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LE NOVICE,
0^ e/^"*' a& (Bcwvr.
Trop peu do lemps ! dans la plus douce cbote
Il fut IieureuT.
DuGis.
DEUXIEiME ÉDITION.
TOME TROISIÈME.
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PARIS ,
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M HO?]I€]Ë,
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DU QUATORZIÈME SIÈCLE-
CHAPITRE PREMIER.
Qacls»ttag«f lombrct
Onl environne «l'ombres
Tes yeux bi û.\A de picurt î
Ton soir eil loin encore ,
El ta paisible aurore
T'afott promis tics fleurs.
Mme DfiSBORSES Yalstobe.
Plus d'un mois s'écoula depuis ce jour
si douloureux pour Robert , sans que la
morne tristesse qui Faccabloit se dissipât
un seul moment. Il ne parloit plus des
tard-veniîs, il ne parloit plus de Julien ;
aucune plainte ne sortoit de sa bouche ;
mais son teint' ]per doit peu à peu le bril-'
m. 1
4 LE NOVICE.
rasseyant aussitôt : — Non , dit-il d'un
ton encore plus sombre que de coutume,
restons.
C'est ainsi que le temps se passoit de-
puis le départ des tard-venus. Sire Urbain
avoit repris les habitudes de sa vie ; son
aumônier, son sénéchal, tout son monde
enfin étoit revenu. Il partageoit sa jour-
née entre les plaisirs d'une bonne table
et celui ^ de jouer aux échecs avec son
bailli. Quant à Méridan , il passoit beau-
coup d'heures dans sa chambre^ occupé
de sa traduction , qui déjà étoit plus qu*à
moitié faite. S'étonnant de ne point voir
revenir dom Ambroise , il comraençoit à
craindre que la fin de son travail et son
départ pour Paris n'eussent lieu avant le
retour du religieux. Méridan , mieux in-
struit que Robert et le chasseur, ne pou-
voit concevoir qu'on eût besoin de six
mois pour faire deux fois la route d'Avi-
gnon. — Au moins devroit-il m'écrire , se
disoit-il tous les matins en s'asseyant à sa
table, où bientôt, la plume en main, iï
LB iroviCE. 5
oublioit et dom Ambroise et Tunivers.-
— Voulez-vous prendre un arc ? dit un
matin George au novice.
— Pourquoi?
Nous irions chasser.
—Ce n'est pas la peine de s'armer pour
tuer des lièvres , répondit le novice avec
dédain.
— Justin Méridan diroit à cela qu'il
vaut mieux tuer des lièvres que des hom-
mes, murmura le chasseur entre ses
dents.
Robert, surpris d'entendre sortir une
sentence aussi philantropiqne de la bou-
che du chasseur, leva sur lui ses grands
yeux noirs, dont tout le feu avoit disparu
depuis long*temps. — Vraimen t ? reprit-
il d'un air distrait. Et toi , que dis-tu ?
^ Je dis je dis que je voudrois vous
voir content , répondit George. Et il sor-
tit, voulant cacher une larme qui venoit
de mouiller sa paupière.
— Que tous les diables de l'enfer puis-
sent emporter les tard-venus ! s'écria-t-il
.en descendant quatre à, quatre lesmar-»
çhes de l'escalier, pour aller respirer dans
la cour, car il étouffoit;.sans eux il n'aur^
roit pas quitté Saint-Paul, il n'auroit pas
conçu toutes ces idées queDieu confonde!
qui sont maintenant fichées dans sa t«te,
comme autant de serpents qui le rongent.
Il étoit gai, heureux, et je vais peut-être
le voir mourir! Effrayé de sa propre pen-
sée, George se mit à redoubler son. pas ^
comme pour la fuir. Il marchoit en long*
et en large devant le perron, tantôt fer-^
mant ses poings, tantôt croisant ses bras
sur sa poitrine , qu'il serrait à perdre la
respiration. — Le ciel nous soit en aide î
continua-t-ii.Sidu moins nous avions dom
Ambroiseici! Il sait comment s'y prendre
avec cette tête-là. Quand il parle à Bjo»
bert, on diroit voir de l'eau qui éteint un
brasier; mais tout nous manque, tout!
X^e diable nous envoie les tard-venus, il:
emporte sa révérence ; il y a de quoi de^*
venir fou. Ce Méridan ne parle pas plus
qu'une souche; car si je àavois où.prea*:
LE TTOVICfe. ^
dre notre homme, je répondrois bien de
leramener, qiiand je devroisle rapporter
sur mes épaules.
A peine il achèvent ces mots qu'il en-
tendît le pas d'un cheval qui passoit sur
le pont-levis, et au même instant, la voix
de dom Ambroise, qui l'appeloit, retentit
à son oreille. Le chasseur, transporté de
joie, s'empressa d'aider le religieux à quit-
ter la selle, si l'on peut exprimer ainsi la
promptitude avec laquelle il l'enleva pour
le poser à terre. Sans s-inquiéter de ce
que deviendroit le paisible coursier, il
fiaisît le bras de dom Ambroise et le cDn-
àoAsit ou plutôt rêntràîna jusqu'à l'ap-
partement du sire d'Ingelcour, en criant
k tue-tête : — Le voilà ! le voilà ! sa révé-
rence ! sa révérence !
Dom Ambroise , uh peu étourdi de la
rapidité de sa course, fut quelque temps
sans pouvoir répondrlîauxembrassements
de soft beau-frère , de son neveu, qui ve-
noit d'accourir, et aux félicitations de Mé-
ndad; M^s^ peine eut-il jeté les yeux sur
8 LE xravicE.
Eoberty que ^ frappé de son changement ,
il le serra de nouveau dans ses bras , en
poussant un profond soupir,
— Eh bien ! frère , dit le châtelain lors-
que chacun fut assis, peut-on savoir main-
tenant d'où diable vous venez?
— D'Avignon , répondit le religieux.
— D'Avignon ! Il Tavoit ma foi deviné ,
reprit sire Urbain en montrant son fils.
Puis, poussant un grand éclat de rire.— Et
les tard-venus ont encore été vous trou-
ver là, pauvre frère ! Par saint. Jacques !
vous avez du malheur.
— Je les ai même attendus par ordre du
saint père, répliqua dpm Ambroise. C'est
pourquoi je reviens si tard.
. — J'entends, reprit le sire d'Ingelcoqr ;
sa sainteté avoit à traiter avec des têtes
un peu dures , elle vous a choisi pour am-
bassadeur.
— Pour négociateur, dit Méridan , qui
ne pouvoit souffrir l'impropriété d,^. ter*
mes. .;.]'-. ..(
— A peu près , répondit le reUgi^Ui^.
M NOVICE. g
Pour mon compte , d'ailleurs , j'étois bien
aise de revoir le sire Duguesclin.
— Pour votre compte ! dit Robert avec
surprise.
— Eh ! que diable pouviez- vous avoir
à démêler avec lui? demanda sire Urbain.
— L'estime qu'il m'inspire m'a £ait dé-
sirer d'attacher à sa personne un jeune
poursuivant d'armes qui m'intéresse. Si
votre fils, continua-t-il en souriant , avoit
dû embrasser la profession des cheva-
liers, ne lui auriez vous pas souhaité un
aussi digne patron ?
— A quoi bon parler de cela ? répon-
dit sire Urbain en fronçant le sourcil.
Pourquoi me rappeler qu'un- si grand
bonheur m^est reftisé ?
La plus vive satisifaction brilla dans les
regards du bon ^*eligieux. — J'apporte le
bref qui vouis relève de votre vœu, frère.
Robert est libre.
Qui peut peindre l'effet que produisi-
rent ces motSy le^ transports du sire
dlngelcour y les cris de joie du chasseur^
«
les félicitations de Méridan; mais surtent
Tivresse de bonheiiF à laquelle le noyice
craignoit de succomber ? Pâle, tremblant,
hors d'état d'exprimer sa reconnoissance
par aucua mot , il s'étoit précipité dans
les bras du religieux, il lui prenoit la main
qu'il posoit sur son cœur , s'effor^ant
d'articuler quelques sons que nul n'aù-
rpit pu saisir, et levant vers le ciel des
yeux où la résurrection , si Yon peut
s'exprimer ainsi, brilloit à^ ti'aTers les
larmes.
— Calme-toi , calme-toi , ption fils , di-t
soit dom An^roiise. AhlKiobert, situ
veux reconnoîtr^ n^a tendref^e ;. soib
iLonunevEffQr<îe-toi de vainer^ç oette exal-
tation qui te dévore, qui mé fera tfem-
l)ler pour tcHï repos da^ns le mande. '
Rappelé è^ lui-même par ces pareles^^
l'heureux jeune homard parvint à dômi-^
ner la violence de ses sensatipn$. On peut
dir^ uiêipe , quîil'léprotfva wï^ Iségiàre
l9<)nte 4e Vétre aba^d^jQixé'.à rQX06S)de sa^
jpie avec: Aussi peu* de^xnodératîon.^'^PaN
UE NOVICE. T I
doDnez^moi ce premier mouvement , dif^
il ,avec un sourire radieuxde bonheur. Dé^
sormaisy je suivrai vos dignes avis; ils di-
rigeront ma vie ^ mon père, toute ma vie,^
ajouta-t-il en se jetant de nouveau dans
les bras de dom Ambroise.
Le bon religieux sourit doucement ^
mais secoua la tête d'un air fort peu per-*
suadé.
— Grondez-moi donc aussi, frère, dit
le sire dlngelcour; car je pleure comme
un enfant.
-— Quant à moi , qui n'ai jamais pleuré
de mes jouts , répliquâlMéridan , je nMrai
pas m'en aviser lorque je suis content*
Mais je ne m^en réjouis pas moins avec
vous tous, da meilleur de mon cœur.
— Mon révérend, dit George en s'ap»
prochant de dom Ambroise, vous venez'
de faire un. long voyage; de courir bien»
des dangers. Vous avez passé de mau-^
vaises nuits, de mauvais jours. Je vais-
vous dire une chose qui pa^ra tout: sans
vous , il étoit mort. £t il s'éloigna grave**
la LE jfoyiCE.
ment , après avoir baisé la robe du reli-
gieux.
Dom Âmbroise ayant alors repris son
siège , on s'empressa de l'écouter. — Ro-
bert peut se considérer dès à présent
comme un des écuyers de sire Bertrand ,
dit-il ; j'en ai la promesse positive. Les
grandes compagnies, que j'ai laissées sous
les murs d'Avignon , doivent se mettre en
marche dans deux ou trois jours; car le
pape a satisfait à leurs demandes , et , que
Dieu punisse tôt ou tard ces hommes sa-
crilèges , la somme qu'ils ont exigée du
$aint siège est maintenant entre leurs
mains.
En écoutant ces dernières paroles ,
Robert baissa les yeux, par un mouve-
ment facile à concevoir, et dom Ambroise,
qui le vit sans doute, ne parut pas vou-
loir augmenter l'embarras qu'il venoit de
faire naître. Il poursuivit aussitôt. — Une
^rmée marche lentement; Duguesclin ,
selon toute apparence , ne peut arriver à
Barcelonne avant les premiers jours de
LE NOVICE. l3
janvier. Il suffit]donc que Robert, pour le
rejoindre dans celte ville, se mette en
route le mois prochain.
— A merveille , dit le sire dlngelcour ;
maintenant néanmoins à 'travers ma joie
j'éprouve un très-grand souci.
— Et lequel, mon pèi-e? dit Robert.
— Pour une expédition aussi lointaine,
je ne puis faire marcher les vassaux , qui
me doivent le service militaire (i). Au-
cunes n'abandonneront volontairement
leur terres dans le triste état où les ont
mises le séjour des tard-venus pour sui^
vre le fils de leur suzerain , et pour la
première fois, un héritier dlngelcour ira
joindre une armée , sans y conduire un
nombre convenable d'hommes d'armes*
S'il s'agissoit de faire la guerre en France,
ou dans tout autre pays voisin....
— Ne vous tourmentez pas de si peu de
chose , Urbain , interrompit dom Am-
(i)Le service mîlîtairc n'^toît que de quarante
jours.
|4 VB> HOYICE.
broise ; votre fils emoieaera la sriiîte qui
convient à un écuyer.
— Ah ! frère , je. songe encore à mon
départ pour alkr pindre notre duc à la
bata^le de 'Grécy. Gnquante hommes
bien montés joi'accompagnoient. Le moins
brave i^'auroit pas reculé contre une lé^
gion de diables. Hélas ! tous sont tombés
iQorts autour de moi, soos lé feu des An-
glais.
•— ïl ne faut plus compter sur ceux-là ,
dît Méridan avec son sang*froid ordi-
maire.
-r Cest tout simple, reprit sire Urbain
en soupirant Je voulois seulement vous
faire comprendre que ce temps-ià étoit
le bon temps. Au reste , comme le dit
fort bie^ le cher frère, il suffit qu'un
simple éçuyer arrive bien' équipé de sa
personne* £t quant k vos aranes y Robert,
voici les miennes, a}outa«>t«il en mon«'
trant une armure complète qui formoit
depuis vingt ans une espèce de troj^e,
contre le mur. Je désirerois beaucojip^
LE irOYICE. ' 1 5
mon .fila» que vous n'en prissiez point
d'êtres. ^
^Où pQurrois-je en trouver de pkis
bcmorables? répondit Robert en impri-
ment ses lèvres sur la main dont le vieux -■
chevalier i^^ pou^oit plus se servir.
4^ Pour le cheval, mon .jeune ccuyer,
dît. Méridan^ vous avez celui que m'a
donné sire Hugh Calverley, que vous
gouvernerez beaucoup mieux que je ne
pourjnoîs le faire*. .
.— Ce cheval est du plus grand prix ,
maître Méridan , répondit Robert, ne
voulant pas recevoir un pareil présent '
d'un homme qu'il croyoit pauvre.
*^Cela :se peut, dit l'écrivain; mais
voiis ne voudrez pas humilier un ami
en m'offiralat de me le payer plus qu'il ne •
m'a coûté. Ces derniers mots furent pro-
nomcés d'un too M fier, que Robert se
liâta de dire qu'il acceptoit le cheval.
— Et :je vous réponds, maître Méri-
dan , dit &eorge> que la kén^ sera bien
soignéiet.C'^ moi qui m'm charge*
i8 M f((McÉ
-^ Ârnen^ dît le religieux. ' '-
^ Amen y répéta la vieux châtelain,^
ainsi qiié tous les assistante , etie service -
divin s'acheva.
Cette cérémonie terminée, sire Urbain
s'empressa d'emmener son fils dans sk)n
appartement pour lé revêtir de riches
habits qu'il avôit fait préparer ; ne vou*
lant pas voir Robert porter lé froc un
instant de plus qu'il n'y étoit obligé: —
Mets ceci, mets ceci, dîsoit-il en aidant à
sa toilette ; puis il posoit sur les épaules
du jeune homme un élégant manteau de
velours; puis il lui passoit autour du cou .
une brillante chaîne d'or qu'il avoit reçue
de Philippe de Rouvre , son ancien sus&e-
rain , lors des fiançailles de ce prince avec ,
la fille du comte de Flandre. — Mets ceci,
Robert, jusqu'au jour où j'aurai le bon-
heur de te voir endosser la cuirasse et
lacer tes brassards. Car il tardait au bon
chevalier de placer son glaive dans la
nïain de ce digne remplaçant. Son cœur
palpitoit d'aise à l'idée qu'un autre lui-
même alloit ténîp^oti^rang'dans les com*-
bats; qu'un joui' la bamiière dTngelcour*
flotteroit ^encore sur un ehattip de ba-
taille; quoiqu'il ne s'agît plus alors que
de se battre, pour ainsi dire, par procura-
tion, il n^en sentoit pas moins se raniméfr
en lui cette ardeur guerrière de sa jeu-
nesse que l'âge et le repos n'avoient pu
glacer jusqu'alors.
Si grande que fût la joie de sire Urbain,
toutefois elle n'égaloit point à beaucoup
près celle de Robert. L'oiseau délivré du
filet, le prisonnier sorti d'un cachot , at-
tachent moins de prix à leur liberté qu'il
n'en attachoit à la sienne. Il respiroit en-
fin^ depuis que le froc, qui lui avoit sem-
blé si lourd à porter, ne pesoit plus sur
ses épaules ! Il ne pouvoit passer dans la
grande salle sans s'arrêter avec délices
devant un bouclier d'acier poli qui ré-
fléchissoit soii image , non pour admirer
sa bonne mine, car il iguoroit encore quels
brillants avantages il {ivôit reçus de la na-
ture y mais pour s'assurer de sfa délî-
ao LE jrpviCE.
Trance,en contemplant les vives couleurs
de ses vêtements : — Il est donc vrai ^ s'é-
crioit-il alors / il est donc vrai l je ne suis
plus novice!
Cependant , tranquille désormais sur
l'avenir, heureux en espérance, il n'é-
prouvoit pas un désir trop impatient de
quitter Ingelcour. Le besoin de témoigner
à dom Ambroise sa tendre reconnoissance .
lui rendoit précieux le peu de jours
qu'il avoit à passer avec lui. Quel sacri-
fice avoit fait le bon religieux en se pri-
vant pour toujours de l'enfant de son
cœur, de celui qui jusqu'alors avoit ré-,
pandu tant de charme sur sa vie l Ces
pensées troubloient fréquemment le bon-
heur de Robert. Heureusement il en-
tendoit dom Ambroise parler souvent
aussi du plaisir qu'il auroit à se retrouver
au milieu de ses frères, à reprendre le
cours de ses éludes , si long-temps inter-
rompues. Le cœur de Robert alors étoit.
soulagé par l'idée qu'un vieillard jouit
au moins autant de ses habitudes que de
LE iroTiCE. ar
ses affections. Rendu à sa vie douce et
paisible , se disoit le jeune homme, il
s'accoutumera sans peine, je l'espère ,- à
une séparation que sa bonté lui a fait sol* ^
liciter lui-même.
Toutefois le jour où le religieux prit
enfin le chemin de Cluny fut un jour dou-
loureux pour Robert, d'autant plus que
àom Ambroise, qui la veille avoit eu avec
lai une longue conversation , partit.sans
prendre un dernier congé de personne.^
La crainte d'éprouver un trop grand at-
tendrissement en disant adieu pour tou-
jours à celui qu'il avoit cru ne devoir ja-
mais quitter, fît qu'il se mit en route
avant l'aurore, suivi seulement de George,
auquel il s'étoit confié. L'un et l'autre, •
pendant la route, ne parlèrent que de-
Bobert. — ^^ Je crois bien inutile de le re-
commander à vos soins, mon enfant, di-
soit le bon religieux. Promettez-moi sim-
plement de ne jatnais le quitter.
— Pas plus que l'omhré de son casque^
répondit le chasseur.. En paix, en guerre.
a» LB JfOVICB.-
hk nuit comme Je jour^ >^oâ;e;réYérence'
peut ae tdire : George -est là. i
* -r-« Répétez-Lui souventcombien Je dé»-
sire qu'il ^n'oublia aucun< de mes avi$> Dîeur
sait quels efforts j'ai toujours faits pour
calmer cette tête ardente! Hélàsi.que
n'aura-t-il .pasii souffrir du monde ^ celui >
qui se créoit des souffrances dans, um
c^ître y que j'ai vu ^ dès son en£ain6e , se>
faire une douleur amère de la moindre*
peine! Puisse-t*il, mon Dieu ! ne pas re-
gretter Saint-Paul !
George 9 tout sans souci qu'il étoit, nei
put prendre congé de dom Ambroise
pour la dernière fois sans un âlitendris-.
sementy qui alla jusqu'aux lannea.^ lors-
qu'avant d entrer dans la dernière cour^ où
tousses frères l'attendoient^ le religieux
lui serra la main affectueusement>.en ap*
pelant sur lui et sur Robert la bénédic-
tioa céleste. La porte étoit refermée de^
puis quelques minutes:, et le chasseur res-^^
toit immobile à la.méme place; 14 y seroit
resté long-temps peut>étre, si le. frère
LE ITOVÏCE. OÏ
portiepy sur l'ordre qu'il en'aVoil reçu de'
dom Ambroise , ne l'eut engagé à mettre
les chevaux dans Técurie et à venir pren-*
dre quelqties rafraîchissements. — Je ne*
croyois pas aimôr autdnt cet homme^-là ,
se disoit George en suivant le^ frère. Je
veux que Ton m'écorcbe si je ne voudroîs
àe tout mou cœur que Robert eût pré*
téré nous enfermer tous trois id , à cou-
rir ce monde dùïA je ne me soucie .
guère.
Tandis qu'il essayoit de noyer son
chagrin dans un broc de vin fort médio-
cre qu*on lui avoit servi , il n'oublia pas
défaire mille questions à son guide sur la
vie qu'on menoit à Cluny, et demanda
principalement s'il s'y trouvoît une bi-
bliothèque , pensant bien queles moindres
détails sur le sort qui attendoit le bon re-
ligieux seroient précieux pour son jeune-
maître. Tout ce qu'il apprit de ce riche
monastère pouvoît &ire espérer que dom
Ambroise y vivroit heureux. Aussi s'em-
pressa- t-il à son retour d'en rendre un
a4 u iroviCE.'
compte exact à Robert ^ qui se fit répète
cent fois les mêmes choses , et surtout le
discours de son oncle, dans lesquels i
puispit une grande consolation, iorsqu
de temps à autre je ne sfils quel remord
venoit troubler sa joie.
Méridan ne dcvoit quitter Ingelcou
qOe le jour du départ de Robert. La veill
de ce jour étant arrivée, il emmena 1
jeune homme promener avec lui dans 1
pourpris (i), et, prenant un ton solen
nel, il le conjura de ne point négliger le
précieuses connoissancesquHl avoit acqui
ses. — Gardez-vous , lui dit- il , d'échange
l'or contre le fer. Cultivez le savoir qu«
vous devez à votre docte parent. Ce tréso
vous assurera la supériorité sur vos com
pagnons d'armes, et, si vous n'êtes pa
tué, vous le retrouverez, pour lebonheui
de vos vieux jours.
Robert l'ayant assuré qu'il suivroit se
(i) Oa appeloit ainsi l'enclos qui entouroit ui
manoir seigneurial.
Ls irovicE. a 5
conseils 9 lui fit différentes questions sur
l'Espagne ; car il n ignorait pas que Méri*
dan n'avoit jamais négligé de faire causer
les voyageurs qu'il renqontroit, et qu'il aj -
peloit des livres vivants. Le jeune homme
apprit de lui en effet une foule de cho-
ses qui pouvoient lui être fort utiles du-
rant son séjour sur cette terre étrangère.
Mais parmi les renseignements de toute
sorte qu'il en ohtint, l'écrivain n'oublia
point de parler d'un couvent de Tolède ,
qu'on disoit renfermer une précieuse bi-
bliothèque. — Comipe aucun de vos com-
pagnons^ ajouta-t-il, ne reviendra les
mains vides, je crois que vous pourriez
bien, sans scrupule, rapporter vous-même
quelques manuscrits.
Robert sourit en voyant le sévère Mé-
ridan tolérer un genre de pillage moins
vulgaire, à la vérité, mais non moins ré-
préhensible que tout autre. — Comptez,
dit enfin l'écrivain , que vous avez à Paris
un ami sincère.
— Et peut-être m'y verrez-vous bientôt
m. a
tirrîver à la sitîte du seigneur Bertrand ,
dit Robert, qui voyoît déjà Henri sur 'le
trône et la Castille réduite.
Conome il falloît avant tout néanmoins
passer par Barcelonne, lliéritier d'Iugef-
cour prit le tehdemain la route de cette
Tille. George et dèuit valets bien éqtiippés
composoient toute son escorte. L'œil
éteint de sire Urbain brilla de tous les
feux du courage et de la jeunesse lors-
^'il vit Robert monter à cheval. En dépît
de sa goutte, il conduisit la petite caval-
cade jusqu'au pontlevis, 'et là ses regards
et ses bénédictions accotnpagnèretit son
ifils jusqu'au moment où îl le perdit de
TUC.
. 1
CHAPITRE II.
Âge «<mal)le l B|e hiureux! ton plus ))il apana|e^
Cen'tfst donc point Ttinour, la braaië, le. coaragei
El la g1oir« il belle , «l les plaisirs si doux ;
Von , lu sais espérer ; ce plaisir les vaut tous.
DtUULE.
4
. .Qiiïx.L£ eppfiance dans le sort ne devait*
il pas ayoir y qu,el rêve de.bonhcur ne de*
Toitril pas.iairp ^.ce voulant fifs d'un noble
chevalier,, qiii.partoit pour aller trouver
, le, ,l^9^4e ^ ^ vbrilljEipt . de ^ jeunesse . et de
a8 ^ LE NOVICE.
beauté, doué d'un esprit vif et hâtîvemeni
orné par des connoissances étrangères k
la plupart des hommes de ce temps ? qui .
dévoré du désir d'acquérir une haute re-
nommée, alloit se trouver placé sous la
puissante protection du héros de la
FrancePSil'on joint à tous ces avantages
une âme brûlante, une imagination pro-
pre à centupler l'effet des sensations dou-
ces aussi bien que l'effet des sensations
pénibles, on n'aura encore qu'une foible
idée de l'état d'ivresse dans lequel Robert
parcourut la longue route qu'il avoit à
faire pour arrivera Barcelonne. Son cœur
étoit plein d'une joie si vivo, il savouroit
si délicieusement l'existence, que, s'iln'eût
pas touché de près au temps où lui-même
avoit connu le désespoir, ilauroit nié le
malheur. Soit qu'il s'entretînt avec George
'de l'avenir qui s'offroit à lui', et dans le-
quel il n'entrevoyoit que gloire et féli-
cité, sôit qu'il se livrât en sftènce à ses
riantes idées , chacjiie iïistant de sa vie ap-
^ partenoitau bonheur,— Quelle surprise
LE NOVICE. a^
éprouvera Julien , se disoitril souvent, eu
reconnoissant dans Féouyer de Dugues-
clin le pauvre novice de Saint-Paul! îïous
nous étions dit adieu pour toujours, et
pour toujours nous voilà compagnons
d'armes; car je suivrai Julien en quelque
lieu qu'il aille. Et Robert sourioit joyeu-
sement, et de toutes ses pensées cette
pcûsée étoît la plus douce.
Il arriva à Barcelonne six jours après
les compagnies blanches, qui y étoient
entrées le premier janvier (i). L'aspect
de cette ville opulente et de la plaine fer-
tile qui lenvironnoit réjouît d'autant
plus ses yeux qu'il venoit de traverser
des provinces entières en proie à la mi-
sère et à la dévastation. Robert salua la
vieille cité d'Annibal, dont les nombreux
clochers annonçoient l'immense popula-
tion. Il n'entra pas sans émotion dans ses
murs, où chaque sièclp écoulé serabloit
avoir laissé son empreinte; tant la diyer-
I
/
/
sîtë du étyle déà raôiiùnients attestoitlat
domination slïocessive des Romains, des
Crbtlls et dès' Maures.
Les premières personnes qu'il rencon-
tra dans Id ville lui indiquèrent le logis
de Duguesclin; dont il prit le chemin
aussitôt. Quelques Kônimes d'armes de^
compagnies blanches parcouroient les
rues ; mais ils étoierit en fort petit nom*
lire, les chefs ayant grand soin de lès re-
tenir dans le câiinp qui étôit dressé hors
d'es* murs , sur les bords de la mèr. Il fa:I-
Toît ménager les Catalans, chez lesquels
on venôit en amis^ et qu'on jsavoit d^ail-
leurs être fort peu endurants.
— N'^oublie pas , dit Rotert à George,
lorsqu'ils approchèrent tous deux de la
demeure qu'on leur avoit désignée, n'ou-
"blie pas de t'iiiforme'r le plus tôt possible
'de la conîpagn ie Evrard, et tâche de savoît
où les chefs sont logés. •
-^ Je saurai cela ce soif tnème , tèpon^
"3îf le châsseùF; depuis que nous tou-
chons dans la ville, j'ai déjà retrouvédeux
oa trois Tisagc^ ikv^c;' lesjqi^els je' vais re*
mmer connpUsance. .
Us arrivoient. alors devant le palais
des rpis d'Arragon, dans lequçlv pour lui
faire bonneur^ on avort logé Duguesclin.
Robert remit son cheval à George, et
pénétra dans;cette royale demeure , dont
k magnifî.ceixce étoit ppur l\à chose
i]oav,^e.
Son entrée danslasalleoùse trouvoient
Duguesclin, Hugh Carverley, Strambourc
et plusieurs autres chevaliers, excita la
pltUS grande surprise; car, à l'exceptioa
de Bertrand^ personne. ne s'attendoitju
vqir arriver çn Catalogne celui qu'on
avoit laiss^'près de Çbâlons^ portant Tha*
b^|;.de novice*.;. .
^— Te voilai' donc, mou jeune brave ^
dit Dqguesc^n dès qu'il l'aperçut. Par ma
foi! vingt-quatre heures plus tard, il te
felloit cpurir après nous, car nous nous
iqf^ttons ofjefni^in eu route pour Sarra-
Robert , qui désiroit savoir aussitôt si
3i LE irdvicE.'
dom Ambroise ne s'étoît poîiit flatté, ou
si le héros breton n'âvoit point changé
d'avis, répondit assez habilement qu'il
auroit été chercher au bout du monde
l'honneur d'être attaché à la personne de
Duguesclin.
— Oh ! quant à m'être attaché , reprit
Bertrand, je l'ai promis à tori oncle. Nous
ferons cette campagne ensemble , à moins
que le diable rie s'en mêfe, et n'emporte
le maître ou l'écuyer, • *^*^
— Il feroit une trop belle prise en em-
portant le maître, Monseigneur, répon-
dit^Robert gaiement.
— Il ne peut plus emporter aucun de
nous, se mit à dire Pel'rin dé Savoie d'un
air railleur. Ne savez-vous donc pas, jeune
homme, que nous sommes tous en étafde
grâce ^ <^ue nous venons de recevoir î'ab*-
solution du saint père ?
— Assez , assez , interrompit gravement
Thomas Walter. Nous comtidëilçans ùhé
nouvelle vie, tâchons d'adopter un nou-
veau langage.
LX VOTIGK. 33!
— Par saint Yves! s'écria en riant Jeau
d'Évreux, je ne serai pas content qu'on
n'ait nommé Walter aumônier de l'armée,
— C'est maintenant son vrai lot, dit
Gauthier Huet.
— Qu'entendez-vous par là? répondit
Walter en fronçant ses épais sourcils de
façon à en imposer au plus hrave. Vou-*
lez-vous dire que je ne sois plus bon qu'à
réciter mon Pater? Par mon sabre ! dans
la première mêlée vous verrez si je mé-
nagerai mon corps ; mais je ne veux plus
risquer mon âme , à présent que je l'ai
retirée des griffes de Satan. ^
— Retirée , dit Jean d'Évreux. Ah î
mon pauvre Thomas, j'ai grand peur qUq
Satan n'ait tenu ferme.
— J'espère en la miséricorde de Dieu i
reprit le Flamand, sans s'inquiéter des
sarcasmes ironiques dont il se voyoit
l'objet^ mais en jetant à la dérobée, sur
le ci-devant novice, un regard où Robert
crut lire un pénible embarras. r
— Et jamais cette miséricorde n'a re-^
34 XJB W&fîOSX
poussé' lé repentir, sire Thoms^s^'Iùr dit
avecbdnté celui qu^il n'osoit regarder eu-
face. < ' : . '•'
— Je vous remercié dé ce mot ,.Jpune
homme, répondit Walterj car Vous "nT^-
gnorez pas que nous nous sommés d^èjà
vus de près. Le mal que j'ai fait à vos
frères pèse Iruderaent sur ma conscience j,
et si vous voulez de Thomas Walter pour
ami envers et contre tous , à la vie et à la
iûort, touchez là.
Robert serra la main du tard-venu ^y^
ime franche cordialité; car il est des nK>««
mens 4^ la vie où; le. ccefur n'a 4^ place
pour aucun resseiïtijiifefflA^ v < r- \
— Qu'on apporte du vï»^ s'émaHc^E
Calverley. Dieu^ me damne,- si v^e- fais le
moindre cas^ d'une rébonciliation à secx
D'ailleurs^ il est naturel dëlDoireii^la bieiH
Tenue <ia jeunô éciijrer^— ^Goùt^moi
fcela, jeune bommie^ dit4i^evi présentant
une pleine, coupe à' Hdbert, dès que 1«
vin fût apporté : il monte ^ua peu plus
Tite à la tête que vos Tins de Boui^ogne
et de France, mais il a son prix.
— Il a d'autant plus son prix, que nous
lepayons, dit Strambourc, .
— Avec l'argent du pape,, des roi» de
France et d'Arragon^ répliqua Bertrand
en riant.
— C'est aussi vrai que vous ledit Stram-
iourc, mon enfant, reprit Hugh Calver-
ley. 11 ne s'agit plus ici de fouiller dans
les caves.
— Tant mieux, répondit Robert pen-
dant quHl s'eflfbrçoif d'avaler la moitié de
sa portion, que l'Anglais avoit versée
comme pour lui-même.
— Tant mieux! tant mieux:! repartit
Perrin de Savoie en hochant la tête ; à la
bonne heure, tant que nous aurons de
logent.
^Craignez -vous d'en manquer? dit
Dognesclin ; ne voyez-vous pas à la ma»
nière dont nous sommes reçus ici' que ce
bon roi d?Arragon nous cajole^ et qu-il
nous traite eïi gens dont il a besoin?
36 LE irOTIGE.
— Par saint Jacques ! je le croîs bien ,
dit Jean d'Evreux; nous venons occire son
plus mortel ennemi.
— L'évêque me disoit ce matin , reprit
Bertrand , que son roi étoit peut-être plus
impatient que Henri de nous voir arriver
dans sa capitale.
— Aussi est-il juste qu'il paie les frais
de la guerre jusqu'au jour où le Transta-
mare régnera, dit Strambourc.
— Il y compte, répondit Duguesclin;
les ordres sont donnés pour que nous
trouvions, sur la r^ute de Sarragosse, les
vivres en abondance et à bon marché.
— Mais la route de Tolède, quand la
prendrons-nous ? repartit Gauthier Huet.
— Patience , patience ! reprit Bertrand,
qui avoit beaucoup à faire chaque jour
pour contenir des gens aussi avides de
butin ; ne faut-il pas d'abord nous rendre
à Sarragosse pour voir le roi d'Aragon ,
et surtout pour nous réunir aux troupes
que rassemble Henri ? Nous ne pouvons
LB iroyici. 37
agir en Castille que de concert avec ce
prince.
— D'ailleurs, ditHugh Calverley , plus
accoutumé que Perrin de Savoie et quel*
ques autres à la guerre régulière y de quoi
pourrions-nousnousplaindrePNesommes-
nous pas en bon pays? Avez-vous jam«'iis vu
une pareille abondance, des terres mieux
cultivées? On trouve ici des vignes jusque
sur les rochers. Mais, à propos de vignes ,
personne de nous n'a encore songé à de-
mander des nouvelles du plus digne Bqur*
guignon que je connoisse, de notre bon
sire Urbain ?
— Grâce à Dieu , répondit Robert , j'ai
laissé mon père bien portant, et aussi heu-
reux que moi.
. M— Tant mieux, dit Duguesclin ; il nous
a tous. reçus comme des frères.
— Et mon maître , mon.bon petit Jus-
tin Méridan , i*eprit l'Anglais ; s'est^il cop-
salé de notre départ? ':>»•)
— Je ne l'en ai jamais vu fort afûigéji tré-
pondit Robert en souiiant^ Je. l'ai, laissé
^ M ÎTWICS.
^rét à se melttse ^eii rôWe po«f /eHwumer
à Paris.
— A P^ris! répliqua Calyeiley; il -au-
roit bien mieux foit de m'accompagner
âoi^ comme je le lui avois proposé; C'est
-ici que je votidrois le voir , au milieu des
•ouvrages de ses bons amis les Romaini.
Je suis sûr qu il deviendroit fou dç joie,
va la vue de ce l)el aqueduc que j'apep-
♦çois de mes fenêtres. Badinage à part, goU-
4in«a-t-il d'un aîr sérieux et en regardant
tous ceux qui Fentôuroiént , sans en ex*
^^pter Duguesclin, badinage à part, jp
puis vous jurer qu'il y a plus d'esprit ^t
^e savoir dans la tète do ce petit bomme*
^à que dans toutes les nôtres réunies.
1E(qu6 ne sommes que des ânes près de lui;
<èt, pàr^tomt Georgeî-G^la me faitisonger
à boire un ^ùUp en soniibniteur. .
Il âUQÎt'en efifist remplir tsa cdupe de
itfotiVeau ,lonsqu:'uni grand bruiti sétfitien*
«tendre dans la pièôe voisin i^oÙTOleiitâti
-^lissit^t teHi^wdc Tr^HUs&anBare.: lA^rtr^
:]^^v¥tl,^ Hmj»iaiieJiomiQesCoJttvf«^;4^r^
IX IfOYICE; 3^
mes brillantes entra dans la salle , saiiii
de plusieurs cheyaliers castillans* ;A cette
vae, tout le monde se leva ^ saisi de sur^
^ptise et d'une sorte de respect , tandis que
le fils d'Ëlé'onore de Gusman s'étoit jeté
dans les bras de Duguesclin , en l'appe-
lant son sauveur.
Touché de la démarche du jeune prince,
Bertrand le serra de bon cœur sur sa poir
trine.
-^ Que Dieu m'entende , Monseigneur!
dit-il, nous serons tous battus , au vous
serez Toi, .
— Je le suis donc, répondit Henri^
quelles armées poun^oient résister à celles
que conduit Duguesclin ? Et vous, Mes^
sires, dit-il en se retournant vers les au^^
treschevftliers, vous qui êtes tous si dignes
de combattre sous un tel capitaine, croyca
que je suisbien fierde placer ma bannière
près des vôtres.
-—Vive Henri, roi des deux CaStilles 1
8*écriaStrambourc. Ge cri fut répété avec
enthouilainie par tou» ceux qui étoient
40 U irOYICE*
.présents , et surtout par les nobles Cas
tillans dont Henri étoit accompagné , qu
tous, s'étant prononcés pour lui depuis
. long-temps^ n'avoient plus d'autre altère
native que la victoire ou l'échafaud.
Duguesclin jugea quil^étoit convena<
ble que tous les chefs . des xompagnies
.vinssent saluer le prince. Il donna donc
l'ordre à Robert et à un autre écu.vei
d'aller les avertir aussitôt.
Robert, qui pour la première fois de
sa vie se trouvoit chargé d'une mission ,
suivit son jeune camarade , Roger de
Keradec, et lui demanda quelques rensei-
gnements sur la demeure de ceux qu'ils
alloient chercher. — Rendez-vous tout de
suite au camp , dit Roger; moi , qui. con«
nois la ville, je me charge de trouver ceux
qui y logent.
Cet arrangement, quoiqu'il fût le plus
simple, ne plaisoit guère, à Robert , qui
croyoit sire Evrard logé dans la ville; mais
ii le trouva merveilleux, lorsqu'il eut aper-
çu George qui l'attendoit sous le vesti-
LE KOVJGE. 4l
bule, pour lui apprendre que sire Evrard
n'habitoit point Barcelonne. Je vais donc
le trouver au camp , pensa Robert. Et s'é-
tant fait donner un cheval frais, car le
sien avoit fait quinze lieues dans la jour-
née , il partit au galop , doublement em-
pressé d'exécuter les ordres dont il étoît
cbargé.
Lanouvelle qu'il apportoit excita dans le
camp autant de surprise que de satisfac-
tion. Tous les .capitaines auxquels il par! a'
s'empressèrent de monter à cheval poux-
se rendre chez Duguesclin. Il lui restoit
pourtant encore à trouver sire Evrard ,
lorsqu'on lui indiqua une petite maison
de pécheur^ dans laquelle le chevalier,
gascon avoit, dit-on, pris son domicile.
Cette chaumière étoit située entre les der-
nières tentes qui formoient le cordon , et
la plage, que couvroientalorsles flots de la
Marée montante. Robert s'y rendit aussi-
tôt, non sans remarquer quel soin pre-
noit toujours sire Evrard pour s'isoler au-
tant que pouvoit le permettre sa sîtuaîon.
2*
42 LÉ NOVICE.
[^ Arrivé à la porte, il s^ta à terre, attî
cba son cheval , et frappa doucement pou
annoncer sa venue; mais personne ne Ii
répondant, il crut pouvoir redoubler, c
la porte, mal close, s*ouvrit alors d'elle
même. Cette chambre cependant n*étoi
point déserte. tJn jeune homme, dont Ro
bert ne pouvoit encore voir la figure
étoit assis près de la fenêtre , paroissàn
contempler attentivement les vagues écii
'mantes qui venoîent mourir sur la plage
à peu de distance de lui.
•— Julien ! s'écria Robert, qui, pour L
reconnoître, n'avoit pas eu besoin de dis^
tinfîruer ses traits-
- — O ciel ! quelle voix ! dit le jeune tard
venu en se levant , commd hors de lui
même ; c'est vous ! vous ici ! Et dans L
même minute, un rouge écarla te couvrî
ses joues, et fit place aussitôt à la plù;
' <« * ■ ■ ■- * ■ ■ ■
mortelle pâleur.
La joie, l'émotion de Robert ne lui pér
mirent pas alors d'observer quel troiibï
extraordinaire sa vue inattendue tehol
d'esccUer* Il sebâtoit d!explit}uer en pea
4e'W0ts coiïManent il se trouvoit libre , et
le eoiBpagQon d'armes de son. bien-aimé
lulien*.
— Evrard ! interrompit le jeunebomme
avec uti.c[ffrol qui lui permettait à peine
de s'exprinbei? ^ il ne peut tardôr à re-
tenir.
C'est Iqi-tnême que je viens chercher ,
répondit Robert forjt surpris. Qui peut
vous troublet* ainsi y cher Julijen ? Henri
d« Tf wstamai^e vient d'arriver à Barce*
lonne , et Duguesclin m'envoie pour en
4Yerlir:les chefs. ;
; . — Retourûez , retournez, reprit Ju-
liepy.dopt iesraembTies tremblants et les
lèvres pâles annonçoient une fayeur indi-
cible. Evrard, lui-même est à Barcelonne:
vous le trouverez chez le maréchal d'An-
dreghem, chez Jean d'Evreux, que sais-je?
Mais sur votre vie , sur la mienne , qu'U
îjgiior^ y ala^-If f •qVi'A!^ ignore, à jamais que
Bpus TkG^s .9(\i^ia(ies vus ici*
-KJu'eûtewidlsrîe 1 4'éçria Robert. Evrard
44' M irovicE.
peiit-il me défendre de vous voir, de vous
parler? Vivrons-nous étrangers Fun" à
l'autre , quand je croyoîs tous mes vœtfx
comblés , quand le ciel nous réunit soUs
la même bannière?
— Dieu tout-puissant ! c'est lui! s'écria
Julien. Une porte de la chambre don noit
dai>s une petite pièce où couchoit le pê-
cheur et sa femme; Julien l'ouvre, dis-
paroît , et la referme aussitôt , tandis que
Robert distingue en effet , le bruit d'aine
cavalcade qui s'arrêtoit devant là chau-
mière. '
Sire Evrard entra seul; Tout ému ^u-é^
toit lioberf , la vue de cet homme , qu'il
ii'avoit jamais aimé,* et' qu'il déleâtôft:
alors de toute la puissance dé son^âttîè ,
lui rendit à l'instant ime contertàhbe
ferme et résolue : plus propre à dissimu-
ler son trouble que tous les efforts qu'il
•-€ut pu faire.
— Qui êtes-vous? = dit brusqùemêttt le
-chevalier dès qu'il i'àperçttf; Puis ,* 'i^-
connoissant bientôt les Jraitià, fort rcmar-
LE iroTicas. 4^
quables^ du jeune novice d'iagéicour :*^
Que venez-vous faire ici? continua-t«-il
d'un ton où la surprise se méloit à la sé-
cheresse.
Kobert , plus enhardi qu'intimidé par
une telle réception , s'acquitta brièvement
du message dont son maître l'avoit chargé-
Sans y répondre un oiot, sire [Evrard
parcourut la chambre des yeux.'— Où
donc est Julien ? dit-iL
Jamais l'élève-. de dom Ambroi/se Jï'a-
voit menti; mais l'effroi, les discours de
Julien lui étoient encore rtrop présents ,
pour qu'il n& crût pas .nécessaire d'agir
avec prudence ^ et de feire à cette ques-
tion une «réponse évasive. . — :J'arriv6 à
ftnstant , 'répliqua- tri! ; et je ne sâia pour-
quoi ma vue a fait fuir votre frère aufih
— Veuillez m'attendre, reprit Evrard
en entrant dans la pièce i où Julien s'étoit
têtiiSe, ret doiii; il.ièut grand soin de:fe^«
met^ la porte 3iar lui. . . i
Un' intérêt ibiem Autrement vif que ne
48 LB irovicc.
sire Evrard qu'il s'y joîgnoît fi-équem-
une sorte de tic , ou de contraction vio-
lente des muscles du visage, qui avoit
quelque chose d'étrange et d'effrayant à
la fois. Son regard étoit habituellement
nombre, souvent même sinistre; néan-
moins , lorsque par hasard il s'adoucis-
soit , lorsqu'un rare sourire se montroit
sur ses lèvres , où se lisoit presque tou-
jours l'orgueil et le dédain , sire Evrard
devenoit un tout autre homme, et Ton
concevoit qu'il pût plaire.
— Pensez-vous, dit-il enfin à Robert
en ralentissant le pas, que le prince fas$c
un long séjour à Barcelonne?
— Je l'ignore , répondit Robert. Sii^e
Berti^and nous a fait partir comme il
.arrivoit.
, i — Il étoit seul ?
— Avec quelques seigneurs castillans.
— Je voulois dire , sans sa femme.
. . -r- Je ne savois pas qu'il fût marié,^,
^ : .— rll est marié, répliqua sire Evrard.
, Puis il remit son cheval au galop, jusqu'au
LE NOVICE, 4q
moment où Ton aperçut les portes de la
ville.
Lorsque Robert et son compagnon ar-
rivèrent au palais , ils ne trouvèrent plus
Henri de Transtamare chez Duguesclin.
Ce prince venoit de se retirer dans son
appartement, pour prendre du repos;.'
car rien [n'étoit changé dans le projet
de départ pour Sarragosse, et l'on se mèt-
toit en route le lendemain. Sire Evrard
parut extrêmement contrarié de ne pou-
voir être présenté à^ Henri. 11 s'approcha
de Jean d'Evreux, et causa long-temps
avec lui, d'abord à voix très-basse , puis
peu à peu, assez haut, pour que Robert,
qui ne les perdoit point de vue, et qui
dans ce moment se trouvoit très-près
d'eux, entendit le Gascon dire à son ami :
—Je préfère beaucoup m'adresser à elle-
même. Elle viendra sans doute le trouver
à Sarragosse , et nous avons du temps
devant nous.
Robert ne put saisir que ces mots et
chercha vainement à se les expliquer,
m. 3
t
I
f
/
5o LE KOVICE.
Quelques instants après , il vît repartir
sire Evrard. Sa pensée le suivit jusque
dans la chaumière; car le souvenir de Ju-
lie» $'étoit entîèremeni? emparé de son
imagination. Les paroles , la terreur d'tt
jeune homme lui révenoient sans cesse à
Tesprit. Grâce au ciiel, il n'avoit point
coa^romis le^ repos de tet être* si cherT
Mais par qudle bizarrerie pouvoit-rit Ife
compromettre? Cette question et mille
auitres qu'it s'adressoit sur le mystérieux
sire Evrard, roceupèrent sans relâche,
Jusqu'au moment où le sommeit viitt
«iifiûi fermer ses yeitx;
CHAPITJEIE m.
Liitsex-rao! p«rroarîr cette terre de ^blre»
G^ soDiier» nouveaux et coaowf ^
Où mes pat semUenl reveatu^
£1^0*9^^1(111^3 yeas métne kakifoit ma
P.
I^lendpmain le camp fut levé, et toate
Vannée se ipit en route pour Sarragosse»
Le comte de Transtamare, Dugtie3c6oy.
Hugh Calverley^ le Bègue de Vilaine et le
52 LE IfOVICE.
maréchal d'Andreghem partirent quel-
ques heures avant les troupes; en sorte
que Robert perdit l'espérance de jamais
rencontrer la compagnie Evrard dans la
roule. Mais il marchoit avec l'heureuse
certitude que cette compagnie suivoit,
qu'il faudroit bien enfin se réunir à Sar-
ragosse , où le séjour d'une cour fourni-
roit cent occasions de rencontrer tous les
hommes un peu marquants de l'armée.
Cette douce perspective , jointe aux rian-
tes distractions que lui offroit à chaque
pas le superbe pays qu'il parcouroit^
bannissoit de son esprit toute idée mé-
lancolique. Il jouissoit doublement à la
jviie de ces sites pittoresques , qui se re-
HOuVeloierit sans cesse devant lui, en
songeant que, dans peu d'heures, Julien
nlloit admirer le même spectacle. Parmi
tant de beautés qu'ctaloit à ses yeux la
Tîche nature de cette conlfée, il ne tarda
pas à distinguer le magnifique Mont Se-
rat, dont les rochers s'élevoient au-dessus
LE irovicK. 53
<les nuages (i). Mais lorsqu'au milieu de
ces masses arides ^ qui de loin ne présen-
toieiît aucune trace de végétation , il
aperçut les toits d'un monastère, et qu'il
apprit que cette sauvage demeure étoit
habitée par des religieux de l'ordre de
saint Benoît, un retour sur lui-même lui
fit éprouver un sentiment de bonheur
qu'aucune expression ne sauroit peindre.
De même que le prisonnier regarde
joyeusement la tour d où vient de le
faire sortir une grâce inattendue, il con-
templa long-temps les murs norcis, qui
renfermoient des bénédictins! Comparant
le sort auquel il s'étoit vu destiné , à celui
dont il jouissoit alors; se transportant ^
couvert d'un froc , dans cette étroite en-
ceinte, tandis qu il marchoit, le casque en
tête, près de lelite des chevaliers, sous
la protection du plus renommé de tous!
Le cœur plein d'une joie enivrante,
— .. ■ ■ '
(i) La cime da Mont->Serat est à trois mille
pieds au dessus du niveau de la mer.
56 I^ NOVICE.
„ — Falloit-il vous en parler lorsque
vous étiez moine ? reprit George. Au-
. tant vaudroît vanter la beauté du soleil à
. un pauvre aveugle! Il n'en est pas moins
vrai que, sans me faire valoir, je puis
. dire que je n'ai jamais manqué de maî-
tresses.
— Et tu craîgnoîs de me faire envier
ton bonheur , dit Robert en souriant
d'un air attendri, car une pareille délica-
tesse de la part d'un homme qu*on pou-
voit appeler grossier étoit un véritable
.prodige d'affection.
— Ah ! mon bonheur n'auroit peut-être
pas été de votre goût. Vous sentez bien
que nous autres, nous ne nous adressons
pas aux grandes dames ; ma dernière in-
clination
— Qui étoît-ce? interrompit Robert,
-que cette conversation intéressoit prodî-
igieusement, quelle que fut la rusticité de
:son interlocuteur.
— C'étoit Geneviève , la fille du somme-
lier d'Ingelcour.
LE NOVICE. 5']
— Fi ! George ; elle est horrible.
— C'est juste ! Elle n*est pas jolie; mais
elle étoit là. Et comme je ne suis pas
homme à perdre mon temps à courir
après une femme
— Ni à la pleurer, dit Robert en riant;
car, autant que j'ai pu voir, tu n'as pas
été trop affligé de votre séparation.
— Ne voulez- vous pas que j'en crève?
Chaque chose a son temps. Elle savoit
hien d'ailleurs, que nos amours n'iroient
pas loin. Je ne lui avois pas caché mon
envie d'être frère convers à Saint-Paul ;
que je sois frère convers ou que je courre
le monde , c'est tout un, pour ce qui la
concerne.
— Il faut, dit Robert , après avoir ré-
fléchi quelques instants , il faut qu'il
existe un autre amour que celui dont tu
me parles là.
— Un autre! s'écria le chasseur; par
^aint-Jacques ! nous en avons bien assez
d'un pour tourmenter les pauvres filles !
58 LE iravici.
mais faites -moi le plaisir de me dire où
vous avez déniché le vôtre.
— Dans quelques pages de nos livres ^
qui m'ont fciit rêver p!us d'une fois.
— Et vous en avez conclu ? dit George»
— Qu'il doit exister des sensations plus
fortes, plus profondes que toutes celles
qui me sont connues ; des sensations doat
l'âme de l'homme est avide, auprès des-'
quelles tout est froid , tout est inanimé. Si
l'on ne peut les éprouver qu'eu aimant
une femme , George , combien cette
femme doit nous devenir chère ! Com*
ment ne pas vivre et mourir pour elle l
comment ne pas l'aimer jusqu'à notre
sdernier jour!
La même?
* \t^Ei\ as-lu donc aimé plusieurs? reprit
Hobeirt.
" — Souvent deux à la fois; répondit le
chasseur.
— Ton amour est un setitîment vul-
:gaîre :qiiî ressemble à tout, dit avec dé-
dain le jeune écuyer.
LE NOVICE, 5^
— 3'eii fais pourtant beaucoup plus de
cas que de celui qu'on ne trouve que
dans les livres, répliqua George en
riant. Au reste chacun est amoureux à sa
manière; mais si vous voulez n'aimer
qu'une fois, je vous conseille de com-
mencer tard.
Bobert resta quelque temps plongé
dans une rêverie vague , dont il ne faut
pas demander ia cause, le sujet qu'il ve-
Boit de traiter étant celui qui fait rêver
le plus à son âge. Toutes les circonstances
l'avoient servi jusqu'aloi's pour le mainte»
mr dans l'heureuse ignorance où s'étoit
passée sa jeunesse. Il n'avoït fait qu'en-
trevoir l'existence d'uu sentiment plus
vif que celui de l'amitié ^ et cependant^
cette pensée avoit souvent élevé dans son
esprit une sorte d'inquiétude et de regrets,
qui se dissipoient bientôt, mais non sans
laisser quelques traces. Devoit-il croire
encore à cet amour ardent et passionné ,
qu'avoi^it dévoilé à sa jeune imagina-
tion quelq«ies lignes d^s poètes k'^nsl^
g^ LE IfOVICE-
ou devoît-il croire à Famour que venoît
de peindre George, passe-temps agréable
qui n'exerçoit aucun empire sur l'âme, et
duquel il ne pouvoit naître ni peine ni
félicité? Peut-être, avant peu, ses doutes
seroient-ils éclaircis? Peut-être aimeroit-
il lui-même ? au moins se promettoit-il
bien de n'en pas fuir les occasions. Il
remit donc à juger de l'amour d'après sa
propre expérience. Sans reprendre la
conversation où il l'avoit laissée : — Nous
verrons, dit-il à George, comme si celui-ci
eût suivi sa pensée depuis un quart
d'beure, et, piquant des deux , il rejoi-
gnit bientôt ses compagnons de voyage ,
qui alloient entrer dans Lérida.
A la vue de la ville antique et de la
riche campagne qui l'environnoit, il s'ar-
rêta tout à coup , promena ses regards
/^vec ravissement devant lui et se di
presque à voix haute :
Colle (arnet modico , Unique excrevit
in altum pingue solum tumulo : sw-
LE NOVICE. 61
per hune fundata vetusta surgit Ilerda
manu (i)
— Que diable chantez-vous là ? lui de-
manda Cal verley, près de qui il marchoit.
— Ne voyez-vous pas que c'est exac-
tement cela ? répondit Robert, ignorant
que dans son transport, il n'avoit point
parlé français.
— Par saint Yves! que voulez -vous que
je voie? dit l'Anglais.
— La ville de Lérida , telle que Lucain
l'a décrite , absolument telle qu'il l'a dé-
crite.
— Et ce Lucain parloit donc latin ?
— Sans doute. C'est dans sa Pharsale
qu'il dit
— Assez , assez ; vous le répéteriez
vingt fois, que je ne comprendrois pas
davantage. Mais, dites-moi, combien y
a*t-il d'années que Lucain écrivoit cela ?,
— Treize cents ans.
(i) Sur une colline fertile et d^une pente facile
el douce est située l'antique Ile rda.
6a LE NOVICE.
-^ Ccia étant, reprit l'Anglais I#êKi^ A
Ions retrouver la ville ; mais les hoBBUilft
qui Fhabitôlont alors, nous n'en retrou-
verons pas* méoie la poussière. Est-ce donc
kl peine de se tourmenter ici bas ? une
pierre survit à tous les Lucains- éu
monde.
— Pas à la Pharsale , répondit Rol>6rt.
— Vous» avez raison, mon ami, dît
Hugh Calverley; celui-là du moîn^ a laissé
quelque chose de lui ; mais nous autres,
par exemple, nous avons beau nous placer
toujours à l'avant-garde , monter à fas»
:saut le premier, une fois mort , tout est
dit.
— Non , non , reprit Robert , dvec feu.
T?oute gloire est suivie damé longuirre-
^nonmiée. Le . poëtn^' dorït noos* parloftis
ti'a«4-i1 pas été composé en> Th^rnievir 4%
César? les noms- des héros de lîaAtt
quilé ne sont-ils pas venus jusqiVà nous?
.«-. IL^st vrai que moi-même ,jia_ns pou-
Hfoir 4ire comment diabk je Fai appris ,
je sais depids k)ng*temps que ce Césâir
LE NOVICE* 63
éloit un brave j et peut-être aussi saura-
t^n jdaDS treize cents ans quels hommes
cfétoie»! que notrq prince de Galles,
BOb'e Dugiiesidîn.«««
— ^Et sire Hugh Calverley , ajouta Ro-
bert de ce ton simple et vrai qui n*an-
sooce aucune intention de flatter.
^ Ah ! répondit l'Anglais en souriant
4'a& atr de satisfaction , tant d'honneur
n'i^partient pas à de pauvres diables
Qomroe nous. Mais enfin, si jamais on écrit
b pécit de la bataille d' Au ray, je pourrai
j tenir ma place tout comme un autre.
Cette petite bouffée d'amour-propre
arrivoit à Hbgh Galvenley on ne sait trop
comment^ can aucun homme peut-être:
n'étoit moins vain que^ lui de sa vaillance..
A étoib.si naturellement brave et aven^^
%ureuK^ que les plus; hauts faits d'armes
pmf» lesquels il s'étoift signalé jusqu'ici lui
Sfifliblc^ent les choses du monde les plu»
Qrdiciûre0y , ou plutôt ime simple Gon«»
aéque^ce deTéiafid^homme de guerre. Il
fiiUoit doac. que l^iiée d'être inserît dans
64 ^^ NOVICE.
les fastes de l'histoire eût remué bien vi-
vement son âme , pour y faire vibrer cette
corde de la vanité , qui résonne sans
cesse chez tant de gens , mais qui se tai«
soit habituellement chez lui. Quoi qu'il
en soit, à dater du jour de cette conver-
sation , il témoigna la plus grande ami'^
tié à notre héros. Non-seulement il le
recherchoit en toute occasion, mais i)
ne cessoit de faire son éloge à Dugues-
clin , qui lui-même prenoit en affection
son jeune écuyer , dont le zèle pendant
la route alloit au-devant de tous ses
désirs.
L'arrivée de Duguesclin dans Sarra»
gosse excita l'allégresse de tous les habi-
tants; car , en aidant Henri à conquérir là
Castille , les grandes compagnies alloient
délivrer TArragon d'une guerre qui duroit
depuis plusieurs années, et dans laquelle
Pierre-le-Cruel avoit toujours eu l'avan*
tage. Le roi d'Arragon, politique habile,
n'omit rien pour attacher à ses intérêts
des alliés aussi utiles. Duguesclin fut logé
■^
LE NOVICE, 65
aussitôt dans un des plus beaux palais de
la ville. A l'arrivée de chaque compagnie j|
des pages ou des gentilshommes du roi
alloient au-devant des chefs ; les s.iluoient
de la part de leurs maîtres et les condui-
soient à la demeure qui leur étoit assi-
gaée. Non content de toutes ces démons^>
trations d'amitié , l'adroit monarque ,
pour s'assurer l'appui de ces braves et
terribles troupes , s'empressa de promet-
tre double paie aux soldats, fit présent
aux capitaines d'une somme considérable
pour remonter leurs équipages , leur as-
signant de plus des pensions proportion-
nées à leur naissance et à leur renommée.
Bertrand , comme chef de l'expédition ,
reçut particulièrement la ville de Borgia
et son territoire avec le titre de comté.
De toutes les cours de l'Europe , celle
d'Arragon, à cette époque , étoit peut-
être la plus brillante. La reine étoit (i)
(i) Léonore cle Sicile , troîsicnie femme de
Jom Pëdre IV, roi d'Arragon.
3*
6(5 LE NOVICE.
jeune et avide de plaisirs. Le roi , qui se
iaisoit gloire de protéger les science^ et
les lettres (i), étaloit en toute occasion
une somptuosité qui lui a valu le surnom
de magnifique. Les tournois, les bals, les
festins préludèrent au combat à mort qui
devoit bientôt se livrer entre Henri de
Transtamare et son frère. Les fêtes se suc-
cédèrent sans relâche, non-seulement
pendant le séjour de Henri à Sarragosse ,
mais encore après le départ de ce prince,
qui ne tarda pas à prendre congé du roi
d'Arragon pour aller rassembler ses nom-
breux partisans et faire ses adieux à son
épouse , qu'il laissoit dans un château so-
lidement fortifié , le seul qui lui restât de
tant d'autres biens dont Pierre l'avoît dé-
pouillé. Le rendez-vous général fut donné
à Sarragosse, où Duguesclîn et les chefs
de compagnies convinrent tous d'attendre
(i) Dom Pedre IV a fondé la fameuse univer-
sité d'Huesca, en i354.
LE NOVICE. 67
leretourdu prince, pour n'entrer en Cas-
tille qu'avec lui.
Parmi ces chefs qui s'empressoient de
goûter les plaisirs dont la cour étoit le
théâtre, un seul ne se montroit point.
Robert cherchoit en vain à retrouver sire
Evrard , ou dans le palais du roi, ou dans la
•ville. En vain George s'étoit mis en campa-
gne pour découvrir la demeure du cheva-
lier gascon et de son frère, nul n'avoit pu la
lui indiquer, et il falloit en conclure que
la compagnie Evrard n'étoit point entrée
dans Sarragosse. Robert fut donc con-
traint d'attendre du temps et du hasard
une nouvelle rencontre avec ce Julien ,
dont le souvenir ne le quittoit pas, même
dans le tourbillon du monde , où , pour
ne rien celer, il sejetoitavec toute l'ardeur
de son âge et de son bouillant caraclère.^
CHAPITRE IV.
De festons odorans le palais se décore I
J^enteoils déjà fri^mir ]a harpe et la maadore ;
Dans les vastes jàrdius mille feux suspendus ,
Les esclaves en foule en tous lieux répandus,
LVIan iinpctneux d'une feinte allégresse.
Tout appelle aux plaisirs une oisive jeunesse.'
Angelot.
Il n'étoit pas nécessaire de sortir d'un
cloître pour être ébloui et comme eni-
vré d'abord de la vie brillante et dissipée
où se trouvoît tout à coup lancé notre hé-
ros. On ne tarda pas à le citer comme un
LE iravicE. 69
des plus charmants cavaliers de la cour*'
La nature avQit fait pour lui tous les pre-
miers frais • et les leçons d'escrime qu'il
avoit reçues de George lui donnoient Je
ne sais quoi d'assuré ^ de noble et d'élé-
gant qui; sous le froc méme^ avoit surpris
son père et les tard-venus. L'affectueuse
protection de Duguesclin, jointe à ses
avantages personnels , l'établirent bien-
tôt dans le palais de dom Pèdre de la ma«
nière la plus flatteuse et la plus favorable
au désir ardent qu'il avoit de goûter enfin
ces jouissances du monde, dont il se pro*
mettoit tant de bonheur. Recherché par
les seigneurs arragonnais , qui tous , imi-
tant leur maître , cajoloient en lui le héros
breton , il ne l'étoit pas ^noins par leurs
femmes ; dont les avances^ dénuées de
tout but politique , étoien t bien autrement
séduisantes. Quoique soumis depuis long-
temps à des princes chrétiens, l'Arragon,
ainsi que la Castille , conservoit encore
toutes les traces de la longue domination
des Maures. Les mœurs des habitants ,
'beaacoiip plus policées là Tépoq^e dont
nous parions que cëttes>de6 autres peu-
ples de TEurope , étoieiit sui'tout eiû-
preintes de cette couleur galante et che-
valeresque que les lois sévères du chriiB-
tianisme n'ont jamais pu depuis effacer
entièrement. Partout , sous ce beau del y
retentissbient les chants de guerre et d- 1-
jnour. Là tout homme ne vivoit que pour
la gloire et pour sa dame , et la cour de
dom Pèdre, où se trouvoient rassemblés
les chevaliers les plus vaillants^ les beau-
tés les plus remarquables , offroit des sé-
ductioQ.s auxquelles le plus sage mortel
auroit eu peine à résister. Robert ne tarda
donc pas à dédaigner tous les plaisirs
auxquels il s'étoit livré d'abord, pour
l'unique plaisir de voir et d'entendre Don*
nsL Antonia d'Alvar. Donna Antonia n'a*
voit pas encore vingt-cinq ans ; sa beauté
étoit admirable. Veuve depuis deux ans,
elle étoit dame du palais de la reine , et
la snivoit en tout lieu.
Bx>bert reconnut bientôt qu'il n'aUoit
l^us aVec Ifêsiâuité aiix bals^ attx concert»
^ui se saccédoient à la cour, qoe dans
Tespoir d'y trouver Antônia. La fête la
phis brillante lui sembloit ennuyeuse et
triste, lorsque par hasard elle ne s'y mon-
troit point. Donna Antonia, de son côté,
îi'avoit pu voir impunément le jeune
écayer de Duguesclin. Ses regards, ses
discours annonçoient une préférence d
décidée, que notre héros, tout modeste
qu'il étoit, ne put douter long-temps de
son bonheur. Grâce à cette douce certi*
tude, il parvint à vaincre sa timidité; il
osa parler, et la belle Antonia, courtisée
parles plus brillants seigneurs de la cour,
n'hésita pas à les sacrifier tous au jeune
écuyer, dont les grands yeux noirs s'at-
tachoient sur elle avec tant d*expression ,
et qui lui parloit d'amour comme jamais
sans doute on ne lui en avoit parlé , car
Robert aimoit , ou du moins croyoit ai-
iner pour la première fois.
Pendant un mois que dura Terreur , le
TiJF empressement de Robert pour sa belle
^2 M NOVICE.
amie ne se ralentit point. Il ne pouvoit
passer nn jour , une heure sans la voir^ la
suivoit partout , arrivoit toujours le pre-
mier aux rendez-vous , ne quittoit pas les
environs des lieux qu'elle habitoit, pour
guetter un regard , un sourire , le moin-
dre geste. Qui n'auroit cru , à voir les deux
amants, que Robert étoit le plus passion-
né ? Cependant, Antonîa pleuroit lorsque,
dans leurs doux entretiens, elle songeoit
au retour de Henri de Transtamare , qui
bientôt devoit les séparer pour long-
temps, et le jeune écuyer ne pleuroit
point. L'idée de celte séparation n'étouf-
foit pas en lui le désir de se distinguer
dans un combat. Souvent même il son-
geoit qu'un changement de lieu pouvoit
le rapprocher de Julien, et si cette pensée
venoit le surprendre , fût-ce auprès d'An-
tonia , le cœur lui battoit violemment ,
puis il tomboit dans la rêverie.
Pour expliquer l'indifférence avec la-»
qu-elle Robert abordoit l'idée de quitter
Sarragosse , il faut dire que la vie agitée
LE NOVICE. j3
qu'il menoit avoit promptement perdu
pour lui tous ses charmes. Soitque Tausté-
rité du cloître eût àson insu porté sesgoûts
vers des jouissances plus graves ^ soit que
le tableau du monde qui s'étoit peint
d'avance à son imagination fûtbeaucoup
au-dessus de la réalité , un mois ne s'étoit
pas écoulé que déjà il s'étoit lassé de pas-
ser ses jours dans un tourbillon où son
cœur ne trouvoit aucun intérêt , son es-
prit aucun aliment , où le lendemain res*
sembloit à la veille, sans que jamais un
seul souvenir pût marquer une des heures
qui vonoient de fuir si rapidement. Sa
liaison avec Antonia avoit , à la vérité ,
offert un nouvel appât à cet avide besoin
de bonheur qui tourmentoit son âme ;
maisil reconnut bien tôt que l'amour même
laissoit encore un vide dans son cœur. Il
s'étonnoit de désirer des sensations plus
vives, des jouissances plus complètes. Ne
pouvant s'expliquer un tel désappointe-
mexkty il en accusoit cette foule impor-
tune au milieu de laquelle il étoit con«
lu. à
74 ^^ NOVICE.
traint de vivre. Sans doute, seul ave^
Anlonia-, il auroit été plus heureux? e^
cependant la voyoit-il sans témoiij , on-
eût pu croire que tous deux ne parloient
point la même langue. Elle sourioit à ses
discours sans les comprendre, car la vie
se composoit pour elle des habitudes d'une
-cour et de celles d'une vulgaire galante-
rie. Pour lui plaire, Robert parvint à se
renfermer dans ces lieux communs dont
il avoit l'horreur. Ses idées si vives, si va-
riées, qui traversoient son esprit, il re-
nonça à lui en faire part, et tout ne tarda
pas à se réduire entr'eux à ceci , qu'il
la trouvoït belle, et qu'elle le trouvoit
beau.
Certes , Robert étoit loin d'avoir ren-
contré cet être enchanteur qui nedevoît
faire qu'une âme avec lui , qu'il s'étoit
tvéé dans ses rêves d'amour ; mais pliis
il observoit les autres beautés de la lÈour,
jikis il retrouvoit eii elles les goûts, lès"
b^itudes, les manières de dona Anté-
nia. Toutes ne lui pafoissoient vivre qù*à
i-
LE NOVICE. 75
demi; aussi leurs avances et leurs asjace-
ries le laissoient-elles froid et glacé. Au-
cune ne lui adressoit le regard qui pou-
mt aller à son âme ; aucune ne faisoit
battre son cœur plus vivement. — Voilà
les femmes, sans doute, se disoit-il; je
chercherois mieux vainement. Je conçois
maintenant l'amour de George, et mon
amour, à moi, n'étoit qu'une chimère.
Cette persuasion cloignoit de lui tout dé-
sir de former une autre chaîne. On peut
dire qu'il restoit fidèle, en désespoir de
cause.
Robert éprouvoit donc déjà ce décou-
ragement qui accompagne toujours les
espérances trompées, et deux mois à
peine étoient écoulés depuis qu'il vivoit
dans le monde! déjà il regardoit autour
de lui, se demandant s'il étoit plus heureux
(qlï*à Saint-Paul. Il passoit sa vie au sein
de la magnificence , de tous les plaisirs, et
Jpèurtant des désirs vagues, une inquié-
tude d'esprit et dexœur qu'il ne pouvolt
Wiocre^ se £e^isoient sentir. Tant de joliis-
jG LE IfOVICE,
sances nouvelles pour lui, et qu'il avoit
savourées d'abord si vivement, ne du-
roient donc qu'un jour! ne suffisoient
donc pas au bonheur! Où l'iroit-il chercher
ce bonheur, qu'il s'étoit peint si vif, si
durable, quand il ne le trou voit pas dans
les plaisirs dont tous les hommes sont
avides, pas même dans l'amour? Par
quelle fatalité tout ce qui composoit la
félicité de ses semblables ne pouvpit-il
combler la sienne ? Ceux qui l'entourpient
jn'étoienl-ils pas joyeux, satisfaits? pour-
quoi n'éprouvoit-il qu'ime sorte d'étour-
disseraent , auquel succédoient bientôt la
fatigue et l'ennui ? 11 se dépitoit contre
lui-même, alloit parler guerre avec quel-
ques capitaines, s'approchoit des plus jo«
lies femmes , et tout cela sans rien obte-
nir qui satisfît son esprit ou son cœur.
Un soir qu'il étoit plus que jamais
dans cette triste disposition , il sortit du
palais d'AIjuferia (i) au moment où les
(i) Ce palais ëloit lors la demeure de dom
LK NOVICE. 77
joueurs de flûte alloient commencer le
concert, et, gagnant la campagne, il sui-
vit lentement les bords de l'Ebre. Le ciel
étoit pur et serein , un millier d'étoiles
brilloient au firmament , et l'air commen-
çoit à se charger des premiers baumes du
printemps, si précoce dans ces climats.
Robert respiroit plus librement. Seul
avec sa pensée, en présence de cette belle
nature, il éprouvoit un calme, une sorte
de ravissement , dont il avoit comme
perdu le souvenir; et cependant le temps
n étoit pas éloigné où souvent, au sein
d'une belle nuit, il élevoit son âme vers
le créateur, et prioit pour son père, dom
Ambroise et dom Joseph. Il s'arrêta. Il
lui sembloit renaître , il lui sembloit re-
Pidre comme il avoIt été celle des rois maures.
On y voit encore aujourd'hui quelques-uns des
«pparlemenls des rois d'Arragou. Ferdinand V a
fait dorer les voûtes el les plafonds de la grande
salle avec le premier or que Colomb rapporla da
Nouveau— Monde.
^8 LE NOVICE.
trouver les plus nobles sensations de l'être
intelligent; et ce qu'il éprouvoit lui fai-
soit sentir l'existence dans toute son éner*
gie. Livré à la plus douce rêverie, ses
pensées étoient riantes, affectueuses; il
se rappeloit son oncle, Julien, George^
tout ce qu'il aimoit enfin. Il les voyoit
près de lui, leur voix chérie résonnoit à
son oreille et se mêloit au bruit du vent
léger qui].ridoit la surface du fleuve. — Ah l
que l'on est heureux d'aimer! s'écria-t-il
^vec transport. Mais bientôt un seul sou-
venir domina tous les autres. G'étoit avea
un charme inexprimable qu'il se repré-
sentoit Julien ; Julien qu'il ne devoit peut-
être jamais revoir! Le moindre mot du
jeune tard-venu étoit encore présent à sai
mémoire; il le revoyoit dans la grande
salîe d'Ingelcour, dans l'église de Saint-
Paul , dans la chaumière du pêcheur, et
tout en reprenant le chemin de Sarragosse^
il se retraçoit avec délices les plus légers
détails de leurs entrevues, et pressoit de
ses lèvres la ba^e qu il avoit reçue de lui^
LE KOVICE* 7g.
— Qu'est-ce que l'amour, pensoitil, près
d'une amitié si tendre, près d'une si douce
sympathie? Jamais la voix d'Autonia a-t-
eUe ému mon âme comme la voix de Ju-
lien Pet pourtant Antonia m'aime; oui,
comme je l'aime aussi, sans chaleur, sans
entraînement. Un regard de Julien en dit
plus à mon cœur que toutes les paroles
d'Antonia !
Robert arrivoit alors dans la ville. A
peu de distance du palais qu'habitoit Du-
guesclin, et qu'il habitoit lui-même, il
aperçut le chasseur qui l'atteudoit et qui
accourut au-devant de lui.
— Arrivez donc! arrivez donc! dît
George ; j'ai été vous chercher au palais
d'Aljuferia sans vous y trouver. Sire
Evrard est depuis plus d'une heure chez
monseigneur Bertrand.
— Seul? dit Robert avec l'émotion la
plus vive.
t
— Avec sire Jean d'Évreux, ,
Robert n'en écouta p^s davantage et
monta quatre à quatre les marches de
80 LE NOVICE.
l'escalier du palais. Il trouva dans la
grande salle , où tout le monde se tenoît
d'habitude, plusieurs seigneurs arragon-
nais, quelques chefs de compagnies; mais
il ne vit ni Duguesclin ni les deux per-^
sonnes qu'il comptoit trouver près de lui.
— Où donc est sire Bertrand? dit-il à
Hugh Calverley.
— Dans son cabinet avec sire Evrard
et Jean d'Évreux, qui lui ont demandé un
entretien particulier.
Il n'en falloit pas davantage pour exci-
ter l'imagination de Robert. Dans l'espace
d'un quart d'heure , qu'il [passa en proie
à la plus ardente curiosité, il présuma
cent causes pour expliquer un pareil
mystère, sans entendre un mot de ce qui
se disoit autour de lui; il restoit debout
près de la porte du cabinet, dans une
anxiété que chaque minute venoit accroî-
tre. Enfin cette porte s'ouvrit. Sire Evrard
et son compagnon parurent les premiers,
traversèrent la grande salle en saluant-
LE irovicE. 8ï
légèrement à droite et à gauche, et sortî-
rent aussitôt.
Restoit donc la seule espérance que
Duguesclin parlât de l'entretien qu'il ve-
noit d'avoir avec les deux chevaliers. Ro-
bert s'assit, prêta l'oreille la plus atten-
tive au discours de chacun ; mais l'entre-
tien roula aussitôt sur Henri de Transta-
mare, que l'on attendoit avant huit jours
à Sarragosse, sur le nombre de troupes
que ce prince avoit rassemblées et rame-
noit avec lui. Bertrand se plaignit du long
temps que l'on avoit perdu sans agir, et
mille autres propos. De sire Evrard et de
Jean d'Evreux, pas le plus petit mot.
L'heure de se séparer arriva sans qu'on
eût prononcé leurs noms, et Robert, dé-
pité, se vit contraint de sorlir avec tous
les autres, sans être plus instruit.
— Les as-tu suivis? dit-il à George
qu'il trouva dans sa chambre en y ren-
trant
— Par Notre-Dame ! il m'auroit fallu
des ailes, répondit le chasseur; à peine
8a LE NOVICE.
sortis de la cour, ils ont mis leurs chevaux
au galop.
— Ainsi tout espoir est perdu de savoir
où se cache ce damné Evrard! et le prince
arrive avant huit jours, et l'armée va se
mettre en marche. Nous pouvoir mainte*
nant habiter l'Espagne pendant dix. ans
sans nous rencontrer!
Jamais Robert n'avoit eu plus d'hu-'
meur; il répétoit mille fois que l'enfer
s'en mêloit; et George, qui depuis long-
temps étoit à b^ut de ses recherches , fai-
soit chorus, avec lui, lorsqu'un page de
Duguesclin vint avertir le jeune écuyer
que son maître le demandoit.
. La plus vive satisfaction se peignit aus-
sitôt dans les yeux de Robert. Trop pré-
occupé d'une même idée pour se dire que
souvent Bertrand le faisoit appeler ainsi
dix fois dans un jour, il ne douta pas le
moins du monde que sire Evrard ne fut
l'objet de ce message, et ne fit qu'un saut
de sa chambre à l'appartement de Du-
guescUn. Ce dernier l'attendoit dans son
l
Ll NOVICE. 83i
cabinet, as^is près d'une table, où tout ce
qu'il fâlloit pour écrire se trouvoit pré*
paré, — As-tu jamais gardé un secret?
dit-il au jeune écuyer dès que le page les
eut laissés seuls.
— Jamais, répondit Robert; mais je
suis sûr He garder, fut-ce même au péril
de ma vie, tous ceux qu'il vous plairoit de
me confier.
— Mets-toi donc là , reprit Bertrand en
lui indiquant un second siège près de la
table. Tu vas écrire une lettre dont il ne
faut parler à personne j à personne , en-
tends-tu bien?
— Une lettre ! répondit Robert d'un air
distrait , tandis qu'il cherchoit à deviner
quel rapport une lettre pouvoil avoir avec
les secrets de sire Evrard.
— Au comte de Transtamare.
-*- Au comte de Transtamare 1 répéta
encore Robert sans trop savoir ce qu'il
disoit, car pour la première fois il abor-
doit l'idée qu'il ponvoit bien n'être nul-
R4 ^^ irovicE.
kment question de sire Evrard dans cett<
affaire.
— Quel diable te pousse donc à répète
toutes mes paroles, comme feroit ui
écho? dit Duguesclin avec une vivacit
qui rappela le jeune écuyer à lui-même
-^Pardon, dit-il; mais je pensois.... j<
croyois que le prince revenoit dans hui
jours.
—Et c'est justement parce qu'il revîen
dans huit jours que cette lettre presse.
— J'attends vos ordres, répondit Ro
bert en prenant la plume.
Duguesclin se gratta le front quelque
instants , puis dicta ce qui suit :
BEKTRANn DUGUESCm
AU COMTfl HjEITBI DE TrANSTAMARE.
« Votre altesse m'a encouragé à comp
» ter sur sa bonté pour moi et pour me
« compagnons d'armes. Un d'eux, qu
» commande aujourd'hui une compagni
j»sous le simple nom de sire Evrard, e
3».qui n'en est pas moins un des plus grand
LE NOVICE. 85
JD seigneur de l'Aquitaine, a recours par
»ma voix à votre noble assistance.
Ici la main de Robert trembla d'une
manière étrange ; mais il n'en prêta que
plus d'attention à ce qui alloit suivre.
» Son attachement à ses anciens mai-
» très et à la France l'ont entraîné dans
» des démarches qu'il auroit payées de sa
» tête s'il n'avoit été assez heureux pour
))fuir la vengeance du prince de Galles.
»Sa jeune femme l'a suivi, et depuis un
» an , sous le nom de son frère et sous les
)> habits de notre sexe, elle vit au milieu
» des tard-venus, exposée à tous les dan-
»gers
— Quoi! que dites-vous? Julien! Dieu
tout-puissant ! s'écria Robert, laissant tom-
ber sa plume, et joignant ses mains dans
un transport que rien nesauroit peindre.
Bertrand, uniquement frappé alors du
côté comique de la chose, fut peu surpris
des exclamations de son écuyer, car ce-
dant à un mouvement d'hilaHtë 'aussi vif
qu'involontaire : rr: Oui^ oui*/^dit-H len
86 LE NOVICE.
riant aux éclats, ]a dame Julienne!... Qui
diable auroit jamais deviné cela?... Venir
cacher sa femme au miliea de vingt-du([
mille tard-venus!.,. Que la pauvre dame
me pardonne, mais ving-cinq mille tard-
venus!.... Et ne pouvant plus tenir sur
son siège il se mit à marcher dans la
chambre, saisi d'un rire inextinguible.
Jamais accès de gaieté n'étoit venu plus
à propos. Il donna le temps à Robert de
rappeler ses esprits , d*étouffer au fond de
son cœur la joie , le bonheur qui l'eni-
vroit, mais il ne put y parvenir qu'en
s'abstenant pour ainsi dire dépenser, qu'en
«'abandonnant à un état de jouissance
vague et confus , dont il lui falloit oublier
la cause sôus peine de laisser échapper
son secret. Grâce à ses efforts sur lui-
même , il lui fut possible de reprendre la
rptume au moment où Duguesclin repre-
tibit sbn siège.
, fr- iClons en étions reslés ? dit Bertrand
/a'fissuyiant li^s y^u^V
LE NOVICE. 87
—A tous les dangers , répondit Robert,
tjui lisoit machinalement les derniers
mots.
» C'est pour cette infortunée, reprit
» Duguesclin continuant à dicter, que je
» sollicite les bontés de votre altesse. Que
» votre noble épouse daigne lui accorder
»un asile près d'elle jusqu'à la fin de la
«guerre. Nous saurons tous reconnoître
» cette grâce en versant notre sang, s'il le
vfaut, pour vous conduire au trône. »
— Après? dit Robert.
—En voilà bien assez, j'espère. Ferme.
Adresse au comte'Henri de Transtamara,
et le courrier du roi qui part cette nuit
pour le château de la comtesse empor^
tara ma lettre.
Bans l'état d'étourdissement où se trou-
vait Robert , il exécuta ces derniers ordres
ainsi que l'auroit pu faire un automate;
car ses jieux voyoient à peine, et sesoreilles
lui bourdonnoietit.
• — Je ne isâurôls servir tfojp éhaùdè-
88 LE NOVICE.
ment les intérêts du comte Evrard y re-
prit Bertrand. Tous ces seigneurs mécon-
tents , vois-tu bien , jettent des semences
dont le roi Charles un jour recueillera les
fruits. Le temps n'est pas encore venu
pour lui de les protéger ouvertement
contre le prince de Galles; mais rien
n'empêche ses serviteurs de prêter appui
à des amis de la Finance, à des hommes
qui, s'ils réussissent dans leur projet, ra-
mèneront l'Aquitaine sous la domination
de notre roi. Je dis notre roi, continua-t-il
en regardant Robert, parce qu'un Bour-
guignon est à moitié Français; c'est pour-
quoi je n'ai pas hésité à te confier toute
cette affaire, bien sûr que je puis compter
sur ta discrétion.
— Je mériterai cette honorable con-
fiance, répondit Robert en s'inclinant;
son trouble nel'empêchantpointde sentir
tout ce qu'elle avoit de flatteur pour luî^
— J'en suis certain , répliqua Bertrand;
et maintenant, mon garçon, tu peux aller
IB NOVICE. 89
te mettre au lit y car tu me parois tomber
de sommeil. <»
Robert ne se fit pas presser pour obéir ^
a sortît aussitôt; et quel charme ii'é-
prouva-t-il pas à se retrouver seul, à s'écrier
cent fois : — C'est une femme ! c'est une
femme! répétoit-il en couvrant de baisers
Fanneau chéri qu'il tenoit d'elle.
Parole, accent, regard, tout lui deve-
noit présent, tout acquéroit du prix à ses
yeux. Ne l'avoit-elle pas distingué parmi
taiit d'autres ? n'avoit-elle pas pleuré sur
lui? Julienne! Julienne! disoit-il hors de
lui-même, pardonne-moi de m'être laissé
abuser par de si foibles apparences.
Pardonne-moi de n'avoir pas su aussitôt
combien je t'adoroîs! combien je t'idc-
lâtrois î mais que dis-je ? mon cœur n'avoil-
il pas tout deviné? quand j'ai rencontré
ton regard, quand j'ai touché ta main,
fes battements de ce cœur ne me disoient-
ikpas : c'est une femme?
Il n'appartient qu'aux êtres passionnés
d'expliquer comment dans sa douce ex-
/
/
90 LE NOVICE.
tase Robert oublja loi^rtemps que a
femme étoit celle de sire Evraçd. Ënfir
souvenir le frappa comme un poigu
aigu , et le fit descendre de ce tronc
félicité humaine où les mortels ne i
soient, hélas! que pour bien peu d
stants. Ce désenchantement subit ne
noit pourtant pas à la jalousie; grâ(
l'excès de son amour, trop pur, trop
terrestre, si l'on peut s'exprimer ai
ce cruel sentiment n'entroit point ç
sa peine; car il aimoit Julienne côn
on aime les anges. Certain de la "v
d'entendre quelquefois sa voix , son 1
lieur lui eût semblé tel qii'il auroit s<
crit sans murmure au bonheur de
Evrard ; il le croypit au moins. Mais
cet homme abhorré eût le droit d<
soustraire à sa vue, qu'il pût les sép
pour toujours s'il en avoit la volo
que Julienne lui appartint ! toute sa t
leur étoit là, toute sa haine pour
Evrard sortoit de cette odieuse pçnsé
A travers tant de craintes s^r un
LE NOVICB. 91
nir dont son heureux rival étoit entière-
ment le maître^ il se méloit un bien doux
espoir qui domina bientôt dans Tesprit de
Robert. Julienne, admise une fois près de
lacomtesse, la suivroit en tous lieux. Si la
Gastille étoit conquise, si Henri devenoit
roi, il ne laisserait pas long- temps aon
épouse dans l'obscure retraite qu'elle ba-
hitoit. Tout dépendoit donc des succès :
qu'eu alloit obtenir sur Pierre. Il failoit
yaincre pour revoir Julienne , et chaque
combat , chaque victoire le rapprpcberoit
d'elle. Une pareille idée rendit à Robert^
toute sa joie. Tant de charme existe dans
le seul bonheur d'aimer , qu'oubliant sire .
Evrard, oubliant l'univers entier, il n'é-
prouva plus que l'indicible bonheur de
pouvoir exposer sa vie pour revoir unç
fois, une seule fois, Julienne. Admis à s^
trouver de moitié dans le secret de sire
Evrard, Robert pouvoit se permettre d'eq :
parler avec Duguesclin ; et l'on peut biea .
croire qu'il ne perdoit: a^uçune occasion
d'amener la coiive/satiQii ^ur. ce iiujet. V^
ga LE NOVICE.
jour qu'il paroissoit surpris que le che-
valier gascon n'eût pas préféré laisser sa
jeune épouse près de la reine d'Arragon :
— Ah ! dit Bertrand en secouant la tête ^
cette cour- ci est trop occupée de plaisirs
et de galanterie pour convenir à sire
Evrard. Je le crois jaloux comme un tigre;
je n'ai jamais vu d'homme dont les pas-
sions fussent pins violentes.
— Et peut-être Julienne en est-elle la
victime! peut-être n'est-elle point heu-
retise, dit Robert s'efforçant de ne té-
moigner qu'un foible intérêt.
— Elle! il l'adore. Les femmes aiment
surtout qu'on les adore : avec cela tout
passe. D'ailleurs tu dois trouver comme
moi que sire Evrard est fort bel homme.
C'est encore un avantage dont elles font
grand cas.
Robert soupira et se tut. Il ne pouvoit
se dissimuler qu'une affection bien vive
-avoit pu seule engager une aussi jeune
créature à prendre pour époux un pros-
Crif ; à le suivre au mépris des plus grands
LE IfOVlCE, g3
périls, au mépris de toutes les convenan*
ces. De pareils sacrifices ne s'obtiennent
que de Tamour. Sire Evrard étoit donc
aimé, tendrement aimé! tout le disoit,et
pourtant mille souvenirs aussi disoient à
Rofcert qu'il occupoit une place dans le
cœur de Julienne. Une voix douce et mys-
térieuse lui répétoit sans cesse qu'il n'étoit
point oublié. Cette conviction secrète
suffisoit à son bonheur , elle triomphoit
des apparences, elle triomphoit de sa
raison.
La réponse de Henri ne tarda point ;
elle étoit conçue dans les termes les plus
flatteurs. La comtesse altendoit avec im-
patience la protégée de Duguesclin , et la
traiteroit comme l'amie la plus chère. Les
deux époux éloient trop heureux, disoit-
il, de se trouver utiles au héros que le
ciel envoyoit à leur secours.
Ce fut encore par Robert que Bertrand
se fit lire cette lettre, qu'il se hâta d'eu-
voyer à sire Evrard, car le temps pressoit; •
Le prince annonçoit son arrivée à Sarra* '
gi4 i-K NOVICE,
gosse comme devant avoir lieu dans cinq
jours ; et sire Evrard, qui étoit dans Tin-;
tention de conduire sa femme lui-même,
n'avoit pas un moment à perdre. Robert
apprit enfin que la compagnie du chevalier
gascon étoit restée campée à peu de dis-
tance de la ville ; mais ce renseignement
lui parvenoit trop tard. La circonstance
ne lui permettoit plus d'en profiter.
— A Burgos! à Tolède ! se disoit-il alors,
trompant ainsi l'impatience qui le dé-
yoroit.
— Que Dieu nous seconde et nous y
conduise promptement ! Puis, il passoit
des heures entières à surveiller les divers
préparatifs du départ qui se faisoient déjà
dans Saragosse. Si, par égard, il donnoit
quelques moments à Antonia , il se nion-
troit près d'elle si froid, si préoccupé ^
évitoit avec un tel soin de lui parler d'a-
mour qu'elle-même, vivement blessée, se
réjouit bientôt en secret de voir appro-
cher le jour qui la délivreroit d'un par.
rail amant.
CHAPITRE V.
Sott âge ^chappolt ii l'enfance ,
Riante , comme rinnoccace ,
Elle avoitles IraiUde l'amour.
Partît.
A peu de distance de la yiUe d'Auch,
sur une colline boisée , au pied de la-*»
gnelle coule le Gers, s'élevoit jadis un des
plus beaux manoirs de la Gascogne. Ses
hautes tours ; qui dominoient un site
g6 LE irOVICE.
ravissant, étoîenl depuis plusieurs siècles
l'asile des comtes de Sorgas et de leur
noble famille. Pendant de longues années
le bonheur avoit résidé au sein de ce ma-
gnifique domaine, lorsque, dix ans avant
lepoque où nous avons commencé cette
histoire, la mort frappa le comte de Sorgas,
ses deux fils encore enfants , et ne laissa
pour héritière de tous les biens de cette
illustre maison qu'une petite fille âgée
de sept ans, nommée Julienne. Le com-
tesse, sa mère, jeune et belle encore, se
montra d'abord inconsolable , et ne pa-
roissoit plus tenir à la vie que pour la
consacrer aux soins qu'elle devoit à l'édu-
cation de l'enfant qui lui restoit; mais
peu à peu le souvenir de ce qu'elle avoit
perdu s'affoiblit au point que, l'année du
deuil écoulée , les plaisirs et la magnifi-
cence- reparurent au château de Sorgas.
Non-seulement une foule de chevaUei*s
anglais et gascons y furent reçus avec
avec autant de politesse et de courtoisie
que pendant la vie du comte, mais la
LE NOVICE. 97
belle veuve ne tarda pas à choisir parmi
eux un consolateur. Le baron Jean de
Cuilford , que la nature avoit trop bien
partagé pour que la fortune eût besoin
de songer à lui, fut l'heureux mortel qui
séduisit le cœur de la comtesse au point
de la décider bientôt à lui accorder sa
main. Il étoit jeune, beau, brave, aimé de
tous ses compagnons d'armes, hautement
protégé par le prince de Galles; tous ces
motifs firent oublier qu'il n'avoit pas un
sou vaillant dans le monde, et que le
vieux domaine de ses pères, situé dans le
York-Shire, étoit en grande partie vendu
depuis long-temps. Les tuteurs de la pe-
tite Julienne prirent les précautions né-
cessaires pour lui réserver tous ses droits
à la fortune de son père, et la comtesse,
fort riche elle-même , crut pouvoir sans
scrupule faire de très-grands avantages à
son nouvel époux.
Neuf apnées se passèrent pendant les-
quelles la baronne n'ayant point eu d'au-
tres enfants, sa tendresse pour sa fille ne
m. 5
98 LE NOVICE,
reçut aucune atteinte, et fit même cba
que jour des progrès. Guilford chérissoi
aussi Julienne comme s'il eût été so:
père , et jamais second mariage n'avoi
moins nui à la paix et au bonheur d'un
famille. Les plaisirs , les fêtes se succé
doient sans relâche dans le château d
Sorgas; on y tenoit un état de prince
en sorte que la jeune héritière, arrivée
l'âge de seize ans, n'entendoit parle
<ju'avec peine de Tinstant où sa mère lu
choisiroit un époux.
Un des divertissements favoris du ba
ron et de sa femme étoit la chnsse à l'oî
seau : aussi la fauconnerie de Sorga
étoit-elle renommée dans tout le pays, e
le prince de Galles lui-même n'auroit-i
pu s'en procurer une plus belle. Deu:
ou trois fois par semaine, un cortège
brillant partoit des cours du château e
se dirigeoit tantôt vers une vaste plaine
arrosée par mille petits ruisseaux qu
CQuIpient vers le Gers, tantôt vers un boij
immense que la hache avoit respecte
r>£ 1K>¥ICB 99
depuis des siècles comme un des plus
beaux ornements du domaine de Sorgas;.
Dn matin qu'on chassoit dans les supei>
bes allées de ce bois, Julienne, tin faucon
sur le poing, marchoit près de sa mère
montésurunebellejument blanche qu'elle
avoit choisie exprès comme difficile à con-
duire ; car elle prenoît plaisir à ce genre
de danger, dont jusqu'à ce jour elle s'é-
toit toujours tirée avec une grâce et une
adresse inimaginable. Elle étoit vêtue
ainsi que la baronne de l'habit court que
les chevaliers portoient alors pour la
<:hasse. Un superbe coutelas, dont la po£*
gnée étoit ornée d'or et de pierres pré-
cieuses pendoit au riche baudrier attaché
■à son épaule, et ses cheveux blonds étoient
felevés sous un petit bonnet d'iter-
mine qu'ornoit une magnifique aigrette*
Sous ce costume qui ajoutoit encore ài
ses charmes , [sa beauté étoit si graridet
que son heureuse mère la regardoit avec
OFgueiK
lOO lË NOTICE,
Au moment où l'on approchoît du Heu
qui avoit été fixé pour le rendez-vous
général, la baronne retourna son cheval
brusquement pour adresser la parole à
ceux qui la suivoient ; ce mouvement ef-
fraya la jument blanche , qui se cabra et
partit aussitôt au grand galop , malgré
tous les efforts de Julienne pour la retenir.
'Aux cris que poussa la baronne, plusieurs
chasseurs se mirent à la poursuite de sa
fille de toute la vitesse de leurs chevaux,
et ce secours imprudent ne faisant qu'ac-
croître le danger, Julienne ne songea plus
qu'à réunir toutes ses forces pour n'être
pas renversés parla rapidité de sa course.
On l'avoit perdue de vue depuis long-
temps , lorsque la jument qui couroit
alors à travers le bois, la jeta contre un
afbre , où elle reçut un coup si violent
quelle perdit les arçons et tomba sur
l'herbe sans connoissance.
En reprenant ses sens, Julienne ne
fut pas peu surprise de se trouver seule
avec un homme à peine âgé de trente
LE NOVICE. IO£
ans, qui paroîssoit lui avoir porté secours
mais qui lui étoit tout-^à-fait inconnu.
— Béni soit Dieu ! s'écria le chevalier; car
son costume annonçoit que tel étoit son
rang. — Béni soit Dieu , elle ouvre les
yeux !
La vie dissipée qu'avoit menée Julienne
jusqu'alors, lui avoit enlevé une partie
de cette timidité qui accompagne le jeune
âge. Ce fut donc sans aucun embarras
qu'elle fixa ses grands yeux bleus sur l'é-
tranger en le remerciant de ses soins et
en le priant de l'aider à rejoindre sa mère
qui chassoit dans la forêt. En finissant
de parler elle fittm mouvement pour se
lever; mais la vive douleur qu'elle ressen-
toit dans là tête, lui causa un étourdîsse-
ment qui la força à retomber ; elle porta
la main à son front en jetant un foible
cri, et retira cette main couverte de sang.
— Je crois être blessée dangereusement,
dit-elle en pâlissant et en regardant Té-
tranger.
io4 us irovicE.
Guilford nesauroit rien ajouter aubonheur
que j'ai eu d'être utile à son épouse. Ces
mots prononcés du ton le plus dédaigneux
furent suivis d'un soupir qui prouvoit
que plusieurs sentimens combattoient
dans le même cœur,
— Maintenant donc , reprit le baron
pour toute réponse, maintenant que Ju-
lienne est entourée des siens, nous allons
^rejoindre sa mère que j'ai laissée mortel-
lement inquiète.
— Eh ! comment retrouver mon cheval?
dit Julienne.
— Peu m'importe la perte de cette bête
maudite , répondit Guilford , vous allez
monter en croupe derrière moi.
Pendant ce dialogue le comte restoit
immobile à la même place, les yeux atta-
chés sur Julienne, commesi Julienne seule
^vait,étélà. En toute autre circonstance,
il eût, dès les premiers mots de Guilford,
détaché son cheval de l'arbre auquel il
LE KOYIGÊ, lo5
Favoit attaché , monté dessus et piqué
des deux; ou plutôt il eût demandé raison
d'une pareille insolence; mais pour cette
fois sa fierté habituelle se trouvoit an*
néantie par un charme inconnu dont la
puissance sembloit étouffer tous ses res-
sentiments et suspendre toutes ses facul-
tés. Ilfaisoit cependant quelques pas pour
s éloigner, lorsque Julienne s'approcha
de lui j et lui tendantla main en souriantde
Fair le plus gracieux : — Comte de Clérac,
lui dit-elle, croyez que jamais je n'oublie-
rai tout ce que je vous dois; et soyez sûr
aussi que ma mère et son mari, ajoutâ-
t-elle en montrant le baron, sauront tou-
jours le reconnoître.
A ces mots qui dissipoient l'erreur du
comte j le plus vif sentiment de bonheur
se peignit dans ses yeux — Quoi! dit-il ,
vous êtes libre ! quoi ! cet homme n'est
point
. —Venez donc, ma fille, dît le baron
en prenant le bras de Julienne, tandis
qu'il je toit un coup d'œil furieux sur le
7^6 JSÊ ïKyvios.
ieomte. -i. AdieuxionCy sire Jean; dit Clé^
racaveciinisolirîrosardoiiiqiïe. — Adieu>
sîre -Evrard y réponditljrusqueHient Guil-
lord. Tous se mii^ot eh selle à l'instant et
partirent ; Le baron et sa suite :mi petit
pas, le comte au grand galop du côté op-^
La baronae fut très^effrâyée , lors*-
qu'ayant entendu les cors du coté où son
mari arrivoit, elle euJt rejoint sa fille. A
peine , dans ces premiers momens^ Guil-
ford nomnàart-il le comte,, car il étoit trop
occupé de l'état de Julienne ^ qui se sen-
tit défaillir plusieurs fois avant d'arriver
an château, où elle se mit au ]itsur4e^
champ. Mais le soir labaronneétantvemiiê
dans la chambre de sa fille accompagnée
de son mari; la conversation s'étabiit
enlr'eux sur l'événement du matin. —
Je ne puis vous exprimer , dit Guilford^
le chagrin que j'ai ressenti en trouvant
près de notre chère enfant rhomrae^q[ue
je déteste le plus au monde, l'homme que-
jlai rencontré toute ma vie sur mon che^
I
I
LE NOVICE» iO'J
min pour me nuire on'm'însulter, mon
plus mortel ennemi enfin; Que rfis-je mon
ennemi ! celui de tous les Anglais , celui
de notre souverain; car on sait combien
il regrette la domination de la France , et
le prince de Galles n'ignorepas qu'il est
toujours prêt à entrer dans les conspira^
tîons qui tendent à nous faire perdre ta
Gascogne.
— Et pourquoi, répondit la baronne ,
ne le surveille^t-on pas de près et ne lui
fait-on pas payer cher ses trahisons ?
— On le surveille sans doute, reprît
Guilford , mais il £aut être deux fois sûr
de son fait avant de frapper un homme
qui tient à toute la haute noblesse dii
pays. L'accuser sans le convaincre seroit
extrêmement dangereux ; vous verriez
aussitôt les d'Albret , les d'Armagnac ^
les Périgord et tant d'autres s'armer pour
nn traître, dont au fond du cœur, n'en*
doutez pas, ils partagent tous les senti-
ments et les désirs.
— O ciel ! vous me faites trembler.
]o8 UE IfOVICE.
s'écrie la baronne que son mariage avec
Guilford avoit rendue tout Anglaise.
— Que ceci reste entre nous, reprit le
baron , je ne me suis laissé entraîner à
en dire autant que dans l'espérance d'ou-
vrir les yeux de Julienne et de lui faire
partager Téloignement que nous devons
tous avoir pour celui qu'elle appeloit ce
matin son libérateur.
— Certainement, sire Jean, répondit
Julienne , vous pouvez être sûr que je
vous garderai le secret surtout ceci,
d'autant plus que je n'y vois après tout
que des suppositions; pour moi je ne croi-
rai jamais que le comte de Clérac soit un
traître avec une figure aussi noble , un
cœur aussi bon....
— Ah! ah! interrompit le baron, riant
d'un rire amer, voilà l'affaire! la belle fi-
gure du comte doit l'absoudre de tout.
Je ne vous aurois pas cru , Julienne, aussi
sensible au charme de deux grands yeux
noirs; mais j'avois tort, je de vois savoir
que toutes les femmes se ressemblent.
LE NOVICE. 109
Sire Jean , dit la baronne avec hu-
meur , voilà qui n'est point du tout poli.
— Laissez , laissez , Madame , reprit Ju-
lienne du ton le plus dédaigneux , je puis
vous assurer que je reçois ma part de
l'injure avec une profonde indifférence
— J'ai tort , reprit le baron en prenant
la main de sa belle-fille qu'il porta à ses
lèvres; mais le souvenir de cet homme
suffit pour me faire sortir des bornes de
mon caractère. Ainsi , Julienne, je vous en
supplie, que son nom ne soit plus pro-
nonce entre nous.
En achevant ces mots , le baron em-
brassa sa femme, et depuis ce jour en
effet, le comte de Clérac parut être ou»
blié au château de Sorgas»
Cependant par une bizarrerie dont le
cœur des femmes offre plus d'un exem*
pie , l'opposition qu'éprouvoit Julienne
dans le sentiment de sa reconnoissance
accrut ce sentiment bien loin de le dimi-
nuer, et le rendit plus tendre qu'il nel'au-
roit été peut-être eu toute autre circons-
JCiO JfE NOVICE.
tance. Elle s'abstint , il est vrai, de parler
du comte de Glérac , mais elle y pensoH
sans cesse et se le représentoit , coupable
ou non, entouré de pièges, menacé de
porter sa tête sur un échafaud; enfin son
intérêt pour lui alla bientôt si loin que le
comte lui devint presque aussi cher qu'il
^toit odieux à Guilford. Elle auroit voulu
à tout prix lavertir des dangers qu'il cou-
Toit, acquitter ainsi la dette de son cœur
envers lui; mais rien au monde peut-être
n'étoit aussi difficile, puisqu'elle ignoroit
même en quel lieu séjournoit celui
qu'elle ne devoit certainement plus revoir.
Elle étqit depuis une semaine entière-
ment rétablie de l'indisposition causée
par sa chute; néanmoins, éprouvant en-
odre un peti de foiblesse , elle sedispensoit
de prendre part aux différents divertisse-
ments qui avoient lieu tous les soirs daa$
la grande salle du château» Dès que la
nuit étoit venues, elle se retiroit dans son
appartement, et, là ^ seule, elle s'établis-
soit sar le balcon de la tourelle qu'elle
LE ïcovici:. iri
habitoît, pour y passer quelques heures
de suite, plongée dans une vague rêverie^
ou chanter quelque ballade nouyelle en
s'accompagnant de son luth«
Un soir, elle étoit sur ce balcon : ses
yeux, tantôt se fixoient sur le ciel, où
brîUoient mille étoiles, tantôt sur une
-vaste plaine qui s'étendoit jusqu'au Gers
et qu'arrosoient une multitude de petits
ruisseaux argentés par les rayons de la
lune, retraçant à son souvenir tous les
détails de son étrange entrevue avec le
comte : — Quelle bonté ! se disoit-elle :
quels soins touchants il me prodiguoit !
et Finsulte a été sa seule récompense!
moi même l'ai-je assez remercié ? ne de-
vois-je pas chercher à réparer les torts
de ce méchant baron? Sans doute il me
confond avec ses ennemis! il me croit in-
juste^ ingrate. Et dans rattendrissement
que lui causoit cette idée, elle s'écria
tout haut : — Evrard ! bon Evrard!
— Julienne! puis -je croire que voçs
m'appelez? répondit quelqu'un qui,s!étpit
lia LE WOVICE,
caché derrière le mur de la tourelle, et
qui se montra tout à coup.
Julienne poussa un cri de surprise;
mais se remettant aussitôt et reconnois*
sant le comte, sa pensée habituelle, le
désir qui la dominoit la préoccupèrent
entièrement. Elle se pencha sur le bal-
con : — Sire Evrard, dit-elle, quel bon-
heur vous envoie ! il faut absolument que
je vous parle.
— Je viens ici tous les jours , répondît
le comte , qu'un pareil accueil ravissoit ;
plus d'une fois je vous ai entendue chan-
ter ; mais, ignorant si vous étiez seule, je
n'ai point osé paroître.
C'est le ciel qui vous conduit près de
moi. Ecoutez-moi bien , sire Evrard ; mais
d'abord , il faut me jurer de ne prendre
aucune vengeance.
On ouvrit alors la porte de la chambre.
— A demain, à la même heure, dit Ju-
lienne en rentrant précipitamment et
refermant la fenêtre.
Toute entière à l'idée d'avertir le comte
LE lîOVlCE* 1X3
de veiller à sa sûreté, Julienne n'avoit
pensé d'abord à nulle autre chose. Ce ne
fui qu'en se rendant compte de l'espèce
de sentiment dont sire Evrard sembloit
atteint, qu'elle sentit l'inconvenance et
le danger de recevoir en secret un homme
jeune et beau, qui l'aimoit, s'il falloit en
croire toutes les apparences , mais qui ne
pouvoit jamais obtenir sa main, lors
même qu'elle l'aimeroit aussi, ce dont
elle n'étoit pas bien sûre. — J'aurois le
le plus grand tort, se dit-elle, si j'entre-
tenois ses espérances, et peut-être la
conduite que j'ai tenue ce soir l'abuse-
t-elle déjà sur la nature de l'intérêt qu'il
m'inspire? il faut qu'il sache tout. Je lai
parlerai demain et j'obtiendrai de lui qu'il
ne s'expose plus aux dangers qu'il court
en venant ici.
Julienne prenoit si fermement cette
sage résolution, qu'elle pensa même à ne
point parler au comte, mais à lui remettre
une lettre, car elle sa voit écrire. Dès sa
plus tendre jeunesse , ayant prisé le sa-
5*
Il4 UE NOVICE.
Toir, elle s'étoit fait donner des leçons par
le chapelain. Le seul motif qui lui fit re-
jeter cette idée futla crainte que le comte
ne sût pas lire , et tel étoit en effet le cas.
La journée qui suivit parut d'une lon-
gueur insupportable à Julienne. Enfin, la
nuit étant venue, elle alla s'établir à sa
fenêtre, sous laquelle sire Evrard l'atten-
doit déjà. Après avoir fait promettre au
comte d'étouffer tout ressentiment contre
Guilford , et , quoi qu'il pût arriver, de res-
pecter des jours auxquels ceux de la ba-
ronne étoient attachés, elle lui avoua sans
détour toute la haine que le baron avoit
pour lui; parla des complots dont il étoit
accusé, en le suppliant de se justifier
aux yeux du prince de Galles, s'il étoit
innocent, et de^e tenir sur ses gardes, si^
par malheur, il étoit coupable.
— Je ne vous demande point votre
secret, ajouta -t- elle. Je sais combien
d'entre vous ont souvent été entraînés
dans des entreprises, qui les rendoient
sispects à leurs nouveaux maîtres; mais
LE KOVICE. I'l5
il importe que vous sachiez qu'on vous
accuse, que toutes vos démarches sont
observées, et qu'à la moindre preuve
de votre îhteUigence avec la France, votre
tète tomberoit.
Je crois vous devoir ma vie , sire Evrard,
puissiez-vous me devoir la vôtre. Cet es*
poir seul a pu m'engager dans une dé-
marche que je me reprocheroîs , si cette
entrevue n'étoit pas la dernière que nous
aurons ensemble. Jugez de ma recon-
noissance , puisque c'est moi qui vous l'fti
demandée cette entrevue, à vou» Ten-
nemi de tous les miens ; à vous que mes
devoirs m'ordonnent de fuir.
— Vos devoirs ! s'écria le comte. Eh F
que devez-vous à ce Guilford ? il n'est pas
yotre pore.
— Il m'en a tenu lieu du moins.
— Et vous épousez sa haine ! je vous
suis odieux, Julienne ! dites que je vous
suis odieux. C'est alors que je ferai tout
pour aller porter sur Téchafaud une tété
que vous aurez proscrite. Julienne! Ju-
1 16 LE irOVICE.
lienne ! savez-vous à quel point je vous
airae ? savez-vous que votre premier re-
gard a fixé ma destinée ? ne plus espérer
de vous obtenir un jour, c'est la mort.
— . Cessez, comte de Clérac, cessez des
discours que je ne pois entendre; songez
que tout nous sépare.
— Vous seule pouvez nous séparer,
mais tant d'amour ne touchera-t-il pas
votre cœur , Julienne ? n'aurez-vous
point pitié de moi? Un jour vous serez
libre de disposer de vous; eh bien! je
l'attendrai ce jour; plus heureux d'une
espérance aussi chère que de tous
les autres biens de ce monde. Je vivrai s'il
le faut sans vous voir. Il me suffira de
^penser que vous me gardez votre foi, et
pourtant, loin de vous, toutes mes actions
vous seront soumises. Vous me ferez
parvenir vos ordres, aucun ne sera
enfreint. Entourée de mes ennemis, vous
n'en régnerez pas moins sur moi en
souveraine, et si leur haine l'emporte, si
vous repoussez une tendresse que rien
LE NOVICE. 117
n'a jamais égalé ! faites-moi dite : Meurs ,
Evrard , je ne puis t'aimer.
Julienne auroit voulu lui imposer si-
lence; mais, touchée malgré elle d'un
amour si vrai , si passionné , elle ne se
sentoit pas le courage de déchirer un
cœur qui lui étoit aussi tendrement dé-
voué. Un amour véritable a quelque
chose d'entraînant dont toute femme
éprouve l'effet, surtout lorsque celui qui
l'exprime est un des hommes les plus sé-
duisants que l'on puisse voir , tel qu'étoit
alors sire Evrard, dont le chagrin n'avoit
point encore altéré les traits. Ce fut donc
d'une voix douce et d'un ton où perçoit un
attendrissement plus propre à augmenter
le mal qu'à leguérir, que Julienne s'efforça
de ramener le comte à la raison. Mais'en
vain elle lui répéta que jamais on n'ob-
tiendroit sa main sans le consentement de
la baronne et de son époux, en vain même
elle l'assura franchement quelle étoit
résolue à ne plus ie revoir; Evrard refu-
soitde croire à son malheur, s'obstinoit
ii8 ££ iroYics*
iians ses espérances ; et , lorsqu^après
deux heures d'entretien , Julienne lui dît
enfin un dernier adieu , il partit , empor-
tant l'idée que son amour étoit partagé
ou que du moins il inspiroit quelque
intérêt à celle qui l'a voit fait naître.
Quel fut donc son chagrin, lorsqu'é-
tant revenu plusieurs nuits] de suite
près de cette tourelle , qui renfermoit
pour lui Funivers, la fenêtre ne s'ouvrit
pas ; aucune lumière ne se montra y de
façoti qu'il auroit pu croire que Julienne
n'habitoit plus cette partie du château, si
pour son désespoir il n'étoit pas par-
venu à s'assurer du contraire. Julienne ^
en effet , n^avoit point quitté la tourelle;
mais, fidèle à ce que son devoir lui dio-
tbit, elle s'éloit juré de fuir celui que
peut^tre elle n'auroit pu revoir sans
danger. Ce qu'efle éprouvoit pour le
comte n'étoit pas de ramoiir;- car l'a-
mour ne cède point aussi facilement à la
raison; cela y ressembloît assez néan-
moins pour qu'elle crût devoir se tenir
LB WOVICK. Tig
en garde contre son cœur. Elle avoît
donc le courage de ne point se montrer
au comte , de ne point répondre à sa voîx,
lorsqu'il s'aventuroit jusqu'à l'appeler à
voix basse; cependant, tant qu'il étoit
là y elle restoit debout derrière sa fenêtre^
le suivant des yeux, observant tous ses
mouvemens , que le clair de lune lui per-
mettoit de distinguer, soupirant lors-
qu'elle le voyoit exprimer par sa conte-
nance la douleur qu'il ressentoit , et
jamais elle ne quittoit son poste mysté-
rieux avant qu'il ne se fut éloigné, dans
un état de désespoir dont elle étoit at-
tendrie jusqu'aux larmes.
Deux semaines entières s'étoîent écou-
lées de la sorte , et , pour dire la vérité, le
courage de Julienne étoit prêt à s'ébran-
ler, lorsqu'un soir, sire Evrard ne parut
pas à l'heure accoutumée. Julienne s'en
inquiéta au point qu'elle finit par ouvrir
sa fenêtre pour regarder au loin si elle ne
le distinguoit point dans la plaine : les
rayons du jour éclairèrent l'horizon sans
laO LE KOYIGE.
qu'elle le vît paroîlre. Il en fut de même
le lendemain et plusieurs jours suivants ;
en sorte que Julienne, lasse d'une attente
si souvent trompée, et persuadée que le
comte avoit pris son parti, se promit bien
de ne plus s'en occuper. Elle ne put s'em-
pêcher toutefois d'éprouver un certain
dépit en se rappelant le ridicule intérêt
qu'elle avoit pris à un amour si facilement
éteint.
Il lui fallut peu de temps pour bannir
entièrement sire Evrard de sa pensée ;
bientôt elle se livra de nouveau à tous
les plaisirs que lui offroit le séjour de
Sorgas. Les chevaliers les plus aimables
s'empressant de faire une cour à la ba-
ronne et à sa jQlle, la société s'y trouvoit
toujours nombreuse. Un jour qu'en pre-
nant l'air sur la terrasse trois ou quatre
jeunes femmes, au nombre desquelles se
trouvoit Julienne , s'amusoientà chercher
des devises pour les chevaliers qui les eu-
touroient, on en avoit choisi plusieurs
que l'on vouloit faire prendre à Jean d'E-
LB WOVICE. laî
vreux, dont le caractère insouciant et lé-
ger étoit généralement connu. Ce cheva-
lier venoit d'arriver au château deSorgas^
où il paroîssoit fort rarement : après avoir
reçu de bonne grâce les traits qu'on lui
décochoit de toutes parts , il demanda la
jpermissîon d'offrir à son tour des devises
aux dames qui daignoient s'occuper de
lui , et sur leur consentement : — Je com-
mence , dit-il , p^r la belle Julienne, Je
prendroîs pour elle un serpent, le plus
joli du monde, et j'écrirois dessus : Je
charme^ mais je tue.
— Quelle horreur! s'écria Julienne en
riant; grâce au ciel je n'ai jamais causé la
mort de personne.
. — Peut-être , répondit Jean d'Evreux
avec beaucoup de sérieux.
— Quoi! tout de bon, sire Jean ? reprit-
elle en continuant de plaisanter. Faites-
moi donc connoître au moins quelques-
imes de mes victimes.
— C'est ce que je feroîs si nous étions
seuls, répondit-il à voix basse et d'un air
m. 6
la^ I-E JCrOVICE.
toujours plus grave. Puis se. retournant
vers les autres dames, il changea de dis-
cours avec, une gaieté factice, après avoir
|eté sur Julienne un regard si étrange
qu'elle en fut troublée sans savoir pour-
-quoi. .
Pendant la promenade: q:tii suivit cette
conversation, Julienne, involontairement,^
:.se rapprocha de J^an d'Evreux, qui lui»-
rtême p^roissdit rechercher un entrçtiea
avec elle. Dans un moment où ils mar-
<iioie^nt tous deux réparés de la société,
Julienne demanda gaiement à sire Jeaa
^i elle faisoit bien de souffrir près d'elle
niii ealomniaieur.
— Plut à Dieu que j'ensee calomnié !
^Itépoaàit, tristement le chev-aUer^ ignorez-
vous donc quelepaavr^ Enrcard?*..
-*-^ O ciel ! s^écria Jtttrenne en pâlissant ^
liîré Evrard est*ii mort?
f -^ Fea die jours lui restent à Vivre du
moins, répondit Jean d^EtreU^ , puisqu'il
Repousse tous les secours-, puisqu'il veut
LE ]NroyicJç. aa3
mourir!. et le chevalier s'efforça voiaer
ment de retenir une larme.
— Dieu ! pourquoi l'ayez-vous quitté?
— C'est moi seul qu'il a voulu, charger
de vous apporter son dernier soupir , de
vous dire qu'ij n'avoit pu survivre à votre
indifférence, à vDtre haine. Maudit soit
le jour où l'infortuné vous a rencontrée l
Evrard porte une âme de feu , son arpour
n'étoit point un amour vulgaire. Femmes!
femmes ! voilà de vos jeuîc \ que le ciel vous
le pardonne! pour moi j'ai rempli ma
triste mission. Adieu.
— Arrêtez ! s'écria Julienne pâle et
tremblante; ne m'accusez pas! Que vou-
lez-vous que je fasse? Je suis prête à tout^
plutôt qu'à supporter l'horrible idée que
j'ai causé sa mort !
Un rayon d'espoir et de joie brilla dans
les yeux du chevalier.
— Vous seule pouvez me le rendre ,
dit-il en saisissant la main de Julienne;
ma douleur, mes prières, rien ne le tou-
che ; mais si je dis que vous lui: ordonnes
Î24 UE KOVICE.
ye vivre , que vous lui pei^mettez d'es-
pérer....
— Dites tout ce qu'il faut pour le sau-
ver ! s'écria Jùlîéhne hors d'elle-mêrae.
Partez à l'instant , ah! partez ! fasse le ciel
qu'il pe soit pas trop tard !
— Je pars, répliqua Jean d'Evreux, en
vous bénissant ; et il imprima ses lèvres
sur la main de la jeune fille, qui le perdit
aussitôt de vue.
Julienne se hâta de gagner son apparu
tenient par un chemin détourné. A peine
y étoit-elle arrivée , qu'elle vit Jean d'E-
vreux passer sur la route , s'éloignant à
bride abattue.
y
CHAPITRE VI.
— Djns les lieux où Jo cours les filles ne vont pas ,
Mais les braves , n^s pour la guerre.
— " K'iroportc ! leTêts-moi de Thaliit des soldats :
Selle un coursier pour moi d'une housse dorée :
J'irai par mouls ; par vaux , d'un même pas que lot ,'
Comme un jeune homme alerte en ma course assurée.
H. Lsusacixi.
Sorr que Julienne crût avoir à se, repro-
cher que sa conduite avec sire Evrard
n'avoit pas été exempte de toute coquet-
126 LE IfOVICE.
terie , soit uniquement par suite de la
bonté de son cœur, elle ne vécut pas
jusqu'à l'instant où le messager que Jean
d'Evreux lui envoyoit chaque jour lui
apprit que les médecins répondoient de
la vie du comte ; car, pendant plus d'une
semaine que durèrent ses craintes, il ne
lui vint pas ime seule fois dans la pensée
que l'ami de sire Evrard eût exagéré le
danger pour toucher plus vivement son
cœur. Une femme a toujours la juste me-
sure du sentiment qu'elle inspire, et Ju*
lienne étoit sûre d'être aimée aussi pas-
sionnément qu'on peut l'être. Elle n'en
fut pas moins effrayée , dès qu'elle cessa
de craindre pour les jours de sire Evrard ,
de l'engagement tacite qu'elle venoit de
prendre avec lui. Avoir ordonné de vivre
à cet infortuné , n'étoit-ce pas consentir
à ce qu'il vécût pour elle ? Julienne le
sentoit, et pourtant ses sentiments pour
Ife èoniïé n'êtoient point de nature à lui
feire* Méplfiser to^ls les • bbstacles , à lui
fidretrcfirverdottx-lbd^lés sacrifices. Elle
lE NOVICE. 127
n'âbordpîf point Fidéè de se soustraire
jamais à f autorité raaternellé, quoiqu'elle
reconiiût l'impossibilité d'obtenir le con-
sentement de la baronne. Placée entre ses
devoirs et Fespèce d'engagement qu'elle
venoit de contracter , le seul parti qu'elle
eût à prendre étoît celui dé ne jamais se
marier. Il lui parut satisfaire à tout, et
elle s'y arrêta bientôt sans peine et sans
regret.
Elle se hâta de faire part de sa résolu-
tion à Jean d'Evreux dès qu'il reparut à
Sôrgas% Mais l'ami d'Evrard étoit bien loin
de vouloir se charger d'un aussi triste mes-
sage pour celui qui revenoit à peine à la
Vie. On a vu combien étoit vive et sin-
cère TafFection qtïi unîssort ces deux che-
valiers. Bien loin cependant que cette
affection prît sa source dans l'analogie
des caractères , jamais deux hommes n'a-
voîeiit offert entre eux d*^aussi grands
Contrastes. Jean d'Evreux , léger , gai ,
iiioqùeur , dierchattt i s'amuse^ de tout,
àUroit -dû souffrir jjlùs (|ii\in autf é des
128 LE HOVIGE.
inconvénients qui naissoient de Thumeur
ardente et mélancolique du violent sire
Evrard; et pourtant, depuis le jour où ce
dernier avoit sauvé la vie du chevalier
normand y chaque instant avoit resserré
les liens d'une amitié qui devoit faire
croire au charme que l'on dit exister
dans Fopposition des caractères.
Jean d'Evreux employa donc les plus
vives sollicitations pour fléchir Julienne ;
il crut même devoir s'ouvrir avec elle sur
un point qu'il jugeoit propre k la toucher.
Il lui avoua qu'il avoit toujours soupçonné
son ami d'entretenir avec les ennemis du
gouvernement anglais les relations les
plus dangereuses. — Jamais , ajouta-t-il ,
je n'ai pu obtenir sa confiance à cet égard;
mais son père est mort français dans le
cœur, comme il avoit vécu, et, dès l'eu-
fance , Evrard a partagé ses sentiments.
Vous seule pourriez avoir assez d'empire
sur son esprit pour le ramener à ses maî-
tres, pour en faire un sujet soumis du
prince de Galle3. Le baron le hait person-
LB iroviCE. lag
neliementi je le sais; mais cette haine
peut s'adoucir p^r. Tespoir de gagner à
son prince le cœur d'un vassal aussi pui^
sant que le comte. Fattes-leuir sentir à
tous deux que votre main peut devenir
le gage de la réconciliation et de la paix.
Parlez au baron , belle Julienne^ parlez
^rtout à Evrard y le plus bouillant ^ mais
le plus noble des hommes , qui ne vous
donnera pas en vain sa parole. Il attend
r
impatiemment que ses forces lui per-
mettent de se rendre sous vos fenêtres ;
consentez à l'entendre. Parlez-lui; retenez-
le sur le bord de l'abîme où il se plonge,
et que je vous doive deux fois sa vie.
Julienne le promit , mais avant que ce
jour n'arrivât , un malheur dont elle n'a-
voit jamais abordé l'idée vint la frapper
du coup le plus affreux : la baronne tomba
si dangereusement malade qu'elle mourut
en moins d'une semaine ^ laissant un tes-
tament par lequel elle transmettoit à Guil-
Ibrd, en qualité de tuteur^ tous ses droits
sur Julienne.
ÇtSO cM" W0VICE.
Aocatilée par uile perte aussi* cruelle j
luKemie;il^ » put ^atho'tâ :pé«âèr qrf'à' soi
ttniheti^r^/ei; snppértèr d'âluti^ sodété que
ce)lé>d« fearoTi. Pl'ës d'un mors s'écoula,
peodâilt ïéquel elle J^ài^oît la journée eti*^
tierq seiilè aveckiîj é[iirtsaht*t<>ii$ les ik)t3v
Veilîrl et tdU*éis; les sources de là' douleur,
Le baron U*irmême^arois$ôit n« vivre
que près iijle a?a belle- fil le, non qu'il fût
3>ien s\ncèï^tnetit tàïûigé y eùr ^ pbtir tout
dire icij Jalie^ne aurôJt pu re*A<arquêr, à
travers lies efforts qu'il faisoît paMv la con-
-soler, conîbieii il awk peu besoin d'en
/aire pour se consoler îut-même, si Ife d^
sespoir où elle é toit plongée n'eût pas
entièrement at>sorf>é son esprit ; mais^
lorsque le tcnups l'eut réudde plHJs calme^
cjue ses larmes coulèrent avec molias'à'a*
«nertume^ Guitford la vit> à son grïwid
regret, necbe^her la solitude et fuir ces
longs téte^à^^tétequ'etie avoit rechenehés
jus^u^là^'i^e fait est que , sans potâi*fôir
«*eil Tendre raison , Julienne ëtoit gênée
par les témoignages d'\jne tendresse qtB
LE NOVICE. r3i
ne portoît ancnn caractère paternel Elle
eut beau d'abord se reprocher son ingra-
titude et s'efforcer de vaincre une repu*
gnance involontaire, la conduite du baron
avec elle devint si étrange et si claire,,
^ëllê finit par concevoir des soupçons
qui l'alarmèrent autant qu'ils la révol-
toient. Julienne, accoutumée dès Fenfance
à recevoir les chresses de Tépoux dé sa'
nière , et se réjouissant de retrouver en
lui le père qn'elle avoît pei^dW', tie s*étOir
|>oint aperçue de l'effet qu'avoit produit
BtirGailford le développement dé ses gra-
des et de sa ravissante beauté; cependant
Pamour du baron pour elle existoit de-
puis long-temps, et cet amour , qu'il avoit
au cacher à tous les yeux sous les dehofs
de l'affection paternelle , écTatoit enfin
avec toute la violence que lui avoit fait
acquérir une aussi longue contrainte.
Dans l'effroi que lui inspiroît le danger
de sa situation , il étoit bien naturel
< *
qu'elle pensât aussitôt à sire Evrard) ce
ht aussi la première idée qui se présenta à
JEvrar^^e teooit.donodAPS le vx^ÂîÛMg^^
guettant Je i^oiudre ^gue de sa présence
dans la tpurelle? Cette fdée la toucha
d'upe si vive recp^uioissaxices q^uele comte
eût été trop heureux s'il avoit pu lire
iîans son cœur lorsq^u'^l arriva près d'elle.
Dans le doux entretien qui s'établit
,entre eux, il la supplia de permettre qu'U
employât tous ses efforts pour obtenir le
consentement dubaroB. — S'il le faut, di-
soit-ikie m'humilierai devant cet hommft.
11 vous a servi de père, Julienne; que
toute haine cesse entre, nous. Qu'il exige,
-qu'il ordonne , je suis prêt à le satiçfairp
en tout : quel sacrifice peut me cpùter,,
^uand il s'agit d'obteni;* Julienne?
, . Mais il n'étoit plus temps de se livrer*
.à cette espérance. Julienne savoit trop
combien toutes tentatives, à cet égard ,3e-
r<oient inutiles ou même danger^u^^.
<îepeiKlant l'entière vérité iie put sortir
•de sa bouche innocente; elle assura le
comte que Jamais leur union n'obj^.ei\«
dw)it le consentement de GuilfQrid , ^a^s
Tinstruire de l'odieux, motif qiu- lui çn
domiolt la certitude. Sire Evrard alorane
négligea rien pour lui persuader qu'elle
avoit le droit de se soustraire à la tyranr
oie^ qu'elle n'enfreignoit aucun devoir;
qu'en suivant un époux qui Tadoroit^
elle ne faisoit qu user d'une liberté que la
mort de sa mère lui avoit rendue. Pendant
plusieurs nuits de suite ^ ces discours ^
auxquels Evrard méloit les plus toucban*
tes assurances d'un amour éternel, firent
sur Julienne une impression d'autant plus
forte, quelle ne pouvoit parvenir à éviter
pendant le jour la présence de celui dont
les regards seuls la faisoient frémir de
crainte et d'horreur. Elle hésitoit cepea-
dant encore en songeant aux dangers
qu'une pareille démarche fcroit courir à
sire Evrard, au- seul objet d'atfectioa
qu'elle eût alors clans le monde! il ne pou-
voitespérer aucim appui ni du prince de
Galles^ ni d^aucun des Anglais qui jouis*
saient dupouvoir dans la province; tous,
«a contraire, s'emprcsseroient de secoQ*
i36 ife wovicE.
der là vengeance dé Guilford, Le comte
pourroit-il résister à des ennemis aussi
nombreux , aussi puissants , qu'elle alloit
ai'mer contre lui en consentant à devenir
6on épouse, et en se réfugiant dans Clé-
rac? Elle eût donc balancé long -temps
avant de prendre un parti désespéré , si
le baron lui-même ne se lut chargé du
soin de l'y contraindre. Un jour (et trois
moiss'étoientàpeineécoulésdepuislamort
de la baronne) , un jour il lui parla d'un
chevalier dont il se dit l'ami, qui venoit
d'obtenir une dispense du pape pour
épouser sa belle-fille.— Une pareille union
est odieuse! dit Julienne d'un ton ferme,
quoiqu'elle feignît de ne point compren-
dre le but de cette confidence.
Guilford n'avoît pas entamé un sujet
aussi délicat pour reculer. Il s'efforça de
justifier son ami , et les raisons qu'il em-
ployoit excitant sa passion jusqu'au dé-
lire, il ne garda plus aucune mesure , finît
par avouer son amour à la malheureuse
enfant, qui, tremblante d'effroi et d'indi-
/
/
tK irovics. 1^7
goatioiiy s'efforçoit en vain de dégager
ses mains 5 qu'il tenoit serrées entre les
sLennes. Parvenue dans un dernier ef*
fort à se rendre libre, Julienne courut de
toutes ses forces jusqu à son appartement^
dans. lequel elle s'enferma. Pendant plus
d'une heure , elle fut hors d'état de ras*
sembler ses idées. Le dégoût , l'horreur
et l'effroi qu'elle venoit d'éprouver avoient
comme troublé sa raison : elle appelolt
Evrard à haute voix, elle imploroit son
secours; mais peu à peu, devenant plus
tranquille, elle prit l'inébranlable résolu-
tion de s'enfuir dans la nuit même, et dç
se mettre sous la garde de son seul pro-i.
tecteur. Les dangers qui dévoient en rér.
sulter pour le comte, dont elle s'étoît
alarmée jusqu'ici, pouvoient tous dispa**
roître, si elle consentoit à couvrir son
mariage du voile d'un mystère impéné-
trable. Décidée à faire ce sacrifice à la sû-
reté d'Evrard, elle imagina bientôt de
cacher son sexe à tous les yeux, jusqu'au
jour où des circonstances plus heureuses
6*
ràTpèrtrtettroîiént de rèin^nd^ seA «km^
et' son rang dans ia société. EHe'se* l^ëvetît
a[lii5sitôt -du pliis simple de ses habits de
cfhasse,-'prtt des ciseaux j et, sans pousser
im'sotfpîr/fît tomber à tferre une forêt
de ses beatix cheveux blonds , ponr ne
Conserver que là courte chevelure d'an
jeune horhme. Afin d^mpécher qu'aucun
indice pût éclairer ses traces , elle écrivit
sur un mot'ceaù de parchemin qu'elle posa
siTT sa table : Quand vous lirez ceci, fa»»
rai passé les frontières. Après quoi, pre*
naht un petit coffre qui renfermoit les
bijoux de sa mère et les siens, elleatten*
dit avec un battement de cœur inexpri^-^
mablel arrivée du comte.
A peine l'entendit-elle s'avancer sous
la fenêtre, qu'après avoir adressé à Dieu
une courte et fervente prière, elle se mon-
tra ster le balcon. — Les moments sont
précieux, sire Evrard, dit-eiie d'un ton
solennel^ bonsentea-vous à |>rendre pour
âfmme Julienne de Soi^a«?
-'-i^îd! s'èit\% te comte tvrë 4e bonheur,
< •
•£fi NOTICE. ^'Sij
"fa seule espérance de cette félicité ne
mVt-elle pas rendu là vie !
— Eh bien ! je me confie à votre foi. Je
-vais votis suivre. Et , tandis qu'Evrard ,
hors de lui, se demandoît s'iPfaisoit tiïi
rêve enchanteur, Julienne àttâchoît une
large ééharpe à la fenêti-e, qui lui suffit,
avec Taîde du comte , pour atteindre le
soi.
— Ne perdons ■ pas un instant , reprit-
elle dès que ses pieds eurent touché la
terre. Clérac est-il loin d'ici?
— Fort loin, répondit Evrard.
~ Et n'avez-vous pas un ami sûr , qùî
puisse nous donner un asile dans ces pre-
miers moments?
— Jean d'Evreîix , dît le comte , Jean
d*Evreux, dont le château n'eét qu'à deux
lieues. • '
-^ C'est là qu'il faut nous ^endtè , répli-
qua Julienne en aidant Evrard à détacher
ïon ctiëval , qu'il prenoît toujours feoîn de
"ip&feet-fôrt f/rés dela-tôtirelie. Le comte
é^t monté ^sîtôt, Julienne se niit en
1 40 LE ïrOYlCE*
croupe ilerriére lui, quittant ainsi, pour
n'y jamais rentrer peut-être, le vieux ma-
noir de se$ pères.
Pendant le trajet, Julienne fit part à
JE vrard 4e l'intention où elle étoit que leur
mariage se fît dans le plus grand secret.
En vain il répugnoit à ce mystère, qui
pouvoit avoir mUle inconvénients pour sa
bien -aimée, en vain il lui jura qu'une fois
^rendus à Clérac, son épouse n'auroit rien
^ redouter: Julienne mit à cette condition
le don de sa main , et le força ainsi de
consentir au désir qu'elle avoit d'assurer
la paix de leur union.
L'étonnement de Jean d'Evreux fut
grand lorsqu'il vit arriver chez lui Fhé-
ritière de Sorgas et son compagnon de
voyage. Mais il approuva si bien le plan
que Julienne avoit conçu, qu'il prit le
plus grand soin de. la faire passer aux yeux
de ses serviteurs pour un jeune poursui-
vant d'armes , que l'on avoit çpn^é à.la
protection de son. ami. Ce fut donp daos
Je plus grand mystère que la ,nuiç,^ui-
k_
LE VOVICE. l4t
vante , sire Evrard et Julienne reçurent la
bénédiction nuptiale de la main du cha*
pelain de Jean d'Evreux^ qui lui-iûême
servit de témoin à cette union ^ assisté
d'un vieil écuyer, sur le silence duquel
on pouvoit compter.
On essaieroit en vain de peindre l'i*
vresse du comte , lorsqu'il se vit enfin
possesseur de l'aimable créature qui ve*
noit de se donner à lui. De même qu'on
ne sauroit dire par combien de serments
il s'engagea^ prosterné devant elle, à ne
vivre désormais que pour la rendre heu*
reujse , à lui soumettre toutes ses pensées»
:,'^Q}fs ses désirs, et jusqu'au mouvement
d'()ii .caractère. <|u^ la. nature avoit fait
tf^^ ardent. Sans partager toute la viq-
j^ce de l'amour qu'elle inspi^oit, Julienne
jj|n étoit extrêmement toucbée. Les agré-
ments personnels du comte ne nuisoieqt
jgf^ d'ailleurs aux efCorjts qu'il faisoitpour
claire ; et le mois que les deux époux pas-
;çèrei^.c]iez Jean,d'EvrjBux fut pour eux
gç[ tpmgs de bop|ieur.
^ ' Aucun soupçon ne Vétoît élevé qui pût
•faire craindre pour le secret de la fugi-
iive , et le comte désirant retourhei' à Clë-
rad , Julîennery survit , sans quif ter néan*
'moins dans ce nouveau séjour lés' habits
et le nom qu'elle portoît chez Jean d'E-
-vreux; car sire Evrard, tout chagrin qu'il
étoit défaire un mystère de son bonheur,
-ne savoît pas résister à la volonté de îu-
lienno.
^ . — Ah! lui ^Ksoit^l un jour qu'ils se
pronûénoient ttkis deu^dans les beaux
" jiardins- de Cléracy^ù'il niTest^uel de ne
'pouvoir daiîs mes prdpres dorfaàrhes'feîi^
Tendre à ma Mîéiine tou*^'' Ites' respfècts
-4ju'on' înî doft 1 Quarfcf vîentlrà 'ft îbttr,
'grand Dieu! (Wi^jé p6ûr?ài dire à tôtosUfflle
«sf mâfemmfeiffin'aciievatittcès mttt^H%
'séarra dans ^es^iyras'^àVec'trtiTnotivêmëât
'passionné. ''•"' - ■: • ■;
■ 'H-eterÉVnartîj fépontîit-eHè'j qûéll^és
"qiiiB soient lieis fofc&siqîîè^VcKis'^ptrt/f^
irakserbbler datis rf^s^miirs, voiife*sé1i^oît^-11
jamais possible de* Wsîît^ àfa^Ugiî^ tjtii
' i
LE NOVICE. 145
se fôrifterbît contre v6us? Excités par la
haine de Guilford, tous ces baronis an-
••*««
*— Julienne, interrompît le comte d'u»
ton mystérieux, ces Anglais n*ont peut-
être que peu de temps à nous opprimer»
— Que dites-vous? s'écria Julienne en
pâlissant, Seroît-il vrai, Evrard, que vous
conceviez dé semblables espérances?
— Je les conçois d'autant plus, répon-
dit le comte, que depuis long-temps no-
tre noblesse est lasse de cette noblesse
d'outre-mer que le prince de Galles en-
richit en imposant sur nous de nouvelles
taxes, que chaque jour le joug de l'An-
gleterre devient odieux au peuple comme
aux barons, et que toute la Gascogne re-.
grette ses anciens maîtres.
— Mais dites, Evrard ^ répliqua Julienae
an tfeqiblantf ]iaàme à ciboire qu^ vo^s
n'êtes paijcit . compuotmîs 9 . que . ;pQu<r. : tout
dire enfin , vous ne conspire? pas ? Jamais,
moû amî; vous ne xnàvéz répondu sur ce
l44 ^£ KOVICE.
point de manière à me rassurer, entière*
• ■
ment.
— Ma hien-aimée, répondit Evrard, avant
de te connpitre» lorsque je tenois trop
peu à la vie pour ne pas la sacrifier à ma
haine pour les Anglais, je t'avouerai
que j'étois Tâme de tous les complots
qu'on ourdissoit contre eux , et plus
d'une fois ma tête a couru de grands
dangers. Mais depuis le jour où j'ai pu
espérer de vivre pour toi, Texistence m'est
devenue trop chère pour la risquer légère-
ment. J'ai cessé toutes démarches impru-
dentes, aucun message n'a été adressé par
moi à la cour de France ; mais tous mes
amis, néanmoins, savent qu'ils peuvent
compter sur mon bras et sur celui de mes
vassaux si le moment d'agir se présente.
Toi-même, Julienne, tu ne voudroîspas
me voir rester dans une inaction honteuse
lorsque mes parents et mes frères d'armes
s'armeroient pour la défensè^ commune. •
^ — Hélas! dit Julienne, trop instruite
_L
LE isrovicE. 146
r . ■ . : ■ ,
des lois deThonneur pour répondre autre-
ment que par un soupir. Cependant,
Evrard , reprit-elle, je suis plus tranquille;
car il s'écoulera bien des années , croyez-
moi , avant qu'on 6sè attaquer ici la puis*
sance de l'Angleterre.
— Peut-être, répliqua le comté, les
yeux brillants d'espérance, si te nouveau
roi Charles V n'embrasse pas une poli-
tique trop timide, qu'il dise un seul mot,
et tout se soulève à l'instant. Alors , Ju-
Uenne, ce seroit à Guilford de trembler,
et tu rentrerons triomphante dans le do-»
maine de tes pères.
— S'il faut poiir atteindre ce but, ré-
pondit tristement Julienne, voir couler le
sang de mes compatriote^ et peut-être le
vôtre, Evrard, périsse cerit fois des biens
qui me coûteroient si cher.
Ange de bonté, dit le comte en la pres-
sant siir son cbêùr, ne crains rien pour
moi. Le ciel protégera des jours que tu
rends si fortunés.
Mf^is tandis qu'il parloit ainsi , Forage
m. 'j
,i;4^ LE .i(oviqE.
grondqit sur sa. tête sans qui! en eût k
j^oindre SQupçpn.
. Un messager que le sire de Terr,in€^
xin des plus ardents eniiemi^ dçs Ànglaû]
envpyoi.t à. I9 cour de Fraoce, veooil
d'être arrêté et conduit devant le prince
de Galles. Non seulement cet Jiomme
avoit tout dit, mais on àivoît saisi sur lui
. ' . ' ... . j ... . .' ^
h. liste des seigneurs gascons sur lesquels
Charles y ppuYpit -compter. Lfs çc^mte.^
Qérac se trouvoit conipro!n;iis plus q'iCatt-
cun autre par left <î.étaiU give renfermoît
ce fptal papier^ aussi ft^t-.il. iius^itot
mandé à Poitiers, où, le. prince réaidoit
alors, pç)ury'.rendr,e conpptede sa con-
^ duUe.dpyant l,e parlement ^sog;s peines , de
$^ voir çQud^ipné par défaut^, daps bui-
t^aitte , m^ peines exicmvn eg pour letcrioie
de haute Irahispp. . '
\Ji} ^A plus tôt^ Err^xJ n'auroit point
jabprdé i'idé? dç 3e rendre à cet «ppel j il
fût préféré cçi>.i fpi» «'ensevelir sous I^s
murs de Clérac; mais k^ dangers aux-
, «ueh u^aittïprudeotïB'ré^istance e;:i^|K»5oit
la personne de Julienne lui ciéfendoicn(
trop impérieusement de prendre c^
p^rtiy pour qu il ne se décidât pas aussi-
tôt à ne mettre que lui seul.eç pér^l. Qu^
deviendroit-elle néanmoins, iH les char«*
|[es qui s'élevoient contre lui^ «t dont il
igooroit la nature, étoient assez gra,vc^
pour le conduire à la mort ? Il .réfléchit,
autant que pouvoit le lui permettre, soiil
désespoir , aux moyens de lui assurer ua
asile et un protecteur , sans pouvoir eij
trouver aucun» sans pouvoir aussi se ré-
soudre à l'instruire de leur malheur»
Chaque instant ajoutoit à sa cruelle per^
plexité, lorsqu'une visite nocturne dtt
sire de Terrine vint enfin y mettre un
terme.
C^ ^eîgpeur^ qui connoissoit mieux
que personne, toute l'étendue du danger
que coiiroit Evrard, n'avoit pas voulij
quitter la province sans le lui faire con-
poître, çt sans l'epgager à prendre la
fuite ^ ainsi qu'illfaispit Tui-méme.
— Et quds sont vos projets? lui de-
i48 LE irovicE.
xnanda le •comte, qui vit trop que la mort
Fàttend oit à Poitiers.
— Mon projet est de gagner la pre*
mière ville de France , répondit le sire de
Terrine. Là , conîme ma bourse est bien
garnie ^ il me sera très-facile de monter
une compagnie de soixante à quatre»
vingts hommes d'armes bien équipés ,
avec lesquels je mènerai joyeuse vie , en
attendant que la guerre avec les Anglais
recommence.
• — Ce parti ne peut me convenir, re-
prit Evrard en songeant à sa Julienne;
]e préfère me réfugier à la cour de
France.
—Bah! reprit le sire de Terrine, il fàu-
droit être sûr de s'y voir bien reçu.
— Quoi ! répliqua le comte. Ce cham-
bellan de Charles avec lequel nous cor-
respondons et qu'on dit être favori de son
maître...
— Bureau de Là Rivière! interrompît
Terrine en secouant la tête. Adressez-vous
• ■
à lui si vous voulez; mais moi, voyez-vous,
LE KOYICE. 149
je connois ces gens-là. Le chambellan, aussi
bien que son maître, ne se soucie pas
de se brouiller avec l'Angleterre. Et tant
qu'ils ne croiront pas la poire mûre, ils se
garderont bien de compromettre la pais
avec Edouard , qui ne tient qu à un fil ,
en accueillant des gens de notre parti.
— Notre parti n'est-il pas le leur ? s'é-
cria le comte avec indigation. Par saint
Yves! si je croyois qu'il en fût aiusi !
^- Il ne tient qu'à vous d'en juger , ré«
pondit tranquillement le sire de Terrine;
mais, soit que vous vous rendiez à la cour
de France , où partout ailleurs , tâchez de
partir le plus promtement possible. Là-
dessus , bonsoir. Et il sortit.
Evrard ne poi^voit penser qu'il ne dût
pas trouver un asile près du monarque ,
pour lequel il se voy oit exposé à perdre la
tête. Aussi , dès qu'il eut révélé à Ju«
Uenne le secret qu'il lui cachoit depuis la
yeille et qu'elle s'offrit aussitôt à le suivre,
sans faire entendre un seul reproche,
dans exprimeftun seul regret ^ il eût près*
iSn LE NOVICE.
: r ... ")-.; ;.!
times de cette affaire . répondit le comte
en souriant dédaigneusement, et vous
pouvez être sans crainte , sire de La Ri-
vière* .
;;.
if .
•^ L'ifitérétqué je dbis prendre à moA
maijbre, à la^rance, justifie ââsez ce que
je ^iens de dire ^ reprit le favori. Lés
plaies du royaume sont encore saignantes^
sire Evrard^ et Tétat des choses nous
qj^lige pout* long-temps peut-être à res*
pecterje traité de Brétigni , tout funeste
* -^ Soit, répondit le comte doiit ce tai-
so'tMefment/iôrt juste en effetV calda la
TioIeïJciè; soit; thacun stitige à son afFaifbj
tflest iss'éz' naturel. ' La mienne mainte-
nant , Sire de La Rivîète, est d'obténii?
une audience du' rôi Charles, etj'ëspèrô
que VOUS vôùdt'ez bien' tiîV aîdéi^. ''
— Le roi • comme vous . savez y sire
Evrard f est . d'une santé . trés-foïblé , ré-
pondit le chambellan !dVp. air embàpp
rassé. Et depuis un mois'surtout. sa sou&
LB KOYICE. l53
france est telle qu'il ne voit que sa fa-
mille/
— Tattendrai , reprit le comte avec un
sang-froid dont il eût^été incapable si
lidée de Julienne l'avoit abandonné un
seul instant.
— Comptez-vous donc séjourner long-
temps à Paris?
— J'ai des raisons pour désirer m'y
fixer, jusqu'au jour où je pourrai rentrer
dans Clérâc. , .
•-!- Certainement certainement, ré-
pbnOfit le chambellan, dont Fembarras
croissôit à chaque mot, Paris vous est
OQvert : mais vous sentez combien L dans
cette circonstance, 'la position du roi est
délicate. Il ne peut vous bien accueillir,
u ne peut même vous recevoir à sa covi^
sans approuver tacitement les complots
ourdis cpntre le prince de Galles ; et
comme je vous Tai dit tout ài'heure , Fétajt
du royaume ne nous permet par de .ris«
quçr une rupture avec FAngleterre.
*— Parlez plus clairement , dit Evrard;
i56 L£ irovicE.
Par la mort! ce ne sera pas Evrard de
Clérac! Puis, rame en proie à tous les
sentiments que peuvent exciter la hahie
et l'esprit de vengeance , il s'éloigna d'un
pas rapide et parvint bientôt à l'auberge
^ù il avoit laissé Julienne.
Jua^qu'à ce jour, la vue de sa douce
compagne avoit calmé les accès de Tio*
lence auxquels le comte n'étoit que trop
^^ujet; mais dans cette circonstance, Ju*
lienne fit de vains efforts pour réprimeir
]a fureur qui renaissoit en lui , au seul
récit de son entrevue avec Bureau de La
Kivière. Il étoithors d'état de rien enten*
dre et tout^ au contraire, paroissoit l'irri-*
ter davantage. Tremblante en écoutant
les horribles imprécations dont il char*
l^eoit le roi de France et son favori,
effrayée des éclats d'une voix qu'elle ne
reconnoissoit plus, et des regards terri«
blés qu'il lançoit autour de lui, elle per-
çut l'espoir et la force de se faire entendre,
et finit par tomber presque sans mouve-
Haent sur un 4^ge^. L^a fureur d]u comte se
^
LE KOVICE. iSj
dissipant alors , comme par enchante»
ment 9 il se précipita aux genoux de sa
femme ; employa les plus doux accents
pour la rassurer , la suppliant de lui par»
donner l'efFroi qu'il venoit de lui causer.
— Orna bien aimée! disoit-il en essuyant
les premières larmes qu'il eut versées, n'est-
ce donc pas pour toi , pour toi seule , que
je regrette cet asile qui m'est refusé?
Puis-je penser au sort qui t'attend et con-
server ma raison ? Me voilà errant dans
un pays étranger! Chère, ad orée Xùlienne,
que vas- tu devenir? Où déposer ce trésor^
plus précieux cent fois que ma vie ? '
. — Nous ne nous séparerons .jamais^
Evrard, dit Julienne, touchée de la dou-
leur dfi son malheureux épou^ Les vête-
ments que je porte , et dont maintenant
j'ai l'habitude , me permettcnt.de vous
.suivre partout. N'êtes-yous pas mon seul
.appuis mon seul protecteur sur la terre?
= —Quelle protection pmir l'héritière des
Sbrgas , reprit le comte attendri, que celle
j58 . UE JïOYici:*
d'un jnalheureux fugitif exposé désor-
piaia à tjou^s les dangers !
, — Jje les partagerai , mon ami , répon^
dit la xiouce créature ; n'-est-ce pas le de»
voir d'une épouse ? Que je vous voie
heureux , Evrard , que la. paix règne entre
nous , tout le reste n'est rien,
— La paix ! répliqua Evrard , il faudroit
donc vouloir trexobler celle des anges pour
troubler la tienne. Mais,^a bien-aimée,
j|p n'accepte pas les sacrifices que tu veu:?:
faire à monbonbeiur.Songe^ Jjulienne, qu'il
faut que je partç;.ce misérable favori
ne me pardonnera jamais ce qui vient de
5e passer entre nous , et je n'ai plus d'à-
silëmaiiitebant'qtfati milieu de ces com-
pagnies k qtiî là France appartient bien
jplus aujouhfhui qn'eHe n'appartient du
roi Chârffes V; làt, je puis tout tenir dé
mon èpée; raaiîs toi, Julienne, ajouta-t-il
en détournant ses yeux, qu'il avoitjui-
'que là fitéisur elfe, aucun ennemi tié
te poiirsU^ ; ti» jEne quittant , tu peux re-
troiws^ k.tq>Q$; tu peujc à t» n^ajorilié
I
UE IfOVICÇ. 1^9
réclamer , les biens dont jouit l'infâme
GuUfojçdL Jusque là, l'or et le3 bijoipc qu^
Douç possédons encore t'ouvriront Fen-
.ti;^Q dç quelque monastère , où ta passe*-
Tâs tes jours à. l'abri de tous dangers^
— |îon , non , interrompit Juliean&
Renoncez , cher Evrard, h ce projçL Une
'^jsséparés,qui sait sinpusnousreverrion^
j^flVÛs? Cro3''ez-.ypu& d'ailleurs -que je
J>lji$^e vivre .dan$ l'ignorance de votre
^Orl? me dire chaque jour^ Peujt-être esir
i^l blessé? peut-être est-il malbeureuiç?^^
— ^uliepjie, je serois mort , s'écria le
Comte ,. incapable de dissimuler plus loqg'»
temps. Ah ! qu'à Dieu ne plaise que je vive
après t'avoir quittée.
Ces roots ^ prouoipcés avec l'accent du
désespoir, décidèrent du $ort des deuj:
époux. Le soleil suivant ne les retrouva
plii$ dans Pofis, où Bureau de J>a fîriyièr^
faisojt en vain cberxJier le comte de Clé-
rac, pour l'apaiser, s'il étoît possible^
Cçist aii\si que , par eiûte des ménf^
l6o M NOVICÎE.
ttients qu'on vient de lire , Julienne de
SSlorgas se vît réduite vôlontair)ement à
partager la vie errante d'un homme qui
Fadoroity mais dont le caractère sympa»
thisoit si peu avec le sien y qu'elle ne tar-
da pas à s'avouer que le bonheur avoit fi
loin d'elle poUr toujours. L'amour pas
sionné qu'elle inspiroit à sire Evrarcf^
étoit le seul frein qui pût comprimer le ^
accès de violence auxquels il se livroit san ^s
cesàe, pourlâ cause la phis légère. Encor '^s
'falloii-il que ces emportements n'eusseix "t
point la jalousie pour causé ; car sir^
Evrard, jaloux , devenoit un véritable fiï.-
riëux, et souvent il l'étoit du mot, do
regard le plus innocent, lorsque tant de
motifs étoient propres à lé rassurer! tfonr-
seulement Julienne , dont l'aimable gaieté
àvoit presque entièrement disparu, s\A'
servoit en tout, avec un si grand soin,
qîife le comté ne potivôit lui reprocher
l'apparence d'un tort; maïs les vêtements
qu'elle portoit, grâce à sa taille svelte et
élevée, dissimuloient si bien son! sei^e à
i
!£ iroviqu i6i
tons les yeux, que jamais le moindre
soupçon n'avoit excité l'inquiétude des
ideux époux; de plus» ils se séparaient
rarement l'un de l'autre , et toujours pour
peu d'instants. On peut donc dire que sire
Evrard étoit jaloux de l'air que respiroit
Julienne. Peut-être aussi les êtres pas*
sionnés sont-ils doués d'une sorte d'ins*
tinct qui leur décèle la froideur , sous le
voile le plus épais, et Julienne en effet
étoit bien loin de répondre au brûlant
amour deson époux. Chaque jour, au con-
traire, le foible sentiment de préférence
qu'il lui avoit d'abord inspiré s'éteignoit
dans son âme. La contrainte, Icff roi ve-
noient le remplacer. Julienne, douce,
sensible et bonne ^ se reprochoit son in-
différence pour celui qui Tidolâtroit, et
tous Ijes efforts qu'elle faisoit sans cesse
pour la dissimuler contribuoient encore
à l'accroître. En dépit d'elle-même , son
cœur n'éprouvoit plus pour sire Evrard
gu'un sentiment de reconnoissance mê-
lée de pitié , qu'elle déguisoit péniblement
7*
i64 JM voncu.
mettre en mardie ; sire Evrard ren«
tra dans Sarragosse k la suite de Henri|
que Ton attendoit seul pour quitter FÂr^
ragon et pénétrer dans la Castille. Enfin
rheuré du départ arriva. La présence de
^om Pèdre et de toute sa cour ajoutoit
à la magnificence du spectacle qu'offrit
'Ce moment tant déaûrjé; Lorsque le jeune
^cuyer s'élança sur son riche coursier à la
suite de Duguesclin , le tumulte causé
par cette multitude d'hommes d'armes
qui se hâtoient de gagner leurs rangs, le
son éclatant des trompettes, le hennisse-
ment des chevaux et les cris de victoire
qu'un peuple entier faisoit retentir jus-
qu'au ciel^ ^animèrent dans son âme ce
«désir de gloiriî qtre i'amo\ir lui sembloit
avoir éteintp Le cœur lui battit avec vio-
lence , et cette fois ce n'étoit point pour
Julienne.
L'armée passa 1 Ebre à Alfaro et marcha
droit sur Galahof a. u^e des princiMlea
y^\e^ de la^ ^ fjrqntière. Pierre, ^^ tr^v/jtit
|lçjrsà Çurgps, QÙ ii.^jîpnt ce;tte noijivfiUe^.
I
us noYiçE. i65
d'autant plus alarmante pour lui , que la
iiaine générale lui laissoit peu de moyens
de défense. En effet, Févéque et le com«
mandant de Calahora , cédant aux vœux
des habitants I à qui le joug de Pierre étoit
odieux , portèrent les clefs de la ville au
comte de Transtamare , dont ce premier
succès servit hautement les espérances-
Henri rassembla aussitôt les officiers
généraux de son armée pour convenir
arec eux, de la conduite qu'il devoit tenir.
Les uns étoient d'avis que Ton marchât
sans retard sur Burgos p9ur s'ep emparer;
d'autres disoient qu'en attaquant d'abord
cette capitale où Pierre avoit sans doute
rassemblé toutes ses forces , on risquoit
d'essuyer un échec qui nuiroit beaucoup
à Tentreprise. Duguesclin étant sans con-
tredit celui de toute l'armée qui avoit le
plus d'autorité, ne. parla que le dernier, et
se levant d'un air résolu :
-^ Que l'on marche sur Burgos ou sur
toute autre ville , dit-il à Henri , le plus
important ^lon moi est d'annoncer clai*
i6è it ixoricÉ.
•f
rémëht dansqueiléS întcrtlîons yôilà véîlèz
âe passer TEbre. tels détni-mescrres për-
Sent tout , ël<]atis les hautes cîrconàtan-
ces le moindre délai e'st dangereux. Plrêttêi
i^ans plus tarder îé titre de roî. Que Vous
manque-t-il ? toute la Ciàstilié Vous sbii-
liaite, les gens de bien votïs attendent*'
Argent, valeur des troupes, affectîodt
des peuples, tout est en votre disposition^
et ceux qui vous mettront le diadème su»^
. ■ . . ^- -
la tête sauront bien Ty maîhtehîlr. Enfîii
la fortuné favorise lei graùds cœurs , elle
abandoùne les hommes timides.
A ces mots tous les chefs et tous lei^
seigneurs s'écrièrent : Castille Jpour le roi
dom Henri! et presque au même instant
les drapeaux, les enseignes furent dé-
ployés dansTarmée comme dans la tille)
aux joyeuses acclamations du peuple.
Lendiiifeau roiavoit pour hii f affectidil
que les Castillans portoientàsa pet*sonné,
et Testîme qu'înspîroit son caractère plein
de noblesse et de générosité. On ne poû-
.Toît oublier totftefois qu'il étoit le fruit
\
des amours itRdte$ da leii foi sim pèfré et
dTÉléonord de Giismaâ y tandis que Pierre
tVoil l'avantage d'une naissance lëgithxië.
Cette considération snffîsoit pour retenir
dans le devoir plusieurs nobles castillans^
qoîy tout en détestant leur barbare sauve*
rttn^ ne s'en croyoîent pas moins obligés-
de lui rester fidèles. Henri ne tarda pas i
to acquérir la preuve^
La première ville devant laquelle il se
présenta en quittant Calahora, Mague*
fone , refusa d'otivtir ses portes. Le gou-
verneur que Henri fit appeler aux bar*
. rières répandit fièrement qu'il né lé re-
connoissoit point pour maître, qu^il te-
noit sa place de roi Pierre, et qu'il ne là
rendroit qu'à lui, — Ouais ! dit Diigues-
dîn qui se trouvait près de Henri , ces
gens-là le prennent^ils sur ce ton ? Si l'oil
m'en croit, Faffaire sera brève avec eux.
En effet, l'assaut fut ordonné pour lé
lendemain , à la grande joie de Robert ^
qui conunençoit à craindre qu'on ne se
battît pas.
i6g u NOVICE.
On se battit si l^ien pouittet^ que mal«
gré la vive résistance de la part des assié*
géants la ville fut emportée dans la journée
même. Bertrand commandoit Fattaque;
comme il arrivoit à la hauteur des murs^
il aperçut son porte-drapeau et Robert
qui f seuls, à travers une gréle de flèches^
plantoient son étendard sur un créneau*
— Bien , mon fils, dit-il en paissant , au
jeune écuyer, cela s'appelle gagner ses
éperons.
La prise de Maguelone , celle de Bor-
gues , qui suivit , répandirent dans toute
l'Espagne la terreur du nom de Dugues-
clin , et Pierre reconnut cet aigle qui de-
voit vjBnîr de la Petite-Bretagne pour lui
enlever sa couronne (i). A Borgnes, ville
forte et imposante , les dépouilles furent
TOmenses; car les juifs qui s'y trouvoient
en grand nombre sacrifièrent toutes leurs
richesses pour sauver leurs vies. Bertrand
^»
• (i) Prophétie dont parlent les mémoires dit
temps. ... i
LE NOVICE* 169
fut ravi de trouver Toccasion de satisfaire
à l'avidité de ces pillards , qui , sur la foi
ûe sa parole j avoient quitté la France.
Les troupes victorieuses se portèrent
aussitôt sur Bévesque , place forte dans
laquelle Pierre avoit fait entrer une grosse
garnison d'Espagnols et que défendoient
aussi la foule de juifs et de Sarrazins qui
rhabitoient. En sorte que les assiégeaus
l'ayant entourée, lecercle qu'ils formèrent
se trouva renfermer le mélange le plu&
extraordinaire d'hommes qui sembloient
partis de tous les points du monde connu
.pour venir s'exterminer sur un seul point.
L'assaut fut des plus meurtriers. Les
assiégés se défendoient surtout en jetant
du haut de leurs murs, des tonneaux
pleins de pierres, des cuves remplies d'eau
bouillante et de grosses poutres, qui ren-
verspient les hommes par centaine; mais
ceux qui n'étoient.pas blessés à mort se
relevoient aussitôt, et, dans leur rage,
remontoient sur les échelles avec une
nouvelle ardeur, s'efforçant d'atteiadi'e le
8.1. t
70 LB Kônct,
^sommet du rempart. Dtrgiiesclin , pour
ïaire cesser une aussi . vigoureuse résîs*
tance et le carnage des siens, partagea
ises ttieilleures troupes en deux corps, et
^tina l'ordre à 'HughCalverley et àHo-
îierC d'aller arec l'un enffoncer la porte de
la Juiverie, tandis tftte lui-mèine avec
ïautre, enfonnoit la porte opposée.
Hugh Calverîey s'étjant bientôt ouvert
tm passage ,*les Juifs eux-mêmes lui faci^
liit^eftit T;entrée dans 'la ville pour avôîr
la vie sauvé'; »ntàîs , autnoment oùil p'é-
nétroit lepremier dans le^s remparts, tm
'soldait espagtiolsé jettesurlui, le renversa,
etlevolt leWas pour le frapper, lorsque
^Robert^lëroit, ^'élance , saisit cet homime
*par son ^bassinet, et lui jJlonge son épée
tlaus ta gorge. Turs tendarit la 'main k
"Hugh Calverleyîpour'l'aider à se relever,
"tous deux , sans se dire une pardle , se
^jettent dans ia'ttiêrée»qtfî^ll?s-séparfi aussi-
'Cependant Rcrbeft ne 'tarda pas a *rw-
"^etftîf une vive àdtiletir à la jambe l'I'E^
UC .MOYIGJE. 171
■pagnol en tombant Tavoît frapfvé d^un
^coup'de poignard, qu'il avoit à peine
senti dans la chaleur du moment, mais
^qui lui avoit fait Qne large -blessure. Em-
,portépar l'ardeur du combat, toutefois,
Si Ji'^n suivit pas moins tes siens dans les
^ues.de la vilie^ où le €en*hin étoit défendu
.pied à pied par les troupes de Pierre, avec
jia courage qui redoubloit la fureur des
jassiégeants. Les. derniers s'avançant alors
.lie deux côtés à la fois, le carnage devint
i^Qfuvan table. Les différents cris de guerre
<[Ufi poussoient ces hommes de tous les
pays n'auroient pas permis d'entendre le
Isimit de la foudre. Les cadavres s'amon-
.46el€Ûent autour des combattants, qui,
bientôt, .tomboient aussi, les uns sous le
glaive, les autres sous les flèches qu'on
Jiroit ,encore de plusieurs fenêtres, et le
gKUig jaillissant contre les maisons, couloit
ji gcsuulâ flots dans les rues. Enfin les £s«
sP^nolSy dont le nombre diuiinuoit de
jninute en minute, se voyant entourés
dbitQttles parts, commencèrept à crier
qu'ils se rendoient; mais la rage des vain*
queurs étoit poussée trop loin pour que
rhumanité se tit entendre. En vain les
jsoldats de la garnison jetoient leur glaive
en demandant quartier; en vain Robert
et quelques autres Crioient : Assez ! assez!
ils se rendent! le massacre devenoit plus
affreux qu'il ne l'avoit encore ' été j car on
égorgeoit alors des hommes qui ne se
^défendoient plus. Le guerrier, l'babiiaat
paisible , tout tomboit sous les coups des
féroces soldats de Henri, et la dernière
heure avoit sonné pour celte malheu-
reuse ville,
Robert, qui ne peut fléchir ses barbai
Xes compagnons d'armes, veut au moins
fuir le spectacle de cette horrible bou-
cherie. Saisi d'horreur et de pitié, il se
fait un passage à travers les morts, les
mourants, le sang qui ruisselle; il arrive
devant une église où seprécipitoientdes
.vieillards , des femmes et des enfants que
poursuivoit la troupe. — Grâce ! grâce !
çrioient du saint lieu tous ces infortunés
M iroTicB. 173
en tendant leurs bras à leurs bourreaux.
— Sortez y leur dit un soldat. Une malheu*
TBase femme obéit, se présente portant
son enfant, et tous deux tombent aussitôt
frappés par vingt bras à la fois, — Mon-
stres, s'écrie Robert en s'élançant à la
porte du sanctuaire, il faudra passer sur
mon corps pour en atteindre un autre F
£n prononçant ces m<ots d'une voix ter-
xâble, Robert, surmqntant la foiblesse
qu'il commençoit à éprouver par la perte
de son sang, faisoit brandir son sabre sur
la.tâte des assassins.
-*« Ils ont tiré sur nous , sur nos com-
pagnons qui sont morts ! crioient les fu-
xieux, qu'ils meurent!
. — La ville est rendue ! grâce ! grâce !
répétait Robert dont la force s'épuisoit,
quoiqu'il ne quittât point la posture me-
iSfaçante qu'il avoit prise.
Seul contre tous,, la lutte n'eût pas été
longue; mais à Vinstant où le généreux
jeune homme s'attendoit à tomber vie-
tynç de çpn humanité^. Ws^tei; s'approcha,
soin de ce qui liil^r^Wit de sfet'*^ôtopà-^
'i— ^ A moi! àïnoî! sifé thomas'yVéèrià-
Robert. Au norft daCtrist, vôtre' sàuveùtr
et le mien, saiiTe* cfèsf triâJtiéuréttî^ !
En arri:ère l dit auîiif^ fe tàfird-
t?etm. J'écrase W prtiaÂfiT ffiA^
dé vôul6î^ lefùt Wfafcfe'èr tf fer cfeèvéa ^-'étf;-
repoussant cette pttîgrt^M^KéWftit^ i^
» raingeà avec totts' lèS sien=à devant \éS
porte dé l'église.
Lsf part ie n'étbf t pohrt éig^è àl^#y et ,!
forcés de céder, les prèBtH€»îf *èÔ*é* ^^jk
gnèreirt en tnur»tftattt. -^^ivtffiifeiiant,
fetî réponds , dît W^rtlèr àii jeune é^&t:,
— Que Dieu vou^' récoBfl^étisei? répK-'
qua Robert d'iînè Vèîi fo&le. Garder la
porte, jusqU^à Il iie p^ùt àctiét^rî Jï
cbancelle, il tombe. '
George , qui le ctiert;hdîf <ïè 'tdiW ^té»
dans cette horrible bûgàriNe,aM*<Ncntiilôrs.
A la tôe de Robert, étendu satiS nSdûVê**
ment 9«i^ les- marches dé F^^j fl fat
f)t4ft à' tOtlÉd]^^ iui^ntéorlei ttài^ifâpp^
LE NOVICJEU 1^5
tout soi^ courage, il se hâta de débarras-*
ser le jeune homme de son armure. Dieu!
quelle fut sa joie ^ lorsqu'il ne trouva
qu'une blessure à la jambe ! — Il n'est
point mort! il n'est point mort! sire Wal-^
ter y s'écria-t-il. Au nom du ciel ! aidez«%
moi à le transporter quelque part où je
puisse le soigner.
Walter prenoit un véritable intérêt au
jeune écuyer ; il s'empressoit de prêter
son secours à George pour le soulever,
lorsque DuguescUn » qui parcouroit la
•ville , s'efforçant à grand peine d'y réta-
Wir Tordre, passa devant l'église. — Est-il
mort ? dit-il en apetcevant Hobert porté
par George et le tard-venu. Que Dieu me
préserve d'un si grand chagrin ! Mais lors»
qu'il eut appris que le brave jeune homm^
respiroit encore , il se pencha affectueux
cernent sur lui, serra sa main glacée, et
donna l'ordre à quelquea^uns de ceux qui
le suivoient de l'emporter et de lui prodi*
guer tous leurs soins.
On poavoit sur ce point s'en rappor-
1^6 LE KOVICE.
ter à George. A peine aidé des gens de Du-
guesclin , eut-il transporté son maître
dans une maison voisine qui ne renfer-
moit plus d'habitants , qu'il ne perdit pas
im moment pour arrêter le sang avec
tine bande serrée à force de bras; puis^
allant chercher dans cette maison déserte
le premier cordial venu, il rapporta une
bouteille de vin d'Espagne , dont Robert
eut à peine avalé quelques gouttes , qu'il
ouvrit les yeux et reprit la parole pour
demander si ion étoit dans Bévesque.
— Palsembleu! oui, nous y sommes.
Est-ce que vous n'entendez pas les cris dô
nos enragés, qui égorgent tout là-bas ?
— Ah ! George, s'écria Robert, retrou-
vant tout à coup lie souvenir de ce qui
s^éloit passé. L'église?... ces malheureux?...
Sire Walter est-il encore là?
— Je ne sais ce que vous voulez dire,
reprit le chasseur. J ai Ijjissé sit^e Thomas
devant une église , en effet , avec monsei-
gneur Bertrand.
— ^Sire Bertrand y étoit:, dit Robert.
LE irOVIGE. J'JJ
Dieu soit béni ! je suis tranquille mainte-
nant. Sire Bertrand n*estdonc point blessé?
^^Non; mais vous l'êtes, vous, et le
premier point est de vous tenir en repos,
et de né pas tant vous occuper des au-
tres, quand il faut songer à vous-même.
Par saint Benoît ! vous venez de me faire
une rude peur ! mais tout va bien main^
tenant. Une estafilade à la jambe , voilà
tout. Encore un peu de ce vin , ajouta-t-il
en lui présentant la bouteille.
— Je me sens bien , très-bien , George y
dit Eobert après avoir bu , la tête seule«
ment un peu étourdie.
— Je le crois bien. Il faut que vous
ayez perdu im tonneau de sang. Pourquoi
4iable n*avez-vous pas quitté la bagarre
quand vous avez reçu cette maudite blés*
sure? par quel malheur aussi moi, qui
vous suivois toujours de si près, me
suis-je trouvé séparé........
George fut interrompu ici par les criai
que poussoient une troupe d'hommes
(Varmes qui. seprécipitoit dans lamajison.
rjS LE IfOVICE^
-^ Donne^inoi mon sabre, dit Bobert hU
^àDt un effort pour se lever.
-*-4. Non, non, répondit le chasseur en
le retenant sur le lit , ces gens-là sont des
nôtres bien certainement f tous les sol^tts
espagnok doivent étreinorts maintei^ant;
Il sortit touteibis pour s'en assurer ^etiirit
en effet que ces nouveau^venus étoient
des amis, uniquement occupés da soin
âe piller la maison du haut en bas«
— Hé, hé ! dtt+il en s'adressant à quel»
ques'^uns d'entre eux, dévastez la maison
,taht que vous voudrez; mais laissez^nous
vn peu tranquilles dans cette salle. Je viens
iïy conduire Técuyer de monseigneur
Bertrand , qui est gravement blessé.
Le nom de Dugtiesclin sufi&soit toujours
pour imprimer un si grand respect, que
Tun des soldats se tint à la porte, pour
6n défendre l'entrée , tandis que l'on pro^
cédoit brièvement au pillage des autres
salles.
i-, — Q^ sont les nôtres, dît George en
rtveuMt s'asseoir ^ès' de ^n m^tre, qui
LE IfOYICfii, ÏTjg.
dierchent du parchemin pour Justin Mép
ridan. A dire vrai , c^s. gens-là vous net*
toient une ville lestement, et je necroisî
pas qu'ils laissent gn^nd chose dans Bé-
yesque.
— i S'ils y laissoient du moins les mal»
heureux habitants ! dit Robert poussant
un profond soupir. George, aujourd'hui
seulement j'ai vu la guerre : c'est une hor-
rible chose. Toute ma vie , toute ma vie
j'entendrai les cris de ces pauvres gens^
qui 'demandoient grâce.
•i^Que voulez-vous? On voit totnbet^
les siens ^ la tête se monte. Dieu sait ^ pair
«kemple , que si je pouvois* tenir celui qur
vous a blessé ^ je n'en ai^rois pas plus da
pif ié qoe d'un lapin»
: -*• Pour celui-là, son compte est fait :
je f enois de Vabattre , et il n'avoit plu$
qua deux secondes à vivre qus^^d il m'i|
frappé.
•^ A la bonne heure ! j'aime mieux If
savoir à terre que debout'; mai$ je croif^
91e nos. ipens se retirent : profites; de^-ce
iSô tE NOVICE
petit moment de calme pour dormir , un
peu ; cela vous rendra des forcés /et vous
en avez besoin.
La foiblesse de Robert en effet étoit
extrême; à peine pouvoil-il soulever sa
pàùpièt'e; aussi ^ quelques minutés de
silence furent]- elles suffisantes pour lé
ploDgef dans un profond sommeil.
Tout le temps que dormit son jeunô
maître, George ne se lapait point de le
considérer. — Quand je pense , se ditoit-
il tout bas 9 qu'il étoit sur ces marches^
étendu comme mort; quand je- jpense
qu'il pouvoit ne plus ouvrir les yeuxl
Cette idée finit par raffectèi» si vivement^
qu'après avoir tout fait pour s'en dis^
traire, il se leva doucement, alla prendre
la bouteille de vin d'Espagne qu'il avoit
posée sur la table et Tavala tout d'un trait
A peine venoit-il d'employer ce • prései>
vatif contre l'attendrissement, que Rqhert
fut réveillé ^n sursaut par une voix ton-
nante qui crioit dans l'escalier :
^; -^Où éic»^il?: où est'dl^ ce hrarei gai^»
LE NOVICE. l8l
^n ? Et sire Hagh Calverley entra dans la
chambre , son sabre à la roain et son ar*
mure couverte de sang et de poussière.
— Ëhquoi! moucher enfant, dit-il en
se jetant sur le jeune écuyer et le serrant
dans ses bras, de manière à l'étouffer
sous sa cuirasse. Tu es blessé ! J apprends
quq^ tu es blessé ! toi qui m'as sauvé la
vie aujourd'hui! J'aimerpis mieux cent
fois être blessé moi-même !
— Je n'ai rien qu'une égratignure, ré-
pondit Robert. Dans huit jours je serai
sur pied.
— Par saint Yves ! voilà un grand cha-
gkin de moins pour Calverley, reprit
l'Anglais. Et maintenant, garçon, tu sai^
si tu peux compter sur moi , tant que mon
cœur battra dans ma poitrine? Je ne t'en
* dis pas davantage.
. Robert serra la main sanglante qu'il lui
présentoit.
— Bertrand va venir te voir, continua
sire Hugh. Pour cette heure , il est occupé
à remettre l'ordre dans ville, si tant est
i8i LÉ NOVICE.
îqu'on puisse l'y remettre; car je a'ài'j4*
mais vu nos gens plus enragés. ■ '■'
— Les soldats espagnols ? dît Robert. *
' -^ Ils sont tous mortk, répomfetfroi-
idement l'Anglais en remettant soé sabré
-dans le fourreau.
— Et les malheureux habitons ? -
— OhT beaucoup ont passé un riiauvais
quart d'heure. Bertrand a ifyom*tant saitré
quelques femmes, quel qpies en:fatits. Il faut
<;onvenir que ces gaillards-là avoîent fait
les insolents avec nous, comme s'ilfii rfa-
Toient jamais entendu parler de Dugues-
^in. Maintenant ils savent à quoi s'en
tenir. Mais es-tu bien ici? Je n'ai guère vji
ique les quatre murs dans cette maison.
— C'est que ttIos gens viennent d'y foire
une visite , dit George.
— Bien, reprit l'Anglais, et selon leur
"maudite habitude, ils ont jeté les meu-
bles par la fenêtre. Que le diable les con-
fonde! Dans une maison où nous avons
tin blessé! Et il sortit en jurant «ur tout
ies tons. Une heut^e après, Robert se troa*
LE NOVICE. jSS
veit pourvu de toutefs les commodité» de
la vie , et quatre hommes étoleat chargés
de xest«r près de loi pour exécuter «es
ordres et pour le servir*
Teu de jours sufïîrent à la guérison du
jeune écuyer, et pendant sa retraite for-
cée , Hugh Calverley passoit près de lui
tout le temps dont il pouvoit disposer.
Bertrand Favoit aussi visité souvent, lors-
qu'un soir, comme l'Anglais racontoit à
sonjeune ami la première campagne qu'il
avoit faite sous les ordres du prince de
Galles, en arrosant son récit d'un flacon
de vin d'Espagne; Duguesclin entra dans
là chambre, le front radieux et l'œil
rayonnant de joie.
— Xsrtu bientôt en état de pîonter à
cheval? ditril à son jeune écuyer en lui
frappant sur Tépaule.
. **-iDQmain,. à l'instant même.,, répondit
iU>bert.
— Eh bien! mon fils, iu auras la joip
IPemrer ^vec noosxdans.Burgos.
â[64 ^B NOVICE*
* — Noua allons attaquer Burgos? de-
xiiandà Calverley.
: — L'attaquer? non , par Notre-Dame!
répliqua Bertrand, nous trouverons les
portes ouvertes. Pierre abandonne sa ca-
pitale et deux cordeliers en sont sortis
secrètement, chargés de dépêches pour
Henri.
— Qui disent ?
— Qui disent que tous les habitants de
Burgos, chrétiens, Sarrazins et Juifs, pré-
sentent leurs soumissions au roi Henri, et
l'attendent dans leurs murs pour y être
couronné, avec toutes les cérémonies qui
s'observent à l'égard des nouveaux rois
d'Espagne.
— Vivat ! s'écria Calverley en faisant
sauler au plancher sa coupe, qui retomba
en mille morceaux. Vivat ! Les deux Cas-
tilles sont à nous. Va me chercher une
autre coupe, dit-il à George; c'est bien le
moins que je boive à cette heureuse et
grande nouvelle.
— Pensez-vous que l'on fasse venir la
LE irOYICE. i85
reine à Bûrgos? demanda Robert, s^efTor^
çant de cacher le trouble et la joie qui
5'eniparoient de son cœur.
— Je le pense y répondit Bertrand.
Que d*espérance, que de bonheur ren-
fcrmoient pour Robert ce peu de mots !
La nuit qu'il passa fut une nuit de délices,
et dès le lendemain toute Tarmée se mit
en route pour la capitale.
8^
î88' LE KOVICfe.
'»• On logea Tarmée dans les faubourgs,'
et-'le roi fut conduit au palais avec Ber-
trand et les principaux officiers de ses
tf6upes.
Robert, qui ne quittoit point son pa-^ .
tpon , fut un de convives du souper splen*^ .
didé qu'on avok préparé pour Henri ^ et
auquel se trouvoient cent des plus RO-f .
blés et des plus belles dames de la ville.
Toutes charmantes qu'elles étoient, les
regards du jei'rtieécùyererroient de Tune
à- l-àutre sans en rencontrer ime seule
qu'il put comparer àJuIierinie. Ah! peu- .
soît-il tbut bas > aucune n'a ce regard si
doux qu? pénètre jusqti'^iu cœur, aucune .
ii?a ce sourire ravissant dont le charme se*
xluîroit le plus insensible. Je vois bien que .
•fôn ne peut ai mer qu'elle! Héks ! pour*
quoi n'est-elle pas.assise à ce banquet , ou
plutôt pourquoi ne sommes-nous pas en-
core jensemble dans la chaumière du pê-
cheur ? Dans ce moment, il rencontrâmes
regards de sire Evrard , qui , par hasard,
venoieiit de se porter sur lui. Il rougit
et se hâta de détourner la vue, comme si
répoux de Julienne avoit pu deviner sa
pensée.
Quoique cette journée eût été très*
fatigante pour Hebri , il ne voulut pas
remettre au lendemain la distribution des
grâces «t des récompenses qu'il destinoit
à ceux auxquels il croyoît avec raison de-
voir la couronne. Le repas terminé , il
retint autour de lui une partie des cheft
de l'armée, et leur annonça ses largesses,
dans les termes les plus flatteurs et les
plus aimables. Aux uns, il asstira des som^
l»es d'argent considérables, à quelques
autres, il donna -des terres, etCalvevIey
alors reçut le comté de Carrion ; enfin ,
s'approchant de Diiguesclin , qu'il ayoît
réservé poitr le dernier : — Bertrand, lui
dit-il, je né puis me faire un plus grand
honneur qu'en vous priant de prendre le
nom que vous m'avez fait quitter. Soyez
comte de Transtamare. Les titres, en Cas-
tille, sont personnels, mais je rends le
vôtre héréditaire, ainsi que la posse^io»
de toiite&' les terres <iiiivs'y trouvant attft^
cbées.
Bertrand prit la main du roi, et voulut
la porter à ses ièvres ; mais Henri ^ le
«errant dans ^s bras: — Ici, mon frère ^
ici| 4it-il en le paressant sur son çœavm
«^Maint^nant, mes amis, reprit le roî^
je dois TOUS demander un copseil. Mon
jUitenCLoa et mon plus grand désir , j»
w<m$ Va[vom^ seroit <ie faire vetnir nia
femme*
«>^ Seigneur , répondit ÏHiguescUa ^
^cetteidée me semble e:$cellente. La reinis^
ciit*on| est bonne et belle; sa préseui^
Ici ne peut que vous servir.
Il ne faut pas demander quel sentimenT
îde'^boobeur remplit alors lame de Ro-
bert ^ 3MrtQi|t lorsque , voyant rayonner
la joie dans leis yeux de sire Evrard , il ut^
put d^u^er de Tarrivae de Juiicnae.
Toujs^ le3 chefs ayant apf^audi au pro^
jet de Henri^ il fut convenu qu'une troupe
$ÛFe partiront dan^s la nuit même pour al-*
4er cbercber Jeanne , çt le roi se retînt
£B KOineBi I0t.
après avoir désigné s^ulemeiH deux a^
gneurs castiliaDs^ Dugucsdin se diargeanjE
lie coiDp(»er tout le reste de Fesoorte h
son cho X.
Dans l'espoir d'être choisi , Robert aua^
^tôt se plaça précisénient'en £ace de son
snaître , a6n d'attirer son attention. En
<Sety tandis que Bertrand s'adresaoit à
iZLugh Calverley et à Jean d'Ëvreux pour
es honorer d'une misûon à laquée ils
onvenoient mieux que d'autres, il re-
arda deux ou trois fcHs son jeune écuyer,
et peut-être alloit-il le nommear, lorsque
we Evrard s'approdba , et demanda arec
^rivacité à partir aussi.
Par Kotre-Dame ! dit Duguesclin es
riant, je n'y songeois pas. U est pourtaitt
bien juste qu'un mari aille chercher sa
femme. Eh bien ! cela fait cinq, et char
cun de vous suivi de vingt soldats ^ eo
,Toilà bien assez pour nous répondre de
Ootre belle reine. Partez donc sur-le-
champ ; moi , je vais me coucher.
La vive rougeur qui jusque là avoit coa*
vert les joues de^Robert^fit place à uqe
pâleur mortelles Mais; voyant DQguesoUn
s'éloigner : — Et moi ! et: moi ! , dit^I '&
Calverley en lui serrant le bras:de tonte
saforce. . :.
. -^ Tu veux venir ?^ < • i ..î
'— Si je le veux ! dit Robert avec un
accent que les mots ne rendent pas» - • >
L'Anglais le regarda d'un air supris. ^
Bertmnd, cria-t-il à Duguesclin qui soi^
toit , j'emnfiène notre jeune homme >
-^ Fort bien , répondit Bertrand déjà
hors de la salle.
Dieu sait quel effort se fit Robert pour
contenir sa joie , pour ne pàç sauter au
côu de Galverley. — Je vous dois tout ,
lui disoit-îl k voix basse. Je vous dois touti
je vais je reviens je suis prêt à 1-iii-
slant ; et il sortît dans l'état d un hoctfffiê
qui vient de perdre l'esprit. >
— Il faut qu'il soit bien pressé de voir
la reine ! se dit l'Anglais en le regardant
aller. Sur mon âme ! il a l'air d'iiQ' foii^
Puis j sans y songer davantage, il allàsV>c-
LE KOTICV. 193
cuper des préparatiU du départ ; car le
bon Calverley de sa nattire étoit médio-
erement observateur ; et il aimoit mieux
ài général laisser passer les choses sans
les comprendre, que de perdre son temps
Robert pressoit tellement George de
loi donner ses armes , de seller les cbe-
taux, que celui*ci crut d*abord qu'il s'a-
gissoit de suivre des gens déjà partis , et
quMl se bâta au point d'arriver tout en
nage dans la cour où son jeune maître et
lui cependant, se promenèrent durant
deux bonnes heures, au petit pas de leur
monture , sans voir arriver un seul de
leurs compagnons de voyage.
— <2ui diable peut les arrêter ainsi ?di*
soit Robert pour la centième fois.
George sourit, quoiqu'il eût lui-m<ime
un peu d'humeur de faireaussi long-temps
le pied-de-grue. — Croyez- vous, répon-
(lit'il , qu'ils soient tous aussi pressés que
vous?
— Mais sire Evrard , reprit Robert ,
III. 9
)
d'un air qui thibissDitlasect'ète satis£au:-
4km que lui foimit \ épr an v^! le a^^etard de
£6 derâier ^rsire .Evrard «qi»iLi6ej lait jat>
tendre, jevoudrois'poiiiibBàuicbnpiqidelb
ie sût* ■'..'■ . '-/i."-!"* ' ù^:^'.z'^.
Il achevoit à peine ces/naots cpaeesire
iSvrard parut suivi d'une vin^aiiialdélca*
.Taliers. Gomme si sockiarrmei'mti 'donné
le sigp^l du départ.^>dixtiiaiTUte$ .afMtrès
toutlpiwonde était rréjiairet ïcm) siBDaziit
QpLx . ,qijû r n'a v que > viagt jaas.^:;cfe^.i5ui
wyage par i^ine bellf^inuit poin^ alier trou-
ver ; la femme qu'il iaime ,> peut r seul ayoïr
l'idée des; douces sensations qui agitaient
rame de Rol>ert. A peine son^oit-il: que
ïépoiix de Julienae manchoit près delui.
Il alloit la voir. , ïentendre» , iul ^parier
peutvétne? Tout son être:étoit : eanceiUré
dans xette. pensée uniqufijdsKGit rien; ne
pouvoitJe priver jtiont mn 'fie pourrait
le i distraii^.
Le château dans lequel Henri de Tran»^
lainare ; atoât . laissé > son épouse jn'élait
LE WOVICE. ' 1^5
. qu'àiringt-cinq lieues de BiiPgos. Nos voyà-
:geurs en aperçurent les tours après deux
•]Our3 de roule. Les chevtiliers décidèrent
:que pour ne pas effrayer la telhe 'par
l'arrivée subite d'une troupe aussi nom-
breuse , dom Gomez d'Olivaros prendroit
^eul le devant pour aller lui annoncer
.les heureuses nouvelles qu'on lui appor-
toil, et que le reste suivroit fort lente-
ment. Ce relard fut heureux pour Ro-
bert, qui, sans pouvoir calmer son ex-
trême agitation , parvint au moins à ne
point la laisser paroîtré.
Les chevaliers ayant passé leppnl-lévîs
que l'on baissa à leur approche, descen-
dirent de cheval aussitôt, car ils aper-
çurent la reine entourée de plusieurs
dames qui pour leur faire honneur les
attendoient sur le perron. De la plus
grande distance, Robert avoit déjà re-
connu Julienne sur laquelle Jeanne s'ap*
puyoit d'un air d'amitié, tout en écoutant
^ que lui disoit alors dom Gomez; mais
«efùt en vain quVn approchant il espéra
.196 LE irovicÊ.
qu'elle alloit le reconnoître aussi. Ju-
lienne avoit d'abord fixé ses yeux sur
sire Evrard qu'elle ne cessa plus de re-
garder en lui souriant d'un air doux et
aimable.
Dom Gomez prît tour à tour la main de
Hugh Calverley , de Jean d*E vreux et de
sire Evrard , et les présenta à la reine en
vantant leurs faits d'armes et les services
qu'ils venoient de rendre à Henri. Le
tour de Robert étant venu : — Quant à
ce jeune homme, noble dame, dît-il,
c'est le fils du sire d'Ingelcour, l'ami et
l'écuyer du grand capitaine à qui nous
devons la victoire.
La reine s'empressa d'adresser les pa-
roles les plus flatteuses à celui qu'un pa-
reil titre recommandoit à sa bienveil-
lance. Mais Robert, quoiqu'il s'inclinât
respectueusement, l'entendit à peine :
Julienne venoit de le regarder.
Dès que l'on fut entré dans le château,
plusieurs conversations particulières ne
LE NOVICE. 197
tardèrent pas à s'établir dans la grande
salle , où la reine avoitfaît apporter desra-
fraîchissenien ts. Les uns avoient beaucoup
à apprendre , et les 'autres beaucoup à ra-
conter, en sorte que les nouveaux-venus
pouvoientàpeinesatisfaireàlacuriositédes
dames et des autres habitants du château.
Tandis que Robert répondoit aux innom-
brables questions d'une sœur du roi^ jeune
et belle personne qui venoit de s'emparer
de lui y il n'en suivoit pas moins~des yeux
sire Evrard et Julienne, qui causoient
à voix basse y dans l'embrasure d'une
croisée. Julienne avoit repris les vête-
ments de son sexe : une longue robe,
tissue du lin le plus fin , et dont la blan*
cheur rivalisoit avec celle d'une peau
éblouissante y dessinoit tous les contours
de sa taille élégante et souple, quecei-
gnoit une ceinture d'or. Un bandeau d a-
méthistes retenoit sur sa té te le voile léger
dont les plis retomboient sur ses épaules
et jusqu'à terre , sans pourtant couvrir
son charmant visage et quelques longues
igft HK NOTICE.
b<)ucles de cheveux cendrés quientou*
roient son cou d'albâtre. Paroissant à
peine toucher la terre , toute sa personne
avoit un charrae si raviàsant, que Robert
croyoit voir en elle plus qu'une femme, et
qu'il se deraandoit tout bas si l'être en-
chanteur qu'il contemploit n'étoit pas
un de C3s esprits célestes que l'on dît
ntourer le trône de l'éternel.
On sent bien qu'une semblable préoc-
cupation nuisoit un peu à ki clarté des
récits du jeune écuyer. Tantôt, il Hom-
moit une ville pour une autre, et- quel-*^
quefois même, lorsque Julienne tour^
noit la tête de manière à lui foire^
espérer un second regard , qu'il n'avoît^
pas encore obtenu , il s^anrêtoit tout
courty laissant k dbna Elviçe^c'étoitle
nom de la sœur du roi ) le soi» de lai>
rappeler où il en étoit reste-
Tout autre qu« Robert auroit pu
trouver la conversation des deu^ époux*
un peu longue; mais ,'^ ivre dubpnheur^
de s^ ^retrouver près de Julienne , la voii^
LE I(OViai»t T^
(étoît paiir lui une de césJonissaQOed iné£<
âbies ^ul ine laissebt. dans un cœur auHL
cnne place pour la soufFrabce; H^uitetnc
ces. moments où i'ârae tout entière se' con-î
centre sur un objet chéri ^ îau point de
s'Èiôler du reste dè-rdnîvers ! Robert ne
maudissoit pas sire Evrard , il ne le voyoit
piàs. Sans- s'apercevoir non plus que
dona ElVîre fixoit sûr lui de fort beaux
' < . .
yeux d'une manière assez tendre , il ne
sôn^ebît qu'à serapprocaerdela bienheu-
* ' '. ' .'*'•.» '
reusefenêtr.e, vers laquelle , peu à peu ,
iliayoit déjà fait quelqtjtes pas sans affec?
tatÎ9n;Calverley étant alors venu le joinW
dre i il en profita si habilement . qu'il
set^trctqva enfui asâez; pfès de Julienne
p^iTi 'Qu'il pût 'entendre sa îVgîx et 'qa'ellô
enteoidît la: siennes: Dès ce .moment Ju-»
litnns resta leSi yeux *iixés sur'la teri^e^
répondant très-bâs et par monosyllabes
aux discours de sire Evrard.
Eobert la dévoroit de ses regards, «ins
préierfta «aoindi^iatt^ntidtiMà ia coiiver-
900 LB -KOVICE.
sàtion de l'Anglais et de dona Elvire l
lorsque, par un dé ces hasards dont le sort
quelquefois favorise les amants, sire
Hugh s'avisa de dire que le jeune écuyer
avoit été novice;
,, — Se peut-il? s'écria Elvire. Qucmî
vous étiez novice? . .
En vain elle attendit une réponse; Ro?-
bert étoit trop intéressé à deviner qud
effet ces mots produiroient sur Julienne
pour la perdre de vue une seule minute.'
H lui sembla distinguer une foible rôu-
^ur ; mais , du reste , rien ne trahit rémio-"
tion qu'il avoit espérée, et la comtesse dé'
Julien." ^ '' ^
— Oui, oui, il étoit novice, teprît
Caiverley, qui se plaisoît'à rappeleti
qu'il devoit la vie à son jeune ami ; et fe'it
l'étoit encore , je n'aurois pas riionneur ,
noble dame , de conduire la reine àr.c
Burgos. r «i» ::;/•'
-*-,Gbmmentcelà? . ;< :d
à
. TTi Parce qu'iU reçii^ pour moi u^ eoufi^
LS NOVICE. 20 C.
de dague qui alloit m'envoyer dans l'au-
tre inonde.
—O ciel! s'écria Elvire, croyant s'adres-
ser à l'Anglais , tout en attachant ses yeux
snr Robert. Peut -on songer sans frémir ,
continua-t-elle d'une voix émue, aux
dangers que vous courez tous chaque
jour! Lorsque je pense que la guerre
n'est, point finie , qu'on peut se battra
encore d'un moment à l'autre y je n'ose
vie réjouir de nos succès*
«7-Bah! répliqua Cal verley, cette guer-
rerCi n'est qu'une bagatelle; la voilà qui
toiUTie tout-à-fait en promenade. .
^— Fasse la sainte vierge qu'il ^en soit
ainsi! dit. la jeune Castillane enjoignant
(es belles mains; c'est la plus ardente
prièjr^. qve je puisse adresser au ciel.
- Tout ce qui annonçoit la bonté parve-
noit promptement au cœur de Robert.
IfodrJa première fois , il regarda celle qui
venoit de parler ainsi , et, rencontrant ses
yeu^ buniides fixés sur lui : — Si vous priez
powr: xious , dit-il , notre salut est assuré..
Des vœux partis d'une bouche aussi pure
ne sont pas repoussés.
A peine ces mots étoiont-ils pronon?
cés^ non du ton de la galanterie, mais^
dé celui que prend la simple reconnois*
sance, qu'un regard plus rapide que Té^^
clair, un regard où se Ksoit un déplaisiez
sensible, vînt porter dans son cœuplef
trouble, l'espoir-et je ne sais quelbon*^
heur secret qu'il osoit à peine s'avouer./
Il se hâta de s'éloigner ^ de se rapprocher
de ses compagnons d'armes et des sei-
gneurs castillans, qu'il ne quitta pins jud^
qu'au moment où l'on se sépara; hett*
reux, trop heureux de pouvoir penser
qu'il obéissoit en agissant ainsi.
Le lendemain, dès le point du jour^
on étoit en route pour Bui^os, La reine ^
ses sœurs et les dames qui le$ accoiâpa*
gnoientvoyageoietit tantôt en litière et Cdi»'
tôt à cheval ; ce qui laissoit à Robertl'^dS^
poir de 'réussir à a^àpprocher de Julienne/
Mais Julienne , toit* que ce fui - ou noti
rëflPét dè^ sa volonté^, ^ marcha^ tô^jiMM
LE NOVICE. ao3;
pès de la reine ou de sire Evrard , en
irte qu'il étoit impossible au jeune
»yer de Faborder. A la fin du jour, on
irréta dans le château d'un seigneur cas*.
Ilan y dévoué au parti de Henri et chez
quel la reine devoit souper et passer la
lit. — Ici, se disoit Robert en descen-
int de cheval, il faudra bien enfin se*
ouver réunis. Quel fut donc son chagrin
rsqu'il ne vit pas paroitre Julienne dans
grande salle , où il s'étoit hâté de se
flidre, lorsqu'elle ne/ parut point À ta-
e, et qu'il vit ainsi finir une journée
»ndant laquelle il l'avoit à peine aper*-
le!
n en fut de méine' le lendeniain , si ce
3Stque la reine, pitessée. d'arriver aiu*
es de son époux, ne s'arrêta plus que
or peu d'instants jusqu'à Burgos. A^
(fjque distance de cette ville, le cortège
fermaJeanne monta sur une roule, qui
rtoit une housse de pourpre enrichie
brocart d'or, et une selle toute couverte
pierreries. Ses habits , aussi bien qu€[
aô4 • ^^ JsowiCE.
ceux des trois sœurs du roi, étoient d'une
si grande magnificence qu'ils éblouis*
soient les yeux. Julienne et plusieurs au-
tres dames très - richement vêtues sui-
voieiit immédiatement , entourées dès
chevaliers, qui précédoieiit la troupe, cou-
verts d'armes éclatantes et montés sur de
superbes coursiers. La joie brilloit dans
tous les yeux, et le soleil le plus resplen-
dissant éclairoit cette belle journée où
réponse de Henri de Trantamare alloit
entrer en souveraine dans la capitale de
laCastille.
Comme on avancoit ainsi vers les murs
9
de Burgos , un nuage de poussière se
montra à l'une des portes de la ville , et
bientôt on aperçut Duguesclin , qui ve-
noit au-devant de la reine avec Le Bègue
de Vilaine , Olivier de Mauni , Gauthiei
Huet et plusieurs autres. Aussitôt que
Jeanne les vit, elle descendit de sa mule el
marcha à leur rencontre. Bertrand et sei
amis l'ayant jointe et la voyant i
pied^ se jetèrent à bas de leurs montu
LE iTovicE. ao5
res^ en la conjurant de remonter : — Ceux
à qui je dois la couronne , beaux sires y
puis-je leur rendre trop d'honneur ? dit-
elle avec tant de grâce , que cet instant
luigagnalecœur de tous les chevaliers, et
qne Bertrand lui-même; si peu galaqt qu'il
fit y s'écria : — Par saint Pierre ! jamais
couronne n'a été placée sur la tête de
(dus belle et plus noble dame !
Chacun étant remonté à cheval , on se
remit en marche. Ceux qui voyoient Ber-
trand pour la première fois ne pouvoient
se lasser de le regarder ; les femmes sur-
tout, surprises de son extérieur disgra-
rCieux , ne concevoient pas qu'un héros
eût aussi mauvaise mine.
— Mon Dieu qu'il est laid ! dit lout bas
Elvire à la comtesse de Clérac. Est-il pos-
sible que cet homme ait acquis dans le
monde une aussi grande renommée !
. . — Quoi ! répondit Julienne en souriant,
ne suffit-il pas pour cela qu'il soit brave,
intrépide et qu'il réussisse toujours dans
toutes les expéditions qu'il entreprend?
^- Convenez cependant, reprît k jeune
•princesse , qu'une autre figure hii îi^oit
-mieux? Regardez celui qui marche der-
rière lui, par exemple, Robert d'Ingel-
cour; croïroit-o» que ces deux êtres
^ soient d'unie même nature ?
Julienne ne répondit pqînt ; mais elle
ne put se dispenser de regarder le jeiine
écuyer, ddht en effet la tournure élé-
gante et noble se distinguoît au milieu de
tous. Dans ce moment Robert se retour-
libit; rencontrant les yeux de celle qu'il
-diierchoit toujours, fixés sur lui ^ il ne ré-
-Êista pas au désir de la saluer respectuèu*
sèment de son glaive ,^t il accompagna (îe
geste d'un sourire si dou^ et si tendre^
-qu'Elvire regarda sa compagne avec sur-
prise, tandis que cette dernière se hâloit
-de détourner la tête sans rendre le salut.
— . Etes-vousdu même pays que Robert
d'Ingelcour, comtesse ? denianda Elvîre.
— Non, répondit laconiquement Jtt-
liisnne, dans le désir d'éviter d'autrfes
' questions.
]LE fXQYÎQE. ÎIO7
*- L^ve«>-vous connu novice?
— Nous voici dans Burgos, dit Ju-
lic^Qoe; voyez. <^mme ces bons Castillans
f0!U5 jreçQÎveoiXt]
. Bq effet ^ toutes les maisons étoient
teodues <le riches tapisseries ou couver*
tes de feuillages ; les fenêtres^ les balcons,
occupés par les premières dames de la
ville y i»agnî(iqaement parles , offroient
le. plus bieau coup-dloeil, et les cris de joie
pbussés par une population , tout entière
aj<tatoient encore à cette pompe. Émue de
ceispectacle^ Elvire oublia pour un instant
fe jeune écuyer et prit part à l'allégresse
générale 9 ce qui affranchit Julienne de
ïinterrogàtoire qu'autrement elle alloit
«dbir.
'.Le roi aimoit tendrement sa femme j il
ft-eibpi'ess^ de venir au-devant d'elle pour
la coudirirp lui-même au palais qu'il habi-
46it:I^ fin de cette journée se passa en
Jréjouisâances, et \% couronnement ayant
ité fixé au jour de Pâques qui approchoit^
la. cérémonie s'en fit avec la plus grande
208 LE NOVICE.
pompe dans le mopastère de las Huelgai^^
près de Burgos.
Dans les brillantes fêtes qui suivirent ,
Robert ne jouissoit pas toujours du bon-
heur de rencontrer Julienne. Sire Evrard
eniployoit tous les moyens pour la sous-
traire à Tadmiration et aux hommages
des courtisans. S'il se voyoit forcé de con-
sentir à ce qu'ellesuivît la reine, qui Tavoit
prise en grande amitié, il s'attachoit avec
un soin extrême à ne po'nt là perdre de
vue un seul instant. U épioit le moindre
regard qui auroit pu se porter sur d*au«
très que sur lui. Tourmenté de la voiF
l'objet des soins de ceux qui osoient l'ap-
procher, il étoit rare qu'il ne lui fît pas
quitter subitement des lieux où l'on voyoit
aisément qu'il souffroit les tortures de
Tenfer. La douce créature le suivoit alors
sans le plus léger murmure, heureuse
d'acheter à ce prix quelques moments de
paix. Tour à tour obsédée d'un amour et
d'une jalousie féroce, elle se soumettoit,
sans se plaindre , au tyran qu'elle avoit
IX NOVICE. 209
choisi. Mais la pâleur constamment ré-
pandue sur son beau visage^ ses regards
tristes et contraints décéloient sa souf-
li*ance en dépit des efforts qu'elle faisoit
pour la cacher à tous les yeux.
. Qui peut dire avec quelle rapidité Ro-
l>ert devina le malheur de celle à qui sa vie
'étoit désormais attachée ! qui peut dire à
quçl point ce malheur redoubla son
amour! Un moment avoit sufû pour lui
"révéler le sort de Julienne, et le sien qui
ii*en étoît plus séparable; Un soir, la reine
donnoit un bal : Jean d'Évréux ( selon
toute apparence du consentement de
'sire Evrard ) alla prendre la main de la
comtesse pour la conduire à la danse.
Jamais encore Robert n'a voit vu danser
Julienne. Tandis que, placé-de manière à
suivre tous ses mouvements, il s'cnivroit
d'amour, enviant le sort de tous ceux qui
obtenoient d'elle un sourire, ou qui tou-
chôient sa main en passant, il seden^ancla
pourquoi il n'obtiendroit pas à son tour
le bonheur qu'obtenoit Jean d'Évreux.
9
Cette idée rayissante ne lui parât d'abord
qu'un rêve décevante Quoi ! celle qui de^
puis lour réunion lui refusoit un regard^
il se trouveroit près d'elle , il lui parlermt)
sa maintoucheroit la sienne! ilnepouYoil
y croire* Mais pqurquoi ne pas le ten-
ter? Entraîné enfin par le foible espoir
d'une si grande félidté, H' s^^edbardit ^
il se dédde à s'exposer an refus^ Iia| dansp
finie et la comtesse retournée à sa plawy
il s'avance en tremblant^ et se dirige reM
die d'an air qui sans doute décéloit soaîift-
tention. Julienne y dont jamais les yeux ne
sembloient se porter sur>lui, le Tpit^ très»
saille 9 et, joignant les fnaîns , lui jette un
regard craintif , douloureux > suppliant^^
un regard que rien:. ne^peut peindre et
qu'elle reporte aufi^it6|surson*mari placé
deux pas d'elle* Robert s^arrête : le passé
s'éclaircit pour luij fl: devine tout, 3
comprend tout , et ce^qu'il éprouve porte
dans son cœur une s^ douce consblatioDr
qu il ne s'est jamais senti plus heureux.
Depuis ce jour il s'établit entrerépouse
LE'tironGBi ait
èéèvfie E?rard et la jeune, écii^r je ne sais
qoélleà relations >n^ystéariieu8es-^ dont le
diârme- éofaafypoit aisénuent à tons leé
I Jitox; car janiais ils .ne s'adressoieht uq
mpt^ jamaiSf âst ne s'approchoient l'un da
rMtiT^, ]et Icïplu^ haJbfle surveillant n'au<*
xwt ; pu .surpiv&qAre: entr^eux Téchangi^
d'jom vegard•.CepeI^la^{;le^rs âmes se paiv
loienty sç répondoienl. U» gç3te, un sou-
pir^de.Juliçnne^toit. entendu de Robert*
^i, dans un ravissement. inexprimable^
Se 4ispit tont .bas chaque soir : Je suis
^ ■ t
II êtbît heureux poUr Robert tjù'il eût
^à^ placé sa vie dans son amour ; autre-^
Ineiitiianroit trouvé bien peu de charmeil
'i9âiiil^a:notrvelle existence. ly oisiveté dans
lâMfoeUè*' iD vivent -controstoit tellement
oracc^Fhabttude -qu-il^ avoît Contractée dès
VkabûÊkce de «e^^livrer à Tétude r que les
^ôuniées .qu'il passoit sans voir JuUenae
ltlt8embloientintenninable&. Accoutumé
à vivre au milieu d'hbmmes instruits et
y ses rapports taveC' des compoi^
■ • . •!•
312 I^E irOYICE.
gnons d^àrmes ignorants et grossitrsvdé-
pbirrvus du piquanit qne leur: avoit jirété
lainoiivéaiité, lui étoient devenus iosupi-
portables. A là vérité, raffection pateirneUe
que lui téfnoîgnoîtDugûesclm, si puisf^nt
à h cbiir dé Henri; l'avoit fait' reehet^cSîèr
par îes-sèigneurk c^sfiTkriSV/Toîis' Tùi %-
froientlèurs servidès et Tappeloîcnf tnori
ami; mais on apprend beaucoup en Vivant
près d'un roi. Robert, qui niettoit de fin-
térét, de la chaléuV dans les mpiqdrèîs
rapports avec ses semblables, RAoert
n-avoit pa^ tardé à perdre les dpucçs iUa-
sionsdç son âge^.r^lea.sç.çrets de l'aipbitlofy^
de la haine, de],'intrigue lqi.furewït,^,\l'^
^'«nt révélé^; ^et^niinrent dé&ef^c^ut^nW"
Jeunesse., Sonv4^îW ardeiate et;géft^r,€#.S€|
6oirévoltoït{à'kfVue;de ces grands^* ai ipout
soucieux du bbrihencgénéral^ du aoiildô
ieur patrie; imiquèïhent occupés dû désir
-de vendre d*èrement leur i appui. à tm
prince encore mal .affermi sur, le trôjiei
mettant à prix le moindreservice; égoïsteis^
iq^atiabh^y toiijows p^é t$ à f ulr la|>an niére
qii,'ialxuiddniipil; la forjtjuiie, et qui, ponr
^tettki(fea{ barres y <îq l'or çt des places ,
flaUK^^ t Uèi fpjtJesses de Heqri , coinDi e ils
)tl^OiÂiQptiflat.t^}q$^:Çi:ime$ 4e Pierre. J^e jeune.
éf^j/^rrençpçAhienXçt,kViè8po\x de troU'*>
Ter un ami au milieu de ces pervers,-^ Ah 1
disoit-il un jour à George, se peut-il que
le même Dieu ait créé l'âme de pareils
hommes et Fâme d'un père Ambroise?
— Aussi bien qu'il a fait les démons et les
anges, répondit le chasseur.
— Ou sire Evrard et Julienne, reprit
Robert; car chaque jour augmentoit son
aversion pour le comte de Clérac, et pour-
tant il le cherchoit partout, il prêloit
l'oreille à ses moindres discours. Cet
homme, tout odieux qu'il lui étoit devenu,
quittoit Julienne, alloit la retrouver: le
mot le plus simple en apparence échappé
de sa bouche, servoit d'aliment à Tima-
gination du jeune écuyer, l'éclairoît sur
mille choses, Taidoit à diriger ses démar-
ches, sa conduite. De même que l'on tirç
taîre^RbliéFt reeevoit^lerébjetdMi^iiJsantr
qnel^Û^» services^ iiivok>ntai]iie»tJttéibii%
son àmouP) eiîamaid iln'étbit^VitiàBÉttati
malheureux que les jows<>ù4*ayaiit^{>imW
apérçii Julienne, il n'AvoiVpii^tLMntfî»
siféErrard- ' i).r:u." yr
■ ' •' ' • • ' ' ' ■ ! -• U
• • ■ . ' I •
/ '
CHAPÏTJŒJX.
S'^rier à TÎaft ani :
Que j'ai lonffKtJotgtompt !
P«r«ire.jiuipi*è.r«»fie •
De poarsuÎTre la Ttc :
On me i*a^U ira jour^
C'mI !• yrai »aL4'M9oi|r.'
1 Mme De|90iises Yalmo^k*
Lk neQTelIe^ dtv couroiuiement' <k
He&ri avoit été portée à Pierre ^ dans To>^
lèdé, où ce prince se* trouvoit alorft« Bf«
frayé d'un événement aussi décisif^ 1^
aï6 LE NOVICE.
coupable et malheureux raonarquc ne vît
plus de sûreté pour lui que dans la fuite.
Il assembla les principaux bourgeois
pour leur faire entendre que sa retraite
ne devoit point les alarmer, puisqu'elle
ne tendoit qu'à revenir promplement sur
ses pas avec des secours. Il les exhorta à
se bien défendre, à lui garder pendant
son absence la fidélité qu'ils lui dévoient,
puis il partit en toute hâte , emportant
sur des mulets son or , ses pierreries et
ses meubles les plus précieux.
La fuite d'un rival qui n'avoit plus
d'espoir que dans la pitié des souve-
rains étrangers livroit à Henri les deux
Castilles, sans qu'il fût désormais besoin
».
de comballre ; et , en effet , Faccueil qu'il
reçut à Tolède fassura de la bonne ré-
ception qui l'attendoit dans toutes les
autres villes du royaume. De ce jour seu-
lùent, iA se crut véritablement roi,: et
telle: étoit aussi l'opinion de cett<î;foule
de bï^Ves qui l'avoieut placé sur le
trône. • . - '•, -^ -•.
LE NOVICE. H'iy
Robert étoit loin de s'altendrc qiie le
succès et la joie de tous dût amener aus-
sitôt pour lui le plus affreux malheur , un
malheur sur lequel il n'avoit jamais arrêté
sa pensée, tant l'avenir est peu de chose
pour la jeunesse! Jamais, depuis Tinstant
où le sort propice l'a voit réuni à Julienne,
il ne s'étoit effrayé parla crainte d'une nou-
velle séparation. Hélas! son bonheur ne se
réduîsoit-il pas à respirer le même air que
son amie? Potivoit-il croire qu'il lui seroît
enlevé? Pour le redouter d'ailleurs , il au-
roît fallu concevoir la vie loin de Julienne,
et Robert ne la concevoît plus. Cepen-
dant, deux semaines à peine s'étoient
écoulées depuis que l'on habitoit Tolède,
qu*an matin tous les chefs des compa-
gnies se rassemblèrent, sans que rien eût
transpiré des motifs qui les engageoient
à tenir conseil.Duguesclin, invité à parler
le premier, se leva , et dit que , l'expédi-
tion pour laquelle on s'étoit réuni se
trouvant heureusement terminée, il lui
sembloit que chacun étoit libre de pren-
III. lO
-M 9-* LE KOVICE.
4re congé du roi de Gaslille et de se ren-
dre en Frafice, ou dans tel autre lieu qui
lui conviendroit. — Pour moi , ajouta-t--il ,.
quelques a£&ires importantes n^ rap*
pellent en Bretagne >, et je coeipte pairtîr :
tr^iucessamoient..
Robert as^îstoit à cette assçmbl^i .
quoique son âge et sou rang dans Vw
luée n^ lui p^rmisseiît poii?i,t de: dfOUQj^/
s^n avis. T^ foudre l'eut m^Diosatlié ré qu^,
les i&ot3 qui frappoient son orçilie, JAsn
froid d.e ^^e parooKuriU; ses reines} il
p^rta tour à tour ses yoga^dd sur toiia.
ceux qui preaoieot part à cette déi^dérar .
tipn , espérant que l'un d'eux pojufar*, .
faii?e quelques: objectionSf : mai^ toiis par?
lent (kn^ le nnêias^ sens q^] Djugu^çseJm >t >
et.paroi^eut.aifôsi presséstde paHii^; Ske*
E^^ai^ e^ i^ s wl qjuir aanoace rinleatÎMit
d« ne point ^ittér r£s|^agw, «aie rok$.
ditri4,,a pi^oiois de lui ad$ui?er «iU)^;^oiA >»i
qm satisfait à.sas; déâîrsi».
LE NOVICE. 2ig
de lui-même, il sortit de la salle du con-
seil avec tous les autres, et, sans avoir
aucun sentiment de ses actions , il court ,
sort dé la ville , et se trouve seul sur les
bords du Tage.
Là seulement il retrouve ses esprits, le
souvenir distinct de son malheur.
— Où suis-je? s'écrie-t-il ; est-il vrai
que je pars , qu elle reste ? Est-il vrai que
jamais je ne la reverrai? Jamais! jamais!
dit-il en poussant des cris que répètent
aussitôt les rochers qui l'entourent. Il s'ar-
rête. Ses yeux troublés se fixent sur l'hor-
rible site qui l'environne. L'aspect de ces
Ùeux sinistres, qui pour la première fois
îrappoient ses regards , achève d'égarer
sa raison. A droite s'élevoîent les hautes
montagnes de granit qui forment comme
QQ^econd mur à la ville de Tolède, et dont
les rocs immenses, dépouillés d^arbres et
de touteespècé de verdure, semblent avoir
été noircis par le feu du ciel; à gauche le
Tagj5 rouloit ses eaux avec fracas, offi^nt
plutôt l'image du torrent dévastateur que
aaO LE NOVICE.
celle (lu fleuve bienfaisant qui 'répand au
loin la fertilité. Ni la voixd*aucun homme,
ni le chant d'aucun oiseau n'animoit
cette sombre solitude. Robert se plaît à
contempler une nature aussi désolée que
son âme. — Suis-je donc descendu au sé-
jour des morts ? se dit-il ; au séjour où fi-
nissent toutes les peines ? Mais bientôt la
vue des clochers de Tolède, que ne peu-
vent fuir ses regards, vient l'arracher à
cette illusion, moins affreuse cent fois
pour lui que la vérité. — Ville fatale ! ville
odieuse ! s'écria-t-îl ; faut-il , pour mon
malheur , que nous soyons entrés dans
tes murs! Que n'avons-notis passé dix
ans, la vie entière, à conquérir la Castille!
Et moi, misérable! qui soyhaitois la vic-
toire ! moi qui versois mon sang pour le
succès d'une guerre dont la fin me coti-
duisoit à la mort ! Que dis-je! serai-je as-
sez heureux pour mourir ? Accablé de dé-
sespoir, il tomba près des roches qui bor-
doient le chemin', et , la douleur le suffo-
quant , il répandit un torrent de larmes^
LE NOVICE. aar
Quand le malheur ne laisse aucune) es-
pérance, l'instinct de la nature nous porte
à fuir les tourments de la pensée; aussi
Robert ne tarda-t-il pas à reprendre d'un
p2^s précipité le chemin de la ville sans
avoir aucun but, mais comme s'il eût
voulu échapper par le mouvement à
l'angoisse qui le déchiroit.
Comme il approchoit du pont Saint-
Michel , qu'il lui falloit passer pour ren-
trer dans Tolède , il se vit tout à coup en-*
toui:é par une nombreuse cavalcade, au
milieu de laquelle il reconnoît la reine ,
sir . Evrard et Julienne ! Dans quel mo-
ment , grand Dieu ! revoyoit-il Julienne !
— Voulez-vous être de notre prome-
nade, sire écuyer? lui crie la reine. Un
rayon d'espérance brille tout-à-coup aux
yeux de Robert. Jeanne peut entrepren-
dre de retenir les compagnies! Il s'appro-
che, et, s'efforçant de raffermir ses esprits :
-^ Votre altesse i\!ignore pas sans doute
que nous allons quitter la Castille ? dit-il*
. — Que dites-vous ? s'écria la reine.
lia 2 LE NOVICE.
— Nous partons tous, à l'exception de
sire Evrard. En prononçant ces mots,Ro-
Lert avoit jeté sur Julienne un regard
empreint de toute sa douleur, et la suite
apprendra si ce regard avoit été compris,
— Vous quittez la CastiBe! dit la reine^
dans un trouble qu'elle ne put maîtriser?
Comment ? pourquoi? de qui tenez-vous
cette nouvelle ? '
Evrard alors lui raconta e& peu de-
mots le résultat du conseil ^i s'était tenu
le matin. La reine Técouta d'un air réflé-
chi, en pâlissant à plusieur$ reprises; et^
quand il eut fini : — Écoutez-moi , Ro«
bert, dit-elle au jeune écuyer; prenez le^
cheval d'un de cespagesj courez trouver
Duguesclin, et, s'il n^est p^nt à TAIca-
zar , priez-le d'y venir stMP-le-^îbanip»
— Espérez-vous changer «a résolution?
dît Robert respirant à peiï>e.
— Courez , courez , reprit la reine. Ea
achevant ces mots elle tourna bride, et
rentra au grand galop dans la ville, sui*
vie de tous ceux qui Faccompaguoient.
LE WOVICB. âa5
Duguesclin étoit logé précisément de
Tautre côté de Tolède : mais Robert ne
toit pas cinq minutes à parcourir le che-
min ; et il apprit que Bertrand venoit de
partir pour se rendre chez le roi. TbUt
en se félicitant de cette circonstance, le
jeune écuyer repartit au galop pour ne
s'arrêter que dans les cours de l'Alcazar.
Remettant son cheval au premier valet
qu'il rencontra, il monta quatre à quatre
les marches du magnifique escalier qui
distingue encore aujourd'hui l'ancienne
demeure des rois maures, et parvint bien*
' tôt dans la grande salle, où se tenoîent
■ habituellement les personnes qui avoient
leurs entrées chez la reine. Il ne trouva
là qu'un seigneur castillan , dom Alvar
Telascos , qui , l'un des derniers , venoit
d'abandonner Pierre pour s'attacher à la
fortune de Henri. Ce noble personnage se
promenoit gravement en long et en large
d'un air extrêmement soucieux. En voyant
entrer Robert, il s'arrêta pour lui dire à
* ,Toix basse : — On est ici fort alarmé* La
21^4 ^E NOVICE.
reine, qui vient de rentrer il y a peu d'ins*
tants, est passée chezleroi, où se trouvent
Duguesclin et tous les chefs des compa-
gnies. On dit qu il s'agit du départ géné^
rai de vos compagnons d'armes.
— Hélas ! oui , répondit Robert.
— Se peut-il, reprit dom Âlvar, se
peut-il que Duguesclin abandonne la Cas-
tille au moment où le secours de son
bras nous est le plus nécessaire? Personne
ne doute ici que Pierre n'obtienne l'appui
du prince de Galles. Il suffit que laFrance
soit pour nous, pour qu'Edouard serange
du parti contraire. Je crois que nous
avons trop tôt quitté Pierre, muroiura-
t-ii entre ses dents.
Il étoit heureux pour le Castillan que
Robert fût trop hors delui pour entendre
ces derniers mots , qui , dans tout autire
instant n'eussent point échappé à son mé-
pris. — N'cspérez-vousdonc rien des prié*
res et des larmes de la reine ? répondit-il.
— Qu'espérer des larmes d'une femme!
reprit dom Âlvar d'un air dédaigneux.
»
LE NOVICE. aaS
Henri seul pourroit essayer de les retenir
par des promesses , par des dons immen-
ses. Dans la situation où il se trouve , il
n'hésitera pas, je m'en flatte au moins , à
sacrifier la moitié de son royaume y pour
sauver le reste. Il se peut qu'il y réussisse.
J'attends^ je vous l'avoue, avec une vive
impatience , le résultat de leur conférence.
£ty en parlant ainsi,le grave Cas tillanjse
t*emit à marcher lentement dans la salle,
que Robert parcouroit à pas précipités;
tant il étoit peu maître de son agitation. Il
clévoroit chaque minute. Il assistoit en
imagination à l'entretien qui avoit lieu
chez le roi. Tantôt ilvoy oit Duguesclinet
ses compagnons repousser les prières de
la reine , tantôt il les voyoit céder; et l'une
et l'autre de ces suppositions redoubloit
l'espèce de fièvre qui faisoit battre violem-
ment toutes ses artères. Il alloit reprendre
sa conversation avec le tranquille compa*
gnon dont l'impatience lui sembloif si
calme , lorsqu'un page vint chercher ce-
lui-ci pour le conduire chez la princesse
a26 LE NOVICE.
Elvire, qui désîroit lui parler. Après avoir
écouté ce message , dom Alvar salua gra-
vement Robert , et suivit à pas lents son
jeune conducteur, en se répétant à von
basse : Nous avons trop tôt quitté Pierre
Dès que Robert se trouva seul , il lu
devint impossible de supporter Texcès A
son impatience et de l'agitation qrfelt
faisoit naître en lui. Il descendit «atr h
terrasse qui bordoit une des façades di
cbâteau. La vue des superbes jardins
plantés jadis par les rois maures , Fodteui
des orangers qui embaumoient Vair, 1
soleil magnifique qui lançoit ses rayon
dorés sur le plus beau monument de 1
Castille, rien ne put exciter un momen
son attention ; et, les yeux fixés sur le
fenêtres de l'appartement de Henri, il sem
bloit que son âme y fût suspendue toû
entière. Plusieurs fois il crut voir passeï
^elques ombres derrière les carreaux d<
verre dont la demeure royale étoit ornée
mais il lui fut impossible de distingue
aucun de ceux qui décidoient alors d<
l XE NOVICE. 227
son sort. Enfin il remarqua qu'un grand
mouvement avoit lieu dans la salle où se
tenoit la conférence. — Ils se séparent,
dit-il tout haut , avec un battement de
cœur effroyable. En effet , peu de temps
après, les ombres qu'il avoit observées
jusqu'ici cessèrent de se projeter sur les vi-
tres, A ridée que son arrêt étoit maintenant
prononcé, l'indicibleimpatience quiletor-
turoît depuis une heure se calma tout-à-
coup. Unfrisson mortel parcourut ses vei-
nes, et,pâle, inanimé, il restoît à sa place,
"sans trouver la force d'aller apprendre son
S'oit, lorsqu'il entendit ouvrir une fenêtre
élevée, et, dans le même instant un fer-
moir d'émeraude, entouré d'un petit pa^
pier , vint tomber à ses pieds. Robert r
iurpris , ramasse le tout ; il lit ces deux
mots seuls, écrits de la main d'une femme ^
^y^ous restez.
O joie !ô délices! Ces caractères sacrés,,
"liobert les couvre de baisers de feu ; car
:nulle autre que Julienne n'avoit pu les
itracer ! elle avoit donc compris sa dou-
aa8 LE NOVICE.
leur ! elle y compatissoit, au point de lui
rendre elle-même la paix ! Il faudroit ai-
mer comme Robert , il faudroit avoir
cette âme où tout frappoit si fortement,
pour se faire une idée du bonheur qu'il
éprouvoit.
La fenêtre s'étoit refermée aussitôt ; il
attendit long-temps ; afin d'être bien sûr
qu'elle ne se rouvriroit plus ; enfin il re-
prit le chemin du logis de Duguesclin.
Ses pieds ne tou choient point la terre.
Vingt fois , pendant la route , il tira le bil-
let de son sein , pour y fixer ses yeux,
pour y imprimer seslèvres. Plus de doute,
il étoit aimé ! il étoit aimé ! et il restoit eu
Castille! Un avenir céleste s'ouvroit de-
vant lui , et jamais on n'étoit passé aussi
subitement des horreurs du désespoir au
comble de la félicité.
Comme Robert arrivoit chez Dugues*
clin , il entendit rire aux éclats dans la
^alle où se trouvoient alors rassemblés
Bertrand, Hugh Calverley, Gauthier Huet
et plusieurs autres. L'état actuel de sou
LE ifoviCE, aag
esprit le portoit à partager la joie de tout
le monde : il se hâta d'entrer, pour ap-
prendre les motifs d'une si grande gaieté.
— Je prends celui-ci pour juge, s'écria
Duguesclin en apercevant son jeune
écuyer; qu'il dise si nous pouvions ré-
sister ?
— Ouais ! répliqua Gauthier Huet, autre
chose est ce jouvenceau , qui à peine a de
la barbe au menton, et vous tous , dont
lés cheveux grisonnent. Si d'ailleurs il
n'avoitpas envie de retourner en France...
— Moi ! dit vivement Robert, j'en se-
roîs au désespoir.
— A la bonne heure , reprit Gauthier,
c'est un cas particulier; mais nous tous,
qui voulions partir et qui restons? nous...
vous , c'est-à-dire ; car pour moi , je n'au-
rois pas cédé.
— Allons donc, allons donc, dit Jean
dTEvreux en riant, c'est toi qui le premier
as dît' à la reine de ne point pleurer , et
qui nous rëgardois tous d'un air attendri.
— Attendri! s'écria Gauthier, quf Ten-
1
a3a LE NOVICE.
fer me confonde, si j'ai jamais été atti^n-
dri de mesjours ! Non, non, c'est Bçrtrandf
qui s'est laissé aller le premier. ' .
— Point du tout, répondit Duguesclin;
c'est le Bègue de Vilaine qui vous a fait
sentir, avec grande raison , qu'une affairo.
<:ommencée devoit se pousser jusqu'au
bout. J'avoue que son ton de docteur m*a
décidé sur-le-champ.
— Vous oubliez aussi , répliqua Perrîa
^e Savoie, que la reine venoit de nous
faire les promesses les plus magnifiques
pour l'avenir.
— Le roi vous en avoît promis tout
autant , aviaat qu'elle n'arrivât; mais il
vous falloit voir deux grands yeux noirs;
autrement vous auriez résisté j
— Eh biep ! nous aurions eu tort , re-
prit Bertrand d'un ton sérieux^ tout ce
<j^'ai dit, Henri. et. son épouse m'a t ouvert
les jxux spr notre devoir;,.oui, snr notre
4evoîr,jefe répète. Pouvons-poufi, je vous
]j3 demandex^l^^A^i^Q^P !& Castille au mp*
Qient^ùvune guerre, terrible peut-être, la
LE NOVICE. a3r
nace ? Doutez-vous que ce méchant
arre ne parvienne à se procurer un
3ui contre son digne frère?
— Je lui permets d'obtenir l'appui du
ble y interrompit Hugh Calverley ,
orvu qu'il n'obtienne pas celui de mon*
gneur le prince de Galles.
Daguesclin ne répondit rien ; car, tout
portoit à croire que ce seroit précisé-
At à ce prince que l'on alloit avoir af-
re. Et l'événement ne tarda pas àprou-
r qu'il ne se trompoit point.
Bien loin de craindre de \
se rallumer, Robert passoît s^
cnler combien de temps il faudrc
poups'assurerun protecteur parmi les sou-
verains étrangers , et de combien de temps
LE ITOVICE. a33
încore on auroit besoin pour repousser les
iefforts qui seroient alors tentés et affermir
pnlièrcment la couronne sur la tète de
pfietiri. Une année lui sembloit à peine suf-
sante; et quel long espace de temps pré-
eote uue année à celui qui n'eu a pas
»re vécu vingt et une ! Ce n'est pas
tefois que depuis ce momeut il tirât
bien grand avantage de son séjour en
ile. Effrayé des efforts que son fi-ère
Intenter contre lui, Henri se hâta de
jrir toutes les villes du royaume
"s'iissurer de la fidélité des habitants,
' iritegarnir toutes ses places fortes, de pren-
èï enfin les plus sages précautions contre
J^guerre qui le mcnaçoit et qui peut-être
étoitprocliaine.Duguesclîa,enquisacoa-
f^ncË étoit si grande, l'accompagnoit par-
tout, Vaidant de ses avis. Pendant deux
mois que durèrent ces courses, Robert,
obligé de suivre son m^tre, habita bien
rarement Tolède , où la reine restoît tou-
jours. Mais il aavoit Julienne dans cette
TÎlle; il passoit les heures dans U douce
S34 ^ NOVICE.
espérance de revenir près d'elle , et lors«
qu'enfin il y revenoit pour quelques ins-
tants, sll avoit la joie de Tentrevoir, î]
comparoît son sort au sort qu^il avoîl
craint naguère, et repartoit sans se plain-
dre, en remerciant le ciel.
On n*entendôit plus parler de Kerrc
depuis le jour que Ton avoit appris soc
a rivée dans l'Aquitaine, où il étoit allé
trouver le prince de Galles. Mais un soir.
Henri , revenu de la veille dans sa capi-
tale, envoya chercher Duguesclin en toute
hâte, et le page qui se trouvoit chargé dt
ce message fit entendre qu'il étoit arriva
de fort tristes nouvelles.
Bertrand, après avoir dît à Robert de
le suivre , se rendit sans tarder à rAlcazar.
Il trouva Henri et la reine entourés d'ini
grand nombre de seigneurs, qui tous pa-
raissoient consternés; la reine pleuroit^
irais le roi sembloit plus indigné qu'a-
l:attu.
— Approchez, mes braves amis, dît-
il à Duguesclin et à Robert. Je reçois ^
LE KOVICE. aSS
Tinstant une lettre du prince de Galles, qui
vous surprendra comme mbî, je pense.
Le héros de Poitiers se déclare hautement
le protecteur du tyran, de Fempoison*
neur, que la haine de tout un peuple vient
de chasser.
— En êtes-vous surpris , heau sire? ré-
pondit tranquillement Dugesclîn ; il me
semble que nous avions toujours prévu
qae l'affaire tourneroit ainsi.
Henri ne répondit pas ; car c'étoit en
effet ce motif qu'il avoit mis en avant pour
retenir les compagnies.
•—Relisez-nous cet insolent écrit, dit-
fl en s'adressant à un clerc qui étoit placé
derrière lui , et qui tenoit à la main un
papier où se voy oit le sceau du prince Noir.
Le clerc obéît, et lut à haute voit un
cartel par lequel « Edouard, prince de
«Galles et duc d'Aquitaine, voulant ti-
'»rer raison de l'outrage fait au roi Pierre
» son parent, qui se trouvoît dépouillé de
»ses états par violence et par injustice^
'^ défioit Henri de Trcinstamare • se disait
a 36 LE NOVICE.
»roi de Castille.y lui commandoit de sortir
» au plus tôt de r£spagne , de déguerpir
» de toutes les villes et de tous les châ->
» teaux dont il s'étoit emparé par félonie;
» avec menace, s'il n'obéissoit pas, de fon«
» dre avec une «armée formidable sur lui
» et sur tous les siens, auxquels il ne se-
» roit fait aucun quartier. A Fégard des
j) Anglais, Gascons, Angevins, etc., qui
» combattoient maintenant sous les en-
-»seignes de Castille, le prince, s'ils ne
» revenoient dans le jour qu'il leur mar-
» quoit, les traîteroit tous comme destraî-
»tres, confisqueroit tout le bien qu'ils
» possédoient en Angleterre et autres
» lieux de sa dépendance, et les fcroit
.-» condamner à mort. »
Pendant la lecture de cet écrit, Henri
/i*ougissoit de colère et serroit ses poings
avec fureur.
— Eh bien ! dit-il à Duguesclin lorsque
le clerc se tut.
— Eh bien ! répondit Bertrand, il fau-
dra marcher contre ce fanfaron et le bat-
LE NOVICE. aSy
tre. Il me semble que voilà la meilleure
réponse qu'on puisse lui faire.
— Ah! dit Henri, levant au ciel des
^eux d'où le feu sortoit, je suis tout prét^
Scyez-en bien certains, amis. Mais vous
iroyez qu'il me retire la plus grande partie
clés troupes snr lesquelles je comptois.
^ous ne pouvons douter que tout ce qu'il
^de sujets parmi vous ne me quitte à Tins*
tant.
— Ainsi ferois-je, si le roi de France,
mon seigneur, me rappeloit, répondit
Bertrand. Mais les braves gens sont tou-
jours assez nombreux, beau sire. D'ail-
leurs ne comptez-vous pour rien ce peu-
ple qui vous a donné la couronne? Tous
ces braves seigneurs qui vous entourent ,
qui vont lever leurs vassaux et marcher
avec nous ? que l'on nous aide un peu , et
l'armée anglaise n'est plus : et Pierre-le-
Cruel est mort.
Tel est l'efEet d'un haut courage qu'il
se communique. Parmi ces grands plu-
sieurs peut-être avoient déjà songé aux
a38 LE toYitiE.
mc^ens de faire leur paix avec Pîelte
mais la confiance du héros bretott rassor
à l'instant les plus timides ; ils se réuniren
aux plus dévoués, et patrurent tousn'avoî
qu'une âme.
— Mon seigneur, dît aussîtèt dom San
chez de Tovar, qui l'un des premiers avoi
lié sa fortune à celle de Henri (i), vou
pouvez compter sur nos bras comme su
nos cœurs. Nous mourrons tous autou:
de vous , s'il le faut.
— Oui , tx>us ! s'écrièrent-ils à^la fois.
— Voilà comme j'aime que l'on parte
dit Bertrand en serrant la main de YvSi
d'eux , tandis que la reine , le visage en
core baigné de larmes, leur donnoît 1
sienne à baiser. B'après cela , beau isire
vous pouvez m'en croire, votre méchaï
frère ne reverra jamais Tolède.
*- Jamais! jamais! crioît-on de totrté
parts , lorsque les portes s'ouvrirent, i
' ■■ ■ I II. .,.— ^M
(i) II lui àivoit porté les clefs de la ville ie G
lahorm , o\i n^comniàndoitpour Pierre >
L:.
;xE NOVICE. a 39
que Fon vît entrer Hugh Calverley , suivi
de tous les chevaliers ses compatriotes,
qui venoîent prendre congé du roi. Henri
pâlit en voyant combien ils étoient nom-
breux , et en songeant à l'immense qiian»
tité d'hommes d'armes qu'ils alloient em-
mener avec eux.
— Noble sire, dit l'Anglais avec une
émotion qu'il ne cherchoit point à dissî-
ïDuler , vous savez sans doute déjà le triste
motif qui nous amène. Nous avons reçu
'3u prince de Galles, notre maîlre, l'ordre
'de quitter à l'instant la Castille pour aller
le rejoindre. Mais ce que vo«s ne savez;
pas , c'est le chagrin que nous fait cet or-
dre; il n'y en a pas un de nous qui n'ai-
mât mieux se battre pour vous que contre
vous. Croyez-le bien , sire roi , Hugh Cal-
verley n'a jamais menti. Cependant tout
bon vassal doit obéir à son seigneur; et
BOUS partons, pénétrés d'estime pour votre
personne et de reconnaissance pouç les
généreuses bontés dont vous et la reine
nous avez comblés.
a4o LE KOVICE.
Henri ne se pressoit pas de répondre
désirant cacher une partie de la pein
qu'il éprouvoit; enfin, étant parvenu à
se posséder le mieux qu'il lui fut pos*
sible :
— Sires chevaliers, dit-il d'une
ferme , j'ai grand regret que votre maîtr
se refuse à reconnoître des droits que j
tiens de ma naissance et du peuple castil-
lan , et qu'il se décide à me traiter désor-'
mais en ennemi. J'espère que, Dieu ai-
dant, je rendrai les effets de sa haine inu-
tiles autant qu'elle est injuste. Quelle que
soit sa conduite envers moi, elle n'influera
jamais sur l'affection que je porte et por-
terai toujours à des braves tels que vous;
elle ne me fera pas oublier ce que je dois
à votre courage. Il me sera bien cruel
d'avoir maintenant à défendre ma cou-
ronne contre une partie de ceux à qui je
la dois ; et je demande à Dieu de ne ren-
contrer aucun de vous sur le champ de
bataille.
— Par saint George! Et moi de même.
LE iroYiGE. a4i
s'écria Hugh Calverley d'une voix atten-
drie.
Henri n'avoit pu terminer son discours
jsans une vive émotion j mais se remettant
aussitôt : — Partez-vous ^donc à l'instant ?
demanda-t-il à l'Anglais.
Hugh Calverley ayant répondu qu'ils
seroient tous à cheval dans deux heures :
p- Je vais donner des ordres , reprit le
roi, pour que vous soyez traités jusqu'à
mes frontières aussi bien que vous le seriez
chez votre maître. J'espère aussi que vous
.voudrez bien accepter une dernière mar-
que de ma reconnoissance et de mon amitié.
— Non, Seigneur, répondit l'Anglais,
TOUS n'avez déjà fait que trop de largesses
à des gens qui estiment avant tout la
gloire d'avoir combattu pour vous.
.Çeori ne répondit à cela qu'en les sa-
luant tous de l'air le plus bienveillant;
puis il sortit avec la reine, suivi des
seigneurs castillans.
A peine fut-il parti que Hugh Calverley
et sçs compagnons se pressèrent autour
lU. 1 1
i4^ ^'^ irovïCE.
deDugiiesclin. C'étoit à qui lui serrerditi
la main et se recommanderoit à son sou —
venir. Ont eût dit qu'ils se séparoîentd'unt
frère, tant ils le quittoîent avec peîiie, cafr
Duguesclin s'étoitfait aimer d'eux tous,
non-seulement par sa valeur, mais par la
noblesse et la bonté de son caractère.
• Toutefois Hugh Calverley parvînt à le
réparer de la foule et l'ayant entraîné dans
Tembrasure d'une fenêtre :-t- Bertrand,
ïluî dit-il, nous allons nous quitter, et, par
mon chef! ce n'est pas ce qui me coûte le
moins dans cette maudite affaire. Si de-
puis que nous faisons la guerre ensemble
je t'ai donné, sans le savoir, quelque su-
jet de plaintes, dis-^moi que tu ne m^en
gardes aucune rancune. Si dans le par*
tage du butin que nous avons fait ensen^
i)le il m'est arrivé de prendre plus que
toi, je suis prêt à t'en dédbttimag;er , car
|*aîmerois mieux ne plus toucher d^arjgent
dci ma vie que de t'avôîr fait ^ort djunè
obole.
Tîon , non , répo ndît Duguescfiir, ttt
I
h^ ffovie^. 243
ne m*as jamaia i^it tprit çn quQÎ que ce
5oit : j'ai toujours trouvé en toi upi digue
et brave frère d'armes, avec qui je vou-
drais faire la guerre toute ma vie.
Ah! que n'en est-il ainsi, repi'it tt'isté-
ment l'Anglais ; mais enfin il faut suivre
son devoir avant tout. '
^— Sans doute, dît Bertrand en lui ser-
rant la main affectueusement. Nos prin-
ces sont nos prlfiices : nous n*en resterons
pas moins amis comme si nous conlbat-
'iions encore dans les mêmes rangs.
-^ Amen , répliqua Calverley avec un
l^ros soupir; et comme si ce mot lui eût
tout à coup rappelé d'autres temps , il
. diercba des yeui;: Je jeune écuyer qui se
tenoit à peu de distance : — Viens donc ,
iriensdonc toi, dit-il à Robert; ne veux-
^U pas aussi m'embrasser pour la der-
^èrefoi^?
Hoberi; fie hàl:^ ^e ^Viyaiuîa'i. et le bon
iSLngkis le serra dans fies bras à phisii^urs
itoBpiJBes; âoUTi^i64tQide moi^aJ9ata<triL
a44 ^ woviCE.
—Toujours! toujours! répondit Robert
avec une vive émotion,
— Par la journée de Bévesque ! réprit
Calverley dont Toeil devint humide , tu
peux compter sur un cœur à toi dans
l'armée anglaise.
Plusieurs chevaliers s'étant approchés
alors pour avertir Calverley qu'il étoit
temps de partir : — Oui , oui, répondit-ilj
j'étois seulement biefraîSa^de leur dire en-
core quelques mots ; mais nous avons plus
d'une affaire à terminer avant de nous
mettre en route, et d'ailleurs il ne faut pas
s'attendrir ici comme des femmes. Puis
embrassant Duguesclin une dernière fois,
il serra fortement la main de Robert, et
sortit précipitamment ainsi que tous ses
compagnons.
Duguesclin les suivit des yeux jusqu'à
ce qu'ils fussent hors des cours , en sif-
flant de toute sa force. —Braves gens!
murmùra-t-il entre ses dents quand il les
eut perdu de vue. Bons camarades! Et
pouHâot, ajouta-t*il en GsjmX sur Rober^
LE NOVICE. 245
ses petits yeux gris, dans lesquels rou-
loient quelques larmes, avant qu'il soit
un mois il faudra nous couper la gorge
avec eux.
/
CHAPITRE XI.
Elle parle, et sa voix dans un beau son rasiemBIe
Ce que les plus doux bruits auraient de grmce eoiembl^î
El la lyre accordée aux flûtes dans les hois ,
£t.Poîseau ifui se plaint pour la première fois ,' '-.
Et la mer quand ses flots apportent sur la grève
Les chants du ioir aux pieds du voyageur qui rêve»
Alfred de Yigmy.
De ce jour, les préparatifs de défense
se firent sur tous les points avec une nou*^
velle activité. La cour revînt à Burgos j
où le roi a voit résolu de laisser Jeanne
tant que dureroit la guerre. C'est de là'
i«B iroviCB. ^47
^e partoient tous les ordres pour les di£
l^rentes villes du royaume, sûn de pres-
ser la levée des troupes , de faire remplir
les magasins , de fabriquer les armes.
Sire Henri n'avoit pas tardé à distingue^
le zèle et l'habileté du jeune écuyer de
fiuguesclin ; il le chargea bientôt de mille
détails pour lesquels il s'en reposoit sur
lui ; chaque-jour Robert se trouvoit chargé
de quelques missions ^ soit auprès des
différents corps qui se rassembloient de
. toutes parts, soit auprès de quelques sei-
goeurs éloignés dont il falloit exciter l'ar-
deur pour la défense du pajrs. Robert eut
lieu ji)e recounoître que bien peu de ces
grands étoient disposés à faire les sacrifices
que Bécessitoient les circonstances. Com-
blés des bienfaits de Henri , plusieurs lui
]?efusoient leur assistance à Theure du
danger j ou bien agissoient si mollement ^
q^'Us se ménageoient des excuses dans le
cas où don Pèdre repreudroit sa cou-
ronne* En vain Robert leur représentoit
qjoe leur salut étoit entièrement dépen*
2 48 LE irOTlOE.
dant du sort de cette guerre, que Pierre, ^
tine fois vainqueur, c'en étoît fait d'eux: ^
— Sa vengeance, répondoient quelques-*
uns , tombera principalement sur eaux
dont la bannière marchera contre lui. On
dit le prince de Galles arrivé sur là fron-
tière avec une armée de quarante mille
hommes : il est prudent d'attendre avant
de se déclarer.
— Ne l'êtes-vous donc pas? répondoit
le jeune écuyer, Henri n'a-t-îl pas reçu vos'
serments?
_ Pierre les avoit reçus de même;
— Pourquoi donc l'avez -vous aban<«
donné? s'écrioît Robert, indigné d'une
pareille duplicité.
Heureusement d'îiutres grands se troti-
voient compromis au point de ne pou-
voir garder la neutralité , et mettoîent
sur pied tout ce qu'ils pouvoîent lever
d'hommes; car il étoit trop réel que Par-
mée anglaise s'avançolt. Le prince de
Galles, après avoir passé les Pyrénées par
les gorges de Roncevaux, venoît de tra-
LE VOTIGE. a 49
>€rser la Navarre , dont le perfide Char-
les-le-Mauvais lui avoit permis le passage ^
à la tête de quarante mille hommes^ tant
à pied qu'à cheval. Grâce à l'amour qu6
loi portoient les Castillans , les forces de
Henri étoient encore plus considérables.
Elles s'élevoient à vingt mille cavaliers et
quarante mille fantassins , sans compter
dnq mille hommes des compagnies qui
Festoient encore à Duguesclin y et sur les-
quels portolt surtout la confiance géné--
nérale.
Les nouvelles que Ton recevoit chaque
jour décidèrent le roi à partir sans retard
avec tout ce qui restoit encore de trou-
pes à Burgos y pour aller disputer l'entrée
de l'Espagne à son terrible ennemi. Le
départ fut fixé pour le lendemain, fio*
bert n'avoit plus qu'un jour pour empor-
ter la douce assurance que Julienne gar-
deroit son souvenir.
Le soir il arriva un des premiers au cer-
cle de la reine ; Julienne , qui ne tarda pas
non plus à y paroître, quoique près de
sire ETrard^le chetcha des yeux aussitôt, ca^
qu'elle n'atait jamais fait encore.EBe étoit
plus triste, plus pâle que de ooutuisie< B(ï«
bert, trouYaàt uni^fbis.Àes regards atttMhéft'
sur lai , tira là bague qu'ilpor tlyitaaHs^Msfitf
depuis leur entretien dans Téglise dé Si^àtti*
Paul et la pressa de ses lèvres avec uit^
j»ouvemeRt passionné. Pour ia< pf i^mèw
fbis^Jalienne ne détourna poi&t la tété^
Il sembk>ilf que dans ée jour d'adi6iE<^
d^tiBf adieu peut-être éteradl xiai sebti^^
ment irrésistible étouffât sa prudence;. Sésr
yeus festoient fixiéir sur le jeune éceyér^
Cft bientôt une larme s'en 'échappa. Dicailî
que n'e^t paS' dcnfiné Bobert,^ pour buR
dà*e im ^»eul ttko^yi Adieu! Mais > sîr^
Evrard étoit là ! toujours là ! Plus ocëUpé»
que jamais de celle qu'il alloit <|uittei!^( ib
ne perdoit pasam instant du b<wheur àlèà
%te encore prés d'eHew'Gependajit rhôurtf
de se séparer arriva. Bc^ert ne résisCe pai»
dudéstrqiiirle dév^nciitts'appradbe^ sai*
aitijin moment où la reine adresse la psh^
vôl&aiircomtê% î
fit
LE NOVICE. %5i
^ Adieu ! dit-il tout bas.
•>— Adieu! Robert répond Julienne.
^f C'efttsa voix! il lareoonnoit! une foîsr
jf encore cette voix chérie a retenti danSs
SOI cœur. Ah! comnaenousalionsdéfendre
I le chemin de Burgos y s'éçrie-t*il en sV
dressant aux guerriers qui l'environnent *^
^ car sire Evrard y devenu libre , prenoit le
bras de sa femme et sortoit avec elle.
Dès le lever du soleil ^ le roi et tout ce
que Burgos renfermoit de gens de guerre
M^Hàlet^ route pour rejoindre l'armée àf
Jfflivaretle. Le prince de Galles avoit déjà
f&s»6 TËbre au pont de Logrono ^ et de
.inites escarmouche avoient lieu chaque
jtmp^ Duguesclin ne fut pas long^temps
à reconnokre que sa petite poignée
?hommes composoil la force la plus réelle
de HenrL II ne lui fallut pas quinze jours
|k)ur compter si peu sur les EspagnoU^
dl»$ le cais où ils auroient affaire à toute
Tannée du prince de Gsdles que» dans xm
conseil de guerre il se rangea entière*
«lent de l'avis du maréchal d'Aqdregheift
a 5a LE KOYICE.
qui proposoît de ne point livrer bataille;
de placer de bonnes garnisons dans les
Tilles et dans lesplaœs fortes du royaume,
de se saisir de tous les ports de mer j de
distribuer le reste des troupes dans des
postes avantageux , et de laisser Fennemi
s'épuiser &ute de vivres.
— Je suis d'autant plus pour que Ton
prenne ce parti j dit Bertrand , que je sais,
à n'en pouvoir douter , que les Anglais
meurent de faim dans Logrono. ffier j'ai'
régalé un de nos prisonniers dans Viûr
tention de le faire jaser. Comme je hii
demandois si les vivres étoient abondants
dans leur camp: — Par mafoiï m'a-t-ildit^
il rij a pas un de nous qui n*€ui bientât
mangé deux ceuf s pelés j s* il les tenoiL
Depuis long-temps ils ont oublié le goàt
du vin. Le comte d'Espagne et moi, nous
leur avons saisi le convoi de bêtes à
cornes avec lesquells ils espéroient ravi*
tailler im peu leur armée. Groyez-mm|
sire Roi, laissez-les encore mangerpendant
quelques semaines les glands de vos
LE NOVICE. a53
chênes, et je vous réponds qu'ils vous fe-
ront la visite courte et ne seront pas
tentés de vous en faire une seconde.
Le conseil étoit bon à suivre, surtout
^oand celui qui le donnoit étoit plus
connu pour chercher les Anglais que
pour les fuir. Cependant, Henri ne le
goûta point; il répondit à Duguesclin
que, se trouvant supérieur en force à
son ennemi , il ne voyoit pas de motif
pour se refuser la satisfaction de tirer
vengeance des insultes du prince de
Galles, et qu'une grande victoire pouvoit
seule l'affermir sur le trône.
-—Oui, oui, mon noble seigneur, dit
aussitôt le comte d'Aice, un des plus
grand fanfarons de Farmée; ne prenez
conseU en ceci que de votre courage.
Ceseroit pitié que de ne pas employer la
pli^ belle armée qui jamais ait suivi son
roi. Que pouvez-vous craindre ? N'avez
vous pas ici sept mille hommes d'armes
montés chacun sur un bon coursier c(^*
a56 M woviCB.
— Oh! ce n'est pas cela qui m'inquiète ,
répondit Bertrand ; mais sljes Espagnols
lâchent pied , nous ne sommes plas que
cinq mille hommes , tant des compagnies
que de mes Bretons , et tu sauras que la
fleur de la chevalerie se trouve dans l'ar-
mée anglaise. Celui qui la commande est
un grand capitaine, Robert ; oui, le prinoce
de Galles est un grand capitaine^ ajouta-
t41 eh secouant la tête d'un air affirnmtif,
tandis que Robert le regardoit attentive-
ment , touché de la noble franchise de ce
héros. — Ainsi 9 mon fils, reprit Dugues*
•clin^ après avoir réfléchi quelques ins-
tants y nous ne pouvons répondre que
de sauver l'honneur ; si Dieu veut sauver
le reste, tant mieux. Va d'abord trouver
le Bègue de Vi.'aine et le maréchal d'An?-
dreghem, et dis-leur de venir boire uuii
flacon de vin d'Espagne avec moi; car
nous avons à causer ensemble. /» ■
Robert sortit pour exécuter cet ordre,
.âdnsi que plusieurs autres qiie lui donàà
Bertrand. L'armée, qui yenoit deqvuitter
LE KOTICK* %Sj
Kavarette depuis quelques jours , se
trouvent alors campée dans des bruyères,
entre la ville de Najare, où logeoit le roî,
et la petite rivière de ce nom. Comme it
traversoit les tentes , pour se rendre au
quartier du maréchal d'Andreghem , situé
près de la rivière y il rencontra sire
Evrard y qui Tarréta en lui adressant la
parole , ce qui n'étoit jamais arrivé y et fit
sur Robert une impression toute extraor-
— «Est-U vrai, lui demanda le comte,
cpe Ton doive livrer bataille après de«
main?
— On le dit , répondit Robert
— On dit aussi, reprit sire Evrard, que
le prince de Galles nous remplace à Na-
varette, oùj il est arrivé avant-hier, en
sorte que les Anglais sont maintenant eii
£aice de nous ?
— ^^ S'ils sont en face 4e nous, répondit
^bert en riant , afia de mieux cacher le
trouble involontaire que lui caûsoit cette
tt5B UÊitwmau
xeiicoutre ^ nous abrons moins de ciiemilt
khire {pour les aUer trouyer.
«-^ J'espère y poursirifit l'éponx de Jti^
Êenne ^ que sire Bartrand troilviera bofti
que mes hommes dWmés et mùif qaoique
arrivéa a^ec les JEtepagaoIs ^noos novispla»
cions dans sa bataille (i).
■ — Sire Bertrand ne ^eatjamnsttoinrei^
que des braves ment de trop ^ répliqoa
le jeune écuyèr* -
— Aucun de nous , j'en réponds^ ii'é^
pargnera les A^glfâ^^, dit sire Etrard avec
un sourire féroce. Pou^ miji^ compte^
j'attends cette journée depuis long-t^œp^
Fasse le ciel^ fasse le ciel! cbt-il le visage
en feu , que mon glaive rencontre la poi-
trine du prince ae èalfe*^'. .
— Je nepùis sôutiauëf '][a ihôrl d'un
liéroâ , dit Robert: tè'prlncé de Gàttès est
lé dernier des Àrfgîkfs'qîïe je>ôùlUsse Vdîr:
succomber.
. 4^ A vou^ pWEttià ,"]?ë^Ht feèemté tftin
I.E HOVICE. a 59
aU* dédaigneip:. Dix ans de haine m'ont
disposé tout autrement; moi, et la vue la
pWs douce à mes veux seroit celle de son
cadavre. Mais laissons cela, continua-t-il y
^'efforçant de prendre un ton plus calme.
4Jlez-vous rejoindre sire Bertrand ?
I — Non. Je l'ai laissé dans Najare.
-rr- Je we vous retiens donc pas davan-
tage ^ reprit-il; et saluant froidement le
jjeune écuyer , il s'éloigna.
: -^ Que cet homme. paroU haineux! se
dit Robert en le regardant aller. Que ses
passions sont violentes ! Je ne suis pas
surpris de l'effroi qu'il inspire à cet ange
je douceur, de bonté! Mais comment
ft;t-elle pu l'aimer jamais? Eatièrement
ramené au souvenir de Julienne, il auroit
oublié et la bataille que l'on devoit livrer,
et les ordres dont il étoit porteur, s'il
n'eût été arraché à ses réflexions par un
grand nombre cTe ses compagnons d'ar-
mes qui s'empressoîent de l'aborder pour
savoir des nouvelles. Le bruit de la réso-
ution qui venoit d'être prise dans le coni
u6o LE WOVICE.
seîl s'étoît répandu ; tous les esprits en
étoîent occupés. On prétendoit qu'il s*o-
péroit déjà quelques mouvements de
troupes à droite et à gauche du camp ^ et
Fon voyoît porter des ordres de tous cô-
tés. Robert, repoussant aussitôt une pen-
sée trop chère , voulut n'être plus qu'à ses
devoirs. Pendant cette journée et la sui-
vante il ne descendit de cheval que pour
quelques instants. Sans cesse à la suite de-
son maître, ou porteur de ses ordres, il
se montra aussi exact que diligent. Il re«
çut la récompense de ce zèle , lorsque le
soir Duguesclin lui dit : — - Maintenant,
mon fils , va prendre du repos , et demain
tiens-toi t^^jours fort près de moi, pen-
.dant que nous nous battrons.
CHAPITRE XII.
La courtier reteau par un frein iinpu.ifsant ,
Sur 8C8 genoux plies , s*arrêle en frémissant ,
La fondre dorl encore , «t sur la foule immente , < '
Plane avec la terreur un lugubre silence :
On D*entend que le bruit de cent mille toldaU
Marchaot comme un seul bomme an-devant do trépas.
Là Maitivi.
Il étoit convenu que dans la nuit qui
précédoit la bataille chacun devoit se
i&ettre sur pied au premier son de
trompette^ s'armer au second • et monter
i cheyal au troisième pour aller se ran-
a64 UK KOVICE.
prends ce paquet, je te le demande en
grâoe; j'ai touIu simplement tout pré-
Toir ; mais j'ai le pressentiment que nous
souperons gaîment ce soir à Navarette.
— A la bonne heu ré , répondit George
en mettant' le paquet dans son sein , je
veux bien me charger de ces lettres pour
TOUS contenter; mais^par saint Jacques!
je ne les remettrai qu*à vous ou au diable.
Dans ce moment le premier son de
tronapette se fit entendre. — Voilà mi-
nuit, dit Robert. Donne-moi un verre de
ce vin et buvons tous les deux à Julienne.
— A la bonne et belle dame donc , répli-
qua George en remplissant son verre
après avoir rempli celui de son maître.
— A Julienne, reprit Robert j ce nom
chéri protégera nos armes. Maintenant
prépare nos chevaux ; pour moi je passe
chez sire Bertrand; car je i^Uis sûr qu'il
n'a pas attendu le signal pour sortir de
son lit.
Duguesclin en effet étoit sur pied de-'
puis long-temps, et se faisoit ators lacer
us, woviCE. a65
ses brassards. Robert remarqua qu'il étoit
fort rêveur , et qu il ne prenoit auaine
part à la bruyante conversation établie
entre le méréchal d*Andreghem , le Bègue
de Vilaine et les autres chevaliers qui
Tentouroîent.
Ayant levé les yeux sur Robert qui
venoit de s'approcher : — Quel jour
avons-nous aujourd'hui? lui demanda-
t-il
— Le trois avril, répondît le jeune
écnyer.
— Mauvais jourl reprit Duguesclîn en
secouant la tête, un de ceux où Tiphaine
râ'adit de ne point guerroyer si je vou-
lois éviter les mésaventures.
Robert sourit.
•—J'ai long-temps comme toi traité
tout cela de vision, poursuivit le grand
capitaine. Je souriois aussi des prédic-
tions de ma femme ; mais je n'en ai pas
nioins été fait prisonnier le jour de la
bataille d'Aurai, qu'elle m'avoit marqtié
comme un de mes jours malheureux,
m. 1 2
I
-^ J'espère , dit Robert , que la bataille
qui va se livrer fera mentir le pronostic.
^Je Tespère aussi; mais j'aimeroi$
mieux que nous eussions un autre quan-
tième du moxs^
Le second son de la trompette s'étant
alors fait entendre^ -^ Savez-vous, dit
Bertrand en s'adressant à tous ceux qu£
Tentouroient , que tout sq passe dans
l'armée anglaise comme ici? J'ai su par un
d^ 003 coureurs que les méoies ordres y
sont donnés. Ceci fit tourner la conversa-
sation sur les capitaines anglais à qui l'on
alloit avoir affaira. Le duc dq Laucastre,
frère du prince de Galles, Çhandos^ le
captalde Buch et touslesautres furent paj5-
ses en revue, et leur talent pour la guerre
plus ou q^iii^L vsMEXté. ^u^saqg-froid , à la
franche gaUéqui régnoient dans cet entr^
tien 5 on n'eût j^àmais pu croire quei le^
lK>mmes qi|i caof^^nt ainsi alloient dans
qjuielquesminute&marqher sur le champ de
bataille > où il étoit vraisemblable qtfan
^rand nqmbre d'entre eux Testerol^iiJ;.
LB irOYICE. «167
Telleest la forcedef habitude, mémequand
il s'agit des plus grands dangers^ que pas
ma de ces guerriers ne songeoîtàla mort*
Enfin ils descendirent tous dans la cour,
et la trompette ayant résonné pourlatroi-
sième fois , en une minute tout le monde
fot à cheval et l'on partit
L'aube du jour cpmmençoit à paroître;
après avoir passé la petite rivière de !Na-
^jare^ toutes les troupes se déployèrent
idaas la plaine et s'y rangèi ent en bataille*
Le corps d'armée commandé par Du-
guesclin, et composé de toutes les compa-
gnies et des Ârragonnais^ se plaça au
centre , ayant à sa gauche un second
corps sous les ordres de don Tello , frère
de* Ben ri 9 et à sa droite un troisième
beaiioaup plus considérabic qoe dirigeoit
le coi lui> même.
Dès que Ton fut placé en ordre sous
ieadifSérentes banni ères, Henri parcourut
tou^ les tangs , encourageant les trou-
Ifss'y exhortant Les- seigneurs à maintenir
iur saîtête la. comxMBtoe ffWils lui «volent
i68 LE JfOVTCE.
' donnée. Tous répondant par les plus vî-
; ves acclamations d'amour et de dévoue*
ment 9 Henri , pfein de joie et d'espérance,
ne voulut pas laisser refroidir un si beau
• .zèle, et donna l'ordre démarcher aussitôt
r en avant. Le soleil étoit levé alors, et c'é-
toit un magnifique spectacle que cette
prodigieuse quantité dhommes s'avan-
çant en ordre , serrés de façon que pas un
ne dépassoit l'autre; que ces brillantes,
, armures qui présentoient l'aspect d'un
' mur d'acier , et ces riches bannières que
lèvent du matin faisoit flotter de tocs
côtés.
^- On avoit fait très-peu de chemin vers
Navarette lorsque l'on s'arrêta à la vue de
j toute l'armée anglaise rangée en ordre de
bataille devant les murs de cette Tille,
Aussitôt un bruit semblable à celui du
tonnerre se fit jen tendre. Les .Espagnols
crioient: — Ca^iille au roi Henril et la
- troupe du princeî de Galles :-urSami Geor^
ge Gi(7'e72/2e/ Le^' deux; lignes^s'éb raclè-
rent à l'instaût, ette combat le plus ter*
Ll WOVICE. 269
riblc s'engagea sur plusieurs points à la
/bis. Ceux des Espagnols qui étoient ar-
gués de frondes dont ils se servoient très*
iaiabilement, commencèrent à lancer ure
rêlede pierres sur les Anglais qui, n'é-
aut point accoutumés à ce genre datta-
c, en furent d'abord im peu décon-
^certés, mais n'en rispostèrent pas moins
;^ar une nuée de flèches qui parvint bien-
'^tà éclaircîr les premiers rangs espa-
gnols. Henri suivi des siens s'étôit préci-
pité sur le corps de l'armée qui lui faisoit
fece, tandis que le duc de Lancaslre et
Chandos, qui a voient osé avec leur avant-
gnrde attaquer le centre, où se trouvoit
Duguesclin , étoient repoussésde manierai
à les dégoûter de leur entreprise. Le cap-
tai de Buch, qui s'en aperçut et qui recon-
nut Bertrand et ses Bretons, défendit à sa
troupe de s'attaquer à ces gens-là que rien
ne pourroit entamer, et commanda de fon-
dre sur l'aile gauche où l'on auroit meilleur
marché de don Tello et de son monde.
Bientôt la mêlée devint telle que chacun
tk'ja LE NOVICE.
— Par mon chef! cet Evrard est un des
plus braves champions que j'aie vus !
Sur les points où se trouvoit Bertrand
et les siens la victoire paroissoit assurée.
Quand tout à coup on en tendit crier de tou-
tes parts : L'aile gauche plie! l'aile gauche
plie !.— Oh ! les lâches , s'écrie Duguesclin,
qu'ont-ils fait de leur jactance ? Il tournoît
son cheval pour se porter de ce côté;
mais il n'éloît plus temps : déjà les Espa-
gnols s'enfuyoientà bride abattue, pour-
suivis l'épée dans les reins parles Anglais.
— Ferme ici ! ferme ! cria Cuguesclin j nous
allons être pris en flanc. En effet, plus
de trois mille hommes, commandés par le
prince de Galles , tombèrent tout à coup
sur le centre, où le combat devint époa*
vantabîe.
Une grande partie des Espagnols au
milieu desquels se trouvoit Henri, voyant
fuir les leurs, commencèrent aussi &
lâcher pied. Le prince au désespoir
çrioit : Mes amis, que faites-vous ? Voulez*
vous trahir et livrer votre roi? Ralliez-^
LE NOVICE. Sk'j'i
vousi ralliez-vous! la journée est à nous.
Trois fois il parvint à leur rendre le
courage, trois fois il les ramena contre
Vennemi ; mais enfin aucun discours ne
put arrêter des gens à qui la terreur
sembloît avoir donné des ailes. Les uns
fuj oient vers Najare, poursuivis de si près
parles Anglais que ceux-<:i entrèrent dans
la ville avec eux; d'autres couroient
du côté de l'Ebre et se précipitoient dans
Teau, où le fer de l'ennemi les alteîgnoît
ôncore et rougîssoit les flots de leur sang.
Le corps de réserve, la dernière ressource
du malheureux Henri, saisi du même
effroi, prit à bride abattue le chemin d'un
bois, dans le fond duquel il se bâta de se
cacher.
. I *
Enfin cette formidable armée se dis-
persa^s'anéantit en un clin-d'oeil , et dispa-
rut pour ainsi dire au coup de baguetlede
h peur.
Cnguesclin, témoin d'un pareil désastre,
vola à la recherche de Henri pour le ti-
rer du danger. Il a^rçut ce malheureux
a74 ^* NOVICE.
prince qui se battoît encore comme ûh
lion , entouré du peu de troupes qui lui
étoient restées fidèles. Il se fait jour afeb
son glaive à travers une foule d'ennemis ,
joint le roi , prend son cheval par la brîcb
et le tire de la mêlée en lui disant : Tout
est perdu, sauvez-vous au plus tôt.
— Me sauver ! me sauver ! dît Henri
qui paroîssoit n'avoir "plus la tête à lui ,
tant le désespoir Faccabloit.
—'Il le faut, attendez une autre jdUi*-
née ; c'est toujours quelque chose cjue dfe
gagner du temps. Partez, tandis que notts
allons continuer à soutenir ici de notre
mieux.
— Ahl Bertrand, Mît l'infortuné prince;
ma perte entraîne donc la vôtre? Mal-
heureux que je suis !
—Ne vous mettez pas en peine de moi*
Partez, que je neVousvoiepastoinberdanis
les mains de Pierre, de ce renégat que le
ciel confonde!
Henri lui serra la main et prit un autre
clieval; maïs, forcé d'abandonner le champ
m
LE WOVICE. 275'
de bataille, il voulut au moins le quitter
en héros. Un gros escadron cVAnglais se-
trouvoit devant lui : il se jeta tout au mi-
lieu comme un enragé , frappaut d'estoc*
et de taille ; à droite et à gauche, tuant,.
Renversant tout ce qu'il rencontroit, et
ftrt assez heureux, lui quatrième, pour
s'ouvrir le passage de l'autre côté de l'ar-^
mée anglaise. Bertrand , qui ne le perdoit
pas de vue, regarda Le Bègue de Vilaine
CtBiobert. —Par Roland ! dit^lyîlméritoit
^ couronne. Puis, levant les yeux au ciel ,l
iï se rejeta dans la mêlée.
Le départ de Henri acheva de découra-
ger ceux des Espagnols qui avoienttena
^HOi jusque là. La plus grande partie lâ-
^ha pied dans la crainte surtout de tom*
l^er au pouvoir de Pierre. Duguesclin, s'a-
^>ercevant de cette seconde défection ^
^>rdonna à Robert de courir après eux et
^e faire tous ses efforts pour les rallier,
'*— 3?rie-les, presse-les, donne leur de ton
sabre dans le dos, lui dit- il. Robert par-
tit'àllnstant, suivi seulement de George,
ajÔ LE WOVICE.
qui, pendant tout le combat, ne Favoit
pas plus quitté que son ombre. Quoiqu'il
eût mis son cheval au galop, il lui fut
impossible de joindre les fuyards, tant les'
instances qu'il leur faisoit de loin sem«
bloient ajouter encore à leur vélocité. Las
de les poursuivre, Robert revenoit sur le
champ de bataille , lorsqu'il s'entendit ap.
peler par son nom. Il se retourna et vit
un de ses malheureux compagnons d'ar-
mes blessé et gisant sur la terre, qui le
conjuroit de s'arrêter. Robert et George
s'approcb€rentdeIui....Cctoitsire Evrard.
—J'ai peu d'instant à vivre, dit-il au jeune
écuyer. Si vous avez quelque pitié dans
l'âme, faites que je dise un mot à sire
Bertrand.
— Je vais le chercher, répondit Robert
dans le plus grand saisissement; et pla-
quant des deux aussitôt, il rejoint Dur
guesclin, luiditque sire Evrard, mourant,
est à peu de distance, et le supplie de l'en-
tendre un instant.
— Mourant ! répondit Bertrand. Je n'e<i
LE wovicE. a 77
suis pas surpris. Mène-moi à ce brave
homme.
— Ah! sire Bertrand , s'écria Evrard
dès qu'il aperçut Duguesclin ; la journée
est donc aux Anglais ?
• — Nos gens tiennent encore , répondît
Bertrand qui ne pouvoit lui donner d'au- .
tre consolation.
— Ainsi le prince de Galles remj3orte!
Une grâce donc, une grâce, sire Ber-
trand , poiu'suivit-il en s'efforçant[de se
soulever sur celui de ses bras qui n'étoit
pas blessé , quoique le sang qui s'étoit fait
passage c^slàt de tous côtés sur son
armure.
—Parle, mon brave, répondit Dngues-
din qui descendit de cheval pour le
^mx entendre.
• — J'espère avoir fait mon devoir?
—' Plus que ton devoir, mon digne
camarade.
— Ehbien ! vous pouvez me payer mon
sj^ng, vous pouvez m'adbucir la moYl qui
^€ tardera pas à fermer mes yeux.
3.78 Ub IfOVICE.
n-* Sur mon âme ! je le veuit,. s'écjâe
Duguesclin.
— La. reine va quitter Burgos et lacme
.la Castille sans doute ^ reprit ftirf£vrard
en faisant les plus grandsr^ffont&pourv-
ticuler des sons qui finirent par devenir
inintelligibles. Promettez-moi de^protégéir,
^e sauver ma femme , ma loliena^. IBsh
iroyez quelqu'un de sûr;...al en est temps
«ncore— Qu'elle parle;... que...
— Je le jure , dit Bertrand en saisissant
sa main glacée]; meurs conteni:.
Evrard rouvrit les yeux un instant ^ les
porta sur Duguesclin, prononça le nom
de Julienne, et sa tête retomba sur h
poussière.
_ Il est mort, dit Bertrand, mais^par
le nom de ma mère! je lui tiendrai œapfl'
rôle. Alors, comme il regardait autour de
lui pour voir s'il apercevoit un de tses-ser-
viteurs, il remarqua George, qpi.se tenoit
près de son maîtreu -^ Para à l'insrtantpour
Burgos , toi , lui dit-il , prends-y la damQife*
lienne et conduis rla de ma partà I^^mofi
LE NOVICE. a 79
4j5 France. Pour qu'à Paris on ne doute
pas de ton di^; montre à la reine cettp
chaîne qu'elle a mise elle-même à mon
cou après le siège de Montereau. En ache-
vant ces mots il donna la chaîne au chas-
seur,, remonta à cheval et partît comme
un trait. George restoit immobile sans
(jfjL'û fût possible de deviner s*îl suivroit
ou non Tordre qu'il venoit de recevoir.
Mais Robert , qui n'avoit pas de temps à
perdre , le regardant d'un air égaré : — Si
tune pars à l'instant pour Burgos,lui dit-
il, si tu ne vas pas sauver une vie qui m'est
cent fois plus précieuse que la mienne,
^ue vie que je ne puis aller sauver moi-
niime , je laisse mon sabre ici , et je vais
de ce pas me jeter au milieu des Anglais*
-^ Je pars ! je pars ! dit George effrayé
de cette terrible menace, et de l'état d'é-
|[arement où il voyoit son maître.
. -^ A l'instant? reprit Robert.
-w- A l'instant. Vous nous retrouverez k
BWfs^^ reprit le chasseur en piquant des
a8o LE WOVICE.
— Que le ciel te protège! mon cher
George , lui cria Robert, c^deux minu^
tes après avoit rejoint Duguesclin au fort
de la mêlée.
Ce qui restoit des compagnies et des Bre-
tons faisoit toujours bonne contenance , et
ne cédoit pas un pouce de terrain. Le peu
d'Espagnols qui n'avoient pas lâché pied
s'étoient réfugiés derrière eux pour en être
couverts. Celte brave cavalerie, où Ton ne
comptoit déjà plus que douze ou treize
cents hommes, soutenoit encore l'effort
de tout une armée. Partout les Anglais
se battoient dix contre un , et partout ils
étoient repoussés. Le cri de ralliement
de la valeureuse troupe étoit : G'uescfiïi?
Guesclin ! mais tout ordre avoiti cessé
d'exister, chacun se battoit pour son
compte, se signalant par les plus grands
faits d'armes. Là Le Bègue de Vilaine ^
Gauvain Bailleul et L'Allemand de S;iint-
Venant se défendoient seuls contre Une
division entière; ici le maréchal d^Andhe-
ghem,se servant de son sabre d'une mam^
LB iroviGE. a8»
arrachoit de TauCreune bannière anglaise
à celui qiii la portpit, etlafouloit aux pieds ^
dansrexcèsdesarage.Bertrands'étoitarmé
d'une hache, et n'en portoit pas un coup
qui n abattît un Anglais; croyant pouvoir
espérer un prodige , il ne cessoit d'encou-
rager«on monde, soit par quelques mots
énergiques , soit en renversant plus d'en-
nemis à lui seul que n'auroit pu le faire
tout un escadron. Le cheval de Robert
tomba mort sous lui : — Prends celui-ci ,
lui dit-il en jetant par terre, d'un coup
de sa hache, le chevalier qui le montoih,
ftlais Robert pour le moment avoit tout
autre cho^e à faire qu'à profiter de cet
offre : séparé tout à coup de Duguesclin .
par un gros d'ennemis , jamais de la jour-
née il ne s'étoit trouvé en plus grand dan-
ger, et frappoit d'estoc et de taille pour
p^i: venir à se dégager. Tous ses coups por-
toieqt ; bientôt il se fit pour ainsi di|re im ^
reippart de ceux qi^'^l ^battoit autour d.e.
lui.. Les Anglais, admirant sa valeur ^ lui:
crioient de se rendre, (|a'il lui éioît ini';
la*
possible de résister <; maïs nt €êâ kivltà^
tionS| ni l'excès de la fatigue qu'il côku^
mençoit à ressentir y stsr tout depuis qu^É-
était à pied , ne purent rallentir sa "ftiriè*
Son courage lui tenant lieu âe force, It-
continuait à se défendre comme uâ lioiir^
jusqu'à ce que le secours de qu€flques-4iâi ^
des siens Taidàt à se tirer éntièremËffit êé^
presse.
Il en étoft à peine dehors, <pi'il vit toiat^
ber à quelques pas de lui cehii fles taré-
.venus qu'il avoit connu lé p^emier^ ïé^
pauvi^ Thomas Walter quHm coup dfr'
lance venoit de renverser. Lé Flamaîadf
avant d'èxpiret», fit pltisieuirs signes de
croix j, terttiinàTtt^ittsi «ne vîe piàssé^ dani
le désordre et le cîarnftgè.
La voe de TbôtimsWsrfter reporta i*^
pî^rti^ rntragîîrfatî^ 'de feobêfl^àdV*^
três^fe!Tips. Ëlte liii rà{>pela Yàtibsifi et
les >pâimi>l^' je^t^i pàà^s^ près de- Stfti''
Av^'tëïSé) ilifiîà' ôft pëM^A^e qtiè £(^0(^1
pê¥iséë^fttriïn êblair;i»i^'fl xe^àSi pas lifori^*
en po^ticm ^lé i>él^cUr^l«ï%^â^
r
te
La vaillante Woàpe Aihhiuoît k vue
d'oeil y tnàis ce qui restoit encore se bat-
toh toujours avec la même fureur; car
Bertratid leur cHoh de ne point se déseâ-
p&er dû succès de la journée. Enfin 11?
prince deGalle^ , las de Voir assommer son
itiôndepar mie poignée d'hommes , fit un
dernier «fFort pour les envdfopper et le»
obliger à se rendre. En une minute , ils
se virent cernés de toutes parts sans ces-
ser de disputer la victoire à la multitude
qui les entouroit. Le prince de Galles et
les autres capitaines anglais leur crioient
à tue-tête: Rendez-vous^ rendez-vous ^
on aura pour vous les égards que Von
doit à de si braves gens ! Une voix s'éle-
iVoit par-dessus toutes les autres voix,
Cetoit celle de Hugh Calverley : — Rends-
toi, Bertrand , crioit-il , rends-toi , mon
brave Bertrand ! Duguesclin , couvert de
sang, de poussière, hors d'état de soule-
ver encore son bras pour frapper un der-
îûer coup , regarde autour de lui , voit
presque tous les siens par terre, une ar*
ft84 u; voYicE»
ipée entière au nilieu de Laquelle il {
trouve enfermé; il pousse un profond so
pir , élève la voix et dit : Je me rends i
prince de Galles. Â ces mots tous cei
qui Tentouroient baissent leur glaive* •
A moi, à flaoi, mon fils, pour t'épargn
une rançon, s'écrie Hugh Calverley i
saisissant le sabre de Robert, qui, à dei
mort de fatigue, tombe dans les bras c
bon Anglais.
nif pu TROISIÈME VOLUME.
M ^mim
•■ 1
**
.,?
PARIS, IMPflMEItlBDI COSSON
me Saiut-Geinain-dcs>Prà, B* g.
LE NOVICE,
0^m- Je- là (B,
aawr.
Trop pea d« temps ! dans la plut doue* chose
Il fut hsureux.
Dtrcit.
DEUXIEME ÉDITION.
TOME QUATRIÈME.
PARIS ,
rov&inx& jBuiiB y LTiiBAimi y
AUC Dl SEZKBy S* 14.
i83o.
M K07]t€l»
EOMA»
DU QUATORZIÈME SIÈCLE
CHAPITRE PREMIER.
Et je liair tous les hommes ;
Les uns , parce qu'ils sont mâchants et malfaisaDls.
£t les autres , pour être aux méchants complaisants,
El n'avoir pas pour eux Irs huines Tigoureusrs.
Que doit donner le?ice aux âmes Tortueuses.
HoLlèftE.
HÉLivicè sur le champ de bataille même,
Robert étoit libre. Il pouvoit à Tinstanl;
partir pour Burgos, voler lui-même &a
secours de Julienne ; mais Thonneur lui
disoit que sa plus forte chaîne n'étoit pas
brisée. Abandonneroit-il dans les fers son
maître ^ son protecteur ; le héros qui ve-
Boit de rendre son glaive ? L'élève de dom
IV. I
a LE NOVICE.
Ambroise déliwa son avenir du remords
d'avoir 'pu délibérer un moment. À peine
eut-il remercié Calverley de la liberté qui
lui étoit rendue, que, détournant les yeur,
en pou6«euit un profond soupir^ tju cbe-
min qui cqnduisoit à la capitale de la Cas*
til!e, il prit rapidementjpelui de Navarette,
où les Anglais rentroient alors, et condui-
soient leurs nombreux prisonadisrs. Il fut
im temps extraordinaire avant de pou-
voir pénétrer dans la ville. Non-seulement
la route et les portes étoient énx)ombrées
pat la foule âts vainqueurs et des vain-
eus, mais tous ceux de ses malheureux
compagnons d'armes qu'il rencontroiti
marchant tristement près d'un chevalier
anglais, l'ar^rétoient à idiaque ^as posar
s^nformer de ce qu'étoit cdeîvehu Dti^ue»*
€lm. — Ëst«â vrai qu'il «oit t>le8sé? diMiC
V^xi^* '*^ Ije pi^inoe tle 6attes estdjiieD cafia»
Idiede^^iiregarderpTlimnyclboit Tauin^
oar mi^ux vaut pour l'Angletet^e teum
Bug^uesdin «^le tefluîr mie fi^avi&ce. &»«•
bQLtiH^oiiâioiît'bnièv0Ki€i»t àlbus y:q& £$»'
«n ffovics. 3
cours y ^esisé, cponilie il Fétoit lui*méme,
nde s'instruire du sort de celui auquel il
laMnrifioît pesatHêtt^ tout le bonheur de sa
fise. EAifin pins de quatre heures s'étôienC
:ëcacmiées dèpuia l'instant où il avait quitté
•le champ de bataiUe^ lorsqu'il parvint à
•èav^r qu'il trouveroit Bertrand chez
Chandosy à qui le prince de Galles en
* mtfmt confié la garde.
S'étant fait indiquer cette demeure , il
s'y rendit aussitôt. La maison étoit rem-
plie du haut en bas de chevaliers , d'ar-
acfacrs de l'armée anglaise , dont la joie ,
les cris et les chants contrastoient si fort
'ssvrec la situation du grand homme qu'on
"wetiok d'y renfermer , que le co&ur de Ro-
ftert se serra douloureusement. Arrivé à
'la porte d'-une chambre, dans laquelle on
lui dit qu'il trouveroît son maître ^ il re-
marqua /qu'on n'y avoit point placé de
MnlineHe,
— Grâces soient t^endues à Dieu ! pensa
Itofberty ik nefantpas mis en prison.
***• Mé^nseîgiiear y cest «km, dit-H en
4 XE NOVICl.
frappant doucement à la porte; et il entra;
Dans un mauvais taudis>'OÙ sé'trou*
voient à peine quelques meubles, i^apra^-
çut le brave , les deux coudes appuyés sur
une table y et sa tête cachée entre sés.deiii:
mains. Â la voix de son jeune écuyer^ Da«
guesclin quitta cette position, et lui sourit
avec amitié. — C'est tôii mon enfanrty^liii
dît-il; voilà la première joie que j'éprouve
depuis Tinstant où ces couards ont* lâché
pied. . . ;
— La gloire de la journée est à' voù^,
monseigneur , répondit Robert ; lé prince
de Galles lui-même en convient.
— Lui peut-être , répliqua Duguesclin;
il s'y connoit. Mais le monde, Robert, le
monde voit toujours le meilleur joueur
dans celui qui gagne la partie, et nous
avons perdu la nôtre d'une rude façon.
— Que faire , que faire , dit le jeune
écuyer en rougissant de colère, quaud
toute une armée vous abandonne ?
— Je te l'avois bien dit, que j'aimcrois
autant marchera la tête d'une troupe de
LE NOVICE. 5
lièvres qu'à la tête de ces gens-là. Que la
peur puisse les étouffer tous ! continua-t-il
en marchant à grands pas dans la cham-
bre; ce dom Tello surtout, le frère, le
propre frère de notre pauvre Henri!....
Mais laissons cela , autrement on pourroit
i>ien étouffer soi-même. Dis -moi , en quel
les:mains es*tu tombé ?
-^ Dans les mains de Hugh Cal verley ,
çpûnl'a délivré aussitôt sans rançon.
— Tant mieux , car il est possible que
^Qtts.peu de temps j'aie besoin de disposer
^^toi. Je n'espère pas sortir d'ici, tu sens
3bieiiy'sans financer largement.
'i 9^. Qu'à cela ne tienne, dit Robert; le
^^[iQmt'est que vous sortiez.
■.r-Sans doute , reprit Bertrand d'un air
«soucieux, mais ce poiiït-là ne m'est pas
^ocore.bien dair. Ces derniers mots, qui
Tavissoient à Robert toute espérance de
pouyoir bientôt voler tt Paris, lui firent
éprouver une douleur poignante. Mais on
puise tant de force dans lés sentiments
généreux, qu'il parvint à dissimuler sa
6' LB HOVICE,
p€fine. Quoi! répondU4l cTone voix légè-
rement émue y le prince de Galles peut-if
faire autre chose que vous rançonner?
— Il pourra tout ce qu'il voudra^ rc^
prit Bertrand 9 car enfin je suis son pri».
sonnier. Du reste y je ne connois encore
rien de ses intentions , et je m'épou.vante
peut-être à tort de quelques iznots qui sont
échappés à Chando^ . : «. ,
— Ce Cbandos ^ mVt^oii dit^ est in^
loyal chevalier. i
— Il se conduit comme tel avec mcà ^^.
répliqua Duguésdin>. puisquHl'ne mè&it^
pas garder, prisoo^ Mais il a voulu imâi
parole de ne point' ehevdier à xn'étaâer
sans le congé du prince de /Galles* Par Otx'
mort deDieul il est maintenant aussi tran»
quille que s'il' me tesoât au cadiptj .
.:^~ Ainsi VOUS: vibrez librement au aii«^
lieu des Anglais* :
: h^Libfement^tf tuveuti^répoinditDiifri^
giuesclin, dauf.pourtant à né point m'éloi^
gner de la persbnne du prince do 6alles#
: ~ Du prince de Galles ! s'écria Robert
1.K ïKIVMfi. 7
s'efforçant de cacher la joyeuse révolution
que ce nom venoit cFopérer en lui. Nous
suivrons le prince de Galles ! Nous allons
donc retourner à Burgos.
— Selon toute apparence, le chemin est
libre mafrîtenant , à moins , continua Ber»
trand qui ne put s'empêcher de rire mal-
gré son humeur, à moinsquedom Tello ne
se soit embusqué sur la route avec ses bra-
,Tes, pour défendre l'entrée de la ca(ntale.
Le jeune écuyer rit aussi , de meilleur
cœur peut-être : car l'idée d'aller à Bur-
gos avoit ramené l'espoir et la paix dans
son âme. Privé du bonheur de suivre Ju-
lienne^ il sauroit là du moins en quels
lieux elle avoit porté ses pas. Robert éprou-
voit la joie qu'éprouve un condamné dont
on vient de commuer la peine.
•-- Après tout, dit Bertrand, qui peu à
peu retrouvoit sa gaieté habituelle, il
faut prendre son parti de tout dans ce
inonde. Tant de braves gens sont morts
aujourd'hui qu'on doit remercier Dieu
d'être encore sur ses jambes, voire même
/
8 LE NOVICE.
SOUS la garde de messire Chandos. Ce
m'est aussi une grande consolation de pen-
ser que tu ne me quittes pas , ajouta-t-il
en tendant la main au jeune homme.
— ^Jamais ! jamais ! dit Robert, qui dans
le jour même venoit de sacrifiera ce de-
voir beaucoup plus que sa vie.
Les égards que tous les chevaliers anglais
témoignoient à leurs valeureux prison-
nier , Tamitié du brave Calverley adoucis*
soient autant qu'il étoit possible de le faire,
lasituationdeDuguesclin.AlalibertéprèS)
il jouissoit de tous les agréments, détour
leshonneursdela vie; néanmoins, comme
il le dit plus d'une fois à son jeune écuyer:
— Heureux! trop heureux celui qui ne
mange que du pain noir, mais qui peut
courir les champs.
On resta peu de temps à Navarette; il
tardoit au prince de Galles de conduire
en triomphe dans sa capitale celui qu'il
venoit de placer sur le trône. Peu de jours
après la bataille on se mit en route pour
Burgos. Tous les genoux se plioient, tou-
LE HOVICE. 9
tes les têtes se courboient sur le chemin.
Une seule journée avoit fait rentrer les
deux Ckistiiles sous le joug de Pierre-le-
Cruel. La terreur se cachoit sous les dé-
monstration» du respect y de Tamour ; le
tyran, qui reprenoit sa couronne se voyoit
reçu dans les différentes villes, comme
Tauroit été le meilleur des rois. A Burgos,
où peut-éire les craintes étoient plus vi*
yes^ la lâcheté alla plus loin. Les mêmes
hommes qui venoiept de crier naguère
Vive Henri! crioient plus haut que d'au-
tres, Vive dom Pèdre ! Le peuple se pres-
soit dans les rues pour contempler le mons-
tre qu'il avoit chassé deux ihois avant ;
les grands s'empressoient de venir s'in-
diner devant lui. De tous côtés des ac-
cents joyeux se faisoient entendre aux
oreilles de celui dont les imprécations gé-
nérales avoient accompagné le départ.
Duguesclin entrant aussi dans la ville à la
suite de Pierre et du prince de Galles, Ro-
bert croyoit rêver, il rougissoit pour ses
semblables , et jetant sur cette foule des
|0 LX irÔVIGE.
regards d'indignation : PeuNon Toîr tout
mx peuple aussi lâche! dit-i( à Bertrand;
- -HSela se passe tatijours ainsi, répon^t
Dttguesclin avec ce sonrire tranquîBe ée
Texpérience. Combien de foift dans notre
Bretagne, les mêmes gens n'ont-ilspas crié
tour à tour Vive Jean de Montfort ! Vive
Charles de Blois ! Tu en verras bien d'au-
tres, si tu vis aussi long-temps que mol.'
^— J'aimerois autant mourir, je crois ^
que vivre avec de pareils hommes! répon-
dit Robert d'un air révolté.
-*-- Bah ! on s'y fait, répliqua le héro^
breton. Malheur atxx vaincus ! c'est l'a-
dage général.
Ce spectacle toutefois pôrtoit dan»
l'âme de Robert une tristesse si grande,
xm découragement si pénible, qu'il ncf
put répondre. Julienne! Julienne! se dit-il
à lui-même, sans toi c'en ^Seroit fait da
bonheur, sans toi je Iregrètteroîs le cloi*
tre ! Son premier soin fut donc, dès qtfoii
fut logé dans la ville , d'aller prendre dei
informations sur ce qu'étoiént devenues 1*
LE KOVJCB^ II!
reine et les personnes q^M'environnoient*^
Mais les partisans vraiment dévoués^ da
malheureux Henri atoientfiii; lesalutre»
luttoient alors de servilité et d'adulatiou
aveo les amis de Pierre, pour réparer des
torts connus ou pour cacher des torts
ignorés. Les questions importunes dé-
Aobert étoient éludées promptement par
tdus ces seigneurs, qu'il connoissoit par**
ËMtemoBt polar les avoir rencontrés centi
fois chez le roi Henri et cheji la reine ;
aucun de ceux auxquels il s-adressoit net
iVouIoit paroitre instruit die ce qui con-
cernoit une eour qu'on afifectoit alors d0
A'avoir point fréquentée. Ënfiik ie novx
de Henri paroissoit oublié de tous ; grands
^t petits gardoient un silence absolu , et
sembloient n'avoir jamais connu ni le
malheureux prince ni les siens.
Un soir , que Robert , désespéré de Ti-
nutilité de ses démarches, passoit devant
le palais 9 il en vit sortir plusieurs sei-
gneurs , au milieu desquels il distingua
doxn Alvar, qui, depuis le jour où Ton
12 LE NOVICE.
avoit craint le <li))art des compagnies,
avoit conservé des relations fréquentes
et amicales avec lui. Il se hâta de l'appro*
cher , et fut aussi indigné que surpris
de voir cet homme détourner la tête et
presser le pas de son cheval, pour l'éviter.^
Robert étoit à pied ; il n'auroit pu le ré— -
joindre: i! étoit loin d'ailleurs d'en avbir^
le désir. Certain d'avoir été recomiu ,. IL
restoit immobile à la même placje^ «(iaiidk^^
sant ces âmes de boue y ina[udissântr
tous les hommes, lorsqu'un page s*èlp«
procha de lui, se dit envoyé par dôm
Alvar, et le pria de vouloir bien 1^ suivre.
Robert hésita d abord. Devoit-il oublier
sitôt l'outrage qu*il venoit dé recevoir ? de-
voit-il conserver des relations que donti
Alvar sembloit ne point vouloir avouer ?
Mais il falloit donc renoncer à savoir ce
qu'étoit devenue Julienne ? personne
mieux que dom Alvar ne pouvoit l'ins-
truire du sort de la reine?- Cette i^ée
triompha bientôt de son ressentiment : de
quoi n'eût-elle pas triomphé! Il marcha
Li iroviCE. i3
s[tir les pas du page, cherchant vainement
S^ s'expUquer la conduite du maître , qui
pourtant n'avoit rien que de naturel,
Lf homme et la circonstance donnés. Dom
Alvar de tous les courtisans étoit peut-
être le plus habile, ayant joint le roi
Senri assez tard pour ne point se fermer
tout retour auprès du roi Pierre , dans le
ca^ oùce dernier parviendroit à remon-
: tçr sur le trône. Il venoit effectivement
,ie] fsAre assez aisément sa paix. Mais
.Henri n'étoit point mort, et tout annon-
çoit, apx yeux d'un sage observateur,
que, le prince de Galles une fois hors delà
Castille, son parti ne tarderoit point à
reprendre le dessus. Dom Alvar vouloit
donc se ménager les vaincus, satis se
perdre près du vainqueur, et redoutoit
autant d'avoir un ennemi dans Técuyer
de Duguesclin, qu'il avoit craint d'an-
noncer la moindre liaison avec lui e^
* •
présence des courtisans.
Le page conduisit Robert dans une rue
détournée, sur laquelle donnoient les
i4 t.z nGvi€t.
derrières de Thôtel de son tnakre. Apre
.avoir ouvert une petite porte , M fÏÊt^
duisit dans un yaste jardin , où dom Alva
attendoit le jeune éeuyer avec une grandi
impatience. — Pardonnez-rtoî , lui dît-^
dès que te page ks eut laissés seul^, pas
«donuei-moi , siM écoyer, d'avoir 'feib
en présence de tant de gens/don(^l
plupart sont mes ennemis , de ne péii
vous connoitre. Ma position à la cour'^
Pierre est devenue très-difficite, ^t 1
moindre imprud^<îe pedt me comprc
mettre el me perdre? aujourd'hui -nou
iâous Toyons conti'aints di5 maudire too
hatit ce que nous regrettons tout bas
Telle est la suite d'une révolution auss
rapide cfue funeste.
Robert, surprix de l'impudence -ava
laquelle ou îui avouoit tant de l^assesses
fixa de grand yeux étonnés sur celui qe
venoit deparfer ainsi; puis , souriant tFtn
air de dédain : — Port Î3ien , ffit4 , fyt
bien , seigwenr dom Alv^r ; mais que m
^voulez-ivw»?
uc novicE. i5
—Ce que j^evous veux ! reprit dorn AWar ;
m'infonner du sort du brave Duguesclin,
de celui du nKiIheureuK Henri.
— Mon maître, vous ne l'ignorez pas ,
est prisonnier du prince de Galles ; quant
à votre roi , cloni Alvar , grâces au ciel et
ison courage^ il est en lieu sûr, jusqu'au
jouroù il viendra punir tant de lâches qui
Tout abandonné , tant de traîtres qui tra-
nissent leurs sermens.
- "«-^fiest certain , dit dam Alvar sans se
diionftoerter le moins du monde , il est
ûirtain que dom Tdio s'est cmiduit d'une
Olanère indigne, ainsi que sa troupe. C'^est
lui-même pourtant qui a osé venir apporter
iciia £Ktale nouvelle de la déroute. Quel
tkxiit on a passé au palais ! QireUes Ver-^
reurs! quel désordre! La reine a fait
aussitôt les apprêts de son départ..,.
T-**iEn quel lieu s-est-clle rendue ? dit
Robert.
^Â Sarragosse ) où je crainâ bien
l6 LE ITOVICE.
qu'elle n'ait pas été fort bien reçue par
dom Pèdre (i).
— Elle n'est point partie seule sans
doute?
— Avec les trois sœurs du roi et quel*
ques serviteurs. Elle étoit trop peu sûre
de la réception qui Tattendôit pour em-
mener beaucoup de monde. D'ailleurs
nous préférions rester, dans l'espoir que
le prince de Galles feroit notre paix avec
Pierre , ainsi qu'il est arrivé.
— Pourriez- vous me dire, reprit Ro-
bert avec un battement de cœur inexpri*
mable, pourriez-vous me dii^ ce qii'esl
devenue la jeune comtesse de Clérâc, la
veuve de sire Evrard ?
— La veuve! s'écria dom Alvarj sire
Evrard est-il donc mort ?
(i) Elle le fut trës-mal en effet , et se vît con-
trainte de se retirer en France; Charles Y lui prêta.
pour asile le château de Pertuîs sur les frontière»
du Roussîllon , et elle y resta jusqu'au jour oii.
Henri fut rétabli sur le trône.
LE KO VICK. 17
^-. Otii, répondit Robert ; mais la corn*
tesse 9 la comtesse?
— J'ignore absolument son sort. Beau-
coup des nôtres ont pris le chemin de
France ; il est très-vraisemblable qu'elle a
été du nombre.
— Fasse le ciel que George soit arrivé à
temps ! pensa Robert , qui de ce moment
Tie prêta plus qu'une foible attention aux
cliscours de dom Alvar.
' Ce qui importoit le plus au seigneur
cuistillan , c'étoit d'apprendre si Bertrand
devèmi libre reprendroit les armes en fa-
veur de Henri; car sous le sourire joyeux ,
^^'il portoit chaque matin à la cour il
^:achoit les angoisses d'une profonde ter-
reur. La noblesse castitlanne ne pouvoit
96 dissimuler qu'elle retomboit sous le
couteau : en dépit de l'amnistie que le
prince de Galles avoït exigée de Pierre ,
Gomez de Qnintina, Sanchez de Mos-
coso , le fils de l'amîrante et plusieurs au-
tres ven oient de porter leur tête sur Té-
chafaud. Le cruel monarque échappoit
i^
l8 liM IfOViCB.:
sansi cesse à la m^iiDi qui sWorçoil de Je
retenir^et^ semblable àunt^re attaché an*
ime chaîne trop longue ^ Pierre répaBdeit
déjà tout le sang qu'il pouvoit répandre. *
Hobert^ quoique trèsl-distrait, devina Ëid'^
lement la pensée de dom Alvar. Uétoit
clair que le noble castillaiOL avait le désir
de voir d'autres que hii se compromettre' *
en faveur de la bonoe cause. U s'infor*^*
moit avec soin du sort de pluaiéurssd*»
gneurs qu'on, ne voyoit point repaix)k9e
à Burgos. Mais, tout en fuguant le&Tàin^j
eus, il n'en mcnagôoit pas moins les Tsân^
queurs, et le moindre mot un peu hardi '
qui lui échappoit sur Pierre étoit aussitôt, •
suivi d'une réticence. -..»
Robert répondant vaguement à kniltef
questions qu'il lui adressait: — • Vous me^.
paroissez fort peu aijicdumnt de notre aye*")
nir ? lui dit dom Alvar. i
— Seigneiu* Yelascos, répondit le psm» r
écuyer , je n'esatends nen à la: politip
que; mais, sij'avoisdoanémafoiàHenrib
de Traaslamai^ y jie n'atb^adrois pa&(|Bi'tf
LE NOVICE. ig
tirouvât des soldats à l'étranger. Ceux de
Vous qui l'ont salué roi sont assez nom-
l^reux pour lui composer une armée. 11
est en France , dit-on : partez tous , allez
le rejoindre. Si vous suivez cet avis, nous
pourrons nous retrouver sous la tente ;
autrement recevez mes adieux ; car d'a-
près ce que j'ai vu depuis trois mois , je
fuirai toute ma vie les palais.
Robert sortit en achevant ces mots.
La dernière espérance qu'il avoit conçue
d*étre instruit du sort de Julienne venoit
do s'évanouir. Une tristesse accablante
^*emparoit de son cœur, et pour comble
^o peine George n'étoit plus là. — Ah !
3îsoit-il en parcourant à pas lents les rues
d^Burgos, mon oncle avoit raison. J'étois
^oins isolé à Saint-Paul que je ne le suis
^aus cette foule où pas une idée n*est
^accord avec les miennes, où pas tin
^KW n'est ouvert au mien.
CHAPITRE II.
Plus grand , plus glorirux « p^us craint dans les drfîîtlcs
QueDunois pi Gaston ne l'ont jumals été
Dans le cours triomphant de leur prospérité.
YoLTÂltl».
Cinq mois après la fatale bataille de
lîavarelte, Dnguesclin n'avoit pas en-
core recouvré sa liberté. Le retour du
prince de Galles à Bordeaux avoit eu
lieu depuis long- temps sans amener
XJE irovicE. ai
]a délivrance du héros breton. En vain
chaque jour offroit-il de payer sa rançon,
6Î forte qu'on voulût la fixer. La crainte
de rendre à la France un guerrier aussi
vedoutabie retenoit le vainqueur, et Ber«
trand commencoit à craindre de finir ses
jours dans une détention que toute sa
force d'âme Taidoit à peine à supporter.
Ses compagnons d'armes^ après avoir payé
de grandes sommes, étoient retournés
dans leurs foyers. Si Robert l'eût. aban-
donné, il restoit seul, accablé d'ennuis,
de chagrins ; et Robert ne pouvoit puiser
que dans cette pensée le courage dont il
avoit besoin lui-même pour résister au
désespoir: car chaquejôurvenoit accroître
Fimpatience, la douleur, qui le dévoroit;
chaque jour il se trouvoit plus malheu-
reux que la veillé ; les efforts qu'il faisôit
pour se contraindre en présence de Du-
guesclin achevoîcnt de rendre sa vie si
pénible, que dans certains instants sa rai-
son étoit. prête à Fabandonncr. Le jour
même de la bataille de Navarette, ayant
^4 W iroyiCEé
nombrf 4^ seigneurs! :9iiglAîs-i:il fut bien«
tôt entoura par plusieurs capitaines ^ qui ,
un peu honteiii^ peut-être d^. la coûduile
de leur prince;, redoublotei\t: pour lie bé-:
ros de témoignages d'estime ietd'ajnitié.
Comme il causoit aveceux,,le maître entra^
l'aperçut, et, venant droit à lui rr- Com-
ment va la santé, messire Bertrand? lui:
demanda-til d'un air de gaieté.
— Assez bien, monseigneur, répondit
Bertrand; il ne tiendroil (pi^à vous cepen-
dant qu'elle allât mieux.
, — J'entends, j'entends, reprit le prince
en riant. Mais vous savez sans doute qu'on
m'accuse de vous retenir prisonnier parce
que je vous crains.
~Jl est vrai que quelques-uns le di-
sent, monseigneur; et c'es t grand bonneiir
mefiûre.
— Vraiment, dit Edouardun peu dé*
concerté. Eh bien ! messire Bertrand;
nous tâcherons de faire tcniré ceux qiû
parlent ainsi. Vous êtes libre:'fixez vous-
même votre rançon.
LE irOVICE. 1l5
Bertrand s'inclina avec une respec*
tnense reconnoissance; puis, relevant la
tétOi et les yeux brfHants de joie : —Cent
ndlle francs^ ditrik
— Cent mille francs ! s'écria le prince
étonné. Et où prendrez -vous tant d'ar-
gent?
— Dans les coffres du roi de France ,
da pape , du duc d'Anjou, répondit gaie-
ment Bertrand , et si ces princes ne don-
nent pas tout ^ les femmes bretonnes file-
Tonty pour compléter la somme.
Cette franche assurance, que lui don-
noit la conscience de sa renommée , char-
ma tous les assistants. Le prince de Galles
hii- même serra la main de son valeureux
rival , en l'assurant que de ce moment il
étoit libre , et maître d'aller chercher sa
rançon. — De ce moment aussi Henri de
Transtamare est roi deCastille (i) ! s'écria
Bertrand , à qui Chandos rendoit son
glaive.
(i) Il le fut Tannée suivante.
IV. a
a6 UE^ HQYICE^
UnQ telle exclamation dans la bouche
■
de tout autre n'eût semblé qu'une roâor
montadej Biais de Impart de [DuguescHp
elle n oJffroit rien de ridîcal^e. Il faut croii^
qu'elle ne déplut point, à, Edouard f car il
çoatijniaa l'entretien, de. la manière la plui^
cordiale, jusqu'au moment où Ton viat
l'avertir q|\i'un envoyé du roi son pèrear^
r
rivoit de. Londres^ et l'attendoit dans sop
çabînej.^jl ne sortit pas cependant saQ3
avoir dît À DuguescHn qu'il espéroit te
revoir encore a,vaixt son départ*
A peine le prince fut-il dehors, que
Bertrand se vit entouré de tous les capi-
taines anglais , qui le félicitoient de grand
cœursursadélivrance.Chandôs,.HughCa)i-.
verley et plusieurs autres lui offrirenl.aus-
sitôl leurs bourses, pour l'aider à s'acquit-
ter ; mais , tout en leur téiiipignant sare-
cpnnoissance pour ces marques d'afiee-
lion, Ppguescliu refusa d'user de leu^
services; il préféroit s'adresser au3ç sien?.
La princesse de Galles fut la seule per-
sonne avec laquelle il ne put se dispenser
e contracter une obligation de ce genre.
Me désira la voir, le fit inviter à diner
our le même jour, et lui déclara qu'elle
ouloit payer vingt mille francs en dé-
action de sa rançon. Duguesclin s'age-
iquilla devant elle : — Madame, lui dit-i!,
3 pënsois être le plus laid chevalier du
àonde; tiiafis mafintenant les' plus beaux
l'envieront. •
Tandis qufe Bertrand=étoit'ch'ez laprîn-
esse, ^Robert , iwe de joie, préparoît
out pour le départ?; oar IL ne doutait
»aâ que son. maître ne fût aussi ipnessc
[Ue lui de quitter Bordeaux;^ et. pçoaoit
[ue le lendemain même tous deux se-
oient en route. Incertain du chemin que
'on prendroit d'abord ( car depuis le
Datin il lui avoit été impossible de se
rouver seul avec Duguesclin ) il se de-
nandoit avec inquiétude si ce.seroit ce-
ui de Paris. Mais comme on croit aisé*
Dent ce qu'on désire avec ardeur, il avoît
ini par se persuader que Bertrand avant
but se r endroit aup es du roi de France,
.*
i
jEi8 XE ifoincE.
et cette idée lui causoit de tels transport
qu'il savoit à peine ce qu'il faisoit. Son
premier soin avoit été d'aller faire ses
adieux à Calverley. Quoiqu'il éprouyât
quelque peine à se séparer du bon An*
glais 9 tant de joie régnoit au fond de
)son cœur que y tout en l'embrassant y les
yeux humides , il répétoit cent fois : — •
Nous partons! nous partons! grâce au
ciel ! Enfin nous partons ! et Calverley
lui-même ne pouvoit s'empêcher de se
réjouir aussi du contentement de l'heu*
reux jeiine homme. Les deux amis res^
tèrént long-temps ensemble. Enfin, Ro*
bert, de retour au logis, s'étoit remis ,
pour tromper son impatience, à nettoyer
les armes de son maître , les siennes ; al*
lant visiter les chevaux dans l'écurie,
yeillant à ce que rien né pût retarder le
départ d'une minute; lorsque Dugues-
clin, qui rentroit, vint lui frapper siir
répaule, enlui demandant s'il étoit prêt à
tnonter à cheval.
us KOYicB. ng
-^ Nous partons cette nuit ? s*éerU
Aobert , les yeux rayonnants.
— ' Nofi I mais demain matin ^ au lever
du apleM»
. *— ^Pour:^er?dit Robert avec un lé^t
ger. tremblement»
. -i-Moly je vaisen Bretagne, répondit
6iertr4pd.
f- ^£p Bretagtie! dit le jeune écuyer;
«t-la cuirasse qu'il tenait lui échappa des
mains pour tomber à terré. En Biteta*
gne 1 répéta-t41 d'un air accablé.
;*^]C7e faul*il pas, réprit Bertrand , que
je voie Tiphaine? qu'elle et iinoi, lious
«nsionsaiix moyens de payer ma rançon ?
XI. ne 8-ag^t pas ici de quelques florins ^ '
comme tu sais. II m'a plu de faire l'or» >
galeux ; cela me coûte peut^tre trente
oii.^piarante mille francs de trop; mab '
qiiabd le vin est tiré, il laut le boire.
Tandis qu'il parloit ainsi, Robert ré-
fléchissoit en lui*mémer%i la liberté de *
son maître ne lui rendoit pas la sienne ^ • |
etÂy sans manquer à l'honneur, il ne lui
3a U KOVIGE.
revanche. II me tarde de me retrouver
en face de ce renégat qui tient notre
place à Tolède; et, tu peux m'en croire ^
il ne se passera pas long-temps avant que
j'aille l'y chercher. Toutefois, avant de
songer à cela, il fs^ut. terminer a^ecle
prince de Galles. Tu vas donc m'écrire une
lettre pour le roi de France , et dewaiil,
tu te mettras en route.
Bobert se promettoit bien de paitûr
dans la nuit même; mais tout ..pressé ,
qu'il fiit de prendre le chemin d^vParis^
de ce Paris vers lequel depuis $ix mois Sù
dirigeoient tous ses désirs / ,U. n'ea
écouta pas moins avec l'attention m plus
scrupuleuse toutes les instructions vei;«,
baies que Duguesclin crut devoir joindre
à la lettre qu'il lui dicta. Sa joie^sonamouri
ses espérances, tout céda dans ces der^^
niers moments à la tendresse que lui in^
spiroit ce héros, qui depuis plusieurs
mois lui tenoit lieu de père et qu'il alloit
quitter peut-être pour long-tempSé II ne
se lassoit pas de considérer cesjraits où
LE VOYICI. 33
rayonnoit tant de gloire , où si^eoit tant
de bonté, qu'on n'en Toyoit plus la lai*
deur. Il étoit surtout vivement ému de la
sollicitude que mettoitDuguesclin àluiin«
diqaer la route qu'il devoit suivre et les
ipoyens d'arriver sans dangers au lieu da
sa destina^on;. — ISe voyage pas la nuit^
lui dîsoit-il ; par la mort de Dieu ! il se*»
roijt un peu dur, quand on s'est tiré de la
k^^lN^^ Navarette, d'être assassiné dans
uv|ni#^u sur un grand chemin par une
domiâne de larronsdes compagniesblau*
ches.
«—Les pauvres compagnies sont restées
en Espagne y répondit Robert, qui né put
refuser un soupir au souvenir de ses corn^n
pagnons d'armes.
-<- Elles ne nous ont pas toutes suivis»
il s'en faut bien , reprit Bertrand ; et
Charles aura long-temps encore beaucoup
à Êûre avant d'en balayer son royaume.
Ils restèrent ainsi à causer ensemble j»
fort avant dans la nuit; enfin Duguesclin,
qui comptoit lui*méme se mettre en route
»r ••
êé ^iiïSmïAfiïi j toTigMta sèn jeuneécuyef ,•
^rpl^s îitî âTofe'îtotîi(Jité îe moyen- de cor*
/espoiidre' àVeë • hai 'jàsqu*ati ifiomenl où*
Ss'se rêtinîrcSèirt^de *o*Fwaii; Rèbeii?
miaîS' Du^esdià vivement éttm le prft?
dàlâs-^es<bfftS; et Fecnbiraissàntâ'plœieuMi
iièrpriâék ^ ^ Adleta y m^s^ fùs^j adieu ^ dit^
â^Mtié vok ^lérée.Un quart d^èieure pf$ÊI^
ItobeM citebin^^rapidement 1^^
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• Oui I j^nUqof je retrouva «n anî fi^àlf^^* ^. ^
Ma fortuoe ▼« prendre une face nouTelle,
L *.\ I .* > •
' Le oheval tjtie morltbît *le- jteùné ëbuyei*, * *
né^èn Andalousie et-tli'ghe âé sa' noble ^
patrie 9' ât d'abord près <ïe trènté'lleueiî^
ssÀis 8'arrêter> si cen'estie^tëmîisi^écés- '^
saira'^Ur niangerfavdînfe- MafH''Te<^'Hi'"
56 LK Kovice.
an du premier jour de marche, il com^
mença à ralentir le pas de telle manière
que Robert, craignant de le voir tomber
sous lui , vit bien qu'il falloit se décider à
<ionnér du repos au pauvre animal. Il
apercevoit un monastère à peu de dis-
tance ; il y dirigea ses pas, afin d'obtenir
riiospitalité pour une nuit
Le religieux qui vint le recevoir, dès
qu'on lui eut ouvert , portoit l'habit de
l'ordre de saint Benoît. Robert fut saisi
d'une vive émotion à la vue de cet habit^
à la vue de cette demeure, qui, sans être
k beaucoup près aussi spacieuse que l'àb*
baye de Saint-Paul^ étoit pourtant bâtie
.sur le même plan , àinC'qu'il étoit d'u<»
sage alors pour tous les couvents de bé-
fiédictins. Une foule de souvenirs assail*
lirent l'esprit du jeune voyageur au point
qu'il éprouva un moment d'illusion as«^
pénible ;. mais bientôt souriant à la peuf,
qu'il avoit eue d'être encore novice , il
«alua re^p^cUf eusement le religieux , qu'il
venoit d'eptendre nommer père Ânloine p
is Kovice. 9^
et se laissa * conduire par lui dans le lo*
gèment des hôtes , tandis qu'on prenoît
soin de son cheval. ^
Dom Antoine pouvoit avoir soixante
ans environ. Sa figure noble et sévère ne
porloit aucune exprêMion de bienveil-
lance, mais les traces que laissent de.
longues et profondes douleurs. Tout eh
marchant près de lui/Robert, qui le con-
sidéroit attentivement^ étottsurtout frappé
de l'empreinte d'amertume répandue sur
tota ces traits , qui jadis dévoient être
beaux. Il éprouvoit pour lui une sorte de
respect mêlé de terreur , qui Tempêchoit
d'oser lui adresser la parole comme il
Teût fait avec tout autre; et il attendoit
en silence que son imposant conducteur
daignât parler lui-même. Lorsqu'il fut
entré dans la chambre où Ton alloit lui
servir à souper: — Nous ne pouvons re-
cevoir les voyageurs aussi bien que plu-
sieurs de nous en auroîent le désir , dit
froidement dom Ambroise, non-seule-
ment parce que notre abbé est fort ma*
33 w JTpyicp^
iade depui? pl^sie|ur5 jj^wr^, ce qiiijf Uç dfi
, trouble .dans li>^^ïï^aî$pp,,| iruMs , ^çjçiçpiçp
parce que Je passage jde^ gçps dffir^)^
•vient dl'être 3l fréq[^^^^t ^q ce^ jcôti^ gue
nous.avoiji3 épuisé. toutes. ji^os rQs&ciucces.
Il nft nfuis j-PRf^^jj|||ig fift vjn par Py<»jjnp1p
— ?e vous avc^s pnis pour up, homme
4,e gi\e,rré^ dit ,1e religieux^ dpû^ ^Ç6 lèyce^
s*oùvrpient à peine, et d^ toxKÎ!une pe»r-
sonne qui ne prend -aucun intéréi àTenr
-.— Je n'^ai pas. toujours: été Upmme.de
guerre, reprit Robert en spuriairt; je suis
bien plus accoutumé au frugal^ repas
que vous avez fait aujourd'hui après
vêpres qu'à celui-ci, ajouta.-t-il en voyait
apporter un plat dô viande froide qu*iui
frère lai posa sur la table.
— J'ai cru qu'on ne vivoit ainsi^que
'VOUS le dite^ que dans un monastère , ré-
^ndit le père Antoine d'un air indifTérent.
r-r Aussi vivais-je dans un monajstere,
^UB sravKx. ,39
.reprit Robert ; et dç|)ui$ onze moi& seul^
menjbjiiiiop: père^ j'4lil quitté l'haut qu^
VOU3 portez.
Ces mots parurent enfin fixer l'atten-
tion du religieux. Pour la première fpis
il jeta un coup d'œil suit le jeune écuy.err,
et 4'un air qui annonçoit quelque sur-
prise : — Vous avez quitté notre habit?
,diMl; vous étiez, religieux? ,,
-T- Pas encore 9 mon père, mais j etois
Dpvica; Le père Antoine arrêta pendant
:«U»i instant surKpbert des yeux 01^ Y<^
4Hroit pu lire un léger sent^ent d^^;pi-
tijê^ si ce regard n'avoit été accompagi]^
.4'.UD. sourire plein d amertume et d'.iro-
niB^r^ Mangez,! dit-il en s'apprétantà
tf^v^îrtspn jeune ]iote;, prenez de^. force^.
Robert se rendit volontiers à cette ijat-
intation-y car la fatigue de la route lui
donnoit un appétit violent ;:maû:9ç tout en
dévorant le n><ûgrq poulet qui se trouvoit
ii^voint: lui.^.^«oB esprit ^oilt vivement
préoccupé de la. .présence du religieuiç,
^Ù 4e j teippsà. autre le regia^rdo^t d'un
4o t£ KOYICe.
air si étrange , que^ sa première faim ca!*
mée, il s'empressa de chercher à rendnér
la conversation.
— Vous me regardez^ mon père , dit-il^
et sans doute vous êtes surpris de vonr
lin homme qui a pu renoncer à la ' paix
du cloître . pour l'agitation du monde?
•^ Non , répondit dom Antoine d'une
voix qui sembloit n'être plus la sienne^
tant elle avoit de douceur ; non ! votre
âge m'explique tout : mais je m'étbnnois
de pouvoir, plaindre encore un de mes
semblables « je croyois que depuis lofl^
temps mon âme étoit fermée à la pitié. '
— Et vou^ me plaignez? dit Robert,
'surpris de l'espèce d'effroi que lui faisoit
éprouver pour son avenir le discours de
cet inconnu.
— Comme le vieux matelot , meurtri et
brisé par l'effet des tempêtes, plaint céul
qu*il voit se mettre' en mer. ^ - • ' -
— Et pourtant, dit Robert ',' il existe
des temps calmes et sereins; . i
— Peut-être , répondit i lé ^ retigirax
i
d'une voix sombre , peef-étre poar Yé*
goisie y pour Vhomine au cœur froid et
dur, qui voittrioiifipher Finjustice sans in«'
dignatiou ; que ne révoltent pas l'intrigue^
la fiEiussetéTla basses^ ; qui ne souffre ni
de Fabandon ni do l'ingratitude; parce
qu'il est assez heureux pour ne point
aimer et pour ne point servir ses sembla-
bles; Uniquement occupés de leur bien*
être, de pareils hommes se mettent à
l'abri des angoisses de Tâme; ce sont les
seutft qui m'aient paru vivre assez tran-
qujljes.' Mais l'être infortuné que la na-
ture a doué d'une imagination active,
d'un cœur brûlant, qu'il vive seul ! qu'il
vive seul! poursuivit dom Ambroise se
parlant à Un-méme: le bonheur pour lui
se réduit à l'absence de la peine. Qu'il se
garde* de le chercher, et surtout de le
placer dans les autres ; car chaque lieu
qu'il forme ici bas lui prépare une dou-
leur.
Le religieux se tut, et resta plongé dans
ses-réflexions, paroissant avoir complète-
a*
ment ai^^é.^|jJiA,^to|l«ft^#e{il}rIV9berli'j,
3* Yqus; riw&Hij^, été b^ureiw , mopk
pèr€i,.}ai: dit-U,d'uB^ aiji:^;V»çja)LQAl; toucha .
I«iÇ.ip6ligpç^u^Ares6aiU^t, maji$ ne répondit
T77 Bfoi-ni|ine , reprit .Robert en soUf.
piraut;, ' n^oi-tmêpie j'ai perdu en peu do
mois jle \neDt douces illu^ns ! le mond^
est,loiQ,4@ i]a'avpir offert les jouissances,
que j'en aJt^^.ndoi& ! de tant de désirs vaiaSy
de taqt 4'Q$jpérdnces tjrpnipées, une çeult
espérafiçe m'est restée. Puisse le ciejl ^
point l'anéaiitir! ^jouta-t-il en pensant i
Julienne,
— Une espérance ! dit dora Ambroise
en serrant la m^iin d.u jeune éc^yeJ?• J'ai
beaucoi^p esp^p^ s^x^ssu Pn^ p^eiian^^ ujoa,
de^. lampes qni br41?i?fl<iSurJi* Jai>le5 •H..
Votre lit est d^p^ I4 çbawbïeTpipingJ mfx^,
fils, continua-t-il d'un air tranquille, J4
vous laisse ï'C^r je^s^is un de ceuiL «wî
yeill(qnt cette nwji *iîpf es ^. notre,abJî&ç,
là'
LÉ NOVICE. ^3
■ • '* '
Tn achevant ces iriots le rcïîgieiïx sortit
.ans attendre une réponse.
Cet entretien avoit jeté dans Tâme de
lobert je ne sais quelle impression pé-
lible, que le sommeil profond dans le-
[uel le fit tomber la lassitude ne parvint
)as à dissiper. Le lendemain, s'étant levé *
ivec le jour, il demanda , avant de monter
i cheval, s'il ne pouvoit pas voir le père
V.ntoirie; mais on lui répondit que ce re-
igieux étoit encore près de l'abbé , qu'il
le pouvoit quitter. Robert fut donc obligé^
le) partir fort peiné de n'avoir point fait
ses adieux à celui que , selon toute appsfk
pence, il ne devoit plus revoir, et dont Iç
souvenir le préoccupoît tellement que
i'abord il laissa marcher son cheval au
petit pas , sans s*en apercevoir. — Il faut>
5ë ' disoit-it, plongé dans ses tristes ré-
Qè!kiôhs, il faut; que cet infortuné ait
cfûèll'emént souffert , pour avoir sacrifié
sa îïbcrté au seuï besoin du repos. Pour-
ijticJï'âonc sa voix mélancolique retentit-
eHc' ttmjours à xfton oreille, et semblé-
44, ^^ iroviçi^v^
t-elle me prédire le malheurJSi je ne trou* •
vois pas Julienne à Paris? sHje ne devois
plus la revoîr?£etle idée, que Robert.n'a-
Yoît jamais abordée sans frémit:, s'empara ;
de son esprit avec une si grandeforce, que,
rsaisi d'un mouvement; de terreur super-.,
LStitièuse, il sentit une sueur froide cou«
vrir son front; il jeti -ses regards trou- .
blés autour de lui, comme pour calmer .
son âme par le doux aspect de la nature,
•et il aperçut alors, à quelque distance, un -
voyageur qui détachoit son cheval d'un .
arbîre, s'apprêtant vraisemblablement à
continuer sa route.
: Dans ces temps désastreux, un homme , .
sur un grand chemin , n'osoit passer près .
d'un autre honnne sans se mettre en garde ^
contre lui. Robert s'affermit sur sa selle^
porta la main sur ses armes, et ,rdoânant .
* * *•
de 1 éperon, se mit à marcher au troJ:,>i
Mais à peine a-t-il fait quelques, pas., q^çt, .
îoiornant celui dont il veut observer, la fi* ,
gure : -r- George! George! s'écrie-t-il en.
sautant à terre et^en s'élcinçant dans les
LE voncB. 4S'
ï>ras du chasseur • est-ce toi ? est-ce bien
toi? Et il serroit Fami de ton en&nce.
— Oui! oui ! crioit Géof^ hors de lui« .
Daeme. Quelle joie! mon Dieu ! quelle joie!
— Tu venoîs donc me chercher à Bor* "
deauxy mon bon , mon excellent George?
-rr Vous veniez donc me trouver à Paris?
irous savez donc qu^elle est à Paris ?
Xes cieux ouverts n'auroient pas été
plus doux aux yeux de Robert, que ces
mots ne l'a voient été à son oreille. A Paris!
elle est à Paris! Ah , George! mon ami !
mon frère ! répétoit-il sans pouvoir s'arra-
cher des bras du chasseur. Moments de
joie pure! de joie parfaite! tout rapide»
que vous êtes , de combien de peines vous
payez.
~ Oui! oui! elle«st à Paris, où je Taî
laissée bien portante, il y a aujourd'hui ;
huit jours.
— -Huit jours! dit Robert. Avons-nous
dpnc encore huit jours de route? ...
■^rr ^^^ moins que cela ; et pourtant mon
cheval est bon, et je l'çii meqé bon train;
V.
-r- Non^ notiy dit Robert en souriant.
Je f écoute.
— Vous devez vous souvenir qu'il js
avoit un petit bois sur la gauche ? .
— Oui , dit le jeune écuyer ^ c'^t là que
s'est sauvé ce corps de réserve qui nous a
abandonnés comme tout le reste.
i— Je n'ai pas vu le corps de réserve y
mais seulement quelques pauvres fuyards^
morts ou blessés^ dont je ne me suis guère
occupé. J'ai tout de suite avisé un des chê-
nes verts les plus élevés et les plus tèoffu^
sur la lisière du bois, et après avoir âtta« -
ché mon cheval à quelque distance-, f ai .
grimpé sur cet arbre , et lue suis blotti. de-
dans, de manière à n'être point vu et à
découvrir tputei la plaine. ...
r^ IjB bois étoit trop éjbigné «de l'enr.
droit où nous nOus. battions alons, pour '
qu'il te fut; possible, de recontioltre pccf *
sonne ? dit Robert.
— Il est vrai , je ne pouvois distinguer;
les figures , mais je suivois des yeoas: tous
les panaches blancs qu^ j'apercevois sur
LE irovicÉ; 49
des chevaux noirs j et puis je pensois bien
c|ue vous ne vous éloigneriez pas du sei*
gneur Bertrand^ et jereconnôissoisia place
où il devoit être à la quantité d'hommes
<^ue je voyois tomber là.
— Pas mal imaginé, dit Robert. Eh
l)ien ?
— - Quelquefois la poussière éloit si
épaisse que je ne pouvois plus rien voir;
mais dès qu'elle se dissipoit un peu , je
retrpuvois quelques panaches blancs. 3'en
ai yii tomber plus d'un , et chacun de ceux
qui tomboient... George s'arrêta, ses lè-
vres pâlirent, et reprenant sa respirations
—Je ne vous souhaite pas de vous trouver
jamais grimpé sur un arbre dans une pa
reille circonslance, poursuivit-il, sans oser
descendre pour aller vous battre à côté de
ceux que Tonécharpe sous vos yeux, sans
pouvoir rendre quelques-uns des coups
qu'ils reçoivent ! Enfin la peur de vous
mettre au désespoir m'a donné le courage
de passer ce moment*là. J'espèr,e biea
IV 3
nex% poiut passer d'aussi rude dans ma
*^ Heureusement, ou plucèt nialfieii*
reusemeut , tûn suppEee ne pouToit ^tre
long, (lit Robert.
— Bien plus-long que jje ne Tavois cru
<J'abord, répondit George, à portée comme
je rétois de juger l'état des choses. Aussi
▼DUS YOyant tenir si long-temps contre
tout une armée, je me dîsois: c'est fini,
ils sont résolus à se faire tous tuer, et je
rfi'at retire que quand j'ai vu le mouve-
ment des* Attglais pour ^'ous enrveltopper;
je crioî» à tue-tête: Serrez! serrez ÎUfatb-
dra bien qu*il se rendent !
— Par saint Jacques! dît Rol^ert en
riant , je ne croyors pas que tu fusses a!U>
tant Fami du prince de Galles.
— J'étois 1 ami <fe tous cetn: qui tous
îaisserOTetit sur pied,.mor; qutmt! on ne
fait qu'assister à une bataille, et qu'on w»
: se bat pas soi>même*, aHcr, lès idées efaan*
•gent terrîbkrment. Le mouYenventrfes An-
-gfarsrèusttt) commeTtmsJesaYex, « qucJ*
Ivtes.fxnuvA^^ esprès^ grâce au ciel^ je iris
cesser le combat. Alors je me dis :jles(t
mQTïfOiJkil est prisanoier.; S'il via eoeere ,
je ne pui^ lui readr« uu pkis grand ser*-
vice que de sauver la dazae Julienne; s'il
ast mortf je dois encore sauver la dame
fulicime pour exécuter sa dernière va**
lonté , quilte à voir api^ès.
— Fort bien raisonné , mon bon Ge(w>
ge, dit Robert
. — Je descendis donc de mon arbre ^ je
remontai à cheval , et le lendemain à la
pointe divjouF j'entrois dans Burgos. La
nouvelle de notre désastre étoit déjà suc
dans toute la ville ; tout étoit en confa'**
sion au palais ^ la reine alloit partir dans
iwe heure po(w se sauver en Aragon.
Qui ne rentoontpoit cpib' des gens char'*^
gé& de^paquistBi^ qm ne songeoient qu'à
l^lepfuir kr pluls vite posâible, et ledésor-
4r^ éloiti si- grand^qtte j^e parvinsau petit
4ifipwteniecit. de là dame Julienne sans
<ffié^ per^onnec me demandât si j*étôis oa
PMI à» lar n|ai$oik Jer ht trouvai seale^
/
5a LE NOVICE.
pleurant y pleurant ^ que cela étoit un^
pitié.
— Pleurant! dît Robert. Savoit - elle
donc déjà la mort de sire Evrard ?
— Pas du tout. Elle savoit seuliement
qu'on la laissoit à Burgos ; jugez si elle a
été joyeuse quand elle a su qui j'étois^
quand elle a su que je venoîs la chercher.
Comme nous n'avions pas de temps à
perdre je ne me suis pas amusé à lui ap-
prendre la mort de son mari. J'ai "dit
simplement qu'il avoit obtenu pour elle
la protection de monseigneur Dugues*
clin auprès de la reine de France, et que
j'allois la conduire en toute diligence à
Paris. * '
— Je te jure , George , dit Robert en
souriant, que j'admire ton habileté. A ta
place ce point m'auroit fort embarrassé. \
' — Pourquoi donc? dit le chasseur; fé
plus pressé n'étoit-il pas d'échapper - à
l'armée anglaise que j*av6is sur- nies ta-
lons? Sire Evrard étoit mort; il n-itnpor-
toit guère que sa veuve le pleurât deux
LE irOVlCE. ' 53
jours plus tôt ou plus tard. Nous quitta*
mes Burgos dès le soir même; la dame
Julienne avoit repris ses habits d'homme.
— J'y pensois, dit Robert; il étoit bien
plus prudent de voyager ainsi.
— Nous prîmes le parti de côtoyer FA-
ragon et de ne point traverser la Navarre;
cela nous faisoit faire beaucoup plus de
chemin y mais par ce moyen nous étions
sûrs d éviter les Anglais , dont la dame Ju-
lienne avoit la plus grande peur. Il paroît
qu'elle craignoit des ennemis personnels,
dans Tarmée du prince de Galles.
. — Tu ne savois pas que sir Bertrand et
moi nous marchions alors avec cette
îrmée.
— Celui qui me Tauroit appris , dit
George , m'aui'oit tiré d'une i'ude peine !
::ar favoîs beau me répéter cetit fois dans
le jour que vous étiez prisonnier, de
odaudités idées venoient bien souvent me
traverser l'esprit ; mais je les repoussois
le toutes mes forces ; autrement je serois
parti comme une flèche pour retourner
56 us iroviCE.
Et pourquoi abréger? reprit Ro-
bert.
— Parce que depuis hier soir je n'aî
rien pris , et que je ne serai pas fâché de
manger un morceau.
— Achève donc , mon cher George.
— A partir de ce jour, nous avons mar-.
ché beaucoup pUis vite. Comme il étoik
convenu qu'aussitôt arrivés à Paris, je
prendrois des informations pour aller à
votre recherche ^ la dame Julienne ainroit;
voulu ne pas s'arrêter. Quand nous re-,
partions les matins^ elle étoit toujours!
la première à cheval ; je ne puis vrai-^
ment concevoir, comment une créature
si mince et si frêle a pu soutenir une
pareille fatigue. Nos chevaux seuls nous
forçoient de nous arrêter quelquefois
plusieurs jours de suite ; car vous sentez
bien que les pauvres bêtes en avoient
leur compte, et c'est tout ce qu'elles otit
pu faire que de nous traîner jusqu'aux
murs de Paris, où nous les avons laissées
BS KOYICX; Sj
en garde à un brave cabareticr , qui vend
du bien mauvais vin , par parenthèse.
— Que vous ayez dû vous trouver em-
barrassés tous deux y dans cette grande
ville, où vous ne connoissiez personne!
— ^Bah! je. ne m'embarrasse jamais, moi.
La. dame Julienne avoit emporté deBur-
gQs xm petit coffre que je voudroîs pos-
séder pour toute fortune. Avec de l'or^
on se, tire d'affaire à Paris comme ail-
leurs, et mieux qu'ailleurs; car j'avois
déj4 su, par le cabaretier, que nous
trouverions des auberges. Vous ne savez
peut-être pas ce que c'est qu'une au-
Bei^e ?
— Une maison où Ton reçoit des voya-
geurs pour de l'argent; j'en ai entendu
parler à mon père.
' — A la bonne heure, car vous n'en avez
pas vu plus que moi, ni en Espagne, ni
Sur la route.
; — Ni à lugelcour, dit Robert en sou-
riait.
— 'Oh! pour Ingelcour, répondit le
$8 le ifOTiCE
tiaasseur en riaitt atax éckt^ je x^oudrois
le voir à coté ée Baris , ih teroit une heiib
%isre. îPasse encore pour Tolàde -ou
Burgos, 4|tK)îque^.«
-i^Efififci Votisvcws étei logés daafi&rt»
aubei^e? interrompît Robeît.
— Attendez donc, attendez àùttà^ rte^
prît George, vôîlà le phis surprenant
Comme nous nous rendions à ttelle qtt\m
nous âi^it indiquée potir étrer lapins
ttrisine du palais du toi, dievînei tm çetr
qui nous avons rencontrée
— Une personne que tu conûoisisDîs'?
. — Oui, et que vouis connoissez aussu
<^ Justin Méridan.
*— Par saint Gilles ! s'écria le cba$seur
* -
dans la plus grande surprise ^ comment
avez-vous fait pour le nommer tout de
suite ?
— Parce que c'est le seul habitaiït de
Paris que nous connoissions.
— Vous avez raison, dit George. G'étoil
donc Justin Méridan lui-même.. Je crus
LE NoVicé. 5ô
que le petit homme ail dît tibiii ^ùtei'^atr
cott) tant ît éWît content de nous voir, et
^è*^ qu'il sut' ce qiû notré àmehoit dans
sa Tille, et que la dame Julienne lui euk
dit qui elleétoit, il ne vbùltil Jamais liou's
lai3^er ;sdler à l'auberge, et nous emn^ena
loger .(^hez. lui.
— :.Ce bon Méridan! dit Bobert, je l'aï
toujours aimé,
, — Il avoit, ma foi,, bien raison quand il
nouis disoit à Ingelcour qu'à Paris il étoit
• ■ ■ *
tout autre. Il ne s'agissoit plus de la
chape râpée et de ce vieux- surcot troué
ata; coudes; je ne crois pas que le roi
Charles ait une plus belle robe de camelot
noir que celle qu'il portoit, et je puis dire
que je n'avois pas fait depuis long-temps
•
un dîner comme celui qu'il nous donna.
Sa sœur, car il demeure avec sa sœur, la
dame Brigitte , qui est bien laide comme
doq cents diables réunis , qui parle de-
puis le matin jusqu'au soir et qui vous
eherche dispute à tout propos; mais, à
cela près, c'est la meilleure femme da
Ço liK IfOVICE.
monde. Elle a fort bien reçu la dame Ju-»
lienne; il est vrai que maître Méridan
nous a présentés comme de bous amift
qu'il lui amenoit^ en la priant de nous
soigner de son mieux.
— L'excellent homme! s'écria Robert ^
quel plaisir j'aurai à l'embrasser ! Et
sans doute, George , il a offert ses services
à Julienne pour la présenter à la reine?
— Oh ! voilà. C'est que maintenant la
dame Julienne ne se soucie plus du tout
d'aller à la cour, car le jour de mon départ
encore elle m'a dit qu'elle préféroit atten-
dre mon retour dans la maison de maître
Méridan , qui l'a pressée d'y rester aussi
long-temps qu'il lui plairoit.
— J'en suis ravi, ravi! s'écria Robert j^
là je pourrai la voir, lui parler libre-
ment!
— Une fois établis chez ce bon Justin,
reprit le chasseur, nous ayons bientôt
su des nouvelles de monseigneur Bei^«
trand, et dès que j'ai été guéri.,...
LE HOVICR 6i
— Tu as été malade^ interrdmî^it vive-
ment Robert.
— ^^Poup la première fois de ma vie,
répondit George , et bien mal à propos ,
comme vous voyez. Mais il faut croire
que je ne suis pas né pour avoir du cha-
grin. Sur la fin du voyagé je me sentois
tout extraordinaire, et à peine arrivé, il
s'est déclaré une maladie dont j'ai oublié
lé nom, qui m'a retenu six semaines au
litcomme un sot.
Le jeune écuyer arrêta son cheval un
moment.
.:~Au lit? répéta-t-il en pâlissant , et je
rignorois ! et je pouvois ne plus te revoir!
-.t^Oh ! mon Dieu oui , répondit George;
c'étoit fini sans l'habileté de ce grand
homme noir, le niédecîn du roi (i), que
Huutre Méridan a été chercher , et sur-
tout sans les soins de celle que vous devez
aimer encore davantage , sans les soins de
cet ange.
(i) Maître Gervais : il étoit grand astrologue.
6^ 3E# irOYIOii
. -7- De J^îeosip^ ! sléd^ia RoberiL
— Qui donc? répondit le cfaasseufTi
voudrois cjue^vVOus ^us&i^a pu la voir , jour'
et nuit auprès du pauvre George comme
y auroit été une 9œur , me soutenant la
tête , me donnant à boire ^ m'eogageant à
la patience; car Dieu sait si j'enrageoîs
dans les instant^ où je n'avsois pas le àè*
lire. Je voudrois que vous eussiez pu la
voir, quand....
— Je la vois! je la vois ! s'écria Robert;
croiS'-tu donc que je ne la vois pas?
— Le ciel la récompense à jamais ! r€-
prit le chasseur les yeux humides. Grâce
à elle enfin je me suis retrouvé sur mes
jambes. Dès que j'ai eu la force de mon-
ter à cheval je suis parti ^ et nue voilà.
Le cœur de Robert éCoit trop ptieiil
pour qu'il pÀt prononcer une paroie.
Tendant la main en silence, il serra long^
t^mps celle de Georgf ,.et cfuelqKiesJaPBMS
délicieuses coulèrent doucement de
yeux*
CHAPITRE IV.
Et ses yeux dont Tasur étoli juillant âeianufs^.
Modestes, ressembicient i ces modestes fleurs
Q«e 1^0g« d«s adibuft fit tmiuuê de ta pltutt ».
Qui proteg^m r«i>seic« et. sa D>^ancoliijB ,
Et dont le nom charmant défend que l'on ouLlie.
iteup tmx Ckic
Voila Parts, dit <ïeoli^ un matin;
Mttsse biaadi» ^e voas ^ojea làpr
ttt'tntliea ^ brauilbrcL
^ec ^eUë ^rïol€JAoe iMitit le cœur ér
64 l'S KOTICB.
Robert en entendant ces mots. Il alloit la
revoir ! elle étoit libre ! Trop d'amour,
trop de bonheur s'unissoit à ces idées,
pour que la joie qu'il éprouvoit ne fut
pas au-dessus des forces de l'homme.
Aussi lorsque , après avoir franchi la dis*
tance qui le séparoit de la ville , il vit le
chasseur s'arrêter à la porte d'une mai-
son d'assez jolie apparence, en lui annon»
çant qu'ils é toient enfin arrivés chez Justin
Méridan , son émotion étoit portée au
point qu'elle devenoit presque une souf-
france. Il respiroit à peine ; une pâleur
mortelle couvroit ses traits , et ses jambes
trembloient sous lui , quand il fut des-
cendu de cheval pour suivre George, dont
la voix retentissoit déjà dans l'escalier.
— Le voilà ! le voilà ! crioit le chasseur
à Méridan qui venoit d'ouvrir lui-même
la porte de son logis.
Le bon Justin , en apercevant Robert,
se jeta à son cou et le tint long-temps em
brassé, exprimant sa joie dans un lau'*
gage moitié français , moitié latia , ^ui
uw iroYici. 65
rappeloit à son jeune ami les premiers
temps de leur connoissance.
— • Venez , venez , dit-il en lui saisis-
sant le bras^ que je vous mène à ma
sœur* Vous allez être bien surpris de
trouver près d'elle un ancien ami
Quand je dis un ami nous allons voir
si vous le reconnoîtrez.
Tout en parlant ainsi, il Tentraînoit
vers la salle où Julienne travailloit près
de la dame Brigitte , occupée des plus
trlales pensées. Mais George l'avoit de-
vancéy annonçant à haute voix Tarrivée
de »on maître.
. —Est-ce lui , George? est-ce lui? dit Ju-
lienne en s'élançant au-devant du chas-
seur ; puis à la vue de Robert qui suivoit :
— ^Dieu de bonté ! s'écria-t-elle; et perdant
£usage de ses sens elle retomba sans mou-
vement sur sou siège.
— ïEh bien ! eh bien ! dit Méridan , la
voilà qui se trouve mal à présent ! et tous
I^ jours elle prioit les saints pour son
rejtour !
3*
66 L« NOVICE.
— C'est la fauté de ce garçon , dî| la
dame Brigitte d'un ton d'humeur, tout
en frappant dans la main de Julienne ^
sans pourtant cesser de fixer des regard)^
curieux et scrutateurs sur le jeune écuyer,
qui /hors de lui-même , ne pouvoit quel
répéter : Julienne ! Julienne ! pour tou-
jours ! pour toujours ! Dieu sait îavec quel
transport il se séroit précipité à ses pieds
si la vue des longs voiles noirs qui la côu-
vroient n'eût fait ce que n'auroit ptt
faire la présence de la dame Brigitte ^
de Méridan et de tout l'univers. Julienne
revint promptement à elle. Elle tendit kl
niaîn à George en regardant le jeune
écuyer, et ses grands yeux bleus se rem-
plirent de larmes; puis une légère rougeur
colora son charmant visage. — Pardon,
dit-elleense tournant vers ladame;Brig!tte
et son frère, mais je retrouve un ami que
je n'espérois plus revoir , le seul qui ait
échappé au fer des Anglais.
— Et le seul dont j'aie désiré le retour f
dit Méridan sans réfléchir que ceflè- âè*
i^aoft qui il parloit de la sorte portbit le
deiiil d'un chef de compagnie.
Julienne tressaillit et cacha sa tête dans
ses deux mains; une foule de sentiments
divers venoient l'assaillir à la fois. Elle se
leva, et souriant à travers ses pleurs:
— Nou^ nous reverrons, nous nous i^-
verrons aujourd'hui même , dit - elle en
s'adressant à Robert ; mais je suis foible,
j'ai beaucoup souffert et depuis long-
temps ; je sens que j'ai besoin d'être seule
quelques heures. En achevant ces mots
elle serra la main de Méridan , celle de
Brigitte, et elle sortit.
Robert la suivit des yeux jusqu'à ce
qu'elle fut hors de la salle. Rien , rien au
inonde ne pouvoit plus les séparer; ne
l'avoit-elle pas appelé son ami ! PéDétré
da respect que Ton doit à la mémoire de
ceux qui ne sont plus, il n'étoit point •
jaloux des larmes qu'elle donnoit à sire^
Evrard. Lui-même n'auroit osé parler de'
s6n amour à celle i^tiil portoit des habits
deteuve; mais entendre éêsaticents cba-
68 us iroviGE.
que jour, voir chaque jour ces beaux
yeux s'attacher sur hii , ce doux sourire
accueillir son approche, n'étoit-ce donc
pas assez de bonheur? Robert se Uvroit
près de George à ses joyeuses idées, tan-^
dis queMéridan parioitbas à sa sœur dans,
un coin de la salle.
— Je pensois au moyen de loger ici
noire jeune ami, disoit-il.
— I^ loger ici! répondit le dame Bri-
gitte; quelle inconvenance, mon frère!
Etes-vous donc aveugle ?
— Comment ! que voulez-vous dire?
— Ne voyez-vous pas que ces jeunes
gens s'aiment?
— Et pourquoi ne s'aimeroient-ils pas ?
je les aime bien, moi.
— J'entends qu'ils s'aiment d'amour,
reprit la dame Brigitte. Puis levant les
épaules d'un air de pitié : — Occupez-
Dûus de vos livres, mon frère, occupez-
-vous de vos livres- .
JVIéridan n'avoit jamais su répondre à
'^^tte phrase; elle lui sembloit renfermer
LE WOVICE. 69
en cinq mots Fénoncé de tous les motifs
sur lesquels se fondoit l'empire absolu
dont jouissoit la dame Brigitte eu tout ce
qui concernoit la maison.
— ^Fort bien 9 fort bien, dit-il; mais
qu'ils js'aiment d'amour ou d'amitié, cela
ne les empêche pas de dîner ensemble, .
et je vais au moins l'engager à manger ici
tous les jours.
. — Tous les jours! dit la dame Brigitte,
c'est beaucoup.
— Ma foi, tant pis! répondit Méridan,
qui, venant de céder sur un points croyoit
pouvoir s'entêter sur l'autre. Je me suis
assis pendant plus de trois mois à la table
de son père, c'est bien le moins aujour-
d'hui qu'il puisse s'asseoir a la mienne. £t
le bon Justin ayant fait son offre aussitôt,
elle fut acceptée, comme on pense bien,
avtc autant de joie que de reconnois^
sauce.
i — J'aurois voulu de grand cœur vous
loger ici, mon cher ami , poursuivit l'écri-
vain sans remarquer les signes que lui
^O LB iroviCB».
{smùit la dsnne Brigitte; maïs je œ m^^
quelles convenances des idées, qoe M"
fait ma sœur
^T II est aisé de sentir qu'une jeu»s
femme se trouvant logée dans la maâs^D,
la chose est impossible, se bâta de direbi
dame Brigitte d'un air fort spc^ péw
couper court à ce discours .
Robert, qui n'envioit rien tant alom
que les bonnes grâces de la vieille fitle,
répondit de l'air le plus gracieux , qu'il
seroit trop heureux de se soumettre aux
avis comme au!x volontés de dame Bri«
gitte^ son plus grand désir étant de
trouver une sœur dans la sœur de son
ami.
Très-flattée que la demande du jeune
homme n'eût pas dépassé la ligne frater^
nelle, la dame Brigitte sourit, au grand
étonnement de Méridan^ qui ne se scw
venoit plus de l'avoir vue sourire , et ré^
pondit avec la plus grande bienveillance
en engageant Robert à regarder leat
maison comme la sienne.
LE TTOTICe. -I
Dès le jour même, après s'être occupé
avec Gçorge du soin de se loger dans le
voisinage, le jeune écuyer vint donc se
placer à la même table que Julienne. Elle
étoit alors entièrement remise de sa pre*
mîère émotion, et voulant peut-être indi-
quer à Robert la conduite qu'elle dési-
roit qu'il tînt, elle se conduisit elle même
avec lui ainsi que Tauroit fait une sœur,'
loi tendant la main à son arrivée, l'appe-
lant -Robert et ne trouvant pas mauvais
qu'il l'appelât Julienne ; seulement , si le
joûneécuyer la regardoit trop long-temps,
son air devenoit sévère, ses yeux peî-
gnoient le mécontentement et se détour-
noient aussitôt.
Robert avoit trop l'habitude de la de-
viner pour se méprendre à ses désirs. —
Faisons ce qu'elle exige, se dit-il, renfer-
mons au fond de mon cœur ces mouve-
ments d'adoration qu'elle m'inspire. Ah ?
Qu'elle me sourie encore une fois, je ne
demande rien de plus. Et dès ce moment
il dissimula tant d'amour sous le dour
y a UE NOVICE.
sentiment de l'amitié, le seul qu'on lui
permît, le seul qu'on parût partager.
Dans la soirée, Méridaii se rendît à
l'hôtel Saint-Paul, afin d'obtenir une au*
dience du roi pour le jeune écuyer, qui
désiroit remplir dès le lendemain, s'ilétoit
possible , la mission dont l'avoit chargé
Duguesclin. La dame Brigitte étoit déjà
partie pour aller à 1 église , où elle passoit
une grande partie de sa vie , et George
ne tarda pas à sortir aussi, sous le pré-
texte d'aller s'occuper de l'établissement
de son maître et du sien. Robert et Ju-
lienne restèrent donc tous les deux seuls,
seuls! pour la première fois depuis le
Jour où ils s'étoient parlé près de la
tombe de dom Joseph. Avec quelle vio-
lence baltit le cœur de Robert, lorsqu'il -
entendit George refermer la porte! Il
craint de relever sa tête, il craint, s'il -
regarde Julienne, de ne pouvoir contenir
assez rindicil)le émqlion : qu'il. çprouyç ;
enfin il ose: ses yeux , pleins d'acùou.r .ot
de joie, se portent sur elle. La veuve ;rfô^ -
LE NOVICE. j3
sîre Evrard étoit calme, une pensée reli-
gieiise et pure bannissoit la rougeur de
son front. — Robert, dit-elle en le regar-
dant tristement y vous avez donc reçu
son dernier soupir? vous avez assisté à
ses derniers moments ?
Ces mots auroient éteint tout à coup
l'amour de Robert que le changement
qui se fît dans les sensations de son âme y
dans l'expression de ses traits n'auroit
paft été plus grand. — Oui , Julienne, re-
pondit le noble jeune homme, il a parlé
de .vous , de vous seule.
— L'infortuné! reprit-elle, comme il
m'aimoit ! et des pleurs coulèrent de ses
yeux.
— Voiis étiez sa femme, Julienne, il
vous a dû le plus grand bonheur dont un
mortel puisse jouir sur la terre ; cette pen-
sée doit adoucir vos regrets.
— J'étois sa femme; oui, Robert, et
souvent , bien souvent depuis sa mort je
mô jette à genoux , je prie le ciel , je le prie
IV. 4
-^j. LE NOVICE,
lui-même, pour qu'il me pardonne do n!a5
voir pu reconnoître assezdant d'amour.
. — Vous* pardonner ! s'éma: Robert, n»
ïaviez-vous pas suivi dans les camps ai tra-
vers mille dangers ? Ne vous ^unnettie^
vous pas à son moindre désir ? Lesanges^
Julienne, les anges ne sont pas plus in-
nocents que vous !
— Dieu sait que j'aurois donné ma via
pour sauver la sienne ! reprit-^elle ; vGmsH
même Rot^iert, ne l'aiïriezrVQua pas &e-r
çowruau: péril de vos jours?
— Au péril de mes jours, répondit le
jeiii^e écuyerjque le ciel me punisse si je
jnens. Julienne lui. tendit la main*. -^ Ce
que vous venez de dire me fait du bipo»^
Robert; Méridan ne sait qu^insultor à la
mémoire de vos malheureux compagnon;
Sd'arraes. Si je pense au pauvre Evriar^d^^ç
ine contraîns devant lui, et pourt^jat il IWC
seroit doux de pouvoir en parler..
. _ x\vec moij^avec moi,^répiondit-il.W
iJfnprimaiU ses lèvres sur çelt^ tQfûqi ^
dàère. MdriOoew répondra toujours à la
pensée dé JuHemae.
Julienne attacha- sur lui ses.grands yeux
remplis de^ larmes. Ge. regard étoît qm-
preînt de reconnoissance , de tendresse,
et pourtant il n'éleva* point dans l'ame de
Eobert les mouyemenits^tiimultueux d'un
délire^ passionné ;.il y porta ce bonheur
calme, ce bonheur ineffable donf satk^
doute on jouit dans le cie!. S'abandonnant
gour la pren^ière fois au charme d'un^
confiance sans réserve. Julienne ne lui
cacha rien des. tristes événements de sa
vie. Avec quelle joie apprit-il les odieux
motifs qui l'âvoient obligée à fuir son ma-
noir et à devenir l'épouse du comté! Car,
sans en avoir l'intention, Julienne àp-
j}liyoît sur ces motifs pour expliquer sa
conduite , et glissojt légèrement sur toute
autre cause. Une femme a-t-ellè jamais
feiifc eiif efndre à ceïili qu*élte aime, que sort
cœur ait êté^ sensible à unr autre amour ?
îîbn. lie passe s'efface si bieii alors que
Voubli dispense du mensonge.
y6 LE NOVICE.
Robert Técoutoit, palpitant de joie, de
bonheur; et il attendoit impatiemment^
peut-être, qu'elle arrivât dans son récit à
J'époque de leur première entrevue dans
le château d'Ingelcour, lorsque George et
Méridan rentrèrent. ■ ■■ ^ .
* Méridan apprit au jeune écuyer que le
roi le recevroit dès le lendemain après son
dîner*
— Il vous auroit même reçu ce soir,
ajouta-t-il , mais son médecin lui à or-
donné de se mettre au lit, parce qu'il vient
de lui trouver un peu de fièvre.
— Et s'il est encore malade demain ?
répondit Robert.
. — Oh! reprit Méridan, il est malheu-
reusement sujet à ces indispositions, mais
.chez lui la force d'esprit tient lieu de la
force du corps. Je suis bien sur qu'il ira
au conseil comme à l'ordinairg^ et qu'û
vous recevra , car il a grand désir de vous
yoir pour causer de votre patron, et des
affaires de Castille.
lE NOVICE. 77
— C'est qu'entre nous , mon cher Mé-
ridân , répondit Robert , je serois bien
fâché qu'on me renvoyât, ainsi que ma
lettre , au seigneur Bureau de la Rivière.
— Soyez tranquille , Charles fait ses af-
faires lui-même, surtout quand il s'agit de
Duguesclin. Vous viendrez me prendre
avant onze heures, car le roi dîne à dix.
— ^11 paroi t, maître Méridan, dit George,
que vous avez vos entrées libres à l'hôtel
Saint-Paul?
-.. J'y passe la plus grande partie de ma
vie , répondit l'écrivain , soit pour mettre
de l'ordre dans la bibliothèque, et pour
y .travailler, soit pour me rendre aux or-
dres du roi , qui me fait appeler presque.
tous les jours.
• — Comment diable a-t-il le loisir de s'oc-
cuper autant délivres , reprit George, ayan^
de si grandes affaires sur les bras ?
*— Son amour pour les lettres ne nuit
en rien aux intérêts de l'état, mon ami
George , soyez-en bien sûr, répliqua Mé-
^8. IJE JXOYICE^
rUlan , qui ne ppayoitl^iiaser passer en si-
lence la .plu$ Jé^re'^ttaq[ue contre soqt
Iiéro3. Bienheureux le^euple au.cQntrair.<r
qui vit souç un prince^aussiécLaii;^. Il su^*
£it, pour s'en convaincre, de cpmparpr la
France à ce qu'elle étoit naguère. Vous.
venez de traverser une partie^n royaume^
ajouta-t-il en 5e tournant vers.Robert, et
vous avez pu voir qu'on laboure mainte-
jiant cette terre que Charles a trouvée
en friche. Tout a repris une nouvelle lacer
l'abondance renaît, le commerce nfos-*
père, des manufacbireîs , s^élèvent , et 4a
justice se rend dans des villes reconqùiseis^^
surFétranger avec une rapidité qui tient
du miracle.'La plus stricte économie existe
dans les^nances, les subsides sont dim^"
nues, lesmonnoies rétablies sur l'ancien
pied, chaque jour, enfio^ vdit disparaître
uns calamité ou consolider un bien quL~
s'est fait la veille; et pour opérer tajntda--
prodiges ,^ il a ssûfà. de moins de trois ans
au grand homqcrç qni nQm^.gpuverQe.,
. Yousf ni'inspirej^ kâaujcoup.4e re^^^tr
TSE NOVICE. y g
et Aé vénération pour ce monarque, dit
Hobert , quand Fécrivain reprit haleine.
' — Quant à moi , reprit Méridan , je ne
lui compare aucun souverain. Charlema-
gne étôit tin prince distingue pour son
temps, j'en conviens, nrai^ je n'aime pas*
les' conquérants, ils sont trop occupés
au dehors pour n>3n affermir au dedans;
I/hoinme'mort, les institationis, le terri-
toîrey'tQut va au diable. La preuve , c'est
^e. Cbarlemagne a fondé des écoles de^
tous les côtés , et que six ceïits ans après^
lui DOS gentilshommes ne savent pas lire.
A propos de ceux qui ne savent pas lire ^^
continua l'écrivain en riant, et mon élève,
ce seigtieur anglais?... Eh !... commentrap-
. . ^Ia*1& -TTC
pelez-voiis ?, r >
, — Hugh Calverley , dit Robert.
— C'est cela. J'espère qu'il n'a pas été
tuè?
— Non vraiment, je l'ai laisse à Bor-
deblux, se portant à merveille.
— Bon homme, sur ma foi ; bon homme,
i^rit récrivaîn , quoiqu'il . fut ignorant
8o LE IfOVICE.
i
comme une carpe , ainsi que tous ses par
reîls. Au reste? je crois qu'il est le seul des
tard-venus que je pourrois reconnoître si
je le rencontrois aujourd'hui.
— N'en ayez-vous jamais revu aucun ?
demanda Kobert.
— Il est possible que j'en aie revu plu-
sieurs sans me remettre leur figure,
répondit l'écrivain; car il y avoit beau-
coup de Gascons parmi eux, et les Gas-
cons ne manquent pas maintenant à la
cour de France.
— Par quel hasard ? demanda Julienne
avec un air d'intérêt.
— Parce que depuis un mois, répondit
Mérîdan , les comtes d'4tf rnagnac , de
Comminges , d'Albret , de Périgord , et
presque tous les seigneurs et prélats de
Gascogne sont à Paris pour demander,
justice au roi, comme seigneur^suzerain.
— Justice ! et contre qui? dit de nou-
Teau Julienne.
Contre le prince de Galles, qui, pour,
LE NOVICE. 8l
payer les dépenses Je la guerre de Cas-
tiUe, veut lever un subside de vingt sous
par feu sur toute la province d'Aquî*
taine.
— Les Gascons veulent donc défendre
leurs franchises ? reprit encore Julienne
avec beaucoup de vivacité.
— Us le veulent si bien , répliqua Fé-
crivaiB , que si le roi se prononçoît , toute
la province peut-être secoueroit le joug
de l'Angleterre ; mais avant dé rallumer
la guerre avec les Anglais, Charles désire
sans doute se mettre en mesure d'en as*
surer le succès, et jusqu'ici il n'a promis
sa protection qu'en termes généraux qui
ne l'engagent à rien. Cependant les dé-
putés voient tous les jours le sire Bureau
de La Rivière , ce qui donne beaucoup à
penser.
— Que ne donneroîs-je pas , reprit Ju-
lienne, pour voir les Gascons rentrer sous
la domination de la France ! Le vœu de
toute sa vie seroit accompli , ajouta-t-elle
en regardant le jeune écuyer.
. -M» Et VOUS seriez ^«ouveaoL une'
fst ;griHMte «danie y répondÂt-41 d t»
triste.
— Vraiment, dit Mérîdan, s'adre
à JulienDej^ 4<Ml les yeux restoient:
cbés sur Rebert; :ch ^bieû ! qiire le i^
un an, et vou^ .serez Française , <et
pourj^ez partir.../
;--r- Jamais y dît-i^k aussitôt^ ja
Quiroîs-jô faire dans tua pays où p
ami ne i^'atteifed j? .
, Ce iB0t !di$sîpa à TnoBtaBi: le nuage
le front de Hobert -s'étoit ®bs(aii?i
Pieupe étant sdans fort avancée, o&
paraavec là douce idée de se rel^
leiulemaia.
CHAMTRE V.
O Dieu ! garde à jamais ce roi qu'un peuple'adore.
^ AMnps de ses'^Aiiomis Tes flèches et les dards ,
Qu'its.yiennQBtjdu Couchant, qu'il» yieniuat de Vaiurore ,.
Sur des coursiers ou sur des cliars.
YiCToa Hugo.
Ce jour &e levA radieux poutr Bobert.
A. peine fut'il §ur pied qu'il ■ ouvrit isa. fe-
nêtre, et re$pii:adéUc^useiQe8t:l!air ma-
^iiud de la ru^e bourbeuse qu'il iiabitoit,
1^ ];rouYaiit c^nt iSoispréférableiii l'air pur
84 l'B HOVICE.
de la plaine de Châlons , à Tair enibaumé
des orangers de la Castille. Tout dorrooit
encbre dans le quartier; mais il se plaî-
soit à contempler les maisons de Paris.—
Elle est à cent pas de moi ! se disoit-il. Je
ne passerai plus aucun jour sans la voir !
Et son cœur bondissoit de joie , et ses yeux
brilloient de bonheur. George étant alors
entré dan^ sa chambre , il lui sauta au
cou, le serra dans ses bras. — George!
s'écrioit-il , enfin , enfin , nous sommes
heureux!
George se mit à rire. Lui-même n'avoit
jamais été plus content. Qu'étoit-ce en
effet que son bonheur , sinon celui de
Robert? — Oui, oui, répondit-il, nous
sommes heureux, mais ce n'est pas sans
peine, et pourvu que votre diable de tête
ne travaille plus , que vous n'alliez pas
vous forger des chagrins sur un mot que
la chère créature ne dira pas à votre fan-
taisie 9 sur mille choses enfin.....
— Queî chagrin veux-tu que j'éprouve
maintenant? répondit l'heureux jeune
/
LE ^yicE^ 85
homme , quand je vais la voir tous les
jours, quand j'ai Tespoir de me faire ai*
mer d'elle?
•— Ouais ! dit le chasseur avec un rire
malicieux , vous avez l'espoir de vous faire
aimer! Gardez cela pour la dame Brigitte^
qui me chantoit hier je ne sais quoi sur le
deuil, sur le veuvage , et qui trouveroit
fbrt^mauvais qu'on vous aimât avant l'an-
Xïée révohie.
r— Elle a raison , George ; mais ce n'est
"Jwis la dame Brigitte que je crains.
• «*^ Elle est pourtant bien diablesse.
. .— C'est l'idée de déplaire à Julienne;
cfest l'idée d'offenser la mémoire de cet
infortuné ! Ah ! George , qu'il a dû regret-
ter la vie !
— Après tout , dit le chasseur^ c'étoit
un mauvais chien.
• — Paix , George , paix , dit Robert; ce
n'est pas à nous d'outrager sa Rendre,
(^râce au ciel, danà }e. temps où \$a pré-
#^C(e,^in'étp\t ;la plus odieuse, je n'ai ja-
mais fait un vœu contre lui; de même ^u*
jourd^hui> Fespectons k deirirâe<cet ange
qu'il a tant aimêi : *»
— Je le ferai, dit le. chasseur en ser-
rant la main du jeune écuyer, car vous
venez de parler comme un bon et bravé
garçon que vous êtes;
[Robert 4tant alors allé prendre Ménr
dan bien long-temps avant Theiire con^vç^
nue, et celui-ci ]ogeantà fort peu de di9r
tance de- la demeure royale,, tous deia
arrivèrent à l'hôtel Saint-Paul comnEie k
roi veiK)it seulemeai de se mettre à table.
— Tant mieux, tant mieux;,, ditMéridan,
je vous ferai voir en attendant la bibUo*
thèque; un autre jourt nous pourrons
parcourir les jardins quis'étendjentlelo^
des bords de Ik Sçiite y et qui rendent ce
séjour délicieux ; mais j§ suppose que vouf
préférez de; b^au(K:^up visker l^. biblio*
thèque. .
-r- Sans» dqut^ , ripraidifc Robert qal
n'avait pas» vu m li^e i ^puis» pth ^fawt
L'emvain s'emppes^ (te le* eoixlmrè^
Bon? sans l'avoir prévenu coDtre la su^^
prise qu« devoit lui causer l'amas de ri-
choses qu'il alloit lui faire contempler.
•t« Persuadez-vous , dîsoit-il en traversant
plusieurs graiides salles et de longs cor-
i^oi« , avec une telle rapidité qu'on eût
^Z qu'ii avôit des ailes , persuadez-vous-,
^ue saint Louis^ cet ami des lettres et dé
l^ëtude, ne possédoit que dix volumes^
%put le l^oi Jean r^'en a- laissé que vingt
^u plus, et vous allez juger die ce que
iDOiis^ devons à son successeurr. TSous y
if^oiei, continua-t-il en s'arret!ant à un^
grande porte devant laquelle Robert crut
qu'il- atioits'agenouitkr, tsintil laconsî*^
ArOft avec respect avs^nt dô. l'ouvrir;
mais il se contenta de se déco-uvrir lartélè
(9fl i6taM son chaperon dès- qu'il eut
passé' le seuil d^sd«?ct4:Kiire. ATàspectdlé
isr-eents volumes , au moins, rangés avec
0fète sup dte'tiibllettes d'ébène^ le jeune
"ébayeF' lut? en^ effet sat^i- cFtine sorte (Pà#>
«rpation>etiFeBl»qii>)k}Hes instants ifai^
88 LE irOYiCE.
mobile promenant des regards d^étôn*
nement et de satisfaction sur ces pré*
cieiix produits de l'esprit humain.
— Vous pouvez les toucher , vous pou*
vez les toucher, dit Méridan ravi de l'effet
que produisoit cette vue sur son jeune
ami. Voici d'abord le texte de tous les
ouvrages grecs et latins que nous pôssé^
dons. Tout cela a été acheté au poids de
l'or, sans pourtant être payé, ajouta le
petit homme en levant les yeux au ciel
comme en extase.
—Je n'aurois jamais cru qu'on pût voir
réunis un aussi grand nombre de manus*
crits , dit Robert , et il en feuilletoit plu—
sieurs avec un sentiment qui^tenoit du^
respect; je croyois la bibliothèque d^
Saint-Paul.^... z
— Aucune , aucune ne peut se compareicr
à la nôtre , interrompit l'écrivain , et vou9
êtes digne d'apprendre un des premiers ^
mon cherami, le noble projetdu roii II y^xxX
que tousses sujetspuissent jouii^commelui
4'an pareil trésor ; qu'il soit permis à tout
LE NOVICE. 89
ami des lettres de lire, de copier ces
volumes. On prépare maintenant une des
toiirs du Louvre pour y transporter nos
livres. L'entrée en sera permise à chacun.
Charles a donné Tordre de suspendre à
la voûte trente chandeliers et une lampe
d'argent afin que l'on puisse y venir tra-
vailler à toute heure (i) Une émotion
si vive saisit le petit homme qu'il s'ar-
rêta et se hâta de détourner ses yeux ,
dans l'espoir de cacher qu'ils devenoient
humides.
Mais ce n'étoit pas à notre héros que
p6ovx)it sembler ridicule aucun mouve-
ment d'exaltation , surtout lorsque ce
mduveinent naissoit d'un noble principe ;
aussi Robert s'écria-t-il aussitôt avec un
grand enthousiasme v — Votre roi ne f ît-
(1) Ce projet fut en effet exécuté peu de temps
après. Cette bibliothèque, la première bibliolliè-
que publique que l'on connoîsse. se composoii de
neuf cent dix volumes en 1 37?., ain?î que le prouve
l'inventaire rédigé alors.
90 I^K If Q VICE,
il jamais que cela pour $oq peuple , sofe-
nom doit rester cher aux Français ! ,
Méridan serra lai;aain de sop jeupir
ami 9 puis ^'avançant vers d'au,ti:^ tiabl^tr
tes : —Voici maintenant les tradjicitipiis^
continua-t-il en ouvrant plusieurs yol^'^ .
n^es admirablement copiée et doqt}|$i plf^»
part étoient ornés de^ vignettes^ où l!or
solidement appUqgiiâ $e ipê|pit auy cou-
leurs les plus riches et les plus ywées.
Puis faisant qu.elques p^s, nous ayon^
placé ici les poèmes et généralement tow
les ouvrages qcrits en ver$. Vous voyez
que le nombre en est considérable. ;rt
chaque jour les auteurs en dédient de
nouveaux à notre rOi, ou à nos pirinees^
qui les paient très-magnifiquement. Mais
notre pauvre poésie est encore datis Yeu^
fance ; nos auteurs en ce genre sont vrsu-
ment illisibles et je donnerois tout ce fa-
tras pour un vers d'Ovide. Cette partie >
ajouta-t-il en allant plus loin, renferme
les chroniques et les autres matériau:^;,
pour rhistoire.
^ Ah! s'écHa Robert, s^âfrêtant à cet
endroit, si mon bon oncle Annbroise pou-
^oit puiser dans un pareil trésor ! il se
ccoiroit aussi riche que le roi lui-même*
— Nous avons bien soqvent causé en-
semble sur ce sujet , répondit Méridan en
hurlant, et je n'ai point oublié la pro-
messe que je lui ai faite de lui envoyer
quelques extraits intéressants; mais le
temps m'a toujours manqué* Ah ! le temps,.
le temps ! mon cher Robert ; si tant de
gens qui le perdent pouvoient en donner
i^ ceux qui travaillent , quel profit ce se-
roit pour les lumières !
Robert, en souvenir de son oncle, ou-
vrit plusieurs de ces annales , qui , bien
qu'écrites avec une sécheresse insipide,
étoient pourtant les seuls monuments
i|ui pussent transmettre les faits histori-
ques à la postérité.
' *— Et tout ceci ? demanda Robert en
arrêtant l'écrivain qui passoit en silence
et rapidement devant les dernières ta-
ga UE NOVICE.
blettes, quoiqu'elles fussent chargées de
volumes richement couverts. .
-T— Ceci, répondit Méridan en baissant
la voix, et comme un homme que cette
question avoit contrarié, ceci ne traite
que de Fastrologie judiciaire.
— Quoi ! tant d'ouvrages pour une pa-^
raille sottise! s'écria Robert.
— Paix, paix, reprit Técrivain d'un air
mystérieux , ne parlez pas ainsi chez le
roi.
— Ce peut-il qu'il ait cette supersti*
tion? dit le jeune écuyer d'un ton plus
bas aussi.
— Tout grand homme qu'on soit, ré-
pondit Méridan, il paroît que l'on doit
payer un tribut quelconque à son siècle.
Charles est plein de vénération pour cette
science ; non-seulement il est entouré
d'astrologues , mais il a fait copier ou tra-
duire tous les ouvrages qui ont rapport
à l'aslrologie.
. — - Et vous , maître Méridan , dit Ro-
XE HOVICE. g3
bert f ai«je aussi par mes paroles indis-
crètes blessé votre croyance ?
Le petit homme leva les épaules en
riant, puis mettant son doigt sur sa bou-
che ,' il prit le bras du jeune écuyer , et
sortit de la salle avec lui.
Ils retournèrent dans la première cham*
bre, où se tenoieot les sergents, les bé«
raitts d'armes {gj^s gardesde service.Après
avoir traversé deux grandes pièces ornées
de superbes tapisseries^ et dans lesquelles
un grand nombre de gens de cour étoient
assis ou se promenoient de long en large,
ils entrèrent dans celle où se trouvoit lé
roi , qui venoit de quitter la table. Cette
troisième pièce , appelée la chambre de
Charlenuigne , étoit plus grande et plus
olrnéa que les deux premières. Les murs
étoient couverts d'une étoffe bleu foncé y
semée de fleurs de lis d'or et d'autres or-
nements. Les peintures des vitraux, d'une
beauté remarquable, représentoient une
réception solennelle d$s chevaliers de
llordre du Nœud , institué par Louis d'An-
j^4 XS KOTIGB.
•jou /roi de Sicile. Un rîcïie tapis couTfoft
le plancher. Au fond delà salie, «ouftim
idais magnifique , on Toyoît brillei* le
«iége royal ^ et de chaque côté des lâm<-
hris étoit placé un double rang d'çscft-
belles sur lesquelles les princes du MÊùgy
les pairs de France et les plus hauts di-
gnitaires s'assey oient , lorsque le roi leur
en donnoit la perroissîott^JEl^ert qui, k
i'exempledeaon compagnon, s'é toit rangé
près de la porte , derrière plusieurs sei*^
gneurs , remarqua à peine la riohesse du
Ueu dans lequel il se trouvoit introduit.
Toute son attention étoit concentrée sur
le roi j que ses regards avoient cherché
aussitôt pour ne plus s'en détourner*
Charles étoit debout au milieu d'un Ger<«
ele que formoient autour de lui les grande
de sa cour, les ambassadeurs des souve-»
rains, les étrangers de marque et qpod*
ques savants qu'il aimoit à approdher ^
sa personne. Il causoit a^;ec TambaMN
deur de Portugal ,à part et d'une ^mt
si basse ^ qu'à la distance rei^cltieuse oà
LE ilOVICE. 96.;
l'on se tenoit d'eux, il étoit impossible de
les entendre* Tant que dura cette con-
versation , Robert put considérer à loisir
le prince destiné à conserver dans l'bis*
toire le nom dé Sage^ que lui donnoient
déjà ses sujets. Charles étoit d'une taille
liaute et bien proportionnée ; son visage
un peu long et Irès-pâle étoit d'un beau
tour , et tous ses traits portoient l'em-
preinte de l'intelligence et de la bonté. De
ses yeux bruns et bien fendus, il partoit
des regards perçants ; son front étoit
large, ses sourcils biea arqués, son nez
long , sa bouche assez grande , et ses che-
.veux châtains. Sa contenance étoit noble
et posée, son air grave et réfléchi, et sa
vue comraandoit le respect aux grands
comme aux petits.
Ce ne fut donc pas sans émotion que
Robert le vit, quand il eut quitté l'am-
bassadeur, jeter un coup-d'œil sur Justin
Méridan , et s'approcher de ce côté. •=— • Je
Tais vous présenter, dit aussitôt l'écrivain
à son jeune ami ; et comme il achevoit tes .
5
96 LE NOVICE.
mpts, lé roî, qui se troiivoitalorsprèsd'cux,
prit la parole le premier pour demander
si ce jeune homme étoit Téouyer de Du*
guesçlin. Méridan ayant répondu que oui^
Robert prit la lettre de Bertrand et la
présenta respectueusement au prince, qm
se retira pour la lire dans Tembrasure '
d'une fenêtre, après avoir fait signe au
jeune écuyer de le suivre.
i — Ainsi, dit le roi, quand sa lecture,
fut finie, et qu'il eut serré avec soin la
lettre dans son autnômère , ainsi , vous
l'avez laissé partant pour la Bretagne ?
— Oui, sire, répondit Robert en s'ef-
forçant de vaincre le trouble que lui îns-
piroît im tête-à-lête aussi imposant. Il
doit y être arrivé maintenant.
— Sa santé li^qvoit point souffert d'une
si ennuyeuse captivité? ,
— Beaucoup moins quoje ne; le crai-
gnois.
> — Vous ne l'avez point quitté pendant '
tout ce temps?
LE IfOViCE. gy
— .Non, sire, tous ses compagnons
étant retournés en France.....
— Et peut-être, dit le roi, n'aviez-vous
point les moyens d'acquitter votre ran-
çon? Les Anglais font payer fort cher. '
Charles pensa peut-être alors au traité de
Bretigni; car le sourire dont il accompa-
gna ces motsavoit qiielque chose d'amer,
qui n'échappa point au jeune écuyer.
— J'étois libre, sire , avant d'entrer en
Aquitaine, répondit simplement Robert.
•— Et vous êtes resté près de Bertrand
par affection pour lui ? reprit Charles d'un
air sérieux et approbateur.
Robert s'inclina.
— Je conçois bien qu'on aime Ber-
trand, continua le roi; car, moi qui vous
parle, je l'aime aussi de tout mon cœur,
et j'espère bien lui en donner des preu-
ves; oui., j'espère l'élever si haut que,
sans acquitter les dettes de la France en-
vers lui, ce qui est impossible, je ferai du
moins connoître que je ne suis pas ingrat ;
car de tous les défauts qiie peut avoir un.
IV. 5
C)8 LE KOVICE,
monarque, l'oubli des services est le plus
grand. Quant à l'argent de sa rançon , que
notre ami ne s'en mette pas en peine. Je
vais m'occuper des moyens de l'envoyer
au prince de Galles, et j'espère terminer
cette affaire aussi vite que Bertrand ter*
mine les miennes.
Robert, regardant C6s derniers mots
comme la fin de Veirtretien dont ïe roî.
rhonoroit, se disposôît à s'éloigner après
a\"oir fait un profond salut : mars le roi re**
prenant : — Vous avez sans doute été bien
traités à la cour d'Aquitaine? dît-il| le .
prince de Galles s'est toujours montré en*
nemi généreux, surtout après lavi<?toîrè.
— Sous le rapport des égards, des mar-
ques d'estime, répondit Robert, monsei-
gneur Bertrand n'a jamais eu qu'à se louer ■
do son séjour à Bordeaux.
— Alliez -vous quelquefois chez le
prince? demanda Charles d'un air indif- ,
férent.
i— Sa: cour doit être fort: nombreme ?
continua-t-il de même.
— On y voyoit sans cesse beaetoup de
^seigneurs anglais j répliqua Kob^srt.
^.^£t les grands du pays ^ ajouta le roi
sans aacun accent interrogatif.
— Je n'en ai jamais rencontré un seul
chez le prince, dit le jeune écuyer, sa-
chant Incn, d'après ce qu'il avoit appris
de Méridan, que cette réponse, qui étoit
l'exacte Térité, ne seroit point dé$agréd!>Ie
au r(H.
— C'est fort extraordinaire^ dit Charles
•d'un ton très-simple, et qui n'annonçoît
•en aucune manière qu'il prit le moindre
ixttérêt à oes détails. Puis changeant de
discours aussitôt, il paria de l'Espagne^
^efitenri. Ce pi^kiceest fort aimé des iCas-
4îUaiis-? 'demonda-t^il.
«^ Oui, sire 9 réporndit B:ei>ert , aiUaiivt
tpiie '$oA frère en estC <létesté.
.I^amour d'i» pie «i pie est une grande
faffee^ ^néierabk à toiates^les anné«^ re^
plrit> U) ROI ; . et peut-être .tivaat pea:l}raiis«
aoo LE irovicE.
tamare en fournira- 1- il une nouvelle
preuve.
* — Quand Duguesclin Faura rejoint,
sire, domPèdre aura régné,
— Et le malheureux ira rendre compte
de sa mission ici-bas, dit le roi d'une voix
profondément émue. Un criminel ordi-
naire peut espérer dans la miséricorde di-
vine; mais un roi contre qui les gémîsse-
luens et les larmes de tout un peuple ont
déposé! quelle horreur , ô mon Dieu! doit
accompagner ses derniers instantslCharles
ne put prononcer ces mots sans éprouver
un frémissement intérieur qui redoubla
la pâleur de son visage. — Quant à toi, di-
gne prince , ta mort sera douce , se dit
tout bas Robert, qui le considéroit avec
la plus tendre émotion, quand il reprit
la parole. Le ciel , j'espère, permettra que
ce pauvre peuple jouisse d'une plus heu-
reuse destinée sous Henri. Je viens d'ap-
prendre d'une manière certaine que ce
prince vient de rentrer en Castille avec
im parti considérable de mécontents qui*
LB KO VICE. 10 r
Tont rejoint, et que la plus grande partie
de la noblesse s'est déclarée une seconde
fois contre dom Pèdre. Alors il fît plu-
sieurs questions sur la manière dont Henri
avoit traité les Français, sur le sort des
grandes compagnies, qui, dit-il en sou-
pirant, ont bien maltraité mon pauvre
peuple! Enfin dans tout cet entrelien qui
dura plus d'une demi- heure, Robert ne
cessa d'admirer la sagesse, la prudence el
la bonté du meilleur des rois; près de lui
la timidité la plus grande auroit dispara
tant il avoit l'air affable et bienveillant;
il s'exprimoit en termes choisis, sa voix
all'oit au cœur, elle étoit fort sonore et
xontrastoît avec l'aspect débile qui inlé-
ressoit si vivement en lui.
Au moment de congédier le jeune
écuyer,illui dit d'un air gracieux -.—Vous
avez ^un trop bon patron pour que je
vous offre de vous être utile. Bertrand me
mande d ailleurs que vous êtes bourgui-
gnon ; et peut • être n'avez- vous compté
faire avec lui que la campagne d'Espagne?
ïOa I-E NOVICE.:
— Bien n'est encore décidé sur mon
avenir , sire , répondit Robert plein de
reconif^issance .
T- Je^sais que vous êtes un savant , re-
prit Charles en souriant , et mon frère
de l^ourgogne ne cédera pas volontiers
les droits qu'il a pour vous conservera
j^ cour; mais je n'en veux pas! moins
vous dire que, soit que vous continuiez à
suivre la carrière des àwnOs, soit que
vous désiriez vous livrer entièrement i
Tétude, vous pouvez compter sur l'appui
et la protection du roi de France. £s
achevant ces xnpts le n>i se rapprocha
^fun groupe de courtisan3; Robert rcjoi»
gnit Justin Méridan , et sortit de l'hôtd
Saint-Paul , en adressant des vœux au
cielpour les jours de Charles -lc«^Sage.
CHAPITRE VIL
Vamour n'etotl pMl^hi-^mtit qfK>iiu*un peu sérèrt.
Il avoil son sourire , soa regard , son mys ère,
* - • Docis.
.1 -M
'> flM£iiT ne ^ârda piStô à se voir établi
''cbez'la bdn •Méridiiti comme renfismt de
k màifton. La dame Brigitte elle-même ,
-'Cachée iées ftoins qu'il prenoit pour lui
-fkûra^ âdoucissoit, en lui parkul^ celte
M KOVfCE.
• étoit alors, il entendît Jiistin Mérîdan dis-
serter sur airîstote, George }>àrler dedbm
Ambroise ow dé la CastUle, la (ïawië'Bri-
gîtte se disputer sur le preiyiîer^ mot qui
lui déjilaisoit, it éE6ît conte«t :- car 4e
temps en temps la toîx de Julienne» se
^raêloit aux autres vgii. 'Bien rà^èfnettt il
ht regatxloit sans Téncontrer ses grands
- yeux bleus- fixés sur lui; ét^lè charme île
'celte situation [Vrè toit du. charnu k tout^
^au point que Méridan létrôuvôit toujours
- pré* à soutenir dés discussion^ , à ttopîéi* ,
à prendre pour lui dé» notés , etci, toutes
* f * * r " f
choses qui lé réhdoierit isi citer' a?âi bon
écrivaîri, cjue ceiîHTCîTàiipoît preâqUè awssi
tendrement' que ées livres, ' ^ ^ '
lies jours ,^îes'sertiainés 's^èoiiVèié^t
96ttceïrrent' ainsi, pendant^ le^uèls Tk-
^ îitoiir dèRobert iseseroit accrdVsfil^avéit
' ]f)iî sWtoîtïte. Tttftt ^rêVek^ de^isôfe îttià-
■ gînàtîoii ' s*ét6ieifit dfesîpés de^uf^- tih« 'a» !
îdftenne seule et WaBsbit riô;> Sk boélfé^
' Isa dôucdur J' -soil esprit,* tttW la ^rèiàâifet
' seâiBhfblé àox anges dont e)le>t^it la
LE KOVICI. 107
beauté. Déjà depuis quatre mois Robert
étoit à Paris , sans qu'il eût prononcé le
nom cVamour devant Julienne, si ce n'est
iorsquil lisoit le soir quelques fabliaux /
tandis qu'elle et Brigitte s'occupoient de
différents ouvrages d'aiguille. Ces lectures
£siisoieut les délices de la vieille fille , qui
se pasionnoit pour tel ou tel beau damoi*
àél. Bien loin de là ^ Méridan alloit babi*
tuellement travailler dans sa cbambFC, dès
qull les voyoit eommeiu^er; autrement il
toQdboit dans luisoouneil profond, dont il
ne^ sortoit que pour répéter en bâillant :
Quelles fadaises! quel style privé d'har-
monie ! Qh les Latins ! les Latins ! '
— 3'aime pourtant assez ^ maître Méri*
dan , répondit George un soir ^ cet écwyer
qui va f ai re déterrer son pauvre maître pou r
s'assurer s'il est bien mort, et. qui n'ose
y regarder lui-même. A mour avis y c'est la
plus belle histoire que Robert nous ait en-
core lue..
— HoxLy non , dit la dame Brigitte^ la
plus belle, sans conlredit, est celle d'à-
Io8 LE NOVICE.
Tant-hier, où tous ces chevaliers se pour-
fendoient pour la même dame. Parlez-
moi de ce temps-là! au moins étoit-ce
' la peine d'être femme alors, quand on sa-
voit que tous les jours deux ou trois hom-
mes seroient tués pour vous.
— Halte là! halte là! dame Brigitte,
reprit George ; si les choses s'étoient pas-
sées de la sorte, le monde auroit été dé-
peuplé.
— Me prenez-vous pour une sotte? dit
la vieille fille avec humeur. On sent bien
qu'il en restoit quelques-uns; il suffît que
beaucoup périssoient.
— Mais, chère dame, répliqua Julienne,
ne pouvant retenir un sourire, que voyez-
vous donc là d'heureux pour celles qui
nous ont devancées? à leur place j'aurois
été fort à plaindre.
— Vous préférez peut^-être Faraour
transi des jeunes gens de nos jours? re-
prit la vieille fille; grâce au ciel! je ne le
conlîois que par ouï-dire, mais.....
— Mais vous pensez que l'on n'aime
LB IfOVICE. 109
plus sa dame ? interrompît Robert. Ne le
croyez pas , Julienne , ajouta-t-il , et il fixa
sur l'aimable créature un regard dont
pour cette fois il lui fut impossible de
modérer l'expression.
— Âh ! ah ! dit Méridan en riant, vous
voulez gagner l'appui de notre jeune tard-
venu.
Le trouble de Julienne éloit déjà bien
grand; ce mot , qui remuoit tant de sou-
venirs divers, le porta au comble : elle
rougit prodigieusement, prit un air sé-
vère, et ne répondit point.
Robert, tremblant de l'avoir offensée,
avoit baissé la tête, et ne jetoitplns les
yeux sur elle qu'à la dérobée : tandis que
la dame Brigitte développoit longuement
sa pensée ; que George se disoit tout bas ,
— Je crois qu'il auroit mieux fait de se
taire; et que Méridan songeoit" déjà à
toute autre chose.
La poitrine de la vieille fille l'ayant
obligée à suspendre un discours que per-
sonne n'écoutoit et qui duroit depuis un
ÏIO LE NOVTCK.
quart dlieiii^, Julienne en profila aussi*
lot: — Ne voulez- vous plus lire, Robert?
ilit^Ue d'un air doux et amical au jeune
écuyer.
—.Je veux tout ce que vous voulea,
répondit-il sans quitter sa position.
— Eh bien ! levez donc la tête, et re*
gardez-nous en face: car tel est mon
désir, reprit-elle en souriant.
Dieu sait si Robert sourit aussi ! s'il se
remit à lire aussitôt , en bénissant mille
fois son heureuse imprudence ! car îi
venoit de parler de son amour , et cet
amour n'excitoit point de colère.
— Éncoretlèux mois , disoit-îl à George
le lendemain de cette scène, encore deux
mois, et ces voiles noirs ne la couvrir(Mit
— Et vous serez peut*êire moins heu*
roux qu'aùlourd'hui^ ré|>ondit le chaiK
seur.
^ CirotsHtA dt]fntv (^'elle reCuM, tTétfB
ma femme^
-T- Won-, ge M«î le woks iWft^L/iôiîa^».
LE irovicE. m.
oujours entendu dire au frère Hilaire,
{O^on appeloit le philosophe à Saint-Paul,
jue, lorsqu'on se trouvoit bien, tout chan«
cément étoit à craindre; que l'homme.
gnoroit souvent
— Au diable ta philosophie! dit Robert;
e voudrois qu'on te laissât devant un
lacon de bon vin sans que tu pusses ea
►oire.
— Mauvaise comparaison, reprit le
liasseur , puisque je souffrirois le mar-
yre, tandis que je n'ai pas vu un mari
[ui ne regrettât le temps où il faisoit la
our à sa femme.
A— Aucua n'avoit épousé Julienne , s'é-
rria Robert.
— Non, mais d'autres.
— Ah ! d'autres ! je ie crois bien , répon-
Ut le jexme écuyer en prenaat son man-
teau pour courir chez Justin Méridaa*
— U faut convenir , pensa George en le
regardant aller, que l'amour est une ter-
rible chose, quand il s'empare d'iine pa-
reille tête. Parlez-lui maintenant de Ber^
lia LE iroviCE.
trand, du roi de Castille, de fortuné, de
renommée; bast ! il ne vous écoutéroit.
seulement pas! C'étoit! ma foi, bien la'
peine de quitter le cloître, pour venir
passer sa vie dans la rue des Écrivains^
avec Justin Méridan et la dame Brigitte !
Tout en réfléchissant ainsi , George cei-
gnit son petit coutelas , sans lequel il ne
marchoit jamais , et prit lui-même le
chemin de cette rue.
Il est certain que Robert ne songeoît
guère qu'il y eût encore dans le monde
des armées , des cours, un Henri de Trans-
tamare ; ou, s'il y pensoit quelquefois, c'é-
toit avec la crainte de recevoir un mes-
sage de Duguesclin, qui l'obligeroit à
quitter Paris, puisqu'il avoit promis à ce
grand capitaine d'aller le joindre sur sa
première demande. Mais bientôt on ap-
prit à l'hôtel Saint-Paul des nouvelles de
Bertrand par plusieurs Bretons. On sut
que, après avoir rassemblé tout l'or de sa
rançon, il l'avoi t distribué à de pauvres
chevaliers, qu'il avoit rencontrés en route
^
LE NOVICE, Il3
allant chercher la leur , sans beaucoup
d'espoir de se la procurer. Bertrand étoit
donc retourné les mains vides à Bordeaux,
où il attendoit, le cœur content, mais
avec impatience, l'efiet des promesses du
roi de France. Cependant Charles jus-
qu'alors avoit fait de vains efforts pour
prendre dans ses coffres une aussi forte
somme(i). Robert, qui s'occupoit de cette
affaire avec autant de zèle que d'activité ,
jugeoit bien qu'elle n'étoit point prête à
se terminer. Il se trouvoit donc obligé de
rester à Paris, n'en eût-il pas eu l'ardent
désir.
(i) Il fut enfin obligé de la lever sur le corps
des marchands de Paris.
5*
CHAPITRE yn.
G^'urage donc , en Tair je vois ta nue ,
'Qui ça et làVescarte et diminue'
Pour faire place au. beau temps qui approcI|e.
Mabot.
Le printemps venoit de renaître. L'an-
niversaire de la bataille de Navarette ar*
rîvoit dans peu de jours , lorsqu'ijn matin
Robert se rendit chez Justin beaucoup
plus tôt que de coutume. Les soins du mér
.IXWXVICB* Il5
nage vetèneient ja<daai« Btigitte dans la
. maison, et JuittûiûrTXMiilaaKt rjouir des pre-
>ttiers rayons d'uii' brillant soleil y venoit
* de passer dans le petit jardin qui joigûoit
t la salle ; basse. 'De la fenêtre, Robert Ja
Toyoit assise sous Un berceau > que paroit
une première verdure; il ne résista pas
/au désir d'aller ia joindre.
:3< îEIle lisoit. — Oserois-je approcher?
-*dit-il d'dne voix tinadde.
. . . w*» "Vbus le pouvez sans crainte , répon-
•dit^lle en riant ^dar j^'avoi^ prié Méridan
de me prêter cet ouvrage ;.Diais depuis
si long - temps je n'ai point tenu de livre
que je comprends à peine celui-ci.
— Voulez- vous, dit Robert s'asseyant
près d'elle , voulez-vous me prendre pour
^maître?
•■ • —Ah! vous êtesbiefaucoup trop savant,
'vous me feriez peur.
— Hélas ! reprit-il en attachant sur elfe
"ides regards brûlants d^amour, vous savez
bien plutôt que c'est moi qui ai peur d^
ii6 LEi Koyrcf.
Julienne le comprit ^saiis dùMej car
une légère rougeiarTintcblôrer ^sjoues^
. et elle baissa ses yeuxi vers la<terEe« Toute
situation nouvelle en'atnou^porte unsî
grand trouble dans Tâme ^ que jamais ies
deux amants peut-être n'avoient eu plus
de peine à se renfermer dans le&l)ames
d'une pure et froide amitié. Tous deux
gardèrent le silence jusqu'au mbment où
Robert crut voir Julienne attacher ses te-
' gards sur la bague qu'il portoît toujours
à son doigt, et.qu'il.avoit reçue d^elIe
dans l'église de Sain4)-Paul.
— Vous reconnoîssez cet anneau, Ju-
licnne? reprit-il avec émotion ; jamais,
jamais il ne m'a quitté.
— Oui, répondit-elle, espérant sans
.<loute, à la faveur du passé, échapper au
danger du moment présent; et je me re-
^portois au temps on je vous Fai donné:
^pauvre Robert! vous éjticz alors bien mal-
heureux î
i
— Et j'ij^norois encore à quel point je
. L|[ KOyiGE. H7
rélois f car je me croypis quitter que Ju-
lien.
— Parlez plus vrai , Robert , répliqua
.Julienne en sotiriai;^!: ce n'étoit pas seu*
lement Julien que vous regrettiez si vi-
. vement; mais ce monde, dont le cloître
vous séparoit ; ces combats, dans lesquels
. vous brûliez de vous distinguer; ces ma-
gnifîcences des cours , dont on venoit de
vous parler pour la première fois, et que
vous aviez un si grand désir dé contem-
pler; enfin, cette foule de jouissances qui
^ voi) s étoient interdites.
— Il se peut , dit Robert; mais de tous
les désirs que jpiprmois alors un désir
. unique est resté. ^
— Et sans doute c'est celui de la gloire,
reprit*eHe; car votre sexe prise la renom-
mée au-dessus de tout.
— Non , Julienne, ce n'est pas la gloire.
J'ai vu en Espagne le dernier brigand des
.compagnies blanches se battre aussi va-
leureusement que moi; j'ai vu la journée
.4e Pévesque , et j'ai cessé 4'çnvier les lau-
^'i *8 £B irovidE.
-*&rs cucfillis tfur u)i= champ de batafillc.
— Vous n'ambitionnez donc plus-^e
l€BÎu>iineùrs?*^' •?' ^ '•
-i -^ Les hontteïlrè! iîfto41Wprit41 e» MÎi-
riaitt. Tous ces grands' (|ùe * j obserVcSs
dans les cours deSarrajgosséetdéTolède
lî'étoîent^îls pas moins heii'retix qu'un
'goujat de notre armée? Non i tion/7a*
Ifenne , je n'ambitionne pas lés honneaiis.
Et fout en parlant ainsi , les regards de
flamme qu'ilatlachott sureHeexf^iquoient
assez sa* pensée.
— Vous êtes bieh jeune' encore, dît
Talïenne avec une émotion qu'elle s'efFor-
•çoitén Vain de dissimuler , pour 'borner
ainsi votre destin , pour renoncer aux es-
pérances:.; ' '
— J'espère!: s'écria Robert , j^é^jjèr* fe
plus grand bonheur, le séût qiiî -soit ao*
cordé à ITiomme sur la teri^e ! TOainte-
narit, Julienne, maintenant je suis heu-
peux; Q«#]puîs-jé atttendre de ce monde,
où tofit est froid, où tôut 'est mort, com-
ré à Fenivrante sénsatkm que fait pas-
ser dans mon âme un regard ^ un iQot
que vous m'adressez ?
— Robert , dit Julienne dans un trouble
qu'on ne sauroit décrire, Robert, ne me
parlez pas ainsi. Mais la mort eût été pré-
sente qu'il n'auroit pu se taire nn moment
de plus. — Dusses-tu m'écraser de ta co- '
1ère, s'écria-t-il en se précipitant à ses
pids; une fois, une fois du moins, tuli^
ras dans ce cœur, qui ne bat que pour
toi ! Mais tu le sais... ah ! tu^dois le savoir
que mon bonheur, mon désespoir, ma
Tie , ma mort, tout , tout dépend de J-ur
lienne ? Que parles-tu de gloire ? que
parles«tu d'honneurs? Pauvre , sans abri ,
seul avec toi au fond d'un affreux désert,
je serois encore le plus heureux des
bommes. Sans toi, plus de bonheur^ plus
d'exisctence. Décide donc de mon sort;
parle: veux-tu me rejeter dans ce inonde
de glace, où, privé de ta présence, nid
intérêt , nulle joie ne m'attend ? Ah ! plutôt,
souviens-toi de Saint-Paul ! souviens-toi
d'avpir prié pour le bonheur de Robert!
tao LE NOTICE.
Dis que nous ne nous quitterons plus !
Julienne, Julienne, veux-tu devenir ma
femme?
— Oui , Robert , dit Julienne d'une
voix qu'à peine on entendoit ; et sa tête
charmante se pencha sur Fépaule du
jeune écuyer.
O joie! ô transports, qui paieroient
une vie de souffrances! — Dieu puissant!
s'écria-t-il hors de lui-même, est-il vrai !
est il vrai qu'elle se donne à ^loi !
— Ce Dieu sait, dit Julienne en levant
ses yeux vers le ciel , combien mon pau-
vre cœur a souffert et combien il a com-
battu 1 Puisse-t-il avoir pitié de sa foible
créature, et bénir notre union !
— N'en doute pas, dit Robert en la
serrant avec transport danssesbras; nous
étions destinés l'un à lautre. Souviens-
toi dn premierjour t^è Àos yeux se sont ren-
contrés, où nos cœurs se sont répondus :
n'étions-nous pas unis dès lors jusqu'à la
mort ?
— Hélas! il est trop vrai, reprit Ju-
I
LE WO'^ICE.' I2T
lienne. Dès ce moment itialgré tous me 5
efforts, ton image me poursuivoît I^e
jeune novice étoit toujours là , devant
moi; et lorsque je te trouvai daiis Téglise
dé Saint-Paul, j'allois prier le ciel, pour
qtfir me délivrât de cette- vision.*
— Le ciel voiiioit que tu fasses ma
femme ! s'écria Robert en couvrant ses
mains de baisers. N'a-t-il pas brisé les
liens qui m'enchaînoient? Ali ! le bonheur
que j'éprouve, Julienne, im bonheur
aussi grand, ne peut' venir que du ciel!
Dans ce mômeiit, la clochette de la
dame Brigitte se fit entendre pour an-
noncer le dîner. — On nous appelle, dit
Julienne. Robert , cache ta joie ; que nos
projets restent ignorés , au moins pen-
dant une semaine , ajouta-t-elle en jetant
les yeux avec embarras sur les noirs vête-
ments qui la coûvr oient encore.
— A Burgos, à Tolède , ma bien-airaée ,
combien de fois; le diéséspoir dans Tàme,
j'àî sii' me conti^àiiidre a tous les yeux !
Grdihs^tù qùè j'iaië* moins de courage ,
IV. 6
ifi^î
quand .ufi aveuir .cél^^f^ est «^vi^fr rugi
qua»d jtua peo&éç, n!e^J: plus .q4e j^élicçîsfto
.— T Ton cœiir. (çsjb dqnc^ co^tjçjç^ti 4itlu?
lieune^avecle soi^ii;^ dj'up .apgef-. ; i-. .; . ;,
. — : Oùî tf puver: jdp^ jifiots pour terrer ;
pondre? s'écria-TL-UeûuêlOTantsesxTçgt^iidst.
\'ersJacieV|Et tau&dQU3|,r^prirept lenle-
ment le d^min de ^i. maisoiu Gomme %;
approclio^entyRobertyarrela pn instajot^.
-T* Te sQuviena-tii , ditril du jpuf où je^
croyois quitter saus toi la Ças4ime !{ Frivé
<1e ma raison^ j[e parcourois Ips* moitfar
gne& qui, entourent ToLède... JOaus. mpo
désespoir j'appelois la mort à= grande <^^
la moitr! lamort^ Juliejuie,! Ce Dieu d»
boaté a daigpé repomssep I4. prière d'uw»
iusensé.. JAxlienne sercac:C<pntre;SOfî qusuv.
la l>i?as suc lequel elle s^ppu^oit^ ett l^;»
vue de lytéridan^ qulk^t^ttendoitsuç^Ilk.
porte, mit£Lnàco.49^^/^^i'Q^®^f'
Trois îpurs. aprèsf^J^i^^C q<uit(af\$aA
.y
de^onbofn&enr^ tsmt il redoutùit de se
voir rappelé*. par Daguesolin/ avant que*
c^ bDQiieius ne fût entièrement. assuré».
GettdiOianfidence étonna peu Méridan^ et:
surpritn encore moins la dame Brigitte,
comme on peut Tîmaginer. Quant à
Çeorge, le jeune écuyer n'a voit pas at-
tendu ce moment pour lui faire parta- g
ger sa félicité , et. depuis huit jours les-
deux amis ne s'étoient pas dit un mot
qui n'eût rapport au doux avenir de'
Robert.
— Je vous félicite , dit le, bon Justin;
je vous félicite de vous unir à cette jeûna
et noble dame , non parce qu'elle me fait
toujours penser a cette Vénus dont par-
lant lès poètes ; car vous savez trèsbîe»
que, de' tous les avantages, là beauté est
Ife plus fragile , et vous avez dû souvent
vous étonner comme moi que lès Grecs
en fissent un aussi grand cas (Robert sou*
tib)y maîs'ced6nt*jeme*réjouîs,.c'est que
TOtis preniez potir (lompafgné la seule
femme peut-être^trt p*ièé4esatôirîiurre
la 4* ^^ NOVICE.
femme qui sait apprécier votre mérite ,
et dont la haute estime vous assure un
bonheur durable. Je puis vous dire que,
pour mon compte , si je rencontrôis
sa pareille, tout ennemi que je suis du
lien conjugal ' j
— Devenez-vous fou? interrompît la
dame Brigitte. A soixante ans , h'allez-
vous pas songera vous marier ?
— Remarquez, Brigitte, reprit Méridan,
que je n ai fait autre chose qu'une sup-
posilîon , qui , je le crains bien , ne peut
jamais se réaliser.
— Dites que vous devez l'espérer, re-
prit la vieille fille. Voyez un peu le beau
présent que vous feriez à une femme ! Il
s'agit bien de science en amour ! Deman-
dez, demandez à la dame Julienne si
elle épouse Robert parce qu'il sait le
latin. ,
— Pas précisément, répondit Julienne:
en souciant; mais jp suis bien aise qu'il
soit plu&.^avant que inoi. r. \
LE NOVICE. ia5
— Ainsi doit parler Tépouse , répondit
gravement Méridan. Quant à vous , Bri-
gitte, vous êtes une très -bonne fille,
mais extraordinairement vulgaire , je
vous l'ai dit plus d'une fois, et voUs
n'ignorez pas combien vous me chagri-
nez en annonçant peu d'estime pour !e -
savoir. J'ai besoin de me rappeler à quel
point je vous aime pour
— Voulez-vous que j'imite certaines
gens ? Que je ne voie rien dans le monde
au-dessus d'un bouquin ? que je m'exta-
sie devant le bréviaire* de notre paroisse
comme devant une chose rare?
— Si vous étiez un peu plus au fait i
Brigitte , interrompit l'écrivain , vous
n'auriez point dit ce que vous venez
de dire; car vous sauriez que toutes
les paroisses du royaume ne possèdent
pas encore un bréviaire; il s'en faut bien^
malheureusement !
— Que m'importe à moi ?
Méridan leva les épaules d'un air de pi*
ia8 LE NOVICE.
d'obtenir le çonsentei^ent pgtern^. Sire
Urbain avoit apprif des. pf^uvelles de la
campagne de Çastille parj[)Ui$ieurs Bour-
guignons, témoins oculaires des hauts
faits de la bataille de Navarette. Plus
d'une fois son vieux cœur de chevalier
avoit tressailli d'orgueil et de joie au récit
des prouesses de son digne héritier; il
n'hésita dotté'paà^Jt feifé^écrire par son
chapelain un consentement formel au
mariage de son fils, et l'accompagna de
mille bénédictions.
— Maintenant, dit Justin quand il eut
remis ce papier qu'il venoit de recevoir
dans les mains de l'heureux Robert, main-
tenant il ne reste plus qu'à songer à la
noce. . , . .
— Est-ce que nous ferons une noce?
dit Julienne, qui désiroit que cette heu-
reuse journée 3e ^ss^t spns.édat. i
i ^Quap/lj^ djs lanociç, j'entends le ma-
fmh fépP^^li*^}¥%îSarJejpenae cq^naje
-TfflK q»ô; nf, yqi>3i ^tont; pps^priffintée ^ç|i^
LE NOVICE. ^^^9
sur voÉre séjour à Paris. Je vous propose
donc d'aller trouver le curé de Saint-Paul
ç3^ivecv^ui je suis très-lié,.... homme fort
érudity ajouJta-tHteii s'âdressantàAoberf,
• ebdë ieprierd'arrangentoutes choses pour
jjljn'^l pFutsse irtfus idonàer la ::benédiction
iiCODΫigateilQplus tôt possible^!. <
eb sr?rr Ah! je: vbu6 èu suppJÂ^ lé pl^^.iot
dpcissiblei s çc^ia Robert ;.»njgè2S ^f^ d'ttn
^ imom^nt à .Fantrë: 9i>e JBenito^ p^^ Qt^
rappeler près de.liii;^et^'il mÂifieiUoît're-
4iartk asratnt; ) (|u'cille ,fut dm ifévUne^-j'en
: perdrait la oraîfion* < /). ..!». .t. r
oi\ M^ Vbus' croyez, donc «pie :; je *pouf*rois
.johangér. d'avis {iéndant votre absence,
r Robert./ dit Julienne en . sourian t ; savez*
vous bien que je vais me fâcher ? -
• . . — Non , ma Julienne , non , répondit-il
ide l'air le plus tendre, mais il faut croire
-que Tattente d'un bonheur.isi grapd^ d'un
'bonheur, qui. surpasse la félSicité humaine,
.Çnitjiniitre ime inquiétude que lajcaisoujie
—Quelle inquiétude, pouivez-you^ a^oir.
i3a LE. wovicE.
ses mains avec force; que je meure avant
d'en douter.
. — Eh bien, allez, Robert, dit Julienne
en souriant, je me sens presque rassurée.
-~ Je reviens aussitôt vous dire quel
jaurle curé fixera , reprit lé jeune écuyer,
.qvH.sortit avec Méridan , après. avoir cou-
.vei?t, de baisers la main que .lui tendoit
Julienne.
:' :.r-^ Du moment qu'il n'a pôiat. feit- de
^Ve, ditiBrigitterquand.ils fureof parfisr^
^vqUs n'ayez aucune raison de cràikidfe-;
car les prtôseiitiments^V voyez-voùst^ine
i$ônt que des ettfàntiJJages , et pôur-mon
compte^ je ii'3^'liijamaihôrùi;; i j\ i
f • >:- . AW dame .Brigitte, répondit Ju-
lienne, lorsqulil. .s'agit dim bonfaoenr si
^graod' 9 si. :grând qu'on n'avoit jamai& osé
Ji'iespérer ,. on craint jusqu'au dernier rùf>
ment quelque retour du .sort. , . .;«
. T-.M^is pourtant, monenfant^. reprit
Brigitte. ra/YÎe- de pouvoir bavarder à!Son
aise , le sort ne se retourne, pas conrine
celatôiit à coup,. sans' quelques bonnes
LE NOVICE, . j3â^
raisons. Vous êtes libres tous deux^ n'esr-;
il pas vrai ? i
— Sans doute, répondit Julienne qui.
s'étoît mise à travailler au voile quelle
brodbit pour le jour de son mariage.
, — Eh bien ! alors cela va tout seul. Ah ! .
si par exemple, dame Julienne, vous aviez
dans votre famille...
. — Hélas! interrompit Julienne, je n'ai
plus de famille depuis Ion g- temps.
— Que pouvez -vous donc craindre?
D'ailleurs si les pressentiments signi-"
fioient quelque chose , ne me suis-je pas -
dit le premier jour que je vous ai vus en-' ;
semble : voilà des getis qui s'aiment j voilà i
des gens qui se marieront? Il est vrai que
j'ai un talent surprenant pour deviner du'
premier coup d'œil ces sortes dé choses.*'
Bien fins les amoureux qui m'échappe- •
roient, et pourtant Dieu sait -que Tâmmir
et moi nous n'avons jamais passé ^ar là'
même' porte, et nous' n'y passerons ja-î.
mais^si la mainte vierge Marie exauce mes
l36: LE rmtrvicE. t
-i. Pwiî^tre^ peiitrétre j répliqua George ' i
en'rîsiH:.
^^EssayezyVousverrez> reprit là vieille
fille.
^-Ah! dame Brigitte, répondit le cbas*
seuren s'inclinant avec un respect iro- :
nique, je ne m'oublierais point jusque là;
j'ai encore ma tête , moi.
Méridan entra à temps pour arrêter la
tempête qui alloit s'élever entre ces deux
interlocuteurs; car Robert et Julienne ^
tout entiers àleur doux en tretîen.n'avoient
pas entendu un mot de ce qui s'étoit dit
jusqu'alors. Au reste , la paix se fit dans
la journée même, comme elle se faisoit
toujours par suite du besoin que dame
Brigitte avoit de George , qui non-seule-
ment mettoitle plus grand empressement
à' faire tôuteà ses commissions dans la
ville y à l'aider dans les sbihs dû ménage y'
mais qui surtout étoit dans la maiâon W
seule pe tisonné (}ui Fécoutàt hiaibituèHô*-
ment^ tôbii en la taqurnârit"quelqùefo&. '
CHAPITRE IX.
Aimons jclone , ai moni clone ! de l*Tieare fugitive
llâlOQS-flous , jouissons !
L'bomme &'a point déport, le tempsn'a point de live ;
Il coule I el nous passons.
La Hartinb.
La veille du jour tant attendu^ Robert
arriva dès le malin chez Méridaii , le
front radieux de joie. Je ne quitte plus
cette maison 9 dit-il en s'asseyant près de
Julienne ; partout ailleurs les heures sont
6*
l38 LE jyOViCE.
trop longues. Je croyois cette nuit que le
soleil ne se lèveroit plus.
Julienne sourit; mais la dame Brigitte
répondit d'un ton revêche : Vous prenez
bien votre temps , vraiment, pour vous
établir ici, quand la maison va se trouver
tout sens dessus dessous.
— Et pourquoi donc «cela, dame Bri*
gîtte ? demanda Julienne avec étonne-
ment.
— On sait vivre , on sait vivre , dame
Julienne , répondit la vieille fille , et quoi-
que mon frère et vous ayez eu la belle
idée de ne pas faire de noce , ce qui ne
s'est jamais vu depuis qu'on se marie dans
le monde, témoin les noces de Cana, et
tant d'autres dont parle Vécriture, il ne
faut pourtant pas que votre mariage res-
semble à un enterrement. On seroit aussi
pauvre qu'un écolier de Montaigu (i),
(i) Les revenus du eoUége de Moaiaiga Jie
consistoient qu'en onze sol» de renie. «'Un écolier
n^avoit.pour son repasi^ue U Ueate<^kiûUèaie
^t^Aïtï pareil jour hepëiit se pàâSét^ botttîÀe
•tm autre jour, et j'ai 'dît à 'G^ôï^^ de^-
«
nir m'aider pour donner â^'cefïfe salle
un petit air ideféte. ^ ' ' ■' *
— Nous Yôus aiderons* tous , nbuè yôhs
aiderons tous , <îannie'*Brigitte j- dit Riébért
en se levant pour offrir ses ier vices. '
— Dieu Eli'en préserve ! s'éèria'irigitte.
Est-ce que voiife savez ce que 'vous dites
et ce que vous faites depuis'hiér , vous ?
Tout seroit brisé ici. Pour 4à' dame Ju-
lienne, elle vient déjà de brâlerma'bene
' colteret te j qu'elle a* vôtthi^epasser nïaHgré
moi. Eu vdîlà assez de -son' aide.
•— 'life bien 1 chèredatoè Bri^lt«e, re-
'ÇtStSoberl/ piiisqtié'^ifs tl'avéz con-
^ ^ifonce «ftàjéurd'htll riî ^ en îûKèrtîié' ni • en
■r ' ' ' ' ■ '■» y K '•
1- •...'/ > 1
une soupe aux^é^mf$Si^^ lgff^fp•Oiet^^n^^i^èmî'''
hsLyen^yhes^^éo\o^i^BS, Sij^h^p îin lî.a4içr^ en-
îier« Chaque matin .avant les clauses • les écoliers
àlloient mendier, et recevoient avec les pauvres
le pain ^ue distribudiéfat'^ès ch^ytretnc; ' ^ *'"''•
. l4o . UB ÎCOVIICE.
. mffiy nous nous tien4Fpns tjOfQsdeuK.dlans
..un petit coin ^ sans vpu^ déranger enw*
cune mai^ière. ., . ;.;
— Je vous demande un peu pourqufH
ce George n'arrive pas j marmottoit la
dame Br;giUe. Il se passera de déjeunejCt
car aussitôt que mon frère, sera rentr^v.***
— En effef; , interrompit Robert ^ je ne
vois pas Méridanj où donç^est-il?
— Il est; allé chez le roi , qui youloitlui
parler avant de partir pour le château, de
Beauté , où la cour passe la journée.
Comme Brigitte finissoit ces mpts, l'é-
crivain parut, et George l'ayant suivi^de
près, on se mit à t^ble. Jamais ^ n'-avoit
déjeuné phis gaiemei^t. D^mg ,^rîgj|fe
eUe-méme, eçtvf^înée pas le çoj(i^l(fa>|eiQ#|it
général , n'eut pas un seul mouvement
d'hiimeur tani quedura le repâ^i etdès
^ qu'il fut terminé , elle fit signe au=^dfa5-
-Jâ^tr^ qiîi di^ârut avec elle.
O
■\> . IL.f
;fia tôil,^t^gpurje4pjade;n}ain.
LE zrovioE. i/j^i
' lUibert j resté seail avec Méridan, parloit
de;$pD.aveDir y du bonheur qu'il auroît!c|6
conduire Julienne à son père, de revoir
Ingeloour avec elle. i
.' -r- A propos d-Ingelcoiir, dit Justin,
•devinez qui je viens de rencontrer à
rhôtel Saint-Paul. >
— Qui donc?
-r. Lé sire Jean d'Evreux , ce raiHeur
qui les faisoit tous enrager là-bas.
— Jean d'Evreux ! dit Robert d'un air
soucieux ; par quel hasard est-il en France?
't^ Il est arrivé à Paris depuis huit
jours avec plusieurs antres seigneurs gas-
cons.* Selon ce qu'il m'a dit, je vois qu'il
&'agit de. décider Charles à la grande af-
' faire de Gujrenne. n -
..s II àuroit'(bien dû: arriver phis tard,
pensa Robert dont le front s'obscùrcissoit
. 4i8 plus en j^lus. .;, .
'^lo-TT Nous nous, sommes xeconnùs aussi-
tôt, continua Justin ; mais c'est lui qui est
i#<?jppnrrt. .yer^ moi, et qui m'a fait cent
questions sur votre compte. »
j OU;: Çur in(n^Èonirptei!;^it'ïlôbiei^
'ipltis graikd;eiémotion<^0t>pâr^eI'mof#?
^ ^ — Je L'/gn«re. ^ Mâ^i^'i«^6' fal'âVc^ ide-
mandé à quelle époque vOttSatiez^cjoitié
eDuguesôlin , si\Tous îCdnsewrîezîdés rela-
ilioiis avec lui y il a^airu ravi d'apprendre
que vous étiez à Paris et qu il pourrcrit
TOUS voir chez moi.
fj'^iî^Pourquoi lui avoir dit cela, Méridan?
s^écria. Robert; grand Dieu ! poat*qûoi Itii
savoir dit .cela? li» '.
rHSavoifrj'e si<Y0as-iie mettiez- pas d'inté-
rêl à iceiqu'U iv^sut vous dire-, moi? Je
crois aisoir coinpris qu'il attend 'de* vous
j:â^ fxenseighéments ispr^^nne tpersoime
-jGpiLl'iixb^rdsse' beaucoup > iet>jé pefa^ôis^^M.
— Lui avez- vous parlé de)mdn mariage?
.in ter roifipit 'Robert.^ pâèeëbitimeila mort.
— Lui avez-vous parlé S^^lâllëiiiib?
- pepritril Tffvec am trouble > touj<^t^s rrois-
^sant. ■ ^ ' • :. ^:-i' ' " } ■ ' . .i' :
— Nbn , non , miile fois non . Pourquoi
diable voulez-v^^ts què'j'àStle'kii pafkr
^
<de tout'Cela? Est-ce vque j'ai duitemps à
perdre en paroles inutiles jcomiiie 'Bii-
— Grâce au ciel, il ignore mon maj-
.riage ! dit .. Robert . comme un homme
qui revient à la vie. . .
— Je veux être pendu , par exemple ,
dit l'écrivain , si je devine ce qui vous
renverse ainsi.
— Vous ignorez donc, Méridan , .i^ue
Jean d'Évreux n'avoit bas d'ami plus
cher que sire Evrard ?
— Eh bien ?
— C'est sur Julienne, c'est sur Julienne
qu'il désire avoir desrenseignements.il
aura su que sire Evrard, en mourant, l'à-
Yoit confiée à Duguesclin et il espère que
je puis l'instruire
— Rien n'est plus naturel , interrompit
Méridan ; mais je ne vois pafs quel mal
peut résulter pour vous de tout cela?
—•Quoi! vous ne voyez pas, reprit
vivement Robert, que sire Jean n'ap-
.prouvera point les nouveaux noeuds qiue
i44 *^v soyicc!
iva contracter îa veuve de soii ami? vous
ne voyez pas quô sa présence seule peut
produire un effet terrible sur Julienne^
peut me nuire, peut me perdre?
— Bon , s'il avoît quelque pouvoir sur
elle; si c*éloit son père, son frère. .^
— Vous ne connoissez pas Julienne ,
Méridan. Tous ses sentiments sont si dé-
licats, si nobles , qu'en exaltant cette
belle âme , on pourroit lui faire sacrifier
son bonheur , sa vie même à un devoir
chimérique. Ah! si mon malheur veut
que sire Jean la voie aujourd'hui !
— D'abord, se hâta de dire Méridan,
il ne viendra pas aujourd'hui ; car il alloit
partir avec le roi pour le château de
Beauté.
— En étes-vous sûr? s écria Robert.
— Il me l'a dit.
— Eh bien ! mon cher, mon bon Jus-
tin ! reprit Robert en le serrant dans ses
bras comme s'il eût voulu l'étouffer,
vous pouvez me rendre le plus grand ser-
LE NOVICE. 145
vice, me sauver, enfin. Le curé de Saint-
Paul nous attend demain à neuf heures
précises ; allez le trouver ; obtenez qu'il
nous marie à sept. Sire Jeau ne peut ve-
nir de si grand matin. Il ne la verra du
moins que lorsqu'elle sera à moi , à moi
pour toujours! Voulez- vous y aller, cher
Méridan ?
— A l'instant même, répondit l'écri-
vain ; et, mettant sa chape, il partit.
Fasse le ciel que le curé consente à
changer l'heure , répétoit Robert en
marchant à pas précipités dans la cham-
bre , pour calmer son agitation ; ce qui
lui réussit au point, que peu à peu les
terreurs de son imagination se dissipé-'
rent, et firent place au raisonnement.
Alors , il ne fut pas long-temps sans re-
connoître qu'il s'é toit beaucoup trop alar-
mé d'un événement aussi simple, que
l'amour de Julienne pour lui de voit ren-
dre presque insignifiant, même en sup-
posant que Jean d'Évreux entreprît de
IV. 7
i46 LE ïrovtcÈ.
rompre une union -si près de se con-
clure , et à laquelle, après tout, le che-
valier normand nfe pf enoit aucun intérêt
direct. — Fou que je suis! dît Robert
quand il eut repris son sang-froid. Passe-
rai -'je donc ma vie à me créef des suppli-
ces ? Faut-il qu'au comble de la félicité ,
mon esprit ne s'exerce qu'à troubler mon
bonheur par des craintes imaginaires?
Ah! cher oncle Ambroise, vous aviez
bien raison ! une tête comme la mienne
fait beaacoup souffrir. Mais je dfèvienâraî
sage. Oui, oui , je deviendrai éage, quand
elle sera ma femme. Ce motlYent n'étant
poitit encore arrivé, sa joie aîla jusqu'aux
transports , lorsqu'il apprit de Méridan ,
que ie curé consentoît à ^a detnatide et
que ^a cérémonie seroit avatttée' dB deux,
heures.
Après diner, se 'trouvant s^ avec Ju-
lienne dans k grawkle sâîte, tandfe quô
Brigitte et 'Gec^rge^B'bîBcigppoîetitdd s^ôtri
doter h couverL,>ii lui ^ettiatulû si Ce
i^hto^ement ne d& toontraHek ^dlnt': — ;
LÉ WWICE. i47
Pour moi , Jorîîetrtïè , ajouta -t-ll vous sa-
vez si je m'en réjouis ? Mais peut-être....
-— * Peut-être suis - je fâcliée d'être heu*^
reuse deux heures plus tôt? répondît-cité
en soilriant.
— Ah! Julienne, repri(-il en s'asseyânt
près d'elle, que vous étés adbrâbté der
parler ainsi! Dites , dites que vous par-,
tagez mon impatience. Cette idée est st
délicieuse pour moi ! J'éprouvfe un si
grand besoin . de penser qu'aucune hé^*
tation, aucun regret né cotnbrittcnt Fa-
mour dans votre âme l Ge hiatin encore j'
i*ia bien-atîmée , je songeôià, en vous re-^
gardant, que Vous étiez lïne bien noble
dame, que vous étiez ''wêë 'afu sein ^es
richesses , âes 'honneurs. Et cepén?Rim^*
me disdiâ-je, elïesfe donfte à ifioi ! Et cette
que je vaudi^dis placer sur un trône, yi
recevoir ma foi, sans pornpe, sanBécUit>
comme la dennière des citadines: nos
noces fse^ feront dans cet obscur réduit ;
je...«
^AiSSQZ ^ assez , intorpompit Julienne
l48 LE NOVICE.
c|i riant. Heureusement, Robert, vous
ayouez vous-même qu'aujourd'hui la joie
vous trouble l'esprit. Quand ai-je connu
le bonheur, mon ami ? Est-ce quand je
marchois avec les compagnies blanches ,
exposée à'^toutes les fatigues, à tous ,les
dangers? Est-ce à la cour de Burgos, où
j'ai vécu dans les larmes? Et , plus jeune ,
dans le château de mes pères, quels cha-
grins , quelles craintes n'ont point empoi*
sonné mon enfance et ma première jeu-
nesse? Je ne suis heureuse que depuis
huit mois, Robert, depuis le jour où j'ai
entendu votre voix répondre à celle de
Méridan; où cette porte s'est ouverte
pour vous montrer à ma vue. Mais aussi,
^jquta-t-elle ern levant ses beaux yeux au
ciel , quel bonheur peut égaler celui dont
5'ai joui pendant ces huit mois ^ si ce n'est
le bonheur qui m'attend!
Robert ne répondit point. Il attacha
sur Julienne ses regards ravis^ prit sa
main , et la pressa sur son cœur.
— Quant à^ cette fortune qui m'était
LE NOVICE. l49
destinée, Robert, continua-t-elle, je nei'aî
jamais regrettée pour mon compte; maïs
j'avoue qu'il me seroît doux de vous en
rendre possesseur , de vous apporter une
dot.
— Une dot, Julienne! toi une dot ! in-
terrompit Robert avec un sourire.
— Je sais , cher Robert , que cela vous
est îndiflFérent. Cependant j'aurôis été
bien aise que cette nouvelle de Méridàn
éur la révolte des seigneurs d'Aquitaine
se fût vérifiée. Mais il paroît qu'on n'en
parle plus.
— Tout au Contraire , Julienne , ré-
pondit Robert , plusieurs seigneurs gas*
cons viennent d'arriver à Paris ( il se
garda bien de dire que Jean d'Evreùx
étoit du nombre), et l'on assure même
que le roi Charles n'est pas éloigné de se
rendre à leurs instances.
— S'il en éloit ainsi ^ reprit-elle, je ren*
trerois dans tous mes biens. Alors, Ro-*
bert , vous seriez un riche seignepr. - > ^
^l5p iJS KOVICB.
— Vraitiieiît, Julienne ? ditRobiért d'ua
ton plaisamment grave« Et Ia.dap>ecb^,
fteloine m'aimoroit-elk toujpurs ?
• -*-* Que s(ris*je?'répQndit -Julieçiie avec
lin sourire malin et en secouant sa jolie
léte.
• *
— Ah! Julienne ^^'^rit-iJlivrQd^mouiv
de quels trésor^.yiensftu donc me parler,
j^uand Jç vais tç posséder, ^«An^d de-
IQain.,.^ ' ^, .
*— Dans, douze heures ! interrompit
Tulienné en regardant le sablier. ,
— Douze heures ! encore dou2e heures!
èl tu e& ma ièuVmé^ uil-il cU la serrant
ilafis ses bras. J'ai sur moi la pièce et l'an^
jQeau d'alliance, Julienne; je lésai achetés
bien
— Ah ! voyons, dit Julienne*
Robert les tira tous deux de son au-
mônière. — Voici d'abord la pièce , dit-
il^ et yoicil^anneau ; ah! ima bîen-aimée y
sitïi Yonlbis le porter jusqu'à demain I
donneque.je le.metteà toitd0igt«
jjB irovi.ci!. i5i
— Non pas. aujourd'hui, dit^^lle en rou-
gissant et en caohaot sa main dans sa
robe. •
Robert, qui ne voyoit dans cette ré-
sistance qu'un simple enfantillage, prit
sk main, et pâlît en y. trouvant la bague
d'alliance donnée par sire Evrard, qu'elle
n*avoit point encore quittée.
— Oui , demain , demain , dit- il d'une
voix émue; et^ il resserra la pièce et 1 an-
neau, sans ajoutek» un mot de plus.
, Tpus 1ë& deux restoienl eh silence de-
puisune ihinute<) lorsque la datne Brigitte
^ntra dans la salle« •
; -^ Maintenant , dit-eUe i maintenant il
ÊiUt me laisser libre i<:2i; j'ai mille choses
à. |»réparer pendant que George est allé
faire, mes: emplettes dans îa ville.
. — T £h.bien ! paissons d«is le jardin , dit
Julienne; il fait si bea^l !
Robert commençoit» à se remettre delà
pénible émotio^i quîilvenoit d'éprouver.
la vue d'un ciel pur, le parfum des fleurs^
et jsurtout' la. 4puce pression du bras ide
l5a UE NOVICE.
Julienne, qui s'appuyoit sur lui en mar-
chant , eurent bientôt ramené son âme à
Tunique sentiment d'un bonheur inef-
fable.
— Quelle ravissante soirée ! dit-il en ser-
rant le bras de Julienne contre son cœur.
— Ingrat , répondit -elle,, vous médisiez
pourtant tout-à-l'heure de cette heureuse
retraite ! Où serions-nous; mieux qu'ici ?|^j
Robert la regarda ; eUe étoit radieuse
de beauté , dq bonheur. — C'est toi ^ ma
bien-aimée, dit-il, c'est toi qui choisiras
le lieu que nous habiterons. Je t'ai sou-
vent parlé de mon dégoût du monde ;
mais à Dieti ne plaise que, si jeune , si
belle; je te prive des hommages et des
plaisirs qui t'y attendent. Nous vivrons
près de Henri de Transtamare , à la cour
de France, à celle de Bourgogne, partout
enfin où tu te trouveras heureuse.
-^ Heureuse, répopdit - elle en atta-
chant ses doux regards sur lui, ne le
suis-je pas? Non, non, mon bien*aimé,
LE NOVICE. l53
nous retournerons à Ingelcour, et nous
reverrons Toncle Ambroise.
* Robert la serra dans ses bras avec une
ivresse indicible. — O Dieu ! s'écria- t-il',
et pour la vie ! et pour la vie !
Arrivés sous le berceau , ils s'assirent
sur le petit banc. — Nous ne reverrons
plus ce lieu, ce lieu si cher, dit Robert,
qu^enchaînés pour jamais l'un à Fautre.
Demain.....
— Demain je suis ta femme, répon-
dit Julienne en souriant.
— Et nous avons à peine vingt ans , Ju-
lienne; que d'années fortimées il nous
reste à parcourir!
— Dans notre vieillesse même , Ro-
bert , il nous sera doux de vivre réunis et
d'attendre la mort ensemble.
— Fasse le ciel que ce soit toi qui re-
çoive mon dernier soupir! dit Robert en
la serrant dans ses bras.
— Non , non ; Dieu permettrai que je
meure avant toi ; autrement , je serois
trop malheureuse.
l56 LE NOVICF.
ce qui venoit de se passer. Es-tu bles-
sée? répète-t-il en frémissant.
— Oui, là, répond Julienne en posant
la main sur son cœur. Robert , continue-
t-elle d'une voix qu'on entendoit à peine,
je te défends de mourir Prie pour
moi Cher Robert, Cluny..... je le
veux
•— Du secours! du secours ! s'écrie Ro-
bert en prenant Julienne dans ses bras
^t en s'élançant vers la maison. George !
Justin ! du secours ! Il arrive dans la salle,
haletant , pose Julienne sur le premier
siège. Méridan s'approche, regarde!
rinforluné ne rapportoit qu'un cadavre.
• o
CHAPITRE X.
La seîcace est plas forte*
Que le m il des I lesstfs qai sont près de mourir!
N. Lemebcier.
Aussitôt après la bataille de Navarette,
le prince de Galles avoit chargé Jean d'E«
vreux de visiter le champ de bataille avec
ses hommes d'armes , pour emporter les
blessés et enterrer les morts. Sire Jean
l58 LE KOVICE.
remplissoit ce devoir sacré, lorsque jparmî
les guerriers étendus sans vie , il recon-
nut Evrard. A cette vue quelques larmes
■vinrent mouiller sa paupière; il se pencha
sur cette figure pâle et livide, dont tous
les traits étoient gravés dans son cœur, et,
prenant la main glacée du tard- venu dans
les siennes : — Mon pauvre Evrard , dit-
il, toi que j'aimois comme un frère, te
voilà donc gisant sur cette terre mau-
dite, où nous avons combattu l'un contre
l'autre , nous qui combattions toujours
ensemble! C'est un de mes compagnons
qui t'a frappé ! et je ne me suis pas trouvé
là pour te défendre ! Ah ! quand je te cher-
chois sans cesse dansia mêlée, pourquoi
ne faî-Te pas rencontré? Pourquoi ne de-
vais-je te revoir que pour te recouvrir de
terre?.... Je veux au moins qu'il lui soit
rendu quelques honneurs, continua Jean
<rEvreux en se rélevant. Prenez ce corps,
vous autres , et survez-moi.
Quatre hommes tVarmes alloieiit exé-
cuter cet ordre, lorsqu'urî d'étix ditàse^
caxnârades i — Il n'est pas toiit-à-fait mort.
Se pourrôît-îl? s'écria sire Jean , qui, po-
sant sa main sitr le cœur d'Evrard, sentit
^n (Effet un léger battement.
— Dépêchons, dépêchons, mes enfants,
reprit-il ; gagnons cette maison que vous
voyess là-bas. Vingt moutons d'or pour
vous , si le cœur pat encore quand nous
y arriverons.
Cette maison étoit occupée par des pay-
sans pauvre^, qui consentirent à recevoir
chez eux le blessé.
Grâce à l'argent qu'il pouvoit répandre^
Jean d'Evrôux eut bientôt entouré son arai
de tous les soins qui lui étoîent néces»
spires. Dès le premier pansement-, le cbi*
rurgien crut pouvoir répondre des jours
de sire Evrard , qui -pourtant ue fut en
état de marcher qiie phis de trois mois
après , tant la quantité de sang qu'il avait
perdu ïavoil irffoîbli. Jean d'Evreux^qui
faîsoît partie des premières: troupes ^9e
l'on ' renvoyait* en aquitaine ,; prit bscn^
i
l60 LE NOVICE.
congé de lui en lui laissant assez d'or pour
qu'il pût quitter l'Espagne dèsque ses for-
ces lui permettroient de monter à cheval.
Ce qui retardoit surtout la convales-
cence de sire Evrard c'étoit l'inquiétude
qu'il éprouvoit du sort de Julienne. Il
àvoit su par Jean d'Evreux que Dugues-
clin étoit prisonnier des Anglais ; le brave
Breton n'avoit donc pu tenir sa promesse?
L'espèce de gens que dans sa retraite il
pouvoit questionner sur le sort d'une
cour fugitive et dispersée, étoit peu en
état de l'instruire. Il apprit cependant ,
d'une manière assez positive, que la reine
Jeanne s'étoit retirée près du roi d'Arra*^
gon. Mais lors même que l'état de foî-
blesse où il se trouvoit ne se seroit pas
opposé à ce qu'il entreprît un voyage, le
danger qu^il couroit de tomber au pouvoir
du prince de Galles ne lui permettoit plus
de traverser la Castille, tant que ce prince
et son armée l'occupoient. Les Anglais
avoient donc repassé les monts depuis un
mois à peu près , lorsque sire Evrard se
LE NOVICE. l6l
sentit assez fort pour partir et gagner
barragosse à petites journées. Arrivé dans
celte ville, il vit la reine, qui ne put lui ap-
prendre autre chose, si ce n'est que Ji •
lienneavoit quitté Tolède avec un homme
d'armes, parti du cliamp de. bataille de
Navarette pour la chercher. Sur ce seul
renseignement, Evrard conçut l'espérance
d'en apprendre davantage par Duguesclin ;
mais Duguesclin se trouvoit alors à Bor
deaux, près du prince de Galles. Evrard
ne pouvoit aller le trouver lui-même. Il
songea à employer Jean d'Evreux , et par-
tit aussitôt pour l'Aquitaine, sans s'effrayer
du sort quil'yattendoit, si îemalheurvou-
loit qu'il fût découvert. Le mystère qu il
étoit obligé d'employer nuisit à ses efforts
pour retrouver sire Jean, qui lui-même ve-
noit d'entrer dans la nouvelle conjuration
des seigneurs d'Aquitaine contre le prince
de Galles. Enfin, après plusieurs mois^ qui
parurent à^sire Evrard des siècles de tor-
tures, il parvint à rejoindre son ami. Tous
deux partirent pour la cour de France '
i6a îiÉ irovicas.
%\vt Jean dans l'espoir de servir les înté*
rets de la province auprès du roi Charles^
Evrard dans celui de rencontrer Dugiïes*
elin , qu'on assuroit devoir passer par Pa«
ris avant de retourner en Castille.
Sire: Evrard étoit à Paris depuis une
écmaine sans qu'aucune de ses recherches
aient réussi à calmer Tinquiétude et fim"
^xatience qui le détoroient^ lorsque, le
jour si fatal à celle qui occupoit toute*
fees pensées, Jean d'Evreux, qui venoil
de dîner, ainsi que lui, au château de
Seauté , lui conta , en sortant de table, sa
rencontre du matin avec Méridan , et
la conversation qu'ils avoient eue en-
semble. Evrard, frappé de l'idée que Ro-
bert, qu'il avoit vu près de Diiguesclin,
pouvoit lui donner quelques renseigne»
jiients précieux, n'attend pas le départ du
roi, naonte à l'instant à cheval, et retourne
il Parisr au grand gak>p4
Descendu à Ja-porte- dd Méridan , û
frappa, et Brigitte, qui alors étoit seule
dans la salle basse^ vint lui ouvrir a&sA^
LE MO VICE. l63
tôt. Il demande Robert; Brigitte lai indi-
que le jardin : il y passe. Il entend parler
sous le berceau. Robert n'est pas seul ,
la voix d'une femme se mêle à la sienne.
Sire Evrard s'arrête. Dieu ! quels accents
ont frappé son oreille ! Il écoute. Est-ce
un prestige infernal? Non , non , c'est bien
Julienne. Il chancelle, il n'y voit plus^ la
fureur fait trembler tous ses membres ,
un cri de rage lui échappe On sait le
reste.
CHAPITRE XI.
Si in {>ouvois picurcr! mais aimant ta souflVar.ce, ^
Tu U* plais à scnlir , à creuser ton malbeUr.
Hclas! vc(.f de.ton deuil, lu poidrois l'existence
En £>c:djOt ta douleur.
Ducis.
— Je pense qu'il est temps de faire
venir un prêtre, dit Brigitte.
— Un moment , encore un moment ,
répondit George d'une voix dont les ac-
cents étoient méconnoissables.
LE irovicE. i65
_Mais dans un moment il ne sera plus
emps , reprit la vieille fille. Voulez-vous
{u il meure sans les secours de la religion?
George ne répondit pas , mit sa tête
lans ses mains, et s'appuya sur le mate-
as; car cet entretien avoit lieu près du lit
ur lequel , depuis quinze jours , étoit
tendu l'infortuné Robert. Une léthargie
omplète avoit succédé depuis la veille à
'horribles convulsions , et tout en lui
nnonçoit une mort très-prochaine.
- — Faites ce qu'il vous plaira, dit la
aine Brigitte ; je n'aurai rien à me repro-
her : je vous ai averti. Vous voyez bien
ii'il est à l'agonie , ajouta-t-elle en jetant
ur le malheureux jeune homme un der-
lier regard , et elle sortit de la chambre. .
George se leva , ferma la porte avec le
letit loquet de bois, qui ne s'ouvroit
[u'en dedans, et revint prendre la place
[u'il n'avoit pas quittée depuiç qujnze
ours. — Maintenant, dit-il avec ^ç-spu-,
ire ^u désespoir , je suis sûr au moins
le recevoir son dernier soupir. Mon hop,
l66 LE NOVTCE.
mon cher maître , ajouta- t-il en serrant
la main glacée de Robert, non*, je ne te
quitterai pas, pas une minute. Eh! qua-l-tf
besoin d'un prêtre? n'est-il pas pur, inno-
cent comme l'enfant qui vient de naître?
Quel mal as-tu jamais fait à personne,
toi qui défendois toujours le foible con-
tre le fort, toi que cette terre n'étoitpas
digne de posséder ? Dieu fattend; il te re-
cevra dans ta miséricorde , mon bon Ro-
bert, comme il recevra bientôt après , j es-
père , le malheureux George. Si seule-
ment ( reprit-il , car les lai^mes Tavoient
suffoqué pendant quelques instans), si
seulement, avant de nous quitter pour
toujours , tes yeux pouvbient s*ouvrir un
moment pour regarder George. Si fen-
tëndbis une seule fois ta' voix. Ah 1 dis un
mot, un seul mot, un signe d'acSeu à ce
pauvte garçon , que tu aimoiis tant , qui
ii*a aîiiàé ((ne toi dans le monde Il mt
semblé qd'àpi'èà cela je souffrirois moins...
Mais lion, mort! peut-être déjà mort! El
George se hâta de poser sa maîh sur les
LE TKOTLCBI 167
lèvres de Robert , d'où s'exhaloît encore
une foible respiration ; il prit tin mou-
choir, et se mit à essuyer doucement la
froide sueur qui couvroit le front du jeune
homme. — Voilà donc le dernier service
que je te rendrai , mon bon maître ! dit-il
en baisant le mouchoir dont il venoit de
se servir. Je ne sellerai plus ton cheval, je
ne polirai plus ta cuirasse, je n'attacherai
plus tes éperons. Jamais, jamais, tu ne me
^iras avec ton air si doux, si:bon : George,
fais cela
— A boire, George, prononça une voix
foible, et que George ^ut entendre venir
du ciel. Il regarde O bonheur! les
yeux de Robert sont ouverts; il croit les
voir se fixer sur lui. Mon Dieu ! dit-il lout
bas en joignant ses mains avec force , et
n'osant espérer qu'il ne fait point un
songe, il reste immobile, dans la crainte
dé dissiper la vision ; mais bientôt , Ro-
bert souleva un peu la tête, et poussa un
léger soupir. George, tremblant de joie,
saisit un vase où restent encore la boisson
l68 LE irOVIGE.
ordonnée parle médecin ^ le présente aux
lèvres de son maître^ qui boit tout avec
une extrême avidité. Epuisé après cet ef-
fort, Robert laissa retomber sa tête, et sa
paupière se referma; mais la pâleur de la
mort avoit disparu de son front , et le bat*
tement ranimé de son cœur soulevoit
maintenant sa poitrine.
George s'étoit jeté à genoux près du
lit^ étouffant ses transports; et^sans pro-
noncer une parole, il ob^ervoit jusqu'au
moindre signe d'existence qui pouvoît
l'assurer de son bonheur, lorsque Brigitte
et Méridan frappèrent à la porte , qu'il
avoit fermée.
— ^ Paix , paix , dit-il en leur ouvrant
doucement; point de bruit, pas un mot.
Ah ! dame Brigitte, il vit! il vient de me
parler ! il vient de boire ! il vit !
— Quel bonheur , dit Méridan , que
J'aie supplié maître Gervais de revenir
encore une fois 1 il m'a promis d'être ici
dans un quart d'heure.
, La dame Brigitte, tandis que son frèi'e
M irovicE. i6^
parloît, s'étoit hâtée de s'approcher du lit.
— - £h bien ! mon bon Robert , dit-elle ,
comment vous sentez- vous ? Cest la dame
Brigitte , mon cher enfant ; vous me re«
connoissez, n'est-il pas vrai? Robert ou-
vrit les yeux, et fit un signe de tête.
— Mon frère, venez! venez! cria Bri-
gitte; il me reconuoît, il va vous recon-
noître aussi. Justin et George s'appro-
chèrent ; le premier prît la main du jeune
homme , et dans son émotion il ne put
que la serrer sans prononcer une parole.
— Je crois je crois, dit-il en essuyant
une larme, qu'il a aussi serré ma main
mais je n'en suis pas bien sûr.
— Son œil est bien hagard, maître Mé^
ridan, dit George. Robert en effet jetoit
autour de lui des regards vagues comme
un homme qui cherche à se reconnoître ;
enfin il parut tomber dans un assoupisse-
ment qui dura jusqu'à l'arrivée du mé-
decin.
— Notre jeune homme est mieux , je
IV. 8
<<:rois, bien mieux ^ maître Gervais^ dit
Méridan. .
— Vraihaenl? répondit le docte^ir^ j'en
•serois biep aise; on peut dire qu'il re>
viendroit de loin. Et s'approchant de Ro-
bert, que son arrivée venoit de réveiller, iji
lui tâta le pouls et fit une mine de satis-
faction.
— Yoiis êtes content du pouls? de-
manda George, qui dévbroit tous les
mouvements du médecin.
— Il est certain que le mieux est sen-
sible, dit maître Gervaîs après avoir
-examiné avec soin les yeux et la figure
du malade.
— 11 nous a reconnus tous , répondit
Brigitte.
Le médecin secoua la tète et fit une
question à Robert , qui ne répondit pas»
-r^ 11 faut le laisser font tranquille , dit
tnaîlre Gervais à George, ne point Itii
-édresser la parole et atltendne qii^l parle
lui-même. Quand sa tête reviendra, si
4ilh revicnij aiw<tM-il «^veu w» aie .de
•M KOYICE. IJl
douté qui fit frémir ceux qui Técou-
ioient , é'^itez tous de dire un mot qui
puisse lui rappeler son malheur ; s'il en
repreûoit le souvenir avant qu'il eût as-
sez de forces pour le supporter, tout se-
roit fitiiv Au reste , ma tisane , ma po-
tion calmante toutes les deux heures. Je
reviendrai demain matin.
— îTa-t-il pas dit qu'il resteroîl fou ?
dit tout bas la dame Brigitte a George,
pendant que son frère reconduisoit le
docteur.
—Vous me feriez devenir foû mol-même;
où diable àvez-vôùs entendu cela? ré-
poiMlit George , qui ne l'avoit aussi que
trop entendu , 'itS^i s qiii iouloi t repousser
cette affreuse idée. 'Ce qu'il a dit, c^cst
4que le p1u6 grand repos- étoit necèssïiire^
qu'il ne folloif pas ît tourmenter de pa-
iKïles^....
— Maitre Grervaîsf a beaucoti}) cPes|>é-
xtace, dit Miiéddain *en nentrtim; iî^ési
presque ceHain ^dilt»èinfd^,'qiir'îl vivni:
«ixuit utt regMd dtt^if AH^su^ Rob^
J'ja LE KOVICE.
poussant un profond soupir: — Allons^
JBrigitte, allons, laissons-le tranquille main-
tenant.NousmonteronsseuIementd'heure
en heure demander des nouvelles à
George.
Autant par curiosité que par intérêt ,
Ja vieille fille auroit bien désiré rester ;
mais l'ordonnance du docteur étoit posi-
tive , elle fut obligée de suivre son frère ,
assez mécontente.
Aucun changement ne se montroit
«dans la situation de Robert: il seTéveil*-
loit de temps à autre , portoit çà et là ses
regards sans les fixer sur aucun objet, et
jretomboit dans Tassoupissement. Il passa
Ja journée entier^ dans cet état qui tient
le milieu entre la vie et la mort. Le len*
demaiq. cependant il avoit déjà repris
quelques forces. Il se mit plusieurs fois
sur son séant ; la fièvre qui ne l'avoit pa^
i^pcQinB quitté y lui dpnnoit une soif ar-
dente ; il dem^ndoit à boire d'une voix
a§|ez ferme, prie^oit k Vase des mains de
^^orge et le pprtpit lui r même à sa boof
f
W NOVICE. 173
che. Mais ii ire parloit pas, ne reconnois**
soit personne et ne sembloit agir que par
un mouvement machinal , ainsi que font
les êtres privés de raison , ou Tenfant qui
vient de naître à l'existence.
Le chasseur observoit en frémissant
tous ces tristes symptômes, et les paroles
du médecin lui revenoient Sans cesse à la
mémoire. ^
Le matin du troisième jour, Robert,
qui le regardoit souvent, mais comme il
regardoit tout autre objet , lui sourit en
lui rendant sa coupe. Dieu ! quel mal ce
sourire fit à George ! Les larmes rempli-
rent ses yeux, il s'assit près du lit en
tournant la tête pour ne plus contempler
un spectacle qui le déchiroit.— Ehbien ! se
dit-il à lui-même , il ne reprendra plus sa
raison , mais il vivra ; je^ pourrai le voir,
le soigner. N'étois-je pas résolu à m'en-^
fermer dans le cloître pour ne plus le
quitter ? Je m'enfermerai à Ingelcour
avec lui , nul autre que moi ne sera té-^
moin de sa misère. Nous vivrons tous les
deux seuls. Quoiqu'il arrive^ a|oiita-t*il ew
regardant de noiiveau riii£ortuné , tu ne
seras jamais iDéchant , mon cher , » mon
pauvre Robert ! Tu Dbe feras pas de mal à
celui que tu as ^i souvent appelé ton frère*
Dans sa vive émotion , le chasseur pfo-
noaça tout haut ces dernières paroles* -
Soit qu'elles réveillassent quelques sou«^
venirs dans l'esprit de Robert , soit que
le mouven;ient qu'il fit alors fût dû au
hasard , il tendit la main au chasseur, et
cette main étoit devenue simai^equela
bague de Julienne s'en échappa.
— Ma bague! ma bague ! cria Robert
en se soulevant tout-à-fait.
George s'empressa de la ramasser et de
la lui rendre. Robert la saisit vivement »
la pressa sur ses lèvres , puis la regarda
en souriant comoie aux jours dubonheur.
Mais tout à coup son œil devint fixe
pendant quelques instants , il parut ré-^
fléchir, un tremblement affreux saisit;
alors tous ses membres. Il pressa sa tête
dans ses deux maips pour y fixçr le sou-^
venir, et poussant un cri horrible, il per-
dit connoissance.
Ranimé par les soîfals que lui prodigaoît
George, il étoit retenu à lui quand Mé-*
ridan et Brigitte entrèrent dans la cliam-*
bre, effrayés par le cri qu'ils avoient en-
tendu. Robert, à qui, pour son malheur^
la raison venoit d'être rendue, lesrecon*
noissoit maintenant tous les trois; cepen-
dant son œil restoit sec; on auroit pu
croire quHl étoit calme, si Tempreint^
d'un sinistré désespoir. n'eût pas dénaturé
tous ses traitsi
—Robert , dit Méridaû en lui prenant
la main, ce sont vos amis qui. viennent
pleurer avec vous.
Robert lui serra la main d^un air recon-*-
noissant, mais il secoua la tête, et se»^
lèvres firent un mouvement qui ressem-^
bloit au sourire.
— Et moi, moi, mon cher maître, dit
George qui se tenoit penché sur le lit
pour cacher ses larmes . ne voulez-vous
pas me dire un mot ?
176 ïk XHhRQE.
— George , répondit Robert en pas-
sant doucement sa main sur la tête du
chasseur y j'ai du te causer bien du mal.
Depuis combien de temps suis-je dans ce
lit? continua-t-il.
— Depuis quinze jours , répondit Bri-
gitte ; nous vous y avons placé aussitôt,
après
— Assez , assez , ma sœur , il ne £iut
pas fatiguer la tête de notre malade.
— Quinze jours ^ dit à voix basse Ro«
bert, qui) livré à ses pensées ^ n'a voit en-*
tendu que ce mot. Dieu de bonté ! ajouta-
t-il plus bas encore et en joignant les,
mains, donne-moi la force de lui obéir!
Puis se retournant vers ses amis : — Méri-
dan, dame Brigitte, dit-il avec douceur^
permettez que je reste seul quelques
heures.
— Nous vous laissons , répondit Justin.
— Si vous pouviez dormir , ajouta Bri-
gitte, cela vous rendroit un peu de forces.
LE NOVICE. 177
— J'ai des forces, Brigitte ^ réfAqua
Robert, j'ai beaucoup de forces.
Méridau et sa sœor quittèrent la cham-
bre; maïs Robert s'apercevant que George
ne les suivoit pas, lui fit signe de sortir
aussi.
— Oh ! pour moi , mon cher , mon
bien cher maître, dit George d'une voix
tremblante , permettez que je reste ; non ^
je ne puis vous laisser seul , malheureux
comme je vois bien que vous l'êtes; je
serois trop tourmenté , trop iuquiet
Et en disaqt ces mots il portoit malgré
lui ses yeux sur l'épée de son maître , qui
Ase trouvoit placée près du lit.
— Je t'entends, dit Robert d'un air
calme; mais je ne puis pas me tuer, je
ne le puis pas, George; elle me l'a dé-
fendu.
— Que Dieu la bénisse ! s'écria George*
— Tu le vois, Julienne, reprit Robert,
je t'obéis ; je t'obéis , répéta-t-il sans ver-
ser une larme;, mais l'excès des souf-
It^S ^ LE NOVICE.
tfSLn^ de son kfpe faisoit dlaquer ses
dents l'une contre l'autre.
Comoie il u'insistoit plus pour que
George sortît , le pauvre garçon se con-
tenta de s'éloigqer du lit et d'aller s'asseoir
dans l'autre coin de la chambre, car il
ne voyoit que trop combien il étoit inu-
tile d'appliquer la consolation à une telle-
douleur. — Le temps, le temps, se disoit-
îl , fera bien plus que mes discours. Laîs-
sons-le seul à ses pensées. Ah! s'il pou*
voit pleurer, que jç serois heureux ! ,
Mais les heures, les jours se succé^
dèrent saris apporter aucun cliangeraent
à l'état d'âme de l'infortuné Robert. Son
morne désespoir sembloit plutôt s'accroî- ^
tre que s'adoucir. Plongé dans la plus
sombre rêverie, il se livroit à mille pen-
sées qui toutes traversoient son cœur
comme autant de coups de poignard.
On le voyoit pâlir et frissonner sans qu'i
prononçât une seule plainte , sans qu'on
l'entendit pousser un seul soupir. Il n'bu»
vroit plus la bouche que lorsqu'il s'y
LE NOVICE,, 179
trouvoit coQt:raii}t» soit ppiir demander
quelque chose , soit pour remercier Mé-
ridan et Brigitte des soius qu'ils lui. pro^
diguoient j car cette bonté de cœur qui
Tavoit toujours rendu si aimable u'avoit
point disparu. Mais s'il étoit obligé de
répondre aux discours qu'iw lui adres-
soit, sa voix étoit oppressée, sa parole
brève, et il paroissoit tellement contrarié,
qu'on s'abstint bientôt de lui parler à
moins que cela ne fut nécessaire.
Quoique bien foible encore , il avoit
quitté le lit et passoit des heures entières
assis près d'une table, la 'tête appuyée
sur sa main, immobile, l'œil éteint, of-
Ji^ant en tout l'image de ces statues de la
douleur que l'on place sur les tombeaux.
Souvent, comme pour échapper à sa pen-
sée, il se levoit vivement et s'efforçoit de
faire quelques pas dans la chambre ;
alors le chasseur s'approchoit , lui offrant
l'appui de son bras; ils marchoient tous
deux en silence pendant quelques minu-
tes^ et quand la foiblesse obligeoit Ro-
l8o LE irovicE.
bert à se rasseoir, s'il disoit d'une voix
f oible : — Merci , George, le son de ces
douces paroles restoit long-temps dans
Foreille du pauvre garçon et réjouissoit
son cœur.
CHAPITRE XII.
Que le tour du soleil ou conflncnrc ou «^achève, ' ]
D'uo oeil indiffèrent jo le suit dant ion court ;
En un ciel sombre ou ]par qu*il se eouclic ou se lève .
Qtt^importe le soleil? je n^attends rien des jou'f.
Lamàjitjhs.
Ce que redoutoient le plus les amîs de
Robert , c'étoît qu'il ne voulût aller au
jardin j aussi évîtoîent-ils avec soin tout
ce qui pouvoit lui faire naître Tidée âé
sortir de sa chambre ^ qui, sans qu'il Teût
l8a LE NOVICE.
jamais soupçonné, étoit celle qu'a voit ha-
bitée Julienne. Mais cette crainte étoit
vaine. Soit que Robert sentît que revoir
le bosquet c'étoit mourir, cetoit enfrein-
dre l'ordre de Julienne , soit par suite de
quelque idée bizarre, telle qu'il en naît
des grandes douleurs, il n'en témoigna
point Je désir. 11 ne prononçoit pas même
un seul mot qui eût rapport à son infor-
tune. Cependant, comme il s'étoit soumis
avec la plus gra.nde docilité à tous les or-
dres du médecin , il reprenoit peu à peu
quelques forces. Un soir, il demanda à
George où étoient restés leurs chevaux.
— Chez notre ancien hôte, qui les soi-
gne, répondit, le ctasseur fort surpris.
— Nous partirons demain au point du
jour, Gflorge; prie Méridan de venir un
Kxoment
George\ qui 1^ vcxjfolt encore et si maâr
|;re et si fmble,» auroit bieu déi»i^é £ûpe
^elquie observation; mais il p^nsa qi>ie
les discours de Méridaii auroieiit plu de
LE KOVICE. l83
poids que les siens j et se hâta d'aller le
diercher. - ^ .
L'écrivain, instruit du dessein de Ro-
bert, entra dans la chambre en se ré-
criant sur le projet de partir, à peine
conralescent; mais Robert le laissa par*
1er long-temps, sans paroître recevoir
aucune impression de ses discours. Seu-
lement deux ou trois fois il lui serra la
main , et répondit doucement : — Il le
£aiut, Méridan, il le faut. Le bon Justin ,
voyant qu'il le tournienteroit inutilement,
n'insista plus , et se borna à lui deman-»
der en quel lieu il alloft.
-^ A Cluny, répondit Robert en pâlis^
sant ; car c'étoit le dénier mot qu'avoît
prononcé Julienne^
— A Cluny ! s'écria Méridan d^un air
satisfait. C'est votre bon ange , mon cher
«nfant, qui vous a inspiré cette idée.
•— Oui , Méridan , dit Robert d'un air
qQ^on ne saurott peindre.
— Vous retîx>uverez làvotrcdîgneoncte
<tom Ambroise;.sa fetid»esse, .sa raisoa
|84 l'B NOVICE*
VOUS seront d'uD grand secours. D'ailleurs^
mon jeune ami j le temps adoucit les plus
Affreuses douleurs. Vous faisiez naguère
toutes vos jouissances de l'étude; vous les
retrouverez ces jouissances. Croyez-^moi ,
mon bon Robert , elles sufiBissent au bon*
beur. Je n'en ai jamais connu d'autres , et
cependant je suis heureux. En parlant
ainsi, l'écrivain serroit les mains de l'in-
fortuné jeune homme, et ses regards ex^
primoient une affection si tendre, que le
cœur flétri de Robert s'ouvrit encore au
3entiment de la reconnoissance. — Il m'est
doux de vous savoir heureux, Méridan^
dit-il en faisant un effort pour sourire.
Mais son front s'obscurcit bientôt du
nuage qui s'étoit dissipé un instant.
A peine le soleil étoit-il levé le lende-
main que George attendoit à laporte avec
les chevaux. Brigitte et son frère étoient
près de Robert , qu'ils avoient voulu re-
voir une dernière fois. Tous deux ver^
3oient des larmes. Pour Robert, il ne
pleuroit pas. Quelle séparation dans ce
Uf NOVICE. l85
monde pouvoit encore Témouvoir ! Tou-
tefois il ne sembloit pas étranger à cette
scène, comme il Fa voit été jusqu'ici à tout
ce qui se passoit autour de lui. Au mo*
ment de partir, il détacha une chaine^ gar-
nie de pierres précieuses, qu'il tenoit de
Henri de Transtamare, et qu'il savoit être
d'un très-grand prix. La passant au cou
de Brigitte : — Je vous prie, dame Bri-
gitte , lui-dit-il , de garder ceci en souvenir
de nous.
— Ah ! mon cher enfant, répondit la
vieille fille plus touchée qu'elle ne Tavoit
jamais été de ses jours , qu'ai-je besoin
de ce riche présent pour ne point vous
oublier ? Dieu sait combien je vous aime ,
et combien j'ai mois celle qui est mainte-
nant dans le ciel!
Robert leva les yeux vers ce ciel qu'il
désirôit si ardemment habiter lui-même ,
serra la main de Brigitte, et se retour-^
nant ensuite vers Méridan : — Adieu •
adieu , répéta*t-il d'une vpix ferme et
brève. Us'approchoit de la porte , il alloit"
8*
j86 le vqvj;c9»
monter à cheval ; tout à coup il s'arrête y
regarde Méri^an , retourne à lui, le presse
dans ses bras, et posant la main sur son
coeur: — Tant qu'il battjra, Méridan^
dit-il. Bientôt après, ses amis le perdi-
rent de vue.
A part l'inquiétude que lui causoit la
foiblesse de Robert, George étoit ravi de
le voir quitter des lieux , pleins de sou-
venirs propres à entretenir sa dou^
leur. Il espéroit d'ailleurs que les distrac-
tions de la route, la vue de nouveaux
objets, auroîent quelque influence sur
lui esprit naguère si vif et si ardent. Mais
tel n'étoit plus l'esprit de Robert, que la
douleur vieil lisstoit avant l'âgô. I-ioin qu'il
parût faire attention à rien de ce qui s'of-
froit à lui , George essayoit inutilement
de l'arracher à sa stupeur , par une re-
marque ou par une exclamation. Robert
ne levoit point les yeux , restoit la tête
baissée , comme s'il n'eut voulu vivre
qu'avec sa pen$ée; en- sorte que le pau--
vre garçott crut devoir se taire à soa.
IsE ïfOVlCE. 187
tour, daAs la crainte de l'importuner.
Une seule fois ^ pendant la première
journée , Robert porta ses regards sur la
campagne qui Fenvironnoit^ et parut
s'apercevoir qu'il suivoît une grande
route. S'adressant au chasseur : — Com-
bien de temps y a-t-il aujourd'hui que
nous sommes partis d'Ingelcour, George?
— Il y aura précisément vingt mois
dans cinq jours j répondit le chasseur.
— Vingt mois , reprit Robert; c'est
bien peu pour la vie d'un homme. £t il
retomba dans un silence absohi.
Quelle différence, en effet , entre le dé-
part de l'infortuné et son retour ! Brillant
de joie, de santé, d'espérance, il alloit
chercher le bonheur: il rapportoit la
mort. Et George qu'il associoit alors à se»
rêves de félicité, ce second kii-mémey
George ne chantoit plus maintenant ; sa
gaieté, son seul bien, hélas! il l'avoit per-
due pour toujours. Il marchoit tristement
près du compaguon de sa route ici-bas ^
de celui à qui il avoit voué sa vie et qui
i88 CE iroviCE.
semblôit à peine s'apercevoir de sa pré-
sence ! Il alloit... Qu'en savoitîl ? Où la
douleur d'un autre devoit le conduire;
peut-être dans le cloître ; peut-être dans
la tombe. Mais ce charme des affections
fortes y ce charme y inconnu aux cœurs
froids, suffisoit pour qu'il préférât sa
place à celledu monarque le plus fortuné.
Après huit jours d'une marche rapide,
dont pourtant la santé de Robert ne pa-
roissoit pas souffrir, George, à qui il
avoit annoncé l'intention de s'arrêter à
Ingelcour, lui montra lin matin les tou-
relles de ce château, qui s'élevoient de-
vant eux. Robert tressaillit; mais sans
dire une parole, il pressa le pas de sa
monture, et bientôt il entra dans les
cours du manoir de ses pères. Comme il
descendoit de cheval, un vieux serviteur
de la maison s'approcha de lui , et le
croyant instruit de la perte du sire d'In-
gelcour, mort subitement depuis un mois,
il le félicita d'un air triste sur son arrivée,
et le salua comme son nouveau maître..
L£ kovice; 189
— Que dites-vous, Marcel? s'écria Ro-
bert; que dites» vous, grand Dieu? mon
père est moit !
— Quoi! vous l'ignoriez, monseigneur ?
répondit le vieillard. Hélas îila été frappé
d'un coup de sang comme il se levoit de
table. Il y aura demain quatre semaines
que nous l'avons déposé près des sires
dlngelcour avec les cérémonies d'usage.
Robert regardoit le vieillard d'un air
effaré, tant ce dernier coup venoit de le
frapper vivement. Enfin il demanda d'une
voix tremblante si la chapelle étoit ou-
verte.Marcel ayant répondu qu'elle l'étoit :
-^ Nous passerons la nuit ici , George ;
ne me suis pas, dit-il; et il s'achemina
lentement vers la dernière demeure de sa
famille. Une tombe nouvelle eut bientôt
frappé ses yeux ; il s'agenouilla respec-
tueusement sur cette tombe et pria avec
ardeur son père de l'absoudre. — Par-
donne-moi, disoit-il d'une voix déchi-
rante, pardonne-moi d'avoir voulu me
soustraire au vœu que ta bouche avoit:
prononcé , d'avoir déserté les autels,
quand tés serments m'y attachoient. Dieà -
m'a puni , assez puni , mon père! il reçoit
en expiation^ na douloureuse existence.
Que ton âme repose en paix.
Robert pria long-temps; la souffrance
de son cœur en fut adoucie ; cette pre-
mière expression de son désespoir qu'il
adressoit au ciel rendoit ce désespoir
moins amer. La nuit alioit bientôt venir ,
il se leva et prit le chemin du château. En
traversant le vestibule il tressaillit: la
porte de la grande salle étoit entr'ouverte;
il s'arrête, il hésite, enfin il entre. Tout
étoit dans le même état : les armes de ses
pères étoient suspendues aux murailles;,
les sièges sur lesquels les tard-venus s'é-
toientassissembloientiesattendre encore;:
les torches à demi brûlées n'avoient pa»
été rallumées peut-être depuis le départ
des compagnies blanches. A cette vue
le cœur de Robert se fend : — Nous re-
tournerons à Ingelcour , et nous rêver-*
rous l'oncle Ambroise ! s'écri€-t-il; et tom^
XJE NOVICBfc 191.
bant sur la pierre , des larmes , un ruis-*
seau de larmes coule enfin de ses yeux.
Il appelle Julienne , il appelle son père
aussi; mais les voûtes sont muettes; pas,
une voix ne répond à sa voix déchirante,
—Et pourtant, dit-il en sanglottant^ elle
étoit là, ses yeux se portoient sur moi!
Ah ! Julienne, encore un regard ! quoi !
pas un ! quoi! jamais ! et tu veux que je
vive ? Non , non , tu ne peyx le vouloir.
Grâce, grâce, Julienne ! Il va s'agenouil-
ler sur la place qu'elle occupoit quand
pour la première fois elle s'est offerte à
sa vue, la couvre de ses baisers et de ses
pleurs. C'est là, c'est là qu'il voudroit
mourir! Mais dans l'égarement de sa
douleur la voix si chère semble encore se
faire entendre; il se lève tremblant, rési-
gné : — A Cluny, à Cluny, répond-il,
et sortant précipitamment, il quitte la
grande salle pour n'y jamais rentrer.
George qui se tenoit à la porte et qui
sans se montrer avpit suivi tous ses mou-
yements, le conduisit à l'appartement
iga LE iroviGE.
qu'on lui avoît préparé. I^ figure de Ro-
bert n'avoit plus rien de sinistre. Une
douleur plus douce y éloit empreinte ;
mais il lui tardoit de voir se refermer sur
sur lui les portes du cloître où les vœux
d'un père et l'ordre de Julienne Fen-
* voyoîent attendre la mort. L'infortuné
jouissoit en pensant qu'une vie privée de
bonheur et d'espérance ne sauroit être
Ions:ue.
George s'attendoit à se voir congédier
ainsi qu'il i'étoit tous les soirs; mais Ro-
bert pour la première fois depuis son
mallieiir, loin de paroître importuné par
sa présence , lui dit de coucher dans sa
chambre. -— Passons celte dernière nuit
ensemble, mon bon George, ajouta-t-il
en serrant la main du chasseur; demain
avt'înt mon départ pour Cluny tu feras
venir le tabellion; je veux qu'il dresse
un acte qui le mette en possesion de tous
mes biens,
— Et pourquoi faire ? répondit le
&
LE NOVICE. 193
chasseur avec autant de surprise que
d'inquiétude.
_ Je ne laisse que toi dans le monde,
George; ne veux-tu pas hériter de ton ami?
— Ainsi vous me laissez ! vous me dé-
fendez de vous suivre à Cluny! s'écria
George pâle et tremblant. Quand nous
étions enfants tous les deux^ ne nous
étions-nous pas promis de ne pas nous
quitter? îTétoit-il pas convenu que je me
ferois frère lai à Saint-Paul ? Vous le dé-
siriez alors; alors Robert aimoit le pauvre
George, continua -t-il en sanglottant. Le
fils du chevalier serroit la main du fils de
FafFranchi en l'appelant son frère. Au-
jourd'hui il le x^hasse , il lui dit : Va mou-
rir loin de moi
— Non , non ! s'écria Robert en le
pressant dans ses bras , la voix d'un ami
arrive encore à ce cœur brisé. Viens ,
George , viens me fermer les yeux , et
qu'un jour notre cendre soit réunie.
Le lendemain, au coucher du soleil,
le portier de l'abbaye de Cluny condiiisit
IV. o
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deux étrangers dans la cellule de dom
Ambroise. — Mon oncle, s^écria Robert
en se jetant dans les bras du vieux reli-
gieux, je viens prononcer mes vœux et
mourir près de vous.
Plus de cent ans
après, on parloit encore à Quny du sa-
voir, des vertus d'un frère Robert, mort
dans un âge fort avancé. Plusieurs vieux
religieux Favoient connu. On parloit
aussi du frère George , qui ne lui avoit
survécu que de trois jours, et que, sur sa
prière , on avoit enterré près de lui.
Fiir.
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