JOHN M. KELLY LIBDARY
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Holy Redeemer Collège, Windsor
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St. Michael's Collège, Toronto
HOLY REMEÎfeR^IBRARY, WINDSOR
%
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LE PALMIER SÉRAPHIQUE
TOME SIXIÈME
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LE PALMIER SÉRAPHIQUE
ou
• A3
VIE DES SAINTS
ET DES HOMMES, ET' F£MM£?.ILLUSTRES
DES ORDRES DE SAINT FRANÇOIS
!»OUS LA DIRECTION X>E >jgr PAUL GUÉRIN
CONTINUATEUR DE LA VIE DES SAINTS DU P. GIRY (PETITS BOLLANDTSTES)
TOME SIXIÈME
MOIS DE JUIN
BAR-LE-DUG
LOUIS GUÉRIN, IMPRIMEUR-ÉDITEUR
1872
X
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HOLY REDEEMEflf^RARY, WINDSOR
SVotf^ à
LE PALMIER SÉRAPHIQUE
PREMIER JOUR DE JUIN
LE BIENHEUREUX JACQUES DE STREPAR
ÉVÊQUE DE LÉOPOLDSTAD, EN POLOGNE
1411. — Roi de France : Charles VI. — Pape : Jean XXIII.
SOMMAIRE : Jeunesse du bienheureux Jacques. — Ses missions. — Il est nommé
évêque de Léopoldstad. — Son administration et son zèle pour le bien des âmes.
— Il devient conseiller du roi. — Sa mort. — Sa béatification.
L'Ordre Séraphique célèbre, au premier jour de juin,
la fête du bienheureux Jacques, évêque et confesseur, du
premier Ordre. Il naquit vers le milieu du quatorzième
siècle, dans la Grande-Pologne, d'une famille noble et
riche. Ses parents prirent soin de lui donner une éduca-
tion chrétienne qui porta des fruits dès sa jeunesse.
Entouré des vanités de la terre, pouvant se procurer
tous les plaisirs et toutes les voluptés dont la plupart
des hommes sont si avides , il ne jeta un regard
sur le monde que pour le mépriser; et, renonçant à
tous les avantages que lui procurait sa naissance, il ré-
solut de se consacrer à Dieu dans l'Ordre des Frères
Mineurs.
Au couvent, il ne tarda pas à donner à ses frères
Palm. Séraph. — Tome VI. 1
2 Ier JUIN.
l'exemple de toutes les vertus. Sa sainteté, dit le chroni-
queur, était comme un autre soleil qui éclairait et guidait
dans la voie du salut les religieux comme les gens du
monde. C'est que sa foi si vive était de celles qui se
communiquent : aussi ne tarda-t-il pas à solliciter de
ses supérieurs la grâce d'être employé à l'œuvre des
missions.
Il fut désigné pour la Russie, qui était encore presque
toute païenne, et fut inscrit au nombre des Frères Voya-
geurs, lesquels faisaient vœu de soutenir et de propager
jusqu'à la mort la foi catholique. Il prêcha la vérité avec
une ardeur invincible, de sorte qu'il eut le bonheur de
faire de nombreuses conversions et d'établir la religion
de Jésus-Christ dans plus d'une province. Ses supérieurs
crurent ne pouvoir mieux faire que de le nommer tout
d'abord vicaire général pour toute la mission ; et, quelque
temps après, l'évêque de Léopoldstad, Bernard, étant venu
à mourir, le pape Boniface IX, à la prière de Vladislas
Jazello, roi de Pologne, le désigna pour son successeur à
ce siège épiscopal.
Le bienheureux Jacques se décida difficilement à quit-
ter ses chères missions ; mais, averti par la voix intérieure
de l'Esprit-Saint et par les ordres de ses supérieurs, il
accepta la haute et redoutable dignité qu'on lui propo-
sait. Il se montra aussi dévoué aux intérêts spirituels de
ses compatriotes qu'il l'avait été à la conversion des infi-
dèles. Plein de zèle et de prévoyance pour les besoins de
son diocèse, rien ne lui coûta quand il s'agit d'y intro-
duire quelque amélioration ou d'y réformer quelque
abus. Durant dix-huit ans il surveilla tout par lui-même,
se fit rendre compte de toutes choses, s'occupa de son
LE BIENHEUREUX JACQUES DE STREPAR. 3
clergé avec un amour tout paternel, gagna la confiance
et l'affection de tous. Les églises et les chapelles se mul-
tiplièrent, et il n'y eut guère de hameaux où ne s'élevât la
maison de Dieu. La piété renaquit parmi ces chrétiens
polonais, rebutés jusque-là parles nombreuses difficultés
matérielles qui s'opposaient à l'accomplissement de leurs
devoirs de religion.
Non content de fournir à ses ouailles les moyens abso-
lument nécessaires pour faire leur salut, il établit aussi
plusieurs dévotions qui témoignent de son zèle pour les
attirer à la pratique de la perfection. La sainte Vierge
surtout était l'objet de son amour, et il voulut la voir
honorer tout spécialement par les habitants de son dio-
cèse. Tous les jours, par son ordre, les cloches des églises
et des chapelles appelaient les fidèles au pied des autels ;
on récitait des prières en l'honneur de Marie, et les
prêtres exhortaient les chrétiens à la servir avec fidélité
et à persévérer avec constance dans son culte. Une indul-
gence de quarante jours fut accordée à tous ceux qui
viendraient en état de grâce adorer le saint Sacrement.
A Léopoldstad, dans l'église du Corps du Seigneur, il
établit l'adoration perpétuelle. Aussi la piété, la dévotion
et les bonnes mœurs fleurirent-elles dans toutes les par-
ties du diocèse: on fréquenta les églises, les couvents
se peuplèrent de religieux, les pécheurs se converti-
rent ; en un mot, toute une génération grandit pour
le ciel.
Les misères aussi disparaissaient peu à peu, par une
conséquence naturelle de cet état de choses : moins de
vices, moins de malheureux; plus de piété, plus de cha-
rité. Les pauvres furent recueillis, soignés, habillés,
4 Ier JUIN.
nourris ; des hospices s'élevèrent pour recevoir les ma-
lades indigents, et le pieux Jacques lui-même ne dédai-
gnait pas d'aller les visiter dans leur humble logis et de
s'asseoir à leur chevet.
Enfin le vénérable évêque avait été appelé à la cour,
en qualité de conseiller du roi, et la reconnaissance des
Polonais lui avait décerné les titres de Protecteur de la
patrie et de Gardien du royaume, quand il mourut à
Léopolstad, en 1411, épuisé par l'âge et par les travaux.
On l'ensevelit, revêtu de ses habits de moine et de ses
ornements sacerdotaux, dans l'église de la Sainte-Croix.
La renommée de sa sainteté attira à son tombeau des pè-
lerins de toute la Pologne, de la Russie même et de con-
trées plus éloignées encore.
En 4790, par une bulle du H octobre, le pape Pie VI
le mit au nombre des bienheureux.
(Rome. — Bulletin de l'Ordre Séraphique.)
LE BIENHEUREUX PILINGOTTE
DU TIERS ORDRE
1304. — Roi de France : Philippe IV. — - Pape : Saint Benoît XI.
SOMMAIRE : Dispositions précoces du bienheureux Pilingotte à la piété. — il entre
dans le Tiers Ordre de Saint-François. — Sa vie dans la retraite et ses mortifica-
tions. — Son humilité. — Dieu l'exalte aux yeux du monde par des miracles. —
Sa mort et vénération du peuple pour ses restes.
Le bienheureux Pilingotte naquit en 4240, à Urbin, en
Italie, de parents riches et honorables. Son père, gros
marchand qui avait fait sa fortune dans le commerce
LE BIENHEUREUX PILINGOTTE. 0
des étoffes, songeait à lui laisser sa maison et sa clientèle,
et, pour lui apprendre le négoce, le mit à son comptoir
dès l'âge de douze ans : l'enfant parut n'y rien entendre,
il n'avait pas hérité des qualités paternelles. Au lieu de
faire l'éloge de ses étoffes de laine et de soie, de ses draps
et de ses velours, il conjurait les acheteurs de bien prati-
quer les commandements de Dieu et ceux de l'Église,
d'assister aux offices sacrés, de s'approcher souvent du
tribunal de la pénitence et de la sainte table. Il eût donné
tout ce qu'il y avait de plus précieux chez lui pour obte-
nir la conversion des pécheurs. Son père eut le bon sens
de comprendre qu'il était né pour tout autre chose que
pour devenir un commerçant, il l'abandonna à lui-même
et à ses inspirations. Libre de toute préoccupation mon-
daine, le jeune homme ne songea plus qu'à son âme et à
Dieu. 11 évita les sociétés frivoles, et, persuadé que la mé-
ditation dans la solitude est l'un des plus puissants
moyens d'arriver à la vertu et à la perfection, il s'imposa
à lui-même la loi du silence, vécut dans la retraite et
consacra la plus grande partie de ses jours et de ses nuits
à la prière et à la contemplation. Il visitait les églises et
passait de longues heures au pied des autels, devant Jésus
crucifié ou des statues de Marie. Une fois, il resta de-
puis midi jusqu'au soir dans une si profonde extase, que
ses parents mêmes ne purent le rappeler à la vie exté-
rieure.
Quand il atteignit l'âge d'homme, il n'eut qu'un désir,
revêtir l'humble robe de tertiaire, dans l'Ordre de Saint-
François. Ses parents, bien pénétrés de la force de sa vo-
cation, y accédèrent sans peine et lui facilitèrent même
les moyens de faire des aumônes. Il fit d'ailleurs de sa
6 1er JCIN.
vie l'emploi qui lui convint, à la seule condition qu'il ne
quitterait la maison paternelle ni pour un ermitage, ni
pour un couvent. Sa petite chambre, où ne pénétrait
aucun bruit du dehors, où le jour arrivait à peine par
une fenêtre étroite, avait l'aspect d'une cellule de moine.
C'est là qu'il se livrait à ses pratiques pieuses ou austères,
et qu'il s'efforçait d'imiter la vie des saints dont il avait
lu ou entendu raconter l'histoire. Ses vêtements étaient
faits de lambeaux d'étoffes mal cousus, les mêmes pour
l'été et pour l'hiver, pour la chaleur et pour le froid. Il
couchait sur une planche nue et prenait à peine quel-
ques heures de repos. Toutes les nuits il se donnait la
discipline jusqu'au sang, et priait ou méditait longue-
ment sur la vie et les souffrances de Jésus. Il s'était fait
une loi de n'adresser jamais la parole à personne, et
même de ne jamais répondre à ceux qui l'interpel-
laient, les pauvres seuls et les malades exceptés, à
qui il prodiguait des trésors d'éloquence tendre et inépui-
sable.
Le comte de Montefeltro, seigneur d'Urbin, qui con-
naissait la sainteté du bienheureux, désirait ardemment
avoir avec lui un entretien de quelques instants. Un jour,
à la sortie de la messe, il le prit par la main et lui
reprocha doucement de n'être jamais venu le voir, pour
lui donner des conseils et le diriger dans la voie du salut.
Le saint homme, sans répondre un mot, rentra dans l'é-
glise avec le comte et alla s'agenouiller au pied de l'autel,
devant le saint sacrement de l'Eucharistie, comme pour
montrer au comte que c'est là qu'il trouverait les
meilleurs conseils et le plus de secours dans la route dif-
ficile du ciel.
LE BIENHEUREUX PILINGOTTE. 7
L'humilité du bienheureux Pilingotte était, selon le
mot de son biographe, le plus beau fleuron de sa cou-
ronne de perfection. Quand il s'aperçut que les fidèles
commençaient à lui témoigner de la vénération, il feignit
la folie pour attirer sur lui le ridicule et le mépris; puis,
un vendredi, il s'en fut sur la place du marché, par un
froid excessif, s'attacha avec des chaînes de fer à un pilier
où l'on exposait d'ordinaire les malfaiteurs, et y resta
sans mouvement jusqu'à ce que, les membres raidis par
le froid, presque mort, ses parents le rapportassent à la
maison. Chez lui, il faisait les ouvrages qui rebutaient
les domestiques ; et pendant une maladie dont sa mère
souffrit plusieurs semaines, il la soigna avec une patienc*e
et une douceur angéliques, et ne quitta son chevet ni
jour ni nuit.
Mais Dieu prit soin d'exalter son humble serviteur et
d'honorer en face du monde celui qui voulait être pour
le monde un objet de mépris et de dégoût. Il eut le don
de prophétie et de miracles. Quelques-uns de ses parents
gémissaient sur la conduite légère et frivole de son frère :
« Ne craignez rien », répondit-il en souriant, a il s'a-
« mendera et deviendra par la suite un grand serviteur
« de Dieu » ; et cette parole se vérifia peu de temps après.
Il connaissait les secrets intimes des cœurs et lisait
dans les consciences comme dans un livre ouvert. Un
jeune homme pieux avait au fond de l'âme quelques
doutes qui le tourmentaient, et dont il n'avait jamais
parlé à personne : le bienheureux les devina, les com-
battit, en triompha, et indiqua au jeune homme étonné
les moyens de n'y plus retomber.
Aussi Père Pilingotte avait-il la réputation d'un saint,
8 1er JUIN.
non-seulement dans sa ville natale, mais encore dans les
pays environnants et dans l'Italie entière. Il semblait que
ceux mêmes qui n'avaient jamais entendu parler de lui
pouvaient lire sur son visage : « Celui-là est un élu du
« Seigneur ». On eût dit qu'un parfum divin s'exhalait
autour de lui et le faisait reconnaître.
Après avoir été ainsi, durant plusieurs années, un objet
de vénération pour les populations, notre bienheureux,
fatigué par l'âge, les austérités et les bonnes œuvres, tomba
tout à coup gravement malade et sentit que sa dernière
heure approchait. Il n'en conçut ni crainte, ni douleur ;
depuis longtemps il demandait à Dieu de le rappeler à lui,
et il avait toujours été prêt à paraître devant son sacré tri-
bunal. Il souffrit avec calme et presque avec joie : Après
avoir fait à ses parents et à ses amis ses adieux et ses
recommandations suprêmes : « Maintenant », ajouta-t-il,
«laissez-moi aller en paix vers l'éternelle gloire». Il
mourut le 1er juin 1304, à l'âge de soixante-quatre ans,
et fut enseveli, comme il l'avait demandé, dans l'église
de Saint-François.
Des miracles s'accomplirent sur son tombeau. Une
femme de Castro -Leone et un bourgeois d'Ancône
aveugles, un enfant muet de naissance, du comté de
de Rimini, des boiteux, des paralytiques, furent guéris
par son intercession. La vénération qu'on y avait pour le
bienheureux de son vivant alla croissant après sa mort,
et pendant longtemps on a célébré à Urbin sa fête solen-
nelle.
Papebroeck.;
LE BIENHEUREUX PERE JEAN BRUGMAN.
LE BIENHEUREUX PERE JEAN BRUGMAN
1473.— Roi de France : Louis XI. — Pape : Sixte IV.
SOMMAIRE : Entrée en religion du Père Brugman. — Il est nommé provincial. —
Ses fondations. — Son zèle apostolique. — Origine de son surnom de Brugman.
— Ses prédictions. — Dernières années de sa vie.
Jean Brugman naquit à Nimègue, ou, selon d'autres,
à Kempen. En 1424, il prit l'habit de frère mineur dans
la province de Cologne, qui comprenait tous les couvents
de la Hollande et du Brabant. Il passa d'abord quelques
années au couvent de Saint-Omer, où il obtint le grade
de lecteur en théologie ; puis, à la nouvelle que la réforme
des Observants commençait à pénétrer dans sa province,
il s'empressa d'y retourner pour se soumettre d'abord
lui-même à cette règle austère et sanctifiante, et, s'il était
possible, pour décider par son exemple ses frères en
religion à la pratiquer comme lui.
Ses vertus et sa science profonde le firent nommer
provincial. Ainsi en pouvoir d'une grande autorité, il
put plus facilement réaliser ses projets. Les couvents se
transformèrent peu à peu ; de nouveaux s'élevèrent à
Berg-op-Zoom,àGœttingue,àEmmerich; les Conventuels
d'Amsterdam suivirent, à partir de 4462, la règle de l'ob-
servance. Une communauté de pieuses filles se réunit à
Kempen, sous la direction d'une noble dame, et pratiqua
les ordonnances primitives du fondateur du Tiers Ordre.
Le bienheureux Père Jean fut pendant plusieurs années
le confesseur de sainte Lidwine de Schiedam, dont il a
écrit la biographie. Mais son ardeur de propagande reli-
JO Ier JUIN.
gieuse ne pouvait se contenter de la direction d'une seule
personne. Rempli de cette foi ardente qui se commu-
nique, il parcourait la Hollande entière, prêchant dans les
villes et dans les campagnes, appelant les pécheurs à la
pénitence. Il eut ainsi le bonheur d'arracher au démon
des âmes peut-être perdues sans retour. Son surnom de
Brugman (le pontonnier) lui vient, dit-on, de ce qu'il
réunissait auprès des ponts, si nombreux en Hollande,
les personnes qui passaient, pour leur adresser quelques
paroles enflammées.
On a conservé de lui un certain nombre de prédictions
plus ou moins importantes, qui montrent jusqu'à quel
point il était en honneur auprès de Dieu. Dans beaucoup
de villes, à Kempen, à Harderwyk, à Haarlem, à Amster-
dam, il annonça l'arrivée des Gueux et décrivit jusqu'au
costume de leur chef, le prince d'Orange.
Malgré les faveurs dont Dieu le comblait et la vénéra-
tion que les hommes montraient pour lui, le bienheu-
reux Père Brugman avait de lui-même une si humble
opinion, qu'il se regardait comme le plus grand pécheur
du monde. Parvenu à un âge très-avancé, il resta pen-
dant plus de dovz'? ans sous le coup d'une cruelle mala-
die qui lui ôta presque entièrement l'usage de ses facultés
physiques. Néanmoins il revint à Kempen, dont il était
en quelque sorte l'apôtre, et comme il n'y avait pas là de
couvent de Frères Mineurs, il alla demeurer dans la
maison des religieuses du Tiers Ordre. Ces bonnes sœurs
ont conservé pieusement les sermons que le bienheu-
reux Jean leur adressait dans leur petite chapelle. On
a aussi de lui plusieurs livres pieux à l'usage des prédi-
cateurs, et qui ne manquent pas d'une certaine valeur.
SŒUR JEANNE DE DURVÉ. H
Peu d'années avant de mourir, Jean se retira à Ni-
mègue. C'est là qu'il expira, le 1er juin 14-73, dans un âge
très-avancé. Il fut enseveli au pied du grand-autel, et
peu d'années après on plaça sa tête dans une châsse pré-
cieuse, avec celle du Père Théodoric Loet, qui avait
été mis à mort par les Gueux. On voit encore dans
l'église paroissiale de Kempen un tableau qui le repré-
sente.
(Ann. de la prov. de Cologne.)
SŒUR JEANNE DE DURVE
CLARISSE
xvie siècle — Pape : Alexandre VI. — Roi île France : Louis XII.
Quand le pape Sixte IV donna à Yolande, duchesse de
Savoie, la permission de fonder à Chainbéry un couvent
de religieuses soumises à la règle de sainte Colette,
l'évêque de Grenoble, nommé commissaire de l'œuvre,
envoya dans la nouvelle maison douze Clarisses. De ce
nombre fut Jeanne de Durvé, du couvent de Sourie, cé-
lèbre par ses vertus et la sainteté de sa vie. Elle se nour-
rissait de pain et d'eau et consacrait à la prière, aux
mortifications et aux austérités la plus grande partie de
ses jours et de ses nuits. Elle est morte en odeur de
sainteté vers l'an 1500, et sa mémoire est inscrite au
Martyrologe de l'Ordre, au premier jour de juin.
12 II JUIN.
Sœur Marie Chevalier, qui avait reçu le voile à Besan-
çon, des mains de sainte Colette elle-même, fut aussi l'une
des premières et des plus saintes habitantes du couvent
de Chambéry. Elle y fut nommée abbesse après la mort
de Jeanne de Durvé.
(ARTHUR et WADD1NG.)
DEUXIEME JOUR DE JUIN
LA BIENHEUREUSE BAPTISTINE VARANI
PRINCESSE DE CAMERINO, CLARISSE
1527. — Roi de France : François I". — Pape : Clément Vil.
CHAPITRE PREMIER.
SOMMAIRE : Illustre origine de la bienheureuse Baptistine. — Sa jeunesse pieuse
et mondaine à la fois. — Première action de la grâce sur son âme. — Remords
que lui cause le souvenir de ses frivolités. — Son désir ardent de se corriger et
de vivre pour le Seigneur. — Ses aspirations à la vie monacale.
La famille princière des Varani, d'où sont sorties et à
laquelle se rattachent tant de grandes maisons italiennes,
a été longtemps souveraine de Camerino, une antique
ville d'Italie. La piété fut longtemps l'un des plus beaux
fleurons de la couronne des Varani. Jules-César Varani,
général distingué, est plus célèbre encore pour son ex-
trême dévotion et pour ses fondations pieuses que pour
sa bravoure et ses victoires. C'est lui qui éleva à Ca-
LA BIENHEUREUSE BAPTISTINE VARANI. 13
merino une église en l'honneur de la très-sainte Vierge
et un gros hospice qu'il dota de revenus considérables.
Il épousa Jeanne Malatesta, fille du prince de Rimini,
dont les vertus égalaient la beauté, et devint par la
suite père de cinq enfants, quatre garçons et une fille.
Cette fille est la bienheureuse Baptistine , qui na-
quit en 1458 et qui reçut au baptême le nom de Ca-
mille. Son enfance se passa doucement et pieusement
au pied des autels ou au milieu des livres. Elle acquit
une connaissance approfondie des saintes Ecritures et
étudia avec grand succès l'italien et le latin. Sa dévo-
tion à Jésus souffrant au Calvaire éclatait à chaque
instant. Un vendredi saint, à peine âgée de dix ans, elle
assistait au sermon éloquent d'un Père prêchant sur la
passion : « Seigneur», s'écria-t-elle tout à coup, « que ne
« me sacrifiez-vous à la place de votre divin Fils 1 » et en
même temps elle versait des larmes abondantes. Tous les
jours elle récitait son chapelet en l'honneur du Sauveur
crucifié, et des pleurs de sang, dit le chroniqueur, cou-
laient de ses yeux. Les vendredis, elle ne se nourrissait
que de pain et d'eau, et se frappait tout le corps à grands
coups de discipline. La nuit, elle s'éveillait pour dire son
rosaire ; quand elle l'oubliait aujourd'hui, elle le disait
deux fois demain. Elle pratiquait tous les jeûnes prescrits
par l'Eglise.
Dieu, dès cette époque, trouva bon de soutenir par de
célestes consolations la vertu croissante de Camille. Quand
elle avait prié quelque temps, elle sentait un immense
repos pénétrer peu à peu son être, et bientôt l'envahir
tout entier. Par moment elle s'imaginait vivre de la vie
des Anges, et planer, esprit elle-même, dans les sphères
14 II JUIN.
éternelles, à la suite des chœurs des Séraphins et des
Trônes. Peut-être avait-elle en effet besoin de ces encou-
ragements et de ces récompenses : toute pieuse qu'elle
était et toute pénétrée de l'amour de Dieu, elle avait laissé
dans son âme une place au monde ; dans le jardin de son
cœur, dit le biographe, l'ivraie germait à côté du bon
grain, et les mauvaises herbes menaçaient d'étouffer les
fleurs. Au sortir de l'église, elle s'occupait de sa toilette,
de ses robes, de ses bijoux; après avoir prié et pleuré,
les yeux encore humides de larmes sincères, elle dansait,
chantait, prenait sa part de tous les plaisirs dont elle
était entourée dans le palais de son père. A mesure qu'elle
avançait en âge, cette contradiction singulière entre sa
piété et son amour du monde ne faisait que s'accuser
davantage. Belle, gracieuse et coquette, elle aimait les
toilettes éclatantes, les bijoux et tout ce qui attire les
regards des hommes ; d'une intelligence vive et curieuse,
elle se plaisait à la lecture de ces livres frivoles et mal-
sains, qui sont souvent pour les jeunes cœurs des con-
seillers de vice et de péché.
Cependant Dieu ne permit jamais qu'elle faillît. Si ce
beau lis fut courbé par le vent d'orage, il ne fut jamais
souillé, il conserva j usqu'à la On sa blancheur et sa pureté
primitives. Sur ces entrefaites survint à Camerino le Père
François d'Urbin, prédicateur célèbre de l'Ordre des Frères
Mineurs. Les paroles de cet homme éloquent, qu'on avait
surnommé la trompette du Saint-Esprit, frappèrent Ca-
mille comme des coups de tonnerre. Elle fit un retour
sur elle-même, et, découvrant en elle de profonds abîmes,
elle eut peur. Elle se représenta le souverain Juge, dans
sa pleine et infinie majesté, lui demandant compte des
LA BIENHEUREUSE BAPTISTINE VARANI. 15
jours qu'elle avait vécu, et elle baissait les yeux en gar-
dant le silence; car, dans la divine balance, le mal pesait
plus que le bien. De cette époque date la conversion dé-
finitive de Camille. Elle redoubla de piété, elle pria plus
souvent et plus longtemps, elle médita les divins mys-
tères, et surtout Jésus crucifié. Chaque nuit, elle arrosait
son lit de larmes de repentir; elle vivait de pain et
d'eau pendant des semaines entières. Enfin elle écrit une
lettre au prédicateur qui l'avait si fort effrayée, comme pour
lui demander ses conseils et ses prières en faveur d'une
personne au salut de qui elle s'intéressait : « Ma fille », lui
répondit le prêtre, « faites tous vos efforts pour dégager,
« votre corps et votre âme des chaînes qui commen-
ce cent à vous enserrer, et laissez bien loin de vous les
« vanités dont vous vous êtes jusqu'ici beaucoup trop
« occupée ».
En se voyant ainsi devinée par un homme à qui elle
n'avait jamais dit un mot sur l'état de son âme, la pauvre
fille fut remplie de confusion et elle perdit deux fois
connaissance en lisant la lettre du religieux. Une pensée
la consola cependant : c'est que l'œil toujours ouvert de
la Providence veillait sur elle. Peu à peu, elle prit assez
de courage pour aller trouver le prédicateur et pour
avoir avec lui de longs entretiens sur les meilleurs
moyens de faire son salut. Elle ne tarda pas à avoir pour
lui la confiance et l'amour d'une fille pour sa mère, et
cette affection alla toujours croissant, à mesure que, sous
sa direction bienveillante, elle marchait plus avant dans
la voie de la perfection.
C'est vers cette époque que Camille commença à se
sentir entraînée, par une force irrésistible, vers la viere-
16 II JUIN.
ligieuse et monacale. Sa nature toujours mondaine s'y
refusait encore, et la nécessité où elle était de quitter
ses parents lui était un autre empêchement. Mais quand
Dieu a jeté un regard de complaisance sur une de ses
créatures, tous les obstacles s'aplanissent et toutes les
difficultés disparaissent. Le prédicateur qui avait eu sur
l'âme de Camille une si puissante influence revint prê-
cher à Camerino, à l'occasion de la fête de la Congréga-
tion de Marie. Il parla sur l'amour de la très-sainte
Vierge pour son Dieu, au moment où elle reçoit la visite
de l'Ange, et son sermon fil sur Camille une vive im-
pression. « Le Père a prêché comme un séraphin »,
écrivit-elle, « et il a allumé dans mon cœur un foyer
« d'amour semblable à celui qui consumait la Mère de
« Dieu ». L'office terminé, elle alla s'agenouiller au pied
de l'autel, et elle fit vœu de consacrer au Seigneur sa
virginité.
Peu à peu elle se détacha des vanités qui avaient long-
temps tenu une si grande place dans sa vie, et elle se
prépara à élever dans son cœur un temple magnifique à
son Dieu. L'assistance d'en haut ne lui fit pas défaut. A
plusieurs reprises le Sauveur lui apparut, et elle s'enten-
dait appeler par lui fille, sœur et fiancée. Elle avait avec
lui de longs entretiens, dont elle sortait forte et vaillante
pour les combats de la vie. « Mon Dieu », s'écriait-elle
dans l'élan de sa joie et de sa reconnaissance, « moi qui
« suis tout péché, comment pouvez-vous m'aimer ainsi? »
Quelquefois elle voyait au-dessus d'elle ces mots écrits
en lettres de flamme : « Camille, je vous aime », et tant
de grâces, en la remplissant d'amour, augmentaient en
elle le sentiment de ses infirmités. Persuadée qu'elle
LA BIENHEUREUSE BAPTISTINE VARANI. 17
était la plus grande pécheresse du monde, elle deman-
dait à Dieu de lui faire expier ses fautes par des souf-
frances physiques et des maladies. Le Seigneur l'exauça:
durant six mois, elle fut si fortement atteinte qu'on s'at-
tendait tous les jours à la voir mourir. Elle passa tout ce
temps à prier et à méditer, et elle en prit si bien l'habi-
tude, que par la suite elle restait souvent trois ou quatre
heures immobile, les yeux fixés à terre, la pensée absor-
bée en Jésus et en Marie. Elle était fréquemment plongée
en de profondes extases : la vue d'une fleur, d'un fruit,
d'une étoile, suffisait pour lui ouvrir tout à coup de cé-
lestes horizons, et la mettre en présence de Jésus dans sa .
gloire : « 0 mon Jésus », disait-elle, « les cieux célèbrent
« votre splendeur. Si vos œuvres sont si belles, quel doit
« être l'éclat de votre majesté I Jetez un regard sur moi,
a ô mon souverain bien ; pourquoi me laissez-vous si
« longtemps errer sur la terre d'exil ? Vous êtes ma vie
« et mon amour ; pourquoi m' éloignez-vous de votre
<j présence? »
CHAPITRE II.
SOMMAIRE : Obstacles que la bienheureuse Baptistine rencontre dans sa famille
au moment de se consacrer au Seigneur. — Sa persévérance triomphe enfin de la
résistance de son père. — Elle entre au couvent d'Urbin. — Son noviciat. —
Nouvelles tentatives de son père pour la ramener au monde. — Elle fonde le
couvent de Camerino. — Ses rapports avec le bienheureux Pierre de Moliano. —
Ses progrès dans la vertu.
Après avoir vécu pendant quelque temps de ce genre
de vie, Camille conçut tout à coup l'idée de se faire Cla-
risse. Elle rencontra dans sa famille une vive opposition.
Aussitôt que son père eut connaissance de son projet, il
entra dans une violente colère, cria, gronda et fit toutes
Palm. Séraph. — Tome VI. 2
18 II JUIN.
les menaces dont les parents ont coutume d'effrayer l'es-
prit de leurs enfants. Camille supporta l'orage sans se
plaindre, mais aussi sans faiblir : « Tous les supplices »,
disait-elle, «ne pourront m'empêcher de suivre la voie
« où m'appelle le Seigneur mon Dieu ». Le père essaya
les promesses séduisantes, les flatteries, les caresses ; il
ne réussit pas plus qu'avec ses menaces. Alors il revint
aux mesures violentes, enferma la malheureuse Camille
dans sa chambre comme dans une prison, et la fit garder
à vue jour et nuit. Quelle plus dure condition pour une
jeune fille jusqu'alors entourée de soins, de caresses et
d'amour ? Durant une année entière elle demeura ainsi
arrachée par la violence du sein de sa famille et de ses
amis, séparée du monde, sans pouvoir se consacrer à
Dieu. Mais le Seigneur, qui avait jeté sur elle un regard
de ses complaisances, ne l'abandonna pas dans l'affliction,
et les consolations célestes ne lui firent pas défaut. La
société des hommes lui manquait, elle vécut dans le
commerce des saints et des Anges, jusqu'au moment où
son père apaisé lui accorda enfin, avec sa liberté, la per-
mission d'entrer au couvent des Clarisses d'Urbin.
C'est là que les héritières des plus nobles familles
d'Italie, dédaigneuses des biens de ce monde, venaient
chercher le calme de la solitude et la paix de la prière.
Camille allait y trouver nombre de saintes filles, moins
célèbres pour la grandeur de leur origine que pour
l'austérité de leur vie et leurs vertus. Ce fut un véritable
deuil à Camerino, quand on apprit qu'elle allait partir.
Non-seulement son père qui lui disait : « Ma fille, tu
« emportes avec toi mon cœur et le bonheur de ma vie »;
non-seulement ses parents et ses amis, mais les pauvres
LA. BIENHEUREUSE BAPTISTINE VARANI. 19
qui perdaient leur bienfaitrice, les malheureux leur pro-
vidence, les indigents leur soutien, les malades leur
consolatrice, la pleuraient comme une mère ou une
sœur bien-aimée. Tous les chemins étaient couverts
d'une grande foule de peuple, hommes, femmes, enfants,
qui la suppliaient avec des larmes dans la voix de ne pas
les abandonner et de rester au milieu d'eux jusqu'à sa
mort. Pour l'âme sensible de Camille, toutes ces affec-
tions sur lesquelles il fallait passer étaient un terrible
obstacle ; elle eût mieux aimé marcher au travers des
ronces et des épines ou sur des charbons ardents. Mais,
Dieu aidant, son courage ne faillit pas. Elle pria avec
ardeur le long du chemin, et après avoir invoqué à Lo-
rette l'assistance de la très-sainte Vierge, elle arriva heu-
reusement à Urbin, où elle fut reçue à bras ouverts par
le duc et la duchesse, qui étaient de sa famille. Elle
demeura quelques jours dans leur palais avant de se
rendre au couvent, puis, impatiente de revêtir la robe
de religieuse, elle franchit enfin le seuil de la maison de
Dieu.
Grande fut sa joie quand elle fut admise à faire son no-
viciat. Elle ne tarda pas à donner à ses sœurs l'exemple
de la soumission à la règle et de la perfection chrétienne.
Toutes les vertus religieuses que jusqu'alors elle avait
dû renfermer dans son cœur comme des joyaux dans un
écrin parurent à la lumière pour l'admiration et l'édifi-
cation de tous. Les flammes de l'amour divin la consu-
maient, et les grâces célestes descendaient sur elle avec
une telle profusion, qu'on l'entendait parfois s'écrier :
«Assez, ô mon Dieu l assez, je n'en pourrais supporter
«davantage». Et comme si elle avait peur de s'enor-
20 II JUIN.
gueillir des faveurs divines, elle demandait au Seigneur
de lui envoyer encore des épreuves: elle fut exaucée.
Vers le temps où elle devait prononcer ses vœux, elle
tomba tout à coup gravement malade; et, ce qui lui fut
plus pénible, son père fit de nouveaux efforts pour l'em-
pêcher de mettre à exécution ses projets. Il venait sou-
vent la voir au parloir du couvent, lui parlait du monde
qu'elle avait aimé, des fêtes auxquelles autrefois elle avait
pris part, ou encore la suppliait d'accepter la main de
jeunes seigneurs qui la demandaient en mariage- Quand
il eut épuisé tous ses arguments, sans la décider à renon-
cer à la vie religieuse, il essaya de lui faire choisir un
Ordre moins sévère que l'Ordre des Clarisses. Il la sup-
plia de suivre dans son palais la règle des Tertiaires, lui
promit qu'on n'apporterait aucun obstacle à ses prati-
ques pieuses ou austères, qu'on lui faciliterait les moyens
de faire le bien ; il parla même de fonder à Camerino un
couvent de religieuses consacrées au service des pauvres
et des malades. Ses efforts se brisèrent contre la vaillante
âme de Camille comme les flots contre les rochers du ri-
vage, et en 4483, après de longs mois de luttes, de souf-
frances morales et de larmes, la pieuse fille put enfin
prononcer ses vœux complets sous le nom de sœur Bap-
tistine. Elle était âgée de vingt-deux ans.
Elle passa d'abord quelques mois à Urbin; puis son
père, qui ne pouvait se consoler de la sentir si loin de
lui, ayant fait bâtir à Camerino un couvent de Clarisses,
elle y revint, à la grande joie de toute la ville et de sa
famille en particulier, en 1484. Cette année-là, le qua-
trième jour de janvier, toutes les rues de la ville furent
parées comme pour une fête, les maisons tendues
LA BIENHEUREUSE BAPTISTINE TARANT . 21
d'étoffes précieuses; les habitants étaient revêtus de leurs
plus beaux habits. La bienheureuse Baptistine sortit du
palais de son père, accompagnée de huit religieuses qu'elle
avait amenées d'Urbin avec elle, suivie de toute la popu-
lation, et après avoir visité les églises et les chapelles de
Camerino, elle s'arrêta dans celle de saint Venant, martyr,
où le prince Jules-César Varani remit au provincial les
clefs du couvent, avec le bref pontifical qui lui permet-
tait d'y installer les nouvelles Clarisses. Ce jour-là même,
Baptistine et ses sœurs y étaient pour jamais renfermées.
Peu de temps après, le bienheureux Pierre de Moliano
fut élu provincial. Quand il passa au couvent des Cla-
risses de Camerino, il déclara à Baptistine qu'il voulait'
entendre sa confession générale : elle refusa, persuadée,
disait-elle, qu'il n'y avait pas nécessité. Mais à peine le
saint homme était-il parti, qu'elle regretta de ne pas avoir
suivi ses conseils ; elle lui écrivit une lettre pour lui de-
mander pardon de son étrange refus, et elle lui promit
de se confesser à son retour. Elle le supplia même à plu-
sieurs reprises de hâter le moment de son arrivée, et ce-
pendant elle occupait ses jours et ses nuits à sonder les
profondeurs de sa conscience, et le remords de ses fautes
passées lui causait une si vive terreur, qu'elle ne cessait
pas de gémir et de pleurer.
Enfin arriva le tant désiré Pierre de Moliano. La pieuse
sœur vint s'agenouiller à ses pieds, lui raconta l'histoire
de sa vie avec des sanglots, et dès lors elle goûta un re-
pos sans agitation et sans trouble. Quelques jours plus
tard, une Clarisse d'une angélique beauté, avec qui Bap-
tistine devait par la suite avoir de fréquents rapports, ap-
parut pour la première fois à la pénitente. Le sourire aux
22 II JUIN.
lèvres, les yeux resplendissants comme des étoiles, elle
jetait sur la pénitente des regards remplis de mansuétude
et de douceur. C'était la sainte mère Claire, la glorieuse
sœur en Dieu du patriarche François, la fondatrice de
l'Ordre. Depuis cette époque, la bienheureuse Baptistine,
comme pénétrée d'une force nouvelle, se sentit plus vail-
lante contre les souvenirs du monde et les tentations du
démon ; entièrement soumise à la règle, elle pratiquait
si scrupuleusement la pauvreté primitive, qu'elle refusait
même les aumônes qu'on lui offrait de tous côtés, et
qu'elle priait les personnes bienfaisantes de les distribuer
aux malheureux.
Il semble, d'ailleurs, que Dieu lui-même ait pris soin de
faire l'éducation religieuse de la pieuse Clarisse. Il aug-
mentait dans ron cœur le sentiment de l'humilité chré-
tienne en lui rappelant que personne, réduit à ses pro-
pres forces, n'est capable d'accomplir son salut, que l'âme
humaine est trop faible, trop sujette à faillir, trop im-
puissante à se relever, si la grâce d'en haut ne lui vient
pas en aide ; il lui remettait en mémoire les tentations
auxquelles elle avait été en butte, et dont sa seule Provi-
dence lui avait permis de triompher, les complaisances
coupables qui se glissaient en son âme pour les vanités
du monde, pour les plaisirs passagers et trompeurs, pour
les voluptés faciles et les séductions mensongères de la
vie. Tous ces souvenirs qu'elle méditait avec fruit pour
son perfectionnement étaient si vivants dans l'esprit de
Baptistine , qu'elle croyait ne pouvoir assez remercier
Dieu pour ses grâces passées, ni lui demander par des
prières assez ferventes de lui continuer ses faveurs dans
l'avenir. Elle s'humiliait en présence de ses sœurs, au
LA BIENHEUREUSE BA.PTISTINE VARANI. 23
réfectoire, à la chapelle; elle priait le Seigneur de la pré-
server comme d'un fléau de l'estime et de la considéra-
tion des hommes ; elle appelait sur elle les souffrances
physiques et morales, les maladies, le mépris, les dou-
leurs de l'âme, pour ne pas être tentée un instant d'ou-
blier son indignité et son néant. En revanche, elle hono-
rait en autrui l'humaine nature qu'elle dédaignait si fort
en elle-même. Les religieux de tous les Ordres, séculiers
ou réguliers, les moines, les prêtres, les novices même,
étaient l'objet de son admiration et de son respect. Elle
voyait en ses sœurs non pas des créatures comme elle,
sujettes à faiblir,, mais des fiancées de Jésus. Jamais on ne
l'entendit porter sur qui que ce soit un jugement défa- 1
vorable.
Ses autres vertus égalaient son humilité : charité chré-
tienne, amour de la pauvreté sainte, mortifications, aus-
térités, elle avait tout ce qui fait la parfaite religieuse.
L'esprit de sainte Claire et de saint François semblait
revivre en elle, et ses sœurs, en la voyant passer des
journées entières au pied des autels, se nourrir de pain
et d'eau, paraissaient toujours disposées à honorer en
elle une envoyée du Seigneur.
CHAPITRE III.
SOMMAIRE : Visions de la bienheureuse Baptistine. — Ses entretiens spirituels
avec le Céleste fiancé. — Son amour immense pour Jésus. — Ses méditations sur
les souffrances du crucifix. — Ses extases. — Révélations qu'elle obtient de Jésus
lui-même sur les divins mystères de l'Incarnation et de la Rédemption.
La bienheureuse vierge était en effet, sinon une en-
voyée, du moins une élue du ciel. Plus d'une fois, lors-
24 II JUIN.
qu'elle élevait son âme à Dieu, il lui arriva de voir bril-
ler au-dessus de l'autel une lumière plus éclatante que
la clarté du soleil, plus douce que la lueur des étoiles ;
ou bien elle sentait un parfum pénétrant se répandre
autour d'elle, et son âme se remplissait d'une joie cé-
leste. Elle avait ainsi l'intuition de la béatitude éternelle
des âmes vertueuses qui ont vécu sur la terre au pied
de la croix du Sauveur, et qui se sont nourries de sa pré-
cieuse chair et de son précieux sang. Un jour elle vit
venir à elle deux Séraphins aux ailes d'or, aux vêtements
plus blancs que la neige; et ils lui prirent son cœur
qu'ils portèrent tout palpitant aux pieds de Jésus cruci-
fié. Durant deux mois, sa pensée ne fut occupée que des
souffrances et du sacrifice du Fils de Dieu ; elle accom-
plissait ses devoirs de chaque jour machinalement,
comme un automate; son âme était avec le Christ. A la
suite de ce prodige, sa piété pour les Anges s'accrut au
point qu'elle n'en pouvait parler sans tomber en extase ;
et depuis lors elle priait souvent Dieu de lui envoyer
encore un Séraphin. Elle adressait aussi la même de-
mande à la Reine des Anges, qui lui apparut plusieurs
fois dans sa splendeur immaculée, et qui lui promit de
faire exaucer ses vœux.
Le feu de l'amour divin la consumait tout entière ; sa
vie se fondait en quelque sorte à ce foyer éternel, ses
forces s'épuisaient ; elle avait peur que son cœur ne se
brisât dans sa poitrine : « Seigneur », disait-elle souvent,
« Seigneur, c'est trop pour une misérable créature 1 je
« suis indigne de tant de faveurs »; et de ses yeux s'é-
chappaient des torrents de larmes. Alors le Fils de Dieu
lui-même venait la consoler, et après avoir essuyé ses
LA BIENHEUREUSE BAPTISTINE VARANI. 25
larmes, il la pressait tendrement dans ses bras. Dans ces
moments de joie et d'amour, une seule crainte la tour-
mentait : cette âme qui venait de goûter par avance un
peu des béatitudes célestes, avait peur de rester trop
longtemps enfermée dans la prison du corps, et elle
priait avec ardeur le Très-Haut de la rappeler bientôt à
lui, et de ne pas trop longtemps la laisser gémir sur la
terre d'exil.
Parfois elle avait d'étranges visions, suscitées par l'esprit
des ténèbres et permises par Dieu pour la plus grande
gloire de sa fidèle servante. Elle se croyait transportée
au fond de l'enfer, au milieu des âmes malheureuses,
condamnée comme elles à d'éternelles souffrances, et les
démons insultaient à sa vie passée au fond d'un cloître
et à la récompense qu'elle en avait reçue. Mais Dieu
n'abandonnait pas longtemps la bienheureuse Baptistine
à ces terribles souffrances. Au moment même où Satan
exerçait avec le plus de rage ses fureurs sur la sainte
fille, les esprits célestes venaient lui apparaître et lui
prodiguer les paroles de consolation et d'espérance. Ils
lui enseignaient à mettre sa confiance dans le Seigneur,
parce que, sans son appui, elle était exposée à des chutes
profondes; ils lui promettaient de veiller toujours sur
elle, de rester à ses côtés, et de lutter, pour la défendre
contre les Anges déchus, avec le glaive de feu.
Ces épreuves qui auraient pu être suivies de découra-
gements subits et d'incertitudes malsaines, n'étaient au
contraire pour la bien heureuse Baptistine qu'une occasion
de plus de se rapprocher du Seigneur. Elle sentait croître
au fond de son cœur un immense amour pour le grand
Crucifié ; elle avait soif de se nourrir de sa chair et de
26 II JUIN-
boire son sang dans le saint sacrement de l'Eucharistie,
et presque tous les jours elle approchait de la sainte
Table. Elle aimait à souffrir pour lui, et elle désirait
avec ardeur recommencer avec lui un autre Chemin de
la Croix.
C'est que dès sa jeunesse, et même dès son enfance, la
bienheureuse fille s'était habituée à méditer sur les dou-
leurs du Sauveur des hommes. Son esprit en était sans
cesse occupé, et lorsque, aux mêmes époques de l'année,
revenaient les jours où Jésus avait le plus supporté d'ou-
trages pour l'amour de nous, on eût dit, à la voir plon-
gée dans une tristesse profonde, qu'elle montait à ses
côtés le Calvaire et qu'elle entendait les coups de mar-
teau résonner sur les clous de ses mains et de ses pieds
divins. Plus d'une fois, aux grandes fêtes du Sauveur, à
Pâques ou à Noël, elle s'abandonnait à des extases infi-
nies, où elle demeurait abîmée pendant des journées
entières. C'est, nous l'avons vu, un vendredi saint, à la
suite d'un sermon sur la Passion de Notre-Seigneur, que
commença sa conversion.
Jésus lui apparut à plusieurs reprises. Un jour qu'elle
lisait un récit des derniers moments du Christ, et que, le
cœur plein d'angoisses, elle méditait sur ce long martyre,
elle entendit tout à coup une voix céleste murmurer à
son oreille : « Vois mes mains, mes pieds et mon côté »,
et levant les yeux, il lui sembla voir le cadavre du Fils
de Dieu détaché de la croix, la tête inclinée sur le sein
de la Mère de douleurs. Elle entendit les gémissements
de Marie pleurant son enfant bien-aimé; et autour d'elle,
Jean, le disciple chéri, Madeleine et les autres saintes
femmes, versaient des torrents de larmes. A l'aspect de
LA BIENHEUREUSE BAPTISTINE VARANI. 27
ces souffrances infinies, la pieuse fille sentit elle-même
son cœur se noyer dans un océan de tristesse, et l'émo-
tion qu'elle éprouva fut si vive et si forte, que pendant
quinze jours elle n'en put détacher sa pensée, et qu'on
eût dit, à voir ses traits altérés et sa figure pâlie, un
spectre sortant de son tombeau. Sa dévotion à Jésus et à
sa sainte Mère ne fit que s'en accroître encore.
A la suite de visions semblables, répétées souvent, la
bienheureuse Baptistine acquit une connaissance pro-
fonde des choses du ciel, et surtout de la vie et des souf-
frances de Notre-Seigneur, des mystères de l'Incarna-
tion et de la Rédemption. Le Seigneur lui-même prenait
soin de l'en instruire ; il lui racontait dans des entretiens
délicieux la grandeur de son amour pour les hommes
et les souffrances qu'il avait voulu souffrir pour les arra-
cher à l'éternelle damnation. « J'ai supporté », lui disait-
il un jour, « tous les outrages, toutes les insultes, toutes
« les maladies, toutes les tortures, tous les martyres
« de l'âme et du corps. Si tu avais mille pieds, mille
« mains, mille membres de chaque espèce, et que, au
« même moment, sur chacun de ces membres, tu ressen-
« tisses mille douleurs, et cela pendant des années, tes
a souffrances n'approcheraient pas encore des miennes.
« J'ai erré dans le purgatoire pour les péchés des hom-
« mes ; tous les remords qu'ils ont éprouvés depuis que
« le premier d'entre eux a offensé mon Père céleste,
« je les ai ressentis ; pour racheter leurs fautes, j'ai
« supplié mon Dieu de faire tomber sur moi seul les
« châtiments qu'il tenait suspendus sur leurs têtes ; enfin,
a ce qui m'a été le plus cruel, j'ai vu à cause d'eux ma
« Mère sans tache pleurer sur moi et souffrir de mes
'28 II JUIN.
« souffrances, et tous les jours, à chaque minute, je re-
« commence la même série de douleurs, je remonte le
a chemin du Calvaire chargé de la même croix sur la-
ce quelle je meurs pour chaque péché qui se commet».
Une autre fois il lui répétait les paroles qu'il disait à
ses disciples quelques jours avant d'expirer pour le salut
de l'humanité: « Mon âme est triste jusqu'à la mort,
« parce que ceux que j'ai le plus aimés m'ont abandonné.
« Judas, celui de tous à qui j'avais témoigné le plus d'af-
« fection, m'a craché au visage ; et Pierre, sur qui j'avais
« décidé d'asseoir mon Eglise, m'a renié trois fois. Le
« peuple juif, que j'avais ramené de l'exil d'Egypte, le
o peuple chéri de mon Père, n'a pas voulu me reconnaî-
« tre et m'a préféré Barabas, un voleur et un assassin.
« Ma fille, aucun de ceux pour qui j'ai souffert n'a com-
te pris mon sacrifice I »
Alors l'âme de la bienheureuse Baptistine se remplis-
sait d'une tristesse infinie ; et lorsque, par un retour sur
elle-même, elle songeait à la profondeur de l'abîme d'où
l'avait tirée son céleste Fiancé, lorsqu'elle se rappelait le
monde corrompu où elle avait failli perdre son existence,
et qu'elle comparait ses orages et ses tempêtes aux
voluptés pures et à la tranquille sérénité du cloître, elle
se demandait avec terreur si, comme Judas et comme
saint Pierre, comme le peuple juif et comme l'humanité
tout entière, elle n'avait pas aussi renié son Dieu et man-
qué à tous les devoirs de la reconnaissance et de l'amour.
« Seigneur », s'écriait-elle, c je veux souffrir pour mes
< péchés, je veux moi-même racheter mes fautes, je veux
a mériter par une longue vie d'épreuves la grâce immense
« que vous m'avez faite de ramener dans le port une
LA BIENHEUREUSE BAPTISTINE VARANI. 29
« barque ballottée par tous les vents du monde, et d'avoir
« fait pleuvoir sur ma pauvre âme la rosée de votre mi-
« séricorde » .
CHAPITRE IV.
SOMMAIRE : Epreuves de la bienheureuse Baptistine. — Ses maladies. — .Ses
tentations. — Elle demande au Seigneur de la rappeler à lui. — Calme des der-
nières années de sa vie. — Sa mort et ses funérailles. — Son exhumation. —
Conservation miraculeuse de sa langue. — Guérisons accomplies par son intercession.
La prière que la bienheureuse Baptistine adressait si
souvent au Seigneur, de l'éprouver par des maladies, des
douleurs physiques et morales, fut exaucée durant sa vie
presque tout entière : elle souffrit tout ce qu'il est humai-
nement possible de souffrir. Son corps fut affligé par des
maladies longues et terribles, et son esprit par des tortu-
res de toute espèce. Les remords de sa conscience ne lui
laissaient pas un moment de repos : jour et nuit elle
croyait entendre la voix de son Dieu qui lui reprochait
son ancien amour pour le monde et ses résistances à la
grâce. D'horribles tentations l'obsédaient : le démon la
poussait à des crimes dont la seule pensée lui faisait hor-
reur. Malgré la droiture de sa volonté, elle avait peur de
succomber à des assauts si violents et si répétés ; il lui
semblait quelquefois qu'il était impossible de résister
plus longtemps, et qu'elle ne pouvait manquer de céder
à de nouvelles attaques. Il faut ajouter à ces tentations si
humiliantes des ténèbres qui obscurcissaient son esprit
et l'empêchaient de voir la main de Dieu dans les terri-
bles épreuves par lesquelles il la faisait passer.
Toutefois, au plus fort de ses angoisses, elle ne cessait
de crier vers lui : « Seigneur», disait-elle, « venez à mon
30 II JUIN.
« secours, hâtez-vous de me secourir. 0 Père de toutes
« les grâces, Dieu de toutes les miséricordes, ayez pitié
« de moi, qui suis votre humble servante. Seigneur, voilà
« trois ans et plus que j'erre dans les ténèbres, parmi les
« ronces et les épines, mes forces s'épuisent et le courage
« va m'abandonner. Faites briller à mes yeux la lumière
« qui vivifie, ou je vais m'égarer et me perdre à tout ja-
« mais. Je vous demandais de souffrir pour l'amour de
« vous et pour le rachat de mes fautes ; maintenant, j'ai
« peur de tomber dans ce chemin difficile bordé de pré-
« cipices. Rappelez-moi à vous, ô mon Maître, Jésus !
a faites-moi goûter le repos dont j'ai besoin ; votre croix
« est trop lourde pour mes faibles épaules. Soutenez dans
« vos bras votre fille qui chancelle , elle est comme le
« publicain qui n'ose pas lever les yeux au ciel et qui les
« tient baissés vers la terre. Seigneur ! Seigneur S ayez
« pitié de moi » .
Mais Dieu, qui sait mieux que les hommes ce qui doit
faire leur félicité, prolongea pendant plusieurs années
ces luttes et ces ténèbres. Ce ne furent pas d'ailleurs les
seules afflictions dont fut abreuvé le cœur de la bienheu-
reuse Baptistine. Son père et ses trois frères, à qui elle
avait toujours gardé une tendre affection, furent jetés
en prison et massacrés dans les guerres qui eurent lieu
à cette époque; et ces malheurs, joints à ses douleurs
intérieures, accablèrent complètement la pieuse fille du
Seigneur.
Cependant, la fin de ces épreuves si longues et si
cruelles approchait. Si Dieu ne rappela point à lui sa
servante, comme elle le demandait sans cesse, c'est qu'il
voulait la dédommager de tout ce qu'elle avait enduré et
LA BIENHEUREUSE BAPTISTINE VARANI. 31
lui accorder dès cette vie la récompense de son courage
et de sa fidélité au milieu de ses souffrances. Il lui rendit
la paix de l'esprit et du cœur et alluma dans son âme
ravie le feu des ardeurs séraphiques. Quelle joie pour
elle, après s'être vue si souvent au bord de l'abîme, de
jouir de la douce intimité de Jésus-Christ et de se sentir
embrasée des flammes de l'amour divin 1 Son confesseur,
le bienheureux Pierre de Moliano, dont les consolations
ne lui avaient jamais manqué, lui témoigna par des let-
tres touchantes la part qu'il prenaitàce changement sur-
venu tout à coup dans son existence. C'est à son instiga-
tion que plus tard elle écrivit sur la Passion ce qu'elle
avait appris de la bouche même du Sauveur, et qu'elle
composa un traité admirable, mais trop peu connu au-
jourd'hui des souffrances intérieures de Jésus-Christ.
On sait peu de choses sur les dernières années de la vie
de cette bienheureuse vierge. En i505, sur l'invitation
du pape Jules II, elle alla fonder à Fermo un monastère
de son Ordre. Elle fut à plusieurs reprises sous-directrice
et abbesse du couvent de Camerino, où elle laissa une
grande réputation de sainteté. Elle mourut le 31 mai
1527, à l'âge de soixante-dix-neuf ans, et ses funérailles
furent célébrées avec pompe. Un parfum céleste s'exhalait
de son corps qui resta plusieurs jours exposé à la véné-
ration des fidèles.
Trente années après sa mort, on exhuma ses précieux
restes qui furent trouvés dans un parfait état de conser-
vation. Sa figure était encore très-belle, et ses grands
yeux brillaient comme au temps de sa jeunesse ; un sou-
rire céleste s'épanouissait sur ses lèvres toutes roses, on
eût dit qu'elle allait parler. Les religieuses voulaient la
32 II JUIN.
transporter au chœur, mais l'aumônier du couvent s'y
opposa, fit reclouer les planches du cercueil et recouvrir
de terre la bienheureuse.
En 1593, on rechercha de nouveau parmi les cadavres
couchés dans le caveau commun le corps de Baptistine.
Au moment où on le découvrit, une odeur pénétrante et
douce remplit la chapelle tout entière. Cette fois, les os
étaient desséchés et la chair se détachait par lambeaux ;
mais la langue était encore rose et intacte. Un prêtre qui
était présent la prit dans ses mains et répéta avec une
profonde émotion les paroles de sainte Bonaventura sur
la langue de saint Antoine de Padoue qu'on avait, comme
celle de Baptistine, retrouvée intacte après la dissolution
du corps: « Langue bénie, qui as loué Dieu et qui as ap-
« pris les autres hommes à le louer, c'est maintenant que
«l'on connaît tes mérites». On plaça cette précieuse
relique dans une châsse en argent, où on la voyait encore
en 1680. Devant le sépulcre où le reste du cadavre était
étendu brûlait une lampe d'or donnée par les habitants
de Camerino. En 1639, Constance Magalotti Barbarini,
nièce du pape Urbain VIII, vint avec ses sœurs, Lucrèce
Vaïni et Marie Machiavel, honorer la bienheureuse Bap-
tistine, et elle fit frapper, en souvenir de ce pèlerinage,
une médaille d'or à l'effigie du pape. Anna Colomna,
épouse de Thaddée Barbarini, une autre nièce du même
pontife, se souvint à cette époque de sa parenté avec la
famille des Varani, et alla visiter le couvent de Came-
rino, en compagnie d'Emile Altieri, évêque de cette
ville, qui plus tard devint pape sous le nom de Clé-
ment X.
On a négligé d'inscrire dans le Martyrologe de l'Ordre
LA BIENHEUREUSE BAPTISTINE VARANI. 33
les miracles qui s'accomplirent par l'intercession de la
bienheureuse Baptistine pendant le siècle qui suivit sa
mort; mais à partir du dix-septième siècle, la chronique
du couvent lui en attribue un certain nombre.
Sœur Marthe Nenéci souffrait depuis longtemps de la
goutte, et avait grand'peine à marcher avec deux bé-
quilles : elle invoqua l'intercession de Baptistine, et au
bout de quelques jours fut complètement guérie. Plus
tard, elle fut encore délivrée de violents maux de tête qui
la mettaient dans l'impossibilité de goûter un moment
de repos.
Sœur Laure Rossetti, menacée de devenir aveugle,
recouvra l'usage de ses yeux grâce à l'intercession de la
bienheureuse. Une autre sœur, paralysée d'un bras, fut
guérie en venant s'asseoir sur la pierre de son tombeau.
Une foule de religieuses, sœur Benoîte Bona-Pasta, sœur
Christine Manardi, sœur Colombe Piselli, sœur Cécile
Ugolini, des habitants de Camerino et d'autres villes de
l'Italie, aveugles, muets, boiteux ou paralysés, furent ren-
dus à la santé par l'intercession de Baptistine.
Aussi la réputation de sainteté de la bienheureuse
s'était-elle répandue dans l'Italie entière, et le pape
Grégoire XVI, après avoir consulté le sacré Collège,
permit de célébrer chaque année une messe en son
honneur.
(Matthieu Pascuccius.)
Palm. Séraph. — Tome VI.
34 II JUIN.
FRÈRE JEAN DE SAINT-BERNARD
MARTYR AUX INDES OCCIDENTALES
1599. — Pape : Clément VIII. — Roi de France : Henri IV.
SOMMAIRE : Prédications et mort glorieuse du bienheureux Jean de Saint-Bernard.
— Premières missions catholiques au Paraguay. — Les Pères Bernard d'Armenta,
Alphonse de Saint-Bonaventure et Louis de Bolanos. — Développement de la
religion du Christ dans l'Amérique du Sud.
Au nombre des hommes apostoliques de l'Ordre de
Saint-François qui ont répandu leur sang dans les Indes
occidentales pour le triomphe de la foi catholique et ro=
maine, il faut placer frère Jean de Saint-Bernard, qui
mourut glorieusement, en 1599, dans la custodie récem-
ment fondée sur les bords de la Rivière argentine ou Rio
de la Plata. Quoique simple frère lai, il avait pendant
plusieurs années prêché avec succès la vraie religion aux
Indiens barbares qui habitaient ces contrée?; mais un
jour, à l'instigation d'un des prêtres de leurs faux dieux,
ils se saisirent de lui, le lièrent à un arbre et le percèrent
à coups de flèches. Le glorieux martyr ne mourut qu'au
bout de trois jours, et durant tout ce temps, sans songer
à ses souffrances, il prêcha la parole de Dieu d'une voix
aussi calme que s'il eût été assis dans une chaire chré-
tienne, entouré d'auditeurs chrétiens. Furieux de cette
constance au milieu d'un si cruel supplice, les barbares
s'approchèrent de lui et le frappèrent de leurs casse-tête
jusqu'à ce que le pieux serviteur de Dieu eût rendu
l'âme; et, non contents encore, ils lui arrachèrent le cœur
et le jetèrent aux chiens.
FRERE JEAN DE SAINT-BERNARD. 3")
C'est le Père Daza qui nous a conservé la relation de
cette mort glorieuse. Comme nous y trouvons joint le
récit de l'établissement de la religion chrétienne au Pa-
raguay et dans les contrées qui avoisinent le Rio de la
Plata, par les Frères Mineurs, nous croyons qu'il ne sera
pas inutile d'en donner ici un abrégé.
A peine ces pays lointains et encore plongés dans une
barbarie complète avaient-ils été explorés, que cinq
frères de l'Ordre de Saint-François s'y rendirent, sous la
conduite du Père Bernard d'Armenta, pour y enseigner
la religion du Christ. Ils s'adjoignirent trois soldats espa-
gnols qui, ayant fait partie de la première expédition,
connaissaient un peu la langue des Indiens et pouvaient
ainsi les aider dans la grande œuvre qu'ils allaient en-
treprendre ; puis ils s'enfoncèrent dans les terres et visi-
tèrent les villages perdus au fond des forêts, prêchant
partout la parole de Dieu. Une foule immense d'Indiens
se pressaient sur leur passage et se convertissaient à
leur voix. Beaucoup reçurent le baptême ; l'usage de la
polygamie disparut peu à peu ; des mœurs plus douces et
conformes à la morale du Christ prirent la place des ha-
bitudes grossières et barbares de ces peuplades presque
sauvages. En une seule année (1538), tous les pays for-
mant ce qu'on appelle aujourd'hui le Paraguay, et les
territoires compris entre le Rio de la Plata et le Brésil,
furent ainsi parcourus par les missionnaires.
Le Père Bernard d'Armenta envoya alors à Se ville, au
conseil des Indes, une longue lettre où il rendait compte
des travaux qu'il avait déjà accomplis et de ce qui restait
à faire. Il y déclarait qu'avec ses seuls compagnons il ne
pouvait suffire à la tâche, que le nombre des Indiens qui
36 II JUIN.
demandaient le baptême était immense, et il priait le
conseil de leur adjoindre douze missionnaires de l'Ordre
Sèraphique.
Quelque temps après les nouveaux apôtres arrivaient
au Paraguay, et parmi eux le Père Alphonse de Saint-
Bonaventure et le Père Louis de Bolanos. Le christia-
nisme fit des progrès rapides, des églises s'élevèrent de
tous côtés ; dans le seul territoire de Guayra, on en
comptait vingt-quatre. Les Frères Mineurs marchaient
toujours à pied, sans armes pour se défendre en cas d'at-
taque, se nourrissant de fruits et de racines. Ils rassem-
blaient autour d'un autel improvisé les Indiens dispersés
sur les montagnes et dans les forêts, leur apprenaient à
vivre en communauté, à se réunir dans des villages ou
dans des villes ; puis ils prêchaient, convertissaient et
baptisaient au nom du Seigneur. Bientôt des couvents
s'élevèrent ; d'autres Frères Mineurs arrivèrent d'Es-
pagne, des Indiens même prirent la robe de religieux,
et la custodie de Paraguay se forma comme par enchan-
tement. Le Père Louis de Bolanos, qui semble avoir reçu
de Dieu, comme les premiers Apôtres du Christ, le don
des langues, écrivit dans les divers dialectes indiens un
catéchisme où étaient consignées et expliquées les
principales vérités de la religion. Il donnait lui-même
l'exemple des vertus qu'il enseignait ; son austérité est
restée légendaire dans ces contrées : pendant vingt ans il
ne vécut que d'eau et de racines. Un autre vénérable
prêtre, le Père Martin Ignace, continua après lui l'œuvre
qu'il avait si bien commencée.
Au milieu du dix-septième siècle, grâce aux courageux
efforts des disciples de saint François, la religion catho-
PÈRE GASPARD DE SAINT-JOSEPH. 37
lique était répandue dans tout ce qu'on connaissait alors
des deux Amériques.
(Daza et Wadding.)
PERE GASPARD DE SAINT-JOSEPH
1575. — Pape : Grégoire XIII. — Roi d'Espagne : Philippe II.
SOMMAIRE : Premières années du Père Gaspard. — A quinze ans il reçoit l'habit
des mains de saint Pierre d'Alcantara. — Son noviciat. — Ses épreuves durant
six années. — Il est nommé maître des novices. — Sollicitude paternelle avec
laquelle il s'acquitte de cette charge. — Sa dévotion à la sainte Vierge. — Ses
rapports avec sainte Thérèse d'Avila. — Ses miracles et sa mort.
Au temps où le bienheureux Pierre d'Alcantara par-
courait l'Espagne, il fut reçu à Bèze, en Andalousie, dans
la maison d'un riche gentilhomme. Il y avait là un jeune
enfant de douze ans, à la figure intelligente et vive, qui
ne pouvait détacher ses yeux du vénérable Père, et qui
lui témoignait naïvement une admiration mêlée de res-
pect. C'était le fils du maître du logis. Saint Pierre d'Al-
cantara vit sur son front le signe des élus du Seigneur :
« Ayez bien soin de cet enfant », dit-il à l'heureux Père,
a car il sera un jour un grand serviteur de Dieu ».
Cette prédiction de l'austère religieux sur Gaspard de
Saint-Joseph ne devait pas tarder à se réaliser. A l'âge où
les jeunes gens ne songent qu'à leurs plaisirs, il visitait
les églises, ornait les autels, servait la messe et chantait
les sacrés cantiques. Il apprit en quelques mois la langue
latine, qu'il parlait aussi facilement que la sienne propre.
A quinze ans, sans prendre congé de ses parents, n'é-
coutant que la voix intérieure qui l'appelait sans cesse,
38 II JUIN.
il s'en fut au couvent d'Arenas, où saint Pierre d'Alcan-
tara lui-même lui donna l'habit de l'Ordre et le dirigea
pendant quelques années dans le chemin de la vertu. Il
eut le bonheur, pendant le temps que dura son noviciat,
de rester au service du saint homme, alors abattu par
l'âge et les infirmités. Sous sa direction il fit de rapides
progrès, et à la grande joie de ses frères dont il avait su
tout d'abord gagner l'affection, il prononça ses vœux,
aussitôt le temps prescrit écoulé. Il répéta, presque sans
en avoir conscience, les paroles qu'on lui dictait; son âme,
plongée dans une extase profonde, abîmée en Dieu, était
étrangère à toutes les choses de la terre et goûtait un
repos d'une douceur infinie.
Quoique son disciple ne fût plus novice, saint Pierre
d'Alcantara ne l'abandonna pas encore: il voulut jusqu'à
la fin l'aider de ses conseils et le soutenir de son expé-
rience. Un jour qu'il l'accompagnait dans une pieuse
tournée, frère Gaspard, que l'ardeur du soleil avait altéré,
se mit à genoux devant un ruisseau et but de l'eau dans
le creux de sa main: a Mon fils», lui dit le saint vieillard,
c tu as mouillé tes lèvres sans en avoir demandé la per-
a mission à ton supérieur ; le Seigneur va te punir par
« un violent mal de gorge. Tu demeureras dans la
a maison hospitalière où nous nous rendons, jusqu'à ce
« que je trouve bon de l'envoyer chercher par un frère
« qui te ramènera guéri ». Au même moment, Gaspard
ressentait les premières atteintes du mal ; il fut obligé,
comme le lui avait annoncé le vénérable Pierre d'Alcan-
tara, de rester dans la première maison qu'ils rencon-
trèrent ; et au bout de quelques jours, au moment même
où la douleur était le plus violente , un religieux du
PÈRE GASPARD DE SAINT- JOSEPH. 39
couvent vint le demander ; il se leva, sortit et recouvra
la santé.
Tous les jours le Père Gaspard offrait le saint sacrifice
de la messe avec une tendre piété ; le seul aspect de son
visage, au moment où il chantait le Sanctus, inspirait la
dévotion et le respect. Il était chaste comme une vierge ;
jamais il ne leva les yeux sur les femmes, et quand par
hasard il était forcé d'avoir avec elles des entretiens tou-
jours trop longs à son gré, il regardait obstinément la
terre. Il ne consentit jamais à entendre leurs confessions ;
il avait trop peur de perdre le repos de son âme. C'est
ainsi qu'il parvint à conserver jusqu'à la mort sa robe
virginale pure de toute souillure, et l'on peut dire que,
durant toute sa vie, il n'eut jamais à lutter contre les
mauvaises pensées.
Cependant, les tentations et les épreuves ne lui firent
pas défaut. Durant- six longues années, son âme fut en
proie à des troubles violents ; il avait peur, il se sentait
perdu dans les ténèbres, sa conscience lui faisait des re-
proches continuels, et il put croire que Dieu s'était éloi-
gné de lui. Qu'il s'enfermât dans la solitude ou qu'il
vécût de la vie commune, il était en butte aux mêmes
obsessions. Les austérités et les mortifications, les jeûnes,
les coups de discipline, les prières prolongées pendant
des nuits entières, toutes les pieuses pratiques prescrites
par la règle étaient impuissantes à lui rendre le repos.
Pénétré qu'il était du sentiment de son indignité, il osait
à peine invoquer le nom de Jésus : il avait peur d'attirer
sur lui les foudres du Très-Haut. L'esprit malin le tour-
mentait sans cesse et s'acharnait sur lui, dit la chro-
nique, comme des mouches sur un cadavre. Les prières
40 II JUIN.
de ses frères n'obtinrent pas un meilleur résultat que les
siennes ; ses souffrances se prolongeaient, et il désespé-
rait d'en voir arriver la fin. C'est seulement auprès de
sainte Thérèse d'Avila ;qu'il commença à retrouver un
peu de calme et de tranquillité ; sa dévotion au saint sa-
crement de l'Eucharistie, des jeûnes prolongés, des mor-
tifications fréquentes, des austérités pratiquées dans un
esprit d'humilité, lui rendirent enfin le repos de l'âme :
l'époque de l'épreuve était passée.
Le Père Gaspard se sentit alors au fond du cœur un
immense désir d'aller prêcher la vérité aux Maures de
l'Afrique et de mériter, par une mort glorieuse, la cou-
ronne des martyrs. Telle était l'ardeur qui l'enflammait,
que souvent, au milieu de la nuit, il descendait dans le
jardin du couvent pour rafraîchir son âme par la con-
templation des merveilles du ciel étoile. Quand arriva la
nouvelle que les Turcs venaient d'être battus par les
flottes de la chrétienté, il en ressentit une telle joie qu'il
courut à l'église du couvent remercier Dieu du triomphe
de la foi ; et qu'au milieu de son action de grâces, tom-
bant tout à coup dans une extase profonde, il se sentit
soulevé de terre en face de l'autel de tous les saints,
tandis qu'une lumière éblouissante l'enveloppait tout
entier.
Les vertus du Père Gaspard et sa science profonde des
choses de la religion le firent bientôt choisir pour maître
des novices, charge qu'il garda jusqu'à sa mort, lors
même qu'il fut nommé gardien et définiteur. Il avait
pour eux des attentions et une sollicitude paternelles ; les
conseils qu'il leur adressait, surtout au moment où ils
prononçaient leurs vœux, étaient dictés par une sagesse
PÈRE GASPARD DE SAINT- JOSEPH. 41
plus qu'humaine. Son éloquence allait droit au cœur
quand il leur disait les douceurs de la vie religieuse et
contemplative, les plaisirs sans mélange que l'homme
goûte à s'anéantir devant Dieu, à n'avoir d'autre volonté
que celle de ses supérieurs, dans le calme de la solitude,
loin des vanités du monde, sans souci des richesses mon-
daines, des fausses voluptés, des ambitions malsaines, de
tout ce qui trouble, agite et corrompt la misérable huma-
nité. Il leur racontait sa propre vie, ses épreuves, la façon
dont, avec l'aide de Dieu, il avait triomphé du démon, et
il leur inspirait un ardent désir de marcher à la suite de
tous les saints religieux dans la voie de la perfection et
du salut: «Confessez-vous souvent», ajoutait-il, «c'est
« le moyen de recommencer sa vie avec un cœur nou-
« veau et des forces nouvelles ; fuyez la société des
« hommes, aimez votre cellule solitaire, où vous serez
« en présence de Dieu ; lisez et écrivez de bons livres.
« Parlez peu, vous éviterez ainsi bien des occasions de
« pécher ; le silence favorise la méditation bien plus utile
« à l'âme que les entretiens futiles et frivoles. Tâchez
« d'être toujours, par la pensée, en communication di-
« recte avec Dieu ; approchez-vous souvent de la sainte
« Table, et quand le prêtre célèbre le saint sacrifice,
« commencez en esprit avec lui. Travaillez, l'oisiveté
« pèse et tourmente, elle est la mère des tentations ; mor-
« tifiez-vous pour éloigner les attaques du démon ; celui
« qui vit dans l'austérité a déjà triomphé des tentations ».
C'est par de tels conseils que le Père Gaspard formait
à la vertu les jeunes novices. Il eut la satisfaction de
voir un grand nombre d'entre eux devenir plus tard de
saints religieux ; beaucoup même, devenus missionnaires
42 II JUIN.
au Japon, répandirent leur glorieux sang pour le triomphe
de la foi.
Le Père Gaspard avait une grande dévotion à la très-
sainte Vierge, et il en reçut des grâces extraordinaires.
Souvent, lorsqu'il priait à genoux devant ses statues,
il voyait sur son visage de marbre se dessiner un sourire
angélique.
Il continua jusqu'à sa mort à avoir des rapports spiri-
tuels avec sainte Thérèse, surtout lorsqu'il eut perdu son
premier directeur, saint Pierre d'Alcantara. Il lui écri-
vait souvent pour lui rendre compte de l'état de son
âme, pour lui demander des conseils ou des consola-
tions.
Le Père Gaspard eut le don de miracles. Non seule-
ment ses prières délivrèrent de leurs tourments un grand
nombre d'âmes du purgatoire qui, par la suite, lui appa-
rurent pour le remercier de son intercession, mais en-
core il rendit la santé à des malades dont l'état était dé-
sespéré et qui étaient depuis longtemps abandonnés par
les médecins. C'est ainsi que, au couvent de Loriana, une
femme aveugle recouvra l'usage de ses yeux, pour s'être
fait imposer la croix par ce saint homme. Des boiteux,
des paralytiques furent aussi guéris.
Aussi la réputation du Père Gaspard s'était-elle répan-
due dans toute la province de Saint-Joseph, et les reli-
gieux les plus austères le regardaient comme un miroir
de sainteté. Il fut honoré dès cette vie, comme un bien-
heureux par tous ceux qui le connurent.
C'est le jour delà fête du très-saint Sacrement, àVilIa-
nueva-de-la-Serena, qu'il prit le germe de sa dernière
maladie. Quoique souffrant d'un léger mal de tète, il
FRÈRE JEAN DE LA SOLIDAD. 43
avait voulu, en qualité de gardien, marcher en tête de
ses religieux à la procession ; la cérémonie à peine ter-
minée, il fut obligé de se rendre à l'infirmerie d'où il ne
devait plus sortir. Il ne tarda pas à comprendre que sa
dernière heure était venue. Il se confessa, reçut avec de
douces larmes le pain des Anges et resta quelque temps
absorbé dans une muette contemplation. Ses frères pleu-
raient autour de lui ; il les consola de son mieux, leur
demanda pardon du scandale dont il avait pu être l'objet
et leur fit ses dernières recommandations. Enfin, il se fit
étendre sur la terre nue, prit en mains son crucifix, et
après avoir encore murmuré quelques prières, il s'en-
dormit doucement dans le sein de Dieu, en 1575. Ses
funérailles furent célébrées au milieu du deuil universel
et ses restes mortels furent longtemps l'objet de la véné-
ration publique.
(Chron. de la pi-ov. de Si- Joseph.)
FRERE JEAN DE LA SOLIDAD
1576. — Pape : Grégoire XIII. — Roi d'Espagne : Philippe II.
SOMMAIRE : Répugnance de frère Jean pour le mariage. — Son entrée en reli-
gion. — Son noviciat exemplaire. — Humilité de frère Jean. — Son obéissance
à ses supérieurs. — Epreuves qu'on lui fait subir et sa patience inaltérable. — Sa
dévotion au saint Sacrement de l'Eucharistie et ses longues extases. — Sa constance
dans les maladies. — Sa mort.
Frère Jean de la Solidad naquit à Salamanque, de pa-
rents pieux qui lui donnèrent une éducation chrétienne.
Il était âgé de vingt-quatre ans lorsqu'il perdit son père :
sa mère, qui depuis longtemps nourrissait l'espoir de
44 II JUIN.
bercer ses petits enfants, le pressait sans cesse de chercher
une épouse; mais un invincible dégoût l'éloignait du
mariage, et il se retira au couvent d'Arenas, en qualité de
frère lai.
Il eut le bonheur d'être tout d'abord guidé dans le
chemin du salut par le Père Gaspard de Saint-Joseph,
alors gardien et maître des novices. Au bout de quelque
temps, ses vertus, son humilité surtout, faisaient l'admi-
ration de tous les religieux. Il était vêtu d'une mauvaise
robe de toile grossière, remplie de pièces et de mor-
ceaux de couleurs différentes, et qu'il faisait lui-même
avec les vêtements abandonnés par ses frères. Pour lit, il
n'avait qu'une planche raboteuse ; pour nourriture du
pain et de l'eau : il distribuait aux pauvres les légumes et
la viande qu'on lui donnait au réfectoire pour son usage
personnel. Quand il trouvait quelque malheureux à la
porte du couvent, il avait pour lui les attentions et le
respect qu'il aurait témoignés au Fils de Dieu lui-même.
Son plus grand chagrin était de n'avoir pas quelque
aumône à faire aux indigents qu'il rencontrait sur son
chemin. Quand ses supérieurs lui reprochaient dou-
cement les trop grandes privations qu'il s'imposait : « Eh
« quoi ! mon Père», répondait-il, «moi, le plus misérable
« des hommes, je suis vêtu et nourri sans qu'il m'en
« coûte ni travail, ni peine, et je verrais des frères de
« Jésus-Christ nus et affamés, sans partager avec eux ce
« qui ne m'est pas même nécessaire ! »
Fidèle à la règle de saint François, le bon frère en pra-
tiquait avec joie toutes les ordonnances ; il n'y manquait
que lorsqu'il y était en quelque sorte forcé par l'intérêt
de son prochain. La loi du silence imposée aux Frères
FRÈRE JEAN DE LA SOLIDAD. 4b
Mineurs avait pour lui un charme indicible ; elle lui per-
mettait de se livrer à de longues méditations et de s'en-
tretenir au fond du cœur avec son Dieu et les esprits cé-
lestes ; et cependant, quand un malheureux venait lui
demander des consolations, il laissait déborder la douce
éloquence dont son âme était pleine ; il dépensait de
longues heures à lui verser des paroles de paix et d'espé-
rance, et personne n'est jamais venu en vain implorer
son assistance.
Frère Jean était presque continuellement absorbé en
Dieu ; il ne sembait pas vivre de la vie de ce monde.
Aussi ses actions avaient-elles souvent un caractère
étrange, et ceux qui ne le connaissaient pas auraient pu
le prendre pour un insensé. C'est qu'il était de ceux dont
Notre-Seigneur a dit : « Bienheureux les pauvres d'esprit,
« parce que le royaume des cieux est à eux » ; c'est que
le ciel seul occupait sa pensée, et les choses de la terre
étaient pour lui comme si elles n'étaient pas.
Entre toutes les vertus par lesquelles le bon frère s'at-
tirait le respect et l'admiration des autres religieux, l'o-
béissance fut sa vertu de prédilection. Un mot, un signe
le faisait accourir; jamais une objection, jamais un mou-
vement de sa physionomie qui témoignât de l'impatience
ou de l'ennui ; le moindre désir d'un de ses supérieurs
était pour lui un ordre. Il avait une voix superbe, pleine
de douceur et d'onction ; mais une timidité insurmon-
table l'empêchait de chanter seul en public. Le gardien
du grand couvent de Saint-Bernardin, à Madrid, après
avoir célébré la fête de Pâques, pria le Père Jean de
chanter un cantique sacré ; sans hésiter, sans songer un
instant à la fausse honte qui à tout autre moment eût
46 H JUIN.
étranglé les sons clans sa gorge, il courut se placer au
milieu du réfectoire et célébra les louanges du Seigneur.
Un jour, sur l'ordre du médecin, il avait préparé au
gardien du couvent d'Arenas une portion très-amère. Le
supérieur, alors entouré d'un certain nombre de per-
sonnes qui étaient venues prendre des nouvelles de sa
santé, reçut le pauvre frère assez brusquement et le
renvoya sans façon : « Prends-toi même cette potion, lui
« dit-il, et laisse-moi en repos ». Jean but jusqu'à la der-
nière goutte.
Comme sainte Thérèse, il ne demandait à Dieu, dans
ses prières, que de lui envoyer des épreuves et des souf-
frances. Il avait soif de peines et de douleurs ; elles ne lui
manquèrent pas. Il semble avoir été pendant toute sa vie
le jouet perpétuel des autres religieux. Ses supérieurs lui
faisaient pour des riens les plus amers reproches ,
ils lui imposaient de rudes pénitences, des mortifications
et des coups de discipline. Inutile d'ajouter que ce n'était
pas dans le misérable but de tourmenter un supérieur,
mais bien pour le former à la patience, à l'humilité et au
mépris de soi-même. Le Père Gaspard de Saint-Joseph
surtout, qui le connaissait mieux que tout autre, qui
lisait pour ainsi dire dans le fond de son âme et qui
savait bien que les épreuves et les souffrances étaient son
seul désir et sa grande consolation, lui imposait de longs
travaux, l'humiliait sans motif, le tournait en ridicule en
présence de tous ses frères. C'est dans ces moments
que l'âme du bienheureux Jean paraissait le plus calme
et le plus heureuse : il souriait doucement, sa figure
éclairée par une joie intérieure respirait la sérénité et la
paix, et ses grands yeux levés au ciel avec amour sem-
FRÈRE JEAN DE LA SOLIDAD. 47
Liaient remercier le Seigneur de ses grâces inépuisables.
Il se confessait souvent et s'approchait de la sainte
Table autant de fois que ses supérieurs le lui permet-
taient. Il se préparait à la communion par le jeûne, la
prière, les mortifications, les longues disciplines ; et
quand enfin il recevait la céleste nourriture, son cœur
débordait de reconnaissance ; des torrents de larmes
coulaient de ses yeux, et l'on eût dit que la joie allait le
suffoquer. Les lieux déserts et silencieux étaient ceux
qu'alors il recherchait le plus pour rendre grâce à Dieu ;
souvent il y restait en extase pendant des heures entières.
Parfois aussi, pendant qu'il servait la messe, au moment
où le prêtre prononçait les paroles de la consécration, il
tombait tout à coup dans une profonde contemplation, et
il fallait qu'un autre frère vînt achever d'assister l'of-
ficiant.
Un jour, au couvent d'Arenas, le jour de la fête du
très-saint Sacrement, il suivait la procession, un cierge
à la main, attentif à veiller sur lui-même el s'efforçant
de tempérer l'ardeur de son âme en méditant sur ses
fautes et sur son indignité. Mais, en dépit de lui-même,
la grâce l'emporta : il laissa tomber son cierge à terre, et,
au grand étonnement des assistants, on le vit s'élever, tout
rayonnant de lumière, à une hauteur prodigieuse. Toute
cette journée il demeura en extase ; sa figure exprimait
une telle félicité, qu'il paraissait vivre de la vie des
bienheureux; ses yeux brillaient comme deux étoiles. Le
lendemain son gardien lui fit confesser à haute voix son
indignité et son néant au milieu du réfectoire, et lui
adressa quelques paroles sévères , pour le prémunir
contre les tentations de vanité et d'orgueil.
48 II JUIN.
Les extases du bienheureux frère étaient très-fré-
quentes : la vue d'une croix, un mot entendu suffisait
pour le transporter en imagination dans les espaces
infinis. Aussi évitait-il les entretiens avec les personnes
mondaines : il aimait mieux converser , pendant de
longues heures, seul à seul avec Dieu. Il ne parlait aux
autres religieux que des choses de la religion, des
mystères, de l'incarnation de notre Sauveur, de sa mort,
de la rédemption des hommes ; et alors il y avait dans
sa parole une autorité si grande et une si puissante élo-
quence, que les plus savants docteurs avouaient n'avoir
jamais si bien compris ces sublimes vérités.
Le bienheureux Jean fut sujet, durant sa vie, aux ma-
ladies, aux souffrances de toute sorte, aux tentations du
démon : il puisa dans la prière la force de triompher de
toutes les épreuves. Jamais on ne l'entendit pousser une
plainte ; on le voyait seulement, quand la douleur deve-
nait trop vive, faire de fréquents signes de croix, comme
pour appeler Jésus à son aide. Sa dernière maladie fut
longue et cruelle : tout son corps était agité par de vio-
lents soubresauts ; mais à peine eut-il reçu les Sacrements
des mourants qu'il recouvra la tranquillité et la paix. Sa
figure amaigrie souriait doucement, et ses lèvres entrou-
vertes murmuraient des prières et des mots de recon-
naissance et d'amour. Il mourut, entouré de tous ses
frères qui le regrettaient, au couvent de Villanueva-
de-la-Serena, en 1576. Il fut enseveli auprès du Père
Gaspard de Saint-Joseph, son gardien, son maître et
son ami.
(fihron. de la prov. de St-Joseph.)
LE BIENHEUREUX ANDRÉ DE SPELLO. 49
TROISIEME JOUR DE JUIN
LE BIENHEUREUX ANDRÉ DE SPELLO
1254. — Pape : Innocent IV. — Roi de France : Saint Louis.
SOMMAIRE : Le pieux jeune homme. — Le saint curé. — Le saint religieux. —
André est enfermé à deux reprises par ordre du général Elie. — Son éloquence.
— Il est nommé par le chapitre de Soria prédicateur de l'Ordre. — Conversions
qu'il provoque dans les villes et les villages de l'Italie. — Son humilité. — Son
retour à Spello. — Sa mort et culte qui lui a été rendu.
Le bienheureux André naquit en 1194, dans la petite
ville de Spello, non loin d'Assise, en Italie. Sa jeunesse
fut pieuse et s'écoula dans la pratique de toutes les ver-
tus ; encore adolescent, à l'âge où les passions sont dans
leur force, il avait déjà pour le monde et ses plaisirs le
plus profond mépris, et son esprit n'était occupé que de
bonnes œuvres et de pensées de charité.
Ordonné prêtre par Nicolas, évêque de Spolète, il fut
nommé curé à la demande des fidèles, sur qui il veilla
avec une sollicitude paternelle pendant de longues an-
nées. Sa fortune, considérable pour l'époque, lui servit
à faire le bonheur des malheureux, à soulager les pau-
vres, à vêtir les orphelins, à soigner les malades. A ses
moments perdus, il courait au monastère de Camaldoli,
fondé par saint Romuald, dans le voisinage de Spolète,
priait pendant quelques heures dans la solitude ou s'en-
tretenait avec les moines des choses de la religion.
Sa mère et sa sœur étant venues à mourir, il se démit
de sa cure, distribua son bien aux pauvres et s'en fut, à
Palm. Séraph. — Tome VI. 4
50 III JUIN.
l'âge de vingt-neuf ans, demander à saint François
d'Assise l'humble habit de l'Ordre Séraphique : il était
alors le premier et le seul, parmi les soixante-douze dis-
ciples de saint François, qui fût revêtu de la dignité sa-
cerdotale. L'exemple des saints personnages qui vivaient
dans le cloître de la Portiuncule, les enseignements de
saint François et ses dispositions à la vertu, ne tardèrent
pas à faire du bienheureux André un miroir de per-
fection chrétienne. Il pratiquait la règle avec une scru-
puleuse exactitude , soumettait son corps à de longs
jeûnes, le fatiguait par des veilles et des austérités, le
rendait, en un mot, l'instrument souple et docile de son
âme qui n'était occupée que du ciel.
Après la mort du saint Père François qu'il assista à ses
derniers moments, et sa canonisation par le pape Gré-
goire IX, à Assise, en 4228, il eut à souffrir les injustes
rigueurs du nouveau général de l'Ordre, le Père Elie. Il
fut même jeté en prison avec quelques autres des pre-
miers disciples de saint François, pour avoir manifesté
trop de zèle et s'être refusé à profiter des adoucissements
apportés à la règle ; mais l'influence de saint Antoine de
Padoue obtint du pape sa mise en liberté.
En 1233, il était présent au chapitre général qui se
tint à Soria, en Espagne. Son éloquence à la fois douce
et passionnée, l'ardeur de sa foi et de sa charité, lais-
sèrent une impression profonde chez les habitants de
cette ville , dont un grand nombre vinrent abjurer
leurs péchés entre ses mains. C'est là que les Pères
assemblés lui donnèrent le titre glorieux de prédicateur
de l'Ordre.
De nouvelles épreuves l'attendaient à son retour en
LE BIENHEUREUX ANDRÉ DE SPELLO. 51
Italie : le général Elie, sans raison légitime, le fit de
nouveau enfermer. Mais ce fut la dernière fois qu'il
eut à souffrir des caprices iniques de son supérieur;
Elie fut remplacé par le bienheureux Jean de Parme,
qui mit en pleine lumière l'innocence d'André , lui
rendit sa liberté et lui témoigna par la suite beaucoup
d'estime et d'amitié.
A partir de cette époque, le saint homme commença à
parcourir les villes et les campagnes de l'Italie, prêchant,
catéchisant, appelant les hommes à la pénitence. Il pro-
voqua par son zèle apostolique, par l'autorité de sa parole
et de son exemple, un grand nombre de conversions. Les
miracles que, par une grâce spéciale de Dieu, il accom-
plissait sur son passage, ajoutaient encore de la force à
son éloquence : il guérissait les malades, chassait les
démons, arrachait à la mort des agonisants. Aussi l'ho-
norait-on comme un saint et un élu du Seigneur; la
renommée de sa sainteté s'était répandue dans l'Italie
entière et le précédait dans les pays où il arrivait pour
la première fois. On accourait autour de lui pour le voir
et pour l'entendre ; on le priait de faire descendre la
bénédiction du ciel sur les champs et dans les âmes ; on
s'estimait heureux de pouvoir baiser ses mains et ses
vêtements. Pour lui, plus humble que le dernier des
pécheurs, il marchait, sous sa misérable robe de francis-
cain, pieds nus, les yeux baissés, pauvre, austère, déta-
ché de toutes les vanités, accomplissant sa grande œuvre
sans orgueil, ou plutôt avec l'air d'un criminel qui subit
sa condamnation; la haute mission dont Dieu l'avait
chargé lui pesait comme un fardeau, il se croyait inca-
pable et indigne de la remplir.
52 NI JUIN.
Le Seigneur, à cause même de l'excessive humilité de
sou fidèle serviteur, trouva bon de lui accorder des
grâces plus spéciales encore. Un jour, au couvent d'Assise,
Jésus lui apparut tout à coup, dans sa cellule, sous la
forme d'un enfant ; il s'entretint avec lui et le prit sur
ses genoux ; mais la cloche de la chapelle ayant tout à
coup sonné les vêpres, le Père André se rendit au chœur.
A son retour, l'Enfant divin était encore dans la cellule:
« André », lui dit-il, et c'est bien fait à toi d'avoir accom-
« pagné tes frères ; si tu étais demeuré ici pendant l'office
« sacré, je t'aurais laissé seul ; reste toujours aussi fidèle
« à la règle, aussi obéissant à tes supérieurs, aussi sou-
« mis à tes devoirs, et je serai avec toi dans l'éternité » .
Cependant les habitants de Spello, désirant ramener
au milieu d'eux le saint homme qui les avait quittés,
offrirent à son Ordre leur église paroissiale placée sous
l'invocation de saint André, apôtre, à condition qu'un
couvent s'élèverait dans le voisinage. C'est ce qui eut
lieu en effet en 1253. Le bienheureux Père vint y habiter
presque aussitôt ; par ses sermons et par son exemple il
contribua au perfectionnement moral de ses concitoyens,
en même temps que, par ses aumônes et par l'ardeur de
sa charité, il venait en aide à ceux d'entre eux qui étaient
misérables.
Il mourut le 3 juin de l'année suivante, à l'âge de
soixante et un an, et on l'ensevelit dans le caveau com-
mun, à côté des bienheureux Gilles et Moricus, comme
lui compagnons de saint François. Des miracles s'accom-
plirent sur sa tombe qui devint bientôt un véritable lieu
de pèlerinage. Plus tard, en 1360, on l'exhuma pour le
placer, au pied du grand-autel, dans un magnifique
LE BIENHEUREUX ANDRÉ DE SPFLLO- 53
sépulcre de marbre soutenu par des colonnettes de fer
eiselé. Dès cette époque on célébra solennellement sa
fête, chaque année, au troisième jour de juin.
En 1597, avec la permission du sacré Collège, ses
précieux restes furent de nouveau exhumés et portés
autour de l'église et dans les rues de la ville, au milieu
d'un immense concours de peuple. On le plaça dans un
nouveau cercueil fermé par deux clefs, dont l'une fut
confiée au chef ou gouverneur de la ville, et l'autre au
gardien du couvent. Le cercueil fut d'ailleurs renfermé
dans l'ancien sépulcre en marbre. La tête du bienheu-
reux, détachée du tronc et conservée dans une châsse en
argent, restait exposée sur le grand-autel, pendant la
messe, le jour de sa fête, puis déjeunes prêtres suivis de
toute la population de Spello la portaient à travers la
ville. Quand la procession arrivait devant la maison où
André avait passé la première partie de sa vie, le gar-
dien du couvent montait sur une estrade et bénissait,
avec la précieuse relique, le peuple agenouillé. On a
conservé aussi pendant très-longtemps la robo du moine,
le chapeau et la corde du bienheureux. Son culte a été
approuvé par le pape Benoît XII. Durant des siècles les
restes d'André n'ont pas cessé d'accomplir des miracles.
(Papebhoeck.)
54 ni JUIN.
LE B. PÈRE JEAN DE ZUMARRAGA
PREMIER ARCHEVÊQUE DE MEXICO
1548. — Pape : Paul III. — Roi d'Espagne : Charles-Quint.
CHAPITRE PREMIER.
SOMMAIRE : Premières années de la vie religieuse du bienheureux Jean. —
Char'es-Quint, après lui avoir confié une mission importante, le nomme évêque de
Mexico. — Situation des Indes Occidentales à l'époque où le bienheureux Jean
allait prendre possession de son siège épiscopal. — Ses tentatives de réforme
et difficultés qu'il rencontre. — Calomnies répandues contre lui par ses ennemis,
jusqu'à la cour de Charles-Quint. — Sa vertu obtient enfin justice.
Les documents historiques nous font malheureuse-
ment défaut pour raconter avec l'ampleur qu'elle méri-
terait la sainte vie de ce grand prélat. II était né à
Durango, petite ville de la province de Biscaye, en Es-
pagne, et il reçut l'habit de l'Ordre dans la province de
l'Immaculée-Conception, qu'il honora par l'étendue de
sa science et par la dignité de sa vie. Il y obtint à plusieurs
reprises les charges de gardien et de définiteur ; il fut
même une fois élu provincial, et dans ces différentes
conditions il montra toujours une sagesse et une pru-
dence plus qu'humaines.
Il était gardien du couvent d'Abroxo, à deux heures
environ de Valladolid, quand l'empereur Charles-Quint,
roi d'Espagne, vint, selon son habitude, s'y enfermer
pendant la semaine sainte pour se préparer dignement,
par la retraite et les pieuses pratiques, à la communion
LE BIENHEUREUX PÈRE JEAN DE ZUMARRAGA. 55
pascale. Par les soins du monarque, on distribuait tous
les jours aux bons religieux d'abondantes provisions de
de bouche, et le couvent était abondamment pourvu de
tout ce qu'on pouvait désirer. Les pauvres seuls en pro-
fitèrent ; le Père Jean ne permit pas que, au moment
même où le Christ avait le plus souffert, la règle des
religieux, ses serviteurs, se relâchât en rien de sa sévé-
rité. Grand fut l'étonnement de l'empereur, jamais rien
de semblable ne s'était produit sous l'administration des
autres gardiens. 11 fit venir auprès de lui Père Jean et
trouva qu'il avait l'esprit aussi élevé que la piété ardente
et sincère. Il s'entretint longtemps avec lui sur les
affaires de sa conscience, et se jura qu'il ne quitterait
pas le couvent avant de lui avoir fait accepter un poste
important. La modestie du bon Père s'y refusait; cepen-
dant il se chargea d'une mission difficile où le bien de
beaucoup d'âmes était en jeu, et il s'en acquitta avec
bonheur : l'empereur le nomma évêque de Mexico, aux
Indes Occidentales. Le bienheureux Jean s'effraya de cet
honneur dont il se croyait indigne, et tout d'abord il
pria son royal bienfaiteur de lui retirer une faveur aussi
dangereuse ; mais un ordre de son provincial le somma,
au nom de la sainte obéissance, de partir pour Mexico ; il
ne résista plus et s'embarqua.
Les Indes Occidentales, encore mal organisées, étaient
dans une période de troubles et de luttes intérieures. Les
premiers Espagnols qui avaient occupé le pays, fiers et
enivrés d'une conquête facile, faisaient peser sur les mal-
heureux Indiens un joug insupportable. En vain le bien-
heureux Père Martin de Valence et ses compagnons, les
premiers missionnaires apostoliques du Nouveau-Monde,
56 m juin;
après avoir, sans résultat, essayé par l'autorité de leur
parole d'arrêter les débordements des envahisseurs, s'é-
taient-ils plaints à Charles-Quint lui-même de la conduite
indigne de ses gouverneurs et de ses officiers : leurs cris
n'avaient pas été entendus, et l'Amérique tout entière
marchait à sa perte avec une effrayante rapidité. Cepen-
dant l'empereur s'émut à la fin d'un pareil état de choses
et il résolut d'y porter remède, autant du moins qu'il
était en son pouvoir, en nommant au Nouveau-Monde
un représentant de son autorité sur lequel il pût compter.
C'est le Père Jean qu'il chargea de l'importante mission
d'aller défendre les intérêts des Indiens contre l'âpre
avidité des Espagnols : il lui donna le titre de protecteur
des Indiens et le fit partir pour l'Amérique avant même
que sa nomination à l'évêché de Mexico ne fût confirmée
par un bref pontifical.
Le nouveau prélat arriva à son poste en 1528. En
débarquant sur le territoire du Mexique, il trouva toutes
choses dans un désarroi si complet, qu'il en fut effrayé.
Les champs étaient incultes, et les riches plaines, naguère
cultivées par un peuple heureux, ressemblaient à une
immense solitude. Un désert de sable eût causé une im-
pression moins pénible ; où l'activité des hommes ne peut
rien pour modifier la stérilité du sol, on comprend que
le sol soit abandonné. Mais ici, la terre ne demandait
qu'à produire; les plantes parasites dont elle était cou-
verte l'attestaient par l'exubérance de leur végétation.
Voilà quel était le résultat de quelques années de con-
quête : les Espagnols ne demandaient pas à la terre les
moissons qu'elle aurait produites à profusion, ils voulaient
lui arracher de l'or. C'est parce qu'ils avaient soif d'or
LE BIENHEUREUX PÈRE JEAN DE ZUMARRAGA. 57
qu'ils avaient enlevé les Indiens à leurs travaux pour les
enterrer dans des mines ; c'est pour satisfaire une avidité
rapace que, au lieu de s'attacher par les liens de l'amitié
au peuple vaincu, ils l'écrasaient sous le poids d'une
autorité cruelle. On fuyait devant eux comme devant des
bêtes fauves, parce qu'on savait qu'à leur suite mar-
chaient la terreur et la mort. Des millions d'hommes
avaient déjà succombé; et tous les jours s'accomplissait
plus rapidement l'œuvre de désolation.
C'était pour lutter contre cet état de choses que le Père
Jean avait été choisi. On voit que la tâche était difficile.
Il s'entendit tout d'abord avec le Père Martin de Véga,
évêque de Darien, et le Père Jean Suarez, évêque de
Floride ; puis il se mit à l'œuvre. Les mesures sévères
qu'il prit au début n'eurent pas un résultat satisfaisant ;
l'autorité militaire elle-même défendait les coupables.
Alors il se souvint qu'en Espagne il avait eu la réputation
d'un prédicateur éloquent, et il entreprit, selon le mot
de son biographe, la campagne des cœurs ; il essaya de
ramener à des sentiments de douceur et d'humanité des
âmes endurcies ; il prêcha l'amour du prochain à des
hommes qui n'avaient que l'amour de l'or, et il sut se
faire écouter. Malheureusement, en prenant le parti du
peuple vaincu, il attira sur lui-même les colères de tous
ceux qui exploitaient à leur profit la conquête. Un jour,
pendant qu'il prêchait, un soldat essaya de lui porter un
coup de hallebarde, qui eût été mortel si Dieu ne l'avait
pas détourné. Des pierres furent lancées sur son palais
épiscopal, et nul doute que le saint homme n'eût payé
de sa vie sa courageuse intervention, sans la miraculeuse
protection dont il ne cessa pas d'être couvert.
58 III JDIN.
Mais c'est surtout par la calomnie qu'on essaya de le
renverser. Comme la pureté de sa vie le mettait à l'abri
de toute attaque, on l'accusa de crimes imaginaires. On
l'accusa, sous le titre de protecteur des Indiens, de dis-
créditer l'autorité du roi, de soutenir le parti de Fernand
Cortez qui venait d'être disgracié, de ne pas se soumettre
aux décisions du conseil suprême, chargé de par l'empe-
reur de régler en maître les affaires de l'Amérique. Ce
n'est pas tout encore : il excitait les religieux et les
prêtres, et en particulier Martin de Valence et ses compa-
gnons, à lutter avec lui contre le pouvoir temporel, à
entraver les mesures prises dans l'intérêt commun des
Indiens et des Espagnols. Ces mensonges abominables
furent répandus en Amérique et en Espagne ; ils par-
vinrent même aux oreilles du roi : ajoutons à son hon-
neur qu'il commença par les rejeter avec dégoût. Cepen-
dant, comme on interceptait les lettres que lui-même ou
ses ministres adressaient au prélat, et celles que Jean
pouvait envoyer en Espagne, lassé de ne pas recevoir de
nouvelles directes de son homme de confiance, il s'émut
et donna des signes d'impatience et de désappointement,
qui furent recueillis avec joie par les ennemis de l'ar-
chevêque.
Enfin un vaisseau aborda en Biscaye, qui apportait,
écrit de la main même du Père Jean, un long rapport sur
l'état de l'Amérique. Des Indiens de grande naissance,
qui faisaient le voyage d'Espagne, s'en étaient chargés et
avaient juré de le remettre entre les propres mains du
roi. L'évêque exposait simplement et nettement la situa-
tion, sans même songer à se plaindre des conseillers
royaux qui lui avaient témoigné tant de mauvais vouloir,
LE BIENHEUREUX PÈRE JEAN DE ZUMARRAGA. 59
des gouverneurs des villes et des officiers de l'armée,
toujours opposés à ses projets de conciliation, de tout
ceux enfin dont il avait eu si fort à souffrir. Mais il disait
quelle misérable condition on avait faite aux Indiens,
mourant par milliers dans les mines, condammés à un
travail forcé, enterrés vivants dans des souterrains pro-
fonds où la lumière ne pénétrait jamais, et d'où on ne
leur permettait pas de sortir. Il racontait la dépopulation
des campagnes, la terreur toujours croissante autour des
vainqueurs, les rébellions qui naissaient et qui mena-
çaient de devenir formidables, les vengeances isolées et
terribles. Enfin il proposait le seul remède capable d'ar-
rêter les progrès du mal, une domination sage et douce,
l'instruction et la conversion des Indiens.
Ces lettres si touchantes et si empreintes du sceau de
la charité chrétienne firent une profonde impression sur
tous ceux qui en eurent connaissance. La reine, en parti-
culier, ne pouvait les lire sans verser des torrents de
larmes. On sentait que la vérité et le droit étaient du côté
du prélat , tandis que ses détracteurs n'avaient forgé
qu'un tissu de mensonges et de calomnies. D'ailleurs,
tout ce qu'il disait était d'accord avec ce qu'on avait
entendu de la bouche même de Fernand Cortez, depuis
son retour en Espagne. Le général, victime lui aussi de
la calomnie, avait pleinement rendu justice au saint
homme ; il s'était porté garant de ses vertus, de sa vie
irréprochable, de ses courageux efforts et des résultats
qu'il avait déjà obtenus, trop tôt arrêtés, hélas 1 par la
jalousie, la haine et l'avidité de ses ennemis. Il avait fait
les plus grands éloges des Frères Mineurs, qui les pre-
miers avaient, au prix de dangers sans nombre, planté
60 m juin.
dans les Indes occidentales le glorieux étendard du
Christ : « Si la colonne prospère », ajoutait-il, « c'est grâce
a à eux seuls ; si nous trouvons les Indiens faciles à
a accepter le joug, c'est qu'ils leur ont enseigné les vertus
« que nous ne savons plus pratiquer, l'austérité des
« mœurs, le mépris des richesses et îa patience dans les
« misères et les épreuves de cette vie ».
La reine prit cette affaire à cœur. Elle avait pour le
Père Jean, qu'elle connaissait de longue date, une affec-
tion mêlée de respect, elle résolut, non-seulement de lui
rendre justice en le maintenant, malgré la calomnie, au
poste où il avait été nommé par Charles-Quint, mais
encore de punir ceux qui avaient essayé de lui nuire dans
l'esprit du roi. Les gouverneurs, les conseillers, les gé-
néraux qui avaient mis la main à la machination ourdie
contre lui furent rappelés en Espagne, traduits devant
des tribunaux et condamnés à des peines sévères. Ils
furent remplacés par des hommes intègres , dévoués
avant tout aux intérêts de leur patrie, de leur roi et de
Dieu, en communication d'idées et de principes avec
l'évêque de Mexico, et disposés à seconder, non à entraver
ses efforts.
En même temps la reine adressait au Père Jean les
lettres les plus flatteuses ; elle le complimentait sur sa
belle conduite, l'assurait que, en cas de besoin, il trouve-
rait toujours auprès du trône aide et protection, et enfin
le conjurait de venir en Espagne se reposer pendant
quelque temps de ses fatigues. Le saint homme se décida
avec bien de la peine à quitter ses chers Indiens, surtout
à un moment où, pour la première fois, il allait pouvoir
en toute liberté s'occuper de leurs intérêts terrestres et
LE BIENHEUREUX PÈRE JEAN DE ZUMARRAGA. 6!
éternels ; cependant, après d'assez longues hésitations, il
se mit en roule. Il partit de Mexico en 4532, emportant
seulement avec lui son bâton de voyage et son bréviaire,
revêtu d'un humble habit de frère mineur. Il s'arrêtait
dans les couvents de l'Ordre qu'il rencontrait sur son
chemin, pour adresser aux religieux quelques paroles
éloquentes et les engager à persévérer saintement dans
la voie difficile où ils s'étaient librement engagés.
Après une traversée heureuse, il arriva en Espagne.
On le reçut à la cour impériale avec les bonneurs qu'on
aurait témoignés à un Ambroise ou à un Jean Chrysos-
tome. Il y resta deux années, pendant lesquelles il eut
avec Charles-Quint ou ses ministres de longs entretiens
sur la manière dont il convenait d'administrer l'Amérique ;
puis il repartit, le cœur plein de joie et d'espérance, pour
sa ville épiscopale. Le temps de l'épreuve était fini, il
allait rendre au bonheur un peuple trop longtemps mi-
sérable.
CHAPITRE II.
SOMMAIRE : Grandes vertus du bienheureux Jean. — Simplicité de sa vie. Son
exactitude à pratiquer la règle de saint François. — Sa cbarité chrétienne et soins
qu'il donne aux pauvres et aux malades. — Fondation d'hôpitaux. — Soulage-
ments apportés à la misère des Indiens. — Synode de Mexico. — Rapport au
chapitre général de Toulouse. — Sur la fia de sa vie, Jean conçoit le projet de
partir en Chine. — Refus du pape qui le nomme archevêque. — Mort et funé-
railles du saint prélat.
Le nouvel évêché de Mexico était déjà le plus important
des Indes occidentales. Ayant pour siège la capitale d'un
grand empire, il était appelé à étendre son influence sur
toutes les colonies espagnoles de l'Amérique du Nord. Les
qualités extraordinaires de son premier prélat l'y ai-
dèrent tout d'abord : a Le Père Jean », dit son biographe,
62 in juin.
« a vécu comme un saint, prêché comme un apôtre et
« veillé sur son troupeau avec la sollicitude d'un bon
« pasteur ».
Il est vrai, en effet, qu'il avait en lui toutes les vertus
chrétiennes portées au plus haut point. S'il avait pour les
personnes pieuses une affection profonde, sa sublime
charité le portait presque également vers tous ceux qui
s'étaient écartés de la voie du salut. Il n'avait autour de
lui, dans son palais épiscopal, que des serviteurs craignant
Dieu; mais il allait lui-même visiter dans leur demeure
les pécheurs les plus endurcis.
Entouré de richesses, alors qu'il aurait pu comme tant
d'autres amasser dans ses caves des monceaux d'or, il se
souvint toujours qu'il était frère mineur et qu'il avait
fait vœu de pauvreté. Il portait l'habit de l'Ordre, dormait
sur une mauvaise paillasse et se levait au milieu de la
nuit pour aller chanter matines avec les religieux qui
habitaient le palais. Sa table n'était pas mieux garnie
que celle des Récollets d'Espagne, chez qui il avait passé
la première partie de sa vie ; et pendant le repas on fai-
sait toujours quelque pieuse lecture. On lui reprocha un
jour, involontairement peut-être, de vivre dans une de-
meure qui ressemblait bien inoins à la cellule d'un moine
qu'au palais d'un évèque; il en arracha de sa main tous
les ornements, mit les murs à nu et dit à ses familiers :
« On a prétendu que je n'étais plus frère mineur, depuis
« que le roi et le pape m'ont fait évêque ; souvenez-vous
« que je ne veux pas être un évêque, mais un frère
« mineur ». Et toute sa vie ne fut qu'une longue preuve
de cette parole.
Il pratiquait tous les jeûnes prescrits par la règle de
LE BIENHEUREUX PÈRE JEAN DE ZUMARRAGA. 63
saint François. Tous les vendredis, il se confessait à l'un
des frères mineurs qui habitaient avec lui dans le palais
épiscopal, et quand par hasard ils en étaient tous absents,
il se rendait à pied, sans suite, au plus prochain cou-
vent, et revenait aussitôt offrir le saint sacrifice dans sa
cathédrale. Un jour un riche gentilhomme du Pérou, le
voyant ainsi parcourir les rues de Mexico, demanda à lin
passant quel était ce moine à la figure majestueuse, et en
apprenant qu'il n'était autre que l'archevêque : « 0 trop
« heureuse ville », s'écria-t-il, « dont Dieu a confié les
« destinées à un si vénérable prélat ! »
Quoique sorti de l'Ordre des Frères Mineurs, il avait
pour tous les religieux une affection sincère, et il témoi-
gnait autant d'égards aux Augustins et aux Prédicants
qu'aux flls de Saint-François. Il les protégeait contre
leurs ennemis, prenait leur défense avec un zèle tout pa-
ternel et avait soin de les fournir de tout ce qui leur
était nécessaire, en provisions de bouche, en vêtements
et surtout en livres, richesse alors très-rare dans les Indes
Occidentales.
Les trois hôpitaux de Mexico étaient aussi placés sous
sa haute direction ; tous les pauvres gens qu'il rencontrait
dans les rues de la ville étaient assurés d'y trouver un
refuge, des consolations et des soins empressés. Les au-
mônes tombaient d'ailleurs à profusion de ses mains ; et
quand, par hasard, il n'avait pas d'argent à donner à un
Indien, il lui jetait son manteau sur les épaules. Il éleva
lui-même à Mexico un nouvel hôpital dédié à saint Côme
et à saint Damien, et qu'il plaça sous le patronage de
l'empereur Charles- Quint. Deux fois par jour on ouvrait
aux pauvres les portes de son palais; il venait s'enquérir
64 III JUIN.
de leurs besoins, écoutait leurs doléances avec une pa-
tience angélique, et n'en renvoyait pas un sans lui avoir
donné du pain pour longtemps, du courage et de l'espé-
rance pour le reste de sa vie.
Les Indiens, ceux d'entre eux surtout qui s'étaient
convertis au christianisme, trouvèrent en lui un père
tendre et dévoué. Beaucoup, qui avaient été réduits en
esclavage par les soldats espagnols, lui durent leur li-
berté : ils furent tirés des mines où ils dépérissaient, et
renvoyés à leur village ou à leur forêt. Il avait, pour les
enseigner, les consoler, leur inspirer de la confiance en
Dieu, des paroles d'une douceur infinie; il allait les voir
dans leurs petites maisons de bois recouvertes de can-
nes, pour porter des secours aux indigents et des remè-
des à ceux qui étaient malades : « C'est auprès d'eux »,
disait-il souvent aux Espagnols qui lui reprochaient
de leur témoigner trop de bonté, a c'est auprès d'eux
« seulement que je trouve mises en pratique les vertus
« dont Jésus-Christ Notre-Seigneur nous a donné l'exem-
« pie ; tandis que vous menez une vie trop facile et sou-
« vent criminelle, ils supportent presque sans pousser
a une plainte la misère, la maladie et un travail excessif;
« la vue de leur inaltérable patience me console des vices
« qui se développent au milieu de nous, ils me donnent
« un avant-goût des jouissances du ciel, où ils marchent
« tout droit ; tandis que vous, nés chrétiens, vous agissez
« comme si vous ne vous souveniez pas du Dieu qui punit
« et qui récompense ».
Le bienheureux Père Jean, plus humble qu'un frère
mineur , avait pourtant en lui toute la majesté d'un
prélat. Il accomplissait les cérémonies du culte avec une
LE BIENHEUREUX PÈRE JEAN DE ZUMARRAGA. fia
telle dignité, que les assistants étaient frappés d'étonne-
ment et de respect. En chaire, avec sa voix puissante qui
remplissait toute la cathédrale, quand il menaçait les
pécheurs de la colère du Dieu vivant, on eût dit un pro-
phète de l'Ancien Testament annonçant aux Hébreux
leur longue captivité.
Aussi s'était-il acquis au loin, dans les Indes occiden-
tales, un grand renom de sainteté : on l'appelait l'apôtre,
et il était vraiment animé de l'esprit des premiers disci-
ples de Jésus. Il semble que, à son souffle, les temples des
faux dieux se soient soudain écroulés ; partout, sur son
passage, ils disparaissaient pour ne plus se relever. L'un
des plus antiques monuments du culte du soleil, le palais
de Tezcucingo, où les rois de Tezcuco venaient rendre
hommage à leur dieu, et qui était enrichi par les of-
frandes des populations depuis des siècles, fit place à une
église catholique.
En 1536, l'archevêque de Mexico convoqua à un
synode provincial les évoques de Tlaxcala et de l'île de
Saint-Domingue, avec tous les religieux qui se trouvaient
alors en Amérique , pour délibérer sur les meilleurs
moyens d'étendre rapidement la foi catholique au Nou-
veau-Monde. On convint tout d'abord d'établir dans
toutes les églises et dans toutes les chapelles, même
dans les chapelles des couvents, un baptistère, où les
Indiens, instruits des vérités de la religion, pourraient
sans retard recevoir le premier Sacrement des chrétiens.
On devait rendre les cérémonies aussi imposantes que
possible, et frapper l'esprit des Indiens par la majesté
du culte rendu au Christ.
Le Père Jean habitait depuis quatre années déjà les
Palm. Sera pu. — Tome VI. 5
66 III JUIN.
Indes occidentales, quand il adressa au chapitre général
de Toulouse la lettre suivante : « Nous sommes accablés
« du travail que nous donne la conversion des infidèles ;
« vous le comprendrez sans peine, en apprenant que les
« Frères Mineurs seuls en ont baptisé presque un mil-
« lion ; nous avons renversé et brûlé cinq mille temples
« des faux dieux, brisé plus de vingt mille idoles et
« construit deux fois autant d'églises, de chapelles et
a d'oratoires où les Indiens viennent prier. Dans la seule
« ville de Mexico, où chaque année plus de vingt mille
« jeunes âmes, en naissante la vie, étaient déjà sacrifiées
« au démon, les Pères ne songent plus qu'à leur ensei-
« gner les grandes vérités du christianisme et les louanges
« du Dieu tout-puissant. Ils pratiquent les jeûnes et les
« vigiles, se donnent la discipline et prient durant des
a heures entières en pleurant leur indignité ; ils se con-
« fessent souvent et s'approchent de la sainte Table avec
« un extrême recueillement. Au milieu de la nuit, ils se
« lèvent et chantent les litanies de la très-sainte Vierge,
« pour qui ils ont un culte tout particulier. Dans chacun
a de nos couvents une salle immense est spécialement
« destinée à l'instruction des jeunes indiens ; quelquefois
« même une maison tout entière leur est consacrée ; elle
« renferme une classe, un dortoir, un réfectoire et une
« chapelle. Tous ces enfants sont très-doux, très-respec-
« tueux, fort appliqués à leurs devoirs et très-avides
a d'apprendre ; ils nous aiment comme si nous étions
« leurs pères.
« Déjà quelques-uns de nos frères parlent avec facilité
« l'idiome du pays ; entre autres le frère Pierre de Gand,
« qui, en ce moment, prépare au grand sacrement du
LE BIENHEUREUX PÈRE JEAN DE ZUMARRAGA. 67
o mariage six cents jeunes gens et autant déjeunes Pilles ».
« La sage prévoyance de l'impératrice nous a adjoint
« six pieuses femmes, qui sont plus spécialement char-
« gées de l'éducation des indiennes : plus décent d'entre
« elles sont déjà réunies sous leur direction dans une
« grande maison voisine du palais épiscopal. Tous ces
« enfants de l'un et de l'autre sexe, rentrés à la maison
« paternelle, sont comme autant de frères prêcheurs qui
« enseignent à leurs parents ce qu'ils ont appris eux-
« mêmes, et ainsi se trouve vérifiée la parole du roipro-
« phète : « Seigneur, c'est par la bouche des enfants
«que nous avons appris à te louer». Et maintenant,
« plaise à Vos Révérences de prier Jésus-Christ, pour
« qu'il veuille bien nous aider à continuer une œuvre si
« heureusement commencée ». (Mexico, le 12 juin 1531.)
Le bienheureux Jean, après avoir ainsi, par un travail
incessant de plusieurs années, ouvert à ses successeurs la
voie où ils n'avaient plus qu'à le suivre, non content
encore de ce qu'il avait fait pour l'amour de son Dieu,
voulait maintenant aller porter en Chine la sainte parole
de l'Ecriture. Le Père Martin de Valence, en lui racon-
tant les dangers qui attendaient les missionnaires sur
cette terre de superstition, lui avait inspiré un vif désir
d'y aller cueillir la palme du martyre. Ni son grand âge,
ni les regrets qu'il allait laisser derrière lui ne le détour-
nèrent de son projet, et, à deux reprises différentes, il
pria le pape de lui retirer son évêché ; mais le Saint-Père
et l'empereur, persuadés qu'il y avait autant de difficultés
et de mérite à convertir les Indiens qu'à convertir les Chi-
nois, le maintinrent malgré lui sur son siège de Mexico.
C'est à cette époque qu'un bref pontifical conféra au
es ni juin.
bienheureux Jean le titre d'archevêque ; Mexico jus-
qu'alors n'avait été considéré que comme évêché. Il
accepta difficilement sa nouvelle dignité qui lui donnait
une autorité incontestable sur tout le clergé du Nouveau-
Monde. Les félicitations que lui adressèrent les prêtres
d'abord, puis le conseil royal et le gouverneur, lui furent
plus pénibles que des reproches amers. « Qu'ai-je fait »,
disait-il, « pour qu'on charge mes faibles épaules d'un si
«lourd fardeau». Dieu prit soin de le consoler : il lui
annonça le jour où il devait mourir.
Ce fut une grande joie pour le saint homme qui n'eut
plus qu'une seule pensée, mettre en ordre les affaires de
son diocèse et se préparer au passage dans l'éternité. II
fit donc publier dans tout le pays environnant que ceux
qui n'avaient pas encore reçu le corps et le sang de Notre-
Seigneur, eussent à se rendre sans délai à Mexico. Une
foule immense d'Indiens répondit à cet appel. Il en vint
des bords do la mer et du fond des forêts ; des tribus en-
tières, conduites par leurs caciques, arrivaient dans la
ville épiscopale. Le bienheureux Père Jean, malgré ses
fatigues et son grand âge, leur donna lui-même à tous
la sainte communion ; puis il chargea ses vicaires d'ad-
ministrer son diocèse : son œuvre à lui était achevée ; il
n'avait plus qu'à mourir, et il voulait rendre le dernier
soupir entre les mains du Père Dominique de Betanzos,
frère prêcheur, son ami, qui l'avait souvent aidé à porter
le poids de son archevêché. Il partit donc, au milieu
même de la nuit suivante, pour Tepetlauztoc, à huit
heures de Mexico, séjour habituel du Père Dominique ;
il y arriva à neuf heures du matin et fut reçu avec joie
par le bon religieux.
LE BIENHEUREUX PÈRE JEAN DE ZUMARRAGA. 69
Pendant quatre jours, il vécut parfaitement heureux,
s'entretenant avec son ami des choses du ciel et de la fé-
licité réservée aux élus du Seigneur ; puis tout à coup il
tomba gravement malade, et ses souffrances devinrent
bientôt si vives qu'il dut retournera Mexico, accompagné
du Père Dominique de Betanzos, qui ne le quitta plus.
Une heure avant de mourir, il disait aux religieux grou-
pés autour de lui : « Chers pères et chers frères, quelle
a différence il y a à parler de la mort et à lutter face à
a face avec elle ». Il resta calme cependant, et en posses-
sion de toutes ses facultés jusqu'au dernier moment.
Après avoir reçu les derniers Sacrements, il murmura
les paroles du roi David : « Seigneur, je remets mon àme
« entre vos mains », et il s'endormit dans le sein de
Dieu, le 3 juin 1548 : il était âgé de quatre-vingt-
un ans.
En un jour, par un miracle évident, tout l'empire du
Mexique apprit qu'il venait de perdre son archevêque, et
les Indiens leur protecteur et leur père. Ce fut un deuil
universel. Plus de dix mille Mexicains assistèrent à ses
funérailles qui furent célébrées avec pompe dans l'église
archiépiscopale. Pendant tout le temps que dura la céré-
monie, on n'entendit que des sanglots et des lamenta-
tions ; les Frères Mineurs eux-mêmes, suffoqués par la
douleur, ne pouvaient, à cause de leurs larmes, chanter
l'office des morts. Le vice-roi, le grand conseil, les chefs
de la bourgeoisie, en un mot tous les dignitaires de la
ville et de la cour assistaient à la cérémonie, et la dou-
leur qui se lisait sur tous les visages témoignait combien
vivement chacun sentait la grandeur de. la perte qu'on
venait de faire.
70 m juin.
Des miracles s'accomplirent sur le tombeau du bien-
heureux prélat.
(Gonzague, Daza, etc.)
PERE FRANÇOIS DE SOTO
1551. — Pape : Jules III. — Roi d'Espagne : Charles-Quint.
SOMMAIRE : Le Père François accompagne le bienheureux Martin de Valence au
Nouveau-Monde. — Son premier séjour en Amérique. — Retour en Espagne. —
Il tombe malade à Séville, mais, à sa grande joie, recouvre la santé et vient mourir
au milieu des Indiens.
Le Père François de Soto (1) est l'un des douze mission-
naires qui partirent les premiers de la province de Saint-
Gabriel, en Espagne, pour aller à la suite du bienheureux
Martin de Valence annoncer la religion chrétienne au
Mexique. C'était un homme de grande science et de
grande sagesse; il exerça à plusieurs reprises les fonc-
tions de définiteur dans la vaste province du Saint-
Evangile, au Nouveau-Monde. Il visitait pieds nus, par
les chemins mal tracés, à travers les ronces et les brous-
sailles, les couvents placés sous sa direction. Doué d'une
grande éloquence, il provoqua un grand nombre de
conversions, sans cependant avoir connaissance de la
langue mexicaine. 11 aimait tendrement les Indiens, qu'il
protégea, bien souvent au péril de sa vie, contre les vexa-
tions des soldats espagnols.
Après avoir passé un certain temps au Nouveau-Monde,
(I) A la suite de la vie du bienheureux Jean de Zumarraga, nous racontons celle
des hommes apostoliques qui ont travaillé à ses côtés à la grande œuvre de con-
version et de civilisation, sans nous inquiéter du jour précis de leur mort, qui, pour
presque tous, est resté inconnu.
PÈRE FRANÇOIS DE SOTO. 71
il retourna en Espagne, sa patrie, qu'il désirait vivement
revoir avant de mourir. Les Indiens, fort affligés de son
départ, essayèrent de le retenir à Tlascala; il ne parvint
à les consoler qu'en leur promettant de bientôt revenir.
A son arrivée en Espagne, où il avait laissé de profonds
souvenirs, il fut reçu à bras ouverts par Fempereur lui-
même, qui lui accorda tout ce qu'il put lui demander en
faveur de ses chers Indiens. En ce moment on apprenait
précisément en Espagne la mort du bienheureux Jean de
Zumarraga et la vacance de son évèché; Charles-Quint
offrit au Père François de lui succéder sur le siège épis-
copal de Mexico. Il refusa, et resta ferme dans son refus,
en dépit des efforts que l'empereur fit pour en triompher:
il voulait mourir simple frère mineur.
Un moment, il craignit de ne pouvoir tenir la promesse
qu'il avait faite à ses chers Indiens d'aller les revoir avant
de mourir. Il tomba gravement malade à Séville : « Mon
« seul chagrin au moment de quitter cette vie», disait-il,
a c'est de songer que je ne serai pas enterré au milieu de
« mes chers enfants du Nouveau-Monde ».Un riche mar-
chand lui promit de faire transporter ses restes mortels
à Mexico. Mais il devait encore y retourner vivant ; Dieu
avait jugé bon de récompenser son fidèle serviteur en
exauçant le plus ardent de ses désirs : le Père François,
entièrement guéri, se rendit à pied à San-Lucar, pour y
prendre le navire qui devait le conduire en Amérique.
Tous les jours, du point le plus élevé du jardin du cou-
vent, il passait de longs moments à regarder la mer : « 0
« mer », disait- il, « reçois-moi sur tes eaux et porte-moi
« sur l'autre rivage ; que je voie mes Indiens, et j'aurai
« assez vécu » .
72 III JUIN.
C'est en 1550, que le vénérable missionnaire débarqua
sur sa terre de prédilection, apportant avec lui son seul
bréviaire. Ceux qu'il appelait ses chers enfants le reçurent
avec une joie indicible ; ils accouraient de tous côtés
au-devant de lui. Un miracle qui s'accomplit à Tlascala,
pendant qu'il prêchait, accrut encore la vénération qu'on
avait pour lui : une langue de feu paraissant descendre
du ciel s'arrêta au-dessus de sa tête, et y resta tout le
temps que dura son sermon.
Quelques mois plus tard, le Père François fut nommé
définiteur à Mexico; mais il n'exerça pas longtemps cette
dignité: sa dernière maladie l'étreignit à la gorge au
moment même où il allait commencer l'inspection des
couvents. Comme son médecin lui donnait peu d'espoir :
o Du jour où j'ai pris cet habit de religieux », répondit-il,
« je suis prêt à mourir». Il reçut les derniers Sacrements
avec une piété touchante, demanda pardon à ses frères
des offenses qu'il avait pu leur causer, et sa belle âme
alla chercher dans le ciel la récompense qu'elle avait si
bien méritée. Des miracles qui s'accomplirent sur son
tombeau ajoutèrent encore à l'éclat de sa renommée.
(GONZAGUE.)
PÈRE FRANÇOIS .XIMÉNÈS. 73
PÈRE FRANÇOIS XIMÉNÈS
SOMMAIRE : Perfection religieuse de Père François. — Son départ pour l'Amé-
rique. — Ses travaux littéraires. — Conversions qu'il provoque. — Il refuse l'é-
vêché de Tabaseo. — Sa mort.
Père François Ximénès, savant homme, aussi versé
dans le droit romain que dans le droit canon, mena au
sein du monde une vie comparable à celle des plus
austères religieux. 11 reçut l'habit de l'Ordre dans la pro-
vince de Saint-Gabriel, et fit de grands et de rapides pro-
grès dans le chemin de la vertu. Il porta à l'extrême
toutes les vertus religieuses, et fut pour tous ses frères
un modèle de perfection chrétienne. Son humilité était
telle que, pendant son séjour en Espagne, il ne consentit
jamais à se laisser ordonner prêtre.
Il partit avec le bienheureux Martin de Valence, pour
aller enseigner aux Indiens du Nouveau-Monde les vérités
de la foi. A son arrivée à Mexico il fut investi de la dignité
sacerdotale qui lui conférait le droit et le pouvoir de
donner les saints Sacrements aux fidèles, de baptiser, de
confesser et d'absoudre au nom du Seigneur. Il apprit
tout d'abord la langue du pays, pour prêcher avec plus
de facilité et instruire avec plus de fruits. Il composa
même un dictionnaire mexico-espagnol, et écrivit pour
l'usage des Indiens des livres de piété et un catéchisme
mexicain. Ces travaux considérables ne l'empêchaient pas
de parcourir les villes et les villages, et de convertir à la
vraie foi un grand nombre d'Indiens. On l'aimait pour sa
douceur et sa charité, on l'aimait aussi pour la facilité
74 III JUIN.
avec laquelle il parlait une langue que les Espagnols
paraissaient s'obstiner à ne pas vouloir apprendre. Quand
il était fatigué, il visitait les malades et entendait les con-
fessions ; c'était le seul repos qu'il se permît. Des milliers
d'Indiens voulurent être baptisés de sa main ; les idoles
s'écroulaient à sa voix, et dans chaque hameau qu'il
traversait, il laissait derrière lui une église ou une cha-
pelle.
Charles-Quint essaya de lui faire accepter l'évêché de
Tabasco ; il s'y refusa énergiquement : sa seule ambition
était de mourir dans sa robe de frère mineur. Sur la fin de
sa vie, le Seigneur lui fit la grâce de jouir de longues
extases, pendant lesquelles il goûtait la félicité des élus.
Il était complètement abîmé en Dieu, et ses contempla-
tions se prolongeaient quelquefois si longtemps, qu'on
fut obligé de placer auprès de lui un frère chargé de le
prévenir qu'il était temps de prendre quelque nour-
riture.
Quand il eut rendu son âme à Dieu, après une longue
et douloureuse maladie, on l'ensevelit dans le couvent
de Mexico. Le Père Lucas d'Almadobar, qui l'avait assisté
jusqu'à sa mort, lui coupa un doigt avant de le coucher
dans le cercueil ; un an plus tard cette précieuse relique
était encore dans un parfait état de conservation et
répandait un parfum céleste.
(GONZAGUE.)
PÈRE GARCIA S DE CISNEROS. 75
PÈRE GARCIAS DE CISiNEROS
C'est encore en Espagne, dans la province de Saint-
Gabriel, que le Père Gardas de Cisneros prononça ses
vœux. Les vertus, la science et l'affection qu'il avait su
inspirer aux Indiens du Mexique, le firent nommer pre-
mier provincial au Nouveau-Monde. Comme les autres
compagnons du bienheureux Martin de Valence, on
compte par milliers le nombre des conversions qu'il pro-
voqua. Il écrivait ses sermons en mexicain, et les lisait
lui-même en chaire les dimanches et jours de fête; après
sa mort, on les publia et on en répandit parmi les Indiens
de nombreux exemplaires.
C'est par son inspiration qu'il s'éleva à Tlatibulco, avec
la permission de l'archevêque Zumarraga et du vice-roi
du Mexique, un grand collège où les jeunes Indiens ve-
naient apprendre l'espagnol et le latin. Il parcourait sa
vaste province à pied, s'arrêtant pour prêcher et pour
baptiser dans les villages qu'il rencontrait sur sa route,
envoyant à son collège les enfants qui lui paraissaient
les plus intelligents. Il s'opposa avec toute la vigueur
d'une âme droite à la tyrannie indigne exercée par les
Espagnols sur les vaincus ; et il parlait de faire un voyage
en Espagne pour aller plaider auprès de l'empereur la
cause des Indiens, quand le Seigneur le rappela à lui.
Ses restes mortels furent placés dans le couvent de
Mexico, auprès de la dépouille des Pères François de Soto
et François Ximénès, avec qui il avait quitté son pays
pour venir en Amérique travailler au bien des âmes.
(Daza.)
76 III JUIN.
PERE ANTOINE DE CUIDAD-RODRIGO
1553. — Pape : Jules III. — Roi d'Espagne : Charles-Quint.
SOMMAIRE : Zèle apostolique du Père Antoine. — Son austérité et ses vertus
religieuses. — Heureuse influence des Frères Mineurs en Amérique. — Voyage
en Espagne et mort du Père Antoine.
Le Père Antoine de Cuidad-Rodrigo, frère mineur de
la province espagnole de Saint-Gabriel et compagnon du
bienheureux Martin de Valence, fut gardien de plusieurs
couvents dans la province mexicaine du Saint-Evangile,
et succéda au Père Garcia de Gisneros en qualité de pro-
vincial. C'était, selon le mot de son biographe, un miroir
d'austérité, de pauvreté volontaire et d'humilité. Il tra-
vaillait avec une ardeur infatigable à la conversion des
Indiens, prêchant jusqu'à trois fois dans la même ma-
tinée, en différentes langues, offrant le saint sacrifice de
la messe et consacrant le reste de la journée à baptiser,
à entendre des confessions, à visiter les malades, à enter-
rer les morts.
Gependant, malgré des fatigues excessives, il prenait à
peine une nourriture suffisante pour soutenir ses forces ;
il couchait sur la dure avec une pierre sous la tête pour
oreiller ; il marchait nu-pieds, sans sandales, et ne bu-
vait de vin que lorsque sa faiblesse lui en faisait un
devoir. On rapporte que dans le temps où il était gardien
du couvent de Mexico, l'évêque Zumarraga lui envoya
un tonneau de vin d'Espagne, dont les religieux, con-
damnés à l'eau depuis longtemps, devaient avoir grand
besoin. Le Père Antoine renvoya le vin au prélat :
PERE ANTOINE DE CUIDAD-RODRTGO. 77
« Merci », lui écrivit-il, « pour le soin que vous prenez
« de nos frères ; mais je vous en prie, Monseigneur,
« laissez-nous nous mortifier et nous imposer des priva-
« tions, comme il convient aux plus humbles serviteurs
« de Dieu ».
Comme ses compagnons de mission, le Père Antoine
fut un infatigable défenseur des Indiens. Il écrivit en leur
faveur des lettres louchantes qui contribuèrent sans
doute à attirer les sévérités de l'empereur sur leurs
oppresseurs. Quelques historiens ont affirmé, non sans
raison, que si les Frères Mineurs n'avaient pas pris si
chaudement en mains les intérêts des Mexicains, l'Amé-
rique entière aurait été en peu d'années complètement
dépeuplée de ses habitants primitifs, comme les grandes
îles de San-Juan, de la Jamaïque, les Lucayes et d'autres
encore, où déjà à cette époque il était impossible de
trouver un Indien. Beaucoup périssaient dans les mines,
beaucoup se donnaient la mort plutôt que de succomber
lentement sous les coups de bourreaux impitoyables ,
un plus grand nombre se retiraient dans les immenses
forêts vierges où les Espagnols n'avaient pas encore osé
pénétrer. C'est grâce aux efforts sans cesse renouvelés
des Frères Mineurs que l'empereur Charles-Quint publia
les sévères édits qui punissaient de peines rigoureuses et
infamantes les oppresseurs des Indiens. Le rappel en
Espagne, la prison, la confiscation des biens, tels étaient
les châtiments dont on menaçait les coupables. En même
temps l'empereur plaçait dans les principales provinces
du monde des hommes de confiance, revêtus d'une auto-
rité suffisante pour maintenir dans la crainte de la loi
ceux qui seraient tentés de s'en écarter. C'étaient pour la
78 III JUIN.
plupart des frères mineurs ; aimés et estimés des Indiens,
ils transmettaient directement leurs plaintes à la cour
impériale et au conseil des Indes occidentales, qui tou-
jours en tenaient compte. Charles-Quint pria même Père
Antoine de venir en Espagne lui exposer de vive voix
quelle était la situation. II obéit et comparut devant le
souverain, qui lui donna de vives marques de sympathie
et de confiance. De pareils entretiens étaient assurément
plus utiles au bien des Indiens que les plus longues
délibérations de la cour et du conseil des Indes.
A son retour en Amérique, le vénérable Père Antoine
emmenait avec lui quarante frères mineurs, des vêle-
ments sacerdotaux et des ornements d'église. L'empereur
lui avait offert, mais sans pouvoir le lui faire accepter,
un évêché dans la Nouvelle-Galice. Durant trente années
encore, il travailla à la conversion des Indiens, sur qui
les nombreux miracles qu'il avait accomplis lui avaient
donné une grande autorité ; puis, fatigué par l'âge et les
travaux apostoliques, il mourut comme un saint en 1553,
et fut enterré au couvent de Mexico. Ses restes y ont été
longtemps l'objet de la vénération publique.
(GûNZAGUE.)
PERE JACQUES TESTERA
Père Jacques Testera naquit dans le beau royaume
de France, et prononça ses vœux dans la province de
Languedoc. Théologien distingué et très-versé dans les
saintes Ecritures, il pratiquait la règle de l'Ordre Séra-
phique avec une scrupuleuse exactitude, et il semble
PÈRE JACQUES TESTERA. 79
avoir reçu de Dieu le don de la prière et de la contem-
plation.
Il passa au Nouveau-Monde en 4530; trois ans plus
tard, il fut placé à la tête de la custodie qui fut alors for-
mée, et il garda ce poste important jusqu'au moment où
la custodie devint une province. C'est lui qui le premier,
en 1531, alla avec quatre Frères Mineurs porter dans le
grand pays du Yucatan la lumière de la foi. Il y con-
vertit au christianisme et baptisa des milliers d'idolâtres.
Les religieux prêchaient à peine depuis trente ou qua-
rante jours, que déjà les principaux chefs, les caciques et
même les prêtres des tribus indiennes, avaient renoncé à
leurs fausses divinités et proclamé le Dieu des chrétiens.
Ils renversaient eux-mêmes les temples du soleil, bri-
saient leurs idoles, élevaient de leurs propres mains des
églises et des autels ; ils amenaient aux Frères Mineurs
leurs enfants pour les instruire, dès leur jeune âge, dans
la foi catholique. Quand le Père Jacques quitta le pays,
il y avait presque dans chaque village une chapelle et
une école chrétienne.
De là il passa dans le Méchoacan, où ses efforts furent
aussi couronnés de succès.
En 1541, le chapitre général de Mantoue le nomma
commissaire général des Indes occidentales; en cette
qualité, il appela d'Europe bon nombre de missionnaires
qui transformèrent complètement la face de l'Amérique.
Il mourut regretté de tous, honoré comme un saint et
pleuré comme un père, dans un âge très-avancé, et fut
enseveli dans le couvent de Mexico.
(Daza.)
80 NI JUIN
PERE JEAN DE PERPIGNAN
Père Jean de Perpignan naquit en Catalogne. Il est
le premier missionnaire qui traversa l'Océan après les
douze compagnons du bienheureux Martin de Valence.
Doué d'une facilité incroyable pour l'étude des langues,
il apprit en peu de temps la plupart des idiomes du
Nouveau-Monde, et put ainsi convertir un nombre con-
sidérable d'idolâtres. Son ardente charité ne lui laissait
pas un moment de repos. Toujours par monts et par
vaux, il allait chercher jusqu'au fond de leurs forêts les
Indiens qui s'y étaient retirés devant l'invasion espa-
gnole, et, à force de prières et d'éloquence, il les rame-
nait dans leurs villages abandonnés, les baptisait et leur
élevait des églises et des écoles. Presque toutes les tribus
le connaissaient et l'aimaient comme un Père, et quand
il mourut à Mexico, un si grand nombre d'Indiens se
pressaient à ses funérailles que la ville avait peine à les
contenir.
(GONZAGDE.)
PERE ALPHONSE DE ROZAS
Père Alphonse de Rozas , qui s'était acquis en Es-
pagne une grande réputation de science et de vertu , fut
envoyé, en 1531, deCastille au Nouveau-Monde, en qua-
lité de commissaire général des Indes occidentales.
Quand il arriva au poste qui lui était assigné, il fut telle-
ment frappé de la sainteté dos premiers missionnaires,
PÈRE ALPHONSE DE ROZAS. 81
qu'il ne put se résigner à être leur supérieur; il donna
sa démission et vécut auprès d'eux, sous leur direction.
Son histoire est la même que celle de tous ces hommes
apostoliques : tous les jours il convertit et baptise.
Mais moins insensible que ses compagnons au souvenir
de la patrie absente, il ne tarda pas à éprouver un violent
désir de retourner en Espagne. Il était vieux, il était
malade ; il crut pouvoir le faire sans déplaire au Sei-
gneur qui lui avait donné mission de travailler au salut
des âmes, et bientôt la tentation fut si forte qu'il y céda.
Il en fut puni : chaque fois qu'il se mettait en prières, le
Sauveur lui apparaissait cloué sur l'arbre de douleurs, et
il entendait une voix lui dire : « Pourquoi m'as-tu laissé
« sur ma croix, pour prendre un repos que tu n'avais pas
« mérité ?» Le bon Père ne voulut pas braver le cour-
roux divin ; il reprit la mer et revint au Mexique.
Cette fois, il ne fut pas tenté de s'arrêter dans la car-
rière où il était entré. Ses forces, au lieu de diminuer,
paraissaient s'accroître avec l'âge : il était infatigable. A
deux reprises différentes, il fut chargé d'administrer la
nouvelle custodie du Mécuoacan et de Xalisco, qui devint
plus tard une province.
Il mourut, riche de vertus, en 1570, au couvent de
Mexico, après avoir, pendant cinquante-neuf ans, tra-
vaillé à la conversion des Indiens.
(GONZAGUE.)
Palm. Séraph. — Tome VI.
82 III JUIN.
PERE JACOB DE PENNA
Le Père Jacob de Penna, de la province de Saint-
Gabriel, semble dès son jeune âge avoir été appelé par
Dieu lui-même à prêcber la vérité dans les Indes occi-
dentales. Il était encore enfant quand il tomba dans un
puits très-profond, où il resta longtemps sans recevoir de
secours. Sa mère fit vœu de le consacrer à Dieu, si on lui
sauvait la vie, et Jacob, devenu homme, tint la parole de
sa mère : il prit l'habit de frère mineur.
D'une piété exaltée et ardente, il se sentait capable de
convertir le monde. Il apprit très-rapidement la langue
indienne, et put ainsi prêcher, confesser et conquérir des
âmes au christianisme avec beaucoup plus de facilité
que les autres religieux. 11 mourut et fut enseveli au
couvent de Mexico.
(GONZAGUE.)
PERE FRANÇOIS DE LAS-NAUGAS
Ce saint homme reçut l'habit dans la province de l'Im-
maculée-Conception. L'impératrice Isabelle, qui l'avait en
grande estime, l'envoya aux Indes en 4538, avec six autres
religieux. C'est lui qui le premier annonça le Dieu cru-
cifié dans la province de Popoloca;en deux mois, il
baptisa plus de douze mille Indiens. Les conversions
qu'il provoqua pendant les quarante années qu'il vécut
encore, sont presque innombrables.il était déjà parvenu
PERE JEAN DE GAONA. 83
à un âge très-avancé, et il était gardien du couvent de
Jaticulco, quand il mourut à Mexico.
(Daza.)
PERE JEAN DE GAONA
Père Jean de Gaona naquit à Burgos , et prononça
ses vœux dans la province de ce nom. Il compléta ses
études à l'Université de Paris, où il se fit une grande répu-
tation de savant, surtout dans les langues anciennes,
qu'il possédait à fond. Son éloquence attirait à ses ser-
mons une affluence considérable. Il était lecteur au cou-
vent de Valladolid, quand il quitta sa patrie pour les
Indes, en 1638.
Les langues du Nouveau-Monde lui devinrent bientôt
aussi familières que le latin, le grec et l'hébreu. On a
conservé de lui des ouvrages pieux écrits dans un indien
très-pur, et qui ne contribuèrent pas peu à amener des
conversions. Tour à tour gardien et lecteur dans diffé-
rents couvents, il porta partout la même ardeur de pro-
pagande et le même zèle religieux. Quand il avait visité
les pauvres dans leurs demeures et les malades dans les
hôpitaux, il dessinait des plans pour la construction des
routes ; il indiquait sur des cartes les endroits les plus
favorables à l'élévation d'un couvent ou d'une église.
Quelquefois on le trouvait dans sa cellule, plongé dans de
profondes extases; Dieu le récompensait dès cette vie des
efforts qu'il avait faits pour propager sa religion. Il venait
d'être nommé provincial en 4557, quand il perdit la vue.
84 III JUIN.
Désormais il ne quitta plus la solitude de sa chère cel-
lule et s'abandonna entièrement à là vie contemplative.
Ses restes mortels reposent au couvent de Mexico.
(GONZAGUE.)
PÈRE ALPHONSE DE HERREBA
Le Père Alphonse de Herrera prononça ses vœux dans
la province de Saint-Gabriel. Au moment de partir pour
l'Amérique, pris tout à coup d'hésitation, il fut saisi
d'une violente tentation de retourner sur ses pas, et il
essaya même de persuader à ses compagnons que c'était
là le meilleur parti : « Les Indiens », disait il, « ne con-
« sentiront jamais à embrasser la foi catholique ». Mais
ce découragement ne fut pas de longue durée: la prière,
une nuit passée dans la méditation, au pied des autels,
suffit pour lui rendre le courage qui avait failli lui faire
défaut : le lendemain même, il mit à la voile, et depuis
lors il ne voulut plus entendre parler de revenir en
Espagne.
En Amérique, son zèle ne connut pas de bornes. Il
prêchait et catéchisait jour et nuit. Toujours prêt à
prendre contre les Espagnols le parti des Indiens, il sut
gagner l'affection de ces derniers, ce qui lui facilita sin-
gulièrement sa tâche de missionnaire. Sa science dans le
droit canon et son habileté à résoudre les plus difficiles
problèmes de théologie lui donnaient dans les assemblées
du clergé une autorité incontestée. Aussi, quand le bien-
heureux Martin de Valence voulut aller prêcher le chris-
tianisme aux Chinois infidèles, choisit-il pour son com-
JEAN DE GRENADE, ETC. 85
missaire le Père Alphonse deïîerrera. Sa longue carrière,
toute remplie de conversions et de bonnes œuvres, se
termina au couvent de Mexico.
Il serait trop long de raconter l'histoire de tous les vé-
nérables missionnaires qui ont quitté leur pays pour aller
conquérir l'Amérique à la religion chrétienne et travailler
au bien des âmes ; leurs vies, d'ailleurs, se ressemblent
toutes ; on peut les dire en deux mots : ils ont été de nou-
veaux apôtres. Toujours prêts à se sacrifier, ne s'épar-
gnant ni la fatigue, ni la peine, ils ont parcouru à pied
d'immenses étendues de pays et arraché au démon la
moitié, pour ainsi dire, de l'humanité ; leurs restes mor-
tels reposent en paix dans les contrées où ils ont apporté
le salut. C'est Jean de Grenade, deux fois commissaire
général des Indes occidentales; — Jean Fucher, un fran-
çais, docteur de l'Université de Paris, dont ses frères
disaient après sa mort : «Nous voilà plongés dans les
« ténèbres, maintenant que le Père Fucher n'est plus »;
— Antoine de Saint-Jean; — frère Lucar d'Almadobar, qui
eut le don de faire des miracles ; — frère Jean Burnon,
dont la vie fut en quelque sorte une longue extase; —
frère Jean Florès et une foule d'autres bienheureux
dont les noms sont restés inconnus, mais qui ont trouvé
dans le ciel la récompense de leur abnégation, de leurs
bonnes œuvres et de leur courageux dévouement à la
foi.
(Gonzague, Daza, etc.)
8 fi III JUIN-
PERE PAUL JOVIA
1480. — Pape : Sixte IV. — Roi de France : Louis XI.
Le bienheureux Paul Jovia naquit à Lucques, en Italie,
et entra tout d'abord dans l'Ordre des Pères Conventuels.
Après avoir étudié sous la direction du Père François de
Savone, qui devint plus tard pape sous le nom de Sixte IV,
il alla passer quelques années à l'Université de Paris, où
il prit le grade de docteur en théologie. On lui offrait
même une chaire de professeur, il la refusa, pour entrer
dans l'Ordre des Observants, qui venait d'être tout ré-
cemment fondé. Il adopta avec ardeur les réformes qui
rétablissaient la discipline et l'austérité primitives, s'en
lit un propagateur infatigable , l'introduisit dans un
grand nombre de couvents, et en particulier dans le cou-
vent des Conventuels de Lucques, en 1454, où il avait
prononcé ses vœux.
C'est aussi par son conseil qu'une riche veuve, depuis
quelque temps tertiaire, éleva dans la même ville un
magnifique couvent de Clarisses-Urbanistes, qui pouvait
contenir plus de cent trente religieuses.
Le bienheureux Père Paul Jovia, affligé d'une mauvaise
santé, maigre, faible de corps, travaillait cependant au
salut des âmes avec une ardeur infatigable. 11 passait à
juste titre pour un prédicateur éloquent, et ses sermons
ont amené un grand nombre de conversions. Il futà trois
reprises différentes élu provincial de la province de Tos-
cane; son administration ferme et sage ne laissa jamais
LE BIENHEUREUX FRERE CHRISTOPHE CRIVELLUS. 87
un mécontent. Déflniteur général, il aidait de ses conseils
empreints d'une sagesse toute divine les vicaires géné-
raux et les premiers dignitaires de l'Ordre. Il fût arrivé
lui-même aux plus hautes fonctions, si ce n'eût été sa
mauvaise santé qui le rendait incapable de supporter
d'aussi lourds fardeaux.
Il mourut, en 1480, au couvent de Lucques, où ses
miracles et ses vertus lui avaient acquis un grand renom
de sainteté. Son tombeau, dont on avait, oublié l'empla-
cement, fut retrouvé miraculeusement : un habitant de
Lucques, malade depuis longtemps, fut guéri par son
intercession et indiqua l'endroit où il reposait.
(Wadding.)
FRERE CHRISTOPHE CRIYELLUS
1467. — Pape : Paul III. — Roi de France : Louis XI.
Le bienheureux frère Christophe Crivellus naquit à
Milan. Avant de servir Dieu comme religieux, il servit le
souverain Pontife comme soldat, puis comme capitaine.
Une apparition de saint François d'Assise, et les sermons
enflammés de saint Bernardin de Sienne, le décidèrent à
se faire frère mineur. De concert avec l'un de ses frères
d'armes, le bienheureux François de Pavie, capitaine à
l'armée du duc de Milan, il alla trouver saint Bernardin
et lui demanda l'habit de l'Ordre Séraphique pour lui et
pour son ami ; après quelques jours d'épreuves, leur
prière fut écoutée.
Le bienheureux Christophe ne consentit jamais à
88 III JUIN.
être autre chose qu'un frère lai : il prononça ses vœux
dans la province de Toscane et montra bientôt qu'il était
en tous points digne d'être un serviteur de Dieu. Dans
son humble condition, il déploya un zèle de conversion
infatigable. Il s'attacha surtout à combattre les vices ré-
sultant des luttes intestines qui déchiraient alors l'Italie :
l'orgueil, l'avidité, la luxure ; et, pendant toute sa vie, il
prêcha les vertus contraires et en donna lui-même
l'exemple. Humble au-delà de tout ce qu'on peut ima-
giner, pauvre au point de ne posséder qu'une mauvaise
robe et une paire de sandales, il se mortifiait par le
jeûne, les veilles et les coups de discipline. Jamais il ne
laissait à son corps fatigué un moment de repos. Quand
il avait, pendant de longues heures, cultivé le jardin des
Pères, il se livrait à la prière et à la contemplation. Il
méditait de préférence sur la vie et la mort de Nolre-
Seigneur Jésus-Christ, et parfois, au souvenir des souf-
frances du Sauveur, il poussait de si profonds gémisse-
ments et mêmede si grands crisde douleur, que ses frères
effrayés le croyaient gravement blessé ou atteint tout à coup
d'une maladie incurable. Ils accouraient auprès de lui et
ne pouvaient parvenir à le consoler : c'est seulement
quand il avait recouvré ses sens qu'il révélait enfin l'ob-
jet divin de ses lamentations.
Le bienheureux Christophe avait reçu de Dieu le don
d'accomplir des miracles et le don de prédire l'avenir et
de lire au fond des consciences. 11 mourut en 1467, au
couvent de Lucques. Longtemps après sa mort, on re-
trouva son corps dans un parfait étal de conservation.
(Wadding.)
LE BIENHEUREUX LAURENT DE RAPARIEGOS. 89
LAURENT DE RAPARIEGOS
FRÈRE LAI
1517. — Pape : Léon X. — Roi d'Espagne : Charles-Quint.
SOMMAIRE : Vocation religieuse du bienheureux Laurent. — Ses vertus, son
austérité, sa constance dans le travail. — Dieu lut accorde le don de miracle et
de seconde vue. — Guérisons prodigieuses. — Entretien du bienheureux avec les
souverains d'Espagne. — Il prédit la prise de Grenade. — Sa mort et ses funé-
railles.
Le bienheureux Laurent naquit à Rapariegos, en Es-
pagne. Il se rendait au village de Montecho pour s'unir
à une jeune fille qu'il aimait depuis longtemps, quand
tout à coup, touché de la grâce de Dieu, il résolut de
renoncer, comme autrefois saint Alexis, à ses parents et
à sa fiancée, et sans prendre congé de personne au
monde, de peur de faiblir, il s'en fut demander l'habit
de frère lai au couvent d'Arevalo. C'est de là que se ré-
pandit dans toute l'Espagne la renommée de sa sainteté,
de ses miracles et de ses prophéties.
Le bienheureux frère Laurent fut un vrai miroir d'hu-
milité chrétienne et de patience, dans les fonctions de
jardinier et de portier qu'il accomplit pendant toute sa
vie. Il avait au fond du cœur une immense affection pour
les pauvres, qu'il appelait les enfants de Dieu, et qu'il
aidait de son mieux à bien supporter leurs misères. Ja-
mais on ne lui surprit un mouvement d'impatience ou
d'humeur, encore bien moins de colère. Toujours
actif, il ne s'arrêtait qu'une heure au milieu du jour
pour prendre du repos, et, jusqu'à la nuit, il culti-
90 III JUIN.
vait les légumes et soignait le jardin des Pères. Le soir
venu, il allait veiller dans la chapelle jusqu'aux matines,
ou bien il s'agenouillait sur les tombeaux des morts et
priait pour le repos de leurs âmes. Après les matines, il
dormait deux heures, et à cinq heures, il sonnait la pre-
mière messe. Il avait reçu de Dieu le don des larmes; ses
supérieurs étaient souvent obligés de l'interrompre
quand il faisait au réfectoire la lecture prescrite par la
règle, parce qu'il sanglotait si fort qu'on ne pouvait plus
l'entendre. Souvent aussi on le trouvait absorbé dans de
célestes contemplations et perdu dans de profondes ex-
tases, où il trouvait déjà un avant-goût des éternelles
jouissances des élus. Non-seulement les religieux du
couvent, mais encore les personnes du monde l'ont vu
plus d'une fois soulevé de terre dans un rayon de lu-
mière, le visage resplendissant, les yeux et les bras levés
vers le ciel, dans l'attitude d'une muette adoration.
Dieu permit à son fidèle serviteur d'accomplir en son
nom un grand nombre de miracles. Un jour, dans le
jardin du couvent, un malheureux frère mineur eut la
tête fracassée par la chute d'un grand arbre, et la bles-
sure était si affreuse à voir qu'on ne lui donnait plus que
quelques instants à vivre. Frère Laurent le releva, rap-
procha les morceaux du crâne fendu, fit sur lui le signe
de la croix, et le moribond se rendit à la chapelle, entiè-
rement guéri, pour y rendre grâces à Dieu.
Un pauvre ouvrier dont le mulet s'était noyé en pas-
sant une rivière, vint conter ses chagrins au gardien du
couvent et lui demanda de permettre à frère Laurent de
l'accompagner jusqu'à l'endroit où gisait son unique
richesse et son meilleur ami. Le supérieur y consentit :
LE BIENHEUREUX LAURENT DE RAPARIEGOS 91
il donna l'ordre au saint homme d'accompagner le mal-
heureux et de lui obéir comme à Dieu lui-même ; on
retira le mulet qui était au fond de l'eau depuis plus
d'une heure, et on le trouva plein de vie.
Une autre fois, ce fut le bon frère lui-même qui fut en
danger de mort et qui ne fut sauvé que par l'intervention
divine. Il était à genoux au pied du vieux mur de son
jardin, absorbé dans la lecture de ses prières, quand tout
à coup un grand pan de muraille se détacha et l'ensevelit
sous ses ruines : personne n'avait été témoin de l'acci-
dent. Trois jours après, les religieux émus de sa dispari-
tion, eurent l'idée de le chercher sous cet amas de dé-
combres. Aux premiers coups de pioche, ils entendirent
la voix de frère Laurent qui leur disait : « Prenez bien
« garde à votre besogne, et faites en sorte de ne pas me
«blesser», et au bout de quelque temps il mettait le
pied hors de ce tombeau où il avait été enterré vivant.
Le bienheureux eut aussi le don de seconde vue et de
prophétie. C'est ainsi qu'il annonça aux religieux la
mort du bienheureux Jean Hortulanus , au moment
même où il rendait son âme à Dieu dans le couvent de
Salamanque.
La grande réputation de Laurent pénétra jusqu'à la
cour de Ferdinand et d'Isabelle, et les pieux souverains
résolurent d'aller lui faire visite pour lui demander ses
prières et ses conseils. Ils vinrent donc incognito au cou-
vent et tirent appeler le saint homme, sans avoir révélé
à personne leur qualité. Mais lui les reconnut tout
d'abord : « Sire », dit-il au roi, « pourquoi voulez-vous
« tromper votre humble serviteur », et il donna aux souve-
rains de l'Espagne des conseils dictés par la sagesse divine,
92 III JUIN.
puis il leur prédit la mort prochaine du prince Jean,
leur fils et l'héritier de leurs couronnes. La reine fut
saisie d'admiration et de respect: « L'esprit de Dieu est
« avec cet homme », dit-elle, « et avec l'Ordre de Saint-
es François tout entier » ; elle fonda des couvents de
Frères Mineurs dans douze villes différentes de son
royaume, et elle déclara de vive voix à ses parents et
aux princes de la cour qu'elle entendait être ensevelie
dans la robe des sœurs franciscaines. Depuis cette époque
elle alla souvent faire visite au saint homme, et quand
elle était trop éloignée du couvent, elle demandait de
ses nouvelles par écrit, soit à lui-même, soit au Père
gardien. Un jour elle reçut de lui cette réponse : « Dieu
« veille sur votre Majesté 1 » et la lettre portait pour sus-
cription : « A Isabelle, reine de Grenade ». Quelques
années plus tard, les armées d'Aragon et de Castille
entraient en effet dans la dernière capitale des Maures
espagnols.
Le bienheureux Laurent faisait partie de l'Ordre depuis
soixante ans, lorsque Dieu lui annonça sa mort prochaine
un jour que, selon son habitude, il était en contempla-
tion devant le saint Sacrement exposé sur l'autel. Il reçut
cette nouvelle avec joie, et peu de jours après il se mit
au lit pour ne plus se relever. Les plus illustres person-
nages de la cour et les princesses d'Espagne vinrent
pleurer à sou chevet. Pour lui, l'âme reposant dans un
calme infini, il reçut pieusement le saint Viatique et
l'Extrême-Onction, et s'endormit dans le Seigneur en
1517.
Tous les habitants d'Arevalo accoururent au couvent, à
la nouvelle de sa mort, pour se procurer, s'il était pos-
PÈRE FRANÇOIS DE BRESGIA. 93
sible, quelque précieuse relique. On l'ensevelit sous le
maître-autel, et une plaque de marbre rappela le souvenir
de ses vertus et des miracles qu'il avait accomplis.
(Daza et Marc Ulyssip.)
QUATRIEME JOUR DE JUIN
PÈRE FRANÇOIS DE BRESGIA
a
1523. — Pape : Adrien VI. — Roi de France : François I°r.
Le Père François, qui naquit en 1460, à Brescia, en
Italie, servit, dès sa jeunesse, le Seigneur, dans l'Ordre
Séraphique, avec une extrême piété. Sa modestie, son
humilité, ses prières, son amour de Dieu et du prochain
faisaient l'admiration des plus vénérables religieux.
Devenu prêtre, il confessa le plus qu'il lui fut possible,
persuadé que c'est au tribunal sacré de la pénitence que
le représentant de Jésus-Christ sur la terre a le plus
d'autorité sur les âmes. Il éprouva souvent d'amères dé-
ceptions et versa des larmes amères, en voyant avec
quelle incroyable légèreté des pénitents peu contrits s'oc-
cupaient de la grave question de leur salut. En revanche
il eut aussi plus d'une fois le bonheur de ramener au
bercail des brebis égarées.
Il se fit le père des pauvres, qu'il ne laissa jamais dans
le besoin, tant qu'il y eut au couvent un peu d'argent et
un peu de pain. Sur la fin de sa vie, il demanda à ses
supérieurs et obtint d'être envoyé dans la province de
94 IV JUIN.
Saint-François, où la iègle était, mieux que partout ail-
leurs, pratiquée dans sa pureté primitive. Il était aumô-
nier des Clarisses de Foligno, quand il mourut en 1523 :
il était âgé de soixante-trois ans.
(Wadding )
FRERE DIMCE DE MURGIE
1505. — Pape : Jules II. — Roi d'Espagne : Ferdinand le Catholique.
Didace de Murcie fut d'abord soldat. Mais l'ardente
piété dont son âme était enflammée ne lui permit pas de
rester longtemps dans le métier des armes, et il entra de
bonne heure dans l'Ordre Séraphique. Quand il fut admis
à prononcer ses vœux, bien que ses supérieurs le trou-
vassent digne d'être prêtre, il ne consentit jamais qu'à
revêtir l'humble robe de frère lai. C'est dans cette mo-
deste condition qu'il donna aux autres religieux l'exemple
de toutes les vertus : la chasteté, la pauvreté, la sainte
obéissance. Quand il assistait le prêtre pendant la messe,
sa figure était celle d'un Ange. Si, dans ses tournées pour
recueillir des aumônes, il rencontrait une croix sur son
chemin, il s'oubliait parfois jusqu'à prier au pied pen-
dant des heures entières.
Il mourut saintement, en 1503, dans un couvent situé
à deux lieues de Murcie, et des miracles qui s'accompli-
rent sur son tombeau ajoutèrent encore à l'éclat de sa
renommée.
(Daza.)
PÈRE FRANÇOIS D'ORDONNEZ. 95
FRERE MICHEL BOBAS
Le martyrologe de l'Ordre inscrit aussi au quatrième
jour de juin le souvenir de frère Michel Boras, dont la
vie s'écoula dans de pieuses pratiques, au couvent de
Bénicarlon, dans la province de saint Jean-Baptiste. •
(Daza.)
PERE FRANÇOIS D'ORDONNEZ
1612. — Pape : Paul V. — Roi d'Espagne : Philippe III.
Père François d'Ordonnez repose , comme frère
Michel Boras, dans les caveaux du couvent de Bénicarlon.
Il commença par être soldat : une nuit, pendant l'expé-
dition de Portugal, son sommeil fut agité par des rêves
affreux. Il lui sembla que les démons mettaient son âme
en pièces et la jetaient dans des fournaises ardentes. C'est
qu'en effet, comme la plupart des batailleurs de cette
époque, il n'avait pas la conscience tranquille, il avait un
peu pillé, un peu massacré des gens sans défense, un
peu mis à mal le pauvre monde, qui n'en pouvait mais.
En s'éveillant il résolut de changer de vie ; dans le voi-
sinage du lieu où il campait se trouvait une chapelle
consacrée à la très-sainte Vierge, il y courut, y resta en
prières jusqu'au soir, et en sortit décidé à demander
l'habit de l'Ordre Séraphique.
Il prononça en effet ses vœux au couvent de Bénicarlon,
5)6 V JUIN.
et ne tarda pas à donner l'exemple de toutes les vertus.
Aussi humble qu'il avait été superbe, aussi soumis qu'il
avait été orgueilleux, il racheta par sa piété, sa pauvreté,
son obéissance à la règle, toutes les fautes de sa vie passée.
Il visitait les malades et recueillait dans tout le voisinage
des aumônes qu'il portait lui-même aux pauvres. Gardien
du couvent de Bénicarlon, on lui attribue le miracle de
la multiplication des pains. Ce qu'il y a de certain, c'est
qu'il étendit et doubla presque le monastère. Il fit re-
construire la chapelle et creuser le caveau qui devait
contenir la dépouille mortelle des religieux : « C'est moi » ,
dit-il aux Frères, <j qui habiterai le premier cette de-
« meure ». Sa prédiction ne tarda pas à se réaliser; il
mourut en 1612, à l'âge de trente-trois ans; il y avait dix
ans qu'il était entré en religion. Son corps, enseveli dans
le caveau qu'il avait creusé, y resta longtemps dans un
parfait état de conservation.
(Ex Chron. Prov. S.-Joan.-Bnpt.)
CINQUIEME JOUR DE JUIN
PACIFIQUE DE CERANO
1482. — Pape : Sixte IV. — Roi de France : Louis XI.
SOMMAIRE : Jeunesse du bienheureux Pacifique. — Elevé par les Bénédictins, il
entre daris l'Ordre de Saint-François. — Ses vertus et sa science. — Sa mort et
sa béatification.
Le bienheureux Pacifique naquit à Cerano, près de
Pavie, en Italie. Sa jeunesse fut fort éprouvée : il n'était
LE BIENHEUREUX PACIFIQUE DE GERANO. 97
encore qu'un enfant, quand une peste qui ravagea tout
le pays lui enleva son père, sa mère, et le laissa seul au
monde. Les Pères Bénédictins du couvent de Saint-Jérôme,
à Novare, le recueillirent et relevèrent. Comme il avait
en lui le germe de toutes les vertus, il ne leur fut pas
difficile d'en faire un pieux serviteur de Dieu. Malheu-
reusement le supérieur du couvent, qui l'aimait avec
tendresse, vint aussi à mourir, et le jeune homme se
trouva de nouveau abandonné à l'affection un peu banale
des bons Pères. Il lui restait le ciel; il résolut de se con-
sacrer au Seigneur, et après une mûre délibération en
présence des autels, il remercia ses bienfaiteurs, les
Bénédictins, des bons soins dont ils l'avaient entouré, et
les quitta pour entrer dans l'Ordre plus sévère de Saint-
François.
Son noviciat terminé, il prononça ses vœux. Doué d'une
piété ardente, mais en même temps d'une activité d'esprit
infatigable, il ne se contenta pas de la vie contemplative,
où son âme cependant trouvait de grands charmes ; il se
livra à l'étude des livres saints et acquit bientôt une
science profonde des choses de la théologie. Il s'en servit
pour travailler, parmi les hommes, à la glorification du
Seigneur. Il expliquait les textes sacrés avec éloquence,
et les commentait comme un autre saint Paul.
D'une grande dévotion à la très-sainte Vierge, il s'ef-
força de propager son culte parmi les hommes et fonda
en son honneur une confrérie qui eut une chapelle
particulière. Il provoqua d'ailleurs l'élévation d'un cer-
tain nombre de couvents, dont il fut souvent le premier
gardien. On a conservé de lui plusieurs ouvrages impor-
tants, entre autres une Somme théologique et philoso-
Palm. Séraph. — Tome VI. 7
98 V JUIN.
phiqne à la fois, que l'on appela de son nom : Summa
pacifica.
Mais avant d'être un savant et un docteur de l'Eglise,
le bon Père était un pieux et humble moine de Saint-
François. Si ses sermons ont eu dans toute l'Italie une
aussi favorable influence, c'est qu'il donnait lui-même
l'exemple de toutes les vertus : aussi fut-il envoyé dans
l'île de Sicile, en qualité de commissaire, par le général
de l'Ordre.
C'est .là qu'il mourut, à Sassaro, en 1482, dans la cin-
quante-huitième année de son âge, comme il l'avait
annoncé lui-même quelque temps auparavant à un vé-
nérable religieux, son ami. Les habitants de Cerano
réclamèrent ses précieux restes, qui leur furent rendus;
ils lui élevèrent un tombeau magnifique, avec une cha-
pelle desservie par un frère mineur : la tête séparée du
tronc fut conservée dans l'église paroissiale de la ville.
Des miracles s'accomplirent sur le lieu de sa sépulture. Le
pape Benoît XIV béatiQa le vénérable Pacifique et permit
de célébrer sa lête, dans l'Ordre Séraphique, le cinquième
jour de juin.
(Wadding.)
AUTRES RELIGIEUX
DE LA PROVINCE DE MILAN
En 1520, le bienheureux Père Christophe, issu d'une
illustre famille du Milanais, mourut au couvent de Vige-
vano, non loin de Cerano. Il est célèbre pour la sainteté
LE BIENHEUREUX PÈRE SÉRAPHIN DE CASTIGLIONE. 99
de sa vie et son zèle apostolique. Au commencement du
dix-septième siècle, ses restes mortels furent tirés du
caveau commun et placés dans la chapelle de Saint-Ber-
nardin. Beaucoup de miracles s'accomplirent sur son
tombeau, que la piété des fidèles couvrit d'un nombre
considérable d'offrandes en or et en argent.
(Daza.)
Le couvent de Lodi renferme les reliques du bienheu-
reux Père Léon Palatin, qui fut pendant vingt-quatre
ans évêque de cette ville. Il mourut en grand renom de
sainteté, l'an 1343.
(GONZAGDR.)
Les bienheureux Pères Damien de Padoue et Louis
Biasson passèrent leurs jours au couvent de Modoëtia. Ils
furent célèbres tous deux pour l'éloquence de leurs ser-
mons et la sainteté de leur vie. Le corps du dernier, long-
temps placé dans une chapelle particulière, a été ensuite
enseveli au pied du maître-autel.
(GONZAGOE.)
Un autre vénérable religieux, dont la vie fut angélique,
d'une grande science et d'un zèle infatigable pour la
propagation de la foi, le bienheureux Père Séraphin de
Castiglione, mourut en 1460, dans le couvent des Saints-
Anges, à Milan. Des miracles éclatants s'accomplirent sur
son tombeau.
(Wadding.)
100 V JUIN.
Le bienheureux Père Antoine de Verceil, prédicateur
apostolique, provoqua dans différentes villes d'Italie un
grand nombre de conversions par ses sermons éloquents.
Il est aussi célèbre par la vaste étendue de sa science que
par l'ardeur de son zèle à conquérir les âmes à Dieu. La
mort le surprit en 1480, dans la ville d'Orviéto, pour
ainsi dire au milieu d'un sermon. Ses compagnons vou-
laient ramener à Milan ses restes mortels ; mais les habi-
tants d'Orviéto s'y opposèrent et obtinrent qu'il serait
enseveli dans le couvent des Frères Mineurs de leur ville.
La piété des fidèles, reconnaissante des miracles qui
s'accomplirent par son intercession, décora son tombeau
d'une multitude d'ex-voto.
(GONZAGCE.)
Le bienheureux Michel de Carcano reçut l'habit de
frère mineur au couvent de Côme. Sa vie ne fut pas
d'abord exemplaire; il fut même assez longtemps, par
l'intempérance de son langage, un objet de scandale pour
ses frères ; mais les reproches de saint Bernardin de
Sienne et du bienheureux Albert deSartiano, eurent sur
cette nature un peu grossière une favorable influence, et
dès lors il donna l'exemple de toutes les \ertus.
D'une intelligence rebelle à la culture, il était, en re-
vanche, d'une persévérance opiniâtre, et ne reculait devant
aucun effort quand il s'agissait du salut d'une âme et de
la gloire de Dieu. Il a prêché avec succès dans la plupart
des villes d'Italie : une bulle du pape Sixte IV l'appelle
même un prédicateur éloquent. Sa parole était claire,
sans ambages, allant droit au but; il étonnait par des
mots d'une crudité un peu âpre, qui retentissaient à
LE BIENHEUREUX VINCENT DE CÔME. 101
l'oreille des pécheurs comme des coups de tonnerre.
Comme il n'évitait pas de citer des noms propres, il se
fit, surtout dans le Milanais, un assez grand nombre
d'ennemis ; mais il s'inquiétait peu de ce que les hommes
pensaient de lui, et ne songeait qu'à être agréable à
Dieu.
Il fut le confesseur de Blanche-Marie de Sforce, et l'as-
sista à ses derniers moments, en dépit du Père Ange de
Chivasso, vicaire général des Observants, qui intriguait
auprès du duc pour obtenir cet honneur. Le cardinal
Jacques Piccolomini, évêque de Pavie, l'honorait comme
un saint et se faisait gloire de son amitié. De concert avec
le bienheureux Bernardin de Feltre, il décida les habitants
de Milan à élever un hospice aux pauvres malades ; c'est
encore lui qui fit élever à Côme l'hôpital de Sainte-Anne.
Il mourut en odeur de sainteté à Côme, l'an 4485, et
les bourgeois de la ville, qui avaient pour lui le plus
grand respect, placèrent son portrait, entouré d'une au-
réole, dans leur église paroissiale. Sa tête est encore pré-
cieusement conservée à Lodi, dans la province de Milan,
qu'il avait administrée avec beaucoup de sagesse.
(Wadding.)
Le couvent des Frères Mineurs de Côme conserve aussi
les précieux restes du bienheureux Vincent de Côme,
descendant de la noble famille des Rusci, et qui fut con-
verti par les sermons de saint Bernardin. Le Seigneur, en
récompense de ses vertus, lui accorda le don des miracles
pendant cette vie et après sa mort, qui eut lieu en 1460.
Au milieu de l'biver, un rosier fleurit tout à coup auprès
102 V JUIN.
de son tombeau. Son portrait, entouré d'une auréole, est
aussi placé dans une église de Côme.
(Wadding.)
Le bienheureux Michel naquit à Milan. La sainteté de
sa \ie, l'éloquence passionnée de ses sermons et sa dou-
ceur à l'égard des pécheurs lui attirèrent une foule de
pénitents, dont il eut le bonheur de ramener la plupart
dans la bonne voie. Dieu récompensa son zèle en lui per-
mettant d'accomplir des miracles. Ses supérieurs avaient
la plus grande confiance dans sa science profonde et dans
sa sagesse, et quand il fallut veiller sur les nouvelles
provinces de l'Autriche, de la Pologne et de la Bohême,
que venait de réformer saint Jean de Capistran, Père
Michel fut désigné d'une voix unanime comme inspec-
teur général.
Il mourut en 1490, à Milan, au couvent des Saints-
Anges, et les nombreux miracles qui s'accomplirent après
sa mort sur son tombeau ajoutèrent encore à l'éclat de
sa renommée.
(GONZAGUE.)
Le couvent de Notre-Dame-de-la-Foi, àMilan, a vu vivre
et mourir les bienheureux Pères Anselme de Milan, reli-
gieux d'une austérité digne des anciens temps, et Laurent
Bagnacavallo, prédicateur illustre, en grand renom de
sainteté parmi ses contemporains. Leurs corps, demeurés
dans un parfait état de conservation, sont ensevelis dans
la sacristie du couvent.
fMARC Ulys.)
LE BIENHEUREUX FRÈRE PAÏEN T0RN1ELLUS. 103
En 1478, les bienheureux Thomas Caccia et Matthieu
Nolius, tous deux issus de nobles familles du Milanais,
rendirent l'âme au couvent de Novare. Ils avaient été
tous deux disciples de saint Bernardin de Sienne ; leurs
corps reposent côte à côte dans la chapelle de Saint-Fran-
çois, et ont été l'occasion de beaucoup de miracles.
(GONZAGUE.)
Le bienheureux frère Païen Torniellus, du Tiers Ordre,
naquit à Novare, d'une famille illustre. Sa jeunesse fut
orageuse, et son père, un vrai chrétien, désespérait de
l'amener jamais au bien ; mais, au grand étonnement de
tous et à la grande joie de ses parents, il changea tout à
coup de conduite, se montra profondément détaché des
vanités de la terre et des plaisirs mondains, et donna
l'exemple de la plus sévère austérité. Son ardente charité,
sa compassion aux maux d'autrui, son zèle infatigable à
soulager toutes les misères, lui valurent l'estime et l'ad-
miration de ses contemporains. Un grand nombre d'hô-
pitaux s'élevèrent à son instigation.
La peste le surprit et le tua pendant un pèlerinage qu'il
était allé faire à Assise, au tombeau du saint patriarche
François, en 1478. Sa toute-puissante intercession dans
le ciel paraît avoir eu surtout le pouvoir de détourner le
fléau de la peste ; c'est pourquoi les habitants de Novare
placèrent, en 1529, un autel sous son invocation.
(Wadding.)
104 V JUIN.
PERE JEAN GRAY
MARTYR
1579. _ pape : Grégoire XIII. — Roi de France : Henri III.
SOMMAIRE : Le Père Jean Gray entre dans l'Ordre Séraphique. — Persécution
des Gueux. — Martyre du Père Jean. — Ses funérailles.
Le bienheureux Jean Gray se consacra au Seigneur dès
son enfance, et fut tout d'abord chanoine à Anderlecht,
près de Bruxelles. Il avait quitté l'Ecosse, sa patrie, pour
éviter les persécutions que les Huguenots exerçaient alors
contre les catholiques. Après avoir en vain tenté d'y ren-
trer, il distribua aux pauvres tous ses biens en argent et
en terre, et vint demander l'habit de frère mineur dans
la province de Brabant.
Il y vécut saintement, dans la pratique de la pauvreté,
de l'obéissance et des autres vertus chrétiennes ; Arnold
de Raisse, un martyrologue, le place au nombre des pieux
personnages qui honorent le plus les Pays-Bas. Mais il ne
trouva pas dans son couvent solitaire la paix qu'il y était
venu chercher; les Gueux, qui détestaient les fils spiri-
tuels de saint François, à cause du zèle avec lequel ils
défendaient la religion catholique, renversaient leurs
monastères, pillaient et brûlaient leurs églises, et souvent
n'épargnaient même pas leur personne. Le couvent du
Père Jean Gray ne fut pas épargné ; heureusement les
religieux, avertis par un fidèle de l'arrivée des hérétiques,
eurent le temps d'emporter le saint Sacrement et les vases
sacrés, et de s'enfuir par des chemins détournés. Seul le
PÈRE JEAN GRAY, MARTYR. 105
Père Jean demeura; son grand âge ne lui permettait pas
d'accompagner ses frères. Il alla s'agenouiller dans la
chapelle, et, comme une victime prête pour le sacrifice,
il attendit en priant l'arrivée des bourreaux. Ils ne tar-
dèrent pas à arriver : les portes cédèrent sous leurs coups
redoublés, et ils envahirent le couvent comme une mer
en furie. Quand ils trouvèrent le Père Gray au pied de
l'autel, trompés par son grand âge et son aspect véné-
rable, ils le prirent pour le gardien et lui demandèrent
avec des menaces où il avait caché l'argent et les objets
en or et en argent qui servaient aux cérémonies du culte.
En même temps, ils lui crachaient au visage et lui don-
naient des soufflets. Le saint homme ne répondit pas ; il
ne murmura que ces mots : « Seigneur, je remets mon
a âme entre vos mains », et presque aussitôt il reçut le
coup mortel, le 5 juin 1579. Le portier du couvent, qui
n'avait pas eu le temps de prendre la fuite, fut massacré
sur son cadavre.
Après le départ des assassins, les habitants de la ville
vinrent recueillir les corps des deux martyrs et leur
firent de magnifiques funérailles.
Ce fut une sanglante époque pour les serviteurs de Dieu
dans les Pays-Bas, que le temps où s'établit la domination
des Gueux. Une foule de prêtres séculiers et de religieux
de tous les Ordres succombèrent sous leurs coups. Les
Frères Mineurs en particulier arrosèrent de leur sang cette
terre de martyrs ; il ne resta pas debout un seul de leurs
couvents, et des milliers d'entre eux furent massacrés au
pied des autels, pendus, décapités ou brûlés vifs. Puisse
Dieu pardonner à leurs bourreaux !
(Ex Barezzo.)
106 V JUIN.
PÈRE PIERRE D'ARAGON
1380. — Pape : Urbain VI. — Roi de France : Charles V.
SOMMAIRE : Illustre origine du bienheureux Pierre, et grandeur de sa famille. —
Après la mort de sa femme, il entre dans l'Ordre de Saint-François. — Son rôle
dans la chrétienté. — Ses vertus, — Sa mort. — Bérenger d'Aragon.
Pierre d'Aragon, issu de Jacques II, roi d'Aragon, et de
Blanche, fille de Charles Ier, roi de Naples et de Sicile, et
sœur de saint Louis, évêque de Toulouse, a été célèbre
dans l'Ordre de Saint-François par ses vertus et sa sain-
teté plus encore que par l'éclat de son origine. Jeune
encore il épousa la princesse Jeanne, sœur du comte de
Foix, dont il eut quatre enfants : Alphonse, connétable
de Castille, comte de Dénia et de Ripacorta, marquis de
Villena, duc de Gandie, et premier prince du sang après
la mort du roi Martin ; Jean, comte de Prato, sénéchal
et grand-maître de la maison du roi, en Catalogne ;
Jacques, cardinal-archevêque de Valence ; et Léonora,
qui épousa Pierre de Lusignan, comte de Tripoli, en
Syrie, fils et héritier du roi de Chypre. Son frère Jean
était archevêque de Tolède et patriarche d'Alexandrie.
Le prince lui-même fut élevé aux plus hautes dignités
du royaume ; le roi Pierre IV, son neveu, qui avait pour
lui la plus grande estime, le nomma amiral de sa flotte
et généralissime de ses armées de terre, pendant la
guerre qu'il fit à Jacques, roi de Majorque, et plus tard
vice-roi de Catalogne, de Valence et d'Aragon. En 1357,
il dirigea une nouvelle expédition contre Pierre, roi de
Castille, qui se préparait à attaquer l'Aragon.
LE BIENHEUREUX PÈRE PIERRE I)' ARAGON. 107
Mais ces honneurs dont on le couvrait ne suffisaient
point à satisfaire son grand cœur; il avait hâte d'être
délivré du monde pour se consacrer à Dieu ; et soir et
matin il priait le Seigneur de l'aider à accomplir ses
projets. Un jour le Père Bernard Bruno, autrefois pro-
vincial d'Aragon, et le saint évêque Louis, son oncle, lui
apparurent, avec quelques autres frères mineurs, au mi-
lieu d'une lumière éblouissante, et lui donnèrent au
nom du Très-Haut l'ordre de faire son salut sous la règle
de Saint-François. Quelque temps après, le prince par-
tageait entre ses trois fils ses titres et ses domaines, et sa
femme étant venue à mourir, il alla recevoir l'habit de
l'Ordre Séraphique, en 4358, au couvent de Barcelone,
où se pressaient pour la circonstance les seigneurs, les
évoques et les prélats du royaume. Le saint Père abrégea
la durée de son noviciat.
Devenu par ses vœux un humble fils de Saint-François,
le prince oublia les dignités et les honneurs dont il avait
été comblé, pour servir Dieu aussi pieusement que le
dernier des religieux. Pauvre, soumis à la règle, obéis-
sant à ses supérieurs, d'une piété austère et rigide, il
donnait à ses frères l'exemple de toutes les vertus.
Comme il consacrait une grande partie de son temps à
l'étude des saints livres, il ne tarda pas à avoir une con-
naissance profonde des questions de la théologie et des
dogmes de la religion. Il écrivit quelques ouvrages re-
marquables, et ses sermons furent longtemps cités comme
des modèles de science et d'éloquence.
Le Seigneur trouva bon de récompenser la fidélité de
son serviteur par d'importantes révélations sur les
graves questions qui agitaient alors la chrétienté. Quand
108 V JUIN.
Urbain V fut porté, en 1362, au souverain Pontificat, Jésus
lui-même apparut au bienheureux Pierre et lui com-
manda d'aller porter au nouveau pape ces paroles : « Il
« plaît à l'Eternel que le premier de ses serviteurs sorte
« d'Avignon et retourne à Rome ». Pierre obéit, et quel-
que temps après, Urbain V quittait Avignon et rentrait
dans la ville du prince des Apôtres. Il s'arrêta chemin
faisant dans les couvents de Corneto, de Tuscanella et de
Viterbe, où l'attendaient les députés romains, l'ambassa-
deur de l'empereur, celui du roi de Hongrie et celui de
la reine de Sicile, avec les principaux seigneurs italiens.
Trois ans plus tard, le pape, étant retourné à Avignon
malgré les avertissements du Père Pierre, y mourut dans
l'exil et dans la solitude.
Les pontifes qui succédèrent à Urbain V, témoignèrent
au bienheureux Pierre la plus grande estime, Grégoire XI
en particulier lui confia d'importantes missions, entre
autres, le rachat des malheureux chrétiens d'Aragon, de
Valence et de Majorque, réduits en esclavage par les
Maures d'Afrique.
Ce saint homme mourut en 1380, à Valence, en Es-
pagne. Ses restes mortels, enfermés dans un cercueil
de plomb, furent placés dans une chapelle magnifique
élevée par les soins de la famille de Cordona.
Un des proches parents du bienheureux, Bérenger
d'Aragon, frère mineur, travailla avec succès à la conver-
sion des hérétiques de la Bosnie et de la Russie.
W'ADDiNG.)
LE BIENHEUREUX RÉGINALD D'ORSAIA. 109
LE BIENHEUREUX RÉGINALD D'ORSAIA
1450. — Pape : Nicolas V. — Roi de France : Charles VII.
SOMMAIRE : Le Seigneur indique par un miracle l'emplacement du couvent de
Noie. — Vertus du bienheureux Réginald. — Sa dévotion. — Miracles accomplis
en sa faveur. — Sa mort.
Lorsque Raymond Ursini, prince de Salerne et comte
de Noie, restaura à Noie l'église de Saint-Laurent et
voulut élever dans le voisinage un couvent de Frères
Mineurs, le lendemain même du jour où l'on commença
les travaux, une main invisible renversa les murs à peine
sortis des fondations. En même temps les ouvriers qui
tiraient d'une montagne voisine la pierre nécessaire à
l'édifice, trouvaient une grande statue d'airain au milieu
de la carrière. On comprit que Dieu désignait par ce
prodige l'endroit où il voulait voir construire le nouveau
couvent ; et, peu de temps après, il s'élevait en effet sur
les flancs de la colline.
C'est là que reposent les restes du bienheureux Régi-
nald, frère lai, né à Orsaia, dans le royaume de Naples.
Il était cuisinier du couvent, et dans cette modeste con-
dition, il ne cessa pas un moment d'être un modèle de
de vertu religieuse. Il est vrai que ses frères eurent quel-
quefois à s'en plaindre : sa piété l'absorbait si bien qu'il
en oubliait sa cuisine. Depuis la première messe jusqu'à
l'heure du repas, il restait à la chapelle, assistait le prêtre
pendant le sacrifice, et s'agenouillait ensuite, pour prier,
dans le coin le plus obscur : « Vous ne voulez donc nous
« nourrir que de messes et d'Ave Maria », lui disait un
HO V JUIN.
jour le gardien. — « Dieu y pourvoira, mon Père », ré-
pondit le saint homme ; « laissa-t-il jamais ses enfants
« au besoin? » En effet, au momenf même où la cloche
appelait les religieux au réfectoire, quand la plupart s'at-
tendaient à se trouver en face d'assiettes vides, les plats
fumaient et répandaient dans la salle une odeur appé-
tissante. On n'avait pas vu le bon frère à la cuisine, mais
Dieu, selon ses paroles, avait pourvu à la nourriture de
ses serviteurs.
Réginald mourut en 1450, dans un âge très-avancé.
Il fut d'abord enseveli dans le caveau commun ; mais en
4486, à la demande des habitants de Noie, le provincial
lui fit donner une sépulture particulière.
(Marc Ulyssip. et Gonzagoe.)
PIERRE DE COMPOSTELLE
DU TIERS ORDRE
SOMMAIRE : Fondation miraculeuse d'un couvent par le saint Père François. —
Vie solitaire du bienheureux Pierre de Compostelle. — Ses deux ermitages. — Il
vient mourir au couvent de Robledillo.
Saint François, traversant l'Espagne pour aller en Syrie
prêcher aux Turcs la religion chrétienne, se reposa pen-
dant quelques jours, près de Compostelle, dans la hutte
d'un pauvre charbonnier nommé Cotolaï. Une nuit qu'il
était allé prier sur une colline voisine, il entendit tout à
coup Dieu lui ordonner de bâtir un couvent dans une
vallée qui dépendait d'un monastère des Pères Bernar-
dins. Le lendemain même il obtenait de l'abbé la per-
LE BIENHEUREUX PIERRE DE COMPOSTELLE. 111
mission nécessaire, et, rentré chez son hôte, il lui confiait
le soin d'accomplir la volonté divine. Le charbonnier
était pauvre comme Job, mais il avait la foi qui soulève
les montagnes, et il se mit à l'œuvre. Il commençait
à peine à creuser les fossés destinés aux fondations,
lorsqu'il trouva un trésor; les ouvriers accoururent de
toutes parts, et en peu de temps le nouveau couvent fut
terminé.
Les sermons de saint François, l'exemple de sa sainteté
y attirèrent un nombre considérable de religieux, entre
autres le bienheureux Pierre, chanoine de la cathédrale
de Compostelle. Il s'attacha au patriarche d'Assise, et
après avoir distribué aux pauvres tous ses biens, il l'ac-
compagna en Italie. De retour en Espagne, il se construi-
sit au milieu des montagnes une chapelle et une cellule,
où il passa quelques années dans la pratique de la mor-
tification et de la pénitence. Sa robe de toile grossière
était serrée autour de sa taille par une corde ; sa nourri-
ture consistait en châtaignes; aux grandes fêtes seu-
lement, il y ajoutait un peu de pain. Tous les jours il
disait la messe dans sa petite chapelle ; la nuit, il priait,
méditait et se donnait la discipline. La renommée de sa
sainteté attirait à son ermitage quantité de personnes
pieuses, avec qui il aimait à s'entretenir des choses du
ciel, et qu'il dirigeait dans la voie du salut.
Cependant le bienheureux Pierre trouvait encore son
humble cellule trop somptueuse; il s'enfonça dans la
forêt, et, guidé sans doute par la main de Dieu, il décou-
vrit une hutte si basse, si étroite, qu'on ne pouvait ni s'y
étendre, ni s'y tenir debout. C'est là qu'il passa la plus
grande partie de sa vie, dans une solitude absolue, visité
H2 v JUIN.
seulement par les oiseaux et les bêtes de la forêt. Les
austérités qu'il s'imposa effrayent l'imagination. 11 dut
plusieurs fois manger, pour se soutenir, l'écorce des
arbres; l'hiver, la neige pénétrait dans sa cabane ouverte
à tous les vents du ciel, et le couvrait pendant son som-
meil d'un manteau blanc. C'est seulement quelques an-
nées avant sa mort, sur un ordre de saint François, qu'il
se décida à quitter sa chère solitude pour venir habiter
avec quelques autres religieux le couvent miraculeu-
sement élevé par l'humble charbonnier de Compostelle
et placé sous l'invocation de Notre-Dame-des-Anges.
On ne connaît pas au juste le jour de sa mort ; le mar-
tyrologe de l'Ordre place son souvenir à la date du
5 juin.
Quelques années après ses funérailles, on exhuma son
corps, qui fut trouvé dans un état de parfaite conservation
et placé au milieu de la sacristie. On avait auparavant
coupé ses deux jambes, précieuses reliques dont furent
dotés les couvents d'Altamura et de Gâta.
(Wadding et Gonzague.)
SOEUR ISABELLE-MARIE DE LA PASSION. 113
SŒUR ISABELLE-MARIE DE LA PASSION
DU TIERS ORDRE
1630. — Pape : Urbain VIII. — Roi de France : Louis XIH.
CHAPITRE PREMIER.
SOMMAIRE : Origine et jeunesse de la bienheureuse Isabelle. — Son mariage
avec Antoine Morso. — Années d'égarements, Isabelle oublie Dieu pour le
monde. — Son retour au bien. — Ses vertus austères. — Sa charité chrétienne. —
Conversions qu'elle provoque. — Sa bonne entente avec son mari. — Dispersion
des richesses de la marquise. — Ses mortifications. — Son heureuse influence sur
son entourage.
Isabelle-Marie de la Passion naquit le jour de Pâques
de Tan de grâce 1582, au château de Trabie. Ses parents,
Octave Lanza, prince de Trabie, et Jeanne OrtegaGioëni,
tous deux alliés aux plus nobles familles de la Sicile, lui
donnèrent une éducation chrétienne. Devenue grande,
sa mère la confia aux religieuses du couvent de Mussur-
nelli, village dépendant du domaine de Trabie. Les
bonnes sœurs trouvèrent dans la jeune princesse une
intelligence déjà développée, et surtout une belle âme
dont toutes les pensées se reflétaient dans de grands yeux-
bleus, d'une céleste limpidité. Elle était modeste, pieuse,
douce et compatissante aux misères de ses semblables ;
les pauvres l'aimaient comme une sœur, les religieuses
comme leur enfant.
Aussi ce fut un deuil général quand la princesse fut
obligée de quitter le couvent pour suivre ses parents à
Palm. Séraph. — Tome VI. s
H 4 V JUIN.
Palerme ; les nonnes ne pouvaient songer à se séparer
d'elle sans verser des larmes, et Isabelle elle-même était
fort affligée de renoncer à tant d'affection et d'abandon-
ner ses cbères mères; elle obtint de sa mère la promesse
qu'on ne l'empêcherait pas de se consacrer à Dieu, dès
qu'elle aurait atteint l'âge fixé par la règle, et au mo-
ment de la séparation, elle put faire espérer aux bonnes
sœurs qu'elle reviendrait dans peu de temps au milieu
d'elles, et cette fois pour toujours.
A Palerme, elle eut bientôt conquis l'affection de tous.
Sa beauté éclatante, et encore plus les qualités de son
esprit et de son cœur, la noblesse de son origine et ses
grandes richesses attirèrent autour d'elle une foule de
prétendants, et les plus illustres seigneurs de la Sicile la
demandèrent en mariage. Elle les refusa tous, désireuse
qu'elle était de se consacrer au Seigneur. Cependant,
elle finit par céder aux instances de ses parents et à l'es-
time qu'elle ressentait pour le marquis de Gibellina,
Antoine Morso, gentilhomme d'une haute naissance et
dont la vie ne donnait prise à aucun blâme.
Isabelle était alors âgée de dix-neuf ans. Avec son ma-
riage commence une période de faiblesse dont le sou-
venir lui causa sur la fin de sa vie bien des remords et
bien des inquiétudes : le monde, dont jusqu'alors elle
avait évité les écueils, la séduisit et faillit la perdre. On
lui fit tant de fois l'éloge de sa grâce et de sa beauté,
qu'elle en conçut de la vanité ; elle ne songeait qu'à la
parure ; elle rêvait de bracelets, de colliers, de robes
nouvelles. Au lieu d'éviter, comme autrefois, les sociétés
frivoles, elle donnait elle-même le signal du plaisir ;
elle recherchait les adulations, les flatteries; elle forçait
SŒUR ISABELLE-MARIE DE LA PASSION. 115
les regards à s'arrêter sur elle et à lui dire, dans leur
muet langage, qu'elle était toujours la plus belle et la
plus séduisante des femmes de Palerme. Elle avait oublié
le ciel pour la terre, et Dieu pour les hommes.
Quelquefois, dans une nuit d'insomnie, faisant tout à
coup un retour sur elle-même et comparant sa vie pré-
sente aux années de sa jeunesse, elle s'effrayait du chan-
gement survenu dans son âme ; la crainte des célestes
vengeances la prenait à la gorge et l'étouffait , puis des
sanglots sortaient de sa poitrine oppressée, et, prosternée
sur- le tapis de sa chambre, elle criait pardon vers Dieu.
Le lendemain, elle retournait à ses plaisirs. A l'église, la
pensée qu'elle était là, plus que partout ailleurs, sous
l'œil du Très-Haut, lui causait des troubles indicibles ;
elle assista moins souvent aux offices sacrés. Depuis long-
temps déjà, elle avait cessé de s'approcher du tribunal
de la pénitence et de la sainte Table ; et son directeur,
n'ayant plus d'autorité sur son cœur frivole, se prit à
désespérer de son salut.
Mais Dieu l'avait choisie pour en faire sa servante, elle
ne devait pas succomber. Le baron de Venetico vint un
jour lui faire visite : c'était un jeune gentilhomme dans
la fleur de l'âge, plein de vie et de santé. Tout à coup, au
milieu de l'entretien, il tomba mort, comme frappé delà
foudre, aux pieds de la marquise évanouie de frayeur.
Cet accident eut sur l'âme d'Isabelle une influence déci-
sive ; en voyant combien la vie humaine est peu de chose
entre les mains de Dieu, elle se prit à songer qu'elle aussi
pouvait mourir sans avoir le temps d'implorer son par-
don, et la pensée du juste châtiment qui l'attendait dans
l'éternité lui faisait passer des frissons dans les os. Le
116 V JUIN.
lendemain même, elle enferma ses bijoux dans leurs
écrins et jura de renoncer aux plaisirs qu'elle avait tant
aimés.
Vers cette époque, une peste terrible ravagea la ville
de Palerme ; beaucoup d'habitants périrent, et la com-
tesse elle-même tomba malade. Elle ressentit de violentes
douleurs à la tête et au côté, et fut forcée de prendre le
lit. Pendant quelques jours, on craignait pour sa vie.
L'idée de la mort l'effraya ; elle ne se sentait pas en
état de se présenter devant Dieu. Ses mains amaigries
levées vers le ciel, la poitrine pleine de sanglots, elle
implorait la miséricorde céleste, l'intercession de tous
les saints et surtout de Marie, la patronne des pécheurs :
« Seigneur », disait-elle, « laissez-moi vivre pour que je
« puisse racheter mes fautes par de longues années de
« pénitence. Je fais vœu, au nom de la très-sainte Mère
« et du divin Enfant, de ne plus songer aux plaisirs de la
« terre, mais à votre justice ». Quelques jours après, la
princesse était miraculeusement guérie, et elle se dispo-
sait à tenir sa promesse.
Elle commença par une confession générale de toutes
ses fautes ; un Père de l'Oratoire, son directeur spirituel
depuis vingt-sept ans, entendit, avec des larmes de joie,
les aveux de sa pénitente au sacré tribunal. Sur les con-
seils du saint homme, elle se tint à l'écart de la société
frivole dont elle avait été la reine par sa beauté, sa grâce,
son esprit et ses richesses ; plus de réunions joyeuses et
turbulentes dans le palais, plus de musique mondaine,
plus de danses, plus de vêtements de soie et de velours,
plus de bijoux. Au milieu de Palerme, elle vécut solitaire
comme un ermite au fond d'une vallée sauvage. Enfer-
SUEUR ISABELLE-MARIE DE LA PASSION. 1 1 7
mée dans son oratoire, elle priait et pleurait ; elle ne
sortait guère de sa retraite que pour assister à la messe
et s'approcher de la sainte Table ; elle n'aimait pas de
faire ses dévotions dans les églises, où la foule assemblée
pouvait la distraire du seul objet de sa vie, la pénitence
et le repentir.
C'est seulement au bout de quelques mois, quand elle
se sentit assez forte pour affronter sans danger le monde
à qui elle avait dit adieu, qu'elle osa s'occuper d'oeuvres
de charité. On la voyait, vêtue d'une longue robe de laine
brune, suivie d'un domestique qui portait des provisions,
visiter les pauvres dans les rues étroites où ils étaient
entassés, et leur donner, avec le pain dont le corps a besoin
pour se soutenir, les consolations que l'âme réclame plus
impérieusement encore. Elle soignait les malades, leur
préparait des boissons, pansait leurs plaies de ses mains
délicates, leur apportait du linge et des vêtements. Son
âme débordait de tendresse au spectacle de toutes les
misères humaines, et elle se sentait capable de les sou-
lager. Les orphelins dont elle assura l'existence, les jeunes
filles pauvres qu'elle dota, les femmes égarées qu'elle
ramena dans la bonne voie l'aimaient comme une mère
et la vénéraient comme une Providence. Rien ne la re-
butait, ni les paroles grossières, ni les injures, ni même
quelquefois les menaces. Des courtisanes qu'elle voulait
sauver lui crachaient au visage ; elle revenait le lende-
main, et, par sa douceur et ses bonnes paroles, leur ar-
rachait des larmes de repentir. Grâce à ses efforts, bon
nombre de ces malheureuses renoncèrent à leurs égare-
ments; une maison que la marquise possédait à Palerme
les mettait à l'abri du besoin et des tentations ; elles n'en
118 V JUIN.
sortaient que pour entrer au couvent ou contracter un
mariage honorable : c'étaient autant d'âmes gagnées
au ciel.
Isabelle-Marie de la Passion, au milieu de ses bonnes
œuvres, eut le bonheur de trouver, dans son mari, un ami
complaisant et dévoué, aussi bon, aussi compatissant et
aussi charitable qu'elle-même. Ils vivaient chastement,
comme un frère et une sœur, et s'entretenaient des pau-
vres et des malades qu'il fallait secourir, des infortunés
à soulager, des égarés à ramener au bien. C'était une
union selon le Seigneur, l'union de deux belles âmes,
l'association des mêmes vertus, le plus simple et le plus
touchant des spectacles que le monde puisse présenter.
La bénédiction d'en haut était descendue sur ce grand
palais où habitaient la paix, le bonheur et le contente-
ment de soi-même. Les domestiques y étaient traités
comme des amis, non comme des inférieurs ; le marquis
et la marquise ne savaient pas donner des ordres ; ils
demandaient des services. 11 arriva même un jour qu'Isa-
belle tomba aux genoux d'un de ses valets et le supplia,
avec des larmes dans la voix, de lui pardonner quelques
paroles un peu vives, quoique méritées.
Cependant les grandes richesses de la noble femme se
dispersaient peu à peu dans toutes les chaumières et dans
tous les hospices de Païenne. A force de nourrir et d'ha-
biller les indigents, elle épuisa une immense fortune,
sans autre regret d'ailleurs que celui de n'avoir pas
davantage à donner. Elle aliéna ses domaines, ses terres,
ses bois, puis ses tableaux, ses diamants, ses bijoux. Quand
elle n'eut plus que son palais, elle imagina de le vendre
et d'aller s'enfermer dans quelque modeste maison ; sa
SCEUR ISABELLK-MARIE DE LA PASSION. H 9
famille s'y opposa ; elle aurait fini par avoir à son tour
besoin de la charité d'autrui. Sa garde-robe était vide;
elle s'habillait maintenant de la même étoffe que ses ser-
vantes ; si elle avait encore aimé la soie et le velours, elle
eût été trop pauvre pour s'en procurer.
Son humilité, d'ailleurs, s'y refusait : elle voulait être
confondue avec la foule. A l'église, elle allait s'agenouiller
sur la pierre, au milieu des femmes du peuple, le plus
souventauprèsdes pécheresses qu'elle avait ramenéesdans
le droit chemin : « Que suis-je moi-même autre chose »,
disait-elle, « que la dernière et la plus misérable des
« femmes, et n'ai-je pas beaucoup plus à expier que toutes
«ces malheureuses? » Elle s'imposait des jeûnes, des
mortifications; deux fois par semaine, le mercredi et le
vendredi, elle se donnait si cruellement la discipline, que
son sang coulait le long de son corps et jaillissait jusque
sur les murs de la chambre. On essayait d'arrêter ces
emportements d'une piété trop vive : « Jésus, mon Sau-
ce veur», répondait-elle, a répand tous les jours son sang
« divin pour la rédemption de mes péchés, et je n'es-
te sayerais pas de les racheter moi-même avec quelques
« gouttes de mon propre sang ». Un jour ses forces
s'épuisèrent tellement qu'elle fut incapable d'aller jusqu'à
son lit pour y prendre quelque repos ; elle tomba inanimée
sur le plancher, pâle comme une morte, et on la trouva
quelques heures après baignée dans son sang. Quand elle
revint à elle, elle murmura une prière d'actions de grâces
au Seigneur ! « Qu'il est doux d'être votre esclave, et
« quelle joie humaine est comparable au bonheur de
a souffrir pour vous! »
Et les souffrances qu'elle s'imposa furent telles qu'on
120 V JUIN.
a peine â s'expliquer comment elle put les supporter. Sur
le corps, une haire serrée à la taille par une ceinture
garnie de pointes de fer ; sur la tête une couronne d'épines
semblable à celle dont fut ceint le front du Sauveur: il
a fallu un miracle de tous les jours pour lui permettre de
mener cette vie pendant de longues années.
Ce miracle, c'est l'ardeur de son amour pour Dieu. Au
milieu des plus cruelles douleurs, son âme, détachée de
la terre, s'élevait vers Jésus : « 0 Jésus ! ô Vie 1 ô Amour ! »
disait-elle ; et quelquefois sa béatitude était-elle qu'elle
avait peur d'en mourir et qu'elle s'écriait : « C'est assez,
« ô mon Dieu, ma pauvre âme va succomber sous le
« poids de sa félicité ».
Aussitôt qu'elle se mettait à genoux pour prier, la pieuse
marquise perdait le sentiment des choses de ce monde,
et semblait vivre d'une vie tout intérieure et tout exta-
tique. Dans ces moments où, seule à seule avec Dieu, elle
s'entretenait avec lui comme un ami avec son ami, elle
obtenait du Très Haut toutes les grâces qu'elle lui de-
mandait. C'est ainsi qu'elle eut le bonheur de voir se
convertir d'abord tous ses serviteurs, puis un certain
nombre de jeunes gens et de jeunes filles qui, jusqu'alors
séduits par les vanités delà terre et n'ayant encore songé
qu'aux plaisirs, se sentirent tout à coup touchés de la
grâce et s'en furent dans un couvent implorer de Dieu,
par la pénitence et la mortification, le pardon de leurs
erreurs passées. L'héritière d'une noble famille, que sa
mère avait placée dans une maison religieuse, mais qui
ne se sentait aucune vocation pour la vie monacale,
déclara nettement à ses parents qu'elle voulait se marier.
Isabelle en fut informée : «C'est Dieu qu'elle épousera»,
SOEUR ISABELLE -MARIE DE LA PASSION. 121
répondit-elle de sa voix tranquille, et le lendemain même
la jeune fille confirmait par ses propres paroles la vérité
de cette prédiction. La grâce l'avait éclairée précisément
à l'heure où sa mère était allée voir la sainte mar-
quise.
CHAPITRE II.
SOMMAIRE : DéMr de la bienheureuse Isabelle de se consacrer à Dieu. — Maladie
et mort de son mari. — La marquise entre au couvent et demande à rester sœur
converse. — Ses vertus. — Son ardente ambition de souffrir pour son Dieu. —
Le Seigneur exauce sa prière. — Sa dernière maladie et sa mort.
Quelques bonnes œuvres que la bienheureuse Isabelle
accomplît dans le monde, quelque sainte vie qu'elle y
menât, elle soupirait en comparant son existence à celle
que les religieuses mènent au fond de leurs cloîtres. Là,
du moins, nul bruit extérieur ne pénètre, nulle curiosité
malsaine ne trouble les pieuses filles dans leurs pratiques
de dévotion ; elles sont seules à seul avec Dieu, tout à
lui, rien qu'à lui. Isabelle était mariée, des liens de fa-
mille, des liens d'amitié la rattachaient au monde en
dépit de tous ses efforts pour s'en dégager, et c'est ce qui
lui faisait dire à la supérieure du couvent : « Quand
« donc le Seigneur m'accordera-t-il la grâce dont vous
«jouissez? Et vous, mes sœurs, daignerez vous jamais
« recevoir au milieu de vous une aussi grande pécheresse
« que moi? »
C'est là ce qui troublait la sérénité de l'âme d'Isabelle :
elle sentait que la mort seule de son mari lui permettrait
de revêtir la robe des religieuses, et son bonheur devait
être accompagné d'un si profond chagrin qu'elle n'osait
pas le désirer, ni le prévoir. Sur ces entrefaites, le mar-
122 V JUIN.
quis tomba malade , assez gravement pour que tout
d'abord les médecins désespérassent de le sauver. Isabelle
le soigna avec la tendresse d'une mère et d'une épouse.
Elle-même voulut le veiller, lui préparer les médicaments
dont il avait besoin, l'aider par sa présence et par ses
douces paroles à bien supporter ses douleurs. En même
temps, elle faisait dire des messes dans toutes les églises,
elle répandait les aumônes à pleines mains, elle se con-
fessait et communiait presque tous les jours pour obtenir
de Dieu la guérison du malade. Tout fut inutile. L'heure
fixée par le Seigneur approchait, l'heure inévitable, que
tous les hommes conjurés ensemble ne pourraient retar-
der d'un moment. Le marquis reçut avec ferveur les
Sacrements des mourants ; puis il manda près de lui ses
parents et ses serviteurs, pour leur faire ses adieux. Quel-
ques minutes avant d'expirer, il baisa la marquise au
front en lui disant : a Je me recommande à vos prières
« et à vos bonnes œuvres ».
Isabelle le fit ensevelir dans le couvent des Plaies-de-
Saint-François, où elle entra le même jour en qualité de
novice. Quand la supérieure lui donna son crucifix, en
disant que Dieu devait être désormais le fiancé de son
âme, elle en éprouva une telle joie, qu'elle perdit con-
naissance, et que les sœurs durent la transporter au chœur.
Au moment où on chantait le Te Deum, elle éprouva une
nouvelle défaillance, causée par l'excès de son bonheur ;
mais la mère abbesse étant venue lui ordonner, au nom
de la sainte obéissance, de ne plus troubler la piété de ses
sœurs, par un effort suprême de sa volonté, elle se leva
et resta debout jusqu'à la fin de l'office. Au réfectoire,
elle déclara aux religieuses qu'elle n'avait pas d'autre
SŒUR ISABELLE-MARIE DE LA PASSION. 123
ambition que d'être leur servante, et comme les supé-
rieures lui conseillaient d'aller s'enfermer dans sa cellule
pour y prendre le repos dont elle avait besoin : « Mes
« mères » , répondit-elle, « je me sens assez forte pour mou-
« rir debout, en invoquant le nom de Notre-Seigneur
«Jésus-Christ».
Par égard pour sa grande naissance, on voulait la dis-
penser de certaines obligations très-pénibles, comme la
loi du silence absolu, les jeûnes prolongés, les veilles
sans repos ; elle s'y refusa énergiquement : « Je suis ici »,
dit-elle, « beaucoup moins digne de faveur qu'aucune
« autre des religieuses, je veux être soumise à la même
« règle qu'elles ». Et elle demanda à n'avoir que le titre
de sœur converse.
C'est dans cette humble condition qu'elle passa la
seconde partie de sa vie, s'efforçant d'imiter les modèles
de sainteté qu'elle avait sous les yeux. Elle jouissait
d'une félicité sans mélange, celle d'être enfin délivrée
de tous les liens qui la rattachaient au monde. Dans la
solitude silencieuse où elle était venue s'enfermer, elle
se trouvait heureuse comme les élus le sont au ciel.
Chanter et entendre chanter sans cesse les louanges du
Seigneur, est-il sur la terre rien de comparable à cette
béatitude ?
Isabelle atteignit donc bientôt au plus haut degré de
la perfection religieuse ; son obéissance à la règle et à ses
supérieures, sa piété ardente, son humilité, faisaient
l'admiration de toutes les sœurs, et en même temps lui
méritaient de Dieu des faveurs enviées. On la trouvait
absorbée dans de profondes contemplations, les yeux
fixés sur quelque personnage divin, invisible pour toute
124 V JUIN.
autre que pour elle, paraissant écouter avec recueille-
ment des paroles mystérieuses ; et le lendemain elle priait
les sœurs de remercier le Seigneur des grâces qu'il lui
accordait sans cesse.
Sa dévotion aux souffrances de Jésus crucifié était ex-
trême, et la Passion du Sauveur était l'objet de ses cons-
tantes méditations. Elle eût voulu recommencer avec
lui le chemin du Calvaire, l'aider à porter sa croix,
étancher le précieux sang qui coulait de ses saintes
blessures, et elle s'écriait avec sainte Thérèse : « Domine,
« aut pati, ant mort ! Seigneur, ou soufïrir, ou mourir
« pour vous ! » Elle enviait le bonheur des religieuses
malades, et elle disait un jour à la mère abbesse : « Ma
« mère, Dieu vous donne le bonheur d'endurer de cruelles
« douleurs, et il ne me juge digne d'aucune épreuve ».
Le Tout-Puissant exauça enfin ses vœux les plus ar-
dents : la dernière année de sa vie ne fut qu'un long
supplice. Le jour de l'Invention de la sainte Croix, elle
poussa tout à coup un cri de joie, elle venait de ressentir
les premières atteintes de la souffrance, une vive dou-
leur à la hanche, qui l'empêcha bientôt de se tenir de-
bout. On la voyait se traîner au chœur sur ses genoux,
pour chanter avec ses sœurs les cantiques sacrés au pied
des autels. A partir du mois d'avril, les médecins lui
défendirent formellement de quitter le lit ; elle n'en
aurait plus eu la force. Déjà il lui était impossible de
prendre aucune nourriture, si ce n'est au prix des plus
atroces douleurs. 11 lui semblait qu'un feu intérieur la
consumait lentement, et elle était dévorée d'une soif
inextinguible. On désespéra de la sauver. Sur un ordre
de l'abbesse, elle consentit à recevoir la princesse sa
SŒUR ISABELLE-MARIE DE LA PASSION. 125
mère, quoique cette entrevue dût lui être fort pénible.
A son approche, elle se fit un visage si souriant, que la
pauvre femme abusée se demandait tout bas : « Mon
« Dieu, est-ce là la figure d'une mourante ? » Son illusion
ne dura pas longtemps, des convulsions affreuses soule-
vèrent tout à coup par soubresauts violents le corps de
la malade, qui luttait de tout le reste de ses forces pour
dérober à sa mère le spectacle de ses douleurs. Elle ne
se plaignait pas cependant, et quand la souffrance lui
arrachait un cri, c'était toujours une parole de recon-
naissance et d'amour qui s'échappait de ses lèvres. Dans
ses moments de calme, elle lisait ou se faisait lire des
livres de piété ; et alors une telle sérénité se peignait sur
son visage , qu'un rayon du ciel semblait l'illuminer.
Après plus de sept mois d'un douloureux martyre, le
moment de la délivrance parut enfin s'approcher. Elle
fit sa confession générale, reçut la sainte communion et
les Sacrements des mourants, et depuis ce moment resta
presque continuellement dans une extase profonde. La
Mère de Dieu et Jésus lui-même lui apparaissaient fré-
quemment, et dans ses entretiens spirituels avec son
céleste Fiancé, elle puisait une force et une tranquillité
nouvelles. Enfin elle bénit ses sœurs au nom de la très-
sainte Trinité et de la Vierge Marie, et mourut en mur-
murant le nom de Jésus, le 5 juin 1630. Elle était âgée
de cinquante-sept ans.
Dans la mort, son visage resplendissait d'une beauté
céleste. Elle souriait, comme on sourit quand un bon-
heur immense remplit l'âme et la dilate. Au moment où
les religieuses entonnaient les prières des défunts, une
lumière éblouissante, rayonnant de son corps comme un
126 V JUIN.
soleil, éclaira la chapelle entière, déjà pleine d'une foule
pieuse qui venait honorer les restes de la sainte. Les
funérailles furent célébrées avec pompe, au milieu d'un
grand concours de peuple. Comme la marquise était la
première religieuse qui fût morte au couvent, et que le
caveau commun n'était pas encore creusé, on laissa
exposé dans l'église le cercueil qui la renfermait. Des
miracles s'accomplirent par l'intercession de la bienheu-
reuse, et la cour de Rome, deux ans après sa mort, sur
la demande de l'archevêque de Païenne, autorisa en son
honneur des processions solennelles.
(Biographie publiée à ralerrae, en 1541.)
PACIFIQUE DE CERANO
1482. — Pape : Sixte IV. — Roi de France : Louis XI.
Le bienheureux Pacifique de Cerano, né dans le dio-
cèse de Novare, se distingua dans l'Ordre de Saint-Fran-
çois par sa capacité pour la direction des âmes. 11 composa
une Somme des cas de conscience qui fut appelée la
Somme Pontificale, parce que Sixte IV l'approuva. Par la
sainteté de sa vie et l'éloquence de ses prédications, il
mérita d'être nommé commissaire apostolique, pour
prêcher la croisade contre les Turcs qui ravageaient
alors l'Italie.
Il mourut dans l'île de Sardaigne en 1482. L'Ordre
Séraphique honore sa mémoire le 5 juin.
(Butler.)
LE BIENHEUREUX DANIEL DE NIMBRO. 127
SIXIEME JOUR DE JUIN
LE BIENHEUREUX DANIEL DE NIMBRO
1460. — Pape : Pie IL — Roi de France : Charles VII.
Le bienheureux Daniel naquit à Nimbro, non loin de
Bergâme, en Italie, de l'illustre famille des Tirabosehi.
On était alors en pleine guerre des Guelfes et des Gibe-
lins, et l'enfance de Daniel se passa au milieu d'agitations
terribles, qui eurent pour premier résultat de mûrir sa
jeune âme et de lui faire prendre en horreur les misères
de l'humanité : «Seigneur, Seigneur », disait-il souvent,
« ne m'abandonnez pas au sein de celte foule qui vous
« méconnaît et qui ne tient pas compte de vos divins
« commandements ».
Sa prière fut exaucée : saint Bernardin vint prêcher en
Lombardie. Ses sermons, toujours éloquents, et l'exemple
de sa vie ramenèrent au bien nombre d'âmes égarées et
conquirent à l'Ordre de Saint-François plusieurs jeunes
gens, entre autres Daniel. L'année suivante, le bienheu-
reux prononçait ses "vœux.
Il ne tarda pas à devenir au couvent un modèle de per-
fection religieuse. Fidèle à la règle, il semble qu'il en ait
eu continuellement le texte sous les yeux ; austère jusqu'à
l'excès, il effrayait les Observants eux-mêmes par l'in-
tlexible rigueur avec laquelle il domptait son pauvre
corps. A l'église, personne ne priait avec plus de ferveur ;
128 VI JUIN.
pendant les intervalles des offices, personne ne dépensait
au travail une plus grande activité. Il visitait les malades
et les prisonniers, et il trouvait, pour préparer à la mort
les malheureux condamnés, des paroles d'une éloquence
à la fois ferme et touchante, qui les disposait à paraître
sans crainte devant le tribunal de Dieu. Les pécheurs
trouvaient en lui un père toujours prêt à pardonner,
plutôt qu'un juge sévère ; car il était de ceux qui croient
qu'il y aura plus de joie au ciel pour un coupable qui
fait pénitence , que pour quatre-vingt-dix-neuf justes
qui ont vécu dans la constante pratique des commande-
ments de Dieu et de l'Eglise. Aussi provoqua-t-il de
nombreuses conversions et ramena-t-il au bercail bien
des brebis égarées.
C'est ainsi qu'il vécut au couvent de Bergame, au sein
des mortifications et des bonnes œuvres. Il mourut sain-
tement le 6 juin 1460, et fut enseveli dans la chapelle de
saint Bernardin, où il avait coutume d'entendre les con-
fessions. Des miracles s'accomplirent sur son tombeau,
et ajoutèrent encore à l'éclat de sa renommée. Qua-
rante ans après sa mort, on plaça au-dessus de l'autel
un tableau qui le représentait entouré d'une auréole, les
yeux levés au ciel, dans l'attitude de la méditation et de
la prière.
[Histoire de Bergame.)
LE BIENHEUREUX VALENTIN DE NARNI. 129
LE BIENHEUREUX VALENTIN DE NARNI
1378. — Pape : Grégoire XI. — Roi de France : Charles V.
Le bienheureux Valentin, seigneur de Narni, était un
gentilhomme riche et honoré. Il épousa l'héritière d'une
noble famille, dont il eut deux filles et trois fils. Devenu
veuf, il eut le bonheur de voir ses filles prendre le voile
des Clarisses, et lui-même revêtit, avec ses trois fils, l'habit
des Frères Mineurs. L'aîné retourna au monde et prit le
grade de docteur en droit ; le second, Valentin, fut un
vénérable et saint religieux. Pendant quarante ans, il
donna l'exemple de toutes les vertus. D'une nature ar-
dente et passionnée, il eut à dompter les révoltes de la
chair par d'austères mortifications. Il ne s'épargna ni les
coups de discipline, ni les haires en crins, ni les ceintures
armées de pointes, ni les jeûnes, ni les veilles, ni les
prières prolongées pendant des nuits entières. Pour toute
nourriture, du pain et de l'eau salée; pour toute richesse,
sa robe et sa corde; pour toute volupté, des souffrances.
Il passa de longues années au couvent du mont Subasio,
près d'Assise, où il mourut l'an 1378, en odeur de sain-
teté.
On l'ensevelit dans l'église des Clarisses d'Assise. Plus
tard, à la suite des nombreux miracles qui s'accompli-
rent sur son tombeau, on lui éleva un magnifique sé-
pulcre de marbre dans la chapelle de l'Immaculée-Con-
ception.
(Pisan et Jacobille.)
Palm. Séraph. — Tome VI. 0
130 VI JUIN.
LA B. DELPHINE DE BARCELONE
CLARISSE
xvie siècle. — Pape : Léon X. — Roi de Franco : François Ier.
La bienheureuse sœur Delphine, née à Barcelone, en
Espagne, se retira du monde après la mort de son mari.
Le couvent des Clarisses-Urbanistes, non loin de Barce-
lone, resplendissait alors d'un éclat sans tache ; la sain-
teté des pieuses filles qui l'habitaient, le nom seul des
princesses d'Aragon et de Catalogne, qui y étaient venues
enfermer leur beauté et leurs richesses, lui avaient fait
une réputation universelle. C'est là que Delphine vint
recevoir l'habit de l'Ordre et qu'elle vécut dans la pra-
tique de toutes les vertus, honorée de ses sœurs et douée
par Dieu du don d'accomplir des miracles. Par la seule
force de ses prières, elle rappela à la vie son abbesse,
Thérèse de Cardona, dont les religieuses et les médecins
désespéraient. Une jeune novice, Angèle Cornette, lui dut
aussi la santé.
Cette sainte religieuse alla, vers l'an 1520, recevoir au
ciel la récompense de ses vertus. Après sa mort, de nou-
veaux miracles confirmèrent le respect et l'admiration
que l'on avait, de son vivant, témoigné à cette servante
du Seigneur ; et quatre ans plus tard, quand on exhuma
son corps pour lui donner une place d'honneur dans
l'église du couvent, on trouva qu'il était dans un état
de parfaite conservation et qu'il s'en exhalait une odeur
délicieuse.
(GONZAGUE.)
PÈRE LOUIS GOBIEZ 13 1
PERE LOUIS GOMEZ
JIARTYR, AU JAPON
1634. — Pape : Urbain VIII. — Roi d'Espagne : Philippe IV.
SOMMAIRE : Départ du Père Gomez pour le Japon. — Persécutions exercées
contre les chrétiens. — Malgré ses précautions et ses fuites, le Père Gomez, fait
prisonnier, est condamné à mort. — Son martyre.
Le Père Louis Gomez est originaire d'Espagne, où il
reçut l'habit de frère mineur. Au commencement du
dix-septième siècle, ses supérieurs, persuadés qu'il avait
en lui les qualités qui font les apôtres et les martyrs,
l'envoyèrent au Japon, pour y prêcher la foi de Jésus-
Christ. Durant les nombreuses années qu'il y passa, il
déploya au service de la sainte cause un zèle infatigable
et convertit à la vraie religion une foule d'idolâtres. Les
missionnaires apostoliques et les nouveaux chrétiens
étaient alors en butte à des persécutions sans trêve ni
merci, condamnés, quand ils étaient surpris, à abjurer
leur foi ou à mourir dans d'affreux supplices. Déjà plu-
sieurs martyrs, entre autres saint Pierre-Baptiste et ses
compagnons, avaient arrosé de leur sang cette terre infé-
conde. Il fallait se cacher dans les forêts et dans4es ca-
vernes, se réunir en secret, dire sa messe sous le ciel, en
plein air, au milieu de mille dangers. Ce fat là la vie du
Père Louis Gomez, jusqu'à l'âge de quatre-vingts ans.
Toujours en fuite, aujourd'hui dans un village, demain
dans un autre, pour dérouter les persécuteurs, il parcou-
rait à pied ce pays barbare, soutenant de son courage les
132 VI JUIN.
âmes peu assurées des nouveaux convertis. Non pas qu'il
eût peur de la mort, le martyre était sa seule ambition ;
mais il comprenait que son devoir était de se conserver
pour son troupeau dispersé et de travailler au service du
Christ le plus longtemps possible.
Il fut pris cependant, malgré ses précautions, et en-
fermé dans la prison d'Omura, où étaient déjà détenus le
Père Sébastien Viera, vice-provincial de la Compagnie de
Jésus, et cinq autres Pères jésuites. Quelques semaines
plus tard, il fut transporté avec eux dans la prison de
Yeddo, capitale du Japon et résidence de l'empereur
Toxogonzama et de sa cour. On les conduisit au palais,
en présence du tyran. Chemin faisant, au milieu des sol-
dats armés, ils enseignaient les vérités de la foi au peuple
pressé sur leur passage, et ils s'efforçaient de jeter quelque
lumière au milieu des ténèbres épaisses qui enveloppaient
ces malheureux. Devant leurs juges, au lieu de songer à
défendre leur vie, ils confessèrent qu'il n'y avait pas
d'autre Dieu que le Dieu des chrétiens, créateur et con-
servateur du monde, providence, souveraine bonté et
souveraine justice. Ils furent condamnés à mourir dans
d'affreux supplices, et la sentence fut exécutée le 6 juin
1634. On les enferma dans des cages garnies de pointes
de fer, et quand ils eurent le corps couvert de blessures
sanglantes, on les brûla vifs.
(Cardose et Chron. de la Prov. de St-Joseph.)
PLUSIEURS FRÈRES MINEURS, MARTYRS EN FRANCE. 133
PLUSIEURS FRÈRES MINEURS
MARTYRS EN FRANCE
Nous trouvons dans le Martyrologe, à la date du 6 juin,
le souvenir de cinq frères mineurs de la Nouvelle-Aqui-
taine, victimes innocentes et courageuses de la fureur des
Huguenots : le Père Charles Lusache, gardien du couvent
de Gourdon, dans le Quercy ; — le Père Henri, lecteur et
prédicateur éloquent, — le Père Pierre Vabolois, — le
Père Arnould Viganout et le Père Pierre Quatre. Quand
les hérétiques, en 4579, prirent et incendièrent Gourdon,
ils envahirent, le fer et le feu à la main, le couvent des
Frères Mineurs de cette ville, le rasèrent et mirent à mort
les saints religieux qui l'habitaient.
Ce fut une terrible époque pour la France que ces
temps où l'hérésie de Calvin, comme un torrent dévas-
tateur, se fraya un chemin dans toutes nos provinces, en
ravageant ce qui se trouvait sur son passage. Les cou-
vents, les églises, des villes entières s'abîmaient dans les
flammes ; le sang des martyrs coulait en ruisseaux. C'est
le Père Bernardin Molmier, qui, en se rendant au couvent
de Saint-Anloine-de-Padoue, dont il venait d'être nommé
gardien, tombe entre les mains des Huguenots et a la tête
tranchée. C'est le couvent de Millau, mis à sac en 1580
par les bandes impies, et le Père Mathurin de Beauregard
qui tombe au pied de l'autel, tout criblé de blessures;
plus de mille religieux paient de leur vie leur fidélité à
la foi, et dans la seule province d'Aquitaine, trente-deux
cloîtres deviennent la proie des flammes.
(GONZAGUE.)
134 VI JUIN.
PÈRE MICHEL DOVIN
1652. — Pape : Innocent X. — Roi de France : Louis XIV.
SOMMAIRE : Vocation religieuse de Michel Dovin. — Ses études à Rome. — Il
devient docteur en théologie. — Ses succès comme professeur à Gênes. — Sa
modestie et ses vertus religieuses. — Sa mort et ses funérailles. — Ses miracles.
Michel Dovin, qui naquit en Irlande, l'an 1615, était le
fils aîné de Patrice Dovin et de Lélie Guinsevam, pieux
et riches catholiques irlandais. A Louvain, où il fit ses
études, il se trouva en rapport avec les Récollets de cette
ville, et il se sentit tout à coup au cœur un immense
désir d'entrer, lui aussi, dans l'Ordre de Saint-François.
Son noviciat fut exemplaire, et, le temps réglementaire de
l'épreuve révolu, il prononça ses vœux au couvent de
Ypres, en Belgique.
Quelque temps après, ses supérieurs, trouvant en lui
de grandes qualités intellectuelles, l'envoyèrent à Rome
pour y achever ses études. Il y soutint avec éclat plusieurs
thèses en présence du cardinal François Barberini, neveu
du pape Urbain VIII. Proclamé docteur en théologie, il
fut nommé lecteur au couvent de Saint-Isidore, à Rome,
et quelques années plus tard, il vint enseigner à Gênes,
au milieu d'un auditoire immense, la science qu'il pos-
sédait si bien.
Les succès qu'il obtint, l'admiration passionnée de ses
disciples, les éloges de ses supérieurs, n'eurent sur sa belle
àme aucune influence fâcheuse. D'une modestie à toute
épreuve, il sauva son humilité de l'écueil dangereux
d'une grande popularité. En dehors de ses leçons, où il
PÈRE MICHEL DOVIN. 135
semblait se donner avec toute son âme, il avait des ma-
nières réservées, des habitudes de silence et de retraite
dont il ne se départit jamais. Au sein des villes de l'Italie,
entouré de personnes qui l'honoraient et l'aimaient, il
vivait comme un solitaire au milieu d'une forêt, igno-
rant même des grands événements qui s'accomplissaient
en Europe. Il entendait dire que les Espagnols venaient
de remporter en Flandre une victoire décisive sur les
Français, et on l'étonnait fort en lui apprenant que la
guerre entre la France et l'Espagne durait déjà depuis
plusieurs années. C'est qu'il songeait vraiment à bien
autre chose qu'aux luttes des puissants de la terre; le ciel
remplissait sa pensée, et il n'y avait de place en son âme
que pour ses intérêts dans la vie éternelle. Austère comme
un ermite de la Thébaïde, il prenait à peine une nourri-
ture suffisante à le soutenir ; ses jeûnes, ses veilles, ses
mortifications l'affaiblissaient à tel point que ses jambes
se refusaient souvent à le porter ; mais si le corps dé-
faillait quelquefois, l'intelligence restait ferme et vigou-
reuse, âpre au travail, avide de s'instruire et de partager
avec d'autres les trésors de science accumulés par de longs
efforts.
Dieu le récompensa dès cette vie par des contempla-
tions et des extases. A Gênes, on le vit souvent au chœur,
tout enveloppé de lumière; sa figure resplendissait d'un
éclat céleste, et il semblait soulevé de terre : l'église tout
entière eu était illuminée, et un parfum délicieux la
remplissait depuis le parvis jusqu'à la voûte.
Le bienheureux Michel eut aussi le don de prédiction
et de seconde vue. On était venu au couvent demander
aux religieux leurs prières en faveur d'un père qui se
136 VI JUIN.
mourait: « Qu'a-t-il besoin de notre intercession », ré-
pondit le saint homme, cr celui pour qui nous prions est
« guéri ».
Sur la fin de sa vie, le bienheureux fut atteint de
cruelles souffrances. Il sembla que le Seigneur ait voulu
l'éprouver, comme l'orfèvre éprouve l'or, par la douleur
qui est la pierre de touche de la vertu. Sa dernière ma-
ladie dura cinq mois, et pendant tout ce temps, on ne
l'entendit pas pousser une plainte. Toute la noblesse de
Gênes, les magistrats, la haute bourgeoisie, vinrent lui
faire visite et lui témoigner la part qu'ils prenaient à ses
souffrances. Plus il perdait de forces, plus il était joyeux:
a La grâce du ciel descend sur moi», disait-il, « le temps
« du bonheur est proche ». Et il pressait son crucifix sur
ses lèvres desséchées, en pensant à la Passion du Sau-
veur. Enfin, après avoir reçu les derniers Sacrements, il
s'éteignit doucement, le 6 juin 1652, à l'âge de trente-
six ans.
Aussitôt que les cloches du couvent apprirent à la
ville que le saint homme venait de mourir, les plus
nobles dames de Gênes accoururent au couvent et priè-
rent le supérieur de faire transporter ses précieux restes
dans l'église. En même temps des enfants se promenaient
dans les rues de la ville, en criant : « Le saint du couvent
«de la Confrérie vient d'expirer ». De toutes parts le
peuple se précipita à l'église du couvent, qui, quoique
Irès-grande, ne put contenir la foule. Durant trois jours,
on se pressa autour du corps : on lui baisait les pieds et
les mains, on essayait d'enlever un morceau de ses vête-
ments. Cependant des miracles s'accomplissaient auprès
du lit de parade, les aveugles voyaient, les boiteux mar-
PÈRE MICHEL DO VIN. 137
chaient, les sourds, les muets, les paralytiques étaient
guéris. Des cantiques d'actions de grâce s'élevaient jus-
qu'au ciel ; toute la ville était en fête ; on se disait les
vertus du bienheureux Michel , on se montrait les reliques
qu'on avait pu se procurer. Ses trois robes avaient été
l'une après l'autre découpées, déchirées, enlevées ; les
dames de la noblesse se disputaient les grains de son
chapelet, le doge de Gênes, Jean-Baptiste Lomelini, avait
le bonheur de posséder son crucifix.
Enfin les religieux décidèrent qu'il était temps d'ense-
velir le bienheureux. Sa figure avait conservé jusque
dans la mort sa tranquille sérénité, et son corps sans
raideur paraissait celui d'un homme endormi. On eût
dit que son âme, qui déjà faisait partie des célestes pha-
langes, l'animait encore comme autrefois, et lui donnait
l'expression et la chaleur de la vie.
Il faut citer au moins quelques-uns des miracles qui
s'accomplirent sur son tombeau.
Un Génois, non content de posséder un morceau de
l'habit du saint homme, voulait encore lui couper un
doigt. A peine essaya-t-il de mettre à exécution son pro-
jet, que la force lui manqua tout à coup ; il tomba ina-
nimé et ne put se relever et sortir de l'église qu'après
avoir demandé pardon au bienheureux Michel.
Catherine Polsevera, paralysée d'une main, fut guérie
en touchant celle du bienheureux.
Une femme et un enfant furent délivrés d'un mauvais
sort en embrassant les pieds du cadavre.
Camilla Pauli, qui venait de faire une chute dange-
reuse et ne pouvait marcher qu'avec le secours de deux
béquilles, recouvra la santé par l'intercession du saint.
138 vu juin.
Un autre boiteux, Paganini deOrta, un lépreux, Benoît
Oda, un paralytique, François Picaluga, une foule d'ha-
bitants de Gênes, de Volterra, et d'autres villes du nord
de l'Italie, furent guéris miraculeusement par Dieu, eu
égard aux mérites du bienheureux Michel.
Aussi le Père Bonaventure Baro, son biographe, et le
Père Bernardin Vetweis, définiteur général, qui en ce
temps-là écrivit un mémoire sur l'état des trois Ordres
de Saint-François, ont-ils déclaré aux cardinaux, aux pré-
lats et aux princes de l'Eglise que le Père Michel avait
accompli à Gênes autant de miracles après sa mort
qu'autrefois saint Antoine à Padoue.
(B. Fremaut.)
SEPTIEME JOUR DE JUIN
LE BIENHEUREUX JACQUES DE LODI
1240. — Pape : Grégoire IX. — Roi de France : Saint Louis.
Le bienheureux Jacques naquit à Lodi, en Lombardie.
En 1212, il s'attacha à saint François d'Assise, dont il
s'efforça pendant toute sa vie d'imiter les incomparables
vertus. Il avait surtout l'amour de la sainte pauvreté. Dieu
lui accorda de longues extases et des contemplations
célestes, avant-goût des éternelles béatitudes. On rap-
porte que, au moment même où saint Françoise xpirait, le
bienheureux Jacques, alors en prières dans l'église du cou-
vent de la Portiuncule, vit son âme glorieuse monter au
LE BIENHEUREUX PAX DE R1ETI. 139
ciel, portée sur les ailes des Séraphins. Il mourut au cou-
vent de la Portiuncule, en 12-40, et sa mort fut signalée
par des miracles éclatants. Pendant longtemps on vit
une langue de feu se balancer toute brillante au-dessus
de son tombeau.
(Marc Ulyssip.)
LE BIENHEUREUX PAX DE RIETI
1270. — Pape : Clément IV. — Roi de France : Saint Louis.
Le bienheureux Pax naquit à Rieti, selon les uns, et,
selon d'autres, à Chieti. Il est resté célèbre dans l'Ordre
Séraphique par sa soumission à la règle et l'obéis-
sance aveugle qu'il témoigna toujours à ses supérieurs et
à ses frères. Le moindre désir était pour lui un ordre dont
il ne songeait jamais à discuter la convenance. Son hu-
milité aussi était extrême, et il ne redoutait rien tant que
des éloges. Dieu lui accorda le don d'accomplir des mira-
cles pendant sa vie et après sa mort, qui eut lieu en 1270,
au couvent de Cassia, dans l'Ombrie. Il fut enseveli avec
de grands honneurs dans la chapelle du couvent, et par
la suite transporté dans l'église qui remplaça la chapelle.
Un autel y était placé sous son invocation et sous celle
de saint Charles Borromée, et son portrait, entouré de
rayons, était suspendu aux murs de l'église.
(Marc Ulyssip.)
140 VII JUIN.
LE BIENHEUREUX ANGE DE YERBOSA
1498. — Pape : Alexandre VI. — Roi de France : Charles VU.
SOMMAIRE : Vertus du bienheureux Ange. — Saint Jacques de la Marche lui
donne l'habit de l'Ordre. — Sa science. — Ses prédications. — Conversions nom-
breuses qu'il provoque. — Invasion turque et rôle du bienheureux Ange dans
cette occasion. — Sa mort.
Le bienheureux Ange de Verbosa naquit dans le
royaume de Bosnie, de parents nobles, mais Grecs schis-
matiques. Comme une rose qui fleurit au milieu des
ronces et des épines, dit le chroniqueur, il grandit pour
le ciel au milieu de l'hérésie et de l'incrédulité. Il eut le
bonheur d'être élevé dans la foi catholique, dont il pro-
mettait, par ses vertus précoces, de devenir l'un des plus
ardents défenseurs. Quoiqu'il fût fort beau et d'un exté-
rieur si agréable, qu'il inspirait tout d'abord par son seul
sourire une vive amitié, Dieu lui fit la grâce spéciale de
le préserver du péché d'impureté. D'ailleurs, il évitait
avec soin les sociétés frivoles, et au milieu des séductions
que lui offrait le monde, il ne songeait qu'à orner son
âme de vertus et son intelligence de saines pensées.
En ce moment arriva dans le royaume de Bosnie saint
Jacques de la Marche, prédicateur éloquent , chrétien
animé d'un zèle infatigable pour la propagation de la foi,
qui eut le bonheur de convertir et de ramener le roi de
Bosnie et une grande partie de son peuple au giron de
l'Eglise catholique. Pas n'est besoin de dire que le pieux
A nge de Verbosa s'attacha tout d'abord au saint religieux et
voulut, le premier de tous, recevoir de ses mains l'habit
LE BIENHEUREUX ANGE DE VERBOSA. 141
de l'Ordre. Quelques jeunes gens se joignirent à lui,
animés d'une aussi fervente ardeur. Mais entre tous, Ange
se distingua par son désir de la perfection chrétienne et
fit de rapides progrès dans le chemin de la vertu. En peu
de temps il acquit une connaissance profonde de la
langue latine et devint lui-même un prédicateur émi-
nent. Saint Jacques de la Marche, ému d'un si beau zèle,
communiqua à son disciple les privilèges que le pape
attachait à la conversion des infidèles, des schismatiques
et des hérétiques. Aussitôt le bienheureux Ange parcou-
rut le royaume de Bosnie et se mit à combattre avec les
armes de la parole les Manichéens, dont les fausses doc-
trines avaient dans le pays de nombreux adhérents. Il en
décida un certain nombre à abjurer leurs erreurs ; il eut
aussi le bonheur de rattacher à l'Eglise romaine beau-
coup de schismatiques, entre autres tous ses parents.
Malheureusement, son ardeur infatigable le signala
aux ennemis de la foi qui, voyant en lui un dangereux
adversaire, résolurent de s'en débarrasser en l'assassi-
nant. Un jour, ils empoisonnèrent l'eau du verre où il
devait boire ; il but en effet sans défiance ; mais Jésus,
dont il invoquait toujours le nom avant de prendre au-
cune nourriture, le sauva et détruisit l'effet du poison.
Ce miracle, que les coupables eux-mêmes révélèrent, et
d'autres encore, eurent une immense influence dans toute
la'_Bosnie, et provoquèrent des conversions sans nombre ;
et lorsqu'Ange eut prêché quelques années dans la
Bosnie, on peut dire que le manichéisme n'y existait
plus qu'en souvenir.
A cette époque, il entra dans les desseins de la Provi-
dence de permettre que la Bosnie fût envahie par les
142 VII JUIN.
Turcs, et les armées chrétiennes battues par les hordes
asiatiques. Le bienheureux Ange comprit bientôt que
toute résistance allait devenir impossible, et qu'il ne
fallait plus songer qu'à se soumettre. Alors craignant
que, par timidité d'esprit, sous l'empire de terreurs trop
justifiées par la cruauté des envahisseurs, quelques Bos-
niens n'abjurassent la foi catholique, dans laquelle ils
n'étaient pas encore trop affermis, pour embrasser la re-
ligion de Mahomet, le saint homme, dans tous ses ser-
mons, conseilla à ses compatriotes d'abandonner leur
patrie et d'aller du moins mourir en chrétiens sur une
terre chrétienne. L'émigration commença en effet, et ne
tarda pas à prendre de telles proportions que le sultan
des Turcs craignit de voir ce beau pays se changer en
une affreuse solitude, et de perdre ainsi le fruit de sa con-
quête. Il manda en sa présence le bienheureux Ange et
lui demanda brusquement pour quel motif il donnait aux
Bosniens le conseil de se disperser : a C'est » , répondit le
saint homme, « parce qu'ils ne seront plus libres de pra-
« tiquer leur religion, qui est la seule véritable ; c'est
« parce que "vous les forcerez à abandonner leurs églises
« où nous enseignons la parole de Dieu, pour entrer
« dans vos mosquées, où vous enseignez l'erreur et le
« mensonge ; c'est parce que vous les condamnerez, pour
« vivre tranquilles et heureux en ce monde, à compro-
« mettre leur salut éternel dans l'autre ». Il parla long-
temps avec une piété et une noblesse auxquelles le sultan
n'était pas habitué, et, par une sorte de miracle, il prit
sur cette âme altière une certaine autorité. Il obtint pour
les chrétiens laïques l'assurance d'une sécurité complète
dans l'exercice de leurs devoirs religieux, et pour lui-
LE BIENHEUREUX PÈRE LOUIS DE MANTOUE. 143
même la permission de continuer ses prédications. Mal-
heureusement le sultan ne sut pas tenir sa promesse ;
car peu de temps après, les fidèles de Bosnie envoyèrent à
Rome le bienheureux Ange, pour porter leurs griefs au
pape Alexandre VI, et se plaindre que les Turcs ne respec-
taient pas leur liberté de conscience et leur suscitaient
mille embarras dans la pratique de leur culte.
Le bienheureux Ange mourut dans un âge très-avancé,
en 1498, et fut enseveli au couvent de Foiniza. Sa mort
fut regrettée non-seulement des chrétiens, mais des Ma-
hométans eux-mêmes, qui n'avaient pu s'empêcher d'ad-
mirer la sainteté de sa vie et d'aimer ses manières
simples et douces. Des miracles s'accomplirent sur son
tombeau.
Quelques années après sa mort, on exhuma son corps,
qui était dans un état de parfaite conservation et qui fut
placé au pied du grand-autel. C'est là que les chrétiens
de Bosnie viennent, aujourd'hui encore, implorer sa
toute-puissante intercession.
(Marc Ulyssip.)
PERE LOUIS DE MANTOUE
1503. — Pape : Alexandre VI. — Roi de France : Louis XII.
Le bienheureux Père Louis, qui naquit à Mantoue,
probablement de la noble famille des Gonzague, reçut
tout jeune encore l'habit de l'Ordre Séraphique. Il avait
ce qui fait le vrai religieux, un désir immense d'atteindre
à la perfection chrétienne. On eût dit qu'il vivait au ciel,
144 VII JUIN.
parmi les Anges, et non sur la terre, au milieu des hom-
mes, tant son sourire était pur, tant était sereine la tran-
quillité de son âme, toujours en rapport direct avec Dieu
et avec les saints. Il n'était pas rare de le voir soulevé de
terre, dans une nuée lumineuse. Il avait reçu, comme
quelques privilégiés du Seigneur, le don des larmes, et
souvent, au réfectoire, pendant la lecture, il sanglotait.
Sévère pour lui-même, il avait au cœur, pour les
autres, une charité infinie. Son humilité était telle
que, aux couvents de Mantoue et de Venise, dont il fut le
gardien, il ne permit jamais qu'aucun autre que lui
s'occupât de recueillir les aumônes, de laver la vaisselle
et de faire les ouvrages les plus désagréables. Elu pro-
vincial, il prit pour secrétaire le bienheureux Bernardin
de Feltre, et, avec son concours, s'acquitta saintement de
sa tâche délicate. Il visitait souvent les couvents de sa
chère province de Vénétie, toujours à pied par tous les
temps et par tous les chemins, aussi fidèle observateur
de la règle dans ses voyages, que s'il eût été dans son
couvent.
Il mourut en 1503; et Dieu, après sa mort, l'honora
par des miracles éclatants. On voit encore aujourd'hui
à Mantoue, dans la chapelle de Saint-Antoine, un magni-
fique tombeau sur lequel est couché un frère mineur en
marbre blanc, la tête entourée d'une auréole ; c'est là
que repose le bienheureux Louis.
(Daza.)
tfRÈRE JEAN TOZALIUS. 145
FRÈRE JEAN TOZALIUS
1307. — Pape : Clément V. — Roi de France : Philippe IV.
Frère Jean Tozalius naquit à Pozalmuro, en Espagne,
de parents turcs qui rélevèrent dans la pratique de leur
religion. Mais Dieu, qui l'avait choisi, l'illumina d'un
rayon de sa grâce : il abandonna sa famille et renonça à
ses erreurs. Plus tard il demanda et obtint l'habit de
frère mineur, au couvent de Soria, dans la province de
l'Immaculée-Conception. Il fut, comme le dit son bio-
graphe, un miroir vivant de perfection religieuse et
d'austérités. Par les plus rudes hivers, il portait sa
mauvaise robe de laine grise pour tout vêtement, se
chaussait de sandales qui laissaient ses pieds à découvert,
dormait sur une planche avec une pierre pour oreiller ;
il ne mangeait de viande qu'aux jours de fête.
Il mourut en 1307, au couvent de Soria, en priant
dans le chœur, à genoux devant l'autel. On se partagea
ses précieuses reliques, que Dieu honora de plusieurs
miracles.
(GONZAGUE.)
Palm, Seraph. — Tome VI. 10
146 VU JUIN.
LA BIENHEUREUSE ELRMINE CÉSIA
CLARISSE
1567. — Pape : Saint Pie V. — Roi de France : Charles IX.
SOMMAIRE : Jeunesse de Firroine. — Ses vertus chrétiennes et ses qualités mon-
daines. — Ses autérités, — Elle triomphe des résistances de sa famille et prend
le voile des Clarisses. — Ses vertus religieuses. — Dévotion assidue. — Sa grande
piété. — Dignités qu'on lui confère. — Elle est obligée de ss retirer avec ses
sœurs au couvent de Terni. — Jours d'épreuves qu'elle traverse. — Sa derrière
maladie et sa mort.
La bienheureuse Firmine Césia naquit à Rome ,
en 1497. Son père, Ange Cési, était avocat à la cour de
Rome, et sa mère, Françoise Cardoli, était la nièce d'un
général vénitien. La jeunesse de la bienheureuse Firmine
fut pieuse, tout entière à Dieu dont elle s'efforça de
mériter les grâces par son humilité et sa dévotion ,
éloignée du monde qu'elle commença dès lors à mépriser.
Elle refusa à plusieurs reprises de nobles jeunes gens à
qui ses parents désiraient l'unir ; elle avait déjà fait
vœu de conserver pour le Seigneur la fleur de £a
virginité.
Ses manières étaient douces et modestes ; le silence et
la solitude avaient pour son âme d'irrésistibles attraits.
Quand les lois de la politesse mondaine la forçaient de
parler à un homme, elle tenait obstinément ses regards
fixés à terre ; elle avait lu quelque part que les yeux
sont les fenêtres par où le péché pénètre dans le cœur
des femmes. Elle savait le latin comme un docteur de
l'Université et prenait plaisir à lire et à médiler les
LA BIENHEUREUSE FIRMINE CÉSIA. 147
saintes Ecritures et des ouvrages pieux ; c'est là le secret
de ses rapides progrès dans la voie de la perfection. Tous
les jours, elle récitait l'office romain, les prières des
morts et les litanies de la très-sainte Vierge ; enfin elle
baisait la terre à cent reprises différentes en répétant
chaque fois le nom de Jésus. Elle jeûnait le vendredi et
le samedi de chaque semaine: s'interdisait le vin en
tout temps, et ne prenait jamais que la nourriture abso-
lument nécessaire pour la soutenir. La nuit, par trois
fois, elle s'infligeait des disciplines sévères pour le rachat
des âmes du purgatoire, pour les pécheurs et pour les
justes. Une haire sur le corps, une ceinture de fer autour
des reins, elle visitait les prisonniers, allait porter des
médicaments aux malades et des aumônes aux pauvres.
Elle trouvait dans les trésors de son cœur des consola-
tions pour les affligés, et des paroles d'encouragement
pour les pécheurs qui commençaient à faire pénitence;
elle faisait la joie et le bonheur de toute sa famille.
Aussi sa mère, qui avait pour elle plus d'affection que
pour ses autres enfants, ne voulait-elle pas lui permettre
d'entrer en religion ; et la pieuse fille, malgré le désir
immense qu'elle avait de se consacrer à Dieu, ne songeait
pas à contrarier ses parents et se résignait sans se
plaindre. C'est seulement après la mort de cette mère
chérie, qu'elle insista plus vivement auprès de son père
pour obtenir la grâce qu'elle sollicitait timidement depuis
de longues années. Elle finit par triompher de ses résis-
tances, et s'en fut au cloître de Narni, accompagnée de
toute sa famille, demander le voile de Clarisse. Elle le
reçut des mains de son oncle, Bartholomé Cési, évêquc
de cette ville ; elle était âgée de trente ans.
148 VU JUIN.
Dans le monde, la bienheureuse Firmine avait été une
parfaite chrétienne ; au couvent, elle fut une parfaite
religieuse. Toujours la première au chœur pour chanter
les matines, elle y restait en contemplation jusqu'au
matin. Ses genoux, enflés à force de prier, refusaient de
la soutenir; elle se traînait péniblement au pied des
autels, et là, seule devant Dieu, elle ouvrait comme un
trésor son cœur débordant de piété. Un enfant n'est pas
plus soumis à sa mère, que ne l'était Firmine à son
confesseur et à l'abbesse. Les austérités, les mortifications,
avaient pour elle un charme indicible. Sa robe était
d'une étoffe grossière, faite de pièces et de morceaux
mal joints ; mais elle la préférait à la soie et au velours,
et refusait obstinément tous les présents que son père et
son oncle lui envoyaient. Elle ne mangeait qu'une fois
par jour, et seulement du pain avec des légumes ou
avec des fruits ; jamais de viande ni de vin. Une planche
lui servait de lit et une pierre d'oreiller. Elle parlait peu,
et évitait de recevoir même ses plus proches parents.
Deux fois par semaine elle s'approchait du tribunal de
la pénitence ; mais elle communiait tous les jours.
Ses vertus, unanimement reconnues, valurent à la bien-
heureuse Firmine les dignités de maîtresse des novices
et de sous-supérieure ; enfin elle fut élue abbesse par ses
sœurs, qui l'aimaient comme une mère.
Quand l'armée de l'empereur Charles-Quint vint, sous
la conduite du duc de Bourbon, faire le siège de Rome
en 1527, la sainte abbesse craignant pour elle-même et
pour ses filles les violences d'une soldatesque effrénée,
ordonna une communion générale et des prières pen-
dant plusieurs jours. Il fallut cependant quitter le cou-
LA BIENHEUREUSE FIRMINE CÉSIA. 149
vent et se rendre à Terni, sous la protection du cardinal
Cési, frère de l'abbesse, et de son neveu Ange Cési,
évêque de Cervia, et d'un capitaine de l'armée de Bourbon.
Ce fut une année d'épreuves pour la bienheureuse Fir-
mine, forcée de se placer sous le patronage dangereux
d'hommes d'armes habitués à ne rien respecter et à ne
rien craindre. Elle en sortit avec l'aide de Dieu, grâce à
l'énergie de son caractère, et par la sagesse vigoureuse
qu'elle montra dans ces temps difficiles, elle mérita,
après le retour de la paix, d'être maintenue dans sa
dignité d'abbesse par ses sœurs reconnaissantes.
Elle vécut encore de longs jours dans la pratique de
toutes les bonnes œuvres, et sa dernière maladie la
trouva vaillante et forte au sein des épreuves physiques,
comme elle l'avait été autrefois pendant la guerre, au
milieu des épreuves morales. Pendant quarante jours
que durèrent ses souffrances, on ne l'entendit pas pousser
une plainte. Sa voix sonore remplissait les couloirs du
couvent, quand elle entonnait les saints cantiques; et de
son lit elle accompagnait les religieuses qui récitaient les
matines au chœur. Elle invoquait les protecteurs qu'elle
s'était depuis longtemps choisis : la très-sainte Vierge,
l'apôtre saint Jacques, saint François et saint Jérôme.
Quand sa dernière heure approcha, elle fit venir auprès
d'elle ses religieuses, les consola, leur fit ses dernières
recommandations et leur demanda de l'assister de leurs
prières au moment suprême. Puis elle se confessa et
reçut saintement les Sacrements des mourants. Enfin on
la vit serrer plus fortement son crucifix entre ses mains ;
elle murmura les paroles de Jésus mourant : a Seigneur,
«je remets mon âme entre vos mains », et son dernier
150 VII JUIN.
souffle s'exhala ie 7 juin 1567 : elle était âgée de soixante-
dix ans.
Pour ne pas troubler les habitants de la ville dans leur
sommeil, les religieuses décidèrent qu'on n'annoncerait
que le lendemain la mort de la bienheureuse; mais à
peine Firmine avait-elle rendu l'âme que les enfants
parcouraient les rues en poussant des gémissements et
en criant : « Notre mère, la mère des pauvres, la conso-
« latrice des affligés, vient de mourir ! » Aussitôt une
foule immense se précipita vers le couvent pour honorer
les restes de la sainte. Son corps resta pendant quelque
temps exposé dans l'église ; puis le provincial, avec trente
frères mineurs, vint célébrer le service funèbre. On l'en-
sevelit sous le grand- autel, et des miracles s'accomplirent
sur son tombeau. En 1612, le 19 décembre, on l'ex-
huma pour lui donner une place d'honneur : son corps
était encore dans un état de parfaite conservation.
(Jacobille, tome m.)
LE B. ETIENNE DE NARBONNE
1 242. — Pape : Gélestin IV. — Roi de France : Saint Louis.
Le bienheureux Etienne, de Narbonne, fut d'abord
abbé de l'Ordre de Saint-Benoît. Plus tard il entra dans
l'Ordre des Frères Mineurs et fut martyrisé par les héré-
tiques albigeois, à Avignonet, dans le diocèse de Tou-
louse, le 29 mai 1242. Avant la grande révolution, son
corps se conservait à Toulouse, dans l'église des Frères
Mineurs de l'Observance. Son culte immémorial a été
PÈRE JEAN SEREN. 151
récemment approuvé par Pie IX. Sa fête se célèbre le
7 juin.
Le bienheureux Bernard, de Carbon, prêtre de l'Ordre
des Frères Mineurs, fut martyrisé à Avignonet avec le
bienheureux Etienne, de Narbonne.
{Année franciscaine, 1869.)
HUITIEME JOUR DE JUIN
PÈRE JEAN SEREN
1629. — Pape : Urbain VIII. — Roi de France : Louis XIII.
SOMMAIRE : Premières années et égarements du Père Jean Ssren. — Un miracle
de la grâce en fait un parfait religieux. — Ses méditations sur les vanités de la
terre. — Ses prières. — Son ardeur de conversion chez les Huguenots du Midi. —
Il est nommé aumônier des armées. — Sa mort.
Père Jean Seren naquit à Avignon et entra aux Frères
Mineurs Récollets de la province de Saint-Bernardin,
en France. Il commença par y donner le mauvais
exemple et à y être une cause de scandale. Non pas que
ses fautes n'eussent pu trouver grâce aux yeux du monde,
mais elles témoignaient d'un esprit indocile et impatient
de toute domination, dédaigneux de la règle, léger,
rempli de vanité et d'indépendance. Jean ne savait pas
se soumettre à ces prescriptions inutiles en apparence, et
qui, en réalité, font les saints religieux. Il ne se soumet-
tait pas à la loi du silence, affectait de rechercher la
société des femmes et de choisir ses sujets d'entretiens
précisément en dehors des choses de la religion. Ses
132 vin juin.
supérieurs redoutaient l'effet de ce mauvais exemple sur
les jeunes frères, et avec d'autant plus de raison que le
Père Jean avait la parole facile, l'extérieur agréable et
l'air parfaitement heureux. Ni la douceur, ni les menaces
n'avaient prise sur ce caractère insouciant ; il sortait de
Y In pace aussi indiscipliné qu'il y était entré. On venait
de l'envoyer à Arles, pour voir si le changement de sé-
jour, d'habitudes et de supérieurs, produiraient sur lui
une salutaire influence, quand tout à coup, par un mi-
racle de la grâce aussi soudain qu'inespéré, il jura de
lui-même, en présence du saint Sacrement, qu'il était
résolu à modifier sa manière de vivre, et il tint parole.
Il commença par faire un aveu général de toutes ses
fautes et par demander très-humblement pardon à ses
frères du scandale qu'il avait causé; puis il se proposa
pour règle de conduite la devise que Dieu lui-même
avait dictée à saint Arsène : a Prier, fuir les occasions de
« pécher, se taire ». Autant jusque-là il avait affiché de
dédaigneux mépris pour les prescriptions de la règle,
autant il montra de zèle à en pratiquer les moindres
ordonnances. Il semble qu'il ait voulu regagner, en les
consacrant à la prière, toutes les heures qu'il avait per-
dues. A genoux devant l'autel pendant la lecture des
complies, il demeurait souvent à méditer jusqu'au mo-
ment où les religieux revenaient pour chanter matines.
C'est à la pensée de la mort qu'il fixait son intelligence ;
il y revenait sans cesse, soit qu'il vînt s'asseoir sur les
tombeaux des morts, soit que, dans sa cellule, il restât en
contemplation devant une tête décharnée. Qu'était-ce
donc ;que cette beauté charnelle qu'il avait aimée? un
amas de matière qui commence à se dissoudre, dès
PÈRE JEAN SEREN. 153
qu'elle commence à se former, de la poussière qui va
retourner à la terre, un cadavre bientôt et quelque chose
qui n'aura plus de nom dans aucune langue. L'homme
n'est rien qu'en tant que sa pensée l'entretient de Dieu ;
et voilà pourquoi lui-même jusqu'alors n'avait pas en-
core vécu : sa pensée ne lui avait guère parlé que du
monde. Quelle horreur il avait maintenant pour ces va-
nités, et comme le souvenir du temps qu'il avait perdu
lui causait de cuisants remords ! Il avait donc au plus
soixante ans à passer sur cette terre pour se préparer à
entrer dans l'éternité, et il avait librement sacrifié la
moitié de ces courts instants : « Seigneur », disait-il,
« faites que j'expie mes crimes ici-bas pour qu'un jour
«j'ose me présenter devant votre saint tribunal ». Et il
priait nuit et jour, il disait sa messe avec une piété
ardente, il se retranchait dans sa cellule à l'abri des tenta-
tions auxquelles il avait succombé. Plus d'entretiens
futiles et frivoles ; il semble, tant il s'est fait du silence
une loi absolue, qu'il soit changé en statue de marbre.
Il fuit les femmes comme des reptiles venimeux ; il évite
même toute société où l'on ne parle pas de Dieu et de la
vie éternelle.
Ce ne fut pas sans des luttes longues et pénibles contre
ses propres souvenirs et contre le démon, que le Père
Jean parvint à rendre à son âme le calme qu'elle avait
perdu. Rien ne lui manqua, ni les incertitudes qui dé-
sespèrent, ni les tentations de la chair qui se révolte
durant les veilles et les insomnies. Il triompha avec
l'aide de Dieu ; il y a plus, il voulut mourir pour son
Dieu.
Le Languedoc était alors entre les mains des héré-
154 VIII JUIN.
tiques, qui en occupaient presque toutes les villes et fai-
saient subir aux catholiques d'horribles persécutions. Il
demanda à être envoyé à Nemours, quartier général des
Huguenots, et il s'y rendit en effet au moyen d'un passe-
port que lui donna le duc de Rouan. Aussitôt il se mit en
rapport avec les autres Récollets, et s'occupa comme eux
de consoler les catholiques et de leur apporter les se-
cours spirituels dont ils avaient besoin. Inaccessible à
toute crainte, ne redoutant pas le martyre qu'il appelait
au contraire de tous ses vœux, il allait par la ville, revêtu
de sa longue robe de moine, calme au milieu des rail-
leries et des injures qui pleuvaient sur lui de tous côtés,
et l'air si superbe qu'il imposait du respect aux plus au-
dacieux. A la fin, les ministres huguenots étonnés d'un
courage si tranquille, craignant de voir leur influence
tomber en présence de l'autorité morale que le saint
apôtre prenait déjà sur les leurs, obtinrent du duc un
ordre de lui faire quitter la ville. Il ne fallait pas songer
à lutter contre un Rohan : le Père Jean l'osa cependant,
mais ce fut en vain ; il ne réussit qu'à se faire donner
une escorte, ou plutôt des gardiens chargés de le con-
duire de l'autre côté des portes de Nemours.
Aussitôt, avec la permission de ses supérieurs, il se
rendit à Privas, quartier général de l'armée du roi, et
vint se jeter aux pieds de Louis XIII, en se plaignant de
la violence que lui avait faite le duc de Nemours, et, les
yeux tout en larmes, il pria Sa Majesté catholique de
prendre sous sa sauvegarde les ministres de Dieu. Puis il
resta pendant quelque temps à l'armée, pour confesser
les soldats malades ou blessés et leur donner les der-
niers Sacrements. Mais Dieu ne le laissa pas longtemps
SŒUR AGNÈS -MARIE D AMSTENRAAT. ! 55
à cette place d'honneur ; la maladie le saisit au com-
mencement de juin 1629, et on dut le transporter au
couvent de Montélimart, où il mourut, le 8 juin de la
même année.
(Archives du couvent d'Avignon.)
SŒUR AGNES-MARIE D'AMSTENRAAT
1641. — Pape : Urbain VIII - Roi de France : Louis XIII.
CHAPITRE PREMIER.
SOMMAIRE : Prédiction d'un Père capucin au père de la bienheureuse Agnès. —
Jeunesse pieuse d'Agnès. — Ses dispositions précoces à la vie religieuse. — A sept
ans elle demande le voile d'Annonciade. — A douze ans, elle entre au couvent. —
Cruelle paralysie dont Dieu l'afflige. — Son voyage aux eaux dAix-la-Chapelle. —
Nouveaux efforts de sa mère pour la décider à quitter le couvent. — Guérison de
la bienheureuse. — Fin de son noviciat.
La bienheureuse Agnès-Marie naquit en 4614, au châ-
teau d'Amstenraat, à quatre milles d'Aix-la-Chapelle, sur
le territoire de Falkenbourg. Ses parents, Werner Huyn
et Liffardis de Leeraart, étaient tous deux de noble ori-
gine. Son père, pendant un voyage qu'il fit à Rome dans
sa jeunesse, alla faire visite au bienheureux Félix, capu-
cin, et lui demanda conseil sur l'état qu'il devait embras-
ser : « Mariez-vous » , lui répondit le religieux, « parce que,
« parmi vos enfants, il y aura un élu sur qui Dieu répan-
« dra ses faveurs » .
Cet enfant prédestiné n'est autre que la bienheu-
reuse Agnès, qui, dès sa jeunesse, donna des signes cer-
tains de ce qu'elle devait être un jour. Sérieuse et grave
156 VIII JUIN.
à l'âge où l'on ne songe qu'à jouir franchement de la vie,
on la voyait, assise auprès de sa mère, occupée à lire des
livres de piété. Elle avait souvent des paroles d'une pro-
fondeur étonnante. Sa grand'mère, gravement malade,
la prenait dans ses bras et essayait de retrouver un peu
de vie en la couvrant de baisers : « Hélas ! » dit l'enfant,
« voilà que vous allez nous quitter pour habiter avec
« Dieu ». Et quelque temps après, comme sa propre santé
inspirait des craintes à ses parents : « Mon Dieu », répétait-
elle, « ne m'appelez pas à vous, avant que je n'aie revêtu
« la robe de religieuse ».
Sa vocation se marqua avec plus de force que jamais
un jour qu'elle assistait avec sa mère à la prise de voile
d'une annonciade. Elle eut alors un sentiment si vif du
bonheur que l'on goûte à servir Dieu dans les murs du
couvent, qu'elle voulut sur-le-champ commencer son
noviciat, et avant qu'on ait pu songer à la retenir, elle
courut se jeter aux pieds de la mère Ancilla, et lui deman-
der une place parmi les sœurs. On lui répondit qu'elle
était encore trop jeune : «Eh quoi 1 » répliqua-t-elle, a y
« a-t-il un âge pour servir Dieu ? » et, pour la calmer, on
fut obligé de lui promettre qu'on la recevrait l'année
suivante : elle était alors âgée de sept ans.
Elle revint tout en pleurs à la maison, bien décidée à
se montrer par sa conduite digne de l'honneur qu'elle
ambitionnait, et l'on peut dire que, dès ce moment, elle
était déjà une véritable religieuse, par le mépris où elle
tenait le monde et ses vanités, par l'ardeur de sa dévo-
tion, par ses veilles et par ses prières. Sa chambre était
nue comme une cellule et dépouillée de tous les petits
ornements qui plaisent d'ordinaire à la frivolité des
SCEOR AGNÈS-MARIE D'AMSTENRAAT. 157
jeunes filles ; son maintien modeste, sa toilette sévère et
simple ; ni bracelets, ni colliers, ni anneaux d'or, ni
parures de perles ou de diamants. Pourtant elle était
noble, elle était riche, elle avait autour d'elle des do-
mestiques qui se seraient empressés de satisfaire ses
caprices, et pour qui le moindre de ses désirs eût été un
ordre.
Sur ces entrefaites, son père vint à mourir, en remer-
ciant Dieu de lui avoir donné une telle fille : il avait
reconnu en elle l'enfant prédestiné dont le Père Félix lui
avait autrefois parlé à Rome. A partir de ce moment, la
pieuse Agnès ne cessa d'insister auprès de sa mère pour
obtenir la permission de prendre le voile. Elle avait déjà
des visions fréquentes et des entretiens spirituels avec
Dieu. Un jour que, dans un bois, les yeux levés au ciel,
elle s'écriait : a Seigneur, quand donc pourrai-je enfin
« goûter le repos et vous aimer en paix ? » elle fut tout
à coup enveloppée de lumière, et elle entendit une voix
qui disait : « Quand tu entreras au couvent des Annon-
ce ciades de Venloo, tous tes vœux seront exaucés » . La
pauvre fille, en effet, ne jouissait déjà plus de l'heureuse
tranquillité des premières années. Le démon, irrité de
voir cette jeune fleur s'épanouir pour le ciel, essayait de
l'arrêter dans sa croissance et de la dessécher jusque dans
ses racines. Il lui représentait, d'un côté, qu'elle serait
belle, qu'elle serait aimée, qu'elle pourrait jouir de tous
les plaisirs que procure la richesse ; et, de l'autre, il lui
montrait sous de fausses couleurs les misères de la
vie religieuse, la solitude, l'abandon, la pauvreté, les
longs ennuis, les austérités. Agnès eut recours à la prière,
et elle triompha des tentations du monde et de Satan.
i 58 VIII JUIN.
Enfin, à sa grande joie, elle revêtit la robe des Annon-
ciades, à l'âge de douze ans, et elle commença dès lors à
faire de rapides progrès dans la voie du salut. Ce qui l'y
aida, ce furent ses longues méditations en présence du
saint Sacrement de l'autel, et les épreuves que Dieu ne lui
ménagea pas. Durant la première année de son noviciat,
une paralysie complète la força de garder le lit pendant
six mois, et, ce qui l'effraya beaucoup plus encore que sa
maladie, les médecins lui ordonnèrent les eaux d'Aix-la-
Chapelle : la santé était à ce prix. Eh quoi ! retomber si
vite au milieu des embûches du monde, dont elle avait
eu tant de peine à sortir une première fois I A force de
prières, elle obtint de ne pas quitter la robe de religieuse
et d'être accompagnée par une sœur converse; et, seule-
ment alors, elle se décida à obéir aux médecins.
Les eaux d'Aix-la-Chapelle n'eurent sur la malade au-
cune influence bienfaisante, elle l'avait bien prévu ; car
elle savait que ses souffrances lui venaient de Dieu, et
que Dieu et non les hommes, pouvait la guérir. On la
transporta chez sa mère plus faible que jamais, incapable
de mouvoir même sa main, et condamnée à garderie lit.
La paralysie ne tarda pas à se compliquer d'un raccour-
cissement de la jambe droite, et les médecins déclarèrent
que, si un jour elle marchait, ce serait à l'aide de deux
crosses. Sa pauvre mère, en la voyant si souffrante, si
maigre et si pâlie, quelquefois sans connaissance, eût
voulu du moins la garder auprès d'elle et veiller sur
cette chère enfant que Dieu éprouvait si cruellement;
mais Agnès, qui avait conservé toute la lucidité de
son esprit, déclara qu'elle retournerait au couvent le
plus tôt qu'il lui serait possible, et ne consentit même
SŒUR AGNÈS -MARIE D'AMSTENRAAT. 139
pas à quitter un seul instant sa robe et son voile d'An-
nonciade. Elle montrait d'ailleurs un courage et une
patience admirables : pas une plainte, pas un murmure
ne sortait de sa bouche ; au contraire, elle consolait les
personnes qui paraissaient compatir à ses douleurs et
elle parlait des douceurs de la vie religieuse avec une
éloquence si touchante, que plusieurs jeunes filles réso-
lurent de suivre son exemple et de se consacrer à
Dieu,
De guerre lasse, sa mère, qui d'ailleurs était une
pieuse femme, lui promit de ne plus contrarier ses
projets et lui conseilla d'avoir recours à l'intercession
de la très-sainte Vierge Marie. Où la science des hommes
était vaine, la protection de la Mère de Dieu serait peut-
être efficace. Agnès fit vœu de se rendre en pèlerinage à
Notre-Dame de Scherpen-heuvel, et aussitôt elle sentit le
sang et la vie circuler dans ses membres. Une douce
chaleur la pénétrait, ses articulations reprenaient de la
souplesse et de la vigueur ; elle se leva en chantant un
cantique d'actions de grâce, et s'en vint, au grand éton-
nement de toute sa famille, baiser sa mère au front.
Dès le lendemain Agnès se mit en route pour accomplir
son vœu. De Scherpen-heuvel, elle se rendit à Maëstricht,
où l'on vénérait aussi une image miraculeuse de la Mère
de Dieu, et là, pendant qu'elle était en prières, elle en-
tendit une voix lui dire : a Hâte-toi d'aller à Venloo». Les
Annonciades l'y reçurent à bras ouverts, d'autant plus
heureuses de la retrouver qu'elles avaient cru la perdre
pour toujours. On eût dit qu'un Ange du ciel rentrait au
couvent; un Te Dewn solennel d'actions de grâces fut
chanté dans la chapelle, et Agnès remercia le Seigneur
160 VIII JUIN.
de lui avoir permis de triompher d'une aussi rude
épreuve.
Depuis cette époque, elle jouit pendant longtemps
d'une tranquillité parfaite. Il est vrai que, vers la fin de
son noviciat, elle fut atteinte d'une maladie peu dange-
reuse; mais on lui promit que cet accident ne reculerait
pas le moment où elle devait prononcer ses vœux ; et
quand le jour fut venu, on la porta dans la chapelle, où
elle se consacra à Dieu pour toujours.
CHAPITRE II.
SOMMAIRE : Vertus de la bienheureuse Agnès : Chasteté, pauvreté, obéissance,
humilité. — Elle inspire à ses sœurs l'amour de leurs devoirs. — Son influence
dans le couvent. — Sa connaissance des cœurs, ses souffrances physiques et morales,
— Courage avec lequel elle les supporte. — Elle est la consolation de ses sœurs
dans leurs douleurs.
Agnès ne tarda pas à jouir d'une santé parfaite, et
presque aussitôt ses vertus éclatèrent au jour comme
autant d'astres brillants. Un mot suffit à la peindre :
Jamais elle ne se trouva en état de péché mortel. Elle
était si humble, si modeste, si pieuse, si pure, si parfaite,
pour tout dire, si nette de toute souillure, qu'elle restait
des mois entiers sans avoir besoin de se confesser. Elle
veillait sur sa chasteté avec un soin jaloux, et jamais
elle ne leva les yeux sur un homme, pas même s'il était
de sa propre famille. C'est surtout dans ses fonctions de
sœur portière qu'elle eut l'occasion de donner des preuves
fréquentes de cette vertu; elle fuyait les conversations
inutiles, même avec son confesseur ou avec des religieuses,
persuadée que la vie contemplative est la plus agréable à
Dieu.
S(EDR AGNÈS -MARIE D'AMSTENRAAT. 161
Son obéissance et sa soumission à la règle faisaient
l'admiration de toutes les religieuses. Un enfant eût été
moins docile : « J'appartiens tout entière à Dieu », disait-
elle, a et aux créatures de Dieu pour accomplir tout ce
«qu'il leur plaira de m'ordonner ». La supérieure, sur
l'avis du médecin, lui commandait-elle de se rendre à
l'infirmerie, sans hésiter un instant, elle quittait le tra-
vail qu'elle avait commencé et ne sortait plus du lit
avant d'en avoir reçu la permission. « Pratiquez la sainte
« obéissance », répétait-elle souvent à ses sœurs ; « hors
de là il n'y a pour une religieuse ni repos, ni perfection-
« nement possible ».
Elle eût pu leur dire aussi : « Aimez comme moi la
« sainte pauvreté », car personne plus qu'elle n'y était
fidèle. Quoiqu'elle fût presque continuellement malade,
elle refusait même ce que ses parents lui envoyaient
pour la soulager. Elle ne voulait posséder au monde que
son livre de prières, son crucifix et ses vêtements de
religieuse ; encore étaient-ils faits de l'étoffe la plus
grossière, et les plus simples du couvent. « Les orne-
« ments d'une servante du Seigneur », disait-elle, a ce
o sont ses vertus ; il ne lui en faut pas d'autres ». Ce qui
la désolait, c'est qu'on avait pour elle les soins que
réclamait son état : boissons rafraîchissantes, nourriture
plus substantielle, chambre chauffée en hiver. Elle eût
voulu vivre de la vie commune, et son plus grand bon-
heur était de s'asseoir au réfectoire à la table frugale des
bonnes sœurs, de prendre part à leurs exercices de piété,
de travailler comme elles ; tous les jours elle demandait
à Dieu de lui en donner la force.
Si la bienheureuse Agnès était incapable de pratiquer
Palm. Sébaph. — Tome VI. H
162 vin juin.
la règle, comme elle l'aurait voulu, elle avait du moins
la consolation d'en inspirer le respect à ses sœurs. Sa
parole douce et pénétrante allait droit au cœur ; elle
enflammait les tièdes, dit son biographe , et excitait
davantage l'ardeur des autres. Aucun moyen de se sous-
traire à son influence : en un mois elle eût fait de la
pécheresse la plus endurcie une véritable sainte. Elle
introduisit au couvent plusieurs innovations excellentes,
entre autres le renouvellement annuel des vœux le jour
de l'Assomption : C'est le jour de l'Assomption que la
bienheureuse Jeanne de Valois, fondatrice des Annon-
ciades, avait consacré le premier couvent de l'Ordre à la
très-sainte Trinité et à la glorieuse Vierge Marie.
Si la bienheureuse Agnès avait sur ses compagnes une
autorité morale aussi grande, c'est qu'elle connaissait
les cœurs ; elle avait commencé par s'étudier elle-même,
et en cherchant le moyen de se guérir de ses défauts,
elle avait trouvé le secret de redresser les autres. Se
mépriser soi-même par une méditation constante de son
néant, c'était son premier remède, et il était infaillible,
et Servante du Seigneur, de quoi t'enorgueillis-tu ? De
« tes richesses 1 Tu as fait vœu de pauvreté. — De la
« noblesse de ta famille? En entrant au couvent, tu as
a dit adieu à ton père et à ta mère qui n'existent plus
« pour toi ; tes parents maintenant, ce sont les pauvres,
« les malades, les misérables, tous ceux que le monde
« dédaigne et qu'il rejette de son sein. Allons mes sœurs,
« je ne suis qu'une pécheresse, la dernière des créatures
«de Dieu; crachez-moi au visage, jetez-moi à terre,
a foulez mon corps sous vos pieds, frappez-le jusqu'au
« sang de vos disciplines ; il faut que nous nous abaissions,
SOEUR AGNÈS-MARIE D'AMSTENRAAT. 163
«si nous voulons que le Tout-Puissant nous relève».
Vivre inconnue de tous, dans une profonde solitude,
tel était le vœu de la bienheureuse Agnès. Les religieuses
lui témoignaient un respect mêlé d'admiration, et elle
en souffrait. Quand elle parlait de la bienheureuse Jeanne,
la fondatrice de l'Ordre des Annonciades, elle lui enviait
la félicité d'avoir eu une existence obscure et cachée ; en
revanche, elle put se louer comme elle d'avoir souffert
pour le Seigneur.
En effet, quoiqu'elle fût d'un tempérament très-faible
et très-délicat, fort éprouvé par des maladies fréquentes
et cruelles, la sainte fille ne s'épargnait aucune espèce
de mortifications. Tous les jours elle imaginait pour son
pauvre corps quelque nouveau supplice. Elle mêlait à
ses aliments des substances repoussantes, pour leur ôter
toute saveur ; et dans la mauvaise bière qu'elle buvait,
elle faisait infuser des racines amères. On s'étonna d'a-
bord, puis on admira, et on imita enfin. Les novices la
suivaient dans les chemins épineux où elle marchait la
première avec un courage surhumain ; mais la plupart
défaillaient avant la fin et s'arrêtaient au milieu de la
route. C'est qu'il fallait être soutenu par la grâce de
Dieu, pour ne pas reculer devant des souffrances volon-
taires et des austérités aussi terribles. Deux heures de
sommeil par jour sur une planche ou même sur la terre
toute nue, la tête appuyée contre un mur, des disciplines
sévères jusqu'à épuisement des forces ; des ceintures de
fer garnies de pointes autour des reins, des couronnes
d'épines sur le front : il y avait là de quoi effrayer les
plus grands courages; jamais Agnès n'hésita.
Si l'on ajoute à ces mortifications des maladies si
164 VIII JUIN.
cruelles, que tout son corps était agité par des convulsions
violentes et parfois tordu par la douleur, on aura une
idée de ce que fut la vie de la bienheureuse. Pourtant
jamais on ne l'entendit se plaindre ; au contraire, son
long martyre la rendait heureuse. Ce qui lui fut pénible,
ce n'étaient pas les souffrances du corps, c'étaient les
souffrances de l'âme. Dieu permit que le démon s'achar-
nât contre elle du jour où elle commença son noviciat,
jusqu'à sa mort. Il lui semblait qu'elle errait dans une
nuit immense, cherchant sa route et ne pouvant la
trouver, entourée d'embûches, condamnée à s'égarer
misérablement, jusqu'au moment où, à bout de forces,
elle tomberait épuisée ; et elle était en proie à des in-
quiétudes, à des angoisses, à des découragements sans
fin. Elle se réfugia dans la prière, et elle y rencontra le
salut : Dieu, d'ailleurs, ne l'abandonna pas un instant, et
on peut dire qu'elle ne fut jamais en danger de succom-
ber ; au contraire, ses forces croissaient avec le péril,
et chaque nouvelle épreuve la rendait plus vaillante.
Elle en vint à inspirer à ses sœurs la confiance et le
courage dont elle était animée. Quelques mots de sa
bouche suffisaient pour dissiper les plus épaisses ténèbres,
écarter les doutes, relever les esprits abattus. Elle avait
même écrit une prière, qui était contre toutes les ten-
tations un préservatif infaillible. Il semblait d'ailleurs
qu'elle fût l'image vivante de la consolation et de l'es-
pérance. Quand elle venait s'asseoir au chevet d'une
malade, on cherchait ses ailes ; les Anges du ciel ne
doivent pas avoir une figure plus douce que n'était la
sienne. On l'appelait de tous côtés, et quand on avait
rencontré son regard et entendu sa voix, on se sentait
SŒUR AGNÈS-MARIE î/AMSENRAAT. 165
soulagé ; il n'y avait pas de maladie de l'âme ou du corps
qui résistât à sa bienfaisante influence.
CHAPITRE III.
SOMMAIRE : Dévotion de la bienheureuse Agnès. — Miracle de tous les jours qui
s'accomplit en sa faveur daDs la chapelle du couvent. — Douleur qu'elle éprouve
en voyant les hommes s'occuper d'autre chose que de leur salut. — Ses médita-
tions et ses visions. — Ses entretiens avec Jésus. — Sa compassion pour les
pécheurs et les âmes du purgatoire. — Elle a le don de seconde vue et de
miracle. — Sa dernière maladie et sa mort. — Conservation de son corps dans le
tombeau.
L'endroit de prédilection de la bienheureuse Agnès
était le chœur de la chapelle. Il fallait qu'elle fût bien
malade, pour s'en arracher ; encore, durant ses longues
maladies, s'y faisait-elle porter par ses sœurs. Dans ces
occasions, un véritable miracle s'accomplissait en sa
faveur : elle arrivait souffrante et sans force ; mais à
peine les chants des religieuses commençaient-ils à rem-
plir les voûtes de l'église, elle se levait pour y répondre
comme mue par des ressorts invisibles; le sang coulait
dans ses veines; ses joues, tout à l'heure si pâles, se colo-
raient d'une vive rougeur, une vie nouvelle animait ce
pauvre corps délabré. Quelquefois même, une lumière
éblouissante l'enveloppait tout à coup , et sa figure
avait alors un aspect céleste ; ses yeux brillaient d'un
éclat qu'on ne pouvait soutenir, et ses pieds ne touchaient
plus la terre.
Aussi la pieuse fille avait-elle au cœur une recon-
naissance sans bornes pour le Dieu qui la comblait ainsi
de ses grâces. Elle ressentait comme une mortelle injure
un mot ou un geste irréligieux ; elle ne pouvait même
pas comprendre que l'on s'entretînt d'autre chose que
166 VIII JUIN.
des choses du ciel ; et quand elle entendait des conver-
sations mondaines, elle s'écriait avec douleur: « Quel
« supplice de voir les hommes s'occuper de pareilles mi-
a sères et oublier Dieu et leur salut éternel ! » On eût
dit qu'elle ne vivait pas de la vie de ce monde, tant elle
en accomplissait les fonctions avec dégoût. Manger ,
dormir, quelles tristes nécessités, et quelles preuves
indiscutables de notre infirmité et de notre néant. Prier,
voilà le seul bonheur, la seule existence possible ; la
grandeur de l'homme, c'est qu'il peut s'élever à Dieu et
s'abîmer dans son immensité : « 0 vie ! ô bonté î ô amour
« éternel 1 ô souveraine gloire ! que puis-je désirer autre
« chose que toi, ô mon Dieu, mon unique bien! 11 n'y a
a rien que toi sur la terre et dans le ciel; tout ce qui est
« en dehors de toi, n'est pas ».
La bienheureuse Agnès ne faisait pas grand cas des lec-
tures pieuses; ce n'est pas dans les livres, disait-elle,
c'est dans son cœur qu'on trouve l'image de Dieu. Médi-
tez sur votre infirmité et sur la grandeur du Très-Haut,
voilà le secret de la perfection religieuse. D'autres fois
elle répétait: a Le meilleur livre, c'est le récit de la
« Passion de Notre-Seigneur ». Elle en était toute péné-
trée; et c'a été en quelque sorte sa nourriture spirituelle
pendant la dernière partie de sa vie. On la voyait souvent
en extase devant Jésus crucifié, et elle murmurait: a O
« amour ! amour 1 abîme insondable ! » Un jour , une
religieuse fut tout étonnée de voir arriver dans sa cellule
la bienheureuse Agnès, qui lui dit : « Ma sœur, donnez-
« moi votre main, et suivez-moi ». La religieuse suivit
sans mot dire, et arriva dans une vaste salle où elle
n'avait jamais pénétré. Le spectacle dont elle fut témoin
SŒUR AGNÈS-MARIE D'AMSTENRAAT. 167
la remplit d'une muette admiration. Jésus lui-même
était présent dans sa pleine et infinie majesté, et elle
l'entendit qui murmurait : « Agnès, ma fille, demeurez
« en moi, et je demeurerai en vous». L'entretien d'Agnès
avec Jésus dura à peu près quatre heures, et quand ils
se séparèrent, un parfum céleste remplit la chambre et
longtemps encore l'imprégna tout entière.
Ces visions, qui se renouvelaient souvent, étaient pour
la bienheureuse une source de jouissances inexprima-
bles. Elle se les procurait en s'approchant presque tous
les jours de la sainte table et en se nourrissant du pain
des Anges. Son attitude, en ces moments divers, était si
touchante, qu'elle inspirait à tous ceux qui la voyaient
la piété dont elle était animée. C'est qu'avec les yeux
de l'âme, elle voyait Jésus présent dans l'hostie sacrée ;
elle lui parlait et elle l'entendait répondre : « Ma fille, je
« suis avec toi » .
Cet immense amour pour son Dieu, dont était consu-
mée la bienheureuse Agnès, lui inspirait une profonde
horreur pour le péché et un désir ardent de convertir les
malheureux pécheurs. Elle passait les jours et les nuits
au chevet des malades, pour leur faire concevoir un
repentir sincère de leurs fautes et les préparer à paraître
sans tache devant le tribunal de Dieu. Quelquefois elle
priait Dieu de prendre en pitié la pauvre humanité, et le
Seigneur lui apparaissait, et, lui montrant les plaies de
son côté, de ses mains et de ses pieds, lui disait : « Pour-
a quoi pleurez-vous, ma fille, ne suis-je pas mort pour le
« salut des hommes I »
Si elle pleurait, la sainte fille, c'est qu'elle avait une
vive intuition des joies du paradis, que tant de pécheurs
168 VIII JUIN.
perdent par leur faute, et des tourments éternels de l'en-
fer, terrible châtiment, souvent trop mérité par de lon-
gues années d'égarements. Elle ne pouvait songer sans
frémir aux âmes du purgatoire, condamnées à la priva-
tion temporaire d'une béatitude qu'elles pressentent et
qu'elles désirent sans cesse ; elle priait pour elles, et Dieu,
toujours plein de miséricorde, abrégeait souvent en sa
faveur la durée de l'expiation.
Agnès fut également honorée dès ce monde des faveurs
que Dieu accorde à ses élus : le don de seconde vue et le
don de miracles : « 0 monde, ô monde », s'écriait-elle un
jour, « que de châtiments vont fondre sur toi ! Voici la
« peste qui mettra la solitude et le silence au milieu de
« tes villes orgueilleuses ; voici la grêle qui ravagera tes
« moissons ; les fruits et les hommes périront dans leur
« fleur. Il est trop tard pour implorer la pitié et le par-
« don » ; et, quelques mois plus tard, la Hollande sentait
tomber sur elle le poids du courroux divin.
Les cœurs n'avaient pas de secret pour elle. «Ma fille»,
dit-elle à une femme qui n'osait la regarder en face,
« il n'est plus temps de baisser les yeux : je sais déjà que
« vous venez de faire une mauvaise confession ».
Une religieuse, obsédée de tentations dont elle n'osait
parler à personne, fut fort étonnée de voir un soir Agnès
entrer dans sa cellule, lui exposer l'état de son âme
mieux qu'elle ne l'aurait pu faire elle-même, et lui
indiquer les moyens de retrouver le calme et la paix.
La grande affection de la bienheureuse pour ses sœurs
lui permit d'obtenir de Dieu des miracles en leur faveur.
Un jour qu'elle n'avait rien à donner à une malade, elle
se mit en prières et lui présenta une tasse d'eau froide :
SŒUR AGNÈS MARIE D'AMSTSNBAAT. 169
«Buvez au nom du Seigneur», lui dit-elle, « et vous
« serez guérie ». La malade but et se leva aussitôt : elle
avait recouvré ses forces et sa santé. Une autre fois en-
core, Agnès délivra la même religieuse d'un mal de
gorge, en faisant sur sa boisson un simple signe de croix.
Agnès était encore dans un âge peu avancé, quand
tout à coup elle tomba gravement malade. Les médecins
déclarèrent que le moment était venu de lui administrer
les Sacrements des mourants: a Vous vous trompez»,
dit la sainte fille, a je sais bien que je ne vivrai plus
« longtemps ; mais ce n'est pas encore maintenant que je
« dois mourir » . Elle reprit en effet un peu de forces ;
mais, deux mois plus tard, le mal Tétreignit à la gorge.
Il est impossible de se figurer ce qu'elle souffrit et la
façon dont elle supporta ses douleurs. En face de la mort,
elle resta ferme et courageuse, sans faiblesse et sans
crainte, prête à paraître devant le Dieu qu'elle avait
honoré toute sa vie. Un mois avant qu'elle n'expirât, on
lui demandait ce qu'il fallait écrire à une religieuse
qu'elle aimait beaucoup et avec qui elle avait eu de fré-
quentes relations : « Dites-lui », répondit-elle, « que
« nous nous retrouverons bientôt dans un endroit où
« aucun obstacle ne se dressera entre nous ».
Enfin l'heure suprême arriva : la sainte fille s'abandonna
à la miséricorde de Dieu et se plaça avec confiance sous
la protection de la très-sainte Vierge et de tous les saints ;
puis elle s'endormit dans l'éternité en murmurant le
nom de Jésus, le 8 juin 1641. Elle n'était âgée que de
vingt-huit ans. Chose merveilleuse et inexplicable, son
corps, qui avait été la proie de tant de maladies, qu'a-
vaient torturé des souffrances terribles, puisa dans la
170 VIII JUIN.
mort une beauté resplendissante. Les lèvres roses, ou-
vertes comme une fleur épanouie, les joues fraîches et
les yeux brillants levés au ciel, on eût dit une créature
céleste dans l'attitude d'un repos extatique. Un peintre
célèbre fit son portrait, que sa famille conserva long-
temps avec orgueil comme l'un de ses plus beaux titres
de gloire.
De nouveaux miracles, qui s'accomplirent sur son
tombeau, ajoutèrent encore à l'éclat de sa renommée.
Une religieuse, qui était sourde depuis dix-huit ans, invo-
qua son intercession ; elle ressentit aussitôt une violente
douleur de tête et, deux heures plus tard, elle entendait.
Une sœur muette fut également guérie. On attribue aussi
des guérisons miraculeuses à divers objets qui avaient
autrefois appartenu à la bienheureuse : des morceaux de
sa robe, son crucifix, son rosaire, etc. Enfin Agnès ap-
parut à la bienheureuse Mathilde de Loin, qui avait été
son amie, et qui supportait difficilement les épreuves
que Dieu lui envoyait : « Prends patience », lui dit-elle,
« et soumets-toi sans murmure à la volonté de Dieu, le
« jour approche où tu en recevras la récompense ». En
effet, quelques années plus tard, Mathilde mourait en
odeur de sainteté et allait rejoindre au ciel la bienheu-
reuse Agnès.
Deux ans après les funérailles de la sainte fille, on
obtint des supérieurs de l'Ordre la permission d'ouvrir
son tombeau. La morte avait l'air d'une jeune fille pleine
de santé. C'est ainsi que Dieu prouvait au monde qu'il
peut, quand il lui plaît, préserver de la destruction
même le corps de ceux qui l'ont fidèlement servi.
(Groonenborch.)
FRÈRE PIERRE DE LA. MÈRE DE DIEU. 171
PIERRE DE LA MÈRE DE DIEU.
1627. — Pape : Urbain VIII. — Roi de Portugal : Philippe IV d'Espagne.
SOMMAIRE : Départ de frère Pierre aux Indes orientales. — Ses austérités. — Le
nouveau Jonas. — Miracles accomplis par le bienheureux. — Sa mort.
Frère Pierre naquit en Portugal, et il prit l'habit dans
la province d'Algarve, où, pendant plusieurs années,
il donna le spectacle de toutes les vertus. En 1606, il
partit pour les Indes orientales, en compagnie du commis-
saire général, et y habita la province de Saint-Thomas.
Après avoir pendant quelque temps travaillé avec zèle à
la conversion des Indiens, dans la ville de Celao, il fut
nommé portier du couvent de Chaul, puis du couvent
de Bazaïm, où il demeura jusqu'à sa mort.
Frère Pierre était, comme l'appelle son chroniqueur,
un miroir d'humilité et de pénitence. Toujours occupé,
et par cela même ayant besoin d'une nourriture abon-
dante, il donnait aux pauvres la meilleure partie de ce
qui lui était destiné. Il couchait sur la terre nue, que ses
austères disciplines arrosaient souvent de son sang. Dans
ses entretiens spirituels avec Dieu, son esprit illuminé,
tout à coup d'un rayon de la grâce, apercevait souvent
d'un seul regard les événements qui allaient se dérouler.
En 1618, un fléau menaçait la ville, le bienheureux en
fut averti ; et, ne pouvant songer sans frémir au grand
nombre d'hommes qui mourraient en état de péché
mortel, il demanda au gardien la permission d'annoncer
aux habitants, comme autrefois Jonas à Ninive, que le
172 VIII JUIN.
jour de Dieu était proche. Alors on le vit parcourir les
rues, pieds nus, la corde au cou, une grande croix à la
main, et il disait : « Mes frères, faites pénitence, parce
« que de grands malheurs vont fondre sur vous ». Ces
paroles, l'air inspiré de celui qui les prononçait, produi-
sirent sur les habitants de la ville une salutaire influence.
Effrayés, les mains levées au ciel, ils se frappaient la
poitrine et poussaient de profonds gémissements , en
reconnaissant leurs fautes et la justice du châtiment qui
les menaçait. Beaucoup venaient se jeter aux pieds du
saint homme, baisaient le bas de sa robe et le priaient
d'intercéder auprès de Dieu pour leur faire obtenir le
pardon de leurs fautes et pour détourner la vengeance
céleste, s'il en était temps encore. Le lendemain et les
jours suivants une foule immense se pressa dans l'église
du couvent, pour s'approcher du tribunal de la péni-
tence et y recevoir l'absolution; et comme la miséri-
corde de Dieu est infinie, il eut pitié de ce peuple et
pardonna.
Ce n'est pas la seule grâce dont le bienheureux Pierre
fut honoré pendant cette vie. Souvent, pendant qu'il
priait, on voyait autour de sa tête une auréole lumineuse ;
ou bien, quand il sortait du chœur pour retourner dans
sa cellule, il paraissait resplendissant comme le soleil.
Il eut aussi le don de faire des miracles : lorsque, par
hasard, il n'avait pas assez de soupe à distribuer à ses
pauvres, il se mettait à genoux, et le miracle de la mul-
tiplication des pains se renouvelait en sa faveur.
Un jour, des ouvriers attachés à un long câble s'effor-
çaient en vain de traîner à la mer un grand bateau
échoué sur le rivage ; il les vit, s'approcha d'eux et,
PÈRE JEAN DE SAINTE -MARIE, ETC. 173
attachant au bateau la corde qui ceignait ses reins, il le
fit sans peine descendre dans l'eau.
Ces miracles et d'autres encore valurent au bienheu-
reux Pierre de la Mère de Dieu l'estime et l'amitié des
Indiens. Il mourut, plein d'années et de vertus, à Bazaïm,
le 8 juin 1627. Un grande foule de peuple assista à ses
funérailles, qui furent célébrées avec pompe : on l'ense-
velit dans un magnifique tombeau, et par la suite, Dieu,
par de nouveaux prodiges, fit croître encore, parmi les
hommes, la renommée de son fidèle serviteur.
(Cardose.)
NEUVIEME JOUR DE JUIN
PÈRE JEAN DE SAINTE-MARIE
P. FRANÇOIS LOPEZ ET F. AUGUSTIN RODRIGUE
MARTYRS AUX INDES OCCIDENTALES
SOMMAIRE : Mission de frère Augustin. — Rodrigue chez les Chichimèques. —
Retour à Mexico. — Son départ daos le Nord avec les Pères Jean de Sainte-Marie
et François Lopez. — Découverte du Nouveau-Mexique. — Mort des trois mission-
naires. — Occupation du pays par l'Espagne.
Les Frères Mineurs sont les premiers missionnaires qui
aient arboré la croix du Sauveur sur le territoire amé-
ricain ; et partout où pénétraient les soldats espagnols,
on les retrouve toujours en avant, explorant souvent des
contrées inconnues et arrosant de leur sang précieux
une terre ingrate. Ce fut là le sort de frère Augustin
174 IX JDIN.
Rodrigue et des Pères Jean de Sainte-Marie et François
Lopez.
Frère Augustin Rodrigue était né à Niebla, près de
Séville, en Espagne. Il prit l'habit de frère mineur au
Mexique, et ne tarda pas à se faire remarquer par ses
supérieurs, qui l'envoyèrent en mission dans le Zacatécas,
pays des Cbichimèques. Il y passa plusieurs années,
prêcha avec succès et acquit, autant par sa science et
son éloquence que par la sainteté de sa vie, une grande
influence sur ces peuples barbares. Il provoqua parmi
eux de nombreuses conversions, puis il revint à Mexico
prendre un peu de repos.
Son zèle ne l'y laissa pas séjourner longtemps : sur la
nouvelle qu'il existait plus avant dans le Nord des tribus
indiennes encore inconnues, il se mit en route dans cette
direction. Il marcha longtemps au milieu d'une solitude
immense, traversa des rivières, franchit des montagnes
et découvrit enfin un village perdu au centre de forêts
inexplorées,' où vivaient entassés une multitude d'indiens
de tout âge et de tout sexe. Ils furent étonnés de voir
arriver au milieu d'eux un homme blanc, vêtu d'une
longue robe , et l'entourèrent tout d'abord avec de
grandes marques de respect. Ce fut bien pis encore
quand il se mit à leur parler dans leur langue : ils étaient
tentés de se mettre à genoux devant lui et de l'adorer
comme un dieu. Ils Técoutèrent d'ailleurs avec patience,
et convaincus qu'il apportait avec lui la vérité, ils détrui-
sirent leurs idoles, brûlèrent leurs temples et élevèrent
des autels au Dieu des chrétiens. Quand il les quitta, ils
avaient presque tous reçu le baptême.
En rentrant au couvent de Mexico, le bienheureux
PÈRE JEAN DE SAINTE -MARIE, ETC. 4 7 S
frère Rodrigue y trouva deux nouveaux religieux, le
Père Jean de Sainte-Marie, Catalan d'origine, et le Père
François Lopez, issu d'une des plus nobles familles de
Séville, qui se préparaient à une mission chez les Indiens
par une "vie pieuse et austère et un travail de tous les
instants. Ils partirent ensemble, accompagnés de douze
soldats espagnols que le vice-roi les força à accepter
comme escorte. Après avoir franchi, au prix de mille
dangers, les montagnes du Zacatécas, ils firent encore
plus de quatre cents milles dans la direction du Nord, et
se trouvèrent tout à coup dans un pays florissant, qui
comptait de trente à quarante villages bien peuplés, et
qu'ils baptisèrent du nom de Nouveau-Mexique. Les
Indiens qui les habitaient reçurent les missionnaires à
bras ouverts et leur témoignèrent les plus grands égards.
Il y avait là une belle conquête à faire pour la foi, les
missionnaires le comprirent ; mais comme la tâche était
au-dessus de leurs forces, il fut décidé que le Père Jean
de Sainte-Marie retournerait à Mexico et en reviendrait
le plus tôt possible avec de nouveaux religieux. Malheu-
reusement, il ne devait pas parvenir au terme de son
voyage : il était en route depuis trois jours à peine, quand
il se vit entouré tout à coup d'une foule de barbares à
l'aspect farouche, qui le firent périr au milieu des plus
affreux tourments, en 1580.
Cependant, les soldats espagnols qui avaient servi d'es-
corte aux missionnaires étaient pariis pour aller rendre
compte de leur voyage au vice-roi de Mexico, et le Père
François Lopez avec le frère Augustin Rodrigue se trou-
vaient seuls et comme perdus dans une contrée inconnue.
Ils restèrent néanmoins, et parcoururent le pays, toujours
176 IX juin.
prêchant et baptisant au nom du Père, du Fils et de l'Es-
prit. On les aimait et on les respectait, quand un malheu-
reux événement causa la mort du Père Lopez. Deux troupes
d'Indiens ennemis se battaient avec fureur ; le saint
homme, au nom du Dieu de paix et de miséricorde, essaya
de les réconcilier ; ils s'unirent en effet, mais, tournant
leur rage contre lui, ils le tuèrent à coup de flèches.
Frère Augustin Rodrigue restait seul ; il continua son
pieux ministère sans crainte, tranquille au milieu des
dangers; mais il n'échappa pas au sort de ses deux com-
pagnons ; les barbares le mirent à mort en 1590.
C'est ainsi que ces trois pieux soldats du Christ por-
tèrent au prix de leur vie la lumière divine de l'Evangile
au Nouveau-Mexique. La renommée porta la nouvelle de
leur mort sur le territoire espagnol, et bientôt d'autres
frères mineurs, désireux de les imiter, se mirent en route
vers le Nord, sous la direction du Père François d'Esco-
bar, commissaire de l'Ordre Séraphique. L'Espagne,
d'ailleurs, songeait à prendre possession de la belle pro-
vince découverte par les trois martyrs. En 1598, un pre-
mier gouverneur, Martin d'Onate, accompagné d'un
corps d'armée, vint planter l'étendard espagnol au milieu
des villages du Nouveau-Mexique. En 1604, il s'enfonça
plus avant avec le Père François et une quarantaine de
soldats, jusqu'à l'entrée du golfe de Californie. Ils remar-
quèrent avec étonnement des croix sur plusieurs collines;
ces croix avaient été dressées, en 1540, par le Père Marc
de Nilla et François Vasquez Coronado, chef de l'armée
qui avait occupé la Nouvelle-Galice. En 1620, presque
tout le territoire situé entre l'Océan Atlantique et l'Océan
Pacifique avait reconnu le Dieu des chrétiens.
LE BIENHEUREUX PÈRE GUILLAUME DE CALATAGIRONE. 177
PÈRE GUILLAUME DE CALATAGIRONE
1592. — Pape : Innocent IX, — Roi de France : Henri IV.
SOMMAIRE : Influence du bienheureux Guillaume sur ses concitoyens. — Il intro-
duit en Sicile la réforme des Récollets. — Sa sévérité justifiée par ses vertus. —
Son humilité. — Son ardeur dans la prière. — Prédictions qu'il fait au Père Bona-
venture. — Sa mon et ses funérailles.
Le bienheureux Père Guillaume, né à Calatagirone, en
Sicile, était déjà âgé de quarante ans quand il prit l'habit
de frère mineur ; mais par ses austérités, ses vertus et sa
piété, il eut bientôt rejoint ceux qui s'étaient engagés
avant lui sur le chemin du salut. Il fut tout d'abord
éprouvé par une dangereuse maladie, qui lui enleva
l'usage de la parole; dès qu'il fut guéri, il reprit ses habi-
tudes de mortification et de pénitence.
Plein de zèle pour la conversion du prochain, il y tra-
vailla avec ardeur et avec succès pendant sa vie tout
entière. Sa parole était forte et grave, et faisait une
impression profonde sur ceux qui l'enteudaient : il ins-
pirait surtout la crainte de Dieu. Sa figure longue et
pâle, éclairée par deux grands yeux noirs, attirait l'atten-
tion et commandait le respect. Son maintien sévère et sa
haute taille donnaient à tout son être une sorte de
majesté.
Le bienheureux Père Guillaume de Calatagirone fut l'un
de ceux qui acceptèrent les premiers, en Sicile, la réforme
des Récollets. Chaque fois qu'on le nomma gardien, il
s'attacha avec une attention scrupuleuse à faire pratiquer
les moindres ordonnances de la règle. Il ne voulait pas
Palm. Séuaph. — Tome VI. 12
178 IX JUIN.
voir un frère mineur oisif ; à ceux qu'il rencontrait dans
les couloirs du couvent, errant à l'aventure, sans néces-
sité, il imposait sur-le-champ un ouvrage désagréable.
Il était aimé de tous malgré son extrême sévérité ; c'est
que lui-même donnait le premier l'exemple du travail,
de la prière et de la mortification.
D'une humilité excessive, il ne se résignait que sur un
ordre formel de ses supérieurs à exercer la dignité de
gardien; encore priait-il Dieu tous les jours de lui per-
mettre de mourir simple frère. Il ne pouvait souffrir
qu'on lui témoignât du respect, et il ne se consolait des
honneurs qu'on lui imposait, qu'en supportant sans se
plaindre toutes les épreuves physiques ou morales qu'il
plaisait à Dieu de lui envoyer.
Toujours le premier au chœur dès que sonnait la
cloche des matines, le vénérable Père y demeurait seul
après le départ de ses religieux, plongé dans de célestes
contemplations. C'est ainsi qu'il reçut de précieuses
révélations sur des questions très-importantes, dont plus
tard il donna connaissance à ses frères et à des personnes
pieuses.
Le Père Bonaventure de Calatagirone, après un chapitre
provincial, se plaignait à lui avec amertume de ce qu'on
ne l'avait pas choisi pour définiteur : « Mon Père », lui
dit le bienheureux Guillaume, « ne prenez souci que
« d'être un parfait disciple de saint François, soumis à la
« règle et dévoué aux intérêts de Dieu ; un jour viendra
« où vous serez nommé général de l'Ordre tout entier ».
Le Père Bonaventure ne pouvait en croire ses oreilles ;
mais force lui fut bientôt de reconnaître la vérité de cette
prédiction , car à la première assemblée générale qui
FRÈRE VINCENT DE NICOSIE. 179
suivit cet entretien, il fut élu général, et plus tard le
souverain Pontife l'éleva même à la dignité d'évêque et
au patriarcat.
Après avoir pendant cinquante ans donné l'exemple de
toutes les vertus, le bienheureux Guillaume s'endormit
dans le sein de Dieu, au couvent de Piaza, le 9 juin 1592;
il était âgé de quatre-vingt-dix ans. Ses funérailles furent
célébrées au milieu d'un grand concours de peuple, avide
de voir encore une fois les restes de ce saint homme et
d'emporter de lui quelque précieuse relique. Des mira-
cles s'accomplirent sur son tombeau ; on cite, entre
autres, la guérison d'une femme paralytique.
(Chron. de la Prov. de Sicile.)
FRERE VINCENT DE NICOSIE
DU TIERS ORDRE
1601. — Pape : Clément VIII. — Roi de France : Henri IV.
SOMMAIRE : Vertus du bienheureux frère Vincent : Humilité, pauvreté. — Ses
austérités et ses maladies. — Mauvais traitements qu'on lui fait subir à Montréal.
— Méditations et visions du bienheureux Vincent. — Ses extases. — Ses miracles
et sa mort.
Ce pieux serviteur de Dieu, qui vécut d'abord très-
dignement au milieu du monde avant de prendre l'habit
de franciscain, naquit en Sicile, dans la petite ville de
Nicosie. Ne pouvant se faire recevoir dans l'Ordre en
qualité de frère lai, il demanda à être admis parmi les
Tertiaires, et entra au couvent de Sainte-Marie-de-Jésus,
non loin de Païenne, où il demeura jusqu'à sa mort.
180 IX JUIN.
11 se montra un digne disciple de saint François : un
seul repas par jour, et sans viande ; l'observance des sept
jeûnes recommandés par le fondateur de l'Ordre; toutes
les nuits, une sévère discipline. Ses habits rapiécés en
maints endroits, rattachés grossièrement avec des ficelles,
étaient dans un état pitoyable, et il se trouvait encore
trop magnifiquement vêtu. Humble et modeste dans ses
manières, soumis à ses supérieurs comme il eût pu l'être
à Dieu lui-même, il parlait peu; mais ses paroles, dictées
par un cœur tout rempli de foi et d'amour, allaient à
l'âme et y faisaient germer de saines pensées.
Le Seigneur, pour l'exalter aux yeux du monde ,
l'éprouva par des souffrances et des maladies fréquentes
et cruelles. Il ne se plaignit pas et ne songea jamais à
apporter quelque adoucissement à l'austérité de sa vie.
Seulement, quand la douleur devenait si vive qu'elle eût
été insupportable pour tout autre que pour lui, les noms
de Jésus et de Marie se pressaient sur ses lèvres, et il se
sentait soulagé. La vie de tertiaire alors n'était pas douce
dans le pays de Sicile ; il fallait aller au loin pour se pro-
curer les choses indispensables, et quelquefois on es-
suyait des rebuffades et de mauvais traitements. Un jour
qu'il avait été envoyé à Montréal pour recueillir des au-
mônes, il entra dans l'église pour y faire une prière ; en
même temps que lui, un voleur s'y introduisait et enle-
vait un vase sacré. On ne tarda pas à s'apercevoir du
larcin, et frère Vincent, que plusieurs personnes dési-
gnèrent du nom de moine sale et déguenillé, fut arrêté
comme coupable du vol commis et tout d'abord fort mal-
mené. Il ne songea pas même à se défendre ni à deman-
der quel crime il avait ewfrimis, pour être jugé et exé-
FRÈRE VINCENT DE NICOSIE. 181
cuté avec cette justice sommaire. Heureusement, l'arche-
vêque connaissait le bon frère : il s'indigna des traitements
qu'on lui avait fait subir et parla de punir sévèrement
les bourreaux improvisés. Alors seulement frère Vin-
cent, qui jusqu'alors avait gardé un silence absolu, ouvrit
la bouche pour demander leur grâce , et il l'obtint.
Quelque temps après, le véritable voleur fut découvert,
et l'innocence du religieux, déjà affirmée par le prélat,
apparut aux yeux de tous dans tout son jour.
Frère Vincent avait l'amour de la solitude, et il évi-
tait autant que possible non-seulement la société des
mondains, mais encore celle des autres religieux. On le
voyait sans cesse, son rosaire à la main, murmurant les
litanies de Marie ou de Jésus, en commerce intime avec
Dieu, qui ne sortait pas un instant de sa pensée. Malgré
ses souffrances, il ne prenait jamais plus de deux heures
de repos, et passait le reste de la nuit au chœur, où il
arrivait bien avant les matines, et d'où il ne sortait qu'a-
près la première messe. C'est là qu'il avait des visions
qui le remplissaient d'une joie céleste et de longs entre-
tiens avec Jésus et Marie. Il lui semblait que la statue de
marbre de la Mère de Dieu s'animait et prenait une voix
pour lui répondre. C'est aux pieds de la Reine des vierges
qu'il aimait à prier ; il y revenait sans cesse, et plus d'une
fois on le trouva en contemplation devant l'autel qui lui
était consacré. Le nom seul de Marie le faisait tomber en
extase: un jour, dans la maison de François Abisso, au
moment où on commençait la lecture d'un ouvrage de
piété, on remarqua tout à coup que frère Vincent res-
tait immobile et que des rayons lumineux partaient de
son visage comme d'un soieiT.
.
182 IX JUIN.
Ces prodiges et d'autres encore valurent au bienheu-
reux frère l'estime et la considération des hommes.
Torrès, archevêque de Montréal, qui devint plus tard
cardinal de la sainte Eglise, un grand nombre de gen-
tilshommes et de seigneurs s'honoraient fort d'être de
ses amis, et ne laissaient pas échapper une occasion de
lui témoigner leur respect et leur sympathie.
On attribue à frère Vincent un certain nombre de
miracles que, malheureusement, son premier biographe
n'a pas pris soin de relater, et qu'il nous est par consé-
quent impossible de rapporter ici.
Après une longue vie de travail, d'abnégation et d'aus-
térités, le bienheureux Vincent, atteint tout à coup d'un
violent mal de gorge, fut obligé de se faire transporter à
Païenne, au couvent des Conventuels, dont l'infirmerie
servait également aux Récollets. Il y reçut la visite de
tous ses amis ; mais, ce qui lui fut beaucoup plus agréa-
ble, il eut le bonheur d'être consolé et encouragé par la
très-sainte Vierge Marie elle-même. Elle lui prédit que,
le samedi suivant, les portes du ciel s'ouvriraient devant
lui, et cette nouvelle le remplit d'une grande joie. Pen-
dant tout le temps que dura sa maladie, ses yeux ne quit-
tèrent pas son crucifix et sa pensée ne cessa de s'attacher
aux choses du ciel. Il mourut le samedi, 9 juin 1601,
après avoir reçu avec piété les Sacrements des mourants,
et fut enseveli au milieu de l'église, dans le caveau com-
mun des frères.
Un an plus tard, on ouvrit son cercueil : le corps n'était
pas encore atteint par la décomposition. Des miracles
s'accomplirent par son intercession.
(Chron. de la Prov. de Sicile.)
FRÈRE ANDRÉ LE CORSE. 183
DIXIEME JOUR DE JUIN
FRÈRE ANDRÉ LE CORSE
1620. — Pape : Paul V. — Roi d'Espagne : Philippe III.
SOMMAIRE : Célébrité du couvent de Lima. — Miracles qui s'y accomplissaient. —
Progrès de frère André dans la perfection. — Il introduit au Pérou la réforme des
Récollets. — Affection et respect qu'on lui témoigne. — Sa mort. — Miracle qui
accompagne ses funérailles.
Frère André, surnommé Corsus, ou le Corse, naquit
dans l'île de Corse, et prit l'habit de frère mineur en
1560, aux Indes occidentales, dans la grande province de
Lima ou des Douze-Apôtres. Il eut pour directeur, pen-
dant son noviciat, Père Alphonse d'Escarcena, un saint
homme dont nous avons raconté la vie au troisième
jour de mars.
Le couvent de Lima était alors l'asile de religieux
pieux, austères, amis de la sainte pauvreté. Bien souvent
le Seigneur y accomplissait des miracles éclatants en
faveur de ses serviteurs fidèles. Un jour que les frères
n'avaient rien à manger, parce que le portier avait tout
donné aux pauvres, ils s'en vinrent au réfectoire, pleins
de confiance en la bonté de Dieu. Leur foi fut récom-
pensée : un Ange avait apporté sur la table une immense
corbeille de pain. Une autre fois, le jour de la fête de
saint François, c'étaient cinq religieux, qui, au milieu
de leurs frères étonnés, s'élevaient jusqu'à la voûte de
l'église au sein d'une nuée éclatante, et la chapelle re-
184 x juin.
tentissait des louanges du Très-Haut. A cette école de
perfection religieuse, frère André avança rapidement
dans les sentiers de la vertu. Il pratiquait chaque année
les sept jeûnes de saint François et les austérités pres-
crites par la règle. Tout son corps était marqué de
raies noires ou plaqué de plaies sanglantes, fruit de ses
sévères disciplines. Pénétré d'un ardent amour pour son
Dieu, il consacrait à la prière tout le temps dont il pou-
vait disposer. 11 avait surtout une grande dévotion au
saint Sacrement, et tous les jours, qu'il fût malade ou
qu'il se portât bien, il servait dix ou douze messes. La
La nuit, au lieu de dormir, il restait à genoux, au pied
de l'autel, en contemplation devant l'infinie majesté' de
son Dieu, quelquefois, plongé dans une profonde extase,
et paraissant jouir par avance de la félicité éternelle des
élus.
L'amour de Dieu ne va point sans l'amour du prochain ;
et la charité de frère André était infatigable. Il visitait
les malades, les pauvres et s'occupait non-seulement de
panser les plaies de leurs corps, mais surtout celles de
leur cœur. Plus d'une âme du purgatoire lui dut aussi
de voir abréger la durée de son expiation.
C'est le bienheureux frère André qui introduisit le
premier au Pérou la réforme des Récollets, pour qui il
fonda tout d'abord à Lima le couvent de Notre-bien-
aimée-Dame-des-Anges, puis les couvents de Pisco, de
de Callao et de Gualuco, dont il fut successivement le
gardien. Dans celte dignité, il fit preuve d'une grande
prudence, et montra une science parfaite des choses de
la religion et une connaissance profonde du cœur de
l'homme. 11 sut gagner l'affection et l'estime des Indiens,
FRÈRE ANDRÉ LE CORSE. 185
qui virent en lui non-seulement un ministre, mais un
envoyé de Dieu, et qui venaient s'instruire auprès de
lui des mystères de la religion.
Les miracles que, par une faveur spéciale du Très-
Haut, notre bienheureux accomplissait tous les jours, ses
prophéties toujours réalisées, ne contribuèrent pas peu,
avec la sainteté de sa vie, à lui attirer la vénération uni-
verselle. On était tenté de se jeter à ses genoux et de
baiser la trace de ses pas ; on s'estimait heureux quand
on avait pu enlever quelque morceau de ses vêtements.
Ces honneurs lui étaient plus pénibles que les plus
amers reproches ; il se les reprochait comme autant de
péchés, et il en demandait avec des larmes pardon à
Dieu, comme de crimes abominables.
Ce qui l'en consolait un peu, c'étaient ses maladies,
ses souffrances continuelles, qu'il supportait avec joie
et qui étaient pour lui la preuve que Dieu ne s'était pas
éloigné de lui. 11 connut d'avance et annonça à ses
frères le jour de sa mort, qui arriva le 10 juin 1620, au
couvent de Jésus, à Lima. Il était parvenu à une extrême
vieillesse , quatre-vingt-dix ans , dont il avait passé
soixante dans l'Ordre Séraphique.
Il conserva dans le trépas une beauté majestueuse et
calme. Ses funérailles furent célébrées avec pompe, au
milieu d'un grand concours de peuple. Tandis que des
personnes pieuses portaient le corps à l'église sur leurs
épaules, une pauvre femme, qui vivait depuis de longues
années des aumônes du bon Père, s'approcha en pleurant,
et avec des sanglots dans la voie demanda de baiser une
dernière fois la main qui l'avait nourrie. Aussitôt, chose
merveilleuse, le bras du bienheureux s'allongea de lui-
186 X JUIN.
même hors du cercueil, et la main vint effleurer les
lèvres tremblantes de la pauvresse. Ce miracle, qui se
produisit d'une manière si éclatante aux yeux de milliers
de personnes, ajouta à la renommée de frère André un
nouvel éclat, et accrut d'autant la vénération dont il
était l'objet. On se disputa ses reliques avec un acharne-
ment incroyable; peu s'en fallut que, dans l'ardeur de
leur piété et de leur reconnaissance, les pauvres ne cou-
passent le corps en morceaux.
Peu de temps après, l'archevêque de Lima fit faire une
enquête sur la vie et les miracles de frère André, et
ordonna l'exhumation de ses précieux restes qui furent
placés dans un caveau particulier au milieu de la cha-
pelle de Sainte-Catherine. La cérémonie eut lieu le
9 octobre 1622, deux ans après la mort du bienheureux,
dont le corps encore intact fut revêtu d'une nouvelle
robe. Tout le clergé de Lima, les chanoines de la cathé-
drale et les religieux de tous les Ordres, la bourgeoisie
et la noblesse, assistèrent à la procession en chantant les
louanges de Dieu et la gloire de son serviteur.
(Tiré de la Vie de saint François Solanus. )
PÈRE LUCAS DE GUENÇA M
SOMMAIRE : Vertus du Père Lucas. — Ses épreuves et ses maladies. — Ses
doutes sur lui-même, puis sa tranquillité au moment de la mort. — Ses funé-
railles.
Père Lucas de Cuença naquit en Espagne. Envoyé
comme missionnaire dans la province de Lima, il exerça
(1) Nous plaçons à la suite de la vie de Père André le souvenir de plusieurs re-
ligieux de la même province, dont on ne connaît pas au juste la date de la mort.
PÈRE LUCAS DE CUENÇA. 187
dans différents couvents de la province la dignité de
maître des novices, et forma pour l'Ordre de vénérables
et saints religieux. Lui-même donnait l'exemple de
toutes les vertus : pieux, soumis à la règle, dont il n'en-
freignait jamais une ordonnance, toujours en prières,
les genoux usés sur les pierres des autels, où il passait sa
vie dans la contemplation et dans l'extase.
Il fut, comme tous les privilégiés du Seigneur, sujet à
de longues maladies, qu'il supporta toujours avec cons-
tance et même avec joie. Lorsque le saisit la maladie qui
devait l'emporter, il reçut saintement les Sacrements des
mourants, et resta trois jours entiers en extase, immobile,
ne donnant signe de vie qu'en récitant par intervalles un
verset des psaumes. Quoiqu'il fût cité dans la province
de Saint-Antoine-de-las-Charcas comme un miroir de
perfection religieuse, à l'heure de la mort il se demandait
avec angoisse : o Mon Dieu, qui peut se flatter d'avoir
« été jugé par vous un homme de bien et un homme
a vertueux? » L'idée de ses inûrmités le poursuivait à la
dernière heure comme un fantôme ; cependant il retrouva
du calme, et se sentit peu à peu envahir par une béati-
tude infinie. Il mourut à l'âge de quatre-vingt-dix ans,
vers l'an 1620, au couvent de Chuquizaca. Son visage,
empreint d'une sérénité angélique, avait la blancheur
de la neige. Ses funérailles furent célébrées avec pompe ;
la cour royale de Chuquizaca, tous les Ordres religieux
et une foule d'habitants assistèrent à la cérémonie. On
venait baiser avec respect les pieds et les mains du véné-
rable Père, que l'on qualifiait justement du nom de saint.
Quatre de ses vêtements furent mis en lambeaux et con-
servés comme de précieuses reliques.
188 X JUIN.
PERE ALPHONSE D'ARGUELLO
Père Alphonse d'Arguello était secrétaire du vice-
roi de Pérou, quand tout à coup, plein de mépris pour
les honneurs et les richesses mondaines, il donna tous
ses biens aux pauvres et prit l'habit de frère mineur au
couvent de Cuzco, ville où il avait longtemps habité.
Son amour de la sainte pauvreté, son ardeur à la prière
et à la méditation le signalèrent à ses supérieurs, qui le
chargèrent plus spécialement de la conversion des
Indiens : il en baptisa un grand nombre.
Quand sonna pour lui l'heure de l'éternel repos, il fit
la confession générale de ce qu'il appelait ses péchés,
reçut avec des yeux pleins de larmes les derniers Sacre-
ments, le saint Viatique et l'Extrême-Onction, puis il
mourut à genoux, dans l'attitude de la prière, les mains
levées au ciel. 11 resta longtemps ainsi ; car c'est seule-
ment quelques heures plus tard que ses frères, étonnés
de le voir dans cette position, s'approchèrent de lui et
s'aperçurent qu'il était mort.
On l'ensevelit au couvent de Pocona : les larmes des
Indiens, accourus en foule à ses funérailles, sont le plus
bel éloge qu'on puisse faire de sa vie.
PERE GASPARD DE YALYERDE
Père Gaspard, qui naquit à Valverde, en Espagne, est
resté célèbre pour ses vertus et pour ses mortifications.
LE BIENHEUREUX PÈRE BONIFACE DE RIPAROLO. 189
Son esprit était sans cesse occupé de Dieu et des choses
du ciel. Il passait en prières la plus grande partie de la
nuit, en dépit du démon qui s'efforçait par tous les
moyens possibles de le distraire de ses contemplations. Il
prêcha longtemps et avec succès au milieu des Indiens,
dont beaucoup voulurent recevoir le baptême de ses
mains. Une sainte mort fut le couronnement de sa vie,
tout entière consacrée à Dieu. Il expira en 1570, au
couvent de la Plata, et les miracles qui s'accomplirent
sur son tombeau ajoutèrent encore à l'éclat de sa
renommée.
(Vie de saitit François Solanus.)
PERE BONIFACE DE RIPAROLO
1330. — Pape : Jean XXII. — Roi de France : Philippe VI.
Le bienheureux Père Boniface naquit à Riparolo, en
Italie, et fut l'une des gloires de l'Ordre Séraphique au
deuxième siècle de son existence. Premier provincial du
royaume de Sicile, il administra ses nombreux couvents
avec une sagesse merveilleuse et sut inspirer à tous les
religieux l'amour et le respect delà règle. Plus tard, il
dirigea la province de Gênes avec le même zèle et la
même prudence. Il faisait à pied ses tournées d'inspec-
tion, et disait sa messe tous les jours dans les chapelles
des couvents ou dans les églises des villages qu'il tra-
versait. Ses vêtements, plus misérables que ceux du
dernier frère lai, étaient faits d'une étoffe rude et gros-
sière. Durant ses longs voyages, lorsqu'il était épuisé de
190 X JUIN.
fatigue ou même lorsqu'il était malade, il pratiquait les
jeûnes prescrits, se donnait de sévères disciplines et ne
s'épargnait aucune espèce de mortifications. Sa figure
était toujours souriante, comme son cœur plein de cha-
rité. Un jour un de ses frères fut assassiné : le bienheu-
reux alla trouver le meurtrier qui était parvenu à
échapper à la justice, lui pardonna son crime, le ramena
au bien et en fit plus tard son meilleur ami.
Le Père Boniface donna ainsi pendant quarante ans
l'exemple de toutes les vertus. Au moment où il expirait,
en 1330, au couvent de Gênes, un religieux de sainte vie
aperçut autour de son lit des Anges qui prirent son âme
et l'emportèrent au ciel dans une nuée de lumière. De
nouveaux miracles s'accomplirent sur le tombeau du Père
Boniface.
Vers la même époque mourait au couvent de Gênes
le bienheureux Père Bélenger de Montaigu, dont la vie
et la mort furent aussi honorées par des miracles écla-
tants .
Le bienheureux Boniface de Sienne vécut au premier
siècle de l'Ordre Séraphique, dans la province de Toscane.
Il est célèbre pour ses miracles et sa sainteté.
(Pisan et Wadding.)
FRÈRE JÉRÔME, DE PORTUGAL. 191
FRÈRE JEROME DE PORTUGAL
1590. — Pape : Sixte-Quint. — Roi de Portugal : Philippe II d'Espagne.
Quand fut fondé à Malacca, dans les Indes orientales,
le premier couvent de l'Ordre, sous l'invocation de la
Mère de Dieu, le Père François Gonzague, général de
l'Ordre, y envoya en 1584 le Père Didace de la Concep-
tion avec douze frères mineurs de l'austère province
d'Arrabida, pour y établir une custodie : le Père Didace
fut reçu avec une grande joie au couvent de la Mère de
Dieu.
Au nombre de ses douze compagnons se trouvait
frère Jérôme, né à Brouglise, en Portugal, qui s'était
depuis longtemps préparé aux travaux apostoliques par
la mortification et la pénitence. Il vivait de pain et d'eau;
les légumes et les fruits étaient pour lui un luxe qu'il ne
se permettait qu'aux jours de fête. En 1569, lorsqu'éclata
en Portugal cette terrible peste qui changea des villes
entières en solitude, il se consacra avec un zèle infati-
gable au service des pestiférés, sans souci de l'affreuse
mort à laquelle s'exposaient tous ceux qui approchaient
des malades. Il parcourait les rues, pansait les plaies
infectes, encourageait les mourants à espérer en la misé-
ricorde de Dieu.
Un peu plus tard, sur sa demande, ses supérieurs l'en-
voyèrent, en compagnie de trois autres frères mineurs,
prêcher la foi catholique chez les Maures. Il parvint à
gagner les bonnes grâces de leur roi, qui lui permit de
192 X JUIN.
parcourir le pays et de baptiser au nom de son Dieu. Les
missionnaires élevèrent une église sur un terrain qu'on
leur abandonna, et commencèrent aussitôt leur œuvre
de charité. Ils vivaient d'aumônes, qu'ils allaient quêter
eux-mêmes par les rues, et qu'ils partageaient avec les
pauvres et les prisonniers. Un certain nombre de Maures
se convertirent à leur voix; ils écoutaient surtout le
frère Jérôme dont la parole forte et passionnée faisait
sur eux une vive impression. Il était partout plein
d'ardeur pour son Dieu et pour son prochain, renversant
les idoles des faux dieux et remplaçant par la croix du
salut les statues et les images de l'idolâtrie.
Après quatre ans d'un travail assidu, frère Jérôme
revint en Portugal : il n'y resta pas longtemps ; à la
nouvelle du départ de Didace pour les Indes, il demanda
en grâce de l'accompagner, et obtint d'apporter à la
pieuse expédition le concours de ses vertus et de son
expérience. Peu de temps après, Dieu lui accorda la
récompense qu'il avait ambitionnée toute sa vie : la mort
des martyrs. Gomme il passait dans une rue de Malacca,
un infidèle, en haine de la religion catholique et de ses
ministres, lui lança sur la tête une pierre qui le tua.
(1590.)
(Cardose.)
EGIDIUS DOBBELAER ET GUILLAUME DE VITTE. 193
EGIDIUS DOBBELAER
ET GUILLAUME DE VITTE, MARTYRS
1635. — Pape : Urbain VIII. — Roi de France : Louis XIII.
En 1591, les Gueux, alors la terreur des Pays-Bas,
avaient une première fois pris d'assaut la ville de Thienen,
en Brabant, et massacré, le 27 août, un pieux religieux,
Thomas de Beringhen, coupable de n'avoir ni or ni
argent à donner pour sauver sa vie. En 1635, la même
ville fut encore le théâtre des sanglants exploits des héré-
tiques. Les Hollandais victorieux envahirent le couvent
des Annonciades, mirent à mort un grand nombre de
religieuses, et se portèrent sur les autres aux dernières
violences. L'aumônier du couvent, le Père Antoine de la
Roche, reçut neuf blessures à la tête et deux au bras ; il
eut plusieurs doigts de la main coupés; toutefois il
échappa à la mort. Mais il n'en fut pas de même de son
compagnon, le Père Egidius Dobbelaer, confesseur, qui
mourut d'un furieux coup de sabre à la tête, le 10 juin
1635.
Le même jour, les Frères Mineurs chassés de leur cou-
vent s'enfuyaient en désordre ; l'un d'eux, le Père Guil-
laume de Vitte, prédicateur éloquent, que son grand âge
avait empêché de suivre ses frères, fut accablé de coups
au pied des autels. Il en mourut quatre jours après, entre
les bras de son gardien, qui avait obtenu des Gueux la
permission de rentrer dans le couvent.
(Chron. de la Prov. de l'Allemagne infèr.)
Palm. Séraph. — Tome VI. 13
194 XI JUIN.
ONZIEME JOUR DE JUIN
LE BIENHEUREUX JEAN DE TODI
FRÈRE LAI
1255. — Pape : Alexandre IV. — Roi de France : Saint Louis.
SOMMAIRE : Surnom du bienheureux Jean, — Son désir d'imiter le bienheureux
Junipérus. — Ses vertus. — Sa mort. — Douleur qu'en ressent le bienheureux
Junipérus.
Le bienheureux Jean naquit à Todi, en Italie, d'une
famille noble. En 1230, il prit l'habit de frère lai, et
reçut presque aussitôt, dans l'Ordre, le surnom de Tien-ti-
al-bene, c'est-à-dire : « Attache-toi à ce qui est bien » ;
apparemment parce qu'il répétait souvent ces quatre
mots.
En peu de temps il parvint, à force d'obéissance, de
prières, de mépris du monde et de lui-même, à un haut
degré de perfection. Ce qui le stimulait, c'était le désir
d'atteindre à la sainteté du bienheureux Junipérus (1), qui
vivait alors, et qui était déjà célèbre par ses bonnes
œuvres et ses miracles. 11 se déclara son disciple, et par
son zèle religieux, s'il n'arriva pas à l'égaler, il gagna du
moins son amitié.
Jean était d'ailleurs un modèle de toutes les vertus. Il
semblait qu'un ordre de ses supérieurs lui donnait des
ailes; au moindre mot, il ne marchait pas, il volait. Sa
(1) Voir au 4 janvier la Vie du bienheureux Junipérus.
LE BIENHEUREUX JEAN DE TODI. 195
patience dans les souffrances physiques ou morales faisait
l'admiration de tous les religieux ; on l'envoyait dans les
couvents où la vie était le plus dure et le plus pénible,
il s'en félicitait comme d'un bonheur incomparable.
Ses frères, pour le mortifier, le soumettaient à des épreu-
ves dont il se tirait toujours à son honneur ; c'est ainsi
qu'avec un mot, le bienheureux Junipérus le faisait rire
ou pleurer, se mettre à l'ouvrage ou se reposer, parler
ou garder le silence.
Dieu donna à ce bon frère le pouvoir d'accomplir des
miracles. On cite de lui, entre autres guérisons miracu-
leuses, celle d'un lépreux et celle d'un aveugle.
Le bienheureux Jean passa les dernières années de sa
vie au couvent d'Alviano, non loin de Todi ; c'est là,
qu'il se prépara au grand voyage de l'éternité par un
redoublement d'austérités et de bonnes œuvres. Il s'en-
dormit dans le Seigneur en 1255, et sa mort fut signalée
par des miracles éclatants. Le bienheureux Junipérus
regretta celui qui avait été son frère et son ami. « Depuis
« que ce saint homme n'est plus », s'écriait-il, a il n'y a
« plus rien de bon sur la terre ; le monde entier devrait
« le pleurer ; si je ne craignais pas de passer pour un
« insensé, j'irais droit au tombeau de mon frère Jean
« Tien-ti-al-bene, je prendrais sa tête où ont germé tant
« de vertus, j'en ferais deux parts, je mangerais l'une et
«je boirais l'autre». Et, se tournant vers ses frères, il
ajouta: «Nous venons de perdre un religieux plein de
« vertus, mais en même temps nous avons acquis au ciel
« un avocat ei un père ».
(Wadding.)
196 XI JUIN.
LE BIENHEUREUX JEAN D'AVELLINO
FRERE LAI
1313, — Pape : Clément V. — Roi de France : Philippe IV.
SOMMAIRE : Vie désordonnée de Jean d'AveUino. — Sa conversion inespérée. —
Ses remords. — Ses vertus. — Respect qu'on lui témoigne et qu'il cherche en vain
à éviter. — Ses extases. — Sa mort et ses funérailles.
Le bienheureux Jean d'Avellino, qui naquit en d250,
dans le royaume de Naples , était fils de Jean- Jacques
Armenius de Monlforte, et de Thomasine de Capoue. Sa
jeunesse fut loin d'être irréprochable, il se mêla aux
terribles guerres de cette époque et se laissa entraîner à
des excès de toutes sortes. Sa piété était plus que dou-
teuse; son père se disposant à relever à ses frais Féglise
d'Avellino, qui avait été brûlée, Jean fit tous ses efforts
pour le décider à consacrer à un autre usage les som-
mes d'argent déjà recueillies, et sur le refus du comte,
il conçut contre lui une mortelle haine, et jura qu'il
prendrait, les armes à la main, l'or destiné à l'église.
En ce moment, survint à Avellino un vénérable reli-
gieux, disciple et compagnon de saint François ; Montforte
courut à lui comme à un envoyé du ciel: «Mon ami», lui
dit le moine, « votre fils sera un jour frère lai et don-
ci nera l'exemple de toutes les vertus ». Quelques semai-
nes plus tard, cette prophétie se réalisait.
Dès l'année de son noviciat, cet impie converti attei-
gnit à la perfection chrétienne des plus saints religieux.
On le voyait quelquefois, dans les rues de la ville, les
LE BIENHEUREUX JEAN D'AVELLINO. 197
yeux pleins de larmes, se jeter aux pieds d'un de ses
anciens amis en disant : « Toi qui m'as connu comme
a un misérable pécheur, et pour qui j'ai été un sujet de
«scandale, je t'en supplie, suis-moi maintenant dans la
« voie du repentir ». Il ramena au bien par son exemple
un certain nombre de personnes, entre autres une femme
de mauvaise vie, qui, dans l'espoir de l'épouser, avait
essayé de le faire retomber dans ses anciens égarements.
Le bienheureux Jean d'Avellino ne s'épargnait aucune
espèce de mortifications : il jeûnait, il prolongeait ses
veilles, il se donnait de sévères disciplines, il marchait
pieds nus, les yeux attachés à la terre, craignant comme
un criminel de rencontrer des regards qui le condam-
neraient.
A la chapelle, il priait avec la piété des Anges. Aucun
bruit ne le dérangeait de ses méditations, et plus d'une
fois ses frères le virent avec étonnement s'élever de terre
dans un tourbillon de lumière.
Cependant la renommée de sa sainteté s'était peu à
peu répandue dans la province, et on accourait de tous
côtés lui demander des consolations, de bons conseils,
des exemples de vertus. Le respect qu'on lui témoignait
et dont il se croyait indigne, lui causait une véritable
souffrance ; il demanda à ses supérieurs et obtint d'être
envoyé en Ombrie, où il espérait trouver la solitude et le
calme. Il se trompait ; à peine arrivé au couvent de Todi,
il se vit en butte à ce qu'il appelait les mêmes persécu-
tions. On venait à lui comme à un envoyé du ciel, les
malades pour être guéris, les pécheurs pour se conver-
tir, les hommes de bien pour se soutenir et s'encourager
par son exemple. Le bon frère ne savait comment se
198 XI JUIN.
délivrer de cette affluence ; à force de prières, il obtint
de ne plus accomplir de miracles; il n'eut jamais le
bonheur d'échapper à la vénération des hommes.
Durant l'année qui précéda sa mort, il fut sujet à de
fréquentes extases, méritées sans doute par un redouble-
ment d'austérités. Les souffrances de sa dernière maladie
furent tempérées par des entretiens spirituels du bien-
heureux avec saint François, la sainte Vierge et le Fils
de Dieu lui-même, qui lui apparut plusieurs fois dans
sa pleine et infinie majesté. C'est le 11 juin 1313, à l'âge
de soixante-trois ans, qu'il s'endormit doucement dans le
sein du Seigneur.
La nouvelle de sa mort attira dans la chapelle du
couvent une foule d'hommes et de femmes, désireux
d'honorer les précieux- restes du frère Jean, de baiser ses
pieds et ses mains. Il fut enseveli dans l'église de Todi,
dans le même caveau que le frère Jean de Todi. Des
miracles s'accomplirent sur son tombeau.
(Papebroeck.)
ANTOINE DE NERCIE
FKÈRE LAI
1310. — Pape : Clément V. — Roi de France : Philippe IV.
Le bienheureux Antoine de Nurcie descendait d'une
famille noble et illustre. Il prit l'habit de frère mineur
en 1270, et vécut longtemps dans un couvent voisin do
Nurcie, au sein des pieuses pratiques, de la pauvreté, de
LE BIENHEUREUX ÉGIDIUS DE CAPOGIIS. 199
l'obéissance et des autres vertus monacales. Il s'était
proposé un grand modèle, saint François d'Assise, dont
sans doute il ne se montra pas indigne. Sa vie et sa mort
furent signalées par des miracles.
Il expira en 1310, et fut enseveli dans la chapelle du
couvent. Quelques années plus tard, on transporta ses
restes, avec ceux de plusieurs autres saints personnages,
dans un nouveau monastère qui fut bâti plus près de
Nurcie.
(Papebroeck.)
SIMON DE TORCIANO
1332. — Pape : Jean XXII. — Roi de France : Philippe VI.
Le bienheureux Simon de Torciano s'acquit, par sa
science religieuse et par la sainteté de sa vie, une grande
réputation dans l'Italie entière. Ses sermons et les
miracles qu'il accomplit, l'exemple de ses vertus et de
ses austérités provoquèrent le retour de beaucoup de
pécheurs dans la voie du salut. Il mourut en 1332, au
couvent d'Amélie ; et les miracles dus à son intercession
ajoutèrent encore à l'éclat de sa renommée.
(Wadding.)
EGIDIUS DE CAPOGIIS
Ce pieux serviteur de Dieu, qui naquit à Assise, mérita
par ses vertus l'estime et la vénération des hommes, en
200 XI JUIN.
même temps que les grâces du Très-Haut. Le Sauveur
lui apparut fréquemment et lui accorda le don d'accom-
plir des miracles. Il est enseveli à Assise, dans l'église de
Saint-François.
(Jacobille.)
THOMAS DE GUBBIO.
1334. — Pape : Jean XXII. — Roi de France : Philippe VI.
Le bienheureux Thomas de Gubbio entra dans l'Ordre
Séraphique en 1270, et se montra pendant toute sa vie
ardent imitateur du saint Père François. Il mourut en
4334. Ses restes reposent à Gubbio, dans l'église de
l'Ordre, où beaucoup de miracles s'accomplirent par son
intercession.
(Wadding.)
En 1319 mourut au couvent de Spolète le bienheureux
Théobald, célèbre par ses prophéties.
LE BIENHEUREUX PIERRE GESIUS.
SEIGNEUR DE P0GGI0 , ERMITE
1270. — Pape : Clément IV. — Roi de France : Saint Louis.
Durant la retraite de saint François d'Assise sur une
colline voisine de Poggio, où il avait bâti une petite
LE BIENHEUREUX PÈRE GÉRARDÎN. 201
chapelle en l'honneur de la Mère de Dieu, une foule
incroyable d'hommes et de femmes vinrent visiter le véné-
rable patriarche et écouter ses prédications. De ce nombre
était le bienheureux Pierre Césius, seigneur de Poggio,
qui voulut recevoir des mains de François lui-même
l'habit de frère mineur.
Après la mort du grand fondateur de l'Ordre, le bien-
heureux Pierre se retira sur une haute montagne, âpre
et rocailleuse, où il vécut longtemps à la manière des
anciens solitaires de la Thébaïde. Dans la suite, son frère
y ayant élevé un couvent, il s'y enferma avec quelques
autres religieux , dont les prières unies aux siennes
appelèrent sur toute la contrée les bénédictions du Sei-
gneur.
Après avoir exercé quelque temps avec sagesse la
charge de vicaire général de l'Ordre, il se retira au
couvent de Terni et y rencontra un autre disciple de
saint François, le bienheureux Simon, ou Simonello, de
la noble famille des Camporeale. Tous deux moururent
le même jour, en 1270, dans un âge avancé, et furent
ensevelis dans le même tombeau.
(Cruger.)
LE BIENHEUREUX PERE GERARDIN
1433. — Pape : Eugène IV. — Roi de France : Charles VII.
On trouve dans la chronique de l'Ordre, au onzième
jour de juin, le souvenir du bienheureux Père Gérardin,
religieux d'une grande perfection et d'une science pro-
202 XI JUIN.
fonde, qui mourut en 4433, au couvent de Tudéla, dans
le royaume de Navarre. Soixante-dix ans plus tard, son
corps, toujours intact, fut exhumé et placé dans un
magnifique sépulcre de marbre , offert par l'illustre
famille des Varayz.
En 1612, on le transporta de l'autre côté de la chapelle
du couvent, dans un nouveau tombeau où il fut long-
temps l'objet de la vénération des Tudélitains.
(Papebboeck.)
LA VENERABLE EDWIGE GRIFFINA
REINE DE HONGRIE, CLARISSE
1309. — Pape : Clément V. — Roi de France : Philippe IV.
Cette sainte femme, autrefois reine de Hongrie, mourut
le 11 juin 1309, à Prague, en Bohême. Après la mort de
son époux, le duc de Cracovie, elle entra au couvent des
Clarisses de la bienheureuse Agnès de Bohême, dont
toutes les religieuses appartenaient aux plus illustres
familles du royaume. Elle justifia sa grande origine par
ses vertus, et en particulier par son humilité. Attentive
à n'être que la dernière des religieuses, il semble qu'elle
ait voulu faire oublier sa couronne d'autrefois, en
s'abaissant elle-même aux yeux de ses compagnes. Elle
prenait plaisir à s'occuper de la cuisine, à laver la vais-
selle, à servir les sœurs au réfectoire. Elle était âgée de
quatre-vingts ans, quand elle alla rejoindre au ciel le
céleste Fiancé des Vierges, qui a dit : « Ceux qui se
sont abaissés seront élevés ».
(Wadding.)
LE BIENHEUREUX ENFANT ACHAZ, DE THOROUT. 203
LE B. ENFANT ACHAZ, DE THOROIÏT
1220. — Pape : Honoré m. — Roi de France : Philippe-Auguste.
SOMMAIRE : Ardent dé k d'Achaz enfant d'entrer dans l'Ordre Séraphique. — Sa
vocation irrésistible. — Vaines tentatives faites pour l'en détourner. — Son influence
sur les enfan's de son âge et même sur de grandes personnes et sur ses parents. —
Sa sainte moit. — Miracle qui l'accompagna.
L'apparition en Europe de l'Ordre de Saint-François et
les premières années de son développement furent signa-
lées par des miracles éclatants, dont le monde garda
longtemps le souvenir. C'est ainsi que la vie d'un enfant,
que l'Ordre Séraphique regarde ajuste titre comme un
saint, le bienheureux Achaz, ne fut pour ainsi dire qu'un
long prodige.
Il était né à Thorout, dans les Flandres. A peine âgé de
cinq ans quand les premiers Frères Mineurs arrivèrent
dans la petite ville de Thorout, dès l'instant où il les
aperçut, il n'eut plus qu'un désir : revêtir l'habit des
religieux et vivre de leur vie. On crut d'abord à une
fantaisie enfantine qu'un autre caprice remplacerait
demain ; il n'en fut rien : Achaz marchait nu-pieds, cou-
vert de sa grosse robe de bure, une ceinture garnie de
clous autour des reins. Un riche commerçant qui. con-
naissait son père, s'avisa de mettre une pièce d'or dans
la timbale où buvait l'enfant; Achaz jeta la timbale à
terre, et levant les yeux au ciel, il s'écria en pleurant :
« Vous savez, ô Dieu bon, vous savez que c'est à mon
« insu que j'ai enfreint les règlements de mon Ordre ».
En même temps il devenait tout pâle; la vie semblait
204 XI JUIN.
prête à l'abandonner, et il ne commença à revenir à lui
qu'après que le curé de Thorout lui eut donné l'abso-
lution.
Les dimanches et les jours de fête, le bienheureux
réunissait autour de lui les petits garçons de son âge ; il
adressait d'amers reproches à ceux dont les manières
étaient hautaines ou les vêtements éclatants ; il leur par-
lait de Dieu et de l'éternité, leur apprenait le Pater
noster et Y Ave Maria. Souvent des personnes âgées
assistaient à cette pieuse assemblée, et venaient prendre
auprès du saint enfant des leçons de modestie et d'hu-
milité. Son père même s'instruisait, en l'écoutant, de ses
devoirs de chrétien. Un jour de grande fête, sa mère
avait fait une brillante toilette ; Achaz, en pleine église,
lui montrant un crucifix, lui dit : a Vois, ma mère, vois
« Notre-Seigneur Jésus-Christ ; il arrose sa croix de son
« sang ; tous les jours il meurt pour nous, et cependant
« tu te couvres de soie et de velours par vanité mon-
« daine; ne crains-tu pas de mériter par là les supplices
« éternels ? »
On ne saurait dépeindre les manières calmes et posées,
l'ardeur à la prière, le sourire angélique, la modestie et
la retenue de ce saint enfant. De vénérables religieux,
qui ont passé une longue vie dans un couvent, au sein
de toutes les vertus, ne sont pas plus parfaits. II n'était
âgé que de sept ans, quand il fut atteint par la maladie
qui devait l'emporter; mais déjà il était mûr pour
le ciel.
Il se confessa au pasteur de la paroisse, et le supplia de
lui donner le pain des Anges ; on fut obligé de lui refuser
cette suprême faveur : il était trop jeune. Quand on lui
LE BIENHEUREUX ENFANT ACHAZ, DE THOROUT. 205
apprit qu'il ne pouvait recevoir la sainte communion, il
pleura à chaudes larmes: et Seigneur Jésus», disait-il, «tu
a sais avec quelle ardeur je te désire; aussi j'espère que
« bientôt je jouirai de ta divine présence, dans un lieu
« où personne ne pourra jamais nous séparer ». 11 con-
sola ses parents, qui pleuraient à son chevet, les conjura
en quelques paroles touchantes de vivre selon le Sei-
gneur; puis il expira le 11 juin 1220. On rapporte qu'à
l'instant même où il rendit l'âme, la robe et le chapeau
de l'Ordre, qu'il portait depuis deux ans, disparurent tout
à coup pour ne plus jamais se retrouver.
Quelques frères mineurs voulurent , dit le chroni-
queur, réciter sur sa tombe le psaume De profundis ;
mais bien qu'ils l'eussent tous lu et chanté très-souvent,
il leur fut impossible de s'en souvenir : Dieu, sans doute,
donnait à entendre par ce miracle que cette jeune âme
n'avait pas besoin de prières.
Peu de temps après la mort du bienheureux Achaz,
ses parents, excités par l'exemple de ses vertus, renon-
cèrent au monde : le père entra dans l'Ordre de Saint-
Dominique ; la mère prit le voile des sœurs de Saint-
Bernard.
C'est Thomas de Cantimpré, prédicateur célèbre et
coadjuteur de Cambrai, qui nous a transmis le souvenir
du bienheureux Achaz et la date de sa mort. Sa notice
permet de croire que les Frères Mineurs sont apparus
pour la première fois dans les Flandres, en 1218, neuf ans
avant la mort de saint François.
(B. Fremaot.)
206 XII JDIN.
DOUZIÈME JOUR DE JUIN
LE BIENHEUREUX GUY, DE G0RT0NE
1245. — Paptî : Innocent IV. — Roi de France : Saint Lo
SOMMAIRE : Jeunesse vettueuse du bienheureux Guy. — Il reçoit de saint Fran-
çois l'habit di l'Ordre. — Sa vie dans la solitude. — Saint François lui confie le
soin de prêcher et de convertir. — Miracles qu'il accomplit. — Sa mort et ses
funérailles. — Conservation Qjiraculeu=e d; sa tète.
En 1211 , saint François d'Assise visita la ville de
Cortone et y fit entendre la parole de Dieu. Parmi ses
auditeurs se trouvait un jeune homme nommé Guido
ou Guy, élevé avec soin dans les lettres et la vertu. 11
vivait en parfait chrétien, on l'avait vu s'approcher sou-
vent des Sacrements, visiter les malades, distribuer des
aumônes aux pauvres. Dès sa plus tendre enfance, il
avait fait vœu de virginité, et pour conserver sa cou-
ronne d'innocence, il ne s'épargna ni les mortifications,
ni les austérités.
Après le premier sermon de saint François, il courut
se jeter à ses pieds et le supplia d'entrer dans sa maison,
d'y boire et d'y manger. Le bienheureux Père, illuminé
par l'Esprit-Saint, releva le pieux Guy, le serra dans
ses bras et s'écria : « Dès aujourd'hui, par la grâce de
« Dieu, ce jeune homme est des nôtres, et il se sancti-
« fiera dans cette ville ». Après le dîner, Guy supplia
ce saint de lui donner l'habit de son Ordre ; il distribua
lui-même sa fortune aux pauvres de la ville, et après
LE BIENHEUREUX GO Y, DE CORTONE. 207
avoir promis de renoncer par la suite à tout ce qui
pourrait lui revenir par héritage, il reçut l'habit des
mains de saint François lui-même, dans l'église parois-
siale de Cortone, au milieu d'un immense concours de
peuple.
L'homme de Dieu voulait former son nouveau disciple
à la vie contemplative ; il l'emmena dans une petite
vallée, qu'on appelait Celle, située non loin de Cortone,
déserte et solitaire. Avec les aumônes de la bourgeoisie
et de la noblesse, saint François y éleva un petit cou-
vent, où ne tardèrent pas à se presser un assez grand
nombre de frères mineurs. Lui-même y demeura quel-
que temps pour guider leurs premiers pas dans la voie
pénible de la perfection : on voit encore aujourd'hui sa
cellule faite de grosses pierres mal jointes; on prétend
même que, aux jours de fête, un parfum pénétrant la
remplit, et qu'une lumière surnaturelle y brille tout à
coup pendant la nuit.
Cependant le bienheureux Guy, animé qu'il était de
la pieuse ardeur des premiers temps, trouvait la vie en
commun beaucoup trop douce et beaucoup trop facile, à
son gré. Ce n'était pas ainsi qu'il entendait la pénitence,
et il demanda au vénérable patriarche la permission de
se retirer dans une grotte creusée non loin du couvent,
dans le flanc de la montagne, et d'y vivre dans une soli-
tude absolue, seul à seul avec Dieu. C'est là qu'il acheva
son noviciat, dans une contemplation presque perpé-
tuelle, interrompue seulement aux heures des exercices
religieux et des offices du couvent. Quelque temps après
le départ de saint François, Guy fut élevé par ses supé-
rieurs à la dignité de prêtre.
208 XII juin.
Le vénérable fondateur de l'Ordre avait bien auguré
de son disciple ; il ne fut pas trompé dans son attente.
Guy marcha sur ses traces avec une ardeur tout aposto-
lique. Il se livrait à des macérations et à des jeûnes
presque perpétuels. Sa messe dite et ses aumônes distri-
buées, il se mettait en prières et passait le reste du jour
et la meilleure partie de la nuit à s'entretenir avec Dieu.
On le trouvait souvent abîmé dans une extase profonde,
immobile et muet, semblable à une statue, et des rayons
de lumière partaient de son corps comme d'un soleil. A
l'exemple du bienheureux Père François, il faisait sept
carêmes par an, au pain et à l'eau ; le reste de l'année,
il se bornait à un seul repas par jour.
Sur la fin de sa vie, le patriarche d'Assise revint à
Cortone, où il fut reçu à bras ouverts, et il se rendit tout
d'abord à l'ermitage du bienheureux Guy. Après avoir
passé la nuit en prières et en contemplation dans sa
cellule, il le chargea d'aller à sa place prêcher la pa-
role de Dieu : « Mon fils », lui dit-il, « la volonté du Sci-
ai gneur est que j'aille mourir au couvent de la Portiun-
« cule, et que je vous confie le soin de travailler au
«salut des âmes». Quelques jours plus tard, en effet,
François reprenait le chemin d'Assise, et Guy commen-
çait ses prédications.
Il prêcha d'abord à Cortone, dans sa ville natale, au
milieu de ses concitoyens, avides d'entendre sa parole
peu ornée, mais forte et vigoureuse. La sainteté de sa
vie, l'amitié dont saint François l'avait honoré, les mira-
cles qui accompagnaient ses sermons provoquèrent la
conversion d'un grand nombre de pécheurs.
Entre autres prodiges, on cite de lui les faits suivants :
LE BIENHEUREUX GUY DE GORTONE. 209
Par un signe de croix, il changea de l'eau en vin, et
tous les malades qui goûtèreut de ce vin recouvrèrent
la santé. Un prêtre avait, depuis plusieurs années, une
main desséchée, un signe de croix du bienheureux suffit
à la rendre à son état primitif. Un jour qu'il demandait
Faumône, une pauvre femme vint à sa rencontre avec
deux enfants; elle lui fit connaître sa détresse et le. con-
jura de la secourir. Le serviteur de Dieu entra dans la
demeure de l'indigente, prit une poignée de farine
qu'on lui avait donnée pour les hosties du saint sacri-
fice, et après avoir prié, la versa dans le sac de cette
femme. Le sac fut rempli, et durant quatre mois, c'est-
à-dire jusqu'à la moisson, la pauvre famille trouva
dans cette farine, divinement multipliée, de quoi pourvoir
à sa subsistance. Une autre fois on lui présenta le corps
d'un enfant qui venait de se noyer à Cortone ; il pria,
fit trois signes de croix sur l'enfant et lui rendit la vie.
Dieu fit connaître au bienheureux le terme de sa car-
rière terrestre ; saint François lui apparut une nuit,
pendant son sommeil, et lui dit : « Mon fils, le temps de
a vous reposer avec vos frères est proche. Dans trois
a jours, je reviendrai à la neuvième heure, afin de rece-
« voir votre âme et de la conduire dans les tabernacles
«éternels ». Guy comprit la vision, et à son réveil,
après avoir rendu grâces à Dieu, il alla la raconter à son
confesseur et à ses frères. Puis il s'enferma dans sa
cellule et s'abandonna doucement à la contemplation et
à l'extase, attendant avec calme le moment béni où le
patriarche d'Assise viendrait le prendre par la main
pour le mener dans l'éternité. Le matin du troisième
jour, ii sentit tout à coup sa force l'abandonner. Alors il
Palm. Séraph. — Tome VI. 14
210 XII JUIN.
fit -venir le gardien et les frères, leur demanda pardon
du scandale dont il avait pu être l'objet, reçut les der-
niers Sacrements et récita les litanies de tous les saints.
A la neuvième heure, il poussa un cri : « Voici », dit-il,
«voici notre Père François, levons-nous tous, ô mes
« frères, et allons à sa rencontre ». A ces mots le bien-
heureux rendit l'esprit. C'était le 42 juin de l'an 1245.
Les magistrats et les habitants de Cortone, à la nou-
velle de cette mort, résolurent d'ensevelir leur conci-
toyen dans leur ville et de lui élever un tombeau dans
leur église paroissiale. Toutes les cloches sonnèrent à
grandes volées, comme pour un jour de fête, et on se
rendit en procession au couvent des Frères Mineurs, d'où
l'on rapporta le saint corps. En ce moment, un labou-
reur vint raconter que ses bœufs l'avaient entraîné, mal-
gré lui, vers un endroit où ils s'étaient couchés, et qu'ils
ne voulaient plus quitter. On creusa, on fouilla la terre
et on en retira un magnifique sépulcre de marbre, pré-
sent de Dieu, dirent les habitants de Cortone, et destiné
évidemment à renfermer les restes du bienheureux
Guy. On les y plaça en effet, et ils furent déposés sous
le maître-autel, comme si déjà le bienheureux eût reçu
les honneurs de la canonisation.
Des miracles récompensèrent la foi du peuple de Cor-
tone en leur saint concitoyen. Lorsque les habitants
d'Arezzo prirent par un assaut de nuit, en 1259, la ville
de Cortone, le sacristain de l'église paroissiale retira de
son sépulcre la tète du bienheureux Guy, l'attacha à
une pierre avec une inscription, et la jeta au fond d'un
puits. Les Arezzins mirent la ville à feu et à sang, pas
une maison ne resta debout, et le corps de Guy brûla
JACQUES DE CORTONE. 2ii
sans doute dans l'incendie de l'église ; mais la tête fut
sauvée. On la retrouva par miracle trois ans après la
destruction de Cortone. Les Frères Mineurs élevaient un
couvent sur les ruines de l'église, quand tout à coup, en
soulevant la pierre qui couvrait l'orifice du puits, un
religieux remarqua au fond un objet rond qui brillait
avec l'éclat du soleil. On songea aussitôt au bienheureux
Guy, et le lendemain même, on se rendit de l'église au
puits en procession solennelle. Un prêlre descendit au
moyen d'une corde; il trouva au fond de l'eau la tête
précieuse, cachée depuis quatre ans, échappée par un
miracle à la destruction de Cortone et retrouvée par un
autre miracle. Un concert solennel d'actions de grâces
monta jusqu'au ciel, et la sainte relique, portée à l'église,
au milieu de la joie universelle, fut conservée dans une
châsse d'argent.
Des prodiges s'accomplissant tous les jours par l'inter-
cession du bienheureux Guy, non-seulement à Cortone,
mais dans l'Italie entière, le pape Grégoire XIII autorisa
le culte rendu à sa mémoire dans le diocèse de Cortone,
et en fixa la tète au 12 juin; et plus tard, Innocent XII
étendit l'autorisation a tout l'Ordre de Saint-François.
(Papebroece et Waddimg.)
JACQUES DE CORTONE
1484. — Pape : Sixte IV. — Roi de France : Charles VII.
Le bienheureux Jacques de Cortone mourut en 1484 et
fut enseveli dans l'église de Sainte-Marguerite de Cor-
212 XII JUIN.
tone. Celait un grand partisan de la sainte pauvreté et
un pieux religieux. Dans sa cellule et à la chapelle, on le
voyait presque toujours absorbé dans la contemplation
et l'extase. Il avait une éloquence ardente et passionnée
et une horreur du péché qui lui inspirait parfois des
accents prophétiques.
Dieu lui accorda le don de seconde vue. Un jour qu'il
prêchait dans l'église de Sainte-Marguerite, quelques
jeunes gens impies firent un pari, et l'un d'eux lança une
orange à la tête du saint homme. Indigné de cette viola-
tion de la maison du Seigneur, et en même temps
éclairé de TEsprit-Saint, le bienheureux Jacques déclara
que le sacrilège mourrait de mort violente. Huit jours
après, le malheureux tombait percé d'une flèche destinée
à un autre.
Jacques eut aussi le don de guérison, et bon nombre de
malades recouvrèrent la santé par le seul attouchement
de sa robe.
(Wadding.)
MATTHIEU DE NARNI
1374. — Pape : Grégoire XI. — Roi de France : Charles V.
Le bienheureux Matthieu, qui naquit à Narni, en Italie,
de parents nobles, entra dans l'Ordre Séraphique en 1330.
Il était merveilleusement doué de toutes les vertus mona-
cales, surtout de la soumission à la règle et de l'obéis-
sance aveugle à ses supérieurs. Dieu récompensa son
pieux zèle par de nombreux miracles.
LE BIENHEUREUX ONUPHRE DE SIENNE. 213
C'est ainsi qu'il délivra une femme possédée du démon
et tourmentée depuis de longues années ; il guérit un
paralytique et rappela à la santé une malheureuse à
moitié brûlée, qui gisait étendue, sans apparence d'un
reste de vie.
Aussi, Matthieu devint bientôt l'objet du respect et de
la vénération de tous. Il mourut en odeur de sainteté, au
couvent de Narni, en 4374; on lui éleva dans l'église
même un tombeau qui attira de nombreux pèlerins et
près duquel s'accomplirent beaucoup de miracles.
En 1630, on transporta ses précieux restes dans le
chœur, et une inscription rappela les prodiges dont il fut
l'occasion, et la sainteté de sa vie.
(Jacobille.)
LE BIENHEUREUX ONUPHRE DE SIENNE
Le bienheureux Onuphre de Sienne, frère lai, repose
aussi au couvent de Narni, où il expira, en 1448. Il se
proposa pour modèle le vénérable Père François d'As-
sise, dont il essaya d'imiter les vertus sévères, l'amour
de la pauvreté, l'humilité et les mortifications. Il reçut
de Dieu le don de prophéties, et sa mort fut signalée par
d'éclatants miracle?.
(Wadding.)
2U XII JUIN.
LE BIENHEUREUX PIERRE DE RIETI
1464. — Pape : Pie II. — Roi de France : Louis XL
Ce saint homme, né à Rieti, suivant les uns, à Arezzo
suivant les autres, passa la plus grande partie de sa vie
au couvent de Saint-François de la Caverne, qui était
situé sur une montagne escarpée, dans le comté de Narni.
Il conserva jusqu'à sa mort la chasteté naïve de l'enfance,
et ne vit dans son pauvre corps qu'un instrument de
mortifications et d'austérités. On le trouvait souvent
plongé dans l'extase, et s'entretenant à haute voix avec
Dieu lui-même ou avec d'autres personnages célestes,
visibles pour lui seul. Aussi avait-il, non-seulement au
couvent, mais encore dans toute l'Ombrie, une grande
réputation de sainteté.
Il mourut en 1464, au couvent de Saint-François de la
Grotte, et fut enseveli dans l'église du couvent. Les
montagnards du pays avaient pour lui une grande véné-
ration.
(Wadding.)
SŒUR AURÉLIE STBY1AERT. 215
SŒUR AURÉLIE STBYLAERT
CLARISSE
1577. — Pape : Grégoire XIII. — Roi de France : Henri III.
SOMMAIRE : Jeunesse vertueuse de la bienheureuse Aurélie. — Apparition' de saint
Nicolas. — Mariage d'Aurélie. — Mort de son mari. — Aurélie, après de longues
hésitations, entre au couvent des Clarisses d'Anvers. — L'amour maternel combat
quelque temps en elle l'amour de Dieu. — Ses mortifications. — Ses méditations
sur la Pas-ion de Jésus. — Elle est nommée abbesse du couvent. — Apparition des
Gueux en Hollande. — Une foule de Clarisses se réfugient au couvent d'Anvers.
— Maternelle administration d'Aurélie. — Sa mort.
Aurélie Stbylaert naquit à Rome en 1530, de parents
hollandais, qui ne tardèrent pas, d'ailleurs, à retourner
à Anvers, leur patrie. C'est là qu'elle grandit dans le res-
pect de Dieu et de la religion, et dans l'amour du pro-
chain. Rien de plus touchant que sa charité envers les
pauvres et les bonnes paroles dont elle accompagnait
ses aumônes; quoique fort jeune encore, elle s'impo-
sait déjà des privations pour leur apporter plus de sou-
lagements.
D'ailleurs, on voyait en elle, dès cette époque, le germe
de toutes les vertus religieuses. Elle soumettait son corps
à des mortifications, elle l'épuisait par des veilles. Dès
qu'elle eut l'âge de raison, elle fit vœu de virginité, mais
Dieu ne l'accepta pas. Saint Nicolas, qu'elle avait choisi
pour patron, et qu'elle honorait d'une façon toute spé-
ciale, lui apparut un jour et lui déclara qu'elle servirait
le Seigneur et se soumettrait à ses commandements,
vierge, épouse et veuve. Le saint était accompagné d'un
beau jeune homme et d'une Clarisse. Ses paroles causé-
216 XII JUIN.
rent beaucoup de peine à la bienheureuse Aurélie, qui
courut tout en pleurs dans son oratoire, et conjura du
moins le Seigneur de l'aider à vivre saintement.
Un peu plus tard, le jeune homme qui lui était apparu
en compagnie de saint Nicolas, se présenta de nouveau à
ses yeux ; il venait la demander en mariage et obtint le
consentement de ses parents. Leur union fut bénie de
Dieu, qui l'avait non-seulement permise, mais ordonnée.
Aurélie ne se laissa pas entraîner aux séductions du
monde; au milieu de ses bruits et de ses vanités, la
pieuse femme ne sacrifia jamais qu'au Dieu à qui elle
avait élevé, dans le fond de son cœur, un autel inviolable.
Sa grande richesse la mettait en relief; son excessive
humilité la protégea contre l'orgueil. Le bonheur calme
qui régnait dans cette maison bénie ne dura pas long-
temps ; la mort vint frapper à la porte et partit empor-
tant le mari d'Aurélie. Elle était libre, enfin, de se con-
sacrer à Dieu.
Le monde essaya de la retenir. Comme elle était jeune
et belle, très-riche et en même temps très-vertueuse,
plusieurs prétendants la demandèrent en mariage. Elle
refusa toujours, sans parvenir à empêcher de nouvelles
sollicitations. «Mon Dieu », disait-elle parfois, «quand
« donc me laissera-t-on le repos auquel j'aspire. Je veux
a me donner à vous, ô mon Dieu ; aidez-moi à surmonter
« les obstacles qui m'en empêchent ».
Un lien puissant la rattachait encore au monde, ses
deux enfants, qu'elle ne pouvait se décider à quitter.
Si l'amour de Dieu était plus fort dans son cœur que
l'amour maternel, il ne l'étouffait pas, et, en pensant à
ces chers petits êtres qui ne prononçaient pas encore son
SOEUR AURÉLIE STBYLAERT. 217
nom, elle avait peur de faiblir. Elle eût volontiers sacrifié
sa vie pour son Dieu, mais souvent aussi, quand elle
avait passé plusieurs jours loin de ses enfants, elle eût
donné toutes les richesses de la terre pour les entrevoir
seulement par la fente d'une porte. C'est ce qu'elle
ressentit plus d'une fois, durant une année d'épreuves
qu'elle s'imposa, avant de s'enfermer pour jamais dans
un couvent. Elle se retira dans une maison solitaire, où
il ne lui était permis de les embrasser qu'une fois par
mois. Mais enfin, elle triompha avec l'aide de Dieu ; et,
se sentant assez forte pour lutter contre son cœur de
mère, elle entra, à l'âge de vingt-quatre ans, au couvent
des Clarisses d'Anvers.
La pauvre femme combattit longtemps ses souvenirs.
Pendant les premières années qu'elle passa au couvent,
elle pleura. Non pas qu'elle regrettât jamais d'appartenir
à Dieu seul ; mais, malgré ses efforts pour la repousser,
l'image chérie de ses fils se présentait sans cesse à ses yeux,
et en méditant la parole du Sauveur : « Celui qui ne hait
« pas son père, sa mère et ses enfants, ne saurait être mon
« disciple », elle se disait qu'elle serait toujours indigne
d'être la fiancée du Christ, parce que jamais elle ne pour-
rait les haïr. En vain répétait-elle en gémissant : « Mon
« Dieu, vous m'avez ordonné d'abandonner pour vous
« servir tout ce que j'aimais sur la terre; je suis forte,
« ô mon Dieu, car je me sens prête encore à abandonner
« mille autres enfants, et à fouler aux pieds tout ce que
cr le monde adore ». Ces paroles étaient sur ses lèvres ;
elles ne furent dans son cœur que neuf ans après son
entrée au couvent. Alors seulement elle goûta le repos
et les pieuses jouissances des servantes du Seigneur.
218 XII JUIN.
Il y avait longtemps déjà qu'elle se soumettait aux plus
rudes mortifications, c'est par là qu'elle avait surmonté
les tentations ; elle continua le même genre de vie pour
en prévenir le retour. Pendant l'Avent et le Carême, et
tous les vendredis, elle vivait de pain et de bière; elle
était quelquefois deux ou trois jours et même une se-
maine entière sans prendre aucune nourriture. Elle
portait sous ses vêtements une haire en crins de cheval,
qui déchirait sa peau délicate ; pour lit, la terre ou un
fagot, un sac quand elle était malade ; presque toujours
elle s'étendait les bras en croix et versait, même en dor-
mant, des torrents de larmes. Ses vêlements, faits d'une
étoffe rude, lui servaient l'été comme l'hiver.
Il est presque inutile d'ajouter que les souffrances de
Jésus étaient l'objet de ses continuelles méditations ; elle
avait toujours en main son crucifix qu'elle baisait avec
passion. Souvent, dans ses contemplations, en présence
du Sauveur mourant, elle lui demandait de recommencer
avec lui le chemin de la croix et de souffrir toutes ses
souffrances. Elle assistait à ses derniers moments ; elle
entendait retentir les coups de marteau qui enfonçaient
les clous énormes dans ses pieds et dans ses mains ; elle
voyait le sang couler de la plaie de son flanc ; et quand
il expirait, elle écoutait les imprécations des hommes et
les cantiques des Anges. Ces divines apparitions la
remplissaient en même temps de joie et de tristesse ; elle
sentait croître, au fond de son cœur, son horreur pour le
monde qui avait crucifié son Dieu, et son amour pour le
Sauveur qui avait voulu mourir pour racheter les péchés
des hommes.
Vers cette époque, l'hérésie de Calvin commença à
SOEUR AURÉLIE STBYLAERT. 219
envahir la Hollande, et à s'y répandre avec la fureur
d'une mer qui a brisé ses digues. Ils pillaient et brû-
laient les églises, foulaient aux pieds les objets sacrés et
les instruments du culte, renversaient les autels. Au
milieu de cette tempête, Aurélie fut nommée abbesse :
cet honneur l'effraya, surtout dans un pareil moment;
elle se sentait bien plutôt faite pour obéir que pour com-
mander. Son humilité en éprouva un choc si violent,
qu'elle tomba gravement malade. Elle fut consolée et
guérie par un Ange envoyé du ciel pour lui déclarer que
la volonté de Dieu était qu'elle exerçât sa dignité dans
l'intérêt même de l'Eglise. Dès lors, ellen'eut plusqu'une
pensée : veiller sur le cher troupeau qui lui était confié.
Pour ses religieuses, elle retrouva son cœur de mère;
elle les aimait d'une affection touchante, comme si elles
eussent été ses propres filles.
Une apparition la récompensa de son dévouement,
celle de la bienheureuse Elisabeth Vereyck, qui l'avait
précédée sur le siège abbatial : « Ma fille », lui dit-elle,
a ce que vous avez fait jusqu'alors a été agréable au
a Seigneur; efforcez-vous de vous montrer digne de ses
a grâces dans les longues épreuves que vous allez avoir
« à traverser ». Les malheurs de toutes sortes arrivaient
en effet avec les Gueux qui occupaient déjà, en 4572, la
Hollande presque entière. Les religieux, massacrés sur
tous les chemins, quittaient leurs couvents enflammés
et s'enfuyaient traqués comme des bêtes fauves. Les
servantes du Seigneur elles-mêmes n'étaient pas à l'abri
de leurs violences ; sept couvents de Clarisses, dans le
voisinage d'Anvers, avaient été pillés, et les religieuses
étaient venues demander un asile à la mère Aurélie.
220 XII JUIN.
C'est d'abord, en 1572, le couvent de Briel, puis ceux
d'Alcmaer, de Delft et de Ter-Gouwe, dont les sœurs se
réfugièrent à Amsterdam jusqu'en 1578, époque à la-
quelle cette ville elle-même fut envahie par l'hérésie ;
enfin le couvent de Haarlem, et celui de Ter-Veer, dans
la Zélande, dont les sœurs vinrent frapper à la porte du
couvent d'Anvers.
Aurélie se trouvait maintenant à la tête d'une nom-
breuse famille : plus de cent religieuses venues de tous
les points des Pays-Bas, du Brabant, de la Hollande et de
la Zélande. Son zèle s'accrut avec ses besoins ; elle sub-
vint à tout, et sut parer d'avance à toutes les éventualités.
Sous son administration à la fois habile et douce, la
tranquillité et la paix régnèrent dans cette heureuse
maison ; pas une contestation ne s'éleva entre ces pieu-
ses filles venues de tant de pays différents, et troublées
par les événements terribles qui se passaient autour
d'elles. La pieuse abbesse les réunissait souvent pour
leur adresser, en ces temps de désolation quelques
paroles d'encouragement et d'espérance. Elle leur appre-
nait à mettre leur confiance en Dieu, qui sans doute ne
permettait pas en vain de pareilles épreuves.
Toutes ses religieuses l'aimaient comme une mère :
elle en avait en effet la tendresse ; les sœurs malades sur-
tout étaient l'objet de ses soins et de sa sollicitude.
Comme plusieurs d'entre celles-ci se plaignaient de ne
pouvoir assez souvent recevoir le saint Sacrement de
l'Eucharistie, en l'absence des prêtres qui fuyaient devant
la persécution, comme des brebis égarées, la bienheu-
reuse Aurélie implora et obtint du pape Paul V, avec
l'aide du cardinal Alexandre Cribel, une bulle (1571) qui
3CEUR AURÉLIB STBYLAERT. 221
l'autorisait à donner elle-même la sainte communion
aux malades. En même temps elle protégeait son cou-
vent contre la fureur des hérétiques, qui déjà remplis-
saient la ville d'Anvers. Les habitants avaient conçu pour
elle et pour ses filles spirituelles une si grande affection,
que les aumônes arrivaient d'elles-mêmes au couvent
comme u ne manne céleste etque la bienheureuse abbesse,
à l'étonnement de tous , trouvait encore moyen de
secourir des veuves, des orphelins et des malades.
En ce moment, on lui envoya du couvent de la Mon-
tagne de Sainte-Agnès, près de Zwol, en Hollande, de
saintes reliques qu'elle reçut avec pompe et qu'elle fit
processionnellement porter dans la chapelle du couvent.
Les offices étaient d'ailleurs célébrés tous les jours avec
solennité, comme pour implorer de Dieu le pardon des
sacrilèges que les Gueux commettaient partout où ils
passaient. La bienheureuse Aurélie donnait l'exemple
d'une piété ardente et d'un amour de Dieu sans limites
comme son objet. A la messe, elle versait des larmes
amères et gémissait sur l'abandon où tombaient, par le
fait des hérétiques, les saintes cérémonies du culte ; elle
ne quittait presque jamais le chœur, où on la trouvait
souvent plongée dans de divines extases.
Des épreuves plus terribles se préparaient pour les
pauvres servantes du Seigneur, mais Aurélie ne devait
pas les voir. Un jour que l'on chantait au chœur les
paroles du prophète Habacuc: « Que la corruption ronge
« mes os », on l'entendit répéter à plusieurs reprises :
o Oui, Seigneur, que la corruption ronge mes osjus-
« qu'au dernier, pour que je ne voie pas venir ces temps
« de douleur et d'oppression ». La maladie qu'elle atten-
222 XII JUIN
dait ne tarda pas à se faire sentir : le dimanche qui
suivit l'octave de la Toussaint, elle fut prise de violentes
coliques et de maux de tête, dont elle devait souffrir
pendant sept mois, et auxquelles sa mort seule devait
mettre un terme. Quelquefois on lui parlait d'espoir et
de retour à la vie : « Non, non a, répondait-elle, « je ne
a désire et n'espère que l'éternel repos : Dieu ne veut
« pas que je voie les malheurs qui vont fondre sur vous » .
Son pauvre corps était si maigre et si décharné qu'il
avait déjà l'aspect d'un squelette ; elle n'avait plus même
la force d'aller au chœur, et était obligée de garder le
lit. Pendant la semaine sainte, on la crut aux portes du
tombeau et on lui donna l'extrême-onction ; mais elle
devait encore traîner sa misérable existence jusqu'au
commencement du mois de juin. Quelques jours avant
sa mort, elle se sentit peu à peu pénétrer par une tran-
quillité et un repos parfaits ; on eût dit que l'éternité
commençait déjà pour elle. Parfois elle murmurait avec
un sourire : « Comment donc, mes sœurs, oserai-je
« regarder Dieu face à face, quand il m'aura appelée dans
o son paradis?» Elle ne cessa de chanter les louanges
du Seigneur jusqu'au dernier moment, et la dernière
parole qu'elle prononça fut un Deo grattas. Elle mourut
le 12 juin 1577, à l'âge de quarante-sept ans.
On l'ensevelit dans un tombeau spécial, ce qui jus-
qu'alors n'avait jamais eu lieu au couvent pour aucune
religieuse. Quelque temps après sa mort, les Gueux
étaient les maîtres de tous les Pays-Bas, et les horreurs
commençaient dont la bienheureuse craignait si tort
d'être la spectatrice et la victime.
(Archives des Omisses d'Anvers.)
SOEUR CORNÉLIE BOYMERS. 223
SŒUR CORNÉLIE BOYMERS
ABBESSE
1581. — Pape : Grégoire XIII. — Roi de France : Henri III.
La vénérable Cornélie Boymers succéda, dans la di-
gnité d'abbesse, à la bienheureuse mère Aurélie. C'était
une religieuse douée de toutes les vertus, et en particu-
lier de celles qui conviennent le mieux à une supérieure :
une grande prévoyance, et surtout une grande confiance
en la divine Providence.
Les Clarisses de tous les Pays-Bas continuaient à se
presser au couvent d'Anvers, le seul à peu près qui fût
resté debout. Cornélie les recevait à bras ouverts. Quand
les Clarisses d'Amsterdam, chassées de leur maison, lui
arrivèrent en 1578: « Réjouissons-nous, mes sœurs»,
s'écria-t-elle, « voilà encore des filles de Jésus-Christ
« qui viennent habiter parmi nous 1 » En 1580, ce fut le
tour des Clarisses de Matines, qui traversèrent en pro-
cession le pays occupé par les Gueux, pour chercher un
asile chez la bienheureuse Cornélie. Les ressources sem-
blaient devoir manquer à la mère spirituelle d'une si
nombreuse famille ; mais Dieu y suppléa ; tout ce qui
restait de bons catholiques aux Pays-Bas envoya des
aumônes aux Clarisses d'Anvers.
La sainte mère Cornélie n'exerça pas longtemps la
dignité d'abbesse. Elle mourut en 1581, après une longue
et douloureuse maladie.
L'année suivante, en 1582, les Clarisses d'Anvers
224 XII JUIN.
durent aller chercher un refuge chez les Urbanistes de
Trêves, où elles demeurèrent jusqu'en 1585, époque à
laquelle Anvers fut rendue au catholicisme.
CORNELIE HERLEMANS
CLARISSE
1611. — Pape : Paul V. — Roi de France : Louis XIII.
Cornélie Herlemans prit le voile au couvent d'Alcmaer.
Pendant treize ans, elle fut en butte aux persécutions
des Gueux, chassée successivement de quatre couvents,
nuit et jour dans des transes mortelles. Ce qu'elle eut à
supporter de misères effraye l'imagination : la faim, la
soif, le froid, les longues nuits sans asile, les fuites pré-
cipitées. A Anvers elle menait la vie d'un Ange. Quand
les Clarisses de cette ville furent obligées de chercher
asile chez les Urbanistes de Trêves, elles les accompagna,
et, en 1585, revint avec elles à Anvers.
Dieu lui accorda la grâce des longues contemplations et
des profondes extases. On la trouvait presque toujours en
prières au chœur, souvent le visage contre terre et les bras
en croix. A l'heure des matines, elle arrivait toujours la
première à la chapelle. Elle s'était constituée la servante
des malades, et elle passait à l'infirmerie le temps qui
lui restait en dehors de ses exercices religieux.
Elle mourut le 3 juillet 1611, à l'âge de quatre-vingt-
dix ans : il y avait soixante-sept ans qu'elle était entrée
en religion.
SŒUR MARIE HYNSHEEREN. 225
SŒUR MARGUERITE D'ODELFANGEN
1622. — Pape : Paul V. — Roi de France : Louis XUI.
Sœur Marguerite d'Odelfangen prit le voile à Trêves,
et accompagna les Clarisses d'Anvers. Jusque dans un
âge très-avancé, elle se montra pleine d'une sainte ardeur
à chanter les louanges du Seigneur dans la chapelle du
couvent. Elle reçut de Dieu un certain nombre de révé-
lations qu'elle communiqua à ses sœurs, et dont plus
tard on reconnut la vérité. Elle connut d'avance et
annonça aux autres religieuses le jour de sa mort,
(16 octobre 4622).
SŒUR MARIE MYNSHEEREN
Sœur Marie Mynsheeren , par son application à la
prière, mérita de voir plusieurs fois le Fils de Dieu, tel
qu'il avait vécu autrefois parmi les hommes. Elle était
âgée de cinquante-six ans, quand elle mourut, le M mai
1606.
Palm. Séraph. — Tome VI. 15
226 XII JUIN.
ELISABETH DE SCHOONBEEK
1647. — Pape : Innocent X. — Roi de France : Louis XIV.
Sœur Elisabeth de Schoonbeek avait au plus haut
degré l'amour de Dieu et de son prochain. Pleine de
reconnaissance pour la grâce que Dieu lui avait faite de
l'appeler à son service, elle l'en remerciait tous les jours
par de ferventes prières. Quand la vieillesse l'empêcha
de se plier assez pour baiser la trace des pas de ses sœurs,
elle baisa au chœur les chaises sur lesquelles elles s'é-
taient assises. Si elle ne fut pas à l'abri, pendant sa
ïongue vie, des tentations du démon, elle en triompha,
avec l'aide de Dieu, par des mortifications et des austé-
rités. Un jour, elle entendit les sacrés cantiques des
Anges, et, en même temps, elle vit s'élever au ciel l'âme
de l'une de ses sœurs, Anne de Haen, religieuse d'une
grande vertu , à qui l'on attribua même un certain
nombre de miracles.
Sœur Elisabeth fut souvent malade, et comme elle ne
désirait rien tant que la mort, elle était fort affligée de
voir chaque fois revenir ses forces. Enfin Dieu lui an-
nonça que son heure était proche, et elle en conçut une
grande joie. Le 11 décembre 4647, après avoir entendu
la messe et communié, elle perdit tout à coup connais-
sance, et peu après elle rendit l'âme. Il y avait cinquante-
huit ans qu'elle avait pris le voile.
[Arrhives des Clurisses d'Anvers.)
SAINT ANTOINE DE PADOUE. 227
TREIZIÈME JOUR DE JUIN
SAINT ANTOINE DE PADOUE (1)
APOTRE ET THAUMATURGE
1231.— Pape : Grégoire IX. — Roi de France : Saint Louis.
CHAPITRE PREMIER.
SOMMAIRE : Naissance et origine de saint Antoine de Padoue. — Il reçoit au
baptême le nom de Ferdinand. — Son éducation chrétienne et ses vertus précoces.
— Il entre au couvent des chanoines Augustins de Lisbonne, puis, obsédé par ses
amis, il se retire au couvent de Sainte-Croix de Coïmbre. — Ses progrès dans la
science et la vertu. — Ses miracles.
Saint Antoine de Padoue naquit en 4195, à Lisbonne,
capitale du Portugal, l'une des plus anciennes villes du
monde, le jour de la fête de l'Assomption. Il avait pour
père Martin de Bouillon et pour mère Thérèse ou Marie-
Thérèse de Tavera. Tout fait présumer que Martin de
Bouillon, ou, selon d'autres, de Bullones, de Bulhan, de
Bulhem, n'était pas d'origine portugaise, et qu'il appar-
tenait à la famille du fameux Godefroy de Bouillon, duc
de Lorraine, roi de Jérusalem, conquérant des Saints
Lieux.
Marie-Thérèse de Tavera était aussi de la plus haute
(1) Consulter, pour toute la vie d'Antoine de Padoue, la grande monographie de
l'abbé Guyard, où l'on trouve tout ce qui a été dit sur saint Antoine, et quelque
chose de plus, une étude curieuse de ses sermons. (Librairie Martin-Beaupré, Paris,
rue Monsieur-le-Prince, 21.)
228 XIII JUIN.
lignée ; elle descendait, paraît-il, de Froïla ou Fruela,
roi des Asturies, qui régnait au huitième siècle. Les
Tavera sont d'ailleurs célèbres en Espagne et en Por-
tugal ; il y eut un Didacus de Tavera, archevêque de
Séville, un Jean de Tavera, cardinal-archevêque de
Tolède.
Saint Antoine reçut au baptême le nom de Ferdinand.
C'est le jour de l'Assomption qu'il était né ; selon un
antique usage du Portugal, on le baptisa solennellement
huit jours après sa naissance. Les fonts sur lesquels on
lui conféra le Sacrement de la régénération subsistent
encore ; on les conserve avec un soin religieux dans
l'église de Notre-Dame. L'un des degrés en pierre qui
servent à monter au chœur de la cathédrale porte main-
tenant, comme au douzième siècle, l'empreinte miracu-
leuse d'une croix qu'y traça le doigt du saint, un jour
que le démon lui apparut sous une forme horrible. Enfin,
Jean II, roi de Portugal, grand admirateur d'Antoine, a
transformé en une église splendide la maison où naquit
le saint thaumaturge. On l'appelle aujourd'hui l'église
de Saint-Antoine.
Ferdinand fut élevé dans la crainte de Dieu et dans la
pratique de toutes les vertus. Ses parents, pieux eux-
mêmes et fervents chrétiens, guidèrent avec une tendre
sollicitude ses premiers pas dans la voie du salut. Sa
mère surtout, la vertueuse Thérèse de Tavera, qui, en
demandant un fils au Seigneur, avait plutôt songé à la
gloire du Très-Haut qu'à l'honneur de son nom, l'offrit à
Dieu en lui donnant la vie, et, dès qu'il put balbutier
quelques mots, lui apprit à répéter les noms bénis de
Jésus et de Mario. Pleine de dévotion à la Reine du ciel,
SAINT ANTOINE DE PADOUE. 229
elle n'entretenait son fils bien-aimé que de sa puissance
et de sa bonté, et l'habitua de bonne heure à mettre en
elle sa confiance et son amour.
Ferdinand répondit à l'affection de sa mère. Tout en
lui présageait un cœur d'or et une intelligence d'élite ;
avec son cœur il aima Dieu, avec son intelligence il le
comprit. Il n'était heureux que quand on lui parlait de
la Trinité sainte, de la sainte Vierge et des saints; et l'ar-
deur avec laquelle il récitait ses prières faisait l'admira-
tion de tous. On peut dire que son éducation se fit à
l'église, au pied des autels, et que sa science fut basée
tout d'abord sur la connaissance des choses de la reli-
gion. Il apprit rapidement le latin, et en général tout ce
qu'on enseignait dans les écoles du temps : les huma-
nités, la réthorique et la philosophie. Tout ce qui avait
rapport à la religion, à l'histoire ecclésiastique et à la
liturgie, était pour lui l'objet d'une prédilection marquée.
Son ardeur au travail, l'énergie avec laquelle il abor-
dait des études souvent rebutantes, mais surtout sa mo-
destie, sa douceur et sa piété, faisaient la consolation de
ses maîtres et l'admiration de tous ses camarades. On le
citait comme un modèle de toutes les vertus, et il méritait
mieux encore que les éloges dont on le comblait. Voici
comment l'un de ses principaux biographes parle de
cette première période de sa glorieuse vie :
« Il aurait vivement désiré occuper la place de son
« Sauveur attaché à la croix, et celle de son prochain
« quand il le voyait dans l'affliction et le besoin. Il fai-
« sait marcher de front dans son esprit et dans son cœur
« l'obéissance aux lois de sa patrie et aux commande-
« inents de ses parents, les sentiments de révérence en-
230 XIII JUIN.
« vers les évêques et les prêtres, la soumission à ses mai-
ci très, le respect pour les vieillards, l'amour de la pureté,
« de la retraite, de l'humilité, de la souffrance, de la
« douceur, de la charité, de la tempérance, des jeûnes,
« de l'abstinence , et l'horreur du mensonge même
« joyeux. Il ne riait jamais aux éclats, il ne proférait
« aucune parole inutile ; il était l'ennemi déclaré de la
« vanité, des jeux bruyants, du faste, de la vengeance,
« des haines, des murmures, des jugements téméraires...
a Que devait donc être ce soleil annoncé par une aussi
« brillante aurore ? » (Lelio Mancini Poliziano, Relazioni
di S. Antonio di Padova. Padoue, 4654. — Cité par l'abbé
Guyard.)
Cependant l'enfant atteignait l'adolescence, l'âge ou les
passions fermentent, le moment des rêves trompeurs et
des illusions, époque critique de la vie, écueil dangereux
sur lequel viennent échouer tant de belles âmes qui
paraissaient grandir pour le ciel. Toutes les séductions
environnaient Antoine. Riche, d'une naissance illustre,
d'un extérieur agréable, il était exposé à toutes les atta-
ques du monde, dans une ville qui, alors comme aujour-
d'hui, était un véritable lieu de délices. Il ne succomba
pas ; non pas que les âmes d'élite comme la sienne ne
soient aussi exposées que les autres aux périls, aux ten-
tations, aux chutes ; il eut fort à lutter sans doute contre
lui-même et contre le démon , son cœur fut le jouet de
grandes incertitudes ; mais Dieu était avec lui, et Dieu
ne l'abandonna jamais. Dans les moments où il se sen-
tait faiblir, il se recommandait au Très-Haut et à la Reine
des Anges, sa patronne, et il lui demandait avec des lar-
mes aide et protection. Puis un jour, élevé par la grâce
SAINT ANTOINE DE PADOUE. 231
au-dessus du monde et de lui-même, il résolut de ne pas
attendre plus longtemps pour se consacrer à Dieu, et il
s'en fut demander l'habit au couvent des Chanoines
réguliers de Saint-Augustin, à Lisbonne.
Les Chanoines réguliers de Saint-Augustin, chez qui
avait été élevé le bienheureux Antoine, jouissaient dans
toute la contrée d'une grande réputation de science et de
piété. L'abbé, nommé Pelage, touché de la candeur, de
la modestie et de l'ardente foi du jeune homme, le reçut
à bras ouverts et lui donna l'aumusse blanche des no-
vices.
Antoine était heureux ; il n'avait à penser qu'à Dieu.
Sous les grandes arcades et dans les longs couloirs silen-
cieux, il se promenait lentement, les bras croisés sur sa
poitrine, les yeux levés au ciel, l'âme abîmée dans un
immense amour. On ne le laissa pas longtemps jouir de
la paix qu'il désirait avec tant d'ardeur. Ses parents et ses
amis, durant l'année de son noviciat, le tourmentèrent
sans cesse pour le ramener au monde, dont il avait dé-
daigné les joies. Tous les moyens leur furent bons:
caresses et menaces, flatteries et railleries amères ; on
lui parla de ses richesses, de l'éclat de son nom, de l'obs-
cure pauvreté qui l'attendait au couvent; si bien que le
jeune novice, harcelé de toutes parts, fatigué d'une lutte
incessante qui arrachait son âme aux joies pures du
sanctuaire, résolut de s'éloigner de Lisbonne et d'aller
chercher ailleurs la tranquillité qu'il n'y pouvait trouver.
Il réfléchit et pria longtemps avant de se décider; puis
enfin, il demanda à ses supérieurs la permission de pas-
ser au couvent de Coïmbre. Le prieur la lui accorda, non
t sans peine ; il lui coûtait de se séparer d'un novice aussi
232 XIII JUIN.
pieux, aussi soumis à la règle, aussi ardent au travail.
A Coïmbre, comme à Lisbonne, Antoine fit l'admiration
des autres religieux. En même temps, ses progrès dans
la vertu comme dans la science devenaient plus rapides.
Déjà, à Lisbonne, il s'était appliqué à l'étude de la théo-
logie et des saintes Ecritures; débarrassé maintenant
des obsessions et des récriminations de ses parents, seul
à seul avec Dieu, méditant sans cesse l'infinie puissance
du Père et l'infinie bonté du Fils, il avait des choses du
ciel une connaissance presque pleine et entière. On eût
dit que l'Esprit-Saint était descendu sur lui comme au-
trefois sur les Apôtres, pour lui donner le don des lan-
gues, une science immense et une éloquence irrésistible.
Les plus savants docteurs du couvent avaient honte de
leur ignorance, en présence de ce jeune novice qui sem-
blait posséder les secrets de Dieu ; les plus saints reli-
gieux aussi se trouvaient trop mondains, comparés à
cet austère serviteur du Christ, si humble, si pauvre, si
occupé de jeûnes, de veilles, de retraites et de mortifi-
cations.
D'ailleurs, le Très-Haut prenait déjà soin d'affirmer
aux yeux du monde la sainteté de son serviteur par des
miracles éclatants. Un jour qu'il était occupé, près de
l'église, à quelque humble besogne, il entendit tout à
coup retentir la cloche qui annonce l'élévation. Il se mit
à genoux, et il vit tout à coup les murs de pierre s'ou-
vrir devant lui et le prêtre lui apparaître debout sur
les marches de l'autel, accomplissant le saint sacrifice.
Un jour, il soignait un frère malade, qui poussait des
cris affreux ou des éclats de rire nerveux et saccadés,
plus effrayants encore. L'idée lui vint que le malheureux
SAINT ANTOINE DE PADOUE. 233
devait être sous la puissance du démon, et en effet, il le
délivra sur-le-champ en le couvrant de son manteau.
Une autre fois encore, tandis qu'il assistait en qualité
de diacre ou de sous-diacre le prêtre à l'autel, il aperçut
l'âme d'un religieux franciscain , venu de Rome avec
saint Zacharie, qui s'élevait dans les airs sous la forme
d'un oiseau blanc, traversait le purgatoire et pénétrait,
les ailes toutes grandes, dans le royaume des élus.
Aussi les Chanoines Augustins de Sainte-Croix de
Coïmbre avaient-ils conçu des vertus d'Antoine une si
haute estime, qu'ils écrivaient de lui, dans leurs archives,
deux ans à peine après qu'il les eut quittés : Vir utique
famosus, doctus et pius, magna lîtteratura ornatus, et
gloria meritorum stipatus : « C'était assurément un
« homme remarquable, savant et pieux, d'une science
« immense et qu'une gloire méritée accompagnait déjà
« partout ». (Azevedo, Vita di S. Antonio,, lib. I, cap. h.)
CHAPITRE II.
SOMMAIRE : Fondation d'un couvent de Frères Mineurs à Coïmbre. — Saint
François apparaît à Antoine et lui ordonne, au nom de Dieu, de prendre l'habit de
son Ordre. — Douleur des Augustins, leur ressentiment. — Noviciat d'Antoine.
— Il veut aller prêcher la foi chrétienne en Afrique, il y tombe malade et à son
retour une tempête le jette sur la côte de Sicile. — Synode d'Assise. — Antoine
au couvent du mont Saint-Paul. — Son premier sermon à Forli.
Cependant le saint patriarche d'Assise venait d'envoyer
en Portugal, l'an 1216, saint Zacharie et saint Gauthier
avec quelques autres frères mineurs. Le roi Alphonse II
leur avait donné la chapelle du saint abbé Antoine, à
une demi-lieue de Coïmbre, et leur avait fait élever un
couvent. Comme ils venaient souvent quêter au couvent
des Augustins, Antoine ne tarda pas à les connaître, et
234 XIII JUIN.
par conséquent à admirer l'austérité de leur vie aposto-
lique. Il aimait à s'entretenir avec eux, et il se sentait au
cœur un immense désir de les imiter. Ce fut bien autre
chose encore, quand eut lieu la solennelle translation
des corps de cinq religieux franciscains qui venaient
d'être martyrisés au Maroc (1). En apprenant la glorieuse
histoire de ces cinq apôtres, il voulait, lui aussi, donner
son sang pour le Christ, en propageant sa foi. Jour et
nuit, il rêvait la palme du martyre, qu'il croyait ne
pouvoir mieux mériter que sous l'habit de frère mineur.
Mais il n'osait se décider de lui-même à quitter l'Ordre
des Augustins, où l'avait tout d'abord appelé la volonté
de Dieu. Il voulait attendre qu'il plût au Seigneur de lui
manifester clairement ses intentions, et il redoublait de
prières pour obtenir cette grâce. Le Seigneur l'exauça
enfin : un jour que, retiré dans sa cellule, il épanchait
son âme dans le cœur de son Dieu, saint François lui
apparut et lui ordonna, au nom du Très-Haut, de pren-
dre l'habit de frère mineur, pour travailler à la gloire
du Christ et au bien des âmes. Le lendemain même,
Antoine se présentait au couvent de Saint-Antoine des
Oliviers et se faisait admettre au nombre des novices.
(Juillet 1220.)
Grande fut la douleur des Chanoines A ugustins, quand
ils apprirent cette détermination. Ils s'étaient bercés de
l'espoir que leur jeune frère serait un jour l'honneur de
leur Ordre, ils s'étaient habitués à l'entourer de soins et
d'affection, et tout à coup il les abandonnait. Le prieur,
en lui donnant l'autorisation qu'il ne pouvait lui refuser,
(1) Consulter, pour la vie et la mort glorieuse des cinq martyrs du Maroc, le
Palmier Séraphique (1er volume, — Mois de Janvier, seizième jour).
SAINT ANTOINE DE PADOUE. 235
ne lui cacha pas son mécontentement, et l'un des cha-
noines, à qui il faisait ses adieux, lui dit avec aigreur :
« Allez, vous deviendrez peut-être un saint »; à quoi An-
toine répondit humblement : « Le jour où vous appren-
« drez ma canonisation, vous serez les premiers à en
« rendre grâces à Dieu ».
Les bons Pères ne purent se consoler de la perte d'An-
toine, et le chagrin tout paternel qu'ils en avaient res-
senti d'abord se changea peu à peu en ressentiment mal
contenu et en sourde hostilité. Il fallut que le pape Gré-
goire IX intervînt par deux brefs adressés, l'un à l'évêque
de Viseu, l'autre à la communauté des Augustins de
Coïmbre, pour faire cesser les mauvais procédés dont ils
usaient à l'égard des Frères Mineurs.
Le nouveau franciscain, reçut avec l'habit de l'ordre, le
nom d'Antoine, en l'honneur du saint abbé à qui était
dédié le premier couvent séraphique en Portugal. C'était
aussi un moyen pour lui de vivre plus inconnu et
d'échapper aux poursuites sans cesse renouvelées de ses
parents et de ses amis mondains.
Durant son noviciat, Antoine se livra tout entier à la
prière, à la contemplation, aux œuvres d'obéissance et
d'humilité (1). Quand il eut prononcé ses vœux, se sou-
venant qu'il n'était entré dans l'Ordre Séraphique que
dans le désir d'y gagner la palme du martyre, il demanda
à ses supérieurs la permission de passer en Afrique pour
y prêcher la vérité aux Maures. Ses supérieurs le lais-
sèrent partir ; mais Dieu ne voulut pas de son dévoue-
ment; dans son éternelle sagesse, il avait décidé
(l) On voit encore aujourd'hui la cellule qu'habitait alors Antoine. On la conserve
précieusement dans le chapitre ; son portrait y est placé au-deseus d'un petit autel.
236 XIII JUIN.
qu'Antoine convertirait les infidèles de l'Europe chré-
tienne, et non ceux de l'Asie et de l'Afrique mahométanes.
A peine arrivé au terme de son voyage, Antoine se vit
en proie à une maladie cruelle, qui mit plus d'une fois
ses jours en danger, et le força, au printemps, de se
rembarquer pour le Portugal, où il comptait retrouver la
force et la santé. La traversée fut malheureuse : une
violente tempête le jeta sur les côtes de Sicile.
Antoine débarqua à Tauromenium, ancienne ville épis-
copale de la province de Messine. Là, ayant appris que
saint François allait tenir le chapitre général de l'Ordre
dans la ville d'Assise, il résolut de s'y rendre, quoiqu'il
fût encore affaibli par suite de sa maladie. Des frères
mineurs de toutes les parties de l'Europe y étaient ras-
semblés. Antoine ne pouvait assez remercier le Seigneur
de l'avoir amené au sein de cette magnifique réunion. Il
était heureux de contempler ces vaillants soldats du
Christ, toujours prêts à verser leur sang pour leur Dieu,
pauvres, austères, sans souci du monde qui avait les
yeux fixés sur eux, plus grands dans leur humilité que
les rois dans leur orgueil, et surtout le vénérable patriar-
che d'Assise, que l'Europe entière honorait déjà comme
un saint, et qui en avait le calme et la sérénité.
Quand vint la distribution des charges et des dignités,
Antoine, nouveau venu dans l'Ordre, encore inconnu,
et que sa modestie retenait dans l'ombre, fut complète-
ment oublié. Il s'en réjouit au fond du cœur, car il
n'avait pris l'habit de franciscain que pour être humilié
et non pas pour être exalté. C'est alors qu'il rencontra
le Père Gratien, un saint homme, ministre de la province
de Bologne. Ce vénérable Père cherchait un aumônier
SAINT ANTOINE DE PADOUE. 237
pour dire la messe à quelques religieux qui vivaient
d'une vie contemplative au sein d'un ermitage ; il avait
remarqué à l'assemblée la science d'Antoine, dont l'hu-
milité lui avait tout d'abord gagné le cœur. Sur sa
réponse qu'il était revêtu du sacerdoce, il l'emmena
pour en exercer les fonctions au petit monastère de Saint-
Paul, sur la montagne du même nom.
Le couvent était admirablement bien situé. Au sommet
de la montagne, suspendu pour ainsi dire entre la terre
et le ciel, aucun bruit mondain n'y pénétrait, et l'âme
ravie pouvait y écouter dans le silence et la paix les
grandes harmonies de la nature célébrant la grandeur
et la puissance de son Créateur. C'était là ce qu'Antoine
avait toujours désiré; il se fit donner par un religieux
une petite cellule creusée dans le roc, sur le flanc de la
montagne, et il y venait, ses devoirs d'aumônier remplis,
passer les jours et les nuits dans une perpétuelle médi-
tation, interrompue seulement par des pratiques austères.
Il vivait de pain et d'eau, et portait sous ses vêtements
une chemise de crin, âpre et rude, que l'on conserve
encore à Padoue dans une châsse en argent. Ses morti-
fications l'affaiblissaient tellement qu'il pouvait à peine
se soutenir. Mais si le corps était débile, l'âme était vail-
lante et robuste, se retrempant sans cesse dans la prière
et se préparant, par un commerce de tous les instants
avec Dieu, à lutter victorieusement contre l'hérésie et
toutes les vanités du monde.
Antoine vécut ainsi pendant un an dans la solitude et
la contemplation, soumis à la Providence de Dieu, dont
il ne douta jamais un moment. Il cachait sa grande
science sous le voile d'une excessive modestie ; et tout
238 XIII JUIN.
désireux qu'il était de travailler à la gloire du Seigneur
et au salut des âmes, il avait peur du monde, et le
spectacle qu'il avait sous les yeux l'effrayait. Il savait
aussi que les hommes sont portés à admirer les vertus
mêmes qu'ils ne mettent pas en pratique, et que souvent
ils distribuent à pleines mains les éloges et la gloire à
ceux qui châtient leurs vices avec le plus de vigueur, et
la pensée qu'il pourrait pécher par orgueil le faisait
tomber à genoux.
Le temps approchait cependant, où le pieux Antoine
allait mettre en lumière les dons précieux qu'il avait
reçus du ciel. En 1222, il fut envoyé à Forli, pour y
recevoir les ordres sacrés. Plusieurs religieux de l'Ordre
de Saint-Dominique s'y trouvaient aussi rassemblés dans
le même dessein. C'était l'usage, après une ordination,
d'adresser quelques paroles aux jeunes clercs qui venaient
d'être sacrés ministres du Très-Haut. L'évêque de Forli
pria le gardien du mont Saint-Paul de se charger de
cette mission, ou de la confier à un de ses religieux.
C'est sur Antoine que tombèrent les yeux de son supé-
rieur, et c'est lui qui reçut l'ordre, au nom de la sainte
obéissance, de monter en chaire et de prononcer le dis-
cours d'usage. Il s'y résigna à contre-cœur, s'estimant
indigne d'un tel honneur ; mais il fallait obéir ;
il sollicita la bénédiction de l'évêque et se prépara à
parler. Aucun des assistants ne se doutait qu'il eût étudié
ou seulement lu les saints livres, et ses frères se le figu-
raient plus volontiers à la cuisine, occupé à relaver la
vaisselle du couvent, que plongé dans les ouvrages des
docteurs de l'Eglise.
Il prit pour texte ce passage de l'office du jeudi saint :
SAINT ANTOINE DE PADOUE. 239
Christus factus est pro nobis obediens usque ad mortem.
Sa parole, d'abord calme, sans éclat, presque hésitante,
s'anima en quelque sorte malgré lui, elle devint rapide,
énergique, enflammée. Ce moine exténué par les souf-
frances et les privations, à l'aspect misérable, avait
l'autorité d'un apôtre et l'éloquence d'un prophète ; la
voix puissante, le geste superbe, il dominait toute cette
assemblée, à qui, par sa seule attitude, il semblait dire :
a Ecoutez, enfants des hommes, car je suis celui qui
« parle au nom du Seigneur». On Fécoutait en effet,
dans une religieuse admiration. Les assistants muets,
étonnés , hors d'eux-mêmes , versaient des larmes de
bonheur, et, en même temps, en voyant briller en lui
un rayon de la divine sagesse, ils se sentaient pénétrés
d'un saint respect. Une nouvelle vie allait commencer
pour Antoine.
CHAPITRE III.
SOMMAIRE : Saint François confie à Antoine la difficile mission de prêcher et de
convertir. — Succès d'Antoine dans la prédication. — Caractère de son éloquence.
— Il enseigne la théologie à Montpellier, à Bologne et à Padoue. — Il prêche une
station à Verceil. — Son amitié avec l'abbé de Saint-André. — Antoine prêche de
nouveau en France. — Résultats merveilleux de ses sermons. — Il va combattre,
dans le Languedoc et la Provence, l'hérésie des Albigeois. — Emploi de son
temps.
Le bruit public et les rapports des supérieurs d'Antoine
ne tardèrent pas à apprendre au saint patriarche Fran-
çois quel avait été le succès du premier sermon prononcé
par le jeune religieux et quelles magnifiques espérances
on pouvait fonder sur un tel début. Presque aussitôt il
lui confia la difficile mission de travailler à la conver-
sion et au salut des âmes (1222). Antoine était alors âgé
de vingt-sept ans.
Du jour où il commença son pénible et glorieux labeur,
240 XIII JUIN.
jusqu'au jour où il cessa de prêcher, une multitude
attentive et pieuse se pressa à ses sermons. Il évangelisa
d'abord les principales villes de la Romagne et de la
Lombardie. Le succès couronna ses efforts au-delà de
toute espérance ; les pécheurs sanglotaient dans les
églises où il parlait, et les conversions les plus inatten-
dues s'opéraient par ses soins. D'ailleurs, la nature et la
grâce semblaient l'avoir formé pour la prédication.
Voici quel portrait en trace un de ses biographes :
« Il avait un extérieur poli, des manières aisées, un
a air intéressant. Sa voix était forte, claire, agréable, et sa
« mémoire heureuse. A ces avantages il joignait une
« action pleine de grâce ; il savait, en variant à propos
« le son de sa voix, s'insinuer dans l'âme de ses audi-
« teurs. Il était versé dans la connaissance de l'Ecriture,
« qu'il avait le talent d'appliquer avec beaucoup de jus-
« tesse aux matières qu'il traitait. Le texte sacré devenait
« entre ses mains une source féconde de lumières, et il
« en développait le sens et l'esprit avec une facilité et
a une énergie admirables. Mais son éloquence tirait sa
« principale force de l'onction avec laquelle il prononçait
« ses discours. L'amour dont il était embrasé pour la
« pratique de toutes les vertus le faisait parler avec un
a zèle auquel on ne pouvait résister. Ses paroles étaient
« comme autant de traits qui allaient percer le cœur de
« chacun de ses auditeurs. Il communiquait aux autres
« de sa plénitude, et il n'était pas étonnant qu'après avoir
« allumé dans son âme le feu de la divine charité, il
« l'allumât dans celle de tous ceux qui î'écoutaient (1) ».
(1) Vadding, Annales Minorum, cité par M. l'abbé Guyard dans sa Biographie de
saint Antoine.
SAINT ANTOINE DE PADOUE. 241
Il y avait un an déjà qu'Antoine parcourait et évan-
gélisait les villes et les villages du nord de l'Italie, quand
saint François lui demanda d'enseigner la théologie aux
Frères Mineurs et même aux laïques qui désireraient
s'instruire sous sa direction. Voici la lettre qu'il lui
adressa à cette occasion :
« A mon très-cher frère Antoine, salut et bénédiction
« en Notre-Seigneur Jésus-Christ.
c< Je désire que vous enseigniez à nos frères la sainte
« théologie ; mais ayez soin, en même temps, de déve-
« lopper en eux, comme en vous, l'esprit de prière et
« d'oraison, selon les ordonnances de la Règle que nous
« professons. Adieu (1) ».
En vertu de cet ordre, tout en continuant ses prédi-
cations, Antoine professa la théologie, d'abord en France,
à Montpellier, puis à Bologne et à Padoue, et en dernier
lieu à Toulouse, et dans quelques autres villes de France.
Un certain nombre de ses historiographes l'ont appelé
le premier lecteur [lector) de l'Ordre, parce que les quel-
ques frères mineurs qui commençaient alors à enseigner
en Angleterre et à Bologne, n'y étaient pas, comme lui,
autorisés par saint François. Partout une foule de jeunes
gens, avides de science, se pressèrent à ses leçons, et malgré
les efforts qu'il fit pour demeurer inconnu, quoiqu'il ne
songeât jamais à lui-même, mais aux âmes de ses audi-
teurs, sa renommée alla croissant de jour en jour.
En 1224, Antoine se rendit à Verceil pour y prêcher
une station. C'est seulement alors que commencèrent
(1) « Charissimo mco fralri Antonio, pater Francisais, in Christo salutem.
« Plucet inilii quod sanctœ theologice litteras fratribus interprétera, ita tamenut
« neque in caetera (quod vehementer cupioj extinguatur sanctœ orationis spiritus,
« juxta regulam quant prop.tem.ur. Vale », (Waddiog, Annales Min.)
Palm. Séraph. — Tome VI. 16
242 XIII JUIN.
ses rapports avec le savant abbé de Saint-André. Tous
deux trouvèrent à ce commerce un profit et un charme
inexprimables : aussi pieux que modestes, Antoine con-
naissait à fond la théologie mystique, et l'abbé, la théo-
logie dogmatique ; ils se doublèrent en quelque sorte
l'un de l'autre, pour la plus graude gloire de Dieu et de
la religion et pour le profit des âmes. Une étroite affection
les unissait, et l'abbé disait d'Antoine dans un de ses
livres : « L'amour franchit souvent les bornes en-deçà
a desquelles la science demeure; c'est ce que j'ai observé
« dans saint Antoine, frère mineur, avec qui j'ai eu
« longtemps des relations d'amitié : il n'avait pas une
« connaissance bien profonde des sciences mondaines,
« mais par la pureté de son âme et le feu de son amour, il
a a surpassé les plus grands théologiens, et l'on peut dire
« de lui comme de saint Jean-Baptiste : « Il fut comme
« une lampe qui brille en se consumant; le feu de son
« amour le brûlait, et par l'exemple de sa sainte vie, il
« rayonnait sur le monde ».
Antoine aussi aimait tendrement le savant abbé, et
chaque fois qu'il passait en Piémont, il ne manquait
jamais de lui faire visite. A l'heure de sa mort, il apparut
toup à coup au thélogien, qui, perdu dans sa chambre
au milieu de ses livres, souffrait d'un violent mal de
tête. Antoine l'embrassa avec affection et lui dit : « J'ai
« laissé mon âme à Padoue, et je retourne dans ma
a patrie ». Puis il le délivra de sa douleur et s'évanouit
comme un fantôme. L'abbé, s'imaginant qu'Antoine re-
tournait en Portugal, parcourut le couvent et fut fort
étonné d'apprendre que personne ne l'avait vu ; quelques
jours après, tout s'expliquait : il recevait de Padoue la
SAINT ANTOINE DE PADOUE. 243
nouvelle qu'Antoine était mort précisément à l'heure où
il lui était apparu.
Cependant Antoine parcourait la France et l'Italie, et
prêchait la foi du Christ dans les villes et les villages,
toujours suivi d'une foule d'auditeurs qui voyaient
en lui un ange descendu du ciel, et qui écoutaient sa pa-
role comme ils eussent écouté celle de Dieu lui-même.
Quoique né en Portugal, il s'exprimait en français et en
italien avec une prodigieuse facilité. Les résultats qu'il
obtint sont presque au-dessus de l'imagination : les pé-
cheurs se convertissaient par milliers, et les prêtres qui
accompagnaient Antoine ne pouvaient suffire à entendre
les confessions.
« Quand le bon père prêchait », dit un ancien auteur,
« tous les travaux étaient aussitôt suspendus, comme aux
« jours de fête; les juges, les avocats, les négociants
« laissaient leurs occupations pour aller l'entendre. On
a accourait des villes et des villages : les plus grandes
« dames quittaient leurs demeures et n'hésitaient pas à se
« lever au milieu de la nuit pour marcher à la lueur des
« torches et venir prendre leurs places le plus près possible
« de la chaire du prédicateur. Alors on se pardonnait ré-
« ciproquement toutes les offenses , les débiteurs se
« trouvaient libérés, les prisons s'ouvraient, les voleurs
« restituaient ce qu'ils avaient dérobé, les pécheurs se
a convertissaient, les hérétiques abjuraient leurs erreurs,
« et }es infidèles recevaient la lumière de l'Evangile. Et
a parmi tous ces milliers d'auditeurs qui se réunissaient
c< autour du missionnaire, on n'entendait pas le moindre
« chuchotement, ni le plus léger bruit. Enfin les églises
« étaient tellement remplies et les Sacrements tellement
244 XIII JUIN.
a fréquentés, que les prêtres ne pouvaient suffire aux
« fonctions du saint ministère ; et bienheureux était le
« fidèle qui parvenait à baiser ou à toucher seulement le
« bas des vêtements du saint, et à recevoir une parole de
a sa bouche vénérée ». (Lelio Mancini Poliziano, cité par
l'abbé Guyard.)
A celte époque Frédéric II s'apprêtait à porter la guerre
en Italie, contre la sainte Eglise ; les chemins étaient
remplis de partisans et de bandits qui ne se faisaient pas
scrupule de piller et de tuera l'occasion. Deux d'entre eux
vinrent un jour entendre le Père Antoine, par manière
de passe-temps, ne se doutant pas de ce qui allait en ré-
sulter pour eux. L'un de ces hommes, devenu vieux,
disait à un frère mineur : « Nous entendîmes sortir de sa
« bouche enflammée des paroles ardentes qui nous brû-
« laient le cœur : chaque mot du divin prédicateur
« venait, comme un trait, nous frapper en pleine poi-
« trine ; pour ma part, j'aurais mieux aimé recevoir cent
« blessures. Avec des pleurs et des gémissements, nous
« sommes allés faire à ses pieds notre confession gé-
« nérale ; je ne saurais vous dire avec quelle douceur
a paternelle il nous reçut, quels sages conseils il nous
« donna, avec quelle foi et quelle éloquence il nous parla
« de l'éternelle félicité réservée aux vrais chrétiens et
« des peines éternelles qui seraient le juste châtiment
a des méchants et des impies. Il m'a ordonné pour péni-
« tence d'aller douze fois en pèlerinage au tombeau des
« Apôtres Pierre et Paul ; voyez : je m'acquitte avec
« bonheur de cette douce obligation, et j'ai confiance
« dans les paroles du saint homme qui m'a promis la
« bienheureuse éternité ».
SAINT ANTOINE DE PADOUE. 245
A cette époque, l'hérésie des Albigeois commençait à
exercer ses ravages dans le midi de la France. Semblable
à un fléau contagieux, elle se répandait dans les villes et
les villages et faisait de nombreuses victimes. Saint
François s'en émut ; son cœur saigna à la pensée des
malheurs que des milliers d'hommes se préparaient pour
l'éternité, et il songea à arrêter les progrès du mal. Il
choisit pour cette grande mission Antoine, et le chargea
d'aller fonder des couvents de l'Ordre et prêcher la vraie
foi dans la Provence et le Languedoc. Antoine partit,
fort de l'appui du Seigneur.
A peine arrivé, il se mit résolument à l'œuvre ; sans
cesse ni trêve, il frappa l'hérésie jusqu'à la réduire
presque à l'impuissance. Ses sermons, tantôt passionnés
et brûlants, tantôt serrés comme l'argumentation d'un
logicien , quelquefois piquants et spirituels , étaient
toujours éloquents. Il provoquait à une lutte courtoise
les docteurs albigeois; mais jamais aucun d'eux n'osa se
mesurer avec lui : on l'appelait le marteau des héré-
tiques. Les conversions étaient fréquentes ; chaque
sermon en amenait un grand nombre. On voyait,
quand il avait cessé de parler, une foule d'hommes et de
femmes s'approcher de lui avec des larmes dans les yeux,
et lui demander, au nom du Seigneur, pardon et abso-
lution pour leurs erreurs. C'est qu'à la lumière de sa
science et de son éloquence, ils avaient vu clair dans les
ténèbres de leur âme ; ils comprenaient maintenant
l'énormité de leur faute, et si pour tous le repentir n'était
pas encore venu, du moins une crainte salutaire du
courroux de Dieu préparait les voies.
Ce grand succès des prédications d'Antoine est con-
246 XIII JUIN.
lirmé, non-seulement par les témoignages du temps,
mais encore par les nombreuses fondations religieuses
qu'il commença ou acheva dans le midi de la France.
C'est grâce à lui que de nombreux couvents de Frères
Mineurs purent s'établir et se maintenir au centre même
d'un pays hérétique.
D'ailleurs, il ne s'épargnait pas la fatigue. Sa messe
dite, il confessait jusqu'à l'heure de son sermon; après
le sermon, il revenait au confessionnal, et y demeurait
jusqu'au soir. Ses journées se passaient à prêcher, à
catéchiser, à donner de sages conseils, à absoudre ; et
tout entier à ces œuvres de charité et d'amour, il oubliait
le boire et le manger. Souvent il fit son premier repas à
la nuit tombante. La nuit, au lieu de prendre le repos
qui lui eût été si nécessaire, il s'adonnait à l'étude et à
la méditation; il préparait ses sermons, composait des
ouvrages sur les psaumes, qui sont restés, parmi les
meilleurs, les plus savants et les plus pieux commentaires
des livres saints ; et son biographe ne craint pas d'affirmer
que sa vie, hélas I trop courte, a été plus remplie que
celle de bien des vieillards.
CHAPITRE IV.
SOMMAIRE : Miracles du Père Antoine. — A Montpellier il est à la fois dans
l'église du couvent, où il chante Y Alléluia, et dans l'église paroissiale, où il prêche.
— Miracle de Bourges. — 11 sauve miraculeusement l'enfant d'une pieuse femme.
— Une autre entend un sermon qu'il prononce à plusieurs milles de distance. —
Miracle du chapitre d'Arles. — Apparition de saint François. — Miracle de
Limoges. — Miracle de Soiignac, etc., etc.
On peut dire de ce grand prédicateur du moyen âge ce
que l'évangéliste saint Luc a dit des Apôtres : « Ils prê-
» chaienl, et le Seigneur confirmait leurs paroles par
SAINT ANTOINE DE PADOUE. 247
a d'éclatants prodiges». La vie d'Antoine a été en effet
comme une suite non interrompue de miracles. Ses
biographes les ont notés avec soin, et l'Eglise en a approuvé
et reconnu un grand nombre. Nous en citerons seulement
quelques-uns des plus saillants et des plus remar-
quables.
A Montpellier, où il exerçait la fonction de lecteur, il
prêchait, un jour de grande fête, en présence de tout le
clergé et d'une foule de peuple. Tout à coup il se souvint
qu'il avait été désigné pour chanter V Alléluia qui précède
l'Evangile. Il s'interrompt aussitôt, se couvre la tête de
son capuchon, et penché sur le bord de la chaire, ses
lèvres remuent comme prononçant des paroles qu'on
n'entend pas dans l'église : on les entendait ailleurs ; il
y a plus, son corps même, que ses auditeurs croyaient
encore apercevoir, était aussi ailleurs : dans son couvent,
où il chantait Y Alléluia au milieu du chœur. Quelques
moments après, il relevait la tête, rejetait en arrière
son capuchon, et reprenait son sermon à l'endroit où il
l'avait laissé.
Ce miracle, constaté par une foule de témoignages
irrécusables, se renouvela une autre fois à Limoges,
dans des circonstances analogues.
Il prêchait une station à Bourges, et une si grande
multitude de peuple se pressait à ses sermons que les
églises de la ville eussent été incapables de la contenir ; on
résolut de se réunir en plein air, au pied d'une petite
éminence. Tout à coup les éclairs brillent, le tonnerre
gronde, des nuages noirs s'étendent sur l'azur du ciel
qu'ils obscurcissent et cachent bientôt tout entier. La
foule effrayée voulait fuir et chercher un abri ; Antoine
'248 XIII JUIN.
ia tranquillisa: «Demeurez en paix», dit-il aux assistants,
a pas une goutte de pluie ne vous atteindra ». Et il con-
tinua à parler, comme s'il eût été en chaire dans une
cathédrale. L'orage s'abattit avec furie autour de la pieuse
assemblée, mais laissa intacte la place qu'elle occupait.
Une pieuse femme, à la nouvelle que saint Antoine
venait prêcher dans son village, devint presque folle de
joie, et dans son empressement d'arriver à temps pour
l'entendre, au lieu de coucher son enfant dans son petit
berceau, elle le déposa, sans y prendre garde, dans une
chaudière pleine d'eau bouillante. Le sermon terminé,
elle fut fort étonnée de voir quelques personnes du voi-
sinage lui demander où était son enfant. Pressentant un
malheur, elle courut à la maison : le berceau était vide,
mais quel ne fut pas son étonnement en voyant le pauvre
petit être jouer en souriant dans l'eau de la chaudière, et
lui tendre les bras. Elle tomba à genoux et rendit grâces
à Dieu, qui, sans doute en faveur du pieux Antoine,
l'avait si miraculeusement sauvé.
Une autre femme, remplie aussi de dévotion, désirait
vivement entendre un sermon que le saint devait faire
hors de la ville ; mais son mari lui défendit d'accom-
pagner la foule et de sortir de la maison. Tout attristée
de ce refut, elle monta dans sa chambre, et ouvrant une
fenêtre qui regardait du côté de l'éminence où prêchait
Antoine, elle s'efforça du moins de voir un peu ce qui s'y
passait. Alors, par un prodige manifeste, elle entendit la
voix du saint prédicateur aussi distinctement que si elle
se fût trouvée auprès de lui. Son mari lui demanda
pourquoi elle demeurait si longtemps à cette fenêtre, et
sur sa réponse qu'elle écoutait le sermon du Père, il se
SAINT ANTOINE DE PADOÏÏE. 249
mit à rire ; mais cependant, curieux de se rendre compte
de la chose par lui-même, il s'approcha de la fenêtre et,
à son grand étonnement, entendit comme sa femme
les paroles d'Antoine. La chronique ajoute que ce seul
fait décida de sa conversion, et que dans la suite, au lieu
de contrarier son épouse dans ses exercices de piété, il
voulut assister avec elle à tous les sermons du mission-
naire franciscain.
En 1226, Antoine reçut de ses supérieurs l'ordre de se
rendre à Arles, où se tenait alors le chapitre général de
la province. Les religieux et les prêtres de la ville le
reçurent avec le respect que méritaient ses vertus, ses
travaux apostoliques et les merveilles que Dieu opérait
par son entremise, et il fut choisi à l'unanimité pour
adresser aux Pères assemblés les exhortations d'usage. Ce
fut pour le Seigneur une nouvelle occasion de manifester
par un éclatant prodige la sainteté de son serviteur.
Comme Antoine prêchait le 14 septembre, jour de l'Exal-
tation de la sainte Croix, sur la passion du Christ, au
moment même où il prononçait ces mots : « Jésus de
«Nazareth, roi des Juifs », un vénérable religieux,
nommé Monald, aperçut tout à coup, au-dessus de la
porte du chapitre, saint François d'Assise enveloppé dans
un tourbillon de lumière, et bénissant ses enfants. On
n'espérait plus revoir le glorieux fondateur de l'Ordre,
que Ton savait être en ce moment retenu à Assise par
une cruelle maladie, et les bons Pères ne manquèrent
pas de faire honneur de cette précieuse visite au bien-
heureux Antoine.
Saint Bomventure (1) raconte ainsi cette merveille :
(1) Guyard, Saint Antoine de Pudona, pag. 191.
250 XIII JUIN.
a Quoique saint François ne pût pas assister en personne
« aux chapitres des provinces , il est vrai de dire
« néanmoins que les règlements qu'il avait prescrits pour
« ces assemblées, les prières ferventes qu'il adressait au
a ciel pour leur succès, et la bénédiction qu'il leur
- envoyait, le rendaient pour ainsi dire présent partout,
a Quelquefois même, Dieu, par un effet de sa toute-puis-
p sance, l'amenait miraculeusement au milieu de ses
« enfants. C'est ce qui eut lieu à Arles. Pendant que
« l'excellent prédicateur Antoine, ce brillant confesseur
« du Christ, parlait aux Pères sur la passion du Sauveur
« et sur l'inscription de sa croix, ainsi conçue : « Jésus de
" Nazareth, roi des Juifs » , un des religieux, nommé
« Monald, d'une vertu éprouvée, se sentit poussé par
« l'inspiration divine, à regarder vers la porte capi-
fc tulaire. Il vit alors le bienheureux François élevé en
« l'air, les bras étendus en croix et bénissant rassemblée...
« Il faut donc croire » , ajoute saint Bonaventure,« que le
« Seigneur, qui par sa vertu et sa puissance conduisit
c saint Ambroise aux obsèques du glorieux pontife
« saint Martin, voulut aussi que les vérités annoncées
« par Antoine, son prédicateur, et spécialement celles
a qui regardaient la passion de Jésus-Christ, reçussent
o une nouvelle approbation de la présence de son servi-
« teur François, qui savait si bien porter la croix et la
« prêcher aux autres (1) ».
Après la tenue du chapitre d'Arles, Antoine fut nommé
gardien du couvent de Limoges. Là il apprit qu'un jeune
novice, qui avait étudié à l'Université de Montpellier, et
sur lequel on avait fondé les plus grandes espérances,
(i) Yita S. P. Francisci, c. iv.
SAINT ANTOINE DE PADOUE 251
pris d'un découragement subit, voulait rentrer dans le
monde. Le saint homme le fit venir auprès de lui, l'em-
brassa avec effusion, et lui soufflant sur la figure, lui
dit : « Mon fils, recevez le Saint-Esprit ». A ces mots, le
novice tombe à terre, comme frappé de la foudre ; on
s'empresse autour de lui, on le relève pâle et tremblant ;
et tout à coup il se met à raconter qu'il vient d'être
transporté dans les célestes royaumes, qu'il s'est mêlé
aux chœurs des Anges, et qu'il a vu des merveilles
infinies. Il eût parlé davantage, mais saint Antoine
l'arrêta : <r Mon fils », lui dit-il, « vous écrirez, pour la
« plus grande gloire de Dieu, ce que vous voulez nous
o raconter » . Depuis ce jour, le novice cessa d'être tour-
menté par l'esprit malin, et il est devenu l'un des plus
vénérables religieux de l'Ordre.
Une pieuse femme, qui faisait les commissions des
Frères Mineurs, rentra un jour assez tard à la maison.
Son mari, homme grossier et mal élevé, la reçut avec des
outrages et des coups, et la traita si cruellement qu'elle
en perdit connaissance ; le misérable en profita pour lui
couper ses cheveux, qu'elle avait très-beaux et auxquels
elle tenait beaucoup. Le lendemain, Antoine, miraculeu-
sement averti par le Seigneur, vint voir la pauvre
femme, qui pleurait et regrettait la perte de sa chevelure ;
il la consola, l'exhorta à la résignation et lui promit
d'intercéder pour elle auprès de Dieu. En effet, rentré au
couvent, il fit assembler les frères à la chapelle, et se mil
en prières avec eux. Au même instant les cheveux de la
malade renaissaient plus beaux et plus longs que jamais.
Antoine venait de fonder le couvent de Brives, et les
religieux y affluant de tous côtés, il arriva un jour que
252 XIII JUIN.
les vivres manquèrent et qu'il fallut recourir à la charité
publique. Le saint envoya prier une bonne dame du voi-
sinage de lui donner pour ses frères quelques oignons de
son jardin. Il pleuvait à torrents, et le jardin était assez
éloigné de la maison. Néanmoins elle donna ordre à sa
domestique d'aller chercher les légumes et de les por-
ter au couvent. La servante obéit, et, au grand étonne-
ment de sa maîtresse, revint à la maison sans avoir une
goutte de pluie sur ses vêtements ; cependant l'eau n'a-
vait pas cessé de tomber, et il avait fallu plus d'une demi-
heure de course pour aller au couvent et en revenir.
Une autre fois, c'est à l'abbaye de Solignac qu'Antoine
accomplit un miracle non moins étonnant. Un religieux,
sans cesse tourmenté par le démon, avait versé ses cha-
grins dans le cœur du saint homme, et l'avait prié d'in-
tercéder pour lui auprès de Dieu. Antoine ôte son man-
teau, le jette sur les épaules du religieux, et aussitôt, à
ce seul contact, le démon de l'impureté, qui s'était établi
dans son âme, s'enfuit à tout jamais ; et ce que n'avaient
pu ni les jeûnes, ni les macérations, la toute-puissante
intervention du saint apôtre l'avait accompli en un ins-
tant.
CHAPITRE V.
SOMMAIRE : Hérétiques convertis par les sermoDs et les miracles de saint Antoine.
— Miracle de la mule à Toulouse, et conversions qui le suivent. — Miracle des
poissons à Rimini, et conversions. — Vaines tentatives des hérétiques pour se dé-
barrasser d'Antoine. — Efficace intervention du saint auprès du tyran Eccelin. —
11 l'arrête dans ses débordements.
Entre les titres innombrables du saint apôtre à la vé-
nération des fidèles, il faut placer au premier rang le
zèle qu'il montra toujours pour la purification des âmes
SATNT ANTOINE DE PADOUE. 253
et les nombreuses conversions qu'il provoqua. Où l'élo-
quence de la parole ne suffisait pas, il affirmait la vérité
de la religion par des miracles ; et c'est ainsi qu'il a fait
rentrer dans le giron de l'Eglise une foule de huguenots
hérétiques. Les docteurs du calvinisme n'osaient pas
paraître devant cet homme, en qui se réalisait de nouveau
cette promesse que le Christ avait donnée à ses Apôtres :
« Je mettrai en vous une sagesse et une puissance telles,
« que vos ennemis ne pourront rien contre vous ».
L'histoire a conservé le souvenir d'un prodige éclatant
que le saint accomplit à Toulouse, et que l'on désigne
ordinairement sous le nom de miracle de la mule. Un
hérétique, nommé Guiald, assez influent dans la ville et
d'un caractère très-obstiné, osa un jour discuter avec
notre grand saint sur un des points les plus importants
de la religion. Il connaissait d'ailleurs parfaitement la
Bible, parlait l'hébreu, et, fort de sa science, prétendait
triompher du Père. Mais, bientôt battu dans la discussion
en présence d'un grand nombre d'albigeois et de catho-
liques, il essaya de se tirer d'affaire par un subterfuge :
« Laissons les discours », dit-il, « et venons aux faits ; je
« possède une mule, je vais pendant trois jours la priver
« de nourriture. Dans trois jours, soyez ici avec une
« hostie consacrée ; moi, de mon côté, j'amènerai ma
« mule et je lui offrirai à manger. Si, dédaignant le foin
«que je lui présenterai, elle se tourne vers vous, je re-
« connaîtrai la supériorité de votre religion et je me
« convertirai ». Le saint accepta la proposition. Au jour
convenu, qui se trouvait être un jour de marché, Antoine,
après avoir célébré le saint sacrifice de la messe et prié
Dieu avec ferveur, accourut au rendez-vous, l'ostensoir
254 xni juriv
sacré à la main. La mule arrivait, conduite par l'héréti-
que, qui avait eu soin de la faire suivre par la nourriture
qu'elle préférait. Le visage inspiré, Antoine marche au
devant d'elle, entouré de chrétiens chantant des hym-
nes et des prières : « Au nom de ton Créateur que je
« porte dans mes mains », lui dit-il, «je t'ordonne de
« l'adorer avec humilité, afin que les hérétiques voient
« avec confusion que les animaux eux-mêmes sont for-
« ces de reconnaître la divinité de celui que le prêtre
« immole tous les jours sur l'autel ». Aussitôt la mule,
quittant son conducteur, se prosterne à terre, et, plaçant
sa tête sur les pieds d'Antoine, reste immobile dans cette
position. Décrire la rage et la confusion des huguenots,
aussi bien que la joie des catholiques, est impossible. Un
immense concert d'actions de grâces s'élève vers le ciel ;
Guiald, fidèle à sa parole, reconnaît la religion du saint
thaumaturge et provoque la conversion de toute sa fa-
mille et d'un grand nombre d'hérétiques. Il fit même, par
la suite, construire, à l'endroit où avait eu lieu le mira-
cle, une belle église qui fut placée sous l'invocation de
l'apôtre saint Pierre. L'un de ses neveux éleva aussi une
chapelle, où une inscription gravée sur la façade rappelait
le miracle de la mule (1).
(1) Voici l'inscription, telle que la rapporte Pierre Rosset, de Paris :
Sacris tandem se fontibus ipsum
Et natus jubet, et pariter cum conjuge natos
Lustrari, totamque doinum seruire Tonanti.
Sumptibus immensis Petro sublimia templa
Condidit, œthereas tangunt quœ vertice nubes.
Non procul hinc, templum exiguum posuere nepotes,
Et celso statuere loco spirantia signa.
In foribus stat equus, supplex ante ora dicati
Corporis, effigies cultus monumenta verendi
llli spreta fero calathis portatur avenu.
Ce qui veut dire : « Enfin il se fait baptiser et, avec lui, sa femme, tes fils et se
SAINT ANTOINE DE PADOUE. 255
Un miracle non moins éclatant, que le saint accomplit
à Rimini, décida aussi de la conversion d'un grand nom-
bre d'hérétiques. Comme les yeux des ennemis de la foi
se fermaient obstinément à la lumière, malgré les ser-
mons les plus éloquents, les raisonnements les plus ser-
rés et les preuves les plus convaincantes, Antoine dé-
clara du haut de la chair que ceux qui voudraient
l'accompagner jusqu'à l'embouchure du fleuve verraient
des choses merveilleuses. Quand on fut arrivé sur les
bords de la Marecchia, Antoine, élevant la voix, promena
ses regards sur l'étendue des eaux et s'écria :
« Poissons de la mer et du fleuve, écoutez ; puisque les
« hommes ne veulent pas entendre la parole de Dieu,
a c'est à vous que je vais l'annoncer ». Aussitôt, des pro-
fondeurs du fleuve, des abîmes de la mer, les petits mêlés
aux gros, une multitude de poissons s'approchent du ri-
vage. Ils arrivaient de tous les côtés, par troupes innom-
brables, serrés les uns contre les autres, la tête hors de
l'eau, les yeux tournés vers le prédicateur, qui leur parla
ainsi : « Quelles actions de grâces, ô poissons, ne devez-
« vous pas rendre à Celui qui vous a donné pour dé-
fi meure cette immense étendue d'eau ! C'est à lui que
« vous devez ces profondes retraites où vous vous réfu-
« giez pendant la tempête ; c'est lui qui, à l'époque du
a déluge universel, lorsque tous les hommes et tous les
« animaux qui n'étaient pas dans l'arche périrent, vous
« a conservé l'existence. Vous avez sauvé le saint pro-
c filles; il veut que toute sa maison reconnaisse le Très Haut. Puis il construit à
« grands frais et consacre à saint Pierre une église splendide, dont les tours se per-
« dent dans les nues. Tout près, ses neveux font bâtir une chapelle et y placent,
u dans un endroit élevé, des sculptures vivantes. Une mule est prosternée, suppliante,
o devant l'hostieconsa3rée...,elledédaignel'avoine qu'on lui offre dans une corbeille».
(Annales Minorum, an. 1225, num. 15.)
256 XIII JUIN.
« phète Jonas, vous avez fourni à saint Pierre et à Notre-
« Seigneur Jésus-Christ de quoi payer le cens; enfin vous
« avez servi de nourriture au Roi des rois. Louez donc et
« bénissez le Seigneur qui vous a favorisés entre toutes les
« créatures ».
A ces mots, les poissons s'agitent, battent de ia queue,
ouvrent la bouche, et témoignent par mille signes qu'ils
veulent rendre hommage au Très-Haut et lui payer le
tribut de leurs muettes louanges. Les assistants ne pou-
vaient contenir leur admiration et leur étonnement :
a Louons Dieu, mes frères», s'écria Antoine, en se tour-
nant vers les assistants, « louons Celui que des poissons
« révèrent plus que ne font les hommes créés à sa divine
a ressemblance ». Les hérétiques étaient confondus ; ils
se jettent en foule aux pieds du saint homme et ne con-
sentent à quitter la place qu'après avoir reçu de lui
l'absolution de leurs péchés. Tous ceux qui assistèrent à ce
miracle rentrèrent ce jour-là même dans le sein de
l'Eglise. Le souvenir de ce prodige s'est perpétué en Italie
et même en France, et le Père Papebroeck nous dit qu'il a
vu de ses yeux, le 26 novembre 1660, une antique cha-
pelle élevée sur le lieu même où il s'accomplit. Des
peintres célèbres l'ont représenté sur la toile.
Le saint Père, après cette éclatante manifestation de la
toute-puissance de Dieu, demeura encore quelques jours
à Rimini, pour affermir dans la foi les nouveaux con-
vertis, et les instruire des principaux dogmes de la reli-
gion.
Les hérétiques n'eurent jamais d'ennemi plus intrépide
et plus redoutable, plus habile à profiter de leurs fautes,
plus capable de dévoiler leurs fourberies et leurs men-
SAINT ANTOINE DE PADODE. 257
songes. Aussi essayèrent-ils souvent de ternir sa renom-
mée par la calomnie, ou même de se débarrasser de lui
par l'assassinat. Un jour, ils versèrent du poison dans
l'eau qu'il devait boire et dans la soupe qu'il devait man-
ger. Antoine en fut averti par le Seigneur : « N'avez- vous
a pas bonté », leur dit-il, « de recourir à ces misérables
« moyens, et croyez-vous que l'éternelle vigueur de la
« religion catholique doive s'affaiblir, si je meure? » Les
em poisonneurs, qui savaient qu'il ne pouvait pas y avoir de
traître parmi eux, étaient confondus: a Mangez et buvez»,
répondirent-ils, puisqu'il est dit dans l'Evangile : « Vous
« pouvez boire sans danger des breuvages mortels ; et si le
« poison ne produit sur vous aucun effet, nous sommes
« prêts à reconnaître que votre religion est la véritable ».
Antoine fit un signe de croix, mangea et but : « Ce n'est
«pas, Seigneur », s'écria-t-il, «ce n'est pas pour vous
« braver que j'absorbe ce poison, c'est pour donner à
« votre gloire une nouvelle occasion de se manifester ».
Il n'éprouva pas la moindre douleur, et les hérétiques
qui avaient voulu le faire mourir rentrèrent dans le
giron de l'Eglise catholique.
Partout où passait le saint, les mêmes prodiges l'accom-
pagnaient, et non-seulement les hérétiques, mais aussi les
pécheurs, le redoutaient comme la foudre ; on l'appelait
«l'effroi des tyrans». Et vraiment, jamais titre ne fut
mieux mérité. Lorsque l'Italie entière tremblait au seul
nom du féroce Eccelin, et que, maître déjà de Vicence, de
Brescia, de Castel-Fonte , cet homme cruel menaçait
d'envahir toute la contrée, quand les habitants de Pa-
doue, effrayés, croyaient déjà voir à leurs portes les gi-
•bets et les échafauds, Antoine, se dévouant pour ses
Palm. Sérapii. — Tome VI. 17
258 XIII JUIN.
concitoyens, annonça qu'il allait trouver le tyran. Il part,
arrive à Vérone, se présente dans le palais où le misérable,
entouré de bandits comme lui, était assis sur un trône de
soie et de velours. Il marche droit à Eccelin, et sans s'ef-
frayer de tout cet appareil, il s'écrie : « Tyran cruel,
« chien enragé, que la colère du ciel s'appesantisse sur
« ta tête ! jusques à quand verseras-tu ainsi à torrents le
« sang des chrétiens? Songe, songe au jour du juge-
or ment; il s'approche, et la peine sera terrible ». Ecce-
lin tremblait de la tête aux pieds, et il était si pâle, qu'il
ne paraissait plus avoir une goutte de sang dans les
veines : « J'ai vu sortir des yeux de ce moine », disait-il
à ses soldats, « des éclairs si menaçants, que j'ai craint
« un moment d'être sur-le-champ précipité dans l'enfer » .
Il se confessa, demanda humblement pardon de ses cri-
mes, promit de s'amender, et témoigna durant toute sa
vie une grande vénération pour l'homme de Dieu.
Malheureusement il ne tint ses promesses qu'à moitié,
et le saint religieux, défenseur intrépide des chrétiens et
des Italiens, ne cessait de fulminer contre lui les discours
les plus éloquents. Eccelin voulut l'éprouver : il lui
envoya par quelques-uns de ses officiers un présent con-
sidérable, avec ordre de le tuer, s'il l'acceptait ; mais de
respecter sa vie, s'il le refusait. Les messagers du tyran
abordent très-humblement Antoine et lui disent : « Votre
« fils Eccelin vous prie en grâce d'accepter ce cadeau ,
« et vous demande aussi d'intercéder pour lui auprès de
«Dieu». Antoine refusa avec indignation : « C'est le
« fruit du meurtre, du pillage et des rapines que vous
« portez dans vos mains; je vois encore du sang sur cet
« or ; sortez de chez moi , maudits , et ne souillez
SAINT ANTOINE DE PADOUE. 259
« pas plus longtemps ma maison de votre présence».
Ils s'en retournèrent tout confus et racontèrent à
Eccelin les résultats de leur mission : « C'est vraiment
a un homme de Dieu et un saint », dit-il; a qu'il prêche
a contre nous comme il voudra, nous le laisserons en
«paix». Et tant qu'Antoine vécut, la frayeur et le
respect que lui inspirait le grand thaumatuge l'arrêtèrent
dans ses débordements.
Plus tard, après la mort d'Antoine, sa toute-puissante
intercession délivra Padoue de la tyrannie sanglante du
tyran, et donna la victoire à l'armée du pape et des
républiques italiennes.
CHAPITRE VI.
SOMMAIRE : Admirable harmonie des vertus d'Antoine. — Il possède l'esprit des
prophètes. — Sa prédiction au notaire du Puy, et comment elle se vérifie. —
Prédiction concernant le glorieux martyr Philippe. — Dévotion d'Antoine envers la
très-sainte Vierge. — Elle lui apparaît le jour de l'Assomption. — Elle lui appa-
raît de nouveau à Padoue et le sauve des étreintes du démon.
On ne sait où s'arrêter dans cette longue suite de pro-
diges ; il faudrait, pour être complet, prendre la vie du
saint jour par jour , depuis sa naissance jusqu'à sa
mort. Tout ce qu'il y avait au monde de plus grand et de
plus admiré des hommes, tout ce que Dieu entassa
jamais de faveurs sur la tête de ses plus chers enfants,
zèle et foi des Apôtres, patience des martyrs, sagesse des
docteurs, éloquence des Pères de l'Eglise, courage des
confesseurs, pureté des vierges, piété des Anges, il a
tout rassemblé en lui dans une magnifique harmonie.
Ajoutez à cela les miracles les plus étonnants, les pro-
diges les plus éclatants accomplis en présence de millier?
260 XIII JUIN.
de spectateurs , les hérétiques confondus et convertis,
les pécheurs effrayés et repentants, les tyrans domptés ou
contenus, les démons expulsés, des extases merveilleuses,
des visions sublimes, des entretiens de tous les instants
avec les puissances du ciel, la \ie éternelle devinée et
connue par avance, voilà quel fut Antoine, voilà ses
litres à l'admiration et au respect des siècles.
Il connut les secrets des cœurs, et sut lire dans l'avenir
comme dans un livre ouvert. Il y avait au Puy, en
France, un notaire mondain et déréglé, athée déclaré,
ne songeant qu'à satisfaire ses passions, et se souciant
fort peu d'ailleurs de ce qu'on pensait de lui. On lui
témoignait en général fort peu d'estime ; Antoine seul
ne passait jamais auprès de lui sans le saluer, et même
sans se jeter à ses pieds. Ces marques de respect qu'il
savait ne pas mériter, et qu'il considérait comme une
dérision, contrariaient vivement le notaire débauché,
qui faisait tout son possible pour éviter la rencontre
d'Antoine. Mais, en dépit de ses précautions, il se trouva
de nouveau en sa présence, et, à la vue du bienheureux se
prosternant devant lui selon sa coutume, il entra dans
une violente colère et lui demanda, avec des menaces et
des injures, ce que signifiait cette façon d'agir : « J'ai
« souvent prié Dieu », répondit Antoine, « de m'accorder
« ia faveur de mourir martyr, et je sais que je n'obtiendrai
« pas cette grâce. Mais le Seigneur vous la réserve : il
c; vous sera donné de verser votre sang pour la foi, et
« voilà pourquoi je me jette à vos pieds, et pourquoi je
« vous demande de penser à moi quand vous serez entré
« dans l'éternel royaume ». Le notaire se mit à rire en
entendant cette prédiction, et continua son chemin.
SAINT ANTOINE DE PADODE. 261
Quelque temps après l'évêque du Puy partit pour
Jérusalem, et le notaire, entraîné par cet exemple, dis-
tribua ses biens aux pauvres et accompagna le prélat.
Arrivé en Orient, il se sentit tout à coup animé de
l'ardeur des Apôtres, et se mit à proclamer bien haut la
vérité de la religion chrétienne ; il déclara que Jésus-
Christ était le seul vrai Dieu et que Mahomet n'était
qu'un imposteur et un faux prophète. Les Maures, fu-
rieux, se saisirent de lui et le firent périr dans les sup-
plices. La prophétie d'Antoine était réalisée.
Dans cette même ville du Puy, une femme pieuse, sur
le point d'accoucher, vint se recommander aux prières
du saint. Antoine se souvint d'elle dans ses oraisons, et,
quelques jours plus tard, il lui déclara qu'elle mettrait au
monde un fils dont la vie vertueuse ferait la gloire de sa
famille et de l'Ordre Séraphique ; que cet enfant, après
avoir passé plusieurs années dans le sacerdoce, terminerait
par le martyre une sainte existence. Tous ces événements
se réalisèrent de point en point : la pieuse dame accoucha
d'un garçon nommé Philippe; il entra dans un couvent
de Saint-François, et vers la fin de sa vie fut envoyé par
ses supérieurs en Palestine, où les Turcs le firent périr
dans les supplices.
Dès sa jeunesse, et même dès sa plus tendre enfance,
Antoine avait toujours témoigné pour la Mère de Dieu la
plus grande dévotion et le plus parfait amour. C'est en
présence de la Vierge immaculée qu'il avait fait vœu de
chasteté, et jamais la toute-puissante Reine des Anges ne
l'abandonna dans ses besoins. Antoine célébrait surtout
avec respect les fêtes de l'Immaculée-Conception et de
l'Assomption de Marie. Il fut récompensé de cette piété à
262 XIII JUIN.
îa Mère de Dieu par de célestes apparitions. Un jour qu'il
venait de lire le martyrologe d'Usuard, où l'on parle de
l'Assomption en corps de la Vierge comme d'une chose
douteuse, Antoine, le cœur gonflé de tristesse et révolté
de cette téméraire assertion, se mit à genoux dans sa
cellule et demanda à Dieu de pardonner aux hommes
qui avaient osé émettre de semblables opinions. Tout à
coup une lumière éblouissante emplit la chambre du
bienheureux, et il voit apparaître la Reine des Anges,
entourée de son cortège éternel des séraphins et des
chérubins. En même temps il entendait une voix qui
disait : « Mon fils, assurez-vous que je suis véritablement
a montée au ciel en corps et en âme, et n'hésitez pas à
« publier partout cette vérité ». Quelques écrivains pré-
tendent que cette apparition de la Vierge à saint Antoine
eut lieu une nuit qu'il ne voulait pas assister aux matines
de saint Jérôme, où étaient émis les mêmes doutes sur
l'Assomption de Marie.
Une autre fois, c'est à Padoue que la Reine des Anges
apparaît à Antoine et le sauve d'un péril imminent. Le
démon, furieux d'être toujours vaincu dans les luttes
qu'il tentait contre le glorieux serviteur de Dieu, le saisit
à la gorge et le serre si violemment, qu'Antoine va
mourir si un secours surnaturel ne le délivre. Il songe à
Marie, et au plus fort de l'étreinte, il râle plutôt qu'il ne
dit ces paroles de l'hymne : 0 gloriosa Domina, èxcelsa
super sidéra : « 0 glorieuse Reine, plus élevée que les
« astres » . Aussitôt le démon lâche prise et s'enfuit, et
Antoine, ouvrant les yeux, aperçoit la sainte Vierge toute
resplendissante de lumière, debout au milieu de sa
cellule.
SAINT ANTOINE DE PADOUE. 263
CHAPITRE VII.
SOMMAIRE : Services rendus par Antoine à l'Ordre Séraphique. — Fondation de
nouveaux couvents. — Il assiste au grand conseil général de l'an 1227. — De la
part qui lui revient dans les lettres pontificales écrites à cette occasion.— Quelques
passages de ces lettres. — Retour d'Antoine à Padoue. — Il prêche la station qua-
dragésimale de 1231.
Nous ne pouvons passer sous silence les immenses
services qu'il a rendus à l'Ordre dont il faisait partie. En
France, en Italie, il a fondé un nombre incalculable de
couvents, ou rehaussé l'éclat de ceux qui existaient avant
lui. Sa seule présence dans un monastère y attirait
aussitôt une foule de novices, et quand on l'avait entendu
parler des charmes de la vie religieuse, on se sentait
irrésistiblement entraîné à consacrer à Dieu le reste de
ses jours.
En 1227, il fut envoyé à Rome par le provincial de
Sicile, pour assister au grand conseil général, où l'on
devait proposer au pape Grégoire IX quelques doutes sur
les dispositions primitives de la règle de l'Ordre. Antoine
y prêcha à plusieurs reprises, et comme on connaissait
sa science profonde de la théologie mystique , on
regardait toutes ses paroles comme des oracles. Le sou-
verain Pontife voulut discuter spécialement avec lui les
doutes qui étaient soumis à sa décision par l'assemblée,
et il est probable que les lettres apostoliques qu'il
adressa, en cette occasion, aux Frères Mineurs, sont en
partie l'œuvre d'Antoine.
Nous ne pouvons résister au désir de citer ici, d'après
M. Guyard, certains passages de ces lettres, qui respirent
une si grande piété et qui contiennent des décisions si
nettes et si sages :
20} XIII JUIN.
« Grégoire, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à
a nos chers fils le général, les ministres provinciaux, les
«gardiens et les autres frères de l'Ordre des Mineurs,
« salut et bénédiction apostolique.
« Dans votre ardent désir de vous éloigner de plus en
« plus du siècle, vous avez pris les ailes de la colombe,
« et vous vous êtes envolés dans la retraite de la contem-
« plation. De là vous prévoyez mieux les embûches du
« démon,... et l'esprit de Dieu vous fait souvent découvrir
« ce qui demeure caché aux regards des simples fidèles.
« C'est ce qui explique les doutes qui viennent parfois
« vous assiéger,... et voilà pourquoi vous recourez à nous
« pour être éclairés, pour apprendre si vous êtes tenus,
« ainsi que tous vos frères, d'observer le testament de
« votre fondateur.
oc Nous reconnaissons hautement les excellents sen-
ot timents qui animaient le confesseur de Jésus-Christ,
« votre fondateur, lorsqu'il écrivait ses dernièresvolontés,
« et nous voyons avec joie que votre vif désir serait de
« pouvoir vous y conformer. Néanmoins, considérant le
« péril des âmes et les difficultés que vous rencontreriez
« dans l'accomplissement de ces préceptes,nous déclarons,
« pour lever tout doute de vos esprits, que vous n'êtes
« pas tenus d'observer le testament dont il s'agit ; parce
« qu'il a été fait sans l'approbation des frères, et surtout
« des ministres, et qu'en outre le bienheureux François
a ne pouvait lier ainsi tous ses successeurs.
« D'après le rapport de vos délégués, quelques-uns de
« vos frères doutent s'ils sont tenus aux conseils évangé-
« liques aussi bien qu'aux préceptes, soit d'après ces
« paroles qu'on lit au commencement de votre règle :
SAINT ANTOINE DE TADOUE. 265
« La règle de vie des Frères Mineurs consiste à observer
or l'Evangile de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en vivant
« dans l'obéissance, la pauvreté et la charité »; soit d'après
« ces mots qui se trouvent à la fin de la règle : a Observons,
« comme nous l'avons fortement promis, la pauvreté,
«l'humilité et le saint Evangile de Notre-Seigneur
« Jésus-Christ »...
<r Nous répondons en peu de mots que vous n'êtes pas
a tenus, en vertu de la règle, à d'autres conseils évangé-
« liques qu'à ceux que vous avez solennellement promis
« de suivre, en vous oflrant à Dieu en holocauste et
o en jurant de mépriser toutes les vanités de ce monde».
Sur la question de savoir si les Frères Mineurs pourront
posséder soit par eux-mêmes, soit par les autres, aucune
somme d'argent, le pape répond :
« Nous croyons devoir donner la décision suivante : Si
a les frères veulent se procurer un objet nécessaire, ou
« payer le prix de ce qu'ils auront acheté, ils pourront se
« servir à cette fin ou d'un employé du vendeur, ou
« d'une autre personne qui se rendra auprès de ceux
« qui veulent leur faire aumône ; à moins que ces
« derniers ne préfèrent eux-mêmes apporter leur offrande,
« ou l'envoyer par des commissionnaires de leur choix.
« Celui qui est ainsi député par les frères n'est point, à
« proprement parler, leur messager, mais bien plutôt celui
« du fidèle au nom duquel il acquitte une dette, ou du
« négociant qui perçoit l'argent... »
Et plus loin :
« Les Mineurs ne doivent avoir aucune propriété, ni
vt commune, ni privée; ils ont tout simplement l'usage des
et ustensiles, des livres et des autres objets autorisés par
266 XIII JUIN.
« la constitution, et ils ne peuvent s'en servir que de la
« manière réglée par le général ou les provinciaux ».
Les lettres régissent ensuite les mesures à prendre pour
le choix des prédicateurs, pour la réception de nouveaux
frères ou l'exclusion de religieux indignes, pour l'élection
du ministre général, enfin pour les rapports des frères
avec les couvents de religieuses. Voici comment Gré-
goire IX résout cette dernière question :
« Les Mineurs n'entreront jamais dans les monastères
* de religieuses, et par le mot de monastère, il faut
« entendre le cloître et les appartements intérieurs,
a Ainsi les frères peuvent, quand ils sont envoyés pour
« la prédication ou pour recueillir des aumônes, entrer
« dans celles des dépendances du couvent qui sont
« ouvertes au public. Mais il faut toujours en excepter
« les habitations qui appartiennent aux sœurs recluses,
« et dans lesquelles personne ne peut s'introduire, sans
« une permission toute spéciale du Saint-Siège aposta-
te lique.
« Donné à Anagni, le k des calendes d'octobre, et la
a quatrième année de notre pontificat (1) ».
Tel est en résumé cet important document, à la ré-
daction duquel il est probable que saint Antoine prit la
plus grande part, et qui lui fait honneur aussi bien qu'à
Grégoire IX.
Le souverain Pontife, de plus en plus émerveillé du
savoir et de la prudence d'Antoine, aurait voulu le con-
server toujours auprès de sa personne. Il l'engagea fort
à demeurer à Rome ; mais le saint homme refusa, et
demanda au contraire à Grégoire IX la permission de se
(1) Voir le livre de M. l'abbé Guyard, page 325-331.
SAINT ANTOINE DE PADOUE. 267
retirer sur le mont Alverne. Le bienheureux y passa
quelques mois dans la solitude, jouissant de la vue
directe de Dieu, constamment plongé dans de sublimes
extases. Il n'en sortait guère que pour aller prêcher,
les dimanches et les jours de fête , dans les églises
du voisinage.
Au commencement de l'année 1231, Antoine revint à
Padoue, sur l'invitation du cardinal Rinaldi, protecteur
de l'Ordre, qui devint pape dans la suite, sous le nom
d'Alexandre IV. Quoique très-fatigué et d'une santé chan-
celante, il y reprit son cours de théologie, et s'appliqua,
dans des leçons publiques, à combattre les erreurs des
hérétiques appelés Cathares ou Catharins. En même
temps, il écrivait ses sermons sur les saints et se pré-
parait, par la méditation, à prêcher le carême de 1231.
Comme s'il eût senti venir la mort, il redoublait de
zèle et faisait des prodiges d'activité. Cette station qua-
dragésimale fut de beaucoup la plus féconde en con-
versions et en miracles. Elle commença le 5 février.
Antoine prêchait tous les jours, et, malade et souffrant, il
semblait puiser dans l'ardeur de sa foi et de sa charité
des forces surnaturelles. On accourait à ses sermons de
toutes les villes et de tous les villages des alentours à
plusieurs lieues à la ronde ; les routes étaient couvertes
de pèlerins avides d'entendre cette voix éloquente, dont
les accents remuaient le monde. Plus de trente mille
personnes se pressaient autour de la chaire du thauma-
turge : des évêques, des prélats, des religieux de tous les
ordres, le clergé et la noblesse de Padoue, tenaient à
honneur d'assister à ses sermons. On attendait dans le
recueillement et le silence que le saint homme arrivât.
268 XIII JUIN.
A son approche, pas un bruit, pas un frémissement, pas
un souffle ; tous les yeux se fixaient avec une avide
curiosité sur ce beau visage pâle et souffrant ; dès qu'il
parlait , tous les esprits recevaient avec bonheur la
semence céleste qu'il versait sur eux ; et quand il des-
cendait de la chaire, si quelques hommes robustes ne
l'eussent protégé contre les démonstrations de respect et
d'admiration de la multitude , il eût infailliblement
succombé sons le poids des transports de foi et d'a-
mour.
Dire les résultats de cette dernière prédication est pres-
que impossible ; les hérétiques convertisses pécheurs les
plus endurcis ramenés au bien , les femmes perdues
faisant pénitence, les prisonniers délivrés, les pauvres
secourus, les malades guéris, etc., etc., tels sont, en deux
mots, les nouveaux titres que conquit Antoine à la véné-
ration des hommes. Dans cette grande ville de Padoue,
où s'était rassemblé un clergé si nombreux, il n'y avait
pas assez de prêtres pour entendre les confessions des
fidèles. Des miracles s'accomplissaient tous les jours; ici
Antoine guérit un pauvre enfant paralytique ; là c'est
une dame noble de Padoue qui, en se rendant au sermon
du Saint, tombe dans un fossé profond et bourbeux, et
en sort sans accident, parce qu'elle s'est recommandée à
Dieu par les mérites de l'Apôtre ; une autre fois, ce sont
des voleurs, au nombre de vingt-deux, qui, au milieu
d'un sermon, viennent se jeter aux pieds d'Antoine, en
donnant toutes les marques d'une véritable contrition et
en demandant pardon de leurs iniquités ; ou bien encore,
c'est une femme aussi vertueuse que belle, mortellement
frappée par son mari dans un accès d'injuste jalousie, et
SAINT ANTOINE DE PADOUE. 269
que le saint rappelle à la vie en faisant sur elle le signe
de la croix.
A la fin de cette station si longue, si féconde en pro-
diges, il semble qu'Antoine ait dû éprouver le besoin de
prendre quelques semaines de repos ; il continua, au
contraire, à exercer son ministère dans les bourgs et les
villages voisins de Padoue, et ne cessa son œuvre de
charité que quand le temps des travaux champêtres fut
venu. Alors seulement il songea à se préparer à paraître
devant Dieu, car le temps de sa mort approchait.
CHAPITRE VIII.
SOMMAIRE : Dernières semaines de la vie d'Antoine. — Il se retire à Campo san
Pietro. — Sa chute et commencement de sa dernière maladie. — On le transporte
à l'Arcella. — Sa sainte mort. — Douleur générale que cause cette nouvelle. —
On se dispute l'honneur de conserver ses précieux restes. — Efforts de l'évêque
pour calmer l'effervescence populaire. — Heureux apaisement. — Funérailles du
bienheureux.
Campo san Pietro, ou Campietro, petit village situé à
trois lieues de Padoue, et où se trouve un ermitage placé
sous l'invocation de saint Jean-Baptiste, est la retraite où le
grand saint résolut de passer les derniers jours de sa vie.
Ii y fut reçu, au commencement de juin 1231, par un
pieux gentilhomme, nommé Tiso, seigneur de Campietro,
avec le respect qu'on eût témoigné à un ange et à un
envoyé du ciel. Par les soins de Tiso, on construisit sur
les troncs et les branches d'un vaste noyer trois cellules,
l'une pour Antoine, les deux autres pour ses deux com-
pagnons, frère Luc et frère Roger. Ce fut là la dernière
habitation du thaumaturge. Enfermé jour et nuit dans
son étroite cabane de planches, il repaissait son esprit et
son cœur de célestes contemplations. Aucun bruit aux
270 XIII JUIN.
alentours, partout la paix et le repos, quoique de nom-
breux pèlerins vinssent encore demander au saint des
prières ou des conseils ; le seigneur de Campietro obte-
nait parfois de lui quelques moments d'entretien, et il
eut le bonheur insigne de recevoir de ses mains l'habit
du Tiers Ordre.
Les forces d'Antoine s'affaiblirent tout à coup ; un jour
que, selon son habitude, il se rendait au petit couvent
des Frères Mineurs de l'endroit, pour y prendre son frugal
repas, il sentit subitement ses jambes lui manquer, et il
lui fallut, pour arriver jusqu'au réfectoire, le secours de
ses deux compagnons. Il essaya de se mettre à table,
mais le mal s'aggrava : il perdit presque connaissance,
et les religieux durent le transporter bien vite sur un de
leurs pauvres lits. La vie s'en allait rapidement, des
nuages semblaient s'amonceler devant les yeux d'An-
toine, et il voyait les ténèbres de la mort s'épaissir autour
de lui. Il s'en réjouissait, d'ailleurs, comme l'ouvrier qui
a bien rempli sa journée et qui va recevoir la récom-
pense méritée de ses peines et de ses fatigues, et sa figure
témoignait une félicité indicible.
Après quelques minutes de repos, Antoine appela près
de lui frère Roger, et le pria, s'il n'y voyait pas d'empê-
chement, de le faire transporter à Padoue. On envoya
chercher un chariot, que l'on arrangea du mieux que
l'on put, et on y plaça le saint, malgré les supplications
des moines de Campietro, qui réclamaient l'honneur de
le soigner.
Comme on approchait de Padoue, on rencontra un
frère mineur chargé, par le gardien du couvent de la
ville, de s'informer de l'état du malade. A la vue d'An-
SAINT ANTOINE DE PADOUE. 271
toine si faible et si languissant, le religieux craignit que
l'empressement et la douleur bruyante des habitants
n'empirât encore la situation, et il conseilla à Antoine
de s'arrêter chez les Frères qui desservaient le cloître des
Clarisses, en dehors de la ville. Le thaumaturge con-
sentit à tout ce qu'on voulut, et on le conduisit au mo-
nastère de l'Arcella.
Cependant l'affaiblissement faisait des progrès rapides,
et l'auguste malade, se sentant défaillir, demanda le saint
sacrement de l'Eucharistie. Frère Roger s'empressa de
le lui administrer au milieu des pleurs de tous les reli-
gieux. Quelques instants après, Antoine entonna de sa
voix mélodieuse l'hymne: 0 gloriosa Domina, qui expri-
mait si bien les sentiments de son âme envers la Reine
des vierges ; puis, levant les yeux au ciel, il murmura :
« Je vois mon Dieu, il m'appelle à lui ».
Quand on lui apporta les saintes huiles, il dit au
prêtre : « Je possède cette onction au dedans de moi ;
« mais quoiqu'il ne soit pas nécessaire que vous me
« la fassiez extérieurement, je la recevrai avec plaisir
g et elle sera utile à mon âme » . Et tandis qu'il la rece-
vait en effet avec la foi la plus vive et les plus grandes
marques de componction, il chantait avec ses frères les
psaumes de la pénitence ; puis il garda un silence absolu
pendant une demi-heure environ, et tout à coup, au
milieu des sanglots des assistants, il remit son âme entre
les mains de Dieu et s'endormit de l'éternel sommeil, le
43 juin 4231, un vendredi, un peu avant le coucher du
soleil.
Antoine était alors âgé de trente-six ans ; il avait passé
quinze années de sa vie chez ses parents, dix autres
272 XIII JUIN.
parmi les Chanoines réguliers, et onze chez les Frères
Mineurs. Aux yeux du monde, cette carrière peut paraître
courte ; aux yeux de Dieu, elle était longue, parce qu'elle
abondait en mérites, et l'on peut appliquer au saint ces
paroles dictées par le Saint-Esprit : « Quand même le
« juste serait enlevé par une mort prématurée, il entre-
« rait néanmoins dans le lieu du repos. Ce qui rend la
« vieillesse honorable, ce n'est pas la longueur de la vie
« ni le nombre des années ; mais la prudence de l'homme
« lui tient lieu de cheveux blancs, et la vie sans tache
« est une heureuse vieillesse. Comme le juste a plu au
« Seigneur, il en a été aimé, et Dieu l'a ôté de la société
o des pécheurs parmi lesquels il vivait. Ayant peu vécu,
« il a rempli le cours d'une longue vie; car son âme
« était agréable au Très-Haut : c'est pourquoi elle a été
« promptement tirée du milieu de l'iniquité ».
Les Frères Mineurs résolurent de garder secrète, aussi
longtemps que possible, la mort du saint apôtre. Ils
craignaient un trop grand concours de peuple et le
tumulte qui pourrait en résulter. Mais Dieu s'était déjà
chargé de répandre la triste nouvelle, et en moins d'une
heure toute la ville de Padoue la connaissait. C'étaient
les petits enfants qui, sans avoir été avertis par personne,
se réunissaient par groupes et parcouraient les rues en
criant : « Le saint Père est mort, le saint prédicateur est
« mort, saint Antoine est mort I » Cette nouvelle, publiée
par ces bouches innocentes, bouleversa toute la ville et
remplit de tristesse tous les habitants. Les bourgeois
abandonnent leurs boutiques, les ouvriers leurs travaux ;
on se précipite au milieu des rues, on se questionne, et
une vague rumeur désigne le couvent de l'Arcella comme
SAINT ANTOINE TVE TAPOTIE. 273
le lieu où se trouve la dépouille mortelle du saint,
hommes, femmes et enfants s'y précipitent. Des jeunes
gens armés, du quartier appelé la Tête-du-Pont, y étaient
déjà arrivés, afin de garder le corps du saint et d'empê-
cher tout enlèvement. C'était un tumulte effroyable : au
milieu des pleurs et des sanglots, on se poussait, on se
bousculait, pour voir encore une fois celui qui avait été
le père spirituel de Padoue.
D'un autre côté, diverses maisons religieuses se dispu-
taient déjà les précieuses reliques. Les Clarisses, dont
Antoine avait été le directeur spirituel, demandaient aux
magistrats de la ville, comme une juste compensation à
leur douleur, la permission de le conserver dans leur
couvent. Les religieux de Sainte-Marie réclamaient le
corps comme leur propriété ; Antoine, disaient-ils, avait
en mourant manifesté le désir d'être enseveli au couvent
de Sainte-Marie, et c'était leur devoir d'exiger qu'on
obéît à ses dernières volontés. En conséquence, ils se
mirent en mesure d'emporter le cadavre ; mais les bour-
geois, qui veillaient jour et nuit autour du couvent, ne
les laissèrent pas approcher.
Il fallait en finir cependant : on s'en remit à la décision
de l'évêque, et ce dernier, n'osant pas prendre seul une
résolution aussi grave, assembla son conseil. Un certain
nombre de chanoines opinèrent pour qu'on laissât le
corps d'Antoine chez les Clarisses, mais la majorité était
d'un avis contraire, et l'évêque, se rangeant du côté du
plus grand nombre, pria instamment le gouverneur de
la ville et les principaux habitants de permettre la trans-
lation du corps.
Les magistrats intervinrent, en effet, pour appuyer la
Palm. Séraph. — Tome VI. 18
274 XIII JUIN.
proposition de l'évêque ; mais tous leurs efforts, loin de
calmer l'agitation de la foule, ne firent que l'exciter
davantage encore. Les citoyens de la Tête-du-Pont s'obs-
tinaient dans leur dessein de garder le corps du saint
apôtre ; prières et menaces, rien n'eut prise sur eux, et
lis déclarèrent qu'ils étaient prêts à tout plutôt que de se
le laisser enlever. Ils résolurent même de l'enfermer
dans leurs maisons, où il leur serait plus facile de le
garder jour et nuit.
L'évêque, craignant les suites d'un conflit qui menaçait
de s'élever, eut recours à un expédient assez habile pour
les détourner de leur projet. Il leur fit entendre que, en
l'absence du provincial, il ne convenait pas de prendre
aucune décision, et qu'il fallait attendre son arrivée. Lui
seul, en sa qualité de supérieur de l'Ordre, avait le droit
de désigner le lieu où devait être enseveli l'un de ses
membres. On se soumit aux raisons données par le pré-
lat, et l'agitation s' étant un peu apaisée, les Frères
Mineurs purent faire sortir la foule du couvent, dont ils
barricadèrent solidement les portes.
Au milieu de la nuit, il se fit tout à coup un grand
tumulte ; le peuple, qui était demeuré autour du cou-
vent, demandait impérieusement qu'on lui en ouvrît
l'entrée et qu'on lui permît de voir le corps du saint.
Sur le refus des moines, on enfonce les barricades ; le
passage est libre enfin, le flot de la multitude se préci-
pite. Tout à coup, comme s'il rencontrait une digue
insurmontable, il s'arrête; une force invincible le retient ;
le Dieu qui dit à la mer : « Tu n;iras pas plus loin b,
cloue en place cette foule furieuse. La force manque aux
plus audacieux, ils demeurent stupéfaits et comme
riAINT ANTOINE DE PADOUE. 275
aveuglés ; la porte est là, toute grande ouverte, et ils n'y
peuvent parvenir ; elle est éclairée par une vive lumière
venue de l'intérieur des appartements, et ils ne la voient
plus.
Le lendemain, de tous les villages voisins de nouveaux
pèlerins arrivent à l'Arcella ; quelques-uns seulement
ont le bonheur de pénétrer et de toucher le corps du
saint ; les autres font passer des anneaux, des bijoux, des
vêtements, pour qu'on les pose sur le corps et qu'ils soient
bénis par ce contact.
Cependant les frères, craignant que la chaleur ne hâtât
la décomposition du cadavre, l'avaient enfermé dans un
cercueil provisoire et recouvert d'un peu de terre. Le
bruit court dans le peuple que le saint a disparu ; alors
un effroyable tumulte éclate : bourgeois, paysans, ma-
gistrats, se ruent par toutes les portes et par toutes les
fenêtres; ils menacent les frères; quelques-uns lèvent
sur eux des bâtons et des épées ; tous veulent voir le
corps, ou du moins savoir ce qu'il est devenu ; ils ne
s'apaisent un peu que lorsqu'ils ont découvert la caisse
où il a été déposé.
Enfin le provincial , si impatiemment attendu , est
annoncé, et le soir même de son arrivée, les habitants
de Padoue, confiants dans sa justice, accourent de tous
côtés autour de lui et promettent de se soumettre à sa
décision. Le provincial écoute complaisamment toutes
les réclamations, et il permet aux habitants de la Tête-
du-Pont de continuer à garder le corps du saint. Puis,
quand il voit que l'exaltation ne se calme pas et que les
bonnes raisons n'ont aucune influence sur ces esprits
inquiets, il va trouver le premier magistrat de la ville,
276 XIII JUIN.
lui expose son embarras et réclame la protection des
lois. Aussitôt on envoie de la troupe armée à l'Arcella,
avec ordre de remplacer, même de vive force, la garde
bourgeoise. On convient en outre que le clergé seul et
l'évêque décideront souverainement de la sépulture du
saint.
Le 16 juin, le conseil épiscopal entendit toutes les ré-
clamations et donna les derniers ordres pour l'ensevelis-
sement. On recommanda à l'autorité civile de prendre
toutes les mesures de précaution nécessaires contre les
perturbateurs , et d'assurer la sécurité des frères. On
établit la nuit un pont de bateaux en face même de l'Ar-
cella, pour éviter la Tête-du-Pont, quartier des séditieux.
Le lendemain, il faillit y avoir une véritable bataille ; les
habitants de la Tête-du-Pont se jetèrent sur les ouvriers
et essayèrent de détruire leurs travaux ; les troupes ac-
coururent et se disposèrent à charger les émeutiers. Les
Frères Mineurs et les Clarisses, dans la plus vive anxiété,
eurent alors l'heureuse idée de demander à Dieu, par
l'intercession du saint, la cessation de tous ces troubles.
Leurs ferventes prières furent exaucées, les agitateurs
déposèrent les armes et implorèrent, avec leur pardon, la
permission de se réunir aux habitants de la ville pour
célébrer avec eux les funérailles du bienheureux Antoine.
On ne songea plus qu'à donner à la cérémonie le plus
d'éclat et le plus de splendeur possible ; il y avait quatre
jours déjà qu'Antoine était entré dans l'éternité.
Une immense procession partit du palais épiscopal
pour aller chercher les précieuses reliques. En tête mar-
chait l'évêque de Padoue, accompagné de tout le clergé
séculier et de tous les Ordres religieux de la ville et des
SAINT ANTOINE DE PADOUE. 277
environs. Puis venait le gouverneur de Padoue, la no-
blesse et la magistrature, les délégués de la bourgeoisie,
suivis d'une foule innombrable. Les cérémonies d'usage
accomplies par le prélat, on rentra à Padoue ; les notables
et les magistrats portaient le corps sur leurs épaules. On
traversa les faubourgs, le quartier du Pont et les princi-
pales rues de la ville, et on arriva enfin à l'église de
Sainte-Marie, qui devint par la suite l'église du saint, la
Chiesa del Santo.
Ce fut pour les habitants et pour la ville une fête splen-
dide : les maisons étaient tendues de draps blancs, les
chemins jonchés de fleurs. A chaque pas s'accomplissait
quelque miracle éclatant, et, suivant la parole de l'Evan-
gile, les aveugles voyaient, les sourds entendaient, les
boiteux marchaient, les muets parlaient. L'église ne put
contenir toute la foule ; la plus grande partie du peuple
dut rester en dehors des portes. L'évêque officia, pro-
nonça l'absoute et scella le tombeau où l'on venait de
déposer les reliques du saint (17 juin).
Le lendemain, les habitants des faubourgs, ceux-là
mêmes qui s'étaient opposés si violemment à la transla-
tion du corps, vinrent pieds nus, leur clergé en tête,
prier au tombeau d'Antoine et y déposer leurs offrandes.
Ce pieux exemple fut suivi par les différentes paroisses :
des processions s'organisaient, et tous les jours les fidèles
se rendaient, en tenue de pénitents, à l'église Sainte-
Marie. Toutes les classes se confondaient dans une dévo-
tion touchante ; nobles et bourgeois, soldats et prêtres,
montraient le même empressement. Les dons de toute
nature, en or, en argent, abondaient sous toutes les for-
mes, et le tombeau en fut bientôt entièrement couvert.
278 XIII JUIN.
En même temps, la renommée d'Antoine commençait à
remplir tout le monde catholique ; on ne parlait que des
prodiges qui s'accomplissaient chaque jour par son inter-
cession ; de toute l'Italie, de l'Espagne, de la France, de
l'Allemagne, de la Hongrie, de la Slavonie, des pèlerins
se mettaient en route pour venir payer au saint le tribut
de leur admiration et de leurs hommages. Les Frères
Mineurs ne pouvaient suffire à entendre les confessions
des fidèles, et ainsi s'accomplissait la prédiction du saint,
quelques semaines avant sa mort : « 0 Padoue », disait-
il en regardant du haut d'une colline sa patrie d'adop-
tion, « ville célèbre entre toutes les villes, ta renommée
« retentira dans tout l'univers I »
CHAPITRE IX.
SOMMAIRE : Procès de la canonisation d'Antoine. — Efforts tentés par le clergé
et les magistrats de Padoue pour hâter la canonisation. — Vision de l'un des car-
dinaux qui s'y opposait le plus. — Cérémonie de la canonisation (30 mai). —
Piécit succinct des miracles qui ont motivé la décision du Saint-Père et du sacré
< 'ollége. — Lettre apostolique de Grégoire IX. — L'ancien office de saint Antoine.
— Son église. — Les trois translations de ses reliques.
Un mois ne s'était pas écoulé depuis la mort d'Antoine,
et déjà on l'invoquait partout comme un bienheureux et
un saint. Aussi l'évêque, le clergé, la magistrature et les
habitants de Padoue songèrent-ils à demander sa cano-
nisation, et ils envoyèrent à cet effet une ambassade à
Rome. Le pape connaissait déjà par la renommée publi-
que les miracles qui s'accomplissaient au tombeau du
thaumaturge ; il avait d'ailleurs aimé et respecté Antoine
pendant sa vie, il ne pouvait qu'accueillir favorablement
la députation. Il chargea donc l'évêque de Padoue, le
prieur des Bénédictins et celui des Prédicanls, d'ouvrir
SAINT ANTOINE DE PADOUE. 2T0
une enquête sur les événements merveilleux qui s'étaient
succédé avec tant de rapidité depuis la mort du bien-
heureux : puis, ce premier travail terminé, au mois de
février 1232, l'évêque et le clergé choisirent deux cha-
noines et deux frères mineurs, le sénat et les principaux
citoyens désignèrent deux chevaliers, qui reçurent la
mission d'aller porter à Rome une nouvelle supplique et
de hâter la canonisation d'Antoine.
Le pape réunit immédiatement le sacré Collège ; deux
cardinaux, désignés pour faire le rapport, le firent en
des termes qui confirmaient la vérité des attestations des
premiers commissaires. Cependant quelques prélats pa-
raissaient voir avec peine qu'on se pressât tant de tran-
cher une affaire aussi importante; ils témoignaient des
craintes et des hésitations, fort honorables d'ailleurs, et
étaient d'avis qu'on laissât aux accusations, s'il devait
s'en présenter, le temps de se produire. Mais, pendant son
sommeil, le cardinal, qui demandait avec le plus d'ins-
tance l'ajournement, eut une vision à la suite de laquelle
il devint l'un des plus ardents défenseurs de la canonisa-
tion immédiate d'Antoine. Le Saint-Père consacrait une
église, et au milieu de la cérémonie on s'aperçut que les
reliques destinées, selon l'usage, à être scellées sous
l'autel, faisaient défaut. Alors le pape, se retournant vers
les cardinaux, montra un cadavre encore récent, étendu
sur la pierre de l'église et caché sous un voile, et il leur
ordonna d'en enlever quelques parcelles pour la consé-
cration. On souleva le linceul, et aussitôt de ce corps
déjà en décomposition s'exhala un parfum délicieux ; la
figure était encore intacte : on reconnut les traits du
bienheureux Antoine, et tous les assistants accoururent
280 xnr JUIN.
s'agenouiller alentour en criant : « Antoine est saint !
« Antoine est saint ! »
Le lendemain, le cardinal raconta son rêve à ses fami-
liers, et quelques jours plus tard, comme les députés de
Padoue venaient le supplier de ne plus combattre leur
juste demande, sans leur donner même le temps de par-
ler, il leur dit : a J'ai changé d'opinion depuis la dernière
« réunion du consistoire ; Antoine est digne d'être mis
« au rang des saints, et soyez certain maintenant que je
« vous appuierai de toutes mes forces auprès du souve-
oi rain Pontife ». Il tint parole, et fit si bien qu'il ramena
tous les autres opposants, et qu'il rédigea avec eux une
supplique au pape, pour le prier de ne pas laisser plus
longtemps cette grande affaire pendante.
C'était le plus ardent souhait de Grégoire IX ; tout
heureux de voir enfin les difficultés aplanies, il fixa au
30 mai, jour de la Pentecôte, la cérémonie de la canoni-
sation. Elle devait avoir lieu à Spolète, où se tenait alors
la cour pontificale. Toute la chrétienté voulut y être
représentée, et le monde entier y envoya des députés ;
les supérieurs de tous les Ordres religieux, beaucoup de
provinciaux Franciscains, des princes, des gentilshommes,
tout Je sacré Collège rehaussèrent par leur présence
l'éclat de cete belle fête. Le pape officia ; puis, après les
prières d'usage, il ordonna qu'on fît publiquement la
lecture des prodiges opérés par l'intercession d'Antoine.
En voici le récit succinct :
Une pauvre lemme d'une laideur incroyable, difforme,
perdue, bossue, voûtée et boiteuse, se traîna comme elle
put jusqu'au corps du saint, le jour même où on l'apporta
dans l'église de Sainte-Marie, et tout à coup se releva
SAINT ANTOINE DE TADOUE. 281
guérie, droite et forte ; ses difformités avaient disparu.
Une mendiante, appelée Riccarda , souffrait depuis
plus de vingt ans de rhumatismes aigus si douloureux,
que son misérable corps était plié en deux et que ses
genoux touchaient son menton. Un jour qu'elle deman-
dait l'aumône à la porte de l'église, elle s'endormit d'un
léger sommeil et entendit tout à coup une voix lui dire :
« Louez Dieu, car vous allez être guérie par les mérites
o de son serviteur ». A son réveil, elle vit revenir droite
et belle une jeune fille qui s'en était allée courbée et ma-
lingre au tombeau d'Antoine ; en même temps elle aper-
çut un jeune homme étincelant de lumière, qui lui mon-
trait du doigt, au milieu de l'église, l'endroit où reposaitle
bienheureux. Elle s'y traîna avec peine, pria avec ferveur ;
peu à peu une chaleur inaccoutumée ralluma son corps
débile, ses genoux furent capables de la supporter, et elle
s'en alla publier, à travers la ville étonnée, le miracle
accompli par Antoine.
Une jeune fille des environs de Padoue, nommé Sama-
ritana, était atteinte depuis trois ans d'une paralysie de
la jambe. Elle se confessa et se fit approcher des reli-
ques : pendant un moment elle endura de si vives souf-
frances qu'elle crut en mourir; mais bientôt le mal
s'apaisa, et elle s'en retourna chez elle entièrement guérie.
Une paysanne, en gardant les troupeaux de son père
sur les montagnes de la Brenta, s'était vue tout à coup
attaquée par un homme d'un aspect horrible, qui n'était
autre que le démon, et qui la saisit, la jeta à terre et la
maltraita cruellement. On la releva demi morte, les ver-
tèbres disloquées et brisées, incapable de se tenir debout.
Durant cinq ans elle endura les plus atroces souffrances;
282 XIII JUIN.
on la conduisit au tombeau d'Antoine, et aussitôt elle se
trouva entièrement rétablie.
Une enfant d'une dizaine d'années, nommée Agnès,
avait l'estomac si débile qu'il refusait absolument toute
espèce de nourriture. L'intervention d'Antoine lui rendit
la santé.
A Concordia, dans le Frioul, un pauvre ouvrier nommé
Frédéric, en travaillant à réparer le clocher de l'église,
tomba à terre. Il eut le bonheur de ne pas se tuer,
mais il eut les reins affreusement brisés et ne put
plus marcher qu'avec des béquilles. On le conduisit, sur
une voiture, à Sainte-Marie de Padoue ; il y déposa ses
béquilles et revint à pied dans son pays.
Un jeune homme de Trente, bossu et mal bâti, avait
une excroissance de chair énorme sur l'épine dorsale. Il
ne pouvait marcher qu'en appuyant ses mains sur ses
genoux. Ses parents l'amenèrent à l'église : il y pria avec
ferveur; on l'éleva au-dessus de l'arche; il se redressa et
retourna chez lui complètement guéri.
Un paysan de la campagne de Padoue, nommé Bar-
thélémy, muet de naissance, souffrait depuis quinze ans
d'une paralysie ; il fit un pèlerinage au tombeau du
saint, recouvra l'usage de ses membres et fut guéri de
son mutisme.
A Montagnana, une femme du nom de Solangria, per-
dait peu à peu ses forces par suite d'un flux de sang. Une
nuit elle se sentit tout à coup réveillée par une violente
secousse ; en même temps elle entendit une voix qui
disait : « Signez-vous avec confiance, je suis Antoine,
« vous allez être guérie ». Le lendemain le miracle était
accompli.
SAINT ANTOINE DE PADOUE. 283
Six aveugles, deux épileptiques, des boiteux, des para-
lytiques, des muets, des sourds, des malades abandonnés
par les médecins recouvrèrent la santé. On lut ainsi à la
pieuse assistance le récit de quarante-cinq miracles dont
l'authenticité était parfaitement établie. Quand le prêtre
eut quitté l'estrade, Grégoire IX, debout sur son trône,
déclara au nom de la très-sainte Trinité que Antoine
était inscrit au Catalogue des saints, et que sa fête serait
célébrée le jour anniversaire de sa mort, c'est-à-dire le
13 juin. On chanta le Te, Deum, laudamus, puis le pape
entonna l'antienne 0 doctor optime, a ô docteur excel-
« lent, lumière de l'Eglise, priez pour nous, saint An-
« toine 1 » Enfin, on récita la prière que le bienheureux
avait composée lui-même et qu'on dit encore aujourd'hui
le jour de sa fête.
Le jour même où avait eu lieu la canonisation du saint,
un prodige admirable s'accomplit à Lisbonne. Les cloches
de la ville sonnèrent d'elles-mêmes, et les habitants,
sous le coup d'une inspiration divine , sortirent de
leurs maisons en chantant des hymnes et en poussant
des cris de joie. C'est seulement quelque temps après
qu'on eut l'explication de ce mouvement universel d'une
joie spontanée et extraordinaire. Des religieux, venus de
France, racontèrent à Lisbonne qu'Antoine avait été
canonisé le 30 mai, et le moment où les paroles sacra-
mentelles avaient dû être prononcées se trouvait être
l'heure précise où une si grande allégresse éclatait dans
la ville. Aussitôt on se rendit dans les églises pour y
rendre grâces à Dieu , et l'archevêque de Lisbonne décida
que le grand-autel de la cathédrale serait placé sous l'in-
vocation de saint Antoine. Les miracles qui accompa-
284 XIII JUIN.
gnèrent la cérémonie qui eut lieu à cette occasion prou-
vèrent que cette décision était agréable au Seigneur.
Quelque temps après, le pape envoya des bulles à tous
les évêques de la chrétienté, pour leur enjoindre d'ho-
norer, par un service annuel, la mémoire du saint con-
fesseur. Voici, d'après M. Guyard, les passages les plus
remarquables de ce document :
a Grégoire, serviteur des serviteurs de Dieu, à nos
« vénérables frères les archevêques et évêques, à nos
« chers fils les abbés, prieurs et autres prélats des églises
« qui verront les présentes lettres, salut et bénédiction
« apostolique.
« En disant, par la bouche du Prophète : a Je vous ferai
« louer, glorifier et honorer par tous les peuples», et
« en promettant que les justes brilleront devant lui
« comme le soleil, le Seigneur a voulu nous apprendre
a à vénérer, sur la terre, les âmes saintes qu'il couronne
« dans les deux, où elles chanteront éternellement les
« grandeurs et la gloire de Celui à qui toute louange et
« tout honneur sont dus dans les siècles des siècles, et
« qui est si admirable dans ses saints Par les pro-
« diges qu'il opère à leurs tombeaux, il honore leur
« mémoire, confond la malice de l'hérésie et confirme
« la religion catholique Au nombre des héros qui,
« par leur piété, leurs paroles et leurs actions, ont sou-
d tenu la foi , se trouve le bienheureux Antoine, de
« sainte mémoire, religieux de l'Ordre des Mineurs. Du-
ce rant les années qu'il a passées sur la terre, il s'est dis-
« tingué par les plus grandes vertus, et, maintenant qu'il
« habite le ciel, sa sainteté éclate ici-bas par de nombreux
j prodiges.
SAINT ANTOINE DE PADOUE. 285
« Dernièrement , notre vénérable frère, l'évêque de
« Padoue, de concert avec les magistrats et le peuple de
« cette ville, nous a supplié humblement, par écrit et
« par des députés, de vouloir bien ordonner une enquête
« canonique sur les miracles si nombreux et si éclatants
« qui s'opèrent au tombeau du vénérable Antoine
« Nous nous sommes donc décidé à confier l'examen des
« miracles d'Antoine à l'évêque de Padoue lui-même et
« à nos cliers fils frère Jourdain, prieur de Saint-Benoît,
« et frère Jean , du couvent de Saint-Augustin , de
or l'Ordre des Frères-Prêcheurs.
« Le rapport de ces commissaires et les dépositions des
« témoins ne nous ayant laissé aucun doute sur la subli-
« mité des vertus et sur l'authenticité des miracles de ce
a vrai religieux, de cet apôtre que nous avons eu, autre-
or fois, le bonheur de connaître nous-même, nous
a nous sommes déterminé, de l'avis de nos frères les
« cardinaux et autres prélats qui nous entourent, à ins-
« crire, sur le Catalogue des saints, le nom du pieux
« Antoine.
« Quand on allume une lampe, dit l'Evangile, on la
« place, non sous le boisseau, mais sur le chandelier,
« afin qu'elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison.
« Or, le religieux dont nous nous occupons est devenu
« une lumière si éclatante, qu'il mérite d'être placé au
« premier rang sur l'immortel chandelier de l'Eglise.
« C'est donc avec instance que nous vous prions, vous
« avertissons et vous commandons, par les présentes
« lettres apostoliques, d'exciter de plus en plus la dévo-
« tion des fidèles envers ce grand saint, et de célébrer
« solennellement, chaque année, safête aux ides de juin,
286
XIII JUIN.
« afin que, à l'aide de son intercession, le Seigneur
daigne nous accorder sa grâce en ce monde et la gloire
« en l'autre
« Donné à Spolète, le 3 des nones de juin, l'an vi de
« notre pontificat ».
Un premier office de saint Antoine fut composé, dit-on,
par Grégoire IX lui-même ; un autre par frère Julien de
Spire, en 1249; un troisième, enfin, par le Père Azzoquidi,
en 1737, approuvé parla congrégation des Rites, en 17-41.
L'office rimé ne fut guère conservé depuis lors que par
les Pères de la Stricte Observance. Au couvent d'Ara-
Cceli, à Rome, on le récite encore ; il est bien supérieur
en beauté et en onction à l'office nouveau.
Nous donnons ici, d'après M. Guyard, toutes les antiennes
des premières Vêpres de l'office ancien, parce qu'elles nous
semblent être un résumé éloquent et complet de la vie du
grand thaumaturge (1) :
1. Qu'elle se réjouisse, notre mère la sainte Eglise 1
Son céleste époux lui prépare des couronnes avec les
palmes conquises par ceux de ses enfants qui ont quitté
la terre pour le ciel.
2. Un père se glorifie de la prudence de son fils : Antoine
montre d'une manière admirable la vérité de cette
maxime.
3. En effet, il a dignement glorifié son Père céleste, en
foulant aux pieds la sagesse du siècle.
(1) 1. Gaudeat Eccles-ia
Quam m delunctorain
Sponsus ornât gloria
Matrem fihorum.
2. Sapiente filio
Pater gloriamr :
Hoc et m Antonio
Digne commendatur.
Z. Qui dum sapientiani
Saeculi caicavit,
Prudens summi gloriam
Patris exaltavit.
SAINT ANTOINE DE PADOUE. 287
4. Soumis d'abord à la règle de Saint-Augustin, il em-
brasse bientôt celle de Saint-François, afin d'être tout à
fait mort au monde.
5. Il habite le ciel, où il se réjouit avec les glorieux pères
dont il imitait la vie sur la terre.
6. [A Magnificat.) 0 digne fils de l'Espagne, terreur des
infidèles, nouvelle lumière de l'Italie, noble dépôt confié
à la ville de Padoue, bienheureux Antoine, apportez-nous
le secours de la grâce du Christ, afin que nous apprenions
à mettre à profit le temps qui passe si vite, et qui nous
est donné pour obtenir le pardon de nos fautes.
Quand saint Antoine fut mort, en 4231, ses précieux
restes furent, comme nous l'avons vu, déposés avec grand
honneur dans l'église des Frères Mineurs de la ville.
Mais, après la canonisation du saint, et à la suite des
miracles nombreux qui s'accomplissaient tous les jours
sur son tombeau, les magistrats et les autres habitants
de Padoue résolurent de lui élever un temple digne de
lui et assez vaste pour contenir les nombreux pèlerins
qui accouraient de tous les points de l'Europe pour le
vénérer.
On se mit à l'œuvre avec ardeur, sous la direction du
célèbre architecte Nicolas de Pize. Malheureusement il
4. Augustini primitus 6. O proies Hispaniae,
Kegulae subjectus, Pavor inûdelium,
Sub Francisco penitus Nova )ux Italiae,
Mundo lit abjectus. Nobile dppositum
Urbis Paduanae,
Fer, Antoni, gratiae
3. Quorum vitam moribus Christi patrocinium,
Hic profitebatur, Ne prolap?is veni<E
Gloriosis patribus Tempus brève cruditum
Jam conglorialur. Diffluar inane.
288 XIII JUIN.
fallut s'arrêter en 1237, quand le féroce tyran Eccelin se
fut fait livrer par l'empereur Frédéric II la ville de
Padoue. Ce fut une triste époque pour cette cité et pour
l'Italie tout entière ; le pape Alexandre IV, digne neveu de
Grégoire IX, et comme lui défenseur intrépide des droits
de la chrétienté et de son peuple, prêcha la croisade
contre les barbares du Nord et contre les tyrans. Les plus
nobles seigneurs italiens, le marquis d'Esté, le comte
Boniface,etTiso, seigneur deCampietro, accoururent à sa
voix. Les républiques de Mantoue, de Venise, de Bologne,
de Ferrare, s'unirent à lui pour repousser l'ennemi
commun.
Grande fut la joie des habitants de Padoue, quand ils
virent du haut de leurs murailles avancer à leur secours
l'armée de la délivrance. On se rendit en procession au
tombeau de saint Antoine, pour obtenir la victoire par son
intercession.
Une nuit, le Père Luc Belludi, ancien compagnon de
l'apôtre, veillait, dans la chapelle qui lui était consacrée,
avec le Père Barthélémy Conradin, gardien du couvent
de Padoue, et quelques autres religieux. Agenouillés sur
la pierre, ils chantaient les psaumes sacrés, et, les yeux
pleins de larmes, ils conjuraient le bienheureux thauma-
turge de venir en aide à leur infortunée patrie. Tout à
coup, au milieu du silence et des ténèbres, une voix
sortit du tombeau: « Courage et patience », disait-elle,
« Padoue sera délivré le jour de l'octave de ma fêle».
Cette bonne nouvelle, bientôt répandue dans toute
la ville , remplit de joie les malheureux Padouans ,
et la confiance des assiégeants dans leurs forces s'en
accrut encore.
SAINT ANTOINE DE PAPOUE. 289
La prédiction ne tarda pas à se réaliser; le cardinal
légat Octavien Ubaldini commanda l'attaque des fau-
bourgs qui furent pris, après un combat acharné, le
19 juin 1256. Le lendemain, toute la ville était au pouvoir
des Croisés.
Les Padouans se montrèrent reconnaissants au saint
de leur avoir donné la victoire, et dès l'année suivante,
quand le calme fut bien rétabli, ils décidèrent que saint
Antoine serait considéré comme le patron de la ville,
qu'on lui élèverait une statue sur la place des Comices,
que le trésor municipal fournirait chaque année une
somme de quatre mille livres, jusqu'à l'entier achèvement
de l'église, enfin que sa fête annuelle se célébrerait avec
solennité et serait suivie de huit jours de réjouissance :
a J'ai vu », dit le Père Fremaut, a la procession de l'année
« 1 682 ; elle sortit de la cathédrale, où s'étaient réunis toute
« la noblesse, toute la magistrature et tout le clergé de la
« ville et des environs, et se rendit, à travers les rues jon-
« chées de fleurs, à l'église du saint. Là, le cardinal
« Grégoire Barbarigo , évêque de Padoue , entonna
a les premières Vêpres, tandis qu'une musique magnifique
« faisait monter vers le ciel des accents de reconnaissance
« et d'amour » .
Cependant la construction de l'église , interrompue
depuis vingt-deux ans, était reprise avec activité en 1259.
En 1263, la partie antérieure de l'édifice étant à peu près
terminée, on résolut d'y transporteries reliques du saint.
Tout ce que l'art de cette époque produisait de plus beau
avait été mis en œuvre pour l'ornement du nouveau
temple. Le tabernacle du grand-autel était tout en pier-
res précieuses. Des statues de marbre et de bronze,
Palm. Sérafg. — Tume VI. 19
200 XIII JUIN.
représentant de saints personnages, des tableaux de pein-
tres célèbres décoraient les piliers et les murs. Enfin, on
avait scellé dans le portail une pierre qui avait servi
d'oreiller au saint.
La cérémonie de la translation des reliques eut lieu
au milieu d'un grand concours de fidèles, le 17 avril 1263,
selon Fremaut, le 8 avril selon M. l'abbé Guyard. Saint
Bonaventure, alors général de l'Ordre, présidait. Quand
on ouvrit le tombeau, un céleste parfum s'en exhala et
remplit toute l'église. Les chairs étaient tombées en
poussière, mais, au milieu de celte ruine, la langue
encore intacte apparaissait rose et fraîche comme celle
d'un homme vivant. Saint Bonaventure la prit dans ses
mains, et, versant des larmes d'attendrissement, il s'é-
cria : « 0 langue bénie, qui as toujours béni le Seigneur
« et qui as enseigné aux autres à le bénir, c'est maintenant
« que l'on voit clairement de quel prix tu es aux yeux de
« Dieu » . Puis il la baisa avec respect et la remit aux
magistrats de la ville, qui la reçurent sur un plateau
d'or.
Quelques années plus tard, un général de l'Ordre, abu-
sant de son pouvoir, exigea qu'on lui remît les précieuses
reliques; comme on s'y était refusé, il vint les prendre.
Chose merveilleuse 1 lorsqu'il eut en mains la châsse qui
les contenait et qu'il se disposa à sortir de la sacristie, il
ne put en trouver la porte. Alors, tout effrayé, il cacha la
sainte langue dans un calice, et vint au pied de l'autel
demander pardon à Dieu de sa tentative coupable. Dans
la suite, un moine, à qui il avait confié son secret, révéla
l'endroit où le général de l'Ordre avait déposé le reli-
quaire On le replaça dans la sacristie en chantant. :
SAINT ANTOINE PE PAPOUE. 29 i
Gaude, fclix Padua ; « Réjouis-toi , heureuse ville de
Padoue».
En 4310 eut lieu une seconde translation des reliques
de saint Antoine. L'église se trouvait alors presque ache-
vée ; on plaça l'arche au milieu de la principale nef de
l'église.
En 1350, le cardinal Guido de Montfort, de Limoges,
en France, sauvé miraculeusement d'un grand danger
par l'intercession du saint, apporta à Padoue une magni-
fique châsse en argent, fabriquée à ses frais et destinée
à contenir la langue de l'apôtre. Le 14 février, le véné-
rable cardinal descella l'arche, fermée par les soins de
saint Bonaventure, en tira les ossements précieux et les
déposa dans le coffre d'argent qu'il plaça ensuite dans
l'ancien tombeau de marbre.
L'année suivante, le chapitre général de Lyon décida
que chaque année on célébrerait , le 45 février, la fête
anniversaire de la translation des reliques de saint An-
toine. Quelques années plus tard, le pape Martin V ac-
corda une indulgence de cinq ans aux fidèles qui vien-
draient en pèlerinage au tombeau du saint.
Dès cette époque, le nom du grand thaumaturge était
honoré dans toute l'Europe, et même dans le monde en-
tier. De l'Allemagne, de l'Espagne, du Portugal et de la
France, accouraient de pieux pèlerins à Padoue.
L'église élevée au saint est une des plus belles du
monde. Wadding prétend qu'elle fut élevée sur l'empla-
cement d'un ancien temple de Junon. Quand les statues
des faux dieux furent remplacées par la croix du Sau-
veur, l'édifice s'appela d'abord JEdes major, le Grand-
Temple; mais en 1229, Jacques Corrado, évêque de Pa-
292 XIII JUIN.
doue, lui donna le titre de Sainte Marie, mère du Sau-
veur, Sancta Maria, mater Domini. Le temple actuel
s'appelle l'Eglise du Saint, la Chiesa del Santo.
L'église du Santo , dit M. l'abbé Guyard, a 280 pieds
de long, 131 de large, et 410 de haut. La partie anté-
rieure présente une multitude de colonnes, plusieurs
coupoles et quatre campaniles... Outre le chœur, dont
les décorations sont extrêmement remarquables, la se-
conde partie du temple renferme neuf chapelles... Le
grand dôme qui couvre le chœur fut construit en 1424,
à l'aide des offrandes des fidèles ; il est soutenu par huit
fortes colonnes. C'est le fameux Laurent de Lendenara qui
sculpta les figures dont sont ornées les stalles du chœur.
Le tombeau du saint, placé au milieu de la chapelle
qui lui est plus spécialement consacrée, est un véritable
édifice. Sur le gradin de l'autel sont placées trois statues
en bronze : celle de saint Antoine, celle de saint Bona-
venture et celle de saint Louis, évêque de Toulouse.
L'entrée de ce sanctuaire est fermée par deux portes de
bronze, coulées en 1590 par Titien Asperto. Trente-six
lampes d'argent, offertes par des princes et des rois, brû-
lent continuellement devant l'autel du Santo. Chaque
jour l'église s'enrichit de nouveaux objets donnés à la
fabrique par l'inépuisable générosité des fidèles.
(M. l'abbé Guyard, Wadding, Cardose et PapebrociT,.
LE BIENHEUREUX TÈRE 0LIV1KR MAILLARD. 293
OLIVIER MAILLARD
1502. — Pape : Alexandre VI. — Roi de France : Louis XII.
Le bienheureux Père Olivier Maillard naquit en Bre-
tagne. Il étudia la théologie à Paris, et plus tard occupa
avec éclat une chaire en Sorbonne. Il passait pour être
un éloquent prédicateur; mais il est encore plus célèbre
par ses vertus et la sainteté de sa vie.
Olivier Maillard fut cinq fois provincial dans différentes
provinces, et à trois reprises il exerça la dignité de vicaire
général de l'Ordre en Espagne, en France, aux Pays-Bas
et en Allemagne. Son séjour de prédilection était le
couvent de Malines, aux Pays-Bas.
Charles VIII, roi de France, professait pour ce saint
homme la plus grande estime, et c'est à sa prière qu'il se
décida à rendre à Ferdinand, roi d'Espagne, la ville de
Perpignan et le comté de Roussillon. Le pape Inno-
cent VIII le chargea de négociations importantes.
Olivier paraît avoir reçu de Dieu le don de prophétie ;
et Ton a conservé quelques-unes de ses prédictions. Après
avoir contribué au développement de l'Ordre Séraphique
par l'habilité avec laquelle il exerça ses dignités de pro-
vincial et de vicaire général, il mourut, riche de vertus,
au couvent de Toulouse, le 13 juin 1502. Sa mort fut le
signal et l'occasion de beaucoup de miracles, et en 1508,
le chapitre général de Barcelone ordonna que son corps
serait exhumé et placé dans une chapelle à lui consacrée.
On célèbre, le vingtième jour de juin, au couvent de
294 XIII JUIN
Toulouse, l'anniversaire de la translation de ses précieux
restes.
L'Ordre Séraphique a conservé la mémoire d'un autre
religieux du même couvent, le Père Melchior Flavius,
issu d'une des plus illustres familles de France, linguiste
éminent et théologien de premier ordre. Melchior exerça
la charge de commissaire général de l'Allemagne. Il reçut
de Dieu pendant sa vie le don de prophétie, et après sa
mort le don de miracles.
(Wadding.)
MARGUERITE DE FOLIGNO
DU TIERS ORDRE
1442. — Pape : Eugène IV. — Roi de France : Charles VII.
SOMMAIRE : Austère jeunesse de la bienheureuse Marguerite. — Fondation d'un
couvent du Tiers Ordre par la bienheureuse Angelina de Civitella. — Marguerite y
prend le voile, puis elle est nommée supérieure d'un nouveau couvent. — Elle
devient abbesse générale de tous les couvents du Tiers Ordre en Italie. — Sa mort.
— Conservation miraculeuse de son corps.
Cette sainte fiancée du Christ naquit en 1378, à Foli-
gno, en Italie, et montra dès son enfance de grandes dis-
positions à la vie pieuse et contemplative et à la solitude.
A l'âge de quinze ans, l'amour de Dieu remplissait
son cœur et n'y laissait place à aucun autre sentiment.
Elle s'abandonnait à la prière et à la méditation, s'impo-
sait de sévères disciplines, des jeûnes, des austérités,
pour mériter les grâces dont le Seigneur commençait
dès lors à la combler ; elle s'était choisi pour patrons
la très-sainte Vierge, sainte Marguerite et saint Antoine.
LA BIENHEUREUSE MARGUERITE DE FOLIGNO. 295
Vers cette époque, la bienheureuse Angelina, com-
tesse de Civitella, dans le royaume de Naples, vint fonder
à Foligno un couvent du Tiers Ordre de Saint-François.
Marguerite fut une des premières à demander le voile, et
son exemple décida plusieurs jeunes filles à renoncer
au monde pour se consacrer à Dieu. La vie de la bien-
heureuse Angelina lui servit de modèle et de règle de
conduite. Elle s'efforça d'imiter sa modestie, son mépris
d'elle-même et du monde, son ardeur à la prière, sa
charité pour le prochain. Une haire en crin sur sa peau
nue, elle se faisait l'esclave de ses sœurs, au milieu des-
quelles elle se croyait indigne de vivre. Un signe de son
abbesse lui donnait des ailes, tant elle avait au plus haut
degré le culte de la sainte obéissance , et toutes ses
actions étaient réglées sur l'avis de son confesseur ; elle
avait annihilé sa volonté en revêtant la robe de religieuse.
Ses vêtements usés, déchirés, troués, rapiécés, témoi-
gnaient de son amour pour la pauvreté monacale ; et
c'était là tout ce qu'elle possédait. Sa chasteté était d'un
Ange, sa naïveté d'un enfant.
Cependant des jeunes filles des villes voisines ve-
naient tous les jours demander le voile, et la bien-
heureuse Angelina avait déclaré qu'elle ne recevrait pas
plus de vingt religieuses. A la prière des habitants et des
seigneurs de l'endroit, il fut décidé qu'on bâtirait un
autre couvent du Tiers Ordre à Foligno, et Marguerite en
fut nommée abbesse. La pieuse fille, dont l'humilité s'ef-
fraya d'une pareille dignité, essaya de protester ; mais
l'évêque de Foligno et la bienheureuse Angelina, en sa
qualité d'abbesse générale de tous les couvents du Tiers
Ordre d'Italie, lui ordonnèrent, au nom de la sainte obéis-
2!)6 XIII JUIN.
sance, de se rendre au poste qui lui était indiqué, et
Marguerite se résigna, non sans demander pardon à ses
sœurs du scandale qu'elle avait causé, et sans implorer
le secours de leurs prières, à accepter l'honneur qu'on
lui destinait.
C'est en 1399 que la bienheureuse Marguerite vint en
procession solennelle prendre possession de son nouveau
couvent, avec les jeunes filles qui allaient s'y consacrer à
Dieu. Elles y reçurent le voile le même jour, et sous la
sage et maternelle direction de leur bienheureuse ab-
besse, elles marchèrent rapidement dans les voies du
Seigneur. La renommée de leurs vertus attira bientôt
auprès d'elle un si grand nombre de novices, qu'il fallut
agrandir le couvent. La vie, cependant, n'y était pas
douce ; car la plus stérile pauvreté y régnait, et la bien-
heureuse Marguerite voulait que les sœurs vécussent du
travail de leurs mains et du produit de leurs quêtes.
Elle même donnait l'exemple des fortes vertus, en se
chargeant des ouvrages les plus désagréables et en se
faisant la servante de ses religieuses.
La bienheureuse Angelina ne crut pouvoir mieux
récompenser Marguerite de son zèle qu'en l'envoyant
avec trois sœurs fonder un nouveau couvent à Spolète.
La sainte abbessc obéit, et après y avoir installé les pre-
mières novices, elle revint à Foligno, où Angelina venait
de mourir. Marguerite lui succéda dans sa dignité d'ab-
besse générale de tous les couvents du Tiers Ordre en
Italie. La renommée de sa sainteté s'était alors répandue
dans le pays environnant , et de tous côtés on venait lui
demander des conseils, ou la prier d'obtenir du Seigneur
la guérison d'un malade.
LA BIENHEUREUSE MARGUEHlTE DE FOUGNO. 297
Dans sa dernière maladie, qui fut aussi longue que
douloureuse, la pieuse abbesse montra un courage et
une patience invincibles au mal. Après avoir imploré de
ses sœurs le pardon des fautes qu'elle avait pu commettre
envers elles, elle leur adressa quelques belles paroles sur
les devoirs de la vie religieuse: pratique de la règle,
affection et union, humilité et obéissance, retraite,
prières, méditations, austérités. « Et maintenant » , ajoutâ-
t-elle, « maintenant, mes filles, que je vais entrer dans le
« royaume de Dieu, soyez sûres que je ne vous abandon-
« nerai pas » . Elle leva les yeux au ciel, leur donna sa der-
nière bénédiction, et consomma dans la mort son union
avec son céleste Fiancé, le 13 juin 1442, à l'âge de soixante-
quatre ans : il y avait quarante-cinq ans qu'elle était
entrée en religion. Comme elle avait toujours montré
une grande dévotion à saint Antoine de Padoue, et qu'elle
était morte précisément le jour de sa fête, les bonnes
sœurs, par la suite, honorèrent le même jour saint An-
toine, comme patron de leur couvent, et la bienheureuse
Marguerite, comme leur fondatrice.
Les précieux restes de l'abbesse furent ensevelis auprès
du grand-autel. Quelques années plus tard, on y retrouva
son corps parfaitement conservé, et l'étonnement des as-
sistants s'accrut encore, après qu'un boiteux et un lépreux
eurent été délivrés de leurs infirmités par le seul attou-
chement de la bienheureuse. Ces prodiges attirèrent dans
l'église du couvent un nombre considérable de pèlerins
dont plusieurs furent l'occasion de nouveaux miracles.
Le corps resta exposé pendant plusieurs jours, à la
grande satisfaction des habitants de la ville ; puis on le
replaça dans le même cercueil, à l'endroit où il avait été
298 XIII JUIN.
enseveli tout d'abord. En 1588, un iucendie détruisit
l'église, mais épargna miraculeusement le tombeau de
la bienheureuse. Cette fois, plus de cent quarante ans
après la mort, le cadavre était devenu squelette, à l'ex-
ception de la tête et du visage dont les joues et les
lèvres avaient encore les couleurs de la vie. Ces précieu-
ses reliques, qui furent conservées au couvent dans une
châsse magnifique, ont été l'instrument de beaucoup de
miracles.
GLAIRE DE FOLIGNO ET AUTRES
Plusieurs sœurs du même couvent de Foligno sont
mortes en odeur de sainteté. Parmi elles on cite :
Claire de Foligno, qui eut le don de contemplation et
d'extase. Le jour de la fête de saint François, elle vit des
âmes du purgatoire, délivrées de leurs souffrances, s'en-
voler vers le ciel. On lui attribue aussi le pouvoir de
chasser les démons.
Agnès de Pescaire, aux funérailles de laquelle assistè-
rent une foule de pèlerins venus on ne sait d'où, et qui
disparurent ensuite comme par enchantement.
Cabrielle de Pérouse, dont les longues extases sont
demeurées célèbres, et que l'on vit souvent s'enlever
dans les airs au milieu d'un tourbillon de lumière.
(WaddiiNg et Jacobille j
LE BIENHEUREUX GEORGES D'ALBANIE. 299
GEORGES D'ALBANIE
FRÈRE LAI
1440. — Pape : Eugène IV. — Roi Je France : Charles VII.
SOMMAIRE : Belle conduite du bienheureux Georges, lorsqu'il était capitaine au
service de Sforza. — Il entre dans l'Ordre Séraphique. — Il triomphe de son
bouillant naturel. — Son humilité, sa piété et ses extases. — Sa sainte mort.
Le bienheureux Georges naquit en Albanie, et fut long-
temps capitaine au service de François Sforza, l'allié du
pape contre Philippe, duc du Milanais. Sforza prit d'as-
saut une petite ville des Marches, qui s'était déclarée
pour le duc, et l'abandonna au pillage. Les soldats se dis-
persèrent par les rues, et Georges entra dans la maison
d'une noble dame, originaire du village de Ripa-Tran-
sona, et mère de deux fort jolies demoiselles. Le capi-
taine les vit si tremblantes, qu'il en eut pitié et qu'il ré-
solut de les protéger et de les défendre au besoin contre
ses propres soldats. Après le pillage de la ville, il voulut
les escorter jusqu'à la maison de leur père, à qui il eut
le bonheur de les ramener saines et sauves, non sans
avoir couru les plus grands dangers.
Quelques années plus tard, Georges, dégoûté de ce
monde plein de troubles et de crimes, alla demander au
bienheureux Jacques de la Marche, qui prêchait alors à
Camerino, l'habit de l'Ordre Séraphique. Après avoir pro-
noncé ses vœux, il se retira, avec cinq autres frères, dans
un ermitage situé non loin d'Ascoli, et dépendant du
couvent de cetle ville. Un jour il y eut une violente
300 XIII JUIN.
discussion avec un autre religieux ; mais bientôt, taisant
un retour sur lui-même, il alla trouver son frère et lui
représenta que c'était un grand crime aux yeux de Dieu
de laisser pénétrer la haine dans son cœur, quand on
portait l'habit de religieux. Tous deux se mirent à ge-
noux, demandèrent au Seigneur pardon de leur faute,
et s'embrassèrent en signe de paix et d'amitié. Georges
avait remporté sur son naturel ardent une victoire
décisive.
Durant les premières années qu'il passa dans l'Ordre,
le bienheureux Georges s'acquitta avec une humilité et
une soumission inaltérables des travaux, souvent un peu
grossiers, qui sont réservés aux frères lais ; mais, sur la
fin de sa vie, il s'abandonna à la vie contemplative. Il
reçut de Dieu le don des larmes, et cette grâce toute
spéciale lui causa de célestes jouissances. Son ardente
piété ne trouvait de satisfaction qu'au pied des autels ; du-
rant les cinquante années qu'il passa dans l'Ordre Séra-
phique, on ne le vit pas une fois retourner à sa cel-
lule après les matines : il demeurait au chœur jusqu'au
matin, plongé dans ses méditations. Les cantiques sacrés
le faisaient tomber en extase ; le chant du Magnificat, par
exemple, lui ouvrait tout à coup d'immenses horizons,
et il restait immobile, les yeux errants dans le vague de
l'infini, le cou tendu, comme jouissant d'un spectacle
inconnu aux mortels et prêtant l'oreille à de célestes
concerts.
11 est probable que le bienheureux Georges alla visiter
les lieux sanctifiés par la naissance et par la mort du
Sauveur. On rapporte que, vers la fin de sa vie, comme
il désirait ardemment savoir si sa conduite avait été
LE BIENHEUREUX MARTIN DE SAINTE MARIE. 301
agréable à Dieu, il vit lui apparaître Jésus et Marie ins-
crivant son nom sur le livre d'or de l'Eternel. Alors, tout
rempli d'une sainte joie, il s'endormit dans le Seigneur,
au couvent de Muro, dans la province des Marches,
l'an 4440.
Le même couvent a vu mourir en odeur de sainteté le
bienheureux Albert de Cossignano et le bienheureux
Max de San-Severino. Ce dernier était chanoine régulier
de la cathédrale de Muro, quand un jour saint Bentivo-
glio lui apparut et lui ordonna, au nom de Dieu, de
prendre l'habit de frère mineur. Il est célèbre par les
miracles qu'il accomplit.
(Wadding et Marc Ulyssip.)
MARTIN DE SAINTE-MARIE
FRÈRE LAI
1607. — Pape : Paul V. — Roi d'Espagne : Philippe III.
SOMMAIRE : Miracle dû à l'intercession de la Vierge en faveur du bienheureux
Martin. — Sa dévotion aux saints noms de Jésus et de Marie. — Vertus du bon
frère. — Sa charité chrétienne. — Sa piété et ses contemplations. — Conversions
qu'il provoque. — Sa mort. — Miracles qui la suivirent.
Le bienheureux Martin de Sainte-Marie vint au monde
à Salamanque. 11 était sourd-muet de naissance, mais
la très-sainte Vierge, en qui il avait placé sa confiance,
obtint de Dieu un miracle en sa faveur, et lui donna la
parole. Il garda à la Reine des Anges une si grande re-
connaissance, qu'il Toulut porter son nom lorsqu'il prit
30'2 XIII JUIN.
l'habit de frère lai, et qu'il appelait toutes les femmes
Marie ou sœur de Marie. Il unissait dans un même res-
pect et dans un même culte ce nom divin et le très-saint
nom de Jésus.
Frère Martin fut un parfait religieux dans toute l'ac-
ception du mot. Il pratiquait mieux que personne cette
sévère vertu du silence, sans laquelle on n'avance pas
dans les voies du Seigneur. On le voyait par la ville,
muet comme une tombe, les yeux baissés, nu-pieds, nu-
tête, sans souci de la pluie et de l'orage, été comme hi-
ver, quêtant les aumônes pour le couvent et pour les
pauvres. Chemin faisant, il recueillait tous les malheu-
reux qu'il rencontrait, les amenait au couvent et ne les
laissait partir qu'après s'être fait pendant quelque temps
leur humble esclave, après avoir lavé, nettoyé, raccom-
modé leurs vêtements et rempli leur havre-sac de tout
ce qu'il possédait. Comme il était assez habile sculpteur
de bois, ses supérieurs lui avaient permis de façonner
de jolis encriers en buis, que l'on vendait au profit des
pauvres.
La piété du bienheureux Martin était en rapport avec
son ardente charité. Il se confessait tous les jours et s'ap-
prochait de la sainte table aussi souvent qu'il le pouvait.
Il n'avait au monde qu'une seule ambition : contempler
Dieu sans voile et face à face, avant de mourir. Ses en-
tretiens avec ses frères roulaient exclusivement sur la
reconnaissance et l'amour que les créatures doivent à
leur Créateur. «La vie est courte», disait-il, « hâtons-
« nous de mériter les miséricordes du Seigneur qui va
«bientôt nous appeler à lui ». Il les mérita lui-même
dès cette vie : Dieu lui accorda ce qu'il avait si souvent
LE BTENHETJREFX MARTIN PE SAINTE-MARTE. 30.3
demandé. Il contempla face à face le Très-Haut et son
divin Fils.
Un autre bonheur lui était également réservé, celui
de provoquer la conversion d'un certain nombre de pé-
cheurs. On se sentait pénétré d'un saint respect à la vue
de ce vénérable frère, à l'air grave et doux, qui parlait
de son Dieu en termes passionnés et mystiques, et qui
racontait avec une pieuse naïveté les merveilles du ciel,
d'où il semblait revenir. Il n'avait aucune prétention à
l'éloquence, un enfant n'eût pas parlé plus simplement ;
mais il y avait dans le son de sa voix et dans l'expres-
sion de son regard une douceur infinie qui lui donnait
une force irrésistible.
Quelques mois avant sa mort, le bienheureux Martin
de Sainte-Marie fut atteint de violentes douleurs aux côtés,
auxquelles tout le monde, excepté lui, crut qu'il allait
succomber. Pourtant son heure n'était pas encore venue.
Il reprit un peu de forces et recommença à quêter, comme
auparavant, dans les villes et les villages du voisinage. La
veille de la fêle de saint Antoine, après s'être préparé par
une confession générale à la communion du lendemain,
il se mit en route de bon matin, selon son habitude,
pour aller recueillir des aumônes à Villa-Diego. Il était
entré dans l'église de l'endroit, pour prier, quand tout à
coup il ressentit à la jambe une vive douleur, etquelques
moments après il expirait en murmurant les noms de
Jésus et de Marie, le 13 juin 1607.
On transporta au couvent des Frères Mineurs son
corps, d'où s'exhalait une délicieuse odeur; son visage
avait une expression si riante, qu'il paraissait dormir en
faisant un beau rêve. Le comte de Castro et une foule
304 xm JUIN.
considérable d'hommes et de femmes du voisinage as-
sistèrent à ses funérailles et -vinrent baiser avec un pieux
respect ses pieds et ses mains. Des morceaux de ses
vêtements, que l'on conserva comme de précieuses re-
liques, accomplirent par la suite beaucoup de miracles.
Un certain Matthieu Sonz, qui avait bien connu le
frère Martin , ne pouvait croire qu'un homme aussi
simple ait mérité les faveurs du Très-Haut, quand un
miracle s'accomplit dans sa propre maison et le força
de changer d'avis. Un jour on lui apporta son neveu ;
il avait la tête fendue par suite d'une chute de cheval, et
la figure si pleine de sang qu'on ne voyait plus ni ses
yeux ni sa bouche. L'homme de peu de foi se mit à
genoux et jura de proclamer par le monde la sainteté du
bon frère, s'il sauvait son neveu d'une mort presque
certaine ; puis il plaça sur la plaie un morceau de la
robe du bienheureux et attendit, le cœur plein d'anxiété.
Aussitôt le jeune homme s'endormit profondément, et
une heure après, il se levait guéri.
Les sandales du frère Martin et d'autres objets qui lui
avaient appartenu furent aussi les instruments de
beaucoup d'autres miracles dans les diocèses de Burgos
et de Valence.
(ttàZA.)
LE BIENHEUREUX PACIFIQUE GUISO. 305
PACIFIQUE GUISO
FRÈRE LAI
1630. — Pape : Urbain VIII. — Roi de France : Louis XIII.
CHAPITRE PREMIER.
SOMMAIRE : Il quitte le monde pour la vie solitaire. — Premières tentations du
démon. — Il entre au couvent des Frères Mineurs Observantins de Sacer. — Dieu lui
manifeste sa volonté de l'y voir mourir. — Pauvreté du bienheureux Pacifique. —
Miracles qu'il accomplit. — Il ressuscite un mort en présence de tous les religieux
du couvent. — Respect des grands de la terre pour Pacifique. — Son départ pour
l'Espagne.
Ce serviteur de Dieu naquit à Nuero, petite ville de
Sardaigne. Ses parents lui laissèrent une assez belle for-
tune, qu'il ne songeait qu'à déposer aux pieds d'une jolie
jeune fille ; mais Dieu en décida autrement. Sa fiancée
mourut tout à coup, et lui-même, dégoûté de ce monde,
où il ne trouvait que déboires, résolut de vivre dans la
solitude. Après avoir donné aux pauvres une grande
partie de son bien , il se retira sur un plateau dé-
sert, où il fit élever une petite chapelle à sainte Marie-
Madeleine, sa patronne. Une nuit qu'il était en prières
devant l'image de la sainte, il vit tout à coup lui appa-
raître une vierge radieuse, tenant à la main une page du
livre d'or de l'éternité, où il put lire son nom. En même
temps il entendit une voix lui répéter à plusieurs repri-
ses de se faire frère mineur. Cette vision lui sembla être
Palm. Sébaph. — Tome VI. 20
306 xiii juin.
un gage certain des complaisances de Dieu en sa faveur.
Mais presque aussitôt, et comme pour lui apprendre qu'il
aurait de rudes combats à livrer contre l'esprit de ténè-
bres, Dieu permit au démon de venir le tourmenter. Le
malin esprit transportait le pauvre Pacifique d'une chambre
dans une autre, et le malheureux ressentait dans tout
son corps de violentes douleurs, comme si on lui eût
brisé les os. Toutefois, il ne perdit pas sa confiance en
Dieu, il résolut de mettre à exécution l'ordre que la voix
mystérieuse lui avait donné, et de prendre l'habit de
frère mineur.
Il se confessait d'ordinaire auprès des Pères Observan-
tins, qu'il aimait beaucoup ; mais la pauvreté des Pères
Capucins avait pour lui d'irrésistibles attraits, et c'est vers
eux qu'il résolut de diriger ses pas. Avant d'aller frapper
à la porte de leur couvent, il commença par mettre en
secret ordre à ses affaires, et sans communiquer son pro-
jet à ses parents, qui auraient pu y apporter des obsta-
cles, il partit la nuit, monté sur un bon cheval. Chemin
faisant, un religieux, qu'il crut être saint François lui-
même ou saint Antoine de Padoue, lui apparut tout à
coup, lui demanda sa bénédiction et l'exhorta à se hâter
pour arriver à temps au couvent des Pères Capucins de
la ville de Sacer, où, d'ailleurs, il parvint sans encombre.
Le provincial était absent, et le gardien n'osait pas de
son autorité privée admettre Pacifique au nombre des
novices ; celui-ci se rendit immédiatement au couvent
des Observantins.il y rencontra, entre autres religieux de
sa connaissance, un vénérable Père qui avait été son
confesseur, et sur l'avis de qui il prit l'habit de frère lai.
On ne tarda pas à s'apercevoir que i'Esprit-Saint habi-
LE BIENHEUREUX PACIFIQUE GUISO. 307
tait vraiment avec notre bienheureux, et qu'il était pré-
destiné pour être un modèle de perfection religieuse. Sa
vie était une succession non interrompue d'austérités et
de mortifications, de jeûnes et de veilles. Après les mati-
nes, il restait au chœur, absorbé dans ses prières ; et, du
jour où il en obtint la permission du maître des novices,
il ne manqua pas une seule fois à cette pieuse habitude.
Cependant une sorte de remords tourmentait le bien-
heureux Pacifique ; il lui semblait qu'il avait commis une
faute en prenant la robe des Observantins, lorsqu'il avait
pour ainsi dire fait au fond de son cœur le vœu d'entrer
chez les Pères Capucins. Cette idée le poursuivait nuit et
jour, si bien qu'à la fin, n'y tenant plus, il s'en fut un
soir dans le jardin du couvent, quitta son habit de moine
et se mit en devoir de franchir le mur pour se rendre à
la maison des Capucins. Mais au moment où il se hissait
péniblement sur la muraille, il sentit comme un violent
coup de poing sur le visage, et tomba à la renverse ; en
même temps il entendit une voix lui dire : « Tu mourras
a dans la robe que tu portes aujourd'hui ». Il se releva,
tout contusionné, et courut au chœur remercier Dieu de
lui avoir conservé la vie ; car le mur était haut et la chute
aurait pu être mortelle. Dans la suite, il ne songea plus
à quitter les Observantins, et le temps réglementaire du
noviciat écoulé, il prononça ses vœux à la grande joie de
ses frères .
Le bienheureux Pacifique était vêtu d'une misérable
robe ; il marchait toujours nu-pieds et nu-tête par tous
les temps, été comme hiver, quand il allait quêter des
aumônes pour le couvent à travers les âpres montagnes
de la Sardaigne. C'est seulement vers la fin de sa vie que,
308 XIII JUIN.
sur l'ordre de son supérieur, il se décida à porter des
sandales.
Ce saint homme reçut du Seigneur le don d'accomplir
des miracles ; le chroniqueur lui en attribue un grand
nombre : nous en citerons seulement quelques-uns. Un
jour qu'il était allé quêter pour le couvent dans une ville
voisine, il rencontra sur son chemin une profonde rivière
grossie par les eaux de pluie , et dont le gué n'était plus
praticable. Un assez grand nombre de paysans atten-
daient sur le bord avec leurs chevaux et leurs voitures,
et n'osaient s'exposer à une mort certaine. Frère Pacifi-
que arriva, fit un signe de croix au-dessus de la rivière,
et les eaux, s'arrêtant, formèrent tout à coup comme une
muraille, tandis que le saint homme passait avec toute
cette foule de peuple. Une autre fois, il franchit la rivière
sur son manteau comme sur une nacelle. Une autre fois
encore, il fit mieux: il ressuscita un mort.
Frère Pacifique, avec la permission de ses supérieurs,
était revenu dans sa patrie, quand il fut tout à coup in-
vité à passer chez l'un des protecteurs du couvent, dont
le fils venait de mourir. Le saint religieux se mit en
prière, et sur un avis secret qu'il reçut de Dieu, il de-
manda au Père gardien de l'accompagner, avec tous ses
religieux, pour être témoins du miracle qui allait s'ac-
complir à la plus grande gloire du Seigneur. On arriva
auprès du lit funéraire : le cadavre raidi était froid comme
une statue de marbre. Les religieux s'agenouillèrent et
se mirent à réciter les prières des morts, tandis que frère
Pacifique demandait au Seigneur de faire éclater sa puis-
sance. Au même instant le mort se leva : il avait recou-
vré du même coup la vie el la santé.
LE BIENHEUREUX PACIFIQUE GUISO. 309
Ce miracle éclatant, dû à l'intercession de frère Paci-
fique, lui valut, dans toute laSardaigneetdans plusieurs
autres contrées de l'Europe, une grande réputation de
sainteté et une grande considération. Le duc de Gandie,
vice-roi du pays, lui témoignait beaucoup d'égards et
parlait sans cesse de ses vertus, de l'austérité de sa vie et
des grâces célestes dont il était l'objet, au Père François
Borgia, son frère, religieux de la province de Saint-Jean-
Baptiste, en Espagne. François Borgia vint en Sardaigne
pour contempler le saint homme et s'entretenir avec lui.
L'extérieur du bienheureux Pacifique répondait à sa
réputation et à l'idée qu'on se faisait, de lui : François le
trouva dans sa cellule, mal vêtu, ignorant des usages du
monde, fatigué par le travail, les veilles et les mortifica-
tions , mais portant sur sa figure et dans ses yeux
comme un reflet de la lumière divine qui illuminait
sa belle âme. A la suite de plusieurs entretiens, il le
décida à l'accompagner en Espagne, dans la province de
Saint-Jean-Baptiste, où son ardent désir d'austérités trou-
verait à se satisfaire.
CHAPITRE II.
SOMMAIRE : Frère Pacifique entre au couvent de Gandie. — Ses progrès rapides
dans le chemin de la perfection. — Son humilité, sa pauvreté, son obéissance, sa
pureté, ses austérités, sa piété et sa dévotion aux souffrances de Jésus crucifié. —
Son heureuse influence sur tous ceux qui l'ont connu. — Luttes contre le démon.
— Miracles. — Sa dernière maladie et sa mort.
Frère Pacifique se rendit en effet en Espagne, à la
prière du duc de Gandie, qui venait de se démettre de sa
vice-royauté, et il entra tout d'abord dans le couvent de
Gandie, dont les religieux étaient , comme lui-même,
310 , XIII JUIN.
des modèles de sainteté. Il ne tarda pas à les devancer
tous dans les sentiers de la perfection, par cela seul qu'il
se croyait indigne de demeurer au milieu d'eux. Persuadé
qu'il était le dernier des hommes et le plus misérable
d'entre les pécheurs, il s'imposait de rudes pénitences et
partageait son temps entre la prière, le jeûne, les veilles
et les mortifications. Un des grands tourments de toute
sa vie, c'a été l'estime et le respect qu'on lui témoignait.
Un gardien voulut voir jusqu'où irait son humilité et
lui imposa la pénible tâche de maître des novices, sous
prétexte de le briser aux coutumes de la province. Le
saint homme, quoique déjà fort avancé en âge et depuis
longtemps profès, se mit à l'œuvre sans un murmure,
et, pour enseigner la règle, commença par la pratiquer.
On peut dire qu'il en fut comme la vivante image.
Après avoir, dès le début de son noviciat, donné tous ses
biens aux pauvres, il mit sa gloire à ne rien posséder au
monde que ce qui est indispensable au dernier des misé-
rables, et ne consentit jamais à accepter quoi que ce soit
du duc de Gandie ou d'autres seigneurs dont il était
l'ami. Quand il s'asseyait à leur table, ce qui lui arrivait
assez souvent, il tirait de son bissac quelques mauvais
légumes et en mangeait à peine assez pour ne pas tomber
en défaillance. Dans ses tournées à travers les villages
voisins, il vivait de la charité publique.
Son obéissance était proverbiale parmi les religieux de
Saint-François. Non-seulement ses supérieurs, mais ses
frères et les novices eux-mêmes le trouvaient toujours
tout prêt à accomplir leurs moindres volontés et même à
satisfaire leurs caprices. « Mes frères», leur disait-il quel-
quefois, « mon corps est à vous comme mon âme est
LE BIENHEUREUX PACIFIQUE GUISO. 3 H
« à Dieu, pour en faire tout ce qu'il vous plaira ».
Il avait la naïveté d'un enfant et la chasteté d'une
vierge ; jamais une pensée impure ne" troubla la calme
sérénité de son âme. Durant de longues années, il fut
portier du couvent et se trouva ainsi dans la nécessité
de parler souvent à des femmes ; mais jamais il ne leva
les yeux sur elles : on eût dit qu'en les regardant en face il
avait peur de perdre son salut éternel. Ses conversations
n'avaient jamais d'autre sujet que Dieu et les choses de
la religion, et ce lui était une grande cause de scandale
d'entendre parler des faux biens et des fausses jouissances
de ce monde de ténèbres. Il luttait contre les faiblesses
de la chair avec un courage invaincu, et se défendait des
tentations par de rudes austérités. Jour et nuit, presque
à toute heure, il se donnait la discipline ; jamais sa haire
ne le quittait, et elle était si rude qu'un frère qui voulut,
par esprit de mortification, la revêtir quelques instants,
ne put supporter ses souffrances et fut obligé de s'en
débarrasser. Cependant le saint homme y ajoutait sou-
vent une chaîne de fer, dont il se ceignait les reins
comme d'une ceinture. Au réfectoire, il recherchait les
morceaux de pain les plus secs et les légumes les moins
appétissants ; jamais il ne mangeait ni viande, ni pois-
son, et sa vie semblait être un jeûne perpétuel. Il dormait
à peine : « Ne faut-il pas », disait-il un jour à la duchesse
de Gandie, « quand j'ai consacré ma journée à la sainte
ot obéissance, que j'emploie ma nuit à des œuvres de
« dévotion ».
Sa piété, comme ses autres vertus, était d'un Ange
plutôt que d'un homme. Fatigué par le travail, épuisé
par les jeûnes et les veilles, il ne manquait jamais
312 XIII JUIN.
d'assister aux matines et ne se dispensait des offices que
lorsqu'il y était forcé ; il servait, d'ailleurs, autant de
messes qu'on le lui permettait, pour le plus grand profit
de son âme. Dieu occupait sa pensée à tous les instants
de sa vie, qu'il travaillât dans le couvent ou qu'il fût en
tournée dans les villages voisins pour recueillir des au-
mônes. Il avait une dévotion ardente aux souffrances de
Jésus crucifié et à sa très-sainte Mère, dont tous les jours
il récitait les litanies. Sa piété brûlante se manifestait
par des paroles sans suite, des cris étouffés, des sanglots
convulsifs ; il voyait avec les yeux de la foi la Reine des
Anges lui apparaître dans sa splendeur immortelle ,
entourée du céleste cortège des Trônes et des Séra-
phins.
Une des grandes ambitions, la seule peut-être, du
bienheureux Pacifique, eût été de mourir pour son Dieu,
en travaillant à la conversion des hérétiques. Il n'est pas
d'effort qu'il n'ait tenté pour obtenir de ses supérieurs
la permission de passer aux Indes, en qualité de mission-
naire ; mais ce suprême bonheur devait lui être refusé.
Il se consola de son mieux en faisant autour de lui le
plus de bien qu'il lui fut possible. D'une éloquence pas-
sionnée, qui partait d'un cœur tout embrasé de l'amour
de Dieu, il convertit et ramena dans les sentiers du Sei-
gneur une foule d'hommes égarés. On le mandait sou-
vent à la cour de Madrid, et les dames d'honneur de la
reine prenaient plaisir à l'entendre parler de la majesté
infinie de Dieu et de notre néant. Grands et petits, puis-
sants et faibles, superbes et humbles, tous trouvaient en
lui un appui et une consolation, et se sentaient à sa voix
animés d'une même pieuse ardeur. Les aumônes pieu-
LE BIENHEUREUX PACIFIQUE GUISO- 313
vaient dans son chapeau de moine, pour se répandre
aussitôt dans les maisons des pauvres. Il les servait à
table, raccommodait leurs vêtements, les soignait quand
ils étaient malades, et les préparait à bien mourir lors-
qu'il n'était plus temps de les aider à bien vivre. C'est
au milieu d'eux qu'il aimait à passer le temps dont il
pouvait disposer, en souvenir du Sauveur qui avait voulu
naître dans une étable.
Rien d'étonnant à ce que ce saint homme eût fort à
souffrir des attaques du démon ; rien d'étonnant non
plus à ce qu'il en triomphât toujours avec l'aide de Dieu.
11 en fut d'ailleurs récompensé par les grâces dont le
Seigneur le combla, entre autres le don de prophétie et
le don de miracles.
Une pieuse femme de Gênes, dont le fils était possédé
du démon, avait envoyé le malheureux à Notre-Dame de
Lorette pour obtenir sa délivrance. Sur ces entrefaites,
elle rencontra le bon frère et lui raconta ses chagrins de
mère en lui demandant le secours de ses prières. « Ma
« fille », répondit-il, et votre fils, à cette heure, vient d'é-
« chapper aux monstres qui le dévoraient». En effet, le
jeune homme entrait alors dans la chapelle de la Vierge, et
Satan abandonnait sa proie.
Le duc de Gandie craignait une rupture entre son fils,
le marquis de Sombay, et sa fiancée : « Le mariage se
fera », lui dit le frère Pacifique, « parce que c'est la vo-
« lonté de Dieu »; et le mariage avait lieu deux semaines
plus tard.
A la duchesse de Gandie il annonça la mort du père
François Borgia, nouvelle qui fut en effet confirmée dans
la suite; quelques mois après, il déclarait que son heure
314 XIII JUIN.
aussi était venue, et le lendemain sa dernière maladie
retendait inerte sur son lit de douleurs.
C'était la peste, un fléau terrible, qui allait l'enlever
au respect et à la vénération des hommes. Tout son corps
ne fut bientôt plus qu'une plaie, et les médecins décla-
rèrent qu'il n'y avait aucun espoir de guérison. Il de-
manda et reçut avec une piété touchante les Sacrements
des mourants, et, le 13 juin 4630, il s'endormit dans le
sein de Dieu, tandis que les frères chantaient autour de
lui le cantique d'actions de grâces : Te, Deum, laudamus.
Sa figure garda dans la mort une sérénité et un calme
parfaits.
Le bruit de son trépas se répandit bientôt dans la ville
de Gandie et dans tous les \illages voisins, une foule con-
sidérable d'hommes et de femmes accoururent au cou-
vent, pour contempler encore une fois ses précieux restes,
pour baiser ses pieds et ses mains, pour emporter quelque
lambeau de ses vêtements. Des miracles s'accomplirent
sur son tombeau et ajoutèrent encore à l'éclat de sa
renommée.
{Chron. de la prov. de Saint- Jean-Bapt .)
LE BIENHEUREUX ALPHONSE ItUBIUS. 315
ALPHONSE RUBIUS
FRERE LAI,
1601. — Pape : Clément VIII. — Roi d'Espagne : Philippe IV.
SOMMAIRE : Perfection religieuse du bienheureux Alphonse Rubius. — Sa pauvreté
exlréme. — Sa cha-ité chrétienne. — Sa dévotion à la tics-sainte Vierge. — Ses
extases. — Il a le don de seconde vue et de miracles. — Sa mort.
Frère Alphonse Rubius naquit en Espagne et reçut, à
l'âge de vingt-huit ans, l'habit de frère lai dans la pro-
vince de Saint-Jean-Baptiste. Par l'austérité de sa vie, sa
soumission à la règle, son humilité, sa piété ardente, sa
pauvreté exemplaire, il ne tarda pas à devenir, selon
l'expression du chroniqueur, un miroir de perfection
religieuse. Tous les jours il se déchirait le corps à coups
de discipline, il portait une haire en crin sous ses vête-
ments, et se ceignait les reins avec une chaîne de fer
garnie de pointes ; il ne pouvait faire un mouvement
sans que son sang coulât par mille plaies. Son repos
n'était qu'un autre martyre; le sommeil ne fermait
jamais ses paupières. Il avait donné sa couverture aune
pauvre femme et couchait à terre, une pierre sous la
tête, en guise d'oreiller. Une misérable natte fermait à
peine sa cellule. Durant ses maladies, on voulut le forcer
à accepter un lit de plume : a Le mien vaut mieux»,
répondit-il, et il montrait un sac étendu sur deux
planches. Son manteau était en loques , et sa robe
criblée de trous. Il marchait toujours nu -pieds,
par tous les temps, qu'il fût souffrant ou en bonne
316 XIII JDIN.
santé, sans s'inquiéter des cailloux qui le déchiraient, et
il fit ainsi de longs et pénibles voyages.
On a peine à comprendre comment le peu de nour-
riture qu'il prenait suffisait à le soutenir : un petit
morceau de pain arrosé d'eau fraîche. Sa portion de
viande et vin lui servait à nourrir sa sœur, une pauvre
femme restée veuve avec deux enfants. D'ailleurs, il ne
concevait pas qu'il y eût au monde un plus grand plaisir
que celui de faire l'aumône : soulager les misérables,
les consoler, verser sur eux des paroles de bénédiction
et d'espérance, c'était là sa joie et sa consolation. Ses
frères ressentaient les bons effets de son infatigable cha-
rité ; quoiqu'il fut lui-même très-occupé, il trouvait
moyen de leur venir en aide dans les travaux pénibles
qui leur incombaient quelquefois. A l'âge de soixante
ans, il s'acquittait encore de toutes les corvées que l'on
impose d'ordinaire aux novices ; comme eux , il se
donnait la discipline au réfectoire et confessait, en pré-
sence des autres religieux, avec des larmes dans la voix,
son indignité et son néant.
Durant presque toute sa vie, il fut sujet à de longues et
douloureuses maladies, qu'il supportait sans se plaindre,
avec une patience angélique. Au milieu des ses souf-
frances, il élevait son cœur à Dieu ; il acceptait les
plus rudes épreuves comme des effets de la divine
bonté ; on ne l'entendait parler que du Seigneur, de
ses miséricordes, de son infinie justice, de son inépui-
sable Providence.
En revanche, le monde était pour lui comme s'il n'était
pas. La chapelle du couvent lui tenait lieu de patrie ; il
y passait pour ainsi dire toutes les heures du jour et de
LE BIENHEUREUX ALPHONSE KUBIUS. 317
la nuit. Son ouvrage terminé, il y accourait ; on l'y trou-
vait toujours le premier à matines ; après les compiles,
il demeurait encore de longues heures au pied des
autels, absorbé dans une muette contemplation. Plu-
sieurs fois ses frères le surprirent en extase devant les
statues de la Vierge, le visage resplendissant de lumière,
éblouissant comme un soleil. Un jour, un religieux vit à
trois reprises différentes la chapelle éclairée comme par
de rapides éclairs ; il y descendit et aperçut le frère
Alphonse suspendu en l'air, par une force invisible, à une
telle hauteur, qu'il pouvait passer sous ses pieds sans
les toucher ; d'autres religieux accoururent et purent
aussi constater le prodige.
Ce ne fut pas, d'ailleurs, la seule faveur dont la très-
sainte Vierge honora son serviteur : elle lui apparaissait
souvent, soit dans sa cellule, soit dans le jardin du cou-
vent, surtout aux moments où il récitait son rosaire.
C'est elle, sans doute, qui lui donna la force de sup-
porter avec une patience si inaltérable et un visage si
riant les cruelles épreuves auxquelles une piété moins vive
eût infailliblement succombé. Le démon se heurtait en
vain à cette vertu si pure, et ses maléfices les plus dan-
gereux n'avaient sur elle aucune prise. Sa chasteté
virginale le protégeait contre toutes les séductions mieux
qu'un rempart d'airain, et sa candeur même était sa
sauvegarde.
On ne s'étonnera pas que Dieu ait récompensé par des
miracles une sainteté si parfaite. Par l'intercession du
bienheureux Alphonse, une foule de malades furent
guéris d'une façon inespérée, Barthélemi Viudes, pro-
tecteur du couvent d'Orihuela, avait reçu les derniers
318 XTIl JUIN.
Sacrements, et après quatre jours d'une insensibilité
absolue, on s'attendait d'heure en heure à le voir mourir.
En apprenant la douleur de sa famille, frère Alphonse se
mit en prières, et, les bras levés au ciel, il implora long-
temps le Dieu de miséricorde et d'amour. Sa prière fut
exaucée. Eclairé tout à coup par l'Esprit d'en haut, il
court auprès du malade: « Frère, frère», lui dit-il,
« rends grâces au Seigneur, il a décidé, dans son impé-
« nétrable sagesse, que tu ne devais pas mourir encore ;
« tu demeureras sur la terre pour le servir de nouveau
« pendant de longues années ». Aussitôt Barthélemi
revient à lui, et à la grande joie de ses proches, quel-
ques jours après il était guéri. D'autres malades
durent aussi aux prières du bienheureux frère de recou-
vrer la santé.
Les miracles qu'il accomplit, et surtout ses vertus, valu-
rent au bon frère l'estime et la vénération universelles. Les
religieux de son Ordre, les prêtres et les laïques lui
demandaient d'intercéder pour eux auprès de Dieu. Un
franciscain a déclaré qu'en maintes occasions il avait
éprouvé les bons effets de l'aide du bienheureux.
Dieu, dit-on, révéla à frère Alphonse les secrets de la
mort : c'est ainsi qu'il vit monter au ciel l'âme pure d'un
de ses amis, frère Julien. Il connut aussi par avance le
moment où il devait lui-même quitter la terre. En pas-
sant à Oiïhuela, pris tout à coup d'une faiblesse momen-
tanée, il entra, pour se reposer, dans la maison d'un pieux
gentilhomme : « Vous demeurerez chez moi », lui dit
celui-ci, « jusqu'à votre parfaite guérison » ; à quoi le
bienheureux répondit : «Il faut que j'aille mourir à mon
o couvent de Elche ». Il y parvint, non sans peine, fit deux
LE BIENHEUREUX JULIEN. 319
fois sa confession générale, reçut les derniers Sacrements,
et s'endormit doucement dans le sein du Seigneur , le
13 juin 4601.
(Chron. de la prov. de Saint-Jean-Bapt.)
LE BIENHEUREUX JULIEN
DU TIERS ORDRE.
1597. — Pape : Clément VIII, — Roi d'Espagne : Philippe II.
SOMMAIRE : Vertus du frère Julien, et témoignage qu'en donne un de ses supé-
rieurs. — Estime où le tiennent même les mondains. — Ses contemplations et ses
extases. — Miracle qui accompagae sa mort.
Frère Julien naquit en Espagne. Jeune encore, il se
consacra au service de Dieu, en qualité de tertiaire, dans
le couvent de Notre-Dame de Lorette. Plus humble et
plus soumis que s'il eût été un esclave, il s'acquittait de
ses travaux les plus pénibles et les plus rebutants avec
une douceur et une patience inaltérables, sans une pa-
role, sans un murmure. Un gardien d'une grande piété
a déclaré plusieurs fois qu'il ne l'avait jamais entendu
prononcer un mot léger ou indiscret, et quand il avait
voulu soumettre sa vertu à de dures épreuves, il avait
toujours rencontré dans le bienheureux frère une âme
plus forte que toutes les souffrances physiques et mora*
les. Lui-même, à ces épreuves imposées, ajoutait des
épreuves volontaires, des jeûnes prolongés, des veilles,
une pauvreté extrême. Hiver et été, par la pluie ou le
soleil, il allait pieds nus et tête nue ; ses biographes
pisent qu'il avait le teint brûlé comme un africain. Sou-
320 XIII juin.
mis à toutes les prescriptions de la règle, môme à celles
dont il n'avait pas fait vœu, il accomplisssait les jeûnes
prescrits par saint Antoine. Quand le gardien lui ordon-
nait de prendre quelque nourriture avant de se mettre
en route, il lui demandait la permission d'emporter un
léger morceau de pain, qu'il mangeait, chemin faisant, à
l'heure réglementaire.
Quoiqu'il eût fort peu de rapports avec les mondains, il
était l'objet de l'estime de tous. Il parlait peu, et toujours
de Dieu. Dès qu'il avait un moment à lui, il courait s'a-
genouiller dans quelque endroit solitaire, pour y élever en
paix son âme à Dieu. Il avait une si grande dévotion à la
Vierge, que souvent, absorbé qu'il était dans la ferveur
de ses prières, il en oubliait le manger et le boire, et
qu'il vivait, dit le chroniqueur, de la nourriture céleste
que les Anges lui apportaient.
Ses occupations de la journée ne lui laissant pas, à
son gré, assez de temps pour penser à Dieu, il restait à
genoux après les matines, plongé dans de divines con-
templations ; et comme on lui demandait les motifs d'une
si longue oraison : « Je contemple », répondit-il, « les
« mystères du rosaire de la très-sainte Vierge ». La Mère
des Anges récompensa cette ferveur par de divines
jouissances. Une nuit, frère Alphonse Rubius et quelques
autres religieux purent voir le frère Julien resplendissant
comme un astre. Un pieux franciscain, en prières dans
sa cellule, eut une vision merveilleuse : une longue pro-
cession de Frères Mineurs et de Clarisses, au nombre de
plus de six cents, défila aux deux côtés de frère Julien,
alors à genoux dans le chœur, en chantant les saints
cantiques.
PÈRE PIERRE DE SIENNE. 321
Le Seigneur accomplissait ces prodiges en faveur du
pieux frère ; il y a plus : il lui donna le droit et le pou-
voir d'en accomplir lui-même en son nom. C'est ainsi
qu'à Alicante, à la table d'un pauvre qui lui faisait par-
tager son repas, il renouvela le miracle de la multipli-
cation des pains.
Quand vint l'heure de la mort pour ce saint homme,
il se confia à Dieu avec une pieuse ferveur, et son âme
radieuse monta au ciel, où l'attendait la récompense.
C'était le 13 juin 1597 ; il habitait alors au couvent d'El-
che. On rapporte que, au moment même où il expira, un
frère du couvent de Notre-Dame de Lorette, son ancienne
résidence, vit un chœur d'Anges s'envoler vers les cieux,
emportant sur leurs ailes une âme resplendissante
comme le soleil, et dont les rayons apportaient à la fois
la lumière et un parfum céleste ; en même temps, une
voix disait : Frère Julien vient de mourir.
(Chron. de la prov. de Saint- Jean-Bapt .)
PERE PIERRE DE SIENN'E
1613. — Pape : Paul V. — Roi d'Espagne : Philippe III.
En 1613 mourut aussi au couvent d'Elche, en grand
renom de sainteté, un homme d'une science profonde et
d'une vie austère, Pierre de Sienne, dont les sermons
éloquents avaient produit les meilleurs fruits à Valence,
à Carthagùne, à Murcie et à Madrid. Il passa successive-
ment par les dignités inférieures de l'Ordre, fut nommé
Palm. Séraph. — Tome VI. 21
322 XIII JUTN.
provincial à l'âge de trente-trois ans. Il n'y avait pas plus
de onze ans qu'il avait prononcé ses vœux. Mais, avec
l'ardeur du bien qui perfectionne, l'activité qui se trans-
porte partout, les yeux qui surveillent et la forte voix
qui réprimande, il avait dès cet âge une vie sans tache,
austère, digne d'être proposée comme exemple. Jamais,
d'ailleurs, il ne se soumit à de plus rudes mortifications
que pendant les années où il exerça, à deux reprises dif-
férentes, la charge de provincial.
Les grands personnages de l'Espagne lui témoignaient
les mêmes respects qu'à un prince ; le duc de Lerme
voulut le nommer évêque d'Orihuela.
Le Père Pierre de Sienne prit les germes de la maladie
qui devait l'enlever à la suite d'une action imprudem-
ment charitable. Il se rendait, par un mauvais temps, de
Valence à Carthagène, quand il rencontra une pauvre
femme en haillons, à qui il donna son manteau. Le len-
demain, il était obligé de se mettre au lit, et quelques
jours après, il mourut.
Cinq ans après sa mort, on retrouva son corps parfai-
tement conservé dans sa robe de franciscain. Seulement
une plaie au bras laissait échapper de l'eau mêlée de
sang.
{Chron. de la prov. de Saini-Jean-Bapt.)
LE BIENHEUREUX PÈRE JEAN. 323
QUATORZIÈME JOUR DE JUIN
LE BIENHEUREUX PÈRE JEAN
1525. — Pape : Clément VII. — Roi de France : François Ior.
Le Père Jean, issu du sang des rois portugais, quitta,
jeune encore, son pays natal pour aller vivre inconnu et
servir le seul Roi du ciel dans quelque pays éloigné. Il
se fit recevoir frère mineur à Châlon, en Bourgogne.
Soldat de Saint-François, il marcha sous son étendard
avec l'ardeur de la jeunesse et la calme intrépidité de
l'âge mûr. Selon le mot de son biographe, il ne tarda
pas à devenir l'un des généraux de cette sainte milice. Sa
pauvreté, sa soumission à la règle, ses vertus religieuses
étaient proverbiales.
Ce ne fut pas sans peine qu'on le décida à accepter la
dignité de gardien ; dans son humilité excessive, il eût
voulu se faire le serviteur du dernier des novices. Il
s'acquitta, d'ailleurs, de sa charge avec honneur, et n'eut
jamais la pensée d'user de sa prééminence que pour
donner plus encore, s'il était possible, l'exemple de toutes
les vertus. Son couvent devint un modèle de perfection
religieuse ; la seule décoration de la chapelle, à la fois
grandiose et sévère, faisait descendre au fond des âmes
des idées de recueillement et de piété.
Il eut le don de miracles et de seconde vue.
C'est le 14- juin 1525 que Dieu rappela à lui ce dévoué
serviteur, et qu'il lui ouvrit toutes grandes les portes de
324 XIV JUIN.
l'éternel royaume. Sa mort fut, comme sa vie, signalée
par des prodiges, et son tombeau devint pour les habi-
tants du pays un lieu de pèlerinage. La vénération des
fidèles lui éleva un sépulcre de marbre, sur lequel
étaient gravées les armes du Portugal.
(Cardose.)
PIERRE DE PORTUGAL
FRÈRE LAI
Vers 1550. — Pape : Paul III. — Roi de Portugal : Jean III.
Cardose place à la date du quatorzième jour de juin,
dans son martyrologe des saints et des bienheureux por-
tugais , la mémoire de frère Pierre. Dans son humble
condition de frère lai, Pierre fut un grand prédicateur et
un apôtre infatigable. Son zèle pour le service de son
Dieu et pour la perfection de son prochain le décida, en
1530, à partir pour le Pérou, qui venait d'être conquis
par François Pizarre. Il fut l'un des douze premiers mis-
sionnaires qui entreprirent de convertir à la foi du Christ
les habitants idolâtres de cette contrée, et qui fondèrent
la célèbre province franciscaine dite des Douze- Apôtres.
Pierre parcourut le Pérou dans tous les sens, pendant
de longues années, sans prendre un jour de repos, insou-
ciant des dangers çui pouvaient le menacer. Il éclaira de
la divine lumière de l'Evangile des milliers d'âmes plon-
gées jusqu'alors dans les ténèbres de l'idolâtrie. Derrière
lui s'écroulaient les temples des faux dieux, et sur leurs
LA BIENHEUREUSE CASTORA- 325
ruines s'élevaient comme par enchantement d'humbles
chapelles ou des églises splendides. La croix de Jésus à
la main, il marchait pieds nus, sans défense, confiant
dans la divine Providence, qui ne l'abandonna jamais au
milieu des épreuves et des souffrances. Il a rendu à son
Ordre et à la religion d'immenses services, et laissé un
nom célèbre, à juste titre, dans les annales de l'apos-
tolat.
On sait, sans pouvoir le préciser, qu'il a accompli un
grand nombre de miracles ; le jour, l'année et l'heure
où il mourut sont restés inconnus.
(Papebroeck.)
LA BIENHEUREUSE CASTORA
VEUVE, DU TIERS ORDRE.
1391. — Pape : Urbain VI. — Roi de France : Charles VI.
La bienheureuse Castora était originaire de l'illustre
famille italienne des Gabriëli, qui a donné à l'Eglise des
évêques et des cardinaux, au monde des généraux intrépi-
des et habiles. Elle était fille d'un comte Gabriëlo. Jeune,
belle, riche, elle pouvait aspirer à tous les honneurs et
à tous les plaisirs delà terre; le comte de San-Angelo
in Vado, docteur en droit canon et en droit romain, et
seigneur de deux châteaux, rechercha sa main, et, appuyé
par son père, l'épousa. Mais il y avait entre elle et son
époux incompatibilité d'humeur et de goûts; autant elle
était pieuse, douce, amie du calme et de la retraite,
326 XIV JUIN.
autant il était mondain, bruyant, avide de plaisirs et
incapable de modération. Les années qu'elle passa avec
lui furent comme un long martyre. Elle le supporta di-
gnement, en servante résignée du Seigneur.
Après la mort de son époux, la bienheureuse Cas-
tora songea à mettre à exécution le projet qu'elle nour-
rissait, depuis son enfance, de se consacrer à Dieu. Elle
en demanda la permission à son fils; puis, après avoir
distribué son bien aux pauvres, elle revêtit la robe du
Tiers Ordre de Saint- François. Les quelques années
qu'elle vécut encore se passèrent dans la pratique des
mortifications et des austérités, le jeûne, la prière, les
veilles. Elle avait une grande dévotion au saint Sacre-
ment de l'Eucharistie.
C'est en 1391, le 14 juin, que Dieu la rappela à lui. On
l'ensevelit à Madrid ; mais son fils fit transporter ses pré-
cieux restes à San-Angelo in Vado, où on les conserva
pieusement dans l'église du couvent de l'Ordre. Des mi-
racles s'accomplirent sur son tombeau où, aujourd'hui
encore, on a coutume de se porter en procession solen-
nelle le jour de l'Ascension de Notre-Seigneur.
(Papebroeck.)
CONSTANCE DE CASTRO
Constance de Castro, dont les chroniqueurs de l'Ordre
placent le souvenir au quatorzième jour de juin, était
la nièce du comte de Lemos et l'épouse de Rodrigue Diaz
d'Andrada, général commandant les armées de Ferdi-
LE BIENHEUREUX ANGE DE CINGOLI 327
nand contre les Maures grenadins. Elle a fait partie du
Tiers Ordre de Saint-François, où elle est restée célèbre
pour ses vertus. Elle fut ensevelie au couvent de Vivero,
en Galice. Longtemps après sa mort, en 1611, on ouvrit
son tombeau, et on y trouva son corps dans un état de
parfaite conservation. A l'occasion de ce miracle, on lui
éleva un riche sépulcre de marbre, et sur l'ordre de
l'évêque de Mindon, de savants religieux racontèrent sa
vie et ses vertus.
(Wadding.)
QUINZIEME JOUR DE JUIN
ANGE DE CINGOLI
SECOND SUPÉRIEUR DES CLARINS
1337. — Pape : Benoît XII. — Roi de France : Philippe VI.
SOMMAIRE : Perfection religieuse du bienheureux Ange. — Sa mission en Arménie.
— Les <i pauvres ermites de Célestin n . — Premières tribulations du bienheureux
Ange. — Il retrouve quelque tranquillité et fonde un couvent près d'Ascoli. —
Nouvelles épreuves. — Ange et ses compagnons sont traités comme infidèles et
chassés du royaume de Naples. — Longues souffrances du bienheureux Ange. —
Dernières années de sa vie. — Sa mort.
Ange naquit vers l'an 1245, à Cingoli, dans les Marches.
Ce fut un savant docteur, un prédicateur éloquent, un
théologien de première force. Il eut pour maître le bien-
heureux Simon de Cassia, un saint homme, fort célèbre
pour sa science dans l'Ordre desAugustins.
La vie du bienheureux Ange de Cingoîi peut être citée
comme un modèle de soumission à la règle et de pau-
328 XV JUIN.
vreté évangélique. Il semble que l'âme du saint Père
François ait pris en lui une nouvelle forme corporelle,
tant il était désireux de suivre d'aussi près que possible
les traces du divin fondateur de l'Ordre. Son zèle attira
sur lui des haines, et pour éviter des dissensions tou-
jours funestes dans une société naissante, le général crut
devoir l'éloigner ; il l'envoya à Hay ton, roi d'Arménie, qui
avait demandé au saint Père quelques frères mineurs,
pour instruire ses sujets dans la religion catholique
romaine, au sein de laquelle ils désiraient entrer.
Les missionnaires furent reçus par le roi avec les plus
grands égards, et eurent, dès l'abord, toutes les facilités
d'accomplir leur pieux ministère. En vain les ennemis
du bienheureux Ange essayèrent-ils de le desservir au-
près de ce monarque étranger , le général de l'Ordre prit
sa défense, ses compagnons eux-mêmes déclarèrent que
le saint homme était la victime d'infâmes calomnies, et
depuis lors Hayton ne cessa de lui témoigner un respect
tout particulier.
Deux des compagnons du bienheureux Ange revin-
rent en Italie en 1294, quand saint Pierre de Moron,
ermite et fondateur de l'Ordre des Célestins, fut élevé à
la papauté sous le nom de Célestin V. Dans l'espoir que
le nouveau pontife les écouterait avec bienveillance, ils
vinrent lui demander la permission de se retirer dans
des couvents solitaires et silencieux, pour y vivre selon
leur règle. Le pape accéda à leur prière et donna pour
supérieur à la nouvelle confrérie le bienheureux Père
Liberato (1). Tant que vécut Célestin V, les supérieurs de
l'Ordre de Saint-François, malgré le mécontentement
(1) Voir, à la date du 17 avril, tome iv, p. 328, la biographie du Père Liberato.
LE BIENHEUREUX ANGE DE CINGOLI. 329
qu'ils éprouvèrent à voir ainsi cette branche se séparer
du tronc commun, n'osèrent pas s'y opposer ; mais après
sa mort, les pauvres ermites de Célestin se trouvèrent
tout à coup sans protecteur, et durent s'enfuir en Grèce.
Le bienheureux Ange, revenu lui aussi d'Arménie, les y
suivit.
Les exilés vécurent quelque temps d'une vie solitaire
et paisible dans une île voisiné du littoral. Mais bientôt
le provincial de Romanie ou de Constantinople, ayant
appris dans quelles circonstances ils s'étaient séparés de
l'Ordre de Saint-François, entreprit de les y rattacher.
Ils s'y refusèrent d'abord, forts de leur droit et de l'au-
torisation qu'ils avaient reçue du souverain Pontife, et
ils s'y refusèrent avec d'autant plus d'énergie que leurs
ennemis communs recommençaient avec plus de rage
leurs attaques. On les accusait d'être partisans de
l'hérésie des Manichéens , d'assister à leurs messes ,
d'avoir tenu des discours impies et contraires aux dog-
mes sur le très-saint Sacrement de l'autel et sur la toute-
puissance du pape et de la cour romaine. Toutes ces
calomnies, d'ailleurs, ne tardèrent pas à tomber d'elles-
mêmes. Les seigneurs, les princes, les grands person-
nages de la Grèce, des évoques et des prélats, se dé-
clarèrent les admirateurs et les protecteurs des pieux
ermites ; et le pape Boniface VIII, sollicité de rapporter la
bulle de Célestin V, qui leur conférait le droit de former
une confrérie séparée, répondit qu'ils valaient mieux
que leurs détracteurs. Malheureusement le pape était
fort occupé en ce moment du côté de la France, et
toute affaire étrangère l'impatientait. Les ennemis des
ermites revinrent à la charge et finirent par lui arra-
330 XV JUIN.
cher ce qu'ils voulaient, un ordre, aux archevêques de
Patras et d'Athènes, de chasser Ange et ses compagnons
de l'île qu'ils habitaient.
Ce fut pour ces pieux serviteurs de Dieu un temps
d'épreuves et de souffrances. Chassés de tous les lieux où
ils venaient chercher un asile, ils errèrent longtemps,
manquant de pain quelquefois, et toujours de tranquil-
lité et de repos. Enfin, grâce à l'intervention de l'arche-
vêque de Patras et de quelques grands personnages, ils
firent leur paix avec le général de l'Ordre. Les uns s'en-
foncèrent dans les Indes Orientales, pour y prêcher la
vraie foi ; les autres revinrent en Italie avec le bienheu-
reux Ange qui fonda un petit couvent au milieu des
collines d'Ascoli et de Nursie, sur les bords de la rivière
Clareno.
Ils n'y restèrent pas longtemps en repos. A la requête
du général de l'Ordre, le roi de Naples désigna à l'inqui-
siteur le bienheureux Liberato et ses frères, qui vivaient
dans le silence et la solitude entre les murs de leur pe-
tit couvent. Leur conduite fut l'objet d'une enquête mi-
nutieuse et sévère, et pendant un voyage que fit Li-
berato à Rome pour obtenir une audience du pape, ses
compagnons, objets d'une persécution indigne, furent
traités comme des hérétiques et des infidèles. Durant
cinq mois on les retint prisonniers, puis après les avoir
traînés enchaînés par tous les chemins du royaume de
Naples, on leur donna l'ordre d'en sortir. Mais Dieu, dit
le chroniqueur, ne laissa pas impunie une semblable ini-
quité : l'inquisiteur mourut peu de temps après, en re-
connaissant son injustice ; et deux ans plus tard le
roi de Naples allait, devant l'éternel tribunal, rendre
LE BIENHEUREUX ANGE DE CINGOLI. 331
compte de la façon dont il avait traité ses plus pieux
serviteurs.
Chassés du royaume de Naples, les austères réforma-
teurs errèrent un peu à l'aventure, tantôt soutenus, tan-
tôt abandonnés par le pape Clément V. Le successeur de
ce pontife, Jean XXII, leur fut plus désagréable encore,
excité qu'il était par leurs ennemis particuliers. Il manda
en sa présence le bienheureux Ange : « Etes-vous, oui
« ou non, frère mineur », lui dit-il. — « Je le suis. —
« Pourquoi, alors, vous être séparé de vos frères? » Et
il parlait avec un ton de voix dur et un visage irrité. Ange
expliqua au Saint-Père que c'était leur Ordre qui les avait
chassés de son sein, que le fondateur de la nouvelle
confrérie était le pape Célestin V, et qu'il n'en avait
lui-même pris la direction qu'après la mort des
premiers supérieurs, et pour maintenir la stricte ob-
servance de la règle. * D'ailleurs », ajoua-t-il, « je suis
a prêt à me soumettre à tout ce qu'ordonnera votre
« Sainteté » .
Cette humilité profonde ne désarma pas le pape ; sans
vouloir écouter la défense du bienheureux Ange, il le
fit jeter en prison à Avignon. Jusqu'à la mort de
Jean XXII, il traîna misérablement ses jours dans les in
pace de plusieurs couvents français, désespéré de man-
quer à ses frères, mais les soutenant de son mieux par
les lettres qu'il leur écrivait. Il les engageait à la cons-
tance et à la résignation dans les épreuves, et les conju-
rait de persévérer dans la voie où ils étaient entrés :
« Vous êtes », leur disait-il, « les vais fils de Saint-Fran-
a çois; tous ces religieux amollis ne sont pas de sa fa-
« mille ; il n'est le père que des fidèles observateurs de
332 XV JUIN.
« sa règle ». En même temps, il leur donnait les meil-
leurs conseils sur la façon dont ils devaient se soutenir
et se défendre les uns les autres dans les maladies et les
souffrances ; il leur citait des exemples de religieux vi-
vant encore selon la réforme au sein de quelques cou-
vents français : entre autres celui de Philippe, fils de
Jacques Ier, roi de Majorque et oncle de Jacques II. « Notre-
a Seigneur Jésus-Christ et l'âme de saint François », leur
disait-il, « se sont choisi pour tabernacle le corps de ce
saint homme, si humble, si pauvre, si austère, qui passe
« sa vie à jeûner, à veiller, à prier » .
Il eût pu lui-même se proposer pour modèle. « Je
i souffre dans cette prison plus que je ne saurais dire »,
écrivait-il un jour ; « mais tous mes maux ne sont rien
« en comparaison de ce que j'ai supporté durant les neuf
« années du pontificat de Clément V. Depuis trente ans
« on me persécute ; on m'a traîné, avec des chaînes aux
« pieds, dans tous les couvents situés entre Rome et
« Ancône, et on m'a enfermé trois jours dans chacun
« d'eux ; à Rome, pendant la semaine sainte, on m'a im-
a posé une pénitence publique; à Terra-Nuova, dans la
« Calabre, on m'a jeté pour deux années en prison sous
« la surveillance de geôliers impitoyables ; il n'est pas
« de ville ni de village dans tout le royaume de Naples
« où je n'aie subi au moins quelques jours de captivité,
«jusqu'à ce qu'enfin, à Messine, on me précipita dans le
« plus affreux des cachots » .
Enfin le saint homme, après soixante années de souf»
frances continuelles supportées avec une patience qui
n'a d'égale que la rage de ses persécuteurs, trouva
grâce devant ses ennemis et recouvra sa liberté. Il revint
LE BIENHEUREUX ANGE DE CINGOLI. 333
en Italie, où il put s'occuper en paix de sa chère con-
frérie des Clarins (1).
Sur la fin de sa vie, le bienheureux Ange vint habiter
le couvent de Santa-Maria de Aspro, dans le royaume de
Naples. C'était une solitude, cachée au milieu d'un bois,
sur le flanc d'une roche abrupte, non loin du Marsico-
Nuovo. La renommée de ses malheurs, sa sainteté, les
miracles qu'il accomplissait tous les jours, attirèrent au
lieu de sa retraite une foule de visiteurs. Quand il fut
atteint de la maladie qui devait l'emporter, l'affluence
redoubla. Sa cellule était sans cesse pleine de monde; il
fallut même en défendre la porte, pour lui permettre
du moins de mourir dans le recueillement et la paix. Il
renditl'âme le 15juinl337;et presque aussitôt, de toutes
les villes et de tous les villages des alentours accoururent
une multitude de fidèles avides de contempler encore
une fois ses restes mortels. On les voyait, pleins d'une
pieuse ardeur, se traîner à genoux depuis l'entrée de la
chapelle jusqu'au pied du grand-autel, où le corps était
exposé, et, les yeux débordant de larmes, baiser les pieds
du bienheureux et implorer son intercession dans le
ciel.
Des miracles s'accomplirent sur son tombeau.
(Wadding.)
(1) Ce petit Ordre religieux, qui avait une existence à part et un règlement spécial,
était sous la dépendance immédiate des évèques. Il subsista cent cinquante-cinq ans,
et se confondit ensuite, sous le pontificat de Sixte IV, avec les Franciscains. Quel-
ques Clarins se refusèrent d'abord à cette fusion; mais en 1511, le pape Jules 11
prononça leur dissolution définitive et leur enjoignit, ainsi qu'aux Colétains et aux
religieux du bienheureux Amddée, d'avoir à opter entre les Conventuels et les
Observantins.
334 XV JUIN.
LE BIENHEUREUX PIERRE
DIT LE PÈRE DES MALHEUREUX
1216. — Pape : Paul V. — Roi de France : Louis XIII.
Nous trouvons au quinzième jour de juin le souvenir
du bienheureux Pierre , dit le père des malheureux.
En 1213, quand saint François faisait route par l'Es-
pagne, pour passer en Afrique, il lui donna l'habit et le
chargea d'aller établir son Ordre dans la province d'As-
torga. Pierre fonda un couvent à Oviédo, en 1214. C'est
là qu'il reçut de la reconnaissance des populations le
surnom de père des malheureux.
Le bienheureux Pierre eut le don de miracles; il mou-
rut en 1216. Longtemps après, en 1487, ses précieux
restes furent exhumés, sur l'ordre et aux frais d'Alphonse
de Baldez , gouverneur de la province d'Astorga , et
transportés devant la porte de l'église. Plus tard encore,
en 1594, une nouvelle exhumation eut lieu en présence
de Louis Carillo de Mendoza, lui aussi gouverneur de la
province, et de plusieurs autres grands seigneurs du
pays. Les précieuses reliques étaient enfermées dans trois
châsses, entourées de fines toiles, dont le gardien, le Père
Louis de Quiros, donna quelques lambeaux aux assis-
tants, avec de petits ossements du bienheureux ; puis
on transporta ce qui restait de Pierre à une place d'hon-
neur.
Tous les ans, on célèbre sa fête, et par son intercession
s'accomplissent encore de nombreux miracles.
(GONZAGUE.)
PÈRE ANTOINE D'AVIIA. 335
ANTOINE D'AVILA
1616. — Pape : Paul V. — Roi d'Espagne : Philippe III.
SOMMAIRE : Austérités et mortifications du Père Antoine. — Ses jeûnes, ses
disciplines. — Sa réponse au roi Philippe III, — Il est nommé gardien, puis pro-
vincial. — Humilité du bienheureux Antoine. — Sa dévotion au saint sacrifice de
l'autel. — Sa piété. — Ses visions. — Son heureuse influence. — Ses épreuves
sur la fin de sa vie. — Sa morU
Le Père Antoine naquit à Avila, et entra, jeune encore,
aux Frères Mineurs de la province de Saint-Joseph, dont
il est l'une des gloires. Chaque année, il s'imposait les
sept jeûnes de saint François, vivant de pain et d'eau,
de quelques fruits et d'un peu de soupe pendant sept fois
quarante jours. Les veilles des grandes fêtes, il se pré-
sentait au réfectoire à demi nu, avec déjeunes religieux, et
là, en présence de la communauté, il faisait jaillir son
sang sous les coups de discipline. On lui disait un jour
que de semblables mortifications ne convenaient pas à
son grand âge : « Et moi », répliqua-t-il, « je crois que,
« bien plus que pour les novices, c'est pour moi un devoir;
« ne faut-il pas que je demande à Dieu pardon des fautes
« que j'ai commises autrefois contre la règle de l'Ordre ».
Il marchait toujours nu-pieds. Le roi Philippe III le
remarqua, à l'âge de quatre-vingts ans, dans une pro-
cession qui se faisait par un froid extrêmement vif:
« Pourquoi, mon Père », lui dit-il, « ne prenez-vous pas
« plus soin de \ous ?» — « Je n'en ai plus le temps »,
répondit le saint homme; « j'ai trop à faire déjà pour
«trouver grâce auprès de Dieu ». Et il se remit en
336 XV JUIN.
marche ; mais le roi, qui se plaisait à lui témoigner du
respect, le fit monter dans sa voiture.
Le Père Antoine ne buvait jamais que de l'eau ; il
n'avait pour tout bien qu'une vieille robe de moine,
un bréviaire et une gravure représentant la Mère de
Dieu. On le nomma provincial ; il n'en resta ni moins
pauvre ni moins soumis à la règle. Son humilité faisait
le désespoir de ses frères. Il leur demandait souvent
d'intercéder pour lui auprès de Dieu , indigne qu'il
était, pensait-il, de prier lui-même. Au grand couvent
de Saint-Guy, à Madrid, où il habita longtemps sur la
fin de sa vie, il s'occupait des fonctions les moins agréa-
bles, comme de raccommoder les habits, de les nettoyer,
de faire la besogne des frères lais, qui s'en plaignaient,
mais n'avaient rien à répondre à des arguments comme
celui-ci : « Vous êtes jeunes, mes frères , vous avez
« encore bien du temps devant vous pour vous occuper
« d'œuvres pies ; moi, je suis vieux, il faut que je me
« hâte; car mes jours sont comptés ».
Il semble que le Seigneur lui ait fait des révélations
toutes spéciales sur la nécessité qu'il y a pour les reli-
gieux d'être avant tout humbles de cœur : c'est la vertu
qui met le mieux en lumière les autres. Tous les jours
il servait la messe autant de fois que cela lui était pos-
sible, même lorsqu'il eut été nommé provincial, et les
assistants croyaient voir un Ange du ciel assister le
prêtre, tant sa ûgure était empreinte d'une sérénité et
d'une douceur plus qu'humaines. Jusqu'à midi, il restait
dans l'église, occupé à prier ; à la nuit tombante , il
revenait au chœur, pour n'en sortir qu'à trois heures du
matin. Il se confessait souvent, et se préparait par tous
PÈRE ANTOINE D'AVILA. 337
les moyens possibles à bien dire sa messe. A plusieurs
reprises, durant le jour et pendant la nuit, il s'agenouil-
lait devant le Saint-Sacrement et récitait les sept psaumes
de la pénitence ou son rosaire , ou bien méditait en
silence sous le regard de Dieu. Ces contemplations furent
souvent accompagnées de visions ou de révélations; mais
sur ce point, il a toujours gardé une extrême réserve.
Le bienheureux Antoine, par une faveur toute spéciale
du Seigneur, avait sur les âmes de ses pénitents une
influence extraordinaire. Personne mieux que lui ne les
ramenait à la vertu ; les plus grands coupables, en s'ap-
prochant de lui, se sentaient par ce seul contact soulagés
d'un poids énorme et en quelque sorte déjà purifiés de
leurs fautes. On cite en particulier l'exemple d'un
prêtre qui avait apporté dans l'exercice de ses fonctions
une légèreté criminelle, et dont l'âme inquiète voyait
avec effroi venir l'heure de la réparation. Antoine l'en-
couragea, le débarrassa de ses craintes exagérées et
l'aida à mourir dans une douce sérénité.
Le bienheureux avait toujours désiré souffrir pour
l'amour de son Dieu ; ses vœux furent souvent exaucés.
Après qu'il eut été nommé gardien du nouveau couvent
de Séville, des religieux jaloux de cette dignité ne lui
épargnèrent aucune sorte d'attaque, ni les railleries, ni
les médisances, ni les calomnies ; mais il tint bon et
resta au poste d'honneur qui lui avait été assigné.
Quelque temps après il dut le quitter, et ce fut pour lui
une épreuve fort pénible. Le gouverneur de Séville
occupa le couvent et le remplit de soldats; en même
temps le général de l'Ordre, s'imaginant que le Père
Antoine avait, par son attitude, provoqué cette mesure,
Palm. Séuaph. — Tome VI. 22
338 XV JUIN.
l'appelait à Madrid, en lui intimant l'ordre d'obéir aux
gardiens de tous les couvents qu'il rencontrerait sur son
chemin. L'un d'eux, sans forme de procès, le fit jeter en
prison. En ce moment le saint homme était tellement
abattu de corps et d'esprit, qu'il avait peur de mourir
tout seul en ce cachot. Il offrait à Dieu ses souffrances
en répétant les paroles de Jésus au jardin des Oliviers,
quand tout à coup il entendit une voix qui disait : « Mon
« fils, tu as obtenu aujourd'hui ce que tu m'as demandé;
o si je ne te l'ai pas accordé plus tôt, c'est que ce n'est
«pas une nourriture qui convient atout le monde».
Antoine sentit une telle joie envahir son être , qu'il
croyait être au ciel. Peu d'heures après, d'ailleurs, le
gardien qui l'avait enfermé, touché de son grand âge, le
relâcha en lui demandant pardon des mauvais trai-
tements qu'il lui avait fait subir.
Le bienheureux était âgé de plus de quatre-vingts ans,
quand il mourut à Madrid, au couvent de Saint-Guy,
le 15 juin de l'année 4C16. Le Père François de Gogol-
ludo (1), un autre saint homme, vit son âme monter
triomphante vers le ciel. Quand on porta ses précieux
restes au couvent de Saint-Bernardin, où il devait être
enseveli, une foule innombrable suivit son cercueil ; et
des guérisons miraculeuses s'accomplirent, dit-on, par
son intercession.
(Chron. de la prov. de Saint- Joseph.)
(1) Voir dans le Palmier Séraphique, tome I, p. «2, la vie du bienheureux
François de Cogolludo.
PÈRE JOSEPH DE SAINTE-MARIE. 339
JOSEPH DE SAINTE-MARIE
1605. — Pape : Clément VIII. — Roi d'Espagne : Philippe III.
SOMMAIRE : Conduite peu édifiante de Ferùinand-Ximénès. — Sa conversion. —
Il entre dans l'Ordre des Frères Mineurs. — Son noviciat. — Ses vertus reli-
gieuses. — Il devient le modèle de tous ses frères. — Il exerce les dignités de
l'Ordre. — Sa pauvreté. — Ses mortifications. — Sa chasteté. — Sa modestie.
— Ses pèlerinages. — Il est nommé provincial. — Respect et amitié que lui témoi-
gnent les grands dignitairea de l'Eglise et les princes de la terre. — Persécutions.
— Sa mort.
Cet homme remarquable naquit à Montemolin, dans
la province d'Estramadure, en Espagne, et reçut au
baptême le nom de Ferdinand-Ximénès. Elevé dans le
monde et pour le monde, il se maria avec une femme
vertueuse, qu'il plut à Dieu de lui enlever après quelques
années d'union. Ce malheur le jeta dans le sein de
l'Eglise: il se fit prêtre ; mais l'on ne peut pas dire, à son
honneur, que, en dépouillant les vêtements mondains, il
ait dépouillé le vieil homme, et que sa vie religieuse fut
tout de suite irréprochable et digne d'être proposée
comme modèle.
Ferdinand-Ximénès prit ses grades à Salamanque et ne
tarda pas à obtenir le titre de licencié en droit canon et
en droit romain. C'était bien l'étudiant le moins paci-
fique qui fut jamais. D'une force colossale et très-
habile aux exercices du corps, il se mêlait à toutes
les rixes , sans souci de sa robe de prêtre , et qu'il
rapportait souvent en lambeaux. En ce temps-là vint
à Salamanque un saint homme , le Père Alphonse
340 . XV JUIN.
Loup (1), prédicateur célèbre, dont les sermons ont pro-
voqué un grand nombre de conversions et de vocations
religieuses. Il se prit d'intérêt pour Ferdinand, qui tout
d'abord en parut peu flatté ; car non-seulement il refusa
d'assister à ses sermons, mais il ne permit même pas
que l'on prononçât son nom devant lui. Un de ses amis,
à force d'habileté, le décida à venir entendre le prédi-
cateur: «Eh bien », lui dit-il, c allons donc voir si ce loup,
« qui fait de si grands massacres, mangera aussi un
« homme». Ce jour-là, il s'opéra en Ferdinand une trans-
formation absolue, et quelque temps après il entra dans
un couvent de Frères Mineurs Observantins.
Il y vécut quatre mois d'une façon exemplaire, après
quoi il reçut à Gadahalso l'habit de l'Ordre des mains du
Père Alphonse lui-même. Son année de noviciat se passa
mieux qu'on ne pouvait l'espérer, dans les œuvres de
piété et d'humilité, les jeûnes, les veilles, les mortifica-
tions de toutes sortes. Autant le monde l'avait attiré
autrefois, autant il lui inspirait maintenant une in-
vincible répulsion ; il en voyait les vanités et les men-
songes, et ne songeait plus qu'à se faire pardonner, au
pied des autels, les fautes dont il s'était rendu coupable.
Ferdinand eut le bonheur d'avoir pour directeur et
maître le neveu de saint Pierre d'Alcantara, qui se prit
pour lui d'une véritable amitié, et le garda, en quelque
sorte par la main dans les sentiers difficiles de la per-
fection religieuse. Ce que le pauvre novice eut à tra-
verser d'épreuves est presque incroyable ; il sortit
de là pur comme un métal passé au feu. La fin de son
(1) On trouvera dans la Palmier Sérnphique, au huitième jour d'avril, la vie
du bienheureux Loup.
PERE JOSEPH DU SAINTE MARIE. 341
noviciat approchant, il s'en vint un jour, après les
matines, presque nu, demander au provincial la per-
mission de prononcer ses vœux; il resta à la porte,
en plein hiver, sans murmurer, attendant qu'on l'ap-
pelât dans la cellule de son supérieur, et par un froid si
vif qu'un religieux, le voyant grelotter, le prit en pitié et
le couvrit de son manteau.
Ce fut bien mieux encore, quand il fut devenu profès,
et les plus vénérables religieux eux-mêmes purent
prendre sur lui modèle de toutes les vertus. Il semblait
vivre d'austérités et de mortifications, et l'on eût dit que
son corps avait, pour se soutenir, besoin de jeûnes et de
coups de discipline. Toujours vêtu de la haire, une cein-
ture garnie de pointes autour des reins, il pratiquait
chaque année les sept carêmes de saint François, en tout
temps, en toute circonstance, qu'il fût malade ou en
bonne santé, au couvent ou en voy.'ge. Dans la plus ex-
trême vieillesse, tout usé qu'il était par l'âge et par les
austérités, malgré ses médecins qui le conjuraient de
reprendre des forces au moyen d'une nourriture solide,
il ne consentit jamais, à l'époque des jeûnes, à manger
autre chose que du pain trempé dans de l'eau. En vain
lui disait-on qu'il abrégeait sa vie et que Dieu l'avait mis
sur la terre pour y demeurer le plus longtemps possible:
a Saint François», répondait-il, « s'est soumis à de plus
« rudes mortifications, sans crainte d'exciter le courroux
« de Dieu » .
Rien d'étonnant que ce saint homme ail été à diverses
reprises promu aux plus hautes dignités de l'Ordre ; tour à
tour gardien, commissaire, inspecteur de plusieurs pro-
vinces, président de deux chapitres généraux et deux
342 XV JUIN.
fois provincial de Saint-Joseph, il ne cessa jamais d'ex-
horter ses frères à la perfection, plus encore par son
exemple que par ses paroles. Il donnait l'habit de
l'Ordre, toujours avec le même bonheur, aux étudiants
comme aux soldats, aux nobles comme aux paysans,
sans distinction de rangs ni de personnes. Son affection
paternelle envers ses inférieurs s'étendait sur tous avec
une égale sollicitude et une égale tendresse ; il ne négli-
geait que lui seul.
En effet, durant les quarante années qu'il passa dans
l'Ordre, il n'usa que trois robes. Les deux premières, à
force de reprises, de pièces et de morceaux, avaient l'as-
pect du monde le plus pitoyable ; il se refusait cependant
à en accepter une autre, et pour l'y contraindre, il fallut
que ses frères, sous prétexte de les réparer, les lui mis-
sent en lambeaux ; on l'ensevelit dans la troisième. Son
mobilier consistait en une gravure grossièrement faite,
qui représentait la Vierge Marie, et une planche toute
nue qui lui servait de lit.
D'ordinaire il demeurait jusqu'à onze heures et demie
dans un coin de l'église, abîmé dans ses contemplations ;
puis il rentrait dans sa cellule pour prendre quelque
repos, et à minuit il était le premier au chœur pour
chanter matines. Il est vrai que, pour ne pas trop briser
ses forces, il se permettait une fois par mois un sommeil
réparateur, aussi long que le demandait la nature. Dieu,
d'ailleurs, le récompensait de cette lutte courageuse
contre l'humaine faiblesse , par des jouissances spiri-
tuelles. Plus d'une fois ses frères le virent soulevé de
terre dans un tourbillon de lumière, et la figure toute
resplendissante.
PÈRE JOSEPH DE SAINTE-MARIE. 343
Du jour où il entra dans l'Ordre, le saint homme rom-
pit tout commerce avec les femmes ; il ne s'entretenait
avec elles qu'à regret, et seulement dans les cas d'ab-
solue nécessité, les yeux opiniâtrement fixés à terre, la
pensée toute pleine de Dieu. Il y a plus : pour s'éloigner
du monde autant qu'il lui était possible, il ne visitait
jamais ses pénitents dans leurs maisons; et on ne le
voyait guère hors du couvent que pour les besoins de
l'Ordre, soit qu'il s'acquittât de ses devoirs de provincial
ou de gardien, soit qu'il recueillît des aumônes. En re-
vanche, nuit et jour il s'occupait d'œuvres pies ; on le
trouvait au chœur presque à toute heure; il y demeurait
après les matines jusqu'au lever du soleil, plongé dans de
profondes contemplations ; puis il s'imposait de rudes
travaux, prenait soin du jardin, plantait des arbres, fai-
sait la lessive, nettoyait le couvent, en un mot ne négli-
geait rien de ce qui pouvait ressembler à la mortification
et à la pénitence.
Quoique licencié en droit et fort estimé pour sa science,
il ne chercha jamais à mériter, dans l'Ordre, le titre de
savant, mais bien celui de sage, à la manière des saints,
en avançant toujours plus loin dans le chemin de la
perfection. Sous ses vêtements, il portait une haire en
crin ; une corde à nœuds lui servait de rosaire.
Il fit deux fois le pèlerinage de Rome, pieds nus, tête
découverte, sans souci du soleil ou des frimas, sans
emporter de provisions , persuadé que la divine Provi-
dence ne l'abandonnerait pas. Lorsque, au milieu de
l'hiver, dans les gorges des montagnes, la neige était
durcie et déchirait les pieds, il permettait à son compa-
gnon de mettre ses sandales; pour lui, il continuait à mar-
344 XV JUIN.
quer de son sang les chemins tout blancs. On ne saurait
raconter ce qu'il a volontairement souffert en faisant ses
tournées d'inspection dans sa province ou dans les
autres. Sans s'inquiéter si, la nuit venue, il trouverait
un gîte, il partait le matin, et presque toujours couchait
sous le ciel, loin de toute habitation ; le lendemain, il
s'éveillait aux premiers rayons de l'aurore et se remet-
tait en route. Tous les temps lui étaient bons, la pluie ou
le soleil, la grêle, la neige, le vent, l'été ou l'hiver ; il
était insensible pour lui-même, et s'occupait seulement
de son compagnon. Quand ils avaient fait ensemble
sept ou huit milles , c'était lui presque toujours qui
allait quêter et qui préparait la nourriture. Dans les
maisons mondaines, même après de longues routes, il
n'oubliait jamais de lire ses matines à minuit, et il s'im-
posait les mêmes mortifications que s'il eût été au cou-
vent. Enfin les pauvres n'avaient pas au monde d'avocat
plus ardent et plus infatigable, et le seul exemple
de sa frugalité extrême suffisait pour inspirer à ses
frères le désir de s'imposer des privations au profit des
malheureux.
L'obéissance n'était pas non plus la moindre de ses
vertus religieuses, et il en donna un jour une preuve
bien frappante. Un frère s'était plaint au commissaire
général d'un prétendu abus de pouvoir du Père Joseph,
et le commissaire, sans examiner l'affaire, manda tout
d'abord le saint homme à Tolède. 11 visitait alors les cou-
vents de sa province, et se trouvait à plus de quarante
lieues de la ville métropolitaine quand il reçut la lettre
de son supérieur. Sans hésiter un seul moment, sans
même achever son repas commence, il partit, marcha
PÈRE JOSEPH DE SA.INTE -MARIE. 345
jour et nuit, et ne s'arrêta qu'à Tolède. Puis il courut
chez le commissaire, et après lui avoir demandé sa bé-
nédiction, le visage prosterné contre terre, sans man-
teau, comme un novice, il écouta avec une humilité
profonde de longs reproches, et, les yeux pleins de
larmes, il reconnut qu'il était indigne de la charge de
provincial et que ses frères avaient mille fois raison de
se plaindre de lui ; enfin il pria le commissaire de lui
donner immédiatement un successeur. Ce fut au supé-
rieur à s'excuser à son tour ; car cette résignation évan-
gélique l'avait profondément touché. Il releva le Père
Joseph, l'embrassa, lui demanda pardon de ses paroles
trop vives et trop dures, et lui déclara qu'il entendait le
maintenir dans sa charge, parce que personne ne la
pouvait remplir aussi saintement.
Le Père Joseph eut avec le général de l'Ordre une
affaire à peu près semblable. Il avait obtenu du pape la
permission de fonder un couvent à Séville, et il y tra-
vaillait avec ardeur, quand le général de l'Ordre, ému
tout à coup des plaintes des Observantins, le manda à
Séville. Le Père Joseph obéit sur-le-champ et écouta à
genoux, le visage plein de larmes, les reproches de son
supérieur, sans tenter un mot pour sa justification. Sur
les entrefaites, on vint prévenir le général que l'heure
de sa messe avait sonné ; il partit et laissa le Père seul
dans sa cellule. Quel ne fut pas son étonnement, à son
retour, de trouver le saint homme dans la même posi-
tion humble et repentante ; il le releva, et il allait sans
doute lui pardonner comme on fait pour un coupable
touché de sa faute, quand le bon Père lui montra le bref
du pape. Depuis ce moment, le général eut pour le bien-
346 xv juin.
heureux la plus grande estime ; et il a déclaré souvent
que, de tous les provinciaux de l'Ordre, c'était lui qu'il
estimait le plus.
Les prélats, les princes de l'Eglise, le pape lui-même,
avaient pour le bienheureux Père Joseph une admiration
et un respect sans bornes. Ils vénéraient en lui un élu
du Seigneur, envoyé sur la terre pour inspirer aux
hommes l'amour de Dieu et leur enseigner la pratique
de toutes les vertus. Clément VIII songea même à le faire
nommer général de l'Ordre; mais quand le cardinal
Mattei vint proposer au saint homme cette dignité, il se
heurta à une humilité si profonde, que le souverain Pon-
tife, à son grand regret, dut renoncer à son projet.
Entre autres faveurs que le Père Joseph reçut du ciel,
il faut placer au premier rang l'esprit de prophétie et le
don de seconde vue. Il lisait dans les cœurs comme dans
un livre ouvert, et les hommes n'avaient pas de secrets
pour lui. Le marquis de Villena, autrefois vice-roi de
Sicile et d'Espagne, et maintenant ambassadeur à la cour
de Rome, l'attesta à plusieurs reprises. Il avoua même
plus d'une fois qu'il n'aurait pas osé se présenter au saint
homme, s'il n'eût été en état de grâce. 11 avait une telle
confiance dans l'efficacité de ses prières, qu'il ne crai-
gnait pour lui-même ou pour ses proches aucun danger,
lorsqu'il s'était recommandé au bon Père. Il prenait
plaisir à passer de longues heures dans sa cellule et à
s'entretenir avec lui de ses intérêts éternels. C'est ainsi
qu'il fut souvent le témoin involontaire des célestes
jouissances dont Dieu comblait son pieux serviteur ; il a
raconté à de hauts personuages de l'Eglise ou de l'Etat
qu'il avait vu le Père Joseph enveloppé d'une lumière
PÈRE JOSEPH DE SAINTE-MARIE 347
éblouissante, soulevé de terre, et comme s'il allait monter
au ciel sur les ailes de l'amour et de la foi.
On attribue aussi au Père Joseph des cures miracu-
leuses. Le même marquis de Villena tomba un jour dans
un puits, où il se serait infailliblement noyé sans l'inter-
vention aussi efficace qu'inattendue du saint homme.
Un gentilhomme de la cour, atteint d'une maladie de
la gorge, que les médecins avaient déclarée mortelle, fut
guéri par un signe de croix tracé par le Père Joseph au-
dessus de sa tête.
Comment croire qu'un aussi pieux personnage, aussi
évidemment comblé de toutes les bénédictions du ciel,
ait jamais pu se voir en butte à de mesquines persécu-
tions? C'est cependant ce qui arriva. Vers la fin de sa vie,
un ordre inique de ses supérieurs l'arracha tout à coup
à la province qu'il dirigeait et l'enferma dans un couvent
inconnu, où on le mit au secret le plus absolu, avec
défense non-seulement de recevoir ses amis dans sa
cellule, mais de correspondre par lettres avec qui que ce
soit. Le vénérable religieux supporta cette épreuve avec
une résignation admirable qui est la preuve la plus
éclatante de sa sainteté. Ses persécuteurs eux-mêmes en
furent confondus, s'ils n'en furent pas désarmés ; leur
rage s'épuisa contre cette inaltérable patience. Enfin le
roi Philippe II, sur le rapport d'un dignitaire de l'Ordre,
s'émut de cette injustice odieuse et donna de lui-même
l'ordre de faire sortir le Père Joseph de sa prison et de
lui rendre avec la liberté les honneurs dont on l'avait
dépouillé. Peu de temps après, le pape Clément VII con-
firma par une bulle la décision du roi d'Espagne.
Revenu dans sa province, le pieux vieillard, sans avoir
348 XV JUIN.
un seul instant l'idée de se venger de ses persécuteurs,
ne songea qu'à vivre selon le Seigneur, dans l'humilité
du cœur et la paix de la conscience, jusqu'au jour où il
serait appelé devant l'éternel tribunal de son Dieu. Un
accident, dont les suites devaient le mener au tombeau
après d'atroces souffrances, le cloua tout à coup sur un
lit de douleurs. Un jour qu'il aidait le jardinier à émonder
les arbres de la cour, une grosse branche lui tomba sur
le . pied et y produisit une plaie qui ne tarda pas à
amener la gangrène. On brûla, on coupa les chairs
atteintes, sans parvenir à arrêter les progrès du mal ; et
quelque temps après l'état de Joseph était désespéré.
Quand il sentit venir la mort, au milieu de douleurs in-
dicibles, il trouva dans sa piété le courage de souffrir sans
se plaindre, et dans l'espoir de la vie éternelle, une tran-
quillité admirable. 11 reçut les derniers Sacrements avec
un calme et une joie ineffables, au milieu des larmes de
tous ceux qui étaient présents. Enfin, en 1605, il s'en-
dormit dans le Seigneur, au couvent de Saint-Bernardin,
à Madrid. Il était alors âgé de soixante-dix ans ; il y avait
quarante ans qu'il faisait partie de l'Ordre Séraphique.
Longtemps après sa mort, au grand étonnement des
religieux et des laïques qui assistaient à son exhumation,
on trouva ses précieux restes dans un état de parfaite
conservation. C'était une nouvelle preuve des complai-
sances de Dieu pour son fidèle serviteur ; il plaisait au
Très-Haut d'honorer parmi les hommes celui qui lui
avait consacré toute sa vie (1).
(1) Comme on ne connaît pas au juste la date de la mort du Père Joseph, Bons
avons placé sa biographie à la suite de celle du Père Antoine d'Avilj, un autre pieux
per^oi'iiape de la même province.
FRÈRE MARTIN DE BOURGOGNE, ETC. 349
Le marquis de Villena, l'ami et le défenseur du Père
Joseph, obtint la faveur insigne de conserver la tête du
saint homme.
[Chroniques de la province de Saint-Joseph.)
SEIZIEME JOUR DE JUIN
MARTIN DE BOURGOGNE ET AUTRES
MARTYRS EN FRANCE
1562. — Pape : Pie IV. — Roi de France : Charles IX.
SOMMAIRE : Conduite des hérétiques dans la province de Saint-Bonaventure. —
Mort de frère Martin de Bourgogne. — Mort de François Parodi et de Claude
Mocardet. — Martyre de Jean Gibbosus, de Vincent le Fort, etc., etc.
C'est par la province de Lyon que le calvinisme, sorti
de Genève, commença à envahir la France. Ses premiers
assauts furent terribles : les servileurs du vrai Dieu chassés
ou massacrés, les couvents saccagés, les églises brûlées
après avoir été livrées au pillage, tels sont les faits glo-
rieux par lesquels se signalèrent d'abord les hérétiques.
Les Frères Mineurs de cette province, que l'on appelait
la province de Saint-Bonaventure , s'enfuirent et se
dispersèrenken Bourgogne, en Lorraine, en Savoie, en
Dauphiné, incertains du sort qui les attendait, résignés
d'ailleurs à toutes les souffrances et prêts à endurer
mille morts plutôt que de renier la foi du Christ. Sur
350 XVI JUIN.
cinquante couvents que comptait la province, dix-sept
furent mis à feu et à sang.
Dans ce nombre il faut ranger le couvent de la petite
ville deSaint-Andéol, sur le Rhône. Les hérétiques, après
en avoir exploré en vain toutes les parties pour y chercher
les religieux qui n'y étaient plus, trouvèrent couché à
l'infirmerie le frère Martin de Bourgogne. Tout malade
qu'il était, ils n'en eurent aucune pitié, et, en haine de la
foi catholique, ils le frappèrent cruellement et le brû-
lèrent tout vif, le 46 juin 1562. Mais Dieu sut punir les
coupables. La même année, cette même ville de Saint-
Andéol, qui avait vu le crime, vit aussi le châtiment :
Victor de Combas et son fils, qui commandaient la bande
sacrilège, périrent de malemort sur la place, au milieu
d'un grand concours de peuple.
En 1562, les hérétiques pénétrèrent dans l'île de Mont-
réal, qui faisait partie du diocèse de Langres, et y trou-
vèrent deux malheureux religieux , le Père François
Parodi et le Père Claude Mocardet. Ils parcouraient les
villages de l'endroit, pour recueillir des aumônes, quand
ils tombèrent entre les mains des calvinistes. On leur
cracha au visage, on leur coupa le nez et les oreilles ;
enfin on leur lendit la tête d'un coup de hache, sans que
ces glorieux martyrs aient hésité un moment entre leur
vie et leur foi.
En 1563, nous retrouvons les hérétiques dans le
Forez. Ils prennent Mâcon , arrêtent le Père Jean
Gibbosus (ou le Bossu), gardien du couvent de cette ville,
et après l'avoir horriblement mutilé, le précipitent dans
la Saône. La chronique rapporte qu'un des barbares,
trouvant que le saint homme ne se noyait pas assez
FRÈRE MARTIN DE BOURGOGNE, ETC. 351
rapidement, lui envoya un coup d'arquebuse ; au même
instant le meurtrier tombait lui-même, frappé à mort,
par un miracle de la justice divine.
Ailleurs, dans une ville dont le nom n'a pas été con-
servé, c'est le Père Vincent le Fort, prédicateur célèbre,
qui mérita par une mort courageuse son glorieux sur-
nom. Les hérétiques l'attachèrent, vivant, à la queue
d'un cheval indompté qui dispersa sur les pierres du
chemin les lambeaux de sa chair. Après deux heures
d'une course furibonde, le cheval s'arrêta ; les héréti-
ques accoururent, et, trouvant le religieux encore vivant,
pour prolonger ses souffrances, ils le plongèrent dans
un puits, lavèrent ses plaies et le laissèrent étendu sur
la place. C'est seulement le lendemain qu'un soldat, ému
de pitié à la vue de ce pauvre corps sanglant, mit fin à
ses souffrances en lui fendant la tête d'un coup de
hallebarde.
En 1571, les Huguenots occupent la ville de Château-
Villain, font prisonnier le gardien du couvent, et vont le
pendre à Tanlay, avec le Père Touilier, qui exerçait dans
cette ville la même dignité.
Trois prêtres du même couvent, envoyés dans des
paroisses voisines pour y prêcher le sermon du dimanche,
furent rencontrés en route par une bande d'hérétiques.
Ils n'eurent que le temps de se jeter à genoux et de
recommander leur âme à Dieu ; presque aussitôt tous
trois tombaient frappés sous les coups des ennemis du
Seigneur (1).
(Barezzo, Gonzague, Wadding.)
(1) Il faudrait citer, à côté des noms do ces martyrs, beaucoup d'autres glorieux
Pères qui ont donné leur vie pour leur foi. — Meniion en est faite dans les autres
volumes du Palmier Séraphique.
3o2 XVI JUIN.
MICHEL DE PEROUSE ET AUTRES
RELIGIEUX DES PREMIERS TEMPS DE L'ORDRE
L'église épiscopale de Vienne possède le tombeau d'un
compagnon de saint François, qui fut envoyé en France
par le fondateur de l'Ordre, et y mourut après s'être
rendu célèbre par un grand nombre de miracles.
Le bienheureux Père Michel, de Pérouse, repose dans
le couvent de la même ville, auprès du bienheureux
Père Drodo , homme d'une grande science et d'une
piété ardente, qui, en 1272, fut envoyé en France par
le pape Grégoire X.
Dans le même couvent encore, on trouve les précieux
restes du bienheureux Père Guillaume, héritier de l'es-
prit des prophètes, dont on a conservé plusieurs prédic-
tions importantes.
Le couvent d'Annonay conserve les dépouilles mor-
telles d'un autre Père Guillaume, qui ramena miraculeu-
sement au port un vaisseau battu par la tempête, privé
de ses voiles et de son gouvernail.
Enfin le couvent du Puy s'honore de posséder le
tombeau d'un bienheureux Antoine, fut fort célèbre
parmi les habitants de cette ville pour la sainteté de sa
vie et les miracles qu'il accomplit.
(Barezzo. Gonzague, Waddin<
LÉONARD GALICIUS. 353
DIX-SEPTIEME JOUJl DE JUIN
LE BIENHEUREUX LÉONARD GALICIUS
DU TIERS ORDRE
1634, — Pape : Urbain VIII. — Roi de France : Louis XIII.
SOMMAIRE : Vocation de Léonard pour la vie religieuse. — Dieu semble s'opposer
à son désir de se faire frère mineur. — Il vit selon le Seigneur élans sa propre
maison. — Sa piété et sa dévotion à Marie — Ses amitiés. — Son ardente charité
pour les âmes du purgatoire. — Il fonde la confrérie du Miseremini. — Sa mort.
Léonard Galicius naquit en 1572, à Palerme, en Sicile,
d'une famille honorable et bien connue pour sa piété. A
l'âge de quatorze ans, l'exemple de saint Benoît de San-
Fradello, qui habitait alors un couvent situé non loin de
Palerme, et que la sainteté de sa vie et ses miracles
avaient rendu célèbre, le décida à se faire religieux.
Grâce à l'intervention du vénérable Père, Léonard vit
s'ouvrir devant lui les portes du couvent; mais, au com-
mencement de son noviciat , il fut saisi d'un mal de
gorge très- violent. A peine guéri, il tenta la même
épreuve ; la même maladie l'en empêcha. Cet étrange
accident menaçant de se renouveler indéfiniment, Léo-
nard alla s'en plaindre à saint Benoît, qui lui conseilla de
demeurer chez lui et d'y servir Dieu selon ses moyens ;
parce que, vraisemblablement, Dieu ne l'avait pas des-
tiné à la vie religieuse. Léonard obéit, mena dans sa
propre maison une conduite austère et mérita par ses
vertus le respect et l'admiration des boni mes.
Palm. Séraph. — Tome VI. 23
«
354 XVII JUIN.
Il portait un vêtement fait d'une étoffe grossière qui
lui déchirait la peau et l'empêchait, la nuit, de goûter
aucun repos. Tous les jours il assistait à la messe avec
recueillement; il se confessait et s'approchait de la sainte
Table le plus souvent possible. Les lectures qu'il se per-
mettait étaient choisies avec un soin scrupuleux et ne
pouvaient que lui inspirer l'amour de Dieu et de son
prochain. Il parlait avec un charme indicible de Dieu,
des choses du ciel et des bienfaits de l'Eglise dans le
monde, et l'on peut dire qu'il exerçait sur les âmes des
fidèles plus d'influence que les prédicateurs les plus
éloquents.
Sa dévotion à la "Vierge Marie était à la fois ardente et
tendre, comme l'amour d'un fils pour sa mère. A toute
heure du jour, pour ainsi dire } on le voyait à genoux
devant sa sainte image, occupé à prier avec ferveur. Il
avait reçu du Seigneur le précieux don de l'extase, et
dans les heureux moments où il s'abandonnait à la con-
templation, il lui semblait qu'il vivait par avance de la
vie des élus et qu'il prenait déjà sa part de l'éternelle
félicité des Anges.
Ce saint homme eut des amis pieux et comme lui
bénis du Seigneur. L'abbé Roch Pirri, docteur en théo-
logie et apôtre infatigable, lui témoigna toujours une
affection plus que fraternelle et ne lui laissa aucun
repos qu'il ne l'eût décidé à venir habiter chez lui
et à se pourvoir dans sa propre maison de tout ce
dont ils avaient besoin. Vers la même époque, un gen-
tilhomme des environs de Palerme prit la résolution de
se séparer du monde pour vivre tout entier à Dieu ; il
crut ne pouvoir mieux faire que de s'attacher Léonard
LEONARD GALICIUS. 3"j
par les liens d'une indissoluble amilié, et leurs bons
rapports allèrent se resserrant tous les jours dans la pra-
tique commune des mêmes devoirs et les mêmes pieux
exercices.
De toutes les vertus du bienheureux Léonard, la plus
éclatante, celle par laquelle il est le plus célèbre, est
sans contredit son amour pour le prochain. 11 fut connu
des veuves, des orphelins, des pauvres et des prison-
niers. Tout ce qu'il est humainement possible de faire
pour des malheureux, il le fit : il pourvoyait à tous leurs
besoins, à ceux de l'âme comme à ceux du corps, aux
besoins physiques comme aux besoins moraux. Il leur
portait lui-même, dans leurs misérables demeures, du
pain, de la viande, du miel, du via ; et s'il est vrai que
la façon de donner vaut mieux que ce qu'on donne, on
peut dire que ses aumônes durent être agréables à
Dieu , car il versait tous les trésors d'un cœur compa-
tissant à ceux que Jésus-Christ appelait ses enfants de
prédilection. 11 quêtait pour eux, et les aumônes de
toute sorte pleuvaient dans son panier. Toutes les per-
sonnes riches ou aisées se faisaient un plaisir de l'aider
dans l'accomplissement de ses bonnes œuvres, et le car-
dinal-archevêque de Païenne, Joanito Loria, le consi-
dérait pour ainsi dire comme son grand-aumônier.
Le chroniqueur rapporte tout au long les tentations et
les persécutions dont Léonard fut l'objet de la part du
démon, dans l'accomplissement de ses devoirs de cha-
rité ; il se hâte d'ajouter que le démon eut toujours le des-
sous dans cette lutte. Ce qui nous intéresse davantage, ce
sont les résultats immédiats ou indirects des bons exemples
donnés par frère Léonard : non-seulement pendant sa
356 XVII JUIN.
vie, les pauvres de Palerme eurent en lui une seconde
providence ; mais encore après sa mort, en mémoire sans
doute de sa belle conduite et pour en perpétuer le sou-
venir, plusieurs personnes pieuses continuèrent sa dette
de bienfaisance et, chaque année, le jour de la tête de la
très-sainte Vierge, donnèrent un véritable festin à tous
les malheureux de la ville.
Le bienheureux Léonard eut aussi une grande dévotion
et une piété profonde pour les âmes du purgatoire, qu'il
appelait les prisonnières de l'autre monde. Il priait pour
elles chaque jour; puis bientôt, trouvant que ce n'était
pas assez de dévouement, il prit conseil de son confesseur,
et se mit à faire des quêtes dont l'argent était destiné à
payer des messes à leur intention. Toutes les personnes
pieuses de la ville voulurent contribuer à cette bonne
œuvre ; il accepta leur concours et jeta ainsi les bases
d'une confrérie dite du Miseremini (c'est-à-dire : ayez
pitié). Le lieu de réunion des confrères fut d'abord l'église
du saint apôtre Matthieu, et, plus tard, cette église ayant
été attribuée à un chapitre de religieuses, on en éleva une
autre qui fut spécialement destinée à la confrérie. Tous
les jours, de minuit à midi, on y disait plus de cent
messes pour les âmes du purgatoire. C'était un temple
magnifique, tout en marbre noir; à chaque pilier étaient
adossées une ou plusieurs statues de personnages célè-
bres dans l'Eglise par la sainteté de leur vie, leurs bonnes
œuvres ou leur haute dignité, des papes, des cardinaux,
des évêques, des empereurs, des rois, des généraux. Ces
statues, toutes en marbre blanc, se détachaient sur le
fond noir de l'édifice. Les confrères reconnurent Léonard
Galieius comme fondateur, et placèrent son portrait dans
LÉONARD GALICIDS. 357
la sacristie. Plus tard le pape accorda à tous les autels de
l'église des privilèges pour chaque jour de Tannée.
Quelques villes de Sicile suivirent l'exemple de la ville
de Palerme, et fondèrent des confréries destinées à se-
courir les pauvres, les orphelins, et à prier pour les âmes
du purgatoire.
On ne s'étonnera pas qu'un homme aussi saint ait été
tenu en honneur par les plus grands seigneurs du pays ;
le marquis de Villena, vice-roi, le cardinal Doria, arche-
vêque de Palerme, des princes et des prélats, se faisaient
gloire d'être de ses amis et venaient presque tous les
jours lui rendre visite dans la petite maison qu'il habitait
non loin du couvent des Capucines.
Frère Léonard vécut ainsi quarante ans dans la pra-
tique de la plus belle des vertus, l'amour du prochain.
C'est en 1634 que Dieu trouva bon de le rappeler à lui. Sa
dernière maladie dura huit jours. Il reçut pieusement
les Sacrements des mourants et expira en murmurant
les paroles que saint Jean prête au Sauveur sur sa croix:
« Il inclina la tête et rendit l'esprit ». (17 juin). Il était
âgé de soixante-deux ans.
Tous les habitants de la ville se pressèrent à ses funé-
railles, et durant longtemps on vint en pèlerinage à son
tombeau comme à un lieu consacré. Des miracles s'ac-
complirent par son intercession.
Son corps, enseveli d'abord dans l'église des Capucines,
fut plus tard transporté dans le tombeau de l'abbé
Roch Pirri, selon le désir que ce dernier avait manifesté
à son lit de mort.
[Chron. 'le In prov. de Sicile.)
358 xvrn JUIN.
DIX-HUITIÈME JOUR DE JUIN
PÈRE SÉBASTIEN DE SAINT-JOSEPH
MARTYR
1610. — Tape : Paul V. — Roi de France : Louis XUI.
CHAPITRE PREMIER.
SOMMAIRE : Naissance du bienheureux Sébastien. — Noblesse de sa famille. — Sa
jeunesse, et premiers signes qu'il donne de sa future ^ erfection. — Ses prédications
à ses compagnons. — Sa dévotion à la sainte Vierge et à la sainte Eucharistie. — Il
a-.hève ses études à Salamanque ; il entre dans l'Ordre Séraphique.
Le Père Sébastien de Saint-Joseph est l'un des plus
ardents apôtres et des plus courageux martyrs qui soient
sortis de la province réformée par saint Pierre d'Al-
eantara.
Il était né à Medina-del-Campo,en Espagne, de parents
nobles et riches. Son père, Didace de Bénevent, et sa
mère, Isabelle Sanchez, tous deux de haute origine,
étaient en même temps des modèles de piété. Ils avaient
une profonde dévotion au saint martyr Sébastien, patron
de l'une des églises de la "ville, et dont on célébrait
chaque année ia fête avec éclat, et lorsque Dieu leur eut
donné un fils, en l'année 1566, ils le placèrent sous
l'invocation du saintdontilportale nom. L'enfant devait
avoir avec le glorieux martyr une autre ressemblance
PÈRE SÉBASTIEN DE SAINT-JOSEPH. 359
que celle du nom, il était destiné à mourir comme lui
pour sa foi.
Devenue veuve et demeurée seule avec son fils, la
mère de Sébastien n'eut plus qu'un souci : l'élever selon
Dieu. Les heureux résultats des soins dont elle le combla
ne tardèrent pas à se produire; et, tout jeune encore,
l'enfant annonçait déjà par ses signes ce qu'il devait
être un jour. C'était un ange, dit le chroniqueur,
dans toute l'acception du mot, une belle âme dans un
beau corps. Il avait des manières douces et aimables, une
voix caressante, des yeux bleus et purs comme le ciel
d'Espagne. Son plus grand plaisir était de faire des
autels, de dessiner des tètes de saints ou de mettre en
ordre les ornements de l'église. Il réunissait souvent ses
petits compagnons, et montant sur un banc comme un
prédicateur dans sa chaire, il les exhortait à aller en-
seigner aux Maures les vérités de la foi. Un jour il tomba
du haut de son banc et se blessa à la tête assez profon-
démentpour que son sang coulât : « Vois, mère », dit-il
en souriant lorsqu'il fut de retour à la maison, «j'ai
« déjà donné de mon sang pour la conversion des infi-
i dèles ». Paroles d'enfant, prononcées sans doute à la
légère, mais qui n'annonçaient que trop la destinée du
pieux Sébastien. Si sa mère vivait encore lorsqu'il
mourut, elle dut se rappeler ces mots prophétiques de
son enfant bien-aimé et adorer les volontés du Seigneur,
(jui prépare de si loin ce qu'il a résolu dans son infinie
providence.
Cependant le jeune Sébastien faisait avec succès ses
éludes classiques au collège des Pères Jésuites, et son
intelligence, comme son cœur, se développait pour la
360 XVIII JUIN-
plus grande gloire de Dieu et raffermissement de la
religion.
Sébastien manifesta dès cette époque une ardente dé-
votion à la très-sainte Vierge, sous l'invocation de qui ii
s'était plus particulièrement placé. Tous les jours ii
récitait en son honneur son chapelet avec beaucoup de
piété, à genoux devant une statue ou un tableau repré-
sentant la Mère de Dieu. « Il me semble », disait-il,
« qu'on donne en ma présence un soufflet à ma propre
« mère, quand, sans courber la tète, on passe devant la
« sainte Vierge Marie ».
Il ne manquait jamais de suivre pieusement le prêtre
qui portait aux malades le très-saint Sacrement de l'Eu-
charistie ; ou bien, si par hasard il lui était impossible
d'accomplir ce devoir, lorsqu'il entendait la cloche qui
annonce aux fidèles qu'une àme va paraître devant le
tribunal de Dieu, il se mettait à genoux et récitait un
Salve, Regina.
Ces pratiques allumèrent dans !e cœur du jeune
Sébastien un ardent amour pour son Dieu, en même
temps qu'un grand désir de se faire religieux. C'est
surtout à la lecture des lettres des Pères Jésuites racontant
les souffrances et les persécutions qu'ils enduraient au
.Japon, ou la mort courageuse de quelqu'un de leurs
frères, qu'il se sentait le plus entraîné à les imiter et le
plus avide de mourir comme eux pour sa foi. Sa mère, le
croyant destiné à faire un jour partie de la Société de
Jésus, l'envoya à Salamanque. Il y acheva ses études, y
apprit le grec et l'hébreu ; en même temps il profitait de
ses loisirs pour visiter les couvents et s'inspirer des
(-xemples des vénérables religieux qui les habitaient.
PÈRE SÉBASTIEN DE SAINT-JOSEPH. 361
Tous les vendredis, il s'approchait du tribunal de la péni-
tence et demeurait ensuite à méditer au pied de l'autel ;
le lendemain, il entendait la première messe et recevait
la sainte communion. Quoique très-riche et pouvant
mener la joyeuse vie des étudiants nobles, il fuyait au
contraire leur compagnie et s'enfermait dans sa chambre,
en face de ses livres. Son argent lui servait à venir en
aide à quelques familles malheureuses. Tout le monde
s'accordait à faire l'éloge de ses heureuses qualités : ar-
deur au travail, modestie inaltérable, pureté naïve et
inattaquable, dévotion sérieuse, piété sincère, infatigable
charité.
Après sept ans d'études, arrivé à l'âge de dix-huit ans,
il songea à mettre à exécution le projet qu'il avait formé
depuis longtemps de se faire religieux. Sa famille, en
général, y était conlraire, et sa mère paraissait devoir
s'en affliger beaucoup ; une lutte s'éleva, dans l'esprit du
jeune homme, entre ses affections terrestres et des aspi-
rations plus élevées. Il hésita longtemps, et s'abandonna
pour ainsi dire à la décision de Dieu, en faisant une
confession générale de ses fautes et une retraite de huit
jours chez les Pères Jésuites. Une nuit il fut réveillé par
les cloches des Frères Mineurs de la ville, qui sonnaient
les matines. Le lendemain le même phénomène se
renouvela : il y vit une manifestation de la volonté du
Seigneur, et, pour essayer ses forces, dès cette seconde
nuit il veilla, fit plusieurs fois nu-pieds le tour de sa
chambre, et dormit sur le plancher. Quelque temps
après il disait adieu aux Pères Jésuites, à sa mère et
à ses proches, et allait recevoir l'habit de l'Ordre au
cloître de Zamora , dans la province de Saint • Paul.
362 xviii juin.
Cette demeure calme et paisible parut être au bien-
heureux jeune homme un autre paradis terrestre. Il y
goûta une tranquillité qu'il n'avait pas encore soupçonnée,
et y respira comme un céleste parfum de béatitude et de
sérénité. Son noviciat fut tel qu'on pouvait l'espérer:
une suite non interrompue de prières, d'austérités et de
mortifications. Il fit sa profession de foi l'année môme où
le pape Sixte-Quint lança la bulle qui réglait les con-
ditions des vœux religieux. Quoiqu'il remplît toutes les
conditions voulues, son gardien, iors de la publicaiion
de la bulle, lui déclara que les portes du couvent lui
étaient ouvertes et qu'il pouvait, si bon lui semblait,
rentrer au sein de sa famille. Sébastien préféra, sans
hésiter, consacrer sa vie à son Dieu, et il demeura au
couvent.
CHAPITRE IL
SOMMAIRE : Progrès du Père Sébastien dans les voies du Seigneur. — Son éloquence
et son zèle infatigable pour la prédication. — Conversions et vocations religieuses
qu'il provoque. — Ses mortifications. — Ses jeûnes. — Sa pauvreté. — Sa douceur
à l'égard de ses administrés, — Sa charité chrétienne envers les malades.
Jusqu'alors Sébastien avait été un modèle de vertu; il
devint un modèle de sainteté. Toutes les perfections
que les plus vieux religieux n'acquièrent qu'à force de
pénitences, de mortifications, et après de longs et pé-
nibles essais, il les posséda presque sans effort et sans
lutte ; elles étaient dans sa nature.
Devenu prêtre et prédicateur, son humilité excessive
lui fut d'abord un obstacle et fit de lui pendant quelque
temps un parleur sec et sans onction ; mais bientôt il
triompha de cette fausse honte, plus nuisible encore à
PÈRE SÉBASTIEN DE SA I3T- JOSEPH. 363
son prochain qu'à lui-même, et compta au rang des ora-
teurs de la chair les plus en renom. Infatigable et iné-
puisable, parce qu'il avait la fécondité qui vient de la
richesse du cœur, il prêchait souvent jusqu'à trois fois
dans la même journée, courant pour ainsi dire d'un vil-
lage à un autre, par la pluie, la neige, les mauvais che-
mins, et sans chaussures. Aussi se déchirait-il les pieds
aux cailloux et aux ronces du chemin, et quand, en le
voyant tout sanglant, on le reprenait doucement de ne
pas prendre garde où il posait ses pas : « C'est que vrai-
« ment », répondait-il, «j'ai autre chose à penser». Il
marchait, absorbé en Dieu, occupé à lire des psaumes
ou à réciter des prières. Tout ce qu'il voyait, chemin
faisant, tout ce qu'il entendait, le chant des oiseaux, le
bruissement du vent dans les arbres, le murmure d'une
source voisine, les fleurs, les fruits, lui était une occasion
d'élever son cœur vers son Créateur. Aux personnes qui
voyageaient avec lui, il parlait des merveilles de la na-
ture, ou bien encore il racontait les vies des saints et
en tirait de pieux enseignements. Quand il s'arrêtait dans
une maison pour y passer la nuit, il lui arrivait souvent
de prolonger la conversation fort avant dans la soirée,
et de tenir sous le charme de sa douce éloquence, non-
seulement ses hôtes eux-mêmes, mais les voisins accou-
rus pour l'entendre. Il visitait quelquefois les couvents
de religieuses, et chacune de ses visites était suivie
d'un sermon toujours écouté avec recueillement et avec
fruit; les bonnes sœurs disaient toujours qu'elles en
étaient sorties plus pieuses, plus dévouées à leur Dieu,
plus fortes contre les tentations du démon.
On ne s'étonnera pas que le Père Sébastien, avec son zèle
364 XVIII JUIN.
infatigable et sa parole persuasive, ait ramené au giron
de l'Eglise bien des pécheurs égarés, et même décidé
un certain nombre de personnes mondaines à embrasser
la vie religieuse. C'est l'heureux fruit de ses sermons, où se
pressait toujours une grande foule de peuple, non qu'il
cherchât les succès faciles des orateurs mondains, mais
parce qu'il ne songeait qu'au bien des âmes et qu'il avait
déjà la réputation d'un saint.
Au milieu des travaux d'un apostolat pénible, on apeine
à se figurer que le bienheureux s'imposât encore des mor-
tifications, des jeûnes et des veilles. Rien n'est plus vrai
cependant, si rien n'est moins vraisemblable. Durant
l'Avent tout entier et les sept carêmes de Saint-François,
il ne vivait absolument que de pain et d'eau ; encore
choisissait-il le pain le plus sec et le plus noir. Quand il
mangeait des légumes, il les saupoudrait de cendres. La
seule soupe qu'il se permettait consistait en de l'eau
chaude salée, dans laquelle il découpait son pain ; les
fruits, la viande, étaient pour lui choses inconnues.
Il ne faudrait pas croire qu'il imposât, lorsqu'il était
gardien, les mêmes jeûnes et la même nourriture à ses
religieux ; au contraire, il avait grand soin que rien ne
leur fît défaut, et sous prétexte qu'ils travaillaient plus
et étaient moins forts que lui, il les forçait à manger
du poisson ou de la viande et à boire du vin.
Le bienheureux, pour se reposer de ses fatigues du jour,
passait la nuit sur une planche mal rabotée, toute
hérissée de nœuds et d'aspérités, et si étroite, qu'à peine
il pouvait y placer la moitié de son corps ; c'est là qu'il
s'étendait, et, la tête sur une pierre en guise d'oreiller, il
priait ou méditait jusqu'à ce que le sommeil fût venut
PÈRE SÉBASTIEN DE SAINT-JOSEPH. 365
11 avait pour vêtement une robe sale, déchirée, toute de
pièces et de morceaux, et si mince qu'elle ne pouvait le
garantir du froid.
Toutes les nuits il se fustigeait jusqu'au sang à coups
de discipline, même lorsqu'il rentrait, exténué, de ses
courses évangéliques. A minuit, îl se levait, se mettait à
genoux et récitait ses prières ; et jamais il ne prit pré-
texte de ses fatigues de la veille ou de celles qui l'atten-
daient le lendemain, pour se soustraire àce devoir. Quand
il se mettait en route, aussitôt hors du couvent, il laissait
de côté sa dignité de gardien, et, promettant obéissance à
son compagnon comme s'il eût été son supérieur, il ne
faisait rien que par son ordre ou avec sa permission.
Toujours très-humble dans ses rapports avec ses subor-
donnés, très doux lorsqu'il était contraint de réprimander
quelqu'un d'entre eux, il s'attachait à leur rendre facile
et agréable la vie d'abnégation qu'ils avaient embrassée. Il
ne dédaignait pas de prendre sa part des travaux les plus
pénibles et même les plus rebutants ; il aidait les novices
à nettoyer le couvent, et son plus grand bonheur était
de pouvoir soulager ses frères et leur épargner des fa-
tigues.
Sa charité chrétienne se manifestait encore par les
soins qu'il donnait aux malades. Il venait s'asseoir à leur
chevet et savait trouver de douces paroles d'encourage-
ment et d'espérance qui leur rendaient plus supportables
les souffrances qu'ils enduraient. Les agonisants, pressés
dans ses bras, expiraient plus paisiblement ; et ces de-
voirs de piété qui sont pour la plupart des hommes un
sujet d'effroi, il les accomplissait simplement, sans osten-
tation, et les regardait comme les premiers devoirs d'un
360 XVIII JUIN.
gardien vis-à-vis de ses religieux, d'un supérieur vis-à-
vis de ses subordonnés. Il faisait mieux encore, il lavait
les pieds des malades, pansait leurs plaies, préparait les
médicaments dont ils avaient besoin avec un soin et une
délicatesse qu'eût enviés une sœur de charité. Dans les
hospices, son arrivée était saluée avec des cris de joie,
et sa seule présence semblait rappeler les moribonds à
la vie. En un mot, il était le disciple fidèle de celui qui
a dit : « Les pauvres et les malheureux sont mes fils
a de prédilection », — et : or Aimez-vous les uns les
« autres » .
CHAPITRE III.
SOMMAIRE : Le Père Sébastien demande en vain pendant longtemps l'autorisation
d'aller prêcher la vraie foi chez les infidèles. — Son départ pour le' îles Moluques.
— Sa conduite pendant la traversée. — Succès de ses prédications à Ternate et ses
rapports avec la reine de l'île Matéo. — Fureur des Maures, et manyre du Père
Sébastien.
Tout en se prodiguant, corps et âme, pour le bien-être
physique et moral de ceux qui l'entouraient, le Père Sé-
bastien était obsédé d'une pensée qui le poursuivait
comme un remords : il songeait qu'il y a par le monde
des malheureux privés des secours de la religion chré-
tienne, ne la connaissant même pas, n'en ayant jamais
entendu parler, et il se reprochait tous les jours de n'être
pas encore au milieu d'eux, pour leur montrer et leur
ouvrir les voies du ciel.
Il n'avait encore prononcé ses vœux que depuis deux
ans, lorsqu'une première fois il essaya de mettre à exé-
cution ce beau projet. Il était parti sans prendre congé
de sa mère ni de ses parents, et avait déjà atteint Séville,
d'où il espérait se diriger vers les îles Philippines ; tout
PÈRE SÉBASTIEN DE SAINT-JOSEPH. 307
à coup survint un bref du nonce apostolique, qui l'arrêta
en route et lui donna ordre de revenir sur ses pas. A
deux reprises différentes, il tenta la même entreprise et
rencontra les mêmes obstacles insurmontables : des
ordres de ses supérieurs, obtenus sans doute par les
larmes de sa mère. 11 pria, il supplia, il écrivit à ses
chefs les lettres les plus éloquentes : tout fut inutile. Ce-
pendant il avait comme un pressentiment secret qu'il
était réservé au martyre ; un jour même, une pieuse
fille du Tiers Ordre, Hélène Martinez, lui annonça qu'il
mourrait percé des flèches des infidèles. A Gandie, une
Clarisse d'une grande sainteté lui confirma cette prédic-
tion. Il ne s'agissait que de prendre patience, il s'y rési-
gna, non sans peine : a Mon Dieu, mon Dieu », disait-il,
« quand donc mettrez-vous à exécution vos magnifiques
a promesses ? quand pourrai~je enfin donner mon sang
« pour votre gloire ? »
Enfin l'heureux jour, si longtemps désiré, arriva;
cinquante frères mineurs partirent de Cadix, et le Père
Sébastien, dont les éminentes qualités étaient depuis
longtemps reconnues, fut nommé supérieur et directeur
de la mission. Son humilité protesta vainement ; force
lui fut d'accepter cette dignité. Hâtons-nous d'ajouter
qu'il ne profita pas des prérogatives qui y étaient atta-
chées ; sur le navire, sa conduite ne différait en rien de
celle du plus humble des frères. La vie des mission-
naires était aussi réglée que s'ils eussent été dans un
couvent ; ils se levaient à minuit pour se donner la dis-
cipline et méditer; puis on chantait matines, et, le jour
venu, on se confessait et on s'approchait de la sainte
table. De temps en temps le Père Sébastien faisait une
368 xvin JUIN.
lecture pieuse, qu'il commentait ensuite avec son élo-
quence ordinaire ; ou bien encore il assemblait les ma-
telots et les hommes de l'équipage sur l'arrière du vais-
seau, et les excitait par des paroles simples et touchantes
à aimer le Dieu tout-puissant et tout bon qui leur avait
donné l'être.
On débarqua à la Vera-Cruz, puis, en passant par
Mexico, on arriva à Acapulco, d'où l'on reprit la mer par
un temps détestable. Pour comble de malheur, la peste
se déclara tout à coup ; plusieurs matelots et huit mission-
naires périrent victimes du fléau. On peut croire que,
pendant ces jours d'épreuves, le bienheureux Père Sé-
bastien ne ménagea ni ses forces, ni sa santé ; à toute
heure du jour et de la nuit, on le trouvait au chevet des
malades, les consolant, les soignant, les confessant, les
préparant à bien mourir. Il y gagna la maladie; mais
heureusement il ne tarda pas à en guérir ; et peu
de temps après il arrivait à Manille , terme de son
voyage.
Son premier soin fut d'apprendre l'idiome du pays5 et
le Japonais, qu'il parla bientôt comme sa langue mater-
nelle. Ses supérieurs, qui connaissaient son zèle infati-
gable, le nommèrent pasteur des Japonais catholiques de
l'île de Manille. Il conserva ce titre pendant les deux an-
nées qu'il employa à l'instruction des Espagnols de la
ville.
Le général qui commandait à Manille retenait depuis
longtemps en captivité le roi des Moluques et cinq autres
princes qui avaient régné sur des îles voisines. Le Père
Sébastien n'épargna rien pour les convertir : il pria, se
mortifia, les entretint durant plusieurs mois des vérités
PÈRE SÉBASTIEN DE SAINT- JOSEPH. 3G9
de notre sainte religion et des erreurs du mahométisme.
De ces princes, cinq abjurèrent leur culte mensonger
et reçurent le baptême. Le roi des Moluques seul et son
fils tinrent bon , par amour des plaisirs sans doute,
beaucoup plus que par conviction ; ils permirent seu-
lement au Père Sébastien d'aller prêcher dans leur
royaume.
Aussitôt, avec une ardeur indomptable, le pieux mis-
sionnaire apprend le moluque, et, avec l'autorisation de
ses supérieurs, il s'embarque pour Ternate, la plus
grande île du groupe, avec le frère Christophe Ruyz et
quelques soldats commandés par un colonel. Deux autres
religieux, partis sur un second navire, le Père Jean de
Saint-Jérôme et le frère Antoine de Sainte-Anne, furent
pris par les Hollandais (1) et n'arrivèrent que plus tard à
Ternate. Aussitôt rassemblés, les quatre serviteurs de
Dieu se mirent à enseigner à ces peuplades idolâtres la
foi catholique, les Pères en prêchant, les frères en don-
nant l'exemple de tous les dévouements et de toutes les
vertus. Des chrétiens égarés rentrèrent au bercail, des
infidèles reçurent le baptême, et il semblait que le Père
Sébastien, heureux au milieu de son peuple, allait se
fixer pour jamais à Ternate, quand tout à coup on apprit
qu'il avait résolu de partir pour Matéo.
C'était une autre île du même archipel, mais habitée
par une race sauvage et indomptée, non encore adoucie
par les préceptes de l'E\angiIe. Jamais aucun mission-
naire n'y avait pénétré ; le tenter, c'était s'exposer à une
mort presque certaine. Aussi tous les amis du Père
Sébastien essayèrent-ils de le détourner d'une aussi péril-
ci) Voir le Palmier Sérapkique,tova. VI, vingt-quatrième jour de juiu.
Palm. Séraph. — Tome VI. 24
370 XVIII JUIN.
leuse entreprise ; ils le conjurèrent par le sang du Christ
de demeurer au milieu d'eux, de ne pas les abandonner
pour quelques hérétiques ; mais larmes et prières ,
tout fut inutile. Le Père Sébastien s'adjoignit pour com-
pagnon le frère Antoine de Sainte-Anne, dont il connaissait
le zèle, l'ardeur pour la propagation de la foi, la soif
pour le martyre ; puis il s'embarqua avec quelques
catholiques indiens et cinq marchands portugais.
Tout d'abord les missionnaires furent favorablement
accueillis de la reine et des habitants du pays. La
princesse leur raconta qu'elle avait conservé longtemps
auprès d'elle un prêtre catholique, dont les entretiens
l'avaient favorablement disposée envers les adorateurs du
Christ et préparée même à recevoir le baptême. Grande
fut la joie et la surprise du Père Sébastien ; il distribua
des crucifix et des rosaires aux personnages les plus
influents, et prêcha chaque fois qu'il en trouva l'occasion.
Tous les soirs, il revenait au vaisseau, où il passait la nuit
en prières, demandant à Dieu qu'il lui accordât la grâce
de mener à bonne fin une aussi noble et si pieuse
entreprise.
Cependant, il y avait près de la reine des gens qui
voyaient d'un mauvais œil l'influence toujours croissante
des missionnaires. Un Maure de l'île de Tagolanda, qui
disposait d'un certain nombre de soldats, résolut de se
débarrasser des saints prêtres par tous les moyens
possibles , dût-il employer la ruse et l'assassinat. Il
s'insinua dans les bonnes grâces du Père Sébastien à force
de mensonge et de perfidie, et fit si bien qu'il Se décida à
venir visiter avec lui l'île de Tagolanda. A peine les trop
confiants missionnaires étaient-ils débarqués qu'ils furent
PÈRE JEAN L'AMI. 371
assaillis à coups de pierres et de flèches par une populace
furieuse ; les chrétiens indiens qui avaient voulu les
accompagner eurent le même sort. Puis les saintes
victimes, après avoir été outragées de la façon la plus
grossière, furent décapitées, et leurs têtes promenées
dans la ville sur des piques. Le Père Sébastien était
âgé de quarante-deux ans. (18 juin 1610.)
Dieu témoigna par d'éclatants miracles combien lui
avait été agréable le dévouement de son serviteur. Le
corps du bienheureux, attaché à de lourdes pierres et jeté
à la mer, flotta sur les vagues et put être recueilli par ses
amis ; et pendant plusieurs nuits de suite on vit, à la place
même où il avait succombé, se dresser une croix lu-
mineuse. Ces prodiges décidèrent beaucoup d'infidèles à
embrasser la religion catholique.
Quelque temps après, pour honorer la mémoire du
courageux martyr, le pape ordonna des processions en
son honneur, et lit faire une enquête sur sa vie et ses mi-
racles.
(Chroniques de la province de Saint-Joseph.)
PERE JEAN L'AMI, DE LOUYAIN
MARTYR
1569. — Pape : Saint Pie V. — Roi de France : Charles IX.
Le Père Jean l'Ami, de Louvain, est le premier martyr
de la province de Brabant. C'était un prédicateur émi-
nent et intrépide, et dont les grandes qualités et le cou-
rage apostolique excitèrent la rage des Gueux. Il tomba
372 XVIII JUIN.
entre les mains de ces hérétiques non loin de Berg-op-
Zoora, et en fut si cruellement maltraité, qu'il mourut
de ses blessures à Louvain, peu de jours après (18 juin
1569).
(Sedulids.)
PERE GUILLAUME SERVASERE
MARTTR
1560. — Pape : Pie IV. — Roi de France : François II.
Le Père Guillaume Servasère fut une autre victime de
la rage des Huguenots. Il était vicaire du couvent de
Valon, dans la province de Paris, prédicateur éloquent
d'ailleurs, et ne laissant jamais échapper l'occasion de
combattre l'invasion de l'hérésie. Les protestants, furieux,
mirent sa tête à prix, le saisirent par surprise, et, après
l'avoir assommé à coups de bâton , lui tailladèrent le
corps avec des couteaux et des poignards, jusqu'à ce que
sa belle âme se fût envolée au ciel, au milieu du chœur
des martyrs.
(GONZAGUE.)
FRÈRE MICHEL DES ANGES. 373
FRÈRE MICHEL DES ANGES
ERMITE, DU TIERS ORDRE
1628. — Pape : Urbain VIII. — Roi d'Espagne : Philippe IV.
SOMMAIRE : Frère Michel se consacre d'abord au soin des malades, puis se
retire dans une solitude. — Son austérité et ses mortifications. — Ses jeûnes
excessifs. — Sa piété. — Ses extases et ses visions. — Ses luttes contre le malin
esprit. — Sa mort et ses funérailles.
Ce pieux serviteur de Dieu naquit en Espagne, dans la
petite ville andalouse de Canete-la-Real. Il perdit ses pa-
rents de bonne heure et fut élevé par la charité publi-
que. On avait voulu faire de lui un charpentier ; mais,
même dans cette humble condition , les dangers du
inonde l'effrayèrent, et tout à coup, sans prévenir per-
sonne, il quitta son pays natal et s'en fut à Lerena, se
consacrer dans un hôpital au service des malades. II n'y
resta pas longtemps ; il s'y trouvait encore trop en con-
tact avec les hommes. Pour en vivre aussi séparé que
possible, seul avec Dieu, il se relira d'abord sur les
monts Guadalupe; puis, désireux d'avoir un maître
qui le dirigeât dans les voies de la perfection, il vint
habiter, avec un vénérable ermite, tout près d'une cha-
pelle consacrée à Notre-Dame, au milieu des montagnes
rocheuses de Plaisance. Cependant ce n'est pas encore
là qu'il devait fixer son séjour : il découvrit, non loin du
couvent de Roblcd.illo, une solitude qui avait autrefois
servi de refuge à un pieux serviteur de Dieu, ennemi du
inonde comme lui, et d'où l'on pouvait facilement se
374 XVIII JUIN.
rendre à l'église du couvent pour accomplir ses devoirs de
chrétien, se confesser et s'approcher de la sainte table. Il
prit donc congé de son compagnon d'ermitage, et de-
manda aux bons religieux la permission de s'établir sur
le plateau désert de Robledillo.
Grande fut sa joie quand il se vit enfin libre de ne plus
penser qu'à son Dieu. Il se construisit, avec des branches
d'arbres et des feuillages, une petite hutte où il devait
mourir. Bientôt après, sur l'avis de son confesseur, il
prit l'habit du Tiers Ordre et le nom de frère Michel des
Anges. On ne sut jamais rien de sa famille, ni de la vie
qu'il avait menée par le passé ; mais le sourire perpétuel
qui éclairait sa figure, sa bonne mine, son franc re-
gard, sa voix douce comme celle d'un enfant, lui atti-
rèrent bientôt l'estime et l'affection des religieux de
Robledillo.
Il possédait, d'ailleurs, au suprême degré toutes les
qualités qui font le parfait religieux : l'esprit d'humilité
et d'obéissance, l'esprit d'austérité et de mortification.
Son vêtement de religieux du Tiers Ordre, serré à la
taille par une grosse corde, cachait une haire qu'il ne
quittait jamais. Il s'exposait tête nue, la poitrine et les
bras découverts, aux froids les plus rigoureux ; et on le
vit souvent, en hiver, venir assister à la messe du cou-
vent avec une sorte de sac sans manches pour tout man-
teau. Durant les sept premières années qu'il passa dans
sa solitude, il ne mangea que Tes dimanches, les mardis
et les jeudis ; et encore sa nourriture se composait-elle
exclusivement d'un morceau de pain, d'un peu de soupe
et de quelques légumes que lui donnait le frère portier
du couvent. Plus tard le provincial lui donna l'ordre de
FRÈRE MICHEL DES ANGES. 375
venir partager tous les jours le dîner des religieux au
réfectoire.
Chaque jour il se donnait la discipline à deux reprises
différentes, et pendant une demi-heure chaque fois. Son
lit était une planche ; son oreiller, une grosse pierre ; il
dormait à peine deux heures par nuit. En été, il s'expo-
sait , le corps ensanglanté , aux rayons brûlants du
soleil; et les moucherons, en se posant sur ses plaies,
lui causaient d'atroces souffrances. Il s'imposait réguliè-
rement un travail manuel très-fatigant, préparait du
bois pour les besoins du couvent, nettoyait la cour et
soignait le jardin, fabriquait des armoires, des portes et
des fenêtres, des grillages pour le choeur et pour les
confessionnaux.
Sa piété était exemplaire. Après la messe du matin,
il s'approchait du tribunal de la pénitence et coramur
niait avec ferveur toutes les fois que son confesseur lui
en donnait l'autorisation ; et alors, le cœur plein de
reconnaissance et d'amour, il restait au pied de l'autel,
absorbé dans une contemplation profonde jusqu'à la
grand'messe. Le repas de midi terminé, il retournait à la
chapelle et y demeurait jusqu'après les vêpres. Il avait
coutume de prier, les bras étendus, ou bien encore
debout sur un fût de colonne, les yeux levés au ciel,
un pied en l'air, comme s'il allait prendre son essor.
La nuit, son plus grand bonheur, lorsqu'il avait pris
le court repos qui lui était indispensable, était de
sortir de sa hutte et d'admirer, dans les splendeurs du
ciel étoile, la magnificence et la bonté du Créateur.
C'est alors qu'il ressentait surtout les effets des complai-
sances de son Dieu. Abîmé dans une extase infinie, il
376 XVIII JUIN.
voyait avec les yeux de la foi et de l'amour le Sauveur
Jésus, porté dans les bras de sa très-sainte Mère, lui ten-
dre ses petites mains divines et l'appeler à lui en quel-
que sorte par ses sourires célestes. Le voile qui cache les
merveilles du paradis se déchirait pour lui, et il se mê-
lait aux chœurs des bienheureux célébrant autour du
trône du Très-Haut sa gloire et sa toute- puissance.
Le bonheur du saint ermite ne fut troublé, pour ainsi
dire, que par un seul souci : il avait voulu fuir la société
des hommes, et les hommes venaient à lui, attirés par
l'irrésistible aimant de sa piété et de sa vertu. Il ne fut
pas non plus toujours à l'abri des tentations de l'esprit
malin ; quelque chose aurait manqué à sa perfection si,
comme l'or qu'on éprouve par le feu, il n'avait pas été
éprouvé par les souffrances du corps et de l'esprit.
Hâtons-nous d'ajouter qu'il sortait toujours victorieux
de chaque nouvel assaut, et que sa confiance en Dieu
s'affermissait de plus en plus, à mesure que les attaques
du démon devenaient plus furieuses et plus redou-
tables.
Quelques gentilshommes de Ciudad-Rodrigo avaient
témoigné le désir de le voir assister à la procession solen-
nelle instituée par la confrérie de Saint-Antoine de
Padoue. Frère Michel y accéda de grand cœur ; et non-
seulement il se mêla au cortège, mais encore il voulut
porter la statue du saint le jour de sa fête. La procession
était à peine terminée, qu'il se sentit pris d'un violent mal
de tête, en même temps qu'une fièvre brûlante lui des-
séchait la gorge et le faisait frisonner des pieds à la tête.
Les médecins, appelés en toute hâte, s'accordèrent tous
pour déclarer que la maladie était sans remède. Un grand
FRÈRE MICHEL DES ANGES. 377
d'Espagne, Félix de Silva, eut l'honneur de soigner le bien-
heureux dans sa maison pendant les quelques moments
qu'il vécut encore. Comme on voulait le transporter sur
un lit, pour lui procurer tout le soulagement possible,
le saint frère s'y refusa ; il ne lui convenait pas de
mourir mollement, après avoir mené une vie si dure et
si austère, et il demanda qu'on le laissât expirer sur sa
chaise. Il trouva dans son courage assez de force pour se
confesser à haute voix ; puis il reçut le sacrement de la
Communion et l'Extrême-Onction avec une piété si tou-
chante que les assistants ne pouvaient retenir leurs
larmes.
Enfin, après s'être recueilli quelques instants, il ap-
pela auprès de lui Monsieur de Silva, et le pria de faire
prendre après sa mort, dans sa hutte, sous une pierre, un
écrit fermé par trois cachets, et d'en donner connais-
sance aux personnes qui s'intéressaient à lui. Peu de mi-
nutes plus tard, ses forces s'affaiblirent rapidement ; on
le transporta sur un lit sans même qu'il parût s'en
apercevoir. Bientôl sa tête s'affaissa sur l'oreiller, et il
passa tout doucement dans la vie éternelle, le 18 juin
de l'année 1628.
Les seigneurs de Ciudad-Rodrigo ambitionnaient l'hon-
neur de conserver dans leur église paroissiale les pré-
cieux restes du saint ermite ; mais Monsieur de Silva,
selon les dernières volontés de frère Michel, le fit inhu-
mer dans l'église du couvent des Clarisses.
L'écrit que l'on trouva dans la hutte contenait des
révélations sur la famille et la patrie du bienheureux :
lecture publique en fut donnée par les soins de Félix de
Silva. (C/trutt, de la prov. de Suint-Gubriel .)
378 XIX JUIN.
DIX-NEUVIÈME JOUR DE JUIN
LA BIENHEUREUSE MICHELINE
VEUVE, DU TIERS ORDRE
1356. — Pape : Innocent VI. — Roi de France : Jean II, dit le Bon.
SOMMAIRE : Noble origine de la bienheureuse Micheline. — Son mariage. — Pre-
mières années de son veuvage. — Heureuse influence sur la jeune veuve d'une sainte
femme nommée Syra. — Sa conversion. — Elle donne aux pauvres toutes ses
richesses et prend le voile du Tiers Ordre. — Epreuves qu'elle a à subir. — Son
pèlerinage à Jérusalem. — Sa mort et ses miracles. — Ses funérailles et sa béatifi-
cation.
La bienheureuse Micheline naquit de parents nobles et
riches, à Pesaro, dans les Marches, en Italie. Sa jeunesse
fut toute mondaine. Elle n'était âgée que de douze ans
quand on la maria au seigneur de Rimini, gentilhomme
d'une grande famille, allié par le sang aux princes des
Malatesta. Huit ans plus tard, la mort de son époux la
laissa veuve et mère d'un jeune enfant.
Sur ces entrefaites arriva à Pesaro une sainte femme
qu'on appelait Syra, ou la Syrienne, par allusion peut-être
à son origine asiatique, et qui faisait partie du Tiers Ordre
de Saint-François. Quelques savants et pieux personnages
ont cru pouvoir affirmer que cette Syra était, non pas
une femme, mais un Ange envoyé du ciel sous une forme
humaine, pour arracher la bienheureuse Micheline du
milieu des dangers du monde, où elle menaçait de suc-
comber, depuis que son mari n'était plus auprès d'elle
pour la diriger et la soutenir. Quoi qu'il en soit de cette
LA BIENHEUREUSE MICHELINE. 379
supposition, voici ce qu'on connaît des rapports de Syra
et de Micheline. La Syrienne mendiait son pain de porte
en porte, et vivait dans une petite maison où on l'héber-
geait par charité. Toutes les nuits, on la voyait plongée
dans l'extase, souvent enveloppée dans un tourbillon de
lumière. Le jour, elle s'occupait d'œuvres pies. Miche-
line, chez qui Syra venait fréquemment quêter pour elle-
même et pour les pauvres de la ville, se prit d'affection
pour cette dernière et la pria, timidement et même avec
crainte, d'accepter une chambre dans son palais. Elle
redoutait un refus, trop motivé sans doute par sa vie
bruyante et mondaine : la Syrienne, à son grand étonne-
ment, accepta sa'ns hésitation. La noble veuve fut alors,
pendant plusieurs mois, le témoin d'un spectacle extra-
ordinaire. Au milieu des fêtes, des bals, des concerts, la
Syrienne, enfermée dans sa chambre, priait jour et nuit :
tantôt à genoux et le visage prosterné contre terre ; le
plus souvent soulevée par une force invisible et sus-
pendue en l'air, les bras étendus en croix , les yeux
brillants d'un éclat surnaturel. Elle demandait à Dieu
avec ardeur de convertir la pécheresse qui lui donnait le
pain et le vin, et de conduire sa barque loin des écueils
contre lesquels elle allait infailliblement se briser.
La lutte fut longue entre l'esprit de ténèbres et les
effets de la grâce. Ce fut la grâce qui triompha. Micheline
aimait éperdument son fils, et pour lui assurer le salut
éternel, elle eût donné son âme : « Mon Dieu », disait-
elle souvent, « que je sois sûre de retrouver mon enfant
« auprès de vous , et je renonce aux vanités de ce
« monde ! » Dieu, dans son infinie bonté, daigna ré-
pondre à ce cri de l'amour maternel. Un jour que
380 XIX JUIN.
Micheline , accompagnée de Syra , était allée prier à
l'église devant un tableau représentant l'enfant Jésus,
elle entendit une voix qui lui disait : a Votre fils sera assis
« à ma droite ; je l'appellerai mon frère, et à vous-
a même je donnerai le nom de mère : allez en paix » .
Ces seules paroles produisirent dans l'âme de la belle
veuve un changement complet. Elle revint à la maison,
le cœur rempli d'une joie céleste qui, hélas ! devait bientôt
se changer en une douleur profonde. Son enfant se mou-
rait ; elle eut à peine le temps de recueillir son dernier
souffle et d'imprimer sur ses lèvres un dernier baiser ;
mais au même instant une lumière éblouissante emplis-
sait la chambre, et deux Anges éclatants de blancheur
recueillaient la jeune âme et la portaient sur leurs ailes
de feu jusqu'au pied du trône de Dieu. Le Seigneur avait
tenu sa parole ; Micheline se prépara à ne pas manquer
à la sienne.
Elle commença par faire de la Syrienne la directrice
absolue de toutes ses pensées et de toutes ses actions. Sur
son avis, elle demanda et obtint le voile du Tiers Ordre
de Saint-François, et se choisit parmi les Frères Mineurs
un confesseur d'une piété et d'une science bien connues.
Ce fut dans toute la ville un étonnement indescriptible,
quand on apprit que le palais de la veuve mondaine s'é-
tait transformé tout d'un coup en une demeure calme et
paisible, où l'on s'occupait seulement de prières, de
bonnes œuvres et de méditations. Toute la noblesse, et
surtout la famille de Micheline, s'en montra très-émue, et
l'on s'efforça de la faire rentrer dans le inonde d'où elle
venait de sortir si brusquement. Elle triompha, avec
l'aide de Dieu, du sarcasme et de la raillerie et, ce qui
LA BIENHEUREUSE MICHELINE. 381
est mieux encore, de ses propres passions. Le démon était
terrassé à jamais ; et une belle âme de plus allait
fleurir pour le ciel.
Bientôt les robes de soie et de velours, les tapis de
Perse et de Turquie, les meubles, les objets d'art qui
remplissaient le palais, furent vendus au profit des pau-
vres de la ville. La maison de Micheline devint comme le
refuge de tous les malheureux ; elle se fit la mère des
orphelins, la sœur des malades, la consolatrice des affli-
gés. Ceux qui souffraient étaient sûrs de trouver auprès
d'elle secours et bonnes paroles. Ses richesses s'épui-
saient ; sa générosité ne connaissait pas de limites. Elle
aliéna ses bijoux, des souvenirs de famille qu'elle n'eût
pas abandonnés autrefois pour tout l'or du monde. Ses
terres, ses châteaux furent mis en vente, en dépit des
efforts de ses parents, qui, furieux de voir s'en aller par
lambeaux un magnifique héritage dont ils avaient espéré
jouir un jour, essayèrent de la faire enfermer comme
folle. Micheline en ressentit une vive douleur, mais elle
tint ferme et persévéra courageusement dans la voie où
elle s'était engagée. Elle en fut d'ailleurs récompensée
par de précieuses faveurs. Le Fils de Dieu lui apparut et
la félicita de son dévouement à la sainte cause de ceux
qui souffrent : a Ma fille », lui dit-il, « quand sainte Ma-
« deleine a versé sur moi des essences et des parfums,
« elle a été moins agréable à mon Père que vous-même,
« quand vous avez répandu autour de vous vos richesses
« et consacré tous vos biens au soulagement des malheu-
« reux » .
Quand Micheline eut donné tout ce qu'elle possédait,
par un suprême effort de charité elle sortit de sa propre
382 XIX JUIN.
maison, la vendit et distribua à ses chers protégés l'ar-
gent qu'elle en retira. Une pauvre femme la reçut chez
elle, pour l'amour de Dieu, comme disait la sainte veuve,
et elle vécut de la charité publique.
C'était un curieux spectacle que celui de cette femme,
jeune et belle malgré les macérations, tout à l'heure
encore riche, entourée d'un brillant cortège d'adorateurs
et de courtisans, mondaine, coquette, amie du plaisir et
du bruit, et maintenant parcourant, nu-pieds et vêtue
d'une méchante robe de bure, cette même ville dont elle
avait été la reine, devenue volontairement plus pauvre et
plus misérable que le dernier des malheureux. Jamais
elle n'avait eu une figure plus noble et plus imposante,
et le sentiment du devoir accompli jusqu'au bout, sans
hésitation ni regret, donnait à toute sa personne une
majesté et une dignité incomparables. Elle essuya
cependant bien des rebuts, bien des paroles dures et
hautaines. Un gentilhomme de sa famille la fit un jour
chasser de sa maison par ses valets. Rien ne l'arrêta dans
la voie où elle était entrée ; elle marcha toujours en
avant, la tête haute et le cœur assuré, jusqu'au seuil de
l'éternel royaume.
Toute la vie de cette sainte femme n'est qu'une
longue suite de vertus réunies entre elles par l'amour
de Dieu et du prochain. Ses mortifications eussent
effrayé les religieux les plus austères. Sur sa peau si
frêle et si délicate elle portait un vêtement de crin, serré
à la taille par une chaîne de fer, et qui faisait de tout
son corps une plaie sanglante. Une planche, quelquefois
même la terre nue, lui servait de lit; quand elle était
malade, elle s'étendait sur un sac et reposait sa tête sur
LA BIENHEUREUSE MICHELINE. 383
un morceau de bois. Sa nourriture habituelle se
composait de pain et d'eau, à qnoi elle ajoutait parfois
quelques légumes. A force de s'agenouiller sur le pavé
froid des églises, ses jambes s'étaient gonflées de tumeurs
douloureuses, qui l'empêchaient souvent de dormir ; et
cependant sa douce figure conservait toujours la même
sérénité angélique. Plus elle souffrait, plus elle semblait
heureuse; et quand, sous les coups de discipline, son
sang jaillissait et coulait à terre, elle remerciait avec
effusion le Seigneur qui lui donnait la force de se mor-
tifier par amour pour lui.
Tous les matins, après avoir passé la plus grande
partie de la nuit à prier, à méditer ou à s'imposer de
terribles épreuves , elle assistait à la messe, puis se
mettait en route pour recueillir des aumônes destinées
bien plutôt aux pauvres qu'à elle-même. Sa provision
faite, elle allait visiter les malades et porter aux mal-
heureux les vivres qu'elle venait de recueillir. Elle se
faisait ouvrir les portes des prisons, et consolait par
quelques douceurs les misérables qui y étaient enfermés.
Dans les hôpitaux, où on l'attendait toujours avec impa-
tience , personne ne savait mieux qu'elle panser les
plaies, encourager ceux qui souffraient à prendre pa-
tience, et préparer les agonisants à paraître devant Dieu.
Vers la fin de sa vie, la bienheureuse Micheline put
jouir d'une félicité qu'elle avait longtemps désirée sans
oser l'espérer : elle fit, avec quelques personnes pieuses, le
pèlerinage de Jérusalem. Elle visita les lieux où avait
vécu le Sauveur, et la montagne du Golgotha, où il était
mort pour les hommes. Elle s'agenouilla dans le jardin
des Oliviers, et là elle demanda à Dieu qu'il lui fût
384 XIX JUIN.
permis, comme au divin Fils, de boire le calice d'amer-
tume jusqu'à la lie, et de mériter par de fortes épreuves
l'éternelle récompense des élus. Le chroniqueur rapporte
qu'au moment où elle quittait la Terre-Sainte pour
revenir à Pesaro, sur ses pieds, ses mains et son côté se
dessinèrent tout à coup les mêmes cicatrices qui avaient
marqué les pieds, les mains et le côté du divin Crucifié.
Les habitants de Pesaro ont longtemps conservé avec un
soin jaloux les vêtements que la veuve avait portés durant
son pieux pèlerinage.
Quelques années après son retour de Jérusalem,
Micheline ressentit les premières atteintes de la maladie
dont elle devait mourir. L'approche de sa mort fut le
signal d'un deuil universel. On se succédait auprès de
son lit de douleur, on se pressait dans les églises pour
obtenir de Dieu la prolongation de la vie de cette sainte
femme, que les malheureux appelaient leur mère. Mais
le Seigneur, dans son infinie providence, avait décidé
que le moment était venu de récompenser sa pieuse
servante d'une vie d'abnégation et de dévouement. Le
19 juin 1356, Micheline, après avoir fait une confession
générale de ses fautes, reçut le saint Viatique et l'Ex-
trême-Onction, et quelques instants après , elle s'en-
dormit dans le sein du Seigneur, au milieu des larmes
et des gémissements de tous ceux qui étaient présents.
Ses précieux restes furent transportés avec pompe dans
l'église de l'Ordre Séraphique, qui servait alors de cha-
pelle aux Pères Conventuels, et pendant quelques jours
ils y restèrent exposés à la vénération des fidèles. Dieu,
pour honorer sa servante parmi les hommes, permit que
des miracles éclatants s'accomplissent sur son tombeau
LES PREMIERS MARTYRS DU BRÉSIL. 385
ou par son intercession. Le chroniqueur cite les noms
d'un habitant d'Ancône, d'un jeune homme de Fano,
d'un bourgeois deRimini, d'une jeune fille de Recanati,
d'une noble dame de Ravenne, etc., guéris de mala-
dies mortelles par la toute-puissante intervention de la
bienheureuse
On a conservé longtemps dans la sacristie des objets
qui avaient appartenu à ia sainte veuve. La maison où
elle avait été repue par charité fut transformée en église.
Enfin les Pères Conventuels obtinrent la permission de
célébrer sa fête chaque année, dans tout le diocèse de
Pesaro. En 4737, la cour de Rome a placé Micheline au
rang des bienheureuses.
(Wadding et Papebroeck.)
LES PREMIERS MARTYRS DU BRESIL
1505. — Pape : Jules II. — - Roi de France : Louis XII.
SOMMAIRE : Découverte du Brésil par l'amiral Portugais Alvarez Cabrai. — La
première messe chantée sur le rivage brésilien, — La première église chrétienne de
l'Amérique du Sud. — Les premiers missionnaires et les premiers martyrs. — Le
Rio-San-Fpancisco.
Le pays que l'on appelle aujourd'hui l'empire du
Brésil est l'une des contrées du monde les plus riches et
les plus favorisées de la nature. On n'y connaît pas
l'hiver, la température y est toujours douce, et les nuits
sereines et calmes y semblent continuer le jour. Ce beau
pays, avant l'arrivée des missionnaires évangéliques, était
habité par des peuplades sauvages et barbares, sans foi
ni loi, sans demeure fixe, errant à l'aventure à travers
Palm. Séraph. — Tome VI. 25
380 XIX JUIN.
d'immenses solitudes. C'étaient de véritables bandits, tou-
jours en guerre les uns contre les autres, et dont beau-
coup peut-être, après la victoire, se nourrissaient de
chair humaine.
L'amiral Portugais Alvarez Cabrai est le premier
Européen qui mit le pied sur cette terre et qui y planta,
avec l'étendard de son roi, la croix du Sauveur. Il aborda
avec sa flotte dans un havre splendide, qu'il appela du
nom de Porto -Securo (le port paisible). Le Père Henri de
Coïmbre, religieux d'une grande science et d'une grande
vertu, plus tard confesseur du roi, évêque de Ceuta et
inquisiteur suprême du Portugal, qui se trouvait sur le
vaisseau amiral avec quatre frères mineurs et quelques
autres prêtres, éleva un autel sur le rivage de l'Océan et
célébra la première messe d'action de grâces en l'hon-
neur du Seigneur tout-puissant. Quelques Brésiliens
étaient accourus à ce spectacle nouveau pour eux ; il leur
expliqua de son mieux , par des signes plus encore
que par des paroles, la grandeur et la majesté du Dieu
qu'il adorait ; puis il leur distribua des croix , des
médailles et des images où étaient retracées les prin-
cipales époques de la vie du Sauveur. Le même jour
l'amiral fit élever par des matelots une croix gigan-
tesque, ce qui valut au pays le nom de terre de la Sainte-
Croix. Plus tard seulement le nom de Brésil prévalut.
Un frère mineur et un officier de l'armée portugaise
furent chargés de porter au roi de Portugal la grande
nouvelle, et Emmanuel, désireux d'ajouter à sa cou-
ronne une province de plus, en même temps que d'é-
tendre le domaine de la foi catholique, fit partir aussitôt
une seconde flotte avec des troupes destinées à occuper
LES PREMIERS MARTYRS DU BRÉSIL. 387
la contrée que l'on venait de découvrir. Deux frères
mineurs faisaient partie de l'expédition. On rejoignit sans
encombre les vaisseaux d'Alvarez dans le havre du Porto-
Securo.
A peine débarqués, les missionnaires apprirent la
langue du pays, afin d'être plus à même d'enseigner
aux habitants les vérités de la religion catholique.
Une église, humble et modeste d'abord, s'éleva bientôt
sous l'invocation de saint François : c'est le premier
temple chrétien du Brésil. Peu à peu des habitations
d'indigènes se groupèrent alentour, et l'on vit se former
un village dans lequel les missionnaires restèrent deux
ans. Ils en sortaient de temps en temps pour aller
porter la lumière du christianisme dans les hameaux
voisins, plantant des croix partout sur leur passage,
comme un gage assuré de la prochaine domination de la
vraie foi dans ces contrées.
Cependant les conversions se multipliaient, et les
religieux baptisaient, au nom du Père, du Fils et de
l'Esprit-Saint, des hommes qui quelques mois auparavant
vivaient dans l'ignorance des principaux mystères de la
religion. Malheureusement ils n'avaient pas encore réussi
à adoucir les mœurs barbares des Indiens. Un jour qu'ils
étaient en prières dans leur petite église, ils se virent
toup à coup entourés par une foule furieuse, conduite
par quelques-uns des prêtres des faux dieux, et ils pé-
rirent sous une grêle de flèches et de pierres, sans que
les Indiens convertis aient songé à les défendre. Non
satisfaits de ce meurtre , les sauvages coupèrent en
morceaux les corps des deux victimes, les rôtirent et les
mangèrent, le 19 juin 1505. Le sang des Frères Mineurs,
388 xix juin.
comme autrefois le sang des premiers martyrs, allait
enfanter des chrétiens et en peupler toute la terre du
Brésil.
Les noms de ces deux bienheureux franciscains,
demeurés inconnus parmi les hommes, sont inscrits
sans doute au livre de "vie, avec ceux des missionnaires
courageux qui sont tombés pour la foi sur tous les points
du monde, au Mexique, en Asie, chez les Maures, chez
les Japonais. Ils sont restés obscurs sur la terre, mais
ils resplendissent dans le ciel ne tout l'éclat d'une gloire
incomparable.
Peu de temps après la mort des deux frères portugais,
deux frères mineurs italiens arrivèrent au Brésil. Ils
réédifièrent dans la même ville une nouvelle église, sur
l'emplacement même de celle qui avait été détruite. Dans
l'une des tournées évangéliques qu'ils faisaient fréquem-
ment à travers un pays inconnu, l'un des deux frères
tomba dans une rivière rapide et profonde, ei s'y noya.
Cette rivière porte encore aujourd'hui le nom de rivière
du Frère Mineur, ou Rio-san-Francisco.
(Cardose.)
LA BIENHEUREUSE CÉCILE PORTARO. 389
LA BIENHEUREUSE CECILE PORTARO
VIERGE, DU TIERS ORDRE
1640. — Pape : Urbain VIII. — Roi de France : Louis XIII.
CHAPITRE PREMIER.
SOMMAIRE : Jeunesse de la bienheureuse Oécile. — Ses dispositions à la vertu. —
Développement de son intelligence vers le bien et la piété. — Elle entre dans un
couvent du Tiers Ordre de Saint-François de Paule, puis prend le voile des Ter-
tiaires de l'Ordre Séraphique. — Ses aspirations vers la vie solitaire et ce qui l'en
détourne. — Sa soumission à son confesseur. — Sa pureté. — Son humilité.
Cécile Portaro naquit à Milan en 1586. Elle reçut au
baptême les noms de Lucrèce-Virginie. Son père, Argen-
tin Portaro, sicilien de naissance, attaché à la cour du
grand-duc en qualité de secrétaire, vivait en grand sei-
gneur avec sa femme Antonine Ameda. Il vint habiter
Palerme, en Sicile, lorsque Lucrèce n'était encore âgée
que de six mois. C'est là que se manifestèrent les vertus
naissantes de la bienheureuse enfant. Ses bonnes qua-
lités commencèrent à se faire jour dans un âge où d'or-
dinaire ne se montrent d'abord que les mauvais pen-
chants et les inclinations vicieuses. A trois ans, elle
éprouvait un plaisir immense à donner aux malheureux
de l'argent ou des vivres ; et l'on pouvait prévoir dès lors
qu'elle songerait toujours aux autres, avant de s'occuper
de ses propres besoins.
Ce fut bien mieux encore, quand son intelligence plus
développée sut distinguer entre ce qui est bien et ce qui
390 XIX JUIN.
est mal. Elle acquit rapidement la connaissance des
choses de la religion, et il y avait plaisir à l'entendre,
avec sa petite voix enfantine, raconter les merveilles de
la création et la grandeur de Dieu. Tout entière déjà à
son céleste Fiancé, elle évitait avec soin ce qui pouvait
la distraire et détourner, ne fût-ce que pour un instant,
ses pensées du Sauveur crucifié ; elle fuyait les sociétés
frivoles, les jeunes filles coquettes et mondaines, et
venait au pied des autels consacrés à la Mère de Dieu
chercher un refuge contre les séductions de la terre.
A quatorze ans, elle obtint de sa mère, non sans
peine, la permission d'entrer dans un couvent du Tiers
Ordre de Saint-François de Paule. Sa réputation l'y avait
précédée ; on l'y reçut à bras ouverts, comme une
envoyée du ciel, et on la considéra le premier jour non
comme une novice, mais comme une religieuse accom-
plie. Grand fut l'étonnement des bonnes sœurs lorsque, à
la fin de son année de noviciat, elle sortit tout à coup du
couvent sans motif apparent.
C'est que Dieu, sans doute, en avait ainsi décidé dans
son infinie sagesse, et qu'il avait choisi d'autres voies
pour amener la bienheureuse fille, pure et immaculée,
jusqu'au seuil de l'éternité. En effet, quelques jours seu-
lement après qu'elle avait pris congé des religieuses de
Saint-François de Paule, Lucrèce demanda et obtint le
voile des Tertiaires de l'Ordre Séraphique. La cérémonie
eut lieu dans un couvent situé à une heure de Païenne.
C'est alors qu'elle quitta son nom de baptême pour porter
celui de sœur Cécile. Son dégoût pour le monde et ses
vanités ne faisait que s'accoître à mesure qu'elle avançait
en âge ; et souvent, quand elle se promenait dans les bois
LA BIENHEUREUSE CÉCILE P0RTAR0. 39!
qui entouraient la ville, elle se sentait envahir par un
calme souverain, et un immense désir de vivre dans la
solitude grandissait dans son cœur. La crainte où elle
était de manquer de force contre les embûches du démon
l'empêcha seule démettre ce projet à exécution, et elle se
ht, comme elle disait quelquefois, une solitude moins
dangereuse dans la maison de sa mère.
Quand les Pères Théatins, dont l'Ordre venait d'être
fondé par saint Gaétan, s'établirent à Palerme, elle se
choisit un confesseur parmi ces hommes vénérables, aussi
pieux que savants. Après quelques hésitations, elle s'ar-
rêta au Père Thomas Anchora, qui devint par la suite
archevêque de Trani, et qui la dirigea pendant trente ans
dans les voies du salut. Elle avait en lui une confiance
illimitée et écoutait ses moindres paroles avec autant de
recueillement que si elles fussent tombées de la bouche
de Dieu lui-même. Sans volonté devant ses décisions,
elle lui obéissait aveuglément, ne se confessait et ne com-
muniait que quand elle en recevait l'ordre, et toujours
dans les conditions par lui prescrites. C'est sur son insti-
gation qu'elle fit vœu de virginité, et que, à toutes les
fêtes de la très-sainte Vierge, elle renouvelait au Sei-
gneur celte grande promesse.
Elle la tint, d'ailleurs, pendant toute sa vie, à force d'é-
nergie, de confiance en Dieu et d'amour pour son Fiancé
céleste. Quand le démon fit parler les désirs charnels, elle
étouffa leurs voix sous les mortifications et les austérités.
Jour et nuit elle portail un cilice qu'elle maintenait serré
à la taille avec une ceinture garnie de pointes de fer. Elle
s'infligeait la discipline plusieurs fois dans la même jour-
née. Ses jeûnes étaient si nombreux et si sévères, qu'on
392 XIX juin.
a peine à concevoir comment, en prenant si peu de nour-
riture, elle pouvait encore se soutenir. Jamais elle ne
mangea de viande ; ses repas se composaient d'un mor-
ceau de pain noir ot dur, de quelques racines mal cuites
et d'un peu d'eau ; pendant le Carême et FAvent, tous les
vendredis et tous les samedis de l'année, la veille des
grandes fêtes de l'Eglise, de la sainte Vierge et des saints,
elle ne vivait que de pain et d'eau.
Les yeux, a dit un pieux personnage, sont les fenêtres
par où les péchés pénètrent dans notre âme ; hors de sa
chambre, elle les tenait constamment baissés et presque
fermés ; à l'église, elle choisissait toujours le coin le plus
sombre et le plus paisible ; dans les rues, elle marchait
le long des maisons, en évitant autant que possible la
rencontre des passants, l'esprit toujours rempli de l'idée
de Dieu, et absolument étrangère à ce qui pouvait se faire
ou se dire autour d'elle.
Humble au-delà de tout ce qu'on peut imaginer, elle
avait pour elle-même un souverain mépris et se consi-
dérait comme la plus grande pécheresse du monde. Le
dernier des criminels n'était pas, à l'entendre, aussi éloi-
gné qu'elle de la perfection. Elle témoignait aux autres
religieuses une douceur touchante, et ne les laissait
jamais, elle présente, s'occuper des gros travaux du cou-
vent. Elle eût pris plaisir à se voir injurier, et les éloges
lui étaient insupportables. La duchesse d'Ossuna, femme
du vice-roi de Sicile, qui connaissait la bienheureuse pour
avoir entendu prôner ses grandes qualités, la pria un
jour de la venir voir dans son palais. La bonne sœur s'y
résigna, non sans peine, et toute confuse de l'honneur
qu'on lui faisait et du respect que lui témoignait la du-
LA BIENHEUREUSE CÉCILE PORTARO. 393
chesse, elle essaya de lui prouver que sa réputation n'était
pas en rapport avec son imperfection et qu'elle ne méri-
tait pas l'estime qu'on avait pour elle. C'est, d'ailleurs., la
seule fois que sœur Cécile consentit à pénétrer dans la de-
meure des grands personnages de Palerme; les duchesses
d'Albuquerque, d'Alcala et de Montalte, essayèrent en
vain de lui faire accepter leur magnifique hospitalité ;
elle voulait vivre et mourir en servante obscure du
Seigneur.
CHAPITRE II.
SOMMAIRE : Charité de la bienheureuse Cécile. — Son infatigable dévouement
aux pauvres et aux malheureux. — Ses bonnes œuvres sont comme un miracle
continuel. — Soin qu'elle prend des âmes comme des corps. — Elle fonde chez elle
une école de jeunes filles. — Bons résultats qu'elle obtient. — Elle convertit un
certain nombre ^'esclaves Maures.
La nature et la grâce semblent s'être conjurées pour
donner à la bienheureuse Cécile toutes les vertus et toutes
les perfections. Nous venons de la voir pieuse, chaste et
humble ; la voici maintenant qui prodigue à son pro-
chain les trésors d'un cœur aimant et d'une inépuisable
charité.
Dès sa première enfance, elle s'était montrée compa-
tissante et bonne pour les malheureux : cette heureuse
disposition, loin de se démentir, alla sans cesse se déve-
loppant. Après avoir distribué aux pauvres tout l'argent
qu'elle possédait, elle mendia pour leur venir en aide.
Elle courait des palais aux chaumières, là implorant la
pitié des heureux du monde, ici apportant, avec des paroles
d'encouragement et d'espérance, les choses indispensa-
bles à la vie de tous les jours. Eté comme hiver, par le
soleil ou la pluie, par l'orage ou la gelée, on la voyait par
394 XIX JUIN.
les chemins, son grand panier au bras. Durant plus de
vingt ans elle approvisionna non-seulement de pain, de
viande et de vin, mais encore de bois et d'huile, un vieil-
lard qui habitait, non loin de sa maison, une petite hutte.
Un pauvre prêtre ne vécut que par ses soins pendant trois
années entières. Elle hébergeait les veuves, dotait les
filles d'ouvriers sans ressources, et trouvait moyen de
soulager tout le monde en ne s'épargnant à elle-même
aucune espèce de fatigue.
Les malades étaient aussi l'objet de ses soins ; elle allait
soigner dans leur maison ceux qui étaient forcés de
garder le lit ; pour les autres, elle avait toujours à leur
disposition des médicaments préparés à l'avance, et qu'on
pouvait venir prendre chez elle à toute heure du jour ou
de la nuit. Dans les hospices, elle aidait les sœurs infir-
mières à panser les plaies, à laver les pieds des malades ; ,
et, cequi vaut mieux encore, elle trouvait au fond de son
cœur des trésors d'éloquence et versait dans leur âme,
comme un baume salutaire, l'espérance et la résigna-
tion.
On a peine à comprendre comment, toute pauvre
qu'elle était, la bienheureuse Cécile suffisait à tant de
bonnes œuvres. Il y avait là, pour ainsi dire, un miracle
perpétuel qui ne s'expliquait que par une intervention
incessante de la Providence, et plus d'une fois sans doute,
comme autrefois sur la montagne, Dieu multiplia dans
ses mains le produit des aumônes qu'elle allait répandre
autour d'elle.
D'ailleurs, quand elle quêtai!, les aumônes pleuvaient
dans son panier; car personne n'gnorait le saint usage
qu'elle allait en faire, et chacun voulait avoir une part à
LA BIENHEUREUSE CÉCILE PORTARO. 39b
ses mérites. La façon seule dont elle disait : « Pour les
« pauvres, s'il vous plaît», inspirait la charité et tou-
chait les cœurs les plus durs. Une grande dame qui l'ai-
mait beaucoup, la força un jour d'accepter un présent de
mille ducats.
C'eût été peu, si la bienheureuse fille, dans son ardent
amour pour les hommes, n'avait songé qu'aux besoins
de leurs corps ; une chose la préoccupait davantage : leur
salut éternel, et elle n'épargna rien pour les aider à y
atteindre. Désireuse de former les âmes à la vertu, elle
institua une école de jeunes filles, qu'elle dirigea elle-
même, et à qui elle enseigna tout d'abord la crainte de
Dieu et le respect de ses commandements. Sa maison
était devenue une sorte de couvent, dont elle était la
sainte abbesse; tous les jours, à la tête de ses filles spiri-
tuelles, elle allait entendre la messe à l'église du Tiers
Ordre ; aux grandes fêtes de l'année, la petite commu-
nauté s'approchait de la sainte Table ; et la piété de ces
enfants, rehaussée encore par une douce modestie, était
si touchante, qu'on ne pouvait les voir sans verser des
larmes.
La maison de sœur Cécile avait, comme un cloître, une
règle sévère et respectée. La loi du silence y était si stric-
tement observée, qu'on n'y prononçait jamais une parole
inutile. Durant le travail manuel, quelqu'une des jeunes
filles faisait à haute voix une lecture pieuse, ou bien la
bienheureuse Cécile leur adressait quelques mots simples
et éloquents sur les devoirs de la femme chrétienne, sur
la manière dont il faut se préparer à la confession et à la
communion, sur le mérite éclatant des vierges, sur la
compassion que l'on doit aux âmes du purgatoire. Cette
396 XIX JUIN.
éducation portait ses fruits : beaucoup des élèves de Cécile
entrèrent dans des couvents religieux ; d'autres se consa-
crèrent au service des malades; d'autres encore restèrent
dans le monde, où elles ne cessèrent d'être des modèles
de piété.
En même temps la sainte fille, par ses paroles ou par
ses prières, opérait des conversions au dehors. Il faut
citer; entre autres, celle de son frère Louis, qui, après
avoir pris l'habit du Tiers Ordre et passé quelque temps
dans un couvent de Franciscains, s'enfuit un jour comme
un voleur et s'en alla vivre à Naples avec une courti-
sane. Sa famille tout entière était plongée dans la cons-
ternation ; Cécile seule ne désespéra pas :« Dieu », disait-
elle souvent, «saura bien trouver le chemin de ce cœur ».
La conversion s'accomplit en effet; le coupable revint de
lui-même à Païenne, et, grâce à l'intervention de sa sœur,
fut admis en qualité de frère lai dans un couvent de
religieux Carmélites.
Une jeune fille de noble origine s'était laissée séduire
par un intrigant qui, après l'avoir enlevée à sa famille et
amenée à Païenne, l'abandonna au bout de quelque temps,
non sans l'avoir indignement outragée et privée de tout
ce qu'elle possédait. Quelques religieux, à qui elle raconta
son malheur, la recommandèrent à la bienheureuse Cécile
et la firent recevoir dans sa maison. Bientôt la paix revint
au cœur de la pauvre enfant, en même temps qu'une
transformation complète s'opérait dans tout son être.
Elle comprit la grandeur de sa faute, mais elle ne déses-
péra plus d'en obtenir le pardon ; et, pour le mériter par
une longue vie d'abnégation et de pénitence, elle renonça
au monde qu'elle avait aimé et s'enferma dans un couvent.
LA BIENHEUREUSE CÉCILE PORTARO. 397
Il y avait une classe d'hommes qui inspirait à Cécile
plus de pitié encore que les chrétiens égarés, c'étaient
ceux qui n'avaient jamais entendu parler des vérités de
la foi. Des vaisseaux espagnols amenaient tous les jours à
Palerme des Maures et des Mauresses enlevés sur les côtes
d'Afrique, ou même achetés à prix d'or, et qu'ils ven-
daient ensuite comme esclaves aux grands seigneurs et
aux riches commerçants de la ville. Ces malheureux ex-
citaient au dernier point la compassion de Cécile ; aussi
s'ingéniait-elle à les arracher aux griffes du démon, et en
vérité il semble que Dieu lui ait donné un talent tout
particulier pour leur inspirer le désir d'entrer au sein de
l'Eglise catholique. Elle s'attacha particulièrement à une
pauvre Mauresse nommée Asie, et non-seulement elle la
convertit, mais encore elle sut lui inspirer pour les souf-
frances du Sauveur un si ardent amour, que Dieu, en
récompense, permit que sur le corps'de la pauvre esclave
apparussent des cicatrices semblables à celles de Jésus
crucifié. Après sa mort, cette Mauresse se montra mira-
culeusement, dans toute la splendeur de sa gloire, à l'un
de ses anciens compagnons d'esclavage, et lui raconta
l'histoire de sa conversion ; le lendemain même un nou-
veau chrétien demandait le baptême.
Plus de cinquante malheureux furent ainsi arrachés
aux ténèbres de l'idolâtrie et instruits dans la religion
catholique par les soins de la bienheureuse.
398 XIX JUIN.
CHAPITRE III.
SOMMAIRE : Compassion de la bienheureuse Cécile pour les âmes du purgatoire.
— Heureux effets de ses prières. — Sa dévotion à la sainte Vierge et à saint Joseph.
— Ses extases. — Elle a le don de seconde vue et de miracles. — Ses souffrances.
— Sa dernière maladie et sa mort. — Miracles qui la suivirent.
Les âmes du purgatoire ont toujours excité Ja pitié de
ceux qui compatissent sur la terre aux souffrances des
malheureux. Il y a aussi une façon de les soulager, c'est
d'obtenir de Dieu, à force de prières et de vertus, qu'il
diminue le temps de leur pénitence. On peut croire que
Cécile ne manquait pas à ce devoir suprême de la charité.
Une partie dés aumônes qu'elle recueillait était consacrée
à faire dire des messes pour les âmes qui sont privées de
la vue du Très-Haut et à qui cettte privation est le plus
cruel de tous les supplices. Tous les jours elle passait plu-
sieurs heures de la matinée à l'église de Saint-Matthieu,
et assistait à quelques-uns des divins sacrifices offerts
pour la délivrance des âmes (1).
Elle eut le rare bonheur d'apprendre par des voies mi-
raculeuses que ses prières étaient quelquefois exaucées.
Un soir, Jules Milione, prêtre de Palerme, la rencontra
dans la rue et voulut l'accompagner jusqu'à sa demeure.
Comme il retournait chez lui, il s'égara dans les ténèbres,
et il ne pouvait retrouver son chemin quand tout à coup,
éclairé par une inspiration subite, il fit cette prière :
a Ames délivrées par Cécile, venez-moi en aide et n'aban-
« donnez pas celui qui a guidé vers sa maison votre bonne
(1) Voir à ce propos, dans ce même volume, la vie de Léonard Galicius (dix-
septième jour de juin).
LA BIENHEUREUSE CÉCILE PORTARO. 399
« mère » . Au même instant, quatre personnages mysté-
rieux apparurent à ses côtés avec des torches ; le seul nom
de Cécile les avait pour quelques moments fait descendre
du ciel, dont les portes d'or s'étaient ouvertes devant eux
par son intercession.
Plusieurs habitants de Palerme furent guéris de ma-
ladies déclarées incurables, par les soins d'âmes qui re-
connaissaient ainsi les bienfaits inappréciables de la
sainte fille.
Sœur Cécile avait une grande dévotion à la bienheu-
reuse Vierge Marie; tous les samedis et la veille de ses
fêtes, elle jeûnait en son honneur; chaque jour elle
récitait son chapelet et les litanies de la Mère de Dieu:
Saint Joseph avait aussi sa part de cette piété de notre
bienheureuse pour sa céleste Epouse. C'est toujours à lui
qu'elle recourait dans les besoins pressants, et jamais son
assistance ne lui fit défaut.
Un jour qu'elle revenait, avec ses soeurs et quatre
vénérables dames, d'un pèlerinage à la miraculeuse
image de la Madone de Trapani, elle fut surprise par la
nuit, et elle s'effrayait, ainsi que ses compagnes, à l'idée
de revenir à Palerme par mer et dans les ténèbres. Tout
à coup apparurent auprès d'elles un veillard à la figure
radieuse et un jeune homme plus resplendissant encore
de majesté : c'étaient saint Joseph et son divin Fils, qui
ramenèrent les pieuses femmes jusqu'à leur demeure et
se firent connaître à elles au moment où ils les quittè-
rent pour retourner dans leur céleste patrie.
Ce n'est pas la seule fois que le Fils de Dieu visita
sa fiancée bien-aimée. Quand sœur Cécile s'était ap-
prochée de la sainte Table, elle tombait d'ordinaire
400 XIX JUIN.
dans de profondes extases, durant lesquelles elle jouissait
de la vue directe et immédiate des choses du ciel. Elle se
prosternait alors le visage contre terre, et fermait les
yeux comme si l'éclat de la Majesté divine l'éblouissait.
Souvent elle paraissait elle-même toute resplendissante,
et des rayons partant des diverses parties de son corps
remplissaient de lumière l'endroit où elle priait.
Dieu accorda à la bienheureuse Céci.e .e f<on précieux
de seconde vue et le pouvoir d'accomplir des miracles.
Elle savait lire au fond des cœurs et découvrir ies se-
crets les mieux cachés. Au seul aspect d'une personne
elle devinait son avenir. Son confesseur la priait un jour
de recueillir chez elle une jeune fille pauvre, et à son
grand étonnement il essuya un refus et fut obligé de
choisir à sa protégée une autre directrice. Quelque temps
après la malheureuse s'abandonnait aux séduciions du
monde, et sa chute expliquait au bon prêtre la conduite
de sœur Cécile.
Les Pères Théatins étaient fort inquiets de l'issue d'un
procès dont dépendait l'existence de leur couvent de Pa-
lerme, et tous leurs amis manifestaient les mêmes crain-
tes ; car le gentilhomme qui les attaquait avait une grande
influence. Seule, Cécile paraissait calme: « Prenez con-
« fiance », répétait-elle souvent, « Dieu est avec vous;
« vous aurez gain de cause ». L'événement prouva qu'elle
avait raison.
On cite de la bienheureuse Cécile des guérisons mira-
culeuses. Une certaine Laure Calvino, aveugle de nais-
sance , recouvra complètement la vue par la seule
imposition du crucifix de la sainte fille. Une femme d'Al-
caino fut de la même façon délivrée du démon. Elle rendit
LA BIENHEUREUSE CÉCILE PORTARO. 401
la santé à un habitant de Palerme en lui faisant boire
de l'eau bénite.
Durant les dernières années de sa vie, Cécile fut
éprouvée par de cruelles maladies. Elle les supporta avec
joie et ne songea jamais à s'en plaindre : « 0 Dieu »,
disait-elle, « qui avez souffert pour les hommes, merci à
« vous de ne pas me trouver indigne de porter aussi ma
« croix ! »
Au commencement de l'année 4640, ses douleurs de-
vinrent si vives qu'elle fut obligée de garder le lit. Ce-
pendant sa figure conservait la même sérénité, et son
âme le même calme inaltérable. Quand les forces lui re-
venaient pour quelques instants, elle en profitait pour
chanter des cantiques d'actions de grâces. Une seule
chose la tourmentait : elle pensait aux pauvres dont
elle était la providence, et qu'elle ne pouvait plus se-
courir. On lui promit d'en avoir soin et de ne les laisser
manquer de rien.
Cependant, sa fin approchait. Un soir du mois de juin,
les médecins la trouvèrent si faible, qu'ils prièrent un
prêtre de lui donner l'Extrême-Onction. Il s'y refusa, sous
prétexte qu'il y avait trop longtemps qu'elle avait com-
munié, et il fallut un ordre exprès de l'archevêque pour
l'y décider. Cette nuit-là, qui fut la dernière, une vierge
éblouissante de blancheur apparut à la pauvre malade,
l'encouragea par de douces paroles, et, lui imposant les
mains, la délivra comme par enchantement de toutes ses
souffrances. Puis elle entonna le Salve Regina etdisparut.
Cécile comprit le sens de cette apparition ; elle adressa
quelques recommandations aux personnes qui se trou-
vaient à son chevet, et expira, le 19 juin 4G40.
Palm. Séraph. — Tome VI. 26
402 XIX JUIN.
Une grande foule de peuple, à la nouvelle de sa mort,
accourut de tous les points de la ville, pour contempler
encore une fois ses précieux restes. Les fidèles baisaient
ses pieds et ses mains, et coupaient des morceaux de ses
vêtements, qu'ils emportaient ensuite comme de précieu-
ses reliques. En même temps un parfum céleste emplis-
sait sa chambre, et des miracles s'accomplissaient autour
de son corps.
Il serait trop long d'énumérer les guérisons inatten-
dues provoquées par son intercession. Citons seulement
les noms de Nympha Doria, de Jeanne Zumbo, baronne
de Cellaro, de Jeanne Ferrera, de Lucrèce Romeo, etc.,
toutes atteintes de maladies incurables et constitu-
tionnelles , et miraculeusement rendues à la santé
par le seul contact de la main ou des vêtements de la
bienheureuse.
Le Père Thomas Anchora, archevêque de Trani, a ra-
conté la vie et les miracles de la sainte fille, qui avait été
sa pénitente.
{Chroniques de la Prov. de Sicile.)
PÈRE ALPHONSE DE BETANZOS. 403
VINGTIEME JOUR DE JUIN
PÈRE ALPHONSE DE BETANZOS
1566. — Pape : Saint Pie V. — Roi d'Espagne : Philippe II.
SOMMAIRE : Anciennes mœurs des habitants de Costa-Rica. — Le Père Alphonse
de Betanzos, premier missionnaire évangélique de ce pays. — Ses compagnons,
Laurent Benvenuta et Jean Pizarre. — Résultats heureux de leurs efforts. — Mort
du Père Alphonse. — Fondation de la province de Saint-Georges.
Les habitants de Costa-Rica, dans les Indes Occiden-
tales, étaient encore plongés dans la barbarie et vivaient
dans les ténèbres de l'erreur et de l'idolâtrie, quand le
Père Alphonse de Betanzos vint leur apporter la lumière
de l'Evangile. Ils offraient à leurs dieux leur propre
sang, se déchiraient la chair à coups de couteau au pied
de leurs autels, parfois même immolaient leurs enfants.
Leurs prêtres, sorte de sorciers ou de jongleurs, avaient
sur leurs esprits crédules une immense influence, dont, il
faut le dire, ils n'usaient guère que pour le mal. Lorsque
Fun d'eux venait à mourir, on massacrait sur son cadavre
ses esclaves, ses fils, sa femme et ses plus proches pa-
rents, que l'on ensevelissait dans le même tombeau. Par
une coutume qui rappelle un trait des mœurs des anciens
Egyptiens, ils plaçaient auprès des corps des vivres pour
plusieurs jours. Le mariage n'était pas mentionné dans
leurs lois : la communauté des femmes faisait partie de
leurs usages immoraux.
Tel était l'état primitif de cette belle race, quand le
404 XX JUIN.
Père Alphonse de Betanzos mit le pied sur son territoire.
Ce missionnaire était né à Betanzos, petite ville de la
Galice, en Espagne. Son zèle bien connu pour la propa-
gation de la foi, sa science profonde des choses de la re-
ligion, enfin la grande facilité dont il était doué pour
l'étude des langues, le signalèrent à l'attention de ses
supérieurs, qui lui confièrent la tâche périlleuse et diffi-
cile d'aller annoncer l'Evangile dans un pays jusqu'alors
inexploré. Il s'était déjà fait une grande réputation d'a-
pôtre des Indes Occidentales au Guatemala , où il se
trouvait encore en 1550, quand un ordre de ses supé-
rieurs l'envoya à Costa-Bica.
Il s'y rendit, en compagnie de deux frères mineurs qui
l'aidèrent à convertir et à baptiser un grand nombre
d'infidèles, le Père Laurent Benvenuta, gardien des Fran-
ciscains de Yucatan, et le Père Jean Pizarre, plus tard
martyrisé par les Quépians (1).
Le Père Alphonse parcourut avec eux non-seulement
tout le pays de Costa-Bica, mais encore les vastes contrées
du Honduras et du Nicaragua, enseignant partout en
chemin les dogmes de la religion catholique, plantant
l'étendard du Christ sur les sommets des montagnes et
au milieu des vallées, catéchisant et baptisant au nom
du Père, du Fils et de l'Esprit. Son extérieur avait un air
de majesté simple et naïve qui commandait le respect ;
sa douceur angélique lui conciliait tout de suite l'amitié
de ceux qui le voyaient ou l'entendaient. On compte par
milliers les conversions qu'il provoqua, non moins par
le bel exemple de sa vie austère que par l'éloquence de
(1) Voir, au cinquième jour Je janvier {Palmier Séraphique, tom. I), le récit de la
mission et du martyre de Jean Pizarre.
PÈRE ALPHONSE DE BETANZOS. 40S
sa parole. Il mourut près de Chômes, petite ville des
Indes Occidentales, en 1566, après avoir passé plus de la
moitié de sa vie au milieu des infidèles.
Plus tard on transporta ses restes mortels à Carthagène,
et une inscription rappela qu'il était le premier apôtre
chrétien des pays de Costa-Rica et de Nicaragua. Son tom-
beau fut pendant longtemps l'objet de la vénération des
Indiens et des Espagnols ; et l'on y venait de fort loin
en pèlerinage.
Cependant le Père Laurent Benvenuta avait amené de
l'Espagne trente frères mineurs, pour travailler avec lui à
convertir les Indiens : peu de temps après le Père An-
toine Sajas, nommé évoque de Nicaragua, en faisait venir
trente autres de la province d'Andalousie, et fondait,
en 1575, la province de Saint-Georges, martyr. Elle
comptait déjà douze couvents, soixante-dix-huit ermitages,
vingt-cinq missions et treize autres maisons avec des
églises, où les Indiens se portaient en foule pour s'ins-
truire des vérités de la foi et recevoir le baptême.
(Gonzague et Barrezzo.)
406 XX JUIN.
CÉCILE JOANELLI CASTELLA
DU TIERS ORDRE
1641. — Pape : Urbain VIII. — Roi de France : Louis XIII.
CHAPITRE PREMIER.
SOMMAIRE : Origine et famille de la bienheureuse Cécile. — Sa jeunesse et ses
vertus précoces. — Elle se trace à elle-même une règle de conduite. — Ses aspira-
tions à la vie religieuse. — Ses projets avortent et on la marie à Benoît Joanelli.
— Affection qu'elle inspire à toute sa maison, et eu particulier à son beau-père.
— Sa maladie. — Sa conduite comme maîtresse, épouse et mère.
Au nombre des saintes femmes qui ont honoré par
leurs vertus le Tiers Ordre de Saint-François pendant le
dix-septième siècle, il faut placer la bienheureuse Cécile
Joanelli Castella , tante d'une autre Cécile Castella ,
vierge du Tiers Ordre, dont nous avons raconté la vie au
onzième jour de mars. Elle était fille de Nicolas Castelli
et de Julie Joanelli ; l'une de ses sœurs, Paula, est la
mère du pape Innocent XI. Cécile naquit en 1587, à Gan-
dino, un grand et beau village des environs de Bergame,
dans les possessions de Venise. Sa mère l'éleva avec une
touchante sollicitude et prit soin surtout de la former à
la vertu. Elle croissait en grâce et en sagesse au milieu
des enfants de son âge, comme autrefois Jésus parmi les
fils des Juifs. D'une dévotion toute filiale et pour ainsi
dire instinctive à la Mère des Anges, elle récitait chaque
jour, même avant de pouvoir les comprendre, les litanies
de la Vierge et les prières du rosaire.
CÉCILE JOANELLI CASTELLA. 407
Dès que son intelligence commença à discerner le bien
du mal et les choses du ciel de celles de ce monde, elle
se promit à elle-même d'être, pendant sa vie entière, à
Dieu plutôt qu'aux hommes. Son extérieur était agréable
et doux, ses manières enfantines et naïves, ses yeux bleus
comme l'azur reflétaient une âme pure et sereine. Dans
ses moindres paroles et dans ses moindres actions, on
sentait une piété touchante qui la faisait aimer. Elle
voyait dans son père une image du Sauveur, dans sa
mère le portrait vivant de la Vierge Marie, dans tous ses
parents l'incarnation de son ange gardien ou de ses saints
patrons.
A mesure qu'elle grandissait, sa vertu devenait plus
grave et plus réfléchie, sans cesser cependant d'être
aimable. Elle jeûnait très-souvent, et les jours où elle le
faisait, elle donnait en secret aux pauvres la nourriture
qui lui était destinée. Elle se préparait à célébrer digne-
ment les grandes fêtes de l'Eglise par un jeûne de qua-
rante heures, des lectures pieuses, des méditations; quel-
quefois elle réunissait autour d'elle des jeunes filles du
voisinage, et leur adressait des exhortations et des encou-
ragements à la vertu, ou bien encore elle allait prier avec
elles dans quelque endroit solitaire.
Cette bienheureuse vierge, si pieuse, si douce, si péné-
trée d'amour pour Jésus crucifié, semblait être destinée
à vivre, dans un couvent, de la vie austère et calme des
religieuses cloîtrées : c'était là, en effet, où tendaient
tous ses désirs ; elle s'y préparait déjà par la mortification
et la retraite. A l'âge où d'ordinaire les jeunes filles
recherchent les plaisirs du monde et Jes sociétés joyeuses,
elle se retirait dans sa chambre, et au lieu de songer
408 XX JUIN.
comme ses compagnes aux fêtes du lendemain, elle s'im-
posait à elle-même une règle de vie sévère. « Une humi-
« lité profonde », écrivait-elle, « un mépris constant du
«monde et de soi-même, une patience inaltérable,
« l'abandon absolu de toute volonté personnelle, la sou-
a mission aux ordres d'autrui, une aspiration de tous les
« instants à la souffrance et à l'épreuve, voilà, Cécile,
« quel doit être le programme de ta vie ». Elle fit mieux
que d'écrire ces belles paroles , elle les mit à exécu-
tion.
On la voyait souvent à genoux, dans sa chambre,
devant une statue de la très-sainte Vierge, versant des
torrents de larmes, le visage prosterné à terre, et on
l'entendait dire : « Seigneur, tout ce que vous voulez, je
a le veux moi-même, et comme vous le voulez ». C'est
qu'alors elle offrait à Dieu le plus grand de tous les sa-
crifices, celui de son vœu le plus cher ; une voix inté-
rieure lui défendait d'entrer dans un couvent, et c'était
là son seul désir et son unique envie. Toute soumise
qu'elle était aux décrets de la Providence, elle essaya
d'en fléchir la rigueur par des prières et des ma-
cérations ; mais elle ne put y parvenir et elle se
résigna.
Belle et riche comme elle l'était, un grand nombre
de gentilshommes la demandèrent en mariage. Benoît
Joanelli, grand seigneur d'une haute naissance, fut agréé
par sa famille et l'épousa. Le mariage se célébra avec
pompe, et la pieuse Cécile, ressemblant plutôtà une morte
qu'à une fiancée, quitta, selon le mot de l'Evangile, son
père et sa mère pour suivre son époux. C'est peut-être
la plus terrible épreuve qu'elle supporta de sa vie.
CÉCILE JOANELLI CASTELLA. 409
Devenue maîtresse d'une immense maison par la mort
de sa belle-mère, elle se concilia l'affection de ses domes-
tiques par une douceur et une patience inaltérables. La
seule chose qu'elle en exigeât, c'est qu'ils entendissent
tous les jours la messe et qu'ils ne se permissent jamais,
en sa présence, une parole sacrilège ou même légère.
Son beau-père, vieux et accablé d'infirmités, la considé-
rait comme un ange venu du ciel sur la terre, et ne pou-
vait plus se passer de ses soins. Comme il était constam-
ment forcé de garder le lit, il l'appelait auprès de lui, et
son seul aspect et le son de sa voix calmaient ses souf-
frances. Elle obtint de son amitié qu'il mourût pieuse-
ment, après avoir fait sa paix avec l'Eglise, dont il avait
vécu trop longtemps séparé.
Vers cette époque Cécile fut atteinte d'une maladie
très-dangereuse, et l'on craignit beaucoup pour sa vie.
Elle seule redoutait peu de mourir ; cependant l'affection
qu'elle avait pour son mari et le chagrin que sa perte
lui causerait, la rattachaient encore un peu à ce monde
misérable. Une sainte femme, dont elle suivait toujours
les conseils, lui fit prononcer le vœu de porter pendant
une année entière la robe des Carmélites, si elle échap-
pait à la mort. Elle guérit en effet, comme par miracle,
et son mari lui accorda de bon cœur la permission d'ac-
complir son vœu, tout bizarre peut-être qu'il lui parut.
Quelque temps après elle prit le voile et le costume du
Tiers Ordre de Saint-François.
La bienheureuse Cécile était d'une sobriété de paroles
excessive. Toute conversation avec elle était impossible ;
elle ne prononçait jamais que ces mots : « En vérité,
« la chose est ainsi » ; ou bien : « Non, en vérité, cela
410 XX JUIN.
« n'est pas » . C'est qu'elle s'entretenait, au fond de son
cœur, avec son Fiancé céleste, à qui elle racontait ses
douleurs et ses regrets.
Au milieu des richesses qui l'entouraient de tous côtés,
dans un palais somptueux, elle pratiqua durant toute sa
vie la sainte pauvreté avec un zèle inimaginable. Sa nour-
riture était plus humble que celle de ses domestiques ;
les légumes les plus mauvais, le pain le plus noir et le plus
sec lui semblaient encore trop délicats. Elle donnait aux
malheureux son linge fin et ses robes de velours et de
soie, et ne gardait pour elle-même qu'un méchant vête-
ment de bure, qu'elle porta jusqu'à sa mort, par mépris
pour le monde et pour ses vanités.
Son confesseur exerçait sur son âme la même autorité
que Dieu, dont il était le représentant à ses yeux ; elle lui
exposait en peu de mots l'état de sa conscience, toujours
tranquille et sereine , puis s'entretenait avec lui des
choses du ciel. Jamais elle ne causa à son mari la plus
légère contrariété, et une lettre qu'il écrivit par la suite,
quand elle fut morte, à quelqu'un de ses amis, en est la
preuve irrécusable : « J'affirme sur l'honneur », lui dit-il,
« que durant trente années que nous avons vécu en-
« semble, elle ne m'a jamais adressé un mot de reproche
o ni une parole dure ou blessante ».
Elle fut aussi une bonne mère et une mère chré-
tienne. Du jour où Dieu lui donna des enfants , elle
se proposa un but : les élever selon la foi dans la
crainte du Seigneur. Tout petits et encore au berceau,
elle les portait dans ses bras à l'église, et, les déposant
sur l'autel, offrait à Dieu leur jeune âme. Elle eut le
bonheur, trop rare hélas ! de les voir grandir dans le res-
CÉCILE JOANELLÏ GASTELLA. 411
pect de la religion et l'amour du Très-Haut, précieuse
récompense d'une piété constante et d'une sollicitude de
tous les instants. Leurs belles qualités ne firent que se
développer avec l'âge, et pour en faire de parfaits chré-
tiens, il lui suffit d'aider au développement des généreux
instincts que la nature, ou plutôt Dieu, avait déposé en
germe dans leur cœur.
Quand ils furent capables de commencer leurs études,
elle les plaça dans un collège de Jésuites, en recom-
mandant bien aux bons Pères, ce qui d'ailleurs était
inutile, de les diriger avec soin dans les voies du Sei-
gneur. Ils se complaisaient dans la prière, les œuvres de
charité et les aumônes. Une mère comme Cécile pouvait-
elle désirer d'autres enfants ?
Il en fut de ses filles comme de ses fils, une même
éducation amena les mêmes résultats. Humbles et mo-
destes, aussi pures et aussi belles que leur mère, elles
possédèrent à un moindre degré, il est vrai, ses qualités
et ses vertus. Une simplicité charmante fut leur seule
parure, et le monde, qu'elles ignorèrent toujours, n'eut
pas un seul instant le moindre attrait pour leurs jeunes
cœurs. Les mérites éclatants de Cécile avaient fait des-
cendre sur toute sa famille les bénédictions d'en haut.
CHAPITRE II.
SOMMAIRE : Austérités de la bienheureuse Cécile. — Sa famille essaie en vain de
l'arrêter dans ses mortifications. — Désir qu'elle a de souffrir pour son Dieu. —
Elle demande à sa nièce, Benoîte Castella, de prier pour elle dans ce sens. — Sa
charité, compassion pour les malheureux, et son inaltérable patience. — Sa piété
pour les âmes du purgatoire, et comment elle est récompensée.
La bienheureuse Cécile mena jusqu'à sa mort, dans son
palais somptueux, la vie sévère et dure des plus austères
412 XX JOIN.
religieuses. Sa nourriture était peu abondante et mal
préparée ; elle jeûnait quatre fois toutes les semaines,
vivait de pain et d'eau pendant tout l'Avent du Tiers
Ordre, la veille de toutes les grandes fêtes de l'Eglise, et
les jours où elle s'approchait de la sainte Table. En dehors
des heures fixées invariablement pour ses repas, jamais
une goutte d'eau ne mouilla ses lèvres.
Tous les vendredis, elle se ceignait la taille avec une
corde garnie de nœuds et de pointes de fer. Elle se don-
nait la discipline avec tant de violence, que son sang jail-
lissait sur les murs de sa chambre, et qu'après sa mort
on vit sur tout son corps de larges taches noires. En vain
ses filles, qui l'aimaient tendrement et que de telles
austérités faisaient frémir de terreur, essayèrent-elles de
lui enlever quelquefois ses instruments de mortification ;
Cécile en inventait de plus cruels, et les pauvres enfants
durent renoncer à leur ruse filiale, en voyant que leur
mère remplaçait le fouet par des tisons ardents.
La sainte femme couchait seule dans un petit cabinet
dont tout le mobilier était une planche qui lui servait de
lit. Souvent elle passait la nuit entière à prier, surtout
quand le jour suivant était un vendredi, ou qu'elle devait
communier à la messe du matin. A force de se mettre à
genoux sur la pierre nue, elle éprouvait aux jambes de
vives douleurs, et, sur la fin de sa vie, il lui était devenu
impossible de marcher.
Souffrir semble avoir été sa grande préoccupation et le
but de son existence ; elle eût volontiers pris pour devise
ces paroles de sainte Thérèse: « Souffrir ou mourir».
Quand elle se recommandait aux prières de ses amies ou
de son confesseur, elle n'oubliait jamais d'ajouter ; « Priez
CÉCILE JOANELLI CASTELLA. 413
« Dieu surtout qu'il ne m'abandonne pas malgré mes
« fautes, et qu'il me purifie des souillures du péché par
« les douleurs et les épreuves ». Un jour, elle s'entrete-
nait avec sa sœur Catherine, qui avança aussi très-loin
dans les sentiers de la perfection [ dans cette famille pri-
vilégiée, tout le monde avait une plus ou moins grande
part de vertus) : « Que puis-je faire, Seigneur », s'écriait-
elle, « que puis-je faire, moi misérable, moi monstre
« d'ingratitude, pour vous, ô mon Dieu, qui avez tant
« souffert pour moi »; et tout à coup, comme inspirée par
l'Esprit-Saint, debout et les mains étendues, elle ajoutait:
« Des souffrances, ô Dieu, des croix et des plaies, voilà
a tout ce que je vous demande ; des souffrances, et puis
« la mort, rien autre chose ! Je voudrais vous chérir, vous
« adorer, vous servir comme vous en êtes digne ; mais,
a le puis-je, Seigneur, si vous ne m'y aidez : des dou-
er leurs, des douleurs, ô mon Dieu, des douleurs et des
« croix ! »
Souvent elle priait sa nièce, Benoîte Castella, religieuse
du couvent de Gandino, d'intercéder pour elle dans ce
sens auprès de Dieu ; elle ne pouvait manquer, fiancée
du Christ, et -vierge comme elle était, d'être favorable-
ment écoutée. Benoîte ne savait que répondre ; sa tante,
à son gré, se mortifiait et souffrait assez pour le ciel; mais
elle n'eût jamais osé lui dire ce qu'elle disait à propos
d'elle à ses sœurs : « La vie de cette femme est un per-
« pétuel martyre : son âme est sans cesse blessée, et son
« corps n'est qu'une plaie ; je crois que nous ne devons
« pas demander à Dieu de lui envoyer de nouvelles
a épreuves ».
A la suite d'une maladie fort douloureuse, Cécile vint
414 XX JUIN.
faire visite à cette nièce, qui l'interrogea tout d'abord sur
l'état de sa santé et lui manifesta le désir de la voir se
modérer un peu dans la pratique de ses mortifications:
« Non, ma fille », lui répondit-elle, «vous vous trompez,
« je n'ai pas assez souffert, et je sais bien maintenant que
« si vous aviez prié Dieu pour moi, il ne m'eût pas ainsi
« épargnée ; c'est le martyre dont j'ai soif ; ces douleurs-
« là sont des roses » .
On pourrait croire que cette sainte femme, si dure pour
elle-même, était dure aussi pour les autres et ne com-
patissait pas aux peines des malheureux. Il n'en est rien
cependant ; au contraire, elle eût voulu prendre sur elle
toutes les misères du monde et attirer sur sa tête, comme
elle le disait, toutes les punitions du Tout-Puissant. Sa
charité ingénieuse trouvait mille moyens de s'exercer
sans ostentation et sans vanité ; la consolation et l'espé-
rance coulaient de sa bouche, et descendaient plus dou-
ces que le miel dans l'âme de ceux qui souffraient ; aux
faibles elle rendait la confiance en Dieu par des paroles
tendres et caressantes ; aux forts, elle relevait le courage
par de grandes pensées et de nobles exemples. Sa nièce
se plaignait un jour des misères de cette vie ; elle court
à elle les bras étendus : « Vois, ma fille, vois cette croix ;
« c'est sur cette croix que ton Dieu est mort ; allons,
« apprends à souffrir en considérant Celui qui s'est im-
« mole sur la croix pour le salut des hommes » .
Quand Cécile sortait de sa maison, une foule d'hom-
mes, de femmes et d'enfants, s'attachaient à ses pas, attirés
par ses manières bienveillantes et sa bonté bien connue.
Aux uns elle donnait de l'argent, aux autres des vête-
ments, à d'autres des vivres. Elle ne se mettait jamais en
CÉCILE JOANELLI CASTELLA. 415
route, sans emporter avec elle de quoi faire l'aumône
aux malheureux qu'elle pouvait rencontrer. Pendant
une famine qui ravagea la plus grande partie de l'Italie,
elle nourrit et empêcha de mourir de faim plusieurs
milliers de personnes : <* Seigneur », disait-elle en pleu-
rant , a donnez-moi le moyen de venir en aide à tant
ot de misère, ou bien rendez-moi aussi pauvre que les
« plus pauvres d'entre eux ». Elle avait la délicatesse, qui
vaut mieux que l'aumône elle-même ; elle savait décou-
vrir les souffrances cachées, les âmes trop fières qui
n'osaient pas se plaindre, et elle portait elle-même, la nuit,
ce dont elle savait qu'on avait besoin.
Les malades étaient aussi l'objet de sa sollicitude.
C'est elle qui préparait les remèdes prescrits par les mé-
decins, qui pansait les plaies du corps, et quelquefois
aussi les plaies de l'âme, beaucoup plus difficiles à gué-
rir. Dans les hospices, on l'appelait la bonne dame, et les
pauvres veuves qu'elle allait voir dans leur maison,
dont elle faisait le lit, à qui elle apportait du pain, du
bouillon et du vin, la regardaient comme une seconde
Providence.
Elle mettait à l'accomplissement de ce pieux devoir un
zèle infatigable et une patience infinie. Pendant plus de
deux ans, elle servit en quelque sorte de femme de cham-
bre à une pauvre vieille qui habitait une masure isolée
à une demi-lieue de Gandino ; elle lui lavait son linge et
lui raccommodait ses vêtements. Sa patience fut mise à
une rude épreuve par un soldat blessé dangereusement,
et à qui ses douleurs avaient presque fait perdre l'esprit.
Il ne consentit jamais à être soigné par une autre per-
sonne que Cécile ; il exigea qu'elle-même, en sa pré-
416 XX JUIN.
sence, préparât sa nourriture et sa boisson ; en un mot,
qu'elle demeurât auprès de lui jour et nuit. La sainte
femme se soumit à ce caprice de malade avec une rési-
gnation et une douceur angéliques ; elle n'en reçut pour
remerciements que des injures, des sarcasmes, des pa-
roles grossières et des outrages, et jamais cependant elle
ne manifesta ni dépit, ni colère.
Les âmes du purgatoire, condamnées à ne pas jouir de
la vue du Seigneur pendant un laps de temps plus ou
moins long, et qui sentent cependant tout le prix d'une
pareille félicité, inspiraient aussi à la bienheureuse Cécile
une profonde pitié. Non contente de prier pour leur déli-
vrance, elle faisait encore dire des messes à leur in-
tention. Plusieurs miracles lui prouvèrent par la suite
que ses supplications en leur faveur avaient été exau-
cées.
En 1641, son mari et son fils aîné furent surpris dans
la montagne par une bande de voleurs, et ils s'atten-
daient à être massacrés, quand tout à coup, sans motif
apparent, les bandits prirent la fuite. Quelques mois plus
tard, on eut l'explication de cette étrange aventure : l'un
des scélérats pris par les soldats du duc raconta que,
au moment où ils allaient faire un mauvais parti au
comte Joanelli et à son fils, ils avaient entendu un
bruit de trompettes et aperçu des cavaliers qui s'avan-
çaient, plus rapides que le vent, au secours des deux gen-
tilshommes. Tout le monde, à ce récit, proclama d'une
voix unanime que c'étaient les âmes délivrées par les
prières de Cécile, qui avaient ainsi, sous l'apparence de
cavaliers armés, délivré son mari et son fils des mains
des bandits.
CÉCILE JOANELLI CASTELLA. 417
CHAPITRE III.
SOMMAIRE : Amour de Dieu et piété de la bienheureuse Cécile. — Sa dévotion
aux souffrances du Sauveur. — Son heureuse influence et conversions qu'elle pro-
voque. — Protecteurs et patrons de Cécile. — Sa confiance en la bienheureuse
Vierge Marie. — Sa dernière maladie. — Courage avec lequel elle la supporte. —
Sa mort. — Douleur universelle.
Les belles vertus de noire bienheureuse, si variées et
si multiples, avaient toutes leur point de départ dans ce
que Ton pourrait appeler la vertu par excellence, à savoir
l'amour de Dieu. C'est parce que Cécile aimait Dieu,
qu'elle se mortifiait et voulait souffrir. Ce sentiment qui
l'animait lui dictait ses devoirs de mère et d'épouse chré-
tienne, et en faisait la consolatrice et la seconde provi-
dence des malheureux.
Son état le plus naturel, pour ainsi dire, était la médi-
tation et l'extase. En été, par les ardeurs du soleil, Cécile
se mettait à genoux en plein air, et priait ; pendant les
plus grands froids de l'hiver, elle se levait à une heure
du matin, et priait encore dans son oratoire jusqu'au
lever de l'aurore. Que ses mains fussent ou non occupées,
son esprit ne cessait pas un moment de s'élever à Dieu :
transportée par l'imagination au temps où vivait le Sau-
veur, elle le voyait tout enfant dans l'atelier de saint
Joseph ; elle le suivait au temple et l'entendait confondre
les docteurs d'Israël par sa sagesse précoce ; puis, assis-
tant à son long martyre, elle priait à ses côtés dans le jar-
din des Oliviers, gravissait le Calvaire avec les saintes
femmes et poussait le même cri de douleur que la divine
Mère, quand le grand Crucifié expirait. Alors, le cœur
plein d'amertume et débordant d'amour, elle tombait à
genoux sur la pierre de l'autel et s'écriait: a Mon Dieu,
Palm. Séraph. — Tome VI. 27
418 XX JUIN.
« que ne puis-je vous imiter et me sacrifier comme vousl
o que n'ai-je mille cœurs à vous offrir I »
Cécile savait inspirer à ceux qui l'entouraient les bons
sentiments dont son cœur était rempli. Elle ramena
au giron de l'Eglise, par son exemple aussi bien que par
ses paroles, un grand nombre d'âmes égarées. Un gen-
tilhomme de sa connaissance vivait avec une courtisane
et s'enfonçait de plus en plus dans cette honte malgré les
reproches de sa famille ; Cécile n'hésita pas à se rendre
auprès de lui, et fit si bien qu'elle obtint de lui la pro-
messe formelle de rentrer dans la bonne voie. Il tint
parole en effet, et se maria peu de temps après avec une
pieuse jeune fille.
Notre bienheureuse s'était choisi dans le ciel de tout-
puissants protecteurs, saint Pierre d'Alcantara et sainte
Thérèse; mais surtout saint Joseph, saint Jean et la très-
sainte Vierge. Cécile avait une dévotion toute particu-
lière à la Reine des Anges, et récitait tous les jours en son
honneur son rosaire et les litanies. Sa confiance en Marie
était illimitée, et l'on peut dire qu'elle ne fut jamais
déçue. Une peste terrible ravageait Gandino et les en-
virons, et Cécile, craignant pour son mari et pour ses
enfants les atteintes du fléau, fit vœu de bâtir une cha-
pelle en l'honneur de Marie, si elle couvrait sa famille
de sa salutaire protection. La maladie passa sans s'at-
taquer à la maison de Cécile.
Les prières delà sainte femme étaient d'ailleurs presque
toujours exaucées : c'était la récompense méritée de tant
de vertu et de piété.
Cependant la fin de sa vie approchait , ses forces
allaient sans cesse décroissant, et Cécile se livrait comme
CÉCILE JOANELLI CA.STELLA. 419
par le passé à d'austères pratiques, sans se soucier de
son pauvre corps épuisé , qui n'était plus assez ro-
buste pour contenir cette âme si fortement trempée.
Il fallut l'ordre formel de son confesseur, pour la déci-
der à ne plus jeûner qu'une fois par semaine et à ne
plus s'infliger la discipline. Bientôt elle fut obligée de
garder le lit. L'approche de la mort ne l'effraya point :
ce n'était à ses yeux que le commencement d'une vie
plus heureuse ; elle souriait doucement quand on lui
parlait de projets d'avenir. Elle savait bien qu'une seule
chose lui restait à faire : se préparer à paraître devant le
tribunal de Dieu.
Sa maladie dura trois mois ; ce qu'elle souffrit pen-
dant ce temps est presque incroyable. Jamais, cepen-
dant, on ne l'entendit s'en plaindre; elle s'en réjouis-
sait au contraire, persuadée qu'il vaut mieux expier
ses fautes dans ce monde que dans l'autre, et elle
en remerciait Dieu comme d'une grâce spéciale. Elle
communiait souvent pour se donner des forces, et chaque
fois elle puisait dans le saint Sacrement une vigueur et
un courage nouveaux. On priait pour Cécile dans toutes
les églises, on disait des messes à son intention, on
demandait à Dieu de la conserver à ceux qui l'aimaient
et qui avaient encore besoin d'elle ; mais le Seigneur
avait jugé , dans son infinie sagesse , que sa servante
était mûre pour le ciel, et la maladie, loin de s'arrêter,
alla sans cesse empirant. Durant les derniers jours ,
quand ses forces le lui permirent, notre bienheureuse
rassembla autour d'elle ses parents et ses amis, et tou-
jours prête à s'accuser de fautes qu'elle n'avait pas
commises, elle implorait d'eux son pardon pour le
420 XX JUIN.
scandale dont elle avait pu être cause. Les assistants
pleuraient à chaudes larmes. Son confesseur lui donna
alors l'absolution générale de tous ses péchés ; puis
elle reçut les Sacrements des mourants, le saint Viatique
et l'Extrême-Onction.
En ce moment une telle sérénité se répandit sur tout
son visage, qu'elle parut revenir à la vie : c'était la mort
qui approchait. Cécile expira, en effet, quelques instants
après, son crucifix dans les mains, en murmurant les
doux noms de Jésus et de Marie. C'était le 20 juin de
l'année 1641. Notre bienheureuse était âgée de cinquante-
huit ans.
Ce fut le signal d'un deuil universel. L'empereur Fer-
dinand III et l'impératrice Marie-Anne, qui l'avaient
connue et estimée, témoignèrent au seigneur Joanelli, son
mari, la part qu'ils prenaient à sa douleur. Toute la popu-
lation de Gandino se pressa à ses funérailles ; et le jour de
l'enterrement, les rues se tendirent de noir. Le corps fut
transporté, sur la demande des religieux, dans l'église
de l'Ordre, où il resta exposé quelque temps. Jour et nuit
une foule immense remplissait l'église, avide de contem-
pler encore une fois la figure de la bienheureuse et de
baiser ses pieds et ses mains. Les pauvres surtout, et
ceux que Cécile avait comblés de ses bienfaits, ma-
nifestaient une extrême douleur : il n'en était pas un
parmi eux qui ne fût mort de grand cœur pour la rap-
peler à la vie ; on ne put les empêcher de couper des
morceaux de ses vêtements, qu'ils emportaient avec eux
comme de précieuses reliques. Longtemps encore après
la mort de Cécile , ils vinrent en pèlerinage à son
tombeau.
PÈRE CHÉRUBIN, DE CALATAGIRÔNE, ETC. 421
Des miracles s'accomplirent par la toute-puissante in-
tercession de la bienheureuse.
(P. Mazzara.)
VINGT ET UNIEME JOUR DE JUIN
PÈRE CHÉRUBIN, DE CALATAGIRONE
ET P. FRANÇOIS, DE TARENTE
MARTYRS
1637. — Pape : Urbain VIII. — Roi de France : Louis XIII.
SOMMAIRE : Débuts du Père Chérubin dans la vie religieuse.— Il obtient la per-
mission d'aller prêcher la vérité aux Maures. — Son départ, en compagnie du Père
François, de Tarente. — Epreuves des deux missionnaires. — Leur mort.
Le Père Chérubin est né à Calatagirone, en Sicile. Il
prononça ses vœux dans un couvent de Pères Observan-
tins ; mais désireux d'arriver, s'il était possible, à une plus
grande perfection, il les quitta bientôt pour entrer dans
une maison de Récollets. Sa science et sa piété le dési-
gnèrent à l'attention de ses supérieurs, qui lui confé-
rèrent la dignité de prêtre et songèrent à lui donner une
chaire de professeur ; mais il se refusa énergiquement à
toute espèce de distinction.
Il portait une misérable robe presque en lambeaux, se
frappait de coups de discipline jusqu'au sang, et vivait
de pain, de légumes et d'eau. Ces mortifications, et
422 XXI JUIN.
d'autres encore, étaient comme le prélude et l'annonce de
son futur martyre.
Autant il était dur pour lui-même, autant il était com-
patissant aux souffrances d'autrui. A Agrigente, un ma-
lade, qui était sur le point de mourir, refusait absolu-
ment de se confesser et agonisait en blasphémant. Le
Père Chérubin alla le voir et ne le quitta qu'après
l'avoir préparé à paraître devant Dieu.
Un religieux se montrait très-inquiet du salut éternel
de sa sœur, possédée et tourmentée par huit démons.
Chérubin le consola et lui conseilla de faire oindre la
jeune fille avec un peu d'huile de la lampe de saint
Benoît de San-Fradello : presque aussitôt les démons
s'enfuirent et la laissèrent libre.
Le Père Chérubin avait depuis longtemps éprouvé le
désir d'aller prêcher la vraie religion aux Maures de
l'Arabie, et pour s'y préparer, il demanda la permission
d'apprendre l'arabe à Rome, au couvent de San-Pietro-
Montorio. En 1633, il obtint enfin des cardinaux des lettres
de créance l'autorisant à mettre son projet à exécution,
en même temps qu'une audience particulière du pape.
Quand il baisa la mule d'Urbain VIII, le Saint-Père lui
dit: « Allez, mon fils, allez au martyre, allez donner
« votre sang pour la gloire du Christ et pour la propa-
« gation de la sainte foi ».
A Tarente, ville du royaume de Naples, le Père Ché-
rubin s'adjoignit pour compagnon un vénérable reli-
gieux, le Père François, qui avait marché dans les voies
du Seigneur au sein de la rigide province de Saint-
Nicolas, et il s'embarqua avec lui sur un vaisseau à desti-
nation d'Alep, en Syrie. Des pirates hollandais attaqué-
LE PÈRE CHÉRUBIN DE CALATAGIRONE, ETC. 423
rent et prirent leur navire et leur infligèrent mille ou-
trages. Mis en liberté seulement au bout de deux mois,
ils se rendirent, par mer, dans une ville mahométane
appelée Membaca. Il y avait là un certain nombre de
marchands portugais et deux frères mineurs qui desser-
vaient une chapelle ; ils ne s'y arrêtèrent pas et péné-
trèrent dans l'intérieur du pays. Les premières popula-
tions qu'ils rencontrèrent se montrèrent d'un abord assez
facile et les accueillirent presque favorablement; un
certain nombre d'infidèles demandèrent même à recevoir
le baptême. Malheureusement, il n'en tut pas longtemps
ainsi : à mesure qu'ils pénétrèrent plus avant dans les
terres, ils rencontrèrent des mœurs plus farouches et des
coutumes plus sanguinaires. Les barbares habitants de ces
contrées croyaient ne pouvoir rien faire qui fût plus agréa-
ble à leurs dieux que de manger les corps de leurs enne-
mis vaincus. Les courageux missionnaires essayèrent de
leur montrer toute l'horreur de leur conduite ; pour
toute réponse, on se saisit d'eux, on les lia sur un bûcher
et on les brûla vifs.
Beaucoup d'écrivains très-consciencieux et de savants
prélats croient que le corps du Père Chérubin, miracu-
leusement conservé, a été par la suite transporté dans
une ville portugaise des Indes Orientales, où l'on honore
la mémoire du saint martyr. On est du moins à peu près
sûr que tous deux sont morts dans le mois de juin
1637.
(Chroniques de la province de Sicile.)
424 XXI JUIN.
MARIE-ANNE DE SAINT-PIERRE
CLARISSE
1636. — Pape : Urbain VIII. — Roi de France : Louis XIII.
A peine la sainte fiancée du Christ, Françoise Farnèse,
religieuse qui atteignit l'humaine perfection (1), eut-elle
fondé à Farnèse le couvent des Clarisses, qu'il s'emplit
d'une foule de pieuses servantes du Seigneur. Une des
premières qui y entra est une jeune fille noble, de Latera,
échappée miraculeusement à une tentative d'assassinat,
dirigée contre elle par les ennemis de sa famille.
En prenant le voile, Marie-Anne se sentit envahir par
une joie profonde et un ardent désir de la perfection, en
même temps qu'elle conçut pour le monde un insur-
montable dédain. Ses progrès dans la perfection furent
rapides ; elle s'abandonnait fréquemment à l'extase, et le
Seigneur la comblait alors de faveurs singulières. Le
sujet de ses méditations était surtout la Passion du
Sauveur ; elle y revenait sans cesse dans le silence et la
solitude, et elle l'expliquait parfois avec une éloquence
brûlante .
Dieu l'éprouva par de cruelles maladies qu'elle supporta
avec résignation. Quand elle fut sur le point de mourir,
elle demanda qu'on rétendît à terre ; puis, les bras croi-
sés sur sa poitrine et les yeux fixés sur un crucifix, elle
(1) Voir !a vie de Françoise Farnèse au dix-septième jour d'octobre (Palmier
Séraphique, tom. X).
LÉ0N0RA GTJSMAN. 425
se sensit envahir par une immense félicité et rendit
l'âme, le 21 juin 1636.
Quoique ses souffrances eussent été très-cruelles, son
visage garda dans la mort une beauté incomparable, et
pendant les trois jours qu'elle resta exposée au pied du
grand-autel, ses sœurs purent voir une auréole lumi-
neuse, semblable à une couronne, suspendue dans les
airs au-dessus de sa tête.
Quelques années plus tard, on l'exhuma pour lui don-
ner une sépulture particulière ; sa langue était encore
intacte et bien conservée.
(Vie de Françoise Farnèse.)
LEONORA GUSMAN
CLARISSE
1579. — Pape : Grégoire XIII. — Roi de France : Henri III.
Léonora Gusman est l'un des plus précieux joyaux de
la Sicile, où elle habita longtemps en qualité de Clarisse
Urbaniste. Elle appartenait à la grande famille de Me-
dina-Sidonia. Orpheline de père et de mère à l'âge de
huit ans , elle fut élevée par un oncle qui l'aimait ten-
drement, mais qui, à son gré, avait un travers insuppor-
table : il s'obstinait à vouloir la marier à quelque riche
gentilhomme. En vain lui déclarait-elle que depuis
longtemps elle s'était choisi pour fiancé et pour époux le
Fils de Dieu, il persistait dans son projet; et la pauvre
fille, dans la crainte qu'un jour il ne le mît à exécution,
426 XXI JUIN.
entra dans le couvent des Clarisses Urbanistes de Sainte-
Agnès, et déclara qu'aucune force humaine ne pourrait
l'en faire sortir.
Ce n'était pas le compte de son oncle et de ses parents.
Ils se mirent dans une colère violente et menacèrent de
ruiner le couvent. Ferdinand, roi d'Espagne, qui s'inté-
ressait à l'orpheline , la fit conduire dans une autre
maison de Clarisses Urbanistes, et là, en présence de
l'archevêque et du gouverneur de la ville, elle déclara
avec fermeté qu'on ne l'arracherait du cloître que par
morceaux, et qu'elle était décidée à souffrir mille morts
plutôt que de consentir à ce que son oncle exigeait
d'elle. En présence de cette inébranlable résolution, il
fallut bien céder; on lui permit de se consacrer, comme
elle le disait, à son céleste Fiancé. Elle n'était encore
âgée que de douze ans.
Ce fut pour elle un bonheur immense, quand elle reçut
l'habit de l'Ordre et le voile des religieuses. Quoique fort
jeune encore et presque une enfant, elle donna à ses
sœurs l'exemple de toutes les vertus, pauvreté extrême,
humilité profonde, mortifications violentes, prières, mé-
ditation, extase. Aussi fut-elle de bonne heure choisie
pour être abbesse, et elle conserva cette dignité de 1526
à 1579, année de sa mort.
Elle était âgée de quatre-vingt-un ans, quand elle
mourut, regrettée de ses sœurs qu'elle avait si longtemps
dirigées dans les sentiers du Seigneur, heureuse elle-
même de quitter cette vie de ténèbres pour l'éternité des
élus.
Plus de treize mois après sa mort, on trouva complè-
tement intacts ses précieux restes, qui pourtant avaient
PÈRE ANDRÉ DE SÉTDBAL. 427
été ensevelis dans un endroit humide. On procéda à
l'exhumation et on transporta son corps au chœur, dans
un sépulcre de marbre blanc, non loin du tombeau du
bienheureux Alvarez Pelage, évêque de Silva et frère
mineur, le fondateur et le protecteur du couvent (1).
(GONZAGDE.)
VINGT-DEUXIEME JOUR DE JUIN
PÈRE ANDRÉ DE SÉTUBAL
MARTYR
1600. — Pape : Clément Vill. — Roi de Portugal : Philippe III.
Le Père André, infatigable propagateur de la foi,
naquit à Sétubal, dans le Portugal. Devenu frère mineur,
il conçut le projet d'aller enseigner la religion du vrai
Dieu aux infidèles des Indes Orientales.
Il partit avec le Père Louis de Lisbonne et le Père
François de l'Incarnation, et tous trois convertirent et
baptisèrent un certain nombre d'Indiens. Bientôt le Père
André, n'écoutant que son zèle, va catéchiser l'île de
Ceylan. On lui apprend qu'il y a quelque part,àTalapim,
un prince barbare à qui personne jusqu'alors n'a osé
parler de la foi catholique ; sans perdre un moment, il y
court, pénètre dans le palais de cet homme, et lui place
(1) Voir la vie d'Alvarez Pelage dans le Palmier Séraphique, tom. I, vingt-cin-
quième jour de janvier, page 437.
428 XXII JUIN.
devant les yeux l'image du Sauveur crucifié pour le salut
des hommes. Le barbare ne se contenait pas de colère
et de rage ; sans dire un mot, il fait signe à ses soldats
d'emmener le courageux apôtre et de le tuer. C'était le
22 juin 1600. (Cardose.)
PERE RAPHAËL DE NURSIE
1540. — Pape : Paul III. — Roi de France : François Ier.
Ce saint homme naquit à Nursie, en Italie, d'une
famille noble. Après avoir étudié à l'Université de
Pérouse, il prit la robe de frère mineur. Il eut pour
maître dans la perfection le bienheureux Ambroise de
Miliano, ou de Milan, religieux d'une piété profonde,
dont il s'efforça d'imiter les vertus (1). Envoyé à Lugnano
par ses supérieurs, il quitta sa ville natale sans même
songer à prendre congé de sa famille, tant il avait su
détacher son cœur de tout bien terrestre. Il fut pendant
dix-huit ans l'aumônier et le directeur spirituel des Cla-
risses de Lugnano.
Dieu lui accorda le don de seconde vue et la puissance
de chasser les démons.
Quelques joursavant sa mort, lebienheureux Ambroise,
son maître, vint lui faire visite et lui annoncer que
bientôt il le rejoindrait dans l'éternel royaume. Il expira
en 1540, fort regretté des Clarisses, qui le pleurèrent
(l) Voir la vie du bienheureux Ambroise de Miliano, ou de Milan, dans le Pal-
ynier Sëraphique, ton). IV, sixième jour d'avril, page 129.
RICHARD DE BOURGOGNE, ETC. 429
comme un père. Une foule immense de peuple se pressa
à ses funérailles.
(Jacobille.)
VINGT-TROISIEME JOUR DE JUIN
/
, RICHARD DE BOURGOGNE
PASCAL DE VICTORIA, FRANÇOIS D'ALEXANDRIE
ET AUTRES, MARTYRS EN MÉDIE
1340. — Pape : Benoit XII. — Roi de France : Philippe VI.
SOMMAIRE : Première apparition des Frères Mineurs en Asie. — Départ du Père
Pascal. — Il apprend les langues de l'Asie-Mineure. — Ses voyages à travers la
Perse et la Médie. — Persécutions dont il est l'objet. — Un bon empereur. —
Revers et martyre de Pascal et de ses compagnons. — Les Frères Mineurs en
Tartarie.
Quand le bienheureux Père Jean de Montecorvino,
premier archevêque de Cambalech, en Tartarie, eut,
avec l'aide de quelques frères mineurs, planté l'étendard
du Christ au milieu des vastes contrées de l'Asie, les
papes et les généraux de l'Ordre s'efforcèrent de le
maintenir haut et ferme contre toutes les attaques des
faux dieux. De vaillants soldats de la foi se présentèrent
en foule pour les y aider, entre autres le Père Pascal de
Victoria (ou de la Victoire), qui sollicita et obtint l'honneur
d'aller mourir pour la foi.
Le Père Pascal partit en 1330, avec un autre religieux.
Ils s'embarquèrent à Galata, près de Constantinople,
430 XXIII JUIN.
pour traverser la mer Noire. Les deux missionnaires
arrivèrent en Tartarie sans encombre. A Tana, où ils ne
restèrent pas longtemps, ils rencontrèrent quelques
frères mineurs ; puis, profitant d'une caravane de
marchands grecs, ils se rendirent à Saray, l'une des plus
grandes villes du pays. C'est là qu'était mort, en 1334,
un courageux martyr, le Père Etienne de Hongrie, frère
mineur (1). Pascal y apprit à parler et à écrire le tartare,
le Persan et le Mède, et il connut bientôt assez ces langues
pour pouvoir prêcher sans interprète. Au bout d'un
an de séjour à Saray, un ordre de ses supérieurs lui
enjoignit de continuer sa route. Il se dirigea vers le
Tigre, passa à Sarachuk, et, après cinquante jours de
marche, arriva à Urganto, ou Hus, où est enseveli le saint
patriarche Job. Cependant il prêchait, catéchisait et
baptisait au nom du Seigneur. Il pénétrait dans les
mosquées, discutait avec les derviches, et confondait
leurs impostures, en présence d'un peuple immense.
Les plus savants docteurs, les plus habiles et les plus
fourbes, étaient contraints de reconnaître la fausseté de
leur religion et les éclatantes vérités des dogmes
catholiques. Les Turcs se convertissaient en foule, et
les prêtres de Mahomet voyaient avec désespoir leur
influence tomber.
Ils s'en vengèrent par la ruse et la trahison, firent
saisir le courageux missionnaire, le tinrent en prison
pendant plusieurs jours, et ne le laissèrent libre qu'après
lui avoir brûlé la plante des pieds, arraché la barbe et
les cheveux.
(1) Voir sod martyre (Palmier Séraphique, tom. IV, vingt-deuxième jour d'avril,
pige 431).
RICHARD DE BOURGOGNE, ETC. 431
Obligé de changer de résidence, il se dirigea vers la
ville d'Armalecli, d'où il envoya à ses supérieurs le récit
de sa mission (1338). Il terminait sa lettre par ces mots :
a Mon devoir est d'enseigner la vérité aux nations et de
« montrer aux pécheurs le chemin du ciel ; mais il n'ap-
« partient qu'à Dieu de donner à mes paroles l'éloquence
« qui persuade».
Le Père Pascal trouva à Armalech cinq frères mineurs
dont les efforts avaient déjà été couronnés de succès : le
Père Raymond de Bourgogne, évêque de cette ville; le
Père François et le Père Raymond Ruffi, tous deux origi-
naires d'Alexandrie, en Italie; le frère Laurent, d'Alexan-
drie, et le frère Pierre Martelli, de Provence. Le Père
François, homme d'une grande vertu, avait guéri d'un
cancer l'empereur de Médic, beaucoup plus sans doute
par ses prières que par sa science médicale, et cette cure
merveilleuse avait concilié aux religieux l'affection du
despote. Grâce à sa protection toute-puissante, ils purent
prêcher dans plusieurs villes du pays, sans courir le
risque d'être inquiétés, et convertir un grand nombre
d'hérétiques.
Mais ce bonheur ne fut pas de longue durée ; une ré-
volution de cour, comme il en arrive si fréquemment en
Asie, renversa l'empereur qui fut massacré avec ses
quatre fils, et le prince Alisolda, sectateur fanatique de
Mahomet, prit sa place. Aussitôt tout changea de face.
Les Turcs convertis furent traînés au supplice, et les cinq
frères mineurs, avec leur évêque, jetés tout d'abord en
prison. Sur leur refus d'abjurer leur foi, on les con-
damna à être fouettés, puis écorchés tout vifs, à avoir le
nez, les oreilles et les lèvres coupés, enfin à être pendus. Us
432 XXTII JUIN.
moururent courageusement; sans faiblesse, au milieu
d'une populace furieuse dont leur fermeté excitait en-
core la rage, le jour de la fête de saint Jean-Baptiste, en
4340, ou, selon d'autres, en 4342.
Le bel exemple de leur mort fut suivi par un marchand
de Gênes, Guillaume de Modène, qui expira dans les tor-
tures en invoquant le noni du Seigneur. Ce qui restait
de chrétiens prit la fuite ; mais, traqués de toutes parts
comme des bêtes fauves, beaucoup périrent de faim et de
misères, beaucoup languirent et s'éteignirent dans les
prisons. Toutes les églises et toutes les chapelles chré-
tiennes devinrent la proie des flammes.
Quelques années plus tard, à la suite d'une ambassade
du grand-khan de Tartarie au pape Benoît XII, la faveur
sembla revenir aux serviteurs du vrai Dieu. Jean de
Florence obtint même la permission de s'établir à Cam-
balech, capitale de la Tartarie. Des églises s'élevèrent
de nouveau ; les conversions se multipliaient ; on eût pu
croire que la domination du Christ était définitivement
établie dans ces contrées. Mais ce ne fut qu'une éclaircie
dans un ciel d'orage. Les persécutions recommencèrent ;
le bienheureux Père Jean de Florence, archevêque de
Zaïton, et le bienheureux Père Guillaume de Campanie
furent massacrés par les Maures (1362). — En 1369, ce
fut le tour du bienheureux Père Antoine Rosati. Leur
sang fructifia comme une précieuse semence de chré-
tiens; à la fin du siècle, les Frères Mineurs possédaient
trente et un couvents dans différentes villes de la Tartarie
et de la Médie,et une foule innombrable de Turcs avaient
reçu le baptême.
(Wadding.)
FRÈRE ANTOINE DE SAINTE-ANNE. 433
VINGT-QUATRIEME JOUR DE JUIN
ANTOINE DE SAINTE-ANNE
MARTVR
1610. — Pape : Paul V. — Roi d'Espagne : Philippe III.
SOMMAIRE : Jeunesse vertueuse du frère Antoine. — Il prend l'habit de frère
mineur dans la province de Saint-Paul. — Son départ pour les îles Moluques. —
Il est pris par des pirates hollandais et délivré par un navire espagnol. — Il passe
dans l'île de Matéo, et tombe entre les mains des infidèles. — Son glorieux martyre.
— Miracles qui accompagnent sa mort.
Ce glorieux martyr naquit à Plaisance , en Italie ,
d'une famille vertueuse. Ses parents, Alphonse Lopez et
Isabelle Villalobos, dont il était le fils aîné, relevèrent
avec soin dans la crainte de Dieu et le respect de la
religion.
Dès ses plus jeunes années, Antoine se fit remarquer
par ses belles qualités, et en particulier par sa profonde
piété. Son intelligence, en se développant, précisa et
appliqua ces précieux dons de la nature; et comme s'il
eût été déjà un religieux accompli, Antoine veillait,
jeûnait , priait et se mortifiait. Il prenait soin des
pauvres et des malheureux , qu'il consolait et à qui
il s'efforçait de rendre la vie moins dure et moins
difficile.
Antoine reçut l'habit de frère lai au couvent de Cer-
ralvo, dans la province récemment organisée de Saint-
Palm. Séraph. — Tome VI. 28
434 XXIV JUIN.
Paul, après avoir dit à ses parents un éternel adieu. Il ne
tarda pas à devancer dans les voies du Seigneur les plus
vénérables et les plus saints religieux. Toutes les vertus
que saint François exige de ses enfants, il les avait au
plus haut degré. Son extérieur était humble et modeste,
sa figure reflétait une douceur angélique et un sou-
rire perpétuel. Il s'attacha bientôt, par les liens d'une
indissoluble amitié , au Père Sébastien de Saint-Jo-
seph (1). D'une piété ardente, il avait, comme lui, soif
du martyr, et par leurs longs entretiens ils entretinrent
et développèrent en eux ce grand désir de mourir pour
le Christ. Le Père Sébastien partit le premier pour les
Indes, frère Antoine était alors trop jeune pour l'accom-
pagner; mais six ans plus tard, c'est-à-dire huit années
à peine après sa profession de foi, désigné pour être le
compagnon du bienheureux Père Pierre-Mathias, gardien
de la province de Saint-Georges et des îles Philippines, il
fit voile, avec ce saint religieux, pour Manille, capitale
de l'archipel.
Il n'y demeura que quelques semaines, et fut envoyé
par ses supérieurs aux îles Moluques, où il accompagnait
le Père Jean de Saint-Jérôme. Leur traversée ne fut pas
heureuse. Quatre corsaires hollandais, qui croisaient dans
ces parages, attaquèrent leur vaisseau, et pendant trois
semaines les courageux apôtres restèrent entre les mains
de ces ennemis acharnés de la foi catholique et souf-
frirent mille maux. Un navire de guerre espagnol les
délivra et les transporta à Ternate, où ils trouvèrent, en
débarquant, le Père Etienne, un de leurs supérieurs,
(1) Voir, dans ce volume, page 358, le martyre du Père Sébastien de Saint-
Joseph.
FRÈRE ANTOINE DE SAINTE-ANNE. 435
accouru pour les recevoir avec toute la population euro-
péenne de la ville.
A Ternate, tandis que les Pères prêchaient et bapti-
saient, frère Antoine s'occupait, avec frère Christophe
Ruyz, du soin des malades, dans l'hospice fondé par le
gouverneur de l'île. De là, il partit pour Matéo avec le
Père Sébastien , son intime ami , que , par un effet
de la céleste bonté , il avait retrouvé , après six ans
d'absence, dans ces régions lointaines. Il ne jouit pas
longtemps du charme de sa compagnie. Le Père Sébas-
tien de Saint-Joseph fut massacré par les Maures de
Tagolanda, et lui-même fait prisonnier, maltraité, frappé,
outragé, fut jeté dans un cachot, pieds et poings liés,
et y resta d'abord quatre jours sans prendre aucune
nourriture.
Quelques chrétiens de Ternate essayèrent de l'arracher
aux mains des infidèles, et l'un d'eux proposa de l'échan-
ger contre trois esclaves maures. Mais les barbares, dont
un premier meurtre avait allumé la rage, n'eurent garde
de consentir à ce marché. S'ils avaient différé sa mort,
c'est qu'ils voulaient la lui rendre plus cruelle. Après
plusieurs semaines d'angoisses et de souffrances, le saint
frère se vit tout à coup traîner hors de sa prison et me-
ner sur la place du marché, où une grande foule de
peuple était assemblé. C'était un jour de fête pour
les mahométans; celui qui paraissait être le chef de ces
sauvages, s'adressant aux femmes , leur dit : « Nous
« avons condamné à mort le compagnon de cet homme,
« parce qu'il prêchait contre le prophète ; faites de celui-
ci ci ce que vous voudrez » . Alors, comme des bêtes fauves,
en poussant des hurlements de joie, ces furies s'appro-
430 XXIV JUIN.
chèrent du saint homme, et, saisissant la corde qui lui
liait les mains, le traînèrent par les rues de la ville,
l'accablèrent d'outrages et de coups, lui déchirèrent ses
•vêtements ; et quand, sur le point de rendre l'âme, il resta
étendu sans mouvement sur la terre, elles formèrent
autour de lui une ronde infernale. De temps en temps,
l'une d'elles, se détachant du groupe, venait avec un
couteau lui faire de profondes entailles dans les chairs.
Cependant le courageux apôtre, les yeux levés au ciel,
sans pousser un gémissement ni un soupir, offrait à Dieu
son sang et sa vie. Il expira enfin après une longue et
douloureuse agonie, le 24 juin 1610. Il n'était âgé que
de vingt-huit ans.
Son corps, jeté plusieurs fois à la mer, fut toujours
ramené sur le rivage par les flots ; à la fin, les barbares,
lassés de le voir sans cesse reparaître, l'ensevelirent. La
tête du saint, plantée sur une pique, parlait dans la langue
du pays et prêchait le Sauveur crucifié. Des marchands
chrétiens furent assez heureux pour la racheter à prix
d'argent.
Plus tard, le pape ordonna une enquête sur la vie du
bienheureux Antoine de Sainte -Anne et sur celle du
bienheureux Sébastien de Saint-Joseph, son ancien direc-
teur et son ami.
{Chron. de la prov. de Saint- Joseph.)
PÈRE JEAN DE PALMA, ETC. 437
JEAN DE PALMA
ET PÈRE BLAISE PALOMIN
MARTYRS
1614. — Pape : Paul V. — Roi d'Espagne : Philippe III.
Nous plaçons ici le récit du martyre du Père Jean de
Palma , qui mourut aussi dans le voisinage des îles
Moluques. Il était né à Tolède, de parents considérables,
Didace Palma et Catherine Herrera. A l'âge de vingt-
neuf ans, il quitta sa famille et ses amis, et s'en fut à
Valence, dans la province de Saint-Jean-Baptiste, prendre
l'habit de frère lai. En 1606, il prononça ses vœux entre les
mains du Père Antoine Sobrino, religieux célèbre par sa
sainteté et les miracles qu'ii accomplit.
Quatre ans plus tard, le bienheureux frère s'embarquait
pour les îles Philippines, où l'attirait un invincible désir
de contribuer, autant qu'il était en lui, à l'extension de
la foi. Ses supérieurs, qui connaissaient ses précieuses
qualités et son zèle infatigable, rélevèrent à la dignité
sacerdotale, pour le mettre plus à même de prêcher et de
convertir les Indiens. Surpris par des pirates hollandais
en 1624, il fut mis en demeure d'abjurer sa foi ou de
mourir. Sans hésiter un seul instant, le bienheureux,
préférant la mort à l'apostasie , tendit la gorge aux
poignards et donna son sang pour son Dieu.
Son nom fut cité, au chapitre général de 1625, à côté
des noms de plusieurs autres martyrs catholiques du
438 XXIV JUIN.
Japon. Sur cette liste figurait aussi le Père Biaise Palomin,
de la province espagnole de Grenade, qui périt dans
les supplices, aux îles Moluques, où il prêchait l'Evan-
gile (4614).
(Barezzo.)
PERE FRANÇOIS PENNEMAN
MARTYR
Î575. — Pape : Grégoire XIII. — Roi de France : Henri III.
Le vingt-quatrième jour de juin, un autre saint homme
donnait aussi sa vie pour sa foi : c'est le Père François
Penneman , de Gand, prédicateur éloquent, religieux
d'une grande science et d'une plus grande humilité. 11
était gardien du couvent de Sluys, et se rendait à l'église
de Saint-Laurent pour y prêcher, quand il tomba entre
les mains des Gueux, à cette époque plus cruels et plus
impitoyables que jamais à l'égard des défenseurs de la
religion. En apprenant que François se disposait à
combattre leurs doctrines ce jour-là même, ils lui cre-
vèrent les deux yeux, le frappèrent de mille coups, et enfin
lui tranchèrent la tête, le 24 juin 1575.
Cinq jours après sa mort, des bergers trouvèrent son
corps dans un fossé , et le rapportèrent à tSluys ,
où il fut enseveli au milieu d'un grand concours de
peuple.
Les catholiques, traqués de tous côtés par les Gueux
dans ces temps difficiles, fuyaient comme des moutons
PÈRE JEAN-BAPTISTE DE MADRIGALEJO. 439
poursuivis par des loups dévorants. Ils voyaient leurs
églises brûler, leurs prêtres périr dans les supplices, les
eouvents des religieux de tous les Ordres s'écrouler au
milieu des flammes. C'est ainsi qu'en moins de quinze
jours, quatre des plus belles maisons franciscaines
furent mises au pillage, et plus de vingt religieux
condamnés, par les hérétiques, à mourir au milieu des
tortures. Le ciel se peuplait de confesseurs et de martyrs.
(Du Raisse.)
JEAN-BAPTISTE DE MADRIGALEJO
1608. — Pape : Paul V. — Roi d'Espagne : Philippe III.
SOMMAIRE : Le Père Jean-Baptiste, prêtre et directeur d'un collège ecclésiastique.
— Il s'attache au Père Alphonse Loup et entre dans l'Ordre de Saint-François. —
Ses prédications et ses travaux théologiques. — Caractère de son style et de son
éloquence. — Conversions qu'il provoque. — Son humilia. — Ses vertus religieuses.
— Comment il exerça différentes dignités. — Ses dernières années.
Le Père Jean-Baptiste naquit à Madrigalejo, en Espagne,
de parents nobles qui lui donnèrent une éducation chré-
tienne et des plus solides. Il étudia la philosophie et la
théologie à Salamanque.
D'une grande dévotion à saint Jean-Baptiste, son patron,
il prit l'habit de frère mineur, chanta sa première messe
le jour même de la fête de ce grand Apôtre. C'était un
prêtre selon Dieu, et non selon le monde, peu désireux
d'une gloire qu'il est toujours facile d'acquérir, avide
seulement de conquérir des âmes pour le ciel. Aussi
fut-il pendant longtemps supérieur du collège de prêtres
d'Avila. Son austérité ne l'empêchait pas de se montrer
440 XXIV JUIN.
doux et bienveillant à l'égard de ses confrères, aussi bien
qu'à l'égard des jeunes gens dont il dirigeait avec eux les
premiers pas dans la vie. Mais en dehors des heures où
ses devoirs de supérieur l'appelaient au milieu de sa fa-
mille spirituelle, il demeurait dans sa chambre, sorte de
petite cellule reléguée dans un coin du collège, où nul
bruit extérieur ne pénétrait, et qui était le témoin secret
et muet de ses travaux théologiques ou de ses mortifi-
cations. Tant qu'il fat supérieur du collège, aucune
femme n'y pénétra ; et l'on ne se souvient pas de l'avoir
jamais vu adresser la parole même à celles qui avaient un
grand renom de sainteté.
Cependant, le Père Alphonse Loup, prédicateur aposto-
lique d'une rare éloquence, vint prêcher à Avila; et Jean
ne manqua jamais d'assister à ses sermons. Les paroles
du saint homme, rapides et étincelantes comme l'éclair,
faisaient luire devant ses yeux des vérités lumineuses ;
ou bien, retentissantes comme la foudre, elles allaient
éveiller au fond de son cœur des échos sonores, jus-
qu'à ce jour demeurés muets. De retour dans sa mo-
deste chambre, la tête entre ses mains, il repassait dans
son esprit ce qu'il venait d'entendre, et il rougissait de
honte en voyant combien peu il avait fait pour son Dieu ;
et lorsque le Père Alphonse quitta Avila, il donna ses
biens aux pauvres et s'attacha à lui. C'est par les conseils
de l'éloquent prédicateur qu'il renonça complètement
au monde et prit l'habit de l'Ordre de Saint-François
dans la province de Saint-Joseph, qui venait d'être
réformée par saint Pierre d'Alcantara.
Le Père Jean-Baptiste fut bientôt, dans toute la force
du terme, un religieux parfait. 11 avait compris, d'abord,
PÈRE JEAN-BAITISTE DE MADRIGALEJO. 441
que le grand secret pour arriver à la vertu, c'est de sou-
mettre constamment ses pensées et ses sentiments à un
examen sévère et incessant. Il se connaissait lui-même :
voilà le principe de sa force. Chaque jour, pendant plu-
sieurs heures, il priait et méditait dans le silence, et
pour dompter les révoltes de la chair, il se soumettait à
de longs jeûnes, se frappait de grands coups de dis-
cipline, dormait peu et travaillait presque toute la nuit.
Sur les conseils et les ordres de ses supérieurs, dans
l'intérêt des âmes, et un peu en dépit de son humilité, il
se livra à la prédication ; on a conservé de lui plusieurs
sermons écrits, qu'il prononça, soit pendant le Carême
et l'Avent, soit à l'occasion des principales fêtes de
l'année.
Il prêchait presque tous les dimanches, et l'on a peine
à s'expliquer comment il trouvait encore assez de temps
et assez de force pour composer des ouvrages de théo-
logie ou de métaphysique. Ses livres respiraient un
ardent amour de Dieu, en même temps qu'ils témoi-
gnaient d'une science mûre et profonde et d'une con-
naissance parfaite des dogmes de la religion. Son style,
comme sa parole, plus solide que brillant, était franc
d'allure et tendait droit au but ; sans phrases pompeuses
ou sonores, il était l'expression nette d'une pensée forte.
Aussi, sans être doué d'une grande éloquence, le Père
Jean-Baptiste contribua-t-il plus à l'affermissement de
la foi dans les âmes, que des orateurs plus agréables et
plus ornés. Les pécheurs, effrayés de la sévérité de ses
jugements, qu'il prononçait du haut de la chaire, comme
d'un tribunal, sans ménagement, sans hésitation, ren-
traient en toute hâte dans le devoir et venaient lui
442 XXIV JUIN.
demander à genoux l'absolution de leurs fautes. A la cour
de Madrid, il était le même que dans le plus humble des
villages, et les grands seigneurs d'Espagne trouvaient
moins grâce devant lui que le dernier des misérables.
Sa bonté, d'ailleurs, égalait sa sévérité. Un jour, à
Madrid, au milieu d'un de ses sermons, un gentilhomme
entra tout à coup dans l'église avec quelques jeunes
gens, résolus comme lui à faire du bruit pour troubler
le prédicateur. Au même moment, averti par l'Esprit-
Saint, le Père Jean s'écria : a Priez, mes frères, car le
g démon vient de pénétrer dans cette enceinte », et
quelques instants après, il reprit la parole et acheva son
sermon sans être interrompu. Comme il retournait au
couvent, le gentilhomme s'approcha de lui et lui demanda
humblement pardon de sa faute. Il lui avoua que depuis
longtemps il ne s'était pas confessé, et le pria d'inter-
céder pour lui auprès de Dieu. Le lendemain, il fit au
bon Père l'aveu général de tous ses péchés, et par la
suite, il fut un modèle de piété et de vertu.
C'est surtout contre la luxure que le Père Jean-Baptiste
s'élevait avec une indignation profonde, et alors sa pa-
role, d'ordinaire simple et modérée, quoique toujours
forte et vigoureuse, resplendissait comme l'éclair. Il
convertit un grand nombre de malheureuses femmes,
que le malheur eu le besoin avait jetées dans l'abîme de
la corruption ; beaucoup d'étudiants tapageurs et dé-
pravés s'amendèrent aussi à sa voix et firent pénitence.
Ce saint homme, qui exerça sur ses contemporains
une influence si salutaire, dont on ne parlait qu'avec
respect, et à qui on rendait les mêmes hommages qu'à
un envoyé du cie), ne conçut jamais, au milieu de sa plus
PÈRE JEAN-BAPTISTE DE MADRIGALEJO. 443
grande gloire, ni orgueil, ni vanité. Sa démarche était
humble et modeste; il avait de lui-même une fort mau-
vaise opinion, et tout d'abord considérait comme lui
étant fort supérieures les personnes avec qui il était
en relation. Il s'avançait dans la vie , si l'on peut
ainsi parler, les yeux toujours fixés sur la splendeur et
la majesté de Dieu, et se trouvait, en présence du Créa-
teur, plus petit et plus misérable qu'un ciron ou une
fourmi. De là le mépris qu'il avait conçu pour lui-même,
ou plutôt pour son corps ; car il voyait en son âme une
image du Très-Haut, et cette saine philosophie lui était
un préservatif contre toutes les chutes et toutes les
défaillances.
Fidèle observateur de la règle, le Père Jean-Baptiste se
montra l'un des plus rigides disciples de saint Pierre
d'Alcantara. Aussi fut-il successivement élu gardien de
plusieurs couvents, définileur et commissaire-inspecteur
de provinces espagnoles. 11 s'acquitta modestement
et scrupuleusement de ces différentes fonctions, qu'il
n'accepta d'ailleurs que par obéissance. Les religieux,
sous sa direction, trouvèrent en lui un père bien plus
qu'un supérieur; très-dur pour lui-même, il était en
revanche toujours disposé à améliorer les conditions
matérielles d'existence de ses frères et à les pourvoir de
tout ce dont ils avaient besoin. Il leur donnait constam-
ment des exemples de piété et d'assiduité dans la prière
et la méditation, de pauvreté et de soumission à la règle;
et c'est par là seulement qu'il voulut se montrer leur
maître et leur directeur.
Pendant les dernières années de sa vie, il sembla, par
un suprême effort, s'être élevé aussi haut qu'il est pos-
444 XXIV JUIN.
sible à l'homme sur les sommets sereins de la vertu et de
la perfection religieuse. Il souffrait alors depuis quelque
temps de la gravelle, et il sortit plus pur de ces épreuves,
comme l'or sort plus brillant du feu qui l'a débarrassé
des scories et des matières moins précieuses. Sa dévotion
à Jésus crucifié et au saint Sacrement de l'autel ne
connaissait point de bornes. Il paraît avoir connu
d'avance et annoncé à ses frères le jour de sa mort, qui
arriva le 24 juin 1608. Il avait conservé jusqu'au der-
nier moment toute la plénitude et toute la lucidité de sa
belle intelligence.
On l'ensevelit au couvent de Saint - Bernardin , à
Madrid, et une grande foule de peuple assista à ses funé-
railles.
(Chron. de la prov. de Saint- Joseph.)
PIERRE D'URBIN
DU TIERS ORDRE
1415. — Pape : Jean XXIII. — Roi de France : Charles VI.
Le bienheureux Pierre, confesseur, du Tiers Ordre,
était né en Espagne ; mais il passa la plus grande partie
de sa vie dans une petite chapelle située non loin d'Ur-
bin, en Italie, et c'est pourquoi on le désigne sous le
nom de Pierre d'Urbin. Très-connu dans le voisinage de
sa résidence, il était le conseiller et l'ami d'une foule
de personnes qui venaient lui demander des avis, des
éclaircissements sur des questions religieuses , et le
secours de ses prières.
LE BIENHEUREUX PIERRE D'URBIN. 445
Un miracle éclatant que Dieu accomplit en sa faveur
accrut encore l'estime et le respect qu'on lui témoignait
déjà, et c'est alors qu'on lui assigna pour demeure une
petite chambre dans la chapelle d'Urbin. C'est là qu'il
instruisait les enfants et les hommes du peuple des prin-
cipales vérités de la religion ; il leur enseignait le Pater,
Y Ave, Maria, et d'autres prières ; il leur apprenait à esti-
mer à leur juste valeur les choses du monde et celles
du ciel. C'est là aussi que le Fils de Dieu, pour lui
témoigner combien lui étaient agréables les soins tou-
chants qu'il prodiguait aux humbles et aux petits, lui
apparut un jour sous la forme d'un enfant de douze ans,
tel qu'il s'était montré dans le temple de Jérusalem aux
scribes et aux docteurs d'Israël.
Il mourut saintement, en 1415, dans sa chambre,
sans l'assistance de personne , et c'est le lendemain
seulement qu'on apprit sa mort, en le trouvant à ge-
noux, immobile, les yeux ouverts et les bras étendus
vers le ciel, dans l'attitude de la prière. On l'ensevelit
sous l'autel de la chapelle, et longtemps après, on trouva
son corps parfaitement intact ; sa tête conservait encore
la barbe et les cheveux. Des miracles s'accomplirent par
son intercession.
(Wadding.)
440 XXIV JUIN.
AGNES DE SAINT-DOMINIQUE
CLARISSE
15G0. — Pape : Pie IV. — Roi de Portugal : Sébastien Ier.
Cette pieuse servante du Seigneur, qui s'avança fort
loin dans les sentiers de la perfection, vécut au couvent
des Clarisses Urbanistes de Lisbonne. Son amour pour
la sainte pauvreté, son humilité profonde, sa pureté
naïve, sa piété, sa charité chrétienne, suscitèrent contre
elle la rage du démon ; et sa vie fut un perpétuel combat,
mais aussi une perpétuelle victoire sur l'ennemi de
Dieu.
Dans sa vieillesse, elle perdit la vue, et ce malheur,
loin de l'irriter contre la volonté du Seigneur, développa
au contraire ses belles vertus. Elle est entrée dans l'éter-
nelle gloire le 24 juin 1560. Dieu témoigna de ses com-
plaisances pour sa pieuse fiancée en accomplissant des
miracles le jour même de ses funérailles.
Quelques années après sa mort, au moment où on
ouvrait son tombeau pour lui donner une sépulture plus
digne de ses mérites, un parfum délicieux s'échappa de
son corps et remplit l'église, au grand étonnement de
tous les assistants.
(Wadding.)
PÈRES JACOB DE POGGIO, JÉFlEMIE, ETC.
VINGT-CINQUIEME JOUR DE JUIN
JACOB DE POGGIO, JÉRÉMIE ET AUTRES
MARTYRS EN SYRIE
1266.— Pape : Clément IV. — Roi de France : Saint Louis.
Bendocdar, sultan de Babylone, après s'être élevé au
trône par le meurtre de ses parents, en 1260, continuant
dignement un règne si bien commencé, sembla prendre
plaisir, durant plusieurs années, à détruire, à brûler et
à ravager une grande quantité de villes, de villages et de
châteaux. Il tenta vainement de prendre la citadelle
chrétienne de Ptolémaïs, et, rendu furieux par plusieurs
échecs, il tourna ses forces contre la vtHe de Saphet, où
il entra, le 2-4 juin 1266, en promettant de laisser la vie
sauve à tous ses habitants et à tous ses défenseurs. Le
soir même, par une insigne trahison, il reniait la parole
donnée et faisait savoir aux malheureux prisonniers
qu'ils eussent à choisir entre la mort ou l'apostasie.
Dans la ville se trouvaient deux frères mineurs, le
Père Jacob de Poggio et le Père Jérémie, lesquels, juste-
ment indignés de l'infâme conduite du barbare, passèrent
toute la nuit à exhorter les habitants à bien mourir et à
ne pas préférer un misérable reste de vie sur cette terre
à l'éternelle félicité qui les attendait au ciel. Ils furent
écoutés, et le lendemain même eut lieu un épouvantable
massacre : plus de six mille chrétiens moururent frappés
448 XXV JUIN.
de la hache. Le sang coulait à flots dans toutes les rues
de la ville. Quand vint le tour des deux apôtres, on
inventa pour eux et pour le prieur des Templiers, qui se
trouvait là, un raffinement de supplice. Ils furent con-
damnés à être écorchés tout vifs et à périr sous les coups
de bâton. (25 juin i266.)
En même temps que les courageux martyrs de l'Ordre
Séraphique avaient la gloire et le bonheur de mourir
pour le Christ dans le pays même où ce dernier avait vécu
et était mort pour les hommes, d'autres frères mineurs
versaient leur sang en Syrie, où ils affirmaient ainsi leur
foi et la sainteté de leur religion.
Le Père Conrad d'Albi eut la tête tranchée et sur son
corps, jeté à la mer, une couronne de feu brilla jusqu'au
jour où les chrétiens recueillirent ses précieux restes
et l'ensevelirent en Terre-Sainte avec les honneurs qui
lui étaient dus.
Deux autres frères mineurs dont le nom est demeuré
inconnu, le premier très-âgé, le second au contraire
très-jeune, périrent frappés de la hache. Chose merveil-
leuse, au moment de leur supplice, un chœur invisible
faisait retentir les airs du chant du Salve Regiîia, et cette
musique céleste ne cessa pas de se faire entendre pendant
qu'on traînait leurs corps à la mer. Des cercles de feu
étincelèrent aussi au-dessus de leur tête.
PÈRES JACOB DE POGGIO, JÉRÉMIE, ETC. 449
En 1402, les Turcs massacrèrent encore le bienheureux
Père Pacifique de Spolète.
En 1370, un autre Père de l'Ordre de Saint-François,
Jean de Naples, qui prêchait la foi chrétienne à Gaza, en
Palestine, avait été coupé en morceaux.
Au moment où Pierre, roi de Chypre et de Jérusalem,
enlevait aux Turcs la ville d'Alexandrie, ceux-ci, profitant
de son absence, attaquèrent et surprirent la garnison de
la montagne de Sion. Us y trouvèrent seize frères mineurs
et les emmenèrent prisonniers à Damas. Durant cinq
années entières, ces malheureux furent l'objet de persé-
cutions et de cruautés inimaginables. Chargés de fer,
plongés au fond de ténébreux cachots, où on les laissait
presque sans nourriture, sous le coup de menaces de
mort continuelles, ils souffrirent plus que les forces
humaines ne paraissent pouvoir supporter de privations
et de douleurs. A la fin, les barbares, furieux de n'avoir
pu abattre ces fiers courages, mirent fin à leur supplice
en leur tranchant la tête. Maintenant leurs âmes se
sont mêlées dans le ciel aux glorieux chœurs des
martyrs.
En 1560, dans la même ville de Damas, trois autres
frères mineurs, de la province Basilicate, dans le royaume
de Naples, furent mis à mort par les Turcs.
(Wadding et Gonzague.)
Palm. Séraph. — Tome VI. 29
450 XXV JUIN.
PÈRE DANIEL D'ARENDONCK
ET SES COMPAGNONS
MARTYRS A ALCMAER
1572. — Pape : Saint Pie V. — Roi de France : Charles IX.
SOMMAIRE : Invasion de l'hérésie dans les Pays-Bas. — Efforts des Frères Mineurs
pour en arrêter les progrès. — Les religieux d'Alcmaer. — Prise d'Alcmaer par les
Gueux. — Les frères mineurs sont emmenés à Enkuse et condamnés à la po-
tence: — Leur courage dans la mort. — Supplice du Père Engelbert.
Quand l'hérésie, ce fléau du dix-septième siècle, après
avoir envahi l'Allemagne et la France, pénétra jusque
dans les Pays-Bas, elle trouva dans la révolte des Néerlan-
dais contre leur souverain un puissant moyen d'action et
de propagande. C'est ce qui explique la rapidité avec
laquelle elle s'étendit à toutes les provinces flamandes et
wallones , malgré les courageux efforts tentés par
les religieux de Saint-François pour l'arrêter dans sa
marche.
La Frise fut la première province envahie. A peine les
hérétiques y apparurent-ils, que le provincial de Brabant,
dont l'autorité s'exerçait sur la Hollande entière, envoya
au couvent d'Alcmaer, pour combattre leur influence,
les frères mineurs les plus fermes dans leur foi, les plus
instruits et les plus éloquents, tous d'ailleurs bien résolus
à mourir dans les supplices, plutôt que d'apostasier. Le
Père Daniel d'Arendonck, né à Kempenland, fut nommé
gardien de ce couvent. C'était un homme d'une grande
science, dont la pâle et austère figure attestait les longs
PÈRE DANIEL D' AB.ENDONCK . 451
jeûnes, les veilles et les mortifications. Pasteur vigilant
de son troupeau, il écrivit pour ses ouailles un nouveau
catéchisme, dont le Concile de Trente ordonna la publi-
cation. Il avait été d'abord maître des novices à Louvain,
puis gardien de plusieurs couvents.
Les frères mineurs qui devaient mourir avec lui sont :
le Père Corneille de Diest, d'une grande et riche famille,
religieux d'une vertu éprouvée, d'une charité sans bor-
nes, confesseur et directeur spirituel des Clarisses d'Alc-
maer : c'était le plus éloquent prédicateur de la province,
quoiqu'il fût déjà fort âgé; sa belle figure toujours sou-
riante annonçait une conscience pure et paisible; — le
Père Jean de Naerden, marguillier de l'église ; — le Père
Louis Voet, né à Arquennes, dans le Brabant méridional,
jeune prêtre dont les débuts annonçaient un sermon-
naire de premier ordre ; — frère Adrien de Ter-Gau, por-
tier, — et frère Engelbert de Terburg, cuisinier.
A l'approche des Gueux et à leur entrée dans la ville
d'Enkuse, tous les prêtres et les principaux habitants
du pays s'enfuirent à Amsterdam. Les hérétiques s'éta-
blirent dans la Frise, sans rencontrer de résistance, et forts
de l'abri qu'ils s'étaient assuré en cas de revers, ils mar-
chèrent en bon ordre sur Alcmaer, sous la conduite d'un
certain Focx Vriesman, d'une cruauté trop connue, et à
qui une infirmité naturelle avait fait donner le surnom de
Houtenvoët (le boiteux)- Ils pénétrèrent dans la ville sans
coup férir, et se dirigèrent tout d'abord vers le couvent
des Clarisses, qu'ils mirent au pillage; les églises, les
chapelles, les presbytères, les maisons religieuses devin-
rent ensuite la proie des flammes.
Cependant les frères mineurs commençaient à craindre
452 XXV JUIN.
pour leur vie, et malgré les assertions du bourgmestre
qui leur promettait une protection efficace, ils compre-
naient que leur dernière heure allait bientôt sonner. Ils
songèrent un instant à fuir, mais déjà il n'était plus
temps ; leur couvent était cerné parles hérétiques. Il n'y
avait plus de secours à attendre que de Dieu. Le gardien
et le Père Corneille allèrent s'agenouiller sur les marches
de l'autel ; les autres se cachèrent dans différents endroits.
Tous furent pris par les Gueux qui venaient d'enfoncer
les portes du couvent; on les traîna en prison, et trois
jours après, comme on n'osait pas les massacrera AIcmaer,
dans la crainte d'une révolte de la part des habitants,
on les emmena à Enkuse, où ils devaient mourir.
Il serait trop long d'énumérer les persécutions de
toutes sortes et les cruautés dont les frères mineurs
furent l'objet. Un seul fait peut en donner l'idée. Quand
ils arrivèrent à Enkuse dans des voitures couvertes,
le capitaine Houtenvoët, qui commandait la bande des
hérétiques, s'écria: « Bonnes gens, réjouissez-vous, il y
a aura noces et festins ; nous avons pénétré dans rétable
a d'Alcmaer, et nous vous en amenons les cochons ».
Le gouverneur de la ville était un certain Gérard
Borkeroo, prêtre apostat, misérable coquin sans foi ni loi,
à qui le prince d'Orange avait, pour s'en débarrasser,
confié le soin de maintenir dans l'obéissance les marins
d'Enkuse. Il se fit amener le gardien, Daniel d'Aren-
donck : « Renonce à ta religion », lui dit-il, « ou tu mour-
« ras demain ». — « Je crois », répondit le courageux apô-
« tre, que Jésus est le Fils du Père, qu'il s'est fait homme
« dans le sein de la bienheureuse Vierge Marie, qu'il est
PÈRE DANIEL D'ARENDONCK, ETC. 453
a mort sur la croix, qu'il est ressuscité le troisième jour,
« et qu'il est assis dans le ciel à la droite du Père».
Tous les frères firent la même réponse. Ils furent condam-
nés à être pendus.
La sentence s'exécuta le lendemain, au milieu des cris
de joie d'une populace déguenillée. Frère Adrien, à qui
on avait offert la vie sauve, à condition qu'il ferait l'office
de bourreau, et qui s'y était refusé avec indignation,
mourut le premier. Derrière lui venait le Père gardien,
l'air aussi calme que s'il eût présidé une séance du cha-
pitre, et qui chantait de sa voix retentissante le psaume
de David : In te, Domine, speravi ; « Seigneur, j'ai
« mis en vous mon espérance »; puis il ajouta: Domine,
in manus tuas commendo spiritum meum, « Seigneur, je
« remets mon âme entre vos mains». Le Père Corneille,
confesseur des Clarisses, paraissait absorbé dans une
profonde contemplation, et mourut sans prononcer une
seule parole. Tous montrèrent un courage et une rési-
gnation héroïques. (25 juin 4572.)
Le frère Engelbert de Terburg , qui s'était caché à
Alcmaer dans une maison, fut livré aux hérétiques
par une femme. Ces forcenés lui brûlèrent la plante des
pieds, et, après lui avoir versé de l'huile bouillante dans
la bouche, ils le laissèrent mourir misérablement en pri-
son. (Novembre 1572.)
(Sédule, Thielmans, etc.)
i'Ji xxv jujn.
PERE JEAN DE RIBAS
AUX INDES OCCIDENTALES
1.162. — Pape : Pie IV. — Roi d'Espagne : Charles IX.
Au nombre des douze premiers frères mineurs qui
partirent de la province espagnole de Saint-Gabriel ,
en 1524, sous la conduite du Père Martin de Valence,
pour aller prêcher la religion du Christ au Mexique,
et que l'on appela les Douze Apôtres, se trouvait le Père
Jean de Ribas, prédicateur célèbre et fidèle observateur de
la règle.
Quand la province de Mexico, ou du Saint-Evangile, fut
bien constituée, il conçut le projet d'en fonder une
seconde , plus austère , s'il était possible , et où la
vie religieuse fût plus pénible et plus rude. Il donna
donc sa démission de gardien, et, se mettant à la tête de
dix ou douze religieux animés du même esprit que lui,
il avança plus avant dans l'intérieur du pays. Malheu-
reusement des difficultés matérielles insurmontables
l'arrêtèrent dans l'exécution de son projet, et il dut revenir
à Mexico, où il exerça jusqu'à sa mort les charges de
gardien et de définiteur.
Il s'attacha en particulier à développer chez ses reli-
gieux l'amour de la sainte pauvreté , dans un pays
et dans un temps où tous les cœurs étaient altérés
de la soif de l'or. Durant quarante ans qu'il travailla
pour le bien des âmes et la gloire de Dieu sur la terre
.l'Amérique, il parcourut plus de deux cents villages,
PÈRE ALPHONSE SUAREZ. 455
construisit une grande quantité d'églises et de chapelles,
et baptisa des milliers d'Indiens. Il avait appris le mexi-
cain, et non-seulement il prêcha, mais encore il écrivit
dans cette langue.
' Sur la fin de sa vie, le Seigneur l'éprouva par de
cruelles infirmités qui n'altérèrent ni sa résignation
ni sa confiance en Dieu. Quand il sentit la mort
venir, à l'exemple du saint Père François, qui n'avait pas
voulu expirer dans un lit, il se mit à genoux et rendit
l'âme dans cette position , le 25 juin 1562. Il fut
enseveli avec de grands honneurs au couvent de
Tescuco.
(Daza.1
ALPHONSE SUAREZ
Le Père Alphonse Suarez s'est rendu célèbre au
Mexique par son austérité. Jamais il ne mangea de
viande et jamais il ne but que de l'eau ; il porta
toute sa vie les mêmes vêtements. Tous les jours,
avant de dire sa messe , il méditait plusieurs heures
durant sur la vie et la mort du Sauveur Jésus ; quand il
offrait le saint sacrifice, ses larmes coulaient à flots, et
l'on eût dit qu'il était seul coupable des souffrances du •
divin Maître.
On le voyait souvent plongé dans une extase profonde,
et plusieurs fois, en présence d'une grande foule de peuple,
il fut soulevé de terre par une force invisible, tout res-
plendissant de lumière.
On raconte que, désireux de vivre dans la solitude, il
456 XXV JUIN.
avait formé le projet de se retirer parmi les Chartreux,
et il se préparait à le mettre à exécution , quand
tout à coup il entendit une voix venue du ciel lui
dire ; « Où vas-tu , et pourquoi veux-tu me quitter,
« Père Alphonse? » Il se soumit à la volonté de Dieu, et
demeura avec ses frères.
C'est peut-être pour le récompenser de celte obéissance
qui contrariait ses goûts, que le Seigneur le choisit pour
être l'un des douze compagnons du PèreMarlin de Valence.
Comme le Père Jean de Ribas, il parcourut pieds nus la
plus grande partie du Mexique, prêchant et catéchisant,
bâtissant des églises, renversant les idoles et baptisant au
nom du Père, du Fils et de l'Esprit. Il fut l'un de ceux
qui protégèrent les malheureux Indiens contre les
Espagnols et intercédèrent auprès du roi pour qu'on ne
les condamnât pas à périr, dans les mines, d'une mort
lente et douloureuse.
Il expira au couvent de Belvis , où il avait pro-
noncé ses vœux, pendant un voyage qu'il avait fait en
Espagne afin d'obtenir de Charles-Quint un adoucissement
au sort des Mexicains convertis.
LOUIS DE FUENSALIDA
Ce saint homme est aussi l'un des douze apôtres du
Mexique, et, comme ses compagnons, il est demeuré célè-
bre par le grand nombre de conversions qu'il provoqua
et les miracles qu'il accomplit. Il avait reçu de Dieu le
don de contemplation et d'extase.
PÈRE LOUIS DE FUENSALIDA. 457
Emu, lui aussi, par le triste esclavage sous lequel on
écrasait les vaincus, il revint en Espagne, se fit donner
une audience par l'empereur et lui exposa les indignes
traitements dont on accablait ses sujets d'Amérique.
Charles-Quint écouta favorablement sa requête, et non-
seulement il prit des mesures sévères pour modifier un
semblable état de choses, mais il voulut témoigner au
vénérable religieux sa reconnaissance en le nommant
évêque de Méchoacan; Le Père Louis s'y refusa, il se
sentait trop faible pour un si lourd fardeau et redoutait
les fatigues et les dangers d'une nouvelle traversée. Il
envoya donc les lettres de l'empereur aux Indiens, et
resta dans sa province.
Peu de temps après, ses supérieurs le nommèrent gar-
dien du couvent de Badajos. Les occupations que lui don-
nait cette dignité ne modifièrent en rien sa vie toute
méditative ; souvent, après les matines, on le trouvait
au chœur, plongé dans l'extase, l'œil perdu dans le vague
de l'infini, et paraissant contempler quelque merveilleux
spectacle visible pour lui seul.
Il se retira, vers la fin de sa vie, sur les hautes monta-
gnes de Gâta, où les ordres de ses supérieurs vinrent le
chercher pour l'envoyer une seconde fois au Mexique.
Il mourut pendant la traversée et fut enseveli dans l'île
de Saint-Germain.
(Chron. de la prov. de Saint-Gabriel.)
4i>8 XXV JUIN.
JEAN DE PALOS
ET FRÈRE ANDRÉ CABRERAS, DE CORDOUE
5
Jean de Palos et frère André Cabreras, issu d'une grande
famille de Cordoue, méritèrent, par la haute perfection
à laquelle ils s'étaient élevés dans la province de Saint-
Gabriel, d'accompagner, en qualité de frères lais, le bien-
heureux Père Martin de Valence et ses compagnons.
Arrivés au Mexique, ils fondèrent des écoles, et en
formant à la vertu les cœurs des jeunes Indiens, ils aidè-
rent puissamment les missionnaires dans la grande
œuvre de la conversion . Frère Jean mourut jeune ,
Dieu le rappela à lui de bonne heure; mais frère André
continua seul l'œuvre commencée en commun. 11 eut
le bonheur de verser son sang pour le Christ avec
trois autres frères mineurs, dans le pays de Xalisco. Son
corps, retrouvé par les Espagnols, est encore conservé
avec respect au couvent d'Izatlan.
On sait peu de choses sur les glorieux apôtres de l'Amé-
rique. Les chroniqueurs de l'Ordre, entre autres le
Père Wadding, nous disent d'une façon générale qu'ils
avaient reçu de Dieu le don d'accomplir des miracles.
Malheureusement ils n'ont pas jugé à propos d'insister
davantage : c'est une négligence regrettable et qui nous
prive sans doute d'une des plus belles pages de l'histoire
du monde chrétien.
(Daza, et Chron. de la prov. de Saint-Gabriel.)
LE BIENHEUREUX FRÈRE 1V0N DE LA ROQUE. 459
VINGT-SIXIÈME JOUR DE JUIN
FRÈRE IVON DE LA ROQUE
1629. — Pape : Urbain VIII. — Roi de France : Louis XIII.
SOMMAIRE : Famille du bienheureux Ivon. — Il passe sa jeunesse à la cour du
prince d'Orange: — Ses grandes qualités physiques et morales. — Sa chasteté. —
Après la mort de ses protecteurs, ilentre chez les Kécollets. — Son humilité profonde.
— Souvenirs qu'il garde de sa vie mondaine. — Sa pauvreté. — Son obéissance à
ses supérieurs. — Sa charité chrétienne. — Sa piété et sa dévotion à la très-sainte
Vierge Marie. — Ses miracles et sa mort.
L'antique et noble famille de la Roque, qui donna à
l'Eglise d'illustres prélats et à la France de vaillants capi-
taines, s'honore de compter parmi ses membres le bien-
heureux frère Ivon de La Roque.
Il était né seigneur de Saint-Laurent et paraissait
réservé aux plus hautes destinées. A peine âgé de sept
ans, il entra en qualité de page au service de la princesse
Eléonore de Rourbon,, sœur du prince de Condé et femme
de Guillaume de Nassau , prince d'Orange. Il semble
que, en servant les grands de la terre, il n'ait songé qu'à
apprendre comment il devait servir un jour le Roi
du ciel. D'une beauté remarquable et d'une intelli-
gence précoce, il surpassait les autres pages en bonnes
manières, en politesse et surlout en vertus. Habile à
tous les exercices du corps, il montait à cheval avec
la dextérité d'un écuyer consommé ; il dansait avec grâce
et maniait la lance et l'épée comme un vieux soldat. Il
aimait tendrement ses maîtres, et en donna une preuve
460 XXVI JUIN.
éclatante pendant une maladie du prince de Nassau,
dont il ne quitta le lit ni jour, ni nuit. Le prince lui
témoigna sa reconnaissance en le faisant entrer au ser-
vice de son frère, général de l'armée hollandaise, et, deux
ans après, il le rappela près de lui et le nomma son
premier écuyer.
Dans cette condition toute mondaine, exposé par son
âge et par sa position à mille dangers, Ivon sut y échap-
per par la piété et la pratique de ses devoirs religieux.
Jamais une parole déshonnête ou même légère ne sortit
de sa bouche. Il avait une grande dévotion à la très-
sainte Vierge Marie et à Jésus crucifié, et un jour de
vendredi saint il fit, à cheval, un trajet de trente lieues
pour aller entendre un célèbre prédicateur qui devait
faire un sermon sur la Passion de Notre-Seigneur. Chaste
comme une vierge, il veillait avec un soin jaloux sur sa
pureté, et le souffle délétère des passions mauvaises passa
près de lui sans l'effleurer. Les courtisans, jaloux peut-
être de tant de vertus et de la faveur dont il jouissait
auprès du prince, essayèrent de le corrompre et ne
purent y parvenir : il résista à toutes leurs tentatives. Il
fit mieux encore, il tint ferme contre les assauts plus
redoutables de dames nobles et belles, à qui sa jeunesse
et sa grâce avaient inspiré de coupables désirs, et c'est
là un de ses plus beaux titres de gloire.
La princesse de Nassau étant venue à mourir, Ivon, qui
l'aimait comme une mère et qui n'était demeuré en
Hollande que par affection pour elle, songea à quitter la
cour pour vivre dans la retraite et se consacrer au Sei-
gneur. 11 demeura pourtant au service du prince jusqu'à
la mort de ce dernier, qui périt victime d'une terrible
LE BIENHEUREUX FRÈRE IVON DE LA ROQUE. 461
maladie ; et dégagé de tout lien terrestre, malgré les pro-
positions de Maurice de Nassau, frère du prince d'Orange,
il résolut d'aller achever sa vie dans un couvent.
Il avait choisi , pour lieu de sa retraite , le cou-
vent des Capucins de Paris, mais en entendant parler
avec éloge des Récollets de sa province , il renonça à
son premier projet, et malgré les représentations, les
prières, les larmes de ses amis et de ses parents, il se
présenta, en 1619, au couvent d'Avignon, et y demanda
l'habit de l'Ordre. Ce jour-là, une femme de La Roque,
qui avait dans tout le pays un grand renom de sainteté,
dit à la comtesse : « Ce n'est pas le temps de pleurer,
« madame, mais de se réjouir ; car en ce moment votre
« fils se met en marche pour le ciel ».
Cette prophétie devait, en effet se réaliser : on le vit bien
par la conduite que mena Ivon dès les débuts de son no-
viciat. Il creusa tout d'abord un abîme entre le passé et le
présent. Quand on lui demandait de raconter les merveilles
dont il avait été le spectateur, soit à la cour du prince et
de la princesse d'Orange, soit à la cour de la grande-du-
chesse Isabelle-Claire-Eugénie, il détournait habilement
la conversation. De toute sa vie mondaine, il ne gardait
guère qu'un souvenir : suivant la coutume de la noblesse
à cette époque, il s'était battu en duel et avait tué trois
gentilshommes. Il ne pouvait y penser sans verser des
larmes, et il craignait que toute une vie de souffrances
et de privations ne fût pas capable de balancer aux yeux
de Dieu l'énormité d'un tel crime.
Frère Ivon commença par s'humilier. Il fit taire dans
son cœur les moindres bruits de la vanité, et durant
toute sa vie il persista dans la voie qu'il s'était tracée en
462 XXVI JUIN.
entrant au couvent. Il se réservait les ouvrages les plus
pénibles et les plus désagréables, qui sont d'ordinaire
imposés aux novices. Il se mettait à genoux pour parler
aux autres religieux. On eut bien de la peine, tant son
bumilité était profonde, à lui faire accepter la dignité
de sous-diacre ; mais il fut impossible de vaincre sa résis-
tance, quand on voulut l'élever au diaconat. Sa douceur
inaltérable étonnait ceux qui l'avaient autrefois connu
dans le monde, gentilhomme au sang bouillant, prompt
à venger une offense et à rendre un coup d'épée pour
une parole mordante. Maintenant, au contraire, ceux de
ses frères qu'il aimait le mieux, c'étaient ceux qui se
moquaient de lui et le tournaient en dérision. Il avait
conçu une véritable affection pour l'abbesse d'un cou-
vent, parce qu'elle lui répétait sans cesse qu'il était le
bâtard et non le fils légitime des La Roque. Un jour on lui
donne un soufflet, il tend l'autre joue : autrefois, pour
un soufflet, il se fût battu en duel avec toute la cour de
Hollande.
Son amour pour la sainte pauvreté, compagne ordi-
naire de l'humilité, se révélait dans ses vêtements usés et
sa cellule toute nue. Le même habit lui servit jusqu'à sa
mort. Il pratiquait régulièrement les sept carêmes de
Saint-François, comme l'attestent les lettres de félicitation
que lui adressèrent à ce sujet les supérieurs de l'Ordre.
La viande n'entrait dans ses repas qu'aux jours de grande
fête. Il préparait lui-même avec de l'eau, du persil et du
sel, la soupe dont il se nourrissait toute la semaine,
pour que personne ne connût le secret de ses jeûnes. Le
pain qu'il choisissait était toujours le plus dur.
Sachante ardente ne lui permettait de prendre aucun
LE BIENHEUREUX FRÈRE IVON DE LA ROQUE. 463
repos. Tous les matins, il visitait les frères malades
et les pansait; le soir, il nettoyait leur chambre et
préparait leur lit. Les pauvres , qui le connaissaient
et l'aimaient comme un père , venaient chaque jour
recevoir du pain et de la soupe à la porte du couvent ;
frère Ivon les servait à genoux: «Ne sont-ils pas», disait-il,
«les amis de prédilection de Notre -Seigneur Jésus-
« Christ ». Dès qu'il avait un moment de liberté, il par-
tait, un panier au bras, pour recueillir des aumônes à
leur intention. Son travail continuel et les fatigues qu'il
y ajoutait par surcroît l'avaient affaibli considérablement,
et il lui fallait, pour faire toute la besogne dont il se
chargeait, une force de volonté incroyable. On lui deman-
dait un jour pourquoi il s'exténuait ainsi : « J'ai pris de
« la peine», répondit-il, « pour bien servir les princes de
« la terre; est-il possible que je fasse jamais trop pour
« Dieu? »
On se rappelle avec quel soin jaloux le bon frère avait
veillé sur sa pureté, lorsqu'il vivait à~îa cour du prince
d'Orange; ce fut bien mieux encore à partir du jour où
il porta l'habit religieux. Il ne leva pas une fois les yeux
sur une personne de l'autre sexe, et sa mère ayant de-
mandé à ses supérieurs de le laisser venir au château,
il s'y refusa en disant : « C'est ma mère, mais c'est aussi
« une femme » .
Il semble qu'il ait reporté toutes ses affections sur
Dieu. Il consacrait à la prière presque tout le jour et
la nuit entière. Après les matines , il s'oubliait au
chœur, plongé dans l'extase, jusqu'au lever du soleil, et
un gardien fut obligé de lui donner l'ordre de rentrer
dans sa cellule à huit heures. Il obéit, mais, seul dans sa
464 XXVI JUIN.
chambre, il se mettait à genoux et priait jusqu'à minuit,
si bien que le gardien dut préciser sa volonté d'une ma-
nière plus nette et lui enjoindre de se coucher et de
dormir à partir de huit heures.
Sa dévotion au saint Sacrement était extrême. Quand
le gardien ne lui donnait pas d'ordres contraires, il pas-
sait la nuit en prières au pied de l'autel, en contempla-
tion devant le saint Sacrement. Dieu l'en récompensa
par des miracles éclatants. Souvent, quand il servait la
messe, au moment de la consécration, son visage pa-
raissait resplendissant comme un soleil et brillant d'une
beauté céleste. Tous les habitants de La Roque ont été
plusieurs foistémoins de ce prodige.
La glorieuse Mère de Dieu était aussi l'objet de la vé-
nération du bon frère. Au couvent de Gignac, quand on
venait lui demander des conseils ou des prières, il
prenait les visiteurs par la main, et les conduisant de-
vant une statue miraculeuse de la Vierge : « Voici», leur
disait-il, a à qui vous devez vous adresser ».
Sa vie fut une prière continuelle ; la nuit, il priait dans
sa cellule ou dans la chapelle du couvent; il priait après
les matines, il priait en cultivant le jardin des Pères ou
en recueillant des aumônes. C'est par là que toutes les
attaques du démon se sont brisées contre lui comme de-
vant un mur d'airain ; c'est par là aussi qu'il a eu le
bonheur de ramener au giron de l'Eglise plusieurs
malheureux qui avaient renié leur foi pour embrasser le
calvinisme. Son aspect seul inspirait la piété et le recueil-
lement. S'il parlait, l'amour dont il était embrasé se
communiquait aux cœurs de ses auditeurs et lui faisait
trouver des accents éloquents.
LE BIENHEUREUX FRÈRE IVON DE LA ROQUE. 405
Dieu lui accorda la puissance de guérir les maladies,
et il eut le suprême bonheur d'obtenir le salut de sa mère.
La comtesse était malade, presque mourante, et toute sa
famille la pleurait déjà. Frère Ivon survint; sans dire un
mot à personne, il s'agenouilla auprès du lit maternel,
et pendant dix heures il pria. Puis, tout à coup, se re-
levant la face rayonnante, il se tourna vers ses frères et
ses sœurs, et leur dit: « Remercions Dieu, notre mère
«ne mourra pas ». En effet, le lendemain même elle
était guérie.
D'autres miracles, non moins éclatants, firent considé-
rer le bon frère Ivon comme un saint et lui concilièrent
le respect et l'admiration de tous ceux qui le connurent,
même des hérétiques. Le duc de Montmorency, gouver-
neur de la province du Languedoc, l'avait pris en grande
amitié; il venait souvent le voir dans son couvent, et
s'entretenait avec lui, durant de longues heures, sur l'état
de son âme ou sur les mystères de la religion catho-
lique.
Quelques mois avant sa mort, le bienheureux, comme
s'il se préparait à prononcer ses vœux, porta le signe dis-
tinctif des novices et se retira dans la solitude, au cou-
vent de Mont-Favent; mais le climat du pays lui étant
funeste, il dut revenir à Avignon pour se soigner. Il
était déjà trop tard ; la fièvre, dont il avait contracté les
germes à Mont-Favent, s'attacha à lui et ne le quitta plus.
L'approche delà mort ne l'effrayait pas; mais il craignait
de n'être pas assez mûr pour le ciel, et il demanda à
Dieu, comme une grâce spéciale, de lui accorder encore
trois ans pour faire pénitence. Le Seigneur jugea, dans
sa sagesse infinie, qu'il n'en avait pas besoin, et qu'à ses
Palm. Séraph. — Tome VI. ao
466 XXVI JDIN.
yeux il était digne d'entrer dans l'éternel royaume. Il
reçut les derniers Sacrements le 26 juin 1629, et deux
jours plus tard, à neuf heures du matin , comme il
l'avait annoncé, il s'endormit dans le sein du Seigneur.
Il n'était âgé que de trente-quatre ans, et ne faisait partie
de l'Ordre Séraphique que depuis dix ans.
On célébra ses funérailles avec pompe ; le duc de
Ventadour, gouverneur général du Languedoc, qui avait
souvent demandé de ses nouvelles pendant sa dernière
maladie, tint à honneur d'assister à cette cérémonie fu-
nèbre. Une grande foule de peuple s'y pressait, et les vê-
tements du bon frère, mis en lambeaux par la piété des
fidèles, furent conservés dans toutes les maisons comme
de précieuses reliques.
Dieu daigna révéler la gloire de son serviteur à une
pieuse veuve du Tiers Ordre, Marie Germain (1). Elle
était occupée à prier dans l'église de Clermont, quand le
saint frère lui apparut, emporté vers le ciel sur les ailes
des Anges.
(Archives du couvent d'Avignon.)
(1) Voir la vie de la bienheureure Marie Germain dans le Palmier Séraphique,
tom. X, deuxième jour d'octobre.
LE BIENHEUREUX BENVENUTO, DE GUBBIO. 467
VINGT-SEPTIÈME JOUR DE JUIN
LE B. BENYENUTO, DE GUBBIO
1232. — Pape : Grégoire IX. — Roi de France : Saint Louis.
SOMMAIRE : Vertus du bienheureux Benvenuto. — Obéissance. — Charité chrétienne.
— Soins aux malades. — Pauvreté. — Humilité. — Piété. — Miracles qu'il
accomplit. — Les habitants de Corneto demandent sa canonisation au pape Gré-
goire IX. — Il est béatifié en 1697.
En 1222, le saint Père François, après avoir parcouru
la plus grande partie de l'Italie et fondé partout sur son
passage des couvents de son Ordre, revenait en Ombrie,
lorsque, à Gubbio, il reçut la visite d'un soldat nommé
Benvenuto, qui lui demanda l'habit. C'était un homme
sans instruction, mais d'une nature douce et pieuse, et
qui, en qualité de frère lai, vécut saintement et accom-
plit beaucoup de miracles.
Le frère Benvenuto posséda au plus haut degré la vertu
de l'obéissance, sans laquelle il n'e^t point de parfait reli-
gieux. Un signe de ses supérieurs le mettait en mouve-
ment. Sa patience et sa douceur lui firent confier la
charge de garde-malades dans les léproseries. Il s'en ac-
quitta à merveille et parut, aux yeux des malheureux
qu'il soignait, comme une seconde Providence. Il en
guérit plusieurs par la seule force de ses prières : c'est
pourquoi on lui témoignait un respect et une admi-
ration sans bornes.
Ses autres vertus chrétiennes égalaient sa charité. Pour
468 XXVII JUIN.
toute richesse, il possédait un pauvre habit de religieux,
si vieux et si usé, que l'étoffe primitive disparaissait sous
les pièces dont il était couvert. Ses manières étaient
humbles et modestes, sa démarche régulière et lente, il
avait toujours l'esprit occupé de Dieu et des choses du
ciel; en un mot, il était une image accomplie du parfait
religieux. 11 fut fort éprouvé par la maladie et les souf-
frances physiques , qu'il supporta toujours avec une
patience et un calme inaltérables.
Dieu lui avait accordé le don des larmes et de l'extase.
Aussi la solitude avait-elle pour lui un grand charme; il
se plaisait à méditer sur lui-même et sur son néant, qu'il
comparait, par humilité, avec la majesté infinie du Très-
Haut. Sa grande dévotion au saint Sacrement de l'au-
tel lui mérita de voir le Sauveur lui apparaître plu-
sieurs fois, sous la forme d'un enfant.
Ce saint homme, après avoir vécu quelques années
seulement dans l'Ordre , pendant lesquelles il donna
l'exemple de toutes les vertus, mourut en 1232, au cou-
vent de Corueto , dans le pays des Abruzzes (royaume
de Naples).
Sa mort fut comme le signal de beaucoup de mira-
cles. Des lépreux furent guéris par le seul attouchement
de son corps; une femme sourde recouvra l'ouïe, etc.
Le corps du bienheureux fut enseveli dans l'église
paroissiale de Saint-Pierre de Corneto, parce que la cha-
pelle de l'Ordre etù été trop petite pour contenir la foule
de ceux qui se pressèrent à ses funérailles. Cette église
devint par la suite une sorte de lieu de pèlerinage, où
s'accomplirent, par l'intercession du Père Benvenuto,
un grand nombre de prodiges.
LE BIENHEUREUX JACQUES D'ASSISE. 469
Nous ne les rapporterons pas ici ; nous dirons seule-
ment que les habitants du pays des Abruzzes , et en
particulier ceux de la ville de Corneto, adressèrent une
requête au pape Grégoire IX, pour obtenir la canonisa-
tion du bienheureux. Le pape ordonna en effet, en 1236,
une enquête sur la vie et les miracles du Père Benve-
nuto, et il en chargea les évêques de Melfi, de Molfetta et
de Venosa ; malheureusement l'affaire n'eut pas de suite.
Le pape accorda seulement l'autorisation de célébrer
annuellement la mémoire du saint dans les Abruzzes.
Plus tard on éleva à Corneto une magnifique église qui
fut placée sous son invocation.
En 1697, le pape Innocent XII l'a déclaré bienheureux,
et il a permis à l'Ordre Séraphique tout entier d'honorer
sa mémoire le 27 juin, par une messe et un service so-
lennels.
(Wadding, Papebroeck.)
JACQUES D'ASSISE
La province des Abruzzes, que .''on appelle aussi la
province du Saint-Ange, parce que Ton y trouve le mont
Gargano, devenu célèbre et sanctifié par les miracles de
l'archange saint Michel, a vu fleurir un certain nombre
de pieux religieux dont on ne connaît pas au juste le
jour de la mort, et qui trouvent naturellement leur
place ici.
Le bienheureux Jacques d'Assise reçut l'habit de l'Ordre
des mains de saint François lui-même, dont il s'efforça
470 XXVII JUIN.
d'imiter la perfection. Il mourut au couvent de Foggia,
et est demeuré célèbre par ses miracles.
Il apparut un jour, au couvent de Naples, en compa-
gnie de saint François,, de saint Antoine de Padoue et
du bienheureux Augustin d'Assise, à un religieux aveu-
gle qui se mourait, et lui rendit à la fois la vue et la
santé.
(Wadding.)
FRERE EPIPÏÏANE
Ce saint homme, d'origine allemande, prononça ses
vœux dans la province du Saint-Ange, vers le temps où
s'accomplit la réforme des Observantins. A la vue de leurs
couvents pauvres et misérables, comme inspiré par l'es-
prit de Dieu, il s'écria : « C'est ici, ô grand saint Fran-
« çois, que tu habites véritablement ; c'est ici, après tant
« de courses errantes, que je veux me fixer pour
« t'imiter ! »
Il demeura longtemps au couvent de Tessa, où il est
resté célèbre par ses extases. Les religieux le virent sou-
vent suspendu en l'air, tout brillant de lumière, les bras
étendus vers le ciel, comme s'il eût voulu y monter. Il
s'était construit, dans un bois situé non loin du couvent,
une petite hutte, où le vent, la neige et la grêle, en-
traient librement, et qui cependant lui servait d'abri pour
la nuit.
Trente ans après sa mort, son corps, dans un état de
conservation parfaite, fut tiré du caveau commun et
placé dans un tombeau particulier, au milieu <le l'église.
(Wadding.)
LE BIENHEUREUX PÈRE ALEXANDRE DE RIVA. 471
FRERE YITAL ET AUTRES
Comme le frère Epiphane, le frère Vital, né dans
l'Albanie, en Grèce, passa la plus grande partie de sa vie
au couvent xle Tessa et y mourut. Il avait reçu de Dieu le
don des larmes et de la contemplation. La nuit, une
auréole brillait souvent au-dessus de sa tête. Il fut em-
porté par une peste qui désola tout le sud de l'Italie. Les
religieux du couvent, qui avaient fui devant le fléau, le
retrouvèrent, à leur retour, à genoux dans sa cellule, les
mains et les yeux levés vers le ciel, sans vie et rigide
comme une statue de marbre.
Le bienheureux frère Chrétien de Saint-Donat est
mort en 1520, au couvent de Biccaro. Il est célèbre aussi
par ses prophéties et ses miracles.
Le bienheureux Père Pierre de San-Martino est mort
dans un couvent dont le nom est aujourd'hui perdu,
et que son frère avait élevé, à sa prière, au milieu
d'un bois. Il a accompli des miracles avant et après sa
mort.
Au couvent de Riva, on honore les précieux restes du
bienheureux Père Alexandre de Riva. Ses vertus avaient
excité contre lui la rage des démons, qui ne cessèrent de
172 XXVII JUIN.
le tourmenter durant plusieurs années. Il en triompha,
avec l'aide de Dieu, par la prière et les mortifications.
Le bienheureux frère Guillaume de Castiglione repose
au couvent de Morrone. Sa vie et sa mort furent signa-
lées par des miracles éclatants, et aujourd'hui encore
on honore sa mémoire et on vient en pèlerinage à son
tombeau.
Le couvent de Caleno, qui est bâti au pied d'une mon-
tagne, au milieu d'une épaisse forêt, possède les restes
du bienheureux Père Calène, un saint homme dont
Dieu récompensa les vertus en lui donnant le pouvoir
d'accomplir des miracles.
Dans ce même couvent de Caleno est mort le bienheu-
reux Père Jean d'Aragon, neveu de Frédéric d'Aragon,
roi de Sicile. Il était à Naples auprès de son oncle,
quand tout à coup on l'entendit s'écrier que le couvent
brûlait. Le roi se leva et le vit en effet s'abîmer au
milieu des flamn es ; il le fit reconstruire à ses frais.
(Papebroeck.)
LES BB. PP. GASPARIN ET BENOIT DE CRÉMONE. 473
LES BIENHEUREUX PÈRES GASPARIN
ET BENOIT DE CRÉMONE
1537. — Pape : Paul III. — Roi de France : François Ier.
Ces bienheureux serviteurs de Dieu, qui avaient pris
l'habit de l'Ordre dans la province de Milan, entrèrent
tous deux ensemble dans la province du Saint-Ange, où
la vie était plus austère et la discipline plus rude. Le
premier mourut en 1537 , en odeur de sainteté , et
beaucoup de miracles ajoutèrent encore, après sa mort,
à l'éclat de sa renommée.
Le bienheureux Benoît fut pendant longtemps maître
des novices, et, dans cette charge importante, il déploya
un zèle et une activité remarquables. Souvent, quand il
était en extase, ses frères étonnés le virent enveloppé
d'un tourbillon de lumière. Ses prières délivrèrent du
démon un grand nombre de possédés. Il ramena dans
les voies du Seigneur des pécheurs égarés et de malheu-
reuses femmes qui avaient quitté depuis longtemps les
sentiers de la vertu, et qui sans lui eussent achevé leur
vie dans l'impénitence et la corruption.
Il mourut saintement au couvent d'Agnone, et son
corps fut enseveli dans la sacristie, auprès de celui du
bienheureux Gasparin.
(Wadding.)
474 XXVII JUIN.
LE BIENHEUREUX PERE THOMAS
1467. — Pape : Paul II. — Roi de France : Louis XI.
Le Père Thomas, allemand de naissance, est mort,
en 1467, dans le même couvent. Il fut pendant vingt-
quatre ans l'honneur de sa province, où ses mortifi-
cations l'ont rendu célèbre. Il marchait pieds nus, ne
mangeait jamais ni viande, ni poisson, et ne buvait
que de l'eau. Tous les jours, il passait plusieurs heures à
prier et à méditer, en particulier sur les paroles de
l'Oraison dominicale. Dieu le combla de faveurs toutes
spéciales : c'est ainsi que le Sauveur lui apparut plusieurs
fois, au moment de l'élévation, sous la forme d'un bel
enfant.
Les habitants d'Agnone ont longtemps honoré son
tombeau, où ils venaient en pèlerinage, et près duquel
s'accomplirent d'éclatants prodiges.
(Wadding.)
BERNARDIN DE PROCIDA
Ce saint homme fut un ardent propagateur de la foi
et un prédicateur éloquent. Il a, par la seule force
de ses prières, délivré du démon beaucoup de possédés
et guéri des malades abandonnés des médecins.
(Wadding.)
LE BIENHEUREUX FRÈRE SIMON DE SLAVIS. 47 5
FRERE ANTOINE DE RIVA
Le bienheureux frère Antoine de Riva, après avoir
été chanoine, entra dans l'Ordre Séraphique en qualité
de frère lai. Ses vertus et sa perfection religieuse firent
descendre sur lui les bénédictions du Très-Haut, qui lui
donna le pouvoir d'accomplir des miracles et de prophé-
tiser. On lui attribue plusieurs cures merveilleuses.
Quelques instants avant sa mort, une colombe d'une
blancheur éblouissante vint se poser auprès de son lit,
et à l'instant même où il expirait, on la vit s'élever au
ciel comme pour y porter sa belle âme.
Des miracles s'accomplirent sur son tombeau, aussi
bien que sur celui du bienheureux François de Cadonia.
Le couvent de Gulionisi possède les restes précieux
du bienheureux frère Simon de Slavis, qui fut aussi un
grand guérisseur et un ami du Seigneur.
Dans le même couvent est mort en odeur de sainteté
un frère dont le nom est resté inconnu, mais sur qui
s'épanchèrent les complaisances du Très-Haut.
(GONZAGUE, WADDING.)
476 XXVII JUIN.
PASCAL DE LA PLAZA
1644. — Pape : Urbain VIII. — Roi d'Espagne : Philippe IV.
SOMMAIRE : Vie du bienheureux Pascal dans le métier des armes. — Il se fait frère
mineur. — Son austérité. — Ses mortifications. — Comment il supporte les épreuves
que Dieu lui envoie. — Sa chasteté, sa piété, sa charité chrétienne. — Miracles
qu'il accomplit de son vivant. — Sa dernière maladie. — Ses funérailles. — Nou-
veaux miracles après sa mort.
Ce grand serviteur de Dieu naquit à Alcaraz, en
Espagne. Il commença par embrasser le métier des
armes et parvint assez rapidement au grade de porte-
étendard. Au milieu des dangers de la vie militaire,
entouré de gens sans aveu, de pillards et de routiers,
comme les armées d'alors en étaient pleines, il sut con-
server la pureté primitive de son cœur et le respect de
Dieu et de la religion. Mais, bientôt fatigué de la vue de
tant de misères et de vices, il quitta l'armée et entra,
en qualité de frère lai, dans un couvent de la province de
Saint-Jean-Baptiste.
Ses vertus lui eurent bientôt concilié l'estime et le
respect de ses frères. Sous ses vêtements il portait une
haire en crin, qui lui déchirait la peau et lui causait
parfois d'atroces souffrances. Il marchait nu-pieds, hiver
comme été, sur la neige et sur la glace comme sur le
pavé brûlant des villes; et son gardien lui ayant un jour
ordonné de porter des sandales, il les attacha à la corde
qui lui ceignait les reins, moyen ingénieux d'obéir à la
volonté de son supérieur, et en même temps de mériter
les grâces du Très-Haut. Toutes les nuits, il se frappait
LE BIENHEUREUX PASCAL DE LA PLAZA. 477
de grands coups de discipline, et son sang jaillissait
jusque sur les murs de sa cellule. Il jeûnait pendant
l'Avent et le Carême tout entiers, et la veille des prin-
cipales fêtes de l'année ; d'ailleurs, même en temps
ordinaire, sa nourriture ne se composait guère que de
pain et d'eau.
Dieu, qui se plaît à éprouver ceux qui lui sont chers,
fit de sa vie une suite non interrompue de souffrances et
de maladies. Il les supporta, sans se plaindre, avec une
patience inaltérable, et ne cessa jamais un seul jour ses
pratiques austères, même lorsque ses forces ne parais-
saient plus pouvoir y suffire : a Allons », se disait-il par-
fois, « frère Pascal, songe à bien souffrir, pour mériter
« le ciel ».
Sa pureté virginale, qu'il avait su préserver de toute
souillure, lorsqu'il vivait au milieu des soldats, resta
jusqu'à sa mort son plus bel ornement. Il fuyait les
femmes et ne leur adressait jamais la parole, même
lorsqu'il fut arrivé à un âge très-avancé.
On le trouvait à la chapelle à partir de minuit; tou-
jours le premier aux matines, toujours le dernier après
les prières du soir. Il y demeurait à genoux, immobile
comme une statue de bronze, pendant des heures en-
tières : toute sa vie semblait avoir passé dans ses yeux,
qui brillaient d'un éclat surnaturel.
Après la messe, il allait offrir ses services au cuisinier,
au jardinier, aux frères qui étaient chargés de travaux
manuels; mais sa principale occupation et son plus
grand bonheur étaient de servir la messe. Il était si doux,
de caractère, que jamais on ne surprit en lui le moindre
mouvement d'impatience ; un enfant eût fait de lui ce
478 XXVII JUIN.
qu'il eût voulu. La vue d'un pauvre lui arrachait des
larmes de compassion ; il donnait aux malheureux le
meilleur de ses repas, les vêtements qui lui étaient des-
tinés et les aumônes qu'il recueillait.
On lui attribue un grand nombre de miracles. Dans
un temps de famine, le couvent manquait de pain,
non-seulement pour ses pauvres, mais encore pour ses
religieux. Frère Pascal fit un signe de croix sur les
croûtes qui restaient sur sa table, et depuis lors on eut
en abondance de quoi nourrir une foule de malheu-
reux.
A Gandie, une pieuse femme à qui il demandait l'au-
mône, lui donna un pot d'huile : « Mon frère » , lui dit-
elle, « c'est tout ce que je possède à la maison ». — « Merci,
« ma sœur », répondit-il, « Dieu vous récompensera t>.
Et le lendemain, tout étonnée, elle trouvait dans sa cave
une tonne pleine.
Un certain Michel Navarro péchait dans la mer depuis
plus de deux heures sans avoir pris un seul poisson ;
survint le frère Pascal, à qui il raconte sa mauvaise for-
tune. Le bienheureux se met à genoux et prie quelques
instants, puis, se relevant, il dit au pêcheur : o Jetez ici
a vos filets ». Le pêcheur ramena d'un seul coup une si
grande quantité de poissons, qu'il en donna au frère
Pascal autant qu'il en pouvait porter, et que ses paniers
ne suffisaient pas à contenir le reste. Pendant vingt-cinq
jours, cette pêche miraculeuse continua sans interrup-
tion, et l'heureux Michel y gagna plus de quatre cents
ducats.
Frère Pascal reçut aussi le don de guérir les malades.
Le chroniqueur cite les noms de Jean Puig, de Maria
LE BIENHEUREUX PASCAL DE LA PLAZA. 479
Vaquera, dont il sauva les enfants d'une mort certaine ;
de François Escriva , de Marie Panera, de Françoise
Arazil, etc., etc...., qui, atteints de maladies plus ou
moins graves, recouvrèrent miraculeusement la santé,
par l'intercession de frère Pascal.
Ces prodiges et d'autres encore attirèrent sur le bien-
heureux le respect universel. A Gandie, on l'aimait telle-
ment que ses supérieurs, qui l'avaient envoyé dans un
autre couvent, furent obligés de le rappeler pour vivre,
les habitants de la ville se refusant à donner des au-
mônes au couvent, si le frère Pascal ne revenait pas au
milieu d'eux.
La dernière maladie du bon frère fut longue et dou-
loureuse. Il annonça, plusieurs semaines à l'avance, le
jour et l'heure de sa mort, et il la vit venir sans peur
comme sans regrets. Il expira presque subitement, au
moment même où il venait de recevoir les derniers
Sacrements, le 27 juin 16M.
Dès que la nouvelle de sa mort se fut répandue dans la
ville, une foule immense accourut au couvent pour jouir
encore une fois de sa vue. On fut obligé de faire garder
le corps par des hommes armés, pour que les fidèles,
dans l'excès de leur piété et de leur reconnaissance, ne
le missent pas en lambeaux. Il fut impossible de les
empêcher de déchirer ses vêtements et d'en emporter
les morceaux comme de précieuses reliques. La figure
du bienheureux conservait une beauté et un calme sur-
naturels ; tout son corps était souple et ferme, comme
s'il eût été vivant. Une femme s'avisa de couper un doigt
de son pied; il en jaillit un sang si pur et si abondant,
que les médecins qui étaient présents furent sur le
480 XXVIII JUIN.
point de déclarer que le saint frère revenait à la vie.
Son tombeau fut longtemps l'objet de la vénération
des fidèles, et les ducs de Gandie se transmirent pendant
plusieurs générations, de père en fils, le doigt qui avait
été coupé.
De nouveaux, miracles s'accomplirent après la mort du
frère Pascal, par son intercession, comme si Dieu eût
voulu honorer, même aux yeux des hommes, celui qui
avait choisi la vie la plus humble et la plus obscure,
dans la retraite et la solitude.
(Chron. de la prov. de Saint-Jean-Bapt.)
VINGT-HUITIEME JOUR DE JUIN
LE BIENHEUREUX ANTOINE FERMER
1644. — Pape : Urbain VIII. — Roi d'Espagne : Philippe IV.
•
SOMMAIRE : Famille du bienheureux Antoine. — Miracles qui précèdent et accom-
pagnent sa naissance. — Sa jeunesse vertueuse. — Jl entre daus un couvent de la
province de Saint-Jean-Baptiste. — Ses vertus religieuses. — Merveilleux résultats
de ses prédications. — Miracles qu'il accomplit. — Ses livres. — Sa mort.
Antoine Ferrier, qui naquit à Valence, en Espagne,
descendait de la famille de saint Vincent Ferrier, et était
animé, pour le bien des âmes, du même zèle que son illus-
tre paient. Son père, qui exerçait la profession de pêcheur,
fut fait prisonnier par des pirates algériens, et lapidé sur
l'ordre d'une mauresse puissante, pour n'avoir pas voulu,
comme autrefois Joseph, accéder à ses désirs criminels.
Taudis que sa mère le portait dans son sein, elle entendit
PÈRE ANTOINE FERMER. 481
retentir, au fond de ses entrailles, comme des aboie-
ments ; le lendemain, elle courut tout inquiète auprès
du Père Nicolas Factor, saint homme célèbre par ses
miracles, pour lui demander l'explication de ce pro-
dige : « Je sais pourquoi vous êtes venue , ma sœur », lui
dit-il avant qu'elle ait parlé ; « le fruit que vous portez
« fera un jour retentir le monde des accents de sa forte
« voix » ; et il ajouta : « Souvenez-vous de prendre soin
« de cet enfant ; car ce sera un grand homme ».
Un nouveau miracle accompagna sa naissance. Son
père était en mer, occupé à pêcher, quand à tout coup il
entendit une musique céleste qui le remplit d'une joie
ineffable. « J'ai le pressentiment », dit-il à son compa-
gnon, « qu'un grand bonheur m'arrivera aujourd'hui ».
En effet, rentrant chez lui, il apprit qu'il lui était né
un fils ; c'était la seule grâce qu'il eût depuis longtemps
demandée au Seigneur.
La jeunesse d'Antoine fut comme le prélude du reste
de sa vie; toutes les vertus qui se développèrent plus tard
dans sa belle âme y apparaissaient déjà en germe. Il
était obéissant, soumis et laborieux. Quoique fatigué par
les travaux manuels auxquels il était obligé de se livrer
pour venir en aide à sa famille, il trouvait encore le
temps et le courage d'étudier le latin et la philosophie,
et de se préparer ainsi à la grande mission à laquelle
Dieu l'appelait.
Encore tout enfant, il donna des preuves fréquentes
de l'ardeur de son zèle pour la propagation de la foi dans
les âmes. C'est ainsi qu'il se plaisait à réunir autour de
lui les petits garçons de son âge, et à leur adresser des
exhortations à la vertu. Plus tard, il organisa une société
Palm. Séraph. — Tome VI, 31
482 XXVIII JUIN.
de jeunes gens, sorte de confrérie destinée à accomplir
de bonnes œuvres en commun. Le vice et le péché lui
inspiraient une profonde horreur, et il ne craignait
pas de réprimander vertement les gens qu'il voyait
offenser Dieu. Il est inutile d'ajouter qu'il sut toujours
conserver pure de toute souillure la précieuse fleur
de sa virginité.
A Tâge de vingt-deux ans, Antoine prit l'habit de frère,
mineur dans la province austère de Saint-Jean-Baptiste,
où il ne tarda pas à être cité comme un modèle de toutes
les vertus. Il s'attacha toute sa vie à servir d'exem-
ple, persuadé que les moindres actions sont plus
puissantes et plus efficaces sur l'esprit des hommes que
les discours les plus éloquents. Tous les jours il se don-
nait trois fois la discipline ; il dormait peu ; au réfectoire,
on ne le voyait presque rien manger. Gardien du cou-
vent de Jumilla, il fit descendre les novices dans la petite
chapelle de la cour, et là, se jetant à leurs pieds, il leur
demanda pardon de son indignité ; un Père, sur l'ordre
qu'il en avait reçu, après lui avoir reproché durement ses
fautes et lui avoir dit mille injures, commanda aux
novices de le frapper à coups de cordes, de lui cracher
au visage, et cependant le saint homme, rempli d'une
joie céleste, souffrait en remerciant Dieu.
S'il avait su conserver sa pureté primitive au milieu
du monde, il veilla sur ses sens avec un soin plus jaloux
encore, après son entrée en religion. Jamais, dans ses ser-
mons, il ne laissa échapper une occasion d'exalter la chas-
teté, qui est la vertu des Anges. Le Père Didace Maçon,
saint religieux avec lequel Antoine fut très-lié, a déclaré
que jamais il ne l'avait surpris en état de péché mortel.
PERE ANTOINE FERMER. 483
C'est par la prière et la méditation que le bienheureux
garda et développa ses autres vertus. Après les matines,
il demeurait au chœur, plongé dans la contemplation et
l'extase jusqu'à quatre heures du matin; après sa messe,
il allait prier dans une grotte située sur la montagne
voisine, seul en face de la nature et de Dieu; c'est par
ces contemplations , prolongées longtemps et répétées
souvent, qu'il se préparait à la glorification du Très-
Haut et à la conversion des pécheurs.
Le bienheureux Antoine ne pouvait manquer d'obtenir,
dans l'Ordre, d'importantes dignités; c'est ainsi qu'il
fut, pendant neuf années entières, professeur de philo-
sophie et de théologie, gardien à plusieurs reprises et
deux fois définiteur ; mais les occupations que lui ap-
portèrent ces différentes charges ne l'empêchèrent jamais
de se livrer à la prédication.
Sa parole forte et vigoureuse, plutôt qu'ornée et élé-
gante, frappait et effrayait les pécheurs. Il s'adressait à la
fois au cœur, à l'intelligence et aux sens, et les larmes de
ses auditeurs prouvaient surabondamment la puissance
de ses sermons. Ce lui était un si pressant besoin de
travailler au bien des âmes, que souvent, dans les rues, il
arrêtait les enfants au passage pour leur parler de re-
ligion et de Dieu. Dans les villages, une si grande foule
de peuple se pressait pour l'entendre, que les églises
étaient trop petites pour la contenir et qu'il était obligé
de prêcher en plein air.
Dieu récompensa le zèle du saint homme par la conver-
sion d'un nombre immense de pécheurs ; et c'est ce qui
faisait dire un jouràl'évêquede Murcie, dans une conver-
sation qu'il avait avec un frère mineur : « Votre gardien
484 XXVIII JUIN.
« transforme les chaires en confessionnaux; on vient pour
« l'entendre prêcher, on s'en retourne converti, repentant,
« et souvent absous ». A Murcie, à Carthagène, à Valence,
partout où il passa, les mêmes bons résultats suivirent
ses prédications, et le peuple étonné le vénérait comme
un nouvel apôtre. Dans les couvents, dans les maisons reli-
gieuses, la piété était fervente et la règle mieux suivie,
les mortifications et les austérités redoublaient. Dans le
monde, les personnes de mauvaise vie revenaient au bien,
les jeunes gens légers ou impies rentraient dans la bonne
voie, les grandes dames déposaient au fond de leurs écrins
leurs bijoux et leurs parures et n'avaient plus qu'un
souci : servir Dieu dans le silence et la retraite. Enfin, des
hommes et des femmes de toutes les classes prenaient
l'habit ou le voile dans l'Ordre de Saint-François.
Le bienheureux reçut du Seigneur le pouvoir d'accom-
plir des miracles. Une jeune fille, qui habitait à plus de
huit milles de distance de l'endroit où prêchait un jour le
bon Père, entendit tout son sermon ; et ce prodige décida
de son entrée en religion.
A Valence, les fidèles assemblés dans l'église virent
briller au-dessus de sa tète une étoile, comme si Dieu
voulait signifier par là que la lumière de l'Esprit-Saint
éclairait l'àme du prédicateur.
En 1635, le Père Antoine fut nommé provincial; en
1644, il prit [ art au chapitre général de Rome, en qualité
de gardien. Ce voyage qu'il entreprit à pied, affaiblit
tellement ses forces qu'il revint tout épuisé en Espagne,
et mourut le 28 juin de la même année. Il était âgé de
soixante-treize ans et faisait partie de l'Ordre depuis
cinquante et un ans.
LE BIENHEUREUX MARTIN ALONSO. 485
On l'ensevelit au couvent de Valence.
Il avait écrit un livre très-remarquable, dont le titre
était : De la volupté qu'il y a à connaître Dieu et à lui
plaire ; un autre encore sur la pureté des vierges.
{Chroniques de la province de Saint-Jean-Baptiste.')
LE BIENHEUREUX MARTIN ALONSO
DU TIERS ORDRE
1644. — Pape : Urbain VIII. — Roi d'Espagne : Philippe IV.
SOMMAIRE : Vertus chrétiennes du bienheureux Martin. — Il entre dans le Tiers
Ordre de Saint-François. — Sa compassion pour les malheureux ; il se fait men-
diant pour les secourir. — Ses extases dans la chapelle du prêtre Louis Escriva.
— Ses lumières sur les questions l«s plus obscures de la religion. — Il possède le
don de seconde vue. — Tristesse de ses derniers moments.
Ce serviteur de Dieu naquit à Yecla, en Espagne, d'une
famille de laboureurs. Parvenu à l'âge d'homme, il épousa
une jeune fille honnête et pieuse comme lui-même.
Leurs vertus étaient le seul ornement de leur maison,
où tout respirait la paix, la joie, la santé, et le bonheur
qui naît d'une bonne conscience.
Avant même la mort de sa femme, le bienheureux
Martin, qui depuis longtemps s'était pris d'affection pour
les Frères Mineurs, chez qui il pratiquait ses devoirs de
piété, prononça les vœux des Tertiaires dans l'Ordre Séra-
phique. Il fut tout d'abord un fidèle observateur de la
règle, qu'il suivait scrupuleusement jusque dans ses
moindres prescriptions. Austérités, jeûnes, disciplines, il
mit tout en œuvre pour atteindre à la perfection reli-
486 XXVIII JUIN,
gieuse, et l'on peut dire qu'il y parvint. Comme il n'était
pas assez riche pour secourir avec ses propres ressources
beaucoup de malheureux, il résolut de quêter, pour les
pauvres, aux portes des grandes maisons, et même dans
les églises. Plus tard, malgré les reproches de ses parents,
qui voyaient une honte dans cette belle œuvre, il quêta
aussi pour les malades et les prisonniers.
C'est ainsi, chose étrange, que ce bienheureux, pauvre
lui-même et forcé de gagner à la sueur de son front le
pain de chaque jour, devint le refuge et la providence de
tous les malheureux du pays. Les personnes aisées secon-
daient son zèle en emplissant ses paniers de présents de
toutes sortes : vêtements, vivres, argent, remèdes pour
les malades. Des personnes pieuses accommodaient les
restes de toutes provenances, et en faisaient une nourriture
aussi agréable que saine pour les pauvres du bon labou-
reur. Dans les hospices, il soignait les malades et pansait
leurs plaies aussi délicatement qu'eût pu le faire la sœur
de charité la plus exercée.
Devenu veuf et sans enfants, Martin obtint de ses supé-
rieurs la permission de prononcer les vœux de chasteté et
d'obéissance dans la province de Saint-Jean-Baptiste. Dès
lors ses vertus allèrent se développant et s'affirmant cha-
que jour davantage. Il se confessait et communiait tous
les jours, pratiquait de longs jeûnes, veillait avec soin
sur ses moindres pensées, et ne parlait jamais aux femmes
que dans les cas d'absolue nécessité. On ne le vit jamais se
mettre en colère, et son égalité d'humeur ne s'altérait en
présence d'aucun événement. Heureux ou malheureux,
il répétait sans cesse : « Merci , mon Dieu » ,
persuadé que la Providence divine connaît mieux
LE BIENHEURFITX MARTIN ALONSO. 487
nos besoins que nous ne les connaissons nous-mêmes.
Après être demeuré quelques années dans son pays
natal, il quitta ses amis et ses parents, et s'en vint habiter
à Valence, où il avait l'espoir de n'être pas connu. Un
saint prêtre, Louis Escriva, lui donna asile chez lui, lui
demandant seulement en retour de prendre soin de son
oratoire et de servir sa messe. Martin n'eût jamais osé
former un pareil souhait : être le maître d'une chapelle,
y pénétrer à toute heure du jour et de la nuit, quel plus
grand bonheur le monde entier eût-il pu lui procurer?
Il y passait presque tout son temps , et souvent le
bon prêtre Escriva l'y surprenait, abîmé dans l'extase
et paraissant contempler dans l'espace infini quelque
merveille visible pour lui seul. Dans les dernières
années de sa vie, ses méditations duraient quelque-
fois si longtemps qu'il en oubliait le boire et le
manger, et qu'il fallait l'éveiller, comme on éveille un
homme profondément endormi. Son exemple inspira à
beaucoup de personnes l'amour de la prière intérieure
et de la contemplation.
Dans ses conversations intimes avec Dieu, le bienheu-
reux Martin puisa une grande connaissance des choses
du ciel et une intelligence nette et précise des mystères
de la religion. Les plus savants docteurs le consultaient
sur des difficultés qu'ils ne se sentaient pas eux-mêmes
capables de résoudre, et il les tranchait avec l'assu-
rance d'un Prophète ou d'un Père de l'Eglise. On ne
pouvait entendre sans étonnement cet homme sans
lettres, d'un esprit plus qu'ordinaire , d'une naïveté
enfantine pour tout ce qui regardait la vie de chaque
jour , parler avec une éloquence admirable et une
488 XXVIII JUIN.
lucidité de pensée extraordinaire, sur les questions les
plus obscures de la foi. Evidemment sa sagesse ne
venait pas du monde, mais de Dieu ; et toute la science
des théologiens eût été impuissante à lui donner cette
intuition merveilleuse des choses cachées, dont la plu-
part des hommes ne prennent connaissance que dans la
vie éternelle.
Le bienheureux Martin reçut aussi de Dieu le don de
prophétie et de seconde vue. Il lisait dans les âmes comme
il lisait dans le ciel. Quand le Père Didace Maçon, encore
jeune religieux, luttait avec désespoir contre les insinua-
tions de l'esprit malin et doutait par instants de lui-
même et de Dieu, il fut tout surpris, un jour, de voir
arriver dans sa cellule, à Jumilla, Martin qu'il ne con-
naissait pas. « Mon Père » , lui dit le saint homme,
a louez Dieu et aimez-le ; car il vous aime entre tous, et
« il m'a ordonné de faire aujourd'hui cinq lieues de che-
« min pour venir vous apporter des consolations et vous
«affermir dans la foi». Puis il lui exposa l'état de son
âme, lui conseilla de prier davantage, de se mortifier
plus souvent, de résister, en un mot, au démon, par tous
les moyens en son pouvoir. Le Père Didace reprit con-
fiance à ces bonnes paroles, si évidemment dictées par
le Très- Haut, et plus tard, retrouvant à Valence le bien-
heureux Martin, il proclamait tout haut qu'il lui devait
son salut éternel.
Quelques jours après avoir fait son testament, à Yecla,
le bienheureux Martin tomba malade à Valence. La fin
de sa vie approchait ; il l'annonça lui-même : « Dieu soit
«loué», disait-il, « voici que j'approche du port». Il
supporta ses dernières souffrances avec son calme et sa
LA BIENHEUREUSE ANGELINE DE SPOLÈTE. 489
patience habituelles. La seule prière qu'il adressât au
Seigneur, c'était qu'il lui fût permis de mourir dans la
solitude, abandonné de tous, comme un misérable pé-
cheur qu'il était. Le Seigneur l'exauça : de toutes les
personnes qu'il aimait, qu'il avait soignées et secourues,
pas une ne vint lui témoigner ni pitié ni regret. Le prêtre
même au service de qui il avait consacré plusieurs
années de sa vie, paraissait ne ressentir pour lui que du
dégoût. Dieu seul ne l'abandonna pas ; il l'aida, par ses
consolations divines, à franchir en chrétien le terrible
passage, et il amena à son chevet quelques frères mi-
neurs qui lui donnèrent les derniers Sacrements et l'en-
sevelirent ensuite dans l'église de l'Ordre (1644).
(Chron, de la prov. de Saint- Jean-Bapt.)
VINGT-NEUVIÈME JOUR DE JUIN
LA B. ANGELINE DE SPOLETE
CLARISSE
1450. — Pape : Nicolas V. — Roi de France : Charles VII.
La bienheureuse Angeline naquit à Spolète, en Italie,
et entra, en 1440, au couvent des Clarisses Urbanistes de
cette ville, où sa tante exerçait les fonctions d'abbesse.
Elle passa à peine dix années de sa vie dans l'Ordre ; mais,
dans ce court espace de temps, elle donna l'exemple de
toutes les vertus et approcha de la perfection. Sa persé-
vérance dans la prière, ses extases, ses mortifications, la
490 XXIX JUIN.
faisaient considérer comme une sainte par les autres
religieuses. On rapporte qu'un Ange lui apporta au nom
du Seigneur un anneau d'or, en signe de fiançailles
éternelles.
Elle mourut à l'âge de vingt-cinq ans, le 29 juin 1450.
Ses funérailles furent signalées par d'éclatants miracles.
Une femme de mauvaise vie s'étant approchée, pour bai-
ser sa main, du lit de parade où le corps de la bienheu-
reuse était exposé, la main se retira d'elle-même par un
mouvement soudain , comme si la vierge craignait ,
même après sa mort, d'être souillée par un contact
impur. Des malades furent guéris par son intercession.
Les précieux restes d'Angeline reposent dans l'église
du couvent de Spolète. Son tombeau, tout en marbre, a
la forme et l'aspect d'un autel, et l'on y célèbre souvent
la messe. Tout autour sont suspendus des ex-voto en
argent ou en or, qui témoignent des nombreux prodiges
accomplis par la sainte, et de la piété du peuple pour sa
mémoire. Une inscription, gravée sur l'un des côtés du
monument, raconte en quelques lignes la vie de la bien-
heureuse et cite les noms des sourds, des aveugles et
des infirmes qui recouvrèrent la santé par son inter-
cession.
(Jacobille et Papebroeck.)
ANGELINE DE FOLIGNO. 491
ANGELINE DE FOLIGNO
CLARISSE
1490. — Pape : Innocent VIII. — Roi de France : Charles VII.
Une autre Angeline, native aussi de Spolète, marcha
dans les voies du Seigneur au couvent de Foligno. Elle
observait strictement la loi du silence et aimait à médi-
ter dans la solitude. Infatigable dans ses dévotions, elle
prenait à peine quelques heures de repos et passait le
reste de la nuit absorbée dans de profondes contempla-
tions. Les âmes du purgatoire, qui gémissent d'être
privées de la vue de Dieu, lui inspiraient une profonde
commisération, et il est permis de croire qu'elle a, par
ses prières, avancé pour beaucoup d'entre elles l'heure
de la délivrance.
Sa vie fut en butte à de nombreuses maladies. Durant
la dernière, qui fut la plus cruelle, elle reçut la visite
de sainte Marie-Madeleine, sa patronne, de la Mère de
Dieu, de sainte Claire et de saint Jean l'Evangéliste.
C'est en 1490 qu'elle est entrée, riche de vertus, dans
l'éternel royaume.
(Jacobille.)
492 xxix juin.
FRERE PIERRE, DE GAND
1567. — Pape : Saint PieV. — Roi de France : Charles IX.
SOMMAIRE : Charles-Quint fait envoyer au Mexique trois frères mineurs de la pro-
vince de Flandre : le Père Jea-n du Toit. — Le Père Jean d'Aora — Le frère
Pierre, de Gand. — Ce dernier reste seul après la mort des deux autres. — Ins-
truction des Indiens. — La chapelle de Saint-Joseph. — Le collège indien. — De
la part qui revieût au Père Pierre dans cette œuvre. — Affection des Indiens pour
lui. — Sa mort.
Si les Frères Mineurs d'Espagne ont les premiers
planté l'étendard du Christ sur le sol de l'Amérique, ils
n'ont pas seuls travaillé, dans ces contrées, pour le bien des
âmes et la propagation de la foi ; et la province de
Flandre peut revendiquer pour ses enfants une bonne
part de leur gloire.
Après avoir, en 1521, achevé la conquête du Mexique,
Fernand Cortez, justement ému de pitié en songeant au
sort qui attendait dans l'autre vie les malheureux Indiens
plongés dans les ténèbres de l'idolâtrie, priaCharles-Quint,
empereur d'Allemagne et roi d'Espagne, sou maître,
d'envoyer au Nouveau-Monde quelques missionnaires.
L'empereur applaudit à l'idée du général et crut ne pou-
voir confier cette grande œuvre de la conversion de tout
un peuple qu'aux pauvres Frères de l'Ordre de Saint-Fran-
çois. Il en demanda l'autorisation au pape Alexandre VI,
qui la lui accorda sans hésiter, en lui recommandant
seulement de laisser aux supérieurs de l'Ordre le choix
des missionnaires. Charles-Quint, qui était Flamand d'ori-
gine, voulut du moins que sa chère province de Flandre
fût représentée par quelques-uns de ses membres les plus
LE BIENHEUREUX FRÈRE PIERRE, DE GAND. 493
dignes, et il se fit donner par le provincial trois religieux
flamands d'une vertu éprouvée. C'étaient le Père Jean de
Dak ou du Toit, gardien du couvent de Gand ; le Père
Jean d'Aora, et le frère Pierre de Mura, tous deux nés à
Yghem , près de Ninove (Belgique), mais religieux du
même couvent.
Ils arrivèrent au Nouveau-Monde en 1522, et ne voulant
pas aller grossir le nombre des frères mineurs qui se
trouvaient déjà à Mexico, ils se rendirent à Tlascala,
capitale de la province du même nom. Comme ils ne
connaissaient pas la langue du pays, ils ne prêchèrent
d'abord que par signes et s'efforcèrent de faire compren-
dre aux habitants de la \ille la vie et les souffrances
du Sauveur. On les prit d'abord pour des fous ; mais
bientôt l'austérité de leurs mœurs , la sainteté de
leur conduite , leur aspect vénérable et sévère , enfin
les grandes vertus chrétiennes dont ils donnaient des
preuves tous les jours, leur attirèrent des admirateurs et
des partisans; si bien qu'avant d'avoir pu prononcer un
seul mot, ils avaient déjà baptisé un certain nombre de
malheureux Indiens.
Dès qu'ils furent capables de se faire comprendre, les
conversions se multiplièrent comme par enchantement, et
ce fut un véritable deuil dans tout le pays, quand les
trois missionnaires, appelés à Mexico par les ordres du
bienheureux Martin de Valence, furent obligés de quitter
Tlascala.
Les trois missionnaires flamands ne tardèrent pas à se
séparer les uns des autres. Jean du Toit, envoyé dans le
Honduras, mourut le premier en 4525. Le Père Jean
d'Aora, vénérable vieillard qui était chargé, avec le frère
494 XXIX JUIN.
Pierre, de l'instruction des enfants Indiens à Tezcuco, ne
tarda pas à le suivre dans la tombe. Frère Pierre seul
devait avoir le bonheur de travailler longtemps encore
pour sa religion et pour son Dieu.
Il était jeune encore quand il arriva au Mexique , et
déjà il s'était avancé fort loin dans les sentiers du Seigneur.
D'une patience et d'une douceur inaltérables, il semblait
prédestiné à ce qui fut en effet l'œuvre de toute sa vie,
l'instruction des jeunes Indiens. C'est lui qui le premier
leur apprit à lire et à écrire l'espagnol, à chanter les
chants de l'Eglise et à jouer de divers instruments, à
Tlascala, à Tezcuco, enfin à Mexico même. Il fit cons-
truire, dans la cathédrale de cette dernière ville, une
chapelle magnifique consacrée à saint Joseph, où les
nouveaux convertis se réunissaient tous les dimanches
et tous les jours de fête, pour assister au service divin,
entendre des sermons et des conférences. Plus tard
Antoine de Mendoza, vice-roi du Mexique, pour aider,
autant qu'il était en lui, au développement de cette belle
institution, et en même temps pour éviter aux bons Pères
les tracas et les dérangements amenés par la présence de
tant d'enfants dans leur monastère, éleva aux frais du
trésor royal un grand collège destiné à l'éducation des
Indiens. Le supérieur du couvent devait être en même
ten\ps le directeur du collège. Les évêques de Mexico
et de Saint-Domingue présidèrent à la cérémonie de
l'installation des professeurs et des élèves dans le nouvel
établissement.
Le collège de Mexico fut constitué sur la même base
que les collèges de l'Europe. Les enfants qui y étaient
élevés et instruits portaient un uniforme spécial ; des
LE BIENHEUREUX FRÈRE PIERRE, DE GAND. 495
salles d'étude bien aérées leur permettaient de travailler
à leur aise ; ils couchaient dans de vastes dortoirs,
chacun dans un lit, sous la surveillance constante d'un
maître. Tous les matins ils assistaient à la messe, tous les
soirs ils récitaient en commun les prières de l'Eglise et
les matines.
Le bienheureux Pierre fut l'un des plus ardents
propagateurs de cette grande œuvre. Non-seulement
il enseignait le latin au collège , mais il apprenait
encore aux enfants à dessiner de petites gravures repré-
sentant soit la vie du Sauveur, soit la vie des saints; et ces
images, répandues dans le pays, étaient, dit le chroni-
queur, comme autant de prédicateurs muets, éloquents
à leur façon, qui parlaient sans cesse aux Indiens de la
gloire deDieu et de la grandeur de la religion chrétienne.
La langue mexicaine lui était bientôt devenue familière,
il prêchait en mexicain, et il a écrit en mexicain des
livres de piété, où il expliquait les saints mystères et ex-
posait les principales vérités de la foi. Enfin, à son instiga-
tion s'étaient formées des confréries d'Indiens qui s'oc-
cupaient de l'entretien et de l'ornement des églises, et
qui ont fait de la chîrpelle de saint Joseph en particulier
l'un des plus beaux sanctuaires de toute la chrétienté.
On compte par centaines les chapelles, les églises et les
couvents élevés par les soins du frère Pierre, par milliers
les infidèles qu'il a convertis. Il voyait avec bonheur la
religion du Christ s'affermir et s'étendre dans ces contrées
lointaines, et tous les jours il écrivait en Flandre aux
supérieurs de la province, pour demander de nouveaux
missionnaires : « Les habitants du Mexique », disait-
il dans l'une de ses lettres, « ont le naturel assez doux ;
496 XXIX JUIN.
« ils ne se montrent pas trop rebelles à embrasser notre
« sainte croyance ; mais ils sont paresseux et ne font rien
« de leur plein gré ; ils ne travaillent que lorsqu'on les y
a contraint. Leur religion est étrange : ils s'imaginent
« qu'il y a une divinité spéciale pour chaqueclasse d'objets,
« qu'il existe par exemple un dieu du feu, un dieu de
« l'eau, un autre de la lumière, un autre de la terre, un
"■ dieu pour les hommes, un dieu pour les femmes, un
a autre encore pour les enfants. Toutes ces divinités
« sont servies par un grand nombre de prêtres, vivant,
<? chose horrible, de la chair des enfants offerts en sacri-
« fice, et très-redoutés du peuple. Dieu soit béni , le
« règne de ces misérables est arrivé à sa fin, et les Mexi-
« cains abandonnent facilement ces dieux cruels, pour
« venir se ranger sous l'étendard béni du Sauveur. Nous
« avons quelquefois baptisé, le même jour, huit, dix et
« jusqu'à quatorze mille Indiens. Partout s'élèvent des
a chapelles et des églises où la piété naissante des nou-
« veaux chrétiens a entassé les ornements d'or et
« d'argent.
« Nous travaillons tous, chacun selon nos forces et nos
« moyens, à la conversion de ces malheureux. Moi, je
« veille sur eux jour et nuit. Le jour, je leur apprends à
« lire, à écrire et à chanter ; quand le soir vient, je leur
« fais réciter les prières de l'Eglise. Beaucoup d'entre nos
« élèves sont capables maintenant de servir de maîtres à
« leur tour. Il y en a qui prêcheraient mieux que nos
« Pères les plus éloquents, etc. — Mexico, couvent de
« Saint-François, le 27 juin 4529 ».
Le bon frère qui a écrit cette lettre touchante et simple,
où il montre une si grande affection pour les Indiens
PIERRE D'ORTONA. 497
était en retour aimé d'eux comme un père. Ils lui témoi-
gnaient plus de respect qu'aux autres religieux, aux prê-
tres et aux dignitaires de l'Ordre. Quand il passait dans
les rues, une foule immense se pressait sur son chemin
et l'escortait jusqu'à l'endroit où il se rendait. C'est ce
qui faisait dire à Alphonse de Montuchar, prédicateur
célèbre et deuxième archevêque de Mexico : « Ce n'est
a pas moi qui suis l'archevêque, c'est le frère Pierre de
« Gand, frère lai de l'Ordre de Saint- François ».
Il est vrai que le bienheureux Pierre n'eût eu qu'à
manifester un désir pour obtenir la mitre. Charles-
Quint, qui connaissait l'affection des Indiens pour lui, se
proposait de le nommer archevêque de Mexico, et il avait
obtenu le consentement du général de l'Ordre et du
souverain Pontife lui-même ; mais le bon frère ne se
croyait pas digne du sacerdoce, et tous les efforts échouè-
rent devant sa résistance énergique.
Il mourut en 1567. Toute la ville de Mexico voulut
assister à ses funérailles. On l'ensevelit dans la chapelle
de Saint-Joseph, qu'il avait fondée, et où l'on voit encore
aujourd'hui son tombeau et sa statue. Beaucoup de cou-
vents du Nouveau-Monde possèdent son portrait à côté
de ceux des douze fondateurs de la grande province du
Saint- Evangile.
(GON'ZAGUE et WADD1NG.)
PIERRE D'ORTONA
Ce saint homme repose au couvent d'Ortona, dans le
royaume de Naple?. Il eut la destinée singulière de
Palm, Sêrapit. - Tome VK 32
498 XXIX JUIN.
naître, d'être baptisé, de prendre l'habit de frère mineur,
de prononcer ses vœux, de dire sa première messe et de
mourir le jour de la fête de l'apôtre saint Pierre, son
patron.
ALIZE LA BOURGOTE, DE PARTS
1466. — Pape : Paul II. — Roi de France : Louis XI.
Nous trouvons encore à la même date le souvenir d'A-
lexie ou Alizé la Bourgote, qui vécut quarante-six ans en
qualité de pénitente du Tiers Ordre de Paris. Elle habi-
tait un ermitage situé contre l'église des Saints-Inno-
cents. Elle vivait presque absolument de pain et d'eau ;
c'est seulement dans sa vieillesse qu'elle y ajouta quelques
légumes. Ses vêtements de dessus recouvraient une haire
faite en crin ; le plancher de sa cellule lui servait de lit ;
toutes les nuits elle se donnait la discipline avec une
corde à nœuds.
Elle est morte en odeur de sainteté le 29 juin 1466,
dans un âge très-avancé. On l'ensevelit dans l'église des
Saints-Innocents, et le roi Louis XI fit placer sur son
tombeau une statue de bronze, qui la représentait à
genoux, dans l'attitude de la prière.
D (Wadding.)
JEAN DE SPIRE. 499
TRENTIEME JOUR DE JUIN
LE BIENHEUREUX JEAN DE SPIRE
ET QUELQUES AUTRES RELIGIEUX
DE LA PROVINCE DE STRASBOURG
1245. — Pape : Innocent IV. — Roi de France : Saint Louis.
Le bienheureux Jean, que l'on appelle Jean de Spire,
parce qu'il est originaire du pays de ce nom, en Alle-
magne, naquit à Stenical. Il fut longtemps chanoine de la
cathédrale de Mayence. La sainteté de sa vie et la dignité
avec laquelle il s'acquittait de ses fonctions sacerdotales
lui concilièrent l'estime et la vénération de tous. Pour
entrer dans l'Ordre de Saint-François, qui avait pour lui
des charmes ineffables, il donna ses richesses aux pauvres
et renonça à la haute dignité qu'il occupait. Devenu
frère mineur, on le cita comme un modèle de pauvreté
volontaire et un parfait miroir de perfection reli-
gieuse.
Il exerçait à Spire les fonctions de gardien, quand il
mourut, le 30 juin 1245. Des miracles s'accomplirent sur
son tombeau : dix-huit boiteux , deux aveugles , des
muets, des paralytiques, etc., etc., recouvrèrent la santé
par son intercession. Aussi la piété des fidèles a-t-elle
entretenu longtemps une lampe au-dessus de son tom-
beau.
500 XXX JUIN.
Dans le même couvent repose le bienheureux Père
Colin , qui fut élevé pendant sa vie à la dignité de pro-
vincial, et après sa mort accomplit un grand nombre de
miracles.
Le premier provincial de Strasbourg est le bienheu-
reux Père Terderic. Il honora sa dignité par la sainteté
de sa vie et ses miracles. Ses restes sont ensevelis au
couvent d'Augsbourg.
Le bienheureux Père Hugo ou Hudo repose dans un
autre couvent de la même province. Il est aussi célèbre
par ses miracles et vécut, comme les Pères dont nous
venons de citer les noms, dans le premier siècle de l'Ordre
Séraphique.
Lorsque la réforme des Obscrvantins pénétra dans la
province de Strasbourg, l'un des premiers religieux qui
l'embrassèrent est le bienheureux Père Jean Gontinger,
homme d'une sainteté exemplaire, qui posséda l'esprit
de prophétie et de seconde vue. Saint Jean de Gapistran
faisait de lui le plus grand cas, et il déclara un jour au
margrave de Bade que le Père Gontinger était l'un des
plus vénérables disciples de Saint-François. Ce bienheu-
reux Père est mort à Halsbach et est enseveli dans l'église
des Clarisses.
Le bienheureux Père Jacques de la Porte, bien connu
pour son zèle de prédicateur et d'apôtre , repose au
couvent de Basel. Sa mort fut accompagnée de prodiges
éclatants.
PÈRE PIEHRE DE CHAVEZ. 501
La province de Strasbourg a eu pour fondateurs les
bienheureux Césaire de Spire et Albert de Pise. Elle
comprenait, dans les premiers temps de l'Ordre, la Ba-
vière, la Suède, le Tyrol, la Suisse, une partie de la
France, la marche de Bade, le Wurtemberg et l'Alsace,
et elle comptait parmi ses membres un certain nombre de
vénérables religieux. Elle se sépara par la suite en plu-
sieurs provinces, et en 1517, au moment de l'apparition
de Luther, elle renfermait encore vingt-six couvents.
L'invasion de l'hérésie en réduisit le nombre à huit ; à
la fin du dix-septième siècle , elle commençait déjà à
sortir de ses ruines, et elle est redevenue l'une des plus
importantes provinces de l'Ordre Séraphique.
(Le Hisan, Cardose.)
PIERRE DE CHAVEZ
1525. — Pape : Clément VI!. — Roi de Portugal : Jean III.
C'est au trentième jour de juin que les chroniqueurs
de FOrdre placent le souvenir du Père Pierre de Chavez,
austère observateur de la règle, dont la vie n'a été, pour
ainsi dire, qu'une longue suite de miracles, et que,
même avant sa mort, on honora comme un saint.
Il a rendu l'âme en 1525, au couvent d'Atougia, en
Portugal, et son tombeau fut longtemps un lieu de
pèlerinage où s'accomplirent un grand nombre de pro-
diges.
(Gonza&ue, Cardose.)
502 XXX JUIN.
LA BIENHEUREUSE FLOROSENDA
CLARISSE
1306. — Pape : Clément V. — Roi de France : Philippe IV.
SOMMAIRE : Illustre origine de la bienheureuse Florosenda. — Elle fonde à Sulmo
(aujourd'hui Solmona) un couvent de Clarisses. — Ses vertus. — Elle est nommée
abbesse. — Sagesse de son administration. — Affection que lui témoignent ses
sœurs. — Son tombeau.
La bienheureuse Florosenda naquit en 4240, dans le
pays des Àbruzzes (royaume de Naples). Elle était fille de
Thomas, comte de Palena et autres lieux, et de Cons-
tance de Chieti, descendante des comtes de Chieti, tous
deux issus des premières maisons du royaume et de
familles qui avaient fourni à l'Etat des généraux et à
l'Eglise des prélats distingués et même plusieurs papes.
Florosenda porta sur elle la marque distinctive de son
illustre origine. Tous les dons de la nature et de la
grâce semblaient s'être réunis pour en faire une per-
sonne achevée. Saint François de Palena venait de fonder
à Palena un couvent de Frères Mineurs, et tous les jours
la jeune Florosenda entendait les bons religieux parler
avec enthousiasme des vertus et des miracles de saint
François et de sainte Claire. Elle en conçut un vif désir
d'imiter ces saints personnages, surtout lorsqu'elle apprit
que de grandes princesses s'étaient faites clarisses. Elle
aima dès lors à se retirer dans les églises, à prier pen-
dant de longues heures et à se mortifier; et ces disposi-
tions ne firent que s'accroître après la mort de son père.
Il n'y avait encore en ce moment, dans tout le pays des
LA BIENHEUREUSE FLOROSENDA, CLARISSE. 503
Abruzzes, qu'un seul couvent de Clarisses, fondé par la
bienheureuse Philippa Mareria (1). Florosenda en cons-
truisit un second à Sulmo, en l'espace d'une année.
C'est là qu'elle reçut, en 4269, avec plusieurs autres
nobles jeunes filles, le voile des Clarisses, des mains de
saint Bonaventure, général de l'Ordre.
La bienheureuse vierge fut la première abbesse du
nouveau couvent, et pendant de longues années elle y
donna l'exemple de toutes les vertus. Elle exigeait des
religieuses une aveugle soumission à la règle et défendait
qu'aucune d'elles jouît, en dehors du couvent, de revenus
d'aucune espèce. La communauté seule pouvait avoir des
rentes ; les Clarisses en particulier étaient pauvres et ne
possédaient rien. Le couvent de Sulmo passe pour avoir
été l'un des plus riches de l'Ordre : il se composait
de plusieurs bâtiments reliés par un mur d'enceinte, et
renfermait deux ou trois cents religieuses.
L'abbesse, au milieu de cette opulence, vivait dans la
plus stricte pauvreté. Sa démarche était modeste et hum-
ble, et elle s'occupait des travaux les plus rebutants,
comme la dernière des religieuses. Elle s'imposait de si
rudes mortifications, que sa santé en souffrait continuel-
lement. Retirée dans sa cellule ou dans la chapelle pen-
dant la plus grande partie de la journée, elle évitait
au tint que possible tout contact avec le monde extérieur,
et refusait même de voir ses parents. Tant qu'elle vécut,
les sœurs, qui lui témoignaient beaucoup d'affection,
n'eurent pas un instant l'idée d'élire une autre abbesse,
et elles pleurèrent sa perte comme celle d'une mère.
(1) Voir la vie de Philippa Maretia, au seizième jour de février {Palmier Sera-
phique, tom. II, pag. 335).
504 XXX JUIN.
La bienheureuse Florosenda exerçait sa dignité de
supérieure depuis trente-sept ans, quand elle s'endormit
dans le sein de Dieu, en 4306. Les miracles qui s'accom-
plirent par son intercession ajouteront encore à sa répu-
tation de sainteté.
Quelques années après sa mort, on tira ses précieux
restes du caveau commun, où elle était ensevelie à côté
d'autres religieuses , et on la mit dans un sépulcre
de marbre, sous le grand-autel. Sur son tombeau on
lisait l'inscription suivante : Ici repose le corps de la
bienheureuse Florosenda, fondatrice de ce couvent.
(P. Mazzara.)
PERE MARTIN BELSUNCE
1651. — Pape : Innocent X. — Roi d'Espagne : Philippe IV'.
CHAPITRE PREMIER.
SOMMAIRE : Pieuse enfance de Martin, et espérances que sa rnère fonde sur lui. —
Comment il s'égare et se perd à l'Université de Salamanque. — Heureuse influence
que sa sœur exerce sur lui. — Il rentre dans les voies du Seigneur. — Ses
visions. — Il quitte l'Université de Salamanque et se fait ordonner prêtre à
Huescar. — Une vie nouvelle commence pour lui.
Le Père Martin Belsunce naquit en 1572, à Huescar, en
Espagne , d'une famille noble et riche. Ses parents ,
Martin Belsunce et Jeanne Romero, dont il était le pre-
mier-né, rélevèrent avec beaucoup de soins. C'était un
enfant doux et modeste, aux manières affables, charitable
et pieux. Il fit de fortes études, et de bonne heure sut
LE BIENHEUREUX PÈRE MARTIN BELSUNCE. 50u
parfaitement le latin. A vingt ans il perdit son père et
demeura, avec deux frères et une sœur, à la charge de sa
mère. La pieuse femme, qui l'aimait beaucoup et qui
comptait sur lui pour l'aider à élever sa famille, l'envoya
étudier le droit à l'Académie de Grenade, puis à l'Uni-
versité de Salamanque.
Pendant quelque temps on put craindre que ce pieux
jeune homme, qui s'était choisi pour patrons saint Didace
et la Vierge Marie, ne fût à jamais perdu pour le ciel.
Il fréquentait des étudiants tapageurs et impies, courait
les mauvais lieux, oubliait le travail pour le plaisir^et les
églises pour les maisons de jeu et de débauche ; il ne
connaissait plus de la vertu que le nom.
Ce fut sa sœur qui le ramena dans les voies du Seigneur.
Devenue veuve après quelques mois d'une vertueuse
union, elle avait pris le voile des Clarisses au couvent de
Beza, et ses grandes qualités l'avaient fait choisir par ses
supérieures pour fonder à Salamanque un monastère de
son Ordre, dont elle f"j* la première abbesse. Elle alla voir
son frère, et, vivement touchée de l'état de son âme, lui
montra l'abîme où il se précipitait et le pria, au nom de
son père mort et de sa mère désolée, de changer de con-
duite et d'abandonner ses mauvaises compagnies. Elle
obtint de lui la promesse qu'il assisterait tous les jours à
la messe et qu'il se confesserait au moins une fois tous
les mois.
Ce fut le salut de Martin ; la première fois qu'il sortit,
repentant et purifié, du tribunal de la pénitence, il lui
sembla qu'il relevait d'une maladie mortelle. Une révo-
lution complète s'opéra en lui ; et, faisant un retour sur
lui-même, il se demandait avec étonnement comment il
806 XXX JUIN.
avait pu sacrifier Dieu au monde et son salut éternel à
de vaines jouissances. « Est-il bien vrai, ô mon Dieu »,
s'écriait-il, « que j'ai pendant si longtemps oublié votre
« sainte loi ? Faux amis, qui me détourniez du chemin
a du ciel ! Soyez béni, ô mon Sauveur, pour votre infinie
« miséricorde, et laissez-moi assez de vie pour que je
a puisse expier par de longues années de pénitence tant
« de jours d'égarement. Versez, versez sur moi la divine
«rosée de votre grâce ; soutenez -moi de vos mains
« secourabîes, purifiez-moi , bénissez-moi ! » Le démon
était vaincu ; Martin avait retrouvé sa voie, et il ne devait
plus s'en écarter.
Son directeur lui ordonna tout d'abord de se confesser
quatre fois par mois, de communier tous les quinze
jours, d'assister quotidiennement à la messe qui se célé-
brait sur l'autel de Marie ; enfin d'offrir à Dieu, par ses
mains pures, ses regrets et ses promesses, et d'éviter non-
seulement le péché, mais encore les occasions de pécher.
Martin se soumit à toutes ces prescriptions; mais en vain
cherchait-il à assurer par de bonnes confessions le repos
de sa conscience, le souvenir de ses fautes le plongeait
dans un amer désespoir, et il ne voyait devant lui que
ténèbres et deuil.
Enfin, au bout de quatre mois, la lumière se fit.
Comme un aveugle qui revoit tout à coup la clarté du
soleil, il sentit une joie immense pénétrer son cœur :
plus de trouble, plus d'inquiétude ; le repos et la paix 1
Son âme, débarrassée des chaînes qui l'étreignaient, s'é-
levait sur les ailes de la foi et de l'amour dans les plus
hautes régions de la contemplation. Une vie nouvelle
commençait pour lui , et le souvenir de son indigne
LE BIENHEUREUX PÈRE MARTIN BELSUNCE. 507
conduite lui pesait tellement, qu'il faisait tous ses efforts
pour n'y arrêter jamais sa pensée. Mais Dieu veut qu'on
expie par le remords ses fautes passées, et c'est un signe
qu'il n'a pas détourné de nous ses regards paternels,
lorsqu'il nous tourmenté ainsi sur cette terre par nos
propres souvenirs. Un jour que Martin priait devant
l'autel de Marie, il fut tout à coup ravi en extase. Il lui
sembla qu'il était tombé dans un fossé profond et bour-
beux, et que, du milieu de l'abîme, il tendait les bras
vers la très-sainte Vierge, qui lui apparaissait toute res-
plendissante de lumière. Et comme il criait : « Ma Mère !
« ma Mère ! » avec un accent désespéré, elle s'approcha
de lui, le prit par la main en l'appelant a mon fils ! », le
retira de cette fange, lui donna de nouveaux vêtements,
et enfin lui recommanda par-dessus toutes choses de faire
monter ses actions de grâces vers le Seigneur, qui avait
permis qu'elle vînt à son secours.
C'est par de semblables apparitions que Dieu ravivait
dans le cœur du bienheureux le souvenir de ses fautes, et
qu'il lui permettait ainsi de les expier par ses larmes et par
son repentir. Martin ne tarda pas à trouver des charmes
dans cette souffrance morale, qui était à la fois un châti-
ment et une purification, et tous les jours, à genoux dans
sa chambre d'étudiant devant un tableau représentant
l'Immaculée Conception, il se frappait la poitrine et réci-
tait la longue liste de ses péchés en disant : « Ma Mère ! »
Et il lui semblait que la même voix divine lui répondait:
« Mon fils ! » Alors une paix immense descendait au fond
de son âme ; il ne se sentait plus écraser sous le poids de
ses terreurs et de ses remords ; l'avenir lui apparaissait
moins sombre j il ne désespérait plus de voir s'ouvrir
508 XXX JUIN.
un jour devant lui les portes de l'éternel royaume.
Cependant Salamanque, avec ses milliers d'étudiants,
ses théâtres, ses cafés, ses tentations de toute espèce,
effrayait la vertu renaissante du bienheureux Martin ; il
résolut de quitter ce séjour et d'aller achever ses études
à Alcala, selon le désir que lui en manifestait sa mère.
Mais la résolution qu'il avait prise de se consacrer à Dieu
l'empêcha de mettre ce projet à exécution, et il revint
à Huescar, décidé à se faire ordonner prêtre le plus
tôt possible , et à vivre étranger à toutes les vanités
de la terre. Il réfléchit longuement, afin d'être bien
assuré de la force de sa vocation, et ses méditations
sérieuses ne firent que l'affermir de plus en plus dans sa
résolution. Il prit aussi les avis d'un frère mineur, le
Père Antoine Sobrino, qui s'était acquis par sa science et
ses vertus une grande réputation de sainteté. Antoine
crut pouvoir lui affirmer que sa vocation venait de Dieu,
qu'il s'avancerait fort loin dans les voies du Seigneur et
qu'il exercerait sur les âmes une salutaire et bienfaisante
influence. Quelque temps après, sa mère étant venue
à mourir, Martin, se voyant chef de famille, conçut
encore de nouvelles hésitations : le démon, furieux de le
voir lui échapper, essayait du moins d'entraver sa mar-
che vers le ciel et de l'arrêter par des considérations
spécieuses. Enfin , Dieu eut pitié de lui, et, selon les
expressions du chroniqueur , conduisit sa barque, si
longtemps battue par la tempête, dans le havre béni de
la grâce. Martin fut ordonné prêtre.
On peut dire qu'il fut prêtre selon le Seigneur. Il
offrait tous les jours le saint sacrifice, et y puisait chaque
fois une force et une confiance nouvelles. 11 nageait
LE BIENHEUREUX PÈRE MARTIN BELSUNCE. 509
dans le repos et la paix, ne vivait plus que par le Seigneur
et pour le Seigneur, et, quoique encore poursuivi par le
souvenir de ses fautes passées, éprouvait déjà comme un
avant-goût des célestes jouissances.
CHAPITRE II.
SOMMAIRE : Martin prend l'habit de frère mineur dans la province de Saint-Tean-
Baptiste. — Heureuse influence du Père Gomez sur son esprit. — Ses hésitations
et ses incertitudes. — Règle de conduite qu'il se trace à lui-même. — Comment
il la suit. — Son excessive humilité. — Il refuse toute dignité. — Sa confiance en
Dieu. — Conversions qu'il provoque.
Après quelques mois d'une existence pure et d'une vie
exemplaire, Martin se sentit tout à coup attiré vers la vie
monastique. Il en parla à quelques personnes de sa con-
naissance, qui essayèrent de l'en détourner, en lui re-
présentant combien la règle était rigoureuse et pénible.
On lui insinua que peut-être cette pensée, qui lui était
venue si subitement à l'esprit, n'était qu'un piège du
démon, que l'esprit malin avait des ressources et des
ruses infinies, et qu'une pareille résolution demandait à
être mûrie dans le silence et la retraite. Il y avait du vrai
dans ces objections, et Martin le sentait ; mais il les tourna
très-habilement à son avantage. « Qui vous dit », répon-
dit-il à ses amis, « que vos avis ne sont pas eux-mêmes
« inspirés par le démon ? J'entends une voix qui parle
« plus haut que mes craintes et que je reconnais pour
a l'avoir entendue plusieurs fois déjà : c'est la voix de
« mon Dieu ; je suivrai ses célestes inspirations I »
Sur ces entrefaites, et pendant qu'il hésitait encore, le
plus jeune de ses frères mourut ; quelque temps après, le
second, qui faisait partie de l'Ordre de Saint-François,
510 XXX JUIN.
descendit à son tour au tombeau. Resté seul au monde
et détaché de tout bien terrestre, Martin commença par
essayer ses forces dans sa propre maison ; il marchait
nu-pieds dans sa chambre, priait durant de longues
heures, jeûnait et veillait. Enfin, sur les avis du Père
Sobrino, son directeur, il demanda et reçut l'habit de
l'Ordre, à Valence, dans l'austère province de Saint-Jean-
Baptiste, le jour de la fête de saint François. Il était âgé
de quarante-deux ans. Le bonheur remplissait son âme ;
il pouvait enfin ne plus songer qu'au ciel et à Dieu.
A sa grande joie, il fut placé sous la direction du Père
Gabriel Gomez, religieux célèbre par ses vertus (1). On
ne tarda pas à s'apercevoir qu'il possédait bien toutes les
qualités qui font le parfait religieux. Il devint bientôt le
modèle des autres novices : toujours le premier au
chœur, le plus zélé pour tous les travaux pénibles et
rebutants, modeste dans sa démarche , humble , sou-
mis , consolateur de ceux qui souffraient , soutien de
ceux qui perdaient courage, aimé de tous, charitable et
bon à tous. Il ne se souvenait du monde que pour le
mépriser davantage, et tout contact avec les hommes lui
semblait si pénible, qu'il songea un instant à se retirer
dans une solitude plus profonde et à entrer aux Carmes
déchaussés.
Il communiqua cette idée au Père Gabriel Gomez, et lui
fit connaître plus à fond l'état de son âme. Heureusement
son vénérable maître, qui exerçait sur lui une grande
influence, ne se laissa pas séduire à de fallacieux pré-
textes et sut opposer des raisonnements victorieux aux
(1) Voir, dans le deuxième volume du Palmier Séraphique,\& vie du Père Gabriel
Gomez, septième jour de février, pag. 157.
LE BIENHEUREUX PÈRE MARTIN BELSUNCE. 511
spécieux arguments du Père Martin : <r Vous ne songez
a qu'àvous-même», lui dit-il, «croyez-vous que cela puisse
<r être agréable à Dieu? Et lequel, à votre avis, a le plus de
a mérite, celui qui ne travaille qu'à son propre perfec-
ct tionnement, ou celui qui s'occupe en même temps du
« salut des autres ? » Martin promit de demeurer dans
l'Ordre Séraphique.
Comme il approchait de la fin de son noviciat, il écrivit,
pour lui-même et pour ceux qui pourraient être en butte
aux mêmes attaques de l'esprit malin, les règles sui-
vantes auxquelles il se soumit toute sa vie :
«Une âme qui n'a pas entièrement rompu avec les
« vanités du monde ne goûtera jamais les pures jouis-
aï sances du ciel.
<x Connais-toi toi-même, voilà le seul moyen infaillible
« pour marcher ferme et droit dans les sentiers de la
« vertu.
« Ne prononce jamais de paroles légères ou irréfléchies,
« et mûris tes pensées au fond de ton cœur.
« Sois toujours intimement persuadé que tout autre
« que toi, avec les grâces dont Dieu t'a comblé, se serait
« avancé plus loin que toi-même dans la voie de la justice
« et delà perfection.
« La confiance en Dieu dans l'adversité, c'est la plus
« grande faveur que le Seigneur puisse accorder à ceux
a qui le servent bien.
a Quand tu seras malheureux, ne va pas gémir auprès
« des hommes ; adresse à Dieu tes prières, et, comme le
« Sauveur sur sa croix, invoque le Père éternel dans tes
« disgrâces.
« Apprends d'abord à bien supporter tes propres souf-
512 XXX JUIN
« frances, avant de demander au Très-Haut qu'il y ajoute
a celles de Ion prochain.
« Si, en méditant sur tes infirmités, tu ne te sens pas
<* devenir plus vertueux, ne t'en prends qu'à ton orgueil;
« car le Seigneur ne nous envoie des épreuves que pour
a nous purifier et nous rendre meilleurs.
« Sois humble et tu plairas à Dieu ; il regarde plus
« favorablement ceux qui ont pour eux-mêmes plus de
« mépris et plus de dédain ».
Toute la vie du Père Martin n'est pas autre chose que
la mise en œuvre de ces sages préceptes. Quand il eut
prononcé ses vœux, les vertus qu'il avait montrées durant
son noviciat allèrent sans cesse s'affermissant et se déve-
loppant ; et Ton peutdire qu'il fut le modèle le plus accom-
pli du parfait religieux. Il faisait ses délices de l'humi-
lité, et ne manquait jamais une occasion de s'abaisser aux
yeux de ses frères. On le voyait retiré dans quelque coin
sombre de la chapelle, à genoux sur la pierre, se frap-
pant la poitrine et répéiant : « Seigneur, je suis indigne
« d'habiter dans cette demeure et de porter la robe des
a religieux ». Parce qu'il éprouvait encore à de longs
intervalles de petites défaillances, il se considérait comme
le plus grand pécheur de la terre ; et, semblable à un cou-
pable qui vient de commettre un crime et qui n'ose plus
se montrer parmi les hommes, il se dérobait aux regards
de ses frères. Les profonds abîmes de perversité et de
corruption qu'il croyait voir en lui-même l'effrayaient, et
il avait conçu une telle horreur du péché, qu'avec toutes
ses vertus, il ne se trouvait pas meilleur qu'autrefois,
lorsqu'il donnait, à Salamanque, l'exemple de la débau-
che. « Je suis semblable à la reine de Saba » , disait-il, « qui
LE BIENHEUREUX PÈRE MARTIN BELSUNGE. 513
« voyait toutes les richesses de Salomon sans en avoir sa
« part; je comprends ce qu'est la vertu, et je ne peux y
« atteindre ». Ou bien encore il se comparait à une
pauvre femme qui, vêtue de misérables haillons, vou-
drait porter des bijoux et des vêtements somptueux.
« Seigneur, Seigneur », répétait-il souvent, « que suis-je
« devant vous ? Le néant devant l'infini ! »
Cette humilité excessive l'empêcha toujours d'accepter
aucune dignité, et il attachait si peu d'importance aux
distinctions honorifiques, qu'après les réunions des cha-
pitres il ne savait jamais et ne désirait pas savoir les
noms dis élus. Ce qu'il ambitionnait, c'étaient les souf-
frances, les injures, les outrages; être foulé aux pieds,
être conspué, méprisé, honni par sesfrères, qu'il regar-
dait comme des anges de vertu, voilà le plus ardent de ses
vœux.
Il fut fort éprouvé sur la fin de sa vie par des maladies
de toutes sortes ; jamais cependant on ne l'entendit se
plaindre; il se soumettait humblement à la volonté de
Dieu, persuadé que la Providence sait mieux que nous
ce qui peut nous être utile.
Une autre vertu du bienheureux Martin, c'est sa con-
fiance en Dieu. Sa devise était : « souffrir et espérer ».
Dans ses épreuves, il fixait toujours les yeux sur la croix,
et en se rappelant la passion du Sauveur, mort pour les
hommes, il attendait avec résignation la fin de ses propres
douleurs et la récompense promise.
Il était aussi soumis à ses supérieurs qu'à Dieu lui-
même. Un enfant ne se fût pas montré plus souple, plus
facile à diriger, plus prompt à recevoir les bons enseigne-
ments, plus incapable de manifester la moindre volonté.
Ijalm. Séraph. — Tome VI. 33
514 XXX JUIN.
Il semble qu'il éprouvait le besoin d'obéir et de faire acte
de soumission à quelqu'un. La plus grande preuve qu'il
ait donnée de cette vertu, c'est la docilité avec laquelle il
accomplissait les devoirs qui lui étaient le plus pénibles :
prêcher et confesser. Et pourtant quelles conversions il
eût provoquées, que de pécheurs il aurait ramenés au
bien, si, par un excès de modestie, il ne se fût tenu
dans l'ombre, s'il avait essayé plus souvent de commu-
niquer et de répandre autour de lui les sentiments dont il
était lui-même pénétré. Il a exercé sur les âmes de ceux
qu'il avait consenti à diriger la plus salutaire influence ; et
plus d'un pénitent lui doit d'avoir suivi le droit chemin
et échappé aux périls de ce monde de ténèbres. C'est ce
que ses supérieurs avaient fort bien compris ; et voilà
pourquoi ils firent toujours tous leurs efforts pour
étendre à plus de fidèles cette bienfaisante autorité ;
mais que répondre à un prêtre qui vous dit avec un
accent d'une conviction profonde : « Misérable pécheur
« que je suis, comment voulez-vous, mon Père, quand
« je puis à peine me diriger moi-même, que je prenne
« charge d'âmes et que je montre à d'autres le chemin
« du ciel, où je ne suis pas assuré de marcher moi-
« même ».
CHAPITRE III.
SOMMAIRE : La paix descend enfin dans l'âme du bienheureux Martin. — Se9
austérités. — Ses prières et ses méditations. — Célestes extases. — La sainte
Vierge et les saints lui apparaissent à plusieurs reprises. — Charité chrétienne. —
Dernières années de sa vie. — Comment il se prépare à paraître devant Dieu. —
Douleur générale des habitants de Grenade à la nouvelle de sa mort. — Miracles
qui l'accompagnent.
Si la perfection était de ce monde, le bienheureux
Père Martin y aurait atteint ; entre tous ceux qui s'en
LE BIENHEUREUX PERE MARTIN BELSUNGE. 515
sont approchés, il faut le placer presque au premier
rang. Ce qui le prouve, c'est la confiance en ses propre?
forces qu'il acquit, lui, le religieux modeste, l'humilité
personnifiée, dans les dernières armées de sa vie. Le
démon, après en avoir fait sa proie pendant quelque
temps, n'avait plus prise sur lui et ne réussissait même
plus à l'effrayer. Son âme goûtait déjà la paix de l'éter-
nité, juste récompense de victoires achetées par une
lutte de tous les instants. Il semblait que le bienheureux
ne vivait plus de la vie de ce monde, qu'il n'éprouvait
plus les sentiments dont tous les hommes sont agités, ni
les besoins qui les attachent en quelque sorte à la terre
et à la matière. Son âme était pour ainsi dire débarrassée
de son corps.
C'est à force d'austérités et de mortifications qu'il avait
obtenu ce grand résultat ; c'est pour s'être nourri de pain
et d'eau , pour avoir fait couler son sang sous les coups
de discipline, pour avoir jeûné, pour avoir veillé,
pour avoir couché sur la dure et marché pieds nus,
qu'il était devenu si semblable aux Anges qui entourent
le trône de Dieu.
C'est aussi pour avoir prié. La prière l'avait sauvé
autrefois et retiré de l'abîme ; la prière l'éleva par la
suite sur les sommets sereins de la vertu et de la foi. Il
avait reçu de Dieu ce don merveilleux de la méditation,
par laquelle l'âme s'épure sans cesse et se montre digne
d'être ce qu'elle est en effet, la ressemblance imparfaite,
il est vrai, mais enfin la ressemblance de son Créateur.
Retiré dans sa cellule, d'où il ne sortait guère que pour
aller à la chapelle ou pour accomplir ses œuvres de cha-
nté, il méditait à genoux, la tête dans ses mains, sur
516 XXX JUIN.
l'infinie majesté de Dieu et le néant de l'humanité. Le
jour, en dehors des offices, la nuit, quand il avait pris
une ou deux heures de repos, il priait, et l'on peut dire
que, pendant plus de quarante ans, il eut sans cesse devant
les yeux la grande image du Très-Haut.
Il avait dans l'efficacité de la prière une inaltérable
confiance, et il en parlait avec une éloquence qui faisait
couler les larmes. La dévotion qu'il avait témoignée dès
sa jeunesse pour la bienheureuse Vierge Marie était
devenue plus vive et avait toujours été en croissant. 11
récitait chaque jour plusieurs rosaires en son honneur et
s'agenouillait devant toutes ses images. Il excitait tous
ses pénitents à placer leur espoir en Marie, et il obtint
ainsi des résultats merveilleux ; elle était son remède
contre les plus grands dangers, sa consolation suprême
dans l'affliction, son port dans la tempête, sa tour d'i-
voire, la porte par laquelle il espérait un jour entrer dans
le royaume des élus. Elle lui apparut souvent tenant son
divin Fils entre ses bras , et ces visions, trop rares au
gré du Père Martin, lui causaient une infinie jouissance.
Le bienheureux Martin reçut aussi fréquemment la
visite des habitants du royaume des cieux, qui venaient
s'entretenir avec lui de l'état de son âme, lui parler de
la céleste patrie et soutenir son courage quand il s'affai-
blissait. Le saint Père François , en particulier , fut
comme son conseiller dans l'autre monde, et saint Antoine
vint souvent frapper à sa porte, en murmurant : Deo
gratias. Saint Pascal, que Martin appelait son pasteur,
et saint François de Paule, fondateur des Minimes, l'un
des maîtres spirituels du bienheureux, lui apparurent
souvent ; ce dernier lui donna une brebis blanche, qui
LE BIENHEUREUX PÈRE MARTIN BELSUNCE. 517
fut par la suite la compagne inséparable du bon Père. Il
faut citer aussi l'apôtre saint Paul, sainte Marie-Made-
leine, saint Augustin, saint Thomas d'Aquin, saint
Bruno, sainte Thérèse, saint Ignace, saint François
Xavier, etc., dont l'amitié et la protection ne firent jamais
défaut au Père Martin.
Ce grand amour de Dieu dont le bienheureux était
animé se reporta naturellement sur ceux dont le Sei-
gneur a dit : « Bienheureux ceux qui souffrent, parce
« qu'ils seront consolés ». Il aimait les pauvres, les ma-
lades, les malheureux, tous ceux en général que le
monde rebute, et qu'il rejette de son sein. Il visitait les
prisonniers dans leurs cachots, et leur apportait, avec
les secours physiques dont ils avaient besoin, les con-
solations de la religion, qui leur faisaient plus encore dé-
faut. Il quêtait pour eux, et il demandait l'aumône avec
des paroles si touchantes, que les cœurs les plus durs
s'adoucissaient. A sa demande beaucoup de riches per-
sonnages recueillirent chez eux de pauvres orphelins
et les élevèrent comme s'ils eussent été leurs propres
enfants.
Après avoir raconté les faveurs si nombreuses dont
Dieu combla le bienheureux Martin, il est presque inu-
tile d'ajouter qu'il reçut aussi le don de lire dans les
consciences et celui d'accomplir des miracles. Par là, il
provoqua des conversions encore indécises, et l'autorité
morale que lui avaient acquise ses vertus, s'accrut encore
et étendit au loin son influence.
Cependant la fin de sa vie si agitée dans ses débuts,
mais plus tard si calme et si féconde en bonnes œuvres,
approchait rapidement. Huit mois avant sa mort, l'enfant
518 XXX JUIN.
Jésus lui apparut pour lui en annoncer le jour, et comme
le bienheureux lui demandait s'il mourait en état de
grâces : «N'appelez pas mourir», luidit-il? «ce qui n'est
« que commencer de vivre ; d'ailleurs, je resterai avec
« vous jusqu'à la fin, comme vous êtes demeuré avec
« moi ». Cette terrible pensée de l'impénitence finale lui
revenait sans cesse à l'esprit, et il fallut que Dieu vînt
plusieurs fois calmer ses inquiétudes. Il demanda aussi
et obtint la promesse que sa dernière maladie serait
courte ; il avait peur d'être à charge à ses frères.
Quand arriva la date indiquée par le Seigneur, Martin
songea à se bien préparer au solennel passage de l'éter-
nité. Il fit à plusieurs reprises l'aveu général de toutes
ses fautes, reçut l'Extrême-Onction et communia le len-
demain. Puis il demeura plusieurs heures sans mot dire,
les yeux fixés sur un point de l'espace où il paraissait
contempler un spectacle magnifique ; car sa figure témoi-
gnait une félicité céleste. Enfin il expira en murmurant
le nom de Marie, au milieu des sanglots de ses frères qui
chantaient à travers leurs larmes les litanies de la très-
sainte Vierge. C'était à Grenade, le 30 juin 1651 ; Martin
était âgé de soixante-dix-neuf ans ; il y avait cinquante
ans qu'il était prêtre et trente-six ans qu'il était entré
dans l'Ordre de Saint-François.
A l'heure même où il expira, il apparut à une véné-
rable veuve de Malaga, qui lui avait souvent demandé
des conseils pendant sa vie, et que cette vision récom-
pensa ainsi de l'affection qu'elle lui avait toujours té-
moignée.
Ce fut dans toute la ville de Grenade une douleur uni-
verselle. Les rues étaient oléines d'une foule triste ef
LE BIENHEUREUX PÈRE MARTIN RELSUNCE. 319
recueillie, qui se rendait au couvent en répétant : « Le
« saint Père Martin est mort ; allons voirie saint ! » Mar-
tin Carillo, archevêque de Grenade, pleurait à chaudes
larmes comme s'il eût perdu l'un de ses frères. Mais
lorsque, en arrivant auprès du lit de parade où était exposé
le mort, on vit sa belle figure noble et souriante, les
rides de son front effacées, et la sérénité qui se peignait
dans tous ses traits, la tristesse générale fit place à la joie
et à l'espérance. Personne ne douta que l'âme du saint
n'habitât déjà les célestes régions réservées aux élus. On
baisait ses pieds et ses mains, on plaçait sur son corps,
pour les sanctifier par ce contact sacré, des anneaux, des
chapelets, des crucifix; on emportait comme de pré-
cieuses reliques des lambeaux de ses vêtements.
En même temps des miracles s'accomplissaient autour
du corps; Madame Agnès de Vivar, aveugle depuis deux
ans, recouvra la vue en baisant les pieds du bienheu-
reux ; un morceau de sa robe guérit d'un grand mal de
gorge Madame Béatrix de Barahona ; un autre rendit à
la santé et à la vie Léonora Malguizo, dont les méde-
cins désespéraient et qui allait recevoir les derniers
sacrements.
La cérémonie des funérailles eut lieu quelques jours
après la mort, et l'éclat en fut relevé par de nouveaux
prodiges.
{Chron. de la prov. de Saint- Jean-Bapt.)
5'20 XXX JUIN.
CLAIRE DE GATANE
VEUVE, DU TIERS ORDRE
1617. — Pape : Paul V. — Roi de France : Louis XIII.
SOMMAIRE : Pieuse jeunesse de Claire de Catane. — Sa mère lui fait épouser un
jeune homme dissipé et mondain. — Devenue veuve, elle quitte sa famille pour
se consacrer à Dieu. — Elle se retire d'abord à Alicata, puis à Palerme. — Ses
vertus. — Ses austérités. — Faveurs qu'elle reçoit du Seigneur. — Sa mort.
Cette bienheureuse veuve naquit à Catane, en Sicile,
de parents nobles. Dès sa jeunesse, elle donna les plus
belles espérances ; elle montra une piété ardente, et en
particulier une grande dévotion au Très-Saint-Sacrement
de l'autel. Elle passait une partie du jour et de la nuit
en prières, et se préparait par d'austères disciplines à la
vie religieuse qu'elle voulait embrasser un jour.
Mais comme elle était fille unique et que ses deux
frères faisaient partie de l'Ordre de Malte, sa mère s'op-
posa à ses projets et la maria à un noble seigneur de
Léontino, mais dont les vertus étaient loin d'égaler la
noblesse. Obligée de se lancer au milieu du tourbillon
des plaisirs et des fêtes, elle garda la pureté première do
son âme et le calme que donne une bonne conscience.
Elle en retira de plus un grand bien , le dégoût du
monde et le mépris de ses vanités.
Restée veuve avec une enfant de six mois, elle eut le
triste courage de l'abandonner, pour aller se consacrer
à Dieu dans une maison religieuse. Il est vrai qu'elle
laissait à la pauvre orpheline une fortune immense, et
CLAIRE DE CATANE, VEUVE. 521
qu'elle la recommandait à ses parents par une lettre
fort touchante.
C'est à Alicata que se rendit d'abord la jeune veuve.
Elle y passa neuf années en compagnie de pieuses
femmes et y mena une "vie exemplaire. Tout son temps
était consacré à des exercices de piété ou à des œuvres
de charité. Restée seule après la mort de ses compagnes,
avec une sainte fille du Tiers Ordre, elle se rendit à Pa-
ïenne pour éviter les respects que ses vertus bien con-
nues lui attiraient à Alicata, et pour vivre dans la retraite
et la solitude.
Elles habitaient une petite chaumière située en dehors
delà ville; afin d'accomplir plus facilement leurs devoirs
de piété, elles vinrent demeurer sous les murs du cou-
vent de Sainte-Marie-de-Jésus, situé à une lieue de Pa-
ïenne. Une noble dame de la ville, nommée Innocentia
Lazzara, prenait soin deleur faire parvenir tous les jours
ce qui leur était nécessaire.
C'est dans cette humble retraite que la bienheureuse
Claire passa toute la seconde partie de sa vie. Là, pour
expier les quelques mois qu'elle avait, malgré elle, gas-
pillés au milieu du monde, elle couchait sur la terre
nue, portait un cilice garni de pointes, marchait nu-
pieds, vivait de pain et d'eau, jeûnait, veillait, se frappait
de coups de discipline. Sa fille unique ayant eu connais-
sance du lieu de sa retraite, essaya de la faire revenir
auprès d'elle et lui promit d'ailleurs de la laisser vivre
à sa fantaisie. Claire s'y refusa, et par un effort suprême,
triomphant des dernières faiblesses de la nature de mère,
elle demeura dans sa solitude.
Elle fut récompensée de cette extrême piété pur des
522 XXX JUIN.
faveurs spéciales. Dieu permit que les saints et les Anges
vinssent la visiter souvent ; il lui accorda aussi le don de
seconde vue et le pouvoir d'accomplir des miracles.
Enfin il lui fit connaître à l'avance le jour de sa mort.
Un jour qu'elle se rendait chez sa bienfaitrice, Innocentia
Lazzara, elle sentit les forces lui manquer et ne put pro-
noncer que ces mots : oc Voilà ma dernière maladie qui
« commence ; ma sœur, c'est chez vous que je vais
a mourir ».Elle prit le lit, et depuis ce moment jusqu'à
sa mort elle endura d'atroces souffrances. Il lui semblait
qu'un feu intérieur consumait peu à peu ses chairs. Elle
reçut les derniers Sacrements avec beaucoup de piété, et
mourut en répétant la réponse des litanies de la Vierge :
a Ora pro nobis, Marie, Mère de Dieu, priez pour nous ».
(30 juin 1617.)
Elle fut ensevelie dans le caveau réservé aux sœurs
du Tiers Ordre. Des miracles s'accomplirent par son in-
tercession.
(Citron, de la prov. de Sicile.)
SUPPLÉMENT
DOUZIEME JOUR DE JUIN
LA VÉNÉRABLE FLORIDA GEVOLI
DE L'ORDRE DES CAPUCINES
1767. — Pape : Clément XIII. — Roi de France : Louis XV.
SOMMAIRE : Origine et enfance de la vénérable Florida. — Ses heureu es
qualité?. — Sa beauté physique. — Un instant de faiblesse. — Elle entre dans un
couvent de Capucines. — Son noviciat. — Ses vertus. — Elle est nommée
abbesse. — Austérité. — Humilité. — Charité et, dévotion de Florida. — Sa patience
dans les maladies. — Elle reçoit les dons de seconde vue, de prophétie et de
guérison. — Sa dernière maladie et sa mort. — Enquête sur sa vie et ses mira-
cles.
Florida était la fille du comte Curtius Cevoîi de Pise et
de la comtesse Laure deî!a Scta ; elle naquit à Pise
le 11 novembre 1685, et reçut au baptême les noms de
Lucrèce-Hélène.
Elle montra dès sa plus tendre enfance d'heureuses
dispositions j à deux ans, sa piété touchante tirait les
larmes des yeux des personnes qui la voyaient prier. Ses
petites mains jointes, elle marmottait de sa voix douce
les noms de Jésus et de Marie ; elle se plaisait déjà à
couronner de fleurs l'image de la Mère de Dieu. A quatre
ans, elle entendit un jour prêcher un missionnaire ef
524 SUPPLÉMENT. — XII JUIN.
voulut comme lui être habillée de noir. Il semble qu'elle
eût déjà compris que ceux qui portaient ainsi ces
sombres vêtements servaient mieux leur Créateur que
les autres hommes.
En avançant en âge, Lucrèce ne lit que développer les
heureux germes que la nature avait mis en elle. Elle
était un ^modèle de douceur et de bonté envers les
domestiques de la maison , de chanté chrétienne à
l'égard des pauvres et des malheureux. On l'appelait
l'Ange de Pise, et jamais nom ne fut mieux mérité ;
candide , naïve et compatissante, elle paraissait être
quelque habitant du ciel descendu sur la terre. Sa
figure prêtait encore à l'illusion : des traits réguliers et
fins, un teint mat et presque éblouissant de blancheur,
des yeux bleus, des cheveux blonds ; on ne pouvait
la voir sans l'aimer.
Cette beauté merveilleuse faillit la perdre. A force
d'entendre dire de tous côtés qu'elle était belle, elle eut
la curiosité de vouloir s'en rendre compte par elle-
même ; un jour, pour la première fois, elle se regardadans
un miroir, et aussitôt elle fut de l'avis de tout le monde
et trouva qu'en effet personne ne lui pouvait être com-
paré. Du coup, elle était devenue coquette et vaniteuse:
c'en était fait d'elle, si Dieu n'avait veillé sur son âme
qu'il voulait conserver pure de toute souillure. Comme
elle s'admirait elle-même dans son miroir, elle y aperçut
tout à coup à côté de sa figure souriante le visage affligé
de la Vierge Marie ; en même temps une voix se fit
entendre, qui disait : « Eh quoi, ma fille, cèdes-tu déjà
a aux conseils de l'esprit du mal ? Ce n'est pas de la
9 beauté du corps qu'une servante du Seigneur doits'oc-
LA VÉNÉRABLE FLORIDA CEVOLI. 5ÎjS
« cuper, c'est delà beauté de l'âme. Songes-y bien, c'est
« de celle-là seule que l'on tient compte dans le ciel » .
Ces paroles doucement sévères rappelèrent la jeune
fille à ses devoirs ; elle rejeta loin d'elle le miroir
funeste, et se promit à elle-même de ne plus songer qu'à
embellir son âme. Elle tint parole ; à partir de ce
moment sa piété redoubla ; peu à peu elle se sentit invin-
ciblement attirée vers Dieu, et le vague désir qu'elle
avait conçu dans son enfance de se consacrer à lui,
s'affirma chaque jour et finit par devenir une résolution
fortement arrêtée. L'Ordre religieux qui l'attirait le
plus était l'Ordre le plus sévère, celui des Capucins.
Deux de ses sœurs avaient déjà pris le voile ; aussi,
quand elle communiqua son projeta ses parents, ceux-ci,
qui auraient désiré la garder auprès d'eux, s'en mon-
trèrent vivement affligés. Cependant, par une douce
obstination, elle parvint à triompher de leur opposition,
et comme, bien qu'encore très-jeune, elle avait une
raison droite et une volonté forte, elle obtint la per-
mission dont elle avait besoin. Grande fut sa joie :
« Adieu, monde», s'écria-t-elle, «adieu vous tous que j'ai
« connus , nous nous retrouverons en Paradis ».
C'est le 8 juin 1703 qu'elle reçut le voile des mains de
Monseigneur Luc-Àntoine-Eustache , évêque de Pise.
Le 40 juin 1704, après un noviciat exemplaire, elle
prononça ses vœux et se trouva pour jamais fiancée au
Fils de Dieu : elle s'appela depuis sœur Florida.
La bienheureuse servante du Seigneur avait vingt ans
à peine, et cependant ses vertus admirables faisaient
déjà l'étonnement des vieilles religieuses. Elle s'as-
treignait aux austérités de la règle avec une telle
a2G SUPPLÉMENT. — XII JUIN.
facilité, qu'on eût dit qu'elle en avait pris l'habitude dès
sa plus tendre jeunesse. Elle était la plus humble entre
les humbles, la plus obéissante entre les obéissantes, la
plus pieuse entre les pieuses. Son visage angélique,
toujours calme et serein, reflétait sa belle âme ; jamais
le plus léger pli n'en venait rider la surface. Elevée au
sein de la richesse, accoutumée à être servie, elle devint
tout d'un coup, sans effort, la servante de ses sœurs ;
elle réclamait pour elle les ouvrages les plus fatigants,
et ses blanches mains se couvrirent de callosités à manier
la bêche dans le jardin et à faire la cuisine.
Quand elle était encore dans sa famille, elle avait,
comme toutes les jeunes filles, aimé les belles parures et
les bijoux ; religieuse, elle ne posséda jamais qu'une
seule robe, si vieille, si usée, si rapiécée, que Lles mor-
ceaux semblaient ne pouvoir tenir ensemble que par un
miracle.
Que dire de sa soumission à ses supérieures et à son
confesseur ? Elle avait fait abstraction de toute volonté
personnelle ; elle ne vivait, pour ainsi dire, que parce
qu'on lui ordonnait de vivre: a Avec l'obéissance »,
disait-elle souvent, « on est capable de tout ».
En 1727, après la mort de la mère Véronique, elle fut
élevée à la dignité d'abbesse,bien qu'elle s'y refusât de
toutes ses forces et qu'elle déclarât tout haut qu'elle
était la dernière à qui cet honneur dût être confié. Ce
lui fut une raison de s'humilier davantage encore, s'il
était possible. Une religieuse lui disait un jour : o Mère
« abbesse,vous mettez tant d'insistances à vous mortifier
« vous-même, qu'il semble que vous n'êtes pas bénie de
« Dieu ». — c Je porte ma croix », répondit-elle ; « qui
LA VÉNÉRABLE FLORIDA CEVOLI. 527
« de nous peut se vanter de la porter sans faiblir ? Mais
« je sais que Dieu ne veut pas la mort du pécheur, et
«j'espère en sa divine assistance ». Et elle ajouta:
« Puissé-je souffrir beaucoup en cette vie ! ce me sera
« une garantie que je serai heureuse dans l'autre ».
Le Seigneur exauça cette prière, qu'elle lui adressait
souvent du plus profond de son cœur. Douleurs physi-
ques et morales, rien ne lui manqua, et elle s'en montra
joyeuse: « Heureux ceux qui souffrent », répétait-elle
souvent, « parce qu'ils seront consolés ». La consolation
dès ce monde, c'était pour elle la sainte communion.
Elle s'approchait de la sainte Table, aussi souvent qu'elle
le pouvait ; il semblait qu'elle fût toujours affamée du
pain des Anges : a Quelle heure est-il », demandait-elle
un jour à une religieuse ? — « Dans deux heures, ma
« mère, nous entendrons la sainte messe ». — a Hélas ! tout
« ce temps encore 1 que c'est long ! Hâtez-vous, mon
« Jésus, je ne peux plus attendre ».
On conçoit facilement que le Seigneur ait voulu récom-
penser tant de vertus et donner à cette vie si belle une
auréole de miracles. L'existence de la glorieuse Florida
fut pourainsi dire une suite non interrompue de prodiges.
Elle reçut les dons de seconde vue, de prophétie et de
guérison.
Une de ses religieuses était souffrante ; elle alla la visi-
ter : « Préparez-vous à la mort, ma sœur », lui dit-elle;
« votre heure est proche ». — « Dieu seul le sait », reprit
la malade. — « Préparez-vous à la mort, ma sœur , de-
« main nous prierons pour vous ». En effet, elle mourut
ce jour même.
La renommée de sa sainteté s'était répandue dans
528 SUPPLÉMENT. — XII JUIN.
l'Italie tout entière. De toutes parts on accourait au cou-
vent, on lui demandait sa puissante intervention ; les
malades surtout, les pauvres, tous ceux qui souffraient
avaient recours à elle. Comme on savait qu'elle était
éclairée de l'Esprit de Dieu, on s'adressait à elle dans les
circonstances difficiles, et son avis faisait loi : « Sœur
a Florida l'a dit », cela voulait dire : « C'est la vérité et la
« raison, il n'y a plus à discuter ». On conservait comme
des reliques les lettres qu'elle écrivait, et on se trouvait
plus honoré d'avoir des relations avec elle, que d'être
l'ami des princes et des grands de la terre.
La bienheureuse servante du Seigneur parvint ainsi à
un âge très-avancé, toujours bénie de Dieu, toujours
honorée des hommes. Sa dernière maladie fut longue et
cruelle ; souvent la douleur lui arrachait des cris ter-
ribles : « Je me meurs, je n'en puis plus I assez, mon
« Jésus, assez, soutenez-moi, ayez pitié de moi. — Sainte
« Marie, ma Mère, priez pour moi ! » Ses souffrances se
calmèrent un peu quand elle eut reçu les saintes huiles
et le saint Viatique ; et elle put mourir doucement, le
matin du 12 juin 4767, entourée de ses sœurs qui priaient
auprès de son lit et versaient des torrents de larmes.
L'une d'elles prétendit avoir vu son âme s'élever au ciel
sous la forme d'une colombe blanche et immaculée.
Un grand concours de peuple se pressa à ses funé-
railles, et des miracles s'accomplirent sur son tombeau.
En 1827, l'archevêque fit faire une enquête sur sa vie
et ses vertus, et il est probable que la cour de Rome
consacrera son glorieux souvenir en la déclarant bien-
heureuse.
(Lechner.)
LE VÉNÉRABLE FRÈRE ANDRÉ DE BURG10*. 529
QUINZIÈME JOUR DE JUIN
FRÈRE ANDRÉ DE BURGIO
CAPUCIN
1772. — Pape : Clément XIV. — Roi de France : Louis XVI.
CHAPITRE PREMIER.
SOMMAIRE : Famille d'André. — Piété de sa mère. — Son éducation. — Son
enfance et sa jeunesse exemplaires. — Il perd successivement tous ses parents et
conçoit le projet de se faire religieux. — Vision qui achève de le décider. — Son
entrée dans l'Ordre des Capucins. — Année de son noviciat. — Il édifie même
les plus vieux religieux. — Il prononce ses vœux. — Prédiction de son gardien à
cette occasion.
Le vénérable André est l'un des quatre enfants de
Dominique Cortino, modeste habitant de Burgio, petite
ville de la Sicile méridionale. Elevé avec ses deux
a
sœurs, Hiéronyme et Euphrosine, dans la maison pater-
nelle, il y reçut les meilleures leçons, et surtout il y vit
les plus beaux exemples de piété et de vertu. Sa mère,
Nymphe Coletti, semblait être l'image vivante de la
femme forte dont parlaient les saints Livres : fidèle à ses
devoirs d'épouse et de chrétienne, attentive à développer
l'âme plutôt que le corps de ses enfants, elle les menait
comme par la main dans les sentiers du Seigneur. Elle
en fut récompensée dès ce monde par les admirables
vertus de celui qu'on allait bientôt nommer frère André.
Les premières années de ce pieux serviteur de Dieu
Pai.m. Séraph. — Tome VI. 34
530 SUPPLÉMENT. — XV JUIN.
annoncèrent ce qu'il serait un jour. Ce qui lui plut
tout d'abord, ce ne furent pas les jeux de ses jeunes
camarades, les courses folles à travers les champs, les
rires, les cris et le bruit; mais la tranquillité et le
silence, les visites aux églises, les longues prières devant
l'image de la sainte Mère et de son divin Fils. Portait-on
le Saint-Sacrement aux malades, vite il courait se mettre
à la suite des fidèles qui accompagnaient le prêtre, et
par tous les temps, pluie ou neige, soleil ou vent, il
accompagnait le cortège jusqu'au chevet du moribond.
On a dit que la piété est la mère de toutes les vertus ;
André en est une preuve vivante. On le citait comme un
modèle aux enfants de son âge, et on avait raison.
Obéissance à ses parents , soumission passive à ses
maîtres, douceur à l'égard du prochain, charité vis-à-vis
des pauvres, ardeur au travail, rien ne lui manquait, et
tous ceux qui le connaissaient disaient de lui que dans la
vie ordinaire il serait un jour un parfait homme de
bien, un saint s'il entrait dans les Ordres. C'est la
seconde partie de cette prévision qui devait un jour se
réaliser.
Ses belles qualités ne firent que se développer avec le
temps : Dieu l'avait marqué de son sceau. A l'instant
critique de la vie, où l'enfant devient un jeune homme,
quand le sang plus ardent commence à bouillonner dans
les veines et que les passions grondent sourdement, il
eut comme tout le monde à subir les attaques de
l'esprit du mal; mais il les soutint avec énergie, il lutta
sans faiblir et sortit vainqueur du combat où tant de
malheureux succombent.
Peut-être les épreuves qu'il eut alors à subir l'y
I
LE VÉNÉRABLE FRÈRE ANPRÉ DE BURGIO. 531
aidèrent-elles un peu. Il vit disparaître l'un après
l'autre tous les membres de sa famille, son père, ses
sœurs, son frère aîné, sa mère enfin, à qui il ferma lui-
même les yeux. La douleur qui envahit alors son àme
tout entière et qui absorba toutes ses pensées ne lui
permit pas de voir le monde s'agitant autour de lui, et
étendit entre lui et les misères du siècle comme un voile
impénétrable. Aussi n'est-ce pas au monde qu'il songea à
demander des consolations, mais à Dieu. Il n'eut pas un
instant l'idée de noyer ses chagrins dans les plaisirs ; il
ne vit que le grand crucifix qui lui tendait les bras, et il
s'y jeta ; il lui raconta ses souffrances, il mit à nu son
pauvre cœur blessé, et il implora sa guérison : elle ne se
fit pas attendre.
Un jour, en effet, qu'il priait avec sa ferveur habituelle,
il fut tout à coup ravi en extase. Il lui sembla que deux
routes s'offraient à lui, l'une, agréable et fleurie, condui-
sait par une pente rapide à un abîme sans fond ; l'autre,
rude et escarpée, montait jusqu'à un plateau élevé où se
tenaient le Sauveur et la Vierge Marie, entourés d'un
éblouissant cortège de Séraphins et lui tendant les bras.
D'un côté la perte certaine, de l'autre le salut assuré ; il
n'y avait pas à hésiter. André prit tout de suite son parti ;
il résolut de renoncer au inonde pour entrer plus avant
dans les voies du Seigneur.
Son oncle, le seul parent qui lui restât sur la terre, ap-
prouva sa décision et lui permit de se consacrer à Dieu.
Quelques jours après, il allait frappera la porte du couvent
des Capucins de Burgio. Le supérieur des bons Pères et le
provincial lui-même connaissaient depuis longtemps les
vertus du pieux jeune homme; mais, si heureux qu'ils fus-
532 SUPPLÉMENT. — XV JUIN.
sent de le voirvenirà eux, ils cherchèrent, ou plutôt ils fei.
gnirent de chercher à le détourner de ses projets. Ils lui
exposèrent la dure vie des Capucins, et à quelle règle sé-
vère il voulait se soumettre, et son visage respira une
joie ineffable; ils lui parlèrent des plaisirs du monde
auxquels il renonçait si brusquement ; il frémit comme
si on lui avait montré l'enfer ouvert sous ses pieds :
o C'est Dieu qui m'appelle, mes Pères », s'écria-t-il, « je
« l'entends ». Quelques jours plus tard, il entrait au cou-
vent de Monte di Trapani, pour y commencer son novi-
ciat (1er avril 1735) ; il était alors âgé de trente ans : on
lui donna le nom de frère André, sous lequel nous le con-
naissons déjà.
A partir de ce jour, une vie nouvelle s'ouvre pour le
pieux serviteur de Dieu, ou plutôt les habitudes de dévo-
tion, de charité et d'obéissance qu'il avait contractées
depuis sa jeunesse se fortifièrent et se réglèrent. Comme
il n'avait point vécu jusque-là de la vie du monde ,
il ne le regretta pas un instant, et il lui fut d'autant plus
facile de se plier à la dure loi du couvent, que lui-même
jusqu'alors s'était imposé presque continuellement des
contraintes et des privations. Aussi, à véritablement par-
ler, ne considéra-t-on guère son noviciat comme une
épreuve ; il était de ce métal pur dont la vue seule témoi-
gne la valeur, et pour lequel la pierre de touche est inu-
tile. Pendant un an, son directeur le proposa comme
modèle aux novices, et, par la suite, un seul point fut
modifié, c'est qu'on le proposa comme modèle aux reli-
gieux.
C'est Je 24 avril 1736 qu'il prononça ses vœux en qua-
lité de frère lai. Ce jour-là fut une véritable fête pour tout
LE VÉNÉRABLE FRÈRE ANDRÉ DE BURGIO. o33
le couvent ; on célébra unemesse solennelle, et le Père gar-
dien, Ambroise de Morreale, prêcha sur ce texte : <x Sois-
« moi fidèle jusqu'à la mort, et je te donnerai la couronne
« de la vie ». Le bon vieillard annonça dans son sermon
la destinée future du nouveau capucin : « Il y a déjà eu
« dans cette province deux religieux qui s'appelaient
« André : ils se sont montrés de pieux serviteurs de Dieu.
« Vous, mon fils, vous serez un saint ».
CHAPITRE II.
SOMMAIRE : Séjour de frère André au couvent de Partanna, puis au couvent de
Burgio. — Comment il règle sa vie. — Sa piété et ses mortifications. — Dieu lui
accorde le don de faire des miracles. — Il obtient d'aller prêcher la foi au
CoDgo. — Départ de la Sicile. — Tempête apaisée. — Miracle à Cadix. —
Séjour à Lisbonne. — Arrivée à Loenda. — Le modèle des missionnaires. —
Conversions et bonnes œuvres. — Retour en Europe.
Quelque temps après avoir prononcé ses vœux, frère
André fut envoyé en qualité de cuisinier au couvent de
Partanna, petite ville située à deux lieues au sud de Tra-
pani, puis au couvent de Burgio, sa patrie. Ses épreuves
commençaient d'une façon cruelle. Comment échapperait
contact du siècle dans un petit bourg dont il connaissait
tous les habitants, et où il lui restait encore un certain nom-
bre de parents plus ou moins rapprochés ? D'autre part,
l'ordre des supérieurs était formel ; il fallait obéir. Le bon
Père n'hésita pas un seul instant; il savait où trouver un
refuge assuré contre toutes les tentations et tous les dan-
gers, et ce qui aurait pu le dévoyer un instant du droil
chemin ne fit que l'affermir dans la voie du salut.
En effet, il arrangea sa vie de telle sorte que pas un
instant du jour ou de la nuit il pût penser à autre chose
534 SUPPLÉMENT. — XV JUIN.
qu'à ses devoirs et à Dieu. L'oisiveté est mauvaise con-
seillère : il ne perdit pas un moment. Le jour, il s'adon-
nait aux plus rudes travaux ; la nuit, il passait de longues
heures à méditer devant le Très-Saint-Sacrement.
Il dormait peu, le corps étendu sur une planche, la
tête appuyée sur un morceau de bois ; en s'éveillant, il se
donnait la discipline. Toujours la tête découverte par
tous les temps, il faisait, sans sandales, de longues routes
sur des chemins pierreux, dans les broussailles et les
épines, et le sang qui coulait de ses pieds déchirés mar-
quait la trace de ses pas. A partir du jour où il prononça
ses vœux, jusqu'à sa mort, il vécut de pain et d'eau ; et il
n'ajouta jamais qu'aux grandes fêtes à cette nourriture
trop frugale un peu de légumes ou quelques fruits.
Les souffrances physiques ne lui firent pas défaut ; il
en était heureux ; il réclamait la douleur comme la terre
desséchée réclame la pluie. Il semble que les maladies
l'aient aidé à prolonger sa vie, tant il les voyait venir
avec joie, tant il les demandait à Dieu comme une insi-
gne faveur.
De si grandes vertus méritaient une récompense dès
cette terre : le Seigneur lui accorda le don des miracles,
et lui permit de l'exercer dès son premier séjour à Bur-
gio. Il y avait alors sur la place de la cathédrale un pau-
vre cordonnier boiteux et contrefait, nommé François
Miceli, la risée de tous les mauvais garnements du lieu :
« Pourquoi ne te tiens-tu pas droit? » lui dit un jour le
bon frère. — « Et comment le pourrais-je ». reprit le mal-
heureux, « je suis ainsi depuis ma naissance ». André le
prit par la main : « Lève-toi et marche », s'écria-t-il, «je
« te l'ordonne au nom de Jésus ». Et le boiteux se leva,
LE VÉNÉRABLE FRÈ^E ANDRÉ DE BURGIO. 535
débarrassé de son infirmité, et il courut au pied de l'au-
tel rendre grâces au Seigneur.
Un enfant se mourait, atteint d'une maladie incurable,
quand, par hasard, frère André passa dans la rue : «Mon
« fils se meurt ! » cria la mère à l'homme de Dieu, a mon
« fils est mort !» — a II vit », reprit André, « et, tenez,
a le voilà qui vient à vous et qui vous tend les bras ». Le
moribond s'était levé, guéri tout à coup, et il parvint à
un âge très-avancé.
Cependant Dieu réservait son serviteur à une destinée
pluspénibleetplusglorieuse;ilallaitluiaccorderrinsigne
faveur d'abandonner, pour prêcher sa loi, sa patrie et ses
amis. De Burgio, André était retourné à Trapani, et il y
avait trouvé deux saints religieux, Joachim et Onuphre,
prêtres enflammés d'un zèle ardent, et qui, en 1745, ré-
solurent de partir en qualité de missionnaires pour An-
gola, dans l'Afrique centrale. Aussitôt un désir immense
de les accompagner et d'aller lui aussi, gagner, s'il était
possible, la palme du martyre, envahit le cœur de frère
André. Une vision qu'il eut à cette époque acheva de l'y
décider : la Vierge Marie lui apparut et lui déclara que
ce qu'il songeait à faire était agréable à Dieu. Et comme
l'évêque du diocèse, Monseigneur Stella de Mazzara, es-
sayait de l'en détourner : « C'est la volonté du Seigneur » ,
lui répondit-il; « je ne puis m'en dispenser ».
Vers la fin de juillet, il obtint enfin de ses supérieurs
l'autorisation qui lui était nécessaire, et presque aussitôt
il se mit en route. 11 se rendit d'abord , avec ses deux
compagnons, au port*de Sciacca, d'où il fit voile pour l'île
de Malte. Là ils trouvèrent un vaisseau qui partait pour
Lisbonne , et sur lequel ils s'embarquèrent , le cœur
536 SUPPLÉMENT. — XV JUIN.
rempli de joie et d'espérance, le Portugal devant être
leur dernière étape avant le Congo. Le voyage, trop long
au gré de leurs désirs, ne fut signalé que par un inci-
dent remarquable. Au moment de franchir le détroit de
Gibraltar, on fut assailli par une si violente tempête, que
les vieux marins eux-mêmes, malgré leur courage et leur
habitude du danger, se prirent à trembler. Frère André
seul ne manifesta aucune émotion : «Rassurez-vous»,
leur dit-il, « la mort est encore loin de vous ». En effet,
quelques instants après, la tempête se calma comme par
enchantement, et l'on arriva sans encombre à Cadix.
La renommée du bon frère l'y avait précédé ; à peine
eut-il mis le pied dans la ville qu'une pieuse multitude
se porta au-devant de lui: « Le voilà», disait-on, «c'est le
«frère André, le saint homme que nous attendions ».
Un prodige signala son passage dans cette ville. Le vice-
roi, depuis deux ou trois ans souffrait d'une paralysie
contre laquelle venaient se briser tous les efforts des mé-
decins ; il demanda au bienheureux d'intercéder pour
lui. «Priez, mon fils, et ayez la foi », répondit André,
« priez, et Dieu vous guérira ». Puis, se mettant lui-même
à genoux au chevet du malade, il supplia celui qui perd
et ressuscite de faire éclater sa puissance. Quelques
instants après, le malade se leva entièrement délivré de
son infirmité, et les assistants, louant Dieu, s'écriaient :
« Miracle, miracle ! »
De Cadix, les trois apôtres se dirigèrent à pied vers
Lisbonne. Ce voyage fut en quelque sorte une marche
triomphale. Des villages et des villes à dix lieues à la
ronde, on accourait pour contempler l'élu du Seigneur,
et l'on s'estimait heureux d'entendre sortir un mot de sa
LE VÉNÉRABLE FRÈRE ANDRÉ DE BURGIO. 537
bouche et de toucher le bout de son manteau. Des per-
sonnages de la cour, la reine Marie-Anne elle-même et sa
fille Tlnfante du Brésil, se portèrent à sa rencontre et le
supplièrent de venir se fixer pour toujours à la cour de
Portugal. Elles en demandèrent même sous main la
permission à Rome. Mais elles avaient compté sans la
fermeté du religieux, que la perspective des honneurs et
d'une vie facile était incapable de détourner de ses
devoirs. Il ne songea même pas un instant à prolonger
son séjour à Lisbonne, et il s'embarqua sur le premier
vaisseau qui faisait voile pour l'Afrique australe. La
traversée fut longue, mais heureuse ; et l'on débarqua
sans encombre à Loanda, capitale du pays d'Angola.
La félicité qu'il rêvait, c'est-à-dire des fatigues et des
souffrances, y attendait le bon religieux. Il lui fallut
remplir à la fois l'office de sacristain, l'office de cuisinier,
l'office de tailleur, l'office d'infirmier. Ajoutez à cela
l'élévation de la température en pleine zone torride; n'y
avait-il pas de quoi effrayer tout autre qu'André ? Pour
lui, toujours souriant, il, vaquait activement à ses diverses
besognes, s'occupant de tout , excepté de lui-même,
aimé de ses frères qui l'admiraient sans pouvoir l'imiter,
adoré des habitants de la ville pour qui il avait montré
d'inépuisables trésors de charité chrétienne.
Pendant la troisième année de son séjour au Congo, il
fit une grave maladie, et l'on craignit quelque temps de
le perdre. Grande fut la tristesse du peuple et des autres
religieux. Les églises étaient remplies d'une multitude
pieuse demandant à Dieu avec des larmes de lui con-
server son cher bienfaiteur. Le Seigneur exauça les vœux
des fidèles, et l'on ne tarda pas à revoir dans les rues de
53S SUPPLEMENT. — XV JUIN.
Loanda le capuchon bien connu du bon frère André.
On comprend qu'ainsi chéri de tous, André put
acquérir une grande influence même sur ceux des
habitants qui n'étaient point catholiques, et par là même
en faire entrer un nombre considérable au giron de
l'Eglise. A son arrivée au Congo, on ne comptait guère
que vingt mille fidèles, on en aurait trouvé plus du
double quand il partit. Il éleva des églises et des écoles,
instruisit les enfants dans les vérités de la religion. Son
âme naïve et candide se mettait facilement à la portée
des intelligences un peu rebelles de ce peuple encore
barbare. Il avait appris quelques mots de la langue du
pays, et doué qu'il était d'une patience angélique, il se
servait merveilleusement de ce peu qu'il connaissait
pour prêcher les indigènes. Sa charité inépuisable lui
faisait surmonter tous les obstacles, et il eut le rare
bonheur d'arracher aux griffes de l'Esprit malin plusieurs
milliers d'idolâtres.
Frère André resta au Congo jusqu'en 1762. Quand le
Père Hyacinthe de Bologne, préfet de la mission, lui
annonça qu'il fallait songer au retour : « Je savais bien »,
dit-il avec tristesse, a que Dieu ne me permettrait pas
« de mourir pour lui, mais que sa volonté soit faite », et
il s'embarqua pour revenir en Europe avec le frère
Rosario de Parco, accompagné des vœux et des regrets
des pauvres, des malades et des malheureux.
LE VÉNÉRABLE FRÈRE ANDRÉ LE BURGIO. 539
CHAPITRE III.
SOMMAIRE : Nouveau séjour de frère André à Lisbonne. — Il est transporté à
Palerme d'une façon miraculeuse. — Dernières années de sa vie. — Miracles. —
Prophéties. — Guérisons. — Extases. — 11 annonce lui-même sa mort prochaine.
— Sa joie pendant sa dernière maladie. — Sa mort. — Douleur de tous les
habitants. — Ses funérailles. — Son épitaphe.
Le vaisseau portugais sur lequel était monté le bon
frère le ramena à Lisbonne. Grande fut la joie des
habitants de la ville et surtout de la reine, en le voyant
arriver: « Grâces à Dieu», lui dit la princesse, «vous voilà
« de retour au milieu de nous, et cette fois vous ne nous
« quitterez plus ». André sourit : a Non, madame », ré-
pondit-il, « ce n'est pas ici que je dois mourir » . En
effet, quelques jours plus tard un ordre de ses supérieurs
le rappela en Sicile. Il partit comme pour une simple
promenade, sans dire à personne où il allait. C'était le
matin, à dix heures. A la même heure il ^frappait à la
porte du couvent de Palerme, et demandait à parler au
gardien: « Qui êtes-vous », lui demanda le Père, «et d'où
« venez-vous ?» — « Je suis le frère André de Burgio et
« je viens de Lisbonne ». — « Avez- vous une lettre d'obé-
« dience?» — «Oui, en voici une du général de l'Ordre». —
«Tout est bien», reprit le gardien, et il ajouta: « A quelle
a heure êtes-vous parti de Lisbonne ?» — « A dix heures » .
— «Quel jour?» — « Aujourd'hui t. — «Aujourd'hui? à
« dix heures ? Que me dites-vous là ? Vous êtes un menteur
«et un impudent; allez vous donner la discipline».
Frère André se disposait àjobéir; mais le gardien, qui
connaissait sa sainteté, retira son ordre et se rendit avec
lui à la chapelle pour rendre grâces à Dieu.
Les années que frère André passa à Palerme ne furent
540 SUPPLÉMENT. — XV JUIN.
qu'une suite non interrompue de miracles. Le Seigneur
paraît s'être complu à entasser sur sa tête toutes les
félicités : don d'extase, don de guérison, don de pro-
phétie, rien ne lui manqua. Le 44 juillet 1766, frère
Modeste de Burgio le vit au milieu du chœur, enveloppé
d'un tourbillon de lumière, les yeux levés au ciel, le
visage respirant une joie indicible. La sainte Vierge lui
apparut trois fois dans une chapelle du couvent des
Capucins, et le Sauveur lui-même daigna l'assurer qu'il
était content de lui et que ses œuvres lui étaient
agréables.
Les prophéties, les guérisons du frère André sont
célèbres, toute la Sicile se les redisait ; nous n'en citerons
que quelques-unes. Il annonça au Père Guillaume de
Palerme qu'il serait un jour gardien et définiteur, mais
qu'il quitterait l'Ordre avant de mourir. A la comtesse
de Ritano, qui était grosse, il prédit qu'elle mettrait au
monde un garçon.
Une jeune fille de la maison des Carpentieri, qui se
trouvait au couvent de Sainte-Rosalie, ne pouvait se dé-
cider à prendre le voile ; elle se sentait invinciblement
attirée vers le monde, et en même temps un vague désir
la retenait dans la maison du Seigneur. Dans cet état,
elle eut recours au frère André : a Ma tille », lui dit le
saint homme, « je savais la situation de votre âme, et
voici ce que le Très-Haut m'ordonne de vous répondre :
*< Si vous retournez dans le monde , vous jouirez d'une
x vie agréable et facile, semée de plaisirs, mais qui vous
« mènera à l'éternelle damnation. Si, au contraire, vous
« demeurez dans cet asile de paix, vous parviendrez, à
travers mille souffrances, à l'éternelle félicité ». Elle
LE VÉNÉRABLE FRÈRE ANDRÉ LE BURGIO. 541
resta au couvent, et y mourut saintement, après avoir été
en butte à de cruelles maladies.
Mais ce sont surtout des guérisons miraculeuses qui
ont rendu célèbre le nom du pieux capucin. Pour les
rapporter toutes, il faudrait un volume entier; nous ci-
terons seulement quelques noms : la duchesse de Sper-
linga, arrachée aux étreintes mêmes de la mort ; Anna
Graffo, de Morreale , le fils du duc de Reitano, etc., etc.;
des aveugles, des paralytiques rendus à la santé par une
prière ou par un simple signe de croix du vénérable ser-
viteur de Dieu.
Cependant frère André, ainsi louant Dieu par ses œu-
vres et par ses paroles, s'acheminait doucement vers le
tombeau. Il annonça lui-même sa fin prochaine. Un jour
qu'il était allé faire visite aux religieuses de son Ordre, la
sœur Cajetana Miraglia et quelques autres qui l'avaient
choisi pour directeur, le suppliaient de revenir bientôt :
« Non », leur répondit-il, « c'est la dernière fois que
« vous me voyez ». Et comme elles s'en montraient affli-
gées autant que surprises, il ajouta : «Je me comprends,
« je me comprends ; croyez seulement mes paroles, vous
« ne me verrez plus ». En effet, quelques jours après, il
allait rendre l'âme.
C'est le 11 juin 1772 que sa dernière maladie le saisit
brusquement, et, tout d'un coup, le coucha sur le lit de
douleur qu'il ne devait plus quitter. Le médecin, qu'on
appela sur-le-champ, déclara que tous les secours de l'art
seraient impuissants ; frère André le savait depuis long-
temps, il n'en parut ni étonné ni affligé. Le mal fit des
progrès rapides, et le Père Bernard, gardien du couvent,
lui apporta la sainte communion. Quand il eut reçu le
542 SUPPLEMENT. — XV JUIN.
corps et le sang de son Dieu, il éprouva une joie si vive
qu'il oublia un moment ses souffrances et qu'on put es-
pérer le voir revenir à la vie. Mais il détrompa lui-même
ses frères : « Demain », leur dit-il, a au petit jour, il fau-
« dra me donner les saintes huiles, car l'heure appro-
« chera » . On obéit ; quelques instants après il pressa son
crucifix sur ses lèvres, et rendit l'âme en murmurant :
o Sancta Maria, ora pro nobis ». (15 juin.)
A la nouvelle de sa mort, il y eut dans toute la ville
une immense explosion de douleur. Les boutiques se fer-
mèrent, les habitants prirent le deuil. En même temps
une foule de peuple se porta vers le couvent pour con-
templer une dernière fois la figure vénérable de celui
qui avait fait tant de bien. Il fallut faire garder le corps
par des soldats : l'indiscrète piété des fidèles l'aurait mis
en lambeaux.
Le 16 juin, on procéda à la cérémonie des funérailles.
La noblesse de Païenne tint à honneur d'y assister. Les
pauvres et les malheureux, de leur côté, ne voulurent
quitter qu'à la dernière extrémité les restes de leur
bienfaiteur. Un Père de l'Ordre raconta l'histoire de sa
vie : c'était la meilleure façon de faire son éloge ; car
tant de vertus parlaient assez d'elles-mêmes, sans qu'il
fût besoin de les embellir par des artifices oratoires. En-
fin, le cercueil fut déposé dans la chapelle de la Croix, et
sur le marbre on grava cette inscription :
HIC JACET
FRATER ANDREAS A BDRGIO.
CAPDCCIKUS LAICUS PROFESSUS
QUI OBIIT PAXORÏII
DIE^VI. JUN'II, ANNO DOMINI MDCCLXX1I.
.ET. SC.E LXVI1. — REL1GIOMS XXXVIII.
LE VÉNÉRABLE FRÈRE ANDRÉ DE BURGIO. 5S3
Son portrait, peint par le Père Fidèle de Saint-Biaise,
fut placé dans la sacristie du couvent ; on en fit par la
suite de nombreuses copies. Des miracles s'accomplirent
sur son tombeau.
(Lechner.)
FIN DU TOME SIXIÈME.
TABLE SELON L'ORDRE DES MATIERES
JUIN
I" JOUR.
Pagos.
Le bienheureux Jacqiîes de Strepar, évêque de Léopoldstad, en
Pologne 1
Le bienheureux Pilingotte, du Tiers Ordre 4
Le bienheureux Père Jean Brugman 9
Sœur Jeanne de Durvé , Clarisse 11
Ile JOUR.
La bienheureuse Baptistine Varàni, princesse de Camerino, Clarisse 12
Frère Jean de Saint-Bernard, martyr aux Indes Occidentales 34
Père Gaspard de Saint-Joseph 37
Frère Jean de la Solidad 43
Hle JOUR.
Le bienheureux André de Spello 49
Le bienheureux Père Jean de Zumarraga, premier archevêque de
Mexico 54
Père François de SoU* ; 70
Père François Xjménèf 73
Père Garcias de Cisnero:* 75
Père Antoine de Cuidad-Rodngo 76
Père Jacques Testera 78
Père Jean de Perpignan • 80
Père Alphonse de Rozas 80
Père Jacob de Penna 82
Père François de Las-Naucai 82
Père Jean de Gaona , 83
Père Alphonse de Herrera 84
Père Paul Jovia 8(1
Frère Christophe Crivellus 87
Laurent de Rapariegos, frère iai ■ 89
1V° JOUR.
Père François de Brescia 9,i
Frère Didace de Murcie 94
Palm. Séraph. — Tome VI. 35
548 TABLE
XY« JOUR.
Pages.
Ange de Cingoli, second supérieur des Clarins 327
Le bienheureux Pierre, dit le Père des malheureux 334
Antoine d'Avila 335
Joseph de Sainte-Marie 339
Le vénérable Frère André de Burgio, capucin 529
XVie JOUR.
Martin de Bourgogne et autres, martyrs en France. . . 349
Michel de Pérouse et autres religieux des premiers temps de l'Ordre. . . 352
xvn« jour.
Le bienheureux Léonard Gahcius, du Tiers Ordre. 353
XVllIe JOUR.
Père Sébastien de Saint-Joseph, martyr 358
Père Jean l'Ami, de Louvain, martyr 371
Père Guillaume Servasère, martyr 372
Frère Michel des Anges, ermite, du Tiers Ordre. . . 373
XIXe JOUR.
La bienheureuse Micheline, veuve, du Tiers Ordrp 378
Les premiers martyrs du Brésil 385
La bienheureuse Cécile Porta.ro, vierge, du Tiers Ordre 389
XXe JOUR.
l'ère Alphonse de Betanzos 403
Cécile Joauelli Castella, du Tiers Ordre. 406
XX[e JOUR.
Père Chérubin, de Calatagirone, et Père François, de Tarente, martyrs. 421
Marie-Anne de Saint-Pierre, Clarisse . 424
Léonora Gusman, Clarisse 425
XXII« JOUR.
Père André de Sétubal, mariyr 427
Père Raphaël de Nursie 428
XXIII* JOUR.
Richard de Bourgogne, Pascal de Victoria, François d'Alexandrie et
autres, martyrs eu Médie 429
SELON L'ORDRE DE5 MATIÈRES. 549
XXIV* JOUR.
Pages.
Antoine de Sainte-Anne, martyr 433
Jean de Palma, et Père Biaise Palomin, martyr? 437
Père François Penneman, martyr 438
Jean-Baptiste de Madrigalejo 439
Pierre d Urbin, du Tiers Ordre 444
Agnès de Saint-Dominique, clarine 446
XXV" JOUR.
Jacob de Poggio, Jérémie et autres martyrs en Syrie . . 447
Père Daniel d'Arendunck et ses compagnons, martyrs à Alcmaer 450
Père Jean de Riba*, aux Ind*s Orcidenlalp? 454
Alphonse Suarez 455
Louis de Fuunsalida 456
Jean de Palos et Frère André Cabreras, de Cordoue 458
XXVle JOUR.
Frère Ivon do La Koque 459
XXVII« JOUR.
Le bienheureux Benvenuto de Guhb'o 467
Jacques d'Assise 469
Frère Epiphane 470
Frère Vital et autres 471
Les bienheureux Pères Gasparin et Benoît de Crémone 473
Le bienheureux Père Thoma? 474
Bernardin de Procida 474
Frère Autoine de Riva 475
Pascal de la Plaza 476
XXVUIa JOUR.
Le bienheureux Père Antoine Ferrier 480
Le bienheureux Martin Alonso, du Tiers Ordre 485
XXIX» JOUR.
La bienheureuse Angeline de Spolète, Clarisse 489
Angeline de Foligno, Clarisse 491
Frère Pierre, de Gand 492
Pierre d'Ortona 497
Alizé la Bourgote, de Paris 498
XXX° JOUR.
Le bienheureux Jean de Spire et quelques autres religieux de la pro-
vince de Strasbourg 499
Palm. Séraph. — Tome VI. 35*
5ri0
TABLE SELON L'ORDRE DES MATIERES.
Paces.
Pierre de Chavez 501
La bienheureuse Florosenda, Clarisse 502
Le bienheureux Père Martin Belsunce 504
Claire de Catane, veuve, du Tiers Ordre 520
TABLE SELON L'ORDRE ALPHABÉTIQUE
Papes.
Actaz, de Thorout 11 juia 203
Agnès de Saiat-Dominique 24 — 4(6
Agnès-Msrie d'Amstenraat 8 — 1 55
Alizé la Bourgote, de Paris 29 — 498
Alphonse d'Arguello )0 — 188
Alphonse de Betanzos 20 — 403
Alphonse de Henera 3 84
Alphonse de Rozas 3—80
Alphonse Rubius 13 — 315
Alphonse Suarez 25 — 455
André Cabreras 25 — 458
André de Biimio 15 — 529
André de Sétubal 22 — 427
André de Spe lo 3 — 49
André le Corse 10 — 183
Ange de Cingoli 15 — 327
Ange de Verbosa 7 — 140
Angeline de Foliguo 29 — 491
Angeline de Spolète 29 — 4S9
Antoine d'Avila 15 — 335
Antoine de Cuidad-Rodngo 3 — "6
Antoine de Nursie 11 — 198
Antoine de Padoue 13 — 227
Antoine de Riva 27 — 4" 5
Antoine de Sainte-Anne 24 — 433
Antoine Feirier 23 — 480
Augustin Rodrigue 9 — 173
Aurélie Stbylaert 12 — 215
Baptistine Varani 2 — 12
Benoit de Crémone 27 — 473
Benvenuto, de Gubbio 27 — 467
Bernardin de Piocida 27 — 474
Rlai.-e Palomin 24 — 437
Boniface de Riparolo 10 — 189
532 TABLE
Pages.
Castora 14 juin 325
Cécile Joanelli CastHla 20 — 406
Cécile Portaro 19 — 389
Chérubin, de Calatagirone 21 — 421
Christophe Crivellns 3 — 87
Claire de Catane 30 — 520
Claire de Foligno et autres 13 — 298
Constance de Castro 14 — 326
Cornélie Boymers 12 — 223
Gorcélie Herlewans 12 — 224
D
Daniel d'Arendonck et ses compagnons 25 — 4*0
Daniel de Niinbro 6 — 127
Delphine de Rarcelonn? 6 — 130
Didice de Murcie 4 - 94
E
Edwige Griffina 11 - 20^
Egidius de Capociis 11 — 199
Egidius Dobbelaer 10 — 193
Elisabeth de Sr-hoonheek 12 — 226
Epiphane 27 — 470
Etienne de Narbonne 7 — 150
F
Firmine Césia 7 — 146
Florida Cevoli 12 — 523
Florosenda 30 — 502
François d'Alexandrie et antres 23 — 429
Frauçois de Breseia 4 — 93
François de Las-Nauca? 3 — 82
François de Soto 3 — 70
François, de Tarente 21 — 421
François d'Ordonnez 4 — 95
François Lopez 9 — 173
François Penneman 24 — 438
Fiai.çois Ximénès 3 — 73
G
Gardas de Cisneros 3 — 75
Gaspard de Saint-Joseph 2 — 37
SELON LORDBE ALPHABÉTIQUE. 553
Pages.
Gaspard de Valverde 10 juin 188
Gasparin 27 — 473
Georges d'Alba nie 13 — 209
Gérardin H — 201
Guillaume de C.alatagirone 9 ~ m
Guillaume de Vitte 10 ~ 193
Guillaume Servasère 18 — 312
Guy, de Cortone '• 12 — 206
Isabelle-Marie de la Passion S — 113
Ivon de La Roque 26 — 459
Jacob de Penna. 3 — 82
Jacob de Poggio 25 — 447
Jacques d'Assise 27 — 469
Jacques de Cortono 12 — 211
Jacques de Lo îi . . 7 — 138
Jacques de Strepar 1 — 1
Jacques Testera 3 — 18
Jean, de Portugal 14 - 323
Jean-Baptiste de Madrigalejo 24 — 439
Jean Brugman 1 — 9
Jean d'Avellino 11 — 196
Jean de Gaonà 3 — 83
Jean de la Solidad 2 — 43
Jean de Palma 25 — 437
Jean de Palos 25 — 458
Jean de Perpignan 3 — 80
Jean de Ribas 25 — 454
Jean de Saint-Bernard 2 — 34
Jean de Sainte-Marie : '. 9 — 173
Jean de Spire et quelques autres religieux 30 — 499
Jean de Todi 11 — 194
Jean de Zurnarra^a 3 — 54
Jean Gray 5 — 104
Jean l'Ami, de Louvain 18 — 371
Jeanne de Durvé 1 — 11
Jean Seren 8 — 151
Jean Tozalius 7 — 145
.lérémie et autres 25 — 447
Jérôme de Portugal 10 — 191
Joseph de, Sainle-Maru 15 — 339
Julien 13 — 319
554 TABLE
L
Pages.
Laurent de Rapariegos 3 juin 89
Léonard Galicius ]^ — 353
Léonora Gusman 21 — 425
Les premiers martyrs du Brésil 19 — 385
Louis de Fuensalida 25 — 456
Louis de Mantoue 7 — 143
Louis Gomez 6 — 131
Lucas de Cuencâ 10 — 186
M
Marguerite d'Odelfangen 12 — 225
Marguerite de Foligno 13 — 294
Marie-Anne de Saint-Pierre 21 — 424
Marie Mynsheeren 12 — 225
Martin Alonso 28 — 485
Martin Belsuuce 30 — 504
Martin de Bourgogne et autres 16 — 349
Martin de Sainie-Marie .. 13 — 301
Matthieu de INarni 12 — 212
Miche! Boras 4 — 95
Michel de Pérouse et autres 16 — 352
Michel des Ange= 18 — 373
Michel Dovin." 6 — 134
Micheline 19 — 378
O
Olivier Maillai i 3 — 293
Onuphre de Sienne 12 — 213
Pacifique de Ceràno 5 — !)6
Pacifique Guiso 13 — 305
Pascal de la Plaza 27 — 476
Pascal de Victoria . 23 — 429
Paul Jovia 3 — 86
Fax de Rieti 7 — 139
Pierre Césius il — 200
Pierre d'Aragon 5 — 106
Pierre de Chavez 30 — 501
Pierre de Composte!^ 5 — 110
Pierre, de Gand 29 - 492
Pierre de la Mère de Dieu 8 — 171
SELON LORDRK ALPHABÉTIQUE. 533
Pa^es.
Pierre de Portugal 14 juin 324
Pierre de Rieti . . 12 — 214
Pierre de Sienne 13 — 321
Pierre, dit le Père des malheureux 15 — 334
Pierre d'Ortona 29 — 497
Pierre d'Urbin 24 — 44 i
Pilingotte 1 — 4
Plusieurs frères iniueuis 6 — 133
R
Raphaël de Nursie 22 — 428
Réginald d'Orsaia 5 — 1 09
Religieux de la province de Milan .*; — 98
Richard de Rourgogne 23 — 429
Sébastien de Saint-Joseph 18, — 358
Simon de Torciano ï 1 — 199
Thomas 27 — 474
Thomas de Gubbio 11 — 200
Valentin de Narni 6 — 129
Vincent de Nicosie 9 — 179
Vital et autres 27 — 471
FIN DES TABLES.
Bar-le-Duc — Typ. L. Cuerin.
fBX 3606 .P34 1872 v.6
Le palmier seraphique
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