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Full text of "Le novice"

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3. 




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TAKIS. iMmiMEr.TRDE CO?SO!r , 
ne Saiiit-Ge«ia«lii*'le«-Pr^» ao q. 




LE NOVICE, 



0^ e/^"*' a& (Bcwvr. 



Trop peu do lemps ! dans la plus douce cbote 
Il fut IieureuT. 

DuGis. 



DEUXIEiME ÉDITION. 



TOME TROISIÈME. 



N 



PARIS , 

&V« DB 8BXVJI y V* Z4. 

i83o. 



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M HO?]I€]Ë, 



koxah 



DU QUATORZIÈME SIÈCLE- 



CHAPITRE PREMIER. 



Qacls»ttag«f lombrct 
Onl environne «l'ombres 
Tes yeux bi û.\A de picurt î 
Ton soir eil loin encore , 
El ta paisible aurore 
T'afott promis tics fleurs. 

Mme DfiSBORSES Yalstobe. 



Plus d'un mois s'écoula depuis ce jour 
si douloureux pour Robert , sans que la 
morne tristesse qui Faccabloit se dissipât 
un seul moment. Il ne parloit plus des 
tard-veniîs, il ne parloit plus de Julien ; 
aucune plainte ne sortoit de sa bouche ; 
mais son teint' ]per doit peu à peu le bril-' 
m. 1 



4 LE NOVICE. 

rasseyant aussitôt : — Non , dit-il d'un 
ton encore plus sombre que de coutume, 
restons. 

C'est ainsi que le temps se passoit de- 
puis le départ des tard-venus. Sire Urbain 
avoit repris les habitudes de sa vie ; son 
aumônier, son sénéchal, tout son monde 
enfin étoit revenu. Il partageoit sa jour- 
née entre les plaisirs d'une bonne table 
et celui ^ de jouer aux échecs avec son 
bailli. Quant à Méridan , il passoit beau- 
coup d'heures dans sa chambre^ occupé 
de sa traduction , qui déjà étoit plus qu*à 
moitié faite. S'étonnant de ne point voir 
revenir dom Ambroise , il comraençoit à 
craindre que la fin de son travail et son 
départ pour Paris n'eussent lieu avant le 
retour du religieux. Méridan , mieux in- 
struit que Robert et le chasseur, ne pou- 
voit concevoir qu'on eût besoin de six 
mois pour faire deux fois la route d'Avi- 
gnon. — Au moins devroit-il m'écrire , se 
disoit-il tous les matins en s'asseyant à sa 
table, où bientôt, la plume en main, iï 



LB iroviCE. 5 

oublioit et dom Ambroise et Tunivers.- 

— Voulez-vous prendre un arc ? dit un 
matin George au novice. 

— Pourquoi? 

Nous irions chasser. 

—Ce n'est pas la peine de s'armer pour 
tuer des lièvres , répondit le novice avec 
dédain. 

— Justin Méridan diroit à cela qu'il 
vaut mieux tuer des lièvres que des hom- 
mes, murmura le chasseur entre ses 
dents. 

Robert, surpris d'entendre sortir une 
sentence aussi philantropiqne de la bou- 
che du chasseur, leva sur lui ses grands 
yeux noirs, dont tout le feu avoit disparu 
depuis long*temps. — Vraimen t ? reprit- 
il d'un air distrait. Et toi , que dis-tu ? 

^ Je dis je dis que je voudrois vous 

voir content , répondit George. Et il sor- 
tit, voulant cacher une larme qui venoit 
de mouiller sa paupière. 

— Que tous les diables de l'enfer puis- 
sent emporter les tard-venus ! s'écria-t-il 



.en descendant quatre à, quatre lesmar-» 
çhes de l'escalier, pour aller respirer dans 
la cour, car il étouffoit;.sans eux il n'aur^ 
roit pas quitté Saint-Paul, il n'auroit pas 
conçu toutes ces idées queDieu confonde! 
qui sont maintenant fichées dans sa t«te, 
comme autant de serpents qui le rongent. 
Il étoit gai, heureux, et je vais peut-être 
le voir mourir! Effrayé de sa propre pen- 
sée, George se mit à redoubler son. pas ^ 
comme pour la fuir. Il marchoit en long* 
et en large devant le perron, tantôt fer-^ 
mant ses poings, tantôt croisant ses bras 
sur sa poitrine , qu'il serrait à perdre la 
respiration. — Le ciel nous soit en aide î 
continua-t-ii.Sidu moins nous avions dom 
Ambroiseici! Il sait comment s'y prendre 
avec cette tête-là. Quand il parle à Bjo» 
bert, on diroit voir de l'eau qui éteint un 
brasier; mais tout nous manque, tout! 
X^e diable nous envoie les tard-venus, il: 
emporte sa révérence ; il y a de quoi de^* 
venir fou. Ce Méridan ne parle pas plus 
qu'une souche; car si je àavois où.prea*: 



LE TTOVICfe. ^ 

dre notre homme, je répondrois bien de 
leramener, qiiand je devroisle rapporter 
sur mes épaules. 

A peine il achèvent ces mots qu'il en- 
tendît le pas d'un cheval qui passoit sur 
le pont-levis, et au même instant, la voix 
de dom Ambroise, qui l'appeloit, retentit 
à son oreille. Le chasseur, transporté de 
joie, s'empressa d'aider le religieux à quit- 
ter la selle, si l'on peut exprimer ainsi la 
promptitude avec laquelle il l'enleva pour 
le poser à terre. Sans s-inquiéter de ce 
que deviendroit le paisible coursier, il 
fiaisît le bras de dom Ambroise et le cDn- 
àoAsit ou plutôt rêntràîna jusqu'à l'ap- 
partement du sire d'Ingelcour, en criant 
k tue-tête : — Le voilà ! le voilà ! sa révé- 
rence ! sa révérence ! 

Dom Ambroise , uh peu étourdi de la 
rapidité de sa course, fut quelque temps 
sans pouvoir répondrlîauxembrassements 
de soft beau-frère , de son neveu, qui ve- 
noit d'accourir, et aux félicitations de Mé- 
ndad; M^s^ peine eut-il jeté les yeux sur 



8 LE xravicE. 

Eoberty que ^ frappé de son changement , 
il le serra de nouveau dans ses bras , en 
poussant un profond soupir, 

— Eh bien ! frère , dit le châtelain lors- 
que chacun fut assis, peut-on savoir main- 
tenant d'où diable vous venez? 

— D'Avignon , répondit le religieux. 

— D'Avignon ! Il Tavoit ma foi deviné , 
reprit sire Urbain en montrant son fils. 
Puis, poussant un grand éclat de rire.— Et 
les tard-venus ont encore été vous trou- 
ver là, pauvre frère ! Par saint. Jacques ! 
vous avez du malheur. 

— Je les ai même attendus par ordre du 
saint père, répliqua dpm Ambroise. C'est 
pourquoi je reviens si tard. 
. — J'entends, reprit le sire d'Ingelcoqr ; 
sa sainteté avoit à traiter avec des têtes 
un peu dures , elle vous a choisi pour am- 
bassadeur. 

— Pour négociateur, dit Méridan , qui 
ne pouvoit souffrir l'impropriété d,^. ter* 

mes. .;.]'-. ..( 

— A peu près , répondit le reUgi^Ui^. 



M NOVICE. g 

Pour mon compte , d'ailleurs , j'étois bien 
aise de revoir le sire Duguesclin. 

— Pour votre compte ! dit Robert avec 
surprise. 

— Eh ! que diable pouviez- vous avoir 
à démêler avec lui? demanda sire Urbain. 

— L'estime qu'il m'inspire m'a £ait dé- 
sirer d'attacher à sa personne un jeune 
poursuivant d'armes qui m'intéresse. Si 
votre fils, continua-t-il en souriant , avoit 
dû embrasser la profession des cheva- 
liers, ne lui auriez vous pas souhaité un 
aussi digne patron ? 

— A quoi bon parler de cela ? répon- 
dit sire Urbain en fronçant le sourcil. 
Pourquoi me rappeler qu'un- si grand 
bonheur m^est reftisé ? 

La plus vive satisifaction brilla dans les 
regards du bon ^*eligieux. — J'apporte le 
bref qui vouis relève de votre vœu, frère. 
Robert est libre. 

Qui peut peindre l'effet que produisi- 
rent ces motSy le^ transports du sire 
dlngelcour y les cris de joie du chasseur^ 



« 

les félicitations de Méridan; mais surtent 
Tivresse de bonheiiF à laquelle le noyice 
craignoit de succomber ? Pâle, tremblant, 
hors d'état d'exprimer sa reconnoissance 
par aucua mot , il s'étoit précipité dans 
les bras du religieux, il lui prenoit la main 
qu'il posoit sur son cœur , s'effor^ant 
d'articuler quelques sons que nul n'aù- 
rpit pu saisir, et levant vers le ciel des 
yeux où la résurrection , si Yon peut 
s'exprimer ainsi, brilloit à^ ti'aTers les 
larmes. 

— Calme-toi , calme-toi , ption fils , di-t 
soit dom An^roiise. AhlKiobert, situ 
veux reconnoîtr^ n^a tendref^e ;. soib 
iLonunevEffQr<îe-toi de vainer^ç oette exal- 
tation qui te dévore, qui mé fera tfem- 
l)ler pour tcHï repos da^ns le mande. ' 

Rappelé è^ lui-même par ces pareles^^ 
l'heureux jeune homard parvint à dômi-^ 
ner la violence de ses sensatipn$. On peut 
dir^ uiêipe , quîil'léprotfva wï^ Iségiàre 
l9<)nte 4e Vétre aba^d^jQixé'.à rQX06S)de sa^ 
jpie avec: Aussi peu* de^xnodératîon.^'^PaN 



UE NOVICE. T I 

doDnez^moi ce premier mouvement , dif^ 
il ,avec un sourire radieuxde bonheur. Dé^ 
sormaisy je suivrai vos dignes avis; ils di- 
rigeront ma vie ^ mon père, toute ma vie,^ 
ajouta-t-il en se jetant de nouveau dans 
les bras de dom Ambroise. 

Le bon religieux sourit doucement ^ 
mais secoua la tête d'un air fort peu per-* 
suadé. 

— Grondez-moi donc aussi, frère, dit 
le sire dlngelcour; car je pleure comme 
un enfant. 

-— Quant à moi , qui n'ai jamais pleuré 
de mes jouts , répliquâlMéridan , je nMrai 
pas m'en aviser lorque je suis content* 
Mais je ne m^en réjouis pas moins avec 
vous tous, da meilleur de mon cœur. 

— Mon révérend, dit George en s'ap» 
prochant de dom Ambroise, vous venez' 
de faire un. long voyage; de courir bien» 
des dangers. Vous avez passé de mau-^ 
vaises nuits, de mauvais jours. Je vais- 
vous dire une chose qui pa^ra tout: sans 
vous , il étoit mort. £t il s'éloigna grave** 



la LE jfoyiCE. 

ment , après avoir baisé la robe du reli- 
gieux. 

Dom Âmbroise ayant alors repris son 
siège , on s'empressa de l'écouter. — Ro- 
bert peut se considérer dès à présent 
comme un des écuyers de sire Bertrand , 
dit-il ; j'en ai la promesse positive. Les 
grandes compagnies, que j'ai laissées sous 
les murs d'Avignon , doivent se mettre en 
marche dans deux ou trois jours; car le 
pape a satisfait à leurs demandes , et , que 
Dieu punisse tôt ou tard ces hommes sa- 
crilèges , la somme qu'ils ont exigée du 
$aint siège est maintenant entre leurs 
mains. 

En écoutant ces dernières paroles , 
Robert baissa les yeux, par un mouve- 
ment facile à concevoir, et dom Ambroise, 
qui le vit sans doute, ne parut pas vou- 
loir augmenter l'embarras qu'il venoit de 
faire naître. Il poursuivit aussitôt. — Une 
^rmée marche lentement; Duguesclin , 
selon toute apparence , ne peut arriver à 
Barcelonne avant les premiers jours de 



LE NOVICE. l3 

janvier. Il suffit]donc que Robert, pour le 
rejoindre dans celte ville, se mette en 
route le mois prochain. 

— A merveille , dit le sire dlngelcour ; 
maintenant néanmoins à 'travers ma joie 
j'éprouve un très-grand souci. 

— Et lequel, mon pèi-e? dit Robert. 

— Pour une expédition aussi lointaine, 
je ne puis faire marcher les vassaux , qui 
me doivent le service militaire (i). Au- 
cunes n'abandonneront volontairement 
leur terres dans le triste état où les ont 
mises le séjour des tard-venus pour sui^ 
vre le fils de leur suzerain , et pour la 
première fois, un héritier dlngelcour ira 
joindre une armée , sans y conduire un 
nombre convenable d'hommes d'armes* 
S'il s'agissoit de faire la guerre en France, 
ou dans tout autre pays voisin.... 

— Ne vous tourmentez pas de si peu de 
chose , Urbain , interrompit dom Am- 

(i)Le service mîlîtairc n'^toît que de quarante 
jours. 



|4 VB> HOYICE. 

broise ; votre fils emoieaera la sriiîte qui 
convient à un écuyer. 

— Ah ! frère , je. songe encore à mon 
départ pour alkr pindre notre duc à la 
bata^le de 'Grécy. Gnquante hommes 
bien montés joi'accompagnoient. Le moins 
brave i^'auroit pas reculé contre une lé^ 
gion de diables. Hélas ! tous sont tombés 
iQorts autour de moi, soos lé feu des An- 
glais. 

•— ïl ne faut plus compter sur ceux-là , 
dît Méridan avec son sang*froid ordi- 
maire. 

-r Cest tout simple, reprit sire Urbain 
en soupirant Je voulois seulement vous 
faire comprendre que ce temps-ià étoit 
le bon temps. Au reste , comme le dit 
fort bie^ le cher frère, il suffit qu'un 
simple éçuyer arrive bien' équipé de sa 
personne* £t quant k vos aranes y Robert, 
voici les miennes, a}outa«>t«il en mon«' 
trant une armure complète qui formoit 
depuis vingt ans une espèce de troj^e, 
contre le mur. Je désirerois beaucojip^ 



LE irOYICE. ' 1 5 

mon .fila» que vous n'en prissiez point 
d'êtres. ^ 

^Où pQurrois-je en trouver de pkis 
bcmorables? répondit Robert en impri- 
ment ses lèvres sur la main dont le vieux -■ 
chevalier i^^ pou^oit plus se servir. 

4^ Pour le cheval, mon .jeune ccuyer, 
dît. Méridan^ vous avez celui que m'a 
donné sire Hugh Calverley, que vous 
gouvernerez beaucoup mieux que je ne 
pourjnoîs le faire*. . 

.— Ce cheval est du plus grand prix , 
maître Méridan , répondit Robert, ne 
voulant pas recevoir un pareil présent ' 
d'un homme qu'il croyoit pauvre. 

*^Cela :se peut, dit l'écrivain; mais 
voiis ne voudrez pas humilier un ami 
en m'offiralat de me le payer plus qu'il ne • 
m'a coûté. Ces derniers mots furent pro- 
nomcés d'un too M fier, que Robert se 
liâta de dire qu'il acceptoit le cheval. 

— Et :je vous réponds, maître Méri- 
dan , dit &eorge> que la kén^ sera bien 
soignéiet.C'^ moi qui m'm charge* 



i8 M f((McÉ 

-^ Ârnen^ dît le religieux. ' '- 

^ Amen y répéta la vieux châtelain,^ 
ainsi qiié tous les assistante , etie service - 
divin s'acheva. 

Cette cérémonie terminée, sire Urbain 
s'empressa d'emmener son fils dans sk)n 
appartement pour lé revêtir de riches 
habits qu'il avôit fait préparer ; ne vou* 
lant pas voir Robert porter lé froc un 
instant de plus qu'il n'y étoit obligé: — 
Mets ceci, mets ceci, dîsoit-il en aidant à 
sa toilette ; puis il posoit sur les épaules 
du jeune homme un élégant manteau de 
velours; puis il lui passoit autour du cou . 
une brillante chaîne d'or qu'il avoit reçue 
de Philippe de Rouvre , son ancien sus&e- 
rain , lors des fiançailles de ce prince avec , 
la fille du comte de Flandre. — Mets ceci, 
Robert, jusqu'au jour où j'aurai le bon- 
heur de te voir endosser la cuirasse et 
lacer tes brassards. Car il tardait au bon 
chevalier de placer son glaive dans la 
nïain de ce digne remplaçant. Son cœur 
palpitoit d'aise à l'idée qu'un autre lui- 



même alloit ténîp^oti^rang'dans les com*- 
bats; qu'un joui' la bamiière dTngelcour* 
flotteroit ^encore sur un ehattip de ba- 
taille; quoiqu'il ne s'agît plus alors que 
de se battre, pour ainsi dire, par procura- 
tion, il n^en sentoit pas moins se raniméfr 
en lui cette ardeur guerrière de sa jeu- 
nesse que l'âge et le repos n'avoient pu 
glacer jusqu'alors. 

Si grande que fût la joie de sire Urbain, 
toutefois elle n'égaloit point à beaucoup 
près celle de Robert. L'oiseau délivré du 
filet, le prisonnier sorti d'un cachot , at- 
tachent moins de prix à leur liberté qu'il 
n'en attachoit à la sienne. Il respiroit en- 
fin^ depuis que le froc, qui lui avoit sem- 
blé si lourd à porter, ne pesoit plus sur 
ses épaules ! Il ne pouvoit passer dans la 
grande salle sans s'arrêter avec délices 
devant un bouclier d'acier poli qui ré- 
fléchissoit soii image , non pour admirer 
sa bonne mine, car il iguoroit encore quels 
brillants avantages il {ivôit reçus de la na- 
ture y mais pour s'assurer de sfa délî- 



ao LE jrpviCE. 

Trance,en contemplant les vives couleurs 
de ses vêtements : — Il est donc vrai ^ s'é- 
crioit-il alors / il est donc vrai l je ne suis 
plus novice! 

Cependant , tranquille désormais sur 
l'avenir, heureux en espérance, il n'é- 
prouvoit pas un désir trop impatient de 
quitter Ingelcour. Le besoin de témoigner 
à dom Ambroise sa tendre reconnoissance . 
lui rendoit précieux le peu de jours 
qu'il avoit à passer avec lui. Quel sacri- 
fice avoit fait le bon religieux en se pri- 
vant pour toujours de l'enfant de son 
cœur, de celui qui jusqu'alors avoit ré-, 
pandu tant de charme sur sa vie l Ces 
pensées troubloient fréquemment le bon- 
heur de Robert. Heureusement il en- 
tendoit dom Ambroise parler souvent 
aussi du plaisir qu'il auroit à se retrouver 
au milieu de ses frères, à reprendre le 
cours de ses éludes , si long-temps inter- 
rompues. Le cœur de Robert alors étoit. 
soulagé par l'idée qu'un vieillard jouit 
au moins autant de ses habitudes que de 



LE iroTiCE. ar 

ses affections. Rendu à sa vie douce et 
paisible , se disoit le jeune homme, il 
s'accoutumera sans peine, je l'espère ,- à 
une séparation que sa bonté lui a fait sol* ^ 
liciter lui-même. 

Toutefois le jour où le religieux prit 
enfin le chemin de Cluny fut un jour dou- 
loureux pour Robert, d'autant plus que 
àom Ambroise, qui la veille avoit eu avec 
lai une longue conversation , partit.sans 
prendre un dernier congé de personne.^ 
La crainte d'éprouver un trop grand at- 
tendrissement en disant adieu pour tou- 
jours à celui qu'il avoit cru ne devoir ja- 
mais quitter, fît qu'il se mit en route 
avant l'aurore, suivi seulement de George, 
auquel il s'étoit confié. L'un et l'autre, • 
pendant la route, ne parlèrent que de- 
Bobert. — ^^ Je crois bien inutile de le re- 
commander à vos soins, mon enfant, di- 
soit le bon religieux. Promettez-moi sim- 
plement de ne jatnais le quitter. 

— Pas plus que l'omhré de son casque^ 
répondit le chasseur.. En paix, en guerre. 



a» LB JfOVICB.- 

hk nuit comme Je jour^ >^oâ;e;réYérence' 
peut ae tdire : George -est là. i 
* -r-« Répétez-Lui souventcombien Je dé»- 
sire qu'il ^n'oublia aucun< de mes avi$> Dîeur 
sait quels efforts j'ai toujours faits pour 
calmer cette tête ardente! Hélàsi.que 
n'aura-t-il .pasii souffrir du monde ^ celui > 
qui se créoit des souffrances dans, um 
c^ître y que j'ai vu ^ dès son en£ain6e , se> 
faire une douleur amère de la moindre* 
peine! Puisse-t*il, mon Dieu ! ne pas re- 
gretter Saint-Paul ! 

George 9 tout sans souci qu'il étoit, nei 
put prendre congé de dom Ambroise 
pour la dernière fois sans un âlitendris-. 
sementy qui alla jusqu'aux lannea.^ lors- 
qu'avant d entrer dans la dernière cour^ où 
tousses frères l'attendoient^ le religieux 
lui serra la main affectueusement>.en ap* 
pelant sur lui et sur Robert la bénédic- 
tioa céleste. La porte étoit refermée de^ 
puis quelques minutes:, et le chasseur res-^^ 
toit immobile à la.méme place; 14 y seroit 
resté long-temps peut>étre, si le. frère 



LE ITOVÏCE. OÏ 

portiepy sur l'ordre qu'il en'aVoil reçu de' 
dom Ambroise , ne l'eut engagé à mettre 
les chevaux dans Técurie et à venir pren-* 
dre quelqties rafraîchissements. — Je ne* 
croyois pas aimôr autdnt cet homme^-là , 
se disoit George en suivant le^ frère. Je 
veux que Ton m'écorcbe si je ne voudroîs 
àe tout mou cœur que Robert eût pré* 
téré nous enfermer tous trois id , à cou- 
rir ce monde dùïA je ne me soucie . 
guère. 

Tandis qu'il essayoit de noyer son 
chagrin dans un broc de vin fort médio- 
cre qu*on lui avoit servi , il n'oublia pas 
défaire mille questions à son guide sur la 
vie qu'on menoit à Cluny, et demanda 
principalement s'il s'y trouvoît une bi- 
bliothèque , pensant bien queles moindres 
détails sur le sort qui attendoit le bon re- 
ligieux seroient précieux pour son jeune- 
maître. Tout ce qu'il apprit de ce riche 
monastère pouvoît &ire espérer que dom 
Ambroise y vivroit heureux. Aussi s'em- 
pressa- t-il à son retour d'en rendre un 



a4 u iroviCE.' 

compte exact à Robert ^ qui se fit répète 
cent fois les mêmes choses , et surtout le 
discours de son oncle, dans lesquels i 
puispit une grande consolation, iorsqu 
de temps à autre je ne sfils quel remord 
venoit troubler sa joie. 

Méridan ne dcvoit quitter Ingelcou 
qOe le jour du départ de Robert. La veill 
de ce jour étant arrivée, il emmena 1 
jeune homme promener avec lui dans 1 
pourpris (i), et, prenant un ton solen 
nel, il le conjura de ne point négliger le 
précieuses connoissancesquHl avoit acqui 
ses. — Gardez-vous , lui dit- il , d'échange 
l'or contre le fer. Cultivez le savoir qu« 
vous devez à votre docte parent. Ce tréso 
vous assurera la supériorité sur vos com 
pagnons d'armes, et, si vous n'êtes pa 
tué, vous le retrouverez, pour lebonheui 
de vos vieux jours. 

Robert l'ayant assuré qu'il suivroit se 

(i) Oa appeloit ainsi l'enclos qui entouroit ui 
manoir seigneurial. 



Ls irovicE. a 5 

conseils 9 lui fit différentes questions sur 
l'Espagne ; car il n ignorait pas que Méri* 
dan n'avoit jamais négligé de faire causer 
les voyageurs qu'il renqontroit, et qu'il aj - 
peloit des livres vivants. Le jeune homme 
apprit de lui en effet une foule de cho- 
ses qui pouvoient lui être fort utiles du- 
rant son séjour sur cette terre étrangère. 
Mais parmi les renseignements de toute 
sorte qu'il en ohtint, l'écrivain n'oublia 
point de parler d'un couvent de Tolède , 
qu'on disoit renfermer une précieuse bi- 
bliothèque. — Comipe aucun de vos com- 
pagnons^ ajouta-t-il, ne reviendra les 
mains vides, je crois que vous pourriez 
bien, sans scrupule, rapporter vous-même 
quelques manuscrits. 

Robert sourit en voyant le sévère Mé- 
ridan tolérer un genre de pillage moins 
vulgaire, à la vérité, mais non moins ré- 
préhensible que tout autre. — Comptez, 
dit enfin l'écrivain , que vous avez à Paris 
un ami sincère. 

— Et peut-être m'y verrez-vous bientôt 
m. a 



tirrîver à la sitîte du seigneur Bertrand , 
dit Robert, qui voyoît déjà Henri sur 'le 
trône et la Castille réduite. 

Conome il falloît avant tout néanmoins 
passer par Barcelonne, lliéritier d'Iugef- 
cour prit le tehdemain la route de cette 
Tille. George et dèuit valets bien éqtiippés 
composoient toute son escorte. L'œil 
éteint de sire Urbain brilla de tous les 
feux du courage et de la jeunesse lors- 
^'il vit Robert monter à cheval. En dépît 
de sa goutte, il conduisit la petite caval- 
cade jusqu'au pontlevis, 'et là ses regards 
et ses bénédictions accotnpagnèretit son 
ifils jusqu'au moment où îl le perdit de 

TUC. 



. 1 



CHAPITRE II. 



Âge «<mal)le l B|e hiureux! ton plus ))il apana|e^ 
Cen'tfst donc point Ttinour, la braaië, le. coaragei 
El la g1oir« il belle , «l les plaisirs si doux ; 
Von , lu sais espérer ; ce plaisir les vaut tous. 

DtUULE. 



4 

. .Qiiïx.L£ eppfiance dans le sort ne devait* 

il pas ayoir y qu,el rêve de.bonhcur ne de* 

Toitril pas.iairp ^.ce voulant fifs d'un noble 

chevalier,, qiii.partoit pour aller trouver 

, le, ,l^9^4e ^ ^ vbrilljEipt . de ^ jeunesse . et de 



a8 ^ LE NOVICE. 

beauté, doué d'un esprit vif et hâtîvemeni 
orné par des connoissances étrangères k 
la plupart des hommes de ce temps ? qui . 
dévoré du désir d'acquérir une haute re- 
nommée, alloit se trouver placé sous la 
puissante protection du héros de la 
FrancePSil'on joint à tous ces avantages 
une âme brûlante, une imagination pro- 
pre à centupler l'effet des sensations dou- 
ces aussi bien que l'effet des sensations 
pénibles, on n'aura encore qu'une foible 
idée de l'état d'ivresse dans lequel Robert 
parcourut la longue route qu'il avoit à 
faire pour arrivera Barcelonne. Son cœur 
étoit plein d'une joie si vivo, il savouroit 
si délicieusement l'existence, que, s'iln'eût 
pas touché de près au temps où lui-même 
avoit connu le désespoir, ilauroit nié le 
malheur. Soit qu'il s'entretînt avec George 
'de l'avenir qui s'offroit à lui', et dans le- 
quel il n'entrevoyoit que gloire et féli- 
cité, sôit qu'il se livrât en sftènce à ses 
riantes idées , chacjiie iïistant de sa vie ap- 
^ partenoitau bonheur,— Quelle surprise 




LE NOVICE. a^ 

éprouvera Julien , se disoitril souvent, eu 
reconnoissant dans Féouyer de Dugues- 
clin le pauvre novice de Saint-Paul! îïous 
nous étions dit adieu pour toujours, et 
pour toujours nous voilà compagnons 
d'armes; car je suivrai Julien en quelque 
lieu qu'il aille. Et Robert sourioit joyeu- 
sement, et de toutes ses pensées cette 
pcûsée étoît la plus douce. 

Il arriva à Barcelonne six jours après 
les compagnies blanches, qui y étoient 
entrées le premier janvier (i). L'aspect 
de cette ville opulente et de la plaine fer- 
tile qui lenvironnoit réjouît d'autant 
plus ses yeux qu'il venoit de traverser 
des provinces entières en proie à la mi- 
sère et à la dévastation. Robert salua la 
vieille cité d'Annibal, dont les nombreux 
clochers annonçoient l'immense popula- 
tion. Il n'entra pas sans émotion dans ses 
murs, où chaque sièclp écoulé serabloit 
avoir laissé son empreinte; tant la diyer- 



I 
/ 

/ 



sîtë du étyle déà raôiiùnients attestoitlat 
domination slïocessive des Romains, des 
Crbtlls et dès' Maures. 

Les premières personnes qu'il rencon- 
tra dans Id ville lui indiquèrent le logis 
de Duguesclin; dont il prit le chemin 
aussitôt. Quelques Kônimes d'armes de^ 
compagnies blanches parcouroient les 
rues ; mais ils étoierit en fort petit nom* 
lire, les chefs ayant grand soin de lès re- 
tenir dans le câiinp qui étôit dressé hors 
d'es* murs , sur les bords de la mèr. Il fa:I- 
Toît ménager les Catalans, chez lesquels 
on venôit en amis^ et qu'on jsavoit d^ail- 
leurs être fort peu endurants. 

— N'^oublie pas , dit Rotert à George, 
lorsqu'ils approchèrent tous deux de la 
demeure qu'on leur avoit désignée, n'ou- 
"blie pas de t'iiiforme'r le plus tôt possible 
'de la conîpagn ie Evrard, et tâche de savoît 
où les chefs sont logés. • 

-^ Je saurai cela ce soif tnème , tèpon^ 
"3îf le châsseùF; depuis que nous tou- 
chons dans la ville, j'ai déjà retrouvédeux 



oa trois Tisagc^ ikv^c;' lesjqi^els je' vais re* 
mmer connpUsance. . 

Us arrivoient. alors devant le palais 
des rpis d'Arragon, dans lequçlv pour lui 
faire bonneur^ on avort logé Duguesclin. 
Robert remit son cheval à George, et 
pénétra dans;cette royale demeure , dont 
k magnifî.ceixce étoit ppur l\à chose 
i]oav,^e. 

Son entrée danslasalleoùse trouvoient 
Duguesclin, Hugh Carverley, Strambourc 
et plusieurs autres chevaliers, excita la 
pltUS grande surprise; car, à l'exceptioa 
de Bertrand^ personne. ne s'attendoitju 
vqir arriver çn Catalogne celui qu'on 
avoit laiss^'près de Çbâlons^ portant Tha* 
b^|;.de novice*.;. . 

^— Te voilai' donc, mou jeune brave ^ 
dit Dqguesc^n dès qu'il l'aperçut. Par ma 
foi! vingt-quatre heures plus tard, il te 
felloit cpurir après nous, car nous nous 
iqf^ttons ofjefni^in eu route pour Sarra- 

Robert , qui désiroit savoir aussitôt si 



3i LE irdvicE.' 

dom Ambroise ne s'étoît poîiit flatté, ou 
si le héros breton n'âvoit point changé 
d'avis, répondit assez habilement qu'il 
auroit été chercher au bout du monde 
l'honneur d'être attaché à la personne de 
Duguesclin. 

— Oh ! quant à m'être attaché , reprit 
Bertrand, je l'ai promis à tori oncle. Nous 
ferons cette campagne ensemble , à moins 
que le diable rie s'en mêfe, et n'emporte 
le maître ou l'écuyer, • *^*^ 

— Il feroit une trop belle prise en em- 
portant le maître, Monseigneur, répon- 
dit^Robert gaiement. 

— Il ne peut plus emporter aucun de 
nous, se mit à dire Pel'rin dé Savoie d'un 
air railleur. Ne savez-vous donc pas, jeune 
homme, que nous sommes tous en étafde 
grâce ^ <^ue nous venons de recevoir î'ab*- 
solution du saint père ? 

— Assez , assez , interrompit gravement 
Thomas Walter. Nous comtidëilçans ùhé 
nouvelle vie, tâchons d'adopter un nou- 
veau langage. 



LX VOTIGK. 33! 

— Par saint Yves! s'écria en riant Jeau 
d'Évreux, je ne serai pas content qu'on 
n'ait nommé Walter aumônier de l'armée, 

— C'est maintenant son vrai lot, dit 
Gauthier Huet. 

— Qu'entendez-vous par là? répondit 
Walter en fronçant ses épais sourcils de 
façon à en imposer au plus hrave. Vou-* 
lez-vous dire que je ne sois plus bon qu'à 
réciter mon Pater? Par mon sabre ! dans 
la première mêlée vous verrez si je mé- 
nagerai mon corps ; mais je ne veux plus 
risquer mon âme , à présent que je l'ai 
retirée des griffes de Satan. ^ 

— Retirée , dit Jean d'Évreux. Ah î 
mon pauvre Thomas, j'ai grand peur qUq 
Satan n'ait tenu ferme. 

— J'espère en la miséricorde de Dieu i 
reprit le Flamand, sans s'inquiéter des 
sarcasmes ironiques dont il se voyoit 
l'objet^ mais en jetant à la dérobée, sur 
le ci-devant novice, un regard où Robert 
crut lire un pénible embarras. r 

— Et jamais cette miséricorde n'a re-^ 



34 XJB W&fîOSX 

poussé' lé repentir, sire Thoms^s^'Iùr dit 
avecbdnté celui qu^il n'osoit regarder eu- 

face. < ' : . '•' 

— Je vous remercié dé ce mot ,.Jpune 
homme, répondit Walterj car Vous "nT^- 
gnorez pas que nous nous sommés d^èjà 
vus de près. Le mal que j'ai fait à vos 
frères pèse Iruderaent sur ma conscience j, 
et si vous voulez de Thomas Walter pour 
ami envers et contre tous , à la vie et à la 
iûort, touchez là. 

Robert serra la main du tard-venu ^y^ 
ime franche cordialité; car il est des nK>«« 
mens 4^ la vie où; le. ccefur n'a 4^ place 
pour aucun resseiïtijiifefflA^ v < r- \ 

— Qu'on apporte du vï»^ s'émaHc^E 
Calverley. Dieu^ me damne,- si v^e- fais le 
moindre cas^ d'une rébonciliation à secx 
D'ailleurs^ il est naturel dëlDoireii^la bieiH 
Tenue <ia jeunô éciijrer^— ^Goùt^moi 
fcela, jeune bommie^ dit4i^evi présentant 
une pleine, coupe à' Hdbert, dès que 1« 
vin fût apporté : il monte ^ua peu plus 



Tite à la tête que vos Tins de Boui^ogne 
et de France, mais il a son prix. 

— Il a d'autant plus son prix, que nous 
lepayons, dit Strambourc, . 

— Avec l'argent du pape,, des roi» de 
France et d'Arragon^ répliqua Bertrand 
en riant. 

— C'est aussi vrai que vous ledit Stram- 
iourc, mon enfant, reprit Hugh Calver- 
ley. 11 ne s'agit plus ici de fouiller dans 
les caves. 

— Tant mieux, répondit Robert pen- 
dant quHl s'eflfbrçoif d'avaler la moitié de 
sa portion, que l'Anglais avoit versée 
comme pour lui-même. 

— Tant mieux! tant mieux:! repartit 
Perrin de Savoie en hochant la tête ; à la 
bonne heure, tant que nous aurons de 
logent. 

^Craignez -vous d'en manquer? dit 
Dognesclin ; ne voyez-vous pas à la ma» 
nière dont nous sommes reçus ici' que ce 
bon roi d?Arragon nous cajole^ et qu-il 
nous traite eïi gens dont il a besoin? 



36 LE irOTIGE. 

— Par saint Jacques ! je le croîs bien , 
dit Jean d'Evreux; nous venons occire son 
plus mortel ennemi. 

— L'évêque me disoit ce matin , reprit 
Bertrand , que son roi étoit peut-être plus 
impatient que Henri de nous voir arriver 
dans sa capitale. 

— Aussi est-il juste qu'il paie les frais 
de la guerre jusqu'au jour où le Transta- 
mare régnera, dit Strambourc. 

— Il y compte, répondit Duguesclin; 
les ordres sont donnés pour que nous 
trouvions, sur la r^ute de Sarragosse, les 
vivres en abondance et à bon marché. 

— Mais la route de Tolède, quand la 
prendrons-nous ? repartit Gauthier Huet. 

— Patience , patience ! reprit Bertrand, 
qui avoit beaucoup à faire chaque jour 
pour contenir des gens aussi avides de 
butin ; ne faut-il pas d'abord nous rendre 
à Sarragosse pour voir le roi d'Aragon , 
et surtout pour nous réunir aux troupes 
que rassemble Henri ? Nous ne pouvons 



LB iroyici. 37 

agir en Castille que de concert avec ce 
prince. 

— D'ailleurs, ditHugh Calverley , plus 
accoutumé que Perrin de Savoie et quel* 
ques autres à la guerre régulière y de quoi 
pourrions-nousnousplaindrePNesommes- 
nous pas en bon pays? Avez-vous jam«'iis vu 
une pareille abondance, des terres mieux 
cultivées? On trouve ici des vignes jusque 
sur les rochers. Mais, à propos de vignes , 
personne de nous n'a encore songé à de- 
mander des nouvelles du plus digne Bqur* 
guignon que je connoisse, de notre bon 
sire Urbain ? 

— Grâce à Dieu , répondit Robert , j'ai 
laissé mon père bien portant, et aussi heu- 
reux que moi. 

. M— Tant mieux, dit Duguesclin ; il nous 
a tous. reçus comme des frères. 

— Et mon maître , mon.bon petit Jus- 
tin Méridan , i*eprit l'Anglais ; s'est^il cop- 
salé de notre départ? ':>»•) 

— Je ne l'en ai jamais vu fort afûigéji tré- 
pondit Robert en souiiant^ Je. l'ai, laissé 



^ M ÎTWICS. 

^rét à se melttse ^eii rôWe po«f /eHwumer 
à Paris. 

— A P^ris! répliqua Calyeiley; il -au- 
roit bien mieux foit de m'accompagner 
âoi^ comme je le lui avois proposé; C'est 
-ici que je votidrois le voir , au milieu des 
•ouvrages de ses bons amis les Romaini. 
Je suis sûr qu il deviendroit fou dç joie, 
va la vue de ce l)el aqueduc que j'apep- 
♦çois de mes fenêtres. Badinage à part, goU- 
4in«a-t-il d'un aîr sérieux et en regardant 
tous ceux qui Fentôuroiént , sans en ex* 
^^pter Duguesclin, badinage à part, jp 
puis vous jurer qu'il y a plus d'esprit ^t 
^e savoir dans la tète do ce petit bomme* 
^à que dans toutes les nôtres réunies. 
1E(qu6 ne sommes que des ânes près de lui; 
<èt, pàr^tomt Georgeî-G^la me faitisonger 
à boire un ^ùUp en soniibniteur. . 

Il âUQÎt'en efifist remplir tsa cdupe de 
itfotiVeau ,lonsqu:'uni grand bruiti sétfitien* 
«tendre dans la pièôe voisin i^oÙTOleiitâti 
-^lissit^t teHi^wdc Tr^HUs&anBare.: lA^rtr^ 
:]^^v¥tl,^ Hmj»iaiieJiomiQesCoJttvf«^;4^r^ 



IX IfOYICE; 3^ 

mes brillantes entra dans la salle , saiiii 
de plusieurs cheyaliers castillans* ;A cette 
vae, tout le monde se leva ^ saisi de sur^ 
^ptise et d'une sorte de respect , tandis que 
le fils d'Ëlé'onore de Gusman s'étoit jeté 
dans les bras de Duguesclin , en l'appe- 
lant son sauveur. 

Touché de la démarche du jeune prince, 
Bertrand le serra de bon cœur sur sa poir 
trine. 

-^ Que Dieu m'entende , Monseigneur! 
dit-il, nous serons tous battus , au vous 
serez Toi, . 

— Je le suis donc, répondit Henri^ 
quelles armées poun^oient résister à celles 
que conduit Duguesclin ? Et vous, Mes^ 
sires, dit-il en se retournant vers les au^^ 
treschevftliers, vous qui êtes tous si dignes 
de combattre sous un tel capitaine, croyca 
que je suisbien fierde placer ma bannière 
près des vôtres. 

-—Vive Henri, roi des deux CaStilles 1 
8*écriaStrambourc. Ge cri fut répété avec 
enthouilainie par tou» ceux qui étoient 



40 U irOYICE* 

.présents , et surtout par les nobles Cas 
tillans dont Henri étoit accompagné , qu 
tous, s'étant prononcés pour lui depuis 
. long-temps^ n'avoient plus d'autre altère 
native que la victoire ou l'échafaud. 

Duguesclin jugea quil^étoit convena< 
ble que tous les chefs . des xompagnies 
.vinssent saluer le prince. Il donna donc 
l'ordre à Robert et à un autre écu.vei 
d'aller les avertir aussitôt. 

Robert, qui pour la première fois de 
sa vie se trouvoit chargé d'une mission , 
suivit son jeune camarade , Roger de 
Keradec, et lui demanda quelques rensei- 
gnements sur la demeure de ceux qu'ils 
alloient chercher. — Rendez-vous tout de 
suite au camp , dit Roger; moi , qui. con« 
nois la ville, je me charge de trouver ceux 
qui y logent. 

Cet arrangement, quoiqu'il fût le plus 
simple, ne plaisoit guère, à Robert , qui 
croyoit sire Evrard logé dans la ville; mais 
ii le trouva merveilleux, lorsqu'il eut aper- 
çu George qui l'attendoit sous le vesti- 



LE KOVJGE. 4l 

bule, pour lui apprendre que sire Evrard 
n'habitoit point Barcelonne. Je vais donc 
le trouver au camp , pensa Robert. Et s'é- 
tant fait donner un cheval frais, car le 
sien avoit fait quinze lieues dans la jour- 
née , il partit au galop , doublement em- 
pressé d'exécuter les ordres dont il étoît 
cbargé. 

Lanouvelle qu'il apportoit excita dans le 
camp autant de surprise que de satisfac- 
tion. Tous les .capitaines auxquels il par! a' 
s'empressèrent de monter à cheval poux- 
se rendre chez Duguesclin. Il lui restoit 
pourtant encore à trouver sire Evrard , 
lorsqu'on lui indiqua une petite maison 
de pécheur^ dans laquelle le chevalier, 
gascon avoit, dit-on, pris son domicile. 
Cette chaumière étoit située entre les der- 
nières tentes qui formoient le cordon , et 
la plage, que couvroientalorsles flots de la 
Marée montante. Robert s'y rendit aussi- 
tôt, non sans remarquer quel soin pre- 
noit toujours sire Evrard pour s'isoler au- 
tant que pouvoit le permettre sa sîtuaîon. 



2* 



42 LÉ NOVICE. 

[^ Arrivé à la porte, il s^ta à terre, attî 
cba son cheval , et frappa doucement pou 
annoncer sa venue; mais personne ne Ii 
répondant, il crut pouvoir redoubler, c 
la porte, mal close, s*ouvrit alors d'elle 
même. Cette chambre cependant n*étoi 
point déserte. tJn jeune homme, dont Ro 
bert ne pouvoit encore voir la figure 
étoit assis près de la fenêtre , paroissàn 
contempler attentivement les vagues écii 
'mantes qui venoîent mourir sur la plage 
à peu de distance de lui. 

•— Julien ! s'écria Robert, qui, pour L 
reconnoître, n'avoit pas eu besoin de dis^ 

tinfîruer ses traits- 

- — O ciel ! quelle voix ! dit le jeune tard 
venu en se levant , commd hors de lui 
même ; c'est vous ! vous ici ! Et dans L 
même minute, un rouge écarla te couvrî 

ses joues, et fit place aussitôt à la plù; 

' <« * ■ ■ ■- * ■ ■ ■ 
mortelle pâleur. 

La joie, l'émotion de Robert ne lui pér 
mirent pas alors d'observer quel troiibï 
extraordinaire sa vue inattendue tehol 



d'esccUer* Il sebâtoit d!explit}uer en pea 
4e'W0ts coiïManent il se trouvoit libre , et 
le eoiBpagQon d'armes de son. bien-aimé 
lulien*. 

— Evrard ! interrompit le jeunebomme 
avec uti.c[ffrol qui lui permettait à peine 
de s'exprinbei? ^ il ne peut tardôr à re- 
tenir. 

C'est Iqi-tnême que je viens chercher , 
répondit Robert forjt surpris. Qui peut 
vous troublet* ainsi y cher Julijen ? Henri 
d« Tf wstamai^e vient d'arriver à Barce* 
lonne , et Duguesclin m'envoie pour en 
4Yerlir:les chefs. ; 

; . — Retourûez , retournez, reprit Ju- 
liepy.dopt iesraembTies tremblants et les 
lèvres pâles annonçoient une fayeur indi- 
cible. Evrard, lui-même est à Barcelonne: 
vous le trouverez chez le maréchal d'An- 
dreghem, chez Jean d'Evreux, que sais-je? 
Mais sur votre vie , sur la mienne , qu'U 
îjgiior^ y ala^-If f •qVi'A!^ ignore, à jamais que 
Bpus TkG^s .9(\i^ia(ies vus ici* 

-KJu'eûtewidlsrîe 1 4'éçria Robert. Evrard 



44' M irovicE. 

peiit-il me défendre de vous voir, de vous 
parler? Vivrons-nous étrangers Fun" à 
l'autre , quand je croyoîs tous mes vœtfx 
comblés , quand le ciel nous réunit soUs 
la même bannière? 

— Dieu tout-puissant ! c'est lui! s'écria 
Julien. Une porte de la chambre don noit 
dai>s une petite pièce où couchoit le pê- 
cheur et sa femme; Julien l'ouvre, dis- 
paroît , et la referme aussitôt , tandis que 
Robert distingue en effet , le bruit d'aine 
cavalcade qui s'arrêtoit devant là chau- 
mière. ' 

Sire Evrard entra seul; Tout ému ^u-é^ 
toit lioberf , la vue de cet homme , qu'il 
ii'avoit jamais aimé,* et' qu'il déleâtôft: 
alors de toute la puissance dé son^âttîè , 
lui rendit à l'instant ime contertàhbe 
ferme et résolue : plus propre à dissimu- 
ler son trouble que tous les efforts qu'il 
•-€ut pu faire. 

— Qui êtes-vous? = dit brusqùemêttt le 
-chevalier dès qu'il i'àperçttf; Puis ,* 'i^- 
connoissant bientôt les Jraitià, fort rcmar- 



LE iroTicas. 4^ 

quables^ du jeune novice d'iagéicour :*^ 
Que venez-vous faire ici? continua-t«-il 
d'un ton où la surprise se méloit à la sé- 
cheresse. 

Kobert , plus enhardi qu'intimidé par 
une telle réception , s'acquitta brièvement 
du message dont son maître l'avoit chargé- 
Sans y répondre un oiot, sire [Evrard 
parcourut la chambre des yeux.'— Où 
donc est Julien ? dit-iL 

Jamais l'élève-. de dom Ambroi/se Jï'a- 
voit menti; mais l'effroi, les discours de 
Julien lui étoient encore rtrop présents , 
pour qu'il n& crût pas .nécessaire d'agir 
avec prudence ^ et de feire à cette ques- 
tion une «réponse évasive. . — :J'arriv6 à 
ftnstant , 'répliqua- tri! ; et je ne sâia pour- 
quoi ma vue a fait fuir votre frère aufih 

— Veuillez m'attendre, reprit Evrard 
en entrant dans la pièce i où Julien s'étoit 
têtiiSe, ret doiii; il.ièut grand soin de:fe^« 
met^ la porte 3iar lui. . . i 

Un' intérêt ibiem Autrement vif que ne 



48 LB irovicc. 

sire Evrard qu'il s'y joîgnoît fi-équem- 
une sorte de tic , ou de contraction vio- 
lente des muscles du visage, qui avoit 
quelque chose d'étrange et d'effrayant à 
la fois. Son regard étoit habituellement 
nombre, souvent même sinistre; néan- 
moins , lorsque par hasard il s'adoucis- 
soit , lorsqu'un rare sourire se montroit 
sur ses lèvres , où se lisoit presque tou- 
jours l'orgueil et le dédain , sire Evrard 
devenoit un tout autre homme, et Ton 
concevoit qu'il pût plaire. 

— Pensez-vous, dit-il enfin à Robert 
en ralentissant le pas, que le prince fas$c 
un long séjour à Barcelonne? 

— Je l'ignore , répondit Robert. Sii^e 
Berti^and nous a fait partir comme il 

.arrivoit. 

, i — Il étoit seul ? 

— Avec quelques seigneurs castillans. 

— Je voulois dire , sans sa femme. 

. . -r- Je ne savois pas qu'il fût marié,^, 
^ : .— rll est marié, répliqua sire Evrard. 
, Puis il remit son cheval au galop, jusqu'au 



LE NOVICE, 4q 

moment où Ton aperçut les portes de la 

ville. 

Lorsque Robert et son compagnon ar- 
rivèrent au palais , ils ne trouvèrent plus 
Henri de Transtamare chez Duguesclin. 
Ce prince venoit de se retirer dans son 
appartement, pour prendre du repos;.' 
car rien [n'étoit changé dans le projet 
de départ pour Sarragosse, et l'on se mèt- 
toit en route le lendemain. Sire Evrard 
parut extrêmement contrarié de ne pou- 
voir être présenté à^ Henri. 11 s'approcha 
de Jean d'Evreux, et causa long-temps 
avec lui, d'abord à voix très-basse , puis 
peu à peu, assez haut, pour que Robert, 
qui ne les perdoit point de vue, et qui 
dans ce moment se trouvoit très-près 
d'eux, entendit le Gascon dire à son ami : 
—Je préfère beaucoup m'adresser à elle- 
même. Elle viendra sans doute le trouver 
à Sarragosse , et nous avons du temps 
devant nous. 

Robert ne put saisir que ces mots et 
chercha vainement à se les expliquer, 
m. 3 



t 

I 
f 



/ 



5o LE KOVICE. 

Quelques instants après , il vît repartir 
sire Evrard. Sa pensée le suivit jusque 
dans la chaumière; car le souvenir de Ju- 
lie» $'étoit entîèremeni? emparé de son 
imagination. Les paroles , la terreur d'tt 
jeune homme lui révenoient sans cesse à 
Tesprit. Grâce au ciiel, il n'avoit point 
coa^romis le^ repos de tet être* si cherT 
Mais par qudle bizarrerie pouvoit-rit Ife 
compromettre? Cette question et mille 
auitres qu'it s'adressoit sur le mystérieux 
sire Evrard, roceupèrent sans relâche, 
Jusqu'au moment où le sommeit viitt 
«iifiûi fermer ses yeitx; 



CHAPITJEIE m. 



Liitsex-rao! p«rroarîr cette terre de ^blre» 
G^ soDiier» nouveaux et coaowf ^ 
Où mes pat semUenl reveatu^ 

£1^0*9^^1(111^3 yeas métne kakifoit ma 

P. 



I^lendpmain le camp fut levé, et toate 
Vannée se ipit en route pour Sarragosse» 
Le comte de Transtamare, Dugtie3c6oy. 
Hugh Calverley^ le Bègue de Vilaine et le 



52 LE IfOVICE. 

maréchal d'Andreghem partirent quel- 
ques heures avant les troupes; en sorte 
que Robert perdit l'espérance de jamais 
rencontrer la compagnie Evrard dans la 
roule. Mais il marchoit avec l'heureuse 
certitude que cette compagnie suivoit, 
qu'il faudroit bien enfin se réunir à Sar- 
ragosse , où le séjour d'une cour fourni- 
roit cent occasions de rencontrer tous les 
hommes un peu marquants de l'armée. 
Cette douce perspective , jointe aux rian- 
tes distractions que lui offroit à chaque 
pas le superbe pays qu'il parcouroit^ 
bannissoit de son esprit toute idée mé- 
lancolique. Il jouissoit doublement à la 
jviie de ces sites pittoresques , qui se re- 
HOuVeloierit sans cesse devant lui, en 
songeant que, dans peu d'heures, Julien 
nlloit admirer le même spectacle. Parmi 
tant de beautés qu'ctaloit à ses yeux la 
Tîche nature de cette conlfée, il ne tarda 
pas à distinguer le magnifique Mont Se- 
rat, dont les rochers s'élevoient au-dessus 




LE irovicK. 53 

<les nuages (i). Mais lorsqu'au milieu de 
ces masses arides ^ qui de loin ne présen- 
toieiît aucune trace de végétation , il 
aperçut les toits d'un monastère, et qu'il 
apprit que cette sauvage demeure étoit 
habitée par des religieux de l'ordre de 
saint Benoît, un retour sur lui-même lui 
fit éprouver un sentiment de bonheur 
qu'aucune expression ne sauroit peindre. 
De même que le prisonnier regarde 
joyeusement la tour d où vient de le 
faire sortir une grâce inattendue, il con- 
templa long-temps les murs norcis, qui 
renfermoient des bénédictins! Comparant 
le sort auquel il s'étoit vu destiné , à celui 
dont il jouissoit alors; se transportant ^ 
couvert d'un froc , dans cette étroite en- 
ceinte, tandis qu il marchoit, le casque en 
tête, près de lelite des chevaliers, sous 
la protection du plus renommé de tous! 
Le cœur plein d'une joie enivrante, 

— .. ■ ■ ' 

(i) La cime da Mont->Serat est à trois mille 
pieds au dessus du niveau de la mer. 



56 I^ NOVICE. 

„ — Falloit-il vous en parler lorsque 
vous étiez moine ? reprit George. Au- 

. tant vaudroît vanter la beauté du soleil à 

. un pauvre aveugle! Il n'en est pas moins 
vrai que, sans me faire valoir, je puis 

. dire que je n'ai jamais manqué de maî- 
tresses. 

— Et tu craîgnoîs de me faire envier 
ton bonheur , dit Robert en souriant 
d'un air attendri, car une pareille délica- 
tesse de la part d'un homme qu*on pou- 
voit appeler grossier étoit un véritable 

.prodige d'affection. 

— Ah ! mon bonheur n'auroit peut-être 
pas été de votre goût. Vous sentez bien 
que nous autres, nous ne nous adressons 
pas aux grandes dames ; ma dernière in- 
clination 

— Qui étoît-ce? interrompit Robert, 
-que cette conversation intéressoit prodî- 
igieusement, quelle que fut la rusticité de 
:son interlocuteur. 

— C'étoit Geneviève , la fille du somme- 
lier d'Ingelcour. 



LE NOVICE. 5'] 

— Fi ! George ; elle est horrible. 

— C'est juste ! Elle n*est pas jolie; mais 
elle étoit là. Et comme je ne suis pas 
homme à perdre mon temps à courir 
après une femme 

— Ni à la pleurer, dit Robert en riant; 
car, autant que j'ai pu voir, tu n'as pas 
été trop affligé de votre séparation. 

— Ne voulez- vous pas que j'en crève? 
Chaque chose a son temps. Elle savoit 
hien d'ailleurs, que nos amours n'iroient 
pas loin. Je ne lui avois pas caché mon 
envie d'être frère convers à Saint-Paul ; 
que je sois frère convers ou que je courre 
le monde , c'est tout un, pour ce qui la 
concerne. 

— Il faut, dit Robert , après avoir ré- 
fléchi quelques instants , il faut qu'il 
existe un autre amour que celui dont tu 
me parles là. 

— Un autre! s'écria le chasseur; par 
^aint-Jacques ! nous en avons bien assez 
d'un pour tourmenter les pauvres filles ! 



58 LE iravici. 

mais faites -moi le plaisir de me dire où 
vous avez déniché le vôtre. 

— Dans quelques pages de nos livres ^ 
qui m'ont fciit rêver p!us d'une fois. 

— Et vous en avez conclu ? dit George» 

— Qu'il doit exister des sensations plus 
fortes, plus profondes que toutes celles 
qui me sont connues ; des sensations doat 
l'âme de l'homme est avide, auprès des-' 
quelles tout est froid , tout est inanimé. Si 
l'on ne peut les éprouver qu'eu aimant 
une femme , George , combien cette 
femme doit nous devenir chère ! Com* 
ment ne pas vivre et mourir pour elle l 
comment ne pas l'aimer jusqu'à notre 
sdernier jour! 

La même? 

* \t^Ei\ as-lu donc aimé plusieurs? reprit 

Hobeirt. 
" — Souvent deux à la fois; répondit le 
chasseur. 

— Ton amour est un setitîment vul- 
:gaîre :qiiî ressemble à tout, dit avec dé- 
dain le jeune écuyer. 



LE NOVICE, 5^ 

— 3'eii fais pourtant beaucoup plus de 
cas que de celui qu'on ne trouve que 
dans les livres, répliqua George en 
riant. Au reste chacun est amoureux à sa 
manière; mais si vous voulez n'aimer 
qu'une fois, je vous conseille de com- 
mencer tard. 

Bobert resta quelque temps plongé 
dans une rêverie vague , dont il ne faut 
pas demander ia cause, le sujet qu'il ve- 
Boit de traiter étant celui qui fait rêver 
le plus à son âge. Toutes les circonstances 
l'avoient servi jusqu'aloi's pour le mainte» 
mr dans l'heureuse ignorance où s'étoit 
passée sa jeunesse. Il n'avoït fait qu'en- 
trevoir l'existence d'uu sentiment plus 
vif que celui de l'amitié ^ et cependant^ 
cette pensée avoit souvent élevé dans son 
esprit une sorte d'inquiétude et de regrets, 
qui se dissipoient bientôt, mais non sans 
laisser quelques traces. Devoit-il croire 
encore à cet amour ardent et passionné , 
qu'avoi^it dévoilé à sa jeune imagina- 
tion quelq«ies lignes d^s poètes k'^nsl^ 



g^ LE IfOVICE- 

ou devoît-il croire à Famour que venoît 
de peindre George, passe-temps agréable 
qui n'exerçoit aucun empire sur l'âme, et 
duquel il ne pouvoit naître ni peine ni 
félicité? Peut-être, avant peu, ses doutes 
seroient-ils éclaircis? Peut-être aimeroit- 
il lui-même ? au moins se promettoit-il 
bien de n'en pas fuir les occasions. Il 
remit donc à juger de l'amour d'après sa 
propre expérience. Sans reprendre la 
conversation où il l'avoit laissée : — Nous 
verrons, dit-il à George, comme si celui-ci 
eût suivi sa pensée depuis un quart 
d'beure, et, piquant des deux , il rejoi- 
gnit bientôt ses compagnons de voyage , 
qui alloient entrer dans Lérida. 

A la vue de la ville antique et de la 
riche campagne qui l'environnoit, il s'ar- 
rêta tout à coup , promena ses regards 
/^vec ravissement devant lui et se di 
presque à voix haute : 

Colle (arnet modico , Unique excrevit 
in altum pingue solum tumulo : sw- 



LE NOVICE. 61 

per hune fundata vetusta surgit Ilerda 
manu (i) 

— Que diable chantez-vous là ? lui de- 
manda Cal verley, près de qui il marchoit. 

— Ne voyez-vous pas que c'est exac- 
tement cela ? répondit Robert, ignorant 
que dans son transport, il n'avoit point 
parlé français. 

— Par saint Yves! que voulez -vous que 
je voie? dit l'Anglais. 

— La ville de Lérida , telle que Lucain 
l'a décrite , absolument telle qu'il l'a dé- 
crite. 

— Et ce Lucain parloit donc latin ? 

— Sans doute. C'est dans sa Pharsale 
qu'il dit 

— Assez , assez ; vous le répéteriez 
vingt fois, que je ne comprendrois pas 
davantage. Mais, dites-moi, combien y 
a*t-il d'années que Lucain écrivoit cela ?, 

— Treize cents ans. 



(i) Sur une colline fertile et d^une pente facile 
el douce est située l'antique Ile rda. 



6a LE NOVICE. 

-^ Ccia étant, reprit l'Anglais I#êKi^ A 
Ions retrouver la ville ; mais les hoBBUilft 
qui Fhabitôlont alors, nous n'en retrou- 
verons pas* méoie la poussière. Est-ce donc 
kl peine de se tourmenter ici bas ? une 
pierre survit à tous les Lucains- éu 
monde. 

— Pas à la Pharsale , répondit Rol>6rt. 

— Vous» avez raison, mon ami, dît 
Hugh Calverley; celui-là du moîn^ a laissé 
quelque chose de lui ; mais nous autres, 
par exemple, nous avons beau nous placer 
toujours à l'avant-garde , monter à fas» 
:saut le premier, une fois mort , tout est 
dit. 

— Non , non , reprit Robert , dvec feu. 
T?oute gloire est suivie damé longuirre- 
^nonmiée. Le . poëtn^' dorït noos* parloftis 
ti'a«4-i1 pas été composé en> Th^rnievir 4% 
César? les noms- des héros de lîaAtt 
quilé ne sont-ils pas venus jusqiVà nous? 

.«-. IL^st vrai que moi-même ,jia_ns pou- 
Hfoir 4ire comment diabk je Fai appris , 
je sais depids k)ng*temps que ce Césâir 



LE NOVICE* 63 

éloit un brave j et peut-être aussi saura- 
t^n jdaDS treize cents ans quels hommes 
cfétoie»! que notrq prince de Galles, 
BOb'e Dugiiesidîn.««« 

— ^Et sire Hugh Calverley , ajouta Ro- 
bert de ce ton simple et vrai qui n*an- 
sooce aucune intention de flatter. 

^ Ah ! répondit l'Anglais en souriant 
4'a& atr de satisfaction , tant d'honneur 
n'i^partient pas à de pauvres diables 
Qomroe nous. Mais enfin, si jamais on écrit 
b pécit de la bataille d' Au ray, je pourrai 
j tenir ma place tout comme un autre. 

Cette petite bouffée d'amour-propre 
arrivoit à Hbgh Galvenley on ne sait trop 
comment^ can aucun homme peut-être: 
n'étoit moins vain que^ lui de sa vaillance.. 
A étoib.si naturellement brave et aven^^ 
%ureuK^ que les plus; hauts faits d'armes 
pmf» lesquels il s'étoift signalé jusqu'ici lui 
Sfifliblc^ent les choses du monde les plu» 
Qrdiciûre0y , ou plutôt ime simple Gon«» 
aéque^ce deTéiafid^homme de guerre. Il 
fiiUoit doac. que l^iiée d'être inserît dans 



64 ^^ NOVICE. 

les fastes de l'histoire eût remué bien vi- 
vement son âme , pour y faire vibrer cette 
corde de la vanité , qui résonne sans 
cesse chez tant de gens , mais qui se tai« 
soit habituellement chez lui. Quoi qu'il 
en soit, à dater du jour de cette conver- 
sation , il témoigna la plus grande ami'^ 
tié à notre héros. Non-seulement il le 
recherchoit en toute occasion, mais i) 
ne cessoit de faire son éloge à Dugues- 
clin , qui lui-même prenoit en affection 
son jeune écuyer , dont le zèle pendant 
la route alloit au-devant de tous ses 
désirs. 

L'arrivée de Duguesclin dans Sarra» 
gosse excita l'allégresse de tous les habi- 
tants; car , en aidant Henri à conquérir là 
Castille , les grandes compagnies alloient 
délivrer TArragon d'une guerre qui duroit 
depuis plusieurs années, et dans laquelle 
Pierre-le-Cruel avoit toujours eu l'avan* 
tage. Le roi d'Arragon, politique habile, 
n'omit rien pour attacher à ses intérêts 
des alliés aussi utiles. Duguesclin fut logé 



■^ 



LE NOVICE, 65 

aussitôt dans un des plus beaux palais de 
la ville. A l'arrivée de chaque compagnie j| 
des pages ou des gentilshommes du roi 
alloient au-devant des chefs ; les s.iluoient 
de la part de leurs maîtres et les condui- 
soient à la demeure qui leur étoit assi- 
gaée. Non content de toutes ces démons^> 
trations d'amitié , l'adroit monarque , 
pour s'assurer l'appui de ces braves et 
terribles troupes , s'empressa de promet- 
tre double paie aux soldats, fit présent 
aux capitaines d'une somme considérable 
pour remonter leurs équipages , leur as- 
signant de plus des pensions proportion- 
nées à leur naissance et à leur renommée. 
Bertrand , comme chef de l'expédition , 
reçut particulièrement la ville de Borgia 
et son territoire avec le titre de comté. 

De toutes les cours de l'Europe , celle 
d'Arragon, à cette époque , étoit peut- 
être la plus brillante. La reine étoit (i) 



(i) Léonore cle Sicile , troîsicnie femme de 
Jom Pëdre IV, roi d'Arragon. 

3* 



6(5 LE NOVICE. 

jeune et avide de plaisirs. Le roi , qui se 
iaisoit gloire de protéger les science^ et 
les lettres (i), étaloit en toute occasion 
une somptuosité qui lui a valu le surnom 
de magnifique. Les tournois, les bals, les 
festins préludèrent au combat à mort qui 
devoit bientôt se livrer entre Henri de 
Transtamare et son frère. Les fêtes se suc- 
cédèrent sans relâche, non-seulement 
pendant le séjour de Henri à Sarragosse , 
mais encore après le départ de ce prince, 
qui ne tarda pas à prendre congé du roi 
d'Arragon pour aller rassembler ses nom- 
breux partisans et faire ses adieux à son 
épouse , qu'il laissoit dans un château so- 
lidement fortifié , le seul qui lui restât de 
tant d'autres biens dont Pierre l'avoît dé- 
pouillé. Le rendez-vous général fut donné 
à Sarragosse, où Duguesclîn et les chefs 
de compagnies convinrent tous d'attendre 



(i) Dom Pedre IV a fondé la fameuse univer- 
sité d'Huesca, en i354. 



LE NOVICE. 67 

leretourdu prince, pour n'entrer en Cas- 
tille qu'avec lui. 

Parmi ces chefs qui s'empressoient de 
goûter les plaisirs dont la cour étoit le 
théâtre, un seul ne se montroit point. 
Robert cherchoit en vain à retrouver sire 
Evrard , ou dans le palais du roi, ou dans la 
•ville. En vain George s'étoit mis en campa- 
gne pour découvrir la demeure du cheva- 
lier gascon et de son frère, nul n'avoit pu la 
lui indiquer, et il falloit en conclure que 
la compagnie Evrard n'étoit point entrée 
dans Sarragosse. Robert fut donc con- 
traint d'attendre du temps et du hasard 
une nouvelle rencontre avec ce Julien , 
dont le souvenir ne le quittoit pas, même 
dans le tourbillon du monde , où , pour 
ne rien celer, il sejetoitavec toute l'ardeur 
de son âge et de son bouillant caraclère.^ 



CHAPITRE IV. 



De festons odorans le palais se décore I 
J^enteoils déjà fri^mir ]a harpe et la maadore ; 
Dans les vastes jàrdius mille feux suspendus , 
Les esclaves en foule en tous lieux répandus, 
LVIan iinpctneux d'une feinte allégresse. 
Tout appelle aux plaisirs une oisive jeunesse.' 

Angelot. 



Il n'étoit pas nécessaire de sortir d'un 
cloître pour être ébloui et comme eni- 
vré d'abord de la vie brillante et dissipée 
où se trouvoît tout à coup lancé notre hé- 
ros. On ne tarda pas à le citer comme un 



LE iravicE. 69 

des plus charmants cavaliers de la cour*' 
La nature avQit fait pour lui tous les pre- 
miers frais • et les leçons d'escrime qu'il 
avoit reçues de George lui donnoient Je 
ne sais quoi d'assuré ^ de noble et d'élé- 
gant qui; sous le froc méme^ avoit surpris 
son père et les tard-venus. L'affectueuse 
protection de Duguesclin, jointe à ses 
avantages personnels , l'établirent bien- 
tôt dans le palais de dom Pèdre de la ma« 
nière la plus flatteuse et la plus favorable 
au désir ardent qu'il avoit de goûter enfin 
ces jouissances du monde, dont il se pro* 
mettoit tant de bonheur. Recherché par 
les seigneurs arragonnais , qui tous , imi- 
tant leur maître , cajoloient en lui le héros 
breton , il ne l'étoit pas ^noins par leurs 
femmes ; dont les avances^ dénuées de 
tout but politique , étoien t bien autrement 
séduisantes. Quoique soumis depuis long- 
temps à des princes chrétiens, l'Arragon, 
ainsi que la Castille , conservoit encore 
toutes les traces de la longue domination 
des Maures. Les mœurs des habitants , 



'beaacoiip plus policées là Tépoq^e dont 
nous parions que cëttes>de6 autres peu- 
ples de TEurope , étoieiit sui'tout eiû- 
preintes de cette couleur galante et che- 
valeresque que les lois sévères du chriiB- 
tianisme n'ont jamais pu depuis effacer 
entièrement. Partout , sous ce beau del y 
retentissbient les chants de guerre et d- 1- 
jnour. Là tout homme ne vivoit que pour 
la gloire et pour sa dame , et la cour de 
dom Pèdre, où se trouvoient rassemblés 
les chevaliers les plus vaillants^ les beau- 
tés les plus remarquables , offroit des sé- 
ductioQ.s auxquelles le plus sage mortel 
auroit eu peine à résister. Robert ne tarda 
donc pas à dédaigner tous les plaisirs 
auxquels il s'étoit livré d'abord, pour 
l'unique plaisir de voir et d'entendre Don* 
nsL Antonia d'Alvar. Donna Antonia n'a* 
voit pas encore vingt-cinq ans ; sa beauté 
étoit admirable. Veuve depuis deux ans, 
elle étoit dame du palais de la reine , et 
la snivoit en tout lieu. 

Bx>bert reconnut bientôt qu'il n'aUoit 



l^us aVec Ifêsiâuité aiix bals^ attx concert» 
^ui se saccédoient à la cour, qoe dans 
Tespoir d'y trouver Antônia. La fête la 
phis brillante lui sembloit ennuyeuse et 
triste, lorsque par hasard elle ne s'y mon- 
troit point. Donna Antonia, de son côté, 
îi'avoit pu voir impunément le jeune 
écayer de Duguesclin. Ses regards, ses 
discours annonçoient une préférence d 
décidée, que notre héros, tout modeste 
qu'il étoit, ne put douter long-temps de 
son bonheur. Grâce à cette douce certi* 
tude, il parvint à vaincre sa timidité; il 
osa parler, et la belle Antonia, courtisée 
parles plus brillants seigneurs de la cour, 
n'hésita pas à les sacrifier tous au jeune 
écuyer, dont les grands yeux noirs s'at- 
tachoient sur elle avec tant d*expression , 
et qui lui parloit d'amour comme jamais 
sans doute on ne lui en avoit parlé , car 
Robert aimoit , ou du moins croyoit ai- 
iner pour la première fois. 

Pendant un mois que dura Terreur , le 
TiJF empressement de Robert pour sa belle 



^2 M NOVICE. 

amie ne se ralentit point. Il ne pouvoit 
passer nn jour , une heure sans la voir^ la 
suivoit partout , arrivoit toujours le pre- 
mier aux rendez-vous , ne quittoit pas les 
environs des lieux qu'elle habitoit, pour 
guetter un regard , un sourire , le moin- 
dre geste. Qui n'auroit cru , à voir les deux 
amants, que Robert étoit le plus passion- 
né ? Cependant, Antonîa pleuroit lorsque, 
dans leurs doux entretiens, elle songeoit 
au retour de Henri de Transtamare , qui 
bientôt devoit les séparer pour long- 
temps, et le jeune écuyer ne pleuroit 
point. L'idée de celte séparation n'étouf- 
foit pas en lui le désir de se distinguer 
dans un combat. Souvent même il son- 
geoit qu'un changement de lieu pouvoit 
le rapprocher de Julien, et si cette pensée 
venoit le surprendre , fût-ce auprès d'An- 
tonia , le cœur lui battoit violemment , 
puis il tomboit dans la rêverie. 

Pour expliquer l'indifférence avec la-» 
qu-elle Robert abordoit l'idée de quitter 
Sarragosse , il faut dire que la vie agitée 



LE NOVICE. j3 

qu'il menoit avoit promptement perdu 
pour lui tous ses charmes. Soitque Tausté- 
rité du cloître eût àson insu porté sesgoûts 
vers des jouissances plus graves ^ soit que 
le tableau du monde qui s'étoit peint 
d'avance à son imagination fûtbeaucoup 
au-dessus de la réalité , un mois ne s'étoit 
pas écoulé que déjà il s'étoit lassé de pas- 
ser ses jours dans un tourbillon où son 
cœur ne trouvoit aucun intérêt , son es- 
prit aucun aliment , où le lendemain res* 
sembloit à la veille, sans que jamais un 
seul souvenir pût marquer une des heures 
qui vonoient de fuir si rapidement. Sa 
liaison avec Antonia avoit , à la vérité , 
offert un nouvel appât à cet avide besoin 
de bonheur qui tourmentoit son âme ; 
maisil reconnut bien tôt que l'amour même 
laissoit encore un vide dans son cœur. Il 
s'étonnoit de désirer des sensations plus 
vives, des jouissances plus complètes. Ne 
pouvant s'expliquer un tel désappointe- 
mexkty il en accusoit cette foule impor- 
tune au milieu de laquelle il étoit con« 
lu. à 



74 ^^ NOVICE. 

traint de vivre. Sans doute, seul ave^ 
Anlonia-, il auroit été plus heureux? e^ 
cependant la voyoit-il sans témoiij , on- 
eût pu croire que tous deux ne parloient 
point la même langue. Elle sourioit à ses 
discours sans les comprendre, car la vie 
se composoit pour elle des habitudes d'une 
-cour et de celles d'une vulgaire galante- 
rie. Pour lui plaire, Robert parvint à se 
renfermer dans ces lieux communs dont 
il avoit l'horreur. Ses idées si vives, si va- 
riées, qui traversoient son esprit, il re- 
nonça à lui en faire part, et tout ne tarda 
pas à se réduire entr'eux à ceci , qu'il 
la trouvoït belle, et qu'elle le trouvoit 
beau. 

Certes , Robert étoit loin d'avoir ren- 
contré cet être enchanteur qui nedevoît 
faire qu'une âme avec lui , qu'il s'étoit 
tvéé dans ses rêves d'amour ; mais pliis 
il observoit les autres beautés de la lÈour, 
jikis il retrouvoit eii elles les goûts, lès" 
b^itudes, les manières de dona Anté- 
nia. Toutes ne lui pafoissoient vivre qù*à 



i- 



LE NOVICE. 75 

demi; aussi leurs avances et leurs asjace- 
ries le laissoient-elles froid et glacé. Au- 
cune ne lui adressoit le regard qui pou- 
mt aller à son âme ; aucune ne faisoit 
battre son cœur plus vivement. — Voilà 
les femmes, sans doute, se disoit-il; je 
chercherois mieux vainement. Je conçois 
maintenant l'amour de George, et mon 
amour, à moi, n'étoit qu'une chimère. 
Cette persuasion cloignoit de lui tout dé- 
sir de former une autre chaîne. On peut 
dire qu'il restoit fidèle, en désespoir de 
cause. 

Robert éprouvoit donc déjà ce décou- 
ragement qui accompagne toujours les 
espérances trompées, et deux mois à 
peine étoient écoulés depuis qu'il vivoit 
dans le monde! déjà il regardoit autour 
de lui, se demandant s'il étoit plus heureux 
(qlï*à Saint-Paul. Il passoit sa vie au sein 
de la magnificence , de tous les plaisirs, et 
Jpèurtant des désirs vagues, une inquié- 
tude d'esprit et dexœur qu'il ne pouvolt 
Wiocre^ se £e^isoient sentir. Tant de joliis- 



jG LE IfOVICE, 

sances nouvelles pour lui, et qu'il avoit 
savourées d'abord si vivement, ne du- 
roient donc qu'un jour! ne suffisoient 
donc pas au bonheur! Où l'iroit-il chercher 
ce bonheur, qu'il s'étoit peint si vif, si 
durable, quand il ne le trou voit pas dans 
les plaisirs dont tous les hommes sont 
avides, pas même dans l'amour? Par 
quelle fatalité tout ce qui composoit la 
félicité de ses semblables ne pouvpit-il 
combler la sienne ? Ceux qui l'entourpient 
jn'étoienl-ils pas joyeux, satisfaits? pour- 
quoi n'éprouvoit-il qu'ime sorte d'étour- 
disseraent , auquel succédoient bientôt la 
fatigue et l'ennui ? 11 se dépitoit contre 
lui-même, alloit parler guerre avec quel- 
ques capitaines, s'approchoit des plus jo« 
lies femmes , et tout cela sans rien obte- 
nir qui satisfît son esprit ou son cœur. 

Un soir qu'il étoit plus que jamais 
dans cette triste disposition , il sortit du 
palais d'AIjuferia (i) au moment où les 

(i) Ce palais ëloit lors la demeure de dom 



LK NOVICE. 77 

joueurs de flûte alloient commencer le 
concert, et, gagnant la campagne, il sui- 
vit lentement les bords de l'Ebre. Le ciel 
étoit pur et serein , un millier d'étoiles 
brilloient au firmament , et l'air commen- 
çoit à se charger des premiers baumes du 
printemps, si précoce dans ces climats. 

Robert respiroit plus librement. Seul 
avec sa pensée, en présence de cette belle 
nature, il éprouvoit un calme, une sorte 
de ravissement , dont il avoit comme 
perdu le souvenir; et cependant le temps 
n étoit pas éloigné où souvent, au sein 
d'une belle nuit, il élevoit son âme vers 
le créateur, et prioit pour son père, dom 
Ambroise et dom Joseph. Il s'arrêta. Il 
lui sembloit renaître , il lui sembloit re- 



Pidre comme il avoIt été celle des rois maures. 
On y voit encore aujourd'hui quelques-uns des 
«pparlemenls des rois d'Arragou. Ferdinand V a 
fait dorer les voûtes el les plafonds de la grande 
salle avec le premier or que Colomb rapporla da 
Nouveau— Monde. 



^8 LE NOVICE. 

trouver les plus nobles sensations de l'être 
intelligent; et ce qu'il éprouvoit lui fai- 
soit sentir l'existence dans toute son éner* 
gie. Livré à la plus douce rêverie, ses 
pensées étoient riantes, affectueuses; il 
se rappeloit son oncle, Julien, George^ 
tout ce qu'il aimoit enfin. Il les voyoit 
près de lui, leur voix chérie résonnoit à 
son oreille et se mêloit au bruit du vent 
léger qui].ridoit la surface du fleuve. — Ah l 
que l'on est heureux d'aimer! s'écria-t-il 
^vec transport. Mais bientôt un seul sou- 
venir domina tous les autres. G'étoit avea 
un charme inexprimable qu'il se repré- 
sentoit Julien ; Julien qu'il ne devoit peut- 
être jamais revoir! Le moindre mot du 
jeune tard-venu étoit encore présent à sai 
mémoire; il le revoyoit dans la grande 
salîe d'Ingelcour, dans l'église de Saint- 
Paul , dans la chaumière du pêcheur, et 
tout en reprenant le chemin de Sarragosse^ 
il se retraçoit avec délices les plus légers 
détails de leurs entrevues, et pressoit de 
ses lèvres la ba^e qu il avoit reçue de lui^ 



LE KOVICE* 7g. 

— Qu'est-ce que l'amour, pensoitil, près 
d'une amitié si tendre, près d'une si douce 
sympathie? Jamais la voix d'Autonia a-t- 
eUe ému mon âme comme la voix de Ju- 
lien Pet pourtant Antonia m'aime; oui, 
comme je l'aime aussi, sans chaleur, sans 
entraînement. Un regard de Julien en dit 
plus à mon cœur que toutes les paroles 
d'Antonia ! 

Robert arrivoit alors dans la ville. A 
peu de distance du palais qu'habitoit Du- 
guesclin, et qu'il habitoit lui-même, il 
aperçut le chasseur qui l'atteudoit et qui 
accourut au-devant de lui. 

— Arrivez donc! arrivez donc! dît 
George ; j'ai été vous chercher au palais 
d'Aljuferia sans vous y trouver. Sire 
Evrard est depuis plus d'une heure chez 
monseigneur Bertrand. 

— Seul? dit Robert avec l'émotion la 
plus vive. 

t 

— Avec sire Jean d'Évreux, , 
Robert n'en écouta p^s davantage et 

monta quatre à quatre les marches de 



80 LE NOVICE. 

l'escalier du palais. Il trouva dans la 
grande salle , où tout le monde se tenoît 
d'habitude, plusieurs seigneurs arragon- 
nais, quelques chefs de compagnies; mais 
il ne vit ni Duguesclin ni les deux per-^ 
sonnes qu'il comptoit trouver près de lui. 

— Où donc est sire Bertrand? dit-il à 
Hugh Calverley. 

— Dans son cabinet avec sire Evrard 
et Jean d'Évreux, qui lui ont demandé un 
entretien particulier. 

Il n'en falloit pas davantage pour exci- 
ter l'imagination de Robert. Dans l'espace 
d'un quart d'heure , qu'il [passa en proie 
à la plus ardente curiosité, il présuma 
cent causes pour expliquer un pareil 
mystère, sans entendre un mot de ce qui 
se disoit autour de lui; il restoit debout 
près de la porte du cabinet, dans une 
anxiété que chaque minute venoit accroî- 
tre. Enfin cette porte s'ouvrit. Sire Evrard 
et son compagnon parurent les premiers, 
traversèrent la grande salle en saluant- 



LE irovicE. 8ï 

légèrement à droite et à gauche, et sortî- 



rent aussitôt. 



Restoit donc la seule espérance que 
Duguesclin parlât de l'entretien qu'il ve- 
noit d'avoir avec les deux chevaliers. Ro- 
bert s'assit, prêta l'oreille la plus atten- 
tive au discours de chacun ; mais l'entre- 
tien roula aussitôt sur Henri de Transta- 
mare, que l'on attendoit avant huit jours 
à Sarragosse, sur le nombre de troupes 
que ce prince avoit rassemblées et rame- 
noit avec lui. Bertrand se plaignit du long 
temps que l'on avoit perdu sans agir, et 
mille autres propos. De sire Evrard et de 
Jean d'Evreux, pas le plus petit mot. 
L'heure de se séparer arriva sans qu'on 
eût prononcé leurs noms, et Robert, dé- 
pité, se vit contraint de sorlir avec tous 
les autres, sans être plus instruit. 

— Les as-tu suivis? dit-il à George 
qu'il trouva dans sa chambre en y ren- 
trant 

— Par Notre-Dame ! il m'auroit fallu 
des ailes, répondit le chasseur; à peine 



8a LE NOVICE. 

sortis de la cour, ils ont mis leurs chevaux 
au galop. 

— Ainsi tout espoir est perdu de savoir 
où se cache ce damné Evrard! et le prince 
arrive avant huit jours, et l'armée va se 
mettre en marche. Nous pouvoir mainte* 
nant habiter l'Espagne pendant dix. ans 
sans nous rencontrer! 

Jamais Robert n'avoit eu plus d'hu-' 
meur; il répétoit mille fois que l'enfer 
s'en mêloit; et George, qui depuis long- 
temps étoit à b^ut de ses recherches , fai- 
soit chorus, avec lui, lorsqu'un page de 
Duguesclin vint avertir le jeune écuyer 
que son maître le demandoit. 
. La plus vive satisfaction se peignit aus- 
sitôt dans les yeux de Robert. Trop pré- 
occupé d'une même idée pour se dire que 
souvent Bertrand le faisoit appeler ainsi 
dix fois dans un jour, il ne douta pas le 
moins du monde que sire Evrard ne fut 
l'objet de ce message, et ne fit qu'un saut 
de sa chambre à l'appartement de Du- 
guescUn. Ce dernier l'attendoit dans son 



l 



Ll NOVICE. 83i 

cabinet, as^is près d'une table, où tout ce 
qu'il fâlloit pour écrire se trouvoit pré* 
paré, — As-tu jamais gardé un secret? 
dit-il au jeune écuyer dès que le page les 
eut laissés seuls. 

— Jamais, répondit Robert; mais je 
suis sûr He garder, fut-ce même au péril 
de ma vie, tous ceux qu'il vous plairoit de 
me confier. 

— Mets-toi donc là , reprit Bertrand en 
lui indiquant un second siège près de la 
table. Tu vas écrire une lettre dont il ne 
faut parler à personne j à personne , en- 
tends-tu bien? 

— Une lettre ! répondit Robert d'un air 
distrait , tandis qu'il cherchoit à deviner 
quel rapport une lettre pouvoil avoir avec 
les secrets de sire Evrard. 

— Au comte de Transtamare. 

-*- Au comte de Transtamare 1 répéta 
encore Robert sans trop savoir ce qu'il 
disoit, car pour la première fois il abor- 
doit l'idée qu'il ponvoit bien n'être nul- 



R4 ^^ irovicE. 

kment question de sire Evrard dans cett< 
affaire. 

— Quel diable te pousse donc à répète 
toutes mes paroles, comme feroit ui 
écho? dit Duguesclin avec une vivacit 
qui rappela le jeune écuyer à lui-même 

-^Pardon, dit-il; mais je pensois.... j< 
croyois que le prince revenoit dans hui 
jours. 

—Et c'est justement parce qu'il revîen 
dans huit jours que cette lettre presse. 

— J'attends vos ordres, répondit Ro 
bert en prenant la plume. 

Duguesclin se gratta le front quelque 
instants , puis dicta ce qui suit : 

BEKTRANn DUGUESCm 
AU COMTfl HjEITBI DE TrANSTAMARE. 

« Votre altesse m'a encouragé à comp 
» ter sur sa bonté pour moi et pour me 
« compagnons d'armes. Un d'eux, qu 
» commande aujourd'hui une compagni 
j»sous le simple nom de sire Evrard, e 
3».qui n'en est pas moins un des plus grand 



LE NOVICE. 85 

JD seigneur de l'Aquitaine, a recours par 
»ma voix à votre noble assistance. 

Ici la main de Robert trembla d'une 
manière étrange ; mais il n'en prêta que 
plus d'attention à ce qui alloit suivre. 

» Son attachement à ses anciens mai- 
» très et à la France l'ont entraîné dans 
» des démarches qu'il auroit payées de sa 
» tête s'il n'avoit été assez heureux pour 
))fuir la vengeance du prince de Galles. 
»Sa jeune femme l'a suivi, et depuis un 
» an , sous le nom de son frère et sous les 
)> habits de notre sexe, elle vit au milieu 
» des tard-venus, exposée à tous les dan- 
»gers 

— Quoi! que dites-vous? Julien! Dieu 
tout-puissant ! s'écria Robert, laissant tom- 
ber sa plume, et joignant ses mains dans 
un transport que rien nesauroit peindre. 

Bertrand, uniquement frappé alors du 
côté comique de la chose, fut peu surpris 
des exclamations de son écuyer, car ce- 
dant à un mouvement d'hilaHtë 'aussi vif 
qu'involontaire : rr: Oui^ oui*/^dit-H len 



86 LE NOVICE. 

riant aux éclats, ]a dame Julienne!... Qui 
diable auroit jamais deviné cela?... Venir 
cacher sa femme au miliea de vingt-du([ 
mille tard-venus!.,. Que la pauvre dame 
me pardonne, mais ving-cinq mille tard- 
venus!.... Et ne pouvant plus tenir sur 
son siège il se mit à marcher dans la 
chambre, saisi d'un rire inextinguible. 

Jamais accès de gaieté n'étoit venu plus 
à propos. Il donna le temps à Robert de 
rappeler ses esprits , d*étouffer au fond de 
son cœur la joie , le bonheur qui l'eni- 
vroit, mais il ne put y parvenir qu'en 
s'abstenant pour ainsi dire dépenser, qu'en 
«'abandonnant à un état de jouissance 
vague et confus , dont il lui falloit oublier 
la cause sôus peine de laisser échapper 
son secret. Grâce à ses efforts sur lui- 
même , il lui fut possible de reprendre la 
rptume au moment où Duguesclin repre- 
tibit sbn siège. 

, fr- iClons en étions reslés ? dit Bertrand 
/a'fissuyiant li^s y^u^V 



LE NOVICE. 87 

—A tous les dangers , répondit Robert, 
tjui lisoit machinalement les derniers 
mots. 

» C'est pour cette infortunée, reprit 
» Duguesclin continuant à dicter, que je 
» sollicite les bontés de votre altesse. Que 
» votre noble épouse daigne lui accorder 
»un asile près d'elle jusqu'à la fin de la 
«guerre. Nous saurons tous reconnoître 
» cette grâce en versant notre sang, s'il le 
vfaut, pour vous conduire au trône. » 

— Après? dit Robert. 

—En voilà bien assez, j'espère. Ferme. 
Adresse au comte'Henri de Transtamara, 
et le courrier du roi qui part cette nuit 
pour le château de la comtesse empor^ 
tara ma lettre. 

Bans l'état d'étourdissement où se trou- 
vait Robert , il exécuta ces derniers ordres 
ainsi que l'auroit pu faire un automate; 
car ses jieux voyoient à peine, et sesoreilles 
lui bourdonnoietit. 

• — Je ne isâurôls servir tfojp éhaùdè- 



88 LE NOVICE. 

ment les intérêts du comte Evrard y re- 
prit Bertrand. Tous ces seigneurs mécon- 
tents , vois-tu bien , jettent des semences 
dont le roi Charles un jour recueillera les 
fruits. Le temps n'est pas encore venu 
pour lui de les protéger ouvertement 
contre le prince de Galles; mais rien 
n'empêche ses serviteurs de prêter appui 
à des amis de la Finance, à des hommes 
qui, s'ils réussissent dans leur projet, ra- 
mèneront l'Aquitaine sous la domination 
de notre roi. Je dis notre roi, continua-t-il 
en regardant Robert, parce qu'un Bour- 
guignon est à moitié Français; c'est pour- 
quoi je n'ai pas hésité à te confier toute 
cette affaire, bien sûr que je puis compter 
sur ta discrétion. 

— Je mériterai cette honorable con- 
fiance, répondit Robert en s'inclinant; 
son trouble nel'empêchantpointde sentir 
tout ce qu'elle avoit de flatteur pour luî^ 

— J'en suis certain , répliqua Bertrand; 
et maintenant, mon garçon, tu peux aller 



IB NOVICE. 89 

te mettre au lit y car tu me parois tomber 
de sommeil. <» 

Robert ne se fit pas presser pour obéir ^ 
a sortît aussitôt; et quel charme ii'é- 
prouva-t-il pas à se retrouver seul, à s'écrier 
cent fois : — C'est une femme ! c'est une 
femme! répétoit-il en couvrant de baisers 
Fanneau chéri qu'il tenoit d'elle. 

Parole, accent, regard, tout lui deve- 
noit présent, tout acquéroit du prix à ses 
yeux. Ne l'avoit-elle pas distingué parmi 
taiit d'autres ? n'avoit-elle pas pleuré sur 
lui? Julienne! Julienne! disoit-il hors de 
lui-même, pardonne-moi de m'être laissé 
abuser par de si foibles apparences. 
Pardonne-moi de n'avoir pas su aussitôt 
combien je t'adoroîs! combien je t'idc- 
lâtrois î mais que dis-je ? mon cœur n'avoil- 
il pas tout deviné? quand j'ai rencontré 
ton regard, quand j'ai touché ta main, 
fes battements de ce cœur ne me disoient- 
ikpas : c'est une femme? 

Il n'appartient qu'aux êtres passionnés 
d'expliquer comment dans sa douce ex- 



/ 
/ 



90 LE NOVICE. 

tase Robert oublja loi^rtemps que a 

femme étoit celle de sire Evraçd. Ënfir 

souvenir le frappa comme un poigu 

aigu , et le fit descendre de ce tronc 

félicité humaine où les mortels ne i 

soient, hélas! que pour bien peu d 

stants. Ce désenchantement subit ne 

noit pourtant pas à la jalousie; grâ( 

l'excès de son amour, trop pur, trop 

terrestre, si l'on peut s'exprimer ai 

ce cruel sentiment n'entroit point ç 

sa peine; car il aimoit Julienne côn 

on aime les anges. Certain de la "v 

d'entendre quelquefois sa voix , son 1 

lieur lui eût semblé tel qii'il auroit s< 

crit sans murmure au bonheur de 

Evrard ; il le croypit au moins. Mais 

cet homme abhorré eût le droit d< 

soustraire à sa vue, qu'il pût les sép 

pour toujours s'il en avoit la volo 

que Julienne lui appartint ! toute sa t 

leur étoit là, toute sa haine pour 

Evrard sortoit de cette odieuse pçnsé 

A travers tant de craintes s^r un 



LE NOVICB. 91 

nir dont son heureux rival étoit entière- 
ment le maître^ il se méloit un bien doux 
espoir qui domina bientôt dans Tesprit de 
Robert. Julienne, admise une fois près de 
lacomtesse, la suivroit en tous lieux. Si la 
Gastille étoit conquise, si Henri devenoit 
roi, il ne laisserait pas long- temps aon 
épouse dans l'obscure retraite qu'elle ba- 
hitoit. Tout dépendoit donc des succès : 
qu'eu alloit obtenir sur Pierre. Il failoit 
yaincre pour revoir Julienne , et chaque 
combat , chaque victoire le rapprpcberoit 
d'elle. Une pareille idée rendit à Robert^ 
toute sa joie. Tant de charme existe dans 
le seul bonheur d'aimer , qu'oubliant sire . 
Evrard, oubliant l'univers entier, il n'é- 
prouva plus que l'indicible bonheur de 
pouvoir exposer sa vie pour revoir unç 
fois, une seule fois, Julienne. Admis à s^ 
trouver de moitié dans le secret de sire 
Evrard, Robert pouvoit se permettre d'eq : 
parler avec Duguesclin ; et l'on peut biea . 
croire qu'il ne perdoit: a^uçune occasion 
d'amener la coiive/satiQii ^ur. ce iiujet. V^ 



ga LE NOVICE. 

jour qu'il paroissoit surpris que le che- 
valier gascon n'eût pas préféré laisser sa 
jeune épouse près de la reine d'Arragon : 
— Ah ! dit Bertrand en secouant la tête ^ 
cette cour- ci est trop occupée de plaisirs 
et de galanterie pour convenir à sire 
Evrard. Je le crois jaloux comme un tigre; 
je n'ai jamais vu d'homme dont les pas- 
sions fussent pins violentes. 

— Et peut-être Julienne en est-elle la 
victime! peut-être n'est-elle point heu- 
retise, dit Robert s'efforçant de ne té- 
moigner qu'un foible intérêt. 

— Elle! il l'adore. Les femmes aiment 
surtout qu'on les adore : avec cela tout 
passe. D'ailleurs tu dois trouver comme 
moi que sire Evrard est fort bel homme. 
C'est encore un avantage dont elles font 
grand cas. 

Robert soupira et se tut. Il ne pouvoit 

se dissimuler qu'une affection bien vive 

-avoit pu seule engager une aussi jeune 

créature à prendre pour époux un pros- 

Crif ; à le suivre au mépris des plus grands 



LE IfOVlCE, g3 

périls, au mépris de toutes les convenan* 
ces. De pareils sacrifices ne s'obtiennent 
que de Tamour. Sire Evrard étoit donc 
aimé, tendrement aimé! tout le disoit,et 
pourtant mille souvenirs aussi disoient à 
Rofcert qu'il occupoit une place dans le 
cœur de Julienne. Une voix douce et mys- 
térieuse lui répétoit sans cesse qu'il n'étoit 
point oublié. Cette conviction secrète 
suffisoit à son bonheur , elle triomphoit 
des apparences, elle triomphoit de sa 
raison. 

La réponse de Henri ne tarda point ; 
elle étoit conçue dans les termes les plus 
flatteurs. La comtesse altendoit avec im- 
patience la protégée de Duguesclin , et la 
traiteroit comme l'amie la plus chère. Les 
deux époux éloient trop heureux, disoit- 
il, de se trouver utiles au héros que le 
ciel envoyoit à leur secours. 

Ce fut encore par Robert que Bertrand 
se fit lire cette lettre, qu'il se hâta d'eu- 
voyer à sire Evrard, car le temps pressoit; • 
Le prince annonçoit son arrivée à Sarra* ' 



gi4 i-K NOVICE, 

gosse comme devant avoir lieu dans cinq 
jours ; et sire Evrard, qui étoit dans Tin-; 
tention de conduire sa femme lui-même, 
n'avoit pas un moment à perdre. Robert 
apprit enfin que la compagnie du chevalier 
gascon étoit restée campée à peu de dis- 
tance de la ville ; mais ce renseignement 
lui parvenoit trop tard. La circonstance 
ne lui permettoit plus d'en profiter. 

— A Burgos! à Tolède ! se disoit-il alors, 
trompant ainsi l'impatience qui le dé- 
yoroit. 

— Que Dieu nous seconde et nous y 
conduise promptement ! Puis, il passoit 
des heures entières à surveiller les divers 
préparatifs du départ qui se faisoient déjà 
dans Saragosse. Si, par égard, il donnoit 
quelques moments à Antonia , il se nion- 
troit près d'elle si froid, si préoccupé ^ 
évitoit avec un tel soin de lui parler d'a- 
mour qu'elle-même, vivement blessée, se 
réjouit bientôt en secret de voir appro- 
cher le jour qui la délivreroit d'un par. 
rail amant. 



CHAPITRE V. 



Sott âge ^chappolt ii l'enfance , 
Riante , comme rinnoccace , 
Elle avoitles IraiUde l'amour. 
Partît. 



A peu de distance de la yiUe d'Auch, 
sur une colline boisée , au pied de la-*» 
gnelle coule le Gers, s'élevoit jadis un des 
plus beaux manoirs de la Gascogne. Ses 
hautes tours ; qui dominoient un site 



g6 LE irOVICE. 

ravissant, étoîenl depuis plusieurs siècles 
l'asile des comtes de Sorgas et de leur 
noble famille. Pendant de longues années 
le bonheur avoit résidé au sein de ce ma- 
gnifique domaine, lorsque, dix ans avant 
lepoque où nous avons commencé cette 
histoire, la mort frappa le comte de Sorgas, 
ses deux fils encore enfants , et ne laissa 
pour héritière de tous les biens de cette 
illustre maison qu'une petite fille âgée 
de sept ans, nommée Julienne. Le com- 
tesse, sa mère, jeune et belle encore, se 
montra d'abord inconsolable , et ne pa- 
roissoit plus tenir à la vie que pour la 
consacrer aux soins qu'elle devoit à l'édu- 
cation de l'enfant qui lui restoit; mais 
peu à peu le souvenir de ce qu'elle avoit 
perdu s'affoiblit au point que, l'année du 
deuil écoulée , les plaisirs et la magnifi- 
cence- reparurent au château de Sorgas. 
Non-seulement une foule de chevaUei*s 
anglais et gascons y furent reçus avec 
avec autant de politesse et de courtoisie 
que pendant la vie du comte, mais la 



LE NOVICE. 97 

belle veuve ne tarda pas à choisir parmi 
eux un consolateur. Le baron Jean de 
Cuilford , que la nature avoit trop bien 
partagé pour que la fortune eût besoin 
de songer à lui, fut l'heureux mortel qui 
séduisit le cœur de la comtesse au point 
de la décider bientôt à lui accorder sa 
main. Il étoit jeune, beau, brave, aimé de 
tous ses compagnons d'armes, hautement 
protégé par le prince de Galles; tous ces 
motifs firent oublier qu'il n'avoit pas un 
sou vaillant dans le monde, et que le 
vieux domaine de ses pères, situé dans le 
York-Shire, étoit en grande partie vendu 
depuis long-temps. Les tuteurs de la pe- 
tite Julienne prirent les précautions né- 
cessaires pour lui réserver tous ses droits 
à la fortune de son père, et la comtesse, 
fort riche elle-même , crut pouvoir sans 
scrupule faire de très-grands avantages à 
son nouvel époux. 

Neuf apnées se passèrent pendant les- 
quelles la baronne n'ayant point eu d'au- 
tres enfants, sa tendresse pour sa fille ne 
m. 5 



98 LE NOVICE, 

reçut aucune atteinte, et fit même cba 
que jour des progrès. Guilford chérissoi 
aussi Julienne comme s'il eût été so: 
père , et jamais second mariage n'avoi 
moins nui à la paix et au bonheur d'un 
famille. Les plaisirs , les fêtes se succé 
doient sans relâche dans le château d 
Sorgas; on y tenoit un état de prince 
en sorte que la jeune héritière, arrivée 
l'âge de seize ans, n'entendoit parle 
<ju'avec peine de Tinstant où sa mère lu 
choisiroit un époux. 

Un des divertissements favoris du ba 
ron et de sa femme étoit la chnsse à l'oî 
seau : aussi la fauconnerie de Sorga 
étoit-elle renommée dans tout le pays, e 
le prince de Galles lui-même n'auroit-i 
pu s'en procurer une plus belle. Deu: 
ou trois fois par semaine, un cortège 
brillant partoit des cours du château e 
se dirigeoit tantôt vers une vaste plaine 
arrosée par mille petits ruisseaux qu 
CQuIpient vers le Gers, tantôt vers un boij 
immense que la hache avoit respecte 




r>£ 1K>¥ICB 99 

depuis des siècles comme un des plus 
beaux ornements du domaine de Sorgas;. 
Dn matin qu'on chassoit dans les supei> 
bes allées de ce bois, Julienne, tin faucon 
sur le poing, marchoit près de sa mère 
montésurunebellejument blanche qu'elle 
avoit choisie exprès comme difficile à con- 
duire ; car elle prenoît plaisir à ce genre 
de danger, dont jusqu'à ce jour elle s'é- 
toit toujours tirée avec une grâce et une 
adresse inimaginable. Elle étoit vêtue 
ainsi que la baronne de l'habit court que 
les chevaliers portoient alors pour la 
<:hasse. Un superbe coutelas, dont la po£* 
gnée étoit ornée d'or et de pierres pré- 
cieuses pendoit au riche baudrier attaché 
■à son épaule, et ses cheveux blonds étoient 
felevés sous un petit bonnet d'iter- 
mine qu'ornoit une magnifique aigrette* 
Sous ce costume qui ajoutoit encore ài 
ses charmes , [sa beauté étoit si graridet 
que son heureuse mère la regardoit avec 
OFgueiK 



lOO lË NOTICE, 

Au moment où l'on approchoît du Heu 
qui avoit été fixé pour le rendez-vous 
général, la baronne retourna son cheval 
brusquement pour adresser la parole à 
ceux qui la suivoient ; ce mouvement ef- 
fraya la jument blanche , qui se cabra et 
partit aussitôt au grand galop , malgré 
tous les efforts de Julienne pour la retenir. 
'Aux cris que poussa la baronne, plusieurs 
chasseurs se mirent à la poursuite de sa 
fille de toute la vitesse de leurs chevaux, 
et ce secours imprudent ne faisant qu'ac- 
croître le danger, Julienne ne songea plus 
qu'à réunir toutes ses forces pour n'être 
pas renversés parla rapidité de sa course. 
On l'avoit perdue de vue depuis long- 
temps , lorsque la jument qui couroit 
alors à travers le bois, la jeta contre un 
afbre , où elle reçut un coup si violent 
quelle perdit les arçons et tomba sur 
l'herbe sans connoissance. 

En reprenant ses sens, Julienne ne 
fut pas peu surprise de se trouver seule 
avec un homme à peine âgé de trente 



LE NOVICE. IO£ 

ans, qui paroîssoit lui avoir porté secours 
mais qui lui étoit tout-^à-fait inconnu. 
— Béni soit Dieu ! s'écria le chevalier; car 
son costume annonçoit que tel étoit son 
rang. — Béni soit Dieu , elle ouvre les 
yeux ! 

La vie dissipée qu'avoit menée Julienne 
jusqu'alors, lui avoit enlevé une partie 
de cette timidité qui accompagne le jeune 
âge. Ce fut donc sans aucun embarras 
qu'elle fixa ses grands yeux bleus sur l'é- 
tranger en le remerciant de ses soins et 
en le priant de l'aider à rejoindre sa mère 
qui chassoit dans la forêt. En finissant 
de parler elle fittm mouvement pour se 
lever; mais la vive douleur qu'elle ressen- 
toit dans là tête, lui causa un étourdîsse- 
ment qui la força à retomber ; elle porta 
la main à son front en jetant un foible 
cri, et retira cette main couverte de sang. 

— Je crois être blessée dangereusement, 
dit-elle en pâlissant et en regardant Té- 
tranger. 



io4 us irovicE. 

Guilford nesauroit rien ajouter aubonheur 
que j'ai eu d'être utile à son épouse. Ces 
mots prononcés du ton le plus dédaigneux 
furent suivis d'un soupir qui prouvoit 
que plusieurs sentimens combattoient 
dans le même cœur, 

— Maintenant donc , reprit le baron 
pour toute réponse, maintenant que Ju- 
lienne est entourée des siens, nous allons 
^rejoindre sa mère que j'ai laissée mortel- 
lement inquiète. 

— Eh ! comment retrouver mon cheval? 
dit Julienne. 

— Peu m'importe la perte de cette bête 
maudite , répondit Guilford , vous allez 
monter en croupe derrière moi. 

Pendant ce dialogue le comte restoit 
immobile à la même place, les yeux atta- 
chés sur Julienne, commesi Julienne seule 
^vait,étélà. En toute autre circonstance, 
il eût, dès les premiers mots de Guilford, 
détaché son cheval de l'arbre auquel il 



LE KOYIGÊ, lo5 

Favoit attaché , monté dessus et piqué 
des deux; ou plutôt il eût demandé raison 
d'une pareille insolence; mais pour cette 
fois sa fierté habituelle se trouvoit an* 
néantie par un charme inconnu dont la 
puissance sembloit étouffer tous ses res- 
sentiments et suspendre toutes ses facul- 
tés. Ilfaisoit cependant quelques pas pour 
s éloigner, lorsque Julienne s'approcha 
de lui j et lui tendantla main en souriantde 
Fair le plus gracieux : — Comte de Clérac, 
lui dit-elle, croyez que jamais je n'oublie- 
rai tout ce que je vous dois; et soyez sûr 
aussi que ma mère et son mari, ajoutâ- 
t-elle en montrant le baron, sauront tou- 
jours le reconnoître. 

A ces mots qui dissipoient l'erreur du 
comte j le plus vif sentiment de bonheur 
se peignit dans ses yeux — Quoi! dit-il , 
vous êtes libre ! quoi ! cet homme n'est 

point 

. —Venez donc, ma fille, dît le baron 
en prenant le bras de Julienne, tandis 
qu'il je toit un coup d'œil furieux sur le 



7^6 JSÊ ïKyvios. 

ieomte. -i. AdieuxionCy sire Jean; dit Clé^ 
racaveciinisolirîrosardoiiiqiïe. — Adieu> 
sîre -Evrard y réponditljrusqueHient Guil- 
lord. Tous se mii^ot eh selle à l'instant et 
partirent ; Le baron et sa suite :mi petit 
pas, le comte au grand galop du côté op-^ 

La baronae fut très^effrâyée , lors*- 
qu'ayant entendu les cors du coté où son 
mari arrivoit, elle euJt rejoint sa fille. A 
peine , dans ces premiers momens^ Guil- 
ford nomnàart-il le comte,, car il étoit trop 
occupé de l'état de Julienne ^ qui se sen- 
tit défaillir plusieurs fois avant d'arriver 
an château, où elle se mit au ]itsur4e^ 
champ. Mais le soir labaronneétantvemiiê 
dans la chambre de sa fille accompagnée 
de son mari; la conversation s'étabiit 
enlr'eux sur l'événement du matin. — 
Je ne puis vous exprimer , dit Guilford^ 
le chagrin que j'ai ressenti en trouvant 
près de notre chère enfant rhomrae^q[ue 
je déteste le plus au monde, l'homme que- 
jlai rencontré toute ma vie sur mon che^ 




I 

I 



LE NOVICE» iO'J 

min pour me nuire on'm'însulter, mon 
plus mortel ennemi enfin; Que rfis-je mon 
ennemi ! celui de tous les Anglais , celui 
de notre souverain; car on sait combien 
il regrette la domination de la France , et 
le prince de Galles n'ignorepas qu'il est 
toujours prêt à entrer dans les conspira^ 
tîons qui tendent à nous faire perdre ta 
Gascogne. 

— Et pourquoi, répondit la baronne , 
ne le surveille^t-on pas de près et ne lui 
fait-on pas payer cher ses trahisons ? 

— On le surveille sans doute, reprît 
Guilford , mais il £aut être deux fois sûr 
de son fait avant de frapper un homme 
qui tient à toute la haute noblesse dii 
pays. L'accuser sans le convaincre seroit 
extrêmement dangereux ; vous verriez 
aussitôt les d'Albret , les d'Armagnac ^ 
les Périgord et tant d'autres s'armer pour 
nn traître, dont au fond du cœur, n'en* 
doutez pas, ils partagent tous les senti- 
ments et les désirs. 

— O ciel ! vous me faites trembler. 



]o8 UE IfOVICE. 

s'écrie la baronne que son mariage avec 
Guilford avoit rendue tout Anglaise. 

— Que ceci reste entre nous, reprit le 
baron , je ne me suis laissé entraîner à 
en dire autant que dans l'espérance d'ou- 
vrir les yeux de Julienne et de lui faire 
partager Téloignement que nous devons 
tous avoir pour celui qu'elle appeloit ce 
matin son libérateur. 

— Certainement, sire Jean, répondit 
Julienne , vous pouvez être sûr que je 
vous garderai le secret surtout ceci, 
d'autant plus que je n'y vois après tout 
que des suppositions; pour moi je ne croi- 
rai jamais que le comte de Clérac soit un 
traître avec une figure aussi noble , un 
cœur aussi bon.... 

— Ah! ah! interrompit le baron, riant 
d'un rire amer, voilà l'affaire! la belle fi- 
gure du comte doit l'absoudre de tout. 
Je ne vous aurois pas cru , Julienne, aussi 
sensible au charme de deux grands yeux 
noirs; mais j'avois tort, je de vois savoir 
que toutes les femmes se ressemblent. 



LE NOVICE. 109 

Sire Jean , dit la baronne avec hu- 
meur , voilà qui n'est point du tout poli. 

— Laissez , laissez , Madame , reprit Ju- 
lienne du ton le plus dédaigneux , je puis 
vous assurer que je reçois ma part de 
l'injure avec une profonde indifférence 

— J'ai tort , reprit le baron en prenant 
la main de sa belle-fille qu'il porta à ses 
lèvres; mais le souvenir de cet homme 
suffit pour me faire sortir des bornes de 
mon caractère. Ainsi , Julienne, je vous en 
supplie, que son nom ne soit plus pro- 
nonce entre nous. 

En achevant ces mots , le baron em- 
brassa sa femme, et depuis ce jour en 
effet, le comte de Clérac parut être ou» 
blié au château de Sorgas» 

Cependant par une bizarrerie dont le 
cœur des femmes offre plus d'un exem* 
pie , l'opposition qu'éprouvoit Julienne 
dans le sentiment de sa reconnoissance 
accrut ce sentiment bien loin de le dimi- 
nuer, et le rendit plus tendre qu'il nel'au- 
roit été peut-être eu toute autre circons- 



JCiO JfE NOVICE. 

tance. Elle s'abstint , il est vrai, de parler 
du comte de Glérac , mais elle y pensoH 
sans cesse et se le représentoit , coupable 
ou non, entouré de pièges, menacé de 
porter sa tête sur un échafaud; enfin son 
intérêt pour lui alla bientôt si loin que le 
comte lui devint presque aussi cher qu'il 
^toit odieux à Guilford. Elle auroit voulu 
à tout prix lavertir des dangers qu'il cou- 
Toit, acquitter ainsi la dette de son cœur 
envers lui; mais rien au monde peut-être 
n'étoit aussi difficile, puisqu'elle ignoroit 
même en quel lieu séjournoit celui 
qu'elle ne devoit certainement plus revoir. 
Elle étqit depuis une semaine entière- 
ment rétablie de l'indisposition causée 
par sa chute; néanmoins, éprouvant en- 
odre un peti de foiblesse , elle sedispensoit 
de prendre part aux différents divertisse- 
ments qui avoient lieu tous les soirs daa$ 
la grande salle du château» Dès que la 
nuit étoit venues, elle se retiroit dans son 
appartement, et, là ^ seule, elle s'établis- 
soit sar le balcon de la tourelle qu'elle 



LE ïcovici:. iri 

habitoît, pour y passer quelques heures 
de suite, plongée dans une vague rêverie^ 
ou chanter quelque ballade nouyelle en 
s'accompagnant de son luth« 

Un soir, elle étoit sur ce balcon : ses 
yeux, tantôt se fixoient sur le ciel, où 
brîUoient mille étoiles, tantôt sur une 
-vaste plaine qui s'étendoit jusqu'au Gers 
et qu'arrosoient une multitude de petits 
ruisseaux argentés par les rayons de la 
lune, retraçant à son souvenir tous les 
détails de son étrange entrevue avec le 
comte : — Quelle bonté ! se disoit-elle : 
quels soins touchants il me prodiguoit ! 
et Finsulte a été sa seule récompense! 
moi même l'ai-je assez remercié ? ne de- 
vois-je pas chercher à réparer les torts 
de ce méchant baron? Sans doute il me 
confond avec ses ennemis! il me croit in- 
juste^ ingrate. Et dans rattendrissement 
que lui causoit cette idée, elle s'écria 
tout haut : — Evrard ! bon Evrard! 

— Julienne! puis -je croire que voçs 
m'appelez? répondit quelqu'un qui,s!étpit 



lia LE WOVICE, 

caché derrière le mur de la tourelle, et 
qui se montra tout à coup. 

Julienne poussa un cri de surprise; 
mais se remettant aussitôt et reconnois* 
sant le comte, sa pensée habituelle, le 
désir qui la dominoit la préoccupèrent 
entièrement. Elle se pencha sur le bal- 
con : — Sire Evrard, dit-elle, quel bon- 
heur vous envoie ! il faut absolument que 
je vous parle. 

— Je viens ici tous les jours , répondît 
le comte , qu'un pareil accueil ravissoit ; 
plus d'une fois je vous ai entendue chan- 
ter ; mais, ignorant si vous étiez seule, je 
n'ai point osé paroître. 

C'est le ciel qui vous conduit près de 
moi. Ecoutez-moi bien , sire Evrard ; mais 
d'abord , il faut me jurer de ne prendre 



aucune vengeance. 



On ouvrit alors la porte de la chambre. 
— A demain, à la même heure, dit Ju- 
lienne en rentrant précipitamment et 
refermant la fenêtre. 

Toute entière à l'idée d'avertir le comte 



LE lîOVlCE* 1X3 

de veiller à sa sûreté, Julienne n'avoit 
pensé d'abord à nulle autre chose. Ce ne 
fui qu'en se rendant compte de l'espèce 
de sentiment dont sire Evrard sembloit 
atteint, qu'elle sentit l'inconvenance et 
le danger de recevoir en secret un homme 
jeune et beau, qui l'aimoit, s'il falloit en 
croire toutes les apparences , mais qui ne 
pouvoit jamais obtenir sa main, lors 
même qu'elle l'aimeroit aussi, ce dont 
elle n'étoit pas bien sûre. — J'aurois le 
le plus grand tort, se dit-elle, si j'entre- 
tenois ses espérances, et peut-être la 
conduite que j'ai tenue ce soir l'abuse- 
t-elle déjà sur la nature de l'intérêt qu'il 
m'inspire? il faut qu'il sache tout. Je lai 
parlerai demain et j'obtiendrai de lui qu'il 
ne s'expose plus aux dangers qu'il court 
en venant ici. 

Julienne prenoit si fermement cette 
sage résolution, qu'elle pensa même à ne 
point parler au comte, mais à lui remettre 
une lettre, car elle sa voit écrire. Dès sa 
plus tendre jeunesse , ayant prisé le sa- 

5* 



Il4 UE NOVICE. 

Toir, elle s'étoit fait donner des leçons par 
le chapelain. Le seul motif qui lui fit re- 
jeter cette idée futla crainte que le comte 
ne sût pas lire , et tel étoit en effet le cas. 
La journée qui suivit parut d'une lon- 
gueur insupportable à Julienne. Enfin, la 
nuit étant venue, elle alla s'établir à sa 
fenêtre, sous laquelle sire Evrard l'atten- 
doit déjà. Après avoir fait promettre au 
comte d'étouffer tout ressentiment contre 
Guilford , et , quoi qu'il pût arriver, de res- 
pecter des jours auxquels ceux de la ba- 
ronne étoient attachés, elle lui avoua sans 
détour toute la haine que le baron avoit 
pour lui; parla des complots dont il étoit 
accusé, en le suppliant de se justifier 
aux yeux du prince de Galles, s'il étoit 
innocent, et de^e tenir sur ses gardes, si^ 
par malheur, il étoit coupable. 

— Je ne vous demande point votre 
secret, ajouta -t- elle. Je sais combien 
d'entre vous ont souvent été entraînés 
dans des entreprises, qui les rendoient 
sispects à leurs nouveaux maîtres; mais 



LE KOVICE. I'l5 

il importe que vous sachiez qu'on vous 
accuse, que toutes vos démarches sont 
observées, et qu'à la moindre preuve 
de votre îhteUigence avec la France, votre 
tète tomberoit. 

Je crois vous devoir ma vie , sire Evrard, 
puissiez-vous me devoir la vôtre. Cet es* 
poir seul a pu m'engager dans une dé- 
marche que je me reprocheroîs , si cette 
entrevue n'étoit pas la dernière que nous 
aurons ensemble. Jugez de ma recon- 
noissance , puisque c'est moi qui vous l'fti 
demandée cette entrevue, à vou» Ten- 
nemi de tous les miens ; à vous que mes 
devoirs m'ordonnent de fuir. 

— Vos devoirs ! s'écria le comte. Eh F 
que devez-vous à ce Guilford ? il n'est pas 
yotre pore. 

— Il m'en a tenu lieu du moins. 

— Et vous épousez sa haine ! je vous 
suis odieux, Julienne ! dites que je vous 
suis odieux. C'est alors que je ferai tout 
pour aller porter sur Téchafaud une tété 
que vous aurez proscrite. Julienne! Ju- 



1 16 LE irOVICE. 

lienne ! savez-vous à quel point je vous 
airae ? savez-vous que votre premier re- 
gard a fixé ma destinée ? ne plus espérer 
de vous obtenir un jour, c'est la mort. 

— . Cessez, comte de Clérac, cessez des 
discours que je ne pois entendre; songez 
que tout nous sépare. 

— Vous seule pouvez nous séparer, 
mais tant d'amour ne touchera-t-il pas 
votre cœur , Julienne ? n'aurez-vous 
point pitié de moi? Un jour vous serez 
libre de disposer de vous; eh bien! je 
l'attendrai ce jour; plus heureux d'une 
espérance aussi chère que de tous 
les autres biens de ce monde. Je vivrai s'il 
le faut sans vous voir. Il me suffira de 
^penser que vous me gardez votre foi, et 
pourtant, loin de vous, toutes mes actions 
vous seront soumises. Vous me ferez 
parvenir vos ordres, aucun ne sera 
enfreint. Entourée de mes ennemis, vous 
n'en régnerez pas moins sur moi en 
souveraine, et si leur haine l'emporte, si 
vous repoussez une tendresse que rien 



LE NOVICE. 117 

n'a jamais égalé ! faites-moi dite : Meurs , 
Evrard , je ne puis t'aimer. 

Julienne auroit voulu lui imposer si- 
lence; mais, touchée malgré elle d'un 
amour si vrai , si passionné , elle ne se 
sentoit pas le courage de déchirer un 
cœur qui lui étoit aussi tendrement dé- 
voué. Un amour véritable a quelque 
chose d'entraînant dont toute femme 
éprouve l'effet, surtout lorsque celui qui 
l'exprime est un des hommes les plus sé- 
duisants que l'on puisse voir , tel qu'étoit 
alors sire Evrard, dont le chagrin n'avoit 
point encore altéré les traits. Ce fut donc 
d'une voix douce et d'un ton où perçoit un 
attendrissement plus propre à augmenter 
le mal qu'à leguérir, que Julienne s'efforça 
de ramener le comte à la raison. Mais'en 
vain elle lui répéta que jamais on n'ob- 
tiendroit sa main sans le consentement de 
la baronne et de son époux, en vain même 
elle l'assura franchement quelle étoit 
résolue à ne plus ie revoir; Evrard refu- 
soitde croire à son malheur, s'obstinoit 



ii8 ££ iroYics* 

iians ses espérances ; et , lorsqu^après 
deux heures d'entretien , Julienne lui dît 
enfin un dernier adieu , il partit , empor- 
tant l'idée que son amour étoit partagé 
ou que du moins il inspiroit quelque 
intérêt à celle qui l'a voit fait naître. 

Quel fut donc son chagrin, lorsqu'é- 
tant revenu plusieurs nuits] de suite 
près de cette tourelle , qui renfermoit 
pour lui Funivers, la fenêtre ne s'ouvrit 
pas ; aucune lumière ne se montra y de 
façoti qu'il auroit pu croire que Julienne 
n'habitoit plus cette partie du château, si 
pour son désespoir il n'étoit pas par- 
venu à s'assurer du contraire. Julienne ^ 
en effet , n^avoit point quitté la tourelle; 
mais, fidèle à ce que son devoir lui dio- 
tbit, elle s'éloit juré de fuir celui que 
peut^tre elle n'auroit pu revoir sans 
danger. Ce qu'efle éprouvoit pour le 
comte n'étoit pas de ramoiir;- car l'a- 
mour ne cède point aussi facilement à la 
raison; cela y ressembloît assez néan- 
moins pour qu'elle crût devoir se tenir 



LB WOVICK. Tig 

en garde contre son cœur. Elle avoît 
donc le courage de ne point se montrer 
au comte , de ne point répondre à sa voîx, 
lorsqu'il s'aventuroit jusqu'à l'appeler à 
voix basse; cependant, tant qu'il étoit 
là y elle restoit debout derrière sa fenêtre^ 
le suivant des yeux, observant tous ses 
mouvemens , que le clair de lune lui per- 
mettoit de distinguer, soupirant lors- 
qu'elle le voyoit exprimer par sa conte- 
nance la douleur qu'il ressentoit , et 
jamais elle ne quittoit son poste mysté- 
rieux avant qu'il ne se fut éloigné, dans 
un état de désespoir dont elle étoit at- 
tendrie jusqu'aux larmes. 

Deux semaines entières s'étoîent écou- 
lées de la sorte , et , pour dire la vérité, le 
courage de Julienne étoit prêt à s'ébran- 
ler, lorsqu'un soir, sire Evrard ne parut 
pas à l'heure accoutumée. Julienne s'en 
inquiéta au point qu'elle finit par ouvrir 
sa fenêtre pour regarder au loin si elle ne 
le distinguoit point dans la plaine : les 
rayons du jour éclairèrent l'horizon sans 



laO LE KOYIGE. 

qu'elle le vît paroîlre. Il en fut de même 
le lendemain et plusieurs jours suivants ; 
en sorte que Julienne, lasse d'une attente 
si souvent trompée, et persuadée que le 
comte avoit pris son parti, se promit bien 
de ne plus s'en occuper. Elle ne put s'em- 
pêcher toutefois d'éprouver un certain 
dépit en se rappelant le ridicule intérêt 
qu'elle avoit pris à un amour si facilement 
éteint. 

Il lui fallut peu de temps pour bannir 
entièrement sire Evrard de sa pensée ; 
bientôt elle se livra de nouveau à tous 
les plaisirs que lui offroit le séjour de 
Sorgas. Les chevaliers les plus aimables 
s'empressant de faire une cour à la ba- 
ronne et à sa jQlle, la société s'y trouvoit 
toujours nombreuse. Un jour qu'en pre- 
nant l'air sur la terrasse trois ou quatre 
jeunes femmes, au nombre desquelles se 
trouvoit Julienne , s'amusoientà chercher 
des devises pour les chevaliers qui les eu- 
touroient, on en avoit choisi plusieurs 
que l'on vouloit faire prendre à Jean d'E- 



LB WOVICE. laî 

vreux, dont le caractère insouciant et lé- 
ger étoit généralement connu. Ce cheva- 
lier venoit d'arriver au château deSorgas^ 
où il paroîssoit fort rarement : après avoir 
reçu de bonne grâce les traits qu'on lui 
décochoit de toutes parts , il demanda la 
jpermissîon d'offrir à son tour des devises 
aux dames qui daignoient s'occuper de 
lui , et sur leur consentement : — Je com- 
mence , dit-il , p^r la belle Julienne, Je 
prendroîs pour elle un serpent, le plus 
joli du monde, et j'écrirois dessus : Je 
charme^ mais je tue. 

— Quelle horreur! s'écria Julienne en 
riant; grâce au ciel je n'ai jamais causé la 
mort de personne. 

. — Peut-être , répondit Jean d'Evreux 
avec beaucoup de sérieux. 

— Quoi! tout de bon, sire Jean ? reprit- 
elle en continuant de plaisanter. Faites- 
moi donc connoître au moins quelques- 
imes de mes victimes. 

— C'est ce que je feroîs si nous étions 
seuls, répondit-il à voix basse et d'un air 

m. 6 



la^ I-E JCrOVICE. 

toujours plus grave. Puis se. retournant 
vers les autres dames, il changea de dis- 
cours avec, une gaieté factice, après avoir 
|eté sur Julienne un regard si étrange 
qu'elle en fut troublée sans savoir pour- 
-quoi. . 

Pendant la promenade: q:tii suivit cette 
conversation, Julienne, involontairement,^ 
:.se rapprocha de J^an d'Evreux, qui lui»- 
rtême p^roissdit rechercher un entrçtiea 
avec elle. Dans un moment où ils mar- 
<iioie^nt tous deux réparés de la société, 
Julienne demanda gaiement à sire Jeaa 
^i elle faisoit bien de souffrir près d'elle 
niii ealomniaieur. 

— Plut à Dieu que j'ensee calomnié ! 
^Itépoaàit, tristement le chev-aUer^ ignorez- 
vous donc quelepaavr^ Enrcard?*.. 

-*-^ O ciel ! s^écria Jtttrenne en pâlissant ^ 
liîré Evrard est*ii mort? 

f -^ Fea die jours lui restent à Vivre du 
moins, répondit Jean d^EtreU^ , puisqu'il 
Repousse tous les secours-, puisqu'il veut 



LE ]NroyicJç. aa3 

mourir!. et le chevalier s'efforça voiaer 
ment de retenir une larme. 

— Dieu ! pourquoi l'ayez-vous quitté? 

— C'est moi seul qu'il a voulu, charger 
de vous apporter son dernier soupir , de 
vous dire qu'ij n'avoit pu survivre à votre 
indifférence, à vDtre haine. Maudit soit 
le jour où l'infortuné vous a rencontrée l 
Evrard porte une âme de feu , son arpour 
n'étoit point un amour vulgaire. Femmes! 
femmes ! voilà de vos jeuîc \ que le ciel vous 
le pardonne! pour moi j'ai rempli ma 
triste mission. Adieu. 

— Arrêtez ! s'écria Julienne pâle et 
tremblante; ne m'accusez pas! Que vou- 
lez-vous que je fasse? Je suis prête à tout^ 
plutôt qu'à supporter l'horrible idée que 
j'ai causé sa mort ! 

Un rayon d'espoir et de joie brilla dans 
les yeux du chevalier. 

— Vous seule pouvez me le rendre , 
dit-il en saisissant la main de Julienne; 
ma douleur, mes prières, rien ne le tou- 
che ; mais si je dis que vous lui: ordonnes 



Î24 UE KOVICE. 

ye vivre , que vous lui pei^mettez d'es- 
pérer.... 

— Dites tout ce qu'il faut pour le sau- 
ver ! s'écria Jùlîéhne hors d'elle-mêrae. 
Partez à l'instant , ah! partez ! fasse le ciel 
qu'il pe soit pas trop tard ! 

— Je pars, répliqua Jean d'Evreux, en 
vous bénissant ; et il imprima ses lèvres 
sur la main de la jeune fille, qui le perdit 
aussitôt de vue. 

Julienne se hâta de gagner son apparu 
tenient par un chemin détourné. A peine 
y étoit-elle arrivée , qu'elle vit Jean d'E- 
vreux passer sur la route , s'éloignant à 
bride abattue. 






y 



CHAPITRE VI. 



— Djns les lieux où Jo cours les filles ne vont pas , 

Mais les braves , n^s pour la guerre. 
— " K'iroportc ! leTêts-moi de Thaliit des soldats : 
Selle un coursier pour moi d'une housse dorée : 
J'irai par mouls ; par vaux , d'un même pas que lot ,' 
Comme un jeune homme alerte en ma course assurée. 

H. Lsusacixi. 



Sorr que Julienne crût avoir à se, repro- 
cher que sa conduite avec sire Evrard 
n'avoit pas été exempte de toute coquet- 



126 LE IfOVICE. 

terie , soit uniquement par suite de la 
bonté de son cœur, elle ne vécut pas 
jusqu'à l'instant où le messager que Jean 
d'Evreux lui envoyoit chaque jour lui 
apprit que les médecins répondoient de 
la vie du comte ; car, pendant plus d'une 
semaine que durèrent ses craintes, il ne 
lui vint pas ime seule fois dans la pensée 
que l'ami de sire Evrard eût exagéré le 
danger pour toucher plus vivement son 
cœur. Une femme a toujours la juste me- 
sure du sentiment qu'elle inspire, et Ju* 
lienne étoit sûre d'être aimée aussi pas- 
sionnément qu'on peut l'être. Elle n'en 
fut pas moins effrayée , dès qu'elle cessa 
de craindre pour les jours de sire Evrard , 
de l'engagement tacite qu'elle venoit de 
prendre avec lui. Avoir ordonné de vivre 
à cet infortuné , n'étoit-ce pas consentir 
à ce qu'il vécût pour elle ? Julienne le 
sentoit, et pourtant ses sentiments pour 
Ife èoniïé n'êtoient point de nature à lui 
feire* Méplfiser to^ls les • bbstacles , à lui 
fidretrcfirverdottx-lbd^lés sacrifices. Elle 



lE NOVICE. 127 

n'âbordpîf point Fidéè de se soustraire 
jamais à f autorité raaternellé, quoiqu'elle 
reconiiût l'impossibilité d'obtenir le con- 
sentement de la baronne. Placée entre ses 
devoirs et Fespèce d'engagement qu'elle 
venoit de contracter , le seul parti qu'elle 
eût à prendre étoît celui dé ne jamais se 
marier. Il lui parut satisfaire à tout, et 
elle s'y arrêta bientôt sans peine et sans 
regret. 

Elle se hâta de faire part de sa résolu- 
tion à Jean d'Evreux dès qu'il reparut à 
Sôrgas% Mais l'ami d'Evrard étoit bien loin 
de vouloir se charger d'un aussi triste mes- 
sage pour celui qui revenoit à peine à la 
Vie. On a vu combien étoit vive et sin- 
cère TafFection qtïi unîssort ces deux che- 
valiers. Bien loin cependant que cette 
affection prît sa source dans l'analogie 
des caractères , jamais deux hommes n'a- 
voîeiit offert entre eux d*^aussi grands 
Contrastes. Jean d'Evreux , léger , gai , 
iiioqùeur , dierchattt i s'amuse^ de tout, 
àUroit -dû souffrir jjlùs (|ii\in autf é des 



128 LE HOVIGE. 

inconvénients qui naissoient de Thumeur 
ardente et mélancolique du violent sire 
Evrard; et pourtant, depuis le jour où ce 
dernier avoit sauvé la vie du chevalier 
normand y chaque instant avoit resserré 
les liens d'une amitié qui devoit faire 
croire au charme que l'on dit exister 
dans Fopposition des caractères. 

Jean d'Evreux employa donc les plus 
vives sollicitations pour fléchir Julienne ; 
il crut même devoir s'ouvrir avec elle sur 
un point qu'il jugeoit propre k la toucher. 
Il lui avoua qu'il avoit toujours soupçonné 
son ami d'entretenir avec les ennemis du 
gouvernement anglais les relations les 
plus dangereuses. — Jamais , ajouta-t-il , 
je n'ai pu obtenir sa confiance à cet égard; 
mais son père est mort français dans le 
cœur, comme il avoit vécu, et, dès l'eu- 
fance , Evrard a partagé ses sentiments. 
Vous seule pourriez avoir assez d'empire 
sur son esprit pour le ramener à ses maî- 
tres, pour en faire un sujet soumis du 
prince de Galle3. Le baron le hait person- 



LB iroviCE. lag 

neliementi je le sais; mais cette haine 
peut s'adoucir p^r. Tespoir de gagner à 
son prince le cœur d'un vassal aussi pui^ 
sant que le comte. Fattes-leuir sentir à 
tous deux que votre main peut devenir 
le gage de la réconciliation et de la paix. 
Parlez au baron , belle Julienne^ parlez 
^rtout à Evrard y le plus bouillant ^ mais 
le plus noble des hommes , qui ne vous 
donnera pas en vain sa parole. Il attend 

r 

impatiemment que ses forces lui per- 
mettent de se rendre sous vos fenêtres ; 
consentez à l'entendre. Parlez-lui; retenez- 
le sur le bord de l'abîme où il se plonge, 
et que je vous doive deux fois sa vie. 

Julienne le promit , mais avant que ce 
jour n'arrivât , un malheur dont elle n'a- 
voit jamais abordé l'idée vint la frapper 
du coup le plus affreux : la baronne tomba 
si dangereusement malade qu'elle mourut 
en moins d'une semaine ^ laissant un tes- 
tament par lequel elle transmettoit à Guil- 
Ibrd, en qualité de tuteur^ tous ses droits 
sur Julienne. 



ÇtSO cM" W0VICE. 

Aocatilée par uile perte aussi* cruelle j 

luKemie;il^ » put ^atho'tâ :pé«âèr qrf'à' soi 

ttniheti^r^/ei; snppértèr d'âluti^ sodété que 

ce)lé>d« fearoTi. Pl'ës d'un mors s'écoula, 

peodâilt ïéquel elle J^ài^oît la journée eti*^ 

tierq seiilè aveckiîj é[iirtsaht*t<>ii$ les ik)t3v 

Veilîrl et tdU*éis; les sources de là' douleur, 

Le baron U*irmême^arois$ôit n« vivre 

que près iijle a?a belle- fil le, non qu'il fût 

3>ien s\ncèï^tnetit tàïûigé y eùr ^ pbtir tout 

dire icij Jalie^ne aurôJt pu re*A<arquêr, à 

travers lies efforts qu'il faisoît paMv la con- 

-soler, conîbieii il awk peu besoin d'en 

/aire pour se consoler îut-même, si Ife d^ 

sespoir où elle é toit plongée n'eût pas 

entièrement at>sorf>é son esprit ; mais^ 

lorsque le tcnups l'eut réudde plHJs calme^ 

cjue ses larmes coulèrent avec molias'à'a* 

«nertume^ Guitford la vit> à son grïwid 

regret, necbe^her la solitude et fuir ces 

longs téte^à^^tétequ'etie avoit rechenehés 

jus^u^là^'i^e fait est que , sans potâi*fôir 

«*eil Tendre raison , Julienne ëtoit gênée 

par les témoignages d'\jne tendresse qtB 



LE NOVICE. r3i 

ne portoît ancnn caractère paternel Elle 
eut beau d'abord se reprocher son ingra- 
titude et s'efforcer de vaincre une repu* 
gnance involontaire, la conduite du baron 
avec elle devint si étrange et si claire,, 
^ëllê finit par concevoir des soupçons 
qui l'alarmèrent autant qu'ils la révol- 
toient. Julienne, accoutumée dès Fenfance 
à recevoir les chresses de Tépoux dé sa' 
nière , et se réjouissant de retrouver en 
lui le père qn'elle avoît pei^dW', tie s*étOir 
|>oint aperçue de l'effet qu'avoit produit 
BtirGailford le développement dé ses gra- 
des et de sa ravissante beauté; cependant 
Pamour du baron pour elle existoit de- 
puis long-temps, et cet amour , qu'il avoit 
au cacher à tous les yeux sous les dehofs 
de l'affection paternelle , écTatoit enfin 
avec toute la violence que lui avoit fait 
acquérir une aussi longue contrainte. 

Dans l'effroi que lui inspiroît le danger 
de sa situation , il étoit bien naturel 

< * 

qu'elle pensât aussitôt à sire Evrard) ce 
ht aussi la première idée qui se présenta à 



JEvrar^^e teooit.donodAPS le vx^ÂîÛMg^^ 
guettant Je i^oiudre ^gue de sa présence 
dans la tpurelle? Cette fdée la toucha 
d'upe si vive recp^uioissaxices q^uele comte 
eût été trop heureux s'il avoit pu lire 
iîans son cœur lorsq^u'^l arriva près d'elle. 
Dans le doux entretien qui s'établit 
,entre eux, il la supplia de permettre qu'U 
employât tous ses efforts pour obtenir le 
consentement dubaroB. — S'il le faut, di- 
soit-ikie m'humilierai devant cet hommft. 
11 vous a servi de père, Julienne; que 
toute haine cesse entre, nous. Qu'il exige, 
-qu'il ordonne , je suis prêt à le satiçfairp 
en tout : quel sacrifice peut me cpùter,, 
^uand il s'agit d'obteni;* Julienne? 
, . Mais il n'étoit plus temps de se livrer* 
.à cette espérance. Julienne savoit trop 

combien toutes tentatives, à cet égard ,3e- 
r<oient inutiles ou même danger^u^^. 
<îepeiKlant l'entière vérité iie put sortir 
•de sa bouche innocente; elle assura le 
comte que Jamais leur union n'obj^.ei\« 
dw)it le consentement de GuilfQrid , ^a^s 



Tinstruire de l'odieux, motif qiu- lui çn 
domiolt la certitude. Sire Evrard alorane 
négligea rien pour lui persuader qu'elle 
avoit le droit de se soustraire à la tyranr 
oie^ qu'elle n'enfreignoit aucun devoir; 
qu'en suivant un époux qui Tadoroit^ 
elle ne faisoit qu user d'une liberté que la 
mort de sa mère lui avoit rendue. Pendant 
plusieurs nuits de suite ^ ces discours ^ 
auxquels Evrard méloit les plus toucban* 
tes assurances d'un amour éternel, firent 
sur Julienne une impression d'autant plus 
forte, quelle ne pouvoit parvenir à éviter 
pendant le jour la présence de celui dont 
les regards seuls la faisoient frémir de 
crainte et d'horreur. Elle hésitoit cepea- 
dant encore en songeant aux dangers 
qu'une pareille démarche fcroit courir à 
sire Evrard, au- seul objet d'atfectioa 
qu'elle eût alors clans le monde! il ne pou- 
voitespérer aucim appui ni du prince de 
Galles^ ni d^aucun des Anglais qui jouis* 
saient dupouvoir dans la province; tous, 
«a contraire, s'emprcsseroient de secoQ* 



i36 ife wovicE. 

der là vengeance dé Guilford, Le comte 
pourroit-il résister à des ennemis aussi 
nombreux , aussi puissants , qu'elle alloit 
ai'mer contre lui en consentant à devenir 
6on épouse, et en se réfugiant dans Clé- 
rac? Elle eût donc balancé long -temps 
avant de prendre un parti désespéré , si 
le baron lui-même ne se lut chargé du 
soin de l'y contraindre. Un jour (et trois 
moiss'étoientàpeineécoulésdepuislamort 
de la baronne) , un jour il lui parla d'un 
chevalier dont il se dit l'ami, qui venoit 
d'obtenir une dispense du pape pour 
épouser sa belle-fille.— Une pareille union 
est odieuse! dit Julienne d'un ton ferme, 
quoiqu'elle feignît de ne point compren- 
dre le but de cette confidence. 

Guilford n'avoît pas entamé un sujet 
aussi délicat pour reculer. Il s'efforça de 
justifier son ami , et les raisons qu'il em- 
ployoit excitant sa passion jusqu'au dé- 
lire, il ne garda plus aucune mesure , finît 
par avouer son amour à la malheureuse 
enfant, qui, tremblante d'effroi et d'indi- 



/ 
/ 



tK irovics. 1^7 

goatioiiy s'efforçoit en vain de dégager 
ses mains 5 qu'il tenoit serrées entre les 
sLennes. Parvenue dans un dernier ef* 
fort à se rendre libre, Julienne courut de 
toutes ses forces jusqu à son appartement^ 
dans. lequel elle s'enferma. Pendant plus 
d'une heure , elle fut hors d'état de ras* 
sembler ses idées. Le dégoût , l'horreur 
et l'effroi qu'elle venoit d'éprouver avoient 
comme troublé sa raison : elle appelolt 
Evrard à haute voix, elle imploroit son 
secours; mais peu à peu, devenant plus 
tranquille, elle prit l'inébranlable résolu- 
tion de s'enfuir dans la nuit même, et dç 
se mettre sous la garde de son seul pro-i. 
tecteur. Les dangers qui dévoient en rér. 
sulter pour le comte, dont elle s'étoît 
alarmée jusqu'ici, pouvoient tous dispa** 
roître, si elle consentoit à couvrir son 
mariage du voile d'un mystère impéné- 
trable. Décidée à faire ce sacrifice à la sû- 
reté d'Evrard, elle imagina bientôt de 
cacher son sexe à tous les yeux, jusqu'au 
jour où des circonstances plus heureuses 

6* 



ràTpèrtrtettroîiént de rèin^nd^ seA «km^ 
et' son rang dans ia société. EHe'se* l^ëvetît 
a[lii5sitôt -du pliis simple de ses habits de 
cfhasse,-'prtt des ciseaux j et, sans pousser 
im'sotfpîr/fît tomber à tferre une forêt 
de ses beatix cheveux blonds , ponr ne 
Conserver que là courte chevelure d'an 
jeune horhme. Afin d^mpécher qu'aucun 
indice pût éclairer ses traces , elle écrivit 
sur un mot'ceaù de parchemin qu'elle posa 
siTT sa table : Quand vous lirez ceci, fa»» 
rai passé les frontières. Après quoi, pre* 
naht un petit coffre qui renfermoit les 
bijoux de sa mère et les siens, elleatten* 
dit avec un battement de cœur inexpri^-^ 
mablel arrivée du comte. 

A peine l'entendit-elle s'avancer sous 
la fenêtre, qu'après avoir adressé à Dieu 
une courte et fervente prière, elle se mon- 
tra ster le balcon. — Les moments sont 
précieux, sire Evrard, dit-eiie d'un ton 
solennel^ bonsentea-vous à |>rendre pour 
âfmme Julienne de Soi^a«? 
-'-i^îd! s'èit\% te comte tvrë 4e bonheur, 



< • 



•£fi NOTICE. ^'Sij 

"fa seule espérance de cette félicité ne 
mVt-elle pas rendu là vie ! 

— Eh bien ! je me confie à votre foi. Je 
-vais votis suivre. Et , tandis qu'Evrard , 
hors de lui, se demandoît s'iPfaisoit tiïi 
rêve enchanteur, Julienne àttâchoît une 
large ééharpe à la fenêti-e, qui lui suffit, 
avec Taîde du comte , pour atteindre le 
soi. 

— Ne perdons ■ pas un instant , reprit- 
elle dès que ses pieds eurent touché la 
terre. Clérac est-il loin d'ici? 

— Fort loin, répondit Evrard. 

~ Et n'avez-vous pas un ami sûr , qùî 
puisse nous donner un asile dans ces pre- 
miers moments? 

— Jean d'Evreîix , dît le comte , Jean 
d*Evreux, dont le château n'eét qu'à deux 
lieues. • ' 

-^ C'est là qu'il faut nous ^endtè , répli- 
qua Julienne en aidant Evrard à détacher 
ïon ctiëval , qu'il prenoît toujours feoîn de 
"ip&feet-fôrt f/rés dela-tôtirelie. Le comte 
é^t monté ^sîtôt, Julienne se niit en 



1 40 LE ïrOYlCE* 

croupe ilerriére lui, quittant ainsi, pour 
n'y jamais rentrer peut-être, le vieux ma- 
noir de se$ pères. 

Pendant le trajet, Julienne fit part à 
JE vrard 4e l'intention où elle étoit que leur 
mariage se fît dans le plus grand secret. 
En vain il répugnoit à ce mystère, qui 
pouvoit avoir mUle inconvénients pour sa 
bien -aimée, en vain il lui jura qu'une fois 
^rendus à Clérac, son épouse n'auroit rien 
^ redouter: Julienne mit à cette condition 
le don de sa main , et le força ainsi de 
consentir au désir qu'elle avoit d'assurer 
la paix de leur union. 

L'étonnement de Jean d'Evreux fut 
grand lorsqu'il vit arriver chez lui Fhé- 
ritière de Sorgas et son compagnon de 
voyage. Mais il approuva si bien le plan 
que Julienne avoit conçu, qu'il prit le 
plus grand soin de. la faire passer aux yeux 
de ses serviteurs pour un jeune poursui- 
vant d'armes , que l'on avoit çpn^é à.la 
protection de son. ami. Ce fut donp daos 
Je plus grand mystère que la ,nuiç,^ui- 



k_ 



LE VOVICE. l4t 

vante , sire Evrard et Julienne reçurent la 
bénédiction nuptiale de la main du cha* 
pelain de Jean d'Evreux^ qui lui-iûême 
servit de témoin à cette union ^ assisté 
d'un vieil écuyer, sur le silence duquel 
on pouvoit compter. 

On essaieroit en vain de peindre l'i* 
vresse du comte , lorsqu'il se vit enfin 
possesseur de l'aimable créature qui ve* 
noit de se donner à lui. De même qu'on 
ne sauroit dire par combien de serments 
il s'engagea^ prosterné devant elle, à ne 
vivre désormais que pour la rendre heu* 
reujse , à lui soumettre toutes ses pensées» 
:,'^Q}fs ses désirs, et jusqu'au mouvement 
d'()ii .caractère. <|u^ la. nature avoit fait 
tf^^ ardent. Sans partager toute la viq- 
j^ce de l'amour qu'elle inspi^oit, Julienne 
jj|n étoit extrêmement toucbée. Les agré- 
ments personnels du comte ne nuisoieqt 
jgf^ d'ailleurs aux efCorjts qu'il faisoitpour 
claire ; et le mois que les deux époux pas- 
;çèrei^.c]iez Jean,d'EvrjBux fut pour eux 
gç[ tpmgs de bop|ieur. 



^ ' Aucun soupçon ne Vétoît élevé qui pût 
•faire craindre pour le secret de la fugi- 

iive , et le comte désirant retourhei' à Clë- 

rad , Julîennery survit , sans quif ter néan* 
'moins dans ce nouveau séjour lés' habits 

et le nom qu'elle portoît chez Jean d'E- 
-vreux; car sire Evrard, tout chagrin qu'il 

étoit défaire un mystère de son bonheur, 
-ne savoît pas résister à la volonté de îu- 

lienno. 
^ . — Ah! lui ^Ksoit^l un jour qu'ils se 

pronûénoient ttkis deu^dans les beaux 
" jiardins- de Cléracy^ù'il niTest^uel de ne 
'pouvoir daiîs mes prdpres dorfaàrhes'feîi^ 
Tendre à ma Mîéiine tou*^'' Ites' respfècts 
-4ju'on' înî doft 1 Quarfcf vîentlrà 'ft îbttr, 
'grand Dieu! (Wi^jé p6ûr?ài dire à tôtosUfflle 

«sf mâfemmfeiffin'aciievatittcès mttt^H% 
'séarra dans ^es^iyras'^àVec'trtiTnotivêmëât 
'passionné. ''•"' - ■: • ■; 

■ 'H-eterÉVnartîj fépontîit-eHè'j qûéll^és 
"qiiiB soient lieis fofc&siqîîè^VcKis'^ptrt/f^ 
irakserbbler datis rf^s^miirs, voiife*sé1i^oît^-11 
jamais possible de* Wsîît^ àfa^Ugiî^ tjtii 




' i 



LE NOVICE. 145 

se fôrifterbît contre v6us? Excités par la 
haine de Guilford, tous ces baronis an- 



••*«« 



*— Julienne, interrompît le comte d'u» 
ton mystérieux, ces Anglais n*ont peut- 
être que peu de temps à nous opprimer» 

— Que dites-vous? s'écria Julienne en 
pâlissant, Seroît-il vrai, Evrard, que vous 
conceviez dé semblables espérances? 

— Je les conçois d'autant plus, répon- 
dit le comte, que depuis long-temps no- 
tre noblesse est lasse de cette noblesse 
d'outre-mer que le prince de Galles en- 
richit en imposant sur nous de nouvelles 
taxes, que chaque jour le joug de l'An- 
gleterre devient odieux au peuple comme 
aux barons, et que toute la Gascogne re-. 
grette ses anciens maîtres. 

— Mais dites, Evrard ^ répliqua Julienae 
an tfeqiblantf ]iaàme à ciboire qu^ vo^s 
n'êtes paijcit . compuotmîs 9 . que . ;pQu<r. : tout 
dire enfin , vous ne conspire? pas ? Jamais, 
moû amî; vous ne xnàvéz répondu sur ce 



l44 ^£ KOVICE. 

point de manière à me rassurer, entière* 

• ■ 

ment. 

— Ma hien-aimée, répondit Evrard, avant 
de te connpitre» lorsque je tenois trop 
peu à la vie pour ne pas la sacrifier à ma 
haine pour les Anglais, je t'avouerai 
que j'étois Tâme de tous les complots 
qu'on ourdissoit contre eux , et plus 
d'une fois ma tête a couru de grands 
dangers. Mais depuis le jour où j'ai pu 
espérer de vivre pour toi, Texistence m'est 
devenue trop chère pour la risquer légère- 
ment. J'ai cessé toutes démarches impru- 
dentes, aucun message n'a été adressé par 
moi à la cour de France ; mais tous mes 
amis, néanmoins, savent qu'ils peuvent 
compter sur mon bras et sur celui de mes 
vassaux si le moment d'agir se présente. 
Toi-même, Julienne, tu ne voudroîspas 
me voir rester dans une inaction honteuse 
lorsque mes parents et mes frères d'armes 
s'armeroient pour la défensè^ commune. • 

^ — Hélas! dit Julienne, trop instruite 



_L 



LE isrovicE. 146 

r . ■ . : ■ , 

des lois deThonneur pour répondre autre- 
ment que par un soupir. Cependant, 
Evrard , reprit-elle, je suis plus tranquille; 
car il s'écoulera bien des années , croyez- 
moi , avant qu'on 6sè attaquer ici la puis* 
sance de l'Angleterre. 

— Peut-être, répliqua le comté, les 
yeux brillants d'espérance, si te nouveau 
roi Charles V n'embrasse pas une poli- 
tique trop timide, qu'il dise un seul mot, 
et tout se soulève à l'instant. Alors , Ju- 
Uenne, ce seroit à Guilford de trembler, 
et tu rentrerons triomphante dans le do-» 
maine de tes pères. 

— S'il faut poiir atteindre ce but, ré- 
pondit tristement Julienne, voir couler le 
sang de mes compatriote^ et peut-être le 
vôtre, Evrard, périsse cerit fois des biens 
qui me coûteroient si cher. 

Ange de bonté, dit le comte en la pres- 
sant siir son cbêùr, ne crains rien pour 
moi. Le ciel protégera des jours que tu 
rends si fortunés. 

Mf^is tandis qu'il parloit ainsi , Forage 
m. 'j 



,i;4^ LE .i(oviqE. 

grondqit sur sa. tête sans qui! en eût k 
j^oindre SQupçpn. 

. Un messager que le sire de Terr,in€^ 
xin des plus ardents eniiemi^ dçs Ànglaû] 
envpyoi.t à. I9 cour de Fraoce, veooil 
d'être arrêté et conduit devant le prince 
de Galles. Non seulement cet Jiomme 
avoit tout dit, mais on àivoît saisi sur lui 

. ' . ' ... . j ... . .' ^ 

h. liste des seigneurs gascons sur lesquels 
Charles y ppuYpit -compter. Lfs çc^mte.^ 
Qérac se trouvoit conipro!n;iis plus q'iCatt- 
cun autre par left <î.étaiU give renfermoît 
ce fptal papier^ aussi ft^t-.il. iius^itot 
mandé à Poitiers, où, le. prince réaidoit 
alors, pç)ury'.rendr,e conpptede sa con- 

^ duUe.dpyant l,e parlement ^sog;s peines , de 
$^ voir çQud^ipné par défaut^, daps bui- 
t^aitte , m^ peines exicmvn eg pour letcrioie 
de haute Irahispp. . ' 

\Ji} ^A plus tôt^ Err^xJ n'auroit point 
jabprdé i'idé? dç 3e rendre à cet «ppel j il 
fût préféré cçi>.i fpi» «'ensevelir sous I^s 
murs de Clérac; mais k^ dangers aux- 

, «ueh u^aittïprudeotïB'ré^istance e;:i^|K»5oit 



la personne de Julienne lui ciéfendoicn( 
trop impérieusement de prendre c^ 
p^rtiy pour qu il ne se décidât pas aussi- 
tôt à ne mettre que lui seul.eç pér^l. Qu^ 
deviendroit-elle néanmoins, iH les char«* 
|[es qui s'élevoient contre lui^ «t dont il 
igooroit la nature, étoient assez gra,vc^ 
pour le conduire à la mort ? Il .réfléchit, 
autant que pouvoit le lui permettre, soiil 
désespoir , aux moyens de lui assurer ua 
asile et un protecteur , sans pouvoir eij 
trouver aucun» sans pouvoir aussi se ré- 
soudre à l'instruire de leur malheur» 
Chaque instant ajoutoit à sa cruelle per^ 
plexité, lorsqu'une visite nocturne dtt 
sire de Terrine vint enfin y mettre un 
terme. 

C^ ^eîgpeur^ qui connoissoit mieux 
que personne, toute l'étendue du danger 
que coiiroit Evrard, n'avoit pas voulij 
quitter la province sans le lui faire con- 
poître, çt sans l'epgager à prendre la 
fuite ^ ainsi qu'illfaispit Tui-méme. 

— Et quds sont vos projets? lui de- 



i48 LE irovicE. 

xnanda le •comte, qui vit trop que la mort 
Fàttend oit à Poitiers. 

— Mon projet est de gagner la pre* 
mière ville de France , répondit le sire de 
Terrine. Là , conîme ma bourse est bien 
garnie ^ il me sera très-facile de monter 
une compagnie de soixante à quatre» 
vingts hommes d'armes bien équipés , 
avec lesquels je mènerai joyeuse vie , en 
attendant que la guerre avec les Anglais 
recommence. 

• — Ce parti ne peut me convenir, re- 
prit Evrard en songeant à sa Julienne; 
]e préfère me réfugier à la cour de 
France. 

—Bah! reprit le sire de Terrine, il fàu- 
droit être sûr de s'y voir bien reçu. 

— Quoi ! répliqua le comte. Ce cham- 
bellan de Charles avec lequel nous cor- 
respondons et qu'on dit être favori de son 

maître... 

— Bureau de Là Rivière! interrompît 

Terrine en secouant la tête. Adressez-vous 

• ■ 

à lui si vous voulez; mais moi, voyez-vous, 



LE KOYICE. 149 

je connois ces gens-là. Le chambellan, aussi 
bien que son maître, ne se soucie pas 
de se brouiller avec l'Angleterre. Et tant 
qu'ils ne croiront pas la poire mûre, ils se 
garderont bien de compromettre la pais 
avec Edouard , qui ne tient qu à un fil , 
en accueillant des gens de notre parti. 

— Notre parti n'est-il pas le leur ? s'é- 
cria le comte avec indigation. Par saint 
Yves! si je croyois qu'il en fût aiusi ! 

^- Il ne tient qu'à vous d'en juger , ré« 
pondit tranquillement le sire de Terrine; 
mais, soit que vous vous rendiez à la cour 
de France , où partout ailleurs , tâchez de 
partir le plus promtement possible. Là- 
dessus , bonsoir. Et il sortit. 

Evrard ne poi^voit penser qu'il ne dût 
pas trouver un asile près du monarque , 
pour lequel il se voy oit exposé à perdre la 
tête. Aussi , dès qu'il eut révélé à Ju« 
Uenne le secret qu'il lui cachoit depuis la 
yeille et qu'elle s'offrit aussitôt à le suivre, 
sans faire entendre un seul reproche, 
dans exprimeftun seul regret ^ il eût près* 



iSn LE NOVICE. 

: r ... ")-.; ;.! 

times de cette affaire . répondit le comte 
en souriant dédaigneusement, et vous 
pouvez être sans crainte , sire de La Ri- 
vière* . 



;;. 



if . 



•^ L'ifitérétqué je dbis prendre à moA 
maijbre, à la^rance, justifie ââsez ce que 
je ^iens de dire ^ reprit le favori. Lés 
plaies du royaume sont encore saignantes^ 
sire Evrard^ et Tétat des choses nous 
qj^lige pout* long-temps peut-être à res* 
pecterje traité de Brétigni , tout funeste 

* -^ Soit, répondit le comte doiit ce tai- 
so'tMefment/iôrt juste en effetV calda la 
TioIeïJciè; soit; thacun stitige à son afFaifbj 
tflest iss'éz' naturel. ' La mienne mainte- 
nant , Sire de La Rivîète, est d'obténii? 
une audience du' rôi Charles, etj'ëspèrô 
que VOUS vôùdt'ez bien' tiîV aîdéi^. '' 

— Le roi • comme vous . savez y sire 
Evrard f est . d'une santé . trés-foïblé , ré- 
pondit le chambellan !dVp. air embàpp 
rassé. Et depuis un mois'surtout. sa sou& 



LB KOYICE. l53 

france est telle qu'il ne voit que sa fa- 
mille/ 

— Tattendrai , reprit le comte avec un 
sang-froid dont il eût^été incapable si 
lidée de Julienne l'avoit abandonné un 
seul instant. 

— Comptez-vous donc séjourner long- 
temps à Paris? 

— J'ai des raisons pour désirer m'y 
fixer, jusqu'au jour où je pourrai rentrer 
dans Clérâc. , . 

•-!- Certainement certainement, ré- 

pbnOfit le chambellan, dont Fembarras 
croissôit à chaque mot, Paris vous est 
OQvert : mais vous sentez combien L dans 
cette circonstance, 'la position du roi est 
délicate. Il ne peut vous bien accueillir, 
u ne peut même vous recevoir à sa covi^ 
sans approuver tacitement les complots 
ourdis cpntre le prince de Galles ; et 
comme je vous Tai dit tout ài'heure , Fétajt 
du royaume ne nous permet par de .ris« 
quçr une rupture avec FAngleterre. 

*— Parlez plus clairement , dit Evrard; 



i56 L£ irovicE. 

Par la mort! ce ne sera pas Evrard de 
Clérac! Puis, rame en proie à tous les 
sentiments que peuvent exciter la hahie 
et l'esprit de vengeance , il s'éloigna d'un 
pas rapide et parvint bientôt à l'auberge 
^ù il avoit laissé Julienne. 

Jua^qu'à ce jour, la vue de sa douce 
compagne avoit calmé les accès de Tio* 
lence auxquels le comte n'étoit que trop 
^^ujet; mais dans cette circonstance, Ju* 
lienne fit de vains efforts pour réprimeir 
]a fureur qui renaissoit en lui , au seul 
récit de son entrevue avec Bureau de La 
Kivière. Il étoithors d'état de rien enten* 
dre et tout^ au contraire, paroissoit l'irri-* 
ter davantage. Tremblante en écoutant 
les horribles imprécations dont il char* 
l^eoit le roi de France et son favori, 
effrayée des éclats d'une voix qu'elle ne 
reconnoissoit plus, et des regards terri« 
blés qu'il lançoit autour de lui, elle per- 
çut l'espoir et la force de se faire entendre, 
et finit par tomber presque sans mouve- 
Haent sur un 4^ge^. L^a fureur d]u comte se 



^ 



LE KOVICE. iSj 

dissipant alors , comme par enchante» 
ment 9 il se précipita aux genoux de sa 
femme ; employa les plus doux accents 
pour la rassurer , la suppliant de lui par» 
donner l'efFroi qu'il venoit de lui causer. 
— Orna bien aimée! disoit-il en essuyant 
les premières larmes qu'il eut versées, n'est- 
ce donc pas pour toi , pour toi seule , que 
je regrette cet asile qui m'est refusé? 
Puis-je penser au sort qui t'attend et con- 
server ma raison ? Me voilà errant dans 
un pays étranger! Chère, ad orée Xùlienne, 
que vas- tu devenir? Où déposer ce trésor^ 
plus précieux cent fois que ma vie ? ' 

. — Nous ne nous séparerons .jamais^ 
Evrard, dit Julienne, touchée de la dou- 
leur dfi son malheureux épou^ Les vête- 
ments que je porte , et dont maintenant 
j'ai l'habitude , me permettcnt.de vous 
.suivre partout. N'êtes-yous pas mon seul 
.appuis mon seul protecteur sur la terre? 

= —Quelle protection pmir l'héritière des 
Sbrgas , reprit le comte attendri, que celle 



j58 . UE JïOYici:* 

d'un jnalheureux fugitif exposé désor- 
piaia à tjou^s les dangers ! 

, — Jje les partagerai , mon ami , répon^ 
dit la xiouce créature ; n'-est-ce pas le de» 
voir d'une épouse ? Que je vous voie 
heureux , Evrard , que la. paix règne entre 
nous , tout le reste n'est rien, 

— La paix ! répliqua Evrard , il faudroit 
donc vouloir trexobler celle des anges pour 
troubler la tienne. Mais,^a bien-aimée, 
j|p n'accepte pas les sacrifices que tu veu:?: 
faire à monbonbeiur.Songe^ Jjulienne, qu'il 
faut que je partç;.ce misérable favori 
ne me pardonnera jamais ce qui vient de 
5e passer entre nous , et je n'ai plus d'à- 
silëmaiiitebant'qtfati milieu de ces com- 
pagnies k qtiî là France appartient bien 
jplus aujouhfhui qn'eHe n'appartient du 
roi Chârffes V; làt, je puis tout tenir dé 
mon èpée; raaiîs toi, Julienne, ajouta-t-il 
en détournant ses yeux, qu'il avoitjui- 
'que là fitéisur elfe, aucun ennemi tié 
te poiirsU^ ; ti» jEne quittant , tu peux re- 
troiws^ k.tq>Q$; tu peujc à t» n^ajorilié 



I 



UE IfOVICÇ. 1^9 

réclamer , les biens dont jouit l'infâme 
GuUfojçdL Jusque là, l'or et le3 bijoipc qu^ 
Douç possédons encore t'ouvriront Fen- 
.ti;^Q dç quelque monastère , où ta passe*- 
Tâs tes jours à. l'abri de tous dangers^ 

— |îon , non , interrompit Juliean& 

Renoncez , cher Evrard, h ce projçL Une 

'^jsséparés,qui sait sinpusnousreverrion^ 

j^flVÛs? Cro3''ez-.ypu& d'ailleurs -que je 

J>lji$^e vivre .dan$ l'ignorance de votre 

^Orl? me dire chaque jour^ Peujt-être esir 

i^l blessé? peut-être est-il malbeureuiç?^^ 

— ^uliepjie, je serois mort , s'écria le 

Comte ,. incapable de dissimuler plus loqg'» 

temps. Ah ! qu'à Dieu ne plaise que je vive 

après t'avoir quittée. 

Ces roots ^ prouoipcés avec l'accent du 
désespoir, décidèrent du $ort des deuj: 
époux. Le soleil suivant ne les retrouva 
plii$ dans Pofis, où Bureau de J>a fîriyièr^ 
faisojt en vain cberxJier le comte de Clé- 
rac, pour l'apaiser, s'il étoît possible^ 
Cçist aii\si que , par eiûte des ménf^ 



l6o M NOVICÎE. 

ttients qu'on vient de lire , Julienne de 
SSlorgas se vît réduite vôlontair)ement à 
partager la vie errante d'un homme qui 
Fadoroity mais dont le caractère sympa» 
thisoit si peu avec le sien y qu'elle ne tar- 
da pas à s'avouer que le bonheur avoit fi 
loin d'elle poUr toujours. L'amour pas 
sionné qu'elle inspiroit à sire Evrarcf^ 
étoit le seul frein qui pût comprimer le ^ 
accès de violence auxquels il se livroit san ^s 
cesàe, pourlâ cause la phis légère. Encor '^s 
'falloii-il que ces emportements n'eusseix "t 
point la jalousie pour causé ; car sir^ 
Evrard, jaloux , devenoit un véritable fiï.- 
riëux, et souvent il l'étoit du mot, do 
regard le plus innocent, lorsque tant de 
motifs étoient propres à lé rassurer! tfonr- 
seulement Julienne , dont l'aimable gaieté 
àvoit presque entièrement disparu, s\A' 
servoit en tout, avec un si grand soin, 
qîife le comté ne potivôit lui reprocher 
l'apparence d'un tort; maïs les vêtements 
qu'elle portoit, grâce à sa taille svelte et 
élevée, dissimuloient si bien son! sei^e à 



i 



!£ iroviqu i6i 

tons les yeux, que jamais le moindre 
soupçon n'avoit excité l'inquiétude des 
ideux époux; de plus» ils se séparaient 
rarement l'un de l'autre , et toujours pour 
peu d'instants. On peut donc dire que sire 
Evrard étoit jaloux de l'air que respiroit 
Julienne. Peut-être aussi les êtres pas* 
sionnés sont-ils doués d'une sorte d'ins* 
tinct qui leur décèle la froideur , sous le 
voile le plus épais, et Julienne en effet 
étoit bien loin de répondre au brûlant 
amour deson époux. Chaque jour, au con- 
traire, le foible sentiment de préférence 
qu'il lui avoit d'abord inspiré s'éteignoit 
dans son âme. La contrainte, Icff roi ve- 
noient le remplacer. Julienne, douce, 
sensible et bonne ^ se reprochoit son in- 
différence pour celui qui Tidolâtroit, et 
tous Ijes efforts qu'elle faisoit sans cesse 
pour la dissimuler contribuoient encore 
à l'accroître. En dépit d'elle-même , son 
cœur n'éprouvoit plus pour sire Evrard 
gu'un sentiment de reconnoissance mê- 
lée de pitié , qu'elle déguisoit péniblement 

7* 



i64 JM voncu. 

mettre en mardie ; sire Evrard ren« 
tra dans Sarragosse k la suite de Henri| 
que Ton attendoit seul pour quitter FÂr^ 
ragon et pénétrer dans la Castille. Enfin 
rheuré du départ arriva. La présence de 
^om Pèdre et de toute sa cour ajoutoit 
à la magnificence du spectacle qu'offrit 
'Ce moment tant déaûrjé; Lorsque le jeune 
^cuyer s'élança sur son riche coursier à la 
suite de Duguesclin , le tumulte causé 
par cette multitude d'hommes d'armes 
qui se hâtoient de gagner leurs rangs, le 
son éclatant des trompettes, le hennisse- 
ment des chevaux et les cris de victoire 
qu'un peuple entier faisoit retentir jus- 
qu'au ciel^ ^animèrent dans son âme ce 
«désir de gloiriî qtre i'amo\ir lui sembloit 
avoir éteintp Le cœur lui battit avec vio- 
lence , et cette fois ce n'étoit point pour 
Julienne. 

L'armée passa 1 Ebre à Alfaro et marcha 
droit sur Galahof a. u^e des princiMlea 
y^\e^ de la^ ^ fjrqntière. Pierre, ^^ tr^v/jtit 
|lçjrsà Çurgps, QÙ ii.^jîpnt ce;tte noijivfiUe^. 



I 



us noYiçE. i65 

d'autant plus alarmante pour lui , que la 
iiaine générale lui laissoit peu de moyens 
de défense. En effet, Févéque et le com« 
mandant de Calahora , cédant aux vœux 
des habitants I à qui le joug de Pierre étoit 
odieux , portèrent les clefs de la ville au 
comte de Transtamare , dont ce premier 
succès servit hautement les espérances- 
Henri rassembla aussitôt les officiers 
généraux de son armée pour convenir 
arec eux, de la conduite qu'il devoit tenir. 
Les uns étoient d'avis que Ton marchât 
sans retard sur Burgos p9ur s'ep emparer; 
d'autres disoient qu'en attaquant d'abord 
cette capitale où Pierre avoit sans doute 
rassemblé toutes ses forces , on risquoit 
d'essuyer un échec qui nuiroit beaucoup 
à Tentreprise. Duguesclin étant sans con- 
tredit celui de toute l'armée qui avoit le 
plus d'autorité, ne. parla que le dernier, et 
se levant d'un air résolu : 

-^ Que l'on marche sur Burgos ou sur 
toute autre ville , dit-il à Henri , le plus 
important ^lon moi est d'annoncer clai* 



i6è it ixoricÉ. 

•f 

rémëht dansqueiléS întcrtlîons yôilà véîlèz 
âe passer TEbre. tels détni-mescrres për- 
Sent tout , ël<]atis les hautes cîrconàtan- 
ces le moindre délai e'st dangereux. Plrêttêi 
i^ans plus tarder îé titre de roî. Que Vous 
manque-t-il ? toute la Ciàstilié Vous sbii- 
liaite, les gens de bien votïs attendent*' 
Argent, valeur des troupes, affectîodt 
des peuples, tout est en votre disposition^ 

et ceux qui vous mettront le diadème su»^ 

. ■ . . ^- - 

la tête sauront bien Ty maîhtehîlr. Enfîii 
la fortuné favorise lei graùds cœurs , elle 
abandoùne les hommes timides. 

A ces mots tous les chefs et tous lei^ 
seigneurs s'écrièrent : Castille Jpour le roi 
dom Henri! et presque au même instant 
les drapeaux, les enseignes furent dé- 
ployés dansTarmée comme dans la tille) 
aux joyeuses acclamations du peuple. 

Lendiiifeau roiavoit pour hii f affectidil 
que les Castillans portoientàsa pet*sonné, 
et Testîme qu'înspîroit son caractère plein 
de noblesse et de générosité. On ne poû- 
.Toît oublier totftefois qu'il étoit le fruit 



\ 



des amours itRdte$ da leii foi sim pèfré et 
dTÉléonord de Giismaâ y tandis que Pierre 
tVoil l'avantage d'une naissance lëgithxië. 
Cette considération snffîsoit pour retenir 
dans le devoir plusieurs nobles castillans^ 
qoîy tout en détestant leur barbare sauve* 
rttn^ ne s'en croyoîent pas moins obligés- 
de lui rester fidèles. Henri ne tarda pas i 
to acquérir la preuve^ 

La première ville devant laquelle il se 
présenta en quittant Calahora, Mague* 
fone , refusa d'otivtir ses portes. Le gou- 
verneur que Henri fit appeler aux bar* 
. rières répandit fièrement qu'il né lé re- 
connoissoit point pour maître, qu^il te- 
noit sa place de roi Pierre, et qu'il ne là 
rendroit qu'à lui, — Ouais ! dit Diigues- 
dîn qui se trouvait près de Henri , ces 
gens-là le prennent^ils sur ce ton ? Si l'oil 
m'en croit, Faffaire sera brève avec eux. 
En effet, l'assaut fut ordonné pour lé 
lendemain , à la grande joie de Robert ^ 
qui conunençoit à craindre qu'on ne se 
battît pas. 



i6g u NOVICE. 

On se battit si l^ien pouittet^ que mal« 
gré la vive résistance de la part des assié* 
géants la ville fut emportée dans la journée 
même. Bertrand commandoit Fattaque; 
comme il arrivoit à la hauteur des murs^ 
il aperçut son porte-drapeau et Robert 
qui f seuls, à travers une gréle de flèches^ 
plantoient son étendard sur un créneau* 
— Bien , mon fils, dit-il en paissant , au 
jeune écuyer, cela s'appelle gagner ses 
éperons. 

La prise de Maguelone , celle de Bor- 
gues , qui suivit , répandirent dans toute 
l'Espagne la terreur du nom de Dugues- 
clin , et Pierre reconnut cet aigle qui de- 
voit vjBnîr de la Petite-Bretagne pour lui 
enlever sa couronne (i). A Borgnes, ville 
forte et imposante , les dépouilles furent 
TOmenses; car les juifs qui s'y trouvoient 
en grand nombre sacrifièrent toutes leurs 
richesses pour sauver leurs vies. Bertrand 



^» 



• (i) Prophétie dont parlent les mémoires dit 
temps. ... i 



LE NOVICE* 169 

fut ravi de trouver Toccasion de satisfaire 
à l'avidité de ces pillards , qui , sur la foi 
ûe sa parole j avoient quitté la France. 

Les troupes victorieuses se portèrent 
aussitôt sur Bévesque , place forte dans 
laquelle Pierre avoit fait entrer une grosse 
garnison d'Espagnols et que défendoient 
aussi la foule de juifs et de Sarrazins qui 
rhabitoient. En sorte que les assiégeaus 
l'ayant entourée, lecercle qu'ils formèrent 
se trouva renfermer le mélange le plu& 
extraordinaire d'hommes qui sembloient 
partis de tous les points du monde connu 
.pour venir s'exterminer sur un seul point. 

L'assaut fut des plus meurtriers. Les 
assiégés se défendoient surtout en jetant 
du haut de leurs murs, des tonneaux 
pleins de pierres, des cuves remplies d'eau 
bouillante et de grosses poutres, qui ren- 
verspient les hommes par centaine; mais 
ceux qui n'étoient.pas blessés à mort se 
relevoient aussitôt, et, dans leur rage, 
remontoient sur les échelles avec une 

nouvelle ardeur, s'efforçant d'atteiadi'e le 

8.1. t 



70 LB Kônct, 

^sommet du rempart. Dtrgiiesclin , pour 
ïaire cesser une aussi . vigoureuse résîs* 
tance et le carnage des siens, partagea 
ises ttieilleures troupes en deux corps, et 
^tina l'ordre à 'HughCalverley et àHo- 
îierC d'aller arec l'un enffoncer la porte de 
la Juiverie, tandis tftte lui-mèine avec 
ïautre, enfonnoit la porte opposée. 

Hugh Calverîey s'étjant bientôt ouvert 

tm passage ,*les Juifs eux-mêmes lui faci^ 

liit^eftit T;entrée dans 'la ville pour avôîr 

la vie sauvé'; »ntàîs , autnoment oùil p'é- 

nétroit lepremier dans le^s remparts, tm 

'soldait espagtiolsé jettesurlui, le renversa, 

etlevolt leWas pour le frapper, lorsque 

^Robert^lëroit, ^'élance , saisit cet homime 

*par son ^bassinet, et lui jJlonge son épée 

tlaus ta gorge. Turs tendarit la 'main k 

"Hugh Calverleyîpour'l'aider à se relever, 

"tous deux , sans se dire une pardle , se 

^jettent dans ia'ttiêrée»qtfî^ll?s-séparfi aussi- 

'Cependant Rcrbeft ne 'tarda pas a *rw- 
"^etftîf une vive àdtiletir à la jambe l'I'E^ 



UC .MOYIGJE. 171 

■pagnol en tombant Tavoît frapfvé d^un 
^coup'de poignard, qu'il avoit à peine 
senti dans la chaleur du moment, mais 
^qui lui avoit fait Qne large -blessure. Em- 
,portépar l'ardeur du combat, toutefois, 
Si Ji'^n suivit pas moins tes siens dans les 
^ues.de la vilie^ où le €en*hin étoit défendu 
.pied à pied par les troupes de Pierre, avec 
jia courage qui redoubloit la fureur des 
jassiégeants. Les. derniers s'avançant alors 
.lie deux côtés à la fois, le carnage devint 
i^Qfuvan table. Les différents cris de guerre 
<[Ufi poussoient ces hommes de tous les 
pays n'auroient pas permis d'entendre le 
Isimit de la foudre. Les cadavres s'amon- 
.46el€Ûent autour des combattants, qui, 
bientôt, .tomboient aussi, les uns sous le 
glaive, les autres sous les flèches qu'on 
Jiroit ,encore de plusieurs fenêtres, et le 
gKUig jaillissant contre les maisons, couloit 
ji gcsuulâ flots dans les rues. Enfin les £s« 
sP^nolSy dont le nombre diuiinuoit de 
jninute en minute, se voyant entourés 
dbitQttles parts, commencèrept à crier 



qu'ils se rendoient; mais la rage des vain* 
queurs étoit poussée trop loin pour que 
rhumanité se tit entendre. En vain les 
jsoldats de la garnison jetoient leur glaive 
en demandant quartier; en vain Robert 
et quelques autres Crioient : Assez ! assez! 
ils se rendent! le massacre devenoit plus 
affreux qu'il ne l'avoit encore ' été j car on 
égorgeoit alors des hommes qui ne se 
^défendoient plus. Le guerrier, l'babiiaat 
paisible , tout tomboit sous les coups des 
féroces soldats de Henri, et la dernière 
heure avoit sonné pour celte malheu- 
reuse ville, 

Robert, qui ne peut fléchir ses barbai 
Xes compagnons d'armes, veut au moins 
fuir le spectacle de cette horrible bou- 
cherie. Saisi d'horreur et de pitié, il se 
fait un passage à travers les morts, les 
mourants, le sang qui ruisselle; il arrive 
devant une église où seprécipitoientdes 
.vieillards , des femmes et des enfants que 
poursuivoit la troupe. — Grâce ! grâce ! 
çrioient du saint lieu tous ces infortunés 



M iroTicB. 173 

en tendant leurs bras à leurs bourreaux. 
— Sortez y leur dit un soldat. Une malheu* 
TBase femme obéit, se présente portant 
son enfant, et tous deux tombent aussitôt 
frappés par vingt bras à la fois, — Mon- 
stres, s'écrie Robert en s'élançant à la 
porte du sanctuaire, il faudra passer sur 
mon corps pour en atteindre un autre F 
£n prononçant ces m<ots d'une voix ter- 
xâble, Robert, surmqntant la foiblesse 
qu'il commençoit à éprouver par la perte 
de son sang, faisoit brandir son sabre sur 
la.tâte des assassins. 

-*« Ils ont tiré sur nous , sur nos com- 
pagnons qui sont morts ! crioient les fu- 
xieux, qu'ils meurent! 
. — La ville est rendue ! grâce ! grâce ! 
répétait Robert dont la force s'épuisoit, 
quoiqu'il ne quittât point la posture me- 
iSfaçante qu'il avoit prise. 

Seul contre tous,, la lutte n'eût pas été 
longue; mais à Vinstant où le généreux 
jeune homme s'attendoit à tomber vie- 
tynç de çpn humanité^. Ws^tei; s'approcha, 



soin de ce qui liil^r^Wit de sfet'*^ôtopà-^ 

'i— ^ A moi! àïnoî! sifé thomas'yVéèrià- 
Robert. Au norft daCtrist, vôtre' sàuveùtr 
et le mien, saiiTe* cfèsf triâJtiéuréttî^ ! 

En arri:ère l dit auîiif^ fe tàfird- 

t?etm. J'écrase W prtiaÂfiT ffiA^ 
dé vôul6î^ lefùt Wfafcfe'èr tf fer cfeèvéa ^-'étf;- 
repoussant cette pttîgrt^M^KéWftit^ i^ 
» raingeà avec totts' lèS sien=à devant \éS 
porte dé l'église. 

Lsf part ie n'étbf t pohrt éig^è àl^#y et ,! 
forcés de céder, les prèBtH€»îf *èÔ*é* ^^jk 
gnèreirt en tnur»tftattt. -^^ivtffiifeiiant, 
fetî réponds , dît W^rtlèr àii jeune é^&t:, 
— Que Dieu vou^' récoBfl^étisei? répK-' 
qua Robert d'iînè Vèîi fo&le. Garder la 

porte, jusqU^à Il iie p^ùt àctiét^rî Jï 

cbancelle, il tombe. ' 

George , qui le ctiert;hdîf <ïè 'tdiW ^té» 
dans cette horrible bûgàriNe,aM*<Ncntiilôrs. 
A la tôe de Robert, étendu satiS nSdûVê** 
ment 9«i^ les- marches dé F^^j fl fat 
f)t4ft à' tOtlÉd]^^ iui^ntéorlei ttài^ifâpp^ 



LE NOVICJEU 1^5 

tout soi^ courage, il se hâta de débarras-* 
ser le jeune homme de son armure. Dieu! 
quelle fut sa joie ^ lorsqu'il ne trouva 
qu'une blessure à la jambe ! — Il n'est 
point mort! il n'est point mort! sire Wal-^ 
ter y s'écria-t-il. Au nom du ciel ! aidez«% 
moi à le transporter quelque part où je 
puisse le soigner. 

Walter prenoit un véritable intérêt au 
jeune écuyer ; il s'empressoit de prêter 
son secours à George pour le soulever, 
lorsque DuguescUn » qui parcouroit la 
•ville , s'efforçant à grand peine d'y réta- 
Wir Tordre, passa devant l'église. — Est-il 
mort ? dit-il en apetcevant Hobert porté 
par George et le tard-venu. Que Dieu me 
préserve d'un si grand chagrin ! Mais lors» 
qu'il eut appris que le brave jeune homm^ 
respiroit encore , il se pencha affectueux 
cernent sur lui, serra sa main glacée, et 
donna l'ordre à quelquea^uns de ceux qui 
le suivoient de l'emporter et de lui prodi* 
guer tous leurs soins. 
On poavoit sur ce point s'en rappor- 



1^6 LE KOVICE. 

ter à George. A peine aidé des gens de Du- 
guesclin , eut-il transporté son maître 
dans une maison voisine qui ne renfer- 
moit plus d'habitants , qu'il ne perdit pas 
im moment pour arrêter le sang avec 
tine bande serrée à force de bras; puis^ 
allant chercher dans cette maison déserte 
le premier cordial venu, il rapporta une 
bouteille de vin d'Espagne , dont Robert 
eut à peine avalé quelques gouttes , qu'il 
ouvrit les yeux et reprit la parole pour 
demander si ion étoit dans Bévesque. 

— Palsembleu! oui, nous y sommes. 
Est-ce que vous n'entendez pas les cris dô 
nos enragés, qui égorgent tout là-bas ? 

— Ah ! George, s'écria Robert, retrou- 
vant tout à coup lie souvenir de ce qui 
s^éloit passé. L'église?... ces malheureux?... 
Sire Walter est-il encore là? 

— Je ne sais ce que vous voulez dire, 
reprit le chasseur. J ai Ijjissé sit^e Thomas 
devant une église , en effet , avec monsei- 
gneur Bertrand. 

— ^Sire Bertrand y étoit:, dit Robert. 



LE irOVIGE. J'JJ 

Dieu soit béni ! je suis tranquille mainte- 
nant. Sire Bertrand n*estdonc point blessé? 
^^Non; mais vous l'êtes, vous, et le 
premier point est de vous tenir en repos, 
et de né pas tant vous occuper des au- 
tres, quand il faut songer à vous-même. 
Par saint Benoît ! vous venez de me faire 
une rude peur ! mais tout va bien main^ 
tenant. Une estafilade à la jambe , voilà 
tout. Encore un peu de ce vin , ajouta-t-il 
en lui présentant la bouteille. 

— Je me sens bien , très-bien , George y 
dit Eobert après avoir bu , la tête seule« 
ment un peu étourdie. 

— Je le crois bien. Il faut que vous 
ayez perdu im tonneau de sang. Pourquoi 
4iable n*avez-vous pas quitté la bagarre 
quand vous avez reçu cette maudite blés* 
sure? par quel malheur aussi moi, qui 
vous suivois toujours de si près, me 
suis-je trouvé séparé........ 

George fut interrompu ici par les criai 
que poussoient une troupe d'hommes 
(Varmes qui. seprécipitoit dans lamajison. 



rjS LE IfOVICE^ 

-^ Donne^inoi mon sabre, dit Bobert hU 
^àDt un effort pour se lever. 

-*-4. Non, non, répondit le chasseur en 
le retenant sur le lit , ces gens-là sont des 
nôtres bien certainement f tous les sol^tts 
espagnok doivent étreinorts maintei^ant; 
Il sortit touteibis pour s'en assurer ^etiirit 
en effet que ces nouveau^venus étoient 
des amis, uniquement occupés da soin 
âe piller la maison du haut en bas« 

— Hé, hé ! dtt+il en s'adressant à quel» 
ques'^uns d'entre eux, dévastez la maison 
,taht que vous voudrez; mais laissez^nous 
vn peu tranquilles dans cette salle. Je viens 
iïy conduire Técuyer de monseigneur 
Bertrand , qui est gravement blessé. 

Le nom de Dugtiesclin sufi&soit toujours 
pour imprimer un si grand respect, que 
Tun des soldats se tint à la porte, pour 
6n défendre l'entrée , tandis que l'on pro^ 
cédoit brièvement au pillage des autres 
salles. 

i-, — Q^ sont les nôtres, dît George en 
rtveuMt s'asseoir ^ès' de ^n m^tre, qui 



LE IfOYICfii, ÏTjg. 

dierchent du parchemin pour Justin Mép 
ridan. A dire vrai , c^s. gens-là vous net* 
toient une ville lestement, et je necroisî 
pas qu'ils laissent gn^nd chose dans Bé- 
yesque. 

— i S'ils y laissoient du moins les mal» 
heureux habitants ! dit Robert poussant 
un profond soupir. George, aujourd'hui 
seulement j'ai vu la guerre : c'est une hor- 
rible chose. Toute ma vie , toute ma vie 
j'entendrai les cris de ces pauvres gens^ 
qui 'demandoient grâce. 

•i^Que voulez-vous? On voit totnbet^ 
les siens ^ la tête se monte. Dieu sait ^ pair 
«kemple , que si je pouvois* tenir celui qur 
vous a blessé ^ je n'en ai^rois pas plus da 
pif ié qoe d'un lapin» 

: -*• Pour celui-là, son compte est fait : 
je f enois de Vabattre , et il n'avoit plu$ 
qua deux secondes à vivre qus^^d il m'i| 
frappé. 

•^ A la bonne heure ! j'aime mieux If 
savoir à terre que debout'; mai$ je croif^ 
91e nos. ipens se retirent : profites; de^-ce 



iSô tE NOVICE 

petit moment de calme pour dormir , un 
peu ; cela vous rendra des forcés /et vous 
en avez besoin. 

La foiblesse de Robert en effet étoit 
extrême; à peine pouvoil-il soulever sa 
pàùpièt'e; aussi ^ quelques minutés de 
silence furent]- elles suffisantes pour lé 
ploDgef dans un profond sommeil. 

Tout le temps que dormit son jeunô 
maître, George ne se lapait point de le 
considérer. — Quand je pense , se ditoit- 
il tout bas 9 qu'il étoit sur ces marches^ 
étendu comme mort; quand je- jpense 
qu'il pouvoit ne plus ouvrir les yeuxl 
Cette idée finit par raffectèi» si vivement^ 
qu'après avoir tout fait pour s'en dis^ 
traire, il se leva doucement, alla prendre 
la bouteille de vin d'Espagne qu'il avoit 
posée sur la table et Tavala tout d'un trait 
A peine venoit-il d'employer ce • prései> 
vatif contre l'attendrissement, que Rqhert 
fut réveillé ^n sursaut par une voix ton- 
nante qui crioit dans l'escalier : 
^; -^Où éic»^il?: où est'dl^ ce hrarei gai^» 



LE NOVICE. l8l 

^n ? Et sire Hagh Calverley entra dans la 
chambre , son sabre à la roain et son ar* 
mure couverte de sang et de poussière. 

— Ëhquoi! moucher enfant, dit-il en 
se jetant sur le jeune écuyer et le serrant 
dans ses bras, de manière à l'étouffer 
sous sa cuirasse. Tu es blessé ! J apprends 
quq^ tu es blessé ! toi qui m'as sauvé la 
vie aujourd'hui! J'aimerpis mieux cent 
fois être blessé moi-même ! 

— Je n'ai rien qu'une égratignure, ré- 
pondit Robert. Dans huit jours je serai 
sur pied. 

— Par saint Yves ! voilà un grand cha- 
gkin de moins pour Calverley, reprit 
l'Anglais. Et maintenant, garçon, tu sai^ 
si tu peux compter sur moi , tant que mon 
cœur battra dans ma poitrine? Je ne t'en 

* dis pas davantage. 

. Robert serra la main sanglante qu'il lui 
présentoit. 

— Bertrand va venir te voir, continua 
sire Hugh. Pour cette heure , il est occupé 
à remettre l'ordre dans ville, si tant est 



i8i LÉ NOVICE. 

îqu'on puisse l'y remettre; car je a'ài'j4* 
mais vu nos gens plus enragés. ■ '■' 

— Les soldats espagnols ? dît Robert. * 

' -^ Ils sont tous mortk, répomfetfroi- 
idement l'Anglais en remettant soé sabré 
-dans le fourreau. 

— Et les malheureux habitons ? - 

— OhT beaucoup ont passé un riiauvais 
quart d'heure. Bertrand a ifyom*tant saitré 
quelques femmes, quel qpies en:fatits. Il faut 
<;onvenir que ces gaillards-là avoîent fait 
les insolents avec nous, comme s'ilfii rfa- 
Toient jamais entendu parler de Dugues- 
^in. Maintenant ils savent à quoi s'en 
tenir. Mais es-tu bien ici? Je n'ai guère vji 
ique les quatre murs dans cette maison. 

— C'est que ttIos gens viennent d'y foire 
une visite , dit George. 

— Bien, reprit l'Anglais, et selon leur 
"maudite habitude, ils ont jeté les meu- 
bles par la fenêtre. Que le diable les con- 
fonde! Dans une maison où nous avons 
tin blessé! Et il sortit en jurant «ur tout 
ies tons. Une heut^e après, Robert se troa* 



LE NOVICE. jSS 

veit pourvu de toutefs les commodité» de 
la vie , et quatre hommes étoleat chargés 
de xest«r près de loi pour exécuter «es 
ordres et pour le servir* 

Teu de jours sufïîrent à la guérison du 
jeune écuyer, et pendant sa retraite for- 
cée , Hugh Calverley passoit près de lui 
tout le temps dont il pouvoit disposer. 
Bertrand Favoit aussi visité souvent, lors- 
qu'un soir, comme l'Anglais racontoit à 
sonjeune ami la première campagne qu'il 
avoit faite sous les ordres du prince de 
Galles, en arrosant son récit d'un flacon 
de vin d'Espagne; Duguesclin entra dans 
là chambre, le front radieux et l'œil 
rayonnant de joie. 

— Xsrtu bientôt en état de pîonter à 
cheval? ditril à son jeune écuyer en lui 
frappant sur Tépaule. 

. **-iDQmain,. à l'instant même.,, répondit 
iU>bert. 

— Eh bien! mon fils, iu auras la joip 
IPemrer ^vec noosxdans.Burgos. 



â[64 ^B NOVICE* 

* — Noua allons attaquer Burgos? de- 
xiiandà Calverley. 

: — L'attaquer? non , par Notre-Dame! 
répliqua Bertrand, nous trouverons les 
portes ouvertes. Pierre abandonne sa ca- 
pitale et deux cordeliers en sont sortis 
secrètement, chargés de dépêches pour 
Henri. 

— Qui disent ? 

— Qui disent que tous les habitants de 
Burgos, chrétiens, Sarrazins et Juifs, pré- 
sentent leurs soumissions au roi Henri, et 
l'attendent dans leurs murs pour y être 
couronné, avec toutes les cérémonies qui 
s'observent à l'égard des nouveaux rois 
d'Espagne. 

— Vivat ! s'écria Calverley en faisant 
sauler au plancher sa coupe, qui retomba 
en mille morceaux. Vivat ! Les deux Cas- 
tilles sont à nous. Va me chercher une 
autre coupe, dit-il à George; c'est bien le 
moins que je boive à cette heureuse et 
grande nouvelle. 

— Pensez-vous que l'on fasse venir la 



LE irOYICE. i85 

reine à Bûrgos? demanda Robert, s^efTor^ 
çant de cacher le trouble et la joie qui 
5'eniparoient de son cœur. 

— Je le pense y répondit Bertrand. 

Que d*espérance, que de bonheur ren- 
fcrmoient pour Robert ce peu de mots ! 
La nuit qu'il passa fut une nuit de délices, 
et dès le lendemain toute Tarmée se mit 
en route pour la capitale. 



8^ 



î88' LE KOVICfe. 

'»• On logea Tarmée dans les faubourgs,' 
et-'le roi fut conduit au palais avec Ber- 
trand et les principaux officiers de ses 
tf6upes. 

Robert, qui ne quittoit point son pa-^ . 
tpon , fut un de convives du souper splen*^ . 
didé qu'on avok préparé pour Henri ^ et 
auquel se trouvoient cent des plus RO-f . 
blés et des plus belles dames de la ville. 
Toutes charmantes qu'elles étoient, les 
regards du jei'rtieécùyererroient de Tune 
à- l-àutre sans en rencontrer ime seule 
qu'il put comparer àJuIierinie. Ah! peu- . 
soît-il tbut bas > aucune n'a ce regard si 
doux qu? pénètre jusqti'^iu cœur, aucune . 
ii?a ce sourire ravissant dont le charme se* 
xluîroit le plus insensible. Je vois bien que . 
•fôn ne peut ai mer qu'elle! Héks ! pour* 
quoi n'est-elle pas.assise à ce banquet , ou 
plutôt pourquoi ne sommes-nous pas en- 
core jensemble dans la chaumière du pê- 
cheur ? Dans ce moment, il rencontrâmes 
regards de sire Evrard , qui , par hasard, 
venoieiit de se porter sur lui. Il rougit 



et se hâta de détourner la vue, comme si 
répoux de Julienne avoit pu deviner sa 
pensée. 

Quoique cette journée eût été très* 
fatigante pour Hebri , il ne voulut pas 
remettre au lendemain la distribution des 
grâces «t des récompenses qu'il destinoit 
à ceux auxquels il croyoît avec raison de- 
voir la couronne. Le repas terminé , il 
retint autour de lui une partie des cheft 
de l'armée, et leur annonça ses largesses, 
dans les termes les plus flatteurs et les 
plus aimables. Aux uns, il asstira des som^ 
l»es d'argent considérables, à quelques 
autres, il donna -des terres, etCalvevIey 
alors reçut le comté de Carrion ; enfin , 
s'approchant de Diiguesclin , qu'il ayoît 
réservé poitr le dernier : — Bertrand, lui 
dit-il, je né puis me faire un plus grand 
honneur qu'en vous priant de prendre le 
nom que vous m'avez fait quitter. Soyez 
comte de Transtamare. Les titres, en Cas- 
tille, sont personnels, mais je rends le 
vôtre héréditaire, ainsi que la posse^io» 



de toiite&' les terres <iiiivs'y trouvant attft^ 
cbées. 

Bertrand prit la main du roi, et voulut 
la porter à ses ièvres ; mais Henri ^ le 
«errant dans ^s bras: — Ici, mon frère ^ 
ici| 4it-il en le paressant sur son çœavm 

«^Maint^nant, mes amis, reprit le roî^ 
je dois TOUS demander un copseil. Mon 
jUitenCLoa et mon plus grand désir , j» 
w<m$ Va[vom^ seroit <ie faire vetnir nia 
femme* 

«>^ Seigneur , répondit ÏHiguescUa ^ 
^cetteidée me semble e:$cellente. La reinis^ 
ciit*on| est bonne et belle; sa préseui^ 
Ici ne peut que vous servir. 

Il ne faut pas demander quel sentimenT 
îde'^boobeur remplit alors lame de Ro- 
bert ^ 3MrtQi|t lorsque , voyant rayonner 
la joie dans leis yeux de sire Evrard , il ut^ 
put d^u^er de Tarrivae de Juiicnae. 

Toujs^ le3 chefs ayant apf^audi au pro^ 
jet de Henri^ il fut convenu qu'une troupe 
$ÛFe partiront dan^s la nuit même pour al-* 
4er cbercber Jeanne , çt le roi se retînt 



£B KOineBi I0t. 

après avoir désigné s^ulemeiH deux a^ 
gneurs castiliaDs^ Dugucsdin se diargeanjE 
lie coiDp(»er tout le reste de Fesoorte h 
son cho X. 

Dans l'espoir d'être choisi , Robert aua^ 
^tôt se plaça précisénient'en £ace de son 
snaître , a6n d'attirer son attention. En 
<Sety tandis que Bertrand s'adresaoit à 
iZLugh Calverley et à Jean d'Ëvreux pour 
es honorer d'une misûon à laquée ils 
onvenoient mieux que d'autres, il re- 
arda deux ou trois fcHs son jeune écuyer, 
et peut-être alloit-il le nommear, lorsque 
we Evrard s'approdba , et demanda arec 
^rivacité à partir aussi. 

Par Kotre-Dame ! dit Duguesclin es 
riant, je n'y songeois pas. U est pourtaitt 
bien juste qu'un mari aille chercher sa 
femme. Eh bien ! cela fait cinq, et char 
cun de vous suivi de vingt soldats ^ eo 
,Toilà bien assez pour nous répondre de 
Ootre belle reine. Partez donc sur-le- 
champ ; moi , je vais me coucher. 
La vive rougeur qui jusque là avoit coa* 



vert les joues de^Robert^fit place à uqe 
pâleur mortelles Mais; voyant DQguesoUn 
s'éloigner : — Et moi ! et: moi ! , dit^I '& 

Calverley en lui serrant le bras:de tonte 
saforce. . :. 

. -^ Tu veux venir ?^ < • i ..î 

'— Si je le veux ! dit Robert avec un 
accent que les mots ne rendent pas» - • > 

L'Anglais le regarda d'un air supris. ^ 
Bertmnd, cria-t-il à Duguesclin qui soi^ 
toit , j'emnfiène notre jeune homme > 

-^ Fort bien , répondit Bertrand déjà 
hors de la salle. 

Dieu sait quel effort se fit Robert pour 
contenir sa joie , pour ne pàç sauter au 
côu de Galverley. — Je vous dois tout , 
lui disoit-îl k voix basse. Je vous dois touti 

je vais je reviens je suis prêt à 1-iii- 

slant ; et il sortît dans l'état d un hoctfffiê 
qui vient de perdre l'esprit. > 

— Il faut qu'il soit bien pressé de voir 
la reine ! se dit l'Anglais en le regardant 
aller. Sur mon âme ! il a l'air d'iiQ' foii^ 
Puis j sans y songer davantage, il allàsV>c- 



LE KOTICV. 193 

cuper des préparatiU du départ ; car le 
bon Calverley de sa nattire étoit médio- 
erement observateur ; et il aimoit mieux 
ài général laisser passer les choses sans 
les comprendre, que de perdre son temps 

Robert pressoit tellement George de 
loi donner ses armes , de seller les cbe- 
taux, que celui*ci crut d*abord qu'il s'a- 
gissoit de suivre des gens déjà partis , et 
quMl se bâta au point d'arriver tout en 
nage dans la cour où son jeune maître et 
lui cependant, se promenèrent durant 
deux bonnes heures, au petit pas de leur 
monture , sans voir arriver un seul de 
leurs compagnons de voyage. 

— <2ui diable peut les arrêter ainsi ?di* 
soit Robert pour la centième fois. 

George sourit, quoiqu'il eût lui-m<ime 
un peu d'humeur de faireaussi long-temps 
le pied-de-grue. — Croyez- vous, répon- 
(lit'il , qu'ils soient tous aussi pressés que 
vous? 
— Mais sire Evrard , reprit Robert , 
III. 9 



) 



d'un air qui thibissDitlasect'ète satis£au:- 
4km que lui foimit \ épr an v^! le a^^etard de 
£6 derâier ^rsire .Evrard «qi»iLi6ej lait jat> 
tendre, jevoudrois'poiiiibBàuicbnpiqidelb 
ie sût* ■'..'■ . '-/i."-!"* ' ù^:^'.z'^. 

Il achevoit à peine ces/naots cpaeesire 
iSvrard parut suivi d'une vin^aiiialdélca* 
.Taliers. Gomme si sockiarrmei'mti 'donné 
le sigp^l du départ.^>dixtiiaiTUte$ .afMtrès 
toutlpiwonde était rréjiairet ïcm) siBDaziit 

QpLx . ,qijû r n'a v que > viagt jaas.^:;cfe^.i5ui 
wyage par i^ine bellf^inuit poin^ alier trou- 
ver ; la femme qu'il iaime ,> peut r seul ayoïr 
l'idée des; douces sensations qui agitaient 
rame de Rol>ert. A peine son^oit-il: que 
ïépoiix de Julienae manchoit près delui. 
Il alloit la voir. , ïentendre» , iul ^parier 
peutvétne? Tout son être:étoit : eanceiUré 
dans xette. pensée uniqufijdsKGit rien; ne 
pouvoitJe priver jtiont mn 'fie pourrait 
le i distraii^. 

Le château dans lequel Henri de Tran»^ 
lainare ; atoât . laissé > son épouse jn'élait 




LE WOVICE. ' 1^5 

. qu'àiringt-cinq lieues de BiiPgos. Nos voyà- 
:geurs en aperçurent les tours après deux 
•]Our3 de roule. Les chevtiliers décidèrent 
:que pour ne pas effrayer la telhe 'par 
l'arrivée subite d'une troupe aussi nom- 
breuse , dom Gomez d'Olivaros prendroit 
^eul le devant pour aller lui annoncer 
.les heureuses nouvelles qu'on lui appor- 
toil, et que le reste suivroit fort lente- 
ment. Ce relard fut heureux pour Ro- 
bert, qui, sans pouvoir calmer son ex- 
trême agitation , parvint au moins à ne 
point la laisser paroîtré. 

Les chevaliers ayant passé leppnl-lévîs 
que l'on baissa à leur approche, descen- 
dirent de cheval aussitôt, car ils aper- 
çurent la reine entourée de plusieurs 
dames qui pour leur faire honneur les 
attendoient sur le perron. De la plus 
grande distance, Robert avoit déjà re- 
connu Julienne sur laquelle Jeanne s'ap* 
puyoit d'un air d'amitié, tout en écoutant 
^ que lui disoit alors dom Gomez; mais 
«efùt en vain quVn approchant il espéra 



.196 LE irovicÊ. 

qu'elle alloit le reconnoître aussi. Ju- 
lienne avoit d'abord fixé ses yeux sur 
sire Evrard qu'elle ne cessa plus de re- 
garder en lui souriant d'un air doux et 
aimable. 

Dom Gomez prît tour à tour la main de 
Hugh Calverley , de Jean d*E vreux et de 
sire Evrard , et les présenta à la reine en 
vantant leurs faits d'armes et les services 
qu'ils venoient de rendre à Henri. Le 
tour de Robert étant venu : — Quant à 
ce jeune homme, noble dame, dît-il, 
c'est le fils du sire d'Ingelcour, l'ami et 
l'écuyer du grand capitaine à qui nous 
devons la victoire. 

La reine s'empressa d'adresser les pa- 
roles les plus flatteuses à celui qu'un pa- 
reil titre recommandoit à sa bienveil- 
lance. Mais Robert, quoiqu'il s'inclinât 
respectueusement, l'entendit à peine : 
Julienne venoit de le regarder. 

Dès que l'on fut entré dans le château, 
plusieurs conversations particulières ne 



LE NOVICE. 197 

tardèrent pas à s'établir dans la grande 
salle , où la reine avoitfaît apporter desra- 
fraîchissenien ts. Les uns avoient beaucoup 
à apprendre , et les 'autres beaucoup à ra- 
conter, en sorte que les nouveaux-venus 
pouvoientàpeinesatisfaireàlacuriositédes 
dames et des autres habitants du château. 
Tandis que Robert répondoit aux innom- 
brables questions d'une sœur du roi^ jeune 
et belle personne qui venoit de s'emparer 
de lui y il n'en suivoit pas moins~des yeux 
sire Evrard et Julienne, qui causoient 
à voix basse y dans l'embrasure d'une 
croisée. Julienne avoit repris les vête- 
ments de son sexe : une longue robe, 
tissue du lin le plus fin , et dont la blan* 
cheur rivalisoit avec celle d'une peau 
éblouissante y dessinoit tous les contours 
de sa taille élégante et souple, quecei- 
gnoit une ceinture d'or. Un bandeau d a- 
méthistes retenoit sur sa té te le voile léger 
dont les plis retomboient sur ses épaules 
et jusqu'à terre , sans pourtant couvrir 
son charmant visage et quelques longues 



igft HK NOTICE. 

b<)ucles de cheveux cendrés quientou* 
roient son cou d'albâtre. Paroissant à 
peine toucher la terre , toute sa personne 
avoit un charrae si raviàsant, que Robert 
croyoit voir en elle plus qu'une femme, et 
qu'il se deraandoit tout bas si l'être en- 
chanteur qu'il contemploit n'étoit pas 
un de C3s esprits célestes que l'on dît 
ntourer le trône de l'éternel. 

On sent bien qu'une semblable préoc- 
cupation nuisoit un peu à ki clarté des 
récits du jeune écuyer. Tantôt, il Hom- 
moit une ville pour une autre, et- quel-*^ 
quefois même, lorsque Julienne tour^ 
noit la tête de manière à lui foire^ 
espérer un second regard , qu'il n'avoît^ 
pas encore obtenu , il s^anrêtoit tout 
courty laissant k dbna Elviçe^c'étoitle 
nom de la sœur du roi ) le soi» de lai> 
rappeler où il en étoit reste- 
Tout autre qu« Robert auroit pu 
trouver la conversation des deu^ époux* 
un peu longue; mais ,'^ ivre dubpnheur^ 
de s^ ^retrouver près de Julienne , la voii^ 



LE I(OViai»t T^ 

(étoît paiir lui une de césJonissaQOed iné£< 
âbies ^ul ine laissebt. dans un cœur auHL 
cnne place pour la soufFrabce; H^uitetnc 
ces. moments où i'ârae tout entière se' con-î 
centre sur un objet chéri ^ îau point de 
s'Èiôler du reste dè-rdnîvers ! Robert ne 
maudissoit pas sire Evrard , il ne le voyoit 
piàs. Sans- s'apercevoir non plus que 

dona ElVîre fixoit sûr lui de fort beaux 

' < . . 

yeux d'une manière assez tendre , il ne 

sôn^ebît qu'à serapprocaerdela bienheu- 

* ' '. ' .'*'•.» ' 

reusefenêtr.e, vers laquelle , peu à peu , 
iliayoit déjà fait quelqtjtes pas sans affec? 
tatÎ9n;Calverley étant alors venu le joinW 
dre i il en profita si habilement . qu'il 
set^trctqva enfui asâez; pfès de Julienne 
p^iTi 'Qu'il pût 'entendre sa îVgîx et 'qa'ellô 
enteoidît la: siennes: Dès ce .moment Ju-» 
litnns resta leSi yeux *iixés sur'la teri^e^ 
répondant très-bâs et par monosyllabes 
aux discours de sire Evrard. 

Eobert la dévoroit de ses regards, «ins 
préierfta «aoindi^iatt^ntidtiMà ia coiiver- 






900 LB -KOVICE. 

sàtion de l'Anglais et de dona Elvire l 
lorsque, par un dé ces hasards dont le sort 
quelquefois favorise les amants, sire 
Hugh s'avisa de dire que le jeune écuyer 
avoit été novice; 

,, — Se peut-il? s'écria Elvire. Qucmî 
vous étiez novice? . . 

En vain elle attendit une réponse; Ro?- 
bert étoit trop intéressé à deviner qud 
effet ces mots produiroient sur Julienne 
pour la perdre de vue une seule minute.' 
H lui sembla distinguer une foible rôu- 
^ur ; mais , du reste , rien ne trahit rémio-" 
tion qu'il avoit espérée, et la comtesse dé' 

Julien." ^ '' ^ 

— Oui, oui, il étoit novice, teprît 
Caiverley, qui se plaisoît'à rappeleti 
qu'il devoit la vie à son jeune ami ; et fe'it 
l'étoit encore , je n'aurois pas riionneur , 
noble dame , de conduire la reine àr.c 
Burgos. r «i» ::;/•' 

-*-,Gbmmentcelà? . ;< :d 

à 

. TTi Parce qu'iU reçii^ pour moi u^ eoufi^ 



LS NOVICE. 20 C. 

de dague qui alloit m'envoyer dans l'au- 
tre inonde. 

—O ciel! s'écria Elvire, croyant s'adres- 
ser à l'Anglais , tout en attachant ses yeux 
snr Robert. Peut -on songer sans frémir , 
continua-t-elle d'une voix émue, aux 
dangers que vous courez tous chaque 
jour! Lorsque je pense que la guerre 
n'est, point finie , qu'on peut se battra 
encore d'un moment à l'autre y je n'ose 
vie réjouir de nos succès* 

«7-Bah! répliqua Cal verley, cette guer- 
rerCi n'est qu'une bagatelle; la voilà qui 
toiUTie tout-à-fait en promenade. . 

^— Fasse la sainte vierge qu'il ^en soit 
ainsi! dit. la jeune Castillane enjoignant 
(es belles mains; c'est la plus ardente 
prièjr^. qve je puisse adresser au ciel. 
- Tout ce qui annonçoit la bonté parve- 
noit promptement au cœur de Robert. 
IfodrJa première fois , il regarda celle qui 
venoit de parler ainsi , et, rencontrant ses 
yeu^ buniides fixés sur lui : — Si vous priez 
powr: xious , dit-il , notre salut est assuré.. 



Des vœux partis d'une bouche aussi pure 
ne sont pas repoussés. 

A peine ces mots étoiont-ils pronon? 
cés^ non du ton de la galanterie, mais^ 
dé celui que prend la simple reconnois* 
sance, qu'un regard plus rapide que Té^^ 
clair, un regard où se Ksoit un déplaisiez 
sensible, vînt porter dans son cœuplef 
trouble, l'espoir-et je ne sais quelbon*^ 
heur secret qu'il osoit à peine s'avouer./ 
Il se hâta de s'éloigner ^ de se rapprocher 
de ses compagnons d'armes et des sei- 
gneurs castillans, qu'il ne quitta pins jud^ 
qu'au moment où l'on se sépara; hett* 
reux, trop heureux de pouvoir penser 
qu'il obéissoit en agissant ainsi. 

Le lendemain, dès le point du jour^ 
on étoit en route pour Bui^os, La reine ^ 
ses sœurs et les dames qui le$ accoiâpa* 
gnoientvoyageoietit tantôt en litière et Cdi»' 
tôt à cheval ; ce qui laissoit à Robertl'^dS^ 
poir de 'réussir à a^àpprocher de Julienne/ 
Mais Julienne , toit* que ce fui - ou noti 
rëflPét dè^ sa volonté^, ^ marcha^ tô^jiMM 



LE NOVICE. ao3; 

pès de la reine ou de sire Evrard , en 
irte qu'il étoit impossible au jeune 
»yer de Faborder. A la fin du jour, on 
irréta dans le château d'un seigneur cas*. 
Ilan y dévoué au parti de Henri et chez 
quel la reine devoit souper et passer la 
lit. — Ici, se disoit Robert en descen- 
int de cheval, il faudra bien enfin se* 
ouver réunis. Quel fut donc son chagrin 
rsqu'il ne vit pas paroitre Julienne dans 
grande salle , où il s'étoit hâté de se 
flidre, lorsqu'elle ne/ parut point À ta- 
e, et qu'il vit ainsi finir une journée 
»ndant laquelle il l'avoit à peine aper*- 
le! 

n en fut de méine' le lendeniain , si ce 
3Stque la reine, pitessée. d'arriver aiu* 
es de son époux, ne s'arrêta plus que 
or peu d'instants jusqu'à Burgos. A^ 
(fjque distance de cette ville, le cortège 
fermaJeanne monta sur une roule, qui 
rtoit une housse de pourpre enrichie 
brocart d'or, et une selle toute couverte 
pierreries. Ses habits , aussi bien qu€[ 



aô4 • ^^ JsowiCE. 

ceux des trois sœurs du roi, étoient d'une 
si grande magnificence qu'ils éblouis* 
soient les yeux. Julienne et plusieurs au- 
tres dames très - richement vêtues sui- 
voieiit immédiatement , entourées dès 
chevaliers, qui précédoieiit la troupe, cou- 
verts d'armes éclatantes et montés sur de 
superbes coursiers. La joie brilloit dans 
tous les yeux, et le soleil le plus resplen- 
dissant éclairoit cette belle journée où 
réponse de Henri de Trantamare alloit 
entrer en souveraine dans la capitale de 
laCastille. 
Comme on avancoit ainsi vers les murs 

9 

de Burgos , un nuage de poussière se 
montra à l'une des portes de la ville , et 
bientôt on aperçut Duguesclin , qui ve- 
noit au-devant de la reine avec Le Bègue 
de Vilaine , Olivier de Mauni , Gauthiei 
Huet et plusieurs autres. Aussitôt que 
Jeanne les vit, elle descendit de sa mule el 
marcha à leur rencontre. Bertrand et sei 
amis l'ayant jointe et la voyant i 
pied^ se jetèrent à bas de leurs montu 



LE iTovicE. ao5 

res^ en la conjurant de remonter : — Ceux 
à qui je dois la couronne , beaux sires y 
puis-je leur rendre trop d'honneur ? dit- 
elle avec tant de grâce , que cet instant 
luigagnalecœur de tous les chevaliers, et 
qne Bertrand lui-même; si peu galaqt qu'il 
fit y s'écria : — Par saint Pierre ! jamais 
couronne n'a été placée sur la tête de 
(dus belle et plus noble dame ! 

Chacun étant remonté à cheval , on se 
remit en marche. Ceux qui voyoient Ber- 
trand pour la première fois ne pouvoient 
se lasser de le regarder ; les femmes sur- 
tout, surprises de son extérieur disgra- 
rCieux , ne concevoient pas qu'un héros 
eût aussi mauvaise mine. 

— Mon Dieu qu'il est laid ! dit lout bas 
Elvire à la comtesse de Clérac. Est-il pos- 
sible que cet homme ait acquis dans le 
monde une aussi grande renommée ! 
. . — Quoi ! répondit Julienne en souriant, 
ne suffit-il pas pour cela qu'il soit brave, 
intrépide et qu'il réussisse toujours dans 
toutes les expéditions qu'il entreprend? 



^- Convenez cependant, reprît k jeune 
•princesse , qu'une autre figure hii îi^oit 
-mieux? Regardez celui qui marche der- 
rière lui, par exemple, Robert d'Ingel- 
cour; croïroit-o» que ces deux êtres 
^ soient d'unie même nature ? 

Julienne ne répondit pqînt ; mais elle 
ne put se dispenser de regarder le jeiine 
écuyer, ddht en effet la tournure élé- 
gante et noble se distinguoît au milieu de 
tous. Dans ce moment Robert se retour- 
libit; rencontrant les yeux de celle qu'il 
-diierchoit toujours, fixés sur lui ^ il ne ré- 
-Êista pas au désir de la saluer respectuèu* 
sèment de son glaive ,^t il accompagna (îe 
geste d'un sourire si dou^ et si tendre^ 
-qu'Elvire regarda sa compagne avec sur- 
prise, tandis que cette dernière se hâloit 
-de détourner la tête sans rendre le salut. 
— . Etes-vousdu même pays que Robert 
d'Ingelcour, comtesse ? denianda Elvîre. 
— Non, répondit laconiquement Jtt- 
liisnne, dans le désir d'éviter d'autrfes 
' questions. 



]LE fXQYÎQE. ÎIO7 

*- L^ve«>-vous connu novice? 
— Nous voici dans Burgos, dit Ju- 
lic^Qoe; voyez. <^mme ces bons Castillans 
f0!U5 jreçQÎveoiXt] 

. Bq effet ^ toutes les maisons étoient 

teodues <le riches tapisseries ou couver* 

tes de feuillages ; les fenêtres^ les balcons, 

occupés par les premières dames de la 

ville y i»agnî(iqaement parles , offroient 

le. plus bieau coup-dloeil, et les cris de joie 

pbussés par une population , tout entière 

aj<tatoient encore à cette pompe. Émue de 

ceispectacle^ Elvire oublia pour un instant 

fe jeune écuyer et prit part à l'allégresse 

générale 9 ce qui affranchit Julienne de 

ïinterrogàtoire qu'autrement elle alloit 

«dbir. 

'.Le roi aimoit tendrement sa femme j il 

ft-eibpi'ess^ de venir au-devant d'elle pour 

la coudirirp lui-même au palais qu'il habi- 

46it:I^ fin de cette journée se passa en 

Jréjouisâances, et \% couronnement ayant 

ité fixé au jour de Pâques qui approchoit^ 

la. cérémonie s'en fit avec la plus grande 



208 LE NOVICE. 

pompe dans le mopastère de las Huelgai^^ 
près de Burgos. 

Dans les brillantes fêtes qui suivirent , 
Robert ne jouissoit pas toujours du bon- 
heur de rencontrer Julienne. Sire Evrard 
eniployoit tous les moyens pour la sous- 
traire à Tadmiration et aux hommages 
des courtisans. S'il se voyoit forcé de con- 
sentir à ce qu'ellesuivît la reine, qui Tavoit 
prise en grande amitié, il s'attachoit avec 
un soin extrême à ne po'nt là perdre de 
vue un seul instant. U épioit le moindre 
regard qui auroit pu se porter sur d*au« 
très que sur lui. Tourmenté de la voiF 
l'objet des soins de ceux qui osoient l'ap- 
procher, il étoit rare qu'il ne lui fît pas 
quitter subitement des lieux où l'on voyoit 
aisément qu'il souffroit les tortures de 
Tenfer. La douce créature le suivoit alors 
sans le plus léger murmure, heureuse 
d'acheter à ce prix quelques moments de 
paix. Tour à tour obsédée d'un amour et 
d'une jalousie féroce, elle se soumettoit, 
sans se plaindre , au tyran qu'elle avoit 



IX NOVICE. 209 

choisi. Mais la pâleur constamment ré- 

pandue sur son beau visage^ ses regards 

tristes et contraints décéloient sa souf- 

li*ance en dépit des efforts qu'elle faisoit 

pour la cacher à tous les yeux. 

. Qui peut dire avec quelle rapidité Ro- 

l>ert devina le malheur de celle à qui sa vie 

'étoit désormais attachée ! qui peut dire à 

quçl point ce malheur redoubla son 

amour! Un moment avoit sufû pour lui 

"révéler le sort de Julienne, et le sien qui 

ii*en étoît plus séparable; Un soir, la reine 

donnoit un bal : Jean d'Évréux ( selon 

toute apparence du consentement de 

'sire Evrard ) alla prendre la main de la 

comtesse pour la conduire à la danse. 

Jamais encore Robert n'a voit vu danser 

Julienne. Tandis que, placé-de manière à 

suivre tous ses mouvements, il s'cnivroit 

d'amour, enviant le sort de tous ceux qui 

obtenoient d'elle un sourire, ou qui tou- 

chôient sa main en passant, il seden^ancla 

pourquoi il n'obtiendroit pas à son tour 

le bonheur qu'obtenoit Jean d'Évreux. 

9 



Cette idée rayissante ne lui parât d'abord 
qu'un rêve décevante Quoi ! celle qui de^ 
puis lour réunion lui refusoit un regard^ 
il se trouveroit près d'elle , il lui parlermt) 
sa maintoucheroit la sienne! ilnepouYoil 
y croire* Mais pqurquoi ne pas le ten- 
ter? Entraîné enfin par le foible espoir 
d'une si grande félidté, H' s^^edbardit ^ 
il se dédde à s'exposer an refus^ Iia| dansp 
finie et la comtesse retournée à sa plawy 
il s'avance en tremblant^ et se dirige reM 
die d'an air qui sans doute décéloit soaîift- 
tention. Julienne y dont jamais les yeux ne 
sembloient se porter sur>lui, le Tpit^ très» 
saille 9 et, joignant les fnaîns , lui jette un 
regard craintif , douloureux > suppliant^^ 
un regard que rien:. ne^peut peindre et 
qu'elle reporte aufi^it6|surson*mari placé 
deux pas d'elle* Robert s^arrête : le passé 
s'éclaircit pour luij fl: devine tout, 3 
comprend tout , et ce^qu'il éprouve porte 
dans son cœur une s^ douce consblatioDr 
qu il ne s'est jamais senti plus heureux. 
Depuis ce jour il s'établit entrerépouse 



LE'tironGBi ait 

èéèvfie E?rard et la jeune, écii^r je ne sais 

qoélleà relations >n^ystéariieu8es-^ dont le 

diârme- éofaafypoit aisénuent à tons leé 

I Jitox; car janiais ils .ne s'adressoieht uq 

mpt^ jamaiSf âst ne s'approchoient l'un da 

rMtiT^, ]et Icïplu^ haJbfle surveillant n'au<* 

xwt ; pu .surpiv&qAre: entr^eux Téchangi^ 

d'jom vegard•.CepeI^la^{;le^rs âmes se paiv 

loienty sç répondoienl. U» gç3te, un sou- 

pir^de.Juliçnne^toit. entendu de Robert* 

^i, dans un ravissement. inexprimable^ 

Se 4ispit tont .bas chaque soir : Je suis 



^ ■ t 



II êtbît heureux poUr Robert tjù'il eût 

^à^ placé sa vie dans son amour ; autre-^ 

Ineiitiianroit trouvé bien peu de charmeil 

'i9âiiil^a:notrvelle existence. ly oisiveté dans 

lâMfoeUè*' iD vivent -controstoit tellement 

oracc^Fhabttude -qu-il^ avoît Contractée dès 

VkabûÊkce de «e^^livrer à Tétude r que les 

^ôuniées .qu'il passoit sans voir JuUenae 

ltlt8embloientintenninable&. Accoutumé 

à vivre au milieu d'hbmmes instruits et 

y ses rapports taveC' des compoi^ 



■ • . •!• 



312 I^E irOYICE. 

gnons d^àrmes ignorants et grossitrsvdé- 
pbirrvus du piquanit qne leur: avoit jirété 
lainoiivéaiité, lui étoient devenus iosupi- 
portables. A là vérité, raffection pateirneUe 
que lui téfnoîgnoîtDugûesclm, si puisf^nt 
à h cbiir dé Henri; l'avoit fait' reehet^cSîèr 
par îes-sèigneurk c^sfiTkriSV/Toîis' Tùi %- 
froientlèurs servidès et Tappeloîcnf tnori 
ami; mais on apprend beaucoup en Vivant 
près d'un roi. Robert, qui niettoit de fin- 
térét, de la chaléuV dans les mpiqdrèîs 
rapports avec ses semblables, RAoert 
n-avoit pa^ tardé à perdre les dpucçs iUa- 
sionsdç son âge^.r^lea.sç.çrets de l'aipbitlofy^ 
de la haine, de],'intrigue lqi.furewït,^,\l'^ 
^'«nt révélé^; ^et^niinrent dé&ef^c^ut^nW" 
Jeunesse., Sonv4^îW ardeiate et;géft^r,€#.S€| 
6oirévoltoït{à'kfVue;de ces grands^* ai ipout 
soucieux du bbrihencgénéral^ du aoiildô 
ieur patrie; imiquèïhent occupés dû désir 
-de vendre d*èrement leur i appui. à tm 
prince encore mal .affermi sur, le trôjiei 
mettant à prix le moindreservice; égoïsteis^ 



iq^atiabh^y toiijows p^é t$ à f ulr la|>an niére 
qii,'ialxuiddniipil; la forjtjuiie, et qui, ponr 
^tettki(fea{ barres y <îq l'or çt des places , 
flaUK^^ t Uèi fpjtJesses de Heqri , coinDi e ils 
)tl^OiÂiQptiflat.t^}q$^:Çi:ime$ 4e Pierre. J^e jeune. 
éf^j/^rrençpçAhienXçt,kViè8po\x de troU'*> 
Ter un ami au milieu de ces pervers,-^ Ah 1 
disoit-il un jour à George, se peut-il que 
le même Dieu ait créé l'âme de pareils 
hommes et Fâme d'un père Ambroise? 
— Aussi bien qu'il a fait les démons et les 
anges, répondit le chasseur. 

— Ou sire Evrard et Julienne, reprit 
Robert; car chaque jour augmentoit son 
aversion pour le comte de Clérac, et pour- 
tant il le cherchoit partout, il prêloit 
l'oreille à ses moindres discours. Cet 
homme, tout odieux qu'il lui étoit devenu, 
quittoit Julienne, alloit la retrouver: le 
mot le plus simple en apparence échappé 
de sa bouche, servoit d'aliment à Tima- 
gination du jeune écuyer, l'éclairoît sur 
mille choses, Taidoit à diriger ses démar- 
ches, sa conduite. De même que l'on tirç 



taîre^RbliéFt reeevoit^lerébjetdMi^iiJsantr 
qnel^Û^» services^ iiivok>ntai]iie»tJttéibii% 
son àmouP) eiîamaid iln'étbit^VitiàBÉttati 
malheureux que les jows<>ù4*ayaiit^{>imW 
apérçii Julienne, il n'AvoiVpii^tLMntfî» 
siféErrard- ' i).r:u." yr 

■ ' •' ' • • ' ' ' ■ ! -• U 

• • ■ . ' I • 



/ ' 









CHAPÏTJŒJX. 



S'^rier à TÎaft ani : 

Que j'ai lonffKtJotgtompt ! 

P«r«ire.jiuipi*è.r«»fie • 

De poarsuÎTre la Ttc : 

On me i*a^U ira jour^ 

C'mI !• yrai »aL4'M9oi|r.' 

1 Mme De|90iises Yalmo^k* 



Lk neQTelIe^ dtv couroiuiement' <k 
He&ri avoit été portée à Pierre ^ dans To>^ 
lèdé, où ce prince se* trouvoit alorft« Bf« 
frayé d'un événement aussi décisif^ 1^ 



aï6 LE NOVICE. 

coupable et malheureux raonarquc ne vît 
plus de sûreté pour lui que dans la fuite. 
Il assembla les principaux bourgeois 
pour leur faire entendre que sa retraite 
ne devoit point les alarmer, puisqu'elle 
ne tendoit qu'à revenir promplement sur 
ses pas avec des secours. Il les exhorta à 
se bien défendre, à lui garder pendant 
son absence la fidélité qu'ils lui dévoient, 
puis il partit en toute hâte , emportant 
sur des mulets son or , ses pierreries et 
ses meubles les plus précieux. 

La fuite d'un rival qui n'avoit plus 
d'espoir que dans la pitié des souve- 
rains étrangers livroit à Henri les deux 

Castilles, sans qu'il fût désormais besoin 

». 

de comballre ; et , en effet , Faccueil qu'il 
reçut à Tolède fassura de la bonne ré- 
ception qui l'attendoit dans toutes les 
autres villes du royaume. De ce jour seu- 
lùent, iA se crut véritablement roi,: et 
telle: étoit aussi l'opinion de cett<î;foule 
de bï^Ves qui l'avoieut placé sur le 
trône. • . - '•, -^ -•. 



LE NOVICE. H'iy 

Robert étoit loin de s'altendrc qiie le 
succès et la joie de tous dût amener aus- 
sitôt pour lui le plus affreux malheur , un 
malheur sur lequel il n'avoit jamais arrêté 
sa pensée, tant l'avenir est peu de chose 
pour la jeunesse! Jamais, depuis Tinstant 
où le sort propice l'a voit réuni à Julienne, 
il ne s'étoit effrayé parla crainte d'une nou- 
velle séparation. Hélas! son bonheur ne se 
réduîsoit-il pas à respirer le même air que 
son amie? Potivoit-il croire qu'il lui seroît 
enlevé? Pour le redouter d'ailleurs , il au- 
roît fallu concevoir la vie loin de Julienne, 
et Robert ne la concevoît plus. Cepen- 
dant, deux semaines à peine s'étoient 
écoulées depuis que l'on habitoit Tolède, 
qu*an matin tous les chefs des compa- 
gnies se rassemblèrent, sans que rien eût 
transpiré des motifs qui les engageoient 
à tenir conseil.Duguesclin, invité à parler 
le premier, se leva , et dit que , l'expédi- 
tion pour laquelle on s'étoit réuni se 
trouvant heureusement terminée, il lui 
sembloit que chacun étoit libre de pren- 

III. lO 



-M 9-* LE KOVICE. 

4re congé du roi de Gaslille et de se ren- 
dre en Frafice, ou dans tel autre lieu qui 
lui conviendroit. — Pour moi , ajouta-t--il ,. 
quelques a£&ires importantes n^ rap* 
pellent en Bretagne >, et je coeipte pairtîr : 
tr^iucessamoient.. 

Robert as^îstoit à cette assçmbl^i . 
quoique son âge et sou rang dans Vw 
luée n^ lui p^rmisseiît poii?i,t de: dfOUQj^/ 
s^n avis. T^ foudre l'eut m^Diosatlié ré qu^, 
les i&ot3 qui frappoient son orçilie, JAsn 
froid d.e ^^e parooKuriU; ses reines} il 
p^rta tour à tour ses yoga^dd sur toiia. 
ceux qui preaoieot part à cette déi^dérar . 
tipn , espérant que l'un d'eux pojufar*, . 
faii?e quelques: objectionSf : mai^ toiis par? 
lent (kn^ le nnêias^ sens q^] Djugu^çseJm >t > 
et.paroi^eut.aifôsi presséstde paHii^; Ske* 
E^^ai^ e^ i^ s wl qjuir aanoace rinleatÎMit 
d« ne point ^ittér r£s|^agw, «aie rok$. 
ditri4,,a pi^oiois de lui ad$ui?er «iU)^;^oiA >»i 
qm satisfait à.sas; déâîrsi». 



LE NOVICE. 2ig 

de lui-même, il sortit de la salle du con- 
seil avec tous les autres, et, sans avoir 
aucun sentiment de ses actions , il court , 
sort dé la ville , et se trouve seul sur les 
bords du Tage. 

Là seulement il retrouve ses esprits, le 
souvenir distinct de son malheur. 

— Où suis-je? s'écrie-t-il ; est-il vrai 
que je pars , qu elle reste ? Est-il vrai que 
jamais je ne la reverrai? Jamais! jamais! 
dit-il en poussant des cris que répètent 
aussitôt les rochers qui l'entourent. Il s'ar- 
rête. Ses yeux troublés se fixent sur l'hor- 
rible site qui l'environne. L'aspect de ces 
Ùeux sinistres, qui pour la première fois 
îrappoient ses regards , achève d'égarer 
sa raison. A droite s'élevoîent les hautes 
montagnes de granit qui forment comme 
QQ^econd mur à la ville de Tolède, et dont 
les rocs immenses, dépouillés d^arbres et 
de touteespècé de verdure, semblent avoir 
été noircis par le feu du ciel; à gauche le 
Tagj5 rouloit ses eaux avec fracas, offi^nt 
plutôt l'image du torrent dévastateur que 



aaO LE NOVICE. 

celle (lu fleuve bienfaisant qui 'répand au 
loin la fertilité. Ni la voixd*aucun homme, 
ni le chant d'aucun oiseau n'animoit 
cette sombre solitude. Robert se plaît à 
contempler une nature aussi désolée que 
son âme. — Suis-je donc descendu au sé- 
jour des morts ? se dit-il ; au séjour où fi- 
nissent toutes les peines ? Mais bientôt la 
vue des clochers de Tolède, que ne peu- 
vent fuir ses regards, vient l'arracher à 
cette illusion, moins affreuse cent fois 
pour lui que la vérité. — Ville fatale ! ville 
odieuse ! s'écria-t-îl ; faut-il , pour mon 
malheur , que nous soyons entrés dans 
tes murs! Que n'avons-notis passé dix 
ans, la vie entière, à conquérir la Castille! 
Et moi, misérable! qui soyhaitois la vic- 
toire ! moi qui versois mon sang pour le 
succès d'une guerre dont la fin me coti- 
duisoit à la mort ! Que dis-je! serai-je as- 
sez heureux pour mourir ? Accablé de dé- 
sespoir, il tomba près des roches qui bor- 
doient le chemin', et , la douleur le suffo- 
quant , il répandit un torrent de larmes^ 



LE NOVICE. aar 

Quand le malheur ne laisse aucune) es- 
pérance, l'instinct de la nature nous porte 
à fuir les tourments de la pensée; aussi 
Robert ne tarda-t-il pas à reprendre d'un 
p2^s précipité le chemin de la ville sans 
avoir aucun but, mais comme s'il eût 
voulu échapper par le mouvement à 
l'angoisse qui le déchiroit. 

Comme il approchoit du pont Saint- 
Michel , qu'il lui falloit passer pour ren- 
trer dans Tolède , il se vit tout à coup en-* 
toui:é par une nombreuse cavalcade, au 
milieu de laquelle il reconnoît la reine , 
sir . Evrard et Julienne ! Dans quel mo- 
ment , grand Dieu ! revoyoit-il Julienne ! 

— Voulez-vous être de notre prome- 
nade, sire écuyer? lui crie la reine. Un 
rayon d'espérance brille tout-à-coup aux 
yeux de Robert. Jeanne peut entrepren- 
dre de retenir les compagnies! Il s'appro- 
che, et, s'efforçant de raffermir ses esprits : 
-^ Votre altesse i\!ignore pas sans doute 
que nous allons quitter la Castille ? dit-il* 

. — Que dites-vous ? s'écria la reine. 



lia 2 LE NOVICE. 

— Nous partons tous, à l'exception de 
sire Evrard. En prononçant ces mots,Ro- 
Lert avoit jeté sur Julienne un regard 
empreint de toute sa douleur, et la suite 
apprendra si ce regard avoit été compris, 

— Vous quittez la CastiBe! dit la reine^ 
dans un trouble qu'elle ne put maîtriser? 
Comment ? pourquoi? de qui tenez-vous 
cette nouvelle ? ' 

Evrard alors lui raconta e& peu de- 
mots le résultat du conseil ^i s'était tenu 
le matin. La reine Técouta d'un air réflé- 
chi, en pâlissant à plusieur$ reprises; et^ 
quand il eut fini : — Écoutez-moi , Ro« 
bert, dit-elle au jeune écuyer; prenez le^ 
cheval d'un de cespagesj courez trouver 
Duguesclin, et, s'il n^est p^nt à TAIca- 
zar , priez-le d'y venir stMP-le-^îbanip» 

— Espérez-vous changer «a résolution? 
dît Robert respirant à peiï>e. 

— Courez , courez , reprit la reine. Ea 
achevant ces mots elle tourna bride, et 
rentra au grand galop dans la ville, sui* 
vie de tous ceux qui Faccompaguoient. 



LE WOVICB. âa5 

Duguesclin étoit logé précisément de 
Tautre côté de Tolède : mais Robert ne 
toit pas cinq minutes à parcourir le che- 
min ; et il apprit que Bertrand venoit de 
partir pour se rendre chez le roi. TbUt 
en se félicitant de cette circonstance, le 
jeune écuyer repartit au galop pour ne 
s'arrêter que dans les cours de l'Alcazar. 
Remettant son cheval au premier valet 
qu'il rencontra, il monta quatre à quatre 
les marches du magnifique escalier qui 
distingue encore aujourd'hui l'ancienne 
demeure des rois maures, et parvint bien* 
' tôt dans la grande salle, où se tenoîent 
■ habituellement les personnes qui avoient 
leurs entrées chez la reine. Il ne trouva 
là qu'un seigneur castillan , dom Alvar 
Telascos , qui , l'un des derniers , venoit 
d'abandonner Pierre pour s'attacher à la 
fortune de Henri. Ce noble personnage se 
promenoit gravement en long et en large 
d'un air extrêmement soucieux. En voyant 
entrer Robert, il s'arrêta pour lui dire à 
* ,Toix basse : — On est ici fort alarmé* La 



21^4 ^E NOVICE. 

reine, qui vient de rentrer il y a peu d'ins* 
tants, est passée chezleroi, où se trouvent 
Duguesclin et tous les chefs des compa- 
gnies. On dit qu il s'agit du départ géné^ 
rai de vos compagnons d'armes. 

— Hélas ! oui , répondit Robert. 

— Se peut-il, reprit dom Âlvar, se 
peut-il que Duguesclin abandonne la Cas- 
tille au moment où le secours de son 
bras nous est le plus nécessaire? Personne 
ne doute ici que Pierre n'obtienne l'appui 
du prince de Galles. Il suffit que laFrance 
soit pour nous, pour qu'Edouard serange 
du parti contraire. Je crois que nous 
avons trop tôt quitté Pierre, muroiura- 
t-ii entre ses dents. 

Il étoit heureux pour le Castillan que 
Robert fût trop hors delui pour entendre 
ces derniers mots , qui , dans tout autire 
instant n'eussent point échappé à son mé- 
pris. — N'cspérez-vousdonc rien des prié* 
res et des larmes de la reine ? répondit-il. 

— Qu'espérer des larmes d'une femme! 
reprit dom Âlvar d'un air dédaigneux. 



» 



LE NOVICE. aaS 

Henri seul pourroit essayer de les retenir 
par des promesses , par des dons immen- 
ses. Dans la situation où il se trouve , il 
n'hésitera pas, je m'en flatte au moins , à 
sacrifier la moitié de son royaume y pour 
sauver le reste. Il se peut qu'il y réussisse. 
J'attends^ je vous l'avoue, avec une vive 
impatience , le résultat de leur conférence. 
£ty en parlant ainsi,le grave Cas tillanjse 
t*emit à marcher lentement dans la salle, 
que Robert parcouroit à pas précipités; 
tant il étoit peu maître de son agitation. Il 
clévoroit chaque minute. Il assistoit en 
imagination à l'entretien qui avoit lieu 
chez le roi. Tantôt ilvoy oit Duguesclinet 
ses compagnons repousser les prières de 
la reine , tantôt il les voyoit céder; et l'une 
et l'autre de ces suppositions redoubloit 
l'espèce de fièvre qui faisoit battre violem- 
ment toutes ses artères. Il alloit reprendre 
sa conversation avec le tranquille compa* 
gnon dont l'impatience lui sembloif si 
calme , lorsqu'un page vint chercher ce- 
lui-ci pour le conduire chez la princesse 



a26 LE NOVICE. 

Elvire, qui désîroit lui parler. Après avoir 
écouté ce message , dom Alvar salua gra- 
vement Robert , et suivit à pas lents son 
jeune conducteur, en se répétant à von 
basse : Nous avons trop tôt quitté Pierre 
Dès que Robert se trouva seul , il lu 
devint impossible de supporter Texcès A 
son impatience et de l'agitation qrfelt 
faisoit naître en lui. Il descendit «atr h 
terrasse qui bordoit une des façades di 
cbâteau. La vue des superbes jardins 
plantés jadis par les rois maures , Fodteui 
des orangers qui embaumoient Vair, 1 
soleil magnifique qui lançoit ses rayon 
dorés sur le plus beau monument de 1 
Castille, rien ne put exciter un momen 
son attention ; et, les yeux fixés sur le 
fenêtres de l'appartement de Henri, il sem 
bloit que son âme y fût suspendue toû 
entière. Plusieurs fois il crut voir passeï 
^elques ombres derrière les carreaux d< 
verre dont la demeure royale étoit ornée 
mais il lui fut impossible de distingue 
aucun de ceux qui décidoient alors d< 



l XE NOVICE. 227 

son sort. Enfin il remarqua qu'un grand 
mouvement avoit lieu dans la salle où se 
tenoit la conférence. — Ils se séparent, 
dit-il tout haut , avec un battement de 
cœur effroyable. En effet , peu de temps 
après, les ombres qu'il avoit observées 
jusqu'ici cessèrent de se projeter sur les vi- 
tres, A ridée que son arrêt étoit maintenant 
prononcé, l'indicibleimpatience quiletor- 
turoît depuis une heure se calma tout-à- 
coup. Unfrisson mortel parcourut ses vei- 
nes, et,pâle, inanimé, il restoît à sa place, 
"sans trouver la force d'aller apprendre son 
S'oit, lorsqu'il entendit ouvrir une fenêtre 
élevée, et, dans le même instant un fer- 
moir d'émeraude, entouré d'un petit pa^ 
pier , vint tomber à ses pieds. Robert r 
iurpris , ramasse le tout ; il lit ces deux 
mots seuls, écrits de la main d'une femme ^ 
^y^ous restez. 

O joie !ô délices! Ces caractères sacrés,, 
"liobert les couvre de baisers de feu ; car 
:nulle autre que Julienne n'avoit pu les 
itracer ! elle avoit donc compris sa dou- 



aa8 LE NOVICE. 

leur ! elle y compatissoit, au point de lui 
rendre elle-même la paix ! Il faudroit ai- 
mer comme Robert , il faudroit avoir 
cette âme où tout frappoit si fortement, 
pour se faire une idée du bonheur qu'il 
éprouvoit. 

La fenêtre s'étoit refermée aussitôt ; il 
attendit long-temps ; afin d'être bien sûr 
qu'elle ne se rouvriroit plus ; enfin il re- 
prit le chemin du logis de Duguesclin. 
Ses pieds ne tou choient point la terre. 
Vingt fois , pendant la route , il tira le bil- 
let de son sein , pour y fixer ses yeux, 
pour y imprimer seslèvres. Plus de doute, 
il étoit aimé ! il étoit aimé ! et il restoit eu 
Castille! Un avenir céleste s'ouvroit de- 
vant lui , et jamais on n'étoit passé aussi 
subitement des horreurs du désespoir au 
comble de la félicité. 

Comme Robert arrivoit chez Dugues* 
clin , il entendit rire aux éclats dans la 
^alle où se trouvoient alors rassemblés 
Bertrand, Hugh Calverley, Gauthier Huet 
et plusieurs autres. L'état actuel de sou 



LE ifoviCE, aag 

esprit le portoit à partager la joie de tout 
le monde : il se hâta d'entrer, pour ap- 
prendre les motifs d'une si grande gaieté. 

— Je prends celui-ci pour juge, s'écria 
Duguesclin en apercevant son jeune 
écuyer; qu'il dise si nous pouvions ré- 
sister ? 

— Ouais ! répliqua Gauthier Huet, autre 
chose est ce jouvenceau , qui à peine a de 
la barbe au menton, et vous tous , dont 
lés cheveux grisonnent. Si d'ailleurs il 
n'avoitpas envie de retourner en France... 

— Moi ! dit vivement Robert, j'en se- 
roîs au désespoir. 

— A la bonne heure , reprit Gauthier, 
c'est un cas particulier; mais nous tous, 
qui voulions partir et qui restons? nous... 
vous , c'est-à-dire ; car pour moi , je n'au- 
rois pas cédé. 

— Allons donc, allons donc, dit Jean 
dTEvreux en riant, c'est toi qui le premier 
as dît' à la reine de ne point pleurer , et 
qui nous rëgardois tous d'un air attendri. 

— Attendri! s'écria Gauthier, quf Ten- 



1 



a3a LE NOVICE. 

fer me confonde, si j'ai jamais été atti^n- 

dri de mesjours ! Non, non, c'est Bçrtrandf 
qui s'est laissé aller le premier. ' . 

— Point du tout, répondit Duguesclin; 
c'est le Bègue de Vilaine qui vous a fait 
sentir, avec grande raison , qu'une affairo. 
<:ommencée devoit se pousser jusqu'au 
bout. J'avoue que son ton de docteur m*a 
décidé sur-le-champ. 

— Vous oubliez aussi , répliqua Perrîa 
^e Savoie, que la reine venoit de nous 
faire les promesses les plus magnifiques 
pour l'avenir. 

— Le roi vous en avoît promis tout 
autant , aviaat qu'elle n'arrivât; mais il 
vous falloit voir deux grands yeux noirs; 
autrement vous auriez résisté j 

— Eh biep ! nous aurions eu tort , re- 
prit Bertrand d'un ton sérieux^ tout ce 
<j^'ai dit, Henri. et. son épouse m'a t ouvert 
les jxux spr notre devoir;,.oui, snr notre 
4evoîr,jefe répète. Pouvons-poufi, je vous 
]j3 demandex^l^^A^i^Q^P !& Castille au mp* 
Qient^ùvune guerre, terrible peut-être, la 



LE NOVICE. a3r 

nace ? Doutez-vous que ce méchant 
arre ne parvienne à se procurer un 
3ui contre son digne frère? 
— Je lui permets d'obtenir l'appui du 
ble y interrompit Hugh Calverley , 
orvu qu'il n'obtienne pas celui de mon* 
gneur le prince de Galles. 
Daguesclin ne répondit rien ; car, tout 
portoit à croire que ce seroit précisé- 
At à ce prince que l'on alloit avoir af- 
re. Et l'événement ne tarda pas àprou- 
r qu'il ne se trompoit point. 



Bien loin de craindre de \ 
se rallumer, Robert passoît s^ 
cnler combien de temps il faudrc 
poups'assurerun protecteur parmi les sou- 
verains étrangers , et de combien de temps 



LE ITOVICE. a33 

încore on auroit besoin pour repousser les 
iefforts qui seroient alors tentés et affermir 
pnlièrcment la couronne sur la tète de 
pfietiri. Une année lui sembloit à peine suf- 
sante; et quel long espace de temps pré- 
eote uue année à celui qui n'eu a pas 
»re vécu vingt et une ! Ce n'est pas 
tefois que depuis ce momeut il tirât 
bien grand avantage de son séjour en 
ile. Effrayé des efforts que son fi-ère 
Intenter contre lui, Henri se hâta de 
jrir toutes les villes du royaume 
"s'iissurer de la fidélité des habitants, 
' iritegarnir toutes ses places fortes, de pren- 
èï enfin les plus sages précautions contre 
J^guerre qui le mcnaçoit et qui peut-être 
étoitprocliaine.Duguesclîa,enquisacoa- 
f^ncË étoit si grande, l'accompagnoit par- 
tout, Vaidant de ses avis. Pendant deux 
mois que durèrent ces courses, Robert, 
obligé de suivre son m^tre, habita bien 
rarement Tolède , où la reine restoît tou- 
jours. Mais il aavoit Julienne dans cette 
TÎlle; il passoit les heures dans U douce 



S34 ^ NOVICE. 

espérance de revenir près d'elle , et lors« 
qu'enfin il y revenoit pour quelques ins- 
tants, sll avoit la joie de Tentrevoir, î] 
comparoît son sort au sort qu^il avoîl 
craint naguère, et repartoit sans se plain- 
dre, en remerciant le ciel. 

On n*entendôit plus parler de Kerrc 
depuis le jour que Ton avoit appris soc 
a rivée dans l'Aquitaine, où il étoit allé 
trouver le prince de Galles. Mais un soir. 
Henri , revenu de la veille dans sa capi- 
tale, envoya chercher Duguesclin en toute 
hâte, et le page qui se trouvoit chargé dt 
ce message fit entendre qu'il étoit arriva 
de fort tristes nouvelles. 

Bertrand, après avoir dît à Robert de 
le suivre , se rendit sans tarder à rAlcazar. 
Il trouva Henri et la reine entourés d'ini 
grand nombre de seigneurs, qui tous pa- 
raissoient consternés; la reine pleuroit^ 
irais le roi sembloit plus indigné qu'a- 
l:attu. 

— Approchez, mes braves amis, dît- 
il à Duguesclin et à Robert. Je reçois ^ 



LE KOVICE. aSS 

Tinstant une lettre du prince de Galles, qui 
vous surprendra comme mbî, je pense. 
Le héros de Poitiers se déclare hautement 
le protecteur du tyran, de Fempoison* 
neur, que la haine de tout un peuple vient 
de chasser. 

— En êtes-vous surpris , heau sire? ré- 
pondit tranquillement Dugesclîn ; il me 
semble que nous avions toujours prévu 
qae l'affaire tourneroit ainsi. 

Henri ne répondit pas ; car c'étoit en 
effet ce motif qu'il avoit mis en avant pour 
retenir les compagnies. 

•—Relisez-nous cet insolent écrit, dit- 
fl en s'adressant à un clerc qui étoit placé 
derrière lui , et qui tenoit à la main un 
papier où se voy oit le sceau du prince Noir. 

Le clerc obéît, et lut à haute voit un 
cartel par lequel « Edouard, prince de 
«Galles et duc d'Aquitaine, voulant ti- 
'»rer raison de l'outrage fait au roi Pierre 
» son parent, qui se trouvoît dépouillé de 
»ses états par violence et par injustice^ 
'^ défioit Henri de Trcinstamare • se disait 



a 36 LE NOVICE. 

»roi de Castille.y lui commandoit de sortir 
» au plus tôt de r£spagne , de déguerpir 
» de toutes les villes et de tous les châ-> 
» teaux dont il s'étoit emparé par félonie; 
» avec menace, s'il n'obéissoit pas, de fon« 
» dre avec une «armée formidable sur lui 
» et sur tous les siens, auxquels il ne se- 
» roit fait aucun quartier. A Fégard des 
j) Anglais, Gascons, Angevins, etc., qui 
» combattoient maintenant sous les en- 
-»seignes de Castille, le prince, s'ils ne 
» revenoient dans le jour qu'il leur mar- 
» quoit, les traîteroit tous comme destraî- 
»tres, confisqueroit tout le bien qu'ils 
» possédoient en Angleterre et autres 
» lieux de sa dépendance, et les fcroit 
.-» condamner à mort. » 

Pendant la lecture de cet écrit, Henri 
/i*ougissoit de colère et serroit ses poings 
avec fureur. 

— Eh bien ! dit-il à Duguesclin lorsque 
le clerc se tut. 

— Eh bien ! répondit Bertrand, il fau- 
dra marcher contre ce fanfaron et le bat- 



LE NOVICE. aSy 

tre. Il me semble que voilà la meilleure 
réponse qu'on puisse lui faire. 

— Ah! dit Henri, levant au ciel des 
^eux d'où le feu sortoit, je suis tout prét^ 
Scyez-en bien certains, amis. Mais vous 
iroyez qu'il me retire la plus grande partie 
clés troupes snr lesquelles je comptois. 
^ous ne pouvons douter que tout ce qu'il 
^de sujets parmi vous ne me quitte à Tins* 
tant. 

— Ainsi ferois-je, si le roi de France, 
mon seigneur, me rappeloit, répondit 
Bertrand. Mais les braves gens sont tou- 
jours assez nombreux, beau sire. D'ail- 
leurs ne comptez-vous pour rien ce peu- 
ple qui vous a donné la couronne? Tous 
ces braves seigneurs qui vous entourent , 
qui vont lever leurs vassaux et marcher 
avec nous ? que l'on nous aide un peu , et 
l'armée anglaise n'est plus : et Pierre-le- 
Cruel est mort. 

Tel est l'efEet d'un haut courage qu'il 
se communique. Parmi ces grands plu- 
sieurs peut-être avoient déjà songé aux 



a38 LE toYitiE. 

mc^ens de faire leur paix avec Pîelte 
mais la confiance du héros bretott rassor 
à l'instant les plus timides ; ils se réuniren 
aux plus dévoués, et patrurent tousn'avoî 
qu'une âme. 

— Mon seigneur, dît aussîtèt dom San 
chez de Tovar, qui l'un des premiers avoi 
lié sa fortune à celle de Henri (i), vou 
pouvez compter sur nos bras comme su 
nos cœurs. Nous mourrons tous autou: 
de vous , s'il le faut. 

— Oui , tx>us ! s'écrièrent-ils à^la fois. 

— Voilà comme j'aime que l'on parte 
dit Bertrand en serrant la main de YvSi 
d'eux , tandis que la reine , le visage en 
core baigné de larmes, leur donnoît 1 
sienne à baiser. B'après cela , beau isire 
vous pouvez m'en croire, votre méchaï 
frère ne reverra jamais Tolède. 

*- Jamais! jamais! crioît-on de totrté 
parts , lorsque les portes s'ouvrirent, i 

' ■■ ■ I II. .,.— ^M 

(i) II lui àivoit porté les clefs de la ville ie G 
lahorm , o\i n^comniàndoitpour Pierre > 



L:. 



;xE NOVICE. a 39 

que Fon vît entrer Hugh Calverley , suivi 
de tous les chevaliers ses compatriotes, 
qui venoîent prendre congé du roi. Henri 
pâlit en voyant combien ils étoient nom- 
breux , et en songeant à l'immense qiian» 
tité d'hommes d'armes qu'ils alloient em- 
mener avec eux. 

— Noble sire, dit l'Anglais avec une 
émotion qu'il ne cherchoit point à dissî- 
ïDuler , vous savez sans doute déjà le triste 
motif qui nous amène. Nous avons reçu 
'3u prince de Galles, notre maîlre, l'ordre 
'de quitter à l'instant la Castille pour aller 
le rejoindre. Mais ce que vo«s ne savez; 
pas , c'est le chagrin que nous fait cet or- 
dre; il n'y en a pas un de nous qui n'ai- 
mât mieux se battre pour vous que contre 
vous. Croyez-le bien , sire roi , Hugh Cal- 
verley n'a jamais menti. Cependant tout 
bon vassal doit obéir à son seigneur; et 
BOUS partons, pénétrés d'estime pour votre 
personne et de reconnaissance pouç les 
généreuses bontés dont vous et la reine 
nous avez comblés. 



a4o LE KOVICE. 

Henri ne se pressoit pas de répondre 
désirant cacher une partie de la pein 
qu'il éprouvoit; enfin, étant parvenu à 
se posséder le mieux qu'il lui fut pos* 
sible : 

— Sires chevaliers, dit-il d'une 
ferme , j'ai grand regret que votre maîtr 
se refuse à reconnoître des droits que j 
tiens de ma naissance et du peuple castil- 
lan , et qu'il se décide à me traiter désor-' 
mais en ennemi. J'espère que, Dieu ai- 
dant, je rendrai les effets de sa haine inu- 
tiles autant qu'elle est injuste. Quelle que 
soit sa conduite envers moi, elle n'influera 
jamais sur l'affection que je porte et por- 
terai toujours à des braves tels que vous; 
elle ne me fera pas oublier ce que je dois 
à votre courage. Il me sera bien cruel 
d'avoir maintenant à défendre ma cou- 
ronne contre une partie de ceux à qui je 
la dois ; et je demande à Dieu de ne ren- 
contrer aucun de vous sur le champ de 
bataille. 

— Par saint George! Et moi de même. 



LE iroYiGE. a4i 

s'écria Hugh Calverley d'une voix atten- 
drie. 

Henri n'avoit pu terminer son discours 
jsans une vive émotion j mais se remettant 
aussitôt : — Partez-vous ^donc à l'instant ? 
demanda-t-il à l'Anglais. 

Hugh Calverley ayant répondu qu'ils 
seroient tous à cheval dans deux heures : 
p- Je vais donner des ordres , reprit le 
roi, pour que vous soyez traités jusqu'à 
mes frontières aussi bien que vous le seriez 
chez votre maître. J'espère aussi que vous 
.voudrez bien accepter une dernière mar- 
que de ma reconnoissance et de mon amitié. 

— Non, Seigneur, répondit l'Anglais, 
TOUS n'avez déjà fait que trop de largesses 
à des gens qui estiment avant tout la 
gloire d'avoir combattu pour vous. 

.Çeori ne répondit à cela qu'en les sa- 
luant tous de l'air le plus bienveillant; 
puis il sortit avec la reine, suivi des 
seigneurs castillans. 

A peine fut-il parti que Hugh Calverley 
et sçs compagnons se pressèrent autour 

lU. 1 1 



i4^ ^'^ irovïCE. 

deDugiiesclin. C'étoit à qui lui serrerditi 
la main et se recommanderoit à son sou — 
venir. Ont eût dit qu'ils se séparoîentd'unt 
frère, tant ils le quittoîent avec peîiie, cafr 
Duguesclin s'étoitfait aimer d'eux tous, 
non-seulement par sa valeur, mais par la 
noblesse et la bonté de son caractère. 
• Toutefois Hugh Calverley parvînt à le 
réparer de la foule et l'ayant entraîné dans 
Tembrasure d'une fenêtre :-t- Bertrand, 
ïluî dit-il, nous allons nous quitter, et, par 
mon chef! ce n'est pas ce qui me coûte le 
moins dans cette maudite affaire. Si de- 
puis que nous faisons la guerre ensemble 
je t'ai donné, sans le savoir, quelque su- 
jet de plaintes, dis-^moi que tu ne m^en 
gardes aucune rancune. Si dans le par* 
tage du butin que nous avons fait ensen^ 
i)le il m'est arrivé de prendre plus que 
toi, je suis prêt à t'en dédbttimag;er , car 
|*aîmerois mieux ne plus toucher d^arjgent 
dci ma vie que de t'avôîr fait ^ort djunè 

obole. 

Tîon , non , répo ndît Duguescfiir, ttt 



I 



h^ ffovie^. 243 

ne m*as jamaia i^it tprit çn quQÎ que ce 
5oit : j'ai toujours trouvé en toi upi digue 
et brave frère d'armes, avec qui je vou- 
drais faire la guerre toute ma vie. 

Ah! que n'en est-il ainsi, repi'it tt'isté- 
ment l'Anglais ; mais enfin il faut suivre 
son devoir avant tout. ' 

^— Sans doute, dît Bertrand en lui ser- 
rant la main affectueusement. Nos prin- 
ces sont nos prlfiices : nous n*en resterons 
pas moins amis comme si nous conlbat- 
'iions encore dans les mêmes rangs. 

-^ Amen , répliqua Calverley avec un 
l^ros soupir; et comme si ce mot lui eût 
tout à coup rappelé d'autres temps , il 
. diercba des yeui;: Je jeune écuyer qui se 
tenoit à peu de distance : — Viens donc , 
iriensdonc toi, dit-il à Robert; ne veux- 
^U pas aussi m'embrasser pour la der- 
^èrefoi^? 

Hoberi; fie hàl:^ ^e ^Viyaiuîa'i. et le bon 
iSLngkis le serra dans fies bras à phisii^urs 
itoBpiJBes; âoUTi^i64tQide moi^aJ9ata<triL 



a44 ^ woviCE. 

—Toujours! toujours! répondit Robert 
avec une vive émotion, 

— Par la journée de Bévesque ! réprit 
Calverley dont Toeil devint humide , tu 
peux compter sur un cœur à toi dans 
l'armée anglaise. 

Plusieurs chevaliers s'étant approchés 
alors pour avertir Calverley qu'il étoit 
temps de partir : — Oui , oui, répondit-ilj 
j'étois seulement biefraîSa^de leur dire en- 
core quelques mots ; mais nous avons plus 
d'une affaire à terminer avant de nous 
mettre en route, et d'ailleurs il ne faut pas 
s'attendrir ici comme des femmes. Puis 
embrassant Duguesclin une dernière fois, 
il serra fortement la main de Robert, et 
sortit précipitamment ainsi que tous ses 
compagnons. 

Duguesclin les suivit des yeux jusqu'à 
ce qu'ils fussent hors des cours , en sif- 
flant de toute sa force. —Braves gens! 
murmùra-t-il entre ses dents quand il les 
eut perdu de vue. Bons camarades! Et 
pouHâot, ajouta-t*il en GsjmX sur Rober^ 



LE NOVICE. 245 

ses petits yeux gris, dans lesquels rou- 
loient quelques larmes, avant qu'il soit 
un mois il faudra nous couper la gorge 
avec eux. 



/ 



CHAPITRE XI. 



Elle parle, et sa voix dans un beau son rasiemBIe 
Ce que les plus doux bruits auraient de grmce eoiembl^î 
El la lyre accordée aux flûtes dans les hois , 
£t.Poîseau ifui se plaint pour la première fois ,' '-. 
Et la mer quand ses flots apportent sur la grève 
Les chants du ioir aux pieds du voyageur qui rêve» 

Alfred de Yigmy. 



De ce jour, les préparatifs de défense 
se firent sur tous les points avec une nou*^ 
velle activité. La cour revînt à Burgos j 
où le roi a voit résolu de laisser Jeanne 
tant que dureroit la guerre. C'est de là' 



i«B iroviCB. ^47 

^e partoient tous les ordres pour les di£ 
l^rentes villes du royaume, sûn de pres- 
ser la levée des troupes , de faire remplir 
les magasins , de fabriquer les armes. 
Sire Henri n'avoit pas tardé à distingue^ 
le zèle et l'habileté du jeune écuyer de 
fiuguesclin ; il le chargea bientôt de mille 
détails pour lesquels il s'en reposoit sur 
lui ; chaque-jour Robert se trouvoit chargé 
de quelques missions ^ soit auprès des 
différents corps qui se rassembloient de 
. toutes parts, soit auprès de quelques sei- 
goeurs éloignés dont il falloit exciter l'ar- 
deur pour la défense du pajrs. Robert eut 
lieu ji)e recounoître que bien peu de ces 
grands étoient disposés à faire les sacrifices 
que Bécessitoient les circonstances. Com- 
blés des bienfaits de Henri , plusieurs lui 
]?efusoient leur assistance à Theure du 
danger j ou bien agissoient si mollement ^ 
q^'Us se ménageoient des excuses dans le 
cas où don Pèdre repreudroit sa cou- 
ronne* En vain Robert leur représentoit 
qjoe leur salut étoit entièrement dépen* 



2 48 LE irOTlOE. 

dant du sort de cette guerre, que Pierre, ^ 
tine fois vainqueur, c'en étoît fait d'eux: ^ 
— Sa vengeance, répondoient quelques-* 
uns , tombera principalement sur eaux 
dont la bannière marchera contre lui. On 
dit le prince de Galles arrivé sur là fron- 
tière avec une armée de quarante mille 
hommes : il est prudent d'attendre avant 
de se déclarer. 

— Ne l'êtes-vous donc pas? répondoit 
le jeune écuyer, Henri n'a-t-îl pas reçu vos' 
serments? 

_ Pierre les avoit reçus de même; 

— Pourquoi donc l'avez -vous aban<« 
donné? s'écrioît Robert, indigné d'une 
pareille duplicité. 

Heureusement d'îiutres grands se troti- 
voient compromis au point de ne pou- 
voir garder la neutralité , et mettoîent 
sur pied tout ce qu'ils pouvoîent lever 
d'hommes; car il étoit trop réel que Par- 
mée anglaise s'avançolt. Le prince de 
Galles, après avoir passé les Pyrénées par 
les gorges de Roncevaux, venoît de tra- 



LE VOTIGE. a 49 

>€rser la Navarre , dont le perfide Char- 
les-le-Mauvais lui avoit permis le passage ^ 
à la tête de quarante mille hommes^ tant 
à pied qu'à cheval. Grâce à l'amour qu6 
loi portoient les Castillans , les forces de 
Henri étoient encore plus considérables. 
Elles s'élevoient à vingt mille cavaliers et 
quarante mille fantassins , sans compter 
dnq mille hommes des compagnies qui 
Festoient encore à Duguesclin y et sur les- 
quels portolt surtout la confiance géné-- 
nérale. 

Les nouvelles que Ton recevoit chaque 
jour décidèrent le roi à partir sans retard 
avec tout ce qui restoit encore de trou- 
pes à Burgos y pour aller disputer l'entrée 
de l'Espagne à son terrible ennemi. Le 
départ fut fixé pour le lendemain, fio* 
bert n'avoit plus qu'un jour pour empor- 
ter la douce assurance que Julienne gar- 
deroit son souvenir. 

Le soir il arriva un des premiers au cer- 
cle de la reine ; Julienne , qui ne tarda pas 
non plus à y paroître, quoique près de 



sire ETrard^le chetcha des yeux aussitôt, ca^ 
qu'elle n'atait jamais fait encore.EBe étoit 
plus triste, plus pâle que de ooutuisie< B(ï« 
bert, trouYaàt uni^fbis.Àes regards atttMhéft' 
sur lai , tira là bague qu'ilpor tlyitaaHs^Msfitf 
depuis leur entretien dans Téglise dé Si^àtti* 
Paul et la pressa de ses lèvres avec uit^ 
j»ouvemeRt passionné. Pour ia< pf i^mèw 
fbis^Jalienne ne détourna poi&t la tété^ 
Il sembk>ilf que dans ée jour d'adi6iE<^ 
d^tiBf adieu peut-être éteradl xiai sebti^^ 
ment irrésistible étouffât sa prudence;. Sésr 
yeus festoient fixiéir sur le jeune éceyér^ 
Cft bientôt une larme s'en 'échappa. Dicailî 
que n'e^t paS' dcnfiné Bobert,^ pour buR 
dà*e im ^»eul ttko^yi Adieu! Mais > sîr^ 
Evrard étoit là ! toujours là ! Plus ocëUpé» 
que jamais de celle qu'il alloit <|uittei!^( ib 
ne perdoit pasam instant du b<wheur àlèà 
%te encore prés d'eHew'Gependajit rhôurtf 
de se séparer arriva. Bc^ert ne résisCe pai» 
dudéstrqiiirle dév^nciitts'appradbe^ sai* 
aitijin moment où la reine adresse la psh^ 
vôl&aiircomtê% î 



fit 



LE NOVICE. %5i 

^ Adieu ! dit-il tout bas. 

•>— Adieu! Robert répond Julienne. 






^f C'efttsa voix! il lareoonnoit! une foîsr 

jf encore cette voix chérie a retenti danSs 
SOI cœur. Ah! comnaenousalionsdéfendre 

I le chemin de Burgos y s'éçrie-t*il en sV 
dressant aux guerriers qui l'environnent *^ 

^ car sire Evrard y devenu libre , prenoit le 
bras de sa femme et sortoit avec elle. 

Dès le lever du soleil ^ le roi et tout ce 
que Burgos renfermoit de gens de guerre 
M^Hàlet^ route pour rejoindre l'armée àf 
Jfflivaretle. Le prince de Galles avoit déjà 
f&s»6 TËbre au pont de Logrono ^ et de 
.inites escarmouche avoient lieu chaque 
jtmp^ Duguesclin ne fut pas long^temps 
à reconnokre que sa petite poignée 
?hommes composoil la force la plus réelle 
de HenrL II ne lui fallut pas quinze jours 
|k)ur compter si peu sur les EspagnoU^ 
dl»$ le cais où ils auroient affaire à toute 
Tannée du prince de Gsdles que» dans xm 
conseil de guerre il se rangea entière* 
«lent de l'avis du maréchal d'Aqdregheift 



a 5a LE KOYICE. 

qui proposoît de ne point livrer bataille; 
de placer de bonnes garnisons dans les 
Tilles et dans lesplaœs fortes du royaume, 
de se saisir de tous les ports de mer j de 
distribuer le reste des troupes dans des 
postes avantageux , et de laisser Fennemi 
s'épuiser &ute de vivres. 

— Je suis d'autant plus pour que Ton 
prenne ce parti j dit Bertrand , que je sais, 
à n'en pouvoir douter , que les Anglais 
meurent de faim dans Logrono. ffier j'ai' 
régalé un de nos prisonniers dans Viûr 
tention de le faire jaser. Comme je hii 
demandois si les vivres étoient abondants 
dans leur camp: — Par mafoiï m'a-t-ildit^ 
il rij a pas un de nous qui n*€ui bientât 
mangé deux ceuf s pelés j s* il les tenoiL 
Depuis long-temps ils ont oublié le goàt 
du vin. Le comte d'Espagne et moi, nous 
leur avons saisi le convoi de bêtes à 
cornes avec lesquells ils espéroient ravi* 
tailler im peu leur armée. Groyez-mm| 
sire Roi, laissez-les encore mangerpendant 
quelques semaines les glands de vos 



LE NOVICE. a53 

chênes, et je vous réponds qu'ils vous fe- 
ront la visite courte et ne seront pas 
tentés de vous en faire une seconde. 

Le conseil étoit bon à suivre, surtout 
^oand celui qui le donnoit étoit plus 
connu pour chercher les Anglais que 
pour les fuir. Cependant, Henri ne le 
goûta point; il répondit à Duguesclin 
que, se trouvant supérieur en force à 
son ennemi , il ne voyoit pas de motif 
pour se refuser la satisfaction de tirer 
vengeance des insultes du prince de 
Galles, et qu'une grande victoire pouvoit 
seule l'affermir sur le trône. 

-—Oui, oui, mon noble seigneur, dit 
aussitôt le comte d'Aice, un des plus 
grand fanfarons de Farmée; ne prenez 
conseU en ceci que de votre courage. 
Ceseroit pitié que de ne pas employer la 
pli^ belle armée qui jamais ait suivi son 
roi. Que pouvez-vous craindre ? N'avez 
vous pas ici sept mille hommes d'armes 
montés chacun sur un bon coursier c(^* 



a56 M woviCB. 

— Oh! ce n'est pas cela qui m'inquiète , 
répondit Bertrand ; mais sljes Espagnols 
lâchent pied , nous ne sommes plas que 
cinq mille hommes , tant des compagnies 
que de mes Bretons , et tu sauras que la 
fleur de la chevalerie se trouve dans l'ar- 
mée anglaise. Celui qui la commande est 
un grand capitaine, Robert ; oui, le prinoce 
de Galles est un grand capitaine^ ajouta- 
t41 eh secouant la tête d'un air affirnmtif, 
tandis que Robert le regardoit attentive- 
ment , touché de la noble franchise de ce 
héros. — Ainsi 9 mon fils, reprit Dugues* 
•clin^ après avoir réfléchi quelques ins- 
tants y nous ne pouvons répondre que 
de sauver l'honneur ; si Dieu veut sauver 
le reste, tant mieux. Va d'abord trouver 
le Bègue de Vi.'aine et le maréchal d'An?- 
dreghem, et dis-leur de venir boire uuii 
flacon de vin d'Espagne avec moi; car 
nous avons à causer ensemble. /» ■ 

Robert sortit pour exécuter cet ordre, 

.âdnsi que plusieurs autres qiie lui donàà 

Bertrand. L'armée, qui yenoit deqvuitter 



LE KOTICK* %Sj 

Kavarette depuis quelques jours , se 
trouvent alors campée dans des bruyères, 
entre la ville de Najare, où logeoit le roî, 
et la petite rivière de ce nom. Comme it 
traversoit les tentes , pour se rendre au 
quartier du maréchal d'Andreghem , situé 
près de la rivière y il rencontra sire 
Evrard y qui Tarréta en lui adressant la 
parole , ce qui n'étoit jamais arrivé y et fit 
sur Robert une impression toute extraor- 



— «Est-U vrai, lui demanda le comte, 
cpe Ton doive livrer bataille après de« 
main? 

— On le dit , répondit Robert 

— On dit aussi, reprit sire Evrard, que 
le prince de Galles nous remplace à Na- 
varette, oùj il est arrivé avant-hier, en 
sorte que les Anglais sont maintenant eii 
£aice de nous ? 

— ^^ S'ils sont en face 4e nous, répondit 
^bert en riant , afia de mieux cacher le 
trouble involontaire que lui caûsoit cette 



tt5B UÊitwmau 

xeiicoutre ^ nous abrons moins de ciiemilt 
khire {pour les aUer trouyer. 

«-^ J'espère y poursirifit l'éponx de Jti^ 
Êenne ^ que sire Bartrand troilviera bofti 
que mes hommes dWmés et mùif qaoique 
arrivéa a^ec les JEtepagaoIs ^noos novispla» 
cions dans sa bataille (i). 
■ — Sire Bertrand ne ^eatjamnsttoinrei^ 
que des braves ment de trop ^ répliqoa 
le jeune écuyèr* - 

— Aucun de nous , j'en réponds^ ii'é^ 
pargnera les A^glfâ^^, dit sire Etrard avec 
un sourire féroce. Pou^ miji^ compte^ 
j'attends cette journée depuis long-t^œp^ 
Fasse le ciel^ fasse le ciel! cbt-il le visage 
en feu , que mon glaive rencontre la poi- 
trine du prince ae èalfe*^'. . 

— Je nepùis sôutiauëf '][a ihôrl d'un 
liéroâ , dit Robert: tè'prlncé de Gàttès est 
lé dernier des Àrfgîkfs'qîïe je>ôùlUsse Vdîr: 
succomber. 

. 4^ A vou^ pWEttià ,"]?ë^Ht feèemté tftin 



I.E HOVICE. a 59 

aU* dédaigneip:. Dix ans de haine m'ont 
disposé tout autrement; moi, et la vue la 
pWs douce à mes veux seroit celle de son 
cadavre. Mais laissons cela, continua-t-il y 
^'efforçant de prendre un ton plus calme. 
4Jlez-vous rejoindre sire Bertrand ? 

I — Non. Je l'ai laissé dans Najare. 

-rr- Je we vous retiens donc pas davan- 
tage ^ reprit-il; et saluant froidement le 
jjeune écuyer , il s'éloigna. 
: -^ Que cet homme. paroU haineux! se 
dit Robert en le regardant aller. Que ses 
passions sont violentes ! Je ne suis pas 
surpris de l'effroi qu'il inspire à cet ange 
je douceur, de bonté! Mais comment 
ft;t-elle pu l'aimer jamais? Eatièrement 
ramené au souvenir de Julienne, il auroit 
oublié et la bataille que l'on devoit livrer, 
et les ordres dont il étoit porteur, s'il 
n'eût été arraché à ses réflexions par un 
grand nombre cTe ses compagnons d'ar- 
mes qui s'empressoîent de l'aborder pour 
savoir des nouvelles. Le bruit de la réso- 
ution qui venoit d'être prise dans le coni 



u6o LE WOVICE. 

seîl s'étoît répandu ; tous les esprits en 
étoîent occupés. On prétendoit qu'il s*o- 
péroit déjà quelques mouvements de 
troupes à droite et à gauche du camp ^ et 
Fon voyoît porter des ordres de tous cô- 
tés. Robert, repoussant aussitôt une pen- 
sée trop chère , voulut n'être plus qu'à ses 
devoirs. Pendant cette journée et la sui- 
vante il ne descendit de cheval que pour 
quelques instants. Sans cesse à la suite de- 
son maître, ou porteur de ses ordres, il 
se montra aussi exact que diligent. Il re« 
çut la récompense de ce zèle , lorsque le 
soir Duguesclin lui dit : — - Maintenant, 
mon fils , va prendre du repos , et demain 
tiens-toi t^^jours fort près de moi, pen- 
.dant que nous nous battrons. 



CHAPITRE XII. 



La courtier reteau par un frein iinpu.ifsant , 
Sur 8C8 genoux plies , s*arrêle en frémissant , 
La fondre dorl encore , «t sur la foule immente , < ' 
Plane avec la terreur un lugubre silence : 
On D*entend que le bruit de cent mille toldaU 
Marchaot comme un seul bomme an-devant do trépas. 

Là Maitivi. 



Il étoit convenu que dans la nuit qui 
précédoit la bataille chacun devoit se 
i&ettre sur pied au premier son de 
trompette^ s'armer au second • et monter 
i cheyal au troisième pour aller se ran- 



a64 UK KOVICE. 

prends ce paquet, je te le demande en 
grâoe; j'ai touIu simplement tout pré- 
Toir ; mais j'ai le pressentiment que nous 
souperons gaîment ce soir à Navarette. 

— A la bonne heu ré , répondit George 
en mettant' le paquet dans son sein , je 
veux bien me charger de ces lettres pour 
TOUS contenter; mais^par saint Jacques! 
je ne les remettrai qu*à vous ou au diable. 

Dans ce moment le premier son de 
tronapette se fit entendre. — Voilà mi- 
nuit, dit Robert. Donne-moi un verre de 
ce vin et buvons tous les deux à Julienne. 

— A la bonne et belle dame donc , répli- 
qua George en remplissant son verre 
après avoir rempli celui de son maître. 

— A Julienne, reprit Robert j ce nom 
chéri protégera nos armes. Maintenant 
prépare nos chevaux ; pour moi je passe 
chez sire Bertrand; car je i^Uis sûr qu'il 
n'a pas attendu le signal pour sortir de 
son lit. 

Duguesclin en effet étoit sur pied de-' 
puis long-temps, et se faisoit ators lacer 



us, woviCE. a65 

ses brassards. Robert remarqua qu'il étoit 
fort rêveur , et qu il ne prenoit auaine 
part à la bruyante conversation établie 
entre le méréchal d*Andreghem , le Bègue 
de Vilaine et les autres chevaliers qui 
Tentouroîent. 

Ayant levé les yeux sur Robert qui 
venoit de s'approcher : — Quel jour 
avons-nous aujourd'hui? lui demanda- 
t-il 

— Le trois avril, répondît le jeune 
écnyer. 

— Mauvais jourl reprit Duguesclîn en 
secouant la tête, un de ceux où Tiphaine 
râ'adit de ne point guerroyer si je vou- 
lois éviter les mésaventures. 

Robert sourit. 

•—J'ai long-temps comme toi traité 
tout cela de vision, poursuivit le grand 
capitaine. Je souriois aussi des prédic- 
tions de ma femme ; mais je n'en ai pas 
nioins été fait prisonnier le jour de la 
bataille d'Aurai, qu'elle m'avoit marqtié 
comme un de mes jours malheureux, 
m. 1 2 

I 



-^ J'espère , dit Robert , que la bataille 
qui va se livrer fera mentir le pronostic. 

^Je Tespère aussi; mais j'aimeroi$ 
mieux que nous eussions un autre quan- 
tième du moxs^ 

Le second son de la trompette s'étant 
alors fait entendre^ -^ Savez-vous, dit 
Bertrand en s'adressant à tous ceux qu£ 
Tentouroient , que tout sq passe dans 
l'armée anglaise comme ici? J'ai su par un 
d^ 003 coureurs que les méoies ordres y 
sont donnés. Ceci fit tourner la conversa- 
sation sur les capitaines anglais à qui l'on 
alloit avoir affaira. Le duc dq Laucastre, 
frère du prince de Galles, Çhandos^ le 

captalde Buch et touslesautres furent paj5- 
ses en revue, et leur talent pour la guerre 
plus ou q^iii^L vsMEXté. ^u^saqg-froid , à la 
franche gaUéqui régnoient dans cet entr^ 
tien 5 on n'eût j^àmais pu croire quei le^ 
lK>mmes qi|i caof^^nt ainsi alloient dans 
qjuielquesminute&marqher sur le champ de 
bataille > où il étoit vraisemblable qtfan 
^rand nqmbre d'entre eux Testerol^iiJ;. 



LB irOYICE. «167 

Telleest la forcedef habitude, mémequand 
il s'agit des plus grands dangers^ que pas 
ma de ces guerriers ne songeoîtàla mort* 
Enfin ils descendirent tous dans la cour, 
et la trompette ayant résonné pourlatroi- 
sième fois , en une minute tout le monde 
fot à cheval et l'on partit 

L'aube du jour cpmmençoit à paroître; 
après avoir passé la petite rivière de !Na- 
^jare^ toutes les troupes se déployèrent 
idaas la plaine et s'y rangèi ent en bataille* 
Le corps d'armée commandé par Du- 
guesclin, et composé de toutes les compa- 
gnies et des Ârragonnais^ se plaça au 
centre , ayant à sa gauche un second 
corps sous les ordres de don Tello , frère 
de* Ben ri 9 et à sa droite un troisième 
beaiioaup plus considérabic qoe dirigeoit 
le coi lui> même. 

Dès que Ton fut placé en ordre sous 
ieadifSérentes banni ères, Henri parcourut 
tou^ les tangs , encourageant les trou- 
Ifss'y exhortant Les- seigneurs à maintenir 
iur saîtête la. comxMBtoe ffWils lui «volent 



i68 LE JfOVTCE. 

' donnée. Tous répondant par les plus vî- 

; ves acclamations d'amour et de dévoue* 

ment 9 Henri , pfein de joie et d'espérance, 

ne voulut pas laisser refroidir un si beau 

• .zèle, et donna l'ordre démarcher aussitôt 

r en avant. Le soleil étoit levé alors, et c'é- 

toit un magnifique spectacle que cette 

prodigieuse quantité dhommes s'avan- 

çant en ordre , serrés de façon que pas un 

ne dépassoit l'autre; que ces brillantes, 

, armures qui présentoient l'aspect d'un 

' mur d'acier , et ces riches bannières que 

lèvent du matin faisoit flotter de tocs 

côtés. 

^- On avoit fait très-peu de chemin vers 
Navarette lorsque l'on s'arrêta à la vue de 
j toute l'armée anglaise rangée en ordre de 
bataille devant les murs de cette Tille, 
Aussitôt un bruit semblable à celui du 
tonnerre se fit jen tendre. Les .Espagnols 
crioient: — Ca^iille au roi Henril et la 
- troupe du princeî de Galles :-urSami Geor^ 
ge Gi(7'e72/2e/ Le^' deux; lignes^s'éb raclè- 
rent à l'instaût, ette combat le plus ter* 



Ll WOVICE. 269 

riblc s'engagea sur plusieurs points à la 
/bis. Ceux des Espagnols qui étoient ar- 
gués de frondes dont ils se servoient très* 
iaiabilement, commencèrent à lancer ure 
rêlede pierres sur les Anglais qui, n'é- 
aut point accoutumés à ce genre datta- 
c, en furent d'abord im peu décon- 
^certés, mais n'en rispostèrent pas moins 
;^ar une nuée de flèches qui parvint bien- 
'^tà éclaircîr les premiers rangs espa- 
gnols. Henri suivi des siens s'étôit préci- 
pité sur le corps de l'armée qui lui faisoit 
fece, tandis que le duc de Lancaslre et 
Chandos, qui a voient osé avec leur avant- 
gnrde attaquer le centre, où se trouvoit 
Duguesclin , étoient repoussésde manierai 
à les dégoûter de leur entreprise. Le cap- 
tai de Buch, qui s'en aperçut et qui recon- 
nut Bertrand et ses Bretons, défendit à sa 
troupe de s'attaquer à ces gens-là que rien 
ne pourroit entamer, et commanda de fon- 
dre sur l'aile gauche où l'on auroit meilleur 
marché de don Tello et de son monde. 
Bientôt la mêlée devint telle que chacun 



tk'ja LE NOVICE. 

— Par mon chef! cet Evrard est un des 
plus braves champions que j'aie vus ! 

Sur les points où se trouvoit Bertrand 
et les siens la victoire paroissoit assurée. 
Quand tout à coup on en tendit crier de tou- 
tes parts : L'aile gauche plie! l'aile gauche 
plie !.— Oh ! les lâches , s'écrie Duguesclin, 
qu'ont-ils fait de leur jactance ? Il tournoît 
son cheval pour se porter de ce côté; 
mais il n'éloît plus temps : déjà les Espa- 
gnols s'enfuyoientà bride abattue, pour- 
suivis l'épée dans les reins parles Anglais. 
— Ferme ici ! ferme ! cria Cuguesclin j nous 
allons être pris en flanc. En effet, plus 
de trois mille hommes, commandés par le 
prince de Galles , tombèrent tout à coup 
sur le centre, où le combat devint époa* 
vantabîe. 

Une grande partie des Espagnols au 
milieu desquels se trouvoit Henri, voyant 
fuir les leurs, commencèrent aussi & 
lâcher pied. Le prince au désespoir 
çrioit : Mes amis, que faites-vous ? Voulez* 
vous trahir et livrer votre roi? Ralliez-^ 



LE NOVICE. Sk'j'i 

vousi ralliez-vous! la journée est à nous. 
Trois fois il parvint à leur rendre le 
courage, trois fois il les ramena contre 
Vennemi ; mais enfin aucun discours ne 
put arrêter des gens à qui la terreur 
sembloît avoir donné des ailes. Les uns 
fuj oient vers Najare, poursuivis de si près 
parles Anglais que ceux-<:i entrèrent dans 
la ville avec eux; d'autres couroient 
du côté de l'Ebre et se précipitoient dans 
Teau, où le fer de l'ennemi les alteîgnoît 
ôncore et rougîssoit les flots de leur sang. 
Le corps de réserve, la dernière ressource 
du malheureux Henri, saisi du même 
effroi, prit à bride abattue le chemin d'un 
bois, dans le fond duquel il se bâta de se 
cacher. 

. I * 

Enfin cette formidable armée se dis- 
persa^s'anéantit en un clin-d'oeil , et dispa- 
rut pour ainsi dire au coup de baguetlede 
h peur. 

Cnguesclin, témoin d'un pareil désastre, 
vola à la recherche de Henri pour le ti- 
rer du danger. Il a^rçut ce malheureux 



a74 ^* NOVICE. 

prince qui se battoît encore comme ûh 
lion , entouré du peu de troupes qui lui 
étoient restées fidèles. Il se fait jour afeb 
son glaive à travers une foule d'ennemis , 
joint le roi , prend son cheval par la brîcb 
et le tire de la mêlée en lui disant : Tout 
est perdu, sauvez-vous au plus tôt. 

— Me sauver ! me sauver ! dît Henri 
qui paroîssoit n'avoir "plus la tête à lui , 
tant le désespoir Faccabloit. 

—'Il le faut, attendez une autre jdUi*- 
née ; c'est toujours quelque chose cjue dfe 
gagner du temps. Partez, tandis que notts 
allons continuer à soutenir ici de notre 
mieux. 

— Ahl Bertrand, Mît l'infortuné prince; 
ma perte entraîne donc la vôtre? Mal- 
heureux que je suis ! 

—Ne vous mettez pas en peine de moi* 
Partez, que je neVousvoiepastoinberdanis 
les mains de Pierre, de ce renégat que le 
ciel confonde! 

Henri lui serra la main et prit un autre 
clieval; maïs, forcé d'abandonner le champ 



m 



LE WOVICE. 275' 

de bataille, il voulut au moins le quitter 
en héros. Un gros escadron cVAnglais se- 
trouvoit devant lui : il se jeta tout au mi- 
lieu comme un enragé , frappaut d'estoc* 
et de taille ; à droite et à gauche, tuant,. 
Renversant tout ce qu'il rencontroit, et 
ftrt assez heureux, lui quatrième, pour 
s'ouvrir le passage de l'autre côté de l'ar-^ 
mée anglaise. Bertrand , qui ne le perdoit 
pas de vue, regarda Le Bègue de Vilaine 
CtBiobert. —Par Roland ! dit^lyîlméritoit 
^ couronne. Puis, levant les yeux au ciel ,l 
iï se rejeta dans la mêlée. 

Le départ de Henri acheva de découra- 
ger ceux des Espagnols qui avoienttena 
^HOi jusque là. La plus grande partie lâ- 
^ha pied dans la crainte surtout de tom* 
l^er au pouvoir de Pierre. Duguesclin, s'a- 
^>ercevant de cette seconde défection ^ 
^>rdonna à Robert de courir après eux et 
^e faire tous ses efforts pour les rallier, 
'*— 3?rie-les, presse-les, donne leur de ton 
sabre dans le dos, lui dit- il. Robert par- 
tit'àllnstant, suivi seulement de George, 



ajÔ LE WOVICE. 

qui, pendant tout le combat, ne Favoit 
pas plus quitté que son ombre. Quoiqu'il 
eût mis son cheval au galop, il lui fut 
impossible de joindre les fuyards, tant les' 
instances qu'il leur faisoit de loin sem« 
bloient ajouter encore à leur vélocité. Las 
de les poursuivre, Robert revenoit sur le 
champ de bataille , lorsqu'il s'entendit ap. 
peler par son nom. Il se retourna et vit 
un de ses malheureux compagnons d'ar- 
mes blessé et gisant sur la terre, qui le 
conjuroit de s'arrêter. Robert et George 
s'approcb€rentdeIui....Cctoitsire Evrard. 
—J'ai peu d'instant à vivre, dit-il au jeune 
écuyer. Si vous avez quelque pitié dans 
l'âme, faites que je dise un mot à sire 
Bertrand. 

— Je vais le chercher, répondit Robert 
dans le plus grand saisissement; et pla- 
quant des deux aussitôt, il rejoint Dur 
guesclin, luiditque sire Evrard, mourant, 
est à peu de distance, et le supplie de l'en- 
tendre un instant. 

— Mourant ! répondit Bertrand. Je n'e<i 



LE wovicE. a 77 

suis pas surpris. Mène-moi à ce brave 
homme. 

— Ah! sire Bertrand , s'écria Evrard 
dès qu'il aperçut Duguesclin ; la journée 
est donc aux Anglais ? 
• — Nos gens tiennent encore , répondît 

Bertrand qui ne pouvoit lui donner d'au- . 
tre consolation. 

— Ainsi le prince de Galles remj3orte! 
Une grâce donc, une grâce, sire Ber- 
trand , poiu'suivit-il en s'efforçant[de se 
soulever sur celui de ses bras qui n'étoit 
pas blessé , quoique le sang qui s'étoit fait 
passage c^slàt de tous côtés sur son 
armure. 

—Parle, mon brave, répondit Dngues- 
din qui descendit de cheval pour le 
^mx entendre. 

• — J'espère avoir fait mon devoir? 

—' Plus que ton devoir, mon digne 
camarade. 

— Ehbien ! vous pouvez me payer mon 
sj^ng, vous pouvez m'adbucir la moYl qui 
^€ tardera pas à fermer mes yeux. 



3.78 Ub IfOVICE. 

n-* Sur mon âme ! je le veuit,. s'écjâe 
Duguesclin. 

— La. reine va quitter Burgos et lacme 
.la Castille sans doute ^ reprit ftirf£vrard 
en faisant les plus grandsr^ffont&pourv- 
ticuler des sons qui finirent par devenir 
inintelligibles. Promettez-moi de^protégéir, 
^e sauver ma femme , ma loliena^. IBsh 
iroyez quelqu'un de sûr;...al en est temps 
«ncore— Qu'elle parle;... que... 

— Je le jure , dit Bertrand en saisissant 
sa main glacée]; meurs conteni:. 

Evrard rouvrit les yeux un instant ^ les 
porta sur Duguesclin, prononça le nom 
de Julienne, et sa tête retomba sur h 
poussière. 

_ Il est mort, dit Bertrand, mais^par 
le nom de ma mère! je lui tiendrai œapfl' 
rôle. Alors, comme il regardait autour de 
lui pour voir s'il apercevoit un de tses-ser- 
viteurs, il remarqua George, qpi.se tenoit 
près de son maîtreu -^ Para à l'insrtantpour 
Burgos , toi , lui dit-il , prends-y la damQife* 
lienne et conduis rla de ma partà I^^mofi 



LE NOVICE. a 79 

4j5 France. Pour qu'à Paris on ne doute 
pas de ton di^; montre à la reine cettp 
chaîne qu'elle a mise elle-même à mon 
cou après le siège de Montereau. En ache- 
vant ces mots il donna la chaîne au chas- 
seur,, remonta à cheval et partît comme 
un trait. George restoit immobile sans 
(jfjL'û fût possible de deviner s*îl suivroit 
ou non Tordre qu'il venoit de recevoir. 
Mais Robert , qui n'avoit pas de temps à 
perdre , le regardant d'un air égaré : — Si 
tune pars à l'instant pour Burgos,lui dit- 
il, si tu ne vas pas sauver une vie qui m'est 
cent fois plus précieuse que la mienne, 
^ue vie que je ne puis aller sauver moi- 
niime , je laisse mon sabre ici , et je vais 
de ce pas me jeter au milieu des Anglais* 

-^ Je pars ! je pars ! dit George effrayé 
de cette terrible menace, et de l'état d'é- 
|[arement où il voyoit son maître. 
. -^ A l'instant? reprit Robert. 

-w- A l'instant. Vous nous retrouverez k 
BWfs^^ reprit le chasseur en piquant des 



a8o LE WOVICE. 

— Que le ciel te protège! mon cher 
George , lui cria Robert, c^deux minu^ 
tes après avoit rejoint Duguesclin au fort 
de la mêlée. 

Ce qui restoit des compagnies et des Bre- 
tons faisoit toujours bonne contenance , et 
ne cédoit pas un pouce de terrain. Le peu 
d'Espagnols qui n'avoient pas lâché pied 
s'étoient réfugiés derrière eux pour en être 
couverts. Celte brave cavalerie, où Ton ne 
comptoit déjà plus que douze ou treize 
cents hommes, soutenoit encore l'effort 
de tout une armée. Partout les Anglais 
se battoient dix contre un , et partout ils 
étoient repoussés. Le cri de ralliement 
de la valeureuse troupe étoit : G'uescfiïi? 
Guesclin ! mais tout ordre avoiti cessé 
d'exister, chacun se battoit pour son 
compte, se signalant par les plus grands 
faits d'armes. Là Le Bègue de Vilaine ^ 
Gauvain Bailleul et L'Allemand de S;iint- 
Venant se défendoient seuls contre Une 
division entière; ici le maréchal d^Andhe- 
ghem,se servant de son sabre d'une mam^ 



LB iroviGE. a8» 

arrachoit de TauCreune bannière anglaise 
à celui qiii la portpit, etlafouloit aux pieds ^ 

dansrexcèsdesarage.Bertrands'étoitarmé 
d'une hache, et n'en portoit pas un coup 
qui n abattît un Anglais; croyant pouvoir 
espérer un prodige , il ne cessoit d'encou- 
rager«on monde, soit par quelques mots 
énergiques , soit en renversant plus d'en- 
nemis à lui seul que n'auroit pu le faire 
tout un escadron. Le cheval de Robert 
tomba mort sous lui : — Prends celui-ci , 
lui dit-il en jetant par terre, d'un coup 
de sa hache, le chevalier qui le montoih, 
ftlais Robert pour le moment avoit tout 
autre cho^e à faire qu'à profiter de cet 
offre : séparé tout à coup de Duguesclin . 
par un gros d'ennemis , jamais de la jour- 
née il ne s'étoit trouvé en plus grand dan- 
ger, et frappoit d'estoc et de taille pour 
p^i: venir à se dégager. Tous ses coups por- 
toieqt ; bientôt il se fit pour ainsi di|re im ^ 
reippart de ceux qi^'^l ^battoit autour d.e. 
lui.. Les Anglais, admirant sa valeur ^ lui: 
crioient de se rendre, (|a'il lui éioît ini'; 



la* 



possible de résister <; maïs nt €êâ kivltà^ 
tionS| ni l'excès de la fatigue qu'il côku^ 
mençoit à ressentir y stsr tout depuis qu^É- 
était à pied , ne purent rallentir sa "ftiriè* 
Son courage lui tenant lieu âe force, It- 
continuait à se défendre comme uâ lioiir^ 
jusqu'à ce que le secours de qu€flques-4iâi ^ 
des siens Taidàt à se tirer éntièremËffit êé^ 
presse. 

Il en étoft à peine dehors, <pi'il vit toiat^ 
ber à quelques pas de lui cehii fles taré- 
.venus qu'il avoit connu lé p^emier^ ïé^ 
pauvi^ Thomas Walter quHm coup dfr' 
lance venoit de renverser. Lé Flamaîadf 
avant d'èxpiret», fit pltisieuirs signes de 
croix j, terttiinàTtt^ittsi «ne vîe piàssé^ dani 
le désordre et le cîarnftgè. 

La voe de TbôtimsWsrfter reporta i*^ 
pî^rti^ rntragîîrfatî^ 'de feobêfl^àdV*^ 
três^fe!Tips. Ëlte liii rà{>pela Yàtibsifi et 
les >pâimi>l^' je^t^i pàà^s^ près de- Stfti'' 
Av^'tëïSé) ilifiîà' ôft pëM^A^e qtiè £(^0(^1 
pê¥iséë^fttriïn êblair;i»i^'fl xe^àSi pas lifori^* 
en po^ticm ^lé i>él^cUr^l«ï%^â^ 

r 

te 



La vaillante Woàpe Aihhiuoît k vue 
d'oeil y tnàis ce qui restoit encore se bat- 
toh toujours avec la même fureur; car 
Bertratid leur cHoh de ne point se déseâ- 
p&er dû succès de la journée. Enfin 11? 
prince deGalle^ , las de Voir assommer son 
itiôndepar mie poignée d'hommes , fit un 
dernier «fFort pour les envdfopper et le» 
obliger à se rendre. En une minute , ils 
se virent cernés de toutes parts sans ces- 
ser de disputer la victoire à la multitude 
qui les entouroit. Le prince de Galles et 
les autres capitaines anglais leur crioient 
à tue-tête: Rendez-vous^ rendez-vous ^ 
on aura pour vous les égards que Von 
doit à de si braves gens ! Une voix s'éle- 
iVoit par-dessus toutes les autres voix, 
Cetoit celle de Hugh Calverley : — Rends- 
toi, Bertrand , crioit-il , rends-toi , mon 
brave Bertrand ! Duguesclin , couvert de 
sang, de poussière, hors d'état de soule- 
ver encore son bras pour frapper un der- 
îûer coup , regarde autour de lui , voit 
presque tous les siens par terre, une ar* 



ft84 u; voYicE» 

ipée entière au nilieu de Laquelle il { 
trouve enfermé; il pousse un profond so 
pir , élève la voix et dit : Je me rends i 
prince de Galles. Â ces mots tous cei 
qui Tentouroient baissent leur glaive* • 
A moi, à flaoi, mon fils, pour t'épargn 
une rançon, s'écrie Hugh Calverley i 
saisissant le sabre de Robert, qui, à dei 
mort de fatigue, tombe dans les bras c 
bon Anglais. 



nif pu TROISIÈME VOLUME. 



M ^mim 



•■ 1 



** 



.,? 



PARIS, IMPflMEItlBDI COSSON 
me Saiut-Geinain-dcs>Prà, B* g. 



LE NOVICE, 



0^m- Je- là (B, 



aawr. 



Trop pea d« temps ! dans la plut doue* chose 
Il fut hsureux. 

Dtrcit. 



DEUXIEME ÉDITION. 



TOME QUATRIÈME. 



PARIS , 



rov&inx& jBuiiB y LTiiBAimi y 

AUC Dl SEZKBy S* 14. 

i83o. 



M K07]t€l» 



EOMA» 



DU QUATORZIÈME SIÈCLE 



CHAPITRE PREMIER. 



Et je liair tous les hommes ; 
Les uns , parce qu'ils sont mâchants et malfaisaDls. 
£t les autres , pour être aux méchants complaisants, 
El n'avoir pas pour eux Irs huines Tigoureusrs. 
Que doit donner le?ice aux âmes Tortueuses. 

HoLlèftE. 



HÉLivicè sur le champ de bataille même, 
Robert étoit libre. Il pouvoit à Tinstanl; 
partir pour Burgos, voler lui-même &a 
secours de Julienne ; mais Thonneur lui 
disoit que sa plus forte chaîne n'étoit pas 
brisée. Abandonneroit-il dans les fers son 
maître ^ son protecteur ; le héros qui ve- 
Boit de rendre son glaive ? L'élève de dom 

IV. I 



a LE NOVICE. 

Ambroise déliwa son avenir du remords 
d'avoir 'pu délibérer un moment. À peine 
eut-il remercié Calverley de la liberté qui 
lui étoit rendue, que, détournant les yeur, 
en pou6«euit un profond soupir^ tju cbe- 
min qui cqnduisoit à la capitale de la Cas* 
til!e, il prit rapidementjpelui de Navarette, 
où les Anglais rentroient alors, et condui- 
soient leurs nombreux prisonadisrs. Il fut 
im temps extraordinaire avant de pou- 
voir pénétrer dans la ville. Non-seulement 
la route et les portes étoient énx)ombrées 
pat la foule âts vainqueurs et des vain- 
eus, mais tous ceux de ses malheureux 
compagnons d'armes qu'il rencontroiti 
marchant tristement près d'un chevalier 
anglais, l'ar^rétoient à idiaque ^as posar 
s^nformer de ce qu'étoit cdeîvehu Dti^ue»* 
€lm. — Ëst«â vrai qu'il «oit t>le8sé? diMiC 
V^xi^* '*^ Ije pi^inoe tle 6attes estdjiieD cafia» 
Idiede^^iiregarderpTlimnyclboit Tauin^ 
oar mi^ux vaut pour l'Angletet^e teum 
Bug^uesdin «^le tefluîr mie fi^avi&ce. &»«• 
bQLtiH^oiiâioiît'bnièv0Ki€i»t àlbus y:q& £$»' 



«n ffovics. 3 

cours y ^esisé, cponilie il Fétoit lui*méme, 

nde s'instruire du sort de celui auquel il 

laMnrifioît pesatHêtt^ tout le bonheur de sa 

fise. EAifin pins de quatre heures s'étôienC 

:ëcacmiées dèpuia l'instant où il avait quitté 

•le champ de bataiUe^ lorsqu'il parvint à 

•èav^r qu'il trouveroit Bertrand chez 

Chandosy à qui le prince de Galles en 

* mtfmt confié la garde. 

S'étant fait indiquer cette demeure , il 
s'y rendit aussitôt. La maison étoit rem- 
plie du haut en bas de chevaliers , d'ar- 
acfacrs de l'armée anglaise , dont la joie , 
les cris et les chants contrastoient si fort 
'ssvrec la situation du grand homme qu'on 
"wetiok d'y renfermer , que le co&ur de Ro- 
ftert se serra douloureusement. Arrivé à 
'la porte d'-une chambre, dans laquelle on 
lui dit qu'il trouveroît son maître ^ il re- 
marqua /qu'on n'y avoit point placé de 
MnlineHe, 

— Grâces soient t^endues à Dieu ! pensa 
Itofberty ik nefantpas mis en prison. 
***• Mé^nseîgiiear y cest «km, dit-H en 



4 XE NOVICl. 

frappant doucement à la porte; et il entra; 
Dans un mauvais taudis>'OÙ sé'trou* 
voient à peine quelques meubles, i^apra^- 
çut le brave , les deux coudes appuyés sur 
une table y et sa tête cachée entre sés.deiii: 
mains. Â la voix de son jeune écuyer^ Da« 
guesclin quitta cette position, et lui sourit 
avec amitié. — C'est tôii mon enfanrty^liii 
dît-il; voilà la première joie que j'éprouve 
depuis Tinstant où ces couards ont* lâché 
pied. . . ; 

— La gloire de la journée est à' voù^, 
monseigneur , répondit Robert ; lé prince 
de Galles lui-même en convient. 

— Lui peut-être , répliqua Duguesclin; 
il s'y connoit. Mais le monde, Robert, le 
monde voit toujours le meilleur joueur 
dans celui qui gagne la partie, et nous 
avons perdu la nôtre d'une rude façon. 

— Que faire , que faire , dit le jeune 
écuyer en rougissant de colère, quaud 
toute une armée vous abandonne ? 

— Je te l'avois bien dit, que j'aimcrois 
autant marchera la tête d'une troupe de 



LE NOVICE. 5 

lièvres qu'à la tête de ces gens-là. Que la 
peur puisse les étouffer tous ! continua-t-il 
en marchant à grands pas dans la cham- 
bre; ce dom Tello surtout, le frère, le 
propre frère de notre pauvre Henri!.... 
Mais laissons cela , autrement on pourroit 
i>ien étouffer soi-même. Dis -moi , en quel 
les:mains es*tu tombé ? 

-^ Dans les mains de Hugh Cal verley , 
çpûnl'a délivré aussitôt sans rançon. 

— Tant mieux , car il est possible que 
^Qtts.peu de temps j'aie besoin de disposer 
^^toi. Je n'espère pas sortir d'ici, tu sens 
3bieiiy'sans financer largement. 

'i 9^. Qu'à cela ne tienne, dit Robert; le 
^^[iQmt'est que vous sortiez. 

■.r-Sans doute , reprit Bertrand d'un air 

«soucieux, mais ce poiiït-là ne m'est pas 

^ocore.bien dair. Ces derniers mots, qui 

Tavissoient à Robert toute espérance de 

pouyoir bientôt voler tt Paris, lui firent 

éprouver une douleur poignante. Mais on 

puise tant de force dans lés sentiments 

généreux, qu'il parvint à dissimuler sa 



6' LB HOVICE, 

p€fine. Quoi! répondU4l cTone voix légè- 
rement émue y le prince de Galles peut-if 
faire autre chose que vous rançonner? 

— Il pourra tout ce qu'il voudra^ rc^ 
prit Bertrand 9 car enfin je suis son pri». 
sonnier. Du reste y je ne connois encore 
rien de ses intentions , et je m'épou.vante 
peut-être à tort de quelques iznots qui sont 
échappés à Chando^ . : «. , 

— Ce Cbandos ^ mVt^oii dit^ est in^ 
loyal chevalier. i 

— Il se conduit comme tel avec mcà ^^. 
répliqua Duguésdin>. puisquHl'ne mè&it^ 
pas garder, prisoo^ Mais il a voulu imâi 
parole de ne point' ehevdier à xn'étaâer 
sans le congé du prince de /Galles* Par Otx' 
mort deDieul il est maintenant aussi tran» 
quille que s'il' me tesoât au cadiptj . 

.:^~ Ainsi VOUS: vibrez librement au aii«^ 
lieu des Anglais* : 

: h^Libfement^tf tuveuti^répoinditDiifri^ 
giuesclin, dauf.pourtant à né point m'éloi^ 
gner de la persbnne du prince do 6alles# 

: ~ Du prince de Galles ! s'écria Robert 



1.K ïKIVMfi. 7 

s'efforçant de cacher la joyeuse révolution 
que ce nom venoit cFopérer en lui. Nous 
suivrons le prince de Galles ! Nous allons 
donc retourner à Burgos. 

— Selon toute apparence, le chemin est 
libre mafrîtenant , à moins , continua Ber» 
trand qui ne put s'empêcher de rire mal- 
gré son humeur, à moinsquedom Tello ne 
se soit embusqué sur la route avec ses bra- 
,Tes, pour défendre l'entrée de la ca(ntale. 

Le jeune écuyer rit aussi , de meilleur 
cœur peut-être : car l'idée d'aller à Bur- 
gos avoit ramené l'espoir et la paix dans 
son âme. Privé du bonheur de suivre Ju- 
lienne^ il sauroit là du moins en quels 
lieux elle avoit porté ses pas. Robert éprou- 
voit la joie qu'éprouve un condamné dont 
on vient de commuer la peine. 

•-- Après tout, dit Bertrand, qui peu à 
peu retrouvoit sa gaieté habituelle, il 
faut prendre son parti de tout dans ce 
inonde. Tant de braves gens sont morts 
aujourd'hui qu'on doit remercier Dieu 
d'être encore sur ses jambes, voire même 



/ 



8 LE NOVICE. 

SOUS la garde de messire Chandos. Ce 
m'est aussi une grande consolation de pen- 
ser que tu ne me quittes pas , ajouta-t-il 
en tendant la main au jeune homme. 

— ^Jamais ! jamais ! dit Robert, qui dans 
le jour même venoit de sacrifiera ce de- 
voir beaucoup plus que sa vie. 

Les égards que tous les chevaliers anglais 
témoignoient à leurs valeureux prison- 
nier , Tamitié du brave Calverley adoucis* 
soient autant qu'il étoit possible de le faire, 
lasituationdeDuguesclin.AlalibertéprèS) 
il jouissoit de tous les agréments, détour 
leshonneursdela vie; néanmoins, comme 
il le dit plus d'une fois à son jeune écuyer: 
— Heureux! trop heureux celui qui ne 
mange que du pain noir, mais qui peut 
courir les champs. 

On resta peu de temps à Navarette; il 
tardoit au prince de Galles de conduire 
en triomphe dans sa capitale celui qu'il 
venoit de placer sur le trône. Peu de jours 
après la bataille on se mit en route pour 
Burgos. Tous les genoux se plioient, tou- 



LE HOVICE. 9 

tes les têtes se courboient sur le chemin. 
Une seule journée avoit fait rentrer les 
deux Ckistiiles sous le joug de Pierre-le- 
Cruel. La terreur se cachoit sous les dé- 
monstration» du respect y de Tamour ; le 
tyran, qui reprenoit sa couronne se voyoit 
reçu dans les différentes villes, comme 
Tauroit été le meilleur des rois. A Burgos, 
où peut-éire les craintes étoient plus vi* 
yes^ la lâcheté alla plus loin. Les mêmes 
hommes qui venoiept de crier naguère 
Vive Henri! crioient plus haut que d'au- 
tres, Vive dom Pèdre ! Le peuple se pres- 
soit dans les rues pour contempler le mons- 
tre qu'il avoit chassé deux ihois avant ; 
les grands s'empressoient de venir s'in- 
diner devant lui. De tous côtés des ac- 
cents joyeux se faisoient entendre aux 
oreilles de celui dont les imprécations gé- 
nérales avoient accompagné le départ. 
Duguesclin entrant aussi dans la ville à la 
suite de Pierre et du prince de Galles, Ro- 
bert croyoit rêver, il rougissoit pour ses 
semblables , et jetant sur cette foule des 



|0 LX irÔVIGE. 

regards d'indignation : PeuNon Toîr tout 
mx peuple aussi lâche! dit-i( à Bertrand; 
- -HSela se passe tatijours ainsi, répon^t 
Dttguesclin avec ce sonrire tranquîBe ée 
Texpérience. Combien de foift dans notre 
Bretagne, les mêmes gens n'ont-ilspas crié 
tour à tour Vive Jean de Montfort ! Vive 
Charles de Blois ! Tu en verras bien d'au- 
tres, si tu vis aussi long-temps que mol.' 

^— J'aimerois autant mourir, je crois ^ 
que vivre avec de pareils hommes! répon- 
dit Robert d'un air révolté. 

-*-- Bah ! on s'y fait, répliqua le héro^ 
breton. Malheur atxx vaincus ! c'est l'a- 
dage général. 

Ce spectacle toutefois pôrtoit dan» 
l'âme de Robert une tristesse si grande, 
xm découragement si pénible, qu'il ncf 
put répondre. Julienne! Julienne! se dit-il 
à lui-même, sans toi c'en ^Seroit fait da 
bonheur, sans toi je Iregrètteroîs le cloi* 
tre ! Son premier soin fut donc, dès qtfoii 
fut logé dans la ville , d'aller prendre dei 
informations sur ce qu'étoiént devenues 1* 



LE KOVJCB^ II! 

reine et les personnes q^M'environnoient*^ 
Mais les partisans vraiment dévoués^ da 
malheureux Henri atoientfiii; lesalutre» 
luttoient alors de servilité et d'adulatiou 
aveo les amis de Pierre, pour réparer des 
torts connus ou pour cacher des torts 
ignorés. Les questions importunes dé- 
Aobert étoient éludées promptement par 
tdus ces seigneurs, qu'il connoissoit par** 
ËMtemoBt polar les avoir rencontrés centi 
fois chez le roi Henri et cheji la reine ; 
aucun de ceux auxquels il s-adressoit net 
iVouIoit paroitre instruit die ce qui con- 
cernoit une eour qu'on afifectoit alors d0 
A'avoir point fréquentée. Ënfiik ie novx 
de Henri paroissoit oublié de tous ; grands 
^t petits gardoient un silence absolu , et 
sembloient n'avoir jamais connu ni le 
malheureux prince ni les siens. 

Un soir , que Robert , désespéré de Ti- 
nutilité de ses démarches, passoit devant 
le palais 9 il en vit sortir plusieurs sei- 
gneurs , au milieu desquels il distingua 
doxn Alvar, qui, depuis le jour où Ton 



12 LE NOVICE. 

avoit craint le <li))art des compagnies, 
avoit conservé des relations fréquentes 
et amicales avec lui. Il se hâta de l'appro* 
cher , et fut aussi indigné que surpris 
de voir cet homme détourner la tête et 
presser le pas de son cheval, pour l'éviter.^ 
Robert étoit à pied ; il n'auroit pu le ré— - 
joindre: i! étoit loin d'ailleurs d'en avbir^ 
le désir. Certain d'avoir été recomiu ,. IL 
restoit immobile à la même placje^ «(iaiidk^^ 
sant ces âmes de boue y ina[udissântr 
tous les hommes, lorsqu'un page s*èlp« 
procha de lui, se dit envoyé par dôm 
Alvar, et le pria de vouloir bien 1^ suivre. 
Robert hésita d abord. Devoit-il oublier 
sitôt l'outrage qu*il venoit dé recevoir ? de- 
voit-il conserver des relations que donti 
Alvar sembloit ne point vouloir avouer ? 
Mais il falloit donc renoncer à savoir ce 
qu'étoit devenue Julienne ? personne 
mieux que dom Alvar ne pouvoit l'ins- 
truire du sort de la reine?- Cette i^ée 
triompha bientôt de son ressentiment : de 
quoi n'eût-elle pas triomphé! Il marcha 



Li iroviCE. i3 

s[tir les pas du page, cherchant vainement 
S^ s'expUquer la conduite du maître , qui 
pourtant n'avoit rien que de naturel, 
Lf homme et la circonstance donnés. Dom 
Alvar de tous les courtisans étoit peut- 
être le plus habile, ayant joint le roi 
Senri assez tard pour ne point se fermer 
tout retour auprès du roi Pierre , dans le 
ca^ oùce dernier parviendroit à remon- 
: tçr sur le trône. Il venoit effectivement 
,ie] fsAre assez aisément sa paix. Mais 
.Henri n'étoit point mort, et tout annon- 
çoit, apx yeux d'un sage observateur, 
que, le prince de Galles une fois hors delà 
Castille, son parti ne tarderoit point à 
reprendre le dessus. Dom Alvar vouloit 
donc se ménager les vaincus, satis se 
perdre près du vainqueur, et redoutoit 
autant d'avoir un ennemi dans Técuyer 
de Duguesclin, qu'il avoit craint d'an- 
noncer la moindre liaison avec lui e^ 
* • 

présence des courtisans. 

Le page conduisit Robert dans une rue 
détournée, sur laquelle donnoient les 



i4 t.z nGvi€t. 

derrières de Thôtel de son tnakre. Apre 
.avoir ouvert une petite porte , M fÏÊt^ 
duisit dans un yaste jardin , où dom Alva 
attendoit le jeune éeuyer avec une grandi 
impatience. — Pardonnez-rtoî , lui dît-^ 
dès que te page ks eut laissés seul^, pas 
«donuei-moi , siM écoyer, d'avoir 'feib 
en présence de tant de gens/don(^l 
plupart sont mes ennemis , de ne péii 
vous connoitre. Ma position à la cour'^ 
Pierre est devenue très-difficite, ^t 1 
moindre imprud^<îe pedt me comprc 
mettre el me perdre? aujourd'hui -nou 
iâous Toyons conti'aints di5 maudire too 
hatit ce que nous regrettons tout bas 
Telle est la suite d'une révolution auss 
rapide cfue funeste. 

Robert, surprix de l'impudence -ava 
laquelle ou îui avouoit tant de l^assesses 
fixa de grand yeux étonnés sur celui qe 
venoit deparfer ainsi; puis , souriant tFtn 
air de dédain : — Port Î3ien , ffit4 , fyt 
bien , seigwenr dom Alv^r ; mais que m 
^voulez-ivw»? 



uc novicE. i5 

—Ce que j^evous veux ! reprit dorn AWar ; 
m'infonner du sort du brave Duguesclin, 
de celui du nKiIheureuK Henri. 

— Mon maître, vous ne l'ignorez pas , 
est prisonnier du prince de Galles ; quant 
à votre roi , cloni Alvar , grâces au ciel et 
ison courage^ il est en lieu sûr, jusqu'au 
jouroù il viendra punir tant de lâches qui 
Tout abandonné , tant de traîtres qui tra- 
nissent leurs sermens. 

- "«-^fiest certain , dit dam Alvar sans se 
diionftoerter le moins du monde , il est 
ûirtain que dom Tdio s'est cmiduit d'une 
Olanère indigne, ainsi que sa troupe. C'^est 
lui-même pourtant qui a osé venir apporter 
iciia £Ktale nouvelle de la déroute. Quel 
tkxiit on a passé au palais ! QireUes Ver-^ 
reurs! quel désordre! La reine a fait 
aussitôt les apprêts de son départ..,. 

T-**iEn quel lieu s-est-clle rendue ? dit 
Robert. 



^Â Sarragosse ) où je crainâ bien 



l6 LE ITOVICE. 

qu'elle n'ait pas été fort bien reçue par 
dom Pèdre (i). 

— Elle n'est point partie seule sans 
doute? 

— Avec les trois sœurs du roi et quel* 
ques serviteurs. Elle étoit trop peu sûre 
de la réception qui Tattendôit pour em- 
mener beaucoup de monde. D'ailleurs 
nous préférions rester, dans l'espoir que 
le prince de Galles feroit notre paix avec 
Pierre , ainsi qu'il est arrivé. 

— Pourriez- vous me dire, reprit Ro- 
bert avec un battement de cœur inexpri* 
mable, pourriez-vous me dii^ ce qii'esl 
devenue la jeune comtesse de Clérâc, la 
veuve de sire Evrard ? 

— La veuve! s'écria dom Alvarj sire 
Evrard est-il donc mort ? 



(i) Elle le fut trës-mal en effet , et se vît con- 
trainte de se retirer en France; Charles Y lui prêta. 
pour asile le château de Pertuîs sur les frontière» 
du Roussîllon , et elle y resta jusqu'au jour oii. 
Henri fut rétabli sur le trône. 



LE KO VICK. 17 

^-. Otii, répondit Robert ; mais la corn* 
tesse 9 la comtesse? 

— J'ignore absolument son sort. Beau- 
coup des nôtres ont pris le chemin de 
France ; il est très-vraisemblable qu'elle a 
été du nombre. 

— Fasse le ciel que George soit arrivé à 
temps ! pensa Robert , qui de ce moment 
Tie prêta plus qu'une foible attention aux 
cliscours de dom Alvar. 

' Ce qui importoit le plus au seigneur 
cuistillan , c'étoit d'apprendre si Bertrand 
devèmi libre reprendroit les armes en fa- 
veur de Henri; car sous le sourire joyeux , 
^^'il portoit chaque matin à la cour il 
^:achoit les angoisses d'une profonde ter- 
reur. La noblesse castitlanne ne pouvoit 
96 dissimuler qu'elle retomboit sous le 
couteau : en dépit de l'amnistie que le 
prince de Galles avoït exigée de Pierre , 
Gomez de Qnintina, Sanchez de Mos- 
coso , le fils de l'amîrante et plusieurs au- 
tres ven oient de porter leur tête sur Té- 
chafaud. Le cruel monarque échappoit 



i^ 



l8 liM IfOViCB.: 

sansi cesse à la m^iiDi qui sWorçoil de Je 
retenir^et^ semblable àunt^re attaché an* 
ime chaîne trop longue ^ Pierre répaBdeit 
déjà tout le sang qu'il pouvoit répandre. * 
Hobert^ quoique trèsl-distrait, devina Ëid'^ 
lement la pensée de dom Alvar. Uétoit 
clair que le noble castillaiOL avait le désir 
de voir d'autres que hii se compromettre' * 
en faveur de la bonoe cause. U s'infor*^* 
moit avec soin du sort de pluaiéurssd*» 
gneurs qu'on, ne voyoit point repaix)k9e 
à Burgos. Mais, tout en fuguant le&Tàin^j 
eus, il n'en mcnagôoit pas moins les Tsân^ 
queurs, et le moindre mot un peu hardi ' 
qui lui échappoit sur Pierre étoit aussitôt, • 
suivi d'une réticence. -..» 

Robert répondant vaguement à kniltef 
questions qu'il lui adressait: — • Vous me^. 
paroissez fort peu aijicdumnt de notre aye*") 
nir ? lui dit dom Alvar. i 

— Seigneiu* Yelascos, répondit le psm» r 
écuyer , je n'esatends nen à la: politip 
que; mais, sij'avoisdoanémafoiàHenrib 
de Traaslamai^ y jie n'atb^adrois pa&(|Bi'tf 



LE NOVICE. ig 

tirouvât des soldats à l'étranger. Ceux de 
Vous qui l'ont salué roi sont assez nom- 
l^reux pour lui composer une armée. 11 
est en France , dit-on : partez tous , allez 
le rejoindre. Si vous suivez cet avis, nous 
pourrons nous retrouver sous la tente ; 
autrement recevez mes adieux ; car d'a- 
près ce que j'ai vu depuis trois mois , je 
fuirai toute ma vie les palais. 

Robert sortit en achevant ces mots. 
La dernière espérance qu'il avoit conçue 
d*étre instruit du sort de Julienne venoit 
do s'évanouir. Une tristesse accablante 
^*emparoit de son cœur, et pour comble 
^o peine George n'étoit plus là. — Ah ! 
3îsoit-il en parcourant à pas lents les rues 
d^Burgos, mon oncle avoit raison. J'étois 
^oins isolé à Saint-Paul que je ne le suis 
^aus cette foule où pas une idée n*est 
^accord avec les miennes, où pas tin 
^KW n'est ouvert au mien. 



CHAPITRE II. 



Plus grand , plus glorirux « p^us craint dans les drfîîtlcs 
QueDunois pi Gaston ne l'ont jumals été 
Dans le cours triomphant de leur prospérité. 

YoLTÂltl». 




Cinq mois après la fatale bataille de 
lîavarelte, Dnguesclin n'avoit pas en- 
core recouvré sa liberté. Le retour du 
prince de Galles à Bordeaux avoit eu 
lieu depuis long- temps sans amener 



XJE irovicE. ai 

]a délivrance du héros breton. En vain 
chaque jour offroit-il de payer sa rançon, 
6Î forte qu'on voulût la fixer. La crainte 
de rendre à la France un guerrier aussi 
vedoutabie retenoit le vainqueur, et Ber« 
trand commencoit à craindre de finir ses 
jours dans une détention que toute sa 
force d'âme Taidoit à peine à supporter. 
Ses compagnons d'armes^ après avoir payé 
de grandes sommes, étoient retournés 
dans leurs foyers. Si Robert l'eût. aban- 
donné, il restoit seul, accablé d'ennuis, 
de chagrins ; et Robert ne pouvoit puiser 
que dans cette pensée le courage dont il 
avoit besoin lui-même pour résister au 
désespoir: car chaquejôurvenoit accroître 
Fimpatience, la douleur, qui le dévoroit; 
chaque jour il se trouvoit plus malheu- 
reux que la veillé ; les efforts qu'il faisôit 
pour se contraindre en présence de Du- 
guesclin achevoîcnt de rendre sa vie si 
pénible, que dans certains instants sa rai- 
son étoit. prête à Fabandonncr. Le jour 
même de la bataille de Navarette, ayant 



^4 W iroyiCEé 

nombrf 4^ seigneurs! :9iiglAîs-i:il fut bien« 
tôt entoura par plusieurs capitaines ^ qui , 
un peu honteiii^ peut-être d^. la coûduile 
de leur prince;, redoublotei\t: pour lie bé-: 
ros de témoignages d'estime ietd'ajnitié. 
Comme il causoit aveceux,,le maître entra^ 
l'aperçut, et, venant droit à lui rr- Com- 
ment va la santé, messire Bertrand? lui: 
demanda-til d'un air de gaieté. 

— Assez bien, monseigneur, répondit 
Bertrand; il ne tiendroil (pi^à vous cepen- 
dant qu'elle allât mieux. 

, — J'entends, j'entends, reprit le prince 
en riant. Mais vous savez sans doute qu'on 
m'accuse de vous retenir prisonnier parce 
que je vous crains. 

~Jl est vrai que quelques-uns le di- 
sent, monseigneur; et c'es t grand bonneiir 
mefiûre. 

— Vraiment, dit Edouardun peu dé* 
concerté. Eh bien ! messire Bertrand; 
nous tâcherons de faire tcniré ceux qiû 
parlent ainsi. Vous êtes libre:'fixez vous- 
même votre rançon. 



LE irOVICE. 1l5 

Bertrand s'inclina avec une respec* 
tnense reconnoissance; puis, relevant la 
tétOi et les yeux brfHants de joie : —Cent 
ndlle francs^ ditrik 

— Cent mille francs ! s'écria le prince 
étonné. Et où prendrez -vous tant d'ar- 
gent? 

— Dans les coffres du roi de France , 
da pape , du duc d'Anjou, répondit gaie- 
ment Bertrand , et si ces princes ne don- 
nent pas tout ^ les femmes bretonnes file- 
Tonty pour compléter la somme. 

Cette franche assurance, que lui don- 
noit la conscience de sa renommée , char- 
ma tous les assistants. Le prince de Galles 
hii- même serra la main de son valeureux 
rival , en l'assurant que de ce moment il 
étoit libre , et maître d'aller chercher sa 
rançon. — De ce moment aussi Henri de 
Transtamare est roi deCastille (i) ! s'écria 
Bertrand , à qui Chandos rendoit son 
glaive. 

(i) Il le fut Tannée suivante. 

IV. a 



a6 UE^ HQYICE^ 

UnQ telle exclamation dans la bouche 

■ 

de tout autre n'eût semblé qu'une roâor 
montadej Biais de Impart de [DuguescHp 
elle n oJffroit rien de ridîcal^e. Il faut croii^ 
qu'elle ne déplut point, à, Edouard f car il 
çoatijniaa l'entretien, de. la manière la plui^ 
cordiale, jusqu'au moment où Ton viat 
l'avertir q|\i'un envoyé du roi son pèrear^ 

r 

rivoit de. Londres^ et l'attendoit dans sop 
çabînej.^jl ne sortit pas cependant saQ3 
avoir dît À DuguescHn qu'il espéroit te 
revoir encore a,vaixt son départ* 

A peine le prince fut-il dehors, que 
Bertrand se vit entouré de tous les capi- 
taines anglais , qui le félicitoient de grand 
cœursursadélivrance.Chandôs,.HughCa)i-. 
verley et plusieurs autres lui offrirenl.aus- 
sitôl leurs bourses, pour l'aider à s'acquit- 
ter ; mais , tout en leur téiiipignant sare- 
cpnnoissance pour ces marques d'afiee- 
lion, Ppguescliu refusa d'user de leu^ 
services; il préféroit s'adresser au3ç sien?. 
La princesse de Galles fut la seule per- 
sonne avec laquelle il ne put se dispenser 



e contracter une obligation de ce genre. 
Me désira la voir, le fit inviter à diner 
our le même jour, et lui déclara qu'elle 
ouloit payer vingt mille francs en dé- 
action de sa rançon. Duguesclin s'age- 
iquilla devant elle : — Madame, lui dit-i!, 
3 pënsois être le plus laid chevalier du 
àonde; tiiafis mafintenant les' plus beaux 
l'envieront. • 

Tandis qufe Bertrand=étoit'ch'ez laprîn- 
esse, ^Robert , iwe de joie, préparoît 
out pour le départ?; oar IL ne doutait 
»aâ que son. maître ne fût aussi ipnessc 
[Ue lui de quitter Bordeaux;^ et. pçoaoit 
[ue le lendemain même tous deux se- 
oient en route. Incertain du chemin que 
'on prendroit d'abord ( car depuis le 
Datin il lui avoit été impossible de se 
rouver seul avec Duguesclin ) il se de- 
nandoit avec inquiétude si ce.seroit ce- 
ui de Paris. Mais comme on croit aisé* 
Dent ce qu'on désire avec ardeur, il avoît 
ini par se persuader que Bertrand avant 
but se r endroit aup es du roi de France, 






.* 



i 



jEi8 XE ifoincE. 

et cette idée lui causoit de tels transport 
qu'il savoit à peine ce qu'il faisoit. Son 
premier soin avoit été d'aller faire ses 
adieux à Calverley. Quoiqu'il éprouyât 
quelque peine à se séparer du bon An* 
glais 9 tant de joie régnoit au fond de 
)son cœur que y tout en l'embrassant y les 
yeux humides , il répétoit cent fois : — • 
Nous partons! nous partons! grâce au 
ciel ! Enfin nous partons ! et Calverley 
lui-même ne pouvoit s'empêcher de se 
réjouir aussi du contentement de l'heu* 
reux jeiine homme. Les deux amis res^ 
tèrént long-temps ensemble. Enfin, Ro* 
bert, de retour au logis, s'étoit remis , 
pour tromper son impatience, à nettoyer 
les armes de son maître , les siennes ; al* 
lant visiter les chevaux dans l'écurie, 
yeillant à ce que rien né pût retarder le 
départ d'une minute; lorsque Dugues- 
clin, qui rentroit, vint lui frapper siir 
répaule, enlui demandant s'il étoit prêt à 
tnonter à cheval. 



us KOYicB. ng 

-^ Nous partons cette nuit ? s*éerU 
Aobert , les yeux rayonnants. 

— ' Nofi I mais demain matin ^ au lever 
du apleM» 

. *— ^Pour:^er?dit Robert avec un lé^t 
ger. tremblement» 

. -i-Moly je vaisen Bretagne, répondit 
6iertr4pd. 

f- ^£p Bretagtie! dit le jeune écuyer; 
«t-la cuirasse qu'il tenait lui échappa des 
mains pour tomber à terré. En Biteta* 
gne 1 répéta-t41 d'un air accablé. 

;*^]C7e faul*il pas, réprit Bertrand , que 
je voie Tiphaine? qu'elle et iinoi, lious 
«nsionsaiix moyens de payer ma rançon ? 
XI. ne 8-ag^t pas ici de quelques florins ^ ' 
comme tu sais. II m'a plu de faire l'or» > 
galeux ; cela me coûte peut^tre trente 
oii.^piarante mille francs de trop; mab ' 
qiiabd le vin est tiré, il laut le boire. 

Tandis qu'il parloit ainsi, Robert ré- 
fléchissoit en lui*mémer%i la liberté de * 
son maître ne lui rendoit pas la sienne ^ • | 
etÂy sans manquer à l'honneur, il ne lui 



3a U KOVIGE. 

revanche. II me tarde de me retrouver 
en face de ce renégat qui tient notre 
place à Tolède; et, tu peux m'en croire ^ 
il ne se passera pas long-temps avant que 
j'aille l'y chercher. Toutefois, avant de 
songer à cela, il fs^ut. terminer a^ecle 
prince de Galles. Tu vas donc m'écrire une 
lettre pour le roi de France , et dewaiil, 
tu te mettras en route. 

Bobert se promettoit bien de paitûr 
dans la nuit même; mais tout ..pressé , 
qu'il fiit de prendre le chemin d^vParis^ 
de ce Paris vers lequel depuis $ix mois Sù 
dirigeoient tous ses désirs / ,U. n'ea 
écouta pas moins avec l'attention m plus 
scrupuleuse toutes les instructions vei;«, 
baies que Duguesclin crut devoir joindre 
à la lettre qu'il lui dicta. Sa joie^sonamouri 
ses espérances, tout céda dans ces der^^ 
niers moments à la tendresse que lui in^ 
spiroit ce héros, qui depuis plusieurs 
mois lui tenoit lieu de père et qu'il alloit 
quitter peut-être pour long-tempSé II ne 
se lassoit pas de considérer cesjraits où 



LE VOYICI. 33 

rayonnoit tant de gloire , où si^eoit tant 
de bonté, qu'on n'en Toyoit plus la lai* 
deur. Il étoit surtout vivement ému de la 
sollicitude que mettoitDuguesclin àluiin« 
diqaer la route qu'il devoit suivre et les 
ipoyens d'arriver sans dangers au lieu da 
sa destina^on;. — ISe voyage pas la nuit^ 
lui dîsoit-il ; par la mort de Dieu ! il se*» 
roijt un peu dur, quand on s'est tiré de la 
k^^lN^^ Navarette, d'être assassiné dans 
uv|ni#^u sur un grand chemin par une 
domiâne de larronsdes compagniesblau* 
ches. 

«—Les pauvres compagnies sont restées 
en Espagne y répondit Robert, qui né put 
refuser un soupir au souvenir de ses corn^n 
pagnons d'armes. 

-<- Elles ne nous ont pas toutes suivis» 
il s'en faut bien , reprit Bertrand ; et 
Charles aura long-temps encore beaucoup 
à Êûre avant d'en balayer son royaume. 

Ils restèrent ainsi à causer ensemble j» 
fort avant dans la nuit; enfin Duguesclin, 
qui comptoit lui*méme se mettre en route 



»r •• 



êé ^iiïSmïAfiïi j toTigMta sèn jeuneécuyef ,• 
^rpl^s îitî âTofe'îtotîi(Jité îe moyen- de cor* 
/espoiidre' àVeë • hai 'jàsqu*ati ifiomenl où* 
Ss'se rêtinîrcSèirt^de *o*Fwaii; Rèbeii? 

miaîS' Du^esdià vivement éttm le prft? 
dàlâs-^es<bfftS; et Fecnbiraissàntâ'plœieuMi 
iièrpriâék ^ ^ Adleta y m^s^ fùs^j adieu ^ dit^ 
â^Mtié vok ^lérée.Un quart d^èieure pf$ÊI^ 
ItobeM citebin^^rapidement 1^^ 



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• Oui I j^nUqof je retrouva «n anî fi^àlf^^* ^. ^ 
Ma fortuoe ▼« prendre une face nouTelle, 






L *.\ I .* > • 



' Le oheval tjtie morltbît *le- jteùné ëbuyei*, * * 
né^èn Andalousie et-tli'ghe âé sa' noble ^ 
patrie 9' ât d'abord près <ïe trènté'lleueiî^ 
ssÀis 8'arrêter> si cen'estie^tëmîisi^écés- '^ 
saira'^Ur niangerfavdînfe- MafH''Te<^'Hi'" 



56 LK Kovice. 

an du premier jour de marche, il com^ 
mença à ralentir le pas de telle manière 
que Robert, craignant de le voir tomber 
sous lui , vit bien qu'il falloit se décider à 
<ionnér du repos au pauvre animal. Il 
apercevoit un monastère à peu de dis- 
tance ; il y dirigea ses pas, afin d'obtenir 
riiospitalité pour une nuit 

Le religieux qui vint le recevoir, dès 
qu'on lui eut ouvert , portoit l'habit de 
l'ordre de saint Benoît. Robert fut saisi 
d'une vive émotion à la vue de cet habit^ 
à la vue de cette demeure, qui, sans être 
k beaucoup près aussi spacieuse que l'àb* 
baye de Saint-Paul^ étoit pourtant bâtie 
.sur le même plan , àinC'qu'il étoit d'u<» 
sage alors pour tous les couvents de bé- 
fiédictins. Une foule de souvenirs assail* 
lirent l'esprit du jeune voyageur au point 
qu'il éprouva un moment d'illusion as«^ 
pénible ;. mais bientôt souriant à la peuf, 
qu'il avoit eue d'être encore novice , il 
«alua re^p^cUf eusement le religieux , qu'il 
venoit d'eptendre nommer père Ânloine p 



is Kovice. 9^ 

et se laissa * conduire par lui dans le lo* 
gèment des hôtes , tandis qu'on prenoît 
soin de son cheval. ^ 

Dom Antoine pouvoit avoir soixante 
ans environ. Sa figure noble et sévère ne 
porloit aucune exprêMion de bienveil- 
lance, mais les traces que laissent de. 
longues et profondes douleurs. Tout eh 
marchant près de lui/Robert, qui le con- 
sidéroit attentivement^ étottsurtout frappé 
de l'empreinte d'amertume répandue sur 
tota ces traits , qui jadis dévoient être 
beaux. Il éprouvoit pour lui une sorte de 
respect mêlé de terreur , qui Tempêchoit 
d'oser lui adresser la parole comme il 
Teût fait avec tout autre; et il attendoit 
en silence que son imposant conducteur 
daignât parler lui-même. Lorsqu'il fut 
entré dans la chambre où Ton alloit lui 
servir à souper: — Nous ne pouvons re- 
cevoir les voyageurs aussi bien que plu- 
sieurs de nous en auroîent le désir , dit 
froidement dom Ambroise, non-seule- 
ment parce que notre abbé est fort ma* 



33 w JTpyicp^ 

iade depui? pl^sie|ur5 jj^wr^, ce qiiijf Uç dfi 
, trouble .dans li>^^ïï^aî$pp,,| iruMs , ^çjçiçpiçp 
parce que Je passage jde^ gçps dffir^)^ 
•vient dl'être 3l fréq[^^^^t ^q ce^ jcôti^ gue 
nous.avoiji3 épuisé. toutes. ji^os rQs&ciucces. 

Il nft nfuis j-PRf^^jj|||ig fift vjn par Py<»jjnp1p 

— ?e vous avc^s pnis pour up, homme 
4,e gi\e,rré^ dit ,1e religieux^ dpû^ ^Ç6 lèyce^ 
s*oùvrpient à peine, et d^ toxKÎ!une pe»r- 
sonne qui ne prend -aucun intéréi àTenr 
-.— Je n'^ai pas. toujours: été Upmme.de 

guerre, reprit Robert en spuriairt; je suis 
bien plus accoutumé au frugal^ repas 
que vous avez fait aujourd'hui après 
vêpres qu'à celui-ci, ajouta.-t-il en voyait 
apporter un plat dô viande froide qu*iui 
frère lai posa sur la table. 

— J'ai cru qu'on ne vivoit ainsi^que 
'VOUS le dite^ que dans un monastère , ré- 
^ndit le père Antoine d'un air indifTérent. 

r-r Aussi vivais-je dans un monajstere, 



^UB sravKx. ,39 

.reprit Robert ; et dç|)ui$ onze moi& seul^ 

menjbjiiiiop: père^ j'4lil quitté l'haut qu^ 
VOU3 portez. 

Ces mots parurent enfin fixer l'atten- 
tion du religieux. Pour la première fpis 
il jeta un coup d'œil suit le jeune écuy.err, 
et 4'un air qui annonçoit quelque sur- 
prise : — Vous avez quitté notre habit? 

,diMl; vous étiez, religieux? ,, 

-T- Pas encore 9 mon père, mais j etois 
Dpvica; Le père Antoine arrêta pendant 

:«U»i instant surKpbert des yeux 01^ Y<^ 
4Hroit pu lire un léger sent^ent d^^;pi- 
tijê^ si ce regard n'avoit été accompagi]^ 

.4'.UD. sourire plein d amertume et d'.iro- 
niB^r^ Mangez,! dit-il en s'apprétantà 
tf^v^îrtspn jeune ]iote;, prenez de^. force^. 
Robert se rendit volontiers à cette ijat- 
intation-y car la fatigue de la route lui 
donnoit un appétit violent ;:maû:9ç tout en 
dévorant le n><ûgrq poulet qui se trouvoit 
ii^voint: lui.^.^«oB esprit ^oilt vivement 
préoccupé de la. .présence du religieuiç, 
^Ù 4e j teippsà. autre le regia^rdo^t d'un 



4o t£ KOYICe. 

air si étrange , que^ sa première faim ca!* 
mée, il s'empressa de chercher à rendnér 
la conversation. 

— Vous me regardez^ mon père , dit-il^ 
et sans doute vous êtes surpris de vonr 
lin homme qui a pu renoncer à la ' paix 
du cloître . pour l'agitation du monde? 

•^ Non , répondit dom Antoine d'une 
voix qui sembloit n'être plus la sienne^ 
tant elle avoit de douceur ; non ! votre 
âge m'explique tout : mais je m'étbnnois 
de pouvoir, plaindre encore un de mes 
semblables « je croyois que depuis lofl^ 
temps mon âme étoit fermée à la pitié. ' 

— Et vou^ me plaignez? dit Robert, 
'surpris de l'espèce d'effroi que lui faisoit 
éprouver pour son avenir le discours de 
cet inconnu. 

— Comme le vieux matelot , meurtri et 
brisé par l'effet des tempêtes, plaint céul 
qu*il voit se mettre' en mer. ^ - • ' - 

— Et pourtant, dit Robert ',' il existe 
des temps calmes et sereins; . i 

— Peut-être , répondit i lé ^ retigirax 



i 



d'une voix sombre , peef-étre poar Yé* 
goisie y pour Vhomine au cœur froid et 
dur, qui voittrioiifipher Finjustice sans in«' 
dignatiou ; que ne révoltent pas l'intrigue^ 
la fiEiussetéTla basses^ ; qui ne souffre ni 
de Fabandon ni do l'ingratitude; parce 
qu'il est assez heureux pour ne point 
aimer et pour ne point servir ses sembla- 
bles; Uniquement occupés de leur bien* 
être, de pareils hommes se mettent à 
l'abri des angoisses de Tâme; ce sont les 
seutft qui m'aient paru vivre assez tran- 
qujljes.' Mais l'être infortuné que la na- 
ture a doué d'une imagination active, 
d'un cœur brûlant, qu'il vive seul ! qu'il 
vive seul! poursuivit dom Ambroise se 
parlant à Un-méme: le bonheur pour lui 
se réduit à l'absence de la peine. Qu'il se 
garde* de le chercher, et surtout de le 
placer dans les autres ; car chaque lieu 
qu'il forme ici bas lui prépare une dou- 
leur. 

Le religieux se tut, et resta plongé dans 
ses-réflexions, paroissant avoir complète- 



a* 



ment ai^^é.^|jJiA,^to|l«ft^#e{il}rIV9berli'j, 

3* Yqus; riw&Hij^, été b^ureiw , mopk 

pèr€i,.}ai: dit-U,d'uB^ aiji:^;V»çja)LQAl; toucha . 

I«iÇ.ip6ligpç^u^Ares6aiU^t, maji$ ne répondit 

T77 Bfoi-ni|ine , reprit .Robert en soUf. 
piraut;, ' n^oi-tmêpie j'ai perdu en peu do 
mois jle \neDt douces illu^ns ! le mond^ 
est,loiQ,4@ i]a'avpir offert les jouissances, 
que j'en aJt^^.ndoi& ! de tant de désirs vaiaSy 
de taqt 4'Q$jpérdnces tjrpnipées, une çeult 
espérafiçe m'est restée. Puisse le ciejl ^ 
point l'anéaiitir! ^jouta-t-il en pensant i 
Julienne, 

— Une espérance ! dit dora Ambroise 
en serrant la m^iin d.u jeune éc^yeJ?• J'ai 
beaucoi^p esp^p^ s^x^ssu Pn^ p^eiian^^ ujoa, 

de^. lampes qni br41?i?fl<iSurJi* Jai>le5 •H.. 
Votre lit est d^p^ I4 çbawbïeTpipingJ mfx^, 
fils, continua-t-il d'un air tranquille, J4 
vous laisse ï'C^r je^s^is un de ceuiL «wî 
yeill(qnt cette nwji *iîpf es ^. notre,abJî&ç, 



là' 



LÉ NOVICE. ^3 

■ • '* ' 

Tn achevant ces iriots le rcïîgieiïx sortit 
.ans attendre une réponse. 

Cet entretien avoit jeté dans Tâme de 
lobert je ne sais quelle impression pé- 
lible, que le sommeil profond dans le- 
[uel le fit tomber la lassitude ne parvint 
)as à dissiper. Le lendemain, s'étant levé * 
ivec le jour, il demanda , avant de monter 
i cheval, s'il ne pouvoit pas voir le père 
V.ntoirie; mais on lui répondit que ce re- 
igieux étoit encore près de l'abbé , qu'il 
le pouvoit quitter. Robert fut donc obligé^ 
le) partir fort peiné de n'avoir point fait 
ses adieux à celui que , selon toute appsfk 
pence, il ne devoit plus revoir, et dont Iç 
souvenir le préoccupoît tellement que 
i'abord il laissa marcher son cheval au 
petit pas , sans s*en apercevoir. — Il faut> 
5ë ' disoit-it, plongé dans ses tristes ré- 
Qè!kiôhs, il faut; que cet infortuné ait 
cfûèll'emént souffert , pour avoir sacrifié 
sa îïbcrté au seuï besoin du repos. Pour- 
ijticJï'âonc sa voix mélancolique retentit- 
eHc' ttmjours à xfton oreille, et semblé- 



44, ^^ iroviçi^v^ 

t-elle me prédire le malheurJSi je ne trou* • 

vois pas Julienne à Paris? sHje ne devois 

plus la revoîr?£etle idée, que Robert.n'a- 

Yoît jamais abordée sans frémit:, s'empara ; 

de son esprit avec une si grandeforce, que, 

rsaisi d'un mouvement; de terreur super-., 

LStitièuse, il sentit une sueur froide cou« 

vrir son front; il jeti -ses regards trou- . 

blés autour de lui, comme pour calmer . 

son âme par le doux aspect de la nature, 

•et il aperçut alors, à quelque distance, un - 

voyageur qui détachoit son cheval d'un . 

arbîre, s'apprêtant vraisemblablement à 

continuer sa route. 

: Dans ces temps désastreux, un homme , . 

sur un grand chemin , n'osoit passer près . 

d'un autre honnne sans se mettre en garde ^ 

contre lui. Robert s'affermit sur sa selle^ 

porta la main sur ses armes, et ,rdoânant . 

* * *• 

de 1 éperon, se mit à marcher au troJ:,>i 

Mais à peine a-t-il fait quelques, pas., q^çt, . 

îoiornant celui dont il veut observer, la fi* , 

gure : -r- George! George! s'écrie-t-il en. 

sautant à terre et^en s'élcinçant dans les 



LE voncB. 4S' 

ï>ras du chasseur • est-ce toi ? est-ce bien 
toi? Et il serroit Fami de ton en&nce. 

— Oui! oui ! crioit Géof^ hors de lui« . 
Daeme. Quelle joie! mon Dieu ! quelle joie! 

— Tu venoîs donc me chercher à Bor* " 
deauxy mon bon , mon excellent George? 

-rr Vous veniez donc me trouver à Paris? 
irous savez donc qu^elle est à Paris ? 

Xes cieux ouverts n'auroient pas été 
plus doux aux yeux de Robert, que ces 
mots ne l'a voient été à son oreille. A Paris! 
elle est à Paris! Ah , George! mon ami ! 
mon frère ! répétoit-il sans pouvoir s'arra- 
cher des bras du chasseur. Moments de 
joie pure! de joie parfaite! tout rapide» 
que vous êtes , de combien de peines vous 
payez. 

~ Oui! oui! elle«st à Paris, où je Taî 
laissée bien portante, il y a aujourd'hui ; 
huit jours. 

— -Huit jours! dit Robert. Avons-nous 
dpnc encore huit jours de route? ... 

■^rr ^^^ moins que cela ; et pourtant mon 
cheval est bon, et je l'çii meqé bon train; 



V. 



-r- Non^ notiy dit Robert en souriant. 
Je f écoute. 

— Vous devez vous souvenir qu'il js 
avoit un petit bois sur la gauche ? . 

— Oui , dit le jeune écuyer ^ c'^t là que 
s'est sauvé ce corps de réserve qui nous a 
abandonnés comme tout le reste. 

i— Je n'ai pas vu le corps de réserve y 
mais seulement quelques pauvres fuyards^ 
morts ou blessés^ dont je ne me suis guère 
occupé. J'ai tout de suite avisé un des chê- 
nes verts les plus élevés et les plus tèoffu^ 
sur la lisière du bois, et après avoir âtta« - 
ché mon cheval à quelque distance-, f ai . 
grimpé sur cet arbre , et lue suis blotti. de- 
dans, de manière à n'être point vu et à 
découvrir tputei la plaine. ... 

r^ IjB bois étoit trop éjbigné «de l'enr. 
droit où nous nOus. battions alons, pour ' 
qu'il te fut; possible, de recontioltre pccf * 
sonne ? dit Robert. 

— Il est vrai , je ne pouvois distinguer; 
les figures , mais je suivois des yeoas: tous 
les panaches blancs qu^ j'apercevois sur 



LE irovicÉ; 49 

des chevaux noirs j et puis je pensois bien 
c|ue vous ne vous éloigneriez pas du sei* 
gneur Bertrand^ et jereconnôissoisia place 
où il devoit être à la quantité d'hommes 
<^ue je voyois tomber là. 

— Pas mal imaginé, dit Robert. Eh 
l)ien ? 

— - Quelquefois la poussière éloit si 
épaisse que je ne pouvois plus rien voir; 
mais dès qu'elle se dissipoit un peu , je 
retrpuvois quelques panaches blancs. 3'en 
ai yii tomber plus d'un , et chacun de ceux 
qui tomboient... George s'arrêta, ses lè- 
vres pâlirent, et reprenant sa respirations 
—Je ne vous souhaite pas de vous trouver 
jamais grimpé sur un arbre dans une pa 
reille circonslance, poursuivit-il, sans oser 
descendre pour aller vous battre à côté de 
ceux que Tonécharpe sous vos yeux, sans 
pouvoir rendre quelques-uns des coups 
qu'ils reçoivent ! Enfin la peur de vous 
mettre au désespoir m'a donné le courage 
de passer ce moment*là. J'espèr,e biea 

IV 3 



nex% poiut passer d'aussi rude dans ma 

*^ Heureusement, ou plucèt nialfieii* 
reusemeut , tûn suppEee ne pouToit ^tre 
long, (lit Robert. 

— Bien plus-long que jje ne Tavois cru 
<J'abord, répondit George, à portée comme 
je rétois de juger l'état des choses. Aussi 
▼DUS YOyant tenir si long-temps contre 
tout une armée, je me dîsois: c'est fini, 
ils sont résolus à se faire tous tuer, et je 
rfi'at retire que quand j'ai vu le mouve- 
ment des* Attglais pour ^'ous enrveltopper; 
je crioî» à tue-tête: Serrez! serrez ÎUfatb- 
dra bien qu*il se rendent ! 

— Par saint Jacques! dît Rol^ert en 
riant , je ne croyors pas que tu fusses a!U> 
tant Fami du prince de Galles. 

— J'étois 1 ami <fe tous cetn: qui tous 
îaisserOTetit sur pied,.mor; qutmt! on ne 
fait qu'assister à une bataille, et qu'on w» 
: se bat pas soi>même*, aHcr, lès idées efaan* 
•gent terrîbkrment. Le mouYenventrfes An- 
-gfarsrèusttt) commeTtmsJesaYex, « qucJ* 




Ivtes.fxnuvA^^ esprès^ grâce au ciel^ je iris 
cesser le combat. Alors je me dis :jles(t 
mQTïfOiJkil est prisanoier.; S'il via eoeere , 
je ne pui^ lui readr« uu pkis grand ser*- 
vice que de sauver la dazae Julienne; s'il 
ast mortf je dois encore sauver la dame 
fulicime pour exécuter sa dernière va** 
lonté , quilte à voir api^ès. 

— Fort bien raisonné , mon bon Ge(w> 
ge, dit Robert 

. — Je descendis donc de mon arbre ^ je 
remontai à cheval , et le lendemain à la 
pointe divjouF j'entrois dans Burgos. La 
nouvelle de notre désastre étoit déjà suc 
dans toute la ville ; tout étoit en confa'** 
sion au palais ^ la reine alloit partir dans 
iwe heure po(w se sauver en Aragon. 
Qui ne rentoontpoit cpib' des gens char'*^ 
gé& de^paquistBi^ qm ne songeoient qu'à 
l^lepfuir kr pluls vite posâible, et ledésor- 
4r^ éloiti si- grand^qtte j^e parvinsau petit 
4ifipwteniecit. de là dame Julienne sans 
<ffié^ per^onnec me demandât si j*étôis oa 

PMI à» lar n|ai$oik Jer ht trouvai seale^ 



/ 



5a LE NOVICE. 

pleurant y pleurant ^ que cela étoit un^ 
pitié. 

— Pleurant! dît Robert. Savoit - elle 
donc déjà la mort de sire Evrard ? 

— Pas du tout. Elle savoit seuliement 
qu'on la laissoit à Burgos ; jugez si elle a 
été joyeuse quand elle a su qui j'étois^ 
quand elle a su que je venoîs la chercher. 
Comme nous n'avions pas de temps à 
perdre je ne me suis pas amusé à lui ap- 
prendre la mort de son mari. J'ai "dit 
simplement qu'il avoit obtenu pour elle 
la protection de monseigneur Dugues* 
clin auprès de la reine de France, et que 
j'allois la conduire en toute diligence à 
Paris. * ' 

— Je te jure , George , dit Robert en 
souriant, que j'admire ton habileté. A ta 
place ce point m'auroit fort embarrassé. \ 
' — Pourquoi donc? dit le chasseur; fé 
plus pressé n'étoit-il pas d'échapper - à 
l'armée anglaise que j*av6is sur- nies ta- 
lons? Sire Evrard étoit mort; il n-itnpor- 
toit guère que sa veuve le pleurât deux 




LE irOVlCE. ' 53 

jours plus tôt ou plus tard. Nous quitta* 
mes Burgos dès le soir même; la dame 
Julienne avoit repris ses habits d'homme. 

— J'y pensois, dit Robert; il étoit bien 
plus prudent de voyager ainsi. 

— Nous prîmes le parti de côtoyer FA- 
ragon et de ne point traverser la Navarre; 
cela nous faisoit faire beaucoup plus de 
chemin y mais par ce moyen nous étions 
sûrs d éviter les Anglais , dont la dame Ju- 
lienne avoit la plus grande peur. Il paroît 
qu'elle craignoit des ennemis personnels, 
dans Tarmée du prince de Galles. 

. — Tu ne savois pas que sir Bertrand et 
moi nous marchions alors avec cette 
îrmée. 

— Celui qui me Tauroit appris , dit 
George , m'aui'oit tiré d'une i'ude peine ! 
::ar favoîs beau me répéter cetit fois dans 
le jour que vous étiez prisonnier, de 
odaudités idées venoient bien souvent me 
traverser l'esprit ; mais je les repoussois 
le toutes mes forces ; autrement je serois 
parti comme une flèche pour retourner 



56 us iroviCE. 

Et pourquoi abréger? reprit Ro- 
bert. 

— Parce que depuis hier soir je n'aî 
rien pris , et que je ne serai pas fâché de 
manger un morceau. 

— Achève donc , mon cher George. 

— A partir de ce jour, nous avons mar-. 
ché beaucoup pUis vite. Comme il étoik 
convenu qu'aussitôt arrivés à Paris, je 
prendrois des informations pour aller à 
votre recherche ^ la dame Julienne ainroit; 
voulu ne pas s'arrêter. Quand nous re-, 
partions les matins^ elle étoit toujours! 
la première à cheval ; je ne puis vrai-^ 
ment concevoir, comment une créature 
si mince et si frêle a pu soutenir une 
pareille fatigue. Nos chevaux seuls nous 
forçoient de nous arrêter quelquefois 
plusieurs jours de suite ; car vous sentez 
bien que les pauvres bêtes en avoient 
leur compte, et c'est tout ce qu'elles otit 
pu faire que de nous traîner jusqu'aux 
murs de Paris, où nous les avons laissées 




BS KOYICX; Sj 

en garde à un brave cabareticr , qui vend 
du bien mauvais vin , par parenthèse. 

— Que vous ayez dû vous trouver em- 
barrassés tous deux y dans cette grande 
ville, où vous ne connoissiez personne! 

— ^Bah! je. ne m'embarrasse jamais, moi. 
La. dame Julienne avoit emporté deBur- 
gQs xm petit coffre que je voudroîs pos- 
séder pour toute fortune. Avec de l'or^ 
on se, tire d'affaire à Paris comme ail- 
leurs, et mieux qu'ailleurs; car j'avois 
déj4 su, par le cabaretier, que nous 
trouverions des auberges. Vous ne savez 
peut-être pas ce que c'est qu'une au- 
Bei^e ? 

— Une maison où Ton reçoit des voya- 
geurs pour de l'argent; j'en ai entendu 
parler à mon père. 

' — A la bonne heure, car vous n'en avez 
pas vu plus que moi, ni en Espagne, ni 
Sur la route. 

; — Ni à lugelcour, dit Robert en sou- 
riait. 
— 'Oh! pour Ingelcour, répondit le 



$8 le ifOTiCE 

tiaasseur en riaitt atax éckt^ je x^oudrois 
le voir à coté ée Baris , ih teroit une heiib 
%isre. îPasse encore pour Tolàde -ou 
Burgos, 4|tK)îque^.« 

-i^Efififci Votisvcws étei logés daafi&rt» 
aubei^e? interrompît Robeît. 

— Attendez donc, attendez àùttà^ rte^ 
prît George, vôîlà le phis surprenant 
Comme nous nous rendions à ttelle qtt\m 
nous âi^it indiquée potir étrer lapins 
ttrisine du palais du toi, dievînei tm çetr 
qui nous avons rencontrée 

— Une personne que tu conûoisisDîs'? 
. — Oui, et que vouis connoissez aussu 
<^ Justin Méridan. 

*— Par saint Gilles ! s'écria le cba$seur 

* - 

dans la plus grande surprise ^ comment 
avez-vous fait pour le nommer tout de 
suite ? 

— Parce que c'est le seul habitaiït de 
Paris que nous connoissions. 

— Vous avez raison, dit George. G'étoil 
donc Justin Méridan lui-même.. Je crus 



LE NoVicé. 5ô 

que le petit homme ail dît tibiii ^ùtei'^atr 
cott) tant ît éWît content de nous voir, et 
^è*^ qu'il sut' ce qiû notré àmehoit dans 
sa Tille, et que la dame Julienne lui euk 
dit qui elleétoit, il ne vbùltil Jamais liou's 
lai3^er ;sdler à l'auberge, et nous emn^ena 
loger .(^hez. lui. 

— :.Ce bon Méridan! dit Bobert, je l'aï 
toujours aimé, 

, — Il avoit, ma foi,, bien raison quand il 
nouis disoit à Ingelcour qu'à Paris il étoit 

• ■ ■ * 

tout autre. Il ne s'agissoit plus de la 
chape râpée et de ce vieux- surcot troué 
ata; coudes; je ne crois pas que le roi 
Charles ait une plus belle robe de camelot 
noir que celle qu'il portoit, et je puis dire 
que je n'avois pas fait depuis long-temps 

• 

un dîner comme celui qu'il nous donna. 
Sa sœur, car il demeure avec sa sœur, la 
dame Brigitte , qui est bien laide comme 
doq cents diables réunis , qui parle de- 
puis le matin jusqu'au soir et qui vous 
eherche dispute à tout propos; mais, à 
cela près, c'est la meilleure femme da 



Ço liK IfOVICE. 

monde. Elle a fort bien reçu la dame Ju-» 
lienne; il est vrai que maître Méridan 
nous a présentés comme de bous amift 
qu'il lui amenoit^ en la priant de nous 
soigner de son mieux. 

— L'excellent homme! s'écria Robert ^ 
quel plaisir j'aurai à l'embrasser ! Et 
sans doute, George , il a offert ses services 
à Julienne pour la présenter à la reine? 

— Oh ! voilà. C'est que maintenant la 
dame Julienne ne se soucie plus du tout 
d'aller à la cour, car le jour de mon départ 
encore elle m'a dit qu'elle préféroit atten- 
dre mon retour dans la maison de maître 
Méridan , qui l'a pressée d'y rester aussi 
long-temps qu'il lui plairoit. 

— J'en suis ravi, ravi! s'écria Robert j^ 
là je pourrai la voir, lui parler libre- 
ment! 

— Une fois établis chez ce bon Justin, 
reprit le chasseur, nous ayons bientôt 
su des nouvelles de monseigneur Bei^« 
trand, et dès que j'ai été guéri.,... 



LE HOVICR 6i 

— Tu as été malade^ interrdmî^it vive- 
ment Robert. 

— ^^Poup la première fois de ma vie, 
répondit George , et bien mal à propos , 
comme vous voyez. Mais il faut croire 
que je ne suis pas né pour avoir du cha- 
grin. Sur la fin du voyagé je me sentois 
tout extraordinaire, et à peine arrivé, il 
s'est déclaré une maladie dont j'ai oublié 
lé nom, qui m'a retenu six semaines au 
litcomme un sot. 

Le jeune écuyer arrêta son cheval un 
moment. 

.:~Au lit? répéta-t-il en pâlissant , et je 
rignorois ! et je pouvois ne plus te revoir! 
-.t^Oh ! mon Dieu oui , répondit George; 
c'étoit fini sans l'habileté de ce grand 
homme noir, le niédecîn du roi (i), que 
Huutre Méridan a été chercher , et sur- 
tout sans les soins de celle que vous devez 
aimer encore davantage , sans les soins de 



cet ange. 



(i) Maître Gervais : il étoit grand astrologue. 



6^ 3E# irOYIOii 

. -7- De J^îeosip^ ! sléd^ia RoberiL 

— Qui donc? répondit le cfaasseufTi 
voudrois cjue^vVOus ^us&i^a pu la voir , jour' 
et nuit auprès du pauvre George comme 
y auroit été une 9œur , me soutenant la 
tête , me donnant à boire ^ m'eogageant à 
la patience; car Dieu sait si j'enrageoîs 
dans les instant^ où je n'avsois pas le àè* 
lire. Je voudrois que vous eussiez pu la 
voir, quand.... 

— Je la vois! je la vois ! s'écria Robert; 
croiS'-tu donc que je ne la vois pas? 

— Le ciel la récompense à jamais ! r€- 
prit le chasseur les yeux humides. Grâce 
à elle enfin je me suis retrouvé sur mes 
jambes. Dès que j'ai eu la force de mon- 
ter à cheval je suis parti ^ et nue voilà. 

Le cœur de Robert éCoit trop ptieiil 
pour qu'il pÀt prononcer une paroie. 
Tendant la main en silence, il serra long^ 
t^mps celle de Georgf ,.et cfuelqKiesJaPBMS 
délicieuses coulèrent doucement de 
yeux* 



CHAPITRE IV. 



Et ses yeux dont Tasur étoli juillant âeianufs^. 
Modestes, ressembicient i ces modestes fleurs 
Q«e 1^0g« d«s adibuft fit tmiuuê de ta pltutt ». 
Qui proteg^m r«i>seic« et. sa D>^ancoliijB , 
Et dont le nom charmant défend que l'on ouLlie. 

iteup tmx Ckic 



Voila Parts, dit <ïeoli^ un matin; 
Mttsse biaadi» ^e voas ^ojea làpr 
ttt'tntliea ^ brauilbrcL 
^ec ^eUë ^rïol€JAoe iMitit le cœur ér 



64 l'S KOTICB. 

Robert en entendant ces mots. Il alloit la 
revoir ! elle étoit libre ! Trop d'amour, 
trop de bonheur s'unissoit à ces idées, 
pour que la joie qu'il éprouvoit ne fut 
pas au-dessus des forces de l'homme. 
Aussi lorsque , après avoir franchi la dis* 
tance qui le séparoit de la ville , il vit le 
chasseur s'arrêter à la porte d'une mai- 
son d'assez jolie apparence, en lui annon» 
çant qu'ils é toient enfin arrivés chez Justin 
Méridan , son émotion étoit portée au 
point qu'elle devenoit presque une souf- 
france. Il respiroit à peine ; une pâleur 
mortelle couvroit ses traits , et ses jambes 
trembloient sous lui , quand il fut des- 
cendu de cheval pour suivre George, dont 
la voix retentissoit déjà dans l'escalier. 

— Le voilà ! le voilà ! crioit le chasseur 
à Méridan qui venoit d'ouvrir lui-même 
la porte de son logis. 

Le bon Justin , en apercevant Robert, 
se jeta à son cou et le tint long-temps em 
brassé, exprimant sa joie dans un lau'* 
gage moitié français , moitié latia , ^ui 



uw iroYici. 65 

rappeloit à son jeune ami les premiers 
temps de leur connoissance. 

— • Venez , venez , dit-il en lui saisis- 
sant le bras^ que je vous mène à ma 
sœur* Vous allez être bien surpris de 

trouver près d'elle un ancien ami 

Quand je dis un ami nous allons voir 

si vous le reconnoîtrez. 

Tout en parlant ainsi, il Tentraînoit 
vers la salle où Julienne travailloit près 
de la dame Brigitte , occupée des plus 
trlales pensées. Mais George l'avoit de- 
vancéy annonçant à haute voix Tarrivée 
de »on maître. 

. —Est-ce lui , George? est-ce lui? dit Ju- 
lienne en s'élançant au-devant du chas- 
seur ; puis à la vue de Robert qui suivoit : 
— ^Dieu de bonté ! s'écria-t-elle; et perdant 
£usage de ses sens elle retomba sans mou- 
vement sur sou siège. 

— ïEh bien ! eh bien ! dit Méridan , la 
voilà qui se trouve mal à présent ! et tous 
I^ jours elle prioit les saints pour son 
rejtour ! 

3* 



66 L« NOVICE. 

— C'est la fauté de ce garçon , dî| la 
dame Brigitte d'un ton d'humeur, tout 
en frappant dans la main de Julienne ^ 
sans pourtant cesser de fixer des regard)^ 
curieux et scrutateurs sur le jeune écuyer, 
qui /hors de lui-même , ne pouvoit quel 
répéter : Julienne ! Julienne ! pour tou- 
jours ! pour toujours ! Dieu sait îavec quel 
transport il se séroit précipité à ses pieds 
si la vue des longs voiles noirs qui la côu- 
vroient n'eût fait ce que n'auroit ptt 
faire la présence de la dame Brigitte ^ 
de Méridan et de tout l'univers. Julienne 
revint promptement à elle. Elle tendit kl 
niaîn à George en regardant le jeune 
écuyer, et ses grands yeux bleus se rem- 
plirent de larmes; puis une légère rougeur 
colora son charmant visage. — Pardon, 
dit-elleense tournant vers ladame;Brig!tte 
et son frère, mais je retrouve un ami que 
je n'espérois plus revoir , le seul qui ait 
échappé au fer des Anglais. 

— Et le seul dont j'aie désiré le retour f 
dit Méridan sans réfléchir que ceflè- âè* 



i^aoft qui il parloit de la sorte portbit le 
deiiil d'un chef de compagnie. 

Julienne tressaillit et cacha sa tête dans 
ses deux mains; une foule de sentiments 
divers venoient l'assaillir à la fois. Elle se 
leva, et souriant à travers ses pleurs: 
— Nou^ nous reverrons, nous nous i^- 
verrons aujourd'hui même , dit - elle en 
s'adressant à Robert ; mais je suis foible, 
j'ai beaucoup souffert et depuis long- 
temps ; je sens que j'ai besoin d'être seule 
quelques heures. En achevant ces mots 
elle serra la main de Méridan , celle de 
Brigitte, et elle sortit. 

Robert la suivit des yeux jusqu'à ce 
qu'elle fut hors de la salle. Rien , rien au 
inonde ne pouvoit plus les séparer; ne 
l'avoit-elle pas appelé son ami ! PéDétré 
da respect que Ton doit à la mémoire de 
ceux qui ne sont plus, il n'étoit point • 
jaloux des larmes qu'elle donnoit à sire^ 
Evrard. Lui-même n'auroit osé parler de' 
s6n amour à celle i^tiil portoit des habits 
deteuve; mais entendre éêsaticents cba- 



68 us iroviGE. 

que jour, voir chaque jour ces beaux 
yeux s'attacher sur hii , ce doux sourire 
accueillir son approche, n'étoit-ce donc 
pas assez de bonheur? Robert se Uvroit 
près de George à ses joyeuses idées, tan-^ 
dis queMéridan parioitbas à sa sœur dans, 
un coin de la salle. 

— Je pensois au moyen de loger ici 
noire jeune ami, disoit-il. 

— I^ loger ici! répondit le dame Bri- 
gitte; quelle inconvenance, mon frère! 
Etes-vous donc aveugle ? 

— Comment ! que voulez-vous dire? 

— Ne voyez-vous pas que ces jeunes 
gens s'aiment? 

— Et pourquoi ne s'aimeroient-ils pas ? 
je les aime bien, moi. 

— J'entends qu'ils s'aiment d'amour, 

reprit la dame Brigitte. Puis levant les 

épaules d'un air de pitié : — Occupez- 

Dûus de vos livres, mon frère, occupez- 

-vous de vos livres- . 

JVIéridan n'avoit jamais su répondre à 
'^^tte phrase; elle lui sembloit renfermer 



LE WOVICE. 69 

en cinq mots Fénoncé de tous les motifs 
sur lesquels se fondoit l'empire absolu 
dont jouissoit la dame Brigitte eu tout ce 
qui concernoit la maison. 

— ^Fort bien 9 fort bien, dit-il; mais 
qu'ils js'aiment d'amour ou d'amitié, cela 
ne les empêche pas de dîner ensemble, . 
et je vais au moins l'engager à manger ici 
tous les jours. 

. — Tous les jours! dit la dame Brigitte, 
c'est beaucoup. 

— Ma foi, tant pis! répondit Méridan, 
qui, venant de céder sur un points croyoit 
pouvoir s'entêter sur l'autre. Je me suis 
assis pendant plus de trois mois à la table 
de son père, c'est bien le moins aujour- 
d'hui qu'il puisse s'asseoir a la mienne. £t 
le bon Justin ayant fait son offre aussitôt, 
elle fut acceptée, comme on pense bien, 
avtc autant de joie que de reconnois^ 
sauce. 

i — J'aurois voulu de grand cœur vous 
loger ici, mon cher ami , poursuivit l'écri- 
vain sans remarquer les signes que lui 



^O LB iroviCB». 

{smùit la dsnne Brigitte; maïs je œ m^^ 

quelles convenances des idées, qoe M" 

fait ma sœur 

^T II est aisé de sentir qu'une jeu»s 
femme se trouvant logée dans la maâs^D, 
la chose est impossible, se bâta de direbi 
dame Brigitte d'un air fort spc^ péw 
couper court à ce discours . 

Robert, qui n'envioit rien tant alom 
que les bonnes grâces de la vieille fitle, 
répondit de l'air le plus gracieux , qu'il 
seroit trop heureux de se soumettre aux 
avis comme au!x volontés de dame Bri« 
gitte^ son plus grand désir étant de 
trouver une sœur dans la sœur de son 
ami. 

Très-flattée que la demande du jeune 
homme n'eût pas dépassé la ligne frater^ 
nelle, la dame Brigitte sourit, au grand 
étonnement de Méridan^ qui ne se scw 
venoit plus de l'avoir vue sourire , et ré^ 
pondit avec la plus grande bienveillance 
en engageant Robert à regarder leat 
maison comme la sienne. 



LE TTOTICe. -I 



Dès le jour même, après s'être occupé 
avec Gçorge du soin de se loger dans le 
voisinage, le jeune écuyer vint donc se 
placer à la même table que Julienne. Elle 
étoit alors entièrement remise de sa pre* 
mîère émotion, et voulant peut-être indi- 
quer à Robert la conduite qu'elle dési- 
roit qu'il tînt, elle se conduisit elle même 
avec lui ainsi que Tauroit fait une sœur,' 
loi tendant la main à son arrivée, l'appe- 
lant -Robert et ne trouvant pas mauvais 
qu'il l'appelât Julienne ; seulement , si le 
joûneécuyer la regardoit trop long-temps, 
son air devenoit sévère, ses yeux peî- 
gnoient le mécontentement et se détour- 
noient aussitôt. 

Robert avoit trop l'habitude de la de- 
viner pour se méprendre à ses désirs. — 
Faisons ce qu'elle exige, se dit-il, renfer- 
mons au fond de mon cœur ces mouve- 
ments d'adoration qu'elle m'inspire. Ah ? 
Qu'elle me sourie encore une fois, je ne 
demande rien de plus. Et dès ce moment 
il dissimula tant d'amour sous le dour 



y a UE NOVICE. 

sentiment de l'amitié, le seul qu'on lui 
permît, le seul qu'on parût partager. 

Dans la soirée, Méridaii se rendît à 
l'hôtel Saint-Paul, afin d'obtenir une au* 
dience du roi pour le jeune écuyer, qui 
désiroit remplir dès le lendemain, s'ilétoit 
possible , la mission dont l'avoit chargé 
Duguesclin. La dame Brigitte étoit déjà 
partie pour aller à 1 église , où elle passoit 
une grande partie de sa vie , et George 
ne tarda pas à sortir aussi, sous le pré- 
texte d'aller s'occuper de l'établissement 
de son maître et du sien. Robert et Ju- 
lienne restèrent donc tous les deux seuls, 
seuls! pour la première fois depuis le 
Jour où ils s'étoient parlé près de la 
tombe de dom Joseph. Avec quelle vio- 
lence baltit le cœur de Robert, lorsqu'il - 
entendit George refermer la porte! Il 
craint de relever sa tête, il craint, s'il - 
regarde Julienne, de ne pouvoir contenir 
assez rindicil)le émqlion : qu'il. çprouyç ; 
enfin il ose: ses yeux , pleins d'acùou.r .ot 
de joie, se portent sur elle. La veuve ;rfô^ - 




LE NOVICE. j3 

sîre Evrard étoit calme, une pensée reli- 
gieiise et pure bannissoit la rougeur de 
son front. — Robert, dit-elle en le regar- 
dant tristement y vous avez donc reçu 
son dernier soupir? vous avez assisté à 
ses derniers moments ? 

Ces mots auroient éteint tout à coup 
l'amour de Robert que le changement 
qui se fît dans les sensations de son âme y 
dans l'expression de ses traits n'auroit 
paft été plus grand. — Oui , Julienne, re- 
pondit le noble jeune homme, il a parlé 
de .vous , de vous seule. 

— L'infortuné! reprit-elle, comme il 
m'aimoit ! et des pleurs coulèrent de ses 
yeux. 

— Voiis étiez sa femme, Julienne, il 
vous a dû le plus grand bonheur dont un 
mortel puisse jouir sur la terre ; cette pen- 
sée doit adoucir vos regrets. 

— J'étois sa femme; oui, Robert, et 
souvent , bien souvent depuis sa mort je 
mô jette à genoux , je prie le ciel , je le prie 

IV. 4 



-^j. LE NOVICE, 

lui-même, pour qu'il me pardonne do n!a5 
voir pu reconnoître assezdant d'amour. 

. — Vous* pardonner ! s'éma: Robert, n» 
ïaviez-vous pas suivi dans les camps ai tra- 
vers mille dangers ? Ne vous ^unnettie^ 
vous pas à son moindre désir ? Lesanges^ 
Julienne, les anges ne sont pas plus in- 
nocents que vous ! 

— Dieu sait que j'aurois donné ma via 
pour sauver la sienne ! reprit-^elle ; vGmsH 
même Rot^iert, ne l'aiïriezrVQua pas &e-r 
çowruau: péril de vos jours? 

— Au péril de mes jours, répondit le 
jeiii^e écuyerjque le ciel me punisse si je 
jnens. Julienne lui. tendit la main*. -^ Ce 
que vous venez de dire me fait du bipo»^ 
Robert; Méridan ne sait qu^insultor à la 
mémoire de vos malheureux compagnon; 
Sd'arraes. Si je pense au pauvre Evriar^d^^ç 
ine contraîns devant lui, et pourt^jat il IWC 
seroit doux de pouvoir en parler.. 

. _ x\vec moij^avec moi,^répiondit-il.W 
iJfnprimaiU ses lèvres sur çelt^ tQfûqi ^ 



dàère. MdriOoew répondra toujours à la 
pensée dé JuHemae. 

Julienne attacha- sur lui ses.grands yeux 
remplis de^ larmes. Ge. regard étoît qm- 
preînt de reconnoissance , de tendresse, 
et pourtant il n'éleva* point dans l'ame de 
Eobert les mouyemenits^tiimultueux d'un 
délire^ passionné ;.il y porta ce bonheur 
calme, ce bonheur ineffable donf satk^ 
doute on jouit dans le cie!. S'abandonnant 
gour la pren^ière fois au charme d'un^ 
confiance sans réserve. Julienne ne lui 
cacha rien des. tristes événements de sa 
vie. Avec quelle joie apprit-il les odieux 
motifs qui l'âvoient obligée à fuir son ma- 
noir et à devenir l'épouse du comté! Car, 
sans en avoir l'intention, Julienne àp- 
j}liyoît sur ces motifs pour expliquer sa 
conduite , et glissojt légèrement sur toute 
autre cause. Une femme a-t-ellè jamais 
feiifc eiif efndre à ceïili qu*élte aime, que sort 
cœur ait êté^ sensible à unr autre amour ? 
îîbn. lie passe s'efface si bieii alors que 
Voubli dispense du mensonge. 



y6 LE NOVICE. 

Robert Técoutoit, palpitant de joie, de 
bonheur; et il attendoit impatiemment^ 
peut-être, qu'elle arrivât dans son récit à 
J'époque de leur première entrevue dans 
le château d'Ingelcour, lorsque George et 
Méridan rentrèrent. ■ ■■ ^ . 

* Méridan apprit au jeune écuyer que le 
roi le recevroit dès le lendemain après son 
dîner* 

— Il vous auroit même reçu ce soir, 
ajouta-t-il , mais son médecin lui à or- 
donné de se mettre au lit, parce qu'il vient 
de lui trouver un peu de fièvre. 

— Et s'il est encore malade demain ? 
répondit Robert. 

. — Oh! reprit Méridan, il est malheu- 
reusement sujet à ces indispositions, mais 
.chez lui la force d'esprit tient lieu de la 
force du corps. Je suis bien sur qu'il ira 
au conseil comme à l'ordinairg^ et qu'û 
vous recevra , car il a grand désir de vous 
yoir pour causer de votre patron, et des 
affaires de Castille. 



lE NOVICE. 77 

— C'est qu'entre nous , mon cher Mé- 
ridân , répondit Robert , je serois bien 
fâché qu'on me renvoyât, ainsi que ma 
lettre , au seigneur Bureau de la Rivière. 

— Soyez tranquille , Charles fait ses af- 
faires lui-même, surtout quand il s'agit de 
Duguesclin. Vous viendrez me prendre 
avant onze heures, car le roi dîne à dix. 

— ^11 paroi t, maître Méridan, dit George, 
que vous avez vos entrées libres à l'hôtel 
Saint-Paul? 

-.. J'y passe la plus grande partie de ma 
vie , répondit l'écrivain , soit pour mettre 
de l'ordre dans la bibliothèque, et pour 
y .travailler, soit pour me rendre aux or- 
dres du roi , qui me fait appeler presque. 
tous les jours. 

• — Comment diable a-t-il le loisir de s'oc- 
cuper autant délivres , reprit George, ayan^ 
de si grandes affaires sur les bras ? 

*— Son amour pour les lettres ne nuit 
en rien aux intérêts de l'état, mon ami 
George , soyez-en bien sûr, répliqua Mé- 



^8. IJE JXOYICE^ 

rUlan , qui ne ppayoitl^iiaser passer en si- 
lence la .plu$ Jé^re'^ttaq[ue contre soqt 
Iiéro3. Bienheureux le^euple au.cQntrair.<r 
qui vit souç un prince^aussiécLaii;^. Il su^* 
£it, pour s'en convaincre, de cpmparpr la 
France à ce qu'elle étoit naguère. Vous. 
venez de traverser une partie^n royaume^ 
ajouta-t-il en 5e tournant vers.Robert, et 
vous avez pu voir qu'on laboure mainte- 
jiant cette terre que Charles a trouvée 
en friche. Tout a repris une nouvelle lacer 
l'abondance renaît, le commerce nfos-* 
père, des manufacbireîs , s^élèvent , et 4a 
justice se rend dans des villes reconqùiseis^^ 
surFétranger avec une rapidité qui tient 
du miracle.'La plus stricte économie existe 
dans les^nances, les subsides sont dim^" 
nues, lesmonnoies rétablies sur l'ancien 
pied, chaque jour, enfio^ vdit disparaître 
uns calamité ou consolider un bien quL~ 
s'est fait la veille; et pour opérer tajntda-- 
prodiges ,^ il a ssûfà. de moins de trois ans 
au grand homqcrç qni nQm^.gpuverQe., 
. Yousf ni'inspirej^ kâaujcoup.4e re^^^tr 



TSE NOVICE. y g 

et Aé vénération pour ce monarque, dit 
Hobert , quand Fécrivain reprit haleine. 
' — Quant à moi , reprit Méridan , je ne 
lui compare aucun souverain. Charlema- 
gne étôit tin prince distingue pour son 
temps, j'en conviens, nrai^ je n'aime pas* 
les' conquérants, ils sont trop occupés 
au dehors pour n>3n affermir au dedans; 
I/hoinme'mort, les institationis, le terri- 
toîrey'tQut va au diable. La preuve , c'est 
^e. Cbarlemagne a fondé des écoles de^ 
tous les côtés , et que six ceïits ans après^ 
lui DOS gentilshommes ne savent pas lire. 
A propos de ceux qui ne savent pas lire ^^ 
continua l'écrivain en riant, et mon élève, 
ce seigtieur anglais?... Eh !... commentrap- 

. . ^Ia*1& -TTC 

pelez-voiis ?, r > 

, — Hugh Calverley , dit Robert. 

— C'est cela. J'espère qu'il n'a pas été 
tuè? 

— Non vraiment, je l'ai laisse à Bor- 
deblux, se portant à merveille. 

— Bon homme, sur ma foi ; bon homme, 
i^rit récrivaîn , quoiqu'il . fut ignorant 



8o LE IfOVICE. 

i 

comme une carpe , ainsi que tous ses par 
reîls. Au reste? je crois qu'il est le seul des 
tard-venus que je pourrois reconnoître si 
je le rencontrois aujourd'hui. 

— N'en ayez-vous jamais revu aucun ? 
demanda Kobert. 

— Il est possible que j'en aie revu plu- 
sieurs sans me remettre leur figure, 
répondit l'écrivain; car il y avoit beau- 
coup de Gascons parmi eux, et les Gas- 
cons ne manquent pas maintenant à la 
cour de France. 

— Par quel hasard ? demanda Julienne 
avec un air d'intérêt. 

— Parce que depuis un mois, répondit 
Mérîdan , les comtes d'4tf rnagnac , de 
Comminges , d'Albret , de Périgord , et 
presque tous les seigneurs et prélats de 
Gascogne sont à Paris pour demander, 
justice au roi, comme seigneur^suzerain. 

— Justice ! et contre qui? dit de nou- 
Teau Julienne. 

Contre le prince de Galles, qui, pour, 



LE NOVICE. 8l 

payer les dépenses Je la guerre de Cas- 
tiUe, veut lever un subside de vingt sous 
par feu sur toute la province d'Aquî* 
taine. 

— Les Gascons veulent donc défendre 
leurs franchises ? reprit encore Julienne 
avec beaucoup de vivacité. 

— Us le veulent si bien , répliqua Fé- 
crivaiB , que si le roi se prononçoît , toute 
la province peut-être secoueroit le joug 
de l'Angleterre ; mais avant dé rallumer 
la guerre avec les Anglais, Charles désire 
sans doute se mettre en mesure d'en as* 
surer le succès, et jusqu'ici il n'a promis 
sa protection qu'en termes généraux qui 
ne l'engagent à rien. Cependant les dé- 
putés voient tous les jours le sire Bureau 
de La Rivière , ce qui donne beaucoup à 
penser. 

— Que ne donneroîs-je pas , reprit Ju- 
lienne, pour voir les Gascons rentrer sous 
la domination de la France ! Le vœu de 
toute sa vie seroit accompli , ajouta-t-elle 
en regardant le jeune écuyer. 



. -M» Et VOUS seriez ^«ouveaoL une' 
fst ;griHMte «danie y répondÂt-41 d t» 
triste. 

— Vraiment, dit Mérîdan, s'adre 
à JulienDej^ 4<Ml les yeux restoient: 
cbés sur Rebert; :ch ^bieû ! qiire le i^ 
un an, et vou^ .serez Française , <et 
pourj^ez partir.../ 

;--r- Jamais y dît-i^k aussitôt^ ja 
Quiroîs-jô faire dans tua pays où p 
ami ne i^'atteifed j? . 

, Ce iB0t !di$sîpa à TnoBtaBi: le nuage 
le front de Hobert -s'étoit ®bs(aii?i 
Pieupe étant sdans fort avancée, o& 
paraavec là douce idée de se rel^ 
leiulemaia. 



CHAMTRE V. 



O Dieu ! garde à jamais ce roi qu'un peuple'adore. 
^ AMnps de ses'^Aiiomis Tes flèches et les dards , 
Qu'its.yiennQBtjdu Couchant, qu'il» yieniuat de Vaiurore ,. 
Sur des coursiers ou sur des cliars. 

YiCToa Hugo. 



Ce jour &e levA radieux poutr Bobert. 
A. peine fut'il §ur pied qu'il ■ ouvrit isa. fe- 
nêtre, et re$pii:adéUc^useiQe8t:l!air ma- 
^iiud de la ru^e bourbeuse qu'il iiabitoit, 
1^ ];rouYaiit c^nt iSoispréférableiii l'air pur 



84 l'B HOVICE. 

de la plaine de Châlons , à Tair enibaumé 
des orangers de la Castille. Tout dorrooit 
encbre dans le quartier; mais il se plaî- 
soit à contempler les maisons de Paris.— 
Elle est à cent pas de moi ! se disoit-il. Je 
ne passerai plus aucun jour sans la voir ! 
Et son cœur bondissoit de joie , et ses yeux 
brilloient de bonheur. George étant alors 
entré dan^ sa chambre , il lui sauta au 
cou, le serra dans ses bras. — George! 
s'écrioit-il , enfin , enfin , nous sommes 
heureux! 

George se mit à rire. Lui-même n'avoit 
jamais été plus content. Qu'étoit-ce en 
effet que son bonheur , sinon celui de 
Robert? — Oui, oui, répondit-il, nous 
sommes heureux, mais ce n'est pas sans 
peine, et pourvu que votre diable de tête 
ne travaille plus , que vous n'alliez pas 
vous forger des chagrins sur un mot que 
la chère créature ne dira pas à votre fan- 
taisie 9 sur mille choses enfin..... 

— Queî chagrin veux-tu que j'éprouve 
maintenant? répondit l'heureux jeune 




/ 

LE ^yicE^ 85 

homme , quand je vais la voir tous les 
jours, quand j'ai Tespoir de me faire ai* 
mer d'elle? 

•— Ouais ! dit le chasseur avec un rire 

malicieux , vous avez l'espoir de vous faire 

aimer! Gardez cela pour la dame Brigitte^ 

qui me chantoit hier je ne sais quoi sur le 

deuil, sur le veuvage , et qui trouveroit 

fbrt^mauvais qu'on vous aimât avant l'an- 

Xïée révohie. 

r— Elle a raison , George ; mais ce n'est 
"Jwis la dame Brigitte que je crains. 

• «*^ Elle est pourtant bien diablesse. 

. .— C'est l'idée de déplaire à Julienne; 
cfest l'idée d'offenser la mémoire de cet 
infortuné ! Ah ! George , qu'il a dû regret- 
ter la vie ! 

— Après tout , dit le chasseur^ c'étoit 
un mauvais chien. 

• — Paix , George , paix , dit Robert; ce 
n'est pas à nous d'outrager sa Rendre, 
(^râce au ciel, danà }e. temps où \$a pré- 
#^C(e,^in'étp\t ;la plus odieuse, je n'ai ja- 
mais fait un vœu contre lui; de même ^u* 



jourd^hui> Fespectons k deirirâe<cet ange 
qu'il a tant aimêi : *» 

— Je le ferai, dit le. chasseur en ser- 
rant la main du jeune écuyer, car vous 
venez de parler comme un bon et bravé 
garçon que vous êtes; 

[Robert 4tant alors allé prendre Ménr 
dan bien long-temps avant Theiire con^vç^ 
nue, et celui-ci ]ogeantà fort peu de di9r 
tance de- la demeure royale,, tous deia 
arrivèrent à l'hôtel Saint-Paul comnEie k 
roi veiK)it seulemeai de se mettre à table. 
— Tant mieux, tant mieux;,, ditMéridan, 
je vous ferai voir en attendant la bibUo* 
thèque; un autre jourt nous pourrons 
parcourir les jardins quis'étendjentlelo^ 
des bords de Ik Sçiite y et qui rendent ce 
séjour délicieux ; mais j§ suppose que vouf 
préférez de; b^au(K:^up visker l^. biblio* 
thèque. . 

-r- Sans» dqut^ , ripraidifc Robert qal 
n'avait pas» vu m li^e i ^puis» pth ^fawt 



L'emvain s'emppes^ (te le* eoixlmrè^ 

Bon? sans l'avoir prévenu coDtre la su^^ 

prise qu« devoit lui causer l'amas de ri- 

choses qu'il alloit lui faire contempler. 

•t« Persuadez-vous , dîsoit-il en traversant 

plusieurs graiides salles et de longs cor- 

i^oi« , avec une telle rapidité qu'on eût 

^Z qu'ii avôit des ailes , persuadez-vous-, 

^ue saint Louis^ cet ami des lettres et dé 

l^ëtude, ne possédoit que dix volumes^ 

%put le l^oi Jean r^'en a- laissé que vingt 

^u plus, et vous allez juger die ce que 

iDOiis^ devons à son successeurr. TSous y 

if^oiei, continua-t-il en s'arret!ant à un^ 

grande porte devant laquelle Robert crut 

qu'il- atioits'agenouitkr, tsintil laconsî*^ 

ArOft avec respect avs^nt dô. l'ouvrir; 

mais il se contenta de se déco-uvrir lartélè 

(9fl i6taM son chaperon dès- qu'il eut 

passé' le seuil d^sd«?ct4:Kiire. ATàspectdlé 

isr-eents volumes , au moins, rangés avec 

0fète sup dte'tiibllettes d'ébène^ le jeune 

"ébayeF' lut? en^ effet sat^i- cFtine sorte (Pà#> 

«rpation>etiFeBl»qii>)k}Hes instants ifai^ 



88 LE irOYiCE. 

mobile promenant des regards d^étôn* 
nement et de satisfaction sur ces pré* 
cieiix produits de l'esprit humain. 

— Vous pouvez les toucher , vous pou* 
vez les toucher, dit Méridan ravi de l'effet 
que produisoit cette vue sur son jeune 
ami. Voici d'abord le texte de tous les 
ouvrages grecs et latins que nous pôssé^ 
dons. Tout cela a été acheté au poids de 
l'or, sans pourtant être payé, ajouta le 
petit homme en levant les yeux au ciel 
comme en extase. 

—Je n'aurois jamais cru qu'on pût voir 
réunis un aussi grand nombre de manus* 
crits , dit Robert , et il en feuilletoit plu— 
sieurs avec un sentiment qui^tenoit du^ 
respect; je croyois la bibliothèque d^ 
Saint-Paul.^... z 

— Aucune , aucune ne peut se compareicr 
à la nôtre , interrompit l'écrivain , et vou9 
êtes digne d'apprendre un des premiers ^ 
mon cherami, le noble projetdu roii II y^xxX 
que tousses sujetspuissent jouii^commelui 
4'an pareil trésor ; qu'il soit permis à tout 




LE NOVICE. 89 

ami des lettres de lire, de copier ces 
volumes. On prépare maintenant une des 
toiirs du Louvre pour y transporter nos 
livres. L'entrée en sera permise à chacun. 
Charles a donné Tordre de suspendre à 
la voûte trente chandeliers et une lampe 
d'argent afin que l'on puisse y venir tra- 
vailler à toute heure (i) Une émotion 

si vive saisit le petit homme qu'il s'ar- 
rêta et se hâta de détourner ses yeux , 
dans l'espoir de cacher qu'ils devenoient 
humides. 

Mais ce n'étoit pas à notre héros que 
p6ovx)it sembler ridicule aucun mouve- 
ment d'exaltation , surtout lorsque ce 
mduveinent naissoit d'un noble principe ; 
aussi Robert s'écria-t-il aussitôt avec un 
grand enthousiasme v — Votre roi ne f ît- 



(1) Ce projet fut en effet exécuté peu de temps 
après. Cette bibliothèque, la première bibliolliè- 
que publique que l'on connoîsse. se composoii de 
neuf cent dix volumes en 1 37?., ain?î que le prouve 
l'inventaire rédigé alors. 



90 I^K If Q VICE, 

il jamais que cela pour $oq peuple , sofe- 
nom doit rester cher aux Français ! , 

Méridan serra lai;aain de sop jeupir 
ami 9 puis ^'avançant vers d'au,ti:^ tiabl^tr 
tes : —Voici maintenant les tradjicitipiis^ 
continua-t-il en ouvrant plusieurs yol^'^ . 
n^es admirablement copiée et doqt}|$i plf^» 
part étoient ornés de^ vignettes^ où l!or 
solidement appUqgiiâ $e ipê|pit auy cou- 
leurs les plus riches et les plus ywées. 
Puis faisant qu.elques p^s, nous ayon^ 
placé ici les poèmes et généralement tow 
les ouvrages qcrits en ver$. Vous voyez 
que le nombre en est considérable. ;rt 
chaque jour les auteurs en dédient de 
nouveaux à notre rOi, ou à nos pirinees^ 
qui les paient très-magnifiquement. Mais 
notre pauvre poésie est encore datis Yeu^ 
fance ; nos auteurs en ce genre sont vrsu- 
ment illisibles et je donnerois tout ce fa- 
tras pour un vers d'Ovide. Cette partie > 
ajouta-t-il en allant plus loin, renferme 
les chroniques et les autres matériau:^;, 
pour rhistoire. 



^ Ah! s'écHa Robert, s^âfrêtant à cet 
endroit, si mon bon oncle Annbroise pou- 
^oit puiser dans un pareil trésor ! il se 
ccoiroit aussi riche que le roi lui-même* 

— Nous avons bien soqvent causé en- 
semble sur ce sujet , répondit Méridan en 
hurlant, et je n'ai point oublié la pro- 
messe que je lui ai faite de lui envoyer 
quelques extraits intéressants; mais le 
temps m'a toujours manqué* Ah ! le temps,. 
le temps ! mon cher Robert ; si tant de 
gens qui le perdent pouvoient en donner 
i^ ceux qui travaillent , quel profit ce se- 
roit pour les lumières ! 

Robert, en souvenir de son oncle, ou- 
vrit plusieurs de ces annales , qui , bien 
qu'écrites avec une sécheresse insipide, 
étoient pourtant les seuls monuments 
i|ui pussent transmettre les faits histori- 
ques à la postérité. 

' *— Et tout ceci ? demanda Robert en 
arrêtant l'écrivain qui passoit en silence 
et rapidement devant les dernières ta- 



ga UE NOVICE. 

blettes, quoiqu'elles fussent chargées de 
volumes richement couverts. . 

-T— Ceci, répondit Méridan en baissant 
la voix, et comme un homme que cette 
question avoit contrarié, ceci ne traite 
que de Fastrologie judiciaire. 

— Quoi ! tant d'ouvrages pour une pa-^ 
raille sottise! s'écria Robert. 

— Paix, paix, reprit Técrivain d'un air 
mystérieux , ne parlez pas ainsi chez le 
roi. 

— Ce peut-il qu'il ait cette supersti* 
tion? dit le jeune écuyer d'un ton plus 
bas aussi. 

— Tout grand homme qu'on soit, ré- 
pondit Méridan, il paroît que l'on doit 
payer un tribut quelconque à son siècle. 
Charles est plein de vénération pour cette 
science ; non-seulement il est entouré 
d'astrologues , mais il a fait copier ou tra- 
duire tous les ouvrages qui ont rapport 
à l'aslrologie. 

. — - Et vous , maître Méridan , dit Ro- 




XE HOVICE. g3 

bert f ai«je aussi par mes paroles indis- 
crètes blessé votre croyance ? 

Le petit homme leva les épaules en 
riant, puis mettant son doigt sur sa bou- 
che ,' il prit le bras du jeune écuyer , et 
sortit de la salle avec lui. 

Ils retournèrent dans la première cham* 
bre, où se tenoieot les sergents, les bé« 
raitts d'armes {gj^s gardesde service.Après 
avoir traversé deux grandes pièces ornées 
de superbes tapisseries^ et dans lesquelles 
un grand nombre de gens de cour étoient 
assis ou se promenoient de long en large, 
ils entrèrent dans celle où se trouvoit lé 
roi , qui venoit de quitter la table. Cette 
troisième pièce , appelée la chambre de 
Charlenuigne , étoit plus grande et plus 
olrnéa que les deux premières. Les murs 
étoient couverts d'une étoffe bleu foncé y 
semée de fleurs de lis d'or et d'autres or- 
nements. Les peintures des vitraux, d'une 
beauté remarquable, représentoient une 
réception solennelle d$s chevaliers de 
llordre du Nœud , institué par Louis d'An- 



j^4 XS KOTIGB. 

•jou /roi de Sicile. Un rîcïie tapis couTfoft 
le plancher. Au fond delà salie, «ouftim 
idais magnifique , on Toyoît brillei* le 
«iége royal ^ et de chaque côté des lâm<- 
hris étoit placé un double rang d'çscft- 
belles sur lesquelles les princes du MÊùgy 
les pairs de France et les plus hauts di- 
gnitaires s'assey oient , lorsque le roi leur 
en donnoit la perroissîott^JEl^ert qui, k 
i'exempledeaon compagnon, s'é toit rangé 
près de la porte , derrière plusieurs sei*^ 
gneurs , remarqua à peine la riohesse du 
Ueu dans lequel il se trouvoit introduit. 
Toute son attention étoit concentrée sur 
le roi j que ses regards avoient cherché 
aussitôt pour ne plus s'en détourner* 
Charles étoit debout au milieu d'un Ger<« 
ele que formoient autour de lui les grande 
de sa cour, les ambassadeurs des souve-» 
rains, les étrangers de marque et qpod* 
ques savants qu'il aimoit à approdher ^ 
sa personne. Il causoit a^;ec TambaMN 
deur de Portugal ,à part et d'une ^mt 
si basse ^ qu'à la distance rei^cltieuse oà 




LE ilOVICE. 96.; 

l'on se tenoit d'eux, il étoit impossible de 
les entendre* Tant que dura cette con- 
versation , Robert put considérer à loisir 
le prince destiné à conserver dans l'bis* 
toire le nom dé Sage^ que lui donnoient 
déjà ses sujets. Charles étoit d'une taille 
liaute et bien proportionnée ; son visage 
un peu long et Irès-pâle étoit d'un beau 
tour , et tous ses traits portoient l'em- 
preinte de l'intelligence et de la bonté. De 
ses yeux bruns et bien fendus, il partoit 
des regards perçants ; son front étoit 
large, ses sourcils biea arqués, son nez 
long , sa bouche assez grande , et ses che- 
.veux châtains. Sa contenance étoit noble 
et posée, son air grave et réfléchi, et sa 

vue comraandoit le respect aux grands 
comme aux petits. 

Ce ne fut donc pas sans émotion que 
Robert le vit, quand il eut quitté l'am- 
bassadeur, jeter un coup-d'œil sur Justin 
Méridan , et s'approcher de ce côté. •=— • Je 
Tais vous présenter, dit aussitôt l'écrivain 
à son jeune ami ; et comme il achevoit tes . 



5 



96 LE NOVICE. 

mpts, lé roî, qui se troiivoitalorsprèsd'cux, 
prit la parole le premier pour demander 
si ce jeune homme étoit Téouyer de Du* 
guesçlin. Méridan ayant répondu que oui^ 
Robert prit la lettre de Bertrand et la 
présenta respectueusement au prince, qm 
se retira pour la lire dans Tembrasure ' 
d'une fenêtre, après avoir fait signe au 
jeune écuyer de le suivre. 

i — Ainsi, dit le roi, quand sa lecture, 
fut finie, et qu'il eut serré avec soin la 
lettre dans son autnômère , ainsi , vous 
l'avez laissé partant pour la Bretagne ? 

— Oui, sire, répondit Robert en s'ef- 
forçant de vaincre le trouble que lui îns- 
piroît im tête-à-lête aussi imposant. Il 
doit y être arrivé maintenant. 

— Sa santé li^qvoit point souffert d'une 
si ennuyeuse captivité? , 

— Beaucoup moins quoje ne; le crai- 



gnois. 



> — Vous ne l'avez point quitté pendant ' 
tout ce temps? 




LE IfOViCE. gy 

— .Non, sire, tous ses compagnons 
étant retournés en France..... 

— Et peut-être, dit le roi, n'aviez-vous 
point les moyens d'acquitter votre ran- 
çon? Les Anglais font payer fort cher. ' 
Charles pensa peut-être alors au traité de 
Bretigni; car le sourire dont il accompa- 
gna ces motsavoit qiielque chose d'amer, 
qui n'échappa point au jeune écuyer. 

— J'étois libre, sire , avant d'entrer en 
Aquitaine, répondit simplement Robert. 

•— Et vous êtes resté près de Bertrand 
par affection pour lui ? reprit Charles d'un 
air sérieux et approbateur. 

Robert s'inclina. 

— Je conçois bien qu'on aime Ber- 
trand, continua le roi; car, moi qui vous 
parle, je l'aime aussi de tout mon cœur, 
et j'espère bien lui en donner des preu- 
ves; oui., j'espère l'élever si haut que, 
sans acquitter les dettes de la France en- 
vers lui, ce qui est impossible, je ferai du 
moins connoître que je ne suis pas ingrat ; 
car de tous les défauts qiie peut avoir un. 

IV. 5 



C)8 LE KOVICE, 

monarque, l'oubli des services est le plus 
grand. Quant à l'argent de sa rançon , que 
notre ami ne s'en mette pas en peine. Je 
vais m'occuper des moyens de l'envoyer 
au prince de Galles, et j'espère terminer 
cette affaire aussi vite que Bertrand ter* 
mine les miennes. 

Robert, regardant C6s derniers mots 
comme la fin de Veirtretien dont ïe roî. 
rhonoroit, se disposôît à s'éloigner après 
a\"oir fait un profond salut : mars le roi re** 
prenant : — Vous avez sans doute été bien 
traités à la cour d'Aquitaine? dît-il| le . 
prince de Galles s'est toujours montré en* 
nemi généreux, surtout après lavi<?toîrè. 

— Sous le rapport des égards, des mar- 
ques d'estime, répondit Robert, monsei- 
gneur Bertrand n'a jamais eu qu'à se louer ■ 
do son séjour à Bordeaux. 

— Alliez -vous quelquefois chez le 
prince? demanda Charles d'un air indif- , 
férent. 




i— Sa: cour doit être fort: nombreme ? 
continua-t-il de même. 

— On y voyoit sans cesse beaetoup de 
^seigneurs anglais j répliqua Kob^srt. 

^.^£t les grands du pays ^ ajouta le roi 
sans aacun accent interrogatif. 

— Je n'en ai jamais rencontré un seul 
chez le prince, dit le jeune écuyer, sa- 
chant Incn, d'après ce qu'il avoit appris 
de Méridan, que cette réponse, qui étoit 
l'exacte Térité, ne seroit point dé$agréd!>Ie 
au r(H. 

— C'est fort extraordinaire^ dit Charles 
•d'un ton très-simple, et qui n'annonçoît 
•en aucune manière qu'il prit le moindre 
ixttérêt à oes détails. Puis changeant de 
discours aussitôt, il paria de l'Espagne^ 
^efitenri. Ce pi^kiceest fort aimé des iCas- 
4îUaiis-? 'demonda-t^il. 

«^ Oui, sire 9 réporndit B:ei>ert , aiUaiivt 
tpiie '$oA frère en estC <létesté. 

.I^amour d'i» pie «i pie est une grande 
faffee^ ^néierabk à toiates^les anné«^ re^ 
plrit> U) ROI ; . et peut-être .tivaat pea:l}raiis« 



aoo LE irovicE. 

tamare en fournira- 1- il une nouvelle 
preuve. 
* — Quand Duguesclin Faura rejoint, 
sire, domPèdre aura régné, 

— Et le malheureux ira rendre compte 
de sa mission ici-bas, dit le roi d'une voix 
profondément émue. Un criminel ordi- 
naire peut espérer dans la miséricorde di- 
vine; mais un roi contre qui les gémîsse- 
luens et les larmes de tout un peuple ont 
déposé! quelle horreur , ô mon Dieu! doit 
accompagner ses derniers instantslCharles 
ne put prononcer ces mots sans éprouver 
un frémissement intérieur qui redoubla 
la pâleur de son visage. — Quant à toi, di- 
gne prince , ta mort sera douce , se dit 
tout bas Robert, qui le considéroit avec 
la plus tendre émotion, quand il reprit 
la parole. Le ciel , j'espère, permettra que 
ce pauvre peuple jouisse d'une plus heu- 
reuse destinée sous Henri. Je viens d'ap- 
prendre d'une manière certaine que ce 
prince vient de rentrer en Castille avec 
im parti considérable de mécontents qui* 




LB KO VICE. 10 r 

Tont rejoint, et que la plus grande partie 
de la noblesse s'est déclarée une seconde 
fois contre dom Pèdre. Alors il fît plu- 
sieurs questions sur la manière dont Henri 
avoit traité les Français, sur le sort des 
grandes compagnies, qui, dit-il en sou- 
pirant, ont bien maltraité mon pauvre 
peuple! Enfin dans tout cet entrelien qui 
dura plus d'une demi- heure, Robert ne 
cessa d'admirer la sagesse, la prudence el 
la bonté du meilleur des rois; près de lui 
la timidité la plus grande auroit dispara 
tant il avoit l'air affable et bienveillant; 
il s'exprimoit en termes choisis, sa voix 
all'oit au cœur, elle étoit fort sonore et 
xontrastoît avec l'aspect débile qui inlé- 
ressoit si vivement en lui. 

Au moment de congédier le jeune 
écuyer,illui dit d'un air gracieux -.—Vous 
avez ^un trop bon patron pour que je 
vous offre de vous être utile. Bertrand me 
mande d ailleurs que vous êtes bourgui- 
gnon ; et peut • être n'avez- vous compté 
faire avec lui que la campagne d'Espagne? 



ïOa I-E NOVICE.: 

— Bien n'est encore décidé sur mon 
avenir , sire , répondit Robert plein de 
reconif^issance . 

T- Je^sais que vous êtes un savant , re- 
prit Charles en souriant , et mon frère 
de l^ourgogne ne cédera pas volontiers 
les droits qu'il a pour vous conservera 
j^ cour; mais je n'en veux pas! moins 
vous dire que, soit que vous continuiez à 
suivre la carrière des àwnOs, soit que 
vous désiriez vous livrer entièrement i 
Tétude, vous pouvez compter sur l'appui 
et la protection du roi de France. £s 
achevant ces xnpts le n>i se rapprocha 
^fun groupe de courtisan3; Robert rcjoi» 
gnit Justin Méridan , et sortit de l'hôtd 
Saint-Paul , en adressant des vœux au 
cielpour les jours de Charles -lc«^Sage. 



CHAPITRE VIL 



Vamour n'etotl pMl^hi-^mtit qfK>iiu*un peu sérèrt. 
Il avoil son sourire , soa regard , son mys ère, 
* - • Docis. 



.1 -M 



'> flM£iiT ne ^ârda piStô à se voir établi 
''cbez'la bdn •Méridiiti comme renfismt de 

k màifton. La dame Brigitte elle-même , 
-'Cachée iées ftoins qu'il prenoit pour lui 
-fkûra^ âdoucissoit, en lui parkul^ celte 



M KOVfCE. 

• étoit alors, il entendît Jiistin Mérîdan dis- 
serter sur airîstote, George }>àrler dedbm 
Ambroise ow dé la CastUle, la (ïawië'Bri- 
gîtte se disputer sur le preiyiîer^ mot qui 
lui déjilaisoit, it éE6ît conte«t :- car 4e 
temps en temps la toîx de Julienne» se 

^raêloit aux autres vgii. 'Bien rà^èfnettt il 
ht regatxloit sans Téncontrer ses grands 

- yeux bleus- fixés sur lui; ét^lè charme île 
'celte situation [Vrè toit du. charnu k tout^ 
^au point que Méridan létrôuvôit toujours 

- pré* à soutenir dés discussion^ , à ttopîéi* , 
à prendre pour lui dé» notés , etci, toutes 

* f * * r " f 

choses qui lé réhdoierit isi citer' a?âi bon 
écrivaîri, cjue ceiîHTCîTàiipoît preâqUè awssi 
tendrement' que ées livres, ' ^ ^ ' 

lies jours ,^îes'sertiainés 's^èoiiVèié^t 
96ttceïrrent' ainsi, pendant^ le^uèls Tk- 
^ îitoiir dèRobert iseseroit accrdVsfil^avéit 
' ]f)iî sWtoîtïte. Tttftt ^rêVek^ de^isôfe îttià- 
■ gînàtîoii ' s*ét6ieifit dfesîpés de^uf^- tih« 'a» ! 
îdftenne seule et WaBsbit riô;> Sk boélfé^ 
' Isa dôucdur J' -soil esprit,* tttW la ^rèiàâifet 
' seâiBhfblé àox anges dont e)le>t^it la 




LE KOVICI. 107 

beauté. Déjà depuis quatre mois Robert 
étoit à Paris , sans qu'il eût prononcé le 
nom cVamour devant Julienne, si ce n'est 
iorsquil lisoit le soir quelques fabliaux / 
tandis qu'elle et Brigitte s'occupoient de 
différents ouvrages d'aiguille. Ces lectures 
£siisoieut les délices de la vieille fille , qui 
se pasionnoit pour tel ou tel beau damoi* 
àél. Bien loin de là ^ Méridan alloit babi* 
tuellement travailler dans sa cbambFC, dès 
qull les voyoit eommeiu^er; autrement il 
toQdboit dans luisoouneil profond, dont il 
ne^ sortoit que pour répéter en bâillant : 
Quelles fadaises! quel style privé d'har- 
monie ! Qh les Latins ! les Latins ! ' 

— 3'aime pourtant assez ^ maître Méri* 
dan , répondit George un soir ^ cet écwyer 
qui va f ai re déterrer son pauvre maître pou r 
s'assurer s'il est bien mort, et. qui n'ose 
y regarder lui-même. A mour avis y c'est la 
plus belle histoire que Robert nous ait en- 
core lue.. 

— HoxLy non , dit la dame Brigitte^ la 
plus belle, sans conlredit, est celle d'à- 



Io8 LE NOVICE. 

Tant-hier, où tous ces chevaliers se pour- 
fendoient pour la même dame. Parlez- 
moi de ce temps-là! au moins étoit-ce 
' la peine d'être femme alors, quand on sa- 
voit que tous les jours deux ou trois hom- 
mes seroient tués pour vous. 

— Halte là! halte là! dame Brigitte, 
reprit George ; si les choses s'étoient pas- 
sées de la sorte, le monde auroit été dé- 
peuplé. 

— Me prenez-vous pour une sotte? dit 
la vieille fille avec humeur. On sent bien 
qu'il en restoit quelques-uns; il suffît que 
beaucoup périssoient. 

— Mais, chère dame, répliqua Julienne, 
ne pouvant retenir un sourire, que voyez- 
vous donc là d'heureux pour celles qui 
nous ont devancées? à leur place j'aurois 
été fort à plaindre. 

— Vous préférez peut^-être Faraour 
transi des jeunes gens de nos jours? re- 
prit la vieille fille; grâce au ciel! je ne le 
conlîois que par ouï-dire, mais..... 

— Mais vous pensez que l'on n'aime 



LB IfOVICE. 109 

plus sa dame ? interrompît Robert. Ne le 
croyez pas , Julienne , ajouta-t-il , et il fixa 
sur l'aimable créature un regard dont 
pour cette fois il lui fut impossible de 
modérer l'expression. 

— Âh ! ah ! dit Méridan en riant, vous 
voulez gagner l'appui de notre jeune tard- 
venu. 

Le trouble de Julienne éloit déjà bien 
grand; ce mot , qui remuoit tant de sou- 
venirs divers, le porta au comble : elle 
rougit prodigieusement, prit un air sé- 
vère, et ne répondit point. 

Robert, tremblant de l'avoir offensée, 
avoit baissé la tête, et ne jetoitplns les 
yeux sur elle qu'à la dérobée : tandis que 
la dame Brigitte développoit longuement 
sa pensée ; que George se disoit tout bas , 
— Je crois qu'il auroit mieux fait de se 
taire; et que Méridan songeoit" déjà à 
toute autre chose. 

La poitrine de la vieille fille l'ayant 
obligée à suspendre un discours que per- 
sonne n'écoutoit et qui duroit depuis un 



ÏIO LE NOVTCK. 

quart dlieiii^, Julienne en profila aussi* 
lot: — Ne voulez- vous plus lire, Robert? 
ilit^Ue d'un air doux et amical au jeune 
écuyer. 

—.Je veux tout ce que vous voulea, 
répondit-il sans quitter sa position. 

— Eh bien ! levez donc la tête, et re* 
gardez-nous en face: car tel est mon 
désir, reprit-elle en souriant. 

Dieu sait si Robert sourit aussi ! s'il se 
remit à lire aussitôt , en bénissant mille 
fois son heureuse imprudence ! car îi 
venoit de parler de son amour , et cet 
amour n'excitoit point de colère. 

— Éncoretlèux mois , disoit-îl à George 
le lendemain de cette scène, encore deux 
mois, et ces voiles noirs ne la couvrir(Mit 

— Et vous serez peut*êire moins heu* 
roux qu'aùlourd'hui^ ré|>ondit le chaiK 
seur. 

^ CirotsHtA dt]fntv (^'elle reCuM, tTétfB 
ma femme^ 
-T- Won-, ge M«î le woks iWft^L/iôiîa^». 




LE irovicE. m. 

oujours entendu dire au frère Hilaire, 
{O^on appeloit le philosophe à Saint-Paul, 
jue, lorsqu'on se trouvoit bien, tout chan« 
cément étoit à craindre; que l'homme. 



gnoroit souvent 

— Au diable ta philosophie! dit Robert; 
e voudrois qu'on te laissât devant un 
lacon de bon vin sans que tu pusses ea 
►oire. 

— Mauvaise comparaison, reprit le 
liasseur , puisque je souffrirois le mar- 
yre, tandis que je n'ai pas vu un mari 
[ui ne regrettât le temps où il faisoit la 
our à sa femme. 

A— Aucua n'avoit épousé Julienne , s'é- 
rria Robert. 

— Non, mais d'autres. 

— Ah ! d'autres ! je ie crois bien , répon- 
Ut le jexme écuyer en prenaat son man- 
teau pour courir chez Justin Méridaa* 

— U faut convenir , pensa George en le 
regardant aller, que l'amour est une ter- 
rible chose, quand il s'empare d'iine pa- 
reille tête. Parlez-lui maintenant de Ber^ 



lia LE iroviCE. 

trand, du roi de Castille, de fortuné, de 
renommée; bast ! il ne vous écoutéroit. 
seulement pas! C'étoit! ma foi, bien la' 
peine de quitter le cloître, pour venir 
passer sa vie dans la rue des Écrivains^ 
avec Justin Méridan et la dame Brigitte ! 
Tout en réfléchissant ainsi , George cei- 
gnit son petit coutelas , sans lequel il ne 
marchoit jamais , et prit lui-même le 
chemin de cette rue. 

Il est certain que Robert ne songeoît 
guère qu'il y eût encore dans le monde 
des armées , des cours, un Henri de Trans- 
tamare ; ou, s'il y pensoit quelquefois, c'é- 
toit avec la crainte de recevoir un mes- 
sage de Duguesclin, qui l'obligeroit à 
quitter Paris, puisqu'il avoit promis à ce 
grand capitaine d'aller le joindre sur sa 
première demande. Mais bientôt on ap- 
prit à l'hôtel Saint-Paul des nouvelles de 
Bertrand par plusieurs Bretons. On sut 
que, après avoir rassemblé tout l'or de sa 
rançon, il l'avoi t distribué à de pauvres 
chevaliers, qu'il avoit rencontrés en route 



^ 



LE NOVICE, Il3 

allant chercher la leur , sans beaucoup 
d'espoir de se la procurer. Bertrand étoit 
donc retourné les mains vides à Bordeaux, 
où il attendoit, le cœur content, mais 
avec impatience, l'efiet des promesses du 
roi de France. Cependant Charles jus- 
qu'alors avoit fait de vains efforts pour 
prendre dans ses coffres une aussi forte 
somme(i). Robert, qui s'occupoit de cette 
affaire avec autant de zèle que d'activité , 
jugeoit bien qu'elle n'étoit point prête à 
se terminer. Il se trouvoit donc obligé de 
rester à Paris, n'en eût-il pas eu l'ardent 
désir. 



(i) Il fut enfin obligé de la lever sur le corps 
des marchands de Paris. 






5* 



CHAPITRE yn. 



G^'urage donc , en Tair je vois ta nue , 
'Qui ça et làVescarte et diminue' 
Pour faire place au. beau temps qui approcI|e. 

Mabot. 



Le printemps venoit de renaître. L'an- 
niversaire de la bataille de Navarette ar* 
rîvoit dans peu de jours , lorsqu'ijn matin 
Robert se rendit chez Justin beaucoup 
plus tôt que de coutume. Les soins du mér 




.IXWXVICB* Il5 

nage vetèneient ja<daai« Btigitte dans la 

. maison, et JuittûiûrTXMiilaaKt rjouir des pre- 

>ttiers rayons d'uii' brillant soleil y venoit 

* de passer dans le petit jardin qui joigûoit 

t la salle ; basse. 'De la fenêtre, Robert Ja 

Toyoit assise sous Un berceau > que paroit 

une première verdure; il ne résista pas 

/au désir d'aller ia joindre. 

:3< îEIle lisoit. — Oserois-je approcher? 

-*dit-il d'dne voix tinadde. 

. . . w*» "Vbus le pouvez sans crainte , répon- 

•dit^lle en riant ^dar j^'avoi^ prié Méridan 

de me prêter cet ouvrage ;.Diais depuis 

si long - temps je n'ai point tenu de livre 

que je comprends à peine celui-ci. 

— Voulez- vous, dit Robert s'asseyant 
près d'elle , voulez-vous me prendre pour 

^maître? 

•■ • —Ah! vous êtesbiefaucoup trop savant, 

'vous me feriez peur. 

— Hélas ! reprit-il en attachant sur elfe 
"ides regards brûlants d^amour, vous savez 

bien plutôt que c'est moi qui ai peur d^ 



ii6 LEi Koyrcf. 

Julienne le comprit ^saiis dùMej car 
une légère rougeiarTintcblôrer ^sjoues^ 

. et elle baissa ses yeuxi vers la<terEe« Toute 
situation nouvelle en'atnou^porte unsî 
grand trouble dans Tâme ^ que jamais ies 
deux amants peut-être n'avoient eu plus 
de peine à se renfermer dans le&l)ames 
d'une pure et froide amitié. Tous deux 
gardèrent le silence jusqu'au mbment où 
Robert crut voir Julienne attacher ses te- 

' gards sur la bague qu'il portoît toujours 
à son doigt, et.qu'il.avoit reçue d^elIe 
dans l'église de Sain4)-Paul. 

— Vous reconnoîssez cet anneau, Ju- 
licnne? reprit-il avec émotion ; jamais, 
jamais il ne m'a quitté. 

— Oui, répondit-elle, espérant sans 
.<loute, à la faveur du passé, échapper au 
danger du moment présent; et je me re- 

^portois au temps on je vous Fai donné: 
^pauvre Robert! vous éjticz alors bien mal- 
heureux î 

i 

— Et j'ij^norois encore à quel point je 



. L|[ KOyiGE. H7 

rélois f car je me croypis quitter que Ju- 
lien. 

— Parlez plus vrai , Robert , répliqua 
.Julienne en sotiriai;^!: ce n'étoit pas seu* 

lement Julien que vous regrettiez si vi- 
. vement; mais ce monde, dont le cloître 
vous séparoit ; ces combats, dans lesquels 
. vous brûliez de vous distinguer; ces ma- 
gnifîcences des cours , dont on venoit de 
vous parler pour la première fois, et que 
vous aviez un si grand désir dé contem- 
pler; enfin, cette foule de jouissances qui 
^ voi) s étoient interdites. 

— Il se peut , dit Robert; mais de tous 
les désirs que jpiprmois alors un désir 

. unique est resté. ^ 

— Et sans doute c'est celui de la gloire, 
reprit*eHe; car votre sexe prise la renom- 
mée au-dessus de tout. 

— Non , Julienne, ce n'est pas la gloire. 
J'ai vu en Espagne le dernier brigand des 

.compagnies blanches se battre aussi va- 
leureusement que moi; j'ai vu la journée 
.4e Pévesque , et j'ai cessé 4'çnvier les lau- 




^'i *8 £B irovidE. 

-*&rs cucfillis tfur u)i= champ de batafillc. 

— Vous n'ambitionnez donc plus-^e 
l€BÎu>iineùrs?*^' •?' ^ '• 

-i -^ Les hontteïlrè! iîfto41Wprit41 e» MÎi- 
riaitt. Tous ces grands' (|ùe * j obserVcSs 
dans les cours deSarrajgosséetdéTolède 
lî'étoîent^îls pas moins heii'retix qu'un 

'goujat de notre armée? Non i tion/7a* 
Ifenne , je n'ambitionne pas lés honneaiis. 
Et fout en parlant ainsi , les regards de 
flamme qu'ilatlachott sureHeexf^iquoient 
assez sa* pensée. 

— Vous êtes bieh jeune' encore, dît 
Talïenne avec une émotion qu'elle s'efFor- 
•çoitén Vain de dissimuler , pour 'borner 
ainsi votre destin , pour renoncer aux es- 
pérances:.; ' ' 

— J'espère!: s'écria Robert , j^é^jjèr* fe 
plus grand bonheur, le séût qiiî -soit ao* 
cordé à ITiomme sur la teri^e ! TOainte- 
narit, Julienne, maintenant je suis heu- 
peux; Q«#]puîs-jé atttendre de ce monde, 
où tofit est froid, où tôut 'est mort, com- 

ré à Fenivrante sénsatkm que fait pas- 



ser dans mon âme un regard ^ un iQot 
que vous m'adressez ? 

— Robert , dit Julienne dans un trouble 
qu'on ne sauroit décrire, Robert, ne me 
parlez pas ainsi. Mais la mort eût été pré- 
sente qu'il n'auroit pu se taire nn moment 
de plus. — Dusses-tu m'écraser de ta co- ' 
1ère, s'écria-t-il en se précipitant à ses 
pids; une fois, une fois du moins, tuli^ 
ras dans ce cœur, qui ne bat que pour 
toi ! Mais tu le sais... ah ! tu^dois le savoir 
que mon bonheur, mon désespoir, ma 
Tie , ma mort, tout , tout dépend de J-ur 
lienne ? Que parles-tu de gloire ? que 
parles«tu d'honneurs? Pauvre , sans abri , 
seul avec toi au fond d'un affreux désert, 
je serois encore le plus heureux des 
bommes. Sans toi, plus de bonheur^ plus 
d'exisctence. Décide donc de mon sort; 
parle: veux-tu me rejeter dans ce inonde 
de glace, où, privé de ta présence, nid 
intérêt , nulle joie ne m'attend ? Ah ! plutôt, 
souviens-toi de Saint-Paul ! souviens-toi 
d'avpir prié pour le bonheur de Robert! 



tao LE NOTICE. 

Dis que nous ne nous quitterons plus ! 
Julienne, Julienne, veux-tu devenir ma 
femme? 

— Oui , Robert , dit Julienne d'une 
voix qu'à peine on entendoit ; et sa tête 
charmante se pencha sur Fépaule du 
jeune écuyer. 

O joie! ô transports, qui paieroient 
une vie de souffrances! — Dieu puissant! 
s'écria-t-il hors de lui-même, est-il vrai ! 
est il vrai qu'elle se donne à ^loi ! 

— Ce Dieu sait, dit Julienne en levant 
ses yeux vers le ciel , combien mon pau- 
vre cœur a souffert et combien il a com- 
battu 1 Puisse-t-il avoir pitié de sa foible 
créature, et bénir notre union ! 

— N'en doute pas, dit Robert en la 
serrant avec transport danssesbras; nous 
étions destinés l'un à lautre. Souviens- 
toi dn premierjour t^è Àos yeux se sont ren- 
contrés, où nos cœurs se sont répondus : 
n'étions-nous pas unis dès lors jusqu'à la 
mort ? 

— Hélas! il est trop vrai, reprit Ju- 



I 



LE WO'^ICE.' I2T 

lienne. Dès ce moment itialgré tous me 5 
efforts, ton image me poursuivoît I^e 
jeune novice étoit toujours là , devant 
moi; et lorsque je te trouvai daiis Téglise 
dé Saint-Paul, j'allois prier le ciel, pour 
qtfir me délivrât de cette- vision.* 

— Le ciel voiiioit que tu fasses ma 
femme ! s'écria Robert en couvrant ses 
mains de baisers. N'a-t-il pas brisé les 
liens qui m'enchaînoient? Ali ! le bonheur 
que j'éprouve, Julienne, im bonheur 
aussi grand, ne peut' venir que du ciel! 

Dans ce mômeiit, la clochette de la 
dame Brigitte se fit entendre pour an- 
noncer le dîner. — On nous appelle, dit 
Julienne. Robert , cache ta joie ; que nos 
projets restent ignorés , au moins pen- 
dant une semaine , ajouta-t-elle en jetant 
les yeux avec embarras sur les noirs vête- 
ments qui la coûvr oient encore. 

— A Burgos, à Tolède , ma bien-airaée , 

combien de fois; le diéséspoir dans Tàme, 

j'àî sii' me conti^àiiidre a tous les yeux ! 

Grdihs^tù qùè j'iaië* moins de courage , 

IV. 6 



ifi^î 



quand .ufi aveuir .cél^^f^ est «^vi^fr rugi 
qua»d jtua peo&éç, n!e^J: plus .q4e j^élicçîsfto 

.— T Ton cœiir. (çsjb dqnc^ co^tjçjç^ti 4itlu? 
lieune^avecle soi^ii;^ dj'up .apgef-. ; i-. .; . ;, 

. — : Oùî tf puver: jdp^ jifiots pour terrer ; 
pondre? s'écria-TL-UeûuêlOTantsesxTçgt^iidst. 
\'ersJacieV|Et tau&dQU3|,r^prirept lenle- 
ment le d^min de ^i. maisoiu Gomme %; 
approclio^entyRobertyarrela pn instajot^. 
-T* Te sQuviena-tii , ditril du jpuf où je^ 
croyois quitter saus toi la Ças4ime !{ Frivé 
<1e ma raison^ j[e parcourois Ips* moitfar 
gne& qui, entourent ToLède... JOaus. mpo 
désespoir j'appelois la mort à= grande <^^ 
la moitr! lamort^ Juliejuie,! Ce Dieu d» 
boaté a daigpé repomssep I4. prière d'uw» 
iusensé.. JAxlienne sercac:C<pntre;SOfî qusuv. 
la l>i?as suc lequel elle s^ppu^oit^ ett l^;» 
vue de lytéridan^ qulk^t^ttendoitsuç^Ilk. 

porte, mit£Lnàco.49^^/^^i'Q^®^f' 
Trois îpurs. aprèsf^J^i^^C q<uit(af\$aA 

.y 



de^onbofn&enr^ tsmt il redoutùit de se 
voir rappelé*. par Daguesolin/ avant que* 
c^ bDQiieius ne fût entièrement. assuré». 
GettdiOianfidence étonna peu Méridan^ et: 
surpritn encore moins la dame Brigitte, 
comme on peut Tîmaginer. Quant à 
Çeorge, le jeune écuyer n'a voit pas at- 
tendu ce moment pour lui faire parta- g 
ger sa félicité , et. depuis huit jours les- 
deux amis ne s'étoient pas dit un mot 
qui n'eût rapport au doux avenir de' 
Robert. 

— Je vous félicite , dit le, bon Justin; 
je vous félicite de vous unir à cette jeûna 
et noble dame , non parce qu'elle me fait 
toujours penser a cette Vénus dont par- 
lant lès poètes ; car vous savez trèsbîe» 
que, de' tous les avantages, là beauté est 
Ife plus fragile , et vous avez dû souvent 
vous étonner comme moi que lès Grecs 
en fissent un aussi grand cas (Robert sou* 
tib)y maîs'ced6nt*jeme*réjouîs,.c'est que 
TOtis preniez potir (lompafgné la seule 
femme peut-être^trt p*ièé4esatôirîiurre 



la 4* ^^ NOVICE. 

femme qui sait apprécier votre mérite , 
et dont la haute estime vous assure un 
bonheur durable. Je puis vous dire que, 
pour mon compte , si je rencontrôis 
sa pareille, tout ennemi que je suis du 
lien conjugal ' j 

— Devenez-vous fou? interrompît la 
dame Brigitte. A soixante ans , h'allez- 
vous pas songera vous marier ? 

— Remarquez, Brigitte, reprit Méridan, 
que je n ai fait autre chose qu'une sup- 
posilîon , qui , je le crains bien , ne peut 
jamais se réaliser. 

— Dites que vous devez l'espérer, re- 
prit la vieille fille. Voyez un peu le beau 
présent que vous feriez à une femme ! Il 
s'agit bien de science en amour ! Deman- 
dez, demandez à la dame Julienne si 
elle épouse Robert parce qu'il sait le 
latin. , 

— Pas précisément, répondit Julienne: 
en souciant; mais jp suis bien aise qu'il 
soit plu&.^avant que inoi. r. \ 




LE NOVICE. ia5 

— Ainsi doit parler Tépouse , répondit 
gravement Méridan. Quant à vous , Bri- 
gitte, vous êtes une très -bonne fille, 
mais extraordinairement vulgaire , je 
vous l'ai dit plus d'une fois, et voUs 
n'ignorez pas combien vous me chagri- 
nez en annonçant peu d'estime pour !e - 
savoir. J'ai besoin de me rappeler à quel 
point je vous aime pour 

— Voulez-vous que j'imite certaines 
gens ? Que je ne voie rien dans le monde 
au-dessus d'un bouquin ? que je m'exta- 
sie devant le bréviaire* de notre paroisse 
comme devant une chose rare? 

— Si vous étiez un peu plus au fait i 
Brigitte , interrompit l'écrivain , vous 
n'auriez point dit ce que vous venez 
de dire; car vous sauriez que toutes 
les paroisses du royaume ne possèdent 
pas encore un bréviaire; il s'en faut bien^ 
malheureusement ! 

— Que m'importe à moi ? 

Méridan leva les épaules d'un air de pi* 



ia8 LE NOVICE. 

d'obtenir le çonsentei^ent pgtern^. Sire 
Urbain avoit apprif des. pf^uvelles de la 
campagne de Çastille parj[)Ui$ieurs Bour- 
guignons, témoins oculaires des hauts 
faits de la bataille de Navarette. Plus 
d'une fois son vieux cœur de chevalier 
avoit tressailli d'orgueil et de joie au récit 
des prouesses de son digne héritier; il 
n'hésita dotté'paà^Jt feifé^écrire par son 
chapelain un consentement formel au 
mariage de son fils, et l'accompagna de 
mille bénédictions. 

— Maintenant, dit Justin quand il eut 
remis ce papier qu'il venoit de recevoir 
dans les mains de l'heureux Robert, main- 
tenant il ne reste plus qu'à songer à la 
noce. . , . . 

— Est-ce que nous ferons une noce? 
dit Julienne, qui désiroit que cette heu- 
reuse journée 3e ^ss^t spns.édat. i 

i ^Quap/lj^ djs lanociç, j'entends le ma- 
fmh fépP^^li*^}¥%îSarJejpenae cq^naje 
-TfflK q»ô; nf, yqi>3i ^tont; pps^priffintée ^ç|i^ 



LE NOVICE. ^^^9 

sur voÉre séjour à Paris. Je vous propose 

donc d'aller trouver le curé de Saint-Paul 
ç3^ivecv^ui je suis très-lié,.... homme fort 

érudity ajouJta-tHteii s'âdressantàAoberf, 
• ebdë ieprierd'arrangentoutes choses pour 
jjljn'^l pFutsse irtfus idonàer la ::benédiction 
iiCODΫigateilQplus tôt possible^!. < 
eb sr?rr Ah! je: vbu6 èu suppJÂ^ lé pl^^.iot 
dpcissiblei s çc^ia Robert ;.»njgè2S ^f^ d'ttn 
^ imom^nt à .Fantrë: 9i>e JBenito^ p^^ Qt^ 

rappeler près de.liii;^et^'il mÂifieiUoît're- 
4iartk asratnt; ) (|u'cille ,fut dm ifévUne^-j'en 
: perdrait la oraîfion* < /). ..!». .t. r 
oi\ M^ Vbus' croyez, donc «pie :; je *pouf*rois 
.johangér. d'avis {iéndant votre absence, 
r Robert./ dit Julienne en . sourian t ; savez* 

vous bien que je vais me fâcher ? - 
• . . — Non , ma Julienne , non , répondit-il 

ide l'air le plus tendre, mais il faut croire 
-que Tattente d'un bonheur.isi grapd^ d'un 
'bonheur, qui. surpasse la félSicité humaine, 

.Çnitjiniitre ime inquiétude que lajcaisoujie 

—Quelle inquiétude, pouivez-you^ a^oir. 



i3a LE. wovicE. 

ses mains avec force; que je meure avant 
d'en douter. 

. — Eh bien, allez, Robert, dit Julienne 
en souriant, je me sens presque rassurée. 
-~ Je reviens aussitôt vous dire quel 
jaurle curé fixera , reprit lé jeune écuyer, 
.qvH.sortit avec Méridan , après. avoir cou- 
.vei?t, de baisers la main que .lui tendoit 
Julienne. 

:' :.r-^ Du moment qu'il n'a pôiat. feit- de 
^Ve, ditiBrigitterquand.ils fureof parfisr^ 
^vqUs n'ayez aucune raison de cràikidfe-; 
car les prtôseiitiments^V voyez-voùst^ine 
i$ônt que des ettfàntiJJages , et pôur-mon 
compte^ je ii'3^'liijamaihôrùi;; i j\ i 
f • >:- . AW dame .Brigitte, répondit Ju- 
lienne, lorsqulil. .s'agit dim bonfaoenr si 
^graod' 9 si. :grând qu'on n'avoit jamai& osé 
Ji'iespérer ,. on craint jusqu'au dernier rùf> 
ment quelque retour du .sort. , . .;« 

. T-.M^is pourtant, monenfant^. reprit 
Brigitte. ra/YÎe- de pouvoir bavarder à!Son 
aise , le sort ne se retourne, pas conrine 
celatôiit à coup,. sans' quelques bonnes 




LE NOVICE, . j3â^ 

raisons. Vous êtes libres tous deux^ n'esr-; 
il pas vrai ? i 

— Sans doute, répondit Julienne qui. 
s'étoît mise à travailler au voile quelle 
brodbit pour le jour de son mariage. 

, — Eh bien ! alors cela va tout seul. Ah ! . 
si par exemple, dame Julienne, vous aviez 
dans votre famille... 

. — Hélas! interrompit Julienne, je n'ai 
plus de famille depuis Ion g- temps. 

— Que pouvez -vous donc craindre? 
D'ailleurs si les pressentiments signi-" 
fioient quelque chose , ne me suis-je pas - 
dit le premier jour que je vous ai vus en-' ; 
semble : voilà des getis qui s'aiment j voilà i 
des gens qui se marieront? Il est vrai que 
j'ai un talent surprenant pour deviner du' 
premier coup d'œil ces sortes dé choses.*' 
Bien fins les amoureux qui m'échappe- • 
roient, et pourtant Dieu sait -que Tâmmir 
et moi nous n'avons jamais passé ^ar là' 
même' porte, et nous' n'y passerons ja-î. 
mais^si la mainte vierge Marie exauce mes 



l36: LE rmtrvicE. t 

-i. Pwiî^tre^ peiitrétre j répliqua George ' i 
en'rîsiH:. 

^^EssayezyVousverrez> reprit là vieille 
fille. 

^-Ah! dame Brigitte, répondit le cbas* 
seuren s'inclinant avec un respect iro- : 
nique, je ne m'oublierais point jusque là; 
j'ai encore ma tête , moi. 

Méridan entra à temps pour arrêter la 
tempête qui alloit s'élever entre ces deux 
interlocuteurs; car Robert et Julienne ^ 
tout entiers àleur doux en tretîen.n'avoient 
pas entendu un mot de ce qui s'étoit dit 
jusqu'alors. Au reste , la paix se fit dans 
la journée même, comme elle se faisoit 
toujours par suite du besoin que dame 
Brigitte avoit de George , qui non-seule- 
ment mettoitle plus grand empressement 
à' faire tôuteà ses commissions dans la 
ville y à l'aider dans les sbihs dû ménage y' 
mais qui surtout étoit dans la maiâon W 
seule pe tisonné (}ui Fécoutàt hiaibituèHô*- 
ment^ tôbii en la taqurnârit"quelqùefo&. ' 



CHAPITRE IX. 



Aimons jclone , ai moni clone ! de l*Tieare fugitive 

llâlOQS-flous , jouissons ! 
L'bomme &'a point déport, le tempsn'a point de live ; 

Il coule I el nous passons. 

La Hartinb. 



La veille du jour tant attendu^ Robert 
arriva dès le malin chez Méridaii , le 
front radieux de joie. Je ne quitte plus 
cette maison 9 dit-il en s'asseyant près de 
Julienne ; partout ailleurs les heures sont 

6* 



l38 LE jyOViCE. 

trop longues. Je croyois cette nuit que le 
soleil ne se lèveroit plus. 

Julienne sourit; mais la dame Brigitte 
répondit d'un ton revêche : Vous prenez 
bien votre temps , vraiment, pour vous 
établir ici, quand la maison va se trouver 
tout sens dessus dessous. 

— Et pourquoi donc «cela, dame Bri* 
gîtte ? demanda Julienne avec étonne- 
ment. 

— On sait vivre , on sait vivre , dame 
Julienne , répondit la vieille fille , et quoi- 
que mon frère et vous ayez eu la belle 
idée de ne pas faire de noce , ce qui ne 
s'est jamais vu depuis qu'on se marie dans 
le monde, témoin les noces de Cana, et 
tant d'autres dont parle Vécriture, il ne 
faut pourtant pas que votre mariage res- 
semble à un enterrement. On seroit aussi 
pauvre qu'un écolier de Montaigu (i), 



(i) Les revenus du eoUége de Moaiaiga Jie 
consistoient qu'en onze sol» de renie. «'Un écolier 
n^avoit.pour son repasi^ue U Ueate<^kiûUèaie 




^t^Aïtï pareil jour hepëiit se pàâSét^ botttîÀe 
•tm autre jour, et j'ai 'dît à 'G^ôï^^ de^- 

« 

nir m'aider pour donner â^'cefïfe salle 
un petit air ideféte. ^ ' ' ■' * 

— Nous Yôus aiderons* tous , nbuè yôhs 
aiderons tous , <îannie'*Brigitte j- dit Riébért 
en se levant pour offrir ses ier vices. ' 

— Dieu Eli'en préserve ! s'éèria'irigitte. 
Est-ce que voiife savez ce que 'vous dites 
et ce que vous faites depuis'hiér , vous ? 
Tout seroit brisé ici. Pour 4à' dame Ju- 
lienne, elle vient déjà de brâlerma'bene 

' colteret te j qu'elle a* vôtthi^epasser nïaHgré 
moi. Eu vdîlà assez de -son' aide. 

•— 'life bien 1 chèredatoè Bri^lt«e, re- 
'ÇtStSoberl/ piiisqtié'^ifs tl'avéz con- 
^ ^ifonce «ftàjéurd'htll riî ^ en îûKèrtîié' ni • en 

■r ' ' ' ' ■ '■» y K '• 



1- •...'/ > 1 



une soupe aux^é^mf$Si^^ lgff^fp•Oiet^^n^^i^èmî''' 
hsLyen^yhes^^éo\o^i^BS, Sij^h^p îin lî.a4içr^ en- 
îier« Chaque matin .avant les clauses • les écoliers 
àlloient mendier, et recevoient avec les pauvres 
le pain ^ue distribudiéfat'^ès ch^ytretnc; ' ^ *'"''• 



. l4o . UB ÎCOVIICE. 

. mffiy nous nous tien4Fpns tjOfQsdeuK.dlans 

..un petit coin ^ sans vpu^ déranger enw* 

cune mai^ière. ., . ;.; 

— Je vous demande un peu pourqufH 
ce George n'arrive pas j marmottoit la 
dame Br;giUe. Il se passera de déjeunejCt 
car aussitôt que mon frère, sera rentr^v.*** 

— En effef; , interrompit Robert ^ je ne 
vois pas Méridanj où donç^est-il? 

— Il est; allé chez le roi , qui youloitlui 
parler avant de partir pour le château, de 
Beauté , où la cour passe la journée. 

Comme Brigitte finissoit ces mpts, l'é- 
crivain parut, et George l'ayant suivi^de 
près, on se mit à t^ble. Jamais ^ n'-avoit 
déjeuné phis gaiemei^t. D^mg ,^rîgj|fe 
eUe-méme, eçtvf^înée pas le çoj(i^l(fa>|eiQ#|it 
général , n'eut pas un seul mouvement 
d'hiimeur tani quedura le repâ^i etdès 

^ qu'il fut terminé , elle fit signe au=^dfa5- 

-Jâ^tr^ qiîi di^ârut avec elle. 



O 

■\> . IL.f 




;fia tôil,^t^gpurje4pjade;n}ain. 



LE zrovioE. i/j^i 

' lUibert j resté seail avec Méridan, parloit 
de;$pD.aveDir y du bonheur qu'il auroît!c|6 
conduire Julienne à son père, de revoir 
Ingeloour avec elle. i 

.' -r- A propos d-Ingelcoiir, dit Justin, 
•devinez qui je viens de rencontrer à 
rhôtel Saint-Paul. > 

— Qui donc? 

-r. Lé sire Jean d'Evreux , ce raiHeur 
qui les faisoit tous enrager là-bas. 

— Jean d'Evreux ! dit Robert d'un air 
soucieux ; par quel hasard est-il en France? 

't^ Il est arrivé à Paris depuis huit 
jours avec plusieurs antres seigneurs gas- 
cons.* Selon ce qu'il m'a dit, je vois qu'il 
&'agit de. décider Charles à la grande af- 

' faire de Gujrenne. n - 

..s II àuroit'(bien dû: arriver phis tard, 
pensa Robert dont le front s'obscùrcissoit 

. 4i8 plus en j^lus. .;, . 

'^lo-TT Nous nous, sommes xeconnùs aussi- 
tôt, continua Justin ; mais c'est lui qui est 

i#<?jppnrrt. .yer^ moi, et qui m'a fait cent 
questions sur votre compte. » 



j OU;: Çur in(n^Èonirptei!;^it'ïlôbiei^ 
'ipltis graikd;eiémotion<^0t>pâr^eI'mof#? 

^ ^ — Je L'/gn«re. ^ Mâ^i^'i«^6' fal'âVc^ ide- 

mandé à quelle époque vOttSatiez^cjoitié 
eDuguesôlin , si\Tous îCdnsewrîezîdés rela- 
ilioiis avec lui y il a^airu ravi d'apprendre 

que vous étiez à Paris et qu il pourrcrit 

TOUS voir chez moi. 

fj'^iî^Pourquoi lui avoir dit cela, Méridan? 

s^écria. Robert; grand Dieu ! poat*qûoi Itii 
savoir dit .cela? li» '. 

rHSavoifrj'e si<Y0as-iie mettiez- pas d'inté- 

rêl à iceiqu'U iv^sut vous dire-, moi? Je 

crois aisoir coinpris qu'il attend 'de* vous 

j:â^ fxenseighéments ispr^^nne tpersoime 

-jGpiLl'iixb^rdsse' beaucoup > iet>jé pefa^ôis^^M. 

— Lui avez- vous parlé de)mdn mariage? 

.in ter roifipit 'Robert.^ pâèeëbitimeila mort. 

— Lui avez-vous parlé S^^lâllëiiiib? 
- pepritril Tffvec am trouble > touj<^t^s rrois- 
^sant. ■ ^ ' • :. ^:-i' ' " } ■ ' . .i' : 

— Nbn , non , miile fois non . Pourquoi 
diable voulez-v^^ts què'j'àStle'kii pafkr 



^ 



<de tout'Cela? Est-ce vque j'ai duitemps à 
perdre en paroles inutiles jcomiiie 'Bii- 

— Grâce au ciel, il ignore mon maj- 
.riage ! dit .. Robert . comme un homme 
qui revient à la vie. . . 

— Je veux être pendu , par exemple , 
dit l'écrivain , si je devine ce qui vous 
renverse ainsi. 

— Vous ignorez donc, Méridan , .i^ue 
Jean d'Évreux n'avoit bas d'ami plus 
cher que sire Evrard ? 

— Eh bien ? 

— C'est sur Julienne, c'est sur Julienne 
qu'il désire avoir desrenseignements.il 
aura su que sire Evrard, en mourant, l'à- 
Yoit confiée à Duguesclin et il espère que 
je puis l'instruire 

— Rien n'est plus naturel , interrompit 
Méridan ; mais je ne vois pafs quel mal 
peut résulter pour vous de tout cela? 

—•Quoi! vous ne voyez pas, reprit 
vivement Robert, que sire Jean n'ap- 
.prouvera point les nouveaux noeuds qiue 



i44 *^v soyicc! 

iva contracter îa veuve de soii ami? vous 
ne voyez pas quô sa présence seule peut 
produire un effet terrible sur Julienne^ 
peut me nuire, peut me perdre? 

— Bon , s'il avoît quelque pouvoir sur 
elle; si c*éloit son père, son frère. .^ 

— Vous ne connoissez pas Julienne , 
Méridan. Tous ses sentiments sont si dé- 
licats, si nobles , qu'en exaltant cette 
belle âme , on pourroit lui faire sacrifier 
son bonheur , sa vie même à un devoir 
chimérique. Ah! si mon malheur veut 
que sire Jean la voie aujourd'hui ! 

— D'abord, se hâta de dire Méridan, 
il ne viendra pas aujourd'hui ; car il alloit 
partir avec le roi pour le château de 
Beauté. 

— En étes-vous sûr? s écria Robert. 

— Il me l'a dit. 

— Eh bien ! mon cher, mon bon Jus- 
tin ! reprit Robert en le serrant dans ses 
bras comme s'il eût voulu l'étouffer, 
vous pouvez me rendre le plus grand ser- 




LE NOVICE. 145 

vice, me sauver, enfin. Le curé de Saint- 
Paul nous attend demain à neuf heures 
précises ; allez le trouver ; obtenez qu'il 
nous marie à sept. Sire Jeau ne peut ve- 
nir de si grand matin. Il ne la verra du 
moins que lorsqu'elle sera à moi , à moi 
pour toujours! Voulez- vous y aller, cher 
Méridan ? 

— A l'instant même, répondit l'écri- 
vain ; et, mettant sa chape, il partit. 

Fasse le ciel que le curé consente à 
changer l'heure , répétoit Robert en 
marchant à pas précipités dans la cham- 
bre , pour calmer son agitation ; ce qui 
lui réussit au point, que peu à peu les 
terreurs de son imagination se dissipé-' 
rent, et firent place au raisonnement. 
Alors , il ne fut pas long-temps sans re- 
connoître qu'il s'é toit beaucoup trop alar- 
mé d'un événement aussi simple, que 
l'amour de Julienne pour lui de voit ren- 
dre presque insignifiant, même en sup- 
posant que Jean d'Évreux entreprît de 

IV. 7 



i46 LE ïrovtcÈ. 

rompre une union -si près de se con- 
clure , et à laquelle, après tout, le che- 
valier normand nfe pf enoit aucun intérêt 
direct. — Fou que je suis! dît Robert 
quand il eut repris son sang-froid. Passe- 
rai -'je donc ma vie à me créef des suppli- 
ces ? Faut-il qu'au comble de la félicité , 
mon esprit ne s'exerce qu'à troubler mon 
bonheur par des craintes imaginaires? 
Ah! cher oncle Ambroise, vous aviez 
bien raison ! une tête comme la mienne 
fait beaacoup souffrir. Mais je dfèvienâraî 
sage. Oui, oui , je deviendrai éage, quand 
elle sera ma femme. Ce motlYent n'étant 
poitit encore arrivé, sa joie aîla jusqu'aux 
transports , lorsqu'il apprit de Méridan , 
que ie curé consentoît à ^a detnatide et 
que ^a cérémonie seroit avatttée' dB deux, 
heures. 

Après diner, se 'trouvant s^ avec Ju- 
lienne dans k grawkle sâîte, tandfe quô 
Brigitte et 'Gec^rge^B'bîBcigppoîetitdd s^ôtri 
doter h couverL,>ii lui ^ettiatulû si Ce 
i^hto^ement ne d& toontraHek ^dlnt': — ; 



LÉ WWICE. i47 

Pour moi , Jorîîetrtïè , ajouta -t-ll vous sa- 
vez si je m'en réjouis ? Mais peut-être.... 

-— * Peut-être suis - je fâcliée d'être heu*^ 
reuse deux heures plus tôt? répondît-cité 
en soilriant. 

— Ah! Julienne, repri(-il en s'asseyânt 
près d'elle, que vous étés adbrâbté der 
parler ainsi! Dites , dites que vous par-, 
tagez mon impatience. Cette idée est st 
délicieuse pour moi ! J'éprouvfe un si 
grand besoin . de penser qu'aucune hé^* 
tation, aucun regret né cotnbrittcnt Fa- 
mour dans votre âme l Ge hiatin encore j' 
i*ia bien-atîmée , je songeôià, en vous re-^ 
gardant, que Vous étiez lïne bien noble 
dame, que vous étiez ''wêë 'afu sein ^es 
richesses , âes 'honneurs. Et cepén?Rim^* 
me disdiâ-je, elïesfe donfte à ifioi ! Et cette 
que je vaudi^dis placer sur un trône, yi 
recevoir ma foi, sans pornpe, sanBécUit> 
comme la dennière des citadines: nos 
noces fse^ feront dans cet obscur réduit ; 
je...« 

^AiSSQZ ^ assez , intorpompit Julienne 



l48 LE NOVICE. 

c|i riant. Heureusement, Robert, vous 
ayouez vous-même qu'aujourd'hui la joie 
vous trouble l'esprit. Quand ai-je connu 
le bonheur, mon ami ? Est-ce quand je 
marchois avec les compagnies blanches , 
exposée à'^toutes les fatigues, à tous ,les 
dangers? Est-ce à la cour de Burgos, où 
j'ai vécu dans les larmes? Et , plus jeune , 
dans le château de mes pères, quels cha- 
grins , quelles craintes n'ont point empoi* 
sonné mon enfance et ma première jeu- 
nesse? Je ne suis heureuse que depuis 
huit mois, Robert, depuis le jour où j'ai 
entendu votre voix répondre à celle de 
Méridan; où cette porte s'est ouverte 
pour vous montrer à ma vue. Mais aussi, 
^jquta-t-elle ern levant ses beaux yeux au 
ciel , quel bonheur peut égaler celui dont 
5'ai joui pendant ces huit mois ^ si ce n'est 
le bonheur qui m'attend! 

Robert ne répondit point. Il attacha 
sur Julienne ses regards ravis^ prit sa 
main , et la pressa sur son cœur. 

— Quant à^ cette fortune qui m'était 




LE NOVICE. l49 

destinée, Robert, continua-t-elle, je nei'aî 
jamais regrettée pour mon compte; maïs 
j'avoue qu'il me seroît doux de vous en 
rendre possesseur , de vous apporter une 
dot. 

— Une dot, Julienne! toi une dot ! in- 
terrompit Robert avec un sourire. 

— Je sais , cher Robert , que cela vous 
est îndiflFérent. Cependant j'aurôis été 
bien aise que cette nouvelle de Méridàn 
éur la révolte des seigneurs d'Aquitaine 
se fût vérifiée. Mais il paroît qu'on n'en 
parle plus. 

— Tout au Contraire , Julienne , ré- 
pondit Robert , plusieurs seigneurs gas* 
cons viennent d'arriver à Paris ( il se 
garda bien de dire que Jean d'Evreùx 
étoit du nombre), et l'on assure même 
que le roi Charles n'est pas éloigné de se 
rendre à leurs instances. 

— S'il en éloit ainsi ^ reprit-elle, je ren* 
trerois dans tous mes biens. Alors, Ro-* 
bert , vous seriez un riche seignepr. - > ^ 



^l5p iJS KOVICB. 

— Vraitiieiît, Julienne ? ditRobiért d'ua 
ton plaisamment grave« Et Ia.dap>ecb^, 
fteloine m'aimoroit-elk toujpurs ? 

• -*-* Que s(ris*je?'répQndit -Julieçiie avec 
lin sourire malin et en secouant sa jolie 
léte. 

• * 

— Ah! Julienne ^^'^rit-iJlivrQd^mouiv 
de quels trésor^.yiensftu donc me parler, 
j^uand Jç vais tç posséder, ^«An^d de- 
IQain.,.^ ' ^, . 

*— Dans, douze heures ! interrompit 
Tulienné en regardant le sablier. , 

— Douze heures ! encore dou2e heures! 
èl tu e& ma ièuVmé^ uil-il cU la serrant 
ilafis ses bras. J'ai sur moi la pièce et l'an^ 
jQeau d'alliance, Julienne; je lésai achetés 
bien 

— Ah ! voyons, dit Julienne* 

Robert les tira tous deux de son au- 
mônière. — Voici d'abord la pièce , dit- 
il^ et yoicil^anneau ; ah! ima bîen-aimée y 
sitïi Yonlbis le porter jusqu'à demain I 
donneque.je le.metteà toitd0igt« 



jjB irovi.ci!. i5i 

— Non pas. aujourd'hui, dit^^lle en rou- 
gissant et en caohaot sa main dans sa 
robe. • 

Robert, qui ne voyoit dans cette ré- 
sistance qu'un simple enfantillage, prit 
sk main, et pâlît en y. trouvant la bague 
d'alliance donnée par sire Evrard, qu'elle 
n*avoit point encore quittée. 

— Oui , demain , demain , dit- il d'une 
voix émue; et^ il resserra la pièce et 1 an- 
neau, sans ajoutek» un mot de plus. 
, Tpus 1ë& deux restoienl eh silence de- 
puisune ihinute<) lorsque la datne Brigitte 
^ntra dans la salle« • 

; -^ Maintenant , dit-eUe i maintenant il 
ÊiUt me laisser libre i<:2i; j'ai mille choses 
à. |»réparer pendant que George est allé 
faire, mes: emplettes dans îa ville. 
. — T £h.bien ! paissons d«is le jardin , dit 
Julienne; il fait si bea^l ! 

Robert commençoit» à se remettre delà 
pénible émotio^i quîilvenoit d'éprouver. 
la vue d'un ciel pur, le parfum des fleurs^ 
et jsurtout' la. 4puce pression du bras ide 



l5a UE NOVICE. 

Julienne, qui s'appuyoit sur lui en mar- 
chant , eurent bientôt ramené son âme à 
Tunique sentiment d'un bonheur inef- 
fable. 

— Quelle ravissante soirée ! dit-il en ser- 
rant le bras de Julienne contre son cœur. 

— Ingrat , répondit -elle,, vous médisiez 
pourtant tout-à-l'heure de cette heureuse 
retraite ! Où serions-nous; mieux qu'ici ?|^j 

Robert la regarda ; eUe étoit radieuse 
de beauté , dq bonheur. — C'est toi ^ ma 
bien-aimée, dit-il, c'est toi qui choisiras 
le lieu que nous habiterons. Je t'ai sou- 
vent parlé de mon dégoût du monde ; 
mais à Dieti ne plaise que, si jeune , si 
belle; je te prive des hommages et des 
plaisirs qui t'y attendent. Nous vivrons 
près de Henri de Transtamare , à la cour 
de France, à celle de Bourgogne, partout 
enfin où tu te trouveras heureuse. 

-^ Heureuse, répopdit - elle en atta- 
chant ses doux regards sur lui, ne le 
suis-je pas? Non, non, mon bien*aimé, 



LE NOVICE. l53 

nous retournerons à Ingelcour, et nous 
reverrons Toncle Ambroise. 
* Robert la serra dans ses bras avec une 
ivresse indicible. — O Dieu ! s'écria- t-il', 
et pour la vie ! et pour la vie ! 

Arrivés sous le berceau , ils s'assirent 
sur le petit banc. — Nous ne reverrons 
plus ce lieu, ce lieu si cher, dit Robert, 
qu^enchaînés pour jamais l'un à Fautre. 
Demain..... 

— Demain je suis ta femme, répon- 
dit Julienne en souriant. 

— Et nous avons à peine vingt ans , Ju- 
lienne; que d'années fortimées il nous 
reste à parcourir! 

— Dans notre vieillesse même , Ro- 
bert , il nous sera doux de vivre réunis et 
d'attendre la mort ensemble. 

— Fasse le ciel que ce soit toi qui re- 
çoive mon dernier soupir! dit Robert en 
la serrant dans ses bras. 

— Non , non ; Dieu permettrai que je 
meure avant toi ; autrement , je serois 
trop malheureuse. 



l56 LE NOVICF. 

ce qui venoit de se passer. Es-tu bles- 
sée? répète-t-il en frémissant. 

— Oui, là, répond Julienne en posant 
la main sur son cœur. Robert , continue- 
t-elle d'une voix qu'on entendoit à peine, 

je te défends de mourir Prie pour 

moi Cher Robert, Cluny..... je le 

veux 

•— Du secours! du secours ! s'écrie Ro- 
bert en prenant Julienne dans ses bras 
^t en s'élançant vers la maison. George ! 
Justin ! du secours ! Il arrive dans la salle, 
haletant , pose Julienne sur le premier 

siège. Méridan s'approche, regarde! 

rinforluné ne rapportoit qu'un cadavre. 



• o 



CHAPITRE X. 



La seîcace est plas forte* 
Que le m il des I lesstfs qai sont près de mourir! 

N. Lemebcier. 



Aussitôt après la bataille de Navarette, 
le prince de Galles avoit chargé Jean d'E« 
vreux de visiter le champ de bataille avec 
ses hommes d'armes , pour emporter les 
blessés et enterrer les morts. Sire Jean 



l58 LE KOVICE. 

remplissoit ce devoir sacré, lorsque jparmî 
les guerriers étendus sans vie , il recon- 
nut Evrard. A cette vue quelques larmes 
■vinrent mouiller sa paupière; il se pencha 
sur cette figure pâle et livide, dont tous 
les traits étoient gravés dans son cœur, et, 
prenant la main glacée du tard- venu dans 
les siennes : — Mon pauvre Evrard , dit- 
il, toi que j'aimois comme un frère, te 
voilà donc gisant sur cette terre mau- 
dite, où nous avons combattu l'un contre 
l'autre , nous qui combattions toujours 
ensemble! C'est un de mes compagnons 
qui t'a frappé ! et je ne me suis pas trouvé 
là pour te défendre ! Ah ! quand je te cher- 
chois sans cesse dansia mêlée, pourquoi 
ne faî-Te pas rencontré? Pourquoi ne de- 
vais-je te revoir que pour te recouvrir de 
terre?.... Je veux au moins qu'il lui soit 
rendu quelques honneurs, continua Jean 
<rEvreux en se rélevant. Prenez ce corps, 
vous autres , et survez-moi. 

Quatre hommes tVarmes alloieiit exé- 
cuter cet ordre, lorsqu'urî d'étix ditàse^ 



caxnârades i — Il n'est pas toiit-à-fait mort. 
Se pourrôît-îl? s'écria sire Jean , qui, po- 
sant sa main sitr le cœur d'Evrard, sentit 
^n (Effet un léger battement. 

— Dépêchons, dépêchons, mes enfants, 
reprit-il ; gagnons cette maison que vous 
voyess là-bas. Vingt moutons d'or pour 
vous , si le cœur pat encore quand nous 
y arriverons. 

Cette maison étoit occupée par des pay- 
sans pauvre^, qui consentirent à recevoir 
chez eux le blessé. 

Grâce à l'argent qu'il pouvoit répandre^ 
Jean d'Evrôux eut bientôt entouré son arai 
de tous les soins qui lui étoîent néces» 
spires. Dès le premier pansement-, le cbi* 
rurgien crut pouvoir répondre des jours 
de sire Evrard , qui -pourtant ue fut en 
état de marcher qiie phis de trois mois 
après , tant la quantité de sang qu'il avait 
perdu ïavoil irffoîbli. Jean d'Evreux^qui 
faîsoît partie des premières: troupes ^9e 
l'on ' renvoyait* en aquitaine ,; prit bscn^ 



i 



l60 LE NOVICE. 

congé de lui en lui laissant assez d'or pour 
qu'il pût quitter l'Espagne dèsque ses for- 
ces lui permettroient de monter à cheval. 
Ce qui retardoit surtout la convales- 
cence de sire Evrard c'étoit l'inquiétude 
qu'il éprouvoit du sort de Julienne. Il 
àvoit su par Jean d'Evreux que Dugues- 
clin étoit prisonnier des Anglais ; le brave 
Breton n'avoit donc pu tenir sa promesse? 
L'espèce de gens que dans sa retraite il 
pouvoit questionner sur le sort d'une 
cour fugitive et dispersée, étoit peu en 
état de l'instruire. Il apprit cependant , 
d'une manière assez positive, que la reine 
Jeanne s'étoit retirée près du roi d'Arra*^ 
gon. Mais lors même que l'état de foî- 
blesse où il se trouvoit ne se seroit pas 
opposé à ce qu'il entreprît un voyage, le 
danger qu^il couroit de tomber au pouvoir 
du prince de Galles ne lui permettoit plus 
de traverser la Castille, tant que ce prince 
et son armée l'occupoient. Les Anglais 
avoient donc repassé les monts depuis un 
mois à peu près , lorsque sire Evrard se 



LE NOVICE. l6l 

sentit assez fort pour partir et gagner 
barragosse à petites journées. Arrivé dans 
celte ville, il vit la reine, qui ne put lui ap- 
prendre autre chose, si ce n'est que Ji • 
lienneavoit quitté Tolède avec un homme 
d'armes, parti du cliamp de. bataille de 
Navarette pour la chercher. Sur ce seul 
renseignement, Evrard conçut l'espérance 
d'en apprendre davantage par Duguesclin ; 
mais Duguesclin se trouvoit alors à Bor 
deaux, près du prince de Galles. Evrard 
ne pouvoit aller le trouver lui-même. Il 
songea à employer Jean d'Evreux , et par- 
tit aussitôt pour l'Aquitaine, sans s'effrayer 
du sort quil'yattendoit, si îemalheurvou- 
loit qu'il fût découvert. Le mystère qu il 
étoit obligé d'employer nuisit à ses efforts 
pour retrouver sire Jean, qui lui-même ve- 
noit d'entrer dans la nouvelle conjuration 
des seigneurs d'Aquitaine contre le prince 
de Galles. Enfin, après plusieurs mois^ qui 
parurent à^sire Evrard des siècles de tor- 
tures, il parvint à rejoindre son ami. Tous 
deux partirent pour la cour de France ' 



i6a îiÉ irovicas. 

%\vt Jean dans l'espoir de servir les înté* 
rets de la province auprès du roi Charles^ 
Evrard dans celui de rencontrer Dugiïes* 
elin , qu'on assuroit devoir passer par Pa« 
ris avant de retourner en Castille. 

Sire: Evrard étoit à Paris depuis une 
écmaine sans qu'aucune de ses recherches 
aient réussi à calmer Tinquiétude et fim" 
^xatience qui le détoroient^ lorsque, le 
jour si fatal à celle qui occupoit toute* 
fees pensées, Jean d'Evreux, qui venoil 
de dîner, ainsi que lui, au château de 
Seauté , lui conta , en sortant de table, sa 
rencontre du matin avec Méridan , et 
la conversation qu'ils avoient eue en- 
semble. Evrard, frappé de l'idée que Ro- 
bert, qu'il avoit vu près de Diiguesclin, 
pouvoit lui donner quelques renseigne» 
jiients précieux, n'attend pas le départ du 
roi, naonte à l'instant à cheval, et retourne 
il Parisr au grand gak>p4 

Descendu à Ja-porte- dd Méridan , û 
frappa, et Brigitte, qui alors étoit seule 
dans la salle basse^ vint lui ouvrir a&sA^ 



LE MO VICE. l63 

tôt. Il demande Robert; Brigitte lai indi- 
que le jardin : il y passe. Il entend parler 
sous le berceau. Robert n'est pas seul , 
la voix d'une femme se mêle à la sienne. 
Sire Evrard s'arrête. Dieu ! quels accents 
ont frappé son oreille ! Il écoute. Est-ce 
un prestige infernal? Non , non , c'est bien 
Julienne. Il chancelle, il n'y voit plus^ la 
fureur fait trembler tous ses membres , 

un cri de rage lui échappe On sait le 

reste. 






CHAPITRE XI. 



Si in {>ouvois picurcr! mais aimant ta souflVar.ce, ^ 
Tu U* plais à scnlir , à creuser ton malbeUr. 
Hclas! vc(.f de.ton deuil, lu poidrois l'existence 
En £>c:djOt ta douleur. 

Ducis. 



— Je pense qu'il est temps de faire 
venir un prêtre, dit Brigitte. 

— Un moment , encore un moment , 
répondit George d'une voix dont les ac- 
cents étoient méconnoissables. 



LE irovicE. i65 

_Mais dans un moment il ne sera plus 
emps , reprit la vieille fille. Voulez-vous 
{u il meure sans les secours de la religion? 

George ne répondit pas , mit sa tête 
lans ses mains, et s'appuya sur le mate- 
as; car cet entretien avoit lieu près du lit 
ur lequel , depuis quinze jours , étoit 
tendu l'infortuné Robert. Une léthargie 
omplète avoit succédé depuis la veille à 
'horribles convulsions , et tout en lui 
nnonçoit une mort très-prochaine. 

- — Faites ce qu'il vous plaira, dit la 
aine Brigitte ; je n'aurai rien à me repro- 
her : je vous ai averti. Vous voyez bien 
ii'il est à l'agonie , ajouta-t-elle en jetant 
ur le malheureux jeune homme un der- 
lier regard , et elle sortit de la chambre. . 

George se leva , ferma la porte avec le 
letit loquet de bois, qui ne s'ouvroit 
[u'en dedans, et revint prendre la place 
[u'il n'avoit pas quittée depuiç qujnze 
ours. — Maintenant, dit-il avec ^ç-spu-, 
ire ^u désespoir , je suis sûr au moins 
le recevoir son dernier soupir. Mon hop, 



l66 LE NOVTCE. 

mon cher maître , ajouta- t-il en serrant 
la main glacée de Robert, non*, je ne te 
quitterai pas, pas une minute. Eh! qua-l-tf 
besoin d'un prêtre? n'est-il pas pur, inno- 
cent comme l'enfant qui vient de naître? 
Quel mal as-tu jamais fait à personne, 
toi qui défendois toujours le foible con- 
tre le fort, toi que cette terre n'étoitpas 
digne de posséder ? Dieu fattend; il te re- 
cevra dans ta miséricorde , mon bon Ro- 
bert, comme il recevra bientôt après , j es- 
père , le malheureux George. Si seule- 
ment ( reprit-il , car les lai^mes Tavoient 
suffoqué pendant quelques instans), si 
seulement, avant de nous quitter pour 
toujours , tes yeux pouvbient s*ouvrir un 
moment pour regarder George. Si fen- 
tëndbis une seule fois ta' voix. Ah 1 dis un 
mot, un seul mot, un signe d'acSeu à ce 
pauvte garçon , que tu aimoiis tant , qui 

ii*a aîiiàé ((ne toi dans le monde Il mt 

semblé qd'àpi'èà cela je souffrirois moins... 
Mais lion, mort! peut-être déjà mort! El 
George se hâta de poser sa maîh sur les 



LE TKOTLCBI 167 

lèvres de Robert , d'où s'exhaloît encore 
une foible respiration ; il prit tin mou- 
choir, et se mit à essuyer doucement la 
froide sueur qui couvroit le front du jeune 
homme. — Voilà donc le dernier service 
que je te rendrai , mon bon maître ! dit-il 
en baisant le mouchoir dont il venoit de 
se servir. Je ne sellerai plus ton cheval, je 
ne polirai plus ta cuirasse, je n'attacherai 
plus tes éperons. Jamais, jamais, tu ne me 
^iras avec ton air si doux, si:bon : George, 

fais cela 

— A boire, George, prononça une voix 
foible, et que George ^ut entendre venir 

du ciel. Il regarde O bonheur! les 

yeux de Robert sont ouverts; il croit les 
voir se fixer sur lui. Mon Dieu ! dit-il lout 
bas en joignant ses mains avec force , et 
n'osant espérer qu'il ne fait point un 
songe, il reste immobile, dans la crainte 
dé dissiper la vision ; mais bientôt , Ro- 
bert souleva un peu la tête, et poussa un 
léger soupir. George, tremblant de joie, 
saisit un vase où restent encore la boisson 



l68 LE irOVIGE. 

ordonnée parle médecin ^ le présente aux 
lèvres de son maître^ qui boit tout avec 
une extrême avidité. Epuisé après cet ef- 
fort, Robert laissa retomber sa tête, et sa 
paupière se referma; mais la pâleur de la 
mort avoit disparu de son front , et le bat* 
tement ranimé de son cœur soulevoit 
maintenant sa poitrine. 

George s'étoit jeté à genoux près du 
lit^ étouffant ses transports; et^sans pro- 
noncer une parole, il ob^ervoit jusqu'au 
moindre signe d'existence qui pouvoît 
l'assurer de son bonheur, lorsque Brigitte 
et Méridan frappèrent à la porte , qu'il 
avoit fermée. 

— ^ Paix , paix , dit-il en leur ouvrant 
doucement; point de bruit, pas un mot. 
Ah ! dame Brigitte, il vit! il vient de me 
parler ! il vient de boire ! il vit ! 

— Quel bonheur , dit Méridan , que 
J'aie supplié maître Gervais de revenir 
encore une fois 1 il m'a promis d'être ici 
dans un quart d'heure. 
, La dame Brigitte, tandis que son frèi'e 



M irovicE. i6^ 

parloît, s'étoit hâtée de s'approcher du lit. 
— - £h bien ! mon bon Robert , dit-elle , 
comment vous sentez- vous ? Cest la dame 
Brigitte , mon cher enfant ; vous me re« 
connoissez, n'est-il pas vrai? Robert ou- 
vrit les yeux, et fit un signe de tête. 

— Mon frère, venez! venez! cria Bri- 
gitte; il me reconuoît, il va vous recon- 
noître aussi. Justin et George s'appro- 
chèrent ; le premier prît la main du jeune 
homme , et dans son émotion il ne put 
que la serrer sans prononcer une parole. 

— Je crois je crois, dit-il en essuyant 

une larme, qu'il a aussi serré ma main 
mais je n'en suis pas bien sûr. 

— Son œil est bien hagard, maître Mé^ 
ridan, dit George. Robert en effet jetoit 
autour de lui des regards vagues comme 
un homme qui cherche à se reconnoître ; 
enfin il parut tomber dans un assoupisse- 
ment qui dura jusqu'à l'arrivée du mé- 
decin. 

— Notre jeune homme est mieux , je 

IV. 8 



<<:rois, bien mieux ^ maître Gervais^ dit 
Méridan. . 

— Vraihaenl? répondit le docte^ir^ j'en 
•serois biep aise; on peut dire qu'il re> 

viendroit de loin. Et s'approchant de Ro- 
bert, que son arrivée venoit de réveiller, iji 
lui tâta le pouls et fit une mine de satis- 
faction. 

— Yoiis êtes content du pouls? de- 
manda George, qui dévbroit tous les 
mouvements du médecin. 

— Il est certain que le mieux est sen- 
sible, dit maître Gervaîs après avoir 
-examiné avec soin les yeux et la figure 
du malade. 

— 11 nous a reconnus tous , répondit 
Brigitte. 

Le médecin secoua la tète et fit une 
question à Robert , qui ne répondit pas» 
-r^ 11 faut le laisser font tranquille , dit 
tnaîlre Gervais à George, ne point Itii 
-édresser la parole et atltendne qii^l parle 
lui-même. Quand sa tête reviendra, si 

4ilh revicnij aiw<tM-il «^veu w» aie .de 



•M KOYICE. IJl 

douté qui fit frémir ceux qui Técou- 
ioient , é'^itez tous de dire un mot qui 
puisse lui rappeler son malheur ; s'il en 
repreûoit le souvenir avant qu'il eût as- 
sez de forces pour le supporter, tout se- 
roit fitiiv Au reste , ma tisane , ma po- 
tion calmante toutes les deux heures. Je 
reviendrai demain matin. 

— îTa-t-il pas dit qu'il resteroîl fou ? 
dit tout bas la dame Brigitte a George, 
pendant que son frère reconduisoit le 
docteur. 

—Vous me feriez devenir foû mol-même; 
où diable àvez-vôùs entendu cela? ré- 
poiMlit George , qui ne l'avoit aussi que 
trop entendu , 'itS^i s qiii iouloi t repousser 
cette affreuse idée. 'Ce qu'il a dit, c^cst 
4que le p1u6 grand repos- étoit necèssïiire^ 
qu'il ne folloif pas ît tourmenter de pa- 
iKïles^.... 

— Maitre Grervaîsf a beaucoti}) cPes|>é- 
xtace, dit Miiéddain *en nentrtim; iî^ési 
presque ceHain ^dilt»èinfd^,'qiir'îl vivni: 
«ixuit utt regMd dtt^if AH^su^ Rob^ 



J'ja LE KOVICE. 

poussant un profond soupir: — Allons^ 
JBrigitte, allons, laissons-le tranquille main- 
tenant.NousmonteronsseuIementd'heure 
en heure demander des nouvelles à 
George. 

Autant par curiosité que par intérêt , 
Ja vieille fille auroit bien désiré rester ; 
mais l'ordonnance du docteur étoit posi- 
tive , elle fut obligée de suivre son frère , 
assez mécontente. 

Aucun changement ne se montroit 
«dans la situation de Robert: il seTéveil*- 
loit de temps à autre , portoit çà et là ses 
regards sans les fixer sur aucun objet, et 
jretomboit dans Tassoupissement. Il passa 
Ja journée entier^ dans cet état qui tient 
le milieu entre la vie et la mort. Le len* 
demaiq. cependant il avoit déjà repris 
quelques forces. Il se mit plusieurs fois 
sur son séant ; la fièvre qui ne l'avoit pa^ 
i^pcQinB quitté y lui dpnnoit une soif ar- 
dente ; il dem^ndoit à boire d'une voix 
a§|ez ferme, prie^oit k Vase des mains de 
^^orge et le pprtpit lui r même à sa boof 



f 



W NOVICE. 173 

che. Mais ii ire parloit pas, ne reconnois** 
soit personne et ne sembloit agir que par 
un mouvement machinal , ainsi que font 
les êtres privés de raison , ou Tenfant qui 
vient de naître à l'existence. 

Le chasseur observoit en frémissant 
tous ces tristes symptômes, et les paroles 
du médecin lui revenoient Sans cesse à la 
mémoire. ^ 

Le matin du troisième jour, Robert, 
qui le regardoit souvent, mais comme il 
regardoit tout autre objet , lui sourit en 
lui rendant sa coupe. Dieu ! quel mal ce 
sourire fit à George ! Les larmes rempli- 
rent ses yeux, il s'assit près du lit en 
tournant la tête pour ne plus contempler 
un spectacle qui le déchiroit.— Ehbien ! se 
dit-il à lui-même , il ne reprendra plus sa 
raison , mais il vivra ; je^ pourrai le voir, 
le soigner. N'étois-je pas résolu à m'en-^ 
fermer dans le cloître pour ne plus le 
quitter ? Je m'enfermerai à Ingelcour 
avec lui , nul autre que moi ne sera té-^ 
moin de sa misère. Nous vivrons tous les 



deux seuls. Quoiqu'il arrive^ a|oiita-t*il ew 
regardant de noiiveau riii£ortuné , tu ne 
seras jamais iDéchant , mon cher , » mon 
pauvre Robert ! Tu Dbe feras pas de mal à 
celui que tu as ^i souvent appelé ton frère* 
Dans sa vive émotion , le chasseur pfo- 
noaça tout haut ces dernières paroles* - 
Soit qu'elles réveillassent quelques sou«^ 
venirs dans l'esprit de Robert , soit que 
le mouven;ient qu'il fit alors fût dû au 
hasard , il tendit la main au chasseur, et 
cette main étoit devenue simai^equela 
bague de Julienne s'en échappa. 

— Ma bague! ma bague ! cria Robert 
en se soulevant tout-à-fait. 

George s'empressa de la ramasser et de 
la lui rendre. Robert la saisit vivement » 
la pressa sur ses lèvres , puis la regarda 
en souriant comoie aux jours dubonheur. 
Mais tout à coup son œil devint fixe 
pendant quelques instants , il parut ré-^ 
fléchir, un tremblement affreux saisit; 
alors tous ses membres. Il pressa sa tête 
dans ses deux maips pour y fixçr le sou-^ 



venir, et poussant un cri horrible, il per- 
dit connoissance. 

Ranimé par les soîfals que lui prodigaoît 
George, il étoit retenu à lui quand Mé-* 
ridan et Brigitte entrèrent dans la cliam-* 
bre, effrayés par le cri qu'ils avoient en- 
tendu. Robert, à qui, pour son malheur^ 
la raison venoit d'être rendue, lesrecon* 
noissoit maintenant tous les trois; cepen- 
dant son œil restoit sec; on auroit pu 
croire quHl étoit calme, si Tempreint^ 
d'un sinistré désespoir. n'eût pas dénaturé 
tous ses traitsi 

—Robert , dit Méridaû en lui prenant 
la main, ce sont vos amis qui. viennent 
pleurer avec vous. 

Robert lui serra la main d^un air recon-*- 
noissant, mais il secoua la tête, et se»^ 
lèvres firent un mouvement qui ressem-^ 
bloit au sourire. 

— Et moi, moi, mon cher maître, dit 
George qui se tenoit penché sur le lit 
pour cacher ses larmes . ne voulez-vous 
pas me dire un mot ? 



176 ïk XHhRQE. 

— George , répondit Robert en pas- 
sant doucement sa main sur la tête du 
chasseur y j'ai du te causer bien du mal. 
Depuis combien de temps suis-je dans ce 
lit? continua-t-il. 

— Depuis quinze jours , répondit Bri- 
gitte ; nous vous y avons placé aussitôt, 
après 

— Assez , assez , ma sœur , il ne £iut 
pas fatiguer la tête de notre malade. 

— Quinze jours ^ dit à voix basse Ro« 
bert, qui) livré à ses pensées ^ n'a voit en-* 
tendu que ce mot. Dieu de bonté ! ajouta- 
t-il plus bas encore et en joignant les, 
mains, donne-moi la force de lui obéir! 
Puis se retournant vers ses amis : — Méri- 
dan, dame Brigitte, dit-il avec douceur^ 
permettez que je reste seul quelques 
heures. 

— Nous vous laissons , répondit Justin. 

— Si vous pouviez dormir , ajouta Bri- 
gitte, cela vous rendroit un peu de forces. 



LE NOVICE. 177 

— J'ai des forces, Brigitte ^ réfAqua 
Robert, j'ai beaucoup de forces. 

Méridau et sa sœor quittèrent la cham- 
bre; maïs Robert s'apercevant que George 
ne les suivoit pas, lui fit signe de sortir 
aussi. 

— Oh ! pour moi , mon cher , mon 
bien cher maître, dit George d'une voix 
tremblante , permettez que je reste ; non ^ 
je ne puis vous laisser seul , malheureux 
comme je vois bien que vous l'êtes; je 

serois trop tourmenté , trop iuquiet 

Et en disaqt ces mots il portoit malgré 
lui ses yeux sur l'épée de son maître , qui 

Ase trouvoit placée près du lit. 

— Je t'entends, dit Robert d'un air 
calme; mais je ne puis pas me tuer, je 
ne le puis pas, George; elle me l'a dé- 
fendu. 

— Que Dieu la bénisse ! s'écria George* 

— Tu le vois, Julienne, reprit Robert, 
je t'obéis ; je t'obéis , répéta-t-il sans ver- 
ser une larme;, mais l'excès des souf- 



It^S ^ LE NOVICE. 

tfSLn^ de son kfpe faisoit dlaquer ses 
dents l'une contre l'autre. 

Comoie il u'insistoit plus pour que 
George sortît , le pauvre garçon se con- 
tenta de s'éloigqer du lit et d'aller s'asseoir 
dans l'autre coin de la chambre, car il 
ne voyoit que trop combien il étoit inu- 
tile d'appliquer la consolation à une telle- 
douleur. — Le temps, le temps, se disoit- 
îl , fera bien plus que mes discours. Laîs- 
sons-le seul à ses pensées. Ah! s'il pou* 
voit pleurer, que jç serois heureux ! , 

Mais les heures, les jours se succé^ 
dèrent saris apporter aucun cliangeraent 
à l'état d'âme de l'infortuné Robert. Son 
morne désespoir sembloit plutôt s'accroî- ^ 
tre que s'adoucir. Plongé dans la plus 
sombre rêverie, il se livroit à mille pen- 
sées qui toutes traversoient son cœur 
comme autant de coups de poignard. 
On le voyoit pâlir et frissonner sans qu'i 
prononçât une seule plainte , sans qu'on 
l'entendit pousser un seul soupir. Il n'bu» 
vroit plus la bouche que lorsqu'il s'y 



LE NOVICE,, 179 

trouvoit coQt:raii}t» soit ppiir demander 
quelque chose , soit pour remercier Mé- 
ridan et Brigitte des soius qu'ils lui. pro^ 
diguoient j car cette bonté de cœur qui 
Tavoit toujours rendu si aimable u'avoit 
point disparu. Mais s'il étoit obligé de 
répondre aux discours qu'iw lui adres- 
soit, sa voix étoit oppressée, sa parole 
brève, et il paroissoit tellement contrarié, 
qu'on s'abstint bientôt de lui parler à 
moins que cela ne fut nécessaire. 

Quoique bien foible encore , il avoit 
quitté le lit et passoit des heures entières 
assis près d'une table, la 'tête appuyée 
sur sa main, immobile, l'œil éteint, of- 
Ji^ant en tout l'image de ces statues de la 
douleur que l'on place sur les tombeaux. 
Souvent, comme pour échapper à sa pen- 
sée, il se levoit vivement et s'efforçoit de 
faire quelques pas dans la chambre ; 
alors le chasseur s'approchoit , lui offrant 
l'appui de son bras; ils marchoient tous 
deux en silence pendant quelques minu- 
tes^ et quand la foiblesse obligeoit Ro- 



l8o LE irovicE. 

bert à se rasseoir, s'il disoit d'une voix 
f oible : — Merci , George, le son de ces 
douces paroles restoit long-temps dans 
Foreille du pauvre garçon et réjouissoit 
son cœur. 



CHAPITRE XII. 



Que le tour du soleil ou conflncnrc ou «^achève, ' ] 
D'uo oeil indiffèrent jo le suit dant ion court ; 
En un ciel sombre ou ]par qu*il se eouclic ou se lève . 
Qtt^importe le soleil? je n^attends rien des jou'f. 

Lamàjitjhs. 



Ce que redoutoient le plus les amîs de 
Robert , c'étoît qu'il ne voulût aller au 
jardin j aussi évîtoîent-ils avec soin tout 
ce qui pouvoit lui faire naître Tidée âé 
sortir de sa chambre ^ qui, sans qu'il Teût 



l8a LE NOVICE. 

jamais soupçonné, étoit celle qu'a voit ha- 
bitée Julienne. Mais cette crainte étoit 
vaine. Soit que Robert sentît que revoir 
le bosquet c'étoit mourir, cetoit enfrein- 
dre l'ordre de Julienne , soit par suite de 
quelque idée bizarre, telle qu'il en naît 
des grandes douleurs, il n'en témoigna 
point Je désir. 11 ne prononçoit pas même 
un seul mot qui eût rapport à son infor- 
tune. Cependant, comme il s'étoit soumis 
avec la plus gra.nde docilité à tous les or- 
dres du médecin , il reprenoit peu à peu 
quelques forces. Un soir, il demanda à 
George où étoient restés leurs chevaux. 

— Chez notre ancien hôte, qui les soi- 
gne, répondit, le ctasseur fort surpris. 

— Nous partirons demain au point du 
jour, Gflorge; prie Méridan de venir un 
Kxoment 

George\ qui 1^ vcxjfolt encore et si maâr 
|;re et si fmble,» auroit bieu déi»i^é £ûpe 
^elquie observation; mais il p^nsa qi>ie 
les discours de Méridaii auroieiit plu de 




LE KOVICE. l83 

poids que les siens j et se hâta d'aller le 
diercher. - ^ . 

L'écrivain, instruit du dessein de Ro- 
bert, entra dans la chambre en se ré- 
criant sur le projet de partir, à peine 
conralescent; mais Robert le laissa par* 
1er long-temps, sans paroître recevoir 
aucune impression de ses discours. Seu- 
lement deux ou trois fois il lui serra la 
main , et répondit doucement : — Il le 
£aiut, Méridan, il le faut. Le bon Justin , 
voyant qu'il le tournienteroit inutilement, 
n'insista plus , et se borna à lui deman-» 
der en quel lieu il alloft. 

-^ A Cluny, répondit Robert en pâlis^ 
sant ; car c'étoit le dénier mot qu'avoît 
prononcé Julienne^ 

— A Cluny ! s'écria Méridan d^un air 
satisfait. C'est votre bon ange , mon cher 
«nfant, qui vous a inspiré cette idée. 

•— Oui , Méridan , dit Robert d'un air 
qQ^on ne saurott peindre. 

— Vous retîx>uverez làvotrcdîgneoncte 
<tom Ambroise;.sa fetid»esse, .sa raisoa 



|84 l'B NOVICE* 

VOUS seront d'uD grand secours. D'ailleurs^ 
mon jeune ami j le temps adoucit les plus 
Affreuses douleurs. Vous faisiez naguère 
toutes vos jouissances de l'étude; vous les 
retrouverez ces jouissances. Croyez-^moi , 
mon bon Robert , elles sufiBissent au bon* 
beur. Je n'en ai jamais connu d'autres , et 
cependant je suis heureux. En parlant 
ainsi, l'écrivain serroit les mains de l'in- 
fortuné jeune homme, et ses regards ex^ 
primoient une affection si tendre, que le 
cœur flétri de Robert s'ouvrit encore au 
3entiment de la reconnoissance. — Il m'est 
doux de vous savoir heureux, Méridan^ 
dit-il en faisant un effort pour sourire. 
Mais son front s'obscurcit bientôt du 
nuage qui s'étoit dissipé un instant. 

A peine le soleil étoit-il levé le lende- 
main que George attendoit à laporte avec 
les chevaux. Brigitte et son frère étoient 
près de Robert , qu'ils avoient voulu re- 
voir une dernière fois. Tous deux ver^ 
3oient des larmes. Pour Robert, il ne 
pleuroit pas. Quelle séparation dans ce 



Uf NOVICE. l85 

monde pouvoit encore Témouvoir ! Tou- 
tefois il ne sembloit pas étranger à cette 
scène, comme il Fa voit été jusqu'ici à tout 
ce qui se passoit autour de lui. Au mo* 
ment de partir, il détacha une chaine^ gar- 
nie de pierres précieuses, qu'il tenoit de 
Henri de Transtamare, et qu'il savoit être 
d'un très-grand prix. La passant au cou 
de Brigitte : — Je vous prie, dame Bri- 
gitte , lui-dit-il , de garder ceci en souvenir 
de nous. 

— Ah ! mon cher enfant, répondit la 
vieille fille plus touchée qu'elle ne Tavoit 
jamais été de ses jours , qu'ai-je besoin 
de ce riche présent pour ne point vous 
oublier ? Dieu sait combien je vous aime , 
et combien j'ai mois celle qui est mainte- 
nant dans le ciel! 

Robert leva les yeux vers ce ciel qu'il 
désirôit si ardemment habiter lui-même , 
serra la main de Brigitte, et se retour-^ 
nant ensuite vers Méridan : — Adieu • 
adieu , répéta*t-il d'une vpix ferme et 
brève. Us'approchoit de la porte , il alloit" 

8* 



j86 le vqvj;c9» 

monter à cheval ; tout à coup il s'arrête y 
regarde Méri^an , retourne à lui, le presse 
dans ses bras, et posant la main sur son 
coeur: — Tant qu'il battjra, Méridan^ 
dit-il. Bientôt après, ses amis le perdi- 
rent de vue. 

A part l'inquiétude que lui causoit la 
foiblesse de Robert, George étoit ravi de 
le voir quitter des lieux , pleins de sou- 
venirs propres à entretenir sa dou^ 
leur. Il espéroit d'ailleurs que les distrac- 
tions de la route, la vue de nouveaux 
objets, auroîent quelque influence sur 
lui esprit naguère si vif et si ardent. Mais 
tel n'étoit plus l'esprit de Robert, que la 
douleur vieil lisstoit avant l'âgô. I-ioin qu'il 
parût faire attention à rien de ce qui s'of- 
froit à lui , George essayoit inutilement 
de l'arracher à sa stupeur , par une re- 
marque ou par une exclamation. Robert 
ne levoit point les yeux , restoit la tête 
baissée , comme s'il n'eut voulu vivre 
qu'avec sa pen$ée; en- sorte que le pau-- 
vre garçott crut devoir se taire à soa. 



IsE ïfOVlCE. 187 

tour, daAs la crainte de l'importuner. 
Une seule fois ^ pendant la première 
journée , Robert porta ses regards sur la 
campagne qui Fenvironnoit^ et parut 
s'apercevoir qu'il suivoît une grande 
route. S'adressant au chasseur : — Com- 
bien de temps y a-t-il aujourd'hui que 
nous sommes partis d'Ingelcour, George? 

— Il y aura précisément vingt mois 
dans cinq jours j répondit le chasseur. 

— Vingt mois , reprit Robert; c'est 
bien peu pour la vie d'un homme. £t il 
retomba dans un silence absohi. 

Quelle différence, en effet , entre le dé- 
part de l'infortuné et son retour ! Brillant 
de joie, de santé, d'espérance, il alloit 
chercher le bonheur: il rapportoit la 
mort. Et George qu'il associoit alors à se» 
rêves de félicité, ce second kii-mémey 
George ne chantoit plus maintenant ; sa 
gaieté, son seul bien, hélas! il l'avoit per- 
due pour toujours. Il marchoit tristement 
près du compaguon de sa route ici-bas ^ 
de celui à qui il avoit voué sa vie et qui 



i88 CE iroviCE. 

semblôit à peine s'apercevoir de sa pré- 
sence ! Il alloit... Qu'en savoitîl ? Où la 
douleur d'un autre devoit le conduire; 
peut-être dans le cloître ; peut-être dans 
la tombe. Mais ce charme des affections 
fortes y ce charme y inconnu aux cœurs 
froids, suffisoit pour qu'il préférât sa 
place à celledu monarque le plus fortuné. 
Après huit jours d'une marche rapide, 
dont pourtant la santé de Robert ne pa- 
roissoit pas souffrir, George, à qui il 
avoit annoncé l'intention de s'arrêter à 
Ingelcour, lui montra lin matin les tou- 
relles de ce château, qui s'élevoient de- 
vant eux. Robert tressaillit; mais sans 
dire une parole, il pressa le pas de sa 
monture, et bientôt il entra dans les 
cours du manoir de ses pères. Comme il 
descendoit de cheval, un vieux serviteur 
de la maison s'approcha de lui , et le 
croyant instruit de la perte du sire d'In- 
gelcour, mort subitement depuis un mois, 
il le félicita d'un air triste sur son arrivée, 
et le salua comme son nouveau maître.. 




L£ kovice; 189 

— Que dites-vous, Marcel? s'écria Ro- 
bert; que dites» vous, grand Dieu? mon 
père est moit ! 

— Quoi! vous l'ignoriez, monseigneur ? 
répondit le vieillard. Hélas îila été frappé 
d'un coup de sang comme il se levoit de 
table. Il y aura demain quatre semaines 
que nous l'avons déposé près des sires 
dlngelcour avec les cérémonies d'usage. 

Robert regardoit le vieillard d'un air 
effaré, tant ce dernier coup venoit de le 
frapper vivement. Enfin il demanda d'une 
voix tremblante si la chapelle étoit ou- 
verte.Marcel ayant répondu qu'elle l'étoit : 
-^ Nous passerons la nuit ici , George ; 
ne me suis pas, dit-il; et il s'achemina 
lentement vers la dernière demeure de sa 
famille. Une tombe nouvelle eut bientôt 
frappé ses yeux ; il s'agenouilla respec- 
tueusement sur cette tombe et pria avec 
ardeur son père de l'absoudre. — Par- 
donne-moi, disoit-il d'une voix déchi- 
rante, pardonne-moi d'avoir voulu me 
soustraire au vœu que ta bouche avoit: 



prononcé , d'avoir déserté les autels, 
quand tés serments m'y attachoient. Dieà - 
m'a puni , assez puni , mon père! il reçoit 
en expiation^ na douloureuse existence. 
Que ton âme repose en paix. 

Robert pria long-temps; la souffrance 
de son cœur en fut adoucie ; cette pre- 
mière expression de son désespoir qu'il 
adressoit au ciel rendoit ce désespoir 
moins amer. La nuit alioit bientôt venir , 
il se leva et prit le chemin du château. En 
traversant le vestibule il tressaillit: la 
porte de la grande salle étoit entr'ouverte; 
il s'arrête, il hésite, enfin il entre. Tout 
étoit dans le même état : les armes de ses 
pères étoient suspendues aux murailles;, 
les sièges sur lesquels les tard-venus s'é- 
toientassissembloientiesattendre encore;: 
les torches à demi brûlées n'avoient pa» 
été rallumées peut-être depuis le départ 
des compagnies blanches. A cette vue 
le cœur de Robert se fend : — Nous re- 
tournerons à Ingelcour , et nous rêver-* 
rous l'oncle Ambroise ! s'écri€-t-il; et tom^ 




XJE NOVICBfc 191. 

bant sur la pierre , des larmes , un ruis-* 
seau de larmes coule enfin de ses yeux. 
Il appelle Julienne , il appelle son père 
aussi; mais les voûtes sont muettes; pas, 
une voix ne répond à sa voix déchirante, 
—Et pourtant, dit-il en sanglottant^ elle 
étoit là, ses yeux se portoient sur moi! 
Ah ! Julienne, encore un regard ! quoi ! 
pas un ! quoi! jamais ! et tu veux que je 
vive ? Non , non , tu ne peyx le vouloir. 
Grâce, grâce, Julienne ! Il va s'agenouil- 
ler sur la place qu'elle occupoit quand 
pour la première fois elle s'est offerte à 
sa vue, la couvre de ses baisers et de ses 
pleurs. C'est là, c'est là qu'il voudroit 
mourir! Mais dans l'égarement de sa 
douleur la voix si chère semble encore se 
faire entendre; il se lève tremblant, rési- 
gné : — A Cluny, à Cluny, répond-il, 
et sortant précipitamment, il quitte la 
grande salle pour n'y jamais rentrer. 

George qui se tenoit à la porte et qui 
sans se montrer avpit suivi tous ses mou- 
yements, le conduisit à l'appartement 



iga LE iroviGE. 

qu'on lui avoît préparé. I^ figure de Ro- 
bert n'avoit plus rien de sinistre. Une 
douleur plus douce y éloit empreinte ; 
mais il lui tardoit de voir se refermer sur 
sur lui les portes du cloître où les vœux 
d'un père et l'ordre de Julienne Fen- 
* voyoîent attendre la mort. L'infortuné 
jouissoit en pensant qu'une vie privée de 
bonheur et d'espérance ne sauroit être 
Ions:ue. 

George s'attendoit à se voir congédier 
ainsi qu'il i'étoit tous les soirs; mais Ro- 
bert pour la première fois depuis son 
mallieiir, loin de paroître importuné par 
sa présence , lui dit de coucher dans sa 
chambre. -— Passons celte dernière nuit 
ensemble, mon bon George, ajouta-t-il 
en serrant la main du chasseur; demain 
avt'înt mon départ pour Cluny tu feras 
venir le tabellion; je veux qu'il dresse 
un acte qui le mette en possesion de tous 
mes biens, 

— Et pourquoi faire ? répondit le 



& 



LE NOVICE. 193 

chasseur avec autant de surprise que 
d'inquiétude. 

_ Je ne laisse que toi dans le monde, 
George; ne veux-tu pas hériter de ton ami? 

— Ainsi vous me laissez ! vous me dé- 
fendez de vous suivre à Cluny! s'écria 
George pâle et tremblant. Quand nous 
étions enfants tous les deux^ ne nous 
étions-nous pas promis de ne pas nous 
quitter? îTétoit-il pas convenu que je me 
ferois frère lai à Saint-Paul ? Vous le dé- 
siriez alors; alors Robert aimoit le pauvre 
George, continua -t-il en sanglottant. Le 
fils du chevalier serroit la main du fils de 
FafFranchi en l'appelant son frère. Au- 
jourd'hui il le x^hasse , il lui dit : Va mou- 
rir loin de moi 

— Non , non ! s'écria Robert en le 
pressant dans ses bras , la voix d'un ami 
arrive encore à ce cœur brisé. Viens , 
George , viens me fermer les yeux , et 
qu'un jour notre cendre soit réunie. 

Le lendemain, au coucher du soleil, 
le portier de l'abbaye de Cluny condiiisit 

IV. o 



iq4 IiB MlncE. 

deux étrangers dans la cellule de dom 
Ambroise. — Mon oncle, s^écria Robert 
en se jetant dans les bras du vieux reli- 
gieux, je viens prononcer mes vœux et 
mourir près de vous. 



Plus de cent ans 

après, on parloit encore à Quny du sa- 
voir, des vertus d'un frère Robert, mort 
dans un âge fort avancé. Plusieurs vieux 
religieux Favoient connu. On parloit 
aussi du frère George , qui ne lui avoit 
survécu que de trois jours, et que, sur sa 
prière , on avoit enterré près de lui. 



Fiir. 



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