GCT 1 2 1942
TH E
-School ofiAedicine,
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LEÇONS
MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX
LEÇONS /
SUR LES
MALADIES DU SYSTÈME MIEUX
FAITES A LA SALPÉTRIÈRE
PAR
J.-M. ÇH ARGOT
Professeur à la Faculté de médecine de Paris, Médecin de la Salpétrière.
Membre de l'Académie de médecine, de la Société clinique de Londres
de la Société clinique de Biula-Pesth,
de la Société des Sciences naturelles de Bruxelles,
Président de la Société anatomique.
Ancien vice-président de la Société de Biologie, etc.
RECUEILLIES ET HJBLIÉES
r.vR
boi il \ i; v s i,a,« ;
Rédacteur eu chef du Progrès médical.
TOME PREMIER.
Troisième édition.
PARIS
V. ADRIEN DELAHAYE ET O, LIBRAIRES-ÉDITEURS
PLAGE DE l'ÉCOLE-DE-MÉDECIXE
1877
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PREMIERE PARTIE
Des troubles trophiques consécutifs aux
maladies du cerveau
et de la moelle épinière.
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(ramESITT.OFltt
\ 1813
PREMIÈRE
Troubles trophiques consécutifs aux lésions
des nerfs.
Sommaire. — Remarques préliminaires. — Objet des conférences de cette
année ; elles seront consacrées à celles des maladies du système nerveux et,
en particulier, delà moelle épinière, que l'on observe le plus habituellement
à la Salpétrière. — Troubles de nutrition consécutifs aux lésions de l'axe
cérébro-spinal et des nerfs. — Ces altérations peuvent occuper la peau, le
tissu cellulaire, les muscles, les articulations, les viscères. Importance de
ces altérations au point de vue du diagnostic et du pronostic. — Troubles
de nutrition consécutifs aux lésions des nerfs périphériques. — Le sys-
tème nerveux, à l'état normal, a peu d'influence sur l'accomplissement des
actes nutritifs. — Les lésions passives des nerfs ou de la moelle, ne pro-
duisent pas directement de troubles trophiques dans les parties périphé-
riques ; expériences qui le démontrent. — Influence de l'irritation et de
l'inflammation des nerfs ou des centres nerveux sur la production des
troubles trophiques. — Les troubles trophiques consécutifs aux lésions
traumatiques des nerfs, considérés en particulier. — Ils résultent, non des
sections complètes, mais des sections incomplètes, des contusions, etc.,
des troncs nerveux. — Eruptions cutanées diverses : Erythème, zona
traumatique, pemphigus. — Grlossy Skin des auteurs anglais. — Lésions
musculaires : atrophie. — ■ Lésions articulaires ; lésions osseuses : périos-
tite, nécrose. — Troubles trophiques consécutifs aux lésions non trau-
matiques des nerfs ; leur analogie avec ceux qui résultent des lésions
traumatiques. — Troubles trophiques de l'œil, dans les cas de tumeur
comprimant le trijumeau. — Inflammation des nerfs spinaux, consécutive
au cancer vertébral, à la pachyméningite spinale, à l'asphyxie par la
vapeur de charbon, etc. Eruptions cutanées diverses (zona, pemphigus,
etc.), atrophie musculaire, arthropathies, qui, en pareil cas, se dévelop-
pent en conséquence de la névrite. — Lèpre anesthésique : périnévrite
lépreuse, lepra mutilans.
Messieurs,
Ce n'est jamais sans quelque émotion, mais aussi sans
une grande satisfaction que j'inaugure chaque année les
conférences que vous venez entendre. Je retrouve tou-
Charcot, t. i, 39 édition. 1
2 REMARQUES PRÉLIMINAIRES.
jours, en effet, dans cette circonstance, des visages amis,
d'anciens élèves, quelques-uns passés maîtres, d'autres
ayant déjà marqué, dans la carrière qu'ils parcourent, des
traces brillantes. Leur présence m'est un grand confort et
je suis heureux de leur en témoigner toute ma gratitude.
L'afïïuence, aujourd'hui, d'un auditoire plus nombreux
que de coutume, me semble une preuve convaincante que
je ne m'étais pas trompé lorsque je pensai, il y a cinq
ans, que ce grand emporium des misères humaines où nous
nous trouvons rassemblés, pourrait devenir un jour le siège
d'un enseignement théorique et clinique vraiment utile (1).
Sans doute, Messieurs, le champ d'observation qui nous
est ouvert, n'embrasse pas la pathologie tout entière. Mais,
tel qu'il" est, n'est-il pas déjà bien vaste? D'un côté, il
offre à nos études les affections de l'âge sénile, qui méri-
tent bien qu'on s'y arrête quelque temps. En second lieu,
parmi les affections chroniques, il nous livre, réunies en
grand nombre et dans des conditions particulièrement fa-
vorables aux recherches, les maladies des systèmes nerveux
et locomoteur, si communes et par conséquent si intéres-
santes pour le médecin, maladies dont la pathologie com-
mence seulement depuis une vingtaine d'années à se déga-
ger de l'obscurité profonde où elle était plongée jusque-là.
Quant à moi, Messieurs, je n'ai jamais douté que l'hos-
pice de la Salpétrière, ne dût devenir, et pour les maladies
des vieillards, et pour beaucoup de maladies chroniques,
un foyer d'instruction incomparable. Il suffirait, pour réa-
liser cette idée, d'apporter quelques modifications dans les
arrangements intérieurs de cet établissement. Or, je suis
bien aise de pouvoir vous annoncer que les événements
sont, en ce moment, tout-à-fait favorables à nos vues.
Déjà, une décision que nous n'avons pas réclamée a mis
entre nos mains un service de près de 150 lits où il nous
est donné d'observer toutes les formes de l'épilepsie et de
(t) Cette leçon a été faite en mai 1870.
OBJET DE CES CONFERENCES. 3
l'hystérie grave. Ce n'est pas tout. M. le directeur de
l'Assistance publique a formé le projet d'ouvrir dans cet
hospice une consultation consacrée surtout aux malades
atteintes d'affections chroniques et une salle où elles pour-
ront être admises temporairement, en certain nombre, pour
y être traitées.
Lorsque tous ces éléments d'études auront été groupés
et organisés en vue des investigations scientifiques et de
l'enseignement clinique, nous posséderons à Paris, je
n'hésite pas à le dire, une institution qui, dans son genre,
ne saurait guère avoir de rivale (1). J'espère être assez
heureux pour voir bientôt ce plan réalisé dans toutes
ses parties. Mais, si des circonstances que rien ne fait
présager m'appelaient ailleurs, ce serait encore pour moi une
vive satisfaction de voir mes successeurs couronner l'édifice
dont je n'aurais pu que jeter les premiers fondements.
Messieurs, votre temps est précieux et je ne veux pas
étendre outre mesure ce préambule. Il est temps d'arriver
à l'objet spécial de ces leçons. Je me propose de vous en-
tretenir surtout, cette année, de celles des maladies du sys-
tème nerveux et, en particulier, de la moelle épinière, qui
s'offrent le plus souvent à notre observation dans cet hos-
pice. Il me répugnerait d'entrer, dès la première entrevue,
dans des détails par trop techniques ; j'ai pensé qu'il serait
plus convenable d'appeler votre attention sur une question
d'une portée générale et que nous retrouverons à chaque
pas dans le cours de nos études.
I.
Les lésions de l'axe cérébro-spinal retentissent fréquem-
ment sur les diverses parties du corps et y déterminent par
la voie des nerfs, des troubles variés de la nutrition. Ces
(l) Ce projet ne s'est malheureusement pas encore réalisé (juin 1877).
4 TROUBLES DE NUTRITION.
affections secondaires constituent un groupe pathologique
des plus intéressants. Aussi consacrerai-je quelques séances
à tracer devant vous les principaux traits de leur histoire.
Les lésions consécutives, dont il s'agit, peuvent frapper
la plupart des tissus et occuper les régions du corps les
plus diverses : la peau, par exemple, le tissu cellulaire,
les muscles, les articulations, les os eux-mêmes, ou enfin
les viscères. Elles présentent le plus souvent, à leur ori-
gine du moins, les caractères du processus inflammatoire.
Souvent, elles ne jouent dans le drame morbide qu'un rôle
accessoire, car elles sont simplement surajoutées alors aux
symptômes habituels : hyperesthésie, anesthésie, hyperkiné-
sie, akinésie, incoordination motrice, etc. Mais, pour n'avoir
d'intérêt qu'au point de vue de la physiologie patholo-
gique, elles ne doivent pas, cependant, être négligées.
D'autres fois, au contraire, ces lésions acquièrent aux
yeux du clinicien, en raison, soit des graves désordres
qu'elles occasionnent, soit des signes diagnostiques ou pro-
nostiques qu'elles fournissent, une importance majeure.
Permettez-moi d'appuyer cette proposition sur quelques
exemples.
L'an passé je vous montrais — et je reviendrai bientôt
encore sur ce point — comment l'eschare fessière, déve-
loppée dans le cours de l'apoplexie par hémorrhagie céré-
brale ou par ramollissement du cerveau, permettait de por-
ter un pronostic d'une certitude presque absolue.
Les eschares sacrées, les affections des reins et de la
vessie qui se produisent avec tant de rapidité dans certaines
maladies aiguës ou dans les exacerbations de quelques
maladies chroniques de la moelle épinière sont souvent la
cause immédiate de la mort.
Une artliropatUie survenue dans le cours de Fataxie lo-
comotrice, pourra priver définitivement le malade de l'usage
d'un membre qui, pendant longtemps encore, eût pu lui
rendre des services.
TROUBLES DE NUTRITION. l>
Quelquefois, enfin, ces lésions trophiques consécutives
donnent le change au clinicien qui les prend pour la mala-
die tout entière. Telles sont certaines formes de Y atrophie
musculaire progressive considérées naguère comme des
affections primitives des muscles, et dont le point de départ
est, en réalité, dans certaines altérations de la substance
grise de la moelle épinière.
Multiplier ces exemples serait, je crois, superflu, car, dès
maintenant, vous voyez l'intérêt qui s'attache à l'étude de
ces lésions trophiques.
Le pouvoir de déterminer, sous certaines influences mor-
bides, des lésions de nutrition dans les parties extérieures
du corps ou dans les viscères n'est pas uniquement dévolu
au cerveau et à la moelle épinière. Ces centres partagent ce
privilège avec les nerfs qui émanent d'eux. Mais les affec-
tions consécutives résultant des lésions protopathiques, dé-
veloppées dans les départements les plus divers du système
nerveux, ont entre elles, malgré quelques différences spé-
cifiques, les analogies les plus grandes ; de telle sorte que,
pour le clinicien appelé à reconnaître ces affections, la
question de savoir quelle a été la circonscription du sys-
tème nerveux primitivement affectée et d'où dérive la lésion
trophique est maintes fois très-difficile à résoudre.
Cette considération m'engage à ne pas restreindre notre
étude aux seules lésions trophiques de cause cérébrale ou
spinale. Celles-ci seront, si vous le voulez, notre objectif;
mais nous croyons utile de tracer parallèlement l'histoire
des troubles trophiques qui apparaissent à la suite des lé-
sions des nerfs périphériques. N'est-ce pas, d'ailleurs, un
des grands avantages de la méthode comparative que de
faire naître la lumière du contraste ? Pour limiter notre
champ d'études, nous n'envisagerons que ceux des troubles
trophiques qui apparaissent dans le domaine périphérique
du nerf lésé ; pour ce qui est des altérations de nutrition
qui se manifestent par suite d'actes réflexes, à une dis-
G TROUBLES DE NUTRITION.
tance plus ou moins éloignée et dans le domaine de nerfs
qui n'ont subi directement aucune atteinte de la lésion
primitive, c'est un sujet fort intéressant, sans doute, mais
qui mérite d'être traité à part.
IL
En m'entendant parler, Messieurs, des troubles de la
nutrition qui naissent sous l'action des lésions des centres
nerveux ou des nerfs, la plupart d'entre vous se sont, sans
aucun doute, immédiatement remis en mémoire le problème
correspondant qui se débat en physiologie normale.
Rien de mieux établi en pathologie, j'espère vous le dé-
montrer du moins, que V existence de ces troubles trophi-
ques consécutifs aux lésions des centres nerveux ou des
nerfs. Et cependant la physiologie la plus avancée enseigne,
vous le savez, que, à Vétat normal, la nutrition de diffé-
rentes parties du corps ne dépend pas essentiellement
d'une influence du système nerveux.
La contradiction paraît formelle ; elle n'est qu'apparente.
Je vais essayer de le prouver, et, dans ce but, je vous de-
mande la permission de faire une courte incursion dans le
domaine de la physiologie expérimentale.
Pour montrer que les actes chimiques de rénovation mo-
léculaire qui constituent la nutrition ne sont pas sous la
dépendance immédiate du système nerveux, on invoque,
vous le savez, des arguments de plusieurs ordres.
1° Les actes les plus compliqués de la vie de nutrition
s'accomplissent dans certains organismes sans l'interven-
tion du système nerveux. C'est ainsi que les végétaux,
quelques animaux inférieurs (protozoaires), dépourvus de
système nerveux, n'en vivent pas moins d'une manière très-
active. L'embryon, dit-on encore, n'accomplit-il pas déjà
les actes de la vie organique, aune époque où il ne possède
encore aucun élément nerveux ?
TROUBLES DE NUTRITION. 7
2° On s'appuie ensuite sur ce fait que certains tissus,
chez les animaux supérieurs mêmes, sont totalement privés
de nerfs et de vaisseaux. On cite comme exemples les cel-
lules épithéliales, les cartilages qui, néanmoins, si un état
pathologique survient, deviennent le siège d'une véritable
prolifération, indice bien évident que la nutrition peut
s'effectuer là d'une façon très-énergique (1).
(l) « La vie organique des animaux tout entière, ou en d'autres termes
tout ce qui se passe chez l'animal, sans l'intervention d'une sensation ou d'un
acte mental, peut s'effectuer sans l'intervention du système nerveux, et se
produire sans modifications matérielles correspondantes de ce système ; de
même que les fonctions de circulation, de nutrition, de sécrétion, d'absorp-
tion, s'opèrent avec une égale perfection dans les classes les plus inférieures
d'animaux, chez lesquels on ne découvre pas de système nerveux, et dans
le règne végétal où il n'y a pas de raisons plausibles de supposer que les
nerfs existent, on pourrait dire que le système nerveux vit et se développe
chez un animal, à la manière d'un parasite vivant aux dépens d'un végétal.»
(Brit. and For. Med. Chir. Rew. Vol. III, 1837, pp. 9, 10; — Et Car-
peuter. — Principles ofhuman Physiology. Philadelphia, 1855, p. 58.^
Voici l'analyse très- sommaire d'un travail où tout récemment M . Ch.
Robin a exposé les idées aujourd'hui dominantes, concernant le rôle très-
elfacé du système nerveux, dans la nutrition : « Les actes chimiques qui
constituent la rénovation moléculaire dans l'organisme vivant, autrement dit
la nutrition, ne sont pas sous l'influence directe des nerfs. 11 ne saurait
s'agir là d'une influence des nerfs sur les tissus, comparable à celle de l'élec-
tricité sur les actions chimiques. Il n'existe pas de nerfs allant sur les élé-
ments anatomiques extra-vasculaires, sur les épithéliums par exemple, à
la manière des tubes nerveux qui viennent s'appliquer sur les fibres mus-
culaires. La cause du mouvement de nutrition est dans les éléments ana-
tomiques eux-mêmes ; chez les végétaux, en l'absence de tout système ner-
veux, on voit les tissus s'enfler subitement, les cellules croître et se multi-
plier. Chez l'embryon les cellules naissent, s'accroissent et se multiplient
avant l'apparition de tout élément nerveux périphérique. La nutrition est donc
une propriété générale des éléments anatomiques , tant animaux que végé-
taux. La sécrétion elle-même est une propriété inhérente aux éléments ana-
tomiques, ainsi que l'avaient déjà vu de Blainville, A. Comte. Chez les
animaux inférieurs, et dans le cas de greffe animale, il est évident que la
nutrition des tissus est indépendante du système nerveux. » « Les troubles
sécrétoires, ceux d'absorption, les indurations, ramollissements, hypertro-
phies et autres altérations consécutives aux lésions des nerfs, sont une con-
séquence de perturbations circulatoires par l'intermédiaire des nerfs précé-
dents (vaso-moteurs\ affectés directement par action réflexe, et non la consé-
quence de l'action de nerfs qui auraient, à la manière de l'électricité par
exemple, une influence sur les actes moléculaires ou chimiques de l'assimi-
lation et de la désassimilation dans une zone dune certaine étendue en de-
hors de leur surface. » (Journal de. UAnatomie, etc., 1867, pp. 270-300.)
8 INFLUENCE DE LA SECTION DES NERFS.
3° Enfin, des arguments plus directs sont tirés du do-
maine de la physiologie expérimentale. Vous savez que,
après la section des nerfs qui s'y rendent, ou la destruc-
tion même de la moelle épinière, les parties périphériques,
telles que les muscles, les os d'un membre, continuent pen-
dant longtemps encore à vivre et à se nourrir à peu près
comme dans les conditions normales. En pareil cas, c'est
seulement à la longue que surviennent dans ces parties des
lésions nutritives. Ces lésions, d'ailleurs, presque toujours
purement passives, sont vraisemblablement dues à l'inac-
tion à laquelle les parties sont condamnées, par suite de la
suppression de toute influence de la part du système ner-
veux. En effet, elles se manifestent avec les mêmes carac-
tères dans Y immobilisation des membres, alors que le sys-
tème nerveux n'est pas directement intéressé. Ces lésions
passives, que nous verrons figurer dans différentes affec-
tions paralytiques, n'ont rien de commun avec les lésions
trophiques spéciales qui vont nous occuper. En général,
elles peuvent s'en distinguer d'ailleurs objectivement par
quelques traits -particuliers. Celles-ci sont presque toujours
marquées, du moins à une certaine époque de leur évolu-
tion, au coin de l'irritation phlegmasique. Dès l'origine, le
plus souvent, elles revêtent les caractères des inflamma-
tions ; elles peuvent, nous le verrons, aboutir à l'ulcéra-
tion, à la gangrène et à la nécrose.
En outre, un caractère qui leur est commun à la plupart,
c'est qu'elles se développent avec une grande rapidité à la
suite de la lésion des nerfs ou des centres qui en a provo-
qué l'apparition, parfois même avec une rapidité incroyable.
C'est ainsi qu'on voit fréquemment, dans certains cas de
fracture de la colonne vertébrale avec compression et irri-
tation de la moelle épinière, des eschares apparaître au
sacrum le second ou le troisième jour après l'accident.
On peut donc dire, qu'en règle générale, l'opposition en-
tre les lésions p assives résultant de la seule inactivité fonc-
tionnelle et les troubles trophiques qui surviennent à la
INFLUENCE DE LA SECTION DES NERFS. 9
suite de certaines lésions des centres nerveux est frappante:
les premières sont lentes à se produire, n'ont, le plus sou-
vent, aucun caractère inflammatoire ; les secondes éclatent
parfois tout-à-coup et présentent ordinairement, du moins
au début du processus, la marque d'un travail phlegma-
sique plus ou moins accentué.
Permettez-moi, Messieurs, de vous remettre en mémoire,
très-sommairement, quelques-unes des expériences auxquel-
les je faisais allusion tout-à-1'lieure, et qui tendent à démon-
trer que la moelle épinière et les nerfs n'ont pas d'influence
directe, immédiate sur la nutrition des parties périphériques .
1° Une des premières est relative à la section du nerf
sciatique chez les mammifères. Schrœder van der Kolk,
qui, un des premiers, l'a instituée, attribuait les troubles
de la nutrition qui se produisent assez rapidement, en pa-
reil cas, dans le membre correspondant, à l'absence d'ac-
tion du système nerveux consécutive à la section du nerf.
M. Brown-Séquard, qui a répété cette expérience en 1849
sur des cochons d'Inde et des lapins, est parvenu à faire
voir que ces troubles trophiques, survenant au bout de
quelques jours à peine et consistant en tuméfaction de l'ex-
trémité du membre, ulcérations des doigts, perte des on-
gles, etc., ne se montrent, en réalité, que parce que l'ani-
mal est devenu incapable de soustraire à l'action des
influences extérieures, au frottement sur un sol dur et ru-
gueux, le membre privé de mouvement et de sensibilité par
suite de la section du sciatique. Lorsque le sujet mis en ex-
périence était entouré de toutes les précautions nécessaires,
confiné par exemple dans une caisse dont le fond était re-
couvert d'une couche épaisse de son, on ne constatait plus
aucune modification de la nutrition dans le membre para-
lysé, si ce n'est toutefois une atrophie plus ou moins pro-
noncée, mais se produisant seulement à la longue (1).
(l) Brown-Séquard. — Sur les altérations pathologiques qui suivent la
section du nerf sciatique, in Comptes-rendus des séances de la Société de Bio-
10 INFLUENCE DE LA SECTION DE LA MOELLE.
Cette atrophie survenant à la suite de la section du nerf
sciatique résulte évidemment de l'inactivité fonctionnelle
à laquelle est condamné le membre paralysé ; elle porte
non-seulement sur les muscles, mais encore sur les os et
sur la peau, ainsi que l'avait déjà reconnu J. Reid. Elle ne
se produit pas, alors même que la section du nerf a été com-
plète, pour peu que, à l'exemple du physiologiste qui vient
d'être cité, on ait soin de faire passer chaque jour un cou-
rant galvanique à travers les muscles du membre paralysé.
2° La section complète du nerf trijumeau, pratiquée dans
le crâne, fournit des résultats tout- à-fait comparables à
ceux que produit la section du nerf sciatique. Vous savez
que les lésions de l'œil qui se montrent chez les animaux
à la suite de cette opération, après avoir été autrefois con-
sidérées, par quelques physiologistes, comme dérivant de
la suppression d'une influence trophique du trijumeau,
sont rattachées, depuis les expériences de Snellen (1857) et
celles plus récentes de Bùttner (1862), aux effets de l'anes-
thésie qui expose les parties frappées d'insensibilité à l'ac-
tion de causes traumatiques de tout genre. Si, après la
section du trijumeau, on protège l'œil, suivant la méthode
de Snellen, en fixant au-devant de lui, par quelques fils, l'o-
reille du même côté restée sensible, ou si, suivant la méthode
de Bùttner, on se contente de le recouvrir d'une plaque de
cuir épais, les troubles trophiques ne se montrent pas dans
la cornée ; un certain degré d'hypérémie neuro-paralytique
se manifestant à l'iris, à la conjonctive, est en somme le seul
phénomène qu'on observe après la section complète du tri-
jumeau, lorsque l'œil a été convenablement protégé (1).
lof/te, t. I, 184'J, p. 136, et Expérimental Researches applied to Physiology
and Pathology. New- York, 1853, p. 6. Après la section d'un nerf mixte,
l'atrophie des muscles ne commence à se manifester en général chez 1 homme
et chez les mammifères, qu'au bout d'un mois environ, par un léger degré
d'émaciation. Deux mois après, l'atrophie est mieux caractérisée ; elle est très-
prononcée au bout de trois mois. (Magnin, thèse de Paris, 1806, p. 19.)
(l) Voir à ce sujet les expériences de M. SchifF, dans la thèse de M. Hau-
INFLUENCÉ DES NERFS YASO-MOTKT 1;.- >\\
3° En ce qui concerne maintenant la moelle épinière, il
paraît démontré que sa section transversale complète ou
même sa destruction dans une certaine étendue, lorsqu'il
n'en résulte pas une inflammation quelque peu durable de
l'organe, ne sont pas immédiatement suivies de troubles de
la nutrition dans les membres paralysés. M. Brown-Sé-
quard a fait voir, en effet, que les ulcérations qui se for-
ment assez rapidement au voisinage des organes génitaux
chez les mammifères et chez les oiseaux, dont la moelle
épinière a subi une section transversale complète, ne ré-
sultent pas directement de l'absence d'influx nerveux ; elles
sont la conséquence de la pression prolongée et du contact
des urines altérées, ainsi que des matières fécales auxquelles
ces parties' sont exposées.
Les membres postérieurs d'un jeune chat, qui survécut
près de trois mois à la destruction complète de la région
lombaire de la moelle épinière, se développèrent normale-
ment ; les fonctions de la vie organique dans ces membres
parurent s'exécuter suivant les conditions physiologiques ;
la sécrétion des poils et des ongles se produisit comme chez
l'animal sain (1).
Chez des mammifères ou chez des grenouilles, dont la
partie postérieure de la moelle a été détruite, on peut voir,
dit Yalentin, la contractilité électrique persister dans les
muscles des membres postérieurs, jusqu'à la mort, c'est-à-
dire pendant plusieurs semaines ou même pendant plusieurs
mois (2).
En résumé, chez les animaux qui ont subi la section
transversale complète ou la destruction d'une partie de la
moelle épinière, on peut voir se former, principalement sur
ser : Nouvelles recherches relatives à l'influence du système nerveux sur la
nutrition. Paris, 1858.
(1) Brown-Séquard, loc. cit., p. 14, 13, 16.
(2) Yalentin. — Versuch einer physioloçjischen Pathologie den Nerven, 2.
Abth., p. 43. Leipzig, 1864.
12 INFLUENCE DE L'IRRITATION DES NERFS.
les régions soumises à la pression, des ulcérations, voire
même des eschares ; mais toujours il est possible de mettre
ces lésions sur le compte de l'anesthésie et de la paralysie
motrice, par suite desquelles l'animal reste constamment
souillé par le contact des urines, se Messe en se heurtant
à tous les contacts, etc. Quant à l'atrophie qui survient à la
longue dans les membres paralysés à la suite de cette opé-
ration, elle résulte uniquement, comme dans le cas de la
section du nerf sciatique, de l'inertie fonctionnelle à la-
quelle ces membres sont condamnés.
De l'ensemble de ces faits, empruntés à la physiologie
expérimentale, il résulte, comme on le voit, que l'absence
d'action du système nerveux déterminée par la section
complète des nerfs périphériques ou la destruction d'une
partie de la moelle épinière ne provoque pas, dans les élé-
ments anatomiques des membres paralysés, d'autres trou-
bles nutritifs que ceux qui se développeraient, dans ces
mêmes éléments, sous la seule influence de l'inertie fonc-
tionnelle, de l'inactivité prolongée.
La découverte des nerfs vaso-moteurs et des effets que
détermine la paralysie de ces nerfs ne devait pas modifier
essentiellement cette formule. Il est, en effet, démontré
aujourd'hui que l'hypérémie neuro-paralytique, quelque
loin qu'elle soit poussée, n'est jamais suffisante pour occa-
sionner, à elle seule, une altération dans la nutrition des
tissus. Sans doute, cette hypérémie, comme l'a fait remar-
quer M. Schiff, crée une certaine prédisposition aux in-
flammations, lesquelles peuvent éclater soit spontanément
— du moins en apparence — chez l'animal malade, soit à
la suite de causes d'excitation relativement légères chez
l'animal sain. Mais ces lésions de nutrition d'origine neuro-
paralytique ne sont nullement comparables aux troubles
trophiques qui sont l'objet spécial de cette étude, elles for-
ment une catégorie à part. Ces derniers, ainsi que nous
aurons maintes fois l'occasion de le faire remarquer, che-
min faisant, peuvent se développer et accomplir leur évo-
INFLUENCE DE LIRRITATION DES NERFS. 13
lution, sans être précédés ou accompagnés par aucun des
phénomènes qui révèlent objectivement l'état paralytique
ou l'état inverse des nerfs vaso-moteurs. Pour l'instant,
nous n'insisterons pas plus longuement sur ce point que
nous devons reprendre par la suite.
III.
Si les lésions qui ont pour résultat d'anéantir ou de sus-
pendre l'action du système nerveux, n'ont pas le pouvoir
de faire naître dans les régions éloignées d'autres troubles
de la nutrition que ceux qui dépendent de l'inactivité pro-
longée, il n'en est pas de même des lésions qui déter-
minent, soit dans les nerfs, soit dans les centres nerveux,
une exaltation de leurs propriétés, une irritation, une
inflammation.
C'est là, Messieurs, une proposition d'une importance
capitale : elle domine en réalité la question qui nous oc-
cupe. Découvert depuis longtemps déjà par M. BroAvn-
Séquard, le principe sur lequel elle s'appuie est, si je ne
me trompe, encore trop souvent méconnu, aussi bien par
les physiologistes que par les pathologistes (1). Nous ver-
rons en temps et lieu la pathologie humaine fournir, à
l'appui de cette proposition, des faits assez nombreux, des
arguments péremptoires ; en revanche, nous aurons plus
rarement à invoquer les résultats de l'expérimentation sur
les animaux. La raison en est surtout, sans aucun doute,
dans cette circonstance que, chez ces derniers, le tissu
nerveux parait résister, bien mieux que chez l'homme, aux
causes diverses d'irritation et d'inflammation. Tous les ex-
périmentateurs savent, en effet, que les lésions traumati-
ques, même les plus graves, des nerfs périphériques ou de
(l) Note sur quelques cas d'affection de la peau, dépendant d'une influence
du système nerveux, par J.-M. Charcot, suivies de Remarques sur le mode
d'influence du système nerveux sur la nutrition, par le docteur Brown-Sé-
quard. [Journ. de physiologie, t. II, n° o. Janvier 1859, p. 108).
14 INFLUENCE DE L'IRRITATION DES NERFS.
la moelle, produisent assez difficilement, chez la plupart
des animaux, une myélite ou une névrite quelque peu du-
rable et comparable à celles qui se développent, au con-
traire, assez facilement chez l'homme à la suite des lésions
les plus minimes.
Les expériences propres à montrer que les lésions irri-
tatives des tissus nerveux sont capables de déterminer des
troubles trophiques variés dans les parties auxquelles ils se
distribuent, sont, nous l'avons dit, peu nombreuses. Elles
sont relatives presque exclusivement à la cinquième paire.
Voici d'abord le résumé d'une expérience de Samuel :
— Chez un lapin, deux aiguilles sont appliquées sur le
ganglion de Gasser et l'on fait passer un courant d'induc-
tion ; aussitôt il se produit un rétrécissement plus ou moins
prononcé de la pupille, et en même temps se développe
une légère injection des vaisseaux de la conjonctive; la
sécrétion des larmes s'exagère. La sensibilité des pau-
pières, de la conjonctive, de la cornée est exaltée. Après
l'opération, le rétrécissement de la pupille persiste, quoi-
que à un moindre degré et l'hyperesthésie s'exagère en-
core. Le processus inflammatoire commence à se déve-
lopper en général au bout de vingt-quatre heures ; son
intensité s'accroît pendant le second et le troisième jour,
et diminue ensuite progressivement. On peut observer
tous les degrés de l'ophthalmie, depuis la conjonctivite la
plus légère jusqu'à la blennorrhée la plus intense. La
sensibilité s'exalte toujours et l'hyperesthésie peut s'éle-
ver à un tel degré qu'au moindre attouchement de l'œil,
l'animal est pris de convulsions générales. Il se produit
sur la cornée une opacité générale, et, en outre, tantôt
de petites exulcérations, tantôt un ulcère unique, de forme
ovalaire qui occupe la partie moyenne de cette mem-
brane. Dans un cas, il s'était formé une petite collection
purulente dans la chambre antérieure de l'œil . A part l'hy-
pérémie, on n'observe jamais d'altérations pathologiques
de l'iris, ni adhérences, ni modifications de coloration.
INFLUENCE DE L'IRRITATION DES NERFS. 1 '6
Dans tous les cas, l'hyperesthésie des rameaux ophthal-
miques de la cinquième paire est. expressément notée. Il
est clair, par conséquent, qu'on ne saurait ici, comme dans
les faits de Snellen et de Butiner, invoquer Fanesthésie
pour expliquer l'apparition des troubles trophiques surve-
nant dans l'œil non convenablement protégé (1).
A la suite d'une section non réussie du trijumeau chez
un lapin, Meissner a vu paraître dans l'œil, qui avait con-
servé d'ailleurs sa sensibilité, des lésions trophiques très-
prononcées. L'auteur fait remarquer avec soin que ces
lésions se sont produites sans qiCaucun signe d'Jiypéré-
mie neuro-paralytique les eût précédées. L'autopsie fit
constater que la partie médiane (interne) du trijumeau avait
seule été intéressée par le neurotome (2). Schiff, de son
côté, à l'appui de l'observation de Meissner , rapporte
quatre cas, relatifs à des lésions partielles du trijumeau
dans le crâne, et dans lesquels l'inflammation de l'œil s'est
développée malgré la persistance de la sensibilité (3).
Nous avons vu dans les expériences de Samuel les trou-
bles trophiques survenir dans l'œil en conséquence de
l'irritation faradique de la cinquième paire ; n'est-il pas
vraisemblable que, dans celles de Meissner et de Schiff,
c'est par suite de l'irritation phlegmasique développée
dans le nerf en conséquence de la section partielle, que
les lésions de l'œil se sontproduites ? A l'appui de cette
opinion j e vous ferai remarquer que chez l'homme les sec-
tions incomplètes sont bien plus propres à développer
dans les nerfs un processus d'irritation, que ne le sont
les sections complètes; cela a été reconnu depuis bien
longtemps par les chirurgiens. Il est permis de supposer
(1) S. Samuel. — Die trophischen Nerven. Leipzig, 1860, p. 01.
(2) G. Meissner. — JJeber die nach der Durschneidung der Trigeminus an?
Auge der Kaninchens eintretende Ernahrungstterung. Heiile etPfeufer's Zeitsch.
xxxix, 96-104,— Centralblatt. 1867. p. 265. — Gaz. hebdumad., 1867, p. 634.
(3) M. Schiff. — Renie" s Zeitsch. xxxix, 217-229. — Centralblatt, 1807,
p. 655. — Gaz.hebdomad., 1867, p. 634.
16 INFLUENCE DE l/lRRITATION DES NERFS.
qu'il en est de même, du moins à un certain degré, chez les
animaux (1).
Je rapprocherai immédiatement de ces faits plusieurs
observations recueillies chez l'homme et sur lesquelles j'au-
rai à revenir par la suite : elles sont relatives encore au
trijumeau. Elles montrent, comme les expériences qui pré-
cèdent, que les lésions irritatives de ce nerf, développées
spontanément, peuvent, elles aussi, sans être suivies d'a-
nesthésie, provoquer dans l'œil des désordres trophiques
très-accentués.
Une femme de 57 ans, dont l'histoire a été rapportée par
Bock (1), éprouvait, depuis un an environ, dans le côté
droit de la face, des douleurs violentes qui, d'abord inter-
mittentes, se montrèrent plus tard à peu près continues.
Jamais la sensibilité de la face ne disparut complètement ;
une légère pression était, à la vérité, imparfaitement sen-
tie ; mais une pression un peu forte ramenait de vives
douleurs. — La conjonctive de l'œil droit était injectée ; la
cornée, dans sa partie la plus inférieure, présentait une
ulcération hypertrophique d'une longueur de deux lignes
environ ; elle était partout un peu opaque. Plus tard, l'ulcé-
ration gagna en profondeur ; l'opacité de la cornée s'accrut.
Enfin survint une perforation qui donna issue à un liquide
puriforme sous l'influence de la pression de l'œil. La mort
(1) Telle n'est pas l'interprétation proposée par Meissner, à propos de son
expérience. Il suppose que les fibres les plus internes du trijumeau, qui seules
avaient été sectionnées dans son cas, ont une action particulière sur la nu-
trition de l'œil. Il se fonde sur ce que dans trois autres cas où le trijumeau
avait été également sectionné d'une manière incomplète, mais où les fibres
les plus internes du nerf avaient été respectées, les troubles trophiques ne se
sont pas développés dans l'œil, bien que celui-ci, devenu insensible, n'eût pas
été protégé contre les agents extérieurs. Nous croyons que les sections in-
complètes devront être répétées un nombre considérable de fois avant qu'on
puisse se prononcer définitivement sur la valeur de l'interprétation proposée
par Meissner.
(2) Bock. — Ugeskrift for Laeger, 1842, VII, p. 431. — Extrait dans
Hannover's Jahrebesricht, Milliers Archiv. 1844. p. 47, et Schiffs Untersu-
chungen zur Physiologie des Nervensystems mit Berûcksichtigwig der Patho-
logie. Frankfurt am Main. 1855, pp. 63, 64.
INFLUENCE DE L'IRRITATION DES NERFS. 17
arriva inopinément. A l'autopsie, on trouva le ganglion de
Gasser du côté droit, volumineux et très-dur. Les trois
branches du trijumeau droit jusqu'à la sortie de l'os, étaient
également très-épaisses.
Le cas suivant est emprunté à un mémoire de Frie-
dreicli (1). Un homme, âgé de 65 ans, fut frappé tout à.
coup d'une hémiplégie droite avec perte de la sensibilité
du même côté. Quelques semaines avant cette attaque, il
avait éprouvé dans le globe de l'œil gauche, ainsi que dans
le côté gauche de la face, de légères douleurs lancinantes ;
ces douleurs s'exagérèrent rapidement et à un haut degré
après l'attaque apoplectique. Dans le môme temps, la con-
jonctive de l'œil gauche s'injecta et il y eut exagération
de la sécrétion des larmes ; un peu plus tard, la conjonc-
tive se recouvrit çà et là d'un exsudât pseudo-membraneux
puriforme; la pupille gauche, bien que très-étroite, réagis-
sait encore sous l'influence de la lumière. La sensibilité
resta toujours normale dans tout le côté gauche delà face.
A l'autopsie, on rencontra à la surface du pédoncule
cérébelleux moyen un amas de petites tumeurs sarcoma-
teuses formant dans leur ensemble une masse représentant
environ le volume d'une noisette. La substance cérébrale
voisine, surtout auprès du cervelet, était ramollie et très-in-
jectée.Le nerf trijumeau gauche, à sa sortie de la base de l'en-
céphale, était rouge, un peu ramolli et aplati par la tumeur.
On pourrait aisément rapporter un bon nombre de faits
analogues à ceux qui viennent d'être cités, mais ceux-ci suffi-
ront pour le but que nous nous proposons actuellement (2).
(1) Friedreich. — Beitraege zur lehre von den Geschwillsten innerhalb der
Schaedelkohle. Wurzburg. 1853, p. 15 et Schiff's Unterstichmgen, etc. p. 100.
(2) Les faits de troubles de la nutrition de l'œil consécutifs aux lésions
spontanées de la 5° paire, chez l'homme, sont assez nombreux; mais nous n'a-
vons voulu mentionner que ceux dans lesquels il est bien établi que la sensi-
bilité de la face n'a pas été atteinte : les deux cas qui suivent méritent ce-
pendant d'être signalés encore, bien qu'ils ne soient pas aussi explicites à cet
égard que les faits de Bock et de Friedreich. Un homme vigoureux, à la
suite d'un coup reçu sur la tête, devint sujet à de violentes douleurs, fixées
Charcot, t. i, 3e éd. 2
18 CONTRADICTIONS EXPÉRIMENTALES.
En dehors de la cinquième paire, il est plus rare encore
de voir les lésions expérimentales des nerfs déterminer
l'apparition de troubles trophiques dans les parties péri-
phériques. Nous rappellerons cependant, à titre d'exemple
de ce genre, les effets remarquables que produisent quel-
quefois sur la nutrition du rein, les lésions des nerfs qui se
rendent à cet organe. On sait que parmi les expérimenta-
teurs, les uns (Krimer, Brachet, Muller et Peipers, A.
Moreau, Wittich) assurent produire presqu'à coup sûr, à
l'aide de ces lésions, des altérations plus ou moins profondes
du rein, tandis que les autres (P. Bert,Hermann),en répétant
la même expérience dans des circonstances en apparence
identiques, disent être arrivés à des résultats négatifs.
Ne peut-on pas se rendre compte, du moins en partie,
de cette contradiction singulière, de la manière suivante :
sur le côté droit delà tête, et éprouvait de temps en temps des accès épilepti-
formes. Plus tard, les douleurs se localisèrent dans l'œil et l'oreille droits.
L'œil était rouge, tuméfié, saillant, mais recouvert cependant par la paupière
supérieure paralysée. Cornée trouble ; iris très-immobile, contracté, de couleur
brune d'abord, puis verdâtre. La cornée devint à la longue tout-à-fait opaque.
Autopsie : la face inférieure des lobes antérieur et moyen présente à droite
plusieurs stéatomes du volume d'un haricot, d'une amande. Le ganglion de
Gasser et les trois branches du trijumeau sont recouverts d'une masse
cartilagineuse résistante. L'oculo-moteur commun est comprimé ; sa colora-
tion est modifiée. Malheureusement l'état de la sensibilité de la peau de la
face n'est pas indiqué dans ce cas. (F. A. Landmann, Commentatio patholo-
gico-anatomica erhidens morbiim cerebri oculique singularem ; in-4°, Leipzig,
1820, et Schiff'* Vntersv.ch., p. Si). — Dans le cas bien connu rapporté par
Serres [Journal de physiologie, V. 182U, p. 233, et Anatomie comparée du
cerveau, II, p. G"), malgré l'altération profonde du ganglion de Gasser, et
des racines de la grosse portion du trijumeau, il n'y avait pas eu paralysie
complète de la partie sensible du nerf, car la surface tout entière du visage
avait conservé le sentiment. Seuls, l'œil droit et la face interne des pau-
pières étaient devenus insensibles ainsi que la moitié droite de la langue ;
il y avait eu une inflammation aiguë de l'œil droit avec œdème des paupiè-
res, obnubilation et plus tard opacité complète de la cornée. Le ganglion
de Gasser du côté droit était d'un jaune gris, tuméfié, imbibé de sérosité.
La portion du ganglion d'où part le nerf ophthalmique était rouge et injec-
tée. Les racines de la grosse portion du nerf présentaient une couleur sale
qui contrastait avec celle delà petite branche, restée saine. Les trois nerfs,
à leur issue du ganglion, offraient une coloration jaune, qui cessait d'exister
à la sortie du crâne.
IRRITATION DE LA MOELLE ÉPINIÈRE. 49
les lésions rénales feraient défaut dans le cas où la section
des nerfs a été complète, absolue ; elles se produiraient au
contraire, ou mieux pourraient se produire, dans le cas de
section incomplète, ou encore lorsque, pour remplacer le
scalpel, on fait intervenir l'emploi des caustiques, de l'am-
moniaque, par exemple (Corrente, Schiff), toutes conditions
éminemment propres à déterminer, dans les nerfs lésés,
une irritation plus ou moins vive ou même un véritable
processus phlegmasique (1). A ce point de vue, la question
mériterait peut-être d'être révisée à l'aide de nouvelles re-
cherches.
Nous rappelions, tout à l'heure, les effets des sections
transversales, des destructions partielles de la moelle épi-
nière, en ce qui concerne la nutrition des parties privées
de sentiment et de mouvement par le fait des opérations
dont il s'agit. Lorsque, disions-nous, les opérations n'ont
pas pour résultat de provoquer dans les parties lésées de
la moelle un travail d'inflammation, — et c'est ce qui a lieu
dans la grande majorité des cas, — on constate simplement,
dans les membres paralysés, une dégénération avec atro-
phie des muscles très-lente à se produire, des ulcérations
du derme, peut-être même des eschares causées parle frot-
tement exercé sur un sol rugueux, par le contact perma-
nent des urines altérées, le manque de propreté; c'est-à-
dire, en un mot, tous les effets auxquels donnent lieu l'i-
nertie fonctionnelle des membres postérieurs, chez les ani-
maux, et rien que ces effets. Eh bien! le tableau est tout
différent si, par suite de circonstances que rien ne fait pré-
voir et qu'on ne sait pas encore reproduire à volonté, l'in-
flammation vient à s'établir au voisinage de la lésion spi-
nale. Alors, en effet, ainsi que l'a montré M. Brovn-Séquard,
et comme j'ai eu, à mon tour, l'occasion de l'observer plu-
sieurs fois, l'altération musculaire se développe très-rapi-
dement ; quelques jours à peine après l'opération, elle est
(l) Voyez Zeitschrift fur ration. Med., 35 Bd., p. 343.
20 IRRITATION DU SYSTÈME NERVEUX.
déjà très-prononcée. Bientôt l'émaciation des masses mus-
culaires devient appréciable et elle progresse ensuite très-
rapidement ; des éruptions qui aboutissent promptement à
la formation d'ulcérations ou d'eschares apparaissent sur
la peau, alors même qu'on met en œuvre les soins de pro-
preté les plus minutieux ; elles se développent surtout sur
les régions du corps soumises à la pression, au frottement,
au contact prolongé des urines, mais elles peuvent se pro-
duire encore, bien que ce cas soit rare, en dehors de toutes
ces conditions (1).
Je pourrais m'étendre longuement sur ces troubles tro-
phiques liés à l'inflammation traumatique de la moelle
épinière chez les animaux, mais il sera plus opportun d'y
revenir à propos de l'étude que nous avons à faire de la
myélite développée spontanément chez l'homme.
Je ne veux d'ailleurs pas prolonger outre mesure cette
incursion dans le champ de la physiologie expérimentale ;
pour le moment, si je ne me trompe, un premier résultat
nous est acquis déjà : les faits que nous venons d'invoquer
suffisent, en effet, croyons-nous, à établir que le défaut
d'action du système nerveux n'a pas d'influence directe,
immédiate, sur la nutrition des parties périphériques; d'un
autre côté, ils rendent au moins fort vraisemblable que
V excitation morbide , V irritation des nerfs ou des centres
nerveux sont, au contraire, de nature, sous de certaines
(l) C'est sans doute de la même manière, c'est-à-dire en faisant intervenir
l'inflammation autour du point lésé, qu'il convient d'interpréter les troubles
qui surviennent quelquefois dans la nutrition de l'œil, chez divers animaux, à
la suite de la section d'une moitié latérale de la moelle épinière au dos. Les
affections de l'œil (ulcérations, fonte de la cornée, conjonctivite purulente),
observées par M. Brown-Séquard, chez le cochon d'Inde (Comptes-rendus
de la Société de Biologie, t. II, 1850, p. 134), ont été rencontrées par M. Vul-
pian, chez la grenouille, à la suite de la section de la moitié correspondante
de la moelle, près du bulbe rachidien. (Communication orale.) Elles ne se
développent pas chez tous les animaux opérés de cette façon, et il est au
moins fort vraisemblable qu'elles se produisent seulement dans le cas où,
consécutivement à la section, un travail inflammatoire s'est développé dans
le segment supérieur de la moelle épinière.
LÉSIONS TRAUMATIQUES DES NERFS. 21
conditions, à provoquer à distance les troubles trophiques
les plus variés.
Par quelle voie, par quel mécanisme cette irritation du
système nerveux vient-elle retentir sur les parties péri-
phériques et y déterminer ces lésions trophiques dont nous
avons relaté quelques exemples? Celles-ci sont-elles dues
à une irritation ou à la paralysie des nerfs vaso-moteurs?
Ou bien dépendent-elles d'une irritation de ces nerfs hypo-
thétiques, que ranatomie ne connaît pas encore, et que
l'on désigne quelquefois sous le nom de nerfs trophiques ?
Ce sont là des questions que nous devrons aborder par la
suite ; actuellement, nous voulons rentrer dans le domaine
de la pathologie de l'homme et j'espère vous faire recon-
naître que le principe mis en évidence, déjà, par la patho-
logie expérimentale trouve ici son application d'une façon
plus évidente encore. Ce principe sera notre fil conducteur
et il nous amènera à comprendre, je l'espère, pourquoi des
lésions, au premier abord semblables et portant sur les
mêmes points des systèmes nerveux ou périphériques, pro-
duisent, dans les cas pathologiques, des effets si opposés,
en apparence même si contradictoires.
Les troubles trophiques que nousnousproposons.de passer
en revue sont produits: 1° par des lésions des nerfs péri-
phériques, et tantôt ces lésions ont été provoquées par
une cause traumatique, tantôt elles se sont développées
spontanément ; 2° par des lésions de la moelle épinière et
du bulbe ; 3° par des lésions, enfin, de certaines parties de
l'encéphale.
TROUBLES TROPHIQUES CONSÉCUTIFS AUX LÉSIONS DES NERFS.
Arrêtons-nous, en premier lieu, aux lésions des nerfs.
Elles nous offrent les conditions d'étude les plus simples.
La chirurgie, sous ce rapport, nous fournit des documents
d'une grande valeur, car les lésions traumatiques des nerfs
se présentent quelquefois chez l'homme dans" des condi-
22 AFFECTIONS DE LA PEAU.
tions de simplicité comparables à celles des lésions expé-
rimentales instituées chez les animaux.
À. J'établirai, dès l'abord, parmi ces lésions traumati-
ques des nerfs, une distinction que je crois fondamentale,
et dont vous reconnaîtrez bientôt toute l'importance : 1° tan-
tôt la lésion consiste en une section nette et com-
plète, et alors ses effets sont tout simplement, du moins en
général, ceux de l'absence d'action nerveuse ; 2° tantôt,
résultant de plaies, de contusions, de tiraillements, elle est
de nature à déterminer dans le nerf un état d'irritation, et
c'est alors, alors seulement, qu'on voit naître ces troubles
trophiques sur lesquels j'appelle votre attention. Occupons-
nous d'abord des faits du second groupe.
Les lésions traumatiques des nerfs dont il s'agit peuvent
donner lieu à des phénomènes morbides affectant la peau,
le tissu cellulaire sous-Cutané, les muscles, les articulations
et les os. La dernière guerre d'Amérique a été, vous le
savez, l'occasion d'études très-importantes sur ce sujet;
elles ont été présentées par MM. S. W. Mitchell, G. R.
Morehouse et W. Keen, dans un livre très-intéressant et
que nous mettrons bien souvent à profit (1). On doit aussi
à un de mes anciens élèves, le regretté Mougeot,une étude
très-remarquable sur les affections cutanées développées
sous l'influence des lésions des nerfs périphériques. Je ne
pourrai, naturellement, entrer dans les détails, et je renvoie
ceux d'entre vous qui voudraient approfondir la question
à la thèse de Mougeot, où tous les documents qui y sont
relatifs ont été rassemblés avec le plus grand soin (2).
a) Affections de la peau. Les accidents que les lésions
(1) S. Weir Mitchell, G. R, Morehouse and W. Keen. — Gunshot
Wounds and other Injuries of nerves. Philadelphia, 1864. Extrait dans les
Archives générales de médecine, 1865, t. I. — Cet ouvrage a été traduit en
français par M. le Dr Dastre (1874).
(2) J. B. A. Mougeot. — Recherches sur quelques troubles de nutrition
consécutifs aux affections des nerfs. Paris, 1867.
AFFECTIONS DE LA PEAU. 23
traumatiques des nerfs sont capables d'occasionner du côté
des téguments sont de deux espèces : 1° Les premiers con-
sistent en des éruptions de forme variable, mais surtout
vésiculeuses ou huileuses. Nous citerons en premier lieu
le zona, qui s'observe fréquemment en pareil cas, et que
l'on pourrait désigner, à cause de cela, sous le nom de
zona tramnatique. J'ai rapporté, dans le temps, un très-
bel exemple de ce genre observé à la Charité, chez mon
maître Rayer (1). — Sous le nom d'éruptions eczéma-
teuses, les chirurgiens américains ont décrit une affection de
la peau qui peut être rapprochée de la forme précédente.
2° En second lieu viennent les éruptions pemphigoïdes,
dont j'ai rapporté aussi un exemple assez net (%). Il s'agit
là de bulles de pemphigus qui se développent très-rapide-
ment et reparaissent de temps à autre sur divers points de
(1) « Un homme admis dans le service de M. Rayer, en 185!, avait, pen-
dant les affaires de juin 1848, reçu une balle à la partie inférieure et externe
de la cuisse. — Quelque temps après la guérison de la plaie, surviennent
dans la jambe de vives douleurs, presque continues, mais s'exaspérant par
accès. Ces douleurs qui semblent partir de la cicatrice se répandent jusque
sur le dos du pied et suivent évidemment le trajet des nerfs. Cette, névral-
gie, qui a résisté à tous les moyens employés, s'est accompagnée à plusieurs
reprises,' pendant ie séjour du malade à la Charité, d'une éruption de vési-
cules d'herpès, disposées par groupes, tout à fait semblables à celles de
l'herpès zoster, et siégeant sur la peau des parties douloureuses. » (Charcot.
— Sur quelques cas d'affection de la peau, dépendant d une influence du sys-
tème nerveux. In Journal de physiologie, t. II, n° 5. Janvier 1839). — On
trouve dans le même journal un fait analogue, rapporté par M. Rouget :
« Un cultivateur, en sautant un fossé, reçut la charge de plomb à lièvre de
sou fusil, à la face interne du bras gauche, vers la partie moyenne. Au fond
de la plaie, qui était large de huit centimètres, on apercevait l'artère humé-
raie, la veine basilique déchirée et plusieurs nerfs, surtout le brachial cutané
interne, contusionnés. La plaie se cicatrisa assez vite, mais environ deux
mois et demi ou trois mois après, il survint à la partie postérieure et interne
de l'avant-bras une éruption ressemblant à du zona, occupant une surface
de quatre à cinq centimètres de diamètre, dans une partie de l'avant-bras
privée de sensibilité. » Les exemples de zona, survenu à la suite d'une con-
tusion portant sur le trajet d'un nerf (Oppolzer), d'un effort (Thomas), sont
loin d'être rares. (Voy. Mougeot, loccit., p. 38).
(2) Charcot, loc. cit. — « "Eruption, particulière siégeant sur la face dorsale
d'une main et des doigts, et probablement consécutive à la lésion des filets
nerveux qui se distribuent à ces parties. »
24 AFFECTIONS DES MUSCLES, ETC.
la partie des téguments, correspondant à la distribution du
nerf lésé ; elles laissent après elles des cicatrices à peu près
indélébiles. — Cette sorte d'éruption s'observe parfois sur
les cicatrices vicieuses ; il est très-vraisemblable qu'elle dé-
pend alors de l'irritation que subit quelque filet nerveux
tiraillé ou comprimé dans le tissu cicatriciel.
3° Nous citerons en troisième lieu une rougeur cutanée
qui rappelle Yérythème pemio, et certaine tuméfaction
de la peau et du tissu cellulaire sous-cutané, déjà remarquée
par Hamilton,qui simule le phlegmon (faux phlegmon) (3).
4° Vient ensuite l'affection cutanée qui a été décrite par
les chirurgiens américains sous le nom de Glossy Skin, mot
à mot, .peau lisse. La peau est lisse, en effet, pâle, anémique;
les glandes sudoripares sont atrophiées, leur sécrétion di-
minuée; l'épiderme est fendillé, les ongles sont fendillés eux
aussi et recourbés d'une manière remarquable. Il s'agit là,
en somme, d'une inflammation particulière de la peau qui
aboutit à l'atrophie du derme, et qui rappelle ce qu'on voit
dans l'affection désignée sous le nom de sclêrodermie.
b) Affections des muscles. Les muscles s'atrophient, de
leur côté, souvent d'une manière très-rapide, et perdent,
tantôt en partie, tantôt complètement, leur contractilité
électrique. Mais c'est là un sujet qui sera l'objet d'une
étude toute particulière.
c) Affections des articulations. Vers les jointures, les
lésions traumatiques des nerfs produisent des symptômes
qui rappellent, d'une façon notable, la physionomie du rhu-
matisme articulaire subaigu. Ces arthropathies amènent,
en général, très-rapidement l'ankylose.
d) Os. Il se produit quelquefois, dans ces mêmes circons-
tances, une périostite suivie souvent de nécrose.
Mais je ne veux pas pousser plus loin cette énumération
(l) Mougeot , loc. cit., p. 30,
INFLUENCE DE L'IRRITATION DES NERFS. 2o
sommaire : elle suffit à remplir le Lut que nous avons en
vue. Il s'agit, actuellement surtout, de chercher à spécifier
autant que possible, les conditions particulières sous l'in-
fluence desquelles ces troubles tropliiques se développent à
la suite des lésions traumatiques des nerfs.
Paget qui, l'un des premiers, a appelé l'attention sur
quelques-uns de ces accidents, n'hésite pas à avouer son
ignorance à cet égard (1). Au contraire, les chirurgiens
américains que je citais tout à l'heure, sont parvenus à dé-
terminer les conditions dont il s'agit, et leur témoignage
nous est, ici, d'autant plus précieux, qu'il est fondé sur
l'observation pure, toute empirique, et dégagée d'idée pré-
conçue. Après avoir remarqué tout d'abord, — comme Pa-
get l'avait fait d'ailleurs avant eux, — que ces affections
consécutives sont presque toujours précédées ou accompa-
gnées de symptômes douloureux (Burning Pains), évi-
demment en rapport avec un état d'irritation du nerf lésé,
tandis qu'au contraire l'anesthésie fait complètement dé-
faut, ils font expressément remarquer qu'elles se déve-
loppent habituellement après des contusions, des piqûres,
des sections incomplètes des nerfs, c'est-à-dire à la suite
des causes traumatiques les plus propres à produire la né-
vrite, ou tout au moins Yétat névralgique. — Au contraire,
et c'est un point sur lequel nos auteurs insistent, — on ne
les voit pas se produire dans les cas de section complète des
nerfs, les résultats habituels de l'absence d'action des nerfs
étant les seuls phénomènes qu'on observe en pareil cas.
Il faut ajouter enfin que les affections périphériques qui
relèvent de l'irritation des nerfs surviennent le plus sou-
vent spontanément, sans l'intervention d'une cause exté-
rieure quelconque, telle que la pression par exemple (2).
Mais ce ne sont là encore que des conditions très-géné-
rales ; il faudrait pouvoir pénétrer plus avant et recher-
(1) Médical Times and Gazette. London, March 20, 1864.
(2) Gunshot Wounds, etc., loc. cit., pp. 71, 77, et Archives générales de
médecine, t. I, 1865, pp. 188, 191, 194.
26 INFLUENCE DE L 'IRRITATION DES NERFS.
cher s'il n'existe pas dans les nerfs affectés une lésion ana-
tomique constante en rapport avec la manifestation des lé-
sions périphériques. Malheureusement, nous devons nous
borner à signaler ici une lacune que les études ultérieures
ne tarderont pas, sans doute, à combler. Toutefois, l'en-
semble des symptômes plaide déjà en faveur de l'existence
d'une névrite. On peut invoquer, en outre, les résultats
nécroscopiques obtenus dans certains cas de lésions orga-
niques des nerfs, où l'on peut voir apparaître toute la série
des affections périphériques que nous avons appris à con-
naître comme conséquence des lésions traumatiques. Dans
ces cas, en effet, sur lesquels nous nous arrêterons dans un
instant, les nerfs affectés ont été quelquefois trouvés tu-
méfiés, infiltrés d'exsudats, vivement congestionnés ; de
plus, le microscope y a fait reconnaître une multiplication
plus ou moins accentuée des noyaux des gaines de Schwann
ou de ceux du névrilème, et parfois, de plus, tous les ca-
ractères de la dégénération granuleuse des cylindres de
myéline. Rien ne prouve cependant, quant à présent, qu'une
irritation capable de déterminer à distance la production
de troubles trophiques ne puisse exister dans le nerf sans
se révéler par cet ensemble de lésions relativement gros-
sières. C'est ici le lieu de faire ressortir que toute névrite
n'entraîne pas, tant s'en faut, nécessairement la manifes-
tation des troubles trophiques ; il faut, pour que ceux-ci se
produisent, l'intervention de circonstances que l'analyse
n'a pas encore permis de dégager. Cela contraste avec ce
que nous savons des lésions qui surviennent, dans les par-
ties éloignées, à la suite de la section complète des nerfs;
ces dernières, en effet, peuvent être considérées comme
une conséquence obligée, inévitable de toute lésion de nerfs
qui soustrait absolument les parties à l'influence du sys-
tème nerveux.
Quoi qu'il en soit, l'influence de l'irritation d'un nerf sur
le développement des troubles trophiques qui nous occu-
pent, est bien mise en lumière, et pour ainsi dire rendue
LESIONS SPONTANEES DES NERFS. 27
évidente, par les observations où Ton voit ces accidents,
après s'être un moment dissipés, se reproduire après cha-
que réapparition nouvelle de la cause d'irritation. Je men-
tionnerai, à titre d'exemple, un fait bien connu et souvent
cité, que rapporte Paget, d'après le docteur Hilton.
Chez un homme traité à Guy'' s Hospital, une fracture de
l'extrémité inférieure du radius avait produit un cal volu-
mineux, lequel comprimait le nerf médian. En consé-
quence, il s'était formé sur la peau du pouce et des deux
premiers doigts de la main, des ulcères qui résistaient à
tous les traitements. La flexion du poignet, faite de ma-
nière à relâcher les parties molles de la face palmaire et à
faire cesser, par suite, la compression du nerf, avait tou-
jours pour effet, au bout de quelques jours, d'amener
la guérison des ulcères. Mais aussitôt que la malade
voulait se servir de sa main, le nerf était de nouveau com-
primé, et bientôt l'on voyait les ulcérations reparaître (1).
B. Il me reste à vous entretenir des troubles trophiques
qui s'observent en conséquence de lésions des nerfs déve-
loppées spontanément, et non plus, cette fois, à la suite
d'une cause traumatique. Ainsi que je vous l'ai laissé pres-
sentir, nous allons voir se reproduire ici toute la série des
affections que nous venons à l'instant de passer en revue.
Cette circonstance m'autorisera à être bref: il me suffira de
citer quelques exemples empruntés, pour la plupart,à la riche
collection de faits rassemblés dans le travail de Mougeot(2).
Pour établir la transition, je mentionnerai, en premier
lieu, les cas dans lesquels une influence, non pas à propre-
ment parler traumatique, mais encore, cependant, d'ordre
mécanique, a déterminé l'affection du nerf. — C'est, évi-
demment, d'après ce dernier mode que se produisent quel-
quefois les troubles trophiques de l'œil consécutifs aux lé-
(1) J. Pagel — Lectures on surgical Pathology. t. I, p. 43.
(2) Mougeot, loc. cit., chap. u. Des Usions organiques des nerfs et des
troubles de nutrition consécutifs.
28 INFLAMMATION DES NERFS SPINAUX.
' sions du trijumeau : il s'agit communément, dans ces cas,
de tumeurs intra-crâniennes développées au voisinage du
nerf, et y déterminant, par compression, sans interrompre
la continuité des tubes nerveux, une irritation plus ou
moins vive. — Le cancer de la colonne vertébrale peut
amener, comme on sait, un ramollissement des vertèbres
poussé à un tel point qu'il s'en suive un affaissement des
lames vertébrales, et conséquemment, un rétrécissement
des canaux de conjugaison. Les nerfs dans leur parcours à
travers ces canaux devenus trop étroits sont comprimés,
irrités et quelquefois s'enflamment. J'ai vu, en pareil cas,
une éruption de zona occuper, à droite, toutes les régions
de la peau où se distribuent les branches du plexus cervi-
cal, en conséquence de la .compression que subissaient,
dans les trous de conjugaison qui leur donnent passage, les
troncs nerveux d'où émane ce plexus. La moelle cervicale
et les racines des nerfs cervicaux, ainsi que l'autopsie l'a
démontré, étaient saines ; mais en ouvrant les trous de
conjugaison du côté droit, on trouva les ganglions spinaux
et les troncs nerveux eux-mêmes, tuméfiés et vivement
colorés en rouge. De plus, dans les ganglions, comme dans
les nerfs, l'examen microscopique fit reconnaître une mul-
tiplication très-accentuée des éléments nucléaires. Les gan-
glions et les nerfs correspondants du côté gauche ne pré-
sentaient, au contraire, aucune trace d'altération (1). — 11
est très-remarquable de voir l'inflammation, encore exac-
tement limitée aux ganglions et aux nerfs spinaux, se pro-
duire spontanément, sans l'intervention d'une cause méca-
nique quelconque, et provoquer, cependant, ainsi que l'a
montré M. Von Baerensprung, l'apparition d'une éruption
de zona, sur les parties de la peau correspondant à la dis-
tribution des nerfs irrités (2). Il y a quelques raisons de
(1) Charcot et Cotard. — Sur un cas de zona du cote avec altération des
nerfs du plexus cervical et des ganglions correspondants des racines spinales
postérieures. In Mémoires de la Société de Biologie. Année 1865, p. 41.
(2) V. Baerensprung. — Beitraege zur Kenntniss des Zoster. In Arch. f.
TROUBLES TROPHIQUES LIÉS A LA NÉVRITE. 29
croire qu'un bon nombre des cas de zona spontané se dé-
veloppent à la suite d'une névrite de ce genre (1). — Les
ganglions spinaux ont été trouvés aussi fortement altérés,
sans participation de la moelle, des racines spinales tant
antérieures que postérieures, et môme, cette fois, des nerfs
intercostaux, dans le fait suivant rapporté tout récemment
par M. E. Wagner (2).
Un individu, âgé de 23 ans, atteint de phthisie pulmonaire,
présenta, dans les derniers temps de sa vie, une éruption
de zona qui siégeait sur les parties correspondantes aux
neuvième et dixième nerfs intercostaux du côté gauche.
On reconnut, à l'autopsie, que les corps des six der-
nières vertèbres dorsales et des deux premières lombaires
étaient cariés. La dure -mère , dans les points corres-
pondant aux vertèbres malades, était enveloppée à l'exté-
rieur par une couche épaisse de pus caséeux, laquelle se
prolongeait jusque sur les gaines des nerfs et des ganglions
spinaux. La dure-mère, elle-même, était épaissie et dédou-
blée en deux lamelles, surtout dans la région des 9°, 10° et
11° racines dorsales. Bien que les lésions de la dure-mère
parussent aussi prononcées à droite qu'à gauche, cependant
les 9e, 10e et 11e ganglions dorsaux du côté gauche étaient
seuls tuméfiés et présentaient seuls des altérations appré-
ciables au microscope. Dans ces trois ganglions, les cellules
nerveuses avaient disparu, et, au voisinage immédiat des
alvéoles où elles se logent, on reconnaissait tous les carac-
tères de la prolifération conjonctive anormale poussée à un
haut degré.
J'ai vu, pour mon compte, dans plusieurs cas de ménin-
gite spinale chronique, avec épaississement de la dure-
Anat. uni Physiolog. n° 4, 1865 et Canstati's Jahresb., 1864, t. IV, p. 128.
(1) Mougeot, loc. cit., p. 63.
(2) R. Th. Bahrdt. — Beitraege zur jEtiologie des herpès Zoster. Diss.
Leipzig, 1869, etE- Wagner. — Patholog. analomische und Hinische Bei-
traege zur Kenntniss des Gefaenerven. In Archiv. der Eeilkunde. 4e heft.
Leipzick, 1870, p. 321.
30 PÉRINÉVRITE LÉPREUSE.
mère, l'inflammation concomitante des nerfs rachidiens,
dans leur trajet à travers les méninges, provoquer dans
les parties périphériques, outre une atrophie plus ou moins
prononcée des masses musculaires, des éruptions cutanées
diverses, mais se rapprochant, en général, guant à la forme,
tantôt du zona et tantôt du pemphigus. — Dans une leçon
faite à Dublin (1), M. Brown-Séquard avait déjà signalé
l'existence d'éruptions cutanées spéciales, aux bras, dans
les cas de méningo-névrite spinale localisée à la partie in-
férieure de la région cervicale.
L'éry thème, le zona, l'atrophie musculaire, certaines
arthropathies enfin, ont pu être rattachés, par M. Duménil,
à la névrite chronique progressive (2), et, par M. Leu-
det (3), à la névrite périphérique consécutive à l'asphyxie
par la vapeur du charbon.
Mais c'est surtout dans la lèpre anesthésique que l'on
retrouve dans tout leur développement, les lésions trophi-
ques que nous avons étudiées à propos des lésions trau-
matiques des nerfs. Le processus morbide initial consiste,
dans ce cas, comme on le sait d'après les importantes
recherches de M. Virchow (4), en une périnévrite lépreuse
caractérisée par une prolifération cellulaire spéciale, sié-
geant dans l'intervalle des tubes nerveux dont elle déter-
mine la destruction lente. Les nerfs présentent alors fré-
quemment, sur leurs parcours, une tuméfaction fusiforme
qui peut être quelquefois aisément reconnue, pendant la
vie, dans les régions où ils sont superficiels, au coude, par
exemple, lorsqu'il s'agit du cubital et contribuer ainsi au
diagnostic. Ces altérations produisent , au début , des
(1) Quaterlt/ Jovrnal of Médiane, may 1865 (p. 11, 12 du tirage à part).
(2) Duménil. — Contributions pour servir à ï l histoire des paralysies péri-
phériques, spécialement de la névrite. In Gaz. hebdomadaire, 1866, nos4, 5,6.
(3) Leudet. — Recherches sur les troubles des nerfs périphériques, et sur-
tout des vaso-moteurs, consécutifs à l'asphyxie par la vapeur du charbon. In
Archives générales de médecine. Mai 1865.
(<i) R. Virchow. — Die kranhhoflen Geschvt'dste. — Nerven-Lepra, t. II,
p. 521, 1864-65.
PÉRIXÉVRITE LÉPREUSE. 31
symptômes d'hyperesthésie, et. plus tard, de l'anesthésie.
A l'exception du zona, que je ne trouve nulle part men-
tionné, nous rencontrons dans ces circonstances, à peu de
chose près, toute la série des lésions trophiques que nous
avons déjà décrites: a) le pemphigus, pemphigus lepro-
sus; b) l'état lisse de la peau (Glossy Skin) ; c) l'atrophie
des muscles; d) la périostite et enfin la nécrose. Lorsque
ces dernières lésions acquièrent un haut degré d'intensité,
on peut, vous le savez, observer quelquefois la perte d'une
partie d'un membre. Celle-ci survient souvent sans dou-
leur, parce que, à l'époque où elle a lieu, l'anesthésie existe
le plus souvent {lepra mutilans) (1). On a attribué ces
accidents divers et ces mutilations aux effets de l'anes-
thésie. Cependant, elle ne doit certainement pas être mise
seule en cause ; il est non-seulement prouvé qu'elle ne fait
que faciliter l'intervention des influences extérieures, mais
encore qu'elle peut être parfois reléguée au second plan,
éliminée même, si l'on s'en rapporte aux cas cités par le
docteur Thomson, et dans lesquels l'anesthésie faisait abso-
lument défaut (2).
Nous n'avons pu que passer rapidement en revue les
troubles de la nutrition qui résultent des lésions irritatives
des nerfs périphériques. Dans les prochaines leçons, nous
y reviendrons encore , mais nous insisterons principale-
ment sur les troubles trophiques qui se rattachent à des
lésions du cerveau et de la moelle épinière.
(l) F. Steudener. — Beitraege zur Pathologie der Lepra Mutilans. Mit.
3, Taf Erlangen, 1867.
(2 A. S. Thomson. — Brit. and. for. Med. Chir. Beview. 185-1, April,
p. 496, cité par M. Yirchow.
DEUXIÈME LEÇON
Troubles trophiques consécutifs aux lésions des
nerfs. (Suite). — Affections des muscles.
Troubles trophiques consécutifs aux lésions de la
moelle épinière.
Sommaire. — Modifications anatomiques et fonctionnelles que subissent les
muscles sous l'influence de la lésion des nerfs qui les animent. — Impor-
tance de l'électrisation comme moyen de diagnostic et de pronostic. Re-
cherches de M. Duchenne (de Boulogne). — Expérimentation : Longue
persistance de la contractilité électrique et de la nutrition normale des
muscles à la suite de la section ou de l'excision des nerfs moteurs et
mixtes chez les animaux. — Faits pathologiques : Diminution ou aboli-
tion hâtives de la contractilité électrique, suivies d'atrophie rapide des
muscles dans les cas de paralysie rhumatismale du nerf facial et de lé-
sions irritatives, soit traumatiques, soit spontanées des nerfs mixtes. —
Raison de la contradiction apparente entre les résultats expérimentaux et
les faits pathologiques. Application des recherches de M. Brown-Séquard :
Seules, les lésions irritatives des nerfs déterminent l'abolition hâtive de
la contractilité électrique, suivie d'atrophie rapide des muscles.
Expériences de MM. Erb. Ziemssen et 0. Weiss. — Ecrasement, ligature
des nerfs : ce sont des lésions irritatives. — Différence des résultats obte-
nus dans l'exploration des muscles suivant qu'on fait usage de la faradi-
sation ou de la galvanisation. — Les résultats de ces nouvelles recher-
ches sont comparables aux faits pathologiques observés chez l'homme ; ils
n'infirment en rien la proposition de Brown-Séquard.
Troubles trophiques consécutifs aux lésions de la moelle épinière. — En ce
qui concerne leur influence sur la nutrition des muscles, ces lésions for-
ment deux groupes bien distincts ; — 1er groupe : Lésions de la moelle
qui n'ont pas d'influence directe sur la nutrition des muscles : a. Lésions
en foyer très-circonscrites n'intéressant la substance grise que dans une
très-petite étendue en hauteur : Myélite partielle, tumeurs, mal de Pott.
b. Lésions fasciculées même très-étendues des cordons blancs postérieurs
ou antéro-latéraux, mais sans participation de la substance grise : sclérose
primitive ou consécutive des cordons postérieurs, antéro-latéraux, etc. —
2e groupe : Lésions de la moelle qui influencent plus ou moins vite la
nutrition des muscles : a. Lésions fasciculées ou circonscrites qui intéres-
AFFECTIONS DES MUSCLES. 33
sent les cornes antérieures de la substance grise dans une certaine éten-
due en hauteur : Myélite centrale, hématomyélie, etc. b. Lésions irrita-
tives des grandes cellules nerveuses des cornes antérieures de la substance
grise avec ou sans participation des faisceaux blancs : paralysie infantile
spinale, paralysie spinale de l'adulte, paralysie générale spinale (Du-
chenne, de Boulogne), atrophie musculaire progressive, etc. — Rôle pré-
dominant des lésions de la substance grise dans la production des troubles
trophiques musculaires. — La proposition de M. Brown-Séquard s'ap-
plique encore à l'interprétation de ces faits.
Messieurs,
Dans la dernière séance, j'ai évité à dessein, en faisant
l'histoire des troubles de la nutrition consécutifs aux lé-
sions des nerfs, de m'appesantir sur les modifications ana-
tomiques ou fonctionnelles que subissent les muscles sous
l'influence de ces lésions. Je voulais réserver cette ques-
tion .pour une étude spéciale. En réalité, c'est là — vous
allez bientôt le reconnaître — un sujet hérissé de difficultés
de tous genres et qui est encore l'objet de mille controverses.
Vous n'ignorez pas que de grands progrès ont été ac-
complis dans l'histoire clinique des paralysies sous l'in-
fluence des travaux de M. Duchenne (de Boulogne).
Mais vous n'ignorez pas non plus, sans doute, qu'un bon
nombre des faits, découverts par cet éminent patholo-
giste, semblent être en contradiction flagrante avec les ré-
sultats obtenus par les physiologistes dans l'expérimentation
chez les animaux.
Quelle est la raison de ce désaccord ? Dans quelle voie
la conciliation doit-elle être trouvée ? Voilà des deside-
rata auxquels je ne vous promets pas de répondre en tous
points d'une manière satisfaisante. Je ne puis cependant
reculer devant la difficulté ; je dois tout au moins l'aborder.
A la vérité, j'ai quelque répugnance à traiter une ques-
tion où les résultats de l'exploration électrique des nerfs
et des muscles doivent être invoqués à chaque instant
devant des hommes qui ont fait de ce mode d'examen une
Charcot, t. i, 3e éd. 3
34 EXPÉRIENCES SUR LES ANIMAUX.
étude si approfondie ; mais s'ils rencontrent la critique,
j'espère qu'ils voudront bien m'accorder toute leur indul-
gence.
1.
On peut dire que, d'une manière générale, Vélectro-
diagnostic, accordez-moi ce néologisme, annonce et dé-
montre, dans certains cas pathologiques où il s'est produit,
une lésion quelque peu intense d'un nerf moteur ou d'un
nerf mixte, l'existence d'une rapide et profonde diminution,
voire même la disparition de cette propriété qu'on est con-
venu d'appeler du nom de contractilité électrique, tandis
que l'expérimentation chez les animaux semble établir, au
contraire, que, à la suite des lésions des nerfs qu'elle
provoque, les muscles conservent pendant un temps relati-
vement fort long, et même suivant quelques auteurs, d'une
façon à peu près indéfinie, la propriété de se contracter
sous l'influence des excitations électriques.
Vous comprendrez sans peine l'intérêt qui, à notre point
de vue, s'attache à la constatation et à l'étude des faits de
ce genre. Il suffira de vous rappeler que l'affaiblissement
et à plus forte raison la perte de la contractilité électrique
survenant rapidement à la suite de la lésion d'un nerf sont,
ainsi que l'exploration clinique l'a souvent démontré, le
premier terme d'une série de phénomènes qui aboutissent
dans certains cas, presque fatalement, si le médecin n'inter-
vient pas, à l'atrophie plus ou moins complète du muscle et
à la perte quelquefois définitive de ses fonctions.
Pour mieux mettre en lumière le point sur lequel porte
la dissidence que je viens de signaler à votre attention,
laissez-moi, Messieurs, vous rappeler brièvement les faits
expérimentaux auxquels j'ai fait allusion.
A. Il s'agit, dans ces expériences, de rechercher quelles
EXPÉRIENXES SUR LES ANIMAUX. 35
sont les modifications qui surviennent dans les propriétés
des muscles et dans leur structure anatomique,. après la
section ou l'excision des nerfs qui le-s animent. Les expé-
riences abondent ; elles ont été maintes fois répétées par
MM. Longet, Schiff, Brown-Séquard, Yulpian, et il faut
ajouter que les résultats qu'elles o»t donnés paraissent, du
moins pour les points essentiels, tout à fait concordants.
Nous allons vous rappeler les principaux incidents qui nous
paraissent mériter d'être relevés dans ces expériences.
Le bout périphérique du nerf sectionné ou excisé, du
cinquième au huitième jour après l'opération, commence
à subir, jusque dans ses ramifications les plus tenues, une
série d'altérations qui ont pour conséquence ultime la dis-
parition du cylindre de myéline, tandis que le filament axile
paraît, lui, au contraire, persister à peu près indéfiniment (1).
Cependant, dès le quatrième jour, c'est-à-dire avant même
que les lésions de la dégénération soient appréciables, le
nerf a perdu déjà la faculté d'être excité par les divers
agents, et en particulier par les agents électriques (2). Sur
ce point tout le monde est parfaitement d'accord.
En ce qui concerne le muscle, il n'offre tout d'abord au-
cune modification de la contractilité électrique. L'amoin-
drissement et, à plus forte raison, l'anéantissement de cette
propriété, s'ils se produisent, ne se manifestant jamais qu'à
la longue, très-tardivement. C'est là un second point sur
lequel il n'y a pas de divergence. Si quelques physiologis-
tes disent avoir vu la contractilité électrique s'affaiblir ou
même disparaître de six à douze semaines après la section
d'un nerf mixte, M. Schiff l'a trouvée, par contre, dans ces
(1) M. Schiff a montré que, dans le cas de dégénération des nerfs consé-
cutiveà la section, contrairement à ce que M. Waller avait avancé, les fila-
ments axiles persistent ; il a retrouvé les filaments dans les fibres nerveuses
de nerfs coupés depuis cinq mois chez les mammifères. « Nous avons éga-
lement reconnu, dit M. Vulpian (Leçons sur la physiologie du système ner-
veux, 1866, p. 239), l'existence de ce filament axile au bout déplus de six
mois. Il me paraît bien probable qu'il persi&te au-delà de ce temps. »
(2) Vulpian, loc. cit.> p. 235.
36 CONTRACTILITÉ ÉLECTRIQUE.
mêmes circonstances, parfaitement conservée encore au
bout de quatorze mois .(1); il en est absolument de même
lorsque la section porte sur un nerf exclusivement moteur.
Déjà M. Longet avait fait voir que, tandis que la motricité
des nerfs est, comme on l'a dit, entièrement abolie quatre
jours après leur section, l'irritabilité musculaire, lorsqu'il
s'agit du nerf facial, persiste dans les muscles correspon-
dants, pendant' plus de douze semaines (2). Après l'arrache-
ment ou la section du nerf facial, MM. Brown-Séquard et
Martin-Magron ont vu, de leur côté, l'irritabilité des mus-
cles faciaux survivre, chez les cochons d'Inde et chez les
lapins, pendant près de deux ans (3). M. Vulpian a été, lui
aussi, témoin de faits absolument semblables (4). Vers
1841, dans le laboratoire de mon excellent maître, Martin-
Magron, alors que je m'essayais dans une direction que ma
sensibilité à l'égard des animaux devait me faire abandon-
ner bientôt, j'ai pu constater moi-même, après l'arrache-
ment du facial, la persistance presque indéfinie de la con-
tractilité électrique des muscles correspondants.
Le résultat est si palpable, si frappant, si facile à cons-
tater, que la plupart des physiologistes en sont, si je ne me
trompe, à se demander si l'irritabilité musculaire disparait
jamais complètement à la suite de la section ou de l'exci-
sion des nerfs ; tout au plus concèdent-ils qu'en pareil cas
il puisse se produire, à la longue, un affaiblissement plus
ou moins prononcé de la propriété contractile des muscles.
Presque tous font remarquer que si, quelquefois, les excita-
tions électriques deviennent impuissantes à déterminer la
(1) Schiff. — Zehrbuch der Physiologie des Jlfenschen, 1858-59, p. 18. —
M. SchifF aurait vu deux fois l'excitabilité des muscles persister quatorze
mois après la sectiou des nerfs correspondants. Dans un cas, il s'agissait du
nerf hypoglosse, dans un autre cas du nerf sciatique.
(2) Longet. — Anatomie et physiologie du système nerveux^ t. I, p. 03,
1842.
(3) Brown-Séquard. — Bulletins de la Société philomatiçue, 1847, p. 74
et 88. — Bulletins de la Société de Biologie, t. III, 1851, p. 101.
(4) Vulpian, loc. cit , p. 235.
EXPERIMENTATION. 3/
contraction des muscles, toujours celle-ci se manifeste sous
rinfluence des irritations mécaniques.
Il était à présumer que les modifications tropliiques cor-
respondant à ces modifications fonctionnelles devraient,
elles aussi, se produire très-lentement et se montrer peu
accusées. C'est en effet ce qui parait avoir lieu : la plupart
des auteurs semblent s'accorder à reconnaître que l'atro-
phie du muscle, sa dégénération histologique, ne survien-
nent à la suite de la section des nerfs, qu'au bout d'un
temps fortlong. C'est à peine, suivant M. Longet(l), si trois
•mois après la section du nerf facial, les muscles correspon-
dants, examinés après la mort, présentaient de légères
traces d'atrophie. Mais.il ne s'agit là, sans doute, que d'un
examen fait à l'œil nu. Au rapport de M. SchifF, lorsque la
paratysie consécutive à la section du nerf, date de loin,
les muscles présentent un certain degré d'amaigrissement.
Il est vraisemblable qu'un certain nombre de faisceaux
musculaires s'atrophient et disparaissent ; dans la plupart
des cas, le microscope fait constater qu'un bon nombre de
ces faisceaux subissent en outre l'altération graisseuse, en
même temps que de la graisse s'accumule dans les inter-
valles qui les séparent (2). Les observations de M. Vulpian
ont donné des résultats analogues : toutefois, suivant lui,
la dégénérescence graisseuse des fibres musculaires ferait
souvent défaut d'une manière absolue (3).
Avant de comparer les faits pathologiques aux résultats
des expériences instituées chez les animaux, il importe de
bien préciser les conditions dans lesquelles ces expériences
(1) Longet, loc cit., p. 63.
(2) Schiflf, loc. cit., p. 175.
(3) Vulpian, loc. cit., p. 246. — Dans les cas de paralysie consécutive à la
section des nerfs, outre l'atrophie des faisceaux primitifs qui se produit à la
longue, M. Vulpian a noté depuis longtemps la prolifération des noyaux du
sarcolemme et quelques autres indices d'un processus inflammatoire. C'est là
un fait très-intéressant signalé plus récemment par d'autres observateurs et
sur lequel nous aurons à revenir un peu plus loin. (Voir la note, p. 41).
38 FAITS PATHOLOGIQUES.
sont conduites. En premier lieu, le physiologiste pratique
la section ou l'excision des nerfs musculaires ; en second
lieu, il a recours à l'excitation électrique directe, c'est-à-
dire appliquée sur le nerf ou sur le muscle mis à nu; enfin
c'est à peu près exclusivement le galvanisme qu'il met en
œuvre comme moyen d'exploration et il ne tient pas compte
de la différence qui peut exister, au point de vue de leur
action sur la fibre nerveuse ou sur le faisceau musculaire,
entre l'excitation obtenue à l'aide des courants dHnduction
(courants interrompus) et celle que déterminent les cou-
rants dits galvaniques (courants continus). Telles sont les
circonstances qu'il importe de relever surtout à propos des
expériences que j'appellerai anciennes, bien qu'elles ne da-
tent pas encore de fort loin. Nous verrons plus tard que des
observations toutes récentes, et dans lesquelles l'action des
deux ordres de courants a été étudiée comparativement, ont
donné des résultats qui semblent différer, à quelques égards,
de ceux qu'avaient fournis les premières expériences.
B. Il est temps de revenir maintenant à la pathologie hu-
maine. Les faits qu'elle nous présente se rapportent à des
lésions de nerfs mixtes ou moteurs, survenues soit sponta-
nément, soit à la suite d'un traumatisme.
Nous rappellerons en premier lieu les phénomènes qui
ont été observés dans les cas de paralysie périphérique du
nerf facial et, en particulier, lorsque cette paralysie résulte
de l'impression du froid (paralysie rhumatismale, a frigoré).
M. Duchenne (de Boulogne) a fait voir, vous ne l'ignorez
pas, qu'en pareille circonstance, dès avant la fin du pre-
mier septénaire, la contractilité électrique des muscles de
la face est déjà remarquablement amoindrie et paraît
même, quelquefois, tout à fait éteinte (1). Tous' remarque-
rez qu'entre cette époque, sept jours, qui pe^ut marquer,
(l) Duchenne (de Boulogne). — Electrisation localisée, 2e édition, 1861,
p. 669.
FAITS PATHOLOGIQUES. 39
d'après M. Duchenne, le début de l'affaiblissement de la
contractilité électrique dans la paralysie rhumatismale du
nerf facial, et le terme assigné par quelques physiologistes
à la persistance de cette môme propriété chez les animaux,
après la section des nerfs, la distance est grande. Cepen-
dant,des observations répétées maintes et maintes fois ont
démontré la parfaite exactitude de l'assertion de M. Du-
chenne. Tout récemment encore, dans un cas de paralysie
rhumatismale du nerf facial, M. le Dl> Erb, ayant été mis à
même de suivre jour par jour, dès le début, la marche des
symptômes, a vu, le neuvième jour, la contractilité élec-
trique déjà considérablement amoindrie (1). Dans un cas
du même genre recueilli par M. Onimus (2), huit jours
après l'invasion de la maladie, des courants induits appli-
qués sur les muscles paralysés ne donnaient pas lieu à la
moindre contraction.
Le même phénomène s'observe communément dans les
cas de paralysie périphérique du nerf facial autres que
ceux qui dépendent de l'impression du froid et aussi dans
les paralysies traumatiques des nerfs des membres. Ces
dernières résultent le plus souvent, comme on le sait, de la
compression brusque, de la contusion, de la commotion
subies par un nerf mixte, en conséquence des luxations
scapulo-humérales par exemple. On a vu plusieurs fois, à
la suite de ces accidents divers, la contractilité électrique
déjà très-notablement affaiblie dès le dixième ou même dès
le cinquième jour, dans les muscles frappés de paralysie (3).
L'observation clinique démontre, vous ne l'ignorez pas,
qu'en règle générale, les muscles qui présentent ainsi la
prompte diminution et surtout la prompte disparition de la
(1) W. Erb. — Zar Pathologie uni patholo g ischen Anatomie peripheris-
cher Parahjsen. In Dentsch. Arckiv, t. IV, 1868, p. 539. Cas de Gradolf.
(2) Gazette des hôpitaux, 30 juin 1870, p. 298.
(3) Duchenne (de Boulogne), loc. cit. Obs., p. 191. Paralysie, suite de
luxation scapulo-humérale. — Obs., p. 193. Paralysie, suite de contusion
du nerf cubital.
40 ALTERATIONS DES MUSCLES.
contractilité électrique, ne tardent pas à subir une atrophie
qui devient parfois très-rapidement appréciable, principa-
lement lorsqu'il s'agit des membres. Il serait très-intéres-
sant d'étudier dans les diverses phases de leur développe-
ment les altérations histologiques auxquelles se rapporte
cette atrophie rapide des masses musculaires ; mais c'est
là un sujet sur lequel nous ne possédons encore qu'un très-
petit nombre de renseignements précis. Il semble ressortir
cependant de quelques observations et, en particulier, d'un
fait rapporté avec détails par le Dr Erb, que ces lésions
n'auraient rien de commun avec la dégénération graisseuse
pure et simple, toute passive et telle qu'on l'observe dans
les muscles qui ont été durant longtemps condamnés à
l'inaction ; elles offriraient au contraire les caractères les
plus nets d'un processus inflammatoire, à savoir : une lry-
perplasie plus ou moins prononcée du tissu conjonctif in-
terstitiel, rappelant jusqu'à un certain point ce qu'on trouve
dans la cirrhose, et une multiplication des noyaux du sar-
colemme. En même temps que ces altérations se dévelop-
pent, les faisceaux musculaires subissent une diminution
très-prononcée dans leur diamètre transversal, mais ils
conservent, pour la plupart, leur striation. La dégénération
granulo-graisseuse des faisceaux musculaires se rencontre
rarement en pareil cas et paraît être tout à fait acciden-
telle (1).
(l) Voici, en abrégé, l'observation rapportée par le, docteur Erb dans son
intéressant mémoire : — Peter Schmieg, âgé de 22 ans, est atteint de
phthisie pulmonaire parvenue à la dernière période. Il présente en outre les
signes d'une carie du rocher et de l'apophyse mastoïde. Un abcès s'est ou-
vert au voisinage de cette dernière. Le 22 mars 1867, il se développe subi-
tement une paralysie presque complète du nerf facial gauche. La paralysie
est surtout prononcée au muscle frontal. La contractilité électrique ayant
été explorée le 24 mars d'abord (2e jour de la maladie), puis le 3 avril
(12e jour) à l'aide de la faradisation, a été trouvée normale à ces diverses
époques. Pour la première fois le 17 avril (26e jour), on constate que les
muscles frontal et zygomatique du côté gauche ne se contractent que très-
faiblement sous l'influence des excitations faradiques. Le 30 avril (39e jour),
la faradisation ne provoque plus de contractions dans les muscles frontal et
ALTÉRATIONS DES MUSCLES. k I
Il est clair que si, dans le cas d'atrophie musculaire que
les physiologistes obtiennent à la longue, par la section ou
l'excision des nerfs, la lésion histologique était toujours la
dégénération graisseuse, sans trace de processus irritatif
initial, le contraste serait des plus accusés. Mais, malheu-
reusement pour la simplicité des choses, nous verrons qu'il
n'en est peut-être pas ainsi (1).
zvgomatique du côté gauche. Les autres muscles de la face, du même côté,
ne répondent que faiblement aux excitations. La mort survient le 2 mai
(40e jour de la maladie). Autopsie : Le tronc du nerf facial confine à un
abcès qui s'est ouvert derrière l'oreille ; il est à nu dans une certaine éten-
due. De tous côtés, le tronc nerveux est enveloppé par une masse de tissu
conjonctif induré. Cette enveloppe conjonctive adhère intimement à la gaine
externe du nerf; ce dernier, cependant, est encore mobile dans la gaîne. A
l'œil nu, les branches du facial ne présentent aucune modification appré-
ciable; au contraire, le muscle frontal gauche est pâle, flasque, aminci.
Dans le point où le tronc nerveux est enveloppé par la masse de tissu con-
jonctif on aperçoit, interposé entre les fibres nerveuses, beaucoup de tissu con-
jonctif fibrillaire avec de nombreux noyaux ovalaires, faiblement grenus. Les
fibres nerveuses elles-mêmes présentent,, en certain nombre, les divers de-
grés de la dégénération graisseuse. Beaucoup de fibres ont conservé les
caractères de l'état normal. Quelques-uns des filets nerveux qui se rendent
au muscle frontal ne renferment guère que des fibres nerveuses dégénérées ;
d'autres, appartenant vraisemblablement au trijumeau, ont toutes leurs fibres
à l'état normal. — Le muscle frontal gauche est profondément altéré ; on
observe là d'épaisses cloisons de tissu conjonctif nouvellement formé, inter-
posées entre les faisceaux musculaires primitifs. Ces derniers ont subi une
réduction de volume très-prononcée et, de plus, ils renferment des noyaux
en grand nombre. La striation transversale est conservée sur la plupart des
fibres musculaires atrophiées ; sur d'autres, elle est à peine distincte. Un
certain nombre de faisceaux primitifs offrent les caractères de l'altération ci-
reuse, mais l'altération granulo-graisseuse ne s'observe sur aucun d'eux. —
(W. Erb, loc. cit.,Beutsch Archiv. Bd. 5, 1869, p. 44).
(l; Nous nous réservons de revenir, dans le courant de nos leçons, sur ce
point délicat. Pour le moment, il nous suffira de noter que des lésions irrita-
tives des muscles, en tout semblables à celles qui viennent d'être décrites,
ont été récemment signalées par des observateurs très-compétents, chez di-
vers animaux, à la suite de la section et de l'excision des nerfs mixtes ou
purement moteurs, c'est-à-dire en dehors des conditions qui produisent
d'habitude les lésions irritatives des nerfs. Ainsi, à la suite de l'excision
d'un tronçon de nerf sciatique, M. Mantegazza (Histo!ogisch. Yeranderun-
gtn nach der Nervendurchschneidung in Schmdfs Jahresi.,p. 148, 1857, 1. 136,
et Gaz. Loîab. p. 18, 1867) a trouvé, à partir du 30e jour, les muscles déjà
pâles, le tissu conjonctif intermédiaire aux faisceaux primitifs manifestement
42 CONTRADICTION APPARENTE.
Il résulte, en somme, du parallèle que nous venons de
vous présenter, que les faits cliniques, observés cependant
avec le plus grand soin, sont, ou du moins paraissent être,
en opposition formelle avec les faits expérimentaux recueil-
lis également par les procédés les plus rigoureux. Nous
devons nous efforcer de pénétrer la raison de ce désac-
cord. Recherchons d'abord si l'on peut la trouver dans la
hypertrophié, les faisceaux eux-mêmes diminués de volume, présentant une
multiplication évidente des noyaux du sarcolemme, mais ayant conservé la
striation transversale. Un hon nombre de ces faisceaux offraient l'aspect
granuleux, mais les granulations se dissolvaient dans l'acide acétique. De
son côté, M. Vulpian a rencontré des altérations identiques, dans les mus-
cles de la langue, chez le chien, cinquante jours après l'avulsion du bout
central du nerf hypoglosse (Archiv. de Physiolog., t. II, p. 572, 1869).
L'absence de dégénération graisseuse des faisceaux primitifs, l'atrophie de
ces faisceaux avec persistance de la striation transversale et prolifération des
noyaux du sarcolemme, ont été également observées par M. Vulpian [loc.
cit., p. 539) chez l'homme, sur les muscles de la jambe, dans un cas de
résection d'un segment du nerf scialique datant de cinq mois. Cela étant, on
est conduit à admettre que les sections complètes, les excisions, les avul-
sions de nerfs déterminent quelquefois dans ces nerfs des lésions irritatives ;
ou bien — si les observations ultérieures devaient présenter comme constant
le fait observé par MM. Vulpian et Mantegazza — que les altérations mus-
culaires qui se produisent à la suite des lésions passives des nerfs moteurs
ou mixtes, ne se séparent pas essentiellement, au point de vue histologique,
de celles qui surviennent consécutivement aux lésions irritatives de ces
mêmes nerfs. Si les faits devaient donner raison à la deuxième hypothèse, il
y aurait lieu, néanmoins, pensons-nous, de différencier encore, malgré tant
d'analogies, les altérations musculaires liées à finertie fonctionnelle de celles
qui succèdent à l'irritation des nerfs. Il paraît démontré, en effet, que ces
dernières se produisent beaucoup plus rapidement et sont précédées ou
accompagnées de modifications plus ou moins prononcées de la contractilité
électrique, lesquelles ne se montrent pas avec les mêmes caractères, dans les
premières et ne s'y manifestent qu'au bout d'un temps relativement fort long.
Il serait à désirer qu'une série de recherches fût instituée dans le but
spécial d'élucider la question qui vient d'être soulevée. 11 existe en effet,
déjà, uu certain nombre de faits tendant à démontrer que l'immobilisation
peut, à elle seule, en dehors de toute iafluence du système nerveux, provo-
quer dans certains organes, dans certains tissus, des lésions trophiques
offrant tous les caractères d'un processus inflammatoire. Je me bornerai à
citer un exemple. On connaît les affections articulaires décrites par MM. Tes-
sier et Bonnet et qui surviennent lorsque les membres sont condamnés à
l'immobilité que nécessite le traitement de certaines fractures. Tout récem-
ment M. Menzel a entrepris des expériences qui consistent à immobiliser
chez des chiens et des lapins, à l'aide d'un bandage plâtré, un certain nom-
INFLUENCE DU MODE D EXPLORATION. 43
différence des conditions d'observation où se placent d'une
part le physiologiste, d'autre part le médecin.
Un premier point qu'il importe défaire ressortir est rela-
tif au mode d'exploration. Le pathologiste se trouve dans
la nécessité de n'explorer le muscle qu'à travers la peau,
tandis que le physiologiste, ainsi que nous l'avons fait re-
marquer déjà, agit, lui, dans des conditions bien plus favo-
rables puisqu'il lui est loisible de porter les rhéophores di-
rectement sur le nerf ou sur le muscle. Il était permis de
prévoir qu'étant donné un affaiblissement de la contractilité
électrique porté à un certain degré, l'application directe
serait capable de déterminer encore des contractions alors
que l'exploration faite à travers la peau se montrerait peut-
être impuissante à en produire, ou ne donnerait que des
contractions très-affaiblies. L'expérience justifie cette pré-
vision. C'est ainsi que dans un cas de pied bot, avec dé-
génération graisseuse des muscles, où l'on fut obligé de
pratiquer l'amputation, Valentin a vu, après l'opération, des
contractions, faibles il est vrai, se manifester sous l'in-
fluence de l'excitation directe, dans un des muscles les plus
profondément altérés (1). Dans ce cas, si l'on en juge par
analogie, l'exploration à travers la peau n'eût vraisembla-
blement donné aucun résultat. Quelques faits empruntés à
la physiologie expérimentale parlent dans le même sens.
Sur un lapin chez lequel le nerf facial du côté droit avait
été coupé un mois environ auparavant, l'électricité appli-
bre de jointures. Or, dès le 15e jour, on trouve, en pareil cas, la membrane
synoviale vivement injectée et tuméfiée ; la cavité articulaire renferme des
globules rouges, des leucocytes et des cellules épithéliales; enfin, les cellules
du cartilage diarthrodial soût le siège d'un travail de prolifération très-ac-
cusé [Gazette médicale de Strasbourg, n° 5, 1871). Ces recherclies méritent
d'être poursuivies et appliquées à l'étude des modifications que peuvent subir
les diverses parties d'un membre sous l'influence de l'inertie fonctionnelle
plus ou moins longtemps prolongée.
(l) Valentin. — Versuch einer physiologischen Pathologie der Nerven.
Leipzig und Heidelberg, 1864, 2e abtb., p. 42.
44 FARADISATION ET GALVANISATION.
quée au travers de la peau rasée et humectée d'eau, sur
les muscles faciaux du côté de l'opération, ne produisait
pas d'effet apparent, tandis qu'il y avait des contractions
extrêmement fortes lorsqu'on électrisait les points homo-
logues du côté opposé. Les muscles ayant été mis à nu du
côté où le nerf avait été coupé, on pouvait y provoquer,
par l'électricité, des contractions très-évidentes (1). — Sur
un cheval vigoureux, on avait excisé cinq centimètres en-
viron du nerf poplité externe gauche. Un mois après l'opé-
ration, les poils furent rasés sur la face antéro-externe de
chaque jambe et l'on appliqua les rhéophores d'une pile,
d'abord sur le côté sain : il survint des contractions éner-
giques. On les appliqua ensuite sur les muscles du côté op-
posé et il ne se produisit aucune contraction. Alors on mit
à nu les muscles paralysés et on appliqua sur eux, directe-
ment, les excitateurs, l'instrument étant gradué au mini-
mum: de vives contractions se manifestèrent (2). On pour-
rait sans doute aisément réunir bon nombre d'exemples du
même genre. Il devient démontré parla que l'exploration à
travers la peau ne peut fournir que des données relatives,
qu'elle ne révèle pas l'état réel de la contractilité électrique;
mais telles qu'elles sont ces données n'en sont pas moins
exactes, en somme, et de la plus haute importance, car il
est impossible de ne pas reconnaître que la perte apparente
ou la diminution très-marquée de la contractilité, accusée
par une exploration à travers la peau, correspond à une
diminution ou tout au moins à une modification très-réelle
de cette propriété.
Une autre remarque que je veux vous présenter a trait
à la nature de l'agent électrique dont on se sert pour l'ex-
ploration. Le galvanisme, ainsi que je vous le disais il y un
instant, a été à peu près seul employé dans les expériences
relatives aux sections de nerfs chez les animaux, tandis
fl) Vulpian. — Physiologie du système nerveux ,1806, p. 245.
(2) Expérience de M. Chauveau.dans Magnien. Thèse de Paris, 1866, p. 21.
FÀRADISATION ET GALVANISATION. Ii'ô
qu'en clinique, suivant la méthode de M. Duchenne, l'ex-
ploration a été jusque dans ces derniers temps pratiquée
exclusivement à l'aide de la faradisation. Or, il résulte de
recherches laites, il y a quelques années, en Allemagne et
reprises en France tout récemment, que le galvanisme a le
pouvoir de provoquer fréquemment des contractions mus-
culaires là même où la faradisation semble accuser une
perte absolue de la contractilité électrique.
Ce fait, constaté pour la première fois par Baïerlacher,
en 1859 (1), dans un cas de paralysie faciale, a été observé
depuis dans les mêmes circonstances ou dans divers cas de
paralysies consécutives à la lésion traumatique des nerfs
mixtes, par Schultz (2), Brenner (3), Ziemssen (4), Rosen-
thal (5), Meyer (6), par Bruckner (7), dans la paralysie
pseudo-hypertrophique et par Hammond, enfin, dans la
paralysie infantile.
On voit d'après cela que le galvanisme pourrait accuser
encore des contractions dans bien des cas de paralysie, soit
rhumatismale, soit traumatique, où l'exploration faite ex-
clusivement, à l'aide de la faradisation, annoncerait une
profonde altération de la contractilité électrique, mais,
même cela étant, le caractère tiré de l'abolition ou de
la diminution hâtives de la contractilité faradique n'en sub-
sisterait pas moins dans toute sa valeur ; il permettrait tou-
jours de maintenir le contraste entre les paralysies par
lésions des nerfs que nous offre ordinairement la clinique
et les paralysies qu'on détermine chez l'animal, par la sec-
(1) Baïerlacher. — Bayz. d.rztl. Intelligenzllatt, 18G8.
(2) Schultz — Wiener medic. Woehenschr., 1869, n° 27.
(3) Grûnewaldt. — ther die Lâhmungen des Nerv. facialis. Pet. med.
Ztsch. Brl. III, 1862, p. 321 ff.
(4) Ziemssen. — Elektricitât in der Jfcd. 2 aufl., 1864.
(5) Rosenthal. — Elehtrotherapie, 2 aufl., 1869.
(6) Meyer. — Die Elektricitât, etc. 2 aufl., 1861.
(7) Bruckner. — Deutsch Klimk, 1865, n° 30.
46 SECTIONS COMPLETES DES NERFS.
tion des troncs nerveux, puisque, dans ces dernières, le
caractère en question fait défaut.
Nous devons examiner actuellement si les lésions des
troncs nerveux qui provoquent une prompte modification
de la contractilité électrique, bientôt suivie d'atrophie
musculaire, sont assimilables, sans réserves, ainsi que quel-
ques auteurs semblent le croire, aux sections de nerfs pra-
tiquées chez l'animal. En réalité, Messieurs, il n'en est
rien, et, si je ne me trompe, c'est dans cette circonstance
qu'il faut chercher le nœud de la question en litige. On peut
dire que, d'une manière générale, les sections ou les exci-
sions de nerfs n'éveillent habituellement, dans ceux-ci, au-
cun travail de réaction. La dégénération des fibres du bout
périphérique, qui suit l'opération à titre de conséquence
nécessaire, peut être considérée, en somme, à la condition
toutefois qu'il ne s'y mêle aucune complication, comme un
processus purement passif. Les muscles desservis par les
nerfs sectionnés sont nécessairement frappés d'inertie fonc-
tionnelle ; mais ils ne paraissent pas subir d'autres altéra-
tions que celles qui, à. la longue, résultent de l'inaction (1).
Bien différentes sont les affections des nerfs auxquelles se
rattachent, chez l'homme, les accidents qui sont l'objet de
notre étude. A peu près toujours, lorsqu'elles sont d'origine
traumatique, elles naissent, nous l'avons dit, sous l'in-
fluence de causes telles que la commotion, la contusion, la
compression, une division incomplète, toutes éminemment
propres à susciter, dans les divers tissus qui entrent dans la
composition du nerf, le développement d'un processus ir-
ritatif. De fait, il n'est pas rare, dans les cas de ce genre,
que l'atrophie musculaire à marche rapide, foudroyante en
quelque sorte, annoncée presque dès l'origine par la perte
et la diminution de la contractilité faradique, soit ac-
compagnée, précédée ou suivie, — lorsqu'il s'agit d'un
(l) Voir la note 1, p. 41,
LÉSIONS IRRITATIVES DES NERFS. 47
nerf mixte, — de douleurs plus ou moins vives ou de sen-
sations anormales, indices de l'irritation que subissent les
fibres sensitives (1). À ces douleurs s'adjoint fréquemment
l'apparition de ces troubles trophiques de la peau (érup-
tions pemphigoïdes, peau lisse, herpès) que nous avons ap-
pris à connaître comme un des effets des lésions irritatives
des nerfs cutanés et qui ne s'observent en aucune façon
dans les cas de section pure et simple des troncs nerveux (2).
Les affections développées spontanément prêtent à des con-
sidérations identiques : tantôt il s'agit d'une carie du rocher;
le tronc du nerf facial baigne dans le pus où il est enveloppé
de toutes parts, ainsi que cela avait lieu dans l'observation
du docteur Erb, par une gaine épaisse de tissu conjonctif
nouvellement» formé (3) ; d'autres fois, le nerf est comprimé
par une tumeur lentement développée, qui a dû, pendant un
certain temps, irriter les fibres nerveuses avant d'en déter-
miner l'aplatissement complet. Il n'est pas jusqu'à la para-
lysie dite rhumatismale ou à frigore du nerf facial qui ne
semble devoir être rattachée — bien que, sur ce point,
nous ne possédions pas encore d'observations positives, —
à l'inflammation de la gaine conjonctive du tronc ner-
veux (4).
Je n'ignore pas que les sections complètes des nerfs se
rencontrent assez fréquemment dans la pratique chirurgi-
(1) Duchenne (de Boulogne), loc. cit., obs., IX, X.
(2) Voir, entre autres, une observation rapportée récemment par le docteur
Constantin Paul [Société de Thérapeutique, séance du 7 mai 1871, in Ga-
zette médicale , p . 257, n° 25, 1871). — « L'un des troubles de nutrition les
plus remarquables, produits par les lésions de nerfs, est l'émaciation ou
l'atrophie des muscles desservis par ces nerfs. Cette atrophie peut exister
seule ou se montrer associée à d'autres troubles nutritifs du même genre oc-
cupant la peau ou ses annexes.» (Mitchell, Morehouse et Keen. — Gunshot
Wonnds, etc., p. 69).
(3) Voir : P. Brouardel. — Lésions du rocher, carie, nécrose, et des corn,"
plications qui en sont la conséquence. Extrait du Bulletin de la Société ana-
tomique. Paris, 1867.
(4) F. Niemeyer. — Lehrbuck der Sjjcc. Pathologie wid Thérapie. 7e aufl.
2Bd. p. 365.
48 LÉSIONS IRRITATIVES DES NERFS.
cale ; je sais aussi qu'on peut voir survenir, en pareille cir-
constance, l'atrophie des muscles et la perte de la contra c-
tilité électrique. Mais je ne crois pas qu'on puisse présenter
beaucoup de faits de cet ordre dans lesquels on ait observé,
dès les premiers jours, la diminution ou la perte de la
contractilité faradique et, dès les premières semaines,
V atrophie et la dé génération des muscles. Bien que j'aie
entrepris quelques recherches à ce sujet, je n'ai pas trouvé
jusqu'ici d'observations incontestablement douées de ce
caractère.
Nous sommes ainsi conduits, Messieurs, à faire intervenir
ici, encore, la lumineuse distinction proposée par M. Brown-
Séquard : seule l'irritation des nerfs serait capable d'oc-
casionner l'atrophie rapide et hâtive des muscles, précédée
elle-même de la diminution ou de la disparition de la
contractilité faradique. La division complète des nerfs
n'amène V atrophie et la perte des réactions électriques
qu'au bout d'un temps incomparablement beaucoup plus
long, à V instar du repos prolongé.
Cela étant admis, il nous faut rechercher actuellement,
comment, étant donnée la lésion irritative des troncs ner-
veux dont nous venons de reconnaître l'existence, on peut en
faire dériver, à titre de conséquence plus ou moins directe,
la perte rapide de la contractilité électrique, l'atrophie hâ-
tive des muscles et, en un mot, toute la série des phéno-
mènes que dévoile l'observation clinique dans les cas qui
nous occupent.
L'affaiblissement ou la perte de la contractilité est, vous
le savez, après la paralysie motrice qui, dans la grande ma-
jorité des cas, ouvre la marche, le premier fait qu'on constate
en semblable occurrence. Quelques auteurs semblent voir,
dans ce phénomène, une conséquence toute simple de la
perte de l'excitabilité du nerf, laquelle surviendrait ici, de
très-bonne heure (vers le 5° jour), comme dans le cas des
sections nerveuses, et se rattacherait elle-même à la dégé-
nération des gaines médullaires au-dessous du point lésé. Il
LÉSIONS IRRITATIVES DES NERF^. 49
paraît certain que les contractions des muscles, déterminées
par l'électrisation,sont plus prononcées lorsqu'on peut agir
sur eux par l'intermédiaire des nerfs que lorsque l'exci-
tation, par suite de la destruction des filets nerveux, ne peut
plus porter sur la substance contractile elle-même. Mais,
quoi qu'il en soit, si l'opinion à laquelle nous faisons allu-
sion était fondée, l'affaiblissement très-prononcé ou l'abo-
lition apparente de la contractilité électrique, survenant
quelques jours après l'opération, devra être un fait constant
à la suite des sections de nerfs, puisqu'en pareil cas le bout
périphérique du nerf perd toujours son excitabilité au bout
de cinq ou six jours. Or, nous savons qu'il n'en est pas
ainsi. D'un autre côté, il n'est nullement prouvé que les
lésions de nerfs, qui produisent la perte hâtive de la con-
tractilité électrique, soient toujours assez profondes pour
interrompre complètement la continuité des fibres nerveuses
et amener la destruction du cylindre de myéline. On pour-
rait citer, en effet, un certain nombre de faits tendant à
démontrer que la continuité des nerfs persiste, au moins à
un certain degré, à la suite de lésions qui cependant déter-
minent rapidement, dans les muscles, l'apparition des
troubles trophiques les plus prononcés.
C'est ainsi qu'après une lésion traumatique portant sur
le trajet d'un nerf, on voit parfois les mouvements persis-
ter pendant quelque temps et ne s'affaiblir qu'alors que les
lésions trophiques sont survenues dans le muscle (1). Il
importe de remarquer, d'ailleurs, que la sensibilité muscu-
laire et cutanée se maintient souvent à un degré voisin
de l'état normal, dans les cas de lésions d'un nerf mixte,
alors même que l'affaiblissement rapide de la contractilité
électrique et l'atrophie musculaire consécutive, sont portées
très-loin ; c'est un fait que MM. Duchenne (de Boulogne) (2),
(1) Voir l'observation citée par Duchenne (de Boulogne), loc. cit., p. 207.
(2) Dans les paralysies consécutives aux lésions traumatiques des nerfs
mixtes, les troubles fonctionnels portent moins sur la sensibilité des muscles
Charcot, t. 1, 3° éd. h
50 LEUR MODE D'INFLUENCE.
Mitchell, Morehouse et Keen (1) n'ont pas manqué de faire
ressortir. Est-il vraisemblable que, dans ces cas, les fibres
motrices auront subi des altérations profondes, tandis que
les fibres sensitives entremêlées avec elles dans toute l'é-
paisseur du nerf auraient seules été épargnées ? Mais voici
un argument en quelque sorte plus direct : à la suite de
certaines affections de la moelle épinière, telles que l'iié-
matomyélie, la myélite aiguë centrale, la paralysie infan-
tile, affections dans lesquelles la lésion initiale occupe plus
particulièrement la substance grise, il est commun de voir
se produire, comme lorsqu'il s'agit de lésions irritatives des
nerfs, une diminution ou une abolition totale de la contra c-
tilité électrique, dans les muscles des membres frappés de
paralysie. Ce symptôme, manifeste déjà quelques jours
après le début de la maladie, est suivi bientôt d'une atro-
phie plus ou moins prononcée des muscles. Les nerfs mus-
culaires ont été plusieurs fois examinés en pareil cas à l'aide
du microscope : tantôt, ils offraient les caractères de l'état
normal ; d'autres fois, ils présentaient à un certain degré
les altérations propres à la dégénération granulo-grais-
seuse ; mais alors ces altérations ne se montraient nulle-
ment proportionnées, quant à leur .étendue et quant à leur
intensité, aux troubles musculaires. Nous reviendrons ulté-
rieurement sur ce fait important.
Vous voyez par ce qui précède que, dans mon opinion,
l'abolition rapide de l'excitabilité électrique observée à la
suite de la lésion d'un nerf, ne saurait être rattachée tout
entière à l'altération granulo-graisseuse de la gaine médul-
laire et à la perte d'excitabilité des fibres nerveuses qui se-
que sur leur contractilité ; ainsi une luxation de l'épaule ayant occasionné la
lésion des nerfs qui animent le bras, l'avant-bras et la main, j'ai vu le malade
accuser une sensation musculaire assez notable, alors même que ses mus-
cles ne se contractaient pas le moins du monde par l'excitation électrique la
plus intense. La sensibilité cutanée est encore moins affectée que la sensi-
bilité musculaire, dans ces mêmes lésions nerveuses. [Duchenne (de Boulo-
gne), loc. cit., p. 210].
(1) Mitchell, etc., loc. cit., p. 97.
ALTERATIONS DE LA FIBRE CONTRACTILE. 51
raient la conséquence de cette altération. S'il en est ainsi,
il devient très-vraisemblable que le phénomène dont il s'agit
est, au moins en partie, le résultat d'un changement quel-
conque survenu dans la constitution de la substance con-
tractile, sous l'influence de l'irritation transmise jusqu'au
faisceau musculaire primitif, par la voie des dernières
ramifications nerveuses. La rapidité avec laquelle se pro-
duirait ce trouble trophique n'est pas un argument à invo-
quer contre notre hypothèse. L'expérience démontre, en
effet, que sous l'influence de certaines causes, telles, par
exemple, que l'interruption brusque du cours du sang arté-
riel, la fibre musculaire peut éprouver plus rapidement en-
core, — après quelques heures seulement, — une modifica-
tion fort analogue, sans aucun doute, puisqu'elle se traduit
également par l'abolition de la contractilité spécifique du
muscle (1).
A en juger par l'enchaînement habituel des phénomènes
révélés par l'observation clinique, cette altération de la fibre
contractile, manifestée par les modifications de la contrac-
tilité électrique, serait le précurseur et comme le premier
terme d'une série de lésions plus profondes qui amènent
graduellement l'atrophie du muscle et entraînent quelque-
fois l'abolition complète et définitive de ses fonctions. Des
observations, auxquelles nous avons fait allusion déjà et sur
(l) « J'ai coupé le nerf sciatique d'un côté sur deux lapius et deux cochons
dinde. Dix jours après je me suis aperçu que le sciatique coupé ne cau-
sait plus de mouvements quand je le galvanisais. Les muscles se contractaient
vivement quand j'appliquais sur eux les deux pôles delà pile. Cela reconnu,
j'ai lié l'aorte derrière l'origine des rénales, et trois heures après j'ai
essayé de nouveau l'application de la pile. Il n'y a eu de contractions dans
les muscles de la jambe ni quand j'excitais le nerf, ni quand j'excitais direc-
tement les muscles. J'ai lâché alors la ligature ; au bout de très-peu de
temps, les muscles sont redevenus irritables. Le nerf sciatique n'a rien re-
trouvé de sa propriété perdue. Dans cette expérience, les muscles de la
jambe, après avoir complètement perdu leur irritabilité, ne l'ont recouvrée
que par la nutrition, puisque ni les centres nerveux ni le nerf sciatique ne
pouvaient la leur donner. (Brown-Séquard. — Journal de Physiologie, t. II,
p. 77, 1859).
52 EXPERIENCES DE MM. ERB, ZIEMSSEN, ETC.
lesquelles nous reviendrons par la suite, semblent montrer
que les lésions dont il s'agit sont, pour une bonne partie,
de nature irritative. On pourrait être tenté, d'après cela,
suivant les errements de la théorie actuellement en vogue,
de considérer ces lésions comme la conséquence plus ou
moins directe d'une paralysie des nerfs vaso-moteurs con-
comitante de la paralysie des nerfs moteurs musculaires.
Parmi les arguments qu'on peut fait valoir contre cette ma-
nière de voir, nous nous bornerons à faire ressortir que les
signes nécessaires de la paralysie vaso-motrice, — la ré-
plétion des vaisseaux sanguins et l'élévation de la tempéra-
ture locale, — ne s'observent que très-exceptionnellement
chez les sujets qui, à la suite de la lésion d'un nerf, présen-
tent une paralysie avec diminution rapide de la contractilité
électrique.
Des faits assez nombreux montrent, au contraire, qu'en
pareil cas, la peau est, le plus souvent, pâle, anémiée, en
même temps que, dès l'origine, la température locale s'a-
baisse manifestement (1).
IL
Telle était, Messieurs, la solution de la question en litige
que je m'étais donnée, lorsque vinrent à ma connaissance
des recherches nouvelles faites en Allemagne ; les résultats
de ces recherches où de nombreuses expériences, instituées
chez les animaux, sont mises en parallèle avec les faits pa-
thologiques, me parurent, au premier abord, devoir ruiner
tout l'édifice. En effet, à en juger d'après les conclusions
formulées par les auteurs, l'opposition entre les lésions pas-
sives et les lésions irritatives des nerfs, au point de vue de
(l) Duchenne (de Boulogne), loc cit., p. 234. — Mitchell, loc. cit., p. 134.
— Folet. Etude sur la température des parties paralysées. Paris, 18G7,
p. 7.
EXPÉRIENCES DE MM. ERB. ZIEMSSE.V ETC. 53
leurs effets sur la contractilité et sur la nutrition des mus-
cles, ne serait rien moins que fondée. Je commencerai par
déclarer que les expériences auxquelles je fais allusion,
instituées par M. Erb (1868), et dans le même temps, bien
que d'une manière indépendante, par MM. Ziemssen et 0.
Weiss, paraissent avoir été conduites avec le plus grand
soin. Nous aurons à voir si elles ont bien la signification qui
leur a été attribuée.
Des lésions de nerfs, variées — écrasement, ligature,
section dans un très-petit nombre de cas — étant produites
sur des lapins, il s'agissait d'observer quotidiennement les
modifications de la contractilité électrique qui apparaissent
du côté des nerfs et du coté des muscles, sous l'influence
des courants continus et de la faradisation, interrogés
tour à tour. L'électrisation était pratiquée tantôt à tra-
vers la peau, comme on le fait en médecine, tantôt di-
rectement, ainsi qu'on procède en physiologie. M. Erb
s'était, en outre, donné pour tâche de suivre, autant que
possible, jour par jour, les altérations histologiques qui
correspondent aux changements de l'excitabilité électrique.
Examinons en premier lieu les phénomènes observés
dans ces expériences sur les nerfs lésés. Supposons qu'on
ait blessé, en l'écrasant à l'aide d'une pince, le nerf sciati-
que d'un lapin. La lésion peut être très-prononcée ou lé-
gère. Est-elle très-prononcée, on constate une perte pres-
que immédiate de l'excitation électrique, que l'on ait recours
à la faradisation ou au galvanisme. Lors de la régénéra-
tion du nerf, le retour de l'excitabilité est lent pour le bout
central ; il est rapide, au contraire, pour le bout périphéri-
que. La lésion est-elle légère, l'excitabilité électrique revient
promptement vers le bout central, jamais elle n'a cessé
d'exister d'une façon complète sur le bout périphérique.
Vous voyez que ces premiers résultats ne s'éloignent pas
sensiblement de ceux obtenus dans les expériences ancien-
nes, puisqu'il était également établi par ces expériences que
le nerf coupé perd son excitabilité dès les premiers jours.
54 EXPÉRIENCES DE MM. ERB, ZIEMSSEN, ETC.
Etudions maintenant les phénomènes qui, dans les nou-
velles expériences, sont mis en évidence par l'exploration
électrique des muscles. Ici, Messieurs, les résultats s'éloi-
gnent notablement de ceux fournis par les expériences an-
ciennes et se rapprochent au contraire beaucoup des faits
pathologiques.
Ainsi, l'exploration faradique fait découvrir, dès les pre-
miers jours, une diminution, et, quelques jours plus tard —
cinq à quatorze jours dans les cas intenses — la perte de la
contractilité.
Ce n'est pas tout. L'exploration galvanique dénote, elle
aussi, dans les premiers jours, un affaiblissement des con-
tractions musculaires ; mais, à partir delà fin de la seconde
semaine, à cet affaiblissement succède une exaltation qui
persiste pendant tout le temps que se maintient la dépres-
sion faradique, et qui disparaît à son tour quand la faradi-
sation redevient puissante.
Les lésions musculaires qui correspondent à ces modifi-
cations de la contractilité électrique ont été étudiées avec
grand soin par M. Erb ; elles méritent à beaucoup d'égards
de porter la dénomination de cirrhose des muscles proposée
par M. Mantegazza (1).. Elles rappellent absolument celles
qu'a signalées M. Erb dans les cas de paralysie faciale qu'il
a observés chez l'homme.
C'est dans le tissu conjonctif interstitiel que se montrent
les premiers changements ; dès la première semaine, il s'y
accumule de nombreux éléments cellulaires, arrondis, rap-
pelant le tissu de granulation, lesquels, plus tard, prennent
une forme allongée, disparaissent et font place à du tissu
conjonctif ondulé. Les faisceaux musculaires ne commen-
cent à présenter d'altérations que vers la deuxième se-
maine. A cette époque, on peut constater déjà que le dia-
mètre de ces faisceaux s'est amoindri ; cette atrophie va
(l) Voir la note, p. 'il.
EXPÉRIENCES DE MM. ERB, ZIEMSSEN, ETC. 55
rapidement en progressant. Cependant, la striation trans-
versale persiste et jamais les fibres n'offrent de traces des
altérations de la dégénération granulo-graisseuse. Par
contre, de très-bonne heure, les noyaux du sarcolemme
se multiplient et se groupent sous forme de petits agré-
gats, en même temps que la substance contractile offre à
divers degrés les modifications connues sous le nom de dé-
génération cireuse1.
Tels sont les phénomènes signalés à la suite de lésions
de nerf, qui, suivant nos auteurs, équivaudraient à des
sections complètes. Eh bien! je n'hésite pas à le dire, cette
assimilation est loin d'être à l'abri de la critique. Les ré-
sultats obtenus par M. Erb et par M. Ziemssen sont relatifs
à des conditions comparables, sans aucun doute, à celle que
la pathologie nous offre, mais nullement à celles que l'on
déterminait dans les anciennes expériences. Rappelons, en
effet, comment ces observateurs ont procédé dans la grande
majorité des cas. Presque toujours, ils appliquaient sur le
nerf une ligature plus ou moins serrée, ou encore ils pro-
duisaient, à l'aide d'une pince, un écrasement plus ou
moins prononcé du nerf. Or, ne sont-ce pas là des circons-
tances suffisantes déjà pour faire présumer que l'irritation
des filets nerveux a pu intervenir ici comme elle intervient,
suivant nous, dans les cas pathologiques ?
Mais il ne s'agit pas là d'une simple présomption : l'exis-
tence d'une inflammation occupant non seulement le voi-
sinage des points soumis à l'écrasement, mais bien toute
la longueur de la partie périphérique du neri' lésé, est mise
hors de doute par les descriptions même du docteur Erb.
C'est le névrilemme surtout qui porte les caractères du pro-
cessus inflammatoire ; dès la première semaine, des élé-
ments cellulaires arrondis, présentant un seul noyau, s'y
montrent accumulés en grand nombre. A une période plus
avancée, une couche plus ou moins épaisse de tissu fibreux
se trouve interposée aux libres nerveuses qui ont subi les.
diverses phases de la dégénération granulo-graisseuse, et.
56 ÉCRASEMENT ET LIGATURE DES NERFS.
en conséquence, le cordon nerveux a acquis une consis-
tance qui lui permet de résister, bien plus qu'à l'état nor-
mal, à la dilacération.
Il nous paraît rationnel d'admettre que, dans ces expé-
riences, comme dans les cas relatifs à l'homme, les lésions
irritatives dont les nerfs sont le siège retentissent jusque
sur les muscles. A la vérité, il peut paraître difficile de
concevoir qu'un nerf ayant subi les altérations de la
dégénération granulo-graisseuse et# privé de motricité,
possède encore un certain degré de vitalité ; qu'il soit ca-
pable, sous l'influence d'une lésion irrita tive, de réagir sur
la fibre musculaire et d'y déterminer des troubles trophiques.
Il y a lieu de faire remarquer à ce propos que l'irritation
du nerf date vraisemblablement du moment même où il a
été soumis à la ligature ou à l'écrasement. Il est certain,
d'un autre côté, que la vitalité est loin d'être définitivement
éteinte dans les nerfs complètement séparés du centre ner-
veux, puisqu'ils peuvent se régénérer sans qu'il y ait réu-
nion du bout périphérique au bout central (1). D'ailleurs
c'est par hypothèse seulement et sans preuve directe qu'on
admet que les tubes nerveux, dépouillés du cylindre de
myéline et réduits au. cylindre d'axe, sont dénués de toute
espèce de propriété vitale.
Nous ne devons pas oublier, toutefois, que la ligature et
l'écrasement du nerf ne sont pas les seuls moyens qui aient
été mis en œuvre dans les expériences d'Erb et de Ziems-
sen. Ces auteurs ont aussi pratiqué des sections et des exci-
sions de nerf, à la vérité dans un nombre de cas relative-
ment très-restreint. Us admettent que les résultats sont
toujours identiques, qu'il s'agisse de la section complète ou
de l'écrasement. Mais si l'on remonte jusqu'aux détails des
observations, il n'est pas difficile de reconnaître que cette
conclusion ne saurait être admise sans réserve. Nous trou-
(l) Vulpian. — Système nerveux, loc. cit., p. 269
SECTION ET EXCISION DES NERFS. oT
vons en particulier dans le travail de Ziemssen un chapitre
qui, cà cet égard, est tout-à-fait significatif. Il s'y agit de cas
dans lesquels on a pratiqué l'excision du nerf sciatique
dans l'étendue de quelques millimètres. Or, les résultats
obtenus à la suite d'une telle lésion sont bien différents de
ceux que cet auteur et M. Erb ont observés à la suite de
la ligature et de l'écrasement du nerf ; ils se rapprochent,
à beaucoup d'égards, des faits signalés dans les expé-
riences des physiologistes : ainsi, en premier lieu, la con-
tractilité électrique, à la suite de l'excision, diminue d'une
manière progressive, mais très-lentement ; ce n'est qu'au
bout de plusieurs mois qu'elle paraît abolie, et non plus du
cinquième au quatorzième jour, comme lorsqu'il s'agissait
de l'écrasement. En second lieu, on ne rencontre plus ici
cette opposition entre les effets de la faradisation et ceux
de la galvanisation qu'on remarquait dans le cas d'écra-
sement et qui existe, vous ne l'avez pas oublié, dans la
plupart des faits pathologiques observés chez l'homme. Les
deux modes d'exploration produisent, au contraire, des
effets exactement parallèles : la contractilité faradique et
la contractilité galvanique s'affaiblissent ensemble et en-
semble se reproduisent avec leur intensité première, lors
de la restauration du nerf qui, à la vérité, se fait longtemps
attendre (1).
(l) Comparez dans le mémoire de Ziemssen et Weiss (loc. cit., p. 589)
l'observation n° II, fig. 3, qui est relative à un cas de ligature du nerf tibial
antérieur chez le lapin, avec l'observation n° II (p. 593) où il s'agit de l'exci-
sion du nerf sciatique également chez un lapin. Dans le premier cas, la con-
tractilité faradique paraît éteinte, dès le 12e jour après l'opération ; par con-
tre, la contractilité galvanique s'est exaltée dès le second jour,et elle se main-
tient à un niveau très-élevé jusqu'au moment où le taux de la contractilité
faradique se rapproche de l'état normal (44e jour). Dans le second cas, au
contraire, la contractilité faradique et la contractilité galvanique s'affaiblis-
sent parallèlement d'une manière progressive, mais très-lentement. Elles
cessent d'être manifestes à peu près simultanément, seulement vers le milieu
du 3e mois, et reparaissent ensemble quatre mois et demi environ après
leur disparition. Voici d'ailleurs dans quels termes s'expriment MM. Ziems-
sen et O. Weiss à propos des effets de l'excision du nerf sciatique : « Chez
58 SECTION ET EXCISION DES NERFS.
Si je ne me trompe, on peut conclure de cet exposé que,
quand il s'agit de la section complète ou de l'excision des
nerfs, les observations récentes concordent, pour les points
essentiels, avec les observations anciennes. D'un autre côté,
les résultats obtenus par MM. Erb et Ziemssen, chez les
animaux à la suite de l'écrasement ou de la ligature des
troncs nerveux, sont comparables aux accidents qui se
produisent chez l'homme, en conséquence des lésions irri-
tatives des nerfs mixtes ou purement moteurs.
Or, s'il en est ainsi, les dissidences que nous signalions
au début de cette étude, se trouvent aplanies, et par suite,
il y a lieu de reconnaître, à propos des affections des mus-
cles, la distinction fondamentale entre les effets de f ab-
sence d'action et ceux de V action morbide du système
nerveux, que nous avons fait valoir déjà, à propos des
affections cutanées et articulaires (1).
les animaux » « auxquels cette opération avait été pratiquée » « l'excitabilité
galvanique s'affaiblissait progressivement, et cet affaiblissement n'était pas
précédé par un stade d'accroissement. Il marchait lentement, du même pas
que l'affaiblissement de l'excitabilité farado-musculaire. L'excitabilité gal-
vanique disparaissait dans la seconde moitié du 3e mois pour reparaître vers
le 7e ou le 8e mois. » [Loc. cit., p. 592 et 593.)
(l) Des expériences récentes de M. Vulpian [Archives de physiologie, t. IV,
1871-1872, p. 757, 758), confirmatives sur presque tous les points de celles de
MM. Erb et Ziemssen, établissent que les effets de la section des nerfs pé-
riphériques sur les propriétés physiologiques et la structure des muscles, ne
diffèrent pas essentiellement de ceux que détermine l'application des divers
moyens d'irritation — écrasement local, ligature, cautérisation — sur ces
mêmes nerfs. D'un autre côté, les observations histologiques de MM. Neu-
mann [Arch. f. Beilhmde, Leipsig, 1868), Ranvier (Comptes-rendus de
V Académie des sciences, 30 décembre 1872), Eichorst (Virchotv's Archiv, 1874,
12 décembre), ont mis hors de doute que, dans l'extrémité périphérique du
nerf sectionné, il se produit constamment des altérations (multiplication des
cellules du segment inter-annulaire) qui révèlent un processus irritatif.
L'opposition entre les effets de la section et ceux de l'irritation des nerfs
ne saurait plus être, d'après cela, maintenue dans les termes rigoureux où
elle a été présentée dans cette leçon. (Note de la 2e édition.)
LESIONS DE LA MOELLE EPINIERE.
TROUBLES TROPÏÏIQUES CONSÉCUTIFS AUX LÉSIONS
DE LA MOELLE ÉPINIÈRE.
Les lésions irritatives des centres nerveux, comme celles
des nerfs, ont le pouvoir de produire à distance des trou-
bles trophiques dans diverses parties du corps. Dans l'ex-
posé de ces altérations consécutives que nous allons vous
présenter, nous retrouverons, à quelques nuances prés,
toute la série des affections que nous avons vues se mani-
fester à la suite des lésions des nerfs et dont l'histoire,
déjà connue, facilitera singulièrement la tâche qu'il nous
reste à accomplir.
D'une façon générale, Messieurs, on peut dire que la
peau, les muscles, les articulations, les os, les viscères,
enfin, peuvent devenir le siège de troubles trophiques va-
riés, consécutivement aux lésions de la moelle épinière et
du cerveau.
Nous traiterons en premier lieu des affections muscu-
laires, puisque l'étude que nous venons de terminer nous
a mis sur la voie. Les considérations que nous allons déve-
lopper relativement à ces affections, concernent seulement
les lésions de la moelle et du bulbe, car il est au moins fort
douteux que les lésions du cerveau proprement dit aient
jamais pour résultat, de produire directement l'altération
du tissu musculaire. C'est même là, nous le reconnaîtrons
en temps et lieu, un fait de la plus haute importance.
Lésions musculaires consécutives aux affections de la
moelle épinière. — Parmi les lésions spinales de nature
irritative, il en est qui déterminent très-rapidement tous les
modes d'altération musculaire, fonctionnels ou organiques,
que nous avons appris à connaître, comme conséquence
60 MYOPATHIES CONSÉCUTIVES.
des lésions des nerfs: il en est d'autres, au contraire, dans
lesquelles la contractilité électrique et l'état trophique des
muscles, se conservent en parfaite intégrité pendant un
laps de temps relativement considérable, des mois, par
exemple, ou même parfois des années. Le muscle, dans ce
dernier cas, ne s'altère qu'à la longue, sous l'influence de
l'inertie fonctionnelle à laquelle les membres, paralysés du
mouvement, se trouvent condamnés. A ce point de vue, il
y a lieu d'établir, parmi les maladies spinales irritatives,
deux groupes bien distincts, que nous passerons successi-
vement en revue.
A. Dans le premier groupe, nous rangeons celles des lé-
sions irritatives de la moelle qui, dans la règle, ne modi-
fient pas directement la nutrition des muscles. Elles ont
un caractère commun : toutes tendent à se limiter aux fais-
ceaux de substance blanche, et si, parfois, l'axe gris est en-
vahi, elles respectent la région des cornes antérieures, ou
épargnent tout au moins les grandes cellules nerveuses
multipolaires qui siègent dans cette région. Telles sont les
diverses formes de la sclérose fasciculée : que celle-ci soit
protopathique ou au contraire consécutive à une lésion en
foyer du cerveau ou de la moelle épinière ; qu'elle occupe
exclusivement soit les faisceaux postérieurs, soit les fais-
ceaux latéraux, ou, simultanément, ces deux ordres de
faisceaux, tant que la condition expresse qui vient d'être
signalée, à savoir l'intégrité des grandes cellules nerveu-
ses,se trouve remplie, les lésions dont il s'agit peuvent
atteindre leur plus haut degré de développement, envahir,
par exemple, les faisceaux blancs dans toute leur épais-
seur et dans toute leur étendue en hauteur , sans que les
muscles, animés par les nerfs issus des points lésés de la
moelle, souffrent directement clans leur nutrition (1).
(1) Charcot et Jofïïoy. — Deux cas d'atrophie musculaire progressive avec
lésion de la substance grise et des faisceaux antéro-latéraux de la moelle épi-
nière, in Archives de Physiologie, t. II, p. 635.
MYOPATHIES CONSECUTIVES.
61
Le tableau changerait nécessairement si, dépassant les
limites qui lui sont habituellement assignées, le processus
irritatif venait à s'étendre des faisceaux blancs aux cornes
antérieures de la substance grise ; alors on pourrait voir
survenir, en conséquence de la participation des cellules
motrices, une atrophie plus ou moins rapide et plus ou
moins prononcée des muscles. C'est, ainsi que je l'ai fait
voir (1), d'après ce mécanisme , que les symptômes de la
paraljrsie générale spinale ou de l'amyotrophie progressive
se surajoutent quelquefois aux symptômes classiques de la
sclérose des cordons latéraux, etc. Tout récemment encore
nous avons observé plusieurs faits de ce genre, où il nous a
été donné de reconnaître nécroscopiquement, de la manière
la plus nette, l'altération des cellules nerveuses à laquelle
doit être rattachée, suivant moi, la lésion trophique des
muscles (2) .
(1) Charcot et Joffroy, loc. cit., p. 354.
(2) Voir, entre autres, le fait récemment publié par un de mes élèves,
M. Pierret. — Sur les altérations de la substance grise de la moelle épinière
Fig. 1. — Cette figure est relative au cas publié par M. Pierret et résumé ci-après.
Elle représente une coupe transversale de la moelle épinière fiite dans le renfle-
ment lombaire. A, Racines postérieures. B, faisceaux radiculaires internes traversant
l'aire des cordons postérieurs. On voit la sclérose limitée dans les cordons posté-
62 MYOPATHIES CONSÉCUTIVES.
La sclérose en plaques disséminées (1) les scléroses
diffuses, reconnaissent la même règle. On peut en dire
autant des myélites partielles primitives ou de celles que
détermine la compression exercée par une tumeur, par le
mal vertébral de Pott, etc. Ces diverses affections n'ont
rieurs au parcours de ces faisceaux. A droite, le processus phlegmasique s'est
étendu ensuivant le trajet des faisceaux radiculaires, jusqu'à la corne antérieure
droite, C. Cette corne a subi, dans tous ses diamètres, une réduction très-mani-
feste ; de plus, le groupe externe des cellules motrices a complètement disparu et
l'on voit à sa place un tissu dense, opaque, d'apparence rlbroïde et parsemé de
nombreux myélocytes.
dans Vataxie locomotrice considérées dans leurs rapports avec l'atrophie mus-
culaire qui complique quelquefois cette affection. In Archives de Physiolo-
gie, etc., t. III, p. 599. Dans ce cas, le travail phlegmasique s'était étendu des
cordons postérieurs à la corne antérieure de substance grise du côté droit en
suivant la voie des faisceaux radiculaires internes du côté correspondant.
L'atrophie musculaire consécutive était exactement limitée aux membres
droits. (Voir la Fig. 1.) — Voici maintenant l'exposé sommaire d'un cas qui
montre bien par quel mécanisme la sclérose fasciculée consécutive unilatérale
peut, en s'étendant à la substance grise, déterminer l'atrophie musculaire.
Une femme, âgée d'environ 70 ans, avait été frappée d'hémiplégie gauche
consécutivement à la formation d'un foyer sanguin dans l'hémisphère céré-
bral droit. Les membres du côté paralysé, qui, de très-bonne heure, avaient
été pris de contracture, commencèrent à diminuer de volume, deux mois à
peine après l'attaque. L'atrophie musculaire était uniformément répandue
sur toutes les parties des membres paralysés ; elle s'accompagnait d'une di-
minution très-notable de la contractilité électrique et progressa rapidement.
Dans le temps même où l'atrophie se prononçait, la peau des membres du
côté gauche présenta, sur tous les points soumis à la plus légère pression,
des bulles qui bientôt firent place à des eschares. A l'autopsie, nous re-
connûmes, sur des coupes durcies de la moelle, que la sclérose fasciculée
descendante du cordon latéral gauche, s'était propagée à la corne antérieure
de la substance grise du côté correspondant et y avait déterminé l'atrophie
d'un certain nombre de cellules motrices.
(l) Chez une femme atteinte de sclérose multiloculaire cérébro-spinale,
que nous avons observée il y a quelques années, l'une des plaques sclé-
reuses avait envahi, vers le milieu de la région cervicale, la presque totalité
de la substance grise de la moelle, dans une certaine étendue en hauteur, et
plus particulièrement, les cornes antérieures. Les cellules nerveuses pré-
sentaient à ce niveau, pour la plupart, des lésions atrophiques profondes ;
bon nombre d'entre elles avaient même disparu sans laisser de traces. Chez
cette femme, les mains avaient offert la déformation connue sous le nom de
griffe; les muscles des éminences thénar et hypothénar, les interosseux
étaient atrophiés : les avant-bras présentaient également une atrophie très-
marquée, limitée à certains groupes de muscles.
MYOPATHIES CONSÉCUTIVES. 63
pas d'influence directe sur la nutrition des muscles tant
qu'elles n'intéressent pas le système des cellules nerveuses
motrices. On ne conçoit guère d'exception que pour le cas,
d'ailleurs assez rare, où la lésion, bien que circonscrite aux
cordons blancs, occuperait la partie de ces cordons que tra-
versent les faisceaux de tubes nerveux d'où émanent les
racines antérieures. Pour peu que ces faisceaux prissent
part à l'altération, il se produirait là, nécessairement,
l'équivalent d'une lésion affectant les nerfs périphéri-
ques (1).
B. Le second groupe comprendra les affections de la
moelle épinière qui ont pour conséquence, à peu près iné-
vitable, de déterminer des troubles plus ou moins profonds
dans la nutrition des muscles. Ce groupe comporte deux
sous-divisions :
1° La première est relative aux lésions en foyer ou dif-
fuses, à marche aiguë ou subaiguë, qui intéressent, dans
une grande étendue en hauteur, à la fois la substance
blanche et la substance grise, mais prédominant cependant,
(l) A propos des myélites partielles, soit protopathiques, soit déterminées
par le voisinage d'une tumeur, il y a lieu de présenter la remarque suivante:
Elles siègent le plus communément sur un point de la région dorsale de la
moelle épinière qu'elles occupent dans une très-petite étendue en hauteur. Il
résulte de cette disposition que si, d'une façon primitive ou par suite de
l'extension concentrique du processus morbide, les cornes antérieures de la
substance grise se trouvent intéressées, les lésions musculaires qui sont la
conséquence de cette participation de l'axe gris, resteront limitées à certaines
régions très-circonscrites du thorax ou de l'abdomen même et pourront ne se
révéler pendant la vie, par aucun symptôme appréciable. Toujours la nutri-
tion des muscles des membres est, à moins de complication, parfaitement
indemne lorsque la myélite partielle affecte le siège qui vient d'être indiqué.
Il en serait tout autrement dans le cas où un foyer de myélite, même très-
circonscrit, occuperait certaines parties du renflement cervical ou du renfle-
ment lombaire. Les lésions musculaires qui pourraient survenir consécuti-
vement à l'envahissement des cornes antérieures de la substance grise, sié-
geraient alors dans les membres et se traduiraient par des troubles fonction-
nels et par des modifications dans la forme des parties qui ne resteraient pas
longtemps inaperçues.^
64 MYOPATHIES CONSÉCUTIVES.
en général, dans celle-ci. Elles sont habituellement suivies
de modifications profondes de la contra ctili té électrique, et
d'une atrophie à développement rapide de la fibre muscu-
laire. — Je citerai, en premier lieu, la myélite aiguë cen-
trale. Lorsqu'elle est quelque peu généralisée et qu'elle oc-
cupe, par exemple, une bonne partie du renflement dorso-lom-
baire; la diminution hâtive de la contractilité électrique des
muscles des membres inférieurs est un symptôme qui ne
lui fait peut-être jamais complètement défaut. M. Mannkopf
a vu, dans un cas de ce genre, la contractilité électrique,
déjà notablement modifiée, sept jours après le début des
premiers accidents (1). Quand les malades ne sont pas en-
levés trop rapidement, on peut suivre le. développement
des phénomènes corrélatifs : l'atrophie des masses muscu-
laires s'accuse bientôt ; les lésions histologiques des fais-
ceaux primitifs deviennent prompte ment appréciables.
D'après MM. Mannkopf (2) et Engelken (3), ces lésions sont
remarquables surtout par la prolifération des noyaux du
sarcolemme. En somme, elles portent la marque d'un pro-
cessus irritatif. La dégénération graisseuse des faisceaux
primitifs est là, encore, un fait exceptionnel. Quant aux
nerfs qui se rendent aux muscles affectés, examinés plu-
sieurs fois par M. Mannkopf, tantôt ils ont été trouvés sains,
tantôt ils ne présentaient que des altérations relativement
légères et nullement en rapport d'intensité avec les lésions
des muscles (4).
L'apoplexie spinale [hêmatomyèlie) doit être mentionnée
en second lieu. Il s'agit là d'une affection qui, au point de
vue de la pathogénie et de l'anatomie pathologique, diffère
essentiellement de l'hémorrhagie intra-encéphalique vul-
gaire ; car, d'ordinaire, dansl'hématomyélie, l'épanchement
(1) Mannkopf. — Amtlicher Bericht iïber die Versammlung Deustcher Na-
turforscher und Aerzte zu Hannover, p. 251. Hannover, 1866.
(2) Loc. cit.
(3) H. Engelken. — Beitrâge zurPatholog. der aruten Myelitis. Zurich, 1867.
(4) Voir à ce sujet ce qui a été dit dans la présente leçon, p. 41.
LESIONS DES CELLULES NERVEUSES MOTRICES. Go
s'opère au sein de tissus déjà préalablement modifies par un
travail inflammatoire. Le sang se répand surtout dans l'axe
gris, qu'il envahit assez souvent dans la plus grande partie
de sa longueur. Lorsqu'il en est ainsi, la diminution ou
même l'abolition de la contractilité électrique, survenant
hâtivement dans les muscles des membres frappés de para-
lysie, est un symptôme qui parait constant. Il a été constaté
quatorze jours après le développement des premiers acci-
dents, dans un cas de Levier (1); le jour même de l'attaque
dans un cas de Colin (?) ; dès le neuvième jour dans un fait
rapporté par Duriau (2). L'apoplexie spinale est une affec-
tion en général rapidement mortelle ; elle n'a pas encore
fourni l'occasion de constater la lésion histologique des
faisceaux primitifs et l'atrophie des masses musculaires qui
ne manqueraient sans doute pas de se produire, si la vie se
prolongeait.
C'est vraisemblablement, Messieurs, en produisant une
irritation de la moelle épinière qui, partielle d'abord, tend
bientôt à se généraliser, que les fractures et les luxations
de la colonne vertébrale peuvent avoir pour effet de dé-
terminer, ainsi que l'a observé M. Duchenne (de Boulogne),
une prompte diminution de la contractilité électrique dans
les muscles des membres paralysés (3).
2° Les affections qui composent la seconde catégorie re-
lèvent de lésions plus délicates ; ces lésions, en effet, sont
limitées d'une façon pour ainsi dire systématique à la subs-
tance grise des cornes antérieures dont elles envahissent
(1) Levier. — Beitrâge zur Pathologie der RûckenmarJisapoplexie. Inau-
guraldisscrtation. Bern, 1864.
(2) Duriau — Union médicale, t. I, 1859, p. 308.
(3) Voir Duchenne (de Boulogne). — Obs. p. 246, loc. cit. : fracture de
la colonne vertébrale vers le milieu de la région dorsale. — Moelle épinière
ramollie dans l'étendue de plusieurs pouces, au niveau de la région dorso-
lombaire. — Affaiblissement de la contractilité électrique dès le sixième jour
après l'accident.
Charcot, t. i, 3e éd. 5
66
LESIONS DES CELLULES NERVEUSES MOTRICES.
rarement toute retendue ; on les voit se localiser, souvent
assez exactement, dans l'espace ovalaire très-circonscrit
qu'occupe un groupe ou agrégat de cellules motrices [Fig. 2).
I
F^. 2. — Coupe de la moelle faite à la région lombaire. — A, corne antérieure gau-
che, saine. — a, noyau ganglionnaire sain. — B, corne antérieure droite, malade. —
b, noyau ganglionnaire médian dont les cellules sont détruites et qui est représenté
par un petit foyer de sclérose.
La névroglie, dans les points altérés, devient d'habitude
plus opaque, plus dense, parsemée de nombreux myélocy tes
et porte, par conséquent, les marques d'un travail inflam-
matoire. En même temps, les cellules nerveuses présentent
divers degrés et divers modes de dégénération atrophique.
Mais quels ont été les éléments affectés en premier lieu?
Tout porte à croire que ce sont les cellules nerveuses. On
comprendrait difficilement, en effet, que l'altération pût se
montrer étroitement localisée dans le voisinage des cellules
si elle avait son point de départ dans la névroglie. Il est des
LÉSIONS DES CELLULES NERVEUSES MOTRICES. 67
cas d'ailleurs, où l'atrophie d'un certain nombre, voire
même d'un groupe tout entier, de cellules nerveuses, est la
seule altération que l'examen histologique permette de
constater, la trame conjonctive ayant, dans ces points-là,
conservé la transparence, et, à peu de chose près, tous les
caractères de la structure normale. Il est, de plus, d'autres
cas non moins significatifs où les lésions de la névroglie se
montrent beaucoup plus accusées vers les parties centrales
d'un agrégat de cellules nerveuses, que dans les parties pé-
riphériques, beaucoup plus accentuées également au voisi-
nage immédiat des cellules que dans les intervalles qui les
séparent, de telle sorte que ces dernières paraissent comme
autant de centres ou foj'ers, d'où le processus inflamma-
toire aurait rayonné, à une certaine distance, dans toutes
les directions. On ne saurait admettre, d'un autre côté, que
l'irritation se soit originellement développée sur les parties
périphériques et qu'elle ait remonté jusqu'aux parties cen-
trales par la voie des racines antérieures des nerfs, car ces
dernières, en général, ne présentent, au niveau des points
altérés de la moelle épinière, que des lésions relativement
minimes et nullement proportionnées, quant à l'intensité,
aux lésions de la substance grise. Il parait évident, d'après
tout ce qui précède, que les cellules nerveuses motrices sont
bien réellement le siège primitif du mal. Le plus souvent,
le travail d'irritation gagne ensuite, secondairement, la né-
vroglie et s'étend de proche en proche aux diverses régions
des cornes antérieures; mais cela n'est nullement néces-
saire ; à plus forte raison, faut-il considérer comme un fait
consécutif et purement accessoire, l'extension, observée dans
certains cas, du processus morbide aux faisceaux antéro-
latéraux, dans le voisinage immédiat des cornes antérieures
■de la substance grise (1).
(l) Les vues qui viennent d'être émises relativement au rôle de l'altération
des cellules nerveuses, dites motrices, dans la pathogénie de l'atrophie mus-
culaire progressive, de la paralysie infantile, de la myélite aiguë centrale,
68 PARALYSIE INFANTILE SPINALE.
La paralysie infantile spinale est, quant à présent, le
type le plus parfait des affections qui forment cette caté-
gorie. Les nombreuses recherches dont les lésions spinales
auxquelles elles se rattachent ont été l'objet, dans ces der-
niers temps, en France, concordent toutes à signaler
comme un fait essentiel, l'altération profonde d'un grand
nombre de cellules motrices, dans les régions de la moelle
d'où émanent les nerfs qui se rendent aux muscles para-
lysés (1). Dans le voisinage des cellules atrophiées, le ré-
seau conjonctif présente, à peu près toujours, les traces
manifestes d'un processus inflammatoire. D'après l'ensemble
des phénomènes, on est conduit à admettre, comme une
hypothèse très-vraisemblable, que, dans la paralysie infan-
tile spinale, un travail d'irritation suraiguë s'empare tout
à coup d'un grand nombre de cellules nerveuses et leur
fait perdre subitement leurs fonctions motrices. Quelques
cellules, légèrement atteintes, récupéreront quelque jour
leurs fonctions et cette phase répond à l'amendement des
symptômes qui se produit toujours à une certaine époque
de la maladie, mais d'autres ont été plus gravement com-
promises et l'irritation dont elles étaient le siège s'est trans-
mise par la voie des nerfs jusqu'aux muscles paralysés qui,
en conséquence, ont subi des lésions trophiques plus ou
et en général de toutes les amyotrophies de cause spinale, ont été exposées
dans une leçon que j'ai faite à La Salpétrière, en juin 1868. — Comparez :
Hayem. Archiv. de Physiologie, 1869, p, 263. — Charcot et Joffroy, id.,
p. 756. — Duchenne (de Boulogne) et Joffroy, id., 1870. — Ces vues ont
été utilisées dans l'ouvrage récent de M. Hammond : A. Treatise on Diseases
of the nervous System. Sect. IV. Diseases of Nerve Cells., p. 683. New-
York, 1871.
(l) Sur l'atrophie des cellules nerveuses motrices, dans la paralysie in-
fantile, consultez : Prévost, in Comptes rendtts de la Société de Biologie,
1866, p. 215. — Charcot et Joffroy. Cas de paralysie infantile spinale, avec
lésions des cornes antérieures de la substance grise de la moelle épinière, in
Archiv. de Physiolog., p. 135, 1870, pi. V et VI. — Parrot et Joffroy, id.,
p. 309. — Vulpian, id., p. 316. — H. Roger et Daraaschino. Recherches
anatomiques sur la paralysie spinale de l'enfance. [Gaz. médicale, n°* 41,
43 et suiv., 1871). (Voir Fig. 2).
ATROPHIE MUSCULAIRE PROGRESSIVE. 69
moins profondes (1). Quoi qu'il en soit, on sait que la di-
minution ou la perte même de la contractilité faradique
peut être constatée, sur certains muscles, cinq ou six jours
à peine après la brusque invasion des premiers symptômes.
L'émaciation des masses musculaires marche d'ailleurs
avec rapidité et devient bientôt manifeste. L'atrophie
simple des faisceaux primitifs avec conservation de la
striation en travers, et, sur quelques faisceaux isolés, les
marques d'une prolifération plus ou moins active des
noyaux du sarcolemme, telles sont les altérations que l'é-
tude histologique fait reconnaître dans les muscles lésés.
La surcharge graisseuse qui s'observe quelquefois, dans les
cas très-anciens, parait être un phénomène purement acci-
dentel (2).
L'atropJlie musculaire progressive offre à étudier l'atro-
phie irritative des cellules motrices dons son mode chro-
nique (3). Il ne s'agit plus ici d'un processus d'irritation
suraiguë envahissant les cellules nerveuses tout à coup et
en grand nombre : celles-ci sont affectées successivement,
une à une, d'une façon progressive; bon nombre d'entre
elles sont épargnées, même dans les régions le plus pro-
fondément atteintes, jusque vers les périodes ultimes de la
maladie. Le développement des lésions musculaires répond
à ce mode d'évolution des lésions spinales. Ainsi, il est rare
(1) Voir Charcot et Joffroy, loc. cit.
(2) Charcot et Joffroy, loc. cit. — Vulpian, loc. cit.
(3) Voir sur l'atrophie des cellules motrices dans l'atrophie musculaire
progressive •. Luys, Société de Biologie, 1860. — Duménil (de Rouen),
Atrophie musculaire graisseuse progressive, histoire, critique. Rouen, 1867. —
Nouveaux faits relatifs à la pathogénie de l'atrophie musculaire progressive,
in Gazette hebdom., Paris, 1867. — L. Clarke. On a case ofmuscular Atro-
phg, etc. British and foreign tnedico-Chirurgical Bevietv, July 1872. — A
case of muscular Atrophg, etc., in Beale's Archiv., t. IV, 1867. — On a
case ofmuscular Atrophg, in Medico-chir. Trans., t. IV, 1867. — 0. Schup-
pel. Ueber Hgdromyelus, in Archiv der Heilkunde. Leipzig, 186j, p. 289. —
Hayem, in Archiv. de Physiologie, 1869, p. 263, pi. 7. — Charcot et Joffroy,
in Archiv. de Physiologie, 1869, p. 355.
iO PARALYSIE GENERALE SPINALE.
que les troubles trophiques portent simultanément sur tous
les faisceaux primitifs d'un muscle ; il en résulte que celui-
ci pourra répondre tant bien que mal aux ordres de la vo-
lonté et se contracter encore sous l'influence des excitations
électriques, alors que son volume sera déjà très-notable-
ment réduit (1).
Il existe d'ailleurs au moins deux formes bien distinctes
de l'amyotrophie progressive liée à une lésion irritative
des cellules motrices. L'une, protopathique, relève exclu-
sivement de la lésion en question et celle-ci, développée
primitivement en conséquence d'une disposition originelle
ou acquise, tend fatalement à se généraliser. Dans l'autre
forme, sur laquelle nous appelions votre attention, il n'y a
qu'un seul instant, la cellule nerveuse n'est, au contraire,
affectée que secondairement, consécutivement à une lésion
des faisceaux blancs, par exemple, et pour ainsi dire d'une
manière accidentelle. L'amyotrophie, à marche progressive
dans ce second cas, peut être dite symptomatique ; elle a
moins de tendance à se généraliser et son pronostic est cer-
tainement moins sombre (2).
Relativement à la paralysie spinale de V adulte et à la
paralysie générale spinale (Duchenne, de Boulogne), l'a-
natomie pathologique n'a pas encore prononcé d'une ma-
nière définitive. Mais, à en juger par les symptômes, il est
au moins fort probable que ces affections se rattachent,
elles aussi, à une lésion des cellules nerveuses motrices.
La paralysie spinale de l'adulte rappelle celle de l'enfance
par l'invasion presque soudaine de la paralysie motrice,
par la tendance à la rétrogression que celle-ci présente à
un moment donné, par la diminution ou l'abolition de la
(1) Charcot. — Leçons faites à la Salpétrière en 1870. — Voir à ce sujet :
Hallopeau, in Archiv. de médecine , septembre 1871, pp. 277, 305.
(2) Sur les deux formes de l'amyotrophie progressive de cause spinale :
voir Charcot et Joffroy, in Archives de Physiologie, 1869, pp. 756, 757. —
Duchenne (de Boulogne) et Joffroy, in Archivesde Physiologie, 1870, p.49J>.
LÉSIONS DU BULBE RACHIDIEN. 71
contracjtilité faradique qui se manifeste hâtivement dans
un certain nombre de muscles paralysés et, enfin, par
l'atrophie rapide que ces mêmes muscles subissent, cons-
tamment, à un degré pins ou moins prononcé. Une évolu-
tion plus lente s'opérant suivant le mode sub-aigu ou chro-
nique, une tendance à la généralisation, marquée surtout
dans les premières périodes, des temps d'arrêt fréquents,
suivis de l'envahissement des parties non encore affectées,
distinguent, au contraire, la paralysie générale spinale et
la rapprochent de l'atrophie musculaire progressive avec
laquelle elle est quelquefois confondue, bien à tort, dans la
clinique. La première se sépare cependant nettement de la
seconde par les caractères suivants : les muscles de tout un
membre ou d'une partie d'un membre sont frappés en
masse, presque uniformément, de paralysie ou d'atrophie;
ils présentent, déjà à une époque peu éloignée du début de
la maladie, des modifications très-prononcées de la con-
tractilité électrique ; habituellement, enfin, une période de
retour survient, pendant laquelle les muscles atrophiés
récupèrent» au moins partiellement, leur volume et leurs
fonctions (1).
Lésions musculaires consécutives aux affections du
bulbe. — C'est là un sujet encore peu exploré. Cependant
des faits, aujourd'hui en certain nombre, empruntés à l'his-
toire de la paralysie labio-glosso-laryngée et de la sclérose
en plaques, tendent à établir que, dans le bulbe comme
dans la moelle épinière, les lésions irritatives des faisceaux
blancs n'ont pas d'influence directe sur la nutrition des
muscles ; tandis qu'au contraire celles qui portent soit sur
les agrégats de cellules motrices étages sur le plancher du
quatrième ventricule, soit sur les faisceaux de tubes ner-
veux émanant de ces agrégats, peuvent, ainsi que je l'ai
démontré, déterminer dans la langue, le pharynx, le la-
(l) Duehenne (de Boulogne). — De Vélectnsation localisée, 3e édition.
72 ROLE DES CELLULES NERVEUSES MOTRICES.
rynx, l'orbiculaire des lèvres, etc., une atrophie plus ou
moins accusée des fibres musculaires (1).
L'exposé sommaire qui vient d'être présenté suffira, je
l'espère, pour mettre en relief le rôle remarquable que,
suivant les recherches les plus récentes, les lésions des
cellules nerveuses antérieures jouent dans la production
des troubles trophiques musculaires consécutifs aux alté-
rations de la moelle épinière. Dans la pathogénie de la pa-
ralysie infantile et des diverses formes de l'amyotrophie de
cause spinale, ce rôle ne paraît pas douteux. Son influence
est certainement moins nettement démontrée, mais cepen-
dant fort vraisemblable encore, pour ce qui concerne l'hé-
matomyélie, la myélite aiguë centrale et, en un mot, toutes
les affections irritatives de la moelle dans lesquelles l'axe
gris se trouve intéressé. D'un autre côté, l'absence de toute
participation des faisceaux blancs et des cornes postérieures
de la substance grise, dans le développement des affections
musculaires dont il s'agit, est un fait qui s'appuie désormais
sur des preuves suffisamment nombreuses.
Cela étant reconnu, il y a lieu de rechercher, Messieurs,
pourquoi la lésion des cellules nerveuses motrices entraîne
avec elle celle des fibres musculaires, tandis que les alté-
rations irritatives, même les plus profondes, des faisceaux
blancs, n'ont aucune influence directe sur la nutrition des
muscles.
Relativement au premier point, on ne pourrait qu'imagi-
ner des hypothèses plus ou moins plausibles, mais évidem-
ment prématurées. Il n'y a pas à invoquer ici les renseigne-
ments de la physiologie expérimentale ; ses procédés, infé-
(l) Comparez : Charcot. — Note sur un cas de paralysie glosso-laryngée,
suivi d'autopsie, m archives de Physiologie, 1869, pp. 3o6 636, pi. XIII. Obs.
de Catherine Aubel. — Duchenne (de Boulogne) et Joffroy. De l'atrophie
aiguë et chronique des cellules nerveuses de la moelle et du bulbe rachidien.
{Archives de Physiologie, 1870, p. 499.)
ROLE DES CELLULES NERVEUSES MOTRICES. 73
rieurs sous ce rapport à ceux de la maladie, ne sont pas
assez délicats pour permettre d'atteindre isolément les cel-
lules nerveuses. Il faut donc se borner, pour le moment, à
enregistrer les laits tels' que nous les offre la clinique éclai-
rée par Fanatomie pathologique et à constater que — com-
parables en cela aux nerfs périphériques — les cellules
nerveuses motrices ont le pouvoir, lorsqu'elles sont deve-
nues le siège d'un travail d'irritation, de modifier à distance
la vitalité et la structure des muscles.
Pour ce qui est du second point, si l'on se reporte à ce
que nous avons dit des effets de l'irritation des nerfs, il
pourra sembler contradictoire, au premier abord, que la
nutrition des muscles ne soit pas affectée lorsque les fais-
ceaux blancs de la moelle sont occupés par l'inflammation.
Pour montrer que la contradiction n'est qu'apparente, il
suffira cependant de rappeler que, malgré l'analogie de
composition, les cordons blancs ne sont nullement assimi-
lables aux nerfs : l'expérimentation révèle, en effet, dans
ceux-ci. des propriétés qu'on ne trouve pas dans ceux-là,
et inversement. L'anatomie montre d'ailleurs que les tubes
nerveux qui constituent les nerfs ne sont que. pour une
part très-minime, la continuation directe de ceux qui, par
leur réunion, forment les faisceaux blancs. Ces faisceaux
paraissent presque entièrement composés de fibres qui,
nées soit dans l'encéphale, soit dans la moelle elle-même,
établissent, à la manière des commissures, des communica-
tions entre la moelle épinière et le cerveau, ou encore entre
les divers points de l'axe gris spinal. Il était à prévoir,
d'après cela, que, à beaucoup d'égards, les faisceaux blancs
de la moelle, sous l'influence des lésions irritatives, se com-
porteraient autrement que les nerfs périphériques.
Quand je me suis proposé d'exposer devant vous, Mes-
sieurs, les principaux faits relatifs aux troubles trophiques
qui se montrent consécutivement aux affections du système
nerveux, j'espérais que ma tâche pourrait être menée ta
74 IMPORTANCE DE L ETUDE DES TROUBLES TROPHIQUES.
bonne fin dans l'espace de deux leçons. Mais, à mesure que
j'avance dans cette exposition, l'importance et l'étendue de
la question se manifestent dans toute leur évidence. Je suis
loin d'avoir épuisé le sujet, malgré les développements
dans lesquels je suis entré déjà; j'ose espérer que vous
n'aurez pas à regretter le temps que nous devrons encore
lui consacrer.
TROISIÈME LEÇON
Troubles trophiques consécutifs aux lésions de la
moelle épinière et du cerveau {Suite.)
Sommaire. — Affections cutanées dans la sclérose des cordons postérieurs :
Eruptions papuleusesoulichénoïdes, urticaire,, zona, éruptions pustuleuses;
leurs relations avec les douleurs fulgurantes ; elles paraissent relever de
la même cause organique que les douleurs.
— Eschares à développement rapide [Decubitus acutus) dans les maladies du
cerveau et de la moelle épinière. — Mode d'évolution de cette affection
de la peau : Erythème, huiles, mortification du derme. — Accidents con-
sécutifs à la formation des eschares : a. Infection putride, infection pu-
rulente, embolies gangreneuses; b. Méningite ascendante purulente simple,
méningite ascendante ichoreuse. — Décubitus aigu dans l'apoplexie
symptomatique des lésions cérébrales en foyer. Il se manifeste sur les
membres frappés de paralysie, principalement à la région fessière ; son
importance au point de vue du pronostic. — Décubitus aigu dans les ma-
ladies de la moelle épinière : Il siège eu général à la région sacrée.
— Arthr.opathies qui dépendent d'une lésion du cerveau ou de la moelle
épinière. — A. Formes aiguës ou subaiguës : elles se montrent dans les
cas de lésion traumatique de la moelle épinière, dans la myélite par com-
pression (tumeurs, mal de Pott), dans la myélite primitive, dans l'hémi-
plégie récente, liée au ramollissement cérébral. Ces arthropathies oc-
cupent les jointures des membres paralysés. — B. Formes chroniques :
elles paraissent dépendre, comme les amyotrophies de cause spinale, d'une
lésion des cornes antérieures de l'axe gris ; on les observe dans la sclérose
postérieure (ataxie locomotrice) et dans certains cas d'atrophie musculaire
progressive.
Messieurs,
Lorsque j'ai traité des troubles de la nutrition détermi-
nés par les lésions des nerfs périphériques, je vous ai
laissé pressentir que ces affections consécutives se trou-
vaient représentées, pour la plupart, dans les cas de lé-
sions portant sur l'axe spinal. A la vérité, il ne s'agit pas
76 AFFECTIONS CUTANÉES DANS L'ATAXIE LOCOMOTRICE.
toujours ici d'une reproduction servile; en général même,
les troubles trophiques de cause cérébrale ou spinale,
ainsi que nous aurons plusieurs fois l'occasion de le cons-
tater, portent avec elles le cachet de leur origine. Mais il
est des circonstances où la ressemblance entre les affections
de cause centrale et celles qui dépendent d'une lésion des
nerfs périphériques est tellement frappante, que la dis-
tinction peut en être des plus difficiles. Nous citerons
comme exemple de ce genre certaines éruptions cutanées
qui surviennent parfois dans le cours de l'ataxie.
I.
Les affections cutanées auxquelles nous venons de faire
allusion peuvent être groupées ainsi qu'il suit : a) érup-
tions papuleuses ou lichénoïdes ; b) urticaire-, c) zona;
d) éruptions pustuleuses, ayant de l'analogie avec l'ec-
thyma.
Voici en quelques mots le résultat de mes observations
à ce sujet. Il n'est pas rare de voir la peau des jambes et
des cuisses se couvrir temporairement d'une éruption papu-
leuse ou lichénoïde, plus ou moins confluente à la suite
des accès de douleurs fulgurantes spéciales à l'ataxie loco-
motrice. Chez une femme actuellement en traitement à la
Salpétrière, d'énormes plaques d'urticaire se produisent à
chaque accès au niveau des points où siègent les douleurs
les plus vives. Chez une autre, la peau de la région fes-
sière droite s'est couverte d'une éruption de zona limitée
au trajet des filets nerveux occupés par les fulgurations
douloureuses. Une troisième malade, enfin, a présenté,
dans des circonstances analogues, des phénomènes encore
plus remarquables. Cette femme, âgée de 61 ans, admise,
il y a huit ans, à l'hospice comme aveugle (atrophie sclé-
reuse des nerfs optiques), est aujourd'hui atteinte d'ataxie
locomotrice bien caractérisée. Chez elle, la maladie a évo-
LEUR RELATION AVEC LES DOULEURS FULGURANTES. 77
lue d'une manière très-rapide, car les premiers accès de
douleurs fulgurantes datent du mois de mars 1865, et déjà,
en juillet 1866, l'incoordination était assez prononcée pour
rendre la marche difficile. Un de ces accès, qui eut lieu en
juin 1867, présenta une intensité exceptionnelle. Les dou-
leurs, qui étaient vraiment atroces, parurent fixées pen-
dant plusieurs jours sur le trajet des rameaux cutanés des
nerfs petit sciatique et releveur de l'anus du côté droit.
Pendant ce temps, les parties correspondantes de la peau
se couvrirent de très-nombreuses pustules, analogues à
l'ecthyma, dont quelques-unes devinrent le point de départ
d'ulcérations profondes. De plus, une eschare arrondie,
ayant environ 5 centimètres de diamètre, et qui intéressait
le derme dans la presque totalité de son épaisseur, se pro-
duisit sur la région sacrée du côté droit, à quelques centi-
mètres de la ligne médiane, immédiatement au-dessous de
l'extrémité du coccyx. La cicatrisation de la plaie, qui per-
sista après l'élimination des parties sphacélées, ne fut com-
plète qu'au bout de deux mois. Dans un autre accès, les
douleurs fulgurantes suivirent la direction de la branche
verticale du nerf saphène interne gauche, et une éruption
pustuleuse se produisit bientôt sur la peau des régions où
se distribue ce nerf.
Un caractère commun à toutes ces éruptions. — et ce ca-
ractère est bien propre à faire voir qu'il ne s'agit pas, en
pareil cas, d'éruptions banales, — c'est qu'elles se montrent
de concert avec certaines exacerbations, exceptionnelle-
ment intenses et tenaces, des douleurs spéciales, en quelque
sorte pathognomoniques de la sclérose fasciculée des cor-
dons postérieurs, et que l'on a coutume de désigner sous le
nom de douleurs fulgurantes.
Je relèverai cet autre ' caractère que les éruptions en
question siègent d'habitude sur le trajet même des nerfs
envahis par la fulguration douloureuse.
Vous voyez par ce qui précède que l'existence de ces
éruptions cutanées parait intimement liée à celle des dou-
78 IRRITATION DES FAISCEAUX RADIGULAIRES.
leurs fulgurantes, et il devient ainsi au moins très-vraisem-
blable qu'une même cause organique préside au développe-
ment de celles-ci et de celles-là.
Quelle est donc la raison de la présence des douleurs ful-
gurantes parmi les symptômes de la sclérose des cordons
postérieurs ? Je ne veux pas entrer aujourd'hui dans de
longs développements à propos de cette question que nous
retrouverons par la suite ; il me suffira, pour le moment,
de vous dire, que suivant toutes les probabilités, ces dou-
leurs dépendent de l'irritation que subissent, dans leur tra-
jet intra-spinal, ceux des tubes nerveux émanant des ra-
cines postérieures, qui, sous le nom de faisceaux radiculaires
internes (masses fibreuses internes des racines posté-
rieures) dans la nomenclature de Kôlliker (1), traversent
dans une certaine étendue l'aire des cordons postérieurs,
avant de pénétrer dans les cornes postérieures de la subs-
tance grise.
Il ne paraît guère possible de rattacher la production des
douleurs fulgurantes à l'une quelconque des lésions sui-
vantes : 1° atrophie des racines postérieures avant leur en-
trée dans la moelle épinière ; 2° méningite spinale posté-
rieure ; 3° sclérose des cornes postérieures de la substance
grise ; 4° lésions irritatives des ganglions spinaux ou des
nerfs périphériques ; car ces douleurs ont été rencontrées
dans un certain nombre de cas d'ataxie où l'on a pu s'as-
surer, après la mort, de l'absence de toute lésion du genre
de celles qui viennent d'être énumérées.
A l'appui de cette proposition, permettez-moi, Messieurs,
de vous rappeler les résultats de l'autopsie que nous avons
faite, M. Bouchard et moi, d'une femme morte, dans cet
hospice, pendant le cours de la première période de l'ataxie
locomotrice progressive (2). Chez cette femme, les douleurs
(1) Kôlliker. — Histologie humaine, première partie, p. 345, 340.
(2) Douleurs fulgurantes de Vataxie, sans incoordination des mouvements,
sclérose commençante des cordons postérieurs de la moelle épinière. In Comptes
rendus des séances et mémoires de la Société de biologie, année 1866.
PATHOGEXIE DES DOULEURS FULGURANTES. 79
paroxystiques spéciales avaient existé, à un haut degré,
pendant près de quinze ans, à l'époque de la terminaison
fatale causée par une maladie accidentelle. Jamais il ne
s'était présenté aucun signe d'incoordination motrice. La
malade marchait sans embarras, sans mouvement de pro-
jection des jambes, sans frapper le sol du talon, sans que
l'occlusion des paupières modifiât son assurance. A l'au-
topsie, on constata que les racines postérieures avaient
conservé les caractères de l'état normal, et à part quel-
ques traces assez équivoques de méningite, les seules lé-
sions appréciables qui furent rencontrées occupaient les
cordons postérieurs et consistaient en une multiplication
des noyaux de la névroglie avec épaississement des mailles
du réticulum, mais sans altération concomitante des tubes
nerveux. Pour compléter la démonstration, je pourrais ci-
ter plusieurs faits du même genre dans lesquels les dou-
leurs fulgurantes avaient été également très-intenses, et où,
lors de l'autopsie, je n'ai pu reconnaître l'existence d'alté-
rations quelconques, soit dans les cornes grises postérieu-
res, soit dans les nerfs périphériques, soit enfin sur les mé-
ninges spinales.
D'après cela, ce serait dans l'altération irritative des
faisceaux postérieurs de la moelle épinière qu'il faudrait
chercher le point de départ des douleurs fulgurantes des
ataxiques. Mais il est peu vraisemblable que toutes les par-
ties de ces faisceaux puissent à cet égard être mises en
cause indistinctement ; tout porte à croire, au contraire,
que les fibres sensitives, issues des racines postérieures qui
composent, pour une part, les faisceaux radiculaires in-
ternes, doivent être seules incriminées. Ces fibres partici-
peraient, de temps à autre, d'une façon périodique, à l'irri-
tation dont les cordons eux-mêmes sont le siège permanent;
et ainsi se produiraient ces crises d'élancements douloureux
qui, suivant une loi physiologique bien connue, sont rap-
portées à la périphérie, bien qu'ils reconnaissent, en réalité,
une cause centrale.
80 ZONA LIÉ AUX LÉSIONS DE L'ENCÉPHALE.
Comment comprendre, d'un autre côté, l'apparition des
éruptions cutanées qui s'observent quelquefois chez les
ataxiques, dans le temps même où se manifestent les accès
fulgurants d'une intensité anormale ? Il est certain que les
fibres nerveuses qui constituent les faisceaux radiculaires
internes ne sont pas toutes sensitives; il en est, entre au-
tres, parmi elles, au moins un certain nombre, qui servent
à l'accomplissement des actes réflexes ; il en est d'autres,
aussi, sans doute, c'est du moins ce que tend à démontrer
l'apparition même des éruptions cutanées en question —
qui appartiennent au système des nerfs centrifuges et qui
ont, sur l'exercice des fonctions nutritives de la peau, une
influence plus ou moins directe. L'irritation de ce dernier
ordre de fibres — irritation plus difficile à mettre en jeu
que ne l'est celle des fibres sensitives — devrait être invo-
quée pour expliquer, dans les cas auxquels je faisais allu-
sion plus haut, tantôt la production des affections papu-
leuses, tantôt celles des affections vésiculeuses, pustuleuses
ou enfin gangreneuses.
Les faisceaux postérieurs sont-ils les seuls départements
de la moelle épinière, dont l'irritation soit capable de déter-
miner la production de semblables affections? Cette ques-
tion pour le moment doit rester sans réponse. Tout ce
qu'on peut dire, c'est que ces éruptions n'ont pas été signa-
lées encore, à moins qu'il n'y eut quelque complication,
dans les cas de lésions irritatives limitées soit aux cordons
antéro-latéraux, soit aux cornes antérieures de la substance
grise; et quant au rôle que pourraient jouer à cet égard
les cornes grises postérieures, nous sommes, sur ce sujet,
dans l'ignorance la plus complète.
Par contre, quelques faits ont été recueillis, qui ten-
draient à établir que le zona se développe quelquefois sous
l'influence directe des lésions partielles de l'encéphale.
Ainsi, chez une vieille femme atteinte d'hémiplégie, et dont
l'histoire a été rapportée par le docteur Duncan, une érup-
tion de zona apparut sur la cuisse du côté paralysé ; la para-
ZONA LIE AUX LESIONS DE L ENCEPHALE. 81
lysie motrice était survenue à peu près en même temps que
l'éruption et se dissipa en même temps qu'elle (1). Chez un
enfant observé par le docteur Payne, le zona, qui répon-
dait au trajet des branches superficielles du nerf crural an-
térieur, se manifesta trois jours après le développement
d'une hémiplégie occupant le même côté du corps que l'é-
ruption (2). Ces faits, qu'on pourrait multiplier, sont, sans
aucun doute, fort dignes d'intérêt ; malheureusement, ils
n'ont été relatés que d'une façon très-sommaire, et il faut
se garder, je crois, d'en tirer des déductions qui seraient
peut-être prématurées. Je puis citer, en effet, un cas à
beaucoup d'égards analogue aux précédents, que j'ai ob-
servé récemment à la Salpétrière, et dans lequel le zona
reconnaissait très-vraisemblablement pour cause l'irritation
d'un nerf périphérique. L'éruption vésiculeuse siégeait,
cette fois encore, au membre inférieur du côté paralysé,
où elle suivait la distribution des rameaux superficiels de
la'branche cutanée péronière.Elle s'était déclarée d'ailleurs
en même temps que l'hémiplégie, et celle-ci, dont le début
avait été brusque, se rattachait à la formation, dans l'un
des hémisphères cérébraux, d'un foyer de ramollissement,
déterminé lui-même par l'oblitération embolique d'une ar-
tère cérébrale postérieure. Quant au zona, voici, je pense,
suivant quel mécanisme il s'était produit : un rameau arté-
riel spinal (3), issu, sans doute, d'une des artères sacrées
latérales, fut trouvé, à l'autopsie, obstrué par un caillot
sanguin, et formant un cordon relativement volumineux,
accolé à l'une des racines spinales postérieures de la queue
de cheval. Il est probable qu'à son passage à travers le trou
sacré, cette artériole, distendue à l'excès par le thrombus,
(1) Journal of eut. med., etc., 69, Erasmus Wilson, 1868, octobre.
(2) Britishmed. Journal, August., 1871.
(3) Un des rami medulla spinales. Voir R. Rudinger. — Arterienverzwei-
ffunff, in dent Wirbelkanal, etc., in Verlreitung des sympathicus, p. 2. Mun-
cheu, 1863.
Charcot, t. 1, 3e éd. 6
82 ZONA LIÉ AUX LÉSIONS DE L'ENCÉPHALE.
avait comprimé soit le ganglion spinal, soit une branche
d'origine du nerf sciatique, de manière à en déterminer
l'irritation. — Une ulcération végétante, qui siégeait sur
l'une des valvules sigmoïdes de l'aorte, paraît avoir été le
point de départ de tous les accidents que nous venons de
signaler (1).
(l) Voici d'ailleurs les principaux détails de cette observation, qui offre un
bel exemple d'endocardite ulcéreuse, avec embolies multiples et élat typhoïde.
— Le nommé Lacq..., âgé de 22 ans, soldat, fut admis le 28 décembre 1870,
à l'ambulance de la Salpétrière (service des fiévreux). — Il était en proie,
paraît-il, à une fièvre intense depuis deux ou trois jours. — Le jour de
l'admission, on nota ce qui suit : céphalalgie vive, douleurs de reins, diar-
rhée. Le malade ne peut ingérer la moindre quantité de liquide sans être
pris de nausées et de vomissements. Peau chaude, pouls très- fréquent. On
crut qu'il s'agissait là d'une fièvre typhoïde. — Pendant la nuit, délire
bruyant. — Le lendemain 29, on constata l'existence d'une hémiplégie à peu
près complète du côté gauche. Il n'y a pas de rigidité dans les membres pa-
ralysés; paralysie faciale incomplète, également du côté gauche. — Les
yeux sont constamment dirigés vers la droite, et il y a du nystagmus.
Pouls 120, temp. rect. 40°, 5, — Sur la poitrine, les avant-bras, les cuisses,
la peau présente un grand nombre de petites ecchymoses assez semblables à
des piqûres de puces ; — respiration fréquente, râles sibilants dans la poi-
trine. Ventre ballonné. — Sur la face antéro-externe de la jambe gauche,
paralysée, il existe une éruption de zona qui' répond exactement à la distri-
bution des rameaux superficiels de la branche cutanée péronière et du nerf
musculo-cutané. Un premier groupe de vésicules se voit au-dessus et au-des-
sous de la rotule; un autre groupe plus nombreux est disposé suivant une
ligne verticale qui descend jusqu'au niveau du tiers moyen de la jambe. Un
troisième groupe siège au cou-de-pied, en avant et en dedans de la malléole
externe. — L'éruption est assez développée. On note qu'il en existait déjà
quelques légères traces la veille, c'est-à-dire dès avant le début de l'hémi-
plégie. — Le 30, l'éruption est en pleine efllorescence. — Le malade suc-
combe à quatre heures de l'après-midi.
Autopsie. Une des valvules sigmoïdes de l'aorte est ulcérée et couverte
de végétations d'apparence fibrineuse, molles, rougeâtres. Les ganglions du
mésentère sont un peu rouges et tuméfiés, mais il n'existe pas trace d'ulcé-
rations ou d'éruptions dothiénentériques dans l'intestin grêle non plus que
dans le gros intestin. — Ecchymoses nombreuses sur les plèvres viscérale
et pariétale, le péricarde, le péritoine. La rate et les reins offrent des in-
farctus à divers degrés de développement. — Hémisphère cérébral du côté
droit : sur plusieurs points du lobe occipital, la pie-mère, vivement injectée,
présente de larges sutfusions sanguines. Le lobe lui-même est ramolli à peu
près dans toute son étendue; la substance cérébrale présente là une teinte
grisâtre et, en un point, on rencontre au milieu des parties ramollies un épan-
chement sanguin du volume d'une amande. — L'artère cérébrale postérieure
DÉCUBITUS AIGU. 83
On voit que, dans ce cas, la coexistence de l'hémiplégie
et de l'éruption vésiculeuse résultait, jusqu'à un certain
point, d'une coïncidence ibrfuite. Quoi qu'il en soit, à défaut
du zona, il est d'autres troubles trophiques de la peau, dont
l'existence peut être rattachée quelquefois à l'influence
d'une lésion encéphalique. C'est un fait qui, je l'espère du
moins, sera bientôt mis hors de doute.
II.
Eschares à développement rapide : DecaMtus acutus.
J'abandonne rapidement les éruptions de l'ataxie locomo-
trice, qui n'offrent, en somme, qu'un intérêt de second or-
dre, pour attirer votre attention d'une façon toute spéciale
sur une autre affection de la peau, à laquelle revient un
rôle très-important dans l'histoire clinique d'un bon nom-
bre de maladies du cerveau et de la moelle épinière.
L'affection cutanée dont je vais vous entretenir, se mon-
tre, à l'origine, sous la forme d'une plaque érythémateuse,
sur laquelle se développent rapidement des vésicules ou des
bulles ; elle aboutit fréquemment très-vite à la mortification
du derme et des parties sous-jacentes.
Elle occupe le siège, le plus habituellement ; mais elle
peut se développer aussi à peu près indifféremment sur
du même côté est complètement oblitérée par un thrombus. — La moelle
épinière durcie par l'acide chromique et examinée à l'aide de coupes minces,
dans ses diverses régions, ne présente aucune altération appréciable. — A
la queue de cheval, du côté gauche, on trouve accolée à lune des racines
spinales postérieures qui donnent origine au plexus sacré, une artériole (ra-
meau spinal, branche de l'artère sacrée latérale), distendue par un caillot
sanguin. L'artère oblitérée, dont le volume égale celui d'une plume de
corbeau, peut être suivie depuis le point où la racine a été coupée, non loin
du trou sacré correspondant, jusqu'à la moelle; sur celle-ci, elle peut être
suivie encore dans toute l'étendue du rendement lombaire, où elle remonte
le long du sillon médian postérieur, contrairement à la disposition que pré-
sente habituellement le plexus artériel spinal postérieur.
84 DÉCUBITUS AIGU.
toutes les parties du tronc ou des membres soumis dans le
décubitus à une pression quelque peu durable. Une pres-
sion des plus légères et de très-courte durée suffit même
pour la faire apparaître dans certains cas. Enfin, il est
d'autres cas encore, à la vérité très-exceptionnels, où elle
paraît se produire sans l'intervention de la moindre pression
ou de toute autre cause occasionnelle du même genre (1).
C'est là une affection bien différente de toutes les érup-
tions, d'ailleurs très-variées, que l'on observe si communé-
ment au siège, chez les sujets qui, par le fait des maladies
les plus diverses, sont condamnés à séjourner au lit pen-
dant un temps très-long. Ces éruptions, tantôt érythéma-
teuses, lichénoïdes, tantôt pustuleuses, ulcéreuses, tantôt
papuleuses, ressemblant à s'y méprendre à des plaques
muqueuses, sont en général occasionnées par le contact
répété et prolongé de substances irritantes telles que les
urines ou les matières fécales. Elles peuvent, de même que
le décubitus aigu, devenir le point de départ de véritables
eschares ; mais ce dernier se sépare nettement des premiè-
res jpdcr des caractères importants qui sont : en premier
lieu, l'apparition, peu de temps après le début de la maladie
primitive ou à la suite d'une brusque exacerbation, et, en
second lieu, une évolution très-rapide.
En raison de l'intérêt tout particulier qui s'y rattache,
l'affection dont il s'agit mérite certainement d'être dési-
gnée par une dénomination propre. L'un des rares auteurs
qui en aient fait une étude spéciale, M. Samuel, a proposé
pour la caractériser, le nom de decubitus acutiis, ou autre-
ment dit, eschare à formation rapide (2). Il veut la distin-
guer ainsi du decabitus chronicas, c'est-à-dire de la nécrose
(1) Brown-Séquard. — Lectures on the central nervous System. Philadelp.,
1868, p. 248. — Couyba. — Des troubles trophiques, etc. Thèse de Paris,
1871, p. 43.
(2) Décubitus. . . . Eschare {AIL Wundliegen] qui se forme au sacrum et
ailleurs, etc. . , . Littré et Robin, Dictionnaire, Paris, 18G5.
SES CARACTÈRES. 85
dermique, se produisant longtemps après l'invasion de la
maladie qui en a été l'occasion. Nous vous proposons d'ac-
cepter cette appellation en vous faisant remarquer, toute-
fois, que la mortification de la peau n'est pas tout dans le
deciiUtus acaliis. Elle répond, en somme, aux phases les
plus avancées du processus morbide. Il peut arriver, en
effet, que les vésicules ou les bulles se flétrissent et se des-
sèchent sans que la partie du derme sur laquelle elles re-
posent ait présenté la moindre trace de nécrose ; cela se
voit principalement lorsqu'elles se produisent sur des points
où la pression n'a pu être que de courte durée, peu intense,
et pour ainsi dire accidentelle, comme aux chevilles, à la
face interne des genoux, des jambes ou des cuisses. Or, il
importe de savoir reconnaître la signification de ces vési-
cules et de ces bulles, dès leur entrée en scène, car, même
à cette époque, elles permettent dans de certaines circons-
tances, de formuler presque à coup sûr le pronostic.
Il m'a été donné, maintes fois, de suivre pour ainsi dire
jour par jour, heure par heure, l'évolution du de cubitus
acutus, dans les cas d'apoplexie consécutive à rhémorrha-
gie ou au ramollissement du cerveau que nous rencontrons
si fréquemment dans cet hospice (1). Je puis m'appuyer sur
les observations que j'ai faites à cet égard, dans la descrip-
tion générale qui va suivre, car j'ai pu constater, d'un autre
côté, que le décubitus aigu lié aux maladies du cerveau,
ne diffère pas essentiellement de celui qui se développe
sous l'influence des lésions spinales.
Quelques jours et parfois même quelques heures seule-
ment après le début de l'affection cérébrale ou spinale, ou
encore à la suite d'une brusque exacerbation de ces affec-
tions, il se manifeste sur certains points de la peau, une ou
plusieurs plaques érythémateuses, d'étendue variable et à
(l) Charcot. — Note sur la formation rapide d\me eschare à la fesse du
côté paralysé dans l'hémiplégie récente de cause cérébrale. In Archio. de phy-
siolog. normale et patholog., t. Ier, 1868, p. 308.
86 son mode d'évolution.
contours plus ou moins irréguliers (1). La peau offre là
tantôt une teinte rosée, tantôt une coloration d'un rouge
sombre, violacée même, mais qui cède toujours, momen-
tanément, sous la pression du doigt. Dans des circonstances
assez rares et que, jusqu'ici, j'ai rencontrées à peu près
uniquement dans les cas de lésions de la moelle épinière,
il se produit en outre, aux dépens du derme et des parties
sous-jacentes, une tuméfaction d'apparence phlegmo-
neuse, qui peut s'accompagner parfois de douleurs vives,
si la région n'était pas au préalable frappée d'anesthésie.
Dès le lendemain ou le surlendemain, les vésicules ou les
bulles se développent vers la partie centrale de la plaque
érj^thémateuse : elles renferment un liquide tantôt incolore
et d'une transparence parfaite, tantôt plus ou moins opaque,
rougeâtre ou de couleur brune.
Les choses peuvent en rester là, ainsi que nous vous
l'avons dit, et alors les bulles ne tardent pas à se flétrir et
à se dessécher. Mais, d'autres fois, l'épiderme soulevé se
déchire, se détache par lambeaux, et met à nu une surface
d'un rouge vif parsemée de points ou de plaques bleuâtres,
violacées, répondant à une infiltration sanguine du derme.
Déjà, en pareil cas, le tissu cellulaire sous-cutané, et par-
fois même les muscles sous-jacents, sont, eux aussi, en-
vahis par l'infiltration sanguine ; c'est un fait dont je me
suis assuré plusieurs fois par l'autopsie.
Les plaques violacées s'étendent rapidement en largeur,
et elles ne tardent pas à se confondre par leurs bords. Peu
de temps après, il se produit, dans les points qu'elles occu-
pent, une mortification du derme, d'abord superficielle,
mais qui, bientôt, gagne en profondeur. L'eschare est dès
lors constituée.
Plus tard se développe un travail de réaction, d'élimina-
tion, suivi, dans les cas heureux, d'une période de répara-
(l) J'ai constaté anatomiquement que, en pareil cas, le derme est infiltré de
leucocytes, ainsi que cela a lieu dans l'érysipèle.
son mode d'évolution. W
tion trop souvent entravée dans son développement. Je n'ai
pas besoin, je pense, de m'appesantir sur ce point.
Je viens de vous entretenir de détails minutieux, mais
j'espère vous amener à reconnaître qu'ils ont bien leur
intérêt. R. Briglit les croyait assez dignes d'attention et
assez peu connus pour qu'il ait cru devoir y insister dans
ses Reports of médical Cases et juger utile de l'aire repré-
senter, par des modèles en cire qui figurent sans doute
encore aujourd'hui au musée de Guy 's Hospital, les bulles
du deeubitus acidus observées dans un cas de paraplégie
de cause traurnatique (1). Depuis lors, ce sujet n'a guère.
(i) Il ue nous paraît pas hors de propos de rappeler ici les remarques dont
R. Bïight fait suivre les observations d'aiTection de la moelle épiuière avec
formation rapide de bulles et d'eschares, qu'il a consignées dans ses Reports
of médical Cases (t. II, Diseases of tke Brain and nervoe.s System. Loncon,
1831. — Le premier fait concerne un ramollissement de la moelle, survenu
sans cause extérieure appréciable, chez une femme de 21 ans, et occupant
le renflement lombaire, immédiatement au-dessus de la queue de cheval.
~\ oici les réflexions que le cas en question suggère à l'auteur : « Une cir-
constance curieuse, liée à :a paralysie des extrémités inférieures, est bien
mise en relief dans cette observation; je veux parler de la tendance à la
formation de vésicules ou de bulles, qui se montre dans les affections de ce
genre. Ces vésicules, ces bulles apparaissent souvent dans l'espace d'une
nuit, sur les parties les plus diverses des membres inférieurs, aux genoux,
aux chevilles, au cou-de-pied, partout où il s'est produit une pression acci-
dentelle ou une irritation. Elles contiennent un liquiJe d'abord transparent,
lequel devient opaque au bout de quelques jours. J'ai souvent pensé que
cette connexité entre l'interruption de l'action nerveuse et la formation des
bulles pouvait quelque jour éclairer la pathogénie de cette affection singu-
lière qu on désigne sous le nom à' Herpès Zoster et qui paraît être liée à
quelque condition particulière, peut-être la distension des nerfs sensitifs
(loc. cit., p. 383). » — Trois autres cas relatifs, cette fois, à des lésions trau-
matiques de la moelle vchute d'un lieu élevé, écrasement par une charrette,
etc.), ont donné lieu aux remarques suivantes : « Deux de nos malades sont
morts des suites d'une inflammation de la vessie ; chez l'un d'eux les pa-
rois de l'organe étaient le siège d'ulcérations et il s'était formé des abcès
dans le tissu cellulaire circonvoisin. Deux jours après l'accident, des bulles
apparurent aux pieds et à la partie interne des genoux, là où existe une
pression réciproque. Deux points méritent surtout d être notés dans ces ob-
servations. D'abord la lésion de la vessie. Celle-ci résulte de ce que l'or-
gane a perdu en partie le pouvoir de résister aux causes d'excitation et aussi
des modifications que subit l'urine longtemps retenue dans les parties les
plus déclives de son réservoir. C'est là une des causes les plus fréquentes
88 AFFECTIONS CONSÉCUTIVES AU DÉCUBITUS AIGU.
que je sache, à quelques rares exceptions près (1), arrêté
les observateurs. Il serait injuste, toutefois, de ne pas re-
connaître que, dans la fièvre typhoïde et le typhus, une
affection cutanée qui a la plus grande analogie avec celle
qui nous occupe et qui, peut-être, dépend en partie de con-
ditions analogues, a été, en France, minutieusement décrite
par Piorry (2) et en Allemagne par Pfeùfer (3).
Mais revenons, Messieurs, au décitbilus provoqué par
les maladies des centres nerveux. Vous connaissez trop
bien les accidents que les eschares , quelle qu'en soit
d'ailleurs la cause, sont capables d'engendrer pour que je
me laisse entraîner à vous présenter ici une description
complète. Permettez-moi, cependant, de vous retracer en
quelques mots les principaux d'entre eux, car vous devez
vous attendre à les voir figurer souvent dans la période
ultime d'un grand nombre d'affections du cerveau, et sur-
tout de la moelle épinière.
Les eschares, pour peu qu'elles aient acquis une cer-
taine étendue, constituent, vous le savez, de redoutables
foyers d'infection ; et, de fait, Yintoxication putride, mar-
quée par une fièvre rémittente plus ou moins accentuée,
est une des complications qu'elles provoquent le plus com-
munément.
Vient ensuite Y infection purulente, avec production
de la terminaison fatale chez les paraplégiques. Il faut noter, en second lieu,
l'apparition des bulles sur les membres paralysés, circonstance à laquelle il
a été fait allusion déjà dans les remarques précédentes. L'inaptitude à résis-
ter aux agents de destruction est aussi mise en lumière, dans tous les cas,
par la formation d'eschares profondes sur tous les points des parties para-
lysées, soumis à la pression. » [Loc. cit., pp. 421, 422).
(1) Après R. Bright, il faut citer surtout B. Brodie. {Injuries of ike spinal
Chord., in Med. chir. Transactions^. XX, 1837), etBrown-Séquard (loc. cit.).
(2) A T ouzé. — Des dermopathies et des dermonécrosies sacro-coccy giennes .
Thèse de Paris, 1853.
(3) Kercliensteiner' Bericht, in Henle und Pfeûfers Zeitschrift fur ration-
nelle Medicin, Bd. V. — Voir aussi Wunderlich, Pathologie, t. II, p. 285.
AFFECTIONS CONSÉCUTIVES AU DÉCUBITUS AIGU. 89
d'abcès métastatiques dans les viscères; ce second cas
paraît assez rare (1).
Nous signalerons aussi les embolies gangreneuses. Dans
cette dernière variété, des thrombus imprégnés de l'ichor
gangreneux sont transportés à distance et donnent lieu à
des métastases gangreneuses qui s'observent principalement
dans les poumons. C'est un point sur lequel nous avons
insisté, M. Bail et moi, dans un travail publié en 1860 (2).
Mais bien avant nous et bien avant même que la théorie
de l'embolie n'eût été germanisée, M. Foville (3) avait émis
l'opinion qu'un nombre assez considérable de gangrènes
pulmonaires, observées chez les aliénés et dans diverses
affections des centres nerveux, sont causées par le « trans-
port dans le poumon, d'une partie du fluide qui baigne les
eschares au siège ».
Le travail de mortification tend à gagner de proche en
proche et à envahir les tissus profonds. Le délabrement
qui en résulte est quelquefois porté au plus haut point :
ainsi les bourses séreuses trochantériennnes peuvent être
ouvertes, le trochanter dépouillé de son périoste, les mus-
cles, les troncs nerveux, les branches artérielles d'un cer-
tain calibre mises à nu. Mais les accidents les plus redou-
tables sont ceux surtout que déterminent la dénudation,
les pertes de substance du sacrum et du coccyx, la des-
truction du ligament sacro-coccygien et l'ouverture consé-
cutive du canal sacré ou de la cavité arachnoïdienne. En
conséquence de ces désordres, le pus et l'ichor gangre-
neux peuvent venir infiltrer le tissu cellulo-graisseux qui
(1) Bilroth und Wseckerling, in LangenlecKs Archiv. f. Min Chir., Bd I,
1861, § 1. 470. Fracture de la sixième vertèbre dorsale, formation rapide d'une
eschare au sacrum. Symptômes manifestes de pyémie; six ou huit abcès à
la surface des reins. — Midderdorf. Knochenhuch, % 62. Fracture de la hui-
tième vertèbre dorsale. Formation rapide d'eschare ; pyémie ; abcès métas-
tatique dans les poumons.
(2) De la coïncidence des gangrènes viscérales et des afections gangreneuses
extérieures, in Union médicale, 26 et 28 janvier 1860.
(3) Dict. de méd. et de chir,prat., t. Ier, p. 556.
90 AFFECTIONS CONSÉCUTIVES.
enveloppe la dure mère, ou même, si cette dernière mem-
brane est détruite en un point, pénétrer jusque dans la ca-
vité de l'arachnoïde (1).
De graves complications cérébro-spinales surviennent
habituellement, dans cet état de choses : elles peuvent
être ramenées à deux chefs principaux. C'est tantôt une
méningite ascendante purulente simple qu'on observe,
tantôt une sorte de méningite ascendante ichoreuse dont
Lisfranc et M. Baillarger ont rapporté plusieurs exemples re-
marquables. En pareil cas, un liquide puriforme, grisâtre,
acre et fétide imbibe les méninges et la moelle elle-même,
tantôt dans la partie la plus inférieure seulement, tantôt
dans toute sa hauteur. Ce liquide se retrouve quelquefois à
la base de l'encéphale, dans le quatrième ventricule,
l'aqueduc de Sylvius et jusque dans les ventricules laté-
raux. Dans tous ces points, la substance cérébrale est
teintée à sa surface et dans une certaine étendue en pro-
fondeur, d'une coloration ardoisée, bleuâtre, laquelle, à
plusieurs reprises, a été considérée, bien à tort, comme
constituant un des caractères de la gangrène du cerveau (2).
M. Baillarger a le premier, je crois, reconnu la véritable
nature de cette altération. Il s'agit là surtout d'un phéno-
mène d'imbibition, de macération, de teinture. Remarquez
que toujours, lorsque la méningite cérébrale ichoreuse a
pour point de départ une eschare sacrée, la coloration ar-
doisée se retrouve dans toute l'étendue de la moelle épi-
nière ; elle est, là, constamment plus prononcée que dans
l'encéphale, et d'autant plus qu'on s'éloigne moins de l'es-
(1) B. Brodie, loc. cit., p. 153. — Velpeau. — Anatom. chirurgicale. —
Ollivier (d'Angers). — Traité des maladies de la moelle épinière, t. Ie l", p.
314, 324, 3e édit. 1837. — Moynier. — De Veschare au sacrum et des acci-
dents qui peuvent en résulter (Moniteur des sciences médicales et pharmaceu-
tiques. Paris, 1859.) — Lisfranc, Archives générales de médecine, 4e année,
t. XIV, p. 291.
(2) Dubois (d'Amiens). — Mémoires de V Académie deMédecintt t. XXVII.
p. 50, 1865, 1866.
PATHOGÉNIK DU DÉGUBITUS AIGU. 91
chare. Au contraire, dans le cas où un ulcère sordide de la
face, un cancroïde, par exemple, après avoir détruit les
os, aurait mis à nu la dure-mère, la coloration ardoisée
provoquée par la macération ichoreuse pourrait , ainsi
que je l'ai constaté plusieurs fois, rester limitée aux lobes
antérieurs du cerveau, dans les régions correspondant au
fond de l'ulcère.
A ces complications que je ne puis qu'indiquer d'une
manière très-sommaire, il faut, avec Ollivier (d'Angers),
rattacher les symptômes cérébraux ou cérébro-spinaux
graves, assez mal définis encore, qui terminent rapidement
la vie, dans un grand nombre de cas de maladie de la moelle
épinière.
Nous devons, actuellement, entrer dans les détails, et
vous faire connaître les principales circonstances dans les-
quelles se produit le décubitus aigu, sous l'influence des
lésions du cerveau et de la moelle épinière, ainsi que les
variétés de siège et d'évolution qu'il présente, suivant la
nature ou le siège de la lésion qui en a provoqué l'appari-
tion. Nous aurons à rechercher également si le mode de
production de cette lésion trophique de la peau rentre dans
la théorie générale à laquelle nous avons dû nous rattacher
jusqu'ici. Bans ce but, nous passerons successivement en
revue les diverses affections du cerveau et de la moelle qui
peuvent donner lieu au décubitus aigu.
A. Du décuUtus aigu dans V apoplexie symptomatique
de lésions cérébrales en foyer. C'est surtout dans l'apo-
plexie consécutive à l'hémorrhagie intra-encéphalique, ou
au ramollissement partiel du cerveau qu'on l'observe. Mais
il peut se produire encore dans l'hémorrhagie méningée, la
pachyméningite, dans le cas, enfin, où des tumeurs intra-
crâniennes donnent lieu à des attaques apoplectiformes. Les
derniers événements m'ont fourni plusieurs fois l'occasion
92 DÉCUBITUS DANS LES LÉSIONS DU CERVEAU.
de l'observer chez des sujets atteints d'encéphalite partielle
déterminée par des plaies de guerre (1).
L'érythème, dans tous les cas de ce genre, se manifeste
habituellement du deuxième au quatrième jour après l'at-
(l) L'obligeance de mon collègue, M. Cruveilhier, chirurgien de la Sal-
pétrière, me met à même de rapporter le fait suivant, que je cite à titre
d'exemple du dernier genre :
— Le nommé Erust, Louis, soldat saxon, fut recueilli à Villiers, sur le
champ de bataille, le 30 novembre 1870, et apporté à l'ambulance de la Sal-
pétrière, le soir même, vers 9 heures. Une balle lui avait traversé le crâne
de part en part : un des orifices siégeait en haut du front, un peu à gauche
de la ligne médiane ; l'autre à droite, vers la partie moyenne du pariétal. La
substance cérébrale faisait issue sous forme de champignon à travers ce der-
nier orifice. La région temporale et la paupière supérieure du côté droit sont
ecchymosées et tuméfiées; coma profond. Le 3 décembre, somnolence; le
malade, quand on l'interroge vivement, profère quelaues sons inarticulés ;
il tire bien la langue quand on l'y invite , la déglutition s'opère sans embarras.
On constate l'existence d'une hémiplégie à peu près complète, avec flaccidité
des membres du côté droit. De temps à autre, sans provocation, il se pro-
duit dans le membre supérieur de ce côté une sorte de contraction spasmo-
dique qui porte momentanément le bras dans la pronation Le diaphragme
paraît, lui aussi, être de temps en temps le siège de contractions analogues.
La respiration, par moments irrégulière, est calme, sans stertor. Il n'y a pas
de déviation de la tête ou des yeux. Les commissures labiales ne sont point
déviées ; la sensibilité paraît très-émoussée sur tous les points du corps.
Pas de vomissements. Pouls très-fréquent, MO? — Le 4 décembre (5e jour),
même état que la veille ; seulement la somnolence est plus profonde qu'hier :
c'est à peine si l'on obtient quelques contractions des muscles de la face en
pinçant fortement divers points de la peau. Selles et urines involontaires.
Peau chaude, couverte de sueur; température axillaire, 41°. Un commence-
ment d'escharre s'est présenté sur la fesse du côté droit {côté paralysé) ; rien
de semblable n'existe à gauche. Sur la cuisse droite, à la face interne, un peu
au-dessous du genou, dans un point où le genou gauche fléchi, paraît avoir, pen-
dant la nuit , exercé une pression un peu prolongée, on observe une bulle du vo-
lume d'une amande, remplie de liquide citrin, et entourée d'une aréole érythé-
mateuse peu étendue. Le genou gauche, dans le point où la pression a dû
s'exercer, ne présente, lui, aucune trace d'érythème ou de soulèvement épi-
dermique. — Le malade succomba le 5.
Autopsie. — Les deux hémisphères cérébraux, à leur partie moyenne et
supérieure dans les points qui correspondent aux extrémités internes des
circonvolutions marginales antérieure et postérieure, sont transformés en une
bouillie tantôt rougeâtre, et où l'on trouve çà et là de petits caillots dissé-
minés, tantôt bleuâtres (coloration ardoisée). On reconnaît sur une coupe
transversale que le ramollissement pénètre dans le centre ovale de Vieussens,
jusqu'au voisinage des ventricules latéraux, qu'il n'atteint pas toutefois,
DECUB1TUS DANS LES LESIONS DU CERVEAU. 93
taque, rarement plus tôt, quelquefois plus tard. Il affecte
d'ailleurs un siège tout particulier. Ce n'est pas à la région
sacrée, ainsi que cela a lieu si communément dans les cas
d'affection spinale, qu'il se développe, non plus que sur un
point quelconque des parties médianes, mais bien vers le
Fig. 3. — Eschare de la fesse du côté paralysé, dans un cas d'hémiplégie consécutive
àl'hémorrhagie. — a, Partie mortifiée; — b, Zone érythéoiateuse.
centre de la région fessière, et, le plus souvent, s'il s'agit
d'une lésion unilatérale du cerveau, exclusivement du côté
correspondant à l'hémiplégie [Fig. 3).
même à gauche où le foyer d'encéphalite est de beaucoup plus étendu qu'à
droite dans toutes les directions. — Les couches optiques et les corps striés
sont parfaitement indemnes. Au voisinage des parties ramollies du cerveau,
la dure-mère est recouverte d'une néo-membraue fibrineuse et purulente
par places. — Le crâne est fracturé en plusieurs points, au voisinage des
orifices qui ont donné passage au projectile.
94 DECUBITUS DANS LES LESIONS DU CERVEAU.
Le lendemain ou le surlendemain l'éruption huileuse,
puis la tache ecchymotique, apparaissent sur la partie cen-
trale de la plaque érythémateuse, c'est-à-dire à 4 ou 5 cen-
timètres environ en dehors du sillon interfessier, et à 3 ou
4 centimètres au-dessous d'une ligne fictive qui partirait de
l'extrémité supérieure de ce sillon en suivant un trajet
perpendiculaire à sa direction. Enfin, la mortification
du derme se produit sur ce même point, et elle s'étend
rapidement en largeur, si les jours du malade se prolon-
gent; mais il est assez rare, en somme, que le décuhitus aigu
des apoplectiques parvienne jusqu'à l'eschare confirmée.
Il est peu commun également de voir, en outre de l'érup-
tion fessière, des huiles ou des vésicules se développer au
talon, à la face interne du genou et, en un mot, sur les di-
vers points du membre inférieur paralysé qui peuvent être
soumis à une légère pression.
Je ne dois pas omettre de vous faire remarquer, chemin
faisant, que, d'après mes observations, cette affection de la
peau ne se montre que fort exceptionnellement dans les cas
qui doivent se terminer d'une manière favorable ; son appa-
rition constitue, par conséquent, un signe du plus fâcheux
augure ; c'est, on peut le dire, le deciibitas ominosus par
excellence. Ce signe, je le repète, ne trompe guère, et
comme il est possible d'en constater l'existence dès les pre-
miers jours, il acquiert par là, on le comprend, une grande
valeur dans les cas douteux. L'abaissement très-marqué
de la température centrale au-dessous du taux normal,
constaté au début de l'attaque, à l'aide de l'exploration
thermométrique, est à ma connaissance, le seul signe
qui, dans les cas d'hémiplégie à invasion brusque, puisse,
au point de vue du pronostic, rivaliser avec le précédent.
Les circonstances dans lesquelles se développe le décu-
bitus aigu des apoplectiques ne permet évidemment pas de
faire intervenir, comme élément unique, l'influence de la
pression exercée sur les parties où il se manifeste. La pres-
sion, en effet, est égale pour les deux fesses, et l'éruption,
DÉCUBITUS AIGU DE CAUSE SPINALE. 16
nous l'avons vu, se produit exclusivement, ou du moins
prédomine toujours sur la fesse du côté paralysé. Maintes
fois, j'ai eu soin de faire reposer les malades sur le côté
non paralysé, pendant la plus grande partie du jour, et
cette précaution n'a d'aucune façon modifié la production
de l'eschare. D'ailleurs, quelle peut être, en pareil cas,
l'influence d'une pression qui ne s'exerce que depuis deux
ou trois jours? On ne saurait, non plus, invoquer le contact
irritant des urines. Dans plusieurs cas, j'ai fait recueillir
ce liquide heure par heure, nuit et jour, à l'aide de la
sonde, pendant tout le temps de la maladie, de manière à
éviter, autant que possible, l'irritation de la peau du siège,
et malgré tout, l'eschare s'est produite, suivant les règles
indiquées.
Quelle peut être la cause organique de cette singulière
lésion trophique? J'ai cru pendant longtemps que cette lé-
sion devait être considérée comme un des effets de l'hypé-
rémie neuroparalytique, laquelle se révèle toujours, vous
le savez, d'une façon plus ou moins accusée, sur les mem-
bres frappés d'hémiplégie de cause cérébrale, par une élé-
vation relative de la température. Mais cette hypothèse est,
ainsi que nous le verrons, passible d'une foule d'objections.
Les faits qui seront exposés plus loin rendent plus vrai-
semblable qu'il faut invoquer ici l'irritation de certaines
régions de l'encéphale, qui auraient, dans l'état normal, une
action plus ou moins directe sur la nutrition de divers
points du tégument externe.
B. Du décubitus aigu de cause spinale. Lorsque le dé-
cubitus aigu se produit sous l'influence d'une lésion de la
moelle épinière, il se manifeste dans la très-grande majo-
rité des cas, à la région sacrée — par conséquent au-dessus
et en dedans du siège de prédilection des eschares de cau-
se cérébrale : là, il occupe la ligne médiane et s'étend aux
parties voisines, symétriquement, de chaque côté. (Fig. 4).
Il peut se faire toutefois qu'un seul côté soit affecté, dans
96
DECUBITUS AIGU DE CAUSE SPINALE.
le cas, par exemple, où une moitié latérale de la moelle est
seule intéressée, et alors c'est fréquemment sur le côté du
corps opposé à la lésion spinale que siège la lésion cutanée.
L'influence des attitudes joue ici un rôle important. Ainsi,
il est habituel, lorsque les malades sont, pendant une par-
tie du jour, placés de façon à reposer sur le côté, de voir,
en outre de l'eschare sacrée, de vastes ulcérations nécro-
siques se développer aux régions trochantériennes. Il est
Fig. 4. — Eschare de la région sacrée dans un cas de myélite partielle siégeant à la
région dorsale de la moelle épinière.—a, Partie mortifiée; — b, Zone érythémateuse.
assez commun d'ailleurs — contrairement à ce qui s'obser-
ve dans les cas de lésions cérébrales — que les divers
points des membres paralysés qui sont exposés à subir
une pression même très-légère et de courte durée, — les
malléoles, par exemple, les talons, la face interne des ge-
noux — offrent les lésions qui caractérisent le décubitus,
MYÉLITES TRAUVIATIQUES. 97
aigu. Les eschares peuvent se montrer encore, à la vérité
très-rarement, au niveau de la pointe des omoplates, ou
sur les régions olécràniennes (1).
D'une manière très-générale, on peut dire que les lésions
spinales qui produisent le décubitus aigu sont aussi celles
qui donnent naissance à l'atrophie musculaire rapide et
aux autres troubles du même ordre. Le développement à
peu près simultané de ces diverses affections consécutives
rend vraisemblable, déjà, qu'elles reconnaissent toutes une
origine commune. Il importe de remarquer, toutefois, que
cette règle est loin d'être absolue. En effet, certaines affec-
tions spinales ont pour caractère que toujours l'atrophie
rapide des muscles se développe sans accompagnement
d'eschares, et il en est d'autres, par contre, où l'eschare
peut se produire sans que la nutrition des muscles, dans les
membres paralysés, se montre affectée. C'est même là un fait
fort intéressant au point de vue de la physiologie patholo-
gique et que nous jurons soin de faire ressortir (Fig. 4).
a) Nous mentionnerons en premier lieu les lésions trau-
matiques de la moelle épinière, celles, en particulier, qui
résultent de fractures ou de luxations de la colonne ver-
tébrale. De nombreux faits de ce genre rapportés par
Bright (2), Brodie (3), Jeffreys (4), Ollivier d'Angers (5),
Laugier (6), Gurlt (1) et quelques autres (8), montrent avec
(1) W. Clapp. — Provinc. med. and Sur g. Joum., 1851, p. 322 et Gurlt.
loc. cit., p. 110, n° 76.
(2) R. Bright. — Reports of médical Cases, t. II, pp. 380, 432. London, 182! .
(3) B. Brodie. — Medie. clùr. Transact., p. 148, t. II, 1836.
(4) Jeffreys. — Cases of fracture d spine in London medic. and surgical
Journal. July, 1826.
(o) Ollivier (d'Anger?), loc. cit., t. I.
(6) S. Laugier. — Des lésions trav.matiques de la moelle épinière. Thèse
de concours. Paris, 1848.
(7) E. Gurlt. — Handb. der Lehrevon den Knochenuruchen, 2 Th. 1. Liefer.
Hamm., 1864.
(8) Voy.. sur ce sujet, un chapitre intéressant dans l'ouvrage de M. Samuel
loc. rit., p. 239.
Charcot, t. 1, 3e éd. 7
98 MYÉLITES TRAUMATIQUES.
quelle rapidité les eschares sacrées peuvent se produire en
pareil cas. Afin de bien fixer vos idées à cet égard, je vous
demanderai la permission de rappeler brièvement quelques-
uns de ces faits.
Dans un cas rapporté par le docteur Woodf de New-
York (1), il s'agit d'une fracture du corps de la septième
vertèbre cervicale, survenue à la suite d'une chute dans
un escalier : la mort eut lieu quatre jours après l'accident.
Dès le chuxièmejour, il existait de la rougeur à la région
sacrée, et une bulle s'était formée au niveau du coccyx. Il
y eut de l'hématurie le troisième jour. — Une chute d'un
lieu élevé détermina une diastase complète des sixième et
septième vertèbres cervicales ; la mort survint soixante
heures après la chute, et déjà, à cette époque, il existait un
déciibitus très-prononcé. Le fait appartient au docteur
Bùchner, de Darmstadt (2). — Un des cas de Jeffreys est
relatif à une fracture de la quatrième vertèbre dorsale ;
une eschare confirmée occupait la région sacrée, dès le
quatrième jour. — L'eschare survint trois jours après l'ac-
cident, chez un individu dont Ollivier (d'Angers) a rap-
porté l'histoire, d'après Guersant, et qui avait reçu une
balle dans le corps de la huitième vertèbre dorsale.
Un second cas de Jeffreys est particulièrement digne
d'intérêt: Le malade était tombé d'une échelle de vingt-cinq
pieds de haut. A l'autopsie, on trouva le corps des septième
et huitième dorsales brisé en plusieurs pièces et ayant
éprouvé un grand déplacement. Le jour de la chute, la
peau était froide, le pouls à peine perceptible. Toutes les
parties au-dessus de la fracture étaient privées de la sensi-
bilité et du mouvement. Le lendemain, érections conti-
(1) Gurlt, loc. cit. Tableau n° 97.
(2) Gurlt, id. n° 86.
MYELITES TRAUMATIQUES. 99
nuelles ; « il survint des phlyctènes à la région du sacrum. »
et, ce même jour, « le malade recouvra sa sensibilité. »
Je signale ce dernier trait à votre attention, parce que plu-
sieurs auteurs ont voulu — bien à tort, vous le voyez. —
faire jouer à l'anesthésie un rôle important dans la patho-
génie du décubitus aigu de cause spinale. La persistance
de la sensibilité dans les parties situées au-dessous de la
lésion se trouve, d'ailleurs, signalée encore, d'une façon
plus ou moins explicite, dans un cas de Colliny (1), relatif
à une fracture de la septième vertèbre cervicale et où l'es-
chare se manifesta le quatrième jour, ainsi que dans un
fait d*011ivier (d'Angers 2 • concernant une fracture de la
douzième dorsale. L'escharo. dans ce dernier cas. fut cons-
tatée le treizième jour.
Il est inutile de multiplier ces exemples, car tous les
chirurgiens .s'accordent à reconnaître que la formation
rapide d'eschares est un des phénomènes les plus communs
à la suite des lésions spinales résultant des fractures avec
déplacement des vertèbres. Suivant Gurlt. dont l'opinion
à cet égard est fondée sur l'étude d'un très-grand nombre
d'observations (3)j c'est du quatrième au cinquième jour
après l'accident que commencent à apparaître le plus fré-
quemment les premiers signes du décubitus aigu ; mais ils
peuvent, nous venons de le voir, se manifester beaucoup
plus tôt, dès le deuxième jour et même plus tôt encore. Il
semble — et c'est une remarque déjà faite par Brodie —
que la production des eschares soit d'autant plus hâtive
que la lésion traumatique porte sur un point plus élevé de
la moelle. D'un autre côté, il résulterait d'une statistique
de J. Ashhurst. que les troubles de nutrition deviennent
(1) Cité par Ollivier (d'Angers), ïoc. cit.
(2) La sensibilité était également conservée dans le cas du docteur Bûchner,
cité plus haut, et où l'eschare se produisit avant la lin du troisième jour.
[3] Voir Gurlt, ïoc. cit., p. 94, analyse de 270 cas.
7jO0 MYÉLITES TRAUMATIQUES.
plus fréquents à mesure que la blessure descend plus bas.
Ainsi, d'après cet auteur, les eschares n'ont été notées
que trois fois à la suite des lésions de la région cervicale
(1/41 p. 100), 12 fois (9,23 p. 100) pour la région dorsale,
tandis que pour la région lombaire la proportion s'est
élevée à 12/100 (7 cas) (1).
Le priapisme, les convulsions cloniques plus ou moins
intenses, survenant dans les membres paralysés, soit spon-
tanément, soit en conséquence de provocations, les con-
vulsions toniques se montrant par accès ; tous ces symp-
tômes, qui révèlent habituellement un état d'irritation de la
moelle épinière ou des méninges, se trouvent plusieurs fois
mentionnés parmi ceux qui, dans les fractures de la colonne
vertébrale, précèdent, accompagnent ou suivent de près la
formation précoce des eschares.
En pareil cas, ainsi que nous l'avons vu, l'anesthésie des
parties paralysées du mouvement n'est pas un fait cons-
tant, et quant à l'élévation remarquable de la tempéra-
ture, dont les parties deviennent quelquefois le siège en
conséquence de la paralysie vaso-motrice (2), on ne saurait
décider, quant à présent, si elle est alors présente, l'atten-
tion des observateurs ne s'étant pas portée sur ce point
particulier. Nous signalerons, au contraire, comme un
symptôme qui se manifeste fréquemment dans le temps
même où se produit le décubitus aigu, l'émission d'urines
sanguinolentes, alcalines et mêmes purulentes ; c'est un fait
sur lequel nousaurons plus tard l'occasion de revenir.
(1) J. Ashhurst. — Injuries ofthe Spine tvith an Analysis of nearly four
hundred Cases. Philadelphie, 1867.
(2) Dans un cas de fracture de la colonne vertébrale, à la région dorsale,
observé par J. Hutchinson, dès le second jour après l'accident, la tempéra-
ture prise aux deux pieds, au niveau de la malléole interne, s'élevait au-delà
de 38° c. A l'état normal, d'après les observations faites à London Hospital,
par le docteur Woodman, le thermomètre placé entre les deux premiers or-
teils donne en moyenne, 27°,5, le maximum étant 34°, 5 et le minimum 21°, 5.
— Voir J. Hutchinson. — On Fractures of the Spine, in London Hospital
Reports, t. III, 1866, p. 363. Voir aussi H. Vv eber et Gull. In The Lancet,
janv. 27, 1872, p. 117. Glinical Society of London.
HÉMIPARAPLÉGIE TRAUMATIQUE. 101
La nécroscopie, jusqu'à ce jour, n'a révélé, en général,
relativement aux lésions spinales, rien qui soit particulier
aux cas dans lesquels se produisent les eschares à déve-
loppement rapide ; plusieurs fois cependant, on trouve men-
tionnées, en pareille circonstance, des altérations de la
moelle qui mettent hors de doute l'existence d'un processus
inflammatoire : telles sont, par exemple, l'infiltration pu-
rulente ou même la formation d'abcès au sein des parties
ramollies, signalés dans plusieurs cas.
&) L'étude des faits d'hémiparaplégie, consécutive à des
blessures n'intéressant qu'une moitié latérale de la moelle
épinière, peut fournir des renseignements utiles concernant
la pathogénie du décubitus aigu et de quelques autres trou-
bles trophiques de cause spinale. On sait, par les travaux
de M. Brown-Séquard, qu'à la suite des blessures de ce
genre, il se produit chez les animaux une paralysie du
mouvement dans le membre inférieur du côté où siège la
lésion spinale ; ce membre présente en outre un degré plus
ou moins prononcé d'exaltation de la sensibilité tactile et
il offre de plus une élévation notable de la température liée
à la paralysie vaso-motrice. Le membre du côté opposé à
la lésion conserve par contre sa température normale et ses
mouvements, tandis que la sensibilité tactile s'y montre
très-amoindrie ou même complètement éteinte. Toutes ces
particularités se reproduisent exactement chez l'homme
dans des circonstances analogues. Et chez lui, de même
que chez les animaux, on peut voir survenir encore, dans
les membres des deux côtés, divers troubles trophiques,
lesquels se manifestent presque toujours simultanément et
qui relèvent tous, d'ailleurs, manifestement, de la lésion
spinale. Parmi les lésions de nutrition de ce genre obser-
vées chez l'homme, nous signalerons surtout la diminution
rapide de la contractilité électrique (faradique) des muscles,
bientôt suivie d'atrophie, une forme particulière d'arthro-
pathie sur laquelle j'aurai à revenir dans un instant, et
I02 HÉMIPARAPLÉGIE TRAUMATIQUK
enfin le décubitus aigu. Chose remarquable, tandis que
l'arthropathie et l'atrophie musculaire siègent sur le membre
du côté où la moelle est lésée, l'eschare semble se montrer
de préférence, au contraire, ainsi que nous l'avons fait re-
marquer déjà, sur le membre du côté opposé où elle occupe
la région sacrée et la fesse dans le voisinage immédiat de
cette région. Cette disposition particulière de l'eschare par
rapport au siège de la lésion spinale serait, d'après ce qui
m'a été dit par M. Brown— Séquard, un fait constant chez
les animaux ; chez l'homme elle a déjà été constatée
plusieurs fois. A titre d'exemple du genre, je citerai briè-
vement les faits suivants :
Un homme, âgé de vingt-huit ans, dont l'histoire a été
rapportée par M. Yiguès (1), reçut en arrière du thorax,
entre la neuvième et la dixième vertèbres dorsales, un coup
d'épée, qui, à en juger d'après les symptômes, lésa princi-
palement la moitié latérale gauche de la moelle épinière. Il
se produisit immédiatement une paralysie du mouvement
qui, d'abord étendue aux deux membres inférieurs, se
montra, dès le lendemain, presque restreinte au membre
inférieur gauche. Sur ce dernier membre, l'hyperesthésie
est très-manifeste ; celui du côté droit présente, au con-
trire, une obnubilation très-marquée de la sensibilité, tandis
que les mouvements y ont en grande partie reparu. Les
symptômes allèrent s'améliorant rapidement jusqu'au
douzième jour après l'accident. Ce jour-là on remarqua que,
sans cause extérieure appréciable, le membre inférieur
gauche , toujours plus sensible qu'à l'état normal avait
augmenté de volume ; de plus, dans l'articulation du ge-
nou il s'était accumulé une quantité de liquide assez con-
sidérable pour tenir la rotule éloignée des condyles de plus
d'un centimètre. Deux jours après, on aperçut une eschare
siégeant sur la partie latérale droite du sacrum et sur la
fesse du même côté.
(l) Brown-Séquard. — Journal de la physiologie, etc., t. III, p. 130, 1863.
HÉMIPARAPLÉGIE TRAU VIATIQUE. 103
L'observation recueillie par MIL Joiïrov et Salmon,
dans le service do M. Cusco, et communiquée récemment
à la Société de biologie (1), reproduit pour ainsi dire jusque
dans ses moindres détails le fait, cité plus haut, de M. Vi-
guès. Dans pelle-là comme dans celui-ci. on voit à la suite
d'une lésion traumatique portant sur une moitié latérale de
la moelle épinière à la région dorsale, la paralysie du mou-
vement survenir dans le membre inférieur correspondant
au cûté lésé-; ce membre présente une élévation notable de
la température — fait non mentionné dans l'observation de
Vignes, bien qu'il y existât vraisemblablement — et. de
plus, une hyperestliésie manifeste, tandis que celui du côté
opposé, indemne quant au mouvement, est le siège d'une
diminution notable de tous les modes de sensibilité et a
conservé la température normale. En outre — et c'est là le
point que nous voulons faire ressortir surtout — peu de
temps après l'accident, sans cause appréciable, une arthro-
patliie se développe dans le genou du membre paraly> ■'*.
tandis que. au voisinage de la région sacrée, la fesse du
membre, privé de sensibilité, mais non paralysé du mouve-
ment, devient le siège d'une eschare -2 .
(1) Gazette médicale de Paris, nos 6, 7, S, 1872.
(2) En raison de l'intérêt qui s'y rattache, nous rappellerons les princi-
paux détails de cette observation :
Le nommé Martin, âgé de -iO ans environ, a été frappé d'un coup de poi-
gnard, dans la nuit du 15 au 16 février 1871. L'arme a pénétré au niveau de
la 3e vertèbre dorsale. Le trajet de la plaie est dirigé de haut en bas,
d'arrière en avant et de gauche à droite. Le malade ayant été apporté im-
médiatement après l'accident, on put constater qu'à ce moment déjà le mem-
bre inférieur gauche était complètement paralysé du mouvement, tandis que
le membre correspondant de l'autre côté ne présentait rien de semblable. —
Le 16 février, au matin, on note ce qui suit : membre inférieur gauche, para-
lysie complète du mouvement. Le membre est dans la flaccidité complète,
il n'y a pas trace de contracture, de rigidité ; il n'est pas le siège de mou-
vements spasmodiques, de soubresauts. — Au contraire, la sensibilité pa-
raît, sur ce même membre, exagérée dans la plupart de ses modes ; le moindre
contact de la peau, surtout au voisinage du pied, provoque de la dou-
leur : il en est de même de la pression. Un pincement léger, le chatouille-
ment, sont suivis de sensations douloureuses très-sensibles. Enfin le contact
d'un corps froid produit aussi des sensations douloureuses que le malade
104 HÉMIPARAPLÉGIE TRAUMATIQUE.
J'emprunte le fait qui va suivre à un intéressant travail
de M. W. Mùller (1); dans ce cas, l'artliropathie n'est pas si-
gnalée, mais on y trouve notée, par contre, une atrophie ra-
pide des muscles du membre paralysé, précédée, de plusieurs
jours, par une diminution très-marquée de la contractilité
faradique. Sous tous les autres rapports, l'observation de
M. Mùller est en conformité avec celles de M. Viguès et de
M. Joffroy. Il s'agit d'une femme de vingt-un ans qui reçut
dans le dos, au niveau de la quatrième dorsale un coup de
couteau; l'instrument, ainsi que le démontra plus tard
l'autopsie, avait divisé complètement la moitié latérale
compare à celles qu'occasionnerait une série de piqûres . — Memlre infé-
rieur droit. Tous les mouvements volontaires sont parfaitement normaux ;
mais, par contre, la sensibilité est à peu près complètement éteinte. Anal-
gésie complète ; sensibilité au contact presque nulle. Le contact d'un corps
froid s'accuse par une sensation obscure de picotement. L'insensibilité n'est
pas bornée, à droite, au membre inférieur, elle remonte jusqu'au niveau du
mamelon.- — Les urines et les matières fécales sont rendues involontairement.
Le 24 février (8e jour), on note les mêmes phénomènes que ci-dessus; mais,
de plus, on constate que la jambe gauche (paralysée du mouvement) est plus
chaude que la droite. Le malade accuse une sensation de constriction ou
plutôt de compression à la base du thorax.
5 mars (17e jour). Le malade accuse quelques troubles de la vision ; la
pupille gauche est plus contractée que la droite ; de plus, les vaisseaux de
l'oeil gauche sont plus volumineux, plus nombreux que ceux de l'œil droit.
Les évacuations sont redevenues volontaires depuis deux jours. L'état des
membres inférieurs n'est en rien modifié.
13 mars (25e jour). La fesse droite est devenue depuis hier le siège d'une
rougeur vive, et déjà, en un point de la plaque érythémateuse, l'épiderme
s'est détaché.
14 mars. Le derme est dénudé sur la fesse droite au voisinage du sacrum
dans l'étendue d'une pièce de cinq francs; il est en outre ecchymose (decu-
bitus acutus). — Déjà, le 24 février, on avait remarqué que les mouvements
imprimés au genou gauche (côté de la paralysie motrice) étaient un peu dou-
loureux ; aujourd'hui, on note que cette articulation est tuméfiée, rouge, que
de plus elle est le siège de douleurs spontanées s'exagéraut par les mouve-
ments [arthropathie spinale).
24 mars. Une ulcération, aujourd'hui recouverte de bourgeons charnus, s'est
produite sur la fesse droite au niveau de la plaque ecchymosée. — Le gon-
llement, la rougeur et la douleur ont à peu près complètement disparu au
genou gauche.
(l) "W. Miiller. — Beitrœge zur pathologisch. Anatomie und Physiologie des
menschlichen Ruckenmarkes. Leipzig, 1871. Obs. I.
HÉMIPARAPLÉGIE TRAUMATIQUE. 105
gauche de la moelle épinière à 2 millimètres au-dessus de
la troisième paire dorsale. Le jour même de l'accident on
constate une paralysie complète et une hyperesthésie du
membre inférieur gauche; le membre du côté opposé était
anesthésié mais non paralysé. Le second jour, on note que
les muscles du membre paralysé et ceux de la partie infé-
rieure de l'abdomen du côté correspondant ne réagissent
pas sous l'action dos excitations faradiques, tandis que sur
les parties homologues du côté opposé, la contractilité élec-
trique est restée normale. Le onzième jour, il s'est produit
une eschare qui occupe la région sacrée et s'étend sur la fesse
du côté droit. Ce jour même, on remarque que le membre
paralysé est notablement atrophié et mesure, en circon-
férence, de 4 à 5 centimètres de moins que le membre
anesthésié. La mort survint le treizième jour. À l'autopsie,
les bords de la plaie spinale parurent tuméfiés, d'une colo-
ration rouge-brun ; elle était recouverte d'une mince couche
purulente. Au-dessous de la plaie, le cordon latéral gauche,
dans toute sa hauteur, offrait les caractères anatomiques
de la myélite descendante.
L'apparition simultanée des divers troubles trophiques,
signalés dans ces observations et dans quelques autres du
même genre, semble accuser une cause commune. Cette
cause, suivant toute apparence, n'est autre que l'extension,
à certaines régions du segment inférieur de la moelle, du
travail phlegmasique originairement développé au voisinage
immédiat de la plaie (1).
Cela étant admis, il paraîtra légitime, en se fondant sur
les faits exposés dans la leçon précédente, de rapporter
(l) Dans un travail publié récemment, j'ai cherché à établir que, à la
suite des hlessures de la moelle épinière, des lésions irritatives, telles que :
hypertrophie des cylindres axiles, prolifération des myélocytes, etc.,
peuvent être reconnues à une certaine distance de la plaie spinale, au-des-
sus et au-dessous d'elle, 24 heures à peine après l'accident. (Charcot. Sur
la tuméfaction des cellules nerveuses motrices et des cylindres d'axe des tubes
nerveux dans certains cas de myélite. — In Archiv. de physiologie, n° 1, 1872,
p. 95, Obs. I.)
106 MYELITES SPONTANEES.
l'atrophie rapide et générale des muscles paralysés, notés
dans le cas de M. Mùller, à l'envahissement de la corne an-
térieure de la substance grise du côté correspondant à la
blessure, dans toute l'étendue la moelle d'où émanent les
nerfs se rendant aux muscles paralysés ; l'envahissement
en question ayant pu se faire, d'ailleurs, soit de proche en
proche, par propagation descendante, soit par la voie indi-
recte des cordons latéraux. Cette lésion de la corne anté-
rieure, nous l'invoquerons encore, dans un instant, pour
expliquer le développement de l'arthropathie décrite dans
les observations de Viguès et de Joffroy. Pour ce qui con-
cerne, maintenant, les eschares, leur apparition du côté
opposé à la lésion spinale tend à établir que les fibres ner-
veuses dont l'altération provoque, en pareil cas, la morti-
fication du tégument externe, ne suivent pas le même trajet
que celles qui influencent la nutrition des muscles et des
jointures, et qu'elles s'entrecroisent, au contraire, dans la
moelle, de la même manière que les fibres préposées à la
transmission des impressions tactiles.
Un autre enseignement nous est fourni par les observa-
tions d'hémiparaplégie consécutive à une lésion unilatérale
de la moelle épinière : c'est que le décubitus aigu peut se
montrer indépendant de toute hypérémie neuroparalytique,
puisque nous le voyons se former là, sur le côté du corps où
les nerfs vaso-moteurs ne sont point affectés.
c) Je mentionnerai actuellement le cas où la myélite ré-
sulte, non pas, comme dans les faits qui précèdent, de la
blessure ou de l'attrition de la moelle épinière, mais bien
d'une influence traumatique indirecte, telle par exemple
qu'un effort dans l'action de soulever un poids ; le décubitus
aigu peut, dans les cas de ce genre, se produire aussi ra-
pidement que s'il s'agissait d'une fracture de la colonne
vertébrale ; c'est ce dont témoigne le fait suivant rapporté
par M. Gull.
Un homme de 25 ans, employé dans les docks de Lon-
MYÉLITES SPONTANÉES. 107
dres ressentit dans le dos, au moment où il soulevait un
fardeau, une douleur subite. Il put se rendre à pied à son
domicile distant d'un mille. Le surlendemain matin, au ré-
veil, les membres inférieurs étaient complètement para-
lysés ; deux jours plus tard, c'est-à-dire quatre jours après
l'accident, une eschare avait commencé à se former à la
région sacrée, et l'urine qui s'écoulait de la vessie était
ammoniacale. Le malade succomba dix jours après le début
de la paralysie. A l'autopsie, on reconnut après un examen
attentif que les os et les ligaments de la colonne vertébrale
ne présentaient aucune lésion ; au voisinage des 5e et 6° ver-
tèbres dorsales, la moelle épinière était transformée dans
toute son épaisseur en un liquide épais, d'apparence muco-
purulente et de couleur à la fois brune et verdâtre (1).
A l'exemple des myélites traumatiques, la myélite aiguë
spontanée détermine, elle aussi, très-fréquemment, la for-
mation précoce d'eschares sacrées, principalement lorsque
le début s'accuse brusquement et que l'évolution est ra-
pide. Pour ne pas entrer à ce propos dans de trop longs
développements, je me bornerai à indiquer quelques exem-
ples relatifs à cet ordre de faits. L'eschare a été signalée
dès le 5e jour après le début de la paralysie dans un cas
rapporté par M. Duckworth (2), le 6e jour clans un cas ob-
servé dans le service de M. "Woillez, qui m'a été communi-
qué par M. Joffroy ; le 9e jour clans une observation de
M. Engelken ; le 12e jour dans un autre fait du même au-
teur (3) ; enfin, dans un cas de méningo-myélite cervico-dor-
sale, publié par MM. Voisin et Cornil, l'eschare était cons-
tituée dès le 6e jour (4). On pourrait aisément multiplier
ces exemples. Le décubitus aigu accompagne fréquemment
aussi l'hématomyélie qui, d'ailleurs, dans un certain nom-
(1) W. Gull. — Cases of Paraplegia, in Gin/s Hospital Reports, 18o8,
p. 189, case XXII.
(2) The Lancet, 6 nov. 1869, p. 638.
(3) Loc. cit. — Pathologie der acuten Myelitis. Zurich, 1867.
(4) Gaz. des Hôpitaux, 1865, n° 26.
108 PATHOGÉNIE DU DÉCUBITUS DE CAUSE SPINALE.
bre de cas au moins, paraît n'être qu'un accident de la myélite
centrale, témoin le cas cité plus haut, de Duriau où la mor-
tification de la région sacrée était déjà prononcée quatre jours
seulement après l'apparition des premiers symptômes (1).
On peut voir survenir encore la mortification rapide du
derme de la région sacrée, même dans les maladies spinales
à évolution lente, lorsqu'une cause nouvelle d'irritation
vive intervient tout à coup ou lorsqu'un processus d'inflam-
mation aiguë se surajoute brusquement à la lésion initiale.
Ainsi que les exacerbations de la myélite scléreuse partielle,
l'irruption soudaine dans la cavité rachidienne du pus pro-
venant d'un abcès, chez un sujet atteint de mal vertébral,
ont pu, à ma connaissance, déterminer la formation rapide
d'eschares. Le même résultat se produirait également dans
le cas où une tumeur siégeant dans les parties centrales de
la moelle provoquerait, par sa présence, le développement
d'une myélite aiguë. Il existe dans la science plusieurs
exemples de ce genre (2).
Si les documents que nous venons de rassembler ne per-
mettent pas de construire encore une théorie pathogénique
du décubitus aigu de cause spinale, ils suffisent cependant,
si je ne me trompe, à faire reconnaître tout au moins les
principales conditions du phénomène ; évidemment, il faut
rejeter au second plan l'influence de la pression, celle aussi
de la paralysie vaso-motrice, qui peut faire complètement
défaut ainsi qu'on l'a vu à propos de l'hémiparaplégie résul-
tant de la lésion traumatique d'une moitié latérale de la
moelle. En somme, le fait dominant, toujours présent, c'est
l'irritation vive d'une région plus ou moins étendue de la
moelle épinière, se traduisant le plus souvent, anatomique-
ment, par les caractères de la myélite aiguë ou suraiguë,
et cliniquement par l'ensemble des symptômes qui se rap-
(1) Union médicale, t. I, 1858, p. 308.
(2) Voir entre autres, Mac Dowel's. — Case of Paraplegia in Dublin
quatcrly Journ., 1862.
ROLE DE LA SUBSTANCE GRISE. 109
portent à ce genre de lésion. Pour expliquer la production
des troubles trophiques qui aboutissent à la mortification
sacrée, ce n'est donc pas, cette fois encore, l'absence d'ac-
tion, mais bien l'irritation de la moelle épinière qu'il faut
invoquer ; et cette conclusion se trouve en conformité avec
les résultats expérimentaux qui montrent que, chez les ani-
maux, le développement d'ulcérations gangreneuses au sa-
crum ne survient pas à la suite des sections de moelle
ordinaires, mais seulement dans le cas où l'inflammation
est venue s'établir au voisinage de la lésion spinale.
Il n'est guère vraisemblable que toutes les parties cons-
tituantes de la moelle épinière soient aptes, indistinctement,
à provoquer sous l'influence des irritations le développe-
ment du décubitus aigu. La grande fréquence de cet acci-
dent dans les cas d'hématomyélie, de nryélite aiguë cen-
trale, où la lésion occupe surtout les régions centrales de
la moelle épinière, semble désigner tout particulièrement
la substance grise comme jouant, à cet égard, un rôle prédo-
minant, et ce rôle est partagé sans doute par les faisceaux
blancs postérieurs, car nous savons que les irritations de
certaines parties de ces faisceaux ont pour effet de déter-
miner la production non-seulement de diverses éruptions
cutanées, mais encore, à la vérité, dans des cas rares, celle
de la nécrose dermique (1).
D'un autre côté, il est parfaitement établi que toutes les
parties de la substance grise ne doivent pas être ici incrimi-
nées indifféremment ; certaines d'entre elles, en effet, peu-
vent, nous l'avons fait pressentir déjà, subir les lésions ir-
ritatives les plus graves, sans que le décubitus aigu s'en
suive jamais. Telles sont les cornes antérieures, dont les
lésions, par contre, ont, vous le savez, l'influence la plus
décisive sur la nutrition des muscles, et probablement aussi
— nous allons le voir bientôt, — sur celle des jointures.
(l) Voir p. 77.
.110 ROLE DE LA SUBSTANCE GRISE.
C'est ainsi que l'eschare sacrée fait généralement défaut
dans la paralysie infantile spinale et dans la paralysie spi-
nale de l'adulte, affections qui sont caractérisées anatomi-
quement par des lésions inflammatoires aiguës, systémati-
quement limitées à l'aire des cornes antérieures, tandis que
les autres, ceux qui affectent la peau, relèveraient de
lésions irritatives occupant, soit les parties centrales et
postérieures de la substance grise, soit encore les faisceaux
blancs postérieurs. A ce point de vue particulier, il y a lieu
de reconnaître dans la moelle deux régions douées de pro-
priétés très-distinctes. Or, comme ces régions peuvent être
affectées soit séparément, soit simultanément, il en résulte
que, dans la clinique, le décubitus aigu et l'atrophie muscu-
laire aiguë, tantôt se montreront isolés, tantôt au contraire
coexisteront chez un même individu.
Par tout ce qui précède, l'influence des lésions irritatives
de la moelle épinière sur le développement du décubitus
aigu nous parait mise hors de doute. M. Samuel cependant
a avancé une opinion contraire : il pense que la moelle épi-
nière ne joue ici aucun rôle et que les ganglions spinaux
ou les nerfs périphériques sont seuls en cause (1). Nous
ferons connaître ailleurs les arguments sur lesquels se
fonde cette manière de voir; mais, dès à présent, nous
pouvons faire remarquer qu'elle est en contradiction for-
melle avec les faits nombreux de myélite traumatique oc-
cupant un point élevé de la moelle, — la région cervicale,
par exemple, ou la partie supérieure de la région dorsale,
— ■ faits dans lesquels le décubitus aigu survient à la région
sacrée, et assurément sans participation directe des gan-
glions spinaux ou des nerfs périphériques. Les cas d'hé-
matomyélie ou de myélite spontanée centrale, suivis d'es-
chares précoces, sont également contraires aux vues de
M. Samuel.
(l) Zoc. cit., p. 252.
LÉSIONS DES NERFS. I 11
Ce n'est pas à dire cependant que les lésions irritatives
des nerfs périphériques, et peut-être aussi celles des gan-
glions spinaux, ne puissent avoir quelquefois pour effet de
déterminer la formation rapide d'eschares. Sans doute, les
exemples publiés de nécrose dermique développée en con-
séquence de la piqûre, de la section incomplète, ou encore
de la compression d'un nerf, sont assez rares ; mais plusieurs
d'entre eux sont tout à fait convaincants (1). A ce propos,
je mentionnerai le cas d'une femme que j'ai observée ré-
cemment à la Salpétrière. Elle portait dans le flanc gauche
une énorme tumeur fibreuse qui comprimait, dans le bas-
sin, les origines des nerfs sciatique et crural du membre
inférieur correspondant. Il en était résulté nn état paré-
tique de ce membre, accompagné de douleurs vives suivant
le trajet des principaux troncs nerveux. On s'aperçut un
matin, peu de temps après l'apparition des symptômes de
compression, qu'une eschare s'était développée rapidement
sur la partie gauche, au voisinage de la région sacrée ; de
plus, la face interne du genou gauche, clans un point que
le genou droit avait comprimé pendant longtemps en raison
de l'attitude que la malade avait gardée durant la nuit,
présentait plusieurs bulles pemphigoïdes, remplies d'un
liquide brunâtre, qui bientôt firent place à une eschare. Il
ne s'était produit absolument rien de semblable au genou
droit. C'est peut-être ici le lieu de rappeler que le zona
spontané, qui, dans certains cas au moins, se rattache très-
vraisemblablement à l'inflammation d'un nerf, peut, sui-
vant une remarque de Rayer (2), aboutir quelquefois à la
mortification plus ou moins profonde du derme. J'ai été
souvent témoin du fait chez les vieillards de cet hospice,
et j'ai pu me convaincre plusieurs fois que la pression
(1) Voir, parmi les faits récemment publiés, un cas du docteur W. A. Lan-
son [The Lancet, 30 déc. 1871, page 913), et deux cas du docteur Vitrac
(Union médicale de la Gironde, t. II, p. 127, et Revue phot. des hôjo.,]81\),
(2) Rayer. — Maladies de la peau, t. I, p. 335.
A\% ARTHROPATHIES SPINALES.
exercée sur les parties qu'occupe l'éruption ne joue pas là
un rôle essentiel. Pour ce qui est relatif au décubitus aigu
du siège, je suis très-porté à croire que, dans un certain
nombre de cas, il doit être rattaché à une lésion irritative
des nerfs de la queue de cheval. 'Un fait publié récemment
par M. Couyba, dans sa dissertation inaugurale, pourrait
être cité, entre autres, comme un exemple de ce genre (1).
III.
Des arthropathies de cause cérébrale et spinale. Les
troubles de la nutrition consécutifs aux lésions des centres
nerveux ont assez fréquemment pour siège les jointures.
Les variétés que présentent ces affections articulaires sui-
vant la nature des lésions cérébrales ou spinales qui leur
donnent naissance, m'ont conduit à établir deux catégories
principales.
A. La première comprend les arthropathies à forme aiguë
ou subaiguë, accompagnées de tuméfaction, de rougeur et
parfois de douleurs plus ou moins vives. Elle a été signalée
pour la première fois, si je ne me trompe, par un médecin
(l) Un jeune garde mobile reçut une balle aux avant-postes de Glamart.
Le projectile avait pénétré près de l'extrémité antérieure de la dixième côte
gauche et était sorti sur le côté droit de la colonne vertébrale, à 7 ou 8 cen-
timètres de l'épine, au niveau de la deuxième vertèbre lombaire. Il s'en sui-
vit une parésie avec hyperesthésie vive des membres inférieurs. Une bulle
qui fit bientôt place à une eschare se développa sur la fesse droite, le cin-
quième jour après l'accident. L'eschare s'étendit alors progressivement de
manière à recouvrir enfin toute la région du siège. La mort survint le dix-
neuvième jour. — Autopsie: Une masse purulente couvre les faces antérieure
et postérieure de la moelle et s'étend depuis la queue de cheval jusqu'à la
région cervicale. La moelle elle-même, examinée d'abord à l'état frais, puis
après durcissement, sur des coupes transversales nombreuses, n'a présenté
aucune altération ; au contraire, un certain nombre de tubes nerveux, dans
les filets nerveux qui constituent la queue de cheval, offraient les caractères
anatomiques de la dégénération granulo-graisseuse. — Couyha. Thèse de
Paris, 1871. Obs. XII, p. 53.
ARTHROPATHIES SPINALES. 413
américain, le professeur Mitchell (1), qui Ta observée dans
la paraplégie liée au mal vertébral de Pott, où cependant
elle est, je le crois du moins, très-rare (2). Elle se produit
plus fréquemment comme conséquence d'une lésion trau-
matique de la moelle épinière, c'est ce dont témoignent suf-
fisamment les faits mentionnés plus haut de M. Viguès et
de M. Joffroy (3). Un cas de commotion de la moelle,
relaté par M. Gull, fournit une démonstration analo-
gue (4).
L'inflammation aiguë ou subaiguë des jointures des
membres paralysés peut survenir encore dans la myélite
spontanée ; à titre d'exemple de ce genre, je puis citer un
cas recueilli par M. Gull (5) et un autre cas qui a été con-
signé par M. Moynier dans le Moniteur des Sciences mé-
dicales pour 1859. Le second fait est relatif à un jeune
homme de 48 ans qui, à la suite d'un séjour prolongé dans
un endroit humide, suivi de grandes fatigues, avait pré-
senté tous les symptômes de la myélite subaiguë. La para-
lysie du mouvement avait commencé à se prononcer dans
les membres inférieurs, le 25 janvier; elle y était devenue
complète le 9 février. Le 23 du même mois, la peau de la
région sacrée présentait une plaque érythémateuse qui, le
5 mars, avait fait place à une eschare. Le 6 mars, une dou-
leur vive s'est manifestée au genou droit qui est tuméfié
et donne la sensation de fluctuation. Il y a, en outre, tumé-
faction douloureuse de l'articulation tibio- tarsienne du
môme côté. Le 9 mars, le genou avait déjà diminué de vo-
lume ; le même jour des eschares se sont manifestées aux
(0 Mitchell. — American Journal of the medic. Se, t. VIII, p. 55, 1831.
(2) J'ai cependant vu l'un des genoux devenir le siège d'une arthropathie
subaiguë chez une femme atteinte de paralysie consécutive au mal de Pott.
Ce fait a été consigné dans la thèse de M. Michaud. (Sur la méningite et la
myélite dans le mal vertébral. Paris, 1871).
(3) P. 91 et 92.
(4) Gull. — Guifs Hospital Reports, 3° série, t. IV, 1853. Obs. XXVII.
(5) Gull. —Idem. Obs. XXVII.
Charcot, t. i, 3e éd. 8
114 ARTÏIROPATHIES DES HÉMIPLÉGIQUES.
talons. La mort survint le 2*7 mars. L'autopsie a montré un
foyer de ramollissement siégeant à 4 centimètres environ
au-dessus de la queue de cheval.
Enfin, dans un cas de myélite centrale chez un enfant,
ayant pris origine au voisinage d'un tubercule solitaire
siégeant à la région cervicale de la moelle, M. Gull signale
la formation d'un épanchement intra-articulaire, occupant
l'un des genoux, au moment où la paralysie commençait à
envahir les membres inférieurs (1).
Il est remarquable de voir ces arthropathies, consécutives
aux diverses formes aiguës ou subaiguës de la myélite,
se développer souvent, alors que les muscles des mem-
bres paralysés commencent à s'atrophier ou encore dans
le temps même qu'une eschare se forme rapidement au
siège.
Varihropathie des hémiplégiques, décrite pour la pre-
mière fois, je crois, en 1846, par Scott Alison (2), plus tard
(1) Gull, loc. cit. Cas xxxii.
(2) Scott Alison. — Arthrites occurring in the course ofparalysis, note lue
à la Société médicale de Londres, le 1G janvier 184G. In The Lancdt, t. I,
p. 276, 1847. — C'est bien de l'arthrite des hémiplégiques, telles que nous
l'avons décrite [Arch. de physiologie, t. I), qu'il s'agit dans la note du doc-
teur Alison ; l'affection a pour caractère de rester limitée aux membres pa-
ralysés et de ne pas s'étendre aux articulations des membres restés indemnes;
les jointures affectées sont chaudes, tuméfiées et dans quelques cas elles
sont douloureuses soit spontanément, soit seulement sous L'influence des
mouvements. Le genou, le coude, le poignet, la main, le pied, sont les
parties les plus fréquemment affectées. Cette forme d'arthrite paraît se mon-
trer surtout dans les cas où l'hémiplégie est consécutive à l'encéphalite ou
au ramollissement du cerveau. — Deux observations, choisies parmi de
nombreux cas du même genre et cités à titre d'exemples, méritent d'être
rapportées en quelques mots.
Obs. I. Une femme de 49 ans, qui pendant longtemps avait joui d'une
santé parfaite et n'avait jamais souffert d'aucune forme de maladie arthri-
tique, fut atteinte tout-à-coup d'hémiplégie : — quelques jours après, tumé-
faction et chaleur au niveau du poignet du côté paralysé et un peu plus tard
le genou et le pied du même côté se gonflèrent à leur tour et devinrent dou-
loureux. Il n'y avait pas d'œdème. Les membres paralysés étaient un peu
rigides. A l'autopsie, on trouva un ramollissement partiel du cerveau. Les
bassinets étaient remplis de petits calculs d'acide urique.
ARTHROPATHIES DES HÉMIPLÉGIQUES. 115
par Brown-Séquard, et dont j'ai fait connaître les carac-
tères anatomiques et cliniques, appartient, si je ne me
trompe, à cette même catégorie. Dans cette seconde va-
Obs. II. Un homme âgé de 54 ans, peintre en bâtiments, qui, à plusieurs
reprises, avait éprouvé des accès de goutte, fut frappé d'hémiplégie à début
subit. Peu après, le poignet, la main et le pied du côté paralysé devinrent
chauds et tuméfiés. Les membres paralysés étaient rigides. A l'autopsie, le
cerveau paraît ramolli et l'on trouve un caillot sanguin volumineux, dans un
des ventricules latéraux.
L'auteur cherche à expliquer, ainsi qu'il suit, le développement de cette
forme d'arthrite chez les hémiplégiques : « Les relations qui existent » dit-il,
« à l'état normal entre les parties constituantes du sang et les tissus vivants
sont profondément modifiées ; il y a deux éléments à considérer : en premier
lieu, une diminution de la vitalité des parties paralysées, et en second lieu,
la présence, dans le sang, d'agents morbides; or, l'influence irritante de
ces agents doit se faire sentir plus vivement sur les parties dont l'énergie
vitale est amoindrie. A l'appui de sa théorie, l'auteur fait ressortir que les
deux sujets, dont il a raconté l'histoire, étaient vraisemblablement sous le coup
de la diathèse urique : chez l'un, des calculs d'acide urique se rencontraient
dans les bassinets ; l'autre avait éprouvé autrefois plusieurs accès de goutte
{goutte saturnine). » Nous ferons remarquer à notre tour, que, très-certaine-
ment, ces deux cas sont, dans l'espèce, tout-à-fait exceptionnels, car le plus
souvent — on peut s'en convaincre par la lecture des observations publiées
dans notre travail [Arch. de physioL, t. I.) — l'arthrite survient chez les
hémiplégiques, comme une conséquence plus ou moins directe de la lésion
cérébrale, en dehors de toute influence de la goutte, du rhumatisme ou de
tout autre état diathésique.
Ainsi, tout en reconnaissant l'exactitude des descriptions cliniques de
M. Alison, je ne saurais souscrire à la théorie pathogénique qu'il a propo-
sée. Je suis loin, toutefois, de vouloir nier que les articulations des mem-
bres paralysés dans l'hémiplégie de cause cérébrale ne soient, comme le veu
M. S. Alison, particulièrement disposées à devenir un foyer d'élimination
par d'autres agents préalablement accumulés dans le sang. J'ai moi-même
communiqué dans le temps, à la Société de biologie, un fait, où cette dispo-
sition particulière est bien mise en évidence. Uae femme,âgée d'environ qua-
rante ans, avait été frappée tout-à-coup d'hémiplégie à droite, trois ans avant
son admission dans mon service. Les membres paralysés étaient fortement
contractures; de temps à autre les diverses jointures de ses membres, le
genou surtout et le pied, étaient le siège de douleur et de gonflement. La
malade étant aphasique à un haut degré, il avait été impossible de savoir
si autrefois elle avait été atteinte de goutte ou de rhumatisme. A l'autopsie,
on trouva une vaste cicatrice ochreuse, vestige d'un foyer (d'hémorrhagie
cérébrale) situé en dehors du noyau extra-ventriculaire du corps strié. Dans
la plupart des articulations des membres du côté droit, lesquelles avaient
été le siège de l'hémiplégie, les cartilages diarthrodiaux étaient incrustés,
vers leur partie centrale, de dépôts d'urate de soude tantôt cristallisé, tantôt
416 ARTHROPATHIES DES HÉMIPLÉGIQUES.
riété, comme dans la première, les arthropathies sont limi-
tées aux membres paralysés et elles occupent le plus sou-
vent le membre supérieur ; c'est surtout à la suite du ramol-
lissement cérébral en foyer qu'elles surviennent ; plus
amorphe. Les jointures des membres du côté non paralysé ne présentaient
rien de semblable. Quelques stries blanches que l'examen microscopique et
micro-chimique a démontré être constituées par de l'urate de soude, se ren-
contraient dans les reins.
Il est incontestablement fort remarquable de voir, dans cette observation,
que le dépôt goutteux se forme exclusivement dans les jointures des mem-
bres paralysés; mais, je ne saurais trop le répéter, les faits de ce genre
forment exception et, en tout cas, ils n'ont rien de commun au point de vue
pathogénique avec l'arthrite ordinaire des hémiplégiques. (Cas d'Hubert.
Voir Bourneville. — Etudes cliniques et thermométriques sur les maladies du
système nerveux, p. 58.)
— On doit à M. Brown-Séquard d'avoir appelé de nouveau l'attention
sur l'arthropathie des hémiplégiques et d'en avoir déterminé, mieux que ne
l'avait fait M. Alison, la cause organique. Voici comment s'exprime, à ce
propos, cet auteur dans une leçon publiée dans le journal The Lancet [Lec-
tures on the mode and origine of symptoms of diseases ofthe brain. Lect. I,
part. II, The Lancet, July 13, 1861). Après avoir admis que les sensations
pénibles, telles que celles de formication , de picotement qui se produisent
dans les membres paralysés, en conséquence d'une lésion cérébrale, résul-
tent généralement d'une irritation directe des fibres nerveuses encéphaliques
il ajoute : « Ce sont là des sensations rapportées à la périphérie, analogues
à celles qui se développent dans les doigts de la main, lorsque le nerf cu-
bital a été froissé au niveau du coude. Il importe de ne pas les confondre
avec les douleurs, quelquefois très-vives, qui peuvent se manifester dans les
muscles ou dans les articulations des membres paralysés. Les douleurs du
dernier genre ne se révèlent guère que sous l'influence des mouvements ou
de la pression exercée sur les membres; ou si elles se montrent parfois
spontanément, elles sont néanmoins toujours exaspérées par la pression ou
les mouvements ; elles dépendent d'une inflammation subaiguë des muscles
et des articulations qui, bien à tort, est souvent rapportée à une affection
rhumatismale. Cette subinflammation qui survient ainsi dans diverses par-
ties des membres paralysés est d'ailleurs, elle-même, la conséquence de
l'irritation que subissent dans l'encéphale ; les centres vaso-moteurs ou tro-
phiques. »
Avant M. Brown-Séquard, et même avant M. Scott Alison, plusieurs
médecins avaient remarqué déjà l'arthrite des hémiplégiques, mais sans faire
ressortir toutefois l'intérêt qui s'y attache. Consulter : — R. Dann, The
Lancet, t. II, p. 238, 1841 ; — Durand-Fardel, Maladies des vieillards, p. 131.
Paris, 1854, observation de la nommée Lemoine ; — Valleix, Guide du mé-
decin praticien, t. IV, 1853, p. 514; — Grisolle, Pathologie interne, 2U édit.
t. K,p. 257.
ÀNÀTOMIE PATHOLOGIQUE. 1 I 7
rarement en conséquence de l'hémorrhagie intra-encépha-
lique.
Elles se développent habituellement quinze jours ou un
mois après l'attaque apoplectique, c'est-à-dire au moment
de l'apparition de la contracture tardive qui s'empare des
membres paralysés, mais elles peuvent se montrer encore
à une époque ultérieure. La tuméfaction, la rougeur, la
douleur articulaires sont quelquefois assez prononcées
pour rappeler les phénomènes correspondants du rhuma-
tisme articulaire aigu. Les gaines tendineuses sont d'ail-
leurs souvent affectées en même temps que les join-
tures.
J'ai montré qu'il s'agit là d'une véritable synovite avec
végétation, multiplication des éléments nucléaires et fl-
broïdes qui constituent la séreuse articulaire, augmentation
du nombre et du volume des vaisseaux capillaires qui s'y
répandent. Dans les cas intenses, il se produit en outre
une. exsudation séro-fibrineuse à laquelle se trouvent mê-
lés, en proportion variable, des leucocytes, et qui peut de-
venir assez abondante pour distendre la cavité synoviale.
Les cartilages diarthrodiaux , les parties ligamenteuses
n'ont paru jusqu'ici présenter aucune lésion concomitante,
du moins appréciable à l'œil nu. Par contre, les gaines sj'-
noviales tendineuses, au voisinage des jointures affectées,
prennent part au processus inflammatoire et se montrent
vivement hypérémiées (1).
(l) Charcot. — Sur quelques arthropathies qui paraissent dépendre d'une
lésion du cerveau ou de la moelle épinière. (Archiv. de physiologie, t. I,
p. 396. — PL VI, fig. 1,2, 3, 4, o, G. Paris, 1868.) — L'arthropathie dont
il s'agit paraît ne devoir pas être confondue avec l'affection articulaire qui a
été décrite, dans ces derniers temps, par M. Hitzig, de Berlin (Ueber eine bei
schveren Heniiptlegien auftretende Grallenkaffection, in Virchoiv's Archiv. Bd
XLVIII, hft. 3 u. 4. 1869.) Celle-ci se montre surtout lorsque l'hémiplégie
est relativement de date ancienne et que les malades marchent déjà depuis
quelque temps ; elle occupe de préférence l'épaule et résulterait principale-
ment du déplacement des surfaces articulaires occasionné par la paralysie
des muscles qui enveloppent la jointure.
M 8 CARACTERES CLINIQUES.
Il est inutile de faire ressortir l'intérêt qui s'attache à
ces arthropathies, sous le rapport du diagnostic, le rhuma-
tisme articulaire aigu ou subaigu étant une affection à la-
quelle se lient souvent certaines formes de ramollissement
cérébral et qui, d'ailleurs, se manifeste aussi parfois à la
suite de causes traumatiques capables de déterminer un
ébranlement des centres nerveux. D'un autre côté, beau-
coup d'affections de la moelle épinière sont rattachées à tort
à la diathèse rhumatismale en raison de la coexistence de
ces manifestations articulaires. Les caractères cliniques qui
rendraient facilement reconnaissables les arthropathies liées
aux lésions des centres nerveux et permettraient de les
distinguer des arthrites rhumatismales sont surtout :
1° Leur limitation aux jointures des membres frappés de
paralysie ;
2° L'époque en général déterminée à laquelle elles vien-
nent, dans les cas d'hémiplégie à début brusque, figurer
sur la scène morbide ;
3° La coexistence d'autres troubles trophiques de même
ordre, tels que les eschares à formation rapide et, lorsqu'il
s'agit de la moelle épinière, l'atrophie musculaire aiguë des
membres paralysés, la cystite, la néphrite, etc.
B. Le type du deuxième groupe se rencontre dans l'a-
taxie locomotrice progressive. Permettez-moi d'arrêter un
instant votre attention sur cette espèce d'affection articu-
laire à laquelle j'attache un intérêt paternel et d'autant plus
vif que la signification que je lui ai donnée a trouvé beau-
coup d'incrédules. Un mot d'abord sur les caractères cli-
niques de Yarthropathie des ataxiqnes(l).
Elle se manifeste, en général, à une époque déterminée
de l'ataxie et son apparition coïncide, pour ainsi dire, dans
beaucoup de cas, avec le début de l'incoordination motrice.
(l) Charcot. — Sur quelques arthropathies, etc., première partie (Arch.
de physiologie, i. J, 1868.)
ARTIIROPATIIIES DES ATAXIQUKS. I I ï)
Sans cause extérieure appréciable, on voit, du jour au len-
demain, se développer une tuméfaction générale et souvent
énorme du membre, le plus communément en dehors de
toute douleur, de toute réaction fébrile. Au bout de quel-
ques jours, la tuméfaction générale disparait, mais il reste
au niveau de la jointure, un gonflement plus ou moins con-
sidérable résultant de la formation d'une hydartlirose et
quelquefois, en outre, d'une accumulation de liquide dans
les bourses séreuses périarticulaires. La ponction a plu-
sieurs fois extrait de la jointure, ainsi tuméfiée, un liquide
citrin, transparent.
Une ou deux semaines après l'invasion, quelquefois
beaucoup plus tôt, on constate l'existence de craquements
plus ou moins accusés, révélant l'altération, déjà profonde
à cette époque, des surfaces articulaires (1). L'hydarthrose
se résout bientôt, laissant après elle une extrême mobilité
delà jointure. Aussi des luxations consécutives se pro-
duisent-elles souvent, facilitées considérablement par l'u-
sure qu'ont subie les tètes osseuses. J'ai noté plusieurs fois
une atrophie rapide des masses musculaires sur les mem-
bres où siège l'affection articulaire.
L'arthropathie des ataxiques occupe le plus fréquem-
ment les genoux, les épaules, les coudes ; elle peut siéger
aussi à la hanche. Les renseignements anatomo-patholo-
giques qui la concernent sont encore très-imparfaits. Cepen-
dant un caractère qui parait constant; c'est l'usure énorme
qui frappe, dans un très-court espace de temps, les extré-
mités articulaires. Au bout de trois mois, la tète numérale
que je vous présente et qui provient d'une femme chez
laquelle nous avons pu étudier le début de l'arthropathie,
était, comme vous le voyez, en grande partie détruite (Fig.
S). Je vous ferai remarquer qu'on n'observe pas, sur cette
(l) Dans quelques cas, les craquements ont précédé de plusieurs jours l'ap-
parition de la tuméfaction générale du membre ; mais celle-ci est, dans la
règle, le premier phénomène qu'on observe.
120 CARACTÈRES ANATOMIQUES.
pièce, au pourtour de la surface articulaire usée, les bour-
relets osseux qui ne manqueraient pas d'exister s'il s'agis-
sait là de l'arthrite sèche ordinaire (1).
Je mets maintenant sous vos yeux, afin d'établir le con-
traste, une articulation du genou, provenant également
d'une femme qui avait présenté les symptômes de l'arthro-
Ji.
Fij. 5. — Extrémité supérieure d'un humérus sain et d'un humérus offrant les lésions
de l'arthropathie des ataxiques.
pathie des ataxiques, mais chez laquelle l'affection de la
jointure remontait à une époque beaucoup plus .éloignée.
Outre l'usure des surfaces articulaires, qui, comme dans le
cas précédent, est poussée très-loin, vous reconnaissez ici
la présence de corps étrangers, de stalactites osseuses, et,
en un mot, de tous les accompagnements habituels del'ar-
tlirite déformante. Ces dernières altérations, je le répète,
faisaient absolument défaut chez la première malade. Je
suis porté à croire, d'après cela, qu'elles ne sont nullement
nécessaires et qu'elles se produisent d'une façon acciden-
(l) Comparez : Charcot. — Ataxie locomotrice progressive. Arthropathie
de V épaule gauche. Résultats nécroscopiques. In Archiv. de physiologie, t. II,
p. 121, 1869.
CARACTÈRES CLINIQUES, 121
telle vraisemblablement surtout parle fait des mouvements
plus ou moins énergiques que les malades continuent quel-
quefois à imprimer aux membres affectés.
Je veux me borner, quant à présent, à cette indication des
traits les plus généraux de l'arthropathie des ataxiques,
car c'est là un sujet que je compte reprendre avec plus de
développement par la suite. Ce qui sera dit suffira, j'espère,
pour montrer que l'affection articulaire dont il s'agit est,
elle aussi, l'expression de troubles trophiques relevant di-
rectement de la lésion du centre nerveux spinal. Voici,
d'ailleurs, en quelques mots, les principaux arguments sur
lesquels je fonde ma manière de voir.
Je signalerai, en premier lieu, l'absence de toute cause
traumatique ou diathésique, du rhumatisme, de la goutte,
par exemple, pouvant expliquer l'apparition de la maladie
articulaire dans les cas que j'ai observés. M. R. Wolk-
mann (1) a émis l'opinion que l'arthropathie des ataxiques
est tout simplement le résultat de la distension que subis-
sent les ligaments et les capsules articulaires, en consé-
quence de la démarche maladroite particulière à ce genre
de malades. Les faits, aujourd'hui nombreux, dans lesquels
notre arthropathie siège aux membres supérieurs et occupe
soit l'épaule, soit le coude, montrent suffisamment que
l'interprétation, proposée par "Wolkmann, ne saurait avoir
qu'une portée très-restreinte. L'influence d'une cause toute
mécanique ne peut être invoquée, du moins comme agent
principal, même dans les cas où l'arthropathie siège aux
membres inférieurs. J'ai eu soin de faire remarquer, en
effet, me fondant sur des observations cliniques, bien des
fois répétées, que l'affection articulaire dont il s'agit se dé-
veloppe en général à une époque relativement peu avancée
de la sclérose des cordons postérieurs, et alors que l'incoor-
dination motrice est encore nulle ou à peine accusée.
(l) Cannstatt's Jahreshericht , 1868-1869, 2e Bel, p. 391.
122 CARACTÈRES CLINIQUES.
Les caractères cliniques de notre arthropatliie sont, d'un
autre côté, véritablement spéciaux. Son début brusque,
marqué par la tuméfaction générale du membre , les alté-
rations rapides que subissent les surfaces articulaires , en-
fin son apparition à une époque pour ainsi dire déterminée
de la maladie spinale à laquelle elle se rattache, consti-
tuent autant de particularités que l'on ne trouve réunies,
si je ne me trompe, dans aucune autre affection articu-
laire.
Mais voici un argument plus direct. Dans l'opinion où
nous étions que l'artliropathie en question est une lésion
trophique consécutive à l'affection de la moelle épinière,
nous ne pouvions cependant songer à la rattacher aux al-
térations banales de l'ataxie locomotrice progressive : sclé-
rose des cordons postérieurs, méningite spinale postérieure,
atrophie des racines postérieures des nerfs rachidiens. Un
examen minutieux, fait dans plusieurs cas, nous avait dé-
montré, d'un autre côté, qu'on ne pouvait invoquer une lé-
sion des nerfs périphériques : c'est dans la substance grise
des cornes antérieures de la moelle que nous croyons avoir
trouvé le point de départ de cette complication singulière de
l'ataxie (1). Il n'est pas très-rare de voir la substance grise
spinale affectée dans l'ataxie locomotrice ; mais, le plus sou-
vent, la lésion porte alors sur les cornes postérieures. Or,
il en était tout autrement dans deux cas d'ataxie locomo-
trice compliqués d'arthropathie où l'examen microscopique
de la moelle a été fait avec soin ; les cornes antérieures de
substance grise étaient dans ces deux cas, remarquablement
atrophiées et déformées et un certain nombre des grandes
cellules nerveuses, celles du groupe externe 'surtout,
avaient diminué de volume, ou même avaient disparu sans
(l) Voir Charcot et Jofïïoy. — Note sur une lésion de la substance
grise de la moelle épinière, observée dans tin cas d'arthropathie liée à l'a-
taxie locomotrice progressive. In Archiv. de physiologie, t* III, p. 306,
1870.
TATHOGÉME. 123
laisser de traces. L'altération se montrait d'ailleurs exclu-
sivement (Fig. 6) sur la corne antérieure correspondant
au coté du corps où siégeait la lésion articulaire. Elle affec-
tait la région cervicale dans le premier cas où l'arthropa-
tliie occupait l'épaule; elle siégeait un peu au-dessus de la
région lombaire dans le second cas qui présentait un exem-
ple d'arthropathie du genou. Au-dessus et au-dessous de
ces points, la substance grise des cordons antérieurs pa-
raissait exempte d'altérations.
On pourrait se demander si cette altération d'une des
mM
MM
A *~ ( —
B;
Fig. G. — A, Corne antérieure du côté droit — A'. Corne antérieure du côté gauche. —
B, Commissure grise postérieure et canal central. — C, Sillon médian antérieur. —
a. a , Groupe de cellules antérieur externe. — b, b' ', Groupe de cellules antérieur in-
terne.— c'. Groupe de cellules postérieur externe du côté droit. Le groupe cel-
lulaire correspondant fait, à gauche (c), à peu près défaut.
cornes antérieures de la substance grise spinale, révélée
par l'examen microscopique, n'est pas un résultat de l'i-
nertie fonctionnelle à laquelle le membre correspondant
aura pu être condamné par le fait de la lésion articulaire.
Cette hypothèse devra être rejetée, car d'un côté, dans nos
deux cas, les membres où siégeaient les arthropathies
avaient conservé, en grande partie, la liberté de leurs mou-
vements et, d'un autre côté, la lésion de la substance grise
différait essentiellement ici de celle qui se produit après
124 ARTHROPATHIES DANS i/AMYOTROPHIE PROGRESSIVE.
l'amputation d'un membre ou la section des nerfs qui s'y
rendent.
Par ce qui précède, j'espère avoir rendu au moins très-
vraisemblable que, en s'étendant de proche en proche, jus-
qu'à certaines régions des cornes antérieures de la subs-
tance grise, le processus inflammatoire, primitivement dé-
veloppé dans les cordons postérieurs, a pu, chez nos deux
malades, occasionner le développement de l'affection articu-
laire. Si, parla suite, les résultats obtenus dans ces deux cas
sont confirmés par de nouvelles observations, on sera na-
turellement conduit à admettre que les arthrites liées à la
myélite, et celles qui se montrent en conséquence du ra-
mollissement du cerveau, résultent, elles aussi, de l'enva-
hissement de ces mêmes régions de la substance grise de la
moelle épinière. Dans le cas où il s'agit du ramollissement
cérébral, la sclérose descendante de l'un des cordons laté-
raux de la moelle pourrait être considérée comme le point
de départ de la diffusion du travail inflammatoire.
MM. Patruban (1), Remak (2), et tout récemment M. Ro-
senthal (3) ont observé dans Y atrophie musculaire pro-
gressive, des arthropathies, qui, par leurs caractères cli-
niques, se rapprochent beaucoup de l'arthropathie des
ataxiques. Il n'y a là rien qui doive surprendre, si l'on songe
qu'une lésion irritative, primitive ou secondaire, des cellu-
les nerveuses des cornes antérieures de la substance grise
spinale, paraît être le point de départ de l'amyotrophie dans
la majorité des cas qu'on désigne d'habitude, en clinique,
sous le nom d'atrophie musculaire progressive.
Je m'arrête ici, pour aujourd'hui, dans cette étude que je
compte terminer, Messieurs, dans la prochaine conférence.
(1) Patruban. — Zeitschrift fur prakt. Eeilkunde, 1862, n° 1.
(2) Remak. — Allgemeine nediziniche central Zeitung, Mars 1863,
20 st.
(3) Rosenthal. — Lehrbuch dcr Nervenkranliheiten, p. 571. Wien,187û. —
Voir aussi Benedikt. — Elektrotherapie, t. II, p. 384.
QUATRIÈME LEÇON
Troubles trophiques consécutifs aux lésions de la
moelle épinière et du cerveau (Suite et fin). — Af-
fections des viscères. — Partie théorique.
Sommaire. — Hypérémies et ecchymoses viscérales consécutives aux lé-
sions expérimentales de diverses parties de l'encéphale, et à l'hémorrhagie
intra-encéphalique. — Expériences de Schiff et de Brown-Séquard ;
observations personnelles. — Ces lésions paraissent dépendre de la pa-
ralysie vaso-motrice ; elles doivent former une catégorie à part. — Opi-
nion de Schrœder van der Kolk, relative aux rapports qui existeraient
entre certaines lésions de l'encéphale et diverses formes de la pneumonie,
la tuberculisation pulmonaire. — Hémorrhagies des capsules surrénales
dans la myélite. — Néphrite et cystite consécutives aux affections spi-
nales irritatives, à début brusque, traumatiques ou spontanées. — Altéra-
tion rapide des urines dans ces circonstances ; elle se manifeste souvent
dans le temps même où les eschares se développent à la région sacrée ;
elle se rattache aux lésions des voies urinaires qui, elles-mêmes, relèvent
d'une influence directe du système nerveux.
Théorie de la production des troubles trophiques consécutifs aux lésions
du système nerveux. — Insuffisance de nos connaissances à cet égard. —
Paralysie des nerfs vaso-moteurs; hypérémie consécutive; elle ne produit
pas de troubles trophiques. — Exceptions à la règle. — Irritation des
nerfs vaso-moteurs ; l'ischémie qui en résulte ne paraît pas avoir d'in-
, fluence marquée sur la nutrition locale. — Nerfs dilatateurs et nerfs sé-
créteurs ; recherches de Ludwig et de Cl. Bernard ; analogies entre ces
deux ordres de nerfs. — Application à la théorie des nerfs trophiques. —
Théorie de Samuel; exposé; critiques. — Conclusions.
Messieurs,
Le retentissement des lésions du système nerveux ne se
fait pas sentir seulement sur les parties périphériques : sur
la peau, les os, les muscles. Les viscères, eux aussi, peu-
vent être influencés par ces lésions.
126 ECCHYMOSES VISCERALES.
On sait que certaines altérations de l'encéphale, celles
surtout qui portent sur les couches optiques, les corps striés,
et en particulier les diverses parties de l'isthme, que ces
altérations soient le fait de l'expérimentation ou qu'elles se
soient produites spontanément, sont parfois suivies de l'ap-
parition de certaines lésions viscérales.
Ainsi, dans quelques expériences de M. Schiff (1) et de
Brown-Séquard (2), il est fréquent de voir survenir dans
les poumons, l'estomac et les reins, soit une simple hypéré-
mie, soit de véritables ecchymoses consécutivement à l'irri-
tation traumatique des couches optiques, des corps striés,
de la protubérance, du bulbe, etc. D'un autre côté, ainsi
que je l'ai fait remarquer, rien n'est p)us commun que de
rencontrer chez l'homme, dans les cas d'apoplexie sympto-
matique du ramollissement du cerveau, mais surtout de
l'hémorrhagie intra-encéphalique en foyer, des plaques
congestives, de véritables ecchymoses sur les plèvres, l'en-
docarde, la membrane muqueuse de l'estomac (3).
Quelle est la raison de ces altérations singulières?
M. Schiff n'hésite pas à les considérer comme les effets
très-simples de la paralysie des nerfs vaso-moteurs.
Je suis, pour mon compte, très-enclin à croire que, en
général, le mode pathogénique est ici plus complexe. Ce-
pendant, l'influence pour ainsi dire directe de l'hypérémie
neuro-paralytique sur le développement des ecchymoses,
chez les apoplectiques, semble bien établie par le fait sui-
vant, que j'ai communiqué à la Société de biologie en 1868 :
Une femme de la Salpétrière fut frappée d'apoplexie avec
hémiplégie du côté gauche et succomba quelques jours
après. Les membres paralysés avaient présenté une éléva-
(1) M. Schiff. — Gaz. hebdomadaire, t. I, p. 428. — Lezioni di Fisiologia
sperimcntale sul sijsterna nervoso encefalico, pages 287, 297, 373. Firenze,
1806. — Leçons sur la physiologie de la digestion, t. II, p. 433. Florence,
1807.
(2) Société de biologie, 1870.
(3) Comptes-rendus de la Société de Biologie, 18 juin 1869. Paris, 1870.
ECCHYMOSES VISCÉRALES. 127
tion relative très-prononcée de la température. A l'autop-
sie, on trouva dans l'hémisphère droit un foyer hémorrhagi-
que récent, occupant le corps strié. L'aponévrose épiera*
nienne présentait du côté gauche, c'est-à-dire frappé d'hé-
miplégie, une teinte rouge vineuse, et, çà et là, de vérita-
bles ecchymoses.
La coloration anormale, ainsi que les ecchymoses, s'arrê-
taient brusquement à la ligne médiane. La moitié droite de
Fépicrâne, au contraire, avait conservé sa pâleur habi-
tuelle : on n'y observait pas traces de taches ecchymotiques.
Des. ecchymoses se voyaient dans l'épaisseur des plèvres, de
l'endocarde et delà membrane muqueuse de l'estomac (1).
Quoi qu'il en soit, les lésions viscérales dont il s'agit
diffèrent par des caractères importants de celles qui font
l'objet principal de nos études; ce sont, nous l'avons dit,
des hypérémies, des ecchymoses; jamais les caractères de
l'inflammation ne s'y surajoutent, sans l'intervention d'une
cause accessoire, ce qui n'est nullement nécessaire, vous le
savez, dans le cas des lésions trophiques ordinaires. Il y a
donc lieu, quant à présent, de ranger dans une catégorie à
part, du moins provisoirement, ces congestions et ces
ecchymoses qui se montrent consécutivement à la lésion de
diverses parties de l'encéphale.
D'un autre côté, quelques auteurs, Schrœder van der
Kolk entre autres, ont émis l'opinion que les diverses for-
mes de la pneumonie, et même la tubercuiisation pulmo-
naire, qui surviennent fréquemment, comme on sait, dans
le cours de certaines affections encéphaliques, dérivent, en
pareil cas, d'une influence exercée sur les poumons par les
lésions du cerveau ou du bulbe. Mais il faut reconnaître que
les faits sur lesquels repose cette prétendue connexité ne
sont pas encore suffisamment démonstratifs (*2).
(1) Comptes- rend us de la Société de biologie, année 18C8. Paris, 18C9,
p. 213.
(2) Schrœder van der Kolk. — Atrophj oftheBrain. Sydenham Society.
428 HÉMORRHAGIES DES CAPSULES SURRÉNALES.
Les lésions spinales, de même que les lésions de l'encé-
phale, peuvent être suivies de la production d'ecchymoses
viscérales. Il me suffira de rappeler que si, chez un cochon
d'Inde, on lèse à l'aide d'un instrument piquant la moelle
lombaire, il se produit quelquefois un épanchement de sang
dans les capsules surrénales (1). J'ai cru devoir vous re-
mettre en mémoire cette expérience de Brown-Séquard ,
parce que la pathologie humaine nous fournit des faits ana-
logues. Tout récemment, mon ami le docteur Bouchard m'a
fait part d'un cas de myélite aiguë observée dans le service
de M. le professeur Béhier, et promptement terminée par la
mort. A l'autopsie, outre les lésions de la myélite par-
tielle, on constata, dans l'épaisseur des capsules surrénales,
l'existence de foyers hémorrhagiques récents.
Mais, je le repète, les lésions congestives etecchymotiques
paraissent être d'un ordre à part. En revanche, les affec-
tions des reins et de la vessie sur lesquelles je veux actuel-
1861. — L'auteur fait ressortir que, d'après la statistique publiée dans son
Traité de la moelle épinière, tous les épileptiques dont la langue était mordue
ont succombé par suite de phtbisie, de pneumonie, ou dans le marasme.
Il ajoute que, suivant Durand-Fardel, les sujets atteints de ramollissement
du cerveau meurent presque toujours d'une affection pulmonaire et il cite
à ce propos une statistique de Engel (Prager vierteljahaschr., VII, Jahrg.
Bd. III), laquelle plaide dans le même sens. Il rappelle les expériences déjà
anciennes dans lesquelles Schiff aurait vu chez le lapin, des tubercules (?) se
développer dans le lobe supérieur du poumon à la suite de la section du gan-
glion du nerf vague ( Wunderlich's 'Archiv, 6, Jahr. 8, heft. pp. 769 et suiv.)
et fait remarquer enfin que, parmi les observations rassemblées par Brown-
Séquard dans ses Recherches sur la physiologie de la protubérance annulaire
(Journal de la physiologie, t. I), il en est un certain nombre où la phthisie
et la pneumonie ont déterminé la mort. Cruveilhier, Andral, Piorry avaient
, depuis longtemps signalé le rôle prédominant que jouerait, suivant eux, la
pneumonie aiguë dans l'issue des apoplexies déterminées par le ramollisse-
ment ou l'hémorrhagie du cerveau. — D'après les observations que j'ai re-
cueillies à la Salpétrière, les inflammations lobulaires ou lobaires du poumon
seraient moins fréquentes dans ces circonstances que ces médecins ne sem-
blent le croire.
(l) Brown-Séquard. — Influence d 'une partie de la moelle épinière sur les
capsules surrénales. In Comptes -rendus de la Société de biologie ^ 1851 , t. III,
p. 146.
NKPHRO-CYSTITE. 429
lement appeler votre attention, se rattachent, par l'ensemble
de leurs caractères, au groupe des lésions trophiques pro-
prement dites.
Vous n'ignorez pas que la néphrite et la cystite sont des
complications très-communes des affections spinales irrita-
tives, à début brusque, qu'elles soient d'origine traumati-
que, ou au contraire spontanées.
On a depuis longtemps reconnu qu'à la suite des frac-
tures de la colonne vertébrale, avec lésion consécutive de
la moelle épinière, les urines subissent fréquemment une
altération rapide. Dupuytren avait fait remarquer, vous le
savez, qu'en pareil cas, les sondes mises à demeure pour
remédier à la rétention d'urine, se recouvrent rapidement
d'incrustations calcaires (1). Mais c'est à Brodie surtout
qu'on doit d'avoir appelé l'attention sur les caractères que
présente l'urine chez les individus atteints de paraplégie
traumatique (2). Dès le huitième, le troisième, le deuxième
jour, il a vu les urines devenir alcalines, répandre une
odeur ammoniacale, fétide, au moment de l'émission. Bien-
tôt après, elles renferment des caillots sanguins, du muco-
pus, des dépôts de phosphate ammoniaco-magnésien. On
relèverait aisément dans les auteurs un très-grand nombre
de faits où les altérations de l'urine signalées par Brodie,
se sont produites, en effet, dès les premiers jours qui sui-
vent la paraplégie déterminée par une fracture de la co-
lonne vertébrale (3). L'autopsie fait constater dans ces cas
les lésions plus ou moins prononcées de la néphro-cystite
purulente (4).
(1) Ollivier (d'Angers), loc. cit., t, I. p. 372.
(2) Brodie. — Medic- chir. Trans., loc. cit.
(3) Voir Stanley. 1er cas : Urines fortement ammoniacales dès le cinquième
jour; 2e cas : urines ammoniacales le quatrième jour [Lond. Med. chir.Trans.
t. XVJ11, p. l). — Jeffieys, urines ammoniacales et sanguinolentes, le
septième jour (Ollivier (d'Angers), loc. cit., t. I, p. 322).
(4) Molendrinski. — Bruch des zweiten Lendenwirbels, in Zangenbeck's
Archiv. XL Bd. 1869, p. 359.
Charcot, t. 1, 3e éd. 9
4 30 ALTÉRATIONS DE i/URINE.
Mais les lésions traumatiques de ce genre sont, en géné-
ral, peu propres à mettre en lumière la relation qui existe
entre l'inflammation des voies urinaires et les altérations
de la moelle épinière. On peut toujours supposer, à la ri-
gueur, qu'une chute, qu'une commotion assez violente pour
produire une fracture de la colonne vertébrale, ont pu, du
même coup, déterminer les lésions vésico-rénales.
Il n'en est plus de même lorsqu'il s'agit d'une affection
développée spontanément dans la moelle épinière, ou en-
core d'une blessure déterminée dans cet organe par un
coup porté à l'aide d'un instrument aigu. Or, même dans
les cas de ce genre, il est fréquent de constater, peu de
temps après le début des premiers accidents paralytiques,
une modification plus ou moins profonde dans la constitu-
tion des urines, liée à des altérations népliro-vésicales sou-
vent très-graves. Je me bornerai à mentionner, à titre
d'exemple, les faits suivants :
Dans un cas, cité précédemment, d'hémiparaplégie pro-
duite par un coup de couteau, les urines se montrèrent al-
calines dès le troisième jour; peu après, elles devinrent
muco-purulentes. La mort survint le treizième jour.
A l'autopsie, on trouva dans les reins, les uretères et la
vessie, des lésions plilegmasiques très-accentuées (1). Dans
un cas analogue rapporté par M. Brown-Séquard, d'après
le docteur Maunder (2), les urines furent trouvées alcalines
également fort peu de temps après l'accident. Les faits de
cette espèce sont très-intéressants en ce qu'ils montrent
qu'une lésion unilatérale , très-circonscrite de la moelle
épinière, suffit pour déterminer une affection plus ou moins
grave et plus ou moins généralisée des voies urinaires.
Egalement dans la myélite aiguë spontanée, à début
brusque, et dans l'hématomyélie, l'apparition d'urines am-
moniacales, sanguinolentes, muco-purulentes, peu de temps
(1) Cas de W. Muller. Voir 3e leçon, p. 104.
(2) Journal de physiologie, t. VI, p. 152, 1863.
ALTÉRATIONS DE L'URINE. 131
après l'apparition des symptômes paralytiques, est un fait
qui s'observe fréquemment. Ainsi, les urines étaient déjà
profondément altérées dès le cinquième jour dans le cas de
myélite aiguë que nous avons cité d'après le docteur Duck-
Avortli (1); dès le sixième jour dans celui de M. Jof-
froy (2). Elles étaient ammoniacales le quatrième jour, dans
le cas du , docteur Gull (3) ; sanguinolentes le troisième
jour, et purulentes le neuvième, dans un cas de M. Mann-
kopf(4).
Dans le cas d'hématomyélie publié par M.Duriau (5), l'u-
rine était ammoniacale et contenait des caillots sanguins
le quatrième jour ; elle présentait le même caractère le
sixième jour et devint peu à peu purulente, dans un fait
rapporté par Ollivier (d'Angers), d'après Monod (6), et où
il s'agit d'une liémiparaplégie consécutive à la présence
d'un foyer hémorrhagïque occupant une moitié latérale de
la moelle épinière. Vous trouverez, dans l'ouvrage de
M. Rayer, la description des lésions souvent très-profondes
des reins, des bassinets et de la vessie, auxquelles doivent
être rattachées ces altérations de l'urine (7).
Plusieurs des observations qui viennent d'être citées,
contiennent un renseignement dont l'importance ne saurait
(1) 38 leçon, p. 107.
(2) Idem.
(3) 7</.,p. 106.
Berliner Klin. Wochenschrift, t. I, n°l, 1864.
(5) 3e leçon, p. 107.
(G) Ollivier (d Angers), /oc. cit., t. II, p. 177.
(7) Rayer. — Traité des maladies des reins. 1. 1, p. 530 et suiv. « D'après
mes observations, » dit Rayer, « dans les maladies de la moelle épinière,
lorsque Turine contenue dans la vessie est alcaline, elle Test, non par reflet
d'une décomposition difficile à expliquer sans le contact de l'air, et dans v.n
court laps de temps : mais bien par un vice de sécrétion des reins, qui doit
être attribué, dans la plupart des cas, à une irritation inflammatoire de ces
organes. — Relativement à la description des altérations des voies urinaires
consécutives aux affections aiguës de la moeLe, consultez : Engelken, loc.
cit., p. 12. — Mannkopf, Bericht Eiiber die Versammlung %u Hannorer,
p. 259. Et Berlin. Klin. WgcIi., t. I. Comparez : Rosenstein. — Nieren-
kranhheiten, 2e édit. p. 287. Berlin, 1870.
132 ALTERATIONS DE L URINE.
vous échapper. Il y est dit que les urines, jusque-là restées
normales, sont devenues, ainsi que je l'annonçais, ammo-
niacales, sanguinolentes ou muco-purulentes, dans le temps
même où les eschares se développaient à la région sacrée,
où la contractilité électrique commençait à s'affaiblir dans
les muscles des membres paralysés (1).
Gomment comprendre ce développement si rapide de
lésions inflammatoires des voies urinaires à la suite des
affections aiguës, spontanées ou traumatiques de la moelle
épinière? Evidemment on ne saurait faire intervenir, ici,
du moins, comme élément pathogénique unique, ou même
prédominant, la rétention paralytique des urines. Il n'est
guère possible non plus d'accorder une grande valeur à
l'opinion (2) qui attribuerait, en pareil cas, l'altération des
urines à l'introduction de sondes malpropres et portant
des vibrions. En effet, l'introduction des vibrions dans la
vessie ne saurait être qu'une circonstance aléatoire, tandis
que l'apparition d'urines ammoniacales, sanguinolentes et
purulentes, dans le cours de la myélite aiguë, est, au même
titre que la production des eschares, un fait pour ainsi dire
régulier.
L'insuffisance notoire des conditions pathogéniques que
nous venons d'énumérer, rend au moins fort vraisemblable
une action directe du système nerveux dans la produc-
tion de l'affection des voies urinaires qui nous occupe.
Celle-ci reconnaîtrait donc pour cause, comme d'ailleurs
les autres lésions trophiques qui se manifestent souvent en
même temps qu'elle, l'irritation de certaines parties du
centre spinal et plus particulièrement, sans doute, de la
substance grise.
(1) Ollivier (d'Angers) avait déjà noté que, dans la paraplégie traumatique,
c'est lorsque les urines s'altèrent de bonne heure qu'on voit les eschares se
former rapidement à la région sacrée. [Loc. cit.., t. II, p. 37).
(2) Traube. — Munk. Berlincr Klin. Wochensch., p. 19, 1864.
PARTIE THÉORIQUE. U3
PARTIE THÉORIQUE.
Messieurs, dans la série d'études qui précède, nous avons
eu maintes fois l'occasion de reconnaître que le dévelop-
pement des troubles trophiques survenant à la suite des
lésions du système nerveux n'est pas, au moins en général,
— contrairement à une opinion très-répandue — la con-
séquence de l'absence d'action des diverses parties de ce
système ; loin de là, ces affections résulteraient, le plus
souvent, de l'irritation que subissent, dans certaines con-
ditions, soit les nerfs périphériques, soit les centres ner-
veux eux-mêmes. Nous sommes ainsi en possession d'une
notion dont l'importance est capitale pour le pathologiste,
et vous entrevoyez facilement, sans qu'il soit nécessaire
d'insister, les déductions pratiques auxquelles elle pourra
conduire.
Mais, il faut reconnaître, après cela, que cette notion
toute empirique marque seulement le premier pas vers la
connaissance scientifique des phénomènes que l'observation
nous a permis de constater. Car si nous savons le mode
de l'altération initiale ainsi que son siège, il reste à déter-
miner d'abord par quelle voie celle-ci retentit sur les par-
ties périphériques.
Evidemment ce retentissement se fait par la voie des
nerfs, mais c'est là encore, au point de vue de la théorie,
une donnée insuffisante. Il faudrait s'efforcer de préciser
davantage et de rechercher quel est, dans cet ensemble
complexe, physiologiquement au moins, qu'on appelle un
nerf, l'élément par lequel s'opère la transmission et aussi
quel est le mécanisme de cette transmission.
J'aborde la question que je viens de soulever avec la cer-
titude à peu près absolue de ne pouvoir y répondre par des
arguments rigoureux. Peut-être l'eussé-je évitée, désireux
de ne point vous faire perdre un temps précieux, si je
134 THÉORIE VASO-MOTRICE.
n'étais convaincu qu'il importe tout au moins de montrer
l'inanité d'une théorie qui prétend la résoudre et qui règne
aujourd'hui à peu près sans conteste.
Vous n'ignorez pas, Messieurs, le rôle considérable que,
de nos jours, on a fait jouer aux nerfs vaso-moteurs dans
l'explication des phénomènes pathologiques. Je suis bien
loin de vouloir méconnaître que bon nombre de ces phé-
nomènes relèvent, en effet, directement, soit de la dilatation,
soit de la contraction des petits vaisseaux, déterminées par
une influence nerveuse. Mais en ce qui concerne spéciale-
ment les troubles trophiques qui font l'objet de nos études,
j'espère qu'il ne sera pas difficile de montrer dans une
courte discussion que la théorie vaso-motrice est tout à
fait insuffisante.
Pour en arriver là, je suis amené à vous remettre en
mémoire quelques-uns des faits expérimentaux qui ont
dévoilé les fonctions de ces nerfs centrifuges dont les der-
nières ramifications vont animer la tunique musculeuse des
petits vaisseaux. Je rappellerai, en premier lieu, les phé-
nomènes qui s'observent lorsque ces nerfs sont paralysés
par le fait d'une section complète, par exemple.
La section des nerfs vaso-moteurs a pour effet immédiat
de produire une dilatation paralytique des vaisseaux aux-
quels ils se rendent (1). De là résulte un état d'hypérémie dite
neuro-paralytique qui a été surtout bien étudiée dans le
cas de la section du nerf grand sympathique au cou, mais
qui se retrouve avec des caractères à peu près identiques,
à la suite d'un grand nombre de lésions des centres ner-
veux ou des nerfs périphériques. Les conséquences de cette
hypérémie sont, à notre point de vue, particulièrement
dignes d'intérêt. Vous savez que la partie répondant au
nerf sectionné présente une élévation relative de la tempé-
(l) Consultez sur la physiologie et la pathologie des nerfs vaso-moteurs
les Leçonfs sur Vappareil vaso-moteur, faites par M. le prof. Vulpian, recueil-
lies par C. Carville. Paris, 1875. (Note de la 2e édition.)
HYPÉRÉMIÉ NEURO-PARALYTIQUE. 13')
rature, qui parait résulte? uniquement de l'afflux d'une
plus grande quantité de sang. Vous savez qu'en outre, dans
toute l'étendue du territoire hypérémié, il semble se pro-
duire une exaltation des propriétés vitales de tous les élé-
ments, de tous les tissus. Tout au moins les nerfs -tant
sensitifs que moteurs, les muscles eux-mêmes, deviennent-
ils plus excitables (1) et ces derniers, après la mort, con-
servent plus longtemps que de coutume, la contractilité
qui leur est propre (2). Néanmoins, malgré ces conditions
nouvelles, — et c'est là un point qu'il importe surtout de
mettre en relief — l'accomplissement des actes intimes de
la nutrition ne paraît modifiée en rien d'essentiel. Ainsi,
dans les expériences de M. Ollier (3), conformes à celles
de M. Cl. Bernard, on ne voit point chez les jeunes animaux
après la section du grand sympathique au cou, survenir :
soit une accélération, soit une exagération dans l'accrois-
sement des parties de la face soumises, même pendant plu-
sieurs mois, à Thypérémie neuro-paralytique. Il ne parait
pas non plus que cette hypérémié, quelque intense et quel-
que prolongée qu'elle puisse être, ait jamais pour effet — à
moins de circonstances toutes particulières qui seront
mentionnées plus loin — de déterminer par elle-même le
développement d'un travail inflammatoire, et si l'expéri-
mentateur intervient à l'aide d'agents capables de provoquer
l'inflammation, le processus morbide, déterminé par cette
influence, évolue dans les parties hypérémiées, comme dans
les conditions normales : il n'offre pas de caractères spé-
ciaux, si ce n'est, toutefois, que les parties lésées tendent
à se réparer plus promptement.
A la vérité, relativement à ces derniers points, M. Schiff
professe une opinion bien différente. Il affirme, en effet,
que les altérations de nutrition naissent dans les parties
(1) Brown-Séquard. — Lectures on PJvjsiology and Pathology. Philadel-
phia, 1860, p. 1451.
(2) Brown-Séquard, ioe. cit. — Joseph, in Centralblatt , 1871, n° 46.
(3) Ollier. — Journal de. la physiologie , t. VI, p. 108.
136 HYPÉREMIE NEURO-PARALYTIQUE.
hypérémiées par le fait de la paralysie des vaso-moteurs,
sous l'influence du plus léger irritant mécanique local (1)
et que l'inflammation revêt là facilement le caractère des-
tructif (2). Mais il se trouve à cet égard en contradiction
formelle avec la majorité des observateurs, entre autres
avec MM. Snellen, Virchow (3) et 0. Weber (4).
Tout récemment encore, M. Sinitzin, après l'extirpation
du ganglion cervical supérieur d'un côté, aurait vu l'intro-
duction d'un petit fil de verre dans la cornée de ce même
côté ne produire qu'une réaction inflammatoire très-légère,
parfois même à peine sensible ; tandis que, du côté opposé,
chez le même animal, l'introduction du fil déterminait, au
contraire, une inflammation des plus vives avec infiltration
purulente de la cornée, iritis, panophthalmie, etc. (5).
M. Claude Bernard avait d'ailleurs fait remarquer depuis
longtemps déjà que l'ablation du ganglion cervical supé-
rieur paraît retarder l'apparition des désordres de nutri-
tion que détermine quelquefois dans l'œil la section de la
5e paire (6) et, dans ses expériences, M. Sinitzin est arrivé
aux mêmes résultats. Vous voyez d'après cela que, con-
trairement à l'opinion de M. Schiff, l'hypérémie neuro-pa-
ralytique ne crée pas, dans les parties où elle siège, une
disposition particulière à la production des troubles trophi-
ques ; il semble même qu'au contraire, ces parties soient
rendues plus résistantes à l'action des causes de désorga-
nisation et que les désordres qui s'y produisent y soient
plus vite réparés.
Chez l'homme, à cet égard, les choses semblent ne pas
différer de ce qu'elles sont chez les animaux; du moins, on
(1) Schiff. — Physiologie de la digestion, p. 235, t. I. — Lezioni di fisio-
logia. Firenze, 1866, p. 35.
(2) Schiff. — Digestion, t. II, p. 423.
(3) Virchow. — Cell. patholog., 4e édition, p. 158.
(4 O. Weber. — Centralblatt, 1864, p. 148.
(5) Sinitzin. — Centralblatt, 1871, p. 161.
(6) Cl. Bernard. — Système nerveux, t. II, p. 65, 1865.
HYPÉRÉMIE NEURO-PARALYTIQUE. 137
a vu plusieurs fois l'hypérémie neuro-paralytique persister
pendant longtemps sur une partie du corps, à la face par
exemple, sans qu'il s'en soit jamais suivi aucun trouble de
la nutrition, M. Perroud a réuni un certain nombre de cas
de ce genre dans un mémoire lu, en 1864, à la Société de
médecine de Lyon ; il suffit d'ailleurs de parcourir les nom-
breux travaux qui ont été publiés dans ces dernières an-
nées sur les A ngioneuroses, pour reconnaître que les trou-
bles de nutrition sont un accompagnement plutôt rare de
l'hypérémie neuro-paralytique.
Un nouvel argument peut être invoqué en faveur de la
thèse que nous soutenons : L'élévation de la température,
constatée à l'aide du thermomètre, est, nous l'avons dit, un
phénomène indissolublement lié à l'existence des hypéré-
mies partielles de cause neuro-paralytique. Cette hyper-
thermie locale devrait nécessairement exister dans les
parties où se montrent les lésions trophiques que nous
avons décrites, si celles-ci relevaient réellement de l'hypé-
rémie neuro-paralytique. Or, cela n'a pas lieu, d'une façon
générale au moins. Si une élévation marquée de la tempéra-
ture a été plusieurs fois constatée sur les régions du corps
où se développait une éruption de zona consécutive à la
névralgie ou à la névrite (1), on peut dire cependant que les
lésions irritatives des nerfs périphériques, dans les condi-
tions où elles déterminent ordinairement les troubles tro-
phiques, paraissent s'accompagner plutôt d'un abaissement
du chiffre thermique. Cet abaissement a pu être observé à
toutes les périodes de l'affection du nerf ; on l'a constaté
aune époque voisine du début (2), plus souvent dans les
(1) Horner, cité par 0. Wyss. (Archiv der Heilkunde, 1871 ; voir la note
p. 563). — Charcot, Névralgie du nerf cubital. Éruption de Zona sur le
trajet du nerf affecté ; examen thermométrique ; dans la thèse de Mougeot,
Paris, 1867, p. 101.
(2) Folet. — Cas de contusion du plexus brachial, observé par M. Lanne-
longue. [Etude sur la température des parties paralysées. Paris, 1867, p. 7.)
138 HYPÉRÉMIE NEURO-PARALYTIQUE.
périodes avancées (1). Pour ce qui a trait aux lésions spi-
nales, il est vrai que parfois les membres sur lesquels se
développent les troubles trophiques — atrophie musculaire
rapide, éruptions huileuses, eschares, — accusent une élé-
vation plus ou moins prononcée de la température (2). Mais
d'autres fois, le plus souvent peut-être, ce phénomène fait
défaut ; il en est ainsi dans la myélite partielle (3), et dans
la paralysie infantile (4) ; il en est de même dans les cas à
évolution lente, comme l'atrophie musculaire progressive,
par exemple (5). Vous voyez,- d'après ce qui précède, que
les troubles trophiques liés aux lésions irritatives des
centres nerveux se trouvent, au moins dans un bon nom-
bre de cas, dégagés de l'élévation de la température qui
devrait, je le répète, nécessairement se montrer toujours
présente, s'ils reconnaissaient en réalité pour origine
l'hypérémie consécutive à la paralysie des nerfs vaso-mo-
teurs.
L'hypérémie neuro-paralytique et la production des trou-
bles trophiques sont donc, dans les conditions communes,
des phénomènes indépendants l'un de l'autre. Mais, comme
nous le faisions pressentir tout à l'heure , il est telle cir-
constance où, contrairement à la règle ordinaire, la nutri-
(1) Hutchinson, loc. cit. — Earle, in Med. çhir. Transact*, vol. VII,
1816. p. 173 ; — Yellowly, id., t. III ; — \V. B. Woodman in Sydenham
Soc. Translation of Wunderlich : On température in Diseases, p. 132; — W.
Mitchell, Injuries of Nerves. Philadelpbia, 1872, p. 175. Dans deux cas de
plaie du nerf avec glossy skin, la région occupée par la lésion trophique
était de 1 à 2 degrés plus chaude que la région correspondante du membre
sain. Mais au-dessus de ce point, le thermomètre marquait sur le membre
malade 1 degré de moins que sur le membre sain. — H. Fischer. Ueber
trophische Stœrungen nack Nervenverletzungen an den JExtremitâten in Berlin.
Klin. JVochensc, 1871, n° 13. La température des membres sur lesquels se
produisent les troubles trophiques les plus divers est d'abord plus élevée que
sur les membres saius, plus tard elle est relativement abaissée, mais il y a
beaucoup d'exceptions à cette règle.
(2) Levier, dans un cas d'hématomyélie, loc. cit.
(3) Mannkopf, loc. cit.
(4) Duchenne (de Boulogne), loc. cit., 3e édition, p. 398.
(5) Landois und Mosler, in Berliner Klinisch. Wochensch., 1868, s., 45.
HYPÉRÉMIK NEURO-PARAI.YTIOUK. 130
tion locale peut éprouver une atteinte sérieuse, par le setfl
fait que la partie se trouve soustraite à l'innervation vaso-
motrice : c'est, l'expérimentation le démontre, lorsque l'or-
ganisme tout entier est soumis à l'influence de causes puis-
santes de débilitation. Ainsi, un animal vigoureux a depuis
longtemps subi, d'un côté, la section du grand sympathi-
que au cou ; cependant, jusque-là, la nutrition n'a nulle-
ment souffert dans les parties qui répondent à la distribu-
tion périphérique du nerf coupé. L'animal tombe malade ou
on le prive de nourriture : alors le tableau change tout à
coup et l'on voit, dit M. Claude Bernard, des phénomènes
inflammatoires se développer sur le côté de la face corres-
pondant à la lésion expérimentale; de ce côté, même sans
l'intervention d'un agent extérieur quelconque, la conjonc-
tive, la membrane pituitaire, entrent rapidement en sup-
puration (1). Il est permis de supposer que les animaux
chez lesquels M. Schiff a vu des lésions trophiques surve-
nir consécutivement à l'hypérémie neuro-paralytique, sous
l'influence du plus léger irritant mécanique, se trouvaient
dans les conditions de débilitation signalées par M. Claude
Bernard, Chez l'homme, le même concours de circonstan-
ces devait nécessairement déterminer des effets analogues
à ceux observés chez les animaux et l'on peut se demander
si quelques-uns de nos troubles trophiques ne se produisent
pas en réalité de cette façon. Tel est peut-être le cas du
décuUtus aigu des apoplectiques ; ici, en effet, l'état géné-
ral est des plus fâcheux et l'eschare fessière occupe préci-
sément le côté du corps qui, en vertu de la paralysie mo-
trice, présente une élévation relative de la température,
évidemment liée à l'hypérémie vaso-motrice (2). Quoi qu'il
en soit, cette interprétation pathogénique ne saurait avoir
qu'une application très-limitée car le décubitus aigu par
(1) Cl. Bernard. — Physiologie du système nerveux, t. II, p. 535. Paris,
1858. — Med. Times and Gazette, p. 79, t. II, 1861.
(2) 3e Leçon, p. 91.
UO IRRITATION DES NERFS VASO-MOTEURS.
lésion des centres nerveux peut se produire dans maintes
circonstances, à la suite des lésions hémilatérales de la
moelle épinière, par exemple (1), sur des parties du corps
où l'innervation vaso-motrice n'est pas visiblement affectée
et en dehors de tout symptôme révélant une dépression
profonde de l'organisme.
Il y a lieu de rechercher maintenant, si l'irritation des
nerfs vaso-moteurs peut rendre compte des phénomènes
que n'explique pas la paralysie de ces mêmes nerfs. Pre-
nons d'abord l'irritation expérimentale. L'ischémie partielle,
plus ou moins accentuée, tel est le résultat le plus saillant
de cette irritation ; elle peut être poussée assez loin pour
qu'une piqûre pratiquée à la peau ne donne pas même une
goutte de sang (2). Les parties dans lesquelles le spasme
vasculaire entrave ainsi la circulation, pâlissent et se refroi-
dissent ; l'activité vitale s'y amoindrit ; l'excitabilité des
muscles, celle des nerfs, descendent au-dessous du taux
normal (3). On est naturellement porté à croire que des
lésions nutritives profondes, accusées dans le sens de la
nécrobiose ou du sphacèle, devraient nécessairement résul-
ter de la prolongation d'un tel état. Mais il importe de re-
marquer qu'il s'agit là, ordinairement, d'un phénomène
temporaire, persistant au plus pendant quelques heures.
Car, par le fait même de la prolongation de l'irritation,
l'activité du nerf semble s'épuiser et Thypérémie, en géné-
ral, succède bientôt à l'anémie (4). Toutefois en reprodui-
sant, à de courts intervalles, l'irritation des nerfs vaso-mo-
teurs, on peut réussir à faire prédominer pendant un cer-
tain temps l'état d'ischémie. Je ne crois pas cependant que
par ce procédé, on soit parvenu jamais à produire expéri-
mentalement une lésion trophique quelconque. M. 0. Weber
(1) 3e Leçon, p. 106.
(2) Brown-Séquard. — Course of Lectures, etc., p. 147, Philadelphia.
(3) Brown-Séquard, loc. cit., p. 142.
(4) Waller. — Proc. Boy. Soc. London, vol. II, 1860-72, p. 89 et seq.
ISCHÉMIE CONSÉCUTIVE. — NERFS DILATATEURS. 441
qui, à l'aide d'un appareil ingénieux, dit avoir obtenu,
pendant près d'une semaine, une irritation du grand sym-
pathique cervical, pour ainsi dire permanente et marquée
par un abaissement de 2° G., n'a pas vu survenir dans le
côté correspondant de la face, la moindre trace d'un trou-
ble dénutrition (1). Les faits relatifs à la pathologie hu-
maine témoignent dans le même sens. Ainsi, il n'estpas rare
de rencontrer dans certains cas iïangioneuroses, chez les
hystériques par exemple, une ischémie partielle très-pro-
noncée et très-persistante ; les troubles trophiques ne se
montrent cependant jamais en pareil cas (2). Quant aux faits
de gangrène spontanée qui ont été rattachés à un spasme
vasculaire, ils n'auraient pas, si j'en juge d'après mes obser-
vations, la signification qui leur a été prêtée, car, dans tous
les cas de ce genre qu'il m'a été donné de rencontrer, j'ai
trouvé le calibre des vaisseaux rétréci par le fait d'une alté-
ration des parois artérielles ou obstrué par un thrombus (3).
D'après tout ce qui précède, ce n'est pas, vous le voyez,
à une affection, soit paralytique, soit irritative des nerfs
vaso-moteurs proprement dits qu'il faudrait rapporter
l'apparition des troubles trophiques qui surviennent en
conséquence de lésions du système nerveux.
L'expérimentation physiologique, dans ces dernières an-
nées, a fait connaître l'existence de filets nerveux centri-
fuges dont l'irritation a pour effet de produire la dilatation
des vaisseaux et conséquemment l'hypérémie de la région
dans laquelle ces nerfs se distribuent. Tandis que l'irrita-
tion des nerfs vaso-moteurs ordinaires produit l'ischémie,
celle des nerfs dilatateurs détermine au contraire une
hypérémie plus ou moins vive.
La corde du tympan peut être considérée, à l'heure qu'il
(1) 0. Weber. — Centralblatt, n° 10, 1864, p. 147.
(2) Liégeois. — Société de Biologie, année 1859, p. 274. — Charcoi, in
Mouvement médical, nos 25 et 26, lre série; n° 1, nouv. série, 1872.
(j) Voir la thèse de M. Beuni. — Recherches sur quelques points de la gan-
142 NERFS SÉCRÉTEURS.
est, comme le prototype des nerfs dilatateurs. Mais des
nerfs doués de propriétés semblables existent à la face (1),
dans le pénis (2), dans l'abdomen (3). Il en existe vraisem-
blablement encore sur bien d'autres points du corps.
On est loin d'être fixé relativement au mode d'action de
ces nerfs. Voici comment, dans l'hypothèse adoptée par
M. Cl. Bernard, il faut expliquer l'afflux du sang artériel,
si remarquable, qui se fait dans la glande sous-maxillaire,
sous l'influence de la corde du tympan. Suivant l'éminent
physiologiste, l'irritation de ce nerf se transmettrait aux
petits amas ganglionnaires qui sont distribués en grand
nombre sur les extrémités nerveuses intra-glandulaires.
Ceux-ci réagiraient à leur tour par une sorte iïinterfê-
rence nerveuse (4) sur les filets nerveux du grand sym-
pathique, nerf constricteur des vaisseaux, dont ils paraly-
seraient l'action. Ainsi, la corde du tympan, et il faudrait,
sans doute, en dire autant de tous les autres nerfs dilata-
teurs, jouerait, à l'égard des nerfs vaso-moteurs, à peu près
le rôle d'un nerf d'arrêt. Par conséquent, vous le voyez,
le résultat de l'action des nerfs dilatateurs, ne serait, en
définitive, d'après la théorie, que la paralysie vaso-mo-
trice. Or, s'il est vrai que la paralysie vaso-motrice, alors
même qu'elle est poussée très-loin, comme cela a lieu par
exemple dans le cas de la section complète des nerfs vaso-
moteurs, n'est pas la cause des troubles trophiques, il ne
saurait évidemment en être autrement de cette même para-
lysie produite sous l'influence de l'excitation des dilata-
teurs. Mais, ainsi que vous allez le reconnaître plus loin,
Messieurs, le mode d'action des nerfs dilatateurs peut, être
envisagé à un point de vue tout différent.
. (î) Claude Bernard. — Revue scientifique, t. II, 2° série, 1872. — Schiff.
— Digestion, t. I, p. 2o2.
(2) Nerfs érecteurs de Eckhard : Beitrilge mr Anat. und Phjs.,1- IL —
Lov«n, Bericht der Sachs. Grès., 1866.
(3) Cl. Bernard, loc. cit.
(4) Cl. Bernard, loc. cit. p. 204.
RECHERCHES DE LUDWIG. 143
Je vous rappellerai les expériences fondamentales de
Ludwig relatives à l'influence de certains nerfs sur la sé-
crétion de la glande sous-maxillaire (1) ; malgré les cri-
tiques qui ont été laites des conclusions que ce physiolo-
giste célèbre a tirées de ses expériences, ces conclusions
ne paraissent pas avoir été ébranlées. Je vous demande1
la permission d'entrer à ce propos dans quelques détails :
cela est tout à fait nécessaire pour le but que nous nous
proposons.
Lorsque Ton irrite le bout périphérique du nerf qui se
rend à la glande sous-maxillaire, nerf fourni, on le sait
aujourd'hui, par la corde du tympan, on observe les phé-
nomènes suivants : il se produit une sécrétion de salive
très-abondante; la quantité peut en être si grande que,
dans un court espace de temps, le volume de la salive
rendue dépasse de beaucoup celui de la glande. Ce premier
fait démontre qu'il ne s'agit pas ici, tout simplement, d'un
phénomène d'excrétion, d'expulsion de la salive préalable-
ment sécrétée.
D'après les vues de Stilling et de Henle, dominantes à
l'époque où Ludwig a fait connaître ses premières re-
cherches, on pouvait être tenté d'expliquer le phénomène
sur lequel j'appelle votre attention, en admettant que le
nerf glandulaire arrêté agit sur les veines de la glande et
les fait se contracter. L'augmentation de la tension du
sang consécutive à la contraction veineuse, serait, dans
cette hypothèse, la cause de l'accroissement de la sécré-
tion salivaire. Mais Ludwig a montré que la ligature des
veines, sans irritation concomitante du nerf glandulaire
n'augmente pas la sécrétion de la salive. Cette seconde hy-
pothèse doit donc être éliminée, elle aussi.
(l) Ludwig. — Mitth. der Zurich Katurforsch. 1851. — Zcitschr. f. rat.
med. n., f., Bd, I, p. 2jj. — Wiener med. Wochen&chr. 1860. X. n° 28, pp.
483. Voir aussi les travaux publiés par Ludwig en collaboration avec Bêcher,
Rahn, Gianuzzi.
144 RECHERCHES DE LUDWIG.
, Mais peut-être l'irritation du nerf glandulaire qui a, vous
le savez, pour effet d'amener la dilatation des artères, dé-
termine-t-elle la sécrétion, par ce seul fait qu'elle exagère
momentanément dans la glande l'afflux du sang artériel.
Cet argument est invalidé par le résultat d'une expérience
de Ludwig, laquelle montre que, pendant l'irritation du
nerf, la pression manométrique dans le canal de Wharton
est supérieure à la pression du sang dans les conduits ar-
tériels. D'ailleurs, l'hypersécrétion salivaire par irritation
de la corde du tympan se manifeste encore après la ligature
des artères qui se rendent à la glande, sur un animal tué
d'hémorrhagie ou même sur une tête détachée du corps.
Ajoutons enfin ce fait très-remarquable que la salive et le
sang veineux qui sortent de la glande sous-maxillaire, dans
le temps où le nerf glandulaire est soumis aux excitations,
présentent, comme l'ont montré MM. Ludwig et Spiess (1),
une température plus élevée que le sang artériel entrant
dans la glande (2).
D'après l'ensemble de ces résultats, il paraît évident que
l'influence du système nerveux sur la sécrétion sous-
maxillaire ne peut être expliquée par de simples phéno-
mènes de dilatation ou de constriction des vaisseaux, et
l'on est amené à reconnaître que le nerf glandulaire pos-
sède une double propriété puisqu'en outre de son influence
sur les vaisseaux dont il détermine la dilatation, il exerce
une action immédiate sur les parties de la glande qui ac-
complissent le phénomène chimique de la sécrétion, ou,
autrement dit, sur les cellules sécrétantes. Cette influence
du nerf sur la sécrétion semble être d'ailleurs le fait fonda-
mental, car elle se manifeste, en conséquence des excita-
tions, alors même que les effets de la dilatation vasculaire
(1) Ludwig und Spiess. — BiUungsber. d. v. ak. Math. Cl., 1857. B. d.
XXV, p. 584,
(2) Voir à ce propos une leçon de M. Vulpian, publiée dans la Bévue des
cours scientifiques. 3e année 1865-1866, p. 741.
THÉORIE DE L'ATTRACTION. 145
concomitante se trouvent annihilés. Comme, d'un autre
côté, il ne paraît pas qu'on puisse, expérimentalement, sup-
primer isolément l'action sécrétoire, l'action dilatatrice per-
sistant seule (1), il est permis de supposer que celle-ci dérive
de celle-là, à titre de conséquence plus ou moins directe.
Il y avait donc lieu de rechercher quel peut être le lien
qui rattache à l'excitation des éléments sécréteurs détermi-
née par l'excitation du nerf, l'hypérémie qui suit cette
excitation. Plusieurs physiologistes ont pensé qu'il s'agit ici
d'une attraction que les éléments sécréteurs de la glande
exerceraient sur le sang; « de sorte qu'à la force connue
jusqu'à ce jour comme aidant le retour du sang en circula-
tion vers le cœur et que l'on nomme vis à ter go, il faudrait
ajouter une nouvelle force rétractive en corrélation avec la
nutrition intime des éléments, force que plusieurs auteurs
ont appelé vis à fronte (2). » Est-ce là une conception pure-
ment théorique, sans appui expérimental, et destinée seu-
lement à masquer notre ignorance ? Il n'en est rien; car
les travaux de H. Weber, Schuler, Lister, etc. (3), ren-
ferment de nombreux faits expérimentaux propres à mettre
en lumière cette attraction que les tissus peuvent exercer,
dans de certaines conditions, sur le sang en circulation. Je
citerai deux faits de ce genre pris pour exemples, et dans
lesquels le phénomène peut être étudié en dehors de toute
intervention du système nerveux. Je les emprunte à une
(1) Par des expériences toutes récentes, M. Heidenhain serait arrivé
cependant à démontrer que, dans la corde du tympan, des fibres nerveuses
différentes sont affectées à la sécrétion et à la circulation de la glande sous-
maxillaire. Il aurait vu chez des chiens curarisés, après l'injection dans la
veine jugulaire, d'une dose d'atropine capable de paralyser complètement le
filet cardiaque du nerf vague, que l'excitation de la corde du tympan ne
déterminerait plus la moindre sécrétion. Néanmoins, il y avait une accélé-
ration du courant veineux sanguin, laquelle ne différait pas notablement de
l'accélération déterminée par l'irritation de la corde, avant l'empoisonnement.
[Archives de physiologie, 4 juillet 1872.)
(2) Vulpian. — Revue des cours scientifiques, t. III, p. 744.
(3) Voir 0. Weber. — Handbuch der Chirurgie, t. I, p. 111.
Chargot, t. l, 3e éd. 10
146 THÉORIE DE L'ATTRACTION.
le'çon professée au Muséum par M. Vulpian, sur la théorie
des sécrétions (1).
Si l'on coupe tous les nerfs d'un membre sur une gre-
nouille, et si l'on détermine ensuite une excitation en pla-
çant une gouttelette d'acide azotique sur la peau d'une des
lames membraneuses interdigitales, il se produit en ce
point, au bout d'un certain temps, une congestion plus ou
moins vive. Le second fait est péremptoire : l'œuf, au qua-
trième jour de l'incubation, présente une vascularisation
très-nette de la membrane ombilicale. En ce moment, il ne
saurait être question de la moindre influence nerveuse. Si
l'on place une gouttelette de nicotine sur un des points de
l'aire vasculaire, il se fait autour de ce point une vascula-
risation tellement abondante que presque tout le sang vient
s'y rendre. A la vérité, cette hypérémie, cette stase par irri-
tation des tissus se présente, au premier abord, avec je ne
sais quels dehors d'une conception métaphysique. Mais il
y a longtemps qu'on a cherché à donner du phénomène une
interprétation fondée sur les données physico-chimiques.
Ainsi, dès 1844, M. Draper (2) avait rappelé que lorsqu'un
tube capillaire contient deux liquides de nature différente,
si l'un des liquides a plus d'affinité chimique pour la paroi
du tube que l'autre liquide, il s'ensuit un mouvement, lequel
s'opère de telle façon que le liquide dont l'affinité chimique
est le plus intense pousse l'autre devant lui. Le sang arté-
riel ayant plus d'affinité pour les tissus que le sang veineux
saturé des produits de désintégration, il doit s'ensuivre que
le sang veineux sera repoussé. Il suffirait, dans cette hypo-
thèse, pour accroître l'intensité du mouvement, d'activer
le processus chimique de la nutrition, et c'est ici que pour-
rait intervenir l'action des nerfs. Les phénomènes de stase
ont pu être expliqués d'une façon analogue, en faisant appel
(1) Vulpian, Ion. cit., p. 743.
(2) Draper. — A treatise on the Forces which produce, etc., New- York
1844. — Savory. — Brithh and foreign Review, t. XVI, 1855, p. 19.
IRRITATION DES NERFS GLANDULAIRES. U7
aux lois de l'osmose (stase sanguine par diffusion) (1).
Quoi qu'il en soit, quelle que puisse être l'interprétation
du phénomène, l'attraction que les tissus soumis à l'in-
fluence de certains agents exercent sur le sang, est, vous
le voyez, un fait constaté expérimentalement, en dehors de
l'action du système nerveux. Pour appliquer maintenant
cette donnée au cas de la glande sous-maxillaire, il suffit
de reconnaître que le nerf glandulaire, soumis aux excita-
tions, amène dans les cellules sécrétantes une modification
de la nutrition intime : c'est en conséquence de ce change-
ment qu'aurait lieu la dilatation vasculaire.
L'anatomie semble, du reste, jeter un jour nouveau sur
la question en montrant que les terminaisons des nerfs
glandulaires pénètrent jusque dans les cellules sécrétan-
tes (2). M. Heidenhain a même essayé de démontrer que la
glande, dont les nerfs sont soumis à une irritation un peu
prolongée, présente une constitution histologique diffé-
rente, à quelques égards, de celle qu'offre la glande à l'état
de repos. Les cellules anciennes, dites muqueuses, parais-
sent, en effet, après l'irritation, remplacées par des cellu-
les jeunes, de formation récente (3). Si les vues de M. Hei-
denhain venaient à être confirmées, il faudrait attribuer au
nerf une influence pour ainsi dire directe sur le dévelop-
pement des cellules glandulaires (4).
L'hypothèse qui vient d'être formulée, à propos des nerfs
sécréteurs, peut s'étendre suivant toute vraisemblance aux
(1) O. Weber, loc. cit.
(2) E. F. W. Pfluger. — Das Nervengewebe der Speicheldrusc, im S.
Stricker's Handbuch. t. I, p. 313.
(3) Heideuhain. — Studiendes phjsiologischen Instituts, 3e Breslau, 1808,
etStricker's Handbuch, loc. cit., p. 330.
(4) Suivant M. Ranvier [Traduction de Frey, p. 437) et M. Ewald [Jah-
resber., t. I, 1870-1871, p. 55) les résultats obtenus par M. Heidenhain doi-
vent être interprétés ainsi qu'il suit : Sous l'influence de l'irritation des nerfs
glandulaires, les cellules dites muqueuses perdraient tout simplement leur
contenu de mucus et reprendraient l'aspect des cellules glandulaires parié-
tales. Il n'y aurait donc pas ici, comme le veut Heidenhain, formation de
cellules nouvelles.
148 THÉORIE DES NERFS TROPHIQUES.
autres nerfs, dans lesquels l'expérimentation physiologi-
que a révélé la propriété de déterminer la dilatation des
vaisseaux sous l'influence des excitations. Ces nerfs agi-
raient primitivement sur les éléments intervasculaires et
y activeraient le mouvement de composition et de décom-
position nutritives. La dilatation vasculaire s'ensuivrait, à
titre de phénomène consécutif. A l'appui de cette vue on
peut invoquer, ici encore, les enseignements de l'anatomie
qui, dans ces derniers temps, serait parvenue à suivre, au
moins chez la grenouille, des terminaisons nerveuses jusque
dans les nucléoles des corpuscules de la cornée, et les cel-
lules conjonctives de la membrane clignotante (1).
Il y a longtemps que M. Brown-Séquard a proposé cette
interprétation (2) et M. Schiff semble s'y rattacher lorsqu'il
reconnaît que « la dilatation active paraît être étrangère
aux tuniques propres des vaisseaux et s'effectuer par l'in-
termédiaire des tissus intervasculaires (3). »
L'excursion que nous venons de faire dans le domaine
physiologique avait pour but de recueillir, chemin faisant,
des documents que nous pouvons maintenant mettre à pro-
fit. Il s'agit en effet d'arrêter un instant votre attention sur
la théorie dite des nerfs trophiques qui, vous le savez, à
défaut des autres hypothèses reconnues insuffisantes, a été
quelquefois invoquée pour expliquer la production des lé-
sions de nutrition développées par une influence du système
nerveux. Or, dans cette théorie, telle du moins que l'a
formulée M. Samuel, les nerfs supposés seraient pour ainsi
dire construits sur le modèle des nerfs sécréteurs en ce
(l) Voir Kùhne : in Gaz. hebdom., t IX. n° 15, 1862; — Ligmaun. —
Endigung der Ncrven im eigentlichen Geweàe und im Mutèrent Epiihel der
Hornhaut des Frosches, in Virckow's Archiv, 38e Bel., p. 118, 18G9 ; — Eberth,
in Archiv. fur Micros. Anat. Bd. III.
(2j Brown-Séquard. — lîesearches on Epilepsy, p. 70. — Central Nervous
System, pp. 148, 172, 174.
(3) M. Schiff. — Leçons sur la digestion, l. I, p. 25G.
THEORIE DE M. SAMUEL. 149
sens que, à l'exemple de ceux-ci, ils exerceraient, dans les
conditions normales, une influence directe sur la nutrition
des parties où l'on suppose que leurs terminaisons ultimes
vont se rendre. Leur rôle physiologique serait non pas
d'opérer directement, mais d'activer, dans la profondeur
des tissus, les échanges qui constituent l'assimilation et la
désassimilation élémentaires, de même que le rôle des nerfs
sécréteurs est de mettre en jeu dans les cellules glandulai-
res une propriété immanente, tout à fait connexe aux phé-
nomènes de la nutrition intime. On ne méconnaît donc
nullement l'autonomie des éléments anatomiques dans l'ac-
complissement des actes nutritifs; on propose seulement
d'envisager les nerfs trophiques, comme formant, par leur
ensemble, un appareil de perfectionnement propre aux or-
ganismes supérieurs.
Voilà pour le côté physiologique. En ce qui concerne
maintenant les applications à l'interprétation des phéno-
mènes pathologiques, il est aisé de concevoir qu'un résultat
fréquent d'une irritation morbide produite sur des nerfs
doués de pareilles propriétés serait de porter le trouble
dans la nutrition intime des parties innervées et dy provo-
quer, à l'occasion, le développement consécutif d'un pro-
cessus inflammatoire. La suppression d'action de ces nerfs
n'aurait, au contraire, d'autre effet que d'amoindrir l'inten-
sité du mouvement nutritif, et Yatrophie circonscrite est
citée comme un exemple des troubles trophiques qui peu-
vent survenir de cette façon.
Ce sont là les traits généraux de la théorie ; pour ce qui
est des détails, il était à prévoir qu'une hypothèse créée
par le besoin d'expliquer des phénomènes encore peu con-
nus, insuffisamment étudiés à l'époque où elle a été émise,
devrait vieillir rapidement. Cela est arrivé en effet ; on ne
saurait admettre aujourd'hui, par exemple, que les nerfs
trophiques ont tous leur origine centrale dans les ganglions
spinaux postérieurs ou dans les ganglions analogues des
nerfs crâniens ; car les cas sont nombreux, ainsi que vous
4 50 THÉORIE DE M. SAMUEL.
l'avez vu, où une lésion siégeant dans les parties centrales
de la moelle épinière, ou même dans l'encéphale, provoque
l'apparition de troubles trophiques dans les parties périphé-
riques. Il faudrait aussi tenir grand compte, à l'avenir, des
faits, inconnus dans le temps où le livre de M. Samuel
a paru, et qui mettent hors de doute l'influence des lésions
des cellules nerveuses antérieures sur le développement
des diverses espèces de myopathies.
Je n'ai jamais partagé le dédain avec lequel la théorie
qui vient d'être brièvement exposée a été presque univer-
sellement accueillie. Il m'a toujous paru que, malgré ses
imperfections, elle était digne d'être recommandée à l'atten-
tion des médecins parce qu'elle explique mieux, ce me
semble, les phénomènes qu'ils sont appelés à observer dans
la pratique, que toutes les autres hypothèses invoquées
jusque-là. Je suis bien loin de vouloir méconnaître, tou-
tefois, la portée des objections qui lui ont été opposées. En
premier lieu, l'existence des nerfs trophiques n'est pas,
cela est certain, démontrée anatomiquement ; il faut recon-
naître de plus, que la plupart des expériences instituées sur
les animaux, par M. Samuel, dans le but de mettre en
lumière l'existence de ces nerfs, n'ont pas été heureuses.
Les unes, reprises par d'autres observateurs, n'ont pas re-
produit jusqu'ici les résultats annoncés; les autres ont dû
être abandonnées comme entachées de nombreuses causes
d'erreur (1). Mais tous les arguments dirigés contre la
théorie n'ont pas autant de valeur que les précédents. Si
l'on voulait condamner, par exemple, l'hypothèse des nerfs
trophiques par ce seul fait qu'elle est inutile en physiologie,
je ferais remarquer que l'utilité des nerfs sécréteurs n'a
été reconnue qu'après coup. On serait nécessairement
conduit à reconnaître aussi celle des nerfs trophiques, si
l'expérimentation venait quelque jour se prononcer en leur
(l) VoirTobias (Virchom's Archiv, Bd. XXIV, p. 379) et 0. Weber, in
Centralblatt, 1864. p. 145.
CRITIQUE DE LA THÉORIE. 151
faveur. Il est difficile de croire, d'un autre côté, que le rôle
joué par les nerfs sécréteurs soit absolument spécifique et
sans autre exemple dans l'organisme. A ces nerfs on pour-
rait déjà comparer les nerfs dilatateurs, s'il est vrai qu'ils
fonctionnent suivant le mécanisme indiqué tout à l'heure.
On devrait en rapprocher encore, d'après les observations
récentes de M. Goltz, les nerfs d'absorption, qui, suivant
ce physiologiste, agiraient sur les cellules endothéliales des
vaisseaux sanguins, de la même façon que les nerfs de sé-
crétion agissent sur l'épithélium glandulaire. Nous ne voyons
pas, en somme, qu'il existe aucun argument qui ne per-
mette de décréter à priori que les nerfs trophiques né
viendront pas, un jour prendre place dans ce groupe (1).
Quoi qu'il en soit, avant de s'attacher à une théorie qui
ne peut subsister sans mettre en jeu tout un système de
nerfs dont l'existence est encore problématique, il faudrait
nécessairement s'être assuré, par tous les moyens, qu'il
est réellement impossible d'expliquer les phénomènes dont
l'interprétation est proposée, en faisant appel aux proprié-
tés des différents nerfs déjà connus : car il faut se garder
toujours d'enfreindre l'axiome de la logique : Haud multi-
plicanda entia absqae necessitate. Or, la théorie vaso-mo-
trice étant éliminée, il reste encore, sans doute, beaucoup
à faire sous ce rapport.
Il est une vue, entre autres, à laquelle on ne s'est pas
arrêté, que je sache, et qui mériterait peut-être d'être prise
en considération. Les expériences nombreuses et décisives,
faites dans ces derniers temps, sur les réunions bout à
bout de nerfs de fonctions différentes, tels par exemple que
l'hypoglosse et le lingual (2), ont mis hors de doute que les
excitations, produites sur un point quelconque d'une fibre
nerveuse sensitive ou motrice, se propagent aussitôt et
(1) Goltz in Pflûger's Archiv, t. I, V, p. 53 et Journal of Anatomy and
Pkysiology, 2e série, n° de mai 1872, p. 480.
(2) Vulpian. — Physiologie du système nerveux, p. 290.
452 CONCLUSIONS.
simultanément dans le sens centripète et dans le sens cen-
trifuge. D'après cela, il est permis de supposer que les irri-
tations pathologiques développées sur un nerf sensitif, soit
à son origine centrale, soit sur un point de son trajet, reten-
tissant dans la direction centrifuge jusqu'à l'extrémité ter-
minale des filets nerveux, c'est-à-dire dans les papilles du
derme, ou encore dans l'épaisseur du réseau muqueux (1),
pourront, dans certains cas, provoquer là un travail
phlegmasique. On comprendrait ainsi, par exemple, le dé-
veloppement assez fréquent d'éruptions huileuses ou pem-
phigoïdes, du zona, en conséquence de lésions portant sur
les faisceaux postérieurs de la moelle ou sur les racines
spinales sensitives. Pour ce qui est des nerfs moteurs, je
ne vois pas d'argument sérieux qui empêche d'admettre
que les irritations pathologiques, portant sur les cellules
nerveuses des cornes antérieures, seront transmises quel-
quefois jusqu'aux faisceaux musculaires, par la voie des
filets nerveux qui transmettent à l'état physiologique les
excitations volontaires. Un certain nombre au moins des
troubles trophiques consécutifs aux lésions du système
nerveux trouveront peut-être dans cette hypothèse leur
explication sans qu'il soit nécessaire d'avoir recours à la
théorie des nerfs trophiques.
Nous sommes parvenus, Messieurs, au terme de cette
discussion pathogénique et, ainsi que je le laissais pressen-
tir dès le commencement, la question en litige attend encore
une solution. Je ne regretterais pas, néanmoins, les déve-
loppements dans lesquels nous sommes entrés, si j'avais
réussi, en mettant sous vos yeux les pièces du procès, à
vous inspirer le désir de pénétrer plus avant dans une
étude qui intéresse à un si haut degré la pathologie du
système nerveux tout entière.
(l) Voir Langerhans. — Virchoms Archiv. Bd. 44, et À. Biesadecki. —
Stricker's Handbuch, p. 595.
DEUXIÈME PARTIE
Paralysie agitante et sclérose en plaques
disséminées.
CINQUIÈME LEÇON
De la paralysie agitante.
Sommaire. — Du tremblement en général. — Ses variétés. — Tremblement
intermittent. — Tremblement continu. Influence du sommeil, du repos et
des mouvements volontaires. — Distinction établie par Van Swieten. —
Opinion de M. Gubler- — Le tremblement d'après Galien. — Indépen-
dance de la paralysie agitante et de la sclérose en plaques. — Recbercbes
de Parkinson. — Travaux français : MM. G. Sée, Trousseau, Charcot
et Vulpian. — La paralysie agitante prend droit de domicile dans les
traités classiques.
Caractères fondamentaux de la paralysie agitante. — C'est une maladie de
la seconde période de la vie. — Ses symptômes. — Modifications de la
marche. — Tendance à la propulsion et à la rétropulsion . — Début ; ses
modes : il est lent ou brusque. — Période d'état. — Le tremblement res-
pecte la tête et le cou. — Changements dans la parole. — Rigidité des
muscles. — Attitude du tronc et des membres. — Déformation des
mains et des pieds. Ralentissement dans l'exécution des mouvements. —
Perversions de la sensibilité. — Crampes; sentiment général de tension
et de fatigue ; besoin de déplacement. — Sensation habituelle de chaleur
excessive. — Température dans la paralysie agitante. — Influence de la
nature des convulsions (statiques ou dynamiques).
Période terminale. — Confinement au lit. Troubles de la nutrition. — Affai-
blissement de l'intelligence. — Eschares sacrées. — Maladies terminales:
elles diffèrent de celles de la sclérose en plaques. — Durée de la para-
lysie agitante .
Résultats nécroscopiques. — Inconstance des lésions dans la paralysie agi-
tante : fixité des lésions dans la sclérose en plaques. — Lésions du pont
de Varole et de la moelle allongée (Parkinson, Oppolzer). — Physiologie
pathologique.
Etiologie. — Causes extérieures : Emotions morales vives ; — action du
froid humide, longtemps prolongée; — irritation de certains nerfs péri-
phériques. — Causes prédisposantes. — L'âge joue un certain rôle : la
paralysie agitante se montre plus tard que la sclérose en plaques. —
Sexe. — Hérédité. — Influence de la race.
Messieurs.
Ceux d'entre vous qui, ce matin, ont parcouru nos salles,
se sont étonnés peut-être d'y trouver réunies, en aussi
4 56 DU TREMBLEMENT EN GÉNÉRAL.
grand nombre, des femmes chez lesquelles le tremblement
paraît constituer le symptôme prédominant ou tout au
moins le plus saillant de la maladie dont elles sont attein-
tes. Cette réunion de malades d'un genre à part, je l'ai
provoquée à dessein. Par là, j'ai voulu vous mettre à même
de reconnaître, à Faide d'une étude comparative, certaines
nuances, ou même des différences tranchées que l'observa-
tion des cas isolés ne permet pas de saisir aussi facilement.
Au premier abord, vous avez pu penser qu'un spectacle
monotone s'offrait à vos regards. En effet, si l'on se con-
tente d'un coup d'œil superficiel, le phénomène tremble-
ment chez toutes ces femmes paraît identique ou peu s'en
faut ; une seule chose frappe, c'est l'intensité et le siège
variables que présentent les oscillations rhythmiques des
membres. Mais une observation plus recueillie vous a bien-
tôt permis de démêler, sous cette uniformité apparente,
des traits distinctifs qui, d'abord, vous avaient complète-
ment échappé.
Ainsi, pour ne parler que du fait le plus évident, vous
avez pu remarquer que, parmi nos malades, les unes ne
tremblent que dans le temps même où elles exécutent un
mouvement d'ensemble à l'aide de leurs membres, comme
dans l'acte de porter un verre à la bouche pour boire, ou
encore lorsqu'elles veulent se lever de leur siège pour mar-
cher. Dans ce dernier cas, toutes les parties du corps peu-
vent être ébranlées par des secousses énergiques rendant
difficiles et parfois impossibles la station verticale et la
marche. En revanche, quand elles sont au repos et qu'au-
cune émotion ne vient les affecter, ces mêmes femmes,
qu'elles soient assises ou couchées, offrent l'attitude la
plus naturelle ; les différentes parties de leur corps ne sont
aucunement agitées, et si vous les observiez seulement
dans de telles conditions, vous ne soupçonneriez certes pas
le mal dont elles sont atteintes.
Au contraire, dans une seconde série de cas, le tremble-
ment est continu, permanent ; il agite les membres sans
VARIÉTÉS DU TREMBLEMENT. Mil
cesse, sans trêve, et si les mouvements intentionnels l'exa-
gèrent par moment, le repos ne le fait pas disparaître. En
réalité, pendant la veille, lorsque l'affection est intense, il
n'y a pas de relâche pour ces malades : quelle que soit la
position qu'elles prennent, assises ou couchées, toujours
elles tremblent. Le sommeil seul met momentanément un
terme à l'agitation spasmodique de leurs membres ; mais à
peine le réveil a-t-il lieu que le tremblement reparait et
reprend bientôt toute son intensité.
A ne tenir compte que de cette première distinction, éta-
blie d'après l'influence du repos ou des mouvements volon-
taires, sur la production du tremblement, il est permis
déjà, vous le voyez, de ramener à deux chefs principaux
le cas qui nous occupe.
Un premier groupe comprendra ceux où le tremblement
ne se manifeste qu'à l'occasion d'un mouvement intention-
nel, tandis que les malades chez lesquelles le tremblement
est un symptôme constant, ou qui, tout au moins, ne s'ef-
face guère que durant le sommeil, constitueront le second
groupe. Il faut remarquer d'ailleurs que chacun de ces
groupes, loin de former un ensemble homogène, embrasse
des espèces morbides assez nombreuses et de nature très-
diverse, malgré l'analogie que leur impose la communauté
du symptôme.
La distinction que je m'efforce de faire ressortir auprès
de vous est à mon avis de la plus haute importance dans
l'histoire des maladies chroniques du système nerveux qui
s'accompagnent de tremblement. De nos jours, elle a été à
peu près universellement méconnue, et, si je ne me trompe,
c'est en vain que vous en chercheriez la trace dans nos
auteurs classiques. Cependant, et M. Guéneau de Mussy Ta
fait remarquer avec justesse dans une leçon clinique pu-
bliée récemment par la Gazette des Hôpitaux (1), les mé-
(l) Gazette des hôpitaux, 1868.
158' VARIÉTÉS DU TREMBLEMENT.
decins du siècle dernier l'avaient prise en considération,
et en avaient parfaitement compris la valeur.
Van Swieten, entre autres, a expressément reconnu les
deux espèces de tremblement; bien plus, il s'était efforcé
de rattacher chacune d'elles à une condition physiologique
particulière. Permettez-moi, à ce propos, de vous signaler
le commentaire sur l'aphorisme 625, vous y trouverez une
interprétation physiologique du symptôme tremblement,
interprétation qui est loin d'être dénuée d'intérêt, même
pour le lecteur moderne.
Ainsi, d'après Van Swieten, le tremblement qui persiste
pendant le repos au lit résulte d'une irritation qui s'exerce
d'une manière intermittente, rhythmique, sur les centres
nerveux. Ce serait donc là un phénomène convulsif, —
tremor coactus.
Par contre, le tremblement qui se manifeste exclusive-
ment pendant l'exercice des mouvements volontaires dé-
pendrait d'un défaut de stimulus, résultant de l'insuffisance
du fluide nerveux, dont la fonction est de faire contracter
les muscles sous l'influence de la volonté. Ce serait là, par
conséquent, un tremblement paralytique, — tremor à de-
Ulitate.
Une interprétation des phénomènes, qui ne s'éloigne pas
radicalement de la précédente, a été donnée, il y a quel-
ques années, par l'un des rares auteurs modernes qui ont
su maintenir la distinction des deux espèces de tremble-
ment. M. Gubler reconnaît que, dans certains cas, le trem-
blement consiste, non pas en une succession de mouve-
ments contraires, soustraits à la volonté, mais bien en
contractions et relâchements alternatifs des muscles qui
sont enjeu, soit pour exécuter le déplacement d'un mem«
bre ou la translation du corps entier, soit pour conserver
aux parties leur attitude naturelle (1). Ici, les contractions
musculaires, au lieu de se développer comme dans les con-
(l) Archives générales de médecine, 5e série, t. XV, 1860, p. 702.
PARALYSIE AGITANTE ET SCLEROSE EN PLAQUES. 159
ditions normales, graduellement, sans secousses et d'une
manière insensible, se font, au contraire, par saccades, et
comme par un courant interrompu, avec des intervalles de
repos. Cet état pathologique qui, suivant M. Gubler, pour-
rait être désigné sous le nom d'astasie musculaire, se sé-
pare nettement de l'état dans lequel ce ne sont pas seule-
ment les contractions commandées par l'attitude du corps
ou par la volonté qui, se faisant par saccades, déterminent
le tremblement. Dans ce dernier cas , il existe réellement
des contractions involontaires et sans but, excitées inces-
samment par un stimulus interne.
Il faut d'ailleurs que cette catégorisation soit bien natu-
relle, car elle est fort antérieure à Yan Swieten ; Galien
l'avait établie. Lui aussi distinguait en effet deux espèces
de tremblement : l'un qu'il désigne sous le nom de Tpejxo;
(tremor), — c'est le tremblement paralytique ; l'autre qu'il
appelle *«Ap4 (palpitation), — c'est le tremblement cloni-
que, spasmodique, convulsif (1).
Mais le point de vue physiologique ne doit pas nous ar-
rêter plus longuement, car nous ne saurions entrer ,
quant à présent, dans une discussion qui serait préma-
turée. Qu'il nous suffise d'avoir mis en relief des caractères
que l'observation la plus simple, indépendamment de toute
préoccupation théorique, permet de reconnaître. C'est pour
ne les avoir pas pris en considération que les deux affec-
tions qui doivent faire l'objet de nos premières études cli-
niques, la paralysie agitante et la sclérose en plaques dis-
séminées, sont restées jusqu'à ce jour confondues sous une
même rubrique, bien qu'elles soient, à tous égards, parfai-
tement indépendantes l'une de l'autre. Toutes deux, à la
vérité, comptent le tremblement parmi leurs symptômes
les plus importants ; mais, dans la première, les oscilla-
tions rhythmiques des membres sont à peu près permanen-
tes, tandis que, dans la seconde, elles ne surviennent qu'à
(l) G. V. Swieten. — Commentaria, t. II, p. 167. Paris, 1771.
'160 HISTORIQUE.
l'occasion des mouvements voulus. Nous venons de signa-
ler un trait distinctif qui permettrait déjà de poser entre
les deux affections une ligne de démarcation tranchée.
Toutefois, ce n'est pas le seul, tant s'en faut, que nous
aurons à faire valoir, ainsi que vous le reconnaîtrez par la
suite.
La paralysie agitante, qui nous occupera tout d'abord
et dont je vous ai présenté plusieurs exemples bien carac-
térisés, a été la première inscrite dans les cadres nosolo-
giques. Son histoire, néanmoins, ne remonte pas très-loin.
La première description régulière qui en ait été donnée date
seulement de 1817 ; elle est due à un auteur anglais, Par-
kinson, qui l'a présentée dans un petit ouvrage intitulé :
Essay on the shahing Palsy. Depuis cette époque, la pa-
ralysie agitante a été maintes fois mentionnée en Angle-
terre et en Allemagne ; mais, en France, elle était restée à
peu près ignorée jusque dans ces dernières années, car, si
je ne me trompe, elle se trouve signalée chez nous pour
la première fois d'une manière explicite par M. G. Sée,
dans son mémoire sur la chorée , où elle figure parmi les
maladies qui peuvent être confondues avec la danse de
Saint-Guy.
En 1859, M. Trousseau, dans ses Leçons sur la chorée,
réunit dans un tableau succinct les principaux traits de la
paralysie agitante. Trois ans plus tard, M. Yulpian et moi
nous avons publié un travail sur ce sujet, dans la Gazette
hebdomadaire (1). Nous venions d'arriver à la Salpétrière.
Voulant nous éclairer sur la nature et les caractères de
cette maladie, que nous étions appelés à observer sur une
grande échelle, nous fûmes frappés de l'insuffisance des
détails contenus dans les auteurs. Ceci nous conduisit à
réunir les faits que nous avions sous les yeux, et, les joi-
gnant à des observations empruntées aux recueils étran-
(l) Gazette hebdomadaire, 1861, p. 765,816 et 1862, p. 54.
HISTORIQUE. 161
gers, nous avons tracé une histoire assez complète, pour
l'époque, de la paralysie agitante.
A partir de là, cette maladie acquiert droit de domicile
dans les ouvrages classiques. Dans la seconde édition de
ses Leçons, Trousseau y consacre d'assez longs développe-
ments. Elle figure dans la dernière édition du livre de
M. Grisolle, dans l'Encyclopédie de Reynolds (1) ; mais,
dans toutes ces descriptions, et la nôtre n'échappe nulle-
ment cà ce reproche, il existe une confusion absolue entre
la paralysie agitante et la sclérose en plaques. La ligne
de démarcation entre ces deux maladies a été indiquée
par moi, si je ne me trompe, pour la première ibis, dans la
thèse de M. Ordenstein (2). Il importe donc d'établir un
parallèle entre ces deux affections, en les comparant l'une
à l'autre sous le triple rapport des symptômes, des causes
et des lésions. Pour cela, nous ferons appel aux documents
précités et aux observations nombreuses que nous avons
rassemblés dans cet hospice. Il vous sera facile de retrou-
ver sur les malades que j'ai réunies dans les salles, les ca-
ractères sur lesquels je vais insister.
CARACTERES FONDAMENTAUX DE LA PARALYSIE AGITANTE.
La paralysie agitante, dégagée, Messieurs, des éléments
étrangers est, quant à présent, une névrose en ce sens
qu'elle ne reconnaît aucune lésion qui lui soit propre. Dans
les diverses relations qui en ont été publiées, on voit men-
(i) J. Reynolds. — A System of Médiane, t. II. p. 184. Art. Paralysis
agitons, par W. R.Sanders.
- Sur la paralysie agitante et la sclérose en plaques ge'ne'ralisées. Thèse
de Paris, 1868. Cohn, cependant, avait remarqué que, dans deux cas d'in-
duration multiple du cerveau et de la moelle, le tremblement ne se mani-
festait qu'à la suite de mouvements que le malade voulait exécuter, mais
jamais à l'état de repos, ni durant le sommeil. [Ein Beitrage zur Lehre der
Paralysis agitons. In Wiener med. Wochensck., mai 1860.]
Charcot, t. i, 3e éd.
162 SYMPTOMES DE LA PARALYSIE AGITANTE.
tionnées des lésions disparates. Quelques-unes appartien-
nent à la sclérose en plaques disséminées; les autres, par
leur multiplicité, par leur variabilité même, viennent en-
core appuyer notre opinion, à savoir que, jusqu'ici, la para-
lysie agitante ne reconnaît aucune lésion matérielle déter-
minée.
Elle frappe des sujets déjà avancés en âge, surtout ceux
qui ont plus de 40 ou 50 ans. Cette limite, toutefois, n'est
pas absolue, car M. Duchenne (de Boulogne) nous a
communiqué un fait relatif à un jeune homme âgé de
16 ans. Quoiqu'il en soit, elle trouve sa place naturelle dans
les maladies de la seconde période de la vie. Mais ce serait
aller trop loin que de la considérer comme une maladie sé-
nile.
Souvent les causes restent inconnues. Cependant, des
données étiologiques, deux méritent d'être signalées : 1° le
froid humide, tel que celui qu'entraîne l'habitation prolon-
gée dans une chambre mal aérée, dans un rez-de-chaussée
bas et obscur, etc.; 2° les émotions morales vives. Cette
dernière cause paraît assez commune. L'une des malades
que vous avez vues fut atteinte dans les circonstances
suivantes. Son mari, garde municipal, faisait partie des
troupes qui combattaient les insurgés en juin 1832. Ayant
vu le cheval de son mari revenir seul à la caserne, elle
fut vivement impressionnée, craignant un malheur. Le
jour même elle se mit à trembler, et le tremblement, qui
A était primitivement localisé à la main droite, s'est étendu
\ et a gagné successivement les autres membres. J'aurai l'oc-
casion de vous citer d'assez nombreux exemples du même
genre.
Les symptômes de la paralysie agitante n'ont pas tous
une égale valeur. Le plus saillant consiste dans un trem-
blement existant même au repos, d'abord limité à un mem-
l bre, puis se généralisant peu à peu. tout en respectant ce-
SYMPTOMES DE LA PARALYSIE AGITANTE. 163
xf pendant la tète. A ce phénomène s'ajoute tôt ou tard une
diminution apparente de la force musculaire. Les mouve-
ments sont lents et paraissent faibles, Lien que l'expérience
dynamométrique démontre que cette diminution n'est pas
réelle. Cette impuissance motrice paraît tenir en partie,
nous le verrons, à la rigidité dont les muscles sont le
siège.
Un symptôme curieux qui vient compliquer la situation,
quelquefois d'assez bonne heure, d'habitude à une époque
de la maladie assez éloignée du début, c'est la perte de la
faculté de garder l'équilibre pendant la progression. On
remarque, en outre, chez quelques malades, une tendance
à la propulsion ou à la rétropulsion : sans éprouver de
vertige, le malade est, dans le premier cas, poussé en
avant ; on dirait qu'il est forcé de prendre une allure ra-
pide, et ce n'est qu'à grand peine qu'il lui est possible de
s'arrêter, obligé qu'il est de courir après un centre de gra-
vité qui lui échappe.
Une attitude particulière du corps et des membres, la
fixité du regard, l'immobilité des traits du visage, doivent
encore être signalés parmi les symptômes les plus impor-
tants de la maladie.
La marche de la paralysie agitante est lente, progres-
sive. Sa durée est longue (parfois elle compte une trentaine
d'années). Le terme fatal survient ou par les progrès de
l'âge ou par le fait d'affections intercurrentes soit acciden-
telles, soit occasionnées par le marasme, le confinement
au lit, etc. Dans le premier cas, il s'agit d'une maladie aiguë,
d'une pneumonie, par exemple ; dans le second, la mort
arrive par une sorte d'épuisement nerveux ; la nutrition
s'altère, le malade perd le sommeil, il se forme des eschares
qui terminent la scène morbide.
Tels sont, Messieurs, les caractères les plus généraux de
la paralysie agitante. Mais, afin de mieux vous faire saisir
leur signification, il convient d'entrer plus avant dans
164 DÉBUT DE LA PARALYSIE AGITANTE.
l'étude des symptômes, de faire voir comment ils naissent,
s'accroissent et s'enchaînent aux divers âges de la ma-
ladie. A cet effet, et pour mettre plus de clarté dans notre
description, nous établirons plusieurs périodes que nous
caractériserons les unes après les autres. Examinons en
premier lieu la manière dont se fait le début. Les observa-
tions nous apprennent que la paralysie agitante se déve-
loppe tantôt lentement, progressivement, tantôt au con-
traire d'un façon presque soudaine.
A. Début lent. Dans l'immense majorité des cas, le dé-
but est insidieux, la maladie s'annonce comme légère et
bénigne. Le tremblement est circonscrit à un pied, à une
main, au pouce. Ce symptôme, en apparence si peu inquié-
tant, reste isolé pendant longtemps. Il offre, d'ailleurs, des
caractères qu'il importe de connaître et sur lesquels nous
insisterons. Les mains sont-elles prises? on voit ses divers
segments osciller les uns sur les autres, animés d'un mou-
vement presque pathognomonique. Le malade rapproche
les doigts du pouce comme pour filer de la laine ; simulta-
nément, le poignet se fléchit par secousses rapides sur
l'avant-bras, celui-ci sur le bras.
A ce moment de la maladie, le tremblement peut n'être
que passager, transitoire. Il éclate alors qu'on s'y attend
le moins, le malade étant au repos le plus complet d'esprit
et de corps, et fréquemment, sans qu'il en ait conscience.
La marche, même s'il s'agit des membres supérieurs, l'ac-
tion de saisir un poids, de le soulever, de prendre la plume
et d'écrire, un effort quelconque de la volonté, suffisent
souvent à cette époque pour suspendre le tremblement.
Plus tard, il n'en sera plus ainsi. Du reste, en même temps
qu'il gagne en intensité et en persistance, le tremblement
envahit pour ainsi dire de proche en proche — non sans
observer dans sa progression certaines règles — les par-
ties jusque-là demeurées indemnes. Si, par exemple, il a
d'abord affecté la main droite, au bout de quelques mois,
DEBUT BRUSQUE. 165
de quelques années, ce sera le tour du pied droit ; la main
gauche ensuite, puis le pied gauche, seront pris successi-
vement.
L'envahissement croisé est plus rare. J'ai vu cependant,
au moins deux fois, le membre supérieur droit, puis le
membre inférieur gauche être affectés l'un après l'autre.
Il est beaucoup plus commun de voir le tremblement borné
durant longtemps aux membres d'un seul côté du corps
[forme hémiplégique), ou encore aux deux membres infé-
rieurs {forme paraplégique). La tête est toujours à peu
près respectée à toutes les époques du mal, même dans les
cas les plus intenses, et c'est là un caractère que nous
devrons, par la suite, mettre en relief, car le contraire se
remarque souvent dans la forme cérébro-spinale de la sclé-
rose en plaques.
Je dois appeler toute votre attention sur un mode de
début progressif qui, pour être exceptionnel, n'en est pas
moins digne d'intérêt. Le tremblement n'est pas absolu-
ment le premier phénomène constaté. Il est possible qu'il
soit précédé tantôt d'un sentiment de fatigue très-remar-
quable, tantôt de douleurs rhumatoïdes ou névralgiques,
parfois des plus vives, et occupant le membre ou les ré-
gions du membre, qui bientôt seront pris, mais secondai-
rement, d'agitation convulsive. Je pourrais vous citer plu-
sieurs faits de cette espèce, et il n'est pas rare qu'en pareil
cas on puisse invoquer une cause traumatique, une piqûre,
comme l'a vu Romberg, ou, ainsi que je l'ai observé, une
contusion violente ayant porté son action sur le membre
qui, ultérieurement, a été affecté de douleurs et de trem-
blement. La paralysie agitante qui éclate de cette façon
se comporte d'ailleurs , dans son évolution ultérieure ,
comme à l'ordinaire, et ses progrès se font suivant les
mêmes lois.
B. Début brusque. Lorsque, à la suite d'une cause mo-
rale, d'une terreur profonde, le tremblement est survenu
166 période d'état.
tout à coup, il occupe tantôt un seul membre, tantôt, et
dès l'origine, tous les membres à la fois. Après avoir per-
sisté quelques jours, il est possible qu'il s'amende ou même
disparaisse. Mais plus tard, consécutivement à une série
d'amendements et d'exacerbations alternatifs, il s'établit
enfin d'une manière définitive. C'est là, du moins, ce que
nous avons observé très-nettement dans plusieurs cas.
La durée de cette phase initiale varie, quel qu'ait été le
mode de début, de un à deux ou trois ans environ.
C. Période d'état. Lorsque la paralysie agitante a ac-
quis son parfait développement, le tremblement, outre qu'il
envahit plusieurs membres, se montre, au moins dans les
cas intenses, à peu près incessant. Son intensité, toutefois,
n'est pas la même à tous les instants. Diverses circonstan-
ces, naguère sans influence sur lui, à présent l'exagèrent.
Telles sont les émotions morales, l'exercice des mouve-
ments volontaires. On observe, de plus, des espèces de
crises, de paroxysmes, éclatant spontanément, sans cause
appréciable. En revanche, le sommeil naturel, le sommeil
provoqué par le chloroforme, annihilent toujours momen-
tanément les secousses convulsives.
C'est surtout à cette époque de la maladie que les carac-
tères particuliers du tremblement apparaissent dans tout
leur jour; c'est alors aussi que l'on voit parfois les os-
cillations arythmiques et involontaires de diverses parties
de la main rappeler l'image de certains mouvements coor-
donnés. Ainsi, chez quelques malades, le pouce se meut sur
les autres doigts comme cela a lieu dans l'acte de rouler
un crayon, une boulette de papier; chez d'autres, les mou-
vements des doigts sont plus complexes encore et rappel-
lent l'acte d'émietter du pain (1). Je vous ai présenté des
(l) Le tremblement impose à l'écriture des caractères qui ont quelque chose
de spécial. Quand l'affection est au début, l'écriture, au premier abord,
semble normale ; mais si on l'examine à la loupe, on y distingue des parties
plus accusées, plus larges que d'autres. Plus tard, vers la période d'état,
FORME DU TREMBLEMENT; PHYSIONOMIE. 167
exemples de ce genre. Ce sont là, si je ne me trompe, des
particularités qui appartiennent en propre au tremblement
de la paralysie agitante ; je ne crois pas qu'on les rencon-
tre dans aucune autre espèce de tremblement. Elles ont
été bien reconnues par M. Gubler [loc. cit.), qui, attaché
en qualité d'interne à la Salpétrière, avait pu y étudier la
maladie sur un grand nombre de malades.
La tête et le cou, nous le répétons, restent indemnes; Y
fcjtfU^*;
13
jyt?
Fig. 5.
c'est la règle. Loin d'être agités, les muscles de la face sont f —
immobiles, le regard a même une fixité remarquable, et
les traits nous offrent une expression permanente de tris-
tesse, parfois d'hébétude. Le nystagmus, qui figure si sou-
vent dans la symptomatologie de la sclérose en plaques
disséminées, n'existe pas dans la paralysie agitante. Les
muscles de la mâchoire, eux non plus, ne participent point
à l'agitation convulsive. Néanmoins il n'est pas très-rare
de voir la langue, même lorsqu'elle reste renfermée dans
la cavité buccale, être animée d'un tremblement assez ac-
cusé et qui augmente lorsqu'elle est tirée hors de la bouche. ;
Parfois les lèvres sont accolées l'une contre l'autre, comme
serrées, de telle sorte que le rebord muqueux n'est plus vi-
sible et que la surface cutanée paraît plissée (1). Il n'y a
par exemple, les altérations de l'écriture sont beaucoup plus prononcées et
partant très-évidentes. La figure 5 représente le spécimen de 1 écriture d'une
malade que nous avons observée à l'hôpital Saint-Louis, en 1869. Les jambages
des lettres sont très-irréguliers et très- sinueux, et ces irrégularités, ces si-
nuosités n'ont qu'une amplitude très-limitée (B.).(Voir 1'Appendice,p. 40l).
(l) Tous ces caractères se trouvent très-accusés chez Perd... Marie-Anne,
168 MODIFICATIONS DE LA PAROLE.
pas d'embarras réel de la parole, mais le discours est lent,
saccadé, la parole brève, et il semble que la prononciation
de chaque mot coûte un effort considérable de la volonté.
Si l'agitation du corps est excessive, il peut arriver que
la parole soit tremblante, entrecoupée, comme elle l'est
chez les individus qui, peu habitués à Téquitation, sont mon-
tés sur un cheval lancé au trot. Toutefois, on ne saurait
voir évidemment, dans ces deux cas, qu'un phénomène de
transmission (1). Souvent, enfin, les malades semblent par-
ler entre les dents. La déglutition est facile, peut-être ra-
qui est encore dans le service de M. Charcot (salle St- Alexandre, n° 9). La
tête, fixée en quelque sorte sur la colonne cervicale, est un peu inclinée en
avant. Les traits de la face sont pour ainsi dire sans expression ; les plis du
front, égaux des deux côtés, sont très-accentués ; les paupières sont moins
mobiles que chez les personnes saines, ce qui tient à une sorte de contraction
des muscles sourciliers, contraction qui paraît être habituelle, et exagère les
plis du front. Lorsqu'on demande à la malade de fermer les paupières, elle
y parvient sans effort, dit-elle, mais alors les paupières supérieures sont
animées de petits mouvements convulsifs qui sembleraient plutôt faire sup-
poser qu'il faut une certaine force pour les tenir abaissées. En effet, si on
veut les faire maintenir dans cette position, à mesure que l'expérience
se prolonge, les mouvements- convulsifs (sorte de clignotement rapide)
augmentent et l'occlusion cesse d'être complète. Les globes oculaires
regardent directement en avant; il n'y a pas de nystagmus. Lorsque, pour
étudier la sensibilité de la pupille à la lumière, on essaie tour à tour d'ouvrir
et de fermer les paupières, on éprouve, dans l'exécution de ce dernier acte,
une résistance due aux mouvements convulsifs des paupières supérieures,
mouvements que la malade ne saurait maîtriser. Le regard est en quelque
sorte sans expression.
Les lèvres sont rapprochées et un peu saillantes en avant, comme s'il y
avait une contraction qui les maintienne l'une contre l'autre ; il s'ensuit que
les sillons naso-labiaux sont peu creusés, ainsi que les sillons jugo-men-
tonniers. La lèvre supérieure est immobile ;\la lèvre inférieure est animée
d'un tremblement très-fin principalement au niveau des commissures labiales.
La malade est obligée de faire un effort pour ouvrir la bouche ; elle ne
l'ouvre qu'imparfaitement et ne peut pas la maintenir ouverte pendant quel-
ques minutes. Elle paraît se rendre compte de cet accolement ordinaire, per-
manent pour ainsi dire, des lèvres, quand elle dit : « Elles se collent en-
semble, mes lèvres » (B.).
(l) Nous citerons encore, à propos de la parole, un fragment de l'observa-
tion de Perd. . . Chez elle, la parole a commencé à devenir difficile, il y a
deux ans et, depuis un an, l'embarras de l'élocution s'est accru considéra-
blement. Quand la malade parle, elle a du tremblement des lèvres et ré-
mission des premières syllabes se fait assez péniblement ; la parole est
ATTITUDE DE LA TETE, DES MEMBRES, ETC. 169
lentie ; fréquemment dans les cas un peu anciens la salive
accumulée dans la bouche s'écoule involontairement au de-
hors. Les muscles de la respiration ne paraissent point par-
tager le désordre convulsifdes membres. Disons cependant
que quelques malades éprouvent un sentiment d'oppression
presque constant.
Nous appuierons actuellement sur un trait qui, croyons-
nous, a échappé à Parkinson ainsi qu'à la plupart des au-
teurs qui l'ont suivi : nous voulons parler de la rigidité
que subissent, à une certaine époque de la maladie, les
muscles des membres, du tronc, et le plus souvent ceux
aussi du cou. Quand ce symptôme s'annonce, les malades
accusent des crampes suivies de roideur d'abord passagère,
puis plus ou moins durable et s'exagérant par exacerba-
tions. En général, les muscles fléchisseurs sont affectés les
premiers et toujours au plus haut degré. La roideur mus-
culaire, devenue permanente, impose à ces malades, dans
beaucoup de cas, une attitude toute particulière. Ainsi, la
tête, en vertu de la rigidité des muscles antérieurs du cou
(Parkinson l'avait remarqué déjà), est fortement inclinée
en avant, et on la dirait fixée dans cette position, car ce
n'est pas sans efforts que les malades parviennent à la por-
ter en haut, à droite ou à gauche. Le tronc lui-même est
presque toujours, dans la station debout, un peu penché en
avant. (V. Pl. XL)
L'attitude des membres supérieurs mérite d'être relevée.
Habituellement les coudes sont tenus faiblement écartés du
tremblante, surtout au début, et peu à peu, à mesure que la phrase s'avance,
les mots sont moins tremblants et prononcés d'une voix plus forte. La
malade semble parler entre ses dents ; les lèvres s'écartent à peine ; les
mâchoires sont comme accolées l'une contre l'autre. La langue est animée
d'un tremblement uniforme, général, même lorsqu'elle est dans la cavité
buccale, et quand elle est allongée, le tremblement augmente. La malade
prétend qu'elle ne peut laisser longtemps la langue au-dehors de la bouche:
« Elle rentre, dit- elle, malgré moi. » La bouche est souvent remplie de
salive, et Perd... attribue à ce phénomène une partie de sa difficulté à
s'exprimer (B.).
170 ATTITUDE DES MEMBRES SUPÉRIEURS.
thorax, les avant-bras étant légèrement fléchis sur les
bras ; les mains, fléchies sur les avant-bras, reposent sur
la ceinture [V. Planche IX (1)]. A la longue, les mains, en
Fig. 6. — Attitude habituelle dans les cas de paralysie agitante un peu prononcée. —
Attitude d'une main qui tient une plume pour écrire.
raison de la rigidité permanente de certains muscles, offrent
des déformations qu'il est bon de connaître, parce que,
dans maintes circonstances, elles ont rendu le diagnostic
Fig. 7. — Déformations des doigts de la main simulant celles du rhumatisme arti-
culaire chronique primitif.
difficile. La plupart du temps, le pouce et l'index sont
allongés et rapprochés l'un de l'autre, comme pour tenir
une plume à écrire; les doigts, médiocrement inclinés vers
la paume de la main, sont déviés en masse vers le bord
cubital [Fig. 6). Ils montrent en outre, dans leurs diverses
articulations, une série de flexions et d'extensions alterna-
tives, de manière à rappeler, jusqu'à s'y méprendre, cer-
(l) Cette planche représente la malade Gav. . . dont nous rapportons l'ob-
servation à l'Appendice. L'inclinaison, déjà très-prononcée quand M. P. Ri-
cher a fait son dessin, s'est encore accusée depuis cette époque. De plus,
elle présente aujourd'hui une tendance à s'incliner en même temps sur la
droite. Cette inclinaison latérale existe aussi chez une autre malade du ser-
vice de M. Charcot, nommée Bau. . . {Note de la 2e édition).
ATTITUDE DES MEMBRES INFÉRIEURS. 171
tains types de déformations observés dans le rhumatisme
chronique progressif [Fig. 7 et 8). La distinction cependant
est d'ordinaire facile, pour peu que l'on soit prévenu. Il n'y
a pas, en effet, dans la paralysie agitante, la tuméfaction et la
rigidité articulaires, non plus que les bourrelets osseux et les
craquements que l'on observe dans le rhumatisme noueux.
Aux membres inférieurs, la rigidité est quelquefois assez
prononcée pour donner l'idée d'une véritable paraplégie
avec contracture. Chez deux femmes que je vous présen-
Fig. 8. — Déformations des doigts de la main, simulant celles du rhumatisme arti-
culaire chronique primitif.
tais tout à l'heure, ces membres, vous l'avez vu, sont rigi-
des et dans la demi-flexion ; on ne les fléchit ou ne les étend
qu'avec une certaine difficulté. Les genoux sont rapprochés
l'un de l'autre par un mouvement d'adduction; les pieds
sont roides, étendus et dirigés en dedans, simulant la mal-
formation désignée sous le nom de pied dot varus équin;
les orteils sont relevés et recourbés de façon à figurer une
griffe, à cause de l'extension des phalanges et de la flexion
concomitante des phalangines. Pourtant ces femmes ont
encore la faculté de mouvoir volontairement leurs mem-
bres inférieurs, avec peine et lenteur il est vrai; elles sont
même capables, vous l'avez vérifié, de marcher tant bien
que mal, sans aide ni appui. Je vous ai fait remarquer,
Messieurs, que, en opposition avec ce qui a lieu dans la
paraplégie vraie, avec contracture , il n'existe pas, chez
nos malades, ces trémulations tétaniques, spontanées ou
provoquées par certaines attitudes, trémulations qui carac-
térisent l'une des variétés de l'épilepsie spinale. Ces der-
172 PARALYSIE AGITANTE SANS TREMBLEMENT.
niers phénomènes, au contraire, s'observent, en général,
dans la paraplégie qui accompagne fréquemment la sclérose
en plaques disséminées, et c'est là un caractère distinctif
que nous aurons à faire valoir pour le diagnostic.
Ainsi que Ta noté avec raison M. Benedikt, dans son
traité récent iï Electrothérapie, la rigidité habituelle d'un
certain nombre de muscles contribue certes, pour une
bonne part, à rendre les mouvements laborieux ; mais ce
n'est pas là, croyons-nous, l'unique cause que l'on doive
invoquer : toujours est-il que c'est elle qui, déterminant
l'attitude générale, fait que les malades, comme recoque-
villés sur eux-mêmes, paraissent se déplacer tout d'une
pièce ; que leurs jointures semblent sondées, si je puis me
servir de cette expression triviale, mais assez juste du reste,
que j'emprunte à un malade ; c'est elle aussi qui tient la
tète et le tronc inclinés en avant, et cette dernière circons-
tance entre assurément pour une part dans la tendance
qu'ont les malades à tomber en avant lorsqu'ils marchent.
Messieurs, il est des cas, rares à la vérité, dans lesquels
la rigidité musculaire est un symptôme des premiers temps
de la maladie, et réellement prédominant. J'ai observé ré-
cemment un exemple qui rentre dans cette catégorie. Le
malade. avait à peine remarqué le tremblement, d'ailleurs
peu intense chez lui, et limité à l'une des mains. Il avait
cependant, à un haut degré déjà, l'attitude du corps et des
membres, la difficulté dans les mouvements, enfin la dé-
marche caractéristique (1). Ces cas sont exceptionnels. Le
(l) Le cas suivant, que nous résumons, appartient à cette catégorie des
faits exceptionnels. — Guill. . ., âgée de cinquante-trois ans (salle Saint-
Alexandre, n° 10). Après avoir éprouvé pendant quelque temps de la cépha-
lalgie, des douleurs lancinantes erratiques, un sentiment de constriction à
l'épigastre, elle s'aperçut, il y a quatre ans, que les diverses jointures du
membre supérieur droit devenaient roides. A ce phénomène s'ajoutait de la
faiblesse. Laroideuret l'affaiblissement gagnèrent successivement le membre
inférieur droit, la bras gauche, puis la jambe correspondante. En 1870, appa-
rut la tendance à la propulsion et à la rétropulsion. Ainsi, lorsque la ma-
lade montait à son logement, elle était poussée en avant et ne s'arrêtait
PARALYSIE AGITANTE SANS TREMBLEMENT. 173
plus communément, la rigidité musculaire ne se montre ou
ne s'accuse profondément que dans les phases avancées de
la paralysie agitante. Or, lorsqu'elle commence à se mani-
qu'en s'appuyant avec les mains sur un corps résistant : « Sans cette pré-
caution, dit-elle, je caracolais. »
Aujourd'hui, son état est le suivant : Tête un peu inclinée en avant ; cou
roide. Les plis du front sont très- accusés, surtout au-dessous des sourcils,
qui sont relevés, ainsi que les paupières supérieures ; de là, une sorte d'hé-
bétude empreinte sur la physionomie. La parole est libre. Dans la marche
qui se fait à petits pas, la malade a les bras accolés au corps, les avant-
bras fléchis et les mains réunies comme pour se soutenir. Pris dans leur
ensemble, les doigts sont légèrement fléchis, ramassés; la main entière est
incliuée vers le bord cubital. Toutes les jointures sont roides, à des degrés
différents ; la roideur prédomine à droite. Sensibilité conservée. — Pendant
la nuit, sensation de froid qui, partant de 1 épaule, descend jusqu'au poignet
et revenant par accès d'une durée de cinq à six minutes. Les membres, prin-
cipalement le membre supérieur droit, paraissent lourds. Lorsque la malade
veut se lever de sa chaise, et qu'on l'empêche de s'aider des objets voisins,
elle saisit les montants avec les mains pour avancer le bassin ; elle place
ensuite ses mains plus bas sur les côtés de la chaise, et, après quelques ef-
forts et une sorte de balancement, elle parvient à se lever.
Le sommeil, en général, est court. Durant la nuit, Guill. . . ne garde sur
elle que le drap et un mince jupon qu'elle met sur ses genoux parce qu'ils
sont froids. Avec une couverture, elle aurait « trop chaud et c'esttrop lourd. >
Notons encore un besoin incessant de changer de position. A peine est-elle
assise depuis quatre ou cinq minutes qu'elle demande à être soit plus avan-
cée sur son siège, soit mise de côté, etc. ; quelques instants après, elle
désire qu'on écarte ses jambes, qui ont delà tendance à l'adduction ; bientôt
elle prie qu'on l'aide à se lever, etc. Tous ces symptômes suffisent pour dé-
montrer qu'on a affaire, ici, à la paralysie agitante. Cependant, et bien que
la maladie remonte à quatre années, le tremblement est à peu près nul ; il
n'occupe que la main droite, où il est apparu seulement depuis trois mois.
On voit, par là, qu'il est possible de reconnaître la paralysie agitante en
1 absence même du tremblement. (B.) — Il en fut encore ainsi chez un
malade que M. Charcot a vu il y a quelque temps (î872). Cet homme, âgé
de où ans, a été atteint de la maladie de Parkinson à la suite d'une émotion
vive occasionnée par les tentatives que firent, pendant la Commune, les
fédérés pour l'incorporer dans leurs bataillons. Chez lui, tous les symp-
tômes, et en particulier l'attitude, étaient présents, mais le tremblement fai-
sait encore défaut. Enfin, M. Gowers a donné communication à M. Charcot
de l'observation recueillie par lui à l'Hôpital national des épileptiques et des
paralytiques de Londres, d'une femme, Ann Phillips, âgée de 47 ans,
chez laquelle tous les symptômes de la paralysie agitante existaient, moins
le tremblement, qui est à peine apparent dans les mouvements. (B.ï (Note
de la 2e édition'. (Yojez I'Appexdice, p. 394).
174
fester, les malades ont senti depuis longtemps, dans l'exer-
cice des mouvements, une gêne notable qui a une autre
cause.
Vous reconnaîtrez aisément, chez quelques-uns des ma-
lades que je vous ai présentés, cet embarras dans l'accom-
plissement des mouvements, qui ne dépend ni du tremble-
ment ni de la rigidité musculaire, et un examen quelque
peu attentif vous permettra de constater que, chez eux, fait
significatif, il y a plutôt ralentissement dans l 'accomplis-
sement des mouvements qu'affaiblissement réel des puis-
sances motrices. Le malade est encore capable d'accomplir,
malgré le tremblement, la plupart des actes moteurs, mais
il apporte à les réaliser une lenteur extrême. Nous signa-
lions le fait il y a quelques instants en ce qui concerne la
parole; entre la pensée et l'acte, il s'écoule un temps rela-
tivement considérable. On croirait que, chez lui, l'influx
nerveux ne puisse être mis en jeu qu'après des efforts
inouïs, et, en réalité, les moindres mouvements détermi-
nent une fatigue extrême. Cet ensemble de phénomènes a
souvent été pris pour l'indice d'un véritable affaiblissement
paralytique. Néanmoins, il vous sera maintes fois loisible
de vous assurer que, dans les cas où la maladie n'est pas
parvenue aux dernières limites, la force musculaire est re-
marquablement conservée. A diverses reprises le fait a été
vérifié à l'aide du dynamomètre ; dans quelques circons-
tances même, on a vu, phénomène singulier, le membre le
plus agité et le plus affaibli en apparence, être celui dans
lequel la force dynamométrique était le mieux conser-
vée (1).
(l) Nous avons étudié l'état de la force dynamométrique chez six ma-
lades du service de M. Charcot. Voici les résultats obtenus : 1° Perd. . . ;
8 explorations ; moyenne à droite, 60 ; à gauche, 42. — 2° Guil. . . ; 9 explo-
rations ; moyenne à droite, 67 ; à gauche 63. — 3° Berr . . . ; 13 explorations;
moyenne à droite, 59,6 ; à gauche, 41,4. 4°Gav. . .; 5 explorations; moyenne
à droite, 39,6 ; à gauche, 43,4. — 5° Beau. . . ; 5 explorations ; moyenne à
droite, 65,5 ; à gauche, 42;3. — 6° Dan..., 5 explorations , moyenne à
droite, 41,4; à gauche, 33,3. Si l'on compare ces chiffres à la moyenne 85, que
PROPULSION ET RÉTROPULSIOX. 173
Un mot encore sur la démarche particulière aux malades
atteintes de paralysie agitante. Vous avez vu quelques-unes
de nos malades se lever avec lenteur et avec peine de leur
siège, hésiter durant quelques secondes à se mettre en mar-
che, puis, une fois lancées, prendre malgré elles l'allure
d'une course rapide. Plusieurs fois, elles ont été menacées
de tomber lourdement en avant. Cette tendance à courir
d'une manière irrésistible tient-elle exclusivement à ce que
le centre de gravité se trouve déplacé par l'inclinaison de
la tète et du tronc ? Cette explication, admissible peut-être
dans quelques cas, ne l'est pas dans tous. En effet, par op-
position aux malades dont nous venons de parler, il en est
qui, dans la marche, tendent à reculer ou à se renverser en
arrière, bien qu'elles aient le corps manifestement penché
en avant. D'ailleurs la propulsion, de même que la rétro-
pulsion, n'est pas absolument liée à l'attitude inclinée du
corps, car on la voit quelquefois à une période peu avancée
de la maladie, alors que l'inclinaison ne s'est pas encore
produite (1). Enfin, ce ne sont pas là des phénomènes cons-
nous ont fournie cinq personnes du même âge que nos malades, on constate
que, dans la paralysie agitante, loin d'être conservée, la force dynamomé-
trique serait au contraire diminuée. Il est d'autant plus difficile d'expliquer
les divergences qui existent entre l'opinion ancienne et nos faits, que cette
diminution de la force dynamométrique est aussi réelle chez deux de nos
malades, à une période relativement peu avancée de la paralysie agitante,
que chez la plus ancienne. Dans ces trois cas, enfin, l'affaiblissement dyna-
mométrique est plus marqué dans le côté où prédomine le tremblement. (B)
(l) Ces phénomènes sont très-apparents chez une malade du service de
M. Charcot couchée au n° 22 delà salle St-Alexandre. Cette femme est
parvenue à une période plus avancée de la paralysie agitante que les deux
malades citées dans les notes précédentes, sans toutefois être alitée. On re-
trouve chez elle tous les symptômes de la maladie ; mais, nous relèverons,
dans son histoire, simplement ce qui a trait à la propulsion, et à la rétro-
pulsion. Supposons la malade assise; on lui ordonne de se lever et de
marcher. Que voyons-nous ? Elle hésite pendant quelques instants, puis,
incline le tronc en avant et, après s'être comme balancée, tout d'un coup
elle se lève. Mais alors, elle ne part pas ; il semble, qu'auparavant, elle ait
besoin de s'équilibrer: elle est en quelque sorte incertaine, ayant le tronc
incliné en avant ; enfin elle se décide. Lente tout d'abord, la marche pro-
gressivement s'accélère, et, après un parcours de dix mètres, elle se préci-
pite de telle sorte que si la malade ne rencontrait, à un moment donné, soit
476 BESOIN INCESSANT DE DÉPLACEMENT.
tants, nécessaires ; assez souvent môme, ils font défaut et
figurent dans le tableau symptomatologique de maladies
autres que la paralysie agitante, dans certaines lésions du
cerveau, par exemple. Il est juste de reconnaître que, dans
ce dernier cas, ils sont liés souvent aux vertiges, tandis
que dans la paralysie agitante les mouvements de propul-
sion ou de rétropulsion ne surviennent pas à l'occasion
d'un sentiment vertigineux.
Les symptômes que je viens de passer en revue ne sont
pas, Messieurs, les seuls qui méritent de fixer votre atten-
tion. La paralysie agitante n'est pas seulement une maladie
des plus tristes en ce qu'elle prive le malade de l'usage de
ses membres et qu'elle le réduit tôt au tard à une inertie à
peu près absolue : c'est encore une affection cruelle par
suite des sensations pénibles qu'éprouve le malade. Ordi-
nairement, et à part les cas de névralgie dont nous vous
avons entretenus, il ne s'agit pas de souffrances vives, mais
de sensations désagréables, d'un ordre spécial. Ce sont des
crampes, ou mieux un sentiment presque permanent de
tension, de traction dans la plupart des muscles. C'est en
outre un sentiment de prostration, de fatigue qui s'accuse
surtout après les paroxysmes de tremblement; enfin, c'est,
un malaise indéfinissable qui se traduit par un besoin in-
cessant de changer de position. Assis, les malades sont, à
chaque instant, obligés de se lever ; debout, après quelques
pas, ils veulent se rasseoir. Ce besoin de déplacement, de
un banc, soit un mur, un lit, etc., etc., elle tomberait brusquement: La
propulsion, ici, est donc aussi nette que possible.
La rétropulsion échappe quelquefois parce que, pour qu'elle soit signalée
parles malades, il faut que celles-ci, par une circonstance spéciale, aient
été obligées de marcher à reculons. Eh bien ! il est un moyen très-simple de
la mettre en évidence et que M. Charcot a employé dans ce cas : la malade
étant debout, il suffit de la tirer, même légèrement, à Fimproviste, par sa
jupe, pour que aussitôt elle marche en arrière et que le mouvement rétro-
grade se précipite très-vite et soit promptement dangereux, si on ne prend
des précautions. (B).
SENSATION HABITUELLE DE CHALEUR. 177
changement se montre principalement au lit, pendant la
nuit, chez les infirmes qui sont incapables de se servir elles-
mêmes. Les femmes qui sont chargées de surveiller ces
pauvres malades vous le diront : il faut les coucher tantôt
sur le côté gauche, ou sur le droit, tantôt sur le dos. Une
demi-heure, un quart-d'heure sont à peine écoulés qu'il faut
renouveler la position, et si l'on ne répond pas immédiate-
ment à leur désir, elles poussent des gémissements qui té-
moignent assez du malaise profond qu'elles ressentent. Mal-
gré ces troubles divers, la transmission des impressions
sensitives cutanées n'est nullement altérée dans la paraly-
sie agitante. Le froid, le chaud, le plus léger frôlement, le
pincement, etc., sont perçus avec leurs caractères nor-
maux et la rapidité voulue.
Mais une sensation très- pénible encore qu'éprouvent les
malades et que je n'ai trouvée mentionnée dans aucune
description, c'est une sensation habituelle de chaleur
excessive qui fait que, au cœur de l'hiver, vous les voyez
se découvrir au lit et ne conserver sur eux, pendant le
jour, que les vêtements les plus légers. Tous les cas de
notre service déposent en faveur de cette assertion. Cette
sensation de chaleur, particularité digne d'être notée, bien
que la raison n'en puisse pas être donnée, se fait spéciale-
ment sentir à la région épigastrique et sur le dos. Toute-
fois, les membres, la face, peuvent aussi en être le siège.
Elle n'a pas à tout moment la même intensité. Elle paraît
atteindre son maximum à la suite de paroxysmes de trem-
blement et s'accompagne souvent, en semblable occurrence,
d'une sécrétion abondante de sueur qui oblige parfois à
changer le linge; mais elle peut se montrer aussi, d'une
manière très-accusée, chez des malades qui ne suent pas
et dont le tremblement est peu accentué.
La connaissance de ce fait m'a, de longue date, conduit
à chercher si la température centrale était modifiée chez
ces malades. Or, l'expérience m'a prouvé que, quel que fût
le degré de cette sensation subjective et aussi celui du
Chargot, t. i, 3e éd. 12
178 • TEMPÉRATURE.
tremblement, la température restait au tefme physiologique
(37°, 5 au rectum.)
Yous ne serez pas étonnés, Messieurs, de voir des con-
tractions musculaires aussi énergiques et aussi générales
que le sont celles qui se montrent dans certains cas de pa-
ralysie agitante ne pas donner lieu pourtant à une accu-
mulation de chaleur des parties centrales. Il s'agit là de
contractions musculaires dynamiques. Or, vous le savez,
les contractions musculaires statiques seules, ainsi que Ta
fait remarquer M. Béclard, occasionnent une élévation de
la température appréciable au thermomètre. A ce point de
vue, ainsi que nous avons essayé de l'établir, M. Gh. Bou-
chard et moi, dans un travail communiqué à la Société de
biologie (1), les convulsions peuvent être rangées sous deux
chefs : les unes statiques, c'est-à-dire avec prédominance
des contractions toniques, font monter la température d'une
manière plus ou moins prononcée, tels sont le tétanos,
l'attaque épileptique ; les autres, dynamiques, ou avec
prédominance des mouvements cloniques, n'affectent pas la
température d'une façon notable. Des explorations tlier-
mométriques, que nous avons plusieurs fois répétées dans
la paralysie agitante et dans quelques cas de chorée avec
agitation excessive, nous ont paru mettre ce dernier point
hors de doute (2).
A ce propos, il serait intéressant de rechercher si, dans
^ paralysie agitante, de même que cela a lieu, d'après
(1) Sur les variations de la température centrale qui s'observent dans cer-
taines affections convulsives et sur la distinction qui doit être établie à cepoint
de vue entre les convulsions toniques et les convulsions cloniques. In Mémoires
de la Société de Biologie 186fi.
(2) Cinq; cas nouveaux, viennent corroborer cette assertion. Cinq explora-
tions faites chez Ber. . . ont donné comme température moyenne, 37°, 48, et
trois explorations pratiquées chez Guil... 37°, 6. Dan..., 3 explorations le
matin, 37°, 3; — 4 explorations le soir, 37°, 8. — Grav., 2 explorations le
matin, 37°; 4 explorations le soir, 37°, G. — Bau..., 3 explorations lematin,
37°, 1; 4 explorations le soir, 37°, 45. Le pouls, chez la première, était à
90, chez la seconde à 86 ; chez la 3e à 84 et chez la 5e à 80. Le nombre des
inspirations, dans ces cas, était normal. (B.)
PÉRIODE TERMINALE. 479
M. Bence-Joncs, dans la chorée et le delirium iremcns,
affections dans lesquelles il y a une grande dépense mus-
culaire, les urines présentent, dans leur constitution chi-
mique, quelque modification importante et en particulier
une augmentation de la proportion des sulfates. C'est là un
desideratum que nous nous proposons de combler quelque
jour (1).
Messieurs, les symptômes que nous avons décrits persis-
tent tels quels durant un temps plus ou moins long; puis,
tôt ou tard, on voit survenir une période qui précède l'issue
fatale, et que l'on pourrait appeler période terminale.
L'affection poursuivant sa marche, la difficulté des mouve-
ments augmentant, les malades sont obligés de rester
toute la journée sur leur chaise ou même de garder tout-à-
fait le lit. Alors, la nutrition souffre, surtout celle du sys-
tème musculaire. Il peut survenir, et je l'ai constaté deux
fois/une véritable atrophie graisseuse des muscles. A un
moment donné, l'intelligence s'obscurcit, la mémoire se
perd. Les forces générales sont prostrées, les malades de-
viennent gâteux, des eschares apparaissent au sacrum.
En pareil cas, les malades succombent par les seuls progrès
de leur affection, par une sorte d'épuisement du système
nerveux, et il est parfaitement exact, ainsi que l'ont an-
noncé plusieurs auteurs, qu'à cette période terminale, on
(l) Des recherches ont été faites à ce point de vue par M. P. Regnard,
dans le laboratoire de la Sorbonne, sur deux malades du service de M.
Charcot. Chez toutes deux, l'urine contenait une proportion à peu près
normale d'urée, mais une moindre proportion d'acide sulfurique qu'à l'état
physiologique : la moyenne de 14 dosages a donné, pour l'urée, 19 grammes
IJU ; pour Y acide suif ui-ique, 1 gr. 25 au lieu de 2 gr. 11 suit de ces analyses
que l'excrétion des sulfates serait diminuée dans la paralysie agitante, con-
trairement à l'opiuion avancée par M. Bence-.Iones, à propos de la chorée.
D'ailleurs, dans cette affection même, Lehmann et Grimer ont toujours
trouvé une diminution des sulfates. Vogel est arrivé, de son côté, aux mêmes
résultats , et il pense qu'il faut attribuer les conclusions opposées de
Bence-Joues à l'insuffisance du procédé d'analyse qu'il a employé (Note de
la 2e édition \
180 ANATOMIE PATHOLOGIQUE.
voit souvent diminuer et même cesser le tremblement,
quelque intense qu'il fût auparavant (1). A l'autopsie, on ne
rencontre d'ordinaire aucune lésion viscérale importante,
capable d'expliquer la mort. On n'observe point, entre au-
tres, les lésions de la pneumonie caséeuse ou de la phthisie
tuberculeuse qui, nous le verrons, mettent fin si habituel-
lement à l'existence des femmes atteintes de sclérose en
plaques ou d'ataxie locomotrice progressive.
Tel n'est pas peut-être, cependant, le genre de mort le
plus habituel dans cette maladie. En effet, la terminaison
finale arrive fréquemment par le fait d'une maladie inter-
currente. Trois fois, Trousseau a vu la mort survenir à la
suite d'une pneumonie; j'ai noté la même chose chez plu-
sieurs sujets atteints de paralysie agitante. Cette complica-
tion tient-elle à l'habitude qu'ont ces malades de se décou-
vrir, même par les saisons les plus froides, en raison des
sensations de chaleur intérieure qu'ils éprouvent ? Nous ne
saurions l'affirmer.
N'oublions pas, Messieurs, que, d'une façon générale, la
paralysie agitante est une des affections graves du système
nerveux dont la durée est la plus longue. Elle peut durer
trente ans; les symptômes de la troisième période seuls,
ainsi que j'en ai été témoin, peuvent se prolonger pendant
quatre ou cinq années.
Si j'ai insisté avec minutie sur la description symptoma-
tologique de la paralysie agitante, c'est qu'elle constitue,
encore aujourd'hui, à peu près toute l'histoire de cette
affection.
Les rares autopsies pratiquées jusqu'à présent chez des
individus supposés atteints de paralysie agitante, sont sus-
ceptibles d'être rangées en trois groupes. Le premier ren-
(l) Chez une malade du service (Latouil. . . Marie-Françoise), dont l'ob-
servation est consignée in extenso dans la thèse de M. Claveleîra, le trem-
blement a complètement disparu l'avant-veille de la mort. (De la paralysie
agitante, 1872, p. 35.)
ANATOMIE PATHOLOGIQUE. i 81
ferme les cas dans lesquels on n'a rencontré aucune lésion
appréciable, malgré les explorations les plus attentives. Il
existe plusieurs faits de ce genre consignés dans les au-
teurs. J'ai observé, pour mon compte, trois cas de paralysie
agitante bien caractérisée, dans lesquels les résultats de
l'autopsie ont été complètement négatifs. D'autres fois, on
trouve mentionnées, dans les nécropsies, des lésions ba-
nales, en particulier l'atrophie cérébrale sénile ; or, celle-
ci peut exister, comme on le sait, sans qu'il y ait eu jamais
le moindre tremblement.
Le second groupe comprend les observations publiées
par quelques auteurs, Bamberger, Lebert, Skoda, par
exemple, sous le titre de paralysie agitante et dans les-
quelles ont été rencontrées des lésions qui appartiennent
vraisemblablement à la sclérose en plaques. Tels sont les
cas de Bamberger, Lebert, Skoda. S'agissait-il vraiment
de la paralysie agitante ou avait-on sous les yeux le tableau
clinique de la sclérose en plaques ? Le fait est parfaite-
ment établi, au moins pour l'observation de Skoda. Nous
reviendrons d'ailleurs sur ce point.
Enfin, le dernier groupe contient l'observation dePar-
kinson et celle d'Oppolzer. Dans l'observation de Par-
kinson, que cet auteur a transcrit du reste de seconde
main, il y avait, paraît-il, une augmentation de volume,
avec induration du pont de Varole, de la moelle allongée
et de la portion cervicale de la moelle; en outre, les nerfs
de la langue, ceux du bras, étaient comme tendineux. Ce
dernier détail nécroscopique et d'autres encore qu'il est inu-
tile de relever, nous semblent jeter des doutes légitimes sur
la valeur de ce fait au point de vue anatomo-pathologique.
Quant au cas du professeur Oppolzer, il n'est guère plus
concluant, à notre avis, en dépit de l'importance qu'on a
voulu lui accorder. A l'autopsie, on découvrit aussi une in-
duration du pont de Yarole et de la moelle allongée, attri-
buée, après examen microscopique, à une Iryperplasie,
une prolifération du tissu conjonctif. Quels sont les carac-
182 PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE.
tères de cette hyperplasie ? A cet égard, la relation est
muette. Il n'est nullement question, dans le texte allemand,
de l'atrophie des éléments nerveux, non plus que des ca-
ractères de la dégénération graisseuse, deux lésions signa-
lées, on ne sait trop pourquoi, dans la version adoptée,
dans sa leçon clinique, par Trousseau.
Les considérations qui précèdent nous montrent, Mes-
sieurs, que la lésion de la paralysie agitante est encore à
trouver (1;.
La physiologie pathologique n'est guère plus avancée
que l'anatomie. Bientôt, je pense, j'aurai l'occasion de vous
faire reconnaître la vérité de cette assertion. Je n'insiste
pas, pour l'instant, sur ce sujet, j'ai hâte de terminer
l'histoire clinique de la paralysie agitante, en vous ex-
posant ce que nous savons relativement à Tétiologie et à la
thérapeutique de cette affection. Ni l'une ni l'autre ne com-
portent de longs développements, la thérapeutique moins
encore peut-être que l'étiologie ; car, jusqu'à ce jour, il
n'est aucune substance, aucune méthode de ^médication à
laquelle on puisse faire honneur, je ne dirai pas d'une gué-
rison, mais même d'un amendement sérieux dans un cas
bien authentique de paralysie agitante.
Êtiologie. A. Parmi les causes extérieures à l'individu,
deux surtout méritent d'être invoquées légitimement dans
un assez grand nombre de cas. C'est, en premier lieu, l'in-
(1) Depuis que cette leçon a été faite (1808), M. Charcot a eu l'occasion
de pratiquer trois autopsies nouvelles; les lésions qu'il a rencontrées sont de
deux espèces : les unes, constantes dans ces trois cas (oblitération du
canal central de la moelle par la prolifération des éléments épithéliaux qui
tapissent l'épendyme; — prolifération des noyaux qui entourent l'épendyme;
— pigmentation des cellules nerveuses, très-prononcée, principalement dans
les cellules de la colonne vésiculeuse de Clarke) ; les autres, particulières
à deux de ces cas (multiplication des corps amyloïdes) ou à l'un d'eux
(plaque scléreuse à la face postérieure du bulbe). Dans le cas le plus net,
on ne constatait aucune lésion de la protubérance ni du bulbe. (Voir pour plus
de détails : Joffroy, Société de biologie, 1871.)
CAUSES EXTÉRIEURES. 183
fluence des Violents ébranlements du système nerveux :
l'effroi, la terreur, une fâcheuse nouvelle apprise tout à
coup, etc. Les exemples à l'appui fourmillent dans la
science, et les faits que nous avons recueillis nous-même
nous obligent â ne pas conserver le moindre scepticisme
sous ce rapport.
Des femmes de la Salpétrière, atteintes de paralysie agi-
tante, interrogées par nous, beaucoup ont vu leur maladie
prendre naissance au milieu des commotions politiques qui
ont agité notre pays, Qu'il nous suffise de citer la femme
d'un gendarme, à laquelle nous avons déjà fait allusion plu-
sieurs fois, une femme actuellement couchée au n° 2 de la
salle Saint-Alexandre, qui se mit à trembler après une
émotion violente, occasionnée par les événements de dé-
cembre 1851. En dehors des faits qui nous sont personnels,
nous relaterons : 1° un cas de M. Hillairet (rapporté dans
notre mémoire) ayant trait à un père qui vit tuer son fils
sous ses yeux; 2° un autre publié' par Oppolzer, concernant
un bourgeois de Vienne, effrayé par l'éclatement d'une
bombe à ses côtés (1) ; enfin, un troisième, consigné par Van
Swiéten dans ses écrits. Il s'agissait, dans ce dernier cas,
d'un homme réveillé subitement par un coup de tonnerre
épouvantable. Multiplier les exemples serait facile, mais
n'ajouterait rien à ce que nous venons de dire. Ce qu'il im-
porte de savoir, c'est que, chez tous ces malades, le trem-
blement suivit immédiatement ou presque immédiatement
(l) Dans un travail publié en 1873 [Berline? Klin. Wochenàchrift, n° 24,
p. 278, etc.), M. 0. Kohts relate un certain nombre de cas de maladies ner-
veuses, observées à Strasbourg-, et que les malades eux-mêmes font remon-
ter à la frayeur que leur a causée le bombardement de la ville. L'auteur,
qui s'étend avec complaisance sur cet événement désastreux, nous apprend
que le nombre des bombes lancées sur Strasbourg, en 31 jours, s'élève à
193.722, soit, d'après son calcul, 6,2i9 par jour, 209 par beure, ou 4 à 5 par
minute. Parmi les faits pathologiques qu'il cite, trois paraissent relatifs à
la paralysie agitante (2 femmes âgées, l'une de 51 ans et l'autre de 61 ans et
un homme âgé de 56 ans). [Note delà 2° édition. (B.;j
'4 84 CAUSES EXTERIEURES.
l'influence de la cause. Celle-ci, qu'on le sache encore,
n'impose aucun caractère spécial à la maladie.
Notons, en second lieu, Y action du froid humide long-
temps prolongée, action qui, aux yeux de quelques auteurs,
suffît pour faire admettre l'origine rhumatismale. Toutefois,
une circonstance importante plaide contre cette explication:
c'est que les formes du rhumatisme articulaire aigu ou
chronique se montrent rarement soit avant l'éclosion de la
maladie, soit pendant son cours. Tout au plus remarque-
t-on parfois, dans les cas où l'influence étiologique du froid
a pu être invoquée, des douleurs rhumatoïdes ou névral-
giques vagues. Nous pourrions citer, à ce propos, une
femme que nous vous avons montrée, et dont la démarche
rappelle celle des grands pachydermes. Cette femme, qui
fabriquait des gaufres, a demeuré pendant plus de dix
ans dans un rez-de-chaussée très-humide, et la descrip-
tion qu'elle donne de cette habitation malsaine ne laisse
aucun doute à cet égard. De plus, elle se trouvait expo-
sée, en raison de son métier, à des refroidissements fré-
quents.
Il est des cas où cette cause est loin d'avoir joué, à notre
avis, le rôle qu'on lui attribue. Tel est celui de Romberg,
concernant un homme qui, en 1813, fut détroussé par les
Cosaques par un temps de neige. Faut-il'invoquer ici l'in-
fluence du froid ou celle de la terreur ?
Nous signalerons enfin une troisième cause, passée sous
silence par la plupart des médecins qui ont écrit sur la pa-
ralysie agitante, à savoir Yirritation de certains nerfs
périphériques, en conséquence d'une blessure ou d'une
contusion. Un fait de Door, relevé par Haas en 1852 et cité
par M. Sanders, appartient peut-être à ce groupe étiolo-
gique. Il a trait à une fille de 19 ans qui s'enfonça une épine
sous l'ongle du pied droit. Elle ressentit sur-le-champ une
vive douleur, et bientôt elle eut un tremblement qui, d'abord
circonscrit au pied blessé, se généralisa progressivement.
Le tremblement, par la suite, disparut, dit-on, d'une façon
INFLUENCE DE L'AGE, DU SEXE, ETC. 185
complète. C'est là une terminaison bien exceptionnelle qui
nous autorise à douter qu'il se soit agi, dans ce cas, de la
paralysie agitante.
La femme d'un de nos confrères de la province, que j'ai
observée, se contusionna violemment la cuisse gauche en
tombant d'une voiture. Au bout de quelque temps, il sur-
vint dans le membre blessé une douleur vive occupant le
trajet du nerf sciatique, et, peu après, un tremblement se
déclara dans toute l'étendue de ce membre. D'abord passa-
ger, ce tremblement devint plus tard permanent, et s'éten-
dit enfin aux autres membres.
Il est permis de rapprocher du fait précédent celui d'une
sage-femme atteinte aussi de paralysie agitante. Cette ma-
lade, que j'ai observée à la Salpétrière, éprouva, pendant
plusieurs années, une douleur violente localisée sur le par-
cours des nerfs de la jambe et du pied. Ces parties furent
prises les premières de tremblement. Cette douleur, qui
s'était développée spontanément, et qui, parfois, était into-
lérable, résista aux moyens les plus énergiques. Elle per-
sista jusqu'à la mort de la malade, dont l'autopsie, malheu-
reusement, n'a pu être pratiquée.
B. Nous venons d'indiquer les cas dans lesquels l'influence
d'un élément étiologique peut être invoquée ; mais il en est
d'autres qui, malgré les recherches les plus attentives, ne
conduisent à aucun résultat. On en est réduit alors à l'exa-
men des influences prédisposantes, qu'il nous reste main-
tenant à passer en revue.
Relativement à Y âge, nous devons faire remarquer que
la paralysie agitante n'est pas,.ainsi qu'on l'a avancé, une
maladie de la vieillesse. Elle débute, à la vérité, après 40
ans, plus tard, par conséquent, que la sclérose en plaques
disséminées. Toutefois, cette règle n'est pas absolue : on
pourrait citer quelques cas où la maladie s'est montrée de
bonne heure, à 20 ans, par exemple, comme dans un fait
qui nous a été communiqué par M. Duchenne (de Bou-
186 INFLUENCE DE L'HÉRÉDITÉ, ETC.
logne) (1). — Le sexe ne paraît exercer aucune action pa-
thogénique : la paralysie agitante est aussi commune chez
l'homme que chez la femme.
Nous ne possédons pas de renseignements précis sur
Yhêrédlté. La paralysie agitante n'est point, à l'instar de
l'ataxie locomotrice dans certaines circonstances, et de l'a-
trophie musculaire progressive, une maladie de famille. Les
observations qui ont pu faire croire le contraire se rap-
portent à des tremblements partiels n'ayant nulle tendance
à se généraliser, rentrant plutôt dans la classe des tics con-
vulsifs.
Il y a quelques raisons de penser que la race anglo-
saxonne (Angleterre, Amérique du Nord) est préférable-
ment affectée de cette maladie. Les récits que j'ai entendu
faire aux médecins de ces pays, mon expérience person-
nelle, et surtout les renseignements qui m'ont été fournis
par mon ami, M. Brown-Séquard, viendraient à l'appui de
cette opinion.
Mais, même dans ces pays, la paralysie agitante n'est
pas très-commune. M. Sanders, dans une statistique com-
prenant l'Angleterre et le pays de Galles, et s'étendant
de 1855 à 1863, a relevé 205 cas de mort par paralysie
agitante, c'est-à-dire en moyenne 22 par an (14 hommes,
8 femmes). Disons, enfin, que cette maladie figure au
cinquième rang, à côté de l'ataxie locomotrice, sur le
tableau étiologique des infirmités traitées à la Salpétrière.
(l) M. Fioupe a publié dans le Journal de médecine et de chirurgie pra-
tiques (p. 389,1874), l'observation d'une jeune fille du service de M. Sire-
dey qui fut frappée de paralysie agitante à l'âge de 15 à 10 ans. « Vers la fin
du siège de Paris, elle s'était réfugiée un jour dans une cave pour se sous-
traire aux projectiles, lorsqu'un obus vint faire à ses côtés 3 ou 4 victimes.
Saisie d'une violente frayeur, elle perdit connaissance et quand, au bout de
quelques instants, elle revint à elle, on ne tarda pas à s'apercevoir que son
bras droit était animé d'un léger tremblement qui gagna peu de temps après
le membre inférieur du même côté. » Elle offre aujourd:hui tous les symp-
tômes qui caractérisent la paralysie agitante : physionomie, attitude spéciale
de la tête, fixité du regard, du tronc, démarche, propulsion, rétropulsion,
tremblement, etc. (B.) (Note de la 2° édition.)
TRAITEMENT. 187
Thérapeutique. Un mot, en terminant, Messieurs, sur les
moyens thérapeutiques. La paralysie agitante guérit quel*
quelbiSjCela est incontestable. Est-ce spontanément ou grâce
aux agents mis à contribution? La dernière hypothèse,
pour la majorité de ces cas heureux, est peu probable, car
les médicaments auxquels on voudrait faire honneur de
cette action médicatriee, ont, dans d'autres cas, complète-
ment échoué. Ellioston a donné le sous-carbonate de fer,
BroAvn-Séquard le chlorure de baryum; tous les deux ont
enregistré un succès et à côté des essais négatifs. M. Du-
chenne (de Boulogne) a VU également un de ses malades
guérir. Ces citations montrent que la paralysie agitante
n'est pas incurable. Mais nous devons reconnaître que nous
ignorons quels sont les moyens employés dans ce but par
la nature.
On a tout ou à peu près tout essayé contre cette maladie.
Parmi les médicaments qui ont été préconisés, et que j'ai
administrés sans fruit, je n'en énumérerai que quelques-
uns. La strychnine , vantée par Trousseau (Journal de
Beau), m'a paru plutôt exaspérer le tremblement que le
calmer. L'ergot de seigle, la belladone, prescrits en raison
de leur pouvoir anti-convulsif, ne m'ont pas donné de résul-
tats bien avantageux. J'en dirai autant de l'opium, qui, au
contraire, augmente l'excitabilité réflexe et que l'on suppo-
sait capable de modérer le tremblement, en diminuant les
douleurs. Dans ces derniers temps, j'ai employé Vhyos-
cy aminé; quelques malades, par elle, se trouvaient soula-
gées ; son action, d'ailleurs, est simplement palliative.
Ogle a donné sans bénéfice la fève de Calabar. Quant au
nitrate d'argent, il nous a toujours semblé exagérer l'état
convulsif, et cela est d'autant plus remarquable, que, dans
la sclérose en plaques, il produit quelquefois un amende-
ment assez marqué, et diminue l'intensité du tremble-
ment (1).
(l) M. Euleniburg a récemment- recommandé l'injection hypodermique
188 TRAITEMENT.
Enfin, nous mentionnerons l'emploi de Y électricité, qui,
selon quelques médecins, aurait procuré plusieurs guéri-
sons. Ce n'est pas l'électricité statique, ni les courants in-
terrompus, qu'il convient de faire intervenir. Ces moyens,
avantageux, dit-on, dans la chorée, seraient demeurés
impuissants contre la paralysie agitante ; c'est du moins ce
qui ressort de la pratique de M. Gull. Il faut se servir des
courants constants, tels qu'on les obtient à l'aide d'une
pile. Il n'est pas nécessaire, Messieurs, de rappeler aujour-
d'hui que les effets physiologiques et thérapeutiques diffè-
rent singulièrement suivant que l'on fait appel à l'une ou
l'autre de ces deux espèces de courants. Quoi qu'il en soit,
il existe deux faits, au moins, dans lesquels ce mode de
traitement paraît avoir été heureux. Le premier appartient
à Remak, le second à Russell Reynolds. Il serait donc bon,
l'occasion se présentant, d'avoir recours aux courants con-
tinus.
d'une solution composée d'une partie à'arséniate de potasse et de deux
parties d'eau [Berliner Klin. Wochensch., nov. 1872). Ce mode de traitement,
employé par nous dans le service de M. Charcot, n'a donné aucun résultat
satisfaisant (Progrès méd., 1874, p. 245). — Nous avons aussi prescrit le
bromure de camphre chez deux malades du service de M. Charcot, atteintes
de paralysie agitante depuis plusieurs années. Dans les premières semaines,
il y a eu un amendement de quelques-uns des symptômes, mais cet amende-
ment n'a pas persisté. Peut-être serait-il bon de recourir à cet agent théra-
peutique dans des cas moins avancés. (B.) (Note delà 2e édition.)
SIXIÈME LEÇON
De la sclérose en plaques disséminées. — Anatomie
pathologique.
Sommaire. — Historique de la sclérose en plaques disséminées : Période
française ; — Période allemande ; — Nouvelles recherches françaises.
Anatomie pathologique macroscopique. — Aspect extérieur des plaques
de sclérose. — Leur distribution : cerveau, cervelet, protubérance, bulbe,
moelle épinière. — Plaques de sclérose sur les nerfs. — Formes spinale,
céphalique ou bulbaire, cérébro-spinale. — Caractères des plaques : cou-
leur, consistance, etc.
Anatomie microscopique. — Notions d'histologie normale concernant la
moelle épinière. — Tubes nerveux. — Névroglie : sa distribution. —
Couche corticale du réticulum. — Caractères de la névroglie. — Intluence
de l'acide chromique. — Capillaires artériels.
Caractères histologiques des plaques de sclérose. — Coupes transver-
sales : zone périphérique ; — zone de transition ; — région centrale. —
Coupes longitudinales. — Altérations des vaisseaux. — Examen des
plaques de sclérose à l'état frais. — Lésions histologiques consécutives
à la section des nerfs. — Granulations graisseuses sur les coupes de
plaques scléreuses à l'état frais. — Modifications des cellules nerveuses.
— Mode de succession des lésions.
Messieurs,
J'ai insisté dans notre dernière réunion sur la distinc-
tion qu'il convenait d'établir entre les diverses espèces de
tremblement. Je vous ai dit tout d'abord qu'on pouvait les
diviser en deux groupes : l'un dans lequel le tremblement
est en quelque sorte permanent ; l'autre dans lequel le trem-
blement ne survient qu'à l'occasion des mouvements vou-
lus. Puis, partant de cette notion, je vous ai cité comme
exemple de tremblement du premier groupé, la paralysie
agitante dont je vous ai tracé l'histoire. Chemin faisant,
j'ai relevé quelques-uns des caractères qui permettent de
distinguer aujourd'hui cette maladie d'une autre affection
190 SCLEROSE EN PLAQUES. — HISTORIQUE.
jusqu'alors confondue avec elle, la sclérose en plaques
disséminées.
C'est à cette affection, qui nous fournit un spécimen du
tremblement du second groupe, c'est-à-dire n'apparaissant
que dans certaines conditions, que nous allons consacrer
cette leçon et les suivantes. Anatomiquement, la sclérose
en plaques disséminées est une espèce pathologique nette-
ment déterminée ; cliniquement, c'est autre chose, et, à cet
égard, nous aurons bien des lacunes à combler. Commen-
çons par quelques mots d'historique.
HISTORIQUE.
On trouve la sclérose en plaques mentionnée pour la pre-
mière fois dansl' Atlas tianatomie pathologique de M. Cru-
veilhier (1835-1842), livre admirable qui devrait être con-
sulté plus souvent par tous ceux qui veulent éviter le désen-
chantement des découvertes tardives, de seconde main, en
anatomie pathologique. C'est dans les 22e et 23e livraisons
que vous verrez figurées les lésions de la sclérose en pla-
ques. A côté, vous pourrez lire les observations cliniques
auxquelles elles se rattachent. Je profite de cette circons-
tance pour vous recommander la lecture d'un chapitre
remarquable sur les paraplégies. Avant cette époque, nulle
part ailleurs, à ma connaissance, il n'y a trace de la sclérose
en plaques.
Après M. Cruveilhier, Carswell, dans l'article Atrojjhy
de son Atlas (1838), a fait dessiner des lésions qui se rap-
portent à la sclérose en plaques. Mais cet auteur, qui a
puisé surtout les matériaux de son ouvrage dans les hôpi-
taux de Paris, ne relate à ce propos aucun fait clinique.
Même aujourd'hui, je ne crois pas que la sclérose en pla-
ques soit connue en Angleterre (1). Je ne la trouve indiquée
(l) Cette leçon a été faite en 18G8.
HISTORIQUE. 191
dans aucun des livres classiques publias dans ce pays, non
plus que dans le précieux recueil de M. Gull (1).
Ainsi, jusque-là, les documents principaux avaient ëté
rassemblés en France. A partir de cette époque, pendant
une période de plusieurs années, on laisse cette question
dans un oubli à peu près complet, et c'est en Allemagne
qu'il faut aller pour rencontrer de nouveaux jalons. Lud-
Avili- Tùrck a publié, en 1855, des exemples de lésions se
rattachant évidemment cà la sclérose en plaques ; toutefois,
le côté physiologique seul a frappé son esprit (2), Roki-
tansky les indique dans son traité (3); Frerichs (4), Valen-
tiner (5) rapportent deux observations. Rindfleisch (6),
Leyden (7), Zenker (8), fournissent, à leur tour, quelques
éléments à la solution du problème. Des desiderata res-
taient à combler, de nouvelles recherches étaient indispen-
sables. C'est à la Salpé trière que la sclérose en plaques
attira de nouveau chez nous l'attention. Dès 1862, M. Yul-
pian et moi nous en constations des exemples. M. Bouchard,
se fondant sur des faits réunis par nous à la Salpétrière,
revint sur ce sujet dans un travail lu au Congrès médical
de Lyon.
Dans l'énumération qui précède, nous avons surtout tenu
compte des travaux ayant trait à l'anatomie pathologique,
nous proposant d'insister plus tard sur ceux qui contien-
nent des détails cliniques. Aux renseignements que nous
(1) Cases of Paraplegia, in Gug's Hospital Rep. 1856-1858.
(2) Beobachtungen ufar das Leitungsverntëgen des menschlichen Rikheii'
marks. (Sitzungsberichte der Kais. AkadeniiederWissenschaften, mathern.
naturw. Class, t. XVI, 1855, p. 229.)
(3) Lehrhitch derjwtkologischen Ànatomie, 1856, Zweiter Band, p. 488.
(4) Haescrs Archiv, Band, X.
(5) Ueber die Sclérose des Gehims and Riïchenmarks [Deutsche Klinik;
1856, n° 14.)
(6) Eistologische Détail iU der grauen Degeneration von Hirn und Rilcken-
mark (Yirchow's Archiv. B. XXVI, Heft und 6, p. 474.)
(7) Ueber graue Degeneration des Rùckenmarks {Deutsche Klinik, n° 13,1867 .)
(8) Fin Bitrag zur Sclérose des Eims und Riickenmarhs. [Zeitschrift fur
rat. Medizin.B. XXIV, Heft. 2 und 3.)
192 ANATOMIE PATHOLOGIQUE.
donneront les auteurs précités, nous en ajouterons d'au-
tres puisés dans des observations inédites, et, pour faciliter
la compréhension de nos études, nous mettrons sous vos
yeux les pièces anatomiques que nous avons conservées.
ANATOMIE MACROSCOPIQUE.
La sclérose en plaques disséminées, je vous l'ai dit, Mes-
sieurs, n'est pas une affection exclusivement spinale. Elle
envahit le cerveau, la protubérance, le cervelet, le bulbe
aussi bien que la moelle. Nous allons donc énumérer les
altérations que l'on découvre, dans les cas les plus accen-
tués, sur ces divers segments du système nerveux : d'abord
extérieurement, puis sur des coupes.
Il s'agit là, Messieurs, d'une altération relativement gros-
sière et il est surprenant qu'elle ait pu pendant si long-
temps passer inaperçue. Sur les planches que je vous
montre et où les altérations sont fidèlement reproduites,
vous voyez la moelle épinière tachetée de plaques grisâtres,
à contours plus ou moins réguliers, mais, en tout cas, net-
tement circonscrites et qui tranchent vivement sur les par-
ties voisines. (Voy. Planches III et V.)
Tantôt discrètes, tantôt confluentes, ces plaques ou ces
taches, ainsi que vous pouvez facilement le constater,
sont disséminées sans règle apparente et comme au hasard
sur tous les points de la moelle. Le bulbe lui-même n'est
pas épargné, tant s'en faut. (Voy. Pl. I, Fig. 4 et 5). Sou-
vent aussi diverses parties de l'encéphale sont atteintes.
Mais, nous ne pouvons nous en tenir à ce simple aperçu
et il nous faut entrer dans les détails d'une description plus
régulière. Tout d'abord nous devons dire que Y examen pu-
rement extérieur ne donnerait de la lésion qu'une idée
très-incomplète. Les plaques, les taches, dont nous venons
de parler, ne sont pas superficielles ; elles constituent de
DISTRIBUTION DES PLAQUES DE SCLÉROSE. 493
véritables noyaux ou foyers qui pénètrent dans la profon-
deur des tissus. Souvent même, la coupe seule révèle l'exis-
tence des plaques cachées intérieurement.
Examinons en premier lieu Yencéphale. L'aspect général
du cerveau proprement dit n'a subi aucune modification
dans sa forme et nous pouvons ajouter ni dans sa couleur,
car les plaques sont très-rares sur la substance grise des
circonvolutions. Il n'en est plus de même en ce qui con-
cerne les parties centrales. En effet, nous trouvons des
plaques surtout sur les parois des ventricules, dans la subs-
tance blanche du centre ovale, le septum lucidum, le corps
calleux et enfin dans certaines régions de la substance
grise (Couches optiques, corps striés. Pl. II, Fig. i et 2).
Le cervelet ne présente d'habitude que des plaques inté-
rieures, occupant spécialement le corps rhomboïdal. (Pl. I,
Fig A et 2.)
Le bulbe, la protubérance et les diverses circonscriptions
de l'isthme sont très-fréquemment le siège des plaques de
sclérose, lesquelles, là, sont à la fois périphériques et pro-
fondes. Sur le bulbe, les plaques affectent isolément ou si-
multanément les olives, les pyramides, les corps resti-
formes et la région postérieure où sont étages les noyaux
d'origine des nerfs bulbaires. Pour ce qui a trait à la pro-
tubérance, les plaques siègent en général à la face antéro-
postérieure. Si nous remontons plus haut, nous voyons af-
fectés et les tubercules mamillaires et les pédoncules
cérébraux. (Pl. I, Fig. 1 et 5.)
Nous arrivons maintenant à la moelle. A travers la pie-
mère, on aperçoit souvent des taches grises, prenant une
teinte rosée analogue à celle de la chair de saumon, par
le contact de l'air. Mais c'est principalement après l'abla-
tion de cette membrane, ablation qui s'effectue sans peine,
que l'on aperçoit bien les lésions. Elles intéressent toutes
les régions de la moelle (cervicale, dorsale et lom-
baire) ; elles envahissent indistinctement les différents cor-
dons, sans respecter les sillons et portent aussi bien sur
Charcot, t. i, 3e éd. 13
194 PLAQUES DE SCLÉROSE (MOELLE ÉPINIÈRE, NERFS).
la substance grise que sur la substance blanche. (Pl. III et
IV.)
Les nerfs eux-mêmes n'échappent pas à la sclérose. On
les yoit quelquefois sortir, à leur origine, d'une plaque cle
sclérose et se montrer parfaitement sains ; d'autres fois, on
trouve sur leur trajet des plaques scléreuses en tout sem-
blables à celles des centres nerveux, du moins sur les por-
tions de ces nerfs voisines des centres : les observations de
MM. Vulpian et Liouville, souvent répétées depuis, ne lais-
sent pas de doute à cet égard. Les "nerfs crâniens qui ont
offert des plaques de sclérose sont les nerfs optiques, olfac-
tifs et de la 5° paire. Quant aux nerfs rachidiens, nous sa-
vons seulement que des plaques ont été vues sur les racines
postérieures et antérieures ; mais nous ignorons s'ils ont
été lésés sur leur parcours extra-spinal. (Voy. Pl. I, Fig. 4
et 3, a, &.)
Je n'insisterai pas plus longuement, Messieurs, sur cette
topographie des plaques scléreuses ; toutefois, je ne puis
me dispenser d'appeler toute votre attention sur l'intérêt
qui s'y attache.
Vous voyez, en effet, les plaques siéger sur des régions
très-diverses des centres nerveux, suivant les cas, et il est
clair, qu'à ces variétés de siège devront répondre des dé-
sordres fonctionnels bien différents. C'est à cela que la ma-
ladie doit en grande partie son caractère protéiforme. Nous
reviendrons sur ce point. Pour le moment, remarquez que
ces différences de siège motivent des divisions impor-
tantes que nous retrouverons en clinique. Tantôt les plaques
occupent exclusivement la moelle (forme spinale) ; tantôt
elles prédominent clans l'encéphale (forme céphaliqae ou
bulbaire); enfin,., l'existence simultanée de plaques dans l'en-
céphale et la moelle répond à la forme cérébro-spinale.
Pour en finir avec l'anatomie à l'œil nu, il ne me reste
plus qu'à indiquer les principaux caractères que présentent
les plaques considérées individuellement.
Quelquefois, les plaques sont saillantes et comme turges-
CARACTÈRES EXTÉRIEURS DES TLAQUES DE SCLÉROSE. 195
centes; d'autres fois, elles sont cle niveau avec les parties
avoisinantes ; enfin, elles sont parfois déprimées lorsqu'elles
ont une date ancienne.
Elles ont une coloration qui rappelle à peu près celle de
la substance grise dont il est difficile de les distinguer ; mais,
au contact de l'air, elles prennent une couleur rosée et l'on
voit s'y dessiner des vaisseaux abondants.
Ces plaques ont une consistance ferme et donnent des
surfaces de section nettes et d'où s'écoule un liquide trans-
parent.
Telle est,Messieurs,au point de vue de l'anatomie simple,
la sclérose en plaques généralisées ; il nous faut entrer
maintenant dans des détails histologiques minutieux.
Pour mener à bonne fin cette entreprise, qui se rapporte
à des faits d'une exposition laborieuse, je réclamerai à la
fois et toute votre attention et toute votre indulgence.
ANATOMIE MICROSCOPIQUE.
La méthode à suivre est simple. Nous devons partir des
conditions normales ; celles-ci une fois connues, il sera
plus aisé d'en faire dériver les conditions morbides. La con-
naissance préalable des caractères de l'état normal, en ce
qui concerne les organes et les éléments dont nous vou-
lons étudier les altérations, vous est sans doute familière,
et nous pourrions, à la rigueur, entrer de plain-pied dans
l'examen des lésions intimes. Toutefois, vous le savez, Fana-'
tomie histologique des centres nerveux est, sous quelques
rapports, toute nouvelle ; bon nombre des questions qu'elle
soulève sont encore en litige ; et cependant, pour l'intelli-
gence des lésions pathologiques, il n'est pas indifférent
d'avoir sur ces questions une opinion plus ou moins moti-
vée. Ces considérations nous engagent à vous remettre en
mémoire, au moins sommairement, certains faits fonda-
mentaux d'anatomie normale. D'ailleurs, nous nous occu-
196 ANATOMIE MICROSCOPIQUE.
perons surtout de la moelle épinière, organe moins com-
plexe et d'un abord plus facile que ne l'est le cerveau. Mais,
afin de limiter le champ de nos études, nous ne nous arrê-
terons pas à décrire les éléments nerveux proprement dits,
tubes ou cellules ; nous n'insisterons pas non plus sur leurs
rapports réciproques ni sur le mode de groupement qu'ils af-
fectent pour constituer ce que l'on nomme la substance
blanche et la substance grise. Nous nous proposons de con-
centrer votre attention sur la gangue conjonctive qui, de
toutes parts, enveloppe ces éléments. Un grand intérêt s'at-
tache à l'histoire de cette gangue conjonctive, principale-
ment pour le pathologiste, car c'est à elle qu'il faut attri-
buer le rôle capital dans certaines altérations des centres
nerveux et en particulier dans les cas qui nous occupent (1).
I.
A. Il sera, je crois, avantageux d'inaugurer cette étude
par l'examen de tranches minces, transparentes, pratiquées
transversalement sur des tronçons de moelle convenable-
ment durcis dans une solution d'acide chromique, et colo-
rées par le carmin. Le carmin est ici un réactif précieux.
Grâce à lui, certains éléments qui ont la propriété de se
colorer sous son influence d'une teinte plus ou moins vive
sont par là mis en relief, alors que les autres conservent
leur aspect ordinaire. Ainsi les cellules ganglionnaires,
leur noyau, leur nucléole et aussi les prolongements de ces
cellules se colorent fortement sous l'influence de ce réac-
tif. La gangue conjonctive se colore également dans tous
(l) On sait que les premières études sur la gangue conjonctive de la
moelle épinière remontent à 1810 et sont dues à Keuffel ; mais ce que l'on
sait moins, c'est que Cruveilhier, dans son article Apoplexie, du Diction-
naire de médecine et de chirurgie pratiques, publié en 1820, a mentionné
« le tissu cellulaire séreux extrêmement délié qui unit et sépare les fibres
» cérébrales et qui forme une trame excessivement ténue.» (Loc. «ï.,p.209.)
NOTIONS D'HISTOLOGIE NORMALE. 197
les points de son étendue, à la vérité d'une manière bien
moins prononcée ; et, pour ce qui a trait aux tubes ner-
veux, seul le cylindre d'axe prend la couleur du carmin,
tandis que l'enveloppe de myéline résiste complètement à
son action.
Tous les détails que ce mode préparatoire met en relief
vous pourrez les suivre sur la planche d'après Deiters (1),
que je vous présente :; vous les retrouverez ensuite facile-
ment sur les très-belles coupes que je vais faire passer sous
vos yeux et que je dois à l'obligeance de notre confrère
M. Lockhart-Clarke ; il conviendra d'examiner ces pièces
d'abord à l'aide d'un faible grossissement.
Sur les préparations comme sur la planche, les parties
qui appartiennent à la substance blanche de la moelle vous
paraissent sans doute, au premier abord, presque entière-
ment composées de petits corps régulièrement arrondis,
sortes de disques placés côte à côte et à peu près de même
diamètre. Ce sont les tronçons cylindriques trop minces,
résultant de la section des tubes nerveux, lesquels tubes sont
là, dans cette partie de la moelle, disposés pour la plupart
suivant le grand axe de l'organe, et, comme sont les pris-
mes d'une chaussée basaltique, parallèlement les uns aux
autres. Au centre des disques qui, dans le reste de leur éten-
due, sont constitués par la myéline non colorée, d'aspect bril-
lant, translucide, figure comme un point, ou mieux, comme
un petit globule, le cylindre d'axe coloré en rouge.
Un examen un peu plus attentif fait constater bientôt que
les disques en question ne sont pas exactement contigus, et
qu'ils sont, au contraire, plus ou moins nettement séparés
les uns des autres, par une substance d'apparence homo-
gène, que le carmin colore légèrement et qui semble com-
bler, à la manière d'un ciment, tous les vides que les élé-
ments nerveux laissent entre eux. Cette substance n'est
(l) 0. Deiters. — Untersuch. nier Gehern uni Riïckemnarck. Braunshe-
wieg. Planche III, fig. 12.
198 DE LA NÉVROGLIE.
autre que la gangue conjonctive, comme nous l'appelions
tout à l'heure, ou autrement dit, la névroglie (Virchow), le
rêticulum (Kolliker). En étudiant son mode de répartition
et d'agencement sur les diverses parties de la coupe, tous
reconnaîtrez aisément qu'elle entre pour une part très-im-
portante dans la masse de l'organe. Remarquez en premier
lieu qu'elle forme, à la partie périphérique de la coupe, un
anneau, ou mieux, une zone, d'une certaine épaisseur et
où les tubes nerveux font absolument défaut. Cette zone est
recouverte à l'extérieur et enveloppée, pour ainsi dire par
la pie-mère, avec laquelle elle ne contracte que de faibles
adhérences ; elle est d'ailleurs parfaitement distincte, quant
à sa structure, de cette dernière membrane, qui est compo-
sée de tissu conjonctif fibrillaire, et, par conséquent, tout
autrement que la névroglie. Elle a été décrite avec soin par
Bidderet parFrommann, qui la désignent sous le nom de
couche corticale du rêticulum (Rindenschicht) ; nous ver-
rons plus tard qu'elle présente parfois, au point de vue pa-
thologique, un intérêt incontestable (1).
Du bord interne de cette zone ou couche corticale, on
voit naître et se détacher, de distance en distance, des
cloisons qui se dirigent vers le centre de la moelle, qu'ils
partagent en compartiments triangulaires à peu près égaux,
dont la base est à la périphérie et dont le sommet se perd
dans la substance grise. Ces cloisons donnent elles-mêmes
naissance, chemin faisant, à des tractus secondaires, puis
tertiaires, qui se subdivisent aussi à leur tour. Leurs ramifi-
cations s'enchevêtrent, se croisent et s'anastomosent de ma-
nière à produire un réseau à mailles d'inégale dimension.
De ces mailles, les plus larges réunissent, sous forme de
faisceaux, huit, dix tubes nerveux, ou même un plus grand
nombre, tandis que les plus étroites n'en renferment, le
plus souvent, qu'un seul. La disposition réticulée dont il
(l) C. Frommann. — Untersuch. Hier die Normale und patholog. Anatom.
des Rûekenmarlies . Iéna. 1864.
DE LA NÉVROGLIE. 199
s'agit devient surtout évidente dans les points de la prépa-
ration, où, par suite de la distribution des tubes nerveux, le
squelette conjonetif persiste seul.
Plus encore peut-être que dans la substance blanche, la
névrogliejoue, dans la substance grise, un rôle important;
il est, en effet, des régions de celle-ci quelle constitue d'une
manière presque exclusive ; tels sont , par exemple , les
bords du canal central, le cordon de l'épendyme. Elle est
prédominante aussi dans cette partie des cornes postérieu-
res connue sous le nom de substance gélatineuse de Ro-
lande ; dans la commissure postérieure qui , en consé-
quence, prend dans sa presque totalité, une teinte rosée
sur les préparations traitées par le carmin, tandis que la
commissure antérieure, au contraire, en raison des nom-
breux tubes nerveux à direction transversale qu'elle con-
tient, est beaucoup moins affectée par le réactif. Dans la
substance grise, d'ailleurs, de même que dans la substance
blanche, la névroglie présente la structure réticulée ; seu-
lement, dans le premier cas, les intrications beaucoup plus
multipliées des trabécules forment des mailles notablement
plus serrées et font voir l'apparence d'un tissu spongieux.
Dans ces deux conditions, du reste, elle sert de support aux
vaisseaux sanguins.
B. Il convient actuellement de rechercher, à l'aide de
grossissements plus puissants, quelle est la constitution his-
tologique de cette gangue conjonctive dont nous ne con-
naissons encore que les apparences les plus extérieures.
S'agit-il là du tissu conjonetif ordinaire (tissu lamîneux
fibrillaire) ? Non, assurément ; tout le monde s'entend sur
ce point. Mais en dehors de cette notion purement négative,
presque tout reste litigieux dans l'histoire histologique de
la névroglie. Toutefois, une opinion tend ici à prévaloir,
et cette opinion, si j'en juge d'après des impressions fon-
dées sur des observations personnelles, se rapprocherait
beaucoup de la réalité. D'après cette manière de voir, la
200 DE LA NÉVROGLIE.
névroglie serait faite, comme le stroma des glandes lym-
phatiques, par exemple, suivant le type du tissu conjonctif
simple réticulé (Kôlliker); c'est-à-dire qu'elle serait es-
sentiellement composée de cellules étoilées, en général pau-
vres en protoplasma, portant des prolongements grêles,
plusieurs fois ramifiés, et dont les branches communiquent
les unes avec les autres, de manière à relier en un seul
système les diverses cellules et à les rendre pour ainsi dire
solidaires. [Kôlliker (1), Max. Schultze, Frommann (2).]
Dans cette forme de tissu connectif, il n'existe que fort peu
de substance amorphe dans les mailles du réticulum, et la
substance intermédiaire fibrillaire, qui est l'un des carac-
tères fondamentaux du tissu lamineux, fait ici complète-
ment défaut.
Voyons maintenant ce que l'observation directe permet
de reconnaître sur des coupes minces de la moelle, durcies
par l'acide chromique et colorées par le carmin. Comme
dans le cas du stroma des glandes lymphatiques que nous
prenions, il y a un instant pour exemple, il importe ici de
distinguer en premier lieu des cellules et en second lieu un
réseau de trabécules fibroïdes qui relient ces cellules entre
elles. Il s'agira d'abord de ce que l'on voit dans la substance
blanche.
Les points du réticulum où plusieurs trabécules se ren-
contrent, forment çà et là des renflements ou nœuds plus
ou moins épais, situés à peu près à égale distance les uns
des autres. Or, chacun de ces nœuds, ceux surtout qui se
font remarquer par leur grande dimension, présentent vers
leur partie centrale un corps figuré, arrondi ou légèrement
ovalaire, plus vivement coloré par le carmin que ne le sont
les parties avoisinantes. Ces corps sont des noyaux à
contour net, finement grenus, dépourvus de nucléoles et
mesurant en moyenne de 0 m. 004 à 0 m. 007. Ils se mon-
(1) Kôlliker. — Gembhhre, 5e édit. Leipzig, 1867, § 108.
(2) Loc. cit.
DE LA NÉVROGLIE. 201
trent solubles dans l'acide acétique qui les fait se contrac-
ter dans tous les sens et diminue leur diamètre quelquefois
de moitié; on les connaît sous le nom de myélocites (Cli.
Robin) (1) ou de noyaux de la névroglie (Virchow) (2).
Une mince couche de protoplasma, sans apparence cellu-
laire distincte, entoure le plus souvent ces noyaux (myé-
locytes, variété noyau) qui, d'autres fois, au contraire,
sont renfermés dans une véritable cellule arrondie ou étoi-
lée (myélocites, variété cellule), et munis de prolonge-
ments plus ou moins nombreux (de 3 à 10, d'après From-
mann) , plus ou moins allongés (3) . Les prolongements pa-
raissent faire corps avec les trabécules du réticulum qui
les continuent, pour ainsi dire, sans ligne de démarcation
appréciable ; dans le cas où la forme cellulaire n'est pas
distincte, les noyaux, nus ou recouverts seulement d'une
mince couche de protoplasma, apparaissent comme des
centres d'où naissent les trabécules du réticulum et
d'où elles irradient pour se porter dans diverses direc-
tions.
Les trabécules doivent être étudiées à leur tour et consi-
dérées indépendamment des connexions qu'elles peuvent
avoir soit avec les noyaux, soit avec les cellules qui occu-
pent les nœuds du réticulum ; leur texture varie quelque
peu selon que l'on examine des coupes transversales ou des
coupes longitudinales. Dans le premier cas, elles simulent
de minces cloisons homogènes, brillantes, d'aspect fibroïde.
En s'anastomosant, elles forment des mailles dont les plus
étroites sont assez larges encore pour contenir un tube
nerveux. S'agit-il de coupes longitudinales? On voit les
trabécules se ramifier presque à l'infini et produire un ré-
(1) Robin. — Programme du cours d'histologie, 1864, p. 46. — Dictionn.
encyclopédique* 2e série, t. I, lre part., art. Lamineux, p. 284-
(2) Virchow. — Die Kraekft. Gesehvillste, 1864-65, t. II, p. 127.
(3) Voir sur ce sujet : Hayem et Magnan. — Journal de la physiologie,
etc., n° 1, 1876. — Hayem. — Etudes sur les diverses formes d'encéphalite,
1868.
202 DE LA NEVROGLIE.
seau à mailles beaucoup plus fines. Ce réseau est d'ailleurs
disposé sous forme de cloisons qui séparent les uns des au-
tres les tubes nerveux et les entourent à la manière
d'une gaîne. Les vides qui existent çà et là, entre les gaines
et les tubes nerveux, semblent comblés par une petite
quantité d'une matière amorphe, finement grenue. Nulle
part on ne rencontre, dans l'état normal , au milieu de ces
trabécules, les minces fibrilles qui font partie intégrante du
tissu lamineux.
Dans la substance grise, la névroglie est faite sur le
môme plan général ; seulement, les mailles du réseau fi-
broïde, surtout dans les points où les éléments nerveux
manquent, y sont plus serrées que dans la substance blan-
che et de là résulte l'aspect spongieux que nous avons déjà
mentionné. Ajoutons que les cellules écoilées se montrent
plus nombreuses que partout ailleurs dans certaines ré-
gions de la substance grise et qu'elles sont parfois tellement
développées qu'il devient fort difficile de les distinguer des
cellules nerveuses ; mais nous aurons l'occasion d'insister
sur ce dernier point.
Un réseau fibroïde dense, à mailles étroites, des cellules
nombreuses se retrouvent aussi dans les parties des fais-
ceaux blancs où n'existent pas de tubes nerveux, dans la
couche corticale (Rindenschicht), par exemple et dans les
grandes cloisons qui y prennent leur origine.
Si l'on s'en rapporte à la description qui précède, la né-
vroglie mérite incontestablement d'être rattachée au type
du tissu conjonctif réticulé, dont nous rappelions tout à
l'heure les caractères essentiels.
Mais cette description a été tracée principalement, —
vous ne l'avez pas oublié, d'après des observations faites
sur des fragments de moelle qui ont subi, pendant un temps
plus ou moins long, l'action de l'acide chromique. Or, les
résultats obtenus à l'aide de ce mode de préparation sont-
ils à l'abri de la critique ? Telle n'est pas l'opinion de quel-
ques auteurs, parmi lesquels il faut citer, au premier rang,
DE LA NÉVROGLIE. 203
des maîtres tels que Henle et Ch. Robin (1). Suivant eux,
le réticulum fibroïde, décrit plus haut, n'aurait pas d'exis-
tence réelle ; ce serait un produit de l'art. A l'état frais,
avant l'intervention des réactifs, les espaces intermédiaires
aux tubes nerveux seraient remplis, non par des trabécules
solides formant par leur agencement les mailles d'un réseau,
mais tout simplement par une matière amorphe, molle,
grisâtre, finement grenue, au sein de laquelle les myélo-
cytes seraient comme suspendus.
Cette matière ayant la propriété de se durcir, sans perdre
de son volume, sous l'influence de l'alcool et de divers
acides, de l'acide chromique en particulier, c'est à cette cir-
constance qu'elle devrait de se présenter, sur les prépara-
tions traitées par ce dernier agent, sous la forme d'un appa-
reil réticulé. A ces objections ont été opposés des arguments,
ou pour mieux dire des faits , dont quelques-uns ont ,
croyons-nous, une valeur à peu près absolue. On reconnaît
qu'il existe à l'état normal, interposée aux éléments nerveux,
— à la vérité en faible proportion, — delà matière amor-
phe possédant les caractères qui viennent d'être indiqués
(Kolliker) ; on reconnaît également que, sur les pièces fraî-
ches, le réticulum est moins nettement dessiné que sur les
pièces durcies par les acides. Mais, il n'en est pas moins
vrai que, même à l'état frais, les coupes fines de la substance
blanche de la moelle, placées dans le sérum iodé et dilacé-
rées sous le microscope, laissent voir nettement sur leurs
bords les tractus fibroïdes du tissu conjonctif (Kolliker,
Frommann, Schultze). Ce résultat, facile à obtenir dans les
conditions normales, s'accuse encore mieux dans certaines
circonstances pathologiques où les dispositions normales se
montrent exagérées, sans être encore foncièrement modi-
fiées (Virchow.)
C'est ce qui a lieu, entre autres, ainsi que nous le dirons,
dans la myélite interstitielle subaiguë, et dans la sclérose
(l) Dict. encyclopédique , loc, cit.
204 DE LA NEVROGLIE.
proprement dite, lorsque l'altération n'a pas encore dépassé
les premières phases de son évolution.
De tout cela on a conclu, — et nous croyons la conclu-
sion légitime, — que, dans l'espèce, l'acide chromique n'a
pas d'autre effet que de mettre mieux en relief la texture
réticulée de la gangue conjonctive de la moelle épinière.
Cette disposition préexiste ; elle ne se produit pas de toutes
pièces sous l'action du réactif.
Pour en finir avec les remarques que j'ai cru devoir vous
présenter relativement à l'histologie normale du centre
nerveux spinal, je n'ai plus qu'un mot à ajouter touchant
une particularité anatomique qu'offrent les plus petits vais-
seaux, principalement les capillaires artériels, dans l'épais-
seur de cet organe. Ils possèdent, comme les artérioles
intra-encéphaliques, cette tunique surnuméraire que l'on
désigne communément sous le nom de gaine lymphatique
ou encore de gaine de Robin. Un espace libre, rempli par
un liquide transparent, où flottent quelques éléments figu-
rés, sépare, vous le savez, cette gaîne de la tunique adven-
tice. Vous reconnaîtrez bientôt l'intérêt qui s'attache à cette
disposition anatomique lorsqu'il s'agira d'interpréter cer-
taines lésions (1).
(l) Depuis le moment où cette leçon a été faite, de nombreux travaux ont
été publiés sur la structure de la névroglie. (Voir à ce sujet une revue cri-
tique de Gombault : Archives de physiologie, 1873, p. 458). — Dans un impor-
tant travail, M. Ranvier, dont les travaux ont tant contribué à la connais-
sance du tissu conjonctif, a montré que les cellules, décrites par Golgi et Boll,
ne sont probablement que des artifices de préparation. Le tissu conjonctif des
centres nerveux ne s'éloigne guère de la structure de celui des autres ré-
gions. (Ranvier. — Sur les éléments conjonctif s de la moelle épinière. In
Comptes-rendus de V Académie des sciences, décembre 1873). La névroglie se
compose de petits faisceaux conjonctifs de 0mm 001 à 0mm 002 de diamètre.
« Ils ne s'amastomosent pas entre eux, dit M. Ranvier, mais en quelques
points, ils s'entrecroisent au nombre de 4, 5, 6, 7, 8 et même plus. Au ni-
veau de cet entrecroisement, il y a souvent un noyau rond ou ovalaire,
muni de petits nucléoles, aplati et entouré d'une zone granuleuse. Avec un
bon objectif à immersion, donnant un grossissement de 600 à 800 diamètres,
il est facile d'apprécier tous ces détails et de reconnaître dans la zone gra-
nuleuse une lame de protoplasma qui, avec le noyau, constitue une petite
HISTOLOGIE PATHOLOGIQUE. 205
II.
Après ces préliminaires, il nous devient facile, Messieurs,
d'aborder l'étude des altérations histologiques de la moelle
dans la sclérose en plaques. La description de ces altéra-
tions que nous allons vous présenter sera fondée surtout
sur les résultats des investigations auxquelles nous nous
sommes livrés depuis longtemps, M. Vulpian et moi. Nous
aurons en outre plusieurs fois l'occasion de mettre à profit,
après contrôle, les recherches faites antérieurement, ou
depuis lors, sur le même sujet, par Yalentiner (1), Rind-
fleisch (2), Zenker (3), et surtout par Frommann (4) qui, à
propos de l'examen d'un petit fragment de moelle, a écrit
un gros livre accompagné de planches remarquables et
riches en documents précieux.
Nous décrirons en premier lieu ce que l'on peut observer :
1° sur des coupes transversales ; 2° sur des coupes longitudi-
nales, provenant de fragments de moelle durcie par l'acide
chromique ; nous décrirons ensuite, d'après l'examen de
cellule plate de tissu conjonctif. Au-dessous et au-dessus de cette cellule,
les petits faisceaux se poursuivent. Il ne me paraît pas douteux, ajoute
M. Ranvier, que cet ensemble ait été pris pour une cellule ramifiée; mais
c'est là une erreur qui, j'en suis sûr, sera abandonnée de tous ceux qui sui-
vront exactement la même méthode. » Sur d'autres points des mêmes pré-
parations, on peut observer des cellules plates isolées ou bien des entrecroi-
sements sans cellules, dispositions qui ne laissent aucun doute sur l'inter-
prétation des faits précédents. On s'étonnera moins des nombreuses opinions
contradictoires émises sur la névroglie, si on se rappelle les nombreuses
discussions qu'a soulevé la structure du tissu conjonctif des organes péri-
phériques, structure qui n'a été mise en lumière que par des recherches
récentes (Note de la 2e édition).
(1) Valentiner. — Deutsch. Klinik., 1836, p. 149.
(2) Rindfleisch. — Virchow's Ârchiv, 1863, t. XXVI, p. 474.
(3) Zenker. — Zeisch. der Ration, mediz., 1863. Bd. XXIII 3. Reih.,p. 226.
(4) Frommann. — 2 theil. Iena, 1867. — Voir aussi : Rokitanskv; Sit-
zungsber. — R. M. Klasse, t. XIII, 1851, p. 136; — Charcot : Soc. de
biologie, 1868 j Bouchard : Soc. anat., 1868; — Hayem : Etudes, etc., loc.
c**.,p. 121.
206 HISTOLOGIE PATHOLOGIQUE.
pièces fraîches, quelques particularités non reconnaissantes
sur les coupes durcies. Dans les deux cas, la coloration
des parties produites à l'aide de la solution ammoniacale
de carmin sera, comme pour les recherches relatives à l'état
normal, un auxiliaire d'une grande utilité, et qu'il sera
bon de mettre en œuvre.
A. Lorsque l'on examine à l'œil nu un tronçon de
moelle portant une plaque de sclérose, il semble que les
parties malades se séparent des parties saines d'une manière
heurtée, sans transition, par une ligne de démarcation
nettement tranchée. Or, c'est là une illusion. L'étude micros-
copique, en effet, permet de constater, même à de faibles
grossissements, que les parties saines, en apparence, qui
confinent au noyau scléreux, présentent, dans un rayon
d'une certaine étendue, des traces d'altération déjà fort
évidentes. Si l'on franchit la limite apparente du tissu sain,
les lésions se montrent pkis accentuées et elles se pronon-
cent progressivement, de plus en plus, à mesure que l'on
approche de la région centrale de la plaque, région où elles
acquièrent leur plus haut degré de développement. En pro-
cédant ainsi des parties périphériques vers les parties cen-
trales, on est conduit à reconnaître l'existence de plusieurs
zones concentriques, répondant aux phases principales de
l'altération (1).
a. Dans la zone périphérique, on observe ce qui suit : les
trabécules du réticulum se sont notablement épaissies ;
quelquefois, elles ont acquis un diamètre double de ce qu'il
est dans l'état normal. En même temps, les noyaux qui
occupent les nœuds du réticulum sont devenus plus volu-
mineux; parfois ils se sont multipliés, et l'on en peut comp-
ter deux, trois, rarement plus, dans chaque nœud (2) ; la
(1) Charcot. — Société de Biologie, 1868.
(2) Parfois quelques-uns de ces noyaux présentent vers leur partie moyenne
un étranglement qui semble indiquer un commencement de scission .
HISTOLOGIE PATHOLOGIQUE. 207
forme cellulaire se montre là plus distincte par suite de
l'épaississement des trabécules; les tubes nerveux paraissent
plus distants les uns des autres ; en réalité, ils ont surtout
diminué de volume, et cette sorte d'atrophie s'est laite aux
dépens du cylindre de myéline, car le cylindre d'axe a con-
servé son diamètre normal ou même il s'est hypertrophié.
La matière amorphe, qui recouvre de toutes parts les fibres
du rédculum, parait plus abondante que dans l'état
sain (1).
h. Les tubes nerveux, dans la deuxième zone, que l'on
pourrait appeler zone de transition, sont devenus encore
plus grêles. Beaucoup d'entre eux semblent avoir disparu ;
en réalité, ils se sont seulement dépouillés de leur cylindre
de myéline et ne sont plus représentés que par le cylindre
d'axe qui, à la vérité, a parfois acquis des dimensions rela-
tivement colossales (2). Quant aux trabécules duréticulum,
elles offrent des altérations non moins remarquables. En
effet; elles ont plus de transparence, leurs contours sont
moins accusés ; enfin, en certains endroits — et c'est là un
fait vraiment fondamental — elles sont remplacées par des
faisceaux de longues et minces fibrilles, fort analogues à
celles qui caractérisent le tissu conjonctif ordinaire (tissu
lamineux). Ces fibrilles sont disposées parallèlement au
grand axe des tubes nerveux : c'est pourquoi on n'en aper-
çoit guère, sur les coupes transversales, que les extrémités
qui, par leur réunion, figurent un pointillé très-fin. Elles
tendent, nous l'avons dit, à se substituer aux fibres ou tra-
bécules du réticulum ; mais, en outre, elles envahissent les
mailles qui contiennent les tubes nerveux, à mesure que
ceux-ci s'amoindrissent en se dépouillant de leur myéline,
et, en conséquence, l'aspect réticulé ou alvéolaire si dis-
(1) Froramann, 2 theil, pi. II, fîg. 1 etj)assùu.
(2) Frommann, ChaT.cot.
208 HISTOLOGIE PATHOLOGIQUE.
tinct que présente à l'état normal la gangue conjonctive tend
à s'effacer de plus en plus (1).
c. C'est — vous le savez — dans la région centrale de la
plaque scléreuse que l'on observe les altérations les plus
prononcées. Ici, toute trace de réticulum fibroïde a disparu;
on ne rencontre plus ni trabécules ni formes cellulaires dis-
tinctes ; les noyaux sont moins nombreux, moins volumi-
neux qu'ils ne l'étaient dans les zones périphériques ; ils se
sont rétrécis dans tous les sens, paraissent comme ratatinés
et ne prennent plus sous l'influence du carmin une colora-
tion aussi foncée (2) ; on les retrouve, çà et là, formant par-
fois de petits groupes dans les intervalles que laissent entre
eux les faisceaux de fibrilles. Celles-ci, d'ailleurs, ont tout
envahi ; elles comblent maintenant les espaces alvéolaires
d'où la myéline a totalement disparu. Néanmoins les cylin-
dres d'axe, derniers vestiges des tubes nerveux, persistent
encore en certain nombre, entremêlés aux fibrilles ; mais
ils n'ont plus, en général, ce volume relativement énorme
qu'ils avaient quelquefois dans les premières phases de
l'altération ; la plupart même se sont amoindris à tel point
qu'ils ressemblent, à s'y méprendre, aux filaments fibril-
laires de formation nouvelle dont nous apprendrons cepen-
dant tout à l'heure à les distinguer.
f Tel est, Messieurs, le dernier terme du processus mor-
bide, dans la forme de sclérose qui nous occupe ; et cette
persistance, pour ainsi dire indéfinie, d'un certain nombre
de cylindres axiles au milieu des parties qui ont subi, au
plus haut degré, la métamorphose fibrillaire, est, — remar-
quez-le bien, — un caractère qui paraît appartenir en pro-
pre à la sclérose en plaques ; elle ne s'observe certainement
pas, du moins au même degré, dans les autres variétés de
(1) Frommann, 2 theil., loc, cit., pi. IV, fîg. 1, 2, 3.
(2) Frommann, Charcot.
HISTOLOGIE PATHOLOGIQUE. 209
l'induration grise, soit qu'il s'agisse de la sclérose spinale
descendante, consécutive aux lésions du cerveau, ou de
celle qui, occupant primitivement les cordons postérieurs,
Fig. 9. — Elle représente une préparation fraîche, provenant du centie d'une plaque
scléreuse, colorée parle carmin et traitée par dilacération. Au centre, vaisseau ca-
pillaire portant plusieurs noyaux. A droite et à gauche, cylindres d'axe, les uns vo-
lumineux, les autres d'un très -petit diamètre, tous dépouillés de leur myéline. Le
vaisseau capillaire et les cylindres d'axe étaient fortement colorés par le carmin.
Les cylindres d'axe ont des bords parfaitement lisses, ne présentant aucune rami-
fication. Dans l'intervalle des cylindres d'axe, minces fibrilles de formation récente,
à peu près parallèles les unes aux autres dans la partie droite de la préparation,
formant à gauche et au centre, une sorie de réseau résultant, soit de l'enchevêtre-
ment, soit de l'anastomose des fibrilles. Celles-ci se distinguent des cylindres d'axe :
1° par leur diamètre qui est beaucoup moindre; 2° par les ramifications qu'elles of-
frent dans leur trajet; 3° parce qu'elles ne se colorent pas par le carmin. — Çà et
là, noyaux disséminés. Quelques-uns paraissant en connexion avec les fibrilles con-
jonctives ; d'autres ayant pris une forme irrégulière, due à l'action de la solution
ammoniacale du carmin.
est considérée à juste titre comme le substratwn anato-
mique de l'ataxie locomotrice progressive.
B. Les résultats de l'examen des coupes longitudinales
confirment, dans leur ensemble, les données qui viennent
de vous être exposées ; je puis donc vous épargner de plus
Charcot, t. i, 3e éd. 14
210 HISTOLOGIE PATHOLOGIQUE.
longs détails, et me borner aux remarques suivantes qui
vous feront mieux connaître, sous quelques rapports, le
tissu fibrillaire de formation nouvelle. C'est sur les coupes
de ce genre que l'on saisit bien les caractères de ce tissu,
que l'on peut le mieux apprécier la direction longitudinale
des fibrilles, leur aspect brillant qui les fait ressembler aux
fibres élastiques, leur agencement sous forme de faisceaux
légèrement ondulés et toujours parallèles. En dilacérant
ces faisceaux, on reconnaît que les fibrilles qui les compo-
sent.sont extrêmement ténues, qu'elles sont opaques, lisses,
qu'elles se divisent et s'anastomosent rarement, tandis
qu'elles s'entrelacent, au contraire, et s'intriquent fré-
quemment de manière à figurer une espèce de feutrage,
qu'enfin elles se colorent à peine sous l'influence du car-
min {Fig. 9). Ces derniers caractères les différencient suffi-
samment des cylindres d'axe qui, d'ailleurs, sont en géné-
ral plus volumineux, translucides et ne se ramifient jamais.
Elles peuvent aussi se distinguer aisément des fibres du
réticulum avec lesquelles elles se trouvent quelquefois en-
tremêlées en ce que ces dernières sont plus épaisses, plus
courtes et constamment hérissées sur leurs bords de pro-
longements rameux ; elles diffèrent enfin des fibres élasti-
ques que l'on trouve si souvent mêlées au tissu conjonctif
ordinaire par un caractère important : elle se gonflent sous
l'influence de l'acide acétique et forment une masse hyaline,
transparente, ce qui n'a pas lieu pour les fibres élasti-
ques (1).
Peut-on entrer plus avant dans l'étude de ces fibrilles et
chercher à saisir leur mode de formation ; se produisent-
elles, par exemple, comme le veut M. Frommann, en par-
tie dans l'épaisseur même des fibres du réticulum qu'elles
doivent remplacer bientôt, en partie aux dépens des cellu-
les et des noyaux de la névroglie ? Naissent-elles, au con-
(l) Valentiner. Zenker, loc. cif. — Vulpiarç. — Cours de la Faculté,
1808.
HISTOLOGIE PATHOLOGIQUE. 211
traire, comme d'autres le pensent, soit de la matière amor-
phe préexistante, soit d'un blastème nouvellement formé ? Y
a-t-il là, en d'autres termes, métamorphose ou substitution ?
La question, croyons-nous, doit rester encore indécise ;
tout ce que nous pouvons dire à cet égard, c'est que les
fibrilles nous ont semblé parfois prendre racine dans la
substance des noyaux ou des cellules, et que ce fait, s'il
était confirmé, pourrait être invoqué à l'appui de la thèse
soutenue par M. Frommann.
Je ne puis passer sous silence les altérations diverses que
subissent les vaisseaux sanguins qui traversent les plaques
de sclérose, altérations qui peuvent être bien étudiées sur
les coupes longitudinales après durcissement par l'acide
chromique. A l'origine, c'est-à-dire dans les zones périphé-
riques, les parois cle ces vaisseaux, même celles des plus
fins capillaires, se montrent plus épaisses et renferment un
plus grand nombre de noyaux qu'à l'état normal. Plus près
du centre de la plaque, les noyaux se sont multipliés en-
core et, de plus, la tunique adventice se trouve remplacée
par plusieurs couches de fibrilles en tout semblables à celles
qui se sont développées simultanément dans l'épaisseur du
réticulum (1). Enfin, au dernier terme, les parois sont de-
venues tellement épaisses que le calibre du vaisseau s'en
trouve notablement rétréci (2).
Je dois signaler aussi, en passant, la présence habituelle
d'un certain nombre de corps amyloïdes au milieu du tissu
fibrillaire. Mais je dois faire remarquer, en même temps,
comme un fait singulier, que ces corps sont toujours moins
abondants dans la sclérose en plaques que dans les autres
variétés de l'induration grise.
C. Ce n'est pas toujours sans difficulté que l'on par-
vient à retrouver, sur les pièces qui n'ont pas été prépa-
(1) Vulpian. — Cours de la Faculté'.
(2) Frommann, loc. cit.
212 HISTOLOGIE PATHOLOGIQUE.
rées par l'acide chromique, tous les détails que je viens de
vous faire connaître. Par contre, les pièces fraîches offrent
cet avantage qu'elles permettent de constater certaines al-
térations, qui passeraient certainement inaperçues si l'on
s'en tenait exclusivement à l'examen des pièces durcies. Je
fais allusion ici à l'existence de globules et de granulations
d'apparence graisseuse ou médullaire que l'on rencontre à
peu près constamment (1) en nombre plus ou moins consi-
dérable, dans l'épaisseur des parties sclérosées, à l'état
frais, et qui ne tardent pas à disparaître sans laisser de
traces, lorsque la préparation a séjourné quelque peu dans
l'acide chromique. Or, Messieurs, la présence de ces gra-
nulations graisseuses se rattache à une phase importante du
processus morbide; je veux parler de la destruction des
tubes nerveux. Toutefois, avant d'entrer dans les dévelop-
pements relatifs à ce point, je crois utile de prendre les
choses d'un peu plus loin et de vous remettre en mémoire,
par une description sommaire où je veux chercher surtout
des termes de comparaison, les modifications de structure
que subissent les nerfs périphériques alors que, par une
section complète, ils ont été séparés des centres nerveux.
Au préalable, je vous rappellerai que, dans les nerfs pé-
riphériques, les tubes nerveux sont essentiellement consti-
tués, comme dans la moelle épinière, par un cylindre de
matière médullaire ou myéline et par un cylindre d'axe ;
mais qu'ils possèdent, en outre, une gaîne conjonctive, la
gaîne de Schwann qui, d'après les recherches les plus ré-
centes (2), paraît ne pas exister sur les tubes plus grêles
des centres nerveux, ou ne s'y montrer tout au moins qu'à
(1) Le fait est du moins signalé par tous les auteurs qui ont examiné des
pièces fraîches (Valentiner, Rindfleisch). Il n'a manqué dans aucun des cas
que j'ai examinés dans les mêmes circonstances. Voyez aussi Rokitansky,
in Bericht der Akad. der Wissench m Wien, t. XXIV, 1857.
(2) Frey. — Hanluch der histologie, etc., 2e édit., p. 354, Leipsig. —
Schultze, De retins structura, 1867, p. 22. — Kolliker. — CfeweMehre, 5e édit.,
1867, t. IV, p. 257.
HISTOLOGIE PATHOLOGIQUE. 213
l'état rudimentaire (1). Vous reconnaîtrez dans un instant que
cette particularité anatomique, insignifiante en apparence,
n'est pas dénuée d'intérêt au point de vue qui nous occupe.
Voici maintenant l'indication des phénomènes sur les-
quels j'ai voulu appeler particulièrement votre attention :
huit ou dix jours après la section du nerf, il se produit une
sorte de coagulation de la substance médullaire du tube ner-
veux, en petites masses plus ou moins irrégulièrement glo-
buleuses, à bords ondulés, sombres, présentant un double
contour et ayant conservé, par conséquent, tous les carac-
tères optiques de la myéline. Les jours suivants, la seg-
mentation faisant de nouveaux progrès, la gaine de Sclrwann
de chaque tube nerveux renferme bientôt, non plus des
masses irrégulières de myéline, mais bien des gouttes pré-
sentant l'aspect et les caractères microchimiques de la graisse.
Ces gouttes, d'abord assez grosses, deviennent progressive-
ment, par suite de la division qui continue à s'y opérer, de
plus en plus petites, et finalement elles sont remplacées par
des granulations très-fines ressemblant à une poussière qui
remplirait la gaine conjonctive. Des granulations plus pâ-
les, de nature protéique, se trouvent en certaine proportion
mêlées aux précédentes ; enfin, globules et granulations
disparaissent, et la gaine de Sclrwann, revenue sur elle-
même, se plisse si bien que, lorsqu'on examine un certain
nombre de fibres nerveuses juxtaposées, ainsi altérées, on
croirait voir, sur le champ du microscope, un faisceau
de tissu conjonctif filamenteux. Que devient pendant ce
temps le cylindre d'axe? Composé surtout de matière pro-
téique, il résiste longtemps à l'action des causes qui ont
détruit la myéline, car on le retrouve encore parfois, dans
la gaine, plusieurs semaines ou même plusieurs mois après
la section du tronc nerveux (2).
(1) Vulpian. — Leçons sur la physiologie, etc , p 316.
(2) Voyez : Vulpian. — Leçons surla physiologie, p. 237,298; — Rindfleisch,
Lehrbuchder pathologisch. Greweèelehre, p. 10 et 20, 1866.
2114 HISTOLOGIE PATHOLOGIQUE.
En résumé, dans les conditions de nouvelle nutrition où
se trouvent placés les tubes nerveux par suite de la section
du nerf, la matière médullaire se coagule, puis se désagrège
et donne naissance, d'un côté, à des molécules protéiques,
Fig. 10. — Plaque de sclérose à l'état frais. — a, gaine lymphatique d'un vaisseau
distendue par des gouttelettes graisseuses volumineuses. — b. vaisseau coupé trans-
versalement. La tunique adventice est séparée de la gaine lymphatique par un es-
pace vide, les gouttelettes graisseuses qui distendaient la gaine ayant disparu. —
c, c, gouttelettes graisseuses, groupées en petits amas disséminés çà et là dans la
préparation, en dehors des vaisseaux.
de l'autre, à des corpuscules qui conservent d'abord les ap-
parences de la myéline, mais qui, en conséquence d'une mo-
dification ultérieure, présentent bientôt tous les caractères
des gouttelettes ou des granulations graisseuses (1).
(l) Suivant Robin, la myéline est une substance particulièrement riche en
principes gras, et sous ce rapport elle peut être rapprochée du contenu des
vésicules adipeuses {Journal de l'anatomie, 1868, n° 3, p. 309). — Walter
HISTOLOGIE PATHOLOGIQUE. 21 5
Revenons maintenant aux plaques de sclérose. Nous
avons à étudier là des phénomènes pour le moins fort ana-
logues à ceux dont je viens de vous entretenir.
Dans l'épaisseur du foyer sclérosé, sur les pièces fraîches,
on rencontre à peu près constamment, nous l'avons dit
déjà, et souvent en proportion considérable, des globule:;
ou granules, offrant d'une manière générale, l'apparence des
corps gras; ces globules se présentent sous deux aspects
principaux : les uns figurent des masses relativement volu-
mineuses, dont les bords sombres, sinueux, dessinent, soil
la forme d'un globule ovalaire irrégulier, soit celle d'une
massue, quelquefois d'un rein (Fig. W). Ils offrent comme
la myéline, dont ils se rapprochent du reste encore par
d'autres caractères, Un double contour. Les autres sont de
véritables gouttelettes ou granulations graisseuses, tantôt
libres , tantôt agglomérées de manière à constituer des
amas confus ou des agrégats cohérents, autrement dit de s
corps granuleux dépourvus de noyau et de membrane en-
veloppante (1). Des molécules protéiques se trouvent mêlée I,
par places, à ces diverses granulations. Tous ces produii I
ressemblent exactement, vous le voyez, à ceux qui résul-
tent de la désagrégation de la myéline, dans le cas de la
section d'un cordon nerveux.
Poursuivons les analogies: sur les coupes longitudinal*
que je vous présente, on voit, en certains points, les gra~
{Virchom,s Àrchiè, 20, 426) a émis l'opinion qu'elle est constituée par iili
amalgame ou mélange de corps gras et de corps albuminoïdes qui ne fe-
raient que se dissocier dans le cas de la dégénération des tubes nerveux. —
Sur ce sujet, voyez encore Rindfleisch, loc. cit.j, p. 20, § 52,
(l) En outre de ces corps granuleux proprement dits {Fettkornchen Ag-
glomérats), on peut trouver, dans les plaques de sclérose, des corps granu-
leux ayant un noyau qui se colore par le carmiu et une membrane d'enve-
loppe [Fettkornchen Zelleii) ; ces derniers ne sont autres que des cellules
de la névroglie ayant subi la dégénération granuleuse. — Voir sur la dis-
tinction à établir entre les diverses espèces de corps granuleux : I. Pou-
meau, Thèse de Paris, 1866. — Rokitansky. — Bericht der Akad.d. Wiss.
m. Wien.. t. XXIV, 1857. — Wedl. — Èudim. ofpath. Histology, p. 292.
London, 1853.
216 HISTOLOGIE PATHOLOGIQUE.
nulations graisseuses disposées sous forme de longues traî-
nées parallèles à la direction des tubes nerveux (1) ; sur les
coupes transversales, elles constituent çà et là de petits
amas séparés en îlots, qui correspondent assez exactement
au siège des alvéoles. A la vérité, le plus habituellement,
les granulations ont franchi les limites de celles-ci et se
sont répandues dans les tissus voisins. Mais cela n'a rien
qui puisse surprendre lorsque l'on sait que les tubes ner-
veux de la moelle sont dépourvus de cette gaine celluleuse
ou gaine de Schwann, qui, dans les nerfs sectionnés, con-
tient de toutes parts les produits de la désagrégation de la
myéline. Les mailles du réticulum et les interstices des
fibrilles offrent d'ailleurs des voies faciles par lesquelles les
gouttes de myéline, ainsi que les granulations graisseuses,
pourront s'infiltrer et se répandre au loin (2).
En dernier lieu, nous ferons remarquer que les masses
d'apparence médullaire et les granulations graisseuses ne
se rencontrent jamais au centre de la plaque de sclérose,
c'est-à-dire dans les régions, où la métamorphose fibrillaire
et le travail de destruction des tubes nerveux sont terminés.
Au contraire, elles occupent toujours les parties les plus
extérieures de la plaque (3), ou, autrement dit, les zones
périphériques ou de transition. Or, sur ces points, vous le
savez, le processus morbide est en pleine activité : c'est là,
en effet, que, comprimé de tous côtés et étouffé par les tra-
bécules du réticulum qui se sont épaissies, et plus tard, par
les faisceaux fibrillaires qui tendent à envahir les alvéoles,
le cylindre médullaire s'amoindrit progressivement, puis
disparaît, le tube nerveux n'étant plus représenté finale-
ment que parle cylindre d'axe. L'accumulation des goutte-
lettes médullaires ou graisseuses et la destruction du cy-
(1) Il n'est pas rare de rencontrer, au milieu des fibrilles, des cylindres
d'axe en partie dénudés, mais auxquels adhèrent encore çà et là des masses
globuleuses ayant l'apparence de la myéline.
(2) Charcot. — Société de Biologie, 1868.
(3) Ibidem.
HISTOLOGIE PATHOLOGIQUE. 217
lindre de myéline ont donc lieu simultanément; on peut
même ajouter qu'elles procèdent du même pas, puisque
celle-là cesse de se produire lorsque celle-ci est définitive-
ment accomplie. Evidemment la coexistence des deux phé-
nomènes ne saurait être fortuite, et tenant compte de tout
ce qui précède, il nous parait légitime de conclure que les
corpuscules médullaires et graisseux en question ne sont
autres que les débris, les détritus provenant de la désagré-
gation de tubes nerveux (1).
Que deviennent, par la suite, ces granulations graisseuses?
Elles disparaissent vraisemblablement par voie de ré-
sorption; vous savez qu'on n'en retrouve plus les traces
dans les parties centrales des foyers scléreux. C'est ici le
lieu de signaler à votre attention un phénomène qui se
rattache, sans aucun doute, au phénomène de cette résorp-
tion. Ainsi que vous pourrez le constater sur les prépara-
tions que je vais faire passer sous vos yeux, dans les par-
ties où se rencontrent les produits de la désagrégation des
tubes nerveux, les gaines lymphatiques des petits vaisseaux
renferment dans leur cavité, en proportion variable, soit
des granulations graisseuses, soit même, bien que plus ra-
rement, des corpuscules présentant les caractères de la
myéline. En certains points, ces divers produits sont telle-
ment abondants que les gaines lymphatiques sont disten-
dues à l'excès ; les vaisseaux paraissent alors avoir acquis
un volume double ou triple de ce qu'il est à l'état normal,
et ils se dessinent sous forme de petites traînées blanches,
visibles à l'œil nu, sur le fond gris de la plaque sclérosée.
Cependant les tuniques elles-mêmes de ces vaisseaux n'of-
frent pas d'autres altérations que celles qui ont été indi-
quées plus haut et qui n'ont certainement aucun rapport
avec la dégénération athéromateuse. En somme, il s'agit là
d'une infiltration graisseuse consécutive des gaines lym-
(l) Cette opinion a été formulée déjà très-nettement par Rokitansky, en
1858. (Bericht, etc., loc. cit., 1857.)
218 DÉGÉNÉRATION JAUNE DES CELLULES.
«
pratiques et nullement d'une lésion primitive des parois
vasculaires. Le même phénomène se retrouve dans le ra-
mollissement cérébral par oblitération artérielle , dans la
plupart des formes de la sclérose primitive ou secondaire,
et, en un mot, dans des affections des centres nerveux très-
diverses, mais qui ont toutefois ceci de commun, qu'elles
déterminent la dégénération graisseuse des tubes nerveux.
Le véritable caractère de ce phénomène paraît avoir été
soupçonné par Gull (1) et par Billroth (2)* mais il a été mis
en lumière surtout par M. Bouchard, dans ses belles
études sur les dégénérations secondaires de la moelle épi-
nière (3).
La description, qui vient de vous être présentée, de l'alté-
ration scléreuse en plaques disséminées est surtout rela-
tive à la substance blanche, mais elle peut s'appliquer
également, d'une manière générale au moins, à la substance
grise. Dans les deux substances, en effet, la névroglie est
faite sur le même modèle, et les altérations qui s'y produi-
sent ne diffèrent pas essentiellement. Aussi ne donnerai-] e,
d'après les observations que j'ai pu faire, une mention spé-
ciale qu'aux modifications qu'éprouvent les cellules ner-
veuses, lorsque, par suite de l'envahissement de la subs-
tance grise , elles se trouvent comprises dans l'aire d'une
plaque de sclérose. Ces cellules ne sont pas le siège d'une
prolifération nucléaire, contrairement à ce qui a lieu dans
les mêmes circonstances pour les cellules conjonctives dont
les noyaux se multiplient habituellement, et c'est même là
un caractère qui* au besoin, conduirait à distinguer l'un de
l'autre les deux ordres d'éléments ; elles subissent une alté-
ration particulière qu'on pourrait désigner du nom de dégé-
nération îaunei en raison de la coloration ocreuse, parfois
(1) Cases of Paraplegia. In Guy s Eosp. Reports, 3e sér.; 1858, t. IV.
(2) Arch. der Heilkunde, 3 jahr., p. 47.
(3) Bouchard. — Arch. gén. de mfd., mars et avril 1866 ; Thèse de Paris,
1867, p. 44.
.NATURE DE LA LÉSION. 219
assez prononcée, qu'elles présentent ; elle»- éësSèlit d'être
vivement coldfrëes par le carmin comme dans l'état normal;
le noyau et le nucléole paraissent formés d'une substance
d'aspect vitreux, brillante. 11 en est de même du corps de
cellule qui, en outre, semble composé de couches concen-
triques. Enlin, une atrophie, capable d'amener une dimi-
nution de volume relativement considérable, s'empare de
toutes les parties de la cellule en même temps que des pro-
longements cellulaires se ïlétrissent et disparaissent (1).
Dans l'encéphale, et aussi sur les neris optique et olfac-
tif, les plaques de sclérose présentent essentiellement le
même caractère que dans la moelle, et nous ne croyons pas
qu'il soit utile d'entrer, à cet égard, dans de nouveaux dé-
tails.
Parvenus au terme de cette étude, nous pouvons essayer
de rétablir, dans l'ordre naturel de leur succession, les phé-
nomènes qui composent l'altération dont il s'agit, et cher-
cher ainsi à reconnaître le mode pathologique suivant le-
quel cette altération se constitue.
Incontestablement, la multiplication des noyaux et l'hy-
perplasie concomitante des fibres réticulées de la névro-
glie sont le fait initial, fondamental, l'antécédent néces-
saire; l'atrophie dégénérative des éléments nerveux est
secondaire, consécutive; elle a déjà commencé à se pro-
duire lorsque la névroglie fait place au tissu fibrillaire,
bien qu'elle marche alors d'un pas plus rapide. L'hyperpla-
sie des parois vasculaires ne joue ici qu'un rôle accessoire.
En quoi consiste l'affection de la névroglie qui marque le
début de cette série de désordres? Il est facile d'y retrouver
tous les caractères de l'irritation formatrice. Mais, après
avoir reconnu que la sclérose en plaques est une myélite ou
une encéphalite interstitielle chronique primitive et unilo-
(l) Frommaim, loc. cit. — Vulpian. — Cours de la Faculté, 1868.
Charcot. — Soc. de Biolog., 1868.
220 NATURE DE LA LÉSION.
bulaire, il nous restera à déterminer les caractères histo-
logiques qui la distinguent des autres formes de la sclérose
des centres nerveux, et aussi de plusieurs espèces de myé-
lite ou d'encéphalite qui, prenant également leur point de
départ dans la névroglie, n'aboutissent pas néanmoins à la
métamorphose fibrillaire. Nous entreprendrons en temps
opportun de remplir cette tâche. Pour le moment, Mes-
sieurs, nous avons hâte de laisser Fanatomie pathologique
pour la clinique, et de vous montrer par quel appareil de
symptômes se révèle la sclérose en plaques des centres ner-
veux (1).
75),
un des élèves de M. Charcot, M. Debove, est venu modifier les idées géné-
ralement admises sur l'histologie de la sclérose en plaques. D'après ses re-
cherches, les parties sclérosées seraient formées de fibrilles et de cellules pla-
tes, en tout semblables aux cellules du tissu conjonctif ordinaire. Il est arrivé
à cette démonstration par le procédé des injections interstitielles.
Ces faits n'étaient guère d'accord avec ce que l'on croyait savoir de la
structure de la névroglie (voir la note p. 204), lorsque M. Ranvier démon-
tra que le tissu conjonctif des centres nerveux de diffère pas essentiellement
de celui des autres organes : la seule particularité frappante est, suivant
M. Ranvier, le petit diamètre des faisceaux fibrillaires. (Note de la 2e édi-
tion.)
SEPTIÈME LEÇON
De la sclérose en plaques disséminées.
Symptomatologie.
Sommaire. — Diversité d'aspect de la sclérose en plaques disséminées, au
point de vue clinique. — Causes d'erreurs de diagnostic.
Examen clinique d'un cas de sclérose en plaques. — Du tremblement ; mo-
difications qu'il impose à l'écriture : caractères qui le font distinguer du
tremblement de la paralysie agitante, de la chorée, de la paralysie géné-
rale et de l'incoordination motrice de l'ataxie.
Symptômes céphaliques. — Troubles de la vue : diplopie, amblyopie, nys-
tagmus. — Embarras de la parole. — Vertiges.
Etat des membres inférieurs. — Parésie. — Rémissions. — Absence de
troubles de la sensibilité. — Immixtion de symptômes insolites : symp-
tômes tabétiques ; atrophie musculaire. — Contracture permanents. ■ —
Epilepsie spinale.
Messieurs,
Nous avons décrit minutieusement, clans la leçon précé-
dente, les lésions anatomiques de la sclérose multiloculaire
des centres nerveux. Laissant donc de côté cette partie de
son histoire, nous allons chercher aujourd'hui à vous faire
connaître l'appareil de symptômes par lequel elle se révèle.
I.
A. Il est remarquable qu'un état morbide qui possède un
substratum anatomique aussi saisissant, aussi accusé, et
qui, en somme, n'est pas rare, ait échappé durant un
temps si long à l'analyse clinique. Rien n'est plus simple
cependant, j'espère vous le montrer, que de caractériser,
au lit du malade, l'affection dont il s'agit, du moins lors-
qu'elle se présente dans son type de complet développement.
222 FORME CÉRÉBRO-SPINALE.
■ Si l'on recherche quelles ont été les causes qui ont pu
retarder l'apparition de la sclérose en plaques disséminées
dans les systèmes nosologiques où elle doit prendre place
à côté des autres formes, mieux connues, de la sclérose pri-
mitive des centres nerveux, il convient de signaler en pre-
mier lieu la diversité d'aspects sous lesquels, dans la cli-
nique, il est possible de la rencontrer: c'est là, en réalité,
une affection polymorphe par excellence.
L'étude anatomo-pathologique pouvait déjà faire pres-
sentir qu'il en serait ainsi. Vous vous rappelez que les
plaques ou les îlots occupent quelquefois exclusivement la
moelle ; que d'autres fois ils prédominent dans les hémis-
phères et le bulbe ; qu'il est enfin des cas dans lesquels ils
sont répandus à la fois dans tous les départements des cen-
tres nerveux. Ces variétés de siège nous ont conduit à re-
connaître, au point de vue anatomique, les trois formes
suivantes : forme cêphalique, forme spinale, forme mixte
ou cérébro-spinale. Il était aisé de prévoir qu'à chacune
de ces formes répondrait un ensemble symptomatique par-
ticulier.
B. Concentrons tout d'abord, si vous le voulez bien, notre
attention sur la forme cérébro-spinale : c'est d'ailleurs à
tous égards la plus intéressante, celle que vous aurez à
observer le plus souvent dans la pratique. Eh bien ! même
considérée dans ce seul type, l'affection peut prendre des
masques très-variés. Permettez-moi de vous citer à l'appui
de cette assertion une anecdote que me racontait tout ré-
cemment un de mes collègues.
Un médecin des plus distingués, mais peu familiarisé en-
core aveG la symptomatologie de la sclérose en plaques,
était venu le visiter dans le service de clinique dont il est
actuellement chargé. Pour lui faire honneur, mon collègue
présenta à ce médecin un cas de la maladie nouvelle ; c'était
un fort beau spécimen de la forme cérébro-spinale. Le ma-
CAUSE d'erreurs de diagnostic. 223
Jade quittant son lit fit quelques pas dans la salle. «C'est un
ataxiqae, s'écria le visiteur. — Peut-être, répliqua mon
collègue ; mais que pensez-vous des mouvements rhythr
miques dont la tète et les membres supérieurs sont agités?
— C'est juste, fit le visiteur. Il y a en outre de la chorée
ou peut-être de la paralysie agitante. » Le malade fut en-
suite interrogé. Il répondit aux questions avec un embarras
très-marqué dans la prononciation, en scandant les syl-
labes d'une manière toute spéciale, et souvent l'émission
des mots était précédée d'un léger tremblement des lèvres.
« Je comprends, répartit le médecin, vous avez voulu
m'embarrasser en me présentant un cas des plus com-
plexes. Yoici maintenant des symptômes qui appartiennent
à la paralysie générale. N'allons pas plus loin ; votre ma-
lade réunit peut-être en lui la pathologie nerveuse tout en-
tière. »
Or, Messieurs, je le répète, il s'agissait là tout simple-
ment d'un cas, à la vérité très-complet, de la forme cérébro-
spinale de la sclérose en plaques.
C. La paralysie agitante est surtout la maladie avec la-
quelle cette forme de la sclérose en plaques a été le plus
longtemps, et est encore, sans doute, le plus fréquemment
confondue. Aussi, est-ce pour ce motif, à l'époque où nous
nous efforcions de faire sortir la sclérose en plaques du
chaos des myélites chroniques, que nous engageâmes
M. Ordenstein, alors notre élève, à opposer dans un paral-
lèle cette affection à la paralysie agitante, afin de mieux
faire ressortir les contrastes (1). On sait comment M. Or-
denstein s'est acquitté de cette tâche, et je n'hésite pas à
déclarer que sa dissertation marque un progrès sérieux dans
la clinique des maladies chroniques du système nerveux.
Dans ces derniers temps, M. Baerwinkel, médecin dis-
(l) Sur la paralysie agitante et la sclérose en plaques généralisées, thèse de
Paris, 1867.
224 cause d'erreurs de diagnostic.
tingué de Leipzig, après avoir rapporté un exemple très-
intéressant, du reste, de sclérose cérébro-spinale, mais où
le tremblement paraît avoir fait défaut, ainsi que cela se
voit quelquefois, semble insinuer que M. Ordenstein s'est
créé à plaisir des difficultés qui n'existent pas en réalité,
pour se donner la facile satisfaction de les surmonter.
Selon lui, il n'y aurait aucune analogie entre les deux ma-
ladies. M. Baerwinkel aura sans doute oublié que dans le
CanstaWs Jahresbericht, il a donné, il y a une dizaine
d'années, l'analyse d'un cas observé à la clinique de Skoda,
cas dans lequel le diagnostic Paralysie agitante avait été
porté pendant la vie et que, à l'autopsie, on trouva des
plaques de sclérose disséminées dans toutes les parties de
l'axe cérébro-spinal. L'observation paraît avoir été re-
cueillie avec une grande fidélité : il y est dit, et c'est là un
point qui mérite bien d'être relevé, que le tremblement,
contrairement à ce qui a lieu dans la paralysie agitante
ordinaire, ne se montrait que lors des mouvements volon-
taires pour cesser à l'état de repos (1).
M. Baerwinkel n'est pas non plus sans avoir pris con-
naissance du fait relaté par M. Zenker dans le journal de
Henle : ce fut encore l'autopsie qui révéla dans ce cas l'exis-
tence de la sclérose multiloculaire (2). Pendant la vie, le
professeur Hasse avait établi le diagnostic : paralysie agi-
tante et néanmoins on insiste, dans la description sympto-
matologique, sur la nature du tremblement qui ne se pro-
duisait que sous l'influence des émotions ou à l'occasion des
mouvements volontaires.
Ces exemples suffisent, je pense, pour vous montrer que,
malgré l'opinion de M. Baerwinkel, la confusion est pos-
sible puisqu'elle a été faite par des cliniciens dont l'habileté
est au-dessus de toute discussion.
(1) Vien. med. Halle, III, 13, 1862.
(2) Zenker. — Zeitschrift filr mediz. Band, III, Reihe, 1865, p. 228.
DU TREMBLEMENT. 225
Cela posé, je suis le premier à reconnaître que les mas-
ques divers pris par la sclérose en plaques sont des mas-
ques grossiers et qu'aujourd'hui, alors que des travaux ré-
cents (1) ont éclairé le diagnostic, il n'est guère permis de s'y
laisser prendre. Mais il est temps, Messieurs, de vous met-
tre à même de distinguer les caractères à l'aide desquels on
peut séparer la sclérose en plaques cérébro-spinale des ma-
ladies qui s'en rapprochent à des degrés variables.
IL
Vous n'ignorez pas, Messieurs, ce que valent ces sympto-
matologies faites à grand renfort d'éloquence, loin du lit
des malades. Elles ne parviennent guère, quoi qu'on fasse,
qu'à faire naître des images sans relief et qui ne laissent, en
général, dans l'esprit de l'auditeur, qu'une empreinte vague
et passagère.
Afin d'éviter autant que possible de tomber dans le vice
que je viens de signaler, je vais procéder devant vous à
l'examen méthodique d'une malade qui offre réunis, dans
leur plus parfait développement, tous les symptômes de la
sclérose en plaques cérébro-spinale.
Mademoiselle V..., âgée de 31 ans, est atteinte depuis
huit ans environ de l'affection qui fait l'objet de la présente
étude. Admise à la Salpétrière il y a trois ans, elle m'a été
léguée, par M. Yulpian, lorsqu'il a quitté cet hospice, et il
m'a remis en même temps à son sujet, une observation très-
détaillée et des plus précieuses. Le début, disons-nous, re-
monte à huit années, c'est donc là un cas déjà ancien. Je
vous parlerai tout à l'heure des différentes péripéties qui ont
(l) Bourneville et L. Guérard. — De la sclérose en plaques disséminées.
Paris, 1869. — Bourneville. — Nouvelle étude sur quelques points de la sclé-
rose en plaques disséminées. Paris, 1869.
Charcot, t. i, 3e éd. 15
226 DU TREMBLEMENT.
signalé les phases antérieures de révolution des symptômes.
Pour le moment, je veux me borner à l'analyse des phéno-
mènes de l'état actuel.
Un symptôme qui vous a sans doute tous frappés dès le
premier abord, lorsque vous avez vu la malade entrer,
soutenue par un aide, c'est sans conteste le tremblement
rhythmique tout spécial dont sa tête et ses membres étaient,
pendant la marche, violemment agités.
Vous avez constaté également que, lorsque la malade se
fut assise sur une chaise, le tremblement a disparu aussi-
tôt d'une manière complète dans les membres supérieurs et
inférieurs, mais en partie seulement à la tête et au tronc.
J'insiste sur ce dernier point en vous faisant remarquer que
la nouvelle attitude prise par la malade est loin d'équivaloir
pour les muscles du tronc et du cou, à un repos absolu. D'ail-
leurs, il faut tenir compte de l'émotion qui joue ici incontes-
tablement un certain rôle. J'aurai l'occasion de vous pré-
senter mademoiselle V... au lit, et abandonnée à un repos
complet cette fois ; vous pourrez vous assurer alors de l'ab-
sence de toute trace de tremblement dans les diverses par-
ties du corps. Pour faire reparaître l'agitation rhythmi-
que dans tout le corps, il va suffire d'engager la malade à
se lever de son siège. Pour la faire reparaître seulement
d'une manière partielle, dans un des membres supérieurs
par exemple, je vais la prier de porter à sa bouche un verre
préalablement rempli d'eau, une cuiller, etc. Vous pouvez
reconnaître que, dans ces divers actes prescrits par la volonté,
le tremblement est d'autant plus prononcé que le mouve-
ment exécuté a plus d'étendue. Ainsi, quand la malade veut
porter à sa bouche le verre rempli d'eau, l'agitation rhyth-
mique de la main et de l'avant-bras est d'abord, au moment
de la préhension du vase, à peine accusée ; mais elle s'exa-
gère progressivement à mesure que celui-ci s'approche des
lèvres ; c'est au point qu'à l'instant où le but va être atteint,
les dents sont, comme vous le voyez, choquées avec violence
par les parois du verre et le liquide projeté au loin. Ce
DU TREMBLEMENT. 227
grand désordre ne se manifeste, je le répète, que dans le cas
de mouvements d'une certaine amplitude. S'il s'agit de petits
ouvrages, de coudre, d'effiler du linge, les oscillations sont
au contraire presque nulles. Il y a quelque temps la malade
pouvait écrire encore assez distinctement ; les caractères
étaient tremblés, il est vrai, mais du reste parfaitement li-
sibles (1).
En résumé, le tremblement dont il s'agit, ne se mani-
feste qii ci Voccasion des mouveynents intentionnels d'une
certaine étendue; il cesse d'exister lorsque les muscles
sont abandonnés à un repos complet. Tel est, Messieurs, le
phénomène que j'ai été conduit à considérer comme un des
caractères cliniques les plus importants de la sclérose en
plaques cérébro-spinale. Certes, je ne prétends pas qu'il
s'agisse là d'un symptôme pathognomonique : je n'ignore
pas, en effet, qu'un tremblement, se présentant avec des
caractères à peu près semblables, s'observe quelquefois
(l) Nous reproduisons ci-après deux spécimens de l'écriture d'une malade,
nommée Leru. . . , qui a succombé, dans le service de M. Charcot, à la sclé-
rose en plaques. Cette femme est entrée à la Salpétrière, le 24 septembre 18G4.
En mai 1865, M. Charcot recueillit le fragment suivant de son écriture.
{Fig. 15).
^7C^£
&&M;
^
Fig. 13.
A partir du mois de juin, Leru. . . fut mise au traitement par le nitrate
d'argent (d'abord 2 milligrammes, puis 4). Sous l'influence de cette médi-
cation, le tremblement diminua d'une manière notable, ainsi que l'on peut
228 DU TREMBLEMENT.
dans des affections autres que la sclérose en plaques ; par
exemple dans l'intoxication mercurielle, dans la méningite
chronique cervicale avec sclérose de la couche corticale
de la moelle, dans la sclérose primitive ou consécutive
des cordons latéraux, etc. Ce n'est pas, nous le verrons, un
symptôme constant. Mais ce que je tiens, dès à présent, à
faire ressortir, c'est que, dans la sclérose en plaques, lors-
qu'aucune complication n'est intervenue, le tremblement,
si peu qu'il existe, se présente toujours avec les caractères
que je lui ai assignés. En somme, c'est là un symptôme qui,
à lui seul, permettrait déjà de séparer cliniquement la sclé-
rose multiloculaire des centres nerveux de quelques affec-
tions qui s'en rapprochent assez pour que la confusion soit
en juger d'après la figure U. Notons que, en mai 1865, la malade était très-
£_ <?Ç '0j*J**-.*M
^J^f^JC^^ Q^SX £s\ ^
/
Fig. 14.
fatiguée après avoir écrit les trois lignes dont nous donnons le fac-similé,
tandis que, en octobre, elle était capable d'écrire facilement une dizaine de
ligr.es. Nous avons choisi une partie de la première ligne et de la dernière.
D'après les spécimens que nous possédons, il est assez difficile de se
former une opinion sur les caractères de récriture des malades atteints de
sclérose en plaques. Le plus souvent, d'ailleurs, nous avons observé les ma-
lades à une époque avancée de leur affection : alors, il est à peu près im-
possible d'obtenir autre chose qu'un griffonnage sans signification, d'autant
plus que l'on n'a pas de termes de comparaison. (B.)
DU TREMBLEMENT. 229
possible. Je vais entrer à ce propos dans quelques détails (1).
Le tremblement de la paralysie agitante existe aussi bien
à l'état de repos des membres, que lorsque ceux-ci sont mis
en mouvement par la volonté. Je vous présente une femme
chez laquelle le tremblement persiste, depuis longues an-
nées, sans cesse et sans trêve, dans l'état de veille. Il ne
s'arrête que lorsque cette malheureuse est plongée dans un
sommeil profond. Il est des cas où, dans la paralysie agitante,
le tremblement se montre seulement par intermittence ;
mais, chose remarquable, c'est en pareil cas plutôt alors que
les membres sont dans le repos qu'il se manifeste, pour ces-
ser lorsque ceux-ci sont mis en mouvement par la volonté.
Vous pouvez reconnaître chez une seconde malade, que
j'offre à votre observation, ce caractère particulier du trem-
blement de la paralysie agitante. Vous observerez en outre,
chez ces deux femmes, que la tête ne prend point part au
tremblement, ou, si elle parait agitée par des oscillations,
celles-ci lui sont évidemment communiquées ; il s'agit là
d'une transmission des secousses dont les membres et le
torse sont le siège. L'absence du tremblement de la tête me
paraît être un fait à peu près général dans la paralysie agi-
tante : j'ajouterai que, dans cette affection, les secousses du
tremblement sont beaucoup moins étendues, plus régulières,
plus rapides, plus serrées, si je puis parler ainsi, que dans
la sclérose multiloculaire ; dans celle-ci, les oscillations sont
plus amples et se rapprochent, à beaucoup d'égards, des ges-
ticulations de la chorée ; cette analogie est tellement mar-
quée que, avant la publication des travaux qui l'ont fait ad-
mettre dans la clinique usuelle, la sclérose en plaques a été
quelquefois désignée sous les noms de chorée rhythmique,
paralysie choréiforme.
Il est toujours facile cependant de distinguer les mouve-
ments désordonnés et bizarres de la chorée proprement
(l) Voyez TAppendige, page 401.
230 INCOORDINATION MOTRICE.
dite des oscillations rhythmiques de la sclérose multilocu-
laire. Remarquons en premier lieu que, dans celle-ci, s'il
s'agit par exemple du membre supérieur, dans l'acte de
porter la main à la bouche, la direction générale du mou-
vement persiste en dépit des obstacles occasionnés par les
secousses du tremblement, secousses qui, comme nous le
disions il y a un instant, s'exagèrent cependant à mesure
que la main approche du but à atteindre. Au contraire, dans
la chorée, la direction générale du mouvement serait, dans
l'accomplissement de ce même acte, troublée, dès V 'origine ,
par des mouvements contradictoires^ d'une étendue tout-à-
fait disproportionnée, et qui font manquer le but. Ajoutons
que les mouvements de la chorée se montrent tout-à-coup,
inopinément, alors que les membres sont dans un état de
repos complet ; ainsi, en dehors de toute intervention de la
volonté, vous voyez le choréique tirer la langue, faire une
grimace, lever brusquement un de ses membres, etc. Or,
jamais pareille chose ne s'observe dans la sclérose multilo-
culaire.
Lorsque, dans Yataœie locomotrice progressive (sclérose
des cordons postérieurs), les membres supérieurs sont affec-
tés, il s'y produit, à l'occasion des actes intentionnels, des
mouvements incoordonnés qui rappellent jusqu'à un certain
point les gesticulations de la chorée et le tremblement de la
sclérose multiloculaire. Voici à l'aide de quels caractères
la confusion pourra être évitée. Il faut noter tout d'abord
que, dans l'incoordination des ataxiques, il n'existe pas, à
proprement parler, de tremblement, de secousses arythmi-
ques, mais bien des gestes plus ou moins désordonnés, plus
ou moins brusques, plus ou moins étendus. Etudiez avec
soin, chez la malade que je vous présente, les mouvements
de la main, dans l'acte de la préhension d'un objet de petit
volume, et vous y reconnaîtrez des particularités vraiment
spécifiques. Vous verrez comment, au moment de saisir
l'objet, les doigts s'écartent démesurément et s'étendent à
FRÉQUENCE DU TREMBLEMENT. 231
l'excès en s'inclinant vers le dos de la main. Puis l'objet est
saisi tout-à-coup, sans mesure, d'une manière presque con-
vulsive par une flexion brusque et disproportionnée de tous
les doigts. Cela appartient à l'ataxie; jamais vous n'obser-
verez rien de semblable dans la sclérose en plaques. J'ajoute
en dernier lieu — et ce dernier trait est vraiment décisif —
que, dans l'ataxie, l'occlusion des yeux a toujours pour effet
d'exagérer d'une manière très-prononcée l'incoordination
des mouvements, tandis qu'elle ne modifie en rien les se-
cousses arythmiques de la sclérose multiloculaire.
Nous ne devons pas oublier toutefois que quelques-uns
des symptômes de l'ataxie se trouvent entremêlés quelque-
fois avec ceux de la sclérose en plaques, quand les îlots
scléreux occupent, dans certaines régions de la moelle, une
assez grande étendue, en hauteur, des cordons postérieurs.
Un fait, dont l'histoire se trouve consignée tout au long
dans Y Atlas d'anatomie pathologique de M. Cruveilhier,
peut être cité à titre d'exemple de ce genre (1). Il s'agit de
la nommée Paget. La malade, pour saisir et diriger une
épingle, avait besoin du secours de la vue, sans quoi l'épin-
gle s'échappait des doigts. A l'autopsie, on trouva une des
plaques de sclérose occupant les colonnes postérieures dans
une assez grande étendue au renflement cervical. Mais je
ne veux pas insister, pour l'instant, plus longuement sur
ce point que nous aurons plus d'une fois l'occasion de men-
tionner à nouveau.
Nous nous sommes occupés jusqu'ici, à peu près exclusi-
vement, du tremblement en tant qu'il occupe les membres
supérieurs; mais nous savons déjà qu'il peut agiter la tête,
le tronc, les membres inférieurs. Il se présente sur ces di-
vers points avec tous les caractères que nous avons signa-
lés à propos des membres supérieurs, c'est-à-dire que, ab-
sent pendant le repos complet, ce tremblement se manifeste
(l) Cruveilhier. — Atlas d'anatomie pathologique, livraison 38, p. I et II.
232 SYMPTOMES CÉPHALIQUES.
à l'occasion des mouvements intentionnels, ou clans les
attitudes qui ne peuvent être maintenues qu'à l'aide d'une
tension active et plus ou moins énergique de certains mus-
cles ou groupes de muscles.
Pour compléter ce qui est relatif à ce symptôme, nous
devons entrer dans quelques détails. — C'est là, Messieurs,
ainsi que je l'ai depuis longtemps proclamé, un symptôme
à peu près constant, dans la forme cérébro-spinale de la
sclérose en plaques. Il ne faut pas oublier toutefois qu'il
existe des cas exceptionnels relatifs à cette forme, et où —
circonstance tout-à-fait inexplicable jusqu'ici — le trem-
blement n'a pas figuré dans l'ensemble symptomatologique.
J'ai observé pour mon compte plusieurs faits de ce genre.
Mais il ne faut pas oublier, Messieurs, que le tremblement
peut avoir existé, à un degré plus ou moins prononcé, à
une certaine époque de la maladie, et avoir disparu dans
le temps où le sujet se présente à notre observation. Il
importe donc, à cet égard, d'interroger avec le plus grand
soin les malades chez lesquels le symptôme parait faire
défaut.
Il est de règle que le tremblement disparaît alors que
les membres sont immobilisés, à une époque plus ou moins
avancée de la maladie, par la contracture permanente. S'il
est vrai que le tremblement se montre quelquefois presque
dès le début, il faut reconnaître toutefois que c'est un
symptôme tardif. Enfin, Messieurs, il est très-fréquent,
presque habituel, que le tremblement ne dure pas aussi
longtemps que la maladie elle-même ; il s'amoindrit à me-
sure que les sujets s'affaiblissent, et il s'efface parfois com-
plètement à l'époque de la terminaison fatale.
IIL
Vous connaissez maintenant, Messieurs, un des symp-
tômes les plus originaux et les plus importants de la scié-
TROUBLES DE LA VUE. m
rose en plaques généralisées. Une étude plus approfondie
et plus circonstanciée du cas que nous avons sous les yeux
va nous permettre de recueillir bien d'autres indices non
moins précieux. Nous allons découvrir, chez notre malade,
tout un groupe de symptômes que j'ai proposé d'appeler
cép Italiques, par opposition aux symptômes spinaux. Ce
groupe comprend certains troubles de la vue, de la parole
et de l'intelligence.
A. Occupons-nous d'abord des troubles de la vision. Ce
sont la cliplopie, l'amblyopie et surtout le nystagmus.
a. La diplopie, de même que cela a lieu dans l'ataxie
locomotrice, est un phénomène du début, en général tout
à fait transitoire, mais qui mérite d'être signalé en pas-
sant.
t. Vamllyopie est au contraire un symptôme durable,
et d'ailleurs plus fréquent, de la sclérose en plaques céré-
bro-spinale ; je crois pouvoir affirmer que très-rarement,
en opposition à ce qui s'observe dans la sclérose posté-
rieure, elle aboutit à une cécité complète (1). C'est là une
particularité digne de remarque, surtout si l'on songe que,
après la mort, des plaques de sclérose occupant toute
l'épaisseur du cordon nerveux ont été trouvées sur les nerfs
optiques, dans le cas où, pendant la vie, on avait constaté
un simple affaiblissement de la vue (2). Cette dispropor-
tion apparente entre le symptôme et la lésion constitue un
des arguments les plus puissants que l'on puisse invoquer
(1) Dans une observation rapportée par M.Magnan (Archiv. de physiolo-
gie, t. II, p. 79;")), il y avait atrophie papillaire des deux yeux avec cécité
complète.
(2) Observation de la nommée Aspasie Byr, communiquée par M. Vul-
pian. Cette observation est rapportée in extenso dans un travail de M. H.
Liouville intitulé : Observations détaillées de deux cas de sclérose en îlots mul-
tiples et disséminés du cerveau et de la moelle épinière. (Mémoires de la So-
ciété de biologie, 1868, p. 231.)
23 i TROUBLES DE LA VUE.
pour montrer que la continuité fonctionnelle des tubes
nerveux n'est pas absolument interrompue, bien que
ceux-ci, dans leur trajet à travers les plaques de sclérose,
soient dépouillés de leur gaine de myéline et réduits au
cylindre d'axe.
L'examen ophthalmoscopique, en général rendu très-
difficile par suite de l'existence du nystagmus, fait recon-
naître, en pareil cas, tantôt une intégrité à peu près com-
plète de la papille du nerf optique alors même que l'am-
blyopie est cependant très-accentuée, tantôt une lésion
partielle, tantôt enfin dans les cas rares où la cécité est
complète (1), une atrophie totale (coloration d'un blanc
nacré, extrême ténuité des vaisseaux, etc.) avec ou sans
excavation de la papille.
Tout se borne chez Mlle V... à une amblyopie assez pro-
noncée des deux yeux. L'examen ophthalmoscopique n'a
permis de reconnaître ici aucune lésion bien déterminée.
Un fait qui mérite d'être relevé, c'est que, chez elle, les
apparitions d'éclairs, d'étincelles, ont précédé l'affaiblisse-
ment de la vue. J'ai noté le même phénomène dans plusieurs
autres cas d'amblyopie liée à la sclérose multiloculaire.
c. Le nystagmus est un symptôme d'une assez grande
importance diagnostique puisqu'il s'observe environ dans
la moitié des cas. On ne le rencontre, que je sache, que
très-exceptionnellement dans l'ataxie. Vous pouvez recon-
naître qu'il existe chez Mlle Y... accusé à un haut degré.
Il s'agit là, vous le voyez, de petites secousses, qui font os-
ciller simultanément les deux globles oculaires de droite à
gauche, puis de gauche à droite, ou inversement. Il est des
cas où le nystagmus fait défaut tant que le regard reste
vague, sans direction précise, mais se manifeste tout à
coup, d'une manière plus ou moins prononcée, aussitôt que
les malades sont invités à fixer attentivement un objet.
(l) Observation citée par M. Magnan.
EMBARRAS DE LA PAROLE. 235
B. Un symptôme plus fréquent encore que ne l'est le
nystagmus, — presque constant dans la sclérose multilo-
culaire cérébro-spinale, puisque nous le trouvons signalé
vingt fois sur vingt-trois cas que nous avons analysés, —
c'est un embarras -particulier de la parole que vous pou-
vez étudier chez notre malade, dans son type de complet
développement.
La parole est lente, traînante, par moments presque inin-
telligible. Il semble que la langue soit devenue « trop
épaisse » et le débit rappelle celui des gens avinés. Une
étude plus attentive fait reconnaître que les mots sont
comme scandés : il y a une pause entre chaque syllabe, et
celles-ci sont prononcées lentement. Il y a de l'hésitation
dans l'articulation des mots, mais, à proprement parler,
rien qui ressemble au bégayement. Certaines consonnes,
les l, les p, les g, sont particulièrement mal prononcées.
Il existe chez Mlle V..., ainsi que vous pouvez le consta-
ter, une certaine lenteur dans les mouvements de la lan-
gue ; vous reconnaissez même que, tirée hors de la bouche,
elle est agitée d'un tremblement très-manifeste. Il ne fau-
drait pas croire que ce soit là un phénomène constant et
plusieurs fois j'ai reconnu que la parole pouvait être em-
barrassée à un haut degré, sans que la langue présentât la
moindre trace de tremblement. Toujours d'ailleurs, du
moins d'après mes observations, la langue conserve son
volume normal et jamais je ne l'ai vue ridée à sa surface,
comme cela s'observe dans certains cas de paralysie labio-
glosso-laryngée avec atrophie des muscles linguaux.
D'abord à peine appréciable, l'embarras de la parole s'ag-
grave progressivement pendant le cours de la maladie jus-
qu'à rendre parfois le discours à peu près incompréhensi-
ble. — Il est des cas où on le voit s'aggraver tout à coup,
comme par accès, pour s'amender ensuite temporairement.
En somme, l'embarras de la parole qu'on observe dans
la sclérose cérébro-spinale se rapproche, à beaucoup d'é-
gards, du symptôme correspondant de la paralysie générale
236 SYMPTÔMES CÉPHALIQUES : VERTIGE.
progressive. Je crois même que, dans bien des cas, en de-
hors du secours fourni par la considération des phéno-
mènes concomitants, la distinction serait à peu près impos-
sible. Ajoutez que le rapprochement peut être rendu plus
étroit encore par cette circonstance que, dans la sclérose
multiloculaire, de même que dans la paralysie générale,
l'émission des mots est parfois précédée — ainsi que vous
pouvez vous en assurer chez notre malade — par une lé-
gère contraction, comme convulsive, des lèvres.
Quoi qu'il en soit, ce trouble dans l'articulation des mots
sur lequel j'appelle votre attention est un symptôme très-
important de la sclérose multiloculaire. Il peut contribuer
puissamment à fonder le diagnostic, principalement dans
les cas, exceptionnels d'ailleurs, où le tremblement de la
tête et des extrémités supérieures fait défaut.
A ce symptôme peuvent s'adjoindre successivement, sur-
tout dans les périodes avancées de la maladie, certains trou-
bles de la déglutition, de la circulation et même de la res-
piration. Ce sont là des symptômes de paralysie bulbaire
progressive qui doivent donner l'éveil parce qu'en s'ag-
gravant d'une manière rapide, ils ont quelquefois déter-
miné tout à coup, presque inopinément, la terminaison fa-
tale. En raison de l'intérêt qui s'y rattache au point de vue
du pronostic, ils seront l'objet d'une étude spéciale.
C. Environ dans les trois quarts des cas, le vertige est un
des phénomènes qui marquent le début de la sclérose mul-
tiloculaire des centres nerveux. Autant que j'en puis juger
d'après les renseignements qui m'ont été donnés par les
malades que j'ai interrogés à ce sujet, il s'agit là en géné-
ral d'un vertige giratoire. Il semble que tous les objets
tournent avec une grande rapidité et que l'on subit soi-
même un mouvement circulaire : menacé de perdre l'équi-
libre, le malade s'attache aux corps environnants. Le plus
souvent ce vertige revient par accès de courte durée ; quel-
quefois cependant il persiste presque sans interruption,
SYMPTOMES PSYCHIQUES. 237
durant un certain temps, surajouté au tremblement et à
l'état paralytique des membres ; il contribue parfois, pour
une bonne part, à rendre la station ou la marche titubantes,
presque impossibles. Il ne faut pas confondre la titubation
avec l'incertitude de la démarche qui se rattache à la di-
plopie ; cette dernière cesse d'exister dès que la malade
tient fermé l'un de ses yeux.
Le vertige dont il s'agit est un symptôme d'autant plus
intéressant qu'il n'appartient ni à l'ataxie locomotrice, ni
à la paralysie agitante et qu'il peut par conséquent aider au
diagnostic.
E. La plupart des malades, atteints de sclérose multilo-
culaire que j'ai eu l'occasion d'observer, ont présenté, aune
certaine période de l'affection, un faciès vraiment particu-
lier. Le regard est vague, incertain ; les lèvres sont tom-
bantes, entr'ouvertes ; les traits expriment l'hébétude, quel-
quefois même la stupeur. A cette expression dominante de
la physionomie correspond presque toujours un état mental
qui mérite d'être signalé. Il y a un affaiblissement marqué
de la mémoire ; les conceptions sont lentes ; les facultés
intellectuelles et affectives émoussées dans leur ensemble.
Ce qui paraît dominer chez les malades, c'est une sorte
d'indifférence presque stupide à l'égard de toutes choses.
Il n'est pas rare de les voir tantôt rire niaisement, sans
aucun motif (1), et tantôt, au contraire, fondre en larmes
sans plus de raison. — Il n'est pas rare non plus de voir
éclater, au milieu de cet état de dépression mentale, des
troubles psychiques qui revêtent l'une ou l'autre des formes
classiques de l'aliénation mentale.
Un des malades de Yalentiner, habituellement mélanco-
(1) Une malade du service de M. Charcot, dont nous aurons à reparler par
la suite, Dr. . . Hortense, est prise très-fréquemment, et sans motif, d'accès
de rire qu'elle ne saurait maîtriser. Sujette déjà avant sa maladie à des mou-
vements de colère, elle a remarqué avec peine, qu'ils augmentaient depuis
le début de son afiection. (B.)
238 ÉTAT DES MEMBRES INFÉRIEURS.
lique, était de temps à autre atteint du délire des gran-
deurs. Un homme, dont l'histoire a été rapportée tout ré-
cemment par le docteur Leube (1), se croyait destiné à
devenir roi ou même empereur ; il disait posséder un grand
nombre de bœufs, des chevaux, de belles habitations, etc.
Il devait, disait-il, épouser bientôt une « comtesse »,
etc. (2).
Mlle V... a été prise, il y a quelques semaines, d'un véri-
table accès de lypémanie. Elle avait des hallucinations de
la vue et de l'ouïe : elle voyait des personnages effrayants
et entendait des voix qui la menaçaient « de la guillotine ».
Elle était convaincue que nous voulions l'empoisonner. Pen-
dant vingt jours, elle a refusé toute espèce de nourriture,
et nous nous sommes vus contraints de l'alimenter, pen-
dant tout ce temps-là, à l'aide de la sonde œsophagienne.
Aujourd'hui, ces accidents ont à peu près complètement
disparu. Néanmoins, les voix se font entendre encore de
temps à autre. — Vous voyez la malade être prise pendant
notre examen d'un rire convulsif qu'il lui est impossible de
modérer et auquel bientôt vont succéder les larmes.
IV.
Pour en finir, Messieurs, avec l'étude descriptive du cas
que je vous ai présenté comme un type de la sclérose mul-
tilocidaire des centres nerveux, il me reste à diriger votre
attention sur l'état des membres inférieurs.
(1) JJeher multiple inself ôrmige Sklerose des Gehirns und Riichenmarks.
Deutsch. Archiv. 8 Bd. 1 heft. Leipzig, 1870, p. 14.
(2) Une des malades, Aspasie B. . . , observées par M. Liouville dans le
service de M. Vulpian, avait des hallucinations. — Rosine Sitale, dont
nous avons résumé l'histoire (Bourneville et Guérard, loc cit., p. 92),
d'après M. Valentiner, était tombée, plusieurs mois avant la terminaison
fatale, dans une véritable stupidité. (B).
PARÉSIE DES MEMBRES. 230
Vous avez pu remarquée que Mlle V... ne peut se lever
de son siège, se tenir debout, essayer de l'aire quelques pas,
si elle n'est pas fortement soutenue par deux aides. Il est
aisé de reconnaître que la cause de cette impuissance mo-
trice est surtout la rigidité, comme tétanique, qui s'est
emparée des membres inférieurs et qui, déjà très-pronon-
cée lorsque la malade est couchée ou assise, s'exagère en-
core, au plus haut point, lorsqu'il s'agit pour elle de se lever
ou de marcher.
Cette contracture des membres inférieurs qui, aujour-
d'hui, est permanente, ne s'est manifestée chez V... que
très-récemment : elle est, en effet, un symptôme des pério-
des avancées de la maladie. Toujours, dans l'évolution du
processus morbide, elle est précédée, de longue date, par
un état parétiqae, offrant quelques traits particuliers que
je vais essayer de vous faire connaître d'abord.
En ce qui concerne ce point particulier, l'histoire clini-
que de Mlle V... a été traversée par certains accidents qui,
sans être absolument exceptionnels, ne sont pas, toutefois,
dans la règle. Aussi dois-je l'abandonner pour un instant,
me réservant de la reprendre tout à l'heure. Dans la descrip-
tion qui va suivre, je vais faire appel aux détails consignés
dans un certain nombre d'observations que j'ai réunies et
où la période parétique s'est développée suivant les condi-
tions normales.
Parésie des membres. — Il s'agit là d'un affaiblissement
plus ou moins prononcé des puissances motrices des mem-
bres qui se manifeste fréquemment dès le début de la mala-
die, et auquel il ne s'adjoint, le plus ordinairement, aucun
trouble marqué de la sensibilité.
En général, l'un des membres inférieurs est affecté en
premier lieu et seul tout d'abord. Il paraît lourd, difficile à
mouvoir ; le pied tourne dans la marche, au moindre obs-
tacle, ou le membre entier fléchit tout à coup sous le poids
du corps. L'autre membre se prend à son tour tôt ou tard ;
240 PARÉSIE DES MEMBRES.
cependant, comme la parésie progresse le plus souvent
avec une extrême lenteur, elle permet aux malades, pen-
dant longtemps encore, de marcher tant bien que mal et de
vaquer à leurs occupations ; mais un jour vient enfin où,
par l'aggravation de la paralysie motrice, ils peuvent être
confinés au lit. Les membres supérieurs sont envahis, eux
aussi, soit simultanément, soit l'un après l'autre, communé-
ment à une époque éloignée du début. Souvent, à l'origine,
il y a dans ce symptôme des rémissions : ainsi, il n'est pas
rare de voir les membres inférieurs affaiblis reprendre,
pour un temps , leur énergie première . Ces rémissions peuvent
même se reproduire, parfois, à deux ou trois reprises. Je
signale cette particularité à votre attention, parce qu'elle
ne se retrouve certainement pas au même degré dans les
autres maladies chroniques de la moelle épinière.
Je dois revenir un instant, pour y insister, sur l'absence
déjà notée des troubles de la sensibilité. Les malades se
plaignent bien, parfois, de fourmillements, d'engourdisse-
ments siégeant dans les membres affaiblis, mais ces symp-
tômes sont presque toujours passagers et peu accusés. D'ail-
leurs, il est facile de constater que la sensibilité cutanée
est, sur les membres affectés, presque toujours conservée
dans tous les modes. Les douleurs en ceinture, les crises
fulgurantes, qui jouent un rôle si prédominant dans les pre-
mières périodes de l'ataxie locomotrice progressive, font ici
défaut. Il en est de même de la perte de la notion de posi-
tion des parties, laquelle appartient également à l'ataxie.
Elle n'existe que dans la sclérose multiloculaire régulière
et les malades atteints de cette dernière affection peuvent,
les yeux fermés, déterminer avec précision l'attitude qui a
été imprimée à leurs membres. L'occlusion des yeux n'a pas
non plus d'influence marquée sur la station debout ni sur
la démarche. Celle-ci est incertaine, embarrassée, titubante,
en raison composée de la faiblesse musculaire et du trem-
blement qui, tôt ou tard, ne manquent pas de s'y ajouter;
SYMPTOMES INSOLITES. 241
les pieds, tenus écartés pour élargir la base de sustentation,
traînent péniblement sur le sol dont ils ont de la peine à se
détacher. Quand la titubation est très-prononcée, les mala-
des sont menacés de tomber à chaque instant, et ils se lais-
sent choir, en effet, fort souvent. Les membres inférieurs
ne sont pas lancés en avant, sans mesure, convulsivement,
comme cela a lieu si ordinairement dans la sclérose des cor-
dons postérieurs. Les sphincters ne prennent part que très-
rarement à l'affaiblissement des muscles des membres, —
ce qui établit un contraste avec beaucoup d'affections spi-
nales où l'on voit, au contraire, de très-bonne heure, des
troubles de la vessie et du rectum venir se joindre aux au-
tres symptômes. Enfin, pour compléter le tableau, nous de-
vons faire ressortir l'absence habituelle de troubles trophi-
qués musculaires dans la paraplégie, liée à la sclérose mul-
tiloculaire. Les muscles affaiblis conservent, pendant fort
longtemps, presque jusqu'au dernier terme, leur relief et
leur consistance : soumis à l'exploration faradique, ils ne
présentent, à aucune époque, de traces d'un affaiblissement
notable de la contractilité électrique.
Immixtion de symptômes insolites. — Je viens de men-
tionner, chemin faisant, un certain nombre de symptômes
que j'ai pris soin d'élaguer parce qu'ils n'appartiennent
pas au type régulier de la maladie. Il importe de vous faire
connaître maintenant, en manière de correctif, que ces
symptômes s'entremêlent pourtant, dans certains cas, avec
les phénomènes ordinaires de la sclérose multiloculaire, et
s'accusent même parfois à tel point que Terreur deviendrait
peut-être inévitable pour un observateur non prévenu.
Sous ce rapport, l'observation de V... peut nous fournir des
enseignements précieux. J'y relève, à cet effet, quelques dé-
tails qui y ont été consignés à la date du 24 mars 1867,
c'est-à-dire il y a plus de trois ans. A cette époque, où lapa-
résie et le tremblement étaient d'ailleurs déjà assez pronon-
cés dans les membres inférieurs pour que la malade fût
Chargot, t. i, 3e éd. 16
242 SYMPTOMES ATAXIQUES.
dans l'impossibilité de marcher autrement que soutenue
par deux aides, on a noté ce qui suit: Pendant la marche,
les pieds sont un peu projetés « comme chez les ataxiques. »
— Lorsque les yeux sont clos, il y a « exagération de la ti-
tubation, perte de l'équilibre, et la chute aurait lieu si la
malade n'était pas fortement maintenue. » — Aux membres
inférieurs « la sensibilité tactile a diminué d'une manière
notable. » La malade ne sait pas indiquer, les yeux fermés,
l'attitude qui a été imprimée à ses membres. — Elle y
éprouve de temps à autre de violentes crises de douleurs
fulgurantes. » On constate enfin l'existence d'une douleur
en ceinture.
Vous venez de reconnaître, dans cette énumération, la
série presque tout entière des phénomènes qui servent à
caractériser cliniquement l'ataxie locomotrice progressive.
Quelques-uns d'entre eux se retrouvent aujourd'hui chez
notre malade, mais, en général, cependant, notablement
atténués ou rélégués au second plan. Est-ce à dire que mê-
me à l'époque où ils semblaient prédominer, ils fussent de
nature à embarrasser sérieusement le diagnostic? Non,
certes, et j'ai la conviction que, dans tous les cas du même
genre, vous éviteriez de prendre le change en tenant compte
des observations suivantes.
Le fait même que la parésie des membres inférieurs, qui
n'existe pas dans la sclérose postérieure, ou qui ne s'y
montre tout au moins que dans les phases avancées, se trou-
verait mêlé aux symptômes ataxiques ou surtout les pré-
céderait, vous mettrait déjà sur la voie. Vous auriez déplus
à enregistrer certainement la coexistence de quelques-uns
des symptômes qui n'appartiennent qu'à l'induration mul-
tiloculaire, savoir: le tremblement des extrémités, Y em-
barras de la parole, les vertiges, le nystagmus, etc. Il
importe de bien comprendre, d'ailleurs, la raison qui fait
que les symptômes ataxiques se manifestent quelquefois
dans le cours de l'induration multiloculaire, ainsi que je
l'annonçais un peu plus haut. Il ne s'agit pas là, suivant
SYMPTOMES ATAXIQUES. 243
moi, d'une combinaison des formes élémentaires de deux
maladies — l'ataxie locomotrice progressive et la sclérose
en plaques cérébro-spinale. Pour mon compte, je n'ai ja-
mais rencontré, sur le cadavre, la coexistence de l'indura-
tion grise multiloculaire avec la sclérose fasciculée posté-
rieure, et sans nier que cette association puisse exister,
je la crois au moins infiniment rare. Il est assez commun,
au contraire, que les plaques scléreuses qui, dans la règle,
siègent principalement sur les cordons antéro-latéraux,
franchissent les sillons postéro-latéraux et empiètent sur
les cordons postérieurs. Quelquefois même je les ai vues,
devenues confluentes, occuper une bonne partie de l'épais-
seur de ces cordons, dans toute l'étendue d'une des régions
de la moelle épinière, de la région lombaire, par exemple.
Or, dans tous les cas du dernier genre, les symptômes
ataxiques s'étaient, pendant la vie, manifestés à des degrés
divers. Je ne doute pas qu'une disposition semblable ne
doive rendre compte un jour des douleurs fulgurantes, de
l'incoordination motrice et, en un mot, de tous les phéno-
mènes du même ordre qui se trouvent consignés dans l'ob-
servation de Mlle V... (1).
(l) Les observations de sclérose en plaques dans lesquelles les cordons
postérieurs sont intéressés de manière à occasionner quelques-uns des
symptômes de l'ataxie locomotrice sont assez nombreuses. Nous rappellerons
en premier lieu le cas de Paget, consigné par M. Cruveilhier dans son Atlas-,
— puis les trois faits que nous avons rapportés avec détail dans notre mé-
moire. Le premier concerne une femme nommée Broisat et qui est morte
dans le service de M. Charcot ( Sclérose en plaques occupant surtout les cor-
dons postérieurs) ; les deux autres, peut-être plus caractéristiques en ce sens
que les symptômes et les lésions de la sclérose en plaques et de l'ataxie lo-
comotrice étaient plus accusés, sont empruntés à Friedreich. Enfin, nous
résumerons brièvement un autre fait que nous avons observé durant le siège
dans le service de M. Marrotte.
Il s'agit d'une femme Legr. ... Joséphine , âgée de 46 ans, dévideuse
de soie, malade depuis deux ans. Elle offrait les symptômes suivants au
point de vue de l'ataxie locomotrice : difficulté de la marche, les yeux étant
fermés ; notion de position des membres inférieurs en grande partie perdue ;
fréquentes douleurs fulgurantes dans les genoux et les jambes; douleurs en
ceinture. Mais; à côté de ces phénomènes on notait : un affaiblissement pa-
244 AMYOTROPHIE.
, Des symptômes insolites d'un autre genre peuvent se sur-
ajouter encore aux symptômes réguliers de la sclérose mul-
tiloculaire. J'ai vu, dans plusieurs cas, d'ailleurs parfaite-
ment caractérisés de cette affection, survenir une atrophie
de certains muscles ou groupes de muscles rappelant, tant
par son siège que par son mode d'envahissement, l'atro-
phie musculaire à marche progressive. Il m'a été donné de
reconnaître deux fois la raison anatomique de cette com-
plication nouvelle : dans ces deux cas, le processus irritatif
dont les foyers de sclérose sont le siège, s'était communi-
qué, en certaines régions de la moelle, aux cellules ner-
veuses des cornes antérieures de la substance grise et ces
cellules, en conséquence, avaient subi des altérations pro-
fondes. Or, d'après les recherches que je vous ai exposées,
il n'est guère douteux que l'amyotrophie progressive, qu'elle
soit protopathique ou au contraire consécutive, relève le
plus souvent d'une lésion irritative des grandes cellules
dites motrices (1).
ralytique assez considérable des membres inférieurs ; la conservation des
différents modes de la sensibilité aux membres inférieurs et supérieurs ; l'in-
tégrité de la vision. — Cette femme a succombé à une pyélo-cystite com-
pliquée d'eschares au sacrum . — Autopsie : plaques scléreuses sur le nerf
moteur oculaire externe gaucbe et sur les nerfs optiques ; — plaques de
sclérose sur la protubérance, le pédoncule cérébelleux supérieur du côté
droit, etc.; — plaques de sclérose à la surface des ventricules latéraux, dans
l'intérieur du centre ovale et à la face antérieure du bulbe et dans le 4e ven-
tricule. — Sur la moelle nous avons trouvé : 1° une plaque de sclérose,
longue de dix centimètres, occupant le cordon postérieur gauche ; — 2° une
autre, mais moins étendue en largeur et en hauteur, sur le cordon postérieur
droit ; — 3° au-dessous, une autre plaque assez circonscrite, occupant les
deux cordons postérieurs ; 4° enfin, [sur les faces antéro-latérales de la
moelle, existaient plusieurs petites plaques de sclérose. (B).
(l) Erbstein a relaté (Deutsches Archiv fur Klinische Medicin, t. X, fasc.
6, p. 593), l'histoire d'un malade qui a succombé à la sclérose en plaques
forme bulbo-spinale), chez lequel on avait observé pendant la vie X atrophie
de la portion antérieure de la langue. L'examen histologique fit voir, plus
tard : 1° de nombreux foyers de dégénérescence, non-seulement interposés
entre les faisceaux de l'origine de l'hypoglosse, mais les intéressant aussi
et interrompant par conséquent leur continuité. Une coupe permit de dé-
couvrir que le noyau du grand hypoglosse était remplacé par un îlot de tissu
CONTRACTURE DES MEMBRES. 2i5
Contracture permanente des membres. — Epilcpsie
spinale. — Il est temps de revenir maintenant à la 'con-
tracture des membres inférieurs qui, chez Y..., constitue
aujourd'hui un phénomène permanent et que vous pouvez
étudier dans son type le plus parlait. C'est là, Messieurs,
un symptôme habituel des phases avancées de la sclérose
multiloculaire ; il ne succède pas d'emblée, sans transition,
à la parésie. Aune certaine époque de la période parétique,
on voit se reproduire, soit spontanément, soit sous l'in-
fluence de certaines excitations, des espèces d'accès pendant
lesquels les membres inférieurs se raidissent dans l'exten-
sion en même temps qu'ils s'accolent pour ainsi dire l'un à
l'autre. Les accès, qui durent quelques heures, et parfois
quelques jours, sont d'abord séparés par des intervalles plus
ou moins longs. Plus tard, ils se rapprochent et, à un mo-
ment donné, la contracture permanente se trouve définiti-
vement établie. Lorsque les choses en sont à ce point, voici
ce qu'on observe: les membres inférieurs, de même que cela
avait lieu lors des accès, sont dans l'extension; les cuisses
sont étendues sur le bassin, les jambes sur les cuisses ; les
pieds offrent l'attitude du pied bot varus équiu ; les genoux
sont, de plus, tellement serrés l'un contre l'autre qu'on ne
peut les écarter sans un grand effort. Les deux membres
inférieurs sont très-généralement affectés simultanément
et au même degré ; leur rigidité est parfois si prononcée
qu'en soulevant l'un d'eux, le malade étant au lit, on sou-
lève en même temps la moitié inférieure du corps tout d'une
pièce. Ce n'est que dans des cas rares, et seulement aux
phases ultérieures de la maladie, que la flexion de la cuisse
sclérosé ; 2° Les fibres musculaires de la partie antérieure de la langue
avaient subi la dégénérescence graisseuse ; la lésion avait envahi quelques-
uns des faisceaux musculaires de la base de l'organe. — Chez une malade
nommée Vincent, qui a succombé à une sclérose en plaques, M. Charcot a
observé une atrophie des muscles de l'éminence thénar.La paume de la main
offrait une excavation au fond de laquelle on voyait les tendons des muscles
fléchisseurs. (B.)
246 EPILEPSIE SPINALE.
et de la jambe prédomine sur l'extension. La contrac-
ture permanente peut s'emparer, — le fait est d'ailleurs
assez exceptionnel — des membres supérieurs qui, eux
aussi, sont alors en général dans l'extension forcée, et
restent ainsi étroitement appliqués de chaque côté du tronc.
Il s'agit là, Messieurs, d'un spasme qui occupe simulta-
nément et à peu près au même degré les muscles antago-
nistes, car il est presque aussi difficile, les membres étant
fléchis, de les étendre, que de les fléchir lorsqu'ils sont
étendus.
Lorsqu'on saisit dans la main l'extrémité de l'un des
pieds et qu'on l'étend un peu brusquement sur la jambe, il
se produit presque aussitôt dans toute l'étendue du membre
correspondant une sorte de tremblement convulsif qui rap-
pelle la trémulation déterminée par l'intoxication strych-
nique. Cette trémulation, qu'il faut bien se garder de con-
fondre avec le tremblement particulier qui survient à l'oc-
casion des mouvements voulus, ne reste pas toujours bor-
née au membre dont le pied a été étendu ; elle se propage
quelquefois au membre du côté opposé : l'agitation peut se
montrer alors, parfois, assez intense pour se communiquer
à tout le corps et même au lit où repose le malade. Elle
persiste chez certains sujets pendant plusieurs minutes ou
même beaucoup plus longtemps, après la cessation de l'ex-
citation qui l'a mise enjeu. On peut la faire cesser tout à
coup, ainsi que l'a montré M. Brown-Séquard et comme je
l'ai plusieurs fois observé après lui, en saisissant à| pleine
main l'un des gros orteils du malade et le fléchissant subi-
tement et avec force. Immédiatement après cette manœu-
vre, la rigidité tétanique et le tremblement convulsif ces-
sent dans les deux membres qui, momentanément, devien-
nent « parfaitement souples et pliables comme après la
mort, avant l'apparition de laroideur cadavérique (1). » La
(l) Brown-Séquard. — Archives de physiologie, t. I, p. 158.
EPILEPSIE SPINALE. '217
faradisation, le pincement de la peau, de la jambe, plus ra-
rement le massage du membre inférieur, l'impression du
froid, le chatouillement de la plante du pied, peuvent faire
naître la trémulation convulsive. Celle-ci se développe
aussi, tantôt spontanément, du moins en apparence, tantôt
sous l'influence des efforts que fait le malade pour vomir,
pour aller à la selle, pour se dresser dans son lit ou pour
en descendre et mettre le pied à terre. La marche, que n'in-
terdit pas toujours d'une façon absolue la rigidité perma-
nente, — les malades s'avancent alors sur la pointe du pied,
sans que le talon touche à terre. — provoque aussi le trem-
blement convulsif. Enfin, ce tremblement peut encore se
produire temporairement, de concert avec la rigidité, même
pendant le cours de la période parétique sous l'influence
d'un ou de plusieurs des modes d'excitation qui viennent
d'être passés en revue.
Messieurs, le phénomène dont je viens d'esquisser les
principaux caractères n'est autre que Vépilépsie spinale,
décrite par M. Brown-Séguard. — Nous l'observons chez
mademoiselle Y... dans la forme que j'ai proposé d'appeler
tonique. — Cette forme, qui est celle qu'on observe le plus
habituellement dans l'induration grise multiloculaire. peut
être opposée à la forme saltctfoire, laquelle prédomine au
contraire dans i'ataxie locomotrice progressive et dans
quelques autres affections spinales.
La contracture permanente des membres et l'épilepsie
spinale ne doivent pas nous arrêter plus longtemps. Ces
symptômes, en effet, n'appartiennent pas exclusivement,
tant s'en faut, à la sclérose multiloculaire des centres ner-
veux. Ils seront donc étudiés à part, d'une façon générale
et dans leurs rapports avec les diverses affections de la
moelle épinière où ils peuvent se manifester.
HUITIÈME LEÇON
Des attaques apoplectiformes dans la sclérose en
plaques. — Des périodes et des formes. — Physio-
logie pathologique. — Etiologie. — Traitement.
Sommaire. — Attaques apoplectiformes. — Leur fréquence dans la sclérose
en plaques disséminées. — Considérations générales sur les attaques
apoplectiformes dans la paralysie générale et dans les cas de lésions céré-
brales en foyer de date ancienne (hémorrhagie et ramollissement du
cerveau). — Pathogénie des attaques apoplectiformes : insuffisance de la
théorie de la congestion. — Symptômes : Etat du pouls ; élévation de la
température centrale. — Cas d'attaques apoplectiformes chez d'anciens
hémiplégiques. — Importance de la température au point de vue du
diagnostic.
Des périodes dans la sclérose en plaques. — Première, seconde et
troisième périodes. — Symptômes de paralysie bulbaire. — Des formes
et de la durée de la sclérose en plaques.
Physiologie pathologique. — Relation entre les symptômes et les lé-
sions.
Etiologie. — Influence du sexe et de l'âge. — Hérédité. — Affec-
tions nerveuses antérieures.- — Causes occasionnelles : action prolongée
du froid humide; traumatisme. — Causes morales.
Pronostic. — - Traitement.
Messieurs,
Je me propose aujourd'hui d'appeler en premier lieu vo-
tre attention sur certains accidents cérébraux qui peuvent
venir compliquer la symptomatologie de la sclérose en pla-
ques cérébro-spinale. Il s'agit d'attaques apoplectiformes
qui se présentent quelquefois à plusieurs reprises dans le
cours de la maladie et qui, parfois, terminent la scène. Ces
attaques ne se sont pas produites jusqu'ici, chez Mlle V....,
dont l'histoire clinique est d'ailleurs si complète à beaucoup
d'égards; mais rien ne permet d'affirmer qu'elles ne sur-
ATTAQUES APOPLECTIFORMES. 249
viendront pas quelque jour. En effet, ce n'est pas là une
complication rare: je la trouve signalée dans un cinquième
environ des faits que j'ai rassemblés et je l'ai, pour mon
compte, observée au moins dans trois cas (1).
L'ensemble symptomatique qui constitue les attaques en
question n'appartient pas en propre à la sclérose multilo-
culaire. Il se présente dans nombre d'affections qui inté-
ressent à la fois plusieurs points de l'axe cérébro-spinal,
en particulier dans la paralysie générale progressive. C'est
même dans cette dernière maladie que les attaques conges-
tives — ce nom sert à les désigner assez communément, du
moins en France, — ont été surtout étudiées en raison de
leur fréquence. On les rencontre là sous les formes assez
variées qu'elles peuvent revêtir. Aussi la description de ces
attaques dans la paralysie générale progressive a-t-elle mo-
tivé de nombreuses divisions et subdivisions. Mais en somme,
toutes les variétés de forme que l'observation clinique a
fait reconnaître, — je ne veux envisager ici que les attaques
de quelque intensité, — peuvent être ramenées, si je ne
me trompe, à deux types fondamentaux, à savoir: 1° Les
attaques apoplectiformes {pseudo-apoplexy des médecins
anglais) ; 2° Les attaques convulsives ou épilepti formes-
Les caractères des deux types peuvent d'ailleurs s'entre-
mêler et se confondre dans un même accès. Seul le premier
type a été rencontré, quant à présent, dans la sclérose en
plaques ; mais il n'est pas douteux qu'en se multipliant,
les observations relatives à cette affection permettent un
jour de compléter le tableau.
Parmi les autres maladies organiques des centres nerveux
dans lesquelles on observe fréquemment les attaques épi-
leptiformes ou apoplectiformes, je me bornerai à signaler
certaines lésions cérébrales en foxjer de date ancienne et
(l) Observation III du mémoire de M. Vulpian, communiquée par M. Char-
cot ; — Observation de la nommée Byr (Charcot) ; — Observation de
Nicolas, présentée à la Société de Biologie, par M.Joffroy.
250 ATTAQUES APOPLECTIFORMES.
accompagnées d'hémiplégie permanente. Telles sont Y hé-
morrhagie cérébrale ou le ramollissement du cerveau,
lorsqu'ils ont occupé les régions de l'encéphale dont la lé-
sion a pour effet de déterminer presque à coup sûr les alté-
rations cérébro-spinales connues sous le nom de scléroses
fasciculèes descendantes.
Entre ces lésions partielles du cerveau et la paralysie
générale progressive, il semble au premier abord qu'il
n'existe aucun point de contact. Yoici cependant, Mes-
sieurs, un trait qui les rapproche : les observations de
M. Magnan et celles de M. Westphal ont fait voir que, dans
la paralysie générale, aux lésions de la périencéphalite se
surajoute très- souvent une altération scléreuse, tantôt
diffuse, tantôt fasci culée, qui occupe à la fois les pédoncules
cérébraux, la protubérance, le bulbe et certaines régions
de la moelle épinière. Or, ces lésions cérébro-spinales, tant
en raison de leur mode de distribution que par la nature
même du processus morbide, méritent d'être assimilées aux
scléroses fasciculèes descendantes consécutives à l'hémor-
rhagie ou au ramollissement du cerveau. Nous savons,
d'un autre côté, que, dans la sclérose multiloculaire, les
plaques scléreuses occupent non-seulement la moelle épi-
nière (Voyez Pl. III et IV) et le cerveau proprement dit
(Pl. I et II), mais, en outre, très-habituellement, les diverses
parties de l'isthme de l'encéphale et, en particulier, le bulbe
(Pl. I, Fig. 4 et 5). Vous voyez par là que l'existence de lé-
sions irritatives disséminées un peu partout dans l'axe cé-
rébro-spinal, mais toujours présentes dans l'isthme, est un
caractère commun à toutes les affections en apparence si
disparates auxquelles se surajoutent les attaques dites con-
gestlves. Je signalerai surtout à votre attention l'existence
constante de la lésion bulbaire, laquelle, très-vraisembla-
blement, est un élément prédominant dans la production de
ces attaques.
Quoi qu'il en soit, Messieurs, il s'agit là d'altérations per-
manentes, à évolution lentement progressive. Elles ne sau-
ATTAQUES APOPLECTIFORMES. 251
raient, par conséquent, sans le concours d'autres lésions,
expliquer le développement d'accidents qui se produisent
le plus souvent presque subitement et peuvent disparaître
très-rapidement sans laisser de traces. Je n'ignore pas que
beaucoup de médecins font intervenir ici, aujourd'hui en-
core, une congestion sanguine partielle, une fluxion qui,
suivant les besoins de la cause, se porterait sur telle ou
telle partie de l'encéphale. Je ne saurais, pour mon compte,
souscrire à cette hypothèse. Pour justifier mon scepticisme
à cet égard, j'invoquerai d'abord les souvenirs de ceux
d'entre vous qui, dans cet hospice, sont attachés aux ser-
vices d'aliénés. Combien de fois n'ont-ils pas été désappoin-
tés en ne rencontrant pas, à l'autopsie, la lésion congestive
sur laquelle ils comptaient ? Mais j'invoquerai surtout les
observations que j'ai été à même de recueillir dans le champ
habituel de mes études. Maintes fois j'ai eu l'occasion de
voir succomber à la suite d'attaques, soit épileptifo raies,
soit apoplectifo raies, des sujets atteints depuis longtemps
d'hémiplégie par le fait du ramollissement ou de l'hémor-
rhagie intra-encéphaliques. Or, en pareil cas, quelque atten-
tion que j'aie apportée à l'autopsie, il m'a toujours été im-
possible de découvrir, soit dans les centres nerveux, soit
dans les viscères, une lésion récente congestive, œdéma-
teuse ou autre, pouvant expliquer les symptômes graves
qui avaient marqué la terminaison fatale; je n'ai rencontré
jamais que les lésions anciennes — foyers ocreux, plaques
jaunes ou foyers d'infiltration celluleuse — qui tenaient
l'hémiplégie sous leur dépendance et les dégénérations se-
condaires du mésocéphale et de la moelle qui sont la con-
séquence de ces lésions partielles des hémisphères. Je crois
en somme que, dans l'état actuel de la science, l'absence de
lésions propres est, anatomiquement parlant, un trait com-
mun à ces attaques, quelle que soit d'ailleurs la forme
qu'elles affectent et la maladie à laquelle elles se ratta-
chent.
En ce qui concerne la symptomatologie des attaques apo-
252 RÉSULTATS THERMOMÉTRIQUES.
plectiformes et épileptiformes, pour ne point entrer dans
les détails d'une description en règle, je me bornerai, Mes-
sieurs, à relever les particularités suivantes. La scène
s'ouvre en général inopinément, sans prodromes bien ac-
centués, tantôt par une obnubilation rapide et plus ou moins
prononcée des facultés intellectuelles, tantôt par un coma
profond survenant tout à coup. Il s'y adjoint, dans certains
cas, des convulsions qui rappellent celles de l'épilepsie or-
dinaire, mais qui se localisent toutefois, en général, à un
côté du corps (attaques épileptiformes). D'autres fois, les
convulsions font défaut (attaques apoplecti formes). Dans
les deux cas, il est fréquent de voir se développer, dès
l'origine, une hémiplégie plus ou moins complète, tantôt
avec flaccidité , tantôt, mais plus rarement, avec rigidité
des membres paralysés. Les symptômes peuvent s'apaiser
progressivement dans l'espace de quelques jours et con-
duire à la mort. Celle-ci s'annonce en général par le déve-
loppement rapide d'eschares à la région sacrée. Si, au con-
traire, le malade doit survivre, la disparition des accidents
ne se fait pas longtemps attendre ; l'hémiplégie est le seul
symptôme qui persiste pendant quelque temps encore ,
mais elle se dissipe elle-même, tôt ou tard, sans laisser de
traces.
Les attaques se produisent habituellement plusieurs fois,
en général à de longs intervalles, pendant le cours de la
maladie. En ce qui a trait à la sclérose en plaques, elles
ont été notées trois fois dans l'observation III du mémoire
de M. Yulpian, trois fois dans le fait de Zenker (1) et jus-
qu'à sept fois dans celui de M. Léo (2). Toujours ces accès
ont laissé après eux une aggravation notable et persistante
de tous les symptômes de la maladie primitive.
L'esquisse que je viens de vous présenter, Messieurs, se-
(1) Bourneville et Guérard, loc. cit., p. 112.
(2) Ibid., p. 112.
OBSERVATIONS. 253
rait par trop imparfaite, si je ne signalais pas à votre atten-
tion les troubles de la circulation et de la calorification qui,
en règle générale, se manifestent dans le cours des attaques.
Le pouls se montre toujours plus ou moins accéléré, mais
de plus, et c'est là le point important, la température des
parties centrales s'élève rapidement ; elle peut dans les pre-
mières heures qui suivent l'invasion atteindre 38°, 5 ou
même 39°. Il est fréquent qu'au bout de 12 ou 24 heures,
elle s'élève jusqu'à 40° et se maintienne à ce chiffre pendant
quelques heures, sans que la situation soit pour cela né-
cessairement compromise. Mais si le malade doit survivre,
la température décroît bientôt rapidement. Un chiffre
au-dessus de 40° amène presque toujours la terminaison
fatale.
Ces modifications de la température centrale ont été
étudiées par M. Westphal dans les attaques épileptiformes
et apoplectiformes de la paralysie générale progressive ;
je les ai retrouvées dans les attaques qui surviennent chez
les sujets atteints d'hémiplégie ancienne, consécutive à
YhèmorrUagie ou au ramollissement du cerveau. Afin de
mieux fixer vos idées à ce sujet, je crois utile de vous pré-
senter très-sommairement les détails de deux observations
relatives aux cas du dernier genre.
Le premier fait concerne une femme âgée de 32 ans,
atteinte d'une hémiplégie du côté droit, datant de l'enfance.
Il y avait atrophie générale, rigidité et raccourcissement
des membres, paralysie, ainsi que cela se voit généralement
en pareil cas. Cette femme était sujette à des attaques épi-
leptiformes. Elle fut amenée à l'infirmerie quelques heures
après le début d'une attaque plus intense que d'habitude.
Le soir même de son entrée, la température était au-dessus
de 38° ; le lendemain elle avait atteint 40°. Les accès devin-
rent subintrants : ils se répétèrent environ une centaine de
fois par jour. Des eschares se formèrent rapidement à la
région sacrée et la mort survint le sixième jour. L'explo-
254 OBSERVATIONS.
ration rectale donna ce jour-là 42°, 4. A l'autopsie, on trouva,
à la surlace de l'hémisphère cérébral du côté gauche, une
dépression considérable répondant à une plaque jaune, ves-
tige d'un vaste foyer de ramollissement. L'hémisphère était
de plus atrophié dans son ensemble. On ne put découvrir
aucune trace d'une lésion récente, soit dans les centres ner-
veux, soit dans les viscères.
Le second cas est celui d'une femme de 61 ans, atteinte
d'hémiplégie droite consécutive à une hémorrhagie céré-
brale datant de deux ans. Cette femme avait éprouvé déjà
plusieurs attaques épileptifo raies ou apoplectiformes, en
général d'ailleurs assez légères. Un jour survint un accès
épileptiforme intense et prolongé, suivi d'état apoplecti-
forme. Deux heures après le début des accidents, la tempé-
rature du rectum était de 38°, 8; cinq heures plus tard, elle
s'élevait à 40°. Le lendemain, malgré la cessation des con-
vulsions, la température était de 41 degrés et le surlende-
main, jour de la mort, elle atteignait 42°, 5. L'autopsie fit
reconnaître deux foyers ocreux , l'un siégeant dans le
corps strié, l'autre dans l'épaisseur d'une circonvolution.
Il n'existait aucune lésion récente, capable d'expliquer les
accidents qui avaient déterminé la mort.
Il ne m'a pas été donné encore de suivre jour par jour,
et aux diverses époques de la journée, l'évolution de la
température centrale dans un cas d'attaque apoplectiforme
survenant chez un sujet atteint de sclérose en plaques.
Néanmoins, on peut relever dans plusieurs observations
des résultats partiels, qui ne permettent pas de douter que,
même sous ce rapport, les choses se comportent exactement
dans la sclérose multiloculaire, comme dans la paralysie
générale progressive et dans les cas de lésions en foyer des
hémisphères. Ainsi la malade, dont l'histoire a été rapportée
par M. Zenker, fut prise vers la fin de sa vie d'une attaque
apoplectiforme avec hémiplégie du côté droit. Or, le même
THERMOMÉTRIE. 2o5
jour de l'attaque, le pouls étant à 136, la température at-
teignait 39°, 6. Le lendemain, le thermomètre marquait 40°.
Le surlendemain, la paralysie s'était amendée et la tempé-
rature était retombée au chiffre physiologique. Chez le
nommé Nolle, observé par M. Léo, une attaque apoplecti-
forme se déclara dans la soirée. Le lendemain matin, de
bonne heure, le pouls donnait 144 et la température était à
38°, 5 .Cette attaque, la septième que le malade eût éprouvée,
devait dans la nuit même se terminer par la mort. Dans le
cas de N..., dont l'histoire a été recueillie dans mon service
par M. Jofl'roy, cinq heures seulement après l'invasion
d'une attaque apoplectiforme, avec perte incomplète de la
connaissance et résolution générale des membres, la tempé-
rature rectale était à 40°, 3, le pouls à 120. Le lendemain,
les accidents apoplectiformes s'étaient dissipés et en même
temps le pouls ainsi que la température étaient revenus à
l'état normal (1).
Si je me suis arrêté avec quelque insistance sur les mo-
difications que subit la température du corps, dans les at-
taques apoplectiformes et épileptiformes de la paralysie
générale et de quelques autres affections cérébro-spinales,
c'est qu'à mon sens on trouve là un caractère qui peut,
dans certains cas, être mis à profit pour le diagnostic. Il
n'est pas nécessaire, je pense, d'entrer dans de longs déve-
loppements pour faire ressortir combien il est difficile, en
présence d'un malade qui vient d'être frappé d'apoplexie,
avec ou sans accompagnement de convulsions, de décider,
d'après la seule considération des symptômes extérieurs,
s'il s'agit de Yapoplexie vraie, résultant de la formation
actuelle d'un foyer cérébral, soit d'hémorrhagie, soit de
ramollissement, ou au contraire d'une simple attaque con-
gestive. Eh bien ! l'examen de la température centrale four-
(l) Société de Biologie, t. I, 5e série, 18G9-1870, p. 145
256 SCLÉROSE EN PLAQUES : PÉRIODES.
nirait en pareille occurrence un renseignement décisif. J'ai
démontré, en effet, par des observations répétées (1), que
dans l'apoplexie vraie, principalement lorsqu'elle se ratta-
che à l'hémorrhagie cérébrale, la température s'abaisse
constamment quelques instants après l'attaque et se main-
tient ensuite, en général pendant 24 heures au moins, au-
dessous du taux normal, alors même qu'il se produit des
accès convulsifs, intenses et répétés. Or, nous venons de
voir que dans les attaques, dites congestives,la température
s'élève au contraire, dès l'invasion des premiers symptômes,
au-dessus du chiffre physiologique et tend à s'élever encore
progressivement pendant toute la durée de l'accès.
DES PÉRIODES ET DES FORMES DANS LA SCLÉROSE EN PLAQUES.
Messieurs, après avoir considéré un à un les éléments
divers qui composent la symptomatologie de la sclérose
multiloculaire lorsqu'il s'agit d'un cas complet et parvenu
déjà à une période avancée de son cours, il convient de
montrer, par une vue d'ensemble, comment se groupent et
s'enchaînent ces éléments aux diverses phases et dans les
diverses formes de la maladie. Celle-ci, en effet, ne se pré-
sente pas, tant s'en faut, revêtue de tous ses attributs, à
toutes les époques de son évolution. A l'origine, elle peut
n'être constituée que par la réunion de deux ou trois symp-
tômes, et, de plus, il est des cas où, jusqu'à la terminaison
fatale, le tableau symptomatologique reste incomplet (2). Or,
c'est surtout lorsque la maladie en est encore à une époque
(1) Charcot. — Note sur la température des parties centrales dans l'apo-
plexie liée à l'hémorrhagie cérébrale et au ramollissement du cerveau.ln Comptes
rendus des séances de la Société de Biologie, T. IV, 4e série, 1867, p. 92. —
Voyez aussi : Charcot. — Leçons sur la thermométrie clinique^ publiées
dans la Gazette hebdomadaire ; 1869, p. 324,742, 821. — Bourneville. — Etudes
cliniques et thermométriques sur les maladies du sgstème nerveux. — Paris,
1870-73.
(2) Voir à 1' Appendice, p. 402.
PREMIÈRE PÉRIODE. 257
voisine de son début ou lorsqu'elle revêt une l'orme impar-
faite, qu'il importerait d'apprendre à la reconnaître aux
moindres indices. (Voir à I'Appendice, p. 402).
J'ai proposé d'établir, dans le développement progressif
de la maladie, trois périodes : la première s'étend de l'ins-
tant où apparaissent les premiers symptômes jusqu'à l'épo-
que où la rigidité spasmodique des membres réduit le ma-
lade à une impuissance presque absolue. La seconde com-
prend tout le temps, habituellement fort long encore, du-
rant lequel le malade, confiné au lit ou pouvant à peine
faire quelques pas dans sa chambre, conserve néanmoins
l'intégrité de ses fonctions organiques. La troisième, enfin,
commence au moment où, en même temps que tous les
symptômes de la maladie s'aggravent simultanément, les
fonctions de nutrition souffrent d'une manière sensible. Il
y aura lieu, à propos de cette période ultime, de relever
les accidents qui, dans l'ordre ordinaire des choses, mar-
quent les derniers temps de la maladie et précipitent la ter-
minaison fatale.
1.
Première période . — Le mode d'invasion et d'enchaî-
nement des symptômes présente des variantes qui méritent
d'être signalées à votre attention.
Quelquefois ce sont les symptômes céphaliques qui ou-
vrent la scène ; ainsi les malades commencent par se plain-
dre de vertiges habituels, de diplopie plus ou moins passa-
gère ; peu à peu, se prononcent l'embarras de la parole,
et enfin le nystagmus. La réunion de ces symptômes com-
poserait déjà un ensemble assez caractéristique et qui,
alors même que le tremblement provoqué par les mouve-
ments et la parésie des membres ne viendraient pas tôt ou
tard s'y adjoindre, permettraient cependant d'établir le
diagnostic sur de fortes présomptions.
Charcot, t. i, 3P éd. 17
258 RÉMISSIONS.
Mais tel n'est pas le mode d'invasion le plus commun ;
le plus souvent ce sont les phénomènes spinaux qui s'accu-
sent les premiers, si Lien que, pendant la durée de plusieurs
mois et quelquefois même pendant plusieurs années, les ma-
lades pourront n'offrir d'autres symptômes qu'un affaiblis-
sement, une parésie plus ou moins prononcée des membres
inférieurs, montrant de la tendance à s'aggraver d'une ma-
nière lentement progressive et à s'étendre aux membres
supérieurs. En pareil cas, la situation du clinicien est né-
cessairement des plus difficiles. Car, en somme, la parésie
des membres inférieurs est un symptôme quelque peu ba-
nal, commun à une foule d'affections diverses ; elle se pré-
sente pourtant dans la sclérose multiloculaire, vous ne
l'avez pas oublié, avec quelques traits particuliers qui pour-
raient peut-être indiquer la voie. Ainsi, quelque prononcée
qu'elle soit, — à part ce cas exceptionnel où la lésion pré-
dominerait sur les cordons postérieurs, — elle ne s'accom-
pagne d'aucun trouble de la sensibilité, d'aucun trouble ap-
préciable dans la nutrition des masses musculaires; de
plus, il ne s'y lie d'ordinaire aucun désordre fonctionnel du
côté de la vessie ou du rectum ; enfin, il n'est pas rare de
voir se produire des rémissions, voire même des intermis-
sions complètes qui ont pu faire espérer une guérison
définitive (1). Mais il est clair que ces indices, même avec
(l) Dans notre mémoire, nous avons résumé un certain nombre de faits
dans lesquels on a observé des rémissions assez complètes pour que les ma-
lades, qui étaient paralysés, aient pu reprendre leurs occupations. (Voy. loc.
cit., obs. iv, ix, x, xi, etc.) Dans une observation de M. Vulpian que nous
avons également rapportée (p. 139), il y eut une série d'améliorations et
d'aggravations alternatives. Nous allons les indiquer brièvement.
Alors que la maladie était encore récente, on vit survenir, à la suite d'une
variole, un rétablissement pour ainsi dire complet. Cette amélioration persista
pendant trois ans. A cette époque, les règles se suspendirent; de nouveaux
symptômes, légers d'ailleurs, se manifestèrent pour disparaître eux-mêmes
avec le retour des menstrues. Deux ans plus tard, la malade a un ictère
auquel succèdent de nouveaux accidents. Ceux-ci s'amendent; mais, à l'oc-
casion d'une bronchite, la parésie des membres reparaît plus considérable et,
après des rémissions et des recrudescences successives, elle devient perma-
DÉBUT BRUSQUE. 259
le concours de tous les autres, ne sauraient fournir encore
que des renseignements assez vagues. La certitude ne peut
guère s'établir que si le tremblement spécial ou quelqu'un
des symptômes céphaliques Tiennent se surajouter aux
symptômes spinaux.
Jusqu'ici, Messieurs, je vous ai représenté l'invasion et
l'enchaînement ultérieur des accidents comme lents et uni-
formément progressifs. C'est là, en effet, de beaucoup le
cas le plus fréquent ; mais il importe que vous n'ignoriez
pas que, dans certaines circonstances, exceptionnelles à
la vérité, le début peut s'opérer tout à coup, inopinément,
ou à la suite de quelques prodromes peu significatifs.
Ainsi le vertige et la diplopie s'étant déclarés soudaine-
ment, la parésie des membres et la titubation ont pu venir
s'y joindre au bout de quelques jours, de telle sorte que la
maladie s'est trouvée pour ainsi dire immédiatement cons-
tituée. C'est ce qui a eu lieu, entre autres, chez une jeune
malade nommée Yinch..., que quelques-uns d'entre vous
ont pu voir dans nos salles. D'autres fois, le début est mar-
qué, comme chez une des malades de Valentiner, par une
brusque invasion de la parésie, dans l'un des membres in-
férieurs ; ou encore, ainsi que cela s'est présenté dans le
cas de M. Léo et chez une de mes malades dont M. Vulpian
a rapporté l'histoire (1), une attaque apoplectiforme pré-
cédée pendant quelques jours ou quelques semaines de ver-
tiges, de céphalalgie, et suivie d'hémiplégie temporaire,
inaugure l'invasion.
Enfin, Messieurs, il est un cas sur lequel j'appellerai
nente . — Parfois la rémission est incomplète et ne porte que sur quelques
symptômes, en particulier l'incontinence d'urine et des matières fécales. —
Chez un malade observé par M. BaerwinckeL, il y eut aussi une rémission
passagère (B.).
(l) Vulpian. — Note sur la sclérose en plaques de la moelle épinière, obs.
ii. In Mémoires de la Société médicale des hôpitaux, 1809.
260 CRISES GASTRIQUES.
encore votre attention et où le début se trouve masqué par
une affection qui, le plus souvent, est considérée comme
accidentelle, étrangère à la maladie principale, bien qu'en
réalité elle s'y rattache, suivant moi, au contraire, intime-
ment par un lien non reconnu jusqu'ici. Je lais allusion à
des crises gastriques ou gastralgiques, comme vous vou-
drez les appeler, lesquelles sont parfois intenses, accom-
pagnées de lypothymies, de vomissements répétés, etc.
Elles ont plusieurs fois ouvert la scène et bientôt les symp-
tômes habituels de la sclérose multiloculaire leur ont
succédé ; il n'est pas rare d'ailleurs de les voir reparaître
à plusieurs reprises et s'entremêler avec ces symptômes
pendant les premiers temps de la maladie. Dans ce
genre, une observation publiée par M. Liouville (1) et le
cas rapporté par M. Zenker sont de bons exemples à citer ;
ces accidents sont d'autant plus dignes d'être remarqués
que nous les retrouverons, à peu près avec les mêmes ca-
ractères, dans d'autres formes de sclérose de la moelle épi-
nière et en particulier dans la sclérose fasciculée postérieure
(ataxie locomotrice), principalement dans la phase initiale
de cette affection. Les crises gastriques coïncidant ou al-
ternant avec les douleurs fulgurantes des membres, peuvent
être, en pareil cas, avec la diplopie, et peut-être un peu de
titubation les yeux étant fermés, les seuls symptômes ac-
tuels de la maladie en question, dont le véritable caractère
est alors trop souvent méconnu (2). Ces mêmes crises gas-
triques se rencontrent, ainsi que nous l'avons observé,
mon ami M. Duchenne (de Boulogne) et moi, dans la forme
de myélite centrale siibaiguë ou chronique qui produit les
symptômes de la paralysie générale spinale. Mais je ne
veux pas m'arrêter plus longuement sur ce sujet que je
(1) Mémoires de la Société de Biologie, 5e série, t. I, p. 107. Paris, 1870.
(2) Voir ce que M. Charcot a dit à ce sujet dans ses leçons faites à la
Salpétrière en 1868. (Dubois. — Elude sur quelques points de V ataxie loco-
motrice. Paris, 1868. Des crises gastriques, p. 56. — Leçons sur les anomalies
de f ataxie locomotrice, 1873. Leçon II, p. 32.)
SECONDE ET TROISIÈME PÉRIODES. 2')\
compte reprendre bientôt en lui donnant tous les déve-
loppements qu'il comporte.
II.
Deuxième période. — En général, dès la fin de la pre-
mière période, la sclérose multiloculaire sp présente déjà
douée de la plupart des symptômes qui la caractérisent.
Ces symptômes s'aggravent et se prononcent encore pen-
dant la seconde, et il s'y surajoute la contracture spasmo-
dique des membres, avec ou sans accompagnement d'épi-
lepsie spinale, par suite de quoi les malades qui, jusque-là,
avaient encore pu marcher, tant bien que mal, se trouvent
désormais réduits à l'impuissance à peu près absolue et
confinés définitivement à la chambre ou même au lit. La
contracture qui signale le début de cette période est un
phénomène presque toujours très-tardif; il ne se montre
guère, le plus souvent, que deux, quatre, six ans même
après l'apparition des premiers accidents de la sclérose
multiloculaire.
III.
Troisième 'période. — Le commencement de cette der-
nière période est marqué, ainsi que je vous l'annonçais,
par l'affaiblissement progressif des fonctions organiques;
l'inappétence devient habituelle, la diarrhée fréquente et
bientôt survient un amaigrissement général qui se prononce
de plus en plus (1). — En môme temps se dessine une
(l) C'est surtout à cette période de la maladie que l'on peut voir survenir
des accidents susceptibles, peut-être, d'être rangés parmi les troubles tro-
phiques. Tels sont : 1° Un ramollissement des vertèbres, des trochanters, de
la tête du tibia, des os du tarse, etc. (liourneville et Guérard, loc. cit., cas
du docteur Pennock, p. 83); — 2° Une cyphose et une scoliose à droite,
262 PARALYSIE BULBAIRE.
aggravation de tous les symptômes propres à la maladie :
l'obnubilation de l'intelligence va jusqu'à la démence; l'em-
barras de la parole est porté à son comble et le malade ne
s'exprime plus que par un grognement inintelligible. — Puis
les sphincters se paralysent et il n'est pas rare de voir la
muqueuse de la vessie devenir le siège d'une inflammation
ulcéreuse. C'est alors que se montrent, à la région sacrée
et sur tous les points des membres inférieurs soumis à une
pression prolongée, des eschares qui prennent parfois des
proportions énormes et consécutivement toute la série des
accidents qui se rattachent à cette complication, tels que :
fusées purulentes, intoxication purulente ou putride, etc.
La mort ne tarde pas à s'ensuivre.
Le plus souvent la vie est encore abrégée par l'interven-
tion de quelque maladie intermittente : la pneumonie, la
phthisie caséeuse, la dyssenterie, peuvent être comptées
parmi les plus fréquentes de ces affections terminales (1).
J'ai réservé, pour la mentionner d'une manière toute
spéciale, l'apparition de quelques symptômes de paralysie
bulbaire, parce qu'ils peuvent, en s'aggravant brusque-
ment, précipiter le cours des événements et amener la ter-
minaison fatale, avant même que les phénomènes de la der-
nière période se soient manifestés. En même temps que la
parole devient de plus en plus difficile, il se produit en pre-
mier lieu un embarras de la déglutition qui, transitoire
d'abord, devient bientôt permanent. Puis se montrent de
temps à autre des accès de dyspnée plus ou moins graves,
signalée dans un cas de Friedereich (B. et G., loc. cit., p. 213-214); — 3° Un
épanchement de liquide dans les deux articulations fémoro-tibiales (Obs. de
M. Malherbe) (B.).
(l) Dans les cas qui cnt été publiés dans ces derniers temps, nous re-
trouvons le plus souvent les affections terminales indiquées par M. Charcot.
Il ressort de la statistique que nous avons dressée que les maladies pulmo-
naires (pneumonie, pleurésie purulente, tubercules) t'emportent de beaucoup
sur les autres. Nous devons encore^signaler le décubitus aigu, la pyélo- cystite
(un cas), Y œdème de la glotte [un cas) (B.).
FORMES DE LA SCLÉROSE EN PLAQUES. 163
et la mort peut survenir dans un de ces accès. J'ai observé
tout récemment deux cas qui se sont terminés de cette ma-
nière. L'autopsie a fait reconnaître, dans ces deux cas,
qu'une plaque de sclérose avait envahi le plancher du qua-
trième ventricule, où elle englobait les noyaux d'origine de
la plupart des nerfs bulbaires (1).
Après les détails dans lesquels je viens d'entrer, il me
(l) C'est ainsi qu'ont succombé la nommée Vauthi.., qui a fait l'objet de
la leçon précédente et la nommée Bezot, qui a été couchée pendant longtemps
salie Saint-Luc, u° 10. Nous allons résumer rapidement les traits principaux
de leur histoire.
I. — Vauth..., Joséphine G., est entrée le 21 mars 1867, dans le service
de M. Vulpian et est morte le 7 février 1871, dans le service de M. Charcot
(32 ans). De 14 à 21 ans, étourdissements suivis de vomissements. Grossesse
à 22 ans qui met fin aux vomissements. La sclérose en plaques disséminées
a débuté à 23 ans et demi : faiblesse de la région lombaire, fatigue très-
grande des membres inférieurs, élancements dans la jambe droite, affaiblis-
sement de la vue, diplopie. — A 25 ans, faiblesse des bras qui sont, parfois,
le siège de douleurs.
1867. Nystagmus, diplopie. Intégrité des masses musculaires. Perte de
la notion de position
des membres inférieurs.
Parésie et tremblement
des membres supé-
rieurs. Partout la sen-
sibilité tactile est en
grande partie perdue.
— Amélioration mo •
mentanée par le nitrate
d'argent.
1868. La malade ne
peut plus se tenir de-
bout , les symptômes
sont plus accusés à
droite qu'à gauche, le
tremblement des mem-
bres supérieurs a au-
gmenté. Douleurs ful-
gurantes fréquentes ,
surtout dans la moitié
gauche de la face. —
Etourdissements vertigineux se montrant à des intervalles rapprochés. Le
nystagmus est plus accusé. En mai, M. Vulpian fait prendre à la malade
deux pilules de 0 gr. 015 d'extrait de feve de Calahar. Peu après, accès
de faiblesse avec exagération du tremblement, sueurs froides, pâleur de
Fifj. 15. — Elle représente les lésions observées sur une
coupe pratiquée à la partie la plus élevée de la région
lombaire; on voit que les cordons postérieurs sont pris
dans toute leur largeur, et que la lésion prédomine à
leur partie moyenne.
264
FORMES DE LA SCLEROSE EN PLAQUES.
paraît inutile d'entreprendre la description particulière des
diverses formes que peut revêtir la sclérose multiloculaire.
Les formes cérébrale et spinale correspondent à un enva-
hissement incomplet des centres nerveux par la sclérose :
la face. — (Ce? phénomènes sont peut-être dus à la -fève de Calabar). A
partir de juillet, 3 pilules de fève de Calabar. En novembre, M. Vulpian
supprime la fève de Calabar et, comme il est survenu dans des derniers
temps de l'incontinence d'urine, il prescrit 3 pilules de 0 gr. 03 d'extrait de
Belladone. L'incontinence d'urine,, après avoir présenté des amendements pas-
sagers, cessa dans le courant de décembre. — 1870, janvier. Troubles psychi-
ques (Voir page 238). Dans le courant de cette année, les symptômes que nous
avons notés ont augmenté d'intensité et, de plus, il s'y est ajouté des
symptômes de paralysie bulbaire. Ceux-ci se sont aggravés assez rapidement
et la malade est morte, en quelque sorte asphyxiée, le 7 février 1871.
Autopsie. — 11 existe de nombreuses plaques de sclérose dans le cerveau et la
moelle. En raison des symptô/iies ataxiques offerts par la malade, les lésions
de l'axe spinal doivent être consignées ici. Il y avait des plaques de sclérose
dans toute la hauteur des cordons latéraux Quant aux cordons postérieurs, ils
sont pris un peu partout, mais principalement à partir de l'extrémité infé-
rieure de la région dorsale. La figure lii représente les lésions observées
sur une coupe pratiquée à la partie la plus élevée de la région lombaire. À ce
niveau, les cordons postérieurs sont pris dans toute leur étendue (Fit/. /S,
mais surtout à la partie moyenne. Les cordons latéraux sont relativement
moins lésés.
II. — Bez... Pauline, 35 ans, célibataire, bonne d'enfants, est entrée le 17
février 1871 dans le service de M. Charcot. Aux symptômes ordinaires delà
sclérose en plaques sont venues s'ajouter, vers le mois de mai, de la dyspnée
et de la dysphagie. La gêne de la
obligeait la malade à
avec une grande lenteur.
manger
Le retour des aliments par les fos-
ses nasales ne fut observé qu'à la fiu
de la vie. La malade est morte d'as-
phyxie le 12 juin sans qu'on eût
noté de râles dans la poitrine.
Autopsie. Plaque de sclérose sur
le chiasma des nerfs optiques se
prolongeant sur les bandelettes ; —
pi. de sclérose dans les ventricules
et dans le centre ovale. — Sur une
coupe faite à un centimètre au-
dessus du bord inférieur de la pro-
tubérance, au niveau de l'origine apparente du nerf trijumeau, on découvre
une plaque de sclérose large et irrégulière. [Fig. 16, b' b'j.
Fig. 16. — a, pneumogastrique; — b,
petite plaque de sclérose ; — b'} grande
plaque de sclérose.
DURÉE. 26o
c'est, si l'on veut, la maladie arrêtée dans son développe-
ment, dans sa progression, soit ascendante, soit descen-
dante. La série symptomatologique s'en trouve pour ainsi
dire écourtée ; mais les symptômes, considérés isolément,
n'en sont pas pour cela modifiés. La première forme est
très-rare, la seconde assez fréquente, au contraire; mais,
en somme, la forme cérébro-spinale représente le type nor-
mal, celui que nous rencontrons le plus souvent dans la cli-
nique.
La sclérose multiloculaire cérébro-spinale accomplit, en
grand, son évolution totale dans l'espace de six à dix an-
nées (1) : cela établit un nouveau contraste avec la paralysie
agitante dont la durée normale est beaucoup plus longue.
La forme spinale laisse habituellement plus de répit; elle
peut ne se terminer qu'au bout de vingt ans et même plus
tard encore (2).
Une autre coupe transversale, répondant à la partie moyenne des olives, fait
voir une autre plaque de sclérose [Fig. il ', c)
paraissant intéresser le pneumogastrique {Fig.
47> a). — L'examen microscopique des nerfs a
montré de nombreux tubes granulo- graisseux
dans Thypoglusse, des traces d'irritation de la
gaine de Schwann dans le nerf pneumogastri-
que. Quant aux autres organes, et en particulier
le pharynx, le larynx et les poumons, ils étaient
c sains (B ).
Fig. 17. — a, pneumo-
gastrique ; — b, hypo-
glosse ; — c, plaque de
sclérose.
(1) Il est assez difficile d'établir, quant à présent, la durée moyenne de la
sclérose en plaques. Dans un premier relevé (Bourneville et Guérarl, loc.
cit., p. 148) comprenant 17 cas, nous avons trouvé une moyenne de 8 à 10
ans. Dans une statistique portant sur 13 cas nouveaux nous avons obtenu une
moyenne de 7 ans et demi. Le minimum de la durée de la maladie a été uu
an (cas de M. Malherbe. In Journal de médecine de l'Ouest, 1870, p- 168, et
Busihwald. Ueber multiple Sklerose des Hinis und Riickenmarks, in Deutsches
Archiv. fiir Klin. Medicin,c x, fas. iv et v, p. 478; 1872). Le maximum a
été de 16 à 17 ans (B.).
(2) Dans trois cas de sclérose en plaques disséminées, avec prédominance
266 PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE.
PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE ; ÉTIOLOGIE ; PRONOSTIC ET TRAITEMENT.
Pour terminer cette étude, il me resterait, Messieurs, à
vous entretenir de la physiologie pathologique, de l'étiolo-
gie, et enfin du traitement de la sclérose multiloculaire des
centres nerveux. Malheureusement les documents que je
pourrai invoquer relativement à ces divers points sont peu
nombreux, imparfaits encore pour la plupart, et j'en serai
réduit, par conséquent, à vous présenter quelques remar-
ques très-sommaires.
A. La raison du mode de répartition si singulier qu'affec-
tent les îlots scléreux dans les diverses parties du système
nerveux central, nous est, quant à présent, complètement
inconnue. M. Rindfleisch (1) a avancé que le point de dé-
part de la formation des foyers de sclérose serait dans le
système vasculaire. Suivant lui, l'inflammation des parois
des petits vaisseaux qu'on rencontrerait toujours au centre
des plaques en voie de formation serait le fait initial ; de ce
point central, l'irritation se propagerait au réticulum de la
névroglie et rayonnerait dans toutes les directions. Evi-
demment ce ne serait, là encore, que reculer la difficulté.
D'ailleurs, ce rôle prédominant accordé aux vaisseaux clans
l'évolution du processus morbide n'est rien moins que dé-
montré. Je suis même très-disposé à croire, d'après mes
propres observations, que les altérations des vaisseaux et
celles du réticulum marchent du même pas, parallèlement,
sans s'influencer réciproquement.
Quoi qu'il en soit, étant donné le siège des îlots sclérosés
des lésions dans les cordons postérieurs, la maladie a duré 11, 21 et 28 ans.
(Bourneville. — Nouvelle étude sur quelques points de la sclérose en plaques
disséminées , 1 869 . )
(l) E. Rindfleisch. — Histol. Détail zu der grauen De génération von Gre-
him und Ruckenmarck (Virchow's Archiv, 1863, t. XXVI, p. 474).
CAUSES : SEXE. 2C7
dans les divers départements des centres nerveux, peut-on
en déduire la production des phénomènes dont l'ensemble
constitue la symptomatologiede la sclérose en plaques ?Cela
est possible au moins en partie. Déjà nous vous avons lait
remarquer que l'incoordination motrice, la perte de la no-
tion déposition, les douleurs fulgurantes qui s'observent
dans un certain nombre de cas, peuvent être, dans ces cas-
là rapportées à l'envahissement des faisceaux postérieurs
de la moelle épinière dans une certaine étendue en hauteur.
D'un autre côté, la prédominance habituelle des plaques de
sclérose sur le trajet des cordons antéro-latéraux rend
compte, ainsi que je vous le démontrerai bientôt, de l'exis-
tence à peu près constante de la parésie ou de la paralysie
des membres, suivies tôt ou tard de contracture perma-
nente. Le nystagmus, l'embarras de la parole, sont en rap-
port avec la localisation habituelle des plaques clans l'épais-
seur de la protubérance et du bulbe. Mais un grand nom-
bre d'autres symptômes sont d'une interprétation beaucoup
plus difficile. Tel est, entre autres, le tremblement particu-
lier qui se manifeste dans certaines attitudes du corps et
dans l'exercice des mouvements volontaires. J'ai exprimé
l'opinion que la longue persistance des cylindres axiles,
dépouillés de leur enveloppe de myéline, au sein des foyers
sclérosés, joue peut-être ici un rôle important; la trans-
mission des impulsions volontaires s'opérerait encore par
la voie de ces cylindres dénudés, mais elle aurait lieu d'une
façon irrégulière, saccadée, et ainsi se produiraient les os-
cillations qui troublent l'exécution des mouvements inten-
tionnels.
Cette résistance des cylindres axiles n'est certainement
pas un phénomène exclusivement propre à l'induration
multiloculaire ;fmais elle se montre là plus prononcée que
dans les autres formes de la sclérose des centres nerveux.
Elle peut être invoquée encore, je crois, pour rendre compte
de la lenteur avec laquelle les symptômes parétiques pro-
gressent dans la sclérose en plaques, et du long espace de
268 CAUSES I AGE ; HEREDITE.
temps qui s'écoule avant l'époque où ils l'ont place à la pa-
ral}Tsie complète et à la contracture permanente.
B. Ce que l'on sait concernant les conditions qui prési-
dent au développement de la sclérose en plaques se réduit
à fort peu de chose. Il parait établi toutefois, dès à présent,
que la maladie est beaucoup plus commune chez les femmes
que chez les hommes. Ainsi, parmi les cas que j'ai rassem-
blés dans mes premières études, trois ou quatre seulement
concernent des hommes. Les faits qui ont été publiés de-
puis lors, n'ont pas modifié, d'une manière sensible, ce ré-
sultat. En réunissant aux dix-huit cas qui figurent dans la
monographie de MM. Bourneville et Guérard, 16 cas nou-
veaux, nous avons un total de 34 cas, dont 9 hommes et 25
femmes.
De ces mêmes documents, il ressort que c'est là une
maladie de lajeunesse ou de la première moitié de l'âge
adulte. On l'a observée chez des sujets âgés de 14, 15, 17
ans (1). Mais elle parait débuter le plus souvent entre
20 et 25 ans. Rarement elle apparaît après 30 ans. L'âge
de 40 ans semble être d'un autre côté la dernière limite
que puissent atteindre les sujets atteints de sclérose en
plaques.
Relativement à l'influence héréditaire, nous n'aurions à
(l) Dans un travail de M. Leube [Ueber multiple inselforming Sklerose
des Grehirns und Rilr]iemnarks,'\n Deutsche s Archiv, 8 Bd. 1 hefl, 1870, p. 14/
nous trouvons une observation qui concerne un enfant qui présenta les
premiers symptômes de la sclérose en plaques disséminées à l'âge de 7 ans.
Elle mourut à l'âge de 14 ans et demi. Résumé : nystagmus léger; para-
lysie faciale droite ; ataxie très-prononcée des extrémités, surtout à gauche;
tremblement de la tête; parole difficile; atrophie des jambes. — Autopsie :
Sclérose du pont de Varole et de ses annexes, presque générale à droite,
disséminée à gauche- Le cerveau et le cervelet, dans leurs couches corti-
cales, sont le siège d'une double dégénérescence jaune-blanchâtre ou gris
d'acier, tantôt ditfuse, tantôt en plaques disséminées. Dans la moelle — et
principalement la moelle allongée — la sclérose occupe, en première ligne,
les cordons postérieurs, puis les cordons latéraux, enfin les cordons anté-
rieurs (B.).
CAUSES OCCASIONNELLES. 269
citer qu'un seul exemple où elle ait paru jouer un certain
rôle. Cet exemple nous a été communiqué par M. Duchenne
(de Boulogne).
Dans les antécédents pathologiques des malades eux-
mêmes nous n'avons à relever en général que des indices
très-vagues : l'hystérie y figure dans quelques cas ; mais,
le plus souvent, on ne trouve mentionnés que des accidents
névropathiques assez mal déterminés : la migraine de temps
à autre, ou des névralgies (1).
Parmi les causes occasionnelles, on trouve plusieurs fois
signalée l'action prolongée du froid humide (2). Dans un
cas, les premiers symptômes se seraient développés peu de
temps après une chute.
Mais ce sont les circonstances d'ordre moral qui, le plus
communément, sont invoquées par les malades. Les chagrins
(1) Il est, toutefois, une condition étiologique qui mérite d'être mention-
née : c'est l'influence de certaines maladies aiguës sur le développement de la
sclérose. Voici, à l'appui de cette assertion, l'indication de quelques faits.
1° Dans un cas de Erbstein {Deutsches Archiv fiir Klinische Medicin, t. x,
fasc. C. p. G96), la sclérose en plaques a débuté durant la convalescence d'une
fièvre typhoïde. Le malade éprouva alors une faiblesse dans les membres et
de l'embarras dans la parole, les mots étaient scandés, la prononciation était
peu distincte et monotone.
2° Une malade du service de M. Charcot, Nie... Julie, remarqua un cer-
tain degré de faiblesse dans les membres inférieurs après une attaque de cho ■
léra. Un peu plus tard, elle eut une fièvre typhoïde à partir de laquelle la
faiblesse des jambes fit des progrès, d'une façon lente mais continue, à tel
point que bientôt elle fut obligée de se servir d'une canne (A. Joffroy. —
Mémoires de la Société' de biologie, 1869, p. 146).
3° Dans l'observation rapportée par MM. Fontaine et Liouville, il est dit
que les premiers indices de la sclérose furent précédés par des vomissements
bilieux abondants qui durèrent dix à quinze jours. ;H. Liouville, in Mémoires
de la Société de biologie, 1869, p. 107.)
4° Enfin, nous citerons le cas d'une femme nommée Dr... Hortense, chez
laquelle les premières manifestations de la sclérose en plaques se sont mon-
trées alors qu'elle venait d'avoir une variole grave (B.).
(2) Un malade, observé par M. Baerwinkel, s'aperçut d'une difficulté des
mouvements de la jambe droite trois jours après avoir fait une chute dans
l'eau. L'action du froid humide est d'autant plus réelle dans ce cas que le
malade laissa ses habits sécher sur lui (B).
270 PRONOSTIC.
prolongés, par exemple, ceux entre autres que peut occa-
sionner une grossesse illicite, ou encore les désagréments
et les ennuis qu'entraîne une position sociale plus ou moins
fausse, telle qu'est souvent celle de certaines institutrices.
Voilà pour ce qui concerne les femmes (1). Quant aux
hommes, il s'agit pour la plupart de gens déclassés, placés
en dehors du courant général, trop facilement impression-
nables, mal armés pour soutenir ce qu'on appelle, dans la
théorie de Darwin, la lutte pour la conservation de la vie
{Struggle for lifé). C'est là, en somme,rune étiologie quel-
que peu banale et que Ton retrouve, pour ainsi dire, à l'ori-
gine de toutes les maladies chroniques du système nerveux
central.
C. Le pronostic jusqu'ici est des plus sombres. En sera-
t-il toujours de même ? On peut espérer que, lorsque la ma-
ladie sera mieux connue, le médecin apprendra à tirer parti
de ces tendances spontanées aux rémissions qui se trouvent
signalées dans un bon nombre de cas. Il ne faut pas ou-
blier d'ailleurs que, quant à présent, la véritable notion du
mal n'est, en général, reconnue que lorsque déjà les lésions
sont très-profondes, et, partant, peu accessibles à l'influence
des moyens curatifs. (Voir à I'Appexdice, p. 402'.
D. Irai-je, après ce qui précède, vous entretenir longue-
ment de thérapeutique? Le temps n'est pas venu encore où
cette question pourra être abordée sérieusement. Je ne
puis vous parler que des quelques essais tentés jusqu'à ce
jour, et dont les résultats, malheureusement, se sont mon-
trés, en général, peu favorables.
Le chlorure d'or et le phosphicre de zinc paraissent
(l) The Lancet (1873, vol. I. p. 236) a publié le résumé d'un cas de sclé-
rose en plaques observé par M. Moson, hGruy's Hospital, où l'on voit no-
tées comme causes : a) une maladie fébrile avec diarrhée qui a duré plusieurs
semaines ; b) une émotion morale vive ressentie par la malade qui trouva
son mari couché avec une autre femme (B.).
TRAITEMENT. 271
avoir plutôt exaspéré les symptômes. La strychnine a
quelquefois fait cesser le tremblement ; mais son influence
a toujours été temporaire. J'en dirai autant du nitrate
d'argent. Dans plusieurs cas que j'ai observés, il parait
avoir eu sur le tremblement et sur la parésie des membres
une influence très-favorable, mais qui, à la vérité, ne s'est
pas longtemps maintenue. Une contre-indication formelle
à l'emploi de ce médicament serait l'existence de la contrac-
ture permanente, et surtout de l'épilepsie spinale : l'emploi
du nitrate d'argent aurait, en effet, presque à coup sûr,
pour résultat d'exaspérer ces symptômes. V hydrothérapie,
dans un cas, parait avoir produit un amendement passager ;
dans un autre, par contre, elle a complètement échoué.
L'arsenic, la belladone, le seigle ergoté, le bromure de
potassium ont été également administrés dans la sclérose
en plaques, sans avantage marqué. J'en dirai autant de
l'application delà faradisation et de l'emploi des courants
continus. Mais, relativement à ce dernier agent, il importe
d'avoir recours à de nouvelles expérimentations avant de
se prononcer d'une manière définitive (1).
(l) D'autres médicaments ont été employés sans plus de succès que ceux
qu'a énumérés M. Charcot : tels sont Vhuile phosphorée ; Yiodure de phos-
phétylamine, et la fève de Calabar. — Depuis la publication de la première
édition de ces leçons, il a paru un certain nombre de travaux ou d'observa-
tions sur la sclérose en plaques. Comme ils ne font que confirmer les des-
criptions tracées par M. Charcot, nous nous bornerons à une simple énumé-
ration : 1° Timal : Etude sur quelques complications de la sclérose en plaques
disséminées ; thèse de Paris, 1873 ; — 2° et 3° H. Schùle: Beitrâge zur mul-
tiplen Sclérose des Grehims und R/lckenmarks, in Detitsclies Archiv fur Klin.
Medicin, 1870, Bd. VII, p. 259 ; — Weitere Beitrâge zur Hirn Rilcken-
inarks Sclérose ; même recueil, 1871, Bd. VIII, p. 223; — 4° Baldwin : A
case of difused cérébral Sclerosis. {Journal of mental Science, 1873, juillet,
p. 304); — 5° Moxon : Two Cases of insular Sclerosis of the Brainand tke
spinal Chord. {The Lancet, vol. I, p. 471, 6C9, 1875) ; — 6° Buzzard : Disse-
wiinated cerebro- spinal Sclerosis. [Ibid., vol. I, p. 45) ; — 7° Moxon : ~Eight
Cases of insular Sclerosis of the Brain and spinal Chord [Guy's Eospital
Reports. 3e série, t. XXI, London, 1875). (Note de la 2e édition).
TROISIÈME PARTIE
Hystérie. — Hystéro-Epilepsie
Charcot, t. 1, 3e éd. 18
NEUVIEME LEÇON
De l'ischurie hystérique.
Sommaire. — Préambule. — De l'ischurie hystérique. — Différences qui
la séparent de l'oligurie. — Considérations générales. — Vomissements
supplémentaires. — Historique. — Causes qui ont fait suspecter la réa-
lité de l'ischurie hystérique. — Distinction entre l'ischurie calculeuse et
l'ischurie hystérique.
Observation. — Paralysie et contracture hystériques. — Ilémianesthésie
complète. — Hémiopie et achromatopsie. — Ilyperesthésie ovarienne. —
Rétention d'urine. — Tympanisme. — Attaques convulsives, trismus.
— Apparition de l'ischurie hystérique. — Précautions prises pour éviter
toute cause d'erreur. — Anurie totale. — Vomissemeuts urémiques. —
Balancement entre la quantité de l'urine excrétée et les vomissements. —
Analyse chimique des matières vomies, des urines et du sang. — Sus-
pension des accidents.
Retour de Tischurie hystérique. — Nouveaux résultats de l'analyse chi-
mique.
Gravité de l'anurie ordinaire et de l'anime expérimentale. — Limite de la
durée des accidents compatibles avec la vie. — Influence de l'évacuation
d'une quantité même minime d'urine. — Rapidité de l'apparition des
symptômes dans l'ischurie calculeuse; sa lenteur dans l'ischurie hystéri-
que. — L'innocuité des accidents est en rapport avec la dose d'urine
produite dans l'organisme. — Résistance des hystériques à l'inanition.
Mécanisme de l'ischurie hystérique. — - Insuffisance de nos connaissances
à cet égard.
I.
Messieurs,
J'ai l'intention de reprendre et de compléter dans les
conférences de cette année la série d'études que nous avions
entreprises, il y a deux ans, et que sont venus brusque-
ment interrompre les tristes événements que vous savez.
Au moment où nous avons dû nous séparer, par une ap-
plication de recherches préalables concernant les troubles
276 PRÉLIMINAIRES.
trophiques liés à une influence du système nerveux, j'es-
sayais, vous vous en souvenez sans doute, de montrer
comment bon nombre d'affections du système musculaire,
jusque-là rattachées à une cause périphérique, sont, en
réalité, subordonnées à des lésions siégeant dans certaines
régions bien déterminées de l'axe gris spinal.
Ce groupe d'affections musculaires, que j'ai proposé d'ap-
peler myopathies spinales ou de cause spinale, nous occu-
pera d'une façon toute particulière. Je reviendrai aussi sur
le groupe si intéressant des scléroses de la moelle êpinière
et, entre autres, sur celle qui détermine l'ensemble symp-
tomatique désigné sous le nom (Vataœie locomotrice pro-
gressive (1). Le sujet est loin d'être épuisé, et j'aurai l'oc-
casion de signaler, relativement à ces affections, plusieurs
faits nouveaux ou connus d'une manière imparfaite et que
des travaux entrepris dans cet hospice ont mis en lumière.
Je traiterai aussi des paraplégies (2) produites par une
compression lente, de la méningite spinale chronique et
de quelques maladies du cerveau et de la moelle êpinière
dont l'histoire a été jusqu'ici très-négligée.
Mais, avant de vous ramener vers ces questions ardues,
je ne puis résister, Messieurs, au désir de mettre à profit
un certain nombre de cas très-remarquables d'hystérie qui
se trouvent actuellement réunis dans nos salles. Il importe
dé saisir avec empressement cette bonne fortune, car, en
raison de la mobilité propre à la grande névrose que je
viens de nommer, les symptômes qui s'offrent aujourd'hui
à un haut degré de développement pourraient être demain
complètement effacés.
Parmi ces cas, il en est un, digne d'attention entre tous,
qui fera l'objet de notre première entrevue : c'est, — si je
ne m'abuse, — un exemple légitime d'une affection rare,
(0 Voyez : Leçons sur les maladies du système nerveux, t. il, l'"e et
parties.
(2) Gharcot, loc. cit., t. n, lre partie.
1SGHURIE ET OLIGURIE. 111
très-rare, et dont l'existence même est contestée par la
plupart des médecins.
Il ne faut pas dédaigner, Messieurs, l'examen des cas
exceptionnels. Ils ne sont pas toujours un simple appât
pour une vaine curiosité. Maintes fois, en effet, ils four-
nissent la solution de problèmes difficiles. En cela, ils sont
comparables à ces espèces perdues ou paradoxales que le
naturaliste recherche avec soin, parce qu'elles établissent
la transition entre les groupes zoologiques ou qu'elles per-
mettent de débrouiller quelque point obscur d'anatomie ou
de physiologie philosophiques.
C'est de Vischurie hystérique que je yeux vous parler.
Dès l'abord , je dois entrer dans quelques explications
au sujet de cette dénomination que quelques-uns d'entre
tous entendent peut-être prononcer pour la première
fois.
À. Ischurie et impossibilité d'uriner, dans la langue
technique, tous le savez, c'est tout un. La signification
des mots ischurie hystérique, toutefois, est plus res-
treinte.
Il ne s'agit pas là de la simple rétention d'urine dans
la vessie, fait vulgaire chez les hystériques. On sait que
très-communément, en pareille circonstance, pendant des
mois, des années même, l'intervention de la sonde est né-
cessaire; mais alors, l'urine extraite de la vessie est abon-
dante ou, tout au moins, son taux ne s'éloigne pas du chif-
fre normal.
Dans Vischurie des hystériques, l'obstacle n'est ni dans
l'urèthre, ni dans la vessie. Il est plus haut, soit dans les
uretères, soit dans le rein lui-même, soit plus loin encore;
il y a là une question à juger. Le fait capital, c'est que la
quantité d'urine rendue en vingt-quatre heures, à l'aide de
la sonde, — car l'ischurie hystérique est presque toujours
compliquée de rétention uréthrale, — cette quantité, dis-je,
est notablement au-dessous du chiffre physiologique ;] sou-
278 ISCHURIE ET OLIGURIE.
vent même elle est réduite à zéro et, pendant plusieurs
jours, il y a, en définitive, suppression absolue d'urine.
B. Il convient d'ailleurs, dans l'espèce, d'établir des ca-
tégories.
Uoligurie, ou même la suppression totale (Vitrine, peut
n'être qu'un phénomène passager chez les hystériques et
qui, du reste, comme l'a fait remarquer avec raison M. Lay-
cock, pourra fréquemment passer inaperçu. C'est ainsi
qu'on observe quelquefois chez ces malades, surtout aux
époques cataméniales, une suppression complète d'urine
qui ne dépasse pas vingt-quatre ou trente-six heures. Peut-
être y a-t-il en même temps un peu de malaise et d'accé-
lération du pouls ; mais bientôt quelques cuillerées d'urine
sont expulsées et tout rentre dans l'ordre (i).
Les faits sur lesquels je veux fixer votre attention sont
bien différents de ceux auxquels je viens de faire allusion.
Ils offrent l'ischurie hystérique à son maximum de déve-
loppement, à l'état de symptôme permanent. Durant des
jours consécutifs, des semaines, des mois, la quantité d'urine
rendue en vingt-quatre heures peut être insignifiante, à peu
près nulle. Parfois même, il y a, pendant une série de plu-
sieurs jours, suppression complète d'urine.
Lorsque les choses prennent cette tournure, à la sup-
pression se joint, d'une manière en quelque sorte obliga-
toire, un autre phénomène qui est pour ainsi dire le com^
plément du premier : je veux parler de vomissements se
répétant tous les jours et même plusieurs fois par jour,
aussi longtemps que dure l'ischurie, et dont la matière pré-
sente quelquefois, dit-on, l'aspect ou l'odeur de l'urine.
Toujours est-il que, dans deux ou trois cas, l'analyse chi-
mique a découvert clans ces vomissements la présence
cVunc certaine quantité d'urée.
(l) Laycock. — A Treatise on the Nervous Diseases of Womeiit LouJou
1840, p. ''229.
HISTORIQUE. 279
En résumé, Messieurs, l'iscliurie hystérique nous offri-
rait, dans l'espèce humaine, la reproduction plus ou moins
exacte de quelques-uns des phénomènes observés chez les
animaux dans les cas de néphrotomie ou d'oblitération des
uretères par une ligature.
Les expériences de Prévost et Dumas, et en particulier
celles de MM. Cl. Bernard et Barreswill, nous apprennent,
vous le savez, que, dans ces mutilations, il s'opère par
l'intestin une élimination supplémentaire, dans laquelle
on retrouve, suivant les uns, du carbonate d'ammo-
niaque provenant de la décomposition de l'urée (Cl. Ber-
nard), suivant les autres, l'urée elle-même (Munck). Quoi
qu'il en soit, tant que s'effectue cette élimination, les ani-
maux ne paraissent guère souffrir, et c'est seulement lors-
qu'ils s'affaiblissent et que l'excrétion supplémentaire n'a
plus lieu qu'éclatent les accidents graves qui bientôt occa-
sionnent la mort.
Vous saisissez les analogies et du même coup vous êtes
frappés du contraste : les accidents cérébraux sont inévi-
tables, à un moment donné, dans les cas d'expérimentation
chez l'animal, tandis que chez l'hystérique, le balancement
entre l'excrétion rénale et l'excrétion supplémentaire peut
persister pendant des semaines, des mois, sans qu'il en
résulte jamais aucun trouble appréciable dans la santé gé-
nérale. Mais je ne veux point m'arrêter, pour l'instant,
sur ce point ; j'y reviendrai par la suite.
II.
Telle est, Messieurs, l'iscliurie hystérique, au moins dans
ce qu'elle a d'essentiel, d'après les rares auteurs qui ont
admis son existence, car, je le répète, la réalité de cet ac-
cident a été mise en doute. Tous ne le verrez indiqué dans
aucun des traités ou des articles récents sur l'hystérie,
même dans les plus complets et les plus justement estimés.
280 HISTORIQUE.
Il n'en est nullement fait mention, entre autres, dans le
grand ouvrage de M. Briquet. En somme, parmi les auteurs
contemporains, M. T. Lavcock, professeur à l'université
d'Edimbourg, est peut-être le seul pathologiste qui, dans
ses écrits, ait donné droit de domicile à l'ischurie hystéri-
que. Après avoir consacré à ce sujet une série d'articles
(1), où il relate deux observations originales, M. Lavcock
y est revenu dans son livre bien connu sur les Maladies
nerveuses des fem?nes(l84t0) . Partout ailleurs, si l'ischu-
rie hystérique est mentionnée, ce n'est qu'en passant, à
titre de renseignement, et non sans une pointe d'ironie à
l'adresse des observateurs qui se sont laissé aller à pren-
dre au sérieux ce prétendu symptôme.
Il n'est pas sans intérêt, par contre, de noter que les
physiologistes, Haller en tête, puis Carpentier et Cl. Ber-
nard, ceux-ci toutefois sans rien affirmer, se sont montrés,
sous ce rapport, beaucoup moins sceptiques que ne l'ont
été, par exemple, Prout et R. ^Villis.
Jusque dans ces derniers temps, j'ai partagé l'incrédulité
presque générale à l'égard de l'ischurie hystérique, pré-
venu d'ailleurs par les enseignements de mon maître
Rayer, qui ne manquait jamais de s'étendre longuement
sur les supercheries de tout genre dont les hystériques se
rendent coupables. Et il n'hésitait pas à confesser que lui-
même — qui était un observateur sagace et d'une grande
pénétration, — il avait failli plusieurs fois en être victime.
Depuis, mes opinions se sont quelque peu modifiées en pré-
sence du cas que je vais vous exposer tout à l'heure.
Avant de vous placer en mesure de juger par vous-mêmes
si ma conversion a été trop précipitée, permettez-moi de
rechercher avec vous les principales circonstances qui ont
fait que certains auteurs passent entièrement sous silence
(l) The Edimburgh médical and surgical Journal, 1838.
SIMULATION. 281
rischurie hystérique, tandis que d'autres la citent uniquo-
ment pour la reléguer au nombre des chimères.
1° En premier lieu, il convient de remarquer que rischu-
rie hystérique est un phénomène rare, du moins sous sa
forme très-accentuée, car il est possible, nous l'avons déjà
dit, que souvent Tischurie légère demeure inaperçue.
a. Ainsi M. Laycock. qui a consulté partout, n'a pu ali-
gner que Ti cas, sur lesquels deux seulement lui appar-
tiennent.
6. Ajoutons qu'une critique un peu sévère réduirait en-
core très-certainement ce chiffre. La majeure partie des
observations est très-ancienne (seizième et dix-septième
siècle) et elles ne présentent pas le caractère de précision
que nous exigeons à notre époque. D'autres sentent l'im-
posture d'une lieue. A qui fera-t-on croire, par exemple,
qu'une femme puisse rendre par l'oreille, en 24 heures,
2400 grammes d'un liquide qui, soumis à l'analyse, conte-
nait de l'urée ? Et ceci n'est pas tout : la même femme re-
jetait simultanément par le nombril un liquide analogue
qui s'écoulait par jet : « spirted out, » c'est l'expression
qu'emploie le rédacteur de l'observation. Et cependant tous
ces détails, et bien d'autres encore, sont consignés avec
l'apparence du plus grand sérieux dans The American
Journal of Vie médical Science (1828). Autorisez-moi,
je vous prie, à passer sous silence le nom du médecin qui
a pris ce fait sous sa responsabilité.
2° Ceci m'amène à vous dire un mot de la simulation.
On la rencontre à chaque pas dans l'histoire de l'hystérie,
et l'on se surprend quelquefois à admirer la ruse, la saga-
cité et la ténacité inouïes que les femmes, qui sont sous le
coup delà grande névrose, mettent en œuvre pour tromper,
surtout lorsque la victime de l'imposture doit être un
médecin. Dans l'espèce, il ne me paraît pas démontré que
la parurie erratique des hystériques ait été jamais simu-
lée de toutes pièces et pour ainsi dire créée parles malades.
En revanche, il est incontestable que, dans une foule de
282 SIMULATION.
cas, elles se sont plu à dénaturer, en les exagérant, les
principales circonstances du cas, et à lui imprimer le ca-
chet de l'extraordinaire, du merveilleux.
Voici, en général, comment les choses se passent. L'a-
nurie ou l'ischurie avec les vomissements existent seuls
pendant un certain temps, et le phénomène est réduit par
conséquent à sa plus grande simplicité. Mais bientôt, prin-
cipalement si les accidents semblent exciter l'intérêt et la
curiosité des médecins, de l'urine pure sera expulsée par
les vomissements, en quantité considérable ; il en sortira
par les oreilles, par le nombril, par les yeux et même par
le nez, ainsi que cela eut encore lieu dans le fait tiré du
journal américain. Enfin, si l'admiration est poussée à son
comble, il s'y joindra peut-être des vomissements de ma-
tières fécales.
. Parmi les cas du dernier genre, celui qui, en France, a
eu le plus de retentissement, est relatif à une nommée Jo-
séphine Routier qui, durant plus de quinze mois, figura,
vers 1810, à la clinique du professeur Leroux. La malade
avait offert d'abord les symptômes de l'ischurie simple avec
parurie erratique. Nysten, qui rapporte le fait, avait ana-
lysé les matières vomies et y avait reconnu l'existence de
l'urée. Peu après, survinrent l'écoulement d'urine par le
nombril, les oreilles, les yeux, les mamelons, et enfin l'éva-
cuation de matières fécales par la bouche. Vous voyez,
Messieurs, que c'est constamment la même série — ■ quels
que soient le pays, le siècle, où les observations sont re-
cueillies. La fraude fut découverte par Boyer. Il suffit
d'user de la camisole de force pour faire cesser les phéno-
mènes extraordinaires, et on trouva dans le lit de la ma-
lade des boulettes de matière fécale dures et toutes prépa-
rées! Par malheur, les Recherches de physiologie et de
chimie pathologiques venaient d'être publiées. Il fal-
lut faire amende honorable. Une note fut insérée dans
le Journal général de médecine, et une autre fut annexée
à quelques-uns des exemplaires du livre deNysten.
OBLITÉRATION GALGULEUSE DES URETÈRES. 1H'.\
En face de ces faits, faut-il conclure que tout est impos-
ture dans l'ischurie hystérique? Je ne le crois pas, Mes-
sieurs, et j'espère que vous vous rangerez à mon avis,
quand vous aurez pris connaissance de toutes les particu-
larités de l'histoire de ma malade.
Il est une dernière circonstance qui est bien propre à
jeter aussi un jour défavorable sur les observations d'is-
cliurie hystérique ; c'est que, en dehors de l'hystérie, la
suppression d'urine, pour peu qu'elle se prolonge au-delà
de quelques jours (3, 4, 5 jours à peine), est un symptôme
des plus graves et qui se termine à peu près nécessaire-
ment par la mort.
Laissant de côté les cas d'anurie dépendant d'une mala-
die de Bright aiguë ou chronique qui sont trop complexes
pour prendre place ici, je choisirai pour type Y oblitéra-
tion calculense des uretères survenant chez des individus
jusque-là en bonne santé. Dans ces conditions, tantôt l'un
des reins a été réduit, par une maladie antérieure, à une
coque fibreuse remplie de kystes et partant est devenu im-
propre à la fonction d'urination ; tantôt et c'est le cas le
moins fréquent, les deux uretères sont oblitérés à la fois.
Peu importe d'ailleurs, pour notre objet, que cette oblité-
ration se produise avec ou sans accompagnement des dou-
leurs de la colique néphrétique. Eh bien, Halfort (1), Aber-
crombie et tous les auteurs qui se sont attachés à l'étude
de ces cas s'accordent à reconnaître que si l'anurie per-
siste plus de quatre à cinq jours, les symptômes comateux,
avec ou sans convulsions, apparaissent inévitablement et
sont bientôt suivis de mort. La vie se prolonge un peu, si
une quantité même minime d'urine peut être rendue, mais
le résultat final ne varie pas.
Il y a, toutefois, le chapitre des exceptions que nous de-
vons d'autant moins négliger que nous en tirerons bénéfice.
(l) Med. Transacl., published by the Collège of physicians, t. VI, 1820.
284 OBSERVATION.
1° Dans le cas du docteur Laing, de Fochaber, cité par
Robert Willis (1), l'anurie dura dix jours, et il y eut gué"
rison.
2° Chez un malade de"W. Roberts (de Manchester) la som-
nolence ne survint que le huitième jour, quatre jours avant
la mort (2).
3° Le plus remarquable exemple de prolongation de la
vie, en semblable occurrence, est, à ma connaissance, celui
qui a été publié récemment par M. Paget dans les Bulletins
de la Société clinique de Londres (3). Bien que l'anurie
fût absolue, les symptômes comateux ne se montrèrent que
le quatorzième jour. Le quinzième, le malade évacua une
certaine quantité d'urine. Les accidents s'aggravèrent néan-
moins et la terminaison fatale eut lieu le vingt-troisième
jour.
Quoi qu'il en soit, de même lorsqu'il s'est agi de l'expé-
rimentation chez les animaux, ici encore, le contraste est
frappant entre Yischurie calculeuse, qui tue d'une manière
à peu près certaine et Yischurie hystérique, qui laisse
vivre, sans troubles notables de la santé générale, pendant
de longs mois. Il y a là une difficulté sérieuse. Est-elle
vraiment insurmontable ? C'est ce que nous nous proposons
de rechercher plus tard.
III.
Mais il est temps, Messieurs, d'aborder l'étude du fait
clinique qui sert de fondement à notre entretien. En premier
lieu, il faut bien établir sur quel terrain ont porté nos ob-
servations. Et, dans ce but, ce que j'ai de mieux à faire,
c'est de vous montrer la malade et de faire ressortir d'abord
(1) Urinary Diseases. London, 1838, p. 35.
(2) Voy.Thistoire de ce malade in: Bourneville. — Eludes clin, et therm.etc.,
p. 175, et la traduction du travail de M. Roberts in. Mouvement médical, 1871.
(3) J. Paget. — Case of suppression of urine very slomy fatal. In Tran-
sac. of tlxe clinical Society in London. t. II. 1869.
OBSERVATION. 285
devant vous les symptômes qui existent actuellement et
parmi lesquels vous reconnaîtrez les traits de l'hystérie in-
tense, invétérée, marquée par une réunion caractéristique
de symptômes permanents.
Etch..., Justine, née dans les Basses-Pyrénées, est âgée
de 40 ans. Elle a exercé la profession d'infirmière. Elle est
entrée à la Salpétrière en 1869 ; nous suivons donc la
marche de sa maladie depuis quatre ans.
Quelle est sa situation actuelle ? Ce qui frappe tout d'a-
bord chez elle, c'est la contracture énorme qui affecte les
membres supérieur et inférieur gauches. Cette contracture,
qui ne cesse ni pendant le sommeil naturel, ni pendant le
sommeil chloroformique, à moins qu'il ne soit poussé en
quelque sorte à ses dernières limites, s'est développée su-
bitement le 20 mars 1870, à la suite d'une grande attaque.
Disons toutefois que, antérieurement, le membre supérieur
était tout à fait paralysé, mais flasque, et déjà le membre
inférieur correspondant était rigide. Cette dernière circons-
tance, jointe à la rapidité avec laquelle s'est produite la
contracture autorisa à déclarer, dans ce temps-là, qu'on
n'avait pas affaire à une lésion cérébrale en foyer.
Un autre trait distinctif qui existe chez cette malade,
c'est une hémianesthésie complète, occupant les deux
membres contractures, le tronc et la face du même côté.
Non-seulement l'anesthésie intéresse le tégument externe,
mais elle s'étend encore à la portion des membranes mu-
queuses et aux organes des sens situés dans la moitié
gauche du corps. Ainsi pour ce qui concerne la vision, on
note, chez cette f emme, de Y hé7niopie et de Y acïwomatopsie,
phénomène signalé dans de semblables circonstances, par
M. Galezowski et sur lequel nous reviendrons.
Parvenue à ce degré, l'hémianesthésie nous fournit, dans
l'espèce, un ensemble de symptômes presque spécifiques ;
je dis presque et non pas absolumeyit spécifiques parce
que nous verrons bientôt que des lésions cérébrales gros-
286 OBSERVATION.
sières, circonscrites à certains départements de l'encéphale,
les reproduisent, au moins en partie.
Un symptôme très-important que nous offre encore Etcli . . . ,
c'est une douleur siégeant au-dessus de Vaine gauche.
M. Briquet a donné à cette douleur le nom de cœlialgie, et
il en place l'origine dans les muscles. Pour moi, d'accord
en cela avec Négrier, Sclmtzenberger et Piorry, je pense
que c'est Y ovaire qui est en jeu. Quoi qu'il en soit de son
siège exact, cette douleur, que j'appellerai hyperesthésie
ovarienne, est jusqu'à un certain point pathognomonique.
La pression, en l'exaspérant, détermine des sensations
irradiées, toutes spéciales. Ces sensations partent de la
région ovarienne et gagnent successivement : Wépigastre ;
2° le cou, en se traduisant dans ces régions par une op-
pression plus ou moins considérable, la sensation bien
connue de boule ou de globe ; 3° la tête, où l 'irradiation
est caractérisée par des bourdonnements, des sifflements
dans l'oreille gauche, delà céphalalgie avec battements, que
la malade compare à des coups de marteau, occupant la
tempe gauche, et enfin une obnubilation de la vue dans
l'œil correspondant. Je me contente, pour le moment,
d'énumérer ces phénomènes qui méritent une description
plus minutieuse.
Parmi les autres symptômes, je ne dois pas oublier la
rétention des urines et le ballonnement du ventre qui,
eux aussi, sont dans ce cas des phénomènes permanents.
Enfin, cette femme est sujette à des attaques spéciales,
tantôt tétaniformes, tantôt épileptiformes, d'autres fois se
rapprochant du type vulgaire de l'hystérie. Ainsi, ce ma-
tin, vous pouvez reconnaître un accident datant d'une
attaque survenue il y a deux jours : c'est le trismus,
convulsion qui empêche l'alimentation naturelle depuis ce
jour-là,
IV.
La malade peut actuellement se retirer. Nous serons
OBSERVATION. 287
plus libres, en son absence, pour vous raconter les autres
particularités de son histoire. C'est une véritable odyssée.
Aussi, serai-je souvent obligé d'abréger, en ayant soin,
néanmoins, d'indiquer la filiation des accidents.
La première attaque convulsive a éclaté en 1855. Dans
quelles circonstances, nous ne savons. Il y a là tout un ro-
man, une affaire de viol(?), dans laquelle il est difficile de
se débrouiller. Ce qui est plus sûr, c'est que cette attaque
parait avoir été d'une violence extrême : la malade est
tombée dans le l'eu ; elle s'est brûlé la face, et vous avez
pu voir les stigmates indélébiles qui sont résultés de cet
accident. A partir de cette date, les attaques ont continué
à se reproduire de temps à autre, avec le même caractère,
mais assez rarement, deux ou trois ibis par an environ.
Dix ans plus tard, la rétention d'urine apparaît. La ma-
lade est prise d'une hémiplégie avec flaccidité du côté
gauche à la suite d'une attaque, et entre dans le service de
M. Lasègue.
Admise la même année (1869) à la Salpétrière, nous
constatons : 1° une hémiplégie gauche, avec flaccidité
du membre supérieur et contracture du membre inférieur;
2° une hémianesthésie et de l'achromatopsie du même côté.
Les symptômes offerts alors par Etch.... sont consignés
dans les thèses de MM. Hélot et Berger.
En lS^OJes choses restent à peu près dans le même état,
ce n'est qu'une nouvelle attaque est suivie d'une contrac-
ture du membre supérieur gauche ; et, lors de mes leçons, en
1810, je vous ai présenté cette malade comme un spécimen
la l'orme hémiplégique de la contracture hystérique (1).
Dans le mois de mars 1811, une attaque donne lieu aune
némiplégie flasque du côté droit. Au bout d'un mois, la
contracture remplace la flaccidité. En avril, nous avions
(l) Cette leçon, que Ton trouvera plus loin, a été d'abord publiée dans la
Revue photographique des hôpitaux de Paris. 1871 , p. 103. La Planche XXV
de la Revue représente cette malade.
288 OBSERVATION.
donc sous les yeux une contracture aussi intense que pos-
sible des quatre membres, contracture absolue, persistant
nuit et jour, pendant le sommeil et laveille, résistant même
au sommeil chloroformique, ou, tout au moins, ne se ré-
solvant qu'à la dernière limite.
Ainsi, cette femme, vous le voyez, était condamnée à un
repos absolu au lit; elle était dans l'impossibilité de se ser-
vir de ses membres, conditions excellentes pour faciliter
la surveillance. J'eus soin, en outre, de placer auprès d'elle
deux infirmes dévouées, comme elle confinées au lit, et
prêtes à tout me révéler si elles découvraient quelque su-
percherie. J'avais là la meilleure police, celle des femmes
par les femmes ; car vous savez que si les femmes font des
complots entre elles, il est bien rare qu'ils réussissent. Ces
renseignements suffisent, je crois, pour vous convaincre.
Messieurs, que, dans cette première période, la simulation
a été impossible. Mes amis, MM. les professeurs Brov^n-
Séquard et Rouget, qui virent la malade à cette épo-
que, se déclarèrent, d'ailleurs, satisfaits de toutes les pré-
cautions prises.
Il nous reste à vous montrer maintenant comment, au
milieu de ces conditions favorables à une observation régu-
lière, s'est produit le phénomène de l'ischurie.
1/ischurie a commencé dès le mois d'avril 1811. Anté-
rieurement déjà, une femme, emploie au service, qui son-
dait la malade plusieurs fois par jour, s'aperçut que par-
fois la quantité d'urine extraite par le cathétérisme était
très-minime; que. d'autres fois, elle était nulle pendant deux
ou trois jours et même davantage, sans que jamais les
draps du lit fussent mouillés.
A ces symptômes, qui persistèrent en mai et en juin, s'ad-
joignirent bientôt des vomissements s'effectuant, d'ailleurs,
sans effort. Je fis mine tout d'abord de n'être point surpris
de tous ces accidents. Je me bornai à recommander d'obser-
ver discrètement nuit et jour la malade: à aucun moment,
elle ne fut prise en défaut.
OBSERVATION. 289
Je vous prie de jeter les yeux sur les tableaux (Pl. Y,
VI et VII) que je vous présente, et où vous pourrez suivre
dans les diverses phases de leur évolution les accidents
qui se sont offerts à notre observation. Le tableau com-
mence au 16 juillet 1871, époque à partir de laquelle,
je fis recueillir jour par jour, séparément, et les urines et
les vomissements. Il s'arrête en octobre 1871. (Pl. V,VI.)
Du 16 au 31 juillet, la quantité des matières vomies a
varié de 500 à 1,750 centilitres, la moyenne quotidienne
étant de 1 litre. La quantité des urines a varié entre
0 et 5 grammes : moyenne, 2 grammes 50 en 24 heures.
Pendant cette période, l'ischurie a été absolue de deux jours
l'un. (Pl. V.)
En août, la moyenne des urines a été de 3 grammes ;
celle des vomissements de 1 litre dans les 24 heures. Pen-
dant ce mois, l'anurie s'est, à plusieurs reprises, montrée
complète pendant plusieurs jours. Mais remarquez que ja-
mais l'absence totale d'urine n'a persisté pendant plus de
onze jours.
Du 1er au 30 septembre, la moyenne des vomissements
a été de 1 litre 1/2 par jour, celle des urines ne s'élevant
pas au-dessus de 2 grammes 50. (Pl. VI.)
Un fait mis en relief par l'examen et la comparaison
des courbes consignées sur le tableau, c'est que la ligne
des vomissements s'élève, d'une manière générale, quand
celle des urines s'abaisse et inversement. Il y a donc eu
un balancement assez régulier entre les deux phéno-
mènes.
Quel a été l'état général pendant cette longue période de
quatre mois qu'a duré l'observation ? A aucune époque
nous n'avons remarqué de troubles dignes d'être notés.
L'alimentation, vous le comprenez sans peine, était très-
restreinte ; l'estomac rejetait presque aussitôt, sans fa-
tigue, — caractère relevé avec raison par M. H.Salter (1)
(l) The Lancet, nos 1 et 2, t. II, 1868.
Charcot, t. i, 3e éd. 19
290 OBSERVATION.
dans le vomissement hystérique, — la plus grande partie
des aliments qui s'y introduisaient. Eh bien, malgré Ges
fâcheuses conditions, la nutrition ne souffrit guère. C'est
là, du reste, un fait connu depuis longtemps, en dehors de
l'anurie, clans les cas de vomissements incoercibles des hys-
tériques.
J'avais pensé, dès l'origine, que les vomissements de no-
tre malade devaient contenir de l'urée. Les premières re-
cherches entreprises à cet effet demeurèrent infructueuses.
Le proc.Mé employé était insuffisant. J'invoquai alors le
concou .s de M. Gréhant, dont la compétence en ces ma-
tières est indiscutable. Il nous le prêta avec la plus grande
obligeance.
22 centilitres cubes d'urine recueillis le 10 octobre, et re-
présentant la totalité des urines rendues ce jour-là, don-
nèrent à l'analyse Ogr. 179 d'urée. Le 11 octobre, la tota-
lité des vomissements, s'élevant à 1,460 centimètres cubes,
donna 3 gr. 699 d'urée.
Afin de déterminer si le sang de notre malade renfermait
une plus forte portion d'urée qu'à l'état physiologique,
nous nous décidâmes à pratiquer une petite saignée. Pour
ce faire, et en raison des obstacles que la contracture op-
posait à l'opération, il fut indispensable d'endormir la ma-
lade. M. Gréhant retira 0 gr. 036 d'urée pour 100 grammes
de sang obtenu chez Etchew..., et 0 gr. 034 pour 100
grammes de sang d'une personne saine, examinée compa-
rativement. On voit que le résultat des deux analyses a été
identique.
Par malheur pour nos investigations, l'emploi du chloro-
forme eut pour conséquence de modifier profondément les
symptômes que nous observions avec tant d'intérêt ; il y eut
à la suite, pendant plusieurs jours, une incontinence d'u-
rine. La contracture disparut à droite: il ne fallait plus son-
ger aux observations exactes. Les vomissements, d'ailleurs,
se suspendirent bientôt, et les urines revinrent progressi-
vement au taux normal.
VARIATIONS DE LISCHURIE HYSTÉRIQUE. 20 1
V.
Tels sont, MessieuFs, les résultats de la première série
d'études qui nous ont déGidé à entreprendre la réhabilita-
tion de Tischurie hystérique comme lait clinique réel. Les
mêmes accidents, du reste, devaient reparaître bientôt, sous
un aspect moins saisissant peut-être, mais tout aussi digne
d'intérêt. Dans cette seconde phase, il n'y a pas eu d'anurie
complète, même temporaire. Nous avons observé une sim-
ple oligune. L'abondance des vomissements a été moindre.
En un mot, si les accidents avaient été un peu moins ac-
cusés, et si nous n'avions pas été éclairé par l'observation
antérieure, il eût pu se l'aire incontestablement que l'éva-
cuation supplémentaire d'urée eût échappé.
Voyons succinctement ce qui s'est passé dans cette
deuxième période. Après une rémission plus ou moins
complète des symptômes, nous avons vu reparaître d'abord
la rétention d'urine; c'était en janvier. Le mois suivant, à
la suite d'une attaque, nous notons des alternatives de po-
lyurie (2 litres d'urine par jour) et d'oligurie. En mars, la
sécrétion urinaire diminue décidément, et, le 18 du même
mois, les vomissements apparaissent de nouveau. Jusqu'au
31 mars, la moyenne quotidienne des matières vomies fut
de 500 grammes. En avril, cette moyenne fut de 800 gram-
mes pour les vomissements et de 100 grammes pour les
urines. (Pl. VII.)
Durant cette nouvelle phase d'expérimentation, nous
n'étions pas dans des conditions aussi favorables que la
première fois. Le membre supérieur droit était redevenu
à peu près libre. Partant, il était urgent que nous nous
missions à l'abri de toute cause d'erreur. Outre la surveil-
lance ordinaire, dont on ne se départit pas un seul instant,
nous eûmes recours aux précautions suivantes : de temps
en temps, on visitait avec soin le lit de la malade ; on ne
laissait à sa disposition ni vases, ni sondes, etc. Enfin, je
292 NOUVELLE ANALYSE CHIMIQUE.
parvins à lui persuader qu'il serait peut-être avantageux,
pour remédier à sa contracture qui persistait à gauche,
qu'on lui maintînt les bras à l'aide de la camisole ; elle y
consentit. Le camisolement, toutefois, ne fut pas absolu-
ment continuel ; on le suspendait à l'heure des repas pen-
dant lesquels la malade était surveillée par la personne qui
la faisait manger.
M. Gréhant a analysé, à diverses époques du mois, les
urines et les vomissements de douze jours. Durant ce laps
de temps, la moyenne quotidienne des urines a été de 206
grammes, contenant 5 gr.09 d'urée. La moyenne quotidienne
des vomissements, c'est-à-dire 362 grammes, renfermait
2 gr. 138 d'urée. En réunissant les deux quantités d'urée,
nous avons un chiffre bien minime, 5 gr. 233. Je puis vous
présenter un échantillon d'oxalate d'urée qui a été extrait
par M. Gréhant, des vomissements rendus pendant vingt-
quatre heures. Nous utiliserons ce résultat dans un instant.
Pas plus que précédemment, nous n'avons constaté d'éva-
cuation supplémentaire par l'intestin ou la peau. La ma-
lade est d'habitude constipée, et cette fois encore nous
n'avons rien remarqué de particulier vers le tégument ex-
terne. La santé générale n'a pas éprouvé de changements
notables, et la température ne s'est jamais élevée au-dessus
de 37° et quelques dixièmes (1).
(l) Etch a offert cette année même (1875), une nouvelle période
d'ischurie hystérique. En examinant le tracé (PI. X), qui représente la
quantité d'urine rendue chaque jour et celui qui résulte des 112 analyses
chimiques faites par M. P. Regnard, ou remarque que, pendant trois mois,
la malade rendait quotidiennement de 15 à 20 grammes d'urine, contenant de
3 à 4 décigrammes d'urée. Certains jours, pourtant, au milieu de crises dou-
loureuses, la malade émettait en quelques heures jusqu'à quatre litres d'u-
rine, renfermant 27 grammes d'urée. — Pendant cette période, Etch. . . .
n'a pas présentéde vomissements par où l'urée ait pu s'évacuer, comme cela
avait eu lieu dans les périodes dont il est question dans la leçon. (Voir, à ce
propos, une communication que nous avons faite avec M. P. Regnard à la
Société de biologie, 3 juillet 1875). — Nous aurons l'occasion de dire plus
loin dans quelles circonstances cette ischurie a cessé tout àcoup. (Voirp.356).
GRAVITÉ DE L'ANURIE ORDINAIRE. 293
Ainsi, Messieurs, cette nouvelle épreuve ne fait que con-
firmer la première, et tout concourt, comme vous le voyez,
à faire reconnaître ! 'existence de ïischurie hystérique
avec parurie erratique, à titre de phénomène pathologique
avéré, en dehors de toute simulation. Si cette conclusion
est légitime, il est clair que les observations anciennes re-
prennent quelque valeur. Il est nécessaire seulement d'y
dégager le faux du vrai ; d'en éliminer, par exemple, cer-
tains symptômes extraordinaires, tels que l'écoulement de
l'urine par le nez, les yeux, etc., et les vomissements de
matière fécale. Quelques-uns de ces cas se présentent d'ail-
leurs dans tous leurs détails avec les caractères d'un fait
véridique. Dans cette catégorie, nous rangerons, par exem-
ple, le fait du docteur Girldstone (de Yarmouth) et quelques
autres encore.
VI.
Je voudrais maintenant rechercher avec vous, Messieurs,
si la contradiction que nous avons reconnue entre Yanurie
ordinaire qui s'observe chez l'homme ou Yanurie expé-
rimentalement produite chez les animaux d'une part, et
Yischurie des hystériques, de l'autre, est aussi absolue
qu'elle semble l'être au premier abord.
Dans le premier groupe de faits, la mort est à peu près
certaine dans un bref délai; dans le second, la santé gé-
nérale se maintient en quelque sorte parfaite pendant un
temps indéfini. L'opposition est on ne peut plus tranchée.
N'est-il pas possible, néanmoins, par un examen appro-
fondi de toutes les circonstances, de saisir la raison de ce
désaccord? Je ne suis pas, tant s'en faut, en mesure de ré-
soudre le problème d'une manière décisive. Aussi, dois-je
me contenter de vous présenter à cet égard une hypothèse
qui, peut-être, vous paraîtra plausible, mais que je vous
prie, en tout cas, de ne prendre que pour ce qu'elle vaut.
294 GRAVITÉ DE L'ANURIE ORDINAIRE.
Que les animaux succombent constamment à la suite de
la néphrotomie ou d'une ligature permanente des uretères,
il n'y a là rien que de fort naturel. Toutefois, on est en droit
de se demander ce qui arriverait si l'on pouvait instituer
une expérience dans laquelle, par exemple, l'obstruction
expérimentale des uretères serait intermittente. Prolonge-
rait-on l'existence si, dans de pareilles conditions, il s'éta-
blissait un balancement régulier entre la fonction rénale et
la fonction supplémentaire? Malgré tout l'intérêt qu'il y
aurait à résoudre ce problème, je l'abandonne pour revenir
à la pathologie de l'homme.
Reprenons donc l'exemple de l'obstruction calculeuse des
uretères que nous avons invoquée plus haut.
Une première remarque qui vient à l'esprit est celle-ci :
chez notre malade, l'anurie complète n'a jamais dépassé
une période de dix jours. Or, d'après les explications qui
précèdent, ce n'est pas encore là la limite extrême à la-
quelle, dans l'obstruction des uretères, les symptômes d'in-
toxication urémique se prononcent nécessairement, puisque,
dans l'observation de Paget, l'intégrité des fonctions, le
maintien de la santé générale, ont persisté jusqu'au qua-
torzième jour. Sans doute, chez Etchev.., la quantité d'urine
expulsée dans les jours intercalaires est très-minime; mais,
quelque minime qu'elle soit, elle a une véritable impor-
tance, car tous les auteurs, depuis Halford, ont reconnu
l'amendement, le soulagement considérable qui survien-
nent dans l'ischurie urétérique des calculeux lors de l'émis-
sion des plus petites quantités d'urine.
Autre particularité : le calculeux est frappé, surpris pour
ainsi dire en pleine santé, tandis que, si j'en juge d'après
notre observation, l'ischurie hystérique n'atteint son apogée
que d'une manière progressive. Peut-être y a-t-il là une
question d'accoutumance dont il est juste de tenir compte.
Loin de moi, toutefois, la pensée de croire que les hysté-
riques jouissent d'une immunité particulière, d'une espèce
de mithridatisme à l'égard de l'intoxication urémique.
BÉNIGNITÉ RELATIVE DE L'iSCHURIE HYSTÉRIQUE. 205
Cette résistance qu'elles offrent clans les conditions qui nous
occupent, tient vraisemblablement à une autre cause : il y a
plutôt là une question de doses. Je m'explique.
Le chiffre presque insignifiant d'urée évacuée dans les
vingt-quatre heures par notre malade, soit par l'urine,
soit par les vomissements, a sans doute frappé votre at-
tention. Durant une période de douze jours, avons-nous
dit, elle n'a rendu quotidiennement que 5 grammes d'u-
rée. Ce chiffre est bien inférieur, vous le voyez, à celui que
Schérer a trouvé chez un aliéné qui jeûnait depuis trois se-
maines ; 9 à 10 grammes d'urée en vingt-quatre heures,
voilà quel était ce chiffre. Nous avons vu, d'ailleurs, qu'il
n'y a pas lieu de faire intervenir dans noire cas une éva-
cuation supplémentaire par les selles ou les sueurs. Or,
dans toute intoxication, et l'urémie n'échappe vraisembla-
blement pas à cette règle, il faut tenir compte de l'élément
dose.
Eh bien, n'est-il pas vraisemblable que cette diminution
même du chiffre de l'urée, à laquelle correspondait sans
doute une diminution corrélative des matières dites extrac-
tives, doit rendre compte, chez notre malade, de l'absence
de tout symptôme d'intoxication urémiquè ?
Nous sommes ainsi amené à admettre que, chezEtchev...,
il a existé pendant tout le temps qu'a duré l'ischurie, un
ralentissement dans les phénomènes de désassimilation, se
traduisant par une diminution absolue du chiffre des ma-
tières excrémentiti elles.
Cette condition, d'ailleurs, est peut-être commune à tout
un groupe d'hystériques. Il y a longtemps qu'on a remarqué,
en effet, que certaines de ces malades résistent admirable-
ment, dans le cas de vomissements incoercibles, à une ali-
mentation très-restreinte, insuffisante, sans perdre de leur
embonpoint et sans qu'il en résulte des troubles notables de
la santé. Il serait assurément intéressant, en pareille occur-
rence, d'analyser comparativement, jour par jour, le sang
et les urines afin d'y déterminer la proportion de l'urée et
296 MÉCANISME DE L'iSGHURIE HYSTÉRIQUE.
des substances extractives. Il serait possible, qu'à l'aide de
ce moyen, on obtînt la solution du problème, que je ne puis
qu'indiquer aujourd'hui.
VII.
Quel est le mécanisme de l'ischurie hystérique ? Où siège
l'obstacle qui s'oppose à l'accomplissement de l'excrétion
urinaire? L'urèthre et la vessie n'y sont certainement pour
rien. L'obstacle est-il dans l'uretère, dans le rein lui-mê-
me? Nul indice n'autorise à songer à une phlegmasie de la
glande rénale ou des uretères ; la composition des urines,
de même que les autres symptômes, protesteraient contre
une pareille hypothèse. Il est plutôt admissible qu'il faut
invoquer une action du système nerveux. L'influence du
système nerveux sur l'excrétion urinaire n'est pas dou-
teuse : qu'il nous suffise de rappeler à titre d'exemple que,
chez les chiens, dont le ventre est ouvert, il peut se pro-
duire, par ce fait même, une suppression momentanée des
urines, ainsi que l'a vu M. Cl. Bernard; que, dans l'opéra-
tion de la fistule vésico-vaginale, il arrive également par-
fois que les urines soient supprimées pendant un certain
laps de temps, c'est un fait sur lequelJobert (de Lamballe)
appelait l'attention.
S'agirait-il, dans notre cas, d'une oblitération spasmodique
des uretères? On sait que ces conduits jouissent de proprié-
tés contractiles très-accusées ; ainsi, Mulder les a vus se
contracter énergiquement chez un individu atteint d'exstro-
phie de la vessie, et Valentin a dit avoir vu, de son côté,
survenir, sous l'influence d'une irritation des centres ner-
veux, une contraction très-prononcée de ces mêmes ca-
naux (1). L'analogie, à son tour, .paraîtrait étayer cette
présomption : chez les hystériques, il est assez fréquent de
(l) Donder's physiologie.
MÉCANISME DE L'iSCHURIE HYSTÉRIQUE. 297
voir des contractures delà langue, de l'œsophage, etc., de
longue durée. L'ischurie hystérique, d'après cela, devrait
être rapprochée de l'oblitération calculeuse des uretères.
Malheureusement des objections d'une certaine valeur sont
contraires à cette vue.
Les recherches expérimentales de M. Max Hermann dé-
montrent, vous le savez, que la proportion de l'urée dimi-
nue dans l'urine relativement au volume de celle-ci, lors-
qu'on établit dans l'uretère une contre-pression. La pression
parvient-elle à 0m,060 millimètres de mercure, on ne trouve
plus d'urée dans l'urine.
M. Roberts (de Manchester) (1) a confirmé la réalité de ce
fait chez l'homme. Dans un cas d'obstruction calculeuse de
l'uretère, il s'échappa une petite quantité d'urine claire,
contenant seulement 0 gramme, 50 centigrammes d'urée
pour 1,000 grammes. Or, chez notre hystérique, les urines
renferment 15 grammes d'urée pour 1000 grammes, chiffre
qui se rapproche, comme on voit, du chiffre normal.
D'après cela, Messieurs, ce ne serait pas dans l'uretère
que siégerait l'obstacle dans l'ischurie hystérique. Où ré-
side-t-il? Faut-il invoquer ici une influence du système
nerveux, analogue à celle que Luclwig a découverte à pro-
pos de la glande salivaire ? En l'absence de tout renseigne-
ment à cet égard, nous ne pouvons que laisser la question
en suspens (2).
(1) The Pathology of Suppression of Urine. In The Lancet 1868, may 23
et 30; — 1870, june 18 et Mouvement méd., 1871, p. 22, 23 et 128.
(2) Depuis que cette leçon a été faite par M. Charcot (juin 1872), M. Ch.
Fernet a communiqué à la Société' médicale des hôpitaux une note intitulée :
De Voliç/urie et de Vanurie hystériques et des vomissements qui les accompa-
gnent. {Union médicale, 17 avril 1873, p. 566.) Après avoir résumé les opi-
nions de M. Charcot, M. Ch. Fernet rapporte une observation intéressante
dont voici l'analyse.
Marie L. . . ,19 ans,chloro-anémique,aété réglée à 16 ans. La menstruation
a toujours été irrégulière. Une sœur de la malade est sujette à de fréquentes
attaques d'hystérie. En janvier 1871, Marie L. . . eut une frayeur qui occa-
sionna une attaque d'hystérie. En mai, faiblesse extrême, malaise, douleurs
dans les membres, (Régime fortifiant; quinquina, fer, bains de mer). —
298 NOUVEAU CAS D'iSCHURIE HYSTÉRIQUE.
A la fin du mois d'août, à la suite d'un bain de mer, Marie L. . . fut
prise, pour la première fois, de vomissements. « Elle commença par rendre
les aliments solides; puis, au bout de quelques jours, elle arriva à vomir
tout ce qu'elle prenait. .. Ces vomissements se répétèrent sans interrup-
tion jusqu'au mois d'octobre, puis se calmèrent pendant une quinzaine de
jours pour reparaître avec leur intensité première et persister sans répit. . . .
En mars 1872, L. . . entre à l'Hôtel-Dieu {service de M. Moisseuet). Trai-
tement : lotions froides ; glace et Champagne ; vésicatoire morphine à 1 epi-
gastre. Les vomissements diminuèrent peu à peu, ne reparurent plus que
par intervalles, et la malade sortit de l'hôpital le 15 avril ne vomissant plus.
— Durant les mois de mai et de juin, vomissements rares. Ils revinrent en
juillet, après des contrariétés, et s'arrêtèrent de nouveau peut-être grâce au
bromure de potassium. A la fin de juillet, une nouvelle émotion morale les
fait reparaître avec leur fréquence et leur persistance antérieuies.
Marie L. . . entre une seconde fois à l'Hôtel-Dieu, le 18 août 1872. C'est
alors que M. Ch. Fernet put l'observer. Elle présentait les symptômes sui-
vants -. faiblesse excessive, anémie très-marquée et caractérisée surtout par
la décoloration de la peau et des muqueuses; névralgie intercostale ; sensi-
bilité ovarienne développée du côté gauche, douleur à la pression; anes-
thésie en divers points de la peau ; anesthésie plantaire complète : analgésie
profonde des membres supérieurs; achromatopsie de l'œil gauche qui ne
distingue pas la couleur jaune ; vomissements. La malade assure que depuis
leur apparition, elle ne rend qu'une minime quantité d'urine, que souvent
elle reste plusieurs jours sans en rendre une seule goutte. — & Sept. Ré-
gime lacté exclusif. — Du 4 au 9 sept., il n'y eut qu'une émission d'urine
(150 gr. environ). A partir de cette époque, M. Ch. Fernet fit mesurer exac-
tement, d'une part, les quantités des aliments ingérés, d'autre part; la quan-
tité de matières vomies et d'urine rendue et, après avoir indiqué dans un ta-
bleau ces quantités jour par jour, il ajoute : « L'examen du tableau qui pré-
cède permet d'établir une relation étroite entre l'état de la fonction urinaire
et les vomissements. Dans une première période de temps comprise entre le
9 et le 16 septembre, c'est-à-dire pendant huit jours pleins, les urines sont
complètement supprimées durant les six premiers jours et leur quantité est
très- faible durant les deux derniers; or, dans ce laps de temps, la malade,
soumise au régime lacté, rejette par le vomissement la quantité de matières
liquides équivalente d'abord à la moitié ou aux trois quarts des liquides in-
gérés pendant les quatre premiers jours, puis sensiblement égale à la quan-
tité de lait qu'elle prend pmdant les quatre derniers jours.
» Dans une seconde périodecomprenant neuf jours (du18au 26 septembre),
la quantité des matières vomies semble avoir diminué; mais il n'en est rien
si on compare cette quantité à celle des aliments ingérés : en fait, le ré-
gime ayant été modifié et se composant maintenant de bouillon froid, de
viande crue et de limonade, les vomissements représentent encore la pres-
que totalité des aliments ingérés; or, pendant ce temps, il y a un peu d'urine
dans les deux premiers jours (15 gr et 250 gr.), mais leur émission est de
nouveau suspendue dans les sept jours qui suivent.
» Enfin, dans une troisième période qui dure 4 jours (du 27 au 30 sept.),
nous voyons la fonction urinaire se rétablir et le chiffre de l'urine atteindre
le taux normal (1,000 gr., 500 gr., 1,100 gr., les deux derniers jours), en même
NOUVEAU CAS D ISCHURIE HYSTÉRIQUE. 299
temps, les vomissements diminuent le second jour et cessent le 3° et le 4°. »
» Voulant s'assurer, comme l'a indiqué M. Charcot, si les vomissements ne
pourraient pas être imputés à l'élimination supplémentaire de l'urée par l'es-
tomac, M. Cb. Fernet a fait analyser par M. E. Hardy l'urine et les ma-
tières vomies. Du tableau récapitulatif de ces analyses, il ressort que l'urée
s'est toujoursprésentée en quantité notable deO gr. 55 àl gr. 87, dans cesma-
tières vomies ; en outre, que, quand la sécrétion urinaire a été supprimée, la
quantité d'urée contenue dans les matières vomies a été graduellement crois-
sante durant ce laps de temps (du 19 sept, au 27, le chifFre s'est élevé de
0 gr. 62 à 1 gr. 08); enûn, que du jour où l'urine rendue par la vessie a at-
teint un cbilfre qu'on peut considérer comme normal, l'urée a diminué dans
la sécrétion gastrique pour disparaître sans doute en même temps que les vo-
missements. >
Une action morale, — la prescription de pilules dites fulminantes {mica
partis) a occasionné un changement brusque dans l'état de Marie L . . . à
partir du 27 septembre. Les vomissements se sont arrêtés, la sécrétion uri-
naire a repris son cours. Enfin, la malade est sortie en assez bon état de
l'hôpital dans le courant de novembre. Vf. Ch. Fernet a fait ressortir, en
terminant sa note, les nombreux points de contact qui existent entre la ma-
lade de M. Charcot et la sienne.
— Nous citerons encore une thèse de M. Secouet : Des vomissements uré-
iniqucs chez les femmes hystériques (Paris, avril 1873). On y trouvera une
observation qui, toute insuffisante qu'elle soit, à certains égards, parait de-
voir être rattachée à l'ischurie hystérique.
— L'observation de la malade qui fait l'objet de la précé .lente leçon
a été publiée in-extenso dans nos Recherches cliniques et thérapeutiques sur
l'cpilepsie et l'hystérie, p. 151 (B.).
DIXIEME LEÇON
De lhémianesthésie hystérique.
Sommaire. — Hémianesthésie et hyperesthésie ovarienne dans l'hystérie.
— Association fréquente de ces deux symptômes. — Fréquence de l'hé-
mianesthésie des hystériques ; — Ses variétés : elle est complète ou
incomplète. — Caractères de l'hémianesthésie hystérique. — L'ischémie
et lesconvulsionnaires. — Lésion des sens spéciaux. — Achromatopsie.
— Relation entre l'hémianesthésie, l'hyperesthésie ovarienne, la parésie
et la contracture. — Variabilité des symptômes dans l'hystérie. — Va-
leur diagnostique de l'hémianesthésie hystérique. — Restriction qu'il con-
vient d'y apporter.
Hémianesthésie dépendant de certaines lésions encéphaliques. — Ana-
logies qu'elle présente avec l'hémianesthésie des hystériques. — Cas dans
lesquels l'hémianesthésie de cause encéphalique ressemble à l'hémianes-
thésie des hystériques. — Siège des lésions encéphaliques capables de
produire l'hémianesthésie. — Fonctions de la couche optique : théorie
anglaise et théorie française. — Critique. — Nomenclature allemande
des diverses parties de l'encéphale. — Ses avantages au point de vue de
la circonscription des lésions. — Casd'hémianesthésie observés par Turck :
siège spécial des lésions encéphaliques dans ces cas. — Observation de
M. Magnan. — Altération des sens spéciaux.
Messieurs,
Il est deux points de l'histoire de l'hystérie, sur lesquels
je veux insister particulièrement dans cette leçon et dans
la suivante. Ce sont, d'une part, l'hémianesthésie hysté-
rique, et d'autre part Y hyperesthésie ovarienne. Si je
rapproche ces deux phénomènes l'un de l'autre, c'est que,
en général, on les trouve tous les deux associés chez les
mêmes malades. A propos de l'hyperesthésie ovarienne,
j'espère vous rendre évidente l'influence déjà signalée au-
trefois et, plus tard, mise en doute, de la pression de la
région ovarienne sur la production des phénomènes de
l'accès hystérique ; je vous ferai voir que cette manœuvre
HYSTÉRIE OVARIENNE. 301
détermine, soit seulement les prodromes de l'attaque hysté-
rique, soit l'attaque complète dans un certain nombre de
cas. Il en ressortira pour vous l'exactitude de l'assertion
émise naguère par le professeur Schutzenberger, à propos
de ce phénomène, malgré les dénégations opposées par
quelques observateurs.
Je vous indiquerai aussi un procédé que j'ai trouvé, ou
plutôt retrouvé, et qui permet d'arrêter, chez quelques
malades, les accès hystériques même les plus intenses. Il
s'agit de la compression méthodique de la région ova-
rienne. M. Briquet nie la réalité des effets de cette com-
pression. Je ne puis être de son avis, et ceci me conduit à
vous présenter une remarque générale concernant le livre
de M. Briquet (1). Ce livre est excellent; c'est le fruit d'une
observation minutieuse, d'un labeur patient, mais il a peut-
être un côté faible : tout ce qui touche à l'ovaire et à l'u-
térus y est traité avec une disposition d'esprit singulière
de la part d'un médecin. C'est une sorte de pruderie, un
sentimentalisme inexplicable. Il semble qu'à l'égard de ces
questions, l'auteur soit toujours dominé par une seule
préoccupation. « En voulant tout rapporter à l'ovaire et à
l'utérus, dit-il, par exemple, quelque part, on fait de l'hys-
térie une maladie de lubricité, une affection honteuse, pro-
pre à rendre les hystériques des objets de dégoût et de
pitié.» En vérité, Messieurs, ce n'est pas là la question. Pour
mon compte, je suis loin de croire que la lubricité soit
toujours enjeu dans l'hystérie; je suis même convaincu
du contraire. Je ne suis pas non plus partisan exclusif de
la doctrine ancienne, qui place le point de départ de la ma-
ladie hystérique tout entière dans les organes génitaux ;
mais avec Schutzenberger, je crois quïl est péremptoire-
ment démontré que, dans une forme spéciale de l'hystérie
— que j'appellerai, si vous voulez, ovarienne ou ovarique
(l) Briquet (P.). — Traité clinique et thérapeutique de l'hystérie. Paris,
1859.
302 HÉMIANESTHÉSIE DES HYSTÉRIQUES.
— l!Qvairejoue un rôle important. Cinq malades, que je
ferai passer tout à l'heure devant vous, sont, si je ne me
trompe, des exemples évidents de cette forme de l'hysté-
rie ; vous pourrez, en les examinant, vous assurer de la vé-
racité de la description que je vais entreprendre.
I.
Vous connaissez tous Yhémianesthèsie des hystériques.
Il y aurait quelque ingratitude à ne pas savoir en quoi con-
siste ce symptôme, car il a été révélé par des études toutes
françaises. Piorry, Macario, Gendrin, l'ont décrit tour à
tour et ont insisté sur ses caractères. Ce n'est que long-
temps après eux que Szokalsky l'a fait connaître en Alle-
magne, et il n'a eu qu'à confirmer, par des observations,
d'ailleurs très-recommandables, les faits énoncés par nos
compatriotes,
Afin de me restreindre, j'envisagerai seulement, — et
cela suffira pour le but que je me propose, — Yliémianes-
thèsie complète, telle qu'elle se présente dans les cas in-
tenses. A ce degré même, c'est encore un symptôme fré-
quent puisque, suivant M. Briquet, il se rencontre 93 fois
sur 400. Relativement au siège qu'il occupe, on trouve, tou-
jours d'après cet auteur, 70 cas pour le côté gauche et 20
pour le droit.
Vous savez de quoi il s'agit en pareille circonstance.
Les deux moitiés du corps étant supposées séparées par
un plan antéro-postérieur, tout un côté, — face, cou,
tronc, etc. — a perdu la sensibilité et, si très-souvent
cette perte de la sensibilité porte seulement sur les parties
superficielles (tégument externe), elle envahit quelquefois
aussi les régions profondes (muscles, os, articulations.)
Uhémianesthésie hystérique se montre, vous le savez,
sous deux aspects principaux : elle est complète ou incom-
plèle. \1 analgésie, avec ou sans insensibilité à la chaleur
HÉMIANESTHÉSIE HYSTÉRIQUE ! ISCHURIE. 303
et au froid ou thermo-anesihésie, est, dans l'espèce, une
des variétés les plus communes. La netteté avec laquelle
les parties anesthésiées sont séparées des parties saines
est encore un caractère importaut de l'hémianesthésie
hystérique. Sur la tête, la face, le cou, sur le tronc, la
délimitation est souvent parfaite et correspond, je le ré-
pète, à peu de chose près, à la ligne médiane. Un autre
trait qui mérite bien d'être mentionné, c'est la pâleur et le
refroidissement relatifs du côté anesthésié. Ces phénomènes,
liés à une ischémie plus ou moins permanente, ont été
observés maintes fois. Brown-Séquard et Liégeois (1) en ont
cité des exemples. Cette ischémie peut être caractérisée dans
les cas intenses par la difficulté qu'il y a à tirer du sang
des parties anesthésiées à l'aide d'une piqûre d'épingle.
J'ai noté cette particularité dans le temps. Yoici dans
quelles circonstances : des sangsues ayant été appliquées
sur une malade atteinte d'hémianesthésie hystérique, je
remarquai que les piqûres fournissaient très-diHicilement
du sang du côté anesthésié, tandis qu'elles en donnaient
comme d'habitude du côté sain. Grisolle qui était, vous le
savez, un observateur très-sage et très-sévère, avait cons-
taté la même chose. Cette ischémie, qui, d'ailleurs, poussée
à ce degré est assez rare, peut expliquer certains faits ré-
putés miraculeux. Dans l'épidémie de Saint-Médard, par
exemple, les coups cïépée que l'on portait aux convulsion-
naires ne produisaient pas, dit-on, d'hémorrhagie. La réalité
du fait ne peut être repoussée sans examen ; s'il est exact
que beaucoup de ces convulsionnaires se soient rendues
coupables de jonglerie, on est obligé de reconnaître cepen-
dant, après une étude attentive de la question, que la plupart
des phénomènes qu'elles ont présentés et dont l'histoire
nous a transmis la description naïve (2), étaient, non pas
(1) Liégeois. — Mémoires de la Société' de Biologie, 3° série, t, I, p. 274.
(2) Carré de Montgeron. — La Vérité des miracles opérés à V intercession
de M. de Paris et autres Appelants, etc., 1737.
304 HÉMIANESTHÉSIE ET HYPERESTHÉSIE OVARIENNE.
simulés de toutes pièces, mais seulement amplifiés, exa-
gérés. Il s'agissait là, presque toujours, la critique l'a dé-
montré, de l'hystérie poussée au plus haut point ; et pour
que, sur ces femmes frappées d'anesthésie, une blessure par
instrument piquant, tel qu'une épée, ne fût pas survie
d'écoulement de sang, il suffisait, vous le comprenez d'après
ce qui précède, que l'instrument ne fût pas poussé trop
profondément.
Il est encore d'autres caractères de l'hémianesthésie hys-
térique qui méritent tout notre intérêt, tant au point de vue
clinique qu'au point de vue de la théorie. Les membranes
muqueuses sont atteintes d'un côté du corps comme le té-
gument externe. Les organes des sens eux-mêmes sont af-
fectés à un certain degré du côté anesthésié. Le goût peut
avoir disparu sur la moitié correspondante de la langue,
depuis la pointe jusqu'à la hase. L'odorat est émoussé. La
vue est affaiblie d'une manière très-notable et si l'amblyo-
pie occupe le côté gauche, il peut se présenter un phéno-
mène très-remarquable, sur lequel M. Galezowski a appelé
l'attention et qu'il a désigné sous le nom d'achromatopsie.
Nous reviendrons ailleurs sur ce point.
L'hémianesthésie hystérique ne semble pas toucher les
viscères. Ainsi, pour ne parler que de l'ovaire, au lieu d'une
anesthésié, c'est une hyperesthésie que l'on constate. Cet
organe peut être très-douloureux à la pression, alors que
la paroi abdominale correspondante est absolument insen-
sible. Or, il existe, Messieurs, entre le siège de l'hémianes-
thésie et celui de l'hyperesthésie ovarienne, une relation
très-remarquable. Si celle-ci occupe le côté gauche, l'hé-
mianesthésie siège à gauche et inversement. Quand l'hyper-
esthésie ovarienne est double, il est de règle que l'anes-
thésie se montre généralisée et occupe par conséquent la
presque totalité ou la totalité du corps.
Ce n'est pas seulement entre le siège de l'hémianesthésie
HÉMIANESTHÉSIE HYSTÉRIQUE. 305
et celui de l'hyperesthésie ovarienne qu'une semblable re-
lation existe ; elle est aussi très-évidente en ce qui con-
cerne la parésie ou la contracture des membres. Ainsi,
lorsque la parésie ou la contracture doivent survenir, c'est
toujours du côté de riiémianesthésie qu'elle se manifeste.
L'hémianesthésie, telle qu'elle vient d'être décrite, est,
dans la clinique de l'hystérie, un symptôme d'autant plus
important qu'il est à peu près permanent. Les seules varia-
tions qu'il présente sont relatives au degré, à l'intensité des
phénomènes qui le composent et quelquefois aussi, nous
devons le dire, à la fluctuation de quelques-uns d'entre eux.
L'achromatopsie est de ce nombre : constatée très-net-
tement, il y a quelques semaines, et à différentes reprises,
chez une de nos malades, ella a disparu aujourd'hui.
11 importe de ne pas oublier, à ce propos, que l'hémia-
nestliésie est un symptôme qu'il faut chercher, ainsi que
M. Lasègue l'a fait remarquer très-judicieusement (1). Il
est, en effet, beaucoup de malades qui se montrent toutes
surprises quand on leur en révèle l'existence.
IL
Je veux rechercher maintenant jusqu'à quel point riié-
mianesthésie, telle qu'elle vient d'être décrite, est un symp-
tôme propre à l'hystérie. En réalité, il est très-rare qu'elle
puisse être reproduite avec l'ensemble de tous ses caractères
par une autre maladie. Son existence bien constatée est
donc un indice précieux et qui fera reconnaitre maintes
ibis la nature de bon nombre de symptômes qui, sans cela,
seraient restés douteux. C'est là un point sur lequel M. Bri-
quet a eu raison d'insister avec force : pour montrer l'in-
térêt de cette notion, il a rappelé le cas où une femme, à
la suite d'une émotion morale vive, serait tombée rapide-
l) Archives générales de médecine. Ib64, t. I, p. 385.
Charcot, t. i, ôe éd. 20
306 HÉMIANESTHÉSIE DE CAUSE ENCÉPHALIQUE.
ment dans un coma plus ou moins profond, précédé ou non
de convulsions (forme comateuse de l'hystérie) et chez
laquelle on aurait observé, au réveil, une hémiplégie du
mouvement plus ou moins complète. C'est là un ensemble
de circonstances qu'il n'est pas très-rare de rencontrer dans
la pratique. Or, en pareille occurrence, il peut arriver que
la situation soit très-embarrassante pour le médecin. Eh
bien ! la présence de l'hémianesthésie, revêtue de tous ses
caractères qui, alors, ne ferait vraisemblablement pas dé-
faut, pourrait, dit M. Briquet, mettre sur la voie. Cette as-
sertion est parfaitement exacte, je n'ai rien à y reprendre,
si ce n'est cependant sur un point
S'il est vrai que l'hémianesthésie soit un symptôme pres-
que spécifique, en ce sens qu'on ne le retrouve pas avec
les mêmes caractères dans l'immense majorité des cas de
lésions matérielles de l'encéphale (hémorrhagïe, ramollis-
sement, tumeurs), on ne saurait admettre que ce caractère
est absolu. Il est inexact, surtout, de dire que l'hémianes-
thésie développée sous V influence des lésions encéphaliques
diffère toujours de l'hémianesthésie hystérique en ce que
dans celle-là la peau de la face ne participe pas à Vinsen-
sibilité, ou que, quand elle existe, elle ne siège jamais du
même côté que celle des membres. C'est là une inexactitude
qu'on voit reproduite, à peu près avec les mêmes termes,
dans la" thèse d'ailleurs très-intéressante de M. Lebreton(l).
J'éprouve quelque répugnance à m'attaquer encore à
l'œuvre si remarquable de M. Briquet, mais plus cette œuvre
est estimable, et justement estimée, plus les inexactitudes
qui ont pu s'y glisser acquièrent de gravité. Cette considé-
ration justifiera, je l'espère, ma critique.
Messieurs, dans des cas à la vérité exceptionnels, mais
parfaitement authentiques, certaines lésions cérébrales en
foyer peuvent reproduire l'hémianesthésie avec tous les
(l) Lebreton. — Des différentes variétés de la paralysie hystérique. Thèse
de Paris, 1868.
LÉSIONS DES CORPS OPTO-STRIÉS. 307
caractères qu'on lui connaît dans l'hystérie, ou peu s'en
faut. Permettez-moi d'entrer à ce sujet dans quelques dé-
veloppements.
La doctrine classique, du moins parmi nous, doctrine
qui invoque d'ailleurs à la ibis les données de l'observation
cliniques et celles fournies par l'expérimentation chez les
animaux, veut que les lésions cérébrales en foyer qui affec-
tent si profondément la inutilité — en particulier quand
elles occupent la région de la couche optique et du corps
strié — restent à pou prés sans eiiét sur la sensibilité. A
ce point de vue, Messieurs, le résultat est, dit-on, tou-
jours le même, qu'il s'agisse de lésions intéressant spécia-
lement le corps strié, la couche optique, ou encore l'avant-
mur.
Tout d'abord, lorsqu'il s'agit de lésions à développement
brusque, déterminant une attaque apoplectique et portant
sur l'un quelconque des points qui viennent d'être énu-
mérés, le symptôme qui frappe, c'est une hémiplégie, plus
accusée au membre supérieur qu'à l'inférieur et s'accom-
pagnant de flaccidité. A la face, la paralysie affecte d'or-
dinaire le buccinateur et l'orbiculaire des lèvres ; le plus
souvent aussi la langue est tirée du côté paralysé. A la
paralysie du mouvement se surajoute une paralysie des
nerfs vaso-moteurs qui se traduit par une élévation de la
température du membre paralysé. Quelquefois cette para-
lysie vaso-motrice apparaît dès l'origine.
Quant à la sensibilité, elle n'est pas modifiée d'une ma-
nière appréciable ou, au moins, d'une manière durable. Les
sens spéciaux n'offrent aucun changement sérieux, à moins
de complication, par exemple X embolie de V artère cen-
trale de la rétine, s'il s'agit d'un ramollissement consé-
cutif à la migration d'une végétation valvulaire, ou encore
la compression, par voisinage, d'une des bandelettes opti-
ques, dans le cas d'un foyer hémorrhagique quelque peu
volumineux. Tel est, en résumé, l'ensemble symptomatique
308 HEMIANESTHESIE DE CAUSE ENCEPHALIQUE.
que l'on rencontre dans l'immense majorité des faits
d'hémorrhagie on de ramollissement affectant les points de
l'encéphale que nous avons indiqués.
Incontestablement, Messieurs, c'est bien ainsi que se
passent les choses dans la grande majorité des cas. Mais, à
côté de la règle, il y a le chapitre des exceptions. Il est des
cas, et pour mon compte j'en ai observé plusieurs de ce
genre, dans lesquels la sensibilité est affectée d'une façon
prédominante et dans lesquels l'anesthésie persiste, même
après la restauration du mouvement.
Ces altérations de la sensibilité peuvent se présenter avec
les caractères suivants : L'anesthésie affecte toute une
moitié du corps et s'arrête juste à la ligne médiane. La moi-
tié correspondante de la face, la peau aussi bien que les
membranes muqueuses (1), se montrent insensibles, abso-
lument comme dans l'hémianesthésie hystérique. Il est pos-
sible d'observer alors Y analgésie et la ïhermo-anesthêsie ,
avec conservation de la sensibilité tactile, ainsi que l'ont
constaté MM. Landois et Mosler (2). Enfin, il est encore des
cas, plus rares à la vérité et jusqu'ici imparfaitement ob-
servés, mais qui, malgré tout, ont bien leur valeur, cas
qui rendent probables les altérations, en pareille circons-
tance, des sens spéciaux du côté opposé à la lésion encé-
phalique, c'est-à-dire du même côté que l'hémianesthésie.
Les médecins du siècle dernier avaient déjà remarqué ces
faits exceptionnels. Borsieri, entre autres, raconte l'his-
toire d'un malade qui, trois mois auparavant, avait été
frappé d'apoplexie et chez lequel l'anesthésie existait en-
core quoique la motilité fût revenue. Il cite quelques au-
tres observations du même genre, empruntées à divers
auteurs (3).
Des faits analogues ont été rapportés par Abercrombie,
(1) Hirsch. — Klinische fragments, I, Abth., p. 207, Kœni^
(2) Landois et Mosler. — Berliner Min. Wochens., 1808, p. 401,
(3) Borsieri. — List, pract., vol. III, p. 76.
THEORIE ANGLAISE. 309
Amiral, plus récemment par Kirsch. Leubuscher, Broad-
bent, IL Jackson (1) et surtout par L. Tùrck. Seul, ce der-
nier a su donner, relativement au siège que les lésions
encéphaliques occupent dans ces cas-là, des notions déci-
sives.
Presque toujours, lorsque rhémianesthésie se présente
avec ces caractères, la couche optique est lésée d'une ma-
nière sinon exclusive du moins prédominante (Broadhent,
H. Jackson). En ce qui me concerne, j'ai vu rhémianes-
thésie se surajouter à l'hémiplégie chez plusieurs sujets
atteints dTiémorrhagie cérébrale et toujours alors j'ai ren-
contré à l'autopsie la lésion do la couche optique dont, pon-
dant la vie, j'avais cru pouvoir annoncer l'existence.
Faut-il. Messieurs, induire de ce qui précède que la lé-
sion de la couche optique est la véritable cause organique
de l'hémianesthésie observée dans tous ces cas? C'est là
une question qui mérite de nous arrêter.
Je suis ainsi amené à vous parler de la théorie physio-
logique qu'on pourrait appeler théorie anglaise, puisque
ce sont deux auteurs anglais. Todd et Carpenter, qui l'ont,
les premiers, je crois, émise et soutenue. D'après cette
théorie, la couche optique serait le centre de perception
des impressions tactiles : elle répondrait, en quelque sorte,
aux cornes postérieures de la substance grise de la moelle.
Le corps strié, lui. serait l'aboutissant du tractus moteur
et en rapport avec l'exécution des mouvements volon-
taires : il serait l'analogue des cornes antérieures de la
moelle.
Cette théorie, dont Schœder Van der Kolk (-2) s'est mon-
tré partisan déclaré, est. si l'on peut ainsi dire, l'antipode
(\) H. Jackson. — Note on tke Fendions ofthe optic Taiamut. In Zondon
Hospital Reports, 1806, t. III. p. 373.
. Schœder vau der Kolk. — Palhol. und Thérapie der G-eistoihrankheiten.
Braunschweig, 1863, p. 20.
'310 THÉORIE ANGLAISE
de la doctrine française que tous trouverez exposée d'une
manière très-complète dans les Leçons de M. Vulpian.
D'après celle-ci, le centre où les impressions sensitives se
transforment en sensations ne serait pas clans le cerveau
proprement dit, puisqu'un animal auquel le cerveau, y com-
pris la couche optique et le corps strié, a été enlevé, conti-
nue à voir, à entendre, à ressentir la douleur, etc. Ce se-
rait donc plus bas, dans la protubérance et peut-être aussi
dans les pédoncules cérébraux, que résiderait le centre des
impressions sensitives.
Suivant cette hypothèse, on apprécie comme il suit, dans
le domaine pathologique, les faits bien avérés où une lé-
sion de la couche optique coïncide avec la diminution ou
l'abolition de la sensibilité sur le côté du corps, frappé
d'hémiplégie. Souvent il s'agit là, dit-on, et cet argument
est parfaitement fondé, de lésions récentes telles que Yhé-
morrhagie intra-encéphaliqne ou le ramollissement, ou
bien encore des tumeurs, lésions par suite desquelles la
couche optique se trouve distendue à l'extrême et qui
peuvent, en conséquence, avoir pour effet de déterminer la
compression des parties' voisines, des pédoncules cérébraux,
par exemple. Il est bien établi, d'un autre côté, que, dans
nombre de cas, la couche optique peut être lésée, même
profondément et dans une grande partie de son étendue,
sans qu'il s'en suive aucun trouble spécial, dans la trans-
mission des impressions sensitives.
Au dernier argument, les auteurs anglais, M. Broaclbent,
entre autres (1), opposent que la couche optique, centre
présumé des impressions sensitives, doit sans doute être
assimilée à l'axe gris de la moelle épinière; celui-ci,
comme on le sait, continue à transmettre ces impressions,
alors même qu'il a subi les désordres les plus graves, pour
peu qu'un petit lambeau de substance grise subsiste, ca-
(t) Broadbent. — Médical Society. London, 1865, et Med. chirurg. Re-
victv.
CONDITIONS QUE DOIVENT REMPLIR LES OBSERVATIONS. 311
pable de rattacher le bout inférieur au bout supérieur.
J'avoue que la comparaison me parait forcée, du moment
surtout où l'on pose en principe que la couche optique
doit être considérée comme un centre ; car, en ce qui
concerne la transmission des impressions sensitives,
Taxe gris de la moelle n'est évidemment qu'un conduc-
teur.
Quoiqu'il en soit, voilà. Messieurs, où en sont les choses.
A mon sens, la question en litige ne pourra être résolue
d'une manière définitive qu'à l'aide de bonnes observations
cliniques auxquelles viendra s'adjoindre le contrôle d'études
anatomiques très-soignées, dirigées principalement dans le
but d'établir, avec une grande précision, le siège des lésions
encéphaliques auxquelles pourraient être rattachées les
symptômes constatés pendant la vie. De plus, les circons-
tances de l'observation devront se montrer telles que l'in-
fluence de la compression ou de tout autre phénomène de
voisinage puisse être complètement écartée. Or. Messieurs,
dans l'état actuel de la science, les faits réunissant toutes
ces conditions-là sont, autant que je sache du moins, ex
sivement rares. On peut citer toutefois, comme se rappro-
chant de cet idéal, les cas qui ont été présentés par L. Tùrck,
à l'Académie des sciences de Vienne (1) et auxquels j'ai
déjà lait allusion. Ils sont au nombre de quatre.
Dans les faits relatés par L. Tùrck, il s'agit. Messieurs,
soit d'anciens foyers hémorrhagiques représentés par
des cicatrices ochreuses, soit de foyers de ramolli
ment parvenus à l'état d'infiltration celluleuse. Dans tous
les cas. l'hémiplégie, liée à la présence des foyers, avait
disparu depuis longtemps lors de l'autopsie ; mais l'hémia-
nesthésie avait persisté jusqu'à la terminaison] fatale. Les
(l) Sitznnçsier. der hais. Akademie dcr]Wisseuschafte<i eu Wien. Ï839.
Voyez l'analyse de ces faits à la page 315 et aux pages suivantes.
312 TOPOGRAPHIE DES LÉSIONS ENCÉPHALIQUES.
parties de l'encéphale intéressées par l'altération sont indi-
quées avec soin.
La nomenclature germanique des diverses parties de l'en-
céphale, toute rebutante qu'elle nous paraisse, en raison de
la multiplicité et de la singularité des termes, présente
cependant, à mon sens, un avantage incontestable : c'est,
passez-moi la comparaison, une géographie très-complète,
où le plus petit hameau se trouve désigné par un nom. La
nomenclature française a le mérite, sans doute, de tendre
à la simplification ; mais c'est parfois au détriment de
l'exactitude absolue : elle est souvent incomplète. Or, pour
les questions du genre de celle qui nous occupe, il n'est
pas de détail si minutieux qu'il soit, qui doive être négligé.
A tout prix, il faut tenir compte des moindres détails, car
nous ignorons totalement, dans l'état où en est encore,
à l'heure qu'il est, la physiologie du cerveau, si tel petit
point, qui n'a pas de nom dans la nomenclature française,
n'est pas une position de première importance.
Faisant appel à la nomenclature en usage de l'autre côté
du Rhin, cherchons à nous orienter, afin de bien recon-
naître le siège des parties lésées dans les observations de
L. Tùrck.
Je mets sous vos yeux une coupe frontale faite au tra-
vers des hémisphères cérébraux, immédiatement en arrière
des éminences mamillaires (Fig. 18). Vous reconnaissez
sur cette coupe, immédiatement en dehors des ventricules
moyens le noyau caudé (noyau intra-ventriculaire du corps
strié), qui, dans cette région, n'est plus représenté que par
une toute petite masse de substance grise ; — au-dessous
de lui, et en dedans, la couche optique, offrant ici un grand
développement ; — en dehors de la couche optique, la
capsule interne, formée principalement par des tractus de
substance blanche qui ne sont autres que le prolongement
de l'étage inférieur du pédoncule cérébral, et qui vont
s'épanouir dans le centre ovale pour concourir à la compo-
TOPOGRAPHIE DES LESIONS ENCEPHALIQUES.
313
sition de la couronne rayonnante ; — plus en dehors, le
noyau extra-ventriculaire du corps strié où Ton distingue
trois noyaux secondaires désignés par les numéros 1, 2, 3 :
le troisième, le plus externe, est désigné parfois sous le
Fia. 18. — Coupe transversale du cerveau. — n, couche optique; — b, corps strié,
noyau lenticulaire ; — c, corps strié, noyau caudé; — f, indication de la couronne
rayonnante de Reil ; — 2, 2', -2", foyers apoplectiques (obs. Il du mémoire de
M. Tiirck. p. 316 : — 3, indication d'un foyer apoplectique. (Obs. III du mémoire
de M. Tùrck. — Voir la note p. 317).
nom de Put amen. — Plus en dehors, encore, se trouve une
mince lamelle de substance blanche, la capsule externe,
et, enfin, une bandelette de substance grise, X avant- mur
(Vormauer).
Or, Messieurs, dans les cas de M. Tùrck. les lésions
avaient envahi à la ibis la partie supérieure et externe de
la couche optique, le troisième noyau de la partie extra-
ventriculaire du corps strié, la partie supérieure de la
capsule interne, la région correspondante de la couronne
rayonnante et la substance blanche avoisinante du lobe
postérieur.
. <M4 OBSERVATIONS DU Dr TURCK.
Il s'agit là par conséquent de lésions complexes ; mais
elles permettent tout au moins de circonscrire la région
dans laquelle devront être dirigées les recherches. Des
études ultérieures et suffisamment multipliées nous feront
bientôt connaître l'altération fondamentale, celle à laquelle
devra être rattachée l'existence de l'hémianesthésie.
Quelques autres faits d'hémianesthésie de cause céré-
brale, publiés postérieurement à ceux de Tùrck, signalent
des altérations portant sur la même circonscription de l'en-
céphale et n'ajoutent d'ailleurs rien d'important aux ré-
sultats obtenus par cet observateur. Tel est entre autres le
cas de M. Hughlings Jackson (1); ici encore l'altération
n'était pas limitée au thalamus; elle s'étendait au noyau
extra-ventriculaire du corps strié : il s'en suit donc que la
capsule interne avait dû être lésée dans sa partie posté-
rieure. Il en a été de même dans le fait observé par
M. Luys (2) : le centre médian de la couche optique était
lésé, mais l'altération avait envahi le corps strié (vraisem-
blablement le noyau extra-ventriculaire).
En résumé, on peut conclure, je crois, de ce qui précède
que, dans les hémisphères cérébraux, il existe une région
complexe dont la lésion détermine l'hémianesthésie; on
connaît approximativement les limites de cette région;
mais actuellement, la localisation ne saurait être poussée
plus loin, et personne n'est en droit de dire si c'est, dans la
région indiquée, la couche optique qui doit être incriminée
plutôt que la capsule interne, le centre ovale, ou encore le
troisième noyau du corps strié.
(1) The disease was not strictly limited to the thtlamus . . . Outwards
the disease extended through the small tongue of corpus striatum, which
curves round the outside of the thalamus, and thence up to the grey matter
of the convolutions of the Sylvian fissure. [London Eospiial Reports, loc.
cit., t. III, p. 370.)
(2) Luys. — Iconographie photographique des centres nerveux, p. 16.
DESIDERATA. 315
Quant à présent l'anesthésie de la Sensibilité générale
parait seule avoir été signalée, en conséquence d'une alté-
ration des hémisphères cérébraux ; de telle sorte que
Ydbnubilation des sens spéciaux resterait comme carac-
tère distinctif de l'hémianesthésie des hystériques. Mais il
est permis de douter que les organes des sens aient été atten-
tivement explorés dans les faits d'hémianesthésiè par lésion
cérébrale publiés jusqu'à ce jour; les observations ne con-
tiennent aucune mention à cet égard (1). Je suis porté
(l) Nous ne connaissions, à l'époque où cette leçon a été faite, les obser-
vations de L. Ti'irck, que par la mention très-brève qui en a été donnée dans
le Traite des maladies du système nerveux de M. Rosenthai. Depuis lors,
nous avons pu nous procurer, grâce à l'obligeance de M. Magnan, la tra-
duction complète du mémoire de Tùrck (TJeber die Beziechung gevisscs Kran-
heitsherde des grossen Grehimes :ur Anesthesie. Ans dem xxxvi Band S. 191
des Jahrganges 1859 des Sitzungsberichte der mathem. naturw. Classe der
Kais. Akademie der Wissenschaften). Nous croyons utile de donner la
substance de ce travail. Après avoir rappelé que d'ordinaire, dans l'hémi-
plégie déterminée par la formation des foyers apoplectiques dans le cerveau
(hémorrhagie et ramollissement), la sensibilité reparaît, en règle générale,
très-promptement, l'auteur rapporte quatre cas dans lesquels l'anesthésie a
persisté au contraire à un degré très-accusé.
Cas I. — Fr. Amerso, 78 ans. En août 1858, hémiplégie gauche. Bientôt
la motilité reparaît. — \2nov. Les mouvements du membre supérieur gauche
sont énergiques et rapides; ceux du membre inférieur correspondant présen-
tent une légère parésie. Il existe une anesthesie très-intense du côté gauche
(membres, tronc, etc.). A la face, la sensibilité est, de ce côté seulement,
diminuée. De temps en temps, fourmillements dans tout le côté gauche.
Mort le 1er mars 1859.
Autopsie. Au pied de la couronne radiée de l'hémisphère droit, immédia-
tement en dehors de la queue du corps strié, on trouve une lacune de la di-
mension d'un pois {infiltration cellulaire'' . La paroi antérieure de cette lacune
siège à deux lignes en arrière de l'extrémité antérieure de la couche optique.
A deux ou trois lignes plus loin, oh voit une autre lacune, moins grande,
qui s'étend jusqu'à quatre ou cinq lignes en arrière de l'extrémité postérieure
de la couche optique, de telle sorte que, comme la longueur habituelle de la
couche optique est de 18 lignes, la portion de la couronne radiée qui avoisine
immédiatement la queue du corps strié était perforée d'avant en arrière par
l'ancien foyer de ramollissement dans une étendue de onze lignes. Un foyer
semblable intéresse la partie externe de la troisième partie du noyau lenti-
culaire. Il commence à peu près à deux lignes en arrière du bord antérieur
de la couche optique et finit à quatre lignes environ de l'extrémité postérieure
de la couche optique. Dans son long trajet de un pouce, il occupait la plus
016 DESIDERATA.
à croire, pour mon compte, que la participation des sens
spéciaux sera, en pareil cas, reconnue quelque jour, lors-
qu'on aura pris soin de la chercher. Voici sur quoi je me
fonde.
Il existe dans la clinique des maladies organiques des
centres nerveux un appareil symptomatique peu connu,
peu remarqué encore, je le crois du moins, et dont j'aurai
l'occasion de vous entretenir quelque jour en détail. 11
s'agit là d'une sorte de convulsion rhythmique qui occupe
tout un côté du corps, la face y compris, du moins fort
souvent, et qui revêt tantôt les apparences de la secousse
clonique de la chorée, tantôt celles du tremblement de la
grande longueur du côté interne de la troisième partie du noyau lenticulaire
et une partie de la capsule interne. Dans la moitié postérieure de leur par-
cours, ces deux foyers n'étaient plus éloignés, en un point, que d'une ligne.
Il en résultait que, à cet endroit, presque toute la couronne radiée était sé-
parée de la capsule interne et de la couche optique. — Moelle e'pinière .-amas
de corps granuleux, assez abondants dans le cordon latéral gauche, rares
dans le cordon antérieur.
Cas II. — S.Jean, 55 ans. Attaque suivie d'hémiplégie, le 25 octobre 1851.
Deux mois plus tard, la paralysie des extrémités disparut, de telle sorte que
le malade avait la possibilité d'étendre le bras, de serrer avec assez de vi-
gueur et de marcher sans appui, mais en boitant. — Octobre 1855. Depuis
l'attaque, anesthésie des membres du côté gauche (face, tronc également
anesthésiés, quoique à un moindre degré). La motilité est revenue; toutefois,
les membres du côté gauche sont moins forts que ceux du côté droit. Mort le
31 octobre 1858.
sfutopsie. Cicatrice ancienne, plate, ayant 5 lignes environ de largeur et
8 de longueur, située à la partie supérieure et externe de la couche optique
droite. La cicatrice commence à quatre lignes et demie en arrière de l'extré-
mité antérieure gauche de la couche optique et finit huit lignes plus loin.
Parallèlement à cette cicatrice, on en voit une autre, longue d'un pouce, oc-
cupant la troisième partie du noyau lenticulaire : elle commence à deux li-
gnes en arrière de l'extrémité antérieure de la couche optique et se termine
à peu près trois lignes en avant de l'extrémité postérieure de la couche op-
tique (Fi g. 48, 2 et 2'). Il y avait, en outre, une lacune dans le lobe inférieur
droit (Fi g. 18, 2"), une autre dans le lobe antérieur du même côté, deux de
la grosseur d'une tête d'épingle dans la partie antérieure de la couche opti-
que droite; deux dans le pont de Varole ; enfin une dans la portion droite
et supérieure gauch
daire de la moelle.
HÉMIAXESTHÉSIE LIÉE A UNE LÉSION CÉRÉBRALE. 317
paralysie agitante. Ce tremblement hémilatéral se montre
quelquefois primitivement; d'autrefois il succède à une
hémiplégie dont le début a été subit, et il commence à appa-
raître, dans ce dernier cas, à l'époque où la paralysie mo-
trice commence à s'amender. La lésion consiste dans la pré-
sence, soit d'un loyer d'hémorrhagie ou de ramollissement,
soit d'une tumeur; dans tous les cas de ce genre que j'ai
observés jusqu'ici, et dans les laits analogues que j'ai re-
cueillis dans les auteurs, elle occupait la région postérieure
de la couche optique et les parties adjacentes de l'hémis-
phère cérébral situées en dehors de celle-ci.
Or, Fhémianesthésie est un accompagnement assez ha-
Cas III. — Fr. Hasvelka, 22 ans. 1er nov. 1852. Attaque apoplectique,
hémiplégie à droite avec anesthésie intense de la moitié correspondante du
corps. Au bout de cinq semaines, la paralysie motrice diminua. — 3 fév.
16jJ. Les mouvements sont tout à fait libres à droite. Toute la moitié droite
du corps est le siège d'une anesthésie très-prononcée cuir chevelu, oreille,
face et tronc). L'anesthésie est tout aussi accusée aux paupières, à la narine,
à la moitié droite des lèvres et cela non-seulement à l'extérieur, mais encore
à l'intérieur. La conjonctive oculaire droite est moins sensible que la gauche.
Le chatouillement est moins bien perçu dans la narine droite que dans
l'autre. Même différence pour les conduits auditifs. Sur la moitié droite de
la bouche (langue, palais, gencives, joue\ la sensation de chaleur est moins
vive que sur la moitié gauche. A la pointe de la langue, à droite et dans
une longueur d'un pouce, le malade ne sent pas le f/oùt du sel. Même chose
pour la partie droite du dos et de la racine ae la langue. A droite,
encore, Y odorat est affaibli et la vision est moins nette. Lorsqu'on a fait ré-
trécir les pupilles en approchant une lumière des globes oculaires, la pupille
droite se dilate ensuite plus crue la gauche. L'ouïe est normale des deux côtés.
— "26 fév. L anesthésie a diminué; les mouvements sont plus énergiques.—
15 mars. Amélioration temporaire de la vue : il n'v a pas de différence entre
les deux yeux. — 3 avril. L'anesthésie existe encore sur toute la moitié
droite du corps (attouchement, pincement;. L'affaiblissement de la vue a
fait des progrès à droite. — Mort le 4 avril.
Autopsie. Dans la substance blanche du lobe supérieur gauche, on dé-
couvrit un foyer de ramollissement de la longueur de deux pouces et de la
largeur d'un pouce. Il s'enfonçait dans les circonvolutions inférieures de l'o-
percule et gagnait la surface du cerveau. Son extrémité postérieure corres-
pondait à celle de la couche optique. Dans sa portion la plus large le foyer
n était séparé que de trois lignes de la queue du corps strié. Les circonvo-
lutions cérébrales placées au-dessous étaient, sur une étendue égale à celle
d'un florin, jaunes, ramollies et déprimées (Fig #*, 3~. Couche optique,
318 HÉMIANESTHÉSIE LIÉE A UNE LÉSION CÉRÉBRALE.
bituel — mais non constant toutefois — de cet ensemble
de symptômes, et elle siège du même côté que le tremble-
ment (1).
Elle existait à un haut degré chez un homme dont M.
Magnan a communiqué récemment l'histoire à la Société
de Biologie, et chez lequel la forme de tremblement, dont
j'ai voulu tous donner une idée sommaire, se montrait des
saine. Peut-être un petit fragment de la 3e partie du noyau lenticulaire a-t-
il été touché. Le foyer avait détruit une longueur assez considérable de la
substance blanche et les deux tiers externes du pied de la couronne radiée.
— Moelle : légère agglomération de noyaux dans la partie la plus postérieure
du cordon latéral.
Cas IV. ■ — Anne B. . . , femme âgée, morte le 22 février. Elle avait, de-
puis plusieurs années, une hémiplégie du côté droit, avec une anesthésie in-
tense dans la même partie du corps. En outre, anesthésie sensorielle (vue,
odorat, goût) du même côté et fourmillements.
Autopsie. Foyer apoplectique ancien, pigmenté de brun, situé le long de
la partie externe de la couche optique gauche et tout près de la queue du
corps strié. Il commence à six lignes en arrière de l'extrémité antérieure de
la couche optique et s'étend jusqu'à deux ou trois lignes en avant de l'extré-
mité postérieure de la couche optique. En avant, il est à une demi ligne et
en arrière à deux ou trois lignes au-dessus delà face supérieure delà couche
optique qui est considérablement enfoncée à ce niveau. Long d'un pouce,
profond de quatre à cinq lignes, le foyer touche une grande étendue de la
partie postérieure du rayonnement du pédoncule cérébral, une partie de la cap-
sule interne et peut-être aussi une portion du noyau lenticulaire. — Moelle:
accumulation de corps granuleux dans la partie postérieure du cordon latéral
droit .
En résumé, les foyers siégeaient à la périphérie externe des couches
optiques, s'étendaient d'avant en arrière suivant l'axe longitudinal du cerveau
sans atteindre le plus souvent les extrémités de la couche optique. Us avaient
de huit lignes à un pouce de longueur, atteignant dans la substance blanche
jusqu'à deux pouces. Les régions lésées étaient : la partie supérieure et ex-
terne de la couche optique; la 3U partie du nucléole lenticulaire; la partie
postérieure de la capsule interne comprise entre la couche optique et le
noyau lenticulaire : la portion correspondante de la substance blanche du
lobe supérieur qui lui est opposée. Toujours plusieurs de ces régions étaient
affectées en même temps. Les fibres qui vont de la substance blanche de
l'hémisphère dans la partie externe delà couche optique étaient constamment
lésées.
(l) Voyez, dans le Progrès médical des 23 janvier et 0 février 1875, une
leçon de M. Charcot, sur ÏHémichorée post-hémipléffique. {Note de la 2e
édition.) — Cette leçon a été insérée dans le tome II des Leçons sur les ma-
ladies du système nerveux, p. 329. [Note de la 5e éd.),
HÉMIANESTHÉSIE LIÉE A UNE LÉSION CÉRÉBRALE. 319
plus accusées. Tout porte à croire — je ne puis être plus
affîrmatif, l'autopsie n'ayant pas été pratiquée — que la lé-
sion encéphalique était, chez cet homme, du même genre,
quant au siège, que celle que j'ai rencontrée chez mes
malades. Eh bien, clans ce cas, M. Magnan a reconnu, de
la manière la plus nette, que la sensibilité tactile n'était
pas seule en cause ; les sens spéciaux étaient eux-mêmes
affectés, comme ils le sont dans l'hémianesthésie hysté-
rique. Du côté frappé d'hémianesthésie, l'œil était atteint
d'amhlyopie, l'odorat perdu, le goût complètement aboli.
Il devient vraisemblable par là, si je ne me trompe, que
l'hémianesthésie complète, avec troubles des sens spéciaux,
et telle, par conséquent, qu'elle se présente dans l'hystérie,
peut être produite, dans certains cas, par une lésion en
foyers des hémisphères cérébraux (1).
(l) Les vues exposées dans cette leçon, relativement à l'hémianesthésie
d'origine encéphalique, ont trouvé une nouvelle confirmation clinique dans
uu cas que nous avons recueilli dans le service de M. Charcot {Progrès mé-
dical, 1873, p. 244), et dans les expériences faites chez les animaux par
M. Veyssière. {Recherches cliniques et expérimentales sur l'hémianesthésie de
cause cérébrale» Paris, 1874. — Ce travail contient aussi des observations cli-
niques intéressantes.) {Note de la 2e édition.)
ONZIEME LEÇON
De l'hyperesthésie ovarienne.
Sommaire.
fréquence ; considérations historiques* — Opinion de M. Briquet.
Caractères de l'hyperesthésie ovarienne. ■ — Son siège exact. — Aura hys-
térique ; premier nœud; — globe hystérique ou second nœud; — phéno-
mènes céphaliques ou troisième nœud. — Le premier nœud a son point
de départ dans l'ovaire. — Lésions de l'ovaire; desiderata.
Rapports entre l'hyperesthésie ovarienne et les autres accidents de l'hystérie
locale.
De la compression ovarienne. — Son influence sur les attaques. — Ma-
nière de la pratiquer. — La compression ovarienne comme moyen d'ar-
rêter ou de prévenir les convulsions hystériques est connue depuis long-
temps : son application dans les épidémies hystériques. — Epidémie de
saint Médard : Les secours. — Analogies qui existent entre l'arrêt des
convulsions hystériques par la compression de l'ovaire et l'arrêt de l'aura
épileptique par la ligature d'un membre.
Conclusion au point de vue de la thérapeutique. — Observations cliniques.
Messieurs,
Par la dénomination assez pittoresque et certainement
très-pratique d'Hystérie locale ou partielle, local hysleria,
les médecins anglais ont l'habitude de désigner la plupart
des accidents qui persistent d'une manière plus ou moins
permanente dans l'intervalle des attaques convulsives chez
les hystériques, et qui permettent presque toujours, en rai-
son des caractères qu'offrent ces accidents, de reconnaître la
grande névrose pour ce qu'elle est, même en l'absence des
convulsions.
h'hémianesthésie, la paralysie, la contracture, les
points douloureux fixes, siégeant sur diverses parties du
corps (rachialgie, pleuralgie, clou hystérique) appartiennent,
d'après cette définition, à l'hystérie locale.
DOULEUR OVARIENNE. 321
Parmi ces symptômes, il en est un qui, en raison du rôle
prédominant qu'à mon sens il joue dans la clinique de
certaines formes de l'hystérie , me paraît mériter toute
votre attention. Je veux parler de la douleur qui siège dans
l'un des flancs, surtout dans le gauche, mais qui peut oc-
cuper aussi les deux flancs, aux limites extrêmes de la
région Mjpogasirique. Je fais allusion à la douleur ova-
rienne ou ovarique, dont je vous ai dit un mot dans la
dernière séance; mais je ne veux pas employer sans ré-
serve cette dénomination avant d'avoir justifié, et j'espère
que cette tâche me sera facile, l'hypothèse qu'elle consacre
implicitement.
Cette douleur, je vous la ferai pour, ainsi dire toucher du
doigt, dans un instant; je vous en ferai reconnaître tous
les caractères, en vous présentant cinq malades qui forment
la presque totalité des hystériques existant actuellement
parmi les 160 malades qui composent la division consacrée
dans cet hospice aux femmes atteintes de maladies convul-
sives, incurables, et réputées exemptes d'aliénation mentale.
IL
Vous voyez déjà par cette simple indication que la dou-
leur iliaque est chose fréquente dans l'hystérie ; c'est là un
fait reconnu depuis longtemps par la majorité des obser-
vateurs.
Qu'il me suffise de citer, pour les temps déjà éloignés de
nous, Lorry et Pujol, qui ont plus particulièrement relevé
l'existence des douleurs hypogastriques et abdominales
chez les hystériques.
Il est singulier, après cette mention, de voir que Brodie,
qui, le premier peut-être, a reconnu tout l'intérêt clinique
Charcot, t. i, 3e éd. 21
322 DOULEUR OVARIENNE.
de rétude de Yhyslérie locale, ne traite pas d'une manière
spéciale de la douleur abdominale (1).
Il semble être de tradition que le sens pratique des chi-
rurgiens anglais soit attiré par les difficultés cliniques que
présentent les symptômes locaux de l'hystérie. M. Skey,
qui à cet égard s'est fait le continuateur de Brodie, dans
une série très-intéressante de leçons sur les formes locales
ou chirurgicales de V hystérie (2), comme il les appelle,
décrit avec complaisance la douleur iliaque ou de la région
ovarienne, très-commune à son avis, et qui, suivant lui
encore, contrairement du reste à la réalité, se rencontrerait
surtout dans le côté droit.
Yous savez que, en France, Schutzenberger, Piorry et
Négrier ont insisté tout spécialement sur ce symptôme
qu'ils rattachent sans hésitation à la sensibilité anormale
de l'ovaire.
En Allemagne, Romberg a, sur ce point, suivi Schutzen-
berger; toutefois, il y a lieu de remarquer que, parmi nos
contemporains, les auteurs allemands, pour la majeure par-
tie, passent à peu près complètement sous silence tout ce
qui est relatif à la douleur hypogastrique. Tels sont, par
exemple, Hasse et Valentiner. Il est clair par là que ce
symptôme , après avoir joui d'une certaine faveur, en
raison sans doute des considérations théoriques qui s'y rat-
tachent se trouve aujourd'hui en quelque sorte démodé.
Les symptômes aussi, vous le voyez, ont leur destin :
Hâtent sua fata... Je ne serais pas étonné que l'influence,
d'ailleurs si légitime, exercée par le livre de M. Briquet,
ne soit pour beaucoup dans ce résultat. Il convient mainte-
nant de voir jusqu'à quel point nous devons suivre cet au-
teur éminent dans la voie qu'il nous trace.
(1) Brodie. — Lectures illustrative of certain local ner vous Affections, 1837.
(2) F. C. Skey. — Hysteria...^ Local or surgicalforms of hysteria, etc.,
Six lectures, etc. London, 1870.
DOULEUR OVARIENNE. 323
IH.
Ce n'est pas. tant s'en faut, que M. Briquet n'ait pas re-
connu l'existence très-fréquente de douleurs abdominales,
fixes, chez les hystériques. Il a même créé un mot pour
désigner ces douleurs — cœlialgie, de xg-.ao; ventre, et un
mot, bien que ce ne soit qu'un mot, c'est déjà quelque chose
qui arrête l'esprit. Dans 200 cas d'hystérie sur 430. M. Bri-
quet a rencontré la cœlialgie. Toutefois, je dois vous faire
remarquer que, sous ce nom, il comprend à la fois les dou-
leurs de la partie supérieure de l'abdomen et les douleurs
hypogastrique et iliaque ; mais il est convenu que ces der-
nières comptent parmi les plus communes.
Au premier abord, il semble donc qu'il n'y ait qu'un dé-
saccord apparent entre M. Briquet et ses prédécesseurs.
Or, il n'en est rien, et voici où est l'abîme qui les sépare.
Tandis que MM, Schutzenberger, Piorry et Négrier pla-
cent dans l'ovaire le siège principal, le foyer, pour ainsi
dire, de la douleur iliaque, M. Briquet n'y voit qu'une sim-
ple douleur musculaire, une myodynie hystérique. Suivant
lui : l°la douleur du pyramidal ou de l'extrémité inférieure
du muscle droit a été prise bien à tort pour une douleur
utérine ; %° la douleur de l'extrémité inférieure du muscle
oblique répondrait à la prétendue douleur ovarique, —
telle est la thèse de M. Briquet.
IV.
Recherchons ensemble, Messieurs, sur quel fondement
elle repose. Pour arriver à ce but, je vais faire appel aux
observations que j'ai été à même de recueillir dans cet
hospice sur une grande échelle. Je vais donc décrire cette
douleur telle que j'ai appris à la connaître.
324 DOULEUR OVARIENNE.
1° Tantôt, c'est une douleur vive, très-vive même : le
malades ne peuvent supporter le moindre attouchement, le
poids des couvertures, etc.; elles s'éloignent brusquement,
par un mouvement instinctif, du doigt investigateur. Joignez
à cela un certain degré de gonflement de l'abdomen, et
vous aurez l'ensemble clinique de la fausse péritonite, —
spurious peritonitis des médecins anglais. Il est évident
qu'ici les muscles et la peau elle-même sont de la partie.
La douleur occupe alors une assez grande étendue en sur-
face, et, partant, il est assez difficile de la localiser. Cepen-
dant Todd (1), et c'est là une remarque dont j'ai reconnu
plusieurs fois l'exactitude, signale dans certains cas une
hyperesthésie cutanée circonscrite à une portion arrondie
de la peau, ayant 2 à 3 pouces de diamètre. Cette hyperes-
thésie siégerait en partie clans l'hypogastre, en partie dans
la fosse iliaque, et répondrait, selon cet auteur, à la région
de l'ovaire.
2° D'autres fois, la douleur n'est pas spontanément accu-
sée ; il faut la rechercher par la pression, et, en pareille
circonstance, on note les phénomènes suivants : a) la peau
est partout anesthésiée ; — - &) les muscles, s'ils sont lâches,
peuvent être pinces et soulevés sans douleur ; — c) cette
première exploration montre que le siège de la douleur
n'est pas dans la peau ni dans les muscles. Il est par consé-
quent indispensable de pousser l'investigation plus loin, et,
en pénétrant en quelque sorte dans l'abdomen, à l'aide des
doigts, on arrive sur le véritable foyer de la douleur.
Cette manœuvre permet de s'assurer que le siège de la
douleur en question est à peu près fixe, qu'il est toujours à
peu près le même : aussi n'est-il pas rare de voir les ma-
lades le désigner avec une concordance parfaite. Sur une
ligne horizontale passant par les épines iliaques antérieures
et supérieures, faites tomber les lignes perpendiculaires
qui limitent latéralement l'épigastre et à l'intersection des
(l) Todd. — Clinical Lect. verrous System. Lect. xx,p. 448, London,1856.
AURA HYSTÉRIQUE I NŒUDS. 325
lignes verticales avec l'horizontale se trouve le loyer dou-
loureux qu'accusent les malades et que la pression, exercée
à l'aide du doigt, met d'ailleurs en évidence.
L'exploration profonde de cette région fait reconnaître
aisément la portion du détroit supérieur qui décrit une
courbe à concavité interne : c'est là un point de repère.
Vers la partie moyenne de cette crête rigide, la main
rencontrera le plus souvent un corps ovoïde, allongé
transversalement et qui, pressé contre la paroi osseuse
glisse sous les doigts. Lorsque ce corps est tuméfié, ainsi
que cela se présente fréquemment, il peut offrir le volume
apparent d'une olive, d'un petit œuf, mais avec un peu d'ha-
bitude, sa présence peut être facilement constatée, alors
même qu'il reste bien au-dessous de ces dimensions.
C'est à ce moment de l'exploration que l'on provoque
surtout la douleur, et qu'elle se révèle avec des caractères
pour ainsi dire spécifiques. Il ne s'agit pas là d'une dou-
leur banale, car c'est une sensation complexe qui s'accom-
pagne de tout ou partie des phénomènes de Y aura liysterica
tels qu'ils se produisent d'eux-mêmes à l'approche des
crises, et cette sensation provoquée, les malades la recon-
naissent pour l'avoir ressentie cent fois.
En somme, Messieurs, nous venons de circonscrire le
foyer initial de l'aura, et du même coup, nous avons pro-
voqué des irradiations douloureuses vers l'épigastre {pre-
mier nœud de l'aura, dans le langage de M. Piorry), com-
pliquées parfois de nausées et de vomissements; puis, si la
pression est continuée, surviennent bientôt des palpitations
de cœur avec fréquence extrême du pouls, et enfin se dé-
veloppe au cou la sensation du globe hystérique {deuxième
nœud.)
En ce point, s'arrête dans les auteurs la description des
irradiations ascendantes qui constituent l'aura hystérique.
Mais, d'après ce que j'ai observé, rémunération ainsi limi-
tée serait incomplète, car une analyse attentive permet de
reconnaître, le plus souvent, certains troubles céphaliques
326 AURA HYSTÉRIQUE : PHÉNOMÈNES CÉPHALIQUES.
qui ne sont évidemment que la continuation de la môme
série de phénomènes. Tels sont, s'il s'agit, par exemple,
de la compression de l'ovaire gauche, des sifflements
intenses qui occupent l'oreille gauche et que les malades
comparent au hruit strident que produit le sifflet d'un
chemin de fer ; une sensation de coups de marteau frappés
sur la région temporale gauche ; puis, en dernier lieu,
une obnubilation de la vue marquée surtout dans l'œil
gauche.
Les mêmes phénomènes se montreraient sur les parties
correspondantes du côté droit, dans les cas où l'exploration
porterait, au contraire, sur l'ovaire droit.
L'analyse ne peut être poussée plus loin ; car, lorsque
les choses en sont à ce point, la conscience s'affecte pro-
fondément, et, dans leur trouble, les malades n'ont plus
la faculté de décrire ce qu'elles éprouvent. L'attaque con-
vulsive éclate d'ailleurs bientôt, pour peu qu'on insiste.
A part les phénomènes qui ont trait à la dernière phase
de l'aura hystérique {phénomènes céphaliques), je viens
de vous rappeler, Messieurs, toute la série de phénomènes
obtenus dans l'expérience de Schutzenberger, et nous som-
mes ainsi conduit à reconnaître, avec cet éminent observa-
teur, que la pression du flanc dans la région ovarienne ne
fait que reproduire artificiellement la série des symptômes
qui se développent spontanément chez les malades dans le
cours naturel des choses.
Je n'ignore pas que, suivant M. Briquet, l'aura hystéri-
que débuterait, dans l'immense majorité des cas, par le
nœud épigastrique ; je n'ignore pas non plus que, à l'appui
de son assertion, cet auteur cite des chiffres imposants.
Mais il ne faut par toujours courber la tête devant les chif-
fres, et l'on est en droit de se demander si M. Briquet, qui
s'est montré quelque peu sévère à l'égard des ovaristes,
ne s'est pas laissé à son tour entraîner par quelque préoc-
cupation qui lui aura fait négliger d'inscrire dans la série
des phénomènes de l'aura la douleur iliaque initiale. .
SIEGE DE L'OVAIRE. 327
Si j'en juge d'après mes propres observations, toujours
le point iliaque précède en date, de si peu que ce soit,
dans le développement de l'aura, le point épigastrique, et
constitue par conséquent le premier anneau de la chaîne.
Y.
Il me reste, Messieurs, à établir que ce point particulier
où réside la douleur iliaque des hystériques correspond au
siège même de l'ovaire, et j'aurai par là rendu très-vrai-
semblable, sinon démontré d'une façon absolue, que le corps
ovalaire, douloureux, d'où partent les irradiations de l'aura
hystérique spontanée ou provoquée, est bien l'ovaire lui-
même.
On se fait, en général, je le crois du moins, une idée im-
parfaite du lieu exact qu'occupe l'ovaire pendant la vie.
Lorsque l'abdomen étant ouvert, les intestins relevés, on
trouve clans le petit bassin, derrière l'utérus, en avant du
rectum, les annexes de l'utérus flasques, flétries, comme
ratatinées, il ne s'agit pas là évidemment d'un état répon-
dant aux conditions vitales ; et il est clair qu'après la
mort les plexus artériels des trompes et des ovaires, dont
la richesse et les propriétés érectiles ont été si bien mises
en lumière par mon ami le professeur Rouget (de Mont-
pellier), ont depuis longtemps cessé leur rôle. Une faut pas
oublier, d'un autre côté, que l'ouverture du corps change
très-certainement les rapports réels des annexes de l'utérus.
Cela est si vrai que, sur les cadavres congelés (1), l'ovaire
occupe une situation moins inférieure, et qui rappelle dans
une certaine mesure celle qu'on lui reconnaît chez le nou-
veau-né. Sur cette coupe, empruntée à l'Atlas de M. Le-
gendre, coupe pratiquée perpendiculairement au grand axe
d'un cadavre d'une femme de 20 ans, supposé couché, et
(l) E. Q. Legendre. — Anatomie chirurgicale homolo graphique , etc.
pi. X. Paris, 1858.
328 O VARIE HYSTÉRIQUE.
qui passe à 2 centimètres au-dessus du pubis, vous voyez
un des ovaires coupé en deux, tandis que l'autre est resté
au-dessus de la surface de section ; d'après cela, chez la
femme adulte, l'ovaire serait situé à la hauteur et même un
peu au-dessus du détroit supérieur, débordant avec la
trompe vers les fosses iliaques. Ce résultat concorde de
tous points avec celui que donne la palpation pratiquée pen-
dant la vie. J'ajouterai que si, sur un cadavre reposant sur
la table d'autopsie, au niveau du point correspondant à
celui où nos hystériques accusent la douleur iliaque, on
enfonce, d'avant en arrière et de haut en bas, une longue
aiguille, on a grand'chance, — je m'en suis assuré plusieurs
fois, — de transfixer l'ovaire.
Cette situation de l'ovaire paraît d'ailleurs avoir été im-
plicitement reconnue par M. le Dr Chéreau dans ses excel-
lentes 'Eludes sur les maladies de V ovaire (1), lorsqu'il dit
que chez les femmes, dont les parois abdominales ne sont
pas trop résistantes, on peut reconnaître la tuméfaction ou
même seulement la sensibilité de l'ovaire. L'introduction
du doigt par le rectum ne serait, d'après notre auteur, un
moyen d'exploration supérieur que dans les cas où la paroi
abdominale oppose des obstacles insurmontables.
Messieurs, après toutes les explications dans lesquelles
je viens d'entrer, je crois pouvoir conclure que c'est bien
à Y ovaire, à X ovaire seul, qu'il faut rapporter la douleur
iliaque fixe des hystériques. À la vérité, à de certaines
époques, et dans les cas intenses, la douleur, par un méca-
nisme que je n'ai pas à indiquer pour le moment, s'étend
jusqu'aux muscles, à la peau elle-même, de manière à sa-
tisfaire à la description de M. Briquet ; mais je ne saurais
trop le répéter, ainsi limitée aux phénomènes extérieurs,
la description serait incomplète, et le véritable foyer de la
douleur resterait méconnu.
(l) Paris, 1841.
OVARIE HYSTÉRIQUE. 329
VI.
Il conviendrait de rechercher maintenant quel est L'état
anatomique de l'ovaire dans le cas où il devient le siège de
la douleur iliaque des hystériques. Sur ce point, dans l'é-
tat actuel des choses, nous ne pouvons malheureusement
vous donner que des renseignements assez vagues. Il existe
parfois une tuméfaction plus ou moins prononcée de l'or-
gane, ainsi que cela avait eu lieu dans le fait d'ovarite blen-
norrhagique rapporté dans le mémoire de M. Sclnrîzenber-
ger. Mais c'est là une circonstance plutôt exceptionnelle,
et il importe de remarquer que l'inflammation commune de
l'ovaire peut exister avec tous ses caractères, sans que les
irradiations décrites plus haut surviennent, soit sponta-
nément, soit sous l'influence des provocations. M. Briquet
n'a pas failli à faire ressortir cette circonstance, et, cette
fois, il était parfaitement dans son droit. Il faut donc re-
connaître hautement que toute inflammation ovarienne
n'est pas indistinctement propre à provoquer le développe-
ment de l'aura hystérique. Le gonflement ovarien chez les
hystériques fait parfois complètement défaut; d'autres fois,
il est peu prononcé, et il parait assez vraisemblable que la
tuméfaction dont l'ovaire est le siège, en pareil cas, résulte
d'une turgescence vasculaire analogue à celle qui se mon-
tre à la suite de certaines névralgies. L'anatomie patholo-
gique ne nous a fourni, jusqu'ici, aucune donnée positive à
cet égard : on pourra donc, quant à présent, désigner in-
différemment l'état de l'ovaire dont il s'agit, sous les noms
d'hyperkinésie (Swediaur), cVovaralgie (Schutzenberger),
tfovarie (Négrier), car peu importe le nom, en définitive,
lorsque le fait est bien constaté.
VII.
L'ovaire étant accepté pour point de départ de l'aura hys-
térique — au moins dans un groupe de cas — il n'est pas
330 OVARIE HYSTÉRIQUE.
sans intérêt de montrer actuellement qu'une relation im-
portante, en quelque sorte intime, existe entre la douleur
ovarienne et les autres accidents de l'hystérie locale.
Vous pouvez reconnaître, en effet, Messieurs, chez les
malades que je vous présente, une concordance remarqua-
ble du siège de la douleur iliaque et du mode de localisation
des symptômes concomitants. Je ne reviendrai pas sur les
phénomènes céphaliques de l'aura qui, ainsi que je vous le
faisais remarquer tout à l'heure, s'accusent 'du même côté
que la douleur ovarienne : je me bornerai à faire ressortir
que Yhêmiancsthésie, la parésie et la contracture des
membres occupent le côté gauche, lorsque Yovarie siège à
gauche, et inversement lorsqu'elle siège à droite. Je vous
ferai remarquer aussi que, quand la douleur ovarienne
siège à la fois à droite et à gauche, les autres accidents se
montrent bilatéraux, prédominant toutefois du côté où la
douleur iliaque est le plus intense.
A plusieurs reprises, nous avons assisté chez quelques-
unes de nos malades à un brusque changement de siège de
la douleur ovarienne, entre autres chez la nommée Ler....
Lorsque chez cette femme l'ovarie venait à prédominer du
côté gauche, les symptômes céphaliques de l'aura, la con-
tracture des membres, etc., offraient temporairement leur
maximum de développement de ce même côté, pour prédo-
miner ensuite du côté droit, alors que l'ovaire droit se
montrait de nouveau le plus douloureux.
Il ne faut pas oublier que l'ovaralgie paraît être un phé-
nomène constant permanent par excellence, dans la forme
d'hystérie qui nous occupe, de telle sorte que, jointe à quel-
que autre indice de la même catégorie, elle pourra vous
conduire sur la voie du diagnostic dans les cas difficiles.
VIII.
Il me reste, Messieurs, à entrer dans l'exposition de faits
HYSTÉRIE OVARIQUE. 331
qui seront peut-être considérés par vous comme la partie
la plus saillante de cette étude. Ces faits, en réalité, sont
de nature, si je ne me trompe, à mettre encore davantage
en relief le rôle vraiment prédominant de l'ovaralgie dans
Yune des formes de V hystérie.
Yous venez devoir comment la compression méthodique
de l'ovaire peut déterminer la production de l'aura, ou même
parfois de l'accès complet. Je veux essayer de vous dé-
montrer maintenant qu'une compression plus énergique est
capable d'enrayer le développement de l'accès lorsqu'il en
est à son début ou môme d'y couper court, lorsque déjà
l'évolution des accidents convulsifs est plus ou moins avan-
cée. C'est du moins ce que vous pourrez observer très-net-
tement chez deux des malades que j'ai mises sous vos yeux.
— Chez elles, l'arrêt déterminé par la compression, lorsque
celle-ci a été convenablement pratiquée, est total, définitif.
Chez deux autres, cette manœuvre modifie seulement les
phénomènes de l'accès, à un degré variable, sans en amener
toutefois la cessation. Et veuillez bien remarquer qu'il ne
s'agit pas, chez elles toutes, de l'hystérie convulsive com-
mune, vulgaire, si je puis m'exprimer ainsi, mais bien de
l'hystérie convulsive considérée dans son type unanimement
reconnu comme le plus grave, je veux parler de YHystéro-
âpilepsie.
Supposons que, chez l'une de ces femmes, l'accès vienne
d'éclater. La malade est tombée à terre tout-à-coup, en
poussant un cri: la perte de connaissance est complète. La
rigidité tétanique de tous les membres qui, en général, inau-
gure la scène, est poussée à un haut degré ; le tronc est
fortement recourbé en arrière, l'abdomen proéminent, très-
distendu et très-résistant.
La meilleure condition, pour une démonstration parfaite
des effets de la compression ovarienne, en pareil cas, est
que la malade soit étendue horizontalement sur le sol, ou,
si cela est possible, sur un matelas, dans le décubitus dorsal.
Le médecin, alors, ayant un genou en terre, plonge le poing
332 EFFETS DE LA COMPRESSION DE I/OVAIRE.
fermé dans celle des fosses iliaques que l'observation anté-
rieure lui aura démontré être le siège habituel de la douleur
ovarienne.
Tout d'abord, il lui faut faire appel à toute sa force, afin
de vaincre la rigidité des muscles de l'abdomen. Mais, dès
que celle-ci une fois vaincue, la main perçoit la résistance
offerte par le détroit supérieur du bassin, la scène change,
et la résolution des phénomènes convulsifs commence à se
produire.
Des mouvements de déglutition plus ou moins nombreux,
et parfois très-bruyants, ne tardent guère à se manifester ;
la conscience alors presque aussitôt se réveille, et à cet
instant, tantôt la malade gémit et pleure, criant qu'on lui
fait mal, — tel est le cas de Marc . .; — tantôt, au con-
traire, elle accuse un soulagement, dont elle témoigne sa
reconnaissance : — « Ah ! c'est bien ! cela fait du bien ! »
s'écrie toujours, en pareille circonstance, la nommée
Geneviève.
Le résultat, quoi qu'il en soit, est en somme toujours le
même, et pour peu que vous insistiez sur la compression,
pendant deux, trois ou quatre minutes, vous êtes à peu près
assurés que tous les phénomènes de l'accès vont se dissiper
comme par enchantement. Vous pourriez, d'ailleurs, va-
rier l'expérience, et, à votre gré, en suspendant un moment
la compression pour la reprendre, arrêter l'accès ou le
laisser se reproduire, en quelque sorte, autant de fois que
vous le voudriez.
Une fois que l'on a définitivement triomphé de la résis-
tance, très-sérieuse du reste, qu'offrent toujours, à l'ori-
gine, les parois abdominales, il n'est pas nécessaire d'user
de toutes ses forces et l'application des deux premiers doigts
de la main sur le siège présumé de l'ovaire suffît pour ob-
tenir l'effet désiré. Toutefois, la manœuvre, surtout si elle
doit être prolongée durant quelques minutes, est toujours
assez fatigante pour l'opérateur. J'ai songé à la modifier.
Peut-être pourrait-on avoir recours au sac rempli de grains
COMPRESSION DE L'OVAIRE : HISTORIQUE. 333
de plomb que M. Lannelongue a mis en usage dans un tout
autre Lut, ou encore à l'application d'un bandage approprié :
c'est une question à étudier. Quant à présent, les personnes
du service, au courant du procédé, le mettent journelle-
ment en pratique chez les malades auxquelles il est réelle-
ment utile.
IX.
Il est assez singulier, Messieurs, qu'un procédé dont
l'exécution est aussi simple, et qui, incontestablement, peut
rendre des services réels, soit tombé, comme il l'est de nos
jours, en désuétude complète. Ainsi que je vous l'ai laissé
pressentir, l'invention de ce procédé, tant s'en faut, ne
m'appartient pas ; peut-être remonte-t-elle aux temps les
plus antiques ; toujours est-il qu'elle est certainement anté-
rieure au xvie siècle. Voici d'ailleurs ce que quelques re-
cherches, faites un peu à la hâte parmi les livres les plus
poudreux, et par conséquent les moins fréquentés de ma
bibliothèque, m'ont appris à ce sujet.
Willis, dès le xvn° siècle, clans son Traité des maladies
convulsives (1), s'exprimait ainsi qu'il suit : «Il est certain,
dit-il, que le spasme convulsifqui vient du ventre est arrêté
et qu'on l'empêche de monter au cou et à la tête, par une
compression de V abdomen, faite à l'aide des bras enlacés
autour du corps, ou à l'aide de draps bien serrés. » Il ra-
conte ailleurs être parvenu lui-même à arrêter un accès, par
une pression énergique exécutée avec les deux mains réunies
sur le bas-ventre. Mais déjà Mercado (1513) avait depuis
longtemps conseillé les frictions sur le ventre, dans le but
de réduire la matrice, qu'il supposait se déplacer, suivant
la doctrine ancienne (2). Un de ses compatriotes, Mo-
(1) Willis. — De morbis convuhivis, t. II, p. 34.
(2) D. L. Mercatus. — Opéra, tit. III. — De virginum et viduarum af-
fectionibus, p. 546. Francof. 1620.
, 334 ÉPIDÉMIES HYSTÉRIQUES : SECOURS.
nardès, procédait, paraît-il, plus résolument (1) ; il plaçait,
pendant l'accès, sur le ventre des malades, une grosse
pierre.
Une paraît pas, toutefois, que cette pratique se soit beau-
coup répandue; je ne la vois, en effet, mentionnée ni dans
Laz. Rivière, ni dans F. Hoffmann. Boerhaave, seul, au
commencement du xvin0 siècle, insiste de nouveau sur la
compression de l'abdomen dans l'attaque hystérique ; elle
doit être produite, suivant lui, à l'aide d'un coussin, forte-
ment serré par des draps placés entre les fausses côtes et
la crête iliaque. On soulage ainsi, dit-il, presque à coup sûr
les malades, pourvu que la sensation du globe n'ait pas en-
core dépassé le diaphragme (2).
Dans les temps modernes, Récamier, remettant en hon-
neur cette méthode, comme vous le voyez déjà fort ancienne,
plaçait sur le ventre des malades un coussin sur lequel un
aide venait s'asseoir. Son exemple n'a guère été suivi, que
je sache, que par Négrier, directeur de l'Ecole de médecine
d'Angers, dont le Recueil de faits pour servir àV histoire des
ovaires et des affections hystériques chez la femme, pu-
blié en 1858, ne paraît pas avoir eu d'ailleurs un bien grand
retentissement. Le procédé de Négrier est plus méthodique
que celui mis en œuvre par ses prédécesseurs ; c'est l'ovaire
qui, dans la compression, devient pour lui le point de
mire. « Une forte et large pression, exercée par l'intermé-
diaire cle la main sur la région ovarienne, suffît, dit Né-
grier, dans plusieurs cas pour enrayer et supprimer com-
plètement l'attaque convulsive. »
Mais laissons pour un instant de côté la pratique régu-
lière, et recherchons quels ont été les procédés à l'aide des-
quels, dans certaines épidémies hystériques célèbres, les
(1) Négrier. — Recueil de faits pour servir à V histoire des ovaires et des
affections hystériques de la femme. Angers 1858, p. 168, 109.
(2) Van îSwieten . — Comm., t. III, p. 417.
ÉPIDÉMIES HYSTÉRIQUES : SECOUES. 3313
assistants portaient secours aux convulsionnaires. Parmi
ces moyens de secours mis en œuvre, nous trouvons si-
gnalée une pratique fort curieuse à étudier, et dont l'idée
première, selon toute vraisemblance, aura dû être suggé-
rée par quelque convulsionnaire. Je veux parler de la corn-
pression du ventre. Il est, en effet, des hystériques qui, en
proie aux premiers tourments de l'aura, mettent instinc-
tivement d'elles-mêmes en action la compression ovarienne.
Tel est le cas, par exemple, d'une de nos malades, la nom-
mée Gen.... dont je vous ai entretenu déjà. Cette femme a
pris depuis longtemps l'habitude d'arrêter le développement
de ses accès par la compression de l'ovaire gauche ; elle
y réussit le plus souvent lorsque l'invasion du mal n'a pas
été par trop rapide. Dans le cas contraire, elle fait appel
aux assistants et les prie de l'aider dans cette manœuvre.
Examinons d'un peu plus près ces faits empruntés à
l'histoire des épidémies convulsives : il y a là matière à une
étude rétrospective qui n'est pas sans intérêt.
Le savant Hecker, parlant des individus atteints de la
danse de Saint-Jean (1); dit qu'ils se plaignaient fréquem-
ment d'une grande anxiété épigastrique, et demandaient
qu'on leur comprimât le ventre avec des draps.
Mais, c'est surtout l'épidémie, dite de Saint-Médard, qui
nous fournit sur ce sujet les documents les plus intéres-
sants. Vous n'ignorez pas comment elle survint, alors que
l'exaltation religieuse des jansénistes, persécutés à propos
de la bulle Unigenitus, était portée à son comble. L'épi-
démie, qui prit naissance sur le tombeau du diacre Paris,
mort en 1721, a présenté deux périodes bien distinctes (2).
La première a été remarquable surtout — du moins à
(1) Hecker. — Danse de Saint- Jean, à Aix-la-Chapelle, 1874. — Epidémie
de Saijit-Witt, à Strasbourg, 1438.
(2) Carré de Montgeron, loc. cit.
336 EPIDEMIES HYSTÉRIQUES : SECOURS.
notre point de vue — par la guérison d'un certain nombre
de malades, parmi lesquels figurent plusieurs cas bien
avérés de contracture permanente des hystériques (1) ;
dans la seconde, ont prédominé des convulsions plus ou
moins singulières, mais qui, en somme, ne diffèrent en
rien d'essentiel de celles qui appartiennent à l'hystérie
lorsqu'elle revêt la forme épidémique. Or, c'est à ce mo-
ment-là qu'apparaît, dans l'épidémie de Saint-Médard, la
pratique des secours.
En quoi ces secours consistaient-ils ? Pour la plupart des
cas, ils s'agissait là de manœuvres ayant pour but de dé-
terminer une forte compression de l'abdomen ou de le frap-
per violemment à l'aide d'un instrument ou d'un objet quel-
conque. Ainsi, il y avait : 1° le secours administré à l'aide
d'un pesant chenet dont on frappait le ventre à coups re-
doublés^0 le secours dit du pilon, qui ne s'éloigne guère
du précédent ; 3° dans un autre cas, un homme joignait
les deux poings et les appuyait de toutes ses forces sur le
ventre de la convulsionnaire, et, pour mieux faire encore,
il appelait d'autres hommes à son aide ; 4° trois, quatre ou
même cinq personnes montaient sur le corps de la malade ;
— une convulsionnaire appelée par ses coreligionnaires
sœur Margot, affectionnait plus particulièrement ce mode
de secours; 5° il est un cas, enfin, où l'on disposait de lon-
gues bandes que l'on tirait fortement- à droite et à gauche,
afin décomprimer l'abdomen. — Ces secours, quel que fût
d'ailleurs leur mode d'administration, étaient toujours,
paraît-il, suivis d'un grand soulagement.
Hecquet, médecin de l'époque, ne voulait voir dans ces
convulsions, rapportées par d'autres à une influence divine,
qu'un phénomène naturel, — et en cela il avait parfaite-
ment raison. Mais je ne puis plus être de son avis, lorsque,
dans son livre intitulé « Du Naturalisme des convulsions, »
(l) Bourneville et Voulet. — De la contracture hystérique permanente,
p. 7-17. Paris, 1872.
ÉPIDÉMIES HYSTÉRIQUES ". SECOURS. 337
il prétend que les secours n'étaient autres que des pratiques
dictées par la « lubricité. » Je ne vois pas trop, pour mon
compte, ce que la lubricité pouvait avoir à faire avec ces
coups de chenet et de pilon, administrés avec une extrême
violence, bien que je n'ignore pas ce qu'est capable d'en-
fanter, dans ce genre, un goût dépravé. Je crois qu'il est
beaucoup plus simple et beaucoup plus légitime d'admettre
que les secours, — à part les amplifications suggérées par
l'amour de la notoriété, — répondaient à une pratique tout
empirique, et dont le résultat était de produire un amende-
ment réel dans les tourments de l'attaque hystérique.
X.
Vous avez certainement saisi, Messieurs, les analogies
qui existent entre cet arrêt des convulsions hystériques ou
hystéro-épileptiques, déterminé par la compression de l'ab-
domen et l'arrêt qu'on obtient quelquefois des convulsions
par la compression ou la ligature des membres d'où par-
tent, en pareil cas, les phénomènes de l'aura; et c'est ici
peut-être le lieu de vous rappeler qu'une brusque flexion
du pied fait cesser tout-à-coup, ainsi que l'a montré Brown-
Séquard, la trépidation convulsive de Yépilepsie spinale,
observée dans certains cas de myélite. Vous n'ignorez pas
qu'en pathologie expérimentale ces faits cliniques trouvent
jusqu'à un certain point leur interprétation. Je ne puis en-
trer dans les détails, pour le moment ; qu'il me suffise de
vous remettre en mémoire que, chez les animaux, de nom-
breuses expériences mettent en évidence la suspension de
l'excitabilité réflexe de la moelle épinière par le fait de
l'irritation des nerfs périphériques. Ainsi, l'expérience de
Herzen nous montre que chez une grenouille décapitée,
c'est-à-dire placée dans une condition excellente pour
exalter à son maximum l'excitabilité réflexe de la moelle,
si cette partie des centres nerveux est irritée dans sa partie
Charcot, t. i, 3e éd. 22
' 338 CONCLUSION.
inférieure, il sera impossible, tant que l'excitation subsis-
tera, de mettre en jeu l'excitabilité des membres supérieurs.
Et, inversement , si chez une grenouille, préparée de la
même façon, vous entourez d'un lien fortement serré les
membres supérieurs, tant que la ligature persistera, l'exci-
tation des membres inférieurs ne sera pas suivie de mou-
vements réflexes. C'est du moins ce que démontre une ex-
périence de Lewisson.
Toujours est-il que si ces faits expérimentaux sont d'une
analyse plus facile, ils ne sont pas encore, dans l'état actuel
de la science, plus aisément explicables que les phénomènes
correspondants observés chez l'homme.
XL
Je ne puis insister plus longuement, car le temps me
presse. J'aurais voulu cependant vous montrer l'intérêt
qu'il y a, au point de vue pratique, à supprimer les accès
d'hystérie grave ou à en modérer, tout au moins, l'inten-
sité. Mais ce côté de la question sera plus convenablement
mis en lumière quand j'aurai fait ressortir, dans une des
prochaines séances, les conséquences qu'entraîne la répéti-
tion des accès, ou autrement dit Vétat de mal hystéro-
êpileptiaue. Je me bornerai, quant à présent, à formuler
ainsi qu'il suit une des conclusions qui ressortent de la pré-
sente étude :
La compression énergique de V ovaire douloureux n'a
pas d'influence directe sur la plupart des symptômes
permanents de Vhystérie, tels qiie contracture, paralysie,
hêmianesthésie, etc. ; mais elle a une action souvent dé-
cisive sur Vattaaue convulsive dont elle peut diminuer
Vintensité et, parfois même, déterminer V arrêt.
FAITS CLINIQUES. 339
XII.
Je dois on terminant, Messieurs, faire passer devant vos
yeux les malades que j'ai eues surtout en vue dans la des-
cription qui précède, et faire ressortir les particularités les
plus saillantes qu'elles offrent à l'observation.
Cas I. — Marc..., 23 ans, atteinte d'hystéro-épilepsie
depuis l'âge de 16 ans. On ne sait trop à quelle cause il faut,
chez elle, rattacher l'affection. Quoi qu'il en soit, au point
de vue de l'hystérie locale, elle nous offre : une hémianes-
thésie, de Yovarie, de Izparésie, tout cela du côté gauche.
Elle est, déplus, sujette à des vomissements fréquents et
a présenté de Yachromatopsie de l'œil gauche.
Les attaques sont précédées par une aura caractéristique;
les phénomènes prodromiques partent de l'ovaire gauche
et les symptômes céphaliques sont très-accusés. Quant aux
attaques elles-mêmes, elles se composent de trois périodes:
a) convulsions tétaniformes, épileptiformes, écume; — b)
grands mouvements du tronc et des membres inférieurs (pé-
riode des contorsions) ; dans ce temps la malade prononce
des paroles bizarres, et paraît être en proie à un délire som-
bre ; — c) pleurs, rires, annonçant la fin de l'accès. Chez
elle, on détermine un arrêt prompt et absolu de tous les
phénomènes par la compression de l'ovaire gauche.
Cas IL — Cot..., 21 ans, a vu l'hystérie débutera 15 ans.
Les mauvais traitements qu'elle subissait de la part de son
père, adonné aux excès de boisson, et plus tard la prosti-
tution, ont sans doute exercé une certaine action étiologique.
L'hystérie locale, ici, est encore plus marquée que dans le
premier cas. Nous avons à observer à droite une lièmianes-
thésie,\me douleur ovarienne, une contracture permanente
avec trépidation du membre inférieur.
L'attaque s'annonce par une aura bien nette, partant de
340 FAITS CLINIQUES.
l'ovaire droit et se terminant par des symptômes cépha-
liques très-évidents. Les convulsions, surtout toniques, se
compliquent d'accidents épileptifo raies ; G.... se mord la
langue, écume, etc. La période des contorsions vient ensuite
et est très-accentuée. Souvent, l'attaque se termine par des
mouvements de bassin, 'avec constriction laryngée, pleurs,
urines abondantes. Chez elle, aussi, la pression ovarienne
modère l'intensité des phénomènes de l'accès sans toutefois
l'arrêter. Dans les premiers mois de l'année, cette malade
a été atteinte d'un état de mal hystéro-épileptique sur le-
quel nous reviendrons dans une prochaine leçon (1).
Cas III. — Legr... Geneviève est née à Loudun; singu-
lière coïncidence ! C'est, vous le savez, le pays où s'est pas-
sé le triste drame dont Urbain Grandier a été la victime.
Geneviève est âgée de 28 ans; l'hystérie date cle l'époque de
la puberté. Parmi les symptômes permanents de l'hystérie
locale, nous observons chez elle une hémianesthésie gauche,
bien accusée, une douleur ovarienne gauche avec une
tumeur facile à constater ; enfin un état mental bizarre.
L'aura est très-caractérisée, et, ce qui prédomine, ce
sont les palpitations cardiaques et les symptômes cépha-
liques. En ce qui concerne les attaques elles-mêmes, elles
se divisent en trois périodes : 1° convulsions épileptifo rmes,
écume et stertor; — 2° puis, grands mouvements des mem-
bres et de tout le corps ; — 3° enfin, période de délire, pen-
dant laquelle elle raconte tous les événements de sa vie, à
la fin des grands accès.
Parfois la malade, dans cette dernière phase, a des hallu-
cinations : elle voit des corbeaux, des serpents ; de plus,
elle s'abandonne à une sorte de danse, et alors elle nous
offre, à l'état embryonnaire pour ainsi dire et sous la forme
sporadique, un spécimen de ces danses du moyen-âge dé-
(1) Voir l'observation complète de cette malade dans : Bourneville et
Voulet. — De la contracture hystérique permanente. Obs. vin, p. 41.
FAITS CLINIQUES. 341
crites sous le nom OC épidémies saltatolres. A ce propos, je
vous ferai remarquer que certains cas d'hystérie, consti-
tuant en quelque sorte des variétés dans l'espèce, présen-
tent à l'état rudimentaire les diverses formes convulsives
qui se montrent à un degré beaucoup plus accentué dans
les épidémies. C'est du reste là un point qu'a parfaitement
développé Valentiner dans son intéressant travail sur l'hys-
térie (1).
Chez Geneviève, la compression de l'ovaire détermine un
arrêt, pour ainsi dire soudain, de l'attaque. Elle se rend
nettement compte de cette influence, car elle-même essaie
de comprimer la région qui donne naissance à l'aura ou,
lorsqu'elle n'y peut parvenir, elle réclame, ainsi que nous
l'avons déjà dit, le secours des assistants (2).
Cas IV. — Ler..., âgée de 48 ans, est une malade bien
connue de tous les médecins qui depuis plus de 20 ans ont
fréquenté cet hospice à divers titres. C'est, en d'autres ter-
mes, un cas célèbre dans les annales de l'hystéro-épilepsie.
Vous trouverez relatée, dans la thèse de M. Dunant (de Ge-
nève), la première partie de son histoire. Ler... a cessé
d'être réglée, il y a quatre ans, et malgré cela les accidents
nerveux persistent. Nous vous faisions reconnaître, tout à
l'heure, dans Geneviève, le tarentisme sous un aspect ru-
dimentaire; Ler... est une démoniaque, une possédée; ou
encore elle présente l'image à peine affaiblie d'une de ces
femmes qu'on nommait Jerkers dans les Camp-meetings
méthodistes et qui offraient dans leurs crises les attitudes
les plus effrayantes. (Voy. Fig. 19, 20 et 21.)
L'origine vraisemblable des accidents nerveux chez Ler...
mérite d'être signalée. Elle a eu, comme elle le dit, une
(1) Valentiner (Th.)- — Die Hystérie und ihre Heilunrj. Voir l'extrait pu-
blié dans les numéros de juin 1872 du Mouvement médical.
(2) Nous avons publié l'observation de Geneviève dans Y Iconographie pho-
tographique de la Salpétrière, tome I.
3'42 FAITS CLINIQUES.
série de peurs : 1° à 11 ans, elle a été épouvantée par un
chien enragé ; 2° à 16 ans, elle a été saisie d'effroi à la vue
du cadavre d'une femme assassinée ; 3° à 16 ans, nouvelle
Fig. 19. — Attitude de Ler. . . pendant l'attaque : période des contorsions.
(Fac-similé d'un croquis fait d'après nature).
frayeur déterminée par des voleurs qui, au moment où elle
traversait un bois, se précipitèrent sur elle pour lui enlever
l'argent qu'elle portait.
FAITS CLINIQUES. 343
L'hystérie locale se compose, chez elle, d'une liêmiancs-
thésie, iïovarie, de parésie et par moments de contracture
des membres supérieurs et inférieurs, occupant le coté
Fig. 20. — Attitude de Ler... pendant l'attaque : période des contorsions.
(Fac-similé d'un croquis fait d'après nature).
droit. Parfois les phénomènes envahissent le côté gauche,
et, alors, conformément à notre description, se présente
une ovarie double avec anesthésie double, etc.
344 FAITS CLINIQUES.
Les attaques, qui s'annoncent par une aura ovarique
bien caractérisée, sont marquées d'abord par des convul-
sions épileptiformes et tétaniformes ; après quoi se produi-
sent de grands mouvements, à caractère intentionnel, dans
lesquels la malade, prenant les poses les plus effrayantes,
Fii/. 21.
Attaque hystéro-épilepiique. — Période des contorsions. (Dessin fait par
M. P. Richer, d'après un croquis de M. Charcot).
rappelle les attitudes que l'histoire prête aux démoniaques.
[Période des contorsions (Fig. 49, 20 et 21 .)] A ce moment
de l'attaque, elle est en proie à un délire qui roule évidem-
ment sur les événements qui paraissent avoir déterminé
les premières crises : elle adresse des invectives furieuses
à des personnes imaginaires*: Scélérats! voleurs! brigands!
Au feu! au feu! Oh les chiens! on me mord! Autant de
FAITS CLINIQUES. 345
souvenirs . sans doute , des émotions de la jeunesse.
Lorsque la partie convulsive de l'accès est terminée, il
survient en règle générale : 1° des hallucinations de la vue;
la malade voit des animaux effrayants, des squelettes, des
spectres ; 2° une paralysie de la vessie ; 3° une paralysie du
pharynx; 4° enfin, une contracture permanente plus ou
moins prononcée de la langue.
Ces derniers accidents rendent parfois nécessaire pen-
dant plusieurs jours le cathétérisme vésicalet l'alimentation
par la sonde œsophagienne.
La compression de l'ovaire, chez Ler., est presque de
nul effet sur les convulsions (1).
Cas V. — Vous connaissez déjà cette malade; il s'agit
d'Etchev..., qui nous a fourni les éléments de notre leçon
sur Yischurie hystérique (2). Nous relevons encore, dans
ce cas, une liémianesthèsie , de Yachromatopsie, de la
contracture et de Yovarie à gauche. Les attaques sont sur-
tout tétaniformes, toniques. Nous n'avons pas eu, jusqu'ici,
l'occasion d'essayer chez elle l'influence de la compression
ovarienne sur les convulsions.
(1) Nous avons publié l'observation complète de cette malade dans le
Progrès médical (Nos 16-33, 1875).
(2) Voir Leçon IX, p. 37o.
DOUZIÈME LEÇON
De la contracture hystérique.
Sommaire. — Formes de la contracture hystérique. — Description de la
forme hémiplégique ; analogies et différences entre la contracture hysté-
rique et celle qui dépend d'une lésion en foyer du cerveau. — Exemple
delà forme paraplégique de la contracture hystérique.
Pronostic. — Soudaineté de la guérison dans quelques cas. — Inter-
prétation scientifique de certains faits réputés miraculeux. — Incurabilité
de la contracture chez un certain nombre d'hystériques. — Exemples. —
Lésions anatomiques. — Sclérose des cordons latéraux. — - Variétés que
présente la contracture. — Pied bot hystérique.
Messieurs,
Dans son traité fondamental sur l'hystérie, M. Briquet,
bien qu'il n'accorde pas à l'histoire de la contracture per-
manente dont un ou plusieurs membres, chez les hystéri-
ques, peuvent être atteints, tout le développement qu'à mon
sens elle comporte, trace cependant avec une grande sûreté
de main les traits les plus saillants de ce symptôme. C'est
là, écrit-il, une complication rare. Il ne l'avait, en effet,
rencontrée que six fois à l'époque où il a publié son ou-
vrage. Dans un cas, la contracture occupait un seul mem-
bre; dans deux autres, elle se présentait sous forme hémi-
plégique, et dans les trois derniers, elle revêtait la forme
paraplégique. Il est parfaitement exact que la contracture
hystérique peut offrir tous ces aspects. Vous allez, du
reste, vérifier le fait par vous-mêmes, car je suis assez
heureux pour pouvoir faire passer sous vos yeux deux ma-
lades qui présentent l'une la forme hémiplégique, l'autre
la forme paraplégique de la contracture hystérique. Nous
sommes ainsi mis à même de vous faire toucher du doigt
CONTRACTURE HYSTÉRIQUE. 347
les particularités les plus intéressantes relatives, à cette
manifestation singulière de l'hystérie.
1.
Etch..., aujourd'hui âgée de 40 ans, est atteinte depuis
vingt mois d'hémiplégie gauche. Vous voyez le membre
7 \
Fig. 22. — Contracture du membre supérieur gauche.
supérieur de ce côté dans la demi-flexion {Fig. 22); il est
le siège d'une rigidité considérable, ainsi qu'en témoignent
348 FORME HÉMIPLÉGIQUE.
la difficulté que l'on éprouve à exagérer la flexion et l'im-
possibilité d'obtenir l'extension complète (1).
Le membre inférieur gauche est dans l'extension; ses
diverses parties sont, pour ainsi dire, dans une attitude
forcée. Ainsi la cuisse est fortement étendue sur le bassin,
la jambe sur la cuisse. Le pied offre la déformation de
Yéquin varus le plus prononcé. En outre, les muscles ad-
ducteurs de la cuisse sont, eux aussi, fortement contrac-
tures. En somme, toutes les jointures sont également ri-
gides, et le membre, clans son ensemble, forme comme une
barre inflexible, car, en le saisissant par le pied, vous pour-
riez soulever tout d'une pièce la partie inférieure du corps
de la malade. J'insiste sur cette attitude du membre infé-
rieur, parce qu'elle est très-rare dans l'hémiplégie liée à
l'existence d'une lésion cérébrale en foyer, et qu'elle est, au
contraire, pour ainsi dire la règle dans la contracture hys-
térique. Dans ce dernier cas, la flexion permanente de la
cuisse et de la jambe, si j'en juge d'après mes observations,
est un fait réellement exceptionnel.
Il s'agit là d'une contracture permanente dans l'accep-
tion rigoureuse du mot;- je me suis assuré qu'elle ne se
modifie en rien pendant le sommeil le plus profond ; elle ne
subit pas, dans la journée, d'alternatives d'aggravation
et de rémission. Seul, le sommeil provoqué par le chloro-
forme la fait disparaître pour peu que l'intoxication ait été
poussée un peu loin.
Bien que chez notre malade la contracture hémiplégique
date, je le répète, de près de deux ans, vous voyez que la
nutrition des muscles n'a pas souffert sensiblement. J'ajou-
terai encore que la contractilité électrique est restée à peu
près normale.
Je vous ferai remarquer, en passant, qu'en redressant
(l) Aujourd'hui (juillet 1873), la contracture des membres gauches, chez
E. ... se retrouve avec tous les caractères qu'elle offrait à l'époque où la
présente leçon a été faite, c'est-à-dire en juin 1870.
CARACTÈRES DE LA CONTRACTURE HYSTÉRIQUE. 349
fortement la pointe du pied, on détermine dans le membre
inférieur contracture une trépidation qui persiste quel-
quefois pendant longtemps, alors que le pied, abandonné à
lui-même, a repris son attitude primitive. Vous savez que
cette même trépidation se rencontre très-habituellement
dans la paralysie avec contracture, liée à une lésion orga-
nique spinale, lorsque, par exemple, les cordons latéraux
sont sclérosés ; mais je l'ai observée également dans nombre
de cas où la contracture hystérique s'est terminée tout à
coup par la guérison. Vous voyez par là que ce phénomène
n'a pas, au point de vue du diagnostic anatomique, une va-
leur absolue (1).
(l) Dès 186S, dans mes leçons de la Salpétrière, j'ai appelé l'attentionsur
le tremblement particulier qui, chez certains sujets atteints de paralysie ou
seulement de parésie des membres inférieurs, se produit dans le pied lorsque,
saisissant avec la main l'extrémité de celui-ci, on le redresse brusquement.
(Voir P. Dubois. Etude sur quelques points de Vataxie locomotrice progres-
sive. Thèse de Paris, 1868.)
La trépidation ainsi provoquée s'arrête, en général, aussitôt qu'on cesse
de maintenir le pied dans la ilexion dorsale ; elle persiste cependant quelque-
fois un peu après. Limitée au pied dans beaucoup de cas, elle s'étend sou-
vent au membre tout entier et se propage même quelquefois au membre in-
férieur de l'autre côté. Dans le cas où le tremblement dont il s'agit peut être
provoqué par la manœuvre indiquée plus haut, il se manifeste fréquemment
aussi, soit spontanément, du moins en apparence, soit sous l'influence des
mouvements que fait le malade pour se dresser dans son lit, pour en des-
cendre et mettre le pied à terre, ou encore pour marcher.
La trépidation provoque'e ou spontanée du pied se montre dans les circons-
tances variées, où les faisceaux latéraux de la moelle épinière sont devenus,
dans une certaine étendue, le siège d'un travail lent de prolifération conjonc-
tive. Ces conditions sont, on le voit, les mêmes que celles, où plus tardive-
ment que le tremblement, se produit la contracture permanente. Ainsi, la
trépidation spontanée ou provoquée, soit limitée au pied, soit généralisée,
s'observe dans la sclérose symétrique des cordons latéraux, dans la sclérose en
plaques toutes les fois que les foyers spinaux occupent les faisceaux laté-
raux dans une étendue de plusieurs centimètres en longueur; on les observe
lorsque la sclérose descendante s'est établie consécutivement à la compres-
sion de la moelle déterminée par une tumeur, à la myélite transverse aiguë
ou subaiguë, ou encore dans la sclérose latérale consécutive à certaines lé-
sions du cerveau, telles, entre autres, que le ramollissement en foyer ou
l'hémorrhagie des corps opto-striés, intéressant la capsule interne. La trépi-
dation en question n'est donc pas l'apanage d'une maladie en particulier ;
elle se lie à des maladies d'origine très-diverse, mais auxquelles la sclérose
350 CARACTÈRES DE LA CONTRACTURE HYSTÉRIQUE.
A part la différence que nous avons signalée à propos de
l'attitude du membre inférieur, toutes les particularités
que nous venons de rappeler pourraient, à la rigueur,
s'appliquer à un cas d'hémiplégie organique, résultant
d'une lésion profonde de l'encéphale, hémorrhagie ou ra-
mollissement, par exemple.
Un nouveau trait de ressemblance est celui-ci : l'hémi-
plégie, chez Etch..., a débuté tout à coup, pendant une at-
taque. La malade, à la suite de cette attaque, est restée sans
connaissance durant plusieurs jours.
Après avoir indiqué les analogies, il faut faire ressortir
les différences. Elles sont nombreuses, péremptoires et de
fait, le plus souvent, rien n'est plus simple, en s'aidant de
ces caractères presque toujours présents, que de rapporter
la contracture hystérique à sa véritable origine.
1° Remarquez en premier lieu, Messieurs, l'absence de
paralysie faciale et de déviation de la langue, lorsque celle-
latérale est un irait commun. Toutefois, sa présence dans des cas de con-
tracture hystérique, terminée brusquement par la guérison, montre qu'elle
ne saurait être rattachée toujours à l'existence d'une lésion matérielle appré-
ciable des faisceaux latéraux. (Dubois, loc. cit. — Charcot et Joffroy.
Arch. de Physiologie, 1869, p. 632 et suiv. — Charcot, Leçons sur les Mala-
dies du Système nerveux, lre édition, 1872-1873, pp. 218, 307, 319.)
Tout récemmment, M. Westphal et M- Erb ont consacré chacun à l'étude
de ces symptômes, un travail accompagné de vues physiologiques ingénieuses.
Suivant ces auteurs, la trépidation provoquée du pied (laquelle est désignée
par M. "Westphal sous le nom de Fiisphânomen), serait un phénomène ré-
flexe ayant son point de départ dans les tendons. (CE. Erb. Sehnenreflexe
lei Gesunden und bei Rûchenmarksltranken. InArchiv fur Psychiatrie IV Bd,
3e hest., p. 792,1875, — G. Westphal. Ueber einige Bewegungs-Ersclieimungen
an gelâhmten Gliedern. — Même recueil, p. 883. — W. Erb. Ueber einen
wenig bekannten spinalen Symptomencomplex. In Berliner Klin. Woschens-
chrift. 1875, n° 26.)
Dans quelques cas de paralysie des membres supérieurs, lorsqu'il s'agit
par exemple d'une hémiplégie consécutive à une lésion de la capsule interne,
et que la contracture permanente n'est pas trop accentuée, on réussit à pro-
duire en redressant vivement les doigts, un tremblement spasmodique de
la main en tout semblable à la trépidation provoquée du pied. (J.-M. C).
CARACTÈRES DE LA CONTRACTURE HYSTÉRIQUE. 351
ci est tirée hors de la Louche. Vous savez que ces phéno-
mènes existent au contraire toujours à un certain degré
dans l'hémiplégie, par lésion en foyer du cerveau (1).
2° Notez ensuite l'existence d'une analgésie et même
d'une anesthésie pour ainsi dire absolue, étendue à toute
la moitié du corps, répondant au côté paralysé, occupant
par suite la face, le tronc, etc. Cette altération de la sensi-
bilité intéresse non-seulement la peau, mais encore les
muscles et peut-être les os ; elle s'arrête exactement à la
ligne médiane.
Cette sorte de généralisation de l'anesthésie à tout un
côté du corps, tête, tronc et membres, cette limitation, en
quelque sorte géométrique, des parties anesthésiées par un
plan vertical qui divise le corps en deux moitiés égales, ap-
partiennent pour ainsi dire en propre à l'hystérie (2). Quoi
qu'il en soit, ce symptôme ne s'observe que très-rarement
dans Yhémiplégie de cause cérébrale, et s'il s'agissait de
Y hémiplégie spinale, c'est-à-dire résultant de la lésion d'une
moitié unilatérale de la moelle épinière, l'anesthésie, ainsi
que l'a montré M. Brown-Séquard, occuperait le côté du
corps opposé à la paralysie motrice.
3° Nous avons à relever eneore bien d'autres caractères
distinctifs. La malade est intelligente et rien n'autorise à
suspecter sa sincérité ; elle peut dont nous renseigner d'une
façon véridique sur le mode d'évolution de son affection.
Voici, en quelques mots, son histoire.
Il n'y aurait pas eu chez elle, semble-t-il, d'antécédents
(1) Suivant M. Hasse [Eandl dcrPatJiol, etc., 2 Aufiag. Erlangen, 18G9),
on devrait à M. Althaus d'avoir signalé l'absence de la paralysie faciale et
de la déviation de la bouche et de la langue dans l'hémiplégie hystérique.
Il n'en est rien ; ce caractère se trouve déjà mis en relief dans les Leçons
sur le système nerveux de B.. B. Todd.
(2) Voir la Leçon X, sur YHémianesthésie.
352 CARACTÈRES DE LA CONTRACTURE HYSTÉRIQUE.
hystériques. La maladie a débuté à 34 ans, après une vio-
lente secousse morale , par une attaque avec perte de con-
naissance. Cette attaque, selon toute vraisemblance, a pris
la forme épileptique de l'hystérie. Etch..., en effet, pen-
dant l'accès est tombée dans le feu, et elle porte sur la fi-
gure des traces de la brûlure qu'elle s'est faite dans cette
circonstance. De nouvelles attaques, tantôt franchement
hystériques, tantôt prenant quelques-uns des aspects de
l'épilepsie, sont survenues, à plusieurs reprises, durant les
années suivantes ; mais c'est à 40 ans que sont apparus les
symptômes permanents de l'hystérie que nous avons à étu-
dier aujourd'hui. Nous devons indiquer au milieu de quel
concours de circonstances ils se sont développés, car nous
trouvons là quelques traits caractéristiques.
a) Les règles, jusque-là régulières, se dérangent ; la ma-
lade a de temps en temps des vomissements de sang (1) ; son
ventre est le siège d'un ballonnement considérable avec
douleur vive à la pression de la région ovarienne gauche,
douleur d'un caractère spécial, s'accompagnant de sensa-
tions particulières qui s'irradiaient vers la région épigas-
trique et que la malade reconnaissait comme précédant la
plupart de ses attaques. Ces douleurs, comme d'ailleurs le
ballonnement et la rétention d'urine, existent encore au-
jourd'hui.
&) Presque en même temps, Etch... est affectée d'une ré-
tention d'urine persistante, qui nécessite habituellement le
cathétérisme.
c) Les choses en étaient là lorsque, en octobre 1868, sur-
vient une attaque très-intense, accompagnée de convulsions
(l) C'est là un accident fréquent chez les hystériques lorsque la mens-
truation est notablement troublée.
CARACTÈRES DE LA CONTRACTURE HÉMIPLÉGIQUE. 353
et suivie d'un état apoplectiforme avec respiration sterto-
reuse; c'est alors que débuta tout à coup Y hémiplégie.
Eli bien, Messieurs, ce ballonnement considérable du
ventre, ces douleurs de la région ovarienne, cette ré-
tention des urines, constituent un ensemble de symptômes
dont l'importance, au point de vue du diagnostic, est à peu
près décisive. Rien de semblable ne s'observe dans les pro-
dromes des hémiplégies de cause cérébrale, et il est au con-
traire très-habituel de voir ces symptômes précéder l'appa-
rition des phénomènes permanents de l'hystérie : hémiplé-
gie ou paraplégie. C'est un point que M. Briquet n'a pas
manqué de faire ressortir; on le trouve également relevé
comme il convient, du moins en ce qui concerne la para-
plégie hystérique, par M. Laycock, dans les termes suivants :
« La paralysie plus ou moins prononcée des extrémités in-
férieures, dans l'hystérie, est toujours accompagnée — il
aurait pu ajouter : « et précédée » — par un degré corres-
pondant de perturbation dans les fonctions des organes
pelviens ; cette perturbation se traduit par la constipation,
la tympanite, la paralysie vésicale, l'accroissement ou la
diminution de la sécrétion urinaire, l'irritation ovarienne
ou utérine, etc. (1). »
d) Lorsque Etch... est entrée à la Salpétrière, il y a un
an (juin 1869), l'hémiplégie datait déjà de sept ou huit
mois. Indépendamment de toutes les particularités, si carac-
téristiques, qui viennent d'être rappelées, l'état des mem-
bres paralysés pouvait, lui aussi, être invoqué en faveur de
l'origine hystérique de la paralysie. Ainsi, tandis que le
membre supérieur était dans un état de flaccidité complète,
absolue, le membre inférieur présentait au genou une rigi-
dité très-marquée. Ce serait là une anomalie considérable
dans un cas d'hémiplégie consécutive à une lésion céré-
(l) Treatise onthe nervous Diseases of Women, Loiidon, 1840, p. 2-40.
Charcot, t. i, 3e éd. 23
354 FORME PARAPLÉGIQUE.
brale, car, en pareil cas, la rigidité tardive se manifeste
toujours de préférence dans le membre supérieur.
é) La contracture, qui, aujourd'hui, occupe le membre
supérieur, remonte à quelques mois seulement, et elle s'est
développée tout à coup, sans transition, à la suite d'une
attaque. Ce n'est pas de la sorte, vous le savez, que pro-
cède la contracture tardive dans l'hémiplégie due à l'hé-
morrhagie ou au ramollissement du cerveau ; constam-
ment, dans ce dernier cas, la contracture s'établit lente-
ment, d'une manière progressive.
Ainsi, Messieurs, en tenant compte de toutes les cir-
constances qui viennent d'être énumérées, rien n'est plus
facile que de reconnaître chez Etch.... la véritable cause du
mal. Il en sera de même encore dans le fait suivant, qui est
relatif à un cas de paraplégie hystérique (1).
II.
Alb , âgée de 21 ans, enfant trouvé, est atteinte
depuis deux ans environ d'une contracture permanente
des membres inférieurs, qui sont, comme vous pouvez le
constater, dans l'extension et tout à fait rigides. De même
que chez Etch..., la contractilité musculaire n'est pas
amoindrie. Les membres sont amaigris, mais d'une façon
générale, et cet amaigrissement tient à ce que la malade
est affectée de vomissements presque incoercibles qui
l'empêchent de s'alimenter suffisamment. On note, en
outre, une analgésie à peu près complète des membres pa-
ralysés.
(l) Il a déjà été question de cette malade dans la Leçon XI, p. 345. —
On trouvera son histoire complète dans les Recherches cliniques et théra-
peutiques sur Vépilepsk et V hystérie > p. 151.
CONTRACTURE HYSTÉRIQUE ! PRONOSTIC. 355
Voici maintenant des circonstances vraiment décisives
qui permettent d'établir le diagnostic.
a) Alb.... a des attaques hystériques depuis l'âge de
16 ans ; — &) elle est atteinte, depuis quatre ans, d'une ré-
tention d'urine réclamant ordinairement le cathétérisme ;
— c) elle présente un ballonnement énorme de l'abdomen ;
— d) les régions ovariennes sont douloureuses à la pression,
et, en insistant un peu dans l'exploration, on ne tarderait
pas à provoquer une attaque hystérique ; — e) la contrac-
ture des membres inférieurs est survenue tout d'un coup,
sans transition, et c'est là un point que nous avons fait
ressortir déjà dans l'observation précédente. Or, de sem-
blables symptômes ne s'observent pas dans la progression
de la sclérose des cordons latéraux....
III.
Ainsi, Messieurs, rien de plus simple, je le répète, que
l'interprétation clinique de ces deux cas, en ce qui con-
cerne le diagnostic. Mais voici le point où, dans ces cas
mêmes et dans les cas analogues, des difficultés sérieuses
peuvent surgir ?
Qu'adviendra-t-il de ces malades ? Depuis deux ou trois
ans, la paralysie avec contracture a persisté, chez elles,
sans amendement. Cette contracture pourra-t-elle se ré-
soudre quelque jour, ou, au contraire, doit-elle persister
indéfiniment et constituer de la sorte une infirmité incu-
rable ? Yoilà des questions que nous devons poser sans
nous engager, toutefois, à y répondre d'une façon catégo-
rique.
À. Il est possible que, malgré sa longue durée, cette con-
tracture disparaisse sans laisser de traces, demain peut-
être, dans quelques jours, dans un an; on ne peut rien
préjuger à cet égard. En tout cas, si la guérison a lieu,
356
EXEMPLES DE GUERISON.
elle pourra être soudaine (1). Du jour au lendemain, tout
peut rentrer dans l'ordre ; et s'il se trouve qu'à cette épo-
Fig. 23. — Contracture hystérique du membre inférieur droit.
que la diathèse hystérique soit épuisée, ces malades re-
prendront la vie commune.
(l) « Une femme sera restée confinée au lit pendant plusieurs mois, tout
à fait incapable de se servir de ses membres inférieurs; le médecin aura
abandonné tout espoir de lui être secourable, lorsque, tout à coup, sous l'in-
fluence d'une cause morale puissante, on la verra sortir de son lit « non Ion-
SOUDAINETÉ DE LA GUÉRISON. 357
À ce propos, Messieurs, je ne puis pas ne point m'arrê-
ter un instant devant ces guérisons rapides, inespérées
souvent, d'un mal qui, pendant si longtemps, se sera fait
remarquer par sa ténacité et par sa résistance à tous les
agents thérapeutiques. Une émotion morale vive, un en-
semble d'événements qui frappent fortement l'imagination,
la réapparition des règles depuis longtemps suppri-
mées, etc., sont fréquemment l'occasion de ces promptes
guérisons.
J'ai vu dans cet hospice trois cas de ce genre, que je vous
demande la permission de résumer brièvement.
ger the victim of nerves but to vanquisher, « comme dit Thomas Carlyle, et
se mettre à marcher tout aussi hien que si elle u'eut jamais été atteinte de
paraplégie. C'est là une des terminaisons de la paraplégie hystérique que le
médecin ne doit pas perdre de vue et qui montre bien le danger qu'il y au-
rait pour lui à décréter l'incurabilitédans les cas de ce genre. » ;Th. Laycok,
A Treatise on the nervous Diseases of Wo m en. honùon, 1840, p. 289.) (Note
de la lro édition.)
— Cette prévision, s'est réalisée cette année même pour la première des
deux malades auxquelles il est fait allusion dans ce passage, souligné dans
la première édition. La situation d'Etchv. ... à la date du 21 mai, pouvait
se résumer ainsi qu'il suit : rétention d'urine, avec période d'ischurie, de-
puis neuf ans, — contracture du membre inférieur droit , — contracture des
membres du côté gauche datant de six ans ; — contracture des mâchoires
nécessitant l'emploi de la sonde œsophagienne, et qui remontait à près
d'une année ; — aphonie qui durait depuis dix mois. Le 22 mai, à 7 h. 1/4
du soir, attaque marquée surtout par de l'oppression, une contracture des
muscles du cou à gauche, lesquels portent le menton derrière l'épaule gauche.
La malade n'a pas perdu connaissance, elle croit qu'elle va mourir; elle
crie, la contracture des mâchoires a disparu. Elle s'agite, on cherche à la
contenir : avec son bras droit devenu libre, elle repousse ceux qui la
tiennent. Elle veut aller à la fenêtre pour avoir de l'air ; comme on s'y
oppose, sa colère augmente et, sous cette influence, on voit cesser successi-
vement la contracture de la jambe droite, puis celle de la jambe gauche,
enfin celle du bras gauche. On laisse Etch... se lever; elle marche:
à 8 heures la ffuérison était complète, ou peu s'en faut. Dès le lendemain,
la sécrétion urinaire était redevenue normale (Planche X). L'amblyopie,
l'anesthésie, n'ont disparu complètement qu'au bout de quelques jours, et la
malade n'a conservé, comme trace de sa contracture permanente, que quel-
ques craquements dans les jointures. principalement celles du membre inférieur
gauche. Finalement, les seuls vestiges des anciens accidents sont aujour-
d'hui des craquements, d'ailleurs peu prononcés, se montrant dans les join-
tures des membres autrefois contractures. (B.) {Note de la 3e édition.)
358 SOUDAINETÉ DE LA. GUÉRÏSON.
1° Dans le premier cas, il s'agissait de la contracture
d'un membre inférieur [Fig. 23) datant de quatre ans au
moins. En raison de l'inconduite de la malade, je fus
obligé de lui adresser une vigoureuse semonce et de lui
déclarer que je la renvoyais. Dès le lendemain, la contrac-
ture avait entièrement cessé. Ce fait est d'autant plus im-
portant que l'hystérie convulsive n'existait plus que dans les
souvenirs de cette femme. Depuis deux ou trois ans, la con-
tracture était la seule manifestation de la grande névrose.
2° Le second cas concerne une femme également atteinte
d'une contracture limitée à un seul membre. Les crises
hystériques proprement dites avaient depuis longtemps dis-
paru. Cette femme fut accusée de vol : la contracture qui
avait duré plus de deux ans se dissipa tout à coup à l'occa-
sion de l'ébranlement moral que produisit cette accusation.
3° Dans le troisième cas, la contracture avait pris la
forme hémiplégique ; elle affectait le côté droit et était sur-
tout prononcée au membre supérieur. La guérison survint
presque tout à coup, dix-huit mois après le début, à la suite
d'une vive contrariété. Il n'y avait pas alors d'anesthésie;
la malade, tout en avouant avoir éprouvé des troubles ner-
veux bizarres, niait l'existence passée de véritables atta-
ques hystériques.
Il faut bien connaître, Messieurs, la possibilité de ces
guérisons qui, aujourd'hui encore, font crier au miracle,
mais dont les charlatans seuls se font gloire. Avant notre
siècle, ces faits-là étaient souvent invoqués lorsqu'il s'agis-
sait d'établir devant les plus incrédules l'influence du sur-
naturel en thérapeutique. A ce point de vue, vous lirez avec
intérêt un article publié dans la Revue de philosophie po-
sitive (1er avril 1869, par le vénérable M. Littré (1). Je fais
(l) La Philosophie positive, Revue, etc., t. V, 1869, p. 103.
CONTRACTURES INCURABLES. 3o9
allusion à un écrit intitulé : Un fragment de médecine ré-
trospective (Miracles de Saint-Louis), et dans lequel on
trouve l'histoire de plusieurs cas de paralysie guérie après
des pèlerinages faits à Saint-Denis, au tombeau où les restes
du roi Louis IX venaient d'être déposés. Trois de ces cas
surtout sont intéressants pour nous, à cause de la précision
des détails. Ils se rapportent à des femmes, jeunes encore,
frappées subitement de contracture de l'un des membres in-
férieurs ou des deux membres du même côté du corps, les-
quels présentaient en outre une anesthésie considérable.
Chez ces femmes, la guérison était survenue tout d'un coup,
au milieu de circonstances bien propres à émouvoir l'ima-
gination. Vous voyez, Messieurs, que les choses on peu
changé depuis la fin du xm° siècle (1).
B. Mais si la guérison de ces malades est possible, vrai-
semblable même, elle n'est pas nécessaire, et il peut se
faire que la contracture persiste à titre d'infirmité incura-
ble. Voilà une assertion qu'il ne me sera pas difficile de
justifier. Mais, permettez- moi de vous faire remarquer
tout d'abord que vous ne trouverez, sur ce sujet, dans la
plupart des auteurs, que des assertions vagues, incertaines,
vraiment peu satisfaisantes.
a) Je vous présente une femme, âgée maintenant de
55 ans et qui, il y a dix-huit ans, fut prise à la suite d'une
attaque hystérique de la paraplégie avec contracture, dont
vous pouvez encore aujourd'hui reconnaître les principaux
caractères. La contracture, à l'origine, s'amendait de temps
à autre temporairement. Mais depuis plus de seize ans, elle
n'a jamais subi la moindre modification ; il s'agit ici d'une
(1) Bien peu changé, en elTet, car les guérisons prétendues miraculeuse?,
dont on a voulu faire tant de bruit dans ces derniers temps, ne diffèrent par
aucun caractère appréciable des miracles de saint Louis. C'est ce dont on
pourra se convaincre par la lecture de l'ouvrage qu'a récemment publié
M. Diday, sous ce titre : Examen médical des miracles de Lourdes. Paris
1873. (B.)
360
SCLEROSE DES CORDONS LATERAUX.
véritable rigidité des muscles avec prédominance de l'action
des extenseurs et des adducteurs ; même après seize ans
d'immobilité des membres inférieurs, les parties ligamen-
teuses n'y sont pour rien, du moins aux genoux, ainsi
qu'une exploration faite alors que la malade avait été sou-
Fig. n
Contracture hystérique des deux membres inférieurs.
mise à l'anesthésie du chloroforme nous a permis de le vé-
rifier. Seule, la déformation des pieds, qui rappelle celle du
varus équin, ne s'est point modifiée pendant le sommeil
chloroformique. Les muscles des jambes et des cuisses sont
notablement atrophiés ; la contractilité faradique y est
amoindrie. Depuis plusieurs années, l'hystérie paraît com-
SCLÉROSE DES CORDONS LATÉRAUX. 361
plétement épuisée chez cette femme, et il est devenu fort
peu probable qu'aucun événement puisse, chez elle, rien
changer désormais à l'état des membres inférieurs
(Fig.2f)(l).
V) Quelle condition est donc survenue et a entretenu
ainsi l'existence de cette paraplégie avec rigidité des mem-
bres ? Evidemment, dans les cas récents de contrac-
ture hystérique, la modification organique, quelle qu'elle
soit, quelque siège quelle occupe, qui produit la rigidité
permanente, est très-légère, très-fugace, puisque les symp-
tômes qui lui correspondent peuvent disparaître tout à
coup, sans transition. Il est certain qu'avec les moyens
d'investigation dont nous disposons aujourd'hui, la nécros-
copie la plus minutieuse ne serait pas en état de retrouver,
en pareil cas, les traces de cette altération. Mais en est-il
de même dans les cas invétérés '? Non, Messieurs ; je crois
pouvoir avancer, en me fondant sur la connaissance d'un
fait analogue, que, chez cette femme, il s'est produit, à une
certaine époque, une lésion scléreuse des cordons latéraux
lésion que la nécroscopie permettrait actuellement de re-
connaître.
Il m'est arrivé, en effet, d'observer une fois, chez une
femme hystérique, atteinte, depuis une dizaine d'années.
de contracture des quatre membres, et dont le début avait
été subit, une sclérose qui occupait symétriquement, et à
peu près dans toute la hauteur de la moelle, les cordons
latéraux. À diverses reprises, cette femme avait vu la con-
tracture céder temporairement, mais après un dernier ac-
cès, celle-ci était devenue définitive (2\
(1) Voir l'observation complète de cette malade à la page 53 de notre mé-
moire intitulé : De la contracture hystérique permanente ou Appréciation
scientifique des miracles de saint Louis, de saint Mcdard, etc. (B.)
(2) Société médicale des Hôpitaux. Séance du 25 janvier 1865.
De même que, parfois, ou observe une lésion spinale anatomiquement
appréciable dans les cas invétérés de contracture hystérique, de même aussi
362 CONTRACTURE HYSTÉRIQUE : PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE.
Des faits qui précèdent (1), il est sans doute légitime de
tirer quelques inductions relatives à la physiologie patho-
logique de la contracture hystérique. D'après les considé-
rations que nous avons émises, les cordons latéraux, ou
tout au moins leur partie postérieure — celle qui tient sous
sa dépendance la contracture permanente dans les cas de
sclérose en plaques ou fasciculée — ces cordons, dis-je,
les troubles de la vision peuvent quelquefois s'accompagner de lésions du
fond de l'oeil que l'oplithalmoscope fait reconnaître. Un élève de la Salpé-
trière, M. A. Svynos, a consigné dans sa thèse inaugurale {Des amblyopies
et des amauroses hystériques ; Paris, juillet 1873) à peu près tout ce qui a
trait à ce sujet. Il a, en particulier, décrit tout au long les phénomènes
ophthalmoscopiques, recueillis à plusieurs reprises chez Etchev. . .
Pendant longtemps, chez cette malade, dont il a été question à diverses
reprises Leçon IX, p. 275; Leçon XI, p. 345), on n'avait découvert sur le
fond de l'œil gauche, frappé d'amblyopie hystérique, aucune lésion ; mais,
un dernier examen pratiqué le 20 mars 1873 par M. Galezowski a fait re-
connaître les altérations suivantes : 1° la papille est uniformément rouge
dans toute son étendue, phénomène qui est la suite d'une congestion papil-
laire ; — 2° les contours de la papille sont effacés, troubles, en raison d'une
exsudation séreuse diffuse qui s'étend sur la rétine le long des vaisseaux ;
— 3° la branche principale de l'artère centrale qui se distribue dans la partie
inférieure de la rétine présente une dilatation fusiforme, tandis que, près de
la papille, elle paraît être en état de contraction spasmodique. Selon M. Ga-
lezowski, « il y a lieu de supposer que tous ces désordres sont dus à la con-
traction spasmodique des artères, par places et à leur dilatation dans d'autres
endroits. De là des congestions papillaires sur certains points et des anémies
sur d'autres, ce qui amène une infiltration séreuse péri-papillaire. » (B.) —
Voir aussi l'observation rapportée par M. Bonnefoy dans le Mouvement mé-
dical (1873, p. 276). {Note de la lre édition.)
Chez toutes les malades atteintes d'amblyopie hysté'riyue }exara\nées récem-
ment par M.Landolt à la Salpétrière, le champ visuel pour le blanc et pour
les couleurs est rétréci concentriquement, même dans les cas où l'acuité
visuelle et la perception centrale des couleurs sont normales dans l'œil du
côté non anesthésié. Toutes les fonctions de la rétine de l'œil du côté malade
ont diminué proportionnellement. Pour les détails relatifs au rétrécissement
du champ visuel pour les couleurs, chez les hystériques, voir la Planche IX,
Fig. 2 y qui représente les phénomènes, observés chez Marc... et les
détails qui l'accompagnent. {Note de la 2° édition.)
(l) Aux observations rappelées par M. Charcot, il convient d'ajouter la
suivante recueillie à la Salpétrière dans son service et qui confirme en tous
points son enseignement-
Berthe Chat. . ., âgée de dix-huit ans et demi (juillet 1873), a été sujette
depuis son enfance jusqu'à douze ans à des épistaxis survenant toujours par
la narine droite, et de douze ans jusqu'à quinze ans à des céphalalgies à
peu près mensuelles. A quinze ans, sans cause connue, en dehors de toute in-
CONTRACTURE HYSTÉRIQUE : PRONOSTIC. 363
sont désignés comme étant le siège de modifications orga-
niques, d'abord temporaires, et qui donneraient lieu aux
contractures hystériques. A la longue, ces modifications,
quelles qu'elles soient, font place à des altérations maté-
rielles plus profondes: une sclérose véritable s'établit.
Peut-être n'est-elle pas au-dessus des ressources de l'art ;
mais, dans tous les cas, elle ne permet très-certainement
plus d'espérer cette brusque disparition des contractures qui
constitue un des caractères les plus frappants de la mala-
die lorsqu'elle n'estpas parvenue encore aux phases les plus
avancées de son évolution.
fluence héréditaire appréciable, elle eut tout à coup une attaque convulsive
avec perte de connaissance. Rares pendant la seizième et la dix-septième
année, les attaques se sont multipliées dans le cours de la dix-huitième
année. Les unes, appartenant à l'hystérie simple, reviennent tous les deux
ou trois mois; les autres relevant de I'hystéro-épihpsie se montrent assez ré-
gulièrement tous les mois. L'apparition des règles (janvier 1873) n'a pas mo-
difié, d'une façon appréciable, la fréquence et les caractères des convulsions.
Au moment de son entrée à la Salpétrière (sept. 1872), cette jeune fille
présentait à droite : 1° une hémianesthésie complète ; 2° del'hyperesthésie
de l'ovaire.
8 octobre. A la suite d'une attaque accompagnée de délire pendant douze
heures environ, contracture du membre inférieur droit avec pied bot varus
équin ; la contracture se complique d'un tremblement presque constant (e'pi-
îepsie spinale). — Du 10 au 25 octobre, la situation reste la même, malgré
l'apparition d'un accès hystéro-épileptique.
30 octobre. Crises convulsives dans lesquelles l'hystérie prédomine. Durant
la deuxième crise, les personnes qui maintenaient la malade, de peur qu'elle
ne se blessât, ont senti la jambe droite, qui jusqu'alors avait toujours été
dans l'extension, se fléchir brusquement sur la cuisse et lorsque la malade
est revenue à elle, la contracture avait cesssé. Chat. . . a conservé pendant
quelques jours un certain degré de faiblesse dans le membre inférieur droit,
principalement dans le pied qui se renversait en dedans.
Novembre. Berthe marche sans boiter ; le pied droit se renverse encore
quelquefois en dedans et la pointe du pied bute, par instants, contre le pied
gauche. Parfois aussi, la jambe droite est prise d'un tremblement qui dure
5 à 6 minutes et auquel succède une sorte d'engourdissement qui se pro-
longe en général pendant toute la journée : Alors, je ne sens plus ma jambe,
dit la malade.
1873. La faiblesse musculaire a diminué progressivement. Aujourd'hui
(8 juillet), Chat. . . est aussi forte d'un côté du corps que de l'autre ; l'hé-
mianesthésie et la douleur ovarienne droites n'ont pas changé. Ce fait nous
montre une fois de plus que la paralysie hystérique avec contracture peut
disparaître subitement sans le secours d'aucune intervention. (B.)
361 CONTRACTURE HYSTÉRIQUE : PRONOSTIC.
Existe-t-il quelque signe qui permette d'indiquer, à coup
sûr, le caractère du cas, de savoir par exempte si la sclé-
rose a définitivement ou non élu domicile dans les cordons
latéraux? Je ne crois pas, Messieurs, que l'on puisse, dans
l'état actuel de la science, signaler un seul symptôme qui
présente à cet égard une valeur pronostique absolue.
La trépidation convulsive des membres contractures,
provoquée ou survenant spontanément (épilepsie spinale
tonique), un certain degré d'émaciation des masses muscu-
laires, un peu d'amoindrissement dans l'énergie de la con-
tractilité électrique, ne devraient pas, si j'en juge d'après
les observations qui me sont propres, faire désespérer com-
plètement de voir la contracture disparaître sans laisser de
traces. Au contraire, l'atrophie limitée plus particulière-
ment à certains groupes de muscles, surtout s'il s'y joi-
gnait des contractions fibrillaires, analogues à celles qu'on
observe dans l'atrophie musculaire progressive ou un affai-
blissement très-notable de la contractilité faradique, de-
vrait faire supposer non-seulement que les cordons laté-
raux sont profondément lésés, mais que, en outre, les
cornes antérieures de la substance grise ont été envahies.
Je n'ai observé, jusqu'à présent, ces derniers symptômes
que dans des cas de contracture hystérique de date très-
ancienne et qui ne laissaient plus guère d'espoir de voir les
membres affectés reprendre jamais leurs fonctions nor-
males.
J'ajouterai enfin que l'existence d'une lésion organique
spinale plus ou moins profonde serait mise à peu près
hors de doute si, sous l'influence du sommeil déterminé
par le chloroforme , la rigidité des membres ne s'effa-
çait que lentement ou persistait même à un degré pro-
noncé.
A mon avis, tant que ces symptômes ne sont pas nette-
ment accusés, il ne faut désespérer de rien. Il importe,
d'ailleurs, de ne pas oublier que la sclérose latérale, alors
même qu'elle est parfaitement établie, n'est pas, tant s'en
PIED BOT HYSTÉRIQUE. 365
faut, j'espère vous en donner bientôt la preuve, une affection
incurable.
Chez les malades sur lesquels je viens d'appeler votre
attention, la contracture occupait soit la totalité d'un
membre, soit même deux membres, ou plus encore. Mais
il est des cas où la rigidité spasmodique reste limitée à quel-
que partie d'un membre, au pied par exemple et produit
une sorte àepied dot hystérique (Talipedal Distorsions de
T. Laycock-. Tout récemment le docteur R. Boddaert a
communiqué à la Société de médecine de Gand (1) un cas
de ce genre fort intéressant. La contracture avait donné
lieu à la déformation connue sous le nom de pied bot varus.
Des faits analogues ont été recueillis et publiés par le doc-
teur Little (-2), par C. Bell (3), par M. F. C. Skey (4) et par
quelques autres auteurs.
Si je ne me trouvais retenu par certaines convenances,
je pourrais, Messieurs, rapporter à mon tour dans tous ses
détails l'histoire d'un cas qui rappelle celui qu'a publié
M. Boddaert.
Qu'il me suffise de vous dire qu'une jeune fille, âgée ac-
tuellement de 22 ans, très-nerveuse et appartenant à une
famille où les affections nerveuses prédominent, fut prise,
il y a trois ans, tout à coup, sans cause connue et sans
avoir offert jusque-là de symptômes caractérisés d'hystérie,
d'une contracture douloureuse des muscles de la jambe
gauche. Cette contracture, qui imprime au pied l'attitude
du varus équin le plus accentué, avait cédé d'abord, pen-
dant la première année, à plusieurs reprises ; mais, depuis
près de deux ans, elle parait définitive (juin 1870).
(l) Annales de la Société de médecine de Gand, 1859, p. 93.
2 A Treatise on tlxe Nature and Treaiment of club Foot and analog. Dis-
torsions. London, '83J, Case 25.
(3) The nervovs System of the humait Body, 3e édit 1836, case 177.
(4^ Hysteria etc. Six Lectures dilivered to the Students of St-Bartholo-
inew's Hospital. 186û, 3° édit. London, 1870, p. 102.
366 CONTRACTURE HYSTÉRIQUE ; AMYOTROPHIE.
Plusieurs des muscles de la jambe ont subi une atrophie
profonde ; ils présentent, en outre, des contractions fibril-
laires très-accusées et répondent mal aux excitations élec-
triques. Je crois, par conséquent, qu'il y a peu de chances
de voir la contracture se résoudre, d'autant plus qu'elle ne
s'amende que très-imparfaitement durant le sommeil pro-
duit par le chloroforme. Je signalerai encore une particu-
larité fort intéressante, au point de vue clinique : chez cette
jeune malade, les attaques hystériques se sont manifestées
seulement dans le courant des derniers mois...
TREIZIÈME LEÇON
De 1 hystéro-épilepsie.
Sommaire. — Hystéro-épilepsie. — Sens de cette dénomination. — Opinions
des auteurs. — Hystérie épileptiforme, hystérie à crises mixtes. — Va-
riétés de Thystéro-épilepsie : hystéro-épilepsie à crises distinctes : —
hystéro-épilepsie à crises combinées ou attaques-accès. — Différences et
analogies entre Tépilepsie et Thystéro-épilepsie. — Signes diagnostiques
fournis par l'examen de la température centrale dans l'état de mal hystéro-
épileptique et l'état de mal épileptique. — Etat de mal hystéro-épilepti-
que ; ses phases. — Caractères cliniques de l'état de mal hystéro-épilep-
tique. — Gravité de certains cas exceptionnels dhystéro-épilepsie. —
Observation de Wunderlich.
Messieurs,
Dans la courte description clinique que je vous ai donnée
à propos de chacune des malades qui ont passé sous vos
yeux, lors de nos dernières réunions, j'ai eu soin de mettre
en relief les principaux caractères que présentent les
attaques coirvulsives dont elles sont atteintes.
Vous avez pu reconnaître aisément qu'il ne s'agissait pas
chez elles d'attaques vulgaires, rentrant du premier coup,
sans discussion, dans le type classique. Ce n'est pas, d'ail-
leurs, seulement par l'intensité que ces accidents convul-
sifs se distinguent, c'est encore par la forme qu'ils revêtent,
et, ce qui frappe le plus l'observateur, témoin de ces atta-
ques, c'est de retrouver parmi les convulsions cloniques de
l'hystérie certains traits plus ou moins prononcés qui
rappellent Yépilepsie.
De fait, la forme convulsive, qui s'observe chez toutes
ces femmes, est celle qu'on a désignée dans ces derniers
temps sous le nom iï hystéro-épilepsie, et, remarquez-le
368 HYSTÉRO-ÉPILEPSIE.
bien, c'est la seule forme qu'on rencontre chez elles. Toutes
ces femmes ne seraient donc pas simplement des hysté-
riques, ce seraient des hystéro-épileptiques. En quoi diffè-
rent-elles des hystériques ordinaires ? C'est là un point sur
lequel il importe d'être fixé, et, pour atteindre ce but, je
vous demande la permission d'entrer dans quelques déve-
loppements.
A s'en tenir aux termes mêmes de la dénomination mise
en usage — hystéro-épilepsie — il paraît ne pouvoir exis-
ter aucune équivoque. Cela veut dire que chez les malades
auxquelles ce nom est affecté, l'hystérie se montre combi-
née avec l'épilepsie, de manière à constituer une forme
mixte, une sorte d'hybride composé mi-partie d'hystérie et
d'épilepsie. Mais cette appellation répond-elle à la réalité
des choses ? A ne les regarder qu'à la surface, il semble
en être ainsi, puisque nous avons reconnu dans les attaques
quelques-uns des traits de l'épilepsie. C'est de cette façon,
du reste, que paraissent l'entendre la plupart des auteurs
modernes. L'hystéro-épilepsie serait pour eux un mélange,
une combinaison, à doses variables selon les cas, des deux
névroses ; ce n'est pas seulement l'épilepsie, ce n'est pas
seulement l'hystérie ; c'est à la fois l'une et l'autre.
Telle est, je le répète, la doctrine la plus répandue. Tou-
tefois, elle n'est pas, tant s'en faut, universellement accep-
tée, et le camp des opposants est nombreux encore. Là, on
se refuse à admettre la légitimité de cet hybride, moitié
épilepsie, moitié hystérie.
A la vérité, on ne nie pas que l'épilepsie et l'hystérie puis-
sent se rencontrer chez un même individu. L'observation
la plus superficielle protesterait contre une semblable as-
sertion. Rien n'autorise non plus à croire qu'il y ait anta-
gonisme des deux névroses, et il serait possible même, bien
que cela ne soit pas démontré, que les sujets qui sont sous
HYSTÉRIE ÉPILEPTIFORME. 369
le coup de l'une d'elles soient, par la même, prédisposés à
contracter l'autre. Mais, en pareil cas, ajoute-t-on, les ac-
cidents convulsifs restent distincts, séparés, sans s'influen-
cer réciproquement d'une façon notable et surtout sans se
confondre au point de justifier la création d'une espèce
mixte, intermédiaire, en un mot, d'un hybride.
Quelle est donc, dans cette opinion, la signification de
ces attaques dont l'existence est si nettement établie par
les cas mêmes qui servent de fondement à notre étude et où
l'épilepsie semble s'entremêler avec les symptômes ordi-
naires de l'hystérie convulsive ?
L'épilepsie ne serait là que dans la forme extérieure ;
elle ne serait pas dans le fond des choses. En d'autres ter-
mes, dans ces cas, il s'agirait uniquement et toujours de
l'hystérie, revêtantrapparence de l'épilepsie. Le nom ^hys-
térie épilepti forme, employé, si je ne me trompe, par
Louyer-Villermay, l'un des premiers, conviendrait à dési-
gner ces attaques mixtes. La convulsion à forme épilepti-
que y apparaîtrait comme elle apparaît dans tant d'autres
affections du système nerveux, à titre d'élément accessoire,
sans rien changer à la nature de la maladie primitive.
II.
Voilà, Messieurs, la thèse à laquelle je me rattache plei-
nement. Elle a été soutenue déjà par quelques auteurs très-
compétents. Parmi eux, je puis citer Tissot, Dubois (d'A-
miens), Sandras, M. Briquet, qui se montrent sous ce rap-
port très-explicites. « Les accès d'hystérie, » dit M. Tissot,
« ressemblent quelquefois beaucoup à l'épilepsie. Aussi, en
a-t-on fait une forme particulière de l'hystérie, sous le nom
^hystérie épilepti forme. Mais ces accès n'ont pas, néan-
moins, le vrai caractère de l'épilepsie (1).
(l) Tissot. — Maladies des nerfs, t. IV, p. 75.
Charcot, t. i, 3e éd. 24
370 HYSTÉRO-ÉPILEPSIE : VARIÉTÉS.
M. Dubois (d'Amiens) considère l'hystérie épileptiforme
comme de l'hystérie ayant un degré de plus dans l'inten-
sité des symptômes (1). Sandras exprime la même opi-
nion (2).
M. Briquet, qui a écrit sur ce sujet un article marqué au
coin de la plus saine observation, dit que cette espèce $ hys-
térie à attaques mixtes n'est qu'une forme particulière
de l'hystérie ; ce n'est que de l'hystérie très-intense ; le
pronostic ne s'en trouve pas essentiellement modifié ; le
genre de la cause qui a occasionné l'hystérie, les condi-
tions spéciales à l'individu affecté, seraient la source de
ces modifications dans la forme des attaques. La nature
même de l'hystérie n'en est pas foncièrement changée.
Veuillez remarquer, Messieurs, qu'il n'y a pas là seule-
ment une question de mots, il y a aussi une question de
nosographie, et par conséquent une question de diagnostic
et de pronostic. Ces circonstances suffiront, je l'espère,
pour justifier à vos yeux les détails dans lesquels je suis
obligé d'entrer afin de faire pénétrer dans vos esprits la
conviction qui m'anime à cet égard.
III.
Recherchons donc sur quels fondements s'appuie la doc-
trine régnante. L'hystérie et l'épilepsie, dit-on, peuvent se
combiner de diverses manières chez un même sujet. Sur
2% malades, M. Beau, qui a étudié dans cet hospice, aurait
relevé cette combinaison chez 32 d'entre elles. Elle se fait
d'après des modes variés et il y a lieu d'admettre les caté-
gories suivantes.
A. Dans un premier groupe, les attaques hystériques et
(l) Dunant. — De Vhystéro-épilepsie, p. 11.
{-) Sandras. — Maladies nerveuses, 1. 1, p. 205.
HYSTÉRO-ÉPILEPSIE : VARIÉTÉS. 371
les accès d'épilepsie restent distincts : c'est ce que M. Lan-
douzy a proposé d'appeler lu/stèro-épilepsie à crises dis-
tinctes. Eh bien. Messieurs, ce serait là le cas le plus fré-
quent, car on en compte 20 exemples sur les 32 cas de M.
Beau. 11 convient d'ailleurs d'établir dans l'espèce deux
subdivisions
1° L'épilepsie est la maladie primitive : sur elle, l'hys-
térie vient ensuite se greffer, à son heure, c'est-à-dire, et
le plus souvent, à l'époque de la puberté sous l'action de
certaines causes et, en particulier, des émotions morales.
Un cas de Landouzy, cité par M. Briquet, mérite à ce
propos d'être résumé devant vous. Une jeune femme, épi-
ieptkjue depuis l'enfance, se marie à l'âge de 18 ans.
Bientùt la maladie, qu'elle avait dissimulée, se révèle. De
la. des contrariétés vives qui engendrent l'hystérie. Les at-
taques propres aux deux névroses étaient disjointes et con-
cevaient, sans s'influencer, leurs caractères spécifiques.
Un rapprochement, entre la malade et son mari, rappro-
chement occasionné par une grossesse, en ramenant le
calme dans le ménage, fait cesser l'hystérie, mais l'épi-
lepsie persiste.
2' D'autres fois, l'épilepsie succède à l'hystérie. Cette con-
dition parait être beaucoup plus rare que la précédente.
M. Briquet, cependant, en rapporte un exemple qui lui est
personnel et dans lequel les accès étaient nettement sé-
parés. Chez les malades de cette catégorie, l'intelligence
s'obnubile à la longue incontestablement par le fait de
l'épilepsie.
3° On a encore mentionné d'autres combinaisons d'ordre
secondaire. Ainsi : a) l'hystérie convulsive coexiste avec le
petit mal (Beau, Dunanf ; h) l'épilepsie convulsive est sura-
joutée à quelques-uns des accidents de l'hystérie non con-
vulsive (contracture, anesthésie, etc.). Nous possédons, par
devers nous, un cas de ce genre.
372 HYSTERO-ÉPILEPSIE : VARIÉTÉS.
Mais ces diverses associations ne changent rien au fond
des choses. Le plus souvent, les deux affections, dans l'hys-
téro-épilepsie, existent simultanément et marchent sans
agir l'une sur l'autre d'une manière sérieuse, chacune
d'elles conservant ses allures et le pronostic qui lui est
propre. A l'égard de cette première forme de Thystéro-épi-
lepsie, tout le monde est d'accord. Le débat ne porte que
sur la seconde.
B. Dans celle-ci, Y hystérie et l'épilepsie sont coévales;
elles se sont développées en même temps. Les crises, ici,
ne demeurent pas distinctes; elles ne l'ont jamais été. Dès
l'origine, le mélange s'est effectué et, dans les attaques
ultérieures, les deux formes convulsives se montreront
toujours combinées, bien qu'à des degrés divers, sans être
jamais à aucun moment complètement disjointes.
On a encore donné à cet état le nom fthystéro-épilepsie
à crises combinées. Dans le jargon depuis longtemps
usité, dans le service spécial de la Salpétrière, les crises
sont en pareil cas désignées sous le nom ^attaques-
accès.
IV.
Y a-t-il véritablement de Yépilepsie dans les crises
mixtes? Telle est la question que nous devons maintenant
discuter. A cet effet, il convient de prendre la description
de l'hystéro-épilepsie à crises mixtes consentie par les au-
teurs et de l'examiner sous tous ses aspects. J'emprunte à
M. Briquet surtout cette description de Y attaque-accès.
Elle me paraît concorder de tous points avec les résultats
de mon observation personnelle.
a) Dès l'origine, l'attaque mixte revêt son caractère pro-
pre; dès cet instant, c'est de l'hystérie épileptiforme. Je
rappellerai à votre souvenir la malade Etchev... qui, dans
ATTAQUE HYSTÉRO-ÉPILEPTTQUE. 373
son premier accès, est tombée dans le feu et s'est abîmé la
figure (1).
&) Il y a toujours des prodromes constitués par Y aura
hystérique telle que nous l'avons décrite. Cette aura, en
général de longue durée, occupe l'abdomen, l'épigastre et
n'affecte pas, en tout cas, la tête seule et d'emblée, ou l'une
des extrémités, ainsi que cela a lieu dans Vépilepsie avec
aura; aussi est-il parfaitement exact de dire que les hys-
téro-épileptiques à crises mixtes sont à peu près toujours
averties assez à temps pour qu'elles puissent, lors du déve-
loppement d'un accès, se garantir, trouver un abri.
c) Dans l'attaque convulsive, la phase dite épileptique
ouvre en général la scène. Tout à coup, cri, pâleur ex-
trême, perte de connaissance, chute, distorsion des traits
de la physionomie; puis une rigidité tonique s'empare de
tous les membres. Cette rigidité est, remarquez-le bien, ra-
rement suivie de secousses cloniques, brèves, à courtes
oscillations, et prédominant dans un côté du corps, comme
dans l'épilepsie vraie. Cependant, la face peut être à un
haut degré tuméfiée, violette ; il s'écoule de la bouche une
écume quelquefois sanguinolente, occasionnée par la mor-
sure de la langue ou des lèvres. Enfin, il peut y avoir un
relâchement général des muscles, du coma et une respira-
tion stertoreuse pendant un espace de temps plus ou moins
prolongé.
d) A cette première phase sur laquelle, je le répète, porte
principalement la discussion, succède la phase Monique.
Alors, tout est hystérie; on voit survenir les grands mou-
vements à caractère intentionnel, des contorsions qui expri-
ment parfois les passions les plus variées, l'effroi, la haine,
etc. (2) ; en même temps éclate le délire de l'accès.
(l) Il s'agit là encore de la malade dont il est question Leçon IX, p. 275.
[%) Voir plus haut fîg. 19, 20 et 21.
374 ÉPILEPSIE ET HYSTÉRO-ÉPILEPSIE.
é) La fin de l'attaque est marquée par des sanglots, des
pleurs, des rires, etc.
Ces diverses phases ne se suivent pas toujours d'une
façon aussi régulière ; elles s'enchevêtrent parfois et, tantôt
l'une, tantôt l'autre, prédomine. Chez la nommée C..., entre
autres, la phase tonique l'emporte à un haut degré sur les
autres et quelquefois se montre presque exclusive.
V.
Nous voici parvenus, Messieurs, au point délicat. En
quoi cette Irystérie à crises complexes se sépare-t-elle de
l'hystérie ordinaire, si elle s'en sépare réellement? En quoi
se rapproche-t-elle de l'épilepsie vraie, s'il y a lieu d'établir
un tel rapprochement.
L'apparition de convulsions du type tonique est-elle donc
un fait nouveau, insolite, dans la description classique de
l'attaque hystérique vulgaire? Certainement non. Il n'est
pas vraiment exceptionnel de voir dans l'attaque d'hystérie
commune, — alors que personne ne songe à faire inter-
venir l'élément épilepsie — de voir, dis-je, s'ébaucher des
convulsions toniques à caractère épileptiforme, particuliè-
rement au début de l'attaque ; tous les auteurs sont d'ac-
cord sur ce point. Ces convulsions sont parfois même telle-
ment accentuées, que M. Briquet a été, par là, conduit
à établir à côté de l'attaque clonique ou classique ,
une sorte d'attaque dans laquelle prédomine une roideur
semi-tétanique du tronc et des membres. Ne paraît-il pas
d'après cela vraisemblable déjà, que la forme dite épilep-
tique, n'est à proprement parler que l'exagération, le plus
haut degré de développement de cette variété de l'hystérie
ordinaire ?
VI.
Si, d'un autre côté, nous tournons nos yeux vers l'épilepsie
EXPLORATION THERMOMÉTRIQEE. 378
vraie, nous rencontrons on certain nombre de traits dis-
tinctifa qu'il nous sera facile de mettre à profit.
Nous ferons remarquer, en premier lieu, que, d'après la
description que nous avons donnée, le type épilepsie n'est
jamais représenté dans les attaques-accès, que d'une ma-
nière incomplète, et pour ainsi dire à l'état d'ébauche ;
mais, à la vérité, ce ne serait pas là encore un argument
péremptoire. Voici un caractère plus significatif.
Jamais vous ne voyez apparaître soit le petit mal, soit le
vertige épileptique dans les descriptions de l'hystéro-épi-
lepsie à attaques mixtes. Nous pourrions ajouter encore,
car il y a là matière à une importante distinction, que dans
cette forme de l'hystéro-épilepsie, l'attaque épileptiforme.
même la plus intense, est, d'après nos observations, modi-
fiée, parfois même arrêtée dans son développement par la
compression de Covaire, ce qui n'a jamais lieu, — nous
nous en sommes assurés maintes fois — dans l'épilepsie
vraie (1).
Dans les attaques mixtes, alors même queleur retour est
très-fréquent, jamais —, c'est là un fait reconnu par des
auteurs, jamais dis-je, l'obnubilation de l'intelligence et la
démence ne sont l'aboutissant des attaques, contrairement
à ce qui aurait lieu, d'une manière presque fatale, s'il s'a-
gissait réellement de l'épilepsie. Je ne crois pouvoir mieux
faire que de vous rappeler à ce propos le cas de la malade
Ler..., qui, depuis près de 40 ans, est sujette à l'hystérie
épileptiforme la plus violente. Cette femme est, sans doute,
bizarre, singulière dans ses allures, mais son intelligence
est demeurée ce qu'elle était à l'origine. Les renseigne-
ments que nous avons pris ne peuvent laisser subsister
aucun doute à cet égard (2). En somme, dans les cas de
ce genre, et telle est aussi l'opinion de M. Briquet, le pro-
nostic n'est pas autre que celui de l'hystérie intense. De
(t) Voy. Leçon XI, p. 320.
- Nous avons déjà parlé de celte malade, p. 341
376 ÉTAT DE MAL ÉPILEPTIQUE I TEMPÉRATURE.
cette considération découle une conséquence d'ordre
pratique qui est bien de nature à fixer votre attention.
11 est enfin un dernier caractère sur lequel je vous de-
mande la permission d'insister, parce qu'il n'a pas, à ma
connaissance, été relevé jusqu'ici et que, selon moi, il est
décisif. Il s'agit d'un caractère fourni par l'exploration
thermométrique : je saisis, non sans empressement, l'oc-
casion qui se présente de vous montrer, par un nouvel
exemple, le parti qu'on peut tirer de ce mode d'exploration
dans la clinique des maladies du système nerveux.
Ce n'est pas, Messieurs, que, sous le rapport des modifi-
cations imprimées à la température centrale, les convul-
sions toniques épileptiformes des hystériques diffèrent en
quoi que ce soit des convulsions de l'attaque épileptique.
L'attaque hystérique tonique, pour peu qu'elle ait quelque
intensité, élève la température d'un degré, voire même d'un
degré et quelques dixièmes (38° — 38°, 5), tout comme le fait
l'attaque d'épilepsie vraie. C'est là un résultat dont nous
avons eu nombre de fois, dans ce service, l'occasion de
contrôler l'exactitude (1).
Mais si, en ce qui concerne le caractère thermique, l'ac-
cès d'hystérie épileptiforme et l'accès d'épilepsie vraie se
confondent, il n'en est plus de même lorsqu'il s'agit d'ac-
cès qui s'agrègent et s'enchevêtrent de manière à consti-
tuer ce que, pour l'épilepsie, on appelle les séries ou r 'état
de mal.
Il y a d'ailleurs, dans cet état de mal des épileptiques, à
distinguer ce qu'on nomme les petites séries, composées de
2 à 6 accès, et les grandes séries, où l'on compte jusqu'à
20, 30 accès ou même plus dans les vingt-quatre heures.
C'est à ces dernières que je m'adresserai exclusivement,
parce que le phénomène sur lequel je veux insister se
montre alors dans son type de complet développement. En
(l) Bourneville. — Etudes cliniques et thermométriques sur les maladies
du système nerveux, p. 247.
ETAT DE MAL EPILEPTIQUE : TEMPERATURE.
377
pareil cas, Messieurs, c'est-à-dire, lorsque les accès de l'é-
pilepsie vraie se répètent en grand nombre, dans un court
espace de temps, la température centrale s'élève d'une ma-
nière très-remarquable ; et très-certainement cette éléva-
tion thermique ne peut pas être rattachée exclusivement à
la répétition non plus qu'à l'intensité des contractions mus-
Fiff. 25. — Température prise un peu après le lie accès. Du 1" jour (soir) au -2«
jour (matin), 31 accès. + Température après une rémission de 4 heures. A partir
de là, les accès s'éloignent et cessent le 3e jour. La ligne ponctuée répond au
pouls.
culaires toniques, car les convulsions peuvent cesser com-
plètement pendant plusieurs jours et la température néan-
moins se maintenir, pendant ce temps-là, à un taux très-
élevé. Nous pouvons reconnaître et suivre ces particula-
-378 ÉTAT DE MAL HYSTÉRO-ÉPILEPTIQUE.
rites sur le tableau que je mets sous vos yeux, et qui nous
montre les modifications qu'a présentées la température
centrale chez la nommée Chevall.., pendant le cours de
Y état de mal épileptique qu'elle vient de subir tout récem-
ment (Fig. 23).
Il ne faut pas ignorer que cette élévation de la tempéra-
ture est, dans la grande majorité des cas, môme après toute
cessation des convulsions, un indice du plus fâcheux au-
gure ; elle s'accompagne d'ailleurs le plus souvent d'un état
général qui, par lui-même déjà, donne beaucoup à penser;
ainsi, tantôt il existe un délire plus ou moins accusé, —
que M. Delasiauve rapporte à la congestion mêningitique,
— tantôt au contraire à un coma plus ou moins profo.nd,—
congestion apoplecti forme des auteurs ; — dans les deux
cas il y a prostration des forces, sécheresse de la langue,
tendance à la formation rapide d'eschares au sacrum ;
quelquefois enfin, production d'une hémiplégie transitoire,
dont la raison n'a pas encore été révélée par l'autopsie.
Cependant, et c'est là une donnée fort importante à con-
signer, cette élévation de la température, alors même
qu'elle dépasse 41°, et qu'elle s'accompagne des symptômes
graves qui viennent d'être énumérés, n'est pas un signe an-
nonçant nécessairement une terminaison fatale. Vous
voyez par l'observation même de Chevall... qu'on peut
guérir, encore, au milieu de toutes ces fâcheuses circons-
tances. L'élévation de la température au-dessus de 41° n'est
donc pas nécessairement terminale, en pareil cas ; et il y
a par conséquent 'quelque chose à rabattre des assertions
émises à cet égard par M. Wunderlich d'abord, et après
lui par M. Erb (1).
(l) L'observation de la nommée Chevall. . . est consignée tout au long, jus-
qu'à la date du 26 mars 1872, dans nos Huodes cliniques et thermom. sur les
maladies du système nerveux. (Obs. XXXIII, p. 285.) Depuis cette époque,
Chev. . . Edmée a été prise de nouveaux accidents qui ont eu une issue fatale.
Nous pensons d'autant plus utile de les relater ici que, outre qu'ils com-
ÉTAT DE MAL HYSTÉRO-KPILEPTIQUE. 370
Je vous rappellerai, on passant, que cette élévation ra-
pide de la température n'appartient pas en propre, tant s'en
faut, à l'état de mal épileptique ; on l'observe encore, par
exemple, dans les attaques dites congestives, apoplecti-
formes ou épileptiibrmes de la paralysie générale progres-
plètent l'observation ancienne, ils apportent une nouvelle preuve à l'appui
des opinions émises par M. Charcot dans la présente leçon.
1873. — § février. — Depuis une semaine environ Gh . . . est agacée,
irritable ; parfois même elle devient violente au point qu'on est obligé de
l'attacher (excitation maniaque).
10 fév. La nuit dernière l'agitation a encore augmenté : Ch. . . a empêché,
par ses cris, les autres malades de dormir. Elle s'est calmée cependant à par-
tir de 3 heures du matin. On a compté trois accès durant la nuit. De 1 heure
de l'après-midi à 3 heures, les accès se sont multipliés. A 3 heures: P. 104;
T. R. 38°, 6.
11 fév. Hier, de 1 heure à 9 heures du soir, on a compté î3 accès ; depuis
lors, jusqu'au matin à 7 heures, 70 accès. De 7 heures à 11 heures, moment
où cette note a été prise, 35 accès. Voici la description des accès :
Cinq ou six secondes avant leur arrivée, les pupilles, surtout la droite, se
dilatent largement. Quelquefois, à ce phénomène, s'ajoutent de petites plain-
tes, des grincements de dents et, par exception, un léger cri. Alors commence
l'accès : les globes oculaires sont animés de convulsions très-accusées (nys-
tagmus), la face pâlit et se dévie à gauche ; le regard, d'abord fixe et dirigé
en avant, se porte à gauche. Le bras correspondant se soulève, puis se
roidit en même temps que le bras droit qui, lui, reste appuyé sur le lit. La
roideur tétanique gagne ensuite les membres inférieurs. Au bout de quel-
ques secondes, on observe une demi-occlusion des paupières gauches qui sont
animées, ainsi que les muscles de la même moitié de la face, de convulsions
rapides.
10 à 15 secondes plus tard, la face et les yeux se retournent vers la droite;
le tronc s'incline dans le même sens ; les paupières gauches s'entrouvrent et
demeurent à peu près immobiles; mais, en revanche, les convulsions s'em-
parent des paupières droites et des muscles de la moitié droite de la face. La
bouche, primitivement tirée à gauche, est tirée à droite. Les convulsions clo-
niques, apparues durant cette phase et qui avaient d'abord envahi les mem-
bres du côté gauche, prédominent maintenant à droite.
Enfin, l'accès se termine par du ronflement, une lividité faciale aussi pro-
noncée que possible, de l'écume à la bouche. A la fin de l'accès, les pupilles
reprennent leurs dimensions normales.
Pendant les rémissions, la malade est dans la résolution complète. Sou-
levés, les membres retombent inertes. Le pincement énergique produit un
léger soulèvement du bras gauche, mais rien à droite. Le chatouillement de
la plante des pieds suscite des mouvements réflexes plus intenses à gauche
qu'à droite. Tandis quil n'y a pas d'injection de l'œil droit, à gauche, il
existe une hypérémie considérable de la moitié inférieure du globe oculaire
et une vascularisation moindre de la paupière inférieure. Les narines sent
380 ÉTAT DE MAL HYSTÉRO-ÉPILEPTIQUE.
sive, ainsi que l'a, le premier, montré M. "Westphal, qui,
d'ailleurs, a donné du fait une interprétation peu con-
forme à la réalité (1). On l'observe aussi dans les attaques
pulvérulentes. Le tube digestif n'offre rien de particulier : il y a eu hier une
garde-robe après lavement. Ch... urine sous elle. Plaque érythémateuse sur
la fesse droite. Sueurs abondantes, plus prononcées par instants. A 11 heures :
P. 120; R. 49, bruyante; T. R. 40^8. A midi : P. 130; R. 60.
6 heures, soir. — Depuis 11 heures du matin, on a inscrit 76 accès, dont
12 depuis 4 heures 1/2. R. 60; T. R. 41°,3. Sueurs copieuses sur tout le
corps, sans différence entre les deux moitiés. Toute la partie gauche du corps
(face, tronc, etc.) est manifestement plus chaude que la partie droite.
Les paupières sont à demi-ouvertes ; les yeux sont portés en haut ; les
pupilles sont modérément dilatées (la droite l'est toujours davantage.) Avant
chaque accès, la dilatation des pupilles s'accroît d'une manière remarquable.
Le nystagmus semble apparaître presque en même temps. Ni vomissements,
ni selles, ni urines. Môme état de la fesse droite. Coma. Respiration sterto-
reuse.
8 heures. P...;R. 70; T. R. 41°, 2, Quatorze accès. A partir de cet instant
la malade n'a plus eu d'accès. Elle est morte à 3 heures du matin. La tem-
pérature vaginale, prise par une autre personne, était à 41°,2. A 11 heures
du matin — le 11 février, c'est-à-dire huit heures après la mort, T. R. 40".
( — Le cadavre est resté dans le lit). Les pupilles sont moyennement dilatées
et au même degré. Nombreuses vergetures sur le ventre, le dos, les fesses
et les cuisses.
Autopsie le 18 février. Les os, la dure-mère et ses sinus n'ont rien d'a-
normal. La quantité du liquide céphalo-rachidien n'est pas augmentée. —
Suffusion sanguine sur la face convexe des hémisphères, surtout à droite. —
Artères de la base saines. — *■ Encéphale, 1,360 gr. La pie-mère est très-
légèrement injectée à la base du cerveau; cette injection est un peu plus ac-
cusée au niveau du lobe sphénoïdal. Des deux côlés, la pie-mère se détache
facilement et le cerveau est humide au même degré.
Hémisphère droit. Il pèse 5 gr. de plus que le gauche. Sur certaines
circonvolutions, principalement celles qui avoisinent la scissure de Sylvius,
existent une coloration hortensia, quelques petites éraillures et, sur quelques-
unes, un pointillé très-fin. La circonvolution de la corne d^Ammon présente
une induration très-évidente. Cette induration, qui remonte en dedans le long
de ladite circonvolution, prédomine à son extrémité. Hémisphère gauche. La
circonvolution de la corne d'Ammon offre une induration bien moins marquée
et circonscrite à son extrémité. Cervelet, isthme, rien à noter.
Moelle. La substance grise, à l'œil nu, paraît un peu déformée.
Thorax. Congestion assez forte de la moitié inférieure des poumons. De
plus, il y a un foyer d'hépatisation rouge, récent, dans le lobe inférieur. —
Cœur, estomac, rate, sains ; pas d'ecchymoses. — Foie, non hypérémié. —
Reins : anémie de la substance corticale; pyramides distinctes. — Messie,
rien. — Utérus assez gros; corps jaune récent sur l'un des ovaires; petits
kystes sur l'autre. (B) .
(l) Westphal, loc. cit.
TEMPÉRATURE. 381
fort analogues aux précédentes qui peuvent survenir dans
le cours de la sclérose en plaques (1), et, enfin, dans les atta-
ques, avec ou sans convulsions, qui s'observent dans les cas
de foyer cérébral ancien (hémorrhagie ou ramollissement)
ou de tumeur cérébrale, quelle qu'en soit la nature. Cette
élévation thermique contraste d'une façon remarquable
avec l'abaissement initial qui existe à peu près toujours, au
moment de la formation du foyer hémorrhagique cérébral
et c'est là, ainsi que je l'ai démontré, un caractère qui
peut être utilisé pour le diagnostic.
Mais il est temps d'en revenir à l'hystérie épileptiforme
dont cette digression nous a quelque peu éloignés. Tout
comme dans l'épilepsie vraie, les accès composés s'obser-
vent dans l'hystéro-épilepsie. Landouzy parle d'une hysté-
rique qui avait eu jusqu'à 100 accès par jour. Vétat de
mal hystéro-épilepiique peut d'ailleurs se prolonger pen-
dant un laps de temps considérable. Georgetcite l'observa-
tion d'une femme chez laquelle les accès se sont montrés à
peu près continus pendant une durée de quarante-cinqjours,
Chez notre malade Co..., dont les crises ont un cachet
épileptiforme, si prédominant et si fortement accentué,
Y état de mal a persisté pendant plus de deux mois, et,
par moments, les accidents ont été portés au plus haut de-
gré d'intensité. Ainsi, le 22 janvier, entre autres, les con-
vulsions épileptiformes se sont succédé sans interruption
depuis neuf heures du matin jusqu'à huit heures du soir :
de huit à neuf heures, il y a eu un temps de repos, puis les
attaques ont repris comme de plus belle, sans le moindre
retour a la lucidité, et ont persisté à peu près pendant le
même espace de temps. On peut, d'une manière approxi-
mative, évaluer sans exagération le chiffre des attaques
épileptiformes qu'elle a éprouvées à cette époque, dans l'es-
pace d'un jour, à 150 ou 200 environ.
(1) Voyez la Leçon VIII. p. 248.
382
HTSTERO-EPILEPSIE : CAS GRAVES.
La persistance d'un tel état, sans que la mort s'en soit
suivie, ne montre-t-elle pas déjà qu'un abîme sépare l'épilep-
sie vraie de l'hystéro-épilepsie? — « Si ce n'était pas là
de l'hystérie, » disaient en parlant de Go... les surveillantes
du service, témoins de ses accès et habituées à ce genre de
malades, « si c'était del'épilepsie véritable, il y a longtemps
que cette femme aurait succombé. » Cette remarque est
parfaitement judicieuse, parfaitement fondée.
Eh bien, Messieurs, et voici le point sur lequel je veux
surtout insister, jamais pendant cette longue période
1"9 20 21 22 1 23 24 25 26
Fi g. 20.
convulsive la température rectale hq s'est, chez Go..., sen-
siblement modifiée ; elle a été en moyenne de 37°,8 ; elle
ne s'est élevée jusqu'à 38°, 5 que d'une façon tout à fait ex-
ceptionnelle et transitoire (Fig. 26). —Je dois ajouter que
jamais, pendant ce temps, l'état général ne nous a inspiré
la moindre inquiétude, malgré l'alimentation insuffisante et
l'énorme dépense de force musculaire qui a dû se faire. La
situation mentale, d'un autre côté, n'était pas, tant s'en faut,
aussi profondément modifiée que cela eût eu lieu nécessai-
rement, s'Use fût agi de la vraie épilepsie: à aucune époque,
il n'y a eu d'évacuations involontaires d'urines ou de matiè-
res fécales; dans les courts répits que ses attaques lui
laissaient, la malade se levait pour satisfaire à ses besoins.
EXEMPLE d'HYSTÉRO-ÉPILEPSIE. 383
Dans ces intervalles aussi, d'ailleurs très-courts, la nature
hystérique du mal, surtout dans les premières semaines,
reparaissait dans tout son jour. Une fleur dans les cheveux,
des frisures bizarres, un vieux morceau de miroir, placé
sur la planchette du lit, témoignaient suffisamment des oc-
cultations favorites de cette femme dans les temps de répit,
Mais je veux surtout signaler à votre attention le carac-
tère thermique que l'observation nous a fait reconnaître.
Il résulterait en somme de tout ce qui précède, que si dans
Y état de mal épileptique, à grandes séries, la température
s'élève très-rapidement à un haut degré, en même temps
que la situation devient des plus graves, au contraire, dans
Yétat de mal hystéro^épilepligïçe à longue série, la tempé-
rature ne dépasse guère le chiffre normal, et d'ailleurs l'é-
tat général concomitant n'est pas. de nature à inspirer de
l'inquiétude. Il n'est pas nécessaire d'insister longuement,
je pense, pour mettre en relief un contraste aussi frappant.
Je ne voudrais pas, toutefois, Messieurs, que vous pris-
siez absolument au pied de la lettre le dernier terme de la
proposition que je viens d'émettre; sans doute il répond à
la réalité, pour la très-grande majorité des cas, mais il y a
le chapitre des exceptions. Il n'est pas, en effet, sans exem-
ple que l'hystérie se soit, pendant la phase convulsive, ter-
minée par la mort. A la vérité, ce sont presque toujours des
attaques d'un genre particulier, des attaques dysjméiques,
qui amènent ce triste résultat (1); mais, je le répète, les
attaques convulsives elles-mêmes peuvent y conduire. Je
puis, à titre d'exemple, vous rappeler un fait de ce genre
publié par M. Wunderlich (2). Il s'agit d'un cas d'hystéro-
(1) Briquet, loc. cit., p. 383 et 538.
(2) Voici lu traduction, par M. E. Teinturier, de l'observation de Wun-
derlich, à laquelle M. Charcot fait allusion.
Observation. — Huit semaines de convulsions hyste'ri formes à marche
apyrétique et sans danger apparent. — Revirement fâcheux et subit, sans aug-
mentation d'intensité' des convulsions. — Mort au bout de quelques heures avec
iine température de 43° C. — Autopsie. — Anne Vogel, 19 ans, servante,
384 EXEMPLE D'HYSTÉRO-ÉPILEPSIE.
épilepsie comparable à beaucoup d'égards à celui dont je
viens de vous entretenir. Pendant plus de huit semaines, la
malade en question éprouva des attaques épileptiformes,
en nombre d'ailleurs assez restreint, et qui ne s'accompa-
gnaient pas d'augmentation notable de la température; sans
cause connue, sans l'intervention d'accidents nouveaux,
deux jours avant la mort, la scène changea tout à coup:
la malade tomba dans le collapsus, et dans un court espace
de temps la température s'éleva jusqu'à 43°.
menstruée deux fois dans les derniers 14 jours, avant de tomber malade,
d'ailleurs bien portante, fut prise, pour la première fois, le 13 août 1855, soi-
disant après une vive réprimande, de convulsions qui se répétèrent le 17 au
soir et le 18 au matin et remplirent presque sans interruption la nuit du 18
au 19. Entrée le 19, à midi, elle présenta à minuit, dans le bras gauche, où
l'on avait constaté de la paralysie, mais pas d'insensibilité, des soubresauts
modérés ; puis elle éprouva un sentiment d'angoisse, poussa un léger cri, et
éprouva des convulsions d'abord dans la moitié gauche de la face, puis dans
la droite aussi ; la bouche était ouverte, les paupières alternativement ou-
vertes et fermées, le globe de l'œil fortement tourné en haut. Puis survin-
rent dans les extrémités inférieures et le bassin de violentes et rapides con-
vulsions cloniques projetant ces parties en avant, en arrière et de côté.
La face devint cyanosée et l'écume sortit de la bouche. Au bout d'une mi-
nute, respiration profonde et supérieure ; relâchement des membres et de la
face. Ensuite sommeil paisible en apparence ; enfin bâillement, ouverture
des yeux et retour de la conscience après 6 minutes.
La malade est en bon état, sa langue est peu chargée ; la température est
à 38°, 12, le pouls à 140 (après l'accès), rien d'anormal. Elle dit seulement ne
pouvoir remuer le bras gauche, et demande qu'on ne la touche pas, parce
que, autrement, ella aurait des convulsions. Cependant elle serre fortement
de la main gauche.
Dans la nuit du 19 au 20, 6 accès et dans ia journée du 20, 7. Pas d'albu-
mine dans l'urine ; fort sédiment urique. Langue chargée. Température,
matin et soir, 38°, 12; pouls 132; R. 24-32. Dans la nuit du 20 au 21, 7 accès;
13 jusqu'au matin du 22. Température 37°, 76 ; selles normales; léger trouble
albumineux de l'urine .
Les jours suivants de 8 à 16 accès par jour. Etat supportable d'ailleurs;
pas d'élévation notable de la température (le plus souvent normale, jamais
au-dessus de 38°,12, sauf un soir à 38°;75); pouls ordinairement au-dessus de
112; langue chargé3. Le 16, éruption miliaire, confluente, en vésicules, au
bout des doigts. Urine chargée de phosphate, sans albumine. Dans les
accès, tantôt elle perd connaissance, tantôt elle ne la perd pas ; crie quel-
quefois beaucoup. La sensibilité persiste dans le bras et la jambe gauches.
7 septembre. — Les accès deviennent plus fréquents, durent plusieurs
HYSTÉRIE GRAVE. 385
Cet exemple suffira, Messieurs, pour vous montrer qu'en
présence d'un cas d'état de mal hystéro-épileptique, de
quelque intensité, malgré toutes les chances d'une issue fa-
vorable, il ne serait pas prudent de s'abandonner à une
sécurité complète, absolue.
jours sans interruption; pendant les accès, elle parle souvent et crie. Eva-
cuations fréquentes d'urines et de matières dans le lit. Amélioration, puis
état stationnaire jusqu'au 2 octobre au soir, où la malade offre un accès de
collapsus marqué. Dans la nuit du 3, pas d'accès particuliers. Au matin,
agitation des bras, strabisme divergent. La tête penche en avant et à gauche,
connaissance conservée, légère cyanose. A partir de 10 heures, impossibilité
d'avaler; à midi, trismus; à 1 heure 3/4, fortes convulsions respectant la tête;
pouls extrêmement fréquent ; température 41°, 87; forte cyanose, écume à la
bouche, râle trachéal. Mort à 2 heures 1/4; température 43°. Un quartd'heure
après, température 42°, 75.
Autopsie. — Corps en bon état ; larges taches cadavériques aux endroits
déclives ; pas de rigidité musculaire. Le crâne et ses viscères gorgés de
sang; circonvolutions postérieures un peu aplaties; substance cérébrale un
peu dure. Léger épaississement trouble de la pie-mire de la base. Cavités
cérébrales de capacité à peu près normales, à parois de consistance ordinaire.
Pont et moelle injectés de sang rouge grisâtre, sale. — Poumons injectés et
œdématiés. — Cœur normal ; foie graisseux çà et là, exsangue; bile claire
et brun fonce; — Rate petite, molle, brun pâle, exsangue. — 'Estomac di-
laté, d'ailleurs normal, comme les intestins. — Reins fortement gorgés de
sang; concrétion du volume de la moitié d'un pois dans un calice du rein
gauche. — Utérus normal. — Kystes nombreux de la grosseur d'un pois
dans les ovaires. (Wunderlich . — Arch. der Heilhmde,t. V, p. 210.)
Charcot, t. i, 3e éd. 25
APPENDICE
I.
Observation de paralysie agitante.
(Voir lu Planche VIII, qui représente l'attitude caractéristique des malades
atteints de paralysie agitante).
Antécédents. — Cause probable de la paralysie agitante. — Début : faiblesse
qui envahit successivement les membres. — Tremblement de la tète, puis des
membres.
Etat de la malade en 1874 : Attitude générale: — Tremblement ; — Marche;
propulsion et rétropulsion ; — Température, pouls, etc.
Modifications survenues dans la maladie du mois de juillet 1874 au mois de
juillet 1877.
Gavr... Anne-Marie, 62 ans, marchande des quatre saisons,
admise à la Salpétrière le 31 décembre 1872, est entrée dans
le service de M. Chargot, salle Saint- Alexandre, n° 3, le 12
novembre 1873.
Antécédents. — Son père, charpentier, est mort d'un accident
lorsqu'elle n'avait que 12 ans. Sa mère, qui a succombé à
74 ans, était nerveuse, s'emportait facilement, mais n'avait
pas de tremblement ni de paralysie. Sa sœur unique est morte
d'une pleurésie à 40 ans. — Aucun des membres de sa famille
qu'elle a connus n'aurait été atteint d'affections nerveuses et
en particulier de tremblement.
Gavr... est venue à Paris à 4 ans. Son enfance et sa jeunesse
se sont passées sans incident notable. Elle a été réglée régu-
lièrement à partir de 14 ans. Mariée à 28 ans, elle a eu cinq
enfants. Ses grossesses et ses couches, en général, ont été
bonnes. De ses cinq enfants, l'aîné est mort, âgé de 35 ans,
pendant la Commune; — le 2° et le 3e, deux garçons, sont bien
portants ; — le 4° enfant est une fille, âgée de 28 ans, qui est
sujette à des attaques nerveuses, d'ailleurs assez éloignées ;
— le 5e enfant est mort durant l'accouchement.
Notre malade assure n'avoir jamais eu de maladie sérieuse,
390 APPENDICE.
entre autres ni rhumatisme, ni chorée. Bien qu'elle ait été
marchande des quatre saisons pendant 4 3 ans, elle n'aurait
point fait d'excès de boisson. Elle a toujours habité des loge-
ments salubres, exposés au soleil. Elle était heureuse en mé-
nage et n'a jamais souffert de privations.
Début de la maladie. — C'est en 1 868 qu'a débuté sa ma-
ladie. Voici dans quelles circonstances : son troisième fils,
qu'elle affectionnait plus spécialement, est venu lui ap-
prendre subitement qu'il venait de signer un engagement
comme soldat. Cette nouvelle l'a vivement affligée ; elle a
pleuré beaucoup et, dès les jours suivants, elle s'est aperçue
qu'elle avait de la faiblesse dans le bras droit. Bientôt la fai-
blesse a gagné le bras gauche, le membre inférieur droit, puis
le gauche simultanément; elle avait, pendant la nuit, dans les
jambes, des crampes qui la faisaient crier. Elle aurait eu en-
suite de la faiblesse dans les « reins. » A son arrivée à la Sal-
pétrière (décembre 1872), elle était moins affaiblie qu'au-
jourd'hui (8 juillet 1874). Le tremblement aurait envahi les
membres dans les premiers mois de 1873 et aurait frappé
d'abord le membre supérieur droit. Enfin, elle a remarqué, à
peu près à la même époque, qu'elle avait de la rétro pulsion:
un jour, ayant fait un faux pas, elle a été entraînée en arrière
malgré elle.
Etat actuel (8 juillet 1874).— L'attitude générale delà malade,
dans la station verticale, est celle qu'a décrite M. Charcot dans
la leçon V (p. 169) et que représente si fidèlement la Planche
VIII, dessinée par M. P. Richer. Le tronc et la tète sont inclinés
en avant ; le cou est tendu et on dirait que la tête est fixée sur
une tige rigide. Les traits de la physionomie sont absolument
immobiles, les plis du front sont à peine accusés; les pau-
pières sont médiocrement ouvertes, la malade peut toutefois
les relever et les abaisser sans difficulté. Les yeux, peu ex-
pressifs, sont dirigés en avant ; pour regarder latéralement, la
malade est obligée de tourner tout le corps. Quelquefois les
lèvres sont accolées l'une contre l'autre, mais, le plus sou-
vent, la bouche est entre-ouverte, la lèvre inférieure, tom-
bante, laissant apercevoir l'arcade dentaire correspondante;
parfois, la salive s'écoule involontairement de la bouche. Les
lèvres et la langue ne tremblent pas. La déglutition serait
presque toujours laborieuse.
Les bras sont légèrement écartés du tronc; les avant-bras,
demi-fléchis, sont disposés de telle sorte que les mains re
PARALYSIE AGITANTE. 39*
posent sur la région ombilicale et que les coudes sont un peu
éloignés du tronc. Le pouce, légèrement infléchi, s'appuie
d'habitude sur l'index; les autres doigts sont un peu fléchis
et ramassés les uns contre les autres. La disposition des mains
est la même des deux côtés.
Les jambes sont rapprochées sans que, toutefois, les genoux
se touchent. Si les jambes sont écartées, l'équilibre est incer-
tain. Que les yeux soient ouverts ou fermés, la malade se
tient de la même façon.
Elle s'asseoit lourdement, tout d'un coup. Elle ne peut se
lever que si on l'aide, encore est-on obligé de déployer une
certaine force. Elle se met à marcher après hésitation, s'avance
d'abord à petits pas, puis la marche se précipite, il y a pro-
pulsion. « Parfois, dit Gavr..., je suis poussée très-loin, jus-
qu'à ce que je rencontre un mur, sans cela je tombe. » La
rétropulsion est aussi évidente ; pour la constater, il suffit,
comme le fait M. Charcot, de tirer légèrement la malade par sa
jupe. Aussitôt, elle marche à reculons et avec une vitesse telle
qu'elle ne tarderait pas à tomber si on ne la surveillait. Pour
se retourner, la malade hésite encore plus que pour se mettre
en marche.
Le tremblement est à peine accusé, surtout au repos. La
tète tremble un peu plus, par moments, que les mains. Lors-
que celles-ci sont d'aplomb, elles restent généralement immo-
biles. La malade peut fléchir la tète plus qu'elle ne l'est d'or-
dinaire, mais il lui est impossible de l'étendre complètement
parce que « la colonne vertébrale est roide. »
M céphalalgie, ni vertiges, ni étourdissements. L'intelli-
gence est conservée, la mémoire bonne. Le sommeil, chez elle,
est moins court que chez la plupart des malades de son espèce.
Il serait même bon si elle n'était souvent réveillée par des
douleurs dans les talons : « çà me pique et on dirait de l'eau
qui coule dans l'intérieur du talon. » Elle se plaint d'une sen-
sation constante de chaleur et ne garde qu'un drap sur elle,
même pendant l'hiver.
Nous avons indiqué l'état des forces mesurées au dynamo-
mètre à la page 174 et celui de la température à la page 178,
nous n'y reviendrons donc pas.
1 875. Juillet.— Lu faiblesse est allée en augmentant. L'attitude
générale est la même ; toutefois, la tète et le tronc s'inclinent
de plus en plus en avant et, en outre, il s'est produit une sorte
d'inclinaison latérale qui fait que la moitié droite du corps
précède, dans la marche, la moitié gauche.
392 APPENDICE.
Maintenant les lèvres sont presque toujours accolées l'une
à l'autre, la supérieure est ramassée, plissée ; quelquefois, au
dire de la malade, elles seraient roides toutes les deux. Les
arcades dentaires ne sont pas pressées l'une contre l'autre. Il
semblerait que la malade rapproche les lèvres pour diminuer
le tremblement du menton ; malgré cette précaution, les lèvres
sont animées de petits mouvements qui rappellent, selon la
comparaison de la malade, les mouvements des lèvres du
lapin. Même dans la bouche, la langue tremble ; allongée, elle
tremble davantage.
Le tremblement de la tête se compose de secousses antéro-
postérieures, quelquefois latérales, d'une amplitude très-cir-
conscrite. Ainsi que cela a été dit dans le cours de la Leçon, ces
oscillations sont communiquées à la tête par le tronc. Quand
la malade est assise, les jambes tremblent, les pieds frappent
de petits coups rapides sur le parquet. En résumé, le trem-
blement a fait des progrès à la tête et aux membres infé-
rieurs, mais n'a guère changé aux membres supérieurs. No-
tons aussi que le besoin de déplacement, qui était peu accusé
en 1874 et ne se faisait sentir que durant le jour, est plus
marqué aujourd'hui et tourmente la malade non-seulement
pendant la journée, mais encore pendant le séjour au lit.
— Le sommeil est moins long qu'autrefois. — La malade
se promène encore dans la salle et dans la cour de l'infir-
merie.
1 877. Juillet. — La maladie s'est notablement aggravée de-
puis deux ans. — 1? attitude générale de Gav... s'est modi-
iiée en ce sens que l'inclinaison de la tête sur l'épaule gauche
s'est accusée davantage ainsi que la torsion et Yinclinaison du
corps à droite. Les traits de la face sont comme figés ; les pau-
pières sont à demi-ouvertes, le regard fixe. Les lèvres, actuel-
lement, sont écartées d'un demi centimètre, tremblantes, et
laissent voir la langue qui est sans cesse en mouvement. Le
cou est très-rigide ; les muscles trapèze, sterno-mastoïdien gau-
ches sont fortement contractures. Toutefois la malade peut
tourner la face vers la droite.
Les bras y toujours disposés en anse, sont rigides dans
toutes leurs jointures ; la rigidité est plus marquée dans les
coudes et plus à droite qu'à gauche. — Les phalangettes des
3e et 4e doigts ont une tendance à se porter dans l'extension.
La malade parvient, mais avec une grande lenteur, à porter
l'une et l'autre de ses mains à la face.
Les membres inférieurs ne présentent qu'une légère roideur;
PARALYSIE AGITANTE. 393
elle prédomine dans les articulations tibio-tarsiennes. Le
tremblement est moins intense aux jambes qu'aux bras. En
effet, il y a des instants où les pieds reposent tranquillement
sur le parquet.
Depuis un an, Gav.. est incapable de marcher seule ; depuis
un mois, elle ne peut, même aidée, aller à la salle de bains ;
on est obligé de l'y porter sur un brancard. — La propulsion
et la rétropulsion paraissent avoir disparu ; mais il est diffi-
cile d'affirmer le fait, au moins pour la rétropulsion, la ma-
lade se retenant ou s'affaissant dès qu'on la tire un peu par
sa jupe.
Gav.. ne mange plus seule ; son sommeil est meilleur : elle
s'endort avec quelque peine, mais une fois endormie elle ne
se réveille qu'au bout de 5 à 6 heures. La sensationde chaleur,
le besoin de déplacement, — sauf la nuit pour celui-ci — sont
toujours aussi accusés qu'autrefois. — Douleurs dans les join-
tures, qu'elle compare à des piqûres, plus intenses dans les
coudes, au niveau de la région occipitale, à la partie posté-
rieure du cou et dans les reins : c'est à ces dernières que la
malade attribue l'incurvation du tronc. — Les douleurs vi-
ves, qu'elle éprouvait en 4 875 dans les talons, ont disparu.
Les fonctions circulatoire, respiratoire, digestives, excepté
une constipation opiniâtre, s'accomplissent régulièrement. —
La température paraît augmenter ; la température moyenne
de 3 jours a été le matin de 37°,6 ; le soir de 38°, 1 . (13.)
391 APPENDICE.
IL
Du tremblement dans la maladie de Parkinson.
[Paralysie agitante.)
M. Charcot a consacré une bonne partie de sa leçon du
19 novembre 1816 à la paralysie agitante en insistant tou-
te ibis plus particulièrement sur différents points de l'histoire
de cette maladie.
Tout d'abord, M. Charcot s'est attaché à montrer que la
dénomination de paralysie agitante est impropre. Il est,
en effet, singulier de donner le nom de paralysie à une af-
fection dans laquelle, pendant longtemps, la force muscu-
laire est conservée. Le mot « paralysie » outre qu'il n'est
pas justifié, a encore l'inconvénient d'inquiéter les malades,
de les conduire à s'imaginer qu'ils sont sous le coup d'une
lésion organique grave et menaçant l'intégrité des facultés
intellectuelles.
Le qualificatif ce agitante » ajouté au mot «paralysie »
n'est pas non plus absolument exact — au moins appliqué
à certaines formes, cependant très-accusées, bien que le
tremblement y fasse défaut, et dont le diagnostic peut être
rigoureusement établi.
Ces considérations ont amené M. Charcot à proposer
d'appeler cette affection : maladie de Parkinson, du nom
du médecin anglais qui, le premier, en 1817, a sérieusement
attiré l'attention sur elle.
On sait que M. Charcot s'est efforcé de séparer nette-
ment la paralysie agitante d'une autre maladie, très-intéres-
sante, elle aussi, la sclérose en plaques. On connaît la des-
cription minutieuse qu'il en a tracée et dont chaque année
ses auditeurs, par l'examen direct des malades, peuvent
vérifier l'exactitude. Néanmoins, la conviction n'est pas
faite, paraît-il, dans tous les esprits et, en particulier, on a
contesté les assertions de M. Charcot relatives aux carac-
tères du tremblement de la tête.
D'après M. Charcot, le tremblement de la maladie de Par-
kinson débute le plus souvent par l'un des membres et se
MALADIE DE PARKINSON. 395
généralise ensuite peu à peu «tout en respectant cepen-
dant la tête (1). »
A un autre endroit de ses; Leçons, M. Charcot répète que,
dans la règle, la tête et le cou restent indemnes. (Loc. cil.
11C édition, p. 154).
Plus loin, enfin, lorsqu'il compare le tremblement dans
la sclérose en plaques et dans la paralysie agitante,
M. Charcot s'exprime ainsi à ce sujet à propos de deux
femmes atteintes de paralysie agitante*
« Vous observerez, en outre, que chez elles la tète ne
prend pas part au tremblement ou si (die parait agitée par
des oscillations, celles-ci lui sont évidemment communi-
quées; il s'agit là d'une transmission des secousses dont les
membres et le torse sont le siège. L'absence du tremble-
ment de la tète me parait être un fait à peu près général
dans la paralysie agitante. » (Loc. cit., p. 203.)
L'opinion de M. Charcot, on le voit, est exprimée d'une
façon formelle. Quelques médecins ont contesté la réalité
de ce fait et ont avancé que « les oscillai ions rhythmiques ,
dans certains cas de paralysie agitante, portent égale-
ment sur V extrémité eëplialique.» (Voir Mour. méd.,mai).
Il faut donc répéter que, dans la paralysie agitante, les
mouvements qui animent quelquefois la tète lui sont com-
muniqués par le tronc. M. Charcot compare ce phénomène
de transmission à celui qu'éprouve le cavalier qui subit les
mouvements que lui communique sa monture.
Pour prouver que cette explication est vraie, M. Charcot
a eu l'idée défaire disposer sur la tète de ses malades, et
perpendiculairement au iront, une baguette terminée par
un plumet : chacun des assistants a pu constater chez
plusieurs sujets atteints de maladie de Parkinson que,
quand les malades sont libres, le plumet est sans cesse en
mouvement. Mais si, à l'aide d'un artifice quelconque, par
exemple en élevant fortement le tronc et les bras, on arrête
les mouvements des membres supérieurs, on suspend du
même coup celui de la tête et les plumets deviennent im-
mobiles. Il ressort de là bien évidemment que l'opinion
formulée par M. Charcot est rigoureusement exacte et que,
dans la règle, la tète ne tremble pas, du moins par elle-
même.
(l) Leçons sur les maladies du système nerveux, lre édition, p. 145
396 APPENDICE.
Un autre point sur lequel M. Charcot a beaucoup insisté,
c'est que le tremblement ne constitue pas un symptôme
nécessaire de la maladie de Parkinson. Il est, en effet,
une forme de cette maladie, forme fruste par excellence,
pour employer les expressions mêmes de M. Charcot, clans
laquelle le tremblement est si léger qu'il passe inaperçu
des malades, ou n'apparaît qu'au bout de trois ou quatre
ans, ou même fait complètement défaut.
Déjà dans la première édition de ses Leçons, M. Charcot
a parlé de cette forme fruste. Il a rapporté sommairement
l'histoire d'un malade de sa clientèle privée, et nous avons
consigné dans une note l'observation d'une malade de son
service, à la Salpétrière, nommée Guill..., et chez laquelle
le tremblement n'avait paru que quatre ans après le début
du mal. M. Charcot a rappelé ces faits et, de plus, il en a
cité deux autres dont voici le résumé.
Observation I. — Habitation humide; chagrins. — Névralgie
frontale^). — Faiblesse du pouce de la main gauche, puis de
la main droite. — Lenteur de la démarche. — Attitude géné-
rale. — Aspect de la physionomie. — Propulsion. — Besoin de
déplacement. — Sensation de chaleur. — Circonscription du
tremblement qui a passé inaperçu du malade. — Caractères de
l'écriture. (Obs. de M. Charcot.)
M. R..,, associé d'une grande maison de tapisserie à Paris,
âgé de 47 ans, s'est présenté dans mon cabinet en décembre 1 868.
Il m'a raconté que durant de longues années, il a demeuré
habituellement, pendant toute la durée du jour, dans un bu-
reau humide. Mais il insiste surtout, parmi les causes qui,
dans son opinion, ont dû contribuer à développer la maladie
dont il souffre, sur les grands tracas qu'il n'a cessé d'éprou-
ver depuis qu'il est associé.
Il y a 4 ans, M. R... a souffert pendant 2 ou 3 mois d'une
douleur de tète très-vive, siégeant sur le front du côté gau-
che et à la racine du nez du même côté. Les douleurs, reve-
nant par paroxysmes, s'accompagnaient souvent d'une rou-
geur intense de l'œil gauche. Elles se sont terminées, comme
il le raconte, par un rhume de cerveau, occupant la narine
gauche. Auparavant, il y a 12 ou 15 ans, il avait éprouvé, à
plusieurs reprises, des douleurs articulaires, qui n'ont jamais
été assez intenses, toutefois, pour constituer une véritable
maladie.
C'est peu de temps après la cessation de la névralgie fron-
M.VT.ADÏE DE ARKINSON : TREMBLEMENT. 397
taie (?) que la maladie actuelle aurait débuté. Le premier
symptôme observé parait avoir été ce que M. R... appelle une
faiblesse du pouce de la main gauche. Il s'en est aperçu en
jouant aux cartes. Il éprouvait une certaine difficulté à tenir
son jeu de cette main, ; peu à peu la main, puis l'avant-bras,
et le membre tout entier enfin sont devenus faibles. Jamais
il n'a existé dans ces parties de fourmillements, d'engourdis-
sements, de douleurs d'aucun genre. Il n'y a jamais existé non
plus, le malade l'assure du moins, la moindre trace de trem-
blement. La main droite s'est prise plus tard de la même fa-
çon; alors M. R... a commencé à ne plus pouvoir écrire que
lentement, péniblement. Bien que l'écriture soit restée régu-
lière, les caractères tracés sont tellement petits, qu'il faut
s'armer d'une loupe pour les lire distinctement. Les membres
inférieurs se sont affaiblis en dernier lieu.
Lors de l'entrée du malade dans mon cabinet, j'ai été frappé
immédiatement de la lenteur de sa démarche et, en général,
de tous ses mouvements. Son attitude et sa physionomie pré-
sentaient également quelque chose de tout à fait caractéris-
tique. Il se tient, marche et s'assied tout d'une pièce ; on le
dirait empoté, soudé dans toutes les articulations. La tête est
légèrement inclinée en avant ; il lui est impossible de la
tourner vivement soit à droite, soit à gauche. Le regard est
fixe, les traits sans mobilité : Ils expriment, à un certain de-
gré, la stupeur et la tristesse. M. R... ne peut qu'à grand"peine
faire une grimace. Le visage offre une pâleur singulière ; on
le dirait recouvert d'un masque. — Le débit est particulière-
ment lent : chaque parole coûte un effort, la moindre conver-
sation produit de la fatigue. Du reste, pas traces d'embarras
dans l'articulation des mots.
M. R... marche le corps incliné en avant ; il progresse à pe-
tits pas ; les membres inférieurs, et les supérieurs, eux aussi,
sont rigides, demi-fléchis. Il ressent parfois une certaine ten-
dance à la propulsion, c'est-à-dire qu'il se voit obligé de mar-
cher plus vite qu'il ne le voudrait.
Il éprouve un incessant besoin de changer de place ; quand
il est assis il désire se lever et, à peine levé, il voudrait s'as-
seoir. En un mot, comme il dit : il ne se trouve bien nulle
part. Gela est surtout marqué la nuit, au lit : les membres
ont à peine pris une attitude qui parait favorable au repos
qu'il la faut changer, en raison du sentiment de fatigue dou-
loureux dont ils deviennent bientôt le siège.
D'ailleurs, à part cette sensation de fatigue, de pesanteur
qui existe dans les membres pour ainsi dire d'une façon per-
398 APPENDICE.
manente à un certain degré, on ne constate chez M. R... au-
cun trouble de la sensibilité : pas d'anesthésie, pas d'hyper-
esthésie, seulement de temps à autre, principalement la nuit,
un sentiment de chaleur qui le porte à se découvrir. Il s'est
produit, depuis quelques mois, un amaigrissement général
assez prononcé, mais on n'observe aucune trace d'atrophie
partielle. Aucun désordre à noter, du reste, dans la santé gé-
nérale.
Pendant le temps que j'examinais M. R..., je m'aperçus
que, par instants, sa main gauche, abandonnée sur le genou
correspondant, était agitée par un léger tremblement. Je le lui
fis observer. Il en parut fort étonné, et m'assura, une fois
déplus, qu'il n'avait jamais remarqué dans aucune partie
de son corps la moindre trace de tremblement. « Toute ma
maladie, ajouta-t-il, me parait consister en ce que ma volonté,
d'ailleurs, aussi ferme que par le passé, n'est plus écoutée
par les muscles qui ne répondent que lentement et tardive-
ment. »
Je me suis assuré que la main gauche était la seule partie
qui présentait le tremblement en question. Je priai M. R... de
prendre la plume de la main droite et d'écrire quelques mots.
Il traça lentement, mais d'une main ferme, des caractères ré-
guliers, tellement fins à la vérité que, ainsi que je l'ai dit
plus haut, on peut à peine les déchiffrer à l'œil nu.
Les mains ne présentent pas de déformation permanente ;
mais les doigts prennent facilement et sans que le malade en
ait conscience, l'attitude particulière qu'ils offrent lorsqu'on
tient une plume à écrire.
A une époque où, chez M. R..., tous les autres caractères
assignés par M. Charcot à la paralysie agitante étaient
présents et avaient acquis une intensité déjà considérable,
seul le tremblement — que quelques auteurs tendent à
considérer comme un trait essentiel à la maladie, était
pour le moins à peine accusé puisqu'il avait échappé au
malade lui-même. De plus, il était de date récente et la
maladie existait — avec tous ses autres symptômes,
depuis quatre années à l'époque où le tremblement a été
pour la première ibis remarqué. Le second fait n'est pas
moins démonstratif.
MALADIE DE PARKINSON ! TREMBLEMENT. 309
Observation IL — Rhumatisme articulaire aigu. — Malaises.
— Douleurs et raideurs musculaires. — Bave. — Attitude
générale. — Lenteur delà démarche. — Latéropulsion. — As-
pect de la physionomie. — Ecriture normale. — Absence com-
plète de tremblement. (Obs. communiquée par M. Gharcot.)
Mme G..., âgée de 40 ans environ, est attachée à un établis-
sement hydrotkérapique bien connu, à titre de professeur de
gymnastique.
Elle a subi, il y a 20 ans, une attaque de rhumatisme articu-
laire aigu ; un peu plus tard une fièvre typhoïde qui parait
avoir été assez grave ; en dernier lieu une pneumonie.
Peu de temps après la guerre, elle commença à ressentir
certains malaises indéfinissables ; elle était moins alerte, elle
se sentait raide, incapable d'exécuter des mouvements ra-
pides et par conséquent fort gênée dans ses exercices. Un
jour, en montant une échelle, elle ressentit dans la jambe
gauche une douleur vive avec crispation des orteils. Ces cram-
pes douloureuses se reproduisent encore aujourd'hui dans le
même membre de temps à autre. Des douleurs sourdes, ac-
compagnées de raideur musculaire, se sont fait sentir alors et
se font sentir encore actuellement à la nuque, dans les reins,
quelquefois aux épaules.
Il y a 6 mois, la malade a remarqué qu'une grande quantité
de salive s'écoulait involontairement de sa bouche. Le phé-
nomène s'est modifié depuis quelques semaines sous l'influen-
ce d'un traitement approprié. (Hyoscyamine : 4 ou 5 milligr.
par jour en pilules.)
Aujourd'hui, l'attitude de Mme G... est particulièrement
raide et pour ainsi dire empesée. La démarche est lente et
pénible ; le départ est surtout difficile et précédé d'un temps
d'hésitation. Il n'y a pas de tendance à la propulsion ou à la
rétropulsion ; mais de temps en temps, Mme G... se sent invin-
ciblement entraînée vers le côté gauche.
Au repos, comme pendant la marche, la tète reste immo-
bile, légèrement fléchie. Les traits sont inertes, les yeux
fixes, la bouche serrée. Les paroles s'échappent lentement,
faiblement articulées et avec un timbre légèrement na-
sonné.
Les deux bras, pendant le long du corps, sont un peu ri-
gides dans la demi-flexion. Les doigts des mains sont légère-
ment fléchis, les poignets un peu étendus ; la volonté peut mo-
difier ces attitudes, mais non sans effort.
400 APPENDICE.
Il n'existe pas la moindre trace de tremblement, même aux
mains. La malade peut écrire encore d'une écriture très-fine,
mais très-lisible et dont les caractères ne paraissent nulle-
ment tremblés, même quand on les examine à l'aide d'une
loupe. Ces caractères sont tracés lentement, péniblement, et
il a fallu en ma présence plus d'un quart d'heure pour écrire
une dizaine de mots.
Bien qu'il n'y ait pas, comme on voit, à proprement parler
de tremblement des mains, il y a lieu de remarquer qu'à l'oc-
casion de certains actes, comme celui de prendre un mou-
choir dans la poche, les doigts sont quelquefois agités de quel-
ques secousses rhythmées, d'ailleurs très-fugitives.
A part le tremblement qui manque complètement, nous
retrouvons chez Mme G... tous les symptômes principaux
de la maladie de Parkinson. L'aspect général de cette
dame, plus peut-être encore que celui de M. R..., nous rend
compte d'une singulière erreur de diagnostic qui est quel-
quefois commise. En raison de l'attitude empesée des ma-
lades, de la gêne des mouvements devenus d'une lenteur
extrême ; en raison de l'immobilité des traits qui font res-
sembler la figure à un masque en cire et imprime un cer-
tain cachet d'hébétude à la physionomie ; en raison aussi
de l'écoulement involontaire de la salive et de l'embarras
de la parole, on a pu croire plusieurs fois, en pareille cir-
constance, qu'il s'agissait d'un ramollissement du cerveau,
principalement lorsque la rigidité s'était montrée surtout
prononcée sur les membres d'un côté. Il y a là une erreur
qu'il importe de relever ; c'est le cas de relever aussi que
les facultés intellectuelles, dans la maladie de Parkinson,
sont intactes. M. Gharcot ne manque aucune occasion de
signaler cette intégrité de l'intelligence qui persiste le plus
ordinairement jusqu'à la fin. (B.)
MALADIE DE PARKINSON. 40 1
III.
Caractères de l'écriture des malades atteints de
maladie de Parkinson.
Au spécimen reproduit dans le cours de la Leçon V
(p. 167), nous ajouterons ies deux suivants empruntés à la
collection de M. Cliarcot. L'écriture des malades diminue
souvent de grandeur [Fig. 27) et parfois paraît normale au
Fig. 27
premier abord. Mais si, comme le recommande M. Charcot,
on l'examiue à la loupe, on s'aperçoit aisément que les
traits sont tremblés, particularité qui ne frappait pas à
l'examen pratiqué à l'œil nu.
Les mêmes caractères se retrouvent aussi lorsque l'écri-
ture n'est pas encore rapetissée (Fig. 28). En présence d'un
f
'li£J~f/0l& /
Fig. 23
cas de maladie de Parkinson au début et sur le diagnostic
duquel on aurait quelque doute, il sera donc utile d'exa-
miner l'écriture à la loupe. B.
Charcot, t. i, 3° éd. 2G
402 APPENDICE.
IV.
Sclérose en plaques disséminées : Cas fruste de la
forme spinale; — possibilité delà guérison.
Dans l'une de ses conférences cliniques de l'an dernier à
la Salpétrière, M. Charcot a fait voir à ses auditeurs une
malade atteinte de sclérose en plaques disséminées et, pro-
fitant de cette occasion, il leur a rappelé de nouveau les lé-
sions anatomiques et les symptômes morbides qui caracté-
risent cette affection. Il a insisté ensuite sur deux points
encore peu connus : l'existence de cas particuliers, frus-
tes, comme il les appelle, et la possibilité de la guérison de
la sclérose en plaques. Nous allons donner ici un résumé
des observations sur lesquelles il s'est appuyé.
Fisch... M. A., est âgée actuellement de 24 ans. A l'âge de
8 ans, elle éprouva une douleur vive, avec impossibilité de.
mouvoir les membres inférieurs. Elle fut confinée au lit pen-
dant six mois. Quand elle recommença à marcher, elle avait
le pied droit roide. Sept mois plus tard, roideur du membre
inférieur gauche qui l'oblige de nouveau à rester couchée
pendant plusieurs mois.
En 1873, étant à la Salpétrière, elle a une série & attaques
épilepti formes, avec écume à la bouche. Consécutivement, les
membres supérieurs deviennent roides et on note un em-
barras de la parole, la vue s'affaiblit; quand la malade rit, la
bouche demeure entr'ouverte. Dans le courant de la même
année, on observa une aggravation du côté des membres infé-
rieurs qui furent pris de trépidation spontanée et, à un
moment, il survint du tremblement de la main droite dans
les mouvements volontaires.
En 1874, les symptômes sont les mêmes, sauf rembarras
de la parole qui est plus prononcé.
Aujourd'hui (décembre 1876), on constate les symptômes
suivants : Rigidité des membres inférieurs dans l'extension ;
— trépidation spontanée et provoquée ; — rigidité et parésie
des membres supérieurs, prédominant dans le membre su-
SCLÉROSE EN PLAQUES DISSÉMINÉES. 403
rieur droit ; — absence debout tremblement dans les mouve-
ments volontaires. La sensibilité est conservée. — La parole
est un peu gênée, mais, sous ce rapport, il y a une notable
amélioration relativement à ce qui existait il y a deux ans. —
Il n'y a pas de tremblement de la tète ni de nystagmus. En
un mot, on remarque chez cette malade une amélioration con-
sidérable des symptômes céphaliques.
Cette malade nous offre donc un cas de sclérose en pla-
ques fruste dans la forme spinale. Elle nous montre aussi
que la sclérose en plaques peut, parfois, subir des temps
d'arrêts considérables dans son évolution. Chez la malade,
dont nous allons parler maintenant et dont l'observation a
été communiquée à M. Charcot par le docteur E. "Wilson,
l'amélioration a été plus accusée et a porté non-seulement
sur quelques symptômes, comme dans le cas précédent,
mpis sur tous les symptômes.
A. S., âgée de 9 ans (1876), a été prise, à 5 ans, de vertige et
de diplopie et quelques jours après de strabisme de l'œil
gauche. Ce dernier symptôme a bientôt disparu. Un mois
après le début, on voit survenir, du jour au lendemain, du
tremblement des membres inférieurs. A 7 ans, l'enfant mar-
chait comme une personne ivre. Puis, la tète et les membres
supérieurs sont envahis. La malade est incapable de se tenir
debout, on observe le tremblement spécial des mains à l'oc-
casion des mouvements. Quand on veut la lever, le corps
entier est agité de secousses rhylhmiques tellement violentes
que l'on est obligé de la recoucher. La parole est lente, les
mots sont scandés, il y a du nystagmus.
Trois ans après le début (fin 1875), la diplopie et l'embarras
de la parole ont cessé. Le tremblement des mains a diminué.
La malade peut s'asseoir sur son lit.
Actuellement (fin 1876), l'amélioration est encore beaucoup
plus sensible. La malade commence à écrire un peu ; elle voit
beaucoup mieux, peut se tenir debout, marcher seule et
même faire une promenade d'un mille et cela pour ainsi dire
sans tremblement. Celui-ci reparait encore quelquefois quand
la malade est émotionnée.
Cette observation vient justifier les réserves émises par
M. Charcot (p. 210), en ce qui concerne le pronostic de la
40 i APPENDICE.
sclérose en plaques. L'explication estplus difficile à donner.
Toutefois, la résistance que les cylindres axiles opposent
à l'envahissement de la J^siom même aux périodes avan-
cées de la maladie, résistance que M. Charcot a cru pou-
voir invoquer pour rendre compte de la lenteur avec la-
quelle les symptômes parëtiques progressent, permettrait
peut-être aussi d'expliquer cette possibilité du retour des
fonctions. (B.)
PANSE DE SAINT-GUY.
V.
Représentation d'après nature de la danse de Saint
Guy (Chorea Germanorum) , par P. Breughel. —
Esquisse de Bubens.
Dans une de ses dernières conférences à la Salpétrière,
M. Charcot a fait passer sous les yeux de ses auditeurs la
copie d'un dessin du xvi° siècle, lequel, évidemment pris
sur nature, représente un épisode d'une de ces processions
dansantes (Si)ringprocessionen), qui, à cette époque,
avaient lieu chaque année àEchternach, petite ville située
entre Trêves et' Luxembourg, autour delà tombe de Saint-
Willibrod. On sait que ces processions ont été à juste titre
considérées comme une émanation et un des derniers ves-
tiges de la fameuse danse de Saint-Guy [Chorea G ermano-
rum) qui, à plusieurs reprises, a régné sous forme pandé-
mique, dans les provinces du Rhin, pendant le cours des
xiv° et xve siècles (1).
Le dessin en question (Fig. W) nous fait pour ainsi dire as-
sister à une danse de Saint-Guy (2), en quelque sorte atté-
nuée; mais il est facile, à première vue. d'y reconnaître que
l'hystérie et l'hystéro-épilepsie jouaient là, comme elles l'ont
fait très-certainement dans les épidémies proprement dites,
un rôle prédominant; c'est un simple croquis, mais c'est, on
le voit, un croquis fort instructif pour le médecin. Il est de
(1) Voir à ce sujet : J.-F. G. Hecker. Die grossen Volhkrankheiten des Mil-
telalters. Berlin, 186'j, p. 143. — H. Haeser. Geschichte der Epid»,ni$che>i
Krankheiten. Iéna, 1855, p. 171. — Wicke. Versuch einer Monographie des
grossen Vcitstanzes im Mitlelalier. Leipzig, 18ï4. — Voir aussi : Zierrsseu.
Handbuch, 12e Ld., 2 haelite, art. Chorea, p. 393.
(2) Nous rappellerons que la Danse de Saiit-Griaj, St-Veits Tanz, s'ap-
pelle encore St-Modesti Taux, Saltus Viii, Sl-Johannistanz, Choreoma>iia,
Orchestromania, Epilepsia saïtatoritty Corhea Magna, seu Germanorum. Eïïq
est, comme on sait, absolument et foncièrement distincte de la maladie qu'on
appelle aujourd'hui la chorée {chorea minor. chorée de Sgdenham, choree
vulgaire.)
406
APPENDICE.
la main de ce P. Breughel (1), qu'on a quelquefois sur-
nommé le peintre des paysans, parce qu'il s'attachait sur-
Fig. 29.
tout à représenter les scènes populaires ou encore Wiesen
Breughel, Breughel le drôle. L'original fait partie de la
(l) Né^vers 1530, mort dans les premières années du xvu° siècle.
i
DANSE DE SAINT-GUY. 407
galerie de l'archiduc Albert, à Vienne. On en trouve une
reproduction dans l'intéressant ouvrage de M. P. Lacroix
(Vie militaire et religieuse au Moyen-Age et à V époque
de la Renaissance. Paris, 1873, art. Pèlerinages, p. 433).
Une série de femmes, soutenues chacune par deux hom-
mes et précédées par des joueurs de cornemuse, qui souf-
flent à pleins poumons dans leurs instruments, se dirigent
en dansant, sur une seule file, vers une chapelle qu'on
aperçoit dans le lointain et où se trouvent sans doute dépo-
sés les restes du saint. Ce sont des gens du commun, car
leur mise est à peu près celle des paysans qui figurent dans
les tableaux de Téniers et de Brauwer.
L'ordre de la procession se trouve de temps en temps
troublé; plusieurs des pèlerines, en effet, en proie aux tour-
ments d'attaques dont le caractère ne peut être méconnu,
gesticulent, se contorsionnentetse débattent sous l'étreinte
de leurs compagnons ; ceux-ci — et c'est là peut-être leur
principale fonction — font tous leurs efforts pour les con-
tenir et les empêcher de tomber à terre. La scène est, on le
voit, fort animée ; elle devait être aussi fort bruyante, car
quelques-unes des énergumènes semblent crier à tue-tête.
Sur le second plan se voit un ruisseau où des serviteurs
empressés vont puiser à l'aide d'écuelles. L'eau qui y coule
est douée peut-être de propriétés curatives ; en tout cas elle
pouvait servir à étancher la soif dont souffraient certaine-
ment les principaux acteurs. Certains épisodes que l'ar-
tiste, en homme discret, a relégués dans les parties les
moins en vue de son tableau, font reconnaître jusqu'à l'é-
vidence que la lubricité n'était pas toujours, tant s'en faut,
bannie de ces assemblées.
Dans cette même conférence, M. Charcot a montré un
autre dessin qui concerne encore l'histoire cle l'hystéro-
épilepsie. Il s'agit d'une lithographie faite par J. Scarlett
Davis d'après une esquisse attribuée à Rubens et qui, en
effet, ne parait pas indigne du maître. En examinant ce
tableau qui représente, dans toute leur vérité, les con-
torsions d'une démoniaque, on se remet en mémoire quel-
ques-unes des questions adressées à la Faculté de Montpel-
lier par le père Santerre, de Nimes, à l'époque où la démo-
nopathie sévissait à la fois à Loudun et dans le Languedoc
(1632, 1639).
« Le pli, courbement et remuement du corps, la tête
touchant quelquefois la plante des pieds, avec autres con-
408 APPENDICE.
torsions et postures étranges sont-ils un signe équivoque
de possession? »
« L'enflure suinte de la langue, de la gorge et du visage
et le subit changement de couleur sont-ils des caractères
certains de possession? » etc., etc.
On sait que la docte Faculté répondit, avec raison, qu'il
ne fallait voir dans tout cela que des phénomènes nalurels;
mais elle oublia de dire que ces phénomènes appartiennent
à l'affection hystérique, clans sa forme grave, donc ils sont
des manifestations vulgaires.
PLANCHES
EXPLICATION DES PLANCHES
PLANCHE I (1)
SCLÉROSE EN PLAQUES (ENCÉPHALE).
Fig. 4.— Cerveau tout entier vu par sa hase. — a, Plaques de sclérose dis-
séminées en différents endroits de la longueur des nerfs olfactifs.
b, Ilots de sclérose sur les nerfs optiques.
b\ Partie restée saine d'un nerf optique.
t:, Ilots scléreux sur le pédoncule cérébral gauche.
d , Plaques de sclérose disséminées en divers points de la protubérance, les
unes superficielles, les autres profondes ; aspect un peu déprimé au niveau
de ces plaques. Les nerfs émergeant de la protubérance paraissent sains.
e- Plaques de sclérose, occupant irrégulièrement divers points du bulbe
rachidien et de la moelle allongée (pyramides antérieures, surtout la droite);
olive, cordon antéro-latéral.
e\ Parties restées saines sur quelques points du bulbe rachidien.
f, La coupe terminale laisse voir jusqu'où a pénétré profondément dans
la moelle même, à ce niveau, la lésion scléreuse et comment elle y est irrégu-
lièrement distribuée.
f, Quelques points restés sains. Les nerfs émergeant du bulbe parais-
sent sains.
Fig . 2. — Coupe horizontale du cervelet, faite de fawi à reployer facilement
l'une sur l'auire les deux parties ainsi divisées symétriquement.
œ, y, Ligne d'intersection des deux plans (hoiizontal et vertical résultant
delà coupe).
a, Plaques de sclérose disséminées dans la substance bbnehe.
b, Plaque scléreuse ayant envahi le corps rhomboïdal.
c, Plaques de sclérose- qui ont été sectionnées presque symétriquement
en deux parties de la coupe horizontale.
d, Vaisseaux très-visibles au milieu des plaques scléreuses.
e, Vaisseaux devenant de plus en plus apparents, dans la substance blan-
che à mesure que la coupe est laissée à lair. Sorte de piqueté très-accentué.
Fig. 5. — Portion du cerveau vu par sa base. — a, Nerfs olfactifs pa-
raissant sains. — b, Ilots de sclérose sur les nerfs optiques. — c, Ilots de
sclérose sur les pédoncules cérébraux.
d. Plaques de sclérose, disséminées en divers points de la protubérance,
Jes unes superficielles et les autres profondes. Aspect un peu déprimé au ni-
veau de ces altérations. Les nerfs émergeant de la protubérance paraissent
sains.
e, Plaques et îlots de sclérose occupant irrégulièrement divers points du
bulbe rachidien et de la moelle allongée (pyramides antérieures, complète-
ment; olives, incomplètement).
/*, La coupe terminale fait voir jusqu'où a pénétré profondément dans la
moelle même, à ce niveau, la lésion scléreuse, et comment elle y est irrégu-
lièrement distribuée. Les nerfs émergeant du bulbe paraissent sains.
<7, Sclérose, au début, dans le tissu qui constitue l'espace perforé postérieur.
(l) Cette planche et les trois suivantes sont empruntées à la note, déjà
citée, de M. H. Liouville.
ssémmés
Hs&h
r. *
m *
&
412 EXPL'_CAT-ON DES PLANCHES.
PLANCHE -
S^ÉROSE EN PLAQUES (CERVEAU) .
Fig. 4. — Coupe du cerveau faite horizontalement et laissant voir des ilôts
de sclùose dans diférenles régions (substdDce blanche et substance grise).
a, Plaques et îlots de sclérose dans les régions antérieures (commissure
antérieure, partie avoïsinant le 3e ventricule).
&, Plaques sdéreuses gagnant les parties antérieures des bords des ventri-
cules latéraux (plaques ventriculaires).
e, Extersion des ilôts scléreux à l'extrémité postérieure des ventricu'es
latéraux (plaques ventr'culaires).
d, ilôts scléreux irrégulièrement disséminées dans la substance blanche
des régions cérébrales postérieures; quelques-uns sont très-profonds.
e, Vaisseaux très-apparents au milieu des zones seléreuses.
f Vaisseaux devenus de plus eu plus apparents dans la substance bran-
che, qui parait saine à mesure que la coupe est laissée à l'air.
Fig. 2. — Autre coupe du m?me cerveau, faite aussi horizontalement et
permettant de voir des "lois de sclérose dans d'autres régions (substance blan-
che et substance grise).
#, Plaques et îlots de sclérose dans les régions extérieures (commissure
antérieure).
à, Plaques seléreuses dans les parties antérieures des ventricules latéraur.
c, Plaques de sclérose dans la substance grise du noyau intraventriculaire
du corps strié droit. (Elles sont multiples, séparées par des espaces sains ;
quelques-unes sont profondes).
c\ Extension des ilôts scléreux à Feutrémité postérieure des ventricules
latéraux.
d, Ilots scléreux irrégulièrement disséminés dans la substance blanche
des régions cérébrales postérieures. Quelques-uns sont très-proionds.
e, Vaisseaux devenus de plus en plus apparents dans la substance blanche,
sur des points sains en apparence, à mesiire que la coupe est laissée à l'air
(piqueté très-accusé).
Observations de Sclérose en îlots dissémines
parH.Liouville ,
PL. II
_
P.Lackevbauer Chromo Kth
414 EXPLICATION DES PLANCHES.
PLANCHE Iil
SCC-ÉROSS EN PLA.QJ3S (MOELLE ÉPINIÈF.e).
Fig. 4. — Moelle épinière vue par la face postérieure (la dore-mère sec-
t'onoée est rejetée de chaque côté).
s, Plaques et ilôts de sclérose, irrégulièrement disséminés; de dimensions
et de formes variées, irrégu Hères , isoles ou s'unissant pp? des connexions
•visibles à la superficie. EUes dominent ici, suri.out dans la région dorsale.
v, Vascularisation méningée (pie-mère) très-prononcée et empêchant de
W.r la vascular'sat'on spéciale des plaques scléreuses elles-mêmes.
Fig. 2. — Moei'e épiniève vue par la face antérieure (la dure-mère sec-
tionnée dans toute sa hauteur et rejelée de chaque côté).
s, Plaques et îlots de sclérose, irrégulièrement disséminés, à contours
inégaux, isolés ou s'unissant par des connexions visibles à la supernc'e.
©, Vascularisatton meningienne (pie-mère) dominant et empêchant devoir
la vascularisation spéciale des zones scléreuses.
Fig. 5. — Coupes horizontales, faites à averses hauteurs de la moelle épi-
nière et montrant, dans toutes les régions, la profondeur des îlots scléreux,
leur répartition inégale, icrégulière, soit dans les cordons de la substance
blanche où elles dominent, soit dans la substance grise.
Toutes ces coupes représentent l'état frais; elles sont vues par la face
supérieure de la section, la moelle étant placé3 vei ticalement.
c, Partie antérieure.
b, Partie postérieure.
s, Ilots de sclérose.
Les parties sclérosées sont, du reste, reproduites avec leur teinte natu-
relle qui tranche si nettement sur la substance blanche et même sur la subs-
tance grise centrale.
1, Partie supérieure de la région cervicale, immédiatement au-dessous
du bulbe.
2, Partie moyenne du renflement cervical.
3, Partie inférieure du renflement cervical.
k. Partie supérieure de la région dorsale.
5, Deux centimètres plus bas, région dorsale supérieure.
6, Un centimètre et demi plus bas, région dorsale supérieure.
7, Deux centimètres plus bas, réunion du tiers supérieur avec le tiers
moyen.
8, Un centimètre et demi plus bas, région dorsale.
9, Un centimètre et demi plus bas.
10, Deux centimètres plus bas, milieu de la région dorsale.
11, Un centimètre plus bas.
12, Un centimètre et demi plus bas.
13, Trois centimètres plus bas.
14, Partie supérieure du renflement dorso-lombaire.
15, Milieu du renflement dorso-lombaire.
10 et 17, Cône terminal.
Observations de Sclérose en îlots disseï
par H. Liouville .
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416 EXPLICATION DES PLANCHES.
PLANCHE IV
SCLÉROSE EN PLAQUES (MOELLE ÉPINiÈRe\
Fig. i. — Moelle épinière vue par la face postérieure (la dure-mère str
lionnée est rejelée sur les côtés).
c, Plaques de sclérose irrégulièrement disséminées.
0, Vascularisation méningienne (pie-mère) dominant et empêchant de voir
la vascularisation des plaques scléreuses elles-mêmes.
Fia. 2. — Moelle épinière vue par la face postérieure (la dure-mère sec-
tionnée est rejetée sur les côtés).
s, Piaques et ilôts de sclérose irrégulièrement disséminés.
v, Vascularisation méningée (pie-mère).
Fig. S. — Coupes horizontales fcites à diverses hauteurs de la moelle et
montrant, dans toutes las régions, la profonatur des îlots scléreux, leur répar-
tition inégale, irrégulière, soit dans les cordons de la substance blanche où
elles dominent, soit dans la substance grise.
(Toutes ces coupes sont relatives à l'état frais).
Les coupes soût vues de haut en bas, la moelle étant supposée vertica-
lement placée.
«, Partie antérieure.
p, Partie postérieure.
s» Sclérose.
(Les parties sclérosées sont reproduites avec leur teinte naturelle qui
l'anche nettement sur la substance blanche et même sur la substance grise
centrale.)
i. Partie supérieure du renflement cervical.
2, Un centimètre et demi plus bas.
3, Deux centimètres plus bas (fin du renflement cervical).
4, Deux centimètres plus bas (partie supérieure de la région dorsale).
5, Un centimètre et demi plus bas.
6, Deux centimètves plus bas.
7, Trois centimètres plus bas.
8, Un centimètre et demi plus bas.
9, Deux centimètres plus bas.
10, Un peu plus d'un centimètre plus bas. La moelle, en ce point, est
saine ou à peu près.
M, Un centimètre au-dessus du renflement dorso-lombaire.
12, Milieu du renflement dorso-lombaire.
13, Un peu au-dessous du commencement du cône terminal.
14, Filum terminale. La sclérose l'a envahi tout entier.
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418 EXPLICATION DES PLANCHES.
PLANCHE V
ISCHURIE HYSTÉRIQUE.
La ligne lieue indique la quantité d'urine rendue en 24 heures et la lign'
rouge celle des vomissements.
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420 EXPLICATION DES PLANCHES.
PLANCHE VI
ISCHURIE HYSTÉRIQUE.
La ligne bleue indique la quantité d'urine rendue en 24 heures et la ligne
rouge celle des vomissements.
Les petits carrés rouges, placés immédiatement au-dessous de quelques
dates, marquent les jours d'analyse.
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422 EXPLICATION DES PLANCHES.
PLANCHE VII
ISCHURIE HYSTÉRIQUE.
La ligne bleue indique la quantité d'urine rendue en 24 heures, et la ligne
rouge celle des vomissements.
Les petits carrés rouges, placés immédiatement au-dessous de quelques
dates, marquent les jours d'analyse.
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424 EXPLICATION DES PI^XHES.
PLANCHE VIII
PARALYSIE AGITANTE.
Attitude des malades atteints de paralysie agitante. (Voir l'observation
de la malade représentée sur cette planche a la page 389.)
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A. Del diteur.
426 EXPLICATION DES PLANCHES.
PLANCHE IX
CHAMP VISUEL DES GOULEUBS.
Fig. 1. — Champ visuel d'un œil q anche normal. — Ces champs visuels
ont été obtenus à la lumière tempérée du jour avec des papiers colorés de
quatre centimètres carrés et à l'aide du périmètre de M. Landolt. — c, point
de fixation correspondant à la tache jaune.
Fig. 2. — Champ visuel gauche dans un cas à? Hystéro-épilepsie avec
Hémianesthésie gauche. (Marc. . .) ■ — Le champ visuel est rétréci concentri-
quement. Acuité visuelle à gauche 4q 5 l'acuité visuelle et le champ visuel sont
normaux à droite.
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428 EXPLICATION DES PLANCHES.
PLANCHE X
ISGHURIE HYSTÉRIQUE.
Cette planche représente les variations de la quantité d'urine et d'urée
pendant la période d'ischu rie hystérique, observée chez Etch. . . (Leçon IX,
p. 292, note), qui s'est écoulée de mars à juin 1875. — On voit que, pen-
dant plusieurs semaines, la sécrétion venait au voisinage de zéro. Puis tout
à coup, en quelques heures, 3 ou 4 litres d'urine et 25 à 27 gr. d'urée étaient
sécrétés. Le lendemain, la phase d*ischuiie reprenait. — Le 22 mai, les ma-
nifestations hystériques disparaissent après une guérison soudaine. — L'is-
churie ne fait pas exception, et on voit la courbe remonter, osciller, mais
se tenir toujours aux environs de la normale.
Pendant toute cette période d'ischurie, l'alimentation de la malade a été
faite à l'aide de la sonde et la même nourriture lui aétédonuée chaque jour.
— Les urines ont été également recueillies à l'aide de la sonde.
La ligne bleue indique la quantité d\ire'e rendue en 24 heures.
La ligne rouge indique la quantité d'urine rendue en 24 heures.
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TABLE DES MATIÈRES
PREMIERE LEÇON
TROUBLES TROPHIQUES CONSÉCUTIFS AUX LÉSIONS DES NERFS.
Sommaire. — Remarques préliminaires. — Objet des conférences de cette
année : elles seront consacrées à celles des maladies du système nerveux et,
en particulier, delà moelle épinière, que Ton observe le plus habituellement
à la Salpétrière. — Troubles de nutrition consécutifs aux lésions de l'axe
cérébro-spinal et des nerfs. — Ces altérations peuvent occuper la peau, le
tissu cellulaire, les muscles, les articulations, les viscères. Importance de
ces altérations au point de vue du diagnostic et du pronostic. — Troubles
de nutrition consécutifs aux lésions des nerfs périphériques. — Le sys-
tème nerveux, à l'état normal, a peu d'influence sur l'accomplissement des
actes nutritifs. — Les lésions passives des nerfs ou de la moelle, ne pro-
duisent pas directement de troubles trophiques dans les parties périphé-
riques ; expériences qui le démontrent. — Influence de l'irritation et de
l'inflammation des nerfs ou des centres nerveux sur la production des
troubles trophiques. — Les troubles trophiques consécutifs aux lésions
traumatiques des nerfs, considérés en particulier. — Ils résultent, non des
sections complètes, mais des sections incomplètes, des contusions, etc.,
des troncs nerveux. — Eruptions cutanées diverses : Erythème, zona
traumatique, pemphigus. — Grlossy Skin des auteurs anglais. — Lésions
musculaires : atrophie. — Lésions articulaires ; lésions osseuses : périos-
tite, nécrose. — Troubles trophiques consécutifs aux lésions non trau-
matiques des nerfs ; leur analogie avec ceux qui résultent des lésions
traumatiques. — Troubles trophiques de l'œil, dans les cas de tumeur
comprimant le trijumeau. — Inflammation des nerfs spinaux, consécutive
au cancer vertébral, à la pachyméningite spinale, à l'asphyxie par la
vapeur de charbon, etc. Eruptions cutanées diverses (zona, pemphigus,
etc.), atrophie musculaire, arthropathies, qui, en pareil cas, se dévelop-
pent en conséquence de la névrite. — Lèpre anesthésiquc : périnévrite
lépreuse, lejjra mutilons 1
DEUXIÈME LEÇON
TROUBLES TROPHIQUES CONSÉCUTIFS AUX LÉSIONS DES NERFS (sîlite) .
AFFECTIONS DES MUSCLES.
TROUBLES TROPHIQUES CONSÉCUTIFS AUX LÉSIONS DE LA MOELLE ÉPINIÈRE.
Sommaire. — Modifications anatomiques et fonctionnelles que subissent les
430 TABLE DES MATIERES.
muscles sous l'influence de la lésion des nerfs qui les animent. — Impor-
tance de l'électrisation comme moyen de diagnostic et de pronostic. Re-
cherches de M. Duchenne (de Boulogne). — Expérimentation : Longue
persistance de la contractilité électrique et de la nutrition normale des
muscles à la suite de la section ou de l'excision des nerfs moteurs et
mixtes chez les animaux. — Faits pathologiques : Diminution ou aboli-
tion hâtives de la contractilité électrique, suivies d'atrophie rapide des
muscles dans les cas de paralysie rhumatismale du nerf facial et de lésions
irritatives, soit traumatiques, soit spontanées des nerfs mixtes. — Raison
de la contradiction apparente entre les résultats expérimentaux et les faits
pathologiques. Application des recherches de M. Brown-Séquard: Seules,
les lésions irritatives des nerfs déterminent l'abolition hâtive de la con-
tractilité électrique, suivie d'atrophie rapide des muscles.
Expériences de MM. Erb, Ziemssen et 0. Weiss. — Ecrasement, ligature
des nerfs ; ce sont des lésions irritatives. — Différence des résultats ob-
tenus dans l'exploration des muscles suivant qu'on fait usage de la fara-
disation ou de la galvanisation. — Les résultats de ces nouvelles recher-
ches sont comparables aux faits pathologiques observés chez l'homme ; ils
n'infirment en rien la proposition de M. Brown-Séquard.
Troubles trophiques consécutifs aux lésions de la moelle épinière. — En ce
qui concerne leur influence sur la nutrition des muscles, ces lésions for-
ment deux groupes bien distincts : 1er groupe. Lésions de la moelle qui
n ont pas d'influence directe sur la nutrition des muscles : a. Lésions en
foyer trôs-circonscrites n'intéressant la substance grise que dans une
très-petite étendue en hauteur : myélite partielle, tumeurs, mal de Pott.
b. Lésions fasciculées même très-étendues des cordons blancs postérieurs
ou antéro-latéraux, mais sans participation delà substance grise : sclérose
primitive ou consécutive des cordons postérieurs, antéro-latéraux, etc. —
2e groupe: Lésions de la moelle qui influencent plus ou moins vite la nu-
trition des muscles : a. Lésions fasciculées ou circonscrites qui intéressent
les cornes autérieures de la substance grise dans une certaine étendue en
hauteur, myélite centrale, hématomyélie, etc. b. Lésions irritatives des
grandes cellules nerveuses des cornes antérieures de la substance grise
avec ou sans participation des faisceaux blancs : paralysie infantile spi-
nale, paralysie spinale de l'adulte, paralysies générales spinales (Duchenne
de Boulogne), atrophie musculaire progressive, etc. — Rôle prédomi-
nant des lésions de la substance grise dans la production des troubles
trophiques musculaires. — La proposition de M. Brown-Séquard s'ap-
plique encore à l'interprétation de ces faits 32
TROISIÈME LEÇON
TROUBLES TROPHIQUES CONSÉCUTIFS AUX LÉSIONS DE LA MOELLE ÉPINIÈRE
et du cerveau [Suite).
Sommaire. — Affections cutanées dans la sclérose des cordons postérieurs :
Eruptions papuleusesou lichénoïdes, urticaire, zona, éruptions pustuleuses;
leurs relations avec les douleurs fulgurantes ; elles paraissent relever de
la même cause organique que les douleurs.
TABLE DES MATIÈRES. 434
- Eschares à développement rapide (Decubitus aeutus) dans les maladies du
cerveau et de la moelle épinière. — Mode d'évolution de cette affection
de la peau : Erythème, bulles, mortification du derme. — Accidents con-
rusécutifs à la formation des eschares : a. Infection putride, infection pu-
lente, embolies gangreneuses ; — b. Méningite ascendante purulente simple,
méningite ascendante ichoreuse. — Décubitus aigu dans l'apoplexie
symptomatique des lésions cérébrales en foyer. Il se manifeste sur les
membres frappés de paralysie, principalement à la région fessière ; son
importance au point de vue du pronostic. — Decubitus aigu dans les ma-
ladies de la moelle épinière : Il siège en général à la région sacrée.
- Arthropathies qui dépendent d'une lésion du cerveau ou de la moelle
épinière. — A. Formes aiguës ou subaiguës : elles se montrent dans les
cas de lésion traumatique de la moelle épinière^ dans la myélite par com-
pression (tumeurs, mai de Pott), dans la myélite primitive, dans 1 hémi-
plégie récente, liée au ramollissement cérébral. Ces arthropathies oc-
cupent les jointures 'des membres paralysés. — B. Formes chroniques :
elles paraissent dépendre, comme les amyotrophies de cause spinale, d'une
lésion des cornes antérieures de l'axe gris ; on les observe dans la sclérose
postérieure (ataxie locomotrice) et dans certains cas d'atrophie musculaire
progressive 75
QUATRIÈME LEÇON
TROUBLES TROPHIQUES CONSÉCUTIFS AUX LÉSIONS DE LA MOELLE ÉPINIÈRE
et du cerveau {Suite et fin). — affections des viscères.
PARTIE THÉORIQUE.
Sommaire. — Hypérémies et ecchymoses viscérales consécutives aux lé-
sions expérimentales de diverses parties de l'encéphale, et à l'hémorrhagie
intra-encéphalique. — Expériences de . Schiff et de Brown-Séquard;
observations personnelles. — Ces lésions paraissent dépendre de la pa-
ralysie vaso-motrice ; elles doivent former une catégorie à part. — Opi-
nion de Schrœder van der Kolk, relative aux rapports qui existeraient
entre certaines lésions de l'encéphale et diverses formes de la pneumonie,
la tuberculisation pulmonaire. — Hémorrhagies des capsules surrénales
dans la myélite. — Néphrite et cystite consécutives aux affections spi-
nales irritatives, à début brusque, traumatiques ou spontanées. — Altéra-
tion rapide des urines dans ces circonstances; elle se manifeste souvent
dans le temps même où les eschares se développent à la région sacrée ;
elle se rattache aux lésions des voies urinaires qui, elles-mêmes, relèvent
d'une iuiluence directe du système nerveux.
Théorie de la production des troubles trophiques consécutifs aux lésions
du système nerveux. — Insuffisance de nos connaissances à cet égard. —
Paralysie des nerfs vaso-moteurs; hypérémie consécutive; elle ne produit
pas de troubles trophiques. — Exceptions à la règle. — Irritation des
nerfs vaso-moteurs ; l'ischémie qui en résulte ne paraît pas avoir d'in-
fluence marquée sur la nutrition locale. — Nerfs dilatateurs et nerfs sé-
créteurs ; recherches de Ludwig et de Cl. Bernard ; analogies entre ces
432 TABLE DES MATIÈRES.
deux ordres de nerfs. — Application à la théorie des nerfs trophiques. —
Théorie de Samuel; exposé; critiques. — Conclusions. . . . 125
CINQUIÈME LEÇON
DE LA PARALYSIE AGITANTE.
Sommaire. — Du tremblement en général. — Ses variétés. — Tremblement
intermittent. — Tremblement continu. Influence du sommeil, du repos et
des mouvements volontaires. — Distinction établie par Van Swieten. —
Opinion de M. Gubler. — Le tremblement d'après Galien. — Indépen-
dance de la paralysie agitante et de la sclérose en plaques. — Recherches
de Parkinson. — Travaux français : MM. G. Sée, Trousseau, Charcot
et Vulpian. — La paralysie agitante prend droit de domicile dans les
traités classiques.
Caractères fondamentaux de la paralysie agitante. — C'est une maladie de
la seconde période de la vie. — Ses symptômes. — Modifications de la
marche. — Tendance à la propulsion et à la rétropulsion . — Début ; ses
modes : il est lent ou brusque. — Période d'état. — Le tremblement res-
pecte la tête et le cou. — Changements dans la parole. — Rigidité des
muscles. — Attitude du tronc et des membres. — Déformation dès
mains et des pieds. Ralentissement dans l'exécution des mouvements. —
Perversions de la sensibilité. — Crampes; sentiment général de tension
et de fatigue ; besoin de déplacement. — Sensation habituelle de chaleur
excessive. — Température dans la paralysie agitante. — Influence de la
nature des convulsions (statiques ou dynamiques).
Période terminale. — Confinement au lit. Troubles de la nutrition. — Affai-
blissement de l'intelligence. — Eschares sacrées. — Maladies terminales:
elles diffèrent de celles de la sclérose en plaques. — Durée de la para-
lysie agitante.
Résultats nécroscopiques. — Inconstance des lésions dans la paralysie agi-
tante : fixité des lésions dans la sclérose en plaques. — Lésions du pont
de Varole et de la moelle allongée (Parkinson, Oppolzer). — Physiologie
pathologique.
Etiologie. — Causes extérieures : Emotions morales vives; — action du
froid humide, longtemps prolongée; — irritation de certains nerfs péri-
phériques. — Causes prédisposantes. — L'âge joue un certain rôle : la
paralysie agitante se montre plus tard que la sclérose en plaques. —
Sexe. — Hérédité. — Influence de la race ,155
SIXIEME LEÇON
DE LA SCLÉROSE EN PLAQUES DISSÉMINÉES. — ANATOMIE PATHOLOGIQUE.
Sommaire. — Historique de la sclérose en plaques disséminées : Période
française ; — Période allemande ; — Nouvelles recherches françaises.
Anatomie pathologique macroscopique. — Aspect extérieur des plaques
TABLE DES MATIÈRES. 433
de sclérose. — Leur distribution -.cerveau, cervelet, protubérance, bulbe,
moelle épinière. — Plaques de sclérose sur les nerfs. — Formes spinale,
céphalique ou bulbaire, cérébro-spinale. — Caractères des plaques -. cou-
leur, consistance, etc.
Anatomie microscopique. — Notions d'histologie normale concernant la
moelle épinière. — Tubes nerveux. — Névroglie : sa distribution. —
Couche corticale du réticulum. — Caractères de la névroglie. — Influence
de l'acide chromique. — Capillaires artériels.
Caractères histologiques des plaques de sclérose. — Coupes transver-"
sales : zone périphérique ; — zone de transition ; — région centrale. —
Coupes longitudinales. — Altérations des vaisseaux. — Examen des
plaques de sclérose à l'état frais. — Lésions histologiques consécutives
à la section des nerfs. — Granulations graisseuses sur les coupes de
plaques scléreuses à l'état frais. — Modifications des cellules nerveuses.
— Mode de. succession des lésions 189
SEPTIEME LEÇON-
DE LA SCLÉROSE EN PLAQUES DISSÉMINÉES. SYMPTOMATOLOGIE.
Sommaire. — Diversité d'aspect de la sclérose en plaques disséminées, au
point de vue clinique. ■— Causes d'erreurs de diagnostic.
Examen clinique d'un cas de sclérose eu plaques. — Du tremblement ; mo-
difications qu'il impose à l'écriture : caractères qui le font distinguer du
tremblement de la paralysie agitante, de la chorée, de la paralysie géné-
rale et de l'incoordination motrice de l'ataxie.
Symptômes céphaliques. — Troubles de la vue : diplopie, amblyopie, nys-
tagmus. — Embarras de la parole. — Vertiges.
Etat des membres inférieurs. — Parésie. — Rémissions. — Absence de
troubles de la sensibilité. — Immixtion de symptômes iusolites : symp-
tômes tabétiques ; atrophie musculaire. — Contracture permanents. ■ —
Epilepsie spinale 221
HUITIÈME LEÇON
DES ATTAQUES APOPLECTIFORMES DANS LA SCLÉROSE EN PLAQUES. DES
PÉRIODES ET DES FORMES. PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE. ÉTIOLOGIE.
— TRAITEMENT.
Sommaire. — Attaques apoplectiformes. — Leur fréquence dans la sclérose
en plaques disséminées. — Considérations générales sur les attaques
apoplectiformes dans la paralysie générale et dans les cas de lésions céré-
brales en foyer de date ancienne (hémorrhagie et ramollissement du
cerveau). — Pathogénie des attaques apoplectiformes : insuffisance de la
théorie de la congestion. — Symptômes : Etat du pouls ; élévation de la
température centrale. — Cas d'attaques apoplectiformes chez d'anciens
hémiplégiques. — Importance de la température au point de vue du
çnostiç.
Charcot, t. i, 3° éd. 28
434 TABLE DES MATIERES.
Des périodes dans la sclérose en plaques. — Première, seconde et
troisième périodes. — Symptômes de paralysie bulbaire. — Des formes
et de la durée de la sclérose en plaques.
Physiologie pathologique. — Relation entre les symptômes et les lésions.
Etiologie. — Influence du sexe et de l'âge. — Hérédité. — Affec-
tions nerveuses antérieures. — Causes occasionnelles : action prolongée
du froid humide; traumatisme. — Causes morales.
Pronostic. — ■ Traitement. 248
NEUVIEME LEÇON
DE L'ISCHURIE HYSTÉRIQUE.
Sommaire. — Préambule. — De l'ischurie hystérique. — Différences qui
la séparent de l'oligurie. — Considérations générales. — Vomissements
supplémentaires. — Historique. — Causes qui ont fait suspecter la réa-
lité de l'ischurie hystérique. — Distinction entre l'ischurie calculeuse et
l'ischurie hystérique.
Observation. — Paralysie et contracture hystériques. — Hémianesthésie
complète. — Hémiopie et achromatopsie. — Hyperesthésie ovarienne. —
Rétention d'urine. — Tympanisme. — Attaques convulsives, trismus.
— Apparition de l'ischurie hystérique. — Précautions prises pour éviter
toute cause d'erreur. — Anurie totale. — Vomissements urémiques. —
Balancement entre la quantité de l'urine excrétée et les vomissements. —
Analyse chimique des matières vomies, des urines et du sang. — Sus-
pension des accidents.
Retour de l'ischurie hystérique. — Nouveaux résultats de l'analyse chi-
mique.
Gravité de l'anurie ordinaire et de Famine expérimentale. — Limite de la
durée des accidents compatibles avec la vie. — Influence de l'évacuation
d'une quantité même minime d'urine. — Rapidité de l'apparition des
symptômes dans l'ischurie calculeuse; sa lenteur dans l'ischurie hystéri-
que. — L'innocuité des accidents est en rapport avec la dose d'urine
produite dans l'organisme. — Résistance des hystériques à l'inanition.
Mécanisme de l'ischurie hystérique. — Insuffisance de nos connaissances
à cet égard 275
DIXIEME LEÇON
DE l'hÉMIANESTHÉSIE HYSTERIQUE.
Sommaire. — Hémianesthésie et hyperesthésie ovarienne dans l'hystérie.
— Association fréquente de ces deux symptômes. — Fréquence de l'hé-
mianesthésie des hystériques ; — Ses variétés : elle est complète ou
incomplète. — Caractères de Thémianesthésie hystérique. — L'ischémie
et lesconvulsionnaires. — Lésion des sens spéciaux. — Achromatopsie.
— Relation entre l'hémianesthésie, l'hyperesthésie ovarienne, la parésie
TABLE DES MATIERES. 43o
et la contracture. — Variabilité des symptômes dans l'hystérie. — Va-
leur diagnostique de l'hémianesthésie hystérique. — Restriction qu'il con-
vient d'y apporter.
Hémianesthésie dépendant de certaines lésions encéphaliques. — Ana-
logies qu'elle présente avec l'hémianesthésie des hystériques. — Cas dans
lesquels l'hémianesthésie de cause encéphalique ressemble à l'hémianes-
thésie des hystériques. — Siège des lésions encéphaliques capables de
produire l'hémianesthésie. — Fonctions de la couche optique : théorie
anglaise et théorie française. — Critique. — Nomenclature allemande
des diverses parties de l'encéphale. — Ses avantages au point de vue de
la circonscription des lésions. — Cas d'hémianesthésie observés par Turc k :
siège spécial des lésions encéphaliques dans ces cas. — Observation de
M. Magnan. — Altération des sens spéciaux 300
ONZIÈME LEÇON
DE l'hTPERESTHÉSIE OVARIENNE.
Sommaire. — Hystérie locale des auteurs anglais. — Douleur ovarienne; sa
fréquence ; considérations historiques* — Opinion de M. Briquet.
Caractères de l'hyperesthésie ovarienne. — Son siège exact. — Aura hys-
térique ; premier nœud; — globe hystérique ou second nœud; — phéno-
mènes céphaliques ou troisième nœud. — Le premier nœud a son point
de départ dans l'ovaire. — Lésions de l'ovaire; desiderata.
Rapports entre l'hyperesthésie ovarienne et les autres accidents de l'hystérie
locale.
De la compression ovarienne. — Son influence sur les attaques. — Ma-
nière de la pratiquer. — La compression ovarienne comme moyen d'ar-
rêter ou de prévenir les convulsions hystériques est connue depuis long-
temps : son application dans les épidémies hystériques. — Epidémie de
saint Médard : Les secours. — Analogies qui existent entre l'arrêt des
convulsions hystériques par la compression de l'ovaire et l'arrêt de l'aura
épileptique par la ligature d'un membre.
Conclusion au point de vue de la thérapeutique. — Observations clini-
ques 320
DOUZIÈME LEÇON
DE LA CONTRACTURE HYSTÉRIQUE.
Sommaire. — Formes delà contracture hystérique. — Description de la
forme hémiplégique ; analogies et différences entre la contracture hysté-
rique et celle qui dépend dune lésion en foyer du cerveau. — Exemple
de la forme paraplégique de la contracture hystérique.
Pronostic. — Soudaineté de la guérison dans quelques cas. — Inter-
prétation scientifique de certains faits réputés miraculeux. — Incurabilité
de la contracture chez un certain nombre d'hystériques. — Exemples. —
Lésions anatomiques. — Sclérose des cordons latéraux. — Variétés que
présente la contracture. — Pied bot hystérique. 346
436 TABLE DES MATIÈRES
TREIZIÈME LEÇON
DE l'hYSTERO-ÉPILEPSIE.
Sommaire. — Hystéro-épilepsie. — Sens de cette dénomination. — Opinions
des auteurs. — Hystérie épileptiforme, hystérie à crises mixtes. — Va-
riétés de l'hystéro-épilepsie : hystéro-épilepsie à crises distinctes : —
hystéro-épilepsie à crises combinées ou attaques-accès. — Différences et
analogies entre l'épilepsie et l'hystéro-épilepsie. — Signes diagnostiques
fournis par l'examen de la température centrale dans l'état de mal hystéro-
épileptique et i'état de mal épileptique. — Etat de mal hystéro-épilepti-
que ; ses phases. — Caractères cliniques de l'état de mal hystéro-épilep-
tique. — Gravité de certains cas exceptionnels d'hystéro-épilepsie. —
Observation de Wunderlich 367
Appendice. — I. Observation de paralysie agitante 389
— II. Du tremblement dans la maladie de Parkinson. • 394
— III. Caractères de l'écriture des malades atteints de maladie
de Parkinson 401
— IV. Sclérose en plaques disséminées : Cas fruste de la forme
spinale; — possibilité de la guérison 402
— V. Représentation d'après nature de la danse de Saint-Guy
[Chorea Grernianorum) , par P. Breughel. — Esquisse
de Rubens 405
Explication des planches 409
TABLE ANALYTIQUE
Aciiromatopsie hystérique, 287, 304,
339, 34a.
Ambltopie hystérique, 362 ; — dans la
sclérose eu plaques. '233.
Àmtotrophie protopathique (V. Atro-
phie musculaire). — symptôma-
tique : dans la contracture hysté-
rique, 304; — d'un foyer sanguin
du cerveau, note 02 ; — d'une
lésion hémilatérale de la moelle,
104, — de la sclérose en plaques'
disséminées, 02, 244; — de la scié- 1
Ataxie locomotrice (Affections cuta-
nées dans 1'), 70 ; relation entre
ces affections et les douleurs ful-
gurantes. 77 ; — différences. qui
séparent Tataxie du tremblement
de la sclérose en plaques, 230; dans
la sclérose eu plaques, 242.
Atrophie musculaire, 5 ; — consécu-
tive à la section du nerf sciatique,
10. — Arthropathies clans Y —
• progressive, 124. — Lésions nrri-
tatives des cellules nerveuses dans
1'
(il!
sa tendance à la gé-
néralisation, 70.
rose des cordons latéraux, 54; — [ Attaques-accès, 372,375.
de la sclérose des cordons posté-! Attaques apoplectiformes dans la
rieurs, 01.
Analgésie, 303, 308, 354.
Anesthésie (Rôle de 1') dans le déçu-'
bitus de cause spinale, 99.
Angioneuroses, 141; — chez les hys-
tériques, 137.
Apoplexie spinale, G'i.
sclérose en plaques, 249 : fréquence,
249, 252; — dans la paralysie gé-
nérale, 250; pathogénie, 252. — -,
dans les cas de foyers apoplectiques
anciens, 251. — Variétés, 249. — -
Symptômes, 251. — Pouls et tem-
pérature,
Arthrite déformante, 120.
i Attraction '^Théorie de 1% 145.
Arthropathies des alaxiques, 4 ; — Aura hystérique, 280, 325: Caractères
symptômes, 118; — Siège, 119:
lésions des jointures, 119; — alté-
ration des cellules des cornes an-
térieures, 122; dans Y atrophie mus-
culaire progressive , 124; — de
cause cérébrale et spinale, 112; —
dans Y hémiparaplégie traumatique,
103; — des hémiplégiques : histo-
rique, 114; — mode de début,
117 ; — lésions, 117; — caractères' B
cliniques, 118.
Articulations (Affections trophiques1 Bromure de camphre, 188.
des), 24. (V. Arthropathies.) ! Bulbe rachidien. Lésions muscu
de 1' — 325 ; — 1er nœud ou dou-
leur ovarienne, 325 ; — 2G nœud ou
globe hystérique, 325 ; — 3° nœud
ou phénomènes céphaliques, 230.
— Influence de la compression de
l'ovaire sur 1' — , 320, 331, 339,
340, 341, 345, 375.
Avant- mur, 313.
43*S
TABLE ANALYTIQUE.
laires consécutives aux affections
du — ,71. — Lésions du — dans la
paralysie agitante, 181 ; — dans
la sclérose en plaques, 193, 250.
Capsule interne, 3I2.
Capsules surrénales (Hémorrhagie
des) dans les lésions spinales, 128.
Cellules nerveuses motrices des cor-
nes antérieures de la substance
grise de la moelle, 61. — Lésions
de ces cellules : forme aiguë (pa-
ralysie infantile), 08; — forme
chronique (atrophie musculaire pro
gressive), 69. — Rôle des — dans
la production des troubles trophi-
ques, 72. — Dégénération jaune
des cellules nerveuses, 218. — Lé-
sions des — dans la sclérose en
plaques, 244 ; — dans la contrac-
ture hystérique, 364.
Cerveau (Notions anatomiques sur
le), 312.
Chorée (Mouvements désordonnés de
la) comparés au tremblement de la
sclérose en plaques, 229. (V. Hé-
MIGHORÉE.)
Cicatrices vicieuses, 23.
Cirrhose des muscles, 54.
Cœlialgie hystérique, 286, 323.
Compression de l'ovaire; 331. — Ses
effets sur l'accès d'hystérie, 332.
— Mode opératoire, 332. — His-
torique, 333.
Congestion apoplectiforme et épilep-
tiforme, 378.
Contractilité électrique après les lé-
sions pathologiques des nerfs et
après les lésions expérimentales
35; — dans la contracture hysté
rique, 364 ; — dans les fractures
et les luxations de la colonne ver-
tébrale, 65 ; — dans l'hématomyé
lie, 65; — dans la myélite aiguë
centrale, 64 ; — dans la sclérose
en plaques, 241. (V. Myopathies).
Contracture hystérique permanente,
285, 339, 343, 346. — Action du
chloroforme sur la — , 348. — Tré-
mulation convulsive dans la — ,
349. — Forme hémiplégique de la
— , 348, 351 ; ■ — caractères qui la
différencient de l'hémiplégie orga-
nique, 331. — Forme hémipara-
plégique de la — , 365. — Forme
paraplégique, 346, 354, 360. — Pro-
nostic de la — , 363. — Soudai-
neté de la guérison dans certains
cas de — , 357 ; — cures réputées
miraculeuses, 357. — Contractures
incurables, 360. — Lésions dans
la — , 360. — Physiologie patholo-
gique de la — , 362.
— permanente dans la sclérose en
plaques, 245.
— tardive dans l'hémiplégie de cause
cérébrale, 117.
— des uretères, 296.
Convulsionnaires, 303, 334. — Démo-
niaques, 341, 405, 406 (V. Secours.)
Convulsions (Arrêt des) chez les hys-
tériques par la compression de
l'ovaire, 331; — dans l'épilepsie,337.
Corde du tympan, nerf dilatateur,141.
Corps granuleux, 215.
Corps opto-striés (Lésions des) :
leurs effets, 307. — Théorie fran-
çaise, 310. — Théorie anglaise,309.
Courants électriques (Différences en-
tre les C. continus et les C. inter-
rompus, 38. (V. Faradisation.)
Crises gastriques, 259.
Danse de Saint-Guy, 405.
Décubitus aigu, 83. — Mode d'évo-
lution, 86. — Affections consécu-
tives au — , 88 ; — dans l'apo-
plexie symptomatique des lésions
cérébrales en foyer, 91 ; — siège,
93. — Pathogénie du —, 95, 139 ;
— de cause spinale, 87, 95; —
siège, 95 ; — dans la myélite trau-
matique, 98 ; influence du siège
de la lésion spinale, 99 ; — dans
TABLE ANALYTIQUE.
i39
l'hémiparaplégie traumatique, 101 ;
— dans la myélite spontanée, 106;
époque de son apparition, 107. —
Rôle de la substance grise sur la
production du — , 109. — Influence
des lésions des nerfs sur le — ,110.
Dégénérât-ion cireuse des muscles, 55.
Délire des grandeursdans la sclérose
en plaques, 238.
Démarche dans la paralysie agitante.
174.
Diplopie dans la sclérose en plaques,
233, 259.
Douleurs fulgurantes (Pathogénie
des) , 79.
Dyxamométrie dans la paralysie agi-
tante, 163. 174.
Ecchymoses viscérales dans les lé-
sions cérébrales en foyer (endo-
carde, estomac, plèvre , vessie),
126; — de l'aponévrose épicrâ-
nienne, 114 ; — dans les lésions
spinales, 115.
Ecriture (Spécimens de 1') dans la
paralysie agitante, 167, 401; — dans
la sclérose en plaques, 227, 228.
Electro-Diagnostic, 34.
Embolies gangreneuses, suite du dé
cubitus aigu, 89.
Encéphalite, 92.
Endocardite ulcéreuse avec embolies
multiples et état typhoïde, 82.
Epidémies hystériques, 334 ; — de
Saint- Médard , 303, 335; — de
Saint-Louis, 358.
Epilepsie dans ses rapports avec
l'hystérie, 367, 368, 370. — Des-
cription d'un accès d' — , 379 ; —
spinale dans la contracture hysté-
rique, 349, 364 ; dans la sclérose
en plaques,246. — Ses formes, 247.
— Arrêt de Y — , 337, 375. (V.
Etat de mal épileptique.)
Eruptions eczémateuses, 22; liché-
noïdes et pustuleuses , 76 ; — pem-
phigoïdes, 23, 30, 111.
Erythème pcrnio. 23.
Eschare de la fesse, 4 ; à formation
rapide, 83; — son siège dans les
cas d'apoplexie, 93 ; — dans les
attaques apoplectiformes, 252. —
sacrée, 95 ; — dans l'ataxie loco-
motrice, 77 ; dans l'état de mal
épileptique, 378. (V. Décubitus).
Etat de mal épileptique, 276. (V.
Température.) — hystéro-épilep-
tique, 338, 376. (V. Température.)
Excitabilité électrique (Altérations
histologiques correspondant à la
diminution de l'), 53.
Expériences de MM. Erb, Ziemmsen
et O. "Weiss, 52.
Faisceaux radiculaires internes, 79. —
Irritation des — dans la sclérose
postérieure, 80.
Faradisation et galvanisation; diffé-
rences d'action, 38, 54, 57 ; — dans
la sclérose en plaques, 241.
Fève de Calabar dans la paralysie
agitante, 187 ; — dans la sclérose
en plaques, 271.
Ganglion cervical supérieur (Effets
résultant de l'extirpation du), 222.
Glossy sein, 23.
Griffe dans un cas de sclérose en
plaques avec lésion des cellules
nerveuses, 56; — dans la para-
lysie agitante, 153.
H
Hematomyélie, 64. — Pathogénie, 64.
— Diminution ou abolition de la
contractilité électrique, 65. — Al-
tération des urines, 131.
Hémianesthésie hystérique, 285, 300,
330. — Historique, 302. — Lé-
sions des sens, 304. — Relations
entre l'hémiauesthésie, l'hyperes-
TABLE ANALYTIQUE.
thésie ovarienne, la paralysie et la
contracture, 304, 330. — Carac-
tères qui la séparent de l'hémia-
nesthésie de cause encéphalique,
303.
— - de cause encéphalique , historique,
308; — ses caractères, 311, 314. —
Cas de Turck, 313, 315.
îîémighorée, 316.
Hémiopie, 285.
Hémiparaplégie traumatique, 101. —
Arthropathies dans 1' — , 102. —
Atrophie musculairedansl' — ,105.
— Altérations des urines dans
1' —, 130.
Hémiplégie dans les attaques apo-
plectiformes, 252; — hystérique, 352.
Histologie normale du système ner-
veux, 196.
Hypérémie neuro-paralytique, 135.
Hyperesthésie ovarienne, 286, 300,304,
320. — Fréquence, 321. — Histo-
rique, 322. — Caractères cliniques,
323. — Lésions anatomiques de
l'ovaire, 329. — Conclusion, 338.
— Faits cliniques, 339, 345,373.
Hystérie (V. Epidémies, Hémianes-
thésie , Hyperesthésie ova-
rienne, Ischurie, Secours). —
e'pilepti forme , 369 ; — ovarienne,
301; — grave, 306, 338; — locale, 320.
Hystéro-épilepsie, 331, 367. — Si-
g nification de ce mot, 368 ; — à
crises distinctes, 368. — Variétés
de V — , 370. — Nature de V — .
374. — Température dans 1' — ,
376. — Etat de mal hystéro-épilep-
tique, 378. — Cas graves d' — ,382.
Immobilisation des membres (Effets
de 1'), 8, 13.
Incoordination motrice, 230.
Infection purulente, suite du décu-
bitus, 88.
Intoxication putride, suite du décu-
bitus, 88.
Irritabilité musculaire, 36.
Irritation (Rôle de 1') des nerfs au
point de vue de la production des
troubles trophiques. 21.
Ischémie hystérique, 303.
Ischurie hystérique, 275 ; — passa-
gère, 278 ; — permanente, 278. — ;
Historique, 279. — Simulation,
281. — Elle diffère de l'ischurie
calculeuse, 283. — Fait clinique,
285. — Tracés indicatifs des vo-
missements et des urines, 289. — *
Analyses chimiques, 290, 292. —
Rémission des accidents, 290. —
Réalité de f — , 293, — Bénignité
relative de T — , 295. — Gravité
de l'ischurie calculeuse , 294. —
— Mécanisme de 1' — , 296.
Langue (Contracture delà), 345.
Latéropulsion dans la paralysie agi-
tante, 399.
Lèpre anesthésique, 30.
Lésions irritatives, 13, 17; — ocu-
laires consécutives à l'irritation du
ganglion de Gasser, 14, 17; — à
la section du nerf trijumeau, 14,
15; — dues à des lésions spon-
tanées du nerf de la 5e paire, 16.
M
Mains (Déformation des) dans la pa-
ralysie agitante, 170; — dans le
rhumatisme, 171. (V. Griffe.)
Maladie de Parkinson, 394.
Méningite ascendante purulente sim-
ple ou ichoreuse, consécutive au
décubitus, 90 ; — cervicale chro-
nique, 29.
Miracles de Saint-Louis, 358 ; — de
Saint-Médard, 303,335; — de Lour-
des, 359.
Moelle épinière (Effets de la section
transversale de la), 10, 19.
Muscles (Affectious trophiques des),
34 ; — dans la paralysie infantile,
67. (V.AMYOTROPniES, Atrophie
TABLE ANALYTIQUE.
444
MUSCULAIRE, MYOPATHIES, SCLÉ-
ROSE EN PLAQUES.)
Myélite aiguë centrale, 64. — Dimi-
nution de la contractilité électri-
que, 64. — Lésions des capsules
surrénales, 128. — Altérations des
urines, 130. — Crises gastriques,
260.
— partielles ; amyotrophie, 62 ; —
traumatiques, 97; — spontanées,106.
Myodynie hystérique, 323.
Myopathies consécutives à des lé-
sions de la moelle, 59.
N
Néphro-cystite consécutive aux lé-
sions spinales, 129.
Néphrotomie, 279. — Gravité de la
—, 293.
Nerfs (Ecrasement et ligature des),
53. — Excision des — , 56. —
Plaques de sclérose sur les — ,
194; — dilatateur s, 141 (V. Corde
du tympan) ; facial (Paralysie
du), 37; — glandulaires (Irritation
des), 147 ; — sciatique (Résultat
de la section du), 9; — sécréteurs
(Recherches de Ludwig sur les),
142; trijumeau (Résultats de la
section du), 10, 14 ; — Expériences
de Samuel, 14; — lésions spon-
tanées du — , 16. — trophiques,20,
148; — origine de ces nerfs, 150.
— vaso-moteurs, 151; — (Rôle des)
au point de vue de la nutrition, 11,
20; — irrritation des — , 140.
Névrite, 25, 26. — Troubles trophi-
ques liés à la — , 27.
Névroglie (Delà), 198.
Nutrition (Influence du système ner-
veux sur la), 5, 6 etpassim.
Nystagmus dans la sclérose en pla-
ques, 234.
Oblitération calculeuse des uretères,
283.— Durée, 284.— Gravité, 293.
Oligurie hystérique, 278.
Os (Affections trophiques des), 24, 30.
Ovaire (Siège de 1'), 327. (V. Com-
pression, Hyperesthésie ova-
rienne).
O varie hystérique, 286, 304, 320.
Paralysie agitante, 155; — Histori-
que, 160. — Nature, 161. — Ca-
ractères généraux de la — , 161.
— Début, ses modes , 164, 165.
— Symptômes, période d'état, 166.
— Caractères du tremblement,! 67.
— Attitude du corps dans la — ,
169 ; — sa valeur diagnostique, 179.
— P. agitante sans tremblement,
172, 394. — Sensations pénibles
dans la — , 176. — Période termi-
nale, 179. — Terminaisons, 160. —
Anatomie pathologique, 160. —
Physiologie pathologique, 162. —
Causes, 162,183, 184. — Traitement,
187. (V. Latéropulsion, Parole,
Propulsion, Rétropulsion.)
— bulbaire , symptomatique de la
sclérose en plaques, 262.
— consécutive à la lésion des nerfs,
45.
— générale progressive ; caractères
qui la rapprochent de la sclérose
en plaques, 223, 235. (V. Attaques
apoplectiformes.)
— générale spinale de l'adulte, 70;
ses analogies et ses différences
avec la paralysie infantile, 70. —
hystérique, 287, 352 et passim.
— infantile, 45, 50. — Lésions ana-
tomiques, 68; — labio-glosso-la-
ryngée : lésions des cellules motri-
ces, 72,235, 236.
— pseudo-hypertrophique, 45.
— rhumatismale (Etat de la contrac-
tilité musculaire dans la), 38.
Paraplégie traumatique (Altération
des urines dans la), 129. (V. Hé-
miparaplégie.)
Parésie des membres inférieurs dans
Chargot, t. I, 3° éd.
29
442
TABLE ANALYTIQUE.
la sclérose en plaques, 239. —
Rémissions, 240.
Parole ( Troubles de la ) dans la
paralysie agitante, 168; — dans la
sclérose en plaques, 235.
Peau (Troubles tropbiques de la), 20;
— lisse, 23, 30.
Petit mal épileptique, 375.
Pharynx (Paralysie du), 345.
Phlegmon (Faux), 23, 86.
Pied (Déformation du), dans la paraly-
sie agitante, 171. (V. Trépidation.)
Pied bot hystérique, 360, 365.
Pouls dans les attaques apoplectiques,
255.
Préambule, 1.
Propulsion dans la paralysie agitante,
163,172,175,391.
Putamen, 313.
Reins (Lésions des) consécutives à la
section des nerfs, 128, 129. — Con-
tradictions expérimentales, 18.
Rémissions, 166, 240.
Rétention d'urine chez les hystériques,
277, 352, 355.
Rétropulsion dans la paralysie agi-
tante, 163, 175, 391.
Rigidité des membres et du cou dans
la paralysie agitante, 169.
Salivation dans la paralysie agi-
tante, 169.
SCLÉRODERMIE, 24.
Sclérose fasciculée, 60; descendante,
250 ; — latérale dans l'hystérie,
360 ; postérieure, compliquant la
sclérose en plaques, 230, 242, 264.
(V.Ataxie locomotrice). — En
plaques disséminées (Lésions des
cellules motrices dans la) — , 71;
— et paralysie agitante, 170. —
Historique, 159. — Anatomie ma-
croscopique, 193. — Distribution
des plaques dans le cerveau, 193 ;
— dans la moelle, 193; sur les
nerfs, 194. — Aspect des plaques
de sclérose, 194. — Histologie,195,
205. — Altérations des vaisseaux
dans la — , 211. — Nature de la
lésion, 219. — Forme spinale, 194,
222. — Forme céphalique ou bul-
baire, 194, 222. -— Forme cérébro-
spinale, 136, 222, 294. — Causes
d'erreurs de diagnostic, 223. — Di-
plopie, amblyopie, 233. — Symp-
tômes céphaliques, 233. — Nys-
tagmus, 234. — Vertige, 236. —
Faciès, 237. — Symptômes psy-
chiques, 237. — Etat des membres
inférieurs, 238. — Symptômes in-
solites, 241. — Ataxie, 242. —
Atrophie musculaire, 244. — Con-
tracture des membres, 245. — Epi-
lepsie spinale, 247, 249.— Attaques
apoplectiformes, 248. — Périodes,
257. — Rémissions, 258. — Crises
gastriques, 257. — Maladies inter-
mittentes, 261. — Paralysie bul-
baire, 262. — Durée, 265. — Phy-
siologie pathologique, 266. — Cau-
ses, 267. — Influence des maladies
aiguës, 258, 269. — Pronostic,270,
403. — Traitement, 271. — Cas de
guérison,404. — Forme fruste de la
-, 402.
Secours (Des) chez les convulsion-
naires, 335.
Sections des nerfs : complètes ou in-
complètes, 21, 25, 35, 53, 213.
Simulation (Delà) dans l'hystérie,281.
Tarentisme, 341.
Température (Signification de l'abais-
sement de la) dans l'apoplexie cé-
rébrale, 94. — Abaissement de la
— accompagnant les lésions inci-
tatives des nerfs, 137. — Abaisse-
ment de la — dépendant de l'irri-
tation du grand sympathique cer-
vical, 141 ; — dans la paralysie
agitante, 178; — dans les attaques
TABLE ANALYTIQUE.
443
apoplecti formes, 252 ; — dans les
attaques d'hystéro-épilepsie , 376;
dans Y état de mal épileptique, 376,
378 ; — dans Vétat de mal hystéro-
épileptique, 334.
Thermoanesthésie, 303, 382.
Tremblement (Du) en général,156. —
Différence selon l'état de repos ou
d'activité, 157. — Variétés, 157. —
Historique, 158; — dans la para-
lysie agitante, 167, 229 ; — dans la
sclérose enplaqv.es, 226. — Influence
des mouvements, 227. — Carac-
tères qui le distinguent de la cho-
rée, 229 ; — de l'incoordination
motrice, 230.
Trépidation provoquée du pied dans
Yhystérie, 349 ; — dans la sclérose
des cordons latéraux, la sclérose en
plaques , la sclérose descendante,
349 (Note;.
Trismus, 286.
Troubles trophiques. Siège, 4. —
Différences qui les séparent des
lésions passives, 8 ; — consécutifs
aux lésions des nerfs périphéri-
ques, 5 ; — causes traumatiques.
25. — Lésions spontanées, 27. —
Partie théorique, 133. — Théorie
vaso-motrice, 134. — Théorie de
l'attraction, 145. — Théorie des
nerfs trophiques, 148. — Théorie
de M. Samuel, 149. — Critique,
151. — Conclusions, 152. — Dans
la sclérose en plaques, 262.
Tubercule de la moelle, 114.
Tympanisme, 286, 352, 355.
Urée dans les vomissements hysté-
riques, 279, 290, 292 ; — dans les
évacuations alvines consécutives à
la néphrotomie, 279. — Influence
de la pression sur la production
de l'urée, 297.
Uretères Contracture spasmodique
des . 296. (V. Oblitération).
Urticaire dans l'ataxie locomotrice,
76.
V
Vertiges dans la sclérose en plaques,
236, 259 ; — épileptiques, 375.
Vomissements hystériques, 290, 295 ;
— v/rémiques ,ï% ; — de sang ,352.
Zona, 22, 27, 29 ; — dans l'ataxie lo-
comotrice, 76; — dépendant de
lésions partielles de l'encéphale,
80 ; — avec modifications du derme,
111. — Elévation de la tempéra-
ture au niveau de l'éruption, 137.
VERSAILLES. TYP. CERF ET FILS, 59, RUE DUPLESSIS
I