  des  ge'ne'rations  subse'quentes  ?  Ne  la  trou- 
vons-nous pas  en  toute  certitude  dans  l'authenticité  du  nouveau 
Testament ,  dans  la  tradition  orale  et  écrite  de  tous  les  chré- 
tiens ?  Et  n'est-ce  point  par  cette  double  tradition  qne  nous  de- 
vons la  démontrer  à  ceux  qui  la  rejettent  ou  qui,  sans  l'ad- 
mettre encore,  la  désirent? 

»  4-  Pouvez-vous  attendre  d'un  incrédule  qu'il  admette  1? 
résurrection  de  notre  divin  Sauveur,  avant  de  lui  en  avoir  ad- 
ministré des  preuves  certaines  ?  et  ces  preuves  ne  sont-elles  pas 
déduites  du  raisonnement? 

»  5.  Sur  ces  questions  diverses,  la  raison  ne  précède-telle 
point  la  foi,  et  ne  doit-elle  pas  nous  conduire  à  la  foi  ? 

»  ISota.  Cette  question  a  été  transférée  ;  du  n°  5  elle  a  été 
mise  à  la  tête  des  autres  ,  et  changée  dans  sa  rédaction  ,  comme 
il  suit  : 

«  La  raison  ne  précède-t-elle  pas  la  foi  dans  les  questions 
»   premières  et  fondamentales?  » 

»  6.  Quelque  faible  et  obscure  que  soit  devenue  la  raison 
parle  péché  originel,  ne  lui  rcstc-t-il  pas  assez  de  clarté  et  de 
force  pour  nous  guider  avec  certitude  à  l'existence  de  Dieu  , 
à  la  révélation  faite  aux  juifs  par  Moïse,  aux  chrétiens  p^r 
notre  adorable  Homme-Dieu?  » 

Nons  regrettons  de  ne  pouvoir  reproduire  les  réponses  du 
professeur  et  les  observations  dont  elles  sont  suivies  ;  nous  y 
suppléerons  par  une  sorte  de  résumé  qui  termine  V  Ai>ertî^sci)nnt. 
«  Nous  v(  nons  de  re'futer  sous  vos  yeux  les  notions  répan- 
dues dans  les  six  réponses  qui  nous  ont  été  fournies,  et  dont 
voici  brièvement  quelques  conséquence?. 

T.  X.  25 


358  AVERTISSEMENT    SUR    L'Eî<SEIG;yE5IENT 

«  1°  Si  le  spectacle  de  l'univers  ne  peut  sans  la  foi  nous 
donner  de  certitude  sur  l'existence  du  Cre'ateur  ,  saint  Paul  , 
l'auteur  divin  de  la  Sagesse  et  le  Prophète-roi  se  sont  trotnpe's, 
et  nous  trompent  en  même  temps  :  les  plus  anciens  philoso- 
phes (i),  les  Pères  de  l'Eglise,  les  premiers  ge'nies  du  chris- 
tianisme ,  tontes  les  nniversite's  chre'tiennes  ont  donne'  et  donnent 
encore   dans  une  erreur  commune. 

»  2°  Si  l'on  ne  peut  aujourd'hui  connaître  l'existence  de 
Dieu  par  les  preuves  qui  en  ont  convaincu  les  païens  ,  il  s'ensuit 
que  la  re've'lation  a  e'paissi  sur  notre  raison  les  te'nèbres  du 
paganisme,  et  que,  sous  ce  rapport,  nous  sommes  dans  une 
condition  pire  qu'ils  ne  furent  au  temps  de  l'idolâtrie. 

»  3"  En  supposant  que  les  incre'dules  auxquels  on  inculque 
la  ne'cessite  de  la  foi ,  pour  s'assurer  que  Dieu  existe  ,  soient 
capables  d'appre'cier  cette  ne'cessite'  suppose'e,  l'athée  ne  serait 
jamais  amené  au  théisme,  et  le  déiste  serait  repoussé  vers 
l'athéisme.  Car,  dira  l'athée,  comment  vouiez-vous  que  j'aie 
foi  en  un  Créateur  dont  vous  convenez  que  l'existence  n'est 
pas  démontrée  ?  Comment,  dira  le  déiste  ,  voulez  vous  que  j'aie 
foi  dans  le  Christ  dont  vous  avouez  que  les  miracles  ne  se  prou- 
vent pas,  ni  par  conséquent  la  divinité?  et  même,  puisque 
pour  croire  en  Dieu  vous  exigez  la  foi,  moi  qui  n'eu  ai  point, 
vous  me  condamnez  à  ne  pas  croire  en  lui. 

»  4'  Si  le  témoignage  des  hommes  ne  peut  jamais  donner 
de  certitude  aux  témoins  auriculaires  et  éloignés,  il  n'est  plus 
possible  d'en  obtenir  sur  la  divinité  de  la  révélation  chré- 
tienne :  en  vain  s'exprime-t-on  sans  cesse  avec  chaleur  sur  la 
foi,  l'Eglise,  nos  livres  saints,  sur  le  divin  Sauveur  des  hom- 
mes, sur  son  admirable  révélation,  ce  ne  sont  plus  là  que  des 
mots  pompeux  et  sans  conviction;  notre  croyance  est  vaine, 
ne  porte  sur  rien  :  tout  croule. 


(i)  Un  Mercure  trismégiste  en  Egypte,  un  Sanchoniaton  chez  les  Phé- 
niciens ,  un  Zoioastre  chez  les  Perses  ,  un  Confucius  chez  les  Chinois , 
un  Manothon  chez  le  Egyptiens,  un  Berose  Babylonien;  Pythagore, 
Socratc ,  Platon  ,  Xcnophon  chez  les  Grecs  ;  Cicéron  ,  Sénèque  ,  Pline 
et  tant  d'autres  chez  les  Romains. 


DE    iM.    BAUTAIN.  359 

»  Voilà  de  terribles  et  effrayantes  conse'quences  ,  et  pourtant 
certaines.  Si  on  ne  les  a  point  aperçues,  où  est  donc  la  science? 
Si  on  a  voulu  les  dissimuler,  ce  serait  mille   fois  pire.  Nous 
sommes  bien  loin  d'en  former  le  soupçon.  Deux  choses  ici  sont 
presque  inconcevables  :  l'une ,  que  le  professeur  ayant  enseigne' 
dix  ans  avant  notre  arrive'e ,  sa  doctrine  soit  reste'e  inconnue , 
au    point  que    personne   ne   nous  en   ait  donné  l'e'veil ,  avant 
qu'il  reçût  le  sous-diaconat;  car  assure'ment  il  ne   l'aurait  pas 
obtenu  sans  avoir  dépose'  ses  erreurs.  De  notre  côté,  comment 
aurions-nous   imaginé  qu'après   avoir  reconnu  dans  le  déisme 
un  Dieu  créateur,  il  vînt  dans  le  christianisme  enseigner  que 
sans  la  foi  on  ne  peut  être  assuré  de  son  existence?  La  seconde 
est  de  les  voir,  lui  et  les  siens,  maintenir  avec  une  confiance 
égale  à  leur  aveuglement  les  erreurs  palpables  que  nous  venons 
de  relever.  Nous  avons  tout  tenté  pendant  près  de  deux  ans 
pour  nous  épargner  le  chagrin  ,  à  nous  d'en  parler  hautement, 
à  eux  celui  de  l'entendre.  Nos  remontrances   ont    été   reçues 
avec  une  obstination   imperturbable,  souvent  dédaigneuse  et 
insultante.   On  est  aile  jusqu'à  nous  défier  de  publier  ces  ré- 
ponses  à   nos   questions  ;  tant    on   était  convaincu  ,  disait-on , 
qu'elles  ne  contenaient  que  la  plus  pure  doctrine,  fliaintenant 
que  la  vérité  paraît  à   découvert,  le  devoir  indispensable  du 
professeur  et  de  ses  élèves  est  de  condamner  eux-mêmes  les 
principes  que  nous  condamnons,  d'adopter  sincèrement  avec 
nous  ceux  que  l'Eglise  enseigne  à  tous  ses  enfans.  Persévérer 
contre  sa  doctrine  serait  se  séparer  d'elle ,  se  créer  un   parti 
et  faire  bande  à   part.  Que  dirait-on   d'un  capitaine   qui ,  en 
présence  de   Pennemi  ,  détacherait  sa  compagnie    d'un   corps 
d'armée?  Nous  sommes  en  guerre,  en  combat  perpétuel  avec 
les  ennemis  de  la  foi.  Notre  devoir  est  de  serrer  entre  nous 
les  rangs.  Notre  gloire  est  dans   la  résistance  à  toutes  les  at- 
taques; notre  force  dans  notre  union.   Le  généralissime  apos- 
tolique  duquel   le   mot  d'ordre  arrive  à  l'univers  catholique , 
vient  pour  la  seconde  fois  de  nous  mettre  en  garde  contre  les 
nouveautés  en  doctrine;  et  tous  les  évêques  ont  répondu  à  son 
commandement  avec  une  acclamation  spontanée. 

»  Si  notre  langage  a  clé  quelquefois  sévère,  si  à  nos  paroles 

25. 


360  AVERTISSEMENT    SUR    l'ïNSEIGNEMENT  ,    ETC. 

il  s'est  mêle  quelques  durete's ,  nous  pouvons  assurer  qu'il 
n'en  est  point  clans  notre  cœur.  Nous  sommes  ,  il  est  vrai , 
d'autant  plus  sensible  à  des  refus  opiniâtres,  qu'ils  nous  vien- 
nent de  nos  propres  enfans,  de  ceux  que,  dans  une  toute  autre 
espérance  ,  nous  avons  donne's  au  sanctuaire.  Qu'ils  e'coutent 
enfin  la  voix  d'un  Père.  Nous  sommes  vieux,  ils  sont  jeunes; 
qu'ils  remanient  les  matières  que  nous  avons  débaltces.  Sons 
la  conduite  d'un  guide  assure,  du  savant  et  admirable  cardinal 
de  La  Luzerne,  ils  marcheront  d'un  pas  ferme  dans  le  che- 
min de  la  science  eccle'siastique  :  avec  leur  pe'ne'tration  et  leurs 
talens ,  ils  auront  bientôt  acquis  la  doctrine  uniforme  que 
l'Eglise  exige  de  tous  ses  prêtres ,  et  la  joignant  alors  à  leur 
conduite  e'difiante,  ils  emporteront  l'estime,  la  Inenveillance 
de  tous  leurs  confrères,  et  l'approbation  universelle  du  diocèse. 
Ce  souhait,  cet  avis  seront  les  nôtres,  jusqu  à  ce  qu'ils  soient 
accomplis;  comme  notre  prière  de  tous  les  jours  est  de  supplier 
le  Ciel  de  conserver  dans  l'unité  de  la  foi  tous  ceux  qu'il  a 
daigne'  confier  a  notre  garde.  » 

A  la  suite  de  V Açertissement  est  un  Appendix  ou  Recueil 
de  quelques  phrases  détachées  qui  se  trouç>ent  dans  dii>ers 
opuscules  de  M.  l'abbé  Bautain  ,  12  pages. — Exir.  de  L'Ami 
de  la  Religion,  n"  i3ii. 


361 


1»**  VVV V%A  VVV  VVV  VV/VVVV  VVV  VVV  VVV  VVV  fcVV  VVV  VV^  VV%)  VVA,  VV\  VX/V  VVVXAA  VV'V  VVV  VVV  V^ 


DECRET    D'ERECTION 

DE    L'UB^ÎVERSÎTÉ    CATHOLIQUE    (1) 


ENGELBERTUS  ,    Dei 

et  Aposîolica3  Sedis  gratiâ 
Archiepiscopus  Mechli- 
niensis  et  Primas  Belgii , 
JOANNES - JOSEPHUS  , 
eâdem  gratiâ  Tornacensis, 
JOANNES  FRANCISCIIS, 
Gandavensis  ,  CORNE- 
LIUS,  Leodiensis.  JOAN- 
NES -  ARNOLDUS  ,  Na- 
murcensis  ,  Episcopi  ,  et 
FRANCISCUS,  Episcopus 
Ptolomaïdis  Administra- 
tor  Brugensis  , 

Omnibus  et  singulis  prœ- 
sentes  litteras  visuris , 
lecturis  pariter  ac  au- 
dituris  Salutem  in  Do- 
mino sempiternutn. 

Quum  concordi  oniniam  ju- 
dicio  ac  felici  experientià  cou- 
stct  sumraa  Ecclesia;  et  Reipa- 
blicœ   commoda   obvenire   ex 


ENGELBERT  ,  par  la  grâce 
de  Dieu  et  du  Saiiit-Siége  apos- 
tolique Archevêque  de  Mali- 
nes  et  Primat  de  la  Belgique, 
JEAN -JOSEPH  ,  évêque  de 
Tournay ,  JEAN-FRANCOfS  , 
évêque  de  Gand,  CORNEILLE 
évêque  de  Liège  ,  JEAN- 
ARNOLD,  évêque  de  Namur, 
FRANÇOIS  ,  évêque  de  Pto- 
lemaïs  ,  administrateur  de 
Bruges. 


ji  tous  et  à  chacun  de  ceux 
qui  verront,  liront  ou  en- 
tendront ces  présentes  let- 
tres,  salut  éternel  dans  le 
Seigneur. 

Comme  il  est  constant,  d'après  le 
sentiment  général  et  une  heureuse 
expérience,  que  rEt!,lise  et  l'Etat 
retirent  les  plus  grands  avantages 


(i)  Ce  Dccrct  a  été  publié  au  nom  de  rLpiscopat  belge  par  Mgr.  l'Ar- 
chevêque de  Malines  ,  le  4  novembre    i834,  dans  Téglise  inctropoHlaine, 


362  DÉCBET  d'Érection 

publicis  studîoram  Universi-  des  universités  publiques  dans  les- 
tatibus,  in  quibus  bonarum  quelleslesbeaux-artset  les  sciences 
artium   ac  scientiarum  docu-         sont  enseignés  à  la  jeunesse  par  des 

pendant  la  Messe  solennelle  que  Sa  Grandeur  célébra  à  l'occasion  de 
l'Inauguration  de  l'Université  catholique.  —  On  lit  à  ce  sujet  dans  l'U- 
nion du  6  novembre  :  —  «  Nous  annonçons  aujourd'hui  à  nos  lecteurs 
un  événement  d'une  haute  importance,  l'ouverture  de  l'Université  ca- 
tholique ,  de  cette  Université  sans  modèle  aux  temps  où  nous  vivons  et 
qui  marquera  peut-être  une  nouvelle  ère  pour  la  science  Mais  quels 
que  soient  les  résultats  futurs  de  cette  institution,  elle  nous  frappe  sur 
tout  comme  renfermant  une  éclatante  apologie  des  quatre  dernières  an- 
nées de  notre  histoire.  Au  commencement  de  i83o,  qui  eût  osé  prédire 
aux  Belges  la  prochaine  création  d'un  haut  enseignement  chrétien  dans 
toutes  ses  parties,  eût  passé  pour  fou,  et  voici  cependant  que  ce  miracle 
s'opère  sous  nos  yeux ,  sans  effort ,  sans  subterfuge ,  hautement  et 
publiquement,  comme  la  chose  du  monde  la  plus  simple,  comme  étant , 
ce  qu'elle  est,  la  plus  rigoureuse  et  la  plus  claire  des  conséquences  de 
notre  loi  fondamentale.  Il  y  a  là  un  progrès  d'autant  plus  grand  et,  si 
nous  osons  le  dire  ,  d'autant  plus  providentiel  qu'il  sera  moins  remar- 
qué. Personne  ne  s'étonnera  de  ce  que  les  calholiques  usent  de  leurs 
droits  ,  mais  la  merveille  est  que  les  catholiques  aient  ce  qu'ils 
n'avaient  pas  auparavant ,  des  droits.  A  ceux  qui  s'étonnent  de  notre  at- 
tachement pour  le  régime  actuel,  nous  répondrons  seulement  :  «  Allez  à 
Malines  ,  et  puis  dites  ce  que  doit  être  notre  dévouement  s'il  se  me- 
sure à  notre   reconnaissance.  » 

Nous  n'hésitons  pas  à  le  déclarer ,  notre  satisfaction  ne  serait  point 
ce  qu'elle  est  si  l'Université  catholique  était  née  sous  l'influence  du 
monopole  ,  à  la  suite  du  triomphe  d'un  parti  sur  un  autre  parti.  Grâces 
au  Ciel .  ainsi  que  nous  venons  de  le  dire  ,  il  n'en  est  point  ainsi , 
et  ce  que  les  catholiques  viennent  de  faire ,  d'autres  Pont  fait  et  d'au- 
tres peuvent  encore  le  faire.  La  carrière  de  l'enseignement  est  chez  nous 
ce  qu'étaient  les  grands  tournois  du  moyen-âge,  où  tous  pouvaient  en- 
trer et  dans  lesquels  la  victoire  appartenait  au  seul  mérite.  En  avant 
les  bons  conibattans  ,  tel  était  alors  le  cri  des  hérauts-d'armes  et  tel  est 
aujourd'hui  le  cri  de  cette  Belgique  ,  qui  elle  du  moins  ne  veut  livrer 
ses  fils  qu'aux  meilleurs  et  aux  plus  habiles.  Les  calholiques  se  pré- 
sentent enfin  dans  cette  glorieuse  lice  au  même  titre,  sans  autre  pri- 
vilège que  leurs  concurrens.  S'il  était  sur  la  terre  un  homme  assez 
insensé  pour  leur  faire  un  crime  d'une  si  noble  ambition,  il  ressemble- 
rait au  pire  des  tyrans ,  à  celui  qui  oserait  dire  à  ses  frères  :  n  Le  so- 
leil ne  luira  que  pour  moi.  » 


DE    l'université    CATHOLIQUE. 


363 


menta  à  professoribns  ortlio- 
doxaî  fidei  cultoribus  et  de 
Romano-Calliolicâ  Religione 
rectè  sentienlibus  int^enuae  ju- 
■venluli  traduntur  :  liinc  No- 
bis  potissiinâ  quâdam  ratione 
hocce  tempore  allaboiandum 
duximus  ad  inslaurandam 
publicam  ejusmodi  Universita- 
teiii  ,  quœ  celeberrimae  quon- 
dam  ac  pra3Stanlissimœ  Lova- 
niensis  Acadeinise  ,  communi 
Belgarum  luctu  infer  sœculi 
decimi  octavi  exeuntis  porcel- 
las  sublalae  ,  normam  et  ima- 
ginera referret. 


maîtres  orthodoxes  et  professant  les 
principes  de  la  religion  catholique- 
romaine,  nous  avons  cru,  surtout 
pour  cette  raison ,  devoir  faire  tous 
nos  efforts  dans  les  circonstances 
présentes  pour  établir  une  telle 
Université  publique,  qui  retraçât  le 
plan  et  la  forme  de  l'ancienne  aca- 
démie de  Louvain,  établissement 
autrefois  si  illustre  et  si  distingué  , 
qui  a  disparu  au  milieu  des  orages 
de  la  fin  du  13^  siècle,  à  la  grande 
affliction  des  Bekes. 


Voici  ce  qu'on  nous  écrit  de  Matines  : 

L'installation  de  l'Université  catholique  a  eu  lieu  hier.  MM.  le  Rec- 
teur ,  le  Vice-Recteur  et  les  professeurs  se  sont  rendus  en  corps  à  neul 
heures  et  demie  au  palais  archiépiscopal.  Un  peu  après  Monseigneur, 
suivi  de  ce  cortège,  est  entré  clans  la  métropole  que  remplissait  déjà 
la  foule  des  fidèles.  Des  places  avaient  été  réservées  dans  le  chœur  pour 
les  autorités  constituées,  les  professeurs  et  les  élèves  de  l'Université. 
Un  nombreux  clergé  ajoutait  encore  à  l'éclat  de  cette  imposante  cé- 
rémonie. 

Elle  a  commencé  par  le  Feni  Creator ,  qui  a  été  chanté  avec  un 
extrême  recueillement.  Puis  M.  le  chanoine  Genneré ,  secrétaire  de 
Monseigneur,  a  lu  l'acte  d'installation  de  l'Université.  Après  la  lecture 
l'acte  a  été  remis  à  M.  le  Recteur  par  Mgr.  l'Archevêque  qui  lui  a 
adressé  une  petite  exhortation  pleine  d'onction.  Ensuite  Mgr.  l'Arche- 
vêque a  célébré  pontificalement  la  messe  du  St. -Esprit.  Après  révaa- 
gile,  M.  l'aV)bé  De  Ram,  Recteur  de  l'Université,  est  monté  en  chaire 

et  a  prononcé  un   discours  analogue  à  la  cérémonie 

Après  la  messe ,  on  a  chanté  le  Te  Deum  ,  et,  après  cette  action  de 
grâces,  le  même  cortège  a  reconduit  Monseigneur  à  son  palais.  A  deux 
heures  Monseigneur  a  reçu  le  chapitre  métropolitain ,  les  autorités 
municipales,  M.  Je  commissaire  du  district,  les  dignitaires  et  fonc- 
tionnaires de  la  nouvelle  Université.  Une  douce  cordialité  a  présidé 
au  dîner  et  en  a  fait  une  véritable  fête  de  famille.  Plusieurs  toasts  ont 
été  portes  :  par  Monseigneur  l'Archevêque  :  A  la  prospérité  du  nonuel 
èiablissemenl  !  par  MM.  le  Bourgmestre  et  le  Recteur:  A  ièpiscopat 
belge!  par  M.  Rodenbach  ,  commissaire  du  district  :  Au  Roi  et  à  la 
Reine  des  Belges  I  » 


364 


DÉCRET    d'ÉREGTI05 


Eâ  de  re  concepta  desideria  et 
consilia ,  ex  debito  pastoralis 
officii  Nobis  commissi ,  ad  Se- 
demApostolicamdetulimus,  et 
perlilteras,  die  décima  quartâ 
Novembris  aiini  mille  siini  oc- 
tingentesimi  tris^esimi  tertii  in 
congrei,^atione  Nosfrâ  Mechli- 
nine  habita  datas,  Sanctissimum 
Dominiim  Nostium  Gregorium 
divinà  Providenfiâ  Papam  XVI 
deprecali  sumus  ,  ut  eadem 
assensu  etconsensu  Aposlolico 
eonGrrnarcf.  Sanclifati  Suœ 
plaçait  votis  et  petilinnibus 
nosirissummâcum  benignilate 
protinùs  annuere  ,  nostrisque 
conalibus  Apostolicam  aucfo- 
ritatem  adjungere,  prout  palet 
ex  ponliiicio  diplomate  cujus 
tenor  hic  de  verbo  ad  verbura 
sequitur  : 

GREGORIUS  PP. XVI. 

—  Venerahiles  Fratres ,  Salu- 
tcin  et  Apostolicam  Be?iedic- 
tioneni.  DIajori  certè  solatio 
afpci  non  possiiinus  ,  quàm 
cùm  eos,  qui  in  partent  soli- 
citudinis  nostrœ  sunt  voca- 
ti  ,  pastorali  zelo  flagrare  , 
acriterque  ad  spirituale  com- 
missaruvi  sibi  Ociiiin  bonuni 
novi7)ius  rigilare.  Licet porro 
prœc  ip  uainfraternita  t  uni  ves- 
tramin  virtutem  satis  jain 
tniilta  déclarassent ,  eâqne  de 
causa  jure  Nobis  lœtarilice- 
ret  ;  conceptam  tainen  anima 
nostro  opinionem  confirmâ- 
mnt ,  nostrumque  qaudium 
abiindè  auxerunt  obsequen- 
tissimœ  Litterœ  ,  quas  die  dé- 
cima quartâ  proximè  elapsi 


Nous  avons ,  selon  le  devoir  de 
notre  charge  pastorale  ,  soumis  au 
Siège  apostolique  les  vœux  et  les 
projets  que  nous  avions  formés  à 
ce  sujet  ;  et  par  une  lettre  en  date 
du  14  novenibre  1833  ,  écrite  dans 
notre  réunion  tenue  à  Malines  , 
nous  avons  supplié  notre  très-saint 
Père  Grégoire  XVI,  Pape  par  la 
divine  Providence ,  de  les  confirmer 
en  y  donnant  son  assentiment  et 
son  consentement  apostolique.  Il  a 
plu  à  Sa  Sainteté  d'accéder  sur  le 
champ  à  nos  vœux  et  à  nos  de- 
mandes et  d'associer  son  autorité 
apostolique  à  nos  efforts ,  comme 
il  est  prouvé  par  le  diplôme  pon- 
tifical qui  suit ,  dans  toute  sa  teneur 
littérale  : 


GRÉGOIRE  PP.  XVI,  — 

Vénérables  Frères  ,  salut  et  béné- 
diction apostolique.  Nous  ne  sau- 
rions éprouver  de  plus  grande 
consolationque  lorsque  nousvoyotis 
ceux  qui  sont  appelés  à  partager 
■notre  sollicitude,  brûler,  d'un  zèle 
vraiment  pastoral  et  veiller  avec 
soin  au  bien  spirituel  des  brebis 
qui  leur  sont  confiées.  Quoique 
nous  eussions  des  preuves  suffisan- 
tes de  l'ardeur  avec  laquelle  vous 
remph'sscz  ce  premier  devoir  des 
Pasteurs  et  que  nous  pussions 
nous  en  réjouir  à  bon  droit,  nous 
avouerons  cependant  que  la  lettre 
si  respectueuse  que  vous  nous  avez 
écrite  en  date  du  1-4  du  mois 
dernier  ,  a  encore  ajouté  à  la 
bonne  opinion  que  nous  avions 
de  vous ,  et  qu'elle  a  doublé  notre 


DE    L^UNIVERSITÉ    CATHOLIQUE. 


365 


mensis  ad  Nos   dedistis  ,  et 
quibus    nedùm    testruni    de 
Catholicâ  in  Belgio  consti- 
tnendâ  ,  et  à    Vobis  tantûm 
recjendû  sliidiormn    Univer- 
siiate  consiliiim  significastis, 
sed  etiam  expositis  comviodis, 
quœ   tùni   animarnni  sains , 
tàm  Religio  ipsa  indèpossunt 
accipere  ,  Apostolicâ   nostrâ 
Auctoritate  prohari  ilbid  vo- 
hiistis.   Hanc   vos    ratfonem 
sequuti ,  id  egistis  ,  qiiod  ah 
antiqnis  temporibiis  consiie- 
tiido  induxit ,  quodque  débita 
hui.c  Sanctœ  Sedi  revercntia 
et  obsenantia  mérita  exigit. 
Cînii  enim  ad  Romanos  Pon- 
tifices  pro    concredito    Tpsis 
Àpostolici     Officii     muricre 
maxime pertineat  Cathoiicarn 
Fidem  tueri ,  sanctœqne  ejus 
doctrinœ  depositum  intcgrum 
ac    intemeratum    custodire  ; 
Eorutn  quoqve  esse  débet  sa- 
crarum    disciplinaruvi    quœ 
p  ublicè  in  Un  iversitatib  us  ira  - 
dîtntur,   institutionem  mode- 
rari.  Atque hœc cati sa  fu it,cur 
Catholicietia  m  Principes  ci/m 
de  hnjiismodi  Acadcmiis  seu 
Unirersitatihvs      stiidiortint, 
statuendiscogitârunt,  Aposto- 
licam   Sedem   consnlcndam.  , 
Ejiisqxie  anctoritalem  exqui- 
rendam  duxerint.  Hinc  cele- 
hriores ,   illustrioresqne  Eu- 
ropœ  Universitates  nonnisi  ex 
sententiâ  et  assensu  Romano- 
rnm  Pontifîcum  fn isse  consti- 
tutas  grarissimœ  ilUtrum  his- 
toriée arnplissimè    tcstautnr. 
J\'obis  itaque ,  quibus persua- 
sum  est  ex  rectè  compuratis  stu- 


joie,    J^ous    nous  faites  part  de 
votre  projet  d'ériger  en   Belgique 
une  Université  catholique  qui  sera 
sons  votre  seule  direction  ;   vous 
nous    exposez  les   avantages   qui 
doivent  en  résulter  pour  le  salut 
des  âmes  et  pour  la  Belgique  elle- 
même  ,  et  vous  désirez  en  outre 
que  cet  établissement  soit  approuvé 
par  notre  autorité  apostolique .  En 
agissant  ainsi  ^  vous  vous  confor- 
mez  à  un   ancien   usage  et  vous 
montrez  à  ce  Saint-Siège  les  égards 
et  le  respect  qui  lui  sont  dus.  En 
effet ,  comme  il  appartient  essen- 
tiellement aux  Pontifes  romains, 
à  qui  les  fonctions  du  ministère 
apostolique  ont  été   confiées  ,    de 
défendre  la  Foi  catholique  et  de 
garder  piir   et  intact  le  dépôt  de 
sa  sainte    doctrine,    c'est   à   eux 
aussi  de  dirigerV étude  des  sciences 
sacrées,  qui  s' enseignent  publique- 
ment  dans  les    Universités.    Et 
c'est  pour  cette  raison  que  même 
des  princes  catholiques ,  lorsqu'ils 
songeaient  à  établir  de  semblables 
Académies  ou    Universités ,    ont 
cru     devoir    consulter    le     Siège 
Apostolique  et  rechercher  V appui 
de   son   autorité.   Aussi  n'est-ce 
que  d'après  l'avis  et  du  consente- 
ment des  Pontifes  romains  qu'ont 
été  érigées  les  plus  célèbres  et  les 
plus  illustres  Universités  de  l'Eu- 
rope,  chose  prouvée  en  détail  par 
des  documens  authentiques  insérés 
dans    leurs    atinales.   Convaincu 
donc  que   des     Universités  sage- 
ment organisées    sont  infiniment 
utiles  à  la  Religion ,  ?ious  éprou- 
vons un  plaisir  singulier  à  vous 
obliger  et  à  joindre  à  vos  efforts 
la   puissance    de    notre   autorité 


366 


DÉCRET    d'ÉRECTIOîT 


diorumUniversitatihuspluri- 
inùin  emolumentiin  Christia- 
nam  Rempnhlicam  dimanare, 
jiicundius  nihil  accideiepo- 
test,  quàni  ni  vobis  gratifice- 
mur,  et  ad  Litterarumprœser- 
tiiii  Sacraruvi  prœsidinni  et 
increntcntuinsupreniœNostrœ 
Auctoritatis  robur  adjicia- 
mus  ;  atque  hinc  sapientissi- 
mum  ,  quod  unà  sitmd  ini- 
vistis  consdium  adprobavius , 
vestramque  eâ  de  re  solicitu- 
dinem  suviuiâ  lande  ac  com- 
mendatione  prosequiuiur.  Eo 
auteiii  libentiàs  tiestris  votis 
aunuiiiius  ,  qvo  certiiis  vestrâ 
inditstriâ  ,  opéra  et  cura  fu- 
turiim  con/idimus  vt  qnotqtiot 
ad  istam  Univers itateui  cou- 
venient  benè  niorati  jnvenes, 
non  scientiâ  quœ  inflat ,  sed 
scientiâ  quœ  cum  charitate 
œdi/icat ,  non  sapienliâ  hujus 
sœculi ,  sed  sapientlâ  cujus 
initium  tiinor  Doniini  est, 
imbuantur.  At  illud  probe 
intelUgitis ,  T""encrabiles  Fra- 
très  ,  mentoratam  mox  Uni- 
versitatem  ità  quideni  consii- 
tui  oportere,  nt  nihil  prorsus 
derogetur  juribus  ,  qtiœ  sin- 
gulis  Episcopis  circà  Cleri- 
coruni  in  stiis  diœcesanis 
seiiiinariis  institiitioneni,  eo- 
riDuque  inlitteris  et  discipli- 
nis  viuximè  T/ieologicis  erii- 
ditionem  Tridentini  Patres 
adjudicânint.  Agite  igitur , 
et  nie,  à  quo  omne  datum  op- 
timum et  omne  doniim perfec- 
tuin  est,  dexter  P'obis propi- 
tiusque  adsit,  ut  quœ  salnbri- 
ter  cogitastis,  féliciter  possitis 


suprême  ,  dans  Vintérêt  particu- 
lier des  Lettres  sacrées  et  pour 
contribuer  à  en  développer  l'étude. 
Aussi  ,  nous  approuvons  le  projet 
éminemment  saqe  que  vous  avez 
formé  ensemble  ,  et  nous  louons 
hauteuient  le  zèle  que  vous  avez 
déployé  dans  cette  occasion.  Nous 
consentons  d'autatit plus  volontiers 
à  votre  demande  que  nous  sommes 
persuadé  que  tous  les  jeunes  gens 
biens  nés  qui  se  rendront  à  cette 
Université  y  puiseront ,  par  vos 
soins  et  par  votre  vigilance  ,  non 
la  science  qui  enfle,  mais  la  science 
qui  édifie  avec  charité,  non  la 
sagesse  du  siècle  ,  mais  la  sagesse 
dont  la  crainte  du  Seigneur  est 
le  commencement.  Touscomprenez 
du  reste,  P^énérables  Frères,  que 
cette  Université  doit  être  organisée 
de  manière  qu'il  ti'y  soit  dérogé 
en  aucune  manière  aux  droits  que 
les  Pères  du  concile  de  Frente 
ont  attribués  à  chaque  Etêque  , 
de  diriger  V éducation  des  jeunes 
clercs  dans  les  séjjtinaires  diocé- 
sains et  de  les  instruire  surtout 
dans  les  lettres  et  les  sciences  théo- 
logiques. Mettez  donc  la  main  à 
Vœuvre ,  et  puisse  Celui  de  qui 
vient  toute  grâce  excellente  et  tout 
don  parfait,  vous  accorder  sa  pro- 
tection et  vous  faire  exécuterheu- 
reusement  un  dessein  aussi  sage 
et  aussi  utile  !  En  attendant  , 
recevez  ,  P^énérables  Frères  , 
comme  un  témoignage  de  notre 
affection  paternelle  et  de  notre 
bienveillance  envers  vous,  la  béné- 
diction apostolique  que  nous  vous 
accordons  de  tout  notre  cœur. 

Donné  à  Rome  à  Saint-Pierre  , 


DE    l'université    CATHOLIQUE. 


367 


implere .  Intérim  Apostolicain 
Benedictionem  ,  Paternœ 
Nostrœ  charitutis  et  henevo- 
lentiœ  testimoniiim  erga  Fra- 
ternitalesf^estras,peranianter 
Fobis  impertiimir.  —  Datuni. 
Romœ  api(d  S.  Petrum  die 
]3  Decevihris  anno  1833. 
Pontificattis  NostriatinoIII. 
—  Signafum  :  GREGO- 
RIUS  PP.  XVI.  —  In- 
scriptio  erat  :  Venerahilihus 
Fratrihus  Engelberto  Archie- 
piscopo  Mechliniensi,  ejusque 
suff'raganeis  in  Belgio  Epis- 
copis.  Mechliniam. 

Tarn  prîecellenti  suffrai^io 
tantâque  auclorilate  snfTuUi , 
mense  Februario  prœsentisanni 
litleras  dedimus  ad  Clerum  et 
fidèles  Ecclesiarum  ,(juibiis  eos- 
que  expertisurnus  paratissimos 
ad  conferenda  subsidia  nostra- 
rum  erigendae  Academiœ  inco- 
luinitati  ac  splendori  coiisule- 
retur. 


/e  13  décembre  de  Vannée  1833, 
de  notre  Pontificat  la  troisième. — 
GRÉGOIRE  PP.  X ri. —Aux 
Vénérables  Frères  E^gelcert,  Ar- 
cheiêque  de  Matines,  et  à  ses  Su f- 
fragans  lesEvèques  de  la  Belgique, 
à  Malines. 


Appuyés  sur  un  suffrage  aussi 
puissant  ,  sur  une  si  grande  auto- 
rité, nous  avons,  au  mois  de  fé- 
vrier de  la  présente  année  ,  adressé 
une  lettre  au  clergé  et  aux  fidèles 
de  nos  Eglises ,  et  nous  les  avons 
trouvés  très-disposés  à  fournir  les 
subsides  nécessaires  à  la  conserva- 
tion et  à  la  prospérité  de  l'Acadé- 
mie que  nous  nous  proposions  d'é- 


Jam  verô  certam  tanto  operi 
atque  instituto  forinam  prœ- 
scribere  ,  ejusdemque  perpé- 
tuant stabilitatem  asserere  vo- 
lentes  ,  Apostolicâ  aucloritate 
et  Noslrâ  per  prœscntes  lilferas 
erigimus  et  inslituinius  sludio- 
rum  Universitaleui ,  à  Nobis 
suprenio  jure  ac  perpétua  sol- 
licitudine  (  salvà  in  omnibus 
Apostolicai  Sedis  aucloritate) 
regendam  et  fovendam  ,  quin- 
que  Facultalibus  insiruclam  , 
quaruni  diguilale  ]iriina  est 
Theologiœ  ,     secunda    Juris  , 


Voulant  aujourd'hui  donner  une 
forme  fixe  à  cette  grande  œuvre  , 
à  cette  précieuse  institution,  et  en 
assurer  pour  toujours  la  stabilité  , 
en  vertu  de  l'Autorité  Apostolique 
et  de  la  nôtre  ,  nous  érigeons  et 
nous  établissons  ])ar  les  ])rés('ntes 
lettres  une  Université  (jui  sera  à 
jamais  dirigée  et  soignée  par  nous 
avec  un  pouvoir  suj)rènie  cl  une 
continuelle  sollicitude  (saufen  toute 
cliose  l'autorité  du  Siège  Aposloli- 
(|ue  ) ,  et  composée  de  ciiu]  facultés, 
dont  la  jneniière  en  dignité  est  celle 
de  Théologie ,  la  seconde  celle  de 


368 


DÉCRET  d'Érection 


tertia  Medicînœ ,  qnarta  Phi- 
losophie^ ac  Litterarum,  qiiinta 
Scientiarum  Mathematicarum 
ac  Naturalium. 


Quijm  plurimùm  infersit  , 
ut  res  Academica  ab  unâ  eâ- 
demque  personà  firmiter  et 
constanter  regatur ,  hinc  ad 
omnem  Universilatis  nosirse 
direclionem  deputamus  ac  de 
legamus,  tamquam  Vicarium 
Nostrum  Generalem  ,  Reclo- 
rem  Magnificum  ,  viruin  ec- 
clesiasticum ,  cujus  nominatio 
et  revocalio  Nobis  reservata 
permaneat.  Eidera  Rectori  , 
postquàm  in  nianibus  Illus- 
tiissirni  acReverendissinii  Do 
mini  Ai  chiepiscopi  lecerit  fidei 
proi'essionem  juxlà  EuUamPii 
Papœ  IV,  et  juraverit  ac  pro- 
niiserit  fidelitatem  ac  obedien- 
tiarn  coctui  Episcoporu  m  Belgii , 
se(jue  pro  viribiis  curaturum 
honorem  acprosperitatemAca- 
deniis,  plenam  polestafem  et 
auctoritatein  tribiiinias  etelar- 
giinur  ,  ut ,  servatis  servandis, 
quoscumque  gradus  academi- 
cos  conlerie  valeat  ;  ut  libéré 
qnoque  ac  licite  ordinare  pos- 
sit  quaecamque  pro  Universi- 
talis  bono  ac  protectu  in  rébus 
ad  instructionem  vel  discipli- 
nam  perlinentibns  necessaria 
visa  luerint.  Intérim  eidem 
Rectori  strictissiniè  in junginius 
ut  INobis  singulis  annis  expo- 
nat  amplam  ,  fidclem  et  since- 
rani  rclalioneui  de  totiusAca- 
dcmiaj  statu. 

Nobis  pariter  ,  post  expcti- 


Droit ,  la  troisième  celle  de  Méde- 
cine ,  la  quatrième  celle  de  Phi- 
losophie et  Lettres  ,  la  cinquième 
celle  des  Sciences  mathématiques 
et  physiques. 

Comme  il  importe  souveraine- 
ment que  cet  établissement  acadé- 
mique soit  dirigé  avec  fermeté  et 
constance  par  une  seule  et  même 
personne ,  nous  députons  et  nous 
déléguons  pour  toute  la  direction  de 
notreLniversité,  comme  notre  vicai- 
re-général, un  Recteur  magnifique, 
de  l'ordre  ecclésiastique  ,  dont  nous 
nous  réservons  la  nomination  et  la 
révocation.  Nous  donnons  et  nous 
concédons  à  ce  même  Recteur , 
après  qu'il  aura  fait  profession  de 
foi,  selon  la  bulle  du  pape  Pie  IV, 
entre  les  mains  de  l'iUusIrissime  et 
Révérendissime  Archevêque  ,  et 
qu'il  aura  juré  et  promis  iidélité  et 
obéissance  au  corps  épiscopal  de 
la  Belgique,  comme  aussi  qu'il  fera 
tous  ses  efforts  pour  soutenir  l'hon- 
neur et  la  prospérité  de  l'Académie, 
plein  pouvoir  et  autorité  de  confé- 
rer tous  les  grades  académiques  , 
en  observant  les  règles  qui  doivent 
être  observées  ;  de  prendre  libre- 
ment et  licitement  toutes  les  me- 
sures qui  lui  paraîtront  nécessaires 
pour  le  bien  et  l'avancement  de 
l'Université  dans  les  choses  relati- 
ves à  l'instruction  ou  à  la  discipli- 
ne. Cependant ,  nous  enjoignons 
très-strictement  au  même  Recteur 
de  nous  présenter  chaque  année 
un  rapport  étendu  ,  fidèle  et  sin- 
cère sur  la  situation  de  toute  l'A- 
cadémie. 

Nous  nous  réservons  également 


DE    l'université    GA.THOLIQUE. 


369 


tam  Rectoris  Magnifici  senten- 
tiam  ,  reservainus  nominatio- 
nem  et  revocationem  Vice- 
Rectoris ,  quiadinstar  coadju- 
toris  coiisilio  et  auxilio  praesto 
sil  eideni  Rectori ,  quique  eo 
absente  ,  tegrotante  vel  morien- 
te  ,  ipsius  vices  provisoriè 
suppléât,  ne  Acadeniiaaliquod 
detrimentum  patiatur. 

Ut  auteniin  singulis  studio- 
rum  classibus  seu  Facullatibus 
omnesdisciplinœproearumdem 
dignitate  ac  necessilate  schola- 
ribus  rite  ac  plenissimè  tradan- 
tur  ,  talisconslituendus  eritdo- 
cenfiumnumerus,  quiperieclae 
inslitiilioni  Academicœ  con- 
gruat.  Ad  consulendum  et 
providendum  uniuscnjusque 
meritis  et  bonestaî  cuidam 
œmulationi,  volunius  ,  iit  inîer 
ipsos  docentes  qurcdam  liabea- 
tur  tituloruni  ac  jurium  dis- 
tinctio  ,  scilicet  ut  alii  sint 
Professores  Ordinarii  ,  alii 
ProfessoresExlraoïdinarii,  alii 
Lectores. 

Ad  nostram  singnlariter 
curam  pertinere  judicavinius, 
ut  Professorum  tam  Ordina- 
riorum  quàm  Exfraordinario- 
rutn  ac  Lectorum  ,  quorum 
omnium   dcsignatio    ac   prœ- 

senlatio  ad  Reclorum  Masrni- 

o 

ficum  spectat,  defmiliva  no- 
minatio  k  Nobis  dumtaxat 
rata  ac  fuma  liabealur.  Volu- 
nius auleni  ut  iideiii  nouante 
niuneris  sui  parles  suscipiant, 
qiiàru  in  manibus  Rectoris 
Magnifici  emiserinlfidei  profes- 
sioncm  juxtà  lormam  Pii  Pap;u 


la  faculté  de  nommer  et  de  révo- 
quer ,  après  avoir  pris  l'avis  du 
Recteur  magnifique  ,  le  Vice-Rec- 
teur qui  doit  seconder  le  même 
Recteur  de  ses  conseils  et  de  son 
action  et  remplir  provisoirement  ses 
fonctions  ,  en  cas  d'absence  ,  de 
maladie  ou  de  mort ,  afin  que  l'A- 
cadémie ne  souffre  aucun  dommage 
de  ces  événemens. 

Mais  afin  que  toutes  les  sciences 
soient  enseignées  convenablement 
et  conipIfMi'ment  aux  élèves  dans 
chaque  classe  des  études  ou  faculté , 
selon  la  convenance  ou  la  néces- 
sité ,  il  sera  établi  un  nombre  de 
professeurs  qui  convienne  à  l'éta- 
blissement complet  de  l'Académie. 
Pour  tenir  compte  des  mérites  de 
chacun  et  produire  une  honorable 
énudation  ,  nous  voulons  que  , 
parmi  les  maîtres  eux-mêmes,  il  y 
ait  une  certaine  distinction  de  ti- 
tres et  de  droits  ,  c'est-à-dire ,  que 
les  uns  soient  Professeurs  ordinai- 
res ,  les  autres  Professeurs  extraor- 
dinaires, d'autres  Lecteurs. 

Nous  avons  pensé  qu'il  importait 
spécialement  à  notre  sollicitude , 
que  la  nomination  définitive  des 
Professeurs  tant  ordinaires  qu'ex- 
traordinaires et  des  Lecteurs ,  dont 
la  désignation  et  la  présentation  ap- 
partient au  Recteur,  fût  exclusive- 
ment sanctionnée  par  nous. 

Mais  nous  voulons  que  ces  mê- 
mes Professeurs  ne  commencent  pas 
leurs  fonctions  ,  avant  d'avoir  fait 
profession  de  foi  suivant  la  forme 
voulue  par  le  pape  Pie  IV,  entre 
les  mains  du  Recteur  magnifique, 


370 


DÉCRET  d'Érection 


IV,  nec  non  jiiramentum  à 
Nobis  prrcscriptiim  de  obser- 
vandis  lideliler  Acadeiniœ 
StaUitisac  Ordinationibns  ,  de 
impendendo  Rectori  Magnifico 
debito  bonore,  deque  auxilio 
eidem  pT.Tslando,  ac  de  cu- 
randà  pro  viribus  Acadeniiœ 
prosperilate.  Si  vero ,  quod 
Deus  avertat  ,  aliquis  iriter 
docentes  aliquando  reperiatur 
offlcii  sui  ac  juranienti  imme- 
mor,  eumdem  à  munere  re- 
movendi  potestatem  Nobis 
reseivamus. 

Nominationem  et  revocalio- 
nem  Secretarii  ,  aliorunique 
omnium  Academias  Ofllciato- 
rum  pertinere  decrevimus  ad 
Reclorem  Magnificum.  Eidem 
juserit  institnendi  sumptibus 
Academicis  Collegia  seu  Pœ- 
dagogia  ,  quorum  Prœsides 
nominabit  et  congrua  statuta 
ordinabit.  IlliautemPra?sides, 
anfequàm  munus  gerendum 
suscipiant,  fidei  professionein 
ac  juramentum,  prout  proCes- 
soribus,  praescribitur  eraittant. 

In  singulis  studiorum  Fa- 
cuitatibus  Protessores  Ordina- 
rii  annuè  ,  juxtà  pbirabtatem 
votorum  ,  eligere  debebunt 
suum  Decanum  ,  cui  jus  erit 
FacuUatis  suœ  congn-gationes 
indicere,  iisdemque  prœsidere. 
In  illis  congregationibus  agetur 
de  negotiisad  Facultatem  per- 
tinentibus,  de  mediis  ad  dis- 
ciplinarum  incrementa  spec- 
tantibus  ,  deque  ordinando 
programmale  prœlectionum 
semestri  tempore  habendarum . 


et  prêté  le  serment  exigé  par  nous 
d'observer  fidèlement  les  statuts  et 
les  réglemens  de  l'Académie ,  de 
rendre  au  Recteur  magnifique  l'hon- 
neur qui  lui  est  dû  ,  de  lui  prêter 
assistance ,  et  de  travailler  selon 
leurs  forces  à  la  prospérité  de  l'A- 
cadémie. Mais  si  ,  ce  qu'à  Dieu  ne 
plaise  ,  il  se  trouvait  jamais  parmi 
les  Professeurs  un  homme  capable 
d'oublier  ses  devoirs  et  ses  sermens, 
nous  nous  réservons  le  pouvoir  de 
le  priver  de  son  emploi. 


Nous  avons  décidé  que  la  nomi- 
nation du  secrétaire  et  de  tous  les 
autres  Officiers  de  l'Académie  ap- 
partiendrait au  Recteur  magnifique. 
Celui-ci  aura  également  le  droit 
d'établir  aux  frais  de  l'Université 
des  collèges  ou  pédagogies  ,  dont 
il  nommera  les  Présidens  et  aux- 
quels il  donnera  les  réglemens  con- 
venables. Mais  ces  Présidens  de- 
vront ,  avant  d'entrer  en  charge  , 
faire  profession  de  foi  et  prêter 
serment,  comme  les  Professeurs. 

Les  Professeurs  ordinaires  de  cha- 
que Faculté  devront,  chaque  année, 
élire  à  la  pluralité  des  suffrages  leur 
Doyen  ,  qui  aura  le  droit  d'indi- 
quer les  réunions  de  sa  Faculté  et 
de  les  présider.  On  traitera  dans 
ces  réunions  des  affaires  concernant 
la  Faculté  ,  des  moyens  propres  à 
faire  fleurir  les  études  ,  et  du  pro- 
gramme des  leçons  de  chaque  se- 
mestre. Ce  programme  devra  être 
soumis  par  les  Doyens  ,  avant  sa 
pu!)  lira  lion  ,  à  l'approbation  du 
Recteur  magnifique. 


DE    l'université    CATHOLIQUE. 


371 


Prœfatum  programma,  prias- 
quàm  puhlicetur,  à  Decanis 
ad  Kectoris  fliagnifici  ajipro- 
bationem  deferri  débet. 

Ut  res  Academicae  optimo 
consilio  peragantur  ,  praifatos 
Facultatum  Decanos  unà  cum 
Vice-Rectore  pertiuere  volu- 
mus  ad  Rectoris  Magnifici 
consilium  ordinarium  ,  cujus 
congregatio  liabebitur  tempnri- 
bus  et  dicbus  ad  Rectoris 
arbitrium  statuendis.  Pro  so- 
lemnioribus  quibusdam  ne- 
gofiis  aut  circunistanfiis  ab 
eodem  Recfore  convocari  po- 
terunt  omncs  omnium  Facul- 
tatum Professores ,  qui  sub 
ipsius  pra^sidentiâ  congregati 
constituent  Senatum  seu  Cor- 
pus Academicum. 

Porrô  in  constitnendâ  hac 
studiorum  Universitate  bùc 
tendunt  conamina  noslra  ,  ut 
ca  ipsa  sit  in  œdificalionem 
Corporis  Ciiristi  ,  et  per  eam 
glorificelur  intemerata  Sponsa 
SalvatorisNostri,quaecoUiirma 
est  ac  firmamenlum  Veritatis. 
Quare  Magistros  et  Scholares 
eliam  atque  eliam  in  Domino 
bortamur,  eisque  prœcipimus  , 
ut  corde  et  opère  teneant  ac 
profileanlur  Catliolicaui  Fidem 
ut  alienià  jjrofanisnovitatibus, 
quiljus  Fidei  infegritas  macu- 
lalur  ,  sectenturscienliamqua; 
cum  charilale  œdilicat ,  etdu- 
cantur  sapienliâ  cujus  initium 
est  timor  Domiui. 

Cœterum  leges  aliasque  or- 
dinaliones    pro    TJniversitatis 


Afin  que  les  affaires  de  l'Univer- 

silé  se  traitent  avec  une  très-irrande 

o 

prudence  ,  nous  voulons  que  les 
Doyens  susdits  forment  avec  le  Vice- 
Recteur  le  conseil  ordinaire  du 
Recteur,  qui  les  réunira  dans  le 
temps  et  aux  jours  fixés  par  lui. 
Pour  certaines  affaires  et  circon- 
stances plus  solennelles  ,  le  Recteur 
pourra  convoquer  tous  les  Profes- 
seurs de  toutes  les  facultés  ,  qui  , 
réunis  sous  sa  présidence,  forme- 
ront le  Sénat  ou  le  Corps  Acadé- 
mique. 


Tous  nos  efforts  dans  l'érection 
de  cette  Université  tendent  à  ce 
qu'elle  serve  à  édifier  le  Corps  da 
Christ,  et  que  par  die  soit  glorifiée 
l'Epouse  immaculée  de  notre  Sau- 
veur ,  qui  est  la  colonne  et  l'appui 
de  la  Vérité.  C'est  pourquoi  nous 
pressons  instamment  dans  le  Sei- 
gneur les  maîtres  et  les  disciples  et 
nous  leur  enjoignons  de  tenir  et  de 
professer  de  cœur  et  d'actions  la  foi 
catholifjue  ,  afin  qu'étrangers  aux 
nouveautés  profanes  qui  souillent 
l'intégrité  de  la  foi ,  ils  cherchent 
la  science  qui  édifie  avec  la  cha- 
rité ,  et  qu'ils  soient  dirigés  par 
cette  sagesse  dont  la  crainte  du  Sei- 
gneur est  le  commencement. 


Au  reste,  nous  aurons  soin  de 
faire  le  plus  lot  possible  avec  ma- 


372      DÉCRET  d'Érection  de  l'université  catholique. 


nostniG  perpetuo  regimine  ac 
felici  progressu  et  pro  unius- 
cujusque  Facultatis  constitu- 
tione  ,  quamiM'iniùni  niaturo 
consilio  condere  curabiinus. 

Utautem  sfatuta  etstatuenda 
quaecumque  prospéré  ac  félici- 
ter seniper  eveniant ,  ociilos 
manusque  nostras  Icvamus  ad 
Sanclissimam  Virginem  Ma- 
riam ,  cujus  noinen  divinis 
benedictionibus  et  gratiis  re- 
fertum  est,  et  cui  tamquam 
Doniinœ  ac  Patronœ  potentis- 
simœ  Acadeiiiiam  nostram 
suppliciter  commendaiiius. 

Hœc  oninia  et  sinii,ula,  acta 
et  décréta  in  Congregatione 
Nostrà  liabità  Mechliniae  die  dé- 
cima iiiensis  Junii  anno  Incar- 
nationis  DoniinicœJiDcccxxxiv, 
Pontificatûs  Sanctissinii  Do- 
niini  ISostri  GregoriiPP.  XVI 
anno  IV,  perpetuuni  robur 
habere  alque  ab  omnibus  ad 
quosspeclabit,  intégré  et  lide- 
liter  observari  volumas. 


f  ENGELBERTUS ,  ArcLie- 
piscopus  Mecbliniensis. 

t  JOANNES  -  JOSEPHUS  , 

Episcopus  Tornacensis. 
t  JOANNES  FRA^JCISCUS, 

Episcopus  Gandavensis. 
t  CORNELIUS  ,    Episcopus 

Leodiensis. 
t  JOANNES -ARNOLDIIS  , 

Episcopus  Namurcensis. 
t  FRÂNCISCUS  ,  Episcopus 

Adm'"  Brugensis. 


turité  les  lois  et  autres  réglemens 
nécessaires  à  la  direction  perpétuelle 
et  aux  progrès  de  notre  Université, 
ainsi  qu'à  l'établissement  de  chaque 
Faculté. 

Mais  afin  que  ce  qui  est  réglé  et 
ce  qui  doit  l'être  à  l'avenir  ait  tou- 
jours un  résultat  heureux  et  favo- 
rable ,  nous  élevons  les  yeux  et  les 
mains  vers  la  très-sainte  Vierge 
Marie  ,  dont  le  nom  est  rempli  des 
bénédictions  et  des  faveurs  divines, 
et  à  laquelle  nous  recommandons 
notre  Académie  ,  comme  à  une 
Maîtresse  et  Patrone  très-puissante. 

Nous  voulons  que  toutes  ces  dis- 
positions et  chacune  d'elles  en  par- 
ticulier ,  prises  et  arrêtées  dans  no- 
tre réunion  tenue  à  Malines  le 
dixième  jour  du  mois  de  juin  , 
l'an  de  lincarnation  du  Seigneur 
MDCCGXXXIV,  le  quatrième  du 
Pontificat  de  notre  très-saint  Père 
Grégoire  XVI  ,  soient  valides  à  tou- 
jours, et  entièrement  et  fidèlement 
observées  par  tous  ceux  qu'elles 
concerneront. 

t  ENGELBERT  ,    Archevêque  de 

Malines, 
f  JEAN-JOSEPH,  Evoque  de  Tour- 

nay. 
t  JEAN-FRANÇOIS  ,   Evoque  de 

Gand. 
t  CORNEILLE,  Evêquede  Liège. 

t  JEAN-ARNOLD  ,  Evoque  de 
Namur. 

I  FR.VNÇOIS,  Evoque  administra- 
teur de  Bruges. 


373 


VVWWV  yVWWVWWXIWVVWWVwWVW  WMV 


V  *A^  VVV  VVV  VV  \(  vv\  VVV  VVV  VVV  VVV  VVX  VVV  VVV  vvv  vvvw* 


REGLEMENT 

POUR  L'INSCRIPTION,  LES  RÉTRIBUTIONS  DES  COURS  ET 
L'ADMISSION  AUX  LEÇONS 

DE  LlTNIVERSITÉ  CATHOLIQUE. 


Art.   I. 

Pour  être  inscrit  dans  la  Faculté  de  Philosophie  et  des  Let- 
tres et  dans  celle  des  Sciences,  on  est  tenu  de  se  pre'senter 
devant  !a  Commission  d'admission  et  d'inscription  pre'side'e  par 
le  Recteur  magnifique  ,  et  d'exhiber  on  certificat  de  bonne 
conduite  et  un  autre  constatant  que  l'on  a  re'gulièrement  ter- 
mine' les  e'tudes  pre'liminaires. 

Art.   II. 

L'acte  d'inscription  n'aura  son  effet  que  durant  l'anne'e  aca- 
de'mique  courante.  L'inscription  devra  être  renouvele'e  tous  les 
ans.  Il  sera  paye'  pour  la  première  inscription  dix  francs,  et 
pour  le  renouvellement  cinq. 

Art.   III. 

Les  e'tudians ,  à  l'occasion  de  leur  inscription  ,  promettent 
d'observer  constamment  les  statuts  et  re'glemens  acade'miqaes , 
et  de  remplir  les  devoirs  qui  leur  sont  prescrits. 

Art.  IV. 

Les  cours  de  la  Faculté  de  Philosophie  et  des  Lettres  et  de 
celle  des  Sciences  comprennent  deux  années  et  sont  re'gle's  pro- 
visoirement de  la  manière  suivante  : 

T.  X.  26 


374  RÈGLEMENT. 

Dans  la  première  année ,  pour  ceux  qui  se  destinent  ou  à 
l'étude  de  la  Médecine  ou  à  celle  du  Droit ,  l'Introduction  à 
la  Philosophie,  la  Logique,  la  Métaphysique,  la  Litte'rature 
grecque  et  latine  ,  les  principes  ge'ne'raux  de  l'Economie  po- 
litique ,  l'Introduction  à  l'Histoire  universelle  ,  l'Arche'ologie  , 
les  Mathe'matiques  e'ie'mentaires ,  la  Physique,  les  e'ie'meus  de 
Chimie  et  l'Astronomie  physique. 

Bans  la  seconde  année ,  pour  ceux  qui  se  destinent  à  l'étude 
du  Droit,  la  Philosophie  morale,  l'Histoire  de  la  philosophie, 
l'Economie  politique ,  la  Statistique,  l'Histoire  da  moyen-âge, 
l'Histoire  moderne ,  l'Histoire  nationale ,  les  Antiquite's  grec- 
ques et  romaines,  l'Encyclope'die  du  droit  et  1  Histoire  du  droit 
romain. 

Bans  la  seconde  année ,  pour  ceux  qui  se  destinent  à  l'étude 
de  la  Médecine,  la  Philosophie  morale,  THistoire  de  la  philo- 
sophie, les  Mathe'matiques  transcendantes  ,  la  Chimie  ge'ne'rale 
et  applique'e ,  la  Zoologie,  l'Anatomie  compare'e,  la  Mine'ra- 
logie  ,  la  Ge'ologie  ,  la  Botanique ,  l'Encyclope'die  et  l'Histoire 
de  la  médecine. 

Art.   V. 

Tons  les  cours  mentionne's  à  l'article  4  sont  respectivement 
obligatoires  ;  celui  de  Litte'rature  nationale  pour  les  e'ièves  de 
la  première  anne'e ,  et  celui  de  Littérature  française  et  d'His- 
toire et  de  la  Littérature  ancienne  et  moderne  pour  ceux  de 
la  seconde ,  seront  facultatifs.  Il  y  aura  des  cours  privés  pour 
les  langues  orientales. 

Art.  VI. 

Les  rétributions  pour  tons  les  cours  de  la  première  année 
s'élèvent  à  220  francs  ,  les  mêmes  rétributions  sont  fixées  pour 
ceux  de  la  seconde.  Le  payement  pourra  se  faire  en  deux  ter- 
mes, à  savoir  iio  francs  au  commencement  du  semestre  d'hi- 
ver et  iio  francs  au  commencement  du  semestre  d'été. 

Art.  VII. 

Un  programme  annoncera  tous  les  six  mois  l'ordre  et  la 
distribution  des  cours. 


RÈGLEMENT.  375 

Art.  VIII. 

La  durée  ordinaire  des  leçons  est  d'une  heure  ;  personne  ne 
pourra  quitter  les  leçons  avant  qu'elle  soit  terminée. 

Art.  IX. 

Ne  seront  admis  à  fréquenter  les  cours  académiques  que  ceux 
qui  auront  été  portés  au  rôle  des  étudians  ,  conformément  aux. 
art.  1 ,  2  et  3. 

Art.  X. 

Ceux  qui ,  sans  avoir  €té  inscrits  ,  désireront  assister  aux 
leçons ,  y  auront  l'accès  trois  fois.  Ceux  qui  voudront  suivre 
un  cours  pourront  s'adresser  par  écrit  au  professeur  qui  trans- 
mettra leur  demande  au  Recteur  magnifique.  Le  professeur 
leur  communiquera  ce  qui  aura  été  arrêté. 

Fait  à  Malines ,  le  18  septembre   i834. 

Le  Recteur  de  l'Université  , 
P.-F.-X.  DE  RAM 

Le  Secrétaire  par  intérim , 
BAGUET,  Prof. 


26 


376 


REGLEMENT 

POUR  LES  ÉLÈVES  DE  LA  FACULTÉ  DE  PHILOSOPHIE  ET 
DES  LETTRES  ET  DE  CELLE  DES  SCIENCES 

DE  L'UNIVERSITÉ  CATHOLIQUE. 


Art.  I. 

Toas  les  élèves  doivent  professer  la  religion  catholique  et 
remplir  les  devoirs  qu'elle  prescrit. 

Art.  II. 

Ils  sont  tenus  de  fre'quenter  assidûment  les  cours  obligatoires 
mentionne's  dans  le  programme.  Ils  ne  pourront  jamais  s'ab- 
senter des  leçons  ni  sortir  de  la  ville  pour  un  ou  plusieurs 
jours  sans  une  permission  expresse  du  Vice-Recteur  ou  du 
Pre'sident  de  leur  colle'ge. 

Art.  m. 

Les  e'ièves  externes  ne  pourront  pas ,  sans  une  permission 
spéciale,  prendre  leur  logement  dans  les  hôtels  ou  les  auber- 
ges ;  ils  devront  être  rentrés  chez  eux  pendant  le  semestre 
d'hiver  à  huit  heures  du  soir  et  pendant  celui  d'été  à  neuf. 

Art.  IV- 

Les  élèves  internes  au  collège  de  l'Université  observeront  le 
règlement  particulier  de  la   maison. 

Art.  V. 
Il  y  aura  annuellement  deux  vacances  :  Tune  du  mardi  qui 


RÈGLEMENT.  377 

précède  la  fête  de  Pâques  jasqu'aa  second  mardi  qni  la  sait; 
et  l'aatre  du  premier  vendredi  d'août  jusqu'au  premier  mardi 
d'octobre. 

Art.  VI. 

L'entre'e  des  maisons,  dont  la  re'putation  ne  serait  pas  re- 
connue irréprocliable  ,  est  rigoureusement  de'fendue  à  tous  les 
élèves  de  l'Université. 

Art.  vil 

Les  peines  académiques  seront  régulièrement  appliquées, 
selon  l'exigence  des  cas,  de  la  manière  suivante  :  Les  admo- 
nitions, par  le  professeur  respectif  ou  les  autorités  académi- 
ques ;  la  suspension  du  droit  de  fréquenter  un  cours  ,  par  le 
professeur  respectif  de  concert  avec  la  Faculté;  la  suspension 
du  droit  de  fréquenter  les  cours  et  la  prorogation  du  temps 
fixé  pour  les  examens  universitaires  ,  par  la  Faculté  respective 
et  le  Recteur  magnifique;  l'exclusion  de  l'Université,  par  le 
Sénat  académique. 

Fait  à  Malines,  le  21  octobre  i834. 

Le  Recteur  de  l'Université  , 
P.-F.-X.  DE  RAM. 

Le  Secrétaire  par  intérim , 
BAGUET,  Prof. 


378 


UNIVERSITAS  C4THOLÏCA. 


SERIES    LECTIONUM 

Per    Semestre    hibernum   anni   MDCCCXXXIV- 
mdcccxxxv    habendarum. 

IN    s.    FÂCULTATE    THEOLOGIGA. 

J.-B.  ANNOQUÉ,  Prof.  Ord.  et  S.  Fac.  p.  t.  a  Secretis , 
feriâ  II,  III,  V,  et  sabbato,  horâ  III,  dabit  Introcluctionem 
generalem  in  Sacrara  Scripluram  et  Comnientationem  in  Li- 
brum  Genesis. 

H.-G.  WOUTERS,  Prof.  Ord.,  feriâ  IV  et  VI,  horâ  IX  et 
dimidiâ,  et  ferià  V  et  sabbato  ,  horâ  VIII,  tradet  Prolegomena 
in  Historiani  Ecclesiasticam  ,  qaani  dedacet  usque  ad  Saeou- 
lum  secundum. 

P.F.-X.  DE  RAM  ,  Prof.  Ord.  et  Rector  Univ.,  feriâ  IV  et 
VI,  horâ  XI,  expositis  praenotionibus  de  Joris  Ecclesiastici 
publici  et  privati  naturâ ,  objecto  ,  fonlibus  etc.,  interpreta- 
bitur  Librum  primum  Institutionum  Canonicarum  Joannis 
Devoti. 

J.-M.  THIELS,  Prof.  Ord.  et  S.  Fac.  p.  t.  Decanus,  feriâ  II, 
III,  V  et  sabbato,  horâ  X  et  dimidiâ,  tradet  Prolegomena 
in  universam  Theologiam  et  Dogmatica;  generalis  partem  pri- 
mam  ,  quse  continebit  demonstrationem  Religionis  Christian»;. 
N.  B.  Praelectionum  materies  potissimiim  sumeturex  Institu- 
tionibus  Theologicis  CL.  D.  Liebermann. 


CNIVERSITAS    CATHOLICA.  379 

J  -B.  VERKEST  ,  Prof.  Ord.  et  Praeses  Seminarli  Provincia- 
lis  ,  feriâ  II ,  III ,  IV  et  VI ,  horâ  VIII ,  exponet  doctrlDara  de 

Prjncipiis  et  Moralitate  actuum  liumanoium. 


IN   FACLÎLTATE  PHILOSOPHI/E ,   LITERARUM  ET    DISGl- 
PLINARUM  BIATHEMATICARUM  AC  PHYSICARUM. 


G.  G.  UBAGHS  ,  Prof.  Ord.  et  Fac.  p.  t.  Decanas  ,  Univer 
salem  in  Philosopliiam  Introdactionera  et  Logicam  tradet  diebus 
Lunae ,   Martis  ,  Veneris  et  Saturni ,  horâ  X. 

C.  DE  COUX,  Prof.  Ord.,  (Economiam  Politicam  docebit 
diebus  Lunœ  et  Martis ,  horâ  III.  Exponet  quas  generatim  per- 
tinent ad  divitias  producendas  et  distribuendas. 

G. -A.  ARENDT  ,  Prof.  Extraord,,  Archaeologiam  Universam 
diebus  Veneris  et  Saturni ,  horâ  ÎII ,  docebit.  Mores  Institutio- 
nesque  veternm  populorum  tam  ad  publicam  quam  ad  privatam 
eoram  vitamspectantes  ,  statum  conditionemque  reipublicae  ac 
rationen»,  qua  artes  scientiasque  coluere,  explicabit,  prœcipaaque 
antiquitatis  omnigenae,  quae  supersunt,  monamenta   illustrabit. 

J.  M(ELLER ,  Prof.  Extraord.,  Introductionem  in  Historiam 
Universalem  diebus  Mercurii  et  Jovis ,  horâ  III,   tradet.  His- 
toriae  Philosopliiam  exphcabit  eauique  accoramodabit  ad  His- 
toriam Âiitiqaam  et  Romanam   usque  ad  Imperii  Romani  oc 
cidentahs  interitum. 

F.-N.-  J.  G.  BAGUET  ,  Prof.  Ord.,  Liieras  grœcas  docebit  diebus 
Lnnœ,  Martis  et  Mercurii,  horâ  VIII  ;  loca  Odysseae  Homericae 
seiecta  et  Xenoj)hontis  Memorabilia  Socralis  interpretabitur  , 
atqne  Literaruni  Grœcarum  Historiam  exponet.  Literas  Latinas 
docebit  diebus  Jovis,  Veneris  et  Saturni,  horâ  VIII,  exph- 
candis  Ciceronis  Libris  de  Officiis  et  scribendi  exercitationi- 
bus  instituendiç. 


380 


UNIVERSITAS    GA.THOLIGA. 


J.-B.  DAVID,  Prof.  Extraord.,  horis  postea  indicandis, 
Linguae  et  Literarum  Belglcaruin  Historiam  enarrahit  \  loca 
optimorum  auctorum  selecta  exponet  et  in  Belgicè  scribendo 
discipulorum  exercitationes  moderabitar. 

H.-J.  KUMPS,  Prof.  Ord.  et  Fac.  p.  t.  a  SecretJs ,  Mathe- 
matica  docebit  diebus  Mercurii  et  Jovls  ,  horâ  X ,  Veneris  et 
Saturni  horâ  XI. 

J.-G.  CRAHAY,  Prof.  Ord.,  Physicam  docebit  diebus  Lunae, 
Martis  ,  Mercurii  et  Jovis,  liorâ  XI.  Exponet  communes  Cor- 
pornm  proprietates,  elementa  Staticae  et  Djnamicae,  theoriam 
Caloris  ,  nhysicas  Aeris  proprietates  ,  tbeoriam  Vaporum  , 
Hygrometriam,  phœnomenaTuborum  Capillarium,  Acusticam, 
Electricitatem. 

Rector  Unitersitatis  , 
P.-F.-X.  DE  RAM. 

BAGUET ,  p.  t.  a  Secretis. 


381 


MÉLANGES.  —  Octobre  1834. 


JVotice  de  Mgr.  Jacques  Dojle,  évèque  de  Kiklare.  —  It.  de  M.  Fran- 
çois de  Bivaz ,  abbé  de  S.  Maurice  dans  le  Valais.  —  Séances  de 
l'Académie  calholicjue  de  Rome.  —  Note  lue  à  rAcaJémie  des  scien- 
ces de  Paris  sur  les  huit  arbres  liu  Jardin  des  Oliviers  de  Jérusalem  , 
par  M.  Boue.  —  Sur  la  mort  du  voyageur  RicJiarcl  Lancier.  —  Dé- 
couverte d'un  village  indien  caché  sous  terre.  —  Découverte  de  la 
lecture  d'une   inscription  runique.  —  Sur  M.  Margerin. 

—  L'Eglise  catholique  en  Irlande  a  perdu  cet  été  un  de  ses 
évêques  les  plus  distingués.  M.  Jacques  Doyle  ,  ëvêipie  de  Kil- 
dare  et  Leighiin  est  mort  le  i5  juin  dernier  à  Carlow ,  dans  la 
48"  année  de  son  âge  et  la  i^"  de  son  ëpiscopat.  Attaqué  depuis 
long-temps  dune  maladie  lente,  on  prévoyait  sa  fin  ine'vitable. 
Il  reçut  les  derniers  sacremens  la  veille  de  sa  mort  et  fut  depuis 
constamment  occupe'  de  la  prière.  Cette  perte  fut  vivement  sentie 
en  Irlande ,  où  M.  Doyle  jouissait  d'une  grande  réputation.  Ce 
pre'lat  avait  reçu  son  éducation  ecclésiastique  en  Portugal ,  et  était 
entré  dans  l'ordre  des  Augustins.  De  retour  en  Irlande ,  il  fut 
professeur  de  philosophie  ,  puis  de  théologie  au  collège  de  Carlow. 
Son  mérite  fit  songer  à  lui  pour  l'épiscopat ,  lorsqu'il  n'avait  en- 
core que  trente-trois  ans.  Il  fut  promu  en  1819  aux  sièges  unis 
de  Kildare  et  Leighiin.  On  a  de  lui  un  grand  nombre  d'écrits, 
la  plupart  avec  les  initiales  J.  K.  L.  qu'il  avait  adoptées  ,  et  qui 
indiquaient  son  nom  de  baptême  et  le  nom  de  son  siège.  Les  prin- 
cipaux de  ses  écrits  sont  les  Droits  religieux  et  civil.<;  des  catho- 
liques irlandais  'vengés,  dans  une  lettre  au  marquis  Welle.sley, 
1828  ;  Défenses  de  ces  droits ,  1824;  Lettres  sur  l'état  de  l'édu- 
cation en  Irlande  et  sur  les  sociétés  bibliques  ;  douze  Lettres  sur 
l'état  de  l  Irlande  ,  Essai  sur  les  réclamations  des  catholiques, 
Réplique  à  un  mandement  de  l'archevêque  protestant  de  Dublin, 
etc.  Beaucoup  de  ces  écrits  ont  rapport  à  la  politique.  M.  Doyle, 
était  zélé  Irlandais,  et  ressentait  vivement  les  soull'rances  de  ses 
compatriotes.  Tous  ses  écrits  sont  empreints  de  leurs  plaintes.  Ses 
lettres  aux  ministres,  ses  lettres  à  son  troupeau  sont  pleines  de 
chaleur  et  de  force.  A  ses  talens  comme  écrivain  ,  l'évêque  de  Kil- 
dare joignait  un  beau  caractère ,  une  âme  généreuse ,  une  piété 
éclairée. 


1Î82  aiÉLAWGES. 

—  M.  François  de  Rivaz ,  abhé  de  Saint- Maurice  dans  le  Va- 
lais, est  mort  au  mois  de  septembre  dernier  dans  un  âge  peu 
avancé.  M.  de  Rivaz  était  né  à  Saint-Gengoulph  ,  dernier  village 
de  Savoie,  sur  ja  frontière  du  Bas-Valais,  Il  était  d'une  famille 
noble  el  q)ii  avait  fourni  des  hommes  distingués,  Pierre-Joseph 
de  Rivaz,  né  à  Saiut-Gengoulph  en  l'^ii  et  mort  à  Moutiers 
en  1772,  est  connu  par  des  travaux  mécaniques  qui  lui  firent 
honneur;  il  perfectionna  les  horloges,  l'exploitation  des  salines, 
le  dessèchement  des  marais.  Il  laissa  quelques  manuscrits  ,  dont 
sont  fils  ,  Joseph  de  Rivaz  ,  grand-vicaire  de  Dijon  ,  a  publié  l'un  : 
E clair cissemens  sur  les  martyrs  delà  Légion  Théhéenne ,  1779, 
in-8°.  Il  y  a  aussi  du  même  des  Recherches  critiques  sur  la 
maison  de  Savoie.  François  de  Rivaz  était  peut-être  le  petit-fds 
de  Pierre- Joseph.  Il  entra  de  bonne  heure  à  l'abbaye  Saint-Maurice, 
de  l'ordre  des  Augustins,  dans  le  Bas-Valais.  Celte  abbaye  fut 
fondée  en  5i5  par  Sigismond,  duc  de  Bourgogne,  en  l'honneur  des 
martyrs  de  la  Légion-Tbébéenne  et  sur  le  lieu  oii  l'on  croit  qu'ils 
soullVirent  la  mort.  Aœédée  de  Sayoie  la  rétablit  en  1 136-  Elle  fut 
presque  entièrement  consumée  par  le  feu  en  169-2  ,  et  rebâtie  dans 
le  dernier  siècle  sous  l'abbé  Placide.  On  y  garde  l'épée  de  saint 
Maurice  dans  une  gaîne  d'argent  ,  et  !  on  y  trouve  plusieurs  restes 
d'antiquités  romaines.  Cette  abbaye  est  habitée  par  des  chanoines 
réguliers  ;  on  en  envoie  quelques-uns  desservir  des  cures  voisines. 
Ils  ont  formé  à  Saint-Maurice  un  hospice  pour  les  passans  et  un 
collège  où  ils  se  livrent  à  l'éducation.  François  de  Rivaz  enseigna 
d'abord  dans  ce  collège.  Il  se  livrait  aussi  à  la  prédication,  A  la 
mort  de  l'abbé  Pierra ,  il  fut  élu  abbé  de  la  maison  et  fut  préconisé 
par  Pie  VIÏ  dans  le  consistoire  du  10  mars  1823.  Il  paraît  que 
le  roi  de  Sardaigne  lui  avait  donné  le  titre  de  comte  et  la  croix  des 
SS.  Maurice  et  Lazare.  Nous  voyons  aussi  que  le  monastère  de  Saint- 
Maurice  est  qualifié  de  chapitre  royal  ;  ce  qui  pourrait  paraître 
étonnant  ,  l'abbaye  n'étant  point  en  Savoie,  mais  dans  le  Bas-Va- 
lais. Mais,  comme  Pabbé  et  plusieurs  des  religieux  sont  de  Savoie, 
le  roi  de  Sardaigne  a  voulu  apparemment  leur  donner  une  marque 
de  bienveillance.  L'abbé  de  Rivaz  était  un  homme  régulier  ;  il  a 
gouverné  sagement  sa  communauté.  I!  assista  en  1826  à  la  transla- 
tion des  reliques  de  saint  François  de  Sales  à  Annecy. 

—  Les  trois  dernières  réunions  de  l'Académie  de  la  Religion  catho- 
lique de  Rome  ont  mis  fin  aux  exercices  de  cette  année.  Dans  l'une, 
M.  Beilenghi,  camalduie,  archevêque  deNicosie,  traita  ce  sujet  :  c'est 
une  opinion  fausse  et  insoutenable  que  celle  de  Hume  et  de  M.  Biot, 
d'après  laquelle  linfluence  actuelle  des  sciences  sur  les  préjugés 
prouve  qu'on  ne  peut  discerner  aucun  miracle  des  faits  naturels,  et 
eu  conséquence  qu'il  est  imjxassiblc   de  vérifier  la   réalité  des  mi- 


MÉLàlfGES.  383 

racles.  Dans  la  réunion  suivante ,  le  père  Jacono  ,  procureur-général 
des  Théatins,  entreprit  de  montrer  contre  M.  de  Potier,  combien 
il  est  aisé  à  un  •véritable  philosophe  et  à  un  sage  politique  de 
juger  par  l'histoire  des  Papes  et  des  conciles  quel  est  le  véritable 
esprit  de  l'Eglise  catholique.  Ces  sujets  furent  traites  avec  autant 
de  sagesse  que  de  savoir.  A  la  dernière  réunion ,  ce  fut  le  savant 
prélat ,  M.   Mai ,  qui  porta  la  parole. 

— ■  Note  lue  à  l' Académie  des  Sciences  ,  sur  les  huit  arbres  du 
jardin  des  Oliviers,  de  Jérusalem.  —  La  note  suivante  a  été  com- 
muniquée à  l'Académie  des  Sciences  de  Paris ,  et  lue  dans  sa  séance 
du  i8  août  par  M.  Bové ,  ex-directeur  des  jardins  et  cultures 
d'Ibrahim-Pacha ,  au  Caire. 

Il  existe  dans  la  province  de  Fayoum  des  oliviers  dont  les  sou- 
ches ont  près  de  6  mètres  de  circonférence  ,  et  qui  ont  produit 
3  ou  4  grosses  branches  ,  dont  chacune  a  à-peu-près  un  mètre  et 
demi  de  tour,  et  8  h  lo  mètres  de  hauteur.  Autour  d'elles  s'élèvent 
des  milliers  de  rejetons  qu'on  enlève  aujourd'hui  pour  les  replanter 
en  touffes  à  la  manière  de  nos  lilas.  Ces  arbres  paraissent  avoir  été 
plantés  avant  l'ère  de  Mahomet,  car  depuis  cette  époque  nulle 
plantation  n'a  été  faite  en  Egypte,  si  ce  n'est  par  les  princes 
actuels. 

C'est  en  Palestine  et  en  Syrie  que  l'on  voit  les  plus  belles  planta- 
tions d'oliviers.  A  l'est  de  la  ville  de  Gaza  est  une  forêt  assez 
considérable  de  ces  arbres  ;  M.  13ové  en  a  vu  dont  les  troncs  avaient 
de  2  jusqu'à  5  mètres  de  circonférence  ;  mais  les  huit  arbres  du 
Jardin  des  Oliviers  près  de  Jérusalem  sont  les  plus  gros  qu'il  ait 
rencontre's.  Leur  tronc  a  plus  de  6  mètres  de  tour  ;  ils  sont  entre- 
tenus par  les  chrétiens  ,  qui  croient  généralement  que  ce  sont  les 
mêmes  arbres  qui  existaient  du  temps  de  J.-G.  ,  et  M.  Bové  est  lui- 
même  porté  à  le  croire,  eu  calculant  l'âge  de  ces  arbres  d'après  leur 
grosseur.  En  effet ,  ces  oliviers  ont  pu  croître  d'environ  un  demi- 
millimètre  par  an ,  de  sorte  que  leur  grosseur  actuelle  suffit  pour 
justifier  la  haute  antiquité  que  les  chrétiens  leur  attribuent.  Au  mois 
d'août  i832,  lorsque  M.  Bové  examina  ces  arbres,  ils  e'taient  char- 
gés de  fruits  encore  verts  :  leurs  branches  ne  s'étendaient  pas  plus 
qu'à  2  mètres  du  ti^onc  de  l'arbre  ,  ce  qui  leur  donnait  un  aspect 
particulier. 

—  Sur  la  mort  de  Richard  Lander  et  des  autres  Européens 
qui  ont  cherche  à  pénétrer  en  Afrique.  —  On  sait  que  ce  voya- 
geur déjà  célèbre,  quoique  jeune  encore  ,  puisqu'il  d('pass;iit  à  peine 
sa  trentième  année,  a  dernièrement  trouvé  la  mort  en  Afrique,  qu'il 
explorait  dans  l'intérêt  de  la  science  comme  dans  celui  do  la  civili- 


384  MÉLANGES. 

satioa  de  ces  contrées  barbares.  Richard  Lander  était  parvenu  à 
découvrir  la  source  inconnue  du  Niger,  et  on  lui  doit  la  solution 
d'une  question  qui  ,  pendant  bien  des  siècles,  avait  embarrassé  les 
géographes.  C'est  au  moment  de  revenir  dans  sa  patrie  où  latten- 
dait  une  renommée  si  honorable,  et  des  distinctions  si  bien  acqui- 
ses de  la  part  du  monde  savant ,  que  le  jeune  voyageur  est  tombé 
dans  un  coin  obscur  de  l'Afrique  ,  sous  les  coups  de  ces  mêmes 
sauvages  auxquels  il  apportait  les  bienfaits  de  la  civilisation  et  des 
arts  de  l'Europe. 

On  ne  peut  s'empêcher  de  remarquer  celte  fatalité,  attachée  à  la 
plupart  des  voyagLurs  qui  ont  exploré  l'Afrique.  L'entreprenant 
Ledyart ,  qui  avait  auparavant  parcouru  la  plus  grande  partie  du 
globe,  est  mort  des  effets  du  climat  peu  de  temps  après  avoir  mis 
le  pied  sur  le  sol  africain;  le  brave  m^jor  anglais  Hougton  ,  volé 
et  abandonne  par  les  hommes  qui  1  accompagnaient ,  a  péri  miséra- 
blement dans  les  déserts  de  cette  contrée  inhospitalière.  Mungo 
Paik,  ilinstrépar  un  si  grand  nombre  d'utiles  découvertes,  attaqué 
à  coups  de  lances  et  de  flèches  par  les  naturels  du  pays,  trouve 
son  tombeau  dans  les  eaux  du  Niger.  Le  major  Denhamme  n'e'- 
chappe  aux  périls  de  limmense  et  brûlant  désert  de  Sahara,  que 
pour  aller  mourir  à  Sierra-Lcone.  Beizoni  ,  cherchant  à  reconnaître 
la  source  du  Niger,  succombe  à  Bezin  aux  atteintes  mortelles  du 
climat.  Glappcrton  est  emporte'  par  le  chagrin  de  voir  avorter  quel- 
ques-unes de  ses  tentatives  ;  enfin  ,  Richard  Lander  arrive  à  la 
suite  de  tous  ces  noms.  Mais  combien  d'autres  Europe'ens  moins 
célèbres  n'ont-ils  pas  rencontré  la  mort  sur  cette  terre  ingrate,  en 
échange  des  bienfaits  de  la  civilisation  qu'ils  y  apportaient,  et  des 
fruits  d'instruction  et  de  science  qu'eux-mêmes  s'e'taient  flatte's  d'y 
recueillir  ! 

Et  cependant,  malgré  ces  désastres,  l'esprit  humain  ne  renonce 
pas  à  péne'trer  dans  l'intérieur  de  ce  pays,  frappé  d'une  sorte 
d'anathème. 

La  Société  scientifique  et  littéraire  du  Cap  de  Bonne-Espérance 
vient  d'ouvrir  une  souscription ,  dans  le  but  de  couvrir  les  frais 
d'une  expédition  destiné  à  explorer  l'Afrique  centrale.  Dans  l'une 
des  dernières  séances  de  cette  société  ,  Ion  a  lu  une  lettre  du  gou- 
vernement, contenant  d'intéressans  détails  relativement  aux  entre- 
prises commerciales  de  MM.  Hume  et  Muller ,  qui  ont  fait  de 
grands  progrès  dans  l'Afriepie  centrale ,  et  ont  pénétré  au-delà 
de  Leilakou.  On  suppose  ,  d'après  une  observation  faite  sur  l'om- 
bre projetée  par  le  soleil ,  que  le  i^  décembre  i833  ,  ces  messieurs 
avaient  atteint  le  tropique.  Ce  sont  ces  nouvelles  qui  ont  engagé 
la  société  scientifique  et  littéraire  à  envoyer  une  expédition  pour 
explorer  ces  régions,  éclaircir  les  points  douteux  de  leur  géogra- 


MÉLANGES.  385 

phie ,  donner  la  nature   de   leurs  productions ,   et  expliquer  le? 
avantages  qu'elles  peuvent  offrir  au  commerce. 

—  U American,  journal  de  Baltimore,  annonce  en  ces  termes 
la  de'couvcrte  duo  village  indien,  caché  sous  terre  depuis  un  espace 
de  temps  inconnu  : 

Les  ouviiers  d'une  mine  d'or  de  la  Ge'orgie,  en  creusant  un 
canal  pour  le  lavage  de  l'or,  viennent  de  découvrir,  dans  le  Na- 
coochee  Valley,  un  village  indien  sous  terre,  à  une  profondeur 
qui  varie  de  sept  à  neuf  pieds.  Quelques-unes  des  maisons  sont 
engagées  dans  un  stratum  de  gravier  aurifère.  On  en  compte  34, 
construites  avec  des  pièces  de  Ijois  de  6  à  lo  pouces  de  diamètre, 
et  de  lo  à  12  pieds  de  long.  Les  murailles  ont  de  3  à  G  pieds  de 
haut  ,  et  forment  une  ligne  continue  ou  rue  de  3oo  pieds.  Le 
système  de  charpente  est  le  même  que  celui  d'aujourd'hui.  Ces 
bâlimens  paraissent  fort  anciens.  On  a  trouvé  dans  les  chambres 
des  paniers  de  roseau  et  des  fragmens  de  vases  de  terre.  On  y  a 
aussi  trouve  beaucoup  d'autres  meubles  et  ustensiles  ,  dont  l'excel- 
lent travail  atteste  qu'ils  sont  l'ouvrage  d'un  peuple  plus  civilisé 
que  ne  le  sont  les  Indiens  d'aujourd'hui. 

—  La  Feuille  hebdomadaire  danoise  ^Dansh  ugsshiift)  con- 
tient dans  SCS  n  *  iiq  et  120  un  rapport  de  larchivisle  Finn  iVia- 
gnussen  ,  sur  la  découverte  qu'il  vient  de  faire  eu  dëchillrant  la  plus 
ancienne  inscription  danoise  connue  ,\?t  pierre  runique  de  Braavalla- 
Hcide  ,  à  BItkingen.  Depuis  le  12^  siècle,  cette  célèbre  inscription 
avait  été  l'objet  de  recherches  infructueuses.  L'année  dernière , 
l'académie  des  sciences  de  Copenhague  envoya  une  commission  com- 
pose'e  de  MM.  Finn  Magniissen  ,  Molbech  et  Forchhammer,  pour 
décider  si  ces  signes  énigmatiques  devaient  être  considères  comme 
des  caractères  d'écriture  ou  comme  un  jeu  de  la  nature.  La  com- 
mission se  prononça  formellement  contre  celte  dernière  opinion, 
sans  pouvoir  cependant  découvrir  le  sens  de  l'inscription. 

Tout  dernièrement,  M.  Finn  Magnussen  a  eu  l'heureuse  idée  de 
lire  linscription  de  droite  à  gauche  ,  et  soudain  le  sens  lui  en  est 
devenu  tout-à-fait  clair.  Il  publie  maintenant  cette  incription  qu'il 
a  déchiffrée.  Elle  est  écrite  dans  l'antique  langue  du  nord,  et  dans 
la  plus  ancienne  esj)cce  de  vers  avec  allitération  ;  elle  a  été  gravée 
peu  de  temps  avant  la  bataille  de  Braavalla-Heide ,  vers  l'an  735 
d(!  J.C.,  et  elle  contient  une  prière  aux  dieux  Odin  Frey  et  aux 
autres  Ases  ,  d'accorder  au  roi  liarald-Hiillekirn  la  victoire  sur  les 
princes  perfides  Ring  et  Ole.  M.  le  conseiller  Schlegel  a  fait  la 
remarque  que  cette  manière  orientale  d'écrire  clail  la  plus  ancienne, 
qu'elle  avait  été  mise  hors  d'usage  par  les  lettrés  romains,  lors  de 


386  MÉLANGES. 

l'introduction  du  christianisme ,  et  qu'elle  donne  ainsi  un  caractère 
important  pour  reconnaître  la^e  des  runes.  Sans  doute,  cette  heu- 
reuse découverte  servira  à  l'explication  de  plusieurs  autres  monumens 
runiques  qui  ont  été  conservés  dans  une  grande  partie  de  l'Europe 
comme  des  monumens  muets  de  la  plus  ancienne  histoire. 

—  Quelques  renseignemens  sûrs ,  relatifs  à  M.  Margerin  ,  nous  mettent 
à  même  d'apprécier  la  vcrilé  des  faits  racontés  à  son  sujet  par  un  jour- 
nal libéral  français.  Nous  profitons  de  cette  occasion  jîour  éclaircir  par 
quelques  réflexions  les  questions  qui  ont  été  soulevées  à  propos  des 
rapports  éventuels  de  ce  savant  avec  l'Université  catholique. 

On  se  souvient  du  ton  de  dérision  triomphante  avec  lequel  le  Temps 
parlait  de  ce  fervent  adejife  de  récole  saint-simonieniie ,  Vun  de  ceux 
qui  ont  poussé  le  plus  loin  sa  philosophie  novatrice  ,  se  ralliant  à  l'U- 
ni\'crsité  catholique  par  excellence.  Quand  même  les  faits  rapportés  par 
ce  journal  seraient  e-xacts ,  ce  qui  n'est  point,  nous  ne  verrions  pas 
qu'il  y  eût  lieu  à  triompher  pour  les  ennemis  de  notre  foi  et  de  la 
nouvelle  Université.  Admettons  pour  un  moment  la  vérité  des  assertions 
du  Temps,  s'ensuivrait-il  que  les  évoques,  faute  de  trouver  des  pro- 
fesseurs catholiques ,  ont  appelé  à  l'enseignement  de  la  jeunesse  un  homme 
actuellement  saint-simonien  ?  Comme  nous  ne  pouvons  croire  que  qui 
ce  soit  ait  pu  accueillir  une  conjecture  de  ce  genre  ,  il  en  résulterait 
seulement  qu'un  disciple  de  Saint-Simon  serait  rentré  dans  le  sein  de 
l'Eglise  ,  que  cet  homme  ,  désireux  de  réparer  ses  erreurs  ,  voudrait 
mettre  ses  talens  et  sa  science  au  service  de  la  religion  et  que  IXTni- 
versité  lui  ouvrirait  ses  portes.  Cela  n'.iurait  rien  de  si  nouveau  ,  ni 
de  si  blâmable.  Si  nous  nous  reportons  à  l'antiquité,  nous  voyons  tout 
d'abord  St. -Paul  devenir  immédiatement  de  persécuteur  apôtre.  Sur  les 
quatre  grands  docteurs  catholiques  ,  deux  avaient  été  long-temps  en- 
gagés dans  les  voies  du  monde  et  de  Terreur,  S.  Jérôme  et  S.  Augustin. 
Ce  dernier ,  personne  ne  l'ignore  ,  avait  été  philosophe  incrédule ,  puis 
manichéen.  Si  nous  considérons  l'époque  actuelle .  la  plupart  des  défen- 
seurs renommés  de  notre  foi ,  surtout  en  Allemagne,  sont  des  convertis, 
venus  de  l'incrédulité  ou  de  l'hérésie.  Cela  même  n'a  rien  d'étonnant  : 
on  a  toujours  dit  :  zélé  comme  un  converti.  Et  en  effet,  les  hommes 
qui  sont  revenus  à  la  vérité  après  de  longs  égaremens  ,  ont  une  ardeur 
de  repentir  qui  les  mène  quelquefois  pins  loin  que  ceux  qui  ne  sont 
jamais  tombés  ;  ajoutons  qu'ils  s'entendent  peut-être  mieux  à  prémunir 
les  autres  contre  les  pièges  de  l'erreur  .  à  raison  de  la  triste  expérience 
qu'ils  ont  f  lile ,  et  qu'une  conversion  tardive ,  grâce  d'élection  que  Dieu 
accorde  rarement  et  qui  suppose  dans  celui  qui  la  reçoit  le  mérite  de 
la  droiture  du  cœur  et  de  la  volonté ,  est  très-souvent  un  signe  qu'on 
est  destiné  par  la  Providence  à  devenir  un  instrument  de  salut  pour 
ses  frères.  Quant  à  l'exclusion  qu'on  voudrait  donner  aux  ouvriers  qui 
ne  viennent  travailler  à  la  vigne  qu'à  la  neuvième  ou  à  la  onzième  heure, 
ceux  qui  se  sentiraient  portés  à  une  sorte  de  défiance  et  de  jalousie 
n'ont  qu'à  relire  dans  l'Evangile  la  parabole  à  laquelle  nous  faisons  al- 
lusion (  Matth  XX  ) ,  celles  de  l'enfant  prodigue  ,  de  la  brebis  perdue ,  etc.  ; 
ils  y   verront   si   ce  sont  là  les  sentimens  qu'approuve  le  divin  Maître. 

Ces   principes  posés  ,  et  il  nous  parait  difficile  que  des  chrétiens  re- 


MÉLANGES.  387 

fusent  de  les  admettre ,  nous  demandons  qu'on  veuille  bien  écouter 
quelques  explications  sur  le  saint-siaionisme ,  dont  l'histoire  n'est  pas 
bien  connue  de  tout  le  inonde.  Celte  doctrine  a  eu  trois  phases  Lien 
distinctes  :  ce  fut  d'abord  un  système  d'économie  politique ,  sans  mé- 
lange d'idées  religieuses  quelconques  :  ses  adhérens  ,  fort  obscurs  alors , 
essayèrent  d'imaginer  une  organisation  de  la  société  où  l'inégalité  des 
fortunes  fût  moins  grande  que  dans  la  société  actuelle  :  leurs  écrits  , 
quoique  contenant  des  vues  assez  remarquables,  étaient  à  peu  près 
ignorés.  La  seconde  phase  commence  en  i83o  et  finit  en  i83i.  Les 
disciples  de  Saint  Simon  s'aperçoivent  qu'il  faut  quelque  chose  de  plus 
qu'un  mécanisme  pour  renouveler  la  société  :  ils  s'emparent  de  quelques 
idées  chrétiennes  ,  les  défigurent  en  les  isolant ,  et  commencent  à  se 
donner  pour  les  précurseurs  d'une  nouvelle  religion  encore  inconnue. 
Ils  sont  passés  de  la  politique  à  la  philosophie  :  mais  comme  ils  ont 
pris  le  panthéisme  pour  point  de  départ  .  les  conséquences  de  ce  principe 
se  développent  bientôt  d  une  manière  cfl'rayante.  A  la  troisième  période, 
ils  ont  donné  à  leur  doctrine  le  nom  de  religion  saint-simonienne ,  et 
alors  ils  tombent  d'extravagance  en  extravagance,  de  scandale  en  scan- 
dale. Dès  les  premiers  pas,  de  graves  dissentimens  s'élèvent  entre  eux: 
plusieurs  des  chefs  se  retirent  :  quelques-uns  seulement  suivent  leur 
logique  jusqu'au  bout ,  et  sont  bientôt  forcés  de  s'enfuir  en  Orient  au 
bruit  des  huées  et  des  sifflets. 

A  partir  de  cette  troisième  phase ,  rien  n'est  plus  insensé  et  plus  ré- 
voltant que  le  saint-simonisme  :  mais  jusque-là ,  osons  le  dire  ,  c'est 
parmi  les  diverses  formes  de  l'erreur  ,  l'une  des  moins  repoussantes. 
Plagiaire  de  la  primitive  Eglise  ,  il  faisait  appel  à  la  cliarité  ,  au  dé- 
vouement,  et  il  trouvait  en  efl'et  des  hommes  qui  se  dévouaient.  Puis, 
chose  remarquable  ,  il  vantait  sans  cesse  le  christianisme  comme  ce  qu'il 
y  avait  jamais  eu  de  plus  beau  dans  le  monde  :  il  se  donnait,  il  est 
vrai,  comme  un  complément  et  un  perfectionnement  du  christianisme, 
amené  par  les  progrès  de  l'humanité  ;  mais  il  plaçait  notre  religion  fort 
au-dessus  de  ce  qui  n'était  pas  cette  religion  de  l'avenir  que  poursui- 
vaient ses  rêves.  Que  cela  même  nous  paraisse  .  à  nous  catholiques, 
absurde  et  blasphématoire,  rien  de  plus  nalurc.l,  mais  il  faut  recon- 
naître que  ces  idées  étaient  un  progrès  chez  des  hommes  enfoncés  au- 
paravant dans  la  fange  du  matérialisme  et  respirant  toute  la  haine  du 
dix-huitième  siècle  contre  notre  foi  ;  on  peut  même  dire  que  pour  les 
déistes  et  les  athées  auxquels  ils  s'adressaient .  il  y  avait  là  une  sorte 
de  préparation  au  christianisme ,  puisqu'on  leur  apprenait  à  le  respecter 
et  même  à  l'étudier. 

Lorsqu'ils  ont  vu  s'écrouler  risiblement  ou  ignominieusement  la  chi- 
mère qu'ils  avaient  poursuivie  ,  il  y  a  eu  îles  chances  pour  que  quelques- 
uns  d'entre  eux  se  retournassent  vers  ce  christianisme  (ju'ils  commençaient 
à  connaître  un  peu  mieux  et  pour  que  les  plus  sincères  d'entre  eux 
sentissent  leurs  yeux  s'ouvrir  à  la  lumière.  Ceci  n'est  pas  une  simple 
conjecture  :  des  faits  très-remarquables  et  qui  mériteraient  d'être  mieux 
connus  prouvent  que  Dieu  s'est  en  effet  servi  du  saint-simonisme  pour 
ramener  dans  le  sein  de  l'Eglise  plusieurs  de  ses  enfans  égarés.  Un 
nombre  relativement  considérable  de  saint-simoniens  a  abjuré  ses  erreurs 
et  nous  en  connaissons  plusieurs  qui  sont  aujourd'hui  des  modèles  de 
foi  et  de  ferveur.  Or,  si  quelqu'un  de  ces  hommes  ,  devenus  fils  dévoués 


388  MÉLANGES. 

et  obéissans  de  l'Eglise  ,  se  distinguait  par  des  talens  supérieurs  et  brûlait 
de  les  consacrer  à  la  cause  de  la  vérité  ,  croit-on  qu'il  fût  très  à  pro- 
pos de  le  repousser  et  de  l'exclure  ?  Certes  nos  adversaires  sont  plus 
adroits  que  nous  à  cet  égard  :  car  dès  que  l'un  des  ncMrcs  s'égare  ou 
semble  s'égarer  ,  ils  rap()elient  à  eux  ,  ils  lui  tendent  les  bras  ,  ils  le 
placent  parmi  eux  au  premier  rang,  parce  que,  comme  dit  lEvangile, 
les  cnjans  du  siècle  sont  j>ius  pi'wlens  que  les  enfans  de  lumière  Et  après 
tout,  tlans  r^fTaire  qui  nous  occupe,  ce  sont  les  ennemis  du  catholicisme 
qui  ont  cherclnî  d'abord  à  éveiller  des  préventions  contre  M.  M.iigerin, 
d'où  il  faut  conclure  qu'ils  le  regardent  comme  une  acquisition  précieuse 
pour  l'Université  nouvelle,  à  moins  qu'on  n'aime  mieux  croire  à  leur 
bienveillance,  à  l'intérêt  qu'ils  lui  portent,  à  la  crainte  qu'ils  ont  de 
lui  voir  faire  un  mauvais  choix. 

Nous  avons  raisonné  jusqu'ici  dans  l'hypothèse  où  les  faits  articulés 
par  les  libéraux  seraient  d'une  parfaite  exactitude.  Or  ,  on  peut  prouver 
très-facilement  (ju'il  est  faux  que  M.  Margerin  ait  été,  comme  ils  l'af- 
firment, une  des  colonnes  de  la  religion  saint-simonienne  ,  un  de  ses 
hommes  les  plus  imporlans  ,  un  de  ceux  qui  ont  poussé  le  plus  loin  ses 
principes.  Cette  secte  avait,  on  peut  s'en  souvenir,  un  organe  quoti- 
dien où  étaient  relatés  soigneusement  les  noms  des  dignitaires  de  la 
nouvelle  église,  ceux  de  tous  ses  missionnaires,  de  ses  néophytes  ,  ainsi 
que  leurs  discours  et  leurs  actes ,  et  où  ses  plus  minces  écrivains  venaient 
chacun  à  son  tour  faire  leur  profession  de  foi.  Or,  il  n'y  a  pas  dans 
le  Globe  sainl-simonien  une  seule  ligue  <le  M.  Margerin,  et  son  nom 
ne  s'y  trouve  pas  mentionné  parmi  ceux  des  nouveaux  apôtres  ,  silence 
tout-à-fait  inexplicable  s'il  eut  été  en  communion  avec  eux  :  car,  si 
l'on  en  croit  ceux  qui  le  connaissent  ,  il  n  est  point  de  ces  hommes 
qu'une  secte  nouvelle  puisse  confondre  dans  la  foule  et  dont  elle  ne 
sente  pas  le  besoin  de  se  parer.  C'est  qu'en  effet  si  M.  Margerin  a  eu 
quelques  relations  avec  des  ilisciples  de  Saint-Simon  ,  il  les  a  eues  au 
moment  où  ils  fai>aient  seulement  de  récoiiomie  politique  et  où  leur 
philosophie  ne  prétendait  pas  être  une  religion.  Au  moment  où  ils  fai- 
saient le  plus  de  bruit,  lorsque  les  doctrines  d'Enfantin  sur  le  mariage 
se  manifestaient.  M.  iNlargerin  était  en  Allemagne,  occupé  d'observa- 
tions scienlifiques  et  de  méditations  sérieuses.  Il  s'y  liait  intimement 
avec  quelques-uns  des  plus  illustres  calholi(|ues  d'Outre-Rhin  qui  tous 
parlent  de  lui  comme  d'un  homme  aussi  distingué  par  sa  piété  que  par 
ses  talens.  Nous  ignorons  s'il  est  appelé  définitivement  à  faire  partie 
de  l'Université  catholique  ,  mais  il  nous  semble  que  quand  on  lui  de- 
manderait le  concours  de  ses  talens ,  les  catholiques  devraient  trouver 
là  plus  à  applaudir  qu'à   blâmer.  —  L'Union  ,   n°  289. 


389 


VV^  VVV  *A^  VVV  VVV  VVVXAAI  «.«^-VV*»  VVV  VV*  VVV  VVV  VVV  VVV  VVV  VVV  VVV  VVV  VVfc  vvv  v\^ 


EXAMEN  DE  L'HISTOIRE  DE  FRANCE 
DE  M   MICHELET, 

CONSIDÉRÉE  sous  LE  RAPPORT  DE  LA  RELIGION. 

PREMIER    ARTICLE. 

Nécessité  de  rectifier  les  histoires  anciennes  et  modernes.  —  Défauts  des 
histoires  de  France.  — Oubli  ou  mépris  de  l'influence  du  christianisme. 
—  Nécessité  d'une  école  historique  catholique.  —  Premiers  essais  de 
cette  école.  —  Examen  du  livre  de  Michelet.  —  Ses  erreurs  sur  les 
traditions  religieuses  des  anciens  peuples  de  la  Gaule.  —  Erreurs  sur  la 
suprématie  du  Samt-Siége.  —  Est-il  vrai  que  lu  puissance  du  Saint-Siège 
n'a  été  fondée  qu'au  5«  siècle  ?  —  Est-il  vrai  que  le  travail  n'a  été  re- 
commandé aux  moines  que  par  St.  Benoît? 

U histoire  est  à  refaire  ,  ii  dit  un  homme  dont  les  paroles  reste- 
ront. Cette  sentence ,  qui  semble  plus  particulièrement  portée  contre 
les  auteurs  modernes  ,  frappe  aussi  une  grande  partie  des  œuvres 
de  l'antiquité  classique.  Tout  en  admirant  ce  qu'il  y  a  de  beau, 
de  noble,  de  monumental  dans  la  naïve  abondance  ou  l'éloquente 
concision  des  historiens  de  la  Grèce  et  de  Rome,  on  ne  saurait 
s'empêcher  de  reconnaître  combien  leurs  récits  sont  incomplets  , 
leur  point  de  vue  rétréci,  leurs  opinions  hasardées,  en  ce  qui 
touche  surtout  l'origine  et  l'enfance  des  peuples,  leurs  traditions 
primitives,  leurs  croyances  et  leurs  mœurs,  l'appréciation  de  leur 
civilisation  naissante.  Ce  n'est  point ,  au  reste ,  un  amer  et  absolu 
reproche  qu'on   adresse  à  ces  illustres  écrivains.  Peut-on  affirmer 

qu'il  leur  fut  possible  de   faire  autrement? Nous  venons  à 

une  époque  qu'on  ne  peut  comparer  à  celle  où  ils  vivaient  :  nous 
profitons  de  leurs  travaux  et  de  ceux  de  leurs  successeurs  ;  mille 
circonstances  semblent  conspirer  pour  nous  re'véler  un  passé  mé- 
T.  X.  27 


390  EXAMEN    DE    l'hISTOIRE    DE    FRANCE 

connu  jusqu'ici.  Les  progrès  des  sciences  archéologiques ,  la  con- 
naissance des  vieux  langages,  la  découverte  d'un  très-grand  nombre 
de  raonumens,  viennent  donner  à  ces  temps  antiques  le  charme 
dun  monde  nouveau.  Une  immense  carrière  s'ouvre  au  génie  des 
découvertes.  Des  esprits  d'un  ordre  eminent  se  sont  déjà  lancés 
dans  cette  voie ,  et  quelque  jugement  qu'on  puisse  porter  sur  les 
tentatives  des  Nieburh  ,  des  Schlosser  ,  des  Micali,  etc.,  c'est  un 
point  désormais  incontestable ,  que  ce  que  nous  savons  sur  les  pre- 
miers âges  de  Thumanite,  n'est  point  la  vérité,  et  que,  si  nous 
voulons  la  posséder  tout  entière ,  nous  avons  beaucoup  à  appren- 
dre,  et  peut-être  autant  à  oublier. 

Quant  h  l'histoire  moderne  (  et  je  parle  naturellement  de  celle 
qui  en  est  la  partie  la  plus  importante  et  qui  nous  inte'resse  le 
plus  vivement ,  l'histoire  de  notre  patrie  ) ,  après  nous  être  res- 
pectueusement inclinés  devant  ces  immenses  et  précieux  dépôts, 
véritables  trésors  de  nos  annales  ,  qui  ont  immortalise'  quelques 
beaux  noms  depuis  André  Ducbesne  jusqu'à  don  Bouquet ,  nous 
pouvons  répéter  sans  injustice  ce  que  tout  le  monde  a  dit  avant 
nous,  qu'il  n'y  a  point  de  véritable  histoire  de  France.  Presque  tous 
nos  historiens ,  quelle  que  soit  d'ailleurs  la  diversité  de  leurs  sys- 
tèmes ,  semblent  s'être  entendus  pour  s'occuper  uniquement  des 
sommités  sociales.  Toute  leur  ambition  s'est  bornée  à  nous  laisser 
la  date  et  la  description  d'une  série  déterminée  d'e'vénemens,  des- 
quels ils  se  sont  peu  mis  en  peine  de  chercher  les  causes,  les  saites 
la  mutuelle  dépendance,  et  qu'ils  font  passer  devant  nos  yeux 
comme  les  tableaux  d'un  cosmorama.  Les  princes,  leur  famille, 
leur  cour,  quelques  fameux  personnages,  les  grands  guerriers  sur- 
tout et  les  grandes  batailles,  voilà  ce  qui  remplit  toutes  leurs  pages. 
Du  vrai  peuple  français ,  de  son  état  et  de  ses  diverses  classes  , 
des  serfs  et  de  leur  affranchissement,  des  bourgeois  et  de  leurs  cor- 
porations ,  de  nos  villes ,  de  nos  provinces ,  de  leur  inépuisable 
variété  de  caractère,  de  législation,  de  physionomie,  rien  ou  peu 
de  chose;  et,  ce  qui  est  beaucoup  plus  grave,  un  entier  oubli  de 
l'immense  et  permanente  influence  exercée  par  le  christianisme, 
dont  il  n'est  guère  fait  mention  que  pour  laisser  percer  d'hostiles 
et  inexplicables  préjugés  contre  les  Souverains -Pontifes.  Ces  deux 
derniers  défauts  out  les  plus  fâcheuses  conse'quences  ,  même  sous 


DE    M.     MICHELET.  391 

le  rapport  purement  Listorique ,  car  il  est  impossible  de  rien  com- 
prendre à  la  marche  des  sociétés  modernes ,  si  l'on  ne  cherche  la 
raison  de  la  force  civilisatrice  qu'elles  portent  en  leur  sein,  dans 
l'établissement  de  la  religion  chrétienne  ,  et  conséqucmment  dans 
l'autorité'  exercée  par  l'Église  catholique  et  par  son  chef;  car,  sans 
l'Eglise  point  de  christianisme,  et  point  d'Eglise  sans  celui  qui  en 
est  h  la  fois  le  faite  ,  la  colonne ,  le  fondement  et  la  pierre 
angulaire. 

Et  qu'on  ne  se  méprenne  point  sur  nos  intentions.  En  récla- 
mant une  histoire  profondément  religieuse,  profondément  catholi- 
que ,  nous  n'entendons  nullement  dire  qu'il  faille  déguiser  aucun 
fait,  dissimuler  aucun  tort,  épouser  des  haines  ou  des  préférences 
injustes,  montrer  les  hommes  et  les  choses  à  travers  une  loupe, 
un  prisme  ou  un  voile  selon  l'occurence.  Non  ,  le  temps  des  réli- 
cences est  passe'.  Avant  tout ,  l'histoire  doit  raconter  la  vérité' 
l'entière  ve'rité,  la  seule  ve'rité.  Le  catholicisme  est  assez  beau  pour 
être  montré  tel  que  Dieu  l'a  fait.  Que  sont  les  fautes ,  les  crimes 
d'un  certain  nombre  d'hommes  ,  quels  que  soient  leur  rang  ou  leur 
nom,  comparés  à  cette  magnifique  fondation  du  Christ,  se  de've- 
loppant  dans  la  suite  des  siècles  ,  anoblissant  l'espèce  humaine 
faisant  l'éducation  des  peuples  ,  protégeant  l'enfance  et  l'infirmité 
élevant  les  petits  et  les  faibles ,  rétablissant ,  fondant  la  ve'ritable 
institution  sociale  du  mariage  ,  anéantissant  an  dedans  le  nom 
à^ esclave ,  au  dehors  celui  de  barbare,  créant  à  leur  place  le  mot 
céleste  de  charité,  qui,  seul,  peut  suppléer  à  toutes  les  lois  hu- 
maines, qui,  seul,  renferme  le  germe  d'une  civilisation  infiniment 
progressive,  et  fait  luire  sur  la  terre  comme  un  rayon  de  la  cité 
de  Dieu  ?  —  Qu'on  n'oublie  point  que  le  christianisme  a  deux  faces  : 
le  côte'  humain  ,  car  il  est  fait  pour  l'homme  déchu  ,  me'chant ,  pé- 
cheur :  et  Dieu,  sans  cesser  de  veiller  à  ses  immortelles  destinées, 
laisse  une  grande  part  dans  son  œuvre  à  la  liberté'  humaine  ;  le 
côté  divin,  par  lequel  il  éclaire  et  réchauiïe  le  monde  avec  la  foi 
et  l'amour. 

D'après  ces  indications,  on  peut  voir  ce  qui  nécessite,  selon  nous, 
un  grand  renouvellement  des  études  historiques ,  renouvellement 
qui  ne  peut  tarder  de  s'accomplir ,  et  qui  même  a  déjà  commencé. 
Il  s'est  en  effet  opéré  une  sorte  d'insurrection.  Une  nouvelle  école 

27. 


392  EXAMEN    DE    l'hISTOIRE    DE    FRANCE 

s'est  hardiment  proclame'e.  Son  début  a  eu  un  grand  retentisse- 
ment ;  et ,  si  l'on  en  trouve  en  partie  la  cause  dans  sa  rupture  avec 
le  passe',  dans  sa  démarche  fièie  et  un  peu  dédaigneuse  ,  il  faut 
aussi  l'attribuer  à  de  brillantes  quaîite's  ,  accompagnées  de  de'fauts 
non  moins  éclatans  (i).  Mais  quoiqu'il  s'en  faille  de  beaucoup  qu'elle 
re'alise  nos  espérances  ,  nous  serons  les  premiers  à  rendre  justice 
à  tout  ce  qu'elle  a  fait  de  bien.  Sans  lui  épargner  les  reproches 
mérités,  nous  ne  lui  refuserons  point  l'honneur  d'avoir  jeté  du 
jour  sur  quelques  parties  obscures  de  notre  histoire ,  d'avoir  fait 
de  curieuses  recherches ,  d  heureuses  rectifications  à  l'aide  d'une 
science  puisée  aux  véritables  sources  ;  nous  la  louerons  de  l'élé- 
vation générale  de  ses  vues  ,  de  sa  tendance  à  l'impartialité  si 
éloignée  du  ton  des  savans  du  i8®  siècle  ;  enfin,  de  quelques  ad- 
mirables pages  sur  le  christianisme,  qui,  à  nc«j  yeux,  font  oublier 
bien  des  torts,  car  ces  écrivains,  jeunes,  la  plupart,  sont  bien 
loin  de  partager  nos  croyances  ;  et  voilà  ce  qui  donne  souvent  à 
leurs   paroles  une  singulière   autorité. 

M.  Michelet ,  dont  nous  avons  à  parler  aujourd'hui ,  «  est  un 
»  homme  jeune  comme  nous ,  un  homme  de  conscience  et  de  tra- 
»  vail  ;  un  homme  qui  a  cheminé  solitaire  en  dehors  des  coteries 
»  et  des  preneurs,  cloîtré  en  quelque  sorte  dans  ses  e'tudes  qui 
M  l'ont  blanchi  et  ridé  avant  le  temps  ,  anachorète  et  martyr  de  la 
»  science....  (2);»  il  tient  un  des  premiers  rangs  dans  la  nouvelle 
e'cole  historique,  et  il  faut  reconnaître  en  lui  la  plupart  des  méri- 
tes que  nous  avons  mentionnés  plus  haut.  Ce  qui  le  distingue  en- 
tre tous  ,  ^c'est  une  pensée  forte  et  hardie ,  qui  aspire  à  compren- 
dre les  faits  ,  à  les  classer,  à  les  dominer  quelquefois;  une  grande 
richesse  d'imagination,  un  style  fortement  coloré,  une  tête  chaude, 


(i)  Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  parler  de  l'école  historique  religieuse 
qui  s'est  déjà  illustrée  par  des  travaux  delà  plus  haute  importance.  On 
peut  citer  le  Tableau  historique  et  piitoresque  de  Paris,  par  M^  de  Saint- 
Victor  ;  Y  Histoire  des  Croisades ,  de  M.  Michaut  ;  les  Jnnales  du  moyen- 
dge ,  de  M.  Franlin  ;  Y  Histoire  d'Angleterre  ,  du  docteur  Liugard  ;  les 
Mémoires  historiques,   de  M.  de  Chateaubriand,  etc. 

(2)  Baron  d'Eckstein  ,  ci-d.  tom,  ix  ,  p.  l\o-2. 


DE    M.    MICHELET.  393 

une  parole  entraînante,  un  grand  dësir  d'être  neuf  et  admiré. 
Il  ne  faut  point  chercher  dans  son  livre  l'esprit  investigateur 
de  M.  Giiizot,  la  froide  et  impassible  assurance  de  M.  Augustin 
Thierry,  les  longues  éiucubrations  de  M.  de  Sismondi;  son  His- 
toire de  France  est  plutôt  un  vif  et  pittoresque  récit,  une  syn- 
thèse rapide  des  faits,  avec  l'intention  de  les  rattacher  à  une  loi 
historique  ,  dont  nous  tâcherons  prochainement  d  apprécier  l'appli- 
cation :  nous  nous  bornerons,  dans  cet  article,  à  faire  connaître 
sommairement  les  idées  de  l'auteur  sur  les  anciens  peuples  dont  le 
mélange  a  formé  la  nation  française ,  et  à  relever  quelques  erreurs 
relatives  aux  traditions  religieuses  de  ces  peuples  et  à  quelques  in- 
stitutions fondam.entales  de  l'Eglise. 

Personne  n^gnore  que  les  premiers  habitans  de  la  Gaule  furent 
les  Galls  ou  Celles  ,  peuple  irritable,  plein  d'audace  et  d'ar- 
deur; «  peuple  de  guerre  et  de  bruit,  dit  M.  Michelet,  ils  cou- 
»  rent  le  monde  l'epe'e  à  la  main  ,  moins,  ce  semble  ,  par  avidité 
»  que  par  un  vague  et  vain  désir  de  voir,  de  savoir,  d'agir;  bri- 
»  saut,  détruisant,  faute  de  pouvoir  produire  encore.  Ce  sont  les 
))  enfans  du  monde  naissant  ;  de  grands  corps  mous,  blancs  et 
»  blonds;  de  Télan  ,  peu  de  force  et  d'haleine;  jovialité  féroce, 
»  espoir  immense;  vains,  n'ayant  rien  encore  rencontré  qui  tînt 
M  devant  eux.  »  On  les  aperçoit  tour  à  tour  sous  la  tente  d'Alexan- 
dre, sous  les  murs  de  Rome,  aux  rochers  de  Delphes,  aux  champs 
où  fut  Troie.  —  Aussi  haut  que  l'histoire  peut  remonter,  voilà 
quels  furent  les  possesseurs  du  sol  que  nous  occupons;  vers  la  fron- 
tière méridionale,  nous  trouvons,  il  est  vrai,  d'autres  races;  au 
pied  des  Pyrénées  ,  les  Ibères ,  paisibles  agriculteurs  qui  forment 
un  parfait  contraste  avec  les  Galls  ;  au  sud-est,  les  Phocéens  qui 
posent  les  fondemens  de  Marseille ,  sur  les  côtes  de  la  Méditerra- 
née, pratiquées  dès  la  plus  haute  antiquité  par  les  Phéniciens  et 
les  Grecs.  Mais  l'avenir  de  la  Gaule  n'était  point  là.  Tandis  que 
le  littoral  méridional  recevait  sa  civilisation  du  midi ,  le  nord  et 
le  centre  recevaient  la  leur  des  Celtes  eux-mêmes. 

Cette  race  gallique,  «  cet  élément  jeune,  mou]  et  flottant,  »  fut 
bientôt  modifié.  Les  Kimry  ,  qui  ne  sont  qu'une  tribu  celtique, 
viennent  se  mêler  à  celles  des  Galls  ;  et  ce  qu'ils  olfrcnt  de  plus 


394 


EXAMEN    DE    L  HISTOIRE    DE    FRANGE 


remarquable ,  c'est  qu'ils  sont  gouvernés  par  la  corporation  sacer- 
dotale des  Druides,  qui  doit  avoir  une  si  haute  influence  sur  les 
destinc'es  de  la  Gaule.  —  Il  faut  avouer  que  ce  nouvel  éicmetil  al- 
téra prodigieusement  la  nature  de  la  base  primitive;  car,  au  lieu  de 
cette  «jeune,  molle  et  mobile  race  de  ces  Galls,  de  ces  grands 
»  corps  mous,  blancs  et  blonds,  apparaît  tout  à  coup  un  peuple 
))  dont  le  caractère  est  la  personnalité,  l'opiniâtreté,  la  persistance, 
»  la  ténacité;  race  de  pierre,  immuable  comme  ses  monumeus  drui- 
»  diques »  C'est  là  ce  que  M.  Michelet  appelle  le  caillou  cel- 
tique. A  côté  de  ce  caillou  ,  César  vint  poser  la  brigue  romaine. 
Il  y  avait  là  de  quoi  bâtir  un  inébranlable  édifice;  mais  il  man- 
quait un  ciment  ;  les  Germains  furent  chargés  de  le  fournir.  Le  type 
vague  et  indécis  de  la  race  allemande,  son  esprit  e'minemment  so- 
cial, docile,  flexible,  lui  donnait  une  malléabilité  fort  propre  à  servir 
de  lien  entre  les  dures  couches  celtique  et  romaine. 

Ce  peu  de  mots  sufS.t  pour  donner  une  idée  du  système  de  M. 
Michelet  sur  les  origines  de  la  nation  française,  système  dont  nous 
verrons  plus  tard  l'application  (i).  Hâtons-nous  de  passer  à  une 
question  d'un  plus  grand  intérêt ,  et  qui  rentre  plus  spécialement 
dans  les  attributions  des  annales. 

Le  jT  volume  de  V Histoire  de  France  contient  de  longs  et 
curieux  détails  sur  la  religion  des  Celtes  et  des  Germains,  et  il 
faut  louer  Fauteur  de  l'importance  qu'il  semble  attacher  à  ce  qui 
concerne  cette  partie  si  essentielle  de  la  vie  des  peuples.  Mais, 
dans  cette  savante  dissertation,  M.  Michelet,  ou  plutôt  M.  Ara. 
Tierry ,  auquel  ce  travail  est  textuellement  emprunté  (du  moins 
pour  ce  qui  regarde  des  Celtes)  ,  n'a  pas  assez  aperçu,  au  fond  du 
culte  grossier  de  ces  races  ,  la  vraie  et  première  notion  de  la  Divi- 
nité. —  Sans  doute  les  Gaulois  étaient  idolâtres  ;  ils  adoraient  les 
fontaines  ,  les  lacs,  les  pierres,  les  arbres,  les  vents,  chaque  lieu, 


(i)  Le  système  de  M.  l\îichelct  a  été  apprécié  à  sa  juste  valeur  par 
un  juge  (l'une  haute  compétence  en  cette  matière  ,  M.  le  B.  irEcksfein. 
Voir  la  Revue  Européenne ,  w"^  de  février,  mars  et  mai  i834.  Ci-dessus 
tom.  IX,  p.  402,  449  î  ^^  to™-  ^5  P-  23. 


DE    M.     MIGHELET.  395 

cîiaque  tribu  avait  son  génie  favorable  ou  terrible  ;  on  lui  offrait 

dVpouvantables    sacrifices Mais    au   milieu    de  cette  foule  de 

dieux,  il  est  impossible  de  douter  qu'ils  ne  reconnussent  un  Dieu 
souverain,  tout-puissant,  éternel  ,£)/&«,  en  un  mot.  Comme  tous 
les  autres ,  les  peuples  du  nord-ouest  de  l'Europe  avaient  conservé 
cette  notion  d'un  Être  infini ,  immense  ,  supérieur  à  tous  les  êtres  , 
soit  qu'ils  l'invoquassent  sous  le  nom  de  Tarann  (i),  de  Teut{i), 
d'Hesus(3),  ou  bien  qu'ils  ne  lui  donnassent  aucun  nom{/l)  ,  preuve 
plus  certaine  qu'il  était  unique,  car  les  noms  ne  servent  qu'à  dis- 
tinguer des  êtres  semblables.  C'est  de  lui  qu'ils  se  glorifiaient  de 
tirer  leur  origine  (5)  ;  c'est  lui  qu'ils  appelaient  le  souverain  de 
toutes  choses  ,  à  qui  toutes  choses  sont  soumises  et  obéissantes  (6); 
celui  qu'ils  adoraient  au  fond  des  bois  ténébreux,  sans  autre  ima- 
ge, sans  autre  représentation  sensible,  que  cette  secrète  horreur 
que  le  respect  seul  voyait  (7).  L'Edda  le  nomme  Vcternel ,  l'an- 
cien ^  l  immuable ,  le  père   des   dieux  et  des  hommes Avant 

que  le  ciel  et  la  terre  fussent ,  il  existait;  il  a  formé  le  ciel , 
la  terre  ,  l'air ,  et  tout  ce  qu'ils  contiennent  ;  il  a  créé  Vhomme...; 
il  exerce  son  empire  sur  ce  qui  est  grand  et  sur  ce  qui  est  pe- 
tit,  sur  ce  qui  est  haut  et  sur  ce  qui  est  bas.,,.  (8)  —  Des  docu- 


(i)  Lucan ,  1.   i. 

(2)  Theut  s\^mÇie père  dans  la  langue  celtique.  Voir  Pelioiitier ,  Histoire 
des  Celtes,  etc.  ,  livre  ni.  — Ici.,  Diclionnaii'ede  la  langue  bretonne.  — 
Deric  ,  Introduction  à  l'histoire  ecclésiastique  de  Bretagne  .  liv.  i  ,  p-  i  ï3. 
—  Huet,  Dèmonstralion  éuangélicjue ,  prop.  4- 

(3)  Chioiiac  ,  Discours  sur  la  nature  et  les  dogmes  de  la  religion  gauloise , 
36  partie. 

(4)  «  Les  Cellibères  font  des  danses  en  l'honneur  d'un  dieu  sans  nom.  » 
Strah. ,  ni.  4,  p-  164.  —  Dans  la  religion  galloise,  le  Dieu  Suprême 
est  le  dieu  inconnu.  Davies ,  Myth.  and  rites  qf  the  Brilish  .,  Druids ,  et 
le  même ,  Celtic  researches. 

(5)  Ab  Dite  Pâtre  se  prognatos  prœdicant.  Cœs.  Comment,  de  bello 
galL'co ,  lib  VI ,  §  18. 

(6)  Tacite^  Germania  ,  c.   Sg. 

(7)  Ibid.  ,  c.  9. 

(8)  Edda  Island.  Daeraesaga  ,3,7,  18. 


396  EXAMEN    DE    L^HISTOIRE    DE    FRANGE 

mens  écrits  dans  l'ancien  langage  d'Irlande,  témoignent  qu'un  roi 
nomme  Cormac  O'Quin ,  se  déclara  publiquement  contre  l'idolâ- 
trie et  pour  U adoration  dun  seul  Dieu  suprême  ,  tout-puissant , 
miséricordieux ,  créateur  du  ciel  et  de  la  terre  (i).  —  La  base 
de  la  religion  primitive  de  l'Irlande  ,  selon  M.  Adolphe  Pictel , 
était  le  culte  des  Cabires ,  puissances  primitives,  commencement 
d'uue  série  ou  progression  ascendante  qui  s'élève  jusqu'au  Dieu  su- 
prême ,  Beal.  «  D'une  dualité  primitive  ,  dit-il,  constituant  la  force 
»  fondamentale  de  l'univers  ,  s'élève  une  double  progression  de  puis- 
»  sauces  cosmiques,  qui  viennent  se  l'éunir  dans  une  unité'  suprême 
»  comme  en  leur  principe  essentiel.  »  Cette  conclusion  est  presque 
identique  à  celle  qu'a  obtenue  Schelling ,  à  la  suite  de  ses  recher- 
ches sur  les  Cabires  de  Samothrace.  D'après  ce  dernier ,  la  doctrine 
des  Cabires  était  un  système  qui  s''élevait  des  divinités  inférieures 
repre'sentant  les  puissances  de  la  nature,  jusqu'à  un  Dieu  supra- 
mondain  qui  les  dominait  toutes  (2). 

Ainsi  cette  idée  de  la  Divinité  ,  qu'on  s'efforcerait  vainement  de 
nous  donner  comme  une  conquête  de  l'esprit  humain,  comme  une 
abstraction  à  laquelle  les  hommes  se  seraient  e'ievés  en  passant 
successivement  du  cuite  des  objets  mate'riels ,  des  phénomènes 
et  des  agens  de  la  nature,  jusqu'à  la  déification  des  forces  géné- 
rales de  cette  même  nature,  nous  apparaît  sous  son  véritable 
point  de  vue,  c'est-à-dire,  comme  une  manifestation,  une  révéla- 
tion directe  de  l'être  dont  elle  constatait  l'existence  :  révélation 
qui  a  pu  être  obscurcie,  altérée,  mêlée  à  de  honteuses  et  cruelles 
superstitions  ,  mais  qui  est  demeurée  ineffaçable  dans  toutes  les  tra- 
ditions humaines  ,  et  qu'il  est  impossible  de  méconnaître  à  son 
caractère  de  perpe'tuilé  et  d'universalité. 

On  peut  en  dire  autant  du  dogme  de   l'immortalité    de  l'âme. 


(i)  Alban  Butler,  The  lii'cs  offath.   and  mart.   6  july ,  note. 

(2)  Voir  M.  Michelet,  Hist.  de  France,  t.  i ,  p.  4^9.  —  VoirHuet, 
Démonslr.  èvang.  ,  et  /llnet.  quœst.  —  Bullet  ,  l'Existence  de  Dieu  dé- 
montrée par  la  nature.  —  Grotius  ,  Féritè  de  la  religion  chrétienne, 
liv.  I ,  eh.  8.  —  Essai  sur  l indij[férence ,  t.  m. 


DE    M,    MICHELET.  397 

duquel  M.  Michelet  semble  faire  une  doctrine  particulière  aux 
Druides,  un  système  à  part,  une  invention  qu'ils  apportèrent  avec 
eus  dans  la  Gaule  [p.  ii);  or,  il  est  certain  que  cette  croyance, 
base  nécessaire  de  tout  système  religieux ,  était  commune  à  toutes 
les  nations  d'origine  celtique  ou  germanique.  M.  Michelet  en  re- 
connait  l'existence,  chez  \es  Suèi^es ,  les  Goths ,  les  Saxons  et  tous 
les  adorateurs  d'Odin  [p.  i65).  On  la  retrouve  chez  les  T/iraces  (i), 
les  Gèies  (2)  ,  les  Germains  ,  les  Sarmates  ,  les  Scythes  ,  les  Bre- 
tons,  les  Ibères  (3),  les  Scandinaves  (4)-  Cette  chaîne  des  peu- 
ples vient  rattacher  nos  vieux  ancêtres  ,  qui  ont  pu  sembler  isolés 
aux  extrémités  du  monde ,  avec  les  races  orientales  dont  la  civili- 
sation était  plus  avancée.  Mille  autres  relations  ,  plus  frappantes 
peut-être  par  leur  spécialité,  se  font  remarquer  dans  le  langage 
comme  dans  les  détails  du  culte  religieux.  Ils  avaient  conservé 
l'antique  horreur  du  serpent,  le  feu  céleste,  l'arbre  au  fruit  mer- 
veilleux, la  consécration  de  la  virginité,  l'expiation  par  le  sang, 
l'attente  d'un  métliateur  (5).  Le  christianisme,  ici  comme  ailleurs, 
n'eut  qu'à  compléter,  développer,  purifier,  consacrer  les  croyances 
universelles,  qui  ne  sont  dans  leur  principe  que  la  religion  primi- 
tivement révélée. 

La  Gaule  avait  pris  la  physionomie  romaine.  Elle  envoyait  à 
Rome  des  rhéteurs,  des  come'diens ,  des  sculpteurs,  des  consuls, 
des  césars.  Rome  lui  renvoyait  en  échange,  avec  une  libéralité 
royale,  des  titres  de  citoyen,  de  patricien,  de  sénateur,  des 
bains  ,  des  cirques,  des  acqueducs  ,  des  arcs  de  triomphe.  Un  pré- 
sent plus  redoutable  avait  été  celui  de  son  administration  fiscale. 
—  11  faut  voir,  dans  Lactance ,  le  tableau  de  cette  horrible  lutte 
entre  un  fisc  affamé  et  une  population  qui  pouvait  souff'rir,  mou- 


(i)  Poinponiiis  Mêla  ,  De  situ  ovbis ,  liy.  n. 

(2)  Hérodote,  lib.  iv,   eh.  g3. 

(3)  Pclloulier,  Histoire  des  Celtes  et  autres  peuples.  — Brucker  ,  Hist. 
crilic.  pliitosoph. 

(4)  Edda  Islund ,  D.icmes.  ,  3,  i5,  49- 

(5)  M.  Michelet,  Hist.  de  France ,  t.  i  ,  p.  ii5  et  autres. 


398  EXAMEN    DE    l'hISTOIRE    de    FRANCE 

rir ,  mais  non  payer.  «  Tellement  grande  e'tait  devenue  la  raulli- 
»  tude  de  ceux  qui  recevaient,  en  comparaison  du  nombre  de  ceux 
»  qui  devaient  payer,  telle  l'énormite  des  impôts,  que  les  forces 
M  manquaient  aux  laboureurs,  les  champs  devenaient  déserts, 
»  et  les  cultures  se  changeaient  en  foi'êts....  Je  ne  sais  combien 
»  d'emplois  et  d'employés  fondirent  sur  chaque  province,  sur  cha- 
)>  que  ville,  magistri,  rationales ,  vicaires  des  préfets.  Tous  ces 
»  gens-là  ne  connaissaient  que  condamnations,  proscriptions, 
»  exactions;  exactions  non  pas  fréquentes,  mais  perpétuelles;  et 
»  dans  les  exactions,  d'intolérables  outrages....  On  mesurait  les 
»  champs  par  mottes  de  terre,  on  comptait  les  arbres,  les  pieds 
»  de  vigne.  Ou  inscrivait  les  bêtes,  on  enregistrait  les  hommes. 
»  On  n'entendait  que  les  fouets,  les  cris  de  la  torture;  l'esclave 
»  fidèle  était  torturé  contre  son  maître  ,  la  femme  contre  son  mari, 
»  le  fils  contre  son  père  ;  et ,  faute  de  te'moignage  ,  on  les  tortu- 
»  rait  pour  déposer  contre  eux-mêmes;  et  quand  ils  cédaient, 
»  vaincus  par  la  douleur,  on  écrivait  ce  qu'ils  n'avaient  pas  dit. 
»  Point  d'excuse  pour  la  vieillesse  ou  la  maladie  ;  on  apportait 
»  les  malades  ,  les  infirmes.  On  estimait  i'àge  de  chacun  ,  on  ajou- 
«  tait  des  anne'es  aux  enfans  ,  on  en  ôtail  aux  vieillards...  Les 
))  hommes  mouraient ,  et  Ion  n'en  payait  pas  moins  limpôt  pour 
))  les  morts  (i).  «  Toute  cette  oppression  retombait  des  hommes 
libres  sur  les  colons  et  les  esclaves.  Les  serfs  des  Gaules ,  poussés 
k  l)out ,  prirent  les  armes  sous  le  nom  de  Bagaudes  ;  les  villes 
furent  brûlées,  les  campagnes  dévastées;  ils  firent  plus  de  mal 
qu'une  invasion  de  Barbares,  a  Mais,  disait ■  Salvien  ,  comment 
»  sont  ils  devenus  Bagaudes,  si  ce  n'est  par  notre  tyrannie,  par  la 
))  perversité  des  juges,  par  leurs  proscriptions  et  leurs  rapines? 
»  Nous  leur  imputons  leur  malheur,  nous  leur  reprochons  ce  nom 
n   que  nous   leur  avons  fait  (2).  » 

Le  christianisme  avait  pénétré  dans  les  Gaules  dès  le  premier 
siècle.  Tant  que  dura  la  persécution  ,  ses  progrès  furent  rapides. 
Chaque  ville  fut  arrosée  du  sang  chre'tien ,  et  Lyon  brillait  entre 


(i)  Lact.  ,  De  mort,  persec. ,  c.  7,  23^  tracluct.  de  M.  Mich. 
(2)  Salv.  ,  De  vero  jud.  et  provid.  lib.  v. 


DE    M.    MICHELET.  399 

toutes,  couronnée  des  reliques  de  ses  dix-huit  mille  martyrs.  Mais, 
la  tempête  apaisée^',   quand  il  ne  s'agit   plus  seulement  de  mourir, 
mais  de  vivre  ;   quand  la  surexcitatioa  entretenue   par  les  cheva- 
lets ,  les  ongles  de  fer ,  les  chaises  brillantes  ,  les  combats  de  l'am- 
phithëâtre   fut  calmée ,   alors  ou  vit  la  société  daus  son  cffravant 
malaise ,  telle  qu'un  grand  corps  gangrené  et  presque  fétide ,  sur 
lequel  s'étendait  comme  un  double    ulcère  de  la   tète  aux  pieds, 
la  fiscalité  et   l'esclavage.  En  face  de  cette  vivante  pourriture,  le 
christianisme   parut  s'arrêter;    il  ne  défaillait  point  cependant,  il 
veillait  auprès  du  malade,  attendant  une  crise  favorable  ou  fatale, 
mais  qui  pût  rendre   possible  l'application  de  ses  divins  remèdes. 
Tout  stimulant  humain  était  désormais  inutile.  Vainement  Constan- 
tin s'efforça  d'introduire  l'esprit  de  modération  dans  les  lois  fisca- 
les ;  vainement  Gralien   et  Honorius  appelèrent   les  provinces,   et 
particulièrement  la  Gaule,  à  former   des  assemblées  provinciales; 
le  peuple  était  comme  engourdi  sous  le  poids  de  ses  maux  ;  il  se 
couchait  par  terre  ,  dit  M,  Michelet  ,   de  lassitude  et  de  déses- 
poir ,  comme  la  bêle  de  somme  se  couche  sous  les  coups ,  et  re- 
fuse de  se  relever.  Dans  tout  l'empire   circulait   un   seul  cri  sem- 
blable à  une  rumeur  confuse  :  viennent  les  Barbares.  —  Ils  vin- 
rent, La  crise  fut  terrible,   mais  elle  sauva  le  monde.   Les  restes 
de  chaleur,  disséminés,  refluèrent  au  cœur;  le  christianisme,  seul 
principe  de  vie,  s'en  empara;   les   peuples  éperdus  se  jettent  dans 
les  bras  des  évêques  ,  et   c'est    sous   la  main  d'un  évêquc,  que  se 
courbe  pour  la  première  fois  le  front  d'un  Sicambre.  —    «  L'uni- 
»   versalité  impériale  est  détruite  ,  mais  l'universalité'  catholique  ap- 
»   paraît.  La  primatie  de  Rome  commence  à  poindre  ,  confuse  et 
»    obscure.  Le  monde  se  maintiendra  et  s'ordonnera  par  l'Eglise  ; 
»   sa  liiérarchie  naissante  est  un  cadre  sur  lequel  tout  se  place  et  se 
»  modèle.  A  elle ,  Tordre  extérieur  et  la  vie  intérieure.  Celle-ci  est 
»   surtout  dans  les  moines.  L'ordre  de  St. -Benoît  donne  au  monde 
))   ancien ,    «se    par   l'esclavage ,    le  premier  exemple  du  travail 
»   accompli  par  des  mains  libres.    Pour  la  première  fois  ,  le  ci- 
»    toycn ,  humilié  par  la  ruine  de  la   cité,  abaisse  les  regards  sur 
»  cette    terre    qu'il    avait    méprisée.    Il    se    souvient    du    travail 
))   ordonné   au    commencement    du   monde    dans  l'arict   porté  sur 
»    Adam.   Cette  grande  innovation  du  travail  libre  et  volontaire 
»  fut  la  base  de  l'existence  moderne  {p.  112).  » 


400  EXAMEÎT    DE    l'hISTOIRE    DE    FRANCE 

Nous  avons  cité  à  dessein  ces  propres  paroles  de  M.  Miclielet , 
pour  donner  un  exemple  de  sa  manière  ,  de  son  regard  /laut  et 
perçant ,  et  aussi  de  l'inexactitude  et  de  l'exagération  qu'il  apporte 
preMjue  toujours  dans  l'apparente  justice  de  ses  jugemens.  On  a 
remarqué  dans  ces  phrases,  au  moins  deux  singulières  assertions.  La 
première  surtout,  qui  regarde  la  suprématie  du  pontife  romain, 
ne  peut  demeurer  sans  réponse,  car  il  ne  s'agit  nullement,  comme 
on  pourrait  le  croire,  de  la  puissance  temporelle  des  Papes.  M.  Mi- 
chclet  a  soin  d  expliquer  dans  une  note  toute  sa  pensée  ;  c'est  bien 
des  droits  spirituels  du  Saint-Siège  qu'il  veut  parler  ,  et  dont  l'ori- 
gine ne  remonte  pas  plus  haut,  selon  lui,  que  le  commencement 
du  5''  siècle.  Innocent  1^^  a  été  le  premier  Pape  qui  ait  avancé  à  ce 
sujet  de  timides  prétentions  ;  on  disputait  beaucoup  sur  le  pas- 
sage TU  ES  Petrus  ;  saint  Augustin  et  saint  Jérôme  ne  V inter- 
prétaient pas  en  faveur  de  l'évêché  de  Rome.  Avant  le  concile 
d'Ephèse  ,  nul  concile  rHavait  parlé  de  l'autorité  des  Papes.  C'est 
là  le  sens,  sinon  toutes  les  expressions  de  l'auteur.  —  11  est  pro- 
fondément triste  et  e'tonnant  de  trouver  cette  argumentation  toute 
protestante  et  parfaitement  digne  du  16"  siècle,  dans  la  bouche 
d'un  professeur  qui  compte  parmi  les  esprits  les  plus  progressifs 
du  19".  En  vérité,  Luther,  Claude,  Jurieu  ,  Mosheim  ,  n'auraient 
pas  mieux  dit.  Quoique  tout  cela  ait  été  mille  fois  réfuté,  nous 
croyons  re'pondre  au  vœu  d'un  grand  nombre  de  nos  lecteurs  en 
nous  arrêtant  un  peu  là-dessus  ,  et  en  rappelant  une  partie  des  ti- 
tres sur  lesquels  se  fonde  la  primatie  du  Saint-Siége,  pendant  les 
quatre  premiers  siècles  de  l'Eglise  (i). 

Remarquons  d  abord  que  le  passage  de  saint  Innocent  V^ ,  qu'al- 
lègue M.  Michclet,  prouve  directement  contre  lui,  car  le  Pape  se 
fonde  expressément  sur  l'antique  usage,  heata  consuetudo ,  ce  qui 
prouve  que  ces  prétentions ,  au  moins ,  n'étaient  pas  nouvelles. 
Mais  il  faut  remonter  plus  haut. 


(1)  Quoique  M.  Dûment  ait  liaité  cette  question  dans  son  examen  de 
l'ouvrage  de  ScLœll ,  ci-d.  lom.  vni ,  p.  36i  ,  tom.  is,  p.  617,  et  tom.  x, 
p.  140  ,  nous  avons  cru  que  ces  nouvelles  considérations  ne  seraient  pas 
inutiles  dans  une  si  importante  question. 


DE    M.    MICHELET.  401 

Premier  siècle.  —  A  peine  le  divin  Rédempteur  a-t-il  accompli 
sa  mission,  que  Pierre  paraît  revêtu  de  cette  prérogative  suprême, 
qui  lui  avait  été  conférée  d'une  manière  si  solennelle  et  si  souvent 
cocfirme'e  ;  c'est  lui  qui  convoque  et  pre'side  l'assemblée  oîi  fut  élu 
l'apôtre  S.  Mathias  ;  c'est  lui  qui  désigne  ceux  entre  lesquels  il  doit 
être  choisi;  c'est  lui  qui  piêc.he  le  premier  1  Evangile  aux  Juifs, 
et  qui  ouvre  l'entrée  de  TEglise  aux  Gentils  dans  la  personne  de 
Corneille;  il  fonde,  par  lui-même  ou  par  son  disciple  saint  Marc, 
les  sièges  patriarcaux  d'Anlioclie  et  d'Alexandrie,  ces  deux  sour- 
ce? de  la  juridiction  ecclésiastique  des  premiers  siècles  sur  l'Asie 
et  sur  l'Afrique  (i).  —  Ses  successeurs  continuent  d'exercer  ce 
pouvoir,  en  donnant  des  lois  aux  églises  ,  ou  eu  leur  envoyant  des 
missionnaires  et  des  pasteurs.  —  Saint  Clément,  qui  monta  sur 
le  siège  de  Rome  l'an  gi  ,  prescrit  des  ordres  à  1  église  de  Coria- 
the,  dans  une  lettre  que  saint  Irénée  appelle  très-puissante  {i).  — 
De  fort  graves  autorités  placent  aussi  dans  ce  siècle  la  mission  de 
saint  Trophime,  premier  évêque  d'Arles  et  envoyé  directement  par 
saint  Pierre  (3). 

i''  SIÈCLE.  —  i5o.  Saint  Potliin ,  disciple  de  saint  Polycarpe, 
est  envoyé  avec  plusieurs  ouvriers  évangélii|ues  dans  les  Gaules, 
et,  dit  M.  de  Marca ,  il  est  préposé  à  l'église  de  Lyon,  par  le 
décret  du  pape  ^nicet  (4). 

173. — -Le  Pape  saint  Soter  adresse  aux  Corinthiens  une  instruc- 


(i)  (  Petrus  )  Alexanchiœ  Marcum  prœfecit.  Porrn  Anliochenam  (  ec- 
clesiam)  primùm  Evodic...  regenJam  tradidit.  Kiceph.  Hist.  eccles. 
1.  II,  ch.  25. 

(2)  \KuyorciT>])i  ypaÇifv ,  traduit  par  potenlissimas  litteras.  St.  Irénée  , 
Conlrà  hcereses ,  1.  ni,  c.  3  ,  n.  3. 

(3)  C'est  sur  ce  fait  que  St.  Zozime  fonde  les  droits  qu'il  accorde  au 
siège  d'Arles,  duquel,  comme  d'une  source,  toutes  les  Gaules  ont  reçu 
les  ruisseaux  de  la  foi.  Ep.  Rom.  Pont.,  t.  i,  col.  988.  —  Les  évûques 
de  la  province  d'Arles  ,  réclamant  du  Pape  St.  Léon  les  anciennes  pré- 
rogatives de  leur  métropole  ,  citent  ce  fait  comme  connu  dans  toute  la 
Gaule  et  à  Rome  aussi.  Hist.  de  l'éi^l.  gall.  ,  t.   1  ,  Dissert,  prélim. 

(4)  Tradit.   de  lEi^l.   sur  T institution  des  éi'éip.ies ,  t.  n  ,  p.   5i. 


402  EXAMEN    DE    LHISTOIRE    DE   FRANCE 

tioa  pontificale  avec  des  aumônes  ;  l'évêque  de  Corinthe ,  saint  De- 
nis ,  répond  au  Souverain-Pontife  pour  le  remercier  de  l'une  et  des 
autres  ;  il  compare  sa  lettre  à  l'ancienne  épître  écrite  à  la  même 
e'glise  par  le  Pape  saint  Clément,  et  dit  que  ces  inonumens  res- 
pectables sont  en  une  vénération  qui  ne  finira  jamais  (i). 

1^7.  —  Les  célèbres  martyrs  de  Lyon  écrivent  de  leur  prison 
au  Pape  saint  Eleuthère,  atîn  de  l'engager  à  pacifier  les  provinces 
asiatiques  ,  que  Ihe'resie  de  Montan  avait  troublées.  La  lettre  fut 
confiée  au  piètre  Irénée,  duquel  ils  parlaient  en  ces  termes  :  Nous 
vous  le  recommandons  avec  instance ,  comme  grand  zélateur 
du  testament  de  Jésus-Christ.  Si  nous  savions  que  le  rang  don- 
nât le  mérite  de  la  justice ,  nous  vous  le  recommanderions  aussi 
comme  prêtre  ;  car  il  est  élevé  à  cette  dignité.  Plusieurs  écrivains 
ecclésiastiques,  dont  l'autorité  est  d'un  grand  poids,  pensent  que 
cette  recommandation  des  martyrs  fut  cause  de  l'élévation  de  saint 
Ire'née  au  siège  de  Lyon  (2). 

iqo  ou  environ.  —  Lucius,  roi  breton  et  païen,  envoie  des  am- 
bassadeurs au  pape  Eleuthère  pour  lui  demander  des  missionnaires. 
Deux  ecclésiastiques,  Fugatius  et  Damianus  furent  envoyés  par 
le  Pape  à  ce  prince,  et  devinrent  les  premiers  apôtres  de  la  Bre- 
tagne ^3). 

ig5.  —  Les  églises  d'Asie  s'obstinent  à  suivre  leur  coutume, 
relativement  à  la  célébration  de  la  Pàque  ;  le  Pape  saint  Victor 
les  menace  d  excommunication;  à  cette  triste  nouvelle,  saint  Iré- 
née commence  par  adhérer  au  décret  de  Victor,  dans  une  assem- 
blée des  prélats  de  la  Gaule  ;  et,  après  avoir  donné  cet  exemple 
de  soumission ,  il  écrit  à  Victor  pour  l'exhorter  à  user  de  ména- 
gement (4). 


(i)  Bérault-Berc.  ,  Hisl.  deVEgl.  ,  t.  i  ,  1.  m,   p.  209,  210. 

(2)  Eusèbe,  Hist.  ecclès.  ,Vih.  v,  c.  4  C'est  la  conclusion  que  tirent 
de  celte  lettre  de  St  Irénée,  D.  Massuet,  St.  Léon,  Hallier  et  le 
P.  Longueval  ,  cités  dans  la  Tradit.  de  l'Egl.  sur  rinstit.  des  eV.  ,  t.  11 , 
p.    52. 

(3)  Nennius,  p.  108,  édit.  Bert.  :  Jng.  Sac,  vol.  n,  p.  667,  cités 
par  Lingard,  Ànt.  deVègl.  Anglo-Sax. ,  c.  i,  p.  10,  —  Rapin.  Thoyras, 
Hist.  d'Angl.,   liv.  i,  p.  61. 

(4)  Egl.  Gall.,  t.  I,  p.  53.  —  B.  Bercast.  t.  i  ,  p.   235. 


DE    BI.    MICHELET.  403 

Aucun  de  ces  faits  serait-il  explicable  si  la  suprême  autorité  de 
Rome  n'avait  été  dès-lors  universellement  reconnue  ?  Passons  aux 
deux  siècles  suivans  :  nous  verrons  naturellement  les  preuves  se 
multiplier. 

3"  SIÈCLE.  —  245.  —  Une  des  missions  les  plus  célèbres ,  dont 
l'histoire  ecclésiastique  fasse  meutiou  ,  est  envoyée  dans  les  Gaules 
par  le  Pape  saint  Fabien.  Il  ordonna  sept  évêques,  auxquels  il 
adjoignit  un  grand  nombre  d'hommes  apostoliques,  pour  aller  cul- 
tiver les  anciennes  e'glises  et  en  fonder  de  nouvelles.  Grégoire  de 
Tours  met  au  nombre  de  ces  sept  pontifes,  saint  Trophime  d Ar- 
les,  dont  la  mission  ne  peut,  dans  aucun  cas,  être  postérieure  à 
cette   e'poque  (i). 

253.  —  Marcien,  e'vêque  d'Arles,  ayant  donne  dans  l'erreur 
des  novatiens ,  les  évêques  voisins  en  prévinrent  le  Pape  saint 
Etienne,  et  le  Pape  tardant  à  leur  re'pondre  ,  ils  recourent  à  saint 
Cyprien  pour  appuyer  leur  re'clamation  à  Rome.  Ce  dernier  e'crit 
aussitôt  k  saint  Etienne  :  Envoyez,  lui  dit-il,  des  lettres  dans  la 
province  et  au  peuple  d'Arles  ,  en  vertu  desquelles  ^  Marcien 
étant  déposé ,  on  lui  substitue  un  autre  évêque  (2). 

257.  —  Saint  Xiste  II  envoie  dans  les  Gaules  une  nouvelle  mis- 
sion ,  dont  faisaient  partie  plusieurs  évêques  qui  établirent  de  nom^ 
breuses  e'glises  (3). 

Vers  260,  au  rapport  de  saint  Athanase ,  saint  Denis,  évêque 
d'Alexandrie,  avança,  en  combattant  les  Sabelliens,  quelques  ex- 
pressions suspectes  d'arianisme.  Plusieurs  fidèles  scandalisés  portè- 
rent plainte  à  Rome.  Le  Pape  saint  Denis  ordonna  à  l'évêque 
d'Alexandrie  de  se  justiOer,  ce  que  celui-ci  fit ,  en  envoyant  au 
Saint-Siège  une  apologie.  Les  explicationc  furent  reçues  et  l'e'vêque 
de'claré  d'une  doctrine  orthodoxe  (4). 

272.  —  Au  rapport  d'Eusèbe  ,   Paul  de  Samosate ,   déposé  au 


(i)   Greg.   Tur.  ,    lib.  i,  c.  28. 

(2)  St.  Cypr.  ad  Steph.  ,  epist  67.   Trad.  de  VEgl.  ,   t.  11.   262. 

(3)  Egl.  Gallic.  ,  liv.  1 ,   p.  79, 

(4)  St.  Athanase  ,  i?e  sentent.    Dlonys.   conirù  Ârian. ,  n.    i3. 


404 


EXAMEN    DE    L  HISTOIRE    DE    FRANCE 


deuxième  concile  d'Antioche  ,  ne  voulut  pas  céder  la  maison  épis- 
copale  à  Domnus  ,  élu  à  sa  place.  On  eut  l'ccours  à  l'empereur 
Aurclien  ,  lequel  ordonna  que  la  maison  serait  adjugée  à  celui  au- 
quel Les  éuêques  d' Italie  et  Vévêque  de  Rome  écriraient,  en  signe 
de  communion  (i). 

4®  SIÈCLE.  —  Au  commencement  de  ce  siècle ,  l'affaire  des  Dona- 
tistes  et  la  cause  entre  Cécilien  et  Donat  est  porte'e  devant  le  pape 
Mclchiade  (2). 

3i4.  Les  Donatistes,  déjà  condamne's  à  Rome,  le  sont  de  nou- 
veau dans  un  concile  tenu  à  Arles.  Cependant  les  Pères  d'Arles  , 
avant  de  promulguer  leur  jugement,  l'adressent  au  Pape  saint  Syl- 
vestre pour  qu'il  soit  revêtu  de  son  approbation  et  publié  sous 
son   autorité  (3). 

3/[2.  —  L'imposante  et  triste  cause  de  saint  Atlianase  occupe 
une  grande  partie  de  ce  siècle.  Ce  saint  évèque  ,  déposé  par  les 
évèques  ariens,  assemblés  à  Tyr ,  va  à  Rome,  où  le  pape  Jules 
l'avait  appelé'.  Son  innocence  est  reconnue  par  le  pontife  ,  qui  le 
maintient  sur  le  sie'ge  d'Alexandrie.  Le  même  Pape  se  plaint  aux 
évêques  d'Orient  de  leur  conduite  :  Ignorez-vous,  leur  dit-il, 
qu^il  est  d'usage  de  nous  écrire  d  abord  ,  et  que  c'est  ici  que  doit 
être  prononcé  te  jugement?...  C'est  ce  que  nous  avons  appris  de 
V apôtre  saint  Pierre,  et  ce  dont  je  ne  vous  parlerais  pas ,  vous 
croyant  siiffif^amment  instruits  si  ce  que  vous  venez  de  faire  ne 
nous  avait  affligé  (4)- 

34g.  —  Ursace  et  Valens  s'e'tant  rétracte's  au  concile  de  Milan, 
le  concile  les  renvoie  au  Saint-Siège  et  lui  réserve  le  jugement. 

35 1.  —  Eustate  de  Sebaste  ayant  été  déposé  par  le  concile  de 


(1)  Euseb.  ,  Hist.  ceci.,  lib.   vu,  c.  3o.  —  Lettre  d'un  docteur  alle- 
mand,  etc.  ,  3«   lett. 

(2)  St.  Optât,  De  schisni.  Donastis. ,  lib.  i,  c.   23,  24.  Bergier ,  Dict. 
thêol.   Voir  Pape,  note   i5. 

(3)  Conc. ,  t.  I. 

(4)  /"  Epist.  Juin  ad  Euseb.  Epist.  Rom.  pont.  —  Feller.  V.  Alhanase. 


DE    M.    MIGHELET.  405 

Mélitine  en  Arménie,  s'adresse  au  pape  Libère,  qui  le  restitue  à 
son  siège  (i). 

38o.  Maxime  le  cynique  avait  été  ordonne' ,  contre  les  règles , 
évêque  de  Constantinople  j  saint  Damase  écrit  à  ce  sujet  à  l'évêqiie  de 
Thessalonique  :  Je  vous  ai  mandé  que  l'ordination  de  Maxime 
ne  m! avait  point  plu...  Prenez  soin  quon  élise  pour  ce  siège  un 
évéqué  irréprochable  (2). 

38i.  —  Le  pape  Damase  convoque,  de  concert  avec  l'empereur, 
le  concile  de  Constantinople,  et  il  a  déjà  proscrit  à  Rome  l'erreur 
de  Macédonius,  avant  qu'elle  soit  analhématisée  par  le  concile  (3). 
—  La  même  année,  Théodose  envoie  une  ambassade  à  saint  Da- 
mase, pour  obtenir  la  confirmation  de  Nectaire,  élu  par  le  con- 
cile patriarcal  de  Constantinople.  Ce  fait  nous  a  été  conservé  par 
une  lettre  de  saint  Boniface  P""  aux  évêques  de  Macédoine,  et  il 
est  bien  digne  ,  par  sa  haute  importance,  de  clore  cette  longue 
et  imposante  énumération  (4). 

Il  est  difficile  d'expliquer  comment  un  aussi  grand  nombre  de 
faits  ont  échappé  à  l'érudit  professeur  d  histoire  ;  et  cependant  cha- 
cun d'eux,  pris  séparément,  suffit  pour  renverser  son  opinion,  à 
savoir  que  l'autorité  pontificale  n'a  commence'  qu'au  5  siècle.  Que  s'il 
prétend  qu'avant  le  concile  dÉphèse,  aucun  autre  n'a  constaté  cette 
autorité,  nous  nous  féliciterons,  nous  et  lui,  de  ce  qu'il  veut  bien 
s'en  rapporter  à  l'autorité  des  conciles ,  mais  cette  nouvelle  asser- 
tion ne  sera  pas  moins  insoutenable  que  l'autre. 

Avant  que  le  concile  d'Éphèse ,  ^"ii  ,  eût  déclaré  quil  n'était 
douteux  pour  personne  que  Pierre,  le  chef  et  le  prince  de  l'apos~ 
iolat,  la  colonne  de  la  foi,  le  fondement  de  T  Eglise  catholique , 
maintenant  et  toujours ,   vit  et  juge  dans  ses  successeurs  (5)  ,  le 


(i)  Fellcr,  ib.  —  Berg.  ,  Dict.  théol.   Pape,  notes. 

(2)  IX^  Epist.  Damasi  ad  Ascol.  n.  2.  Ep.  R.  P.,  Trad.  de  VEgl  , 
p.  88. 

(3)  Feller  ,  Voir  Alhanase ,  note. 

(4)  XV^  Epist.  Bonif.  ad  Ruf.  et  episc.  Maced.  —  Tradit.  de  PEgl., 
t.  I ,  p.  91  et  suiv. 

(5)  Conc.  Ephes. ,  act.  3. 

T.  X.  28 


406 


EXAMEN    DE    L  HISTOIRE    DE    FRANGE 


2^  concile  oecuménique  de  Constantitiople,  38 1,  auquel  le  Pape  n'avait 
point  envoyé  de  légat,  mais  qu'il  avait  convoqué  conjointement 
avec  l'empereur,  députe  à  Rome  trois  évêques  avec  des  lettres  sy- 
nodales ,  conçues  dans  les  termes  les  plus  respectueux.  Les  Pères 
du  concile  se  déterminèrent  à  celte  démarche  pour  s'excuser  de 
ce  qu'ils  ne  pouvaient  se  rendre  à  Rome,  h  cause  des  troubles  de 
leurs  églises  ;  ils  envoyèrent  eu  même  temps  les  actes  du  concile , 
pour  en  obtenir  la  confirmation  (i). 

Avant  le  concile  d  Éphcse ,  le  concile  de  Sardique,  347,  com- 
posé d'environ  3oo  évêques  de  trente  provinces,  avait  reconnu  le 
plus  absolu  pouvoir  au  Souverain-Pontife,  en  matière  àe  dépositions 
d  évêques.  Si  un  évêque  jugé  veut  en  appeler  ,  la  cause  sera 
portée  au  Saint-Siège  y  qui  nommera  de  nouveaux  juges ,  ou  con- 
firmera le  premier  jugement...  Dans  aucun  cas  il  ne  pourra  être 
nommé  de  successeur  qu'après  la  décision  de  V évêque  de  Rome  (2), 

Avant  le  concile  d'Ephèse  ,  on  avait  vu  les  légats  du  Pape ,  Osius  , 
évêque,  et  Vitus  et  Vincentius  ,  simples  prêtres,  s'asseoir,  dans 
Nicée  ,  325,  à  la  tête  du  premier  concile  œcuménique,  et  présider 
à  la  sainte  assemblée   (3). 

Enfin,  si  nous  remontons  au  premier  de  tous  les  conciles,  à  celui 
que  Pierre  présida  dans  Je'rusalem  ,  c'est  Pierre  qui  parle  avant  tous, 
et  un  seul  parle  après  lui  pour  confirmer  ses  décisions. 

M.  Michelet  n'est  pas  heureux  ici  dans  le  choix  de  ses  autorités; 
il  cite,  comme  opposans  à  la  suprématie  du  Pontife  romain,  saint 
Augustin  et  saint  Je'rome.  Or,  il  est  douteux  qu'aucun  autre  Père 
l'ait  mieux  établie  que  ces  deux  grands  personnages ,  par  leurs  pa- 
roles ou  leur  conduite.  Nous  avons  eu  la  curiosité'  de  vérifier  les 
textes  indiqués  par  M.  Michelet  ;  pour  saint  Augustin ,  c'est  le 
Traité  i24  in  Evang.  Joann.  Nous  avons  trouvé  dans  ce  même 
traite',  que  Pierre ,  à  cause  de  la  suprématie  de  son  apostolat, 
portait  en   sa  personne ,  si  Von  peut  parler  ainsi ,  comme  une 


(i)   Les  évoques  disent  au  Souverain-Pontife,  qu  ils  seraient  ravis  d'' avoir 
des  ailes  de  colombe  ,  pour  aller  plus  vite  uers  lui.  —  Théodoret ,  \.  v,  c.  9. 

(2)  Conc.  Sardic.  .  can.  3  et  4- 

(3)  Socral. ,  lib.  i,  c.  i3. 


DE    M.    MIGHELET.  407 

généralisation  figurée  de  r  Eglise  (i).  Pour  saint  Jérôme,  c'est  le 
lii>re  I^^ adi^.  Jovin.  Voici  ce  qae  nous  avons  lu  (  adv.  Jovin  ,1.  i)  : 
Quoique  le  fondement  de  V Eglise  repose  également  sur  eux  (  les 
apôtres),  cependant,  un  seul  est  choisi  entre  douze  ^  afin  que  , 
un  chef  étant  constitué ,  V occasion  du  schisme  soit  enlevée  (2), 
Mais  il  ne  s^agit  point  de  torturer  des  passages  isoles  des  SS.  Pères; 
qu'on  se  pénètre  de  l'esprit  général  de  leurs  ouvrages;  qu'on  lise 
les  lettr  s  de  saint  Jérôme  au  pape  Damase  ;  qu'on  lise  dans  saint 
Augustin  ,  celles  qui  sont  adressées  au  pape  Innocent  (3) ,  et  l'on 
verra  si  la  foi,  l'amour,  la  soumission,  ont  jamais  parlé  un  lan- 
gage plus  respectueux,  plus  tendre,  plus   filial. 

Avant  de  quitter  ce  sujet ,  prêtons  un  moment  l'oreille  à  un 
magnifique  concert,  qui  s'élève  de  Rome  à  Carthage ,  des  bords 
du  Rhône  à    ceux  du  Jourdain «  0  Église,  mère  et  racine  de 


(i)  Ecclesiae  Petrus  apostolus,  prop'er  apostolatùs  sui  primatum  ,  ge- 
rebat  6guratâ ,  generalitate  personain  (n.  5). 

(2)  Licet  ex  £equo  super  eos  ecclesiœ  fortitudo  solirletur;  tamen,  prop- 
tereà  unus  inter  duodecim  eligitur  ,  iit,  capite  constitufo  ,  schismatis 
tollatur  occasio. 

(3)  On  peut  y  joindre  les  lettres  à  Glorius  ,  etc.  ,  à  Optât,  à  Gene- 
rosufs ,  à  Fortunatus,  etc.  ,  et  surtout  les  réponses  du  pape  Innocent  : 
«  Suivant  les  exemples  de  Fantique  tradition,  et  l'autorité  de  la  disci- 
)>  pline  ecclésiastique,  écrit  ce  Pape  aux  évêques  du  concile  de  Carthage  , 
»  vous  avez  fait  éclater  votre  foi  en  décidant  qu'il  en  fût  référé  à  notre 
«  jugement,  sachant  ce  qui  est  dû  au  Siège  apostolique —  gardant  les 
»  institutions  de  nos  pères,  qui  ont  décidé  ,  par  un  sentinnent  non  hu- 
»  main  ,  mais  divin  ,  de  ne  terminer  aucune  afTaire  relative  aux  provin- 
11  ces  séparées  et  lointaines ,  avant  que  la  connaissance  en  fût  venue  à 
»  ce  siège,  qui  devait  confirmer  la  juste  décision  avec  toute  son  auto- 
»  rite —  —  En  recourant  à  celui  qu'environne  ,  outre  les  soins  extérieurs, 
»  la  sollicitude  de  toutes  les  églises  .  vous  vous  êtes  conformés  à  l'an- 
»  tique  règle,  qui,  vous  le  savez  comme  moi,  a  été  suivie  partout  et 
»  toujours....  Vous  n'ignorez  pas  que  de  la  source  apostolique  émanent 
»  sans  cesse  des  réponses  h  toutes  les  provinces  ,  surtout  lorsqu'il  est 
)>  question  de  la  foi ,  etc.  ,  etc.  «  (Epit.  aux  Pères  du  concile  de  MUct. 
D.  yiug.  Op.,  t.  u,  p.  160,  édit.  Lovan.).  C'est  ce  que  M.  Michelet 
appelle  la  timidité  et  la  nouveauté  des  prétentions  d'Innocent. 

28. 


408  EXAMEN    DE    l'histoire    UE    FRAINCE 

»  toutes  les  autres  (i),  fontaine  apostolique  (2),  à  laquelle  il  faut 
»  que  tous  se  réunissent  à  cause  de  sa  principauté  plus  puissante  (3), 
»  Eglise  à  laquelle  préside  la  bouche  et  le  chef  de  l'apostolat  (4) , 
»  l'évêque  élevé  au  faîte  apostolique  (5)  !  Eglise  principale  ,  d'oii 
»  est  sortie  l'unité  du  sacerdoce  (6)!  Est-il  quelqu'un  qui,  sesé- 
»  parant  de  la  chaire  de  Pierre,  sur  laquelle  est  fonde'e  l'Eglise, 
))  prétende  encore  être  dans  l'Eglise  (7)?... 

»)  C'est  à  Pierre  qua  été  donné  le  souverain  pouvoir  de  paître 
»  les  brebis,  et  sur  lui,  comme  sur  la  pierre,  a  été  fondée  1 E- 
»  glise  (8).  Le  Seigneur  a  laissé  les  clefs  à  saint  Pierre,  et  par 
»  lui  a  l'Eglise  (9).  Le  Seigneur  a  parlé  à  Pierre,  à  un  seul,  pour 
»  fonder  l'unité  par  un  seul  (10).  Voici  un  e'dit ,  un  édit  péremptoir, 
n  il  vient  du  Souverain-Pontife  ,  de  l'évêque  des  évêques  \^i  i).  Rome 
»  est  le  fondement  consolide  par  Dieu;  c'est  le  pivot  sacré,  sur 
))  lequel  tournent  et  sont  soutenues  toutes  les  églises  (12).  Il  est 
»  très-bon  et  très-convenable  que  de  toutes  les  provinces ,  les  prê- 
»  très  du  Seigneur  en  réfèrent  au  chef,  c'est-à-dire,  su  siège  de 
»  Pierre  (i3).  Pierre  a  mérité  d'être  préfère' à  tous  les  apôtres,  et 
»  il  a  seul  reçu  les  clefs  du  royaume  du  ciel  pour  les  communiquer 


(i)  St.  Anaclet ,  Pape,  Epistola  ad  omnes  episc.  et  Jîcleles ,   cité  par 
M.  de  Maistre ,  du  Pape. 

(2)   S.   Ignat.  ,  Epist.  ad  Rom.  ,  in  suscript. 
I  (3)  Propter  polentiorem  principalitatem.    St.    Iren,  ,   contra  hœres.  , 
1.  ni,  eh.  3. 

(4)  Origen.  ,  hom.  55,  in  Math. 

(5)  S.  Cypr.  ,  Epist.  3,  12. 

(6)  Id.  ,  Epist.  ad  Cornel. 
(j)  Id.  ,  De  unit.  Ecoles. 

(8)  Orig.  ,  Epist.  ad  Rom.  \.   v. 

(9)  Tertull.  ,  Scorpiac. ,  c.   10. 

(10)  S.  Pacian. ,  Epist.  3. 

(lï)  Tertull.,  De  Pudlcit.  c.  i. 
(12)  S.  Athan.  ,  Epist.  adJulium. 
(i3)  S.  Hilar.,  p.  1290,  édit.  Paris,  1695. 


DE    M.     MICHELET.  409 

»  aux  autres  (i)  ;  il  a  paru  convennable  d'écrire  à  l^e'vêque  romain  , 
))  afin  qu'il  connaisse  de  nos  affaires  et  qu'il  interpose  le  décret 
))  de  son  jugement  (•2).  Le  successeur  de  Pierre  tient  sa  place  et 
»  participe  à  son  autorite  (3).  Nous  n'adopterons  que  ce  que 
»    l  Eglise  romaine  aura  a|)[)rouvé  (4)  ».••• 

Enfin,  au  commencement  du  5^  siècle  ,  l'Aquitain  saint  Prosper, 
pouvait  jnstenient  s'écrier  :  «  Rome ,  siège  de  Pierre ,  capitale  de 
»  deVordre  pastoral,  tout  ce  que  tu  ne  possèdes  pas  par  les  ar- 
»   mes ,  tu  le  tiens  par  la  religion  (5j.  »  ' 

Passons  à  la  deuxième  assertion  de  M.  Michclel ,  celle  qui  re- 
présente le  trai>ail  libre  et  volontaire  comme  une  innovation  dans 
l'Eglise,  coïnme  une  invention  de  saint  Benoît.  Malheur  à  nous, 
si  nous  voulions  ternir  un  seul  rayon  de  l'aurcole  du  glorieux  pa- 
triarebe  ;  mais  elle  est  assez  resplendissante  pour  qu'on  ne  vienne 
pas  la  souiller  d'un  iaux  éclat.  —  C'est,  ce  me  semble,  un  parti 
pris  depuis  que  les  haines  anti-religieuses  se  calment  et  qu'on  veut 
bien  rendre,  jusqu'à  un  certain  point,  justice  aux  institutions 
monastiques  ,  de  réserver  toutes  les  louanges  pour  les  ordres  d  Oc- 
cident. Ces  panégyriques  ont  une  contre  partie  ne'cessaire  ,  l'insulte 
et  la  de'rision  pour  les  pauvres  moines  orientaux.  Ce  sont  des  cer- 
veaux troublés,  des  imaginations  malades,  rejetant  toute  loi,  s'a- 
landonnant  à  tous  les  écarts  d'un  mysticisme  effréné  (6j.  Ou  se 
peint  une  longue  fde  de  figures,  plus  ou  moins  grotesques  ,  les  unes 
échevilées ,  haletantes,  presque  furieuses,  les  autres  blêmes  et  im- 


(0  S.  Optât.  ^  contra  Parmen. ,  1.  vu,    n.    3.  —  S.  Gregor.  Njss., 
t.   111,  p.  3i4-   Paris. 

(2)  S.   Basil.  ,  Epist.  ad  Adianas.  ,   52. 

(3)  S.  Eplirem  ,  Encom.  S,  Dasilii. 

(4)  S.  Anibros.  ,  Epist.  ad  Thcophil. 

(5)  Sedes  Roma  Pétri ,  qu;B  pastoralis  honoris 

Facta  caput  mundo  ,  quidquid  non  possidcl  armis 
Religione  tcnet. 
(  S.  Prosp.  ,  carni.  de  ingratis ,  p.    i  ,  c.   2  ,  v.  4»  et  s.  ) 
(6)  Voyez  M.  Michelet ,  t.  i ,  p.    ii3,  note. 


410  EXAMEN    DE    l'uISTOIRE    DE    FRANCE 

mobiles  comme,  les  idoles  de  granit  qui  les  avaient  devancées  et  qui 
leur  ont  survécu  dans  la  Haute-Egypte.  —  Si  l'on  voulait  bien  ré- 
fléchir, on  se  ferait  d'autres  idées;  on  aurait  peine  à  se  défendre 
de  quelque  admiration  pour  ces  géans  du  christianisme  ,  pour  ces 
lutteurs  qui  ccmbattaient  si  rudement  le  grand  combat  de  l'huma- 
uité,  do  la  chair  contre  l'esprit.  Nous  ne  savons  si  le  diable  prit 
toutes  les  formes  effroyables  ou  séductives  que  nous  ont  si  scrupuleu- 
sement conservées  les  légendaires;  mais  ce  qui  est  sûr,  c'est  que 
la  plupart  de  ces  hommes  avaient  vécu  à  Rome ,  à  Corinthe  ,  à 
Alexandrie,  à  Canope;  ils  avaient  bu  à  la  coupe  de  toutes  les  Ba- 
bylones  du  bas-empire;  lorsqu'ils  fuyaient  au  désert,  ils  emportaient 
avec  eux  une  légion  d  ennemis  plus  redoutables  que  tous  les  mon- 
stres de  leurs  apparitions.  A  1  approche  de  leurs  redoutables  assauts, 
ils  recouraient  à  des  armes  long-temps  éprouvé  >.  Ceux-ci  châtiaient 
leurs  corps  par  les  coups,  les  autres  par  le  jeûne;  Antoine  s'en- 
terrait dans  son  sépulcre  ,  Pacôme  marchait  dans  les  buissons  ,  ïïi- 
lariou  s  exténuait  par  la  faim,  Jérôme  se  brisait  la  poitrine  à  coups 
de  pierre,  et  sa  main,  encore  sanglante  ,  traçait  ces  étonnantes  pa- 
roles :  Mon  corps  est  noir  et  desséché  ,  les  abstinences  t'ont  rendu 
froid,  la  chaleur  naturelle  est  éteinte;  il  semble  toutefois  que  le 
fond  de  la  concupiscence  le  soutienne...  Je  fuis  ma  cellule  comme 
un  témoin  qui ,  sachant  mes  pensées,  peut  déposer  contre  moi,... 
—  Etait-il  donc  indigne  de  Dieu  d'opposer  ces  sublimes  exagérations 
de  la  vertu ,  au  monstrueux  de'bordement  de  tous  les  vices?  et  lors- 
que la  dégradation  du  monde  romain  avait  si  bien  montré  jusqu'à 
quel  point  l'âme  pouvait  être  soumise  à  l'empire  des  sens,  de  faire 
voir  jusqu'à  quel  point  la  matière  pouvait  être  domiue'e  par  l'esprit?... 
Fallait-il  moins  que  ces  dures  pe'nitences  pour  impressionner  ces 
populations  avilies.'*  moins  que  ces  victimes  volontaires,  pour  méri- 
ter aux  hommes  la  pitié  de  Dieu?...  Quon  ne  croie  point  que  ces  so- 
litaires vécussent  sans  aucune  relation  avec  leurs  semblables  :  leur 
vie, 'leurs  prodiges,  leur  soin  même  de  se  cacher,  attiraient  le  peu- 
ple autour  d'eux.  On  accourait  des  lieux  lointains,  on  les  poursui- 
vait de  solitude  en  solitude;  souvent  il  s'établissait  à  la  porte  de  la 
cellule  une  lutte  entre  l'humilité'  de  l'ermite  el  la  curieuse  pie'té  de 
la  foule.  Enfin ,  après  avoir  entendu  quelque  voix  du  ciel,  le  moine 
se  montrait  avec  son  corps  flagellé  et  sa  face  amaigrie  ;  il  consolait 


Dli    M.     MIGUELF.T. 


411 


les  uns,  guérissait  les  autres,  les  bénissait  tous.  Il  avait  droit  alors 
de  parler  de  la  vertu  du  christianisme,  de  sa  rigoureuse  morale; 
ce  qu  on  avait  vu  préparait  les  cœurs  à  ce  qu'on  allait  entendre. 
Quel  effet  devait  produire,  dans  les  villes  toutes  païennes ,  les  ré- 
cits de  ces  nombreux  pèlerins  ,  racontant  ce  qu'ils  avaient  vu  dans 
le  désert?  —  Sans  doute,  il  y  eut  des  abus,  des  désordres;  on  vit 
de  faux  moines ,  de  vagabonds  sarabaïtes;  d'autres  qui  donnèrent 
dans  les  erreurs  des  Massaliens,  rejetant  toute  espèce  de  travail ,  et 
s'abandonnant  kde  vagues  hallucinations...  Mais  il  n'en  est  pas  moins 
vrai  que  le  travail  des  mains  était  regardé  comme  un  point  essentiel 
de  la  règle  monastique.  Saint  Augustin  a  fait  un  traité  expressément 
sur  ce  sujet  (i).  Cassien,  qui  avait  si  long-temps  vécu  avec  les  moi- 
nes d'Orient,  a  laissé  le  détail  de  leurs  divers  travaux.  «  Travail- 
))  lez,  écrit  saint  Jérôme,  ce  dur  Stridonien ,  qui  n'c  tait  point 
H  oisif,  lui,  dans  sa  grotte  de  Bethléem,  travaillez,  écrit-il  à 
»  Rustique,  auquel  il  enseigne  la  vie  d'un  véritable  moine  ,  faites 
»  des  nattes,  des  corbeilles,  sarclez  le  jardin,  greffez  des  arbres, 
»  faites  des  ruches  d'abeilles,  et  apprenez  de  ces  petites  bêtes  à 
w  vivre  en  communauté  ;  transcrivez  des  livres.  C'est  une  coutume 
»  établie  dans  les  inouastèrcs  d'Egypte  de  ne  recevoir  personne 
»  qui  ne  sache  travailler...  »  Ailleurs,  il  raconte  comment  saint  Maie 
résolut  de  retourner  au  monastère  qu'il  avait  quitté  :  «  Je  vis 
»  (c'est  Maie  lui-même  qui  parle),  je  vis  un  sentier  plein  de 
M  fourmis  :  les  unes  traînaient  de  lourds  fardeaux,  d'autres  char- 
«   riaient  du  blé ,  emportaient  des  cadavres;  elles  s'aidaient  et  se 

u   soulageaient  réciproquement Ce  spectacle  me  lit  réfléchir,  je 

»  désirai  retourner  dans  les  cellules  du  monastère  ,  oii  je  pusse 
»  imiter  les  fourmis  que  je  voyais  ,  travaillant  pour  la  communauté  , 
»  et  où  chacun  n'ayant  rien  de  propre  ,  toutes  choses   appartiennent 


(i)  De  opère  monach.  —  Voy.  Cassien,  Institut,  monast.  — St.  Jean 
Climaque  lui-même,  si  versé  dans  ta  vie  contemplative,  et  qui  doit  son 
nom  à  son  livre  de  r  Échelle  sainte  {p^Xtfia^,)  au  moyen  de  laquelle  on 
anpreiiil  à  s'élever,  par  trente  dei;ics  ,  jusqu'à  la  plus  liaute  mysticité, 
recommande  dans  ce  même  ouvrage  de  considérer  ai'ec  soin  en  quel  temps 
il  faut  préférer  le  travail  à  la  prière;  il  réprimande /« /i/c/iei  e<  pares- 
seux (jui  préfèrent  la  prière  à  des  travaux  pénibles  (4"  degré). 


412    EXAMEN    DE    l'hISTOIRE    DE    FRANGE    DE    M.    MICHELET 

))   à  tous.  »    Peut-on   désirer   une  expression  plus  juste  du  travail 
libre  et  en  commun  ? 

Mais  on  voudrait  que  ces  communautés  se  fussent  rendues  maté- 
riellement utiles  à  la  société ,  qu'elles  eussent  défriche  des  champs, 
fait  l'iigriculture  sur  une  plus  grande  échelle —  D'abord,  est- 
on  bien  sûr  qu'il  y  eût  à  cette  époque,  dans  tout  l'empire  romain, 
un  champ  qui  pût  être  cultivé  ?...  Le  fer  qui  creusait  alors  la  terre, 
était  la  pique  des  légions  et  l'épieu  des  barbares;  l'engrais  qui 
fécondait  les  sillons,  était  le  sang  humain;  c'étaient  les  cadavres 
qui  s'entassaient  depuis  la  Bretagne  jusqu'au  fond  de  la  Perse...  La 
bêche  des  moines  se  serait  émoussée  contre  les  armures  et  les  os- 
semens.  A  moins  qu'on  ne  préfère  dire  qu'ils  devaient  défricher 
les  sables  delà  Thébaïde.  Encore  faut-il  savoir  que  leurs  demeures, 
leurs  pauvres  plantations  e'taient  perpe'luellement  ravagées  par  les 
bêles  sauvages,  par  les  voleurs,  par  les  Arabes,  par  les  hérétiques, 
qui  ne  manquaient  pas  de  venir  de  temps  à  autre  donner  la  chasse 
aux  solitaires.  —  De  plus,  un  certain  nombre  d'entr'eux  avaient 
combattu  dans  les  persécutions  et  confessé  la  foi;  on  leur  avait 
fait  glace  de  la  vie,  et  ils  arrivaient  tout  couverts  des  marques  de  la 
gracieuse  faveur  des  Césars.  Ces  marques  étaient  un  bras  de  moins, 
la  langue  arrachée,  les  mains  coupées,  les  yeux  crevés,  les  mem- 
bres rompus..  Ceux-ci,  certes,  ne  pouvaient  faire  de  ions  travail- 
leurs, et  ils  semblent  avoir  conquis  d'assez  glorieuses  invalides. 
Quant  à  saint  Simon  Stylite,  il  avait  converti  au  christianisme  les 
Libaniotes  et  une  partie  de  l'Arabie  ;  on  peut  lui  pardonner  de 
s'être  reposé  sur  sa  colonne.  —  Annales  de  Phil.  Chrét.  n°  49« 


413 


L'ÉVÊQUE    "WITTRIANN  (1). 


Parmi  le  petit  nombre  de  biograpliies  dignes  d'inte'rêt,  il  en 
est  qui  ont  un  charme  particulier  pour  une  classe  de  lecteurs, 
dans  laquelle  nous  aimons  à  placer  tous  les  nôtres.  Je  veux 
dire  les  biograpliies  de  ces  hommes  parvenus,  h  force  de  com- 
bats et  de  victoires  contre  eux-mêmes,  à  déplacer,  au  fond 
de  leur  cœur,  le  principe  et  le  terme  ordinaires  de  l'activité 
humaine,  l'amour  de  soi,  pour  y  substituer  cet  autre  mobile 
que  la  langue  chre'tienne  a  nomme'  charité,  mais  que  nous 
pouvons  aussi  appeler  he'roïsme  ,  qui  subordonne  toute  une 
âme,  toute  une  existence,  à  des  âmes,  à  des  existences  e'tran- 
gères ,  et  fait  de  ce  que  nous  avons  naturellement  de  plus  pre'- 
cieux  ,  un  holocauste  continuel.  Il  s'exhale  de  cette  sorte  de 
re'cîts  un  parfum  fortifiant  et  suave,  qu'une  âme  bien  faite  ne 
respire  jnmais  sans  de'sirer  aussitôt  de  devenir  meilleure.  Alors, 
dans  ces  instans  de  re'veil  et  délan  de  tout  ce  qui,  en  nous, 
est  reste'  ge'ne'reux  et  pur,  on  e'prouve  un  besoin  immense  de 
renouveler  sa  vie  ,  de  se  de'pouiller  des  jours  accomplis,  comme 
d'un  vêtement  souille'  par  la  ])oussière  ou  la  boue  du  vojaqe, 
et  de  traverser  des  eaux  purificatrices,  pour  rentrer,  athlète 
plus  vigoureux  ,  dans  la  carrière  où  Dieu  nous  a  place's.  Sur- 
tout lorsque  lame  est  jeune  et  neuve,  les  grands  exemples  de 
perfection  morale  et  de  de'vouement  religieux,  produisent  de 
profondes  impressions.  Mais  aussi,  pour  employer  le  seul  lan- 
gage qui  puisse  rendre  notre  pense'e  tout  entière  ,  quel  plus 
sublime  spectacle  que  celui  d'un  homme  ve'ritablementyo««?é' 
daîis  la  charité,  dans  cette  charité  ^a/ienfc  et  bienveillante, 
qui  ne  connaît  ni  l'cni>ie,  ni  la  malignité ,  ni  la  vanité  ;  qui 


(i)  Revue  Européenne ,  n°  35. 


414  l'évêque  wittmann^ 

n'est  point  ambitieuse ,  point  ai'idc  de  son  propre  intérêt,  point 
colère  ;  gui  ne  sait  ce  que  c'est  de  penser  le  mal ,  ou  de  se  ré- 
jouir de  rinupdté ,  mais  qui  ,  au  contraire,  ne  trouçe  sa  joie 
que  dans  la  vérité ,  supporte  tout,  croit  tout,  espère  tout,  souf- 
fre tout  (i)?  La,  et  uniquement  là,  est  ia  vraie  sagessp  ,  la 
sagesse  d'en  haut,  d'abord  liumble  ,  et  ensuite  pacifique,  mo- 
deste ,  persuasive  ,  amie  des  bons  ,  pleine  de  miséricorde  et  d'heu- 
reux fruits  ,  s  abstenant  de  juger ,  exempte  d^ artifice  (2).  Je  le 
tlemande  ,  y  a-t-il  dans  la  re'alite' ,  peut-on  même  concevoir  ua 
plus  haut  apoge'e  de  toutes  les  nolUes  faculie's  de  notre  nature^ 
Et  cependant,  chez  le  ve'ritai)le  héros,  tout  est  simple,  sou- 
vent même  petit  à  l'exte'rieur  :  point  de  ces  inquiets  efforts  de 
la  perfectibilité'  purement  humaine;  surtout  rien  de  son  osten- 
tation. C'est  que  le  principe  et  le  point  d'appui  de  riie'roïsrae 
chrétien  sont  ailleurs  que  dans  notre  moi,  si  pauvre  et  si  fai- 
llie ;  c'est  qu'on  n'y  arrive  que  par  l'humilité'.  Cet  aveu  du  fait 
de  notre  ind!t;ence  ,  qui  serait,  pour  tout  homme  re'fle'chissant, 
la  chose  du  monde  la  plus  naturelle  ,  si  elle  n'e'tait  qu'une 
simple  ide'e,  si  elle  ne  devait  pardessus  tout,  se  faire  acte, 
s'incarner ,  pour  ainsi  dire,  incessamment  dans  la  conduite.  Dans 
la  conduite!....  Voilà  le  point  difficile,  le  terrain  du  combat, 
mais  aussi  le  sujet  du  triomphe,  et  du  plus  grand,  ^u  plus 
beau  triomphe  qu'une  cre'ature  humaine  puisse  remporter. 

Le  ve'ne'rable  e'vêque  Wittmann  fut  un  de  ces  rares  vainqueurs 
de  soi  même,  dont  les  regards  de  Dieu  pre'fèrent  certainement 
la  lutte  à  celle  que  Se'nèque  proclamait  le  plus  suhlime  spec- 
tacle que  la  terre  pût  offrir  au  ciel  ;  l'humanité'  et  la  charité, 
tels  furent  comme  1  s  deux  ]iôies  de  toute  sa  vie,  d'une  lon- 
gue vie  de   soixante-treize  ans. 

Nous  avons  cru  procurer  un  utile  plaisir  à  nos  lecteurs ,  en 
leur  faisant  connaître  cet  homme  admirahle  ,  et,  pour  cela, 
nous  n'avons  rien  trouve'  de  mieux  à  faire,  que  de  traduire, 
en  entier  ,  la  belle  oraison   funèbre  prononce'e  par  M.  l'ablie' 


(1)  Saint  Paul. 

(2)  Saint  Jacques. 


L^ÉvÉQUE    WITTMATfN.  415 

Diepenbrock,  chanoine  de  l'ëglise  cathédrale  de  Ratisbonne , 
le  2  avril  i833.  M.  l'abbe'  Diepenbrock,  ainsi  qu'il  eût  ëte'  fa- 
cile de  le  soupçonner  par  le  morceau  que  l'on  va  lire,  joint  à 
ses  vertus  et  à  sa  science  eccle'siastique  ,  un  talent  de  poète 
remarquable.  Il  s'est  fait  connaître  comme  tel,  daiis  le  monde 
litte'raire  de  l'Allemagne  catholique,  par  un  charmant  recueil 
intitulé  :  Geisllicfwr  Blumen  strausz  ,  où  l'on  trouve  ,  à  côle'  de 
nombreu.>res  pièces  originales,  une  excellente  traduction  en 
vers  de  fragmens  des  poètes  ascëtiqties  espagnols  les  plus  esti- 
més ,  et  d'une  des  meilleures  tragédies  de  Galdéron. 


Oraison  funèbre  de  feu  Monseigneur  George- Michel  Wittmann  ,  docteur 
en  théologie,  cvêque  nommé  de  Ratisbonne,  doyen  du  Chapitre  de 
l'église  cathédrale  ,  vicaire-général  et  directeur  du  séminaire  diocésain, 
membre  honoraire  de  l'Ordre  royal  bavarois  de  Louis ,  prononcé  dans 
l'église  cathédrale  de  Ratisbonne  ,  le  2  avril  i833  ,  au  troisième  service 
funéraire. 

Depuis  quarante-rinq  années,  chaque  jour  à  certaines  heu- 
res, dans  les  rues  de  Ratisbonne,  on  voyait  passer  hâtivement, 
la  tête  et  le  regard  baissés,  un  homme  vêtu  de  l'ancien  habit 
ecclésiastique,  recevant  de  tous  un  salut  plein  de  vénération, 
qu'il  rendait  ave:  l'iménilé  la  plus  affectueuse,  et  souvent  en- 
touré d  une  troupe  d'enfans  qui  s'attachaient  à  son  long  man- 
teau noir.  Celaient ,  d  ordinaire,  les  quartiers  les  plus  éloignés 
qu'il  parcourait,  entrant  dans  les  maisons  des  pauvres  et  des 
malades,  s'arrétant  dans  les  hôpitaux,  dans  les  écoles  et  les 
églises.  L'empressement  de  sa  démarche,  joint  à  la  piété  ré- 
pandue sur  tout  son  extérieur,  trahissait  le  sublime  ministère 
qu'il  allait  rem])lir,  et  partout  sa  présence  inspirait  le  recueil- 
lement, le  respect  et  la  paix.  C'est  ainsi  que  nous  l'avons  tous 
vu  chaque  jour,  et  depuis  quelque  temps  nous  ne  le  voyons 
plus;  il  ne  ])asse  plus  au  milieu  de  nous  5  l'évêque  Wiltmann 
est  mort!  Trois  semaines  sont  à  peine  écoulées,  depuis  qu'un 
long  convoi  portait  son  corps  privé  de  vie  à  travers  les  mêmes 
rues  qu'il  parcourut  si  souvent  en  répandant  la  bénédiction  , 


416  l'évêque  wittm\nn. 

et  des  milliers  d'hommes  se  pre'cipitaient  pour  voir  cette  fu- 
nèbre solennité,  et  saluer  une  dernière  fois  sa  de'pouille  mor- 
telle; et  les  mères  accouraient,  portar.t  sur  leurs  bras  leurs 
petits  enfans,  pour  pouvoir  dans  la  suite  graver  en  eux  ,  comme 
lin  inelTacable  souvenir,  qu'eux  aussi  assistaient  aux  fune'rail- 
les  du  saint  e'vêque  ;  et  beaucoup  de  larmes  ont  e'te'  verse'es , 
autant  peut-être  qu'il  en  a  essuyé'  durant  sa  vie;  et  enfin,  il 
a  e'te'  de'pose'  ici  même,  au  pied  de  l'autel,  dans  le  sombre 
tombeau  ;  et ,  si  tous  cherchez  la  place ,  vous  la  reconnaîtrez 
sans  peine  à  la  foule  agenouille'e  autour  de  cette  froide  pierre, 
qu'elle  baigne  de  ses  pleurs. 

Quel  est  donc  le  motif  d'un  deuil  si  géne'ral  ?  C'est  la  pense'e 
d'une  irréparable   perte  ;  la   pense'e  qu'une  source  vivante  de 
be'ne'diclions  est  tarie,  qu'une  colonne  est  renverse'e ,  sur  la- 
quelle reposait  tant  de  bien  ,  tant  de  sainteté'  :  et  ce  sentiment 
n'est  point  une  illusion;  c'est  une  ve'rité,  une  ve'rile'  doulou- 
reuse! Toutefois  il  ne  convient  pas  que  nous  chre'tiens,  nous 
nous  abandonnions  à  une  tristesse  dësespe're'e  et  aveugle;  car 
noire  Dieu  n'est  pas  le  Dieu  des  morts,  mais  le  Dieu  des  vi- 
vans;  et,  si  les  cheveux  de  notre  tête  ont  e'te'  tous  compte's  par 
lui,  i!  a  certainement  compte'  de  même  les  jours  du  juste,  et 
le  dernier  battement  de  son  cœur  est  dans  ses  mains  comme 
le  premier.  Afin  donc  que  notre  tristesse  soit  e'claire'e,  salutaire, 
vraiment  chrétienne,  considérons  ce  que  la  divine  Providence 
nous  avait  donné  dans  la  personne  du  défunt     et  nourrissons 
soigneusement,  au  fond  de  nos  cœurs  ,  le  souvenir  de  ses  vertus. 
Toute   l'Histoire  sainte  nous   montre  que,  pour  le  maintien 
et   l'avancement  de  son  règne  ici-bas  ,   le   conseil  de  Dieu  est 
d'agir  sur  les  hommes  par  d'autres  hommes;  et  il  n'y  a  rien 
là  qui  nous  doive  surprendre  ,  puisque  Dieu  lui  même  s'est  fait 
homme  afin  de  nous  sauver.  Sans  doute,  depuis  la  première 
fête  de  la  Pentecôte  ,  l'Esprit  divin  continue  d'opérer  invisible- 
ment  dans  son  Eglise  ;  mais  il  se  sert  d'individus  pour  agir  sur 
les  masses,  de  même  qu'il  se  servit  de  douze  apôtres  pour  con- 
vertir trois  mille  juifs  ;  et ,  lorsqu'il  éclaire  intérieurement  le 
centurion  Cornélius,  le  trésorier  de  la  reine  d'Ethiopie  et  Saul, 
il  emploie  en  même  temps  un  secours  extérieur,  en  les  adres- 


l'évéque  wittmanîî.  417 

sant  à  Pierre ,  à  Philippe ,  à  Ananias.  Aussi  a-t-il  existe'  ,  et 
existera-t-il  partout  et  toujours,  clans  1  Eglise,  des  hommes 
place's  au  luilieu  de  leurs  lières,  comme  supports  de  la  sain- 
teté', et  comme  témoins  des  clioses  éternelles;  semblables,  en 
cela,  à  ses  hautes  montagnes  qui  servent  de  point  de  direction 
au  voyageur  e'gare',  hrisont  la  violence  des  venls  destructeurs, 
renferment  dans  leurs  entrailles  les  métaux  les  plus  ])récieax,  et 
amassent  les  eaux  du  ciel  sur  leur  sommet,  d'où  elles  s  éj)anclient 
dans  toutes  les  directions,  en  fleuves  et  en  ruisseaux  bien- 
faisans. 

Au  nomhre  de  ces  hommes  de  Dieu,  ve'ritaLle  sel  de  la  terre  , 
qui  préservent  le  genre  humain  de  la  corruption  et  de  l'en- 
gourdissement, la  ville  et  le  diocèse  de  Ratisbonne  doivent 
compter  George  Michel  Wittmann  ,  dont  le  service  funèhre 
nous  rassemble  encore  une  fois  en  ce  lieu  aujourd'hui. 

L'histoire  de  sa  vie  extérieure  est  extrêmement  simple,  mais 
marquée  en  tout  du  sceau  le  plus  éclatant  de  la  grandeur  d'âme. 
Il  naquit,  le  23  janvier  1760,  à  Finkenhammer ,  auprès  de 
Pleistein  ,  dans  le  haut  Palatinat,  d'une  famille  aisée,  mais  dont 
les  sentimens  chrétiens  sont  encore  le  plus  bel  héritage.  Dès 
sa  plus  tendre  enfance  il  manifesta  un  goût  prononcé  pour  la 
retraite.  Ses  parens  l'envoyèrent ,  à  l'âge  de  dix  ans  ,  à  Missbrunn, 
chez  un  curé  d'une  grande  piété.  Là  on  le  trouvait  souvent 
enfermé  dans  la  chapelle  de  la  maison  et  s'exerçant  aux  céré- 
monies du  service  divin,  au  lieu  de  se  livrer  aux  amusemens 
des  enfans  de  son  âge  :  on  l'entendait  aussi  souvent  prêcher 
seul  ,  lorsqu'il  croyait  n'être  pas  écouté.  De  Misshrunn  il  alla 
à  Amherg  étudier  le  latin  ,  et  y  reçut ,  durant  plusieurs  années  , 
l'excellente  éducation  des  jésuites.  Lorsqu'aux  vacances  il  re- 
tournait à  la  maison  paternelle,  on  lui  donnait,  pour  ses  étu- 
des et  pour  ses  exercices  de  piété,  une  petite  chambre,  d'oti 
il  ne  sortait  que  très  peu,  et  jamais  pour  aller  dans  le  monde. 
Cet  amour  de  la  solitude  ,  marque  d'une  âme  élevée  et  sérieuse, 
il  le  conserva  jusqu'à  la  fin ,  et  ce  n'est  qu'ainsi  qu'il  pouvait 
devenir  ce  qu'il  a  été  en  effet,  le  citoyen  et  le  témoin  d'un 
monde  différent  de  celui  qui  s'agite  sous  nos  yeux  dans  le  tour- 
billon de  la  vie. 


418  l'kvêque  wittmanpt. 

D'Amberg  il  se  rendit  à  l'aniversité  tl'Heidelberg ,  où  il  posa 
la  base  de  cette  science  étendue  et  solide  ,  qni  ,  sous  la  forme 
la  plus  simple,  Ijrille  d'une  manière  si  frappante  dans  ses  écrits 
et  ses  leçons.  Ce  fut  de  là  quil  fit  un  voyage  à  travers  une 
partie  de  l'AHeinagne,  et  nous  trouvons  dans  une  lettre  de  lui 
encore  existante,  quil  e'crivit  à  ses  parens  sur  ce  sujet,  la  preuve 
de  la  maturité'  intérieure,  de  la  clarté'  du  coup  d'œil ,  du  ca- 
ractère se'rieux,  de  la  finesse  de  tact  de  ce  jeune  homme  de 
dlx-neof  ans,  et  de  la  sensibilité  poe'tique  de  son  âme,  ou- 
verte à  tout  ce  que  la  nature  offre  de  beau  et  de  grandiose. 
<(  Ce  ne'tait  pas  le  plaisir  que  je  cbercbais,  dit-il,  mais  la  con- 
»  naissance  des  hommes  et  de  moi-même.  »  Opposant  ensuite 
au  splendide  jardin  d'un  prince,  une  simple  gorge  de  mon- 
tagne des  environs  de  Coblentz,  dans  laquelle  l'avait  e'gare'  une 
promenade  solitaire,  il  s'exprime  ainsi  :  «  J'ai  e'prouvé  là  un 
»  plaisir  bien  autrement  vif;  j'ai  vu  les  œuvres  de  Dieu  dans 
»  toute  leur  virginité'  et  dans  toute  leur  grandeur;  aucune 
»)  main  d'homme  ne  les  a  encore  alle're'es  ;  nulle  trace  de  la 
w  me'chancete'  du  monde;  rien  qu'un  sentier  à  peine  visible; 
»  point  de  mensonge,  point  de  vanité'....  »  remarquables  pa- 
roles qui  nous  font  lire  profonde'ment  dans  cette  grande  âme. 

Anrès  avoir  passe'  le  temps  d'e'preuve  et  de  pre'paration  au 
se'minaire  de  Ratisbonne ,  il  reçut,  avec  dispense,  les  ordres 
sacre's  à  l'âge  de  vingt-deux  ans  ,  et  ce'le'bra  ,  pour  la  première 
fois,  le  saint  sacrifice  à  la  fête  de  l'Epiphanie,  sofîrant  tout 
entier  à  Dieu  dans  l'or  d'un  zèle  pur,  dans  l'encens  d'une  vive 
pie'te',  et  dans  la  rayrrlie  du  renoncement  à  soi-même.  Il  e'tait 
naturel  que  l'onction  sainte  communiquât  la  plus  riche  fécon- 
dité' sacerdotale  au  fonds  si  bien  prépare'  de  son  esprit  et  de 
son  cœur,  et  tout  ce  que,  dans  la  suite,  on  a  vu  en  lui  d'ad- 
mirable ,  a  germe'  du  sein  de  ce  sol  béni. 

De'jk,  depuis  environ  cinq  ans  ,  il  remplissait,  à  la  campagne, 
les  fonctions  du  saint  ministère,  avec  ce  zèle  qu'inspire  la 
charité',  lorsqu'en  1788  il  fut  appelé'  au  se'minaire  de  Ratis- 
bonne,  en  qualité'  de  sous-directeur,  et  y  commença  cette  car- 
rière pleine  de  bonnes  œuvres ,  qu'il  a  poursuivie  sans  inter- 
ruption jusqu'à  sa  mort,  c'est-à-dire  à  peu  près  l'espace  d'un 


l'évèque  wittmann.  4! 9 

demi-siècle.  Dans  cet  intervalle ,  plus  de  mille  jeunes  gens  ont 
e'te'  pre'jtare's  par  lui  au  sacerdoce,  et  l'on  peut  voir,  dans  un 
petit  e'crit  intitule'  :  ISom'clles  du  séminaire  de  liatisbonnc , 
les  principes  qui  lui  servaient  de  règles  et  qu'il  a  constamment 
suivis.  Mais  ce  qui  produisait  sur  l'esprit  des  e'ièves  plus  d'effet 
que  les  leçons  ,  que  toutes  les  exhortations  et  tous  les  exerci- 
ces, c'e'tait  l'homme  lui-même,  l'éle'ment  spirituel  visiblement 
fixe  en  lui,  et  qui,  pour  ainsi  dire,  incorpore'  à  tout  son  être, 
se  manifestait  dans  le  moindre  de  ses  actes  ;  c'e'tait  sa  foi  vi- 
vante, ine'hranlable  ,  en  la  personne  et  en  la  foi  de  Je'susChrist  • 
son  esprit  intimement  pe'ne'trë  du  sens  profond,  plein  de  mys- 
tères, de  toutes  les  institutions  et  de  tous  les  usages  de  I  Eglise  ; 
sa  charité'  de'vone'e,  l'he'roïsme  de  ses  victoires  sur  lui-même, 
sa  mortification,  son  humilité',  son  amour  de  la  prière  et  du 
recueillement.  Le  commerce  journalier  d'un  tel  homme  ne  pou- 
vait manquer  de  faire  Jaillir  dans  de  jeunes  âmes  jusqu'à  la 
moindre  e'iincelle  d'esprit  eccle'.siastique.  On  s'accorde  surtout 
à  louer,  comme  spe'cialement  salutaires,  les  entretiens  parti- 
culiers qu'il  avait  ordinairement  le  soir,  dans  sa  chambre,  avec 
les  séminaristes,  et  qu'il  savait  si  bien  proportionner  à  l'e'tat 
de  l'âme  et  aux  besoins  de  chacun  d'eux.  Parmi  les  nombreux 
objets  de  sa  sollicitude,  un  des  premiers  e'tait  d'insjiirer  aux 
futurs  pasteurs  l'amour  des  enfans  et  de  les  remj)lir  de  zèle 
pour  leur  instruction.  Ses  leçons  sur  la  morale  ,  sur  la  casuis- 
tique,  la  liturgie  et  l'Ecriture  sainte,  te'moignaient  de  sa  rare 
e'rudition  et  de  la  clarté  de  son  jugement,  en  même  temps  que, 
par  l'e'tonnante  originalité'  de  ses  vues,  il  prouvait  d'une  ma- 
nière admirable  jusqu'à  quelle  bauteur  la  liberté'  et  l'indivi- 
dualité' de  la  spe'culation  peuvent  s'allier  à  la  plus  stricte  or- 
thodoxie. 

Telles  e'taient  de'sormais  ses  fonctions,  au  pe'nible  accomplis- 
sement desfjuclles  il  apportait  tous  les  jours  la  même  ardeur. 
Chaque  nouvelle  anne'e  lui  amenait  de  nouveaux  e'ièves,  et  il 
avait  la  douleur  de  voir  les  pre'ce'dens  se  se'jiarer  de  lui  au 
moment  même  oii  il  commençait  à  jouir  de  leurs  progrès.  Que 
sur  un  si  grand  nombre,  tous  n'aient  pas  re'pondn  à  ses  soins, 
à  ses  de'sirs  et  à  son  attente ,  cela  est  dans  la  nature  des  cbo- 


420 


LEVEQUE    WlTTMANIf. 


ses  :  mais,  parmi  cenx  à  qui  il  a  servi  de  maître  et  de  guide, 
il  n'en  est  certainement  pas  un  seul,  qui,  après  lavoir  quitte', 
ne  se  sotnînt  de  lui  avec  ve'ne'ration,  et  ne  de'sirât  lui  ressem- 
bler sous  quelque  rapport.  Si  ,  en  ge'ne'ral  ,  le  cierge'  de  Ratis- 
Lonne,  niênie  dans  les  premières  anne'es  des  houleversemens 
de  notre  Eglise,  a  toujours  eu  une  re'putalion  distingue'e,  nul 
doute  qu'il  ne  faille  ,  avant  tout  ,  l'attribuer  au  défunt  :  mais 
ce  n  est  que  dans  l'autre  vie  que  l'on  pourra  savoir  combien 
d'âmes  doivent  leur  salut  aux  rayons  de  lumière  dont  il  a  e'té 
le  foyer.  Beaucoup  de  ses  anciens  e'Jèves ,  qui  sont  aujourd  bui 
de  dignes  j)asleurs,  de'clarent  à  liaute  voix  qu'après  le  secours 
de  Dieu,  c'est  à  lui  qu'ils  doivent,  non-seulement  d'avoir  e'té 
de'livre's  de  l'incroyance  et  du  pe'che,  mais  encore  tout  ce  qu'ils 
peuvent  avoir  ope're'  de  bien  :  aussi  n'est-ce  pas  dans  un  sens 
purement  me'tapborique  ,  qu'il  doit  être  appelé'  le  père  spiri- 
tuel de  ce  diocèse. 

Il  devint,  en  i8o3  ,  premier  supe'rieur  du  se'minaire ,  et, 
en  i8o4,  l'e'vêque  primat  lui  remit,  après  la  destruction  des 
frères-mineurs,  le  vicariat  de  l'e'i^lise  calbe'drale ,  qui  avait  été 
jusqu'alors  desservie  par  ces  religieux.  Le  ze'le'  ministre  du 
Seigneur  accepta  avec  joie  ses  nouvelles  fonctions,  et  lorsque, 
plus  tard,  le  prince  voyant  qu'elles  le  surcbargeaient ,  voulut 
les  lui  retirer,  il  le  sapplia  de  n'en  rien  faire,  disant  qu'avec 
l'aide  de  Dieu  ,  la  cbarge  n'e'tait  pas  trop  pesante. 

L activité'  qu'il  prodiguait  dans  ce  nouvel  emploi,  la  ma- 
nière dont  il  travaillait  sans  rclâcbe  au  confessional,  dans  la 
chaire,  dans  les  hôpitaux,  dans  les  e'coles ,  tout  cela  ne  se 
peut  décrire,  et  d'ailleurs  il  me  suflit  d'invoquer  sur  ce  point 
le  te'moignage  de  nos  deux  villes  (i).  Je  ne  citerai  que  quel- 
ques traits  qui  taracte'riseront  sa  conduite  tout  entière. 

Pour  lui,  comme  pour  tous  les  hommes  de  bien  éclairés, 
l'intérêt  des  enfans  était  un  point  essentiel.  Il  savait  que  c^est 
dans   leurs   rangs    que    l'on  fait  le  plus   de  conquêtes  pour  le 


(i)  Ralisbonne   est    divisé  en  deux  parties,   qui  forment,  pour  ainsi 
dire  ,  deux  villes  distinguées  ,  dont  Tuue  s'appelle  Stadtamhqf. 


l'évêque  wittmann.  421 

royaume  de  Diea ,  et  que  l'on  arrache  le  plus  de  victimes  au 
ge'nie  du  mal.  De  là  son  infatigable  sollicitude  pour  les  e'coles , 
qu'il  visitait  re'gulièrement  deux  fois  par  jour,  dans  la  ville 
et  à  Stadtamhof.  Dui'ant  plusieurs  anne'es,  il  donna  lui-même 
l'instruction  religieuse  dans  toutes  les  classes ,  ce  qui  lui  pre- 
nait trente-sept  heures  par  semaine.  Il  e'tait  le  père  des  enlaus 
pauvres  et  sans  parens  ;  il  les  nourrissait  et  les  vêtissait;  son 
cabinet  e'tait  pour  eux  une  ve'ritable  garde-robe.  Quand  ils 
étaient  plus  avance's  en  âge ,  il  les  faisait  entrer  au  service  de 
gens  reconnus  comme  bons  chre'tiens,  ou  les  plaçaii  en  appren- 
tissage chez  des  maîtres  dignes  de  confiance,  et  ne  ne'gh'geait 
jamais  de  s'informer  soigneusement  de  leur  conduite.  11  y  avait 
des  jours  où  il  conduisait  à  la  promenade  les  e'ièves  des  e'coles 
et  les  orphelins ,  et  il  leur  distribuait  lui-même  des  rafaîcbis- 
semens.  Jamais  il  n'e'tait  plus  heureux  que  dans  leur  compa- 
gnie; tout  son  être  se  transfigurait,  pour  ainsi  dire,  au  milieu 
de  l'innocence  qui  l'environnait ,  et  ces  instans  d'un  commerce 
affable,  plein  de  confiance,  avec  de  petits  enfans ,  e'taient  la 
seule  re'cre'ation  ,  l'unique  joie,  que  cet  homme  mortifie'  se 
permît  sur  la  terre.  Pourrait-on  s'e'tonner ,  après  cela,  que,  de 
leur  côté ,  les  enfans  se  sentissent  comme  magnétiquement  at- 
tirés vers  lui,  et  que,  dès  qu'ils  l'apercevaient,  ils  courussent 
a  sa  rencontre  .•* 

Il  connais.sait  exactement  toutes  les  familles  de  sa  paroisse, 
savait  leurs  ressources  et  leurs  besoins,  ce  qui  le  mit  en  état 
de  rendre  d'importans  services  au  conseil  d'administration 
chargé  du  soin  des  pauvres.  Son  opposition  était  inflexible, 
lorsque  des  gens  moins  nécessiteux  voulaient  profiter  de  la 
charité  publique  aux  dépens  d'autres  personnes  plus  indigen- 
tes ,  et  il  préférait  les  secourir  de  ses  propres  deniers.  Sa  con- 
sciencieuse rigueur,  en  de  pareilles  circonstances,  lui  attira 
plus  d'une  insulte  publique  de  la  part  de  mendians  éhontés; 
mais  il  supportait  tout  cela  sans  mot  dire,  comme  s'il  ne 
l'eût  pas  entendu  :  on  le  vit  même  une  fois,  poursuivi  par 
la  clameur  de  ces  misérables,  continuer  son  chemin  en  silence 
au  milieu  du  pont,  et  à  travers  la  ville,  jusqu'à  sa  maison. 
Ce  n'est  point  un  fait  rare  dans  sa  vie,  que,  pour  apaiser  des 
T.  X.  29 


422  l'ÉVÉQUE    W1TTMA.NN, 

discordes  de  familles ,  particnlièrement  celles  dont  l'éducation 
des  erifons  avait  à  soull'iir,  il  ait  pris,  n'ayant  plus  d'autre 
moyen  ,  le  parti  de  se  jeter  tout  à  coup  entre  les  pareiis  di- 
vises,  et  de  réciter  à  haute  voix  le  Pater  noster.  Dans  la  maison 
des  pauvres  de  Sladtamhof,  dont  il  e'tait  administrateur  en 
sa  qualité  de  curé,  il  distribuait  lui-même,  tous  les  lundis,  le 
bois  aux  pensionnaires,  afin  d'e'toulTer  toute  jalousie  entre  eux, 
et  il  les  visitait  chaque  jour ,  pour  les  exhorter  chaque  jour 
à  la  paix  et  k  la  concorde. 

Mais  c  e'tait  surtout  dans  les  jours  de  calamile's  ge'ne'raies, 
que  se  montrut  sa  re'solution,  son  de'vouement  sans  bornes, 
son  amour  et  sa  fide'lité  de  pasteur,  et  qu  il  apparaissait,  au 
milieu  des  plus  grands  dangers,  semblable  à  un  ange  de  salut 
envoyé  d'un  meilleur  monde.  Ainsi,  dans  un  violent  déborde- 
ment du  Danube,  on  le  vit,  sur  une  faible  barque,  parcou- 
rir, au  péril  de  sa  vie,  les  parties  inondées,  portant  à  ses 
pauvres  en  détresse  des  alimens  qu'il  leur  faisait  passer  par 
les  fenêtres.  Ainsi  encore  ,  à  la  mémorable  prise  d'assaut  de 
Ratisbonne,  le  23  avril  1809,  il  se  trouvait  au  plus  fort  du 
combat,  dans  les  rues  sillonnées  par  les  boulets,  par  les  bal- 
les ,  et  par  les  soldats  en  furie ,  prodiguant  ses  efforts  à  ar- 
rêter les  progrès  de  l'incendie,  à  secourir,  à  sauver  ce  qui 
pouvait  encore  être  secouru  et  sauvé,  et,  lorsque  cela  n'était 
plus  possible,  à  porter  aux  malheureux  et  aux  mourans  les 
consolations  de  son  saint  ministère.  Il  a  peint  lui-même  ces 
scènes  d'borreurs  dans  un  petit  écrit  fort  renjarquahle  ,  où.  il 
compte,  aussi  fidèlement  que  possible,  toutes  les  perles,  les 
siennes  exceptées  ;  car  il  ne  sauva  que  les  registres  de  sa  pa- 
roisse,  trésor  d'un  million,  selon  lui,  et  son  bréviaire  :  quant 
à  son  mobilier,  sa  nombreuse  bibliothèque  et  ses  manuscrits 
si  précieux ,  il  ne  lui  en  resta  pas  la  moindre  partie.  Son 
extérieur  calme  et  tout  sacerdotal  dans  ces  momens  terribles, 
exerçait  tant  d'empire  sur  les  soldats  les  plus  échauffés  ,  que, 
loin  de  lui  faire  aucun  mal,  ils  ouvraient  leurs  rangs,  comme 
à  un  ange  de  paix ,  pour  le  laisser  passer. 

Lorsqu'un  t8i3  les  troupes  françaises,  en  opérant  leur  re- 
traite, apportèrent  la  fièvre  nerveuse  dans  la  ville,  l'homme 


l'évêque  wittmanw.  423 

de  Dieu  se  montra  entièrement  le  même.  Les  malades  et  les 
mourans,  à  moitié'  nus  et  dans  un  e'tat  de  de'goûtante  malpro- 
preté', gisaient  entasse's  par  centaines  dans  l'hôpital  de  Saint- 
Mangj  la  plus  effroyable  contagion  de'cimait  ces  infortune's  ; 
tous  les  jours  des  barques  pleines  de  cadavres  descendaient  à 
rUnterwœerth  (i),  où  on  les  enterrait ,  Wittmann  seul  visitait 
1  hôpital  et  en  de'fendait  l'entre'e  à  ses  vicaires,  disant  qu'ils 
se  devaient  à  la  paroisse;  que,  pour  lui,  s'il  pe'rissait ,  il  n'y 
avait  point  de  perte.  Là  il  se  tenait  auprès  des  malades  les 
plus  repoussans ,  leur  distribuait  les  sacremens  avec  les  con- 
solations spirituelles,  et  recueillait  sur  son  sein  leur  dernier 
soupir;  puis  il  inscrivait  soigneusement  leur  nom  et  le  lieu  de 
leur  naissance,  pour  pouvoir  ensuite  donner  des  nouvelles 
aux  familles.  Ce  fut  particalièrement  alors  que  lui  servit  sa 
connaissance  de  la  langue  française  ,  et  qu'il  s'estima  heureux 
de  la  posse'der.  Plusieurs  semaines  se  passèrent  dans  ces  pe'ni- 
Lles  exercices,  jusqu'à  ce  qu'enfin  il  fût  atteint  et  presque re'- 
duit  à  la  mort  par  le  fléau.  Il  crut  qu'il  allait  quitter  ce 
monde ,  et  il  le  de'sira  ;  mais  Dieu  ,  exauçant  les  prières  des 
fidèles  ,  le  rendit  à  la  vie  :  il  n'avait  pas  encore  amasse'  tous 
les  fleurons  de  sa  riche  couronne. 

Du   haut   de    la   chaire,  qui  de  nous,  n'a-t-il  pas,  chaque 
fois,  profonde'ment  e'mu  et  e'difie?  Son  exte'rieur  ëtait  de'jà 
à  lui  seul  tout  une   pre'dication.  Il  parlait  d'une  manière  ex- 
trêmement simple,  sans  aucune  recherche  des  belies  expres- 
sions; mais  ce  qu'il  disait  e'tait  esprit  et  force  :  il  l'avait  senti 
il  l'avait  expe'rimente'  lui-même.  Dès  qu'il  ouvrait  la  bouche 
on  eût  dit  qu'il  ne  fiisait  que  suivre,  à  haute  voix,  le  cours 
de   ses    pense'es  incessamment   occupe'es  de  Dieu.  Semblable  h 
un  bon  père  de  famille,  il  rompait  également  le  pain  de  vie 
aux  pauvres  et  aux  bumbles;  celui  qui  en  avait  faim  ,  se  ras- 
sasiait auprès  de  lui;  mais  celui  qui  cherchait  les  morceaux  de'- 
licats  d'une  e'Ioquence  apprête'e  ,  n'y  trouvait  point  son  compte  ; 
car  il   ne  savait  servir  ,  sur  la  table  spirituelle,   que  du  pain 


(i)  Ilot  formé  par  le  Daiiul)R  ,  au  nord-est  de  Ratisbonne. 

29. 


424  l'ÉVÉQUE    WITTMA.NN. 

et  du  vin.  Toutefois  l'inspiration  inte'rieare  qui  le  remplissait, 
de'bordait  souvent,  comme  à  son  insu,  en  paroles  et  en  ima- 
ges e'ieve'es  et  poe'tiques.  Je  n'oublierai  jamais  un  passage  de 
ses  sermons  sur  la  passion ,  où  il  met  en  face  de  Pilate  ,  Je'- 
sus-Christ  le  roi  couronné  d'e'pines  :  «  Souffrir,  voilà  toute  la 
»  puissance  du  Christ;  son  sceptre  est  un  roseau.  Le  roseau 
3)  plie  et  souffre.  La  tempête  de'racine  les  cèdres  :  le  roseau 
>j  plie.  Les  torrens  se  précipitent  et  emportent  les  maisons 
«  dans  leur  cours  :  le  roseau  plie  sous  les  flots  qui  passent, 
»  et  se  relève.  Vient  l'été  avec  ses  dévorantes  ardeurs  ;  i'iierbe 
»  et  le  feuillage  altérés  courbent  la  tête  :  le  roseau  reste  debout 
»  et  ne  sèche  pas.  L'ennemi  accourt  et  ravage  les  cbamps  et 
»  les  prairies  :  le  roseau  protégé  par  le  limon  au  milieu  da- 
»  quel  il  croît,  ne  reçoit  aucune  atteinte.  »  Lui-même,  cet 
homme  dune  patience  si  calme,  d'une  ébranlabîe  persévérance 
dans  tout  ce  qui  est  bon  et  saint,  rassemblait  à  ce  roseau  :  la 
mort  l'a  brisé ,  et  maintenant  il  verdit  et  fleurit  éternellement 
devant  Dieu. 

Son  zèle  était  véritablement  infatigable.  Après  avoir  travaillé 
sans  relâche  toute  la  journée,  pour  les  vivans  ,  il  allait,  dans 
l'obscurité  et  le  silence  de  la  nuit ,  prier  au  cimetière  pour 
les  morts  :  car  ses  sentimens  de  pasteur  s'étendaient  au-delà 
du  tombeau,  et  la  mort  elle-même  ne  pouvait  arracher  la 
moindre  de  ses  brebis  à  son  amour. 

Il  entra  comme  chanoine ,  en  1821  ,  dans  le  chapitre  rétabli 
de  la  cathédrale,  et  prit,  depuis  ce  moment,  une  part  plus 
active  aux  travaux  du  conseil  ecclésiastique  du  diocèse.  Mais 
de  nouvelles  dignités,  c'est-à-dire,  comme  il  les  envisageait, 
de  nouvelles  charges  lui  étaient  réservées  :  le  vénérable  évê- 
que  Sailer  le  demanda,  en  1829,  pour  coadjuteur.  Son  hu- 
milité lui  fit  d'abord  refuser  cette  place,  et  ce  ne  fut  que 
par  soumission  à  une  volonté  supérieure ,  qu'il  l'accepta  à  la 
fin,  ainsi  que  celle  de  doyen  du  chapitre.  Alors  le  diocèse  de 
Ratisbonne  vit  briller  en  même  temps ,  sur  son  siège  ,  deux 
des  plus  éclatantes  lumières  de  l'église  catholique  d'Allemagne. 
Ces  hommes  admirables  s'étaient  connus  et  unis  d'amitié  long- 
temps auparavant  :  car,  quelle  que  fût  la  différence  mise  entre 


l'ÉvÈQUE    WITTMANN.  425 

eux  par  leurs  dispositions  naturelles,  par  leur  genre  de  vie 
ante'rienre  ,  et  par  leurs  fonctions  ,  11  n'y  avait  ne'anmoins,  pour 
l'un  comme  pour  l'autre,  qu'un  seul  but,  une  seule  foi,  un 
seul  amour  ,  qui  les  tenait  lie's  par  le  fond  de  l'âme ,  avant 
qu'ils  ne  le  fussent  extérieurement.  Place's,'dès  le  commen- 
cement ,  le  premier  sur  un  plus  large  tlie'âtre ,  l'autre  dans 
un  cercle  ])lus  e'troit ,  ils  travaillèrent  tous  deux  pour  le  royaume 
de  Dieu,  combattirent  tous  deux  contre  l'incroyance,  contre 
l'esprit  du  monde  et  des  te'nèbres  :  l'un,  tel  que  Jean,  le 
disciple  de  l'amour,  qui  tient  dans  son  sein  un  oiseau  appri- 
voise'; l'autre  semblable  à  Jacques  le  Juste,  avec  ses  genoux 
enfle's  et  durcis  par  une  prière  continuelle  dans  le  temple; 
car  le  cbristianisme  ne  de'truit  pas  plus  l'individualité  spiri- 
tuelle d'un  homme,  que  les  traits  de  son  visage;  mais  il  la 
sanctifie  et  la  transfigure.  L'amour  et  la  vëne'ration  de  Sailer 
pour  Wittraanu  ,  s'exprimèrent  de  la  manière  la  plus  toucliante, 
dans  les  derniers  jours  de  sa  vie  lorsqu'après  lui  avoir  re- 
commandé son  diocèse  ,  il  ajouta  :  Maintenant ,  je  puis  mou- 
rir tranquille  ,  et  Wiltmann  montra  bien  qu'il  e'tait  pe'ne'tre'  des 
mêmes  sentimens  ;i  1  égard  de  Sailer,  par  les  sanglots  dont  il 
fut  suffoqué  en  transmettant  aux  élèves  du  séminaire  ses  pa- 
roles d'adieu,  et  par  le  discours  qu'il  prononça  sur  sa  tombe. 
Ce  fut  pourWittmann  une  douleur  extrêmement  vive  d'être 
obligé  de  renoncer  à  sa  charge  de  curé  de  la  cathédrale,  qui 
ne  pouvait  plus  s'ajouter  à  ses  nouvelles  fonctions  :  toutefois 
lobéissance  lui  fit  encore  offrir  ce  sacrifice.  Il  s'appliqua  ,  en 
revanche,  avec  d'autant  plus  d'ardeur  à  l'administration  de 
l'évêché,  entreprit  des  voyages  fort  pénibles  pour  visiter  et 
confirmer  les  parties  les  plus  reculées  du  diocèse,  ne  faisant 
souvent  qu'un  repas,  et  encore  composé  pour  tous  mets,  de 
pains,  d  eau  et  de  pommes  de  terre;  après  quoi,  revenu  à 
Ralisbonne,  il  s'empressait  de  rendre  au  conseil  épiscopal  ,  le 
compte  le  plus  exact  de  sa  mission,  proposait  et  prenait  des 
mesures  pour  remédier  à  tout  ce  qu'il  avait  vu  de  défectueux. 
Comme  président  de  l'ordinariat ,  il  mettait  la  ponctualité  la 
plus  consciencieuse  à  prendre  connaissance  et  soin  de  toutes 
les  affaires,  pénétrait,  avec  une  rare  perspicacité  et  une  iné- 


426  l'évoque  wittmann. 

paisable  patience,  jusque  dans  les  moindres  détails,  prêtait 
attention  à  tous  les  conseils,  et  tenait  inebranlabieraent  à  ce 
qui  avait  e'te'  une  fois  de'cide  par  la  majorité',  même  dans  le 
cas  très-rare  où  il  se  trouvait  d'un  avis  difîe'rent. 

Qui  e'fait  plus  digne  que  cet  liomme  vraiment  apostolique, 
de  relever  le  hâton  pastoral  de  saint  Wolfgang  (i),  tombe  des 
mains  de  Sailer?  Sa  Majesté'  sentit  cela,  et  ici  même,  dans 
cette  e'glise,  sur  le  tombeau  à  peine  ferme' de  l'e'vêque  de'funt, 
elle  nomma  Wiltmann  son  successeur.  Les  fidèles  du  diocèse 
entier  glorifièrent  Dieu  et  be'nirent  Sa  Majesté'  pour  un  choix 
qui  re'parait,  mieux  que  tout  autre,  la  perle  qu'ils  menaient 
de  faire.  Il  n'y  en  eut  qu'un  seul  qui  ne  se  re'jouît  pas  :  celui- 
là  était  Wittmann  lui-même.  Une  voix  iute'rieure  et  prophétique, 
et  peut-être  une  clarle'  partie  du  ciel,  la  nuit,  au  milieu  de 
sa  prière  accoutume'e,  l'avertit  de  penser  à  un  autre  avenir. 
Déjà  ,  dans  une  maladie  qu'il  avait  e'prouve'e  l'anne'e  préce'dente , 
il  avait  dit  que  lors  même  qu'il  gue'rirait  cette  fois,  ce  ne 
serait  pas  pour  long-temps.  Depuis  sa  nomination,  il  re'pe'tait 
avec  assurance  qu'il  ne  monterait  jamais  les  degre's  du  sie'ge 
episcopal.  Et  cette  pre'diction  à  laquelle  on  aimait  tant  à  ne 
pas  croire  ,  s'est  he'las  !  accomplie.  Sa  pre'conisation  à  Rome 
fut  retarde'e  par  une  omission  fortuite  d'une  des  formes  usi- 
tées. Le  22  fe'vrier,  il  assista  encore  le  matin,  au  conseil 
eccle'siastique  et  alla,  l'après  midi ,  prêcher  au  se'minaire.  On 
remarqua  avec  inquie'tude  la  difficulté'  de  sa  de'marche  et 
l'embarras  inaccoutume'  de  sa  prononciation.  Ayant  pris  l'or- 
gueil pour  sujet  de  son  discours  ,  il  expliqua  comment  ce  vice 
consiste,  particulièrement,  en  ce  que  nous,  pauvres  pe'cheurs, 
ne  voulons  point  être  de  pauvres  pe'cheurs;  et  je  ne  sais  quoi 
de  particulier,  dans  sa  parole,  la  faisait  ressembler  à  une 
parole  du  monde  des  esprits.  Le  lendemain  matin,  à  cinq 
heures  ,  il  e'tait  déjà,  selon  sa  coutume  ,  à  l'autel  ;  mais  la  douleur 
qu'il  avait  e'touffée  jusqu'alors  devint  si  violente  ,  qu'elle  l'obli- 
gea ,  le  saint  sacrifice  à  peine  achevé',  de  sortir  en  toute  hâte. 


(i)  Un  des  premiers  évèques  de  Ratisbonne. 


l'évèque  ■wittma?(n.  427 

Une  maladie  extrêmement  aigaë  s'e'tait  de'clare'e.  La  patience 
avec  laquelle,  e'tendu  sur  sa  pauvre  couche  (i),  il  endura 
les  maux  les  plus  cuisans,  fut  la  patience  d'un  martyr.  A  la 
ve'rile' ,  les  soins  et  les  efforts  multiplie's  des  me'decins  réus- 
sirent à  apporter  quelque  soulagement  à  ses  souffrances.  Lui- 
même  il  put  croire,  un  instant,  qu'il  en  reviendrait,  et,  sans 
doute,  sa  pense'e  se  reporta  aussitôt  sur  les  devoirs  de  sa  charge  : 
mais  tout  le  monde  ,  lui  le  premier  ,  ne  tarda  pas  à  voir  qu'une 
gue'rison  e'tait  impossible,  et  dès-lors  il  tourna,  avec  plus 
de  joie ,  vers  la  mort  son  regard  de'goûte'  de  la  vie.  La  con- 
sternation devint  ge'ne'rale  ;  partout,  dans  les  e'glises  et  dans 
les  e'coles  ,  on  fit,  à  son  intention,  des  prières  publiques.  Lui- 
même  e'tait  dans  une  prière  inte'rieure  continuelle;  souvent 
il  demandiiit  l'heure,  et  quand  on  la  lui  avait  dite,  il  ajou- 
tait :  «  A  celte  heure  la  Je'sus-Christ  a  souffert  tel  ou  tel  tour- 
»  ment.  »  Chaque  jour  il  recevait  la  sainte  Communion  avec 
une  ferveur  toute  se'raphique.  Quiconque  le  visitait  recevait 
de  lui  un  adieu  touchant;  il  reconnaissait  même  ceux  qu'il 
n'avait  vus  que  quelques  fois,  et  adressait  à  chacun  quelque 
parole  affectueuse  et  consolante.  Il  donna  sa  be'ne'diction  so- 
lennelle aux  élèves  du  se'minaire ,  et  aux  personnes  de  sa  mai- 
son ,  et  dit  ensuite  :  «  Je  termine  en  ce  moment  ma  mise'rable 
»  vie;  Dieu  m'appelle  h  lui;  j'espère  en  sa  miséricorde.  »  Sen- 
tant les  approches  de  la  mort,  il  voulut  qu'on  l'e'tendît  sur 
le  plancher,  puis  ayant  fait  placer  devant  lui  un  crucifix,  il 
dit  :  «  Je  sais  un  chre'tien  ,  je  veux  mourir  sous  la  croix.  » 
Il  demeura  ainsi  e'tendu,  le  dernier  jour  et  toute  la  nuit,  dans 
une  paisible  attente  de  sa  de'livrance,  et  le  lendemain,  jour 
de  la  fêle  de  saint  Jean  de  Dieu  ,  lorsque  vint  le  cre'puscule  , 
qui  l'avait  si  souvent  surpris  en  prière  ,  il  ne  trouva  plus  que 
son  corps  inanime'  ;  l'esprit  e'tait  déjà  dans  une  adoration  e'îer- 
nelle  devant  le  trône  de  Dieu. 

Ainsi  ve'cut  et  agit,  ainsi  souffrit  et  mourut  ce  grand  homme, 
digne   des   plus   heaux    jours   du    christianisme,  et,   par  cela 


(i)  Depuis  nombre  d'années  Wiltmann  Découchait  que  sur  des  planches. 


428  l'ÉVÉQUE    WITTMAITN. 

même  ,  don  du  ciel  d'autant  plus  précieux  dans  notre  âge  dé- 
génère'. Remercions  Dieu  ,  avec  une  vive  reconnaissance ,  de 
nous  l'avoir  accorde',  à  nous  qui  ne  le  méritions  pas,  et  de 
nous  l'avoir  conservé  si  long-temps.  Mais  ce  que  nous  avons 
surtout  à  faire,  c'est  de  nous  approprier  ,  autant  que  possible, 
sa  succession  spirituelle,  le  riche  he'ritage  de  ses  vertus.  Qu'au- 
cun de  nous,  quel  qu'il  soit,  ne  se  retire  les  mains  vides;  il 
y  a  ici  à  puiser  pour  tous  ;  tout  en  lui  nous  avertit  et  nous 
exhorte  :  son  éloignement  du  monde  ,  puisque  nous  sommes 
tous  au  milieu  du  monde  et  de  ses  séductions;  son  renonce- 
ment entier  à  lui-même,  puisque  nous  portons  tous,  dans 
notre  sein  ,  les  passions  de  l'égoïsme;  sa  patience  et  son  amour 
de  la  croix,  puisque  nous  avons  tous  à  endurer  des  peines  et 
des  épreuves  ;  sa  vie  pénitente,  puisque  nous  sommes  tous 
souillés  par  le  péché;  son  humilité  profonde,  puisque  nous 
oublions  tous  si  souvent  que  nous  sommes  de  pauvres  pécheurs; 
son  zèle  pour  la  prière  ,  puisque  nous  avons  tous  si  grand  besoin 
de  l'assistance  divine  :  son  attachement  à  sa  vocation ,  puisque 
nous  avons  tous ,  sous  peine  d'une  sévère  sentence  ,  des  devoirs 
nombreux  a  remplir;  sa  foi  persévérante,  inébranlable  en  la 
personne  et  en  la  puissance  divine  de  Jésus-Clirist ,  puisque  nous 
avons  tous  à  subir  la  mort  avec  ses  horreurs;  sa  tendre  sollici- 
tude pour  les  pauvres  et  les  orphelins,  désormais  confiés  à 
notre  garde,  depuis  qu'ils  l'ont  perdu  :  enfin,  elle  nous 
avertit  et  nous  exhorte  cette  voix  qui  nous  crie  du  fond  de  sa 
tombe  :  «  Heureux  les  morts  qui  meurent  dans  le  Seigneur;  ils 
0  se  reposent  de  tous  leurs  travaux,  et  leurs  œuvres  les  suivent!  » 

Et  vous  deux ,  maintenant,  évêques  vénérables,  qui  reposez 
ici,  chacun  de  votre  côté ,  à  l'ombre  de  l'autel  que  vous  protégeâtes 
et  défendîtes  si  fidèlement,  n'oubliez  pas  votre  église,  ne  dé- 
laissez pas  votre  troupeau;  mais,  prosternés  devant  le  trône 
de  Dieu ,  accordez-leur  le  secours  de  vos  prières!  Éloignez, 
par  votre  intercession,  tout  danger  de  cette  ville,  de  ce  diocèse, 
de  toute  la  patrie!  Pour  nous,  nous  nous  taisons,  laissant  à 
votre  souvenir  le  soin  de  continuer  de  parler  au  fond  des  cœurs. 

—  Peu  de  temps  après  la  mort  de  Wittmann ,  il  parut,  à 
Katisbonne  ,  un  petit  volume  annoncé,  dans  plusieurs  journaux, 


SUR    LA    CONVERSION,    ETC.  429 

comme  renfermant  de  longs  et  précieax  de'tails  sur  sa  vie, 
mais  qui,  en  re'alité ,  se  compose,  moitié  d'ane  copie  servile, 
moitié' d'(ine  plate  amplification  du  discours  de  l'abbe'  Diepen- 
brock.  Quelques  personnes  trompées  par  cette  misérable 
spéculation  de  librairie ,  manifestèrent  alors  le  désir  que  celui 
qui  avait  si  dignement  parlé  sur  la  tombe  du  saint  évêque 
donnât  de  lui   une  biographie  complète. 


SUR  LA  CONVERSION 

D'UN   MOBIii:   ANGLAIS'   M.   SPENCER* 

L'honorable  et  révérend  George  Spencer,  fils  de  lord  Spen- 
cer et  frère  de  lord  Althorp ,  est  rentré  il  y  a  quelques 
années  dans  le  sein  de  l'Eglise  ,  comme  nous  l'avons  annoncé  (i). 
Il  a  dernièrement  fait  lui-même  l'historique  de  sa  conversion, 
dans  ane  lettre  écrite  de  West-Brunswick ,  en  date  du  3  Jan- 
vier dernier,  et  adressée  à  un  prêtre  catholique,  M.  Rigby. 
Cette  lettre,  pleine  de  candeur,  a  paru  dans  quelques  jour- 
naux, anglais. 

«  Je  fus,  dit  M.  Spencer,  ordonné  diacre  dans  l'Eglise  an- 
glicane vers  Noël  1822  ,  étant  persuadé  à  celte  époque  que 
tout  était  bien  dans  cette  Eglise ,  quoique  je  n'eusse  pas  pris 
beaucoup  de  peines  pour  étudier  les  fondemens  et  les  prin- 
cipes de  son  établissement.  Quand  j'entrai  dans  le  ministère 
actif  comme  ecclésiastique,  je  cherchai  h  m'en  instruire  plus 
pleinement.  Je  lisais  et  j'admirais  .souvent  la  liturgie  de  l'E- 
glise, et  je  m'étonnais  souvent  aussi  comment  un  si  bel  ouvrage 
avait  pu  naître  au  milieu  de  la  confusion  et  de  la  perversité 
qui,  comme  l'apprenaient  les  histoires  prolestantes,  avaient  ac- 
compagné tous  les  procédés  des  principaux  acteurs  dans  réta- 
blissement de  la  réforme  en  Angleterre.  J'avais  été  élevé  dans 


(1)  V.    ci-d.  tom.   VII,   p.   488. 


430  SUR    LA    CONVERSION 

l'habitadede  regarder  l'Eglise  catholique  comme  an  amas  d'er- 
reurs, et  je  i:e  pensais  pas  alors  que  tout  ce  que  j'admirais  dans 
la  liturgie  de  l'Eglise  anglicane  n'était  qu'un  abrège'  mal  en- 
tendu des  beaux  offices  de  l'Eglise  catliolique.  Ce  qui  com- 
mença h  modifier  mes  vues  par  rapport  à  l'orthodoxie  et  à 
l'excellence  de  l'Eglise  d'Angleterre  ,  ce  fut  les  entretiens  que 
j'eus  avec  diiîe'rens  ministres  piotestans  des  e'glises  dissidentes. 

»  Je  recherchais  volontiers  leur  conversation,  dansl'espe'rance 
d'en  amener  quelques-ans,  ainsi  que  leurs  troupeaux  ,  à  l'Eglise 
e'tablie,  qu'à  mon  avis  ils  n'avaient  pas  eu  de  bonnes  raisons  de 
quitter.  Mais  chaque  secte  que  j'eus  occasion  de  connaître 
semblait  avoir  des  choses  assez  raisonnables  à  alle'guer  en  sa 
faveur  et  contre  l'Eglise  anglicane.  Je  compris  bientôt  que  ces 
sectes  ne  pouvaient  être  toutes  vraies  et  fonde'es  dans  leurs 
<loctrines  contradictoires  et  dans  leurs  règles  pratiques  ,  et  je 
vis  clairement  des  erreurs  palpables  dans  leurs  divers  systèmes; 
mais  en  même  temps  je  de'couvris  par  leur  conversation  que 
je  ne  pourrais  de'fendre  chaque  partie  de  mon  propre  système, 
et  <!ue  ces  ministres  pouvaient  m'opposer  des  argumens  aux- 
quels je  n'avais  rien  à  i-e'pondre  de  satisfaisant.  A  la  fin  ,  je  ren- 
contrai sur  les  trente-neuf  articles  une  difficulté' qui  me  prouva 
que  je  ne  pouvais  rester  ce  que  j'e'tais.  En  signant  ces  articles, 
on  me  demandait  mou  assentiment  à  certaines  doctrines,  sur 
ce  fondement  exprès  qu'elles  pouvaient  être  prouve'es  par  des 
témoignages  certains  de  la  sainte  Ecriture;  et  même  les  pro- 
testans  tiennent  comme  un  principe  géne'ral  que  la  sainte 
Ecriture  contient  tout  ce  qui  est  nécessaire  pour  le  salut , 
tellement  quj  tout  ce  qui  n'y  est  pas  renfermé  ou  ce  qui  ne 
peut  se  prou-er  par  elle  ,  on  ne  peut  exiger  de  le  croire  comme 
un  article  de  foi  ou  le  regarder  comme  nécessaire  pour  le 
salut.  Maintenant  je  ne  puis  tirer  de  l'Ecriture  seule  une  preuve 
claire  et  satisfaisante  des  doctrines  dont  il  s'agit,  et  pour  les 
établir  je  me  trouve  obligé  de  recourir  aux  argumens  tirés  de 
la  raison  et  indépendans  des  Ecritures,  ou  bien  d'en  appeler 
à  l'assentiment  général  des  chrétiens  dans  la  succession  des 
temps,  en  d'autres  mots,  à  la  tradition   de  l'Eglise. 

u   Je  sentis  que  je  ne  pouvais  signer  de  nouveau  les  trente- 


d'un  noble  anglais,  m.  spencer.  431 

neuf  articles,  à  moins  que  cette  difficulté  ne  fût  re'solu.  Je  la 
proposai  h  mes  supe'rieurs  ;  mais  comme  les  explications  qu'ils 
me  donnèrent  ne  me  satisfirent  point,  après  avoir  long-temps 
me'dite'  là-dessus,  je  de'cîarai  à  la  fin  ma  résolution  de  ne  plus 
souscrire  aux  trente-neuf  articles.  J  e'tais  alors  plus  libre  de 
cliercher  la  ve'rité,  quelque  part  qu'elle  pût  se  trouver;  mais 
je  n'avais  pas  d'idée  qu'elle  jmt  être  dans  l'Eglise  de  Rome. 
Mes  amis  me  détournaient  d'avoir  aucune  communication  avec 
les  prêtres  catholiques  ;  je  crus  pourtant  qu'ils  ne  devaient  pas 
être  exclus  du  plan  général  de  réunion  que  je  voulais  suivre, 
et,  en  conséquence,  je  leur  parlais  fréquemment.  D'abord, 
je  m'attendais  à  les  trouver  fort  ignorant  du  véritable  esprit 
de  la  religion,  servilement  attachés  aux  formes,  et  absolument 
incapables  de  défendre  ce  que  j'appelais  les  absurdités  de  leur 
croyance;  mais  ,  à  mon  grand  étonnement ,  chaque  conversa- 
tion que  j  avais  avec  eux  me  faisait  voir  combien  je  m'étais 
trompé.  Je  trouvais  qu'ils  entendaient  très-bien  les  dogmes  de 
leur  religion,  et  qu'ils  savaient  même  les  expliquer  et  les 
soutenir  d'une  manière  victorieuse.  Je  commençai  doue  à  son- 
ger qu'il  y  avait  dans  la  religion  catholique  plus  que  je  ne 
soupçonnais,  quoique  je  ne  fusse  pas  convaincu  qu'on  eût  tort 
d'être  séparé  d'elle ,  et  que  je  la  crusse  dans  l'erreur  sur  plu- 
sieurs points ,  et   en  opposition  avec   l'Ecriture. 

»  La  première  chose  qui  changea  matériellement  mes  idées 
sur  rEî?Jise  catholique,  ce  fut  une  correspondance  que  j'eus 
pendant  six  mois  avec  une  personne  inconnue  qui  avait  voyagé 
sur  le  continent,  et,  qui,  étant  entrée  souvent  dans  les  églises 
catholiques,  avait  été  surprise  de  la  beauté  et  de  la  piété  des 
cérémonies ,  et  en  était  venue  à  douter  de  la  sagesse  de  la 
réforme,  et  à  faire  des  recherches  sur  ce  sujet.  Je  crus  la 
remettre  dans  le  bon  chemin  en  lui  indi(juant  quelques  argu- 
mens  contre  les  catholiques ,  tirés,  comme  je  le  pen.sais  ,  de 
l'Apocalypse  et  d'autres  livres  de  IM'xriture.  La  personne  soutint 
avec  force  que  ces  raisonneniens  n'étaient  point  tirés  de  l'E- 
criture,  et,  en  effet,  je  nie  convainquis  qu'ils  ne  m'étaient 
venus  à  res])rit  que  parce  qu'ils  avaient  été  employés  par  des 
commentateurs  protestans.  Je  me  décidai  donc  h  m'en  tenir  à 


432  SDR    LA    CONVERSION 

la  parole  de  Dieu  seule.  Je  n'ai  sa  ce  qu'e'tait  ce  correspondant  que 
lorsque  j'allai  sur  le  continent  pour  me  pre'parerà  recevoir  les 
ordres.  J'appris  alors  que  c'e'tait  une  jeune  dame  qui  e'tait  sur 
le  point  de  se  faire  catholique,  mais  qui,  pour  s'e'clairer  de 
plus  en  plus,  m'e'crivait,  ainsi  qu'à  un  ou  deux  autres  minis- 
tres protestans ,  pour  voir  ce  que  nous  pourrions  alle'guer  en 
faveur  de  notre  Eglise.  Nos  réponses  affermirent  bien  plus 
qu'elles  n'ébranlèrent  son  attachement  à  la  foi  catholique.  Elle 
embrassa  en  effet  cette  religion  ,  et  e'tait  sur  le  point  de  faire 
profession  chez  les  Dames  du  Sacré-Cœur,  lorsqu'elle  mou- 
rut de  la   manière  la   plus  édifiante. 

»  Cette  correspondance  me  rendit  plus  disposé  à  écouter 
favorablement  les  catholiques  ;  mais  il  se  passa  trois  ans  avant 
que  j  en  vinsse  à  me  décider  pour  leur  croyance.  Voici  comment 
la  chose  arriva.  Je  fis  connaissance,  vers  1829,  avec  M.  Am- 
broise  Piiillips,  fils  aîné  d'un  membre  du  parlement.  La  con- 
verbion  de  ce  jeune  homme  à  la  foi  avait  eu  lieu  sept  ans  au- 
paravant ,  et  m'avait  beaucoup  surpris  quand  j'en  entendis 
parler.  Son  caractère  et  sa  conversation  m'intéi'essèrent,  et 
j'acceptai  avec  plaisir  l'invitation  d'aller  passer  une  semaine 
chez  son  père,  à  Garrenden-Park.  Je  ne  songeais  point  à  com- 
battre ses  sentimens,  car  j  étais  déjà  convaincu  qu'on  pouvait 
être  bon  chrétien  étant  catholique.  Je  partis  pour  Garrenden- 
Park  le  dimanche  24  janvier  i83o,  sur  le  soir,  après  avoir 
prêché  deux  sermons  dans  l'église  protestante  de  Brington, 
dans  le  Northamptonshire,  dont  j'étais  recteur.  Je  ne  pensais 
point  alors  que  ces  sermons  seraient  les  derniers  que  je  prê- 
cherais dans  une  église  protestante.  Tout  le  temps  que  je  passai 
à  Garrenden  fut  presque  consacré  à  des  entretiens  sur  la  re- 
ligion ,  et  je  m'aperçus  bientôt  qu'au  lieu  d'être  capable  d'ap- 
prendre à  mieux  penser  en  religion,  j'étais  obligé  de  recon- 
naître que  sur  plusieurs  points  il  pouvait  être  mon  maître. 
Je  le  trouvai  très  en  état  de  défendre  la  foi  catholique  contre 
mol  et  contre  quelques  autres  théologiens  protestans  ])lus  ex- 
périmentés qui  se  joignirent  par  occasion  à  notre  conversation» 
A  la  fin,  trouvant  que  je  disputais  avec  obstination,  et  non 
avec  la  candeur  dont  je  fais  profession ,  je  me  décidai  à  con- 


d'un  noble  anglais,  m.  spencer.  433 

sidérer  la  cliose  sons  un  nouveau  Jour,  et  avec  une  déter- 
mination sincère  de  suivre  la  ve'rite'. 

»  Cette  resolution  me  soulagea  beaucoup,  et  me  de'livra  de 
tous  mes  doutes.  Je  devais  retourner  le  samedi  à  Brington  y 
reprendre  mes  fonctions;  mais  nous  allâmes  le  vendredi  à  Ley- 
cester  avec  M.  Phillips,  et  nous  y  passâmes  la  soire'e  avec 
M.  Caestric  ,  missionnaire  qui  re'side  à  Leycester  depuis  quel- 
ques anne'es.  La  bonté'  et  la  patience  avec  lesquelles  il  e'couta 
mes  objections,  ses  explications,  ses  raisonnemens  achevèrent 
de  m'ôter  toute  incertitude.  Je  sentis  que  je  ne  pouvais  ni  ne 
devais  re'sister  plus  longtemps,  et  avant  la  nuit  je  de'clarai 
que  j'e'tais  soumis  à  l'Eglise  de  Dieu.  Mon  entretien  f.vec  M.  Caes- 
tric me  convainquit  pleinement  que  l'Eglise  catholique  était 
l'Eglise  fondée  par  le  Sauveur,  celle  à  laquelle  il  a  prorais  que 
les  portes  de  l'enfer  ne  prévaudraient  pas  contre  elle,  et  que 
lui  et  son  Esprit  saint  résideraient  au  milieu  d'elle  ;  celle  qu'il 
a  ordonné  d'écouter,  sous  peine  d'être  considéré  comme  un 
pa'ïen  et  un  publicain.  Je  fus  convaincu  qu'en  lui  obéissant 
j'obéissais  à  celui  en  qui  j'avais  placé  mon  espérance,  et  qu'ainsi 
je  ne  courais  aucun  risque  de  m'égarer.  Grâces  h  Dieu,  je  chassai 
la  pensée  qui  s'offrit  d'abord  à  moi  de  retourner  dans  ma  ré- 
sidence et  de  remettre  à  me  décidera  la  semaine  suivante.  La 
démarche  que  je  fis  le  jour  suivant  en  me  déclarant  catholi- 
que est  telle  que  je  n'y  pen.se  jamais  sans  consolation.  Il  m'était 
démontré  que  l'Eglise  catholique  avait  les  quatre  marques  de 
l'Eglise  de  Jésus-Christ,  qu'elle  avait  la  parole  infaillible  de 
Jésus  Christ,  et  qu'elle  devait  durer  jusqu'à  la  fin  du  monde. 
Les  protestans  nous  disent  bien  qu'elle  était  d'abord  l'Eglise 
véritable,  mais  qu'elle  tomba  ensuite  dans  l'idolâtrie  et  dans 
des  doctrines  perverses;  ils  le  disent,  mais  ils  ne  peuvent 
montrer  comment ,  quand  et  où  elle  tomba  dans  ces  excès. 
Je  crus  donc  plus  prudent  de  m'en  rapporter  à  la  parole  du 
Sauveur  qu'à  celle  d'un  homme ,  et  si  ma  résolution  de  me 
faire  catholique  fut  j)rompte,  je  délie  de  prouver  qu'elle  fut 
téméraire  et   inconsidérée. 

»  Je  vis  que  l'occasion  présente  était  la  plus  favorable.  J'en- 
voj'ai  de  nuit   un  messager  à  Brington  pour  annoncer  ma  ré- 


434    OEUVRES    COMPLÈTES    DE    SAINT    JEA»    GHRYSOSTOME. 

solution,  et  le  samedi  matin,  3o  janvier,  je  fis  mon  abjura- 
tion du  protestantisme  dans  la  chapelle  de  Leycester.  Je  n'avais 
d'autre  pensée  que  de  servir  Dieu  dans  le  ministère  de  cette 
Eglise,  que  je  venais  de  reconnaître  comme  la  ve'ritable.  En 
conse'quence,  j  allai  m'olfrir  au  docteur  Walsh  ,  évoque  catiio- 
lique  du  district  du  Milieu,  qui  m'envoya  au  collège  anglais 
à  Rome.  Jy  ai  e'te'  ordonne'  pour  la  mission  d'Angleterre 
le  26  mai  i832  ,  jour  de  la  fête  de  saint  Augustin,  et  dans 
l'église  de  Saint-Gre'goire,  du  pontife  qui  donna  la  mission  à 
saint  Augustin  pour  aller  travailler  à  la  conversion  de  l'Angle- 
terre. Je  demande  à  Dieu  d'être  par  sa  grâce  un  humhle  in- 
strument de  la  conversion  do  mon  pays;  e've'nement  qui  n'est 
peut-être  pas  si  e'ioigne',  et  qui  est  le  de'sir  le  plus  ardent  de 
mon  cœur.  » 


^rtA  VVN  VV*  VXA  VXA  >VV»  VV\ /VV*  VX/*  ^ /V\ /VVV  (VV*  "VVX  IVV\  I 


Œuvres  complètes  de  saint  Jean  Chrysostôme',  grec  et  latin, 
en  26  livraisons  formant  13  vol.  grand  in-S"  (1). 

Le  nom  de  saint  Jean  Chrysostôme  semble  synonyme  de  celui 
de  l'e'loquence  même ,  et  ce  grand,  évêque  a  toujours  ëte'  re- 
gardé comme  un  des  plus  illustres  ornemens  de  la  chaire  chré- 
tienne. Mais  ses  talens  oratoires  sont  encore  les  moindres  titres 
de  sa  gloire  aux  yeux  de  l'Eglise  :  ce  qu'on  admire  le  plus  en 
lui,  c'est  cette  piété  tendre  qui  animait  ses  actions,  ce  zèle 
pour  réprimer  les  a!)us,  cette  sagesse  dans  son  administration, 
ce  courage  dans  les  périls,  cette  patience  dans  les  souffrances, 
ce  grand  caractère  enfin,  également  supérieur  aux  illusions  de 
la  prospérité  et  aux  revers  de  la  fortune.  Ce  caractère  paraît 
dans  ces  écrits,  qui  sont  pleins  à  la  fois  de  douceur  et  d éner- 
gie. On  est  étonné  de  tout  ce  que  le  saint  prélat  a  laissé  d'écrits, 
de  la  fécondité  de  son  esprit ,  de  l'élégance  de  son  style ,   de 


(i)  Le  prix  de  chaque  livraison  est  de  12  fr.  A  Paris,  chez  Gaume  , 
rue  Pot-de-Fer-Saint-Sulpice.  V.  ci-d.   p.   ijS. 


OEUVRES    COMPLÈTES    DE    SAINT    JEAN    CHRYSOSTOME.        435 

la  vigueur  de  ses  raisonneraens.  Comme  oralenr,  saint  Jean 
Clirysostôme  est  au-dessus  de  la  plupart  de  ceux  que  la  Grèce 
a  le  plus  admire'.  Ses  discours  et  ses  commentaires  sur  l'Ecri- 
ture ont  toujours  ^te'  en  grande  estime  dans  l'Ei^lise;  aussi 
en  a-ton  fait  plusieurs  e'ditions.  Une  des  plus  belles  est  celle 
du  chevalier  Henri  Saville,  qui  parut  à  Eaton  ,  en  Angleterre, 
en  1612;  8  vol.  in-folio.  Elle  est  en  grec  seulement.  La  plus 
complète  est  celle  du  Père  de  Montfaucon,  be'ne'dictin  de  la 
congre'gation  de  Saint-Maur,  et  un  des  plus  savans  hommes  de 
cette  e'cole.  Cette  e'dltion  ,  grecque  et  latine,  est  en  i3  vol. 
in-f'.  Le  premier  volume  parut  en  1718,  et  le  dernier  en  inSS. 
Dom  Bernard  de  Montfaucon  surve'cut  peu  à  cette  grande  en- 
treprise. Il  mourut  presque  subitement,  lesi  de'cemlire  174N 
dans  l'abbaye  de  Saint-Germain-des-Pre's ,  où  il  re'sidait.  Son 
édition  renferme  beaucoup  d'ouvrages  qui  e'taient  encore  iné- 
dits,  entr autres  vingt-deux  liome'lies.  On  y  trouve  beaucoup 
de  versions  nouvelles,  des  lacunes  remplies,  un  nouvel  ordre 
dans  l'arrangement  des  pièces,  des  pre'faces,  des  avertissemens^ 
des  tables,  tout  ce  qui  peut  enfin  rendre  une  e'dition  agre'able 
et  utile. 

Aussi  les  nouveaux  e'diteurs  se  sont  fait  un  devoir  de  suivre 
l'e'dition  de  Montfaucon  ;  ils  auraient  regardé  comme  une  folie 
de  chercher  et  de  collationner  de  nouveaux  manuscrits ,  après 
le  travail  qu'avait  fait  à  cet  égard  le  savant  bénédictin  dans  un 
temps  oîi  tous  les  secours  abondaient,  et  oii  il  trouvait  dans  sa 
congrégation  des  bibliothèques  bien  fournies,  des  manuscrits 
précieux  et  des  coopérateurs  habiles  et  laborieux.  Un  savant 
étranger,  M.  Thllo  ,  docteur  et  professeur  en  théologie  à  Halle, 
a  été  d'avis  de  reproduire  Montl'aucon  ,  en  y  ajoutant  ce  qui 
avait  pu  être  découvert  depuis.  Voici  un  i'ragment  de  sa  lettre 
aux  éditeurs  cité  dans  leur  prospectus  : 

«  On  peut  vi.'^er  a  rendre  l'édition  de  Savile  complètement 
inutile  en  insérant  dans  la  nouvelle  ce  que  Montfaucon  a  né- 
gligé, les  f^itœ  sancti  C/irysostoini ,  les  Homiliœ  apiiriœ  ,  etc.... 
Dans  l'état  actuel,  quiconipte  veut  approfondir  saint  Jean  Cliry- 
sostôme a  besoin  des  deux  éditions. 

>»  Il  est  clair  que  tous  les  écrits  de  saint  Jean  Chrysostôme 


436       OEtVRES    COMPLÈTES    DE    SAINT    JEAN    CHRYSOSTÔmE. 

qui  ont  été  publiés  à  une  époque  postérieure  doivent  être  in- 
sérés et  rangés  h  leur  place,  par  exemple,  VHomilia  in  pœni- 
tentiam  Ninivitarum ,  qui  se  trouve  dans  Bandini ,  (  Grœcœ 
Ecclaiœ  vctcria  Monwnenta ,  t.  II,  Florence,  1763,  n"  i ,  où 
se  trouve  aussi ,  t.  III ,  n°  2 ,  un  Spccimcti  Comincntarn  in 
Jobum  )  ;  et  aussi  celles  que  Matthaei  a  publiées  pour  la  pre- 
mière fois,  que  Harless  a  mentionnées  dans  son  édition  de 
Fabricii  Bibliotheca  grœca ,  t.  VIII ,  p.  5^5  ,  et  dans  sa  Brevior 
Noticia  Litteratiirce  grœcœ ,  p.  741-  Il  n'a  pas  indiqué  les  Mat- 
thœi  Lectiones  Mosquenses ,  Leips. ,  1779,  oii  se  trouve  aussi, 
vol.  I  ,  n*  I  ,  une  Homélie  inédite  de  saint  Jean  Chrysostôme. 
Je  sais  assez  disposé  à  douter  de  l'authenticité  de  celte  Homé- 
lie; cependant  il  faut  l'admettre.  Je  possède  moi-même  une 
partie  de  ces  publications  de  Matthaei,  et  Je  m'offre  de  procurer 
les  autres. 

»  Pour  ce  qui  concerne  les  notes  et  les  variantes ,  on  pour- 
rait sans  doute  faire  un  cboix  ,  i"  dans  les  Joannis  Chrysostorni 
HOi'œ  Eclogœ  de  Mattbaei ,  1°  dans  les  Chrysost.  Oratt.  IV,  du 
même  ;  3°  dans  les  Animach'ersiones  in  Chrysost.  Homil. ,  du 
même  ;  4"  dans  Hemsterhusius  in  Chrysostom.  Homilias  a  Ra- 
phelio  éditas;  5°  dans  l'édition  de  Leyde  {\']^^)  Aes  Oradones  I 
et  II  in  laucleni  Paidi  apostoli ,  qui  sont  en  têfe  des  Heni- 
sterhusii  et  Falckcnarii  Oratt.;  6°  dans  les  Commentaires  de 
Hughes,  de  J.-A.  Bengel  et  de  Giacomelli ,  sur  le  livre  de  Sa- 
cerdotio ;  7"  dans  les  deux  nouvelles  traductions  allemandes 
de  ce  livre  par  Hasselbach  (Stralsund,  1820),  et  par  Rltter 
("Berlin  ,  1821  ).  On  y  trouvera  beaucoup  de  secours  pour  l'aug- 
mentation de  VOnomasticon,  fort  incomplet  dans  l'édition  de 
Montfaucon.  L'ouvrage  de  Neander  sur  saint  Jean  Cbrjsostôme 
doit  aussi  être  consulté.  On  peut  trouver  beaucoup  de  vues 
excellentes  sur  saint  Clirysoslôme  comme  orateur  et  comme 
théoloaien  dans    les  Introductions  de  Cramer  à  sa  Traduction 

o 

des  QSuvres  de  saint  Chrysostôme  (  Leipsig ,  1748  et  suivantes, 
10  vol.  ).  D''un  autre  côté,  VAdinonitio  de  Savile  de  scriptori- 
bus  reruni  Chrysostomi ,  publiée  pour  la  première  fois  par  Cave 
[Historia  liftcraria ,  edit.  II ,  Bâle  ,  1741  ,  P-  327  et  suivantes), 
méritait  d'être  réimprimée,  La  réimpression  de  Venise  offre 
aussi  quelques  additions  à  l'édition  de  Montfaucon.  » 


437 


TRADITION 

CONSERVÉE  CHEZ  LES  ARABES  DE  L'IDUMÉE 

SUB.    I.E    TOMBEAU    S'AARON  ; 

EXTR.   DU     VOYAGE   DE  M.    DE  LABOUDE    DANS  l'aRABIE-PÉTHÉE   (1). 


Le  voyageur ,  sorti  de  Pe'tra  pour  retourner  à  Sinaï  ,  jette  un 
coup-d'œil  sur  cette  contre'e  de'sole'e ,  et  y  reconnaît  plusieurs 
indications  des  faits  raconte's  dans  la  Bible. 

<<  Sur  la  gauche,  en  remontant  vers  le  milieu  s'e'tend  la 
Ouadi-Avaba ,  longue  plaine  de  sable  qui  descend  de  la  mer 
Morte  à  la  mer  Rouge  ,  dans  une  direction  re'gulière  et  con- 
tinue. On  doit  reconnaître  dans  cette  disposition  le  lit  d'un Jleuve 
et  celui  du  Jourdain  avant  l'e'ruption  volcanique  qui  forma  le 
bassin  actuel  de  la  mer  Morte.  Sur  la  rive  droite ,  à  l'ouest , 
s'y  joint  la  Ouadi-Gebb ,  valle'e  par  laquelle  les  Fellahs  de  Pe'tra 
se  rendent  à  Gaza.  En  appuyant  à  l'est ,  on  remarque  ,  au  mi- 
lieu d'une  petite  plaine  ,  le  rocher  isolé  ,  appelé'  El  Aase ,  sur- 
monte' d'un  tombeau.  Plus  à  droite ,  un  rocher  e'ieve' ,  formant 
comme  le  premier  rempart  aux  abords  de  Pe'tra,  s'élève  eu 
forme  de  tour  :  un  autre  le  domine.  En  suivant  la  même  di- 
rection, on  rencontre  le  mont  Hor ,  le  plus  haut  rocher  de  la 
contre'e,  au  sommet  duquel  est  construit  le  tombeau  à'Aaron. 
C'est  a  l'est  de  ce  piton,  enclavé  au  milieu  de  rochers  dont 
les  masses  semblent,  en  s'amoncelant ,  s'être  resserre'es  davan- 
tage ,  qu'est  bâtie  la  ville  de  Pe'tra  ,  la  capitale  des  Nabathe'ens. 
Ce  tableau  ,  espèce  de  demi-panorama  ,  est  terminé  par  la  grande 
chaîne  de  montagnes  qui  sépare  l'Arabie-Pétrée  de  l'Arabie- 
Déserte.  » 


(i)  V.  ci-d.  p.   167. 

T.  X.  30 


438  SUR    LE    TOMBEAU    d'aARON. 

Après  avoir  décrit  cette  de'solation  et  cette  solitade  M.  De- 
laborde  recherche  et  trouve  la  preuve  de  la  fertilité'  primitive  de 
ce  pays  dont  parle  la  Bible. 

«  Notre  route,  dit-il,  nous  conduisait  sur  le  dos  de  la  mon- 
tagne ,  ayant  à  notre  gauche  ,  à  une  e'norme  profondeur  ,  le  fond 
d'une  Ouadi  ,  où  re'sonnaient  de  tanins  à  autre  les  e'houlfniens 
de  rochers  que  notre  passage  entraînait.  Ce  pays  élevé' ,  <à  me- 
sure que  nous  avancions,  se  couvrait  de  terre  ve'getale ,  et  les 
herbes  qui  croissaient  de  toutes  parts  ,  indiquaient  à  chaque 
pas  la  probabilité'  d'une  culture  dont  on  retrouvait  des  traces, 
par  des  buttes  de  petites  pierres  amasse'es  de  distance  en  dis- 
tance, et  qui  semblaient  établir  les  limites  des  champs.  Ces  in- 
dices reportaient  à  cette  époque  où  l'agriculture  nabathéenne 
florissait ,  pour  être  plus  tard  vantée  dans  les  auteurs  arabes. 
»  On  s'arrêta  h  la  soui'ce  du  Dalège  :  on  trouve  "a  une  petite 
distance  les  ruines  d'un  village  qui  exploitait  sans  doute  la  cul- 
ture de  ces  environs,  à  l'époque  où  la  ville  de  Pétra  offrait 
pour  ses  approvisionnemens  tant  de  chances  de  gain.  Le  len- 
demain ,  en  marchante  l'est,  nous  arrivâmes  au  point  le  plus 
élevé  de  la  montagne,  d'où  Ion  domine  d'un  côté  toute  la 
masse  de  rocbers  qui  descendent  vers  Ouadi-Araha  ;  de  l'au- 
tre ,  la  gran'.Ie  plaine  de  lArabie-Déserte  qui  s'étend,  sans  ho- 
rizon ,  vers  l'Orient.  Ce  qui  frappe  au  premier  moment ,  c'est 
la  différence  de  niveau  des  deux  côtés  de  la  montagne;  l'un 
s'affaissant  rapidement  en  ravins  profonds  et  saccadés,  l'autre 
s'élendant  presque  au  niveau  de  la  montagne  dans  une  grande 
plaine  unie. 

»  Le  chemin  par  lequel  nous  étions  venus  restait  à  notre 
droite,  et  en  remontant  une  petite  plaine  vers  le  sud,  nous 
découvrîmes  la  haute  montagne  qui  domine  les  rochers  des  en- 
virons, et  sur  laquelle  ki  tradition  a  conservé  un  antique  sou- 
venir. La  Bible  s'exprime  ainsi  en  parlant  du  séjour  des  Israé- 
lites dans  le  désert  ; 

«  Et  ayant  décamj)é  de  Cadès,  ils  vinrent  à  la  montagne  de 
»  Hor ,  qui  est  aux  confins  de  la  terre  d'Edom,  où  le  Seigneur 
»   parla  îi  Moïse  : 

»  Qu'Aaron  ,  dit-il,  aille  vers  son  peuple j  car  il  n'entrera  point 


SUR    LE    TOMBEAU    d'aARON.  439 

»  dans  la  terre  que  j'ai  donnée  aux  enfans  d'Israël,  parce  qu'il 
»  ae'te'  incre'dule  à  ma  parole  aux  eaux  de  contradiction.  Prends 
»  Aaron  et  son  fils  avec  lui ,  et  tu  les  conduiras  sur  la  montagne 
»  de  Hor;  et  quand  tu  auras  de'pouille  le  père  de  ses  vêtemens  , 
»  tu  en  revêtiras  Ele'azar,  son  fils;  Aaron  sera  re'uni  à  ses  pères 
»>   et  mourra  en  ce  lieu. 

»  Moïse  fit  comme  ie  Seigneur  lui  avait  commande,  et  ils 
»  montèrent  sur  la  montagne  de  Hor  devant  toute  la  multitude; 
»  et  lorsque  Aaron  eut  de'pose'  ses  vêtemens,  il  en  revêtit  Ele'a- 
»  zar ,  son  fiis.  Aaron  e'tant  mort  au  sommet  de  la  montagne, 
«  Moïse  et  Ele'azar  descendirent.  Or,  toute  la  multitude  voyant 
))  qu'Aaron  e'tait  mort ,  pleuia  trente  jours  sur  lui  dans  toutes 
»   les  familles  (i).  » 

«  Par  des  travaux  sur  la  route  suivie  par  les  Israélites,  tra- 
vaux trop  e'tendus  pour  les  introduire  ici ,  j'ai  trouve'  une 
coïncidence  remarquable  entre  cette  position  et  celle  qu'on  doit 
assigner  au  mont  Hor  de  la  Bible.  Les  Arabes  ,  si  fidèles  dans 
leurs  traditions  ,  ve'nèrent  encore  aujourd'hui,  en  haut  de  cette 
montagne  ,  le  tombeau  du  prophète  Haroun  (Aaron  ).  Burchardt 
prit  le  pre'texte  d'un  vœu  qu'il  avait  fait  de  sacrifier  une  chèvre 
à  ce  santon  pour  entreprendre  le  voyage  de  Ouadi  Mousa  ; 
mais  son  conducteur  refusa  de  le  conduire  plus  loin  que  cette 
plaine  ,  et  force  lui  fut  de  consommer  son  sacrifice  en  bas  de 
la  montagne.... 

»  Un  vieil  Arabe  qui  sert  de  gardien  à  ce  lieu  ve'ne're',  habite 
au  haut  du  rocher,  et  reçoit  les  visites  des  habitans  de  Gaza, 
et  des  Fellahs  de  Ouadi  Mousa  ,  qui  s'y  rendent  quelquefois  dans 
un  but  religieux,  mais  le  plus  souvent  pour  cultiver  quelques 
portions  de  terre  ve'ge'tale,  que  les  terrasses  du  rocher  offrent 
à  l'industrie  des  hommes  dans  une  contre'e  aussi  aride.  » 


(i)  Nombres  XX,  22,  29. 


30. 


440 

sua   LES   MISSIONS    DU   LEVANT   (i). 

Des  lettres  des  missionnaires  de  Constantinople  et  du  Levant 
font  connaître  i'e'tat  de  la  r^^ligion  dans  ces  contre'es.  Au  collège 
Saint-Etienne ,  tenu  par  BIM.  de  Saint-Lazare  ,  près  Constanti- 
nople, on  a  fait  cette  anne'e  la  procession  de  la  Fête-Dieu  avec 
la  plus  grande  pompe,  hors  de  la  chapelle.  Les  e'ièves  du  col- 
le'ge,  en  uniforme,  chantaient  des  hymnes  et  des  psaumes.  La 
nouveauté  de  la  cérémonie  avait  attiré  un  grand  nomhre  de 
personnes;  des  schismatiqaes  €t  des  Turcs  même  étaient  frappés 
de  ce  spectacle.  Les  conversions  sont  fréquentes  en  ce  moment 
à  Constantinople.  Un  prêtre  schismatiqne  a  fait  ahjuration ,  el 
a  été  envoyé  en  Italie  pour  le  soustraire  au  ressentiment  de 
ses  co-religionnaires.  Un  élève  du  collège,  âgé  de  vingt  et  un 
ans,  et  d'une  famille  distinguée  du  pays,  a  voulu  aussi  faire 
abjuration  ;  sa  famille  ne  l'a  pas  trouvé  mauvais  ,  et  sa  mère 
se  dispose  à  suivre  son  exemple.  Un  autre  Jeune  Arménien  a 
fait  la  même  démarche  peu  après,  et  n'a  pas  été  aussi  heureux  : 
sa  famille  irritée  l'a  redemandé,  et  il  a  fallu  le  lui  rendre.  Il 
persévérait  néanmoins  encore  dans  ses  bons  sentimens.  Le  col- 
lège est  le  refuge  de  tous  ceux  qui  veulent  renoncer  à  leurs 
erreurs  ;  on  y  a  reçu  dernièrement  un  jeune  Albanais  hérétique 
qui  voulait  se  convertir,  et  un  Arménien  qui  demandait  h  être 
instruit.  Un  prêtre  schismatiqne  est  encore  rentré  dans  le  sein 
de  l'Eglise  ,  et  s'est  séparé  de  sa  femme.  Deux  diacres  armé- 
niens ont  fait  abjuration.  Un  médecin  arménien  et  sa  famille 
se  sont  déclarés  catholiques.  Deux  antres  laïques  sont  en  voie 
de  conversion  et  montrent  les  dispositions  les  plus  faTorables. 

M.  Elluin  ,  missionnaire,  dont  nous  avons  annoncé  le  départ 
de  Paris  l'année  dernière  ,  est  arrivé  à  Constantinople  le  1 1  dé- 
cembre. Il  donne  une  relation  de  son  voyage.  Il  était  destiné 
pour  le  collège,  et  se  félicite  de  cette  destination. 

M.  Nurigian  ,  archevêque  et  primat  arménien  à  Constanti- 
nople, envoie  quelques  renseignemens  sur  la  situation  de  la  re- 
ligion dans  le  territoire  soumis  à  sa  juridiction.  Le  nombre  des 

(i)  V.  ci-d.   p.   347. 


SUR    LES    MISSIONS    DU    LEVANT.  441 

calholiques  arméniens  qu'il  gouverne  est  de  45,000  âmes,  dis- 
persées à  Constantinople  et  les  environs ,  Erzeroum  ,  Tréîji- 
zonde  ,  etc.  Les  catholiques  n'ont  encore  que  quinze  églises  ou 
chapelles,  deux  à  Mouches  ,  sept  à  Hodourgour  ,  où  il  y  a  sept 
villages  ,  quatre  à  Artoine  et  dans  les  villages,  une  à  Tréhizonde 
qui  est  à  réparer,  et  une  nouvellement  hâtle  à  Constantinople. 
Mais  OM  doit  tout  l'argent  emprunté  pour  cette  construction. 
Dans  toutes  les  autres  localités,  le  culte  divin  s'exerce  dans  les 
maisons ,  mais  librement.  La  religion  catholique  jouit  d'une 
liberté  complète ,  en  vertu  du  diplôme  accordé  par  le  Grand- 
Seigneur.  Le  nombre  des  prêtres  dans  le  diocèse  est  de  cent 
six ,  parmi  lesquels  il  y  en  a  quatre  qui  se  sont  convertis  de- 
puis lémancipation.  Le  nombre  des  conversions  opérées  à  Con- 
stantinople depuis  trois  ans  est  de  trois  cent  soixante;  les  con- 
versions sont  bien  plus  fréquentes  depuis  qu'on  a  ouvert  l'église. 
A  Ancyre seulement,  depuis  quelques  mois,  dix-huit  personnes 
se  sont  converties. 

A  Damas  ,  M.  Poussou  ,  supérieur  des  lazaristes  ,  est  parvenu 
à  réaliser  le  projet  qu'il  avait  formé  depuis  long-temps  d'établir 
des  écoles.  L'école  des  garçons  a  déjà  quatre-vingts  enfans  ,  et 
est  dirigée  par  M.  Tustet;  on  y  enseigne  l'arabe,  qui  est  la 
langue  du  pays,  et  l'italien,  qui  est  fort  utile  pour  le  com- 
merce. Il  était  plus  difficile  encore,  vu  les  usages  du  pays, 
d'établir  une  école  de  filles;  cependant  on  en  est  venu  à  bout. 
M.  Poussou  ^a  bâti  une  école,  et  a  fait  venir  du  Liban  une 
maîtresse  assez  instruite.  Il  se  propose  d'avoir  des  filles  pieuses 
pour  perpétuer  la  bonne  œuvre  ,  faire  le  catéchisme  aux  jeunes 
filles,  et  instruire  même  les  femmes  du  pays.  On  pourra  en- 
suite étendre  cela  aux  autres  missions  de  Syrie.  Le  patriarche 
grec  a  chargé  M.  Poussou  de  faire  chaque  semaine  aux  prêtres 
de  sa  nation  une  conférence  de  luorale ,  et  il  leur  a  ordonné 
de  s'y  rendre.  Outre  cela,  M.  Poussou  fait  tous  les  dimanches 
et  fêles  un  cours  d'instructions.  On  jouit  à  Damas  d'une  grande 
tranquillité;  les  musulmans  sentendent  mieux,  esi  fait  de  li- 
berté religieuse ,  que  d'hypocrites  défenseurs  des  droits  de 
Ihomme  et  de  faux  amis  des  lumières.  Le  nouveau  gouverne- 
ment du  pacha  d'Egypte   cherche  a  introduire  la  civilisation 


442 


SUR    LES    MISSIONS    DU    LEVANT. 


européenne;  mais  cette  civilisation  ,  telle  qu'il  la  conçoit,  serait 
pire  que  la  barbarie  ,  ce  serait  l'impie'te'  et  la  corruption.  Il 
vesiait  d'arriver  à  Damas  quatre  saint-simoniens  chasse's  succes- 
sivement de  Conslaiitinople  ,  de  Smyrne  et  d'Alexandrie.  On 
doute  qu'ils  soient  plus  heureux  en  Syrie. 

M.  Hillereau ,  prélat  français  et  visiteurapostolique  de  Smyrne, 
fait  connaître  l'e'tat  de  cette  mission.  Ce  prélat ,  qui  avait  reçu 
d'abord  le  titre  d'évèque  de  Calédonie,  a  aujourd'hui  celui 
d'archevêque  de  Pe'tra  ;  il  est  de  plus  coadjuteur  du  vicaire 
apostolique  de  Constantinoplo ,  M.  Coressi.  Smyrne  est  aujour- 
d'hui la  seule  ville  de  l'Asie-Mineure  oîi  il  y  ait  un  évêque  et 
des  églises  catholiques.  Tout  le  reste  a  été  envahi  parle  schisme 
et  l'hérésie.  La  mission  de  Smyrne  comprend  deux  îles  ,  Me- 
telin,  qui  est  l'ancienne  Leshos ,  et  Stanchio,et  tout  le  littoral 
de  la  Méditerranée,  depuis  les  Dardanelles  jusque  visa-vis  l'é- 
glise de  Chypre.  Elle  s'étend  dans  l'intérieur  des  terres  jusqu'à 
cinq  on  six  jours  de  marche.  Depuis  environ  cent  ans ,  Smyrne 
n'avait  qu'un  vicariat  apostolique;  Pie  Vil  l'a  de  nouveau  érigé 
en  archevêché;  mais  M.  Hillereau  n'a  que  le  titre  d'archevêque 
de  Pétra  et  de  visiteur  apostolique.  La  ville  de  Smyrne  est 
grande  et  peuplée  :  on  y  compte  80,000  Turcs,  et  la  moitié 
moins  de  grecs  non-unis  ;  il  y  a  aussi  des  arméniens,  des  pro- 
testans  et  des  juifs  en  assez  grand  nombre.  Les  grecs  et  les  ar- 
méniens ont  chacun  leur  archevêque.  Les  grecs  ont  plusieurs 
églises  ,  et  en  bâtissent  une  en  ce  njoinent.  Les  arméniens  n'en 
ont  qu'une.  Les  protestans  ont  deux  temples,  l'un  des  anglais, 
et  l'autre  des  méthodistes.  Le  nombre  des  catholiques  est  d'en- 
viron sept  mille,  dont  neuf  cents  du  rit  arméiiien  ,  et  deux 
cents  du  rit  grec  ;  il  peut  y  avoir  quehjues  maronites  et  quel- 
ques syriens,  mais  en  petit  nombre.  Les  sept  mille  catholiques 
se  trouvent  tous  à  Smyrne  et  dans  deux  villages  près  la  ville. 
Dans  le  reste  du  pays  dépendant  de  celte  mission,  il  y  a  deux 
cents  catholiques  dispersés  ,  cinquante  à  Metelin  ,  deux  familles 
à  Stanchio.  Dans  Smyrne,  il  n'y  a  que  deux  églises  catholiques 
de  médiocre  grandeur  :  l'une  appartient  aux  capucins,  et  l'autre 
aux  récollets.  L'archevêque  et  le  clergé  séculier  sont  sans  église. 
Les  récollets  ont  une  autre  église  dans  un  des  deux  villages  près 


SUR    LES    inSSIOWS    DU    LEVANT.  443 

Smyrne.  Il  y  avait  autrefois  à  Smyrne  quatre  maisons  de  reli- 
gieux, les  capucins  ,  les  re'collets,  les  je'suiteset  les  dominicains- 
Les  lazaristes  ont  remplacé  les  je'suiles.  Les  capucins  remplis- 
sent les  fonctions  de  cure'  des  Français;  les  re'collets  desservent 
la  deuxième  paroisse ,  appele'e  paroisse  italienne.  Les  premiers 
sont  sous  la  protection  française  ,  et  les  seconds  sous  la  protec- 
tion autrichieime.  Les  lazaristes,  qui  ne  sont  que  deux,  tiennent 
une  e'cole  gratuite,  et  prêchent  à  la  paroisse  des  capucins.  De- 
puis huit  ans  environ  ,  les  dominicains  ont  abandonne'  leur 
maison,  qui  est  afferme'e  ;  ils  ne  paraissent  pas  avoir  envie  de 
revenir.  Les  capucins  sont  au  nombre  de  quatre  pères  et  un 
frère;  les  re'collets  sont  six  pères  et  un  fièie.  En  outre,  il  y 
a  dix  prêtres  natifs  de  Smyrne,  dont  six  ont  fait  toutes  leurs 
études  à  la  Propagande  à  Rome  ,  quatre  venus  des  Iles,  et  deux 
du  rit  arménien.  Mais  parmi  les  religieux,  cinq  seulement  sa- 
vent le  grec  ,  et  deux  de  ceux-ci  sont  infirmes  :  les  autres  re- 
ligieux ne  savent  que  l'italien,  et  ne  peuvent  pas  beaucoup 
confesser.  Les  prêtres  du  pays  n'ont  pas  d'église  ni  de  paroisse 
à  eux.  11  serait  nécessaire  de  faire  une  nouvelle  division  de  pa- 
roisses ,  et  d'en  confier  une  au  clergé  séculier.  Les  grecs  héré- 
tiques sont  à  Smyrne  très-intolérans  pour  les  catholiques.  Les 
proteslans  sont  aussi  très-ardens  ;  la  société  biblique  tient  une 
école  et  répand  des  livres.  De  plus,  il  ne  manque  pas  dincré. 
dules  pour  calomnier  la  religion  et  le  clergé.  Malgré  tous  ces 
obstacles,  il  y  a  de  la  religion  à  Smyrne,  les  églises  sont  fré- 
quentées, on  satisfait  aux  préceptes  essentiels,  on  pime  à  en- 
tendre la  parole  de  Dieu.  11  y  a  sept  confréries  dans  les  deux 
paroisses.  On  prêche  dans  les  deux  églises  en  quatre  et  cinq 
langues  ,  en  grec  ,  en  français  ,  en  italien  ,  en  turc  et  en  ragusan. 
ÛJ.  llillereau  a  commencé  le  ly  mars  de  l'année  dernière  une 
visite  apostolique  qu'il  a  terminée  au  mois  de  novembre.  11 
en  a  envoyé  la  relation  à  Rome,  et  il  espère  que  les  ordres  et 
les  secours  qu'il  recevra  le  mettront  en  état  d'étemlre  le  bien 
de  sa  mission.  Le  prélat  réclamait  l'assistance  de  l'œuvre  de  la 
Proj)agalion  de  la  Foi.  11  avait  donné  au  mois  de  mai  i833  une 
retraite  au  cleigé  du  diocèse.  La  retraite  se  donnait  chez  les 
lazaristes  ,  et  M.  Daviers  ,  un  d'eux ,  faisait  les  instructions.  II. 


444  SUR    LES    MISSIONS    DU    LEVAITT. 

sy  trouva  deux  évêques ,  savoir ,  M.  Hillereau  et  l'e'vêque  ar- 
me'nien ,  huit  religienx,  quatre  prêtres  arme'niens  et  quinze 
prêtres  se'cnliers.  Tout  s'est  passe'  de  la  manière  la  plus  e'di- 
fiante.  Le  visiteur  apostolique  a  ordonne'  que  tons  les  quinze 
jours  ils  se  tiendrait  une  conférence  ecclésiastique  chez  les 
lazaristes.  Les  fidèles,  à  Smyrne,  ont  été  invités  par  M.  l'évêque 
à  contribuer  à  l'œuvre  de  la  Propagation  de  la  Foi. 

M.  Descamps  .  supérieur  de  la  mission  des  lazaristes  à  Sa- 
lonique,  se  réjouit  d'avoir  fait  les  deux  dernières  années  la 
procession  de  la  Fête-Dieu  avec  beaucoup  de  pompe.  Tous  les 
consuls  étrangers,  sans  distinction  de  religion,  ont  contribué 
à  orner  le  reposoir.  Cette  année,  ils  y  avaient  été  invités  en 
personne ,  et  ils  y  sont  venus  tous;  c'était  à  qui  contribuerait 
à  l'éclat  de  la  procession.  Il  n'y  a  point  d'hôpital  à  Saloniqae, 
et  c'est  la  maison  des  lazaristes  qui  sert  d'asile  aux  malheureux. 
M.  Descamps  a  établi  une  école  de  garçons  qu'il  fait  lui-mêine, 
en  attendant  qu'on  lui  envoie  un  frère.  Les  exercices  du  ju- 
bilé, qu'il  a  donnés  ce  carême  dernier,  ont  été  bien  suivis.  Il 
se  félicite  beaucoup  du  cboix  du  nouveau  consul  de  Fraiice  , 
M,  Guis,  homme  religieux.  Il  était  dans  les  meilleurs  rapports 
avec  les  consuls  américain  et  anglais  ;  le  premier  lui  avait  confié 
l'éducation  de  ses  enfans  en  lui  laissant  carte  blanche  ;  le  con- 
sul anglais  laissait  ses  enfans  assicter  aux  offices  catholiques. 

Le  P.  Eusèbe ,  mineur  observantin ,  réside  à  Âlep.  Cette  ville 
compte  environ  12,000  catholiques  ,  grecs,  arméniens,  syriens 
et  maronites  :  ils  ont  en  tout  45  ministres.  Les  grecs  ont  leur 
évêqne  ,  M,  Grégoire  Chayat.  Les  arméniens  ont  perdu  le  leur  , 
M.  Abrabam  Coupali,  prélat  très-vertueux  et  très-attaché  au 
Saint-Siège.  La  nation  syrienne  a  son  patriarche ,  M.  Pierre- 
Ignace  Giarve,  et  un  évêque.  Les  maronites  ont  aussi  leur 
évêque,  M.  Paul  Arocchin  ;  mais  il  est  bon  d'entretenir  au  mi- 
lieu de  ces  peuples  des  missionnaires  eui'opéens  pour  les  con- 
firmer dans  leur  attachement  au  Saint-Siège.  On  voit  de  temps 
en  temps  des  conversions  ;  le  missionnaire  en  cite  plusieurs 
exemples;  il  se  croyait  destiné  pour  la  mission  d'Abyssinie. 
On  disait  que  l'empereur  de  ce  pays  avait  écrit  à  Rome  ,  en  i833, 
pour  demander  des  missionnaires.  Il  était  question  d'y  envoyer 


COMMISSION    ROYALE    d'hISTOIRE.  445 

le  père  Eusèbe  et  le  père  Perpe'tuel  de  Solère  ,  missionnaires  à 
Je'rusalem.  La  lettre  da  récollet  annonce  un  bon  religieux  et 
un  missionnaire  ze'le'. 

Pour  comple'ter  cet  extrait  des  nouvelles  relatives  aux  mis- 
sions du  Levant ,  nous  dirons  deux  mots  de  M.  Bonamie ,  e'vê- 
que  de  Babylone.  Le  prélat,  parti  de  France  en  octobre  ï833  , 
e'iait  arrive'  à  Alep  le  6  janvier  avec  son  vicaire  -  ge'ne'ral , 
M.  Leslrade.  Il  rend  compte  de  sa  traverse'e  :  il  s  était  arrête' 
à  l'île  de  Syra,  où  il  y  a  un  e'vêque  et  environ  4ooo  catho- 
liques qui  ont  trois  ou  quatre  églises;  il  avait  visite'  Alexan- 
drie, et  était  même  allé  jusqu'au  Caire.  De  retour  à  Alexandrie, 
il  s'était  embarqué  pour  Larnaca,  dans  l'île  de  Chypre,  doù  il 
avait  passé  à  Latakié  en  Syrie.  A  la  date  de  sa  lettre ,  en  mai 
dernier,  il  était  encore  à  Alep,  attendai.t  «ne  caravane  qui 
allât  à  Bagdad.  Le  désert  qu'il  faut  traverser  est  occupé  parles 
Arabes,  qui  ne  laissent  point  passer  les  caravanes  avant  qu'on 
leur  ait  donné  satisfaction  pour  quelques  griefs.  — Extrait  des 
Annales  de  la  Propagation  de  la  Foi. 


i  wvwvvvw 


Histoire  nationale.  —  Extraits  des  Prochs-Verhaux  de 
la  Commission  royale  d'Histoire  (1). 

Séance  du^l  octobre,  à  midi. 

A  l'ouverture  de  la  séance  ,  M.  de  Gerlache  ,  président  de  la  com- 
mission, annonce  qu'un  de  ses  membres  ,  M.  Dewez  ,  est  décodé  la 
veille.  Il  exprime  sur  ce  malheureux  événement  des  regrets  qui  sont 
vivement  partagés  par  l'assemblée. 

Le  procès- verbal  de  la  séance,  précédente  est  lu  et  approuvé.  Il 
est  également  donné  lecture  de  la  correspondance.  M.  le  ministre  de 
l'intérieur  fait  parvenir  à  la  commission  différcns  catalogues  des  ma- 
nuscrits concernant  l'histoire  de  la  Belgique  conservés  à  Bruxelles  , 
Liège  ,  Louvain  ,  Gand  ,  Mons  et  Tournay.  Il  demande  en  outre  un 
avis  motivé  sur  des  publications  projetées  et  pour  lesquelles  on  sol- 

(i)  V.  ci-d.  p.  285. 


446 


COMMISSION    ROYALE    D  HISTOIRE. 


licite  des  encouragemens  pécuniaires  ,  ainsi  que  sur  divers  raonu- 
mens  historiques  dont  l'acquisition  est  proposée  au  gouvernement. 

M.  de  ReiiTenberg  lit  ensuite  des  extraits  de  deux  manuscrits  com- 
muniqués par  MM.  Gachard  et  de  Ram. 

Le  premier  de  ces  manuscrits  appartient  aux  arcliives  du  royaume, 
et  contient  une  correspondance  du  comte  de  Golientzl  avec  le  chef- 
président  de  Neny  ,  l'abbé  de  Nélis  et  Paquot ,  relativement  à  la 
publication  des  monumens  inédits  de  notre  histoire  et  à  d'autres  des- 
seins littéraires  analogues  : 

—  «  Minute  d'une  lettre  écrite  par  le  chef-président  de  Neny  , 
au  nom  du  ministre  comte  de  Cobentzl  aux  abbés  ,  chapitres  et 
prieurés  des  Pays-Bas  autrichiens  ,  à  l'effet  d'en  obtenir  une  note  de 
tous  les  manuscrits  qui  pouvaient  se  trouver  dans  leurs  maisons  ou 
dans  les  archives  de  leurs  églises  ,  concernant  l'histoire ,  soit  ecclé- 
siastique ,  soit  civile  de  la  Belgique. 

—  Mémoire  de  M.  de  Neny  au  comte  de  Cobentzl  pour  lui  pro- 
poser de  faire  imprimer  ,  à  la  nouvelle  typographie  académique  de 
Louvain  ,  une  collection  chronologique  de  documens  historiques  déjà 
publiés,  mais  rares  et  exposés  à  se  perdre  à  cause  de  leur  peu  de 
volume  ,  entre  autres  les  pièces  litigieuses  destinées  à  soutenir  les 
droits  du  souverain. 

La  collection  devait  être  distribuée  en  trois  parties  : 

1°  La  première,  comprenant  les  écrits  antérieurs  à  l'abdication 
de  Charles-Quint , 

2'  La  seconde,  ceux  relatifs  aux  troubles  des  Pays-Bas,  jusqu'à 
la  mort  de  Philippe  II  ; 

3°  La  troisième  enfin ,  les  écrits  postérieurs  à  cette  époque. 

Les  morceaux  composés  en  flamand  auraient  été  imprimés  dans 
cette  langue  ;  mais  ,  dit  le  mémoire  ,  il  serait  important  d'en  don- 
ner aussi  une  traduction  française, 

Cliaque  ouvrage  devait  être  enrichi  d'une  notice  historique  sur  son 
auteur. 

—  Le  comte  de  Cobentzl  à  Neny  ,  7  mai  1760.  Il  approuve  ce 
projet ,  et  sjiécialement  ce  qui  regarde  les  traductions  françaises  des 
ouvrages  flamands. 

—  Nélis  an  comte  de  Cobentzl,  11  mai  1760.  Il  remercie  le 
ministre  de   lui  avoir  communiqué  le  plan  de  M.  de  Neny,  et  de 


COMMISSION    ROYALE    d'hISTOIRE.  447 

l'avoir  choisi  avec  MM.  Verdussen  et  Vanlieurck ,  pour  l'exécuter. 

—  Le  même  au  même  y  29  avril  1761.  11  s'occupait  de  recher- 
cher des  manuscrits,  niais  il  croyait  qu'il  y  en  avait  peu  de  curieux 
restés  dans  le  pays.  Il  était  alors  qnestion  de  réimprimer  les  ouvrages 
des  Chifllet.  Fr.  Varrentrapp ,  libraire  à  Francfort  ,  auquel  on  avait 
parlé  de  cette  entreprise  ,  ne  la  jugeait  pas  heureuse.  11  envoya  ce- 
pendant au  comte  de  Cobentzl  une  liste  des  écrits  des  Chiiïlet  beau- 
coup plus  complète  que  celle  de  JNélis. 

—  Nélis  au  comte  de  Cobentzl ,  13  mai  1761.  11  plaide  en 
faveur  de  son  projet  de  publier  les  écrits  des  Chifllet,  et  combat 
l'opinion  de  Varrentrapp. 

—  Le  comte  de  Cobentzl  à  Nélis  ,  i  Juillet  1762.  La  typographie 
académique  trouvait  de  l'opposition  dans  l'université;  mais,  disait 
le  ministre,  ils  ne  doivent  pas  nous  lasser  :  noîis  les  vaincrons 
successivement. 

—  Nélis  au  comte  de  Cobentzl,  15  décembre  1763.  Il  s'était 
procuré  pour  son  usage  particulier  une  petite  imprimerie  ,  et  la  chose 
avait  été  considérée  comme  une  infraction  aux  réglemens  de  police. 
Il  demande  à  être  employé  ailleurs  qu'à  Louvain  ,  attendu  que  ses 
études  n  avaient  jamais  été  tournées  vers  V  école, 

—  Le  même  au  même,  24  octobre  1764.  11  se  plaint  qu'on  cher- 
che fi  semer  sa  carrière  de  dégoûts  ;  puis  ,  pour  contrebalancer  à 
Louvain  ce  qu'il  appelle  vestigia  ruris ,  il  sollicite  du  ministre  la 
permission  d'y  éiablir  sous  ses  auspices  une  petite  académie  qui  pour- 
rait faire  renaître  le  goût  étouffé  par  la  mauvaise  et  frivole  philo- 
sophie de  V Université. 

—  Le  comte  de  Cobentzl  à  Nélis  ,  23  octobre  1764.  11  n'approuve 
aucunement  le  projet  d'académie.  Ce  serait,  dit-il ,  établir  uti  es- 
prit de  parti,  ranimer  les  jalousies  que  vous  avez  déjà  essuyées, 
et  produire  assurément  plus  de  mal  que  de  bien. 

—  En  cette  même  année  1764,  le  comte  de  Cobentzl  désirait 
qu'on  imprimât  Macquereau  ,  dont  Paquot  a  donné  la  première  partie 
et  dont  M.  J.-B.  Barrois  se  ])répare  à  publier  la  seconde.  Il  voulait 
se  procurer  aussi  un  recueil  des  lettres  de  Granvelle ,  que  M.  le 
ministre  Guizot  a  dessein  de  faire  réimprimer  en  France. 

—  Nélis  au  comte  de  Cobentzl,  6  juillet  1763.  Le  ministre  lui 
avait  envoyé  les  lettres  d'iloppcrus  pour  les  imprimer.  Voici  un  pas- 


448  COMMISSION    ROYALE    d'hISTOIRE. 

sage  textuel  de  cette  lettre  :  «  Ces  lettres  d'Hopperus  m'ont  fait 
»  penser  à  celles  du  président  Viglius  qui  n'ont  pas  été  toutes  im- 
ji  primées.  M.  ïïoynck  (Van  Papendreclit)  les  avait  destinées  toutes 
»  à  la  presse  ;  mais  son  iniprimeur  qui  n'aimait  pas  à  se  mettre  si 
5>  fort  en  frais  ,  y  a  opposé  tant  de  difficultés  ,  qu'on  a  dû  se  con- 
«  tenter  d'une  partie.  J'ai  vu  moi-même  dans  la  bibliollièque  de 
))  M.  d'Orlho,  à  Malines  ,  qui  avait  hérité  de  celle  de  M.  ïïoynck  , 
))  ces  lettres  que  ce  dernier  avait  destinées  à  former  le  troisième  tome 
))  des  lettres  de  Viglius  dans  les  Analecta  Belgica  ;  et  je  me 
«  souviens  que  le  chanoine  Major  les  acheta  pour  environ  deux  pis- 
))  tôles.  J'ai  lu  les  mêmes  lettres  ,  mais  éparpillées  ,  dans  huit  gros 
«  volumes  que  l'on  m'a  communiqués  du  collège  de  Viglius  à 
n   Louvain.  » 

Nous  remarquerons  ici  que  les  lettres  d'Hopperus  sont  conservées 
à  la  bibliothèque  de  Bourgogne ,  et  que ,  quant  à  celles  de  Viglius , 
on  n'en  trouve  aucun  recueil  manuscrit  indiqué  dans  le  catalogue 
de  Major,  qui  porte  seulement  sous  le  n"  6270  :  ï^iglii  Zwichemi 
ah  Aytta  Epistolœ  ad  Hopperum ,  Leovardiœ ,  1661 ,  in-8°.  Plu- 
sieurs volumes  des  lettres  de  Viglius  doivent  se  trouver  à  la  biblio- 
thèque de  Gœtlingue. 

—  Nélis  au  comte  de  Cobentzl ,  7  août  1765.  Il  envoie  au  mi- 
nistre une  relation  du  Concile  de  Trente  ,  par  deux  théologiens ,  dont 
l'un  y  avait  été  envoyé  pas  la  gouvernante  des  Pays-Bas.  Il  la  tenait 
du  comte  Garampi ,  et ,  moyennant  l'agrément  de  Cobentzl  ,  il  se 
proposait  de  l'insérer  dans  un  recueil  dont  on  a  une  partie ,  qui  est 
devenue  une  véritable  rareté  bibliographique  et  où  l'on  trouve  le 
commencement  de  l'ancien  cartulaire  de  la  ville  de  Louvain  ,  d'après 
l'original,  compilé  vers  1380  ,  par  un  certain  Lambertus  de  Insulâ. 
Un  mémoire  de  M.  de  Reiffenberg  ,  inséré  parmi  ceux  de  l'académie, 
et  qui  roule  sur  les  tentatives  faites  au  sein  de  cette  compagnie  pour 
la  publication  des  monumens  inédits  de  notre  histoire  ,  contient  une 
notice  détaillée  de  ce  qui  reste  des  Analectes  ,  dont  l'impression  n'a 
été  qu'ébauchée  par  Nélis. 

—  Le  comte  de  Cobentzl  à  Nélis ,  22  novembre  1765.  Le  mi- 
nistre avait  fait  acheter,  à  la  vente  de  la  bibliothèque  des  jésuites 
de  Paris  ,  plusieurs  porte-feuilles  remplis  de  lettres  du  cardinal  de 
Granvelle.  11  en  envoie  l'analyse  pour  être  examinée  par  Paquet  et 
Nélis  ,  afin  de  savoir  si  ces  lettres  méritaient  la  publicité. 


COMMISSION    ROYALE    d'hISTOIRE,  449 

—  Le  même  au  même,  "^Q  juillet  1766.  Ces  recherches  étaient 
vnes  de  mauvais  œil  par  certains  docteurs.  //  est  honteux ,  dit  le 
ministre ,  que  nous  ayons  dans  notre  Université  des  gens  si  peu 
faits  pour  maintenir  le  bon  goût  et  entièrement  livrés  à  la  barbarie 
pour  les  sciences  et  à  la  rusticité  pour  les  mœurs.  Je  trouverai 
moyen  de  les  morigéner. 

—  Nélis  au  comte  de  Cobentzl ,  ^S  janvier  1767.  Envoi  des 
quatre  premières  pages  imprimées  des  lettres  d'Hopperus.  A  leur 
suite  l'éditeur  se  proposait  de  publier  un  choix  de  celles  de  Granvelle 
et  de  Philippe  II.  (  Il  existe  deux  porte-feuilles  à  la  bibliothèque  de 
Bourgogne ,  renfermant  des  lettres  autographes  de  Granvelle  avec  de 
longues  apostilles  de  la  main  de  Philippe  ;  M.  de  Laserna  Santander 
avait  conçu  l'idée  de  les  faire  imprimer  avec  une  traduction  française 
de  l'espagnol,  et  ce  qu'il  avait  terminé  de  ce  travail  fait  partie,  si 
nous  ne  sommes  pas  dans  l'erreur ,  de  la  précieuse  collection  de  feu 
M.  Van  Hulthem).  Nélis  changea  ensuite  de  plan,  comme  on  le 
verra  plus  bas. 

—  Le  même  au  même ,  11  mars  1767.  Compte  rendu  des  ma- 
nuscrits de  Butkens  qui  se  trouvaient  chez  le  baron  deRaet,  maître 
des  postes  à  Louvain.  Quant  aux  papiers  du  baron  Jacques  Le  lloy , 

.  M.  de  Raet ,  allié  à  sa  famille ,  soupçonnait  qu'ils  étaient  conservés 
au  château  de  Bunderfeld  ,  du  côté  de  Tirlemont. 

—  Nélis  au  comte  de  Cobentzl ,  28  mars  1767.  Envoi  de  la 
première  feuille  de  l'Hopperus  ia-4  .  (Le  libraire  Allheer  d'Utrecht 
a  acquis  le  fonds  de  cette  édition  et  y  a  ajouté  un  titre.  L'exem- 
plaire de  la  bibliothèque  du  savant  Te  Water  est  désigné  au  cata- 
logue sous  le  n°  1411  ,  avec  cette  note  :  Deest  titulus ,  deindè 
prœficus  !  adsunt  autem  editoris ,  qui  fuit  de  Nélis  ,  episcopus  ant- 
uerpuensis ,  annotationes  multce  mos  nt /ronfe).  Manuscrit  histori- 
que de  Robert  de  la  Marck  soumis  à  l'examen  de  Nélis.  Cet  ouvrage 
avait  déjà  été  imprimé  dans  les  mémoires  de  Bellay. 

—  Le  même  au  même,  2  juin  1766.  La  typographie  académique 
ne  possédait  que  trois  presses  avec  lesquelles  on  imprimait  simulta- 
nément les  mémoires  littéraires  de  Paquot ,  Hopperus  ,  Morgagni  et 
les  thèses  des  étudians  de  Louvain. 

—  Le  même  au  même ,  13  mai  1768.  Projet  d'une  académie  ou 
société  littéraire  communiqué  à  Nélis  et  sur  lequel  le  célèbre  Schoep- 


450  COMMISSION    BOYALE    o'hISTOIIIE. 

flin  avait  été  consulté.  Cela  donna  naissance  quelque  temps  après  à 
racadérnie  de  Bruxelles. 

—  Le  comte  de  Cobentzl  à  Nélis  ,  1-4  mai  1768.  Des  lettres  de 
Philippe  II ,  accompagnées  d'une  traduction  ,  devaient ,  comme  un 
choix  de  celles  de  Granvelle,  servir  de  complément  aux  lettres 
d'Hopperus. 

—  Paquot  au  comte  de  Cobentzl,  29  avril  1762.  Diverses  vues 
sur  la  publication  des  monumens  historiques.  Les  diplômes  seraient 
recueillis  à  part ,  comme  supplément  de  Miraeus  ;  quant  aux  vies 
des  saints  ,  on  les  abandonneraient  aux  Bollandistes ,  mais  il  serait 
à  désirer  qu'on  lit  un  recueil  des  ^cta  Sanctorum  de  la  Belgique  , 
en  suivant  l'ordre  des  temps  (ce  qu'a  exécuté  Ghesquière  jusqu'au 
septième  siècle).  Les  ouvrages  flamands  en  prose  devaient  être  ac- 
compagnés d'une  version  latine  5  mais  ,  s'ils  étaient  en  vers  il  aurait 
suffi  d'y  joindre  des  sommaires  en  latin. 

Quant  à  l'arrangement  des  pièces ,  Paquot  ,  qui  voulait  une  col- 
lection dont  toutes  les  parties  fussent  liées  et  formassent  un  corps , 
préférait  l'ordre  géographique. 

Il  propose  d'abord  d'imprimer  Edmond  de  Dinter ,  un  manuscrit 
du  prieuré  de  Bethléem  ,  contenant  l'histoire  des  chanoines  réguliers 
du  pays  ,  et  la  chronique  de  Bruslhemius  qui  se  conservait  à  Ever- 
bode.  C'était  à  Paquot  que  le  ministre  envoyait  toutes  les  réponses 
des  abbayes  et  corporations  religieuses  ,  comme  à  l'historiographe  de 
l'impératrice. 

—  Paquot  au  comte  de  Cobentzl,  13  mai  1762.  Il  pense  qu'il 
faudrait  faire  copier  les  pièces  suivantes  qui  appartenaient  au  mo- 
nastère de  St.  Pierre  de  Gaad  : 

Annales  Flandriœ  ab  anno  1244  usque  ad  annum  1356  (coté 
n°  5). 

Cronyck  van  Philippe  hertog  Jans-soone ,  1420-1439  (  coté  n°  6) . 

Un  extrait  du  Chronodromon  seu  cursus  temporum  ,  n°  10  ,  qui 
contiendrait  les  généalogies  des  souverains  des  Pays-Bas. 

Defensio  comitis  Flandriœ  adversus  parlementarios  régis  Fran- 
corum  (n°   16). 

Au  monastère  de  St.-Guilain  : 
Les  chartes  relatives  aux  privilèges  de  cette  maison  et  un  extrait 


COMMISSION    ROYALE    d'hISTOIRE.  451 

du  volurae  marqué  D  ,  renfermant  ce  qui  regardait  les  comtes  de 
Flandre  et  de  Hainaut  qui  allèrent  à  la  croisade  ,  ainsi  que  les  ge'- 
néalogies  des  maisons  de  Ligne  ,  Rumegnies  ou  Rumigny  ,  Fontaine , 
Rœulx ,  etc. 

—  de  Corsendonck  : 

Annalia  (  sic)  civitatis  Busciducensis  ah  exordio  civitatis  usquè 
ad  annum  15S0  (n°  2). 

—  d'Everhode  : 

Outre  Brusthemius  ,  un  extrait  du  n"  4,  contenant  la  partie  qui 
était  de  Jacques  de  Warnans. 

Il  faudrait ,  ajoute  Paquet ,  voir  ce  que  c'est  que  l'histoire  de 
Liège  par  George  Munteras  ,  laquelle  se  garde  dans  la  même  abbaye 
et  chez  les  Auguslins  de  Hasselt,  comme  je  l'apprends  du  père  Man- 
telius  (1762). 

—  de  S  t. -Gérard  : 
Les  chartes  du  monastère. 

—  d'Epternach  : 

Cette  maison  ne  semblait  pas  devoir  rien  fournir  ,  à  moins  qu'elle 
ne  possédât  des  chartes  et  diplômes. 

—  Le  comte  de  Cobentzl  à  Paquot,  5  juin  1762.  Envoi  d'un 
manuscrit  de  l'abbaye  d'Orval  (  les  mémoires  de  Jean  d'Anly  qui  se 
trouvent  à  la  bibliothèque  de  Bourgogne  ,  marqués  autrefois  n"  5261, 
maintenant  -4930).  Suivant  le  vœu  de  l'abbé,  il  fallait  trouver  un 
copiste  assez  prudent  pour  omettre  ce  qui  se  trouvait  d'injurieux  et 
de  préjudiciable  aux  propriétaires. 

—  Paquot  au  comte  de  Cobentzl ,  IS  juillet  1762,  Manuscrits 
dont  il  propose  définitivement  l'impression  : 

1"  Brusthemius. 

2°  Les  mémoires  de  Jean  d'Anly,  qui  écrivait  vers  1583. 

3"  La  chronique  de  Bethléem. 

-4°  Le  Dinter  conservé  au  prieuré  de  Corsendonck. 

Quant  aux  ouvrages  déjà  imprimés  qu'il  serait  bon  de  publier  de 
nouveau  ,  vu  leur  rareté  ,  Paquot  s'arrêtait  d'abord  à  ceux-ci  ; 

1°  Joannes  Balinus  de  Bcllo  Belgico  (imprimé  à  Bruxelles, 
chez  Rutger  Velpius ,  en  1609,  in-8°). 


452  COMMISSION    ROYALE    d'hISTOIRE. 

2°  Bertelii  Historia  Lnxemburgensis  ,  en  y  joignant  les  ouvrages 
du  P.  Alexandre  Wiltheim  ,  encore  inédits. 

3°  Antonio  Carnero,  avec  une  traduction  de  l'espagnol. 

—  Le  comte  de  Cohentzl  à  J.-J.  Michaux ,  sous-bailli  de  la 
terre  de  Samson,  par  Nanmr ,  23  aotît  1763.  Invitation  de  con- 
courir jiu  dessein  des  chroniques  ,  en  communiquant  ce  qu'il  y  avait 
de  curieux  dans  les  archives  de  son  bailliage. 

—  Réponse  du  sieur  Michaux ,  4  septembre  1762.  Presque  tou- 
tes les  archives  avaient  été  enlevées  par  les  Français  au  premier 
siège  de  Namur  en  1692  ;  le  château  de  Samson  avait  été  démoli 
en  1691 ,  par  trahison  ,  et  les  archives  emportées  à  Lille  ,  au  dire 
des  anciens. 

—  Le  comte  de  Cobentzlà  l'abbé  de  Géronsart ,  1  ^septembre  1 764. 
Le  sieur  Michaux  sera  requis  d'aller  compulser  les  archives  de  la 
terre  de  Samson  (le  résultat  ne  produisit  rien  d'utile). 

—  Paquot  au  comte  de  Cobentzl,  11  mars  176-4.  Pièces  inédites 
à  publier  : 

1°  La  relation  des  troubles  de  Flandre  par  Weitsius. 

2°  Le  mémoire  de  l'abbé  de  Rolduc  sur  le  gouvernement  du  duché 
de  Limbourg. 

Voici  un  passage  textuel  de  la  lettre  de  Paquot  : 

«  J'ai  appris  que  les  Luciliburgensia  ou  antiquités  du  pays  de 
Luxembourg,  du  P.  Alexandre  Wiltheim,  se  trouvent  dans  l'abbaye 
de  Senones  en  Lorraine.  C'est  le  plus  curieux  et  le  plus  savant  ou- 
vrage qui  ait  été  fait  sur  notre  histoire.  Votre  Excellence  trouvera 
bien  le  moyen  de  le  faire  copier ,  avec  les  dessins  des  antiques  qu'il 
renferme ,  et  il  fera  le  plus  bel  ornement  du  fecueil  qui  paraîtra  sous 
ses  auspices....  » 

Quelques-unes  des  lettres  suivantes  ont  rapport  à  l'impression  de 
Robert  Maquereau  : 

—  Paquot  au  comte  de  Cobentzl ,  Q  juillet  1764.  Renseignemens 
demandés  sur  les  filles  naturelles  de  l'empereur  Maximilien  l"  ;  im- 
possibilité d'en  donner  de  sûrs ,  vu  la  confusion  et  la  contradiction 
des  historiens. 

—  Du  même  au  même,  29  novembre  1764.  Nouvelles  remar- 
ques sur  le  P.  Wiltheim  ;  mérite  de  son  travail.  De  toutes  les  in- 
scriptions qu'il  renferme  à  peine  s'en  trouve-t-il  la  vingtième  partie 


COMMISSION    ROYALE    d'hISTOIRE.  453 

dans  les  recueils  imprimés  de  Goltzius  ,  Gruterus ,  Du  Choul ,  Mont- 
faacon  ,  etc.  Wiltheim  est  le  seul  qui  ait  déterré  les  anciens  noms 
et  la  véritable  situation  des  localités  du  Luxembourg  ,  du  temps  des 
Romains.  Cet  ouvrage  exigerait  environ  120  planches  in-folio  ,  ce 
qui  nécessiterait  des  frais  considérables. 

—  Du  même  au  même,  24  octobre  1765.  Le  commencement  de 
Jacques  de  Guyse  ne  mérite  aucune  attention. 

(Malgré  ce  jugement  rigoureux  de  Paquot,  on  n'en  doit  pas  moins 
de  reconnaissance  à  M.  le  marquis  de  Fortia  pour  avoir  publié  un 
de  Guyse  complet,  parce  que  ses  fables  même  témoignent  de  l'es- 
prit du  temps  et  peuvent  dans  certains  cas  mettre  sur  la  voie  de 
quelques  vérités  perdues). 

Les  antiquités  de  Wieland  ayant  été  presqu'entièrement  copiées 
par  P.  d'Oudegherst ,  il  ne  paraît  pas  fort  utile  d'en  tirer  copie. 
(Nous  en  avons  donné  une  analyse  dans  la  première  partie  des 
Notices  et  extraits  des  MSS.  de  la  bibliothèque  de  Bourgogne). 

—  Du  même  au  même  ,  9  décembre  176S.  Intérêt  que  présente- 
rait un  choix  de  lettres  du  cardinal  de  Granvelle  ;  par  exemple  de 
celles  relatives  à  la  St. -Barthélémy.  Elles  exigeraient  des  notes  his- 
toriques ,  politiques  et  même  théologiques. 

—  Lettre  à  Paquot  au  nom  du  ministre  plénipotentiaire  , 
13  juillet  1778,  pour  lui  demander  un  mémoire  sur  ce  qui  avait 
été  fait  quelques  années  avant  pour  le  recueil  des  historiens  belges. 

—  Réponse  de  Paquot ,  1k  juillet  1778.  «  Il  ne  me  fut  pas  dif- 
ficile ,  dit-il ,  de  m'apercevoir  que  la  plupart  de  ceux  à  qui  l'on 
s'était  adressé,  ou  n'avaient  pas  compris  le  but  auquel  on  tendait, 
ou  n'étaient  pas  d'humeur  d'y  contribuer ,  ou  n'étaient  nullement 
en  état  de  le  faire ,  quoique  avec  de  la  bonne  volonté.  » 

A  propos  du  recueil  diplomatique  de  Le  Mire  il  affirme  que  «  tout 
y  fourmille  de  fautes ,  sans  compter  que  les  notes  aident  encore 
souvent  à  se  tromper.  )> 

«  Je  me  trouve  ici  (à  Bruxelles) ,  ajoute-t-il ,  destitué  de  presque 
tous  les  livres  nécessaires....  Il  n'y  en  a  peut-être  pas  quatre  dans 
la  bibliothèque  royale  ,  même  depuis  qu'on  y  a  transporté  une  par- 
tie des  livres  historiques  trouvés  chez  les  ex-jésuites.  Les  listes  en- 
voyées autrefois  par  les  monastères  n'ont  pas  été  conservées.  »  A 
cette  époque,  c'est-à-dire  en  1778,  l'abbé  Ghesquicre  était  chargé 
T.  X.  31 


454  COMMISSION    ROYALE    d'hISTOIRE. 

de  la  direction  du  travail  de  la  collection  projetée  des  Analecta 
Belgica.  M.  Gérard  s'était  engagé  ,  de  son  côté  ,  à  fouiller  dans  les 
archives  du  gouvernement. 

M.  de  Reiffenberg  lit  ensuite  l'analyse  du  manuscrit  communiqué 
par  M,  de  Ram.  Ce  manuscrit  in-folio  ,  provenant  de  la  bibliothè- 
que de  M.  de  Nelis  ,  porte  ce  titre  :  Collèges ,  Séminaires  ,  Agio- 
graphes.  Voici  ce  qu'il  contient  d'essentiel  sur  l'objet  dont  la  com- 
mission a  à  s'occuper  ; 

Rapport  sur  rétablissement  de  l'historiographie  ,  présenté  /e  15 
septembre  1779  à  S.  A.  le  prince  de  Stahremberg  par  le  conseiller- 
d'état  et  privé  de  Kulberg. 

Le  10  mai  précédent,  M.  de  Kulberg  avait  adressé  au  ministre 
un  mémoire  ou  rapport  sur  l'établissement  de  V historiographie,  en 
général ,  dans  l'abbaye  de  Caudenberg  ,  et  en  particulier  sur  les 
Analectes  Belgiques.  Mais  il  ne  connaissait  pas  au  juste  les  vues  du 
gouvernement. 

On  n'avait  alors  aucun  plan  arrêté  ,  et  l'on  considérait  l'achève- 
ment des  Acla  Sanctormn  comme  le  terme  auquel  on  pourrait 
commencer  les  Analectes.  Jusque-là  il  ne  s'agissait  que  des  maté- 
riaux. Telles  étaient  les  seules  idées  auxquelles  on  se  fût  fixé. 

Au  surplus  l'intention  du  gouvernement  n'était  pas  d'employer  à 
^historiographie  au-delà  de  la  somme  annuelle  de  1500  florins  ,  à 
laquelle  le  produit  du  fonds  du  Musœmn  Bellarmini  avait  été 
évalué  ;  en  outre  après  un  certain  nombre  d'années  ,  il  ne  devait 
plus  être  question  de  ce  subside  :  de  sorte  que  ,  observe  M.  de 
Kulberg,  il  fallait  faire  que  l'établissement  subsistât  par  lui-même. 

M.  de  Kulberg  témoigne  beaucoup  de  zèle  pour  le  projet  des  Ana- 
lectes ,  accueilli  dans  toute  l'Europe  avec  applaudissement  et  devant 
faire  au  pays  le  pins  grand  honneur.  En  conséquence  il  propose  un 
plan  pour  le  réaliser  ,  plan  sur  lequel  il  avait  conféré  avec  l'abbé  de 
Nélis  qui  était  entièrement  de  son  avis. 

Il  s'agissait  d'abord  de  ne  pas  réduire  l'abbé  Ghesquière  au  simple 
rôle  de  compilateur  pendant  nombre  d'années ,  de  mettre  la  main 
immédiatement  au  travail  de  la  publication ,  et ,  pour  cela ,  de  lui 
associer  quelques  académiciens  habiles  tels  que  M.  de  Nélis  ,  le  baron 
do  Fraula  ,  le  doyen  de  Lierre  ,  Heylen. 

Il   fallait   ensuite  trouver   à  l'abbé    Ghesquière  un  collaborateur 


^^t)MMlSSION    ROYALE    »  HISTOIRE.  455 

habituel,  demeurant  aussi  à  l'abbaye  de  Caudenberg  et  communi- 
quant avec  lui  à  tous  les  instans  de  la  journée.  M.  de  Kulberg  fixe 
son  choix  sur  l'abbé  Lensens  ,  jésuite  ,  qui  avait  été  désigné  en  1772 
pour  travailler  aux  Analectes  Belgiques  et  qui  avait  commencé  dès- 
lors  à  se  livrer  à  ce  travail  avec  l'abbé  Ghesquière.  M.  Warnot ,  abbé 
de  Caudenberg  ,  à  cause  de  son  influence  et  de  sa  bonne  volonté 
devait  être  attaché  également  à  la  commission,  laquelle  serait  présidée 
par  un  commissaire  impérial. 

Suivent  quelques  détails  financiers  ;  tout  est  réglé  avec  une  par- 
cimonie que  permettaient  les  habitudes  et  les  ressources  monastiques. 

M.  de  Kulberg  demandait  des  assemblées  hebdomadaires  du 
comité. 

Il  pensait  qu'en  179S  l'emploi  des  fonds  de  Musœmn  Bellarmini 
pourrait  cesser ,  et  qu'alors  toute  l'entreprise  subsisterait  de  ses  propres 
bénéfices. 

Ainsi  à  V historiographe  Ghesquière ,  serait  substituée  une  société 
de  gens  de  lettres  occupée  de  la  rédaction  des  Analectes  Belgiques. 

—  Rapport  du  même ,  nommé  commissaire  pour  l'établissement 
des  agioraphes  et  historiographes  ,  au  prince  de  Stahremberg , 
7  juillet  1778. 

Ce  rapport  antérieur  à  l'aulre  devenait  inutile. 

On  y  lit  que  les  ci-devant  jésuites  agiographes  et  historiographes 
de  Bie,  de  Bue ,  Hubens  et  Ghesquière  ,  étaient  venus  résider  à 
l'abbaye  de  Caudenberg  ,  pour  se  conformer  aux  vues  du  gouver- 
nement. 

Ils  attendaient  la  remise  des  archives  des  Bollandisles ,  qui  avaient 
été  mises  confusément  et  sans  inventaire  dans  des  caisses  et  transpor- 
tées ainsi  à  Bruxelles.  Cette  remise  devait  s'opérer  par  l'auditeur  de 
la  chambre  des  comptes ,  Gérard  ,  chargé  de  la  vente  des  bibliothè  • 
ques  des  jésuites. 

«  Ces  Messieurs  ,  dit  ce  rapport,  sont  dans  la  plus  grande  inquié- 
»  tude  que  ,  parmi  la  quantité  de  papiers  intéressans  que  renfermait 
Il  leur  bibliothèque  ,  il  n'y  en  ait  d'égarés  et  de  perdus.  Ils  disent 
1)  qu'ayant  continué  de  travailler  pendant  un  an  et  demi  ,  après  la 
»  dissolution  de  leur  ordre,  dans^leur  quartier  de  la  maison  pro- 
)>    fesse,   ils  durent  qnilter    tout  avec  la  plus  grande  précipitation, 

31. 


456  COMMISSION    ROYALE    d'hISTOIRE. 

»  au  moment  où  on  leur  notifia  que  cette  maison  était  destinée  à 
)>  l'Académie  militaire  ,  et  que  depuis  ce  moment  ils  n'ont  plus  été 
»  à  portée  de  savoir  ce  qu'on  avait  fait  de  leurs  livres  et  papiers.  Ils 
»  ajoutent  que,  lorsque  la  remise  sera  faite  de  ce  qui  a  été  trans- 
it porté  d'Anvers  à  Bruxelles  ,  ils  seront  en  état  de  juger  si  le  tout  se 
])  trouve  ,  et  de  désigner  ce  qui  manquera  ,  tant  ils  étaient  fami- 
n    liarisés  par  un  travail  continuel  avec  leurs  livres  et  papiers. 

(1  L'historiographe  Gliesquière  sent  plus  vivement ,  à  ce  qu'il  pa- 
))  raît,  de  l'inquiétude  à  ce  sujet.  Occupé  depuis  huit  ans,  au 
))  moins ,  à  la  recherche  de  tous  les  matériaux  propres  à  l'ouvrage 
1)  intéressant  des  Analectes  B&lgiques ,  il  avait  environ  200  feuilles 
))    de  notes  rassemblées  sur  des  faits  et  des  objets  essentiels. 

»  Il  a  sollicité,  depuis  quelque  temps,  à  ce  qu'on  lui  remît  ce 
))  recueil ,  et  tout  ce  qu'il  a  pu  en  retirer  jusqu'à  présent ,  à  ce  qu'il 
))  assure,  consiste  en  la  feuille  onzième  et  la  quatorzième. 

!)  Il  serait  bien  fâcheux  pour  cet  homme  que  le  fruit  de  tant  de 
)»  travail  fût  en  partie  perdu  et  qu'il  se  trouvât  nécessité  de  recom- 
)>  mencer.  Mais  on  doit  suspendre  tout  jugement  sur  cet  objet ,  jusqu'à 
»  ce  que  la  remise  des  livres  et  papiers ,  sans  inventaire ,  vienne 
»   déterminer  l'état  des  choses.  » 

S.  M.  I.  abandonnait  au  profit  de  l'abbaye  de  Caudenberg  et  des 
agiographes  les  Acta  sanctorum  publiés  ou  à  publier ,  moyennant 
qu'ils  se  chargeassent  de  tous  les  frais  et  dépenses  exigés  pour  cet 
ouvrage. 

Deux  élèves  étaient  aggrégés  aux  PP.  Jésuites  ;  c'étaient  des  re- 
ligieux de  la  maison  :  François-Joseph  Reynders ,  de  Bruxelles  , 
âgé  de  28  ans ,  et  Jean-Baptiste  Fonson ,  aussi  de  Bruxelles ,  âgé 
de  22  ans. 

Suivent  des  détails  sur  l'ordre  du  travail  des  agiographes. 
Les  volumes  des  Acta  sanctorum  étaient  tirés  à  800  exemplaires. 
Ils  se  répandaient  dans  le  monde  à  mesure  qu'ils  paraissaient.  Au 
moment  delà  dissolution  des  jésuites,  il  n'en  restait  dans  le  magasin 
des  agiographes  que  deux  exemplaires  de  chaque  volume  des  mois 
de  janvier ,  février  ,  mars  ,  avril  et  mai  ,  et  une  certaine  quantité 
des  volumes  consacrés  aux  mois  postérieurs  ;  savoir  :  juin ,  juillet  , 
août  et  septembre  ;  en  sorte  qu'il  n'y  en  avait  véritablement  que  deux 
exemplaires  complets. 


COMMISSION    ROYALE    d'hISTOIRE.  457 

C'était  la  coar  de  Vienne  qui  désignait  le  personnage  à  qui  chaque 
lome  serait  dédié ,  et  qui  devait  approuver  le  portrait  sur  toile  que 
faisait  exécuter  le  procureur  des  jésuites  à  Vienne,  en  vertu  des 
ordres  de  l'empereur.  On  gravait  le  portrait  en  Hollande  ,  et  l'on  en 
expédiait  une  épreuve  à  Vienne  pour  y  subir  la  censure  de  la  cour. 

Quant  à  l'ouvrage  lui-même  ,  les  agiograptes  n'admettaient  que  la 
censure  ecclésiasti(jue  ,  et  rejetèrent  constamment  les  prétentions  des 
censeurs  royaux. 

Pour  la  continuation  des  Acta  sanctormn  ,  on  avait  résolu  quel- 
ques réformes  propres  à  abréger  le  travail  ;  mais  on  n'avait  pas  cru 
devoir  les  annoncer,  de  peur  de  discréditer  le  livre.  Par  exemple  , 
on  n'imprimait  plus  textuellement  toutes  les  vies  déjà  imprimées  d'un 
Saint ,  et  l'on  restreignait  les  notes  et  commentaires. 

Au  moment  de  la  suppression  ,  il  y  avait  dans  le  magasin  des 
agiographes  880  pages  déjà  tirées  pour  le  volume  à  paraître.  On  s'o- 
bligeait à  les  compléter  dans  un  an.  Cinquante  volumes  avaient  été 
donnés  dans  l'espace  d'un  siècle  et  demi. 

M.  de  Kulberg  désirait  rattacher  aux  Acta  sanctormn  la  reprise 
et  continuation  des  Analectes  Belgiques, 

—  Avertissement  de  la  continuation  de  Vouvrage  ayant  pour  titre  : 
Acta  sanctormn. 

Cet  avis  était  destiné  au  public. 

Marie-Tliérèse  avait  ordonné  celte  continuation 

Le  dernier  volume  livré  au  public  était  le  troisième  du  mois  d'oc- 
tobre. (  On  sait  que  le  cinquième  volume  du  mois  d'octobre  a  été 
imprimé  à  Bruxelles  en  1786  ,  et  le  sixième  à  Tongerloo  en  179-4  ,  de 
manière  que  la  collection  est  maintenant  composée  de  S3  volumes 
in-folio  (1). 

On  annonçait  en  même  temps  la  reprise  des  Analectes ,  assem- 
blage méthodique  de  matériaux  servant  à  l'histoire  ecclésiastique  et 
civile  de  la  Belgique, 

—  Rapport  du  conseiller  d'état  et  privé  de  Kulberg  au  prince 
de  Stahremberg  sur  l'établissement  des  agiographes  dans  l'abbaye  de 
Caudenberg  ,  1 0  mai  1779. 

(i)  On  conserve  à  la  bibliothèque  de  la  ville  d'Anvers  iia  pages  im- 
primés du  septième  volume  d'octobre. 


458  COMMISSION    ROYALE    D'HISTOfRE. 

M.  de  Knlberg,  dans  sod  rapport  du  15  septembre  même  année  , 
dit  qne  ,  lorsqu'il  rédigea  celui-ci ,  il  ne  connaissait  pas  bien  encore 
les  intentions  du  gouvernement. 

L'adjonction  des  abbés  Lensens  et  Cornet  à  l'abbé  Ghesquière  lui 
semblait  déjà  très-utile. 

—  Idée  de  l'ouvrage  annoncé  en  1773  sons  le  titre  d'Analectes 
Belgiqnes  ,  auquel  l'historiographe  Ghesquière  continue  de  travail- 
ler sous  les  auspices  de  S.  M  V ir.ipératricereine  apostolique  et 
du  gouvernement  général  des  Pays-Bas 

Ce  prospectus  signé  Ghesquière ,  et  daté  de  Bruxelles  le  20 
avril  1779  ,  n'a  point  été  mis  au  jour.  On  y  renvoie  au  programme 
latin  de  1773, 

Le  travail  aurait  été  divisé  en  trois  parties  : 

La  première  aurait  contenu  toutes  les  lechercbes  qui  concernent 
les  provinces  et  les  peuples  des  Pays-Bas,  suivant  leurs  divers  états, 
sous  les  Celtes  ,  les-Romains  ,  les  Francs  ;  sous  les  divers  comtes  , 
ducs  on  seigneurs  particuliers  ;  sous  les  Bourguignons  et  la  maison 
d'Autriche. 

Ces  recherches  devaient  consister  en  plusieurs  dissertations  ,  ori- 
ginales sur  les  comraencemens  ,  le  nombre,  les  dilFérens  noms  et  les 
limites  des  anciens  peuples  des  Pays-Bas  qui  s'y  établirent  en  corps 
de  nation  ;  sur  les  origines  des  villes  et  de  leurs  dépendances  ;  sur 
l'idiome  ,  la  religion ,  les  usages  ,  les  mœurs  ,  les  sciences  ,  les  arts, 
l'agriculture  ,  le  commerce  des  anciens  Belges  ,  et  sur  d'autres  objets 
également  intéressans. 

A  ces  dissertations  aurait  succédé  un  abrégé  chronologique  en  forme 
d'annales  ,  comprenant  le  plus  succinctement  possible  ,  ce  que  les 
auteurs  contemporains  ou  dignes  de  croyance  attestent  avoir  été  fait 
par  les  Belges,  soit  chez  eux,  soit  en  pays  étrangers.  Le  tout  orné 
de  cartes  ,  de  plans  ,  de  médailles  et  d'inscriptions  antiques. 

La  seconde  partie  aurait  été  consacrée  aux  vrais  actes  des  vies- des 
Saints  des  Pays-Bas ,  selon  l'ordre  chronologique.  L'auteur  était 
bollandiste  depuis   1763. 

La  troizième  partie  enfin  aurait  été  composée  de  chroniques  , 
telles  que  celles  de  Nicolas  de  Clerck ,  de  Dinterus .  de  celle  de 
Corsendonck  ,  de  grand  nombre  de  diplômes  inédits  ou  mal  publiés , 
des  anciens  actes  ou  procès- verbaux  de  démarcation  des  limites  ,  etc. 


GOMimssroN  royale  d'histoire.  459 

L'auteur  cite  même  une  de  ces  dernières  pièces  en  français  oflPrant 
la  démarcation  des  anciennes  limites  de  l'empire  et  du  royaume  de 
France  ,  et  qu'il  avait  obtenue  par  la  faveur  de  feu  M.  de  Choiseul , 
archevêque  de  Cambrai. 

Ghesquière  avait  alors  49  ans  ,  ce  qui  l'empêchait  d'espérer 
d'achever  un  si  grand  travail.  Il  proposait  donc  pour  ses  collabo- 
rateurs : 

François  Lensens  ,  prêtre  ,  né  à  Malines  en  1742  ,  établi  dans  la 
même  ville  : 

Philippe  Cornet  ,  prêtre  ,  né  à  Bruxelles  en  1738  ,  établi  à 
Anvers  ; 

Donatien  Dujardin  ,  prêtre,  né  à  Ypres  en  1738  ,  élabli  dans  la 
même  ville  ; 

Jean  de  Mersseman,  prêtre  ,  né  en  1739,  établi  à  Dunkerque  r, 

Corneille  Smet  ,  prêtre  ,  né  à  Morselle  près  d'Alost  en  17-42  et 
élabli  dans  le  même  endroit. 

Mais  Ghesquière  déclarait  que  peu  lui  importait  la  profession  et  le 
pays  de  ses  associés  ,  attendu  qu'il  n'en  exigeait  que  de  la  capacité 
et  un  caractère  conciliant. 

—  Projet  d'une  lettre  que  Ghesquière  enverrait  aux  abbayes  , 
chapitres,  etc.  ,  pour  obtenir  communication  des  manuscrits  ,  titres  , 
diplômes  ,  etc.  ,  qu'ils  possédaient. 

Cette  lecture  terminée,  M.  Gachard  fait  remarquer  qu'il  existe  aux 
archives  du  royaume  des  pièces  de  nature  à  compléter  ces  renseigne- 
mens  ,  et  il  s'engage  à  en  donner  communication. 

Le  même,  au  nom  de  MM.  Holvoet  et  J.-J.  Vermeire  de  Brnges  , 
met  à  la  disposition  de  la  commission  trois  manuscrits.  Le  premier 
est  une  chronique  du  monastère  de  Saint- André  ;  le  deuxième  estin- 
li'ulé  :  Chronicon  comitum  Flandriœ  ^  ab  anno  1321  ,  ad  an- 
num  14-42  ,  incerti  auctoris.  Le  troisième  est  un  recueil  de  pièces 
de  différentes  époques. 

La  commission  vote  des  remercîmcns  h  MM.  Holvoet  et  Vermeire 
et  applaudit  à  leur  zèle  et  à  leur   patriotisme. 

Les  deux  premiers  manuscrits  sont  confiés  à  M.  Warnkœnig  et  le 
dernier  à  M.  de  Reiffenberg ,  pour  en  faire  l'examen. 

La  séance  sera  continuée  demain  à  9  heures  du  matin. 


460  comaiissioN  royale  d'histoire. 

Séance  du  ^S  octobre. 

Présens  tous  les  membres  de  la  commission ,  excepté  M.  l'abbé 
De  Ram. 

Miil.  de  Gerlache,  Warnkoenig  et  Willeras  font  un  rapport  sur 
les  catalogues  des  manuscrits  historiques  ,  lesquels  ont  été  commu- 
niqués par  M.  le  ministre  de  l'intérieur. 

Quoique  de  simples  indications  ,  souvent  d'une  extrême  séche- 
resse, ne  puissent  pas  fournir  beaucoup  de  lumière.  M.  de  Gerlache 
signale  à  l'aftention  de  la  commission  ,  dans  le  catalogue  de  l'uni- 
versité de  Liège ,  les  articles  suivans  : 

N'  18.  P^ita  sancti  Huherti ,  conscripta  per  Adulphum  Has- 
pard.  —  Historia  ahhatiœ  Sti. -Huherti  in  Arduennâ;  anni  1326, 
fol.  pap. 

N°  16-4,  166.  Recueil  de  paix,  privilèges  concernant  le  pays 
de  Liège  (XVI^  siècle). 

N"  183.  Recueil  des  choses  mémorahles  concernantes  le  royaume 
de  Tongres ,  le  pays  de  Liège  et  ses  environs ,  depuis  son  origine 
jusqu'au  commencement  de  Vépiscopat  de  Ferdinand  de  Bavière, 
^X"  èvéque  de  Liège  ,  fait  par  maître  Jean  d' Oustremeuse  ;  le  reste 
extrait  des  chroniques  de  Jean  Dupas,  par  Jean  de  Stavelot , 
jusqu'à  l'an  1626,  fol.  pap. 

N°  186.  Chronique  du  pays  de  Liège  ,  depuis  la  fondation  de 
la  cité  jusqu'à  l'an  1016,  in-folio,  écrit  en  1601. 

M.  Gachard  entretient  ensuite  la  commission  du  catalogue  de  la 
bibliothèque  de  Tournay,  en  ces  termes  : 

Les  manuscrits  de  la  bibliothèque  de  Tournay  sont ,  sur  cette 
liste  ,  au  nombre  de  vingt-sept.  La  plupart  ayant  été  examinés  par 
le  rapporteur  ,  il  y  a  quelques  années  ,  il  se  trouve  à  même  d'en- 
trer dans  des  détails  sur  leur  contenu. 

Les  n"^  2  ,  3  ,  8  ,  10  ,  18 ,  19  ,  21 ,  22 ,  23,  24  et  23  con- 
cernent exclusivement  la  ville  de  Tournay  et  le  Tournaisis.  Ce  sont 
ou  des  collections  de  chartes  et  autres  pièces  en  copie  ,  ou  des  re- 
cueils d'épitaphes,  et  des  notes  historiques  sur  difFérens  sujets,  ou 
des  mémoires  dont  la  plupart  se  rapportent  à  des  époques  et  à  des 
événemens  particuliers,  comme  X Histoire  des  choses  remarquables 
arrivées  à   Tournay,  de  1366  à   1370  (  n°  2);  la  relation  du 


COMMlSSIO-\    ROYALE    d'hISTOIRE.  461 

siège  de  Tournmj  en  1681  ,  écrite  par  un  bourgeois  de  la  ville 
(  n°  3)  ;  le  recueil  de  quelques  particularités  du  siège  de  Tournay 
en  1709  (  n''  19)  ;  des  réflexions  historiques  sur  la  persécution 
exercée  contre  le  chapitre  de  Tournay  en  1710,  1711,  1712, 
par  les  Etats-généraux  des  Provinces- Unies  (n°  22). 

Le  n"  21  ,  Notes  historiques  sur  Tournay  et  le  Tournaisis  par 
Dufief,  contient  bien  un  extrait  de  la  chronique  de  Gilles  li  Muisis  , 
de  1308  à  1330;  mais  ce  manuscrit  étant  du  commencement  du 
11"  siècle,  ou  tout  au  plus  de  la  fin  du  16%  il  ne  paraît  pas  qu'on 
s'en  puisse  servir  utilement. 

Le  n°  5,  Ritmes  et  refrains  des  Tournaisiens  l'an  1-477,  est 
connu  par  la  description  qu'en  ont  donnée  MM.  Dumortier  et  de 
ReifFenberg  ,  dans  les  Nouvelles  archives  historiques. 

Le  n°  9  bis  ,  Projet  de  Vhistoire  de  Tournay ,  par  Sanderus  , 
l'est  également,  grâce  à  la  notice  insérée  par  M.  Dumortier  dans  le 
même  recueil. 

Le  n°  -4 ,  Manuscrit  relatif  à  l'histoire  des  Pays-Bas  ,  depuis 
la  réunion  des  dix-sept  provinces  jusque  vers  la  fin  du  l^""  siècle  , 
n'est  autre  que  l'ouvrage  de  M.  de  Neny. 

Les  n""^  6  et  9  sont  des  recueils  de  coutumes  de  Tournay  et  de 
Tournaisis  ,  qui  n'intéressent  que  la  jurisprudence  ,  de  même  que 
le  n°  l'2.  Arrêts  rendus  au  grand  conseil  de  Malines  ,  etle  n"  13, 
Divers  arrêts  rendus  dans  le  pays. 

Les  n"*  14  et  20  contiennent  des  généalogies  et  des  blasons. 

Le  n°  25  est  un  recueil  formé,  en  1586  ,  d'épitaphes  existantes 
dans  les  églises  de  diftërentes  villes  ,  nommément  Arras  et  Valen- 
ciennes. 

Le  n°  17  offre  une  relation  des  vies  de  saint  Piat  et  de  saint 
Eleutbère  ,  écrites  en  vers  français  dans  l'année  1-479,  par  messire 
Alard  Janvier.  A  la  fin  du  volume  on  lit  : 

Voeilliés ,  Marie  et  Dieu  ,  prier 
Pour  messir  Alard  Janvier. 
Che  livre  cliy  escripsi  neuf 
En  l'an  mil  nil<^  LXXIX. 

Le  n°  11  est  un  hommage  de  félicitation  à  Charles-Quint  sur  sou 


462  COMMISSION    ROYALE    d'hISTOIRE. 

retour  au  Pays-Bas  en  15-40 ,  lorsqu'il  traversa  la  France  pour  pu- 
nir les  Gantois  ,  retour  ardemment  désiré ,  dit  l'écrivain  (  ob  divi 
Caroli  desideratissimum  in  patriam  reditum  aggratulatio). 

Le  n"  15  ,  Chroniques  en  hrief,  commenchant  Van  trente  avant 
la  descente  des  comtes  de  Flandre  et  de  Bourgogne ,  est  une  chro- 
nique rimée. 

Le  n°  27,  P^ieille  Chronique  de  Flandre,  est  un  manuscrit  du 
17*  siècle,  qui  contient  un  extrait  des  antiquités  de  Flandre  par 
PVeilant ,  et  d'autres  fragmens  que  l'on  retrouve  ailleurs. 

La  même  observation  s'applique  au  n°  1*"^  :  Histoire  des  rébel- 
lions des  Flamands  contre  leur  souverain,  jusqu'en  1-450,  et  des 
guerres  de  ceux-ci,  manuscrit  du  milieu  du  16"  siècle. 

Enfin  le  n°  16  est  un  recueil  de  plusieurs  entreprises  et  actions 
de  l'empereur  Charles-Quint  environ  l'an  15-40,  petit  in -8".  Ce 
dernier ,  dit  le  rapporteur ,  mériterait  peut-être  de  figurer  dans  la 
collection  qui  va  être  publiée. 

Le  titre  littéral  est  :  Brief  recueil  de  plusieurs  entreprinses  , 
belles  chasses  et  entrées  faictes  par  la  majesté  impérialle ,  en  pour- 
suivant son  voyage  d'Argeil  [Alger]  environ  VanXF^  quarante, 
et  ce  rédigé  par  escript ,  au  lieu  de  repos ,  par  manière  d'exerci- 
tation ,  par  un  quidam  suivant  sadicte  majesté  en  cherchant  aven- 
tures ,  lequel  n'a  aultres  tesmoings  pris  que  sa  propre  veue  et 
présence.  (  M.  de  Reiffenberg  l'a  cité  dans  ses  particularités  sur 
Charles-Quint  et  sa  cour,  ) 

L'auteur  ne  se  nomme  pas  :  il  dit  seulement  qu'il  avait  été  à  la 
cour  ;  qu'à  Luxembourg  ,  où  la  reine  Marie  prit  congé  de  l'empe- 
reur ,  il  la  quitta  «  pour  veoyr  du  monde  ,  espérant  parvenir  avec 
le  temps  (après  plusieurs  services)  au  nombre  des  gentilshommes 
de  la  maison  de  l'impériale  majesté  [ce  qu'il  fait)  ,  etc.  )•  11  ra- 
conte en  eflPet,  lui-même,  comment  il  obtint  cette  distinction  près 
de  Burgos. 

L'anonyme  nous  fait  accompagner  Charles-Quint  à  Spire ,  à  Nu- 
remberg ,  à  Mayence ,  à  Inspruck  ,  à  Milan ,  à  Paris ,  à  Gênes ,  en 
Afrique,  et,  après  que  son  expédition  eût  manqué,  à  Murcie,  à 
Valladoîid  ,  à  Burgos  ,  aux  royaumes  de  Catalogne  ,  d'Arragon  ,  de 
Valence  et  de  Castille.  Il  raconte  ensuite  son  retour  en  Flandre  par 
l'Italie  et  l'Allemagne ,  enfin  sa  campagne  en  Gueldre  qui  eut  pour 


COMMISSIOÎf    ROYALE    d'hISTOIRE.  463 

résultat  la  conquête  de  cette  province.  C'est  là  que  l'auteur  s'arrête. 

Celte  relation  est  sommaire  ,  mais  intéressante.  L'expédition  d'A- 
frique y  est  plus  détaillée  que  le  reste. 

Le  manuscrit  ,  s'il  n'est  l'original ,  est  du  moins  une  copie  du 
temps. 

Le  rapporteur  termine  en  faisant  observer  qu'il  existe  encore  à  la 
bibliothèque  de  Tournay  un  manuscrit  historique  qui  ne  figure  pas, 
sans  doute  par  oubli ,  dans  la  liste  qu'a  envoyée  le  bibliothécaire. 
Ce  manuscrit  qui ,  dans  le  catalogue  général  de  la  bibliothèque  , 
section  Histoire  -  Littérature  ,  porte  le  n"  19,  et  qui  est  intitulé 
Chroniques  anciennes  ,  serait  peut-être  digne  de  faire  partie  des 
chroniques  de  Flandre;  et,  en  tous  cas,  il  mériterait  d'être  con- 
sulté par  l'éditeur  de  ces  chroniques.  Il  est  de  la  fin  du  IS""  ou  du 
commencement  du  lA"  siècle,  et  renferme  246  chap.  dont  l'avaut 
dernier  précédé  de  cette  rubrique  :  Comment  H  rois  Philippe  de 
Franche  espousa  Marie  seur  li  duc  de  Brahant  et  son  coronément. 

Résolu  que  M.  le  ministre  de  l'intérieur  sera  prié  de  demander 
à  la  régence  de  Tournay ,  pour  être  mis  à  la  disposition  de  la  com- 
mission ,  le  Recueil  des  voyages  de  Charles-Quint  ,  n"  16  de  la 
liste ,  le  n"  17  contenant  les  vies  de  saint  Piat  et  de  saint  Eleuthère  , 
la  chronique  rimée  du  n°  15  ,  et  les  chroniques  anciennes  du  n°  19 
de  la  section  Histoire -Littérature ,  dans  le  catalogue  général. 

M.  Warnkoenig  promet  de  faire  ,  dans  une  prochaine  séance,  un 
rapport  détaillé  sur  le  catalogue  de  la  bibliothèque  de  Gand. 

M.  de  Reiffenberg  se  charge  d'examiner  celui  de  la  bibliothèque 
de  Mons. 

M.  Willems,  après  avoir  parcouru  le  catalogue  de  la  bibliothèque 
de  Bourgogne ,  regrette  que  les  indications  en  soient  d'une  concision 
telle,  qu'on  peut  à  peine  connaître  l'objet  d'un  manuscrit  et  qu'on 
ignore  toujours  s'il  est  sur  parchemin  ou  papier  ,  d'une  époque  ré- 
cente ou  reculée.  Il  s'est  néanmoins  attaché  de  préférence  aux  ar- 
ticles qui  suivent  ; 

POUR  1,'histoire  de  uége. 

8525-8832.  Les  chroniques  de  Jean  d' Outremeuse ,  translaté 
de  latin  en  rouman  franchois ,  4  volumes. 


464 


COMMISSION    ROYALE    D  HISTOIRE. 


10,322.  Chronique  de  Liège  terminée  e»  15-47. 

8336.  Chronique  de  Liège  terminée  à  l'an  1643  ,  -4  volumes. 

POUR    l'histoire    Dn    BRABANT. 

•492-4-4928.  Dinteri  chronicon  ducum  Brabantiœ ,  copie  mo- 
derne. 

8420.  Copie  du  même  qui  a  appartenu  à  Jean  Le  Mire ,  évê- 
que  d'Anvers.  (Voyez  rinfroduction  aux  mémoires  de  Vander  Vynctt , 
édition  du  sieur  Lacrosse.  ) 

5421.  Premier  texte  de  cette  chronique,  texte  autographe,  sui- 
vant le  catalogue ,  ce  qui  est  une  erreur. 

4528.  Autre  copie. 

4485.  Hertogen  van  Lothryck  ,  van  Brabant  en  Limbourg 
(en  vers  flamands). 

4934.  Cronyck  van  Brabant  ende  van  Grimberg. 

5467.  Extrada  è  chronicâ  vetustissimâ  ducum  Brabantiœ. 

1737.  Godefridi  de  Bullione  epistola  ad  papam  de  suâ  ex- 
peditione, 

9976.  Processus  inter  Joannem  ,  ducem  Brabantiœ  et  Jacobam 
de  Bavariâ. 

AQQl .  Anticerpsche  rym-chronxjkje  beginnende  met  hetjaer  837 
tôt  1542. 

6154-6161.  Annales  antuerpienses  ab  anno  1307  ad  1685. 

pocR  l'histoire  de  fla:vdre. 

6590-6265  et  2279.  Iperii  chronicon. 

Les  numéros  4868,  4494,  7952,  7954,  4535,  7953,  2427, 
8370  ,  8315,  7708,  désignés  sous  les  titres  de  chroniques,  d'an- 
nales ou  de  généalogies  ,  paraissent  pouvoir  servir  ;  mais  ,  comme 
ces  renseigneraens  sont  trop  vagues ,  il  faudra  explorer  les  biblio- 
thèques elles-mêmes  pour  constater  leurs  richesses  historiques. 

M.  de  ReiflFenberg  promet  à  M.  Gachard  de  lui  prêter  une  copie 
du  P^oyage  de  Philippe -le -Beau  en  Espagne  ,  par  Antoine  de 
Lalaing ,  laquelle  fait  partie  de  sa  bibliothèque  particulière  et  dont 
il  a  donné  un  extrait  dans  le  premier  volume  de  ses  Archives  Phi- 
lologiques. Il  remarque  que  la  bibliothèque  de  JNamur  possède  un 


COMMISSION    ROYALE    d'hISTOIRE.  465 

manuscrit  précieux  renfermant  Beda  et  presque  tout  Grégoire  de 
Tours ,  et  que  ce  manuscrit ,  qu'il  a  décrit  dans  son  supplément  à 
VArt  de  vérifier  les  dates ,  pourrait  être  utile  au  comité  de  l'his- 
toire de  France  ,  lequel,  sous  les  auspices  du  ministre  de  l'instruc- 
tion publique  ,  prépare  une  nouvelle  édition  de  Grégoire.  Il  ajoute 
que  M.  Guizot  a  bien  voulu  l'assurer  qu'il  favoriserait  de  tout  son 
pouvoir  les  recherches  de  la  commission  ,  et  qu'il  recourrait  à  elle 
chaque  fois  que  les  relations  étroites  de  la  France  et  de  la  Belgique 
pourraient  faire  soupçonner  que  nos  annales  sont  de  nature  à  éclair- 
cir  celles  de  nos  voisins ,  ou  lorsqu'on  éprouverait  à  Paris  le  besoin 
de  consulter  nos  dépôts  littéraires. 

Il  annonce  qu'il  s'est  assuré  que  la  chronique  d'Anchin ,  recher- 
chée par  M.  Warnkoenig,  existe  à  la  bibliothèque  du  roi,  à  Paris, 
et  qu'il  en  fera  faire  une  copie  ainsi  que  des  chroniques  rimées  de 
Philippe  Moustes  ,  de  Gand ,  évêque  de  Tournay  au  IS*^  siècle,  et 
dont  il  n'existe  qu'un  seul  manuscrit. 

Enfin ,  il  déclare  qu'il  est  en  mesure  de  mettre  immédiatement 
sous  presse  le  premier  volume  de  l'ouvrage  dont  on  l'a  chargé. 

MM.  Warnkoenig  et  Willems  rendent  compte  de  quelques  excur- 
sions qu'ils  ont  faites  en  Allemagne  et  en  France ,  dans  l'intérêt  de 
l'histoire  nationale. 

M.  Warnkoenig  dit  qu'il  s'est  activement  occupé  des  travaux  pré- 
paratoires à  la  publication  des  chroniques  latines  de  Flandre. 

Il  a  fait  transcrire  la  chronique  de  Li  Muisis ,  tant  pour  la  par- 
tie imprimée  par  M.  Goethals-Vercruyce  ,  que  pour  le  reste.  Il  a 
en  outre  examiné  le  manuscrit  original ,  qu'il  colîationnera  avec  ces 
copies  lorsque  M.  Goethals,  qui  le  possède,  le  lui  apportera  à  Gand. 
Cette  collation  suffira  pour  mettre  la  chronique  sous  presse. 

Le  rapporteur  désire  pouvoir  faire  graver  quelques-unes  des  belles 
vignettes  qui  ornent  ce  manuscrit  ,  ainsi  qu'un  fac-similé  de  l'é- 
criture. 

Il  s'est  de  plus  occupé  de  la  chronique  des  comtes  de  Flandre , 
publiée  par  les  Bénédictins  dans  le  troisième  volume  du  Thésaurus 
Anecdotorum. 

Il  a  fait  faire  une  copie  du  texte  des  PP.  Martène  et  Durand  , 
en  y  ajoutant  la  pnrtie  manquante  dont  on  doit  la  connaissance  au 
célèbre  Lessing  qui  l'avait  trouvée  dans  un  manuscrit  de  Wolfen- 


466  GOMMISSIOJJ    ROYALE    d'hISTOIKE. 

buttel.  Cette  copie  est  destinée  à  servir  de  base  à  la  collation  d'au- 
tres manuscrits. 

Or ,  trois  manuscrits  ont  fixé  son  attention  :  celui  de  Wolfen- 
buttel  lui-même ,  celui  de  l'ancienne  abbaye  de  Clairmarais  près  de 
Saint-Omer ,  et  enfin  celui  de  la  bibliothèque  de  Bourgogne. 

M.  Warnkoenig  a  écrit ,  à  cet  effet ,  à  Wolfenbuttel  pour  avoir 
le  premier  exemplaire  en  communication.  M.  Sclivenemann ,  le  bi- 
bliothécaire actuel ,  a  offert  obligeamment  ses  services  pour  la  col- 
lation ,  ce  qui  a  paru  suffire.  De  plus ,  un  fac-similé  de  l'écriture 
a  été  demandé. 

M.  Schvenemann  a  aussi  donné  des  renseignemens  sur  d'autres 
manuscrits  relatifs  à  l'histoire  de  Flandre,  qui  se  trouvent  dans  le 
dépôt  dont  il  a  la  garde. 

Au  commencement  du  mois  d'octobre  ,  M.  Warnkoenig  est  allé 
à  St. -Orner  où  se  conservent  les  manuscrits  de  Clairmarais.  La  chro- 
nique désignée  plus  haut  n'était  pas  marquée  sur  le  catalogue  ,  et 
le  bibliothécaire  ne  la  connaissait  pas.  M.  Warnkoenig  a  eu  le  plai- 
sir de  la  retrouver  à  la  suite  d'un  autre  ouvrage  ,  et  il  a  bientôt 
reconnu  que  c'était  le  manuscrit  même  qui  avait  servi  aux  Béné- 
dictins. Les  vingt-deux  premiers  feuillets,  petit  in-folio  ,  ont  été 
écrits  au  commencement  du  13"  siècle  et  finissent  à  la  bataille  de 
Bouvines.  L'écriture  en  est  belle  et  nette.  Les  quatorze  derniers  ont 
été  écrits  après  l'année  1348  ,  où  la  clironique  s'arrête.  Deux  feuil- 
lets ont  été  arrachés,  ce  qui  forme,  entre  les  années  1339  et  1346, 
une  lacune  qui  a  trait  à  l'histoire  d'Artevelde.  L'écriture  et  le  par- 
chemin sont  de  mauvaise  qualité. 

M.  Warnkoenig  a  consacré  deux  jours  à  comparer  ce  manuscrit 
avec  la  copie  qu'il  possédait.  Ce  qui  lui  a  fait  apercevoir  diverses 
variantes  et  de  nombreuses  transpositions  de  mots. 

A  la  même  bibliothèque  de  St. -Orner ,  le  rapporteur  a  découvert 
quatre  pages  écrites  en  961,  et  contenant  des  notices  généalogiques 
sur  les  comtes  de  Flandre ,  avec  une  espèce  de  panégyrique  d'Ar- 
noul-le-Vieux  et  de  son  fils  Baudouin  III.  C'est  sans  contredit  le 
plus  ancien  manuscrit  original  qu'on  ait  sur  l'histoire  des  comtes  de 
Flandre;  aussi  M.  Warnkoenig  s'est-il  empressé  de  le  copier. 

A  son  retour  de  Saint-Omer,  il  s'est  arrêté  un  jour  à  Lille,  où 
il  espérait  trouver  la  chronique  d'Anchin  que  M.  de  Reiffenberg  a 


COMMISSION    ROYALE    D 'HISTOIRE.  467 

vue  à  Paris.  En  fouillant  la  bibliothèque  de  Lille ,  le  rapporteur  y 
a  trouvé  divers  morceaux  curieux  ,  savoir  ; 

I  "  Une  chronique  de  Tournay ,  inédite ,  écrite  au  quatorzième 
siècle,  en  latin,  et  continuée  jusqu'au  dix-septième.  En  voici  le 
titre  : 

Cronica  Tornacensis. 

Prologus  sequentis  operis  incipit. 

Quoniam  traditum  tenemus  primani  constnictionem  civitatis 
Tornacensis  prœstantem  et  memoriâ  dignam  fuisse ,  nobiles,  etc. 

Explicit  prologus. 

Incipit  excerptum  ex  diœcesis  auctoribus  coliectum  Tornacum 
itaque  GaUiœ  Belgicœ  civitatem  antiquissimam  etiam  inter  suas 
finitirnas  civitates  nohilissimam  claruisse ,  etc. 

La  suite  des  évêques  va  jusqu'au  mois  d'août  1S13  ;  mais  on  y 
a  ajouté  les  autres  jusqu'en  16-49.  Le  dernier  est  Franciscus  P^il- 
lanus  de  Gandaro  ex  comitibus  d'Iseghem,  anno  regiminis  tertio. 

2°  Un  MS.  marqué  n°  769  et  provenant  de  l'abbaye  de  Clairma- 
rais.  Hoc  volumen  continet  vitam  sancti  Pétri  Tharentasiensis 
ûrchiepiscopi ,  vitam  B.  M.  de  Ogniaco  et  genealogiam  comitum 
Flandriœ. 

3°  Cronica  comitum  Flandriœ  ab  anno  621  ad  annum  1490. 
E.  G.  n°  3-4  ,  fol.  (Section  d'histoire,  au  catalogue.  ) 

Le  rapporteur  avait  d'abord  pris  ce  dernier  manuscrit  pour  une 
copie  de  la  chronique  des  comtes  de  Flandre  donnée  par  les  Béné- 
dictins ;  mais  un  examen  plus  sérieux  lui  a  prouvé  que  c'était  un 
autre  ouvrage  :  l'histoire  fabuleuse  de  la  Flandre ,  racontée  d'une 
manière  très- circonstanciée.  La  partie  chronologique  n'en  est  pas 
moins  bien  soignée  :  la  grande  chronique  est  précédée  d'une  plus 
abrégée ,  laquelle  va  jusqu'à  Philippe-le-Bon ,  duc  de  Bourgogne  et 
comte  de  Flandre. 

L'auteur  de  cette  histoire  a  souvent  transcrit  des  passages  entiers 
de  la  chronique  des  Bénédictins,  mais  il  a  puisé  encore  dans  d'au- 
tres sources.  M.  Warnkoenig  a  vu  avec  satisfaction  que  le  passage 
donné  par  Lessing  du  manuscrit  de  Wolfenbuttel  se   trouve  égale- 


468  COMMISSION    ROYALE    d'hISTOIRE. 

ment  dans  ce  manuscrit.  Il  s'est  assuré  de  plus  qu'il  a  une  grande 
analogie  avec  celui  de  la  bibliothèque  de  Bourgogne. 

En  conséquence  il  propose  à  la  commission  d'envoyer  quelqu'un 
à  Lille  ,  pour  comparer  la  chronique  des  comtes  de  Flandre  avec  ce 
manuscrit ,  y  copier  les  passages  qui  ne  se  trouvent  pas  dans  la 
première  ,  et  faire  une  transcription  complète  de  la  chronique  de 
Tournay. 

Le  rapporteur  a  à  sa  disposition  un  jeune  homme  sûr  et  intelli- 
gent qui  fera  cette  besogne  à  peu  de  frais.  Car,  de  l'aveu  de  M.  le 
bibliothécaire  de  Lille  ,  il  ne  se  trouve  personne  dans  cette  ville 
qui ,  liabitué  à  lire  les  anciennes  écritures ,  pût  en  tirer  des  copies 
exactes.  D'ailleurs ,  les  manuscrits  de  ce  dépôt  ne  se  prêtent  pas  à 
l'étranger. 

M.  Willems  prend  alors  la  parole  pour  rendre  compte  du  résultat 
de  ses  recherches  à  Cologne. 

Elles  avaient  pour  objet  :  1°  de  prendre  connaissance  des  actes 
et  diplômes  qui  se  trouvent  dans  les  archives  de  cette  ville  ,  rela- 
tivement à  la  succession  du  Limbourg  et  à  la  bataille  de  Woeringen, 
circonstances  dans  lesquelles  Sifrid  de  Westerbourg  ,  archevêque  de 
Cologne ,  s'est  montré  l'adversaire  le  plus  actif  et  le  plus  redoutable 
du  duc  Jean  de  Brabant  (années  1282  à  1289). 

2"  D'inspecter  et  d'explorer  les  anciens  raonumens  et  tableaux 
conservés  au  Musée  de  Cologne,  ou  à  Woeringen  ,  et  qui  ont  con- 
sacré le  triomphe  des  Belges ,  surtout  l'inscription  sur  pierre  dont 
il  est  parlé  dans  le  livre  de  Gelenius  de  Coloniœ  Agrippinensis 
magnitudine. 

M.  Willems  a  constaté  que  les  dépôts  d'archives  des  villes  de 
Cologne  et  d'Aix-la-Chapelle  renferment  un  grand  nombre  de  di- 
plômes émanés  de  nos  ducs  de  Brabant ,  protecteurs  du  commerce 
sur  le  Bhin  et  avoués  supérieurs  de  la  ville  d'Aix.  Quoique  MM.  Ritz 
et  de  Reiffenberg  en  aient  publié  récemment  un  grand  nombre ,  la 
plupart  sont  restés  inédits. 

Le  rapporteur  a  examiné  avec  soin  les  trente  volumes  in-folio  de 
pièces  diverses  ,  déposés  à  l'hôtel- de-ville  de  Cologne  et  connus  sous 
le  nom  de  Farrago  Gelenii ,  ainsi  que  les  anciens  cartulaires ,  re- 
gistres et  documens  de  cette  ville.  Cette  investigation  lui  a  fait  dé- 
couvrir treize  diplômes  inédits  ,  se  rapportant  à  son  travail   sur  le 


COMMISSION    ROYALE    d'hISTOIRE.  469 

poème  de  Van  Heelu  ,  et  qu'il  a  copiés  avec  soin.  La  plus  impor- 
tante de  ces  pièces  est  une  convention  de  paix  et  de  reconciliation 
entre  le  duc  Jean  et  l'archevêque  Sifrid  ,  pour  aplanir  leurs  dis- 
sensions. Tarn  de  occisis  in  conflictu  apud  fVarhn  et  alibi  ubi~ 
cunque ,  captivis  ,  exactionihus ,  incendiis  ,  damnis  et  rapinis 
quant  etiam  de  destructionibus  castrorum ,  oppidorum  et  specia- 
liter  (dit  l'évêque  ,  fait  prisonnier  dans  la  bataille)  occasione  cap- 
tivitatis  nostrœ. 

Une  ancienne  chronique  de  Bello  TT^oeringensi  ex  libro  manus- 
cripto  monasterii  prœdicatorum  Coloniensis ,  que  Gelenius  a  con- 
servée dans  le  seizième  volume  de  sa  collection,  n'a  pas  moins  at- 
tiré l'attention  du  rapporteur.  Il  regrette  de  n'avoir  pas  eu  le  temps 
de  copier  d'autres  que  celles  pour  lesquelles  il  s'était  rendu  à  Co- 
logne. Cependant  il  se  félicite  de  la  promesse  qu'a  bien  voulu  lui 
faire  M.  Fuchs  ,  secrétaire  de  la  municipalité  de  cette  ville  ,  de 
transmettre  incessamment  à  M.  Warnkoenig  une  liste  complète  des 
chartes  des  ducs  de  Brabant  que  renferme  le  dépôt  confié  à  ses  soins. 

Quant  aux  monumens  non  écrits ,  voici  ce  que  M.  Willems  a 
trouvé.  Au  rapport  de  l'ancienne  chronique  de  Cologne,  imprimée 
par  Koelhof  en  1499  ,  les  habitans  de  cette  ville  ,  pour  perpétuer  le 
souvenir  d'une  victoire  qui  avait  rendu  la  liberté  à  leur  commerce 
érigèrent  en  1288,  et  peu  de  temps  après,  une  église  en  l'honneur 
de  saint  Boniface  { car  c'était  le  jour  de  la  fête  de  ce  saint  que  la 
bataille  avait  eu  lieu).  Cette  église  ou  chapelle  n'existe  plus,  mais 
l'inscription  autrefois  placée  au-dessus  de  la  porte  de  cet  édifice  se 
conserve  encore  au  musée.  C'est  une  simple  pierre  de  six  à  huit 
pieds  de  long  ,  sans  ornemens  et  sans  figures.  On  y  lit  en  grands 
caractères  gothiques  du  temps  :  Anno  M.CCLXXXVIII  fuit 
prœlium  in  PForingen  et  hoc  in  Sabath  (sic). 

Les  huit  tableaux  de  la  même  bataille  ,  exposés  dans  ce  musée 
ne  méritent  aucune  attention.  Us  ont  été  peints  vers  1600  par  Jean 
Van  Aken ,  et  sont  entièrement  de  son  invention.  Nos  Brabançons 
y  sont  représentés  avec  des  canons  et  des  arquebuses  !  ! 

Lorsque  Jean  I" ,  le  Victorieux ,  fit  son  entrée  à  Cologne  le  len- 
demain de  la  bataille  ,  les  habitans ,  dans  leur  reconnaissance  pour 
les  services  que  venait  de  leur  rendre  ce  ])rince  ,  le  proclamèrent 
bourgeois  de  la  ville  ,  et  lui  firent  présent  d'un  magnifique  hôtel , 
T.  X.  32 


470  COMMISSION    ROYALE    d'hISTOIBE. 

nommé  depuis  la  cour  de  Brahant ,  avec  droit  de  franchise  et  d'a- 
sile. Le  rapporteur  a  reconnu  que  l'emplacement  de  ce  palais  est 
maintenant  occupé  par  les  deux  maisons  marquées  n°*  2119  et 
2120  ,  près  de  la  cathédrale,  dans  la  rue  dite  AmHof  (à  la  cour). 
Les  anciens  titres  de  ces  propriétés  attestent  qu'il  a  fallu  ,  à  chaque 
aliénation  du  bien,  obtenir  une  homologation  du  conseil  de  Brabant. 

Quant  à  Woeringen,  il  n'y  existe  plus  aucun  monument  de  la 
bataille.  On  n'y  avait  aucune  connaissance  du  missel  où  était  inscrit 
le  nombre  des  morts  et  des  blessés  ,  selon  la  chronique  de  Ster- 
revian  Cornerus  (Eccard,  Corpus  hist.  ntedii  œvi ,  t.  IV,  p.  938); 
seulement  M.  Willems  a  pu  s'assurer  que  la  bataille  a  eu  lieu  dans 
une  bruyère  nommée  die  Fuhlingerheyd. 

La  commission  ,  après  avoir  entendu  ces  détails  ,  décide  qu'il 
sera  écrit  à  M.  Lavallée,  à  Liège  ,  pour  l'engager  à  communiquer 
les  monumens  historiques  qu'il  rassemble  et  dont  il  fait  un  usage 
éclairé. 

Après  avoir  pris  l'avis  de  plusieurs  p  rsonnes  versées  dans  la  pra- 
tique de  la  typographie,  la  commission  arrête  l'avis  qui  sera  inséré 
dans  les  journaux  et  adressé  aux  imprimeurs.  Cet  avis  sera  de  la 
teneur  suivante  : 

«  La  commission  royale  d'histoire  invite  ceux  de  MM.  les  im- 
i>  primeurs  qui  désireraient  entreprendre  l'impression  des  Chroni- 
H  ques  belges ,  à  remettre  leur  soumission  cachetée  ,  aux  archives 
■!i    du  royaume  ,  avant  le  30  novembre  prochain, 

»  La  soumission  devra  indiquer  le  prix  par  feuille ,  d'après  con- 
)»   ditions  suivantes  : 

)>    L'ouvrage  sera  in-^". 

))  Il  sera  tiré  à  500  exemplaires  sur  papier  d'Annonay ,  1'"  qua- 
»  lité  (c'est-à-dire  sur  papier  fabriqué  dans  le  pays  à  l'imitation  de 
))    celui  d'Annonay  ). 

)i  Le  caractère  choisi  pour  le  corps  de  l'ouvrage  est  le  cicero  ; 
«  mais  la  poésie  sera  en  petit-romain  ou  en  petit-texte  ,  de  même 
)>  que  les  notes  et  les  pièces  justificatives.  Les  notes  marginales  se- 
rt   ront  en  mignonne. 

))  Tous  les  caractères  à  employer  devront  être  neufs.  Le  soumis- 
«  sionnaire  s'obligera  à  en  avoir  une  quantité  suffisante  pour  pou- 
»    voir  imprimer  trois  volumes  à  la  fois. 


COMMISSION    ROYALE    d'hISTOIRE.  471 

»   Le  prix  sera  établi  sans  distinction  des  caractères. 

>'  II  comprendra  les  corrections  ,  remaniemens  et  tous  autres  frais 
»    relatifs  à  l'impression. 

»    L'imprimeur  sera  tenu  de  fournir  au  moins  trois  épreuves. 

))  La  collection  des  Chroniques  belges  est  supposée  devoir  former 
»   20  à  25  volumes  in-4*.  » 

Plus  rien  n'étant  à  l'ordre  du  jour ,  la  prochaine  séance  est  fixée 
au  premier  samedi  de  décembre  ,  à  midi. 

Pour  extraits  conformes  : 

Le  secrétaire  de  la  commission  , 

Baron  de  Reiffeivbkbg. 


472 


VVVVC'Vfc'VVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVV  VVVVVVVVVVV\VVVVV\'VVVVVVVVVV\AfVV^ 


MÉLANGES.  —  Novembre  1834. 

Recherches  sur  la  langue  des  Siamois.  —  Statistique  des  journaux.  — 
S.  Vincent  de  Lerins.  —  Discours  de  Mgr.  Mai  sur  la  ressemblance 
des  anciennes  sociétés  secrètes  avec  les  nouvelles.  —  Publication  de 
trois  sermons  inédits  de  S.  Ambroise ,  par  le  P.  Léandre  Corrieri.  — 
Voyage  de  Pie  VII  à  Gênes  en  i8i5  ,  par  le  card.  Pacca.  —  Orai- 
son funèbre  de  M.  Fan  Gils  ,  par  M.  le  prof.  Wilmer.  —  Académie 
de  Bruxelles  ,  séance  du  22  novembre.  —  Nouv.  édition  de  St.  Augustin. 

—  M.  Palegoix,  missionnaire  français  à  Siam ,  écrit,  à  la  date 
de  1833,  à  la  Société  géographique  de  Paris,  pour  se  mettre  en 
rapport  avec  elle  ;  il  annonce  qu'il  va  parcourir  le  royaume  de  Siam 
et  les  cinq  petits  états  laociens  qui  en  sont  tributaires  ;  il  demande 
qu'on  lui  envoie  des  cartes  du  pays  pour  qu'il  puisse  les  contrôler 
et  les  rectifier.  Dans  l'état  présent ,  à  peine  il  arrive  à  Siam  un  na- 
vire de  Singapore  ,  ce  qui  isole  complètement  cette  contrée,  et  la 
maintient  dans  la  plus  profonde  ignorance.  M.  Pallegoix  s'occupe 
de  composer  un  dictionnaire  siamois  et  une  grammaire  de  cette 
langue  ;  il  a  déjà  recueilli  20,000  mots ,  mais  il  lui  faudra  encore 
trois  ou  quatre  ans  pour  achever  ce  travail.  Il  fera  les  mêmes  re- 
cherches sur  la  langue  de  Laos ,  qui ,  du  reste ,  a  presque  tous  les 
mots  siamois  ,  avec  quelque  altération  et  une  prononciation  diffé- 
rente ;  en  même  temps  il  s'occupe  d'un  vocabulaire  de  la  langue 
hâli ,  langue  sacrée  des  Siamois. 

Le  Laos  est  un  pays  à  peu  près  inconnu  en  Europe.  M.  Pallegoix 
se  propose  de  pénétrer  jusqu'à  Vieng-Chaune ,  la  ville  royale  de  la 
lune.  La  nation  laocienne  se  divise  en  trois  tribus  :  Fhoung-Khao 
(ventre  blanc) ,  Phoung-Dam  {\entve  noir) ,  Phoung-Khio  (ventre 
vert).  La  première  ne  se  tatoue  pas  ,  la  deuxième  se  tatoue  en  noir, 
et  la  troisième  en  vert.  On  a  écrit  jadis  qu'il  n'y  avait  pas  de  vo- 
leurs parmi  les  Laociens  ,  mais  il  faut  croire  que  quelque  civilisa- 
tion s'est  infiltrée  parmi  eux  ,  car  la  ville  royale  delà  lune  est  presque 
constamment  troublée  par  des  pillages  que  les  autorités  ont  peine 
à  empêcher. 


MÉLANGES.  473 

—  Le  nombre  des  journaux  ,  celui  de  leurs  abonnés ,  mis  en  com- 
paraison avec  les  populations ,  forment  deux  bases  d'appréciation 
des  habitudes  de  lecture  d'une  nation.  En  calculant  ainsi  ,  on  trouve  : 
à  Rome  ,  1  journal  sur  31,000  liabitans  ,  à  Madrid  ,  1  sur  50,000, 
à  Vienne  sur  11,338  ,  à  Londres  sur  10,600  ,  à  Berlin  sur  4,074-, 
à  Paris  sur  3,700,  à  Stockholm  sur  2,600  ,  à  Leipsick  1,100.  Le 
reste  du  pays  suit  la  même  proportion  que  la  capitale.  Il  existe  en 
Espagne  un  journal  sur  864,000  habitans  ;  en  Russie  1  sur  684,000  ; 
en  Autriche  ,  sur  376,000  ;  en  Suisse  ,  sur  66,000  •  en  France, 
sur  52,000  ;  en  Angleterre,  sur  46,000  ;  en  Prusse,  sur 43,000; 
dans  les  Pays-Bas ,  sur  40,000. 

C'est  en  France  qu'un  journal,  pris  isolément,  réunit  le  plus 
d'abonnés.  Mais  il  n'en  est  pas  de  même  quand  on  compare  le  nom- 
bre des  abonnés  avec  la  population.  D'après  M.  Quetelet ,  il  y  a 
en  France  un  abonné  sur  437  habitans,  en  Angleterre,  sur  184; 
dans  les  Pays-Bas  ,  sur  100. 

—  Sur  les  beaux  rivages  de  la  Bléditerranée  ,  à  deux  ou  trois  lieues 
d'Antibes ,  il  est  une  île  que  d'antiques  ruines  couvrent  de  toutes 
parts  ;  c'est  Lérins ,  où  ,  vers  l'an  410,  saint  Honorât,  qui  avait 
conversé  avec  les  solitaires  de  la  Thébaïde  ,  fonda  ,  à  l'imitation  des 
monastères  de  l'Orient ,  cette  glorieuse  abbaye  qui  donna  à  l'Eglise 
douze  archevêques ,  douze  évêques  et  plus  de  cent  martyrs.  Per- 
sonne avant  lui  n'avait  voulu  habiter  cette  île ,  parce  qu'elle  était 
peuplée  de  toutes  sortes  de  reptiles  venimeux.  Saint  Honorât ,  qui 
ne  cherchait  pas  les  commodités  de  la  vie  présente,  mais  la  morti- 
fication de  tout  ce  qui  peut  flatter  les  sens ,  jugea  que  cette  plage 
infréquentée  serait  très-propre  à  sa  pieuse  entreprise.  Il  y  débarqua 
avec  ses  compagnons. 

C^est  à  Lérins ,  dans  cette  académie  de  sainteté  ,  cette  ile  bien- 
heureuse ,  cette  terre  des  miracles ,  cette  île  des  saints ,  celte  de 
meure  de  ceux  qui  vivent  en  Christ  (1),  que  saint  Vincent  vint 
prendre  l'habit  monastique,  et  qu'il  fut  élevé  a  la  dignité  du  sacer- 


(i)  C'est  ainsi  que  ront  a])pcléc  saint  Hilaire  d'Arles,  saint  Césaire, 
Sidonius  de  Clermont ,  etc.  Voyez  Gallia  Chiistiana ,  tom.  u. 


474  MÉL/VMGES. 

doce.  <i  Long-temps  ballotte ,  dit-il  dans  le  prologue  de  son  Com- 
monitorium  peregrini  ,  par  les  rudes  et  divers  tourbillons  de  la  vie 
séculière,  je  me  suis  enfin  abrité  au  port  de  la  religion,  refuge  hos- 
pitalier des  misères  humaines.  Là ,  déposant  toute  pensée  d'orgueil 
et  de  vanité  ,  apaisant  Dieu  par  le  sacrifice  de  l'humilité  chrétienne, 
je  cherche  à  éviter  non-seulement  les  naufirages  de  la  vie  présente  , 
mais  encore  les  flammes  de  la  vie  future.  »  Les  détails  de  sa  vie  sont 
enveloppés  d'une  obscurité  séculaire  qu'on  n'a  pu  parvenir  à  dissiper 
entièrement.  Il  paraît  cependant  qu'il  avait  suivi  d'abord  la  profes- 
sion des  armes  ,  et  qu'ensuite  il  occupa  dans  le  monde  des  emplois 
distingués.  Sa  première  éducation  avait  été  soignée  ;  il  était  instruit 
dans  les  lettres  humaines  et  y  avait  fait  de  grands  progrès.  Arrivé  au 
monastère ,  il  étudia  les  saintes  Ecritures  ,  lut  les  ouvrages  des  Pè- 
res,  et  devint  un  théologien  profond.  Gennade ,  dans  ses  Hommes 
illustres  ,  le  représente  comme  un  homme  d'une  sainteté  rare  ,  d'une 
grande  éloquence  ,  et  éminemment  versé  dans  les  sciences  ecclésias- 
tiques. L'ouvrage  le  plus  remarquable  qu'ait  publié  Vincent  est  in- 
titulé :  Commonitorium  peregrini  ,  Commonitoire  du  pèlerin.  Cet 
ouvrage  ,  d'une  juste  et  sévère  dialectique,  a  toujours  été,  pour  les 
dissidens  de  bonne  foi ,  le  guide  qui  les  a  ramenés  au  sein  de  la  vé- 
ritable Eglise. 

Vincent  composa  le  Commonitorium  en  434  ,  trois  ans  après  le 
concile  d'Ephèse ,  où  le  nestorianisme  fut  condamné.  Il  existe  un 
grand  nombre  de  traductions  de  ce  petit  et  admirable  livre  ,  mis  avec 
raison  au  rang  de  ce  qui  nous  reste  de  plus  excellent  de  l'antiquité . 
Le  père  Labbe  le  qualifie  de  livre  d'or ,  et  Bellarmin  ,  à  cause  de  sa 
brièveté,  l'appelle  Mole  parvum  ,  sedvirtute  maximum. 

Par  une  de  ces  fatalités  qu'il  faut  peut-être  expliquer  par  l'hu- 
milité même  de  saint  Vincent,  cet  illustre  solitaire  dont  le  livre  de- 
vait avoir  un  si  long  retentissement ,  est  mort  presque  inconnu  au 
monde  sous  le  règne  de  Théodose  et  de  Valentinien.  —  Le  Catholi- 
que ,  magasin  religieux  ^  du  28  octobre. 

—  Le  1 1  octobre  ,  l'Académie  de  la  religion  catholique  termina  sa 
séance  de  l'année  par  une  réunion  brillante  (  ci-dessus  p.  382  ) ,  dans 
laquelle  le  savant  M.  Mai ,  secrétaire  de  la  Propagande ,  prononça  un 
discours  pour  montrer  la  ressemblance  et  la  liaison  des  anciennes  so- 


MÉLANGES.  475 

cîétés  secrètes  avec  les  nouvelles.  L'autenr  fit  voir  que  les  manx 
arrivés  de  1790  à  1815  sont  dus  aux  manœuvres  de  ces  sectes  fa- 
vorisées par  une  terrible  révolution.  M.  Mai  passa  en  revue  les  an- 
ciennes sectes  ,  leurs  mystères  et  leurs  impostures.  11  parla  des  sectes 
grecques  et  asiatiques  ,  des  druides  ,  des  superstitions  égyptiennes , 
des  aruspices ,  des  devins  ,  des  astrologues  et  des  charlatans  de  toute 
espèce  qui  trompaient  les  peuples.  De  là  l'orateur  passa  aux  sectes 
hérétiques  et  à  leurs  turpitudes.  Comparant  les  sectes  nouvelles  avec 
les  anciennes  ,  il  fit  voir  que  de  part  et  d'autre  c'était  la  même  hy- 
pocrisie ,  la  même  dissimulation  ,  la  même  ténacilé  à  garder  leur 
secret.  Ces  sectes  nouvelles  ont  été  frappées  par  les  lois  du  prince 
et  surtout  par  les  Papes  ;  mais  elles  n'en  ont  pas  moins  continué 
dans  l'ombre.  M.  Mai  se  proposait  d'opposer  à  ce  tableau  celui  de 
la  religion  et  de  la  société  catholique  ;  mais  ,  vu  l'heure  avancée , 
il  se  contenta  de  parler  des  anciens  et  des  nouveaux  apologistes  de 
la  religion,  parmi  lesquels  il  cita  l'ouvrage  publié  autrefois  par  le 
Pape  régnant.  Ce  discours  fut  fort  applaudi  par  les  cardinaux ,  pré- 
lats et  autres  personnages  de  distinction  qui  étaient  présens. 

—  Le  père  Léandre  de  Corrieri,  auteur  d'un  ouvrage  latin  sur  le 
reliques  de  la  Passion,  annoncé  ci-d.  tom  IX  ,  p.  569  ,  vient  de  pu- 
blier ,  avec  des  notes  et  observations  critiques  trois  sermons  attri- 
bués à  saint  Ambroise.  11  a  trouvé  ces  sermons  dans  un  ancien  ma- 
nuscrit de  la  bibliothèque  sessorienne  ;  ils  portent  le  nom  de  saint 
Ambroise  sans  plus.  Le  savant  éditeur  a  entrepris  de  prouver  par 
des  conjectures  d'une  saine  critique  qu'il  s'agissait  là  de  l'illustre 
archevêque  de  Milan.  Le  soin  de  tirer  de  la  poussière  des  bibliothè- 
ques les  ouvrages  des  Pères  et  des  Docteurs  de  l'Eglise  devient  encore 
plus  estimable ,  quand  on  sait  les  enrichir  de  notes  pleines  d'érudi- 
tion. C'est  ce  qu'a  fait  le  père  Léandre  de  Corrieri  avec  beaucoup 
d'habileté.  L'ouvrage  est  un  volume  in-4°,  dédié  à  M.  le  cardinal 
deBrignole;  il  est  sorti  de  l'imprimerie  des  Beaux-Arts,  rue  m 
Arcione. 

—  Ou  vient  de  réimprimer  à  Modène  la  Relation  du  voyage  de 
Pie  VU  à  Gênes  dans  le  printemps  de  1815,  in-B"  ,  183-4.  C'est 
un  opuscule  qui  fait  partie  des  mémoires  de  M.  le  cardinal  Pacca  , 


476  MÉLANGES. 

et  qui  fait  désirer  que  Son  Eminence  publie  le  reste  de  l'ouvrage. 
On  a  déjà  de  cet  illustre  doyen  du  sacré  Collège  des  Mémoires  sur 
la  nonciature  du  Rhin ,  et  les  Mémoires  sur  son  ministère  et  sur 
son  séjour  en  France.  Ces  derniers  mémoires  ont  été  traduits  en 
français  et  il  y  en  a  même  eu  deux  traductions ,  la  première  par  l'abbé 
James  ,  imprimée  à  Caen  ,  et  la  seconde  par  M.  J.  F.  Queyras  ,  im- 
primée à  Lyon  et  réimprimée  à  Louvain.  On  avait  annoncé  une 
traduction  des  Mémoires  sur  la  nonciature  du  Rhin  ;  nous  ne  croyons 
pas  qu'elle  ait  encore  paru.  Il  resterait  aussi  à  traduire  la  Relation 
du  voi/age  à  Gênes ,  dont  nous  venons  de  parler ,  ouvrage  d'autant 
plus  intéressant ,  que  l'auteur  remplissait  encore  alors  les  fonctions 
de  secrétaire  d'état.  Les  œuvres  historiques  du  cardinal  sont  d'ail- 
leurs marquées  au  coin  d'une  sévère  exactitude  et  d'une  sage  im- 
partialité. 

—  Lykrede  op  de  plegfige  Uitvaart  van  den  îiitmuntenden  zeer 
eerwaardigen  Hooggeleerden  Heer  den  Heer  Anthonics  Van  Gils  , 
Président  aan  het  Seminarie  van  'S  Hertogenhosch  te  Herlaar , 
onder  St.-Michiels-Gestel ,  den  20  Juny  1834  ,  uitgesproken  door 
den  T'Veleerwaarden  Heer  G.  P.  Wilmer  ,  Professor  der  H.  Gods- 
geleerdheyd  aan  het  voornoemd  Seminarie.  Bois-le-Duc  ,  chez 
Van  Gemert ,  56  pag.  in-8°  (1).  La  publication  de  ce  discours  si 
riche  de  détails  doit  être  considérée  ,  non-seulement  comme  un  hom- 
mage rendu  à  la  mémoire  du  vénérable  défunt ,  mais  aussi  comme 
un  fragment  précieux  pour  l'histoire  ecclésiastique  de  notre  époque. 
L'auteur  n'a  rien  omis  de  tout  ce  qui  avait  rapport  à  son  sujet  ; 
il  nous  fait  connaître  la  sagesse  et  les  talens  de  M.  Van  Gils  ,  son 
zèle  dans  les  fonctions  ecclésiastiques  ,  sa  fermeté  inébranlable  dans 
les  souflFrances  et  les  persécutions. 

Dans  les  notes ,  pag.  -47  et  48  ,  l'auteur  indique  deux  écrits  de 
M.  Van  Gils  qui  n'ont  pas  été  mentionnés  ci-d.  p.  100  :  De  twee 
Cosijns  ,  eenvoudige  Samenspraeken  over  de  Religie-zaeken  van 
dezentyd,  Louvain  1796 ,  in-12  ;  on  y  trouve  p.  16  la  déclaration 


(i)  Se  trouve  à  Louvain  chez   Vanlinthodt  et   Vandenzande  ,  prix 
fr.   i-a5 


MÉLANGES.  477 

énergique  du  17  janvier  179S ,  par  laquelle  la  faculté  de  théologie 
notifie  à  la  municipalité  de  Louvain  son  refus  d'assister  à  l'ouverture 
du  Temple  de  la  Raison.  En  1797,  à  l'occasion  de  la  fameuse  dé- 
claration ,  M.  Van  Gils  publia  l'écrit  suivant  qui  a  été  traduit  en 
flamand  :  Motifs  de  Conscience,  qui  empêchent  les  ministres  du 
culte  catholique  de  faire  la  déclaration  exigée  par  la  loi  du  7  ven. 
démiaire  an  IV  ^  «  je  reconnais  que  l'universalité  des  citoyens 
français  est  le  souverain  /  et  je  promets  soumission  et  obéissance 
aux  lois  de  la  république.  »  La  seconde  édition  a  88  pag,  in- 12  ; 
l'auteur  y  combat  les  écrits  de  MM.  Ernst  curé  d'Afden ,  et  Holea 
arcbi  prêtre  de  Malines. 

Dans  une  prochaine  livraison  nous  donnerons  une  lettre  inédite 
de  M.  Van  Gils  sur  les  propositions  gallicanes  de  1682,  qu'il  eut 
la  bonté  de  nous  communiquer  en  1826. 


ACADÉÎIIE    ROYALE    DE    SCIENCES    ET    BELtES-LETTRES SéanCe    du 

22  novembre  183-4.  —  M.  Quetelet  occupe  le  fauteuil  ;   M.  le  baron 
Reifîenberg  remplit  les  fonctions  de  secrétaire. 

Présens  vingt-cinq  membres ,  dont  cinq  correspondans. 

Lecture  est  donnée  du  procès -verbal  de  la  séance  précédente  et 
de  la  correspondance. 

M.  le  ministre  de  l'intérieur  adresse  à  l'Académie  les  procès-ver- 
baux de  la  commission  des  Chroniques  belges  inédites. 

L'Académie  de  Naples  exprime  le  désir  d'entrer  en  relation  avec 
la  Société. 

M.  Sylvestre  de  Sacy  remercie  l'Académie  do  titre  de  correspon- 
dant qu'elle  lui  a  décerné. 

MM.  Cauchy ,  de  Reiffenberg ,  de  Gerlache  ,  Fohman  et  Damor- 
tier  présentent  divers  rapports  sur  des  Mémoires  qui  ont  été  renvoyés 
à  leur  examen. 

M.  Lejeune  donne  lecture  d'une  notice  sur  plusieurs  espèces  du 
genre  Nasturtium  à  ajouter  à  la  Flore  Belgique.  Impression  dans  le 
Bulletin. 

M.  A.  Dumon  lit  une  notice  sur  la  formation  des  volcans  éteints 
de  l'Eiffel  (  dans  les  Ardennes  de  Prusse  ) ,  qu'il  a  observée  pendant 
son  dernier  voyage  géologique.  Impression  dans  le  Bulletin. 
T.  X.  33 


478 


MELANGES. 


M.  Dandelin  annonce  un  Blémoire  sur  la  lumière  qu'il  présen- 
tera à  la  prochaine  séance. 

M.  Fohman  annonce  une  Notice  anatomique  sur  le  serpent  ap- 
pelé AcLirocord  [Achrocordus  Javanicus). 

M.  Dumortier  donne  lecture  d'une  Notice  sur  le  genre  Maclenia 
de  la  famille  des  Orchidées. 

M.  de  Reiffenherg  commence  la  lecture  de  son  cinquième  Mé- 
moire sur  les  deux  premiers  siècles  de  l'université  de  Louvain. 

M.  A.  Dumon  fait  part  à  l'Académie  de  son  projet  d'effectuer 
la  carte  géologique  de  Belgique  d'après  les  mêmes  dimensions  que 
celles  de  France  et  d'Angleterre.  L'Académie  décide  qu'elle  prêtera 
son  concours  à  cette  proposition. 

M.  Fohman  communique  des  observations  sur  les  tissus  élémen- 
taires des  animaux ,  et  présente  diverses  pièces  anatomiques  à  l'ap- 
pui de  son  opinion. 

L'Académie  procède  à  la  nomination  du  secrétaire  perpétuel ,  en 
remplacement  de  M.  Dewez ,  décédé.  Sur  20  votans  M.  Quetelet 
obtient  19  sufî'rages  (l).  En  conséquence  il  est  proclamé  secrétaire 
perpétuel;  sa  nomination  sera  soumise  à  l'agréation  du  Roi. 

OUVRAGES    PRÉSENTÉS. 

M.  Schmerling  présente  son  3*^  recueil  d'ossemens  fossiles. 

M.  P^illermé ,  son  Mémoire  sur  la  population  de  la  Giande- 
firetagne. 

M.  F^alerius ,  sa  traduction  des  Elémens  de  chimie  de  Michelli. 

M.  Barlot  j  ses  Recherches  sur  les  lantilles  achromatiques. 

M.  C  V^erdyen ,  son  Manuel  d'antiquités  grecques. 

M.  V^an  Housenhrouck ,  son  Mémoire  sur  les  causes  de  l'ophtal- 
mie de  l'armée. 

—  On  vient  de  publier  à  Paris  le  prospectus  d'une  édition  du  livre 
de  la  Cité  de  Dieu ,  de  saint  Augustin.  L'éditeur  commence  par  un  juste 
éloge  de  cette  importante  production. 

«  Voici ,  dit-il ,  un  livre  qui  n'a  pas  besoin  de  nos  éloges  pour  être 
accueilli  favorablement.  Le  nom   de   saint  Augustin   porte  avec  soi  sa 

(i)  On  remarquera  que  M.  Quetelet  a  été  nommé  à  l'unanimité,  puis- 
qu'il ne  lui  a  manqué  que  sa  voix. 


MÉLANGES.  479 

recommandation ,  et  tout  le  monde  sait  que  la  Cité  de  Dieu  est  le  plus 
important  ouvrage  de  ce  grand  évêque....  Dans  quel  autre  trouver  plus 
de  variété^  plus  d'érudition,  plus  d'éloquence  ?  Tout  y  entre  :  histoire, 
philosophie  ,  politique  ,  religion  ;  et  tout  s'enchaîne ,  tout  s'explique  , 
tout  marche  au  but  avec  ordre ,  précision,  clarté...  Qu'est-ce  donc  que 
ce  livre  ?  c'est  un  écrit  polémique.  Après  la  défaite  des  armées  romaines 
par  Alaric ,  tout  ce  qu'il  y  avait  d'hommes  restés  Bdèles  au  culte  du 
passé  se  répandit  en  plaintes  amères  contre  les  chrétiens.  Ils  attribuaient 
les  malheurs  publics  au  renversement  des  autels  de  Jupiter  et  des  autres 
dieux  protecteurs  de  l'empire.  Ils  demandaient  compte  à  la  religion  nou- 
velle de  l'Italie  asservie  à  un  ennemi  méprisé  et  de  Rome  saccagée  par 
les  Barbares.  Saint  Augustin  répondit  par  la  Cité  de  Dieu,  et  sa  réponse 
est  demeurée  sans  réplique.  Ce  livre  est  l'explication  du  mystère  de  la 
Providence  dans  la  dispensation  des  biens  et  des  maux  ;  c'est  l'histoire 
delà  philosophie  et  aussi  la  philosophie  de  l'histoire;  c'est  une  piquante 
biographie  des  3o  mille  dieux  selon  Varron  ;  c'est  l'exposition  la  plus 
lucide  et  la  plus  savamment  raisonnée  des  preuves  de  la  divinité  du  chris- 
tianisme ;  c'est  en  un  mot  le  jugement  dernier  de  l'antiquité  païenne , 
et  l'établissement  déBnitif  de  la  croix  au  sommet  du  Capitule. 

»  Lisez  ce  livre ,  vous  tous  qui  ne  connaissez  de  saint  Augustin  ni  le 
génie  pénétrant ,  ni  la  vaste  science  ;  vous  qui ,  dans  ce  siècle  fatigué 
du  doute  et  de  l'erreur  ,  cherchez  partout  des  doctrines  certaines  et  les 
saintes  inspirations  de  la  vérité.  Là  se  débattent  les  plus  graves  questions 
qu'il  importe  à  l'homme  de  résoudre  ;  là  se  dénoue  l'action  d'une  grande 
et  merveilleuse  épopée,  réalité  imposante  qui  fait  pâlir  toutes  les  fictions 
d'Homère.  C'est  le  sort  de  l'humanité  qui  est  en  jeu  ;  devra-t-elle  obéir 
à  l'esprit  ou  rester  esclave  de  la  matière?  Quels  personnages!  Un  monde 
qui  finit  et  un  monde  qui  commence  !  Quelle  lutte  !  Les  partis  sont  aux 
prises  depuis  quatre  siècles.  L'un  a  grandi  et  multiplié  sous  le  fer  qui 
le  décime  ,  dans  les  bûchers  qui  le  dévorent  ;  l'autre  ,  c'est  l'antique  pa- 
ganisme. Il  s'est  épuisé  à  force  de  frapper  ,  et ,  bien  qu'il  se  sente  dé- 
faillir et  que  le  fer  échappe  de  sa  main  ,  il  est  encore  debout  et  presse 
son  ennemi  par  les  clameurs  d'une  populace  ignorante  et  par  les  sophis- 
mes  de  ses  orateurs.  Mais  son  heure  est  venue  ;  voici  descendre  des  hau- 
teurs de  l'intelligence  et  de  la  foi  l'éloquent  évêque  d'Hippone.  Dieu  avait 
préparé  de  loin  ce  vengeur  h  son  Eglise  ,  et  le  tenait  en  réserve  pour 
porter  le  dernier  coup. 

»  Nous  n'essaierons  pas  de  donner  ici  une  analyse  de  la  Cité  de  Dieu  ^ 
travail  inutile  à  ceux  qui  l'ont  lue,  insulHsant  à  tous  les  autres.  Nous 
estimons  avoir  fait  plus  encore  en  facilitant  à  tous  la  possession  du  livre 
même.  Ils  y  verront  avec  étonnemcnt  comme  saint  Augustin  saisit  le 
vieillard  de  mensonge  ,  le  traîne  devant  l'éternelle  vérité  ,  et  le  juge  se- 


480  MELANGES. 

Ion  ses  œuvres  ;  comme  il  révèle  au  jour  et  les  turpitudes  de  ses  dieux , 
et  les  crimes  de  ses  héros ,  et  les  impostures  de  ses  prêtres ,  et  les  so- 
phismes  de  ses  rhéteurs ,  et  les  fausses  vertus  de  ses  sages  ;  comme  il 
met  à  nu  toutes  ses  plaies  ,  comme  il  le  défait  pièce  à  pièce  et  le  pousse 
déshonoré  dans  la  tombe  ;  puis ,  quand  il  a  scellé  sur  sa  tête  la  pierre 
qu'il  ne  lèvera  pas  ,  quand  il  a  uni  de  promener  le  marteau  de  la  des- 
truction sur  l'édifice  d'erreur  ,  et  qu'il  ne  reste  plus  de  l'impure  cité  que 
des  ruines  comme  il  asseoit  sur  d'immuables  bases  le  nouvel  édifice  de 
vérité  la  chaste  Sion  du  christianisme  ,  et  convie  sous  ses  divins  porti- 
ques les  peuples  régénérés  ,  en  chantant  le  cantique  du  prophète  :  Glo- 
riosa  dicta  sunt  de  te,  cwitas  Del.  » 

C'est  ainsi  que  l'éditeur  donne  une  idée  sommaire  du  livre  de  la  Cité 
de  Dieu.  Il  paraît  avoir  médité  beaucoup  ce  grand  ouvrage.  Entraîné 
par  son  goût  vers  les  écrits  de  saint  Augustin ,  il  commence  par  la  pu- 
blication de  la  Cité  de  Dieu  l'exécution  d'un  plan  plus  vaste.  Il  se  pro- 
pose de  reproduire  saint  Augustin  tout  entier;  il  suivra  pour  cela  l'édition 
donnée  autrefois  par  les  Bénédictins.  La  Cité  de  ZJ/cm  forme  le  tome  VII 
de  cette  édition.  L'éditeur,  en  la  publiant  d'abord ,  la  laissera  cependant 
au  même  rang  dans  son  édition ,  et  fera  paraître  plus  tard  les  premiers 
volumes.  Il  a  pris  des  mesures  pour  i-eproduire  chaque  vol.  in-folio  en 
un  vol.  in-4°.  Au  prospectus  est  joint  un  spécimen  du  caractère  qui  a 
été  adopté  à  l'ouvrage  ;  ce  caractère  est  assez  gros  et  assez  net  pour  con- 
venir à  toutes  les  vues.  La  Cité  de  Dieu  sera  divisée  en  trois  livraisons 
de  20  feuilles  chacune.  La  première  livraison  paraîtra  le  i5  janvier  pro- 
chain et  les  autres  de  mois  en  mois.  Le  prix  du  volume  sera  de  9  fr. 
à  Paris,  12  fr.  pour  les  départemens  ,  et  i5  fr.  à  l'étranger.  Dans  les 
séminaires ,  les  collèges  ,  et  partout  où  se  réuniront  dix  souscripteurs  , 
on  passera  l'ouvrage  à  10  fr.  et  à  12  fr.  pour  l'étranger.  La  souscrip- 
tion reste  ouverte  jusqu'au  i5  janvier.  Quelques  exemplaires  seront  tirés 
sur  grand  papier  vélin  superfin  ;  ce  sera  l'édition  des   évêques. 

L'éditeur  est  M.  J.  Molroguier  ,  ancien  professeur  de  rhétorique  ,  qui 
paraît  avoir  le  goût  des  études  graves  et  solides  ,  et  qui  a  à  cœur  de  faire 
mieux  connaître  saint  Augustin,  et  de  répandre  ses  ouvrages  soit  parmi 
le  clergé ,  soit  parmi  les  professeurs  et  les  gens  de  lettres.  Il  croit  avec 
raison  que  les  écrits  du  saint  et  savant  docteur  seraient ,  sous  plus  d'un 
rapport ,  utiles  à  ces  derniers.  Nous  faisons  des  vœux  pour  qu'il  recueille 
es  fruits  de  son  zèle  éclairé.  Les  lettres  doivent  être  adressées  à  l'éditeur 
de  saint  Augustin  ,  Paris  rue  de  Condé,  W  ao.  —  V Ami  de  la  Religion , 
«o  2347- 


481 

bVVVV%%VVVVVVVV\VVVVV».Vv-*.«V\VVVV\'VVVVVVVVVVVV'VVVVVVV*/VVVV\VVVVVVVV\ 

LETTRE  INÉDITE  DE  M.  VAN  GILS 

PRÉSIDENT    DD    SÉMINAIRE    DE    BOIS-LE-DCC  ,    ETC. 

SUR  LES  SENTIMENS  DE  L'ANCIENNE  FACULTÉ  DE  THÉOLOGIE 
DE  LOUVAIN, 

PAR  RAPPORT  A  LA  DECLARATION  GALLICANE  DE   1682(1). 


Monsieur,  très -cher  et  vénérable  ami. 

Votre  élève  et  très-bon  ami  M^  R....  m'a  apporté  le  volume, 
qui  contient  la  lettre  de  Mgr.  de  Chartres  {  Clausel  de  Montais  ) 
contre  M""  de  La  Mennais.  Je  sens  profondément  tout  le  prix  de 
cette  gracieuse  attention,  que  vous  voulez  bien  conserver  pour  moi. 
Agrëez-en ,  je  vous  prie ,  ma  plus  sincère  reconnaissance.  Je  n'au- 
rais pas  tardé  ,  jusqu'à  ce  jour,  de  vous  la  témoigner  sans  les  an- 
goisses et  le  surcroît  de  pénibles  besognes  ,  dont  nous  nous  trou- 
vons accables  ici,  dans  les  circonstances  présentes,  qui,  je  pense, 
ne  vous  sont  pas  tout  à  fait  inconnues  (2).  C'est  la  même  raison 
aussi  pourquoi  j'ai  dû  différer  long-temps  de  lire  l'ouvrage.  Mais 
l'ayant  lu  depuis,  je  dois  vous  avouer,  que  malheureusement  il  à 
vérifié  ma  crainte ,  que  j'avais  pris  la  liberté  de  vous  témoigner 
l'autre  jour  en  parlant  de  cette  année  de  pénible  mémoire.  J'y  vois 
déjà  la  discorde  et  l'animosité  se  fixer  dans  le  clergé  de  France, 
et  j'en  crains  un  jour  des  suites  amères  ,   non-seulement  pour  la 


(i)  L'éditeur  de  cette  lettre  s'est  fait  un  devoir  de  la  reproduire  exac- 
tement d'après  la  copie  ,  qu'il  doit  à  la  bienveillante  amilié  de  l'auteur. 
La  lettre  a  été  adressée,  au  mois  d'août  1826,  à  un  ecclésiastique  de 
Paris,  autrefois  précepteur  des  enfans  d'une  famille  respectable  de  Bois- 
le-Duc. 

(2)  La  suppression  des  petits  séminaires ,  l'érection  du  Collège  philo- 
sophique ,  etc.   (  Note  de  Vèdil.  ) 

T.  X.  34 


482  LETTRE    ISÉDITE 

France,  mais  aussi  pour  les  autres  églises,  et  nommément  pour  la 
nôtre  :  car ,  de  la  part  de  notre  gouvernemeut ,  on  nous  accorde 
aussi  des  libertés  de  l'Eglise  belgique  citées  et  appuyées  par  un 
ministre  de  culte  (i)  ;  libertés  même  bien  plus  étendues  que  les 
vôtres  (2)  :  et  l'on  sait  quel  usage  de  ces  libertés  les  hétérodoxes 
ont  fait  en  tout  temps ,  surtout  dans  le  nôtre.  Mais  je  ne  sache 
pas,  qu'aucun  individu  de  notre  clergé  y  ait  donné  son  assentiment. 

Quant  h  la  lettre  de  Mgr.  1  evêque  de  Chartres  ,  il  ne  m'appar- 
tient pas  d'en  porter  un  jugement  :  mais ,  ce  qui  me  fait  de  la 
peine,  dans  les  deux  ouvrages  oppose's,  ce  sont  ces  personnalités, 
c'est  ce  style  et  ces  expressions  âpres  et  dures  ,  qui  s'y  trou- 
vent et  qui  ne  peuvent  qu'agraver  la  crainte  que  je  viens  de  vous 
exprimer. 

Un  endroit  qui  m'e'tonne ,  c'est  cette  re'ponse  ou  de'claration  de 
la  faculté  (de  théologie,  sans  doute)  de  Louvain,  qui  se  trouve 
à  la  page  69.  Je  remarque  d'abord ,  que  la  demande  de  M'  Pitt 
est  de  l'année  1789  :  et  la  réponse  de  Louvain  serait  du  18  no- 
vembre 1^88!  Les  réponses  des  facultés  françaises  du  5  janvier  et 
du  19  février  de  la  même  année  de  la  proposition  de  M'^Pitt,  1789  : 
celles  des  faculte's  espagnoles  sont  encore  de  la  même  année  1 789 


(i)  M.   Goubau.  (Note  de  l'êdit.) 

(a)  Un  jurisconsulte  avait  publié  eu  18 16  une  Notice  sur  les  Libertés 
de  f Eglise  belgique^  Bruxelles,  chez  De  Mat,  br.  in-12  ,  de  3o  pages, 
dont  on  trouve  la  réfutation  dans  le  Spectateur  Belge  de  M.  l'abbé  De 
Foere,  t.  v  ,  p.  i85-225.  Avant  l'année  1825  le  gouvernement  hollan- 
dais fit  circuler  une  note  sur  la  discipline  et  les  libertés  de  VEglise 
belgique ,  et  enfin  au  commencement  de  l'année  1827  l'on  vit  paraître 
à  Bruxelles  les  Observations  sur  les  libertés  de  l'Eglise  belgique  ^  attribuées 
à  M.  Van  Ghert.  M.  Van  Maanen,  ministre  de  la  justice,  dans  une 
circulaire  donnée  au  mois  d'avril  1827  ,  recommanda  cette  détestable 
rapsodie  comme  devant  servir  de  boussole  aux  membres  du  ministère 
public  près  les  tribunaux  dans  les  procédures  oii  servaient  compromis  les 
ecclésiastiques ,  etc.  Voyez  le  Courrier  de  la  Meuse ^  n°  laS,  126  et  i3i 
de  l'année  iSii"}]  TEcho  des  f^t-ais  Principes ,  t.  1 ,  p.  "îqo  ,  et  Réfutation 
des  Observations  sur  les  libertés  de  l'Eglise  belgique ,  par  un  catholique 
belge;  Alost  1827,  in-12.  {Note  de  redit.) 


DE    M.    VAN    GILS.  483 

du  17  février  et  du  17  mars!  etc.  Toutes  ces  dates,  je  l'avoue, 
me  gênent  un  peu  pour  les  concilier.  Mais  regardons  tout  ceci 
comme  des  errata  :  Le  style  et  la  langue  surtout,  qui  expriment 
les  sentimens  desLovanistes,  m'étonnent  encore.  Connaissant  depuis 
ma  jeunesse  les  fermes  coutumes  de  la  faculté ,  je  suis  bien  per- 
suadé que  c'est  le  premier  cas,  où  elle  aurait  donné  ses  réponses, 
en  matière  qui  regardent  la  dogmatique ,  en  toute  autre  langue  que 
la  latine ,  et  en  style  si  peu  grave  et  si  cavalier. 

Mais  une  considération  plus  grave  est  celle-ci  :  en  1789,  et 
même  depuis  1787  la  faculté  de  théologie  n'existait  plus  à  Louvâin. 
Dès  l'année  1787  ses  membres,  fidèles  à  leurs  devoirs,  furent  dé- 
posés ,  dispersés ,  chassés ,  ou  enfin  bannis  hors  le  territoire  au- 
trichien. Moi-même  j'étais,  jusqu^'en  1786,  sous-directeur  (on  le 
titulait  à  Louvain  lecteur  )  du  collège  ou  se'minaire  du  Pape 
Adrien  VI;  et  cette  anne'e  même  j'ai  vu  prendre  les  dimensions  de 
ma  chambre ,  sous  mes  yeux  ,  pour  en  faire  les  latrines  du  sémi- 
naire général  que  l'empereur  Joseph  II  y  fonda  l'année  suivante. 
Nota  :  c'est  le  même  collège  du  Pape  dont  on  forme  actuellement 
le  Collège  philosophique.  C'est  alors  que  je  me  suis  retire'  dans  mon 
diocèse  natal  de  Bois-le-Duc,  où  j'ai  vu  les  membres  de  la  faculté 
chasse's  de  Louvain.  J'y  reçus  même  l'ofifre ,  de  la  part  de  la  cour, 
d'une  leçon  de  théologie  dans  la  nouvelle  faculté.  L''universile'  a  été 
rétablie  pendant  la  déchéance  sous  Léopold  II  en  1790.  Alors  j'y 
suis  retourné  ,  d'après  les  ordres  de  mon  supe'rieur ,  le  vicaire 
apostolique  de  ce  diocèse.  J'y  restais  jusqu'en  1797.  Chasse  encore 
alors ,  ou  plutôt  recherché  à  mort  par  les  Sans-Culottes.  Il  n'est 
donc  pas  à  concevoir  ,  comment  en  1789  l'ancienne  faculté'  de 
théologie  de  Louvain  aurait  signé  la  déclaration  mentionnée  :  aussi 
je  désirerais  beaucoup  connaître  les  noms  des  signataires. 

Mais  vous  trouverez  peut-être  ennuyante  celte  petite  dissertation 
sur  l'authenticité  de  la  déclaration  des  Lovanistes  ;  vous  voudrez 
bien  toutefois  considérer,  que  je  suis  le  seul  membre  de  l'ancienne 
faculté  de  théologie  qui  subsiste  encore  en  vie;  j'ai  donc  cru,  que 
l'honneur  de  mon  corps  exige  la  déclaration  que  je  vous  fais  ici, 
et  s'il  le  faut ,  à  toute  la  France,  nommément  à  la  faculté  rétablie 
ou  à  rétablir  à  Paris.  Notre  ^/A«a  Mater,  la  faculté  de  théologie, 
tenait  à  gloire  d'être  attachée  inviolableujent  à  ses  sentimens  de 

34. 


484 


LETTRE    INEDITE 


vénération  envers  le  Pasteur  de  tous  les  fidèles,  dans  tous  les  temps 

de  son  existence ,  en  faisait  profession  ,  elle  et  tous  ses  membres. 
Un  exemple  très-connu  fut  celui  de  Martin  Steyaert,  célèbre  doc- 
teur en  théologie  à  Louvain  et  vicaire  apostolique  de  notre  dio- 
cèse de  Bois-le-Duc.  Dans  l'ardeur  des  disputes  sur  ce  point ,  et 
parmi  les  intrigues  du  jansénisme  naissant  dans  ce  pays  ,  vers 
l'an  i685,  Steyaert  fut  accusé  de  la  même  ambiguité  en  doctrine, 
qu'on  vient  d'imputer  à  Mgr.  d'Hermopoiis  :  Voici  la  première  des 
3^  propositions  déférées  de  la  part  des  jansénistes  à  la  faculté , 
et,  à  ce  qu'on  croit ,  à  Rome  même,  comme  enseignées  par  Steyaert  : 
Prop.  I.  —  De  quatuor  famosis  Cleri  Gallicani  articulis  rectè 
sentitille ,  qui  Romce  sentit ,  ut  Roniœ  ;  Parisiis ,  ut  Parisiis. 
Sic  ,  vacante  lectione  theologicâ  in  academiâ  Gallice  ,  sentire 
poterit y  ut  in  Gallia ;  vacante  in  Hispaniâ  ,  vel  Italiâ;  sentire, 

ut  ibi DeclAratio  (Steyaertii)  :  Propositionem  abominor  et 

detestor.  Si  Ecclesia  illam  damnare  voluerit ,  mecum  J'aciet  et 
me  gaudente.  Suh  ditione  Gallorum  habilans  (  à  Ypres  ,  alors 
sous  la  domination  française  )  in  ipso  fervore  quatuor  articulorum 
Cleri  Gallicani,  publiée  me  gessi  tamquam  illos  non  admittens, 
atque  adeo  impediens  ne  a  capitula  cathedrali  Ypris  (  dont  il 
était  membre  alors)  in  regesta  sua  referrentur y  édita  etiam  eodem 
tempore  libella ,  cui  titulus  :  AcTio  Epistolaris  ,  ubi  significavi , 
me  jam  pridem  Romce  contraria  professum.  Paulo  past  etiam 
vocatus  Duacum  ad  concursum  pra  lectione  regiâ  in  theologiâ , 
ivi  quidem ,  sub  promissione  viri  illic  tune  magnœ  notœ ,  quod 
dum  docendi  essent  isti  articuli ,  ipse  eos  traderet  loco  mea  : 
sed  quum  antè  concursum  jurare  vel  promitlere  unusquisque 
concurentium  deberet ,  se  eosdent  articulas  traditurum ,  in  fa- 
ciem  universitatis  et  magistratûs  loci  discessi  ,  duobus  aliis  me 
sequentibus. 

Enfin  on  a  attribué  à  la  fermeté  des  théologiens  de  Louvain  à 
se  tenir  à  son  ancienne  doctrine  en  cette  matière  ,  le  bonheur  de 
la  Belgique  autrichienne  d'avoir  échappé  au  déchirement  janséniste 
à  cette  époque. 

Quant  aux  articles  même  ,  je  déclare  ,  que  de  mon  temps  (  et 
j'ai  passé  une  bonne  partie  de  ma  vie  à  Louvain  )  je  n'ai  jamais 
entendu  traiter  dans  des   actes   publics  ,   soit  des  leçons ,  soit  des 


DE    M.     VAN    GlLi  485 

disputes  en  théologie,  l^objet  de  la  première  proposition  de  la  dé- 
claration de  1682.  On  ne  le  regardait  i  jmme  objet  de  la  science 
proprement  ihéologique ,  mais  plutôt  curuuae  faisant  partie  du  droit 
public  :  et  ,  en  conversation  ,  quand  on  en  parlait  en  particulier , 
on  soutenait  ordinairement  l'opinion  de  Fénélon ,  connue  seulement 
ici  depuis  l'édition  complète  de  ses  OEuvres  (tome  II,  chap.  xxxix, 
page  382).  Cette  opinion  dit  :  que  depuis  la  conversion  univer- 
selle de  toute  l'Europe  dans  l'union  catholique,  de  l'Orient  même, 
de  l'Asie  et  d'une  partie  de  l'Afrique  etc.  ,  les  constitutions  ou  les 
lois  constitutives  de  tous  ces  peuples  ,  si  profondément  attachés  à 
la  religion  catholique ,  étaient ,  pour  ainsi  dire  ,  enracinées  dans 
la  foi  catholique  et  dans  ses  lois  comme  le  seul  fondement  de  la 
fidélité,  et  du  souverain  et  de  ses  sujets;  que  constiluîionnellement 
et  le  souverain  ou  le  pouvoir  législatif,  et  les  lois  même,  devaient 
être  catholiques  :  en  sorte  que  le  législateur,  en  cessant  d'être  ca- 
tholique, et  membre  reconnu  de  l'Eglise  catholique,  cessait  détre 
souverain  légitime ,  et  les  lois  contraires  aux  lois  catholiques ,  ces- 
saient d'être  lois  :  et  à  qui  le  droit  de  déclarer  la  catholicité  de 
tel  souveraia  et  de  telles  lois?  sinon  au  Chef  suprême  de  l'Eglise? 
Même  il  en  paraît  suivre  que  tout  citoyen  ou  sujet  ,  en  cessant 
d'être  catholique,  cessait  d'être  citoyen,  et  se  constituait  félon  ou 
rebelle  à  la  loi  fondamentale  ,  et  se  soumettait  aux  peines  de  fé- 
lonie. Ceci  semble  pouvoir  venir  à  propos  ,  quand  on  traite  la 
question  si  débattue  sur  l'inquisition.  Et  en  considérant  la  fermeté 
et  la  vivacité  des  impressions  religieuses  dans  tous  les  peuples  de 
ce  siècle-là ,  on  conçoit  aisément  qu'elles  ne  pouvaient  manquer  de 
faire  naître  un  pareil  droit  constitutif.  Car  la  persuasion  et  les 
sentimens  si  intimes  ,  si  vifs  ,  si  universels ,  si  coustans  dans  un 
peuple,  et  dans  tous  les  peuples,  ne  sauraient  manquer  de  prendre 
absolument  le  dessus,  quant  au  régime  des  états.  Il  est  vrai,  peut- 
être  ,  que  ces  lois  ne  se  trouvent  pas  écrites  dans  les  codes  natio- 
naux (qui  n'existaient  pas  même  en  bien  de  pays)  mais  elles  n'en 
étaient  pas  moins  gravées,  comme  beaucoup  d'autres,  dans  tous 
les  cœurs,  tant  des  souverains  eux-mêmes  que  de  leurs  sujets.  On 
en  trouve  encore  des  exemples  dans  les  temps  présens  ,  même  chez 
les  acatholiques ,  comme  en  Suède  ,  en  Angleterre  ,  en  Turquie 
même ,  et  même  naguère  dans  ma  patrie.  Et  pour  les  temps  passés 


486  LETTRE    INÉDITE 

notre  Belgique  nous  en  fournit  un  exemple  péremptoire  ,  dans  le 
16"  siècle  ,  depuis  le  lègne  de  l'empereur  Charles  V,  toutes  nos 
provinces  étaient  sous  la  domination  de  la  maison  d'Autriche  en 
Espagne.  Le  roi  Philippe  II  en  fit  cession  eu  1698  à  sa  fille  Isa- 
belle, et  à  son  futur  mari  Albert  d'Autriche,  et  parmi  les  articles  , 
ou  conditions  prescrites ,  le  X™"  article  est  couché  en  ces  termes  : 
«  Item  :  à  condition ,  et  aultremenl  non  (  pour  être  icelle  la  prin- 
»  cipale  et  de  plus  grande  obligation  sur  toutes  les  autres  )  que 
»  tous  les  enfants  et  descendants  des  dits  mariants  ,  imitant  la 
»)  piété  et  religion ,  que  reluit  en  eux  ,  devront  vivre  et  mourir  en 
»  nostre  sainte  foy  catholique  ,  comme  la  tient  et  enseigne  la 
»  sainte  Eglise  romaine.  Et  avant  prendre  la  possession  des  dits 
»  pays  d'en  bas,  en  auront  à  prester  le  serment  en  la  forme,  que 
»  se  trouve  couchée  après  cet  article.  Et  au  cas  (  ce  que  Dieu  ne 
))  veuille!)  qu'aucun  des  dits  descendants  se  dévoya  de  nostre  sainte 
»  foy ,  et  tomba  en  quelque  hérésie ,  après  que  nostre  saint  Père 
»  le  Pape  l'aurait  déclaré  pour  tel,  soit  prive  de  l'administration, 
»  possession  et  propriété  des  dites  provinces ,  et  que  les  sujets  et 
»  vassaux  d'icelles  ne  luy  obéissent  plus ,  ains  qu'ils  admettent  et 
»  reçoivent  le  plus  proche  catholique ,  suivant  en  degré ,  qui  au 
)>  cas  du  tre'pas  de  tel  fourvoyé  de  la  foy,  lui  devrait  succéder  : 
»  et  sera  tel  hére'tique  réputé  comme  si  réellement  il  fut  de'cédé 
»   de  mort  naturelle.  » 

Suivait  le  serment  solennel  à  prêter  par  le  nouveau  souverain 
en  conformité  de  cette  condition  :  «  Ego  juro  ad  sancta  Evangelia...  » 

En  voilà  plus  qu'assez  sur  le  premier  article  de  la  déclaration  , 
que  nous  n'avons  jamais  regardé  comme  très-essentiel,  et  qui  n'est 
guère  plus  applicable  ,  les  sentimens  en  cette  matière  étant  tout- 
à-fait  bouleversés  ,et  la  vraie  religion  regardée  politiquement  comme 
assez  indifférente.  Même  on  a  regardé  dans  ce  pays  -  ci  comme 
une  pratique  très-peu  sincère  de  la  part  des  gallicans  ,  et  comme 
une  ruse  maligne,  qu'en  traitant  les  afTaires  de  1682  avec  ceux 
d'un  sentiment  opposé,  ils  ne  manquaient  jamais  de  mettre  ce  pre- 
mier article  de  la  déclaration  toujours  en  avant ,  comme  s'il  était 
le  plus  important;  tandis  que  cette  matière  était  la  plus  odieuse  aux 
puissaus  de  ce  siècle  :  mais  je  vous  assure  encore  que  parmi  nos 
théologiens  celte  proposition  n'a  jamais  été  regardée  comme  de  grand 


DE    M.    VAN    GILS,  487 

intérêt ,  le  pouvoir  hétérodoxe  ayant  toujours  des  moyens  assez  ef- 
ficaces pour  faire  pratiquer  le  contraire  de  ce  qu'on  soutenait  dans 
les  temps  passés. 

Mais  ce  sont  les  trois  autres  articles  que  la  faculté  tliéologique 
de  Louvain,  et  avec  elle  toute  la  Belgique,  a  toujours  rejeté  avec 
vigueur ,  non  comme  hérétiques  (  nous  obéissons  à  l'Eglise  qui  ne 
les  a  pas  déclarés  tels  )  mais  comme  éloignés  de  la  vérité ,  comme 
dangereux ,  et  même  comme  très-pernicieux  à  l'Eglise  catholique. 

Il  ne  s'agit  pas  ici  de  vous  détailler  les  raisons  et  les  autorités 
théologiques  qui  établissent  notre  persuasion  ;  elles  sont  connues, 
alléguées ,  débattues ,  refutées ,  défendues  partout  :  mais  souffrez , 
que  je  vous  raconte  à  ce  sujet,  en  guise  d'anecdote,  un  entretien, 
que  j'ai  eu  sur  cet  objet  avec  feu  le  respectable  et  savant  M'Emery, 
que  vous  avez  connu  sans  doute;  la  nariation  vous  fera  peut  être 
apercevoir  les  principales  et  peut-être  de  nouvelles  raisons  de  notre 
aversion  pour  la  doctrine  gallicane. 

La  nuit  avant  le  dimanche  des  Rameaux  i8io,  notre  vicaire  apos- 
tolique (i)  fut  par  des  gensdarmes  enlevé  de  son  lit,  de  son  pres- 
bytère, de  sa  paroisse  et  du  diocèse  qu'il  était  chargé  de  diriger, 
enfin  encagé,  avec  l'élite  de  notre  clergé,  à  Vincennes.  La  cause 
principale  en  fut,  qu'il  ne  pouvait  se  résoudre  à  prescrire  des  ce» 
rémonies  religieuses  de  joie  à  l'occasion  du  second  mariage  de  Na- 
poléon,  ni  se  conformer  aux  décrets  tout  à-fait  schismatiques  sur 
la  hiérarchie  de  notre  Eglise  (2).  Le  clergé  de  Bois-le-Duc  et  les 
catholiques  les  plus  considérables  crurent  convenir ,  que  je  le  sui* 
visse  à  Paris  (  il  avait  refusé  mon  offre  de  l'accompagner  )  pour 
tenter  des  moyens  de  le  délivrer  ,  ou  au  moins  d'alléger  son  sort. 
Je  dus  donc  employer  la  faveur  et  les  avis  de  ceux  que  je  croyais 
y  mettre  de  l'intérêt,  et  qui  par  faveur  ou  par  leur  place  pouvaient 
fléchir  le  gouvernement.  C'est  à  cette  occasion  que  je  vis  entre  au- 
tres M'  Emery.  Il  me  témoigna  beaucoup  de  bonté  et  de  l'intérêt 
pour  ma  cause.  Mais  il  s'agissait  d'abord  de  détailler  les  conditions; 


(i)  A.  Van  Alphen.   (Note  de  ledit.) 

(2)  Voyez  Vandevelde  ,  Synopsis  Monumentorum ,  t.  n,  p.  62i-63o  , 
et  t.   m,  p.  879.  [Note  de  Védil.  ) 


488  LETTRE    INÉDITE 

là ,  comme  partout  ailleurs ,  la  première  et  la  principale  était  que 
le  vicaire  ferait  adopter  et  enseigner  la  déclaration  de  1682.  Ma 
conviction  et  mon  devoir  était  de  re'pondre  que  M'  le  vicaire,  ce 
dont  j'étais  bien  assuré,  n'y  pourrait  jamais  consentir;  que  même 
il  risquerait  de  trouver  de  la  résistance  dans  son  clergé,  et  peut- 
être  d'autres  suites  fâcheuses.  Ici  M""  Emery  prit  une  certaine  phy- 
sionomie de  sévérité ,  et  me  reprocha  que  nous  regardons  les  gal- 
licans comme  des  hérétiques.  Je  m'excusais  très -humblement  de 
celte  imputation  comme  ci-dessus.  —  ÎToiis  rejetez  du  moins  notre 
sentence  comme  fausse  j  et  vous  la  détestez. —  Je  dus  l'avouer 
avec  un  humble  excuse.  —  Et  la  raison  P  —  En  séparant  toujours 
le  premier  article  de  la  déclaration ,  je  répondis  que  ce  n'était  pas 
le  lieu  d'alléguer  les  textes,  les  faits,  les  autorités,  les  raisonne- 
mens  ,  mille  fois  produits  ,  mille  fois  discutés  scolastiquement  : 
mais  je  me  plaignis  d'après  nos  théologiens,  que  les  Français  avaient 
toujours  traité  ces  questions,  uniquement  en  scolastiques ,  sans  les 
conside'rer  assez  moralement  pour  ainsi  dire ,  ou  selon  les  suites 
morales  qu'on  pouvait  dès-lors  prévoir  ,  et  que  d'autres ,  dès-lors  , 
avaient  prédites  ;  suites  et  couse'quences  qui  ne  pouvaient  pas  sortir 
de  la  vérité.  — Et  quelles  sont  ces  suites  P  —  C'était  l'abus,  qu'en 
feraient  les  anciennes  ou  les  nouvelles  sectes  contre  l'autorité  sacrée 
du  Saint-Siège  et  même  de  l'Eglise;  c'était  le  danger  de  voir  un 
jour  appliquer  les  mêmes  principes  ,  et  de  les  pousser  dans  'eurs 
conséquences  contre  l'autorité  civile  ;  enfin  c'était  que  nombre  de 
sages  dans  notre  pays  se  tiennent  persuadés  ,  que  la  révolution 
en  179-2,  dont  on  souffrait  alors  les  suites,  avait  en  effet  une  de 
ses  racines  et  de  ses  causes  dans  la  déclaration  de  1682. 

Mais  c'est  ici  que  M''  Emery  sembla  prendre  de  l'humeur.  II  me 
somma  de  prouver  mes  assertions  :  je  tachai  de  le  faire  avec  la 
plus  grande  modération  possible.  La  première  se  prouvait  par  le 
fait  même,  dont  toute  l'Europe  a  senti  les  suites,  puisqu'aucune 
secte,  née  depuis  dans  aucun  pays,  n'a  manqué  d'appliquer,  bien 
ou  mal ,  ces  principes  comme  des  boucliers  pour  soutenir  leur  ré- 
bellion contre  l'autorité  infaillible  de  l'Eglise.  Nous  en  sentons  en- 
core ,  notamment  dans  la  Belgique  septentrionale ,  les  effets  dans 
le  schisme  d'Utrecht ,  qui  soutient  les  articles ,  mais  les  pousse  , 
quant  à  l'autorité  de  l'Eglise,  jusqu'à  toutes  leurs  conséquences  où 


DE    M.    VAN    GILS.  489 

il  trouve  son  unique  fondement.  Napole'on  lui-même ,  dans  son  ar- 
deur innovatrice  et  inquiète,  ne  fit  partout  que  sonner  bien  haut 
ces  principes  qu'il  appelait  la  religion  de  Bossuel. 

L'autre  raison  touchée  ci-dessus,  qui  regarde  le  civil,  s'était  assez 
bien  vérifie'e  en  France  et  ailleurs. 

Mais  la  troisième  raison ,  il  fallait  la  prouver  opéreusement.  J'al- 
léguais donc  l'injure  sanglante,  qu'on  ne  cessait  en  France,  depuis 
plus  d'un  siècle,  de  faire  au  Saint-Sie'ge,  reconnu  comme  chef  spi- 
rituel y  maigre  son  opposition  soutenue  par  tant  de  Papes  depuis 
Innocent  XI  et  ses  successeurs.  Cette  injure,  et  dans  son  origine 
et  dans  toute  sa  continuation,  ne  cessait  de  provoquer  une  puni- 
tion e'clalante  de  la  part  du  suprême  et  divin  Chef  de  l'Eglise.  Dieu 
l'a  infligée ,  mais  dans  sa  miséricorde  \  on  sent  jusqu'à  présent  les 
suites  extrêmes  pour  la  religion  ,  qu'on  pouvait  en  redouter.  Une 
autre  raison  que  je  crus  pouvoir  en  déduire  e'tait  :  que  les  curés  et 
les  prêtres  en  France ,  voyant  le  peu  d'e'gard  que  leurs  évêques 
portaient  au  Saint  Siège,  les  imitaient  envers  eux^  envers  les  e'vê- 
ques  même ,  et  ils  se  croyaient  en  droit  d'agir  comme  évêques  dans 
leurs  paroisses,  comme  les  évêques  même  qui  agissaient  en  Pape, 
chacun  dans  son  diocèse  5  et  enfin  les  fidèles  ,  voyant  le  peu  de 
respect  des  cure's  envers  leurs  évêques  ,  des  e'vêques  envers  leur 
chef  universel ,  y  prirent  aussi  l'habitude  de  me'priser  leurs  curés 
et  leurs  prêtres  ,  et  se  constituaient  cure's,  chacun  dans  sa  famille; 
toute  la  soumission  ,  la  vénération  ,  l'obéissance  hie'rarchique  s  éva- 
nouissaient donc  en  bien  des  cœurs  français,  dans  nombre  d'endroits 
de  France.  L'autorité'  sacrée  de  l'Eglise  détruite,  il  fallait,  les  cir- 
constances conside're'es  ,  que  l'impiété ,  la  philosophie  en  naquit  et 
prit  le  dessus  :  Or  c'est  bien  la  philosophie  qui  a  été  une  des  pre- 
mières et  la  principale  des  causes  de  la  révolution. 

Ces  raisons  touchaient  M'  Eraery  :  j'y  ajoutais  une  autre  :  — 
«  Si  l'on  pousse  toutes  les  conséquences  de  vos  articles  et  surtout 
du  3"«,  il  s'en  suivra  qu'actuellement  (en  181  o)  vous  n'avez  pas 
un  seul  évêque ,  pas  un  seul  curé,  pas  un  seul  confesseur  le'gitime 
en  France.  »  A  ces  mois  M'^  Emery  prit  une  physionomie  tout-à- 
fait  autre  envers  moi  ;  et  avec  un  sourire  aimable  il  me  demanda  , 
si  l'on  connaissait  dans  ma  patrie  Les  Corrections  et  yldditions  pour 
les  nouveaux  opuscules  de  Fleury.  Croyant  que  sa  demande  regarda 


490  LETTRE    INÉDITE 

les  Nouveaux  opuscules  même(i),  je  répondis  qu'oui!  qu'on  les 
connaissait  et  qu'on  les  dévorait  en  Belgique  !  et  même  qu'ils  nous 
confirmaient  puissamment  dans  notre  persuasion  en  cette  matière. 
—  En  connait-on  l'éditeur P  me  demanda-t-il  :  je  répondis,  en  le 
fixant,  et  en  souriant  moi-même,  qu'on  ne  le  connaissait  pas,  mais 
qu'on  le  conjecturait  bien  ,  et  à  ce  que  je  crois  ,  selon  la  vérité. 
Et  par  son  sourire  il  me  confirma  dans  ma  conjecture  que  c'était 
lui-même.  —  «  Mais,  ajouta-t-il ,  toujours  avec  une  bonté  et  bé- 
nignité aimable  ,  Je  ne  vous  parle  pas  des  nouveaux  opuscules 
mêmes  ,  mais  d'une  petite  brochure  :  corrections  et  additions 
POUR  LES  NOUVEAUX  OPUSCULES  (2). —  Non ,  M"^ ,  répliquais-je ,  cet 
ouvrage  n'est  pas  encore  connu  chez  nous  :  —  Je  le  crois  bien;  il 
n'est  pas  encore  connu  à  Paris  même  ,  maif;  il  va  sortir  des 
presses  aujourd'hui ,  et  je  vous  en  ferai  cadeau.  C'est  dans 
ce  petit  ouvrage  ,  que  je  soutiens  la  même  assertion  que  vous 
venez  de  rn opposer.  Cela  me  coûtera  peut-être  J^incennes  ou 
Bicêtre  ou  Vexil  /  mais  on  aura  pitié ,  f  espère ,  pour  mes  an- 
nées. —  Et  en  vérité  on  y  trouve  virtuellement  la  même  assertion 
page  6. 

Au  reste  je  me  suis  étonné  de  trouver  en  ce  docte  prêtre  si  peu 
de  ferme  attachement  à  la  doctrine  gallicane.  Il  me  paraissait  assez 
enclin  à  y  renoncer;  et  à  faire  tant  de  cas,  que  nous,  et  je  puis 
dire  la  catholicité ,  de  la  nôtre.  Aussi ,  du  temps  de  l'émigration  , 
dans  mes  exils  et  bannissemens  ou  voyages  en  Fi'ance ,  j'ai  trouvé, 
avec  e'tonnement ,  grand  nombre  de  personnages  marquans  parmi 
le  clergé  français  qui  ne  s'y  trouvaient  pas  plus  attachés  que  lui. 
Tels ,  par  exemple ,  M""  Pey ,  l'auteur  du  traité  de  V Autorité  des 
deux  puissances  ;  M""  Poittiers  ,  chanoine  et  (  je  crois  )  docteur  de 
Rheims ,  et  qui  a  écrit  le  Système  gallican  atteint  et  convaincu 
d'avoir  été  la  première  et  principale  cause  de  la  révolution  fran- 
çaise ;  M""  (Hulot)  l'e'diteur  de  la  Collectio  Brevium  PU  FI,  et 
d'autres  en  nombre,  que  nous  avons  vus  ici.  Tels  plusieurs  antres 
que  j'ai  trouvés  à  Paris  même  ,  en  Bourgogne ,  lieu  de  mon  exil 


(i)  Publiés  en  1807,  i  vol.  in-ia.   {Note  de  Védit.) 
(a)  Brochure  de  74  P^g-  in-12.  (Note  de  redit.) 


DE    M.    VAN    GILS.  491 

en  1812  et  181 3.  Enfin  je  n'y  ai  trouvé  attachas  que  les  ecclésias- 
tiques du  parti  anticoncordatiste.  Tels  que  quelques  prêtres  que  nous 
trouvions  comme  nous  ,  mais  pour  une  cause  fort  différente ,  en 
exil  dans  ladite  province.  Croyant  que  nous  étions  de  leur  caté- 
gorie, ils  nous  attaquaient,  s'étonnaient  sur  noire  communication 
avec  l'évêque  concordatiste,  qu'ils  regardaient  comme  intrus,  schis- 
matique ,  hérétique.  Et  j'aurais  bien  voulu  voir  un  bon  gallican  en 
venir  aux  mains  sur  ce  point  avec  ces  gens-là  :  mais  dès  que  nous 
nous  étions  déclarés  appartenir  à  d'autres  sentimens ,  leurs  tenta- 
tives cessèrent. 

Enfin  dans  les  pays  étrangers  on  se  peine  sur  le  mode  et  les  cir- 
constances et  les  causes ,  qui  ont  concouru  à  établir  et  à  continuer 
la  profession  de  vos  articles  :  dans  les  commencemens  on  regarda 
cette  affaire  comme  l'effet  de  la  passion  ,  à  laquelle  on  a  cédé  avec 
trop  de  complaisance  et  de  condescendance  ,  que  1  on  regarderait 
dans  quelques-uns  comme  de  la  lâcheté  5  et  dans  la  suite ,  jusqu'à 
nos  temps ,  comme  un  point  d  honneur  à  soutenir  pour  le  clergé  et 
la  nation,  jointe  encore  une  certaine  crainte,  qu'on  ne  regarde  pas 
ici  comme  appartenante  îi  la  prudence  et  à  la  fermeté  sacerdotale. 
On  se  trouve  en  peine  sur  les  moyens  qu'on  a  employés  pour  sou- 
tenir les  articles  pendant  un  siècle  et  demi.  C'était  toujours  le  pou- 
voir civil,  forcé  le  plus  souvent  par  les  parlemens, 

C'étaient  même  des  moyens  peu  conformes  à  la  bonne  foi,  comme 
les  retranchemens ,  les  suppressions  de  textes  des  ouvrages  d'au- 
teurs contemporains ,  français  même  ,  etc. ,  qui  pourraient  nuire 
gravement  à  la  propagation  des  maximes  gallicanes.  Tel  est  le  re- 
tranchemeut  très-connu  du  témoignage  de  Tournely.  {De  Ecclesia 
tom.  II,  art.  m,  pag.  i34;  édit.  Paris,  17^6,  vivente  auctore.) 
Témoignage  qu'on  trouve  retranché  dans  les  éditions  données  après 
la  mort  de  l'auteur  :  Tel  est  encore  la  suppression  du  traité  de  Fé- 
nélon  de  Auctoritate  Sum.  Pontificis.  Ajoutez  enfin  ici  les  diffé- 
rences ,  les  oppositions  des  auteurs  gallicans  de  première  marque  , 
qui ,  sur  des  objets  de  la  plus  grande  importance  ,  soutiennent  des 
opinions  opposées.  Témoin  la  dispute  entre  Bossuet  et  Choiseuil  sur 
l'indéfectibilité  de  l'Eglise  romaine. 

Pardon ,  mon  respectable  ami ,  d'avoir  osé  mettre  votre  patience 
à  telle  épreuve!  c'est  votre  bonté  de  m'envoyer  la  lettre  de  mon- 


492  EXAMEN    DE    l'hISTOIRE    DE    FRANCE 

seigneur  de  Chartres  qui  m'a  mis  la  plume  en  main  ,  pour  rectifier 
les  opinions  sur  la  faculté  tbeologique  de  Louvain  dont  j'ai  eu  l'hon- 
neur d'être  membre,  et  pour  tacher  de  faire  voir  que,  hormis  les 
raisons  et  les  autorités  connues  partout ,  et  qu'on  n'a  point  dé- 
montrées inefficaces ,  nous  avons  beaucoup  d'autres  raisons  ,  pour 
ainsi  dire,  morales,  qui  établiront  à  jamais,  j'espère  ,  ces  sentimens 
d'obéissance  et  de  vénération  envers  notre  Père  commun  dans  ma 
patrie ,  dont  ils  seront  à  jamais  le  palladium  contre  les  dangers  de 
la  séduction. 

Je  de'sire  que  ces  sentimens  soient  connus  de  la  manière  et  dans 
les  circonstances  où  vous  le  trouverez  convenir.  Agre'ez,  etc. 


EXAMEN  DE  L'HISTOIRE  DE  FRANCE 

DE    M.    MICHEI^ET, 

CONSIDÉRÉE  SOUS  LE  RAPPORT  DE  LA  RELIGION. 

DEUXIÈME    ARTICLE    (1). 

Faux  système  de  M.  Michelet ,  qui  devient  la  cause  de  ses  faux  juge- 
mens.  —  Erreurs  sur  les  rapports  de  l'église  celtique  et  de  Rorae.  — 
Pelage,  — Colomban.  —  Le  clergé  est  le  seul  défenseur  des  pauvres, 
—  des  bonnes  mœurs  et  de  la  sainteté  du  mariage. — Appréciation  de 
Faction  de  Charlemagne  sur  la  civilisation  de  son  époque.  —  Incon- 
cevable assertion  sur  l'Eucharistie. 

Les  ide'es  de  Herder  et  de  Hegel  sur  la  pliilosop')ie  de  l'his- 
toire ,  semblent  avoir  inspire'  la  conception  historique  fonda- 
mentale de  M.  Michelet.  D'une  part  le  principe  identique  , 
immuable,  permanent;  de  l'autre,  le  principe  mobile,  im- 
pressionnable, changeant  incessamment  de  formes.  Le  premier 

(i)  V.  ci-d.  p.  389. 


DE    M.    MIGHELET.  493 

est  représente  par  les  Celtes ,  peuple  tenace ,  persistant ,  opi- 
niâtre ;  race  de  pierre ,  immuable  comme  ses  rudes  monumens 
druidiques  ,  peu  propre,  comme  on  voit,  à  l'association  et  à 
l'organisation  :  le  second  ,  par  les  Germains  ,  aa  caractère  do- 
cile, flexible,  inde'cis  ,  facile  à  se  mouler,  les  plus  disciplina- 
bles  des  barbares ,  ceux  dont  le  génie  était  le  moins  individuel , 

le  moins  original C'est  da  contact  long-temps  prolonge'  de 

ces  deux  e'ie'mens  et  de  leur  action  re'ciproque ,  que  se  de'duit 
la  loi  qui  domine  et  explique  tonte  la  suite  de  notre  histoire. 
—  Celte  observation  ge'ne'rale  de  M.  Michelet ,  re'duite  à  de 
justes  limites ,  a  sûrement  sa  valeur  que  nous  ne  contestons 
point  ;  mais  ce  qui  mérite  un  blâme  se'vère ,  ce  sont  les  ten- 
dances exclusives  de  l'historien,  sa  pre'tention  de  tout  re'duire 
à  ce  dualisme  ,  de  tout  appre'cier  à  l'aide  de  cette  unique  loi. 
Une  semblable  intention ,  arrête'e  d'avance ,  le  jette  dans  tous 
les  excès  inse'parables  de  l'esprit  de  système.  Il  est  triste  de 
le  voir  re'duit  tout  d'abord  ,  sous  peine  d'inconse'quence ,  à  la 
triste  ne'cessiîé  d'alte'rer  les  faits,  de  de'figurer  les  personnages, 
de  donner  l'exception  pour  la  règle,  le  type  d'un  individu  pour 
celui  d'une  e'poque  ;  de  rechercher  ,  en  un  mot ,  dans  le  choix 
des  couleurs  ,  dans  la  distribution  des  ombres  et  de  la  lu- 
mière ,  beaucoup  plus  les  effets  de  perspective ,  que  la  ve'rité 
du  tableau. 

La  première  application  qu'il  fait  de  sa  the'orie,  nous  servira 
à  justifier  nos  reproches. 

Cet  esprit  d'inde'pendance  qui  caracte'rise  les  Celtes,  M.  Mi- 
chelet le  signale ,  au  premier  aperçu ,  dans  les  e'glises  de  ce 
peuple.  L'e'glise  celtique  ,  dit-il  ,  est  anime'e  d'un  indomptable 
esprit  d^ individualité  et  d' opposition  ;  elle  ne  se  reconnaît  point 
inférieure  à  l'Eglise  de  Rome  ;  elle  est  son  égale ,  non  sa  jille , 
mais  sa  sœur;  elle  rejeta  sa  discipline;  de  son  sein  sortirent 
Pelage  qui  posa  la  loi  de  la  philosophie  celtique ,  la  person- 
nalité libre  ;  St.-Colomban  ,  rude  adversaire  des  Papes  ;  plus 
tard,  ScotErigcnc ,  le  breton  Abailard ,  et  le  breton  Descartes... 

L'histoire  du  christianisme  dans  les  Iles  britanniques  est , 
jusqu'au  lo^  siècle,  pleine  d'obscurite's  qui  laissent  un  libre 
cours  aux  inventeurs  de  systèmes  ;  mais  s'il  y  a  quelque  chose 


494  EXAMEN    DE    l'hISTOIRE    DE    FRANGE 

de  constaté  par  les  monumens  de  cette  époque ,  c'est  sans  con- 
tredit les  rapports  de  cette  église  avec  le  sie'ge  de  Rome.  Sans 
discuter  l'opinion  de  critiques  respectables  qui  rapportent  à 
St.  Pierre  la  première  pre'dication  de  lEvangile  en  Bretagne, 
ce  fut  le  pape  Eleuthère  qui  envoya  des  missionnaires  au 
prince  breton  Lucius ,  avant  la  fin  du  i^  siècle.  Vers  la  fin 
du  4" ,  St.  Kiaran ,  que  les  Irlandais  appellent  le  premier  né  de 
leurs  saints,  entreprit  un  voyage  à  Rome,  comme  à  la  vraie 
source  de  la  foi  et  de  la  discipline;  il  y  fut  ordonné  évêque, 
selon  les  auteurs  de  sa  nation ,  et  il  ramena  avec  lui  eu  Irlande 
cinq  clercs  qui  devinrent  autant  de  pontifes. 

St.  Palladius,  premier  évêque  des  Scots ,  reçut  l'onction  des 
mains  de  CélesHn  I""^ ,  en  43i.  —  Une  antique  tradition  attri- 
bue au  même  Pape,  l'ordination  et  l'envoi  de  St.  Patrice,  le 
grand  apôtre  d'Irlande.  —  Peu  d'années  auparavant,  lorsque 
le  pélagianisme  s'étendit  en  Bretagne  ,  les  fidèles  ,  non  con- 
tens  de  recourir  aux  évêques  gaulois,  envoyèrent  des  députés 
au  Saint-Siège  ,  et  ce  fut  encore  St.  Célestin  qui,  confirmant 
la  décision  d'un  concile  des  Gaules  ,  désigna  St.  Germain  et 
St.  Loup  pour  aller  combattre  1  hérésie  pélagienne.  —  Ces  re- 
lations avec  la  capitale  du  monde  clirétien  ,  étonneront  peut- 
être,  si  l'on  considère  qu'il  s'agit  d'îles  à  peine  connues  à  cette 
époque ,  reléguées  hors  des  limites  du  monde  civilisé ,  et  qui 
ne  pouvaient  communiquer  avec  Rome,  qu'à  travers  5oo  lieues 
de  contrées  toujours  en  proie  à  de  cruelles  et  interminables 
guerres. 

Pelage  lui-même  était  venu  à  Rome  ,  et  c'est  dans  ses  murs 
qu'il  fut  séduit  par  l'éloquence  de  Rufin  le  Syrien,  disciple  de 
-Théodore  de  Mopsuelte.  Saint  Jérôme  nomme  comme  vrais 
auteurs  du  pélagianisme,  Rufîin  d'Aquilée,  Palladius  de  Ga- 
lace,  Evagrius  du  Pont,  Didyme  et  Origène.  Aussi  tout  est- il 
grec  et  oriental  dans  cette  théorie  ;  envain  y  cliercherait-on 
des  traces  du  génie  celtique;  le  breton  Pelage  n'inventa  rien; 
il  propagea  seulement  une  des  mille  solutions  tentées  par  l'es- 
prit humain  pour  expliquer  l'éternelle  énigme  de  l'origine  du 
mal.  On  sait  combien  ce  problême  avait  tourmenté  les  orien- 
taux ,  et  que  de  monstrueux  systèmes  avaient  été  enfantés.  Les 


DE    M.    MICHELET.  495 

hérétiques  des  premiers  siècles  renouvelèrent  presque  toutes 
ces  antiques  erreurs  que  les  Grecs  avaient  apporte'es  à  Alexan- 
drie. Là ,  puisèrent  leurs  doctrines ,  les  gnostiques  ,  les  Mani- 
che'ens,  Cerdon,  Marcion,  etc.  Les  uns  supposèrent  l'existence 
de  deux  principes,  les  autres  aimèrent  mieux  recourir  à  d'in- 
nombrables ge'ne'rations ,  de'rivant  d'un  principe  bon ,  mais  se 
de'gradant  toujours  à  mesure  qu'elles  s'en  e'ioignaient ,  d'au- 
tres enfin  trouvèrent  plus  facile  de  nier  l'existence  du  mal. 
C'est  parmi  ces  derniers  que  peut  être  classe'  Pe'lage.  Toute  sa 
doctrine  se  re'duit ,  en  principe  ,  à  la  ne'gation  du  pe'che'  ori- 
ginel ;  car  si  l'homme  n'est  point  tombe',  qu'a-t-il  besoin  d'un 
secours  divin  pour  se  relever  de  sa  chute?  Pour  voir  là-dedans, 
avec  M.  Michelet,  la  réhabilitation  du  libre  arbitre,  il  faudrait 
établir  que  le  christianisme  avait  porte'  atteinte  à  la  liberté 
humaine  ;  et  cela  devient  d'autant  plus  difficile  ,  que,  sans  la 
liberté'  humaine ,  il  est  impossible  de  concevoir  le  christia- 
nisme. Au  lieu  donc  du  triomphe  de  la  dignité  individuelle  , 
nous  ne  trouvons  dans  le  pélagianisme  ,  qu'une  exube'rance 
de  l'orgueil  qui,  voulant  tout  expliquer,  ne  fait  qu'obscurcir 
les  te'nèbres,  et  accroître  les  mystères,  chaque  fois  qu'il  veut 
substituer  ses  propres  inventions  aux  enseignemens  de  Pe'ter- 
nelle  ve'rite'. 

Le  pe'lagianisme  se  re'pandit  rapidement  en  Bretagne  ;  mais 
il  ne  fit  que  passer  ;  trente  ans  après  la  mort  de  Pelage ,  il 
avait  disparu.  Ses  progrès  furent  bien  autrement  effrayans 
dans  l'Italie,  l'Afrique  et  l'Orient,  où  il  fallut  pour  l'arrêter , 
de  nombreux  conciles ,  et  les  décrets  re'pe'te's  des  Souverains- 
Pontifes  5  chez  les  Bretons,  il  sufiit  des  deux  missions  de  saint 
Germain  d'Auxerre.  Si  l'on  en  veut  trouver  des  traces  après 
l'année  44^»  '^  f'°'^t  l^s  chercher  à  l'extrémité  méridionale  de 
la  Gaule ,  dans  les  abbayes  toutes  romaines  de  Lérins  et  de 
Saint-Victor,  ou  le  moine  Cassius  l'avait  apporté  d'Orient.  Mais 
déjà ,  sous  l'étroit  manteau  du  sémi-pélagianisme ,  il  a  perdu 
tout  ce  qu'il  avait  d'audacieux  et  de  rationnel.  A  la  place 
d'une  opinion  philosophique,  il  n'y  a  plus  qu'une  mesquine 
et  vulgaire  hérésie  qui  dégénère  en  subtilités  scolastiques,  et 
n'a  plus  la  prétention  de  rendre  raison  de  quoi  que  ce  soit  ; 


496  EXAMEN    DE    l'hISTOIRE    DE    FRANGE 

aassi ,  c'est  en  pure  perte ,  ce  nous  semble ,  que  M.  Michelet 
s'efforce  de  nous  faire  de  Le'rius,  un  couvent  de  philosophes, 
une  pépinière  de  libres  penseurs  ,  une  manière  d'Alexandrie  oc- 
cidentale ;  de  tontes  ses  alle'gations ,  il  ne  re'sulterait  jamais 
qu'une  école  sémi-pélagienne.  Triste  conclusion,  sans  doute! 
pour  en  venir  là ,  fallait-il  donc  prendre  tant  de  peine ,  entas- 
ser les  citations,  et,  ce  qui  est  plus  grave,  calomnier  la  me'- 
moire  d'hommes  infiniment  respectables  (i)? 

Saint  Colomban  est  encore  un  type  choisi  par  M.  Michelet  pour 
confirmer  sa  thèse  favorite  d'une  éternelle  rivalité  entre  P Eglise 
celtique  et  V Eglise  romaine.  Le  caractère  de  saint  Colomban  n'a 
peut-être  pas  e'te'  ge'ne'ralement  appre'cie';  on  a  fait  de  lui  un 
brouillon  qui  troublait  l'Eglise  et  re'sistait  au  Pape  :  ses  anciens 
services ,  ses  institutions  monastiques  (2) ,  ses  fondations ,  me'- 


(i)  De  tous  les  noms  que  cite  M.  Michelet,  pag.  124,  note,  saint 
Honorât  et  saint  Hilaire  d'Arles  ,  Vincent ,  Faustus  ,  ce  dernier  est  le 
seul  qu'on  puisse ,  avec  quelque  raison  ,  accuser  de  sémi-pélagianisme. 
Ce  fut  en  combattant  les  prédestinations  dont  il  fit  abjurer  les  erreurs 
au  prêtre  Lucidus ,  qu'il  avança  quelques  propositions  suspectes  ,  les- 
quelles méritèrent  à  ses  écrits  la  censure  du  Saint-Siège.  Cette  condam- 
nation ,  au  reste ,  n'intervint  que  plusieurs  années  après  la  mort  de 
Faustus  ,  dont  la  mémoire  ,  loin  d'être  flétrie  ,  a  toujours  été  publiquement 
honorée  dans  son  diocèse  de  Riez.  (  Voir  sur  S.  Honorât  et  S.  Hilaire  le 
Panégyrique  du  premier  par  le  second,  Bolland.  16  januar.;  la  Vie  de 
S.  Hilaire  ,  par  S.  Honorât  de  Marseille  ;  D.  Ceillier ,  Histoire  des  au- 
teurs sacrés  et  ecclés.;  D.  Rivet,  Hist.  litlér.  de  la  France  ^  t.  11.)  Quant 
à  Vincent  de  Lérins  ,  on  n'a  aucune  preuve  qu'il  se  soit  écarté  de  la 
vraie  foi.  «  Avant  le  profane  Pelage,  dit-il  (  Commonit.  cap.  21  ),  qui 
présuma  jamais  assez  du  libre  arbitre  ,  pour  penser  que  dans  toutes  les 
bonnes  choses  et  dans  tous  les  actes ,  la  grâce  de  Dieu  n'était  pas  né- 
cessaire ?»  —  Quelque  jugement  qu'on  porte  sur  la  conduite  de  l'évêque 
d'Arles  ,  héros  si  diversement  apprécié  par  le  pape  Zozime  et  S.  Prosper, 
ce  n'est  nullement  pour  avoir  combattu  Pelage  qu'il  fut  chassé  de  son 
siège ,  mais  bien  parce  que  le  peuple  d'Arles  le  regardait  comme  un 
intrus,  et  une  créature  de  l'usurpateur  Constantin,  dont  la  chute  en- 
traîna celle  de  l'évêque. 

(2)  M.  Michelet  tombe  dans  deux  singulières  méprises  ,  à  l'occasion 
des  institutions  de  S.  Colomban.  Cette  règle ,  comme  on  sait ,  était  fort 


DE    M.    MIGHELET.  497 

ritaient  plus  de  réserve.  Les  lettres  qui  nous  restent  de  lui, 
sont  l'un  des  monumens  les  plus  curieux  de  cette  époque  ;  mais 
on  n'en  cite  guères  que  ce  qu'il  y  a  de  plus  bizarre  ,  de  plus 
âpre,  et  le  champ  est  vaste,  il  faut  en  convenir.  Cependant, 
parmi  ces  excès  d'un  zèle  outre' ,  se  lisent  des  passages  inspires 
par  la  foi  la  plus  humble,  et  la  plus  tendre  soumission  envers 
le  Chef  de  l'Eglise.  Voici  comment  il  parle  à  saint  Gre'goire  le- 
Gi'and,  après  avoir  vivement  soutenu  sa  tlièse  sur  la  ce'le'bra- 


rigoureuse  j  les  plus  légers  manquemens  étaient  punis  de  ludes  péni- 
tences :  six  coups  de  discipline  à  celui  qui  toussait  en  commençant  un 
psaume  ;  cinquante  pour  des  paroles  oiseuses  ;  à  celui  qui ,  sans  être  ma- 
lade ,  mangeait  avant  l'heure  de  noues ,  deux  jours  de  pénilencejà  celui 

qui  vomissait  reucliarislie  par  faiblesse  d'estomac  ,  vingt  jours  ,  etc 

0  Dans  cet  étrange  code  pénal ,  dit  M.  Michelet ,  bien  des  choses  scan- 
dalisent le  lecteur  moderne. — Un  an  de  pénitence  pour  le  moine  qui 
a  perdu  une  hostie  j  pour  le  moine  qui  a  failli  avec  une  femme ,  deux 
jours  au  pain  et  à  Veau  ,  un  jour  seulement  s  il  ignorait  que  ce  fût  une 
faute  (  269  ,  270  ).  î)  A  lappui ,  il  cite  le  texte  même  de  S.  Colomban  : 
Si  quis  monachiis  dormierit  in  unâ  domo  cum  muliere ,  etc.  Or,  la  seule 
lecture  de  ce  passage  prouve  combien  est  fautive  et  perfide  la  traduc- 
tion de  M.  Michelet.  Comment  a-t-il  pu  ne  point  voir  qu'il  s'agit  ici  de 
la  cohabilation  sous  le  même  toit ,  et  de  rien  davantage  ?  Ignore-t-il  que, 
parmi  les  conciles  si  nombreux  de  cette  époque ,  il  en  est  peu  où  cette 
cohabitation  n'ait  été  sévèrement  prohibée?  et  surtout  dans  l'église  cel- 
tique ,  où  il  était  défendu  de  voyager  avec  une  femme  dans  le  même 
cliariot ,  et  de  s'arrêter  dans  la  même  hôtellerie  ?  (  I.  Conc.  de  S.  Patrice  , 
can.'g.  )  Il  suffit  d'ailleurs  de  lire  le  pénitentiaire  de  saint  Colomban  : 
Si  fornicaverit  semel  tantùm  j  tribus  anuis  monaclius  pœniteat  ;  si  sœpius 
septem  annis  {,reg.  3).,..  Si  quis  fornicaverit....  et  in  notitiam  hominiim 
non  venerit ,  si  clericus j  tribus  annis;  si  monachus ,  vel  diaconus , 
quinque  annis  ;  5/  sacerdos ,  septem  ;  si episcopus,  duodecim  annis  (reg.  16). 
Voilà  pour  le  péché  consommé  ;  voici  pour  la  seule  pensée  :  si  quis  per 
cogitationem  peccauerit ,  id  est ,  concupierit  homineni  occidere  ,  autfor- 
nicari....,  dimidio  anno  in  pane  et  aqud  pœniteat  (reg.  1) ,  et  toto  se 
abstineat  anno  vino  et  carnihus  et  communione  allaris  {reg  Sa).  Liber 
depœnitent.  mensurâ  taxenda.  — S.  Colomb.  {Max.  Bibl.  Patrum.  t.  12). 
On  voit  qu'il  n'y  a  d'autre  scandale  que  l'inexplicable  préoccupation 
de  M.  Michelet. 

T.  X.  35 


EXAMEN    DE     L  HISTOIRE     DE    FKANGE 

tion  de  la  Pâqae ,  et  s'être  étonne'  que  la  coaturae  contraire  ne 
soit  pas  encore  condamnée  : 

«  Je  vous  exposerais  toutes  ces  choses  et  beaucoup  d'autres, 
»  que  la  brièveté'  d'une  lettre  ne  saurait  comporter,  en  un  style 
»  plus  humble  et  plus  pur ,  si  ma  faiblesse  corporelle  et  le  soin 
n  de  mes  compagnons  de  voyage  ne  m'attachaient  a  ma  demeure  ; 
»  maigre'  le  de'sir  que  j'ai  d'aller  à  cette  source  vive  des  eaux 
»  spirituelles,  de  puiser  à  cette  fontaine  vivifiante  de  la  science, 
n  qui  coule  du  ciel  et  jaillit  dans  la  vie  e'ternelle.  Et  si  mon 
»  corps  pouvait  suivre  mon  esprit,  Rome  aurait  encore  à  souf- 
»  frir  un  me'pris.  Car,  ainsi  que  nous  lisons  dans  saint  Je'rôme, 
»  que  des  voyageurs  venus  à  Rome  des  plus  lointains  rivages , 
M  demandèrent  après  (qui  pourrait  le  croire)?  quelque  chose 
»  au-dessus  de  Rome  ;  moi  aussi ,  j'imiterais  leur  exemple  ;  car 
»  c'est  vous,  et  non  Rome,  qui  êtes  l'objet  de  mes  vœux,  sauf 
»  toutefois  le  respect  des  saints  martyrs  desquels  j'irais  ve'né- 
»  rer  la  cendre....  0  bienheureux  Père,  que  la  charité  vous 
)»  porte  à  me  répondre,  et  que  l'âpreté  de  mon  langage  ne  vous 
»  en  détourne  point;  celle-ci  tient  à  mon  ignorance,  mais  mon 
»  cœur  brûle  de  vous  rendre  tout  l'honneur  qui  vous  est  dû. 
»  Mon  devoir  était  de  vous  interroger,  de  vous  conjurer,  de 
»  vous  invoquer;  le  vôtre  est  de  ne  point  rejeter  ma  prière, 
»  de  rompre  le  pain  de  la  doctrine,  selon  le  précepte  du  Christ, 
»  à  celui  qui  le  demande.  La  paix  soit  avec  vous  et  avec  les 
M  vôtres  ;  pardonnez ,  je  vous  en  supplie ,  à  mon  effronterie 
»  (procacitatl  mece)  ,  de  vous  écrire  aussi  hardiment,  et  dai- 
»  gnez,  an  moins  une  fois,  vous  souvenir  du  dernier  des  pé- 
»  cheurs  ,  dans  vos  saintes  prières  à  notre  commun  Maître  (i).  » 
Mais  c'est  surtout  dans  sa  seconde  lettre  au  pape  Booiface, 
que  S.  Colomban  se  montre  tout  entier ,  avec  la  rudesse  d'un 
barbare,  l'humilité  d'un  cénobite,  l'emportement  d'un  réfor- 
mateur et  l'amour  respectueux,  d'un  fils  :  on  y  trouve  de  la 
vraie  et  simple  éloquence ,  an  milieu  de  phrases  toutes  relui- 
santes du  phébus  du    7    siècle;   des   puérilités,   des   jeux  de 


(0  Epist.  5,  ad  Greg.  pap.  (Max.  Bitil.  PI^  t.   la.  ) 


DE    M.    MIGHELET.  499 

mots  qui  provoquent  le  rire ,  à  côté  de  paroles  qui  navrent  et 

effraient. 

«  Quel  est  le  cbe'tif  qui,  entendant  ceci,  ne  dise  aussitôt, 
»  quel  est  cet  effronté  parleur  qui  ose  écrire  ainsi  sans  qu'on 
)i  l'interroge?  Quel  amateur  de  récriminations  ne  m'appliquera 
»  cet  antique  reproche  de  l'Hébreu  à  Moïse  :  Qui  t'a  établi 
)»  chefoujuge  parmi  nous  P  Je  répondrai  qu'il  n'y  a  point  lieu 
»  à  la  présomption  lorsqu'il  s'agit  du  salut  de  l'Eglise;  et,  si 
»  vous  vous  moquez  de  la  personne,  considérez,  non  celui  qui 
)>  parle,  mais  ce  dont  il  parle;  car,  quel  chrétien  pourra  dé- 
»  sormais  se  taire,  quand  l'arien  lui-même  éclate  à  nos  côtés? 
»  Il  est  écrit  que  les  blessures  d'un  ami  sont  préférables  aux 
))  emhrassemens  d'un  ennemi  :  d'autres,  pleins  de  joie,  vous 
»  déchireront  en  secret;  moi ,  c'est  en  public  que  je  vous  in- 
»>  crimine  avec  un  cœur  triste  et  désolé.  Car  ce  n'est  point  la 
»  vanité  et  la  jactance  qui  me  portent,  moi ,  homme  de  néant, 
»  à  écrire  aux  plus  hauts  personnages ,  mais  bien  la  douleur 
»  qui  me  force  à  vous  déclarer ,  du  ton  le  plus  humble,  comme 
»  il  convient ,  que  vos  divisions  font  blasphémer  le  nom  de 
»  Dieu  parmi  les  nations.  Je  vous  parle  conime  un  ami,  comme 
»  un  disciple  attaché  à  vos  pas;  c'est  pourquoi  je  vous  parlerai 
»  librement ,  comme  à  mon  maître  ,  au  conducteur  du  vaisseau 
)»  spirituel ,  au  mystique  pilote  ;  et  je  dirai  :  veillez  ,  car  la  mer 
»  est  orageuse....  ;  veillez,  car  les  flots  entrent  dans  la  barque 
»  de  l'Eglise  ,  et  la  barque  est  en  péril....  Nous  sommes  les  dis- 
»  ciples  de  Pierre  et  de  Paul,  et  nous  avons  conservé  pure  la 
»  foi  catholique  ,  telle  que  nous  l'avons  reçue  de  vous ,  suc- 
»  cesseurs  des  saints  apôtres.  Daignez  donc  écouter  mes  paroles 
»>  avec  bienveillance;  et,  s'il  y  a  quelque  chose  d'inconvenant, 
»  attribuez-le  à  l'ignorance,  et  non  à  l'orgueil....  Veillez  donc, 
»  ô  Pape!  je  vous  le  répète,  veillez  :  c'est  peut-être ^^zrce  owe 
»  Vigile  n'a  pan  bien  veillé,  que  le  scandale  est  entré  dans 
»   l'Eglise  (i)...  Il  est  temps  de  sortir  du  sommeil  ;  le  Seigneur 


(i)  S.  Colomban  ne  parle,  ainsi  qu'il  l'avoue,  que  d'après  des  ouï- 
dire  :  il  n'était  point  au  fait  de  la  question  ,  et  n'en  savait  que  ce  ^u'il 

35. 


500  EXAMEN    DE    l'hISTOIRE    DE    FRANGE 

»  approche  ;  noas  sommes  de'jà  dans  le  pe'ril  des  derniers  temps. 
»  Voici  queles  nations  sont  troublées,  les  royaumes  cliancèlent; 
»  le  Seigneur  fera  entendre  sa  voix,  et  la  terre  sera  e'branle'e. 
»  Mol,  que  ma  faiblesse  rend  timide,  je  m'efforce  de  re'veiller 
»  le  clief  des  chefs  {ducum  principem) ,  par  mes  importunes 
»  clameurs.  C'est  vous  que  regarde  le  danger  de  l'arme'e  du 
»  Seigneur,  de  cette  arme'e  presque  endormie  sur  le  champ  de 
»  bataille  ;  et  (  chose  plus  de'ploi'able  encore) ,  qui  semble  plu- 
))  tôt  dispose'e  à  donner  la  main  à  l'ennemi  qu'à  le  combattre. 
»  C'est  vous  seul  qui  avez  le  pouvoir  de  tout  ordonner ,  de  de'- 
1»  clarer  la  guerre,  d'exciter  les  chefs,  de  crier  aux  armes,  de 
»  ranger  l'arme'e  en  bataille ,  de  sonner  les  trompettes ,  de 
»   commencer  l'attaque  en  marchant  au  premier  rang....  » 

Il  poursuit  long-temps  encore  sur  ce  ton  ,  exhortant  le  Pape 
k  la  vigilance ,  le  rc'primandant ,  le  pressant  de  dissiper  tous 
les  soupçons  qui  peuvent  planer  sur  le  Saint-Siège,  non  que 
ces  soupçons  lui  paraissent  fonde's,  car  il  sait  que  la  colonne 
de  V Eglise  est  inébranlable  ^  et  le  conjurant  mille  fois  d'excuser 


en  avait  appris  par  les  schisinatiques.  On  l'avait  assuré  que  le  P.  Vigile 
était  cause  du  scandale  arrivé  à  l'occasion  de  la  condamnation  des  trois 
chapitres,  et  que  le  cinquième  concile  avait  approuvé  JVeslorius  ;  c'est 
ce  qui  le  faisait  s'écrier  :  Quia  forte  non  henè  vigilai'it  Figilius.  Saint 
Colomban  aimait  les  jeux  de  mots  j  ailleurs ,  parlant  de  S.  Léon,  mort 
depuis  long-temps  ,  il  dit  au  Pape ,  avec  toute  la  grossièreté  d'un  Scot 
stiipide  (Scotum  hchelcm ,  comme  il  s'appelle  Xiùméme)  ,  melior  est 
canis  viuus  Leone  mortuo.  Il  glose  sur  son  propre  nom  de  Columbanus , 
le  retourne  en  grec ,  en  hébreu  ,  et  s'appelle  tour  à  tour  Tli^iç-ri^u.  ou 
Barjona  (filius  Columhœ).  On  connaît  le  titre  de  sa  lettre  à  Boniface  : 
Pidcherrimo  totius  Europœ  eccLesiarum  capiti ,  papœ prœdulci ^  piœcelso 
prœsidi ,  pastorum  pastori ,  reuerendissimo  speculatori ,  humillimus  cet- 
sissiino  ,  mininnis  maximo  ,  agrcstis  Urbano  ,  micrologus  eloquentissimo  , 
exlremus  primo  ,  peregrinus  indigence ,  paiipercidus  propotenti  (  miriim 
dicta  j  noua  tes  )  rara  auis ,  scribcre  audel  Bonijacio  patri  Palumbus. 
—  Et  au  pape  Grégoire  :  Domino  sancto  et  in  Christo  patri  Romano , 
pulcherrimo  ccclesiœ  decori ,  totius  Europœ  flaccentis  augustissimo  quasi 
cuidam  Jlori ,  egregio  speculatori . . . .  ego  Barjona  vilis  in  Christo  mitto 
salutcm . 


lyE    M.    nilCHELET.  501 

les  termes  qai  pourront  offenser  son  oreille.  <«  Car,  dit-il  en 
1)  finissant,  nous  sommes  liés  à  la  chaire  de  Pierre,  et  si  Rome 
»  est  grande  et  renomme'e  ,  c'est  par  cette  chaire  qu  elle  est 
M  grande  et  renomme'e  parmi  nous....  Que  la  paix  soit  donc 
»  re'tablie  le  plutôt  possible,  afin  que  tous,  nous  ne  formions 
M  plus  qu'un  seul  troupeau  du  Christ;  vous,  à  la  suite  de 
»  Pierre  ;  nous,  à  la  vôtre  avec  toute  Tltalie.  Quoi  de  mei!- 
»  leur  que  la  paix  après  la  guerre  ?  de  plus  doux  que  la  re'u- 
»  nion  de  frères  se'pare's  depuis  long-temps  ?  Quoi  de  plus  joyeux 
»  que  le  retour  d'un  père  après  de  longues  années  ?  de  pkis 
))  ravissant  pour  une  mère  que  l'arrive'e  d'un  fils  long-temps 
»  attendu  ?  Ainsi  la  paix  des  enfans  re'jouira  Dieu  ,  notre  père, 
))  dans  les  siècles  des  siècles;  et  l'Eglise,  notre  mère,  tressail- 
»  lera  d'une  alle'gresse  qui  retentira  dans  l  éternité'  (i).  » 

Le  spectacle  qu'offrait  alors  la  chrétienté  était  bien  fait  pour 
exciter  ie  zèle  de  saint  Colomban.  Les  beaux  jours  de  VEglise 
celtique  étaient  passés,  les  jours  de  saint  Pallade  et  de  saint 
Patrice,  quand  ce  dernier  prêchait  aux  peuples,  tenait  des  con- 
ciles, rédigeait  des  canons,  demandait  compte  au  roi  Corotic 
du  sang  chrétien  qu'il  avait  versé  (2).  Après  eux  vinrent  saint 
Colomb  ,  saint  Comgall,  saint  Brendan,  et  tant  d'autres  qui  mé- 
ritèrent à  rirlande  le  nom  de  Vile  des  Sainls  ;  il  fut  glorieux, 
le  temps  des  ciildées ,  des  immenses  et  innombrables  abbayes, 
des  écoles  florissantes  oii  affluaient  les  étrangers.  Plus  tard  , 
au  milieu  de  longues  et  sanglantes  guerres,  la  discipline  se  re- 
lâcha ,  les  mœurs  se  corrompirent ,  les  discussions  s'échauffè- 
rent ;  mais  loin  que  la  ténacité  du  génie  celtique  soit  la  cause 
unique  de  tous  ces  désordres,  on  doit  les  attribuer  tout  autant 
aux  malheurs  des  temps  et  à  la  difficulté  des  communications, 
qui  laissait  une  grande  énergie  aux  anciennes  traditions  des  Bur- 


(i)  Epist.   4î  '^'^  Bonif.^  ibid. 

(a)  S.  Pairie,  episi.  ad  Corotic.  Bolland.  «  Que  tout  homme  ,  craignant 
Dieu  ,  dit   le    Saint  ,  ep  s'adrcssant  aux   chrétiens  ,   sache   que   ceux-ci 

I  Corotic  et  les  siens)  sont  séparés  de  moi  et   du   Christ,  mon  Dieu.... 

II  n'est  point  permis  de  manger  ou  boire  avec  eux  ,  de  recevoir  leurs 


502  EXAMEN    DE    l'hISTOIRE    DE    FRANGE 

des  et  des  Druides  (i).  L'arrivée  des  Saxons  menaça  de  tout 
ramener  au  chaos ,  lorsque  saint  Augustin  fut  envoya'  par  Gre'- 
goire-le-Grand ,  et  !e  salut  vint  encore  une  fois  de  Rome. 

Si  le  ge'nie  des  Celtes  avait  long-temps  lutte'  contre  l'Eglise 
romaine,  il  n'en  fut  point  ainsi  des  races  germaniques.  A  peine 
arrives  sur  le  sol  de  la  Gaule ,  les  Francs  deviennent  les  auxi- 
liaires de  l'Eglise.  Dès  la  seconde  génération ,  ils  sont  à  elle.  Il 
lui  suffit  de  les  toucher ,  les  voilà  vaincus.  Ils  vont  rester  mille 
ans  enchantés.  Ces  barbares ,  qui  semblaient  prêts  à  tout  écraser, 
ils  sont,  qu'ils  le  sachent  ou  non,  les  dociles  instrumens  de  l'E- 
glise. Elle  emploiera  leurs  jeunes  bras  pour  forger  le  lien  d acier 
qui  va  unir  la  société  moderne  (p.  i32  ).  Que  la  conversion  des 
Francs,  et  la  protection  accorde'e  par  Clovis  au  cierge'  ne  doi- 


aumônes ,  jusqu'à  ce  qu'ils  aient  satisfait  à  Dieu  par  les  larmes  de  la 
pénitence  ,  et  rendu  à  la  liberté  les  serviteurs  et  les  servantes  du  Christ.  » 
(i)  Les  dissidences  disciplinaires  des  Bretons  ne  touchaient  point  aux 
choses  essentielles  du  christianisme  .  elles  étaient  à  peu  près  exclusive- 
ment relatives  au  jour  où  il  fallait  célébrer  la  Pâque ,  et  à  la  forme  de 
la  tonsure  ecclésiastique  (Doct.  Lingard  ,  Aiitiq.  de  régi.  Angl.  Sax.  p.  49). 
M.  Michelet  prétend  qu'en  Irlande  on  baptisait  avec  du  lait  (263).  Le 
texte  sur  lequel  il  fonde  son  assertion,  prouve  seulement  que  le  lait 
était  employé  parmi  les  cérémonies  du  baptême  des  enfans  des  riches  , 
lac  adhibilum  fuisse  ad  haptisandos  diuilumjilios.  (  Carpent.  Suppl.  au 
Gloss.  de  Ducange).  Personne  n'ignore  que  ,  dès  la  [)lus  haute  antiquité, 
on  donnait  du  lait  aux  nouveaux  baptisés  après  la  communion.  Ter- 
tullien  parle  d'un  mélange  de  lait  et  de  miel  {concordiam  lactis  et 
rnelUs  ) ,  qu'on  faisait  goûter  aux  catéchumènes  en  les  retirant  des  fonts 
sacrés  {lib.  de  Coron,  milit.  e.  3).  C'était  un  usage  établi  dans  toutes 
les  églises  d'Afrique  (  id.  adv.  Marcion.  lib.  1 ,  et  codex  can.  eccles. 
Afric.  c.  37).  S.  Jérôme  le  regarde  comme  universellement  reçu  dans 
l'Eglise  (  dialog.  adi>.  Lucif.  )  ;  il  parle  aussi  d'un  mélange  de  vin  et  de 
lait  (inisaï  cap.  55).  Cette  coutume  dura  en  Occident  jusqu'au  milieu 
du  9e  siècle ,  et  elle  existait ,  il  y  a  peu  de  temps  encore  ,  dans  quel- 
ques églises  d'Orient ,  d'après  Jean  diacre  (  epist.  ad  Senariuni ,  t.  1 , 
mus.  Ital.).  V.  Edm.  Martenne ,  De  antiq.  eccl.  ritib.  t.  i,  p.  i46. — 
Il  est  sensible,  au  premier  aperçu,  combien  cet  emploi  du  lait  était  en 
harmonie  avec  les  idées  de  régénération ,  de  nouvelle  vie  .  d'enfance 
spirituelle  ,  que  la  foi  catholique  a  toujours  attachées  au  baptême. 


DE    M.     MIGHELET.  503 

vent  être  rapportées  en  partie  à  des  motifs  politiques,  c'est  ce 
qu'il  serait  frivole  de  contester;  mais,  pour  mieux  expliquer 
l'influence  exerce'e  par  l'Eglise,  fabriciuer  à  un  peuple  un  ca- 
ractère de  fantaisie,  cela  est  indigne  de  la  gravite'  historique. 
Selon  M.  Michelet,  rien  de  plus  soujîle  que  ces  hordes  franqnes 
sortant  de  leurs  forêts;  ces  doux  Sicambres  sont  les  plus  ob- 
se'qnieux  des  hommes,  c'est  une  cire  molle  que  le  premier 
clerc  va  modeler  à  son  gre'.  Tout  cela  ne  s'accorde  guère  avec 
les  souvenirs  que  rappellent  les  noms  de  Clovis ,  de  Clotaire , 
de  Chilpe'ric  ,  de  Fre'de'gonde...  Le  Christianisme  eut  à  vaincre 
dans  les  Gaules ,  comme  ailleurs ,  la  violence  ,  la  cruauté' ,  la 
soif  de  1  or  et  de  la  vengeance  ,  la  de'banche  sans  frein. 

Peu  de  pages  dans  l'histoire  inte'ressent  plus  que  celles  qui 
nous  ont  conserve'  les  de'tails  de  cette  e'ducation  de  nos  farou- 
ches ancêtres.  Ce  ne  fut  point  l'ouvrage  d'un  jour,  ni  d'un 
siècle.  Les  e'vêques  apparaissent  dès-lors  comme  les  pères  et 
les  vrais  instituteurs.  De'jà  revêtus  d'une  magistrature  publique 
sous  l'administration  romaine,  ils  devaient  bien  plus  encore  la 
conside'ration  dont  les  peuples  les  environnaient ,  à  leurs  lu- 
mières et  à  leurs  vertus.  Ils  avaient  sauve'  les  villes  des  fureurs 
d'Attila  :  Paris  n'avait  point  oublie'  le  nom  de  Germain;  Troies 
celui  de  Loup;  Orle'ans,  celui  d'Anianus.  Dans  cetîe  reconstruc- 
tion des  sociéte's ,  les  e'vêques  repre'sentaient  seuls  la  force  in- 
telligente; eux  seuls  parlaient  au  peuple  de  choses  morales  en 
même  temps  qu'ils  de'fendaient  ses  inte'rêts  de  chaque  jour. 
Prote'ger  les  faibles  et  les  vaincus,  nourrir  les  pauvres,  affran- 
chir les  esclaves  ,  racheter  les  captifs,  recevoir  les  étrangers  (i), 
maintenir  l'inviolabilité'  des  asiles ,  n'e'tait  pas  moins  dans  leurs 
attributions  ,  qu'annoncer  l'Evangile  et  corriger  les  pe'cheurs. 
Pour  suffire  à  tant  de  travaux,  ils  avaient  besoin  de  coope'ra- 
teurs  nombreux  et  de'voue's  ;  aussi  le  soin  principal  de  l'e'pis- 
copat  fut-il  de  s'entourer  d'un  digne  sacerdoce.  Plus  de  cin- 


(i)  On  ne  nourrira  point  de  chiens  dans  la  maison  de 'l'éuéque ,  de 
peur  que  ceux  qui  viennent  chercher  des  secours  ne  soient  mordus  (  a^  conc. 
de  Mâcon,   can.   i3  ). 


504  EXAMEN    DE    l'hISTOIRE    DE    FRANCE 

quante  conciles,  au  6  siècle,  furent  tenas  clans  la  Gaaie  pour 
l'e'tablissement  ou  le  maintien  de  la  discipline.  Nulles  matières 
n'y  sont  plus  souvent  traite'es  que  le  célibat  des  prêtres,  l'or- 
ganisation de  la  hie'rarcliie ,  la  liberté  des  élections ,  les  peines 
contre  les  usurpateurs  du  bien  des  pauvres,  les  secours  dûs 
aux  malades  et  aux  indigens. 

Les  décrets  des  conciles  embrassaient  en  outre  les  principaux 
actes  de  la  vie;  les  mariages  étaient  réglés  par  eux  :  la  pénitence 
canonique  tendait  à  se  substituer  aux  lois  pénales  des  barbares  : 
bientôt  la  législation  ecclésiastique  commence  à  recevoir  la 
sanction  royale  ;  —  les  premières  constitutions  de  nos  rois  (de 
Cliildebert  P"",  de  Clotaire,  de  Childebert  II  )  ne  sont  guère  que 
des  recueils  de  canons. 

Ce  qui  accroissait  encore  l'éclat  de  la  mitre  épiscopale ,  c'é- 
tait la  position  que  les  bommes  qui  la  portaient,  avaient  prise 
vis-à-vis  des  cliefs  de  la  nation.  On  va  voir  que  ce  n'est  pas 
cbose  nouvelle  dans  l'Eglise ,  que  d'entendre  les  évêques  et  les 
prêtres  prendre  les  intérêts  des  faibles  et  des  pauvres,  contre  les 
vices  et  les  vexations  des  grands.  —  A  peine  Clovis  a-t-il  em- 
brassé la  foi  cbrétienne ,  que  S.  Rémi  lui  écrit  :  «  Choisis  des 
»)  conseiliers  dont  la  sagesse  bonore  ton  règne  ;  respecte  les 
a  évêques  et  écoute  leurs  conseils  Soulage  les  peuples  ,  console 
»  les  affligés,  protège  les  veuves,  nourris  les  orphelins,  rends 
»  exactement  la  justice  ,  ne  reçois  rien  des  pauvres  ni  des  étran- 
»  gers.  Que  ton  palais  soit  ouvert  à  tous  ,  et  que  personne  n'en 
»  sorte  la  tristesse  dans  le  cœur;  emploie  au  rachat  des  captifs 
»  les  biens  de  ton  domaine  paternel (i).  »  Clotaire  voulut  exiger 
que  les  églises  de  son  royaume  payassent  au  fisc  le  tiers  de  leurs 
revenus;  mais  Injurlosus,  évêque  de  Tours,  lui  tint  ce  langage  : 
«  Si  tu  prétends  enlever  les  biens  de  Dieu  ,  Dieu  t'enlèvera 
»  bientôt  ton  royaume;  car  il  est  inique  que  toij  qui  devrais 
»  nourrir  les  pauvres  de  tes  greniers  ,  tu  remplisses  tes  greniers 
»  du  blendes  pauvres;  »  et,  plein  de  colère,  il  sortit  sans  sa- 
luer le  roi  (2).  —  Un  seigneur  austrasien ,  nommé  Gontram- 

(1)  T.  I.  Conc.  Gall.  p.  176. 

(2)  Greg.  Tur.  Hist.  1.  iv ,   c.  2. 


DE    M.     MICHELET.  505 

Boson ,  fuyant  la  colère  du  roi  Chilpëric,  se  réfugia  dans  la 
ce'lèbre  basilique  de  Saint-Martin  ;  le  roi ,  alte'rë  de  vengeance, 
re'clama  bientôt  sa  proie.  D'abord  ce  fut  une  invitation  amicale, 
puis  des  insinuations  menaçantes,  puis  enfin  des  mesures  com- 
minatoires capables  d'agir  par  la  terreur ,  non-seulement  sur 
le  cierge'  de  Tours  ,  mais  sur  la  population  entière.  Un  cbef 
neustrien  vint  camper  avec  une  tronpe  d'hommes  arme's  aux 
portes  de  la  ville,  et  de  là,  il  adressa  ce  message  à  l'évêque  : 
»  Si  vous  ne  faites  sortir  Gontram  de  la  basilique ,  je  brûlerai 
)»  la  ville  et  les  faubourgs.  »  L'e'vêque,  qui  e'tait  saint  Gre'goire 
l'historien  5  auquel  ces  re'cits  sont  emprunte's,  re'pondit  avec 
calme  que  la  chose  était  impossible.  Mais  il  reçut  un  second  mes- 
sage encore  plus  menaçant  :  «  Si  vous  n'expulsez  aujourd'hui 
»  même  l'ennemi  du  roi ,  je  vais  de'truire  tout  ce  qu'il  y  a  de 
»  verdoyant  à  une  lieue  autour  de  la  ville,  si  bien  que  la  char. 
»  rue  pourra  y  passer.  »  Gre'goire  n'en  fut  pas  moins  impas- 
sible ;  et  le  Neustrien,  après  tant  de  jactance,  se  contenta  de 
piller  et  de  de'molir  la  maison  qui  lui  servait  de  logement.  Peu 
de  temps  après ,  le  jeune  prince  Me'rove'e  vint  chercher  dans 
la  même  e'glise  an  abri  contre  la  fureur  de  son  père  Cliilpe'iùc  : 
ce  dernier  envoya  aussitôt  une  de'pêche  conçue  en  ces  termes  : 
«  Chassez  l'apostat  hors  de  votre  basilique ,  sinon  j'irai  brûler 
»  tout  le  pays.  »  L'e'vêque  re'pondit  simplement  qu'une  pareille 
chose  n'avait  jamais  eu  lieu,  pas  même  au  temps  des  rois  goths 
qui  e'taient  be're'tiques,  et  qu'ainsi  elle  ne  se  ferait  pas  dans  un 
temps  de  ve'ritable  foi  chrétienne.  Et  Me'rove'e  demeura  dans 
son  asile  (i). 

La  guerre  e'tait  sur  le  point  d'e'claler  entre  les  deux  frères 
Sighebert  et  Chilpëric  ,  ou  plutôt  entre  Brunehaut  et  Fre'de'- 
gonde ,  les  deux  implacables  ennemies:  voici  comment  saint 
Germain  e'crit  à  la  première  de  ces  deux  reines  :  «On  dit  que 
»  c'est  à  votre  instigation  que  le  glorieux  roi  Sigebert  a  re'solu 
»  de  porter  la  de'solation  dans  cette  province  (  la  Neustrie).  Ce 
>>   n'est  pas  que  j'ajoute  foi  îi  ces  bruits  ;  mais  je  vous  conjure 


(i)  Grcg.  Tur.  1.  v,  c.   4  et   14.   Trad.   d'Aug.  Thieni. 


506  EXAMEN    DE    l'hISTOIRE    DE    FRANCE 

»  (le  n'y  point  donner  occasion.  Je  sais  que  nous  avons  mérite' 
M  d'être  punis  pour  nos  pe'clie's ,  mais  nous  nous  flattions  que 
w  notre  perle  e'tait  difFe're'e  ,  dans  l'attente  de  notre  amendement.. 
n  Je  ne  cesse  de  crier  à  tous  de  rentrer  en  eux-mêmes  pour 
I)  e'viter  la  condamnation.  Dieu  le  sait,  et  cela  me  suflit  :  j'ai 
»  souhaite' ,  ou  de  mourir  pour  leur  procurer  la  vie ,  ou  du 
»  moins  d'être  enlevé'  de  ce  monde  avant  de  voir  la  de'solation 
»  de  ce  pays  ;  mais  personne  ne  m'e'coute....  Je  vous  e'cris  ceci 
»  les  larmes  aux  yeux  ,  parce  que  je  vois  comment  les  peuples 
»  et  les  rois  courent  à  leur  perte  en  marchant  dans  les  voies 
»  de  l'iniquité'....  N'est-ce  pas  une  victoire  bien  honteuse  que 
»  vaincre  un  frère  ,  ruiner  sa  propre  famille  ,  et  de'truire  l'he'- 
»  ritage  de  ses  pères  (i)?  » 

Fre'de'gonde  ne  voyait  qu'avec  peine  Pre'textat  re'tahli  sur  le 
sie'ge  de  Rouen  ;  elle  le  menaçait  de  l'envoyer  une  seconde  fois 
en  exil,  ti  Ici ,  ou  dans  l'exil,  re'pond  Pre'textat ,  j'ai  e'té,  je  suis 
»  et  je  serai  toujours  e'vêque  ;  mais  vous  ne  serez  pas  toujours 
)»  reine  :  Dieu  m'e'lèvera,  de  l'exil,  dans  son  royaume;  mais 
1»  vous  ,  de  votre  troue  ,  vous  serez  précipite'e  dans  l'abîme  ,  si 
11  vous  ne  de'pouillez  votre  de'bauche  et  votre  cruauté.  »  A  ces 
mots,  la  reine  sortit  furieuse;  mais  le  jour  de  la  fête  de  la 
Re'surrection  ,  Pre'textat  e'tant  venu  à  l'e'giise  de  meilleure  heure, 
et  s'e'tant  place' dans  sa  stalle,  un  meurtier  le  frappa  d'un  coup 
de  poignard  dans  le  côte'.  L'e'vêque  jeta  un  cri  pour  appeler 
ses  clercs,  mais  personne  ne  venant  à  sou  secours,  il  e'tendit 
vers  l'autel  ses  mains  teintes  de  sang ,  adressant  h  Dieu  sa  prière 
et  ses  actions  de  grâces.  Les  fidèles  accoururent  enfin,  et  le 
prenant  entre  leurs  bras ,  le  portèrent  sur  son  lit.  Fre'de'gonde 
vint  aussi ,  feignant   une  sincère  douleur  :  «  Plût  à  Dieu ,  dit- 


(i)  Script,  rer.  franc.t.  iv  ,  p.  8o.  Le  même  saint  Germain,  surmon- 
tant son  mal ,  va  Irourer  Sigebert  au  moment  de  son  départ  pour  la 
guerre  :  «  Si  tu  pars  sans  avoir  le  dessein  de  tuer  ton  frère ,  tu  retour- 
neras vivant  et  vainqueur;  mais  si  tu  as  d'autres  pensées  ,  tu  mouri-as; 
car  le  Seigneur  a  dit  par  la  bouche  de  Salomon  :  tu  tomberas  dans  la 
fosse  cjue  tu  creusais  à  ton  frère.  «  Grég.  T.  1.  iv ,  c.  46- 


DE    M.    MIGHELET.  507 

»  elle ,  qu'on  pût  découvrir  l'assassin  pour  le  punir  comme  il 
))  me'rite.  »  —  "  Et  quelle  antre  main  a  fait  le  coup  ,  s'e'cria 
»  Pre'textat ,  que  celle  qui  a  tue'  les  rois  ,  qui  a  verse'  tant  de 
)>  sang  innocent ,  qui  a  t'ait  tant  de  maux  à  ce  royaume  ?»  — 
La  reine  ajouta  :  «  Nous  avons  d'iiabiles  me'decins,  qui  pour- 
)>  ront  gue'rir  votre  blessure  ;  souffrez  qu'ils  viennent  auprès 
)>  de  vous.  i>  —  <t  Je  sens,  dit  l'e'vêque ,  que  le  Seigneur  m'ap- 
»  pelle  hors  de  ce  monde  :  mais  vous  qui  êtes  l'auteur  de  tous 
))  ces  crimes,  vous  seule  serez  chargée  de  male'dictions  sur  la 
»  terre ,  et  Dieu  vengera  mon  sang  sur  votre  tête.  >-  —  Comme 
la  reine  se  retirait,  le  pontife  rendit  l'esprit  (i). 

Le  roi  Tliierri,  plein  de  ve'néraiion  pour  Nicetius  ,  qui  ne 
cessait  de  lui  reprocher  ses  vices  et  ses  crimes ,  favorisa  beau- 
coup son  éle'vatio  n  sur  le  siège  de  Trêves,  et  voulut  l'accompagner 
lui-même  à  sa  ville  e'piscopale  ,  avec  un  pompeux  corte'ge.  On 
arriva  le  soir,  au  coucher  du  soleil,  près  de  la  ville;  et  pendant 
qu'on  dressait  des  tentes  pour  y  passer  la  nuit,  les  cavaliers  dé- 
tachant leurs  chevaux ,  les  lâchèrent  parmi  les  moissons  des 
pauvres  :  le  Saint ,  touché  de  compassion  à  cette  vue,  s'écria 
aussitôt  :  «  Chassez  vos  chevaux  de  Li  moisson  des  pauvres ,  ou 
»  je  vous  séparerai  de  ma  communion.  »  Ceux-ci,  humiliés, 
s'étonnaient  que ,  n'étant  pas  encore  sacré  évéque  ,  il  parlât 
d'excommunication.  «Le  roi,  répondit-il,  m'a  arraché  à  mon 
1)  monastère  pour  m  imposer  le  fardeau  de  l'épiscopat;  la  volonté 
»  de  Dieu  sera  faite  ,  mais  la  mauvaise  volonté  du  roi  ne  sera 
»  jamais  accomplie  tant  que  j'y  pourrai  mettre  obstacle.  »  Alors, 
d'un  pas  rapide,  il  alla  lui-même  chasser  les  chevaux,  et  puis 
il  entra  dans  la  ville,  en  triomphe  (2). 

De  toutes  les  mauvaises  passions  des  mérovingiens ,  il  n'y  en 
avait  aucune  de  plus  violente  et  de  plus  commune  que  la 
luxure.  Quoique  cet  instinct  brutal  eût  déjà  fait  chasser  du 
royaume  Chiidéric  ,  père  de  Ciovis  ,  leurs  descendans  n'en  re- 
cueillirent pas   moins    ce  honteux  héritage.  Sur  ce  point,   la 


(i)  Greg.  Tur.  HisL,   1.  viii ,  c.   3i. 

(2)  Greg.  Tur.   ^à.  VP.  c    17.  Max.  Bihl.  Patr.  t.   n. 


508  EXAMEN    DE    l'hiSTOIRE    DE    FRANCE 

plapart  d'entr'eax  ne  reconnaissaient  d'autre  règle  que  leurs 
appe'tits,  d'autre  loi  que  la  violence.  Il  serait  superflu,  sans 
doute,  de  de'velopper  ici  tous  les  re'sultats  purement  humains 
d'un  tel  vice ,  le  plus  anti-social  peut-être  de  tons ,  puisqu'il 
de'truit  la  socie'te'  dans  sa  base  qui  est  la  famille ,  e'nerve  le  sens 
moral  dans  ce  qu'il  a  de  plus  intime,  épuise  la  vie  dans  sa  source 
même.  C'est  contre  ce  penchant  que  se  re'unirent  tous  les  efforts 
des  e'vêques;  ils  employaient  tour  à  tour  les  prières,  les  exhor- 
tations, les  menaces,  et  enfin  le  terrible  châtiment  de  l'ex- 
communication ;  rien  ne  les  arrêta ,  ni  la  puissance  de  leurs 
adversaires,  ni  la  disgrâce  des  rois,  ni  le  poignard  des  as- 
sassins. 

The'odebert  ayant  entrepris  une  expe'dition  dans  le  midi  de 
la  Gaule  ,  trouva  au  camp  de  Cabrières,  Deutérie,  dont  la  beauté 
et  la  barbarie  sont  demeure'es  ce'lèbres  :  se  croyant  tout  permis, 
parce  qu'il  pouvait  tout,  il  l'e'pousa ,  quoiqu'elle  fût  marie'e 
aussi-bien  que  lui.  Cette  conduite  fut  d'un  funeste  exemple,  et 
les  jeunes  seigneurs  de  sa  cour ,  après  s'être  iivre's  h  tous  les 
de'sordres ,  se  portèrent  jusqu'à  contracter  des  mariages  inces- 
tueux (par  cela  seul  ils  encouraient,  comme  le  roi  lui-même, 
l'excommunication).  Nicetius ,  e'vêque  de  Trêves,  duquel  nous 
avons  de'jà  parle'  plus  haut,  n'e'pargnait  pas  au  prince  les  re- 
proches, et  sur  ce  qu'il  avait  fait  lui-même,  et  sur  ce  qu'il 
permettait  aux  autres.  Un  jour ,  le  roi  suivi  de  ses  courtisans 
entra  dans  l'e'glise  pour  entendre  la  messe;  mais  après  qu'on 
eut  re'cite'  les  leçons  marque'es  et  pre'sente'  l'oblation  sur  l'autel, 
saint  Nicetius  ,  se  tournant  vers  le  peuple  s'e'cria  :  «  Nous  ne 
)>  consommerons  point  le  sacrifice ,  que  les  excommunie's  ue 
»  soient  sortis  de  l'e'glise.  »  Il  publiait  hautement  les  crimes  des 
pe'cheurs,  et  s'il  e'chappa  à  la  vengeance  de  ses  ennemis,  ce  fut 
par  une  protection  spe'ciale  de  Dieu  ;  car  il  aimait  à  re'pe'ter 
qu'il  mourrait  avec  joie  pour  la  justice  (i).  Le  même  Nicetius 
excommunia  plusieurs  fois  Clotaire,  pour  ses  honteux  de'por- 
temens.  Ce  prince  avait  d'abord  e'pouse'  Ingonde;  elle  avait  une 


(i)  Greg.  Tur.  rit.  PP.  c.    17.  Max.  Bibl.  Patr.  t.  n. 


DE   M.    MICHELET,  509 

sœnr  nommée  Are'gonde,  qa'elle  pria  le  roi  cle  bien  marier. 
Clotaire  l'ayant  vue  ,  et  la  trouvant  à  son  gre' ,  l'e'ponsa  loi- 
même;  pais  il  dit  à  Ingonde  :  «  J'ai  satisfait  à  ton  de'sir ,  tu  voa- 
»  lais  pour  ta  sœur  un  homme  riche  et  sage ,  je  n'a  rien  trouve 
i>  de  mieux  que  moi-même  ;  sache  donc  que  je  l'ai  prise  pour 
»  femme ,  ce  qui ,  je  pense ,  ne  te  de'plaira  point.  »  Il  e'ponsa 
encore  Gundeuca ,  veuve  de  Clodomir,  son  frère,  et  d'autres 
femmes.  De  ce  nombre  fut  Radegonde,  sa  captive,  fille  d'un  roi 
de  Thuringe;  mais  cette  princesse  ,  touche'e  de  la  grâce,  quitta 
sesornemens,  coupa  ses  cheveux,  et  se  consacra  à  Dieu,  dans 
un  monastère  qu'elle  fonda  auprès  de  Poitiers.  Clotaire,  qui 
lui  avait  permis  de  s'e'loigner  ,  ne  put  long-temps  supporter 
son  absence,  et  ne  pouvant  l'engager  à  revenir,  il  re'solut  d'al- 
ler lui-même  de  Tours,  où  il  e'tait ,  à  Poitiers,  pour  l'enlever. 
Le  bruit  en  vint  aux  oreilles  de  Radegonde ,  qui ,  pleine  d'effroi , 
écrivit  de  suite  à  saint  Germain ,  qui  avait  accompagne'  le  roi 
dans  son  voyage,  afin  qu'il  employât  tout  son  cre'dit  pour  dé- 
tourner le  coup  dont  elle  était  menacée.  Le  vieil  évèque,  pour 
mieux  toucher  le  roi ,  se  jeta  à  ses  pieds ,  devant  le  tombeau 
de  saint  Martin,  et  le  conjura,  avec  larmes,  de  ne  point  aller 
à  Poitiers.  La  vue  de  ce  vieillard  prosterné  attendrit  le  roi,  et 
il  y  eut  dans  ce  règne  un  scandale  de  moins  (i).  Brunehaut , 
fatiguée  de  la  liberté  avec  laquelle  saint  Desiderius  de  Vienne 
blâmait  ses  désordres  et  ceux  de  son  fils,  qu'elle  entretenait 
dans  le  libertinage,  le  fit  tuer  h  coups  de  pierre.  Cet  exemple 
n'intimida  point  saint  Colomban  ;  il  ne  cessait  de  presser  le 
jeune  roi  Thierri  de  renvoyer  toutes  ses  concubines,  et  de  s'en 
tenir  à  un  légitime  mariage  ;  mais  sa  mère  Brunehaut  l'en  dé- 
tournait toujours ,  dans  la  crainte  que  la  présence  d'une  reine 
ne  lui  fit  perdre  le  premier  rang  et  le  souverain  pouvoir.  Un 
jour  que  saint  Colomban  était  au  palais,  elle  lui  présenta  les 
enfans  illégitimes  de  Thierri  ;  l'homme  de  Dieu  les  voyant, 
demanda  ce  qu'ils  voulaient.  «  Ce  sont,  dit-elle  ,  les  fils  du  roi; 
)•    donnez-leur  votre  bénédiction.  »  —  «  Non ,  répondit  saint 


(i)  G.  T.  Hist.  1.  IV,  c.  3.  — Bantlon.   nt.  S.  liadeg.,  1.  ii ,  c.  4- 


510  EXAMEN    DE    l/niSTOIRE    DE    FRANCE 

)>  Colomban  ,  ce  ne  sont  point  des  fils  de  roi  ;  ils  ne  porteront 
»  jamais  le  sceptre;  ce  sont  les  fils  de  la  de'bauche,  car  ils 
j»  sortent  des  lieux  infâmes.  »  —  La  laxure  de  Dagobert  n'avait 
point  de  bornes;  il  avait  trois  femmes  avec  le  titre  de  reines, 
et  an  fort  grand  nombre  de  concubines  ;  ce  fut  un  vaste  cbamp 
où  s'exerça  le  zèle  de  saint  Cunibert,  de  saint  Arnulf  et  de  saint 
Amand ,  l'exil  fut  la  re'compense  de  ce  dernier  (i). 

Ceci  se  passait  au  commencement  du  'j'^  siècle.  Dès  cette 
époque,  l'antique  splendeur  de  l'Eglise  avait  pâli.  Le  clergë  in- 
férieur e'tait  presque  tout  entier  sorti  du  sang  germain,  de  la 
classe  des  serfs  et  des  esclaves.  L'ële'vatioiî  subite  de  ces  hommes 
à  demi-barbares ,  les  richesses  qui  affluaient  dans  leurs  mains  ; 
furent  pour  eux  une  e'preuve  plus  difficile  que  les  perse'cutions. 
Les  e'coles  e'piscopales  perdaient  leur  e'clat;  tes  conciles  devenaient 
de  plus  en  plus  rares  :  cinquante-quatre  au  sixième  siècle ,  vingt 
au  septième,  sept  seulement  dans  la  première  moitié  du  huitième 
(Mich.  p.  261  ).  La  voix  puissante  de  Gre'goire-le-Grand  avait 
cesse'  de  retentir.  Ce  Pape,  qui  avait  reconquis  à  la  vraie  foi 
l'Angleterre,  l'Espagne  et  une  partie  de  l'Italie,  rappelait  .sans 
relâche  le  sacerdoce  à  son  ancienne  dignité' ,  poursuivait  de  ses 
invectives  l'impudicite'  des  clercs,  la  simonie,  ia  promotion 
irre'gulière  des  laïcs  à  l'e'piscopat  ;  e'crivait  lettres  sur  lettres 
aux  e'vèques  et  aux  rois,  pressait  la  tenue  d'un  concile,  ne 
craignait  point  de  s'adresser  à  la  reine  Brunehaut,  et  de  louer 
ses  vertus,  afin  qu'elle  aidât,  par  son  pouvoir,  à  la  re'forme 
des  mœurs  du  cierge'  :  «  Car,  disait-il  dans  une  de  ses  lettres, 
»  ce  sont  les  pe'che's  des  prêtres  qui  causent  la  ruine  des  peu- 
»  pies  ;  et  qui  intercédera  pour  les  crimes  des  laïques  ,  si  les  prê- 
n  très  en  commettent  de  plus  grands  (2)?....  »  Le  pontificat  de 
ce  grand  homme  (  auquel  aucun  homreie  en  dehors  du  Chris- 
tianisme ne  saurait  être  e'gale')  fut  malheureusement  trop  court; 
après  sa  mort,  l'intelligence  et  la  vertu  se  re'fugièrent  dans  les 


(i)  Fredegar.    Append.  Hist,  Franc,  cap.  3i  ,   35,  5g.  —  Boiland  et 
Baudemond.  F^it,  S.  Aniand. 
(2)  Greg.  epist.  lxix,!.    ii. 


DE    M.    MIGHELET.  511 

monastères;  les  cellules  des  enfans  de  saint  Benoît  devinrent 
Aqs  forteresses  où  la  cii>ilisation  se  mit  à  couvert  (Châteaab.  ). 
Au  dehors ,  les  te'nèbi'es  s'épaississaient  ;  l'enfance  et  l'incapacité 
des  rois  qui  ne  faisaient  que  passer  sur  le  trône,  les  divisions 
des  grands,  les  guerres  de  Neustrie  et  d'Aquitaine,  les  courses 
des  Sarrazins ,  tout  annonçait  un  lugubre  avenir.  Charles  Mar- 
tel ,  après  avoir  sauvé  la  civilisation ,  tint  la  conduite  d'un  vrai 
barbare. 

Quand  il  eut  épuisé  le  trésor  à  payer  ses  troupes,  il  eut  re- 
cours au  pillage  des  villes  ,  à  la  confiscation  des  biens  des  égli- 
ses et  des  monastères  ;  il  chassait  sans  façon  les  évêques  de 
leur  siège ,  et  installait  à  leur  place  ses  propres  soldats.  Au 
temps  de  Charles  Martel,  dit  Hincmar,  la  religion  chrétienne 
fut  presque  entièrement  abolie  dans  la  Germanie ,  la  Belgique 
et  la  Gaule  (i). 

La  couronne  de  France ,  que  le  Pape  saint  Grégoire  mettait 
autant  au-dessus  des  autres  couronnes  que  la  dignité  royale  sur- 
passe les  fortunes  particulières ,  ne  pouvait  plus  tenir  sur  la  tête 
des  faibles  enfans  de  Clovis  j  elle  était  prête  a  tomber,  à  être 
mise  en  pièces.  —  Pépin  la  mit  sur  son  front,  et  il  était  diffi- 
cile d'en  trouver  alors  un  plus  digne.  Pépin  descendait  des  évê- 
ques et  des  saints  ;  il  ne  faut  point  s'étonner  qu'il  ait  voulu 
donner  à  son  pouvoir  la  sanction  du  droit,  en  demandant  l'ap- 
probation du  Souverain-Pontife  ;  qu'il  ait  réparé  autant  que 
possible  les  spoliations  de  son  père ,  protégé  le  Pape  contre 
les  Normands ,  et  rendu  aux  évêques  l'autorité  législative.  Ce 
règne  était  une  préparation  an  règne  de  Charlemagne. 

M.  Michelel  débute  par  contester  à  Charlemagne  le  titre  de 
Grand;  il  est  dif&ciJe  d'entrer  plus  malheureusement  en  ma- 
tière. Pour  le  débaptiser  irrévocablement,  l'historien  a  recours 
aux  citations.  Les  chroniques  de  saint  Denis ,  celle  de  Théophaue , 
sont  apportées  en  preuve  pour  établir  que  Charlemagne  est  une 
corruption  du  nom  de  Carloman;  il  pouvait  y  joindre  Frédé- 
gaire  qui  donne  quelque   part  le  nom   de  Carolus  Magnus  à 


(i)  Hincm.  epist.  vi,  c.  19. 


512  EXAMEN    DE    l'hISTOIRE    DE    FRANGE 

Carioman,  fils  aîné  de  Charles  Martel.  Noas  ne  nous  chargeons 
nullement  de  rendre  raison  de  ces  textes,  pas  plus  que  de  l'i- 
dentltfi  de  nom  entre  les  deux  frères  ,  qui  existerait  dans  le 
système  de  M.  Michelet.  Quelque  nom  que  le  fils  de  Pépin  ait 
reçu  de  ses  contemporains,  c'est  un  fait  que  l'autorité'  de  dix 
siècles  lui  a  confirme'  le  nom  de  Grand  ;  la  question  est  de  sa- 
voir s'il  l'a  me'rite'.  M.  Michelet  n'he'site  point  à  le  nier  :  Char- 
lemagne  serait,  a  l'en  croire,  un  ravageur  de  provinces  peu 
diffe'rent  de  Genséric  ou  d'Attila;  sans  intelligence  de  son  e'po- 
que  ,  il  fit  quelques  tentatives  en  le'gislation  ,  mais  ce  plagiat 
de  l'administration  romaine,  n'al)outit  à  rien,  ne  produisit  rien. 
Charlemagne  mort,  son  empire  fut  brise',  divise';  rien  ne  lui 
survécut;  personnage  cruel  et  grotesque  ,  tour-à-tour  affublé  de 
la  chappe  d'un  moine  ou  de  la  peau  de  bêle  d'un  barbare  , 
il  n'a  guère  laissé  d'autres  souvenirs  de  ses  batailles  que  la  dé- 
faite de  Roncevaux,  d'autres  institutions  que  des  chants  d'église 
et  des  liturgies. 

Reprenons  en  détail  quelques-unes  de  ces  allégations,  et, 
pour  nous  y)lacer  d'abord  au  véritable  point  de  vue,  n'oublions 
pas  qu'il  faut  moins  voir  dans  Charlemagne,  le  roi  franc,  le 
maître  d'un  peuple  ou  d'un  territoire,  que  l'homme  de  l'Europe 
et  de  la  chrétienté  :  Le  prince  était  grand ,  dit  Montesquieu  ; 
Vhomme  l'était  dai^antage. 

Les  guerres  de  Charlemagne  ne  furent  que  des  guerres  de  dé- 
vastation et  de  massacre ;  rien  n'indique  quelles  aient  été 

motivées  par  la  crainte  d'une  invasion  (p.  809,  3i  i  ).  Vous  l'af- 
firmez sur  votre  parole  et  sans  preuve  aucune;  il  en  faudrait 
cependant  pour  prévaloir  contre  l'immense  majorité,  nous  pour- 
rions dire  l'unanimité  des  historiens  {i).Le  temps  des  invasions 


(i)  Sans  en  excepter  l'école  moderne.  i>  M.  Guizot  remarque  judicieu- 
sement que  la  plupart  de  ces  expéditions  eurent  pour  motif  d'arrêter  et 
de  terminer  les  deux  grandes  invasions  des  barbares  du  nord  et  du 
midi.  .^  Chàleaub.,  Etudes  hist.,  t.  m,  p.  235. —Il  y  a,  selon  M.  Aug. 
Tliicrri,  entre  les  conquêtes  de  Chlodowig  et  celles  de  Karle-le-Grand , 
la  distance  de  Vœuvre  de  la  force  hndale  à  Vœuure  de  la  puissance  éclai- 
rée. Lettres  sur  l'hist.  de  Fr.,  lett.  ix  ,  p.   i65. 


DE    M.    MIGHELET.  513 

était  passé,  dites-vous.  —  Depuis  peu,  sans  doute  :  an  demi- 
siècle  e'tait  à  peine  e'coule'  que  les  Sarrazins  ravageaient  à  leur 
aise  la  moitié'  de  la  Gaule;  et  toutefois,  d'après  une  autorité 
que  vous  ne  l'e'cuserez  pas ,  ce  n'est  pas  du  coté  du  midi  (jue 
Charles  Martel  dut  avoir  le  plus  d'affaires ,  Vijwasion  germa- 
nique était  bien  plus  à  craindre  que  celle  des  Sarrazins  (  Mich., 
p.  290)  :  voilà  ce  qui  se  passait  quarante  ans  avant  Cliarle- 
magne.  Ses  cendres e'taient  à  peine  refroidies,  que  les  Normands 
pillent  trois  cents  lieaes  de  nos  côtes  ;  bientôt  ils  remontent 
la  Seine  et  la  Loire,  brûlent,  massacrent,  assiègent  Paris  qui 
ne  dut  son  salut  qu'à  un  e'vêque  et  à  un  moine  (  l'e'vèque  Gozlin 
et  l'abbe'   de  Saint-Germaîn-des-Pre's).  Charlemagne  lui-même 
avait  aperçu  de  son  palais  les  premières  voiles  de  ces  audacieux 
pirates.  Il  les  reconnut  à  la  le'gèrete'  de  leurs  bâtimens.  «  Alors, 
s'e'tant  levé'  de  table,  dit  le  chroniqueur  (i),  il  demeura  long- 
temps le  visage  inonde'  de  larmes ,  et  dit  aux  grands  qui  l'en- 
touraient :  «  Savez-vous,  mes  fidèles,  pourquoi  je  pleure  amè- 
»  rement?  Certes,  je  ne  crains  pas  qu'ils  me  nuisent  par  ces 
i>   mise'rables  pirateries  ;  mais  je  m'afflige  de  ce  que ,  moi  vivant , 
«   ils  ont   ose'  toucher  ce  rivage,  et  je  suis  tourmente'  d'une 
»   violente  douleur  quand  je  pre'vois  tout  ce  qu'ils  feront  de 
o  maux  à  mes  neveux  et  à  leurs  peuples.  »  La  pre'diction  de 
l'empereur  fut  accomplie  ;  qu'on  nous  dise  maintenant  ce  qui 
serait  advenu,  si,  aux  hommes  du  ISord,  s'e'taient  joints  ceux 
de  l'Est  et  du  Midi;  si  Charlemagne  n'avait,  pendant  trente  ans 
refoulé  ces  peuplades  loin  de  nos  frontières  ;  s'il  n'e'tait  aile  les 
e'craser  au  cœur  de  leurs  forêts  ;  s'il  n'avait  laisse'  sur  les  Py- 
rénées et  sur  le  Rhin,  à  défaut  de  cordon  sanitaire,  la  terreur 
de  son  nom  -.quelque  soit  ce  nom  dont  il  vous  plaise  l'appeler  : 
\ homme-grand ,  ou  Vhomme-fort  (2). 

Selon  M.  Michelet,  la  gloire  littéraire  et  religieuse  du  règne 
de  Charlemagne  tient  à  des  étrangers  (334).  ^^  j  ^'^^t ,  ce  nous 
semble,  un  des  plus  grands  mérites  de  ce  prince,  lorsque  les 


(i)   Monach.  San  Gall.  Trad.  de  M.  Michelet. 

(2)  Karl-Man  ,  Thomme  fort  ou  robuste  (  Aug.  Thierri  ). 

T.    X.  36 


514  EXAMEN    DE    l'hISTOIRE    DE    FRANGE 

ténèbres  s'étendaient  sur  la  France ,  d'avoir  appelé'  d'alllears 
le  renouvellement  et  les  lainières  :  d'avoir  amené'  Paul  War- 
nafride  et  The'odulfe,  d'Italie;  attire'  Alcuin  et  Cle'ment,  da 
fond  de  la  Bretagne;  Agobard  ,  d'Espagne;  Leidrade,  d'Iliyrie. 
L'apparition  de  tels  hommes  eut  bientôt  rallume  le  feu  sacré 
parmi  les  Français.  Adhalard  ,  Engbilbert,  Eghinard,  Ambroise 
Autpert,  Benoît  d'Aniane  (les  premiers,  parens  ou  alliés  de 
Charlemagne),  quittèrent  les  emplois  et  le  plus  haut  rang  à  la 
cour  pour  se  livrer  a  l'étude,  à  la  propagation  des  lumières, 
à  la  réformation  des  mœurs.  L'empereur  encourageait,  récom- 
pensait leurs  travaux  ,  ouvrait  des  écoles  dans  toutes  les  gran- 
des villes  et  auprès  des  abbayes  ;  il  écrivait  aux  métropolitains 
et  aux  abbés  :  «  Nous  vous  faisons  savoir  que  nous  avons  jugé 
it  utile  que,  dans  les  évèchés  et  les  monastères,  on  s'appliquât 
)»  non-seulement  à  maintenir  la  régularité,  mais  encore  à  en- 
»  seigner  les  lettres....;  car,  quoique  ce  soit  une  meilleure 
»  cbose  de  faire  le  bien  que  de  le  connaître ,  il  faut  le  con- 
«  naître  avant  que  de  le  faire  (i).  »  Le  zèle  de  Cbarlemagne 
pour  la  saine  doctrine  et  la  discipline  ecclésiastique  éclate  à 
toutes  les  pages  des  Capitulaires ,  comme  dans  les  actes  des 
conciles  de  Francfort  (2)  et  d'Aix-la-Chapelle. 


(i)  Lett.  de  Charlem.  à  Baugulfe ,  abbé  de  Fulde. 

(2)  M.  Michelet  parle  ea  ces  termes  du  concile  de  Francfort  :  Trois 
cents  êuêques  condamnèrent  à  Francfort  ce  que  trois  cent  cinquante  eVé- 
ques  venaient  cV app7^oui>er  à  Nicée.  Il  s'agit,  comme  on  sait,  du  culte 
des  images;  or,  les  pères  de  Francfort  ne  donnèrent  nullement  dans 
les  erreurs  des  iconoclastes,  condamnées  au  deuxième  concile  de  Nicée; 
seulement^  trompés  par  des  actes  falsifiés,  ils  crurent  que  ce  dernier 
concile,  qu'ils  nomment,  par  erreur,  de  Constantinople  ,  avait  obligé 
de  rendre  aux  images  ,  le  culte  et  l'adoration  dus  à  Dieu ,  et  c'est  là 
ce  qu'ils  condamnèrent.  (V.  Longuei'aL,  t.  v ,  p.  21  et  suiv.  )  Il  nous 
serait  impossible  de  relever  toutes  les  assertions  dénuées  de  fondement, 
que  M,  Michelet  énonce  avec  une  assurance  imperturbable  ;  c'est  ainsi 
qu'il  rapporte  à  Charlemagne  l'institution  des  Cours  weimiques ,  accusa- 
lion  empruntée  à  Voltaire,  et  qu'il  parle  avec  dérision  de  la  prétendue 
immoralité  de  ce  prince.  — V.  là-dessus  F elier ,  verbo  Charlemagne. 


DE    M.    MIGHELET.  515 

Le  senl  espoir  de  re'gene'ration  était  dans  le  clergé,  qni,  malgré 
sa  déche'ance,  conservait  encore  incomparablement  plus  de  con- 
naissances et  de  noLles  qualités  que  les  autres  classes  ;  mais  la 
réforme  du  clergé  ne  pouvait  s'opérer  utilement  et  régulière- 
ment que  sous  l'influence  de  Rome  dont  il  fallait  d'abord  ga- 
rantir l'indépendance.  C'est  à  l'accomplissement  de  ce  grand 
dessein  que  se  dévoua  Charlemagne.  Peut-être  n'eut-il  point 
toute  la  conscience  de  sa  mission  (  quel  grand  bomme  l'eut 
jamais)!  mais  il  n'est  pas  moins  certain  que ,  lorsque,  à  genoux 
devant  la  confession  de  saint  Pierre ,  il  déposait  aux  pieds  du 
Pécheur  sa  célèbre  donation,  et  jurait  avec  ses  fidèles  de  main- 
tenir le  pouvoir  temporel  du  Saint-Siège,  11  ne  faisait  autre 
cbose  que  signer  la  cédule  de  l'intelligence  contre  la  force 
brute  ,  de  la  civilisation  contre  l'ignorance  et  la  barbarie. 

Tout  est  en  germe  dans  le  l'ègne  de  ce  prince,  qu'on  a  jus- 
tement nommé  lepliis grand  semeur  dea  temps  modernes  (B.dEck- 
stein).  Les  écoles  des  cathédrales  promettent  l'université;  Al- 
cnin  et  Pierre  de  Pise  présagent  Gerson,  Abailard,  saint  Thomas; 
Benoît  d'Aniane  prélude  à  saint  Bernard  ;  Léon  ÎV  est  le  pré- 
curseur de  Grégoire  VIL  Le  sceau  de  Charlemagne  fondait  cette 
biérarcbie  catbolique  du  moyen-age ,  qui,  en  tenant  compte 
des  abus  et  des  vices,  n'en  demeure  pas  moins  le  plus  beau 
système  gouvernemental  qu'il  eût  été  donné  à  l^homme  de  réa- 
liser. «  Car  il  avait  transporté  dans  ce  monde  une  image  visible 
»  de  l'attraction  qui  entraîne  les  corps  célestes,  en  enfermant 
»  la  terre  dans  une  suite  de  cercles  concentriques,  dont  la  cir- 
»  conférence  touchait  aux  extrémités  du  globe,  dont  le  point 
»  de  rayonnement  était  à  Rome.  Du  point  de  vue  philosophi- 
»  que,  cette  conception  apparaît  dans  toute  sa  grandeur,  et 
»  ses  résultats  n'en  sont  pas  moins  éclatans  ;  car,  dès  que  vous 
»  placez  quelque  part  un  pouvoir  dont  la  mission  est  univer- 
»  selle,  vous  lui  imposez  la  loi  de  considérer  dans  tousses  actes 
»  les  seuls  progrès  de  la  masse  humaine  ;  vous  apprenez  aux 
))  peuples  que  leur  fonction  est  subordonnée  ,  dépendante  ;  vous 
»  agrandissez  le  patriotisme  de  toutes  les  zones  de  l'humanité; 
»  rien  d'étroit  alors,  rien  de  borné;  la  variété  infinie  des  pen- 
»  chans,  des  facultés,  des  forces  individuelles,  prend  son  rang 

36. 


516  EXAMEN    DE    l'hISTOIRE    DE    FRANCE 

»  dans  l'échelle  nationale  ;  la  varie'té  plas  restreinte  des  nations 
»  a  sa  place  dans  le  développement  indéfini  de  la  grande  so- 
»  cie'te'.  Les  devoirs  aussi  se  trouvent  place's  avec  une  re'gularité 
»  correcte  et  syme'trique.  De  la  part  du  pouvoir ,  un  de'voue- 
»  ment  sans  mesure  à  tous  et  k  chacun  des  êtres  que  sa  loi 
»  vivifie,  que  sa  puissance  prote'ge ,  que  son  impulsion  perfec- 
»  tienne  ;  de  la  part  des  individus,  soumission  absolue  au  pou- 
n  voir,  qui  re'sume  tous  les  intérêts,  tous  les  besoins,  toute 
j>  la  vie  intellectuelle  et  morale  de  l'humanité  (i).  »  Le  catho- 
licisme seul  pouvait  concevoir  et  produire  une  semblable  or- 
ganisation, puisque  seul  il  renferme  la  vraie  et  absolue  notion 
du  pouvoir,  laquelle  implique  nécessairement  l'infaillibilité, 
l'universalité,  la  perpétuité. 

Tout  ceci  a  complètement  échappé  à  l'habituelle  perspica- 
cité de  M.  Michelet,  et  il  y  a  lieu  d'en  être  surpris  (2).  S'il  nous 
était  permis  de  le  suivre  jusqu'à  la  fin  de  la  seconde  race,  nous 
trouverions  encore  bien  des  inexactitudes  à  relever,  bien  des 
assertions  à  modifier.  C'est  ainsi  qu'il  suppose  lestement  une 
excommunication  qui  n'a  jamais  existé  (p.  364).  Il  est  vrai 
que  lorsque  Lothaire,  voulant  légitimer  sa  révolte  aux  yeux  du 
peuple,  traîna  en  France  le  Pape  Grégoire  IV,  il  prit  soin  de 
publier  que  le  pontife  venait  pour  excommunier  l'empereur  et 
ses  partisans.  A  celte  nouvelle ,  les  évêques  attachés  à  Louis, 
écrivirent  au  Pape  en  termes  qui,  au  dire  de  l'auteur  contem- 
porain ,  étaient  un  peu  entachés  d'audace  et  de  présomption  ; 
mais  la  réponse  du  Pape  prouve  que  ces  bruits  d'anathème 
n'avaient  aucun  fondement.  Après  avoir  rudement  réprimandé 
les  évêques  du  ton  qu'ils  avaient  pris  avec  lui,  il  ajoute  : 
«  Vous  prétendez  que  nous  venons  fulminer  sans  aucun  sujet, 
1)  je  ne  sais  quelle  excommunication ,  et  vous  nous  exhortez  en 
)»   termes  confus  et  embrouillés  de  ne  pas  le  faire ,  pai'ce  que 


(i)  Feuilleton  du  National,  du  24  août,  signé  A.  A. 

(2)  De  l'influence  du  christianisme  sur  la  législatiou  romaine  ,  sur  la 
législation  des  barhares  et  sur  le  droit  civil  de  la  France.  Voir  VEcho 
des  ferais  Principes ,  t.  vni ,  p.  325. 


DE    M.    MIGHBLET.  517 

»  ce  serait  de'shonorer  la  dignité'  impe'riale  et  avilir  la  nôtre. 
»  Expliquez-voas  ,  je  vous  prie  ;  que  signifie  ce  langage?  et  di- 
»  tes-noas  ce  qui  de'slionore  plus  la  puissance  impe'riale ,  ou 
))  de  l'excommunication  ,  ou  des  œuvres  dignes  de  l'excommu- 
))  nication  (i)?  )>  On  connaît  la  suite  de  cette  affaire.  Le  Pape, 
après  avoir  tenté  des  voies  d'accommodement  enlise  un  prince 
imbe'cile  et  des  enfans  de'nature's,  laissa  ces  honteuses  contes- 
tations se  terminer  aussi  indignement  qu'elles  avaient  commence'. 
De  toute  cette  trame,  il  ne  demeura  que  le  nom  de  Champ 
du  mensonge  ,  au  lieu  te'moin  de  la  scène ,  comme  un  monument 
de  la  fourberie  de  Lothaire,  qui  s'e'tait  joue'  de  la  bonne  foi 
du  Pape ,  de  la  cre'dulitd  de  l'empereur ,  et  de  l'astuce  de  ses 
frères. 

Plus  loin  M,  Miclielet  veut  faire  d'Hincmar,  ni  plus  ni  moins 
qu'an  Pape,  un  vrai  Pape  français,  un  Pape  de  Rheims ,  par- 
faitement indépendant  de  celui  de  Rome.  Or,  il  est  difficile, 
dit  le  savant  Thomassia,  de  se  former  une  idée  plus  magnifique 
de  la  majesté  et  de  la  grandeur  du  siège  apostolique ,  que  celle 
qu'Hincmar  nous  en  a  laissée  dans  ses  écrits  (2).  Sa  conduite, 


(i)  Agobard  nous  a  conservé  cette  lettre,  t.   11,  p.  48,  édit.  Baluz. 

(2)  Voici  un  passage  d'Hincmar  :  «La  sainte  Eglise  romaine,  la  mère, 
la  nourrice  et  la  maîtresse  de  toutes  les  Eglises,  doit  être  consultée  dans 
tous  les  doutes  qui  regardent  la  foi  et  les  mœurs  ,  particulièrement  par 
ceux  qui,  comme  nous,  ont  été  engendrés  en  J.-C.  par  son  ministère^ 
et  nourris  par  elle  du  lait  de  la  doctrine  catholique.  »  {Hincm.  t.  i, 
p.  161.)  Et  ailleurs  ,  avec  encore  plus  d'énergie  :  >t  Tout  ce  que  nous 
prêchons  et  décernons  ,  nous  évêqucs  catholiques ,  selon  les  sacrés  ca- 
nons et  les  décrets  du  Siège  apostolique ,  le  Saint-Siège  et  TEglisc  ca- 
tholique le  prêchent  et  le  décernent  avec  nousj  ils  ordonnent  avec  nous, 
quand  nous  ordonnons  ;  et  quand  nous  jugeons ,  ils  jugent  avec  nous  , 
qui  avons  été  créés  évoques  pour  succéder  aux  apùtrcs.  Mais  ,  lorsque 
nous  maintenons  sous  l'autorité  de  la  pierre  apostolique ,  les  sacrés  ca- 
nons et  les  décrets  des  pontifes  romains ,  simples  exécuteurs  d'une  juste 
sentence  ,  nous  obéissons  au  Saint-Esprit  qui  a  parlé  par  eux  ,  et  nous 
nous  tenons  dans  la  dépendance  du  Siège  apostolique,  d'où  la  religion 
a  découlé,  ainsi  que  la  disciphne  et  les  règles  canoniques.  Ibid.,  p.  463. 
V.  la  tradil.  de  VEgl.  sur  L'iuslit.  des  Eu.,  t.  11,  p.  345  et  suiv. 


518  EXAMEN    DE    l'hISTOIRE    DE    FRANGE 

d ailleurs  ëtait  en  harmonie  avec  sa  doctrine,  car  son  e'iection 
aa  siège  deRheims,  avait  e'té  confirmée  par  le  Saint-Sie'ge,  et 
c'est  aa  Saint-Sie'ge  qu'il  demanda  l'augmentation  et  le  renou- 
vellement des  privile'ges  de  sa  me'tropole. 

Mais  de  toutes  les  affirmations  incroyables  du  professeur,  il 
n'en  est  pas  de  plus  incroyable,  sans  doute,  que  celle-ci  :  — 
«  Ce  fut  au  g*'  siècle ,  Paschase  Ratbert  qui ,  le  premier  enseigna 
n  d'une  manière  explicite,  la  merveilleuse  poésie  d'un  Dieu  en- 
»  fermé  dans  un  pain....  Les  anciens  pères  at^aïent  entrevu  cette 
»  doctrine ,  jnais  le  temps  n'était  pas  venu.  Ce  ne  fut  qu'au 
«  9  "  siècle  que  Dieu  daigna  descendre  pour  confirmer  le  genre 
»  humain  dans  ses  extrêmes  misères ,  et  se  laisser  voir  ^  toucher^ 
!>  goûter...  ))  A  s'en  tenir  à  la  rigueur  des  termes  (et  la  chose 
en  vaut  la  peine),  nul  dans  l'Eglise  Romaine,  et  pas  plus  Pas- 
chase Ratbert  qu'un  autre,  n'ont  enseigne'  le  <.\ogme  d'un  Dieu 
erfermé  dans  un  pain.  Pour  trouver  cette  merveilleuse  poe'sie, 
il  faut  descendre  jusqu'à  Be'renger,  ou  peut-être  à  Luther  et 
an  système  de  Vimpanaiion  ;  mais  pre'tendre  naïvement  que 
l'Eglise  n'a  point  cru  à  la  pre'sence  re'elle  avant  le  9*  siècle , 
c'est  d'un  trait  de  plume  reporter  la  discussion  au  temps  de 
Basnage  et  de  Me'lanchton.  On  n'attend  point  que  nous  venions 
e'iucubrer  les  subtiles  controverses  de  Rantramme  et  de  Rat- 
bert, moins  encore  que  nous  accumulions  les  monumens  qui 
attestent  la  pei'pe'tuite'  de  la  foi  catholique,  relativement  à 
l'Eucharistie.  Ces  preuves  remplissent  d'immenses  recueils,  et 
sont  dans  la  me'moire  ,  ou  au  moins  sous  la  main  de  tous  les 
catholiques  (i). 


(1)  On  peut  citer  parmi  les  principaux.  —  Le  Traité  de  l'Eucharistie 
du  carcl.  Du  Perron,  contre  Duplessis-Mornai. — La  Perpétuité  de  la 
foi  sur  V Eucharistie  d'Arnauld  ,  Nicole  ,  Renaudot.  —  Schelstrate  ,  De 
disciplina  arcani.  —  Pouget,  Institut  catholic,  t.  iv. — Le  Traité  de 
VEucharislie  de  Pélisson  ,  et  surtout  la  Tradition  de  l'Eglise  touchant 
r Eucharistie  y  1  vol.  in-12,  où  le  même  auteur  a  recueilli  les  passages 
des  soixante-douze  Pères  ou  écrivains  ecclésiastiques ,  antérieurs  au 
9«  siècle  ,  qui  établissent  d'une  manière  irréfragable  la  croyance  de  l'Église 
en  cette  matière, 


DE    M.     MIGHELET.  519 

Ce  9"^  siècle  fut  encore  une  e'poque  de  tle'cadence.  Comme 
sous  la  première  race,  la  de'ge'ne'ration  des  rois,  les  incursions, 
les  guerres  intestines  portèrent  de  rudes  atteintes  à  l'ouvrage 
de  Charlemagne.  La  barbarie  reparut  ;  il  faut  pourtant  recon- 
naître que  dans  les  9  et  lo*"  siècles,  la  civilisation  fut  loin  de 
descendre  aussi  bas  qu'auparavant.  Des  noms  ce'lèbres  reten- 
tirent dans  l'Eglise  (i).  L'intelligence  subissait  pe'niblement  ton- 
tes les  e'preuves  d'une  rude  et  lente  e'ducation ,  et  un  travail 
secret  de  l'esprit  apparaissait  an-dessous  du  bouleversement  des 
formes  exte'rieares  de  la  socie'te'. 

Quand  le  grain  tombe  dans  un  champ,  il  disparaît  à  l'œiî  du 
semeur;  il  faut  qu'il  se  corrompe  et  meure;  il  est  comme  s'il 
n'e'tait  pas.  Voilà  une  image  de  ce  qui  se  passe  au  10^  siècle. 
L'ordre  social  paraît  ane'anti,  l'unité  administrative  est  rompue, 
l'empire  morcelé';  de  tristes  pressentiraens  s'emparent ,  comme 
un  vertige ,  de  tous  les  esprits  ;  un  seul  soupir  sort  de  tontes  les 
poitrines,  un  seul  cri  de  toutes  les  bouches  :  voici  le  dernier 
jour  du  monde  ;  voici  le  jugement  de  Dieu.  Mais  la  violence 
même  de  celte  crise  annonce  une  exube'rance  de  vie;  dans  ces 
pensées  de  mort,  brillent  des  présages  de  résurrection.  Le 
1 1'  siècle  s'ouvre  ,  et  déjà  la  semence  jetée  par  la  main  de  Char- 
lemagne, croissait  en  un  superbe  épi,  s'étendait  en  un  arbre 
immense  qui  devait  long-temps  abriter  et  nourrir  l'humanité. 
—  annales  de  Phil.  Chrét.  71°  62. 


(i)  Hincmar,  archevêque  de  Rheims  ;  Prudentiiis,  évêque  de  Troyes  ; 
Florus  ,  diacre  de  Lyon;  Lupus,  abbé  de  Ferrières  ;  Christian  Drutmar, 
moine  de  Corbie ;  Walafride  Strabon,  moine  de  Fulde  ;  Etienne,  évêque 
d'Autun  ;  Fulbert ,  évêque  de  Chartres  ;  Odon  ,  abbé  de  Cluni  ;  Abbon 
et  l'illustre  Gerbert. 


520 


GÉOLOGIE. 

TABLEAU    DES    COUCHES   DIIMÉRAI.ES    SU    GLOBE 

ET    DES    FOSSILES    Qu'eLLES    REMFERMENT. 


Nous  avons  souvent  parlé  de  Géologie,  et  démontré  combien 
les  découvertes  toutes  récentes  de  cette  science,  s'accordent 
avec  le  récit  que  fait  Moïse  de  la  création.  Mais,  comme  il  est 
peut-être  plusieurs  de  nos  abonnés  qui  n'ont  pas  étudié,  d'une 
manière  spéciale ,  cette  science ,  et  que ,  par  conséquent ,  ils 
doivent  avoir  de  la  peine  à  bien  saisir  la  force  et  la  portée  de 
tout  ce  que  nous  avons  dit  de  ces  découvertes  et  de  leur  ac- 
cord avec  les  récits  de  notre  Bible ,  nous  avons  essayé  de  réunir 
en  un  seul  tableau  et  de  mettre  sous  leurs  yeux  trois  choses  : 

La  première.  La  composition  actuelle  du  globe,  avec  le  nom 
et  la  place  des  différentes  couches  qui  le  composent  à  partir 
de  sa  surface  jusqu'aux  couclies  les  plus  profondes  auxquelles 
on  ait  pu  pénétrer. 

La  seconde.  Quelles  sont  les  matières Jbssiles  ou  objets  pétrifiés 
qui  se  trouvent  dans  ces  différentes  couches. 

La  troisième.  L'indication  des  passages  de  la  Genèse  où  la 
création  de  ces  différens  fossiles  est  racontée. 

Mais  ,  comme  nous  ne  pouvons  renfermer  dans  ce  tableau 
tous  les  développemens  qu'il  peut  comporter,  nous  ajouterons 
ici  quelques  détails  sur  les  différons  animaux  fossiles  qui  se 
trouvent  dans  la  terre  à  partir  du  CALCAIRE  JURASSIQUE. 

Calcaire  jurassique  ,  sable  vert ,  etc. 

Ici  la  classe  des  reptiles  se  multiplie  et  déploie  des  formes 
gigantesques.  On  y  rencontre  Vichtyosaurus  et  le  plésiosaurus ; 
le  premier  de  ces  animaux  monstrueux  vivait,  selon  Cnvier,  la 
mâchoire  d'un  dauphin,  les  dents  d'un  crocodile,  la  tête  et  le 
sternum  d'un  lézard  ,  les  extrémités  d'un  cétacé  (  mais  au  nom- 
bre de  quatre  ) ,  et  les  vertèbres  d'un  poisson.  Le  plésiosaurus 


TABLEAU  des  formations  géolo^e  Humholdt. — RAPPORT 
des  couches  avec  les  espèces  d'aninhrès  Cuvier,  Brongniart  ^ 
Bertrand,  Boubée,Labèche  etautresvec  les  jours  de  la  création. 


Genèse  ,  ck.  i«  V.  37. 


Genèse  ,  ch.  i ,  v.  24- 


L"HOMjHE,Iedern 

industrie,  tels  que  des  fragn 
vent  que  dans  les  couches  le 
de  espèce,  dont  plusieurs  ge 


JxiER. Discours  surlcs  révol. du  gioLcAnSo^ 
5=e'd.p.i3i,etBouEÉE,GeoZ.pop«^,  p.i'jS. 
Quelques-uns  de  ces  mammifères  ont  c'ie 
Duves  dans  les  contrées  du  nord,  recouverts 
^  leurs  muscles  et  de  leur  peau  ;  preuve  seu- 
ble  de  la  révolution  récente  qui  les  a  fait 
rir,  et  qui  ne  saurait  remonter,   dit  Cu- 


Mammifères  marins,  cotf""^  '  "  l"'"" 'aurait  remonter,   ait 
marines,   végétaux,  poisso"  '  au-delà  de  5  à  6000  ans,  p.  283 
CuTiER ,  p.  ii3  et  290. 


Coquilles  de  mer  très-abc  Cotieb  ,  p.  III  et   290. 
cents  espèces,  la  plupart  it 


Premiers  MAMMIFERES  ' 

inconnus  ,  crocodiles  ,  lor 
embellissaient  alors  notre 
riums  et  les  palœotlieriums 


Pr 

em 

er 

MAMMIFÈRES  I 

et  au 

Ire 

5S 

ands  cétaCL 

s  qui. 

mité 

de 

leu 

r  taille,  on 

per, 

La  découverte  de  ces  animaux  siii;^uliers 
est  due  à  Cuvier.  Voy.  son  Discours  , 
p.  3i5,  et  ses  Recherches  sur  les  quadru- 
pèdes fossiles ,  t.  m,  p.  4^  et  60,  2eétUt. 


CuviER.  Recherches  sur  les  ossemens  des 
quadr.Joss,  ,   tom.  v ,  p.  Syg. 


Reptiles,  crocodiles  ,  ton   ,,  /         •,•,       ,      r.- 

•  .       ,  '    ',  t.uviER,   p.  204  cl  33l   du  Discours 

luriers  et  autres  veeetanx  '   '       yi  "  ■•  "•'»   ""  ^^....u. 


Reptiles  monstrueux  qui  ont  dispari; 
tortues  de  mer,  quelques  plantes  mar 


(".i;viEB  ,    p.  295  et  3ll , 


Reptiles  et  végétaux. 


Cuvier,  p.  3o6. 


Gen.  ,c.  I,  V.  21. 


Premiers  OISEAUX.  Reptiles  gigantej  ^  j^  ,-,p  ^^ 
le  sternum  d'un  lézar,  les  extrémités  d  ^gj^  ^  j^ 
tête  d'un  lézard  ,  il  joignait  le  cou  d'un 
tenait  à  la  fois  de  l'oiseau,  du  reptile  e 
six  pieds  d'envergure.    Huîti 


qu 


Plantes    cicadées  et  conifères;  baml, 
'égétaux  analogues  à  ceux  de  la  zone 


:;ae]n'. 


Coquilles  nombreuses. 


DX. 


35  CuviEB,p.295et  3oS,  el 
s  BnoNCNiART,  ï'ni/e«H  (/e.t 
—  terrains  qui  composent 
a  l'ccorce  du  globe,  Talil. 
g  XI,  p.  4'2- 
u 

W        CuviER,  p.  3oo,  et /fe- 
cherches  sur  les  oisem. des 
2;   quadr.  Jossiles  ,  tora.  v, 
5  p.249,445,453,47,'ï. 
ce 
ta  Broncniart,  p.  4t8. 


Ces  roctes  primordiales  ,  ces  granités ,  rep 
cua).  Ces  roches  composent  le  noyau  du  S'o„, „•_,„_ 
un  liquide  immense.  Elles  ne  renferment  Al]"'™ITI  VES. 
La  vie  n'était  donc  point  encore  sur  le  glo] 

Cette  admirable  concordance  de  la  Genè.'L, 
de  toutes  les  cosmogonies,   celle  de  Moi'se^** 


P  v-uviEiv  ,  pag.  290  ,  et 
g  Bertrand,  pag.  123. 
S     CuvIER,  pag.  23. 


jl^  Genoude.  Prolégomè- 
<!  nesduPenlateuque, 
S       p.  66. 


Ce  tableau  de  toute  la  suite  des  couches  aux  plus  modernes  et  aux  plus 
superficielles ,  est  en  quelque  sorte ,  dit  Cu'»o«r«  sur  les  réuol.  du  globe. 


T^ouv.  Cens.  Belge,  t.  X,  pag.  52o-5 


TABLEAU  des  formations  géologiques  dans  l'ordre  de  leur  super  position,  par  M.  Al.  delJumholdt. — RAPPOP%T 

des  couches  avec  les  espèces  d'animaux  et  de  plantes  dont  elles  renferment  les  restes ,  d'après  Cuvier,  Tirongniart , 
Bertrand,  Boubée,Labèche  et  autres  géologues. — CONCORDANCE  des  faits  géologiques  avec  les  jours  de  ta  création. 


L'HOMME,  le  dernier  ouvrage  de  la  ci 
industrie,  tels  que  des  fragmeos  de  briiju 
vent  que  dans  les  couches  les  plus  superf 
de  espèce,  dont  plusieurs geores  vivent  et 


et  de  poteries,  des  scories  dp  I 
Iclles  du  globe. Mammifères  de 
ore  dans  diverses  parties  do  la  t 


DEPOTS  D  ALLUVION. 


coquilles    FORMATION    LACUSTRE 
AVEC  MEUllÈRES. 


GRES  ET  SABLES 
DE  FONTAINEBLEAU. 


s  KAMUIFËRES  TERRESTRES.  Pois 
,  crocodiles  ,  tortues  ,  plusieurs  soi 
ienl  alors  uotre  sol ,  et  qui  ont  e't<! 


aai ,  palmiers   qui     GYPSE  A  OSSEMEN3. 
,tr?è°L1''pl3re'1esrviiÔns"e°Pa°r'/sT  CALCAIRE  8ILICEUX. 


remiers  MAMMIFERES  MARINS.  Lamemins  ^dauphins  inconnus  ,  me 
utres  grands  cétacés  qui, malgré  les  forces  que  semblait  lïur  donner  l'é 
é  de  leur  taille  ,  ont  pe'ri  dans  la  catastrophe  qui  a  bouleversé  leur  élém 


ir-  CALCAIRE  GROSSIER. 


GRES  TERTIAIRE 
A  LIGNITES. 


8", 


C«y„,n. Discours  surUj  re'fol.ilugl.il,, _ 

Quelques-uns  de  ce.  mamm/ère.  on.  i.U 
trouvés  dans  les  contrées  du 
deleurs  muscles  et  do  leur  pi 
silile  de  la  révoIatioD  récente  qui  I 


[eU  de  5  i  600, 


dit  Cu- 

ï83. 


a  est  duc  à  Cuvier.  Voy.  son  Oise 
^  p.  3i 5,  et  ses  Recfterehes  surlesqt 
^  pldesjossiles ,  t.  iti ,  p.  47  et  60  ,  2 


Bt  p.  294  el  33l   du  Discour' 


BLANCHE. 

Reptiles  monslrueui  qui  ont  disparu  de  la  surface  du  globe.  Crocodiles,  grandes         rRiip         l     rriirirAii 
tortues  de  mer,  quelques  plantes  marines.  I^KAlt...^     TUFFAU. 

CHLORITÉE. 


Reptile! 


SABLE   VERT. 
SABLE  FERRUGINEUX.  GRF.S  SECONDAIRE  A  LIGNITES. 


s  OISEAUX.  Reptiles  gigantesques ,  l'un ,  Xiclitrcsaurus  ,  avait  la  mâchoire  d'un  danpliin  ,  les  dents  d'un  croc 
■■       '•  ' ^-..i.  Tun  cétacé  et  les  vertèbres  d'un  poisson,  le pKjinujauruj  lui  ressemblait  beauc 

„uàia..is  de  u.^...i.„,ù^eV7^^^^f::'i::XÔ^tt:t^!^  calcaire  jurassique. 


Fergure.   Huîtres ,  po 


;  bambous  ,  fougères  et  i 


GRES  BLANC. 


Coquilles  nombreos< 


SIUSCHELKALK. 


calcaire  de  CAEN. 


LIAS    MARNEUX. 


GRES  BIGARRE  SALIFERE. 


SCHISTE  CUIVREUX. 


:B,p.aQ5et3o8,  el 
KY,T.TabUaude, 
nui  composent 
du  globe,  Tabl, 


cherches  sur  les  otsem.dt 
îc   quadr.  fossiles  ,lom. -v 

3  p. 249,445,453,475. 


PORPHYRE        '^^ 
QUARTZIFÈRE.  '"'■' 


ues  os  de  POISSONS,  plant, 
autres  vcgélaux  acotylédon 
lières  richesses  végétales  qi 


e  palmie 

S,fnuKèrc 

en  arLrpdeiloù 

.  Grandes  c 

oucl.es  de  houil 

du  glolse 

(Tous  les 

naturalistes  re- 

i  de  fougères  dont  c 


crrafuï  ont  FORMATIONS  COORDONNÉES  DE  PORPHYRE  , 
Luerforïl  DE  GRÈS  ROUGE  ET  DE  HOUILLE. 


rnAND  I  Lettres  sur  les  re- 
lations du  globe  ^  p.  3o7  f 
•■  édit. ,  et  CuTiBR  «  p.  396. 


g^res ,  lycopodiacees  de  60  à 
t  douteux ,  pensent  Cuvier  ( 


!  à  la  surface  du  globe;  elle  j  a  commence  par  le  règne  v^i^étaK  Les  terraii 
ment  caracte'rises  par  des  empreintes  de  VEGETAUX  HERBACÉS,  roseaui 
I  70  pieds  de  Laut.  On  y  trouve  encore  des  zoophytes ,  des  mollusques  ,  di 
animaux  qui  vivent  sur  la  terre  sèclie  et  respirent  l'air  en  nature.  Il  e 
Bertrand  4  que  les  mers   renfermassent  alors  des  poissons. 


FORMATIONS 
DE   TRANSITION. 


Ces  roclie£ 
eu»).Cesto 
un  liquide  immense,  bl 
La  vie  n'était  donc  po 

Cette  admirable  con( 
de  toutes  les  eosmogoi 


AUCUN  VESTIGE, 


"ol'vEGEVZiE  NI  AMMa''lT    FORMATIONS  PRIMITIVES. 


Cuv 


pag.   297. 


Lettres  . 

i  Adolphe 

des  végétaurjoisiles. 


Cov 


.  P=S- 


Genouoe.  Prolégomi- 
les  du  Pentatettque, 
p.  66. 


Ce  tableau  de  toute  la  suite  des  couches  du  globe ,  depuis  les  plus  anciennes  que  l'on  connaisse  jusqu'aux  plus  modernes  et  aux  plus 
superficielles,  est  en  quelque  sorte ,  dit  Cuvier,  le  dernier  résumé  des  efforts  de  tous  les  géologistes.  Discours  sur  les  révol.  du  globe. 


Nouv.  Cons.  Belge,  t.  X,  pag.  52o-52i. 


COUCHES    MINÉRALES    DU    GLOBE,    ETC.  521 

avait  aussi  les  extrémités  d'nnce'tacé,  mais  la  tête  d'on  le'zard, 
et  un  cou  semblable  au  corps  d'un  serpent.  La  se  montre  e'ga- 
lement  le  jnégalosaurus ,  reptile  qui  devait  avoir  au  moins 
soixante-dix  pieds  de  longueur,  et  qui  approchait  de  la  taille  de 
la  baleine;  le  géosaiirus  de  Cuvier;  le  plérodactyle ,  le'zard  vo- 
lant, qui  tenait  à  la  fois  du  reptile,  de  l'oiseau  et  du  mammi- 
fère, et  dont  une  espèce  avait  Sl^  moins  cinq  pieds  d'envergure. 
Ce  terrain  renferme  encore  des  restes  de  crocodiles ,  de  tortues^ 
de  coquilles,  à'insectes,  et  enfin  les  premiers  ossemens  d'oiseaux, 
et  principalement  d'oiseaux  aquatiques ,  A' ibis ,  de  hérons  ,  de 
cigognes  et  d'écliassiers. 

Craie  de  différentes  couleurs.   Grès  tertiaire  à  lignites. 

Encore  des  reptiles  monstrueux,  et  entr'autrcs  le  mosasaums, 
qui  devait  avoir  au  moins  vingt-cinq  pieds  de  longueur.  Croco. 
dites  et  coquilles  abondantes. 

Calcaire  grossier. 

Premières  traces  de  inamnùfères  marins,  de  baleines ,  de  dau- 
phins inconnus ,  de  lamantins  et  de  morses.  Cuvier  remarque 
que  ces  grands  ce'tace's ,  malgré  les  forces  que  semblait  leur 
donner  lénormite'  de  leur  taille,  n'ont  pu  re'sister  aux  catastro- 
phes qui  ont  bouleverse'  leur  e'ie'ment,  et  y  ont  pe'ri. 

Gypse  à  ossemens.  Calcaire  siliceux.  Grès  et  sables  de  Fon- 
tainebleau. Formation  lacustre  avec  meulières . 

Première  apparition  des  mammifères  terrestres.  Ce  sont  des 
pachydermes  q^ai  manquent  entièrement  parmi  les  quadrupèdes 
de  nos  jours ,  et  dont  les  caractères  se  rapprochent  plus  ou 
moins  des  tapirs,  des  rbinoce'ros  et  des  chameaux.  Ces  genres, 
dont  la  découverte  entière  est  àne  à  M.  Cuvier,  sont  :  les  pa- 
lœothériums ,  les  lophiodons ,  les  anoplotériums ,  les  antracothé- 
riums ,  ]es  chéropotames ,les  adapis.  Les  plâtrières  des  environs 
de  Paris  renferment  une  quantité  prodigieuse  d'ossemens  de 
ces  espèces.  Avec  ces  animaux  se  trouvaient  des  carnassiers,  des 
rongeurs,  plusieurs  sortes  d'oiseaux ,  des  crocodiles ,  des  tortues 
et  des  poissons  inconnus. 

Dépôts  d'allui'ion. 

Dans  ces  terrains,  que  des  ge'ologues  ont  partagés  en  diluviens 
et  post- diluviens  y  il  n'y  a  plus,  ni  palœothériums ,  ni  anoplo- 


522  COUCHES    MINÉRALES    DU    GLOBE  ; 

tliëriums ,  ni  aacun  de  ces  genres  singuliers.  Ce  sont  d'autres 
pachydermes  gigantesques  :  Véléjj'tant ,  appelé  mammouth,  par 
Jes  Russes  ,  haut  de  i5  à  i8  pieds  ,  le  mastodonte ,  dont  la  forme 
massive  e'talt  aussi  conside'rable  ,  Vlàppopotame  et  le  rhinocéros. 
On  trouve  les  de'bris  de  ces  grands  quadrupèdes  ,  enfouis  au 
milieu  des  cailloux  et  des  sables  ,  et  presque  toujours  arrondis 
ou  nse's  par  le  frottement  5  quelques-uns  cependant  ont  été 
trouve's  dans  les  contre'es  du  nord ,  recouverts  de  leurs  mus- 
cles et  de  leur  peau  :  preuve  sensible  d'une  révolution  récente. 
Ces  mêmes  teri'ains  meubles ,  recèlent  des  mégatJiériums  de  la 
famille  des  paresseux,  dont  la  grande  taille  devait  égaler  celle 
de  l'éléphant;  des  mégalonix ,  de  la  même  famille  ,  remarqua- 
ble par  l'énorme  dimension  de  ses  ongles  ;  des  tapirs,  des 
bœufs ,  des  chevaux ,  des  ours  ,  des  hyènes^  des  cerfs  ,  des  daims, 
•des  sangliers,  des  lièvres,  des  chiens ,  Aescastors ,  des  loutres, 
des  chats ,  des  martres,  des  rats ,  des  musaraignes  ,  etc.  Le  plus 
gi'and  nombre  de  ces  genres  d'animaux  vivent  encore  dans  di- 
verses parties  du  globe  ;  mais  plusieurs  des  espèces  que  l'on 
trouve  dans  les  dépôts  diluviens  ont  totalement  disparu. 

On  trouve  également ,  dans  ces  dépôts,  des  débris  d'animaux 
marins ,  confusément  mêlés  avec  les  précédens  :  ce  sont  des 
coquilles ,  des  madrépores ,  des  osseraens  de  poissons  ,  etc.  Ces 
débris  portent  également  les  marques  d'un  rude  frottement. 

On  trouve  un  grand  nombre  de  cavernes  remplies  de  ces 
divers  débris,  empâtés  dans  des  argiles  souvent  rougeâtres.  On 
attribue  le  remplissage  de  ces  cavernes ,  dites  cavernes  à  osse- 
mcns,  à  la  catastrophe  diluvienne.  Toutefois ,  il  en  est  un  grand 
nombre  dont  le  remplissage  est  plus  moderne. 

Les  dépôts  diluviens  sont  le  plus  souvent  accompagnés  de 
ùlocs  erratiques  ;  on  désigne  ainsi  ces  énormes  fragmens  de  ro- 
chers ,  plus  ou  moins  arrondis  sur  leurs  angles ,  et  dont  le  poids, 
quelquefois  est  tel  qu'il  faudrait  réunir  les  puissances  les  plus 
énergiques  pour  les  ébranler.  On  en  connaît  qui  pèsent  jusqu'à 
3oo,ooo  kilogrammes ,  et  dont  le  volume  dépasse  mille  mètres 
cubes  (i).  Ces  blocs  sont  formés  des   mêmes   roches  que   les 

(i)  Boubéc.   Géologie  populaire,  pag.    i55  ,  i833.  Nous  nous  sommes 


FOSSILES  qu'elles  renfermeht.  523 

cailloux  ordinaires ,  au  milieu  desquels  on  les  rencontre  ,  ce 
qui  prouve  qu'ils  ont  été'  de'tachés  des  mêmes  lieux.  Enfin  ,  l'on 
remarque  presque  toujours  qu'entre  les  cailloux  les  plus  gros 
et  les  blocs  les  plus  petits,  qui  se  ti'ouvent  mêle's  ensemble,  il 
y  a,  sous  le  rapport  du  volume,  des  passages  si  nombreux, 
qu'il  est  difficile  de  de'signer,  dans  la  se'rie  de  ces  débris,  ceux 
qui  doivent  porter  le  nom  de  blocs  erratiques,  et  ceux  qui  doi- 
vent rester  parmi  les  cailloux  roulés.  Cette  circonstance  prouve 
que  les  uns  et  les  autres,  même  les  plus  petits,  ont  été,  ainsi 
que  les  sables  qui  les  accompagnent,  charriés  en  même  temps 
et  par  les  mêmes  eaux. 

On  comprend  dans  le  terrain  post-diluvien  tous  les  dépôts  qui 
se  sont  formés  depuis  !a  retraite  des  eaux  diluviennes  jusqu'à 
nos  jours.  Les  fossiles  qu'on  y  trouve  sont  les  mêmes  espèces 
qui  vivent  encore  dans  le  pays.  On  y  trouve  même  des  débris 
d'ossemens  Inimains ,  des  fragmens  de  briques  et  de  poteries , 
des  scories  de  forges ,  des  bois  travaillés  ,  et  ces  débris ,  qui 
tous  attestent  la  vie  de  l'homme,  ne  se  trouvent  avec  quelque 
fréquence  que  dans  les  terrains  d'alluvion.  Ils  sont  rares  dans 
le  terrain  diluvien  ;  s'il  est  vrai  qu'on  en  ait  trouvé  dans  le 
midi  de  la  France,  comme  quelques  naturalistes  le  prétendent, 
dans  les  mêmes  cavernes  et  les  mêmes  dépôts  qui  contenaient 
ceux  d'une  espèce  perdue  de  rhinocéros  et  d'autres  animaux 
qu'on  trouve  ordinairement  dans  les  grottes  osseuses  (i). 

Ainsi  donc,  comme  le  dit  l'Ecriture,  c'est  la  création  de 
Vhomme  qui  couronne  l'œuvre  du  Créateur,  c'est  lui  qui  a  été 
créé  le  dernier  ;  encore  ici  le  récit  de  Moïse  s'accorde  avec 
l'observation  et  avec  les  faits  les  mieux  prouvés. 

Pour  faire  mieux  ressortir  cet  accord  ,  r.ous  allons  mettre  sous 
les  yeux  de  nos  lecteurs  les  paroles  du  texte  sacré. 

D'après  la  Genèse,  i.  Dieu  réunit  les  eaux  dans  un  seul  bas- 
sin. —  Genèse,  chap.  i,  vers.  9.  Congregéntur  aqiiœ  ut  appareat 
arida. 


servi  (le  raiilorité  et  des  recherches  de  ce  savant  professeur ,  pour  cette 
partie  de  notre  travail. 

(i)  Manuel  gèologùjue  ,  par  H.  Delabèche  ,  pag.  229,   i833. 


524  COUCHES    MINÉRALES    DU    GLOBE ,    ETC. 

2.  Dieu  féconde  ensaite  la  terre  de  ve'ge'taux.  Etprotiilit  terra 
herbain  virentem  et llgnwn  pomifcrum. — Vers,  12.  (Remarquez 
bien  que  Moïse  met  ici  lierbam  avant  lîgnum.) 

3.  Dieu  peuple  les  eaux  de  reptiles  et  de  poissons ,  et  les  ri- 
vages d'oiseaux. — Vers.  21. 

4.  Dieu  peuple  ensuite  la  terre  de  quadrupèdes.  —  Vers.  24. 

5.  Enfin  Dieu  cre'e  l'homme,  et  complète  ainsi  ses  œuvres. 
— •  Genèse  ,2^. 

«  On  ne  saurait  trop  remarquer,  dit  un  naturaliste  moderne, 
cet  ordre  admirable  ,  si  bien  d'accord  avec  les  plus  saines  no- 
tions qui  servent  de  base  à  la  ge'ologie  positive.  Quel  hom- 
mage ,  ajoute-t-il ,  ne  doit-on  pas  rendre  à  l'écrivain  inspire'  (  i  )  !  » 

Nous  ne  pouvons  mieux  terminer  cet  article  qu'en  rappor- 
tant ces  paroles  du  savant  ge'ologue  que  nous  avons  cite'  plus 
haut  (2)  : 

«  Ici  se  présente  une  conside'ration  dont  il  serait  difficile  de 
ne  pas  être  frappé  ;  puisque  un  livre,  e'crit  à  une  e'poque  où 
les  sciences  naturelles  étaient  si  peu  éclairées  ,  renferme  ce- 
pendant, en  quelques  lignes,  le  sommaire  des  conséquences  les 
plus  remarquables,  auxquelles  il  ne  pouvait  être  possible  d'ar- 
river qu'après  les  immenses  progrès  amenés  par  le  dix-huitième 
et  le  dix-neuvième  siècles;  puisque  ces  conclusions  se  trouvent 
«n  rapport  avec  des  faits  qui  n'étaient  ni  connus ,  ni  même 
soupçonnés  à  cette  époque,  qui  ne  l'avaient  jamais  été  jusqu'à 
nos  jours,  et  que  les  philosophes  de  tous  les  temps  ont  tou- 
jours considérés  contradictoirement  et  sous  des  points  de  vue 
toujours  erronnés;  puisque  enfin,  ce  livre,  si  supérieur  à  son 
siècle,  sous  le  rapport  de  la  science,  lui  est  également  supé- 
rieur sous  le  rapport  de  la  morale  et  de  la  philosophie  natu- 
relle, on  est  obh'gé  d'admettre  qu'il  y  a  dans  ce  livre  quelque 
chose  de  supérieur  à  l'homme,  et  quelque  chose  qu'il  ne  voit 
pas,  qu'il  ne  conçoit  pas,  mais  qui  le  presse  irrésistiblement!!!  « 

Maintenant,   si  l'on  veut  jeter  un  coup  d'œil  attentif  sur  le 


(i)  Demerson.  Histoire  naturelle  du  globe  terrestre. 
(2)  Boubée ,   Géologie  populaire  ,  p.  66. 


PHYSIOLOGIE    ET    HYGIENE  ,    ETC.  525 

tableau ,  et  IMtadier  quelques  instans ,  il  nous  semble  qu'il  sera 
facile  de  se  faire  une  ide'e  nette  de  toutes  les  formations  ge'olo- 
giques.  Nous  avons  pris  pour  base,  comme  nous  le  disons,  le 
tableau  tracé  par  M.  de  Humboldt  ;  mais ,  tel  que  nous  le  don- 
nons et  avec  les  indications  que  nous  y  avons  ajoute'es,  nous 
croyons  que  ce  travail  n'avait  jamais  e'te'  fait ,  et  qu'il  peut  pas- 
ser pour  neuf. 

Nous  espe'rons  qu'il  sera  utile  à  nos  lecteurs,  et  qu'ils  pour- 
ront y  voir  une  nouvelle  preuve  de  la  re've'lation  divine  de  nos 
livres ,  et  de  l'avantage  qu'on  peut  retirer  de  la  connaissance 
des  sciences  ,  pour  re'pondre  aux  demi-savans  qui  re'pètent  en- 
core les  vieilles  objections  ge'ologiques  faites  contre  la  Bible 
dans  le  siècle  dernier.  —  Annales  de  Philosophie  Chrétienne , 
n"  5o. 


•V V\  <\A/\  VV\  VV\  VtA  VV^  «VVV /VV\ 'V'V%  VV^  VV\  VV\  f*^^  "XA/*  l\ A/\  VV\  ^'V^  VV\ /VV\  VV%  A/VX  (VV\  vv\ vv% /VVV  VV\  iV^ 

FHTSÎOÎ.OGIE    ET   BTGIÈNE 

DES  HOMMES  LIVRÉS  AUX  TRAVAUX  DE  L'ESPRIT  (i). 


Tel  est  le  caractère  de  divinité  qui  distingue  le  christianisme , 
que  les  efforts  de  l'impie'té  pour  l'aoe'antir  oat  contribue'  à  affermir 
son  empire ,  et  que  les  sciences  qui  lui  paraissaient  les  plus  oppo- 
sées ou  les  plus  e'trangères ,  fournissent  des  argumens  invincibles 
pour  prouver  la  vérité  de  sa  ce'leste  origiae. 

Le  livre  que  nous  annonçons  offre  une  preuve  frappante  de  cette 
dernière  assertion.  Cet  ouvrage ,  en  effet ,  destiné  à  procurer  la 
santé,  semblerait  ne  contenir  que  des  considérations  purement  ma- 
térielles ,  et  cependant  ou  peut  en  tirer  des  preuves  concluantes  en 
faveur  de  notre  religion;  car  le  résumé  de  cet  ouvrage  est   que, 


(i)  Ou  Recherchas  sur  le  physique  et  le  moral ,  les  habitudes  ,  les  ma- 
ladies et  le  j-égime  (\cs  ^cn^  de  lettres,  artistes,  savaus,  hommes  d'état, 
etc.  Par  J.  H.  Reveillé-Parise ,  docteur  en  médecine;  2  vol.  in-S».  Paris 
chez  Dentu.  Prix  :   i4  fr. 


526  PHYSIOLOGIE     ET    HYGIENE 

pour  se  procurer  une  santé  inalte'rable ,  il  faut  non-sealement  être 
sobre,  chaste  et  tempe'rant ,  mais  encore  dompter  ses  passions  et 
acquérir  un  grand  empire  sur  elles;  or,  que  veut  de  plus  le  catho- 
licisme ?  c'est  là ,  en  y  joignant  la  charité ,  dont  personne  ne  s'a- 
visera de  contester  l'excellence,  tout  ce  que  prêche  l'Evangile; 
avec  cette  différence  que  les  conside'rations  de  santé  que  fait  valoir 
M.  Reveillc-Parise  sont  insuffisantes  pour  arrêter  la  fougue  de  l'âge, 
l'emportement  des  sens  et  le  tyrannique  empire  des  passions,  tan- 
dis que  la  religion  chrétienne  est  seule  capable  de  leur  opposer  un 
frein  efficace  par  les  conside'rations  d'un  ordre  plus  élevé  qu'elle 
fait  valoir  aux  yeux,  de  ses  disciples. 

Tandis  que  l'incre'dulité ,  en  prêchant  à  l'homme  le  néant  de 
son  avenir,  le  précipite  par  cela  même  dans  les  plus  honteux  e'ga- 
remens  ,  use  sa  santé,  avance  sa  vieillesse,  la  religion,  par  ses 
enseignemens  et  sa  morale,  rend  l'homme  heureux  ici-bas;  car  la 
sanle'  est  une  condition  indispensable  de  bonheur,  puisque  la  po- 
sition la  plus  brillante  dans  le  monde  devient  mise'rable  sans  elle. 

Je  ne  suivrai  pas  l'auteur  dans  son  discours  pre'limiuaire,  où  il 
discute  l'origine  et  l'utilité'  de  la  médecine  ;  je  pense  comme  lui 
que  les  préventions  contre  elle  s'affaiblissent.  Car  un  fait  digne  de 
remarque^  c'est  que  les  gens  du  monde  les  plus  acharnés  contre  les 
médecins ,  sont  les  plus  enclins  à  suivre  les  indications  des  charla- 
tans; ce  qui  m'a  toujours  fait  regarder  cette  prévention  comme  la 
marque  certaine  d'un  esprit  borne  et  re'tréci.  Il  est  impossible  d'ail- 
leurs de  ne  pas  convenir  que,  par  les  grands  de'veloppemens  qu'ont 
pris  aujourd'hui  les  sciences  médicales,  elles  n'aient  contribué  aux 
progrès  de  l'esprit  humain  sur  plusieurs  points  importans.  Tout  le 
monde  sait  que  l'auatomie  et  la  physiologie  sont  les  deux  premiers 
chapitres  dune  bonne  philosophie. 

Vers  le  milieu  du  siècle  dernier,  Tissot  fit,  sur  la  santé  des  gens 
de  lettres ,  un  traite'  qui  eut  beaucoup  de  vogue,  que  tout  le  monde 
connaît,  mais  qu'on  ne  lit  plus  aujourd'hui,  quoiqu'il  contienne 
d'excellens  préceptes  d  hygiène.  L'ouvrage  de  M.  Panse  est  basé  sur 
les  mêmes  principes ,  mais  il  lui  est  bien  supe'rieur  par  le  style  , 
les  recherches  dont  il  est  parsemé,  et  la  connaissance  qu'il  suppose 
dans  l^auteur  de  tous  les  progrès  que  les  sciences  me'dicales  ont  faits 
depuis  cette  e'poque. 


DES    HOMMES    LIVRÉS    AUX    TRAVAUX    DE    l'eSPRIT.         527 

La  première  partie  contient  im  excellent  traite'  de  physiologie  , 
la  deuxième  traite  de  la  physiologie  pathologique,  et  la  dernière  de 
l'hygiène  la  mieux  appropriée  aux  personnes  qui  s'adonnent  aux 
travaux  de  l'esprit. 

PREMIÈRE    PARTIE. 

L'auteur  commence  par  tracer  les  principaux  phénomènes  de  la 
vie  :  ((  Ainsi  chaque  organe  est  fait  pour  soi ,  ayant  en  lui  tout  ce 
»  qui  le  complète;  il  a  sa  loi,  ses  conditions,  son  mode  à  part 
»  d'existence,  et  pourtant  la  raison  de  chaque  partie  n'est  que  dans 
n  le  tout  ;  il  y  a  la  vie  de  la  mole'cule  ,  la  vie  de  l'organe  et  la  vie  de 
»  l'animal,  ou  plutôt  il  y  a  mille  existences  et  il  n'y  a  qu'une  seule 
»  vie  ;  admirable  faisceau  que  l'étroite  union  des  parties  enlr'elles 
»  forme  dès  la  fondation  du  germe  !  Aussi ,  pe'nétrés  de  cette  idée, 
»  les  anciens  philosophes  regardaient-ils  le  corps  humain  comme 
»  la  plus  frappante  image  de  l'univers ,  où  tout  se  lie  à  tout  dans 
))  l'espace  et  dans  le  leuips  ;  qui  ne  reconnaît  ici  Vunum  et  Vomnia 
»   des  anciens  pythagoriciens,  Dieu  est  un  et  toute  chose.  » 

M.  Reveillé-Parise,  il  faut  bien  le  dire,  évite  avec  soin,  dans 
tout  son  ouvrage,  de  s'expliquer  sur  les  différentes  questions  qui 
pourraient  faire  soupçonner  ses  croyances,  et  celte  réserve  doit 
faire  un  peu  tenir  en  garde  le  lecteur  qui  verrait  dans  cette  der- 
nière citation  un  panthe'isme  bien  prononcé  ,  si  M.  Parisc  rappli- 
quait au  système  général  de  l'univers  ;  j'aime  mieux  croire  qu'il  n'a 
eu  en  vue  que  l'organisation    du  corps  humain. 

L'auteur  passe  aux  modes  principaux  de  manifestation  de  la  vie; 
il  définit  ensuite  les  lois  les  plus  générales  de  la  sensibilité ,  de  la 
contractibilite'  ou  de  la  puissance  musculaire,  et  décrit,  ainsi  qu'il 
suit,  la  loi  fondamentale  du  tempérament  des  personnes  livrées  aux 
travaux  de  l'esprit  :  «  D'un  côté ,  disposition  nerveuse  originelle 
»  puis  excès  d'action;  enfin,  prédominance  extrême  du  système 
))  nerveux;  de  l'autre,  diminution  graduelle  et  presqu'absolue  de  la 
»  contractibilite.  »  M.  Parise  assure  que  telle  est  la  condition  or- 
ganico-vitale ,  le  caractère  dominant  de  ce  tempe'ramcnt  qui  se  re- 
trouve partout ,  et  dont  son  ouvrage  n'est  que  le  déveloi)pement  et 
l'application.  Suivant  Galien,  Plutarque,  tous  les  physiologues  an- 


528  PHYSIOLOGIE    ET    HYGIENE 

ciens  et  modernes,  lorsque  le  système  nerveux  a  beaucoup  d'activité, 
le  système  osso-musculaire  acquiert  peu  de  développement  ;  ou,  ce 
qui  revient  au  même ,  les  gens  secs  et  grêles  sont  seuls  capables 
des  travaux  de  l'esprit;  les  gens  robustes,  gras  et  frais,  ne  sont 
bons  qu'à  faire  de  la  chair  et  du  sang.  Heureusement  pour  ces  der- 
niers,  Platon,  Buffou,  Le'onard  de  Vinci,  le  maréchal  de  Saxe, 
Mirabeau,  Joignaient  à  beaucoup  d'esprit,  comme  chacun  sait,  des 
épaules  carrées  et  une  grande  vigueur  de  constitution.  L'auteur,  en 
citant  ces  exemples,  veut  bien  reconnaître  qu'il  existe  en  effet  quel- 
ques exceptions  au  système  de  Galien ,  mais  il  assure  qu'elles  sont 
très-rares ,  et  qu'on  trouve  bien  rarement  une  heureuse  coïncidence 
d'un  grand  développement  dans  les  deux  systèmes  a  la  fois.  Il  exa- 
mine ensuite  les  effets  de  la  loi  citée  plus  haut  sur  le  physique , 
l'intelligence  en  général,  les  actes  de  l'intelligence  en  particulier, 
enfin  sur  le  caractère  et  les  habitudes.  «  A  raison  de  son  intelligence, 
«  l'homme  se  prétend  supérieur  aux  animaux,  il  a  la  conscience  de 
»  ce  sentiment,  il  en  a  l'orgueil;  or,  quand  cette  intelligence  ac- 
»  quiert  un  surcroît  d'étendue,  ce  sentiment  augmente  nécessaire- 
»  ment  et  dans  les  mêmes  proportions  ;  cela  doit  être ,  et  cela  est 

»   en  effet Alexandre  se  fit  le  Bacchus  de  l'Inde  ;  on  trouve  à 

»  la  fois  dans  ma  famille,  disait  César,  la  sainteté  des  rois  qui  sont 
))  les  maîtres  des  hommes,  et  la  majesté  des  dieux  qui  sont  les 
3»  maîtres  des  rois....  Quand  la  fortune  eut  comblé  Napoléon  de  ses 
»  faveurs ,  il  prit  le  titre  fastueux  de  Xliomme  du  desùn.  » 

Le  lecteur  doit  lire  dans  l'ouvrage  même  toutes  les  conséquences 
que  l'auteur  tire  de  cette  loi.  Le  désir  excessif  de  louange  et  de  cé- 
lébrité, l'irascibilité  qu'éprouvent  les  gens  d'esprit  lorsqu'un  désap- 
pointement prend  la  place  d'un  succès;  la  misanthropie,  la  sauva- 
gerie ,  les  boutades  qu'on  reproche  à  des  hommes  du  plus  grand 
mérite,  en  sont  les  principales;  mais  je  ne  puis  être  d'accord  avec 
lui  sur  la  mobilité  qu'il  attribue  aux  personnes  douées  d'une  ima- 
gination vive,  surtout  exprimée  d'une  manière  aussi  absolue  :  «  Je 
»  le  répète ,  un  phénomène  extraordinaire  serait  de  voir  une  sen- 
»  sibilité  exquise  et  une  placidité  d'âme  inaltérable  :  Socrate  seul 
))  peut-être  en  a  donné  l'exemple  au  monde  ;  mais  rappelons-nous 
»  les  constans  efforts  qu'il  fit  pour  se  vaincre  :  alors  faut-il  seîon- 
»>  ner  que  Socrate  fut  déclaré  par  l'oracle  le  plus  sage  des  hom- 


DES    HOMMES    LIVRES    AUX    TRAVAUX    DE    l'eSPRIT  .  529 

»  mes.  »  Que  la  plupart  des  gens  du  monde  éprouvent  cette  alter- 
native ,  je  le  conçois  ;  mais  pourquoi  ne  citer  que  l'exemple  de 
Socrate ,  lorsque  tant  de  génies  chrétiens  anciens  et  modernes  ont 
donne  au  monde  l'exemple  d'une  égalité  admirable  dans  leur  con- 
duite,  leurs  opinions  et  leurs  systèmes? 

M.  Parise  fait,  dans  le  chapitre  X  ,  de  nouvelles  applications  des 
principes  précédens  ;  il  avoue  qu'il  existe  des  hommes  de  lettres 
dont  les  principes  et  la  foi  politique  ou  religieuse  est  inébranlable; 
mais  aussi  il  assigne  une  large  part  au  re'giment  des  girouettes,  et 
fait  ressortir  avec  beaucoup  d'esprit  les  inconséquences  des  philo- 
sophes ,  des  poètes  et  des  littérateurs.  On  verra  avec  plaisir  la  dé- 
finition du  génie  :  «  Rien  donc  de  plus  démontré  que  cette  vérité; 
Il  le  génie ,  c'est-à-dire  l'esprit  humain  élevé  à  la  plus  haute  puis- 
»  sance,  se  compose  de  facultés  opposées,  mais  qui  se  combinent 
»  admirablement;  c'est  Tharmonie  des  contraires;  une  organisation 
))  mobile,  irritable,  du  saug-froid  et  del'à-plomb;  une  sensibilité' 
»  exquise  toujours  excite'e,  toujours  active,  puis  une  raison  me'- 
»  thodique  et  positive;  de  l'exaltation  et  de  la  précision,  de  l'ar- 
»  deur  et  de  la  perse've'ranee;  la  patience  de  concevoir  et  la  patience 
»  d'exécuter  :  c'est  précisément  cet  ensemble  si  rare,  si  précieux, 
»  si  difficile  à  obtenir,  qui  donne  au  génie  une  force  inconnue, 
»  irre'sistible  quand  il  apparaît.  Muse  ou  démon,  être  immatériel 
»  ou  simple  mode  de  vitalité,  il  y  a  un  je  ne  sais  quoi  diuconce- 
»  vable,  de  surnaturel,  quelque  chose  d'humain  et  de  ce'leste  qui 
»  le  place  tout  d'abord  au  sommet  de  la  civilisation ,  et  lui  donne 
))   l'empire  du  monde.  » 

Dans  les  chapitres  suivans ,  l'auteur  fait  connaître  les  variétés  c^ 
les  dilTe'rences  organiques  que  produit  la  constitution  nerveuse;  il 
assure  que  ces  différentes  organisations  influent  d'une  manière  in- 
contestable sur  les  mœurs  et  sur  les  habitudes.  «  D'après  Gall ,  ces 
»  manifestations  procèdent  uniquement  du  cerveau  ;  mais  selon  le 
»  plus  grand  nombre  de  physiologistes  ,  tout  en  faisant  une  large 
»  part  à  l'action  cérébrale ,  l'instinct  et  les  passions  se  lient  prin- 
»  cipalement  à  l'ensemble  du  système  nerveux  ganglionnaire,  aux 
»  excitations  viscérales....  Gall  a  très-bien  exposé  l'influence  géné- 
»  raie  du  cerveau  sur  le  moral;  il  a  présenté  sur  cet  important 
»  appareil  les  vues  les  plus  lumineuses  ;  mais  quand  il  veut  assigner 
T.  X.  37 


530  PHYSIOLOGIE    ET    UYGIÈNE 

»  les  limites  de  chaque  sens  en  particulier ,  circonscrire  nos  facul- 
»  tés,  parquer  nos  affections,  dire  là  est  le  bon  sens,  ici  est  la 
»  folie,  voilà  l'organe  de  l'ambition,  voilà  l'organe  de  l'humilité, 
»  etc. ,  il  se  perd  dans  un  labyrinthe  de  conjectures  que  les  faits 
»  abandonnent,  que  l'expérience  dément,  »  Dans  les  chapitres  sui- 
vans  ,  l'auteur  nous  fait  connaître  les  principaux  agcns  de  l'élément 
nerveux,  qui  se  divise  en  deux  divisions  principales,  l'appareil 
nerveux  ganglionnaire  ou  viscéral,  et  l'appareil  cérébro-spinal.  Les 
physiologistes,  à  l'exception  de  Gall,  ont  placé  les  affections  et  les 
passions  dans  le  système  viscéral ,  qui  reçoit  les  impressions  du 
cerveau,  et  sur  lequel  il  réagit  à  son  tour.  Enfin,  dans  les  der- 
niers chapitres ,  il  discute  les  rapports  du  cerveau  avec  la  capacité 
intellectuelle ,  et  fait  connaître  les  données  les  plus  remarquables 
que  la  science  possède  sur  ce  sujet;  je  les  transcrirai  ici  textuelle- 
ment. «  I''*'  donnée.  Le  cerveau  ou  appareil  encéphalique  est  l'in- 
»  trument  de  la  pensée  ;  2°  l'appareil  nerveux  encéphalique  est  tout 
Il  à  la  fois  actif  et  passif;  3'  les  variétés  de  forme  et  de  structure 
1»  du  cerveau  correspondent  aux  divers  degrés  de  capacité  intellec- 
1)  tuelle;  4°  l'homme  a  le  cerveau  le  plus  vaste  et  la  face  la  plus 
)>  courte  de  tous  les  animaux  ;  5°  la  sphère  du  cerveau  peut  déter- 
11  miner  jusqu'à  un  certain  point  la  sphère  de  l'intelligence;  6'  la 
»  perfection  de  structure  cérébrale  doit  coïncider  avec  le  volume  de 
i>  l'organe.  »  A  l'appui  des  observations  dont  chaque  donnée  est 
suivie ,  et  qu'il  faut  lire  dans  son  ouvrage ,  l'auteur  donne  la  des- 
cription des  têtes  de  Pascal ,  Voltaire  ,  Jean- Jacques  ,  Napoléon  , 
Byron  ,  Gall  et  Cuvier  ;  il  avoue  néanmoins  que  l'action  de  l'organe, 
et  ses  rapports  entre  cette  forme  cérébrale  et  cette  activité  de  fa- 
cultés mentales ,  est  encore  inconnue ,  et  que  la  nature  a  jeté  un 
voile  épais  sur  cet  important  secret.  «  Acceptons,  dit-il,  la  nature 
»>   humaine  telle  qu'elle  est  ;  les  lois  de  l'organisation  sont  l'ordre 

»    de  Dieu ;  sauf  les  cas  de  folie  ou  de  maladie  ,  l'instrument  est 

»  toujours  à  la  disposition  de  la  puissance  de  l'homme;  ii  y  a  sub- 
))    ordination  de  l'organe  au  moi  recteur  de  la  volonté.  » 

M.  Parise  considère  ensuite  la  fonction  elle-même  de  l'appareil 
encéphalique ,  et  la  sphère  d'activité  depuis  l'attention  la  plus  légère 
jusqu'à  l'extase  contemplative  ,  véritable  simplification  de  l'âme  se- 
lon Plotin.  On  lit  avec  intérêt  les  détails  dans  lesquels  il  entre  sur 


DES    HOMMES    LIVKÉS    AUX    TRAVAUX     DE    l'eSPRIT.         531 

les  effets  produits  par  les  différens  degrés  de  tension  de  l'esprit , 
l'accablement  auquel  sont  sujettes  les  personnes  qui  poussent  à  l'ex- 
trême la  force  pensante  ,  et  qui  finissent  par  compromettre  la  santé 
et  amènent  les  accidens  les  plus  fâcheux  ;  il  fait  connaître  ensuite 
les  avantages  du  tempérament  avec  prépondérance  nerveuse,  les 
maladies  qui  en  sont  la  suite  ordinaire,  les  inconvéniens ,  et  finit 
cette  première  partie  par  des  considérations  sur  ce  mot  d'Aristote, 
que  la  plupart  des  hommes  célèbi'es  sont  atteints  de  mélancolie.  Il 
attribue  avec  juste  raison  la  prédisposition  à  cette  maladie,  aux 
travaux  et  aux  efforts  d'esprit  qu'ils  sont  obligés  de  faire  pour  par- 
venir à  la  célébrité ,  et  surmonter  les  obstacles  qu'ils  rencontrent 
dans  le  monde  de  la  part  des  hommes  et  des  choses.  Les  bornes  de 
cet  article  ne  me  permettent  pas  d'entrer  dans  de  plus  amples  dé- 
tails, et  me  forcent  à  passer  immédiatement  à  la  seconde  partie. 

DEUX1È3IE  PARTIE  PHYSIOLOGIE  PATHOLOGIQUE. 

D'après  les  principes  exposés  dans  la  première  partie  ,  on  entend 
bien  que  l'auteur  attribue  l'origine  des  affections  pathologiques,  si 
fréquentes  chez  les  hommes  qui  exercent  outre  mesure  les  forces 
de  l'esprit ,  àtine  irritabilité  qui  ébranle  à  chaque  moment  l'écono- 
mie ,  à  la  diminution  progressive  de  la  contractibiUté,  et  à  l'inégalité 
de  la  distribution  des  forces  vitales  ;  à  ces  causes  il  faut  joindre 
la  vie  trop  se'dentaire ,  le  défaut  d'air  pur  et  renouvelé,  les  veilles  pro- 
longées et  répe'te'esjla  position  dans  le  travail ,  la  rétention  des  urines 
et  des  matières  fécales ,  les  erreurs  de  régime ,  la  solitude  et  les 
habitudes  bizarres.  Après  avoir  développé  Pinfluence  de  toutes  ces 
causes,  M.  Parise  examine  les  organes  les  plus  spécialement  affectés 
par  les  travaux  de  l'esprit.  Il  place  au  premier  rang  le  cerveau  et 
ses  dépendances;  plus  cet  appareil  a  de  supre'matie  sur  l'e'conomie, 
plus  il  entraîne  de  dangers  lorsqu'il  est  activé  outre  mesure  ,  et  s'il 
est  la  source  du  bonheur  pour  les  hommes  qui  ne  vivent  que  de 
la  pensée,  il  est  aussi  l'origine  des  maux  auxquels  ils  sont  exposés; 
car  l'un  des  effets  de  la  tension  continuelle  du  cerveau  est  d'affaiblir 
les  autres  organes  qui  se  trouvent  le  plus  sous  sa  dépendance,  en 
les  privant  de  l'influx  nerveux  nécessaire  à  leur  action.  Aussi  le 
système  digestif  est-il  le  premier  affecté  chez  les  hommes  de  cabi- 
net f  ensuite  le  foie ,  et  après  le  foie  le  système  urinaire. 

37. 


532  PHYSIOLOGIE    ET    HYOlÈWE 

L'auteur  décrit  ensuite  les  principales  maladies  des  gens  de  let- 
tres. D'abord  les  alTections  du  cerveau,  qui  toutes  sont  rapides, 
toutes  ne  sont  déterminées  qu'à  la  longue  ;  il  énumère  tous  les  gens 
d'esprit  morts  d'apoplexie.  «  Une  petite  atteinte  de  cette  maladie 
»  peut  s'appeler,  suivant  Ménage,  un  brevet  de  retenue  de  mort; 
)>  Napoléon,  qui  la  craignait,  demandait  un  jour  à  Corvisard  quel- 
»  ques  idées  positives  sur  cette  maladie.  «  Sire  ,  lui  repondit  le 
))  médecin,  l'apoplexie  est  toujours  dangereuse,  mais  elle  a  des 
5)  symptômes  avant-coureurs;  il  est  rare  que  la  nature  frappe  sans 
»  avertir  d  avance  ;  une  première  attaque  est  une  sommation  sans 
))  frais ,  la  seconde  une  sommation  avec  frais ,  mais  la  troisième 
1»  est  une  prise  de  corps.  »  Corvisard  lui-même  donna  une  cruelle 
»  preuve  de  la  ve'ritë  de  son  assertion.  »  Plus  l'action  vitale  est  forte 
dans  l'encéphale,  plus  l'appareil  digestif  se  trouve  affaibli,  et  par 
suite  arrivent  l'inflammation  du  foie  et  de  l'estomac ,  l'ictère ,  la 
gastralgie ,  les  coliques  nerveuses ,  les  alTections  cancéreuses  et  la 
constipation.  Suivant  l'auteur,  les  calculs  des  reins  et  de  la  vessie, 
le  catharrhe  chronique,  sont  l'apanage  le  plus  ordinaire  de  la  plu- 
part des  savans,  et  ces  maladies,  en  maintenant  l'économie  dans 
un  état  habituel  d'irritabilité,  contribuent  à  la  misanthropie,  qui 
conduit  par  une  pente  insensible  à  l'hypochondrie.  La  mélancolie 
se  caractérise  presque  toujours  par  une  idée  fixe  qui  s'empare  de 
l'âme ,  et  cette  affection ,  portée  à  quelques  degre's  de  plus ,  et  à  ce 
point  où  il  y  a  dissonnance  entre  les  perceptions  internes  et  les 
rapports  extérieurs,  dégénère  en  monomanie.  C'est  ainsi  que  Pascal 
voyait  toujours  un  abîme  à  ses  côtés ,  et  que  le  Tasse  entendait  des 
voix  qui  lui  traduisaient  ses  propres  pense'es.  M.  Parise  traite  en- 
suite de  la  marche  des  maladies  chez  les  gens  de  lettres,  et  réduit 
à  trois  principales  les  circonstances  particulières  importantes  à  con- 
naître dans  leur  traitement;  i°  les  accidens  nerveux,  2°  l'irre'gu- 
laritc  des  symptômes ,  3°  la  rapidité  des  sympathies.  Il  passe  en- 
suite aux  principes  généraux  de  traitement.  Il  ne  pre'tend  pas  fournir 
aux  yeux  du  monde  les  moyens  de  se  traiter  soi-même,  son  opinion 
est  que  toute  maladie  doit  être  traite'e  par  un  médecin  ;  mais  il 
donne  des  préceptes  dont  la  généralité'  s'applique  aux  affections  pa- 
thologiques des  hommes  livre's  aux  travaux  de  l'esprit ,  et  comme 
leurs  maladies  proviennent   presque  toujours  d'une  sur-activité  du 


DES   HOMMES  LIVRES   AUX  TRAVAUX   DE    l'i  SPRIT.  533 

système  nerveux ,  il  pense  qu'il  faut  procéder  autant  que  possible 
par  la  méthode  sédative,  et  qu'à  cause  de  la  tendance  des  malades 
aux  agitations  nerveuses ,  il  ne  faut  employer  les  stimulans  qu'avec 
une -extrême  réserve.  Il  assure  avoir  guéri  des  savans  par  un  régime 
approprié  à  leur  tempérament  ;  des  délabremens  d'estomac  et  de 
poitrine  par  le  lait  donné  sous  toutes  les  formes,  des  affections  bi- 
lieuses par  l'usage  des  fruits  et  du  vin  blanc  coupé  d'eau  ,  bu  à  pro- 
fusion, quelquefois  même  par  l'usage  soutenu  des  huîtres;  le  spleen 
par  le  galop  toute  la  journée  et  le  Champagne  le  soir.  11  recom- 
mande l'exercice ,  l'air  pur ,  les  bains ,  et  ne  veut  l'emploi  de  la 
saignée  qu'avec  une  extrême  circonspection.  Cette  réserve  sur  la 
saignée  m'a  fort  émerveillé,  accoutumé  que  je  suis  a  voir  de  jeunes 
praticiens  faire  un  étrange  abus  de  la  saignée  et  des  sangsues  ;  je 
demandais  à  l'un  d'eux,  qui  ne  manquait  ni  d'esprit  ni  d  instruc- 
tion ,  que  feriez-vous  ,  si  l'ou  ne  pouvait  se  procurer  de  sangsues? 
j'abandonnerais  la  me'dccine ,  me  repondit-il  sans  hésiter.  Peut-on 
pousser  plus  loin  le  fanatisme? 

En  général  «  la  the'rapeutique  morale  est  pour  les  gens  de  let- 
»  très,  pour  les  artistes  et  les  savans,  celle  qui  convient  par  ex- 
))  cellence;  chez  eux,  tout  part  de  l'imagination,  tout  émane  de 
»  ce  foyer  de  conflagration  ;  dirigez  bien  le  conducteur^  et  vous 
»  obtiendrez  de  merveilleux  effets.  »  L'auteur  finit  cette  seconde 
partie  par  un  dernier  chapitre  sur  les  rapports  des  médecins  avec 
les  gens  de  lettres.  Je  crois  comme  lui  que,  si  les  médecins  étaient 
assez  lie's  avec  leurs  malades  pour  connaître  leurs  peines  morales, 
s'ils  lisaient  dans  leurs  plus  secrètes  pensées ,  ils  auraient  bien  plus 
de  moyens  curatifs  auprès  d'eux.  Mais  ,  pour  que  cet  épanchement 
ait  lieu ,  il  faut  avoir  son  médecin  pour  ami.  «  Si  le  hasard  ,  1  oc- 
11  casiou,  votre  heureuse  étoile,  vous  donnent  un  médecin  non- 
»    seulement  habile,  mais  un  ami  compatissant ,  empressé,  qui  sym- 

»   pathise  avec  les  souffrances  de  ceux  qui  se  confient  en  lui , 

)>  confiez-vous  sans  réserve  à  ce  bienfaisant  mortel...,  nul  ne  saura 
i>  mieux  calmer  vos  angoisses  du  corps  et  de  l'àme,  parce  que  nul 
»  n'en  connaît  mieux  la  source,  m  Oh  !  sans  doute  ce  serait  un 
trésor  qu'un  me'decin  pareil,  non-seulement  pour  les  savans,  mais 
encore  pour  toutes  les  gens  du  monde;  car ,  parcourez  l'échelle  so- 
ciale, et  dites-moi  si   vous   trouvez  un  homme  d'un  caractère  un 


534  PHYSIOLOGIE   ET  HYGIENE 

peu  élevé,  qui  n'ait  des  chagrins  plus  ou  moins  cuisans  provenant 
de  l'esprit  ou  du  cœur  ?  Si  le  physique  influe  sur  le  moral ,  les 
peines  de  ce  dernier  influent  à  leur  tour  sur  le  physique ,  et  sont 
bien  souvent  la  cause  dominante  d'un  grand  nombre  de  maladies. 

TROISIÈME    PARTIE.     HYGIENE. 

J'arrive  enfin  à  la  troisième  partie.  L'auteur  blâme  d'abord  les 
médecins  qui  veulent  qu'aussitôt  que  la  santé  se  trouve  menacée , 
on  renonce  absolument  aux  travaux  de  l'intelligence  ;  ce  n'est  pas 
là,  dit-il,  résoudre  la  question,  mais  bien  la  briser;  il  ne  croit 
pas  que  ce  conseil  soit  facile  à  exécuter  par  la  plupart  des  malades, 
et  il  établit  ainsi  qu'il  suit  le  problème  dont  les  médecins  doivent 
chercher  la  solution  :  «  étant  doDné  un  tempérament  avec  pré- 
»  dominance  extrême  du  système  nerveux,  et  l'individu  se  livrant 
»  aux  travaux  de  l'esprit,  indiquer  par  quels  moyens  hygiéniques 
»  ces  travaux  compromettent  le  moins  possible  la  vie  et  la  santé.» 
Il  est  évident  que,  comme  la  solution  de  ce  problème  dépend  de 
la  mesure  des  forces  et  de  l'appréciation  de  la  nature  des  choses 
sur  lesquelles  doit  s'exercer  la  puissance  organique ,  elle  est  très- 
difficile  à  obtenir,  à  cause  des  obstacles  qu'on  rencontre  dans  la 
volonté  des  malades;  car  beaucoup  de  gens  d'esprit  et  de  jugement 
ne  veulent  jamais  comprendre  la  nécessité  d'agir  avec  méthode  et 
persévérance;  ils  attendent  que  le  mal  ait  fait  d'effrayans  progrès, 
et  quoique  bien  supérieurs  à  la  plupart  des  hommes ,  ils  ressem- 
blent souvent  à  des  enfans  mutinés  contre  la  nature  ;  quelques 
autres  donnent  dans  un  excès  opposé,  en  soignant  leur  santé  avec 
une  excessive  minutie  ;  mais  le  plus  petit  nombre  est  bien  certai- 
nement ceux  qui  agissent  d'une  manière  rationnelle.  A  tous  ces 
obstacles,  il  faut  ajouter  la  position  dans  le  monde,  et  si  Ion  con- 
sidère des  hommes  de  lettres  ou  des  artistes  dans  une  condition 
inférieure ,  on  trouve  que  ces  obstacles  se  multiplient  par  l'obli- 
gation de  fournir  aux  besoins  de  la  vie,  à  l'existence  d'une  famille, 
et  la  nécessité  de  remplir  les  devoirs  des  emplois  dont  on  est 
chargé.  Outre  l'impossibilité  qui  souvent  se  rencontre  de  faire  ces- 
ser les  travaux  de  l'esprit ,  il  faut  encore  considérer  l'habitude 
que  certains  hommes  ont  pnsc  de  lire ,  penser  ,  méditer  ou  écrire, 


DES  HOMMES  LIVRES  AUX  TRAVAUX  DE  l'eSPRIT.  535 

qui  souvent  a  dégénéré  chez  eux  en  un  irrésistible  besoin  5  il  se- 
rait dangereux  de  les  sevrer  tout-à-coup  de  ce  qui  fait  leur  bon- 
heur. «  Pe'Uarque  ,  fatigué  par  d'opiniâtres  études  ,  se  plaignait 
»  de  sa  santé  devant  l'évèque  de  Cavaillon  ;  celui-ci  en  pénétra 
»  facilement  les  motifs,  et  lui  demanda  la  clef  de  son  cabinet  pour 
»  quelque  temps  3  Pétrarque  y  consentit  ;  mais  le  poète  ,  malgré 
»  tous  ses  efforts ,  ne  put  y  résister  que  trois  jours  :  Rendez-moi 
))  la  clef  de  mon  cabinet  ,  dit-il  à  son  ami  ,  ou  je  tombe  mort  à 
»  vos  pieds.  »  Après  ces  considérations,  l'auteur  trouve  le  meilleur 
moyen  de  vaincre  tous  ces  obstacles  dans  l'étude  du  tempérament 
de  chaque  malade  et  dans  la  connaissance  des  modifications  qu'il 
a  éprouvées  ou  qu'il  peut  éprouver  encore  ;  il  cite  comme  l'abrégé 
de  l'hygiène ,  ce  passage  de  Cicéron  :  «  V^aletudo  sustentatur  no- 
»   titiâ  sui  corporis  et  observatione  quœ  res  aut  prodesse  soleant 

»   aut  obesse postremo  arte  eorum  quorum  ad  scientiam  hœc 

»  pertinent  (i).  »  Mais  ,  pour  étudier  un  tempérament  ,  il  pose 
pour  règle  générale  d'examiner  l'habitude  extérieure,  les  fonctions 
de  la  nutrition  ,  l'action  des  poumons  ,  l'action  circulatoire  ,  les 
fonctions  de  relation  ,  les  organes  en  particulier  ,  les  maladies  , 
l'hérédité ,  les  habitudes  acquises ,  enfin  l'influence  du  moral  sur 
le  physique.  Il  fait  connaître,  par  des  exemples  frappans,  la  puis- 
sauce  d'une  bonne  méthode  d'hygiène.  Newton ,  qui  était  né  faible 
et  délicat,  vécut  jusqu'à  85  ans,  exempt  d'infirmités,  malgré  ses 
hautes  facultés  et  ses  immenses  études  ,  et  il  dut  cet  avantage  à 
un  régime  simple  et  sévère.  Fontenelle  ,  qui  fut  homme  du  monde 
et  homme  de  lettres  ,  a  beaucoup  écrit  ;  doué  d'une  complexion 
faible,  d'une  poitrine  délicate,  il  vécut  un  .siècle,  grâces  à  sa  tem- 
pérance et  à  sa  sobriété;  Auguste,  Kant  et  beaucoup  d'autres,  ont 
prolongé  leur  existence  par  l'effet  d'une  vie  sobre  et  bien  réglée. 
M.  Parise,  dans  son  chapitre  intitulé  Philosophie  de  l'Hygiène , 
nous  fait  connaître  les  agens  modificateurs  de  l'économie  ,  les  ré- 


(i)  La  santé  se  conserve  par  la  connaissance  que  l'on  acquiert  de  son 
corps,  et  l'observation  de  ce  qui  a  coutume  de  lui  nuire  ou  de  lui  être 
utile....  Ensuite  par  les  soins  de  ceux  qui  ont  fait  tic  ces  choses  l'objet 
de  leur  science.  De  qfjiciis  ,  lib.   n  ,  p.  86. 


536  PHYSIOLOGIE  ET   HYGIENE 

sultats  généraux  de  leurs  actions  ,  et  pose  les  bases  fondamentales 
de  l'hygiène  dans  treize  théorèmes  qu'il  serait  trop  long  do  répéter 
ici;  il  cherche  quelle  est  l'action  de  l'atmosphère,  du  climat,  de 
l'électricité,  du  régime  alimentaire,  des  bains,  des  soins  de  pro- 
preté, des  vêtemens,  du  sommeil  et  de  la  veille,  de  l'exercice  et 
du  repos  ,  des  sécrétions  et  des  excrétions ,  enfin  des  affections  et 
des  passions.  Il  pose  eu  principe  qu'un  climat  doux  et  tempéré, 
un  air  pur,  un  régime  sobre  et  uniforme,  sont  les  premières  con- 
ditions pour  se  bien  porter  :  <<  Le  calcul  en  a  été  fait,  un  homme 
»  opulent  et  enclin  à  la  bonne  chère  prend  4o  fois  plus  d'aliment 
»  qu  il  n'en  a  rigoureusement  besoin  ;  il  faut  donc  apaiser  la  faim , 
n  ne  jamais  l'irriter ,  ne  jamais  confondre  l'appétit  du  palais  avec 
»  celui  de  l'estomac  ;  enfin  ,  faire  un  choix  d'alimens  convenables 
n  à  son  estomac,  n  II  défend  le  café,  qui  tue  en  caressant;  mais, 
en  revanche,  il  est  très-partisan  du  chocolat;  il  recommande  sur- 
tout la  coutiuence  et  la  chasteté  :  «  Quibus  neri^i  dolent ,  semper 
))  J^enuft  iniinica  ,  disait  Celse  ,  il  y  a  1800  ans.  Mais  ce  danger 
»  s'accroît  encore  lorsque  ces  mêmes  individus  se  livrent  avec  ar- 
))  deur  aux  travaux  de  lintelligence ,  et  ce  n'est  pas  sans  raison 
»  que  les  anciens  faisaient  les  muses  chastes  et  sobres  ;  on  doit 
))   donc  les  imiter ,  ou  renoncer  à  leurs  faveurs.  » 

Avec  ces  soins,  un  exercice  convenable,  beaucoup  de  modéra- 
tion dans  les  travaux  du  cabinet  ,  on  peut  espérer  d'obtenir  une 
santé  soutenue ,  surtout  si  l'on  parvient  à  ne  pas  laisser  prendre 
trop  d'empire  aux  affections  et  aux  passions ,  dont  l'influence  sur 
l'économie  n'est  que  trop  connue,  influence  que  l'auteur  décrit  à 
merveille  dans  une  lettre  à  un  magistrat ,  insérée  à  la  fia  du  cha- 
pitre VII  ;  je  ne  puis  mempêcher  d'en  citer  ici  un  passage  :  «  A 
))  toutes  les  époques  de  la  science ,  les  physiologistes  ont  considéré 
»  les  passions  comme  de  véritables  maladies.  Ce  point  de  vue  est 
»  fondé  sur  l'observation;  dans  toutes  les  passions,  en  effet,  l'har- 
»  monie  des  actes  vitaux  a  cessé  d'exister  ;  il  y  a  plus  :  que  la 
»  passion  soit  le  mobile  des  plus  belles  actions  ou  des  plus  cou- 
»  pables  égaremens ,  elle  ne  peut  avoir  Heu  sans  uue  sorte  d'alié- 
»  nation  temporaire,  préjudiciable  à  l'organisme;  car  c'est  la  vio- 
»  Icnce  de  la  passion  ,  et  non  la  direction  morale  ,  qui  en  fait  le 
»    danger.  Remarquez  toutefois  qu'il  ne  s'agit  ici  que  de  l'individu , 


DES  HOMMES  LIVRES  AUX  TRAVAUX   DF  l'esPRIT.  537 

»  et  nullement  de  la  socie'té  :  les  passions  funestes  aux  inte'rêts  de 
))  cette  dernière ,  sont  une  sorte  de  guerre  du  moi  d'un  seul  contre 
»  le  moi  de  tous.  Toujours  est-il  que  le  caractère  de  la  passion 
»  reste  le  même,  une  perturbation  extrême  de  l'économie,  un  trou- 
»  ble  fatal  à  son  bien-être  ,  parce  qu'il  est  toujours  en  dehors  du 
»  cercle  habituel  de  ses  forces.  » 

Mais  quel  est  le  remède  le  plus  efficace  pour  les  dompter?  M.  Pa- 
rise  les  trouve  dans  la  modification  organique ,  la  force  morale  , 
enfin  la  nouvelle  direction  à  imprimer  aux  ide'es  ,  aux  sentimens 
et  aux  faculte's  de  l'intelligence.  Pour  moi ,  je  pense  qu'on  les  trou- 
verait mieux  dans  les  sentimens  religieux  ,  qui  seuls  peuvent  leur 
opposer  une  digue  infranchissable. 

Après  avoir  fait  connaître  la  différence  d'action  des  agens  mo- 
dificateurs de  l'hygiène  en  raison  des  constitutions  diverses ,  l'au- 
teur examine  l'ordre  à  établir  dans  le  travail  mental,  sous  le  rapport 
hygiénique.  L'esprit  ayant  des  phases  de  hauteur  et  d'abaissement, 
il  faut  laisser  jaillir  le  sentiment  et  la  pensée  dans  les  momens 
d'exaltation  ;  mais  lorsqu'on  n'obtient  plus  rien  de  l'imagination  , 
il  faut  quitter  l'étude.  Buffon  s'enivrait  de  travail  ,  mais  il  y  re- 
nonçait lorsqu'il  sentait  que  le  sang  lui  montait  trop  fortement  à 
la  tête.  —  Beaucoup  de  gens  de  lettres  emploient,  pour  aviver  la 
pensée  ,  des  stimulans  physiques  tels  que  le  café  ,  le  vin  ,  les  li- 
queurs, l'opium  même;  Turgot  ne  travaillait  bien  que  lorsqu'il  avait 
dîné  largement  ;  Pitt ,  lorsqu'il  avait  une  affaire  importante  à  dis- 
cuter ,  buvait  un  peu  de  vin  de  Porto  avec  une  cuillerée  de  quin- 
quina ;  un  avocat  célèbre  de  Londres  se  faisait  appliquer  un  vesi- 
catoire  au  bras  toutes  les  fois  qu'il  avait  une  affaire  intéressante  à 
plaider;  tous  ces  excitans  offrent  beaucoup  plus  de  danger  que  les 
excitans  moraux  ;  mais  les  uns  et  les  autres  occasionnent  souvent 
des  accidens  par  l'excès  d'excitation  du  cerveau,  et  alors  il  faut 
par  force  avoir  recours  aux  sédatifs.  Malheureusement  la  médecine 
est  peu  riche  sous  ce  rapport,  au  moins  pour  l'efficacité  des  moyens; 
les  bains  de  pied,  la  promenade  à  l'air  libre  ,  les  frictions  d'e'thcr 
sur  les  tempes ,  sont  ceux  qui  re'ussissent  le  mieux  ,  mais  le  repos 
est  le  sédatif  moral  sur  lequel  on  doit  le  plus  compter. 

On  a  beaucoup  écrit  sur  la  solitude  ;  mais  pour  qu'elle  soit  effi- 
cace pour  la  santé  ,  il  faut ,  suivant  M.  Parise ,  se  soucier  peu  de 


538  PHYSIOLOGIE    ET    HYGîÈXE  ,    ETC. 

célébrité  ,  avoir  une  imagination  calme  ,  et  jouir  d'une  certaine 
aisance:  «  Heureux  le  penseur  philosophe  qui  consent  à  rester  dans 
»  l'obscurité,  qui  ne  désire  et  ne  veut,  dans  le  culte  des  muses  , 
»  d'autres  charmes  que  ceux  de  l'étude  et  d'un  loisir  consacré  aux 
»  jouissances  intellectuelles.  Sans  illusion  ,  sans  regrets  ,  sans  mé- 
))  comptes,  il  compensera  les  plaisirs  douteux  de  la  gloire  par  ceux 
»  de  la  "vie  intime.  Certes,  celui-là  peut  bien  demander  au  dieu 
j)  de  la  solitude  un  droit  d'asile,  un  lieu  secret  oîx  l'on  demeure, 
»  où  l'on  vit ,  oii  l'on  oublie ,  oii  l'on  meurt.  Dans  cette  libre  et 
))  douce  possession  de  soi-même ,  non-seulement  les  plaisirs  de  l'es- 
»  prit  sont  toujours  sans  mélange  d'amertume  ,  mais  la  santé  ob- 
»  tient  toujours  toutes  les  garanties  possibles  de  durée.  »  Cependant 
la  solitude  a  aussi  des  dangers  dans  l'inaction  ,  ou  un  travail  ex- 
cessif du  cerveau. 

Dans  un  dernier  chapitre ,  l'auteur  donne  un  aperçu  des  moyens 
propres  à  rétablir  une  constitution  épuisée.  En  général ,  c'est  par 
l'estomac  que  commence  la  détérioration  vitale  ;  les  digestions  de- 
venant pénibles  et  peu  actives  ,  le  sang  s'appauvrit  ,  le  malade 
languit  d'abord ,  et  l'épuisement  arrive  ensuite ,  ainsi  que  tous  les 
maux  qui  s'en  suivent.  On  doit,  pour  y  remédier,  chercher  avec 
soin  la  cause  de  cet  état  ;  mais  pour  parvenir  à  la  guérison ,  il  est 
indispensable  de  trouver  chez  le  malade  les  trois  conditions  sui- 
vantes :  la  volonté ,  le  temps  et  la  gradation.  Ce  n'est  qu'en  vertu 
de  la  loi  consensuelle  des  organes,  qu'un  plan  d'hygiène  bien  conçu 
peut  rétablir  l'harmonie  des  fonctions ,  mais  cela  n'a  lieu  que  len- 
tement. Autant  que  possible  le  régime  alimentaire  doit  être  préféré 
à  tout  autre  médicament  ;  l'air  pur  ,  les  voyages ,  les  eaux ,  les 
bains  de  mer  ,  produiront  des  effets  merveilleux  ,  pourvu  qu'ils 
soient  accompagnés  d'un  calme  entier  du  système  nerveux. 

Tels  sont  en  abrégé  les  principaux  objets  traités  dans  ce  livre 
remarquable.  Pour  en  donner  une  juste  idée,  il  eût  fallu  entrer 
dans  beaucoup  de  détails  ,  et  multiplier  les  citations ,  ce  qui  aurait 
allongé  cet  article  outre  mesure  ;  mais  j'espère  en  avoir  assez  dit 
pour  engager  mes  lecteurs  à  se  procurer  l'ouvrage ,  et  je  leur  pro- 
mets dans  sa  lecture  autant  de  plaisir  que  d'instruction.  —  An- 
nales de  Phil.  Chrét.  ,  n°  53. 


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539 


DES  PRINCIPAUX  HISTORIENS 

DE  ROME  (l). 

«  Dans  la  paix  et  dans  la  guerre ,  les  mœars  e'taient  d'une 
extrême  se've'rite  :  parlout  l'union  ;  l'avarice  inconnue  3  le  juste 
et  le  bon  avaient  de  la  force  plus  encore  par  la  nature  que  par 
les  lois.  Ils  faisaient  payer  aux  ennemis  leurs  querelles  et  leurs 
discordes;  mais  avec  les  citoyens  les  citoyens  ne  luttaient  que 
de  vertus.  Ils  e'taient  magnifiques  dans  le  culte  des  dieux  ,  e'co- 
nomes  au  foyer  domestique ,  fidèles  à  leurs  amis.  Par  ces  qua- 
lite's  et  par  leur  audace  ils  servaient  a  la  fois  leur  cause  et 
celle  de  la  re'publique  ;  la  paix  naissait  de  la  justice.  » 

Tel  est  le  tableau  que  Salluste  trace  des  aïeux  de  ces  Romains 
corrompus ,  parmi  lesquels  s'est  e'coule'e  sa  jeunesse,  et  dont 
s'il  faut  croire  les  biograpbes ,  il  avait  partage'  les  souillures. 
Il  est  curieux  de  mettre  en  regard  les  ligres  du  même  bisto- 
rien  sur  ses  contemporains. 

«  Quand  ils  commencèrent  à  honorer  la  ricbesse ,  quand  la 
gloire,  le  commandement,  le  pouvoir  la  suivirent,  on  rougit 
de  la  vertu ,  on  eut  bonté  de  la  pauvreté' ,  l'innocence  fut  trai- 
te'e  de  factieuse.  Avec  l'or,  la  luxure,  l'avarice  et  l'orgueil  s'em- 
parèrent de  la  jeunesse.  !> 

Au  milieu  de  tontes  ces  corruptions  ,  un  homme  se  fit  re- 
marquer par  ses  de'bauches,  ses  crimes,  et  par  l'audace  de  son 
caractère.  Cati'lna  domina  toutes  ces  têtes  ride'es  par  le  vice, 
il  agita  la  grande  cite'  en  remuant  toutes  les  basses  passions  de 
la  populace.  Ce  fut  un  factieux  digne  de  poser  devant  le  som- 
bre peintre  dont  nous  allons  examiner  l'oeuvre.  Sallnste  avait 
e'te'  dès  vingt  ans  mêle'  aux  bommes  politiques  de  son  e'poque. 
Il  avait  connu  Gatilina,  Cc'sar ,  Crassus,  Cice'ron  ,  Clodius.  Son 
ambition  froisse'e  l'avait  rejeté'  dans  la  solitude ,  et  là  ,  fatigue 

(i)  liewue  Euro/KJciine  ,   iv   38. 


540  DES    PRIXCIPAUX   HISTORIEES 

des  âpres  voluple's  de  sa  première  jeunesse  ,  et  de  toutes  les 
folles  intrigues  de  la  politique,  il  se  fit  austère  ,  au  moins  dans 
ses  e'crlts ,  et  raconta  ses  souvenirs  aux  hommes. 

Il  n'y  a  pas  de  peintre  plus  e'nei'gique  que  Salluste;  Tacite 
est  encore  plus  profond  peut-être  ,  mais  ses  tableaux  n'ont  pas 
plus  de  coloris  et  de  relief.  Il  affectionne  surtout  le  portrait; 
au  de'but  de  son  livre  il  esquisse  ainsi  celui  de  l'homme  qui 
est  la  première   figure  de  sa  composition. 

((  Lucins  Catilina ,  d'une  naissance  noble ,  fut  doue'  d'une 
grande  force  d'àme  et  de  corps ,  mais  d'un  ge'nie  me'cliant  et 
de'prave'.  Dès  son  adolescence  ses  plaisirs  furent  la  guerre  in- 
testine,  les  meurtres,  les  rapines,  la  discorde  civile.  Voilà  les 
exercices  de  sa  jeunesse.  Son  corps  supportait  à  un  degré'  in- 
croyable la  faim,  le  froid,  les  veilles.  Esprit  audacieux,  ruse', 
mobile,  feignant  et  dissimulant  tontes  choses,  ambitieux  de 
ce  qui  n'e'talt  pas  à  lui,  prodigue  du  sien  ,  ardent  au  pLiisir^ 
assez  e'ioquent ,  quoique  peu  instruit.  Son  imagination  vaste 
appelait  des  choses  sans  bornes,  incroyables,  toujours  trop 
hautes.  » 

Tel  e'tait  cet  homme  qui  avait  rempli  la  ville  du  bruit  de 
ses  criminelles  amours  avec  une  vestale  et  avec  tant  d'autres 
femmes  nobles!  Voilà  ce  he'ros  qui  voulait,  disait-il,  combattre 
pour  les  inte'rêts  du  peuple  !  De  nos  jours  on  s'est  pris  d'une 
beile  passion  pour  détruire  l'histoire.  Après  avoir  doute',  quel- 
quefois avec  raison,  d'une  foule  de  faits  historiques,  qui  avaient 
été'  crus  jusqu'alors  sans  difficulté',  il  a  fallu  leur  substituer 
d'autres  faits,  ou  du  moins  en  changer  la  nature  ou  le  but. 
Par  exemple  ,  un  e'crivain  demandait  il  y  a  peu  de  temps  quel 
e'tait  le  but  de  la  conjuration  de  Catilijia,  qui,  disait-il,  ne 
de'plaisait  pas  à  Ce'sar;  voudrait-on  par  hasard  ennoblir  cette 
guerre  de  tous  les  vices  de  Rome  contre  ses  vertus  ?  Le  but  de 
la  conjuration  de  Catilina  e'tait  l'ambition  de  son  chef.  Et  com- 
bien compte-t  on  d'hommes  politiques  conduits  par  une  autre 
passion?  Elle  ne  de'plaisait  pas  à  Ce'sar,  parce  qu'il  avait  son 
chemin  à  faire.  Est-il  quelqu'un  qui  doute  de  l'ambition  de 
Ce'sar  ? 

«  Dans  une  cite'  si  grande  et  si  corrompue,  Catilina  (  et  ceci 


DE  ROME.  541 

était  très-facile)  avait  pour  gardes-da-corps  des  bandes  d'hom- 
mes infâmes  et  charge's  de  crimes.  Car  tout  impudique  ou  adul- 
tère qui  avait  dissipé  son  patrimoine  dans  les  mauvais  lieux  ; 
livre'  aux  appe'tits  grossiers  des  de'bauches  de  tontes  sortes , 
celui  qui  avait  vole  l'or  d'autrni  pour  en  racheter  sa  honte  et 
sesforfoits,  les  parricides,  les  sacrile'ges,  les  hommes  couverts 
de  condamnations ,  on  les  redoutant ,  ceux  que  leur  main  ou 
leur  langue  nourrissaient  par  le  parjure  ou  le  sang  des  citoyens , 
tous  ceux  enfin  que  la  honte,  le  besoin,  ou  la  conscience  tour- 
mentaient ,  ceux-là  e'taient  les  proches  et  les  familiers  de  Ca- 
tilina.  » 

Il  serait  en  ve'rile'  difficile  d'assigner  un  but  noble  à  ces  amas 
d'opprobres.  Salluste  avait  passe'  par  le  tribunat  ;  chasse'  da 
se'nat  sous  le  pre'texte  du  retentissement  de  ses  aventures  ga- 
lantes,  il  avait  trente  ans  environ  lorsqu'il  entreprit  de  racon- 
ter cette  conjuration  de  Catilina  ,  dont  il  avait  connu  les  prin- 
cijDaux  acteurs.  Ami  de  Ge'sar,  comme  Thucydide  l'avait  e'té 
de  Pe'riclès  ,  il  avait  pu  scruter  à  loisir  les  passions  des  hommes 
politiques.  Son  temps  lui  livrait  une  galerie  de  rares  ce'le'brite's. 
D'abord,  avant  tout,  Ce'sar  ,  riiomme  e'tonnant  de  son  siècle, 
l'homme  le  plus  complet  de  l'histoire  peut-être,  mais  sali  par 
des  vices  honteux  ;  Caton  ,  extrême  en  ces  vertus  qui  peuvent 
conduire  au  crime;  l'avide  et  millionnaire  Crassus;  Catilina, 
tout  audace  et  infamie  ;  enfin  Cicéron  ,  orateur  souvent  ver- 
beux sans  doute,  et  qu'il  est  presque  de  bon  ton  de  de'crier 
aujourd'hui ,  mais  qui  de'livra  Rome  de  ses  ennemis  ,  et  res- 
tera un  des  esprits  les  plus  e'tendus  et  les  plus  subtils  de  l'an- 
tiquité'. 

Ce  re'cit  de  la  conjuration  est  un  chef-d'œuvre.  Salluste  suit 
pas  à  pas  toutes  les  phases  de  cette  dramatique  histoire  ;  il  peint 
chaque  homme,  sonde  les  replis  de  son  cœur  ,  de'voile  ses  pen- 
se'es ,  ses  ambitions,  ses  de'sordres.  S'il  rencontre  sur  son  che- 
min quelque  femme  qui  ait  eu  de  l'influence  sur  les  affaires  de 
son  temps,  il  esquisse  sa  vie  avec  cette  liberté'  qu'a  surpasse'e 
depuis  notre  Brantôme.  Salluste  n'est  point  un  historien  à  illu- 
sions, un  de  ces  peintres  qui  vous  jettent  dans  l'admiration  des 
re'publiques  antiques,  et  faussent  ainsi  les  ide'es  de  la  jeunesse. 


542 


DES    PRINCIPAUX    HISTORIENS 


Vivant  dans  une  société  corrompue,  corrompu  Ini-mêrae,  il  fait 
surtout  ressortir  de  ses  tableaux  cette  ve'rité  triste  et  profonde  , 
que  presque  toujours  les  hommes  politiques  n'agissent  que  par 
e'goïsme ,  couvrant  leurs  passions  cupides  des  mots  retentis- 
sans  de  patrie  ou  de  liberté.  Cet  homme  voyait  le  fond  des  cho- 
ses ;  il  n'admirait  pas  beaucoup  plus  le  peuple  que  ses  maîtres. 
Lorsque  les  conjure's  furent  vaincus  ,  il  peint  ainsi  l'effet  produit 
dans  ia  cite'  : 

<t  Cependant  la  conjuration  de'couverte,  le  peuple,  qui  d'a- 
bord s'e'tait  montre'  amoureux  des  choses  nouvelles ,  et  chaud 
partisan  de  la  guerre,  se  prit  h  exe'crer  les  desseins  de  Catilina  , 
et  à  e'iever  Cice'ron  au  ciel;  et,  comme  s'il  e'chappait  à  la  ser- 
vitude,  il  se  répandait  en  joies  et  en  plaisirs.  » 

Je  sais  un  gré  infini  à  Salluste  d'avoir  enfermé  son  œuvre 
en  soixante  petites  pages.  Elles  contiennent  plus  de  science  his- 
torique ,  d'expérience  des  hommes  ,  de  pensées  fortes,  de  pein- 
tures énergiques  et  habilement  dessinées,  qu'une  ibule  d'his- 
toires en  plusieurs  volumes,  et  qui  jouissent  de  l'estime.  Ce 
que  j'abhorre  surtout,  dans  les  lettres,  c'est  le  bavardage  ,  et, 
il  faut  le  dire ,  jamais  époque  ne  s'est  plus  laissé  entraîner  que 
la  nôtre  à  cette  misérable  manie. 

César  fit  rentrer  Salluste  dans  l'ordre  des  sénateurs  ,  et  lui 
donna  le  gouvernement  de  la  Numidie,  où  il  amassa  d'immen- 
ses richesses  par  les  injustices  les  plus  criantes.  C'est  cet  homme 
qui  parla  avec  tant  d'indignation  contre  l'avarice  et  la  cupidité. 
Salluste  revint  à  Rome ,  et  s'amusa  à  étonner  les  Romains 
par  son  luxe  oriental.  Il  bâtit  sur  le  mont  Quirinal  un  palais 
splendide,  et  l'entoura  de  magnifiques  jardins;  Rome  entière 
se  rendit  long  temps  sous  leurs  ombrages ,  oîi  se  rencontraient 
les  chefs-d'œuvre  de  la  sculpture  grecque.  Cependant,  au  sein 
de  la  mollesse  et  des  plaisirs,  il  était  assailli  de  ses  souvenirs 
d'Afrique  :  la  terre  d'Annibal ,  si  étrange  à  peindre,  les  vicis- 
situdes si  variées  de  cette  terrible  guerre  contre  Jugnrtha, 
dans  laquelle  avaient  combattu  plusieurs  hommes  qui  occupent 
une  place  immense  dans  les  annales  de  Rome,  enfin  le  loisir 
qui  allonge  tant  les  jours ,  tout  engageait  le  peintre  de  Catilina 
à  reprendre  la  plume. 


DE  RoaiE.  543 

Il  commence  son  livre  de  Jugurllia  par  quelques  pages  phi- 
losophiques ,  où  il  se  prend  a  vanter  l'âme  au  préjudice  du 
corps.  Cet  homme,  plonge'  dans  le  délire  sensuel,  semhle  se 
débarrasser  de  ses  attaches  puissantes.  Peut-être  n'était-ce  qu'un 
de  ces  amers  instans  de  dégoût  qui  saisissent  l'homme  endormi 
dans  les  voluptés ,  qu'une  de  ces  lueurs  qui  apparaissent  aux 
plus  aveugles  ,  pour  s'évanouir  aussitôt  au  souffle  abrutissant 
des  habitudes  grossières.  Il  appelle  l'âme  incorruptible,  éter- 
nelle, reine  du  genre  humain.  11  gémit  de  voir  admirer  la  dé- 
pravation de  ceux  qui,  livrés  aux  plaisirs  du  corps,  passent 
leur  vie  dans  le  luxe  et  la  paresse. 

La  satiété  était  venue  pour  Salluste  ;  non-seulement  celle  des 
plaisirs,  mais  celle  de  l'ambition  et  du  pouvoir.  Il  est  mécon- 
tent des  hommes  et  des  choses.  «Véritablement,  dit-il,  je  ne 
vois  pas  que  la  magistrature  et  la  puissance ,  que  tout  soin  des 
choses  publiques  soient  maintenant  désirables;  car  ce  n'est  pas 
à  la  vertu  qu'on  rend  hommage.  » 

Après  ce  préambule  d'homme  désabusé ,  position  excellente 
pour  écrire  l'histoire,  Salluste  entre  en  matière.  Il  raconte  cette 
guerre,  parce  qu'elle  fut  fière  et  grande,  et  parce  que  là  com- 
mença la  lutte  des  plébéiens  contre  la  noblesse.  On  reconnaît 
au  portrait  qu'il  nous  trace  de  Jngurtha ,  au  début  de  son  li- 
vre, les  habitudes  du  peintre  de  Catilina.  Un  grand  écrivain 
moderne  eût  tiré  plus  de  parti  des  descriptions  de  l'Afrique 
et  des  souffrances  des  armées  dans  ses  déserts.  Les  anciens  crai- 
gnaient de  consacrer  trop  de  pages  à  ces  peintures,  ils  étaient 
sobres  de  mots.  Convenons  que  presque  toujours  ils  faisaient 
bien  ;  cependant  nous  devons  de  si  belles  choses  aux  modernes 
en  ce  genre ,  qu'il  y  aurait  de  l'ingratitude  à  ne  les  en  pas 
remercier.  Il  ne  faut  se  fâcher  que  contre  les  imitateurs  sans 
génie. 

En  voyant  les  hommes  de  Rome  sur  cette  terre  d'Afrique, 
on  ne  peut  se  garder  de  songer  aux  tristes  destinées  de  cette 
partie  du  monde  que  la  civilisation  a  tant  de  peine  à  atteindre. 
Il  semble  que  les  grandes  époques  et  les  grandes  nations  aient 
senti  quil  y  avait  quelque  chose  à  tenter  sur  ce  sol,  que  Dieu 
n'avait  pas  créé  ce  continent  immense  pour  servir  de  demeure 


544  DES    PRINCIPAUX    HISTORIENS 

aax  lions  et  aux  tigres.  Aussi  avons-nous  va  flans  le  monde 
antiqaç,  comme  dans  le  monde  chre'tien,  les  esprits  e'Jeve's 
chercher  à  civiliser  ces  re'gions  terribles;  noble  tâche  que  Dieu 
re'serve  peut  être  à  la  France  du  dix-neuvième  siècle.  L'Afrique 
e'tait  pour  Rome  une  sorte  de  cliamp  clos  où  elle  envoyait  la 
foule  d'hommes  qui  la  gênait  dans  son  sein.  La  allaient  se  for- 
mer les  capitaines  qui  revenaient  saisir  le  pouvoir,  appuje's 
sur  les  noms  acquis  parmi  les  Barbares. 

Nous  nous  inte'ressons  beaucoup  plus  à  la  première  compo- 
sition de  Salluste  qu'à  la  seconde.  Les  diverses  phases  de  la 
guerre  de  Jugurtha  ,  cette  victoire  qui  vole  si  souvent  d'un 
camp  à  l'autre,  occupent  trop  de  place  dans  ce  re'cit,  très-cu- 
rieux toutefois  par  la  pre'cision  avec  laquelle  il  rend  compte 
de  la  manière  de  combattre  des  Romains  et  des  Barbares;  Ju- 
gurtha n'est  pas  moins  qu'Annibal  un  type  de  la  ruse  africaine. 
L'historien,  d'ailleurs,  n'est  pas  toujours  en  Afrique;  il  revient 
souvent  au  Forum  pour  initier  le  lecteur  aux  affaires  intestines 
de  Rome  pendant  que  ses  le'gions  se  battent  au-delà  de  la  Me'- 
diterrane'e.  Un  des  passages  les  plus  remarquables  est  celui  ou 
Salluste  peint  le  départ  de  Mari  us  pour  l'Afrique.  .Sa  harangue 
au  peuple  est  d'une  e'nergie  rare;  on  sent  que  l'historien  y  a 
jeté'  toutes  ses  passions  de'mocratiques ,  on  dirait  avec  plus  de 
raison  ses  passions  de  haine  contre  la  noblesse;  car,  si  jai  bien 
juge'  Salluste,  il  n'aimait  guère  le  peuple,  et  de'testait  l'aristo- 
cratie. Croit-on  que  ce  Marins,  ple'béien  lui-même,  aimât  ce 
peuple  que  sa  parole  e'iectrisait,  et  qui  avait  la  bonté  d'avoir 
foi  en  lui?  Chaque  cadavre  de  plébéien,  tombé  dans  le  com- 
bat, était  un  degré  qui  l'élevait  vei'S  le  pouvoir;  il  ne  prisait 
pas  autrement  un  homme.  Voici  quelques  paroles  mises  par 
Salluste  dans  la  bouche  hypocrite  de  l'ambitieux  au  moment 
où  il  va  quitter  Rome  : 

«  Mes  phrases  ne  sont  pas  arrangées  ;  je  parle  peu.  La  vertu 
se  montre  assez  elle-même  :  ceux-là  ont  besoin  d'artifices,  qui 
couvrent  par  leurs  discours  l'opprobre  de  leur  vie.  Je  n'ai  pas 
e'tudié  les  lettres  grecques,  je  les  aime  peu  ;  car  elles  n'ont  pas 
conduit  les  savans  à  la  vertu.  Mais  je  suis  savant  dans  tout  ce 
qui  peut  être  utile  à  la  république  :  frapper  les  ennemis ,  veil- 


DE    ROME.  545 

1er  snr  vos  villes,  ne  rien  craindre  qae  la  honte,  supporter 
également  l'e'te'  et  l'hiver,  dormir  sur  la  terre,  unir  la  misère 

et  le  travail Votre  noblesse  me'prise  vos  ancêtres,  parce 

qu'elle  n'a  pas  leurs  mœurs  ;  elle  nous  me'prise  parce  que  nous 
cherchons  à  marcher  sur  leurs  traces.  Elle  vous  demande  tous 
les  honneurs  ,  non  parce  qu'elle  les  me'rite ,  mais  parce  qu'ils 
lui  sont  dus.  Au  reste ,  les  plus  orgueilleux  errent  au  loin  ;  leurs 
aïeux  leur  ont  laisse'  tout  ce  qui  e'tait  en  leur  pouvoir  :  de  l'or  , 
des  portraits,  un  grand  nom  ;  mais  leur  vertu,  ils  ne  le  pou- 
vaient pas.  Celle-là  seule  ne  se  donne  pas.  Ils  disent  que  je  suis 
commun,  et  de  mœurs  incultes,  parce  que  je  ne  m'entends 
point  à  orner  un  rej^as;  que  je  n'entretiens  pas  d'histrions,  et 
que  mon  cuisinier  ne  vaut  pas  mieux  que  celui  d'un  paysan. 
J'aime  à  vous  dire  ces  choses  ,  Romains  !  car  j'ai  appris  de  mon 
père,  et  d'autres  hommes  ve'ne'rahles ,  que  les  frivohle's  conve- 
naient aux  femmes  et  le  travail  aux  hoinmes,  et  qu'aux  gens 
de  bien  la  gloire  importe  plus  que  les  richesses....  Eh  bien! 
qu'ils  passent  leur  vieillesse  ,  comme  leur  adolescence ,  livre's 
à  l'impudicite'  et  à  la  gourmandise;  qu'ils  laissent  la  sueur,  la 
poussière  ,  et  toutes  les  fatigues ,  à  ceux  qui  les  pre'fèrent  à 
l'orgie.  Mais  ils  ne  se  bornent  pas  là;  car  lorsque  ces  hommes 
ignobles  se  sont  fait  une  couronne  de  leur  turpitude ,  ils  vous 
arrachent  le  prix  dû  h  l'honneur....  » 

Du  jour  où  un  homme  put  prononcer  un  tel  di.scours  devant 
les  Romains  asserable's  ,  la  cause  patricienne  fut  perdue  ,  et  l'on 
marcha  rapidement  à  ce  de'plorable  e'tat  de  choses  que  nous 
verrons  sous  l'empire,  où  le  chef  e'tait  nomme'  par  une  multi- 
tude passionne'e  et  aveugle,  situation  tellement  de'gradante  pour 
la  reine  du  monde,  que  Montesquieu  la  comparait  à  la  re'gence 
d'Alger. 

Marins,  après  des  chances  diverses,  termina  la  guerre  afri- 
caine contre  Jugurtha.  Nous  voyons  paraître ,  à  la  fin  du  re'cit 
de  Salluste  ,  un  jeune  homme  qui ,  à  peine  arrive'  au  camp  de 
Marins,  «  de  rude  et  ignorant  de  la  guerre  qu'il  e'tait,  devint 
en  peu  de  temps  le  plus  habile  de  tous  ;  »  ce  jeune  homme  est 
Sylla ,  celui  qui  doit  relever  pour  un  temps  le  pouvoir  aristo- 
T.  X.  38 


546  DES    PRIirClPAUX    HISTORIENS 

cratique.  Il  amena  Jagurtha  enchaîne  à  Marius.  Le  Jour  n'était 
pas  éloigne'  où  ce  jeune  homme  devait  chasser  de  Rome  son 
géne'ral  vaincu  ,  j'ai  presque  dit  de'trône'.  Horrible  temps  ,que 
celui  où  les  plus  forts  d'entre  les  Romains  n'agissaient  que  pour 
se  de'truire  ;  où  l'hypocrisie  et  l'e'goïsme  tenaient  lieu  de  ver- 
tus. C'e'tait  la  fin  d'une  puissance  inouïe  dans  l'histoire,  c'e'tail 
nn  monde  qui  croulait  5  l'humanité'  était  en  travail ,  elle  allait 
s'e'panonir  hien  autrement  belle  et  florissante;  mais  n'antici- 
pons pas. 

On  dit  que  Salluste  avait,  dans  toute  la  maturité'  de  son 
ge'nie,  e'crit  un  autre  livre.  «  Il  reprenait  les  choses,  dit  M.  Ler- 
minier,  depuis  le  commencement  des  inimitie's  entre  Marins 
et  Sylla  à  leur  retour  d'Afrique;  il  avait  à  raconter  les  luttes 
terribles  de  ces  deux  hommes,  les  Gaulois,  Mithridate  ,  l'Asie, 
les  fortunes  diverses  du  parti  aristocratique  et  de'mocratique, 
la  mort  de  Marius ,  l'abdication  de  Sylla  ,  la  jeunesse  de  Pora- 
pe'e ,  l'e'poque  de  ses  prospe'rités,  jusqu'à  ce  qu  il  rencontra  Ca- 
tilina,  dont  il  avait  e'crit  l'histoire.  » 

Quelle  perle,  quand  on  soDge  an  sujet  et  à  l'historien?  On 
n'a  retrouve'  que  quelques  courts  fragmens  de  cet  ouvrage. 

Salluste  fut  certainement  le  créateur  de  l'histoire  à  Rome. 
Son  style  est  admirable  par  sa  concision  et  sa  profondeur  au- 
tant que  par  le  pittoresque  de  sa  phrase.  Comme  moraliste , 
il  semble  qu'il  ait  voulu  racheter  les  scandaleux  de'sordres  de 
sa  vie  prive'e  par  l'auste'rité  de  sa  parole  et  le  me'pris  qu'il 
jette  à  pleines  mains  sur  la  débauche  et  le'goïsme.  Salluste  fut 
admirablement  place'  pour  e'crire  l'histoire  :  recevant  les  con- 
fidences de  Ce'sar,  comme  Thucydide,  son  modèle  naturel, 
recevait  celles  de  Pe'riclès. 

On  sait  très-peu  de  choses  sur  la  vie  de  Tite-Live ,  qui  suc- 
ce'da  à  Salluste  comme  historien  de  Rome.  Il  naquit  à  Padoue, 
d'une  ancienne  famille  ,  sous  le  consulat  de  Pison  et  dp  Gabinins , 
l'an  de  Rome  695.  On  ignore  s'il  fut  ou  non  mêle'  aux  e've'ne- 
mens  politiques.  Tout  j)orte  à  croire  cependant  qu'il  vécut 
e'ioigne  des  affaires  dans  l'e'tude  des  lettres,  e'crivant  l'histoire 
sur  les  mate'riaux  qu'il  se  procurait  avec  un  infatigable  zèle. 
Son  Histoire  romaine  comprend  depuis  la  fondation  de  Rome 


DE    ROME.  547 

jusqu'à  l'an  'ji^3.  On  rappox'te  qu'il  était  admis  dans  le  cercle 
intime  d'Auguste,  et  qu'il  lisait  son  histoire  au  tjran.  On  peut 
douter  de  cette  assertion  en  voyant  les  éloges  qu'il  fait  de  Brutus 
et  de  Cassios ,  en  songeant  à  son  enthousiasme  pour  Pompe'e. 
Toutefois  il  est  possible  que  l'ombrageux  dominateur  de  Rome 
se  soit  montre'  indulgent  pour  l'illustre  historien,  et  il  v  aurait 
de  la  te'me'ritë  à  nier  ce  fait  rapporte'  par  ses  biographes.  Peu 
d'annales  sont  e'crites  avec  le  talent  qui  distingue  celles  de 
Tite-Live.  Il  joint  à  une  remarquable  e'ie'gance  une  clarté  d'ex- 
pression bien  rare.  Ses  descriptions  sont  pittoresques ,  ses  ha- 
rangues e'Ioquentes.  Il  classe  les  faits  avec  beaucoup  d'habileté'; 
c'est  enfin  un  narrateur  parfait,  un  homme  de  lettres  juste- 
ment illustre;  mais,  outre  que  ce  genre  d'histoire  est  peu  ana- 
lysable ,  il  n'a  pas  une  individualité'  assez  saillante  pour  qu'il 
entre  dans  le  plan  de  ces  pages  de  nous  y  arrêter  plus  long- 
temps. Nous  ne  ferons  aussi  que  rappeler  en  passant  l'historien 
d'Alexandre,  Quinte  Curce,  maigre'  le  charm'^  de  son  style  et 
rinte'rêt  de  son  livre  qui  pourrait  bien  n'êt:  'une  sorte  de 

roman  historique.  Nous  estimons  surtout  en  histoire  les  œuvres 
conçues  au  milieu  des  tourmentes  politiques  par  des  hommes 
ëclaire's  à  leurs  sanglantes  lueurs.  Rien  ne  grandit  plus  un  homme 
que  le  contact  des  sommite's  de  son  siècle  ;  c'est  ce  qui  donne 
tant  de  prix  aux  me'moires  du  plus  grand  capitaine  de  Rome, 
si  célèbres  sous  le  titre  de  Commentaires  de  César. 

La  première  partie  des  Commentaires  est  pour  nous  une 
œuvre  nationale  ,  et  sans  contredit  le  monument  le  plus  pré- 
cieux que  l'on  possède  sur  la  vie  et  les  mœurs  de  nos  aïeux. 
Il  est  permis  sans  doute  de  voir  dans  le  soin  qu'a  mis  César 
à  l'examen  des  Gaules  et  de  l'Angleterre,  une  sorte  de  prévision 
sur  les  hautes  destinées  réservées  à  ces  deux  grandes  nations 
dans  l'histoire  de  l'humanité.  Plus  on  examine  les  observations 
du  conquérant  ,  plus  on  est  convaincu  de  leus  profondeur.  A 
voir  cet  homme  pâle  et  amaigri  parles  veilles  et  les  débauches, 
partir  pour  les  Gaules  afin  d'agrandir  une  renommée  encore 
trop  peu  vaste  pour  essayer  la  souveraine  puissance  ,  on  ne 
peut  oublier  que  dix-huit  siècles  plus  tard  un  jeune  homme, 
pâle  et  usé,  mais  seulement  par  la  pensée  et  l'étude,  entraînait 

38. 


548  DES    PRITTCIPAUX    HISTORIETTS 

ces  mêmes  Gaulois  en  Egypte  clans  le  ])ut  aussi  d'étonner  les 
hommes,  afin  de  leur  imposer  un  jour  sa  volontc  pour  loi.  Et 
ce  rapprochement  saisit  l'âme,  et  donne  encore  un  attrait  de 
plus  au  re'cit  de  Ce'sar. 

Il  peint  les  Gaulois  comme  de  grands  nmateurs  de  tontes  nou- 
veaute's,  prenant  facilement  les  armes;  lenr  imagination  est 
mobile  et  le'gère.  Toutefois  il  a  remarque'  en  eux  un  côté  pro- 
fonde'ment  tragique,  une  grande  v(^ne'ration  pour  les  sacrifices 
humains  qu'ils  pratiquent  volontiers.  Ils  aiment  à  se  dire  des- 
cendus de  Pluton  ,  et  à  cause  de  cette  origine  lugubre  ils  comp- 
tent par  nuits  au  lieu  de  compter  par  jours. 

Qui  ne  reconnaîtrait  dans  ce  tableau  les  traits  saillans  de 
notre  physionomie  moderne?  Nous  sommes  encore  aujourd'hui 
le  jouet  de  notre  passion  pour  la  nouveauté' ,  et  à  côté  de  mille 
exemples  de  légèreté  nous  avons  donné  de  trop  sanglantes  preu- 
ves de  notre  caractère  sombre  dans  les  horribles  hécatombes 
de  nos  révolutions. 

Jamais  guerre  ne  fut  plus  acharnée  ni  plus  afFrevise  que  celle 
de  César  dans  les  Gaules.  Son  récit  donne  une  haute  idée  de 
ce  que  peut  la  constance  humaine.  Nos  aïeux  ont  montré  dans 
leur  défense  l'acharnement  des  Espagnols  de  nos  jours  contre 
les  soldats  de  Napoléon.  Il  faut  lire  ces  descriptions  de  sièges 
où  Gaulois  et  Romains ,  également  affamés  par  la  dévastation 
du  pays,  se  traînent  au  combat ,  exaltés  par  les  hurlemens  des 
femmes  gauloises  échevelées.  Tous  ces  récits  sont  simples;  et 
quoique  César  se  fiit  exercé  à  l'éloquence,  on  voit  que  son  plus 
grand  effort  tendait  à  ne  pas  mettre  dans  une  phrase  un  mot 
qui  ne  fût  pas  de  toute  nécessité.  C'est  un  homme  qui  examine 
un  peuple  sous  tous  ses  aspects,  et  dit  ce  qu'il  a  vu.  Il  y  a 
en  lui  une  sorte  de  dédain  pour  les  ornemens  de  l'artiste ,  et 
il  les  évite  avec  sollicitude.  La  géographie  l'occupe  beaucoup; 
il  décrit  les  villes,  trace  les  cours  des  fleuves  et  la  position  des 
montagnes.  La  religion,  les  mœurs,  les  coutumes,  la  manière 
de  combattre  ,  offrent  à  son  esprit  investigateur  une  vaste  car- 
rière. Quand  un  peuple  a  posé  devant  un  tel  peintre,  il  appa- 
raît à  la  postérité  dans  toutes  les  nuances  de  sa  vie  publique 
et  intime.  Je  le  répète,  César  a  senti  qu'il  ne  foulait   pas  un 


DE    ROME.  549 

sol  qui  dût  continuer  à  produire  des  peuples  barbares  ;  il  a 
senti  que  ces  passions  e'nergiques,  que  cette  exaltation  dame, 
celte  finesse  de  tact,  cette  bravoure  incroyable  qui  caractéri- 
saient les  Gaulois,  e'taient  des  germes  fe'conds  de  fortes  ge'ne'- 
rations  à  venir,  et  il  les  a  observe'es  avec  pre'dilection.  C'est 
un  spectacle  saisissant  que  cet  homme,  le  plus  e'tonnant  peut- 
être  du  vieux  monde  romain  :  a  l'instant  où  ce  monde  va  mou- 
rir, e'piant  le  premier  cri  d'une  nation  qui  doit  marcher  en 
tête  des  destip.e'es  nouvelles  de  Ihumanite'. 

Les  courts  me'nioires  que  Ce'sar  a  laisse's  sur  la  guerre  ci- 
vile sont  surtout  remarquables  sous  le  rapport  militaire.  Je  ne 
sais  si  la  conquête  est  plus  légitime  que  la  guerre  civile,  mais 
celle-ci  a  quelque  chose  de  plus  odieux  encore ,  et  l'on  peut 
à  peine  se  garder  d'un  mouvement  de  haine  en  voyant  Pom- 
pée et  César  faire  couler  le  sang  humain  pour  une  passion 
aveugle  ,  et  petite  après  tout  :  celle  du  pouvoir.  Tant  et  de  si 
belles  facultés  dépensées  ainsi  nous  font  jeter  sur  l'humanité 
un  regard  dédaigneux  ,  en  nous  dépouillant  d'une  foule  d'il- 
lusions nées  de  l'optique  ,  à  travers  laquelle  on  nous  a  montre 
le  monde  dans  notre  enfance. 

Rome ,  après  avoir  dévoré  toutes  les  nations  ,  en  était  ré- 
duite à  se  dévorer  elle-même;  c'est  pour  le  philosophe  un  cu- 
rieux et  dramatique  spectacle  que  toute  celte  décomposition 
du  vieux  monde.  Dieu  semble  avoir  placé  Tacite  sur  la  lisière 
du  monde  nouveau  pour  donner  à  l'avenir  ces  graves  leçons 
que  malheureusement  les  peuples  n'entendent  pas.  On  n'est  pas 
certain  du  lieu  qui  vit  naître  Tacite ,  ni  de  quelle  famille  il 
sortit.  On  sait  seulement  qu'il  passa  par  les  charges  publiques , 
qu'il  fut  questeur  sous  Vesj)asien  ,  et  qu'il  épousa  la  fille  d'A- 
gricola.  Son  début  dans  les  lettres  fut,  à  ce  qu'il  paraît,  la 
vie  de  son  beau-père.  Agricola  donne  à  l'écrivain  l'occasion  de 
dessiner  la  physionomie  de  la  Grande-Bretagne;  il  semble  vou- 
loir reprendre  en  sous-œuvre  la  tache  de  César.  Les  Bretons 
sont,  en  effet,  le  sujet  principal  de  ses  pages.  Il  peint  à  grands 
traits,  mais  avec  une  rare  intelligence,  tout  ce  qui  constitue 
la  vie  d'un  peuple.  Ce  i]ui  me  fait  le  plus  admirer  les  histo- 
riens de  Rome,  surtout  Sallusle  et  Tacite,  c'est  la  brièveté 


550  DES    PRINCIPAUX    HISTORIENS 

de  lears  œuvres.  Chaque  mot  est  une  pensée.  La  mort  d'A- 

grlcola  inspire  à  l'e'crivain  des  pages  d'une  noble  éloquence. 
Quant  à  la  fin  de  ce  morceau,  que  j'ai  entendu  vanter  si  sou- 
vent avec  tant  d'emphase,  c'est  beau,  sans  doute;  mais  ce  pres- 
sentiment de  l'immortalité  de  l'âme  n'a  rien  de  bien  admirable 
cliez  un  homme  qui  avait  lu  Platon  ,  et  j'en  veux  un  peu  à 
Tacite  d  avoir  pre'senté  en  cette  occasion  cette  croyance  pres- 
que comme  un  doute.  L'antiquité'  est  pleine  de  fragmens  tout 
aussi  beaux  sur  cette  grande  verilë,  et  l'on  n'en  parle  guère. 

Ce  qui  me  confirme  encore  plus  dans  l'ide'e  que  Cësar  et 
Tacite  ont  pressenti  la  grandeur  future  des  peuples,  c'est  que, 
les  Gaulois  et  les  Anglais  explores,  la  race  germaine  a  préoc- 
cupe' l'esprit  de  Tacite.  Son  livre,  ou  plutôt  sou  chapitre  sur 
la  Germanie,  «  cette  terre  sans  beauté,  dont  le  ciel  est  rude 
et  l^ aspect  triste,  »  est  un  des  plus  substantiels  que  je  connaisse 
dans  aucune  langue.  Est-ce  une  simple  fantaisie  d  artiste  ,  une 
impression  de  voyage,  ou,  comme  on  l'a  dit,  Tacite  avait-il 
re'solu  de  faire  rougir  les  Romains  de  son  temps  en  leur  mon- 
trant les  mœurs  se'vères  de  la  Germanie  ?  je  n'en  sais  rien. 
Quoi  qu'il  en  soit  ,  jamais  plus  frappant  contraste  ne  s'e'tait 
présenté  dans  l  histoire  ;  et  les  hommes  qui  reculaient  les  bor- 
nes de  la  débauche  ,  et  voyaient  tranquillement  des  milliers 
de  gladiateurs  nus  se  déchirer  dans  le  Cirque  ,  devaient  s'é- 
tonner au  moins  au  récit  de  ces  coutumes  germaines  si  simples 
et  si  austères. 

Tacite  se  préparait  ainsi  aux  grands  travaux  qu'il  méditait 
sur  son  histoire  nationale.  Un  tel  homme  ne  recherchait  pas 
le  pouvoir  pour  le  pouvoir  5  ses  vues  étaient  plus  hautes.  Il 
s'était  mêlé  aux  hommes  de  son  temps  si  fertile  en  grands 
criminels,  et  aussi  en  vertus  sublimes,  mais  isolées,  pour  les 
étudier  et  les  peindre.  Il  entreprit  de  raconter  l'histoire  ro- 
maine depuis  la  mort  de  Néron  jusqu'à  celle  de  Domitien.  Il 
nous  reste,  des  histoires ,  les  quatre  premiers  livres  et  le  com- 
mencement du  cinquième.  Leur  début  est  dune  magnificence 
que  Bossuet  seul  a  égalée  en  notre  langue. 

«  J'aborde  une  époque  féconde  en  catastrophes,  ensanglan- 


DE    ROME.  551 

te'e  de  combats,  décliirëe  par  les  séditions,  cruelle  même  du- 
rant la  paix  :  quatre  princes  tombant  sous  le  fer  j  trois  guerres 
civiles,  beaucoup  d'e'trangères  ,  et  souvent  des  guerres  e'tran- 
gères  et  civiles  tout  enseuible;  des  succès  en  Orient,  des  revers 
en  Occident;  1  lUyrie  ayile'e  ;  les  Gaules  chancelantes;  la  Bre- 
tagne entièrement  conquise  ,  et  bientôt  de'laisse'e  ;  les  popula- 
tions des  Sarmates  et  des  Suèves  leve'es  contre  nous:  le  Dace 
illustre  par  ses  de'failes  et  les  nôtres;  le  Parthe  lui-même  prêt 
à  courir  aux  armes  pour  un  fantôme  de  Ne'ron  ;  et  en  Italie  , 
des  calamile's  nouvelles  ou  renouvele'es  après  une  longue  suite 
de  siècles;  des  villes  abîme'es  ou  ensevelies  sous  leurs  ruines, 
dans  la  partie  la  plus  riche  de  la  Campanie  ;  Rome  désolée 
par  le  feu  ,  voyant  consumer  ses  temples  les  plus  antiques  ; 
le  Capilole  même  brûlé  par  la  main  des  citoyens  ;  les  céré- 
monies saintes  profanées;  l'adultère  dans  les  grandes  familles; 
la  mer  couverte  de  bannis  ;  les  rochers  souillés  de  meurtres  j 
des  cruautés  plus  atroces  dans  Rome  :  noblesse  ,  honneurs, 
opulence,  refusés  ou  reçus,  comptés  pour  autant  de  crimes  ; 
et  la  vertu  devenue  le  plus  irrémissible  de  tous;  les  délateurs, 
dont  le  salaire  ne  révoltait  pas  moins  que  les  forfaits ,  se  par- 
tageant, comme  un  bufin  ,  sacerdoces  et  consulats,  régissant 
les  provinces,  régnant  au  palais,  menant  tout  au  gré  de  leur 
caprice  ;  la  haine  ou  la  terreur  armant  les  esclaves  contre  les 
maîtres,  les  affranchis  contre  leurs  patrons  ;  enfin,  ceux  à  qui 
manquait  un  ennemi ,  accablés  par  leurs  amis. 

M  Ce  siècle  toutefois  ne  fut  pas  si  stérile  en  vertus  qu'on 
n'en  vît  briller  aussi  quelques  beaux  exemples.  Des  mères  ac- 
compagnèrent la  fuite  de  leurs  enfans  ;  des  femmes  suivirent 
leurs  maris  en  exil  ;  on  vit  des  parens  intrépides,  des  gendres 
courageux,  des  esclaves  d'une  fidélité  invincible  aux  tortures, 
des  tètes  illustres  soumises  à  la  dernière  des  épreuves,  cette 
épreuve  même  supportée  sans  faiblesse  ,  et  des  trépas  compa- 
rables aux  plus  belles  morts  de  l'antiquité.  A  ce  concours 
inoui  d'évéîiemens  humains  se  joignirent  des  prodiges  dans  le 
ciel  et  sur  la  terre,  et  les  voix  prophétiques  de  la  foudre  et 
mille  signes  de  l'avenir  ,  heureux  ou  sinistres  ,  certains  on 
équivoques.  Non  ,  jamais  plus  horribles  calamités  du  peuple 


552  DES    PRINCIPAUX    HISTORIENS 

romain,  ni  pins  justes  arrêts  de  la  puissance  divine,  ne  proa- 
vèrent au  monde  que  si  les  dieux  ne  veillent  pas  à  notre  se'- 
curite',  ils  prennent  soin  de  notre  vengeance.  » 

(  Tracl.  de  J.  L.  Burnouf.  ) 

Les  livres  qui  nous  restent  d'un  travail  qui  s'annonçait  ainsi, 
offrent  tous  des  beaute's  dignes  de  ce  morceau.  Nous  avons 
surtout  remarque'  dans  le  premier  la  chute  et  la  mort  de  Galba  j 
dans  le  second ,  Vitellius  visitant  le  champ  de  bataille  de  Bé- 
driac;  dans  le  troisième,  la  bataille  et  le  sac  de  Cre'mone  ; 
dans  le  quatrième,  le  discours  de  Vocula;  enfin,  dans  ce  que 
nous  avons  du  cinquième ,  le  siège  de  Je'rusalem. 

Les  Annales  sont  ce  que  Tacite  nous  a  le'gué  de  plus  grand; 
elles  contiennent  les  cinquante  anne'es  qui  se  sont  e'coule'es 
entre  la  mort  d'Auguste  et  celle  de  Ne'ron.  Nous  avons  perdu 
une  partie  de  ce  chef-d'œuvre.  Quelques  indications  donneront 
une  ide'e  de  l'intérêt  dramatique  de  ce  qui  nous  reste  :  — 
Germanicus ,  ses  combats  en  Germanie.  —  Le  champ  de  ba- 
taille de  Varus ,  et  les  honneurs  funèbres  rendus  aux  de'bris 
de  ses  infortune'es  le'gions.  —  La  mort  de  Germanicus,  et  l'im- 
mense douleur  de  Rome.  Agrippine.  —  La  guerre  contre  les 
Thraces.  —  Tibère.  Messaline  ,  et  ses  de'sordres  inouis.  — 
Claude  et  Ne'ron.  —  La  mort  d'Agrippine.  —  Les  horreurs  du 
règne  de  son  fils,  qui  remplissent  presque  trois  livres  entiers. 

Je  n'ose  pas  citer  la  peinture  que  fait  Tacite  des  orgies  de 
Ne'ron ,  et  de  ses  noces  infâmes.  Tout  le  monde  connaît  ses 
chants  durant  l'incendie  de  Rome.  Il  est  curieux  de  noter  ici 
comment  l'historien  parie  des  chre'tiens  à  celte  occasion. 

«  Ne'ron  ,  pour  faire  tomber  ces  bruits ,  livra  comme  cou- 
pables ,  et  accabla  des  peines  les  plus  terribles  ,  des  hommes 
haïs  pour  leurs  infamies,  et  que  le  peuple  appelait  chre'tiens. 
Ils  tiraient  leur  nom  de  Christ ,  mis  à  mort,  sous  Tibère,  par 
le  gouverneur  Ponce-Pilate.  Leur  funeste  superstition  ,  refre'- 
nee  d'abord  ,  se  re'pandait  de  nouveau  ,  non-seulement  dans 
la  Jude'e,  où  ce  mal  prit  naissance,  mais  même  dans  la  ville, 
où  afflue  et  est  ce'le'bre'  tout  ce  qui  est  atroce  et  honteux.  On 
saisit  donc  d'abord  tout  ce  qui  s'avoua  chre'tien  ,  puis  une 


DE    ROME.  553 

immense  maltitade  ;  ces  hommes  furent  conTaincus  moins  du 
crime  d'incendie  que  de  la  haine  du  genre  humain,  et  l'on 
se  fit  on  jeu  de  leur  mort.  On  couvrit  les  uns  de  peaux  de 
bêtes,  pour  les  faire  de'chirer  par  des«hiens;  d'autres  furent 
crucifie's,  d'antres  jete's  dans  les  flammes,  et,  dès  que  la  nuit 
e'tait  venue,  on  s'en  servait  comme  de  torches  nocturnes.  Né- 
ron avait  offert  ses  jardins  pour  ce  spectacle,  et  il  donnait  ces 
jeux  dans  le  Cirque  ,  mêie'  au  peuple  sous  le  costume  d'un 
cocher,  ou  conduisant  lui-même  un  char.  C'est  ce  qui  fit  naî- 
tre la  pitié;  car,  quoique  ces  hommes  fassent  coupables,  ils 
moururent  plutôt  par  la  cruauté  d'un  homme  que  pour  le 
bien  public.  »  (  Annales  XV .  ) 

Que  Néron  ait  livré  les  chrétiens  aux  bêtes,  c'est  dans  l'or- 
dre ,  et  le  contraire  étonnerait  ;  mais  que  Tacite  ,  le  plus 
éclairé  et  le  plus  moral  des  historiens  romains,  représente  les 
martyrs  comme  des  criminels,  on  ne  peut  alors  se  garder  d'un 
sentiment  de  douleur,  d'un  retour  amer  sur  le  néant  du  génie 
humain.  La  société  païenne  avait  comblé  la  mesure  des  cri- 
mes ;  elle  était  tombée  à  ce  point  de  bassesse  ou  les  nations 
ne  peuvent  plus  vivre,  parce  qu'il  n'y  a  de  vie  pour  elles  que 
dans  une  idée  élevée  et  pure.  Dans  le  monde  du  paganisme  , 
ce  qu'il  y  a  eu  incontestablement  de  plus  élevé  est  la  pensée 
de  Platon ,  ce  spiritualisme  épuré  au-delà  duquel  était  la  re- 
ligion du  Christ.  Voyez  ce  que  les  païens  avaient  fait  des  lois 
morales  du  grand  homme.  Cicéron  avait  eu  beau  les  revêtir 
de  la  langue  romaine ,  elles  étaient  foulées  aux  pieds ,  et  le 
cynisme  le  plus  dégoûtant  ,  le  matérialisme  le  plus  abject 
avaient  remplacé  le  culte  de  Dieu  et  de  l'âme.  Cependant,  au 
milieu  de  cette  corruption  infecte,  des  hommes  purs  et  su- 
blimes, héritiers  de  la  parole  de  Dieu,  préparaient  l'avenir 
de  l'univers  en  mourant  pour  lui ,  et  réhabilitaient  l'humanité 
par  leurs  supplices;  c'étaient  les  criminels  infâmes  de  Tacite! 
C'est  ici  qu'il  faut  s'étonner  de  l'ascendant  des  préjugés  con- 
teinporains  sur  les  esprits  le  plus  fortement  trempés,  c'est  ici^ 
encore  une  fois  ,  qu'on  peut  se  convaincre  du  néant  du  génie 
humain.  Il  aurait  manqué  quelque  chose  à  la  glorieuse  humi- 
liation des  héros  du  christianisme  ,  s'ils  n'avaient  été  traités 


554  •  DES    PRINCIPAUX    HISTORIENS 

ainsi  par  la  plume  la  plus  éloquente  et  la  plus  pare  de  Rome 
agonisante. 

On  a  tellement  e'puisé,  à  l'e'gard  de  Tacite  ,  toutes  les  for- 
mules de  l'adulation  ,  qu'on  ne  sait  plus  comment  le  louer. 
C'est  qu'en  effet  jamais  peintre  n'a  e'te'  plus  admirable,  jamais 
philosophe  plus  profond.  Il  pre'sente  le  monde  exte'rieur  avec 
des  couleurs  inimitables,  et  e'claire  en  même  temps  avec  un 
flambeau  magique  les  plus  myste'rieux  abîmes  de  l'âme.  Il  est 
tellement  artiste ,  qu'un  auteur  e'crivait  dernièrement  :  L'art 
fui  le  dieu  de  Tacite.  Puis  il  insinuait  que  ce  besoin  de  pein- 
dre avait  e'té  toute  la  passion  de  ce  grand  homme.  Il  nous 
semble  qu'au-dessus  de  cette  passion  il  y  avait  dans  Tacite 
une  ide'e  morale  très-haute ,  à  laquelle  il  rapportait  tout ,  et 
du  haut  de  laquelle  il  jugeait  les  actions  humaines.  C'est  ce 
qui  imprime  à  son  œuvre  un  caractère  de  grandeur  ineffaça- 
ble, et  lui  assure  une  vie  immortelle.  On  ne  nous  persuadera 
jamais  que  Tacite  aimait  le  style  pour  lui-même,  qu'il  enten- 
dait l'art  comme  on  a  pre'tendu  l'entendre  dernièrement,  isolé 
de  toute  mission  sociale  ;  l'esprit  vivifiant  circule  trop  dans 
ses  livres,  il  y  a  en  lui  trop  d'indignation  contre  le  crime, 
trop  d'amour  du  beau  et  du  vrai.  <(  De  meilleurs  temps  re- 
vinrent ,  dit  Fre'de'ric  Schlegel ,  et  un  Romain  anime'  de  toute 
la  noblesse  et  de  toute  la  grandeur  des  sentimens  antiques , 
devait  encore  une  fois  gouverner  le  monde  civilise',  assis  sur 
le  trône  d'Auguste.  De  même  que  Trajan  est  le  dernier  parmi 
les  Ce'sars  qui  ait  eu  des  sentimens  romains ,  et  qui  se  soit 
montré  grand  par  ses  pensées  et  par  ses  actions  ;  de  même 
Tacite,  dont  on  peut  faire  un  élojj;e  semblable  ,  termine  peu 
de  temps  avant  lui  la  série  des  grands  écrivains  que  Rome  a 
produits.  Il  avait  grandi  sous  Vespasien  et  Titus,  les  premiers 
Césars  qui  après  Néron  gouvernèrent  avec  douceur.  Sous  Do- 
mitien  il  avait  appris  à  observer  et  à  se  taire  ,  et  sous  Nerva 
il  vécut  dans  l'attente  des  temps  glorieux  dont  Rome  devait 
encore  une  fois  jouir  sous  Trajau. 

«  La  profondeur  de  son  génie,  et  son  talent  d'expression  si 
merveilleusement  convenable  à  l'énergie  de  sa  pensée,  parais- 
sent toujours    plus   inimitables  à   mesure  que   l'on  voit  plus 


DE    BOME.  555 

d'aateurs  faire  d'inutiles  efforts  ponr  l'imiter.  On  peat  encore 
l'appeler  parfait  sous  le  rapport  de  l'expression ,  quoique  de'jà 
a  cette  e'poque  la  langue  ne  fût  plus  la  même ,  et  ne  pût  plus 
être  celle  du  grand  Ce'sar  ou  de  Tite  Live.  Selon  moi  ,  la  lan- 
gue latine  se  pre'sente  chez  ces  trois  e'crivains  dans  toute  sa 
pureté'  et  dans  toute  sa  perfection.  Dans  Ce'sar,  elle  a  le  ca- 
chet de  la  grandeur  et  en  même  temps  de  la  simplicité'  ;  dans 
Tite-Live ,  elle  hrille  de  tout  l'e'clat  et  de  tous  les  ornemens 
d'un  perfectionnement  oratoire  ,  mais  sans  exage'ration  d'aa- 
cune  espèce;  dans  Tacite,  elle  a  une  profondeur,  une  e'nergie 
et  un  art  qui  respirent  la  dignité'  de  la  Rome  d'autrefois  (i).  » 
Aux  e'poques  de  re'ge'ne'ration  ,  lorsqu'une  civilisation  nou- 
velle doit  surgir  ,  et  que  l'ancienne  va  se  de'composant  dans 
toutes  ses  parties,  une  immense  tristesse  saisit  l'âme  des  ve'- 
ritahles  grands  hommes,  de  ceux  qui  sentent  de  vives  et  pro- 
fondes sympathies  pour  Ihumanite' ;  et  si,  l'œil  fixe'  sur  le 
passe',  ils  ne  pressentent  pas  les  destine'es  futures,  oh!  alors, 
ils  tomhent  dans  un  de'sespoir  morne  ,  et  jettent  un  ge'misse- 
ment  luguhre;  puis  leur  voix  devient  majestueuse,  elle  rap- 
pelle les  hautes  ide'es  morales,  la  lumière  des  peuples  qui  se 
traînent  aujourd'hui  dans  les  agonies  de  la  de'bauche  et  de 
l'incroyance.  Tel  fut  Tacite.  Il  n'est  pas  corrompu  comme  Sal- 
luste,  qui  s'e'tonrdissait  dans  les  festins  et  les  orgies;  ce  n'est 
pas  non  plus  une  nature  calme  comme  celle  de  Tite-Live,  qui 
semble  ne  voir  dans  les  e've'nemens  qu'un  beau  sujet  de  livre; 
il  ne  songe  pas  comme  Ce'sar  à  exploiter  à  son  profit  les  fai- 
blesses et  les  crimes  des  hommes  ;  c'est  une  âme  se'rieuse  et 
morale  ,  c'est  un  prêtre  du  beau  ,  gardien  austère  de  l'ide'e 
e'ieve'e  de  Platon  ,  au  milieu  des  ruines  sanglantes  de  cet  im- 
mense pouvoir  de  Rome  ,  qui  pesa  sur  l'univers.  Seulement 
Tacite  n'avait  nul  pressentiment  de  la  civilisation  chre'tienne  ; 
il  nous  l'a  assez  prouvé  par  les  e'tranges  lignes  que  nous  ve- 
nons de  lire.  Il  appartenait  tout  entier  au  vieux  monde  ro- 
main :  de  Ik  les  me'lancolies  profondes  de  son  âme ,  et  la  so- 


(i)   Histoire  de  la  Littérature  ancienne  et  moderne. 


556 


DOCTRINE    DE    MARGION 


lennelle  douleur  de  sa  parole.  C'était,  en  effet,  un  magnifique 
et  terrible  spectacle  que  cette  mort  de  Rome  ,  de  cette  nation 
qui  porta  dans  l'univers  les  ide'es  grecques  sur  les  ailes  de  ses 
aigles,  et  fit  du  genre  humain  un' seul  peuple,  pour  qu'il  pût 
entendre  mieux  la  parole  de  celui  qui  datait  venir.  Rome  , 
comme  toujours  ,  ministre  aveugle  des  vues  providentielles 
(  car  les  socie'le's  n'ont  guère  la  conscience  de  leur  œuvre  )  • 
Rome,  dont  aucun  peuple  n'a  jamais  e'gale'  la  puissance,  Dieu 
ne  pouvait  créer  un  plus  digne  pontife  pour  l'ensevelir! 

Amédée  Duquesnel. 


DOCTRINE    DE    MARCION    SUR    I.A    RÉDEMPTION. 

La  littérature  des  Arméniens  a  cela  de  particulier  ,  qu'elle 
est  un  fruit  du  christianisme  chez  cette  nation  ,  la  première 
qui  se  soit  soumise  à  l'Evangile.  L'intérêt  de  cette  littérature 
est  surtout  historique  et  théologique  :  on  y  trouve  une  foule 
de  documens  neufs  et  intéressans,  soit  sur  l'histoire  des  pre- 
miers siècles  de  l'Eglise  ,  soit  sur  les  religions  orientales  dont 
les  hérésies  gnostiques  et  manichéennes  étaient  une  émana- 
tion. Nous  empruntons  à  un  article  des  Annales  bavaroises , 
sur  \ Histoire  ecclésiastique  de  l'abbé  Dœllinger,  un  fragment 
très-curieux  où  Eznik ,  écrivain  arménien  du  cinquième  siècle, 
expose  d'une  manière  très-curieuse  la  doctrine  de  Marcion. 
Selon  cet  hérésiarque  ,  il  y  a  trois  cieux  :  dans  le  premier 
(  quelquefois  aussi  dans  le  troisième  ) ,  habite  Vautre  Dieu ,  le 
Dieu  étranger  (i);  le  second  est  le  siège  du  Dieu  de  la  loi  ; 
dans  le  troisième  régnent  ses  puissances  ou  ses  armées.  Dans 
la  terre  est  Hylé  (la  matière,  la  force  terrestre).  Elle  est  tou- 


(i)  Eznik  se  sert  fréquemment  de  cette  expression;  elle  est  originai- 
rement de  Marcion  (  voy.  Jdst.  ,  Jpolog.  1 ,  26).  tAu^yciava,  ^i  rivu 
IIovriKov  uXXov  rtvcc  vofti^nv  /^ii^ovot  tou  ^tjftiouD'/oo  êîov  ;  ailleurs 
il  l'appelle  Iéxoî  ,  le  mot  arménien  odar  a  ces  tleux  sens  à  la  fois. 


SUR    LA    RÉDEMPTION.  557 

jours  considérée  abstraclivement  dans  l'exposition  d'Eznik  : 
ses  fils  sont  mentionnes  une  fois,  de  manière  à  ce  qne  l'ide'e 
d'Hyle'  semble  être  la  même  que  celle  de  Satan  :  il  est  dit 
aussi  d'elle,  qu^elle  a  ce'de'  la  terre  au  Démiurge  ,  pour  qu'il 
en  formât  l'homme.  Après  la  cre'ation  de  l'homme  ,  le  Dé- 
miurge vent  l'arracher  tout  à  fait  à  Hylé  ;  il  se  montre  à  lui, 
et  lui  ordonne  de  ne  point  adorer  d'autre  Dieu  que  lui  ;  au- 
trement il  mourra  de  mort.  L'homme ,  effraye' ,  se  détache 
d'Hyle';  celle-ci  voit  le  tour  que  lui  a  joue'  le  Démiurge,  et, 
pour  se  venger  ,  elle  forme  des  idoles ,  et  les  fait  adorer  aux 
hommes  se'duits  par  elle.  Le  Démiurge  entre  en  colère  ,  et 
condamne  les  hommes  à  l'enfer,  où  tous  sont  pre'cipite's  jus- 
qu'au vingt- neuvième  siècle.  (Il  est  difficile  de  comprendre 
ce  que  Marcion  a  entendu  par  là ,  le  nombre  des  anne'es  du 
monde  jusqu'à  l'ère  chrétienne  e'tant  ,  suivant  le  plus  faible 
calcul,  au  moins  de  3483).  Ensuite  vient  la  doctrine  de  la 
Re'demplion  ,  qui  par  sa  singularité  mérite  d'être  donnée  tex- 
tuellement :  it  Lorsque  l'autre  Dieu ,  le  Dieu  bon  qui  habite 
dans  le  troisième  ciel  ,  vit  l'humanité  ainsi  tourmentée  entre 
deux  trompeurs,  le  seigneur  des  créatures  et  Hylé ,  il  ressen- 
tit de  la  pitié  pour  ceux  qui  étaient  condamnés  au  feu.  Il 
envoya  son  fils  pour  les  sauver,  et  celui-ci  prit  une  forme  hu- 
maine semblable  à  celle  des  fils  du  Dieu  de  la  loi.  «  Guéris 
»  leurs  lépreux  ,  lui  dit  son  père  ,  ressuscite  leurs  morts  , 
»  rends  la  vue  à  leurs  aveugles  ,  fais  parmi  eux  de  grandes 
»  merveilles  de  salut  jusqu'à  ce  que  le  seigneur  des  créatures 
»  te  voie,  soit  jaloux  de  toi  et  t'attache  à  la  croix.  Et,  après 
»  la  mort ,  tu  descendras  dans  le  monde  inférieur  ,  et  tu  dé- 
»  livreras  ceux  qui  y  sont.  Le  monde  inférieur  n'est  pas  ac- 
»  coutume  à  recevoir  la  vie  en  lui,  et  c'est  pourquoi  tu  dois 
»  être  crucifié  et  devenir  semblable  à  un  mort,  pour  que  la 
))  bouche  du  monde  inférieur  s'ouvre  pour  te  recevoir,  pour 
1)  que  tu  puisses  y  entrer  et  le  rendre  vide.  »  Et ,  après  qu'on 
l'eut  crucifié,  il  descendit  aux  enfers  ,  les  rendit  vides  ;  et, 
délivrant  les  âmes  qui  y  étaient,  il  les  conduisit  vers  son  père 
dans  le  troisième  ciel.  Le  seigneur  des  créatures  se  courrouça; 
il  déchira  dans  sa  colère  ses  vêtemens  et  le  voile  de  son  tera- 


558  DOCTRINE    DE    MARCION    SUR    LA    REDEMPTION. 

pie  ;  il  obscurcit  son  soleil  ;  il  revêtit  son  monde  de  tristesse , 
et  se  mit  à  se  lamenter.  Jésus  vint  pour  la  deuxième   fois  au 
seigneur  des  cre'atures  dans  la  forme  de  sa  divinité',  et  lui  de- 
manda compte  de  sa  mort.  Lorsque  le  seigneur  du  monde  vit 
la  divinité'  de  Je'sus ,   il  reconnut  qu'il  y  avait   un  autre  Dieu 
que  lui.  Et  Je'sus  lui  dit  :  «  Il  y  a  un  procès  entre  toi  et  moi, 
))    et  personne  ne  doit  en  être  juge  que  tes  propres  lois,  e'cri- 
n   tes  par  toi.   »   Les   lois  furent  repre'sente'es   devant  eux  ,  et 
Jésus  lui  dit  :   «  N'as-tu  pas  e'crit  dans  cette  loi    :  Que  celui 
»  qui  a  tué  doit  mourir  ,  que  celui   qui  a  verse'   le   sang  du 
»   juste  doit  verser  son  sang  à  son  tour?  »  El  il  re'pondit  :  «  Je 
»   l'ai  e'crit.  »  Je'sus  lui  dit  :  «  Livre-toi  donc  entre  mes  mains, 
"    que  je  te  tue  !  et  que  je  verse  ton  sang  comme  tu  m''as  tué 
»   et  comme  tu  as  verse'  mon  sang!  car  je  suis  plus  juste  que 
»    toi ,  et  j'ai  re'pandu  de  grands  bienfaits  sur  tes  cre'atures.  » 
Et  il  commença  à  lui  e'nume'rer  ses  bienfaits  envers  les  cre'a- 
tures. Mais ,  quand  le  seigneur  des  cre'atures  se  vit  vaincu ,  il 
ne  sut  que  dire  ,  parce  qu'il  e'tait  condamné  par  sa  propre  loi; 
il  ne  sut  que  répondre ,  parce  qu'il  avait  mérité  la  mort  ;  et 
il  se  mit  à  le  supplier  instamment  :  «  C'est  à  mon  insu,  dit-il, 
»   que  j'ai  péché  et  que  je  t'ai  mis  à  mort;  car  je  ne  savais 
»   pas  que  tu  fusses  Dieu  ;  mais  je  t'ai  pris  pour  un  homme  : 
»   c'est  pourquoi  je  te  donne  pour  satisfaction  tous  ceux  qui 
»   croiront  en  toi,  et  tu  feras  d'eux  ce  que  tu  voudras.  »  Alors 
Jésus   le  quitta  ,  et  enleva  Paul ,  qu'il  envoya  pour  annoncer 
à  quel  prix  nous  sommes  rachetés,  et  comment  tous  ceux  qui 
croient  en  Jésus  sont  délivrés  du  Dieu  juste  par  le  Dieu  bon. 
Tel  est ,  en  substance ,  le  fondement  de  l'hérésie  des  mar- 
cionites  :  tous  ne  le  savent  pas  parmi  eux;  mais  seulement  un 
petit  nombre.  Ils  se  transmettent  oralement  la   doctrine   que 
l'autre  Dieu  nous  a  rachetés  du  Seigneur  des  créatures  ;  mais 
comment  et  par  quel  moyen  ,  c'est  ce  que  tous  ne  savent  pas. 
Où  Eznik  a-t-il  puisé  ses  documens,  c'est  ce  qu'il  n  est  guère 
possible  de  vérifier  :  ou  il  a  fait  lui-même  un  extrait  des  ou- 
vrages de  Marcion,  ou  il  avait  sous  les  yeux  un  résumé  de  sa 
doctrine  ,  rédigé  peut-être  par  un  disciple  de  Marcion.  Il  est 
encore  plus  vraisemblable  qu'il  a  fait  usage  des  écrits  de  Bar- 


ESQUISSES    SUR    LES    PYRÉKÉES.  559 

desanes  contre  les  marcionites  ,  que  cite  Moîse  de  Khorêne 
(II,  53).  Quoi  qu'il  en  soit  ,  les  renseignemens  qu'il  donne 
sur  la  manière  dont  la  re'demption  e'tait  expliquée  dans  le  sys- 
tème de  Marcion  sont  tout  à  fait  nouveaux.  —  Reloue  Euro- 
péenne ,  n°  38. 


ESQUISSES    SUR   XES   PTELÉNÉES    (I). 

J'aime  le  peuple  se'pare'  des  peuples  par  d'immenses  de'serts 
ou  de  hautes  montagnes;  sur  le  sable  où  dorment  ses  pères 
il  vit  de  siècle  en  siècle  comme  une  seule  ge'ne'ration  ;  son  in- 
dustrie, ses  arts,  sa  religion  ,  tout  esta  lui,  jusqu'à  son  cos- 
tume. Si  ses  progrès  sont  moins  rapides,  sa  de'cadence  est  plus 
tardive,  et  les  e'trangers  viennent  de  loin  emprunter  la  poe'sie 
de  ses  souvenirs ,  pour  les  porter  dans  les  pays  oti  tant  de  re'- 
volutions  ont  passé  ,  qu'on  n'y  a  plus  me'moire  d'autrefois. 
Ainsi  l'Espagne,  l'Ecosse,  Tltalie  ont  tour-k-tour  subi  l'exploi- 
tation de  notre  lilte'rature  qui  s'est  exile'e  de  la  France,  parce 
qu'elle  n'y  voyait  que  Paris,  ville  mate'rielle,  où  tout,  hom- 
mes et  choses  n'ont  qu'un  jour  ,  où  nulle  pense'e  ne  survit 
pour  rattacher  le  siècle  au  siècle  ,  le  père  au  fils.  Il  faut  du 
passe'  à  la  poe'sie,  mais  sans  sortir  de  notre  patrie  ne  pouvons- 
nous  donc  en  trouver?  N'avons. nous  pas  toutes  les  nations  de 
l'Europe  sous  le  ciel  de  cette  belle  France ,  si  peu  connue ,  si 
peu  admire'e?  L'Italie  en  Provence,  la  Suisse  dans  les  Alpes 
et  dans  nos  Pyréne'es  qui  semblent  sortir  de  l'oubli  long  et  in- 
jurieux qui  les  voilaient.  Ne  posse'donsnous  pas  autant  de  ri- 
chesses que  les  compatriotes  de  Walter  Scott  dans  leurs  mon- 
tagnes si  chante'es  ? 

Là  haut  les  fontaines  sont  pures  aussi ,  là  haut  les  forêts  de 
sapins  s'e'tenderit  sur  les  sommets  des  monts  ondoyans ,  tantôt 
blanches  ,   tantôt   bleues  ,   comme  une  cbevelure   que   vieillit 


(i)  Rei'ue  Européenne^  n"   29. 


560 


ESQUISSES 


l'hiver  et  que  le  printemps  rajeunit  ;  là  haut,  l'homme,  ac- 
coutnme'  aux  grands  spectacles  de  la  nature  ,  a  besoin  de  toute 
sa  liberté'  pour  vivre.  Fier  comme  ses  rochers,  grand  comme 
ses  horizons  ,  religieux  comme  le  bruit  de  ses  cascades  et  le 
silence  de  ses  bois,  le  Toy  (i)  ne  peut  se  faire  à  l'air  res- 
serre' des  villes,  et  si  parfois  il  descend  au  milieu  d'elles  pour 
y  porter  le  tribut  de  son  travail  ,  il  aime  à  se  faire  remarquer 
par  la  hauteur  de  sa  taille  ,  par  l'orgueil  de  sa  de'marche.  On 
dirait  un  roi  descendu  de  son  trône  promenant  sa  majesté 
parmi  les  hommes. 

C'est  dans  ses  domaines  qu'il  faut  l'e'tudier  ;  le  soir ,  quand 
vous  vous  e'garez  sur  les  montagnes,  que  l'air  s'e'paissit  autour 
de  vous  ,  et  que  les  tonnerres  roulent  sous  vos  pieds  ,  vous 
voyez  quelquefois  des  ombres  gigantesques  se  dessiner  immo- 
biles a  travers  le  brouillard  ,  c'est  le  pasteur  qui  garde  son 
troupeau  ;  un  long  bonnet  de  laine  brune  qui  retombe  sur  le 
côte ,  une  grande  cape  de  même  e'toffe  qui  l'enveloppe  entiè- 
rement ,  voilà  sa  parure  ;  autour  de  son  visage  de  grands  che- 
veux noirs,  ses  regards  invariablement  fixe's  devant  lui  ,  et 
son  menton  soutenu  de  ses  deux  mains  qui  s'appuient  elles- 
mêmes  sur  un  long  bâton  plante'  à  dix  pieds  dans  le  roc  ;  on 
dirait  le  ge'nie  de  la  tempête,  tant  il  la  suit  avec  tranquillité'. 
Rarement  il  parle  français  ,  et  s'il  possède  assez  bien  cette 
langue  pour  converser,  ce  n'est  jamais  sans  revenir  de  temps 
à  autre  à  ses  phrases  favorites  ,  à  ses  expressions  naturelles 
doue'es  d'une  e'nergie  qui  passerait  difficilement  chez  nous.  Du 
reste,  on  peut  toujours  aise'ment  le  comprendre  par  le  langage 
de  ses  gestes;  ses  traits  mobiles  disent  sa  pense'e  avant  le  son 
de  sa  voix,  et  souvent  même  il  a  des  signes  que  nul  son  de 
voix  n'accompagne,  et  qui  ne  se  traduisent  que  par  une  ide'e. 

Je  m'e'tais  un  jour  hasarde'  sans  guide  sur  le  sentier  qui 
mène  de  Campan  au  Lhie'ris  par  le  territoire  de  Hastets  ,  la 
difficulté  du  chemin  m'avait  forcé  de  mettre  à  mes  pieds  des 
sandales  de  peau  d'âne ,  et  d'armer  ma  main  d'un  bâton  ferré 


(i)  Nom  patois  des  habitans  des  Pyrénées. 


sua    LES    PYRÉNÉES.  561 

que  J'enfonçais  dans  le  rocher  pour  me  soutenir.  Je  montais 
paisiblement  sur  de  petits  gradins  tellement  polis  par  îe  pas- 
sage continuel  des  gens  de  la  montagne  ,  que  sans  ma  chaus- 
sure j'aurais  infailliblement  glisse'  jusqu'en  bas.  Le  soleil  de 
midi  m'aurait  brûle'  de  ses  rayons  sans  le  voisinage  d'un  petit 
bois  de  noisetiers  qui  m'envoyait  en  se  balançant  un  souffle 
encore  fraîchi  par  la  rose'e  du  matin.  Toutà-coup  j'entendis 
un  grand  bruit  au-dessus  de  ma  tête  ;  on  eût  dit  le  fracas  d'un 
torrent  qui  se  frayait  une  route  nouvelle  ,  ou  i'e'croulement 
d'un  bloc  de  marbre  de'tache'  de  quelque  cime.  J'avoue  que 
je  ne  pus  me  de'fendre  d'un  mouvement  de  frayeur,  et  ce  qui 
ne  contribua  pas  peu  à  l'augmenter  ,  ce  furent  les  cris  d'un 
paysan  qui  montait  derrière  moi  :  «  De  côte',  brave,  de  côté,  » 
me  disait-il.  Au  même  instant  s'e'leva  un  nuage  de  poussière, 
je  n'eus  que  le  temps  de  me  jeter  à  plat  ventre  à  côte'  du  che- 
min pour  laisser  passer  ce  qui  se  pressait  tant  de  descendre. 
Lorsque  je  me  fus  relevé'  sain  et  sauf ,  j'aperçus  déjà  à  une 
grande  distance  une  femme  charge'e  de  deux  gros  fagots  de 
rame'e  qu'elle  tenait  sur  chaque  e'paule  par  une  des  plus  fortes 
branches,  et  dont  le  feuillage,  traînant  après  elle,  causait  ce 
bruit  et  cette  poussière.  J'admirais  l'adresse  avec  laquelle  la 
Toya  ,  pousse'e  et  retenue  en  même  temps  par  le  poids  du  far- 
deau ,  glissait  sur  ce  penchant ,  que  j'aurais  eu  tant  de  peine 
à  descendre  à  reculons  ,  lorsque  je  fus  rejoint  par  l'homme 
dont  les  cris  charitables  m'avaient  fait  une  si  belle  pear.  — 
Elle  va  vite  ,  me  dit-il  en  me  saluant;  c'est  qu'il  ne  faut  pas 
que  le  garde  la  trouve ,  elle  paierait  l'amende. 

Le  montagnard  qui  me  parlait  était  un  habitant  du  bourg 
de  Campan,  et  il  allait  traire  ses  vaches.  —  Ce  sont,  me  dit- 
il,  celles  que  vous  voyez  là  :  Oh!  Rougette  !  —  Et  il  jetait 
un  caillou  à  l'une  d'elles  qui  broutait  tranquillement  les  feuilles 
d'un  noisetier.  L'animal  tourna  la  tête  de  notre  côte' ,  puis  il 
prit  le  chemin  du  sommet  de  la  montagne.  —  Elles  y  seront 
aussitôt  que  nous,  dit  le  paysan.  Parties  le  matin  de  l'e'table, 
ces  bêtes  se  re'pandent  sans  distinction  de  troupeaux  ou  de 
proprie'taire  sur  les  pâturages  de  la  commune,  et  d'elles-mêmes 
se  rendent  à  heure  fixe  au  lieu  oii  leur  maître  doit  les  traire. 
T.  X.  39 


562  ESQUISSES 

Pas  une  n'y  manque  ;  pas  une  ne  se  trompe  d'heure  ou  de 
rendez-vous 3  à  celui  qui  les  liât  et  les  attelle  à  la  charrue, 
elles  apportent  leur  substance  pour  nourriture.  Etrange  leçon 
que  la  nature  donne  à  l'homme  si  souvent  oublieux  de  ceux 
•  même  qui  lui  font  du  bien. 

Tout  en  discourant  sur  l'instinct  des  vaches,  nous  arrivâmes 
au  bout  du  petit  sentier  rocailleux  où  j'avais  tant  de  fois  tre'- 
buché.  Une  vaste  lande,  couverte  de  bruyères  fleuries,  incli- 
nait sa  pelouse  vers  nous  ;  çà  et  là  quelques  cavales  à  moitié' 
sauvages  paissaient  autour  d'une  petite  cabane  dont  les  murs, 
forme's  de  cailloux  non  cimente's ,  s  élevaient  à  hauteur  d'ap- 
pui pour  soutenir  un  toit  de  chaume  verdi  par  la  mousse. 
Deux  vaches  e'taient  auprès,  la  tête  tourne'e  de  notre  côté. — 
Je  vous  l'avais  bien  dit,  brave,  en  voilà  déjà  deux  qui  m'at- 
tendent, et  les  autres  ne  tarderont  pas  à  arriver.  —  En  effet, 
nous  avions  à  peine  fait  dix  pas  que  nous  en  vîmes  paraître 
six  autres  se  dirigeant  de  différens  points  vers  la  petite  cabane. 
A  mesure  qu'elles  paraissaient  le  berger  les  nommait  affec- 
tueusement dans  sa  langue  et  leur  adressait  quelques  compli- 
mens  sur  leur  exactitude  ou  leur  beauté. 

11  entra  dans  la  chaumière  dont  la  porte  n'était  fermée  d'au- 
cun verrou,  y  prit  un  grand  vase  de  bois  et  se  mit  en  devoir 
de  traire  ses  vaches.  Pour  moi,  après  avoir  accepté  une  écuelle 
d'excellent  lait  que  je  payai  généreusement,  je  continuai  ma 
route. 

Je  sondai  de  l'œil  en  passant  le  précipice  connu  dans  le 
pays  sous  le  nom  de  Traouc  cVoqu  pet ,  sans  doute  à  cause 
de  l'explosion  qui  s'y  fait  entendre  lorsqu'on  y  jette  une  pierre. 
C'est  un  gouffre  d'une  immense  profondeur.  D'après  les  mon- 
tagnai'ds  il  communique  avec  le  Trou  de  Poiizac  ,  espèce  de 
mare  d'eau  que  l'on  trouve  à  main  droite  en  allant  de  Bagnè- 
res  à  Tarbes  ,  un  peu  avant  Montgaillard.  Voici  la  raison  de 
cette  correspondance  -•  au  temps  où  l'on  croyait  encore  à  la 
parole  de  Dieu  et  aux  vertus  des  saints,  une  vache  tomba  dans 
le  Traouc  ;  son  maître  vint  prier  saint  Roch  de  la  lui  faire  re- 
trouver; l'homme  de  l'église  iui  dit  d'aller  au  Trou  de  Pou- 
zac ,  d'où  bientôt  il  verrait  sortir  sa  bête.  La  chose  arriva 
comme  le  saint  l'avait  prédite. 


SUR    LES    PYRÉNÉES.  563 

Là  commence  le  bois  de  Hastets  ;  il  faut  le  traverser  pour 
aller  au  Lliiéris.  Des  frênes  aux  troncs  pourris  ,  des  chênes 
en  de'cre'pitude ,  des  sapins  aussi  vieux  que  le  monde,  s'unis- 
sent dans  les  airs  pour  cacher  le  soleil  à  la  terre  humide  et 
glissante.  Quelquefois  dans  la  fraîche  obscurité'  de  cette  voûte , 
à  travers  les  hranches  de'pouille'es  d'un  arbre  mort,  se  glisse 
un  rayon  pâle  et  tremblant  comme  le  feuillage,  alors  on  croi- 
rait voir  sous  les  herbes  sèches  se  de'rouler  d'e'normes  sei- 
pens  ;  ce  sont  des  troncs  noueux  que  le  temps  a  de'racine's;  la 
mousse,  les  champignons,  la  moisissure  qui  les  couvre  ,  res- 
semblent aux  e'cailles  d'un  reptile;  on  craint  de  l'e'veiller  en 
marchant.  D'autres  fois  il  vous  semble  être  entoure  de  fantô- 
mes, de  specties  aux  figures  grimaçantes,  tant  les  jeux  divers 
des  rayons  lumineux  ,  seconde's  des  prestiges  d'une  imagina- 
tion effraye'e  ,  prêtent  de  formes  fantastiques  aux  objets  qui 
vous  environnent. 

Encore  une  demi-heui'e  de  marche  et  je  sors  de  ce  roman- 
tique passage  ,  un  joli  vallon  creuse  devant  moi  son  bassin 
velouté'  de  gazons  et  de  fleurs ,  c'est  le  Col  du  Lhiéris.  A 
gauche  une  e'norme  pyramide  de  rochers  menace  perpétuelle- 
ment d'e'craser  le  voyageur  sous  ses  ruines  ,  et  renvoie  en 
e'chos  furieux  les  cris  indiscrets  qui  troublent  son  repos  ;  à 
droite  un  autre  rocher  moins  e'ieve',  moins  aride,  oii  quelques 
maigres  sapins  se  disputent  le  peu  de  tex're  ve'ge'tale  que  le 
de'luge  n'ait  pas  entraîne  dans  sa  fuite.  Placez -vous  à  e'gale 
distance  de  ces  deux  pitons,  vous  avez  devant  et  derrière  vous 
un  spectacle  très-beau  mais  bien  diffe'rent  :  au  nord,  la  plaine  , 
le  se'jour  des  vivans ,  avec  ses  villes  dont  l'oreille  devine  au 
loin  le  tumulte,  avec  ses  routes  oîi  l'œil  distingue  les  chariots 
de  toutes  sortes,  ses  rivières  charge'es  de  moulins  de  foulons 
et  de  papeteries ,  ses  champs  oh  tant  de  moissons  se  balancent 
pour  tant  de  proprie'taires.  Là  tout  sent  l'homme,  j'aime  mieux 
la  nature ,  tournons-nous  de  l'autre  côte'. 

Au  devant  de  moi  descend  la  montagne  ,  dans  le  lointain  , 
à  une  grande  profondeur  au  milieu  d'une  terre  inculte  cou- 
verte de  broussailles,  une  verte  prairie  où  coule  une  belle  eau. 
Puis  autour   de    ce  bas   fond  s'élancent  comme    un   rempart 

39. 


564  ESQUISSES 

inaccessible  une  triple  rangée  de  montagnes,  les  unes  hranes, 
les  autres  blondes,  les  autres  verdoyantes,  selon  quelles  por- 
tent des  sapins,  des  fougères  ou  des  frênes j  elles  apparaissent 
plus  ou  moins  hautes  ,  on  dirait  une  troupe  de  jeunes  filles 
curieuses-,  se  haussant  les  unes  au-dessus  des  autres  ,  pour  voir 
l'étranger  qui  visite  leur  demeure.  Je  m'assis  pour  contempler 
ces  merveilles  ,  rien  ne  troublait  le  silence  de  ces  lieux ,  que 
le  vol  rapide  d'un  oiseau  ,  ou  le  murmure  d'une  source  cou- 
lant goutte  à  goutte  d'un  rocher.  Il  me  semblait  que  tout  le 
monde  e'tait  là  ;  ma  pense'e  s'e'largissait  pour  peupler  cette  en- 
ceinte,  s'e'levait  avec  les  montagnes  et  plus  haut  qu'elles.  Il 
faut  quitter  les  hommes  pour  trouver  Dieu.  La  nature  est  son 
œuvre  aux  environs  des  villes  comme  partout  ;  mais  les  ci'éa- 
tures  humaines  s'y  viennent  toujours  jeter  orgueilleusement 
entre  nous  et  lui  ,  elles  appellent  les  premières  nos  regards  , 
elles  e'talent  devant  nous  leur  flatteuse  magnificence,  elles  sem- 
blent nous  dire  :  Et  toi  ,  tu  cre'es  aussi.  Dans  le  de'sert  vide  il 
n'y  a  que  Dieu.  Ce  n'est  pas  moi  qui  ai  creuse'  ces  vallons  , 
érigé  ces  montagnes ,  planté  ces  forêts  ;  ce  n'est  pas  moi  qui 
retiens  ce  rocher  sur  l'abîme ,  qui  fait  distiller  ces  sources  et 
fleurir  ces  plantes.  L'homme  ne  sait  rien  faire  que  de  régu- 
lier :  il  lui  faut  des  plans ,  des  compas  ,  des  mesures  ;  ici  , 
tout  est  désordre;  il  fabrique  pierre  par  pierre,  morceau  par 
morceau  :  ces  monts  sont  d'un  seul  jet;  il  lui  faut  du  temps 
pour  tout  achever  :  ces  merveilles  datent  du  même  jour.  Oh! 
le  scepticisme  peut  exister  dans  les  villes,  mais  dans  la  soli- 
tude, jamais  ! 

Ma  rêverie  fut  longue ,  et  si  la  fraîcheur  du  soir  ne  m'eût 
averti  qu'il  fallait  songer  à  la  retraite ,  je  ne  sais  combien  en- 
core elle  aurait  duré.  Par  malheur  je  m'étais  écarté  du  sentier 
frayé  au  travers  du  bois  ,  je  perdis  beaucoup  de  temps  à  le 
chercher;  enfin  j'entendis  une  voix  qui  chantait  la  vieille  ro- 
mance montagnarde,  et  je  ne  tardai  pas  à  voir  passer  un  trou- 
peau poussé  par  un  pasteur  au  long  bonnet. 

Il  me  salua  courtoisement  et  m'adressant  le  premier  la  pa- 
role :  «  Tout  seul!  me  dit-il,  vous  êtes  un  hardi  étranger.  Il 
se  fait  tard ,  venez  avec  moi ,  je  vous  enseignerai  le  chemin  le 


SUR    LES    PYRÉWÉES.  565 

plas  court  pour  Ordensee ,  et  de  là  vous  regagnerez  facilement 
Bagnères.  »  J'acceptai  vivement  la  proposition.  Lorsque  nous 
eûmes  tourne'  la  montagne  ,  le  pasteur  s'arrêta  ,  fit  un  geste  ra- 
pide accompagne'  d'un  son  de  voix  inarticulé,  et  son  attitude 
orgueilleuse  sembla  me  dire  :  Admirez!  voilà  mes  domaines! 
En  effet  la  valle'e  de  Campan  e'tait  sous  nos  pieds. 

Je  n'essaierai  pas  de  peindre  ces  lieax  tant  de  fois  ëbauche's 
par  le  pinceau  du  voyageur.  Et,  qui  se  chargerait  de  de'crire 
des  collines  verdoyantes,  sillonne'es  par  de  clairs  ruisseaux, 
surtout  quand  les  derniers  rayons  du  soleil  couchant  jettent 
sur  leur  tête  un  diadème  d'or  et  d'azur,  et  qu'une  nappe  de 
vapeur  le'gère,  gonfle'e  par  la  brise  du  soir,  erre  sur  leurs 
penchans ,  comme  sur  le  front  d'une  vierge  un  voile  blanc 
qui  voltige  ? 

Nos  yeux  qui  s'e'taient  abaissés  d'abord,  remontèrent  de  cîme 
en  cîme,  s'arrétant  à  chaque  échelon ,  découvrant  partout  des 
effets  de  lumière  que  mon  guide  me  signalait  avec  l'intelligence 
d'un  homme  habitué  à  ces  sortes  de  spectacles. 

Tout-a-coup  il  se  tut  ;  sa  main ,  qu'il  tenait  élevée  ,  retomba 
pendante  à  son  côté,  sa  figure  prit  une  teinte  de  tristesse  que 
je  ne  lui  connaissais  pas  encore;  pensif,  il  reprit  le  chemin 
de  sa  cabane  ,  mais  sa  tête  se  tournait  souvent  ver§  le  Mont 
Aigu ,  dont  le  pic  audacieux  ne  portait  plus  ses  neiges  habi- 
tuelles. Cependant  à  l'approche  du  village  il  reprit  la  parole 
pour  m'inviter  à  souper  et  à  dormir  chez  lui.  Je  n'osai  refu- 
ser, comptant  d'ailleurs  le  dédommager  amplement  de  son  hos- 
pitalité. A  la  vue  de  la  cabane,  les  troupeaux  poussèrent  quel- 
ques bêlemens,  et  nous  vîmes  accourir  sur  la  porte  deux  petits 
enfans ,  qui  prirent  aussitôt  la  fuite.  «  Ils  ont  honte  à  cause  de 
vous ,  ))  nie  dit  leur  père. 

A  mon  entrée  dans  la  cabane  mes  yeux  s'arrêtèrent  sur  une 
inscription  patoise  tracée  au-dessus  de  la  porte  :  la  voici  ; 
Jesus-Maria!  vioun  Diou  ayda-noiis  (i)!  Le  pasteur  me  voyant 


(i)  Cette  inscription  se  lit  à  Saint-Lézer  (  Hautes-Pyréuées  )  sur  la 
maison  d'un  paysan  noiumé  Dupicris. 


566  ESQUISSES 

arrête  à  celte  lecture ,  m'expliqua  comment ,  lorsqu'on  bâtissait 
sa  maisonnette,  le  vent  la  renversa  trois  fois  ,  et  l'on  n'en  put 
achever  la  construction  qu'après  avoir  grave  cette  inscription 
sur  le  mur.  Je  fus  reçu  par  la  femme  du  berj^er  et  son  père, 
vieillard  de  plus  de  soixante-dix-ans  ;  les  enfans,  blottis  dans 
un  coin  de  la  chambre  ,  le  bras  devant  leur  figure,  me  regar- 
daient à  la  de'robe'e ,  puis  se  cachaient  en  riant.  La  tristesse 
que  j'avais  remarquée  sur  la  figure  du  montagnard,  je  la  trou- 
val  de  même  peinte  sur  celle  de  la  Toja;  le  vieillard  souriait 
au  contraire ,  et  ce  n'e'tait  pas  le  sourire  de  la  de'cre'pitude.  Il 
y  avait  du  calme  et  de  la  dignité'  dans  le  salut  qu'il  me  fit, 
puis  il  tendit  la  main  à  mon  guide,  et  l'attirant  dans  ses  bras, 
lui  montra  par  une  fenêtre  ouverte  sur  la  vallée ,  la  même  mon- 
tagne que  regardait  si  souvent  le  Toy  pendant  notre  trajet.  Le 
jeune  homme  et  la  jeune  femme  se  jetèrent  alors  sur  la  poi- 
trine du  vieillard  en  sanglotant.  Je  ne  comprenais  rien  à  cette 
douleur,  et  cependant  elle  avait  quelque  chose  de  si  vrai  que 
je  me  sentais  ému.  Le  vieux  montagnard  se  tourna  vers  moi  et 
me  dit  en  béarnais  :  «  Excusez,  Monsieur,  c'est  que  le  pic  de 
Mont-Aigu  n'a  plus  de  neige,  et  je  l'ai  déjà  vu  trois  fois  comme 
cela  ;  c'est  la  dernière.  Dieu  vient  de  lui  ôter  son  manteau  , 
pour  m'annoncer  qu'il  va  bientôt  m'ôter  le  mien.  » 

Je  me  rappelai  alors  d'avoir  entendu  quelquefois  citer  le 
proverbe  ,  Qui  trois  J'ois  a  liu  terre  de  Mont- Aigu  assez  a  vécu , 
que  me  développait  si  bien  cette  scène  de  famille.  La  résigna- 
tion ,  la  piété  avec  laquelle  le  vieillard  prononça  ces  paroles 
si  naturelles  en  béarnais ,  me  pénétrèrent  d'admiration  ;  j'ad- 
mirais la  simplicité  de  ces  bonnes  âmes  qui  voient  partout  la 
main  de  Dieu ,  et  ne  rougissent  pas  de  paraître  sensibles  aux 
yeux  des  étrangers.  Le  vieux  Toy  mit  fin  à  cette  effusion  de 
douleur  en  ordonnant  à  ses  enfans  de  préparer  le  souper.  C'é- 
tait le  brouet  que  l'on  nomme  dans  le  pays  paste  tourade ,  on 
le  fait  avec  de  la  farine  de  maïs  que  l'on  a  soin  de  faire  préa- 
lablement griller  dans  un  vase  de  terre.  Le  maïs  est  très-sain , 
les  Pyrénéens  ne  se  nourrissent  guère  d'autre  chose  ,  et  je  ne 
sais  si  c'est  au  grand  usage  qu'ils  en  font  qu'ils  doivent  la  force 
de  leur  santé. 


SUR    LES    Pï  RÉNÉES.  567 

On  parla  peu  pendant  le  repas;  quand  il  fut  achevé'  toute 
la  maison  s'agenouilla  devant  on  crucifix  de  bois ,  orné  d'un 
rameau  de  laurier,  he'ni  à  Notre-Dame  de  He'as  ;  je  fis  comme 
eux,  ce  qui  ne  parut  pas  peu  les  e'tonner.  L'aïeul  prononça 
une   prière  patoise ,  et  puis  chacun  gagna  son  lit. 

De  grand  matin  ,  je  fus  re'veille'  par  des  chants  ;  le  de'sir  d'en 
connaître  la  cause  me  fit  passer  la  tête  dans  une  petite  lucarne 
pratiquée  sur  le  toit  de  la  chaumière  ,  et  j'aperçus  de  joyeuses 
troupes  de  Toys  et  de  Toyas  iiai  descendaient  de  tous  les  points 
de  la  montagne  vers  la  valle'e ,  poussant  des  cris  d'alle'gresse  et 
chantant  des  cantiques  patois,  u  Etranger,  me  cria  mon  hôte» 
venez-vous  à  la  fête  de  saint  Roch  ?  )> 

Je  lui  re'pondis  en  descendant  rapidement  l'espèce  d'e'chelle 
qui  conduisait  de  mon  grenier  à  la  salle  basse.  La  famille  avait 
endosse'  les  habits  du  dimanche,  la  grossièreté'  des  e'toffes  qui 
les  composent  n'exclut  pas  toutefois  une  certaine  e'ie'gance.  C'est 
pour  les  femmes  un  capnlet  de  laine  rouge,  borde'  d'un  large 
velours  noir,  une  brassière  de  gros  drap  et  un  cotillon  rouge 
gracieusement  relevé  par  les  bords  ,  pour  laisser  voir  un  jupon 
de  toile  blanche  comme  la  neige.  Le  costume  des  montagnar- 
des varie  selon  le  canton  :  on  reconnaît  aisément  le  pays  des 
femmes  h  la  couleur  de  leur  capulel  :  celui  des  hommes  est 
le  même  partout,  toujours  le  bonnet  de  serge,  la  veste  ronde, 
la  culotte  sans  boucles,  les  grandes  guêtres  et  la  ceinture  sans 
laquelle  il  n'est  pas  de  jour  de  fête  et  dont  la  couleur  est  inva- 
riablement rouge. 

Nous  nous  joignîmes  à  la  troupe  d'Ordensée  ;  tout  le  monde 
marchait  à  pied,  le  vieux  Toy  lui  seul  était  porté  par  un  âne  ; 
la  foule  l'entourait,  il  avait  tous  les  honneurs  de  la  fête,  c'é- 
tait son  dernier  pèlerinage. 

Ce  fut  un  beau  coup-d'oeil  pour  moi  que  celui  de  la  vallée  de 
Campan,  couverte  d'une  multitude  de  groupes  animés,  tous 
se  dirigeant  vers  un  même  point,  la  chapelle  de  Saint-Roch. 
Chaque  paroisse  de  son  côté,  les  unes  conduites  processionnel- 
lement  par  leur  clergé  avec  la  croix  et  la  baimière  en  tête;  les 
autres  précédées  de  leurs  autorités  civiles  ;  d'autres  revêtues 
du  froc  des  pénitcns  blancs  on  bleus  ,  et  faisant  tinter  la  voix 


568  ESQUISSES 

raaqne  des  sonnettes  à  vaches.  Toutes  portaient  des  fleurs  et 
des  fruits  ,  toutes  rendaient  grâces  à  Dieu ,  et  personne  sur 
leur  chemin,  personne  ne  s'arrêtait  pour  rire  ou  pour  blas- 
phe'nier. 

Entre  Campan  et  Sainte-Marie ,  à  la  droite  de  la  route ,  se 
trouve  un  autel  de  bois,  surmonte'  d'une  statue  de  saint  Roch; 
l'autel  est  recouvert  d'un  toit  de  chaume  et  renferme'  dans  une 
cabane  dont  une  simple  grille  ferme  J'entree  ;  un  lierre  touffu 
tapisse  exte'rieurement  les  murs  de  la  chapelle.  A  cette  même 
place  s'agenouilla  saint  Roch  lorsqu'il  pria  Dieu  de  faire  cesser 
la  peste  qui  de'vorait  les  habltans  de  la  valle'e,  et  la  tradition 
porte  qu'alors  naquit  le  lierre  qu'on  y  voit  aujourd'hui  et  dont 
le  tronc  atteste  la  vieillesse.  La  reconnaissance  a  e'ievé  ce  tem- 
ple rustique.  Toute  l'anne'e  les  montagnards  qui  passent  par  ce 
lieu  se  signent  pieusement  et  jettent  un  sou  en  dedans  de  la 
grille,  pour  faire  dire  une  grand'messe  au  jour  de  la  fête.  Les 
paysannes  enceintes  s'agenouillent  devant  l'autel  afin  d'obtenir 
une  heureuse  de'iivrance ,  et  les  jeunes  marie'es  y  vont  de'poser 
dans  de  jolis  vases  la  fraîche  jonquille  ou  la  fleur  odorante  de 
l'e'glantier. 

Le  lieu  de  la  solennité'  e'tait  de'jà  couvert  de  monde  ;  en  y 
arrivant  je  me  crus  transporte'  dans  les  environs  de  Naples  > 
tant  la  coiffure  des  femmes  avait  de  rapport  avec  celle  des 
Napolitaines  :  c'e'tait  aussi  un  carre'  d'e'tolFe  e'ie'gamment  posé 
sur  la  tête,  sans  ruban,  sans  e'pingle  pour  le  fixer,  et  qui  ce- 
pendant ne  se  de'rangeait  jamais ,  quelque  mouvement  qu'elles 
fissent.  J'allais  m'enque'rir  de  quel  village  étaient  ces  femmes, 
lorsque  Je  vis  celles  d'Ordense'e ,  an  milieu  desquelles  je  me 
trouvais,  ôter  lestement  leur  capulet,  le  plier  en  quatre  et  le 
replacer  ainsi  sur  le  fichu  de  couleur  dont  leurs  têtes  e'taient 
coquettement  enveloppe'es  ;  cette  pre'caution  les  garantit  de  la 
chaleur  cause'e  par  le  poids  de  la  laine. 

Bientôt  commença  la  ce're'monie.  Toutes  les  voix  qui  chan- 
taient naguères  sans  intervalle  et  sans  mesure ,  rentrèrent  su- 
bitement dans  un  religieux  silence,  d'où  elles  ne  sortaient  que 
pour  re'pondre  aux  paroles  du  prêtre  par  un  harmonieux  unis- 
son. Pendant  la  messe,  un  enfant  de  chœur  promena  dans  l'as- 


SUR    LES    PYRÉNÉES.  569 

semblée  un  vaste  plat  d'e'tain ,  sur  lequel  s'e'levait  autour  d'un 
corps  Immain  grossièrement  sculpté,  des  flammes  de  bois  pein- 
tes en  rouge;  c'était  une  âme  du  purgatoire  ,  et  les  fidèles  s'em- 
pressaient de  jeter  une  petite  pièce  de  cuivre  dans  ce  plat  qui 
leur  représentait  si  grotesquement  les  souffrances  expiatoires 
de  leurs  frères.  Dieu  vous  le  rende,  s'écriait  d'une  voix  rau- 
que  et  gutturale  ie  jeune  quêteur ,  et  toute  l'assemblée  croyait 
entendre  les  actions  de  grâces  des  morts  souffrans  (i).  La  messe 
dite,  l'officiant  fit  une  exhortation  patoise  ,  bénit  les  chapelets 
et  les  petites  croix  qui  lui  furent  présentés  de  toutes  parts ,  puis 
le  peuple  se  précipita  sur  le  lierre  de  saint  Roch ,  pour  en 
cueillir  précieusement  les  rameaux.  En  un  instant  l'arbuste  fut 
privé  de  tonte  sa  verdure  ,  mais  l'an  prochain  il  repoussera  , 
image  de  cette  bienfaisance  infinie ,  que  toujours  l'on  émonde 
et  qui  refleurit  toujours.  La  population  de  la  vallée  se  dispersa 
bientôt  chantant  les  louanges  de  Dieu,  portant  triomphalement 
des  branches  du  lierre.  Pour  moi  tout  ému  de  ce  touchant 
spectacle  ,  je  pris  congé  de  mes  hôtes.  Je  serrai  la  main  du  vieux 
Toy  qui  me  bénit  parce  que  j'étais  le  seul  fils  des  terres  plates 
auquel  il  eût  vu  faire  le  signe  de  la  croix,  et  quelques  minutes 
après  j'étais  sur  le  chemin  de  Bagnères. 


(i)  Cette    cérémonie   avait   encore    lieu  il  y  a   quelques    années  ;    le 
dernier  évéque  de  Tarbes  Fa  supprimée. 


570 


WVW\W\  vV\rtAA\V\  W\A,'V\W\'W\'VV\'-V*'VV\'W\»VV»Vrf*W\'VV\WWW 


NOUVEAUX    VOYAGES    ET    I)IOUVELI.ES    DECOUVERTES 

DANS    LE    CENTRE    DE    l'aSIE. 

La  gazette  de  l'acade'mie  de  St.-Pe'tersbourg  nous  donne  les 
de'tails  snivans  sur  un  voyage  exe'cale'  dans  le  centre  de  l'Asie, 
et  dont  la  publication  va  paraître  en  Prusse. 

«  M.  Dubois,  ge'ologue  ce'lèbre ,  est  arrive'  à  Slmphe're'pol- 
le-Garret,  de  retour  du  voyage  qu'il  avait  entrepris  dans  les 
provinces  du  Caucase  ,  avec  l'autorisation  de  S.  M.  l'empereur. 
Il  s'e'tait  embarque'  l'anne'e  dernière  à  Sëvastopol  pour  l'Ab- 
basie,  dont  il  avait  parcouru  tout  le  littoral  depuis  Gbe'langik 
jusqu'à  Poti  ,  et  à  la  forteresse  de  Saint-Nicolas,  examinant 
tout  le  pays  situe'  entre  la  cliaîne  occidentale  du  Caucase  et 
les  montagnes  neigeuses  voisines  des  sources  de  la  Koura ,  et 
s'e'tait  rendu  à  Tiflis  pour  y  passer  l'hiver,  après  avoir  de'crit 
les  ruines  remarquables  à'Onpliss  Tsissikké ,    en   Karthalinie. 

De  Tiflis,  il  partit  au  commencement  de  fe'vrier,  pour  l'Ar- 
me'nie ,  visita  Erivan  ,  pe'ne'tra  jusqu'à  l'extrême  frontière  de 
cette  province  du  côte'  de  la  Perse  et  de  la  Turquie  d'Asie,  et 
l'examina  avec  une  attention  particulière  sous  le  rapport  de 
la  ge'ognosie  et  des  antiquite's;  n'ayant  pu  monter  sur  l'Ararat, 
à  cause  des  neiges  profondes  qui  le  couvraient  encore  à  cette 
e'poque,  M.  Dubois  revint  à  Tiflis  par  le  Karabakh  et  Elisa- 
betbpol. 

Il  fit  encore  un  nouveau  voyage  en  Kakhétie  et  dans  le  Ki- 
sikh,  et  revint  une  seconde  fois  à  Tiflis,  d'où  il  prit  la  route 
ordinaire  pour  se  rendre  aux  eaux  mine'rales  par  Vladi-Cau- 
case  et  Catlie'rinograd  ,  examinant  en  passant  les  montagnes 
voisines,  et  visitant  le  sommet  du  Beschtau.  De  là  il  revint 
par  Stravropol ,  le  long  du  Kouban ,  a  Kertch ,  oii  il  dessina 
quelques  antiquite's  nouvellement  de'couvertes. 

M.  Dubois  a  rapporte'  de  ce  voyage  une  foule  d'observations 
neuves  et  intéressantes  sur  la  ge'ognosie  ,  une  importante  col- 
lection de  pétrifications  et  de  mine'raux,  et  plus  de  deux  cents 


DÉGOUVEBTE    DE    LA    VILLE    d'aZAWIE.  571 

dessins  ,  parmi  lesquels  nous  citerons  une  vue  ge'ne'rale  de 
tout  le  littoral  de  l'Abbasie ,  avec  la  repre'sentation  exacte  des 
ruines  de  Pyteus  (Pitsounda  ou  Bitclivinda  ),  et  d'une  foule 
d'autres  lieux  qui  s'y  trouvent;  une  vue  de'taille'e  de  la  ville 
d'Oupliss-Tsikhe',  taiile'e  dans  le  roc  sur  les  bords  de  la  Koura, 
plusieurs  vues  de  l'Ararat,  des  sites  au  bord  de  l'Araxe,  dans 
les  environs  d'Akhaltsikb  ,  etc. ,  ainsi  que  les  plans  des  e'glises 
et  des  ruines  que  l'on  trouve  dans  les  provinces  me'ridionales 
du  Caucase  ,  et  une  foule  de  cartes  et  profils  ge'ognostiques. 
Son  porte-feuille  renferme  en  outre  plus  de  mille  petits  des- 
sins de  me'dailles,  costumes,  ornemens  d'architecture,  etc.,  etc. 
De'jà  M.  Dubois  avait  parcouru  la  Crimée  avec  le  même  ta- 
lent d'observation  ,  et  avait  re'ussi  a  composer  une  carte  très- 
de'taille'e  et  fort  exacte  de  la  Cliersonèse,  carte  si  indispensable 
pour  l'histoire  de  la  Russie.  Il  se  propose  de  se  rendre  à  Berlin 
pour  la  publication  de  son  voyage,  n 


Découverte  de  /avilie  d'Azanie  ,  dans  la  grande  Phrygie , 
conservant  encore  la  plus  grande  partie  de  ses  magnifl- 
ques  monumens. 

Sur  la  recommandation  de  l'Institut,  M.  Texier ,  Jeune  ar- 
chitecte plein  de  zèle  et  d'instruction  ,  a  e'te'  envoyé'  à  Con- 
stantinople  par  les  ministres  de  l'inte'rieur  et  de  l'instruction 
publique,  pour  e'tudier  les  monumens  de  celte  ville,  et  faire 
des  recherches  dans  diverses  parties  non  explore'es  de  l'Asie- 
Mineure.  De'jà  le  voyageur  a  envoyé'  des  dessins  de  monumens 
Jusqu'ici  très- imparfaitement  connus.  Il  explore  maintenant 
rAsie-Mineure  ,  et  l'extrait  suivant  d'une  leltre  que  vient  de 
recevoir  son  frère  ,  montre  tout  ce  qu'on  doit  attendre  du  zèle 
et  du  talent  de  M.  Texier.  Elle  est  relative  à  la  ville  A'Azanie, 
dans  la  gi'ande  Phrygie,  ville  de'jà  visite'e  par  plusieurs  voya- 
geurs (i).  Cette  lettre  contient  l'annonce  la  plus  inte'ressante 
pour  les  amis  des  arts. 

(i)  Le  journal  des  Débats  ayanl  rendu  compte  de  cette   découverte, 


572  DÉCOUVERTE    DE    LA.    VILLE    d'aZANIE. 

((  J'ai  trouva  là  des  antiquités  du  plas  grand  intérêt ,  un 
temple  magnifique  entoure'  d'une  colonnade  ionique;  c'est  nne 
chose  merveilleuse,  et  l'Italie  ni  la  Grèce  n'ont  rien  de  sem- 
blable ,  ni  pour  la  pureté'  du  style  ni  pour  Ja  conservation. 
Sur  les  murs  de  l'enceinte  sont  encore  huit  inscriptions  grec- 
ques et  latines  relatives  aux  grandes  fêtes  panhelle'niques  et 
aux  actes  de  l'autorité'  publique  ;  je  les  ai  copie'es  toutes.  J'ai 
dessine'  et  mesure'  le  temple  avec  le  plus  grand  soin ,  car  c'est 
un  monument  qui  doit  faire  un  grand  effet  à  Paris. 

»  La  ville  antique  a  encore  presque  tous  ses  monnmens  : 
les  ponts  de  marbre ,  les  quais ,  les  tombeaux  de  marbre  ,  le 
tbe'âtre ,  le  cirque  enfin.  Je  ne  pense  pas  que  dans  toute  l'Asie 


d'une  manière  peu  exacte  ,  a  publié  la  réclamation  suivante  de  M.  Alexan- 
dre de  Laborde.  —  o  Monsieur  ,  au  moment  de  publier  mon  voyage  dans 
r^sie-Mineure  ,  il  m'importe  de  rectifier  une  erreur  qui  s'est  glissée  dans 
le  compte  que  vous  avez  rendu  des  travaux  du  modeste  et  courageux 
voyageur  M.  Texier. 

»  Vous  dites  :  La  ville  antique  ct/izani  forme  une  des  découfertes 
les  plus  curieuses  de  son  voyage.  Là  existe  un  grand  temple  grec  j  etc. 
Ceci  n'est  point  exact ,  et  M.  Texier  dit  lui-même  dans  ses  lettres  qu'il 
a  trouvé  les  traces  de  notre  séjour  dans  ce  lieu.  En  attendant  la  pu- 
blication prochaine  de  nos  dessins ,  qui  prouvera  le  soin  que  nous  avons 
mis  dans  nos  travaux ,  il  me  suffira  de  rapporter  ici  les  paroles  du  res- 
pectable M.  Michaux,  tome  III,  de  sa  Correspondance  sur  l'Orient , 
pag.  1^7  :  «  Longtemps  les  voyageurs  avaient  traversé  le  pays  de  Koutaya 
sans  y  rencontrer  les  ruines  d'Elanos  ou  d'Azania.  Cette  ville  grecque 
était  comme  perdue  et  entièrement  effacée  de  la  mémoire  des  hommes, 
lorsqu'en  1826,  M.  Alexandre  de  Laborde,  passant  à  Koutaya,  apprit 
qu'il  existait  de  belles  ruines  à  huit  lieues  de  là ,  à  l'ouest ,  près  d'un 
village  appelé  ChapDeer.  Le  voyageur,  accompagné  de  son  fils ,  M.  Léon 
de  Laborde,  se  rendit  au  lieu  qu'on  lui  avait  indiqué,  et  trouva  au 
penchant  d'une  colline  les  restes  magnifiques  d'une  antique  cité  ,  deux 
temples  ioniques  bien  conservés ,  etc. 

»  Cette  réclamation  de  ma  part  n  ote  rien  au  mérite  de  M.  Texier 
qui  vient  de  faire  des  découvertes  bien  autrement  importantes  dans  la 
Cappadoce ,  province  que  la  violence  de  la  peste  en  1827  nous  empê- 
cha de  visiter  ,  ainsi  que  la  singulière  vallée  d'Anarbus  près  d'Adaua , 
qui  attend  encore  l'investigation  de  quelques  voyageurs  entreprenans.  » 


DÉCOUVERTE    DE    LA    VILLE    d'azAKIE.  573 

je  trouve  rien  de  si  parfait  et  de  si  bien  conservé.  Le  tlie'âtre 
est  un  monument  dans  le  genre  du  temple  ;  il  est  aussi  entier 
que  possible,  c'est-à-dire  que  la  scène,  cbose  si  rarement  con- 
serve'e  dans  les  the'âtres  antiques ,  est  encore  là  tout  entière  , 
mais  les  colonnes,  par  suite  de  quelque  tremblement  de  terre 
ou  autre  commotion,  se  sont  e'croule'es ,  et  l'on  marcbe  dans 
l'orchestre  sur  un  monceau  de  de'bris  de  chapiteaux,  de  cor- 
niches sculptées  avec  un  goût  admirable,  La  frise  du  prosce- 
nium repre'sente  des  chasses  d'animaux  sculpte's  presque  en 
relief;  on  y  remarque  entre  autres  le  bœuf  bossu  ou  ze'bu  , 
de'vore'  par  un  lion  :  cet  animal  n'existe  plus  maintenant  que 
du  côté  de  l'Inde;  puis  ce  sont  des  cerfs,  des  sangliers,  dé- 
vorés par  des  chiens,  des  courses  de  chevaux,  etc.  Tous  ces 
morceaux  admirables  sont  là ,  abandonnés  dans  la  solitude  la 
plus  profonde ,  car  pas  une  âme  ne  visite  ces  ruines.  Les  co- 
lonnes sont  également  d'ordre  ionique.  Les  portes  avec  leurs 
ornemens  sont  encore  en  place.  Les  salles  des  mimes,  tous  les 
gradins  de  marbre,  soutenus  par  des  griffes  de  lion,  sont  pres- 
que intacts.  Si  quelques-uns  sont  dérangés,  ce  sont  les  brous* 
sailles  qui  poussent  dans  les  joints  qui  les  ont  déplacés.  En 
face  du  théâtre  est  le  cirque  ,  tout  de  marbre  blanc.  C'est 
comme  une  ville  de  fées.  Au  milieu  de  toutes  ces  beautés  sont 
pêle-mêle  les  maisons  du  village,  bâties  presque  tontes  des 
débris  d'autres  monumens. 

1)  Près  du  temple  est  un  grand  portique ,  probablement  le 
Gymnase  ,  avec  des  colonnes  d'ordre  dorique  grec.  J'ai  fait 
démolir  une  muraille  pour  en  extraire  un  chapiteau  que  j'ai 
dessiné.  J'ai  fait  également ,  près  du  temple ,  plusieurs  fouilles 
pour  reconnaître  la  porte  d'enceinte  dont  j'ai  retrouvé  onze 
colonnes.  Tous  ces  travaux  sont  les  premiers  de  ce  genre  qui 
aient  été  exécutés  en  Asie  ;  car ,  jusqu'à  présent ,  les  Turcs 
étaient  ennemis  jurés  de  ce  genre  de  recherches.  J'ai  monté 
sur  le  temple,  qui  a  trente-six  pieds  d'élévation,  par  le  moyen 
de  mon  cerf-volant  échelle.  C'est  le  fils  de  l'iman  qui  m'a  fourni 
tous  les  agrès  pour  me  hisser  :  on  m'a  monté  dans  un  grand 
panier. 

»  Mon  voyage  s'annonce  bien;  je  voyage  avec  le  luxe  d'un 


574 


HISTOIRE     NATIONALE. 


bey  ;  j'ai  toujours  ane  douzaine  d'hommes  à  ma  disposition. 
J'espère,  si  je  continue  à  trouver  des  choses  aussi  inte'ressan- 
tes,  que  mon  voyage  ne  sera  pas  sans  inte'rêt. 

))  Ma  lettre  de  Kutaya  a  dû  te  paraître  un  peu  ennuyeuse  ; 
c'est  que  je  venais  de  bisquer  contre  mon  Tartare  ;  je  l'avais 
même  menace'  d'e'crire  à  l'ambassadeur  ,  mais  tout  s'est  ar- 
rangé :  maintenant  il  est  très-soumis. 

»  Je  suis  maintenant  à  Kedous,  l'ancienne  £fl!t^i  de  Strabon; 
mais  je  n'y  ai  pas  e'ie'  aussi  heureux  en  antiquite's.  Il  ne  reste 
absolument  rien  que  le  fleuve  Hermus,  qui  coule  toujours  au 
milieu  des  volcans  ;  car  nous  approchons  de  la  Phrygie  cata- 
cécaiimène  ou  brûlée.  Je  vais  à  Karahissar ,  l'ancienne  Prym- 
nesia  ;  de  là  je  chercherai  Synnada  dans  les  montagnes  voi- 
sines ,  puis  à  Eskiclicher  (  Boryleum  ).  )> 


HISTOIRE  NATIONALE. 

Extraits  des  Procès- Verbaux  de  la  Commission  royale 
d'Histoire  (1). 

Séance  du  5  décembre.  —  M.  le  ministre  de  l'inte'rieur ,  qui 
prend  aux  travaux  de  la  commission  l'intérêt  le  plus  flatteur ,  et 
qui  les  facilite  avec  une  extrême  bienveillance,  fait  savoir  qu'il  re- 
grette que  des  occupations  urgentes  et  multipliées  l'empêchent  d'as- 
sister à  la  séance. 

Après  la  lecture  de  la  correspondance ,  le  pre'sident  dépose  sur 
le  bureau  le  catalogue  des  manuscrits  relatifs  à  l'histoire  de  la  Bel- 
gique qui  se  trouvent  à  la  bihiiothèque  de  Bruges.  Ce  catalogue  , 
très-bien  rédigé,  a  été  envoyé'  par  le  de'partement  de  l'intérieur. 
M.  l'abbe'  De  Ram  y  joint  !a  liste  des  manuscrits  relatifs  au  même 
objet,  conservés  aux  archives  de  l'archevêché  de  Malines. 

L'ordre  du  jour  amène  l'examen  des  différentes  soumissions  pour 
l'impression  des  Chroniques. 

(i)  V.  ci-d.  tom.  X,  p.  285,  et  445. 


HISTOIRE    NATIONALE.  575 

La  commission  voit  avec  plaisir  que  son  appel  a  été  entendu  par 
MM.  les  imprimeurs ,  et  que  tous  ils  ont  vu ,  dans  l'entreprise  qui 
leur  était  proposée  ,  une  affaire  d  honneur  et  de  nationalité  plutôt 
qu'une  spéculation. 

Après  un  mûr  examen  ,  l'impression  des  Chroniques  a  été  adjugée 
à  M.  Hayez  de  Bruxelles ,  eu  égard  à  la  modération  de  ses  prix 
et  aux  garanties  qu'il  présente  sous  tous  les  autres  rapports. 

M.  Gachard  demande  la  parole  pour  diverses  communications. 

II  rappelle  à  la  commission  que  l'un  des  ouvrages  dont  elle  a  ré- 
solu l'impression  dans  sa  première  séance,  est  le  Récit  des  trou- 
bles de  Gand  sous  Charles-Quint  par  un  témoin  oculaire.  Dans 
une  tourne'e  qu'il  vient  de  faire  en  Flandre,  par  ordre  de  M.  le 
ministre  de  l'inte'rieur ,  pour  l'examen  des  de'pôts  d'archives ,  il  a 
donné  une  attention  particulière  à  la  recherche  des  pièces  qui  peu- 
vent répandre  quelque  jour  sur  les  événemens  auxquels  ce  récit  est 
consacré.  A  Audenaerde ,  il  en  a  trouvé  de  fort  intéressantes.  Jean 
d'Hollander,  dans  son  mémoire  qui  fait  partie  des  Analecta  Bel- 
gica  de  Hoynck  van  Papendrecht ,  ne  parle  pas  des  commotions  po- 
pulaires qu'il  y  eut  dans  cette  ville,  à  l'instigation  des  Gantois  : 
les  documens  que  renferment  les  archives  serviront  à  remplir  cette 
lacune;  quelques  lettres  des  Gantois  et  de  la  gouvernante,  et  plu- 
sieurs autres  pièces,  me'riteut  aussi  d'être  consultées.  A  Gand, 
M.  Parmentier  ,  archiviste  de  la  ville  ,  qui  a  commencé  d'introduire 
de  l'ordre  dans  l'important  de'pôt  dont  la  garde  lui  est  confiée ,  et 
auquel  on  est  redevable  déjà  de  la  de'couverle  de  monumens  pré- 
cieux qui  y  étaient  enfouis  (i),  lui  a  montre'  la  sentence  originale 
de  Charles-Quint  portée  contre  les  Gantois  le  dernier  avril  i54o  : 
elle  existe  aux  archives  en  français  et  en  flamand.  L'un  et  l'autre 
texte  est  e'galement  authentique  :  tous  deux  e'crits  sur  un  cahier 


(i)  M.  Parmenlicr  a,  entre  autres,  recueilli,  parmi  des  papiers  qui 
avaient  été  regardés  avant  lui  comme  insignitians ,  des  pièces  du  plus 
haut  intérêt  sur  ce  qui  se  passa  à  Gand,  à  l'occasion  de  la  reforme, 
en  i565  ,  i566,  et  dans  les  années  suivantes  :  il  eu  a  formé  trois  volumes. 
Il  a  découvert  aussi ,  dans  des  papiers  du  même  genre  ,  un  original  de 
l'union  d'Utrecht ,  en  iSjg,  le  seul  probablement  qui  existe  dans  la 
Belgique.  (  De   Reiffenberg.  ) 


576  ■  HISTOIRE    NATIONALE. 

Âe  parcliemin ,  sont  scellés  du  sceau  de  l'empereur,  et  portent  sa 
signature;  mais,  d'après  M.  Gacliard ,  le  texte  français  serait  ce- 
lui dans  lequel  l'acte  aurait  d'abord  été  conçu  ,  et  cela  résulte  ,  selon 
lui,  d'une  indication  qui  se  trouve  au  bas  du  dernier  feuillet  écrit 
de  chaque  cahier.  On  lit,  en  cet  endroit,  sur  l'acte  en  français  : 
La  sentence  rendue  par  V.  AI.  au  fait  de  Gand ,  et  sur  l'acte 
rédigé  en  langue  flamande  :  Duplicat  de  la  sentence  rendue  par 
V.  M.  au  fait  de  Gand  ^  en  flamand.  La  commission  sait  que 
c'est  le  texte  flamand  qtj'a  publié  Jean  d'Hollander  :  M.  Parmen- 
lier ,  qui  a  comparé  la  leçon  insérée  dans  les  Analecta  Belgica 
avec  le  texte  original ,  a  reconnu  c|u'ellc  présentait  des  fautes  nom- 
breuses et  considérables.  Il  y  a  encore,  aux  archives  municipales 
de  Gand ,  un  registre  qui  doit  contenir  un  renseignement  aussi 
curieux  que  certain  sur  les  faits  qui  se  rattachent  à  la  révolte  de 
cette  ville  :  on  y  trouve  les  délibérations  de  la  collace  pendant 
l'année  iSSq.  M.  Gachard  espère  découvrir  dans  ce  dépôt  d'au- 
tres documens  encore ,  lorsqu'il  l'examinera  en  détail ,  ce  qu'il  n'a 
pas  eu  le  loisir  de  faire  dans  sa  dernière  tournée. 

Indépendamment  de  toutes  ces  pièces,  qui  répandent  tant  de 
lumières  nouvelles  sur  un  des  événemens  les  plus  marquans  de  notre 
histoire  M.  Gachard  informe  la  commission  que  les  archives  du 
royaume  en  recèlent  beaucoup  qui  ne  sont  pas  moins  importantes, 
et  oui  sont  inédites  aussi.  11  cite  :  i°  Un  compte,  rendu  par  Thiéri 
de  Herlaer  ,  prévôt-général  des  Pays-Bas ,  des  exécutions  criminel- 
les faites  par  lui  du  23  juillet  iSSg  au  26  janvier  i543,  compte 
dans  lequel  figure  l'exécution  de  plusieurs  des  principaux  auteurs 
de  la  révolte  de  Gand,  condamnés  à  mort  par  Cliarles-Quint  ;  2°  un 
manuscrit  de  la  chambre  des  comptes ,  où  se  trouvent  une  relation 
flamande  (2)  des  troubles  qui  précédèrent  l'arrivée  de  l'empereur, 
et  des  pièces  y  relatives  ;  3  '  quantité  de  lettres  de  la  reine  Marie , 
gouvernante  des  Pays-Bas  à  cette  époque ,  écrites  aux  villes  et  aux 
seigneurs  de  Flandre ,  avec  les  réponses  de  ceux-ci. 


(i)  Elle  est  intitulée  .  Corl  -uerhael  van  de  principaclstc  gheschiede- 
nissen  gebeurt  hinnen  de  stadL  van  Gendt  in  't  jaer  iSBq;    ende  î54o. 

(  Idem.  ) 


HISTOIRE    3ÏATI0NALE.  577 

Ne  serait-il  pas  fâcheux ,  dit-il  en  terminant ,  que ,  étant  en  pos- 
session d'une  collection  aussi  considérable  el  aussi  riche  de  docu- 
mens  ignores  jusqu'à  nos  jours  sur  les  troubles  de  i536,  i538 
et  iSSg,  il  n'en  fut  pas  fait  usage?  Il  propose  donc  que  de  nou- 
velles de'marches  soient  faites  auprès  des  héritiers  de  feu  M.  Van 
Hulthem  ,  aûn  qu'ils  veuillent  rechercher  ,  parmi  les  manuscrits  qu'il 
leur  a  légués ,  celui  qui  est  indiqué  au  commencement  de  ce  rapport. 
Il  est  d'autant  plus  permis  de  compter  sur  des  dispositions  de  leur 
part  conformes  au  vœu  de  la  commission ,  que ,  en  la  mettant  à 
portée  de  publier  l'ouvrage  dont  il  s'agit,  ils  aideront  à  l'accomplis- 
sement des  intentions  qu'avait  annoncées  le  savant  dont  la  mémoire 
leur  est  chère. 

M.  Gachard  présente  ensuite  à  \\  commission  la  chronique  de 
l'abbaye  de  Tronchiennes  ,  laquelle  était  gardée  dans  les  archives 
de  ce  monastère  avant  la  suppression  des  établisscmens  religieux. 
La  conservation  de  ce  précieux  monument  historique  est  due  à 
M.  Ferdinand  de  Caigny ,  de  Gand,  amateur  zélé  de  nos  antiquités 
nationales.  La  chronique  de  Tronchiennes  se  trouvait  parmi  des  pa- 
piers que  lui  laissa  un  de  ses  parens,  qui  les  tenait  d  un  des  der- 
niers religieux  de  l'abbaye  ;  mais  tous  les  feuillets  en  étaient  dis- 
persés. M.  de  Caigny  la  reconstruisit  avec  autant  de  discernement 
que  de  soin  ;  et ,  pour  ajouter  encore  à  la  reconnaissance  des  amis 
de  l'histoire  nationale ,  il  vient  d'en  faire  don  au  plus  considérable 
de  nos  dépôts  littéraires  ,  aux  archives  du  royaume. 

La  chronique  de  Tronchiennes,  écrite  dans  un  latin  assez  pur, 
commence  à  l'année  66 1  ,  et  elle  se  continue  jusqu'à  l'année  i64o. 
Elle  forme  46  feuillets  in-folio  ;  elle  est  suivie  de  notes  et  de  pièces 
historiques,  qui  comprennent   17  feuillets.  Elle   est  sur  papier. 

La  commission  vote  des  remercîmens  à  M.  de  Caigny ,  et  la  chro- 
nique est  remise  à  M.  Warnkœnig  ,  auquel  est  confié  le  soin  de 
la  publication  des  chroniques  latines  de  Flandre. 

M.  Gachard  entretient  la  commission  d'un  manuscrit  qu'il  a  vu  à 
Audenaerde  chez  M.  J.-F.  Demerlier ,  employé  de  la  régence,  à  qui 
il  appartient.  Ce  manuscrit  est  une  chronique  de  la  ville  et  de  la 
châtellenie  d' Audenaerde,  compilée  par  feu  M.  B.  Derantere ,  beau- 
père  de  M.  Demerlier,  qui  consacra  à  ce  travail  près  de  vingt  an- 
nées. M.  Derantere  était  archiviste  de  la  ville  :  il  puisa  abondam- 
T.  X.  40 


578  HISTOIRE    NATIONALE. 

ment  en  ce  dépôt,  ainsi  que  dans  les  archives  de  l'ancien  châtellenie, 
qu'il  avait  également  à  sa  disposition.  Il  s'aida,  de  plus,  des  ma- 
nuscrits de  Vandenbroeke,  qui  fut  pensionnaire  de  la  ville  et  re- 
ceveur de  la  châtellenie  au  commencement  du  17''  siècle,  ainsi  que 
de  ceux  du  père  de  Bleckere ,  de  la  société  de  Jésus.  Enfin  il  con- 
sulta la  plupart  des  historiens  connus  ,  tels  que  Gramaye  ,  Sanderus, 
Oudégherts,  Van  Meteren  ,  Hooft ,  Pierre  Bor,  Strada,  Carpentier, 
Veranncman  ,  Robyn  ,  Vaernevpyck,  Panckoucke,  Dewez.  Ces  ren- 
seignemens  sont  fournis  par  lui-même  dans  le  titre  de  son  ouvrage. 

La  chronique  de  M.  Derantere  commence  à  l'année  611  ,  et  elle 
est  continuée  sans  interruption  jusqu'à  l'année  i644'  Elle  est  ré- 
digée en  flamand.  Le  compilateur  y  a  joint  un  recueil  des  chartes 
qui  concernent  Audenaerde  ;  une  îiste  des  gouverneurs  de  cette  ville, 
depuis  l'année  i33o,  et  une  liste  de  ses  magistrats  ,  à  partir  de  i36r 
jusqu'à  nos  jours.  Son  manuscrit  comprend  près  de  3ooo  feuillets, 
format  in-folio,  écriture  assez  serrée  :  les  événemens  du  16"  siècle 
remplissent  environ  1900  feuillets;  le  recueil  des  chartes  en  a  258. 
Dans  un  très-rapide  examen  qu'en  a  fait  M.  Gachard,  il  a  remarqué 
que  le  récit  des  événemens  était  en  général  précédé  ou  suivi  de 
pièces  y  relatives  ,  et  c'est  ce  qui  explique  létendue  de  cet  ouvrage. 

Il  paraît  que  sous  le  gouvernement  précédent ,  il  avait  été  fait 
des  propositions  à  M.  Derantere,  dans  le  but  d'acquérir  son  manus- 
crit pour  l'Etat.  M.  Demerlier  serait  disposé  à  le  céder  pour  cette 
destination. 

La  commission  croit  devoir  appeler  l'attention  de  M.  le  ministre 
de  l'inte'rieur  sur  le  rapport  qui  pre'cède. 

Enfin  ,  M.  Gachard  donne  communication  d'une  lettre  qu'il  a 
reçue  de  M.  Holvoet,  archiviste  de  la  Flandre  occidentale.  «  Pour 
'>  autant,  dit  M.  Holvoet  dans  cette  lettre,  que  mes  faibles  con- 
»  naissances  me  permettent  de  porter  un  jugement  sur  les  diA^ers 
»  monuraens  dont  il  est  fait  mention  dans  les  procès-verbaux  des 
»  séances  de  la  commission  d'histoire  ,  j'ai  cru  remarquer  que,  les 
»  actes  des  Saints  exceptés  ,  ils  avaient  en  général  plus  de  rapport 
»  à  l'histoire  politique  qu'à  l'histoire  des  mœurs  et  de  l'industrie. 
»  Cette  dernière,  qui  est  assurément  la  plus  intéressante,  la  plus 
»  instructive  et  la  plus  utile  ,  a  été  généralement  ne'gligée  par  nos 
»    vieux  auteurs  :   c'est   à  la   génération   présente  qu'est   re'.serve'e 


HISTOIRE    NATIONALE.  579 

))  peut-être  la  gloire  de  remplir  cette  immense  lacune.  Les  maté- 
»  riaux  authentiques  ne  manquent  pas.  Les  anciens  comptes  des 
»  villes  et  des  cbàtellenies  sont  des  mines  très  riches  qui  n'ont  été 
))  encore  que  peu  exploitées.  La  ville  de  Bruges  possède  une  série 
).  de  comptes  commençant  en  1289  :  les  archives  du  Franc  en  ren- 
»  ferment  une  qui  commence  un  siècle  plus  tard.  Je  pourrais  m'oc- 
)>  cuper ,  dans  mes  momens  de  loisir,  d'extraire  de  ces  collections 
»  tout  ce  qui  s'y  trouve  d'intéressant,  et  l'envoyer  à  la  commission  , 
)>  si  elle  le  juge  convenable.  »  M.  Holvoet  dit  ensuite  qu'il  est  pos- 
sesseur d'un  manuscrit  de  la  chronique  de  Despars,  si  souvent  citée 
par  les  historiens  de  la  Flandre  ;  qu'il  avait  commencé  ,  avant  la 
révolution,  de  le  collationner  sur  l'original,  qui  appartient  à  M.  de 
Croeser,  à  Bruges,  mais  que  les  événemens  politiques  lui  ont  fait 
interrompre  ce  travail;  qu'il  le  reprendra  très-prochainement,  et 
que,  au  fur  et  à  mesure  que  quelque  partie  en  sera  achevée,  il  l'a- 
dressera ,  soit  à  la  commission  ,  soit  à  l'un  de  ses  membres  qu'elle 
voudra  bien  lui  désigner.  Il  termine,  en  faisant  observer  que,  s'il 
entrait  dans  le  plan  de  la  commission  de  réimprimer  d'anciens  ou- 
vrages devenus  rares,  la  chronique  de  Flandre,  intitulée  :  Dits 
die  excellente  chronike  van  P laenderen ,  imprimée  à  Anvers 
en  i53i ,  mériterait  peut-être  cet  honneur;  qu'elle  est  très-curieuse, 
principalement  sous  le  rapport  de  l'histoire  des  mœurs  ,  et  que  ce 
n'est  pas  sans  peine  qu'on  parvient  à  se  la  procurer  aujourd'hui. 

La  commission,  qui  apprécie  l'importance  de  la  lacune  indiquée 
par  M.  Holvoet,  relativement  à  l'histoire  civile,  morale  et  indus- 
trielle de  la  Belgique,  lacune  qui  existe  encore,  malgré  les  efforts 
de  plusieurs  savans  et  même  de  quelques-uns  de  ses  membres  à  qm 
l'on  doit  de  précieux  matériaux  sur  cette  matière,  reconnaît  avec 
lui  que  le  dépouillement  des  comptes  des  villes,  des  chàtellenies  , 
des  provinces,  doit  procurer,  sous  ces  différens  points  de  vue, 
des  lumières  aussi  certaines  qu'abondantes.  Elle  applaudit  donc  hau- 
tement au  désir  qu'il  annonce  de  compulser  ceux  de  la  ville  et  du 
Franc  de  Bruges;  elle  recevra  avec  gratitude  le  résultat  de  son  tra- 
vail ,  et  elle  émet  le  vœu  que  son  exemple  soit  suivi  dans  d'autres 
localités.  Elle  l'invite,  en  outre,  à  s'occuper  le  plus  tôt  possible, 
ainsi  qu'il  en  exprime  l'intention  ,  de  la  collation  de  son  manuscrit 
de  la   chronique  de  Despars  ,  sur    l'original ,  et  à  lui   en  adresser 

40. 


580  HISTOIRE    NATIONALE. 

successivement  les  diffe'rentes  parties ,  avec  les  variantes  et  toutes 
les  remarques  dont  il  jugera  devoir  les  accompagner.  Quant  à 
V excellente  chronique  de  Flandre ^  la  commission,  qui  en  consi- 
dère la  réimpression  comme  très-utile ,  regrette  que  ce  travail  sorte 
de  ses  attributions  et  du  plan  qu'elle  s'est  tracé. 

Pour  extraits  conformes  ; 
Le  secrétaire  ,  Baron  de  Reiffenberg. 

Séance  du  6  décembre. 

La  commission  arrête  un  projet  de  contrat  à  passer  entre  elle  et 
M.  Haycz,  sauf  l'approbation  et  la  ratification  de  M.  le  ministre 
de  l'intérieur. 

M.  Willems  soumet  à  l'examen  de  la  commission  le  résultat  de 
ses  recherches  pour  la  composition  du  Codex  diplomaiicus ,  qu'il 
se  propose  de  joindre  à  son  travail  sur  Van  Heelu ,  et  qui  contient 
environ  i53  diplômes  du  règne  de  Jean  I"',  duc  de  Brabant,  dont 
la  plupart  sont  inédits. 

BI.  De  Ram  informe  l'assemblée  que  M.  Goethals-Vercruyce ,  de 
Courtrai ,  lui  a  fait  remettre  une  copie  des  passages  qui  manquent 
dans  le  testament  attribué  à  sainte  Aldegonde,  publié  par  Mirasus, 
Diplom.  Belg. ,  t.  fil,  p.  557  ,  et  Ghesquière ,  Acta  SS.  Belgii 
selecta,  t.  TV,  p.  3o5. 

Il  sera  écrit  à  M.  le  président  du  séminaire  de  Gand,  pour  ob- 
tenir communication  de  la  copie  de  la  chronique  manuscrite  de  Saint- 
Bavon ,  qui  doit  exister  dans  cet  établissement. 

M.  Warnkœnig  lit  la  notice  suivante  : 

Chronique  de  li   Muisis. 

La  suite  de  la  chronique  de  li  Muisis  se  trouve  dans  la  biblio- 
thèque de  mademoiselle  le  Candele  de  Ghyseghem,  à  son  château 
près  d'Alost. 

C'est  un  volume  sur  parchemin,  petit  in-folio  de  60  feuillets 
de  10  pouces  de  long  et  6  de  large  ,  avec  5  vignettes  fond  en  or 
et  coté  n'  362.  Une  main  du  i6^  siècle  a  écrit,  sur  le  feuillet  de 
garde ,  la  note  suivante  : 


HISTOIRE    NATIONALE.  581 

JEgidii  li  Muisis ,  monasterii  sancti  Martini  Tornacensis  ab- 
hatis  XVII ,  tractatus  de  accidentibuf!  anni  MCCCXLIX , 
anni  CCCL,  LI,  LU  (i),  in  quo  continetur  prolixa  narratio 
de  destructione  Judœorum ,  de  secta  flagellantium  ac  de  ingenti 
mortalitate  quce  Tornaci  tum  temporis  et  in  cûris  circumvicinis 
per  totum  viguerat  mundiim  ,  deque  aliis  pluribus  eventibus.  Ac- 
cedit  abbatum  hujus  cœnobii  a  primo  usque  ad  decimum  sextum 
séries  rythniice  deducta. 

L'écriture  de  ce  manuscrit  est  beaucoup  moins  belle  que  celle  du 
manuscrit  appartenant  à  M.  Goethals  de  Courtrai.  La  copie  a  été 
faite  par  ordre  de  li  Muisis  lui-même ,  mais  d'une  autre  main  que 
ce  dernier  manuscrit,  écrit  également  sous  ses  yeux  par  un  calli- 
graplie  habile.  A  la  première  page  du  manuscrit  de  Ghyseghem,  li 
Muisis  parle  de  sa  chronique  en  ces  termes  : 

Ego  liumilis  abbas  monasterii  sancti  3Iartini  Tornacensis  or- 
dinis  sancti  Benedicti  ,  decimus  septimus  post  restauraiionem 
cœnobii,  postquam  déstructura  fuit  a  J^Vandalis  et  Normanis» 
considerans  in  anno  MCCCXLIX  post  festnm  omnium  sanc- 
torum ,  quod  est  in  capite  mensis  novembris ,  quod  terminus  ille 
erat  annus  sexagesimus  completus  ,  quo  fueram  monachus  in 
dicta  cœnobio ,  et  annus  septuagesimus  cetatis  meœ  et  XT^III 
promotionis  meœ  in  abbatem ,  librum  scribi  feceram  in  quo  con- 
tinentur ,  etc. 

Il  dit  ensuite  qu'il  a  rassemblé  et  classé  les  faits ,  et  qu'il  a  fait 
copier  le  tout  :  compilaveram ,  ordinaveram  ,  et  scribi  feceram. 

Il  résulte  de  cette  notice  qui  li  Muisis  est  né  l'an   12^9  ; 

Qu'il  est  entré  au  monastère  l'an   1289  ,   à  l'âge  de  dix  ans  ; 

Qu'on  l'a  nommé  abbé  l'an   i33i  ,  à  l'âge  de  52  ans; 

Et  qu'il  -vivait  encore  en   i352,  où  il  avait  -^4  ''"s- 

Il  nous  raconte  dans  cette  même  préface  qu'il  avait  eu  pour  ami 
intime  le  magister  Jean  de  Harlebeke ,  très-versé  dans  l'astrologie 
et  néanmoins  très-catholique,  qui,  l'an  1298,  lors  de  la  guerre 
entre  le  comte  Guy  de  Flandre  et  le  roi  Philippc-le-Gros,  lui  avait 


(i)   Nelis  se  trompe  donc  en  déclarant  que  la  chronique  finit  en  i3f)i 
luiiiée  de  la  mort  tic  li  Muisis. 

(  De  Reiffenberg.  ) 


582  HISTOIRE    NATIONALE. 

fait  des  pronostics  jusqu'à  l'an  1349,  auxquels  li  Sluisis  n'avait  pas 
ajouté  foi ,  quoiqu'ils  se  soient  réalisés  par  la  suite. 

Cette  continuation  de  la  chronique  de  li  Muisis  est  une  espèce 
de  journal  anecdotique  ,  dans  lequel  les  récits  historiques  étendus 
sont  entremêlés  d'un  grand  nombre  d'historiettes.  Il  y  a ,  en  outre» 
des  poèmes  qui  forment  à  peu  près  la  moitié  de  l'ouvrage  :  par 
exemple,  un  sur  le  pape  Clément  VI.  La  destruction  des  juifs  par 
le  feu  ,  l'histoire  des  flagellans  et  des  caravanes  qui  arrivèrent  par 
200 ,  400 ,  5oo  personnes  de  toutes  les  parties  de  la  Flandre ,  de 
la  Hollande  et  d'ailleurs  à  Tournay ,  pour  faire  pénitence,  ainsi 
que  le  siège  de  Calais  par  les  Anglais  (  p.  59  et  suiv.  ) ,  sont  lon- 
guement racontés. 

On  voit ,  par  les  fréquens  pronostics  rapportés  dans  le  livre ,  que 
le  chroniqueur  était  fort  superstitieux.  Il  en  cite  entre  autres  d'un 
certain  Johannes  de  Mûris  (  fol.  35)  (i).  En  parcourant  le  vo- 
lume ,  nous  avons  rencontré  quelques  observations  dignes  d'être 
annotées  : 

Par  exemple,  en  parlant  du  peuple  flamand,  page  20,  il  dit  : 
Flandriœ  populus  est  capitosus  et  mutabilis  ;  tamen  Cornes  toto 
iùlo  tempore  est  dominât  us  ;  et  de  textoribus  et  fuilonibus  et  aliis , 
qui  in  guerris  maie  se  gesserant ,  facta  est  justitia  non  modica 
publica  et  privata  ,  secundum  quod  audivi  a  pluribus  fide 
diffnis. 

o 

L'an  i35o,  tout  était  fort  cher  à  cause  de  l'altération  de  la  mon- 
naie. Li  Muisis  dit  : 

Masuria  bladi  vendebatur  XX  solidorum  debilis  monetce  ,  et 
vinum  duobus  solidis. 

Et  omnia  cara  erant  propter  monetam  debilem. 

M.  de  Reiffenberg  fait  observer  que  Jesn  Cousin ,  en  son  histoire 
de  Tournay,  publiée  i'an   1620  ,  cite  les  chroniques  de  li  Muisis  , 


(1)  C'était  peut-être  le  docteur  de  Sorbonne  ,  chanoine  de  Téglise  de 
Paris  ,  conteaiparain  de  li  Muisis  et  qui  est  considère  comme  Tun  des 
restaurateurs  de  la  musique.  II  s'était  aussi  beaucoup  occupé  des  ma- 
thématiques avec  lesquelles  l'astrologie  avait  alors  d'étroites  liaisons. 

(  Idem.) 


HISTOiaE    NATJONALE.  583 

t.  I,  p.  60  ,  68,  80  ,  84,  87  ,  94  ,  96,  98,  100,  101 ,  io5  ,  106, 
ii4;  et  que  Sandëius  ,  dans  sa  Bibl.  mari.  Belgii,  en  parlant  de 
la  bibliothèque  de  St. -Martin  de  Tournay  ,  donne  les  indications 
suivantes,   t.  I,  p.    128  : 

5g.  Liber  primus  chronicorum  jEgidii  li  M  assis  (  li  Muisis  ), 
ahbaf.is  ILVII  hujus  cœnobii  post  resfaurationeni. 

60.  Liber  secundus  chronicorum  jiEgidii  li  Mussis  cum  figuris 
elegantibus. 

61.  Liber  lamentationum  JEgidii  li  Mussis  .^  gallico  idiomate. 
La  seconde  édition  de  la  Bibliothèque  historique  de  la  France 

porte  :  8G3i  MS,  De  vita  et  obitu  Andreœ  Ghin  de  Florentia 
et  Joannis  de  Pralis ,  auctore  j^gidio  li  Musis ,  abbate  S.-Mar- 
tini  Tornacensis. 

Avec  cette  note  : 

Cette  vie  est  citée  par  Valère  André  dans  sa  Bibliothèque  des 
Flandres  (sic).  André  Ghiu  est  mort  en  i342  ,  Jean  des  Prez 
en   1349,  et  li  Muisis  en  i353. 

12,634  ^^^'  Catalogus  antistiturn  cœnobii  Martiniani  ,  usque 
ad  annum  i35o,  rilhmo  latino  et  gallico  ,  auctore  jEgidio  li 
Musis ,  hujus  cœnobii  abbate. 

Avec  celte  note  : 

«  Ce  catalogue  est  cité  par  Valère  André  dans  sa  Bibliothèque 
des  Flandres,  Cet  abbé  est  mort  en  i353.  » 

17,020  MS.  Libri  duo  chronicorum  yEgidii  li  Musis  (  siue 
Musii)^  abbatis  X.V11  cœn.  Tornac.  post  restaurationem ,  ab 
anno  972  ad  annum  i348.  (  On  a  vu  tout-à-l'heure  que  ces  chro- 
niques vont  jusqu'en  i352.) 

Avec  cette  note  : 

«  Cette  chronique  est  conservée  dans  la  bibliothèque  de  ce  mo- 
nastère, selon  Sanderus  ,  1. 1  de  sa  Bibl.  des  MSS.  belg. ,  p.  128. 
Elle  (était)  aussi  dans  la  bibliothèque  de  M.  Colbert  ,  n°  6994 
(d'où  elle  a  passe  à  celle  du  roi).  L'auteur  est  mort  en  i353.  Il 
rapporte  beaucoup  de  choses  depuis  le  temps  de  St. -Louis  jusqu'en 
i35o  (et  sur  le  titre  on  dit  qu'il  s'arrête  en  i348)!  qui  regardent 
les  affaires  de  France  et  de  Flandres.  « 

M.  de  Reiiïenberg  rappelle  aussi  que  le  savant  Bre'quigny  a  in- 
sère' un  extrait  très-intéressant  de  la  chronique  de  li  Muisis  ,  d'à- 


584  HISTOIRE    NATIONALE. 

près  le  manuscrit  de  Colbert,  dans  les  Notices  et  extraits  des 
manuscrits  de  la  bibliothèque  du  roi  (lySg),  t.  II ,  p.  -ziS  et 
23o ,  et  que  M.  Delpierre  de  Bruges  vient  d'en  traduire  une  partie 
dans  ses  Chroniques  ,  traditions  et  légendes. 

Ces  observations  terminées  ,  M.  Warnkœnig  présente  des  ren- 
seignemens  sur  d'autres  MSS.  qu'il  a  examinés  chez  mademoiselle 
le  Candele,  oîi  il  s'était  rendu  avec  MM.  de  Gerlache  et  Wiliems, 
sur  l'invitation  de  M.  le  ministre  de  lintérieur. 

Le  manuscrit  n°  4^9  >  ccrit  au  iS*"  siècle,  contient  les  généalo- 
gies des  ducs  de  Brabant  et  des  comtes  de  Flandre. 

Celle-ci  se  trouve  aux   dix  derniers  feuillets  intitulés  : 

Catalogus  ac  genealogia  forestariorum ,  principum  et  comitum 
Flandriœ. 

Elle  finit  l'an   i43i   avec  Philippe-le-Bon. 

L'histoire  fabuleuse  est ,  au  commencement ,  mêlée  avec  les  faits 
historiques  :  on  rencontre  de  temps  en  temps  des  arbres  généa- 
logiques. 

Le  manuscrit  n"  366  contient  une  histoire  du  pays  et  de  la  ville 
d'Alost.  Elle  est  rédigée  sans  critique  et  sans  citation  des  sources  : 
écrit  en  1770. 

On  lit  à  la  fin  du  manuscrit  les  phrases  suivantes  : 

Hœc  comitatus  urbisque  Alostanœ  chronica  ,  lector  amantis- 
sîme ,  ex  veterrimo  vitiosoque  epitome  in  urbis  Bruxellensis  ra- 
iiocinario  nuper  reperto ,  sedulo  in  quantum  valui  descripsi , 
animo  ;  et  quoniam  chartam  adeo  inquinatam  reperi 

Alosti  ^    18  januarii    1770. 

/.  B.  t'Kint  Alostanus ,    1770. 

N"  84.  Cy  commencent  les  chroniques  de  France  :  cy  com- 
mencent les  chroniques  d^ Angleterre.  La  déclaration  du  droit 
que  les  Anglais  prétendent  au  royaume  de  France.  In-folio  , 
i5®  siècle. 

N°  363.  Une  chronique  de  Flandre  ,  inédite  jusqu'en  i^^i. 

N°  3g  I.  Description  de  la  Flandre  gallicant ,  par  Godefroi. 

N°  385.  TVetlen  van  Brushe  :  annales  des  bourgmestres  et 
échevins  de  Bruges,  très-bien  écrites,  avec  les  armes  dessinées. 


HISTOIRE    NATIONALE.  585 

MANUSCRITS    DE    MM.     HOLVOET    ET    VERMEIRE. 

M.  Warnkœnig  s'est  occupé  également  des  manuscrits  communi- 
qués à  la  commission  par  MM.  Holvoet  et  Vermeire  de  Bruges. 

Le  premier  est  une  copie  faite  au  iG*'  siècle  de  la  chronique  du 
monastère  de  Saint-André  de  Bruges.  Cette  chronique ,  qui  a  pour 
auteur  un  moine  de  Saint-André  nommé  Goethals  ,  a  déjà  fixé  en 
1829  l'attention  de  M.  Van  Praet,  qui  en  a  traduit  un  extrait  à  la 
suite  de  son  ouvrage  sur  l'origine  des  communes  flamandes,  p.  83. 
M.  Warnkœnig  avait  aussi  examiné  l'original  en  i832.  Cette  chro- 
nique doit  être  publiée  dans  une  collection  des  chroniques  de  Flan- 
dres. Une  copie  de  l'original  se  fait  dans  ce  moment  à  Bruges,  et 
on  y  comparera  le  manuscrit  de  M.  Holvoet  pour  voir  s'il  s'y  trouve 
quelques  additions  intéressantes. 

Le  commencement  de  cette  chronique  est  surtout  curieux  ;  l'au- 
teur raconte  avec  beaucoup  de  détails  l'insurrection  des  moines  de 
Saint-André ,  alors  soumis  à  l'abbaye  d^AfïIighem ,  et  leur  affran- 
chissement de  cette  dernière. 

Il  y  a  en  outre  plusieurs  chartes  des  comtes  de  Flandre  du  i3^ 
siècle  insérées  dans  le  récit  historique,  et  qui  n'existent  plus  : 

Par  exemple ,  une  sur  les  écJievins  de  Flandre  ,  institution  qui 
n'est  mentionnée  chez  aucun  auteur  ,  et  que  M.  Warnkœnig  a  ex- 
pliquée dans  son  Histoire  politique  et  législative  de  la  Flandre 
au  moyen-âge ,  qui  vient  d'être  publiée. 

Le  manuscrit  communiqué  par  M.  Vermeire  est  un  vrai  trésor 
pour  l'histoire  de  Flandre  au  moyen  âge.  Il  est  écrit  vers  1422  et 
contient  la  chronique  des  comtes,  mais  plus  complète  qu'aucune 
autre  connue  jusqu'à  présent. 

Il  renferme  d'abord  tout  au  long  l'histoire  fabuleuse  des  temps 
les  plus  anciens  ,  comme  le  manuscrit  trouvé  par  M.  Warnkœnig 
à  Lille. 

Ensuite  la  chronique  se  continue  depuis  l'an  i347  ?  °^  ^^  partie 
imprime'e  par  les  Bénédictins  cesse ,  jusqu'à  l'an  \^ii\  cette  suite 
forme  21  pages  en  petit  in-folio,  écriture  très-serrée. 

Toute  l'histoire  de  la  Flandre  sous  Philippe  d'Artevelde  y  est 
racontée. 

M.  Warnkœnig  a  fait  copier  sous  sa  direction  celle  partie  de  la 


586  HISTOIRE    NATIONALE. 

chronique.  Malheureusement  l'e'criture  est  si  difficile  à  déchiffrer 
qu'il  a  dû  laisser  quelques  lacunes  ,  qu'on  remplira  sans  doule  à 
l'aide  du  manuscrit  qui  se  trouve  à  Lille. 

M.  Warnkœnig  s'est  convaincu  par  l'étude  du  manuscrit  que 
la  suite  de  la  chronique  a  été  faite  à  Bruges  et  qu'elle  a  servi  à 
Custis ,  qui  l'a  souvent  textuellement  traduite  dans  ses  Annales 
de  Bruges. 

M.  Warnkœnig  avait  été  chargé  de  rendre  compte  du  catalo- 
gue des  manuscrits  de  la  bibliothèque  de  l'Université  et  de  la  ville 
de  Gand. 

Il  y  a  long-temps  qu'il  avait  examiné  les  manuscrits  de  cette  bi- 
bliothèque ,  qui  sont  relatifs  à  l'histoire  de  Flandre.  (  Il  n'y  a  guère 
d'autres  manuscrits  historiques.  ) 

Il  en  a  même  de'crit  quelques-uns  dans  l'introduction  littéraire 
de  son  Histoire  politique  et  législative  de  la  Flandre  au  moyen- 
âge  /  notamment  ceux-ci  : 

Le  numéro  2i3,  exécuté  à  la  fin  du  g^  siècle  ,  contient  la  vie 
de  saint  Amand  ,  fondateur  des  couvens  de  Saint-Bavon  et  de 
Saint-Pierre  à  Gand  ;  on  l'a  imprimé  dans  les  Acta  sanctorum 
et  dans  le  recueil  de  Ghesquière ,  mais  plusieurs  morceaux  n'ont 
pas  ëlé  publiés. 

M.  Pertz  a  jugé  les  petites  Annales  de  Saint-Amand ,  qui  se 
trouvent  dans  ce  manuscrit ,  dignes  d'être  insérées  dans  la  belle 
collection  des  Monumenta  Germaniœ  historice ,  t.  II,  p.  184. 

Le  numéro  210,  écrit  vers  l'an  ioi4>  contient  la  vie  et  les  mi- 
racles de  saint  Bavon;  on  y  trouve  des  renseignemens  très-précieux 
sur  l'état  des  personnes  et  sur  les  mœurs;  on  l'a  continué  jusqu'à 
!oi4-  Il  fournit  quelques  variantes  notables  :  par  exemple,  fol.  33, 
le  mot  Dani  pour  clam ,  que  les  Bollandisîes  avaient  lu  dans  un 
passage  sur  l'invasion  des  Normands. 

M.  Warnkœnig  s'est  assuré  que  plusieurs  parties  de  ces  légendes 
ne  sont  pas  reproduites  même  chez  Ghesquière,  qui  semble  avoir 
connu  le  manuscrit. 

Le  numéro  10  contient  une  chronique  de  Saint-Bavon  qui  finit 
en  i34o,  avec  des  additions  de  i345,  «349,  i35o;  M.  Pertz  l'a 
également  publiée  dans  son  recueil ,  t.  II ,  p.  i85.  Elle  est  tirée 
de  la  grande  chronique  de  Saint-Bavon,  et  sera  insérée  dans  noire 


HISTOIRE    NATIONALE.  587 

collection  avec  les  corrections  de  quelques  inexactitudes,  et  les  va- 
riantes tirées  d'un  autre  manuscrit  de  la  même  chronique  qui  se 
trouve  aux  archives  provinciales  a  Gand. 

N°  i5i.  Designé  comme  un  recueil  astrologique  au  catalogue  , 
p.  3,5 ,  et  par  dom  Bertliod  dans  sa  notice  manuscrite  sur  les  ma- 
nuscrits de  Belgique. 

Cet  ouvrage  ,  de  3oo  feuillets  grand  in-folio,  e'crit  vers  1120, 
n'est  autre  que  le  Liber  flnridus  de  l'ancienne  abbaye  de  Saint- 
Bavon  ,  contenant  près  de  1 5o  traite's  différens  sur  tout  le  savoir 
humain.  C'e'tait  1  encyclopédie  de  l'abbaye,  composé  par  un  certain 
Lambertus  Onulphi  filius ,  chanoine  de  Saint-Omer. 

Il  est  mentionné  avec  éloge  dans  plusieurs  autres  manuscrits  du 
treizième  siècle,  et  même  par  Custis. 

11  contient  beaucoup  d'ouvrages  historiques  tels  que  la  chronique 
des  Normands  et  de  leurs  invasions  ,  et  le  plan  avec  un  texte  de 
la  petite  chronique  des  comtes  des  Flandres  ,  le  tout  enrichi  de 
quelques  copies  des  documens  du  temps.  M.  Warnkœnig  a  publié 
ce  morceau  dans  l'appendice  diplomatique  de  son  Histoire  politique 
et  législative  de  la  Flandre  au  moyen-âge. 

Le  Liber  Jloridus  a  été  souvent  extrait;  il  s'en  trouve  quelques 
fragmens  à  la  bibliothèque  de  Wolfenbuttel.  Il  mérite  d'être  exa- 
miné à  fond,  non-seulement  par  ceux  qui  s'occupent  d'histoire  po- 
litique ,  mais  encore  par  les  amateurs  de  1  histoire  des  sciences  et 
des  arts  :  par  exemple  ,  de  l'astronomie  ,  de  la  philosophie  ,  même 
de  la  musique. 

Les  numéros  217  ,  220,  221  ,  222  et  223,  sont  encore  des  ma- 
nuscrits relatifs  à  l'histoire  des  14",  iS"  et  16^  siècles  :  quelques- 
uns  sont  imprimés ,  comme  le  n°  222  ,  manuscrit  autographe  du 
père  Dejonghe  ,   Gentsche  gescJiiedenissen  (i  566-1 585). 

Sous  le  n  224  se  trouve  une  lettre  de  Philippe  d'Artevtlde  écrite 
aux  commissaires  du  roi  de  France,  Charles  VI  ,  l'an  i38o,  peu 
de  temps  avant  la  bataille  de  Rosebeque. 

Dans  le  supple'ment  du  catalogue  ,  il  ne  se  trouve  pas  de  ma- 
nuscrits importans  pour  l'histoire  belgique ,  sauf  les  numéros  120, 
54  et  237. 

M.  de  Pieifï'cnberg  s'explique ,  à  son  tour ,   eu  ces  termes  : 

Le  manuscrit  de  M.  Vermeire  ,  que  je  me  suis  chargé  d'exami- 


688  HISTOIRE    NATIONALE. 

ner ,  est  un  recueil  de  pièces  diverses  dëjk  connues  ,  sur  papier  et 
à  deux  colonnes,  copié  pour  Gilles  Appelmau,  curé  de  Ligny,  par 
Gilles  de  Aspelair  ,  et  achevé  vers  la  fin  du  mois  de  mars  1472. 
Il  renferme  : 

1°  Un  traité  de  théologie  mystique  par  Jacohus  de   Theranio. 

1°  Un  long  extrait  de  la  vie  de  Charlemagne  par  le  Faux-Turpin, 
écrivain  en  faveur  de  qui  M.  Villenave  a  dernièrement  re'veillé 
l'attention  ,  et  dont  M.  le  prince  d  Essling  se  propose  de  faire  pu- 
blier une  traduction  ancienne,  tandis  que  mon  savant  confrère  à  la 
société  des  bibliophiles  français  ,  M.  de  Monmerqué ,  prépare  une 
édition  du  texte  même. 

3°  Un  discours  De  excellentia  sanctœ  Aquensis  ecclesiœ ,  qui 
se  retrouve  dans  A.  Thymo  et  dans  le  recueil  diplomatique  d'Au- 
bert  le  Mire,  Donation  pianj,m  ,  p.    i4,  mais  sans  le  pre'ambule. 

4°  Deux  chapitres  intitules  :  Genealogia  regum  Francorum  et 
De  regibus  Francorum  :  morceaux  sans  importance. 

5°  Liber  Methodii  martyris. 

6°  Lettre  écrite  par  l'empereur  Constantin ,  quatre  ans  avant  la 
croisade,  à  toutes  les  églises  d'Occident,  avec  d'autres  extraits  re- 
latifs à  Pierre  l'Ermite  et  aux  expe'ditions  d'outre-mer. 

^^  Le  livre,  plusieurs  fois  imprimé,  de  Brocard  ou  Burcard  , 
dominicain  ;  livre  traduit  en  français  ,  pour  le  duc  de  Bourgogne 
Philippe-le-Bon  ,  par  Jean  Mielot,  chanoine  de  Lille,  en  Flandre. 

8°  Une  courte  succession  des  comtes  de  Flandre,  depuis  Lideric, 
le  forestier,  jusqu'à  l^an  1293. 

g'  Directorium  ad  passagium  faciendum  in  terram  •  sanctam 
per  christianissimum  Francorum  regem. 

10°  Des  notes  historiques  qui  n'apprennent  rien  de  nouveau. 

11°  L'itinéraire  de  Mandeville  ,  publié  en  plusieurs  langues. 

12"  Quelques  vers  et  extraits  du  livre  des  Propriétés  des  choses 
de  Barthélemi  de  Glanville,  et  des  Annales  de  Jacques  de  Guyse. 
Parmi  les  vers  j'ai  remarqué  ceux-ci  qui  expriment  le  prix  de  cer- 
taines denrées  en  1468  : 

Très  gheltas  olei ,  vini  de  meliori 
Et  très  mensuras  frugum  sextaria  dictas 
Vendi  pro  sola  vidit  Bruxella  corona 
Ecclesiam  Paulus  dum  rexit  papa  secundus. 


HISTOIRE    NATIONALE.  589 

Il  résulte  de  cet  examen  que  ce  manuscrit  ne  peut  être  utile  à  la 
commission  ;  mais  M.  Vermeire  n'en  mérite  pas  moins  de  recon- 
naissance pour  l'avoir  communiqué. 

Au  nom  de  M.  André  Fryxcll ,  professeur  à  Stockholm  ,  M.  de 
Reiffenberg  demande  à  la  commission  s'il  ne  lui  serait  pas  possible 
de  fournir  quelques  renseignemens  sur  des  manuscrits  historiques, 
très-précieux ,  apportes  autrefois  en  Belgique  par  des  prélats  ca- 
tholiques suédois  ,  qui  avaient  quitte'  leur  pays  au  commencement 
de  la  réforme  ;  savoir  :  les  archevêques  Gustave  Troll  et  Jean 
Magnus,  et  levêque  Brask.  On  sait  que  Troll  était  à  Anvers  en 
i53o.  Le  gouvernement  sue'dois  attache  beaucoup  d'importance  à 
recouvrer  ces  manuscrits,  soit  en  original,  soit  en  copie,  et  M.Fryxell 
compte  sur  la  sympathie  des  savans  de  la  Belgique  pour  l'e'clairer 
dans  ses  perquisitions. 

Il  est  décidé  que ,  dès  que  les  caractères  de  M.  Hayez  seront 
fondus ,  on  mettra  sous  presse  A.  Thyrao  ,  Philippe  Mousque  et 
Van  Heelu. 

La  précipitation  avec  laquelle  doit  nécessairement  s'imprimer  un 
journal  quotidien,  ayant  été  cause  que  plusieurs  fautes  typographi- 
ques se  sont  glissées  dans  le  compte  rendu  des  quatre  premières 
se'ances,  un  errata  devient  indispensable. 

Page  461 ,  ligne  i  ,   1681  ,  Usez  :   i58i. 

Pag.  462  ,  lig.  28,  fait,  lisez  :  feit. 

Ibid.   lig.  39,  Paris,  Wsci:  Pavie. 

Pag.  466  ,  lig.  7  et  10,  Schvenemann  ,  lisez  :  Schenemann. 

Pag.  467.  Le  manuscrit  n°  769  n'est  pas  à  Lille,  mais  à  Saint- 
Omer. 

Pag.  4%  ,  lig.  4  >  Warim ,  lisez  :  JVurinc. 

Pag.  470,  lig.  9,  Sterman ,  lisez  :  Herman. 

La  prochaine  séance  est  fixée  au  3^  vendredi  de  janvier  i835. 

Pour  extraits  conformes; 
Le  secrétaire  :  Baron  de  Reiffenberg. 


590 


%fW\'W<./VV\  VV«'W\/VV\'V^/%v^AW«lVV\^AA 


MÉLANGES.  —  Décembre  1834. 

Notice  de  S.  E.  le  card.  Zurla.  —  It.  de  Mgr.  fFhitfield ,  archevêque 
de  Baltimore.  —  Nouv.  édition  du  Lexique  latin  de  Facciolati  par 
Forcellini.  —  Notice  de  M.  Marien  Bedetli.  —  Economie  politique 
par  le  vicomte  Alban  de  Villeneuve.  —  Adhésion  du  comte  de  Mon- 
talembert  aux  Encycliques  de  SS.  Grégoire  XVI,  —  Notice  sur  le 
Prieuré  de  Solesmes. 

S.  E.  le  cardinal  Zurla  est  mort  inopine'ment  à  Palermc  le  29  oc- 
tobre dernier.  M,  Placide  Zurla  e'tait  né  d'une  famille  noble  le 
2  avril  1769,  à  Legnago ,  dans  l'état  de  Venise,  et  entra  dès  sa 
jeunesse  dans  l'ordre  des  catnaldules.  II  habitait  le  couvent  de  Saint- 
Michel  de  Murano  à  Venise.  Son  Enchiridion  tJiéologique ,  ses 
éclaircissemens  de  la  mappe-monde  du  camaldule  Maur,  et  surtout 
ses  dissertations  sur  Marco  Polo  et  sur  les  plus  fameux  navigateurs 
vénitiens  lui  avaient  fait  de  la  réputation  dans  le  monde  littéraire. 
Devenu  abbé  de  sa  congrégation,  il  se  rendit  à  Rome  en  1821  ,  et 
Pie  VII  le  nomma  préfet  des  études  au  collège  de  la  Propagande. 
En  1823,  ce  Pontife  le  décora  de  la  pourpre,  et  Léon  XII  le  fit 
vicaire  de  Rome.  Pie  VIII  lui  confia  la  préfecture  de  la  congréga- 
tion des  études.  Le  cardinal  Zurla  était  général  des  camaldules.  Au 
mois  de  juin  dernier  ,  il  lut  à  l'académie  romaine  d'arche'ologie  une 
dissertation  qui  fut  depuis  rendue  publique ,  sur  le  groupe  de  la 
Piété  et  sur  les  autres  sujets  religieux  exécutés  par  Canova  II  ve- 
nait d'entreprendre  un  voyage  en  Sicile  pour  y  étudier  les  restes 
d'antiquités  qui  abondent  dans  cette  île ,  lorsqu'il  fut  frappé  à  Pa- 
lerme  du  coup  qui  l'a  enlevé.  La  religion  et  les  lettres  perdent  en 
lui  un  de  leurs  ornemens.  —  U Ami  de  la  Religion,  n°  234i. 

—  S.  Em.  le  cardinal  Joseph  Albani,  premier  diacre  de  Sainte- 
Marie  in  via  latâ,  bibliothécaire  de  la  sainte  Eglise  ,  secrétaire 
des  brefs  et  légat  d'Urbin  et  Pesaro  ,  est  mort  à  Pesaro  le  3  décem- 
bre après  une  longue  maladie  qu'il  a  supportée  avec  courage,  et 
après  avoir  reçu  avec  piété  tous  les  secours  de  la  religion.  II  était 


MÉLANGES.  591 

né  à  Rome,  le  i3  septembre  l'jSo  ,  de  i'illustre  famille  qui  a  donné 
à  l'Eglise  Cle'ment  XI ,  et  les  cardinaux  Annibal ,  Alexandre  et 
Jean-François  Albani.  Son  père  était  le  prince  Horace  âlbani ,  et  sa 
mère  était  de  la  maison  des  princes  de  Massa-Carrara.  Le  jeune 
Joseph  entra  dans  la  carrière  ecclésiastique  et  occupa  différentes 
places  dans  la  prélature.  Il  était  auditeur  général  de  la  chambre  lors- 
quePie  Ville  déclara  cardinal  dans  le  consistoire  du  23  février  1801. 
Pendant  les  troubles  de  l'Eglise  en  1809,  le  cardinal  Albani  par- 
tagea les  disgrâces  de  ses  collègues.  Il  fut  obligé  de  venir  en  France 
et  d'y  résider  quelques  années.  Pie  VII  l'avait  nommé  préfet  du 
bon  gouvernement ,  Léon  XII  le  fit  secrétaire  des  brefs  et  légat  à 
Bologne.  Pie  VIII  le  choisit  pour  secrétaire  d'état ,  et  le  Pape  ac- 
tuel l'envoya  commissaire  extraordinaire  dans  les  légations  de  Bo- 
logne ,  Ferrare ,  Ravenne  et  Forli ,  sans  lui  ôter  la  légation  d'Urbin 
et  Pesaro.  Le  cardinal  était  protecteur  de  la  nation  autrichienne  et 
des  états  du  roi  de  Sardaigne.  Le  Saint-Père  a  nommé  M.  le  car- 
dinal Riario  Sforza  à  la  légation  d  Urbin  et  Pesaro.  —  Id.  n°  2354. 

—  Mgr.  Jacques  Whitfield ,  archevêque  de  Baltimore,  dont  nous 
avons  annoncé  la  mort,  était  né  le  3  novembre  1770  à  Liverpool, 
en  Angleterre.  Son  père  y  faisait  le  commerce  et  lui  procura  les 
avantages  d'une  bonne  éducation.  A  l'âge  de  dix-sept  ans,  le  jeune 
Whitfield  perdit  son  père.  Il  accompagna  sa  mère  en  Italie  où  elle 
était  allée  pour  se  distraire  de  sa  douleur  et  rétablir  sa  santé.  A  son 
retour  de  l'Italie,  où  il  s'était  occupé  quelque  temps  d'intérêts  de 
commerce ,  il  se  trouva  en  France  h  l'époque  où  Napoléon  décréta 
que  tout  Anglais  qui  était  en  France  serait  prisonnier.  Il  passa  la 
plus  grande  partie  de  son  exil  à  Lyon,  où  il  fit  la  connaissance 
de  M.  Maréchal,  depuis  archevêque  de  Baltimore,  et  alors  profes- 
seur de  théologie  au  séminaire  de  Lyon.  La  piété  du  jeune  W^hitfield 
le  porta  à  entrer  dans  l'état  ecclésiastique,  et  il  commença  l'étude 
de  la  théologie  sous  la  direction  de  l'habile  et  vertueux  directeur. 
Son  jugement ,  sa  pénétration ,  son  assiduité  au  travail  le  firent  re- 
marquer dans  ses  études.  En  1809,  il  fut  ordonné  prêtre  à  Lyon. 
Après  la  mort  de  sa  mère  ,  il  retourna  en  Angleterre  et  remplit  les 
fonctions  pastorales  à  Crosby.  M.  Maréchal  étant  devenu  archevêque 
de  Baltimore,  écrivit  à  M.  Whitfield  pour  l'engager  à  venir  le  se- 


592  MéL  ANGES. 

conder  dans  ses  travaux.  M.  Whitfield  céda  à  ses  instances  ,  et 
arriva  aux  Etats-Unis  le  8  septembre  1817.  Attaché  presque  aussitôt 
à  l'église  St. -Pierre  de  Baltimore,  il  remplissait  les  fonctions  du 
ministère  avec  zèle  et  piété.  En  iSaS,  un  induit  spécial  lui  con- 
féra le  titre  de  docteur  en  théologie  à  Rome.  Son  nom  fut  rais  le 
premier  sur  la  liste  envoyée  au  Saint-Siège  à  la  mort  de  M.  Maré- 
chal pour  le  choix  du  successeur  (i).  M.  Whitfield  fut  adminis- 
trateur pendant  la  vacance,  fut  ensuite  choisi  par  le  Pape  pour  le 
siège  de  Baltimore,  et  fut  sacré  le  jour  de  la  Pentecôte  1828.  C'est 
par  ses  soins  que  furent  tenus  les  deux  conciles  provinciaux  de 
Baltimore  en  1829  et  eu  i833.  Sa  prudence  n'était  pas  moins  grande 
que  sa  sollicitude.  Jouissant  d'une  belle  fortune  ,  il  la  consacrait 
tout  entière  pour  le  bien  de  la  religion.  Sa  cathédrale  éprouva  ses 
libéralités ,  et  l'édifice  de  Saint-Jacques  à  Baltimore  est  la  dernière 
preuve  de  sa  générosité.  On  peut  dire  de  lui  ce  qui  ne  convient 
qu'à  un  petit  nombre,  c'est  qu'entré  riche  dans  la  carrière  des  hon- 
neurs ,  il  en  est  sorti  pauvre.  M.  "Whitfield  voyant  depuis  quelque 
temps  décliner  sa  santé,  avait  demandé  un  coadjuteur  qui  lui  fut 
accordé 3  c'était  M.  Samuel  Eccleston  ,  pieux  ecclésiastique,  qui  a 
été  élevé  en  France  et  qui  était  en  dernier  lieu  président  du  col- 
lège Sainte-Marie  à  Baltimore.  M.  Eccleston  reçut  lé  titre  d'évêque 
de  Termie,  et  fut  sacré  à  Baltimore  le  i4  septembre  dernier  par 
l'archevêque,  assisté  de  M.  l'évêque  de  Boston  et  de  M.  levêque 
d'Arath,  coadjuteur  de  Philadelphie.  M.  Whitfield  était  déjà  très- 
faible  à  cette  époque ,  et  cet  état  de  faiblesse  augmenta  rapidement 
bientôt  après.  Il  s'occupait  cependant  encore  de  ses  affaires.  Le 
7  octobre  il  perdit  l'usage  des  jambes  et  ne  put  plus  sortir  de  son 
lit.  Le  16  octobre  il  reçut  les  derniers  sacremens  des  mains  de  son 
coadjuteur  et  en  présence  de  tout  le  clergé  de  la  ville.  Malgré  sa 
faiblesse,  il  prononça  une  allocution  touchante  et  dont  les  assistans 
furent  émus.  On  lai  appliqua  l'indulgence  à  l'article  de  la  mort. 
Sa  patience  comme  sa  piété  ne  se  démentirent  jamais.  Il  rendit  le 
dernier  soupir  le  dimanche  19,  à  onze  heures  du  matin.  M.  Deluol, 


(i)   V.  la  Notice  de  M.  Maréchal,  dans  ÏÀmi  de  la  Religion,  n»  iS"]^, 
tom.  6i, 


MÉLANGES.  593 

supérieur  du  séminaire,  ne  le  quitta  point  pendant  les  derniers 
jours.  Aux  obsèques,  qui  eurent  lieu  le  21  ,  il  y  avait  un  grand  con- 
cours. M.  Eccleston  officia  et  M,  Deluol  prononça  l'éloge  du  de'funt. 
M.  l'évêque  de  Termie  devient  par  cette  mort  archevêque  en  titre- 
le  prélat  a  eu  trente-trois  ans  le  28  juin  dernier.  Le  diocèse  de 
Baltimore  a  l'espoir  de  le  conserver  long-temps.  Son  mérite  et  sa 
vertu  le  rendaient  bien  digne  d'une  place. si  importante.  —  L'Ami 
de  la  Religion ,  n°  2342. 

—  Lexicon  totius  latinitatis ,  consilio  et  cura  Jacobi  Facciolati  ■ 
operâ  et  studio  jEgidii  Forcellini,  seminarii  Patavini  alumni,  lu- 
cuhratum  ;  in  hac  tertia  editione ,  auclem  et  emendatiim  à  Josepho 
Furlanetto,  ejiisdem  seminarii  alumno.  Patavii ,  typis  seminarii 
1827-1831  (i).  —  Ce  dictionnaire  a  été  reconnu,  dès  l'époque  de 
sa  publication  ,  comme  le  plus  complet  et  le  plus  exact  qui  eût  été 
encore  exécuté,  et  dès-lors  son  mérite  fut  établi.  L'auteur  y  a  con- 
sacré plus  de  cinquante  années  de  travail.  Composé  dans   la  terre 
classique  de  la  latinité,  dans  le  séminaire  de  Padoue ,  école  antique 
et  ce'lèbre ,  à  laquelle  est  attachée  une  imprimerie  d'où  sont  sorties 
beaucoup  d'éditions  estimées   d'auteurs   latins  et  autres ,  il  y  fut 
publié  en  1771  et  réimprimé  en  i8o5.  On  y  trouve  tous  les  mots 
latins  depuis  l'origine  de  la  langue  jusqu'au  8^  siècle ,  leur  étymo- 
logie ,  leurs  différentes  significations  tant  au  propre  qu'au  fi"uié 
établies  par  des  exemples  tirés  des  divers   auteurs  ;  tous  les  noms 
propres  d'hommes,  de  femmes,  de  villes  ,  de  fleuves,  de  monta^aes 
avec  les  adjectifs  qui  en  sont  dérivés.  M,  labbé  Furlanetto,  à  qui 
l'on  doit  la  troisième  édition  que  nous  annonçons,  donna  en  18 16 
une  Appendice  qui  fut  reçue   avec  applaudissement ,  et ,   depuis 
il  n'a  cessé  de  travailler  à  perfectionner  le  travail  de  ses  devanciers. 
Il  a  revu  avec  un  soin  particulier  les  étymologies  ;  ses  additions 
vont  à  cinq  mille  mots,  que  lui  ont  fournis  les  inscriptions  antiques 
les  marbres  trouvés   dans  les   fouilles   entreprises  depuis  soixante 


(i)  Quatre  gros  vol.  grand  in-40  à  deux  col.  ,  (riiiic  exécution  très- 
soignée  ,  ornés  des  portraits  des  trois  auteurs.  Prix  :  1 15  francs.  A  Paris  , 
chez  Adrien  Le  Clere  et  Ce  ,  quai  des  Augustiiis  ,  n.  35. 

T.  X.  41 


594  MÉLANGES. 

ans  ,  les  manuscrits  Palimpsestes  récemment  publie's  ,  et  aussi  une 
étude  plus  approfondie  d'auteurs  mêmes  du  siècle  d'or  de  la  latinité, 
qui  avaient  été  examinés  assez  légèrement  par  Forcellini.  Enfin ,  il 
a  fait  à  l'ouvrage  au  moins  dix  mille  corrections  ;  aussi  cette  nou- 
velle édition  a-t-elle  ete  apcueillie  avec  un  grand  empressement  par 
tous  les  professeurs  et  les  amis  des  lettres. 

—  M.  Marien  Bedetti  ,  archidiacre  d'Ancôue ,  a  été  enlevé  l'an- 
née dernière  à  ce  diocèse.  Il  était  né  à  Ancùne  le  lo  juin  1774- 
Il  y  fit  son  séminaire  et  s'y  distingua  par  ses  succès.  On  lui  confia 
la  chaire  d'éloquence  ;  il  s'appliquait  encore  plus  à  former  les  jeu- 
nes gens  à  la  pieté  qu'aux  lettres.  Le  séminaire  ayant  été  fermé 
en  1798  et  changé  en  caserne,  Bedetti  ne  voulut  cependant  pas 
s'en  éloigner ,  et  attendit  des  temps  plus  heureux.  I!  refusa  des 
postes  avantageux  pour  saisir  l'occasion  de  rouvrir  le  séminaire  , 
et  il  y  parvint  en  effet.  JLes  évèques  d'Ancôae  lui  donnèrent  tous 
des  marques  d'estime  et  des  missions  de  confiance.  L'abbé  Bedetti 
ranima  le  culte  de  saint  Cyriaque ,  patron  d'Ancône,  culte  que  la 
critique  trop  sévère  de  Papebroch  avait  affaibli.  Baroni  et  lui  prou- 
vèrent très-bien  que  le  Saint  avait  élc  évêque  d'Ancône  et  martyr. 
C'est  à  Bedetti  qu'on  dut  le  rétablissement  de  la  collégiale  de  Sainte- 
Marie  et  de  Saint-Roch.  On  érigea  pour  lui  une  chaire  d'histoire 
ecclésiastique  au  séminaire.  En  i83i  ,  il  fut  nommé  archidiacre, 
qui  est  la  première  dignité  de  la  cathédrale.  Ses  occupations  ne 
nuisaient  point  à  sa  piété  ;  on  a  trouvé  dans  ses  papiers  des  réso- 
lutions qu'il  avait  prises  pour  s'exciter  à  la  perfection.  Son  zèle  pour 
la  conversion  des  juifs  trouvait  à  s'exercer  dans  une  ville  où  ils 
sont  nombreux.  Ses  inclinations  droites,  ses  senlimens  honorables, 
son  désintéressement,  sa  modestie,  sa  charité,  sa  douceur,  tout 
avait  contribué  à  lui  procurer  de  nombreux  amis.  Il  était  fort  lié 
entr'autres  avec  le  pieux  et  savant  abbé  Baraldi ,  et  il  a  inséré  plu- 
sieurs articles  dans  ses  Mémoires  de  religion  et  de  litlérature.  On 
a  de  lui  en  outre  des  épigraphes  latines ,  des  leçons  sur  ce  genre , 
un  cours  d'histoire  ecclésiastique  ,  des  opuscules  religieux  et  litté- 
raires. Il  serait  à  désirer  que  l'on  s'occupât  de  l'impression  de  son 
histoire  ecclésiastique  qu'il  a  laissée  à  la  disposition  de  son  évêque. 
Sa   dernière  maladie  a  fait  éclater  ses  sentimens  vifs  de  foi  et  de 


MÉLANGES.  595 

pieté.  Quand  on  lui  annonça  le  viatique,  il  s'écria  :  Lœtatus  sum 
in  his  quœ  dicta  sunt  milii.  W  adressa  des  choses  touchantes  à  tous 
ceux  qui  étaient  prësens,  et  mourut  la  nuit  du  16  au  17  juillet  i833. 
Une  notice  a  paru  sur  lui  dans  la  Continuation  des  Mémoires  de 
religion,  de  Modèue;  elle  est  de  M.  Peruzzi ,  chanoine  de  Feriare 
et  pre'sident  de  l'université'  de  cette  ville. 

—  Economie  politique  chrétienne ,  ou  Recherches  sur  la  nature 
et  les  causes  du  paupérisme  en  France  et  en  Europe,  et  les  moyens 
de  le  soulager  elle  prévenir ,  par  le  vicomte  Alban  de  Villeneuve, 
ancien  conseiller  d'e'tat  et  ancien  préfet.  —  Cet  ouvrage,  composé 
dans  un  excellent  esprit,  a  sur  les  ouvrages  du  même  genre  des 
avantages  incontestables.  Il  est  le  fruit  d'une  longue  expe'rience  ; 
son  auteur  était  dans  la  position  la  plus  favorable  pour  observer  les 
faits  sur  lesquels  il  appuie  constamment  ses  raisonnemens.  Il  est 
d'une  impartialité'  qui  doit  dissiper  les  pre'ventions  chez  les  per- 
sonnes les  plus  faciles  à  eu  concevoir.  Les  ecclésiastiques  trouveront 
en  lui  un  homme  religieux ,  cl  la  lecture  de  son  livre  est  d'autant 
plus  propre  à  inspirer  les  sentimens  dont  il  est  lui- même  animé, 
qu  il  ne  fait  nulle  part  une  apologie  directe  de  la  religion.  Le  triomphe 
de  celle-ci  est  toujours  la  conséquence  nécessaire  de  1  impuissance 
des  théories  philosophiques  qui  lui  sont  opposées. 

Les  questions  auxquelles  touche  l'écrit  de  M.  de  Villeneuve  sont 
les  plus  hautes  et  les  plus  étendues  dont  l'homme  d'état,  le  prêtre, 
l'administrateur  puissent  s'occuper.  Religion,  philosophie  ,  commerce, 
industrie  ,  constitutions  politiques,  toutes  ces  choses  si  grandes  et 
si  compliquées  tout  h  la  fois  ne  sont  point  étrangères  au  paupé- 
risme. Selon  qu'elles  sont  bien  ou  mal  comprises ,  dirigées  avec  sa- 
gesse ou  traitées  avec  imprudence,  elles  doivent  diminuer  ou  ag- 
graver cette  plaie;  plaie  immense  ,  qui  doit  attirer  tous  les  regards, 
exciter  toutes  les  sollicitudes  ;  plaie  que  M.  de  Villeneuve  a  sondée, 
et  sur  laquelle  il  a  jeté  les  plus  vives  lumières.  L'ouvrage  forme  trois 
volumes  in-8"  de  plus  de  5oo  pages  chacun,  k  Paris,  chez  Paulin, 
libraire-éditeur,  rue  de  Seine,  n"  6. 

—  VAmi  de  la  Religion  dans  sou  n»  du  '^3  décembre  dit  qu'il 
est  invité  à  publier  que  M.  le  comte  de  Moutalembert ,  absent  de 


596  MÉLANGES. 

France  depuis  dix-huit  mois ,  a  écrit  de  Pise ,  oix  il  se  trouve  en 
ce  moment ,  à  S.  E.  le  cardinal  Pacca ,  pour  lui  transmettre  son 
adhésion  à  l'Encyclique  du  i5  août  i832,  dans  la  forme  prescrite 
par  le  Bref  du  5  octobre  i833,  et  en  même  temps  à  l'Encyclique 
du  25  juin   i834. 

—  Notice  sur  le  Prieuré  de  Solesmes  ;  in-8°  ,  prix  go  cent.  , 
au  Mans  chez  Belon ,  et  à  Paris  chez  Adr.  le  Clere.  —  Cette  no- 
tice donne  une  description  intéressante  de  l'église  et  des  monumens 
que  renferme  le  Prieuré  de  Solesmes  (/^.  ci-d.  tom.  f^JII ,  p.  82, 
i85  ,  262  et  2^1.) 

Le  document  suivant  prouve  de  la  manière  la  plus  formelle  l'in- 
térêt que  Mgr.  lëvêque  du  Mans  porte  aux  membres  de  cette  com- 
munauté : 

<(  Joannes  -  Baptista  Bouvier  ,  miseraiione  divinâ  et  sanctce 
Sedis  apostolicœ  gratiâ ,  Episcopus  Cenomanensis , 

»  Universis  et  singulis  has  litteras  inspecturis ,  salutem  in  Do- 
mino. Notum  facimus  omnibus ,  sive  clericis ,  sive  regularibus  ad 
quos  pertinebit,  societatem  regularem  quae  militât  sub  régula  sancti 
Benedicti  et  constitutionibus  congregationis  sancti  Mauri,  in  veteri 
prioratu  sancti  Pétri  de  Solesmis ,  nostrœ  diœcesis  Cenomanensis  , 
quamque  praedecessor  uoster  faustœ  recordationis  auctoritate  sua 
firmavit  et  stabilivit ,  ut  episcopali  legente  brachio  cresceret,  et 
Sedis  apostolicae  suffragio ,  suo  tempore  postulando ,  digna  fieret  , 
nobis  gratam  esse  et  acceptissimam  ,  uosque  illius  membra  paterno 
affectu  indesinenter  fovere.  Ideb  per  praesentes  testamur  falsas  pe- 
nitùs  et  calumniosas  esse  assertiones  quae  à  quibusdam  circumferun- 
tur,  dictitantibus  praedictam  societatem  novitatibus ,  opinionibus  , 
systematibusque  hujus  seculi  esse  addictam.  Hanc  enim,  certâ  scien- 
tiâ  ,  novimus  tam  individuè  quàm  collective  adhaerentem  in  orani 
zelo  universis  Ecclesîae  catholicae  ac  Sedis  apostolicae  decretis  ,  et 
presentim  duabus  postremis  Litteris  Encyclicis  S.  D.  N.  Gregorii 
papœ  XVI. 

»  Quapropter  hancce  societatem  commendamus  omnibus  supe- 
rioribus  ecclesiasticis  ,  tam  secularibus  quàm  regularibus  ,  ut  in- 
dueutes  circà  illam  viscera  caritatis  ac  paternitatis ,  uobiscum  sint 


MÉLANGES.  597 

unanimes  in  fovendo  tuendoque  proposito  fîliorum  nostrorum  ca- 
rissimorum ,  qui  magno  ac  plané  meritorio  operi  instaurandae  apud 
nos  rei  mouasticae  Benedictinas  ,  verâ  aboegatione  ,  sub  auspiciis 
nostris  incumbunt. 

))  Datura  Cenomani ,  in  nostro  palatio  episcopali ,  sub  signo  si- 
gilloque  nostris,  necnon  sub  cbirographo  secrelarii  diœcesis  uostrœ, 
die  l'j  noverabris  i834.  JoannesBaptista ,  Episcop.  Cenom.  De 
mandat.  LoUin  ,  can.  secret,  episc.  » 

On  suit  à  Solesmes  la  règle  de  saint  Benoît  ,  mais  dans  le  sens 
des  constitutions  de  Saint -Maur.  Seulement ,  le  précédent  évêque 
du  Mans  ,  Mgr.  Carron  (  ci-d.  tom.  VIII ,  pag.  3oo  ) ,  les  a  auto- 
rises à  ne  célébrer  matines  qu'à  quatre  heures  du  matin,  et  à  faire 
usage  d'alimens  gras  trois  fois  la  semaine,  hors  le  temps  de  l'Avent, 
durant  lequel  l'abstinence  est  la  même  que  celle  du  carême.  L'office 
se  célèbre  eu  entier  au  chœur,  partie  chantée,  partie  psalmodiée, 
suivant  la  règle  du  cérémonial  monastique  de  Saint-Maur.  Les  fériés 
et  les  simples,  on  a  de  quatre  à  cinq  heures  de  chœur  j  les  fêtes  , 
tantôt  sept ,  huit  et  quelquefois  neuf  heures ,  suivant  le  rit  de  l'of- 
fice. Cet  exercice  n'a  jamais  e'té  interrompu,  bien  que,  pour  cause 
de  maladies  ou  autres,  les  solitaires  ne  se  soient  quelquefois  trouvés 
que  trois  ou  quatre  présens  au  chœur.  Leur  intention  est  de  vivre 
ainsi  dans  la  pratique  de  leurs  exercices  jusqu'à  ce  que  ,  fortifie's 
dans  l'esprit  de  saint  Benoît  et  des  re'formateurs  de  Saint-Maur  , 
ils  puissent  présenter  assez  de  garanties  de  stabilité  pour  postuler 
à  Rome  leur  approbation.  La  maison  n'est  pas  encore  nombreuse; 
elle  le  serait  davantatre  si  l'on  avait  accédé  à  toutes  les  demandes 
et  SI  tous  ceux  qui  sont  entrés  avaient  perse've're'.  L'essentiel  est 
de  se  fortifier  dans  l'esprit  intérieur  :  les  corps  qui  ont  le  mieux 
prospéré  ne  sont  pas  ceux  qui  se  sont  accrus  rapidement. 

Les  travaux  des  solitaires  ont  principalement  pour  but  l'e'tudc 
de  la  tradition.  Les  offices  du  chœur  et  les  autres  exercices  régu- 
liers laissent  disponibles  aux  membres  de  la  communauté  environ 
sept  à  huit  heures  par  jour.  Leur  principale  occupation  est  de  se 
livrer  aux  recherches  que  nécessite  un  cours  d'antiquité  ecclésiasti- 
que professé  par  le  supérieur  de  la  maison.  Ce  cours  embrasse 
toutes  les  questions  historiques  ,  dogmatiques,  morales,  canoniques 
et  critiques  qui  se  rencontrent  dans  l'étude  des  monumens  des  trois 


598  MÉLANGES. 

premiers  siècles.  L'étude  sérieuse  de  l'antiquité  chrétienne  est  peut- 
être  la  plus  forte  barrière  qu'il  y  ait  à  opposer  à  l'esprit  de  nou- 
veauté. 

L'Association  de  Solesmes  prépare  uu  travail  historique  qui  pa- 
raîtra sous  le  titre  à! Annales  ecclésiastiques  du  diocèse  du  Mans. 
Le  premier  volume  de  cet  ouvrage,  dont  M.  l'évêque  du  Mans  a 
accepte  la  dédicace ,  renfermera  une  dissertation  importante  sur 
l'époque  de  l'établissement  du  christianisme  dans  le  Maine  :  ques- 
tion vivement  débattue  entre  les  critiques  du  xvii^  siècle.  On  don- 
nera aussi  dans  cet  ouvrage  le  texte  pur  des  Acta  Episcopnrum 
Cenomanensium ,  publiés  déjà  par  Mabillon  au  troisième  volume 
de  ses  Analecta ,  mais  sur  une  copie  très-infidèle.  Les  éditeurs 
actuels  reproduiront  dans  le  cours  de  leur  travail,  avec  une  entière 
exactitude ,  cet  important  manuscrit  ,  conservé  autrefois  dans  les 
archives  de  l'église  cathédrale ,  et  aujourd'hui  déposé  à  la  biblio- 
thèque départementale. 

Les  bénédictins  du  Mont-Cassin  et  de  Saint-Paul  de  Rome  ont 
déjà  plusieurs  fois  donné  à  la  petite  communauté  de  Solesmes  des 
marques  paternelles  d'approbation.  Les  Pères  du  Mont-Cassin  ont 
bien  voulu  promettre  la  communication  des  plus  importans  manus- 
crits de  leur  riche  bibliothèque.  Les  bénédictins  d'Einsidlen  ,  ou 
Notre-Darae-des-Ermites,  en  Suisse,  entretiennent  aussi  avec  l'éta- 
blissement des  relations  pleines  de  bienveillance  et  d'intérêt. 


599 


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TABLE 

DES  MATIÈRES  CONTENUES  DANS  CE  VOLUME 


I. 

Du  Progrès  des  Sciences  et  de  lenr  influence  sur  les  Croyan- 
ces religieuses.  5 

Tableau  synoptique  contenant  l'exposition  de  la  Doctrine 
renfermée  dans  les  saintes  Écritures ,  par  M.  l'abbé  Frère.      1 3 

Sur  l'état  de  la  Religion  catholique  dans  le  Hanovre.  i5 

Réflexions  sur  l'Histoire  de  France  de  M.  Michelet,  par 
M.  le  baron  d'Eckstein.  23 

Annales  du  inoyen-âge  ,  depuis  la  décadence  de  l'Empire 
romain  jusqu'à  la  mort  de  Cbarlemagne  ;  par  M.  Frantin.     4^ 

Lettre  encyclique  de  S.  S.  Gre'goire  XVI ,  à  tous  les  Patriai*- 
clies ,  Primats,  Archevêques  et  Evêqnes,  par  laquelle 
Sa  Sainteté  condamne  les  Paroles  d'un  Croyant.  6o 

Bref  de  S.  S.  Gre'goire  XVI  aux  Évêques  de  Belgique,  pour 
la  collation  de  Grades  en  Tbe'ologie.  68 

Circulaire  des  Évéques  de  Belgique  pour  l'ouverture  des 
Cours  de  l'Université  catholique.  74 

Discours  sur  l'Origine ,  le  Développement  et  le  Caractère 
des  Types  imitatifs  qui  constituent  l'Art  du  Christia- 
nisme ;  par  M.  Raoul-Rochette.  76 

Critique  du  livre  de  Morale  et  d'Instruction  religieuse  à 
l'usage  des  F^coles  e'iementaires ,  par  M.  Cousin.  80 

QSuvres  deSalvien,  traduction  nouvelle  avec  le  texte  en 
regard  ;  par  J.  F.  Gre'goire  et  F.  Coilouibet.  85 

Notice  sur  M.  l'Écuy ,  dernier  abbe'  de  Prc'montre'.  8g 

Sur  la  crise  de  l'Eglise  anglicane.  96 


600 


TABLE    DES    MATIERES. 


Mélanges.  Juillet  1834.  —  Mort  de  M.  Van  Giis.  —  Con- 
version du  docteur  anglican  King.  —  Médaille  de'cerne'e 
à  M.  Triest;  nombre  de  ses  institutions.  —  Diffe'rentes 
religions  en  Angleterre.  —  Des  Devoirs  des  hommes ,  par 
Silvio  Pellico,  —  Bene'fices  de  l'Église  anglicane. —  Bi- 
bliothèques de  Paris.  —  Bibliothèque  de  St.  Pe'tersbourg. 

—  Antiquités  de'coavertes  dans  lîle  de  Ceylan.  —  Re'- 
flexions   du  Franc- Parleur  sur  l'Université'  catholique. 

—  Hie'rographie  de  M.  Ganelli.  —  Se'ance  de  l'Académie 
de  Bruxelles  du  7  Juillet.  —  Lettre  de  Mgr.  l'Archevê- 
que de  Paris.  —  Conversion  de  M.  Theiner.  100 


IL 


Tragédie  de  Thomas  Morus ,  chancelier  d'Angleterre ,  par 
Silvio  Pellico.  1 13 

Etat  du  the'âtre  en  France ,  extrait  d'un  article  de  la  Re- 
vue d'Edimbourg.  i3r 

Considérations  orthodoxes  sur  le  Cëlibat  eccle'siastique.  Par 
M.  l'abbe'  de  l'Étang.  i34 

Dissertation  sur  la  Re'habilitation  des  Mariages  nuls,  où 
l'on  traite  particulièrement  des  Dispenses  in  radie e;  ipar 
M.  l'abbe' Carrière,  professeur  du  se'minaire  deS.-Sulpice.   i38 

Cours  d'Histoire  des  États  europe'ens  modernes  ;  par  Fre'- 
déric  Samson  Schoell.  (  Troisième  et  dernier  article.  ) 
Des  fausses  Décre'tales.  i4o 

De  la  Taille  de  PHorame ,  et  en  particulier  de  celle  des 
ge'ans.  iSa 

Extr.  du  voyage  de  l'Ârabie-Pe'tre'e  ,  par  MM.  Léon  de 
Laborde  et  Linant.  iS^ 

Etudes  hébraïques  ,  par  M.  l'abbé  Rossignol.  170 

Chrestomathie  hébraïque  ,ou  Choix  de  Morceaux  tirés  de 
la  Bible;  par  J.  B.  Glaire.  172 

Morceaux  choisis  des  saints  Pères  de  l'Église  grecque.  1^3 

Vie  de  saint  François  de  Sales,  par  M.  Loyau  d'Amboise.   179 

Notice  sur  M.  Charles  Butler,  écrivain  catholique  anglais.   i83 


TABLE    DES    MATIERES.  60l 

Nouveaux  Monumens  découverts  an  Mexique ,  et  prouvant 

l'ancienne  civilisation  de  ce  pays.  i86 

Lettre  pastorale  de  Mgr.  l'Évêque  de  Bruges.  i88 

Mélanges.  Août  1834.  —  Notice  de  M.  de  Ghampagny. — 
Les  infirmite's  du  ge'nie,  par  M.  Madden.  —  Se'ance  de 
i'Acade'mie  catholique  du  19  Juin.  —  Écrit  du  P.  Bo- 
nola  sur  le  Janse'nisme.  —  Cours  de  the'ologie  par  M.  Bou- 
vier. —  Histoire  de  France  par  M.  Mazas.  —  Mort  de 
Mgr.  l'e'vêque  de  Tournai.  —  Médaille  donne'e  par  S.  S. 
à  M.  le  chan.  Torricelli.  —  Sur  les  nouveaux  Me'moires 
l'elatifs  à  l'astronomie  ancienne,  lus  à  l'Académie  des 
Sciences  de  Paris  par  M.  Biot.  —  Lettre  de  M.  l'abbé 
Gerbet  à  Mgr.  l'arclievêque  de  Paris.  193 

III. 

Recliercbes  sur  la  personne  de  Je'sus-Christ,  et  sur  les  plus 

anciens  Portraits  qui  le  représentent.  2o5 

Critique  de  lexamen  du  Mosaïsme  et  du  Christianisme, 

par  M.  Reghellini,  de  Schio.  227 

Principes  pour  servir  à  l'Histoire  comparée  des  langues.    aSi 
Voyage  en  Suisse,  en  Lombardie  et  en  Pie'mont,  par  M.  le 

comte  The'obald  Walsh.  241 

De'couvertes  importantes  faites  par  M.  Ruppell  en  Abyssinie.  24^ 
Buonaparte  devant  1  Officiallte'  de  Paris.  a56 

Des  Secours  que  l'e'tude  des  Antiquite's  égyptiennes  doit 
trouver  dans  les  écrits  de  la  Bible.  Discours  lu  k  l'A- 
cadémie catholique  de  Rome  par  le  P.  Oliviéri ,  général 
des  Dominicains.  270 

Bibliothèques  des  Peuples  mahométans.  282 

Histoire  Nationale.  —  Extr.  des  Procès- Verbaux  de  la  Com- 
mission royale  d  Histoire.  285 
Mélanges.  Septembre  i834.  —  Décret  de  la  Congrégation 
de  l'Index  du  28  juillet.  —  Statistique  religieuse  de  l'Es- 
pagne de  M.  Moreau  de  Jonnès  rectifiée.  —  Écrit  de 
M.  Theiner  sur  l'histoire  des  Séminaires  épiscopaux.  — 
Monumens  de  l'île  de  Malte.  —  Séance  de  l'Académie 
T.  X.                                                              42 


602  TABLE    DES    MATIERES. 

catholique  da  17  juillet;  dissertation  du  P.  Piaciani.  — 
Aotiquite's  asiatiques.  —  Discussion  de  MM.  Biot  et  Pa- 
ravey  sur  l'astronomie  e'gyptienne.  —  Étude  des  langues 
orientales  en  Russie.  —  Adhe'sions  aux  Encycliques  du 
Saint-Père  ;  de'claration  de  M.  Charles  de  Ceux.  —  Dis- 
cours du  R.  D.  Paul  ciel  Signore  à  la  re'nnion  de  i'Aca- 
de'mie  de  la  Religion  catholique,  à  Rome.  —  Nouveau 
Traité  d'Embryologie  sacre'e ,  par  M.  Rosiau.  297 

IV. 

Connaissances  de  Moïse  et  des  He'breux  sur  la  terre  habi- 

te'e.  —  Extr.  de  Malte])run.  3og 

De  la  perte  des  Manuscrits  et  des  Auteurs  de  l'antiquité.  822 
Considérations  sur  l'Empire  romain,  la  vie  de  S.  Antoine,  etc.  33 1 
Opinion  de  Frédéric  Schlegel  sur  Lamartine.  33^ 

Sur  les  Missions  du  Levant.  347 

Description  de  Tolède.  35o 

Avertissement  de  Mgr.  l'évêque  de  Strasbourg  sur  l'En- 
seignement de  M.  Bantain.  354 
Décret  d'érection  de  l'Université  catholique.                          36 1 
Règlement  pour  l'inscription ,  les  rétributions  des  Cours 

et  l'admission  aux  leçons  de  l  Université  catholique.  373 
Règlement  pour  les  élèves  de  la  faculté  de  Philosophie  et 
des  Lettres  et  de  celle  des  Sciences  de  l'Université  ca- 
tholique. 376 
Universitas  catholica.  —  Séries  lectionum  per  semestre 
hibernnm  anni  MDCCCXXXIV-MDCCCXXXV  haben- 
darnm.  3^8 
Mélanges.  Octobre  1834.  — Notice  de  Mgr.  Jacques  Doyle , 
évêque  de  Kildare.  —  It.  de  M.  François  de  Rivaz  , 
abbé  de  S.  Maurice  dans  le  Valais.  —  Séance  de  l'Aca- 
démie catholique  de  Rome.  —  Note  lue  à  l'Académie 
des  sciences  de  Paris  sur  les  huit  arbres  du  Jardin  des 
Oliviers  de  Jérusalem  ,  par  M.  Bové.  —  Sur  la  mort  du 
voyageur  Richard  Landcr.  —  Découverte  d'un  village 
indien  caché  sous  terre.  —  Découverte  de  la  lecture 
d'une  inscription  rnnique.  —  Sur  M.  Margerin.               38 1 


TABLE    DES  MATIERES.  603 

V. 

Examen  de  l'Histoire  de  France  deM.Michelet,conside'rëe 

sous  le  rapport  de  la  Religion.  (  Premier  article.  )  889 

L'Évêque  Wittmann.  4^^ 

Sur  la  Conversion  d'un  noble  anglais ,  M,  Spencer.  4^9 

(Euvres  complètes  de  saint  Jean-Chrysostôme.  4^4 

Tradition  conserve'e  chez  les  Arabes  de  l'Idume'e  sar  le 
tombeau  d'Aaron  ;  extrait  du  voyage  de  M.  de  Laborde 
dans  l'Arabie-Pe'tre'e.  4^7 

Sur  les  Missions  du  Levant.  44° 

Histoire  nationale.  —  Extraits  des  Procès-verbaux  de  la 
Commission  royale  d'histoire.  44^ 

Mélanges.  ISovembre  1834.  —  Recherches  sur  la  langue 
des  Siamois.  —  Statistique  des  journaux.  —  S.  Vincent 
de  Lerins.  —  Discours  de  Mgr.  Mai  sur  la  ressemblance 
des  anciennes  socie'te's  secrètes  avec  les  nouvelles.  —  Pu- 
blication de  trois  sermons  ine'dits  de  S.  Ambroise ,  par 
le  P.  Léandre  Corrieri.  —  Voyage  de  Pie  VH  à  Gênes 
en  181 5,  par  le  card.  Pacca.  —  Oraison  funèbre  de 
M.  Van  Gils ,  par  M.  le  prof.  Wilmer.  —  Acade'mie  de 
Bruxelles ,  se'ance  du  22  novembre.  —  Nouv.  e'dition 
de  St.  Augustin.  47^ 

VI. 

Lettre  ine'dite  de  M.  Van  Gils ,  pre'sident  du  se'minaire  de 
Bois-le-Duc,  etc.  sur  les  sentimens  de  l'ancienne  faculté' 
de  The'ologie  de  Louvain ,  par  rapport  à  la  de'claration 
gallicane  de  1682.  4^" 

Examen  de  l'Histoire  de  France  de  M.  Michelet ,  conside're'e 
sous  le  rapport  de  la  Religion.  (  Deuxième  article.)        49^ 

Ge'ologie.  —  Tableau  des  Couches  mine'rales  du  globe  et 
des  Fossiles  qu'elles  renferment.  ^20 

Physiologie  et  Hygiène  des  hommes  livrés  aux  travaux  de 
l'esprit.  525 


604  TABLE  DES  MATIERES. 

Des  principaux  Historiens  de  Rome.  Sîg 

Doctrine  de  Marcion  sur  la  Rédemption,  556 

Esquisses  sur  les  Pyre'nées.  55q 

Nouveaux  Voyages  et  nouvelles  De'couvertes  dans  le  centre 

de  l'Asie.  570 

Découverte  de  la  ville  d'Azanie ,  dans  la  grande  Phrygie, 
conservant  encore  la  plus  grande  partie  de  ses  magnifi- 
ques Monumens.  571 
Histoire  nationale.  Extraits  des  Procès-Verbaux  de  la  Com- 
mission royale  d'Histoire.                                                     574 

Mélanges.  Décembre  1834.  —  Notice  de  S.  E.  le  card.  Zurla. 
—  It.  du  cardinal  Albani.  —  It.  de  Mgr.  Whitfield ,  arche- 
Teque  de  Baltimore.  —  Nouv.  e'dition  du  Lexique  latin 
de  Facciolati  par  Forcellini.  —  Notice  de  M.  M  arien 
Bedetti.  —  Economie  politique  par  ie  vicomte  Alban  de 
Villeneuve.  —  Âdhe'sion  du  comte  de  Montalembert  aux 
Encycliques  de  S.  S.  Grégoire  XVI-  —  Notice  sur  le 
Prieuré  de  Solesmes.  5qo 


TYS   DU   TOME   DIXIEME.