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Full text of "Le palmier séraphique : ou, Vie des saints et des hommes et femmes illustres des ordres de Saint François"

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JOHN  M.  KELLY  LIBDARY 


Donated  by 
The  Redemptorists  of 
the  Toronto  Province 

from  the  Library  Collection  of 
Holy  Redeemer  Collège,  Windsor 


University  of 
St.  Michael's  Collège,  Toronto 


HOLY  REMEÎfeR^IBRARY,  WINDSOR 
% 


[£  f  U8Rary  1  g] 


^      ^ 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2011  with  funding  from 

University  of  Toronto 


http://www.archive.org/details/lepalmiersraph06gu 


LE  PALMIER  SÉRAPHIQUE 


TOME  SIXIÈME 


Tous  droits  réservés 


LE  PALMIER  SÉRAPHIQUE 


ou 


•  A3 


VIE  DES  SAINTS 

ET  DES  HOMMES,  ET' F£MM£?.ILLUSTRES 

DES    ORDRES    DE   SAINT    FRANÇOIS 

!»OUS    LA    DIRECTION    X>E    >jgr     PAUL     GUÉRIN 

CONTINUATEUR    DE    LA    VIE    DES    SAINTS    DU    P.    GIRY    (PETITS    BOLLANDTSTES) 


TOME  SIXIÈME 


MOIS   DE   JUIN 


BAR-LE-DUG 

LOUIS     GUÉRIN,    IMPRIMEUR-ÉDITEUR 


1872 


X 


% 


HOLY  REDEEMEflf^RARY,  WINDSOR 


SVotf^  à 


LE  PALMIER  SÉRAPHIQUE 

PREMIER    JOUR    DE    JUIN 

LE  BIENHEUREUX  JACQUES  DE  STREPAR 

ÉVÊQUE  DE  LÉOPOLDSTAD,  EN  POLOGNE 

1411.  —  Roi  de  France  :  Charles  VI.  —  Pape  :  Jean  XXIII. 


SOMMAIRE  :  Jeunesse  du  bienheureux  Jacques.  —  Ses  missions.  —  Il  est  nommé 
évêque  de  Léopoldstad.  —  Son  administration  et  son  zèle  pour  le  bien  des  âmes. 
—  Il  devient  conseiller  du  roi.  —  Sa  mort.  —  Sa  béatification. 


L'Ordre  Séraphique  célèbre,  au  premier  jour  de  juin, 
la  fête  du  bienheureux  Jacques,  évêque  et  confesseur,  du 
premier  Ordre.  Il  naquit  vers  le  milieu  du  quatorzième 
siècle,  dans  la  Grande-Pologne,  d'une  famille  noble  et 
riche.  Ses  parents  prirent  soin  de  lui  donner  une  éduca- 
tion chrétienne  qui  porta  des  fruits  dès  sa  jeunesse. 
Entouré  des  vanités  de  la  terre,  pouvant  se  procurer 
tous  les  plaisirs  et  toutes  les  voluptés  dont  la  plupart 
des  hommes  sont  si  avides ,  il  ne  jeta  un  regard 
sur  le  monde  que  pour  le  mépriser;  et,  renonçant  à 
tous  les  avantages  que  lui  procurait  sa  naissance,  il  ré- 
solut de  se  consacrer  à  Dieu  dans  l'Ordre  des  Frères 
Mineurs. 

Au  couvent,  il  ne  tarda  pas  à  donner  à  ses  frères 

Palm.  Séraph.  —  Tome  VI.  1 


2  Ier  JUIN. 

l'exemple  de  toutes  les  vertus.  Sa  sainteté,  dit  le  chroni- 
queur, était  comme  un  autre  soleil  qui  éclairait  et  guidait 
dans  la  voie  du  salut  les  religieux  comme  les  gens  du 
monde.  C'est  que  sa  foi  si  vive  était  de  celles  qui  se 
communiquent  :  aussi  ne  tarda-t-il  pas  à  solliciter  de 
ses  supérieurs  la  grâce  d'être  employé  à  l'œuvre  des 
missions. 

Il  fut  désigné  pour  la  Russie,  qui  était  encore  presque 
toute  païenne,  et  fut  inscrit  au  nombre  des  Frères  Voya- 
geurs, lesquels  faisaient  vœu  de  soutenir  et  de  propager 
jusqu'à  la  mort  la  foi  catholique.  Il  prêcha  la  vérité  avec 
une  ardeur  invincible,  de  sorte  qu'il  eut  le  bonheur  de 
faire  de  nombreuses  conversions  et  d'établir  la  religion 
de  Jésus-Christ  dans  plus  d'une  province.  Ses  supérieurs 
crurent  ne  pouvoir  mieux  faire  que  de  le  nommer  tout 
d'abord  vicaire  général  pour  toute  la  mission  ;  et,  quelque 
temps  après,  l'évêque  de  Léopoldstad,  Bernard,  étant  venu 
à  mourir,  le  pape  Boniface  IX,  à  la  prière  de  Vladislas 
Jazello,  roi  de  Pologne,  le  désigna  pour  son  successeur  à 
ce  siège  épiscopal. 

Le  bienheureux  Jacques  se  décida  difficilement  à  quit- 
ter ses  chères  missions  ;  mais,  averti  par  la  voix  intérieure 
de  l'Esprit-Saint  et  par  les  ordres  de  ses  supérieurs,  il 
accepta  la  haute  et  redoutable  dignité  qu'on  lui  propo- 
sait. Il  se  montra  aussi  dévoué  aux  intérêts  spirituels  de 
ses  compatriotes  qu'il  l'avait  été  à  la  conversion  des  infi- 
dèles. Plein  de  zèle  et  de  prévoyance  pour  les  besoins  de 
son  diocèse,  rien  ne  lui  coûta  quand  il  s'agit  d'y  intro- 
duire quelque  amélioration  ou  d'y  réformer  quelque 
abus.  Durant  dix-huit  ans  il  surveilla  tout  par  lui-même, 
se  fit  rendre  compte  de  toutes  choses,  s'occupa  de  son 


LE  BIENHEUREUX  JACQUES  DE  STREPAR.  3 

clergé  avec  un  amour  tout  paternel,  gagna  la  confiance 
et  l'affection  de  tous.  Les  églises  et  les  chapelles  se  mul- 
tiplièrent, et  il  n'y  eut  guère  de  hameaux  où  ne  s'élevât  la 
maison  de  Dieu.  La  piété  renaquit  parmi  ces  chrétiens 
polonais,  rebutés  jusque-là  parles  nombreuses  difficultés 
matérielles  qui  s'opposaient  à  l'accomplissement  de  leurs 
devoirs  de  religion. 

Non  content  de  fournir  à  ses  ouailles  les  moyens  abso- 
lument nécessaires  pour  faire  leur  salut,  il  établit  aussi 
plusieurs  dévotions  qui  témoignent  de  son  zèle  pour  les 
attirer  à  la  pratique  de  la  perfection.  La  sainte  Vierge 
surtout  était  l'objet  de  son  amour,  et  il  voulut  la  voir 
honorer  tout  spécialement  par  les  habitants  de  son  dio- 
cèse. Tous  les  jours,  par  son  ordre,  les  cloches  des  églises 
et  des  chapelles  appelaient  les  fidèles  au  pied  des  autels  ; 
on  récitait  des  prières  en  l'honneur  de  Marie,  et  les 
prêtres  exhortaient  les  chrétiens  à  la  servir  avec  fidélité 
et  à  persévérer  avec  constance  dans  son  culte.  Une  indul- 
gence de  quarante  jours  fut  accordée  à  tous  ceux  qui 
viendraient  en  état  de  grâce  adorer  le  saint  Sacrement. 
A  Léopoldstad,  dans  l'église  du  Corps  du  Seigneur,  il 
établit  l'adoration  perpétuelle.  Aussi  la  piété,  la  dévotion 
et  les  bonnes  mœurs  fleurirent-elles  dans  toutes  les  par- 
ties du  diocèse:  on  fréquenta  les  églises,  les  couvents 
se  peuplèrent  de  religieux,  les  pécheurs  se  converti- 
rent ;  en  un  mot,  toute  une  génération  grandit  pour 
le  ciel. 

Les  misères  aussi  disparaissaient  peu  à  peu,  par  une 
conséquence  naturelle  de  cet  état  de  choses  :  moins  de 
vices,  moins  de  malheureux;  plus  de  piété,  plus  de  cha- 
rité. Les  pauvres  furent  recueillis,  soignés,   habillés, 


4  Ier  JUIN. 

nourris  ;  des  hospices  s'élevèrent  pour  recevoir  les  ma- 
lades indigents,  et  le  pieux  Jacques  lui-même  ne  dédai- 
gnait pas  d'aller  les  visiter  dans  leur  humble  logis  et  de 
s'asseoir  à  leur  chevet. 

Enfin  le  vénérable  évêque  avait  été  appelé  à  la  cour, 
en  qualité  de  conseiller  du  roi,  et  la  reconnaissance  des 
Polonais  lui  avait  décerné  les  titres  de  Protecteur  de  la 
patrie  et  de  Gardien  du  royaume,  quand  il  mourut  à 
Léopolstad,  en  1411,  épuisé  par  l'âge  et  par  les  travaux. 
On  l'ensevelit,  revêtu  de  ses  habits  de  moine  et  de  ses 
ornements  sacerdotaux,  dans  l'église  de  la  Sainte-Croix. 
La  renommée  de  sa  sainteté  attira  à  son  tombeau  des  pè- 
lerins de  toute  la  Pologne,  de  la  Russie  même  et  de  con- 
trées plus  éloignées  encore. 

En  4790,  par  une  bulle  du  H  octobre,  le  pape  Pie  VI 
le  mit  au  nombre  des  bienheureux. 

(Rome.  —  Bulletin  de  l'Ordre  Séraphique.) 


LE  BIENHEUREUX  PILINGOTTE 

DU  TIERS  ORDRE 

1304.  —  Roi  de  France  :  Philippe  IV.  — -  Pape  :  Saint  Benoît  XI. 

SOMMAIRE  :  Dispositions  précoces  du  bienheureux  Pilingotte  à  la  piété.  —  il  entre 
dans  le  Tiers  Ordre  de  Saint-François.  —  Sa  vie  dans  la  retraite  et  ses  mortifica- 
tions. —  Son  humilité.  —  Dieu  l'exalte  aux  yeux  du  monde  par  des  miracles.  — 
Sa  mort  et  vénération  du  peuple  pour  ses  restes. 

Le  bienheureux  Pilingotte  naquit  en  4240,  à  Urbin,  en 
Italie,  de  parents  riches  et  honorables.  Son  père,  gros 
marchand  qui  avait  fait  sa  fortune  dans  le  commerce 


LE  BIENHEUREUX  PILINGOTTE.  0 

des  étoffes,  songeait  à  lui  laisser  sa  maison  et  sa  clientèle, 
et,  pour  lui  apprendre  le  négoce,  le  mit  à  son  comptoir 
dès  l'âge  de  douze  ans  :  l'enfant  parut  n'y  rien  entendre, 
il  n'avait  pas  hérité  des  qualités  paternelles.  Au  lieu  de 
faire  l'éloge  de  ses  étoffes  de  laine  et  de  soie,  de  ses  draps 
et  de  ses  velours,  il  conjurait  les  acheteurs  de  bien  prati- 
quer les  commandements  de  Dieu  et  ceux  de  l'Église, 
d'assister  aux  offices  sacrés,  de  s'approcher  souvent  du 
tribunal  de  la  pénitence  et  de  la  sainte  table.  Il  eût  donné 
tout  ce  qu'il  y  avait  de  plus  précieux  chez  lui  pour  obte- 
nir la  conversion  des  pécheurs.  Son  père  eut  le  bon  sens 
de  comprendre  qu'il  était  né  pour  tout  autre  chose  que 
pour  devenir  un  commerçant,  il  l'abandonna  à  lui-même 
et  à  ses  inspirations.  Libre  de  toute  préoccupation  mon- 
daine, le  jeune  homme  ne  songea  plus  qu'à  son  âme  et  à 
Dieu.  11  évita  les  sociétés  frivoles,  et,  persuadé  que  la  mé- 
ditation dans  la  solitude  est  l'un  des  plus  puissants 
moyens  d'arriver  à  la  vertu  et  à  la  perfection,  il  s'imposa 
à  lui-même  la  loi  du  silence,  vécut  dans  la  retraite  et 
consacra  la  plus  grande  partie  de  ses  jours  et  de  ses  nuits 
à  la  prière  et  à  la  contemplation.  Il  visitait  les  églises  et 
passait  de  longues  heures  au  pied  des  autels,  devant  Jésus 
crucifié  ou  des  statues  de  Marie.  Une  fois,  il  resta  de- 
puis midi  jusqu'au  soir  dans  une  si  profonde  extase,  que 
ses  parents  mêmes  ne  purent  le  rappeler  à  la  vie  exté- 
rieure. 

Quand  il  atteignit  l'âge  d'homme,  il  n'eut  qu'un  désir, 
revêtir  l'humble  robe  de  tertiaire,  dans  l'Ordre  de  Saint- 
François.  Ses  parents,  bien  pénétrés  de  la  force  de  sa  vo- 
cation, y  accédèrent  sans  peine  et  lui  facilitèrent  même 
les  moyens  de  faire  des  aumônes.  Il  fit  d'ailleurs  de  sa 


6  1er   JCIN. 

vie  l'emploi  qui  lui  convint,  à  la  seule  condition  qu'il  ne 
quitterait  la  maison  paternelle  ni  pour  un  ermitage,  ni 
pour  un  couvent.  Sa  petite  chambre,  où  ne  pénétrait 
aucun  bruit  du  dehors,  où  le  jour  arrivait  à  peine  par 
une  fenêtre  étroite,  avait  l'aspect  d'une  cellule  de  moine. 
C'est  là  qu'il  se  livrait  à  ses  pratiques  pieuses  ou  austères, 
et  qu'il  s'efforçait  d'imiter  la  vie  des  saints  dont  il  avait 
lu  ou  entendu  raconter  l'histoire.  Ses  vêtements  étaient 
faits  de  lambeaux  d'étoffes  mal  cousus,  les  mêmes  pour 
l'été  et  pour  l'hiver,  pour  la  chaleur  et  pour  le  froid.  Il 
couchait  sur  une  planche  nue  et  prenait  à  peine  quel- 
ques heures  de  repos.  Toutes  les  nuits  il  se  donnait  la 
discipline  jusqu'au  sang,  et  priait  ou  méditait  longue- 
ment sur  la  vie  et  les  souffrances  de  Jésus.  Il  s'était  fait 
une  loi  de  n'adresser  jamais  la  parole  à  personne,  et 
même  de  ne  jamais  répondre  à  ceux  qui  l'interpel- 
laient, les  pauvres  seuls  et  les  malades  exceptés,  à 
qui  il  prodiguait  des  trésors  d'éloquence  tendre  et  inépui- 
sable. 

Le  comte  de  Montefeltro,  seigneur  d'Urbin,  qui  con- 
naissait la  sainteté  du  bienheureux,  désirait  ardemment 
avoir  avec  lui  un  entretien  de  quelques  instants.  Un  jour, 
à  la  sortie  de  la  messe,  il  le  prit  par  la  main  et  lui 
reprocha  doucement  de  n'être  jamais  venu  le  voir,  pour 
lui  donner  des  conseils  et  le  diriger  dans  la  voie  du  salut. 
Le  saint  homme,  sans  répondre  un  mot,  rentra  dans  l'é- 
glise avec  le  comte  et  alla  s'agenouiller  au  pied  de  l'autel, 
devant  le  saint  sacrement  de  l'Eucharistie,  comme  pour 
montrer  au  comte  que  c'est  là  qu'il  trouverait  les 
meilleurs  conseils  et  le  plus  de  secours  dans  la  route  dif- 
ficile du  ciel. 


LE  BIENHEUREUX  PILINGOTTE.  7 

L'humilité  du  bienheureux  Pilingotte  était,  selon  le 
mot  de  son  biographe,  le  plus  beau  fleuron  de  sa  cou- 
ronne de  perfection.  Quand  il  s'aperçut  que  les  fidèles 
commençaient  à  lui  témoigner  de  la  vénération,  il  feignit 
la  folie  pour  attirer  sur  lui  le  ridicule  et  le  mépris;  puis, 
un  vendredi,  il  s'en  fut  sur  la  place  du  marché,  par  un 
froid  excessif,  s'attacha  avec  des  chaînes  de  fer  à  un  pilier 
où  l'on  exposait  d'ordinaire  les  malfaiteurs,  et  y  resta 
sans  mouvement  jusqu'à  ce  que,  les  membres  raidis  par 
le  froid,  presque  mort,  ses  parents  le  rapportassent  à  la 
maison.  Chez  lui,  il  faisait  les  ouvrages  qui  rebutaient 
les  domestiques  ;  et  pendant  une  maladie  dont  sa  mère 
souffrit  plusieurs  semaines,  il  la  soigna  avec  une  patienc*e 
et  une  douceur  angéliques,  et  ne  quitta  son  chevet  ni 
jour  ni  nuit. 

Mais  Dieu  prit  soin  d'exalter  son  humble  serviteur  et 
d'honorer  en  face  du  monde  celui  qui  voulait  être  pour 
le  monde  un  objet  de  mépris  et  de  dégoût.  Il  eut  le  don 
de  prophétie  et  de  miracles.  Quelques-uns  de  ses  parents 
gémissaient  sur  la  conduite  légère  et  frivole  de  son  frère  : 
«  Ne  craignez  rien  »,  répondit-il  en  souriant,  a  il  s'a- 
«  mendera  et  deviendra  par  la  suite  un  grand  serviteur 
«  de  Dieu  »  ;  et  cette  parole  se  vérifia  peu  de  temps  après. 

Il  connaissait  les  secrets  intimes  des  cœurs  et  lisait 
dans  les  consciences  comme  dans  un  livre  ouvert.  Un 
jeune  homme  pieux  avait  au  fond  de  l'âme  quelques 
doutes  qui  le  tourmentaient,  et  dont  il  n'avait  jamais 
parlé  à  personne  :  le  bienheureux  les  devina,  les  com- 
battit, en  triompha,  et  indiqua  au  jeune  homme  étonné 
les  moyens  de  n'y  plus  retomber. 

Aussi  Père  Pilingotte  avait-il  la  réputation  d'un  saint, 


8  1er  JUIN. 

non-seulement  dans  sa  ville  natale,  mais  encore  dans  les 
pays  environnants  et  dans  l'Italie  entière.  Il  semblait  que 
ceux  mêmes  qui  n'avaient  jamais  entendu  parler  de  lui 
pouvaient  lire  sur  son  visage  :  «  Celui-là  est  un  élu  du 
«  Seigneur  ».  On  eût  dit  qu'un  parfum  divin  s'exhalait 
autour  de  lui  et  le  faisait  reconnaître. 

Après  avoir  été  ainsi,  durant  plusieurs  années,  un  objet 
de  vénération  pour  les  populations,  notre  bienheureux, 
fatigué  par  l'âge,  les  austérités  et  les  bonnes  œuvres,  tomba 
tout  à  coup  gravement  malade  et  sentit  que  sa  dernière 
heure  approchait.  Il  n'en  conçut  ni  crainte,  ni  douleur  ; 
depuis  longtemps  il  demandait  à  Dieu  de  le  rappeler  à  lui, 
et  il  avait  toujours  été  prêt  à  paraître  devant  son  sacré  tri- 
bunal. Il  souffrit  avec  calme  et  presque  avec  joie  :  Après 
avoir  fait  à  ses  parents  et  à  ses  amis  ses  adieux  et  ses 
recommandations  suprêmes  :  «  Maintenant  »,  ajouta-t-il, 
«laissez-moi  aller  en  paix  vers  l'éternelle  gloire».  Il 
mourut  le  1er  juin  1304,  à  l'âge  de  soixante-quatre  ans, 
et  fut  enseveli,  comme  il  l'avait  demandé,  dans  l'église 
de  Saint-François. 

Des  miracles  s'accomplirent  sur  son  tombeau.  Une 
femme  de  Castro -Leone  et  un  bourgeois  d'Ancône 
aveugles,  un  enfant  muet  de  naissance,  du  comté  de 
de  Rimini,  des  boiteux,  des  paralytiques,  furent  guéris 
par  son  intercession.  La  vénération  qu'on  y  avait  pour  le 
bienheureux  de  son  vivant  alla  croissant  après  sa  mort, 
et  pendant  longtemps  on  a  célébré  à  Urbin  sa  fête  solen- 
nelle. 

Papebroeck.; 


LE  BIENHEUREUX   PERE  JEAN  BRUGMAN. 


LE  BIENHEUREUX  PERE  JEAN  BRUGMAN 

1473.—  Roi  de  France  :  Louis  XI.  —  Pape  :  Sixte  IV. 


SOMMAIRE  :  Entrée  en  religion  du  Père  Brugman.  —  Il  est  nommé  provincial.  — 
Ses  fondations.  —  Son  zèle  apostolique.  —  Origine  de  son  surnom  de  Brugman. 
—  Ses  prédictions.  —  Dernières  années  de  sa  vie. 


Jean  Brugman  naquit  à  Nimègue,  ou,  selon  d'autres, 
à  Kempen.  En  1424,  il  prit  l'habit  de  frère  mineur  dans 
la  province  de  Cologne,  qui  comprenait  tous  les  couvents 
de  la  Hollande  et  du  Brabant.  Il  passa  d'abord  quelques 
années  au  couvent  de  Saint-Omer,  où  il  obtint  le  grade 
de  lecteur  en  théologie  ;  puis,  à  la  nouvelle  que  la  réforme 
des  Observants  commençait  à  pénétrer  dans  sa  province, 
il  s'empressa  d'y  retourner  pour  se  soumettre  d'abord 
lui-même  à  cette  règle  austère  et  sanctifiante,  et,  s'il  était 
possible,  pour  décider  par  son  exemple  ses  frères  en 
religion  à  la  pratiquer  comme  lui. 

Ses  vertus  et  sa  science  profonde  le  firent  nommer 
provincial.  Ainsi  en  pouvoir  d'une  grande  autorité,  il 
put  plus  facilement  réaliser  ses  projets.  Les  couvents  se 
transformèrent  peu  à  peu  ;  de  nouveaux  s'élevèrent  à 
Berg-op-Zoom,àGœttingue,àEmmerich;  les  Conventuels 
d'Amsterdam  suivirent,  à  partir  de  4462,  la  règle  de  l'ob- 
servance. Une  communauté  de  pieuses  filles  se  réunit  à 
Kempen,  sous  la  direction  d'une  noble  dame,  et  pratiqua 
les  ordonnances  primitives  du  fondateur  du  Tiers  Ordre. 

Le  bienheureux  Père  Jean  fut  pendant  plusieurs  années 
le  confesseur  de  sainte  Lidwine  de  Schiedam,  dont  il  a 
écrit  la  biographie.  Mais  son  ardeur  de  propagande  reli- 


JO  Ier    JUIN. 

gieuse  ne  pouvait  se  contenter  de  la  direction  d'une  seule 
personne.  Rempli  de  cette  foi  ardente  qui  se  commu- 
nique, il  parcourait  la  Hollande  entière,  prêchant  dans  les 
villes  et  dans  les  campagnes,  appelant  les  pécheurs  à  la 
pénitence.  Il  eut  ainsi  le  bonheur  d'arracher  au  démon 
des  âmes  peut-être  perdues  sans  retour.  Son  surnom  de 
Brugman  (le  pontonnier)  lui  vient,  dit-on,  de  ce  qu'il 
réunissait  auprès  des  ponts,  si  nombreux  en  Hollande, 
les  personnes  qui  passaient,  pour  leur  adresser  quelques 
paroles  enflammées. 

On  a  conservé  de  lui  un  certain  nombre  de  prédictions 
plus  ou  moins  importantes,  qui  montrent  jusqu'à  quel 
point  il  était  en  honneur  auprès  de  Dieu.  Dans  beaucoup 
de  villes,  à  Kempen,  à  Harderwyk,  à  Haarlem,  à  Amster- 
dam, il  annonça  l'arrivée  des  Gueux  et  décrivit  jusqu'au 
costume  de  leur  chef,  le  prince  d'Orange. 

Malgré  les  faveurs  dont  Dieu  le  comblait  et  la  vénéra- 
tion que  les  hommes  montraient  pour  lui,  le  bienheu- 
reux Père  Brugman  avait  de  lui-même  une  si  humble 
opinion,  qu'il  se  regardait  comme  le  plus  grand  pécheur 
du  monde.  Parvenu  à  un  âge  très-avancé,  il  resta  pen- 
dant plus  de  dovz'?  ans  sous  le  coup  d'une  cruelle  mala- 
die qui  lui  ôta  presque  entièrement  l'usage  de  ses  facultés 
physiques.  Néanmoins  il  revint  à  Kempen,  dont  il  était 
en  quelque  sorte  l'apôtre,  et  comme  il  n'y  avait  pas  là  de 
couvent  de  Frères  Mineurs,  il  alla  demeurer  dans  la 
maison  des  religieuses  du  Tiers  Ordre.  Ces  bonnes  sœurs 
ont  conservé  pieusement  les  sermons  que  le  bienheu- 
reux Jean  leur  adressait  dans  leur  petite  chapelle.  On 
a  aussi  de  lui  plusieurs  livres  pieux  à  l'usage  des  prédi- 
cateurs, et  qui  ne  manquent  pas  d'une  certaine  valeur. 


SŒUR  JEANNE  DE  DURVÉ.  H 

Peu  d'années  avant  de  mourir,  Jean  se  retira  à  Ni- 
mègue.  C'est  là  qu'il  expira,  le  1er  juin  14-73,  dans  un  âge 
très-avancé.  Il  fut  enseveli  au  pied  du  grand-autel,  et 
peu  d'années  après  on  plaça  sa  tête  dans  une  châsse  pré- 
cieuse, avec  celle  du  Père  Théodoric  Loet,  qui  avait 
été  mis  à  mort  par  les  Gueux.  On  voit  encore  dans 
l'église  paroissiale  de  Kempen  un  tableau  qui  le  repré- 
sente. 

(Ann.  de  la  prov.  de  Cologne.) 


SŒUR  JEANNE  DE  DURVE 

CLARISSE 

xvie  siècle   —  Pape  :  Alexandre  VI.  —  Roi  île  France  :  Louis  XII. 

Quand  le  pape  Sixte  IV  donna  à  Yolande,  duchesse  de 
Savoie,  la  permission  de  fonder  à  Chainbéry  un  couvent 
de  religieuses  soumises  à  la  règle  de  sainte  Colette, 
l'évêque  de  Grenoble,  nommé  commissaire  de  l'œuvre, 
envoya  dans  la  nouvelle  maison  douze  Clarisses.  De  ce 
nombre  fut  Jeanne  de  Durvé,  du  couvent  de  Sourie,  cé- 
lèbre par  ses  vertus  et  la  sainteté  de  sa  vie.  Elle  se  nour- 
rissait de  pain  et  d'eau  et  consacrait  à  la  prière,  aux 
mortifications  et  aux  austérités  la  plus  grande  partie  de 
ses  jours  et  de  ses  nuits.  Elle  est  morte  en  odeur  de 
sainteté  vers  l'an  1500,  et  sa  mémoire  est  inscrite  au 
Martyrologe  de  l'Ordre,  au  premier  jour  de  juin. 


12  II  JUIN. 

Sœur  Marie  Chevalier,  qui  avait  reçu  le  voile  à  Besan- 
çon, des  mains  de  sainte  Colette  elle-même,  fut  aussi  l'une 
des  premières  et  des  plus  saintes  habitantes  du  couvent 
de  Chambéry.  Elle  y  fut  nommée  abbesse  après  la  mort 
de  Jeanne  de  Durvé. 

(ARTHUR  et  WADD1NG.) 


DEUXIEME    JOUR    DE    JUIN 

LA  BIENHEUREUSE  BAPTISTINE  VARANI 

PRINCESSE   DE   CAMERINO,   CLARISSE 

1527.  —  Roi  de  France  :  François  I".  —  Pape  :  Clément  Vil. 


CHAPITRE  PREMIER. 


SOMMAIRE  :  Illustre  origine  de  la  bienheureuse  Baptistine.  —  Sa  jeunesse  pieuse 
et  mondaine  à  la  fois.  —  Première  action  de  la  grâce  sur  son  âme.  —  Remords 
que  lui  cause  le  souvenir  de  ses  frivolités.  —  Son  désir  ardent  de  se  corriger  et 
de  vivre  pour  le  Seigneur.  —  Ses   aspirations  à  la  vie  monacale. 


La  famille  princière  des  Varani,  d'où  sont  sorties  et  à 
laquelle  se  rattachent  tant  de  grandes  maisons  italiennes, 
a  été  longtemps  souveraine  de  Camerino,  une  antique 
ville  d'Italie.  La  piété  fut  longtemps  l'un  des  plus  beaux 
fleurons  de  la  couronne  des  Varani.  Jules-César  Varani, 
général  distingué,  est  plus  célèbre  encore  pour  son  ex- 
trême dévotion  et  pour  ses  fondations  pieuses  que  pour 
sa  bravoure  et  ses  victoires.  C'est  lui  qui  éleva  à  Ca- 


LA  BIENHEUREUSE  BAPTISTINE  VARANI.  13 

merino  une  église  en  l'honneur  de  la  très-sainte  Vierge 
et  un  gros  hospice  qu'il  dota  de  revenus  considérables. 
Il  épousa  Jeanne  Malatesta,  fille  du  prince  de  Rimini, 
dont  les  vertus  égalaient  la  beauté,  et  devint  par  la 
suite  père  de  cinq  enfants,  quatre  garçons  et  une  fille. 

Cette  fille  est  la  bienheureuse  Baptistine ,  qui  na- 
quit en  1458  et  qui  reçut  au  baptême  le  nom  de  Ca- 
mille. Son  enfance  se  passa  doucement  et  pieusement 
au  pied  des  autels  ou  au  milieu  des  livres.  Elle  acquit 
une  connaissance  approfondie  des  saintes  Ecritures  et 
étudia  avec  grand  succès  l'italien  et  le  latin.  Sa  dévo- 
tion à  Jésus  souffrant  au  Calvaire  éclatait  à  chaque 
instant.  Un  vendredi  saint,  à  peine  âgée  de  dix  ans,  elle 
assistait  au  sermon  éloquent  d'un  Père  prêchant  sur  la 
passion  :  «  Seigneur»,  s'écria-t-elle  tout  à  coup,  «  que  ne 
«  me  sacrifiez-vous  à  la  place  de  votre  divin  Fils  1  »  et  en 
même  temps  elle  versait  des  larmes  abondantes.  Tous  les 
jours  elle  récitait  son  chapelet  en  l'honneur  du  Sauveur 
crucifié,  et  des  pleurs  de  sang,  dit  le  chroniqueur,  cou- 
laient de  ses  yeux.  Les  vendredis,  elle  ne  se  nourrissait 
que  de  pain  et  d'eau,  et  se  frappait  tout  le  corps  à  grands 
coups  de  discipline.  La  nuit,  elle  s'éveillait  pour  dire  son 
rosaire  ;  quand  elle  l'oubliait  aujourd'hui,  elle  le  disait 
deux  fois  demain.  Elle  pratiquait  tous  les  jeûnes  prescrits 
par  l'Eglise. 

Dieu,  dès  cette  époque,  trouva  bon  de  soutenir  par  de 
célestes  consolations  la  vertu  croissante  de  Camille.  Quand 
elle  avait  prié  quelque  temps,  elle  sentait  un  immense 
repos  pénétrer  peu  à  peu  son  être,  et  bientôt  l'envahir 
tout  entier.  Par  moment  elle  s'imaginait  vivre  de  la  vie 
des  Anges,  et  planer,  esprit  elle-même,  dans  les  sphères 


14  II  JUIN. 

éternelles,  à  la  suite  des  chœurs  des  Séraphins  et  des 
Trônes.  Peut-être  avait-elle  en  effet  besoin  de  ces  encou- 
ragements et  de  ces  récompenses  :  toute  pieuse  qu'elle 
était  et  toute  pénétrée  de  l'amour  de  Dieu,  elle  avait  laissé 
dans  son  âme  une  place  au  monde  ;  dans  le  jardin  de  son 
cœur,  dit  le  biographe,  l'ivraie  germait  à  côté  du  bon 
grain,  et  les  mauvaises  herbes  menaçaient  d'étouffer  les 
fleurs.  Au  sortir  de  l'église,  elle  s'occupait  de  sa  toilette, 
de  ses  robes,  de  ses  bijoux;  après  avoir  prié  et  pleuré, 
les  yeux  encore  humides  de  larmes  sincères,  elle  dansait, 
chantait,  prenait  sa  part  de  tous  les  plaisirs  dont  elle 
était  entourée  dans  le  palais  de  son  père.  A  mesure  qu'elle 
avançait  en  âge,  cette  contradiction  singulière  entre  sa 
piété  et  son  amour  du  monde  ne  faisait  que  s'accuser 
davantage.  Belle,  gracieuse  et  coquette,  elle  aimait  les 
toilettes  éclatantes,  les  bijoux  et  tout  ce  qui  attire  les 
regards  des  hommes  ;  d'une  intelligence  vive  et  curieuse, 
elle  se  plaisait  à  la  lecture  de  ces  livres  frivoles  et  mal- 
sains, qui  sont  souvent  pour  les  jeunes  cœurs  des  con- 
seillers de  vice  et  de  péché. 

Cependant  Dieu  ne  permit  jamais  qu'elle  faillît.  Si  ce 
beau  lis  fut  courbé  par  le  vent  d'orage,  il  ne  fut  jamais 
souillé,  il  conserva  j  usqu'à  la  On  sa  blancheur  et  sa  pureté 
primitives.  Sur  ces  entrefaites  survint  à  Camerino  le  Père 
François  d'Urbin,  prédicateur  célèbre  de  l'Ordre  des  Frères 
Mineurs.  Les  paroles  de  cet  homme  éloquent,  qu'on  avait 
surnommé  la  trompette  du  Saint-Esprit,  frappèrent  Ca- 
mille comme  des  coups  de  tonnerre.  Elle  fit  un  retour 
sur  elle-même,  et,  découvrant  en  elle  de  profonds  abîmes, 
elle  eut  peur.  Elle  se  représenta  le  souverain  Juge,  dans 
sa  pleine  et  infinie  majesté,  lui  demandant  compte  des 


LA  BIENHEUREUSE  BAPTISTINE  VARANI.  15 

jours  qu'elle  avait  vécu,  et  elle  baissait  les  yeux  en  gar- 
dant le  silence;  car,  dans  la  divine  balance,  le  mal  pesait 
plus  que  le  bien.  De  cette  époque  date  la  conversion  dé- 
finitive de  Camille.  Elle  redoubla  de  piété,  elle  pria  plus 
souvent  et  plus  longtemps,  elle  médita  les  divins  mys- 
tères, et  surtout  Jésus  crucifié.  Chaque  nuit,  elle  arrosait 
son  lit  de  larmes  de  repentir;  elle  vivait  de  pain  et 
d'eau  pendant  des  semaines  entières.  Enfin  elle  écrit  une 
lettre  au  prédicateur  qui  l'avait  si  fort  effrayée,  comme  pour 
lui  demander  ses  conseils  et  ses  prières  en  faveur  d'une 
personne  au  salut  de  qui  elle  s'intéressait  :  «  Ma  fille  »,  lui 
répondit  le  prêtre,  «  faites  tous  vos  efforts  pour  dégager, 
«  votre  corps  et  votre  âme  des  chaînes  qui  commen- 
ce cent  à  vous  enserrer,  et  laissez  bien  loin  de  vous  les 
«  vanités  dont  vous  vous  êtes  jusqu'ici  beaucoup  trop 
«  occupée  ». 

En  se  voyant  ainsi  devinée  par  un  homme  à  qui  elle 
n'avait  jamais  dit  un  mot  sur  l'état  de  son  âme,  la  pauvre 
fille  fut  remplie  de  confusion  et  elle  perdit  deux  fois 
connaissance  en  lisant  la  lettre  du  religieux.  Une  pensée 
la  consola  cependant  :  c'est  que  l'œil  toujours  ouvert  de 
la  Providence  veillait  sur  elle.  Peu  à  peu,  elle  prit  assez 
de  courage  pour  aller  trouver  le  prédicateur  et  pour 
avoir  avec  lui  de  longs  entretiens  sur  les  meilleurs 
moyens  de  faire  son  salut.  Elle  ne  tarda  pas  à  avoir  pour 
lui  la  confiance  et  l'amour  d'une  fille  pour  sa  mère,  et 
cette  affection  alla  toujours  croissant,  à  mesure  que,  sous 
sa  direction  bienveillante,  elle  marchait  plus  avant  dans 
la  voie  de  la  perfection. 

C'est  vers  cette  époque  que  Camille  commença  à  se 
sentir  entraînée,  par  une  force  irrésistible,  vers  la  viere- 


16  II  JUIN. 

ligieuse  et  monacale.  Sa  nature  toujours  mondaine  s'y 
refusait  encore,  et  la  nécessité  où  elle  était  de  quitter 
ses  parents  lui  était  un  autre  empêchement.  Mais  quand 
Dieu  a  jeté  un  regard  de  complaisance  sur  une  de  ses 
créatures,  tous  les  obstacles  s'aplanissent  et  toutes  les 
difficultés  disparaissent.  Le  prédicateur  qui  avait  eu  sur 
l'âme  de  Camille  une  si  puissante  influence  revint  prê- 
cher à  Camerino,  à  l'occasion  de  la  fête  de  la  Congréga- 
tion de  Marie.  Il  parla  sur  l'amour  de  la  très-sainte 
Vierge  pour  son  Dieu,  au  moment  où  elle  reçoit  la  visite 
de  l'Ange,  et  son  sermon  fil  sur  Camille  une  vive  im- 
pression. «  Le  Père  a  prêché  comme  un  séraphin  », 
écrivit-elle,  «  et  il  a  allumé  dans  mon  cœur  un  foyer 
«  d'amour  semblable  à  celui  qui  consumait  la  Mère  de 
«  Dieu  ».  L'office  terminé,  elle  alla  s'agenouiller  au  pied 
de  l'autel,  et  elle  fit  vœu  de  consacrer  au  Seigneur  sa 
virginité. 

Peu  à  peu  elle  se  détacha  des  vanités  qui  avaient  long- 
temps tenu  une  si  grande  place  dans  sa  vie,  et  elle  se 
prépara  à  élever  dans  son  cœur  un  temple  magnifique  à 
son  Dieu.  L'assistance  d'en  haut  ne  lui  fit  pas  défaut.  A 
plusieurs  reprises  le  Sauveur  lui  apparut,  et  elle  s'enten- 
dait appeler  par  lui  fille,  sœur  et  fiancée.  Elle  avait  avec 
lui  de  longs  entretiens,  dont  elle  sortait  forte  et  vaillante 
pour  les  combats  de  la  vie.  «  Mon  Dieu  »,  s'écriait-elle 
dans  l'élan  de  sa  joie  et  de  sa  reconnaissance,  «  moi  qui 
«  suis  tout  péché,  comment  pouvez-vous  m'aimer  ainsi?  » 
Quelquefois  elle  voyait  au-dessus  d'elle  ces  mots  écrits 
en  lettres  de  flamme  :  «  Camille,  je  vous  aime  »,  et  tant 
de  grâces,  en  la  remplissant  d'amour,  augmentaient  en 
elle  le  sentiment  de  ses  infirmités.  Persuadée  qu'elle 


LA  BIENHEUREUSE  BAPTISTINE  VARANI.  17 

était  la  plus  grande  pécheresse  du  monde,  elle  deman- 
dait à  Dieu  de  lui  faire  expier  ses  fautes  par  des  souf- 
frances physiques  et  des  maladies.  Le  Seigneur  l'exauça: 
durant  six  mois,  elle  fut  si  fortement  atteinte  qu'on  s'at- 
tendait tous  les  jours  à  la  voir  mourir.  Elle  passa  tout  ce 
temps  à  prier  et  à  méditer,  et  elle  en  prit  si  bien  l'habi- 
tude, que  par  la  suite  elle  restait  souvent  trois  ou  quatre 
heures  immobile,  les  yeux  fixés  à  terre,  la  pensée  absor- 
bée en  Jésus  et  en  Marie.  Elle  était  fréquemment  plongée 
en  de  profondes  extases  :  la  vue  d'une  fleur,  d'un  fruit, 
d'une  étoile,  suffisait  pour  lui  ouvrir  tout  à  coup  de  cé- 
lestes horizons,  et  la  mettre  en  présence  de  Jésus  dans  sa  . 
gloire  :  «  0  mon  Jésus  »,  disait-elle,  «  les  cieux  célèbrent 
«  votre  splendeur.  Si  vos  œuvres  sont  si  belles,  quel  doit 
«  être  l'éclat  de  votre  majesté  I  Jetez  un  regard  sur  moi, 
a  ô  mon  souverain  bien  ;  pourquoi  me  laissez-vous  si 
«  longtemps  errer  sur  la  terre  d'exil  ?  Vous  êtes  ma  vie 
«  et  mon  amour  ;  pourquoi  m' éloignez-vous  de  votre 
<j  présence?  » 

CHAPITRE  II. 


SOMMAIRE  :  Obstacles  que  la  bienheureuse  Baptistine  rencontre  dans  sa  famille 
au  moment  de  se  consacrer  au  Seigneur.  —  Sa  persévérance  triomphe  enfin  de  la 
résistance  de  son  père.  —  Elle  entre  au  couvent  d'Urbin.  —  Son  noviciat.  — 
Nouvelles  tentatives  de  son  père  pour  la  ramener  au  monde.  —  Elle  fonde  le 
couvent  de  Camerino.  —  Ses  rapports  avec  le  bienheureux  Pierre  de  Moliano.  — 
Ses  progrès  dans  la  vertu. 


Après  avoir  vécu  pendant  quelque  temps  de  ce  genre 
de  vie,  Camille  conçut  tout  à  coup  l'idée  de  se  faire  Cla- 
risse. Elle  rencontra  dans  sa  famille  une  vive  opposition. 
Aussitôt  que  son  père  eut  connaissance  de  son  projet,  il 
entra  dans  une  violente  colère,  cria,  gronda  et  fit  toutes 

Palm.  Séraph.  —  Tome  VI.  2 


18  II  JUIN. 

les  menaces  dont  les  parents  ont  coutume  d'effrayer  l'es- 
prit de  leurs  enfants.  Camille  supporta  l'orage  sans  se 
plaindre,  mais  aussi  sans  faiblir  :  «  Tous  les  supplices  », 
disait-elle,  «ne  pourront  m'empêcher  de  suivre  la  voie 
«  où  m'appelle  le  Seigneur  mon  Dieu  ».  Le  père  essaya 
les  promesses  séduisantes,  les  flatteries,  les  caresses  ;  il 
ne  réussit  pas  plus  qu'avec  ses  menaces.  Alors  il  revint 
aux  mesures  violentes,  enferma  la  malheureuse  Camille 
dans  sa  chambre  comme  dans  une  prison,  et  la  fit  garder 
à  vue  jour  et  nuit.  Quelle  plus  dure  condition  pour  une 
jeune  fille  jusqu'alors  entourée  de  soins,  de  caresses  et 
d'amour  ?  Durant  une  année  entière  elle  demeura  ainsi 
arrachée  par  la  violence  du  sein  de  sa  famille  et  de  ses 
amis,  séparée  du  monde,  sans  pouvoir  se  consacrer  à 
Dieu.  Mais  le  Seigneur,  qui  avait  jeté  sur  elle  un  regard 
de  ses  complaisances,  ne  l'abandonna  pas  dans  l'affliction, 
et  les  consolations  célestes  ne  lui  firent  pas  défaut.  La 
société  des  hommes  lui  manquait,  elle  vécut  dans  le 
commerce  des  saints  et  des  Anges,  jusqu'au  moment  où 
son  père  apaisé  lui  accorda  enfin,  avec  sa  liberté,  la  per- 
mission d'entrer  au  couvent  des  Clarisses  d'Urbin. 

C'est  là  que  les  héritières  des  plus  nobles  familles 
d'Italie,  dédaigneuses  des  biens  de  ce  monde,  venaient 
chercher  le  calme  de  la  solitude  et  la  paix  de  la  prière. 
Camille  allait  y  trouver  nombre  de  saintes  filles,  moins 
célèbres  pour  la  grandeur  de  leur  origine  que  pour 
l'austérité  de  leur  vie  et  leurs  vertus.  Ce  fut  un  véritable 
deuil  à  Camerino,  quand  on  apprit  qu'elle  allait  partir. 
Non-seulement  son  père  qui  lui  disait  :  «  Ma  fille,  tu 
«  emportes  avec  toi  mon  cœur  et  le  bonheur  de  ma  vie  »; 
non-seulement  ses  parents  et  ses  amis,  mais  les  pauvres 


LA.  BIENHEUREUSE  BAPTISTINE   VARANI.  19 

qui  perdaient  leur  bienfaitrice,  les  malheureux  leur  pro- 
vidence, les  indigents  leur  soutien,  les  malades  leur 
consolatrice,  la  pleuraient  comme  une  mère  ou  une 
sœur  bien-aimée.  Tous  les  chemins  étaient  couverts 
d'une  grande  foule  de  peuple,  hommes,  femmes,  enfants, 
qui  la  suppliaient  avec  des  larmes  dans  la  voix  de  ne  pas 
les  abandonner  et  de  rester  au  milieu  d'eux  jusqu'à  sa 
mort.  Pour  l'âme  sensible  de  Camille,  toutes  ces  affec- 
tions sur  lesquelles  il  fallait  passer  étaient  un  terrible 
obstacle  ;  elle  eût  mieux  aimé  marcher  au  travers  des 
ronces  et  des  épines  ou  sur  des  charbons  ardents.  Mais, 
Dieu  aidant,  son  courage  ne  faillit  pas.  Elle  pria  avec 
ardeur  le  long  du  chemin,  et  après  avoir  invoqué  à  Lo- 
rette  l'assistance  de  la  très-sainte  Vierge,  elle  arriva  heu- 
reusement à  Urbin,  où  elle  fut  reçue  à  bras  ouverts  par 
le  duc  et  la  duchesse,  qui  étaient  de  sa  famille.  Elle 
demeura  quelques  jours  dans  leur  palais  avant  de  se 
rendre  au  couvent,  puis,  impatiente  de  revêtir  la  robe 
de  religieuse,  elle  franchit  enfin  le  seuil  de  la  maison  de 
Dieu. 

Grande  fut  sa  joie  quand  elle  fut  admise  à  faire  son  no- 
viciat. Elle  ne  tarda  pas  à  donner  à  ses  sœurs  l'exemple 
de  la  soumission  à  la  règle  et  de  la  perfection  chrétienne. 
Toutes  les  vertus  religieuses  que  jusqu'alors  elle  avait 
dû  renfermer  dans  son  cœur  comme  des  joyaux  dans  un 
écrin  parurent  à  la  lumière  pour  l'admiration  et  l'édifi- 
cation de  tous.  Les  flammes  de  l'amour  divin  la  consu- 
maient, et  les  grâces  célestes  descendaient  sur  elle  avec 
une  telle  profusion,  qu'on  l'entendait  parfois  s'écrier  : 
«Assez,  ô  mon  Dieu l  assez,  je  n'en  pourrais  supporter 
«davantage».  Et  comme  si  elle  avait  peur  de  s'enor- 


20  II  JUIN. 

gueillir  des  faveurs  divines,  elle  demandait  au  Seigneur 
de  lui  envoyer  encore  des  épreuves:  elle  fut  exaucée. 
Vers  le  temps  où  elle  devait  prononcer  ses  vœux,  elle 
tomba  tout  à  coup  gravement  malade;  et,  ce  qui  lui  fut 
plus  pénible,  son  père  fit  de  nouveaux  efforts  pour  l'em- 
pêcher de  mettre  à  exécution  ses  projets.  Il  venait  sou- 
vent la  voir  au  parloir  du  couvent,  lui  parlait  du  monde 
qu'elle  avait  aimé,  des  fêtes  auxquelles  autrefois  elle  avait 
pris  part,  ou  encore  la  suppliait  d'accepter  la  main  de 
jeunes  seigneurs  qui  la  demandaient  en  mariage-  Quand 
il  eut  épuisé  tous  ses  arguments,  sans  la  décider  à  renon- 
cer à  la  vie  religieuse,  il  essaya  de  lui  faire  choisir  un 
Ordre  moins  sévère  que  l'Ordre  des  Clarisses.  Il  la  sup- 
plia de  suivre  dans  son  palais  la  règle  des  Tertiaires,  lui 
promit  qu'on  n'apporterait  aucun  obstacle  à  ses  prati- 
ques pieuses  ou  austères,  qu'on  lui  faciliterait  les  moyens 
de  faire  le  bien  ;  il  parla  même  de  fonder  à  Camerino  un 
couvent  de  religieuses  consacrées  au  service  des  pauvres 
et  des  malades.  Ses  efforts  se  brisèrent  contre  la  vaillante 
âme  de  Camille  comme  les  flots  contre  les  rochers  du  ri- 
vage, et  en  4483,  après  de  longs  mois  de  luttes,  de  souf- 
frances morales  et  de  larmes,  la  pieuse  fille  put  enfin 
prononcer  ses  vœux  complets  sous  le  nom  de  sœur  Bap- 
tistine.  Elle  était  âgée  de  vingt-deux  ans. 

Elle  passa  d'abord  quelques  mois  à  Urbin;  puis  son 
père,  qui  ne  pouvait  se  consoler  de  la  sentir  si  loin  de 
lui,  ayant  fait  bâtir  à  Camerino  un  couvent  de  Clarisses, 
elle  y  revint,  à  la  grande  joie  de  toute  la  ville  et  de  sa 
famille  en  particulier,  en  1484.  Cette  année-là,  le  qua- 
trième jour  de  janvier,  toutes  les  rues  de  la  ville  furent 
parées   comme    pour   une  fête,   les    maisons  tendues 


LA  BIENHEUREUSE  BAPTISTINE  TARANT .  21 

d'étoffes  précieuses;  les  habitants  étaient  revêtus  de  leurs 
plus  beaux  habits.  La  bienheureuse  Baptistine  sortit  du 
palais  de  son  père,  accompagnée  de  huit  religieuses  qu'elle 
avait  amenées  d'Urbin  avec  elle,  suivie  de  toute  la  popu- 
lation, et  après  avoir  visité  les  églises  et  les  chapelles  de 
Camerino,  elle  s'arrêta  dans  celle  de  saint  Venant,  martyr, 
où  le  prince  Jules-César  Varani  remit  au  provincial  les 
clefs  du  couvent,  avec  le  bref  pontifical  qui  lui  permet- 
tait d'y  installer  les  nouvelles  Clarisses.  Ce  jour-là  même, 
Baptistine  et  ses  sœurs  y  étaient  pour  jamais  renfermées. 

Peu  de  temps  après,  le  bienheureux  Pierre  de  Moliano 
fut  élu  provincial.  Quand  il  passa  au  couvent  des  Cla- 
risses de  Camerino,  il  déclara  à  Baptistine  qu'il  voulait' 
entendre  sa  confession  générale  :  elle  refusa,  persuadée, 
disait-elle,  qu'il  n'y  avait  pas  nécessité.  Mais  à  peine  le 
saint  homme  était-il  parti,  qu'elle  regretta  de  ne  pas  avoir 
suivi  ses  conseils  ;  elle  lui  écrivit  une  lettre  pour  lui  de- 
mander pardon  de  son  étrange  refus,  et  elle  lui  promit 
de  se  confesser  à  son  retour.  Elle  le  supplia  même  à  plu- 
sieurs reprises  de  hâter  le  moment  de  son  arrivée,  et  ce- 
pendant elle  occupait  ses  jours  et  ses  nuits  à  sonder  les 
profondeurs  de  sa  conscience,  et  le  remords  de  ses  fautes 
passées  lui  causait  une  si  vive  terreur,  qu'elle  ne  cessait 
pas  de  gémir  et  de  pleurer. 

Enfin  arriva  le  tant  désiré  Pierre  de  Moliano.  La  pieuse 
sœur  vint  s'agenouiller  à  ses  pieds,  lui  raconta  l'histoire 
de  sa  vie  avec  des  sanglots,  et  dès  lors  elle  goûta  un  re- 
pos sans  agitation  et  sans  trouble.  Quelques  jours  plus 
tard,  une  Clarisse  d'une  angélique  beauté,  avec  qui  Bap- 
tistine devait  par  la  suite  avoir  de  fréquents  rapports,  ap- 
parut pour  la  première  fois  à  la  pénitente.  Le  sourire  aux 


22  II  JUIN. 

lèvres,  les  yeux  resplendissants  comme  des  étoiles,  elle 
jetait  sur  la  pénitente  des  regards  remplis  de  mansuétude 
et  de  douceur.  C'était  la  sainte  mère  Claire,  la  glorieuse 
sœur  en  Dieu  du  patriarche  François,  la  fondatrice  de 
l'Ordre.  Depuis  cette  époque,  la  bienheureuse  Baptistine, 
comme  pénétrée  d'une  force  nouvelle,  se  sentit  plus  vail- 
lante contre  les  souvenirs  du  monde  et  les  tentations  du 
démon  ;  entièrement  soumise  à  la  règle,  elle  pratiquait 
si  scrupuleusement  la  pauvreté  primitive,  qu'elle  refusait 
même  les  aumônes  qu'on  lui  offrait  de  tous  côtés,  et 
qu'elle  priait  les  personnes  bienfaisantes  de  les  distribuer 
aux  malheureux. 

Il  semble,  d'ailleurs,  que  Dieu  lui-même  ait  pris  soin  de 
faire  l'éducation  religieuse  de  la  pieuse  Clarisse.  Il  aug- 
mentait dans  ron  cœur  le  sentiment  de  l'humilité  chré- 
tienne en  lui  rappelant  que  personne,  réduit  à  ses  pro- 
pres forces,  n'est  capable  d'accomplir  son  salut,  que  l'âme 
humaine  est  trop  faible,  trop  sujette  à  faillir,  trop  im- 
puissante à  se  relever,  si  la  grâce  d'en  haut  ne  lui  vient 
pas  en  aide  ;  il  lui  remettait  en  mémoire  les  tentations 
auxquelles  elle  avait  été  en  butte,  et  dont  sa  seule  Provi- 
dence lui  avait  permis  de  triompher,  les  complaisances 
coupables  qui  se  glissaient  en  son  âme  pour  les  vanités 
du  monde,  pour  les  plaisirs  passagers  et  trompeurs,  pour 
les  voluptés  faciles  et  les  séductions  mensongères  de  la 
vie.  Tous  ces  souvenirs  qu'elle  méditait  avec  fruit  pour 
son  perfectionnement  étaient  si  vivants  dans  l'esprit  de 
Baptistine ,  qu'elle  croyait  ne  pouvoir  assez  remercier 
Dieu  pour  ses  grâces  passées,  ni  lui  demander  par  des 
prières  assez  ferventes  de  lui  continuer  ses  faveurs  dans 
l'avenir.  Elle  s'humiliait  en  présence  de  ses  sœurs,  au 


LA  BIENHEUREUSE  BA.PTISTINE  VARANI.  23 

réfectoire,  à  la  chapelle;  elle  priait  le  Seigneur  de  la  pré- 
server comme  d'un  fléau  de  l'estime  et  de  la  considéra- 
tion des  hommes  ;  elle  appelait  sur  elle  les  souffrances 
physiques  et  morales,  les  maladies,  le  mépris,  les  dou- 
leurs de  l'âme,  pour  ne  pas  être  tentée  un  instant  d'ou- 
blier son  indignité  et  son  néant.  En  revanche,  elle  hono- 
rait en  autrui  l'humaine  nature  qu'elle  dédaignait  si  fort 
en  elle-même.  Les  religieux  de  tous  les  Ordres,  séculiers 
ou  réguliers,  les  moines,  les  prêtres,  les  novices  même, 
étaient  l'objet  de  son  admiration  et  de  son  respect.  Elle 
voyait  en  ses  sœurs  non  pas  des  créatures  comme  elle, 
sujettes  à  faiblir,,  mais  des  fiancées  de  Jésus.  Jamais  on  ne 
l'entendit  porter  sur  qui  que  ce  soit  un  jugement  défa- 1 
vorable. 

Ses  autres  vertus  égalaient  son  humilité  :  charité  chré- 
tienne, amour  de  la  pauvreté  sainte,  mortifications,  aus- 
térités, elle  avait  tout  ce  qui  fait  la  parfaite  religieuse. 
L'esprit  de  sainte  Claire  et  de  saint  François  semblait 
revivre  en  elle,  et  ses  sœurs,  en  la  voyant  passer  des 
journées  entières  au  pied  des  autels,  se  nourrir  de  pain 
et  d'eau,  paraissaient  toujours  disposées  à  honorer  en 
elle  une  envoyée  du  Seigneur. 

CHAPITRE   III. 


SOMMAIRE  :  Visions  de  la  bienheureuse  Baptistine.  —  Ses  entretiens  spirituels 
avec  le  Céleste  fiancé.  —  Son  amour  immense  pour  Jésus.  —  Ses  méditations  sur 
les  souffrances  du  crucifix.  —  Ses  extases.  —  Révélations  qu'elle  obtient  de  Jésus 
lui-même  sur  les  divins  mystères  de  l'Incarnation  et  de  la  Rédemption. 


La  bienheureuse  vierge  était  en  effet,  sinon  une  en- 
voyée, du  moins  une  élue  du  ciel.  Plus  d'une  fois,  lors- 


24  II  JUIN. 

qu'elle  élevait  son  âme  à  Dieu,  il  lui  arriva  de  voir  bril- 
ler au-dessus  de  l'autel  une  lumière  plus  éclatante  que 
la  clarté  du  soleil,  plus  douce  que  la  lueur  des  étoiles  ; 
ou  bien  elle  sentait  un  parfum  pénétrant  se  répandre 
autour  d'elle,  et  son  âme  se  remplissait  d'une  joie  cé- 
leste. Elle  avait  ainsi  l'intuition  de  la  béatitude  éternelle 
des  âmes  vertueuses  qui  ont  vécu  sur  la  terre  au  pied 
de  la  croix  du  Sauveur,  et  qui  se  sont  nourries  de  sa  pré- 
cieuse chair  et  de  son  précieux  sang.  Un  jour  elle  vit 
venir  à  elle  deux  Séraphins  aux  ailes  d'or,  aux  vêtements 
plus  blancs  que  la  neige;  et  ils  lui  prirent  son  cœur 
qu'ils  portèrent  tout  palpitant  aux  pieds  de  Jésus  cruci- 
fié. Durant  deux  mois,  sa  pensée  ne  fut  occupée  que  des 
souffrances  et  du  sacrifice  du  Fils  de  Dieu  ;  elle  accom- 
plissait  ses  devoirs   de  chaque  jour  machinalement, 
comme  un  automate;  son  âme  était  avec  le  Christ.  A  la 
suite  de  ce  prodige,  sa  piété  pour  les  Anges  s'accrut  au 
point  qu'elle  n'en  pouvait  parler  sans  tomber  en  extase  ; 
et  depuis  lors  elle  priait  souvent  Dieu  de  lui  envoyer 
encore  un  Séraphin.  Elle  adressait  aussi  la  même  de- 
mande à  la  Reine  des  Anges,  qui  lui  apparut  plusieurs 
fois  dans  sa  splendeur  immaculée,  et  qui  lui  promit  de 
faire  exaucer  ses  vœux. 

Le  feu  de  l'amour  divin  la  consumait  tout  entière  ;  sa 
vie  se  fondait  en  quelque  sorte  à  ce  foyer  éternel,  ses 
forces  s'épuisaient  ;  elle  avait  peur  que  son  cœur  ne  se 
brisât  dans  sa  poitrine  :  «  Seigneur  »,  disait-elle  souvent, 
«  Seigneur,  c'est  trop  pour  une  misérable  créature  1  je 
«  suis  indigne  de  tant  de  faveurs  »;  et  de  ses  yeux  s'é- 
chappaient des  torrents  de  larmes.  Alors  le  Fils  de  Dieu 
lui-même  venait  la  consoler,  et  après  avoir  essuyé  ses 


LA  BIENHEUREUSE  BAPTISTINE  VARANI.  25 

larmes,  il  la  pressait  tendrement  dans  ses  bras.  Dans  ces 
moments  de  joie  et  d'amour,  une  seule  crainte  la  tour- 
mentait :  cette  âme  qui  venait  de  goûter  par  avance  un 
peu  des  béatitudes  célestes,  avait  peur  de  rester  trop 
longtemps  enfermée  dans  la  prison  du  corps,  et  elle 
priait  avec  ardeur  le  Très-Haut  de  la  rappeler  bientôt  à 
lui,  et  de  ne  pas  trop  longtemps  la  laisser  gémir  sur  la 
terre  d'exil. 

Parfois  elle  avait  d'étranges  visions,  suscitées  par  l'esprit 
des  ténèbres  et  permises  par  Dieu  pour  la  plus  grande 
gloire  de  sa  fidèle  servante.  Elle  se  croyait  transportée 
au  fond  de  l'enfer,  au  milieu  des  âmes  malheureuses, 
condamnée  comme  elles  à  d'éternelles  souffrances,  et  les 
démons  insultaient  à  sa  vie  passée  au  fond  d'un  cloître 
et  à  la  récompense  qu'elle  en  avait  reçue.  Mais  Dieu 
n'abandonnait  pas  longtemps  la  bienheureuse  Baptistine 
à  ces  terribles  souffrances.  Au  moment  même  où  Satan 
exerçait  avec  le  plus  de  rage  ses  fureurs  sur  la  sainte 
fille,  les  esprits  célestes  venaient  lui  apparaître  et  lui 
prodiguer  les  paroles  de  consolation  et  d'espérance.  Ils 
lui  enseignaient  à  mettre  sa  confiance  dans  le  Seigneur, 
parce  que,  sans  son  appui,  elle  était  exposée  à  des  chutes 
profondes;  ils  lui  promettaient  de  veiller  toujours  sur 
elle,  de  rester  à  ses  côtés,  et  de  lutter,  pour  la  défendre 
contre  les  Anges  déchus,  avec  le  glaive  de  feu. 

Ces  épreuves  qui  auraient  pu  être  suivies  de  découra- 
gements subits  et  d'incertitudes  malsaines,  n'étaient  au 
contraire  pour  la  bien  heureuse  Baptistine  qu'une  occasion 
de  plus  de  se  rapprocher  du  Seigneur.  Elle  sentait  croître 
au  fond  de  son  cœur  un  immense  amour  pour  le  grand 
Crucifié  ;  elle  avait  soif  de  se  nourrir  de  sa  chair  et  de 


26  II  JUIN- 

boire  son  sang  dans  le  saint  sacrement  de  l'Eucharistie, 
et  presque  tous  les  jours  elle  approchait  de  la  sainte 
Table.  Elle  aimait  à  souffrir  pour  lui,  et  elle  désirait 
avec  ardeur  recommencer  avec  lui  un  autre  Chemin  de 
la  Croix. 

C'est  que  dès  sa  jeunesse,  et  même  dès  son  enfance,  la 
bienheureuse  fille  s'était  habituée  à  méditer  sur  les  dou- 
leurs du  Sauveur  des  hommes.  Son  esprit  en  était  sans 
cesse  occupé,  et  lorsque,  aux  mêmes  époques  de  l'année, 
revenaient  les  jours  où  Jésus  avait  le  plus  supporté  d'ou- 
trages pour  l'amour  de  nous,  on  eût  dit,  à  la  voir  plon- 
gée dans  une  tristesse  profonde,  qu'elle  montait  à  ses 
côtés  le  Calvaire  et  qu'elle  entendait  les  coups  de  mar- 
teau résonner  sur  les  clous  de  ses  mains  et  de  ses  pieds 
divins.  Plus  d'une  fois,  aux  grandes  fêtes  du  Sauveur,  à 
Pâques  ou  à  Noël,  elle  s'abandonnait  à  des  extases  infi- 
nies, où  elle  demeurait  abîmée  pendant  des  journées 
entières.  C'est,  nous  l'avons  vu,  un  vendredi  saint,  à  la 
suite  d'un  sermon  sur  la  Passion  de  Notre-Seigneur,  que 
commença  sa  conversion. 

Jésus  lui  apparut  à  plusieurs  reprises.  Un  jour  qu'elle 
lisait  un  récit  des  derniers  moments  du  Christ,  et  que,  le 
cœur  plein  d'angoisses,  elle  méditait  sur  ce  long  martyre, 
elle  entendit  tout  à  coup  une  voix  céleste  murmurer  à 
son  oreille  :  «  Vois  mes  mains,  mes  pieds  et  mon  côté  », 
et  levant  les  yeux,  il  lui  sembla  voir  le  cadavre  du  Fils 
de  Dieu  détaché  de  la  croix,  la  tête  inclinée  sur  le  sein 
de  la  Mère  de  douleurs.  Elle  entendit  les  gémissements 
de  Marie  pleurant  son  enfant  bien-aimé;  et  autour  d'elle, 
Jean,  le  disciple  chéri,  Madeleine  et  les  autres  saintes 
femmes,  versaient  des  torrents  de  larmes.  A  l'aspect  de 


LA  BIENHEUREUSE  BAPTISTINE  VARANI.  27 

ces  souffrances  infinies,  la  pieuse  fille  sentit  elle-même 
son  cœur  se  noyer  dans  un  océan  de  tristesse,  et  l'émo- 
tion qu'elle  éprouva  fut  si  vive  et  si  forte,  que  pendant 
quinze  jours  elle  n'en  put  détacher  sa  pensée,  et  qu'on 
eût  dit,  à  voir  ses  traits  altérés  et  sa  figure  pâlie,  un 
spectre  sortant  de  son  tombeau.  Sa  dévotion  à  Jésus  et  à 
sa  sainte  Mère  ne  fit  que  s'en  accroître  encore. 

A  la  suite  de  visions  semblables,  répétées  souvent,  la 
bienheureuse  Baptistine  acquit  une  connaissance  pro- 
fonde des  choses  du  ciel,  et  surtout  de  la  vie  et  des  souf- 
frances de  Notre-Seigneur,  des  mystères  de  l'Incarna- 
tion et  de  la  Rédemption.  Le  Seigneur  lui-même  prenait 
soin  de  l'en  instruire  ;  il  lui  racontait  dans  des  entretiens 
délicieux  la  grandeur  de  son  amour  pour  les  hommes 
et  les  souffrances  qu'il  avait  voulu  souffrir  pour  les  arra- 
cher à  l'éternelle  damnation.  «  J'ai  supporté  »,  lui  disait- 
il  un  jour,  «  tous  les  outrages,  toutes  les  insultes,  toutes 
«  les  maladies,  toutes  les  tortures,  tous  les  martyres 
«  de  l'âme  et  du  corps.  Si  tu  avais  mille  pieds,  mille 
«  mains,  mille  membres  de  chaque  espèce,  et  que,  au 
«  même  moment,  sur  chacun  de  ces  membres,  tu  ressen- 
«  tisses  mille  douleurs,  et  cela  pendant  des  années,  tes 
a  souffrances  n'approcheraient  pas  encore  des  miennes. 
«  J'ai  erré  dans  le  purgatoire  pour  les  péchés  des  hom- 
«  mes  ;  tous  les  remords  qu'ils  ont  éprouvés  depuis  que 
«  le  premier  d'entre  eux  a  offensé  mon  Père  céleste, 
«  je  les  ai  ressentis  ;  pour  racheter  leurs  fautes,  j'ai 
«  supplié  mon  Dieu  de  faire  tomber  sur  moi  seul  les 
«  châtiments  qu'il  tenait  suspendus  sur  leurs  têtes  ;  enfin, 
a  ce  qui  m'a  été  le  plus  cruel,  j'ai  vu  à  cause  d'eux  ma 
«  Mère  sans  tache  pleurer  sur  moi  et  souffrir  de  mes 


'28  II  JUIN. 

«  souffrances,  et  tous  les  jours,  à  chaque  minute,  je  re- 
«  commence  la  même  série  de  douleurs,  je  remonte  le 
a  chemin  du  Calvaire  chargé  de  la  même  croix  sur  la- 
ce quelle  je  meurs  pour  chaque  péché  qui  se  commet». 
Une  autre  fois  il  lui  répétait  les  paroles  qu'il  disait  à 
ses  disciples  quelques  jours  avant  d'expirer  pour  le  salut 
de  l'humanité:  «  Mon  âme  est  triste  jusqu'à  la  mort, 
«  parce  que  ceux  que  j'ai  le  plus  aimés  m'ont  abandonné. 
«  Judas,  celui  de  tous  à  qui  j'avais  témoigné  le  plus  d'af- 
«  fection,  m'a  craché  au  visage  ;  et  Pierre,  sur  qui  j'avais 
«  décidé  d'asseoir  mon  Eglise,  m'a  renié  trois  fois.  Le 
«  peuple  juif,  que  j'avais  ramené  de  l'exil  d'Egypte,  le 
o  peuple  chéri  de  mon  Père,  n'a  pas  voulu  me  reconnaî- 
«  tre  et  m'a  préféré  Barabas,  un  voleur  et  un  assassin. 
«  Ma  fille,  aucun  de  ceux  pour  qui  j'ai  souffert  n'a  com- 
te pris  mon  sacrifice  I  » 

Alors  l'âme  de  la  bienheureuse  Baptistine  se  remplis- 
sait d'une  tristesse  infinie  ;  et  lorsque,  par  un  retour  sur 
elle-même,  elle  songeait  à  la  profondeur  de  l'abîme  d'où 
l'avait  tirée  son  céleste  Fiancé,  lorsqu'elle  se  rappelait  le 
monde  corrompu  où  elle  avait  failli  perdre  son  existence, 
et  qu'elle   comparait  ses  orages  et  ses  tempêtes   aux 
voluptés  pures  et  à  la  tranquille  sérénité  du  cloître,  elle 
se  demandait  avec  terreur  si,  comme  Judas  et  comme 
saint  Pierre,  comme  le  peuple  juif  et  comme  l'humanité 
tout  entière,  elle  n'avait  pas  aussi  renié  son  Dieu  et  man- 
qué à  tous  les  devoirs  de  la  reconnaissance  et  de  l'amour. 
«  Seigneur  »,  s'écriait-elle,  c  je  veux  souffrir  pour  mes 
<  péchés,  je  veux  moi-même  racheter  mes  fautes,  je  veux 
a  mériter  par  une  longue  vie  d'épreuves  la  grâce  immense 
«  que  vous  m'avez  faite  de  ramener  dans  le  port  une 


LA  BIENHEUREUSE  BAPTISTINE  VARANI.  29 

«  barque  ballottée  par  tous  les  vents  du  monde,  et  d'avoir 
«  fait  pleuvoir  sur  ma  pauvre  âme  la  rosée  de  votre  mi- 
«  séricorde  » . 

CHAPITRE  IV. 


SOMMAIRE  :  Epreuves  de  la  bienheureuse  Baptistine.  —  Ses  maladies.  —  .Ses 
tentations.  —  Elle  demande  au  Seigneur  de  la  rappeler  à  lui.  —  Calme  des  der- 
nières années  de  sa  vie.  —  Sa  mort  et  ses  funérailles.  —  Son  exhumation.  — 
Conservation  miraculeuse  de  sa  langue.  —  Guérisons  accomplies  par  son  intercession. 


La  prière  que  la  bienheureuse  Baptistine  adressait  si 
souvent  au  Seigneur,  de  l'éprouver  par  des  maladies,  des 
douleurs  physiques  et  morales,  fut  exaucée  durant  sa  vie 
presque  tout  entière  :  elle  souffrit  tout  ce  qu'il  est  humai- 
nement possible  de  souffrir.  Son  corps  fut  affligé  par  des 
maladies  longues  et  terribles,  et  son  esprit  par  des  tortu- 
res de  toute  espèce.  Les  remords  de  sa  conscience  ne  lui 
laissaient  pas  un  moment  de  repos  :  jour  et  nuit  elle 
croyait  entendre  la  voix  de  son  Dieu  qui  lui  reprochait 
son  ancien  amour  pour  le  monde  et  ses  résistances  à  la 
grâce.  D'horribles  tentations  l'obsédaient  :  le  démon  la 
poussait  à  des  crimes  dont  la  seule  pensée  lui  faisait  hor- 
reur. Malgré  la  droiture  de  sa  volonté,  elle  avait  peur  de 
succomber  à  des  assauts  si  violents  et  si  répétés  ;  il  lui 
semblait  quelquefois  qu'il  était  impossible  de  résister 
plus  longtemps,  et  qu'elle  ne  pouvait  manquer  de  céder 
à  de  nouvelles  attaques.  Il  faut  ajouter  à  ces  tentations  si 
humiliantes  des  ténèbres  qui  obscurcissaient  son  esprit 
et  l'empêchaient  de  voir  la  main  de  Dieu  dans  les  terri- 
bles épreuves  par  lesquelles  il  la  faisait  passer. 

Toutefois,  au  plus  fort  de  ses  angoisses,  elle  ne  cessait 
de  crier  vers  lui  :  «  Seigneur»,  disait-elle,  «  venez  à  mon 


30  II  JUIN. 

«  secours,  hâtez-vous  de  me  secourir.  0  Père  de  toutes 
«  les  grâces,  Dieu  de  toutes  les  miséricordes,  ayez  pitié 
«  de  moi,  qui  suis  votre  humble  servante.  Seigneur,  voilà 
«  trois  ans  et  plus  que  j'erre  dans  les  ténèbres,  parmi  les 
«  ronces  et  les  épines,  mes  forces  s'épuisent  et  le  courage 
«  va  m'abandonner.  Faites  briller  à  mes  yeux  la  lumière 
«  qui  vivifie,  ou  je  vais  m'égarer  et  me  perdre  à  tout  ja- 
«  mais.  Je  vous  demandais  de  souffrir  pour  l'amour  de 
«  vous  et  pour  le  rachat  de  mes  fautes  ;  maintenant,  j'ai 
«  peur  de  tomber  dans  ce  chemin  difficile  bordé  de  pré- 
«  cipices.  Rappelez-moi  à  vous,  ô  mon  Maître,  Jésus  ! 
a  faites-moi  goûter  le  repos  dont  j'ai  besoin  ;  votre  croix 
«  est  trop  lourde  pour  mes  faibles  épaules.  Soutenez  dans 
«  vos  bras  votre  fille  qui  chancelle ,  elle  est  comme  le 
«  publicain  qui  n'ose  pas  lever  les  yeux  au  ciel  et  qui  les 
«  tient  baissés  vers  la  terre.  Seigneur  !  Seigneur  S  ayez 
«  pitié  de  moi  » . 

Mais  Dieu,  qui  sait  mieux  que  les  hommes  ce  qui  doit 
faire  leur  félicité,  prolongea  pendant  plusieurs  années 
ces  luttes  et  ces  ténèbres.  Ce  ne  furent  pas  d'ailleurs  les 
seules  afflictions  dont  fut  abreuvé  le  cœur  de  la  bienheu- 
reuse Baptistine.  Son  père  et  ses  trois  frères,  à  qui  elle 
avait  toujours  gardé  une  tendre  affection,  furent  jetés 
en  prison  et  massacrés  dans  les  guerres  qui  eurent  lieu 
à  cette  époque;  et  ces  malheurs,  joints  à  ses  douleurs 
intérieures,  accablèrent  complètement  la  pieuse  fille  du 
Seigneur. 

Cependant,  la  fin  de  ces  épreuves  si  longues  et  si 
cruelles  approchait.  Si  Dieu  ne  rappela  point  à  lui  sa 
servante,  comme  elle  le  demandait  sans  cesse,  c'est  qu'il 
voulait  la  dédommager  de  tout  ce  qu'elle  avait  enduré  et 


LA  BIENHEUREUSE  BAPTISTINE  VARANI.  31 

lui  accorder  dès  cette  vie  la  récompense  de  son  courage 
et  de  sa  fidélité  au  milieu  de  ses  souffrances.  Il  lui  rendit 
la  paix  de  l'esprit  et  du  cœur  et  alluma  dans  son  âme 
ravie  le  feu  des  ardeurs  séraphiques.  Quelle  joie  pour 
elle,  après  s'être  vue  si  souvent  au  bord  de  l'abîme,  de 
jouir  de  la  douce  intimité  de  Jésus-Christ  et  de  se  sentir 
embrasée  des  flammes  de  l'amour  divin  1  Son  confesseur, 
le  bienheureux  Pierre  de  Moliano,  dont  les  consolations 
ne  lui  avaient  jamais  manqué,  lui  témoigna  par  des  let- 
tres touchantes  la  part  qu'il  prenaitàce  changement  sur- 
venu tout  à  coup  dans  son  existence.  C'est  à  son  instiga- 
tion que  plus  tard  elle  écrivit  sur  la  Passion  ce  qu'elle 
avait  appris  de  la  bouche  même  du  Sauveur,  et  qu'elle 
composa  un  traité  admirable,  mais  trop  peu  connu  au- 
jourd'hui des  souffrances  intérieures  de  Jésus-Christ. 

On  sait  peu  de  choses  sur  les  dernières  années  de  la  vie 
de  cette  bienheureuse  vierge.  En  i505,  sur  l'invitation 
du  pape  Jules  II,  elle  alla  fonder  à  Fermo  un  monastère 
de  son  Ordre.  Elle  fut  à  plusieurs  reprises  sous-directrice 
et  abbesse  du  couvent  de  Camerino,  où  elle  laissa  une 
grande  réputation  de  sainteté.  Elle  mourut  le  31  mai 
1527,  à  l'âge  de  soixante-dix-neuf  ans,  et  ses  funérailles 
furent  célébrées  avec  pompe.  Un  parfum  céleste  s'exhalait 
de  son  corps  qui  resta  plusieurs  jours  exposé  à  la  véné- 
ration des  fidèles. 

Trente  années  après  sa  mort,  on  exhuma  ses  précieux 
restes  qui  furent  trouvés  dans  un  parfait  état  de  conser- 
vation. Sa  figure  était  encore  très-belle,  et  ses  grands 
yeux  brillaient  comme  au  temps  de  sa  jeunesse  ;  un  sou- 
rire céleste  s'épanouissait  sur  ses  lèvres  toutes  roses,  on 
eût  dit  qu'elle  allait  parler.  Les  religieuses  voulaient  la 


32  II  JUIN. 

transporter  au  chœur,  mais  l'aumônier  du  couvent  s'y 
opposa,  fit  reclouer  les  planches  du  cercueil  et  recouvrir 
de  terre  la  bienheureuse. 

En  1593,  on  rechercha  de  nouveau  parmi  les  cadavres 
couchés  dans  le  caveau  commun  le  corps  de  Baptistine. 
Au  moment  où  on  le  découvrit,  une  odeur  pénétrante  et 
douce  remplit  la  chapelle  tout  entière.  Cette  fois,  les  os 
étaient  desséchés  et  la  chair  se  détachait  par  lambeaux  ; 
mais  la  langue  était  encore  rose  et  intacte.  Un  prêtre  qui 
était  présent  la  prit  dans  ses  mains  et  répéta  avec  une 
profonde  émotion  les  paroles  de  sainte  Bonaventura  sur 
la  langue  de  saint  Antoine  de  Padoue  qu'on  avait,  comme 
celle  de  Baptistine,  retrouvée  intacte  après  la  dissolution 
du  corps:  «  Langue  bénie,  qui  as  loué  Dieu  et  qui  as  ap- 
«  pris  les  autres  hommes  à  le  louer,  c'est  maintenant  que 
«l'on  connaît  tes  mérites».  On  plaça  cette  précieuse 
relique  dans  une  châsse  en  argent,  où  on  la  voyait  encore 
en  1680.  Devant  le  sépulcre  où  le  reste  du  cadavre  était 
étendu  brûlait  une  lampe  d'or  donnée  par  les  habitants 
de  Camerino.  En  1639,  Constance  Magalotti  Barbarini, 
nièce  du  pape  Urbain  VIII,  vint  avec  ses  sœurs,  Lucrèce 
Vaïni  et  Marie  Machiavel,  honorer  la  bienheureuse  Bap- 
tistine, et  elle  fit  frapper,  en  souvenir  de  ce  pèlerinage, 
une  médaille  d'or  à  l'effigie  du  pape.  Anna  Colomna, 
épouse  de  Thaddée  Barbarini,  une  autre  nièce  du  même 
pontife,  se  souvint  à  cette  époque  de  sa  parenté  avec  la 
famille  des  Varani,  et  alla  visiter  le  couvent  de  Came- 
rino, en  compagnie  d'Emile  Altieri,  évêque  de  cette 
ville,  qui  plus  tard  devint  pape  sous  le  nom  de  Clé- 
ment X. 

On  a  négligé  d'inscrire  dans  le  Martyrologe  de  l'Ordre 


LA  BIENHEUREUSE  BAPTISTINE  VARANI.  33 

les  miracles  qui  s'accomplirent  par  l'intercession  de  la 
bienheureuse  Baptistine  pendant  le  siècle  qui  suivit  sa 
mort;  mais  à  partir  du  dix-septième  siècle,  la  chronique 
du  couvent  lui  en  attribue  un  certain  nombre. 

Sœur  Marthe  Nenéci  souffrait  depuis  longtemps  de  la 
goutte,  et  avait  grand'peine  à  marcher  avec  deux  bé- 
quilles :  elle  invoqua  l'intercession  de  Baptistine,  et  au 
bout  de  quelques  jours  fut  complètement  guérie.  Plus 
tard,  elle  fut  encore  délivrée  de  violents  maux  de  tête  qui 
la  mettaient  dans  l'impossibilité  de  goûter  un  moment 
de  repos. 

Sœur  Laure  Rossetti,  menacée  de  devenir  aveugle, 
recouvra  l'usage  de  ses  yeux  grâce  à  l'intercession  de  la 
bienheureuse.  Une  autre  sœur,  paralysée  d'un  bras,  fut 
guérie  en  venant  s'asseoir  sur  la  pierre  de  son  tombeau. 
Une  foule  de  religieuses,  sœur  Benoîte  Bona-Pasta,  sœur 
Christine  Manardi,  sœur  Colombe  Piselli,  sœur  Cécile 
Ugolini,  des  habitants  de  Camerino  et  d'autres  villes  de 
l'Italie,  aveugles,  muets,  boiteux  ou  paralysés,  furent  ren- 
dus à  la  santé  par  l'intercession  de  Baptistine. 

Aussi  la  réputation  de  sainteté  de  la  bienheureuse 
s'était-elle  répandue  dans  l'Italie  entière,  et  le  pape 
Grégoire  XVI,  après  avoir  consulté  le  sacré  Collège, 
permit  de  célébrer  chaque  année  une  messe  en  son 

honneur. 

(Matthieu  Pascuccius.) 


Palm.  Séraph.  —  Tome  VI. 


34  II  JUIN. 

FRÈRE  JEAN  DE  SAINT-BERNARD 

MARTYR  AUX  INDES  OCCIDENTALES 

1599.  —  Pape  :  Clément  VIII.  —  Roi  de  France  :  Henri  IV. 

SOMMAIRE  :  Prédications  et  mort  glorieuse  du  bienheureux  Jean  de  Saint-Bernard. 
—  Premières  missions  catholiques  au  Paraguay.  —  Les  Pères  Bernard  d'Armenta, 
Alphonse  de  Saint-Bonaventure  et  Louis  de  Bolanos.  —  Développement  de  la 
religion  du  Christ  dans  l'Amérique  du  Sud. 

Au  nombre  des  hommes  apostoliques  de  l'Ordre  de 
Saint-François  qui  ont  répandu  leur  sang  dans  les  Indes 
occidentales  pour  le  triomphe  de  la  foi  catholique  et  ro= 
maine,  il  faut  placer  frère  Jean  de  Saint-Bernard,  qui 
mourut  glorieusement,  en  1599,  dans  la  custodie  récem- 
ment fondée  sur  les  bords  de  la  Rivière  argentine  ou  Rio 
de  la  Plata.  Quoique  simple  frère  lai,  il  avait  pendant 
plusieurs  années  prêché  avec  succès  la  vraie  religion  aux 
Indiens  barbares  qui  habitaient  ces  contrée?;  mais  un 
jour,  à  l'instigation  d'un  des  prêtres  de  leurs  faux  dieux, 
ils  se  saisirent  de  lui,  le  lièrent  à  un  arbre  et  le  percèrent 
à  coups  de  flèches.  Le  glorieux  martyr  ne  mourut  qu'au 
bout  de  trois  jours,  et  durant  tout  ce  temps,  sans  songer 
à  ses  souffrances,  il  prêcha  la  parole  de  Dieu  d'une  voix 
aussi  calme  que  s'il  eût  été  assis  dans  une  chaire  chré- 
tienne, entouré  d'auditeurs  chrétiens.  Furieux  de  cette 
constance  au  milieu  d'un  si  cruel  supplice,  les  barbares 
s'approchèrent  de  lui  et  le  frappèrent  de  leurs  casse-tête 
jusqu'à  ce  que  le  pieux  serviteur  de  Dieu  eût  rendu 
l'âme;  et,  non  contents  encore,  ils  lui  arrachèrent  le  cœur 
et  le  jetèrent  aux  chiens. 


FRERE  JEAN  DE   SAINT-BERNARD.  3") 

C'est  le  Père  Daza  qui  nous  a  conservé  la  relation  de 
cette  mort  glorieuse.  Comme  nous  y  trouvons  joint  le 
récit  de  l'établissement  de  la  religion  chrétienne  au  Pa- 
raguay et  dans  les  contrées  qui  avoisinent  le  Rio  de  la 
Plata,  par  les  Frères  Mineurs,  nous  croyons  qu'il  ne  sera 
pas  inutile  d'en  donner  ici  un  abrégé. 

A  peine  ces  pays  lointains  et  encore  plongés  dans  une 
barbarie  complète  avaient-ils  été  explorés,  que  cinq 
frères  de  l'Ordre  de  Saint-François  s'y  rendirent,  sous  la 
conduite  du  Père  Bernard  d'Armenta,  pour  y  enseigner 
la  religion  du  Christ.  Ils  s'adjoignirent  trois  soldats  espa- 
gnols qui,  ayant  fait  partie  de  la  première  expédition, 
connaissaient  un  peu  la  langue  des  Indiens  et  pouvaient 
ainsi  les  aider  dans  la  grande  œuvre  qu'ils  allaient  en- 
treprendre ;  puis  ils  s'enfoncèrent  dans  les  terres  et  visi- 
tèrent les  villages  perdus  au  fond  des  forêts,  prêchant 
partout  la  parole  de  Dieu.  Une  foule  immense  d'Indiens 
se  pressaient  sur  leur  passage  et  se  convertissaient  à 
leur  voix.  Beaucoup  reçurent  le  baptême  ;  l'usage  de  la 
polygamie  disparut  peu  à  peu  ;  des  mœurs  plus  douces  et 
conformes  à  la  morale  du  Christ  prirent  la  place  des  ha- 
bitudes grossières  et  barbares  de  ces  peuplades  presque 
sauvages.  En  une  seule  année  (1538),  tous  les  pays  for- 
mant ce  qu'on  appelle  aujourd'hui  le  Paraguay,  et  les 
territoires  compris  entre  le  Rio  de  la  Plata  et  le  Brésil, 
furent  ainsi  parcourus  par  les  missionnaires. 

Le  Père  Bernard  d'Armenta  envoya  alors  à  Se  ville,  au 
conseil  des  Indes,  une  longue  lettre  où  il  rendait  compte 
des  travaux  qu'il  avait  déjà  accomplis  et  de  ce  qui  restait 
à  faire.  Il  y  déclarait  qu'avec  ses  seuls  compagnons  il  ne 
pouvait  suffire  à  la  tâche,  que  le  nombre  des  Indiens  qui 


36  II  JUIN. 

demandaient  le  baptême  était  immense,  et  il  priait  le 
conseil  de  leur  adjoindre  douze  missionnaires  de  l'Ordre 
Sèraphique. 

Quelque  temps  après  les  nouveaux  apôtres  arrivaient 
au  Paraguay,  et  parmi  eux  le  Père  Alphonse  de  Saint- 
Bonaventure  et  le  Père  Louis  de  Bolanos.  Le  christia- 
nisme fit  des  progrès  rapides,  des  églises  s'élevèrent  de 
tous  côtés  ;  dans  le  seul  territoire  de  Guayra,  on  en 
comptait  vingt-quatre.  Les  Frères  Mineurs  marchaient 
toujours  à  pied,  sans  armes  pour  se  défendre  en  cas  d'at- 
taque, se  nourrissant  de  fruits  et  de  racines.  Ils  rassem- 
blaient autour  d'un  autel  improvisé  les  Indiens  dispersés 
sur  les  montagnes  et  dans  les  forêts,  leur  apprenaient  à 
vivre  en  communauté,  à  se  réunir  dans  des  villages  ou 
dans  des  villes  ;  puis  ils  prêchaient,  convertissaient  et 
baptisaient  au  nom  du  Seigneur.  Bientôt  des  couvents 
s'élevèrent  ;  d'autres  Frères  Mineurs  arrivèrent  d'Es- 
pagne, des  Indiens  même  prirent  la  robe  de  religieux, 
et  la  custodie  de  Paraguay  se  forma  comme  par  enchan- 
tement. Le  Père  Louis  de  Bolanos,  qui  semble  avoir  reçu 
de  Dieu,  comme  les  premiers  Apôtres  du  Christ,  le  don 
des  langues,  écrivit  dans  les  divers  dialectes  indiens  un 
catéchisme  où  étaient  consignées  et  expliquées  les 
principales  vérités  de  la  religion.  Il  donnait  lui-même 
l'exemple  des  vertus  qu'il  enseignait  ;  son  austérité  est 
restée  légendaire  dans  ces  contrées  :  pendant  vingt  ans  il 
ne  vécut  que  d'eau  et  de  racines.  Un  autre  vénérable 
prêtre,  le  Père  Martin  Ignace,  continua  après  lui  l'œuvre 
qu'il  avait  si  bien  commencée. 

Au  milieu  du  dix-septième  siècle,  grâce  aux  courageux 
efforts  des  disciples  de  saint  François,  la  religion  catho- 


PÈRE  GASPARD  DE  SAINT-JOSEPH.  37 

lique  était  répandue  dans  tout  ce  qu'on  connaissait  alors 

des  deux  Amériques. 

(Daza  et  Wadding.) 


PERE  GASPARD  DE  SAINT-JOSEPH 

1575.  —  Pape  :  Grégoire  XIII.  —  Roi  d'Espagne  :  Philippe  II. 


SOMMAIRE  :  Premières  années  du  Père  Gaspard.  —  A  quinze  ans  il  reçoit  l'habit 
des  mains  de  saint  Pierre  d'Alcantara.  —  Son  noviciat.  —  Ses  épreuves  durant 
six  années.  —  Il  est  nommé  maître  des  novices.  —  Sollicitude  paternelle  avec 
laquelle  il  s'acquitte  de  cette  charge.  —  Sa  dévotion  à  la  sainte  Vierge.  —  Ses 
rapports  avec  sainte  Thérèse  d'Avila.  —  Ses  miracles  et  sa  mort. 


Au  temps  où  le  bienheureux  Pierre  d'Alcantara  par- 
courait l'Espagne,  il  fut  reçu  à  Bèze,  en  Andalousie,  dans 
la  maison  d'un  riche  gentilhomme.  Il  y  avait  là  un  jeune 
enfant  de  douze  ans,  à  la  figure  intelligente  et  vive,  qui 
ne  pouvait  détacher  ses  yeux  du  vénérable  Père,  et  qui 
lui  témoignait  naïvement  une  admiration  mêlée  de  res- 
pect. C'était  le  fils  du  maître  du  logis.  Saint  Pierre  d'Al- 
cantara vit  sur  son  front  le  signe  des  élus  du  Seigneur  : 
«  Ayez  bien  soin  de  cet  enfant  »,  dit-il  à  l'heureux  Père, 
a  car  il  sera  un  jour  un  grand  serviteur  de  Dieu  ». 

Cette  prédiction  de  l'austère  religieux  sur  Gaspard  de 
Saint-Joseph  ne  devait  pas  tarder  à  se  réaliser.  A  l'âge  où 
les  jeunes  gens  ne  songent  qu'à  leurs  plaisirs,  il  visitait 
les  églises,  ornait  les  autels,  servait  la  messe  et  chantait 
les  sacrés  cantiques.  Il  apprit  en  quelques  mois  la  langue 
latine,  qu'il  parlait  aussi  facilement  que  la  sienne  propre. 
A  quinze  ans,  sans  prendre  congé  de  ses  parents,  n'é- 
coutant que  la  voix  intérieure  qui  l'appelait  sans  cesse, 


38  II  JUIN. 

il  s'en  fut  au  couvent  d'Arenas,  où  saint  Pierre  d'Alcan- 
tara  lui-même  lui  donna  l'habit  de  l'Ordre  et  le  dirigea 
pendant  quelques  années  dans  le  chemin  de  la  vertu.  Il 
eut  le  bonheur,  pendant  le  temps  que  dura  son  noviciat, 
de  rester  au  service  du  saint  homme,  alors  abattu  par 
l'âge  et  les  infirmités.  Sous  sa  direction  il  fit  de  rapides 
progrès,  et  à  la  grande  joie  de  ses  frères  dont  il  avait  su 
tout  d'abord  gagner  l'affection,  il  prononça  ses  vœux, 
aussitôt  le  temps  prescrit  écoulé.  Il  répéta,  presque  sans 
en  avoir  conscience,  les  paroles  qu'on  lui  dictait;  son  âme, 
plongée  dans  une  extase  profonde,  abîmée  en  Dieu,  était 
étrangère  à  toutes  les  choses  de  la  terre  et  goûtait  un 
repos  d'une  douceur  infinie. 

Quoique  son  disciple  ne  fût  plus  novice,  saint  Pierre 
d'Alcantara  ne  l'abandonna  pas  encore:  il  voulut  jusqu'à 
la  fin  l'aider  de  ses  conseils  et  le  soutenir  de  son  expé- 
rience. Un  jour  qu'il  l'accompagnait  dans  une  pieuse 
tournée,  frère  Gaspard,  que  l'ardeur  du  soleil  avait  altéré, 
se  mit  à  genoux  devant  un  ruisseau  et  but  de  l'eau  dans 
le  creux  de  sa  main:  a  Mon  fils»,  lui  dit  le  saint  vieillard, 
c  tu  as  mouillé  tes  lèvres  sans  en  avoir  demandé  la  per- 
a  mission  à  ton  supérieur  ;  le  Seigneur  va  te  punir  par 
«  un  violent  mal    de  gorge.  Tu  demeureras  dans  la 
a  maison  hospitalière  où  nous  nous  rendons,  jusqu'à  ce 
«  que  je  trouve  bon  de  l'envoyer  chercher  par  un  frère 
«  qui  te  ramènera  guéri  ».  Au  même  moment,  Gaspard 
ressentait  les  premières  atteintes  du  mal  ;  il  fut  obligé, 
comme  le  lui  avait  annoncé  le  vénérable  Pierre  d'Alcan- 
tara, de  rester  dans  la  première  maison  qu'ils  rencon- 
trèrent ;  et  au  bout  de  quelques  jours,  au  moment  même 
où  la  douleur  était  le  plus  violente ,  un  religieux  du 


PÈRE  GASPARD  DE  SAINT- JOSEPH.  39 

couvent  vint  le  demander  ;  il  se  leva,  sortit  et  recouvra 
la  santé. 

Tous  les  jours  le  Père  Gaspard  offrait  le  saint  sacrifice 
de  la  messe  avec  une  tendre  piété  ;  le  seul  aspect  de  son 
visage,  au  moment  où  il  chantait  le  Sanctus,  inspirait  la 
dévotion  et  le  respect.  Il  était  chaste  comme  une  vierge  ; 
jamais  il  ne  leva  les  yeux  sur  les  femmes,  et  quand  par 
hasard  il  était  forcé  d'avoir  avec  elles  des  entretiens  tou- 
jours trop  longs  à  son  gré,  il  regardait  obstinément  la 
terre.  Il  ne  consentit  jamais  à  entendre  leurs  confessions  ; 
il  avait  trop  peur  de  perdre  le  repos  de  son  âme.  C'est 
ainsi  qu'il  parvint  à  conserver  jusqu'à  la  mort  sa  robe 
virginale  pure  de  toute  souillure,  et  l'on  peut  dire  que, 
durant  toute  sa  vie,  il  n'eut  jamais  à  lutter  contre  les 
mauvaises  pensées. 

Cependant,  les  tentations  et  les  épreuves  ne  lui  firent 
pas  défaut.  Durant-  six  longues  années,  son  âme  fut  en 
proie  à  des  troubles  violents  ;  il  avait  peur,  il  se  sentait 
perdu  dans  les  ténèbres,  sa  conscience  lui  faisait  des  re- 
proches continuels,  et  il  put  croire  que  Dieu  s'était  éloi- 
gné de  lui.  Qu'il  s'enfermât  dans  la  solitude  ou  qu'il 
vécût  de  la  vie  commune,  il  était  en  butte  aux  mêmes 
obsessions.  Les  austérités  et  les  mortifications,  les  jeûnes, 
les  coups  de  discipline,  les  prières  prolongées  pendant 
des  nuits  entières,  toutes  les  pieuses  pratiques  prescrites 
par  la  règle  étaient  impuissantes  à  lui  rendre  le  repos. 
Pénétré  qu'il  était  du  sentiment  de  son  indignité,  il  osait 
à  peine  invoquer  le  nom  de  Jésus  :  il  avait  peur  d'attirer 
sur  lui  les  foudres  du  Très-Haut.  L'esprit  malin  le  tour- 
mentait sans  cesse  et  s'acharnait  sur  lui,  dit  la  chro- 
nique, comme  des  mouches  sur  un  cadavre.  Les  prières 


40  II  JUIN. 

de  ses  frères  n'obtinrent  pas  un  meilleur  résultat  que  les 
siennes  ;  ses  souffrances  se  prolongeaient,  et  il  désespé- 
rait d'en  voir  arriver  la  fin.  C'est  seulement  auprès  de 
sainte  Thérèse  d'Avila  ;qu'il  commença  à  retrouver  un 
peu  de  calme  et  de  tranquillité  ;  sa  dévotion  au  saint  sa- 
crement de  l'Eucharistie,  des  jeûnes  prolongés,  des  mor- 
tifications fréquentes,  des  austérités  pratiquées  dans  un 
esprit  d'humilité,  lui  rendirent  enfin  le  repos  de  l'âme  : 
l'époque  de  l'épreuve  était  passée. 

Le  Père  Gaspard  se  sentit  alors  au  fond  du  cœur  un 
immense  désir  d'aller  prêcher  la  vérité  aux  Maures  de 
l'Afrique  et  de  mériter,  par  une  mort  glorieuse,  la  cou- 
ronne des  martyrs.  Telle  était  l'ardeur  qui  l'enflammait, 
que  souvent,  au  milieu  de  la  nuit,  il  descendait  dans  le 
jardin  du  couvent  pour  rafraîchir  son  âme  par  la  con- 
templation des  merveilles  du  ciel  étoile.  Quand  arriva  la 
nouvelle  que  les  Turcs  venaient  d'être  battus  par  les 
flottes  de  la  chrétienté,  il  en  ressentit  une  telle  joie  qu'il 
courut  à  l'église  du  couvent  remercier  Dieu  du  triomphe 
de  la  foi  ;  et  qu'au  milieu  de  son  action  de  grâces,  tom- 
bant tout  à  coup  dans  une  extase  profonde,  il  se  sentit 
soulevé  de  terre  en  face  de  l'autel  de  tous  les  saints, 
tandis  qu'une  lumière  éblouissante  l'enveloppait  tout 
entier. 

Les  vertus  du  Père  Gaspard  et  sa  science  profonde  des 
choses  de  la  religion  le  firent  bientôt  choisir  pour  maître 
des  novices,  charge  qu'il  garda  jusqu'à  sa  mort,  lors 
même  qu'il  fut  nommé  gardien  et  définiteur.  Il  avait 
pour  eux  des  attentions  et  une  sollicitude  paternelles  ;  les 
conseils  qu'il  leur  adressait,  surtout  au  moment  où  ils 
prononçaient  leurs  vœux,  étaient  dictés  par  une  sagesse 


PÈRE  GASPARD  DE  SAINT- JOSEPH.  41 

plus  qu'humaine.  Son  éloquence  allait  droit  au  cœur 
quand  il  leur  disait  les  douceurs  de  la  vie  religieuse  et 
contemplative,  les  plaisirs  sans  mélange  que  l'homme 
goûte  à  s'anéantir  devant  Dieu,  à  n'avoir  d'autre  volonté 
que  celle  de  ses  supérieurs,  dans  le  calme  de  la  solitude, 
loin  des  vanités  du  monde,  sans  souci  des  richesses  mon- 
daines, des  fausses  voluptés,  des  ambitions  malsaines,  de 
tout  ce  qui  trouble,  agite  et  corrompt  la  misérable  huma- 
nité. Il  leur  racontait  sa  propre  vie,  ses  épreuves,  la  façon 
dont,  avec  l'aide  de  Dieu,  il  avait  triomphé  du  démon,  et 
il  leur  inspirait  un  ardent  désir  de  marcher  à  la  suite  de 
tous  les  saints  religieux  dans  la  voie  de  la  perfection  et 
du  salut:  «Confessez-vous  souvent»,  ajoutait-il,  «c'est 
«  le  moyen  de  recommencer  sa  vie  avec  un  cœur  nou- 
«  veau  et  des  forces  nouvelles  ;   fuyez  la  société  des 
«  hommes,  aimez  votre  cellule  solitaire,  où  vous  serez 
«  en  présence  de  Dieu  ;  lisez  et  écrivez  de  bons  livres. 
«  Parlez  peu,  vous  éviterez  ainsi  bien  des  occasions  de 
«  pécher  ;  le  silence  favorise  la  méditation  bien  plus  utile 
«  à  l'âme  que  les  entretiens  futiles  et  frivoles.  Tâchez 
«  d'être  toujours,  par  la  pensée,  en  communication  di- 
«  recte  avec  Dieu  ;  approchez-vous  souvent  de  la  sainte 
«  Table,  et  quand  le  prêtre  célèbre  le  saint  sacrifice, 
«  commencez  en  esprit  avec  lui.  Travaillez,  l'oisiveté 
«  pèse  et  tourmente,  elle  est  la  mère  des  tentations  ;  mor- 
«  tifiez-vous  pour  éloigner  les  attaques  du  démon  ;  celui 
«  qui  vit  dans  l'austérité  a  déjà  triomphé  des  tentations  ». 
C'est  par  de  tels  conseils  que  le  Père  Gaspard  formait 
à  la  vertu  les  jeunes  novices.  Il  eut  la  satisfaction  de 
voir  un  grand  nombre  d'entre  eux  devenir  plus  tard  de 
saints  religieux  ;  beaucoup  même,  devenus  missionnaires 


42  II  JUIN. 

au  Japon,  répandirent  leur  glorieux  sang  pour  le  triomphe 
de  la  foi. 

Le  Père  Gaspard  avait  une  grande  dévotion  à  la  très- 
sainte  Vierge,  et  il  en  reçut  des  grâces  extraordinaires. 
Souvent,  lorsqu'il  priait  à  genoux  devant  ses  statues, 
il  voyait  sur  son  visage  de  marbre  se  dessiner  un  sourire 
angélique. 

Il  continua  jusqu'à  sa  mort  à  avoir  des  rapports  spiri- 
tuels avec  sainte  Thérèse,  surtout  lorsqu'il  eut  perdu  son 
premier  directeur,  saint  Pierre  d'Alcantara.  Il  lui  écri- 
vait souvent  pour  lui  rendre  compte  de  l'état  de  son 
âme,  pour  lui  demander  des  conseils  ou  des  consola- 
tions. 

Le  Père  Gaspard  eut  le  don  de  miracles.  Non  seule- 
ment ses  prières  délivrèrent  de  leurs  tourments  un  grand 
nombre  d'âmes  du  purgatoire  qui,  par  la  suite,  lui  appa- 
rurent pour  le  remercier  de  son  intercession,  mais  en- 
core il  rendit  la  santé  à  des  malades  dont  l'état  était  dé- 
sespéré et  qui  étaient  depuis  longtemps  abandonnés  par 
les  médecins.  C'est  ainsi  que,  au  couvent  de  Loriana,  une 
femme  aveugle  recouvra  l'usage  de  ses  yeux,  pour  s'être 
fait  imposer  la  croix  par  ce  saint  homme.  Des  boiteux, 
des  paralytiques  furent  aussi  guéris. 

Aussi  la  réputation  du  Père  Gaspard  s'était-elle  répan- 
due dans  toute  la  province  de  Saint-Joseph,  et  les  reli- 
gieux les  plus  austères  le  regardaient  comme  un  miroir 
de  sainteté.  Il  fut  honoré  dès  cette  vie,  comme  un  bien- 
heureux par  tous  ceux  qui  le  connurent. 

C'est  le  jour  delà  fête  du  très-saint  Sacrement,  àVilIa- 
nueva-de-la-Serena,  qu'il  prit  le  germe  de  sa  dernière 
maladie.  Quoique  souffrant  d'un  léger  mal  de  tète,  il 


FRÈRE  JEAN  DE  LA  SOLIDAD.  43 

avait  voulu,  en  qualité  de  gardien,  marcher  en  tête  de 
ses  religieux  à  la  procession  ;  la  cérémonie  à  peine  ter- 
minée, il  fut  obligé  de  se  rendre  à  l'infirmerie  d'où  il  ne 
devait  plus  sortir.  Il  ne  tarda  pas  à  comprendre  que  sa 
dernière  heure  était  venue.  Il  se  confessa,  reçut  avec  de 
douces  larmes  le  pain  des  Anges  et  resta  quelque  temps 
absorbé  dans  une  muette  contemplation.  Ses  frères  pleu- 
raient autour  de  lui  ;  il  les  consola  de  son  mieux,  leur 
demanda  pardon  du  scandale  dont  il  avait  pu  être  l'objet 
et  leur  fit  ses  dernières  recommandations.  Enfin,  il  se  fit 
étendre  sur  la  terre  nue,  prit  en  mains  son  crucifix,  et 
après  avoir  encore  murmuré  quelques  prières,  il  s'en- 
dormit doucement  dans  le  sein  de  Dieu,  en  1575.  Ses 
funérailles  furent  célébrées  au  milieu  du  deuil  universel 
et  ses  restes  mortels  furent  longtemps  l'objet  de  la  véné- 
ration publique. 

(Chron.  de  la  pi-ov.  de  Si- Joseph.) 


FRERE  JEAN  DE  LA  SOLIDAD 

1576.  —  Pape  :  Grégoire  XIII.  —  Roi  d'Espagne  :  Philippe  II. 

SOMMAIRE  :  Répugnance  de  frère  Jean  pour  le  mariage.  —  Son  entrée  en  reli- 
gion. —  Son  noviciat  exemplaire.  —  Humilité  de  frère  Jean.  —  Son  obéissance 
à  ses  supérieurs.  —  Epreuves  qu'on  lui  fait  subir  et  sa  patience  inaltérable.  —  Sa 
dévotion  au  saint  Sacrement  de  l'Eucharistie  et  ses  longues  extases.  —  Sa  constance 
dans  les  maladies.  —  Sa  mort. 

Frère  Jean  de  la  Solidad  naquit  à  Salamanque,  de  pa- 
rents pieux  qui  lui  donnèrent  une  éducation  chrétienne. 
Il  était  âgé  de  vingt-quatre  ans  lorsqu'il  perdit  son  père  : 
sa  mère,  qui  depuis  longtemps  nourrissait  l'espoir  de 


44  II  JUIN. 

bercer  ses  petits  enfants,  le  pressait  sans  cesse  de  chercher 
une  épouse;  mais  un  invincible  dégoût  l'éloignait  du 
mariage,  et  il  se  retira  au  couvent  d'Arenas,  en  qualité  de 
frère  lai. 

Il  eut  le  bonheur  d'être  tout  d'abord  guidé  dans  le 
chemin  du  salut  par  le  Père  Gaspard  de  Saint-Joseph, 
alors  gardien  et  maître  des  novices.  Au  bout  de  quelque 
temps,  ses  vertus,  son  humilité  surtout,  faisaient  l'admi- 
ration de  tous  les  religieux.  Il  était  vêtu  d'une  mauvaise 
robe  de  toile  grossière,  remplie  de  pièces  et  de  mor- 
ceaux de  couleurs  différentes,  et  qu'il  faisait  lui-même 
avec  les  vêtements  abandonnés  par  ses  frères.  Pour  lit,  il 
n'avait  qu'une  planche  raboteuse  ;  pour  nourriture  du 
pain  et  de  l'eau  :  il  distribuait  aux  pauvres  les  légumes  et 
la  viande  qu'on  lui  donnait  au  réfectoire  pour  son  usage 
personnel.  Quand  il  trouvait  quelque  malheureux  à  la 
porte  du  couvent,  il  avait  pour  lui  les  attentions  et  le 
respect  qu'il  aurait  témoignés  au  Fils  de  Dieu  lui-même. 
Son  plus  grand  chagrin  était  de  n'avoir  pas  quelque 
aumône  à  faire  aux  indigents  qu'il  rencontrait  sur  son 
chemin.  Quand  ses  supérieurs  lui  reprochaient  dou- 
cement les  trop  grandes  privations  qu'il  s'imposait  :  «  Eh 
«  quoi  !  mon  Père», répondait-il,  «moi, le  plus  misérable 
«  des  hommes,  je  suis  vêtu  et  nourri  sans  qu'il  m'en 
«  coûte  ni  travail,  ni  peine,  et  je  verrais  des  frères  de 
«  Jésus-Christ  nus  et  affamés,  sans  partager  avec  eux  ce 
«  qui  ne  m'est  pas  même  nécessaire  !  » 

Fidèle  à  la  règle  de  saint  François,  le  bon  frère  en  pra- 
tiquait avec  joie  toutes  les  ordonnances  ;  il  n'y  manquait 
que  lorsqu'il  y  était  en  quelque  sorte  forcé  par  l'intérêt 
de  son   prochain.  La  loi  du  silence  imposée  aux  Frères 


FRÈRE  JEAN  DE  LA  SOLIDAD.  4b 

Mineurs  avait  pour  lui  un  charme  indicible  ;  elle  lui  per- 
mettait de  se  livrer  à  de  longues  méditations  et  de  s'en- 
tretenir au  fond  du  cœur  avec  son  Dieu  et  les  esprits  cé- 
lestes ;  et  cependant,  quand  un  malheureux  venait  lui 
demander  des  consolations,  il  laissait  déborder  la  douce 
éloquence  dont  son  âme  était  pleine  ;  il  dépensait  de 
longues  heures  à  lui  verser  des  paroles  de  paix  et  d'espé- 
rance, et  personne  n'est  jamais  venu  en  vain  implorer 
son  assistance. 

Frère  Jean  était  presque  continuellement  absorbé  en 
Dieu  ;  il  ne  sembait  pas  vivre  de  la  vie  de  ce  monde. 
Aussi  ses  actions  avaient-elles  souvent  un  caractère 
étrange,  et  ceux  qui  ne  le  connaissaient  pas  auraient  pu 
le  prendre  pour  un  insensé.  C'est  qu'il  était  de  ceux  dont 
Notre-Seigneur  a  dit  :  «  Bienheureux  les  pauvres  d'esprit, 
«  parce  que  le  royaume  des  cieux  est  à  eux  »  ;  c'est  que 
le  ciel  seul  occupait  sa  pensée,  et  les  choses  de  la  terre 
étaient  pour  lui  comme  si  elles  n'étaient  pas. 

Entre  toutes  les  vertus  par  lesquelles  le  bon  frère  s'at- 
tirait le  respect  et  l'admiration  des  autres  religieux,  l'o- 
béissance fut  sa  vertu  de  prédilection.  Un  mot,  un  signe 
le  faisait  accourir;  jamais  une  objection,  jamais  un  mou- 
vement de  sa  physionomie  qui  témoignât  de  l'impatience 
ou  de  l'ennui  ;  le  moindre  désir  d'un  de  ses  supérieurs 
était  pour  lui  un  ordre.  Il  avait  une  voix  superbe,  pleine 
de  douceur  et  d'onction  ;  mais  une  timidité  insurmon- 
table l'empêchait  de  chanter  seul  en  public.  Le  gardien 
du  grand  couvent  de  Saint-Bernardin,  à  Madrid,  après 
avoir  célébré  la  fête  de  Pâques,  pria  le  Père  Jean  de 
chanter  un  cantique  sacré  ;  sans  hésiter,  sans  songer  un 
instant  à  la  fausse  honte  qui  à  tout  autre  moment  eût 


46  H  JUIN. 

étranglé  les  sons  clans  sa  gorge,  il  courut  se  placer  au 
milieu  du  réfectoire  et  célébra  les  louanges  du  Seigneur. 

Un  jour,  sur  l'ordre  du  médecin,  il  avait  préparé  au 
gardien  du  couvent  d'Arenas  une  portion  très-amère.  Le 
supérieur,  alors  entouré  d'un  certain  nombre  de  per- 
sonnes qui  étaient  venues  prendre  des  nouvelles  de  sa 
santé,  reçut  le  pauvre  frère  assez  brusquement  et  le 
renvoya  sans  façon  :  «  Prends-toi  même  cette  potion,  lui 
«  dit-il,  et  laisse-moi  en  repos  ».  Jean  but  jusqu'à  la  der- 
nière goutte. 

Comme  sainte  Thérèse,  il  ne  demandait  à  Dieu,  dans 
ses  prières,  que  de  lui  envoyer  des  épreuves  et  des  souf- 
frances. Il  avait  soif  de  peines  et  de  douleurs  ;  elles  ne  lui 
manquèrent  pas.  Il  semble  avoir  été  pendant  toute  sa  vie 
le  jouet  perpétuel  des  autres  religieux.  Ses  supérieurs  lui 
faisaient  pour  des  riens  les  plus  amers  reproches , 
ils  lui  imposaient  de  rudes  pénitences,  des  mortifications 
et  des  coups  de  discipline.  Inutile  d'ajouter  que  ce  n'était 
pas  dans  le  misérable  but  de  tourmenter  un  supérieur, 
mais  bien  pour  le  former  à  la  patience,  à  l'humilité  et  au 
mépris  de  soi-même.  Le  Père  Gaspard  de  Saint-Joseph 
surtout,  qui  le  connaissait  mieux  que  tout  autre,  qui 
lisait  pour  ainsi  dire  dans  le  fond  de  son  âme  et  qui 
savait  bien  que  les  épreuves  et  les  souffrances  étaient  son 
seul  désir  et  sa  grande  consolation,  lui  imposait  de  longs 
travaux,  l'humiliait  sans  motif,  le  tournait  en  ridicule  en 
présence  de  tous  ses  frères.  C'est  dans  ces  moments 
que  l'âme  du  bienheureux  Jean  paraissait  le  plus  calme 
et  le  plus  heureuse  :  il  souriait  doucement,  sa  figure 
éclairée  par  une  joie  intérieure  respirait  la  sérénité  et  la 
paix,  et  ses  grands  yeux  levés  au  ciel  avec  amour  sem- 


FRÈRE  JEAN  DE  LA  SOLIDAD.  47 

Liaient  remercier  le  Seigneur  de  ses  grâces  inépuisables. 

Il  se  confessait  souvent  et  s'approchait  de  la  sainte 
Table  autant  de  fois  que  ses  supérieurs  le  lui  permet- 
taient. Il  se  préparait  à  la  communion  par  le  jeûne,  la 
prière,  les  mortifications,  les  longues  disciplines  ;  et 
quand  enfin  il  recevait  la  céleste  nourriture,  son  cœur 
débordait  de  reconnaissance  ;  des  torrents  de  larmes 
coulaient  de  ses  yeux,  et  l'on  eût  dit  que  la  joie  allait  le 
suffoquer.  Les  lieux  déserts  et  silencieux  étaient  ceux 
qu'alors  il  recherchait  le  plus  pour  rendre  grâce  à  Dieu  ; 
souvent  il  y  restait  en  extase  pendant  des  heures  entières. 
Parfois  aussi,  pendant  qu'il  servait  la  messe,  au  moment 
où  le  prêtre  prononçait  les  paroles  de  la  consécration,  il 
tombait  tout  à  coup  dans  une  profonde  contemplation,  et 
il  fallait  qu'un  autre  frère  vînt  achever  d'assister  l'of- 
ficiant. 

Un  jour,  au  couvent  d'Arenas,  le  jour  de  la  fête  du 
très-saint  Sacrement,  il  suivait  la  procession,  un  cierge 
à  la  main,  attentif  à  veiller  sur  lui-même  el  s'efforçant 
de  tempérer  l'ardeur  de  son  âme  en  méditant  sur  ses 
fautes  et  sur  son  indignité.  Mais,  en  dépit  de  lui-même, 
la  grâce  l'emporta  :  il  laissa  tomber  son  cierge  à  terre,  et, 
au  grand  étonnement  des  assistants,  on  le  vit  s'élever,  tout 
rayonnant  de  lumière,  à  une  hauteur  prodigieuse.  Toute 
cette  journée  il  demeura  en  extase  ;  sa  figure  exprimait 
une  telle  félicité,  qu'il  paraissait  vivre  de  la  vie  des 
bienheureux;  ses  yeux  brillaient  comme  deux  étoiles.  Le 
lendemain  son  gardien  lui  fit  confesser  à  haute  voix  son 
indignité  et  son  néant  au  milieu  du  réfectoire,  et  lui 
adressa  quelques  paroles  sévères ,  pour  le  prémunir 
contre  les  tentations  de  vanité  et  d'orgueil. 


48  II  JUIN. 

Les  extases  du  bienheureux  frère  étaient  très-fré- 
quentes :  la  vue  d'une  croix,  un  mot  entendu  suffisait 
pour  le  transporter  en  imagination  dans  les  espaces 
infinis.  Aussi  évitait-il  les  entretiens  avec  les  personnes 
mondaines  :  il  aimait  mieux  converser  ,  pendant  de 
longues  heures,  seul  à  seul  avec  Dieu.  Il  ne  parlait  aux 
autres  religieux  que  des  choses  de  la  religion,  des 
mystères,  de  l'incarnation  de  notre  Sauveur,  de  sa  mort, 
de  la  rédemption  des  hommes  ;  et  alors  il  y  avait  dans 
sa  parole  une  autorité  si  grande  et  une  si  puissante  élo- 
quence, que  les  plus  savants  docteurs  avouaient  n'avoir 
jamais  si  bien  compris  ces  sublimes  vérités. 

Le  bienheureux  Jean  fut  sujet,  durant  sa  vie,  aux  ma- 
ladies, aux  souffrances  de  toute  sorte,  aux  tentations  du 
démon  :  il  puisa  dans  la  prière  la  force  de  triompher  de 
toutes  les  épreuves.  Jamais  on  ne  l'entendit  pousser  une 
plainte  ;  on  le  voyait  seulement,  quand  la  douleur  deve- 
nait trop  vive,  faire  de  fréquents  signes  de  croix,  comme 
pour  appeler  Jésus  à  son  aide.  Sa  dernière  maladie  fut 
longue  et  cruelle  :  tout  son  corps  était  agité  par  de  vio- 
lents soubresauts  ;  mais  à  peine  eut-il  reçu  les  Sacrements 
des  mourants  qu'il  recouvra  la  tranquillité  et  la  paix.  Sa 
figure  amaigrie  souriait  doucement,  et  ses  lèvres  entrou- 
vertes murmuraient  des  prières  et  des  mots  de  recon- 
naissance et  d'amour.  Il  mourut,  entouré  de  tous  ses 
frères  qui  le  regrettaient,  au  couvent  de  Villanueva- 
de-la-Serena,  en  1576.  Il  fut  enseveli  auprès  du  Père 
Gaspard  de  Saint-Joseph,  son  gardien,  son  maître  et 
son  ami. 

(fihron.  de  la  prov.  de  St-Joseph.) 


LE  BIENHEUREUX  ANDRÉ  DE  SPELLO.  49 


TROISIEME    JOUR    DE    JUIN 

LE  BIENHEUREUX  ANDRÉ  DE  SPELLO 

1254.  —  Pape  :  Innocent  IV.  —  Roi  de  France  :  Saint  Louis. 

SOMMAIRE  :  Le  pieux  jeune  homme.  —  Le  saint  curé.  —  Le  saint  religieux.  — 
André  est  enfermé  à  deux  reprises  par  ordre  du  général  Elie.  —  Son  éloquence. 
—  Il  est  nommé  par  le  chapitre  de  Soria  prédicateur  de  l'Ordre.  —  Conversions 
qu'il  provoque  dans  les  villes  et  les  villages  de  l'Italie.  —  Son  humilité.  —  Son 
retour  à  Spello.  —  Sa  mort  et  culte  qui  lui  a  été  rendu. 

Le  bienheureux  André  naquit  en  1194,  dans  la  petite 
ville  de  Spello,  non  loin  d'Assise,  en  Italie.  Sa  jeunesse 
fut  pieuse  et  s'écoula  dans  la  pratique  de  toutes  les  ver- 
tus ;  encore  adolescent,  à  l'âge  où  les  passions  sont  dans 
leur  force,  il  avait  déjà  pour  le  monde  et  ses  plaisirs  le 
plus  profond  mépris,  et  son  esprit  n'était  occupé  que  de 
bonnes  œuvres  et  de  pensées  de  charité. 

Ordonné  prêtre  par  Nicolas,  évêque  de  Spolète,  il  fut 
nommé  curé  à  la  demande  des  fidèles,  sur  qui  il  veilla 
avec  une  sollicitude  paternelle  pendant  de  longues  an- 
nées. Sa  fortune,  considérable  pour  l'époque,  lui  servit 
à  faire  le  bonheur  des  malheureux,  à  soulager  les  pau- 
vres, à  vêtir  les  orphelins,  à  soigner  les  malades.  A  ses 
moments  perdus,  il  courait  au  monastère  de  Camaldoli, 
fondé  par  saint  Romuald,  dans  le  voisinage  de  Spolète, 
priait  pendant  quelques  heures  dans  la  solitude  ou  s'en- 
tretenait avec  les  moines  des  choses  de  la  religion. 

Sa  mère  et  sa  sœur  étant  venues  à  mourir,  il  se  démit 
de  sa  cure,  distribua  son  bien  aux  pauvres  et  s'en  fut,  à 
Palm.  Séraph.  —  Tome  VI.  4 


50  III  JUIN. 

l'âge  de  vingt-neuf  ans,  demander  à  saint  François 
d'Assise  l'humble  habit  de  l'Ordre  Séraphique  :  il  était 
alors  le  premier  et  le  seul,  parmi  les  soixante-douze  dis- 
ciples de  saint  François,  qui  fût  revêtu  de  la  dignité  sa- 
cerdotale. L'exemple  des  saints  personnages  qui  vivaient 
dans  le  cloître  de  la  Portiuncule,  les  enseignements  de 
saint  François  et  ses  dispositions  à  la  vertu,  ne  tardèrent 
pas  à  faire  du  bienheureux  André  un  miroir  de  per- 
fection chrétienne.  Il  pratiquait  la  règle  avec  une  scru- 
puleuse exactitude ,  soumettait  son  corps  à  de  longs 
jeûnes,  le  fatiguait  par  des  veilles  et  des  austérités,  le 
rendait,  en  un  mot,  l'instrument  souple  et  docile  de  son 
âme  qui  n'était  occupée  que  du  ciel. 

Après  la  mort  du  saint  Père  François  qu'il  assista  à  ses 
derniers  moments,  et  sa  canonisation  par  le  pape  Gré- 
goire IX,  à  Assise,  en  4228,  il  eut  à  souffrir  les  injustes 
rigueurs  du  nouveau  général  de  l'Ordre,  le  Père  Elie.  Il 
fut  même  jeté  en  prison  avec  quelques  autres  des  pre- 
miers disciples  de  saint  François,  pour  avoir  manifesté 
trop  de  zèle  et  s'être  refusé  à  profiter  des  adoucissements 
apportés  à  la  règle  ;  mais  l'influence  de  saint  Antoine  de 
Padoue  obtint  du  pape  sa  mise  en  liberté. 

En  1233,  il  était  présent  au  chapitre  général  qui  se 
tint  à  Soria,  en  Espagne.  Son  éloquence  à  la  fois  douce 
et  passionnée,  l'ardeur  de  sa  foi  et  de  sa  charité,  lais- 
sèrent une  impression  profonde  chez  les  habitants  de 
cette  ville  ,  dont  un  grand  nombre  vinrent  abjurer 
leurs  péchés  entre  ses  mains.  C'est  là  que  les  Pères 
assemblés  lui  donnèrent  le  titre  glorieux  de  prédicateur 
de  l'Ordre. 
De  nouvelles  épreuves  l'attendaient  à  son  retour  en 


LE  BIENHEUREUX  ANDRÉ  DE  SPELLO.  51 

Italie  :  le  général  Elie,  sans  raison  légitime,  le  fit  de 
nouveau  enfermer.  Mais  ce  fut  la  dernière  fois  qu'il 
eut  à  souffrir  des  caprices  iniques  de  son  supérieur; 
Elie  fut  remplacé  par  le  bienheureux  Jean  de  Parme, 
qui  mit  en  pleine  lumière  l'innocence  d'André ,  lui 
rendit  sa  liberté  et  lui  témoigna  par  la  suite  beaucoup 
d'estime  et  d'amitié. 

A  partir  de  cette  époque,  le  saint  homme  commença  à 
parcourir  les  villes  et  les  campagnes  de  l'Italie,  prêchant, 
catéchisant,  appelant  les  hommes  à  la  pénitence.  Il  pro- 
voqua par  son  zèle  apostolique,  par  l'autorité  de  sa  parole 
et  de  son  exemple,  un  grand  nombre  de  conversions.  Les 
miracles  que,  par  une  grâce  spéciale  de  Dieu,  il  accom- 
plissait sur  son  passage,  ajoutaient  encore  de  la  force  à 
son  éloquence  :  il  guérissait  les  malades,  chassait  les 
démons,  arrachait  à  la  mort  des  agonisants.  Aussi  l'ho- 
norait-on  comme  un  saint  et  un  élu  du  Seigneur;  la 
renommée  de  sa  sainteté  s'était  répandue  dans  l'Italie 
entière  et  le  précédait  dans  les  pays  où  il  arrivait  pour 
la  première  fois.  On  accourait  autour  de  lui  pour  le  voir 
et  pour  l'entendre  ;  on  le  priait  de  faire  descendre  la 
bénédiction  du  ciel  sur  les  champs  et  dans  les  âmes  ;  on 
s'estimait  heureux  de  pouvoir  baiser  ses  mains  et  ses 
vêtements.  Pour  lui,  plus  humble  que  le  dernier  des 
pécheurs,  il  marchait,  sous  sa  misérable  robe  de  francis- 
cain, pieds  nus,  les  yeux  baissés,  pauvre,  austère,  déta- 
ché de  toutes  les  vanités,  accomplissant  sa  grande  œuvre 
sans  orgueil,  ou  plutôt  avec  l'air  d'un  criminel  qui  subit 
sa  condamnation;  la  haute  mission  dont  Dieu  l'avait 
chargé  lui  pesait  comme  un  fardeau,  il  se  croyait  inca- 
pable et  indigne  de  la  remplir. 


52  NI  JUIN. 

Le  Seigneur,  à  cause  même  de  l'excessive  humilité  de 
sou  fidèle  serviteur,  trouva  bon  de  lui  accorder  des 
grâces  plus  spéciales  encore.  Un  jour,  au  couvent  d'Assise, 
Jésus  lui  apparut  tout  à  coup,  dans  sa  cellule,  sous  la 
forme  d'un  enfant  ;  il  s'entretint  avec  lui  et  le  prit  sur 
ses  genoux  ;  mais  la  cloche  de  la  chapelle  ayant  tout  à 
coup  sonné  les  vêpres,  le  Père  André  se  rendit  au  chœur. 
A  son  retour,  l'Enfant  divin  était  encore  dans  la  cellule: 
«  André  »,  lui  dit-il,  et  c'est  bien  fait  à  toi  d'avoir  accom- 
«  pagné  tes  frères  ;  si  tu  étais  demeuré  ici  pendant  l'office 
«  sacré,  je  t'aurais  laissé  seul  ;  reste  toujours  aussi  fidèle 
«  à  la  règle,  aussi  obéissant  à  tes  supérieurs,  aussi  sou- 
«  mis  à  tes  devoirs,  et  je  serai  avec  toi  dans  l'éternité  » . 

Cependant  les  habitants  de  Spello,  désirant  ramener 
au  milieu  d'eux  le  saint  homme  qui  les  avait  quittés, 
offrirent  à  son  Ordre  leur  église  paroissiale  placée  sous 
l'invocation  de  saint  André,  apôtre,  à  condition  qu'un 
couvent  s'élèverait  dans  le  voisinage.  C'est  ce  qui  eut 
lieu  en  effet  en  1253.  Le  bienheureux  Père  vint  y  habiter 
presque  aussitôt  ;  par  ses  sermons  et  par  son  exemple  il 
contribua  au  perfectionnement  moral  de  ses  concitoyens, 
en  même  temps  que,  par  ses  aumônes  et  par  l'ardeur  de 
sa  charité,  il  venait  en  aide  à  ceux  d'entre  eux  qui  étaient 
misérables. 

Il  mourut  le  3  juin  de  l'année  suivante,  à  l'âge  de 
soixante  et  un  an,  et  on  l'ensevelit  dans  le  caveau  com- 
mun, à  côté  des  bienheureux  Gilles  et  Moricus,  comme 
lui  compagnons  de  saint  François.  Des  miracles  s'accom- 
plirent sur  sa  tombe  qui  devint  bientôt  un  véritable  lieu 
de  pèlerinage.  Plus  tard,  en  1360,  on  l'exhuma  pour  le 
placer,  au  pied  du  grand-autel,  dans  un  magnifique 


LE  BIENHEUREUX  ANDRÉ  DE  SPFLLO-  53 

sépulcre  de  marbre  soutenu  par  des  colonnettes  de  fer 
eiselé.  Dès  cette  époque  on  célébra  solennellement  sa 
fête,  chaque  année,  au  troisième  jour  de  juin. 

En  1597,  avec  la  permission  du  sacré  Collège,  ses 
précieux  restes  furent  de  nouveau  exhumés  et  portés 
autour  de  l'église  et  dans  les  rues  de  la  ville,  au  milieu 
d'un  immense  concours  de  peuple.  On  le  plaça  dans  un 
nouveau  cercueil  fermé  par  deux  clefs,  dont  l'une  fut 
confiée  au  chef  ou  gouverneur  de  la  ville,  et  l'autre  au 
gardien  du  couvent.  Le  cercueil  fut  d'ailleurs  renfermé 
dans  l'ancien  sépulcre  en  marbre.  La  tête  du  bienheu- 
reux, détachée  du  tronc  et  conservée  dans  une  châsse  en 
argent,  restait  exposée  sur  le  grand-autel,  pendant  la 
messe,  le  jour  de  sa  fête,  puis  déjeunes  prêtres  suivis  de 
toute  la  population  de  Spello  la  portaient  à  travers  la 
ville.  Quand  la  procession  arrivait  devant  la  maison  où 
André  avait  passé  la  première  partie  de  sa  vie,  le  gar- 
dien du  couvent  montait  sur  une  estrade  et  bénissait, 
avec  la  précieuse  relique,  le  peuple  agenouillé.  On  a 
conservé  aussi  pendant  très-longtemps  la  robo  du  moine, 
le  chapeau  et  la  corde  du  bienheureux.  Son  culte  a  été 
approuvé  par  le  pape  Benoît  XII.  Durant  des  siècles  les 
restes  d'André  n'ont  pas  cessé  d'accomplir  des  miracles. 

(Papebhoeck.) 


54  ni  JUIN. 

LE  B.  PÈRE  JEAN  DE  ZUMARRAGA 

PREMIER   ARCHEVÊQUE   DE  MEXICO 
1548.  —  Pape  :  Paul  III.  —  Roi  d'Espagne  :  Charles-Quint. 


CHAPITRE  PREMIER. 

SOMMAIRE  :  Premières  années  de  la  vie  religieuse  du  bienheureux  Jean.  — 
Char'es-Quint,  après  lui  avoir  confié  une  mission  importante,  le  nomme  évêque  de 
Mexico.  —  Situation  des  Indes  Occidentales  à  l'époque  où  le  bienheureux  Jean 
allait  prendre  possession  de  son  siège  épiscopal.  —  Ses  tentatives  de  réforme 
et  difficultés  qu'il  rencontre.  —  Calomnies  répandues  contre  lui  par  ses  ennemis, 
jusqu'à  la  cour  de  Charles-Quint.  —  Sa  vertu  obtient  enfin  justice. 

Les  documents  historiques  nous  font  malheureuse- 
ment défaut  pour  raconter  avec  l'ampleur  qu'elle  méri- 
terait la  sainte  vie  de  ce  grand  prélat.  II  était  né  à 
Durango,  petite  ville  de  la  province  de  Biscaye,  en  Es- 
pagne, et  il  reçut  l'habit  de  l'Ordre  dans  la  province  de 
l'Immaculée-Conception,  qu'il  honora  par  l'étendue  de 
sa  science  et  par  la  dignité  de  sa  vie.  Il  y  obtint  à  plusieurs 
reprises  les  charges  de  gardien  et  de  définiteur  ;  il  fut 
même  une  fois  élu  provincial,  et  dans  ces  différentes 
conditions  il  montra  toujours  une  sagesse  et  une  pru- 
dence plus  qu'humaines. 

Il  était  gardien  du  couvent  d'Abroxo,  à  deux  heures 
environ  de  Valladolid,  quand  l'empereur  Charles-Quint, 
roi  d'Espagne,  vint,  selon  son  habitude,  s'y  enfermer 
pendant  la  semaine  sainte  pour  se  préparer  dignement, 
par  la  retraite  et  les  pieuses  pratiques,  à  la  communion 


LE  BIENHEUREUX  PÈRE   JEAN  DE  ZUMARRAGA.  55 

pascale.  Par  les  soins  du  monarque,  on  distribuait  tous 
les  jours  aux  bons  religieux  d'abondantes  provisions  de 
de  bouche,  et  le  couvent  était  abondamment  pourvu  de 
tout  ce  qu'on  pouvait  désirer.  Les  pauvres  seuls  en  pro- 
fitèrent  ;  le  Père  Jean  ne  permit  pas  que,  au  moment 
même  où  le  Christ  avait  le  plus  souffert,  la  règle  des 
religieux,  ses  serviteurs,  se  relâchât  en  rien  de  sa  sévé- 
rité. Grand  fut  l'étonnement  de  l'empereur,  jamais  rien 
de  semblable  ne  s'était  produit  sous  l'administration  des 
autres  gardiens.  11  fit  venir  auprès  de  lui  Père  Jean  et 
trouva  qu'il  avait  l'esprit  aussi  élevé  que  la  piété  ardente 
et  sincère.  Il  s'entretint  longtemps  avec  lui  sur  les 
affaires  de  sa  conscience,  et  se  jura  qu'il  ne  quitterait 
pas  le  couvent  avant  de  lui  avoir  fait  accepter  un  poste 
important.  La  modestie  du  bon  Père  s'y  refusait;  cepen- 
dant il  se  chargea  d'une  mission  difficile  où  le  bien  de 
beaucoup  d'âmes  était  en  jeu,  et  il  s'en  acquitta  avec 
bonheur  :  l'empereur  le  nomma  évêque  de  Mexico,  aux 
Indes  Occidentales.  Le  bienheureux  Jean  s'effraya  de  cet 
honneur  dont  il  se  croyait  indigne,  et  tout  d'abord  il 
pria  son  royal  bienfaiteur  de  lui  retirer  une  faveur  aussi 
dangereuse  ;  mais  un  ordre  de  son  provincial  le  somma, 
au  nom  de  la  sainte  obéissance,  de  partir  pour  Mexico  ;  il 
ne  résista  plus  et  s'embarqua. 

Les  Indes  Occidentales,  encore  mal  organisées,  étaient 
dans  une  période  de  troubles  et  de  luttes  intérieures.  Les 
premiers  Espagnols  qui  avaient  occupé  le  pays,  fiers  et 
enivrés  d'une  conquête  facile,  faisaient  peser  sur  les  mal- 
heureux Indiens  un  joug  insupportable.  En  vain  le  bien- 
heureux Père  Martin  de  Valence  et  ses  compagnons,  les 
premiers  missionnaires  apostoliques  du  Nouveau-Monde, 


56  m  juin; 

après  avoir,  sans  résultat,  essayé  par  l'autorité  de  leur 
parole  d'arrêter  les  débordements  des  envahisseurs,  s'é- 
taient-ils plaints  à  Charles-Quint  lui-même  de  la  conduite 
indigne  de  ses  gouverneurs  et  de  ses  officiers  :  leurs  cris 
n'avaient  pas  été  entendus,  et  l'Amérique  tout  entière 
marchait  à  sa  perte  avec  une  effrayante  rapidité.  Cepen- 
dant l'empereur  s'émut  à  la  fin  d'un  pareil  état  de  choses 
et  il  résolut  d'y  porter  remède,  autant  du  moins  qu'il 
était  en  son  pouvoir,  en  nommant  au  Nouveau-Monde 
un  représentant  de  son  autorité  sur  lequel  il  pût  compter. 
C'est  le  Père  Jean  qu'il  chargea  de  l'importante  mission 
d'aller  défendre  les  intérêts  des  Indiens  contre  l'âpre 
avidité  des  Espagnols  :  il  lui  donna  le  titre  de  protecteur 
des  Indiens  et  le  fit  partir  pour  l'Amérique  avant  même 
que  sa  nomination  à  l'évêché  de  Mexico  ne  fût  confirmée 
par  un  bref  pontifical. 

Le  nouveau  prélat  arriva  à  son  poste  en  1528.  En 
débarquant  sur  le  territoire  du  Mexique,  il  trouva  toutes 
choses  dans  un  désarroi  si  complet,  qu'il  en  fut  effrayé. 
Les  champs  étaient  incultes,  et  les  riches  plaines,  naguère 
cultivées  par  un  peuple  heureux,  ressemblaient  à  une 
immense  solitude.  Un  désert  de  sable  eût  causé  une  im- 
pression moins  pénible  ;  où  l'activité  des  hommes  ne  peut 
rien  pour  modifier  la  stérilité  du  sol,  on  comprend  que 
le  sol  soit  abandonné.  Mais  ici,  la  terre  ne  demandait 
qu'à  produire;  les  plantes  parasites  dont  elle  était  cou- 
verte l'attestaient  par  l'exubérance  de  leur  végétation. 
Voilà  quel  était  le  résultat  de  quelques  années  de  con- 
quête :  les  Espagnols  ne  demandaient  pas  à  la  terre  les 
moissons  qu'elle  aurait  produites  à  profusion,  ils  voulaient 
lui  arracher  de  l'or.  C'est  parce  qu'ils  avaient  soif  d'or 


LE  BIENHEUREUX  PÈRE  JEAN  DE  ZUMARRAGA.  57 

qu'ils  avaient  enlevé  les  Indiens  à  leurs  travaux  pour  les 
enterrer  dans  des  mines  ;  c'est  pour  satisfaire  une  avidité 
rapace  que,  au  lieu  de  s'attacher  par  les  liens  de  l'amitié 
au  peuple  vaincu,  ils  l'écrasaient  sous  le  poids  d'une 
autorité  cruelle.  On  fuyait  devant  eux  comme  devant  des 
bêtes  fauves,  parce  qu'on  savait  qu'à  leur  suite  mar- 
chaient la  terreur  et  la  mort.  Des  millions  d'hommes 
avaient  déjà  succombé;  et  tous  les  jours  s'accomplissait 
plus  rapidement  l'œuvre  de  désolation. 

C'était  pour  lutter  contre  cet  état  de  choses  que  le  Père 
Jean  avait  été  choisi.  On  voit  que  la  tâche  était  difficile. 
Il  s'entendit  tout  d'abord  avec  le  Père  Martin  de  Véga, 
évêque  de  Darien,  et  le  Père  Jean  Suarez,  évêque  de 
Floride  ;  puis  il  se  mit  à  l'œuvre.  Les  mesures  sévères 
qu'il  prit  au  début  n'eurent  pas  un  résultat  satisfaisant  ; 
l'autorité  militaire  elle-même  défendait  les  coupables. 
Alors  il  se  souvint  qu'en  Espagne  il  avait  eu  la  réputation 
d'un  prédicateur  éloquent,  et  il  entreprit,  selon  le  mot 
de  son  biographe,  la  campagne  des  cœurs  ;  il  essaya  de 
ramener  à  des  sentiments  de  douceur  et  d'humanité  des 
âmes  endurcies  ;  il  prêcha  l'amour  du  prochain  à  des 
hommes  qui  n'avaient  que  l'amour  de  l'or,  et  il  sut  se 
faire  écouter.  Malheureusement,  en  prenant  le  parti  du 
peuple  vaincu,  il  attira  sur  lui-même  les  colères  de  tous 
ceux  qui  exploitaient  à  leur  profit  la  conquête.  Un  jour, 
pendant  qu'il  prêchait,  un  soldat  essaya  de  lui  porter  un 
coup  de  hallebarde,  qui  eût  été  mortel  si  Dieu  ne  l'avait 
pas  détourné.  Des  pierres  furent  lancées  sur  son  palais 
épiscopal,  et  nul  doute  que  le  saint  homme  n'eût  payé 
de  sa  vie  sa  courageuse  intervention,  sans  la  miraculeuse 
protection  dont  il  ne  cessa  pas  d'être  couvert. 


58  III  JDIN. 

Mais  c'est  surtout  par  la  calomnie  qu'on  essaya  de  le 
renverser.  Comme  la  pureté  de  sa  vie  le  mettait  à  l'abri 
de  toute  attaque,  on  l'accusa  de  crimes  imaginaires.  On 
l'accusa,  sous  le  titre  de  protecteur  des  Indiens,  de  dis- 
créditer l'autorité  du  roi,  de  soutenir  le  parti  de  Fernand 
Cortez  qui  venait  d'être  disgracié,  de  ne  pas  se  soumettre 
aux  décisions  du  conseil  suprême,  chargé  de  par  l'empe- 
reur de  régler  en  maître  les  affaires  de  l'Amérique.  Ce 
n'est  pas  tout  encore  :  il  excitait  les  religieux  et  les 
prêtres,  et  en  particulier  Martin  de  Valence  et  ses  compa- 
gnons, à  lutter  avec  lui  contre  le  pouvoir  temporel,  à 
entraver  les  mesures  prises  dans  l'intérêt  commun  des 
Indiens  et  des  Espagnols.  Ces  mensonges  abominables 
furent  répandus  en  Amérique  et  en  Espagne  ;  ils  par- 
vinrent même  aux  oreilles  du  roi  :  ajoutons  à  son  hon- 
neur qu'il  commença  par  les  rejeter  avec  dégoût.  Cepen- 
dant, comme  on  interceptait  les  lettres  que  lui-même  ou 
ses  ministres  adressaient  au  prélat,  et  celles  que  Jean 
pouvait  envoyer  en  Espagne,  lassé  de  ne  pas  recevoir  de 
nouvelles  directes  de  son  homme  de  confiance,  il  s'émut 
et  donna  des  signes  d'impatience  et  de  désappointement, 
qui  furent  recueillis  avec  joie  par  les  ennemis  de  l'ar- 
chevêque. 

Enfin  un  vaisseau  aborda  en  Biscaye,  qui  apportait, 
écrit  de  la  main  même  du  Père  Jean,  un  long  rapport  sur 
l'état  de  l'Amérique.  Des  Indiens  de  grande  naissance, 
qui  faisaient  le  voyage  d'Espagne,  s'en  étaient  chargés  et 
avaient  juré  de  le  remettre  entre  les  propres  mains  du 
roi.  L'évêque  exposait  simplement  et  nettement  la  situa- 
tion, sans  même  songer  à  se  plaindre  des  conseillers 
royaux  qui  lui  avaient  témoigné  tant  de  mauvais  vouloir, 


LE  BIENHEUREUX  PÈRE  JEAN  DE  ZUMARRAGA.  59 

des  gouverneurs  des  villes  et  des  officiers  de  l'armée, 
toujours  opposés  à  ses  projets  de  conciliation,  de  tout 
ceux  enfin  dont  il  avait  eu  si  fort  à  souffrir.  Mais  il  disait 
quelle  misérable  condition  on  avait  faite  aux  Indiens, 
mourant  par  milliers  dans  les  mines,  condammés  à  un 
travail  forcé,  enterrés  vivants  dans  des  souterrains  pro- 
fonds où  la  lumière  ne  pénétrait  jamais,  et  d'où  on  ne 
leur  permettait  pas  de  sortir.  Il  racontait  la  dépopulation 
des  campagnes,  la  terreur  toujours  croissante  autour  des 
vainqueurs,  les  rébellions  qui  naissaient  et  qui  mena- 
çaient de  devenir  formidables,  les  vengeances  isolées  et 
terribles.  Enfin  il  proposait  le  seul  remède  capable  d'ar- 
rêter les  progrès  du  mal,  une  domination  sage  et  douce, 
l'instruction  et  la  conversion  des  Indiens. 

Ces  lettres  si  touchantes  et  si  empreintes  du  sceau  de 
la  charité  chrétienne  firent  une  profonde  impression  sur 
tous  ceux  qui  en  eurent  connaissance.  La  reine,  en  parti- 
culier, ne  pouvait  les  lire  sans  verser  des  torrents  de 
larmes.  On  sentait  que  la  vérité  et  le  droit  étaient  du  côté 
du  prélat ,  tandis  que  ses  détracteurs  n'avaient  forgé 
qu'un  tissu  de  mensonges  et  de  calomnies.  D'ailleurs, 
tout  ce  qu'il  disait  était  d'accord  avec  ce  qu'on  avait 
entendu  de  la  bouche  même  de  Fernand  Cortez,  depuis 
son  retour  en  Espagne.  Le  général,  victime  lui  aussi  de 
la  calomnie,  avait  pleinement  rendu  justice  au  saint 
homme  ;  il  s'était  porté  garant  de  ses  vertus,  de  sa  vie 
irréprochable,  de  ses  courageux  efforts  et  des  résultats 
qu'il  avait  déjà  obtenus,  trop  tôt  arrêtés,  hélas  1  par  la 
jalousie,  la  haine  et  l'avidité  de  ses  ennemis.  Il  avait  fait 
les  plus  grands  éloges  des  Frères  Mineurs,  qui  les  pre- 
miers avaient,  au  prix  de  dangers  sans  nombre,  planté 


60  m  juin. 

dans  les  Indes  occidentales  le  glorieux  étendard  du 
Christ  :  «  Si  la  colonne  prospère  »,  ajoutait-il,  «  c'est  grâce 
a  à  eux  seuls  ;  si  nous  trouvons  les  Indiens  faciles  à 
a  accepter  le  joug,  c'est  qu'ils  leur  ont  enseigné  les  vertus 
«  que  nous  ne  savons  plus  pratiquer,  l'austérité  des 
«  mœurs,  le  mépris  des  richesses  et  îa  patience  dans  les 
«  misères  et  les  épreuves  de  cette  vie  ». 

La  reine  prit  cette  affaire  à  cœur.  Elle  avait  pour  le 
Père  Jean,  qu'elle  connaissait  de  longue  date,  une  affec- 
tion mêlée  de  respect,  elle  résolut,  non-seulement  de  lui 
rendre  justice  en  le  maintenant,  malgré  la  calomnie,  au 
poste  où  il  avait  été  nommé  par  Charles-Quint,  mais 
encore  de  punir  ceux  qui  avaient  essayé  de  lui  nuire  dans 
l'esprit  du  roi.  Les  gouverneurs,  les  conseillers,  les  gé- 
néraux qui  avaient  mis  la  main  à  la  machination  ourdie 
contre  lui  furent  rappelés  en  Espagne,  traduits  devant 
des  tribunaux  et  condamnés  à  des  peines  sévères.  Ils 
furent  remplacés  par  des  hommes  intègres ,  dévoués 
avant  tout  aux  intérêts  de  leur  patrie,  de  leur  roi  et  de 
Dieu,  en  communication  d'idées  et  de  principes  avec 
l'évêque  de  Mexico,  et  disposés  à  seconder,  non  à  entraver 
ses  efforts. 

En  même  temps  la  reine  adressait  au  Père  Jean  les 
lettres  les  plus  flatteuses  ;  elle  le  complimentait  sur  sa 
belle  conduite,  l'assurait  que,  en  cas  de  besoin,  il  trouve- 
rait toujours  auprès  du  trône  aide  et  protection,  et  enfin 
le  conjurait  de  venir  en  Espagne  se  reposer  pendant 
quelque  temps  de  ses  fatigues.  Le  saint  homme  se  décida 
avec  bien  de  la  peine  à  quitter  ses  chers  Indiens,  surtout 
à  un  moment  où,  pour  la  première  fois,  il  allait  pouvoir 
en  toute  liberté  s'occuper  de  leurs  intérêts  terrestres  et 


LE  BIENHEUREUX  PÈRE  JEAN  DE  ZUMARRAGA.  6! 

éternels  ;  cependant,  après  d'assez  longues  hésitations,  il 
se  mit  en  roule.  Il  partit  de  Mexico  en  4532,  emportant 
seulement  avec  lui  son  bâton  de  voyage  et  son  bréviaire, 
revêtu  d'un  humble  habit  de  frère  mineur.  Il  s'arrêtait 
dans  les  couvents  de  l'Ordre  qu'il  rencontrait  sur  son 
chemin,  pour  adresser  aux  religieux  quelques  paroles 
éloquentes  et  les  engager  à  persévérer  saintement  dans 
la  voie  difficile  où  ils  s'étaient  librement  engagés. 

Après  une  traversée  heureuse,  il  arriva  en  Espagne. 
On  le  reçut  à  la  cour  impériale  avec  les  bonneurs  qu'on 
aurait  témoignés  à  un  Ambroise  ou  à  un  Jean  Chrysos- 
tome.  Il  y  resta  deux  années,  pendant  lesquelles  il  eut 
avec  Charles-Quint  ou  ses  ministres  de  longs  entretiens 
sur  la  manière  dont  il  convenait  d'administrer  l'Amérique  ; 
puis  il  repartit,  le  cœur  plein  de  joie  et  d'espérance,  pour 
sa  ville  épiscopale.  Le  temps  de  l'épreuve  était  fini,  il 
allait  rendre  au  bonheur  un  peuple  trop  longtemps  mi- 
sérable. 

CHAPITRE  II. 

SOMMAIRE  :  Grandes  vertus  du  bienheureux  Jean.  —  Simplicité  de  sa  vie. Son 

exactitude  à  pratiquer  la  règle  de  saint  François.  —  Sa  cbarité  chrétienne  et  soins 
qu'il  donne  aux  pauvres  et  aux  malades.  —  Fondation  d'hôpitaux.  —  Soulage- 
ments apportés  à  la  misère  des  Indiens.  —  Synode  de  Mexico.  —  Rapport  au 
chapitre  général  de  Toulouse.  —  Sur  la  fia  de  sa  vie,  Jean  conçoit  le  projet  de 
partir  en  Chine.  —  Refus  du  pape  qui  le  nomme  archevêque.  —  Mort  et  funé- 
railles du  saint  prélat. 

Le  nouvel  évêché  de  Mexico  était  déjà  le  plus  important 
des  Indes  occidentales.  Ayant  pour  siège  la  capitale  d'un 
grand  empire,  il  était  appelé  à  étendre  son  influence  sur 
toutes  les  colonies  espagnoles  de  l'Amérique  du  Nord.  Les 
qualités  extraordinaires  de  son  premier  prélat  l'y  ai- 
dèrent tout  d'abord  :  a  Le  Père  Jean  »,  dit  son  biographe, 


62  in  juin. 

«  a  vécu  comme  un  saint,  prêché  comme  un  apôtre  et 
«  veillé  sur  son  troupeau  avec  la  sollicitude  d'un  bon 
«  pasteur  ». 

Il  est  vrai,  en  effet,  qu'il  avait  en  lui  toutes  les  vertus 
chrétiennes  portées  au  plus  haut  point.  S'il  avait  pour  les 
personnes  pieuses  une  affection  profonde,  sa  sublime 
charité  le  portait  presque  également  vers  tous  ceux  qui 
s'étaient  écartés  de  la  voie  du  salut.  Il  n'avait  autour  de 
lui,  dans  son  palais  épiscopal,  que  des  serviteurs  craignant 
Dieu;  mais  il  allait  lui-même  visiter  dans  leur  demeure 
les  pécheurs  les  plus  endurcis. 

Entouré  de  richesses,  alors  qu'il  aurait  pu  comme  tant 
d'autres  amasser  dans  ses  caves  des  monceaux  d'or,  il  se 
souvint  toujours  qu'il  était  frère  mineur  et  qu'il  avait 
fait  vœu  de  pauvreté.  Il  portait  l'habit  de  l'Ordre,  dormait 
sur  une  mauvaise  paillasse  et  se  levait  au  milieu  de  la 
nuit  pour  aller  chanter  matines  avec  les  religieux  qui 
habitaient  le  palais.  Sa  table  n'était  pas  mieux  garnie 
que  celle  des  Récollets  d'Espagne,  chez  qui  il  avait  passé 
la  première  partie  de  sa  vie  ;  et  pendant  le  repas  on  fai- 
sait toujours  quelque  pieuse  lecture.  On  lui  reprocha  un 
jour,  involontairement  peut-être,  de  vivre  dans  une  de- 
meure qui  ressemblait  bien  inoins  à  la  cellule  d'un  moine 
qu'au  palais  d'un  évèque;  il  en  arracha  de  sa  main  tous 
les  ornements,  mit  les  murs  à  nu  et  dit  à  ses  familiers  : 
«  On  a  prétendu  que  je  n'étais  plus  frère  mineur,  depuis 
«  que  le  roi  et  le  pape  m'ont  fait  évêque  ;  souvenez-vous 
«  que  je  ne  veux  pas  être  un  évêque,  mais  un  frère 
«  mineur  ».  Et  toute  sa  vie  ne  fut  qu'une  longue  preuve 
de  cette  parole. 

Il  pratiquait  tous  les  jeûnes  prescrits  par  la  règle  de 


LE  BIENHEUREUX  PÈRE  JEAN  DE  ZUMARRAGA.  63 

saint  François.  Tous  les  vendredis,  il  se  confessait  à  l'un 
des  frères  mineurs  qui  habitaient  avec  lui  dans  le  palais 
épiscopal,  et  quand  par  hasard  ils  en  étaient  tous  absents, 
il  se  rendait  à  pied,  sans  suite,  au  plus  prochain  cou- 
vent, et  revenait  aussitôt  offrir  le  saint  sacrifice  dans  sa 
cathédrale.  Un  jour  un  riche  gentilhomme  du  Pérou,  le 
voyant  ainsi  parcourir  les  rues  de  Mexico,  demanda  à  lin 
passant  quel  était  ce  moine  à  la  figure  majestueuse,  et  en 
apprenant  qu'il  n'était  autre  que  l'archevêque  :  «  0  trop 
«  heureuse  ville  »,  s'écria-t-il,  «  dont  Dieu  a  confié  les 
«  destinées  à  un  si  vénérable  prélat  !  » 

Quoique  sorti  de  l'Ordre  des  Frères  Mineurs,  il  avait 
pour  tous  les  religieux  une  affection  sincère,  et  il  témoi- 
gnait autant  d'égards  aux  Augustins  et  aux  Prédicants 
qu'aux  flls  de  Saint-François.  Il  les  protégeait  contre 
leurs  ennemis,  prenait  leur  défense  avec  un  zèle  tout  pa- 
ternel et  avait  soin  de  les  fournir  de  tout  ce  qui  leur 
était  nécessaire,  en  provisions  de  bouche,  en  vêtements 
et  surtout  en  livres,  richesse  alors  très-rare  dans  les  Indes 
Occidentales. 

Les  trois  hôpitaux  de  Mexico  étaient  aussi  placés  sous 
sa  haute  direction  ;  tous  les  pauvres  gens  qu'il  rencontrait 
dans  les  rues  de  la  ville  étaient  assurés  d'y  trouver  un 
refuge,  des  consolations  et  des  soins  empressés.  Les  au- 
mônes tombaient  d'ailleurs  à  profusion  de  ses  mains  ;  et 
quand,  par  hasard,  il  n'avait  pas  d'argent  à  donner  à  un 
Indien,  il  lui  jetait  son  manteau  sur  les  épaules.  Il  éleva 
lui-même  à  Mexico  un  nouvel  hôpital  dédié  à  saint  Côme 
et  à  saint  Damien,  et  qu'il  plaça  sous  le  patronage  de 
l'empereur  Charles- Quint.  Deux  fois  par  jour  on  ouvrait 
aux  pauvres  les  portes  de  son  palais;  il  venait  s'enquérir 


64  III  JUIN. 

de  leurs  besoins,  écoutait  leurs  doléances  avec  une  pa- 
tience angélique,  et  n'en  renvoyait  pas  un  sans  lui  avoir 
donné  du  pain  pour  longtemps,  du  courage  et  de  l'espé- 
rance pour  le  reste  de  sa  vie. 

Les  Indiens,  ceux  d'entre  eux  surtout  qui  s'étaient 
convertis  au  christianisme,  trouvèrent  en  lui  un  père 
tendre  et  dévoué.  Beaucoup,  qui  avaient  été  réduits  en 
esclavage  par  les  soldats  espagnols,  lui  durent  leur  li- 
berté :  ils  furent  tirés  des  mines  où  ils  dépérissaient,  et 
renvoyés  à  leur  village  ou  à  leur  forêt.  Il  avait,  pour  les 
enseigner,  les  consoler,  leur  inspirer  de  la  confiance  en 
Dieu,  des  paroles  d'une  douceur  infinie;  il  allait  les  voir 
dans  leurs  petites  maisons  de  bois  recouvertes  de  can- 
nes, pour  porter  des  secours  aux  indigents  et  des  remè- 
des à  ceux  qui  étaient  malades  :  «  C'est  auprès  d'eux  », 
disait-il  souvent  aux  Espagnols  qui  lui  reprochaient 
de  leur  témoigner  trop  de  bonté,  a  c'est  auprès  d'eux 
«  seulement  que  je  trouve  mises  en  pratique  les  vertus 
«  dont  Jésus-Christ  Notre-Seigneur  nous  a  donné  l'exem- 
«  pie  ;  tandis  que  vous  menez  une  vie  trop  facile  et  sou- 
«  vent  criminelle,  ils  supportent  presque  sans  pousser 
a  une  plainte  la  misère,  la  maladie  et  un  travail  excessif; 
«  la  vue  de  leur  inaltérable  patience  me  console  des  vices 
«  qui  se  développent  au  milieu  de  nous,  ils  me  donnent 
«  un  avant-goût  des  jouissances  du  ciel,  où  ils  marchent 
«  tout  droit  ;  tandis  que  vous,  nés  chrétiens,  vous  agissez 
«  comme  si  vous  ne  vous  souveniez  pas  du  Dieu  qui  punit 
«  et  qui  récompense  ». 

Le  bienheureux  Père  Jean,  plus  humble  qu'un  frère 
mineur ,  avait  pourtant  en  lui  toute  la  majesté  d'un 
prélat.  Il  accomplissait  les  cérémonies  du  culte  avec  une 


LE  BIENHEUREUX  PÈRE  JEAN  DE  ZUMARRAGA.  fia 

telle  dignité,  que  les  assistants  étaient  frappés  d'étonne- 
ment  et  de  respect.  En  chaire,  avec  sa  voix  puissante  qui 
remplissait  toute  la  cathédrale,  quand  il  menaçait  les 
pécheurs  de  la  colère  du  Dieu  vivant,  on  eût  dit  un  pro- 
phète de  l'Ancien  Testament  annonçant  aux  Hébreux 
leur  longue  captivité. 

Aussi  s'était-il  acquis  au  loin,  dans  les  Indes  occiden- 
tales, un  grand  renom  de  sainteté  :  on  l'appelait  l'apôtre, 
et  il  était  vraiment  animé  de  l'esprit  des  premiers  disci- 
ples de  Jésus.  Il  semble  que,  à  son  souffle,  les  temples  des 
faux  dieux  se  soient  soudain  écroulés  ;  partout,  sur  son 
passage,  ils  disparaissaient  pour  ne  plus  se  relever.  L'un 
des  plus  antiques  monuments  du  culte  du  soleil,  le  palais 
de  Tezcucingo,  où  les  rois  de  Tezcuco  venaient  rendre 
hommage  à  leur  dieu,  et  qui  était  enrichi  par  les  of- 
frandes des  populations  depuis  des  siècles,  fit  place  à  une 
église  catholique. 

En  1536,  l'archevêque  de  Mexico  convoqua  à  un 
synode  provincial  les  évoques  de  Tlaxcala  et  de  l'île  de 
Saint-Domingue,  avec  tous  les  religieux  qui  se  trouvaient 
alors  en  Amérique  ,  pour  délibérer  sur  les  meilleurs 
moyens  d'étendre  rapidement  la  foi  catholique  au  Nou- 
veau-Monde. On  convint  tout  d'abord  d'établir  dans 
toutes  les  églises  et  dans  toutes  les  chapelles,  même 
dans  les  chapelles  des  couvents,  un  baptistère,  où  les 
Indiens,  instruits  des  vérités  de  la  religion,  pourraient 
sans  retard  recevoir  le  premier  Sacrement  des  chrétiens. 
On  devait  rendre  les  cérémonies  aussi  imposantes  que 
possible,  et  frapper  l'esprit  des  Indiens  par  la  majesté 
du  culte  rendu  au  Christ. 
Le  Père  Jean  habitait  depuis  quatre  années  déjà  les 
Palm.  Sera pu.  —  Tome  VI.  5 


66  III  JUIN. 

Indes  occidentales,  quand  il  adressa  au  chapitre  général 
de  Toulouse  la  lettre  suivante  :  «  Nous  sommes  accablés 
«  du  travail  que  nous  donne  la  conversion  des  infidèles  ; 
«  vous  le  comprendrez  sans  peine,  en  apprenant  que  les 
«  Frères  Mineurs  seuls  en  ont  baptisé  presque  un  mil- 
«  lion  ;  nous  avons  renversé  et  brûlé  cinq  mille  temples 
«  des  faux  dieux,  brisé  plus  de  vingt  mille  idoles  et 
«  construit  deux  fois  autant  d'églises,  de  chapelles  et 
a  d'oratoires  où  les  Indiens  viennent  prier.  Dans  la  seule 
«  ville  de  Mexico,  où  chaque  année  plus  de  vingt  mille 
«  jeunes  âmes,  en  naissante  la  vie,  étaient  déjà  sacrifiées 
«  au  démon,  les  Pères  ne  songent  plus  qu'à  leur  ensei- 
«  gner  les  grandes  vérités  du  christianisme  et  les  louanges 
«  du  Dieu  tout-puissant.  Ils  pratiquent  les  jeûnes  et  les 
«  vigiles,  se  donnent  la  discipline  et  prient  durant  des 
a  heures  entières  en  pleurant  leur  indignité  ;  ils  se  con- 
«  fessent  souvent  et  s'approchent  de  la  sainte  Table  avec 
«  un  extrême  recueillement.  Au  milieu  de  la  nuit,  ils  se 
«  lèvent  et  chantent  les  litanies  de  la  très-sainte  Vierge, 
«  pour  qui  ils  ont  un  culte  tout  particulier.  Dans  chacun 
a  de  nos  couvents  une  salle  immense  est  spécialement 
«  destinée  à  l'instruction  des  jeunes  indiens  ;  quelquefois 
«  même  une  maison  tout  entière  leur  est  consacrée  ;  elle 
«  renferme  une  classe,  un  dortoir,  un  réfectoire  et  une 
«  chapelle.  Tous  ces  enfants  sont  très-doux,  très-respec- 
«  tueux,  fort  appliqués  à  leurs  devoirs  et  très-avides 
a  d'apprendre  ;  ils  nous  aiment  comme  si  nous  étions 
«  leurs  pères. 

«  Déjà  quelques-uns  de  nos  frères  parlent  avec  facilité 
«  l'idiome  du  pays  ;  entre  autres  le  frère  Pierre  de  Gand, 
«  qui,  en  ce  moment,  prépare  au  grand  sacrement  du 


LE  BIENHEUREUX  PÈRE  JEAN  DE  ZUMARRAGA.  67 

o  mariage  six  cents  jeunes  gens  et  autant  déjeunes  Pilles  ». 

«  La  sage  prévoyance  de  l'impératrice  nous  a  adjoint 
«  six  pieuses  femmes,  qui  sont  plus  spécialement  char- 
«  gées  de  l'éducation  des  indiennes  :  plus  décent  d'entre 
«  elles  sont  déjà  réunies  sous  leur  direction  dans  une 
«  grande  maison  voisine  du  palais  épiscopal.  Tous  ces 
«  enfants  de  l'un  et  de  l'autre  sexe,  rentrés  à  la  maison 
«  paternelle,  sont  comme  autant  de  frères  prêcheurs  qui 
«  enseignent  à  leurs  parents  ce  qu'ils  ont  appris  eux- 
«  mêmes,  et  ainsi  se  trouve  vérifiée  la  parole  du  roipro- 
«  phète  :  «  Seigneur,  c'est  par  la  bouche  des  enfants 
«que  nous  avons  appris  à  te  louer».  Et  maintenant, 
«  plaise  à  Vos  Révérences  de  prier  Jésus-Christ,  pour 
«  qu'il  veuille  bien  nous  aider  à  continuer  une  œuvre  si 
«  heureusement  commencée  ».  (Mexico,  le  12  juin  1531.) 

Le  bienheureux  Jean,  après  avoir  ainsi,  par  un  travail 
incessant  de  plusieurs  années,  ouvert  à  ses  successeurs  la 
voie  où  ils  n'avaient  plus  qu'à  le  suivre,  non  content 
encore  de  ce  qu'il  avait  fait  pour  l'amour  de  son  Dieu, 
voulait  maintenant  aller  porter  en  Chine  la  sainte  parole 
de  l'Ecriture.  Le  Père  Martin  de  Valence,  en  lui  racon- 
tant les  dangers  qui  attendaient  les  missionnaires  sur 
cette  terre  de  superstition,  lui  avait  inspiré  un  vif  désir 
d'y  aller  cueillir  la  palme  du  martyre.  Ni  son  grand  âge, 
ni  les  regrets  qu'il  allait  laisser  derrière  lui  ne  le  détour- 
nèrent de  son  projet,  et,  à  deux  reprises  différentes,  il 
pria  le  pape  de  lui  retirer  son  évêché  ;  mais  le  Saint-Père 
et  l'empereur,  persuadés  qu'il  y  avait  autant  de  difficultés 
et  de  mérite  à  convertir  les  Indiens  qu'à  convertir  les  Chi- 
nois, le  maintinrent  malgré  lui  sur  son  siège  de  Mexico. 
C'est  à  cette  époque  qu'un  bref  pontifical  conféra  au 


es  ni  juin. 

bienheureux  Jean  le  titre  d'archevêque  ;  Mexico  jus- 
qu'alors n'avait  été  considéré  que  comme  évêché.  Il 
accepta  difficilement  sa  nouvelle  dignité  qui  lui  donnait 
une  autorité  incontestable  sur  tout  le  clergé  du  Nouveau- 
Monde.  Les  félicitations  que  lui  adressèrent  les  prêtres 
d'abord,  puis  le  conseil  royal  et  le  gouverneur,  lui  furent 
plus  pénibles  que  des  reproches  amers.  «  Qu'ai-je  fait  », 
disait-il,  «  pour  qu'on  charge  mes  faibles  épaules  d'un  si 
«lourd  fardeau».  Dieu  prit  soin  de  le  consoler  :  il  lui 
annonça  le  jour  où  il  devait  mourir. 

Ce  fut  une  grande  joie  pour  le  saint  homme  qui  n'eut 
plus  qu'une  seule  pensée,  mettre  en  ordre  les  affaires  de 
son  diocèse  et  se  préparer  au  passage  dans  l'éternité.  II 
fit  donc  publier  dans  tout  le  pays  environnant  que  ceux 
qui  n'avaient  pas  encore  reçu  le  corps  et  le  sang  de  Notre- 
Seigneur,  eussent  à  se  rendre  sans  délai  à  Mexico.  Une 
foule  immense  d'Indiens  répondit  à  cet  appel.  Il  en  vint 
des  bords  do  la  mer  et  du  fond  des  forêts  ;  des  tribus  en- 
tières, conduites  par  leurs  caciques,  arrivaient  dans  la 
ville  épiscopale.  Le  bienheureux  Père  Jean,  malgré  ses 
fatigues  et  son  grand  âge,  leur  donna  lui-même  à  tous 
la  sainte  communion  ;  puis  il  chargea  ses  vicaires  d'ad- 
ministrer son  diocèse  :  son  œuvre  à  lui  était  achevée  ;  il 
n'avait  plus  qu'à  mourir,  et  il  voulait  rendre  le  dernier 
soupir  entre  les  mains  du  Père  Dominique  de  Betanzos, 
frère  prêcheur,  son  ami,  qui  l'avait  souvent  aidé  à  porter 
le  poids  de  son  archevêché.  Il  partit  donc,  au  milieu 
même  de  la  nuit  suivante,  pour  Tepetlauztoc,  à  huit 
heures  de  Mexico,  séjour  habituel  du  Père  Dominique  ; 
il  y  arriva  à  neuf  heures  du  matin  et  fut  reçu  avec  joie 
par  le  bon  religieux. 


LE  BIENHEUREUX  PÈRE  JEAN  DE  ZUMARRAGA.  69 

Pendant  quatre  jours,  il  vécut  parfaitement  heureux, 
s'entretenant  avec  son  ami  des  choses  du  ciel  et  de  la  fé- 
licité réservée  aux  élus  du  Seigneur  ;  puis  tout  à  coup  il 
tomba  gravement  malade,  et  ses  souffrances  devinrent 
bientôt  si  vives  qu'il  dut  retournera  Mexico,  accompagné 
du  Père  Dominique  de  Betanzos,  qui  ne  le  quitta  plus. 
Une  heure  avant  de  mourir,  il  disait  aux  religieux  grou- 
pés autour  de  lui  :  «  Chers  pères  et  chers  frères,  quelle 
a  différence  il  y  a  à  parler  de  la  mort  et  à  lutter  face  à 
a  face  avec  elle  ».  Il  resta  calme  cependant,  et  en  posses- 
sion de  toutes  ses  facultés  jusqu'au  dernier  moment. 
Après  avoir  reçu  les  derniers  Sacrements,  il  murmura 
les  paroles  du  roi  David  :  «  Seigneur,  je  remets  mon  àme 
«  entre  vos  mains  »,  et  il  s'endormit  dans  le  sein  de 
Dieu,  le  3  juin  1548  :  il  était  âgé  de  quatre-vingt- 
un  ans. 

En  un  jour,  par  un  miracle  évident,  tout  l'empire  du 
Mexique  apprit  qu'il  venait  de  perdre  son  archevêque,  et 
les  Indiens  leur  protecteur  et  leur  père.  Ce  fut  un  deuil 
universel.  Plus  de  dix  mille  Mexicains  assistèrent  à  ses 
funérailles  qui  furent  célébrées  avec  pompe  dans  l'église 
archiépiscopale.  Pendant  tout  le  temps  que  dura  la  céré- 
monie, on  n'entendit  que  des  sanglots  et  des  lamenta- 
tions ;  les  Frères  Mineurs  eux-mêmes,  suffoqués  par  la 
douleur,  ne  pouvaient,  à  cause  de  leurs  larmes,  chanter 
l'office  des  morts.  Le  vice-roi,  le  grand  conseil,  les  chefs 
de  la  bourgeoisie,  en  un  mot  tous  les  dignitaires  de  la 
ville  et  de  la  cour  assistaient  à  la  cérémonie,  et  la  dou- 
leur qui  se  lisait  sur  tous  les  visages  témoignait  combien 
vivement  chacun  sentait  la  grandeur  de.  la  perte  qu'on 
venait  de  faire. 


70  m  juin. 

Des  miracles  s'accomplirent  sur  le  tombeau  du  bien- 
heureux prélat. 

(Gonzague,  Daza,  etc.) 


PERE  FRANÇOIS  DE  SOTO 

1551.  —  Pape  :  Jules  III.  —  Roi  d'Espagne  :  Charles-Quint. 


SOMMAIRE  :  Le  Père  François  accompagne  le  bienheureux  Martin  de  Valence  au 
Nouveau-Monde.  —  Son  premier  séjour  en  Amérique.  —  Retour  en  Espagne.  — 
Il  tombe  malade  à  Séville,  mais,  à  sa  grande  joie,  recouvre  la  santé  et  vient  mourir 
au  milieu  des  Indiens. 


Le  Père  François  de  Soto  (1)  est  l'un  des  douze  mission- 
naires qui  partirent  les  premiers  de  la  province  de  Saint- 
Gabriel,  en  Espagne,  pour  aller  à  la  suite  du  bienheureux 
Martin  de  Valence  annoncer  la  religion  chrétienne  au 
Mexique.  C'était  un  homme  de  grande  science  et  de 
grande  sagesse;  il  exerça  à  plusieurs  reprises  les  fonc- 
tions de  définiteur  dans  la  vaste  province  du  Saint- 
Evangile,  au  Nouveau-Monde.  Il  visitait  pieds  nus,  par 
les  chemins  mal  tracés,  à  travers  les  ronces  et  les  brous- 
sailles, les  couvents  placés  sous  sa  direction.  Doué  d'une 
grande  éloquence,  il  provoqua  un  grand  nombre  de 
conversions,  sans  cependant  avoir  connaissance  de  la 
langue  mexicaine.  11  aimait  tendrement  les  Indiens,  qu'il 
protégea,  bien  souvent  au  péril  de  sa  vie,  contre  les  vexa- 
tions des  soldats  espagnols. 

Après  avoir  passé  un  certain  temps  au  Nouveau-Monde, 


(I)  A  la  suite  de  la  vie  du  bienheureux  Jean  de  Zumarraga,  nous  racontons  celle 
des  hommes  apostoliques  qui  ont  travaillé  à  ses  côtés  à  la  grande  œuvre  de  con- 
version et  de  civilisation,  sans  nous  inquiéter  du  jour  précis  de  leur  mort,  qui,  pour 
presque  tous,  est  resté  inconnu. 


PÈRE  FRANÇOIS  DE  SOTO.  71 

il  retourna  en  Espagne,  sa  patrie,  qu'il  désirait  vivement 
revoir  avant  de  mourir.  Les  Indiens,  fort  affligés  de  son 
départ,  essayèrent  de  le  retenir  à  Tlascala;  il  ne  parvint 
à  les  consoler  qu'en  leur  promettant  de  bientôt  revenir. 
A  son  arrivée  en  Espagne,  où  il  avait  laissé  de  profonds 
souvenirs,  il  fut  reçu  à  bras  ouverts  par  Fempereur  lui- 
même,  qui  lui  accorda  tout  ce  qu'il  put  lui  demander  en 
faveur  de  ses  chers  Indiens.  En  ce  moment  on  apprenait 
précisément  en  Espagne  la  mort  du  bienheureux  Jean  de 
Zumarraga  et  la  vacance  de  son  évèché;  Charles-Quint 
offrit  au  Père  François  de  lui  succéder  sur  le  siège  épis- 
copal  de  Mexico.  Il  refusa,  et  resta  ferme  dans  son  refus, 
en  dépit  des  efforts  que  l'empereur  fit  pour  en  triompher: 
il  voulait  mourir  simple  frère  mineur. 

Un  moment,  il  craignit  de  ne  pouvoir  tenir  la  promesse 
qu'il  avait  faite  à  ses  chers  Indiens  d'aller  les  revoir  avant 
de  mourir.  Il  tomba  gravement  malade  à  Séville  :  «  Mon 
«  seul  chagrin  au  moment  de  quitter  cette  vie»,  disait-il, 
a  c'est  de  songer  que  je  ne  serai  pas  enterré  au  milieu  de 
«  mes  chers  enfants  du  Nouveau-Monde  ».Un  riche  mar- 
chand lui  promit  de  faire  transporter  ses  restes  mortels 
à  Mexico.  Mais  il  devait  encore  y  retourner  vivant  ;  Dieu 
avait  jugé  bon  de  récompenser  son  fidèle  serviteur  en 
exauçant  le  plus  ardent  de  ses  désirs  :  le  Père  François, 
entièrement  guéri,  se  rendit  à  pied  à  San-Lucar,  pour  y 
prendre  le  navire  qui  devait  le  conduire  en  Amérique. 
Tous  les  jours,  du  point  le  plus  élevé  du  jardin  du  cou- 
vent, il  passait  de  longs  moments  à  regarder  la  mer  :  «  0 
«  mer  »,  disait- il,  «  reçois-moi  sur  tes  eaux  et  porte-moi 
«  sur  l'autre  rivage  ;  que  je  voie  mes  Indiens,  et  j'aurai 
«  assez  vécu  » . 


72  III  JUIN. 

C'est  en  1550,  que  le  vénérable  missionnaire  débarqua 
sur  sa  terre  de  prédilection,  apportant  avec  lui  son  seul 
bréviaire.  Ceux  qu'il  appelait  ses  chers  enfants  le  reçurent 
avec  une  joie  indicible  ;  ils  accouraient  de  tous  côtés 
au-devant  de  lui.  Un  miracle  qui  s'accomplit  à  Tlascala, 
pendant  qu'il  prêchait,  accrut  encore  la  vénération  qu'on 
avait  pour  lui  :  une  langue  de  feu  paraissant  descendre 
du  ciel  s'arrêta  au-dessus  de  sa  tête,  et  y  resta  tout  le 
temps  que  dura  son  sermon. 

Quelques  mois  plus  tard,  le  Père  François  fut  nommé 
définiteur  à  Mexico;  mais  il  n'exerça  pas  longtemps  cette 
dignité:  sa  dernière  maladie  l'étreignit  à  la  gorge  au 
moment  même  où  il  allait  commencer  l'inspection  des 
couvents.  Comme  son  médecin  lui  donnait  peu  d'espoir  : 
o  Du  jour  où  j'ai  pris  cet  habit  de  religieux  »,  répondit-il, 
«  je  suis  prêt  à  mourir».  Il  reçut  les  derniers  Sacrements 
avec  une  piété  touchante,  demanda  pardon  à  ses  frères 
des  offenses  qu'il  avait  pu  leur  causer,  et  sa  belle  âme 
alla  chercher  dans  le  ciel  la  récompense  qu'elle  avait  si 
bien  méritée.  Des  miracles  qui  s'accomplirent  sur  son 
tombeau  ajoutèrent  encore  à  l'éclat  de  sa  renommée. 

(GONZAGUE.) 


PÈRE  FRANÇOIS  .XIMÉNÈS.  73 


PÈRE  FRANÇOIS  XIMÉNÈS 


SOMMAIRE  :  Perfection  religieuse  de  Père  François.  —  Son  départ  pour  l'Amé- 
rique. —  Ses  travaux  littéraires.  —  Conversions  qu'il  provoque.  —  Il  refuse  l'é- 
vêché  de  Tabaseo.  —  Sa  mort. 


Père  François  Ximénès,  savant  homme,  aussi  versé 
dans  le  droit  romain  que  dans  le  droit  canon,  mena  au 
sein  du  monde  une  vie  comparable  à  celle  des  plus 
austères  religieux.  11  reçut  l'habit  de  l'Ordre  dans  la  pro- 
vince de  Saint-Gabriel,  et  fit  de  grands  et  de  rapides  pro- 
grès dans  le  chemin  de  la  vertu.  Il  porta  à  l'extrême 
toutes  les  vertus  religieuses,  et  fut  pour  tous  ses  frères 
un  modèle  de  perfection  chrétienne.  Son  humilité  était 
telle  que,  pendant  son  séjour  en  Espagne,  il  ne  consentit 
jamais  à  se  laisser  ordonner  prêtre. 

Il  partit  avec  le  bienheureux  Martin  de  Valence,  pour 

aller  enseigner  aux  Indiens  du  Nouveau-Monde  les  vérités 

de  la  foi.  A  son  arrivée  à  Mexico  il  fut  investi  de  la  dignité 

sacerdotale  qui  lui  conférait  le  droit  et  le  pouvoir  de 

donner  les  saints  Sacrements  aux  fidèles,  de  baptiser,  de 

confesser  et  d'absoudre  au  nom  du  Seigneur.  Il  apprit 

tout  d'abord  la  langue  du  pays,  pour  prêcher  avec  plus 

de  facilité  et  instruire  avec  plus  de  fruits.  Il  composa 

même  un  dictionnaire  mexico-espagnol,  et  écrivit  pour 

l'usage  des  Indiens  des  livres  de  piété  et  un  catéchisme 

mexicain.  Ces  travaux  considérables  ne  l'empêchaient  pas 

de  parcourir  les  villes  et  les  villages,  et  de  convertir  à  la 

vraie  foi  un  grand  nombre  d'Indiens.  On  l'aimait  pour  sa 

douceur  et  sa  charité,  on  l'aimait  aussi  pour  la  facilité 


74  III  JUIN. 

avec  laquelle  il  parlait  une  langue  que  les  Espagnols 
paraissaient  s'obstiner  à  ne  pas  vouloir  apprendre.  Quand 
il  était  fatigué,  il  visitait  les  malades  et  entendait  les  con- 
fessions ;  c'était  le  seul  repos  qu'il  se  permît.  Des  milliers 
d'Indiens  voulurent  être  baptisés  de  sa  main  ;  les  idoles 
s'écroulaient  à  sa  voix,  et  dans  chaque  hameau  qu'il 
traversait,  il  laissait  derrière  lui  une  église  ou  une  cha- 
pelle. 

Charles-Quint  essaya  de  lui  faire  accepter  l'évêché  de 
Tabasco  ;  il  s'y  refusa  énergiquement  :  sa  seule  ambition 
était  de  mourir  dans  sa  robe  de  frère  mineur.  Sur  la  fin  de 
sa  vie,  le  Seigneur  lui  fit  la  grâce  de  jouir  de  longues 
extases,  pendant  lesquelles  il  goûtait  la  félicité  des  élus. 
Il  était  complètement  abîmé  en  Dieu,  et  ses  contempla- 
tions se  prolongeaient  quelquefois  si  longtemps,  qu'on 
fut  obligé  de  placer  auprès  de  lui  un  frère  chargé  de  le 
prévenir  qu'il  était  temps  de  prendre  quelque  nour- 
riture. 

Quand  il  eut  rendu  son  âme  à  Dieu,  après  une  longue 
et  douloureuse  maladie,  on  l'ensevelit  dans  le  couvent 
de  Mexico.  Le  Père  Lucas  d'Almadobar,  qui  l'avait  assisté 
jusqu'à  sa  mort,  lui  coupa  un  doigt  avant  de  le  coucher 
dans  le  cercueil  ;  un  an  plus  tard  cette  précieuse  relique 
était  encore  dans  un  parfait  état  de  conservation  et 
répandait  un  parfum  céleste. 

(GONZAGUE.) 


PÈRE   GARCIA  S  DE  CISNEROS.  75 


PÈRE  GARCIAS  DE  CISiNEROS 

C'est  encore  en  Espagne,  dans  la  province  de  Saint- 
Gabriel,  que  le  Père  Gardas  de  Cisneros  prononça  ses 
vœux.  Les  vertus,  la  science  et  l'affection  qu'il  avait  su 
inspirer  aux  Indiens  du  Mexique,  le  firent  nommer  pre- 
mier provincial  au  Nouveau-Monde.  Comme  les  autres 
compagnons  du  bienheureux  Martin  de  Valence,  on 
compte  par  milliers  le  nombre  des  conversions  qu'il  pro- 
voqua. Il  écrivait  ses  sermons  en  mexicain,  et  les  lisait 
lui-même  en  chaire  les  dimanches  et  jours  de  fête;  après 
sa  mort,  on  les  publia  et  on  en  répandit  parmi  les  Indiens 
de  nombreux  exemplaires. 

C'est  par  son  inspiration  qu'il  s'éleva  à  Tlatibulco,  avec 
la  permission  de  l'archevêque  Zumarraga  et  du  vice-roi 
du  Mexique,  un  grand  collège  où  les  jeunes  Indiens  ve- 
naient apprendre  l'espagnol  et  le  latin.  Il  parcourait  sa 
vaste  province  à  pied,  s'arrêtant  pour  prêcher  et  pour 
baptiser  dans  les  villages  qu'il  rencontrait  sur  sa  route, 
envoyant  à  son  collège  les  enfants  qui  lui  paraissaient 
les  plus  intelligents.  Il  s'opposa  avec  toute  la  vigueur 
d'une  âme  droite  à  la  tyrannie  indigne  exercée  par  les 
Espagnols  sur  les  vaincus  ;  et  il  parlait  de  faire  un  voyage 
en  Espagne  pour  aller  plaider  auprès  de  l'empereur  la 
cause  des  Indiens,  quand  le  Seigneur  le  rappela  à  lui. 
Ses  restes  mortels  furent  placés  dans  le  couvent  de 
Mexico,  auprès  de  la  dépouille  des  Pères  François  de  Soto 
et  François  Ximénès,  avec  qui  il  avait  quitté  son  pays 
pour  venir  en  Amérique  travailler  au  bien  des  âmes. 

(Daza.) 


76  III  JUIN. 


PERE  ANTOINE  DE  CUIDAD-RODRIGO 

1553.  —  Pape  :  Jules  III.  —  Roi  d'Espagne  :  Charles-Quint. 

SOMMAIRE  :  Zèle  apostolique  du  Père  Antoine.  —  Son  austérité  et  ses  vertus 
religieuses.  —  Heureuse  influence  des  Frères  Mineurs  en  Amérique.  —  Voyage 
en  Espagne  et  mort  du  Père  Antoine. 

Le  Père  Antoine  de  Cuidad-Rodrigo,  frère  mineur  de 
la  province  espagnole  de  Saint-Gabriel  et  compagnon  du 
bienheureux  Martin  de  Valence,  fut  gardien  de  plusieurs 
couvents  dans  la  province  mexicaine  du  Saint-Evangile, 
et  succéda  au  Père  Garcia  de  Gisneros  en  qualité  de  pro- 
vincial. C'était,  selon  le  mot  de  son  biographe,  un  miroir 
d'austérité,  de  pauvreté  volontaire  et  d'humilité.  Il  tra- 
vaillait avec  une  ardeur  infatigable  à  la  conversion  des 
Indiens,  prêchant  jusqu'à  trois  fois  dans  la  même  ma- 
tinée, en  différentes  langues,  offrant  le  saint  sacrifice  de 
la  messe  et  consacrant  le  reste  de  la  journée  à  baptiser, 
à  entendre  des  confessions,  à  visiter  les  malades,  à  enter- 
rer les  morts. 

Gependant,  malgré  des  fatigues  excessives,  il  prenait  à 
peine  une  nourriture  suffisante  pour  soutenir  ses  forces  ; 
il  couchait  sur  la  dure  avec  une  pierre  sous  la  tête  pour 
oreiller  ;  il  marchait  nu-pieds,  sans  sandales,  et  ne  bu- 
vait de  vin  que  lorsque  sa  faiblesse  lui  en  faisait  un 
devoir.  On  rapporte  que  dans  le  temps  où  il  était  gardien 
du  couvent  de  Mexico,  l'évêque  Zumarraga  lui  envoya 
un  tonneau  de  vin  d'Espagne,  dont  les  religieux,  con- 
damnés à  l'eau  depuis  longtemps,  devaient  avoir  grand 
besoin.  Le  Père  Antoine   renvoya    le  vin  au  prélat  : 


PERE  ANTOINE  DE  CUIDAD-RODRTGO.  77 

«  Merci  »,  lui  écrivit-il,  «  pour  le  soin  que  vous  prenez 
«  de  nos  frères  ;  mais  je  vous  en  prie,  Monseigneur, 
«  laissez-nous  nous  mortifier  et  nous  imposer  des  priva- 
«  tions,  comme  il  convient  aux  plus  humbles  serviteurs 
«  de  Dieu  ». 

Comme  ses  compagnons  de  mission,  le  Père  Antoine 
fut  un  infatigable  défenseur  des  Indiens.  Il  écrivit  en  leur 
faveur  des  lettres  louchantes  qui  contribuèrent  sans 
doute  à  attirer  les  sévérités  de  l'empereur  sur  leurs 
oppresseurs.  Quelques  historiens  ont  affirmé,  non  sans 
raison,  que  si  les  Frères  Mineurs  n'avaient  pas  pris  si 
chaudement  en  mains  les  intérêts  des  Mexicains,  l'Amé- 
rique entière  aurait  été  en  peu  d'années  complètement 
dépeuplée  de  ses  habitants  primitifs,  comme  les  grandes 
îles  de  San-Juan,  de  la  Jamaïque,  les  Lucayes  et  d'autres 
encore,  où  déjà  à  cette  époque  il  était  impossible  de 
trouver  un  Indien.  Beaucoup  périssaient  dans  les  mines, 
beaucoup  se  donnaient  la  mort  plutôt  que  de  succomber 
lentement  sous  les  coups  de  bourreaux  impitoyables , 
un  plus  grand  nombre  se  retiraient  dans  les  immenses 
forêts  vierges  où  les  Espagnols  n'avaient  pas  encore  osé 
pénétrer.  C'est  grâce  aux  efforts  sans  cesse  renouvelés 
des  Frères  Mineurs  que  l'empereur  Charles-Quint  publia 
les  sévères  édits  qui  punissaient  de  peines  rigoureuses  et 
infamantes  les  oppresseurs  des  Indiens.  Le  rappel  en 
Espagne,  la  prison,  la  confiscation  des  biens,  tels  étaient 
les  châtiments  dont  on  menaçait  les  coupables.  En  même 
temps  l'empereur  plaçait  dans  les  principales  provinces 
du  monde  des  hommes  de  confiance,  revêtus  d'une  auto- 
rité suffisante  pour  maintenir  dans  la  crainte  de  la  loi 
ceux  qui  seraient  tentés  de  s'en  écarter.  C'étaient  pour  la 


78  III  JUIN. 

plupart  des  frères  mineurs  ;  aimés  et  estimés  des  Indiens, 
ils  transmettaient  directement  leurs  plaintes  à  la  cour 
impériale  et  au  conseil  des  Indes  occidentales,  qui  tou- 
jours en  tenaient  compte.  Charles-Quint  pria  même  Père 
Antoine  de  venir  en  Espagne  lui  exposer  de  vive  voix 
quelle  était  la  situation.  II  obéit  et  comparut  devant  le 
souverain,  qui  lui  donna  de  vives  marques  de  sympathie 
et  de  confiance.  De  pareils  entretiens  étaient  assurément 
plus  utiles  au  bien  des  Indiens  que  les  plus  longues 
délibérations  de  la  cour  et  du  conseil  des  Indes. 

A  son  retour  en  Amérique,  le  vénérable  Père  Antoine 
emmenait  avec  lui  quarante  frères  mineurs,  des  vêle- 
ments sacerdotaux  et  des  ornements  d'église.  L'empereur 
lui  avait  offert,  mais  sans  pouvoir  le  lui  faire  accepter, 
un  évêché  dans  la  Nouvelle-Galice.  Durant  trente  années 
encore,  il  travailla  à  la  conversion  des  Indiens,  sur  qui 
les  nombreux  miracles  qu'il  avait  accomplis  lui  avaient 
donné  une  grande  autorité  ;  puis,  fatigué  par  l'âge  et  les 
travaux  apostoliques,  il  mourut  comme  un  saint  en  1553, 
et  fut  enterré  au  couvent  de  Mexico.  Ses  restes  y  ont  été 
longtemps  l'objet  de  la  vénération  publique. 

(GûNZAGUE.) 


PERE  JACQUES  TESTERA 

Père  Jacques  Testera  naquit  dans  le  beau  royaume 
de  France,  et  prononça  ses  vœux  dans  la  province  de 
Languedoc.  Théologien  distingué  et  très-versé  dans  les 
saintes  Ecritures,  il  pratiquait  la  règle  de  l'Ordre  Séra- 
phique  avec  une  scrupuleuse  exactitude,  et  il  semble 


PÈRE  JACQUES  TESTERA.  79 

avoir  reçu  de  Dieu  le  don  de  la  prière  et  de  la  contem- 
plation. 

Il  passa  au  Nouveau-Monde  en  4530;  trois  ans  plus 
tard,  il  fut  placé  à  la  tête  de  la  custodie  qui  fut  alors  for- 
mée, et  il  garda  ce  poste  important  jusqu'au  moment  où 
la  custodie  devint  une  province.  C'est  lui  qui  le  premier, 
en  1531,  alla  avec  quatre  Frères  Mineurs  porter  dans  le 
grand  pays  du  Yucatan  la  lumière  de  la  foi.  Il  y  con- 
vertit au  christianisme  et  baptisa  des  milliers  d'idolâtres. 
Les  religieux  prêchaient  à  peine  depuis  trente  ou  qua- 
rante jours,  que  déjà  les  principaux  chefs,  les  caciques  et 
même  les  prêtres  des  tribus  indiennes,  avaient  renoncé  à 
leurs  fausses  divinités  et  proclamé  le  Dieu  des  chrétiens. 
Ils  renversaient  eux-mêmes  les  temples  du  soleil,  bri- 
saient leurs  idoles,  élevaient  de  leurs  propres  mains  des 
églises  et  des  autels  ;  ils  amenaient  aux  Frères  Mineurs 
leurs  enfants  pour  les  instruire,  dès  leur  jeune  âge,  dans 
la  foi  catholique.  Quand  le  Père  Jacques  quitta  le  pays, 
il  y  avait  presque  dans  chaque  village  une  chapelle  et 
une  école  chrétienne. 

De  là  il  passa  dans  le  Méchoacan,  où  ses  efforts  furent 
aussi  couronnés  de  succès. 

En  1541,  le  chapitre  général  de  Mantoue  le  nomma 
commissaire  général  des  Indes  occidentales;  en  cette 
qualité,  il  appela  d'Europe  bon  nombre  de  missionnaires 
qui  transformèrent  complètement  la  face  de  l'Amérique. 
Il  mourut  regretté  de  tous,  honoré  comme  un  saint  et 
pleuré  comme  un  père,  dans  un  âge  très-avancé,  et  fut 

enseveli  dans  le  couvent  de  Mexico. 

(Daza.) 


80  NI  JUIN 


PERE  JEAN  DE  PERPIGNAN 

Père  Jean  de  Perpignan  naquit  en  Catalogne.  Il  est 
le  premier  missionnaire  qui  traversa  l'Océan  après  les 
douze  compagnons  du  bienheureux  Martin  de  Valence. 

Doué  d'une  facilité  incroyable  pour  l'étude  des  langues, 
il  apprit  en  peu  de  temps  la  plupart  des  idiomes  du 
Nouveau-Monde,  et  put  ainsi  convertir  un  nombre  con- 
sidérable d'idolâtres.  Son  ardente  charité  ne  lui  laissait 
pas  un  moment  de  repos.  Toujours  par  monts  et  par 
vaux,  il  allait  chercher  jusqu'au  fond  de  leurs  forêts  les 
Indiens  qui  s'y  étaient  retirés  devant  l'invasion  espa- 
gnole, et,  à  force  de  prières  et  d'éloquence,  il  les  rame- 
nait dans  leurs  villages  abandonnés,  les  baptisait  et  leur 
élevait  des  églises  et  des  écoles.  Presque  toutes  les  tribus 
le  connaissaient  et  l'aimaient  comme  un  Père,  et  quand 
il  mourut  à  Mexico,  un  si  grand  nombre  d'Indiens  se 
pressaient  à  ses  funérailles  que  la  ville  avait  peine  à  les 
contenir. 

(GONZAGDE.) 


PERE  ALPHONSE  DE  ROZAS 

Père  Alphonse  de  Rozas ,  qui  s'était  acquis  en  Es- 
pagne une  grande  réputation  de  science  et  de  vertu ,  fut 
envoyé,  en  1531,  deCastille  au  Nouveau-Monde,  en  qua- 
lité de  commissaire  général  des  Indes  occidentales. 
Quand  il  arriva  au  poste  qui  lui  était  assigné,  il  fut  telle- 
ment frappé  de  la  sainteté  dos  premiers  missionnaires, 


PÈRE  ALPHONSE  DE  ROZAS.  81 

qu'il  ne  put  se  résigner  à  être  leur  supérieur;  il  donna 
sa  démission  et  vécut  auprès  d'eux,  sous  leur  direction. 
Son  histoire  est  la  même  que  celle  de  tous  ces  hommes 
apostoliques  :  tous  les  jours  il  convertit  et  baptise. 

Mais  moins  insensible  que  ses  compagnons  au  souvenir 
de  la  patrie  absente,  il  ne  tarda  pas  à  éprouver  un  violent 
désir  de  retourner  en  Espagne.  Il  était  vieux,  il  était 
malade  ;  il  crut  pouvoir  le  faire  sans  déplaire  au  Sei- 
gneur qui  lui  avait  donné  mission  de  travailler  au  salut 
des  âmes,  et  bientôt  la  tentation  fut  si  forte  qu'il  y  céda. 
Il  en  fut  puni  :  chaque  fois  qu'il  se  mettait  en  prières,  le 
Sauveur  lui  apparaissait  cloué  sur  l'arbre  de  douleurs,  et 
il  entendait  une  voix  lui  dire  :  «  Pourquoi  m'as-tu  laissé 
«  sur  ma  croix,  pour  prendre  un  repos  que  tu  n'avais  pas 
«  mérité  ?»  Le  bon  Père  ne  voulut  pas  braver  le  cour- 
roux divin  ;  il  reprit  la  mer  et  revint  au  Mexique. 

Cette  fois,  il  ne  fut  pas  tenté  de  s'arrêter  dans  la  car- 
rière où  il  était  entré.  Ses  forces,  au  lieu  de  diminuer, 
paraissaient  s'accroître  avec  l'âge  :  il  était  infatigable.  A 
deux  reprises  différentes,  il  fut  chargé  d'administrer  la 
nouvelle  custodie  du  Mécuoacan  et  de  Xalisco,  qui  devint 
plus  tard  une  province. 

Il  mourut,  riche  de  vertus,  en  1570,  au  couvent  de 
Mexico,  après  avoir,  pendant  cinquante-neuf  ans,  tra- 
vaillé à  la  conversion  des  Indiens. 

(GONZAGUE.) 


Palm.  Séraph.  —  Tome  VI. 


82  III  JUIN. 


PERE  JACOB  DE  PENNA 

Le  Père  Jacob  de  Penna,  de  la  province  de  Saint- 
Gabriel,  semble  dès  son  jeune  âge  avoir  été  appelé  par 
Dieu  lui-même  à  prêcber  la  vérité  dans  les  Indes  occi- 
dentales. Il  était  encore  enfant  quand  il  tomba  dans  un 
puits  très-profond,  où  il  resta  longtemps  sans  recevoir  de 
secours.  Sa  mère  fit  vœu  de  le  consacrer  à  Dieu,  si  on  lui 
sauvait  la  vie,  et  Jacob,  devenu  homme,  tint  la  parole  de 
sa  mère  :  il  prit  l'habit  de  frère  mineur. 

D'une  piété  exaltée  et  ardente,  il  se  sentait  capable  de 
convertir  le  monde.  Il  apprit  très-rapidement  la  langue 
indienne,  et  put  ainsi  prêcher,  confesser  et  conquérir  des 
âmes  au  christianisme  avec  beaucoup  plus  de  facilité 
que  les  autres  religieux.  11  mourut  et  fut  enseveli  au 
couvent  de  Mexico. 

(GONZAGUE.) 


PERE  FRANÇOIS  DE  LAS-NAUGAS 

Ce  saint  homme  reçut  l'habit  dans  la  province  de  l'Im- 
maculée-Conception.  L'impératrice  Isabelle,  qui  l'avait  en 
grande  estime,  l'envoya  aux  Indes  en  4538,  avec  six  autres 
religieux.  C'est  lui  qui  le  premier  annonça  le  Dieu  cru- 
cifié dans  la  province  de  Popoloca;en  deux  mois,  il 
baptisa  plus  de  douze  mille  Indiens.  Les  conversions 
qu'il  provoqua  pendant  les  quarante  années  qu'il  vécut 
encore,  sont  presque  innombrables.il  était  déjà  parvenu 


PERE  JEAN  DE  GAONA.  83 

à  un  âge  très-avancé,  et  il  était  gardien  du  couvent  de 
Jaticulco,  quand  il  mourut  à  Mexico. 

(Daza.) 


PERE  JEAN  DE  GAONA 

Père  Jean  de  Gaona  naquit  à  Burgos ,  et  prononça 
ses  vœux  dans  la  province  de  ce  nom.  Il  compléta  ses 
études  à  l'Université  de  Paris,  où  il  se  fit  une  grande  répu- 
tation de  savant,  surtout  dans  les  langues  anciennes, 
qu'il  possédait  à  fond.  Son  éloquence  attirait  à  ses  ser- 
mons une  affluence  considérable.  Il  était  lecteur  au  cou- 
vent de  Valladolid,  quand  il  quitta  sa  patrie  pour  les 
Indes,  en  1638. 

Les  langues  du  Nouveau-Monde  lui  devinrent  bientôt 
aussi  familières  que  le  latin,  le  grec  et  l'hébreu.  On  a 
conservé  de  lui  des  ouvrages  pieux  écrits  dans  un  indien 
très-pur,  et  qui  ne  contribuèrent  pas  peu  à  amener  des 
conversions.  Tour  à  tour  gardien  et  lecteur  dans  diffé- 
rents couvents,  il  porta  partout  la  même  ardeur  de  pro- 
pagande et  le  même  zèle  religieux.  Quand  il  avait  visité 
les  pauvres  dans  leurs  demeures  et  les  malades  dans  les 
hôpitaux,  il  dessinait  des  plans  pour  la  construction  des 
routes  ;  il  indiquait  sur  des  cartes  les  endroits  les  plus 
favorables  à  l'élévation  d'un  couvent  ou  d'une  église. 
Quelquefois  on  le  trouvait  dans  sa  cellule,  plongé  dans  de 
profondes  extases;  Dieu  le  récompensait  dès  cette  vie  des 
efforts  qu'il  avait  faits  pour  propager  sa  religion.  Il  venait 
d'être  nommé  provincial  en  4557,  quand  il  perdit  la  vue. 


84  III  JUIN. 

Désormais  il  ne  quitta  plus  la  solitude  de  sa  chère  cel- 
lule et  s'abandonna  entièrement  à  là  vie  contemplative. 
Ses  restes  mortels  reposent  au  couvent  de  Mexico. 

(GONZAGUE.) 


PÈRE  ALPHONSE  DE  HERREBA 

Le  Père  Alphonse  de  Herrera  prononça  ses  vœux  dans 
la  province  de  Saint-Gabriel.  Au  moment  de  partir  pour 
l'Amérique,  pris  tout  à  coup  d'hésitation,  il  fut  saisi 
d'une  violente  tentation  de  retourner  sur  ses  pas,  et  il 
essaya  même  de  persuader  à  ses  compagnons  que  c'était 
là  le  meilleur  parti  :  «  Les  Indiens  »,  disait  il,  «  ne  con- 
«  sentiront  jamais  à  embrasser  la  foi  catholique  ».  Mais 
ce  découragement  ne  fut  pas  de  longue  durée:  la  prière, 
une  nuit  passée  dans  la  méditation,  au  pied  des  autels, 
suffit  pour  lui  rendre  le  courage  qui  avait  failli  lui  faire 
défaut  :  le  lendemain  même,  il  mit  à  la  voile,  et  depuis 
lors  il  ne  voulut  plus  entendre  parler  de  revenir  en 
Espagne. 

En  Amérique,  son  zèle  ne  connut  pas  de  bornes.  Il 
prêchait  et  catéchisait  jour  et  nuit.  Toujours  prêt  à 
prendre  contre  les  Espagnols  le  parti  des  Indiens,  il  sut 
gagner  l'affection  de  ces  derniers,  ce  qui  lui  facilita  sin- 
gulièrement sa  tâche  de  missionnaire.  Sa  science  dans  le 
droit  canon  et  son  habileté  à  résoudre  les  plus  difficiles 
problèmes  de  théologie  lui  donnaient  dans  les  assemblées 
du  clergé  une  autorité  incontestée.  Aussi,  quand  le  bien- 
heureux Martin  de  Valence  voulut  aller  prêcher  le  chris- 
tianisme aux  Chinois  infidèles,  choisit-il  pour  son  com- 


JEAN  DE  GRENADE,  ETC.  85 

missaire  le  Père  Alphonse  deïîerrera.  Sa  longue  carrière, 
toute  remplie  de  conversions  et  de  bonnes  œuvres,  se 
termina  au  couvent  de  Mexico. 


Il  serait  trop  long  de  raconter  l'histoire  de  tous  les  vé- 
nérables missionnaires  qui  ont  quitté  leur  pays  pour  aller 
conquérir  l'Amérique  à  la  religion  chrétienne  et  travailler 
au  bien  des  âmes  ;  leurs  vies,  d'ailleurs,  se  ressemblent 
toutes  ;  on  peut  les  dire  en  deux  mots  :  ils  ont  été  de  nou- 
veaux apôtres.  Toujours  prêts  à  se  sacrifier,  ne  s'épar- 
gnant  ni  la  fatigue,  ni  la  peine,  ils  ont  parcouru  à  pied 
d'immenses  étendues  de  pays  et  arraché  au  démon  la 
moitié,  pour  ainsi  dire,  de  l'humanité  ;  leurs  restes  mor- 
tels reposent  en  paix  dans  les  contrées  où  ils  ont  apporté 
le  salut.  C'est  Jean  de  Grenade,  deux  fois  commissaire 
général  des  Indes  occidentales;  —  Jean  Fucher,  un  fran- 
çais, docteur  de  l'Université  de  Paris,  dont  ses  frères 
disaient  après  sa  mort  :  «Nous  voilà  plongés  dans  les 
«  ténèbres,  maintenant  que  le  Père  Fucher  n'est  plus  »; 
—  Antoine  de  Saint-Jean;  —  frère  Lucar  d'Almadobar,  qui 
eut  le  don  de  faire  des  miracles  ;  —  frère  Jean  Burnon, 
dont  la  vie  fut  en  quelque  sorte  une  longue  extase;  — 
frère  Jean  Florès  et  une  foule  d'autres  bienheureux 
dont  les  noms  sont  restés  inconnus,  mais  qui  ont  trouvé 
dans  le  ciel  la  récompense  de  leur  abnégation,  de  leurs 
bonnes  œuvres  et  de  leur  courageux  dévouement  à  la 
foi. 

(Gonzague,  Daza,  etc.) 


8 fi  III  JUIN- 


PERE   PAUL  JOVIA 

1480.  —  Pape  :  Sixte  IV.  —  Roi  de  France  :  Louis  XI. 

Le  bienheureux  Paul  Jovia  naquit  à  Lucques,  en  Italie, 
et  entra  tout  d'abord  dans  l'Ordre  des  Pères  Conventuels. 
Après  avoir  étudié  sous  la  direction  du  Père  François  de 
Savone,  qui  devint  plus  tard  pape  sous  le  nom  de  Sixte  IV, 
il  alla  passer  quelques  années  à  l'Université  de  Paris,  où 
il  prit  le  grade  de  docteur  en  théologie.  On  lui  offrait 
même  une  chaire  de  professeur,  il  la  refusa,  pour  entrer 
dans  l'Ordre  des  Observants,  qui  venait  d'être  tout  ré- 
cemment fondé.  Il  adopta  avec  ardeur  les  réformes  qui 
rétablissaient  la  discipline  et  l'austérité  primitives,  s'en 
lit  un  propagateur  infatigable ,  l'introduisit  dans  un 
grand  nombre  de  couvents,  et  en  particulier  dans  le  cou- 
vent des  Conventuels  de  Lucques,  en  1454,  où  il  avait 
prononcé  ses  vœux. 

C'est  aussi  par  son  conseil  qu'une  riche  veuve,  depuis 
quelque  temps  tertiaire,  éleva  dans  la  même  ville  un 
magnifique  couvent  de  Clarisses-Urbanistes,  qui  pouvait 
contenir  plus  de  cent  trente  religieuses. 

Le  bienheureux  Père  Paul  Jovia,  affligé  d'une  mauvaise 
santé,  maigre,  faible  de  corps,  travaillait  cependant  au 
salut  des  âmes  avec  une  ardeur  infatigable.  11  passait  à 
juste  titre  pour  un  prédicateur  éloquent,  et  ses  sermons 
ont  amené  un  grand  nombre  de  conversions.  Il  futà  trois 
reprises  différentes  élu  provincial  de  la  province  de  Tos- 
cane; son  administration  ferme  et  sage  ne  laissa  jamais 


LE    BIENHEUREUX  FRERE  CHRISTOPHE    CRIVELLUS.  87 

un  mécontent.  Déflniteur  général,  il  aidait  de  ses  conseils 
empreints  d'une  sagesse  toute  divine  les  vicaires  géné- 
raux et  les  premiers  dignitaires  de  l'Ordre.  Il  fût  arrivé 
lui-même  aux  plus  hautes  fonctions,  si  ce  n'eût  été  sa 
mauvaise  santé  qui  le  rendait  incapable  de  supporter 
d'aussi  lourds  fardeaux. 

Il  mourut,  en  1480,  au  couvent  de  Lucques,  où  ses 
miracles  et  ses  vertus  lui  avaient  acquis  un  grand  renom 
de  sainteté.  Son  tombeau,  dont  on  avait,  oublié  l'empla- 
cement, fut  retrouvé  miraculeusement  :  un  habitant  de 
Lucques,  malade  depuis  longtemps,  fut  guéri  par  son 
intercession  et  indiqua  l'endroit  où  il  reposait. 

(Wadding.) 


FRERE  CHRISTOPHE  CRIYELLUS 

1467.  —  Pape  :  Paul  III.  —  Roi  de  France  :  Louis  XI. 

Le  bienheureux  frère  Christophe  Crivellus  naquit  à 
Milan.  Avant  de  servir  Dieu  comme  religieux,  il  servit  le 
souverain  Pontife  comme  soldat,  puis  comme  capitaine. 
Une  apparition  de  saint  François  d'Assise,  et  les  sermons 
enflammés  de  saint  Bernardin  de  Sienne,  le  décidèrent  à 
se  faire  frère  mineur.  De  concert  avec  l'un  de  ses  frères 
d'armes,  le  bienheureux  François  de  Pavie,  capitaine  à 
l'armée  du  duc  de  Milan,  il  alla  trouver  saint  Bernardin 
et  lui  demanda  l'habit  de  l'Ordre  Séraphique  pour  lui  et 
pour  son  ami  ;  après  quelques  jours  d'épreuves,  leur 
prière  fut  écoutée. 

Le   bienheureux  Christophe    ne   consentit  jamais    à 


88  III  JUIN. 

être  autre  chose  qu'un  frère  lai  :  il  prononça  ses  vœux 
dans  la  province  de  Toscane  et  montra  bientôt  qu'il  était 
en  tous  points  digne  d'être  un  serviteur  de  Dieu.  Dans 
son  humble  condition,  il  déploya  un  zèle  de  conversion 
infatigable.  Il  s'attacha  surtout  à  combattre  les  vices  ré- 
sultant des  luttes  intestines  qui  déchiraient  alors  l'Italie  : 
l'orgueil,  l'avidité,  la  luxure  ;  et,  pendant  toute  sa  vie,  il 
prêcha  les  vertus  contraires  et  en  donna  lui-même 
l'exemple.  Humble  au-delà  de  tout  ce  qu'on  peut  ima- 
giner, pauvre  au  point  de  ne  posséder  qu'une  mauvaise 
robe  et  une  paire  de  sandales,  il  se  mortifiait  par  le 
jeûne,  les  veilles  et  les  coups  de  discipline.  Jamais  il  ne 
laissait  à  son  corps  fatigué  un  moment  de  repos.  Quand 
il  avait,  pendant  de  longues  heures,  cultivé  le  jardin  des 
Pères,  il  se  livrait  à  la  prière  et  à  la  contemplation.  Il 
méditait  de  préférence  sur  la  vie  et  la  mort  de  Nolre- 
Seigneur  Jésus-Christ,  et  parfois,  au  souvenir  des  souf- 
frances du  Sauveur,  il  poussait  de  si  profonds  gémisse- 
ments et  mêmede  si  grands  crisde  douleur,  que  ses  frères 
effrayés  le  croyaient  gravement  blessé  ou  atteint  tout  à  coup 
d'une  maladie  incurable.  Ils  accouraient  auprès  de  lui  et 
ne  pouvaient  parvenir  à  le  consoler  :  c'est  seulement 
quand  il  avait  recouvré  ses  sens  qu'il  révélait  enfin  l'ob- 
jet divin  de  ses  lamentations. 

Le  bienheureux  Christophe  avait  reçu  de  Dieu  le  don 
d'accomplir  des  miracles  et  le  don  de  prédire  l'avenir  et 
de  lire  au  fond  des  consciences.  11  mourut  en  1467,  au 
couvent  de  Lucques.  Longtemps  après  sa  mort,  on  re- 
trouva son  corps  dans  un  parfait  étal  de  conservation. 

(Wadding.) 


LE  BIENHEUREUX  LAURENT  DE  RAPARIEGOS.  89 


LAURENT  DE  RAPARIEGOS 

FRÈRE    LAI 

1517.  —  Pape  :  Léon  X.  —  Roi  d'Espagne  :  Charles-Quint. 

SOMMAIRE  :  Vocation  religieuse  du  bienheureux  Laurent.  —  Ses  vertus,  son 
austérité,  sa  constance  dans  le  travail.  —  Dieu  lut  accorde  le  don  de  miracle  et 
de  seconde  vue.  —  Guérisons  prodigieuses.  —  Entretien  du  bienheureux  avec  les 
souverains  d'Espagne.  —  Il  prédit  la  prise  de  Grenade.  —  Sa  mort  et  ses  funé- 
railles. 

Le  bienheureux  Laurent  naquit  à  Rapariegos,  en  Es- 
pagne. Il  se  rendait  au  village  de  Montecho  pour  s'unir 
à  une  jeune  fille  qu'il  aimait  depuis  longtemps,  quand 
tout  à  coup,  touché  de  la  grâce  de  Dieu,  il  résolut  de 
renoncer,  comme  autrefois  saint  Alexis,  à  ses  parents  et 
à  sa  fiancée,  et  sans  prendre  congé  de  personne  au 
monde,  de  peur  de  faiblir,  il  s'en  fut  demander  l'habit 
de  frère  lai  au  couvent  d'Arevalo.  C'est  de  là  que  se  ré- 
pandit dans  toute  l'Espagne  la  renommée  de  sa  sainteté, 
de  ses  miracles  et  de  ses  prophéties. 

Le  bienheureux  frère  Laurent  fut  un  vrai  miroir  d'hu- 
milité chrétienne  et  de  patience,  dans  les  fonctions  de 
jardinier  et  de  portier  qu'il  accomplit  pendant  toute  sa 
vie.  Il  avait  au  fond  du  cœur  une  immense  affection  pour 
les  pauvres,  qu'il  appelait  les  enfants  de  Dieu,  et  qu'il 
aidait  de  son  mieux  à  bien  supporter  leurs  misères.  Ja- 
mais on  ne  lui  surprit  un  mouvement  d'impatience  ou 
d'humeur,  encore  bien  moins  de  colère.  Toujours 
actif,  il  ne  s'arrêtait  qu'une  heure  au  milieu  du  jour 
pour  prendre  du  repos,  et,  jusqu'à  la  nuit,  il  culti- 


90  III  JUIN. 

vait  les  légumes  et  soignait  le  jardin  des  Pères.  Le  soir 
venu,  il  allait  veiller  dans  la  chapelle  jusqu'aux  matines, 
ou  bien  il  s'agenouillait  sur  les  tombeaux  des  morts  et 
priait  pour  le  repos  de  leurs  âmes.  Après  les  matines,  il 
dormait  deux  heures,  et  à  cinq  heures,  il  sonnait  la  pre- 
mière messe.  Il  avait  reçu  de  Dieu  le  don  des  larmes;  ses 
supérieurs  étaient  souvent  obligés  de  l'interrompre 
quand  il  faisait  au  réfectoire  la  lecture  prescrite  par  la 
règle,  parce  qu'il  sanglotait  si  fort  qu'on  ne  pouvait  plus 
l'entendre.  Souvent  aussi  on  le  trouvait  absorbé  dans  de 
célestes  contemplations  et  perdu  dans  de  profondes  ex- 
tases, où  il  trouvait  déjà  un  avant-goût  des  éternelles 
jouissances  des  élus.  Non-seulement  les  religieux  du 
couvent,  mais  encore  les  personnes  du  monde  l'ont  vu 
plus  d'une  fois  soulevé  de  terre  dans  un  rayon  de  lu- 
mière, le  visage  resplendissant,  les  yeux  et  les  bras  levés 
vers  le  ciel,  dans  l'attitude  d'une  muette  adoration. 

Dieu  permit  à  son  fidèle  serviteur  d'accomplir  en  son 
nom  un  grand  nombre  de  miracles.  Un  jour,  dans  le 
jardin  du  couvent,  un  malheureux  frère  mineur  eut  la 
tête  fracassée  par  la  chute  d'un  grand  arbre,  et  la  bles- 
sure était  si  affreuse  à  voir  qu'on  ne  lui  donnait  plus  que 
quelques  instants  à  vivre.  Frère  Laurent  le  releva,  rap- 
procha les  morceaux  du  crâne  fendu,  fit  sur  lui  le  signe 
de  la  croix,  et  le  moribond  se  rendit  à  la  chapelle,  entiè- 
rement guéri,  pour  y  rendre  grâces  à  Dieu. 

Un  pauvre  ouvrier  dont  le  mulet  s'était  noyé  en  pas- 
sant une  rivière,  vint  conter  ses  chagrins  au  gardien  du 
couvent  et  lui  demanda  de  permettre  à  frère  Laurent  de 
l'accompagner  jusqu'à  l'endroit  où  gisait  son  unique 
richesse  et  son  meilleur  ami.  Le  supérieur  y  consentit  : 


LE  BIENHEUREUX  LAURENT  DE  RAPARIEGOS  91 

il  donna  l'ordre  au  saint  homme  d'accompagner  le  mal- 
heureux et  de  lui  obéir  comme  à  Dieu  lui-même  ;  on 
retira  le  mulet  qui  était  au  fond  de  l'eau  depuis  plus 
d'une  heure,  et  on  le  trouva  plein  de  vie. 

Une  autre  fois,  ce  fut  le  bon  frère  lui-même  qui  fut  en 
danger  de  mort  et  qui  ne  fut  sauvé  que  par  l'intervention 
divine.  Il  était  à  genoux  au  pied  du  vieux  mur  de  son 
jardin,  absorbé  dans  la  lecture  de  ses  prières,  quand  tout 
à  coup  un  grand  pan  de  muraille  se  détacha  et  l'ensevelit 
sous  ses  ruines  :  personne  n'avait  été  témoin  de  l'acci- 
dent. Trois  jours  après,  les  religieux  émus  de  sa  dispari- 
tion, eurent  l'idée  de  le  chercher  sous  cet  amas  de  dé- 
combres. Aux  premiers  coups  de  pioche,  ils  entendirent 
la  voix  de  frère  Laurent  qui  leur  disait  :  «  Prenez  bien 
«  garde  à  votre  besogne,  et  faites  en  sorte  de  ne  pas  me 
«blesser»,  et  au  bout  de  quelque  temps  il  mettait  le 
pied  hors  de  ce  tombeau  où  il  avait  été  enterré  vivant. 

Le  bienheureux  eut  aussi  le  don  de  seconde  vue  et  de 
prophétie.  C'est  ainsi  qu'il  annonça  aux  religieux  la 
mort  du  bienheureux  Jean  Hortulanus  ,  au  moment 
même  où  il  rendait  son  âme  à  Dieu  dans  le  couvent  de 
Salamanque. 

La  grande  réputation  de  Laurent  pénétra  jusqu'à  la 
cour  de  Ferdinand  et  d'Isabelle,  et  les  pieux  souverains 
résolurent  d'aller  lui  faire  visite  pour  lui  demander  ses 
prières  et  ses  conseils.  Ils  vinrent  donc  incognito  au  cou- 
vent et  tirent  appeler  le  saint  homme,  sans  avoir  révélé 
à  personne  leur  qualité.  Mais  lui  les  reconnut  tout 
d'abord  :  «  Sire  »,  dit-il  au  roi,  «  pourquoi  voulez-vous 
«  tromper  votre  humble  serviteur  »,  et  il  donna  aux  souve- 
rains de  l'Espagne  des  conseils  dictés  par  la  sagesse  divine, 


92  III  JUIN. 

puis  il  leur  prédit  la  mort  prochaine  du  prince  Jean, 
leur  fils  et  l'héritier  de  leurs  couronnes.  La  reine  fut 
saisie  d'admiration  et  de  respect:  «  L'esprit  de  Dieu  est 
«  avec  cet  homme  »,  dit-elle,  «  et  avec  l'Ordre  de  Saint- 
es François  tout  entier  »  ;  elle  fonda  des  couvents  de 
Frères  Mineurs  dans  douze  villes  différentes  de  son 
royaume,  et  elle  déclara  de  vive  voix  à  ses  parents  et 
aux  princes  de  la  cour  qu'elle  entendait  être  ensevelie 
dans  la  robe  des  sœurs  franciscaines.  Depuis  cette  époque 
elle  alla  souvent  faire  visite  au  saint  homme,  et  quand 
elle  était  trop  éloignée  du  couvent,  elle  demandait  de 
ses  nouvelles  par  écrit,  soit  à  lui-même,  soit  au  Père 
gardien.  Un  jour  elle  reçut  de  lui  cette  réponse  :  «  Dieu 
«  veille  sur  votre  Majesté  1  »  et  la  lettre  portait  pour  sus- 
cription  :  «  A  Isabelle,  reine  de  Grenade  ».  Quelques 
années  plus  tard,  les  armées  d'Aragon  et  de  Castille 
entraient  en  effet  dans  la  dernière  capitale  des  Maures 
espagnols. 

Le  bienheureux  Laurent  faisait  partie  de  l'Ordre  depuis 
soixante  ans,  lorsque  Dieu  lui  annonça  sa  mort  prochaine 
un  jour  que,  selon  son  habitude,  il  était  en  contempla- 
tion devant  le  saint  Sacrement  exposé  sur  l'autel.  Il  reçut 
cette  nouvelle  avec  joie,  et  peu  de  jours  après  il  se  mit 
au  lit  pour  ne  plus  se  relever.  Les  plus  illustres  person- 
nages de  la  cour  et  les  princesses  d'Espagne  vinrent 
pleurer  à  sou  chevet.  Pour  lui,  l'âme  reposant  dans  un 
calme  infini,  il  reçut  pieusement  le  saint  Viatique  et 
l'Extrême-Onction,  et  s'endormit  dans  le  Seigneur  en 
1517. 

Tous  les  habitants  d'Arevalo  accoururent  au  couvent,  à 
la  nouvelle  de  sa  mort,  pour  se  procurer,  s'il  était  pos- 


PÈRE  FRANÇOIS  DE  BRESGIA.  93 

sible,  quelque  précieuse  relique.  On  l'ensevelit  sous  le 
maître-autel,  et  une  plaque  de  marbre  rappela  le  souvenir 
de  ses  vertus  et  des  miracles  qu'il  avait  accomplis. 

(Daza  et  Marc  Ulyssip.) 


QUATRIEME    JOUR    DE    JUIN 

PÈRE   FRANÇOIS   DE   BRESGIA 

a 

1523.  —  Pape  :  Adrien  VI.  —  Roi  de  France  :  François  I°r. 

Le  Père  François,  qui  naquit  en  1460,  à  Brescia,  en 
Italie,  servit,  dès  sa  jeunesse,  le  Seigneur,  dans  l'Ordre 
Séraphique,  avec  une  extrême  piété.  Sa  modestie,  son 
humilité,  ses  prières,  son  amour  de  Dieu  et  du  prochain 
faisaient  l'admiration  des  plus  vénérables  religieux. 

Devenu  prêtre,  il  confessa  le  plus  qu'il  lui  fut  possible, 
persuadé  que  c'est  au  tribunal  sacré  de  la  pénitence  que 
le  représentant  de  Jésus-Christ  sur  la  terre  a  le  plus 
d'autorité  sur  les  âmes.  Il  éprouva  souvent  d'amères  dé- 
ceptions et  versa  des  larmes  amères,  en  voyant  avec 
quelle  incroyable  légèreté  des  pénitents  peu  contrits  s'oc- 
cupaient de  la  grave  question  de  leur  salut.  En  revanche 
il  eut  aussi  plus  d'une  fois  le  bonheur  de  ramener  au 
bercail  des  brebis  égarées. 

Il  se  fit  le  père  des  pauvres,  qu'il  ne  laissa  jamais  dans 
le  besoin,  tant  qu'il  y  eut  au  couvent  un  peu  d'argent  et 
un  peu  de  pain.  Sur  la  fin  de  sa  vie,  il  demanda  à  ses 
supérieurs  et  obtint  d'être  envoyé  dans  la  province  de 


94  IV  JUIN. 

Saint-François,  où  la  iègle  était,  mieux  que  partout  ail- 
leurs, pratiquée  dans  sa  pureté  primitive.  Il  était  aumô- 
nier des  Clarisses  de  Foligno,  quand  il  mourut  en  1523  : 
il  était  âgé  de  soixante-trois  ans. 

(Wadding  ) 


FRERE  DIMCE  DE  MURGIE 

1505.  —  Pape  :  Jules  II.  —  Roi  d'Espagne  :  Ferdinand  le  Catholique. 

Didace  de  Murcie  fut  d'abord  soldat.  Mais  l'ardente 
piété  dont  son  âme  était  enflammée  ne  lui  permit  pas  de 
rester  longtemps  dans  le  métier  des  armes,  et  il  entra  de 
bonne  heure  dans  l'Ordre  Séraphique.  Quand  il  fut  admis 
à  prononcer  ses  vœux,  bien  que  ses  supérieurs  le  trou- 
vassent digne  d'être  prêtre,  il  ne  consentit  jamais  qu'à 
revêtir  l'humble  robe  de  frère  lai.  C'est  dans  cette  mo- 
deste condition  qu'il  donna  aux  autres  religieux  l'exemple 
de  toutes  les  vertus  :  la  chasteté,  la  pauvreté,  la  sainte 
obéissance.  Quand  il  assistait  le  prêtre  pendant  la  messe, 
sa  figure  était  celle  d'un  Ange.  Si,  dans  ses  tournées  pour 
recueillir  des  aumônes,  il  rencontrait  une  croix  sur  son 
chemin,  il  s'oubliait  parfois  jusqu'à  prier  au  pied  pen- 
dant des  heures  entières. 

Il  mourut  saintement,  en  1503,  dans  un  couvent  situé 
à  deux  lieues  de  Murcie,  et  des  miracles  qui  s'accompli- 
rent sur  son  tombeau  ajoutèrent  encore  à  l'éclat  de  sa 
renommée. 

(Daza.) 


PÈRE  FRANÇOIS  D'ORDONNEZ.  95 


FRERE  MICHEL  BOBAS 

Le  martyrologe  de  l'Ordre  inscrit  aussi  au  quatrième 
jour  de  juin  le  souvenir  de  frère  Michel  Boras,  dont  la 
vie  s'écoula  dans  de  pieuses  pratiques,  au  couvent  de 
Bénicarlon,  dans  la  province  de  saint  Jean-Baptiste.     • 

(Daza.) 


PERE  FRANÇOIS  D'ORDONNEZ 

1612.  —  Pape  :  Paul  V.  —  Roi  d'Espagne  :  Philippe  III. 

Père  François  d'Ordonnez  repose ,  comme  frère 
Michel  Boras,  dans  les  caveaux  du  couvent  de  Bénicarlon. 
Il  commença  par  être  soldat  :  une  nuit,  pendant  l'expé- 
dition de  Portugal,  son  sommeil  fut  agité  par  des  rêves 
affreux.  Il  lui  sembla  que  les  démons  mettaient  son  âme 
en  pièces  et  la  jetaient  dans  des  fournaises  ardentes.  C'est 
qu'en  effet,  comme  la  plupart  des  batailleurs  de  cette 
époque,  il  n'avait  pas  la  conscience  tranquille,  il  avait  un 
peu  pillé,  un  peu  massacré  des  gens  sans  défense,  un 
peu  mis  à  mal  le  pauvre  monde,  qui  n'en  pouvait  mais. 
En  s'éveillant  il  résolut  de  changer  de  vie  ;  dans  le  voi- 
sinage du  lieu  où  il  campait  se  trouvait  une  chapelle 
consacrée  à  la  très-sainte  Vierge,  il  y  courut,  y  resta  en 
prières  jusqu'au  soir,  et  en  sortit  décidé  à  demander 
l'habit  de  l'Ordre  Séraphique. 

Il  prononça  en  effet  ses  vœux  au  couvent  de  Bénicarlon, 


5)6  V  JUIN. 

et  ne  tarda  pas  à  donner  l'exemple  de  toutes  les  vertus. 
Aussi  humble  qu'il  avait  été  superbe,  aussi  soumis  qu'il 
avait  été  orgueilleux,  il  racheta  par  sa  piété,  sa  pauvreté, 
son  obéissance  à  la  règle,  toutes  les  fautes  de  sa  vie  passée. 
Il  visitait  les  malades  et  recueillait  dans  tout  le  voisinage 
des  aumônes  qu'il  portait  lui-même  aux  pauvres.  Gardien 
du  couvent  de  Bénicarlon,  on  lui  attribue  le  miracle  de 
la  multiplication  des  pains.  Ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est 
qu'il  étendit  et  doubla  presque  le  monastère.  Il  fit  re- 
construire la  chapelle  et  creuser  le  caveau  qui  devait 
contenir  la  dépouille  mortelle  des  religieux  :  «  C'est  moi  » , 
dit-il  aux  Frères,  <j  qui  habiterai  le  premier  cette  de- 
«  meure  ».  Sa  prédiction  ne  tarda  pas  à  se  réaliser;  il 
mourut  en  1612,  à  l'âge  de  trente-trois  ans;  il  y  avait  dix 
ans  qu'il  était  entré  en  religion.  Son  corps,  enseveli  dans 
le  caveau  qu'il  avait  creusé,  y  resta  longtemps  dans  un 
parfait  état  de  conservation. 

(Ex  Chron.  Prov.  S.-Joan.-Bnpt.) 


CINQUIEME    JOUR    DE    JUIN 

PACIFIQUE  DE  CERANO 

1482.  —  Pape  :  Sixte  IV.  —  Roi  de  France  :  Louis  XI. 

SOMMAIRE  :  Jeunesse  du  bienheureux  Pacifique.  —  Elevé  par  les  Bénédictins,  il 
entre  daris  l'Ordre  de  Saint-François.  —  Ses  vertus  et  sa  science.  —  Sa  mort  et 
sa  béatification. 

Le  bienheureux  Pacifique  naquit  à  Cerano,  près  de 
Pavie,  en  Italie.  Sa  jeunesse  fut  fort  éprouvée  :  il  n'était 


LE  BIENHEUREUX   PACIFIQUE  DE  GERANO.  97 

encore  qu'un  enfant,  quand  une  peste  qui  ravagea  tout 
le  pays  lui  enleva  son  père,  sa  mère,  et  le  laissa  seul  au 
monde.  Les  Pères  Bénédictins  du  couvent  de  Saint-Jérôme, 
à  Novare,  le  recueillirent  et  relevèrent.  Comme  il  avait 
en  lui  le  germe  de  toutes  les  vertus,  il  ne  leur  fut  pas 
difficile  d'en  faire  un  pieux  serviteur  de  Dieu.  Malheu- 
reusement le  supérieur  du  couvent,  qui  l'aimait  avec 
tendresse,  vint  aussi  à  mourir,  et  le  jeune  homme  se 
trouva  de  nouveau  abandonné  à  l'affection  un  peu  banale 
des  bons  Pères.  Il  lui  restait  le  ciel;  il  résolut  de  se  con- 
sacrer au  Seigneur,  et  après  une  mûre  délibération  en 
présence  des  autels,  il  remercia  ses  bienfaiteurs,  les 
Bénédictins,  des  bons  soins  dont  ils  l'avaient  entouré,  et 
les  quitta  pour  entrer  dans  l'Ordre  plus  sévère  de  Saint- 
François. 

Son  noviciat  terminé,  il  prononça  ses  vœux.  Doué  d'une 
piété  ardente,  mais  en  même  temps  d'une  activité  d'esprit 
infatigable,  il  ne  se  contenta  pas  de  la  vie  contemplative, 
où  son  âme  cependant  trouvait  de  grands  charmes  ;  il  se 
livra  à  l'étude  des  livres  saints  et  acquit  bientôt  une 
science  profonde  des  choses  de  la  théologie.  Il  s'en  servit 
pour  travailler,  parmi  les  hommes,  à  la  glorification  du 
Seigneur.  Il  expliquait  les  textes  sacrés  avec  éloquence, 
et  les  commentait  comme  un  autre  saint  Paul. 

D'une  grande  dévotion  à  la  très-sainte  Vierge,  il  s'ef- 
força de  propager  son  culte  parmi  les  hommes  et  fonda 
en  son  honneur  une  confrérie  qui  eut  une  chapelle 
particulière.  Il  provoqua  d'ailleurs  l'élévation  d'un  cer- 
tain nombre  de  couvents,  dont  il  fut  souvent  le  premier 
gardien.  On  a  conservé  de  lui  plusieurs  ouvrages  impor- 
tants, entre  autres  une  Somme  théologique  et  philoso- 
Palm.  Séraph.  —  Tome  VI.  7 


98  V  JUIN. 

phiqne  à  la  fois,  que  l'on  appela  de  son  nom  :  Summa 
pacifica. 

Mais  avant  d'être  un  savant  et  un  docteur  de  l'Eglise, 
le  bon  Père  était  un  pieux  et  humble  moine  de  Saint- 
François.  Si  ses  sermons  ont  eu  dans  toute  l'Italie  une 
aussi  favorable  influence,  c'est  qu'il  donnait  lui-même 
l'exemple  de  toutes  les  vertus  :  aussi  fut-il  envoyé  dans 
l'île  de  Sicile,  en  qualité  de  commissaire,  par  le  général 
de  l'Ordre. 

C'est  .là  qu'il  mourut,  à  Sassaro,  en  1482,  dans  la  cin- 
quante-huitième année  de  son  âge,  comme  il  l'avait 
annoncé  lui-même  quelque  temps  auparavant  à  un  vé- 
nérable religieux,  son  ami.  Les  habitants  de  Cerano 
réclamèrent  ses  précieux  restes,  qui  leur  furent  rendus; 
ils  lui  élevèrent  un  tombeau  magnifique,  avec  une  cha- 
pelle desservie  par  un  frère  mineur  :  la  tête  séparée  du 
tronc  fut  conservée  dans  l'église  paroissiale  de  la  ville. 
Des  miracles  s'accomplirent  sur  le  lieu  de  sa  sépulture.  Le 
pape  Benoît  XIV  béatiQa  le  vénérable  Pacifique  et  permit 
de  célébrer  sa  lête,  dans  l'Ordre  Séraphique,  le  cinquième 

jour  de  juin. 

(Wadding.) 


AUTRES  RELIGIEUX 
DE  LA  PROVINCE  DE  MILAN 

En  1520,  le  bienheureux  Père  Christophe,  issu  d'une 
illustre  famille  du  Milanais,  mourut  au  couvent  de  Vige- 
vano,  non  loin  de  Cerano.  Il  est  célèbre  pour  la  sainteté 


LE  BIENHEUREUX  PÈRE  SÉRAPHIN  DE  CASTIGLIONE.  99 

de  sa  vie  et  son  zèle  apostolique.  Au  commencement  du 
dix-septième  siècle,  ses  restes  mortels  furent  tirés  du 
caveau  commun  et  placés  dans  la  chapelle  de  Saint-Ber- 
nardin. Beaucoup  de  miracles  s'accomplirent  sur  son 
tombeau,  que  la  piété  des  fidèles  couvrit  d'un  nombre 
considérable  d'offrandes  en  or  et  en  argent. 

(Daza.) 

Le  couvent  de  Lodi  renferme  les  reliques  du  bienheu- 
reux Père  Léon  Palatin,  qui  fut  pendant  vingt-quatre 
ans  évêque  de  cette  ville.  Il  mourut  en  grand  renom  de 
sainteté,  l'an  1343. 

(GONZAGDR.) 


Les  bienheureux  Pères  Damien  de  Padoue  et  Louis 
Biasson  passèrent  leurs  jours  au  couvent  de  Modoëtia.  Ils 
furent  célèbres  tous  deux  pour  l'éloquence  de  leurs  ser- 
mons et  la  sainteté  de  leur  vie.  Le  corps  du  dernier,  long- 
temps placé  dans  une  chapelle  particulière,  a  été  ensuite 
enseveli  au  pied  du  maître-autel. 

(GONZAGOE.) 


Un  autre  vénérable  religieux,  dont  la  vie  fut  angélique, 
d'une  grande  science  et  d'un  zèle  infatigable  pour  la 
propagation  de  la  foi,  le  bienheureux  Père  Séraphin  de 
Castiglione,  mourut  en  1460,  dans  le  couvent  des  Saints- 
Anges,  à  Milan.  Des  miracles  éclatants  s'accomplirent  sur 
son  tombeau. 

(Wadding.) 


100  V  JUIN. 

Le  bienheureux  Père  Antoine  de  Verceil,  prédicateur 
apostolique,  provoqua  dans  différentes  villes  d'Italie  un 
grand  nombre  de  conversions  par  ses  sermons  éloquents. 
Il  est  aussi  célèbre  par  la  vaste  étendue  de  sa  science  que 
par  l'ardeur  de  son  zèle  à  conquérir  les  âmes  à  Dieu.  La 
mort  le  surprit  en  1480,  dans  la  ville  d'Orviéto,  pour 
ainsi  dire  au  milieu  d'un  sermon.  Ses  compagnons  vou- 
laient ramener  à  Milan  ses  restes  mortels  ;  mais  les  habi- 
tants d'Orviéto  s'y  opposèrent  et  obtinrent  qu'il  serait 
enseveli  dans  le  couvent  des  Frères  Mineurs  de  leur  ville. 
La  piété  des  fidèles,  reconnaissante  des  miracles  qui 
s'accomplirent  par  son  intercession,  décora  son  tombeau 
d'une  multitude  d'ex-voto. 

(GONZAGCE.) 


Le  bienheureux  Michel  de  Carcano  reçut  l'habit  de 
frère  mineur  au  couvent  de  Côme.  Sa  vie  ne  fut  pas 
d'abord  exemplaire;  il  fut  même  assez  longtemps,  par 
l'intempérance  de  son  langage,  un  objet  de  scandale  pour 
ses  frères  ;  mais  les  reproches  de  saint  Bernardin  de 
Sienne  et  du  bienheureux  Albert  deSartiano,  eurent  sur 
cette  nature  un  peu  grossière  une  favorable  influence,  et 
dès  lors  il  donna  l'exemple  de  toutes  les  \ertus. 

D'une  intelligence  rebelle  à  la  culture,  il  était,  en  re- 
vanche, d'une  persévérance  opiniâtre,  et  ne  reculait  devant 
aucun  effort  quand  il  s'agissait  du  salut  d'une  âme  et  de 
la  gloire  de  Dieu.  Il  a  prêché  avec  succès  dans  la  plupart 
des  villes  d'Italie  :  une  bulle  du  pape  Sixte  IV  l'appelle 
même  un  prédicateur  éloquent.  Sa  parole  était  claire, 
sans  ambages,  allant  droit  au  but;  il  étonnait  par  des 
mots  d'une  crudité  un   peu  âpre,  qui  retentissaient  à 


LE  BIENHEUREUX  VINCENT  DE  CÔME.  101 

l'oreille  des  pécheurs  comme  des  coups  de  tonnerre. 
Comme  il  n'évitait  pas  de  citer  des  noms  propres,  il  se 
fit,  surtout  dans  le  Milanais,  un  assez  grand  nombre 
d'ennemis  ;  mais  il  s'inquiétait  peu  de  ce  que  les  hommes 
pensaient  de  lui,  et  ne  songeait  qu'à  être  agréable  à 
Dieu. 

Il  fut  le  confesseur  de  Blanche-Marie  de  Sforce,  et  l'as- 
sista à  ses  derniers  moments,  en  dépit  du  Père  Ange  de 
Chivasso,  vicaire  général  des  Observants,  qui  intriguait 
auprès  du  duc  pour  obtenir  cet  honneur.  Le  cardinal 
Jacques  Piccolomini,  évêque  de  Pavie,  l'honorait  comme 
un  saint  et  se  faisait  gloire  de  son  amitié.  De  concert  avec 
le  bienheureux  Bernardin  de  Feltre,  il  décida  les  habitants 
de  Milan  à  élever  un  hospice  aux  pauvres  malades  ;  c'est 
encore  lui  qui  fit  élever  à  Côme  l'hôpital  de  Sainte-Anne. 

Il  mourut  en  odeur  de  sainteté  à  Côme,  l'an  4485,  et 
les  bourgeois  de  la  ville,  qui  avaient  pour  lui  le  plus 
grand  respect,  placèrent  son  portrait,  entouré  d'une  au- 
réole, dans  leur  église  paroissiale.  Sa  tête  est  encore  pré- 
cieusement conservée  à  Lodi,  dans  la  province  de  Milan, 
qu'il  avait  administrée  avec  beaucoup  de  sagesse. 

(Wadding.) 


Le  couvent  des  Frères  Mineurs  de  Côme  conserve  aussi 
les  précieux  restes  du  bienheureux  Vincent  de  Côme, 
descendant  de  la  noble  famille  des  Rusci,  et  qui  fut  con- 
verti par  les  sermons  de  saint  Bernardin.  Le  Seigneur,  en 
récompense  de  ses  vertus,  lui  accorda  le  don  des  miracles 
pendant  cette  vie  et  après  sa  mort,  qui  eut  lieu  en  1460. 
Au  milieu  de  l'biver,  un  rosier  fleurit  tout  à  coup  auprès 


102  V  JUIN. 


de  son  tombeau.  Son  portrait,  entouré  d'une  auréole,  est 

aussi  placé  dans  une  église  de  Côme. 

(Wadding.) 


Le  bienheureux  Michel  naquit  à  Milan.  La  sainteté  de 
sa  \ie,  l'éloquence  passionnée  de  ses  sermons  et  sa  dou- 
ceur à  l'égard  des  pécheurs  lui  attirèrent  une  foule  de 
pénitents,  dont  il  eut  le  bonheur  de  ramener  la  plupart 
dans  la  bonne  voie.  Dieu  récompensa  son  zèle  en  lui  per- 
mettant d'accomplir  des  miracles.  Ses  supérieurs  avaient 
la  plus  grande  confiance  dans  sa  science  profonde  et  dans 
sa  sagesse,  et  quand  il  fallut  veiller  sur  les  nouvelles 
provinces  de  l'Autriche,  de  la  Pologne  et  de  la  Bohême, 
que  venait  de  réformer  saint  Jean  de  Capistran,  Père 
Michel  fut  désigné  d'une  voix  unanime  comme  inspec- 
teur général. 

Il  mourut  en  1490,  à  Milan,  au  couvent  des  Saints- 
Anges,  et  les  nombreux  miracles  qui  s'accomplirent  après 
sa  mort  sur  son  tombeau  ajoutèrent  encore  à  l'éclat  de 
sa  renommée. 

(GONZAGUE.) 


Le  couvent  de  Notre-Dame-de-la-Foi,  àMilan,  a  vu  vivre 
et  mourir  les  bienheureux  Pères  Anselme  de  Milan,  reli- 
gieux d'une  austérité  digne  des  anciens  temps,  et  Laurent 
Bagnacavallo,  prédicateur  illustre,  en  grand  renom  de 
sainteté  parmi  ses  contemporains.  Leurs  corps,  demeurés 
dans  un  parfait  état  de  conservation,  sont  ensevelis  dans 
la  sacristie  du  couvent. 

fMARC  Ulys.) 


LE  BIENHEUREUX  FRÈRE  PAÏEN  T0RN1ELLUS.  103 

En  1478,  les  bienheureux  Thomas  Caccia  et  Matthieu 
Nolius,  tous  deux  issus  de  nobles  familles  du  Milanais, 
rendirent  l'âme  au  couvent  de  Novare.  Ils  avaient  été 
tous  deux  disciples  de  saint  Bernardin  de  Sienne  ;  leurs 
corps  reposent  côte  à  côte  dans  la  chapelle  de  Saint-Fran- 
çois, et  ont  été  l'occasion  de  beaucoup  de  miracles. 

(GONZAGUE.) 


Le  bienheureux  frère  Païen  Torniellus,  du  Tiers  Ordre, 
naquit  à  Novare,  d'une  famille  illustre.  Sa  jeunesse  fut 
orageuse,  et  son  père,  un  vrai  chrétien,  désespérait  de 
l'amener  jamais  au  bien  ;  mais,  au  grand  étonnement  de 
tous  et  à  la  grande  joie  de  ses  parents,  il  changea  tout  à 
coup  de  conduite,  se  montra  profondément  détaché  des 
vanités  de  la  terre  et  des  plaisirs  mondains,  et  donna 
l'exemple  de  la  plus  sévère  austérité.  Son  ardente  charité, 
sa  compassion  aux  maux  d'autrui,  son  zèle  infatigable  à 
soulager  toutes  les  misères,  lui  valurent  l'estime  et  l'ad- 
miration de  ses  contemporains.  Un  grand  nombre  d'hô- 
pitaux s'élevèrent  à  son  instigation. 

La  peste  le  surprit  et  le  tua  pendant  un  pèlerinage  qu'il 
était  allé  faire  à  Assise,  au  tombeau  du  saint  patriarche 
François,  en  1478.  Sa  toute-puissante  intercession  dans 
le  ciel  paraît  avoir  eu  surtout  le  pouvoir  de  détourner  le 
fléau  de  la  peste  ;  c'est  pourquoi  les  habitants  de  Novare 
placèrent,  en  1529,  un  autel  sous  son  invocation. 

(Wadding.) 


104  V  JUIN. 


PERE  JEAN  GRAY 

MARTYR 

1579.  _  pape  :  Grégoire  XIII.  —  Roi  de  France  :  Henri  III. 

SOMMAIRE  :  Le  Père  Jean  Gray  entre   dans  l'Ordre    Séraphique.  —  Persécution 
des  Gueux.  —  Martyre  du   Père  Jean.  —  Ses  funérailles. 

Le  bienheureux  Jean  Gray  se  consacra  au  Seigneur  dès 
son  enfance,  et  fut  tout  d'abord  chanoine  à  Anderlecht, 
près  de  Bruxelles.  Il  avait  quitté  l'Ecosse,  sa  patrie,  pour 
éviter  les  persécutions  que  les  Huguenots  exerçaient  alors 
contre  les  catholiques.  Après  avoir  en  vain  tenté  d'y  ren- 
trer, il  distribua  aux  pauvres  tous  ses  biens  en  argent  et 
en  terre,  et  vint  demander  l'habit  de  frère  mineur  dans 
la  province  de  Brabant. 

Il  y  vécut  saintement,  dans  la  pratique  de  la  pauvreté, 
de  l'obéissance  et  des  autres  vertus  chrétiennes  ;  Arnold 
de  Raisse,  un  martyrologue,  le  place  au  nombre  des  pieux 
personnages  qui  honorent  le  plus  les  Pays-Bas.  Mais  il  ne 
trouva  pas  dans  son  couvent  solitaire  la  paix  qu'il  y  était 
venu  chercher;  les  Gueux,  qui  détestaient  les  fils  spiri- 
tuels de  saint  François,  à  cause  du  zèle  avec  lequel  ils 
défendaient  la  religion  catholique,  renversaient  leurs 
monastères,  pillaient  et  brûlaient  leurs  églises,  et  souvent 
n'épargnaient  même  pas  leur  personne.  Le  couvent  du 
Père  Jean  Gray  ne  fut  pas  épargné  ;  heureusement  les 
religieux,  avertis  par  un  fidèle  de  l'arrivée  des  hérétiques, 
eurent  le  temps  d'emporter  le  saint  Sacrement  et  les  vases 
sacrés,  et  de  s'enfuir  par  des  chemins  détournés.  Seul  le 


PÈRE  JEAN  GRAY,  MARTYR.  105 

Père  Jean  demeura;  son  grand  âge  ne  lui  permettait  pas 
d'accompagner  ses  frères.  Il  alla  s'agenouiller  dans  la 
chapelle,  et,  comme  une  victime  prête  pour  le  sacrifice, 
il  attendit  en  priant  l'arrivée  des  bourreaux.  Ils  ne  tar- 
dèrent pas  à  arriver  :  les  portes  cédèrent  sous  leurs  coups 
redoublés,  et  ils  envahirent  le  couvent  comme  une  mer 
en  furie.  Quand  ils  trouvèrent  le  Père  Gray  au  pied  de 
l'autel,  trompés  par  son  grand  âge  et  son  aspect  véné- 
rable, ils  le  prirent  pour  le  gardien  et  lui  demandèrent 
avec  des  menaces  où  il  avait  caché  l'argent  et  les  objets 
en  or  et  en  argent  qui  servaient  aux  cérémonies  du  culte. 
En  même  temps,  ils  lui  crachaient  au  visage  et  lui  don- 
naient des  soufflets.  Le  saint  homme  ne  répondit  pas  ;  il 
ne  murmura  que  ces  mots  :  «  Seigneur,  je  remets  mon 
a  âme  entre  vos  mains  »,  et  presque  aussitôt  il  reçut  le 
coup  mortel,  le  5  juin  1579.  Le  portier  du  couvent,  qui 
n'avait  pas  eu  le  temps  de  prendre  la  fuite,  fut  massacré 
sur  son  cadavre. 

Après  le  départ  des  assassins,  les  habitants  de  la  ville 
vinrent  recueillir  les  corps  des  deux  martyrs  et  leur 
firent  de  magnifiques  funérailles. 

Ce  fut  une  sanglante  époque  pour  les  serviteurs  de  Dieu 
dans  les  Pays-Bas,  que  le  temps  où  s'établit  la  domination 
des  Gueux.  Une  foule  de  prêtres  séculiers  et  de  religieux 
de  tous  les  Ordres  succombèrent  sous  leurs  coups.  Les 
Frères  Mineurs  en  particulier  arrosèrent  de  leur  sang  cette 
terre  de  martyrs  ;  il  ne  resta  pas  debout  un  seul  de  leurs 
couvents,  et  des  milliers  d'entre  eux  furent  massacrés  au 
pied  des  autels,  pendus,  décapités  ou  brûlés  vifs.  Puisse 
Dieu  pardonner  à  leurs  bourreaux  ! 

(Ex  Barezzo.) 


106  V  JUIN. 

PÈRE  PIERRE  D'ARAGON 

1380.  —  Pape  :  Urbain  VI.  —  Roi  de  France  :  Charles  V. 

SOMMAIRE  :  Illustre  origine  du  bienheureux  Pierre,  et  grandeur  de  sa  famille.  — 
Après  la  mort  de  sa  femme,  il  entre  dans  l'Ordre  de  Saint-François.  —  Son  rôle 
dans  la  chrétienté.  —  Ses  vertus,  —  Sa  mort.  —  Bérenger    d'Aragon. 

Pierre  d'Aragon,  issu  de  Jacques  II,  roi  d'Aragon,  et  de 
Blanche,  fille  de  Charles  Ier,  roi  de  Naples  et  de  Sicile,  et 
sœur  de  saint  Louis,  évêque  de  Toulouse,  a  été  célèbre 
dans  l'Ordre  de  Saint-François  par  ses  vertus  et  sa  sain- 
teté plus  encore  que  par  l'éclat  de  son  origine.  Jeune 
encore  il  épousa  la  princesse  Jeanne,  sœur  du  comte  de 
Foix,  dont  il  eut  quatre  enfants  :  Alphonse,  connétable 
de  Castille,  comte  de  Dénia  et  de  Ripacorta,  marquis  de 
Villena,  duc  de  Gandie,  et  premier  prince  du  sang  après 
la  mort  du  roi  Martin  ;  Jean,  comte  de  Prato,  sénéchal 
et  grand-maître  de  la  maison  du  roi,  en  Catalogne  ; 
Jacques,  cardinal-archevêque  de  Valence  ;  et  Léonora, 
qui  épousa  Pierre  de  Lusignan,  comte  de  Tripoli,  en 
Syrie,  fils  et  héritier  du  roi  de  Chypre.  Son  frère  Jean 
était  archevêque  de  Tolède  et  patriarche  d'Alexandrie. 

Le  prince  lui-même  fut  élevé  aux  plus  hautes  dignités 
du  royaume  ;  le  roi  Pierre  IV,  son  neveu,  qui  avait  pour 
lui  la  plus  grande  estime,  le  nomma  amiral  de  sa  flotte 
et  généralissime  de  ses  armées  de  terre,  pendant  la 
guerre  qu'il  fit  à  Jacques,  roi  de  Majorque,  et  plus  tard 
vice-roi  de  Catalogne,  de  Valence  et  d'Aragon.  En  1357, 
il  dirigea  une  nouvelle  expédition  contre  Pierre,  roi  de 
Castille,  qui  se  préparait  à  attaquer  l'Aragon. 


LE  BIENHEUREUX  PÈRE  PIERRE  I)' ARAGON.  107 

Mais  ces  honneurs  dont  on  le  couvrait  ne  suffisaient 
point  à  satisfaire  son  grand  cœur;  il  avait  hâte  d'être 
délivré  du  monde  pour  se  consacrer  à  Dieu  ;  et  soir  et 
matin  il  priait  le  Seigneur  de  l'aider  à  accomplir  ses 
projets.  Un  jour  le  Père  Bernard  Bruno,  autrefois  pro- 
vincial d'Aragon,  et  le  saint  évêque  Louis,  son  oncle,  lui 
apparurent,  avec  quelques  autres  frères  mineurs,  au  mi- 
lieu d'une  lumière  éblouissante,  et  lui  donnèrent  au 
nom  du  Très-Haut  l'ordre  de  faire  son  salut  sous  la  règle 
de  Saint-François.  Quelque  temps  après,  le  prince  par- 
tageait entre  ses  trois  fils  ses  titres  et  ses  domaines,  et  sa 
femme  étant  venue  à  mourir,  il  alla  recevoir  l'habit  de 
l'Ordre  Séraphique,  en  4358,  au  couvent  de  Barcelone, 
où  se  pressaient  pour  la  circonstance  les  seigneurs,  les 
évoques  et  les  prélats  du  royaume.  Le  saint  Père  abrégea 
la  durée  de  son  noviciat. 

Devenu  par  ses  vœux  un  humble  fils  de  Saint-François, 
le  prince  oublia  les  dignités  et  les  honneurs  dont  il  avait 
été  comblé,  pour  servir  Dieu  aussi  pieusement  que  le 
dernier  des  religieux.  Pauvre,  soumis  à  la  règle,  obéis- 
sant à  ses  supérieurs,  d'une  piété  austère  et  rigide,  il 
donnait  à  ses  frères  l'exemple  de  toutes  les  vertus. 
Comme  il  consacrait  une  grande  partie  de  son  temps  à 
l'étude  des  saints  livres,  il  ne  tarda  pas  à  avoir  une  con- 
naissance profonde  des  questions  de  la  théologie  et  des 
dogmes  de  la  religion.  Il  écrivit  quelques  ouvrages  re- 
marquables, et  ses  sermons  furent  longtemps  cités  comme 
des  modèles  de  science  et  d'éloquence. 

Le  Seigneur  trouva  bon  de  récompenser  la  fidélité  de 
son  serviteur  par  d'importantes  révélations  sur  les 
graves  questions  qui  agitaient  alors  la  chrétienté.  Quand 


108  V    JUIN. 

Urbain  V  fut  porté,  en  1362,  au  souverain  Pontificat,  Jésus 
lui-même  apparut  au  bienheureux  Pierre  et  lui  com- 
manda d'aller  porter  au  nouveau  pape  ces  paroles  :  «  Il 
«  plaît  à  l'Eternel  que  le  premier  de  ses  serviteurs  sorte 
«  d'Avignon  et  retourne  à  Rome  ».  Pierre  obéit,  et  quel- 
que temps  après,  Urbain  V  quittait  Avignon  et  rentrait 
dans  la  ville  du  prince  des  Apôtres.  Il  s'arrêta  chemin 
faisant  dans  les  couvents  de  Corneto,  de  Tuscanella  et  de 
Viterbe,  où  l'attendaient  les  députés  romains,  l'ambassa- 
deur de  l'empereur,  celui  du  roi  de  Hongrie  et  celui  de 
la  reine  de  Sicile,  avec  les  principaux  seigneurs  italiens. 
Trois  ans  plus  tard,  le  pape,  étant  retourné  à  Avignon 
malgré  les  avertissements  du  Père  Pierre,  y  mourut  dans 
l'exil  et  dans  la  solitude. 

Les  pontifes  qui  succédèrent  à  Urbain  V,  témoignèrent 
au  bienheureux  Pierre  la  plus  grande  estime,  Grégoire  XI 
en  particulier  lui  confia  d'importantes  missions,  entre 
autres,  le  rachat  des  malheureux  chrétiens  d'Aragon,  de 
Valence  et  de  Majorque,  réduits  en  esclavage  par  les 
Maures  d'Afrique. 

Ce  saint  homme  mourut  en  1380,  à  Valence,  en  Es- 
pagne. Ses  restes  mortels,  enfermés  dans  un  cercueil 
de  plomb,  furent  placés  dans  une  chapelle  magnifique 
élevée  par  les  soins  de  la  famille  de  Cordona. 

Un  des  proches  parents  du  bienheureux,  Bérenger 
d'Aragon,  frère  mineur,  travailla  avec  succès  à  la  conver- 
sion des  hérétiques  de  la  Bosnie  et  de  la  Russie. 

W'ADDiNG.) 


LE  BIENHEUREUX  RÉGINALD  D'ORSAIA.  109 

LE  BIENHEUREUX  RÉGINALD  D'ORSAIA 

1450.  —  Pape  :  Nicolas  V.  —  Roi  de  France  :  Charles  VII. 


SOMMAIRE  :  Le  Seigneur  indique  par  un  miracle  l'emplacement  du  couvent  de 
Noie.  —  Vertus  du  bienheureux  Réginald.  —  Sa  dévotion.  —  Miracles  accomplis 
en  sa  faveur.  —  Sa  mort. 


Lorsque  Raymond  Ursini,  prince  de  Salerne  et  comte 
de  Noie,  restaura  à  Noie  l'église  de  Saint-Laurent  et 
voulut  élever  dans  le  voisinage  un  couvent  de  Frères 
Mineurs,  le  lendemain  même  du  jour  où  l'on  commença 
les  travaux,  une  main  invisible  renversa  les  murs  à  peine 
sortis  des  fondations.  En  même  temps  les  ouvriers  qui 
tiraient  d'une  montagne  voisine  la  pierre  nécessaire  à 
l'édifice,  trouvaient  une  grande  statue  d'airain  au  milieu 
de  la  carrière.  On  comprit  que  Dieu  désignait  par  ce 
prodige  l'endroit  où  il  voulait  voir  construire  le  nouveau 
couvent  ;  et,  peu  de  temps  après,  il  s'élevait  en  effet  sur 
les  flancs  de  la  colline. 

C'est  là  que  reposent  les  restes  du  bienheureux  Régi- 
nald, frère  lai,  né  à  Orsaia,  dans  le  royaume  de  Naples. 
Il  était  cuisinier  du  couvent,  et  dans  cette  modeste  con- 
dition, il  ne  cessa  pas  un  moment  d'être  un  modèle  de 
de  vertu  religieuse.  Il  est  vrai  que  ses  frères  eurent  quel- 
quefois à  s'en  plaindre  :  sa  piété  l'absorbait  si  bien  qu'il 
en  oubliait  sa  cuisine.  Depuis  la  première  messe  jusqu'à 
l'heure  du  repas,  il  restait  à  la  chapelle,  assistait  le  prêtre 
pendant  le  sacrifice,  et  s'agenouillait  ensuite,  pour  prier, 
dans  le  coin  le  plus  obscur  :  «  Vous  ne  voulez  donc  nous 
«  nourrir  que  de  messes  et  d'Ave  Maria  »,  lui  disait  un 


HO  V   JUIN. 

jour  le  gardien.  —  «  Dieu  y  pourvoira,  mon  Père  »,  ré- 
pondit le  saint  homme  ;  «  laissa-t-il  jamais  ses  enfants 
«  au  besoin?  »  En  effet,  au  momenf  même  où  la  cloche 
appelait  les  religieux  au  réfectoire,  quand  la  plupart  s'at- 
tendaient à  se  trouver  en  face  d'assiettes  vides,  les  plats 
fumaient  et  répandaient  dans  la  salle  une  odeur  appé- 
tissante. On  n'avait  pas  vu  le  bon  frère  à  la  cuisine,  mais 
Dieu,  selon  ses  paroles,  avait  pourvu  à  la  nourriture  de 
ses  serviteurs. 

Réginald  mourut  en  1450,  dans  un  âge  très-avancé. 
Il  fut  d'abord  enseveli  dans  le  caveau  commun  ;  mais  en 
4486,  à  la  demande  des  habitants  de  Noie,  le  provincial 
lui  fit  donner  une  sépulture  particulière. 

(Marc  Ulyssip.  et  Gonzagoe.) 


PIERRE  DE  COMPOSTELLE 

DU  TIERS  ORDRE 


SOMMAIRE  :  Fondation  miraculeuse  d'un  couvent  par  le  saint  Père  François.  — 
Vie  solitaire  du  bienheureux  Pierre  de  Compostelle.  —  Ses  deux  ermitages.  —  Il 
vient  mourir  au  couvent  de  Robledillo. 


Saint  François,  traversant  l'Espagne  pour  aller  en  Syrie 
prêcher  aux  Turcs  la  religion  chrétienne,  se  reposa  pen- 
dant quelques  jours,  près  de  Compostelle,  dans  la  hutte 
d'un  pauvre  charbonnier  nommé  Cotolaï.  Une  nuit  qu'il 
était  allé  prier  sur  une  colline  voisine,  il  entendit  tout  à 
coup  Dieu  lui  ordonner  de  bâtir  un  couvent  dans  une 
vallée  qui  dépendait  d'un  monastère  des  Pères  Bernar- 
dins. Le  lendemain  même  il  obtenait  de  l'abbé  la  per- 


LE  BIENHEUREUX  PIERRE  DE  COMPOSTELLE.  111 

mission  nécessaire,  et,  rentré  chez  son  hôte,  il  lui  confiait 
le  soin  d'accomplir  la  volonté  divine.  Le  charbonnier 
était  pauvre  comme  Job,  mais  il  avait  la  foi  qui  soulève 
les  montagnes,  et  il  se  mit  à  l'œuvre.  Il  commençait 
à  peine  à  creuser  les  fossés  destinés  aux  fondations, 
lorsqu'il  trouva  un  trésor;  les  ouvriers  accoururent  de 
toutes  parts,  et  en  peu  de  temps  le  nouveau  couvent  fut 
terminé. 

Les  sermons  de  saint  François,  l'exemple  de  sa  sainteté 
y  attirèrent  un  nombre  considérable  de  religieux,  entre 
autres  le  bienheureux  Pierre,  chanoine  de  la  cathédrale 
de  Compostelle.  Il  s'attacha  au  patriarche  d'Assise,  et 
après  avoir  distribué  aux  pauvres  tous  ses  biens,  il  l'ac- 
compagna en  Italie.  De  retour  en  Espagne,  il  se  construi- 
sit au  milieu  des  montagnes  une  chapelle  et  une  cellule, 
où  il  passa  quelques  années  dans  la  pratique  de  la  mor- 
tification et  de  la  pénitence.  Sa  robe  de  toile  grossière 
était  serrée  autour  de  sa  taille  par  une  corde  ;  sa  nourri- 
ture consistait  en  châtaignes;  aux  grandes  fêtes  seu- 
lement, il  y  ajoutait  un  peu  de  pain.  Tous  les  jours  il 
disait  la  messe  dans  sa  petite  chapelle  ;  la  nuit,  il  priait, 
méditait  et  se  donnait  la  discipline.  La  renommée  de  sa 
sainteté  attirait  à  son  ermitage  quantité  de  personnes 
pieuses,  avec  qui  il  aimait  à  s'entretenir  des  choses  du 
ciel,  et  qu'il  dirigeait  dans  la  voie  du  salut. 

Cependant  le  bienheureux  Pierre  trouvait  encore  son 
humble  cellule  trop  somptueuse;  il  s'enfonça  dans  la 
forêt,  et,  guidé  sans  doute  par  la  main  de  Dieu,  il  décou- 
vrit une  hutte  si  basse,  si  étroite,  qu'on  ne  pouvait  ni  s'y 
étendre,  ni  s'y  tenir  debout.  C'est  là  qu'il  passa  la  plus 
grande  partie  de  sa  vie,  dans  une  solitude  absolue,  visité 


H2  v  JUIN. 

seulement  par  les  oiseaux  et  les  bêtes  de  la  forêt.  Les 
austérités  qu'il  s'imposa  effrayent  l'imagination.  11  dut 
plusieurs  fois  manger,  pour  se  soutenir,  l'écorce  des 
arbres;  l'hiver,  la  neige  pénétrait  dans  sa  cabane  ouverte 
à  tous  les  vents  du  ciel,  et  le  couvrait  pendant  son  som- 
meil d'un  manteau  blanc.  C'est  seulement  quelques  an- 
nées avant  sa  mort,  sur  un  ordre  de  saint  François,  qu'il 
se  décida  à  quitter  sa  chère  solitude  pour  venir  habiter 
avec  quelques  autres  religieux  le  couvent  miraculeu- 
sement élevé  par  l'humble  charbonnier  de  Compostelle 
et  placé  sous  l'invocation  de  Notre-Dame-des-Anges. 
On  ne  connaît  pas  au  juste  le  jour  de  sa  mort  ;  le  mar- 
tyrologe de  l'Ordre  place  son  souvenir  à  la  date  du 
5  juin. 

Quelques  années  après  ses  funérailles,  on  exhuma  son 
corps,  qui  fut  trouvé  dans  un  état  de  parfaite  conservation 
et  placé  au  milieu  de  la  sacristie.  On  avait  auparavant 
coupé  ses  deux  jambes,  précieuses  reliques  dont  furent 
dotés  les  couvents  d'Altamura  et  de  Gâta. 

(Wadding  et  Gonzague.) 


SOEUR  ISABELLE-MARIE  DE  LA  PASSION.  113 

SŒUR  ISABELLE-MARIE  DE  LA  PASSION 

DU   TIERS    ORDRE 

1630.  —  Pape  :  Urbain  VIII.  —  Roi  de  France  :  Louis  XIH. 


CHAPITRE  PREMIER. 

SOMMAIRE  :  Origine  et  jeunesse  de  la  bienheureuse  Isabelle.  —  Son  mariage 
avec  Antoine  Morso.  —  Années  d'égarements,  Isabelle  oublie  Dieu  pour  le 
monde.  —  Son  retour  au  bien.  —  Ses  vertus  austères.  —  Sa  charité  chrétienne.  — 
Conversions  qu'elle  provoque.  —  Sa  bonne  entente  avec  son  mari.  —  Dispersion 
des  richesses  de  la  marquise.  —  Ses  mortifications.  —  Son  heureuse  influence  sur 
son  entourage. 

Isabelle-Marie  de  la  Passion  naquit  le  jour  de  Pâques 
de  Tan  de  grâce  1582,  au  château  de  Trabie.  Ses  parents, 
Octave  Lanza,  prince  de  Trabie,  et  Jeanne  OrtegaGioëni, 
tous  deux  alliés  aux  plus  nobles  familles  de  la  Sicile,  lui 
donnèrent  une  éducation  chrétienne.  Devenue  grande, 
sa  mère  la  confia  aux  religieuses  du  couvent  de  Mussur- 
nelli,  village  dépendant  du  domaine  de  Trabie.  Les 
bonnes  sœurs  trouvèrent  dans  la  jeune  princesse  une 
intelligence  déjà  développée,  et  surtout  une  belle  âme 
dont  toutes  les  pensées  se  reflétaient  dans  de  grands  yeux- 
bleus,  d'une  céleste  limpidité.  Elle  était  modeste,  pieuse, 
douce  et  compatissante  aux  misères  de  ses  semblables  ; 
les  pauvres  l'aimaient  comme  une  sœur,  les  religieuses 
comme  leur  enfant. 

Aussi  ce  fut  un  deuil  général  quand  la  princesse  fut 
obligée  de  quitter  le  couvent  pour  suivre  ses  parents  à 

Palm.  Séraph.  —  Tome  VI.  s 


H  4  V  JUIN. 

Palerme  ;  les  nonnes  ne  pouvaient  songer  à  se  séparer 
d'elle  sans  verser  des  larmes,  et  Isabelle  elle-même  était 
fort  affligée  de  renoncer  à  tant  d'affection  et  d'abandon- 
ner ses  cbères  mères;  elle  obtint  de  sa  mère  la  promesse 
qu'on  ne  l'empêcherait  pas  de  se  consacrer  à  Dieu,  dès 
qu'elle  aurait  atteint  l'âge  fixé  par  la  règle,  et  au  mo- 
ment de  la  séparation,  elle  put  faire  espérer  aux  bonnes 
sœurs  qu'elle  reviendrait  dans  peu  de  temps  au  milieu 
d'elles,  et  cette  fois  pour  toujours. 

A  Palerme,  elle  eut  bientôt  conquis  l'affection  de  tous. 
Sa  beauté  éclatante,  et  encore  plus  les  qualités  de  son 
esprit  et  de  son  cœur,  la  noblesse  de  son  origine  et  ses 
grandes  richesses  attirèrent  autour  d'elle  une  foule  de 
prétendants,  et  les  plus  illustres  seigneurs  de  la  Sicile  la 
demandèrent  en  mariage.  Elle  les  refusa  tous,  désireuse 
qu'elle  était  de  se  consacrer  au  Seigneur.  Cependant, 
elle  finit  par  céder  aux  instances  de  ses  parents  et  à  l'es- 
time qu'elle  ressentait  pour  le  marquis  de  Gibellina, 
Antoine  Morso,  gentilhomme  d'une  haute  naissance  et 
dont  la  vie  ne  donnait  prise  à  aucun  blâme. 

Isabelle  était  alors  âgée  de  dix-neuf  ans.  Avec  son  ma- 
riage commence  une  période  de  faiblesse  dont  le  sou- 
venir lui  causa  sur  la  fin  de  sa  vie  bien  des  remords  et 
bien  des  inquiétudes  :  le  monde,  dont  jusqu'alors  elle 
avait  évité  les  écueils,  la  séduisit  et  faillit  la  perdre.  On 
lui  fit  tant  de  fois  l'éloge  de  sa  grâce  et  de  sa  beauté, 
qu'elle  en  conçut  de  la  vanité  ;  elle  ne  songeait  qu'à  la 
parure  ;  elle  rêvait  de  bracelets,  de  colliers,  de  robes 
nouvelles.  Au  lieu  d'éviter,  comme  autrefois,  les  sociétés 
frivoles,  elle  donnait  elle-même  le  signal  du  plaisir  ; 
elle  recherchait  les  adulations,  les  flatteries;  elle  forçait 


SŒUR  ISABELLE-MARIE  DE  LA  PASSION.  115 

les  regards  à  s'arrêter  sur  elle  et  à  lui  dire,  dans  leur 
muet  langage,  qu'elle  était  toujours  la  plus  belle  et  la 
plus  séduisante  des  femmes  de  Palerme.  Elle  avait  oublié 
le  ciel  pour  la  terre,  et  Dieu  pour  les  hommes. 

Quelquefois,  dans  une  nuit  d'insomnie,  faisant  tout  à 
coup  un  retour  sur  elle-même  et  comparant  sa  vie  pré- 
sente aux  années  de  sa  jeunesse,  elle  s'effrayait  du  chan- 
gement survenu  dans  son  âme  ;  la  crainte  des  célestes 
vengeances  la  prenait  à  la  gorge  et  l'étouffait ,  puis  des 
sanglots  sortaient  de  sa  poitrine  oppressée,  et,  prosternée 
sur-  le  tapis  de  sa  chambre,  elle  criait  pardon  vers  Dieu. 
Le  lendemain,  elle  retournait  à  ses  plaisirs.  A  l'église,  la 
pensée  qu'elle  était  là,  plus  que  partout  ailleurs,  sous 
l'œil  du  Très-Haut,  lui  causait  des  troubles  indicibles  ; 
elle  assista  moins  souvent  aux  offices  sacrés.  Depuis  long- 
temps déjà,  elle  avait  cessé  de  s'approcher  du  tribunal 
de  la  pénitence  et  de  la  sainte  Table  ;  et  son  directeur, 
n'ayant  plus  d'autorité  sur  son  cœur  frivole,  se  prit  à 
désespérer  de  son  salut. 

Mais  Dieu  l'avait  choisie  pour  en  faire  sa  servante,  elle 
ne  devait  pas  succomber.  Le  baron  de  Venetico  vint  un 
jour  lui  faire  visite  :  c'était  un  jeune  gentilhomme  dans 
la  fleur  de  l'âge,  plein  de  vie  et  de  santé.  Tout  à  coup,  au 
milieu  de  l'entretien,  il  tomba  mort,  comme  frappé  delà 
foudre,  aux  pieds  de  la  marquise  évanouie  de  frayeur. 
Cet  accident  eut  sur  l'âme  d'Isabelle  une  influence  déci- 
sive ;  en  voyant  combien  la  vie  humaine  est  peu  de  chose 
entre  les  mains  de  Dieu,  elle  se  prit  à  songer  qu'elle  aussi 
pouvait  mourir  sans  avoir  le  temps  d'implorer  son  par- 
don, et  la  pensée  du  juste  châtiment  qui  l'attendait  dans 
l'éternité  lui  faisait  passer  des  frissons  dans  les  os.  Le 


116  V  JUIN. 

lendemain  même,  elle  enferma  ses  bijoux  dans  leurs 
écrins  et  jura  de  renoncer  aux  plaisirs  qu'elle  avait  tant 
aimés. 

Vers  cette  époque,  une  peste  terrible  ravagea  la  ville 
de  Palerme  ;  beaucoup  d'habitants  périrent,  et  la  com- 
tesse elle-même  tomba  malade.  Elle  ressentit  de  violentes 
douleurs  à  la  tête  et  au  côté,  et  fut  forcée  de  prendre  le 
lit.  Pendant  quelques  jours,  on  craignait  pour  sa  vie. 
L'idée  de  la  mort  l'effraya  ;  elle  ne  se  sentait  pas  en 
état  de  se  présenter  devant  Dieu.  Ses  mains  amaigries 
levées  vers  le  ciel,  la  poitrine  pleine  de  sanglots,  elle 
implorait  la  miséricorde  céleste,  l'intercession  de  tous 
les  saints  et  surtout  de  Marie,  la  patronne  des  pécheurs  : 
«  Seigneur  »,  disait-elle,  «  laissez-moi  vivre  pour  que  je 
«  puisse  racheter  mes  fautes  par  de  longues  années  de 
«  pénitence.  Je  fais  vœu,  au  nom  de  la  très-sainte  Mère 
«  et  du  divin  Enfant,  de  ne  plus  songer  aux  plaisirs  de  la 
«  terre,  mais  à  votre  justice  ».  Quelques  jours  après,  la 
princesse  était  miraculeusement  guérie,  et  elle  se  dispo- 
sait à  tenir  sa  promesse. 

Elle  commença  par  une  confession  générale  de  toutes 
ses  fautes  ;  un  Père  de  l'Oratoire,  son  directeur  spirituel 
depuis  vingt-sept  ans,  entendit,  avec  des  larmes  de  joie, 
les  aveux  de  sa  pénitente  au  sacré  tribunal.  Sur  les  con- 
seils du  saint  homme,  elle  se  tint  à  l'écart  de  la  société 
frivole  dont  elle  avait  été  la  reine  par  sa  beauté,  sa  grâce, 
son  esprit  et  ses  richesses  ;  plus  de  réunions  joyeuses  et 
turbulentes  dans  le  palais,  plus  de  musique  mondaine, 
plus  de  danses,  plus  de  vêtements  de  soie  et  de  velours, 
plus  de  bijoux.  Au  milieu  de  Palerme,  elle  vécut  solitaire 
comme  un  ermite  au  fond  d'une  vallée  sauvage.  Enfer- 


SUEUR  ISABELLE-MARIE  DE  LA  PASSION.  1 1  7 

mée  dans  son  oratoire,  elle  priait  et  pleurait  ;  elle  ne 
sortait  guère  de  sa  retraite  que  pour  assister  à  la  messe 
et  s'approcher  de  la  sainte  Table  ;  elle  n'aimait  pas  de 
faire  ses  dévotions  dans  les  églises,  où  la  foule  assemblée 
pouvait  la  distraire  du  seul  objet  de  sa  vie,  la  pénitence 
et  le  repentir. 

C'est  seulement  au  bout  de  quelques  mois,  quand  elle 
se  sentit  assez  forte  pour  affronter  sans  danger  le  monde 
à  qui  elle  avait  dit  adieu,  qu'elle  osa  s'occuper  d'oeuvres 
de  charité.  On  la  voyait,  vêtue  d'une  longue  robe  de  laine 
brune,  suivie  d'un  domestique  qui  portait  des  provisions, 
visiter  les  pauvres  dans  les  rues  étroites  où  ils  étaient 
entassés,  et  leur  donner,  avec  le  pain  dont  le  corps  a  besoin 
pour  se  soutenir,  les  consolations  que  l'âme  réclame  plus 
impérieusement  encore.  Elle  soignait  les  malades,  leur 
préparait  des  boissons,  pansait  leurs  plaies  de  ses  mains 
délicates,  leur  apportait  du  linge  et  des  vêtements.  Son 
âme  débordait  de  tendresse  au  spectacle  de  toutes  les 
misères  humaines,  et  elle  se  sentait  capable  de  les  sou- 
lager. Les  orphelins  dont  elle  assura  l'existence,  les  jeunes 
filles  pauvres  qu'elle  dota,  les  femmes  égarées  qu'elle 
ramena  dans  la  bonne  voie  l'aimaient  comme  une  mère 
et  la  vénéraient  comme  une  Providence.  Rien  ne  la  re- 
butait, ni  les  paroles  grossières,  ni  les  injures,  ni  même 
quelquefois  les  menaces.  Des  courtisanes  qu'elle  voulait 
sauver  lui  crachaient  au  visage  ;  elle  revenait  le  lende- 
main, et,  par  sa  douceur  et  ses  bonnes  paroles,  leur  ar- 
rachait des  larmes  de  repentir.  Grâce  à  ses  efforts,  bon 
nombre  de  ces  malheureuses  renoncèrent  à  leurs  égare- 
ments; une  maison  que  la  marquise  possédait  à  Palerme 
les  mettait  à  l'abri  du  besoin  et  des  tentations  ;  elles  n'en 


118  V  JUIN. 

sortaient  que  pour  entrer  au  couvent  ou  contracter  un 
mariage  honorable  :  c'étaient  autant  d'âmes  gagnées 
au  ciel. 

Isabelle-Marie  de  la  Passion,  au  milieu  de  ses  bonnes 
œuvres,  eut  le  bonheur  de  trouver,  dans  son  mari,  un  ami 
complaisant  et  dévoué,  aussi  bon,  aussi  compatissant  et 
aussi  charitable  qu'elle-même.  Ils  vivaient  chastement, 
comme  un  frère  et  une  sœur,  et  s'entretenaient  des  pau- 
vres et  des  malades  qu'il  fallait  secourir,  des  infortunés 
à  soulager,  des  égarés  à  ramener  au  bien.  C'était  une 
union  selon  le  Seigneur,  l'union  de  deux  belles  âmes, 
l'association  des  mêmes  vertus,  le  plus  simple  et  le  plus 
touchant  des  spectacles  que  le  monde  puisse  présenter. 
La  bénédiction  d'en  haut  était  descendue  sur  ce  grand 
palais  où  habitaient  la  paix,  le  bonheur  et  le  contente- 
ment de  soi-même.  Les  domestiques  y  étaient  traités 
comme  des  amis,  non  comme  des  inférieurs  ;  le  marquis 
et  la  marquise  ne  savaient  pas  donner  des  ordres  ;  ils 
demandaient  des  services.  11  arriva  même  un  jour  qu'Isa- 
belle tomba  aux  genoux  d'un  de  ses  valets  et  le  supplia, 
avec  des  larmes  dans  la  voix,  de  lui  pardonner  quelques 
paroles  un  peu  vives,  quoique  méritées. 

Cependant  les  grandes  richesses  de  la  noble  femme  se 
dispersaient  peu  à  peu  dans  toutes  les  chaumières  et  dans 
tous  les  hospices  de  Païenne.  A  force  de  nourrir  et  d'ha- 
biller les  indigents,  elle  épuisa  une  immense  fortune, 
sans  autre  regret  d'ailleurs  que  celui  de  n'avoir  pas 
davantage  à  donner.  Elle  aliéna  ses  domaines,  ses  terres, 
ses  bois,  puis  ses  tableaux,  ses  diamants,  ses  bijoux.  Quand 
elle  n'eut  plus  que  son  palais,  elle  imagina  de  le  vendre 
et  d'aller  s'enfermer  dans  quelque  modeste  maison  ;  sa 


SCEUR  ISABELLK-MARIE  DE  LA  PASSION.  H  9 

famille  s'y  opposa  ;  elle  aurait  fini  par  avoir  à  son  tour 
besoin  de  la  charité  d'autrui.  Sa  garde-robe  était  vide; 
elle  s'habillait  maintenant  de  la  même  étoffe  que  ses  ser- 
vantes ;  si  elle  avait  encore  aimé  la  soie  et  le  velours,  elle 
eût  été  trop  pauvre  pour  s'en  procurer. 

Son  humilité,  d'ailleurs,  s'y  refusait  :  elle  voulait  être 
confondue  avec  la  foule.  A  l'église,  elle  allait  s'agenouiller 
sur  la  pierre,  au  milieu  des  femmes  du  peuple,  le  plus 
souventauprèsdes  pécheresses  qu'elle  avait  ramenéesdans 
le  droit  chemin  :  «  Que  suis-je  moi-même  autre  chose  », 
disait-elle,  «  que  la  dernière  et  la  plus  misérable  des 
«  femmes,  et  n'ai-je  pas  beaucoup  plus  à  expier  que  toutes 
«ces  malheureuses?  »  Elle  s'imposait  des  jeûnes,  des 
mortifications;  deux  fois  par  semaine,  le  mercredi  et  le 
vendredi,  elle  se  donnait  si  cruellement  la  discipline,  que 
son  sang  coulait  le  long  de  son  corps  et  jaillissait  jusque 
sur  les  murs  de  la  chambre.  On  essayait  d'arrêter  ces 
emportements  d'une  piété  trop  vive  :  «  Jésus,  mon  Sau- 
ce veur»,  répondait-elle,  a  répand  tous  les  jours  son  sang 
«  divin  pour  la  rédemption  de  mes  péchés,  et  je  n'es- 
te sayerais  pas  de  les  racheter  moi-même  avec  quelques 
«  gouttes  de  mon  propre  sang  ».  Un  jour  ses  forces 
s'épuisèrent  tellement  qu'elle  fut  incapable  d'aller  jusqu'à 
son  lit  pour  y  prendre  quelque  repos  ;  elle  tomba  inanimée 
sur  le  plancher,  pâle  comme  une  morte,  et  on  la  trouva 
quelques  heures  après  baignée  dans  son  sang.  Quand  elle 
revint  à  elle,  elle  murmura  une  prière  d'actions  de  grâces 
au  Seigneur  !  «  Qu'il  est  doux  d'être  votre  esclave,  et 
«  quelle  joie  humaine  est  comparable  au  bonheur  de 
a  souffrir  pour  vous!  » 

Et  les  souffrances  qu'elle  s'imposa  furent  telles  qu'on 


120  V  JUIN. 

a  peine  â  s'expliquer  comment  elle  put  les  supporter.  Sur 
le  corps,  une  haire  serrée  à  la  taille  par  une  ceinture 
garnie  de  pointes  de  fer  ;  sur  la  tête  une  couronne  d'épines 
semblable  à  celle  dont  fut  ceint  le  front  du  Sauveur:  il 
a  fallu  un  miracle  de  tous  les  jours  pour  lui  permettre  de 
mener  cette  vie  pendant  de  longues  années. 

Ce  miracle,  c'est  l'ardeur  de  son  amour  pour  Dieu.  Au 
milieu  des  plus  cruelles  douleurs,  son  âme,  détachée  de 
la  terre,  s'élevait  vers  Jésus  :  «  0  Jésus  !  ô  Vie  1  ô  Amour  !  » 
disait-elle  ;  et  quelquefois  sa  béatitude  était-elle  qu'elle 
avait  peur  d'en  mourir  et  qu'elle  s'écriait  :  «  C'est  assez, 
«  ô  mon  Dieu,  ma  pauvre  âme  va  succomber  sous  le 
«  poids  de  sa  félicité  ». 

Aussitôt  qu'elle  se  mettait  à  genoux  pour  prier,  la  pieuse 
marquise  perdait  le  sentiment  des  choses  de  ce  monde, 
et  semblait  vivre  d'une  vie  tout  intérieure  et  tout  exta- 
tique. Dans  ces  moments  où,  seule  à  seule  avec  Dieu,  elle 
s'entretenait  avec  lui  comme  un  ami  avec  son  ami,  elle 
obtenait  du  Très  Haut  toutes  les  grâces  qu'elle  lui  de- 
mandait. C'est  ainsi  qu'elle  eut  le  bonheur  de  voir  se 
convertir  d'abord  tous  ses  serviteurs,  puis  un  certain 
nombre  de  jeunes  gens  et  de  jeunes  filles  qui,  jusqu'alors 
séduits  par  les  vanités  delà  terre  et  n'ayant  encore  songé 
qu'aux  plaisirs,  se  sentirent  tout  à  coup  touchés  de  la 
grâce  et  s'en  furent  dans  un  couvent  implorer  de  Dieu, 
par  la  pénitence  et  la  mortification,  le  pardon  de  leurs 
erreurs  passées.  L'héritière  d'une  noble  famille,  que  sa 
mère  avait  placée  dans  une  maison  religieuse,  mais  qui 
ne  se  sentait  aucune  vocation  pour  la  vie  monacale, 
déclara  nettement  à  ses  parents  qu'elle  voulait  se  marier. 
Isabelle  en  fut  informée  :  «C'est  Dieu  qu'elle  épousera», 


SOEUR  ISABELLE -MARIE  DE  LA  PASSION.  121 

répondit-elle  de  sa  voix  tranquille,  et  le  lendemain  même 
la  jeune  fille  confirmait  par  ses  propres  paroles  la  vérité 
de  cette  prédiction.  La  grâce  l'avait  éclairée  précisément 
à  l'heure  où  sa  mère  était  allée  voir  la  sainte  mar- 
quise. 

CHAPITRE  II. 


SOMMAIRE  :  DéMr  de  la  bienheureuse  Isabelle  de  se  consacrer  à  Dieu.  —  Maladie 
et  mort  de  son  mari.  —  La  marquise  entre  au  couvent  et  demande  à  rester  sœur 
converse.  —  Ses  vertus.  —  Son  ardente  ambition  de  souffrir  pour  son  Dieu.  — 
Le  Seigneur  exauce  sa  prière.  —  Sa  dernière  maladie  et  sa  mort. 


Quelques  bonnes  œuvres  que  la  bienheureuse  Isabelle 
accomplît  dans  le  monde,  quelque  sainte  vie  qu'elle  y 
menât,  elle  soupirait  en  comparant  son  existence  à  celle 
que  les  religieuses  mènent  au  fond  de  leurs  cloîtres.  Là, 
du  moins,  nul  bruit  extérieur  ne  pénètre,  nulle  curiosité 
malsaine  ne  trouble  les  pieuses  filles  dans  leurs  pratiques 
de  dévotion  ;  elles  sont  seules  à  seul  avec  Dieu,  tout  à 
lui,  rien  qu'à  lui.  Isabelle  était  mariée,  des  liens  de  fa- 
mille, des  liens  d'amitié  la  rattachaient  au  monde  en 
dépit  de  tous  ses  efforts  pour  s'en  dégager,  et  c'est  ce  qui 
lui  faisait  dire  à  la  supérieure  du  couvent  :  «  Quand 
«  donc  le  Seigneur  m'accordera-t-il  la  grâce  dont  vous 
«jouissez?  Et  vous,  mes  sœurs,  daignerez  vous  jamais 
«  recevoir  au  milieu  de  vous  une  aussi  grande  pécheresse 
«  que  moi?  » 

C'est  là  ce  qui  troublait  la  sérénité  de  l'âme  d'Isabelle  : 
elle  sentait  que  la  mort  seule  de  son  mari  lui  permettrait 
de  revêtir  la  robe  des  religieuses,  et  son  bonheur  devait 
être  accompagné  d'un  si  profond  chagrin  qu'elle  n'osait 
pas  le  désirer,  ni  le  prévoir.  Sur  ces  entrefaites,  le  mar- 


122  V  JUIN. 

quis  tomba  malade ,  assez  gravement  pour  que  tout 
d'abord  les  médecins  désespérassent  de  le  sauver.  Isabelle 
le  soigna  avec  la  tendresse  d'une  mère  et  d'une  épouse. 
Elle-même  voulut  le  veiller,  lui  préparer  les  médicaments 
dont  il  avait  besoin,  l'aider  par  sa  présence  et  par  ses 
douces  paroles  à  bien  supporter  ses  douleurs.  En  même 
temps,  elle  faisait  dire  des  messes  dans  toutes  les  églises, 
elle  répandait  les  aumônes  à  pleines  mains,  elle  se  con- 
fessait et  communiait  presque  tous  les  jours  pour  obtenir 
de  Dieu  la  guérison  du  malade.  Tout  fut  inutile.  L'heure 
fixée  par  le  Seigneur  approchait,  l'heure  inévitable,  que 
tous  les  hommes  conjurés  ensemble  ne  pourraient  retar- 
der d'un  moment.  Le  marquis  reçut  avec  ferveur  les 
Sacrements  des  mourants  ;  puis  il  manda  près  de  lui  ses 
parents  et  ses  serviteurs,  pour  leur  faire  ses  adieux.  Quel- 
ques minutes  avant  d'expirer,  il  baisa  la  marquise  au 
front  en  lui  disant  :  a  Je  me  recommande  à  vos  prières 
«  et  à  vos  bonnes  œuvres  ». 

Isabelle  le  fit  ensevelir  dans  le  couvent  des  Plaies-de- 
Saint-François,  où  elle  entra  le  même  jour  en  qualité  de 
novice.  Quand  la  supérieure  lui  donna  son  crucifix,  en 
disant  que  Dieu  devait  être  désormais  le  fiancé  de  son 
âme,  elle  en  éprouva  une  telle  joie,  qu'elle  perdit  con- 
naissance, et  que  les  sœurs  durent  la  transporter  au  chœur. 
Au  moment  où  on  chantait  le  Te  Deum,  elle  éprouva  une 
nouvelle  défaillance,  causée  par  l'excès  de  son  bonheur  ; 
mais  la  mère  abbesse  étant  venue  lui  ordonner,  au  nom 
de  la  sainte  obéissance,  de  ne  plus  troubler  la  piété  de  ses 
sœurs,  par  un  effort  suprême  de  sa  volonté,  elle  se  leva 
et  resta  debout  jusqu'à  la  fin  de  l'office.  Au  réfectoire, 
elle  déclara  aux  religieuses  qu'elle  n'avait  pas  d'autre 


SŒUR  ISABELLE-MARIE  DE  LA  PASSION.  123 

ambition  que  d'être  leur  servante,  et  comme  les  supé- 
rieures lui  conseillaient  d'aller  s'enfermer  dans  sa  cellule 
pour  y  prendre  le  repos  dont  elle  avait  besoin  :  «  Mes 
«  mères  » ,  répondit-elle,  «  je  me  sens  assez  forte  pour  mou- 
«  rir  debout,  en  invoquant  le  nom  de  Notre-Seigneur 
«Jésus-Christ». 

Par  égard  pour  sa  grande  naissance,  on  voulait  la  dis- 
penser de  certaines  obligations  très-pénibles,  comme  la 
loi  du  silence  absolu,  les  jeûnes  prolongés,  les  veilles 
sans  repos  ;  elle  s'y  refusa  énergiquement  :  «  Je  suis  ici  », 
dit-elle,  «  beaucoup  moins  digne  de  faveur  qu'aucune 
«  autre  des  religieuses,  je  veux  être  soumise  à  la  même 
«  règle  qu'elles  ».  Et  elle  demanda  à  n'avoir  que  le  titre 
de  sœur  converse. 

C'est  dans  cette  humble  condition  qu'elle  passa  la 
seconde  partie  de  sa  vie,  s'efforçant  d'imiter  les  modèles 
de  sainteté  qu'elle  avait  sous  les  yeux.  Elle  jouissait 
d'une  félicité  sans  mélange,  celle  d'être  enfin  délivrée 
de  tous  les  liens  qui  la  rattachaient  au  monde.  Dans  la 
solitude  silencieuse  où  elle  était  venue  s'enfermer,  elle 
se  trouvait  heureuse  comme  les  élus  le  sont  au  ciel. 
Chanter  et  entendre  chanter  sans  cesse  les  louanges  du 
Seigneur,  est-il  sur  la  terre  rien  de  comparable  à  cette 
béatitude  ? 

Isabelle  atteignit  donc  bientôt  au  plus  haut  degré  de 
la  perfection  religieuse  ;  son  obéissance  à  la  règle  et  à  ses 
supérieures,  sa  piété  ardente,  son  humilité,  faisaient 
l'admiration  de  toutes  les  sœurs,  et  en  même  temps  lui 
méritaient  de  Dieu  des  faveurs  enviées.  On  la  trouvait 
absorbée  dans  de  profondes  contemplations,  les  yeux 
fixés  sur  quelque  personnage  divin,  invisible  pour  toute 


124  V  JUIN. 

autre  que  pour  elle,  paraissant  écouter  avec  recueille- 
ment des  paroles  mystérieuses  ;  et  le  lendemain  elle  priait 
les  sœurs  de  remercier  le  Seigneur  des  grâces  qu'il  lui 
accordait  sans  cesse. 

Sa  dévotion  aux  souffrances  de  Jésus  crucifié  était  ex- 
trême, et  la  Passion  du  Sauveur  était  l'objet  de  ses  cons- 
tantes méditations.  Elle  eût  voulu  recommencer  avec 
lui  le  chemin  du  Calvaire,  l'aider  à  porter  sa  croix, 
étancher  le  précieux  sang  qui  coulait  de  ses  saintes 
blessures,  et  elle  s'écriait  avec  sainte  Thérèse  :  «  Domine, 
«  aut  pati,  ant  mort  !  Seigneur,  ou  soufïrir,  ou  mourir 
«  pour  vous  !  »  Elle  enviait  le  bonheur  des  religieuses 
malades,  et  elle  disait  un  jour  à  la  mère  abbesse  :  «  Ma 
«  mère,  Dieu  vous  donne  le  bonheur  d'endurer  de  cruelles 
«  douleurs,  et  il  ne  me  juge  digne  d'aucune  épreuve  ». 

Le  Tout-Puissant  exauça  enfin  ses  vœux  les  plus  ar- 
dents :  la  dernière  année  de  sa  vie  ne  fut  qu'un  long 
supplice.  Le  jour  de  l'Invention  de  la  sainte  Croix,  elle 
poussa  tout  à  coup  un  cri  de  joie,  elle  venait  de  ressentir 
les  premières  atteintes  de  la  souffrance,  une  vive  dou- 
leur à  la  hanche,  qui  l'empêcha  bientôt  de  se  tenir  de- 
bout. On  la  voyait  se  traîner  au  chœur  sur  ses  genoux, 
pour  chanter  avec  ses  sœurs  les  cantiques  sacrés  au  pied 
des  autels.  A  partir  du  mois  d'avril,  les  médecins  lui 
défendirent  formellement  de  quitter  le  lit  ;  elle  n'en 
aurait  plus  eu  la  force.  Déjà  il  lui  était  impossible  de 
prendre  aucune  nourriture,  si  ce  n'est  au  prix  des  plus 
atroces  douleurs.  11  lui  semblait  qu'un  feu  intérieur  la 
consumait  lentement,  et  elle  était  dévorée  d'une  soif 
inextinguible.  On  désespéra  de  la  sauver.  Sur  un  ordre 
de  l'abbesse,  elle  consentit  à  recevoir  la  princesse  sa 


SŒUR  ISABELLE-MARIE  DE  LA  PASSION.  125 

mère,  quoique  cette  entrevue  dût  lui  être  fort  pénible. 
A  son  approche,  elle  se  fit  un  visage  si  souriant,  que  la 
pauvre  femme  abusée  se  demandait  tout  bas  :  «  Mon 
«  Dieu,  est-ce  là  la  figure  d'une  mourante  ?  »  Son  illusion 
ne  dura  pas  longtemps,  des  convulsions  affreuses  soule- 
vèrent tout  à  coup  par  soubresauts  violents  le  corps  de 
la  malade,  qui  luttait  de  tout  le  reste  de  ses  forces  pour 
dérober  à  sa  mère  le  spectacle  de  ses  douleurs.  Elle  ne 
se  plaignait  pas  cependant,  et  quand  la  souffrance  lui 
arrachait  un  cri,  c'était  toujours  une  parole  de  recon- 
naissance et  d'amour  qui  s'échappait  de  ses  lèvres.  Dans 
ses  moments  de  calme,  elle  lisait  ou  se  faisait  lire  des 
livres  de  piété  ;  et  alors  une  telle  sérénité  se  peignait  sur 
son  visage  ,  qu'un  rayon  du  ciel  semblait  l'illuminer. 

Après  plus  de  sept  mois  d'un  douloureux  martyre,  le 
moment  de  la  délivrance  parut  enfin  s'approcher.  Elle 
fit  sa  confession  générale,  reçut  la  sainte  communion  et 
les  Sacrements  des  mourants,  et  depuis  ce  moment  resta 
presque  continuellement  dans  une  extase  profonde.  La 
Mère  de  Dieu  et  Jésus  lui-même  lui  apparaissaient  fré- 
quemment, et  dans  ses  entretiens  spirituels  avec  son 
céleste  Fiancé,  elle  puisait  une  force  et  une  tranquillité 
nouvelles.  Enfin  elle  bénit  ses  sœurs  au  nom  de  la  très- 
sainte  Trinité  et  de  la  Vierge  Marie,  et  mourut  en  mur- 
murant le  nom  de  Jésus,  le  5  juin  1630.  Elle  était  âgée 
de  cinquante-sept  ans. 

Dans  la  mort,  son  visage  resplendissait  d'une  beauté 
céleste.  Elle  souriait,  comme  on  sourit  quand  un  bon- 
heur immense  remplit  l'âme  et  la  dilate.  Au  moment  où 
les  religieuses  entonnaient  les  prières  des  défunts,  une 
lumière  éblouissante,  rayonnant  de  son  corps  comme  un 


126  V  JUIN. 

soleil,  éclaira  la  chapelle  entière,  déjà  pleine  d'une  foule 
pieuse  qui  venait  honorer  les  restes  de  la  sainte.  Les 
funérailles  furent  célébrées  avec  pompe,  au  milieu  d'un 
grand  concours  de  peuple.  Comme  la  marquise  était  la 
première  religieuse  qui  fût  morte  au  couvent,  et  que  le 
caveau  commun  n'était  pas  encore  creusé,  on  laissa 
exposé  dans  l'église  le  cercueil  qui  la  renfermait.  Des 
miracles  s'accomplirent  par  l'intercession  de  la  bienheu- 
reuse, et  la  cour  de  Rome,  deux  ans  après  sa  mort,  sur 
la  demande  de  l'archevêque  de  Païenne,  autorisa  en  son 
honneur  des  processions  solennelles. 

(Biographie  publiée  à  ralerrae,  en  1541.) 


PACIFIQUE  DE  CERANO 

1482.  —  Pape  :  Sixte  IV.  —  Roi  de  France  :  Louis  XI. 

Le  bienheureux  Pacifique  de  Cerano,  né  dans  le  dio- 
cèse de  Novare,  se  distingua  dans  l'Ordre  de  Saint-Fran- 
çois par  sa  capacité  pour  la  direction  des  âmes.  11  composa 
une  Somme  des  cas  de  conscience  qui  fut  appelée  la 
Somme  Pontificale,  parce  que  Sixte  IV  l'approuva.  Par  la 
sainteté  de  sa  vie  et  l'éloquence  de  ses  prédications,  il 
mérita  d'être  nommé  commissaire  apostolique,  pour 
prêcher  la  croisade  contre  les  Turcs  qui  ravageaient 
alors  l'Italie. 

Il  mourut  dans  l'île  de  Sardaigne  en  1482.  L'Ordre 
Séraphique  honore  sa  mémoire  le  5  juin. 

(Butler.) 


LE  BIENHEUREUX  DANIEL  DE  NIMBRO.  127 


SIXIEME    JOUR    DE    JUIN 


LE  BIENHEUREUX  DANIEL  DE  NIMBRO 

1460.  —  Pape  :  Pie  IL  —  Roi  de  France  :  Charles  VII. 

Le  bienheureux  Daniel  naquit  à  Nimbro,  non  loin  de 
Bergâme,  en  Italie,  de  l'illustre  famille  des  Tirabosehi. 
On  était  alors  en  pleine  guerre  des  Guelfes  et  des  Gibe- 
lins, et  l'enfance  de  Daniel  se  passa  au  milieu  d'agitations 
terribles,  qui  eurent  pour  premier  résultat  de  mûrir  sa 
jeune  âme  et  de  lui  faire  prendre  en  horreur  les  misères 
de  l'humanité  :  «Seigneur,  Seigneur  »,  disait-il  souvent, 
«  ne  m'abandonnez  pas  au  sein  de  celte  foule  qui  vous 
«  méconnaît  et  qui  ne  tient  pas  compte  de  vos  divins 
«  commandements  ». 

Sa  prière  fut  exaucée  :  saint  Bernardin  vint  prêcher  en 
Lombardie.  Ses  sermons,  toujours  éloquents,  et  l'exemple 
de  sa  vie  ramenèrent  au  bien  nombre  d'âmes  égarées  et 
conquirent  à  l'Ordre  de  Saint-François  plusieurs  jeunes 
gens,  entre  autres  Daniel.  L'année  suivante,  le  bienheu- 
reux prononçait  ses  "vœux. 

Il  ne  tarda  pas  à  devenir  au  couvent  un  modèle  de  per- 
fection religieuse.  Fidèle  à  la  règle,  il  semble  qu'il  en  ait 
eu  continuellement  le  texte  sous  les  yeux  ;  austère  jusqu'à 
l'excès,  il  effrayait  les  Observants  eux-mêmes  par  l'in- 
tlexible  rigueur  avec  laquelle  il  domptait  son  pauvre 
corps.  A  l'église,  personne  ne  priait  avec  plus  de  ferveur  ; 


128  VI  JUIN. 

pendant  les  intervalles  des  offices,  personne  ne  dépensait 
au  travail  une  plus  grande  activité.  Il  visitait  les  malades 
et  les  prisonniers,  et  il  trouvait,  pour  préparer  à  la  mort 
les  malheureux  condamnés,  des  paroles  d'une  éloquence 
à  la  fois  ferme  et  touchante,  qui  les  disposait  à  paraître 
sans  crainte  devant  le  tribunal  de  Dieu.  Les  pécheurs 
trouvaient  en  lui  un  père  toujours  prêt  à  pardonner, 
plutôt  qu'un  juge  sévère  ;  car  il  était  de  ceux  qui  croient 
qu'il  y  aura  plus  de  joie  au  ciel  pour  un  coupable  qui 
fait  pénitence  ,  que  pour  quatre-vingt-dix-neuf  justes 
qui  ont  vécu  dans  la  constante  pratique  des  commande- 
ments de  Dieu  et  de  l'Eglise.  Aussi  provoqua-t-il  de 
nombreuses  conversions  et  ramena-t-il  au  bercail  bien 
des  brebis  égarées. 

C'est  ainsi  qu'il  vécut  au  couvent  de  Bergame,  au  sein 
des  mortifications  et  des  bonnes  œuvres.  Il  mourut  sain- 
tement le  6  juin  1460,  et  fut  enseveli  dans  la  chapelle  de 
saint  Bernardin,  où  il  avait  coutume  d'entendre  les  con- 
fessions. Des  miracles  s'accomplirent  sur  son  tombeau, 
et  ajoutèrent  encore  à  l'éclat  de  sa  renommée.  Qua- 
rante ans  après  sa  mort,  on  plaça  au-dessus  de  l'autel 
un  tableau  qui  le  représentait  entouré  d'une  auréole,  les 
yeux  levés  au  ciel,  dans  l'attitude  de  la  méditation  et  de 
la  prière. 

[Histoire  de  Bergame.) 


LE  BIENHEUREUX  VALENTIN  DE  NARNI.  129 

LE  BIENHEUREUX  VALENTIN  DE  NARNI 

1378.  —  Pape  :  Grégoire  XI.  —  Roi  de  France  :  Charles  V. 

Le  bienheureux  Valentin,  seigneur  de  Narni,  était  un 
gentilhomme  riche  et  honoré.  Il  épousa  l'héritière  d'une 
noble  famille,  dont  il  eut  deux  filles  et  trois  fils.  Devenu 
veuf,  il  eut  le  bonheur  de  voir  ses  filles  prendre  le  voile 
des  Clarisses,  et  lui-même  revêtit,  avec  ses  trois  fils,  l'habit 
des  Frères  Mineurs.  L'aîné  retourna  au  monde  et  prit  le 
grade  de  docteur  en  droit  ;  le  second,  Valentin,  fut  un 
vénérable  et  saint  religieux.  Pendant  quarante  ans,  il 
donna  l'exemple  de  toutes  les  vertus.  D'une  nature  ar- 
dente et  passionnée,  il  eut  à  dompter  les  révoltes  de  la 
chair  par  d'austères  mortifications.  Il  ne  s'épargna  ni  les 
coups  de  discipline,  ni  les  haires  en  crins,  ni  les  ceintures 
armées  de  pointes,  ni  les  jeûnes,  ni  les  veilles,  ni  les 
prières  prolongées  pendant  des  nuits  entières.  Pour  toute 
nourriture,  du  pain  et  de  l'eau  salée;  pour  toute  richesse, 
sa  robe  et  sa  corde;  pour  toute  volupté,  des  souffrances. 
Il  passa  de  longues  années  au  couvent  du  mont  Subasio, 
près  d'Assise,  où  il  mourut  l'an  1378,  en  odeur  de  sain- 
teté. 

On  l'ensevelit  dans  l'église  des  Clarisses  d'Assise.  Plus 
tard,  à  la  suite  des  nombreux  miracles  qui  s'accompli- 
rent sur  son  tombeau,  on  lui  éleva  un  magnifique  sé- 
pulcre de  marbre  dans  la  chapelle  de  l'Immaculée-Con- 

ception. 

(Pisan  et  Jacobille.) 
Palm.  Séraph.  —  Tome  VI.  0 


130  VI  JUIN. 

LA  B.  DELPHINE  DE  BARCELONE 

CLARISSE 

xvie  siècle.  —  Pape  :  Léon  X.  —  Roi  de  Franco  :  François  Ier. 

La  bienheureuse  sœur  Delphine,  née  à  Barcelone,  en 
Espagne,  se  retira  du  monde  après  la  mort  de  son  mari. 
Le  couvent  des  Clarisses-Urbanistes,  non  loin  de  Barce- 
lone, resplendissait  alors  d'un  éclat  sans  tache  ;  la  sain- 
teté des  pieuses  filles  qui  l'habitaient,  le  nom  seul  des 
princesses  d'Aragon  et  de  Catalogne,  qui  y  étaient  venues 
enfermer  leur  beauté  et  leurs  richesses,  lui  avaient  fait 
une  réputation  universelle.  C'est  là  que  Delphine  vint 
recevoir  l'habit  de  l'Ordre  et  qu'elle  vécut  dans  la  pra- 
tique de  toutes  les  vertus,  honorée  de  ses  sœurs  et  douée 
par  Dieu  du  don  d'accomplir  des  miracles.  Par  la  seule 
force  de  ses  prières,  elle  rappela  à  la  vie  son  abbesse, 
Thérèse  de  Cardona,  dont  les  religieuses  et  les  médecins 
désespéraient.  Une  jeune  novice,  Angèle  Cornette,  lui  dut 
aussi  la  santé. 

Cette  sainte  religieuse  alla,  vers  l'an  1520,  recevoir  au 
ciel  la  récompense  de  ses  vertus.  Après  sa  mort,  de  nou- 
veaux miracles  confirmèrent  le  respect  et  l'admiration 
que  l'on  avait,  de  son  vivant,  témoigné  à  cette  servante 
du  Seigneur  ;  et  quatre  ans  plus  tard,  quand  on  exhuma 
son  corps  pour  lui  donner  une  place  d'honneur  dans 
l'église  du  couvent,  on  trouva  qu'il  était  dans  un  état 
de  parfaite  conservation  et  qu'il  s'en  exhalait  une  odeur 
délicieuse. 

(GONZAGUE.) 


PÈRE  LOUIS  GOBIEZ  13 1 


PERE  LOUIS  GOMEZ 

JIARTYR,   AU  JAPON 

1634.  —  Pape  :  Urbain  VIII.  —  Roi  d'Espagne  :  Philippe  IV. 

SOMMAIRE  :  Départ  du  Père  Gomez  pour  le  Japon.  —  Persécutions  exercées 
contre  les  chrétiens.  —  Malgré  ses  précautions  et  ses  fuites,  le  Père  Gomez,  fait 
prisonnier,  est  condamné  à  mort.  —  Son  martyre. 

Le  Père  Louis  Gomez  est  originaire  d'Espagne,  où  il 
reçut  l'habit  de  frère  mineur.  Au  commencement  du 
dix-septième  siècle,  ses  supérieurs,  persuadés  qu'il  avait 
en  lui  les  qualités  qui  font  les  apôtres  et  les  martyrs, 
l'envoyèrent  au  Japon,  pour  y  prêcher  la  foi  de  Jésus- 
Christ.  Durant  les  nombreuses  années  qu'il  y  passa,  il 
déploya  au  service  de  la  sainte  cause  un  zèle  infatigable 
et  convertit  à  la  vraie  religion  une  foule  d'idolâtres.  Les 
missionnaires  apostoliques  et  les  nouveaux  chrétiens 
étaient  alors  en  butte  à  des  persécutions  sans  trêve  ni 
merci,  condamnés,  quand  ils  étaient  surpris,  à  abjurer 
leur  foi  ou  à  mourir  dans  d'affreux  supplices.  Déjà  plu- 
sieurs martyrs,  entre  autres  saint  Pierre-Baptiste  et  ses 
compagnons,  avaient  arrosé  de  leur  sang  cette  terre  infé- 
conde. Il  fallait  se  cacher  dans  les  forêts  et  dans4es  ca- 
vernes, se  réunir  en  secret,  dire  sa  messe  sous  le  ciel,  en 
plein  air,  au  milieu  de  mille  dangers.  Ce  fat  là  la  vie  du 
Père  Louis  Gomez,  jusqu'à  l'âge  de  quatre-vingts  ans. 
Toujours  en  fuite,  aujourd'hui  dans  un  village,  demain 
dans  un  autre,  pour  dérouter  les  persécuteurs,  il  parcou- 
rait à  pied  ce  pays  barbare,  soutenant  de  son  courage  les 


132  VI  JUIN. 

âmes  peu  assurées  des  nouveaux  convertis.  Non  pas  qu'il 
eût  peur  de  la  mort,  le  martyre  était  sa  seule  ambition  ; 
mais  il  comprenait  que  son  devoir  était  de  se  conserver 
pour  son  troupeau  dispersé  et  de  travailler  au  service  du 
Christ  le  plus  longtemps  possible. 

Il  fut  pris  cependant,  malgré  ses  précautions,  et  en- 
fermé dans  la  prison  d'Omura,  où  étaient  déjà  détenus  le 
Père  Sébastien  Viera,  vice-provincial  de  la  Compagnie  de 
Jésus,  et  cinq  autres  Pères  jésuites.  Quelques  semaines 
plus  tard,  il  fut  transporté  avec  eux  dans  la  prison  de 
Yeddo,  capitale  du  Japon  et  résidence  de  l'empereur 
Toxogonzama  et  de  sa  cour.  On  les  conduisit  au  palais, 
en  présence  du  tyran.  Chemin  faisant,  au  milieu  des  sol- 
dats armés,  ils  enseignaient  les  vérités  de  la  foi  au  peuple 
pressé  sur  leur  passage,  et  ils  s'efforçaient  de  jeter  quelque 
lumière  au  milieu  des  ténèbres  épaisses  qui  enveloppaient 
ces  malheureux.  Devant  leurs  juges,  au  lieu  de  songer  à 
défendre  leur  vie,  ils  confessèrent  qu'il  n'y  avait  pas 
d'autre  Dieu  que  le  Dieu  des  chrétiens,  créateur  et  con- 
servateur du  monde,  providence,  souveraine  bonté  et 
souveraine  justice.  Ils  furent  condamnés  à  mourir  dans 
d'affreux  supplices,  et  la  sentence  fut  exécutée  le  6  juin 
1634.  On  les  enferma  dans  des  cages  garnies  de  pointes 
de  fer,  et  quand  ils  eurent  le  corps  couvert  de  blessures 
sanglantes,  on  les  brûla  vifs. 

(Cardose  et  Chron.  de  la  Prov.  de  St-Joseph.) 


PLUSIEURS  FRÈRES  MINEURS,  MARTYRS  EN  FRANCE.         133 

PLUSIEURS  FRÈRES  MINEURS 

MARTYRS   EN   FRANCE 

Nous  trouvons  dans  le  Martyrologe,  à  la  date  du  6  juin, 
le  souvenir  de  cinq  frères  mineurs  de  la  Nouvelle-Aqui- 
taine, victimes  innocentes  et  courageuses  de  la  fureur  des 
Huguenots  :  le  Père  Charles  Lusache,  gardien  du  couvent 
de  Gourdon,  dans  le  Quercy  ;  —  le  Père  Henri,  lecteur  et 
prédicateur  éloquent,  —  le  Père  Pierre  Vabolois,  —  le 
Père  Arnould  Viganout  et  le  Père  Pierre  Quatre.  Quand 
les  hérétiques,  en  4579,  prirent  et  incendièrent  Gourdon, 
ils  envahirent,  le  fer  et  le  feu  à  la  main,  le  couvent  des 
Frères  Mineurs  de  cette  ville,  le  rasèrent  et  mirent  à  mort 
les  saints  religieux  qui  l'habitaient. 

Ce  fut  une  terrible  époque  pour  la  France  que  ces 
temps  où  l'hérésie  de  Calvin,  comme  un  torrent  dévas- 
tateur, se  fraya  un  chemin  dans  toutes  nos  provinces,  en 
ravageant  ce  qui  se  trouvait  sur  son  passage.  Les  cou- 
vents, les  églises,  des  villes  entières  s'abîmaient  dans  les 
flammes  ;  le  sang  des  martyrs  coulait  en  ruisseaux.  C'est 
le  Père  Bernardin  Molmier,  qui,  en  se  rendant  au  couvent 
de  Saint-Anloine-de-Padoue,  dont  il  venait  d'être  nommé 
gardien,  tombe  entre  les  mains  des  Huguenots  et  a  la  tête 
tranchée.  C'est  le  couvent  de  Millau,  mis  à  sac  en  1580 
par  les  bandes  impies,  et  le  Père  Mathurin  de  Beauregard 
qui  tombe  au  pied  de  l'autel,  tout  criblé  de  blessures; 
plus  de  mille  religieux  paient  de  leur  vie  leur  fidélité  à 
la  foi,  et  dans  la  seule  province  d'Aquitaine,  trente-deux 
cloîtres  deviennent  la  proie  des  flammes. 

(GONZAGUE.) 


134  VI  JUIN. 

PÈRE  MICHEL  DOVIN 

1652.  —  Pape  :  Innocent  X.  —  Roi  de  France  :  Louis  XIV. 

SOMMAIRE  :  Vocation  religieuse  de  Michel  Dovin.  —  Ses  études  à  Rome.  —  Il 
devient  docteur  en  théologie.  —  Ses  succès  comme  professeur  à  Gênes.  —  Sa 
modestie  et  ses  vertus  religieuses.  —  Sa  mort  et  ses  funérailles.  —  Ses  miracles. 

Michel  Dovin,  qui  naquit  en  Irlande,  l'an  1615,  était  le 
fils  aîné  de  Patrice  Dovin  et  de  Lélie  Guinsevam,  pieux 
et  riches  catholiques  irlandais.  A  Louvain,  où  il  fit  ses 
études,  il  se  trouva  en  rapport  avec  les  Récollets  de  cette 
ville,  et  il  se  sentit  tout  à  coup  au  cœur  un  immense 
désir  d'entrer,  lui  aussi,  dans  l'Ordre  de  Saint-François. 
Son  noviciat  fut  exemplaire,  et,  le  temps  réglementaire  de 
l'épreuve  révolu,  il  prononça  ses  vœux  au  couvent  de 
Ypres,  en  Belgique. 

Quelque  temps  après,  ses  supérieurs,  trouvant  en  lui 
de  grandes  qualités  intellectuelles,  l'envoyèrent  à  Rome 
pour  y  achever  ses  études.  Il  y  soutint  avec  éclat  plusieurs 
thèses  en  présence  du  cardinal  François  Barberini,  neveu 
du  pape  Urbain  VIII.  Proclamé  docteur  en  théologie,  il 
fut  nommé  lecteur  au  couvent  de  Saint-Isidore,  à  Rome, 
et  quelques  années  plus  tard,  il  vint  enseigner  à  Gênes, 
au  milieu  d'un  auditoire  immense,  la  science  qu'il  pos- 
sédait si  bien. 

Les  succès  qu'il  obtint,  l'admiration  passionnée  de  ses 
disciples,  les  éloges  de  ses  supérieurs,  n'eurent  sur  sa  belle 
àme  aucune  influence  fâcheuse.  D'une  modestie  à  toute 
épreuve,  il  sauva  son  humilité  de  l'écueil  dangereux 
d'une  grande  popularité.  En  dehors  de  ses  leçons,  où  il 


PÈRE  MICHEL  DOVIN.  135 

semblait  se  donner  avec  toute  son  âme,  il  avait  des  ma- 
nières réservées,  des  habitudes  de  silence  et  de  retraite 
dont  il  ne  se  départit  jamais.  Au  sein  des  villes  de  l'Italie, 
entouré  de  personnes  qui  l'honoraient  et  l'aimaient,  il 
vivait  comme  un  solitaire  au  milieu  d'une  forêt,  igno- 
rant même  des  grands  événements  qui  s'accomplissaient 
en  Europe.  Il  entendait  dire  que  les  Espagnols  venaient 
de  remporter  en  Flandre  une  victoire  décisive  sur  les 
Français,  et  on  l'étonnait  fort  en  lui  apprenant  que  la 
guerre  entre  la  France  et  l'Espagne  durait  déjà  depuis 
plusieurs  années.  C'est  qu'il  songeait  vraiment  à  bien 
autre  chose  qu'aux  luttes  des  puissants  de  la  terre;  le  ciel 
remplissait  sa  pensée,  et  il  n'y  avait  de  place  en  son  âme 
que  pour  ses  intérêts  dans  la  vie  éternelle.  Austère  comme 
un  ermite  de  la  Thébaïde,  il  prenait  à  peine  une  nourri- 
ture suffisante  à  le  soutenir  ;  ses  jeûnes,  ses  veilles,  ses 
mortifications  l'affaiblissaient  à  tel  point  que  ses  jambes 
se  refusaient  souvent  à  le  porter  ;  mais  si  le  corps  dé- 
faillait quelquefois,  l'intelligence  restait  ferme  et  vigou- 
reuse, âpre  au  travail,  avide  de  s'instruire  et  de  partager 
avec  d'autres  les  trésors  de  science  accumulés  par  de  longs 
efforts. 

Dieu  le  récompensa  dès  cette  vie  par  des  contempla- 
tions et  des  extases.  A  Gênes,  on  le  vit  souvent  au  chœur, 
tout  enveloppé  de  lumière;  sa  figure  resplendissait  d'un 
éclat  céleste,  et  il  semblait  soulevé  de  terre  :  l'église  tout 
entière  eu  était  illuminée,  et  un  parfum  délicieux  la 
remplissait  depuis  le  parvis  jusqu'à  la  voûte. 

Le  bienheureux  Michel  eut  aussi  le  don  de  prédiction 
et  de  seconde  vue.  On  était  venu  au  couvent  demander 
aux  religieux  leurs  prières  en  faveur  d'un  père  qui  se 


136  VI  JUIN. 

mourait:  «  Qu'a-t-il  besoin  de  notre  intercession  »,  ré- 
pondit le  saint  homme,  cr  celui  pour  qui  nous  prions  est 
«  guéri  ». 

Sur  la  fin  de  sa  vie,  le  bienheureux  fut  atteint  de 
cruelles  souffrances.  Il  sembla  que  le  Seigneur  ait  voulu 
l'éprouver,  comme  l'orfèvre  éprouve  l'or,  par  la  douleur 
qui  est  la  pierre  de  touche  de  la  vertu.  Sa  dernière  ma- 
ladie dura  cinq  mois,  et  pendant  tout  ce  temps,  on  ne 
l'entendit  pas  pousser  une  plainte.  Toute  la  noblesse  de 
Gênes,  les  magistrats,  la  haute  bourgeoisie,  vinrent  lui 
faire  visite  et  lui  témoigner  la  part  qu'ils  prenaient  à  ses 
souffrances.  Plus  il  perdait  de  forces,  plus  il  était  joyeux: 
a  La  grâce  du  ciel  descend  sur  moi»,  disait-il,  «  le  temps 
«  du  bonheur  est  proche  ».  Et  il  pressait  son  crucifix  sur 
ses  lèvres  desséchées,  en  pensant  à  la  Passion  du  Sau- 
veur. Enfin,  après  avoir  reçu  les  derniers  Sacrements,  il 
s'éteignit  doucement,  le  6  juin  1652,  à  l'âge  de  trente- 
six  ans. 

Aussitôt  que  les  cloches  du  couvent  apprirent  à  la 
ville  que  le  saint  homme  venait  de  mourir,  les  plus 
nobles  dames  de  Gênes  accoururent  au  couvent  et  priè- 
rent le  supérieur  de  faire  transporter  ses  précieux  restes 
dans  l'église.  En  même  temps  des  enfants  se  promenaient 
dans  les  rues  de  la  ville,  en  criant  :  «  Le  saint  du  couvent 
«de  la  Confrérie  vient  d'expirer  ».  De  toutes  parts  le 
peuple  se  précipita  à  l'église  du  couvent,  qui,  quoique 
Irès-grande,  ne  put  contenir  la  foule.  Durant  trois  jours, 
on  se  pressa  autour  du  corps  :  on  lui  baisait  les  pieds  et 
les  mains,  on  essayait  d'enlever  un  morceau  de  ses  vête- 
ments. Cependant  des  miracles  s'accomplissaient  auprès 
du  lit  de  parade,  les  aveugles  voyaient,  les  boiteux  mar- 


PÈRE  MICHEL  DO  VIN.  137 

chaient,  les  sourds,  les  muets,  les  paralytiques  étaient 
guéris.  Des  cantiques  d'actions  de  grâce  s'élevaient  jus- 
qu'au ciel  ;  toute  la  ville  était  en  fête  ;  on  se  disait  les 
vertus  du  bienheureux  Michel ,  on  se  montrait  les  reliques 
qu'on  avait  pu  se  procurer.  Ses  trois  robes  avaient  été 
l'une  après  l'autre  découpées,  déchirées,  enlevées  ;  les 
dames  de  la  noblesse  se  disputaient  les  grains  de  son 
chapelet,  le  doge  de  Gênes,  Jean-Baptiste  Lomelini,  avait 
le  bonheur  de  posséder  son  crucifix. 

Enfin  les  religieux  décidèrent  qu'il  était  temps  d'ense- 
velir le  bienheureux.  Sa  figure  avait  conservé  jusque 
dans  la  mort  sa  tranquille  sérénité,  et  son  corps  sans 
raideur  paraissait  celui  d'un  homme  endormi.  On  eût 
dit  que  son  âme,  qui  déjà  faisait  partie  des  célestes  pha- 
langes, l'animait  encore  comme  autrefois,  et  lui  donnait 
l'expression  et  la  chaleur  de  la  vie. 

Il  faut  citer  au  moins  quelques-uns  des  miracles  qui 
s'accomplirent  sur  son  tombeau. 

Un  Génois,  non  content  de  posséder  un  morceau  de 
l'habit  du  saint  homme,  voulait  encore  lui  couper  un 
doigt.  A  peine  essaya-t-il  de  mettre  à  exécution  son  pro- 
jet, que  la  force  lui  manqua  tout  à  coup  ;  il  tomba  ina- 
nimé et  ne  put  se  relever  et  sortir  de  l'église  qu'après 
avoir  demandé  pardon  au  bienheureux  Michel. 

Catherine  Polsevera,  paralysée  d'une  main,  fut  guérie 
en  touchant  celle  du  bienheureux. 

Une  femme  et  un  enfant  furent  délivrés  d'un  mauvais 
sort  en  embrassant  les  pieds  du  cadavre. 

Camilla  Pauli,  qui  venait  de  faire  une  chute  dange- 
reuse et  ne  pouvait  marcher  qu'avec  le  secours  de  deux 
béquilles,  recouvra  la  santé  par  l'intercession  du  saint. 


138  vu  juin. 

Un  autre  boiteux,  Paganini  deOrta,  un  lépreux,  Benoît 
Oda,  un  paralytique,  François  Picaluga,  une  foule  d'ha- 
bitants de  Gênes,  de  Volterra,  et  d'autres  villes  du  nord 
de  l'Italie,  furent  guéris  miraculeusement  par  Dieu,  eu 
égard  aux  mérites  du  bienheureux  Michel. 

Aussi  le  Père  Bonaventure  Baro,  son  biographe,  et  le 
Père  Bernardin  Vetweis,  définiteur  général,  qui  en  ce 
temps-là  écrivit  un  mémoire  sur  l'état  des  trois  Ordres 
de  Saint-François,  ont-ils  déclaré  aux  cardinaux,  aux  pré- 
lats et  aux  princes  de  l'Eglise  que  le  Père  Michel  avait 
accompli  à  Gênes  autant  de  miracles  après  sa  mort 
qu'autrefois  saint  Antoine  à  Padoue. 

(B.  Fremaut.) 


SEPTIEME    JOUR    DE    JUIN 

LE  BIENHEUREUX  JACQUES  DE  LODI 

1240.  —  Pape  :  Grégoire  IX.  —  Roi  de  France  :  Saint  Louis. 

Le  bienheureux  Jacques  naquit  à  Lodi,  en  Lombardie. 
En  1212,  il  s'attacha  à  saint  François  d'Assise,  dont  il 
s'efforça  pendant  toute  sa  vie  d'imiter  les  incomparables 
vertus.  Il  avait  surtout  l'amour  de  la  sainte  pauvreté.  Dieu 
lui  accorda  de  longues  extases  et  des  contemplations 
célestes,  avant-goût  des  éternelles  béatitudes.  On  rap- 
porte que,  au  moment  même  où  saint  Françoise  xpirait,  le 
bienheureux  Jacques,  alors  en  prières  dans  l'église  du  cou- 
vent de  la  Portiuncule,  vit  son  âme  glorieuse  monter  au 


LE  BIENHEUREUX  PAX  DE  R1ETI.  139 

ciel,  portée  sur  les  ailes  des  Séraphins.  Il  mourut  au  cou- 
vent de  la  Portiuncule,  en  12-40,  et  sa  mort  fut  signalée 
par  des  miracles  éclatants.  Pendant  longtemps  on  vit 
une  langue  de  feu  se  balancer  toute  brillante  au-dessus 

de  son  tombeau. 

(Marc  Ulyssip.) 


LE  BIENHEUREUX  PAX  DE  RIETI 

1270.  —  Pape  :  Clément  IV.  —  Roi  de  France  :  Saint  Louis. 

Le  bienheureux  Pax  naquit  à  Rieti,  selon  les  uns,  et, 
selon  d'autres,  à  Chieti.  Il  est  resté  célèbre  dans  l'Ordre 
Séraphique  par  sa  soumission  à  la  règle  et  l'obéis- 
sance aveugle  qu'il  témoigna  toujours  à  ses  supérieurs  et 
à  ses  frères.  Le  moindre  désir  était  pour  lui  un  ordre  dont 
il  ne  songeait  jamais  à  discuter  la  convenance.  Son  hu- 
milité aussi  était  extrême,  et  il  ne  redoutait  rien  tant  que 
des  éloges.  Dieu  lui  accorda  le  don  d'accomplir  des  mira- 
cles pendant  sa  vie  et  après  sa  mort,  qui  eut  lieu  en  1270, 
au  couvent  de  Cassia,  dans  l'Ombrie.  Il  fut  enseveli  avec 
de  grands  honneurs  dans  la  chapelle  du  couvent,  et  par 
la  suite  transporté  dans  l'église  qui  remplaça  la  chapelle. 
Un  autel  y  était  placé  sous  son  invocation  et  sous  celle 
de  saint  Charles  Borromée,  et  son  portrait,  entouré  de 
rayons,  était  suspendu  aux  murs  de  l'église. 

(Marc  Ulyssip.) 


140  VII  JUIN. 

LE  BIENHEUREUX  ANGE  DE  YERBOSA 

1498.  —  Pape  :  Alexandre  VI.  —  Roi  de  France  :  Charles  VU. 


SOMMAIRE  :  Vertus  du  bienheureux  Ange.  —  Saint  Jacques  de  la  Marche  lui 
donne  l'habit  de  l'Ordre.  —  Sa  science.  —  Ses  prédications.  —  Conversions  nom- 
breuses qu'il  provoque.  —  Invasion  turque  et  rôle  du  bienheureux  Ange  dans 
cette  occasion.  —  Sa  mort. 


Le  bienheureux  Ange  de  Verbosa  naquit  dans  le 
royaume  de  Bosnie,  de  parents  nobles,  mais  Grecs  schis- 
matiques.  Comme  une  rose  qui  fleurit  au  milieu  des 
ronces  et  des  épines,  dit  le  chroniqueur,  il  grandit  pour 
le  ciel  au  milieu  de  l'hérésie  et  de  l'incrédulité.  Il  eut  le 
bonheur  d'être  élevé  dans  la  foi  catholique,  dont  il  pro- 
mettait, par  ses  vertus  précoces,  de  devenir  l'un  des  plus 
ardents  défenseurs.  Quoiqu'il  fût  fort  beau  et  d'un  exté- 
rieur si  agréable,  qu'il  inspirait  tout  d'abord  par  son  seul 
sourire  une  vive  amitié,  Dieu  lui  fit  la  grâce  spéciale  de 
le  préserver  du  péché  d'impureté.  D'ailleurs,  il  évitait 
avec  soin  les  sociétés  frivoles,  et  au  milieu  des  séductions 
que  lui  offrait  le  monde,  il  ne  songeait  qu'à  orner  son 
âme  de  vertus  et  son  intelligence  de  saines  pensées. 

En  ce  moment  arriva  dans  le  royaume  de  Bosnie  saint 
Jacques  de  la  Marche,  prédicateur  éloquent ,  chrétien 
animé  d'un  zèle  infatigable  pour  la  propagation  de  la  foi, 
qui  eut  le  bonheur  de  convertir  et  de  ramener  le  roi  de 
Bosnie  et  une  grande  partie  de  son  peuple  au  giron  de 
l'Eglise  catholique.  Pas  n'est  besoin  de  dire  que  le  pieux 
A  nge  de  Verbosa  s'attacha  tout  d'abord  au  saint  religieux  et 
voulut,  le  premier  de  tous,  recevoir  de  ses  mains  l'habit 


LE  BIENHEUREUX  ANGE  DE  VERBOSA.  141 

de   l'Ordre.  Quelques  jeunes  gens  se  joignirent  à  lui, 
animés  d'une  aussi  fervente  ardeur.  Mais  entre  tous,  Ange 
se  distingua  par  son  désir  de  la  perfection  chrétienne  et 
fit  de  rapides  progrès  dans  le  chemin  de  la  vertu.  En  peu 
de  temps  il  acquit  une   connaissance  profonde  de  la 
langue  latine  et  devint  lui-même  un  prédicateur  émi- 
nent.  Saint  Jacques  de  la  Marche,  ému  d'un  si  beau  zèle, 
communiqua  à  son  disciple  les  privilèges  que  le  pape 
attachait  à  la  conversion  des  infidèles,  des  schismatiques 
et  des  hérétiques.  Aussitôt  le  bienheureux  Ange  parcou- 
rut le  royaume  de  Bosnie  et  se  mit  à  combattre  avec  les 
armes  de  la  parole  les  Manichéens,  dont  les  fausses  doc- 
trines avaient  dans  le  pays  de  nombreux  adhérents.  Il  en 
décida  un  certain  nombre  à  abjurer  leurs  erreurs  ;  il  eut 
aussi  le  bonheur  de  rattacher  à  l'Eglise  romaine  beau- 
coup de  schismatiques,  entre  autres  tous  ses  parents. 

Malheureusement,  son  ardeur  infatigable  le  signala 
aux  ennemis  de  la  foi  qui,  voyant  en  lui  un  dangereux 
adversaire,  résolurent  de  s'en  débarrasser  en  l'assassi- 
nant. Un  jour,  ils  empoisonnèrent  l'eau  du  verre  où  il 
devait  boire  ;  il  but  en  effet  sans  défiance  ;  mais  Jésus, 
dont  il  invoquait  toujours  le  nom  avant  de  prendre  au- 
cune nourriture,  le  sauva  et  détruisit  l'effet  du  poison. 
Ce  miracle,  que  les  coupables  eux-mêmes  révélèrent,  et 
d'autres  encore,  eurent  une  immense  influence  dans  toute 
la'_Bosnie,  et  provoquèrent  des  conversions  sans  nombre  ; 
et  lorsqu'Ange  eut  prêché  quelques  années  dans  la 
Bosnie,  on  peut  dire  que  le  manichéisme  n'y  existait 
plus  qu'en  souvenir. 

A  cette  époque,  il  entra  dans  les  desseins  de  la  Provi- 
dence de  permettre  que  la  Bosnie  fût  envahie  par  les 


142  VII  JUIN. 

Turcs,  et  les  armées  chrétiennes  battues  par  les  hordes 
asiatiques.  Le  bienheureux  Ange  comprit  bientôt  que 
toute  résistance  allait  devenir  impossible,  et  qu'il  ne 
fallait  plus  songer  qu'à  se  soumettre.  Alors  craignant 
que,  par  timidité  d'esprit,  sous  l'empire  de  terreurs  trop 
justifiées  par  la  cruauté  des  envahisseurs,  quelques  Bos- 
niens n'abjurassent  la  foi  catholique,  dans  laquelle  ils 
n'étaient  pas  encore  trop  affermis,  pour  embrasser  la  re- 
ligion de  Mahomet,  le  saint  homme,  dans  tous  ses  ser- 
mons, conseilla  à  ses  compatriotes  d'abandonner  leur 
patrie  et  d'aller  du  moins  mourir  en  chrétiens  sur  une 
terre  chrétienne.  L'émigration  commença  en  effet,  et  ne 
tarda  pas  à  prendre  de  telles  proportions  que  le  sultan 
des  Turcs  craignit  de  voir  ce  beau  pays  se  changer  en 
une  affreuse  solitude,  et  de  perdre  ainsi  le  fruit  de  sa  con- 
quête. Il  manda  en  sa  présence  le  bienheureux  Ange  et 
lui  demanda  brusquement  pour  quel  motif  il  donnait  aux 
Bosniens  le  conseil  de  se  disperser  :  a  C'est  » ,  répondit  le 
saint  homme,  «  parce  qu'ils  ne  seront  plus  libres  de  pra- 
«  tiquer  leur  religion,  qui  est  la  seule  véritable  ;  c'est 
«  parce  que  "vous  les  forcerez  à  abandonner  leurs  églises 
«  où  nous  enseignons  la  parole  de  Dieu,  pour  entrer 
«  dans  vos  mosquées,  où  vous  enseignez  l'erreur  et  le 
«  mensonge  ;  c'est  parce  que  vous  les  condamnerez,  pour 
«  vivre  tranquilles  et  heureux  en  ce  monde,  à  compro- 
«  mettre  leur  salut  éternel  dans  l'autre  ».  Il  parla  long- 
temps avec  une  piété  et  une  noblesse  auxquelles  le  sultan 
n'était  pas  habitué,  et,  par  une  sorte  de  miracle,  il  prit 
sur  cette  âme  altière  une  certaine  autorité.  Il  obtint  pour 
les  chrétiens  laïques  l'assurance  d'une  sécurité  complète 
dans  l'exercice  de  leurs  devoirs  religieux,  et  pour  lui- 


LE  BIENHEUREUX  PÈRE  LOUIS  DE  MANTOUE.  143 

même  la  permission  de  continuer  ses  prédications.  Mal- 
heureusement le  sultan  ne  sut  pas  tenir  sa  promesse  ; 
car  peu  de  temps  après,  les  fidèles  de  Bosnie  envoyèrent  à 
Rome  le  bienheureux  Ange,  pour  porter  leurs  griefs  au 
pape  Alexandre  VI,  et  se  plaindre  que  les  Turcs  ne  respec- 
taient pas  leur  liberté  de  conscience  et  leur  suscitaient 
mille  embarras  dans  la  pratique  de  leur  culte. 

Le  bienheureux  Ange  mourut  dans  un  âge  très-avancé, 
en  1498,  et  fut  enseveli  au  couvent  de  Foiniza.  Sa  mort 
fut  regrettée  non-seulement  des  chrétiens,  mais  des  Ma- 
hométans  eux-mêmes,  qui  n'avaient  pu  s'empêcher  d'ad- 
mirer la  sainteté  de  sa  vie  et  d'aimer  ses  manières 
simples  et  douces.  Des  miracles  s'accomplirent  sur  son 
tombeau. 

Quelques  années  après  sa  mort,  on  exhuma  son  corps, 
qui  était  dans  un  état  de  parfaite  conservation  et  qui  fut 
placé  au  pied  du  grand-autel.  C'est  là  que  les  chrétiens 
de  Bosnie  viennent,  aujourd'hui  encore,  implorer  sa 

toute-puissante  intercession. 

(Marc  Ulyssip.) 


PERE  LOUIS  DE  MANTOUE 

1503.  —  Pape  :  Alexandre  VI.  —  Roi  de  France  :  Louis  XII. 

Le  bienheureux  Père  Louis,  qui  naquit  à  Mantoue, 
probablement  de  la  noble  famille  des  Gonzague,  reçut 
tout  jeune  encore  l'habit  de  l'Ordre  Séraphique.  Il  avait 
ce  qui  fait  le  vrai  religieux,  un  désir  immense  d'atteindre 
à  la  perfection  chrétienne.  On  eût  dit  qu'il  vivait  au  ciel, 


144  VII  JUIN. 

parmi  les  Anges,  et  non  sur  la  terre,  au  milieu  des  hom- 
mes, tant  son  sourire  était  pur,  tant  était  sereine  la  tran- 
quillité de  son  âme,  toujours  en  rapport  direct  avec  Dieu 
et  avec  les  saints.  Il  n'était  pas  rare  de  le  voir  soulevé  de 
terre,  dans  une  nuée  lumineuse.  Il  avait  reçu,  comme 
quelques  privilégiés  du  Seigneur,  le  don  des  larmes,  et 
souvent,  au  réfectoire,  pendant  la  lecture,  il  sanglotait. 
Sévère  pour  lui-même,  il  avait  au  cœur,  pour  les 
autres,  une  charité  infinie.  Son  humilité  était  telle 
que,  aux  couvents  de  Mantoue  et  de  Venise,  dont  il  fut  le 
gardien,  il  ne  permit  jamais  qu'aucun  autre  que  lui 
s'occupât  de  recueillir  les  aumônes,  de  laver  la  vaisselle 
et  de  faire  les  ouvrages  les  plus  désagréables.  Elu  pro- 
vincial, il  prit  pour  secrétaire  le  bienheureux  Bernardin 
de  Feltre,  et,  avec  son  concours,  s'acquitta  saintement  de 
sa  tâche  délicate.  Il  visitait  souvent  les  couvents  de  sa 
chère  province  de  Vénétie,  toujours  à  pied  par  tous  les 
temps  et  par  tous  les  chemins,  aussi  fidèle  observateur 
de  la  règle  dans  ses  voyages,  que  s'il  eût  été  dans  son 
couvent. 

Il  mourut  en  1503;  et  Dieu,  après  sa  mort,  l'honora 
par  des  miracles  éclatants.  On  voit  encore  aujourd'hui 
à  Mantoue,  dans  la  chapelle  de  Saint-Antoine,  un  magni- 
fique tombeau  sur  lequel  est  couché  un  frère  mineur  en 
marbre  blanc,  la  tête  entourée  d'une  auréole  ;  c'est  là 
que  repose  le  bienheureux  Louis. 

(Daza.) 


tfRÈRE  JEAN  TOZALIUS.  145 

FRÈRE  JEAN  TOZALIUS 

1307.  —  Pape  :  Clément  V.  —  Roi  de  France  :  Philippe  IV. 

Frère  Jean  Tozalius  naquit  à  Pozalmuro,  en  Espagne, 
de  parents  turcs  qui  rélevèrent  dans  la  pratique  de  leur 
religion.  Mais  Dieu,  qui  l'avait  choisi,  l'illumina  d'un 
rayon  de  sa  grâce  :  il  abandonna  sa  famille  et  renonça  à 
ses  erreurs.  Plus  tard  il  demanda  et  obtint  l'habit  de 
frère  mineur,  au  couvent  de  Soria,  dans  la  province  de 
l'Immaculée-Conception.  Il  fut,  comme  le  dit  son  bio- 
graphe, un  miroir  vivant  de  perfection  religieuse  et 
d'austérités.  Par  les  plus  rudes  hivers,  il  portait  sa 
mauvaise  robe  de  laine  grise  pour  tout  vêtement,  se 
chaussait  de  sandales  qui  laissaient  ses  pieds  à  découvert, 
dormait  sur  une  planche  avec  une  pierre  pour  oreiller  ; 
il  ne  mangeait  de  viande  qu'aux  jours  de  fête. 

Il  mourut  en  1307,  au  couvent  de  Soria,  en  priant 
dans  le  chœur,  à  genoux  devant  l'autel.  On  se  partagea 
ses  précieuses  reliques,  que  Dieu  honora  de  plusieurs 
miracles. 

(GONZAGUE.) 


Palm,  Seraph.  —  Tome  VI.  10 


146  VU  JUIN. 

LA  BIENHEUREUSE  ELRMINE  CÉSIA 

CLARISSE 

1567.  —  Pape  :  Saint  Pie  V.  —  Roi  de  France  :  Charles  IX. 


SOMMAIRE  :  Jeunesse  de  Firroine.  —  Ses  vertus  chrétiennes  et  ses  qualités  mon- 
daines. —  Ses  autérités,  —  Elle  triomphe  des  résistances  de  sa  famille  et  prend 
le  voile  des  Clarisses.  —  Ses  vertus  religieuses.  —  Dévotion  assidue.  —  Sa  grande 
piété.  —  Dignités  qu'on  lui  confère.  —  Elle  est  obligée  de  ss  retirer  avec  ses 
sœurs  au  couvent  de  Terni.  —  Jours  d'épreuves  qu'elle  traverse.  —  Sa  derrière 
maladie  et  sa  mort. 


La  bienheureuse  Firmine  Césia  naquit  à  Rome , 
en  1497.  Son  père,  Ange  Cési,  était  avocat  à  la  cour  de 
Rome,  et  sa  mère,  Françoise  Cardoli,  était  la  nièce  d'un 
général  vénitien.  La  jeunesse  de  la  bienheureuse  Firmine 
fut  pieuse,  tout  entière  à  Dieu  dont  elle  s'efforça  de 
mériter  les  grâces  par  son  humilité  et  sa  dévotion , 
éloignée  du  monde  qu'elle  commença  dès  lors  à  mépriser. 
Elle  refusa  à  plusieurs  reprises  de  nobles  jeunes  gens  à 
qui  ses  parents  désiraient  l'unir  ;  elle  avait  déjà  fait 
vœu  de  conserver  pour  le  Seigneur  la  fleur  de  £a 
virginité. 

Ses  manières  étaient  douces  et  modestes  ;  le  silence  et 
la  solitude  avaient  pour  son  âme  d'irrésistibles  attraits. 
Quand  les  lois  de  la  politesse  mondaine  la  forçaient  de 
parler  à  un  homme,  elle  tenait  obstinément  ses  regards 
fixés  à  terre  ;  elle  avait  lu  quelque  part  que  les  yeux 
sont  les  fenêtres  par  où  le  péché  pénètre  dans  le  cœur 
des  femmes.  Elle  savait  le  latin  comme  un  docteur  de 
l'Université   et  prenait  plaisir  à  lire  et  à  médiler  les 


LA  BIENHEUREUSE  FIRMINE  CÉSIA.  147 

saintes  Ecritures  et  des  ouvrages  pieux  ;  c'est  là  le  secret 
de  ses  rapides  progrès  dans  la  voie  de  la  perfection.  Tous 
les  jours,  elle  récitait  l'office  romain,  les  prières  des 
morts  et  les  litanies  de  la  très-sainte  Vierge  ;  enfin  elle 
baisait  la  terre  à  cent  reprises  différentes  en  répétant 
chaque  fois  le  nom  de  Jésus.  Elle  jeûnait  le  vendredi  et 
le  samedi  de  chaque  semaine:  s'interdisait  le  vin  en 
tout  temps,  et  ne  prenait  jamais  que  la  nourriture  abso- 
lument nécessaire  pour  la  soutenir.  La  nuit,  par  trois 
fois,  elle  s'infligeait  des  disciplines  sévères  pour  le  rachat 
des  âmes  du  purgatoire,  pour  les  pécheurs  et  pour  les 
justes.  Une  haire  sur  le  corps,  une  ceinture  de  fer  autour 
des  reins,  elle  visitait  les  prisonniers,  allait  porter  des 
médicaments  aux  malades  et  des  aumônes  aux  pauvres. 
Elle  trouvait  dans  les  trésors  de  son  cœur  des  consola- 
tions pour  les  affligés,  et  des  paroles  d'encouragement 
pour  les  pécheurs  qui  commençaient  à  faire  pénitence; 
elle  faisait  la  joie  et  le  bonheur  de  toute  sa  famille. 

Aussi  sa  mère,  qui  avait  pour  elle  plus  d'affection  que 
pour  ses  autres  enfants,  ne  voulait-elle  pas  lui  permettre 
d'entrer  en  religion  ;  et  la  pieuse  fille,  malgré  le  désir 
immense  qu'elle  avait  de  se  consacrer  à  Dieu,  ne  songeait 
pas  à  contrarier  ses  parents  et  se  résignait  sans  se 
plaindre.  C'est  seulement  après  la  mort  de  cette  mère 
chérie,  qu'elle  insista  plus  vivement  auprès  de  son  père 
pour  obtenir  la  grâce  qu'elle  sollicitait  timidement  depuis 
de  longues  années.  Elle  finit  par  triompher  de  ses  résis- 
tances, et  s'en  fut  au  cloître  de  Narni,  accompagnée  de 
toute  sa  famille,  demander  le  voile  de  Clarisse.  Elle  le 
reçut  des  mains  de  son  oncle,  Bartholomé  Cési,  évêquc 
de  cette  ville  ;  elle  était  âgée  de  trente  ans. 


148  VU  JUIN. 

Dans  le  monde,  la  bienheureuse  Firmine  avait  été  une 
parfaite  chrétienne  ;  au  couvent,  elle  fut  une  parfaite 
religieuse.  Toujours  la  première  au  chœur  pour  chanter 
les  matines,  elle  y  restait  en  contemplation  jusqu'au 
matin.  Ses  genoux,  enflés  à  force  de  prier,  refusaient  de 
la  soutenir;  elle  se  traînait  péniblement  au  pied  des 
autels,  et  là,  seule  devant  Dieu,  elle  ouvrait  comme  un 
trésor  son  cœur  débordant  de  piété.  Un  enfant  n'est  pas 
plus  soumis  à  sa  mère,  que  ne  l'était  Firmine  à  son 
confesseur  et  à  l'abbesse.  Les  austérités,  les  mortifications, 
avaient  pour  elle  un  charme  indicible.  Sa  robe  était 
d'une  étoffe  grossière,  faite  de  pièces  et  de  morceaux 
mal  joints  ;  mais  elle  la  préférait  à  la  soie  et  au  velours, 
et  refusait  obstinément  tous  les  présents  que  son  père  et 
son  oncle  lui  envoyaient.  Elle  ne  mangeait  qu'une  fois 
par  jour,  et  seulement  du  pain  avec  des  légumes  ou 
avec  des  fruits  ;  jamais  de  viande  ni  de  vin.  Une  planche 
lui  servait  de  lit  et  une  pierre  d'oreiller.  Elle  parlait  peu, 
et  évitait  de  recevoir  même  ses  plus  proches  parents. 
Deux  fois  par  semaine  elle  s'approchait  du  tribunal  de 
la  pénitence  ;  mais  elle  communiait  tous  les  jours. 

Ses  vertus,  unanimement  reconnues,  valurent  à  la  bien- 
heureuse Firmine  les  dignités  de  maîtresse  des  novices 
et  de  sous-supérieure  ;  enfin  elle  fut  élue  abbesse  par  ses 
sœurs,  qui  l'aimaient  comme  une  mère. 

Quand  l'armée  de  l'empereur  Charles-Quint  vint,  sous 
la  conduite  du  duc  de  Bourbon,  faire  le  siège  de  Rome 
en  1527,  la  sainte  abbesse  craignant  pour  elle-même  et 
pour  ses  filles  les  violences  d'une  soldatesque  effrénée, 
ordonna  une  communion  générale  et  des  prières  pen- 
dant plusieurs  jours.  Il  fallut  cependant  quitter  le  cou- 


LA  BIENHEUREUSE  FIRMINE  CÉSIA.  149 

vent  et  se  rendre  à  Terni,  sous  la  protection  du  cardinal 
Cési,  frère  de  l'abbesse,  et  de  son  neveu  Ange  Cési, 
évêque  de  Cervia,  et  d'un  capitaine  de  l'armée  de  Bourbon. 
Ce  fut  une  année  d'épreuves  pour  la  bienheureuse  Fir- 
mine,  forcée  de  se  placer  sous  le  patronage  dangereux 
d'hommes  d'armes  habitués  à  ne  rien  respecter  et  à  ne 
rien  craindre.  Elle  en  sortit  avec  l'aide  de  Dieu,  grâce  à 
l'énergie  de  son  caractère,  et  par  la  sagesse  vigoureuse 
qu'elle  montra  dans  ces  temps  difficiles,  elle  mérita, 
après  le  retour  de  la  paix,  d'être  maintenue  dans  sa 
dignité  d'abbesse  par  ses  sœurs  reconnaissantes. 

Elle  vécut  encore  de  longs  jours  dans  la  pratique  de 
toutes  les  bonnes  œuvres,  et  sa  dernière  maladie  la 
trouva  vaillante  et  forte  au  sein  des  épreuves  physiques, 
comme  elle  l'avait  été  autrefois  pendant  la  guerre,  au 
milieu  des  épreuves  morales.  Pendant  quarante  jours 
que  durèrent  ses  souffrances,  on  ne  l'entendit  pas  pousser 
une  plainte.  Sa  voix  sonore  remplissait  les  couloirs  du 
couvent,  quand  elle  entonnait  les  saints  cantiques;  et  de 
son  lit  elle  accompagnait  les  religieuses  qui  récitaient  les 
matines  au  chœur.  Elle  invoquait  les  protecteurs  qu'elle 
s'était  depuis  longtemps  choisis  :  la  très-sainte  Vierge, 
l'apôtre  saint  Jacques,  saint  François  et  saint  Jérôme. 
Quand  sa  dernière  heure  approcha,  elle  fit  venir  auprès 
d'elle  ses  religieuses,  les  consola,  leur  fit  ses  dernières 
recommandations  et  leur  demanda  de  l'assister  de  leurs 
prières  au  moment  suprême.  Puis  elle  se  confessa  et 
reçut  saintement  les  Sacrements  des  mourants.  Enfin  on 
la  vit  serrer  plus  fortement  son  crucifix  entre  ses  mains  ; 
elle  murmura  les  paroles  de  Jésus  mourant  :  a  Seigneur, 
«je  remets  mon  âme  entre  vos  mains  »,  et  son  dernier 


150  VII  JUIN. 

souffle  s'exhala  ie  7  juin  1567  :  elle  était  âgée  de  soixante- 
dix  ans. 

Pour  ne  pas  troubler  les  habitants  de  la  ville  dans  leur 
sommeil,  les  religieuses  décidèrent  qu'on  n'annoncerait 
que  le  lendemain  la  mort  de  la  bienheureuse;  mais  à 
peine  Firmine  avait-elle  rendu  l'âme  que  les  enfants 
parcouraient  les  rues  en  poussant  des  gémissements  et 
en  criant  :  «  Notre  mère,  la  mère  des  pauvres,  la  conso- 
«  latrice  des  affligés,  vient  de  mourir  !  »  Aussitôt  une 
foule  immense  se  précipita  vers  le  couvent  pour  honorer 
les  restes  de  la  sainte.  Son  corps  resta  pendant  quelque 
temps  exposé  dans  l'église  ;  puis  le  provincial,  avec  trente 
frères  mineurs,  vint  célébrer  le  service  funèbre.  On  l'en- 
sevelit sous  le  grand- autel,  et  des  miracles  s'accomplirent 
sur  son  tombeau.  En  1612,  le  19  décembre,  on  l'ex- 
huma pour  lui  donner  une  place  d'honneur  :  son  corps 
était  encore  dans  un  état  de  parfaite  conservation. 

(Jacobille,  tome  m.) 


LE  B.  ETIENNE  DE  NARBONNE 

1 242.  —  Pape  :  Gélestin  IV.  —  Roi  de  France  :  Saint  Louis. 

Le  bienheureux  Etienne,  de  Narbonne,  fut  d'abord 
abbé  de  l'Ordre  de  Saint-Benoît.  Plus  tard  il  entra  dans 
l'Ordre  des  Frères  Mineurs  et  fut  martyrisé  par  les  héré- 
tiques albigeois,  à  Avignonet,  dans  le  diocèse  de  Tou- 
louse, le  29  mai  1242.  Avant  la  grande  révolution,  son 
corps  se  conservait  à  Toulouse,  dans  l'église  des  Frères 
Mineurs  de  l'Observance.  Son  culte  immémorial  a  été 


PÈRE  JEAN  SEREN.  151 

récemment  approuvé  par  Pie  IX.  Sa  fête  se  célèbre  le 
7  juin. 

Le  bienheureux  Bernard,  de  Carbon,  prêtre  de  l'Ordre 
des  Frères  Mineurs,  fut  martyrisé  à  Avignonet  avec  le 
bienheureux  Etienne,  de  Narbonne. 

{Année  franciscaine,  1869.) 


HUITIEME    JOUR    DE    JUIN 

PÈRE  JEAN  SEREN 

1629.  —  Pape  :  Urbain  VIII.  —  Roi  de  France  :  Louis  XIII. 


SOMMAIRE  :  Premières  années  et  égarements  du  Père  Jean  Ssren.  —  Un  miracle 
de  la  grâce  en  fait  un  parfait  religieux.  —  Ses  méditations  sur  les  vanités  de  la 
terre.  —  Ses  prières.  —  Son  ardeur  de  conversion  chez  les  Huguenots  du  Midi. — 
Il  est  nommé  aumônier  des  armées.  —  Sa  mort. 


Père  Jean  Seren  naquit  à  Avignon  et  entra  aux  Frères 
Mineurs  Récollets  de  la  province  de  Saint-Bernardin, 
en  France.  Il  commença  par  y  donner  le  mauvais 
exemple  et  à  y  être  une  cause  de  scandale.  Non  pas  que 
ses  fautes  n'eussent  pu  trouver  grâce  aux  yeux  du  monde, 
mais  elles  témoignaient  d'un  esprit  indocile  et  impatient 
de  toute  domination,  dédaigneux  de  la  règle,  léger, 
rempli  de  vanité  et  d'indépendance.  Jean  ne  savait  pas 
se  soumettre  à  ces  prescriptions  inutiles  en  apparence,  et 
qui,  en  réalité,  font  les  saints  religieux.  Il  ne  se  soumet- 
tait pas  à  la  loi  du  silence,  affectait  de  rechercher  la 
société  des  femmes  et  de  choisir  ses  sujets  d'entretiens 
précisément  en  dehors  des  choses  de  la  religion.  Ses 


132  vin  juin. 

supérieurs  redoutaient  l'effet  de  ce  mauvais  exemple  sur 
les  jeunes  frères,  et  avec  d'autant  plus  de  raison  que  le 
Père  Jean  avait  la  parole  facile,  l'extérieur  agréable  et 
l'air  parfaitement  heureux.  Ni  la  douceur,  ni  les  menaces 
n'avaient  prise  sur  ce  caractère  insouciant  ;  il  sortait  de 
Y  In  pace  aussi  indiscipliné  qu'il  y  était  entré.  On  venait 
de  l'envoyer  à  Arles,  pour  voir  si  le  changement  de  sé- 
jour, d'habitudes  et  de  supérieurs,  produiraient  sur  lui 
une  salutaire  influence,  quand  tout  à  coup,  par  un  mi- 
racle de  la  grâce  aussi  soudain  qu'inespéré,  il  jura  de 
lui-même,  en  présence  du  saint  Sacrement,  qu'il  était 
résolu  à  modifier  sa  manière  de  vivre,  et  il  tint  parole. 

Il  commença  par  faire  un  aveu  général  de  toutes  ses 
fautes  et  par  demander  très-humblement  pardon  à  ses 
frères  du  scandale  qu'il  avait  causé;  puis  il  se  proposa 
pour  règle  de  conduite  la  devise  que  Dieu  lui-même 
avait  dictée  à  saint  Arsène  :  a  Prier,  fuir  les  occasions  de 
«  pécher,  se  taire  ».  Autant  jusque-là  il  avait  affiché  de 
dédaigneux  mépris  pour  les  prescriptions  de  la  règle, 
autant  il  montra  de  zèle  à  en  pratiquer  les  moindres 
ordonnances.  Il  semble  qu'il  ait  voulu  regagner,  en  les 
consacrant  à  la  prière,  toutes  les  heures  qu'il  avait  per- 
dues. A  genoux  devant  l'autel  pendant  la  lecture  des 
complies,  il  demeurait  souvent  à  méditer  jusqu'au  mo- 
ment où  les  religieux  revenaient  pour  chanter  matines. 
C'est  à  la  pensée  de  la  mort  qu'il  fixait  son  intelligence  ; 
il  y  revenait  sans  cesse,  soit  qu'il  vînt  s'asseoir  sur  les 
tombeaux  des  morts,  soit  que,  dans  sa  cellule,  il  restât  en 
contemplation  devant  une  tête  décharnée.  Qu'était-ce 
donc  ;que  cette  beauté  charnelle  qu'il  avait  aimée?  un 
amas  de  matière  qui  commence  à  se  dissoudre,  dès 


PÈRE  JEAN  SEREN.  153 

qu'elle  commence  à  se  former,  de  la  poussière  qui  va 
retourner  à  la  terre,  un  cadavre  bientôt  et  quelque  chose 
qui  n'aura  plus  de  nom  dans  aucune  langue.  L'homme 
n'est  rien  qu'en  tant  que  sa  pensée  l'entretient  de  Dieu  ; 
et  voilà  pourquoi  lui-même  jusqu'alors  n'avait  pas  en- 
core vécu  :  sa  pensée  ne  lui  avait  guère  parlé  que  du 
monde.  Quelle  horreur  il  avait  maintenant  pour  ces  va- 
nités, et  comme  le  souvenir  du  temps  qu'il  avait  perdu 
lui  causait  de  cuisants  remords  !  Il  avait  donc  au  plus 
soixante  ans  à  passer  sur  cette  terre  pour  se  préparer  à 
entrer  dans  l'éternité,  et  il  avait  librement  sacrifié  la 
moitié  de  ces  courts  instants  :  «  Seigneur  »,  disait-il, 
«  faites  que  j'expie  mes  crimes  ici-bas  pour  qu'un  jour 
«j'ose  me  présenter  devant  votre  saint  tribunal  ».  Et  il 
priait  nuit  et  jour,  il  disait  sa  messe  avec  une  piété 
ardente,  il  se  retranchait  dans  sa  cellule  à  l'abri  des  tenta- 
tions auxquelles  il  avait  succombé.  Plus  d'entretiens 
futiles  et  frivoles  ;  il  semble,  tant  il  s'est  fait  du  silence 
une  loi  absolue,  qu'il  soit  changé  en  statue  de  marbre. 
Il  fuit  les  femmes  comme  des  reptiles  venimeux  ;  il  évite 
même  toute  société  où  l'on  ne  parle  pas  de  Dieu  et  de  la 
vie  éternelle. 

Ce  ne  fut  pas  sans  des  luttes  longues  et  pénibles  contre 
ses  propres  souvenirs  et  contre  le  démon,  que  le  Père 
Jean  parvint  à  rendre  à  son  âme  le  calme  qu'elle  avait 
perdu.  Rien  ne  lui  manqua,  ni  les  incertitudes  qui  dé- 
sespèrent, ni  les  tentations  de  la  chair  qui  se  révolte 
durant  les  veilles  et  les  insomnies.  Il  triompha  avec 
l'aide  de  Dieu  ;  il  y  a  plus,  il  voulut  mourir  pour  son 
Dieu. 

Le  Languedoc  était  alors  entre  les  mains  des  héré- 


154  VIII  JUIN. 

tiques,  qui  en  occupaient  presque  toutes  les  villes  et  fai- 
saient subir  aux  catholiques  d'horribles  persécutions.  Il 
demanda  à  être  envoyé  à  Nemours,  quartier  général  des 
Huguenots,  et  il  s'y  rendit  en  effet  au  moyen  d'un  passe- 
port que  lui  donna  le  duc  de  Rouan.  Aussitôt  il  se  mit  en 
rapport  avec  les  autres  Récollets,  et  s'occupa  comme  eux 
de  consoler  les  catholiques  et  de  leur  apporter  les  se- 
cours spirituels  dont  ils  avaient  besoin.  Inaccessible  à 
toute  crainte,  ne  redoutant  pas  le  martyre  qu'il  appelait 
au  contraire  de  tous  ses  vœux,  il  allait  par  la  ville,  revêtu 
de  sa  longue  robe  de  moine,  calme  au  milieu  des  rail- 
leries et  des  injures  qui  pleuvaient  sur  lui  de  tous  côtés, 
et  l'air  si  superbe  qu'il  imposait  du  respect  aux  plus  au- 
dacieux. A  la  fin,  les  ministres  huguenots  étonnés  d'un 
courage  si  tranquille,  craignant  de  voir  leur  influence 
tomber  en  présence  de  l'autorité  morale  que  le  saint 
apôtre  prenait  déjà  sur  les  leurs,  obtinrent  du  duc  un 
ordre  de  lui  faire  quitter  la  ville.  Il  ne  fallait  pas  songer 
à  lutter  contre  un  Rohan  :  le  Père  Jean  l'osa  cependant, 
mais  ce  fut  en  vain  ;  il  ne  réussit  qu'à  se  faire  donner 
une  escorte,  ou  plutôt  des  gardiens  chargés  de  le  con- 
duire de  l'autre  côté  des  portes  de  Nemours. 

Aussitôt,  avec  la  permission  de  ses  supérieurs,  il  se 
rendit  à  Privas,  quartier  général  de  l'armée  du  roi,  et 
vint  se  jeter  aux  pieds  de  Louis  XIII,  en  se  plaignant  de 
la  violence  que  lui  avait  faite  le  duc  de  Nemours,  et,  les 
yeux  tout  en  larmes,  il  pria  Sa  Majesté  catholique  de 
prendre  sous  sa  sauvegarde  les  ministres  de  Dieu.  Puis  il 
resta  pendant  quelque  temps  à  l'armée,  pour  confesser 
les  soldats  malades  ou  blessés  et  leur  donner  les  der- 
niers Sacrements.  Mais  Dieu  ne  le  laissa  pas  longtemps 


SŒUR  AGNÈS  -MARIE  D AMSTENRAAT.  !  55 

à  cette  place  d'honneur  ;  la  maladie  le  saisit  au  com- 
mencement de  juin  1629,  et  on  dut  le  transporter  au 
couvent  de  Montélimart,  où  il  mourut,  le  8  juin  de  la 
même  année. 

(Archives  du  couvent  d'Avignon.) 


SŒUR  AGNES-MARIE  D'AMSTENRAAT 

1641.  —  Pape  :  Urbain  VIII  -  Roi  de  France  :  Louis  XIII. 


CHAPITRE  PREMIER. 


SOMMAIRE  :  Prédiction  d'un  Père  capucin  au  père  de  la  bienheureuse  Agnès.  — 
Jeunesse  pieuse  d'Agnès.  —  Ses  dispositions  précoces  à  la  vie  religieuse.  —  A  sept 
ans  elle  demande  le  voile  d'Annonciade.  —  A  douze  ans,  elle  entre  au  couvent. — 
Cruelle  paralysie  dont  Dieu  l'afflige.  —  Son  voyage  aux  eaux  dAix-la-Chapelle. — 
Nouveaux  efforts  de  sa  mère  pour  la  décider  à  quitter  le  couvent.  —  Guérison  de 
la  bienheureuse.  —  Fin  de  son  noviciat. 


La  bienheureuse  Agnès-Marie  naquit  en  4614,  au  châ- 
teau d'Amstenraat,  à  quatre  milles  d'Aix-la-Chapelle,  sur 
le  territoire  de  Falkenbourg.  Ses  parents,  Werner  Huyn 
et  Liffardis  de  Leeraart,  étaient  tous  deux  de  noble  ori- 
gine. Son  père,  pendant  un  voyage  qu'il  fit  à  Rome  dans 
sa  jeunesse,  alla  faire  visite  au  bienheureux  Félix,  capu- 
cin, et  lui  demanda  conseil  sur  l'état  qu'il  devait  embras- 
ser :  «  Mariez-vous  » ,  lui  répondit  le  religieux,  «  parce  que, 
«  parmi  vos  enfants,  il  y  aura  un  élu  sur  qui  Dieu  répan- 
«  dra  ses  faveurs  » . 

Cet  enfant  prédestiné  n'est  autre  que  la  bienheu- 
reuse Agnès,  qui,  dès  sa  jeunesse,  donna  des  signes  cer- 
tains de  ce  qu'elle  devait  être  un  jour.  Sérieuse  et  grave 


156  VIII  JUIN. 

à  l'âge  où  l'on  ne  songe  qu'à  jouir  franchement  de  la  vie, 
on  la  voyait,  assise  auprès  de  sa  mère,  occupée  à  lire  des 
livres  de  piété.  Elle  avait  souvent  des  paroles  d'une  pro- 
fondeur étonnante.  Sa  grand'mère,  gravement  malade, 
la  prenait  dans  ses  bras  et  essayait  de  retrouver  un  peu 
de  vie  en  la  couvrant  de  baisers  :  «  Hélas  !  »  dit  l'enfant, 
«  voilà  que  vous  allez  nous  quitter  pour  habiter  avec 
«  Dieu  ».  Et  quelque  temps  après,  comme  sa  propre  santé 
inspirait  des  craintes  à  ses  parents  :  «  Mon  Dieu  »,  répétait- 
elle,  «  ne  m'appelez  pas  à  vous,  avant  que  je  n'aie  revêtu 
«  la  robe  de  religieuse  ». 

Sa  vocation  se  marqua  avec  plus  de  force  que  jamais 
un  jour  qu'elle  assistait  avec  sa  mère  à  la  prise  de  voile 
d'une  annonciade.  Elle  eut  alors  un  sentiment  si  vif  du 
bonheur  que  l'on  goûte  à  servir  Dieu  dans  les  murs  du 
couvent,  qu'elle  voulut  sur-le-champ  commencer  son 
noviciat,  et  avant  qu'on  ait  pu  songer  à  la  retenir,  elle 
courut  se  jeter  aux  pieds  de  la  mère  Ancilla,  et  lui  deman- 
der une  place  parmi  les  sœurs.  On  lui  répondit  qu'elle 
était  encore  trop  jeune  :  «Eh  quoi  1  »  répliqua-t-elle,  a  y 
«  a-t-il  un  âge  pour  servir  Dieu  ?  »  et,  pour  la  calmer,  on 
fut  obligé  de  lui  promettre  qu'on  la  recevrait  l'année 
suivante  :  elle  était  alors  âgée  de  sept  ans. 

Elle  revint  tout  en  pleurs  à  la  maison,  bien  décidée  à 
se  montrer  par  sa  conduite  digne  de  l'honneur  qu'elle 
ambitionnait,  et  l'on  peut  dire  que,  dès  ce  moment,  elle 
était  déjà  une  véritable  religieuse,  par  le  mépris  où  elle 
tenait  le  monde  et  ses  vanités,  par  l'ardeur  de  sa  dévo- 
tion, par  ses  veilles  et  par  ses  prières.  Sa  chambre  était 
nue  comme  une  cellule  et  dépouillée  de  tous  les  petits 
ornements  qui  plaisent  d'ordinaire  à  la  frivolité  des 


SCEOR  AGNÈS-MARIE  D'AMSTENRAAT.  157 

jeunes  filles  ;  son  maintien  modeste,  sa  toilette  sévère  et 
simple  ;  ni  bracelets,  ni  colliers,  ni  anneaux  d'or,  ni 
parures  de  perles  ou  de  diamants.  Pourtant  elle  était 
noble,  elle  était  riche,  elle  avait  autour  d'elle  des  do- 
mestiques qui  se  seraient  empressés  de  satisfaire  ses 
caprices,  et  pour  qui  le  moindre  de  ses  désirs  eût  été  un 
ordre. 

Sur  ces  entrefaites,  son  père  vint  à  mourir,  en  remer- 
ciant Dieu  de  lui  avoir  donné  une  telle  fille  :  il  avait 
reconnu  en  elle  l'enfant  prédestiné  dont  le  Père  Félix  lui 
avait  autrefois  parlé  à  Rome.  A  partir  de  ce  moment,  la 
pieuse  Agnès  ne  cessa  d'insister  auprès  de  sa  mère  pour 
obtenir  la  permission  de  prendre  le  voile.  Elle  avait  déjà 
des  visions  fréquentes  et  des  entretiens  spirituels  avec 
Dieu.  Un  jour  que,  dans  un  bois,  les  yeux  levés  au  ciel, 
elle  s'écriait  :  a  Seigneur,  quand  donc  pourrai-je  enfin 
«  goûter  le  repos  et  vous  aimer  en  paix  ?  »  elle  fut  tout 
à  coup  enveloppée  de  lumière,  et  elle  entendit  une  voix 
qui  disait  :  «  Quand  tu  entreras  au  couvent  des  Annon- 
ce ciades  de  Venloo,  tous  tes  vœux  seront  exaucés  » .  La 
pauvre  fille,  en  effet,  ne  jouissait  déjà  plus  de  l'heureuse 
tranquillité  des  premières  années.  Le  démon,  irrité  de 
voir  cette  jeune  fleur  s'épanouir  pour  le  ciel,  essayait  de 
l'arrêter  dans  sa  croissance  et  de  la  dessécher  jusque  dans 
ses  racines.  Il  lui  représentait,  d'un  côté,  qu'elle  serait 
belle,  qu'elle  serait  aimée,  qu'elle  pourrait  jouir  de  tous 
les  plaisirs  que  procure  la  richesse  ;  et,  de  l'autre,  il  lui 
montrait  sous  de  fausses  couleurs  les  misères  de  la 
vie  religieuse,  la  solitude,  l'abandon,  la  pauvreté,  les 
longs  ennuis,  les  austérités.  Agnès  eut  recours  à  la  prière, 
et  elle  triompha  des  tentations  du  monde  et  de  Satan. 


i 58  VIII  JUIN. 

Enfin,  à  sa  grande  joie,  elle  revêtit  la  robe  des  Annon- 
ciades,  à  l'âge  de  douze  ans,  et  elle  commença  dès  lors  à 
faire  de  rapides  progrès  dans  la  voie  du  salut.  Ce  qui  l'y 
aida,  ce  furent  ses  longues  méditations  en  présence  du 
saint  Sacrement  de  l'autel,  et  les  épreuves  que  Dieu  ne  lui 
ménagea  pas.  Durant  la  première  année  de  son  noviciat, 
une  paralysie  complète  la  força  de  garder  le  lit  pendant 
six  mois,  et,  ce  qui  l'effraya  beaucoup  plus  encore  que  sa 
maladie,  les  médecins  lui  ordonnèrent  les  eaux  d'Aix-la- 
Chapelle  :  la  santé  était  à  ce  prix.  Eh  quoi  !  retomber  si 
vite  au  milieu  des  embûches  du  monde,  dont  elle  avait 
eu  tant  de  peine  à  sortir  une  première  fois  I  A  force  de 
prières,  elle  obtint  de  ne  pas  quitter  la  robe  de  religieuse 
et  d'être  accompagnée  par  une  sœur  converse;  et,  seule- 
ment alors,  elle  se  décida  à  obéir  aux  médecins. 

Les  eaux  d'Aix-la-Chapelle  n'eurent  sur  la  malade  au- 
cune influence  bienfaisante,  elle  l'avait  bien  prévu  ;  car 
elle  savait  que  ses  souffrances  lui  venaient  de  Dieu,  et 
que  Dieu  et  non  les  hommes,  pouvait  la  guérir.  On  la 
transporta  chez  sa  mère  plus  faible  que  jamais,  incapable 
de  mouvoir  même  sa  main,  et  condamnée  à  garderie  lit. 
La  paralysie  ne  tarda  pas  à  se  compliquer  d'un  raccour- 
cissement de  la  jambe  droite,  et  les  médecins  déclarèrent 
que,  si  un  jour  elle  marchait,  ce  serait  à  l'aide  de  deux 
crosses.  Sa  pauvre  mère,  en  la  voyant  si  souffrante,  si 
maigre  et  si  pâlie,  quelquefois  sans  connaissance,  eût 
voulu  du  moins  la  garder  auprès  d'elle  et  veiller  sur 
cette  chère  enfant  que  Dieu  éprouvait  si  cruellement; 
mais  Agnès,  qui  avait  conservé  toute  la  lucidité  de 
son  esprit,  déclara  qu'elle  retournerait  au  couvent  le 
plus  tôt  qu'il  lui  serait  possible,  et  ne  consentit  même 


SŒUR  AGNÈS -MARIE  D'AMSTENRAAT.  139 

pas  à  quitter  un  seul  instant  sa  robe  et  son  voile  d'An- 
nonciade.  Elle  montrait  d'ailleurs  un  courage  et  une 
patience  admirables  :  pas  une  plainte,  pas  un  murmure 
ne  sortait  de  sa  bouche  ;  au  contraire,  elle  consolait  les 
personnes  qui  paraissaient  compatir  à  ses  douleurs  et 
elle  parlait  des  douceurs  de  la  vie  religieuse  avec  une 
éloquence  si  touchante,  que  plusieurs  jeunes  filles  réso- 
lurent de  suivre  son  exemple  et  de  se  consacrer  à 
Dieu, 

De  guerre  lasse,  sa  mère,  qui  d'ailleurs  était  une 
pieuse  femme,  lui  promit  de  ne  plus  contrarier  ses 
projets  et  lui  conseilla  d'avoir  recours  à  l'intercession 
de  la  très-sainte  Vierge  Marie.  Où  la  science  des  hommes 
était  vaine,  la  protection  de  la  Mère  de  Dieu  serait  peut- 
être  efficace.  Agnès  fit  vœu  de  se  rendre  en  pèlerinage  à 
Notre-Dame  de  Scherpen-heuvel,  et  aussitôt  elle  sentit  le 
sang  et  la  vie  circuler  dans  ses  membres.  Une  douce 
chaleur  la  pénétrait,  ses  articulations  reprenaient  de  la 
souplesse  et  de  la  vigueur  ;  elle  se  leva  en  chantant  un 
cantique  d'actions  de  grâce,  et  s'en  vint,  au  grand  éton- 
nement  de  toute  sa  famille,  baiser  sa  mère  au  front. 

Dès  le  lendemain  Agnès  se  mit  en  route  pour  accomplir 
son  vœu.  De  Scherpen-heuvel,  elle  se  rendit  à  Maëstricht, 
où  l'on  vénérait  aussi  une  image  miraculeuse  de  la  Mère 
de  Dieu,  et  là,  pendant  qu'elle  était  en  prières,  elle  en- 
tendit une  voix  lui  dire  :  a  Hâte-toi  d'aller  à  Venloo».  Les 
Annonciades  l'y  reçurent  à  bras  ouverts,  d'autant  plus 
heureuses  de  la  retrouver  qu'elles  avaient  cru  la  perdre 
pour  toujours.  On  eût  dit  qu'un  Ange  du  ciel  rentrait  au 
couvent;  un  Te  Dewn  solennel  d'actions  de  grâces  fut 
chanté  dans  la  chapelle,  et  Agnès  remercia  le  Seigneur 


160  VIII  JUIN. 

de  lui  avoir  permis  de  triompher  d'une  aussi  rude 
épreuve. 

Depuis  cette  époque,  elle  jouit  pendant  longtemps 
d'une  tranquillité  parfaite.  Il  est  vrai  que,  vers  la  fin  de 
son  noviciat,  elle  fut  atteinte  d'une  maladie  peu  dange- 
reuse; mais  on  lui  promit  que  cet  accident  ne  reculerait 
pas  le  moment  où  elle  devait  prononcer  ses  vœux  ;  et 
quand  le  jour  fut  venu,  on  la  porta  dans  la  chapelle,  où 
elle  se  consacra  à  Dieu  pour  toujours. 

CHAPITRE  II. 


SOMMAIRE  :  Vertus  de  la  bienheureuse  Agnès  :  Chasteté,  pauvreté,  obéissance, 
humilité.  —  Elle  inspire  à  ses  sœurs  l'amour  de  leurs  devoirs.  —  Son  influence 
dans  le  couvent.  —  Sa  connaissance  des  cœurs,  ses  souffrances  physiques  et  morales, 
—  Courage  avec  lequel  elle  les  supporte.  —  Elle  est  la  consolation  de  ses  sœurs 
dans  leurs  douleurs. 


Agnès  ne  tarda  pas  à  jouir  d'une  santé  parfaite,  et 
presque  aussitôt  ses  vertus  éclatèrent  au  jour  comme 
autant  d'astres  brillants.  Un  mot  suffit  à  la  peindre  : 
Jamais  elle  ne  se  trouva  en  état  de  péché  mortel.  Elle 
était  si  humble,  si  modeste,  si  pieuse,  si  pure,  si  parfaite, 
pour  tout  dire,  si  nette  de  toute  souillure,  qu'elle  restait 
des  mois  entiers  sans  avoir  besoin  de  se  confesser.  Elle 
veillait  sur  sa  chasteté  avec  un  soin  jaloux,  et  jamais 
elle  ne  leva  les  yeux  sur  un  homme,  pas  même  s'il  était 
de  sa  propre  famille.  C'est  surtout  dans  ses  fonctions  de 
sœur  portière  qu'elle  eut  l'occasion  de  donner  des  preuves 
fréquentes  de  cette  vertu;  elle  fuyait  les  conversations 
inutiles,  même  avec  son  confesseur  ou  avec  des  religieuses, 
persuadée  que  la  vie  contemplative  est  la  plus  agréable  à 
Dieu. 


S(EDR  AGNÈS -MARIE  D'AMSTENRAAT.  161 

Son  obéissance  et  sa  soumission  à  la  règle  faisaient 
l'admiration  de  toutes  les  religieuses.  Un  enfant  eût  été 
moins  docile  :  «  J'appartiens  tout  entière  à  Dieu  »,  disait- 
elle,  a  et  aux  créatures  de  Dieu  pour  accomplir  tout  ce 
«qu'il  leur  plaira  de  m'ordonner  ».  La  supérieure,  sur 
l'avis  du  médecin,  lui  commandait-elle  de  se  rendre  à 
l'infirmerie,  sans  hésiter  un  instant,  elle  quittait  le  tra- 
vail qu'elle  avait  commencé  et  ne  sortait  plus  du  lit 
avant  d'en  avoir  reçu  la  permission.  «  Pratiquez  la  sainte 
«  obéissance  »,  répétait-elle  souvent  à  ses  sœurs  ;  «  hors 
de  là  il  n'y  a  pour  une  religieuse  ni  repos,  ni  perfection- 
«  nement  possible  ». 

Elle  eût  pu  leur  dire  aussi  :  «  Aimez  comme  moi  la 
«  sainte  pauvreté  »,  car  personne  plus  qu'elle  n'y  était 
fidèle.  Quoiqu'elle  fût  presque  continuellement  malade, 
elle  refusait  même  ce  que  ses  parents  lui  envoyaient 
pour  la  soulager.  Elle  ne  voulait  posséder  au  monde  que 
son  livre  de  prières,  son  crucifix  et  ses  vêtements  de 
religieuse  ;  encore  étaient-ils  faits  de  l'étoffe  la  plus 
grossière,  et  les  plus  simples  du  couvent.  «  Les  orne- 
«  ments  d'une  servante  du  Seigneur  »,  disait-elle,  a  ce 
o  sont  ses  vertus  ;  il  ne  lui  en  faut  pas  d'autres  ».  Ce  qui 
la  désolait,  c'est  qu'on  avait  pour  elle  les  soins  que 
réclamait  son  état  :  boissons  rafraîchissantes,  nourriture 
plus  substantielle,  chambre  chauffée  en  hiver.  Elle  eût 
voulu  vivre  de  la  vie  commune,  et  son  plus  grand  bon- 
heur était  de  s'asseoir  au  réfectoire  à  la  table  frugale  des 
bonnes  sœurs,  de  prendre  part  à  leurs  exercices  de  piété, 
de  travailler  comme  elles  ;  tous  les  jours  elle  demandait 
à  Dieu  de  lui  en  donner  la  force. 

Si  la  bienheureuse  Agnès  était  incapable  de  pratiquer 
Palm.  Sébaph.  —  Tome  VI.  H 


162  vin  juin. 

la  règle,  comme  elle  l'aurait  voulu,  elle  avait  du  moins 
la  consolation  d'en  inspirer  le  respect  à  ses  sœurs.  Sa 
parole  douce  et  pénétrante  allait  droit  au  cœur  ;  elle 
enflammait  les  tièdes,  dit  son  biographe ,  et  excitait 
davantage  l'ardeur  des  autres.  Aucun  moyen  de  se  sous- 
traire à  son  influence  :  en  un  mois  elle  eût  fait  de  la 
pécheresse  la  plus  endurcie  une  véritable  sainte.  Elle 
introduisit  au  couvent  plusieurs  innovations  excellentes, 
entre  autres  le  renouvellement  annuel  des  vœux  le  jour 
de  l'Assomption  :  C'est  le  jour  de  l'Assomption  que  la 
bienheureuse  Jeanne  de  Valois,  fondatrice  des  Annon- 
ciades,  avait  consacré  le  premier  couvent  de  l'Ordre  à  la 
très-sainte  Trinité  et  à  la  glorieuse  Vierge  Marie. 

Si  la  bienheureuse  Agnès  avait  sur  ses  compagnes  une 
autorité  morale  aussi  grande,  c'est  qu'elle  connaissait 
les  cœurs  ;  elle  avait  commencé  par  s'étudier  elle-même, 
et  en  cherchant  le  moyen  de  se  guérir  de  ses  défauts, 
elle  avait  trouvé  le  secret  de  redresser  les  autres.  Se 
mépriser  soi-même  par  une  méditation  constante  de  son 
néant,  c'était  son  premier  remède,  et  il  était  infaillible, 
et  Servante  du  Seigneur,  de  quoi  t'enorgueillis-tu  ?  De 
«  tes  richesses  1  Tu  as  fait  vœu  de  pauvreté.  —  De  la 
«  noblesse  de  ta  famille?  En  entrant  au  couvent,  tu  as 
a  dit  adieu  à  ton  père  et  à  ta  mère  qui  n'existent  plus 
«  pour  toi  ;  tes  parents  maintenant,  ce  sont  les  pauvres, 
«  les  malades,  les  misérables,  tous  ceux  que  le  monde 
«  dédaigne  et  qu'il  rejette  de  son  sein.  Allons  mes  sœurs, 
«  je  ne  suis  qu'une  pécheresse,  la  dernière  des  créatures 
«de  Dieu;  crachez-moi  au  visage,  jetez-moi  à  terre, 
a  foulez  mon  corps  sous  vos  pieds,  frappez-le  jusqu'au 
«  sang  de  vos  disciplines  ;  il  faut  que  nous  nous  abaissions, 


SOEUR  AGNÈS-MARIE  D'AMSTENRAAT.  163 

«si  nous  voulons  que  le  Tout-Puissant  nous  relève». 

Vivre  inconnue  de  tous,  dans  une  profonde  solitude, 
tel  était  le  vœu  de  la  bienheureuse  Agnès.  Les  religieuses 
lui  témoignaient  un  respect  mêlé  d'admiration,  et  elle 
en  souffrait.  Quand  elle  parlait  de  la  bienheureuse  Jeanne, 
la  fondatrice  de  l'Ordre  des  Annonciades,  elle  lui  enviait 
la  félicité  d'avoir  eu  une  existence  obscure  et  cachée  ;  en 
revanche,  elle  put  se  louer  comme  elle  d'avoir  souffert 
pour  le  Seigneur. 

En  effet,  quoiqu'elle  fût  d'un  tempérament  très-faible 
et  très-délicat,  fort  éprouvé  par  des  maladies  fréquentes 
et  cruelles,  la  sainte  fille  ne  s'épargnait  aucune  espèce 
de  mortifications.  Tous  les  jours  elle  imaginait  pour  son 
pauvre  corps  quelque  nouveau  supplice.  Elle  mêlait  à 
ses  aliments  des  substances  repoussantes,  pour  leur  ôter 
toute  saveur  ;  et  dans  la  mauvaise  bière  qu'elle  buvait, 
elle  faisait  infuser  des  racines  amères.  On  s'étonna  d'a- 
bord, puis  on  admira,  et  on  imita  enfin.  Les  novices  la 
suivaient  dans  les  chemins  épineux  où  elle  marchait  la 
première  avec  un  courage  surhumain  ;  mais  la  plupart 
défaillaient  avant  la  fin  et  s'arrêtaient  au  milieu  de  la 
route.  C'est  qu'il  fallait  être  soutenu  par  la  grâce  de 
Dieu,  pour  ne  pas  reculer  devant  des  souffrances  volon- 
taires et  des  austérités  aussi  terribles.  Deux  heures  de 
sommeil  par  jour  sur  une  planche  ou  même  sur  la  terre 
toute  nue,  la  tête  appuyée  contre  un  mur,  des  disciplines 
sévères  jusqu'à  épuisement  des  forces  ;  des  ceintures  de 
fer  garnies  de  pointes  autour  des  reins,  des  couronnes 
d'épines  sur  le  front  :  il  y  avait  là  de  quoi  effrayer  les 
plus  grands  courages;  jamais  Agnès  n'hésita. 

Si  l'on  ajoute  à  ces  mortifications   des    maladies  si 


164  VIII  JUIN. 

cruelles,  que  tout  son  corps  était  agité  par  des  convulsions 
violentes  et  parfois  tordu  par  la  douleur,  on  aura  une 
idée  de  ce  que  fut  la  vie  de  la  bienheureuse.  Pourtant 
jamais  on  ne  l'entendit  se  plaindre  ;  au  contraire,  son 
long  martyre  la  rendait  heureuse.  Ce  qui  lui  fut  pénible, 
ce  n'étaient  pas  les  souffrances  du  corps,  c'étaient  les 
souffrances  de  l'âme.  Dieu  permit  que  le  démon  s'achar- 
nât contre  elle  du  jour  où  elle  commença  son  noviciat, 
jusqu'à  sa  mort.  Il  lui  semblait  qu'elle  errait  dans  une 
nuit  immense,  cherchant  sa  route  et  ne  pouvant  la 
trouver,  entourée  d'embûches,  condamnée  à  s'égarer 
misérablement,  jusqu'au  moment  où,  à  bout  de  forces, 
elle  tomberait  épuisée  ;  et  elle  était  en  proie  à  des  in- 
quiétudes, à  des  angoisses,  à  des  découragements  sans 
fin.  Elle  se  réfugia  dans  la  prière,  et  elle  y  rencontra  le 
salut  :  Dieu,  d'ailleurs,  ne  l'abandonna  pas  un  instant,  et 
on  peut  dire  qu'elle  ne  fut  jamais  en  danger  de  succom- 
ber ;  au  contraire,  ses  forces  croissaient  avec  le  péril, 
et  chaque  nouvelle  épreuve  la  rendait  plus  vaillante. 

Elle  en  vint  à  inspirer  à  ses  sœurs  la  confiance  et  le 
courage  dont  elle  était  animée.  Quelques  mots  de  sa 
bouche  suffisaient  pour  dissiper  les  plus  épaisses  ténèbres, 
écarter  les  doutes,  relever  les  esprits  abattus.  Elle  avait 
même  écrit  une  prière,  qui  était  contre  toutes  les  ten- 
tations un  préservatif  infaillible.  Il  semblait  d'ailleurs 
qu'elle  fût  l'image  vivante  de  la  consolation  et  de  l'es- 
pérance. Quand  elle  venait  s'asseoir  au  chevet  d'une 
malade,  on  cherchait  ses  ailes  ;  les  Anges  du  ciel  ne 
doivent  pas  avoir  une  figure  plus  douce  que  n'était  la 
sienne.  On  l'appelait  de  tous  côtés,  et  quand  on  avait 
rencontré  son  regard  et  entendu  sa  voix,  on  se  sentait 


SŒUR  AGNÈS-MARIE  î/AMSENRAAT.  165 

soulagé  ;  il  n'y  avait  pas  de  maladie  de  l'âme  ou  du  corps 
qui  résistât  à  sa  bienfaisante  influence. 


CHAPITRE  III. 


SOMMAIRE  :  Dévotion  de  la  bienheureuse  Agnès.  —  Miracle  de  tous  les  jours  qui 
s'accomplit  en  sa  faveur  daDs  la  chapelle  du  couvent.  —  Douleur  qu'elle  éprouve 
en  voyant  les  hommes  s'occuper  d'autre  chose  que  de  leur  salut.  —  Ses  médita- 
tions et  ses  visions.  —  Ses  entretiens  avec  Jésus.  —  Sa  compassion  pour  les 
pécheurs  et  les  âmes  du  purgatoire.  —  Elle  a  le  don  de  seconde  vue  et  de 
miracle.  —  Sa  dernière  maladie  et  sa  mort.  —  Conservation  de  son  corps  dans  le 
tombeau. 


L'endroit  de  prédilection  de  la  bienheureuse  Agnès 
était  le  chœur  de  la  chapelle.  Il  fallait  qu'elle  fût  bien 
malade,  pour  s'en  arracher  ;  encore,  durant  ses  longues 
maladies,  s'y  faisait-elle  porter  par  ses  sœurs.  Dans  ces 
occasions,  un  véritable  miracle  s'accomplissait  en  sa 
faveur  :  elle  arrivait  souffrante  et  sans  force  ;  mais  à 
peine  les  chants  des  religieuses  commençaient-ils  à  rem- 
plir les  voûtes  de  l'église,  elle  se  levait  pour  y  répondre 
comme  mue  par  des  ressorts  invisibles;  le  sang  coulait 
dans  ses  veines;  ses  joues,  tout  à  l'heure  si  pâles,  se  colo- 
raient d'une  vive  rougeur,  une  vie  nouvelle  animait  ce 
pauvre  corps  délabré.  Quelquefois  même,  une  lumière 
éblouissante  l'enveloppait  tout  à  coup ,  et  sa  figure 
avait  alors  un  aspect  céleste  ;  ses  yeux  brillaient  d'un 
éclat  qu'on  ne  pouvait  soutenir,  et  ses  pieds  ne  touchaient 
plus  la  terre. 

Aussi  la  pieuse  fille  avait-elle  au  cœur  une  recon- 
naissance sans  bornes  pour  le  Dieu  qui  la  comblait  ainsi 
de  ses  grâces.  Elle  ressentait  comme  une  mortelle  injure 
un  mot  ou  un  geste  irréligieux  ;  elle  ne  pouvait  même 
pas  comprendre  que  l'on  s'entretînt  d'autre  chose  que 


166  VIII  JUIN. 

des  choses  du  ciel  ;  et  quand  elle  entendait  des  conver- 
sations mondaines,  elle  s'écriait  avec  douleur:  «  Quel 
«  supplice  de  voir  les  hommes  s'occuper  de  pareilles  mi- 
a  sères  et  oublier  Dieu  et  leur  salut  éternel  !  »  On  eût 
dit  qu'elle  ne  vivait  pas  de  la  vie  de  ce  monde,  tant  elle 
en  accomplissait  les  fonctions  avec  dégoût.  Manger  , 
dormir,  quelles  tristes  nécessités,  et  quelles  preuves 
indiscutables  de  notre  infirmité  et  de  notre  néant.  Prier, 
voilà  le  seul  bonheur,  la  seule  existence  possible  ;  la 
grandeur  de  l'homme,  c'est  qu'il  peut  s'élever  à  Dieu  et 
s'abîmer  dans  son  immensité  :  «  0  vie  !  ô  bonté  î  ô  amour 
«  éternel  1  ô  souveraine  gloire  !  que  puis-je  désirer  autre 
«  chose  que  toi,  ô  mon  Dieu,  mon  unique  bien!  11  n'y  a 
a  rien  que  toi  sur  la  terre  et  dans  le  ciel;  tout  ce  qui  est 
«  en  dehors  de  toi,  n'est  pas  ». 

La  bienheureuse  Agnès  ne  faisait  pas  grand  cas  des  lec- 
tures pieuses;  ce  n'est  pas  dans  les  livres,  disait-elle, 
c'est  dans  son  cœur  qu'on  trouve  l'image  de  Dieu.  Médi- 
tez sur  votre  infirmité  et  sur  la  grandeur  du  Très-Haut, 
voilà  le  secret  de  la  perfection  religieuse.  D'autres  fois 
elle  répétait:  a  Le  meilleur  livre,  c'est  le  récit  de  la 
«  Passion  de  Notre-Seigneur  ».  Elle  en  était  toute  péné- 
trée; et  c'a  été  en  quelque  sorte  sa  nourriture  spirituelle 
pendant  la  dernière  partie  de  sa  vie.  On  la  voyait  souvent 
en  extase  devant  Jésus  crucifié,  et  elle  murmurait:  a  O 
«  amour  !  amour  1  abîme  insondable  !  »  Un  jour ,  une 
religieuse  fut  tout  étonnée  de  voir  arriver  dans  sa  cellule 
la  bienheureuse  Agnès,  qui  lui  dit  :  «  Ma  sœur,  donnez- 
«  moi  votre  main,  et  suivez-moi  ».  La  religieuse  suivit 
sans  mot  dire,  et  arriva  dans  une  vaste  salle  où  elle 
n'avait  jamais  pénétré.  Le  spectacle  dont  elle  fut  témoin 


SŒUR  AGNÈS-MARIE  D'AMSTENRAAT.  167 

la  remplit  d'une  muette  admiration.  Jésus  lui-même 
était  présent  dans  sa  pleine  et  infinie  majesté,  et  elle 
l'entendit  qui  murmurait  :  «  Agnès,  ma  fille,  demeurez 
«  en  moi,  et  je  demeurerai  en  vous».  L'entretien  d'Agnès 
avec  Jésus  dura  à  peu  près  quatre  heures,  et  quand  ils 
se  séparèrent,  un  parfum  céleste  remplit  la  chambre  et 
longtemps  encore  l'imprégna  tout  entière. 

Ces  visions,  qui  se  renouvelaient  souvent,  étaient  pour 
la  bienheureuse  une  source  de  jouissances  inexprima- 
bles. Elle  se  les  procurait  en  s'approchant  presque  tous 
les  jours  de  la  sainte  table  et  en  se  nourrissant  du  pain 
des  Anges.  Son  attitude,  en  ces  moments  divers,  était  si 
touchante,  qu'elle  inspirait  à  tous  ceux  qui  la  voyaient 
la  piété  dont  elle  était  animée.  C'est  qu'avec  les  yeux 
de  l'âme,  elle  voyait  Jésus  présent  dans  l'hostie  sacrée  ; 
elle  lui  parlait  et  elle  l'entendait  répondre  :  «  Ma  fille,  je 
«  suis  avec  toi  » . 

Cet  immense  amour  pour  son  Dieu,  dont  était  consu- 
mée la  bienheureuse  Agnès,  lui  inspirait  une  profonde 
horreur  pour  le  péché  et  un  désir  ardent  de  convertir  les 
malheureux  pécheurs.  Elle  passait  les  jours  et  les  nuits 
au  chevet  des  malades,  pour  leur  faire  concevoir  un 
repentir  sincère  de  leurs  fautes  et  les  préparer  à  paraître 
sans  tache  devant  le  tribunal  de  Dieu.  Quelquefois  elle 
priait  Dieu  de  prendre  en  pitié  la  pauvre  humanité,  et  le 
Seigneur  lui  apparaissait,  et,  lui  montrant  les  plaies  de 
son  côté,  de  ses  mains  et  de  ses  pieds,  lui  disait  :  «  Pour- 
a  quoi  pleurez-vous,  ma  fille,  ne  suis-je  pas  mort  pour  le 
«  salut  des  hommes  I  » 

Si  elle  pleurait,  la  sainte  fille,  c'est  qu'elle  avait  une 
vive  intuition  des  joies  du  paradis,  que  tant  de  pécheurs 


168  VIII  JUIN. 

perdent  par  leur  faute,  et  des  tourments  éternels  de  l'en- 
fer, terrible  châtiment,  souvent  trop  mérité  par  de  lon- 
gues années  d'égarements.  Elle  ne  pouvait  songer  sans 
frémir  aux  âmes  du  purgatoire,  condamnées  à  la  priva- 
tion temporaire  d'une  béatitude  qu'elles  pressentent  et 
qu'elles  désirent  sans  cesse  ;  elle  priait  pour  elles,  et  Dieu, 
toujours  plein  de  miséricorde,  abrégeait  souvent  en  sa 
faveur  la  durée  de  l'expiation. 

Agnès  fut  également  honorée  dès  ce  monde  des  faveurs 
que  Dieu  accorde  à  ses  élus  :  le  don  de  seconde  vue  et  le 
don  de  miracles  :  «  0  monde,  ô  monde  »,  s'écriait-elle  un 
jour,  «  que  de  châtiments  vont  fondre  sur  toi  !  Voici  la 
«  peste  qui  mettra  la  solitude  et  le  silence  au  milieu  de 
«  tes  villes  orgueilleuses  ;  voici  la  grêle  qui  ravagera  tes 
«  moissons  ;  les  fruits  et  les  hommes  périront  dans  leur 
«  fleur.  Il  est  trop  tard  pour  implorer  la  pitié  et  le  par- 
«  don  »  ;  et,  quelques  mois  plus  tard,  la  Hollande  sentait 
tomber  sur  elle  le  poids  du  courroux  divin. 

Les  cœurs  n'avaient  pas  de  secret  pour  elle.  «Ma  fille», 
dit-elle  à  une  femme  qui  n'osait  la  regarder  en  face, 
«  il  n'est  plus  temps  de  baisser  les  yeux  :  je  sais  déjà  que 
«  vous  venez  de  faire  une  mauvaise  confession  ». 

Une  religieuse,  obsédée  de  tentations  dont  elle  n'osait 
parler  à  personne,  fut  fort  étonnée  de  voir  un  soir  Agnès 
entrer  dans  sa  cellule,  lui  exposer  l'état  de  son  âme 
mieux  qu'elle  ne  l'aurait  pu  faire  elle-même,  et  lui 
indiquer  les  moyens  de  retrouver  le  calme  et  la  paix. 

La  grande  affection  de  la  bienheureuse  pour  ses  sœurs 
lui  permit  d'obtenir  de  Dieu  des  miracles  en  leur  faveur. 
Un  jour  qu'elle  n'avait  rien  à  donner  à  une  malade,  elle 
se  mit  en  prières  et  lui  présenta  une  tasse  d'eau  froide  : 


SŒUR  AGNÈS  MARIE  D'AMSTSNBAAT.  169 

«Buvez  au  nom  du  Seigneur»,  lui  dit-elle,  «  et  vous 
«  serez  guérie  ».  La  malade  but  et  se  leva  aussitôt  :  elle 
avait  recouvré  ses  forces  et  sa  santé.  Une  autre  fois  en- 
core, Agnès  délivra  la  même  religieuse  d'un  mal  de 
gorge,  en  faisant  sur  sa  boisson  un  simple  signe  de  croix. 

Agnès  était  encore  dans  un  âge  peu  avancé,  quand 
tout  à  coup  elle  tomba  gravement  malade.  Les  médecins 
déclarèrent  que  le  moment  était  venu  de  lui  administrer 
les  Sacrements  des  mourants:  a  Vous  vous  trompez», 
dit  la  sainte  fille,  a  je  sais  bien  que  je  ne  vivrai  plus 
«  longtemps  ;  mais  ce  n'est  pas  encore  maintenant  que  je 
«  dois  mourir  » .  Elle  reprit  en  effet  un  peu  de  forces  ; 
mais,  deux  mois  plus  tard,  le  mal  Tétreignit  à  la  gorge. 
Il  est  impossible  de  se  figurer  ce  qu'elle  souffrit  et  la 
façon  dont  elle  supporta  ses  douleurs.  En  face  de  la  mort, 
elle  resta  ferme  et  courageuse,  sans  faiblesse  et  sans 
crainte,  prête  à  paraître  devant  le  Dieu  qu'elle  avait 
honoré  toute  sa  vie.  Un  mois  avant  qu'elle  n'expirât,  on 
lui  demandait  ce  qu'il  fallait  écrire  à  une  religieuse 
qu'elle  aimait  beaucoup  et  avec  qui  elle  avait  eu  de  fré- 
quentes relations  :  «  Dites-lui  »,  répondit-elle,  «  que 
«  nous  nous  retrouverons  bientôt  dans  un  endroit  où 
«  aucun  obstacle  ne  se  dressera  entre  nous  ». 

Enfin  l'heure  suprême  arriva  :  la  sainte  fille  s'abandonna 
à  la  miséricorde  de  Dieu  et  se  plaça  avec  confiance  sous 
la  protection  de  la  très-sainte  Vierge  et  de  tous  les  saints  ; 
puis  elle  s'endormit  dans  l'éternité  en  murmurant  le 
nom  de  Jésus,  le  8  juin  1641.  Elle  n'était  âgée  que  de 
vingt-huit  ans.  Chose  merveilleuse  et  inexplicable,  son 
corps,  qui  avait  été  la  proie  de  tant  de  maladies,  qu'a- 
vaient torturé  des  souffrances  terribles,  puisa  dans  la 


170  VIII  JUIN. 

mort  une  beauté  resplendissante.  Les  lèvres  roses,  ou- 
vertes comme  une  fleur  épanouie,  les  joues  fraîches  et 
les  yeux  brillants  levés  au  ciel,  on  eût  dit  une  créature 
céleste  dans  l'attitude  d'un  repos  extatique.  Un  peintre 
célèbre  fit  son  portrait,  que  sa  famille  conserva  long- 
temps avec  orgueil  comme  l'un  de  ses  plus  beaux  titres 
de  gloire. 

De  nouveaux  miracles,  qui  s'accomplirent  sur  son 
tombeau,  ajoutèrent  encore  à  l'éclat  de  sa  renommée. 
Une  religieuse,  qui  était  sourde  depuis  dix-huit  ans,  invo- 
qua son  intercession  ;  elle  ressentit  aussitôt  une  violente 
douleur  de  tête  et,  deux  heures  plus  tard,  elle  entendait. 
Une  sœur  muette  fut  également  guérie.  On  attribue  aussi 
des  guérisons  miraculeuses  à  divers  objets  qui  avaient 
autrefois  appartenu  à  la  bienheureuse  :  des  morceaux  de 
sa  robe,  son  crucifix,  son  rosaire,  etc.  Enfin  Agnès  ap- 
parut à  la  bienheureuse  Mathilde  de  Loin,  qui  avait  été 
son  amie,  et  qui  supportait  difficilement  les  épreuves 
que  Dieu  lui  envoyait  :  «  Prends  patience  »,  lui  dit-elle, 
«  et  soumets-toi  sans  murmure  à  la  volonté  de  Dieu,  le 
«  jour  approche  où  tu  en  recevras  la  récompense  ».  En 
effet,  quelques  années  plus  tard,  Mathilde  mourait  en 
odeur  de  sainteté  et  allait  rejoindre  au  ciel  la  bienheu- 
reuse Agnès. 

Deux  ans  après  les  funérailles  de  la  sainte  fille,  on 
obtint  des  supérieurs  de  l'Ordre  la  permission  d'ouvrir 
son  tombeau.  La  morte  avait  l'air  d'une  jeune  fille  pleine 
de  santé.  C'est  ainsi  que  Dieu  prouvait  au  monde  qu'il 
peut,  quand  il  lui  plaît,  préserver  de  la  destruction 
même  le  corps  de  ceux  qui  l'ont  fidèlement  servi. 

(Groonenborch.) 


FRÈRE  PIERRE  DE  LA.  MÈRE  DE  DIEU.  171 

PIERRE  DE  LA  MÈRE  DE  DIEU. 

1627.  —  Pape  :  Urbain  VIII.  —  Roi  de  Portugal  :  Philippe  IV  d'Espagne. 

SOMMAIRE  :  Départ  de  frère  Pierre  aux  Indes  orientales.  —  Ses  austérités.  —  Le 
nouveau  Jonas.  —  Miracles  accomplis  par  le  bienheureux.  —  Sa  mort. 

Frère  Pierre  naquit  en  Portugal,  et  il  prit  l'habit  dans 
la  province  d'Algarve,  où,  pendant  plusieurs  années, 
il  donna  le  spectacle  de  toutes  les  vertus.  En  1606,  il 
partit  pour  les  Indes  orientales,  en  compagnie  du  commis- 
saire général,  et  y  habita  la  province  de  Saint-Thomas. 
Après  avoir  pendant  quelque  temps  travaillé  avec  zèle  à 
la  conversion  des  Indiens,  dans  la  ville  de  Celao,  il  fut 
nommé  portier  du  couvent  de  Chaul,  puis  du  couvent 
de  Bazaïm,  où  il  demeura  jusqu'à  sa  mort. 

Frère  Pierre  était,  comme  l'appelle  son  chroniqueur, 
un  miroir  d'humilité  et  de  pénitence.  Toujours  occupé, 
et  par  cela  même  ayant  besoin  d'une  nourriture  abon- 
dante, il  donnait  aux  pauvres  la  meilleure  partie  de  ce 
qui  lui  était  destiné.  Il  couchait  sur  la  terre  nue,  que  ses 
austères  disciplines  arrosaient  souvent  de  son  sang.  Dans 
ses  entretiens  spirituels  avec  Dieu,  son  esprit  illuminé, 
tout  à  coup  d'un  rayon  de  la  grâce,  apercevait  souvent 
d'un  seul  regard  les  événements  qui  allaient  se  dérouler. 
En  1618,  un  fléau  menaçait  la  ville,  le  bienheureux  en 
fut  averti  ;  et,  ne  pouvant  songer  sans  frémir  au  grand 
nombre  d'hommes  qui  mourraient  en  état  de  péché 
mortel,  il  demanda  au  gardien  la  permission  d'annoncer 
aux  habitants,  comme  autrefois  Jonas  à  Ninive,  que  le 


172  VIII  JUIN. 

jour  de  Dieu  était  proche.  Alors  on  le  vit  parcourir  les 
rues,  pieds  nus,  la  corde  au  cou,  une  grande  croix  à  la 
main,  et  il  disait  :  «  Mes  frères,  faites  pénitence,  parce 
«  que  de  grands  malheurs  vont  fondre  sur  vous  ».  Ces 
paroles,  l'air  inspiré  de  celui  qui  les  prononçait,  produi- 
sirent sur  les  habitants  de  la  ville  une  salutaire  influence. 
Effrayés,  les  mains  levées  au  ciel,  ils  se  frappaient  la 
poitrine  et  poussaient  de  profonds  gémissements ,  en 
reconnaissant  leurs  fautes  et  la  justice  du  châtiment  qui 
les  menaçait.  Beaucoup  venaient  se  jeter  aux  pieds  du 
saint  homme,  baisaient  le  bas  de  sa  robe  et  le  priaient 
d'intercéder  auprès  de  Dieu  pour  leur  faire  obtenir  le 
pardon  de  leurs  fautes  et  pour  détourner  la  vengeance 
céleste,  s'il  en  était  temps  encore.  Le  lendemain  et  les 
jours  suivants  une  foule  immense  se  pressa  dans  l'église 
du  couvent,  pour  s'approcher  du  tribunal  de  la  péni- 
tence et  y  recevoir  l'absolution;  et  comme  la  miséri- 
corde de  Dieu  est  infinie,  il  eut  pitié  de  ce  peuple  et 
pardonna. 

Ce  n'est  pas  la  seule  grâce  dont  le  bienheureux  Pierre 
fut  honoré  pendant  cette  vie.  Souvent,  pendant  qu'il 
priait,  on  voyait  autour  de  sa  tête  une  auréole  lumineuse  ; 
ou  bien,  quand  il  sortait  du  chœur  pour  retourner  dans 
sa  cellule,  il  paraissait  resplendissant  comme  le  soleil. 
Il  eut  aussi  le  don  de  faire  des  miracles  :  lorsque,  par 
hasard,  il  n'avait  pas  assez  de  soupe  à  distribuer  à  ses 
pauvres,  il  se  mettait  à  genoux,  et  le  miracle  de  la  mul- 
tiplication des  pains  se  renouvelait  en  sa  faveur. 

Un  jour,  des  ouvriers  attachés  à  un  long  câble  s'effor- 
çaient en  vain  de  traîner  à  la  mer  un  grand  bateau 
échoué  sur  le  rivage  ;  il  les  vit,  s'approcha  d'eux  et, 


PÈRE  JEAN  DE  SAINTE -MARIE,   ETC.  173 

attachant  au  bateau  la  corde  qui  ceignait  ses  reins,  il  le 
fit  sans  peine  descendre  dans  l'eau. 

Ces  miracles  et  d'autres  encore  valurent  au  bienheu- 
reux Pierre  de  la  Mère  de  Dieu  l'estime  et  l'amitié  des 
Indiens.  Il  mourut,  plein  d'années  et  de  vertus,  à  Bazaïm, 
le  8  juin  1627.  Un  grande  foule  de  peuple  assista  à  ses 
funérailles,  qui  furent  célébrées  avec  pompe  :  on  l'ense- 
velit dans  un  magnifique  tombeau,  et  par  la  suite,  Dieu, 
par  de  nouveaux  prodiges,  fit  croître  encore,  parmi  les 
hommes,  la  renommée  de  son  fidèle  serviteur. 

(Cardose.) 


NEUVIEME    JOUR    DE    JUIN 

PÈRE  JEAN  DE  SAINTE-MARIE 
P.  FRANÇOIS  LOPEZ  ET  F.  AUGUSTIN  RODRIGUE 

MARTYRS   AUX   INDES   OCCIDENTALES 

SOMMAIRE  :  Mission  de  frère  Augustin.  —  Rodrigue  chez  les  Chichimèques.  — 
Retour  à  Mexico.  —  Son  départ  daos  le  Nord  avec  les  Pères  Jean  de  Sainte-Marie 
et  François  Lopez.  —  Découverte  du  Nouveau-Mexique.  —  Mort  des  trois  mission- 
naires. —  Occupation  du  pays  par  l'Espagne. 

Les  Frères  Mineurs  sont  les  premiers  missionnaires  qui 
aient  arboré  la  croix  du  Sauveur  sur  le  territoire  amé- 
ricain ;  et  partout  où  pénétraient  les  soldats  espagnols, 
on  les  retrouve  toujours  en  avant,  explorant  souvent  des 
contrées  inconnues  et  arrosant  de  leur  sang  précieux 
une  terre  ingrate.  Ce  fut  là  le  sort  de  frère  Augustin 


174  IX  JDIN. 

Rodrigue  et  des  Pères  Jean  de  Sainte-Marie  et  François 
Lopez. 

Frère  Augustin  Rodrigue  était  né  à  Niebla,  près  de 
Séville,  en  Espagne.  Il  prit  l'habit  de  frère  mineur  au 
Mexique,  et  ne  tarda  pas  à  se  faire  remarquer  par  ses 
supérieurs,  qui  l'envoyèrent  en  mission  dans  le  Zacatécas, 
pays  des  Cbichimèques.  Il  y  passa  plusieurs  années, 
prêcha  avec  succès  et  acquit,  autant  par  sa  science  et 
son  éloquence  que  par  la  sainteté  de  sa  vie,  une  grande 
influence  sur  ces  peuples  barbares.  Il  provoqua  parmi 
eux  de  nombreuses  conversions,  puis  il  revint  à  Mexico 
prendre  un  peu  de  repos. 

Son  zèle  ne  l'y  laissa  pas  séjourner  longtemps  :  sur  la 
nouvelle  qu'il  existait  plus  avant  dans  le  Nord  des  tribus 
indiennes  encore  inconnues,  il  se  mit  en  route  dans  cette 
direction.  Il  marcha  longtemps  au  milieu  d'une  solitude 
immense,  traversa  des  rivières,  franchit  des  montagnes 
et  découvrit  enfin  un  village  perdu  au  centre  de  forêts 
inexplorées,' où  vivaient  entassés  une  multitude  d'indiens 
de  tout  âge  et  de  tout  sexe.  Ils  furent  étonnés  de  voir 
arriver  au  milieu  d'eux  un  homme  blanc,  vêtu  d'une 
longue  robe ,  et  l'entourèrent  tout  d'abord  avec  de 
grandes  marques  de  respect.  Ce  fut  bien  pis  encore 
quand  il  se  mit  à  leur  parler  dans  leur  langue  :  ils  étaient 
tentés  de  se  mettre  à  genoux  devant  lui  et  de  l'adorer 
comme  un  dieu.  Ils  Técoutèrent  d'ailleurs  avec  patience, 
et  convaincus  qu'il  apportait  avec  lui  la  vérité,  ils  détrui- 
sirent leurs  idoles,  brûlèrent  leurs  temples  et  élevèrent 
des  autels  au  Dieu  des  chrétiens.  Quand  il  les  quitta,  ils 
avaient  presque  tous  reçu  le  baptême. 

En  rentrant  au  couvent  de  Mexico,  le  bienheureux 


PÈRE  JEAN  DE  SAINTE -MARIE,  ETC.  4  7  S 

frère  Rodrigue  y  trouva  deux  nouveaux  religieux,  le 
Père  Jean  de  Sainte-Marie,  Catalan  d'origine,  et  le  Père 
François  Lopez,  issu  d'une  des  plus  nobles  familles  de 
Séville,  qui  se  préparaient  à  une  mission  chez  les  Indiens 
par  une  "vie  pieuse  et  austère  et  un  travail  de  tous  les 
instants.  Ils  partirent  ensemble,  accompagnés  de  douze 
soldats  espagnols  que  le  vice-roi  les  força  à  accepter 
comme  escorte.  Après  avoir  franchi,  au  prix  de  mille 
dangers,  les  montagnes  du  Zacatécas,  ils  firent  encore 
plus  de  quatre  cents  milles  dans  la  direction  du  Nord,  et 
se  trouvèrent  tout  à  coup  dans  un  pays  florissant,  qui 
comptait  de  trente  à  quarante  villages  bien  peuplés,  et 
qu'ils  baptisèrent  du  nom  de  Nouveau-Mexique.  Les 
Indiens  qui  les  habitaient  reçurent  les  missionnaires  à 
bras  ouverts  et  leur  témoignèrent  les  plus  grands  égards. 
Il  y  avait  là  une  belle  conquête  à  faire  pour  la  foi,  les 
missionnaires  le  comprirent  ;  mais  comme  la  tâche  était 
au-dessus  de  leurs  forces,  il  fut  décidé  que  le  Père  Jean 
de  Sainte-Marie  retournerait  à  Mexico  et  en  reviendrait 
le  plus  tôt  possible  avec  de  nouveaux  religieux.  Malheu- 
reusement, il  ne  devait  pas  parvenir  au  terme  de  son 
voyage  :  il  était  en  route  depuis  trois  jours  à  peine,  quand 
il  se  vit  entouré  tout  à  coup  d'une  foule  de  barbares  à 
l'aspect  farouche,  qui  le  firent  périr  au  milieu  des  plus 
affreux  tourments,  en  1580. 

Cependant,  les  soldats  espagnols  qui  avaient  servi  d'es- 
corte aux  missionnaires  étaient  pariis  pour  aller  rendre 
compte  de  leur  voyage  au  vice-roi  de  Mexico,  et  le  Père 
François  Lopez  avec  le  frère  Augustin  Rodrigue  se  trou- 
vaient seuls  et  comme  perdus  dans  une  contrée  inconnue. 
Ils  restèrent  néanmoins,  et  parcoururent  le  pays,  toujours 


176  IX  juin. 

prêchant  et  baptisant  au  nom  du  Père,  du  Fils  et  de  l'Es- 
prit. On  les  aimait  et  on  les  respectait,  quand  un  malheu- 
reux événement  causa  la  mort  du  Père  Lopez.  Deux  troupes 
d'Indiens  ennemis  se  battaient  avec  fureur  ;  le  saint 
homme,  au  nom  du  Dieu  de  paix  et  de  miséricorde,  essaya 
de  les  réconcilier  ;  ils  s'unirent  en  effet,  mais,  tournant 
leur  rage  contre  lui,  ils  le  tuèrent  à  coup  de  flèches. 

Frère  Augustin  Rodrigue  restait  seul  ;  il  continua  son 
pieux  ministère  sans  crainte,  tranquille  au  milieu  des 
dangers;  mais  il  n'échappa  pas  au  sort  de  ses  deux  com- 
pagnons ;  les  barbares  le  mirent  à  mort  en  1590. 

C'est  ainsi  que  ces  trois  pieux  soldats  du  Christ  por- 
tèrent au  prix  de  leur  vie  la  lumière  divine  de  l'Evangile 
au  Nouveau-Mexique.  La  renommée  porta  la  nouvelle  de 
leur  mort  sur  le  territoire  espagnol,  et  bientôt  d'autres 
frères  mineurs,  désireux  de  les  imiter,  se  mirent  en  route 
vers  le  Nord,  sous  la  direction  du  Père  François  d'Esco- 
bar,  commissaire  de  l'Ordre  Séraphique.  L'Espagne, 
d'ailleurs,  songeait  à  prendre  possession  de  la  belle  pro- 
vince découverte  par  les  trois  martyrs.  En  1598,  un  pre- 
mier gouverneur,  Martin  d'Onate,  accompagné  d'un 
corps  d'armée,  vint  planter  l'étendard  espagnol  au  milieu 
des  villages  du  Nouveau-Mexique.  En  1604,  il  s'enfonça 
plus  avant  avec  le  Père  François  et  une  quarantaine  de 
soldats,  jusqu'à  l'entrée  du  golfe  de  Californie.  Ils  remar- 
quèrent avec  étonnement  des  croix  sur  plusieurs  collines; 
ces  croix  avaient  été  dressées,  en  1540,  par  le  Père  Marc 
de  Nilla  et  François  Vasquez  Coronado,  chef  de  l'armée 
qui  avait  occupé  la  Nouvelle-Galice.  En  1620,  presque 
tout  le  territoire  situé  entre  l'Océan  Atlantique  et  l'Océan 
Pacifique  avait  reconnu  le  Dieu  des  chrétiens. 


LE  BIENHEUREUX  PÈRE  GUILLAUME  DE  CALATAGIRONE.      177 

PÈRE  GUILLAUME  DE  CALATAGIRONE 

1592.  —  Pape  :  Innocent  IX,  —  Roi  de  France  :  Henri  IV. 


SOMMAIRE  :  Influence  du  bienheureux  Guillaume  sur  ses  concitoyens.  —  Il  intro- 
duit en  Sicile  la  réforme  des  Récollets.  —  Sa  sévérité  justifiée  par  ses  vertus.  — 
Son  humilité.  —  Son  ardeur  dans  la  prière.  —  Prédictions  qu'il  fait  au  Père  Bona- 
venture.  —  Sa  mon  et  ses  funérailles. 


Le  bienheureux  Père  Guillaume,  né  à  Calatagirone,  en 
Sicile,  était  déjà  âgé  de  quarante  ans  quand  il  prit  l'habit 
de  frère  mineur  ;  mais  par  ses  austérités,  ses  vertus  et  sa 
piété,  il  eut  bientôt  rejoint  ceux  qui  s'étaient  engagés 
avant  lui  sur  le  chemin  du  salut.  Il  fut  tout  d'abord 
éprouvé  par  une  dangereuse  maladie,  qui  lui  enleva 
l'usage  de  la  parole;  dès  qu'il  fut  guéri,  il  reprit  ses  habi- 
tudes de  mortification  et  de  pénitence. 

Plein  de  zèle  pour  la  conversion  du  prochain,  il  y  tra- 
vailla avec  ardeur  et  avec  succès  pendant  sa  vie  tout 
entière.  Sa  parole  était  forte  et  grave,  et  faisait  une 
impression  profonde  sur  ceux  qui  l'enteudaient  :  il  ins- 
pirait surtout  la  crainte  de  Dieu.  Sa  figure  longue  et 
pâle,  éclairée  par  deux  grands  yeux  noirs,  attirait  l'atten- 
tion et  commandait  le  respect.  Son  maintien  sévère  et  sa 
haute  taille  donnaient  à  tout  son  être  une  sorte  de 
majesté. 

Le  bienheureux  Père  Guillaume  de  Calatagirone  fut  l'un 
de  ceux  qui  acceptèrent  les  premiers,  en  Sicile,  la  réforme 
des  Récollets.  Chaque  fois  qu'on  le  nomma  gardien,  il 
s'attacha  avec  une  attention  scrupuleuse  à  faire  pratiquer 
les  moindres  ordonnances  de  la  règle.  Il  ne  voulait  pas 
Palm.  Séuaph.  —  Tome  VI.  12 


178  IX  JUIN. 

voir  un  frère  mineur  oisif  ;  à  ceux  qu'il  rencontrait  dans 
les  couloirs  du  couvent,  errant  à  l'aventure,  sans  néces- 
sité, il  imposait  sur-le-champ  un  ouvrage  désagréable. 
Il  était  aimé  de  tous  malgré  son  extrême  sévérité  ;  c'est 
que  lui-même  donnait  le  premier  l'exemple  du  travail, 
de  la  prière  et  de  la  mortification. 

D'une  humilité  excessive,  il  ne  se  résignait  que  sur  un 
ordre  formel  de  ses  supérieurs  à  exercer  la  dignité  de 
gardien;  encore  priait-il  Dieu  tous  les  jours  de  lui  per- 
mettre de  mourir  simple  frère.  Il  ne  pouvait  souffrir 
qu'on  lui  témoignât  du  respect,  et  il  ne  se  consolait  des 
honneurs  qu'on  lui  imposait,  qu'en  supportant  sans  se 
plaindre  toutes  les  épreuves  physiques  ou  morales  qu'il 
plaisait  à  Dieu  de  lui  envoyer. 

Toujours  le  premier  au  chœur  dès  que  sonnait  la 
cloche  des  matines,  le  vénérable  Père  y  demeurait  seul 
après  le  départ  de  ses  religieux,  plongé  dans  de  célestes 
contemplations.  C'est  ainsi  qu'il  reçut  de  précieuses 
révélations  sur  des  questions  très-importantes,  dont  plus 
tard  il  donna  connaissance  à  ses  frères  et  à  des  personnes 
pieuses. 

Le  Père  Bonaventure  de  Calatagirone,  après  un  chapitre 
provincial,  se  plaignait  à  lui  avec  amertume  de  ce  qu'on 
ne  l'avait  pas  choisi  pour  définiteur  :  «  Mon  Père  »,  lui 
dit  le  bienheureux  Guillaume,  «  ne  prenez  souci  que 
«  d'être  un  parfait  disciple  de  saint  François,  soumis  à  la 
«  règle  et  dévoué  aux  intérêts  de  Dieu  ;  un  jour  viendra 
«  où  vous  serez  nommé  général  de  l'Ordre  tout  entier  ». 
Le  Père  Bonaventure  ne  pouvait  en  croire  ses  oreilles  ; 
mais  force  lui  fut  bientôt  de  reconnaître  la  vérité  de  cette 
prédiction ,  car  à  la  première  assemblée  générale  qui 


FRÈRE  VINCENT  DE  NICOSIE.  179 

suivit  cet  entretien,  il  fut  élu  général,  et  plus  tard  le 
souverain  Pontife  l'éleva  même  à  la  dignité  d'évêque  et 
au  patriarcat. 

Après  avoir  pendant  cinquante  ans  donné  l'exemple  de 
toutes  les  vertus,  le  bienheureux  Guillaume  s'endormit 
dans  le  sein  de  Dieu,  au  couvent  de  Piaza,  le  9  juin  1592; 
il  était  âgé  de  quatre-vingt-dix  ans.  Ses  funérailles  furent 
célébrées  au  milieu  d'un  grand  concours  de  peuple,  avide 
de  voir  encore  une  fois  les  restes  de  ce  saint  homme  et 
d'emporter  de  lui  quelque  précieuse  relique.  Des  mira- 
cles s'accomplirent  sur  son  tombeau  ;  on  cite,  entre 
autres,  la  guérison  d'une  femme  paralytique. 

(Chron.  de  la  Prov.  de  Sicile.) 


FRERE  VINCENT  DE  NICOSIE 

DU  TIERS   ORDRE 

1601.  —  Pape  :  Clément  VIII.  —  Roi  de  France  :  Henri  IV. 


SOMMAIRE  :  Vertus  du  bienheureux  frère  Vincent  :  Humilité,  pauvreté.  —  Ses 
austérités  et  ses  maladies.  —  Mauvais  traitements  qu'on  lui  fait  subir  à  Montréal. 
—  Méditations  et  visions  du  bienheureux  Vincent.  —  Ses  extases.  — Ses  miracles 
et  sa  mort. 


Ce  pieux  serviteur  de  Dieu,  qui  vécut  d'abord  très- 
dignement  au  milieu  du  monde  avant  de  prendre  l'habit 
de  franciscain,  naquit  en  Sicile,  dans  la  petite  ville  de 
Nicosie.  Ne  pouvant  se  faire  recevoir  dans  l'Ordre  en 
qualité  de  frère  lai,  il  demanda  à  être  admis  parmi  les 
Tertiaires,  et  entra  au  couvent  de  Sainte-Marie-de-Jésus, 
non  loin  de  Païenne,  où  il  demeura  jusqu'à  sa  mort. 


180  IX  JUIN. 

11  se  montra  un  digne  disciple  de  saint  François  :  un 
seul  repas  par  jour,  et  sans  viande  ;  l'observance  des  sept 
jeûnes  recommandés  par  le  fondateur  de  l'Ordre;  toutes 
les  nuits,  une  sévère  discipline.  Ses  habits  rapiécés  en 
maints  endroits,  rattachés  grossièrement  avec  des  ficelles, 
étaient  dans  un  état  pitoyable,  et  il  se  trouvait  encore 
trop  magnifiquement  vêtu.  Humble  et  modeste  dans  ses 
manières,  soumis  à  ses  supérieurs  comme  il  eût  pu  l'être 
à  Dieu  lui-même,  il  parlait  peu;  mais  ses  paroles,  dictées 
par  un  cœur  tout  rempli  de  foi  et  d'amour,  allaient  à 
l'âme  et  y  faisaient  germer  de  saines  pensées. 

Le  Seigneur,  pour  l'exalter  aux  yeux  du  monde , 
l'éprouva  par  des  souffrances  et  des  maladies  fréquentes 
et  cruelles.  Il  ne  se  plaignit  pas  et  ne  songea  jamais  à 
apporter  quelque  adoucissement  à  l'austérité  de  sa  vie. 
Seulement,  quand  la  douleur  devenait  si  vive  qu'elle  eût 
été  insupportable  pour  tout  autre  que  pour  lui,  les  noms 
de  Jésus  et  de  Marie  se  pressaient  sur  ses  lèvres,  et  il  se 
sentait  soulagé.  La  vie  de  tertiaire  alors  n'était  pas  douce 
dans  le  pays  de  Sicile  ;  il  fallait  aller  au  loin  pour  se  pro- 
curer les  choses  indispensables,  et  quelquefois  on  es- 
suyait des  rebuffades  et  de  mauvais  traitements.  Un  jour 
qu'il  avait  été  envoyé  à  Montréal  pour  recueillir  des  au- 
mônes, il  entra  dans  l'église  pour  y  faire  une  prière  ;  en 
même  temps  que  lui,  un  voleur  s'y  introduisait  et  enle- 
vait un  vase  sacré.  On  ne  tarda  pas  à  s'apercevoir  du 
larcin,  et  frère  Vincent,  que  plusieurs  personnes  dési- 
gnèrent du  nom  de  moine  sale  et  déguenillé,  fut  arrêté 
comme  coupable  du  vol  commis  et  tout  d'abord  fort  mal- 
mené. Il  ne  songea  pas  même  à  se  défendre  ni  à  deman- 
der quel  crime  il  avait  ewfrimis,  pour  être  jugé  et  exé- 


FRÈRE  VINCENT  DE  NICOSIE.  181 

cuté  avec  cette  justice  sommaire.  Heureusement,  l'arche- 
vêque connaissait  le  bon  frère  :  il  s'indigna  des  traitements 
qu'on  lui  avait  fait  subir  et  parla  de  punir  sévèrement 
les  bourreaux  improvisés.  Alors  seulement  frère  Vin- 
cent, qui  jusqu'alors  avait  gardé  un  silence  absolu,  ouvrit 
la  bouche  pour  demander  leur  grâce ,  et  il  l'obtint. 
Quelque  temps  après,  le  véritable  voleur  fut  découvert, 
et  l'innocence  du  religieux,  déjà  affirmée  par  le  prélat, 
apparut  aux  yeux  de  tous  dans  tout  son  jour. 

Frère  Vincent  avait  l'amour  de  la  solitude,  et  il  évi- 
tait autant  que  possible  non-seulement  la  société  des 
mondains,  mais  encore  celle  des  autres  religieux.  On  le 
voyait  sans  cesse,  son  rosaire  à  la  main,  murmurant  les 
litanies  de  Marie  ou  de  Jésus,  en  commerce  intime  avec 
Dieu,  qui  ne  sortait  pas  un  instant  de  sa  pensée.  Malgré 
ses  souffrances,  il  ne  prenait  jamais  plus  de  deux  heures 
de  repos,  et  passait  le  reste  de  la  nuit  au  chœur,  où  il 
arrivait  bien  avant  les  matines,  et  d'où  il  ne  sortait  qu'a- 
près la  première  messe.  C'est  là  qu'il  avait  des  visions 
qui  le  remplissaient  d'une  joie  céleste  et  de  longs  entre- 
tiens avec  Jésus  et  Marie.  Il  lui  semblait  que  la  statue  de 
marbre  de  la  Mère  de  Dieu  s'animait  et  prenait  une  voix 
pour  lui  répondre.  C'est  aux  pieds  de  la  Reine  des  vierges 
qu'il  aimait  à  prier  ;  il  y  revenait  sans  cesse,  et  plus  d'une 
fois  on  le  trouva  en  contemplation  devant  l'autel  qui  lui 
était  consacré.  Le  nom  seul  de  Marie  le  faisait  tomber  en 
extase:  un  jour,  dans  la  maison  de  François  Abisso,  au 
moment  où  on  commençait  la  lecture  d'un  ouvrage  de 
piété,  on  remarqua  tout  à  coup  que  frère  Vincent  res- 
tait immobile  et  que  des  rayons  lumineux  partaient  de 
son  visage  comme  d'un  soieiT. 

. 


182  IX  JUIN. 

Ces  prodiges  et  d'autres  encore  valurent  au  bienheu- 
reux frère  l'estime  et  la  considération  des  hommes. 
Torrès,  archevêque  de  Montréal,  qui  devint  plus  tard 
cardinal  de  la  sainte  Eglise,  un  grand  nombre  de  gen- 
tilshommes et  de  seigneurs  s'honoraient  fort  d'être  de 
ses  amis,  et  ne  laissaient  pas  échapper  une  occasion  de 
lui  témoigner  leur  respect  et  leur  sympathie. 

On  attribue  à  frère  Vincent  un  certain  nombre  de 
miracles  que,  malheureusement,  son  premier  biographe 
n'a  pas  pris  soin  de  relater,  et  qu'il  nous  est  par  consé- 
quent impossible  de  rapporter  ici. 

Après  une  longue  vie  de  travail,  d'abnégation  et  d'aus- 
térités, le  bienheureux  Vincent,  atteint  tout  à  coup  d'un 
violent  mal  de  gorge,  fut  obligé  de  se  faire  transporter  à 
Païenne,  au  couvent  des  Conventuels,  dont  l'infirmerie 
servait  également  aux  Récollets.  Il  y  reçut  la  visite  de 
tous  ses  amis  ;  mais,  ce  qui  lui  fut  beaucoup  plus  agréa- 
ble, il  eut  le  bonheur  d'être  consolé  et  encouragé  par  la 
très-sainte  Vierge  Marie  elle-même.  Elle  lui  prédit  que, 
le  samedi  suivant,  les  portes  du  ciel  s'ouvriraient  devant 
lui,  et  cette  nouvelle  le  remplit  d'une  grande  joie.  Pen- 
dant tout  le  temps  que  dura  sa  maladie,  ses  yeux  ne  quit- 
tèrent pas  son  crucifix  et  sa  pensée  ne  cessa  de  s'attacher 
aux  choses  du  ciel.  Il  mourut  le  samedi,  9  juin  1601, 
après  avoir  reçu  avec  piété  les  Sacrements  des  mourants, 
et  fut  enseveli  au  milieu  de  l'église,  dans  le  caveau  com- 
mun des  frères. 

Un  an  plus  tard,  on  ouvrit  son  cercueil  :  le  corps  n'était 
pas  encore  atteint  par  la  décomposition.  Des  miracles 
s'accomplirent  par  son  intercession. 

(Chron.  de  la  Prov.  de  Sicile.) 


FRÈRE  ANDRÉ  LE  CORSE.  183 


DIXIEME    JOUR    DE    JUIN 

FRÈRE  ANDRÉ  LE  CORSE 

1620.  —  Pape  :  Paul  V.  —  Roi  d'Espagne  :  Philippe  III. 

SOMMAIRE  :  Célébrité  du  couvent  de  Lima.  —  Miracles  qui  s'y  accomplissaient.  — 
Progrès  de  frère  André  dans  la  perfection.  —  Il  introduit  au  Pérou  la  réforme  des 
Récollets.  —  Affection  et  respect  qu'on  lui  témoigne.  —  Sa  mort.  —  Miracle  qui 
accompagne  ses  funérailles. 

Frère  André,  surnommé  Corsus,  ou  le  Corse,  naquit 
dans  l'île  de  Corse,  et  prit  l'habit  de  frère  mineur  en 
1560,  aux  Indes  occidentales,  dans  la  grande  province  de 
Lima  ou  des  Douze-Apôtres.  Il  eut  pour  directeur,  pen- 
dant son  noviciat,  Père  Alphonse  d'Escarcena,  un  saint 
homme  dont  nous  avons  raconté  la  vie  au  troisième 
jour  de  mars. 

Le  couvent  de  Lima  était  alors  l'asile  de  religieux 
pieux,  austères,  amis  de  la  sainte  pauvreté.  Bien  souvent 
le  Seigneur  y  accomplissait  des  miracles  éclatants  en 
faveur  de  ses  serviteurs  fidèles.  Un  jour  que  les  frères 
n'avaient  rien  à  manger,  parce  que  le  portier  avait  tout 
donné  aux  pauvres,  ils  s'en  vinrent  au  réfectoire,  pleins 
de  confiance  en  la  bonté  de  Dieu.  Leur  foi  fut  récom- 
pensée :  un  Ange  avait  apporté  sur  la  table  une  immense 
corbeille  de  pain.  Une  autre  fois,  le  jour  de  la  fête  de 
saint  François,  c'étaient  cinq  religieux,  qui,  au  milieu 
de  leurs  frères  étonnés,  s'élevaient  jusqu'à  la  voûte  de 
l'église  au  sein  d'une  nuée  éclatante,  et  la  chapelle  re- 


184  x  juin. 

tentissait  des  louanges  du  Très-Haut.  A  cette  école  de 
perfection  religieuse,  frère  André  avança  rapidement 
dans  les  sentiers  de  la  vertu.  Il  pratiquait  chaque  année 
les  sept  jeûnes  de  saint  François  et  les  austérités  pres- 
crites par  la  règle.  Tout  son   corps  était  marqué  de 
raies  noires  ou  plaqué  de  plaies  sanglantes,  fruit  de  ses 
sévères  disciplines.  Pénétré  d'un  ardent  amour  pour  son 
Dieu,  il  consacrait  à  la  prière  tout  le  temps  dont  il  pou- 
vait disposer.  11  avait  surtout  une  grande  dévotion  au 
saint  Sacrement,  et  tous  les  jours,  qu'il  fût  malade  ou 
qu'il  se  portât  bien,  il  servait  dix  ou  douze  messes.  La 
La  nuit,  au  lieu  de  dormir,  il  restait  à  genoux,  au  pied 
de  l'autel,  en  contemplation  devant  l'infinie  majesté' de 
son  Dieu,  quelquefois,  plongé  dans  une  profonde  extase, 
et  paraissant  jouir  par  avance  de  la  félicité  éternelle  des 
élus. 

L'amour  de  Dieu  ne  va  point  sans  l'amour  du  prochain  ; 
et  la  charité  de  frère  André  était  infatigable.  Il  visitait 
les  malades,  les  pauvres  et  s'occupait  non-seulement  de 
panser  les  plaies  de  leurs  corps,  mais  surtout  celles  de 
leur  cœur.  Plus  d'une  âme  du  purgatoire  lui  dut  aussi 
de  voir  abréger  la  durée  de  son  expiation. 

C'est  le  bienheureux  frère  André  qui  introduisit  le 
premier  au  Pérou  la  réforme  des  Récollets,  pour  qui  il 
fonda  tout  d'abord  à  Lima  le  couvent  de  Notre-bien- 
aimée-Dame-des-Anges,  puis  les  couvents  de  Pisco,  de 
de  Callao  et  de  Gualuco,  dont  il  fut  successivement  le 
gardien.  Dans  celte  dignité,  il  fit  preuve  d'une  grande 
prudence,  et  montra  une  science  parfaite  des  choses  de 
la  religion  et  une  connaissance  profonde  du  cœur  de 
l'homme.  11  sut  gagner  l'affection  et  l'estime  des  Indiens, 


FRÈRE  ANDRÉ  LE  CORSE.  185 

qui  virent  en  lui  non-seulement  un  ministre,  mais  un 
envoyé  de  Dieu,  et  qui  venaient  s'instruire  auprès  de 
lui  des  mystères  de  la  religion. 

Les  miracles  que,  par  une  faveur  spéciale  du  Très- 
Haut,  notre  bienheureux  accomplissait  tous  les  jours,  ses 
prophéties  toujours  réalisées,  ne  contribuèrent  pas  peu, 
avec  la  sainteté  de  sa  vie,  à  lui  attirer  la  vénération  uni- 
verselle. On  était  tenté  de  se  jeter  à  ses  genoux  et  de 
baiser  la  trace  de  ses  pas  ;  on  s'estimait  heureux  quand 
on  avait  pu  enlever  quelque  morceau  de  ses  vêtements. 
Ces  honneurs  lui  étaient  plus  pénibles  que  les  plus 
amers  reproches  ;  il  se  les  reprochait  comme  autant  de 
péchés,  et  il  en  demandait  avec  des  larmes  pardon  à 
Dieu,  comme  de  crimes  abominables. 

Ce  qui  l'en  consolait  un  peu,  c'étaient  ses  maladies, 
ses  souffrances  continuelles,  qu'il  supportait  avec  joie 
et  qui  étaient  pour  lui  la  preuve  que  Dieu  ne  s'était  pas 
éloigné  de  lui.  11  connut  d'avance  et  annonça  à  ses 
frères  le  jour  de  sa  mort,  qui  arriva  le  10  juin  1620,  au 
couvent  de  Jésus,  à  Lima.  Il  était  parvenu  à  une  extrême 
vieillesse ,  quatre-vingt-dix  ans ,  dont  il  avait  passé 
soixante  dans  l'Ordre  Séraphique. 

Il  conserva  dans  le  trépas  une  beauté  majestueuse  et 
calme.  Ses  funérailles  furent  célébrées  avec  pompe,  au 
milieu  d'un  grand  concours  de  peuple.  Tandis  que  des 
personnes  pieuses  portaient  le  corps  à  l'église  sur  leurs 
épaules,  une  pauvre  femme,  qui  vivait  depuis  de  longues 
années  des  aumônes  du  bon  Père,  s'approcha  en  pleurant, 
et  avec  des  sanglots  dans  la  voie  demanda  de  baiser  une 
dernière  fois  la  main  qui  l'avait  nourrie.  Aussitôt,  chose 
merveilleuse,  le  bras  du  bienheureux  s'allongea  de  lui- 


186  X  JUIN. 

même  hors  du  cercueil,  et  la  main  vint  effleurer  les 
lèvres  tremblantes  de  la  pauvresse.  Ce  miracle,  qui  se 
produisit  d'une  manière  si  éclatante  aux  yeux  de  milliers 
de  personnes,  ajouta  à  la  renommée  de  frère  André  un 
nouvel  éclat,  et  accrut  d'autant  la  vénération  dont  il 
était  l'objet.  On  se  disputa  ses  reliques  avec  un  acharne- 
ment incroyable;  peu  s'en  fallut  que,  dans  l'ardeur  de 
leur  piété  et  de  leur  reconnaissance,  les  pauvres  ne  cou- 
passent le  corps  en  morceaux. 

Peu  de  temps  après,  l'archevêque  de  Lima  fit  faire  une 
enquête  sur  la  vie  et  les  miracles  de  frère  André,  et 
ordonna  l'exhumation  de  ses  précieux  restes  qui  furent 
placés  dans  un  caveau  particulier  au  milieu  de  la  cha- 
pelle de  Sainte-Catherine.  La  cérémonie  eut  lieu  le 
9  octobre  1622,  deux  ans  après  la  mort  du  bienheureux, 
dont  le  corps  encore  intact  fut  revêtu  d'une  nouvelle 
robe.  Tout  le  clergé  de  Lima,  les  chanoines  de  la  cathé- 
drale et  les  religieux  de  tous  les  Ordres,  la  bourgeoisie 
et  la  noblesse,  assistèrent  à  la  procession  en  chantant  les 
louanges  de  Dieu  et  la  gloire  de  son  serviteur. 

(Tiré  de  la  Vie  de  saint  François  Solanus.  ) 


PÈRE  LUCAS  DE  GUENÇA  M 

SOMMAIRE  :  Vertus  du  Père  Lucas.  —  Ses  épreuves  et  ses  maladies.  —  Ses 
doutes  sur  lui-même,  puis  sa  tranquillité  au  moment  de  la  mort.  —  Ses  funé- 
railles. 

Père  Lucas  de  Cuença  naquit  en  Espagne.  Envoyé 
comme  missionnaire  dans  la  province  de  Lima,  il  exerça 

(1)  Nous  plaçons  à  la  suite  de  la  vie  de  Père  André  le  souvenir  de  plusieurs  re- 
ligieux de  la  même  province,  dont  on  ne  connaît  pas  au  juste  la  date  de  la  mort. 


PÈRE  LUCAS  DE  CUENÇA.  187 

dans  différents  couvents  de  la  province  la  dignité  de 
maître  des  novices,  et  forma  pour  l'Ordre  de  vénérables 
et  saints  religieux.  Lui-même  donnait  l'exemple  de 
toutes  les  vertus  :  pieux,  soumis  à  la  règle,  dont  il  n'en- 
freignait jamais  une  ordonnance,  toujours  en  prières, 
les  genoux  usés  sur  les  pierres  des  autels,  où  il  passait  sa 
vie  dans  la  contemplation  et  dans  l'extase. 

Il  fut,  comme  tous  les  privilégiés  du  Seigneur,  sujet  à 
de  longues  maladies,  qu'il  supporta  toujours  avec  cons- 
tance et  même  avec  joie.  Lorsque  le  saisit  la  maladie  qui 
devait  l'emporter,  il  reçut  saintement  les  Sacrements  des 
mourants,  et  resta  trois  jours  entiers  en  extase,  immobile, 
ne  donnant  signe  de  vie  qu'en  récitant  par  intervalles  un 
verset  des  psaumes.  Quoiqu'il  fût  cité  dans  la  province 
de  Saint-Antoine-de-las-Charcas  comme  un  miroir  de 
perfection  religieuse,  à  l'heure  de  la  mort  il  se  demandait 
avec  angoisse  :  o  Mon  Dieu,  qui  peut  se  flatter  d'avoir 
«  été  jugé  par  vous  un  homme  de  bien  et  un  homme 
a  vertueux?  »  L'idée  de  ses  inûrmités  le  poursuivait  à  la 
dernière  heure  comme  un  fantôme  ;  cependant  il  retrouva 
du  calme,  et  se  sentit  peu  à  peu  envahir  par  une  béati- 
tude infinie.  Il  mourut  à  l'âge  de  quatre-vingt-dix  ans, 
vers  l'an  1620,  au  couvent  de  Chuquizaca.  Son  visage, 
empreint  d'une  sérénité  angélique,  avait  la  blancheur 
de  la  neige.  Ses  funérailles  furent  célébrées  avec  pompe  ; 
la  cour  royale  de  Chuquizaca,  tous  les  Ordres  religieux 
et  une  foule  d'habitants  assistèrent  à  la  cérémonie.  On 
venait  baiser  avec  respect  les  pieds  et  les  mains  du  véné- 
rable Père,  que  l'on  qualifiait  justement  du  nom  de  saint. 
Quatre  de  ses  vêtements  furent  mis  en  lambeaux  et  con- 
servés comme  de  précieuses  reliques. 


188  X  JUIN. 


PERE  ALPHONSE  D'ARGUELLO 

Père  Alphonse  d'Arguello  était  secrétaire  du  vice- 
roi  de  Pérou,  quand  tout  à  coup,  plein  de  mépris  pour 
les  honneurs  et  les  richesses  mondaines,  il  donna  tous 
ses  biens  aux  pauvres  et  prit  l'habit  de  frère  mineur  au 
couvent  de  Cuzco,  ville  où  il  avait  longtemps  habité. 
Son  amour  de  la  sainte  pauvreté,  son  ardeur  à  la  prière 
et  à  la  méditation  le  signalèrent  à  ses  supérieurs,  qui  le 
chargèrent  plus  spécialement  de  la  conversion  des 
Indiens  :  il  en  baptisa  un  grand  nombre. 

Quand  sonna  pour  lui  l'heure  de  l'éternel  repos,  il  fit 
la  confession  générale  de  ce  qu'il  appelait  ses  péchés, 
reçut  avec  des  yeux  pleins  de  larmes  les  derniers  Sacre- 
ments, le  saint  Viatique  et  l'Extrême-Onction,  puis  il 
mourut  à  genoux,  dans  l'attitude  de  la  prière,  les  mains 
levées  au  ciel.  11  resta  longtemps  ainsi  ;  car  c'est  seule- 
ment quelques  heures  plus  tard  que  ses  frères,  étonnés 
de  le  voir  dans  cette  position,  s'approchèrent  de  lui  et 
s'aperçurent  qu'il  était  mort. 

On  l'ensevelit  au  couvent  de  Pocona  :  les  larmes  des 
Indiens,  accourus  en  foule  à  ses  funérailles,  sont  le  plus 
bel  éloge  qu'on  puisse  faire  de  sa  vie. 


PERE  GASPARD  DE  YALYERDE 

Père  Gaspard,  qui  naquit  à  Valverde,  en  Espagne,  est 
resté  célèbre  pour  ses  vertus  et  pour  ses  mortifications. 


LE  BIENHEUREUX  PÈRE  BONIFACE  DE  RIPAROLO.     189 

Son  esprit  était  sans  cesse  occupé  de  Dieu  et  des  choses 
du  ciel.  Il  passait  en  prières  la  plus  grande  partie  de  la 
nuit,  en  dépit  du  démon  qui  s'efforçait  par  tous  les 
moyens  possibles  de  le  distraire  de  ses  contemplations.  Il 
prêcha  longtemps  et  avec  succès  au  milieu  des  Indiens, 
dont  beaucoup  voulurent  recevoir  le  baptême  de  ses 
mains.  Une  sainte  mort  fut  le  couronnement  de  sa  vie, 
tout  entière  consacrée  à  Dieu.  Il  expira  en  1570,  au 
couvent  de  la  Plata,  et  les  miracles  qui  s'accomplirent 
sur  son  tombeau  ajoutèrent  encore  à  l'éclat  de  sa 
renommée. 

(Vie  de  saitit  François  Solanus.) 


PERE  BONIFACE  DE  RIPAROLO 

1330.  —  Pape  :  Jean  XXII.  —  Roi  de  France  :  Philippe  VI. 

Le  bienheureux  Père  Boniface  naquit  à  Riparolo,  en 
Italie,  et  fut  l'une  des  gloires  de  l'Ordre  Séraphique  au 
deuxième  siècle  de  son  existence.  Premier  provincial  du 
royaume  de  Sicile,  il  administra  ses  nombreux  couvents 
avec  une  sagesse  merveilleuse  et  sut  inspirer  à  tous  les 
religieux  l'amour  et  le  respect  delà  règle.  Plus  tard,  il 
dirigea  la  province  de  Gênes  avec  le  même  zèle  et  la 
même  prudence.  Il  faisait  à  pied  ses  tournées  d'inspec- 
tion, et  disait  sa  messe  tous  les  jours  dans  les  chapelles 
des  couvents  ou  dans  les  églises  des  villages  qu'il  tra- 
versait. Ses  vêtements,  plus  misérables  que  ceux  du 
dernier  frère  lai,  étaient  faits  d'une  étoffe  rude  et  gros- 
sière. Durant  ses  longs  voyages,  lorsqu'il  était  épuisé  de 


190  X  JUIN. 

fatigue  ou  même  lorsqu'il  était  malade,  il  pratiquait  les 
jeûnes  prescrits,  se  donnait  de  sévères  disciplines  et  ne 
s'épargnait  aucune  espèce  de  mortifications.  Sa  figure 
était  toujours  souriante,  comme  son  cœur  plein  de  cha- 
rité. Un  jour  un  de  ses  frères  fut  assassiné  :  le  bienheu- 
reux alla  trouver  le  meurtrier  qui  était  parvenu  à 
échapper  à  la  justice,  lui  pardonna  son  crime,  le  ramena 
au  bien  et  en  fit  plus  tard  son  meilleur  ami. 

Le  Père  Boniface  donna  ainsi  pendant  quarante  ans 
l'exemple  de  toutes  les  vertus.  Au  moment  où  il  expirait, 
en  1330,  au  couvent  de  Gênes,  un  religieux  de  sainte  vie 
aperçut  autour  de  son  lit  des  Anges  qui  prirent  son  âme 
et  l'emportèrent  au  ciel  dans  une  nuée  de  lumière.  De 
nouveaux  miracles  s'accomplirent  sur  le  tombeau  du  Père 
Boniface. 

Vers  la  même  époque  mourait  au  couvent  de  Gênes 
le  bienheureux  Père  Bélenger  de  Montaigu,  dont  la  vie 
et  la  mort  furent  aussi  honorées  par  des  miracles  écla- 
tants . 

Le  bienheureux  Boniface  de  Sienne  vécut  au  premier 
siècle  de  l'Ordre  Séraphique,  dans  la  province  de  Toscane. 
Il  est  célèbre  pour  ses  miracles  et  sa  sainteté. 

(Pisan  et  Wadding.) 


FRÈRE  JÉRÔME,  DE  PORTUGAL.  191 

FRÈRE  JEROME  DE  PORTUGAL 

1590.  —  Pape  :  Sixte-Quint.  —  Roi  de  Portugal  :  Philippe  II  d'Espagne. 

Quand  fut  fondé  à  Malacca,  dans  les  Indes  orientales, 
le  premier  couvent  de  l'Ordre,  sous  l'invocation  de  la 
Mère  de  Dieu,  le  Père  François  Gonzague,  général  de 
l'Ordre,  y  envoya  en  1584  le  Père  Didace  de  la  Concep- 
tion avec  douze  frères  mineurs  de  l'austère  province 
d'Arrabida,  pour  y  établir  une  custodie  :  le  Père  Didace 
fut  reçu  avec  une  grande  joie  au  couvent  de  la  Mère  de 
Dieu. 

Au  nombre  de  ses  douze  compagnons  se  trouvait 
frère  Jérôme,  né  à  Brouglise,  en  Portugal,  qui  s'était 
depuis  longtemps  préparé  aux  travaux  apostoliques  par 
la  mortification  et  la  pénitence.  Il  vivait  de  pain  et  d'eau; 
les  légumes  et  les  fruits  étaient  pour  lui  un  luxe  qu'il  ne 
se  permettait  qu'aux  jours  de  fête.  En  1569,  lorsqu'éclata 
en  Portugal  cette  terrible  peste  qui  changea  des  villes 
entières  en  solitude,  il  se  consacra  avec  un  zèle  infati- 
gable au  service  des  pestiférés,  sans  souci  de  l'affreuse 
mort  à  laquelle  s'exposaient  tous  ceux  qui  approchaient 
des  malades.  Il  parcourait  les  rues,  pansait  les  plaies 
infectes,  encourageait  les  mourants  à  espérer  en  la  misé- 
ricorde de  Dieu. 

Un  peu  plus  tard,  sur  sa  demande,  ses  supérieurs  l'en- 
voyèrent, en  compagnie  de  trois  autres  frères  mineurs, 
prêcher  la  foi  catholique  chez  les  Maures.  Il  parvint  à 
gagner  les  bonnes  grâces  de  leur  roi,  qui  lui  permit  de 


192  X  JUIN. 

parcourir  le  pays  et  de  baptiser  au  nom  de  son  Dieu.  Les 
missionnaires  élevèrent  une  église  sur  un  terrain  qu'on 
leur  abandonna,  et  commencèrent  aussitôt  leur  œuvre 
de  charité.  Ils  vivaient  d'aumônes,  qu'ils  allaient  quêter 
eux-mêmes  par  les  rues,  et  qu'ils  partageaient  avec  les 
pauvres  et  les  prisonniers.  Un  certain  nombre  de  Maures 
se  convertirent  à  leur  voix;  ils  écoutaient  surtout  le 
frère  Jérôme  dont  la  parole  forte  et  passionnée  faisait 
sur  eux  une  vive  impression.  Il  était  partout  plein 
d'ardeur  pour  son  Dieu  et  pour  son  prochain,  renversant 
les  idoles  des  faux  dieux  et  remplaçant  par  la  croix  du 
salut  les  statues  et  les  images  de  l'idolâtrie. 

Après  quatre  ans  d'un  travail  assidu,  frère  Jérôme 
revint  en  Portugal  :  il  n'y  resta  pas  longtemps  ;  à  la 
nouvelle  du  départ  de  Didace  pour  les  Indes,  il  demanda 
en  grâce  de  l'accompagner,  et  obtint  d'apporter  à  la 
pieuse  expédition  le  concours  de  ses  vertus  et  de  son 
expérience.  Peu  de  temps  après,  Dieu  lui  accorda  la 
récompense  qu'il  avait  ambitionnée  toute  sa  vie  :  la  mort 
des  martyrs.  Gomme  il  passait  dans  une  rue  de  Malacca, 
un  infidèle,  en  haine  de  la  religion  catholique  et  de  ses 
ministres,  lui  lança  sur  la  tête  une  pierre  qui  le  tua. 

(1590.) 

(Cardose.) 


EGIDIUS  DOBBELAER  ET   GUILLAUME  DE  VITTE.  193 


EGIDIUS   DOBBELAER 


ET  GUILLAUME  DE  VITTE,  MARTYRS 


1635.  —  Pape  :  Urbain  VIII.  —  Roi  de  France  :  Louis  XIII. 

En  1591,  les  Gueux,  alors  la  terreur  des  Pays-Bas, 
avaient  une  première  fois  pris  d'assaut  la  ville  de  Thienen, 
en  Brabant,  et  massacré,  le  27  août,  un  pieux  religieux, 
Thomas  de  Beringhen,  coupable  de  n'avoir  ni  or  ni 
argent  à  donner  pour  sauver  sa  vie.  En  1635,  la  même 
ville  fut  encore  le  théâtre  des  sanglants  exploits  des  héré- 
tiques. Les  Hollandais  victorieux  envahirent  le  couvent 
des  Annonciades,  mirent  à  mort  un  grand  nombre  de 
religieuses,  et  se  portèrent  sur  les  autres  aux  dernières 
violences.  L'aumônier  du  couvent,  le  Père  Antoine  de  la 
Roche,  reçut  neuf  blessures  à  la  tête  et  deux  au  bras  ;  il 
eut  plusieurs  doigts  de  la  main  coupés;  toutefois  il 
échappa  à  la  mort.  Mais  il  n'en  fut  pas  de  même  de  son 
compagnon,  le  Père  Egidius  Dobbelaer,  confesseur,  qui 
mourut  d'un  furieux  coup  de  sabre  à  la  tête,  le  10  juin 
1635. 

Le  même  jour,  les  Frères  Mineurs  chassés  de  leur  cou- 
vent s'enfuyaient  en  désordre  ;  l'un  d'eux,  le  Père  Guil- 
laume de  Vitte,  prédicateur  éloquent,  que  son  grand  âge 
avait  empêché  de  suivre  ses  frères,  fut  accablé  de  coups 
au  pied  des  autels.  Il  en  mourut  quatre  jours  après,  entre 
les  bras  de  son  gardien,  qui  avait  obtenu  des  Gueux  la 
permission  de  rentrer  dans  le  couvent. 

(Chron.  de  la  Prov.  de  l'Allemagne  infèr.) 
Palm.  Séraph.  —  Tome  VI.  13 


194  XI  JUIN. 


ONZIEME    JOUR    DE    JUIN 


LE  BIENHEUREUX  JEAN  DE  TODI 

FRÈRE   LAI 

1255.  —  Pape  :  Alexandre  IV.  —  Roi  de  France  :  Saint  Louis. 

SOMMAIRE  :  Surnom  du  bienheureux  Jean,  —  Son  désir  d'imiter  le  bienheureux 
Junipérus.  —  Ses  vertus.  —  Sa  mort.  —  Douleur  qu'en  ressent  le  bienheureux 
Junipérus. 

Le  bienheureux  Jean  naquit  à  Todi,  en  Italie,  d'une 
famille  noble.  En  1230,  il  prit  l'habit  de  frère  lai,  et 
reçut  presque  aussitôt,  dans  l'Ordre,  le  surnom  de  Tien-ti- 
al-bene,  c'est-à-dire  :  «  Attache-toi  à  ce  qui  est  bien  »  ; 
apparemment  parce  qu'il  répétait  souvent  ces  quatre 
mots. 

En  peu  de  temps  il  parvint,  à  force  d'obéissance,  de 
prières,  de  mépris  du  monde  et  de  lui-même,  à  un  haut 
degré  de  perfection.  Ce  qui  le  stimulait,  c'était  le  désir 
d'atteindre  à  la  sainteté  du  bienheureux  Junipérus  (1),  qui 
vivait  alors,  et  qui  était  déjà  célèbre  par  ses  bonnes 
œuvres  et  ses  miracles.  11  se  déclara  son  disciple,  et  par 
son  zèle  religieux,  s'il  n'arriva  pas  à  l'égaler,  il  gagna  du 
moins  son  amitié. 

Jean  était  d'ailleurs  un  modèle  de  toutes  les  vertus.  Il 
semblait  qu'un  ordre  de  ses  supérieurs  lui  donnait  des 
ailes;  au  moindre  mot,  il  ne  marchait  pas,  il  volait.  Sa 

(1)  Voir  au  4  janvier  la  Vie  du  bienheureux  Junipérus. 


LE  BIENHEUREUX  JEAN  DE  TODI.  195 

patience  dans  les  souffrances  physiques  ou  morales  faisait 
l'admiration  de  tous  les  religieux  ;  on  l'envoyait  dans  les 
couvents  où  la  vie  était  le  plus  dure  et  le  plus  pénible, 
il  s'en  félicitait  comme  d'un  bonheur  incomparable. 
Ses  frères,  pour  le  mortifier,  le  soumettaient  à  des  épreu- 
ves dont  il  se  tirait  toujours  à  son  honneur  ;  c'est  ainsi 
qu'avec  un  mot,  le  bienheureux  Junipérus  le  faisait  rire 
ou  pleurer,  se  mettre  à  l'ouvrage  ou  se  reposer,  parler 
ou  garder  le  silence. 

Dieu  donna  à  ce  bon  frère  le  pouvoir  d'accomplir  des 
miracles.  On  cite  de  lui,  entre  autres  guérisons  miracu- 
leuses, celle  d'un  lépreux  et  celle  d'un  aveugle. 

Le  bienheureux  Jean  passa  les  dernières  années  de  sa 
vie  au  couvent  d'Alviano,  non  loin  de  Todi  ;  c'est  là, 
qu'il  se  prépara  au  grand  voyage  de  l'éternité  par  un 
redoublement  d'austérités  et  de  bonnes  œuvres.  Il  s'en- 
dormit dans  le  Seigneur  en  1255,  et  sa  mort  fut  signalée 
par  des  miracles  éclatants.  Le  bienheureux  Junipérus 
regretta  celui  qui  avait  été  son  frère  et  son  ami.  «  Depuis 
«  que  ce  saint  homme  n'est  plus  »,  s'écriait-il,  a  il  n'y  a 
«  plus  rien  de  bon  sur  la  terre  ;  le  monde  entier  devrait 
«  le  pleurer  ;  si  je  ne  craignais  pas  de  passer  pour  un 
«  insensé,  j'irais  droit  au  tombeau  de  mon  frère  Jean 
«  Tien-ti-al-bene,  je  prendrais  sa  tête  où  ont  germé  tant 
«  de  vertus,  j'en  ferais  deux  parts,  je  mangerais  l'une  et 
«je  boirais  l'autre».  Et,  se  tournant  vers  ses  frères,  il 
ajouta:  «Nous  venons  de  perdre  un  religieux  plein  de 
«  vertus,  mais  en  même  temps  nous  avons  acquis  au  ciel 

«  un  avocat  ei  un  père  ». 

(Wadding.) 


196  XI  JUIN. 


LE  BIENHEUREUX  JEAN  D'AVELLINO 


FRERE    LAI 


1313,  —  Pape  :  Clément  V.  —  Roi  de  France  :  Philippe  IV. 


SOMMAIRE  :  Vie  désordonnée  de  Jean  d'AveUino.  —  Sa  conversion  inespérée.  — 
Ses  remords.  —  Ses  vertus.  —  Respect  qu'on  lui  témoigne  et  qu'il  cherche  en  vain 
à  éviter.  —  Ses  extases.  —  Sa  mort  et  ses  funérailles. 


Le  bienheureux  Jean  d'Avellino,  qui  naquit  en  d250, 
dans  le  royaume  de  Naples  ,  était  fils  de  Jean- Jacques 
Armenius  de  Monlforte,  et  de  Thomasine  de  Capoue.  Sa 
jeunesse  fut  loin  d'être  irréprochable,  il  se  mêla  aux 
terribles  guerres  de  cette  époque  et  se  laissa  entraîner  à 
des  excès  de  toutes  sortes.  Sa  piété  était  plus  que  dou- 
teuse; son  père  se  disposant  à  relever  à  ses  frais  Féglise 
d'Avellino,  qui  avait  été  brûlée,  Jean  fit  tous  ses  efforts 
pour  le  décider  à  consacrer  à  un  autre  usage  les  som- 
mes d'argent  déjà  recueillies,  et  sur  le  refus  du  comte, 
il  conçut  contre  lui  une  mortelle  haine,  et  jura  qu'il 
prendrait,  les  armes  à  la  main,  l'or  destiné  à  l'église. 

En  ce  moment,  survint  à  Avellino  un  vénérable  reli- 
gieux, disciple  et  compagnon  de  saint  François  ;  Montforte 
courut  à  lui  comme  à  un  envoyé  du  ciel:  «Mon  ami»,  lui 
dit  le  moine,  «  votre  fils  sera  un  jour  frère  lai  et  don- 
ci  nera  l'exemple  de  toutes  les  vertus  ».  Quelques  semai- 
nes plus  tard,  cette  prophétie  se  réalisait. 

Dès  l'année  de  son  noviciat,  cet  impie  converti  attei- 
gnit à  la  perfection  chrétienne  des  plus  saints  religieux. 
On  le  voyait  quelquefois,  dans  les  rues  de  la  ville,  les 


LE  BIENHEUREUX  JEAN  D'AVELLINO.  197 

yeux  pleins  de  larmes,  se  jeter  aux  pieds  d'un  de  ses 
anciens  amis  en  disant  :  «  Toi  qui  m'as  connu  comme 
a  un  misérable  pécheur,  et  pour  qui  j'ai  été  un  sujet  de 
«scandale,  je  t'en  supplie,  suis-moi  maintenant  dans  la 
«  voie  du  repentir  ».  Il  ramena  au  bien  par  son  exemple 
un  certain  nombre  de  personnes,  entre  autres  une  femme 
de  mauvaise  vie,  qui,  dans  l'espoir  de  l'épouser,  avait 
essayé  de  le  faire  retomber  dans  ses  anciens  égarements. 
Le  bienheureux  Jean  d'Avellino  ne  s'épargnait  aucune 
espèce  de  mortifications  :  il  jeûnait,  il  prolongeait  ses 
veilles,  il  se  donnait  de  sévères  disciplines,  il  marchait 
pieds  nus,  les  yeux  attachés  à  la  terre,  craignant  comme 
un  criminel  de  rencontrer  des  regards  qui  le  condam- 
neraient. 

A  la  chapelle,  il  priait  avec  la  piété  des  Anges.  Aucun 
bruit  ne  le  dérangeait  de  ses  méditations,  et  plus  d'une 
fois  ses  frères  le  virent  avec  étonnement  s'élever  de  terre 
dans  un  tourbillon  de  lumière. 

Cependant  la  renommée  de  sa  sainteté  s'était  peu  à 
peu  répandue  dans  la  province,  et  on  accourait  de  tous 
côtés  lui  demander  des  consolations,  de  bons  conseils, 
des  exemples  de  vertus.  Le  respect  qu'on  lui  témoignait 
et  dont  il  se  croyait  indigne,  lui  causait  une  véritable 
souffrance  ;  il  demanda  à  ses  supérieurs  et  obtint  d'être 
envoyé  en  Ombrie,  où  il  espérait  trouver  la  solitude  et  le 
calme.  Il  se  trompait  ;  à  peine  arrivé  au  couvent  de  Todi, 
il  se  vit  en  butte  à  ce  qu'il  appelait  les  mêmes  persécu- 
tions. On  venait  à  lui  comme  à  un  envoyé  du  ciel,  les 
malades  pour  être  guéris,  les  pécheurs  pour  se  conver- 
tir, les  hommes  de  bien  pour  se  soutenir  et  s'encourager 
par  son  exemple.  Le  bon  frère  ne  savait  comment  se 


198  XI  JUIN. 

délivrer  de  cette  affluence  ;  à  force  de  prières,  il  obtint 
de  ne  plus  accomplir  de  miracles;  il  n'eut  jamais  le 
bonheur  d'échapper  à  la  vénération  des  hommes. 

Durant  l'année  qui  précéda  sa  mort,  il  fut  sujet  à  de 
fréquentes  extases,  méritées  sans  doute  par  un  redouble- 
ment d'austérités.  Les  souffrances  de  sa  dernière  maladie 
furent  tempérées  par  des  entretiens  spirituels  du  bien- 
heureux avec  saint  François,  la  sainte  Vierge  et  le  Fils 
de  Dieu  lui-même,  qui  lui  apparut  plusieurs  fois  dans 
sa  pleine  et  infinie  majesté.  C'est  le  11  juin  1313,  à  l'âge 
de  soixante-trois  ans,  qu'il  s'endormit  doucement  dans  le 
sein  du  Seigneur. 

La  nouvelle  de  sa  mort  attira  dans  la  chapelle  du 
couvent  une  foule  d'hommes  et  de  femmes,  désireux 
d'honorer  les  précieux- restes  du  frère  Jean,  de  baiser  ses 
pieds  et  ses  mains.  Il  fut  enseveli  dans  l'église  de  Todi, 
dans  le  même  caveau  que  le  frère  Jean  de  Todi.  Des 
miracles  s'accomplirent  sur  son  tombeau. 

(Papebroeck.) 


ANTOINE  DE  NERCIE 

FKÈRE    LAI 

1310.  —  Pape  :  Clément  V.  —  Roi  de  France  :  Philippe  IV. 

Le  bienheureux  Antoine  de  Nurcie  descendait  d'une 
famille  noble  et  illustre.  Il  prit  l'habit  de  frère  mineur 
en  1270,  et  vécut  longtemps  dans  un  couvent  voisin  do 
Nurcie,  au  sein  des  pieuses  pratiques,  de  la  pauvreté,  de 


LE  BIENHEUREUX  ÉGIDIUS  DE  CAPOGIIS.  199 

l'obéissance  et  des  autres  vertus  monacales.  Il  s'était 
proposé  un  grand  modèle,  saint  François  d'Assise,  dont 
sans  doute  il  ne  se  montra  pas  indigne.  Sa  vie  et  sa  mort 
furent  signalées  par  des  miracles. 

Il  expira  en  1310,  et  fut  enseveli  dans  la  chapelle  du 
couvent.  Quelques  années  plus  tard,  on  transporta  ses 
restes,  avec  ceux  de  plusieurs  autres  saints  personnages, 
dans  un  nouveau  monastère  qui  fut  bâti  plus  près  de 

Nurcie. 

(Papebroeck.) 


SIMON  DE  TORCIANO 

1332.  —  Pape  :  Jean  XXII.  —  Roi  de  France  :  Philippe  VI. 

Le  bienheureux  Simon  de  Torciano  s'acquit,  par  sa 
science  religieuse  et  par  la  sainteté  de  sa  vie,  une  grande 
réputation  dans  l'Italie  entière.  Ses  sermons  et  les 
miracles  qu'il  accomplit,  l'exemple  de  ses  vertus  et  de 
ses  austérités  provoquèrent  le  retour  de  beaucoup  de 
pécheurs  dans  la  voie  du  salut.  Il  mourut  en  1332,  au 
couvent  d'Amélie  ;  et  les  miracles  dus  à  son  intercession 
ajoutèrent  encore  à  l'éclat  de  sa  renommée. 

(Wadding.) 


EGIDIUS  DE  CAPOGIIS 

Ce  pieux  serviteur  de  Dieu,  qui  naquit  à  Assise,  mérita 
par  ses  vertus  l'estime  et  la  vénération  des  hommes,  en 


200  XI  JUIN. 

même  temps  que  les  grâces  du  Très-Haut.  Le  Sauveur 
lui  apparut  fréquemment  et  lui  accorda  le  don  d'accom- 
plir des  miracles.  Il  est  enseveli  à  Assise,  dans  l'église  de 

Saint-François. 

(Jacobille.) 


THOMAS  DE  GUBBIO. 

1334.  —  Pape  :  Jean  XXII.  —  Roi  de  France  :  Philippe  VI. 

Le  bienheureux  Thomas  de  Gubbio  entra  dans  l'Ordre 
Séraphique  en  1270,  et  se  montra  pendant  toute  sa  vie 
ardent  imitateur  du  saint  Père  François.  Il  mourut  en 
4334.  Ses  restes  reposent  à  Gubbio,  dans  l'église  de 
l'Ordre,  où  beaucoup  de  miracles  s'accomplirent  par  son 

intercession. 

(Wadding.) 


En  1319  mourut  au  couvent  de  Spolète  le  bienheureux 
Théobald,  célèbre  par  ses  prophéties. 


LE  BIENHEUREUX  PIERRE  GESIUS. 

SEIGNEUR  DE   P0GGI0 ,   ERMITE 

1270.  —  Pape  :  Clément  IV.  —  Roi  de  France  :  Saint  Louis. 

Durant  la  retraite  de  saint  François  d'Assise  sur  une 
colline  voisine  de  Poggio,  où  il  avait  bâti  une  petite 


LE  BIENHEUREUX  PÈRE  GÉRARDÎN.  201 

chapelle  en  l'honneur  de  la  Mère  de  Dieu,  une  foule 
incroyable  d'hommes  et  de  femmes  vinrent  visiter  le  véné- 
rable patriarche  et  écouter  ses  prédications.  De  ce  nombre 
était  le  bienheureux  Pierre  Césius,  seigneur  de  Poggio, 
qui  voulut  recevoir  des  mains  de  François  lui-même 
l'habit  de  frère  mineur. 

Après  la  mort  du  grand  fondateur  de  l'Ordre,  le  bien- 
heureux Pierre  se  retira  sur  une  haute  montagne,  âpre 
et  rocailleuse,  où  il  vécut  longtemps  à  la  manière  des 
anciens  solitaires  de  la  Thébaïde.  Dans  la  suite,  son  frère 
y  ayant  élevé  un  couvent,  il  s'y  enferma  avec  quelques 
autres  religieux ,  dont  les  prières  unies  aux  siennes 
appelèrent  sur  toute  la  contrée  les  bénédictions  du  Sei- 
gneur. 

Après  avoir  exercé  quelque  temps  avec  sagesse  la 
charge  de  vicaire  général  de  l'Ordre,  il  se  retira  au 
couvent  de  Terni  et  y  rencontra  un  autre  disciple  de 
saint  François,  le  bienheureux  Simon,  ou  Simonello,  de 
la  noble  famille  des  Camporeale.  Tous  deux  moururent 
le  même  jour,  en  1270,  dans  un  âge  avancé,  et  furent 
ensevelis  dans  le  même  tombeau. 

(Cruger.) 


LE  BIENHEUREUX  PERE  GERARDIN 

1433.  —  Pape  :  Eugène  IV.  —  Roi  de  France  :  Charles  VII. 

On  trouve  dans  la  chronique  de  l'Ordre,  au  onzième 
jour  de  juin,  le  souvenir  du  bienheureux  Père  Gérardin, 
religieux  d'une  grande  perfection  et  d'une  science  pro- 


202  XI  JUIN. 

fonde,  qui  mourut  en  4433,  au  couvent  de  Tudéla,  dans 
le  royaume  de  Navarre.  Soixante-dix  ans  plus  tard,  son 
corps,  toujours  intact,  fut  exhumé  et  placé  dans  un 
magnifique  sépulcre  de  marbre ,  offert  par  l'illustre 
famille  des  Varayz. 

En  1612,  on  le  transporta  de  l'autre  côté  de  la  chapelle 
du  couvent,  dans  un  nouveau  tombeau  où  il  fut  long- 
temps l'objet  de  la  vénération  des  Tudélitains. 

(Papebboeck.) 


LA  VENERABLE  EDWIGE  GRIFFINA 

REINE    DE    HONGRIE,    CLARISSE 

1309.  —  Pape  :  Clément  V.  —  Roi  de  France  :  Philippe  IV. 

Cette  sainte  femme,  autrefois  reine  de  Hongrie,  mourut 
le  11  juin  1309,  à  Prague,  en  Bohême.  Après  la  mort  de 
son  époux,  le  duc  de  Cracovie,  elle  entra  au  couvent  des 
Clarisses  de  la  bienheureuse  Agnès  de  Bohême,  dont 
toutes  les  religieuses  appartenaient  aux  plus  illustres 
familles  du  royaume.  Elle  justifia  sa  grande  origine  par 
ses  vertus,  et  en  particulier  par  son  humilité.  Attentive 
à  n'être  que  la  dernière  des  religieuses,  il  semble  qu'elle 
ait  voulu  faire  oublier  sa  couronne  d'autrefois,  en 
s'abaissant  elle-même  aux  yeux  de  ses  compagnes.  Elle 
prenait  plaisir  à  s'occuper  de  la  cuisine,  à  laver  la  vais- 
selle, à  servir  les  sœurs  au  réfectoire.  Elle  était  âgée  de 
quatre-vingts  ans,  quand  elle  alla  rejoindre  au  ciel  le 
céleste  Fiancé  des  Vierges,  qui  a  dit  :  «  Ceux  qui  se 

sont  abaissés  seront  élevés  ». 

(Wadding.) 


LE  BIENHEUREUX  ENFANT  ACHAZ,  DE  THOROUT.  203 


LE  B.  ENFANT  ACHAZ,  DE  THOROIÏT 

1220.  —  Pape  :  Honoré  m.  —  Roi  de  France  :  Philippe-Auguste. 

SOMMAIRE  :  Ardent  dé  k  d'Achaz  enfant  d'entrer  dans  l'Ordre  Séraphique.  —  Sa 
vocation  irrésistible.  — Vaines  tentatives  faites  pour  l'en  détourner.  —  Son  influence 
sur  les  enfan's  de  son  âge  et  même  sur  de  grandes  personnes  et  sur  ses  parents. — 
Sa  sainte  moit.  —  Miracle  qui  l'accompagna. 

L'apparition  en  Europe  de  l'Ordre  de  Saint-François  et 
les  premières  années  de  son  développement  furent  signa- 
lées par  des  miracles  éclatants,  dont  le  monde  garda 
longtemps  le  souvenir.  C'est  ainsi  que  la  vie  d'un  enfant, 
que  l'Ordre  Séraphique  regarde  ajuste  titre  comme  un 
saint,  le  bienheureux  Achaz,  ne  fut  pour  ainsi  dire  qu'un 
long  prodige. 

Il  était  né  à  Thorout,  dans  les  Flandres.  A  peine  âgé  de 
cinq  ans  quand  les  premiers  Frères  Mineurs  arrivèrent 
dans  la  petite  ville  de  Thorout,  dès  l'instant  où  il  les 
aperçut,  il  n'eut  plus  qu'un  désir  :  revêtir  l'habit  des 
religieux  et  vivre  de  leur  vie.  On  crut  d'abord  à  une 
fantaisie  enfantine  qu'un  autre  caprice  remplacerait 
demain  ;  il  n'en  fut  rien  :  Achaz  marchait  nu-pieds,  cou- 
vert de  sa  grosse  robe  de  bure,  une  ceinture  garnie  de 
clous  autour  des  reins.  Un  riche  commerçant  qui. con- 
naissait son  père,  s'avisa  de  mettre  une  pièce  d'or  dans 
la  timbale  où  buvait  l'enfant;  Achaz  jeta  la  timbale  à 
terre,  et  levant  les  yeux  au  ciel,  il  s'écria  en  pleurant  : 
«  Vous  savez,  ô  Dieu  bon,  vous  savez  que  c'est  à  mon 
«  insu  que  j'ai  enfreint  les  règlements  de  mon  Ordre  ». 
En  même  temps  il  devenait  tout  pâle;  la  vie  semblait 


204  XI  JUIN. 

prête  à  l'abandonner,  et  il  ne  commença  à  revenir  à  lui 
qu'après  que  le  curé  de  Thorout  lui  eut  donné  l'abso- 
lution. 

Les  dimanches  et  les  jours  de  fête,  le  bienheureux 
réunissait  autour  de  lui  les  petits  garçons  de  son  âge  ;  il 
adressait  d'amers  reproches  à  ceux  dont  les  manières 
étaient  hautaines  ou  les  vêtements  éclatants  ;  il  leur  par- 
lait de  Dieu  et  de  l'éternité,  leur  apprenait  le  Pater 
noster  et  Y  Ave  Maria.  Souvent  des  personnes  âgées 
assistaient  à  cette  pieuse  assemblée,  et  venaient  prendre 
auprès  du  saint  enfant  des  leçons  de  modestie  et  d'hu- 
milité. Son  père  même  s'instruisait,  en  l'écoutant,  de  ses 
devoirs  de  chrétien.  Un  jour  de  grande  fête,  sa  mère 
avait  fait  une  brillante  toilette  ;  Achaz,  en  pleine  église, 
lui  montrant  un  crucifix,  lui  dit  :  a  Vois,  ma  mère,  vois 
«  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  ;  il  arrose  sa  croix  de  son 
«  sang  ;  tous  les  jours  il  meurt  pour  nous,  et  cependant 
«  tu  te  couvres  de  soie  et  de  velours  par  vanité  mon- 
«  daine;  ne  crains-tu  pas  de  mériter  par  là  les  supplices 
«  éternels  ?  » 

On  ne  saurait  dépeindre  les  manières  calmes  et  posées, 
l'ardeur  à  la  prière,  le  sourire  angélique,  la  modestie  et 
la  retenue  de  ce  saint  enfant.  De  vénérables  religieux, 
qui  ont  passé  une  longue  vie  dans  un  couvent,  au  sein 
de  toutes  les  vertus,  ne  sont  pas  plus  parfaits.  II  n'était 
âgé  que  de  sept  ans,  quand  il  fut  atteint  par  la  maladie 
qui  devait  l'emporter;  mais  déjà  il  était  mûr  pour 
le  ciel. 

Il  se  confessa  au  pasteur  de  la  paroisse,  et  le  supplia  de 
lui  donner  le  pain  des  Anges  ;  on  fut  obligé  de  lui  refuser 
cette  suprême  faveur  :  il  était  trop  jeune.  Quand  on  lui 


LE  BIENHEUREUX  ENFANT  ACHAZ,  DE  THOROUT.  205 

apprit  qu'il  ne  pouvait  recevoir  la  sainte  communion,  il 
pleura  à  chaudes  larmes:  et  Seigneur  Jésus»,  disait-il,  «tu 
a  sais  avec  quelle  ardeur  je  te  désire;  aussi  j'espère  que 
«  bientôt  je  jouirai  de  ta  divine  présence,  dans  un  lieu 
«  où  personne  ne  pourra  jamais  nous  séparer  ».  11  con- 
sola ses  parents,  qui  pleuraient  à  son  chevet,  les  conjura 
en  quelques  paroles  touchantes  de  vivre  selon  le  Sei- 
gneur; puis  il  expira  le  11  juin  1220.  On  rapporte  qu'à 
l'instant  même  où  il  rendit  l'âme,  la  robe  et  le  chapeau 
de  l'Ordre,  qu'il  portait  depuis  deux  ans,  disparurent  tout 
à  coup  pour  ne  plus  jamais  se  retrouver. 

Quelques  frères  mineurs  voulurent ,  dit  le  chroni- 
queur, réciter  sur  sa  tombe  le  psaume  De  profundis  ; 
mais  bien  qu'ils  l'eussent  tous  lu  et  chanté  très-souvent, 
il  leur  fut  impossible  de  s'en  souvenir  :  Dieu,  sans  doute, 
donnait  à  entendre  par  ce  miracle  que  cette  jeune  âme 
n'avait  pas  besoin  de  prières. 

Peu  de  temps  après  la  mort  du  bienheureux  Achaz, 
ses  parents,  excités  par  l'exemple  de  ses  vertus,  renon- 
cèrent au  monde  :  le  père  entra  dans  l'Ordre  de  Saint- 
Dominique  ;  la  mère  prit  le  voile  des  sœurs  de  Saint- 
Bernard. 

C'est  Thomas  de  Cantimpré,  prédicateur  célèbre  et 
coadjuteur  de  Cambrai,  qui  nous  a  transmis  le  souvenir 
du  bienheureux  Achaz  et  la  date  de  sa  mort.  Sa  notice 
permet  de  croire  que  les  Frères  Mineurs  sont  apparus 
pour  la  première  fois  dans  les  Flandres,  en  1218,  neuf  ans 

avant  la  mort  de  saint  François. 

(B.  Fremaot.) 


206  XII  JDIN. 

DOUZIÈME    JOUR    DE    JUIN 

LE  BIENHEUREUX  GUY,  DE  G0RT0NE 

1245.  —  Paptî  :  Innocent  IV.  —  Roi  de  France  :  Saint  Lo 


SOMMAIRE  :  Jeunesse  vettueuse  du  bienheureux  Guy.  —  Il  reçoit  de  saint  Fran- 
çois l'habit  di  l'Ordre.  —  Sa  vie  dans  la  solitude.  —  Saint  François  lui  confie  le 
soin  de  prêcher  et  de  convertir.  —  Miracles  qu'il  accomplit.  —  Sa  mort  et  ses 
funérailles.  —  Conservation  Qjiraculeu=e  d;  sa  tète. 


En  1211  ,  saint  François  d'Assise  visita  la  ville  de 
Cortone  et  y  fit  entendre  la  parole  de  Dieu.  Parmi  ses 
auditeurs  se  trouvait  un  jeune  homme  nommé  Guido 
ou  Guy,  élevé  avec  soin  dans  les  lettres  et  la  vertu.  11 
vivait  en  parfait  chrétien,  on  l'avait  vu  s'approcher  sou- 
vent des  Sacrements,  visiter  les  malades,  distribuer  des 
aumônes  aux  pauvres.  Dès  sa  plus  tendre  enfance,  il 
avait  fait  vœu  de  virginité,  et  pour  conserver  sa  cou- 
ronne d'innocence,  il  ne  s'épargna  ni  les  mortifications, 
ni  les  austérités. 

Après  le  premier  sermon  de  saint  François,  il  courut 
se  jeter  à  ses  pieds  et  le  supplia  d'entrer  dans  sa  maison, 
d'y  boire  et  d'y  manger.  Le  bienheureux  Père,  illuminé 
par  l'Esprit-Saint,  releva  le  pieux  Guy,  le  serra  dans 
ses  bras  et  s'écria  :  «  Dès  aujourd'hui,  par  la  grâce  de 
«  Dieu,  ce  jeune  homme  est  des  nôtres,  et  il  se  sancti- 
«  fiera  dans  cette  ville  ».  Après  le  dîner,  Guy  supplia 
ce  saint  de  lui  donner  l'habit  de  son  Ordre  ;  il  distribua 
lui-même  sa  fortune  aux  pauvres  de  la  ville,  et  après 


LE  BIENHEUREUX  GO  Y,  DE  CORTONE.  207 

avoir  promis  de  renoncer  par  la  suite  à  tout  ce  qui 
pourrait  lui  revenir  par  héritage,  il  reçut  l'habit  des 
mains  de  saint  François  lui-même,  dans  l'église  parois- 
siale de  Cortone,  au  milieu  d'un  immense  concours  de 
peuple. 

L'homme  de  Dieu  voulait  former  son  nouveau  disciple 
à  la  vie  contemplative  ;  il  l'emmena  dans  une  petite 
vallée,  qu'on  appelait  Celle,  située  non  loin  de  Cortone, 
déserte  et  solitaire.  Avec  les  aumônes  de  la  bourgeoisie 
et  de  la  noblesse,  saint  François  y  éleva  un  petit  cou- 
vent, où  ne  tardèrent  pas  à  se  presser  un  assez  grand 
nombre  de  frères  mineurs.  Lui-même  y  demeura  quel- 
que temps  pour  guider  leurs  premiers  pas  dans  la  voie 
pénible  de  la  perfection  :  on  voit  encore  aujourd'hui  sa 
cellule  faite  de  grosses  pierres  mal  jointes;  on  prétend 
même  que,  aux  jours  de  fête,  un  parfum  pénétrant  la 
remplit,  et  qu'une  lumière  surnaturelle  y  brille  tout  à 
coup  pendant  la  nuit. 

Cependant  le  bienheureux  Guy,  animé  qu'il  était  de 
la  pieuse  ardeur  des  premiers  temps,  trouvait  la  vie  en 
commun  beaucoup  trop  douce  et  beaucoup  trop  facile,  à 
son  gré.  Ce  n'était  pas  ainsi  qu'il  entendait  la  pénitence, 
et  il  demanda  au  vénérable  patriarche  la  permission  de 
se  retirer  dans  une  grotte  creusée  non  loin  du  couvent, 
dans  le  flanc  de  la  montagne,  et  d'y  vivre  dans  une  soli- 
tude absolue,  seul  à  seul  avec  Dieu.  C'est  là  qu'il  acheva 
son  noviciat,  dans  une  contemplation  presque  perpé- 
tuelle, interrompue  seulement  aux  heures  des  exercices 
religieux  et  des  offices  du  couvent.  Quelque  temps  après 
le  départ  de  saint  François,  Guy  fut  élevé  par  ses  supé- 
rieurs à  la  dignité  de  prêtre. 


208  XII  juin. 

Le  vénérable  fondateur  de  l'Ordre  avait  bien  auguré 
de  son  disciple  ;  il  ne  fut  pas  trompé  dans  son  attente. 
Guy  marcha  sur  ses  traces  avec  une  ardeur  tout  aposto- 
lique. Il  se  livrait  à  des  macérations  et  à  des  jeûnes 
presque  perpétuels.  Sa  messe  dite  et  ses  aumônes  distri- 
buées, il  se  mettait  en  prières  et  passait  le  reste  du  jour 
et  la  meilleure  partie  de  la  nuit  à  s'entretenir  avec  Dieu. 
On  le  trouvait  souvent  abîmé  dans  une  extase  profonde, 
immobile  et  muet,  semblable  à  une  statue,  et  des  rayons 
de  lumière  partaient  de  son  corps  comme  d'un  soleil.  A 
l'exemple  du  bienheureux  Père  François,  il  faisait  sept 
carêmes  par  an,  au  pain  et  à  l'eau  ;  le  reste  de  l'année, 
il  se  bornait  à  un  seul  repas  par  jour. 

Sur  la  fin  de  sa  vie,  le  patriarche  d'Assise  revint  à 
Cortone,  où  il  fut  reçu  à  bras  ouverts,  et  il  se  rendit  tout 
d'abord  à  l'ermitage  du  bienheureux  Guy.  Après  avoir 
passé  la  nuit  en  prières  et  en  contemplation  dans  sa 
cellule,  il  le  chargea  d'aller  à  sa  place  prêcher  la  pa- 
role de  Dieu  :  «  Mon  fils  »,  lui  dit-il,  «  la  volonté  du  Sci- 
ai gneur  est  que  j'aille  mourir  au  couvent  de  la  Portiun- 
«  cule,  et  que  je  vous  confie  le  soin  de  travailler  au 
«salut  des  âmes».  Quelques  jours  plus  tard,  en  effet, 
François  reprenait  le  chemin  d'Assise,  et  Guy  commen- 
çait ses  prédications. 

Il  prêcha  d'abord  à  Cortone,  dans  sa  ville  natale,  au 
milieu  de  ses  concitoyens,  avides  d'entendre  sa  parole 
peu  ornée,  mais  forte  et  vigoureuse.  La  sainteté  de  sa 
vie,  l'amitié  dont  saint  François  l'avait  honoré,  les  mira- 
cles qui  accompagnaient  ses  sermons  provoquèrent  la 
conversion  d'un  grand  nombre  de  pécheurs. 

Entre  autres  prodiges,  on  cite  de  lui  les  faits  suivants  : 


LE  BIENHEUREUX   GUY  DE  GORTONE.  209 

Par  un  signe  de  croix,  il  changea  de  l'eau  en  vin,  et 
tous  les  malades  qui  goûtèreut  de  ce  vin  recouvrèrent 
la  santé.  Un  prêtre  avait,  depuis  plusieurs  années,  une 
main  desséchée,  un  signe  de  croix  du  bienheureux  suffit 
à  la  rendre  à  son  état  primitif.  Un  jour  qu'il  demandait 
Faumône,  une  pauvre  femme  vint  à  sa  rencontre  avec 
deux  enfants;  elle  lui  fit  connaître  sa  détresse  et  le.  con- 
jura de  la  secourir.  Le  serviteur  de  Dieu  entra  dans  la 
demeure  de  l'indigente,  prit  une  poignée  de  farine 
qu'on  lui  avait  donnée  pour  les  hosties  du  saint  sacri- 
fice, et  après  avoir  prié,  la  versa  dans  le  sac  de  cette 
femme.  Le  sac  fut  rempli,  et  durant  quatre  mois,  c'est- 
à-dire  jusqu'à  la   moisson,  la  pauvre  famille  trouva 
dans  cette  farine,  divinement  multipliée,  de  quoi  pourvoir 
à  sa  subsistance.  Une  autre  fois  on  lui  présenta  le  corps 
d'un  enfant  qui  venait  de  se  noyer  à  Cortone  ;  il  pria, 
fit  trois  signes  de  croix  sur  l'enfant  et  lui  rendit  la  vie. 

Dieu  fit  connaître  au  bienheureux  le  terme  de  sa  car- 
rière terrestre  ;  saint  François  lui  apparut  une  nuit, 
pendant  son  sommeil,  et  lui  dit  :  «  Mon  fils,  le  temps  de 
a  vous  reposer  avec  vos  frères  est  proche.  Dans  trois 
a  jours,  je  reviendrai  à  la  neuvième  heure,  afin  de  rece- 
«  voir  votre  âme  et  de  la  conduire  dans  les  tabernacles 
«éternels  ».   Guy  comprit  la  vision,  et  à  son  réveil, 
après  avoir  rendu  grâces  à  Dieu,  il  alla  la  raconter  à  son 
confesseur   et  à  ses  frères.  Puis  il  s'enferma  dans  sa 
cellule  et  s'abandonna  doucement  à  la  contemplation  et 
à  l'extase,  attendant  avec  calme  le  moment  béni  où  le 
patriarche  d'Assise  viendrait  le  prendre  par  la    main 
pour  le  mener  dans  l'éternité.  Le  matin  du  troisième 
jour,  ii  sentit  tout  à  coup  sa  force  l'abandonner.  Alors  il 
Palm.  Séraph.  —  Tome  VI.  14 


210  XII  JUIN. 

fit  -venir  le  gardien  et  les  frères,  leur  demanda  pardon 
du  scandale  dont  il  avait  pu  être  l'objet,  reçut  les  der- 
niers Sacrements  et  récita  les  litanies  de  tous  les  saints. 
A  la  neuvième  heure,  il  poussa  un  cri  :  «  Voici  »,  dit-il, 
«voici  notre  Père  François,  levons-nous  tous,  ô  mes 
«  frères,  et  allons  à  sa  rencontre  ».  A  ces  mots  le  bien- 
heureux rendit  l'esprit.  C'était  le  42  juin  de  l'an  1245. 

Les  magistrats  et  les  habitants  de  Cortone,  à  la  nou- 
velle de  cette  mort,  résolurent  d'ensevelir  leur  conci- 
toyen dans  leur  ville  et  de  lui  élever  un  tombeau  dans 
leur  église  paroissiale.  Toutes  les  cloches  sonnèrent  à 
grandes  volées,  comme  pour  un  jour  de  fête,  et  on  se 
rendit  en  procession  au  couvent  des  Frères  Mineurs,  d'où 
l'on  rapporta  le  saint  corps.  En  ce  moment,  un  labou- 
reur vint  raconter  que  ses  bœufs  l'avaient  entraîné,  mal- 
gré lui,  vers  un  endroit  où  ils  s'étaient  couchés,  et  qu'ils 
ne  voulaient  plus  quitter.  On  creusa,  on  fouilla  la  terre 
et  on  en  retira  un  magnifique  sépulcre  de  marbre,  pré- 
sent de  Dieu,  dirent  les  habitants  de  Cortone,  et  destiné 
évidemment  à  renfermer  les  restes  du  bienheureux 
Guy.  On  les  y  plaça  en  effet,  et  ils  furent  déposés  sous 
le  maître-autel,  comme  si  déjà  le  bienheureux  eût  reçu 
les  honneurs  de  la  canonisation. 

Des  miracles  récompensèrent  la  foi  du  peuple  de  Cor- 
tone en  leur  saint  concitoyen.  Lorsque  les  habitants 
d'Arezzo  prirent  par  un  assaut  de  nuit,  en  1259,  la  ville 
de  Cortone,  le  sacristain  de  l'église  paroissiale  retira  de 
son  sépulcre  la  tète  du  bienheureux  Guy,  l'attacha  à 
une  pierre  avec  une  inscription,  et  la  jeta  au  fond  d'un 
puits.  Les  Arezzins  mirent  la  ville  à  feu  et  à  sang,  pas 
une  maison  ne  resta  debout,  et  le  corps  de  Guy  brûla 


JACQUES  DE  CORTONE.  2ii 

sans  doute  dans  l'incendie  de  l'église  ;  mais  la  tête  fut 
sauvée.  On  la  retrouva  par  miracle  trois  ans  après  la 
destruction  de  Cortone.  Les  Frères  Mineurs  élevaient  un 
couvent  sur  les  ruines  de  l'église,  quand  tout  à  coup,  en 
soulevant  la  pierre  qui  couvrait  l'orifice  du  puits,  un 
religieux  remarqua  au  fond  un  objet  rond  qui  brillait 
avec  l'éclat  du  soleil.  On  songea  aussitôt  au  bienheureux 
Guy,  et  le  lendemain  même,  on  se  rendit  de  l'église  au 
puits  en  procession  solennelle.  Un  prêlre  descendit  au 
moyen  d'une  corde;  il  trouva  au  fond  de  l'eau  la  tête 
précieuse,  cachée  depuis  quatre  ans,  échappée  par  un 
miracle  à  la  destruction  de  Cortone  et  retrouvée  par  un 
autre  miracle.  Un  concert  solennel  d'actions  de  grâces 
monta  jusqu'au  ciel,  et  la  sainte  relique,  portée  à  l'église, 
au  milieu  de  la  joie  universelle,  fut  conservée  dans  une 
châsse  d'argent. 

Des  prodiges  s'accomplissant  tous  les  jours  par  l'inter- 
cession du  bienheureux  Guy,  non-seulement  à  Cortone, 
mais  dans  l'Italie  entière,  le  pape  Grégoire  XIII  autorisa 
le  culte  rendu  à  sa  mémoire  dans  le  diocèse  de  Cortone, 
et  en  fixa  la  tète  au  12  juin;  et  plus  tard,  Innocent  XII 
étendit  l'autorisation  a  tout  l'Ordre  de  Saint-François. 

(Papebroece  et  Waddimg.) 


JACQUES  DE  CORTONE 

1484.  —  Pape  :  Sixte  IV.  —  Roi  de  France  :  Charles  VII. 

Le  bienheureux  Jacques  de  Cortone  mourut  en  1484  et 
fut  enseveli  dans  l'église  de  Sainte-Marguerite  de  Cor- 


212  XII  JUIN. 

tone.  Celait  un  grand  partisan  de  la  sainte  pauvreté  et 
un  pieux  religieux.  Dans  sa  cellule  et  à  la  chapelle,  on  le 
voyait  presque  toujours  absorbé  dans  la  contemplation 
et  l'extase.  Il  avait  une  éloquence  ardente  et  passionnée 
et  une  horreur  du  péché  qui  lui  inspirait  parfois  des 
accents  prophétiques. 

Dieu  lui  accorda  le  don  de  seconde  vue.  Un  jour  qu'il 
prêchait  dans  l'église  de  Sainte-Marguerite,  quelques 
jeunes  gens  impies  firent  un  pari,  et  l'un  d'eux  lança  une 
orange  à  la  tête  du  saint  homme.  Indigné  de  cette  viola- 
tion de  la  maison  du  Seigneur,  et  en  même  temps 
éclairé  de  TEsprit-Saint,  le  bienheureux  Jacques  déclara 
que  le  sacrilège  mourrait  de  mort  violente.  Huit  jours 
après,  le  malheureux  tombait  percé  d'une  flèche  destinée 
à  un  autre. 

Jacques  eut  aussi  le  don  de  guérison,  et  bon  nombre  de 
malades  recouvrèrent  la  santé  par  le  seul  attouchement 

de  sa  robe. 

(Wadding.) 


MATTHIEU  DE  NARNI 

1374.  —  Pape  :  Grégoire  XI.  —  Roi  de  France  :  Charles  V. 

Le  bienheureux  Matthieu,  qui  naquit  à  Narni,  en  Italie, 
de  parents  nobles,  entra  dans  l'Ordre  Séraphique  en  1330. 
Il  était  merveilleusement  doué  de  toutes  les  vertus  mona- 
cales, surtout  de  la  soumission  à  la  règle  et  de  l'obéis- 
sance aveugle  à  ses  supérieurs.  Dieu  récompensa  son 
pieux  zèle  par  de  nombreux  miracles. 


LE  BIENHEUREUX  ONUPHRE  DE  SIENNE.  213 

C'est  ainsi  qu'il  délivra  une  femme  possédée  du  démon 
et  tourmentée  depuis  de  longues  années  ;  il  guérit  un 
paralytique  et  rappela  à  la  santé  une  malheureuse  à 
moitié  brûlée,  qui  gisait  étendue,  sans  apparence  d'un 
reste  de  vie. 

Aussi,  Matthieu  devint  bientôt  l'objet  du  respect  et  de 
la  vénération  de  tous.  Il  mourut  en  odeur  de  sainteté,  au 
couvent  de  Narni,  en  4374;  on  lui  éleva  dans  l'église 
même  un  tombeau  qui  attira  de  nombreux  pèlerins  et 
près  duquel  s'accomplirent  beaucoup  de  miracles. 

En  1630,  on  transporta  ses  précieux  restes  dans  le 
chœur,  et  une  inscription  rappela  les  prodiges  dont  il  fut 
l'occasion,  et  la  sainteté  de  sa  vie. 

(Jacobille.) 


LE  BIENHEUREUX  ONUPHRE  DE  SIENNE 

Le  bienheureux  Onuphre  de  Sienne,  frère  lai,  repose 
aussi  au  couvent  de  Narni,  où  il  expira,  en  1448.  Il  se 
proposa  pour  modèle  le  vénérable  Père  François  d'As- 
sise, dont  il  essaya  d'imiter  les  vertus  sévères,  l'amour 
de  la  pauvreté,  l'humilité  et  les  mortifications.  Il  reçut 
de  Dieu  le  don  de  prophéties,  et  sa  mort  fut  signalée  par 

d'éclatants  miracle?. 

(Wadding.) 


2U  XII  JUIN. 

LE  BIENHEUREUX  PIERRE  DE  RIETI 

1464.  —  Pape  :  Pie  II.  —  Roi  de  France  :  Louis  XL 

Ce  saint  homme,  né  à  Rieti,  suivant  les  uns,  à  Arezzo 
suivant  les  autres,  passa  la  plus  grande  partie  de  sa  vie 
au  couvent  de  Saint-François  de  la  Caverne,  qui  était 
situé  sur  une  montagne  escarpée,  dans  le  comté  de  Narni. 
Il  conserva  jusqu'à  sa  mort  la  chasteté  naïve  de  l'enfance, 
et  ne  vit  dans  son  pauvre  corps  qu'un  instrument  de 
mortifications  et  d'austérités.  On  le  trouvait  souvent 
plongé  dans  l'extase,  et  s'entretenant  à  haute  voix  avec 
Dieu  lui-même  ou  avec  d'autres  personnages  célestes, 
visibles  pour  lui  seul.  Aussi  avait-il,  non-seulement  au 
couvent,  mais  encore  dans  toute  l'Ombrie,  une  grande 
réputation  de  sainteté. 

Il  mourut  en  1464,  au  couvent  de  Saint-François  de  la 
Grotte,  et  fut  enseveli  dans  l'église  du  couvent.  Les 
montagnards  du  pays  avaient  pour  lui  une  grande  véné- 
ration. 

(Wadding.) 


SŒUR  AURÉLIE  STBY1AERT.  215 

SŒUR  AURÉLIE  STBYLAERT 

CLARISSE 

1577.  —  Pape  :  Grégoire  XIII.  —  Roi  de  France  :  Henri  III. 


SOMMAIRE  :  Jeunesse  vertueuse  de  la  bienheureuse  Aurélie.  —  Apparition'  de  saint 
Nicolas.  —  Mariage  d'Aurélie.  — Mort  de  son  mari.  —  Aurélie,  après  de  longues 
hésitations,  entre  au  couvent  des  Clarisses  d'Anvers.  —  L'amour  maternel  combat 
quelque  temps  en  elle  l'amour  de  Dieu.  —  Ses  mortifications.  —  Ses  méditations 
sur  la  Pas-ion  de  Jésus.  —  Elle  est  nommée  abbesse  du  couvent.  —  Apparition  des 
Gueux  en  Hollande.  —  Une  foule  de  Clarisses  se  réfugient  au  couvent  d'Anvers. 
—  Maternelle  administration  d'Aurélie.  —  Sa  mort. 


Aurélie  Stbylaert  naquit  à  Rome  en  1530,  de  parents 
hollandais,  qui  ne  tardèrent  pas,  d'ailleurs,  à  retourner 
à  Anvers,  leur  patrie.  C'est  là  qu'elle  grandit  dans  le  res- 
pect de  Dieu  et  de  la  religion,  et  dans  l'amour  du  pro- 
chain. Rien  de  plus  touchant  que  sa  charité  envers  les 
pauvres  et  les  bonnes  paroles  dont  elle  accompagnait 
ses  aumônes;  quoique  fort  jeune  encore,  elle  s'impo- 
sait déjà  des  privations  pour  leur  apporter  plus  de  sou- 
lagements. 

D'ailleurs,  on  voyait  en  elle,  dès  cette  époque,  le  germe 
de  toutes  les  vertus  religieuses.  Elle  soumettait  son  corps 
à  des  mortifications,  elle  l'épuisait  par  des  veilles.  Dès 
qu'elle  eut  l'âge  de  raison,  elle  fit  vœu  de  virginité,  mais 
Dieu  ne  l'accepta  pas.  Saint  Nicolas,  qu'elle  avait  choisi 
pour  patron,  et  qu'elle  honorait  d'une  façon  toute  spé- 
ciale, lui  apparut  un  jour  et  lui  déclara  qu'elle  servirait 
le  Seigneur  et  se  soumettrait  à  ses  commandements, 
vierge,  épouse  et  veuve.  Le  saint  était  accompagné  d'un 
beau  jeune  homme  et  d'une  Clarisse.  Ses  paroles  causé- 


216  XII  JUIN. 

rent  beaucoup  de  peine  à  la  bienheureuse  Aurélie,  qui 
courut  tout  en  pleurs  dans  son  oratoire,  et  conjura  du 
moins  le  Seigneur  de  l'aider  à  vivre  saintement. 

Un  peu  plus  tard,  le  jeune  homme  qui  lui  était  apparu 
en  compagnie  de  saint  Nicolas,  se  présenta  de  nouveau  à 
ses  yeux  ;  il  venait  la  demander  en  mariage  et  obtint  le 
consentement  de  ses  parents.  Leur  union  fut  bénie  de 
Dieu,  qui  l'avait  non-seulement  permise,  mais  ordonnée. 
Aurélie  ne  se  laissa  pas  entraîner  aux  séductions  du 
monde;  au  milieu  de  ses  bruits  et  de  ses  vanités,  la 
pieuse  femme  ne  sacrifia  jamais  qu'au  Dieu  à  qui  elle 
avait  élevé,  dans  le  fond  de  son  cœur,  un  autel  inviolable. 
Sa  grande  richesse  la  mettait  en  relief;  son  excessive 
humilité  la  protégea  contre  l'orgueil.  Le  bonheur  calme 
qui  régnait  dans  cette  maison  bénie  ne  dura  pas  long- 
temps ;  la  mort  vint  frapper  à  la  porte  et  partit  empor- 
tant le  mari  d'Aurélie.  Elle  était  libre,  enfin,  de  se  con- 
sacrer à  Dieu. 

Le  monde  essaya  de  la  retenir.  Comme  elle  était  jeune 
et  belle,  très-riche  et  en  même  temps  très-vertueuse, 
plusieurs  prétendants  la  demandèrent  en  mariage.  Elle 
refusa  toujours,  sans  parvenir  à  empêcher  de  nouvelles 
sollicitations.  «Mon  Dieu  »,  disait-elle  parfois,  «quand 
«  donc  me  laissera-t-on  le  repos  auquel  j'aspire.  Je  veux 
a  me  donner  à  vous,  ô  mon  Dieu  ;  aidez-moi  à  surmonter 
«  les  obstacles  qui  m'en  empêchent  ». 

Un  lien  puissant  la  rattachait  encore  au  monde,  ses 
deux  enfants,  qu'elle  ne  pouvait  se  décider  à  quitter. 
Si  l'amour  de  Dieu  était  plus  fort  dans  son  cœur  que 
l'amour  maternel,  il  ne  l'étouffait  pas,  et,  en  pensant  à 
ces  chers  petits  êtres  qui  ne  prononçaient  pas  encore  son 


SOEUR  AURÉLIE  STBYLAERT.  217 

nom,  elle  avait  peur  de  faiblir.  Elle  eût  volontiers  sacrifié 
sa  vie  pour  son  Dieu,  mais  souvent  aussi,  quand  elle 
avait  passé  plusieurs  jours  loin  de  ses  enfants,  elle  eût 
donné  toutes  les  richesses  de  la  terre  pour  les  entrevoir 
seulement  par  la  fente  d'une  porte.  C'est  ce  qu'elle 
ressentit  plus  d'une  fois,  durant  une  année  d'épreuves 
qu'elle  s'imposa,  avant  de  s'enfermer  pour  jamais  dans 
un  couvent.  Elle  se  retira  dans  une  maison  solitaire,  où 
il  ne  lui  était  permis  de  les  embrasser  qu'une  fois  par 
mois.  Mais  enfin,  elle  triompha  avec  l'aide  de  Dieu  ;  et, 
se  sentant  assez  forte  pour  lutter  contre  son  cœur  de 
mère,  elle  entra,  à  l'âge  de  vingt-quatre  ans,  au  couvent 
des  Clarisses  d'Anvers. 

La  pauvre  femme  combattit  longtemps  ses  souvenirs. 
Pendant  les  premières  années  qu'elle  passa  au  couvent, 
elle  pleura.  Non  pas  qu'elle  regrettât  jamais  d'appartenir 
à  Dieu  seul  ;  mais,  malgré  ses  efforts  pour  la  repousser, 
l'image  chérie  de  ses  fils  se  présentait  sans  cesse  à  ses  yeux, 
et  en  méditant  la  parole  du  Sauveur  :  «  Celui  qui  ne  hait 
«  pas  son  père,  sa  mère  et  ses  enfants,  ne  saurait  être  mon 
«  disciple  »,  elle  se  disait  qu'elle  serait  toujours  indigne 
d'être  la  fiancée  du  Christ,  parce  que  jamais  elle  ne  pour- 
rait les  haïr.  En  vain  répétait-elle  en  gémissant  :  «  Mon 
«  Dieu,  vous  m'avez  ordonné  d'abandonner  pour  vous 
«  servir  tout  ce  que  j'aimais  sur  la  terre;  je  suis  forte, 
«  ô  mon  Dieu,  car  je  me  sens  prête  encore  à  abandonner 
«  mille  autres  enfants,  et  à  fouler  aux  pieds  tout  ce  que 
cr  le  monde  adore  ».  Ces  paroles  étaient  sur  ses  lèvres  ; 
elles  ne  furent  dans  son  cœur  que  neuf  ans  après  son 
entrée  au  couvent.  Alors  seulement  elle  goûta  le  repos 
et  les  pieuses  jouissances  des  servantes  du  Seigneur. 


218  XII  JUIN. 

Il  y  avait  longtemps  déjà  qu'elle  se  soumettait  aux  plus 
rudes  mortifications,  c'est  par  là  qu'elle  avait  surmonté 
les  tentations  ;  elle  continua  le  même  genre  de  vie  pour 
en  prévenir  le  retour.  Pendant  l'Avent  et  le  Carême,  et 
tous  les  vendredis,  elle  vivait  de  pain  et  de  bière;  elle 
était  quelquefois  deux  ou  trois  jours  et  même  une  se- 
maine entière  sans  prendre  aucune  nourriture.  Elle 
portait  sous  ses  vêtements  une  haire  en  crins  de  cheval, 
qui  déchirait  sa  peau  délicate  ;  pour  lit,  la  terre  ou  un 
fagot,  un  sac  quand  elle  était  malade  ;  presque  toujours 
elle  s'étendait  les  bras  en  croix  et  versait,  même  en  dor- 
mant, des  torrents  de  larmes.  Ses  vêlements,  faits  d'une 
étoffe  rude,  lui  servaient  l'été  comme  l'hiver. 

Il  est  presque  inutile  d'ajouter  que  les  souffrances  de 
Jésus  étaient  l'objet  de  ses  continuelles  méditations  ;  elle 
avait  toujours  en  main  son  crucifix  qu'elle  baisait  avec 
passion.  Souvent,  dans  ses  contemplations,  en  présence 
du  Sauveur  mourant,  elle  lui  demandait  de  recommencer 
avec  lui  le  chemin  de  la  croix  et  de  souffrir  toutes  ses 
souffrances.  Elle  assistait  à  ses  derniers  moments  ;  elle 
entendait  retentir  les  coups  de  marteau  qui  enfonçaient 
les  clous  énormes  dans  ses  pieds  et  dans  ses  mains  ;  elle 
voyait  le  sang  couler  de  la  plaie  de  son  flanc  ;  et  quand 
il  expirait,  elle  écoutait  les  imprécations  des  hommes  et 
les  cantiques  des  Anges.  Ces  divines  apparitions  la 
remplissaient  en  même  temps  de  joie  et  de  tristesse  ;  elle 
sentait  croître,  au  fond  de  son  cœur,  son  horreur  pour  le 
monde  qui  avait  crucifié  son  Dieu,  et  son  amour  pour  le 
Sauveur  qui  avait  voulu  mourir  pour  racheter  les  péchés 
des  hommes. 

Vers  cette  époque,  l'hérésie  de   Calvin  commença  à 


SOEUR  AURÉLIE  STBYLAERT.  219 

envahir  la  Hollande,  et  à  s'y  répandre  avec  la  fureur 
d'une  mer  qui  a  brisé  ses  digues.  Ils  pillaient  et  brû- 
laient les  églises,  foulaient  aux  pieds  les  objets  sacrés  et 
les  instruments  du  culte,  renversaient  les  autels.  Au 
milieu  de  cette  tempête,  Aurélie  fut  nommée  abbesse  : 
cet  honneur  l'effraya,  surtout  dans  un  pareil  moment; 
elle  se  sentait  bien  plutôt  faite  pour  obéir  que  pour  com- 
mander. Son  humilité  en  éprouva  un  choc  si  violent, 
qu'elle  tomba  gravement  malade.  Elle  fut  consolée  et 
guérie  par  un  Ange  envoyé  du  ciel  pour  lui  déclarer  que 
la  volonté  de  Dieu  était  qu'elle  exerçât  sa  dignité  dans 
l'intérêt  même  de  l'Eglise.  Dès  lors,  ellen'eut  plusqu'une 
pensée  :  veiller  sur  le  cher  troupeau  qui  lui  était  confié. 
Pour  ses  religieuses,  elle  retrouva  son  cœur  de  mère; 
elle  les  aimait  d'une  affection  touchante,  comme  si  elles 
eussent  été  ses  propres  filles. 

Une  apparition  la  récompensa  de  son  dévouement, 
celle  de  la  bienheureuse  Elisabeth  Vereyck,  qui  l'avait 
précédée  sur  le  siège  abbatial  :  «  Ma  fille  »,  lui  dit-elle, 
a  ce  que  vous  avez  fait  jusqu'alors  a  été  agréable  au 
a  Seigneur;  efforcez-vous  de  vous  montrer  digne  de  ses 
a  grâces  dans  les  longues  épreuves  que  vous  allez  avoir 
«  à  traverser  ».  Les  malheurs  de  toutes  sortes  arrivaient 
en  effet  avec  les  Gueux  qui  occupaient  déjà,  en  4572,  la 
Hollande  presque  entière.  Les  religieux,  massacrés  sur 
tous  les  chemins,  quittaient  leurs  couvents  enflammés 
et  s'enfuyaient  traqués  comme  des  bêtes  fauves.  Les 
servantes  du  Seigneur  elles-mêmes  n'étaient  pas  à  l'abri 
de  leurs  violences  ;  sept  couvents  de  Clarisses,  dans  le 
voisinage  d'Anvers,  avaient  été  pillés,  et  les  religieuses 
étaient  venues  demander  un  asile  à  la  mère  Aurélie. 


220  XII  JUIN. 

C'est  d'abord,  en  1572,  le  couvent  de  Briel,  puis  ceux 
d'Alcmaer,  de  Delft  et  de  Ter-Gouwe,  dont  les  sœurs  se 
réfugièrent  à  Amsterdam  jusqu'en  1578,  époque  à  la- 
quelle cette  ville  elle-même  fut  envahie  par  l'hérésie  ; 
enfin  le  couvent  de  Haarlem,  et  celui  de  Ter-Veer,  dans 
la  Zélande,  dont  les  sœurs  vinrent  frapper  à  la  porte  du 
couvent  d'Anvers. 

Aurélie  se  trouvait  maintenant  à  la  tête  d'une  nom- 
breuse famille  :  plus  de  cent  religieuses  venues  de  tous 
les  points  des  Pays-Bas,  du  Brabant,  de  la  Hollande  et  de 
la  Zélande.  Son  zèle  s'accrut  avec  ses  besoins  ;  elle  sub- 
vint à  tout,  et  sut  parer  d'avance  à  toutes  les  éventualités. 
Sous  son  administration  à  la  fois  habile  et  douce,  la 
tranquillité  et  la  paix  régnèrent  dans  cette  heureuse 
maison  ;  pas  une  contestation  ne  s'éleva  entre  ces  pieu- 
ses filles  venues  de  tant  de  pays  différents,  et  troublées 
par  les  événements  terribles  qui  se  passaient  autour 
d'elles.  La  pieuse  abbesse  les  réunissait  souvent  pour 
leur  adresser,  en  ces  temps  de  désolation  quelques 
paroles  d'encouragement  et  d'espérance.  Elle  leur  appre- 
nait à  mettre  leur  confiance  en  Dieu,  qui  sans  doute  ne 
permettait  pas  en  vain  de  pareilles  épreuves. 

Toutes  ses  religieuses  l'aimaient  comme  une  mère  : 
elle  en  avait  en  effet  la  tendresse  ;  les  sœurs  malades  sur- 
tout étaient  l'objet  de  ses  soins  et  de  sa  sollicitude. 
Comme  plusieurs  d'entre  celles-ci  se  plaignaient  de  ne 
pouvoir  assez  souvent  recevoir  le  saint  Sacrement  de 
l'Eucharistie,  en  l'absence  des  prêtres  qui  fuyaient  devant 
la  persécution,  comme  des  brebis  égarées,  la  bienheu- 
reuse Aurélie  implora  et  obtint  du  pape  Paul  V,  avec 
l'aide  du  cardinal  Alexandre  Cribel,  une  bulle  (1571)  qui 


3CEUR  AURÉLIB  STBYLAERT.  221 

l'autorisait  à  donner  elle-même  la  sainte  communion 
aux  malades.  En  même  temps  elle  protégeait  son  cou- 
vent contre  la  fureur  des  hérétiques,  qui  déjà  remplis- 
saient la  ville  d'Anvers.  Les  habitants  avaient  conçu  pour 
elle  et  pour  ses  filles  spirituelles  une  si  grande  affection, 
que  les  aumônes  arrivaient  d'elles-mêmes  au  couvent 
comme  u ne  manne  céleste  etque  la  bienheureuse  abbesse, 
à  l'étonnement  de  tous ,  trouvait  encore  moyen  de 
secourir  des  veuves,  des  orphelins  et  des  malades. 

En  ce  moment,  on  lui  envoya  du  couvent  de  la  Mon- 
tagne de  Sainte-Agnès,  près  de  Zwol,  en  Hollande,  de 
saintes  reliques  qu'elle  reçut  avec  pompe  et  qu'elle  fit 
processionnellement  porter  dans  la  chapelle  du  couvent. 
Les  offices  étaient  d'ailleurs  célébrés  tous  les  jours  avec 
solennité,  comme  pour  implorer  de  Dieu  le  pardon  des 
sacrilèges  que  les  Gueux  commettaient  partout  où  ils 
passaient.  La  bienheureuse  Aurélie  donnait  l'exemple 
d'une  piété  ardente  et  d'un  amour  de  Dieu  sans  limites 
comme  son  objet.  A  la  messe,  elle  versait  des  larmes 
amères  et  gémissait  sur  l'abandon  où  tombaient,  par  le 
fait  des  hérétiques,  les  saintes  cérémonies  du  culte  ;  elle 
ne  quittait  presque  jamais  le  chœur,  où  on  la  trouvait 
souvent  plongée  dans  de  divines  extases. 

Des  épreuves  plus  terribles  se  préparaient  pour  les 
pauvres  servantes  du  Seigneur,  mais  Aurélie  ne  devait 
pas  les  voir.  Un  jour  que  l'on  chantait  au  chœur  les 
paroles  du  prophète  Habacuc:  «  Que  la  corruption  ronge 
«  mes  os  »,  on  l'entendit  répéter  à  plusieurs  reprises  : 
o  Oui,  Seigneur,  que  la  corruption  ronge  mes  osjus- 
«  qu'au  dernier,  pour  que  je  ne  voie  pas  venir  ces  temps 
«  de  douleur  et  d'oppression  ».  La  maladie  qu'elle  atten- 


222  XII  JUIN 

dait  ne  tarda  pas  à  se  faire  sentir  :  le  dimanche  qui 
suivit  l'octave  de  la  Toussaint,  elle  fut  prise  de  violentes 
coliques  et  de  maux  de  tête,  dont  elle  devait  souffrir 
pendant  sept  mois,  et  auxquelles  sa  mort  seule  devait 
mettre  un  terme.  Quelquefois  on  lui  parlait  d'espoir  et 
de  retour  à  la  vie  :  «  Non,  non  a,  répondait-elle,  «  je  ne 
a  désire  et  n'espère  que  l'éternel  repos  :  Dieu  ne  veut 
«  pas  que  je  voie  les  malheurs  qui  vont  fondre  sur  vous  » . 
Son  pauvre  corps  était  si  maigre  et  si  décharné  qu'il 
avait  déjà  l'aspect  d'un  squelette  ;  elle  n'avait  plus  même 
la  force  d'aller  au  chœur,  et  était  obligée  de  garder  le 
lit.  Pendant  la  semaine  sainte,  on  la  crut  aux  portes  du 
tombeau  et  on  lui  donna  l'extrême-onction  ;  mais  elle 
devait  encore  traîner  sa  misérable  existence  jusqu'au 
commencement  du  mois  de  juin.  Quelques  jours  avant 
sa  mort,  elle  se  sentit  peu  à  peu  pénétrer  par  une  tran- 
quillité et  un  repos  parfaits  ;  on  eût  dit  que  l'éternité 
commençait  déjà  pour  elle.  Parfois  elle  murmurait  avec 
un  sourire  :  «  Comment  donc,  mes  sœurs,  oserai-je 
«  regarder  Dieu  face  à  face,  quand  il  m'aura  appelée  dans 
o  son  paradis?»  Elle  ne  cessa  de  chanter  les  louanges 
du  Seigneur  jusqu'au  dernier  moment,  et  la  dernière 
parole  qu'elle  prononça  fut  un  Deo  grattas.  Elle  mourut 
le  12  juin  1577,  à  l'âge  de  quarante-sept  ans. 

On  l'ensevelit  dans  un  tombeau  spécial,  ce  qui  jus- 
qu'alors n'avait  jamais  eu  lieu  au  couvent  pour  aucune 
religieuse.  Quelque  temps  après  sa  mort,  les  Gueux 
étaient  les  maîtres  de  tous  les  Pays-Bas,  et  les  horreurs 
commençaient  dont  la  bienheureuse  craignait  si  tort 
d'être  la  spectatrice  et  la  victime. 

(Archives  des  Omisses  d'Anvers.) 


SOEUR  CORNÉLIE  BOYMERS.  223 

SŒUR  CORNÉLIE  BOYMERS 

ABBESSE 

1581.  —  Pape  :  Grégoire  XIII.  —  Roi  de  France  :  Henri  III. 

La  vénérable  Cornélie  Boymers  succéda,  dans  la  di- 
gnité d'abbesse,  à  la  bienheureuse  mère  Aurélie.  C'était 
une  religieuse  douée  de  toutes  les  vertus,  et  en  particu- 
lier de  celles  qui  conviennent  le  mieux  à  une  supérieure  : 
une  grande  prévoyance,  et  surtout  une  grande  confiance 
en  la  divine  Providence. 

Les  Clarisses  de  tous  les  Pays-Bas  continuaient  à  se 
presser  au  couvent  d'Anvers,  le  seul  à  peu  près  qui  fût 
resté  debout.  Cornélie  les  recevait  à  bras  ouverts.  Quand 
les  Clarisses  d'Amsterdam,  chassées  de  leur  maison,  lui 
arrivèrent  en  1578:  «  Réjouissons-nous,  mes  sœurs», 
s'écria-t-elle,  «  voilà  encore  des  filles  de  Jésus-Christ 
«  qui  viennent  habiter  parmi  nous  1  »  En  1580,  ce  fut  le 
tour  des  Clarisses  de  Matines,  qui  traversèrent  en  pro- 
cession le  pays  occupé  par  les  Gueux,  pour  chercher  un 
asile  chez  la  bienheureuse  Cornélie.  Les  ressources  sem- 
blaient devoir  manquer  à  la  mère  spirituelle  d'une  si 
nombreuse  famille  ;  mais  Dieu  y  suppléa  ;  tout  ce  qui 
restait  de  bons  catholiques  aux  Pays-Bas  envoya  des 
aumônes  aux  Clarisses  d'Anvers. 

La  sainte  mère  Cornélie  n'exerça  pas  longtemps  la 
dignité  d'abbesse.  Elle  mourut  en  1581,  après  une  longue 
et  douloureuse  maladie. 

L'année   suivante,  en    1582,   les    Clarisses    d'Anvers 


224  XII  JUIN. 

durent  aller  chercher  un  refuge  chez  les  Urbanistes  de 
Trêves,  où  elles  demeurèrent  jusqu'en  1585,  époque  à 
laquelle  Anvers  fut  rendue  au  catholicisme. 


CORNELIE  HERLEMANS 

CLARISSE 

1611.  —  Pape  :  Paul  V.  —  Roi  de  France  :  Louis  XIII. 

Cornélie  Herlemans  prit  le  voile  au  couvent  d'Alcmaer. 
Pendant  treize  ans,  elle  fut  en  butte  aux  persécutions 
des  Gueux,  chassée  successivement  de  quatre  couvents, 
nuit  et  jour  dans  des  transes  mortelles.  Ce  qu'elle  eut  à 
supporter  de  misères  effraye  l'imagination  :  la  faim,  la 
soif,  le  froid,  les  longues  nuits  sans  asile,  les  fuites  pré- 
cipitées. A  Anvers  elle  menait  la  vie  d'un  Ange.  Quand 
les  Clarisses  de  cette  ville  furent  obligées  de  chercher 
asile  chez  les  Urbanistes  de  Trêves,  elles  les  accompagna, 
et,  en  1585,  revint  avec  elles  à  Anvers. 

Dieu  lui  accorda  la  grâce  des  longues  contemplations  et 
des  profondes  extases.  On  la  trouvait  presque  toujours  en 
prières  au  chœur,  souvent  le  visage  contre  terre  et  les  bras 
en  croix.  A  l'heure  des  matines,  elle  arrivait  toujours  la 
première  à  la  chapelle.  Elle  s'était  constituée  la  servante 
des  malades,  et  elle  passait  à  l'infirmerie  le  temps  qui 
lui  restait  en  dehors  de  ses  exercices  religieux. 

Elle  mourut  le  3  juillet  1611,  à  l'âge  de  quatre-vingt- 
dix  ans  :  il  y  avait  soixante-sept  ans  qu'elle  était  entrée 
en  religion. 


SŒUR  MARIE  HYNSHEEREN.  225 


SŒUR  MARGUERITE  D'ODELFANGEN 

1622.  —  Pape  :  Paul  V.  —  Roi  de  France  :  Louis  XUI. 

Sœur  Marguerite  d'Odelfangen  prit  le  voile  à  Trêves, 
et  accompagna  les  Clarisses  d'Anvers.  Jusque  dans  un 
âge  très-avancé,  elle  se  montra  pleine  d'une  sainte  ardeur 
à  chanter  les  louanges  du  Seigneur  dans  la  chapelle  du 
couvent.  Elle  reçut  de  Dieu  un  certain  nombre  de  révé- 
lations qu'elle  communiqua  à  ses  sœurs,  et  dont  plus 
tard  on  reconnut  la  vérité.  Elle  connut  d'avance  et 
annonça  aux  autres  religieuses  le  jour  de  sa  mort, 
(16  octobre  4622). 


SŒUR  MARIE  MYNSHEEREN 

Sœur  Marie  Mynsheeren  ,  par  son  application  à  la 
prière,  mérita  de  voir  plusieurs  fois  le  Fils  de  Dieu,  tel 
qu'il  avait  vécu  autrefois  parmi  les  hommes.  Elle  était 
âgée  de  cinquante-six  ans,  quand  elle  mourut,  le  M  mai 
1606. 


Palm.  Séraph.  —  Tome  VI.  15 


226  XII  JUIN. 

ELISABETH  DE  SCHOONBEEK 

1647.  —  Pape  :  Innocent  X.  —  Roi  de  France  :  Louis  XIV. 

Sœur  Elisabeth  de  Schoonbeek  avait  au  plus  haut 
degré  l'amour  de  Dieu  et  de  son  prochain.  Pleine  de 
reconnaissance  pour  la  grâce  que  Dieu  lui  avait  faite  de 
l'appeler  à  son  service,  elle  l'en  remerciait  tous  les  jours 
par  de  ferventes  prières.  Quand  la  vieillesse  l'empêcha 
de  se  plier  assez  pour  baiser  la  trace  des  pas  de  ses  sœurs, 
elle  baisa  au  chœur  les  chaises  sur  lesquelles  elles  s'é- 
taient assises.  Si  elle  ne  fut  pas  à  l'abri,  pendant  sa 
ïongue  vie,  des  tentations  du  démon,  elle  en  triompha, 
avec  l'aide  de  Dieu,  par  des  mortifications  et  des  austé- 
rités. Un  jour,  elle  entendit  les  sacrés  cantiques  des 
Anges,  et,  en  même  temps,  elle  vit  s'élever  au  ciel  l'âme 
de  l'une  de  ses  sœurs,  Anne  de  Haen,  religieuse  d'une 
grande  vertu  ,  à  qui  l'on  attribua  même  un  certain 
nombre  de  miracles. 

Sœur  Elisabeth  fut  souvent  malade,  et  comme  elle  ne 
désirait  rien  tant  que  la  mort,  elle  était  fort  affligée  de 
voir  chaque  fois  revenir  ses  forces.  Enfin  Dieu  lui  an- 
nonça que  son  heure  était  proche,  et  elle  en  conçut  une 
grande  joie.  Le  11  décembre  4647,  après  avoir  entendu 
la  messe  et  communié,  elle  perdit  tout  à  coup  connais- 
sance, et  peu  après  elle  rendit  l'âme.  Il  y  avait  cinquante- 
huit  ans  qu'elle  avait  pris  le  voile. 

[Arrhives  des  Clurisses  d'Anvers.) 


SAINT  ANTOINE  DE  PADOUE.  227 

TREIZIÈME    JOUR    DE    JUIN 

SAINT  ANTOINE  DE  PADOUE  (1) 

APOTRE  ET  THAUMATURGE 

1231.—  Pape  :  Grégoire  IX.  —  Roi  de  France  :  Saint  Louis. 

CHAPITRE  PREMIER. 

SOMMAIRE  :  Naissance  et  origine  de  saint  Antoine  de  Padoue.  —  Il  reçoit  au 
baptême  le  nom  de  Ferdinand.  —  Son  éducation  chrétienne  et  ses  vertus  précoces. 
—  Il  entre  au  couvent  des  chanoines  Augustins  de  Lisbonne,  puis,  obsédé  par  ses 
amis,  il  se  retire  au  couvent  de  Sainte-Croix  de  Coïmbre.  —  Ses  progrès  dans  la 
science  et  la  vertu.  —  Ses  miracles. 

Saint  Antoine  de  Padoue  naquit  en  4195,  à  Lisbonne, 
capitale  du  Portugal,  l'une  des  plus  anciennes  villes  du 
monde,  le  jour  de  la  fête  de  l'Assomption.  Il  avait  pour 
père  Martin  de  Bouillon  et  pour  mère  Thérèse  ou  Marie- 
Thérèse  de  Tavera.  Tout  fait  présumer  que  Martin  de 
Bouillon,  ou,  selon  d'autres,  de  Bullones,  de  Bulhan,  de 
Bulhem,  n'était  pas  d'origine  portugaise,  et  qu'il  appar- 
tenait à  la  famille  du  fameux  Godefroy  de  Bouillon,  duc 
de  Lorraine,  roi  de  Jérusalem,  conquérant  des  Saints 
Lieux. 

Marie-Thérèse  de  Tavera  était  aussi  de  la  plus  haute 


(1)  Consulter,  pour  toute  la  vie  d'Antoine  de  Padoue,  la  grande  monographie  de 
l'abbé  Guyard,  où  l'on  trouve  tout  ce  qui  a  été  dit  sur  saint  Antoine,  et  quelque 
chose  de  plus,  une  étude  curieuse  de  ses  sermons.  (Librairie  Martin-Beaupré,  Paris, 
rue  Monsieur-le-Prince,  21.) 


228  XIII  JUIN. 

lignée  ;  elle  descendait,  paraît-il,  de  Froïla  ou  Fruela, 
roi  des  Asturies,  qui  régnait  au  huitième  siècle.  Les 
Tavera  sont  d'ailleurs  célèbres  en  Espagne  et  en  Por- 
tugal ;  il  y  eut  un  Didacus  de  Tavera,  archevêque  de 
Séville,  un  Jean  de  Tavera,  cardinal-archevêque  de 
Tolède. 

Saint  Antoine  reçut  au  baptême  le  nom  de  Ferdinand. 
C'est  le  jour  de  l'Assomption  qu'il  était  né  ;  selon  un 
antique  usage  du  Portugal,  on  le  baptisa  solennellement 
huit  jours  après  sa  naissance.  Les  fonts  sur  lesquels  on 
lui  conféra  le  Sacrement  de  la  régénération  subsistent 
encore  ;  on  les  conserve  avec  un  soin  religieux  dans 
l'église  de  Notre-Dame.  L'un  des  degrés  en  pierre  qui 
servent  à  monter  au  chœur  de  la  cathédrale  porte  main- 
tenant, comme  au  douzième  siècle,  l'empreinte  miracu- 
leuse d'une  croix  qu'y  traça  le  doigt  du  saint,  un  jour 
que  le  démon  lui  apparut  sous  une  forme  horrible.  Enfin, 
Jean  II,  roi  de  Portugal,  grand  admirateur  d'Antoine,  a 
transformé  en  une  église  splendide  la  maison  où  naquit 
le  saint  thaumaturge.  On  l'appelle  aujourd'hui  l'église 
de  Saint-Antoine. 

Ferdinand  fut  élevé  dans  la  crainte  de  Dieu  et  dans  la 
pratique  de  toutes  les  vertus.  Ses  parents,  pieux  eux- 
mêmes  et  fervents  chrétiens,  guidèrent  avec  une  tendre 
sollicitude  ses  premiers  pas  dans  la  voie  du  salut.  Sa 
mère  surtout,  la  vertueuse  Thérèse  de  Tavera,  qui,  en 
demandant  un  fils  au  Seigneur,  avait  plutôt  songé  à  la 
gloire  du  Très-Haut  qu'à  l'honneur  de  son  nom,  l'offrit  à 
Dieu  en  lui  donnant  la  vie,  et,  dès  qu'il  put  balbutier 
quelques  mots,  lui  apprit  à  répéter  les  noms  bénis  de 
Jésus  et  de  Mario.  Pleine  de  dévotion  à  la  Reine  du  ciel, 


SAINT   ANTOINE  DE  PADOUE.  229 

elle  n'entretenait  son  fils  bien-aimé  que  de  sa  puissance 
et  de  sa  bonté,  et  l'habitua  de  bonne  heure  à  mettre  en 
elle  sa  confiance  et  son  amour. 

Ferdinand  répondit  à  l'affection  de  sa  mère.  Tout  en 
lui  présageait  un  cœur  d'or  et  une  intelligence  d'élite  ; 
avec  son  cœur  il  aima  Dieu,  avec  son  intelligence  il  le 
comprit.  Il  n'était  heureux  que  quand  on  lui  parlait  de 
la  Trinité  sainte,  de  la  sainte  Vierge  et  des  saints;  et  l'ar- 
deur avec  laquelle  il  récitait  ses  prières  faisait  l'admira- 
tion de  tous.  On  peut  dire  que  son  éducation  se  fit  à 
l'église,  au  pied  des  autels,  et  que  sa  science  fut  basée 
tout  d'abord  sur  la  connaissance  des  choses  de  la  reli- 
gion. Il  apprit  rapidement  le  latin,  et  en  général  tout  ce 
qu'on  enseignait  dans  les  écoles  du  temps  :  les  huma- 
nités, la  réthorique  et  la  philosophie.  Tout  ce  qui  avait 
rapport  à  la  religion,  à  l'histoire  ecclésiastique  et  à  la 
liturgie,  était  pour  lui  l'objet  d'une  prédilection  marquée. 

Son  ardeur  au  travail,  l'énergie  avec  laquelle  il  abor- 
dait des  études  souvent  rebutantes,  mais  surtout  sa  mo- 
destie, sa  douceur  et  sa  piété,  faisaient  la  consolation  de 
ses  maîtres  et  l'admiration  de  tous  ses  camarades.  On  le 
citait  comme  un  modèle  de  toutes  les  vertus,  et  il  méritait 
mieux  encore  que  les  éloges  dont  on  le  comblait.  Voici 
comment  l'un  de  ses  principaux  biographes  parle  de 
cette  première  période  de  sa  glorieuse  vie  : 

«  Il  aurait  vivement  désiré  occuper  la  place  de  son 
«  Sauveur  attaché  à  la  croix,  et  celle  de  son  prochain 
«  quand  il  le  voyait  dans  l'affliction  et  le  besoin.  Il  fai- 
«  sait  marcher  de  front  dans  son  esprit  et  dans  son  cœur 
«  l'obéissance  aux  lois  de  sa  patrie  et  aux  commande- 
«  inents  de  ses  parents,  les  sentiments  de  révérence  en- 


230  XIII  JUIN. 

«  vers  les  évêques  et  les  prêtres,  la  soumission  à  ses  mai- 
ci  très,  le  respect  pour  les  vieillards,  l'amour  de  la  pureté, 
«  de  la  retraite,  de  l'humilité,  de  la  souffrance,  de  la 
«  douceur,  de  la  charité,  de  la  tempérance,  des  jeûnes, 
«  de  l'abstinence  ,  et  l'horreur  du  mensonge  même 
«  joyeux.  Il  ne  riait  jamais  aux  éclats,  il  ne  proférait 
«  aucune  parole  inutile  ;  il  était  l'ennemi  déclaré  de  la 
«  vanité,  des  jeux  bruyants,  du  faste,  de  la  vengeance, 
«  des  haines,  des  murmures,  des  jugements  téméraires... 
a  Que  devait  donc  être  ce  soleil  annoncé  par  une  aussi 
«  brillante  aurore  ?  »  (Lelio  Mancini  Poliziano,  Relazioni 
di  S.  Antonio  di Padova.  Padoue,  4654.  —  Cité  par  l'abbé 
Guyard.) 

Cependant  l'enfant  atteignait  l'adolescence,  l'âge  ou  les 
passions  fermentent,  le  moment  des  rêves  trompeurs  et 
des  illusions,  époque  critique  de  la  vie,  écueil  dangereux 
sur  lequel  viennent  échouer  tant  de  belles  âmes  qui 
paraissaient  grandir  pour  le  ciel.  Toutes  les  séductions 
environnaient  Antoine.  Riche,  d'une  naissance  illustre, 
d'un  extérieur  agréable,  il  était  exposé  à  toutes  les  atta- 
ques du  monde,  dans  une  ville  qui,  alors  comme  aujour- 
d'hui, était  un  véritable  lieu  de  délices.  Il  ne  succomba 
pas  ;  non  pas  que  les  âmes  d'élite  comme  la  sienne  ne 
soient  aussi  exposées  que  les  autres  aux  périls,  aux  ten- 
tations, aux  chutes  ;  il  eut  fort  à  lutter  sans  doute  contre 
lui-même  et  contre  le  démon ,  son  cœur  fut  le  jouet  de 
grandes  incertitudes  ;  mais  Dieu  était  avec  lui,  et  Dieu 
ne  l'abandonna  jamais.  Dans  les  moments  où  il  se  sen- 
tait faiblir,  il  se  recommandait  au  Très-Haut  et  à  la  Reine 
des  Anges,  sa  patronne,  et  il  lui  demandait  avec  des  lar- 
mes aide  et  protection.  Puis  un  jour,  élevé  par  la  grâce 


SAINT  ANTOINE  DE  PADOUE.  231 

au-dessus  du  monde  et  de  lui-même,  il  résolut  de  ne  pas 
attendre  plus  longtemps  pour  se  consacrer  à  Dieu,  et  il 
s'en  fut  demander  l'habit  au  couvent  des  Chanoines 
réguliers  de  Saint-Augustin,  à  Lisbonne. 

Les  Chanoines  réguliers  de  Saint-Augustin,  chez  qui 
avait  été  élevé  le  bienheureux  Antoine,  jouissaient  dans 
toute  la  contrée  d'une  grande  réputation  de  science  et  de 
piété.  L'abbé,  nommé  Pelage,  touché  de  la  candeur,  de 
la  modestie  et  de  l'ardente  foi  du  jeune  homme,  le  reçut 
à  bras  ouverts  et  lui  donna  l'aumusse  blanche  des  no- 
vices. 

Antoine  était  heureux  ;  il  n'avait  à  penser  qu'à  Dieu. 
Sous  les  grandes  arcades  et  dans  les  longs  couloirs  silen- 
cieux, il  se  promenait  lentement,  les  bras  croisés  sur  sa 
poitrine,  les  yeux  levés  au  ciel,  l'âme  abîmée  dans  un 
immense  amour.  On  ne  le  laissa  pas  longtemps  jouir  de 
la  paix  qu'il  désirait  avec  tant  d'ardeur.  Ses  parents  et  ses 
amis,  durant  l'année  de  son  noviciat,  le  tourmentèrent 
sans  cesse  pour  le  ramener  au  monde,  dont  il  avait  dé- 
daigné les  joies.  Tous  les  moyens  leur  furent  bons: 
caresses  et  menaces,  flatteries  et  railleries  amères  ;  on 
lui  parla  de  ses  richesses,  de  l'éclat  de  son  nom,  de  l'obs- 
cure pauvreté  qui  l'attendait  au  couvent;  si  bien  que  le 
jeune  novice,  harcelé  de  toutes  parts,  fatigué  d'une  lutte 
incessante  qui  arrachait  son  âme  aux  joies  pures  du 
sanctuaire,  résolut  de  s'éloigner  de  Lisbonne  et  d'aller 
chercher  ailleurs  la  tranquillité  qu'il  n'y  pouvait  trouver. 

Il  réfléchit  et  pria  longtemps  avant  de  se  décider;  puis 
enfin,  il  demanda  à  ses  supérieurs  la  permission  de  pas- 
ser au  couvent  de  Coïmbre.  Le  prieur  la  lui  accorda,  non 
t  sans  peine  ;  il  lui  coûtait  de  se  séparer  d'un  novice  aussi 


232  XIII  JUIN. 

pieux,  aussi  soumis  à  la  règle,  aussi  ardent  au  travail. 
A  Coïmbre,  comme  à  Lisbonne,  Antoine  fit  l'admiration 
des  autres  religieux.  En  même  temps,  ses  progrès  dans 
la  vertu  comme  dans  la  science  devenaient  plus  rapides. 
Déjà,  à  Lisbonne,  il  s'était  appliqué  à  l'étude  de  la  théo- 
logie et  des  saintes  Ecritures;  débarrassé  maintenant 
des  obsessions  et  des  récriminations  de  ses  parents,  seul 
à  seul  avec  Dieu,  méditant  sans  cesse  l'infinie  puissance 
du  Père  et  l'infinie  bonté  du  Fils,  il  avait  des  choses  du 
ciel  une  connaissance  presque  pleine  et  entière.  On  eût 
dit  que  l'Esprit-Saint  était  descendu  sur  lui  comme  au- 
trefois sur  les  Apôtres,  pour  lui  donner  le  don  des  lan- 
gues, une  science  immense  et  une  éloquence  irrésistible. 
Les  plus  savants  docteurs  du  couvent  avaient  honte  de 
leur  ignorance,  en  présence  de  ce  jeune  novice  qui  sem- 
blait posséder  les  secrets  de  Dieu  ;  les  plus  saints  reli- 
gieux aussi  se  trouvaient  trop  mondains,  comparés  à 
cet  austère  serviteur  du  Christ,  si  humble,  si  pauvre,  si 
occupé  de  jeûnes,  de  veilles,  de  retraites  et  de  mortifi- 
cations. 

D'ailleurs,  le  Très-Haut  prenait  déjà  soin  d'affirmer 
aux  yeux  du  monde  la  sainteté  de  son  serviteur  par  des 
miracles  éclatants.  Un  jour  qu'il  était  occupé,  près  de 
l'église,  à  quelque  humble  besogne,  il  entendit  tout  à 
coup  retentir  la  cloche  qui  annonce  l'élévation.  Il  se  mit 
à  genoux,  et  il  vit  tout  à  coup  les  murs  de  pierre  s'ou- 
vrir devant  lui  et  le  prêtre  lui  apparaître  debout  sur 
les  marches  de  l'autel,  accomplissant  le  saint  sacrifice. 

Un  jour,  il  soignait  un  frère  malade,  qui  poussait  des 
cris  affreux  ou  des  éclats  de  rire  nerveux  et  saccadés, 
plus  effrayants  encore.  L'idée  lui  vint  que  le  malheureux 


SAINT  ANTOINE  DE  PADOUE.  233 

devait  être  sous  la  puissance  du  démon,  et  en  effet,  il  le 
délivra  sur-le-champ  en  le  couvrant  de  son  manteau. 

Une  autre  fois  encore,  tandis  qu'il  assistait  en  qualité 
de  diacre  ou  de  sous-diacre  le  prêtre  à  l'autel,  il  aperçut 
l'âme  d'un  religieux  franciscain ,  venu  de  Rome  avec 
saint  Zacharie,  qui  s'élevait  dans  les  airs  sous  la  forme 
d'un  oiseau  blanc,  traversait  le  purgatoire  et  pénétrait, 
les  ailes  toutes  grandes,  dans  le  royaume  des  élus. 

Aussi  les  Chanoines  Augustins  de  Sainte-Croix  de 
Coïmbre  avaient-ils  conçu  des  vertus  d'Antoine  une  si 
haute  estime,  qu'ils  écrivaient  de  lui,  dans  leurs  archives, 
deux  ans  à  peine  après  qu'il  les  eut  quittés  :  Vir  utique 
famosus,  doctus  et  pius,  magna  lîtteratura  ornatus,  et 
gloria  meritorum  stipatus  :  «  C'était  assurément  un 
«  homme  remarquable,  savant  et  pieux,  d'une  science 
«  immense  et  qu'une  gloire  méritée  accompagnait  déjà 
«  partout  ».  (Azevedo,  Vita  di  S.  Antonio,,  lib.  I,  cap.  h.) 

CHAPITRE  II. 

SOMMAIRE  :  Fondation  d'un  couvent  de  Frères  Mineurs  à  Coïmbre.  —  Saint 
François  apparaît  à  Antoine  et  lui  ordonne,  au  nom  de  Dieu,  de  prendre  l'habit  de 
son  Ordre.  —  Douleur  des  Augustins,  leur  ressentiment.  —  Noviciat  d'Antoine. 
—  Il  veut  aller  prêcher  la  foi  chrétienne  en  Afrique,  il  y  tombe  malade  et  à  son 
retour  une  tempête  le  jette  sur  la  côte  de  Sicile.  —  Synode  d'Assise.  —  Antoine 
au  couvent  du  mont  Saint-Paul.  —  Son  premier  sermon  à  Forli. 

Cependant  le  saint  patriarche  d'Assise  venait  d'envoyer 
en  Portugal,  l'an  1216,  saint  Zacharie  et  saint  Gauthier 
avec  quelques  autres  frères  mineurs.  Le  roi  Alphonse  II 
leur  avait  donné  la  chapelle  du  saint  abbé  Antoine,  à 
une  demi-lieue  de  Coïmbre,  et  leur  avait  fait  élever  un 
couvent.  Comme  ils  venaient  souvent  quêter  au  couvent 
des  Augustins,  Antoine  ne  tarda  pas  à  les  connaître,  et 


234  XIII  JUIN. 

par  conséquent  à  admirer  l'austérité  de  leur  vie  aposto- 
lique. Il  aimait  à  s'entretenir  avec  eux,  et  il  se  sentait  au 
cœur  un  immense  désir  de  les  imiter.  Ce  fut  bien  autre 
chose  encore,  quand  eut  lieu  la  solennelle  translation 
des  corps  de  cinq  religieux  franciscains  qui  venaient 
d'être  martyrisés  au  Maroc  (1).  En  apprenant  la  glorieuse 
histoire  de  ces  cinq  apôtres,  il  voulait,  lui  aussi,  donner 
son  sang  pour  le  Christ,  en  propageant  sa  foi.  Jour  et 
nuit,  il  rêvait  la  palme  du  martyre,  qu'il  croyait  ne 
pouvoir  mieux  mériter  que  sous  l'habit  de  frère  mineur. 

Mais  il  n'osait  se  décider  de  lui-même  à  quitter  l'Ordre 
des  Augustins,  où  l'avait  tout  d'abord  appelé  la  volonté 
de  Dieu.  Il  voulait  attendre  qu'il  plût  au  Seigneur  de  lui 
manifester  clairement  ses  intentions,  et  il  redoublait  de 
prières  pour  obtenir  cette  grâce.  Le  Seigneur  l'exauça 
enfin  :  un  jour  que,  retiré  dans  sa  cellule,  il  épanchait 
son  âme  dans  le  cœur  de  son  Dieu,  saint  François  lui 
apparut  et  lui  ordonna,  au  nom  du  Très-Haut,  de  pren- 
dre l'habit  de  frère  mineur,  pour  travailler  à  la  gloire 
du  Christ  et  au  bien  des  âmes.  Le  lendemain  même, 
Antoine  se  présentait  au  couvent  de  Saint-Antoine  des 
Oliviers  et  se  faisait  admettre  au  nombre  des  novices. 
(Juillet  1220.) 

Grande  fut  la  douleur  des  Chanoines  A  ugustins,  quand 
ils  apprirent  cette  détermination.  Ils  s'étaient  bercés  de 
l'espoir  que  leur  jeune  frère  serait  un  jour  l'honneur  de 
leur  Ordre,  ils  s'étaient  habitués  à  l'entourer  de  soins  et 
d'affection,  et  tout  à  coup  il  les  abandonnait.  Le  prieur, 
en  lui  donnant  l'autorisation  qu'il  ne  pouvait  lui  refuser, 

(1)  Consulter,  pour  la  vie  et  la  mort  glorieuse  des  cinq  martyrs  du  Maroc,  le 
Palmier  Séraphique  (1er  volume,  —  Mois  de  Janvier,  seizième  jour). 


SAINT  ANTOINE  DE  PADOUE.  235 

ne  lui  cacha  pas  son  mécontentement,  et  l'un  des  cha- 
noines, à  qui  il  faisait  ses  adieux,  lui  dit  avec  aigreur  : 
«  Allez,  vous  deviendrez  peut-être  un  saint  »;  à  quoi  An- 
toine répondit  humblement  :  «  Le  jour  où  vous  appren- 
«  drez  ma  canonisation,  vous  serez  les  premiers  à  en 
«  rendre  grâces  à  Dieu  ». 

Les  bons  Pères  ne  purent  se  consoler  de  la  perte  d'An- 
toine, et  le  chagrin  tout  paternel  qu'ils  en  avaient  res- 
senti d'abord  se  changea  peu  à  peu  en  ressentiment  mal 
contenu  et  en  sourde  hostilité.  Il  fallut  que  le  pape  Gré- 
goire IX  intervînt  par  deux  brefs  adressés,  l'un  à  l'évêque 
de  Viseu,  l'autre  à  la  communauté  des  Augustins  de 
Coïmbre,  pour  faire  cesser  les  mauvais  procédés  dont  ils 
usaient  à  l'égard  des  Frères  Mineurs. 

Le  nouveau  franciscain,  reçut  avec  l'habit  de  l'ordre,  le 
nom  d'Antoine,  en  l'honneur  du  saint  abbé  à  qui  était 
dédié  le  premier  couvent  séraphique  en  Portugal.  C'était 
aussi  un  moyen  pour  lui  de  vivre  plus  inconnu  et 
d'échapper  aux  poursuites  sans  cesse  renouvelées  de  ses 
parents  et  de  ses  amis  mondains. 

Durant  son  noviciat,  Antoine  se  livra  tout  entier  à  la 
prière,  à  la  contemplation,  aux  œuvres  d'obéissance  et 
d'humilité  (1).  Quand  il  eut  prononcé  ses  vœux,  se  sou- 
venant qu'il  n'était  entré  dans  l'Ordre  Séraphique  que 
dans  le  désir  d'y  gagner  la  palme  du  martyre,  il  demanda 
à  ses  supérieurs  la  permission  de  passer  en  Afrique  pour 
y  prêcher  la  vérité  aux  Maures.  Ses  supérieurs  le  lais- 
sèrent partir  ;  mais  Dieu  ne  voulut  pas  de  son  dévoue- 
ment; dans    son    éternelle    sagesse,    il   avait    décidé 

(l)  On  voit  encore  aujourd'hui  la  cellule  qu'habitait  alors  Antoine.  On  la  conserve 
précieusement  dans  le  chapitre  ;  son  portrait  y  est  placé  au-deseus  d'un  petit  autel. 


236  XIII  JUIN. 

qu'Antoine  convertirait  les  infidèles  de  l'Europe  chré- 
tienne, et  non  ceux  de  l'Asie  et  de  l'Afrique  mahométanes. 
A  peine  arrivé  au  terme  de  son  voyage,  Antoine  se  vit 
en  proie  à  une  maladie  cruelle,  qui  mit  plus  d'une  fois 
ses  jours  en  danger,  et  le  força,  au  printemps,  de  se 
rembarquer  pour  le  Portugal,  où  il  comptait  retrouver  la 
force  et  la  santé.  La  traversée  fut  malheureuse  :  une 
violente  tempête  le  jeta  sur  les  côtes  de  Sicile. 

Antoine  débarqua  à  Tauromenium,  ancienne  ville  épis- 
copale  de  la  province  de  Messine.  Là,  ayant  appris  que 
saint  François  allait  tenir  le  chapitre  général  de  l'Ordre 
dans  la  ville  d'Assise,  il  résolut  de  s'y  rendre,  quoiqu'il 
fût  encore  affaibli  par  suite  de  sa  maladie.  Des  frères 
mineurs  de  toutes  les  parties  de  l'Europe  y  étaient  ras- 
semblés. Antoine  ne  pouvait  assez  remercier  le  Seigneur 
de  l'avoir  amené  au  sein  de  cette  magnifique  réunion.  Il 
était  heureux  de  contempler  ces  vaillants  soldats  du 
Christ,  toujours  prêts  à  verser  leur  sang  pour  leur  Dieu, 
pauvres,  austères,  sans  souci  du  monde  qui  avait  les 
yeux  fixés  sur  eux,  plus  grands  dans  leur  humilité  que 
les  rois  dans  leur  orgueil,  et  surtout  le  vénérable  patriar- 
che d'Assise,  que  l'Europe  entière  honorait  déjà  comme 
un  saint,  et  qui  en  avait  le  calme  et  la  sérénité. 

Quand  vint  la  distribution  des  charges  et  des  dignités, 
Antoine,  nouveau  venu  dans  l'Ordre,  encore  inconnu, 
et  que  sa  modestie  retenait  dans  l'ombre,  fut  complète- 
ment oublié.  Il  s'en  réjouit  au  fond  du  cœur,  car  il 
n'avait  pris  l'habit  de  franciscain  que  pour  être  humilié 
et  non  pas  pour  être  exalté.  C'est  alors  qu'il  rencontra 
le  Père  Gratien,  un  saint  homme,  ministre  de  la  province 
de  Bologne.  Ce  vénérable  Père  cherchait  un  aumônier 


SAINT  ANTOINE  DE  PADOUE.  237 

pour  dire  la  messe  à  quelques  religieux  qui  vivaient 
d'une  vie  contemplative  au  sein  d'un  ermitage  ;  il  avait 
remarqué  à  l'assemblée  la  science  d'Antoine,  dont  l'hu- 
milité lui  avait  tout  d'abord  gagné  le  cœur.  Sur  sa 
réponse  qu'il  était  revêtu  du  sacerdoce,  il  l'emmena 
pour  en  exercer  les  fonctions  au  petit  monastère  de  Saint- 
Paul,  sur  la  montagne  du  même  nom. 

Le  couvent  était  admirablement  bien  situé.  Au  sommet 
de  la  montagne,  suspendu  pour  ainsi  dire  entre  la  terre 
et  le  ciel,  aucun  bruit  mondain  n'y  pénétrait,  et  l'âme 
ravie  pouvait  y  écouter  dans  le  silence  et  la  paix  les 
grandes  harmonies  de  la  nature  célébrant  la  grandeur 
et  la  puissance  de  son  Créateur.  C'était  là  ce  qu'Antoine 
avait  toujours  désiré;  il  se  fit  donner  par  un  religieux 
une  petite  cellule  creusée  dans  le  roc,  sur  le  flanc  de  la 
montagne,  et  il  y  venait,  ses  devoirs  d'aumônier  remplis, 
passer  les  jours  et  les  nuits  dans  une  perpétuelle  médi- 
tation, interrompue  seulement  par  des  pratiques  austères. 
Il  vivait  de  pain  et  d'eau,  et  portait  sous  ses  vêtements 
une  chemise  de  crin,  âpre  et  rude,  que  l'on  conserve 
encore  à  Padoue  dans  une  châsse  en  argent.  Ses  morti- 
fications l'affaiblissaient  tellement  qu'il  pouvait  à  peine 
se  soutenir.  Mais  si  le  corps  était  débile,  l'âme  était  vail- 
lante et  robuste,  se  retrempant  sans  cesse  dans  la  prière 
et  se  préparant,  par  un  commerce  de  tous  les  instants 
avec  Dieu,  à  lutter  victorieusement  contre  l'hérésie  et 
toutes  les  vanités  du  monde. 

Antoine  vécut  ainsi  pendant  un  an  dans  la  solitude  et 
la  contemplation,  soumis  à  la  Providence  de  Dieu,  dont 
il  ne  douta  jamais  un  moment.  Il  cachait  sa  grande 
science  sous  le  voile  d'une  excessive  modestie  ;  et  tout 


238  XIII  JUIN. 

désireux  qu'il  était  de  travailler  à  la  gloire  du  Seigneur 
et  au  salut  des  âmes,  il  avait  peur  du  monde,  et  le 
spectacle  qu'il  avait  sous  les  yeux  l'effrayait.  Il  savait 
aussi  que  les  hommes  sont  portés  à  admirer  les  vertus 
mêmes  qu'ils  ne  mettent  pas  en  pratique,  et  que  souvent 
ils  distribuent  à  pleines  mains  les  éloges  et  la  gloire  à 
ceux  qui  châtient  leurs  vices  avec  le  plus  de  vigueur,  et 
la  pensée  qu'il  pourrait  pécher  par  orgueil  le  faisait 
tomber  à  genoux. 

Le  temps  approchait  cependant,  où  le  pieux  Antoine 
allait  mettre  en  lumière  les  dons  précieux  qu'il  avait 
reçus  du  ciel.  En  1222,  il  fut  envoyé  à  Forli,  pour  y 
recevoir  les  ordres  sacrés.  Plusieurs  religieux  de  l'Ordre 
de  Saint-Dominique  s'y  trouvaient  aussi  rassemblés  dans 
le  même  dessein.  C'était  l'usage,  après  une  ordination, 
d'adresser  quelques  paroles  aux  jeunes  clercs  qui  venaient 
d'être  sacrés  ministres  du  Très-Haut.  L'évêque  de  Forli 
pria  le  gardien  du  mont  Saint-Paul  de  se  charger  de 
cette  mission,  ou  de  la  confier  à  un  de  ses  religieux. 
C'est  sur  Antoine  que  tombèrent  les  yeux  de  son  supé- 
rieur, et  c'est  lui  qui  reçut  l'ordre,  au  nom  de  la  sainte 
obéissance,  de  monter  en  chaire  et  de  prononcer  le  dis- 
cours d'usage.  Il  s'y  résigna  à  contre-cœur,  s'estimant 
indigne  d'un  tel  honneur  ;  mais  il  fallait  obéir  ; 
il  sollicita  la  bénédiction  de  l'évêque  et  se  prépara  à 
parler.  Aucun  des  assistants  ne  se  doutait  qu'il  eût  étudié 
ou  seulement  lu  les  saints  livres,  et  ses  frères  se  le  figu- 
raient plus  volontiers  à  la  cuisine,  occupé  à  relaver  la 
vaisselle  du  couvent,  que  plongé  dans  les  ouvrages  des 
docteurs  de  l'Eglise. 

Il  prit  pour  texte  ce  passage  de  l'office  du  jeudi  saint  : 


SAINT  ANTOINE  DE  PADOUE.  239 

Christus  factus  est  pro  nobis  obediens  usque  ad  mortem. 
Sa  parole,  d'abord  calme,  sans  éclat,  presque  hésitante, 
s'anima  en  quelque  sorte  malgré  lui,  elle  devint  rapide, 
énergique,  enflammée.  Ce  moine  exténué  par  les  souf- 
frances et  les  privations,  à  l'aspect  misérable,  avait 
l'autorité  d'un  apôtre  et  l'éloquence  d'un  prophète  ;  la 
voix  puissante,  le  geste  superbe,  il  dominait  toute  cette 
assemblée,  à  qui,  par  sa  seule  attitude,  il  semblait  dire  : 
a  Ecoutez,  enfants  des  hommes,  car  je  suis  celui  qui 
«  parle  au  nom  du  Seigneur».  On  Fécoutait  en  effet, 
dans  une  religieuse  admiration.  Les  assistants  muets, 
étonnés ,  hors  d'eux-mêmes ,  versaient  des  larmes  de 
bonheur,  et,  en  même  temps,  en  voyant  briller  en  lui 
un  rayon  de  la  divine  sagesse,  ils  se  sentaient  pénétrés 
d'un  saint  respect.  Une  nouvelle  vie  allait  commencer 
pour  Antoine. 

CHAPITRE  III. 

SOMMAIRE  :  Saint  François  confie  à  Antoine  la  difficile  mission  de  prêcher  et  de 
convertir. —  Succès  d'Antoine  dans  la  prédication.  — Caractère  de  son  éloquence. 
—  Il  enseigne  la  théologie  à  Montpellier,  à  Bologne  et  à  Padoue. —  Il  prêche  une 
station  à  Verceil.  —  Son  amitié  avec  l'abbé  de  Saint-André. —  Antoine  prêche  de 
nouveau  en  France.  —  Résultats  merveilleux  de  ses  sermons.  —  Il  va  combattre, 
dans  le  Languedoc  et  la  Provence,  l'hérésie  des  Albigeois.  —  Emploi  de  son 
temps. 

Le  bruit  public  et  les  rapports  des  supérieurs  d'Antoine 
ne  tardèrent  pas  à  apprendre  au  saint  patriarche  Fran- 
çois quel  avait  été  le  succès  du  premier  sermon  prononcé 
par  le  jeune  religieux  et  quelles  magnifiques  espérances 
on  pouvait  fonder  sur  un  tel  début.  Presque  aussitôt  il 
lui  confia  la  difficile  mission  de  travailler  à  la  conver- 
sion et  au  salut  des  âmes  (1222).  Antoine  était  alors  âgé 
de  vingt-sept  ans. 

Du  jour  où  il  commença  son  pénible  et  glorieux  labeur, 


240  XIII  JUIN. 

jusqu'au  jour  où  il  cessa  de  prêcher,  une  multitude 
attentive  et  pieuse  se  pressa  à  ses  sermons.  Il  évangelisa 
d'abord  les  principales  villes  de  la  Romagne  et  de  la 
Lombardie.  Le  succès  couronna  ses  efforts  au-delà  de 
toute  espérance  ;  les  pécheurs  sanglotaient  dans  les 
églises  où  il  parlait,  et  les  conversions  les  plus  inatten- 
dues s'opéraient  par  ses  soins.  D'ailleurs,  la  nature  et  la 
grâce  semblaient  l'avoir  formé  pour  la  prédication. 
Voici  quel  portrait  en  trace  un  de  ses  biographes  : 

«  Il  avait  un  extérieur  poli,  des  manières  aisées,  un 
a  air  intéressant.  Sa  voix  était  forte,  claire,  agréable,  et  sa 
«  mémoire  heureuse.  A  ces  avantages  il  joignait  une 
«  action  pleine  de  grâce  ;  il  savait,  en  variant  à  propos 
«  le  son  de  sa  voix,  s'insinuer  dans  l'âme  de  ses  audi- 
«  teurs.  Il  était  versé  dans  la  connaissance  de  l'Ecriture, 
«  qu'il  avait  le  talent  d'appliquer  avec  beaucoup  de  jus- 
«  tesse  aux  matières  qu'il  traitait.  Le  texte  sacré  devenait 
«  entre  ses  mains  une  source  féconde  de  lumières,  et  il 
«  en  développait  le  sens  et  l'esprit  avec  une  facilité  et 
a  une  énergie  admirables.  Mais  son  éloquence  tirait  sa 
«  principale  force  de  l'onction  avec  laquelle  il  prononçait 
«  ses  discours.  L'amour  dont  il  était  embrasé  pour  la 
«  pratique  de  toutes  les  vertus  le  faisait  parler  avec  un 
a  zèle  auquel  on  ne  pouvait  résister.  Ses  paroles  étaient 
«  comme  autant  de  traits  qui  allaient  percer  le  cœur  de 
«  chacun  de  ses  auditeurs.  Il  communiquait  aux  autres 
«  de  sa  plénitude,  et  il  n'était  pas  étonnant  qu'après  avoir 
«  allumé  dans  son  âme  le  feu  de  la  divine  charité,  il 
«  l'allumât  dans  celle  de  tous  ceux  qui  î'écoutaient  (1)  ». 

(1)  Vadding,  Annales  Minorum,  cité  par  M.  l'abbé  Guyard  dans  sa  Biographie  de 
saint  Antoine. 


SAINT  ANTOINE  DE  PADOUE.  241 

Il  y  avait  un  an  déjà  qu'Antoine  parcourait  et  évan- 
gélisait  les  villes  et  les  villages  du  nord  de  l'Italie,  quand 
saint  François  lui  demanda  d'enseigner  la  théologie  aux 
Frères  Mineurs  et  même  aux  laïques  qui  désireraient 
s'instruire  sous  sa  direction.  Voici  la  lettre  qu'il  lui 
adressa  à  cette  occasion  : 

«  A  mon  très-cher  frère  Antoine,  salut  et  bénédiction 
«  en  Notre-Seigneur  Jésus-Christ. 

c<  Je  désire  que  vous  enseigniez  à  nos  frères  la  sainte 
«  théologie  ;  mais  ayez  soin,  en  même  temps,  de  déve- 
«  lopper  en  eux,  comme  en  vous,  l'esprit  de  prière  et 
«  d'oraison,  selon  les  ordonnances  de  la  Règle  que  nous 
«  professons.  Adieu  (1)  ». 

En  vertu  de  cet  ordre,  tout  en  continuant  ses  prédi- 
cations, Antoine  professa  la  théologie,  d'abord  en  France, 
à  Montpellier,  puis  à  Bologne  et  à  Padoue,  et  en  dernier 
lieu  à  Toulouse,  et  dans  quelques  autres  villes  de  France. 
Un  certain  nombre  de  ses  historiographes  l'ont  appelé 
le  premier  lecteur  [lector)  de  l'Ordre,  parce  que  les  quel- 
ques frères  mineurs  qui  commençaient  alors  à  enseigner 
en  Angleterre  et  à  Bologne,  n'y  étaient  pas,  comme  lui, 
autorisés  par  saint  François.  Partout  une  foule  de  jeunes 
gens,  avides  de  science,  se  pressèrent  à  ses  leçons,  et  malgré 
les  efforts  qu'il  fit  pour  demeurer  inconnu,  quoiqu'il  ne 
songeât  jamais  à  lui-même,  mais  aux  âmes  de  ses  audi- 
teurs, sa  renommée  alla  croissant  de  jour  en  jour. 

En  1224,  Antoine  se  rendit  à  Verceil  pour  y  prêcher 
une  station.  C'est  seulement  alors  que  commencèrent 

(1)  «  Charissimo  mco  fralri  Antonio,  pater  Francisais,  in  Christo  salutem. 

«  Plucet  inilii  quod  sanctœ  theologice  litteras  fratribus  interprétera,  ita  tamenut 
«  neque  in  caetera  (quod  vehementer  cupioj  extinguatur  sanctœ  orationis  spiritus, 
«  juxta  regulam  quant  prop.tem.ur.  Vale  »,  (Waddiog,  Annales  Min.) 

Palm.  Séraph.  —  Tome  VI.  16 


242  XIII  JUIN. 

ses  rapports  avec  le  savant  abbé  de  Saint-André.  Tous 
deux  trouvèrent  à  ce  commerce  un  profit  et  un  charme 
inexprimables  :  aussi  pieux  que  modestes,  Antoine  con- 
naissait à  fond  la  théologie  mystique,  et  l'abbé,  la  théo- 
logie dogmatique  ;  ils  se  doublèrent  en  quelque  sorte 
l'un  de  l'autre,  pour  la  plus  graude  gloire  de  Dieu  et  de 
la  religion  et  pour  le  profit  des  âmes.  Une  étroite  affection 
les  unissait,  et  l'abbé  disait  d'Antoine  dans  un  de  ses 
livres  :  «  L'amour  franchit  souvent  les  bornes  en-deçà 
a  desquelles  la  science  demeure;  c'est  ce  que  j'ai  observé 
«  dans  saint  Antoine,  frère  mineur,  avec  qui  j'ai  eu 
«  longtemps  des  relations  d'amitié  :  il  n'avait  pas  une 
«  connaissance  bien  profonde  des  sciences  mondaines, 
«  mais  par  la  pureté  de  son  âme  et  le  feu  de  son  amour,  il 
a  a  surpassé  les  plus  grands  théologiens,  et  l'on  peut  dire 
«  de  lui  comme  de  saint  Jean-Baptiste  :  «  Il  fut  comme 
«  une  lampe  qui  brille  en  se  consumant;  le  feu  de  son 
«  amour  le  brûlait,  et  par  l'exemple  de  sa  sainte  vie,  il 
«  rayonnait  sur  le  monde  ». 

Antoine  aussi  aimait  tendrement  le  savant  abbé,  et 
chaque  fois  qu'il  passait  en  Piémont,  il  ne  manquait 
jamais  de  lui  faire  visite.  A  l'heure  de  sa  mort,  il  apparut 
toup  à  coup  au  thélogien,  qui,  perdu  dans  sa  chambre 
au  milieu  de  ses  livres,  souffrait  d'un  violent  mal  de 
tête.  Antoine  l'embrassa  avec  affection  et  lui  dit  :  «  J'ai 
«  laissé  mon  âme  à  Padoue,  et  je  retourne  dans  ma 
a  patrie  ».  Puis  il  le  délivra  de  sa  douleur  et  s'évanouit 
comme  un  fantôme.  L'abbé,  s'imaginant  qu'Antoine  re- 
tournait en  Portugal,  parcourut  le  couvent  et  fut  fort 
étonné  d'apprendre  que  personne  ne  l'avait  vu  ;  quelques 
jours  après,  tout  s'expliquait  :  il  recevait  de  Padoue  la 


SAINT  ANTOINE  DE  PADOUE.  243 

nouvelle  qu'Antoine  était  mort  précisément  à  l'heure  où 
il  lui  était  apparu. 

Cependant  Antoine  parcourait  la  France  et  l'Italie,  et 
prêchait  la  foi  du  Christ  dans  les  villes  et  les  villages, 
toujours  suivi  d'une  foule  d'auditeurs  qui  voyaient 
en  lui  un  ange  descendu  du  ciel,  et  qui  écoutaient  sa  pa- 
role comme  ils  eussent  écouté  celle  de  Dieu  lui-même. 
Quoique  né  en  Portugal,  il  s'exprimait  en  français  et  en 
italien  avec  une  prodigieuse  facilité.  Les  résultats  qu'il 
obtint  sont  presque  au-dessus  de  l'imagination  :  les  pé- 
cheurs se  convertissaient  par  milliers,  et  les  prêtres  qui 
accompagnaient  Antoine  ne  pouvaient  suffire  à  entendre 
les  confessions. 

«  Quand  le  bon  père  prêchait  »,  dit  un  ancien  auteur, 
«  tous  les  travaux  étaient  aussitôt  suspendus,  comme  aux 
«  jours  de  fête;  les  juges,  les  avocats,  les  négociants 
«  laissaient  leurs  occupations  pour  aller  l'entendre.  On 
a  accourait  des  villes  et  des  villages  :  les  plus  grandes 
«  dames  quittaient  leurs  demeures  et  n'hésitaient  pas  à  se 
«  lever  au  milieu  de  la  nuit  pour  marcher  à  la  lueur  des 
«  torches  et  venir  prendre  leurs  places  le  plus  près  possible 
«  de  la  chaire  du  prédicateur.  Alors  on  se  pardonnait  ré- 
«  ciproquement  toutes  les  offenses  ,  les  débiteurs  se 
«  trouvaient  libérés,  les  prisons  s'ouvraient,  les  voleurs 
«  restituaient  ce  qu'ils  avaient  dérobé,  les  pécheurs  se 
a  convertissaient,  les  hérétiques  abjuraient  leurs  erreurs, 
«  et  }es  infidèles  recevaient  la  lumière  de  l'Evangile.  Et 
a  parmi  tous  ces  milliers  d'auditeurs  qui  se  réunissaient 
c<  autour  du  missionnaire,  on  n'entendait  pas  le  moindre 
«  chuchotement,  ni  le  plus  léger  bruit.  Enfin  les  églises 
«  étaient  tellement  remplies  et  les  Sacrements  tellement 


244  XIII  JUIN. 

a  fréquentés,  que  les  prêtres  ne  pouvaient  suffire  aux 
«  fonctions  du  saint  ministère  ;  et  bienheureux  était  le 
«  fidèle  qui  parvenait  à  baiser  ou  à  toucher  seulement  le 
«  bas  des  vêtements  du  saint,  et  à  recevoir  une  parole  de 
a  sa  bouche  vénérée  ».  (Lelio  Mancini  Poliziano,  cité  par 
l'abbé  Guyard.) 

A  celte  époque  Frédéric  II  s'apprêtait  à  porter  la  guerre 
en  Italie,  contre  la  sainte  Eglise  ;  les  chemins  étaient 
remplis  de  partisans  et  de  bandits  qui  ne  se  faisaient  pas 
scrupule  de  piller  et  de  tuera  l'occasion.  Deux  d'entre  eux 
vinrent  un  jour  entendre  le  Père  Antoine,  par  manière 
de  passe-temps,  ne  se  doutant  pas  de  ce  qui  allait  en  ré- 
sulter pour  eux.  L'un  de  ces  hommes,  devenu  vieux, 
disait  à  un  frère  mineur  :  «  Nous  entendîmes  sortir  de  sa 
«  bouche  enflammée  des  paroles  ardentes  qui  nous  brû- 
«  laient  le  cœur  :  chaque  mot  du  divin  prédicateur 
«  venait,  comme  un  trait,  nous  frapper  en  pleine  poi- 
«  trine  ;  pour  ma  part,  j'aurais  mieux  aimé  recevoir  cent 
«  blessures.  Avec  des  pleurs  et  des  gémissements,  nous 
«  sommes  allés  faire  à  ses  pieds  notre  confession  gé- 
«  nérale  ;  je  ne  saurais  vous  dire  avec  quelle  douceur 
a  paternelle  il  nous  reçut,  quels  sages  conseils  il  nous 
«  donna,  avec  quelle  foi  et  quelle  éloquence  il  nous  parla 
«  de  l'éternelle  félicité  réservée  aux  vrais  chrétiens  et 
«  des  peines  éternelles  qui  seraient  le  juste  châtiment 
a  des  méchants  et  des  impies.  Il  m'a  ordonné  pour  péni- 
«  tence  d'aller  douze  fois  en  pèlerinage  au  tombeau  des 
«  Apôtres  Pierre  et  Paul  ;  voyez  :  je  m'acquitte  avec 
«  bonheur  de  cette  douce  obligation,  et  j'ai  confiance 
«  dans  les  paroles  du  saint  homme  qui  m'a  promis  la 
«  bienheureuse  éternité  ». 


SAINT  ANTOINE  DE  PADOUE.  245 

A  cette  époque,  l'hérésie  des  Albigeois  commençait  à 
exercer  ses  ravages  dans  le  midi  de  la  France.  Semblable 
à  un  fléau  contagieux,  elle  se  répandait  dans  les  villes  et 
les  villages  et  faisait  de  nombreuses  victimes.  Saint 
François  s'en  émut  ;  son  cœur  saigna  à  la  pensée  des 
malheurs  que  des  milliers  d'hommes  se  préparaient  pour 
l'éternité,  et  il  songea  à  arrêter  les  progrès  du  mal.  Il 
choisit  pour  cette  grande  mission  Antoine,  et  le  chargea 
d'aller  fonder  des  couvents  de  l'Ordre  et  prêcher  la  vraie 
foi  dans  la  Provence  et  le  Languedoc.  Antoine  partit, 
fort  de  l'appui  du  Seigneur. 

A  peine  arrivé,  il  se  mit  résolument  à  l'œuvre  ;  sans 
cesse  ni  trêve,  il  frappa  l'hérésie  jusqu'à  la  réduire 
presque  à  l'impuissance.  Ses  sermons,  tantôt  passionnés 
et  brûlants,  tantôt  serrés  comme  l'argumentation  d'un 
logicien  ,  quelquefois    piquants  et   spirituels  ,  étaient 
toujours  éloquents.  Il  provoquait  à  une  lutte  courtoise 
les  docteurs  albigeois;  mais  jamais  aucun  d'eux  n'osa  se 
mesurer  avec  lui  :  on  l'appelait  le  marteau  des  héré- 
tiques.   Les    conversions    étaient    fréquentes  ;  chaque 
sermon    en    amenait  un  grand  nombre.  On  voyait, 
quand  il  avait  cessé  de  parler,  une  foule  d'hommes  et  de 
femmes  s'approcher  de  lui  avec  des  larmes  dans  les  yeux, 
et  lui  demander,  au  nom  du  Seigneur,  pardon  et  abso- 
lution pour  leurs  erreurs.  C'est  qu'à  la  lumière  de  sa 
science  et  de  son  éloquence,  ils  avaient  vu  clair  dans  les 
ténèbres  de  leur  âme  ;  ils  comprenaient  maintenant 
l'énormité  de  leur  faute,  et  si  pour  tous  le  repentir  n'était 
pas  encore  venu,  du  moins  une  crainte  salutaire  du 
courroux  de  Dieu  préparait  les  voies. 
Ce  grand  succès  des  prédications  d'Antoine  est  con- 


246  XIII  JUIN. 

lirmé,  non-seulement  par  les  témoignages  du  temps, 
mais  encore  par  les  nombreuses  fondations  religieuses 
qu'il  commença  ou  acheva  dans  le  midi  de  la  France. 
C'est  grâce  à  lui  que  de  nombreux  couvents  de  Frères 
Mineurs  purent  s'établir  et  se  maintenir  au  centre  même 
d'un  pays  hérétique. 

D'ailleurs,  il  ne  s'épargnait  pas  la  fatigue.  Sa  messe 
dite,  il  confessait  jusqu'à  l'heure  de  son  sermon;  après 
le  sermon,  il  revenait  au  confessionnal,  et  y  demeurait 
jusqu'au  soir.  Ses  journées  se  passaient  à  prêcher,  à 
catéchiser,  à  donner  de  sages  conseils,  à  absoudre  ;  et 
tout  entier  à  ces  œuvres  de  charité  et  d'amour,  il  oubliait 
le  boire  et  le  manger.  Souvent  il  fit  son  premier  repas  à 
la  nuit  tombante.  La  nuit,  au  lieu  de  prendre  le  repos 
qui  lui  eût  été  si  nécessaire,  il  s'adonnait  à  l'étude  et  à 
la  méditation;  il  préparait  ses  sermons,  composait  des 
ouvrages  sur  les  psaumes,  qui  sont  restés,  parmi  les 
meilleurs,  les  plus  savants  et  les  plus  pieux  commentaires 
des  livres  saints  ;  et  son  biographe  ne  craint  pas  d'affirmer 
que  sa  vie,  hélas  I  trop  courte,  a  été  plus  remplie  que 
celle  de  bien  des  vieillards. 

CHAPITRE  IV. 

SOMMAIRE  :  Miracles  du  Père  Antoine.  —  A  Montpellier  il  est  à  la  fois  dans 
l'église  du  couvent,  où  il  chante  Y  Alléluia,  et  dans  l'église  paroissiale,  où  il  prêche. 

—  Miracle  de  Bourges.  —  11  sauve  miraculeusement  l'enfant  d'une  pieuse  femme. 

—  Une  autre  entend  un  sermon  qu'il  prononce  à  plusieurs  milles  de  distance.  — 
Miracle  du  chapitre  d'Arles.  —  Apparition  de  saint  François.  —  Miracle  de 
Limoges.  —  Miracle    de  Soiignac,  etc.,  etc. 

On  peut  dire  de  ce  grand  prédicateur  du  moyen  âge  ce 
que  l'évangéliste  saint  Luc  a  dit  des  Apôtres  :  «  Ils  prê- 
»  chaienl,  et  le  Seigneur  confirmait  leurs  paroles  par 


SAINT  ANTOINE  DE  PADOUE.  247 

a  d'éclatants  prodiges».  La  vie  d'Antoine  a  été  en  effet 
comme  une  suite  non  interrompue  de  miracles.  Ses 
biographes  les  ont  notés  avec  soin,  et  l'Eglise  en  a  approuvé 
et  reconnu  un  grand  nombre.  Nous  en  citerons  seulement 
quelques-uns  des  plus  saillants  et  des  plus  remar- 
quables. 

A  Montpellier,  où  il  exerçait  la  fonction  de  lecteur,  il 
prêchait,  un  jour  de  grande  fête,  en  présence  de  tout  le 
clergé  et  d'une  foule  de  peuple.  Tout  à  coup  il  se  souvint 
qu'il  avait  été  désigné  pour  chanter  V Alléluia  qui  précède 
l'Evangile.  Il  s'interrompt  aussitôt,  se  couvre  la  tête  de 
son  capuchon,  et  penché  sur  le  bord  de  la  chaire,  ses 
lèvres  remuent  comme  prononçant  des  paroles  qu'on 
n'entend  pas  dans  l'église  :  on  les  entendait  ailleurs  ;  il 
y  a  plus,  son  corps  même,  que  ses  auditeurs  croyaient 
encore  apercevoir,  était  aussi  ailleurs  :  dans  son  couvent, 
où  il  chantait  Y  Alléluia  au  milieu  du  chœur.  Quelques 
moments  après,  il  relevait  la  tête,  rejetait  en  arrière 
son  capuchon,  et  reprenait  son  sermon  à  l'endroit  où  il 
l'avait  laissé. 

Ce  miracle,  constaté  par  une  foule  de  témoignages 
irrécusables,  se  renouvela  une  autre  fois  à  Limoges, 
dans  des  circonstances  analogues. 

Il  prêchait  une  station  à  Bourges,  et  une  si  grande 
multitude  de  peuple  se  pressait  à  ses  sermons  que  les 
églises  de  la  ville  eussent  été  incapables  de  la  contenir  ;  on 
résolut  de  se  réunir  en  plein  air,  au  pied  d'une  petite 
éminence.  Tout  à  coup  les  éclairs  brillent,  le  tonnerre 
gronde,  des  nuages  noirs  s'étendent  sur  l'azur  du  ciel 
qu'ils  obscurcissent  et  cachent  bientôt  tout  entier.  La 
foule  effrayée  voulait  fuir  et  chercher  un  abri  ;  Antoine 


'248  XIII  JUIN. 

ia  tranquillisa:  «Demeurez  en  paix»,  dit-il  aux  assistants, 
a  pas  une  goutte  de  pluie  ne  vous  atteindra  ».  Et  il  con- 
tinua à  parler,  comme  s'il  eût  été  en  chaire  dans  une 
cathédrale.  L'orage  s'abattit  avec  furie  autour  de  la  pieuse 
assemblée,  mais  laissa  intacte  la  place  qu'elle  occupait. 

Une  pieuse  femme,  à  la  nouvelle  que  saint  Antoine 
venait  prêcher  dans  son  village,  devint  presque  folle  de 
joie,  et  dans  son  empressement  d'arriver  à  temps  pour 
l'entendre,  au  lieu  de  coucher  son  enfant  dans  son  petit 
berceau,  elle  le  déposa,  sans  y  prendre  garde,  dans  une 
chaudière  pleine  d'eau  bouillante.  Le  sermon  terminé, 
elle  fut  fort  étonnée  de  voir  quelques  personnes  du  voi- 
sinage lui  demander  où  était  son  enfant.  Pressentant  un 
malheur,  elle  courut  à  la  maison  :  le  berceau  était  vide, 
mais  quel  ne  fut  pas  son  étonnement  en  voyant  le  pauvre 
petit  être  jouer  en  souriant  dans  l'eau  de  la  chaudière,  et 
lui  tendre  les  bras.  Elle  tomba  à  genoux  et  rendit  grâces 
à  Dieu,  qui,  sans  doute  en  faveur  du  pieux  Antoine, 
l'avait  si  miraculeusement  sauvé. 

Une  autre  femme,  remplie  aussi  de  dévotion,  désirait 
vivement  entendre  un  sermon  que  le  saint  devait  faire 
hors  de  la  ville  ;  mais  son  mari  lui  défendit  d'accom- 
pagner la  foule  et  de  sortir  de  la  maison.  Tout  attristée 
de  ce  refut,  elle  monta  dans  sa  chambre,  et  ouvrant  une 
fenêtre  qui  regardait  du  côté  de  l'éminence  où  prêchait 
Antoine,  elle  s'efforça  du  moins  de  voir  un  peu  ce  qui  s'y 
passait.  Alors,  par  un  prodige  manifeste,  elle  entendit  la 
voix  du  saint  prédicateur  aussi  distinctement  que  si  elle 
se  fût  trouvée  auprès  de  lui.  Son  mari  lui  demanda 
pourquoi  elle  demeurait  si  longtemps  à  cette  fenêtre,  et 
sur  sa  réponse  qu'elle  écoutait  le  sermon  du  Père,  il  se 


SAINT  ANTOINE  DE  PADOÏÏE.  249 

mit  à  rire  ;  mais  cependant,  curieux  de  se  rendre  compte 
de  la  chose  par  lui-même,  il  s'approcha  de  la  fenêtre  et, 
à  son  grand  étonnement,  entendit  comme  sa  femme 
les  paroles  d'Antoine.  La  chronique  ajoute  que  ce  seul 
fait  décida  de  sa  conversion,  et  que  dans  la  suite,  au  lieu 
de  contrarier  son  épouse  dans  ses  exercices  de  piété,  il 
voulut  assister  avec  elle  à  tous  les  sermons  du  mission- 
naire franciscain. 

En  1226,  Antoine  reçut  de  ses  supérieurs  l'ordre  de  se 
rendre  à  Arles,  où  se  tenait  alors  le  chapitre  général  de 
la  province.  Les  religieux  et  les  prêtres  de  la  ville  le 
reçurent  avec  le  respect  que  méritaient  ses  vertus,  ses 
travaux  apostoliques  et  les  merveilles  que  Dieu  opérait 
par  son  entremise,  et  il  fut  choisi  à  l'unanimité  pour 
adresser  aux  Pères  assemblés  les  exhortations  d'usage.  Ce 
fut  pour  le  Seigneur  une  nouvelle  occasion  de  manifester 
par  un  éclatant  prodige  la  sainteté  de  son  serviteur. 
Comme  Antoine  prêchait  le  14  septembre,  jour  de  l'Exal- 
tation de  la  sainte  Croix,  sur  la  passion  du  Christ,  au 
moment  même  où  il  prononçait  ces  mots  :  «  Jésus  de 
«Nazareth,  roi  des  Juifs  »,  un  vénérable  religieux, 
nommé  Monald,  aperçut  tout  à  coup,  au-dessus  de  la 
porte  du  chapitre,  saint  François  d'Assise  enveloppé  dans 
un  tourbillon  de  lumière,  et  bénissant  ses  enfants.  On 
n'espérait  plus  revoir  le  glorieux  fondateur  de  l'Ordre, 
que  Ton  savait  être  en  ce  moment  retenu  à  Assise  par 
une  cruelle  maladie,  et  les  bons  Pères  ne  manquèrent 
pas  de  faire  honneur  de  cette  précieuse  visite  au  bien- 
heureux Antoine. 

Saint  Bomventure  (1)  raconte  ainsi  cette  merveille  : 

(1)  Guyard,  Saint  Antoine  de  Pudona,  pag.  191. 


250  XIII  JUIN. 

a  Quoique  saint  François  ne  pût  pas  assister  en  personne 
«  aux  chapitres  des  provinces  ,  il  est  vrai  de  dire 
«  néanmoins  que  les  règlements  qu'il  avait  prescrits  pour 
«  ces  assemblées,  les  prières  ferventes  qu'il  adressait  au 
a  ciel  pour  leur  succès,  et  la  bénédiction  qu'il  leur 
-  envoyait,  le  rendaient  pour  ainsi  dire  présent  partout, 
a  Quelquefois  même,  Dieu,  par  un  effet  de  sa  toute-puis- 
p  sance,  l'amenait  miraculeusement  au  milieu  de  ses 
«  enfants.  C'est  ce  qui  eut  lieu  à  Arles.  Pendant  que 
«  l'excellent  prédicateur  Antoine,  ce  brillant  confesseur 
«  du  Christ,  parlait  aux  Pères  sur  la  passion  du  Sauveur 
«  et  sur  l'inscription  de  sa  croix,  ainsi  conçue  :  «  Jésus  de 
"  Nazareth,  roi  des  Juifs  »  ,  un  des  religieux,  nommé 
«  Monald,  d'une  vertu  éprouvée,  se  sentit  poussé  par 
«  l'inspiration  divine,  à  regarder  vers  la  porte  capi- 
fc  tulaire.  Il  vit  alors  le  bienheureux  François  élevé  en 
«  l'air,  les  bras  étendus  en  croix  et  bénissant  rassemblée... 
«  Il  faut  donc  croire  »  ,  ajoute  saint  Bonaventure,«  que  le 
«  Seigneur,  qui  par  sa  vertu  et  sa  puissance  conduisit 
c  saint  Ambroise  aux  obsèques  du  glorieux  pontife 
«  saint  Martin,  voulut  aussi  que  les  vérités  annoncées 
«  par  Antoine,  son  prédicateur,  et  spécialement  celles 
a  qui  regardaient  la  passion  de  Jésus-Christ,  reçussent 
o  une  nouvelle  approbation  de  la  présence  de  son  servi- 
«  teur  François,  qui  savait  si  bien  porter  la  croix  et  la 
«  prêcher  aux  autres  (1)  ». 

Après  la  tenue  du  chapitre  d'Arles,  Antoine  fut  nommé 
gardien  du  couvent  de  Limoges.  Là  il  apprit  qu'un  jeune 
novice,  qui  avait  étudié  à  l'Université  de  Montpellier,  et 
sur  lequel  on  avait  fondé  les  plus  grandes  espérances, 

(i)  Yita  S.  P.  Francisci,  c.  iv. 


SAINT  ANTOINE  DE  PADOUE  251 

pris  d'un  découragement  subit,  voulait  rentrer  dans  le 
monde.  Le  saint  homme  le  fit  venir  auprès  de  lui,  l'em- 
brassa avec  effusion,  et  lui  soufflant  sur  la  figure,  lui 
dit  :  «  Mon  fils,  recevez  le  Saint-Esprit  ».  A  ces  mots,  le 
novice  tombe  à  terre,  comme  frappé  de  la  foudre  ;  on 
s'empresse  autour  de  lui,  on  le  relève  pâle  et  tremblant  ; 
et  tout  à  coup  il  se  met  à  raconter  qu'il  vient  d'être 
transporté  dans  les  célestes  royaumes,  qu'il  s'est  mêlé 
aux  chœurs  des  Anges,  et  qu'il  a  vu  des  merveilles 
infinies.  Il  eût  parlé  davantage,  mais  saint  Antoine 
l'arrêta  :  <r  Mon  fils  »,  lui  dit-il,  «  vous  écrirez,  pour  la 
«  plus  grande  gloire  de  Dieu,  ce  que  vous  voulez  nous 
o  raconter  » .  Depuis  ce  jour,  le  novice  cessa  d'être  tour- 
menté par  l'esprit  malin,  et  il  est  devenu  l'un  des  plus 
vénérables  religieux  de  l'Ordre. 

Une  pieuse  femme,  qui  faisait  les  commissions  des 
Frères  Mineurs,  rentra  un  jour  assez  tard  à  la  maison. 
Son  mari,  homme  grossier  et  mal  élevé,  la  reçut  avec  des 
outrages  et  des  coups,  et  la  traita  si  cruellement  qu'elle 
en  perdit  connaissance  ;  le  misérable  en  profita  pour  lui 
couper  ses  cheveux,  qu'elle  avait  très-beaux  et  auxquels 
elle  tenait  beaucoup.  Le  lendemain,  Antoine,  miraculeu- 
sement averti  par  le  Seigneur,  vint  voir  la  pauvre 
femme,  qui  pleurait  et  regrettait  la  perte  de  sa  chevelure  ; 
il  la  consola,  l'exhorta  à  la  résignation  et  lui  promit 
d'intercéder  pour  elle  auprès  de  Dieu.  En  effet,  rentré  au 
couvent,  il  fit  assembler  les  frères  à  la  chapelle,  et  se  mil 
en  prières  avec  eux.  Au  même  instant  les  cheveux  de  la 
malade  renaissaient  plus  beaux  et  plus  longs  que  jamais. 

Antoine  venait  de  fonder  le  couvent  de  Brives,  et  les 
religieux  y  affluant  de  tous  côtés,  il  arriva  un  jour  que 


252  XIII  JUIN. 

les  vivres  manquèrent  et  qu'il  fallut  recourir  à  la  charité 
publique.  Le  saint  envoya  prier  une  bonne  dame  du  voi- 
sinage de  lui  donner  pour  ses  frères  quelques  oignons  de 
son  jardin.  Il  pleuvait  à  torrents,  et  le  jardin  était  assez 
éloigné  de  la  maison.  Néanmoins  elle  donna  ordre  à  sa 
domestique  d'aller  chercher  les  légumes  et  de  les  por- 
ter au  couvent.  La  servante  obéit,  et,  au  grand  étonne- 
ment  de  sa  maîtresse,  revint  à  la  maison  sans  avoir  une 
goutte  de  pluie  sur  ses  vêtements  ;  cependant  l'eau  n'a- 
vait pas  cessé  de  tomber,  et  il  avait  fallu  plus  d'une  demi- 
heure  de  course  pour  aller  au  couvent  et  en  revenir. 

Une  autre  fois,  c'est  à  l'abbaye  de  Solignac  qu'Antoine 
accomplit  un  miracle  non  moins  étonnant.  Un  religieux, 
sans  cesse  tourmenté  par  le  démon,  avait  versé  ses  cha- 
grins dans  le  cœur  du  saint  homme,  et  l'avait  prié  d'in- 
tercéder pour  lui  auprès  de  Dieu.  Antoine  ôte  son  man- 
teau, le  jette  sur  les  épaules  du  religieux,  et  aussitôt,  à 
ce  seul  contact,  le  démon  de  l'impureté,  qui  s'était  établi 
dans  son  âme,  s'enfuit  à  tout  jamais  ;  et  ce  que  n'avaient 
pu  ni  les  jeûnes,  ni  les  macérations,  la  toute-puissante 
intervention  du  saint  apôtre  l'avait  accompli  en  un  ins- 
tant. 

CHAPITRE  V. 

SOMMAIRE  :  Hérétiques  convertis  par  les  sermoDs  et  les  miracles  de  saint  Antoine. 
—  Miracle  de  la  mule  à  Toulouse,  et  conversions  qui  le  suivent.  —  Miracle  des 
poissons  à  Rimini,  et  conversions.  —  Vaines  tentatives  des  hérétiques  pour  se  dé- 
barrasser d'Antoine.  —  Efficace  intervention  du  saint  auprès  du  tyran  Eccelin.  — 
11  l'arrête  dans  ses  débordements. 

Entre  les  titres  innombrables  du  saint  apôtre  à  la  vé- 
nération des  fidèles,  il  faut  placer  au  premier  rang  le 
zèle  qu'il  montra  toujours  pour  la  purification  des  âmes 


SATNT  ANTOINE  DE  PADOUE.  253 

et  les  nombreuses  conversions  qu'il  provoqua.  Où  l'élo- 
quence de  la  parole  ne  suffisait  pas,  il  affirmait  la  vérité 
de  la  religion  par  des  miracles  ;  et  c'est  ainsi  qu'il  a  fait 
rentrer  dans  le  giron  de  l'Eglise  une  foule  de  huguenots 
hérétiques.  Les  docteurs  du  calvinisme  n'osaient  pas 
paraître  devant  cet  homme,  en  qui  se  réalisait  de  nouveau 
cette  promesse  que  le  Christ  avait  donnée  à  ses  Apôtres  : 
«  Je  mettrai  en  vous  une  sagesse  et  une  puissance  telles, 
«  que  vos  ennemis  ne  pourront  rien  contre  vous  ». 

L'histoire  a  conservé  le  souvenir  d'un  prodige  éclatant 
que  le  saint  accomplit  à  Toulouse,  et  que  l'on  désigne 
ordinairement  sous  le  nom  de  miracle  de  la  mule.  Un 
hérétique,  nommé  Guiald,  assez  influent  dans  la  ville  et 
d'un  caractère  très-obstiné,  osa  un  jour  discuter  avec 
notre  grand  saint  sur  un  des  points  les  plus  importants 
de  la  religion.  Il  connaissait  d'ailleurs  parfaitement  la 
Bible,  parlait  l'hébreu,  et,  fort  de  sa  science,  prétendait 
triompher  du  Père.  Mais,  bientôt  battu  dans  la  discussion 
en  présence  d'un  grand  nombre  d'albigeois  et  de  catho- 
liques, il  essaya  de  se  tirer  d'affaire  par  un  subterfuge  : 
«  Laissons  les  discours  »,  dit-il,  «  et  venons  aux  faits  ;  je 
«  possède  une  mule,  je  vais  pendant  trois  jours  la  priver 
«  de  nourriture.  Dans  trois  jours,  soyez  ici  avec  une 
«  hostie  consacrée  ;  moi,  de  mon  côté,  j'amènerai  ma 
«  mule  et  je  lui  offrirai  à  manger.  Si,  dédaignant  le  foin 
«que  je  lui  présenterai,  elle  se  tourne  vers  vous,  je  re- 
«  connaîtrai  la  supériorité  de  votre  religion  et  je  me 
«  convertirai  ».  Le  saint  accepta  la  proposition.  Au  jour 
convenu,  qui  se  trouvait  être  un  jour  de  marché,  Antoine, 
après  avoir  célébré  le  saint  sacrifice  de  la  messe  et  prié 
Dieu  avec  ferveur,  accourut  au  rendez-vous,  l'ostensoir 


254  xni  juriv 

sacré  à  la  main.  La  mule  arrivait,  conduite  par  l'héréti- 
que, qui  avait  eu  soin  de  la  faire  suivre  par  la  nourriture 
qu'elle  préférait.  Le  visage  inspiré,  Antoine  marche  au 
devant  d'elle,  entouré  de  chrétiens  chantant  des  hym- 
nes et  des  prières  :  «  Au  nom  de  ton  Créateur  que  je 
«  porte  dans  mes  mains  »,  lui  dit-il,  «je  t'ordonne  de 
«  l'adorer  avec  humilité,  afin  que  les  hérétiques  voient 
«  avec  confusion  que  les  animaux  eux-mêmes  sont  for- 
«  ces  de  reconnaître  la  divinité  de  celui  que  le  prêtre 
«  immole  tous  les  jours  sur  l'autel  ».  Aussitôt  la  mule, 
quittant  son  conducteur,  se  prosterne  à  terre,  et,  plaçant 
sa  tête  sur  les  pieds  d'Antoine,  reste  immobile  dans  cette 
position.  Décrire  la  rage  et  la  confusion  des  huguenots, 
aussi  bien  que  la  joie  des  catholiques,  est  impossible.  Un 
immense  concert  d'actions  de  grâces  s'élève  vers  le  ciel  ; 
Guiald,  fidèle  à  sa  parole,  reconnaît  la  religion  du  saint 
thaumaturge  et  provoque  la  conversion  de  toute  sa  fa- 
mille et  d'un  grand  nombre  d'hérétiques.  Il  fit  même,  par 
la  suite,  construire,  à  l'endroit  où  avait  eu  lieu  le  mira- 
cle, une  belle  église  qui  fut  placée  sous  l'invocation  de 
l'apôtre  saint  Pierre.  L'un  de  ses  neveux  éleva  aussi  une 
chapelle,  où  une  inscription  gravée  sur  la  façade  rappelait 
le  miracle  de  la  mule  (1). 

(1)  Voici  l'inscription,  telle  que  la  rapporte  Pierre  Rosset,  de  Paris  : 

Sacris  tandem  se  fontibus  ipsum 

Et  natus  jubet,  et  pariter  cum  conjuge  natos 
Lustrari,  totamque  doinum  seruire  Tonanti. 
Sumptibus  immensis  Petro  sublimia  templa 
Condidit,  œthereas  tangunt  quœ  vertice  nubes. 
Non  procul  hinc,  templum  exiguum  posuere  nepotes, 
Et  celso  statuere  loco  spirantia  signa. 
In  foribus  stat  equus,  supplex  ante  ora  dicati 
Corporis,  effigies  cultus  monumenta  verendi 
llli  spreta  fero  calathis  portatur  avenu. 

Ce    qui  veut  dire  :  «  Enfin  il  se  fait  baptiser  et,  avec  lui,  sa  femme,  tes  fils  et  se 


SAINT  ANTOINE  DE  PADOUE.  255 

Un  miracle  non  moins  éclatant,  que  le  saint  accomplit 
à  Rimini,  décida  aussi  de  la  conversion  d'un  grand  nom- 
bre d'hérétiques.  Comme  les  yeux  des  ennemis  de  la  foi 
se  fermaient  obstinément  à  la  lumière,  malgré  les  ser- 
mons les  plus  éloquents,  les  raisonnements  les  plus  ser- 
rés et  les  preuves  les  plus  convaincantes,  Antoine  dé- 
clara du  haut  de  la  chair  que  ceux  qui  voudraient 
l'accompagner  jusqu'à  l'embouchure  du  fleuve  verraient 
des  choses  merveilleuses.  Quand  on  fut  arrivé  sur  les 
bords  de  la  Marecchia,  Antoine,  élevant  la  voix,  promena 
ses  regards  sur  l'étendue  des  eaux  et  s'écria  : 

«  Poissons  de  la  mer  et  du  fleuve,  écoutez  ;  puisque  les 
«  hommes  ne  veulent  pas  entendre  la  parole  de  Dieu, 
a  c'est  à  vous  que  je  vais  l'annoncer  ».  Aussitôt,  des  pro- 
fondeurs du  fleuve,  des  abîmes  de  la  mer,  les  petits  mêlés 
aux  gros,  une  multitude  de  poissons  s'approchent  du  ri- 
vage. Ils  arrivaient  de  tous  les  côtés,  par  troupes  innom- 
brables, serrés  les  uns  contre  les  autres,  la  tête  hors  de 
l'eau,  les  yeux  tournés  vers  le  prédicateur,  qui  leur  parla 
ainsi  :  «  Quelles  actions  de  grâces,  ô  poissons,  ne  devez- 
«  vous  pas  rendre  à  Celui  qui  vous  a  donné  pour  dé- 
fi meure  cette  immense  étendue  d'eau  !  C'est  à  lui  que 
«  vous  devez  ces  profondes  retraites  où  vous  vous  réfu- 
«  giez  pendant  la  tempête  ;  c'est  lui  qui,  à  l'époque  du 
a  déluge  universel,  lorsque  tous  les  hommes  et  tous  les 
«  animaux  qui  n'étaient  pas  dans  l'arche  périrent,  vous 
«  a  conservé  l'existence.  Vous  avez  sauvé  le  saint  pro- 

c  filles;  il  veut  que  toute  sa  maison  reconnaisse  le  Très  Haut.  Puis  il  construit  à 
«  grands  frais  et  consacre  à  saint  Pierre  une  église  splendide,  dont  les  tours  se  per- 
«  dent  dans  les  nues.  Tout  près,  ses  neveux  font  bâtir  une  chapelle  et  y  placent, 
u  dans  un  endroit  élevé,  des  sculptures  vivantes.  Une  mule  est  prosternée,  suppliante, 
o  devant  l'hostieconsa3rée...,elledédaignel'avoine  qu'on  lui  offre  dans  une  corbeille». 
(Annales  Minorum,  an.  1225,  num.  15.) 


256  XIII  JUIN. 

«  phète  Jonas,  vous  avez  fourni  à  saint  Pierre  et  à  Notre- 
«  Seigneur  Jésus-Christ  de  quoi  payer  le  cens;  enfin  vous 
«  avez  servi  de  nourriture  au  Roi  des  rois.  Louez  donc  et 
«  bénissez  le  Seigneur  qui  vous  a  favorisés  entre  toutes  les 
«  créatures  ». 

A  ces  mots,  les  poissons  s'agitent,  battent  de  ia  queue, 
ouvrent  la  bouche,  et  témoignent  par  mille  signes  qu'ils 
veulent  rendre  hommage  au  Très-Haut  et  lui  payer  le 
tribut  de  leurs  muettes  louanges.  Les  assistants  ne  pou- 
vaient contenir  leur  admiration  et  leur  étonnement  : 
a  Louons  Dieu,  mes  frères»,  s'écria  Antoine,  en  se  tour- 
nant vers  les  assistants,  «  louons  Celui  que  des  poissons 
«  révèrent  plus  que  ne  font  les  hommes  créés  à  sa  divine 
a  ressemblance  ».  Les  hérétiques  étaient  confondus  ;  ils 
se  jettent  en  foule  aux  pieds  du  saint  homme  et  ne  con- 
sentent à  quitter  la  place  qu'après  avoir  reçu  de  lui 
l'absolution  de  leurs  péchés.  Tous  ceux  qui  assistèrent  à  ce 
miracle  rentrèrent  ce  jour-là  même  dans  le  sein  de 
l'Eglise.  Le  souvenir  de  ce  prodige  s'est  perpétué  en  Italie 
et  même  en  France,  et  le  Père  Papebroeck  nous  dit  qu'il  a 
vu  de  ses  yeux,  le  26  novembre  1660,  une  antique  cha- 
pelle élevée  sur  le  lieu  même  où  il  s'accomplit.  Des 
peintres  célèbres  l'ont  représenté  sur  la  toile. 

Le  saint  Père,  après  cette  éclatante  manifestation  de  la 
toute-puissance  de  Dieu,  demeura  encore  quelques  jours 
à  Rimini,  pour  affermir  dans  la  foi  les  nouveaux  con- 
vertis, et  les  instruire  des  principaux  dogmes  de  la  reli- 
gion. 

Les  hérétiques  n'eurent  jamais  d'ennemi  plus  intrépide 
et  plus  redoutable,  plus  habile  à  profiter  de  leurs  fautes, 
plus  capable  de  dévoiler  leurs  fourberies  et  leurs  men- 


SAINT  ANTOINE  DE  PADODE.  257 

songes.  Aussi  essayèrent-ils  souvent  de  ternir  sa  renom- 
mée par  la  calomnie,  ou  même  de  se  débarrasser  de  lui 
par  l'assassinat.  Un  jour,  ils  versèrent  du  poison  dans 
l'eau  qu'il  devait  boire  et  dans  la  soupe  qu'il  devait  man- 
ger. Antoine  en  fut  averti  par  le  Seigneur  :  «  N'avez- vous 
a  pas  bonté  »,  leur  dit-il,  «  de  recourir  à  ces  misérables 
«  moyens,  et  croyez-vous  que  l'éternelle  vigueur  de  la 
«  religion  catholique  doive  s'affaiblir,  si  je  meure?  »  Les 
em poisonneurs,  qui  savaient  qu'il  ne  pouvait  pas  y  avoir  de 
traître  parmi  eux,  étaient  confondus:  a  Mangez  et  buvez», 
répondirent-ils,  puisqu'il  est  dit  dans  l'Evangile  :  «  Vous 
«  pouvez  boire  sans  danger  des  breuvages  mortels  ;  et  si  le 
«  poison  ne  produit  sur  vous  aucun  effet,  nous  sommes 
«  prêts  à  reconnaître  que  votre  religion  est  la  véritable  ». 
Antoine  fit  un  signe  de  croix,  mangea  et  but  :  «  Ce  n'est 
«pas,  Seigneur  »,  s'écria-t-il,  «ce  n'est  pas  pour  vous 
«  braver  que  j'absorbe  ce  poison,  c'est  pour  donner  à 
«  votre  gloire  une  nouvelle  occasion  de  se  manifester  ». 
Il  n'éprouva  pas  la  moindre  douleur,  et  les  hérétiques 
qui  avaient  voulu  le  faire  mourir  rentrèrent  dans  le 
giron  de  l'Eglise  catholique. 

Partout  où  passait  le  saint,  les  mêmes  prodiges  l'accom- 
pagnaient, et  non-seulement  les  hérétiques,  mais  aussi  les 
pécheurs,  le  redoutaient  comme  la  foudre  ;  on  l'appelait 
«l'effroi  des  tyrans».  Et  vraiment,  jamais  titre  ne  fut 
mieux  mérité.  Lorsque  l'Italie  entière  tremblait  au  seul 
nom  du  féroce  Eccelin,  et  que,  maître  déjà  de  Vicence,  de 
Brescia,  de  Castel-Fonte ,  cet  homme  cruel  menaçait 
d'envahir  toute  la  contrée,  quand  les  habitants  de  Pa- 
doue,  effrayés,  croyaient  déjà  voir  à  leurs  portes  les  gi- 
•bets  et  les  échafauds,  Antoine,  se  dévouant  pour  ses 
Palm.  Sérapii.  —  Tome  VI.  17 


258  XIII  JUIN. 

concitoyens,  annonça  qu'il  allait  trouver  le  tyran.  Il  part, 
arrive  à  Vérone,  se  présente  dans  le  palais  où  le  misérable, 
entouré  de  bandits  comme  lui,  était  assis  sur  un  trône  de 
soie  et  de  velours.  Il  marche  droit  à  Eccelin,  et  sans  s'ef- 
frayer de  tout  cet  appareil,  il  s'écrie  :  «  Tyran  cruel, 
«  chien  enragé,  que  la  colère  du  ciel  s'appesantisse  sur 
«  ta  tête  !  jusques  à  quand  verseras-tu  ainsi  à  torrents  le 
«  sang  des  chrétiens?  Songe,  songe  au  jour  du  juge- 
or  ment;  il  s'approche,  et  la  peine  sera  terrible  ».  Ecce- 
lin tremblait  de  la  tête  aux  pieds,  et  il  était  si  pâle,  qu'il 
ne  paraissait  plus  avoir  une  goutte  de  sang  dans  les 
veines  :  «  J'ai  vu  sortir  des  yeux  de  ce  moine  »,  disait-il 
à  ses  soldats,  «  des  éclairs  si  menaçants,  que  j'ai  craint 
«  un  moment  d'être  sur-le-champ  précipité  dans  l'enfer  » . 
Il  se  confessa,  demanda  humblement  pardon  de  ses  cri- 
mes, promit  de  s'amender,  et  témoigna  durant  toute  sa 
vie  une  grande  vénération  pour  l'homme  de  Dieu. 

Malheureusement  il  ne  tint  ses  promesses  qu'à  moitié, 
et  le  saint  religieux,  défenseur  intrépide  des  chrétiens  et 
des  Italiens,  ne  cessait  de  fulminer  contre  lui  les  discours 
les  plus  éloquents.  Eccelin  voulut  l'éprouver  :  il  lui 
envoya  par  quelques-uns  de  ses  officiers  un  présent  con- 
sidérable, avec  ordre  de  le  tuer,  s'il  l'acceptait  ;  mais  de 
respecter  sa  vie,  s'il  le  refusait.  Les  messagers  du  tyran 
abordent  très-humblement  Antoine  et  lui  disent  :  «  Votre 
«  fils  Eccelin  vous  prie  en  grâce  d'accepter  ce  cadeau , 
«  et  vous  demande  aussi  d'intercéder  pour  lui  auprès  de 
«Dieu».  Antoine  refusa  avec  indignation  :  «  C'est  le 
«  fruit  du  meurtre,  du  pillage  et  des  rapines  que  vous 
«  portez  dans  vos  mains;  je  vois  encore  du  sang  sur  cet 
«  or  ;    sortez  de    chez  moi  ,  maudits  ,  et  ne  souillez 


SAINT  ANTOINE  DE  PADOUE.  259 

«  pas  plus  longtemps  ma  maison  de  votre  présence». 

Ils  s'en  retournèrent  tout  confus  et  racontèrent  à 
Eccelin  les  résultats  de  leur  mission  :  «  C'est  vraiment 
a  un  homme  de  Dieu  et  un  saint  »,  dit-il;  a  qu'il  prêche 
a  contre  nous  comme  il  voudra,  nous  le  laisserons  en 
«paix».  Et  tant  qu'Antoine  vécut,  la  frayeur  et  le 
respect  que  lui  inspirait  le  grand  thaumatuge  l'arrêtèrent 
dans  ses  débordements. 

Plus  tard,  après  la  mort  d'Antoine,  sa  toute-puissante 
intercession  délivra  Padoue  de  la  tyrannie  sanglante  du 
tyran,  et  donna  la  victoire  à  l'armée  du  pape  et  des 
républiques  italiennes. 

CHAPITRE  VI. 

SOMMAIRE  :  Admirable  harmonie  des  vertus  d'Antoine.  —  Il  possède  l'esprit  des 
prophètes.  —  Sa  prédiction  au  notaire  du  Puy,  et  comment  elle  se  vérifie.  — 
Prédiction  concernant  le  glorieux  martyr  Philippe.  —  Dévotion  d'Antoine  envers  la 
très-sainte  Vierge.  —  Elle  lui  apparaît  le  jour  de  l'Assomption.  —  Elle  lui  appa- 
raît de  nouveau  à  Padoue  et  le  sauve  des  étreintes  du  démon. 

On  ne  sait  où  s'arrêter  dans  cette  longue  suite  de  pro- 
diges ;  il  faudrait,  pour  être  complet,  prendre  la  vie  du 
saint  jour  par  jour ,  depuis  sa  naissance  jusqu'à  sa 
mort.  Tout  ce  qu'il  y  avait  au  monde  de  plus  grand  et  de 
plus  admiré  des  hommes,  tout  ce  que  Dieu  entassa 
jamais  de  faveurs  sur  la  tête  de  ses  plus  chers  enfants, 
zèle  et  foi  des  Apôtres,  patience  des  martyrs,  sagesse  des 
docteurs,  éloquence  des  Pères  de  l'Eglise,  courage  des 
confesseurs,  pureté  des  vierges,  piété  des  Anges,  il  a 
tout  rassemblé  en  lui  dans  une  magnifique  harmonie. 
Ajoutez  à  cela  les  miracles  les  plus  étonnants,  les  pro- 
diges les  plus  éclatants  accomplis  en  présence  de  millier? 


260  XIII  JUIN. 

de  spectateurs ,  les  hérétiques  confondus  et  convertis, 
les  pécheurs  effrayés  et  repentants,  les  tyrans  domptés  ou 
contenus,  les  démons  expulsés,  des  extases  merveilleuses, 
des  visions  sublimes,  des  entretiens  de  tous  les  instants 
avec  les  puissances  du  ciel,  la  \ie  éternelle  devinée  et 
connue  par  avance,  voilà  quel  fut  Antoine,  voilà  ses 
litres  à  l'admiration  et  au  respect  des  siècles. 

Il  connut  les  secrets  des  cœurs,  et  sut  lire  dans  l'avenir 
comme  dans  un  livre  ouvert.  Il  y  avait  au  Puy,  en 
France,  un  notaire  mondain  et  déréglé,  athée  déclaré, 
ne  songeant  qu'à  satisfaire  ses  passions,  et  se  souciant 
fort  peu  d'ailleurs  de  ce  qu'on  pensait  de  lui.  On  lui 
témoignait  en  général  fort  peu  d'estime  ;  Antoine  seul 
ne  passait  jamais  auprès  de  lui  sans  le  saluer,  et  même 
sans  se  jeter  à  ses  pieds.  Ces  marques  de  respect  qu'il 
savait  ne  pas  mériter,  et  qu'il  considérait  comme  une 
dérision,  contrariaient  vivement  le  notaire  débauché, 
qui  faisait  tout  son  possible  pour  éviter  la  rencontre 
d'Antoine.  Mais,  en  dépit  de  ses  précautions,  il  se  trouva 
de  nouveau  en  sa  présence,  et,  à  la  vue  du  bienheureux  se 
prosternant  devant  lui  selon  sa  coutume,  il  entra  dans 
une  violente  colère  et  lui  demanda,  avec  des  menaces  et 
des  injures,  ce  que  signifiait  cette  façon  d'agir  :  «  J'ai 
«  souvent  prié  Dieu  »,  répondit  Antoine,  «  de  m'accorder 
«  ia  faveur  de  mourir  martyr,  et  je  sais  que  je  n'obtiendrai 
«  pas  cette  grâce.  Mais  le  Seigneur  vous  la  réserve  :  il 
c;  vous  sera  donné  de  verser  votre  sang  pour  la  foi,  et 
«  voilà  pourquoi  je  me  jette  à  vos  pieds,  et  pourquoi  je 
«  vous  demande  de  penser  à  moi  quand  vous  serez  entré 
«  dans  l'éternel  royaume  ».  Le  notaire  se  mit  à  rire  en 
entendant  cette  prédiction,  et  continua  son  chemin. 


SAINT  ANTOINE  DE  PADODE.  261 

Quelque  temps  après  l'évêque  du  Puy  partit  pour 
Jérusalem,  et  le  notaire,  entraîné  par  cet  exemple,  dis- 
tribua ses  biens  aux  pauvres  et  accompagna  le  prélat. 
Arrivé  en  Orient,  il  se  sentit  tout  à  coup  animé  de 
l'ardeur  des  Apôtres,  et  se  mit  à  proclamer  bien  haut  la 
vérité  de  la  religion  chrétienne  ;  il  déclara  que  Jésus- 
Christ  était  le  seul  vrai  Dieu  et  que  Mahomet  n'était 
qu'un  imposteur  et  un  faux  prophète.  Les  Maures,  fu- 
rieux, se  saisirent  de  lui  et  le  firent  périr  dans  les  sup- 
plices. La  prophétie  d'Antoine  était  réalisée. 

Dans  cette  même  ville  du  Puy,  une  femme  pieuse,  sur 
le  point  d'accoucher,  vint  se  recommander  aux  prières 
du  saint.  Antoine  se  souvint  d'elle  dans  ses  oraisons,  et, 
quelques  jours  plus  tard,  il  lui  déclara  qu'elle  mettrait  au 
monde  un  fils  dont  la  vie  vertueuse  ferait  la  gloire  de  sa 
famille  et  de  l'Ordre  Séraphique  ;  que  cet  enfant,  après 
avoir  passé  plusieurs  années  dans  le  sacerdoce,  terminerait 
par  le  martyre  une  sainte  existence.  Tous  ces  événements 
se  réalisèrent  de  point  en  point  :  la  pieuse  dame  accoucha 
d'un  garçon  nommé  Philippe;  il  entra  dans  un  couvent 
de  Saint-François,  et  vers  la  fin  de  sa  vie  fut  envoyé  par 
ses  supérieurs  en  Palestine,  où  les  Turcs  le  firent  périr 
dans  les  supplices. 

Dès  sa  jeunesse,  et  même  dès  sa  plus  tendre  enfance, 
Antoine  avait  toujours  témoigné  pour  la  Mère  de  Dieu  la 
plus  grande  dévotion  et  le  plus  parfait  amour.  C'est  en 
présence  de  la  Vierge  immaculée  qu'il  avait  fait  vœu  de 
chasteté,  et  jamais  la  toute-puissante  Reine  des  Anges  ne 
l'abandonna  dans  ses  besoins.  Antoine  célébrait  surtout 
avec  respect  les  fêtes  de  l'Immaculée-Conception  et  de 
l'Assomption  de  Marie.  Il  fut  récompensé  de  cette  piété  à 


262  XIII  JUIN. 

îa  Mère  de  Dieu  par  de  célestes  apparitions.  Un  jour  qu'il 
venait  de  lire  le  martyrologe  d'Usuard,  où  l'on  parle  de 
l'Assomption  en  corps  de  la  Vierge  comme  d'une  chose 
douteuse,  Antoine,  le  cœur  gonflé  de  tristesse  et  révolté 
de  cette  téméraire  assertion,  se  mit  à  genoux  dans  sa 
cellule  et  demanda  à  Dieu  de  pardonner  aux  hommes 
qui  avaient  osé  émettre  de  semblables  opinions.  Tout  à 
coup  une  lumière  éblouissante  emplit  la  chambre  du 
bienheureux,  et  il  voit  apparaître  la  Reine  des  Anges, 
entourée  de  son  cortège  éternel  des  séraphins  et  des 
chérubins.  En  même  temps  il  entendait  une  voix  qui 
disait  :  «  Mon  fils,  assurez-vous  que  je  suis  véritablement 
a  montée  au  ciel  en  corps  et  en  âme,  et  n'hésitez  pas  à 
«  publier  partout  cette  vérité  ».  Quelques  écrivains  pré- 
tendent que  cette  apparition  de  la  Vierge  à  saint  Antoine 
eut  lieu  une  nuit  qu'il  ne  voulait  pas  assister  aux  matines 
de  saint  Jérôme,  où  étaient  émis  les  mêmes  doutes  sur 
l'Assomption  de  Marie. 

Une  autre  fois,  c'est  à  Padoue  que  la  Reine  des  Anges 
apparaît  à  Antoine  et  le  sauve  d'un  péril  imminent.  Le 
démon,  furieux  d'être  toujours  vaincu  dans  les  luttes 
qu'il  tentait  contre  le  glorieux  serviteur  de  Dieu,  le  saisit 
à  la  gorge  et  le  serre  si  violemment,  qu'Antoine  va 
mourir  si  un  secours  surnaturel  ne  le  délivre.  Il  songe  à 
Marie,  et  au  plus  fort  de  l'étreinte,  il  râle  plutôt  qu'il  ne 
dit  ces  paroles  de  l'hymne  :  0  gloriosa  Domina,  èxcelsa 
super  sidéra  :  «  0  glorieuse  Reine,  plus  élevée  que  les 
«  astres  » .  Aussitôt  le  démon  lâche  prise  et  s'enfuit,  et 
Antoine,  ouvrant  les  yeux,  aperçoit  la  sainte  Vierge  toute 
resplendissante  de  lumière,  debout  au  milieu  de  sa 
cellule. 


SAINT  ANTOINE  DE  PADOUE.  263 

CHAPITRE  VII. 

SOMMAIRE  :  Services  rendus  par  Antoine  à  l'Ordre  Séraphique.  —  Fondation  de 
nouveaux  couvents.  —  Il  assiste  au  grand  conseil  général  de  l'an  1227.  —  De  la 
part  qui  lui  revient  dans  les  lettres  pontificales  écrites  à  cette  occasion.—  Quelques 
passages  de  ces  lettres.  —  Retour  d'Antoine  à  Padoue.  —  Il  prêche  la  station  qua- 
dragésimale  de  1231. 

Nous  ne  pouvons  passer  sous  silence  les  immenses 
services  qu'il  a  rendus  à  l'Ordre  dont  il  faisait  partie.  En 
France,  en  Italie,  il  a  fondé  un  nombre  incalculable  de 
couvents,  ou  rehaussé  l'éclat  de  ceux  qui  existaient  avant 
lui.  Sa  seule  présence  dans  un  monastère  y  attirait 
aussitôt  une  foule  de  novices,  et  quand  on  l'avait  entendu 
parler  des  charmes  de  la  vie  religieuse,  on  se  sentait 
irrésistiblement  entraîné  à  consacrer  à  Dieu  le  reste  de 
ses  jours. 

En  1227,  il  fut  envoyé  à  Rome  par  le  provincial  de 
Sicile,  pour  assister  au  grand  conseil  général,  où  l'on 
devait  proposer  au  pape  Grégoire  IX  quelques  doutes  sur 
les  dispositions  primitives  de  la  règle  de  l'Ordre.  Antoine 
y  prêcha  à  plusieurs  reprises,  et  comme  on  connaissait 
sa  science  profonde  de  la  théologie  mystique ,  on 
regardait  toutes  ses  paroles  comme  des  oracles.  Le  sou- 
verain Pontife  voulut  discuter  spécialement  avec  lui  les 
doutes  qui  étaient  soumis  à  sa  décision  par  l'assemblée, 
et  il  est  probable  que  les  lettres  apostoliques  qu'il 
adressa,  en  cette  occasion,  aux  Frères  Mineurs,  sont  en 
partie  l'œuvre  d'Antoine. 

Nous  ne  pouvons  résister  au  désir  de  citer  ici,  d'après 
M.  Guyard,  certains  passages  de  ces  lettres,  qui  respirent 
une  si  grande  piété  et  qui  contiennent  des  décisions  si 
nettes  et  si  sages  : 


20}  XIII  JUIN. 

«  Grégoire,  évêque,  serviteur  des  serviteurs  de  Dieu,  à 
a  nos  chers  fils  le  général,  les  ministres  provinciaux,  les 
«gardiens  et  les  autres  frères  de  l'Ordre  des  Mineurs, 
«  salut  et  bénédiction  apostolique. 

«  Dans  votre  ardent  désir  de  vous  éloigner  de  plus  en 
«  plus  du  siècle,  vous  avez  pris  les  ailes  de  la  colombe, 
«  et  vous  vous  êtes  envolés  dans  la  retraite  de  la  contem- 
«  plation.  De  là  vous  prévoyez  mieux  les  embûches  du 
«  démon,...  et  l'esprit  de  Dieu  vous  fait  souvent  découvrir 
«  ce  qui  demeure  caché  aux  regards  des  simples  fidèles. 
«  C'est  ce  qui  explique  les  doutes  qui  viennent  parfois 
«  vous  assiéger,...  et  voilà  pourquoi  vous  recourez  à  nous 
«  pour  être  éclairés,  pour  apprendre  si  vous  êtes  tenus, 
«  ainsi  que  tous  vos  frères,  d'observer  le  testament  de 
«  votre  fondateur. 

oc  Nous  reconnaissons  hautement  les  excellents  sen- 
ot  timents  qui  animaient  le  confesseur  de  Jésus-Christ, 
«  votre  fondateur,  lorsqu'il  écrivait  ses  dernièresvolontés, 
«  et  nous  voyons  avec  joie  que  votre  vif  désir  serait  de 
«  pouvoir  vous  y  conformer.  Néanmoins,  considérant  le 
«  péril  des  âmes  et  les  difficultés  que  vous  rencontreriez 
«  dans  l'accomplissement  de  ces préceptes,nous déclarons, 
«  pour  lever  tout  doute  de  vos  esprits,  que  vous  n'êtes 
«  pas  tenus  d'observer  le  testament  dont  il  s'agit  ;  parce 
«  qu'il  a  été  fait  sans  l'approbation  des  frères,  et  surtout 
«  des  ministres,  et  qu'en  outre  le  bienheureux  François 
a  ne  pouvait  lier  ainsi  tous  ses  successeurs. 

«  D'après  le  rapport  de  vos  délégués,  quelques-uns  de 
«  vos  frères  doutent  s'ils  sont  tenus  aux  conseils  évangé- 
«  liques  aussi  bien  qu'aux  préceptes,  soit  d'après  ces 
«  paroles  qu'on  lit  au  commencement  de  votre  règle  : 


SAINT  ANTOINE  DE  TADOUE.  265 

«  La  règle  de  vie  des  Frères  Mineurs  consiste  à  observer 
or  l'Evangile  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  en  vivant 
«  dans  l'obéissance,  la  pauvreté  et  la  charité  »;  soit  d'après 
«  ces  mots  qui  se  trouvent  à  la  fin  de  la  règle  :  a  Observons, 
«  comme  nous  l'avons  fortement  promis,  la  pauvreté, 
«l'humilité  et  le  saint  Evangile  de  Notre-Seigneur 
«  Jésus-Christ  »... 

<r  Nous  répondons  en  peu  de  mots  que  vous  n'êtes  pas 
a  tenus,  en  vertu  de  la  règle,  à  d'autres  conseils  évangé- 
«  liques  qu'à  ceux  que  vous  avez  solennellement  promis 
«  de  suivre,  en  vous  oflrant  à  Dieu  en  holocauste  et 
o  en  jurant  de  mépriser  toutes  les  vanités  de  ce  monde». 

Sur  la  question  de  savoir  si  les  Frères  Mineurs  pourront 
posséder  soit  par  eux-mêmes,  soit  par  les  autres,  aucune 
somme  d'argent,  le  pape  répond  : 

«  Nous  croyons  devoir  donner  la  décision  suivante  :  Si 
a  les  frères  veulent  se  procurer  un  objet  nécessaire,  ou 
«  payer  le  prix  de  ce  qu'ils  auront  acheté,  ils  pourront  se 
«  servir  à  cette  fin  ou  d'un  employé  du  vendeur,  ou 
«  d'une  autre  personne  qui  se  rendra  auprès  de  ceux 
«  qui  veulent  leur  faire  aumône  ;  à  moins  que  ces 
«  derniers  ne  préfèrent  eux-mêmes  apporter  leur  offrande, 
«  ou  l'envoyer  par  des  commissionnaires  de  leur  choix. 
«  Celui  qui  est  ainsi  député  par  les  frères  n'est  point,  à 
«  proprement  parler,  leur  messager,  mais  bien  plutôt  celui 
«  du  fidèle  au  nom  duquel  il  acquitte  une  dette,  ou  du 
«  négociant  qui  perçoit  l'argent...  » 

Et  plus  loin  : 

«  Les  Mineurs  ne  doivent  avoir  aucune  propriété,  ni 
vt  commune,  ni  privée;  ils  ont  tout  simplement  l'usage  des 
et  ustensiles,  des  livres  et  des  autres  objets  autorisés  par 


266  XIII  JUIN. 

«  la  constitution,  et  ils  ne  peuvent  s'en  servir  que  de  la 
«  manière  réglée  par  le  général  ou  les  provinciaux  ». 

Les  lettres  régissent  ensuite  les  mesures  à  prendre  pour 
le  choix  des  prédicateurs,  pour  la  réception  de  nouveaux 
frères  ou  l'exclusion  de  religieux  indignes,  pour  l'élection 
du  ministre  général,  enfin  pour  les  rapports  des  frères 
avec  les  couvents  de  religieuses.  Voici  comment  Gré- 
goire IX  résout  cette  dernière  question  : 

«  Les  Mineurs  n'entreront  jamais  dans  les  monastères 
*  de  religieuses,  et  par  le  mot  de  monastère,  il  faut 
«  entendre  le  cloître  et  les  appartements  intérieurs, 
a  Ainsi  les  frères  peuvent,  quand  ils  sont  envoyés  pour 
«  la  prédication  ou  pour  recueillir  des  aumônes,  entrer 
«  dans  celles  des  dépendances  du  couvent  qui  sont 
«  ouvertes  au  public.  Mais  il  faut  toujours  en  excepter 
«  les  habitations  qui  appartiennent  aux  sœurs  recluses, 
«  et  dans  lesquelles  personne  ne  peut  s'introduire,  sans 
«  une  permission  toute  spéciale  du  Saint-Siège  aposta- 
te lique. 

«  Donné  à  Anagni,  le  k  des  calendes  d'octobre,  et  la 
a  quatrième  année  de  notre  pontificat  (1)  ». 

Tel  est  en  résumé  cet  important  document,  à  la  ré- 
daction duquel  il  est  probable  que  saint  Antoine  prit  la 
plus  grande  part,  et  qui  lui  fait  honneur  aussi  bien  qu'à 
Grégoire  IX. 

Le  souverain  Pontife,  de  plus  en  plus  émerveillé  du 
savoir  et  de  la  prudence  d'Antoine,  aurait  voulu  le  con- 
server toujours  auprès  de  sa  personne.  Il  l'engagea  fort 
à  demeurer  à  Rome  ;  mais  le  saint  homme  refusa,  et 
demanda  au  contraire  à  Grégoire  IX  la  permission  de  se 

(1)  Voir  le  livre  de  M.  l'abbé  Guyard,  page  325-331. 


SAINT  ANTOINE  DE  PADOUE.  267 

retirer  sur  le  mont  Alverne.  Le  bienheureux  y  passa 
quelques  mois  dans  la  solitude,  jouissant  de  la  vue 
directe  de  Dieu,  constamment  plongé  dans  de  sublimes 
extases.  Il  n'en  sortait  guère  que  pour  aller  prêcher, 
les  dimanches  et  les  jours  de  fête ,  dans  les  églises 
du  voisinage. 

Au  commencement  de  l'année  1231,  Antoine  revint  à 
Padoue,  sur  l'invitation  du  cardinal  Rinaldi,  protecteur 
de  l'Ordre,  qui  devint  pape  dans  la  suite,  sous  le  nom 
d'Alexandre  IV.  Quoique  très-fatigué  et  d'une  santé  chan- 
celante, il  y  reprit  son  cours  de  théologie,  et  s'appliqua, 
dans  des  leçons  publiques,  à  combattre  les  erreurs  des 
hérétiques  appelés  Cathares  ou  Catharins.  En  même 
temps,  il  écrivait  ses  sermons  sur  les  saints  et  se  pré- 
parait, par  la  méditation,  à  prêcher  le  carême  de  1231. 

Comme  s'il  eût  senti  venir  la  mort,  il  redoublait  de 
zèle  et  faisait  des  prodiges  d'activité.  Cette  station  qua- 
dragésimale  fut  de  beaucoup  la  plus  féconde  en  con- 
versions et  en  miracles.  Elle  commença  le  5  février. 
Antoine  prêchait  tous  les  jours,  et,  malade  et  souffrant,  il 
semblait  puiser  dans  l'ardeur  de  sa  foi  et  de  sa  charité 
des  forces  surnaturelles.  On  accourait  à  ses  sermons  de 
toutes  les  villes  et  de  tous  les  villages  des  alentours  à 
plusieurs  lieues  à  la  ronde  ;  les  routes  étaient  couvertes 
de  pèlerins  avides  d'entendre  cette  voix  éloquente,  dont 
les  accents  remuaient  le  monde.  Plus  de  trente  mille 
personnes  se  pressaient  autour  de  la  chaire  du  thauma- 
turge :  des  évêques,  des  prélats,  des  religieux  de  tous  les 
ordres,  le  clergé  et  la  noblesse  de  Padoue,  tenaient  à 
honneur  d'assister  à  ses  sermons.  On  attendait  dans  le 
recueillement  et  le  silence  que  le  saint  homme  arrivât. 


268  XIII  JUIN. 

A  son  approche,  pas  un  bruit,  pas  un  frémissement,  pas 
un  souffle  ;  tous  les  yeux  se  fixaient  avec  une  avide 
curiosité  sur  ce  beau  visage  pâle  et  souffrant  ;  dès  qu'il 
parlait ,  tous  les  esprits  recevaient  avec  bonheur  la 
semence  céleste  qu'il  versait  sur  eux  ;  et  quand  il  des- 
cendait de  la  chaire,  si  quelques  hommes  robustes  ne 
l'eussent  protégé  contre  les  démonstrations  de  respect  et 
d'admiration  de  la  multitude  ,  il  eût  infailliblement 
succombé  sons  le  poids  des  transports  de  foi  et  d'a- 
mour. 

Dire  les  résultats  de  cette  dernière  prédication  est  pres- 
que impossible  ;  les  hérétiques  convertisses  pécheurs  les 
plus  endurcis  ramenés  au  bien ,  les  femmes  perdues 
faisant  pénitence,  les  prisonniers  délivrés,  les  pauvres 
secourus,  les  malades  guéris,  etc.,  etc.,  tels  sont,  en  deux 
mots,  les  nouveaux  titres  que  conquit  Antoine  à  la  véné- 
ration des  hommes.  Dans  cette  grande  ville  de  Padoue, 
où  s'était  rassemblé  un  clergé  si  nombreux,  il  n'y  avait 
pas  assez  de  prêtres  pour  entendre  les  confessions  des 
fidèles.  Des  miracles  s'accomplissaient  tous  les  jours;  ici 
Antoine  guérit  un  pauvre  enfant  paralytique  ;  là  c'est 
une  dame  noble  de  Padoue  qui,  en  se  rendant  au  sermon 
du  Saint,  tombe  dans  un  fossé  profond  et  bourbeux,  et 
en  sort  sans  accident,  parce  qu'elle  s'est  recommandée  à 
Dieu  par  les  mérites  de  l'Apôtre  ;  une  autre  fois,  ce  sont 
des  voleurs,  au  nombre  de  vingt-deux,  qui,  au  milieu 
d'un  sermon,  viennent  se  jeter  aux  pieds  d'Antoine,  en 
donnant  toutes  les  marques  d'une  véritable  contrition  et 
en  demandant  pardon  de  leurs  iniquités  ;  ou  bien  encore, 
c'est  une  femme  aussi  vertueuse  que  belle,  mortellement 
frappée  par  son  mari  dans  un  accès  d'injuste  jalousie,  et 


SAINT  ANTOINE  DE  PADOUE.  269 

que  le  saint  rappelle  à  la  vie  en  faisant  sur  elle  le  signe 
de  la  croix. 

A  la  fin  de  cette  station  si  longue,  si  féconde  en  pro- 
diges, il  semble  qu'Antoine  ait  dû  éprouver  le  besoin  de 
prendre  quelques  semaines  de  repos  ;  il  continua,  au 
contraire,  à  exercer  son  ministère  dans  les  bourgs  et  les 
villages  voisins  de  Padoue,  et  ne  cessa  son  œuvre  de 
charité  que  quand  le  temps  des  travaux  champêtres  fut 
venu.  Alors  seulement  il  songea  à  se  préparer  à  paraître 
devant  Dieu,  car  le  temps  de  sa  mort  approchait. 

CHAPITRE  VIII. 

SOMMAIRE  :  Dernières  semaines  de  la  vie  d'Antoine.  —  Il  se  retire  à  Campo  san 
Pietro.  —  Sa  chute  et  commencement  de  sa  dernière  maladie.  —  On  le  transporte 
à  l'Arcella.  —  Sa  sainte  mort.  —  Douleur  générale  que  cause  cette  nouvelle.  — 
On  se  dispute  l'honneur  de  conserver  ses  précieux  restes.  —  Efforts  de  l'évêque 
pour  calmer  l'effervescence  populaire.  —  Heureux  apaisement.  —  Funérailles  du 
bienheureux. 

Campo  san  Pietro,  ou  Campietro,  petit  village  situé  à 
trois  lieues  de  Padoue,  et  où  se  trouve  un  ermitage  placé 
sous  l'invocation  de  saint  Jean-Baptiste,  est  la  retraite  où  le 
grand  saint  résolut  de  passer  les  derniers  jours  de  sa  vie. 
Ii  y  fut  reçu,  au  commencement  de  juin  1231,  par  un 
pieux  gentilhomme,  nommé  Tiso,  seigneur  de  Campietro, 
avec  le  respect  qu'on  eût  témoigné  à  un  ange  et  à  un 
envoyé  du  ciel.  Par  les  soins  de  Tiso,  on  construisit  sur 
les  troncs  et  les  branches  d'un  vaste  noyer  trois  cellules, 
l'une  pour  Antoine,  les  deux  autres  pour  ses  deux  com- 
pagnons, frère  Luc  et  frère  Roger.  Ce  fut  là  la  dernière 
habitation  du  thaumaturge.  Enfermé  jour  et  nuit  dans 
son  étroite  cabane  de  planches,  il  repaissait  son  esprit  et 
son  cœur  de  célestes  contemplations.  Aucun  bruit  aux 


270  XIII  JUIN. 

alentours,  partout  la  paix  et  le  repos,  quoique  de  nom- 
breux pèlerins  vinssent  encore  demander  au  saint  des 
prières  ou  des  conseils  ;  le  seigneur  de  Campietro  obte- 
nait parfois  de  lui  quelques  moments  d'entretien,  et  il 
eut  le  bonheur  insigne  de  recevoir  de  ses  mains  l'habit 
du  Tiers  Ordre. 

Les  forces  d'Antoine  s'affaiblirent  tout  à  coup  ;  un  jour 
que,  selon  son  habitude,  il  se  rendait  au  petit  couvent 
des  Frères  Mineurs  de  l'endroit,  pour  y  prendre  son  frugal 
repas,  il  sentit  subitement  ses  jambes  lui  manquer,  et  il 
lui  fallut,  pour  arriver  jusqu'au  réfectoire,  le  secours  de 
ses  deux  compagnons.  Il  essaya  de  se  mettre  à  table, 
mais  le  mal  s'aggrava  :  il  perdit  presque  connaissance, 
et  les  religieux  durent  le  transporter  bien  vite  sur  un  de 
leurs  pauvres  lits.  La  vie  s'en  allait  rapidement,  des 
nuages  semblaient  s'amonceler  devant  les  yeux  d'An- 
toine, et  il  voyait  les  ténèbres  de  la  mort  s'épaissir  autour 
de  lui.  Il  s'en  réjouissait,  d'ailleurs,  comme  l'ouvrier  qui 
a  bien  rempli  sa  journée  et  qui  va  recevoir  la  récom- 
pense méritée  de  ses  peines  et  de  ses  fatigues,  et  sa  figure 
témoignait  une  félicité  indicible. 

Après  quelques  minutes  de  repos,  Antoine  appela  près 
de  lui  frère  Roger,  et  le  pria,  s'il  n'y  voyait  pas  d'empê- 
chement, de  le  faire  transporter  à  Padoue.  On  envoya 
chercher  un  chariot,  que  l'on  arrangea  du  mieux  que 
l'on  put,  et  on  y  plaça  le  saint,  malgré  les  supplications 
des  moines  de  Campietro,  qui  réclamaient  l'honneur  de 
le  soigner. 

Comme  on  approchait  de  Padoue,  on  rencontra  un 
frère  mineur  chargé,  par  le  gardien  du  couvent  de  la 
ville,  de  s'informer  de  l'état  du  malade.  A  la  vue  d'An- 


SAINT  ANTOINE  DE  PADOUE.  271 

toine  si  faible  et  si  languissant,  le  religieux  craignit  que 
l'empressement  et  la  douleur  bruyante  des  habitants 
n'empirât  encore  la  situation,  et  il  conseilla  à  Antoine 
de  s'arrêter  chez  les  Frères  qui  desservaient  le  cloître  des 
Clarisses,  en  dehors  de  la  ville.  Le  thaumaturge  con- 
sentit à  tout  ce  qu'on  voulut,  et  on  le  conduisit  au  mo- 
nastère de  l'Arcella. 

Cependant  l'affaiblissement  faisait  des  progrès  rapides, 
et  l'auguste  malade,  se  sentant  défaillir,  demanda  le  saint 
sacrement  de  l'Eucharistie.  Frère  Roger  s'empressa  de 
le  lui  administrer  au  milieu  des  pleurs  de  tous  les  reli- 
gieux. Quelques  instants  après,  Antoine  entonna  de  sa 
voix  mélodieuse  l'hymne:  0  gloriosa  Domina,  qui  expri- 
mait si  bien  les  sentiments  de  son  âme  envers  la  Reine 
des  vierges  ;  puis,  levant  les  yeux  au  ciel,  il  murmura  : 
«  Je  vois  mon  Dieu,  il  m'appelle  à  lui  ». 

Quand  on  lui  apporta  les  saintes  huiles,  il  dit  au 
prêtre  :  «  Je  possède  cette  onction  au  dedans  de  moi  ; 
«  mais  quoiqu'il  ne  soit  pas  nécessaire  que  vous  me 
«  la  fassiez  extérieurement,  je  la  recevrai  avec  plaisir 
g  et  elle  sera  utile  à  mon  âme  » .  Et  tandis  qu'il  la  rece- 
vait en  effet  avec  la  foi  la  plus  vive  et  les  plus  grandes 
marques  de  componction,  il  chantait  avec  ses  frères  les 
psaumes  de  la  pénitence  ;  puis  il  garda  un  silence  absolu 
pendant  une  demi-heure  environ,  et  tout  à  coup,  au 
milieu  des  sanglots  des  assistants,  il  remit  son  âme  entre 
les  mains  de  Dieu  et  s'endormit  de  l'éternel  sommeil,  le 
43  juin  4231,  un  vendredi,  un  peu  avant  le  coucher  du 
soleil. 

Antoine  était  alors  âgé  de  trente-six  ans  ;  il  avait  passé 
quinze  années  de  sa  vie  chez  ses  parents,  dix  autres 


272  XIII  JUIN. 

parmi  les  Chanoines  réguliers,  et  onze  chez  les  Frères 
Mineurs.  Aux  yeux  du  monde,  cette  carrière  peut  paraître 
courte  ;  aux  yeux  de  Dieu,  elle  était  longue,  parce  qu'elle 
abondait  en  mérites,  et  l'on  peut  appliquer  au  saint  ces 
paroles  dictées  par  le  Saint-Esprit  :  «  Quand  même  le 
«  juste  serait  enlevé  par  une  mort  prématurée,  il  entre- 
«  rait  néanmoins  dans  le  lieu  du  repos.  Ce  qui  rend  la 
«  vieillesse  honorable,  ce  n'est  pas  la  longueur  de  la  vie 
«  ni  le  nombre  des  années  ;  mais  la  prudence  de  l'homme 
«  lui  tient  lieu  de  cheveux  blancs,  et  la  vie  sans  tache 
«  est  une  heureuse  vieillesse.  Comme  le  juste  a  plu  au 
«  Seigneur,  il  en  a  été  aimé,  et  Dieu  l'a  ôté  de  la  société 
o  des  pécheurs  parmi  lesquels  il  vivait.  Ayant  peu  vécu, 
«  il  a  rempli  le  cours  d'une  longue  vie;  car  son  âme 
«  était  agréable  au  Très-Haut  :  c'est  pourquoi  elle  a  été 
«  promptement  tirée  du  milieu  de  l'iniquité  ». 

Les  Frères  Mineurs  résolurent  de  garder  secrète,  aussi 
longtemps  que  possible,  la  mort  du  saint  apôtre.  Ils 
craignaient  un  trop  grand  concours  de  peuple  et  le 
tumulte  qui  pourrait  en  résulter.  Mais  Dieu  s'était  déjà 
chargé  de  répandre  la  triste  nouvelle,  et  en  moins  d'une 
heure  toute  la  ville  de  Padoue  la  connaissait.  C'étaient 
les  petits  enfants  qui,  sans  avoir  été  avertis  par  personne, 
se  réunissaient  par  groupes  et  parcouraient  les  rues  en 
criant  :  «  Le  saint  Père  est  mort,  le  saint  prédicateur  est 
«  mort,  saint  Antoine  est  mort  I  »  Cette  nouvelle,  publiée 
par  ces  bouches  innocentes,  bouleversa  toute  la  ville  et 
remplit  de  tristesse  tous  les  habitants.  Les  bourgeois 
abandonnent  leurs  boutiques,  les  ouvriers  leurs  travaux  ; 
on  se  précipite  au  milieu  des  rues,  on  se  questionne,  et 
une  vague  rumeur  désigne  le  couvent  de  l'Arcella  comme 


SAINT   ANTOINE  TVE  TAPOTIE.  273 

le  lieu  où  se  trouve  la  dépouille  mortelle  du  saint, 
hommes,  femmes  et  enfants  s'y  précipitent.  Des  jeunes 
gens  armés,  du  quartier  appelé  la  Tête-du-Pont,  y  étaient 
déjà  arrivés,  afin  de  garder  le  corps  du  saint  et  d'empê- 
cher tout  enlèvement.  C'était  un  tumulte  effroyable  :  au 
milieu  des  pleurs  et  des  sanglots,  on  se  poussait,  on  se 
bousculait,  pour  voir  encore  une  fois  celui  qui  avait  été 
le  père  spirituel  de  Padoue. 

D'un  autre  côté,  diverses  maisons  religieuses  se  dispu- 
taient déjà  les  précieuses  reliques.  Les  Clarisses,  dont 
Antoine  avait  été  le  directeur  spirituel,  demandaient  aux 
magistrats  de  la  ville,  comme  une  juste  compensation  à 
leur  douleur,  la  permission  de  le  conserver  dans  leur 
couvent.  Les  religieux  de  Sainte-Marie  réclamaient  le 
corps  comme  leur  propriété  ;  Antoine,  disaient-ils,  avait 
en  mourant  manifesté  le  désir  d'être  enseveli  au  couvent 
de  Sainte-Marie,  et  c'était  leur  devoir  d'exiger  qu'on 
obéît  à  ses  dernières  volontés.  En  conséquence,  ils  se 
mirent  en  mesure  d'emporter  le  cadavre  ;  mais  les  bour- 
geois, qui  veillaient  jour  et  nuit  autour  du  couvent,  ne 
les  laissèrent  pas  approcher. 

Il  fallait  en  finir  cependant  :  on  s'en  remit  à  la  décision 
de  l'évêque,  et  ce  dernier,  n'osant  pas  prendre  seul  une 
résolution  aussi  grave,  assembla  son  conseil.  Un  certain 
nombre  de  chanoines  opinèrent  pour  qu'on  laissât  le 
corps  d'Antoine  chez  les  Clarisses,  mais  la  majorité  était 
d'un  avis  contraire,  et  l'évêque,  se  rangeant  du  côté  du 
plus  grand  nombre,  pria  instamment  le  gouverneur  de 
la  ville  et  les  principaux  habitants  de  permettre  la  trans- 
lation du  corps. 

Les  magistrats  intervinrent,  en  effet,  pour  appuyer  la 

Palm.  Séraph.  —  Tome  VI.  18 


274  XIII  JUIN. 

proposition  de  l'évêque  ;  mais  tous  leurs  efforts,  loin  de 
calmer  l'agitation  de  la  foule,  ne  firent  que  l'exciter 
davantage  encore.  Les  citoyens  de  la  Tête-du-Pont  s'obs- 
tinaient dans  leur  dessein  de  garder  le  corps  du  saint 
apôtre  ;  prières  et  menaces,  rien  n'eut  prise  sur  eux,  et 
lis  déclarèrent  qu'ils  étaient  prêts  à  tout  plutôt  que  de  se 
le  laisser  enlever.  Ils  résolurent  même  de  l'enfermer 
dans  leurs  maisons,  où  il  leur  serait  plus  facile  de  le 
garder  jour  et  nuit. 

L'évêque,  craignant  les  suites  d'un  conflit  qui  menaçait 
de  s'élever,  eut  recours  à  un  expédient  assez  habile  pour 
les  détourner  de  leur  projet.  Il  leur  fit  entendre  que,  en 
l'absence  du  provincial,  il  ne  convenait  pas  de  prendre 
aucune  décision,  et  qu'il  fallait  attendre  son  arrivée.  Lui 
seul,  en  sa  qualité  de  supérieur  de  l'Ordre,  avait  le  droit 
de  désigner  le  lieu  où  devait  être  enseveli  l'un  de  ses 
membres.  On  se  soumit  aux  raisons  données  par  le  pré- 
lat, et  l'agitation  s' étant  un  peu  apaisée,  les  Frères 
Mineurs  purent  faire  sortir  la  foule  du  couvent,  dont  ils 
barricadèrent  solidement  les  portes. 

Au  milieu  de  la  nuit,  il  se  fit  tout  à  coup  un  grand 
tumulte  ;  le  peuple,  qui  était  demeuré  autour  du  cou- 
vent, demandait  impérieusement  qu'on  lui  en  ouvrît 
l'entrée  et  qu'on  lui  permît  de  voir  le  corps  du  saint. 
Sur  le  refus  des  moines,  on  enfonce  les  barricades  ;  le 
passage  est  libre  enfin,  le  flot  de  la  multitude  se  préci- 
pite. Tout  à  coup,  comme  s'il  rencontrait  une  digue 
insurmontable,  il  s'arrête;  une  force  invincible  le  retient  ; 
le  Dieu  qui  dit  à  la  mer  :  «  Tu  n;iras  pas  plus  loin  b, 
cloue  en  place  cette  foule  furieuse.  La  force  manque  aux 
plus  audacieux,  ils   demeurent  stupéfaits   et   comme 


riAINT  ANTOINE  DE  PADOUE.  275 

aveuglés  ;  la  porte  est  là,  toute  grande  ouverte,  et  ils  n'y 
peuvent  parvenir  ;  elle  est  éclairée  par  une  vive  lumière 
venue  de  l'intérieur  des  appartements,  et  ils  ne  la  voient 
plus. 

Le  lendemain,  de  tous  les  villages  voisins  de  nouveaux 
pèlerins  arrivent  à  l'Arcella  ;  quelques-uns  seulement 
ont  le  bonheur  de  pénétrer  et  de  toucher  le  corps  du 
saint  ;  les  autres  font  passer  des  anneaux,  des  bijoux,  des 
vêtements,  pour  qu'on  les  pose  sur  le  corps  et  qu'ils  soient 
bénis  par  ce  contact. 

Cependant  les  frères,  craignant  que  la  chaleur  ne  hâtât 
la  décomposition  du  cadavre,  l'avaient  enfermé  dans  un 
cercueil  provisoire  et  recouvert  d'un  peu  de  terre.  Le 
bruit  court  dans  le  peuple  que  le  saint  a  disparu  ;  alors 
un  effroyable  tumulte  éclate  :  bourgeois,  paysans,  ma- 
gistrats, se  ruent  par  toutes  les  portes  et  par  toutes  les 
fenêtres;  ils  menacent  les  frères;  quelques-uns  lèvent 
sur  eux  des  bâtons  et  des  épées  ;  tous  veulent  voir  le 
corps,  ou  du  moins  savoir  ce  qu'il  est  devenu  ;  ils  ne 
s'apaisent  un  peu  que  lorsqu'ils  ont  découvert  la  caisse 
où  il  a  été  déposé. 

Enfin  le  provincial ,  si  impatiemment  attendu  ,  est 
annoncé,  et  le  soir  même  de  son  arrivée,  les  habitants 
de  Padoue,  confiants  dans  sa  justice,  accourent  de  tous 
côtés  autour  de  lui  et  promettent  de  se  soumettre  à  sa 
décision.  Le  provincial  écoute  complaisamment  toutes 
les  réclamations,  et  il  permet  aux  habitants  de  la  Tête- 
du-Pont  de  continuer  à  garder  le  corps  du  saint.  Puis, 
quand  il  voit  que  l'exaltation  ne  se  calme  pas  et  que  les 
bonnes  raisons  n'ont  aucune  influence  sur  ces  esprits 
inquiets,  il  va  trouver  le  premier  magistrat  de  la  ville, 


276  XIII  JUIN. 

lui  expose  son  embarras  et  réclame  la  protection  des 
lois.  Aussitôt  on  envoie  de  la  troupe  armée  à  l'Arcella, 
avec  ordre  de  remplacer,  même  de  vive  force,  la  garde 
bourgeoise.  On  convient  en  outre  que  le  clergé  seul  et 
l'évêque  décideront  souverainement  de  la  sépulture  du 
saint. 

Le  16  juin,  le  conseil  épiscopal  entendit  toutes  les  ré- 
clamations et  donna  les  derniers  ordres  pour  l'ensevelis- 
sement. On  recommanda  à  l'autorité  civile  de  prendre 
toutes  les  mesures  de  précaution  nécessaires  contre  les 
perturbateurs ,  et  d'assurer  la  sécurité  des  frères.  On 
établit  la  nuit  un  pont  de  bateaux  en  face  même  de  l'Ar- 
cella,  pour  éviter  la  Tête-du-Pont,  quartier  des  séditieux. 
Le  lendemain,  il  faillit  y  avoir  une  véritable  bataille  ;  les 
habitants  de  la  Tête-du-Pont  se  jetèrent  sur  les  ouvriers 
et  essayèrent  de  détruire  leurs  travaux  ;  les  troupes  ac- 
coururent et  se  disposèrent  à  charger  les  émeutiers.  Les 
Frères  Mineurs  et  les  Clarisses,  dans  la  plus  vive  anxiété, 
eurent  alors  l'heureuse  idée  de  demander  à  Dieu,  par 
l'intercession  du  saint,  la  cessation  de  tous  ces  troubles. 
Leurs  ferventes  prières  furent  exaucées,  les  agitateurs 
déposèrent  les  armes  et  implorèrent,  avec  leur  pardon,  la 
permission  de  se  réunir  aux  habitants  de  la  ville  pour 
célébrer  avec  eux  les  funérailles  du  bienheureux  Antoine. 
On  ne  songea  plus  qu'à  donner  à  la  cérémonie  le  plus 
d'éclat  et  le  plus  de  splendeur  possible  ;  il  y  avait  quatre 
jours  déjà  qu'Antoine  était  entré  dans  l'éternité. 

Une  immense  procession  partit  du  palais  épiscopal 
pour  aller  chercher  les  précieuses  reliques.  En  tête  mar- 
chait l'évêque  de  Padoue,  accompagné  de  tout  le  clergé 
séculier  et  de  tous  les  Ordres  religieux  de  la  ville  et  des 


SAINT  ANTOINE  DE  PADOUE.  277 

environs.  Puis  venait  le  gouverneur  de  Padoue,  la  no- 
blesse et  la  magistrature,  les  délégués  de  la  bourgeoisie, 
suivis  d'une  foule  innombrable.  Les  cérémonies  d'usage 
accomplies  par  le  prélat,  on  rentra  à  Padoue  ;  les  notables 
et  les  magistrats  portaient  le  corps  sur  leurs  épaules.  On 
traversa  les  faubourgs,  le  quartier  du  Pont  et  les  princi- 
pales rues  de  la  ville,  et  on  arriva  enfin  à  l'église  de 
Sainte-Marie,  qui  devint  par  la  suite  l'église  du  saint,  la 
Chiesa  del  Santo. 

Ce  fut  pour  les  habitants  et  pour  la  ville  une  fête  splen- 
dide  :  les  maisons  étaient  tendues  de  draps  blancs,  les 
chemins  jonchés  de  fleurs.  A  chaque  pas  s'accomplissait 
quelque  miracle  éclatant,  et,  suivant  la  parole  de  l'Evan- 
gile, les  aveugles  voyaient,  les  sourds  entendaient,  les 
boiteux  marchaient,  les  muets  parlaient.  L'église  ne  put 
contenir  toute  la  foule  ;  la  plus  grande  partie  du  peuple 
dut  rester  en  dehors  des  portes.  L'évêque  officia,  pro- 
nonça l'absoute  et  scella  le  tombeau  où  l'on  venait  de 
déposer  les  reliques  du  saint  (17  juin). 

Le  lendemain,  les  habitants  des  faubourgs,  ceux-là 
mêmes  qui  s'étaient  opposés  si  violemment  à  la  transla- 
tion du  corps,  vinrent  pieds  nus,  leur  clergé  en  tête, 
prier  au  tombeau  d'Antoine  et  y  déposer  leurs  offrandes. 
Ce  pieux  exemple  fut  suivi  par  les  différentes  paroisses  : 
des  processions  s'organisaient,  et  tous  les  jours  les  fidèles 
se  rendaient,  en  tenue  de  pénitents,  à  l'église  Sainte- 
Marie.  Toutes  les  classes  se  confondaient  dans  une  dévo- 
tion touchante  ;  nobles  et  bourgeois,  soldats  et  prêtres, 
montraient  le  même  empressement.  Les  dons  de  toute 
nature,  en  or,  en  argent,  abondaient  sous  toutes  les  for- 
mes, et  le  tombeau  en  fut  bientôt  entièrement  couvert. 


278  XIII  JUIN. 

En  même  temps,  la  renommée  d'Antoine  commençait  à 
remplir  tout  le  monde  catholique  ;  on  ne  parlait  que  des 
prodiges  qui  s'accomplissaient  chaque  jour  par  son  inter- 
cession ;  de  toute  l'Italie,  de  l'Espagne,  de  la  France,  de 
l'Allemagne,  de  la  Hongrie,  de  la  Slavonie,  des  pèlerins 
se  mettaient  en  route  pour  venir  payer  au  saint  le  tribut 
de  leur  admiration  et  de  leurs  hommages.  Les  Frères 
Mineurs  ne  pouvaient  suffire  à  entendre  les  confessions 
des  fidèles,  et  ainsi  s'accomplissait  la  prédiction  du  saint, 
quelques  semaines  avant  sa  mort  :  «  0  Padoue  »,  disait- 
il  en  regardant  du  haut  d'une  colline  sa  patrie  d'adop- 
tion, «  ville  célèbre  entre  toutes  les  villes,  ta  renommée 
«  retentira  dans  tout  l'univers  I  » 

CHAPITRE  IX. 

SOMMAIRE  :  Procès  de  la  canonisation  d'Antoine.  —  Efforts  tentés  par  le  clergé 
et  les  magistrats  de  Padoue  pour  hâter  la  canonisation.  —  Vision  de  l'un  des  car- 
dinaux qui  s'y  opposait  le  plus.  —  Cérémonie  de  la  canonisation  (30  mai).  — 
Piécit  succinct  des  miracles  qui  ont  motivé  la  décision  du  Saint-Père  et  du  sacré 
<  'ollége.  —  Lettre  apostolique  de  Grégoire  IX.  —  L'ancien  office  de  saint  Antoine. 
—  Son  église.  —  Les  trois  translations  de  ses  reliques. 

Un  mois  ne  s'était  pas  écoulé  depuis  la  mort  d'Antoine, 
et  déjà  on  l'invoquait  partout  comme  un  bienheureux  et 
un  saint.  Aussi  l'évêque,  le  clergé,  la  magistrature  et  les 
habitants  de  Padoue  songèrent-ils  à  demander  sa  cano- 
nisation, et  ils  envoyèrent  à  cet  effet  une  ambassade  à 
Rome.  Le  pape  connaissait  déjà  par  la  renommée  publi- 
que les  miracles  qui  s'accomplissaient  au  tombeau  du 
thaumaturge  ;  il  avait  d'ailleurs  aimé  et  respecté  Antoine 
pendant  sa  vie,  il  ne  pouvait  qu'accueillir  favorablement 
la  députation.  Il  chargea  donc  l'évêque  de  Padoue,  le 
prieur  des  Bénédictins  et  celui  des  Prédicanls,  d'ouvrir 


SAINT  ANTOINE  DE  PADOUE.  2T0 

une  enquête  sur  les  événements  merveilleux  qui  s'étaient 
succédé  avec  tant  de  rapidité  depuis  la  mort  du  bien- 
heureux :  puis,  ce  premier  travail  terminé,  au  mois  de 
février  1232,  l'évêque  et  le  clergé  choisirent  deux  cha- 
noines et  deux  frères  mineurs,  le  sénat  et  les  principaux 
citoyens  désignèrent  deux  chevaliers,  qui  reçurent  la 
mission  d'aller  porter  à  Rome  une  nouvelle  supplique  et 
de  hâter  la  canonisation  d'Antoine. 

Le  pape  réunit  immédiatement  le  sacré  Collège  ;  deux 
cardinaux,  désignés  pour  faire  le  rapport,  le  firent  en 
des  termes  qui  confirmaient  la  vérité  des  attestations  des 
premiers  commissaires.  Cependant  quelques  prélats  pa- 
raissaient voir  avec  peine  qu'on  se  pressât  tant  de  tran- 
cher une  affaire  aussi  importante;  ils  témoignaient  des 
craintes  et  des  hésitations,  fort  honorables  d'ailleurs,  et 
étaient  d'avis  qu'on  laissât  aux  accusations,  s'il  devait 
s'en  présenter,  le  temps  de  se  produire.  Mais,  pendant  son 
sommeil,  le  cardinal,  qui  demandait  avec  le  plus  d'ins- 
tance l'ajournement,  eut  une  vision  à  la  suite  de  laquelle 
il  devint  l'un  des  plus  ardents  défenseurs  de  la  canonisa- 
tion immédiate  d'Antoine.  Le  Saint-Père  consacrait  une 
église,  et  au  milieu  de  la  cérémonie  on  s'aperçut  que  les 
reliques  destinées,  selon  l'usage,  à  être  scellées  sous 
l'autel,  faisaient  défaut.  Alors  le  pape,  se  retournant  vers 
les  cardinaux,  montra  un  cadavre  encore  récent,  étendu 
sur  la  pierre  de  l'église  et  caché  sous  un  voile,  et  il  leur 
ordonna  d'en  enlever  quelques  parcelles  pour  la  consé- 
cration. On  souleva  le  linceul,  et  aussitôt  de  ce  corps 
déjà  en  décomposition  s'exhala  un  parfum  délicieux  ;  la 
figure  était  encore  intacte  :  on  reconnut  les  traits  du 
bienheureux  Antoine,  et  tous  les  assistants  accoururent 


280  xnr  JUIN. 

s'agenouiller  alentour  en  criant  :  «  Antoine  est  saint  ! 
«  Antoine  est  saint  !  » 

Le  lendemain,  le  cardinal  raconta  son  rêve  à  ses  fami- 
liers, et  quelques  jours  plus  tard,  comme  les  députés  de 
Padoue  venaient  le  supplier  de  ne  plus  combattre  leur 
juste  demande,  sans  leur  donner  même  le  temps  de  par- 
ler, il  leur  dit  :  a  J'ai  changé  d'opinion  depuis  la  dernière 
«  réunion  du  consistoire  ;  Antoine  est  digne  d'être  mis 
«  au  rang  des  saints,  et  soyez  certain  maintenant  que  je 
«  vous  appuierai  de  toutes  mes  forces  auprès  du  souve- 
oi  rain  Pontife  ».  Il  tint  parole,  et  fit  si  bien  qu'il  ramena 
tous  les  autres  opposants,  et  qu'il  rédigea  avec  eux  une 
supplique  au  pape,  pour  le  prier  de  ne  pas  laisser  plus 
longtemps  cette  grande  affaire  pendante. 

C'était  le  plus  ardent  souhait  de  Grégoire  IX  ;  tout 
heureux  de  voir  enfin  les  difficultés  aplanies,  il  fixa  au 
30  mai,  jour  de  la  Pentecôte,  la  cérémonie  de  la  canoni- 
sation. Elle  devait  avoir  lieu  à  Spolète,  où  se  tenait  alors 
la  cour  pontificale.  Toute  la  chrétienté  voulut  y  être 
représentée,  et  le  monde  entier  y  envoya  des  députés  ; 
les  supérieurs  de  tous  les  Ordres  religieux,  beaucoup  de 
provinciaux  Franciscains,  des  princes, des  gentilshommes, 
tout  Je  sacré  Collège  rehaussèrent  par  leur  présence 
l'éclat  de  cete  belle  fête.  Le  pape  officia  ;  puis,  après  les 
prières  d'usage,  il  ordonna  qu'on  fît  publiquement  la 
lecture  des  prodiges  opérés  par  l'intercession  d'Antoine. 

En  voici  le  récit  succinct  : 

Une  pauvre  lemme  d'une  laideur  incroyable,  difforme, 
perdue,  bossue,  voûtée  et  boiteuse,  se  traîna  comme  elle 
put  jusqu'au  corps  du  saint,  le  jour  même  où  on  l'apporta 
dans  l'église  de  Sainte-Marie,  et  tout  à  coup  se  releva 


SAINT  ANTOINE  DE  TADOUE.  281 

guérie,  droite  et  forte  ;  ses  difformités  avaient  disparu. 

Une  mendiante,  appelée  Riccarda  ,  souffrait  depuis 
plus  de  vingt  ans  de  rhumatismes  aigus  si  douloureux, 
que  son  misérable  corps  était  plié  en  deux  et  que  ses 
genoux  touchaient  son  menton.  Un  jour  qu'elle  deman- 
dait l'aumône  à  la  porte  de  l'église,  elle  s'endormit  d'un 
léger  sommeil  et  entendit  tout  à  coup  une  voix  lui  dire  : 
«  Louez  Dieu,  car  vous  allez  être  guérie  par  les  mérites 
o  de  son  serviteur  ».  A  son  réveil,  elle  vit  revenir  droite 
et  belle  une  jeune  fille  qui  s'en  était  allée  courbée  et  ma- 
lingre au  tombeau  d'Antoine  ;  en  même  temps  elle  aper- 
çut un  jeune  homme  étincelant  de  lumière,  qui  lui  mon- 
trait du  doigt,  au  milieu  de  l'église,  l'endroit  où  reposaitle 
bienheureux.  Elle  s'y  traîna  avec  peine,  pria  avec  ferveur  ; 
peu  à  peu  une  chaleur  inaccoutumée  ralluma  son  corps 
débile,  ses  genoux  furent  capables  de  la  supporter,  et  elle 
s'en  alla  publier,  à  travers  la  ville  étonnée,  le  miracle 
accompli  par  Antoine. 

Une  jeune  fille  des  environs  de  Padoue,  nommé  Sama- 
ritana,  était  atteinte  depuis  trois  ans  d'une  paralysie  de 
la  jambe.  Elle  se  confessa  et  se  fit  approcher  des  reli- 
ques :  pendant  un  moment  elle  endura  de  si  vives  souf- 
frances qu'elle  crut  en  mourir;  mais  bientôt  le  mal 
s'apaisa,  et  elle  s'en  retourna  chez  elle  entièrement  guérie. 

Une  paysanne,  en  gardant  les  troupeaux  de  son  père 
sur  les  montagnes  de  la  Brenta,  s'était  vue  tout  à  coup 
attaquée  par  un  homme  d'un  aspect  horrible,  qui  n'était 
autre  que  le  démon,  et  qui  la  saisit,  la  jeta  à  terre  et  la 
maltraita  cruellement.  On  la  releva  demi  morte,  les  ver- 
tèbres disloquées  et  brisées,  incapable  de  se  tenir  debout. 
Durant  cinq  ans  elle  endura  les  plus  atroces  souffrances; 


282  XIII  JUIN. 

on  la  conduisit  au  tombeau  d'Antoine,  et  aussitôt  elle  se 
trouva  entièrement  rétablie. 

Une  enfant  d'une  dizaine  d'années,  nommée  Agnès, 
avait  l'estomac  si  débile  qu'il  refusait  absolument  toute 
espèce  de  nourriture.  L'intervention  d'Antoine  lui  rendit 
la  santé. 

A  Concordia,  dans  le  Frioul,  un  pauvre  ouvrier  nommé 
Frédéric,  en  travaillant  à  réparer  le  clocher  de  l'église, 
tomba  à  terre.  Il  eut  le  bonheur  de  ne  pas  se  tuer, 
mais  il  eut  les  reins  affreusement  brisés  et  ne  put 
plus  marcher  qu'avec  des  béquilles.  On  le  conduisit,  sur 
une  voiture,  à  Sainte-Marie  de  Padoue  ;  il  y  déposa  ses 
béquilles  et  revint  à  pied  dans  son  pays. 

Un  jeune  homme  de  Trente,  bossu  et  mal  bâti,  avait 
une  excroissance  de  chair  énorme  sur  l'épine  dorsale.  Il 
ne  pouvait  marcher  qu'en  appuyant  ses  mains  sur  ses 
genoux.  Ses  parents  l'amenèrent  à  l'église  :  il  y  pria  avec 
ferveur;  on  l'éleva  au-dessus  de  l'arche;  il  se  redressa  et 
retourna  chez  lui  complètement  guéri. 

Un  paysan  de  la  campagne  de  Padoue,  nommé  Bar- 
thélémy, muet  de  naissance,  souffrait  depuis  quinze  ans 
d'une  paralysie  ;  il  fit  un  pèlerinage  au  tombeau  du 
saint,  recouvra  l'usage  de  ses  membres  et  fut  guéri  de 
son  mutisme. 

A  Montagnana,  une  femme  du  nom  de  Solangria,  per- 
dait peu  à  peu  ses  forces  par  suite  d'un  flux  de  sang.  Une 
nuit  elle  se  sentit  tout  à  coup  réveillée  par  une  violente 
secousse  ;  en  même  temps  elle  entendit  une  voix  qui 
disait  :  «  Signez-vous  avec  confiance,  je  suis  Antoine, 
«  vous  allez  être  guérie  ».  Le  lendemain  le  miracle  était 
accompli. 


SAINT  ANTOINE  DE  PADOUE.  283 

Six  aveugles,  deux  épileptiques,  des  boiteux,  des  para- 
lytiques, des  muets,  des  sourds,  des  malades  abandonnés 
par  les  médecins  recouvrèrent  la  santé.  On  lut  ainsi  à  la 
pieuse  assistance  le  récit  de  quarante-cinq  miracles  dont 
l'authenticité  était  parfaitement  établie.  Quand  le  prêtre 
eut  quitté  l'estrade,  Grégoire  IX,  debout  sur  son  trône, 
déclara  au  nom  de  la  très-sainte  Trinité  que  Antoine 
était  inscrit  au  Catalogue  des  saints,  et  que  sa  fête  serait 
célébrée  le  jour  anniversaire  de  sa  mort,  c'est-à-dire  le 
13  juin.  On  chanta  le  Te,  Deum,  laudamus,  puis  le  pape 
entonna  l'antienne  0  doctor  optime,  a  ô  docteur  excel- 
«  lent,  lumière  de  l'Eglise,  priez  pour  nous,  saint  An- 
«  toine  1  »  Enfin,  on  récita  la  prière  que  le  bienheureux 
avait  composée  lui-même  et  qu'on  dit  encore  aujourd'hui 
le  jour  de  sa  fête. 

Le  jour  même  où  avait  eu  lieu  la  canonisation  du  saint, 
un  prodige  admirable  s'accomplit  à  Lisbonne.  Les  cloches 
de  la  ville  sonnèrent  d'elles-mêmes,  et  les  habitants, 
sous  le  coup  d'une  inspiration  divine  ,  sortirent  de 
leurs  maisons  en  chantant  des  hymnes  et  en  poussant 
des  cris  de  joie.  C'est  seulement  quelque  temps  après 
qu'on  eut  l'explication  de  ce  mouvement  universel  d'une 
joie  spontanée  et  extraordinaire.  Des  religieux,  venus  de 
France,  racontèrent  à  Lisbonne  qu'Antoine  avait  été 
canonisé  le  30  mai,  et  le  moment  où  les  paroles  sacra- 
mentelles avaient  dû  être  prononcées  se  trouvait  être 
l'heure  précise  où  une  si  grande  allégresse  éclatait  dans 
la  ville.  Aussitôt  on  se  rendit  dans  les  églises  pour  y 
rendre  grâces  à  Dieu ,  et  l'archevêque  de  Lisbonne  décida 
que  le  grand-autel  de  la  cathédrale  serait  placé  sous  l'in- 
vocation de  saint  Antoine.  Les  miracles  qui  accompa- 


284  XIII  JUIN. 

gnèrent  la  cérémonie  qui  eut  lieu  à  cette  occasion  prou- 
vèrent que  cette  décision  était  agréable  au  Seigneur. 

Quelque  temps  après,  le  pape  envoya  des  bulles  à  tous 
les  évêques  de  la  chrétienté,  pour  leur  enjoindre  d'ho- 
norer, par  un  service  annuel,  la  mémoire  du  saint  con- 
fesseur. Voici,  d'après  M.  Guyard,  les  passages  les  plus 
remarquables  de  ce  document  : 

a  Grégoire,  serviteur  des  serviteurs  de  Dieu,  à  nos 
«  vénérables  frères  les  archevêques  et  évêques,  à  nos 
«  chers  fils  les  abbés,  prieurs  et  autres  prélats  des  églises 
«  qui  verront  les  présentes  lettres,  salut  et  bénédiction 
«  apostolique. 

«  En  disant,  par  la  bouche  du  Prophète  :  a  Je  vous  ferai 
«  louer,  glorifier  et  honorer  par  tous  les  peuples»,  et 
«  en  promettant  que  les  justes  brilleront  devant  lui 
«  comme  le  soleil,  le  Seigneur  a  voulu  nous  apprendre 
a  à  vénérer,  sur  la  terre,  les  âmes  saintes  qu'il  couronne 
«  dans  les  deux,  où  elles  chanteront  éternellement  les 
«  grandeurs  et  la  gloire  de  Celui  à  qui  toute  louange  et 
«  tout  honneur  sont  dus  dans  les  siècles  des  siècles,  et 

«  qui  est  si  admirable  dans  ses  saints Par  les  pro- 

«  diges  qu'il  opère  à  leurs  tombeaux,  il  honore  leur 
«  mémoire,  confond  la  malice  de  l'hérésie  et  confirme 

«  la  religion  catholique Au  nombre  des  héros  qui, 

«  par  leur  piété,  leurs  paroles  et  leurs  actions,  ont  sou- 
d  tenu  la  foi  ,  se  trouve  le  bienheureux  Antoine,  de 
«  sainte  mémoire,  religieux  de  l'Ordre  des  Mineurs.  Du- 
ce rant  les  années  qu'il  a  passées  sur  la  terre,  il  s'est  dis- 
«  tingué  par  les  plus  grandes  vertus,  et,  maintenant  qu'il 
«  habite  le  ciel,  sa  sainteté  éclate  ici-bas  par  de  nombreux 
j  prodiges. 


SAINT  ANTOINE  DE  PADOUE.  285 

«  Dernièrement ,  notre  vénérable  frère,  l'évêque  de 
«  Padoue,  de  concert  avec  les  magistrats  et  le  peuple  de 
«  cette  ville,  nous  a  supplié  humblement,  par  écrit  et 
«  par  des  députés,  de  vouloir  bien  ordonner  une  enquête 
«  canonique  sur  les  miracles  si  nombreux  et  si  éclatants 

«  qui  s'opèrent  au  tombeau  du  vénérable  Antoine 

«  Nous  nous  sommes  donc  décidé  à  confier  l'examen  des 
«  miracles  d'Antoine  à  l'évêque  de  Padoue  lui-même  et 
«  à  nos  cliers  fils  frère  Jourdain,  prieur  de  Saint-Benoît, 
«  et  frère  Jean ,  du  couvent  de  Saint-Augustin  ,  de 
or  l'Ordre  des  Frères-Prêcheurs. 

«  Le  rapport  de  ces  commissaires  et  les  dépositions  des 
«  témoins  ne  nous  ayant  laissé  aucun  doute  sur  la  subli- 
«  mité  des  vertus  et  sur  l'authenticité  des  miracles  de  ce 
a  vrai  religieux,  de  cet  apôtre  que  nous  avons  eu,  autre- 
or  fois,  le  bonheur  de  connaître  nous-même, nous 

a  nous  sommes  déterminé,  de  l'avis  de  nos  frères  les 
«  cardinaux  et  autres  prélats  qui  nous  entourent,  à  ins- 
«  crire,  sur  le  Catalogue  des  saints,  le  nom  du  pieux 
«  Antoine. 

«  Quand  on  allume  une  lampe,  dit  l'Evangile,  on  la 
«  place,  non  sous  le  boisseau,  mais  sur  le  chandelier, 
«  afin  qu'elle  éclaire  tous  ceux  qui  sont  dans  la  maison. 
«  Or,  le  religieux  dont  nous  nous  occupons  est  devenu 
«  une  lumière  si  éclatante,  qu'il  mérite  d'être  placé  au 
«  premier  rang  sur  l'immortel  chandelier  de  l'Eglise. 
«  C'est  donc  avec  instance  que  nous  vous  prions,  vous 
«  avertissons  et  vous  commandons,  par  les  présentes 
«  lettres  apostoliques,  d'exciter  de  plus  en  plus  la  dévo- 
«  tion  des  fidèles  envers  ce  grand  saint,  et  de  célébrer 
«  solennellement,  chaque  année,  safête  aux  ides  de  juin, 


286 


XIII  JUIN. 


«  afin  que,  à  l'aide  de  son  intercession,  le  Seigneur 
daigne  nous  accorder  sa  grâce  en  ce  monde  et  la  gloire 
«  en  l'autre 

«  Donné  à  Spolète,  le  3  des  nones  de  juin,  l'an  vi  de 
«  notre  pontificat  ». 

Un  premier  office  de  saint  Antoine  fut  composé,  dit-on, 
par  Grégoire  IX  lui-même  ;  un  autre  par  frère  Julien  de 
Spire,  en  1249;  un  troisième,  enfin,  par  le  Père  Azzoquidi, 
en  1737,  approuvé  parla  congrégation  des  Rites,  en  17-41. 
L'office  rimé  ne  fut  guère  conservé  depuis  lors  que  par 
les  Pères  de  la  Stricte  Observance.  Au  couvent  d'Ara- 
Cceli,  à  Rome,  on  le  récite  encore  ;  il  est  bien  supérieur 
en  beauté  et  en  onction  à  l'office  nouveau. 

Nous  donnons  ici,  d'après  M.  Guyard,  toutes  les  antiennes 
des  premières  Vêpres  de  l'office  ancien,  parce  qu'elles  nous 
semblent  être  un  résumé  éloquent  et  complet  de  la  vie  du 
grand  thaumaturge  (1)  : 

1.  Qu'elle  se  réjouisse,  notre  mère  la  sainte  Eglise  1 
Son  céleste  époux  lui  prépare  des  couronnes  avec  les 
palmes  conquises  par  ceux  de  ses  enfants  qui  ont  quitté 
la  terre  pour  le  ciel. 

2.  Un  père  se  glorifie  de  la  prudence  de  son  fils  :  Antoine 
montre  d'une  manière  admirable  la  vérité  de  cette 
maxime. 

3.  En  effet,  il  a  dignement  glorifié  son  Père  céleste,  en 
foulant  aux  pieds  la  sagesse  du  siècle. 


(1)      1.  Gaudeat  Eccles-ia 
Quam  m  delunctorain 
Sponsus  ornât  gloria 
Matrem  fihorum. 


2.  Sapiente  filio 
Pater  gloriamr  : 


Hoc  et  m  Antonio 
Digne  commendatur. 

Z.  Qui  dum  sapientiani 
Saeculi  caicavit, 
Prudens  summi   gloriam 
Patris  exaltavit. 


SAINT  ANTOINE  DE  PADOUE.  287 

4.  Soumis  d'abord  à  la  règle  de  Saint-Augustin,  il  em- 
brasse bientôt  celle  de  Saint-François,  afin  d'être  tout  à 
fait  mort  au  monde. 

5.  Il  habite  le  ciel,  où  il  se  réjouit  avec  les  glorieux  pères 
dont  il  imitait  la  vie  sur  la  terre. 

6.  [A  Magnificat.)  0  digne  fils  de  l'Espagne,  terreur  des 
infidèles,  nouvelle  lumière  de  l'Italie,  noble  dépôt  confié 
à  la  ville  de  Padoue,  bienheureux  Antoine,  apportez-nous 
le  secours  de  la  grâce  du  Christ,  afin  que  nous  apprenions 
à  mettre  à  profit  le  temps  qui  passe  si  vite,  et  qui  nous 
est  donné  pour  obtenir  le  pardon  de  nos  fautes. 


Quand  saint  Antoine  fut  mort,  en  4231,  ses  précieux 
restes  furent,  comme  nous  l'avons  vu,  déposés  avec  grand 
honneur  dans  l'église  des  Frères  Mineurs  de  la  ville. 
Mais,  après  la  canonisation  du  saint,  et  à  la  suite  des 
miracles  nombreux  qui  s'accomplissaient  tous  les  jours 
sur  son  tombeau,  les  magistrats  et  les  autres  habitants 
de  Padoue  résolurent  de  lui  élever  un  temple  digne  de 
lui  et  assez  vaste  pour  contenir  les  nombreux  pèlerins 
qui  accouraient  de  tous  les  points  de  l'Europe  pour  le 
vénérer. 

On  se  mit  à  l'œuvre  avec  ardeur,  sous  la  direction  du 
célèbre  architecte  Nicolas  de  Pize.  Malheureusement  il 


4.  Augustini  primitus  6.  O  proies  Hispaniae, 

Kegulae  subjectus,  Pavor  inûdelium, 

Sub  Francisco  penitus  Nova  )ux  Italiae, 

Mundo  lit  abjectus.  Nobile  dppositum 

Urbis  Paduanae, 
Fer,  Antoni,  gratiae 
3.  Quorum  vitam  moribus  Christi  patrocinium, 

Hic  profitebatur,  Ne  prolap?is  veni<E 

Gloriosis  patribus  Tempus  brève  cruditum 

Jam  conglorialur.  Diffluar  inane. 


288  XIII  JUIN. 

fallut  s'arrêter  en  1237,  quand  le  féroce  tyran  Eccelin  se 
fut  fait  livrer  par  l'empereur  Frédéric  II  la  ville  de 
Padoue.  Ce  fut  une  triste  époque  pour  cette  cité  et  pour 
l'Italie  tout  entière  ;  le  pape  Alexandre  IV,  digne  neveu  de 
Grégoire  IX,  et  comme  lui  défenseur  intrépide  des  droits 
de  la  chrétienté  et  de  son  peuple,  prêcha  la  croisade 
contre  les  barbares  du  Nord  et  contre  les  tyrans.  Les  plus 
nobles  seigneurs  italiens,  le  marquis  d'Esté,  le  comte 
Boniface,etTiso,  seigneur  deCampietro,  accoururent  à  sa 
voix.  Les  républiques  de  Mantoue,  de  Venise,  de  Bologne, 
de  Ferrare,  s'unirent  à  lui  pour  repousser  l'ennemi 
commun. 

Grande  fut  la  joie  des  habitants  de  Padoue,  quand  ils 
virent  du  haut  de  leurs  murailles  avancer  à  leur  secours 
l'armée  de  la  délivrance.  On  se  rendit  en  procession  au 
tombeau  de  saint  Antoine,  pour  obtenir  la  victoire  par  son 
intercession. 

Une  nuit,  le  Père  Luc  Belludi,  ancien  compagnon  de 
l'apôtre,  veillait,  dans  la  chapelle  qui  lui  était  consacrée, 
avec  le  Père  Barthélémy  Conradin,  gardien  du  couvent 
de  Padoue,  et  quelques  autres  religieux.  Agenouillés  sur 
la  pierre,  ils  chantaient  les  psaumes  sacrés,  et,  les  yeux 
pleins  de  larmes,  ils  conjuraient  le  bienheureux  thauma- 
turge de  venir  en  aide  à  leur  infortunée  patrie.  Tout  à 
coup,  au  milieu  du  silence  et  des  ténèbres,  une  voix 
sortit  du  tombeau:  «  Courage  et  patience  »,  disait-elle, 
«  Padoue  sera  délivré  le  jour  de  l'octave  de  ma  fêle». 
Cette  bonne  nouvelle,  bientôt  répandue  dans  toute 
la  ville  ,  remplit  de  joie  les  malheureux  Padouans  , 
et  la  confiance  des  assiégeants  dans  leurs  forces  s'en 
accrut  encore. 


SAINT   ANTOINE  DE  PAPOUE.  289 

La  prédiction  ne  tarda  pas  à  se  réaliser;  le  cardinal 
légat  Octavien  Ubaldini  commanda  l'attaque  des  fau- 
bourgs qui  furent  pris,  après  un  combat  acharné,  le 
19  juin  1256.  Le  lendemain,  toute  la  ville  était  au  pouvoir 
des  Croisés. 

Les  Padouans  se  montrèrent  reconnaissants  au  saint 
de  leur  avoir  donné  la  victoire,  et  dès  l'année  suivante, 
quand  le  calme  fut  bien  rétabli,  ils  décidèrent  que  saint 
Antoine  serait  considéré  comme  le  patron  de  la  ville, 
qu'on  lui  élèverait  une  statue  sur  la  place  des  Comices, 
que  le  trésor  municipal  fournirait  chaque  année  une 
somme  de  quatre  mille  livres,  jusqu'à  l'entier  achèvement 
de  l'église,  enfin  que  sa  fête  annuelle  se  célébrerait  avec 
solennité  et  serait  suivie  de  huit  jours  de  réjouissance  : 
a  J'ai  vu  »,  dit  le  Père  Fremaut,  a  la  procession  de  l'année 
«  1 682  ;  elle  sortit  de  la  cathédrale,  où  s'étaient  réunis  toute 
«  la  noblesse,  toute  la  magistrature  et  tout  le  clergé  de  la 
«  ville  et  des  environs,  et  se  rendit,  à  travers  les  rues  jon- 
«  chées  de  fleurs,  à  l'église  du  saint.  Là,  le  cardinal 
«  Grégoire   Barbarigo  ,    évêque    de  Padoue  ,    entonna 
a  les  premières  Vêpres,  tandis  qu'une  musique  magnifique 
«  faisait  monter  vers  le  ciel  des  accents  de  reconnaissance 
«  et  d'amour  » . 

Cependant  la  construction  de  l'église  ,  interrompue 
depuis  vingt-deux  ans,  était  reprise  avec  activité  en  1259. 
En  1263,  la  partie  antérieure  de  l'édifice  étant  à  peu  près 
terminée,  on  résolut  d'y  transporteries  reliques  du  saint. 
Tout  ce  que  l'art  de  cette  époque  produisait  de  plus  beau 
avait  été  mis  en  œuvre  pour  l'ornement  du  nouveau 
temple.  Le  tabernacle  du  grand-autel  était  tout  en  pier- 
res précieuses.  Des  statues  de  marbre  et  de  bronze, 
Palm.  Sérafg.  —  Tume  VI.  19 


200  XIII  JUIN. 

représentant  de  saints  personnages,  des  tableaux  de  pein- 
tres célèbres  décoraient  les  piliers  et  les  murs.  Enfin,  on 
avait  scellé  dans  le  portail  une  pierre  qui  avait  servi 
d'oreiller  au  saint. 

La  cérémonie  de  la  translation  des  reliques  eut  lieu 
au  milieu  d'un  grand  concours  de  fidèles,  le  17  avril  1263, 
selon  Fremaut,  le  8  avril  selon  M.  l'abbé  Guyard.  Saint 
Bonaventure,  alors  général  de  l'Ordre,  présidait.  Quand 
on  ouvrit  le  tombeau,  un  céleste  parfum  s'en  exhala  et 
remplit  toute  l'église.  Les  chairs  étaient  tombées  en 
poussière,  mais,  au  milieu  de  celte  ruine,  la  langue 
encore  intacte  apparaissait  rose  et  fraîche  comme  celle 
d'un  homme  vivant.  Saint  Bonaventure  la  prit  dans  ses 
mains,  et,  versant  des  larmes  d'attendrissement,  il  s'é- 
cria :  «  0  langue  bénie,  qui  as  toujours  béni  le  Seigneur 
«  et  qui  as  enseigné  aux  autres  à  le  bénir,  c'est  maintenant 
«  que  l'on  voit  clairement  de  quel  prix  tu  es  aux  yeux  de 
«  Dieu  » .  Puis  il  la  baisa  avec  respect  et  la  remit  aux 
magistrats  de  la  ville,  qui  la  reçurent  sur  un  plateau 
d'or. 

Quelques  années  plus  tard,  un  général  de  l'Ordre,  abu- 
sant de  son  pouvoir,  exigea  qu'on  lui  remît  les  précieuses 
reliques;  comme  on  s'y  était  refusé,  il  vint  les  prendre. 
Chose  merveilleuse  1  lorsqu'il  eut  en  mains  la  châsse  qui 
les  contenait  et  qu'il  se  disposa  à  sortir  de  la  sacristie,  il 
ne  put  en  trouver  la  porte.  Alors,  tout  effrayé,  il  cacha  la 
sainte  langue  dans  un  calice,  et  vint  au  pied  de  l'autel 
demander  pardon  à  Dieu  de  sa  tentative  coupable.  Dans 
la  suite,  un  moine,  à  qui  il  avait  confié  son  secret,  révéla 
l'endroit  où  le  général  de  l'Ordre  avait  déposé  le  reli- 
quaire On  le  replaça  dans  la  sacristie  en  chantant.  : 


SAINT  ANTOINE  PE  PAPOUE.  29  i 

Gaude,  fclix  Padua  ;  «  Réjouis-toi ,  heureuse  ville  de 
Padoue». 

En  4310  eut  lieu  une  seconde  translation  des  reliques 
de  saint  Antoine.  L'église  se  trouvait  alors  presque  ache- 
vée ;  on  plaça  l'arche  au  milieu  de  la  principale  nef  de 
l'église. 

En  1350,  le  cardinal  Guido  de  Montfort,  de  Limoges, 
en  France,  sauvé  miraculeusement  d'un  grand  danger 
par  l'intercession  du  saint,  apporta  à  Padoue  une  magni- 
fique châsse  en  argent,  fabriquée  à  ses  frais  et  destinée 
à  contenir  la  langue  de  l'apôtre.  Le  14  février,  le  véné- 
rable cardinal  descella  l'arche,  fermée  par  les  soins  de 
saint  Bonaventure,  en  tira  les  ossements  précieux  et  les 
déposa  dans  le  coffre  d'argent  qu'il  plaça  ensuite  dans 
l'ancien  tombeau  de  marbre. 

L'année  suivante,  le  chapitre  général  de  Lyon  décida 
que  chaque  année  on  célébrerait ,  le  45  février,  la  fête 
anniversaire  de  la  translation  des  reliques  de  saint  An- 
toine. Quelques  années  plus  tard,  le  pape  Martin  V  ac- 
corda une  indulgence  de  cinq  ans  aux  fidèles  qui  vien- 
draient en  pèlerinage  au  tombeau  du  saint. 

Dès  cette  époque,  le  nom  du  grand  thaumaturge  était 
honoré  dans  toute  l'Europe,  et  même  dans  le  monde  en- 
tier. De  l'Allemagne,  de  l'Espagne,  du  Portugal  et  de  la 
France,  accouraient  de  pieux  pèlerins  à  Padoue. 

L'église  élevée  au  saint  est  une  des  plus  belles  du 
monde.  Wadding  prétend  qu'elle  fut  élevée  sur  l'empla- 
cement d'un  ancien  temple  de  Junon.  Quand  les  statues 
des  faux  dieux  furent  remplacées  par  la  croix  du  Sau- 
veur, l'édifice  s'appela  d'abord  JEdes  major,  le  Grand- 
Temple;  mais  en  1229,  Jacques  Corrado,  évêque  de  Pa- 


292  XIII  JUIN. 

doue,  lui  donna  le  titre  de  Sainte  Marie,  mère  du  Sau- 
veur, Sancta  Maria,  mater  Domini.  Le  temple  actuel 
s'appelle  l'Eglise  du  Saint,  la  Chiesa  del  Santo. 

L'église  du  Santo  ,  dit  M.  l'abbé  Guyard,  a  280  pieds 
de  long,  131  de  large,  et  410  de  haut.  La  partie  anté- 
rieure présente  une  multitude  de  colonnes,  plusieurs 
coupoles  et  quatre  campaniles...  Outre  le  chœur,  dont 
les  décorations  sont  extrêmement  remarquables,  la  se- 
conde partie  du  temple  renferme  neuf  chapelles...  Le 
grand  dôme  qui  couvre  le  chœur  fut  construit  en  1424, 
à  l'aide  des  offrandes  des  fidèles  ;  il  est  soutenu  par  huit 
fortes  colonnes.  C'est  le  fameux  Laurent  de  Lendenara  qui 
sculpta  les  figures  dont  sont  ornées  les  stalles  du  chœur. 

Le  tombeau  du  saint,  placé  au  milieu  de  la  chapelle 
qui  lui  est  plus  spécialement  consacrée,  est  un  véritable 
édifice.  Sur  le  gradin  de  l'autel  sont  placées  trois  statues 
en  bronze  :  celle  de  saint  Antoine,  celle  de  saint  Bona- 
venture  et  celle  de  saint  Louis,  évêque  de  Toulouse. 
L'entrée  de  ce  sanctuaire  est  fermée  par  deux  portes  de 
bronze,  coulées  en  1590  par  Titien  Asperto.  Trente-six 
lampes  d'argent,  offertes  par  des  princes  et  des  rois,  brû- 
lent continuellement  devant  l'autel  du  Santo.  Chaque 
jour  l'église  s'enrichit  de  nouveaux  objets  donnés  à  la 
fabrique  par  l'inépuisable  générosité  des  fidèles. 

(M.  l'abbé  Guyard,  Wadding,  Cardose  et  PapebrociT,. 


LE  BIENHEUREUX  TÈRE  0LIV1KR  MAILLARD.  293 

OLIVIER  MAILLARD 

1502.  —  Pape  :  Alexandre  VI.  —  Roi  de  France  :  Louis  XII. 

Le  bienheureux  Père  Olivier  Maillard  naquit  en  Bre- 
tagne. Il  étudia  la  théologie  à  Paris,  et  plus  tard  occupa 
avec  éclat  une  chaire  en  Sorbonne.  Il  passait  pour  être 
un  éloquent  prédicateur;  mais  il  est  encore  plus  célèbre 
par  ses  vertus  et  la  sainteté  de  sa  vie. 

Olivier  Maillard  fut  cinq  fois  provincial  dans  différentes 
provinces,  et  à  trois  reprises  il  exerça  la  dignité  de  vicaire 
général  de  l'Ordre  en  Espagne,  en  France,  aux  Pays-Bas 
et  en  Allemagne.  Son  séjour  de  prédilection  était  le 
couvent  de  Malines,  aux  Pays-Bas. 

Charles  VIII,  roi  de  France,  professait  pour  ce  saint 
homme  la  plus  grande  estime,  et  c'est  à  sa  prière  qu'il  se 
décida  à  rendre  à  Ferdinand,  roi  d'Espagne,  la  ville  de 
Perpignan  et  le  comté  de  Roussillon.  Le  pape  Inno- 
cent VIII  le  chargea  de  négociations  importantes. 

Olivier  paraît  avoir  reçu  de  Dieu  le  don  de  prophétie  ; 
et  Ton  a  conservé  quelques-unes  de  ses  prédictions.  Après 
avoir  contribué  au  développement  de  l'Ordre  Séraphique 
par  l'habilité  avec  laquelle  il  exerça  ses  dignités  de  pro- 
vincial et  de  vicaire  général,  il  mourut,  riche  de  vertus, 
au  couvent  de  Toulouse,  le  13  juin  1502.  Sa  mort  fut  le 
signal  et  l'occasion  de  beaucoup  de  miracles,  et  en  1508, 
le  chapitre  général  de  Barcelone  ordonna  que  son  corps 
serait  exhumé  et  placé  dans  une  chapelle  à  lui  consacrée. 
On  célèbre,  le  vingtième  jour  de  juin,  au  couvent  de 


294  XIII  JUIN 

Toulouse,  l'anniversaire  de  la  translation  de  ses  précieux 
restes. 

L'Ordre  Séraphique  a  conservé  la  mémoire  d'un  autre 

religieux  du  même  couvent,  le  Père  Melchior  Flavius, 

issu  d'une  des  plus  illustres  familles  de  France,  linguiste 

éminent  et  théologien  de  premier  ordre.  Melchior  exerça 

la  charge  de  commissaire  général  de  l'Allemagne.  Il  reçut 

de  Dieu  pendant  sa  vie  le  don  de  prophétie,  et  après  sa 

mort  le  don  de  miracles. 

(Wadding.) 


MARGUERITE  DE  FOLIGNO 

DU   TIERS   ORDRE 

1442.  —  Pape  :  Eugène  IV.  —  Roi  de  France  :  Charles  VII. 

SOMMAIRE  :  Austère  jeunesse  de  la  bienheureuse  Marguerite.  —  Fondation  d'un 
couvent  du  Tiers  Ordre  par  la  bienheureuse  Angelina  de  Civitella.  —  Marguerite  y 
prend  le  voile,  puis  elle  est  nommée  supérieure  d'un  nouveau  couvent.  —  Elle 
devient  abbesse  générale  de  tous  les  couvents  du  Tiers  Ordre  en  Italie.  —  Sa  mort. 
—  Conservation  miraculeuse  de  son  corps. 

Cette  sainte  fiancée  du  Christ  naquit  en  1378,  à  Foli- 
gno,  en  Italie,  et  montra  dès  son  enfance  de  grandes  dis- 
positions à  la  vie  pieuse  et  contemplative  et  à  la  solitude. 
A  l'âge  de  quinze  ans,  l'amour  de  Dieu  remplissait 
son  cœur  et  n'y  laissait  place  à  aucun  autre  sentiment. 
Elle  s'abandonnait  à  la  prière  et  à  la  méditation,  s'impo- 
sait de  sévères  disciplines,  des  jeûnes,  des  austérités, 
pour  mériter  les  grâces  dont  le  Seigneur  commençait 
dès  lors  à  la  combler  ;  elle  s'était  choisi  pour  patrons 
la  très-sainte  Vierge,  sainte  Marguerite  et  saint  Antoine. 


LA  BIENHEUREUSE  MARGUERITE  DE  FOLIGNO.  295 

Vers  cette  époque,  la  bienheureuse  Angelina,  com- 
tesse de  Civitella,  dans  le  royaume  de  Naples,  vint  fonder 
à  Foligno  un  couvent  du  Tiers  Ordre  de  Saint-François. 
Marguerite  fut  une  des  premières  à  demander  le  voile,  et 
son  exemple  décida  plusieurs  jeunes  filles  à  renoncer 
au  monde  pour  se  consacrer  à  Dieu.  La  vie  de  la  bien- 
heureuse Angelina  lui  servit  de  modèle  et  de  règle  de 
conduite.  Elle  s'efforça  d'imiter  sa  modestie,  son  mépris 
d'elle-même  et  du  monde,  son  ardeur  à  la  prière,  sa 
charité  pour  le  prochain.  Une  haire  en  crin  sur  sa  peau 
nue,  elle  se  faisait  l'esclave  de  ses  sœurs,  au  milieu  des- 
quelles elle  se  croyait  indigne  de  vivre.  Un  signe  de  son 
abbesse  lui  donnait  des  ailes,  tant  elle  avait  au  plus  haut 
degré  le  culte  de  la  sainte  obéissance ,  et  toutes  ses 
actions  étaient  réglées  sur  l'avis  de  son  confesseur  ;  elle 
avait  annihilé  sa  volonté  en  revêtant  la  robe  de  religieuse. 

Ses  vêtements  usés,  déchirés,  troués,  rapiécés,  témoi- 
gnaient de  son  amour  pour  la  pauvreté  monacale  ;  et 
c'était  là  tout  ce  qu'elle  possédait.  Sa  chasteté  était  d'un 
Ange,  sa  naïveté  d'un  enfant. 

Cependant  des  jeunes  filles  des  villes  voisines  ve- 
naient tous  les  jours  demander  le  voile,  et  la  bien- 
heureuse Angelina  avait  déclaré  qu'elle  ne  recevrait  pas 
plus  de  vingt  religieuses.  A  la  prière  des  habitants  et  des 
seigneurs  de  l'endroit,  il  fut  décidé  qu'on  bâtirait  un 
autre  couvent  du  Tiers  Ordre  à  Foligno,  et  Marguerite  en 
fut  nommée  abbesse.  La  pieuse  fille,  dont  l'humilité  s'ef- 
fraya d'une  pareille  dignité,  essaya  de  protester  ;  mais 
l'évêque  de  Foligno  et  la  bienheureuse  Angelina,  en  sa 
qualité  d'abbesse  générale  de  tous  les  couvents  du  Tiers 
Ordre  d'Italie,  lui  ordonnèrent,  au  nom  de  la  sainte  obéis- 


2!)6  XIII  JUIN. 

sance,  de  se  rendre  au  poste  qui  lui  était  indiqué,  et 
Marguerite  se  résigna,  non  sans  demander  pardon  à  ses 
sœurs  du  scandale  qu'elle  avait  causé,  et  sans  implorer 
le  secours  de  leurs  prières,  à  accepter  l'honneur  qu'on 
lui  destinait. 

C'est  en  1399  que  la  bienheureuse  Marguerite  vint  en 
procession  solennelle  prendre  possession  de  son  nouveau 
couvent,  avec  les  jeunes  filles  qui  allaient  s'y  consacrer  à 
Dieu.  Elles  y  reçurent  le  voile  le  même  jour,  et  sous  la 
sage  et  maternelle  direction  de  leur  bienheureuse  ab- 
besse,  elles  marchèrent  rapidement  dans  les  voies  du 
Seigneur.  La  renommée  de  leurs  vertus  attira  bientôt 
auprès  d'elle  un  si  grand  nombre  de  novices,  qu'il  fallut 
agrandir  le  couvent.  La  vie,  cependant,  n'y  était  pas 
douce  ;  car  la  plus  stérile  pauvreté  y  régnait,  et  la  bien- 
heureuse Marguerite  voulait  que  les  sœurs  vécussent  du 
travail  de  leurs  mains  et  du  produit  de  leurs  quêtes. 
Elle  même  donnait  l'exemple  des  fortes  vertus,  en  se 
chargeant  des  ouvrages  les  plus  désagréables  et  en  se 
faisant  la  servante  de  ses  religieuses. 

La  bienheureuse  Angelina  ne  crut  pouvoir  mieux 
récompenser  Marguerite  de  son  zèle  qu'en  l'envoyant 
avec  trois  sœurs  fonder  un  nouveau  couvent  à  Spolète. 
La  sainte  abbessc  obéit,  et  après  y  avoir  installé  les  pre- 
mières novices,  elle  revint  à  Foligno,  où  Angelina  venait 
de  mourir.  Marguerite  lui  succéda  dans  sa  dignité  d'ab- 
besse  générale  de  tous  les  couvents  du  Tiers  Ordre  en 
Italie.  La  renommée  de  sa  sainteté  s'était  alors  répandue 
dans  le  pays  environnant ,  et  de  tous  côtés  on  venait  lui 
demander  des  conseils,  ou  la  prier  d'obtenir  du  Seigneur 
la  guérison  d'un  malade. 


LA  BIENHEUREUSE  MARGUEHlTE  DE  FOUGNO.  297 

Dans  sa  dernière  maladie,  qui  fut  aussi  longue  que 
douloureuse,  la  pieuse  abbesse  montra  un  courage  et 
une  patience  invincibles  au  mal.  Après  avoir  imploré  de 
ses  sœurs  le  pardon  des  fautes  qu'elle  avait  pu  commettre 
envers  elles,  elle  leur  adressa  quelques  belles  paroles  sur 
les  devoirs  de  la  vie  religieuse:  pratique  de  la  règle, 
affection  et  union,  humilité  et  obéissance,  retraite, 
prières,  méditations,  austérités.  «  Et  maintenant  » ,  ajoutâ- 
t-elle, «  maintenant,  mes  filles,  que  je  vais  entrer  dans  le 
«  royaume  de  Dieu,  soyez  sûres  que  je  ne  vous  abandon- 
«  nerai  pas  » .  Elle  leva  les  yeux  au  ciel,  leur  donna  sa  der- 
nière bénédiction,  et  consomma  dans  la  mort  son  union 
avec  son  céleste  Fiancé,  le  13  juin  1442,  à  l'âge  de  soixante- 
quatre  ans  :  il  y  avait  quarante-cinq  ans  qu'elle  était 
entrée  en  religion.  Comme  elle  avait  toujours  montré 
une  grande  dévotion  à  saint  Antoine  de  Padoue,  et  qu'elle 
était  morte  précisément  le  jour  de  sa  fête,  les  bonnes 
sœurs,  par  la  suite,  honorèrent  le  même  jour  saint  An- 
toine, comme  patron  de  leur  couvent,  et  la  bienheureuse 
Marguerite,  comme  leur  fondatrice. 

Les  précieux  restes  de  l'abbesse  furent  ensevelis  auprès 
du  grand-autel.  Quelques  années  plus  tard,  on  y  retrouva 
son  corps  parfaitement  conservé,  et  l'étonnement  des  as- 
sistants s'accrut  encore,  après  qu'un  boiteux  et  un  lépreux 
eurent  été  délivrés  de  leurs  infirmités  par  le  seul  attou- 
chement de  la  bienheureuse.  Ces  prodiges  attirèrent  dans 
l'église  du  couvent  un  nombre  considérable  de  pèlerins 
dont  plusieurs  furent  l'occasion  de  nouveaux  miracles. 
Le  corps  resta  exposé  pendant  plusieurs  jours,  à  la 
grande  satisfaction  des  habitants  de  la  ville  ;  puis  on  le 
replaça  dans  le  même  cercueil,  à  l'endroit  où  il  avait  été 


298  XIII  JUIN. 

enseveli  tout  d'abord.  En  1588,  un  iucendie  détruisit 
l'église,  mais  épargna  miraculeusement  le  tombeau  de 
la  bienheureuse.  Cette  fois,  plus  de  cent  quarante  ans 
après  la  mort,  le  cadavre  était  devenu  squelette,  à  l'ex- 
ception de  la  tête  et  du  visage  dont  les  joues  et  les 
lèvres  avaient  encore  les  couleurs  de  la  vie.  Ces  précieu- 
ses reliques,  qui  furent  conservées  au  couvent  dans  une 
châsse  magnifique,  ont  été  l'instrument  de  beaucoup  de 
miracles. 


GLAIRE  DE  FOLIGNO  ET  AUTRES 

Plusieurs  sœurs  du  même  couvent  de  Foligno  sont 
mortes  en  odeur  de  sainteté.  Parmi  elles  on  cite  : 

Claire  de  Foligno,  qui  eut  le  don  de  contemplation  et 
d'extase.  Le  jour  de  la  fête  de  saint  François,  elle  vit  des 
âmes  du  purgatoire,  délivrées  de  leurs  souffrances,  s'en- 
voler vers  le  ciel.  On  lui  attribue  aussi  le  pouvoir  de 
chasser  les  démons. 

Agnès  de  Pescaire,  aux  funérailles  de  laquelle  assistè- 
rent une  foule  de  pèlerins  venus  on  ne  sait  d'où,  et  qui 
disparurent  ensuite  comme  par  enchantement. 

Cabrielle  de  Pérouse,  dont  les  longues  extases  sont 
demeurées  célèbres,  et  que  l'on  vit  souvent  s'enlever 
dans  les  airs  au  milieu  d'un  tourbillon  de  lumière. 

(WaddiiNg  et  Jacobille  j 


LE   BIENHEUREUX  GEORGES  D'ALBANIE.  299 

GEORGES  D'ALBANIE 

FRÈRE    LAI 
1440.  —  Pape  :  Eugène  IV.  —  Roi  Je  France  :  Charles  VII. 


SOMMAIRE  :  Belle  conduite  du  bienheureux  Georges,  lorsqu'il  était  capitaine  au 
service  de  Sforza.  —  Il  entre  dans  l'Ordre  Séraphique.  —  Il  triomphe  de  son 
bouillant  naturel.  —  Son  humilité,  sa  piété  et  ses  extases.  —  Sa  sainte  mort. 


Le  bienheureux  Georges  naquit  en  Albanie,  et  fut  long- 
temps capitaine  au  service  de  François  Sforza,  l'allié  du 
pape  contre  Philippe,  duc  du  Milanais.  Sforza  prit  d'as- 
saut une  petite  ville  des  Marches,  qui  s'était  déclarée 
pour  le  duc,  et  l'abandonna  au  pillage.  Les  soldats  se  dis- 
persèrent par  les  rues,  et  Georges  entra  dans  la  maison 
d'une  noble  dame,  originaire  du  village  de  Ripa-Tran- 
sona,  et  mère  de  deux  fort  jolies  demoiselles.  Le  capi- 
taine les  vit  si  tremblantes,  qu'il  en  eut  pitié  et  qu'il  ré- 
solut de  les  protéger  et  de  les  défendre  au  besoin  contre 
ses  propres  soldats.  Après  le  pillage  de  la  ville,  il  voulut 
les  escorter  jusqu'à  la  maison  de  leur  père,  à  qui  il  eut 
le  bonheur  de  les  ramener  saines  et  sauves,  non  sans 
avoir  couru  les  plus  grands  dangers. 

Quelques  années  plus  tard,  Georges,  dégoûté  de  ce 
monde  plein  de  troubles  et  de  crimes,  alla  demander  au 
bienheureux  Jacques  de  la  Marche,  qui  prêchait  alors  à 
Camerino,  l'habit  de  l'Ordre  Séraphique.  Après  avoir  pro- 
noncé ses  vœux,  il  se  retira,  avec  cinq  autres  frères,  dans 
un  ermitage  situé  non  loin  d'Ascoli,  et  dépendant  du 
couvent  de  cetle  ville.  Un  jour  il  y  eut  une  violente 


300  XIII  JUIN. 

discussion  avec  un  autre  religieux  ;  mais  bientôt,  taisant 
un  retour  sur  lui-même,  il  alla  trouver  son  frère  et  lui 
représenta  que  c'était  un  grand  crime  aux  yeux  de  Dieu 
de  laisser  pénétrer  la  haine  dans  son  cœur,  quand  on 
portait  l'habit  de  religieux.  Tous  deux  se  mirent  à  ge- 
noux, demandèrent  au  Seigneur  pardon  de  leur  faute, 
et  s'embrassèrent  en  signe  de  paix  et  d'amitié.  Georges 
avait  remporté  sur  son  naturel  ardent  une  victoire 
décisive. 

Durant  les  premières  années  qu'il  passa  dans  l'Ordre, 
le  bienheureux  Georges  s'acquitta  avec  une  humilité  et 
une  soumission  inaltérables  des  travaux,  souvent  un  peu 
grossiers,  qui  sont  réservés  aux  frères  lais  ;  mais,  sur  la 
fin  de  sa  vie,  il  s'abandonna  à  la  vie  contemplative.  Il 
reçut  de  Dieu  le  don  des  larmes,  et  cette  grâce  toute 
spéciale  lui  causa  de  célestes  jouissances.  Son  ardente 
piété  ne  trouvait  de  satisfaction  qu'au  pied  des  autels  ;  du- 
rant les  cinquante  années  qu'il  passa  dans  l'Ordre  Séra- 
phique,  on  ne  le  vit  pas  une  fois  retourner  à  sa  cel- 
lule après  les  matines  :  il  demeurait  au  chœur  jusqu'au 
matin,  plongé  dans  ses  méditations.  Les  cantiques  sacrés 
le  faisaient  tomber  en  extase  ;  le  chant  du  Magnificat,  par 
exemple,  lui  ouvrait  tout  à  coup  d'immenses  horizons, 
et  il  restait  immobile,  les  yeux  errants  dans  le  vague  de 
l'infini,  le  cou  tendu,  comme  jouissant  d'un  spectacle 
inconnu  aux  mortels  et  prêtant  l'oreille  à  de  célestes 
concerts. 

11  est  probable  que  le  bienheureux  Georges  alla  visiter 
les  lieux  sanctifiés  par  la  naissance  et  par  la  mort  du 
Sauveur.  On  rapporte  que,  vers  la  fin  de  sa  vie,  comme 
il  désirait  ardemment  savoir  si  sa  conduite  avait  été 


LE  BIENHEUREUX  MARTIN  DE  SAINTE  MARIE.  301 

agréable  à  Dieu,  il  vit  lui  apparaître  Jésus  et  Marie  ins- 
crivant son  nom  sur  le  livre  d'or  de  l'Eternel.  Alors,  tout 
rempli  d'une  sainte  joie,  il  s'endormit  dans  le  Seigneur, 
au  couvent  de  Muro,  dans  la  province  des  Marches, 
l'an  4440. 


Le  même  couvent  a  vu  mourir  en  odeur  de  sainteté  le 
bienheureux  Albert  de  Cossignano  et  le  bienheureux 
Max  de  San-Severino.  Ce  dernier  était  chanoine  régulier 
de  la  cathédrale  de  Muro,  quand  un  jour  saint  Bentivo- 
glio  lui  apparut  et  lui  ordonna,  au  nom  de  Dieu,  de 
prendre  l'habit  de  frère  mineur.  Il  est  célèbre  par  les 
miracles  qu'il  accomplit. 

(Wadding  et  Marc  Ulyssip.) 


MARTIN  DE  SAINTE-MARIE 

FRÈRE  LAI 

1607.    —  Pape  :  Paul  V.  —  Roi  d'Espagne  :  Philippe  III. 

SOMMAIRE  :  Miracle  dû  à  l'intercession  de  la  Vierge  en  faveur  du  bienheureux 
Martin.  —  Sa  dévotion  aux  saints  noms  de  Jésus  et  de  Marie.  —  Vertus  du  bon 
frère.  —  Sa  charité  chrétienne.  —  Sa  piété  et  ses  contemplations.  —  Conversions 
qu'il  provoque.  —  Sa  mort.  —  Miracles  qui  la  suivirent. 

Le  bienheureux  Martin  de  Sainte-Marie  vint  au  monde 
à  Salamanque.  11  était  sourd-muet  de  naissance,  mais 
la  très-sainte  Vierge,  en  qui  il  avait  placé  sa  confiance, 
obtint  de  Dieu  un  miracle  en  sa  faveur,  et  lui  donna  la 
parole.  Il  garda  à  la  Reine  des  Anges  une  si  grande  re- 
connaissance, qu'il  Toulut  porter  son  nom  lorsqu'il  prit 


30'2  XIII  JUIN. 

l'habit  de  frère  lai,  et  qu'il  appelait  toutes  les  femmes 
Marie  ou  sœur  de  Marie.  Il  unissait  dans  un  même  res- 
pect et  dans  un  même  culte  ce  nom  divin  et  le  très-saint 
nom  de  Jésus. 

Frère  Martin  fut  un  parfait  religieux  dans  toute  l'ac- 
ception du  mot.  Il  pratiquait  mieux  que  personne  cette 
sévère  vertu  du  silence,  sans  laquelle  on  n'avance  pas 
dans  les  voies  du  Seigneur.  On  le  voyait  par  la  ville, 
muet  comme  une  tombe,  les  yeux  baissés,  nu-pieds,  nu- 
tête,  sans  souci  de  la  pluie  et  de  l'orage,  été  comme  hi- 
ver, quêtant  les  aumônes  pour  le  couvent  et  pour  les 
pauvres.  Chemin  faisant,  il  recueillait  tous  les  malheu- 
reux qu'il  rencontrait,  les  amenait  au  couvent  et  ne  les 
laissait  partir  qu'après  s'être  fait  pendant  quelque  temps 
leur  humble  esclave,  après  avoir  lavé,  nettoyé,  raccom- 
modé leurs  vêtements  et  rempli  leur  havre-sac  de  tout 
ce  qu'il  possédait.  Comme  il  était  assez  habile  sculpteur 
de  bois,  ses  supérieurs  lui  avaient  permis  de  façonner 
de  jolis  encriers  en  buis,  que  l'on  vendait  au  profit  des 
pauvres. 

La  piété  du  bienheureux  Martin  était  en  rapport  avec 
son  ardente  charité.  Il  se  confessait  tous  les  jours  et  s'ap- 
prochait de  la  sainte  table  aussi  souvent  qu'il  le  pouvait. 
Il  n'avait  au  monde  qu'une  seule  ambition  :  contempler 
Dieu  sans  voile  et  face  à  face,  avant  de  mourir.  Ses  en- 
tretiens avec  ses  frères  roulaient  exclusivement  sur  la 
reconnaissance  et  l'amour  que  les  créatures  doivent  à 
leur  Créateur.  «La  vie  est  courte»,  disait-il,  «  hâtons- 
«  nous  de  mériter  les  miséricordes  du  Seigneur  qui  va 
«bientôt  nous  appeler  à  lui  ».  Il  les  mérita  lui-même 
dès  cette  vie  :  Dieu  lui  accorda  ce  qu'il  avait  si  souvent 


LE  BTENHETJREFX  MARTIN  PE  SAINTE-MARTE.  30.3 

demandé.  Il  contempla  face  à  face  le  Très-Haut  et  son 
divin  Fils. 

Un  autre  bonheur  lui  était  également  réservé,  celui 
de  provoquer  la  conversion  d'un  certain  nombre  de  pé- 
cheurs. On  se  sentait  pénétré  d'un  saint  respect  à  la  vue 
de  ce  vénérable  frère,  à  l'air  grave  et  doux,  qui  parlait 
de  son  Dieu  en  termes  passionnés  et  mystiques,  et  qui 
racontait  avec  une  pieuse  naïveté  les  merveilles  du  ciel, 
d'où  il  semblait  revenir.  Il  n'avait  aucune  prétention  à 
l'éloquence,  un  enfant  n'eût  pas  parlé  plus  simplement  ; 
mais  il  y  avait  dans  le  son  de  sa  voix  et  dans  l'expres- 
sion de  son  regard  une  douceur  infinie  qui  lui  donnait 
une  force  irrésistible. 

Quelques  mois  avant  sa  mort,  le  bienheureux  Martin 
de  Sainte-Marie  fut  atteint  de  violentes  douleurs  aux  côtés, 
auxquelles  tout  le  monde,  excepté  lui,  crut  qu'il  allait 
succomber.  Pourtant  son  heure  n'était  pas  encore  venue. 
Il  reprit  un  peu  de  forces  et  recommença  à  quêter,  comme 
auparavant,  dans  les  villes  et  les  villages  du  voisinage.  La 
veille  de  la  fêle  de  saint  Antoine,  après  s'être  préparé  par 
une  confession  générale  à  la  communion  du  lendemain, 
il  se  mit  en  route  de  bon  matin,  selon  son  habitude, 
pour  aller  recueillir  des  aumônes  à  Villa-Diego.  Il  était 
entré  dans  l'église  de  l'endroit,  pour  prier,  quand  tout  à 
coup  il  ressentit  à  la  jambe  une  vive  douleur,  etquelques 
moments  après  il  expirait  en  murmurant  les  noms  de 
Jésus  et  de  Marie,  le  13  juin  1607. 

On  transporta  au  couvent  des  Frères  Mineurs  son 
corps,  d'où  s'exhalait  une  délicieuse  odeur;  son  visage 
avait  une  expression  si  riante,  qu'il  paraissait  dormir  en 
faisant  un  beau  rêve.  Le  comte  de  Castro  et  une  foule 


304  xm  JUIN. 

considérable  d'hommes  et  de  femmes  du  voisinage  as- 
sistèrent à  ses  funérailles  et  -vinrent  baiser  avec  un  pieux 
respect  ses  pieds  et  ses  mains.  Des  morceaux  de  ses 
vêtements,  que  l'on  conserva  comme  de  précieuses  re- 
liques, accomplirent  par  la  suite  beaucoup  de  miracles. 

Un  certain  Matthieu  Sonz,  qui  avait  bien  connu  le 
frère  Martin ,  ne  pouvait  croire  qu'un  homme  aussi 
simple  ait  mérité  les  faveurs  du  Très-Haut,  quand  un 
miracle  s'accomplit  dans  sa  propre  maison  et  le  força 
de  changer  d'avis.  Un  jour  on  lui  apporta  son  neveu  ; 
il  avait  la  tête  fendue  par  suite  d'une  chute  de  cheval,  et 
la  figure  si  pleine  de  sang  qu'on  ne  voyait  plus  ni  ses 
yeux  ni  sa  bouche.  L'homme  de  peu  de  foi  se  mit  à 
genoux  et  jura  de  proclamer  par  le  monde  la  sainteté  du 
bon  frère,  s'il  sauvait  son  neveu  d'une  mort  presque 
certaine  ;  puis  il  plaça  sur  la  plaie  un  morceau  de  la 
robe  du  bienheureux  et  attendit,  le  cœur  plein  d'anxiété. 
Aussitôt  le  jeune  homme  s'endormit  profondément,  et 
une  heure  après,  il  se  levait  guéri. 

Les  sandales  du  frère  Martin  et  d'autres  objets  qui  lui 
avaient  appartenu  furent  aussi  les  instruments  de 
beaucoup  d'autres  miracles  dans  les  diocèses  de  Burgos 
et  de  Valence. 

(ttàZA.) 


LE  BIENHEUREUX  PACIFIQUE  GUISO.  305 


PACIFIQUE  GUISO 

FRÈRE   LAI 

1630.  —  Pape  :  Urbain  VIII.  —  Roi  de  France  :  Louis  XIII. 


CHAPITRE  PREMIER. 


SOMMAIRE  :  Il  quitte  le  monde  pour  la  vie  solitaire.  —  Premières  tentations  du 
démon.  —  Il  entre  au  couvent  des  Frères  Mineurs  Observantins  de  Sacer.  —  Dieu  lui 
manifeste  sa  volonté  de  l'y  voir  mourir.  —  Pauvreté  du  bienheureux  Pacifique.  — 
Miracles  qu'il  accomplit. —  Il  ressuscite  un  mort  en  présence  de  tous  les  religieux 
du  couvent.  —  Respect  des  grands  de  la  terre  pour  Pacifique.  —  Son  départ  pour 
l'Espagne. 


Ce  serviteur  de  Dieu  naquit  à  Nuero,  petite  ville  de 
Sardaigne.  Ses  parents  lui  laissèrent  une  assez  belle  for- 
tune, qu'il  ne  songeait  qu'à  déposer  aux  pieds  d'une  jolie 
jeune  fille  ;  mais  Dieu  en  décida  autrement.  Sa  fiancée 
mourut  tout  à  coup,  et  lui-même,  dégoûté  de  ce  monde, 
où  il  ne  trouvait  que  déboires,  résolut  de  vivre  dans  la 
solitude.  Après  avoir  donné  aux  pauvres  une  grande 
partie  de  son  bien ,  il  se  retira  sur  un  plateau  dé- 
sert, où  il  fit  élever  une  petite  chapelle  à  sainte  Marie- 
Madeleine,  sa  patronne.  Une  nuit  qu'il  était  en  prières 
devant  l'image  de  la  sainte,  il  vit  tout  à  coup  lui  appa- 
raître une  vierge  radieuse,  tenant  à  la  main  une  page  du 
livre  d'or  de  l'éternité,  où  il  put  lire  son  nom.  En  même 
temps  il  entendit  une  voix  lui  répéter  à  plusieurs  repri- 
ses de  se  faire  frère  mineur.  Cette  vision  lui  sembla  être 
Palm.  Sébaph.  —  Tome  VI.  20 


306  xiii  juin. 

un  gage  certain  des  complaisances  de  Dieu  en  sa  faveur. 
Mais  presque  aussitôt,  et  comme  pour  lui  apprendre  qu'il 
aurait  de  rudes  combats  à  livrer  contre  l'esprit  de  ténè- 
bres, Dieu  permit  au  démon  de  venir  le  tourmenter.  Le 
malin  esprit  transportait  le  pauvre  Pacifique  d'une  chambre 
dans  une  autre,  et  le  malheureux  ressentait  dans  tout 
son  corps  de  violentes  douleurs,  comme  si  on  lui  eût 
brisé  les  os.  Toutefois,  il  ne  perdit  pas  sa  confiance  en 
Dieu,  il  résolut  de  mettre  à  exécution  l'ordre  que  la  voix 
mystérieuse  lui  avait  donné,  et  de  prendre  l'habit  de 
frère  mineur. 

Il  se  confessait  d'ordinaire  auprès  des  Pères  Observan- 
tins,  qu'il  aimait  beaucoup  ;  mais  la  pauvreté  des  Pères 
Capucins  avait  pour  lui  d'irrésistibles  attraits,  et  c'est  vers 
eux  qu'il  résolut  de  diriger  ses  pas.  Avant  d'aller  frapper 
à  la  porte  de  leur  couvent,  il  commença  par  mettre  en 
secret  ordre  à  ses  affaires,  et  sans  communiquer  son  pro- 
jet à  ses  parents,  qui  auraient  pu  y  apporter  des  obsta- 
cles, il  partit  la  nuit,  monté  sur  un  bon  cheval.  Chemin 
faisant,  un  religieux,  qu'il  crut  être  saint  François  lui- 
même  ou  saint  Antoine  de  Padoue,  lui  apparut  tout  à 
coup,  lui  demanda  sa  bénédiction  et  l'exhorta  à  se  hâter 
pour  arriver  à  temps  au  couvent  des  Pères  Capucins  de 
la  ville  de  Sacer,  où,  d'ailleurs,  il  parvint  sans  encombre. 
Le  provincial  était  absent,  et  le  gardien  n'osait  pas  de 
son  autorité  privée  admettre  Pacifique  au  nombre  des 
novices  ;  celui-ci  se  rendit  immédiatement  au  couvent 
des  Observantins.il  y  rencontra,  entre  autres  religieux  de 
sa  connaissance,  un  vénérable  Père  qui  avait  été  son 
confesseur,  et  sur  l'avis  de  qui  il  prit  l'habit  de  frère  lai. 
On  ne  tarda  pas  à  s'apercevoir  que  i'Esprit-Saint  habi- 


LE  BIENHEUREUX   PACIFIQUE   GUISO.  307 

tait  vraiment  avec  notre  bienheureux,  et  qu'il  était  pré- 
destiné pour  être  un  modèle  de  perfection  religieuse.  Sa 
vie  était  une  succession  non  interrompue  d'austérités  et 
de  mortifications,  de  jeûnes  et  de  veilles.  Après  les  mati- 
nes, il  restait  au  chœur,  absorbé  dans  ses  prières  ;  et,  du 
jour  où  il  en  obtint  la  permission  du  maître  des  novices, 
il  ne  manqua  pas  une  seule  fois  à  cette  pieuse  habitude. 

Cependant  une  sorte  de  remords  tourmentait  le  bien- 
heureux Pacifique  ;  il  lui  semblait  qu'il  avait  commis  une 
faute  en  prenant  la  robe  des  Observantins,  lorsqu'il  avait 
pour  ainsi  dire  fait  au  fond  de  son  cœur  le  vœu  d'entrer 
chez  les  Pères  Capucins.  Cette  idée  le  poursuivait  nuit  et 
jour,  si  bien  qu'à  la  fin,  n'y  tenant  plus,  il  s'en  fut  un 
soir  dans  le  jardin  du  couvent,  quitta  son  habit  de  moine 
et  se  mit  en  devoir  de  franchir  le  mur  pour  se  rendre  à 
la  maison  des  Capucins.  Mais  au  moment  où  il  se  hissait 
péniblement  sur  la  muraille,  il  sentit  comme  un  violent 
coup  de  poing  sur  le  visage,  et  tomba  à  la  renverse  ;  en 
même  temps  il  entendit  une  voix  lui  dire  :  «  Tu  mourras 
a  dans  la  robe  que  tu  portes  aujourd'hui  ».  Il  se  releva, 
tout  contusionné,  et  courut  au  chœur  remercier  Dieu  de 
lui  avoir  conservé  la  vie  ;  car  le  mur  était  haut  et  la  chute 
aurait  pu  être  mortelle.  Dans  la  suite,  il  ne  songea  plus 
à  quitter  les  Observantins,  et  le  temps  réglementaire  du 
noviciat  écoulé,  il  prononça  ses  vœux  à  la  grande  joie  de 
ses  frères . 

Le  bienheureux  Pacifique  était  vêtu  d'une  misérable 
robe  ;  il  marchait  toujours  nu-pieds  et  nu-tête  par  tous 
les  temps,  été  comme  hiver,  quand  il  allait  quêter  des 
aumônes  pour  le  couvent  à  travers  les  âpres  montagnes 
de  la  Sardaigne.  C'est  seulement  vers  la  fin  de  sa  vie  que, 


308  XIII  JUIN. 

sur  l'ordre  de  son  supérieur,  il  se  décida  à  porter  des 
sandales. 

Ce  saint  homme  reçut  du  Seigneur  le  don  d'accomplir 
des  miracles  ;  le  chroniqueur  lui  en  attribue  un  grand 
nombre  :  nous  en  citerons  seulement  quelques-uns.  Un 
jour  qu'il  était  allé  quêter  pour  le  couvent  dans  une  ville 
voisine,  il  rencontra  sur  son  chemin  une  profonde  rivière 
grossie  par  les  eaux  de  pluie  ,  et  dont  le  gué  n'était  plus 
praticable.  Un  assez  grand  nombre  de  paysans  atten- 
daient sur  le  bord  avec  leurs  chevaux  et  leurs  voitures, 
et  n'osaient  s'exposer  à  une  mort  certaine.  Frère  Pacifi- 
que arriva,  fit  un  signe  de  croix  au-dessus  de  la  rivière, 
et  les  eaux,  s'arrêtant,  formèrent  tout  à  coup  comme  une 
muraille,  tandis  que  le  saint  homme  passait  avec  toute 
cette  foule  de  peuple.  Une  autre  fois,  il  franchit  la  rivière 
sur  son  manteau  comme  sur  une  nacelle.  Une  autre  fois 
encore,  il  fit  mieux:  il  ressuscita  un  mort. 

Frère  Pacifique,  avec  la  permission  de  ses  supérieurs, 
était  revenu  dans  sa  patrie,  quand  il  fut  tout  à  coup  in- 
vité à  passer  chez  l'un  des  protecteurs  du  couvent,  dont 
le  fils  venait  de  mourir.  Le  saint  religieux  se  mit  en 
prière,  et  sur  un  avis  secret  qu'il  reçut  de  Dieu,  il  de- 
manda au  Père  gardien  de  l'accompagner,  avec  tous  ses 
religieux,  pour  être  témoins  du  miracle  qui  allait  s'ac- 
complir à  la  plus  grande  gloire  du  Seigneur.  On  arriva 
auprès  du  lit  funéraire  :  le  cadavre  raidi  était  froid  comme 
une  statue  de  marbre.  Les  religieux  s'agenouillèrent  et 
se  mirent  à  réciter  les  prières  des  morts,  tandis  que  frère 
Pacifique  demandait  au  Seigneur  de  faire  éclater  sa  puis- 
sance. Au  même  instant  le  mort  se  leva  :  il  avait  recou- 
vré du  même  coup  la  vie  el  la  santé. 


LE  BIENHEUREUX  PACIFIQUE  GUISO.  309 

Ce  miracle  éclatant,  dû  à  l'intercession  de  frère  Paci- 
fique, lui  valut,  dans  toute  laSardaigneetdans  plusieurs 
autres  contrées  de  l'Europe,  une  grande  réputation  de 
sainteté  et  une  grande  considération.  Le  duc  de  Gandie, 
vice-roi  du  pays,  lui  témoignait  beaucoup  d'égards  et 
parlait  sans  cesse  de  ses  vertus,  de  l'austérité  de  sa  vie  et 
des  grâces  célestes  dont  il  était  l'objet,  au  Père  François 
Borgia,  son  frère,  religieux  de  la  province  de  Saint-Jean- 
Baptiste,  en  Espagne.  François  Borgia  vint  en  Sardaigne 
pour  contempler  le  saint  homme  et  s'entretenir  avec  lui. 
L'extérieur  du  bienheureux  Pacifique  répondait  à  sa 
réputation  et  à  l'idée  qu'on  se  faisait,  de  lui  :  François  le 
trouva  dans  sa  cellule,  mal  vêtu,  ignorant  des  usages  du 
monde,  fatigué  par  le  travail,  les  veilles  et  les  mortifica- 
tions ,  mais  portant  sur  sa  figure  et  dans  ses  yeux 
comme  un  reflet  de  la  lumière  divine  qui  illuminait 
sa  belle  âme.  A  la  suite  de  plusieurs  entretiens,  il  le 
décida  à  l'accompagner  en  Espagne,  dans  la  province  de 
Saint-Jean-Baptiste,  où  son  ardent  désir  d'austérités  trou- 
verait à  se  satisfaire. 


CHAPITRE  II. 

SOMMAIRE  :  Frère  Pacifique  entre  au  couvent  de  Gandie.  —  Ses  progrès  rapides 
dans  le  chemin  de  la  perfection.  —  Son  humilité,  sa  pauvreté,  son  obéissance,  sa 
pureté,  ses  austérités,  sa  piété  et  sa  dévotion  aux  souffrances  de  Jésus  crucifié.  — 
Son  heureuse  influence  sur  tous  ceux  qui  l'ont  connu.  —  Luttes  contre  le  démon. 
—  Miracles.  —  Sa  dernière  maladie  et  sa  mort. 

Frère  Pacifique  se  rendit  en  effet  en  Espagne,  à  la 
prière  du  duc  de  Gandie,  qui  venait  de  se  démettre  de  sa 
vice-royauté,  et  il  entra  tout  d'abord  dans  le  couvent  de 
Gandie,  dont  les  religieux  étaient ,   comme  lui-même, 


310  ,  XIII  JUIN. 

des  modèles  de  sainteté.  Il  ne  tarda  pas  à  les  devancer 
tous  dans  les  sentiers  de  la  perfection,  par  cela  seul  qu'il 
se  croyait  indigne  de  demeurer  au  milieu  d'eux.  Persuadé 
qu'il  était  le  dernier  des  hommes  et  le  plus  misérable 
d'entre  les  pécheurs,  il  s'imposait  de  rudes  pénitences  et 
partageait  son  temps  entre  la  prière,  le  jeûne,  les  veilles 
et  les  mortifications.  Un  des  grands  tourments  de  toute 
sa  vie,  c'a  été  l'estime  et  le  respect  qu'on  lui  témoignait. 
Un  gardien  voulut  voir  jusqu'où  irait  son  humilité  et 
lui  imposa  la  pénible  tâche  de  maître  des  novices,  sous 
prétexte  de  le  briser  aux  coutumes  de  la  province.  Le 
saint  homme,  quoique  déjà  fort  avancé  en  âge  et  depuis 
longtemps  profès,  se  mit  à  l'œuvre  sans  un  murmure, 
et,  pour  enseigner  la  règle,  commença  par  la  pratiquer. 
On  peut  dire  qu'il  en  fut  comme  la  vivante  image. 
Après  avoir,  dès  le  début  de  son  noviciat,  donné  tous  ses 
biens  aux  pauvres,  il  mit  sa  gloire  à  ne  rien  posséder  au 
monde  que  ce  qui  est  indispensable  au  dernier  des  misé- 
rables, et  ne  consentit  jamais  à  accepter  quoi  que  ce  soit 
du  duc  de  Gandie  ou  d'autres  seigneurs  dont  il  était 
l'ami.  Quand  il  s'asseyait  à  leur  table,  ce  qui  lui  arrivait 
assez  souvent,  il  tirait  de  son  bissac  quelques  mauvais 
légumes  et  en  mangeait  à  peine  assez  pour  ne  pas  tomber 
en  défaillance.  Dans  ses  tournées  à  travers  les  villages 
voisins,  il  vivait  de  la  charité  publique. 

Son  obéissance  était  proverbiale  parmi  les  religieux  de 
Saint-François.  Non-seulement  ses  supérieurs,  mais  ses 
frères  et  les  novices  eux-mêmes  le  trouvaient  toujours 
tout  prêt  à  accomplir  leurs  moindres  volontés  et  même  à 
satisfaire  leurs  caprices.  «  Mes  frères»,  leur  disait-il  quel- 
quefois, «  mon  corps  est  à  vous  comme  mon  âme  est 


LE  BIENHEUREUX  PACIFIQUE  GUISO.  3 H 

«  à  Dieu,  pour  en  faire  tout  ce  qu'il  vous  plaira  ». 

Il  avait  la  naïveté  d'un  enfant  et  la  chasteté  d'une 
vierge  ;  jamais  une  pensée  impure  ne"  troubla  la  calme 
sérénité  de  son  âme.  Durant  de  longues  années,  il  fut 
portier  du  couvent  et  se  trouva  ainsi  dans  la  nécessité 
de  parler  souvent  à  des  femmes  ;  mais  jamais  il  ne  leva 
les  yeux  sur  elles  :  on  eût  dit  qu'en  les  regardant  en  face  il 
avait  peur  de  perdre  son  salut  éternel.  Ses  conversations 
n'avaient  jamais  d'autre  sujet  que  Dieu  et  les  choses  de 
la  religion,  et  ce  lui  était  une  grande  cause  de  scandale 
d'entendre  parler  des  faux  biens  et  des  fausses  jouissances 
de  ce  monde  de  ténèbres.  Il  luttait  contre  les  faiblesses 
de  la  chair  avec  un  courage  invaincu,  et  se  défendait  des 
tentations  par  de  rudes  austérités.  Jour  et  nuit,  presque 
à  toute  heure,  il  se  donnait  la  discipline  ;  jamais  sa  haire 
ne  le  quittait,  et  elle  était  si  rude  qu'un  frère  qui  voulut, 
par  esprit  de  mortification,  la  revêtir  quelques  instants, 
ne  put  supporter  ses  souffrances  et  fut  obligé  de  s'en 
débarrasser.  Cependant  le  saint  homme  y  ajoutait  sou- 
vent une  chaîne  de  fer,  dont  il  se  ceignait  les  reins 
comme  d'une  ceinture.  Au  réfectoire,  il  recherchait  les 
morceaux  de  pain  les  plus  secs  et  les  légumes  les  moins 
appétissants  ;  jamais  il  ne  mangeait  ni  viande,  ni  pois- 
son, et  sa  vie  semblait  être  un  jeûne  perpétuel.  Il  dormait 
à  peine  :  «  Ne  faut-il  pas  »,  disait-il  un  jour  à  la  duchesse 
de  Gandie,  «  quand  j'ai  consacré  ma  journée  à  la  sainte 
ot  obéissance,  que  j'emploie  ma  nuit  à  des  œuvres  de 
«  dévotion  ». 

Sa  piété,  comme  ses  autres  vertus,  était  d'un  Ange 
plutôt  que  d'un  homme.  Fatigué  par  le  travail,  épuisé 
par  les  jeûnes  et  les  veilles,   il  ne  manquait  jamais 


312  XIII  JUIN. 

d'assister  aux  matines  et  ne  se  dispensait  des  offices  que 
lorsqu'il  y  était  forcé  ;  il  servait,  d'ailleurs,  autant  de 
messes  qu'on  le  lui  permettait,  pour  le  plus  grand  profit 
de  son  âme.  Dieu  occupait  sa  pensée  à  tous  les  instants 
de  sa  vie,  qu'il  travaillât  dans  le  couvent  ou  qu'il  fût  en 
tournée  dans  les  villages  voisins  pour  recueillir  des  au- 
mônes. Il  avait  une  dévotion  ardente  aux  souffrances  de 
Jésus  crucifié  et  à  sa  très-sainte  Mère,  dont  tous  les  jours 
il  récitait  les  litanies.  Sa  piété  brûlante  se  manifestait 
par  des  paroles  sans  suite,  des  cris  étouffés,  des  sanglots 
convulsifs  ;  il  voyait  avec  les  yeux  de  la  foi  la  Reine  des 
Anges  lui  apparaître  dans  sa  splendeur  immortelle  , 
entourée  du  céleste  cortège  des  Trônes  et  des  Séra- 
phins. 

Une  des  grandes  ambitions,  la  seule  peut-être,  du 
bienheureux  Pacifique,  eût  été  de  mourir  pour  son  Dieu, 
en  travaillant  à  la  conversion  des  hérétiques.  Il  n'est  pas 
d'effort  qu'il  n'ait  tenté  pour  obtenir  de  ses  supérieurs 
la  permission  de  passer  aux  Indes,  en  qualité  de  mission- 
naire ;  mais  ce  suprême  bonheur  devait  lui  être  refusé. 
Il  se  consola  de  son  mieux  en  faisant  autour  de  lui  le 
plus  de  bien  qu'il  lui  fut  possible.  D'une  éloquence  pas- 
sionnée, qui  partait  d'un  cœur  tout  embrasé  de  l'amour 
de  Dieu,  il  convertit  et  ramena  dans  les  sentiers  du  Sei- 
gneur une  foule  d'hommes  égarés.  On  le  mandait  sou- 
vent à  la  cour  de  Madrid,  et  les  dames  d'honneur  de  la 
reine  prenaient  plaisir  à  l'entendre  parler  de  la  majesté 
infinie  de  Dieu  et  de  notre  néant.  Grands  et  petits,  puis- 
sants et  faibles,  superbes  et  humbles,  tous  trouvaient  en 
lui  un  appui  et  une  consolation,  et  se  sentaient  à  sa  voix 
animés  d'une  même  pieuse  ardeur.  Les  aumônes  pieu- 


LE  BIENHEUREUX  PACIFIQUE  GUISO-  313 

vaient  dans  son  chapeau  de  moine,  pour  se  répandre 
aussitôt  dans  les  maisons  des  pauvres.  Il  les  servait  à 
table,  raccommodait  leurs  vêtements,  les  soignait  quand 
ils  étaient  malades,  et  les  préparait  à  bien  mourir  lors- 
qu'il n'était  plus  temps  de  les  aider  à  bien  vivre.  C'est 
au  milieu  d'eux  qu'il  aimait  à  passer  le  temps  dont  il 
pouvait  disposer,  en  souvenir  du  Sauveur  qui  avait  voulu 
naître  dans  une  étable. 

Rien  d'étonnant  à  ce  que  ce  saint  homme  eût  fort  à 
souffrir  des  attaques  du  démon  ;  rien  d'étonnant  non 
plus  à  ce  qu'il  en  triomphât  toujours  avec  l'aide  de  Dieu. 
11  en  fut  d'ailleurs  récompensé  par  les  grâces  dont  le 
Seigneur  le  combla,  entre  autres  le  don  de  prophétie  et 
le  don  de  miracles. 

Une  pieuse  femme  de  Gênes,  dont  le  fils  était  possédé 
du  démon,  avait  envoyé  le  malheureux  à  Notre-Dame  de 
Lorette  pour  obtenir  sa  délivrance.  Sur  ces  entrefaites, 
elle  rencontra  le  bon  frère  et  lui  raconta  ses  chagrins  de 
mère  en  lui  demandant  le  secours  de  ses  prières.  «  Ma 
«  fille  »,  répondit-il,  et  votre  fils,  à  cette  heure,  vient  d'é- 
«  chapper  aux  monstres  qui  le  dévoraient».  En  effet,  le 
jeune  homme  entrait  alors  dans  la  chapelle  de  la  Vierge,  et 
Satan  abandonnait  sa  proie. 

Le  duc  de  Gandie  craignait  une  rupture  entre  son  fils, 
le  marquis  de  Sombay,  et  sa  fiancée  :  «  Le  mariage  se 

fera  »,  lui  dit  le  frère  Pacifique,  «  parce  que  c'est  la  vo- 
«  lonté  de  Dieu  »;  et  le  mariage  avait  lieu  deux  semaines 
plus  tard. 

A  la  duchesse  de  Gandie  il  annonça  la  mort  du  père 
François  Borgia,  nouvelle  qui  fut  en  effet  confirmée  dans 
la  suite;  quelques  mois  après,  il  déclarait  que  son  heure 


314  XIII  JUIN. 

aussi  était  venue,  et  le  lendemain  sa  dernière  maladie 
retendait  inerte  sur  son  lit  de  douleurs. 

C'était  la  peste,  un  fléau  terrible,  qui  allait  l'enlever 
au  respect  et  à  la  vénération  des  hommes.  Tout  son  corps 
ne  fut  bientôt  plus  qu'une  plaie,  et  les  médecins  décla- 
rèrent qu'il  n'y  avait  aucun  espoir  de  guérison.  Il  de- 
manda et  reçut  avec  une  piété  touchante  les  Sacrements 
des  mourants,  et,  le  13  juin  4630,  il  s'endormit  dans  le 
sein  de  Dieu,  tandis  que  les  frères  chantaient  autour  de 
lui  le  cantique  d'actions  de  grâces  :  Te,  Deum,  laudamus. 
Sa  figure  garda  dans  la  mort  une  sérénité  et  un  calme 
parfaits. 

Le  bruit  de  son  trépas  se  répandit  bientôt  dans  la  ville 
de  Gandie  et  dans  tous  les  \illages  voisins,  une  foule  con- 
sidérable d'hommes  et  de  femmes  accoururent  au  cou- 
vent, pour  contempler  encore  une  fois  ses  précieux  restes, 
pour  baiser  ses  pieds  et  ses  mains,  pour  emporter  quelque 
lambeau  de  ses  vêtements.  Des  miracles  s'accomplirent 
sur  son  tombeau  et  ajoutèrent  encore  à  l'éclat  de  sa 
renommée. 

{Chron.  de  la  prov.  de  Saint- Jean-Bapt .) 


LE  BIENHEUREUX   ALPHONSE  ItUBIUS.  315 


ALPHONSE  RUBIUS 


FRERE    LAI, 


1601.  —  Pape  :  Clément  VIII.  —  Roi  d'Espagne  :  Philippe  IV. 


SOMMAIRE  :  Perfection  religieuse  du  bienheureux  Alphonse  Rubius.  —  Sa  pauvreté 
exlréme.  —  Sa  cha-ité  chrétienne.  —  Sa  dévotion  à  la  tics-sainte  Vierge.  —  Ses 
extases.  —  Il  a  le  don  de  seconde  vue  et  de  miracles.  —   Sa  mort. 


Frère  Alphonse  Rubius  naquit  en  Espagne  et  reçut,  à 
l'âge  de  vingt-huit  ans,  l'habit  de  frère  lai  dans  la  pro- 
vince de  Saint-Jean-Baptiste.  Par  l'austérité  de  sa  vie,  sa 
soumission  à  la  règle,  son  humilité,  sa  piété  ardente,  sa 
pauvreté  exemplaire,  il  ne  tarda  pas  à  devenir,  selon 
l'expression  du  chroniqueur,  un  miroir  de  perfection 
religieuse.  Tous  les  jours  il  se  déchirait  le  corps  à  coups 
de  discipline,  il  portait  une  haire  en  crin  sous  ses  vête- 
ments, et  se  ceignait  les  reins  avec  une  chaîne  de  fer 
garnie  de  pointes  ;  il  ne  pouvait  faire  un  mouvement 
sans  que  son  sang  coulât  par  mille  plaies.  Son  repos 
n'était  qu'un  autre  martyre;  le  sommeil  ne  fermait 
jamais  ses  paupières.  Il  avait  donné  sa  couverture  aune 
pauvre  femme  et  couchait  à  terre,  une  pierre  sous  la 
tête,  en  guise  d'oreiller.  Une  misérable  natte  fermait  à 
peine  sa  cellule.  Durant  ses  maladies,  on  voulut  le  forcer 
à  accepter  un  lit  de  plume  :  a  Le  mien  vaut  mieux», 
répondit-il,  et  il  montrait  un  sac  étendu  sur  deux 
planches.  Son  manteau  était  en  loques ,  et  sa  robe 
criblée  de  trous.  Il  marchait  toujours  nu -pieds, 
par  tous  les  temps,  qu'il  fût  souffrant  ou    en  bonne 


316  XIII  JDIN. 

santé,  sans  s'inquiéter  des  cailloux  qui  le  déchiraient,  et 
il  fit  ainsi  de  longs  et  pénibles  voyages. 

On  a  peine  à  comprendre  comment  le  peu  de  nour- 
riture qu'il  prenait  suffisait  à  le  soutenir  :  un  petit 
morceau  de  pain  arrosé  d'eau  fraîche.  Sa  portion  de 
viande  et  vin  lui  servait  à  nourrir  sa  sœur,  une  pauvre 
femme  restée  veuve  avec  deux  enfants.  D'ailleurs,  il  ne 
concevait  pas  qu'il  y  eût  au  monde  un  plus  grand  plaisir 
que  celui  de  faire  l'aumône  :  soulager  les  misérables, 
les  consoler,  verser  sur  eux  des  paroles  de  bénédiction 
et  d'espérance,  c'était  là  sa  joie  et  sa  consolation.  Ses 
frères  ressentaient  les  bons  effets  de  son  infatigable  cha- 
rité ;  quoiqu'il  fut  lui-même  très-occupé,  il  trouvait 
moyen  de  leur  venir  en  aide  dans  les  travaux  pénibles 
qui  leur  incombaient  quelquefois.  A  l'âge  de  soixante 
ans,  il  s'acquittait  encore  de  toutes  les  corvées  que  l'on 
impose  d'ordinaire  aux  novices  ;  comme  eux ,  il  se 
donnait  la  discipline  au  réfectoire  et  confessait,  en  pré- 
sence des  autres  religieux,  avec  des  larmes  dans  la  voix, 
son  indignité  et  son  néant. 

Durant  presque  toute  sa  vie,  il  fut  sujet  à  de  longues  et 
douloureuses  maladies,  qu'il  supportait  sans  se  plaindre, 
avec  une  patience  angélique.  Au  milieu  des  ses  souf- 
frances, il  élevait  son  cœur  à  Dieu  ;  il  acceptait  les 
plus  rudes  épreuves  comme  des  effets  de  la  divine 
bonté  ;  on  ne  l'entendait  parler  que  du  Seigneur,  de 
ses  miséricordes,  de  son  infinie  justice,  de  son  inépui- 
sable Providence. 

En  revanche,  le  monde  était  pour  lui  comme  s'il  n'était 
pas.  La  chapelle  du  couvent  lui  tenait  lieu  de  patrie  ;  il 
y  passait  pour  ainsi  dire  toutes  les  heures  du  jour  et  de 


LE  BIENHEUREUX  ALPHONSE  KUBIUS.  317 

la  nuit.  Son  ouvrage  terminé,  il  y  accourait  ;  on  l'y  trou- 
vait toujours  le  premier  à  matines  ;  après  les  compiles, 
il  demeurait  encore  de  longues  heures  au  pied  des 
autels,  absorbé  dans  une  muette  contemplation.  Plu- 
sieurs fois  ses  frères  le  surprirent  en  extase  devant  les 
statues  de  la  Vierge,  le  visage  resplendissant  de  lumière, 
éblouissant  comme  un  soleil.  Un  jour,  un  religieux  vit  à 
trois  reprises  différentes  la  chapelle  éclairée  comme  par 
de  rapides  éclairs  ;  il  y  descendit  et  aperçut  le  frère 
Alphonse  suspendu  en  l'air,  par  une  force  invisible,  à  une 
telle  hauteur,  qu'il  pouvait  passer  sous  ses  pieds  sans 
les  toucher  ;  d'autres  religieux  accoururent  et  purent 
aussi  constater  le  prodige. 

Ce  ne  fut  pas,  d'ailleurs,  la  seule  faveur  dont  la  très- 
sainte  Vierge  honora  son  serviteur  :  elle  lui  apparaissait 
souvent,  soit  dans  sa  cellule,  soit  dans  le  jardin  du  cou- 
vent, surtout  aux  moments  où  il  récitait  son  rosaire. 
C'est  elle,  sans  doute,  qui  lui  donna  la  force  de  sup- 
porter avec  une  patience  si  inaltérable  et  un  visage  si 
riant  les  cruelles  épreuves  auxquelles  une  piété  moins  vive 
eût  infailliblement  succombé.  Le  démon  se  heurtait  en 
vain  à  cette  vertu  si  pure,  et  ses  maléfices  les  plus  dan- 
gereux n'avaient  sur  elle  aucune  prise.  Sa  chasteté 
virginale  le  protégeait  contre  toutes  les  séductions  mieux 
qu'un  rempart  d'airain,  et  sa  candeur  même  était  sa 
sauvegarde. 

On  ne  s'étonnera  pas  que  Dieu  ait  récompensé  par  des 
miracles  une  sainteté  si  parfaite.  Par  l'intercession  du 
bienheureux  Alphonse,  une  foule  de  malades  furent 
guéris  d'une  façon  inespérée,  Barthélemi  Viudes,  pro- 
tecteur du  couvent  d'Orihuela,  avait  reçu  les  derniers 


318  XTIl  JUIN. 

Sacrements,  et  après  quatre  jours  d'une  insensibilité 
absolue,  on  s'attendait  d'heure  en  heure  à  le  voir  mourir. 
En  apprenant  la  douleur  de  sa  famille,  frère  Alphonse  se 
mit  en  prières,  et,  les  bras  levés  au  ciel,  il  implora  long- 
temps le  Dieu  de  miséricorde  et  d'amour.  Sa  prière  fut 
exaucée.  Eclairé  tout  à  coup  par  l'Esprit  d'en  haut,  il 
court  auprès  du  malade:  «  Frère,  frère»,  lui  dit-il, 
«  rends  grâces  au  Seigneur,  il  a  décidé,  dans  son  impé- 
«  nétrable  sagesse,  que  tu  ne  devais  pas  mourir  encore  ; 
«  tu  demeureras  sur  la  terre  pour  le  servir  de  nouveau 
«  pendant  de  longues  années  ».  Aussitôt  Barthélemi 
revient  à  lui,  et  à  la  grande  joie  de  ses  proches,  quel- 
ques jours  après  il  était  guéri.  D'autres  malades 
durent  aussi  aux  prières  du  bienheureux  frère  de  recou- 
vrer la  santé. 

Les  miracles  qu'il  accomplit,  et  surtout  ses  vertus,  valu- 
rent au  bon  frère  l'estime  et  la  vénération  universelles.  Les 
religieux  de  son  Ordre,  les  prêtres  et  les  laïques  lui 
demandaient  d'intercéder  pour  eux  auprès  de  Dieu.  Un 
franciscain  a  déclaré  qu'en  maintes  occasions  il  avait 
éprouvé  les  bons  effets  de  l'aide  du  bienheureux. 

Dieu,  dit-on,  révéla  à  frère  Alphonse  les  secrets  de  la 
mort  :  c'est  ainsi  qu'il  vit  monter  au  ciel  l'âme  pure  d'un 
de  ses  amis,  frère  Julien.  Il  connut  aussi  par  avance  le 
moment  où  il  devait  lui-même  quitter  la  terre.  En  pas- 
sant à  Oiïhuela,  pris  tout  à  coup  d'une  faiblesse  momen- 
tanée, il  entra,  pour  se  reposer,  dans  la  maison  d'un  pieux 
gentilhomme  :  «  Vous  demeurerez  chez  moi  »,  lui  dit 
celui-ci,  «  jusqu'à  votre  parfaite  guérison  »  ;  à  quoi  le 
bienheureux  répondit  :  «Il  faut  que  j'aille  mourir  à  mon 
o  couvent  de  Elche  ».  Il  y  parvint,  non  sans  peine,  fit  deux 


LE  BIENHEUREUX  JULIEN.  319 

fois  sa  confession  générale,  reçut  les  derniers  Sacrements, 
et  s'endormit  doucement  dans  le  sein  du  Seigneur ,  le 
13  juin  4601. 

(Chron.  de  la  prov.  de  Saint-Jean-Bapt.) 


LE  BIENHEUREUX  JULIEN 

DU   TIERS   ORDRE. 

1597.  —  Pape  :  Clément  VIII,  —  Roi  d'Espagne  :  Philippe  II. 

SOMMAIRE  :  Vertus  du  frère  Julien,  et  témoignage  qu'en  donne  un  de  ses  supé- 
rieurs. —  Estime  où  le  tiennent  même  les  mondains.  —  Ses  contemplations  et  ses 
extases.  —  Miracle  qui  accompagae  sa  mort. 

Frère  Julien  naquit  en  Espagne.  Jeune  encore,  il  se 
consacra  au  service  de  Dieu,  en  qualité  de  tertiaire,  dans 
le  couvent  de  Notre-Dame  de  Lorette.  Plus  humble  et 
plus  soumis  que  s'il  eût  été  un  esclave,  il  s'acquittait  de 
ses  travaux  les  plus  pénibles  et  les  plus  rebutants  avec 
une  douceur  et  une  patience  inaltérables,  sans  une  pa- 
role, sans  un  murmure.  Un  gardien  d'une  grande  piété 
a  déclaré  plusieurs  fois  qu'il  ne  l'avait  jamais  entendu 
prononcer  un  mot  léger  ou  indiscret,  et  quand  il  avait 
voulu  soumettre  sa  vertu  à  de  dures  épreuves,  il  avait 
toujours  rencontré  dans  le  bienheureux  frère  une  âme 
plus  forte  que  toutes  les  souffrances  physiques  et  mora* 
les.  Lui-même,  à  ces  épreuves  imposées,  ajoutait  des 
épreuves  volontaires,  des  jeûnes  prolongés,  des  veilles, 
une  pauvreté  extrême.  Hiver  et  été,  par  la  pluie  ou  le 
soleil,  il  allait  pieds  nus  et  tête  nue  ;  ses  biographes 
pisent  qu'il  avait  le  teint  brûlé  comme  un  africain.  Sou- 


320  XIII  juin. 

mis  à  toutes  les  prescriptions  de  la  règle,  môme  à  celles 
dont  il  n'avait  pas  fait  vœu,  il  accomplisssait  les  jeûnes 
prescrits  par  saint  Antoine.  Quand  le  gardien  lui  ordon- 
nait de  prendre  quelque  nourriture  avant  de  se  mettre 
en  route,  il  lui  demandait  la  permission  d'emporter  un 
léger  morceau  de  pain,  qu'il  mangeait,  chemin  faisant,  à 
l'heure  réglementaire. 

Quoiqu'il  eût  fort  peu  de  rapports  avec  les  mondains,  il 
était  l'objet  de  l'estime  de  tous.  Il  parlait  peu,  et  toujours 
de  Dieu.  Dès  qu'il  avait  un  moment  à  lui,  il  courait  s'a- 
genouiller dans  quelque  endroit  solitaire,  pour  y  élever  en 
paix  son  âme  à  Dieu.  Il  avait  une  si  grande  dévotion  à  la 
Vierge,  que  souvent,  absorbé  qu'il  était  dans  la  ferveur 
de  ses  prières,  il  en  oubliait  le  manger  et  le  boire,  et 
qu'il  vivait,  dit  le  chroniqueur,  de  la  nourriture  céleste 
que  les  Anges  lui  apportaient. 

Ses  occupations  de  la  journée  ne  lui  laissant  pas,  à 
son  gré,  assez  de  temps  pour  penser  à  Dieu,  il  restait  à 
genoux  après  les  matines,  plongé  dans  de  divines  con- 
templations ;  et  comme  on  lui  demandait  les  motifs  d'une 
si  longue  oraison  :  «  Je  contemple  »,  répondit-il,  «  les 
«  mystères  du  rosaire  de  la  très-sainte  Vierge  ».  La  Mère 
des  Anges  récompensa  cette  ferveur  par  de  divines 
jouissances.  Une  nuit,  frère  Alphonse  Rubius  et  quelques 
autres  religieux  purent  voir  le  frère  Julien  resplendissant 
comme  un  astre.  Un  pieux  franciscain,  en  prières  dans 
sa  cellule,  eut  une  vision  merveilleuse  :  une  longue  pro- 
cession de  Frères  Mineurs  et  de  Clarisses,  au  nombre  de 
plus  de  six  cents,  défila  aux  deux  côtés  de  frère  Julien, 
alors  à  genoux  dans  le  chœur,  en  chantant  les  saints 
cantiques. 


PÈRE  PIERRE   DE  SIENNE.  321 

Le  Seigneur  accomplissait  ces  prodiges  en  faveur  du 
pieux  frère  ;  il  y  a  plus  :  il  lui  donna  le  droit  et  le  pou- 
voir d'en  accomplir  lui-même  en  son  nom.  C'est  ainsi 
qu'à  Alicante,  à  la  table  d'un  pauvre  qui  lui  faisait  par- 
tager son  repas,  il  renouvela  le  miracle  de  la  multipli- 
cation des  pains. 

Quand  vint  l'heure  de  la  mort  pour  ce  saint  homme, 
il  se  confia  à  Dieu  avec  une  pieuse  ferveur,  et  son  âme 
radieuse  monta  au  ciel,  où  l'attendait  la  récompense. 
C'était  le  13  juin  1597  ;  il  habitait  alors  au  couvent  d'El- 
che.  On  rapporte  que,  au  moment  même  où  il  expira,  un 
frère  du  couvent  de  Notre-Dame  de  Lorette,  son  ancienne 
résidence,  vit  un  chœur  d'Anges  s'envoler  vers  les  cieux, 
emportant  sur  leurs  ailes  une  âme  resplendissante 
comme  le  soleil,  et  dont  les  rayons  apportaient  à  la  fois 
la  lumière  et  un  parfum  céleste  ;  en  même  temps,  une 
voix  disait  :  Frère  Julien  vient  de  mourir. 

(Chron.  de  la  prov.  de  Saint- Jean-Bapt .) 


PERE  PIERRE  DE  SIENN'E 

1613.  —  Pape  :  Paul  V.  —  Roi  d'Espagne  :  Philippe  III. 

En  1613  mourut  aussi  au  couvent  d'Elche,  en  grand 
renom  de  sainteté,  un  homme  d'une  science  profonde  et 
d'une  vie  austère,  Pierre  de  Sienne,  dont  les  sermons 
éloquents  avaient  produit  les  meilleurs  fruits  à  Valence, 
à  Carthagùne,  à  Murcie  et  à  Madrid.  Il  passa  successive- 
ment par  les  dignités  inférieures  de  l'Ordre,  fut  nommé 

Palm.  Séraph.  —  Tome  VI.  21 


322  XIII  JUTN. 

provincial  à  l'âge  de  trente-trois  ans.  Il  n'y  avait  pas  plus 
de  onze  ans  qu'il  avait  prononcé  ses  vœux.  Mais,  avec 
l'ardeur  du  bien  qui  perfectionne,  l'activité  qui  se  trans- 
porte partout,  les  yeux  qui  surveillent  et  la  forte  voix 
qui  réprimande,  il  avait  dès  cet  âge  une  vie  sans  tache, 
austère,  digne  d'être  proposée  comme  exemple.  Jamais, 
d'ailleurs,  il  ne  se  soumit  à  de  plus  rudes  mortifications 
que  pendant  les  années  où  il  exerça,  à  deux  reprises  dif- 
férentes, la  charge  de  provincial. 

Les  grands  personnages  de  l'Espagne  lui  témoignaient 
les  mêmes  respects  qu'à  un  prince  ;  le  duc  de  Lerme 
voulut  le  nommer  évêque  d'Orihuela. 

Le  Père  Pierre  de  Sienne  prit  les  germes  de  la  maladie 
qui  devait  l'enlever  à  la  suite  d'une  action  imprudem- 
ment charitable.  Il  se  rendait,  par  un  mauvais  temps,  de 
Valence  à  Carthagène,  quand  il  rencontra  une  pauvre 
femme  en  haillons,  à  qui  il  donna  son  manteau.  Le  len- 
demain, il  était  obligé  de  se  mettre  au  lit,  et  quelques 
jours  après,  il  mourut. 

Cinq  ans  après  sa  mort,  on  retrouva  son  corps  parfai- 
tement conservé  dans  sa  robe  de  franciscain.  Seulement 
une  plaie  au  bras  laissait  échapper  de  l'eau  mêlée  de 
sang. 

{Chron.  de  la  prov.  de  Saini-Jean-Bapt.) 


LE  BIENHEUREUX  PÈRE  JEAN.  323 

QUATORZIÈME     JOUR    DE    JUIN 

LE  BIENHEUREUX  PÈRE  JEAN 

1525.  —  Pape  :  Clément  VII.  —  Roi  de  France  :  François  Ior. 

Le  Père  Jean,  issu  du  sang  des  rois  portugais,  quitta, 
jeune  encore,  son  pays  natal  pour  aller  vivre  inconnu  et 
servir  le  seul  Roi  du  ciel  dans  quelque  pays  éloigné.  Il 
se  fit  recevoir  frère  mineur  à  Châlon,  en  Bourgogne. 
Soldat  de  Saint-François,  il  marcha  sous  son  étendard 
avec  l'ardeur  de  la  jeunesse  et  la  calme  intrépidité  de 
l'âge  mûr.  Selon  le  mot  de  son  biographe,  il  ne  tarda 
pas  à  devenir  l'un  des  généraux  de  cette  sainte  milice.  Sa 
pauvreté,  sa  soumission  à  la  règle,  ses  vertus  religieuses 
étaient  proverbiales. 

Ce  ne  fut  pas  sans  peine  qu'on  le  décida  à  accepter  la 
dignité  de  gardien  ;  dans  son  humilité  excessive,  il  eût 
voulu  se  faire  le  serviteur  du  dernier  des  novices.  Il 
s'acquitta,  d'ailleurs,  de  sa  charge  avec  honneur,  et  n'eut 
jamais  la  pensée  d'user  de  sa  prééminence  que  pour 
donner  plus  encore,  s'il  était  possible,  l'exemple  de  toutes 
les  vertus.  Son  couvent  devint  un  modèle  de  perfection 
religieuse  ;  la  seule  décoration  de  la  chapelle,  à  la  fois 
grandiose  et  sévère,  faisait  descendre  au  fond  des  âmes 
des  idées  de  recueillement  et  de  piété. 

Il  eut  le  don  de  miracles  et  de  seconde  vue. 

C'est  le  14-  juin  1525  que  Dieu  rappela  à  lui  ce  dévoué 
serviteur,  et  qu'il  lui  ouvrit  toutes  grandes  les  portes  de 


324  XIV  JUIN. 

l'éternel  royaume.  Sa  mort  fut,  comme  sa  vie,  signalée 
par  des  prodiges,  et  son  tombeau  devint  pour  les  habi- 
tants du  pays  un  lieu  de  pèlerinage.  La  vénération  des 
fidèles  lui  éleva  un  sépulcre  de  marbre,  sur  lequel 

étaient  gravées  les  armes  du  Portugal. 

(Cardose.) 


PIERRE  DE  PORTUGAL 

FRÈRE   LAI 

Vers  1550.  —  Pape  :  Paul  III.  —  Roi  de  Portugal  :  Jean  III. 

Cardose  place  à  la  date  du  quatorzième  jour  de  juin, 
dans  son  martyrologe  des  saints  et  des  bienheureux  por- 
tugais ,  la  mémoire  de  frère  Pierre.  Dans  son  humble 
condition  de  frère  lai,  Pierre  fut  un  grand  prédicateur  et 
un  apôtre  infatigable.  Son  zèle  pour  le  service  de  son 
Dieu  et  pour  la  perfection  de  son  prochain  le  décida,  en 
1530,  à  partir  pour  le  Pérou,  qui  venait  d'être  conquis 
par  François  Pizarre.  Il  fut  l'un  des  douze  premiers  mis- 
sionnaires qui  entreprirent  de  convertir  à  la  foi  du  Christ 
les  habitants  idolâtres  de  cette  contrée,  et  qui  fondèrent 
la  célèbre  province  franciscaine  dite  des  Douze- Apôtres. 

Pierre  parcourut  le  Pérou  dans  tous  les  sens,  pendant 
de  longues  années,  sans  prendre  un  jour  de  repos,  insou- 
ciant des  dangers  çui  pouvaient  le  menacer.  Il  éclaira  de 
la  divine  lumière  de  l'Evangile  des  milliers  d'âmes  plon- 
gées jusqu'alors  dans  les  ténèbres  de  l'idolâtrie.  Derrière 
lui  s'écroulaient  les  temples  des  faux  dieux,  et  sur  leurs 


LA   BIENHEUREUSE  CASTORA-  325 

ruines  s'élevaient  comme  par  enchantement  d'humbles 
chapelles  ou  des  églises  splendides.  La  croix  de  Jésus  à 
la  main,  il  marchait  pieds  nus,  sans  défense,  confiant 
dans  la  divine  Providence,  qui  ne  l'abandonna  jamais  au 
milieu  des  épreuves  et  des  souffrances.  Il  a  rendu  à  son 
Ordre  et  à  la  religion  d'immenses  services,  et  laissé  un 
nom  célèbre,  à  juste  titre,  dans  les  annales  de  l'apos- 
tolat. 

On  sait,  sans  pouvoir  le  préciser,  qu'il  a  accompli  un 
grand  nombre  de  miracles  ;  le  jour,  l'année  et  l'heure 
où  il  mourut  sont  restés  inconnus. 

(Papebroeck.) 


LA  BIENHEUREUSE  CASTORA 

VEUVE,    DU   TIERS    ORDRE. 

1391.  —  Pape  :  Urbain  VI.  —  Roi  de  France  :  Charles  VI. 

La  bienheureuse  Castora  était  originaire  de  l'illustre 
famille  italienne  des  Gabriëli,  qui  a  donné  à  l'Eglise  des 
évêques  et  des  cardinaux,  au  monde  des  généraux  intrépi- 
des et  habiles.  Elle  était  fille  d'un  comte  Gabriëlo.  Jeune, 
belle,  riche,  elle  pouvait  aspirer  à  tous  les  honneurs  et 
à  tous  les  plaisirs  delà  terre;  le  comte  de  San-Angelo 
in  Vado,  docteur  en  droit  canon  et  en  droit  romain,  et 
seigneur  de  deux  châteaux,  rechercha  sa  main,  et,  appuyé 
par  son  père,  l'épousa.  Mais  il  y  avait  entre  elle  et  son 
époux  incompatibilité  d'humeur  et  de  goûts;  autant  elle 
était  pieuse,  douce,  amie  du  calme  et  de  la  retraite, 


326  XIV  JUIN. 

autant  il  était  mondain,  bruyant,  avide  de  plaisirs  et 
incapable  de  modération.  Les  années  qu'elle  passa  avec 
lui  furent  comme  un  long  martyre.  Elle  le  supporta  di- 
gnement, en  servante  résignée  du  Seigneur. 

Après  la  mort  de  son  époux,  la  bienheureuse  Cas- 
tora  songea  à  mettre  à  exécution  le  projet  qu'elle  nour- 
rissait, depuis  son  enfance,  de  se  consacrer  à  Dieu.  Elle 
en  demanda  la  permission  à  son  fils;  puis,  après  avoir 
distribué  son  bien  aux  pauvres,  elle  revêtit  la  robe  du 
Tiers  Ordre  de  Saint- François.  Les  quelques  années 
qu'elle  vécut  encore  se  passèrent  dans  la  pratique  des 
mortifications  et  des  austérités,  le  jeûne,  la  prière,  les 
veilles.  Elle  avait  une  grande  dévotion  au  saint  Sacre- 
ment de  l'Eucharistie. 

C'est  en  1391,  le  14  juin,  que  Dieu  la  rappela  à  lui.  On 
l'ensevelit  à  Madrid  ;  mais  son  fils  fit  transporter  ses  pré- 
cieux restes  à  San-Angelo  in  Vado,  où  on  les  conserva 
pieusement  dans  l'église  du  couvent  de  l'Ordre.  Des  mi- 
racles s'accomplirent  sur  son  tombeau  où,  aujourd'hui 
encore,  on  a  coutume  de  se  porter  en  procession  solen- 
nelle le  jour  de  l'Ascension  de  Notre-Seigneur. 

(Papebroeck.) 


CONSTANCE  DE  CASTRO 

Constance  de  Castro,  dont  les  chroniqueurs  de  l'Ordre 
placent  le  souvenir  au  quatorzième  jour  de  juin,  était 
la  nièce  du  comte  de  Lemos  et  l'épouse  de  Rodrigue  Diaz 
d'Andrada,  général  commandant  les  armées  de  Ferdi- 


LE  BIENHEUREUX  ANGE  DE  CINGOLI  327 

nand  contre  les  Maures  grenadins.  Elle  a  fait  partie  du 
Tiers  Ordre  de  Saint-François,  où  elle  est  restée  célèbre 
pour  ses  vertus.  Elle  fut  ensevelie  au  couvent  de  Vivero, 
en  Galice.  Longtemps  après  sa  mort,  en  1611,  on  ouvrit 
son  tombeau,  et  on  y  trouva  son  corps  dans  un  état  de 
parfaite  conservation.  A  l'occasion  de  ce  miracle,  on  lui 
éleva  un  riche  sépulcre  de  marbre,  et  sur  l'ordre  de 
l'évêque  de  Mindon,  de  savants  religieux  racontèrent  sa 

vie  et  ses  vertus. 

(Wadding.) 


QUINZIEME     JOUR    DE    JUIN 

ANGE   DE    CINGOLI 

SECOND  SUPÉRIEUR  DES   CLARINS 

1337.  —  Pape  :  Benoît  XII.  —  Roi  de  France  :  Philippe  VI. 


SOMMAIRE  :  Perfection  religieuse  du  bienheureux  Ange.  —  Sa  mission  en  Arménie. 
—  Les  <i  pauvres  ermites  de  Célestin  n .  —  Premières  tribulations  du  bienheureux 
Ange.  —  Il  retrouve  quelque  tranquillité  et  fonde  un  couvent  près  d'Ascoli.  — 
Nouvelles  épreuves.  —  Ange  et  ses  compagnons  sont  traités  comme  infidèles  et 
chassés  du  royaume  de  Naples.  —  Longues  souffrances  du  bienheureux  Ange.  — 
Dernières  années  de  sa  vie.  —  Sa  mort. 


Ange  naquit  vers  l'an  1245,  à  Cingoli,  dans  les  Marches. 
Ce  fut  un  savant  docteur,  un  prédicateur  éloquent,  un 
théologien  de  première  force.  Il  eut  pour  maître  le  bien- 
heureux Simon  de  Cassia,  un  saint  homme,  fort  célèbre 
pour  sa  science  dans  l'Ordre  desAugustins. 

La  vie  du  bienheureux  Ange  de  Cingoîi  peut  être  citée 
comme  un  modèle  de  soumission  à  la  règle  et  de  pau- 


328  XV  JUIN. 

vreté  évangélique.  Il  semble  que  l'âme  du  saint  Père 
François  ait  pris  en  lui  une  nouvelle  forme  corporelle, 
tant  il  était  désireux  de  suivre  d'aussi  près  que  possible 
les  traces  du  divin  fondateur  de  l'Ordre.  Son  zèle  attira 
sur  lui  des  haines,  et  pour  éviter  des  dissensions  tou- 
jours funestes  dans  une  société  naissante,  le  général  crut 
devoir  l'éloigner  ;  il  l'envoya  à  Hay  ton,  roi  d'Arménie,  qui 
avait  demandé  au  saint  Père  quelques  frères  mineurs, 
pour  instruire  ses  sujets  dans  la  religion  catholique 
romaine,  au  sein  de  laquelle  ils  désiraient  entrer. 

Les  missionnaires  furent  reçus  par  le  roi  avec  les  plus 
grands  égards,  et  eurent,  dès  l'abord,  toutes  les  facilités 
d'accomplir  leur  pieux  ministère.  En  vain  les  ennemis 
du  bienheureux  Ange  essayèrent-ils  de  le  desservir  au- 
près de  ce  monarque  étranger ,  le  général  de  l'Ordre  prit 
sa  défense,  ses  compagnons  eux-mêmes  déclarèrent  que 
le  saint  homme  était  la  victime  d'infâmes  calomnies,  et 
depuis  lors  Hayton  ne  cessa  de  lui  témoigner  un  respect 
tout  particulier. 

Deux  des  compagnons  du  bienheureux  Ange  revin- 
rent en  Italie  en  1294,  quand  saint  Pierre  de  Moron, 
ermite  et  fondateur  de  l'Ordre  des  Célestins,  fut  élevé  à 
la  papauté  sous  le  nom  de  Célestin  V.  Dans  l'espoir  que 
le  nouveau  pontife  les  écouterait  avec  bienveillance,  ils 
vinrent  lui  demander  la  permission  de  se  retirer  dans 
des  couvents  solitaires  et  silencieux,  pour  y  vivre  selon 
leur  règle.  Le  pape  accéda  à  leur  prière  et  donna  pour 
supérieur  à  la  nouvelle  confrérie  le  bienheureux  Père 
Liberato  (1).  Tant  que  vécut  Célestin  V,  les  supérieurs  de 
l'Ordre  de  Saint-François,   malgré  le  mécontentement 

(1)  Voir,  à  la  date  du  17  avril,  tome  iv,  p.  328,  la  biographie  du  Père  Liberato. 


LE  BIENHEUREUX   ANGE  DE  CINGOLI.  329 

qu'ils  éprouvèrent  à  voir  ainsi  cette  branche  se  séparer 
du  tronc  commun,  n'osèrent  pas  s'y  opposer  ;  mais  après 
sa  mort,  les  pauvres  ermites  de  Célestin  se  trouvèrent 
tout  à  coup  sans  protecteur,  et  durent  s'enfuir  en  Grèce. 
Le  bienheureux  Ange,  revenu  lui  aussi  d'Arménie,  les  y 
suivit. 

Les  exilés  vécurent  quelque  temps  d'une  vie  solitaire 
et  paisible  dans  une  île  voisiné  du  littoral.  Mais  bientôt 
le  provincial  de  Romanie  ou  de  Constantinople,  ayant 
appris  dans  quelles  circonstances  ils  s'étaient  séparés  de 
l'Ordre  de  Saint-François,  entreprit  de  les  y  rattacher. 
Ils  s'y  refusèrent  d'abord,  forts  de  leur  droit  et  de  l'au- 
torisation qu'ils  avaient  reçue  du  souverain  Pontife,  et 
ils  s'y  refusèrent  avec  d'autant  plus  d'énergie  que  leurs 
ennemis  communs  recommençaient  avec  plus  de  rage 
leurs  attaques.  On  les  accusait  d'être  partisans  de 
l'hérésie  des  Manichéens ,  d'assister  à  leurs  messes , 
d'avoir  tenu  des  discours  impies  et  contraires  aux  dog- 
mes sur  le  très-saint  Sacrement  de  l'autel  et  sur  la  toute- 
puissance  du  pape  et  de  la  cour  romaine.  Toutes  ces 
calomnies,  d'ailleurs,  ne  tardèrent  pas  à  tomber  d'elles- 
mêmes.  Les  seigneurs,  les  princes,  les  grands  person- 
nages de  la  Grèce,  des  évoques  et  des  prélats,  se  dé- 
clarèrent les  admirateurs  et  les  protecteurs  des  pieux 
ermites  ;  et  le  pape  Boniface  VIII,  sollicité  de  rapporter  la 
bulle  de  Célestin  V,  qui  leur  conférait  le  droit  de  former 
une  confrérie  séparée,  répondit  qu'ils  valaient  mieux 
que  leurs  détracteurs.  Malheureusement  le  pape  était 
fort  occupé  en  ce  moment  du  côté  de  la  France,  et 
toute  affaire  étrangère  l'impatientait.  Les  ennemis  des 
ermites  revinrent  à  la  charge  et  finirent  par  lui  arra- 


330  XV  JUIN. 

cher  ce  qu'ils  voulaient,  un  ordre,  aux  archevêques  de 
Patras  et  d'Athènes,  de  chasser  Ange  et  ses  compagnons 
de  l'île  qu'ils  habitaient. 

Ce  fut  pour  ces  pieux  serviteurs  de  Dieu  un  temps 
d'épreuves  et  de  souffrances.  Chassés  de  tous  les  lieux  où 
ils  venaient  chercher  un  asile,  ils  errèrent  longtemps, 
manquant  de  pain  quelquefois,  et  toujours  de  tranquil- 
lité et  de  repos.  Enfin,  grâce  à  l'intervention  de  l'arche- 
vêque de  Patras  et  de  quelques  grands  personnages,  ils 
firent  leur  paix  avec  le  général  de  l'Ordre.  Les  uns  s'en- 
foncèrent dans  les  Indes  Orientales,  pour  y  prêcher  la 
vraie  foi  ;  les  autres  revinrent  en  Italie  avec  le  bienheu- 
reux Ange  qui  fonda  un  petit  couvent  au  milieu  des 
collines  d'Ascoli  et  de  Nursie,  sur  les  bords  de  la  rivière 
Clareno. 

Ils  n'y  restèrent  pas  longtemps  en  repos.  A  la  requête 
du  général  de  l'Ordre,  le  roi  de  Naples  désigna  à  l'inqui- 
siteur le  bienheureux  Liberato  et  ses  frères,  qui  vivaient 
dans  le  silence  et  la  solitude  entre  les  murs  de  leur  pe- 
tit couvent.  Leur  conduite  fut  l'objet  d'une  enquête  mi- 
nutieuse et  sévère,  et  pendant  un  voyage  que  fit  Li- 
berato à  Rome  pour  obtenir  une  audience  du  pape,  ses 
compagnons,  objets  d'une  persécution  indigne,  furent 
traités  comme  des  hérétiques  et  des  infidèles.  Durant 
cinq  mois  on  les  retint  prisonniers,  puis  après  les  avoir 
traînés  enchaînés  par  tous  les  chemins  du  royaume  de 
Naples,  on  leur  donna  l'ordre  d'en  sortir.  Mais  Dieu,  dit 
le  chroniqueur,  ne  laissa  pas  impunie  une  semblable  ini- 
quité :  l'inquisiteur  mourut  peu  de  temps  après,  en  re- 
connaissant son  injustice  ;  et  deux  ans  plus  tard  le 
roi  de  Naples  allait,  devant  l'éternel  tribunal,  rendre 


LE  BIENHEUREUX  ANGE  DE  CINGOLI.  331 

compte  de  la  façon  dont  il  avait  traité  ses  plus  pieux 
serviteurs. 

Chassés  du  royaume  de  Naples,  les  austères  réforma- 
teurs errèrent  un  peu  à  l'aventure,  tantôt  soutenus,  tan- 
tôt abandonnés  par  le  pape  Clément  V.  Le  successeur  de 
ce  pontife,  Jean  XXII,  leur  fut  plus  désagréable  encore, 
excité  qu'il  était  par  leurs  ennemis  particuliers.  Il  manda 
en  sa  présence  le  bienheureux  Ange  :  «  Etes-vous,  oui 
«  ou  non,  frère  mineur  »,  lui  dit-il.  —  «  Je  le  suis.  — 
«  Pourquoi,  alors,  vous  être  séparé  de  vos  frères?  »  Et 
il  parlait  avec  un  ton  de  voix  dur  et  un  visage  irrité.  Ange 
expliqua  au  Saint-Père  que  c'était  leur  Ordre  qui  les  avait 
chassés  de  son  sein,  que  le  fondateur  de  la  nouvelle 
confrérie  était  le  pape  Célestin  V,  et  qu'il  n'en  avait 
lui-même  pris  la  direction  qu'après  la  mort  des 
premiers  supérieurs,  et  pour  maintenir  la  stricte  ob- 
servance de  la  règle.  *  D'ailleurs  »,  ajoua-t-il,  «  je  suis 
a  prêt  à  me  soumettre  à  tout  ce  qu'ordonnera  votre 
«  Sainteté  » . 

Cette  humilité  profonde  ne  désarma  pas  le  pape  ;  sans 
vouloir  écouter  la  défense  du  bienheureux  Ange,  il  le 
fit  jeter  en  prison  à  Avignon.  Jusqu'à  la  mort  de 
Jean  XXII,  il  traîna  misérablement  ses  jours  dans  les  in 
pace  de  plusieurs  couvents  français,  désespéré  de  man- 
quer à  ses  frères,  mais  les  soutenant  de  son  mieux  par 
les  lettres  qu'il  leur  écrivait.  Il  les  engageait  à  la  cons- 
tance et  à  la  résignation  dans  les  épreuves,  et  les  conju- 
rait de  persévérer  dans  la  voie  où  ils  étaient  entrés  : 
«  Vous  êtes  »,  leur  disait-il,  «  les  vais  fils  de  Saint-Fran- 
a  çois;  tous  ces  religieux  amollis  ne  sont  pas  de  sa  fa- 
«  mille  ;  il  n'est  le  père  que  des  fidèles  observateurs  de 


332  XV  JUIN. 

«  sa  règle  ».  En  même  temps,  il  leur  donnait  les  meil- 
leurs conseils  sur  la  façon  dont  ils  devaient  se  soutenir 
et  se  défendre  les  uns  les  autres  dans  les  maladies  et  les 
souffrances  ;  il  leur  citait  des  exemples  de  religieux  vi- 
vant encore  selon  la  réforme  au  sein  de  quelques  cou- 
vents français  :  entre  autres  celui  de  Philippe,  fils  de 
Jacques  Ier,  roi  de  Majorque  et  oncle  de  Jacques  II. «  Notre- 
a  Seigneur  Jésus-Christ  et  l'âme  de  saint  François  »,  leur 
disait-il,  «  se  sont  choisi  pour  tabernacle  le  corps  de  ce 
saint  homme,  si  humble,  si  pauvre,  si  austère,  qui  passe 
«  sa  vie  à  jeûner,  à  veiller,  à  prier  » . 

Il  eût  pu  lui-même  se  proposer  pour  modèle.  «  Je 
i  souffre  dans  cette  prison  plus  que  je  ne  saurais  dire  », 
écrivait-il  un  jour  ;  «  mais  tous  mes  maux  ne  sont  rien 
«  en  comparaison  de  ce  que  j'ai  supporté  durant  les  neuf 
«  années  du  pontificat  de  Clément  V.  Depuis  trente  ans 
«  on  me  persécute  ;  on  m'a  traîné,  avec  des  chaînes  aux 
«  pieds,  dans  tous  les  couvents  situés  entre  Rome  et 
«  Ancône,  et  on  m'a  enfermé  trois  jours  dans  chacun 
«  d'eux  ;  à  Rome,  pendant  la  semaine  sainte,  on  m'a  im- 
a  posé  une  pénitence  publique;  à  Terra-Nuova,  dans  la 
«  Calabre,  on  m'a  jeté  pour  deux  années  en  prison  sous 
«  la  surveillance  de  geôliers  impitoyables  ;  il  n'est  pas 
«  de  ville  ni  de  village  dans  tout  le  royaume  de  Naples 
«  où  je  n'aie  subi  au  moins  quelques  jours  de  captivité, 
«jusqu'à  ce  qu'enfin,  à  Messine,  on  me  précipita  dans  le 
«  plus  affreux  des  cachots  » . 

Enfin  le  saint  homme,  après  soixante  années  de  souf» 
frances  continuelles  supportées  avec  une  patience  qui 
n'a  d'égale  que  la  rage  de  ses  persécuteurs,  trouva 
grâce  devant  ses  ennemis  et  recouvra  sa  liberté.  Il  revint 


LE  BIENHEUREUX  ANGE  DE  CINGOLI.  333 

en  Italie,  où  il  put  s'occuper  en  paix  de  sa  chère  con- 
frérie des  Clarins  (1). 

Sur  la  fin  de  sa  vie,  le  bienheureux  Ange  vint  habiter 
le  couvent  de  Santa-Maria  de  Aspro,  dans  le  royaume  de 
Naples.  C'était  une  solitude,  cachée  au  milieu  d'un  bois, 
sur  le  flanc  d'une  roche  abrupte,  non  loin  du  Marsico- 
Nuovo.  La  renommée  de  ses  malheurs,  sa  sainteté,  les 
miracles  qu'il  accomplissait  tous  les  jours,  attirèrent  au 
lieu  de  sa  retraite  une  foule  de  visiteurs.  Quand  il  fut 
atteint  de  la  maladie  qui  devait  l'emporter,  l'affluence 
redoubla.  Sa  cellule  était  sans  cesse  pleine  de  monde;  il 
fallut  même  en  défendre  la  porte,  pour  lui  permettre 
du  moins  de  mourir  dans  le  recueillement  et  la  paix.  Il 
renditl'âme  le  15juinl337;et  presque  aussitôt,  de  toutes 
les  villes  et  de  tous  les  villages  des  alentours  accoururent 
une  multitude  de  fidèles  avides  de  contempler  encore 
une  fois  ses  restes  mortels.  On  les  voyait,  pleins  d'une 
pieuse  ardeur,  se  traîner  à  genoux  depuis  l'entrée  de  la 
chapelle  jusqu'au  pied  du  grand-autel,  où  le  corps  était 
exposé,  et,  les  yeux  débordant  de  larmes,  baiser  les  pieds 
du  bienheureux  et  implorer  son  intercession  dans  le 
ciel. 

Des  miracles  s'accomplirent  sur  son  tombeau. 

(Wadding.) 

(1)  Ce  petit  Ordre  religieux,  qui  avait  une  existence  à  part  et  un  règlement  spécial, 
était  sous  la  dépendance  immédiate  des  évèques.  Il  subsista  cent  cinquante-cinq  ans, 
et  se  confondit  ensuite,  sous  le  pontificat  de  Sixte  IV,  avec  les  Franciscains.  Quel- 
ques Clarins  se  refusèrent  d'abord  à  cette  fusion;  mais  en  1511,  le  pape  Jules  11 
prononça  leur  dissolution  définitive  et  leur  enjoignit,  ainsi  qu'aux  Colétains  et  aux 
religieux  du  bienheureux  Amddée,  d'avoir  à  opter  entre  les  Conventuels  et  les 
Observantins. 


334  XV  JUIN. 

LE  BIENHEUREUX  PIERRE 

DIT  LE  PÈRE  DES  MALHEUREUX 

1216.  —  Pape  :  Paul  V.  —  Roi  de  France  :  Louis  XIII. 

Nous  trouvons  au  quinzième  jour  de  juin  le  souvenir 
du  bienheureux  Pierre ,  dit  le  père  des  malheureux. 
En  1213,  quand  saint  François  faisait  route  par  l'Es- 
pagne, pour  passer  en  Afrique,  il  lui  donna  l'habit  et  le 
chargea  d'aller  établir  son  Ordre  dans  la  province  d'As- 
torga.  Pierre  fonda  un  couvent  à  Oviédo,  en  1214.  C'est 
là  qu'il  reçut  de  la  reconnaissance  des  populations  le 
surnom  de  père  des  malheureux. 

Le  bienheureux  Pierre  eut  le  don  de  miracles;  il  mou- 
rut en  1216.  Longtemps  après,  en  1487,  ses  précieux 
restes  furent  exhumés,  sur  l'ordre  et  aux  frais  d'Alphonse 
de  Baldez ,  gouverneur  de  la  province  d'Astorga ,  et 
transportés  devant  la  porte  de  l'église.  Plus  tard  encore, 
en  1594,  une  nouvelle  exhumation  eut  lieu  en  présence 
de  Louis  Carillo  de  Mendoza,  lui  aussi  gouverneur  de  la 
province,  et  de  plusieurs  autres  grands  seigneurs  du 
pays.  Les  précieuses  reliques  étaient  enfermées  dans  trois 
châsses,  entourées  de  fines  toiles,  dont  le  gardien,  le  Père 
Louis  de  Quiros,  donna  quelques  lambeaux  aux  assis- 
tants, avec  de  petits  ossements  du  bienheureux  ;  puis 
on  transporta  ce  qui  restait  de  Pierre  à  une  place  d'hon- 
neur. 

Tous  les  ans,  on  célèbre  sa  fête,  et  par  son  intercession 
s'accomplissent  encore  de  nombreux  miracles. 

(GONZAGUE.) 


PÈRE  ANTOINE  D'AVIIA.  335 

ANTOINE  D'AVILA 

1616.  —  Pape  :  Paul  V.  —  Roi  d'Espagne  :  Philippe  III. 


SOMMAIRE  :  Austérités  et  mortifications  du  Père  Antoine.  —  Ses  jeûnes,  ses 
disciplines.  —  Sa  réponse  au  roi  Philippe  III,  —  Il  est  nommé  gardien,  puis  pro- 
vincial. —  Humilité  du  bienheureux  Antoine.  —  Sa  dévotion  au  saint  sacrifice  de 
l'autel.  —  Sa  piété.  —  Ses  visions.  —  Son  heureuse  influence.  —  Ses  épreuves 
sur  la  fin  de  sa  vie.  —  Sa  morU 


Le  Père  Antoine  naquit  à  Avila,  et  entra,  jeune  encore, 
aux  Frères  Mineurs  de  la  province  de  Saint-Joseph,  dont 
il  est  l'une  des  gloires.  Chaque  année,  il  s'imposait  les 
sept  jeûnes  de  saint  François,  vivant  de  pain  et  d'eau, 
de  quelques  fruits  et  d'un  peu  de  soupe  pendant  sept  fois 
quarante  jours.  Les  veilles  des  grandes  fêtes,  il  se  pré- 
sentait au  réfectoire  à  demi  nu,  avec  déjeunes  religieux,  et 
là,  en  présence  de  la  communauté,  il  faisait  jaillir  son 
sang  sous  les  coups  de  discipline.  On  lui  disait  un  jour 
que  de  semblables  mortifications  ne  convenaient  pas  à 
son  grand  âge  :  «  Et  moi  »,  répliqua-t-il,  «  je  crois  que, 
«  bien  plus  que  pour  les  novices,  c'est  pour  moi  un  devoir; 
«  ne  faut-il  pas  que  je  demande  à  Dieu  pardon  des  fautes 
«  que  j'ai  commises  autrefois  contre  la  règle  de  l'Ordre  ». 

Il  marchait  toujours  nu-pieds.  Le  roi  Philippe  III  le 
remarqua,  à  l'âge  de  quatre-vingts  ans,  dans  une  pro- 
cession qui  se  faisait  par  un  froid  extrêmement  vif: 
«  Pourquoi,  mon  Père  »,  lui  dit-il,  «  ne  prenez-vous  pas 
«  plus  soin  de  \ous  ?»  —  «  Je  n'en  ai  plus  le  temps  », 
répondit  le  saint  homme;  «  j'ai  trop  à  faire  déjà  pour 
«trouver  grâce  auprès  de  Dieu  ».  Et  il  se  remit  en 


336  XV  JUIN. 

marche  ;  mais  le  roi,  qui  se  plaisait  à  lui  témoigner  du 
respect,  le  fit  monter  dans  sa  voiture. 

Le  Père  Antoine  ne  buvait  jamais  que  de  l'eau  ;  il 
n'avait  pour  tout  bien  qu'une  vieille  robe  de  moine, 
un  bréviaire  et  une  gravure  représentant  la  Mère  de 
Dieu.  On  le  nomma  provincial  ;  il  n'en  resta  ni  moins 
pauvre  ni  moins  soumis  à  la  règle.  Son  humilité  faisait 
le  désespoir  de  ses  frères.  Il  leur  demandait  souvent 
d'intercéder  pour  lui  auprès  de  Dieu  ,  indigne  qu'il 
était,  pensait-il,  de  prier  lui-même.  Au  grand  couvent 
de  Saint-Guy,  à  Madrid,  où  il  habita  longtemps  sur  la 
fin  de  sa  vie,  il  s'occupait  des  fonctions  les  moins  agréa- 
bles, comme  de  raccommoder  les  habits,  de  les  nettoyer, 
de  faire  la  besogne  des  frères  lais,  qui  s'en  plaignaient, 
mais  n'avaient  rien  à  répondre  à  des  arguments  comme 
celui-ci  :  «  Vous  êtes  jeunes,  mes  frères  ,  vous  avez 
«  encore  bien  du  temps  devant  vous  pour  vous  occuper 
«  d'œuvres  pies  ;  moi,  je  suis  vieux,  il  faut  que  je  me 
«  hâte;  car  mes  jours  sont  comptés  ». 

Il  semble  que  le  Seigneur  lui  ait  fait  des  révélations 
toutes  spéciales  sur  la  nécessité  qu'il  y  a  pour  les  reli- 
gieux d'être  avant  tout  humbles  de  cœur  :  c'est  la  vertu 
qui  met  le  mieux  en  lumière  les  autres.  Tous  les  jours 
il  servait  la  messe  autant  de  fois  que  cela  lui  était  pos- 
sible, même  lorsqu'il  eut  été  nommé  provincial,  et  les 
assistants  croyaient  voir  un  Ange  du  ciel  assister  le 
prêtre,  tant  sa  ûgure  était  empreinte  d'une  sérénité  et 
d'une  douceur  plus  qu'humaines.  Jusqu'à  midi,  il  restait 
dans  l'église,  occupé  à  prier  ;  à  la  nuit  tombante ,  il 
revenait  au  chœur,  pour  n'en  sortir  qu'à  trois  heures  du 
matin.  Il  se  confessait  souvent,  et  se  préparait  par  tous 


PÈRE  ANTOINE  D'AVILA.  337 

les  moyens  possibles  à  bien  dire  sa  messe.  A  plusieurs 
reprises,  durant  le  jour  et  pendant  la  nuit,  il  s'agenouil- 
lait devant  le  Saint-Sacrement  et  récitait  les  sept  psaumes 
de  la  pénitence  ou  son  rosaire ,  ou  bien  méditait  en 
silence  sous  le  regard  de  Dieu.  Ces  contemplations  furent 
souvent  accompagnées  de  visions  ou  de  révélations;  mais 
sur  ce  point,  il  a  toujours  gardé  une  extrême  réserve. 

Le  bienheureux  Antoine,  par  une  faveur  toute  spéciale 
du  Seigneur,  avait  sur  les  âmes  de  ses  pénitents  une 
influence  extraordinaire.  Personne  mieux  que  lui  ne  les 
ramenait  à  la  vertu  ;  les  plus  grands  coupables,  en  s'ap- 
prochant  de  lui,  se  sentaient  par  ce  seul  contact  soulagés 
d'un  poids  énorme  et  en  quelque  sorte  déjà  purifiés  de 
leurs  fautes.  On  cite  en  particulier  l'exemple  d'un 
prêtre  qui  avait  apporté  dans  l'exercice  de  ses  fonctions 
une  légèreté  criminelle,  et  dont  l'âme  inquiète  voyait 
avec  effroi  venir  l'heure  de  la  réparation.  Antoine  l'en- 
couragea, le  débarrassa  de  ses  craintes  exagérées  et 
l'aida  à  mourir  dans  une  douce  sérénité. 

Le  bienheureux  avait  toujours  désiré  souffrir  pour 
l'amour  de  son  Dieu  ;  ses  vœux  furent  souvent  exaucés. 
Après  qu'il  eut  été  nommé  gardien  du  nouveau  couvent 
de  Séville,  des  religieux  jaloux  de  cette  dignité  ne  lui 
épargnèrent  aucune  sorte  d'attaque,  ni  les  railleries,  ni 
les  médisances,  ni  les  calomnies  ;  mais  il  tint  bon  et 
resta  au  poste  d'honneur  qui  lui  avait  été  assigné. 
Quelque  temps  après  il  dut  le  quitter,  et  ce  fut  pour  lui 
une  épreuve  fort  pénible.  Le  gouverneur  de  Séville 
occupa  le  couvent  et  le  remplit  de  soldats;  en  même 
temps  le  général  de  l'Ordre,  s'imaginant  que  le  Père 
Antoine  avait,  par  son  attitude,  provoqué  cette  mesure, 

Palm.  Séuaph.  —  Tome  VI.  22 


338  XV  JUIN. 

l'appelait  à  Madrid,  en  lui  intimant  l'ordre  d'obéir  aux 
gardiens  de  tous  les  couvents  qu'il  rencontrerait  sur  son 
chemin.  L'un  d'eux,  sans  forme  de  procès,  le  fit  jeter  en 
prison.  En  ce  moment  le  saint  homme  était  tellement 
abattu  de  corps  et  d'esprit,  qu'il  avait  peur  de  mourir 
tout  seul  en  ce  cachot.  Il  offrait  à  Dieu  ses  souffrances 
en  répétant  les  paroles  de  Jésus  au  jardin  des  Oliviers, 
quand  tout  à  coup  il  entendit  une  voix  qui  disait  :  «  Mon 
«  fils,  tu  as  obtenu  aujourd'hui  ce  que  tu  m'as  demandé; 
o  si  je  ne  te  l'ai  pas  accordé  plus  tôt,  c'est  que  ce  n'est 
«pas  une  nourriture  qui  convient  atout  le  monde». 
Antoine  sentit  une  telle  joie  envahir  son  être ,  qu'il 
croyait  être  au  ciel.  Peu  d'heures  après,  d'ailleurs,  le 
gardien  qui  l'avait  enfermé,  touché  de  son  grand  âge,  le 
relâcha  en  lui  demandant  pardon  des  mauvais  trai- 
tements qu'il  lui  avait  fait  subir. 

Le  bienheureux  était  âgé  de  plus  de  quatre-vingts  ans, 
quand  il  mourut  à  Madrid,  au  couvent  de  Saint-Guy, 
le  15  juin  de  l'année  4C16.  Le  Père  François  de  Gogol- 
ludo  (1),  un  autre  saint  homme,  vit  son  âme  monter 
triomphante  vers  le  ciel.  Quand  on  porta  ses  précieux 
restes  au  couvent  de  Saint-Bernardin,  où  il  devait  être 
enseveli,  une  foule  innombrable  suivit  son  cercueil  ;  et 
des  guérisons  miraculeuses  s'accomplirent,  dit-on,  par 
son  intercession. 

(Chron.  de  la  prov.  de  Saint- Joseph.) 

(1)  Voir  dans  le  Palmier    Séraphique,   tome  I,  p.  «2,  la  vie   du  bienheureux 
François  de  Cogolludo. 


PÈRE  JOSEPH  DE  SAINTE-MARIE.  339 


JOSEPH  DE  SAINTE-MARIE 


1605.  —  Pape  :  Clément  VIII.  —  Roi  d'Espagne  :  Philippe  III. 


SOMMAIRE  :  Conduite  peu  édifiante  de  Ferùinand-Ximénès.  —  Sa  conversion.  — 
Il  entre  dans  l'Ordre  des  Frères  Mineurs.  —  Son  noviciat.  —  Ses  vertus  reli- 
gieuses. —  Il  devient  le  modèle  de  tous  ses  frères.  —  Il  exerce  les  dignités  de 
l'Ordre.  —  Sa   pauvreté.   —    Ses  mortifications.  —  Sa  chasteté.  —  Sa    modestie. 

—  Ses  pèlerinages.  —  Il  est  nommé  provincial.  —  Respect  et  amitié  que  lui  témoi- 
gnent les  grands  dignitairea  de  l'Eglise  et  les  princes  de  la  terre.  —  Persécutions. 

—  Sa  mort. 


Cet  homme  remarquable  naquit  à  Montemolin,  dans 
la  province  d'Estramadure,  en  Espagne,  et  reçut  au 
baptême  le  nom  de  Ferdinand-Ximénès.  Elevé  dans  le 
monde  et  pour  le  monde,  il  se  maria  avec  une  femme 
vertueuse,  qu'il  plut  à  Dieu  de  lui  enlever  après  quelques 
années  d'union.  Ce  malheur  le  jeta  dans  le  sein  de 
l'Eglise:  il  se  fit  prêtre  ;  mais  l'on  ne  peut  pas  dire,  à  son 
honneur,  que,  en  dépouillant  les  vêtements  mondains,  il 
ait  dépouillé  le  vieil  homme,  et  que  sa  vie  religieuse  fut 
tout  de  suite  irréprochable  et  digne  d'être  proposée 
comme  modèle. 

Ferdinand-Ximénès  prit  ses  grades  à  Salamanque  et  ne 
tarda  pas  à  obtenir  le  titre  de  licencié  en  droit  canon  et 
en  droit  romain.  C'était  bien  l'étudiant  le  moins  paci- 
fique qui  fut  jamais.  D'une  force  colossale  et  très- 
habile  aux  exercices  du  corps,  il  se  mêlait  à  toutes 
les  rixes  ,  sans  souci  de  sa  robe  de  prêtre ,  et  qu'il 
rapportait  souvent  en  lambeaux.  En  ce  temps-là  vint 
à  Salamanque   un    saint  homme  ,  le   Père    Alphonse 


340  .  XV  JUIN. 

Loup  (1),  prédicateur  célèbre,  dont  les  sermons  ont  pro- 
voqué un  grand  nombre  de  conversions  et  de  vocations 
religieuses.  Il  se  prit  d'intérêt  pour  Ferdinand,  qui  tout 
d'abord  en  parut  peu  flatté  ;  car  non-seulement  il  refusa 
d'assister  à  ses  sermons,  mais  il  ne  permit  même  pas 
que  l'on  prononçât  son  nom  devant  lui.  Un  de  ses  amis, 
à  force  d'habileté,  le  décida  à  venir  entendre  le  prédi- 
cateur: «Eh  bien  »,  lui  dit-il,  c  allons  donc  voir  si  ce  loup, 
«  qui  fait  de  si  grands  massacres,  mangera  aussi  un 
«  homme».  Ce  jour-là,  il  s'opéra  en  Ferdinand  une  trans- 
formation absolue,  et  quelque  temps  après  il  entra  dans 
un  couvent  de  Frères  Mineurs  Observantins. 

Il  y  vécut  quatre  mois  d'une  façon  exemplaire,  après 
quoi  il  reçut  à  Gadahalso  l'habit  de  l'Ordre  des  mains  du 
Père  Alphonse  lui-même.  Son  année  de  noviciat  se  passa 
mieux  qu'on  ne  pouvait  l'espérer,  dans  les  œuvres  de 
piété  et  d'humilité,  les  jeûnes,  les  veilles,  les  mortifica- 
tions de  toutes  sortes.  Autant  le  monde  l'avait  attiré 
autrefois,  autant  il  lui  inspirait  maintenant  une  in- 
vincible répulsion  ;  il  en  voyait  les  vanités  et  les  men- 
songes, et  ne  songeait  plus  qu'à  se  faire  pardonner,  au 
pied  des  autels,  les  fautes  dont  il  s'était  rendu  coupable. 
Ferdinand  eut  le  bonheur  d'avoir  pour  directeur  et 
maître  le  neveu  de  saint  Pierre  d'Alcantara,  qui  se  prit 
pour  lui  d'une  véritable  amitié,  et  le  garda,  en  quelque 
sorte  par  la  main  dans  les  sentiers  difficiles  de  la  per- 
fection religieuse.  Ce  que  le  pauvre  novice  eut  à  tra- 
verser   d'épreuves    est    presque  incroyable  ;    il   sortit 
de  là  pur  comme  un  métal  passé  au  feu.  La  fin  de  son 

(1)  On  trouvera  dans  la    Palmier  Sérnphique,   au  huitième  jour  d'avril,   la   vie 
du  bienheureux  Loup. 


PERE  JOSEPH  DU  SAINTE  MARIE.  341 

noviciat  approchant,  il  s'en  vint  un  jour,  après  les 
matines,  presque  nu,  demander  au  provincial  la  per- 
mission de  prononcer  ses  vœux;  il  resta  à  la  porte, 
en  plein  hiver,  sans  murmurer,  attendant  qu'on  l'ap- 
pelât dans  la  cellule  de  son  supérieur,  et  par  un  froid  si 
vif  qu'un  religieux,  le  voyant  grelotter,  le  prit  en  pitié  et 
le  couvrit  de  son  manteau. 

Ce  fut  bien  mieux  encore,  quand  il  fut  devenu  profès, 
et  les  plus  vénérables  religieux  eux-mêmes  purent 
prendre  sur  lui  modèle  de  toutes  les  vertus.  Il  semblait 
vivre  d'austérités  et  de  mortifications,  et  l'on  eût  dit  que 
son  corps  avait,  pour  se  soutenir,  besoin  de  jeûnes  et  de 
coups  de  discipline.  Toujours  vêtu  de  la  haire,  une  cein- 
ture garnie  de  pointes  autour  des  reins,  il  pratiquait 
chaque  année  les  sept  carêmes  de  saint  François,  en  tout 
temps,  en  toute  circonstance,  qu'il  fût  malade  ou  en 
bonne  santé,  au  couvent  ou  en  voy.'ge.  Dans  la  plus  ex- 
trême vieillesse,  tout  usé  qu'il  était  par  l'âge  et  par  les 
austérités,  malgré  ses  médecins  qui  le  conjuraient  de 
reprendre  des  forces  au  moyen  d'une  nourriture  solide, 
il  ne  consentit  jamais,  à  l'époque  des  jeûnes,  à  manger 
autre  chose  que  du  pain  trempé  dans  de  l'eau.  En  vain 
lui  disait-on  qu'il  abrégeait  sa  vie  et  que  Dieu  l'avait  mis 
sur  la  terre  pour  y  demeurer  le  plus  longtemps  possible: 
a  Saint  François»,  répondait-il,  «  s'est  soumis  à  de  plus 
«  rudes  mortifications,  sans  crainte  d'exciter  le  courroux 
«  de  Dieu  » . 

Rien  d'étonnant  que  ce  saint  homme  ail  été  à  diverses 
reprises  promu  aux  plus  hautes  dignités  de  l'Ordre  ;  tour  à 
tour  gardien,  commissaire,  inspecteur  de  plusieurs  pro- 
vinces, président  de  deux  chapitres  généraux  et  deux 


342  XV  JUIN. 

fois  provincial  de  Saint-Joseph,  il  ne  cessa  jamais  d'ex- 
horter ses  frères  à  la  perfection,  plus  encore  par  son 
exemple  que  par  ses  paroles.  Il  donnait  l'habit  de 
l'Ordre,  toujours  avec  le  même  bonheur,  aux  étudiants 
comme  aux  soldats,  aux  nobles  comme  aux  paysans, 
sans  distinction  de  rangs  ni  de  personnes.  Son  affection 
paternelle  envers  ses  inférieurs  s'étendait  sur  tous  avec 
une  égale  sollicitude  et  une  égale  tendresse  ;  il  ne  négli- 
geait que  lui  seul. 

En  effet,  durant  les  quarante  années  qu'il  passa  dans 
l'Ordre,  il  n'usa  que  trois  robes.  Les  deux  premières,  à 
force  de  reprises,  de  pièces  et  de  morceaux,  avaient  l'as- 
pect du  monde  le  plus  pitoyable  ;  il  se  refusait  cependant 
à  en  accepter  une  autre,  et  pour  l'y  contraindre,  il  fallut 
que  ses  frères,  sous  prétexte  de  les  réparer,  les  lui  mis- 
sent en  lambeaux  ;  on  l'ensevelit  dans  la  troisième.  Son 
mobilier  consistait  en  une  gravure  grossièrement  faite, 
qui  représentait  la  Vierge  Marie,  et  une  planche  toute 
nue  qui  lui  servait  de  lit. 

D'ordinaire  il  demeurait  jusqu'à  onze  heures  et  demie 
dans  un  coin  de  l'église,  abîmé  dans  ses  contemplations  ; 
puis  il  rentrait  dans  sa  cellule  pour  prendre  quelque 
repos,  et  à  minuit  il  était  le  premier  au  chœur  pour 
chanter  matines.  Il  est  vrai  que,  pour  ne  pas  trop  briser 
ses  forces,  il  se  permettait  une  fois  par  mois  un  sommeil 
réparateur,  aussi  long  que  le  demandait  la  nature.  Dieu, 
d'ailleurs,  le  récompensait  de  cette  lutte  courageuse 
contre  l'humaine  faiblesse ,  par  des  jouissances  spiri- 
tuelles. Plus  d'une  fois  ses  frères  le  virent  soulevé  de 
terre  dans  un  tourbillon  de  lumière,  et  la  figure  toute 
resplendissante. 


PÈRE  JOSEPH  DE  SAINTE-MARIE.  343 

Du  jour  où  il  entra  dans  l'Ordre,  le  saint  homme  rom- 
pit tout  commerce  avec  les  femmes  ;  il  ne  s'entretenait 
avec  elles  qu'à  regret,  et  seulement  dans  les  cas  d'ab- 
solue nécessité,  les  yeux  opiniâtrement  fixés  à  terre,  la 
pensée  toute  pleine  de  Dieu.  Il  y  a  plus  :  pour  s'éloigner 
du  monde  autant  qu'il  lui  était  possible,  il  ne  visitait 
jamais  ses  pénitents  dans  leurs  maisons;  et  on  ne  le 
voyait  guère  hors  du  couvent  que  pour  les  besoins  de 
l'Ordre,  soit  qu'il  s'acquittât  de  ses  devoirs  de  provincial 
ou  de  gardien,  soit  qu'il  recueillît  des  aumônes.  En  re- 
vanche, nuit  et  jour  il  s'occupait  d'œuvres  pies  ;  on  le 
trouvait  au  chœur  presque  à  toute  heure;  il  y  demeurait 
après  les  matines  jusqu'au  lever  du  soleil,  plongé  dans  de 
profondes  contemplations  ;  puis  il  s'imposait  de  rudes 
travaux,  prenait  soin  du  jardin,  plantait  des  arbres,  fai- 
sait la  lessive,  nettoyait  le  couvent,  en  un  mot  ne  négli- 
geait rien  de  ce  qui  pouvait  ressembler  à  la  mortification 
et  à  la  pénitence. 

Quoique  licencié  en  droit  et  fort  estimé  pour  sa  science, 
il  ne  chercha  jamais  à  mériter,  dans  l'Ordre,  le  titre  de 
savant,  mais  bien  celui  de  sage,  à  la  manière  des  saints, 
en  avançant  toujours  plus  loin  dans  le  chemin  de  la 
perfection.  Sous  ses  vêtements,  il  portait  une  haire  en 
crin  ;  une  corde  à  nœuds  lui  servait  de  rosaire. 

Il  fit  deux  fois  le  pèlerinage  de  Rome,  pieds  nus,  tête 
découverte,  sans  souci  du  soleil  ou  des  frimas,  sans 
emporter  de  provisions ,  persuadé  que  la  divine  Provi- 
dence ne  l'abandonnerait  pas.  Lorsque,  au  milieu  de 
l'hiver,  dans  les  gorges  des  montagnes,  la  neige  était 
durcie  et  déchirait  les  pieds,  il  permettait  à  son  compa- 
gnon de  mettre  ses  sandales;  pour  lui,  il  continuait  à  mar- 


344  XV  JUIN. 

quer  de  son  sang  les  chemins  tout  blancs.  On  ne  saurait 
raconter  ce  qu'il  a  volontairement  souffert  en  faisant  ses 
tournées  d'inspection  dans  sa  province  ou  dans  les 
autres.  Sans  s'inquiéter  si,  la  nuit  venue,  il  trouverait 
un  gîte,  il  partait  le  matin,  et  presque  toujours  couchait 
sous  le  ciel,  loin  de  toute  habitation  ;  le  lendemain,  il 
s'éveillait  aux  premiers  rayons  de  l'aurore  et  se  remet- 
tait en  route.  Tous  les  temps  lui  étaient  bons,  la  pluie  ou 
le  soleil,  la  grêle,  la  neige,  le  vent,  l'été  ou  l'hiver  ;  il 
était  insensible  pour  lui-même,  et  s'occupait  seulement 
de  son  compagnon.  Quand  ils  avaient  fait  ensemble 
sept  ou  huit  milles ,  c'était  lui  presque  toujours  qui 
allait  quêter  et  qui  préparait  la  nourriture.  Dans  les 
maisons  mondaines,  même  après  de  longues  routes,  il 
n'oubliait  jamais  de  lire  ses  matines  à  minuit,  et  il  s'im- 
posait les  mêmes  mortifications  que  s'il  eût  été  au  cou- 
vent. Enfin  les  pauvres  n'avaient  pas  au  monde  d'avocat 
plus  ardent  et  plus  infatigable,  et  le  seul  exemple 
de  sa  frugalité  extrême  suffisait  pour  inspirer  à  ses 
frères  le  désir  de  s'imposer  des  privations  au  profit  des 
malheureux. 

L'obéissance  n'était  pas  non  plus  la  moindre  de  ses 
vertus  religieuses,  et  il  en  donna  un  jour  une  preuve 
bien  frappante.  Un  frère  s'était  plaint  au  commissaire 
général  d'un  prétendu  abus  de  pouvoir  du  Père  Joseph, 
et  le  commissaire,  sans  examiner  l'affaire,  manda  tout 
d'abord  le  saint  homme  à  Tolède.  11  visitait  alors  les  cou- 
vents de  sa  province,  et  se  trouvait  à  plus  de  quarante 
lieues  de  la  ville  métropolitaine  quand  il  reçut  la  lettre 
de  son  supérieur.  Sans  hésiter  un  seul  moment,  sans 
même  achever  son  repas  commence,  il  partit,  marcha 


PÈRE  JOSEPH  DE  SA.INTE -MARIE.  345 

jour  et  nuit,  et  ne  s'arrêta  qu'à  Tolède.  Puis  il  courut 
chez  le  commissaire,  et  après  lui  avoir  demandé  sa  bé- 
nédiction, le  visage  prosterné  contre  terre,  sans  man- 
teau, comme  un  novice,  il  écouta  avec  une  humilité 
profonde  de  longs  reproches,  et,  les  yeux  pleins  de 
larmes,  il  reconnut  qu'il  était  indigne  de  la  charge  de 
provincial  et  que  ses  frères  avaient  mille  fois  raison  de 
se  plaindre  de  lui  ;  enfin  il  pria  le  commissaire  de  lui 
donner  immédiatement  un  successeur.  Ce  fut  au  supé- 
rieur à  s'excuser  à  son  tour  ;  car  cette  résignation  évan- 
gélique  l'avait  profondément  touché.  Il  releva  le  Père 
Joseph,  l'embrassa,  lui  demanda  pardon  de  ses  paroles 
trop  vives  et  trop  dures,  et  lui  déclara  qu'il  entendait  le 
maintenir  dans  sa  charge,  parce  que  personne  ne  la 
pouvait  remplir  aussi  saintement. 

Le  Père  Joseph  eut  avec  le  général  de  l'Ordre  une 
affaire  à  peu  près  semblable.  Il  avait  obtenu  du  pape  la 
permission  de  fonder  un  couvent  à  Séville,  et  il  y  tra- 
vaillait avec  ardeur,  quand  le  général  de  l'Ordre,  ému 
tout  à  coup  des  plaintes  des  Observantins,  le  manda  à 
Séville.  Le  Père  Joseph  obéit  sur-le-champ  et  écouta  à 
genoux,  le  visage  plein  de  larmes,  les  reproches  de  son 
supérieur,  sans  tenter  un  mot  pour  sa  justification.  Sur 
les  entrefaites,  on  vint  prévenir  le  général  que  l'heure 
de  sa  messe  avait  sonné  ;  il  partit  et  laissa  le  Père  seul 
dans  sa  cellule.  Quel  ne  fut  pas  son  étonnement,  à  son 
retour,  de  trouver  le  saint  homme  dans  la  même  posi- 
tion humble  et  repentante  ;  il  le  releva,  et  il  allait  sans 
doute  lui  pardonner  comme  on  fait  pour  un  coupable 
touché  de  sa  faute,  quand  le  bon  Père  lui  montra  le  bref 
du  pape.  Depuis  ce  moment,  le  général  eut  pour  le  bien- 


346  xv  juin. 

heureux  la  plus  grande  estime  ;  et  il  a  déclaré  souvent 
que,  de  tous  les  provinciaux  de  l'Ordre,  c'était  lui  qu'il 
estimait  le  plus. 

Les  prélats,  les  princes  de  l'Eglise,  le  pape  lui-même, 
avaient  pour  le  bienheureux  Père  Joseph  une  admiration 
et  un  respect  sans  bornes.  Ils  vénéraient  en  lui  un  élu 
du  Seigneur,  envoyé  sur  la  terre  pour  inspirer  aux 
hommes  l'amour  de  Dieu  et  leur  enseigner  la  pratique 
de  toutes  les  vertus.  Clément  VIII  songea  même  à  le  faire 
nommer  général  de  l'Ordre;  mais  quand  le  cardinal 
Mattei  vint  proposer  au  saint  homme  cette  dignité,  il  se 
heurta  à  une  humilité  si  profonde,  que  le  souverain  Pon- 
tife, à  son  grand  regret,  dut  renoncer  à  son  projet. 

Entre  autres  faveurs  que  le  Père  Joseph  reçut  du  ciel, 
il  faut  placer  au  premier  rang  l'esprit  de  prophétie  et  le 
don  de  seconde  vue.  Il  lisait  dans  les  cœurs  comme  dans 
un  livre  ouvert,  et  les  hommes  n'avaient  pas  de  secrets 
pour  lui.  Le  marquis  de  Villena,  autrefois  vice-roi  de 
Sicile  et  d'Espagne,  et  maintenant  ambassadeur  à  la  cour 
de  Rome,  l'attesta  à  plusieurs  reprises.  Il  avoua  même 
plus  d'une  fois  qu'il  n'aurait  pas  osé  se  présenter  au  saint 
homme,  s'il  n'eût  été  en  état  de  grâce.  11  avait  une  telle 
confiance  dans  l'efficacité  de  ses  prières,  qu'il  ne  crai- 
gnait pour  lui-même  ou  pour  ses  proches  aucun  danger, 
lorsqu'il  s'était  recommandé  au  bon  Père.  Il  prenait 
plaisir  à  passer  de  longues  heures  dans  sa  cellule  et  à 
s'entretenir  avec  lui  de  ses  intérêts  éternels.  C'est  ainsi 
qu'il  fut  souvent  le  témoin  involontaire  des  célestes 
jouissances  dont  Dieu  comblait  son  pieux  serviteur  ;  il  a 
raconté  à  de  hauts  personuages  de  l'Eglise  ou  de  l'Etat 
qu'il  avait  vu  le  Père  Joseph  enveloppé  d'une  lumière 


PÈRE  JOSEPH  DE  SAINTE-MARIE  347 

éblouissante,  soulevé  de  terre,  et  comme  s'il  allait  monter 
au  ciel  sur  les  ailes  de  l'amour  et  de  la  foi. 

On  attribue  aussi  au  Père  Joseph  des  cures  miracu- 
leuses. Le  même  marquis  de  Villena  tomba  un  jour  dans 
un  puits,  où  il  se  serait  infailliblement  noyé  sans  l'inter- 
vention aussi  efficace  qu'inattendue  du  saint  homme. 

Un  gentilhomme  de  la  cour,  atteint  d'une  maladie  de 
la  gorge,  que  les  médecins  avaient  déclarée  mortelle,  fut 
guéri  par  un  signe  de  croix  tracé  par  le  Père  Joseph  au- 
dessus  de  sa  tête. 

Comment  croire  qu'un  aussi  pieux  personnage,  aussi 
évidemment  comblé  de  toutes  les  bénédictions  du  ciel, 
ait  jamais  pu  se  voir  en  butte  à  de  mesquines  persécu- 
tions? C'est  cependant  ce  qui  arriva.  Vers  la  fin  de  sa  vie, 
un  ordre  inique  de  ses  supérieurs  l'arracha  tout  à  coup 
à  la  province  qu'il  dirigeait  et  l'enferma  dans  un  couvent 
inconnu,  où  on  le  mit  au  secret  le  plus  absolu,  avec 
défense  non-seulement  de  recevoir  ses  amis  dans  sa 
cellule,  mais  de  correspondre  par  lettres  avec  qui  que  ce 
soit.  Le  vénérable  religieux  supporta  cette  épreuve  avec 
une  résignation  admirable  qui  est  la  preuve  la  plus 
éclatante  de  sa  sainteté.  Ses  persécuteurs  eux-mêmes  en 
furent  confondus,  s'ils  n'en  furent  pas  désarmés  ;  leur 
rage  s'épuisa  contre  cette  inaltérable  patience.  Enfin  le 
roi  Philippe  II,  sur  le  rapport  d'un  dignitaire  de  l'Ordre, 
s'émut  de  cette  injustice  odieuse  et  donna  de  lui-même 
l'ordre  de  faire  sortir  le  Père  Joseph  de  sa  prison  et  de 
lui  rendre  avec  la  liberté  les  honneurs  dont  on  l'avait 
dépouillé.  Peu  de  temps  après,  le  pape  Clément  VII  con- 
firma par  une  bulle  la  décision  du  roi  d'Espagne. 

Revenu  dans  sa  province,  le  pieux  vieillard,  sans  avoir 


348  XV  JUIN. 

un  seul  instant  l'idée  de  se  venger  de  ses  persécuteurs, 
ne  songea  qu'à  vivre  selon  le  Seigneur,  dans  l'humilité 
du  cœur  et  la  paix  de  la  conscience,  jusqu'au  jour  où  il 
serait  appelé  devant  l'éternel  tribunal  de  son  Dieu.  Un 
accident,  dont  les  suites  devaient  le  mener  au  tombeau 
après  d'atroces  souffrances,  le  cloua  tout  à  coup  sur  un 
lit  de  douleurs.  Un  jour  qu'il  aidait  le  jardinier  à  émonder 
les  arbres  de  la  cour,  une  grosse  branche  lui  tomba  sur 
le .  pied  et  y  produisit  une  plaie  qui  ne  tarda  pas  à 
amener  la  gangrène.  On  brûla,  on  coupa  les  chairs 
atteintes,  sans  parvenir  à  arrêter  les  progrès  du  mal  ;  et 
quelque  temps  après  l'état  de  Joseph  était  désespéré. 
Quand  il  sentit  venir  la  mort,  au  milieu  de  douleurs  in- 
dicibles, il  trouva  dans  sa  piété  le  courage  de  souffrir  sans 
se  plaindre,  et  dans  l'espoir  de  la  vie  éternelle,  une  tran- 
quillité admirable.  11  reçut  les  derniers  Sacrements  avec 
un  calme  et  une  joie  ineffables,  au  milieu  des  larmes  de 
tous  ceux  qui  étaient  présents.  Enfin,  en  1605,  il  s'en- 
dormit dans  le  Seigneur,  au  couvent  de  Saint-Bernardin, 
à  Madrid.  Il  était  alors  âgé  de  soixante-dix  ans  ;  il  y  avait 
quarante  ans  qu'il  faisait  partie  de  l'Ordre  Séraphique. 

Longtemps  après  sa  mort,  au  grand  étonnement  des 
religieux  et  des  laïques  qui  assistaient  à  son  exhumation, 
on  trouva  ses  précieux  restes  dans  un  état  de  parfaite 
conservation.  C'était  une  nouvelle  preuve  des  complai- 
sances de  Dieu  pour  son  fidèle  serviteur  ;  il  plaisait  au 
Très-Haut  d'honorer  parmi  les  hommes  celui  qui  lui 
avait  consacré  toute  sa  vie  (1). 


(1)  Comme  on  ne  connaît  pas  au  juste  la  date  de  la  mort  du  Père  Joseph,  Bons 
avons  placé  sa  biographie  à  la  suite  de  celle  du  Père  Antoine  d'Avilj,  un  autre  pieux 
per^oi'iiape  de  la  même  province. 


FRÈRE  MARTIN  DE  BOURGOGNE,  ETC.  349 

Le  marquis  de  Villena,  l'ami  et  le  défenseur  du  Père 
Joseph,  obtint  la  faveur  insigne  de  conserver  la  tête  du 
saint  homme. 

[Chroniques  de  la  province  de  Saint-Joseph.) 


SEIZIEME    JOUR    DE    JUIN 


MARTIN  DE  BOURGOGNE  ET  AUTRES 


MARTYRS   EN    FRANCE 


1562.  —  Pape  :  Pie  IV.  —  Roi  de  France  :  Charles  IX. 


SOMMAIRE  :  Conduite  des  hérétiques  dans  la  province  de  Saint-Bonaventure.  — 
Mort  de  frère  Martin  de  Bourgogne.  —  Mort  de  François  Parodi  et  de  Claude 
Mocardet.  —  Martyre  de  Jean  Gibbosus,  de  Vincent  le  Fort,  etc.,  etc. 


C'est  par  la  province  de  Lyon  que  le  calvinisme,  sorti 
de  Genève,  commença  à  envahir  la  France.  Ses  premiers 
assauts  furent  terribles  :  les  servileurs  du  vrai  Dieu  chassés 
ou  massacrés,  les  couvents  saccagés,  les  églises  brûlées 
après  avoir  été  livrées  au  pillage,  tels  sont  les  faits  glo- 
rieux par  lesquels  se  signalèrent  d'abord  les  hérétiques. 
Les  Frères  Mineurs  de  cette  province,  que  l'on  appelait 
la  province  de  Saint-Bonaventure ,  s'enfuirent  et  se 
dispersèrenken  Bourgogne,  en  Lorraine,  en  Savoie,  en 
Dauphiné,  incertains  du  sort  qui  les  attendait,  résignés 
d'ailleurs  à  toutes  les  souffrances  et  prêts  à  endurer 
mille  morts  plutôt  que  de  renier  la  foi  du  Christ.  Sur 


350  XVI  JUIN. 

cinquante  couvents  que  comptait  la  province,  dix-sept 
furent  mis  à  feu  et  à  sang. 

Dans  ce  nombre  il  faut  ranger  le  couvent  de  la  petite 
ville  deSaint-Andéol,  sur  le  Rhône.  Les  hérétiques,  après 
en  avoir  exploré  en  vain  toutes  les  parties  pour  y  chercher 
les  religieux  qui  n'y  étaient  plus,  trouvèrent  couché  à 
l'infirmerie  le  frère  Martin  de  Bourgogne.  Tout  malade 
qu'il  était,  ils  n'en  eurent  aucune  pitié,  et,  en  haine  de  la 
foi  catholique,  ils  le  frappèrent  cruellement  et  le  brû- 
lèrent tout  vif,  le  46  juin  1562.  Mais  Dieu  sut  punir  les 
coupables.  La  même  année,  cette  même  ville  de  Saint- 
Andéol,  qui  avait  vu  le  crime,  vit  aussi  le  châtiment  : 
Victor  de  Combas  et  son  fils,  qui  commandaient  la  bande 
sacrilège,  périrent  de  malemort  sur  la  place,  au  milieu 
d'un  grand  concours  de  peuple. 

En  1562,  les  hérétiques  pénétrèrent  dans  l'île  de  Mont- 
réal, qui  faisait  partie  du  diocèse  de  Langres,  et  y  trou- 
vèrent deux  malheureux  religieux ,  le  Père  François 
Parodi  et  le  Père  Claude  Mocardet.  Ils  parcouraient  les 
villages  de  l'endroit,  pour  recueillir  des  aumônes,  quand 
ils  tombèrent  entre  les  mains  des  calvinistes.  On  leur 
cracha  au  visage,  on  leur  coupa  le  nez  et  les  oreilles  ; 
enfin  on  leur  lendit  la  tête  d'un  coup  de  hache,  sans  que 
ces  glorieux  martyrs  aient  hésité  un  moment  entre  leur 
vie  et  leur  foi. 

En  1563,  nous  retrouvons  les  hérétiques  dans  le 
Forez.  Ils  prennent  Mâcon ,  arrêtent  le  Père  Jean 
Gibbosus  (ou  le  Bossu),  gardien  du  couvent  de  cette  ville, 
et  après  l'avoir  horriblement  mutilé,  le  précipitent  dans 
la  Saône.  La  chronique  rapporte  qu'un  des  barbares, 
trouvant  que  le  saint  homme  ne  se  noyait  pas  assez 


FRÈRE  MARTIN  DE  BOURGOGNE,   ETC.  351 

rapidement,  lui  envoya  un  coup  d'arquebuse  ;  au  même 
instant  le  meurtrier  tombait  lui-même,  frappé  à  mort, 
par  un  miracle  de  la  justice  divine. 

Ailleurs,  dans  une  ville  dont  le  nom  n'a  pas  été  con- 
servé, c'est  le  Père  Vincent  le  Fort,  prédicateur  célèbre, 
qui  mérita  par  une  mort  courageuse  son  glorieux  sur- 
nom. Les  hérétiques  l'attachèrent,  vivant,  à  la  queue 
d'un  cheval  indompté  qui  dispersa  sur  les  pierres  du 
chemin  les  lambeaux  de  sa  chair.  Après  deux  heures 
d'une  course  furibonde,  le  cheval  s'arrêta  ;  les  héréti- 
ques accoururent,  et,  trouvant  le  religieux  encore  vivant, 
pour  prolonger  ses  souffrances,  ils  le  plongèrent  dans 
un  puits,  lavèrent  ses  plaies  et  le  laissèrent  étendu  sur 
la  place.  C'est  seulement  le  lendemain  qu'un  soldat,  ému 
de  pitié  à  la  vue  de  ce  pauvre  corps  sanglant,  mit  fin  à 
ses  souffrances  en  lui  fendant  la  tête  d'un  coup  de 
hallebarde. 

En  1571,  les  Huguenots  occupent  la  ville  de  Château- 
Villain,  font  prisonnier  le  gardien  du  couvent,  et  vont  le 
pendre  à  Tanlay,  avec  le  Père  Touilier,  qui  exerçait  dans 
cette  ville  la  même  dignité. 

Trois  prêtres  du  même  couvent,   envoyés  dans  des 

paroisses  voisines  pour  y  prêcher  le  sermon  du  dimanche, 

furent  rencontrés  en  route  par  une  bande  d'hérétiques. 

Ils  n'eurent  que  le  temps  de  se  jeter  à  genoux  et  de 

recommander  leur  âme  à  Dieu  ;  presque  aussitôt  tous 

trois  tombaient  frappés  sous  les  coups  des  ennemis  du 

Seigneur  (1). 

(Barezzo,  Gonzague,  Wadding.) 

(1)  Il  faudrait  citer,  à  côté  des  noms  do  ces  martyrs,  beaucoup  d'autres  glorieux 
Pères  qui  ont  donné  leur  vie  pour  leur  foi.  —  Meniion  en  est  faite  dans  les  autres 
volumes  du  Palmier  Séraphique. 


3o2  XVI  JUIN. 


MICHEL  DE  PEROUSE  ET  AUTRES 

RELIGIEUX   DES  PREMIERS  TEMPS  DE   L'ORDRE 

L'église  épiscopale  de  Vienne  possède  le  tombeau  d'un 
compagnon  de  saint  François,  qui  fut  envoyé  en  France 
par  le  fondateur  de  l'Ordre,  et  y  mourut  après  s'être 
rendu  célèbre  par  un  grand  nombre  de  miracles. 

Le  bienheureux  Père  Michel,  de  Pérouse,  repose  dans 
le  couvent  de  la  même  ville,  auprès  du  bienheureux 
Père  Drodo  ,  homme  d'une  grande  science  et  d'une 
piété  ardente,  qui,  en  1272,  fut  envoyé  en  France  par 
le  pape  Grégoire  X. 

Dans  le  même  couvent  encore,  on  trouve  les  précieux 
restes  du  bienheureux  Père  Guillaume,  héritier  de  l'es- 
prit des  prophètes,  dont  on  a  conservé  plusieurs  prédic- 
tions importantes. 

Le  couvent  d'Annonay  conserve  les  dépouilles  mor- 
telles d'un  autre  Père  Guillaume,  qui  ramena  miraculeu- 
sement au  port  un  vaisseau  battu  par  la  tempête,  privé 
de  ses  voiles  et  de  son  gouvernail. 

Enfin  le  couvent  du  Puy  s'honore  de  posséder  le 
tombeau  d'un  bienheureux  Antoine,  fut  fort  célèbre 
parmi  les  habitants  de  cette  ville  pour  la  sainteté  de  sa 
vie  et  les  miracles  qu'il  accomplit. 

(Barezzo.  Gonzague,  Waddin< 


LÉONARD  GALICIUS.  353 


DIX-SEPTIEME    JOUJl    DE    JUIN 

LE  BIENHEUREUX  LÉONARD  GALICIUS 

DU   TIERS   ORDRE 
1634,  —  Pape  :  Urbain  VIII.  —  Roi  de  France  :  Louis  XIII. 

SOMMAIRE  :  Vocation  de  Léonard  pour  la  vie  religieuse.  —  Dieu  semble  s'opposer 
à  son  désir  de  se  faire  frère  mineur.  —  Il  vit  selon  le  Seigneur  élans  sa  propre 
maison.  —  Sa  piété  et  sa  dévotion  à  Marie  —  Ses  amitiés.  —  Son  ardente  charité 
pour  les  âmes  du  purgatoire.  —  Il  fonde  la  confrérie  du  Miseremini.  —  Sa  mort. 

Léonard  Galicius  naquit  en  1572,  à  Palerme,  en  Sicile, 
d'une  famille  honorable  et  bien  connue  pour  sa  piété.  A 
l'âge  de  quatorze  ans,  l'exemple  de  saint  Benoît  de  San- 
Fradello,  qui  habitait  alors  un  couvent  situé  non  loin  de 
Palerme,  et  que  la  sainteté  de  sa  vie  et  ses  miracles 
avaient  rendu  célèbre,  le  décida  à  se  faire  religieux. 
Grâce  à  l'intervention  du  vénérable  Père,  Léonard  vit 
s'ouvrir  devant  lui  les  portes  du  couvent;  mais,  au  com- 
mencement de  son  noviciat ,  il  fut  saisi  d'un  mal  de 
gorge  très- violent.  A  peine  guéri,  il  tenta  la  même 
épreuve  ;  la  même  maladie  l'en  empêcha.  Cet  étrange 
accident  menaçant  de  se  renouveler  indéfiniment,  Léo- 
nard alla  s'en  plaindre  à  saint  Benoît,  qui  lui  conseilla  de 
demeurer  chez  lui  et  d'y  servir  Dieu  selon  ses  moyens  ; 
parce  que,  vraisemblablement,  Dieu  ne  l'avait  pas  des- 
tiné à  la  vie  religieuse.  Léonard  obéit,  mena  dans  sa 
propre  maison  une  conduite  austère  et  mérita  par  ses 
vertus  le  respect  et  l'admiration  des  boni  mes. 

Palm.  Séraph.  —  Tome  VI.  23 


« 


354  XVII  JUIN. 

Il  portait  un  vêtement  fait  d'une  étoffe  grossière  qui 
lui  déchirait  la  peau  et  l'empêchait,  la  nuit,  de  goûter 
aucun  repos.  Tous  les  jours  il  assistait  à  la  messe  avec 
recueillement;  il  se  confessait  et  s'approchait  de  la  sainte 
Table  le  plus  souvent  possible.  Les  lectures  qu'il  se  per- 
mettait étaient  choisies  avec  un  soin  scrupuleux  et  ne 
pouvaient  que  lui  inspirer  l'amour  de  Dieu  et  de  son 
prochain.  Il  parlait  avec  un  charme  indicible  de  Dieu, 
des  choses  du  ciel  et  des  bienfaits  de  l'Eglise  dans  le 
monde,  et  l'on  peut  dire  qu'il  exerçait  sur  les  âmes  des 
fidèles  plus  d'influence  que  les  prédicateurs  les  plus 
éloquents. 

Sa  dévotion  à  la  "Vierge  Marie  était  à  la  fois  ardente  et 
tendre,  comme  l'amour  d'un  fils  pour  sa  mère.  A  toute 
heure  du  jour,  pour  ainsi  dire  }  on  le  voyait  à  genoux 
devant  sa  sainte  image,  occupé  à  prier  avec  ferveur.  Il 
avait  reçu  du  Seigneur  le  précieux  don  de  l'extase,  et 
dans  les  heureux  moments  où  il  s'abandonnait  à  la  con- 
templation, il  lui  semblait  qu'il  vivait  par  avance  de  la 
vie  des  élus  et  qu'il  prenait  déjà  sa  part  de  l'éternelle 
félicité  des  Anges. 

Ce  saint  homme  eut  des  amis  pieux  et  comme  lui 
bénis  du  Seigneur.  L'abbé  Roch  Pirri,  docteur  en  théo- 
logie et  apôtre  infatigable,  lui  témoigna  toujours  une 
affection  plus  que  fraternelle  et  ne  lui  laissa  aucun 
repos  qu'il  ne  l'eût  décidé  à  venir  habiter  chez  lui 
et  à  se  pourvoir  dans  sa  propre  maison  de  tout  ce 
dont  ils  avaient  besoin.  Vers  la  même  époque,  un  gen- 
tilhomme des  environs  de  Palerme  prit  la  résolution  de 
se  séparer  du  monde  pour  vivre  tout  entier  à  Dieu  ;  il 
crut  ne  pouvoir  mieux  faire  que  de  s'attacher  Léonard 


LEONARD  GALICIUS.  3"j 

par  les  liens  d'une  indissoluble  amilié,  et  leurs  bons 
rapports  allèrent  se  resserrant  tous  les  jours  dans  la  pra- 
tique commune  des  mêmes  devoirs  et  les  mêmes  pieux 
exercices. 

De  toutes  les  vertus  du  bienheureux  Léonard,  la  plus 
éclatante,  celle  par  laquelle  il  est  le  plus  célèbre,  est 
sans  contredit  son  amour  pour  le  prochain.  11  fut  connu 
des  veuves,  des  orphelins,  des  pauvres  et  des  prison- 
niers. Tout  ce  qu'il  est  humainement  possible  de  faire 
pour  des  malheureux,  il  le  fit  :  il  pourvoyait  à  tous  leurs 
besoins,  à  ceux  de  l'âme  comme  à  ceux  du  corps,  aux 
besoins  physiques  comme  aux  besoins  moraux.  Il  leur 
portait  lui-même,  dans  leurs  misérables  demeures,   du 
pain,  de  la  viande,  du  miel,  du  via  ;  et  s'il  est  vrai  que 
la  façon  de  donner  vaut  mieux  que  ce  qu'on  donne,  on 
peut    dire   que   ses   aumônes   durent  être  agréables  à 
Dieu  ,  car  il  versait  tous  les  trésors  d'un  cœur  compa- 
tissant à  ceux  que  Jésus-Christ  appelait  ses  enfants  de 
prédilection.   11  quêtait  pour  eux,   et  les  aumônes  de 
toute  sorte  pleuvaient  dans  son  panier.  Toutes  les  per- 
sonnes riches  ou  aisées  se  faisaient  un  plaisir  de  l'aider 
dans  l'accomplissement  de  ses  bonnes  œuvres,  et  le  car- 
dinal-archevêque de  Païenne,  Joanito  Loria,  le  consi- 
dérait pour  ainsi  dire  comme  son  grand-aumônier. 

Le  chroniqueur  rapporte  tout  au  long  les  tentations  et 
les  persécutions  dont  Léonard  fut  l'objet  de  la  part  du 
démon,  dans  l'accomplissement  de  ses  devoirs  de  cha- 
rité ;  il  se  hâte  d'ajouter  que  le  démon  eut  toujours  le  des- 
sous dans  cette  lutte.  Ce  qui  nous  intéresse  davantage,  ce 
sont  les  résultats  immédiats  ou  indirects  des  bons  exemples 
donnés  par  frère  Léonard  :  non-seulement  pendant  sa 


356  XVII  JUIN. 

vie,  les  pauvres  de  Palerme  eurent  en  lui  une  seconde 
providence  ;  mais  encore  après  sa  mort,  en  mémoire  sans 
doute  de  sa  belle  conduite  et  pour  en  perpétuer  le  sou- 
venir, plusieurs  personnes  pieuses  continuèrent  sa  dette 
de  bienfaisance  et,  chaque  année,  le  jour  de  la  tête  de  la 
très-sainte  Vierge,  donnèrent  un  véritable  festin  à  tous 
les  malheureux  de  la  ville. 

Le  bienheureux  Léonard  eut  aussi  une  grande  dévotion 
et  une  piété  profonde  pour  les  âmes  du  purgatoire,  qu'il 
appelait  les  prisonnières  de  l'autre  monde.  Il  priait  pour 
elles  chaque  jour;  puis  bientôt,  trouvant  que  ce  n'était 
pas  assez  de  dévouement,  il  prit  conseil  de  son  confesseur, 
et  se  mit  à  faire  des  quêtes  dont  l'argent  était  destiné  à 
payer  des  messes  à  leur  intention.  Toutes  les  personnes 
pieuses  de  la  ville  voulurent  contribuer  à  cette  bonne 
œuvre  ;  il  accepta  leur  concours  et  jeta  ainsi  les  bases 
d'une  confrérie  dite  du  Miseremini  (c'est-à-dire  :  ayez 
pitié).  Le  lieu  de  réunion  des  confrères  fut  d'abord  l'église 
du  saint  apôtre  Matthieu,  et,  plus  tard,  cette  église  ayant 
été  attribuée  à  un  chapitre  de  religieuses,  on  en  éleva  une 
autre  qui  fut  spécialement  destinée  à  la  confrérie.  Tous 
les  jours,  de  minuit  à  midi,  on  y  disait  plus  de  cent 
messes  pour  les  âmes  du  purgatoire.  C'était  un  temple 
magnifique,  tout  en  marbre  noir;  à  chaque  pilier  étaient 
adossées  une  ou  plusieurs  statues  de  personnages  célè- 
bres dans  l'Eglise  par  la  sainteté  de  leur  vie,  leurs  bonnes 
œuvres  ou  leur  haute  dignité,  des  papes,  des  cardinaux, 
des  évêques,  des  empereurs,  des  rois,  des  généraux.  Ces 
statues,  toutes  en  marbre  blanc,  se  détachaient  sur  le 
fond  noir  de  l'édifice.  Les  confrères  reconnurent  Léonard 
Galieius  comme  fondateur,  et  placèrent  son  portrait  dans 


LÉONARD  GALICIDS.  357 

la  sacristie.  Plus  tard  le  pape  accorda  à  tous  les  autels  de 
l'église  des  privilèges  pour  chaque  jour  de  Tannée. 

Quelques  villes  de  Sicile  suivirent  l'exemple  de  la  ville 
de  Palerme,  et  fondèrent  des  confréries  destinées  à  se- 
courir les  pauvres,  les  orphelins,  et  à  prier  pour  les  âmes 
du  purgatoire. 

On  ne  s'étonnera  pas  qu'un  homme  aussi  saint  ait  été 
tenu  en  honneur  par  les  plus  grands  seigneurs  du  pays  ; 
le  marquis  de  Villena,  vice-roi,  le  cardinal  Doria,  arche- 
vêque de  Palerme,  des  princes  et  des  prélats,  se  faisaient 
gloire  d'être  de  ses  amis  et  venaient  presque  tous  les 
jours  lui  rendre  visite  dans  la  petite  maison  qu'il  habitait 
non  loin  du  couvent  des  Capucines. 

Frère  Léonard  vécut  ainsi  quarante  ans  dans  la  pra- 
tique de  la  plus  belle  des  vertus,  l'amour  du  prochain. 
C'est  en  1634  que  Dieu  trouva  bon  de  le  rappeler  à  lui.  Sa 
dernière  maladie  dura  huit  jours.  Il  reçut  pieusement 
les  Sacrements  des  mourants  et  expira  en  murmurant 
les  paroles  que  saint  Jean  prête  au  Sauveur  sur  sa  croix: 
«  Il  inclina  la  tête  et  rendit  l'esprit  ».  (17  juin).  Il  était 
âgé  de  soixante-deux  ans. 

Tous  les  habitants  de  la  ville  se  pressèrent  à  ses  funé- 
railles, et  durant  longtemps  on  vint  en  pèlerinage  à  son 
tombeau  comme  à  un  lieu  consacré.  Des  miracles  s'ac- 
complirent par  son  intercession. 

Son  corps,  enseveli  d'abord  dans  l'église  des  Capucines, 
fut  plus  tard  transporté  dans  le  tombeau  de  l'abbé 
Roch  Pirri,  selon  le  désir  que  ce  dernier  avait  manifesté 
à  son  lit  de  mort. 

[Chron.  'le  In  prov.  de  Sicile.) 


358  xvrn  JUIN. 

DIX-HUITIÈME    JOUR    DE    JUIN 

PÈRE  SÉBASTIEN  DE  SAINT-JOSEPH 

MARTYR 

1610.  —  Tape  :  Paul  V.  —  Roi  de  France  :  Louis  XUI. 


CHAPITRE  PREMIER. 

SOMMAIRE  :  Naissance  du  bienheureux  Sébastien.  —  Noblesse  de  sa  famille.  —  Sa 
jeunesse,  et  premiers  signes  qu'il  donne  de  sa  future  ^  erfection.  —  Ses  prédications 
à  ses  compagnons. — Sa  dévotion  à  la  sainte  Vierge  et  à  la  sainte  Eucharistie. —  Il 
a-.hève  ses  études  à  Salamanque  ;  il  entre  dans  l'Ordre  Séraphique. 

Le  Père  Sébastien  de  Saint-Joseph  est  l'un  des  plus 
ardents  apôtres  et  des  plus  courageux  martyrs  qui  soient 
sortis  de  la  province  réformée  par  saint  Pierre  d'Al- 
eantara. 

Il  était  né  à  Medina-del-Campo,en  Espagne,  de  parents 
nobles  et  riches.  Son  père,  Didace  de  Bénevent,  et  sa 
mère,  Isabelle  Sanchez,  tous  deux  de  haute  origine, 
étaient  en  même  temps  des  modèles  de  piété.  Ils  avaient 
une  profonde  dévotion  au  saint  martyr  Sébastien,  patron 
de  l'une  des  églises  de  la  "ville,  et  dont  on  célébrait 
chaque  année  ia  fête  avec  éclat,  et  lorsque  Dieu  leur  eut 
donné  un  fils,  en  l'année  1566,  ils  le  placèrent  sous 
l'invocation  du  saintdontilportale  nom.  L'enfant  devait 
avoir  avec  le  glorieux  martyr  une  autre  ressemblance 


PÈRE  SÉBASTIEN  DE  SAINT-JOSEPH.  359 

que  celle  du  nom,  il  était  destiné  à  mourir  comme  lui 
pour  sa  foi. 

Devenue  veuve  et  demeurée  seule  avec  son  fils,  la 
mère  de  Sébastien  n'eut  plus  qu'un  souci  :  l'élever  selon 
Dieu.  Les  heureux  résultats  des  soins  dont  elle  le  combla 
ne  tardèrent  pas  à  se  produire;  et,  tout  jeune  encore, 
l'enfant  annonçait  déjà  par  ses  signes  ce  qu'il  devait 
être  un  jour.  C'était  un  ange,  dit  le  chroniqueur, 
dans  toute  l'acception  du  mot,  une  belle  âme  dans  un 
beau  corps.  Il  avait  des  manières  douces  et  aimables,  une 
voix  caressante,  des  yeux  bleus  et  purs  comme  le  ciel 
d'Espagne.  Son  plus  grand  plaisir  était  de  faire  des 
autels,  de  dessiner  des  tètes  de  saints  ou  de  mettre  en 
ordre  les  ornements  de  l'église.  Il  réunissait  souvent  ses 
petits  compagnons,  et  montant  sur  un  banc  comme  un 
prédicateur  dans  sa  chaire,  il  les  exhortait  à  aller  en- 
seigner aux  Maures  les  vérités  de  la  foi.  Un  jour  il  tomba 
du  haut  de  son  banc  et  se  blessa  à  la  tête  assez  profon- 
démentpour  que  son  sang  coulât  :  «  Vois,  mère  »,  dit-il 
en  souriant  lorsqu'il  fut  de  retour  à  la  maison,  «j'ai 
«  déjà  donné  de  mon  sang  pour  la  conversion  des  infi- 
i  dèles  ».  Paroles  d'enfant,  prononcées  sans  doute  à  la 
légère,  mais  qui  n'annonçaient  que  trop  la  destinée  du 
pieux  Sébastien.  Si  sa  mère  vivait  encore  lorsqu'il 
mourut,  elle  dut  se  rappeler  ces  mots  prophétiques  de 
son  enfant  bien-aimé  et  adorer  les  volontés  du  Seigneur, 
(jui  prépare  de  si  loin  ce  qu'il  a  résolu  dans  son  infinie 
providence. 

Cependant  le  jeune  Sébastien  faisait  avec  succès  ses 
éludes  classiques  au  collège  des  Pères  Jésuites,  et  son 
intelligence,  comme  son  cœur,  se  développait  pour  la 


360  XVIII  JUIN- 

plus  grande  gloire  de  Dieu  et  raffermissement  de  la 
religion. 

Sébastien  manifesta  dès  cette  époque  une  ardente  dé- 
votion à  la  très-sainte  Vierge,  sous  l'invocation  de  qui  ii 
s'était  plus  particulièrement  placé.  Tous  les  jours  ii 
récitait  en  son  honneur  son  chapelet  avec  beaucoup  de 
piété,  à  genoux  devant  une  statue  ou  un  tableau  repré- 
sentant la  Mère  de  Dieu.  «  Il  me  semble  »,  disait-il, 
«  qu'on  donne  en  ma  présence  un  soufflet  à  ma  propre 
«  mère,  quand,  sans  courber  la  tète,  on  passe  devant  la 
«  sainte  Vierge  Marie  ». 

Il  ne  manquait  jamais  de  suivre  pieusement  le  prêtre 
qui  portait  aux  malades  le  très-saint  Sacrement  de  l'Eu- 
charistie ;  ou  bien,  si  par  hasard  il  lui  était  impossible 
d'accomplir  ce  devoir,  lorsqu'il  entendait  la  cloche  qui 
annonce  aux  fidèles  qu'une  àme  va  paraître  devant  le 
tribunal  de  Dieu,  il  se  mettait  à  genoux  et  récitait  un 
Salve,  Regina. 

Ces  pratiques  allumèrent  dans  !e  cœur  du  jeune 
Sébastien  un  ardent  amour  pour  son  Dieu,  en  même 
temps  qu'un  grand  désir  de  se  faire  religieux.  C'est 
surtout  à  la  lecture  des  lettres  des  Pères  Jésuites  racontant 
les  souffrances  et  les  persécutions  qu'ils  enduraient  au 
.Japon,  ou  la  mort  courageuse  de  quelqu'un  de  leurs 
frères,  qu'il  se  sentait  le  plus  entraîné  à  les  imiter  et  le 
plus  avide  de  mourir  comme  eux  pour  sa  foi.  Sa  mère,  le 
croyant  destiné  à  faire  un  jour  partie  de  la  Société  de 
Jésus,  l'envoya  à  Salamanque.  Il  y  acheva  ses  études,  y 
apprit  le  grec  et  l'hébreu  ;  en  même  temps  il  profitait  de 
ses  loisirs  pour  visiter  les  couvents  et  s'inspirer  des 
(-xemples  des  vénérables  religieux  qui  les  habitaient. 


PÈRE  SÉBASTIEN  DE  SAINT-JOSEPH.  361 

Tous  les  vendredis,  il  s'approchait  du  tribunal  de  la  péni- 
tence et  demeurait  ensuite  à  méditer  au  pied  de  l'autel  ; 
le  lendemain,  il  entendait  la  première  messe  et  recevait 
la  sainte  communion.  Quoique  très-riche  et  pouvant 
mener  la  joyeuse  vie  des  étudiants  nobles,  il  fuyait  au 
contraire  leur  compagnie  et  s'enfermait  dans  sa  chambre, 
en  face  de  ses  livres.  Son  argent  lui  servait  à  venir  en 
aide  à  quelques  familles  malheureuses.  Tout  le  monde 
s'accordait  à  faire  l'éloge  de  ses  heureuses  qualités  :  ar- 
deur au  travail,  modestie  inaltérable,  pureté  naïve  et 
inattaquable,  dévotion  sérieuse,  piété  sincère,  infatigable 
charité. 

Après  sept  ans  d'études,  arrivé  à  l'âge  de  dix-huit  ans, 
il  songea  à  mettre  à  exécution  le  projet  qu'il  avait  formé 
depuis  longtemps  de  se  faire  religieux.  Sa  famille,  en 
général,  y  était  conlraire,  et  sa  mère  paraissait  devoir 
s'en  affliger  beaucoup  ;  une  lutte  s'éleva,  dans  l'esprit  du 
jeune  homme,  entre  ses  affections  terrestres  et  des  aspi- 
rations plus  élevées.  Il  hésita  longtemps,  et  s'abandonna 
pour  ainsi  dire  à  la  décision  de  Dieu,  en  faisant  une 
confession  générale  de  ses  fautes  et  une  retraite  de  huit 
jours  chez  les  Pères  Jésuites.  Une  nuit  il  fut  réveillé  par 
les  cloches  des  Frères  Mineurs  de  la  ville,  qui  sonnaient 
les  matines.  Le  lendemain  le  même  phénomène  se 
renouvela  :  il  y  vit  une  manifestation  de  la  volonté  du 
Seigneur,  et,  pour  essayer  ses  forces,  dès  cette  seconde 
nuit  il  veilla,  fit  plusieurs  fois  nu-pieds  le  tour  de  sa 
chambre,  et  dormit  sur  le  plancher.  Quelque  temps 
après  il  disait  adieu  aux  Pères  Jésuites,  à  sa  mère  et 
à  ses  proches,  et  allait  recevoir  l'habit  de  l'Ordre  au 
cloître  de  Zamora ,  dans  la  province  de  Saint  •  Paul. 


362  xviii  juin. 

Cette  demeure  calme  et  paisible  parut  être  au  bien- 
heureux jeune  homme  un  autre  paradis  terrestre.  Il  y 
goûta  une  tranquillité  qu'il  n'avait  pas  encore  soupçonnée, 
et  y  respira  comme  un  céleste  parfum  de  béatitude  et  de 
sérénité.  Son  noviciat  fut  tel  qu'on  pouvait  l'espérer: 
une  suite  non  interrompue  de  prières,  d'austérités  et  de 
mortifications.  Il  fit  sa  profession  de  foi  l'année  môme  où 
le  pape  Sixte-Quint  lança  la  bulle  qui  réglait  les  con- 
ditions des  vœux  religieux.  Quoiqu'il  remplît  toutes  les 
conditions  voulues,  son  gardien,  iors  de  la  publicaiion 
de  la  bulle,  lui  déclara  que  les  portes  du  couvent  lui 
étaient  ouvertes  et  qu'il  pouvait,  si  bon  lui  semblait, 
rentrer  au  sein  de  sa  famille.  Sébastien  préféra,  sans 
hésiter,  consacrer  sa  vie  à  son  Dieu,  et  il  demeura  au 
couvent. 

CHAPITRE  IL 


SOMMAIRE  :  Progrès  du  Père  Sébastien  dans  les  voies  du  Seigneur.  —  Son  éloquence 
et  son  zèle  infatigable  pour  la  prédication.  —  Conversions  et  vocations  religieuses 
qu'il  provoque.  —  Ses  mortifications.  —  Ses  jeûnes. —  Sa  pauvreté.  —  Sa  douceur 
à  l'égard  de  ses  administrés,  —  Sa  charité  chrétienne  envers  les  malades. 


Jusqu'alors  Sébastien  avait  été  un  modèle  de  vertu;  il 
devint  un  modèle  de  sainteté.  Toutes  les  perfections 
que  les  plus  vieux  religieux  n'acquièrent  qu'à  force  de 
pénitences,  de  mortifications,  et  après  de  longs  et  pé- 
nibles essais,  il  les  posséda  presque  sans  effort  et  sans 
lutte  ;  elles  étaient  dans  sa  nature. 

Devenu  prêtre  et  prédicateur,  son  humilité  excessive 
lui  fut  d'abord  un  obstacle  et  fit  de  lui  pendant  quelque 
temps  un  parleur  sec  et  sans  onction  ;  mais  bientôt  il 
triompha  de  cette  fausse  honte,  plus  nuisible  encore  à 


PÈRE  SÉBASTIEN  DE  SA I3T- JOSEPH.  363 

son  prochain  qu'à  lui-même,  et  compta  au  rang  des  ora- 
teurs de  la  chair  les  plus  en  renom.  Infatigable  et  iné- 
puisable, parce  qu'il  avait  la  fécondité  qui  vient  de  la 
richesse  du  cœur,  il  prêchait  souvent  jusqu'à  trois  fois 
dans  la  même  journée,  courant  pour  ainsi  dire  d'un  vil- 
lage à  un  autre,  par  la  pluie,  la  neige,  les  mauvais  che- 
mins, et  sans  chaussures.  Aussi  se  déchirait-il  les  pieds 
aux  cailloux  et  aux  ronces  du  chemin,  et  quand,  en  le 
voyant  tout  sanglant,  on  le  reprenait  doucement  de  ne 
pas  prendre  garde  où  il  posait  ses  pas  :  «  C'est  que  vrai- 
«  ment  »,  répondait-il,  «j'ai  autre  chose  à  penser».  Il 
marchait,  absorbé  en  Dieu,  occupé  à  lire  des  psaumes 
ou  à  réciter  des  prières.  Tout  ce  qu'il  voyait,  chemin 
faisant,  tout  ce  qu'il  entendait,  le  chant  des  oiseaux,  le 
bruissement  du  vent  dans  les  arbres,  le  murmure  d'une 
source  voisine,  les  fleurs,  les  fruits,  lui  était  une  occasion 
d'élever  son  cœur  vers  son  Créateur.  Aux  personnes  qui 
voyageaient  avec  lui,  il  parlait  des  merveilles  de  la  na- 
ture, ou  bien  encore  il  racontait  les  vies  des  saints  et 
en  tirait  de  pieux  enseignements.  Quand  il  s'arrêtait  dans 
une  maison  pour  y  passer  la  nuit,  il  lui  arrivait  souvent 
de  prolonger  la  conversation  fort  avant  dans  la  soirée, 
et  de  tenir  sous  le  charme  de  sa  douce  éloquence,  non- 
seulement  ses  hôtes  eux-mêmes,  mais  les  voisins  accou- 
rus pour  l'entendre.  Il  visitait  quelquefois  les  couvents 
de  religieuses,  et  chacune  de  ses  visites  était  suivie 
d'un  sermon  toujours  écouté  avec  recueillement  et  avec 
fruit;  les  bonnes  sœurs  disaient  toujours  qu'elles  en 
étaient  sorties  plus  pieuses,  plus  dévouées  à  leur  Dieu, 
plus  fortes  contre  les  tentations  du  démon. 
On  ne  s'étonnera  pas  que  le  Père  Sébastien,  avec  son  zèle 


364  XVIII  JUIN. 

infatigable  et  sa  parole  persuasive,  ait  ramené  au  giron 
de  l'Eglise  bien  des  pécheurs  égarés,  et  même  décidé 
un  certain  nombre  de  personnes  mondaines  à  embrasser 
la  vie  religieuse.  C'est  l'heureux  fruit  de  ses  sermons,  où  se 
pressait  toujours  une  grande  foule  de  peuple,  non  qu'il 
cherchât  les  succès  faciles  des  orateurs  mondains,  mais 
parce  qu'il  ne  songeait  qu'au  bien  des  âmes  et  qu'il  avait 
déjà  la  réputation  d'un  saint. 

Au  milieu  des  travaux  d'un  apostolat  pénible,  on  apeine 
à  se  figurer  que  le  bienheureux  s'imposât  encore  des  mor- 
tifications, des  jeûnes  et  des  veilles.  Rien  n'est  plus  vrai 
cependant,  si  rien  n'est  moins  vraisemblable.  Durant 
l'Avent  tout  entier  et  les  sept  carêmes  de  Saint-François, 
il  ne  vivait  absolument  que  de  pain  et  d'eau  ;  encore 
choisissait-il  le  pain  le  plus  sec  et  le  plus  noir.  Quand  il 
mangeait  des  légumes,  il  les  saupoudrait  de  cendres.  La 
seule  soupe  qu'il  se  permettait  consistait  en  de  l'eau 
chaude  salée,  dans  laquelle  il  découpait  son  pain  ;  les 
fruits,  la  viande,  étaient  pour  lui  choses  inconnues. 

Il  ne  faudrait  pas  croire  qu'il  imposât,  lorsqu'il  était 
gardien,  les  mêmes  jeûnes  et  la  même  nourriture  à  ses 
religieux  ;  au  contraire,  il  avait  grand  soin  que  rien  ne 
leur  fît  défaut,  et  sous  prétexte  qu'ils  travaillaient  plus 
et  étaient  moins  forts  que  lui,  il  les  forçait  à  manger 
du  poisson  ou  de  la  viande  et  à  boire  du  vin. 

Le  bienheureux,  pour  se  reposer  de  ses  fatigues  du  jour, 
passait  la  nuit  sur  une  planche  mal  rabotée,  toute 
hérissée  de  nœuds  et  d'aspérités,  et  si  étroite,  qu'à  peine 
il  pouvait  y  placer  la  moitié  de  son  corps  ;  c'est  là  qu'il 
s'étendait,  et,  la  tête  sur  une  pierre  en  guise  d'oreiller,  il 
priait  ou  méditait  jusqu'à  ce  que  le  sommeil  fût  venut 


PÈRE  SÉBASTIEN  DE  SAINT-JOSEPH.  365 

11  avait  pour  vêtement  une  robe  sale,  déchirée,  toute  de 
pièces  et  de  morceaux,  et  si  mince  qu'elle  ne  pouvait  le 
garantir  du  froid. 

Toutes  les  nuits  il  se  fustigeait  jusqu'au  sang  à  coups 
de   discipline,  même  lorsqu'il  rentrait,  exténué,  de  ses 
courses  évangéliques.  A  minuit,  îl  se  levait,  se  mettait  à 
genoux  et  récitait  ses  prières  ;  et  jamais  il  ne  prit  pré- 
texte de  ses  fatigues  de  la  veille  ou  de  celles  qui  l'atten- 
daient le  lendemain,  pour  se  soustraire  àce  devoir.  Quand 
il  se  mettait  en  route,  aussitôt  hors  du  couvent,  il  laissait 
de  côté  sa  dignité  de  gardien,  et,  promettant  obéissance  à 
son  compagnon  comme  s'il  eût  été  son  supérieur,  il  ne 
faisait  rien  que  par  son  ordre  ou  avec  sa  permission. 
Toujours  très-humble  dans  ses  rapports  avec  ses  subor- 
donnés, très  doux  lorsqu'il  était  contraint  de  réprimander 
quelqu'un  d'entre  eux,  il  s'attachait  à  leur  rendre  facile 
et  agréable  la  vie  d'abnégation  qu'ils  avaient  embrassée.  Il 
ne  dédaignait  pas  de  prendre  sa  part  des  travaux  les  plus 
pénibles  et  même  les  plus  rebutants  ;  il  aidait  les  novices 
à  nettoyer  le  couvent,  et  son  plus  grand  bonheur  était 
de  pouvoir  soulager  ses  frères  et  leur  épargner  des  fa- 
tigues. 

Sa  charité  chrétienne  se  manifestait  encore  par  les 
soins  qu'il  donnait  aux  malades.  Il  venait  s'asseoir  à  leur 
chevet  et  savait  trouver  de  douces  paroles  d'encourage- 
ment et  d'espérance  qui  leur  rendaient  plus  supportables 
les  souffrances  qu'ils  enduraient.  Les  agonisants,  pressés 
dans  ses  bras,  expiraient  plus  paisiblement  ;  et  ces  de- 
voirs de  piété  qui  sont  pour  la  plupart  des  hommes  un 
sujet  d'effroi,  il  les  accomplissait  simplement,  sans  osten- 
tation, et  les  regardait  comme  les  premiers  devoirs  d'un 


360  XVIII  JUIN. 

gardien  vis-à-vis  de  ses  religieux,  d'un  supérieur  vis-à- 
vis  de  ses  subordonnés.  Il  faisait  mieux  encore,  il  lavait 
les  pieds  des  malades,  pansait  leurs  plaies,  préparait  les 
médicaments  dont  ils  avaient  besoin  avec  un  soin  et  une 
délicatesse  qu'eût  enviés  une  sœur  de  charité.  Dans  les 
hospices,  son  arrivée  était  saluée  avec  des  cris  de  joie, 
et  sa  seule  présence  semblait  rappeler  les  moribonds  à 
la  vie.  En  un  mot,  il  était  le  disciple  fidèle  de  celui  qui 
a  dit  :  «  Les  pauvres  et  les  malheureux  sont  mes  fils 
a  de  prédilection  », —  et  :  or  Aimez-vous  les  uns  les 
«  autres  » . 

CHAPITRE  III. 

SOMMAIRE  :  Le  Père  Sébastien  demande  en  vain  pendant  longtemps  l'autorisation 
d'aller  prêcher  la  vraie  foi  chez  les  infidèles. —  Son  départ  pour  le'  îles  Moluques. 
—  Sa  conduite  pendant  la  traversée.  —  Succès  de  ses  prédications  à  Ternate  et  ses 
rapports  avec  la  reine  de  l'île  Matéo.  —  Fureur  des  Maures,  et  manyre  du  Père 
Sébastien. 

Tout  en  se  prodiguant,  corps  et  âme,  pour  le  bien-être 
physique  et  moral  de  ceux  qui  l'entouraient,  le  Père  Sé- 
bastien était  obsédé  d'une  pensée  qui  le  poursuivait 
comme  un  remords  :  il  songeait  qu'il  y  a  par  le  monde 
des  malheureux  privés  des  secours  de  la  religion  chré- 
tienne, ne  la  connaissant  même  pas,  n'en  ayant  jamais 
entendu  parler,  et  il  se  reprochait  tous  les  jours  de  n'être 
pas  encore  au  milieu  d'eux,  pour  leur  montrer  et  leur 
ouvrir  les  voies  du  ciel. 

Il  n'avait  encore  prononcé  ses  vœux  que  depuis  deux 
ans,  lorsqu'une  première  fois  il  essaya  de  mettre  à  exé- 
cution ce  beau  projet.  Il  était  parti  sans  prendre  congé 
de  sa  mère  ni  de  ses  parents,  et  avait  déjà  atteint  Séville, 
d'où  il  espérait  se  diriger  vers  les  îles  Philippines  ;   tout 


PÈRE  SÉBASTIEN  DE  SAINT-JOSEPH.  307 

à  coup  survint  un  bref  du  nonce  apostolique,  qui  l'arrêta 
en  route  et  lui  donna  ordre  de  revenir  sur  ses  pas.  A 
deux  reprises  différentes,  il  tenta  la  même  entreprise  et 
rencontra  les  mêmes  obstacles  insurmontables  :  des 
ordres  de  ses  supérieurs,  obtenus  sans  doute  par  les 
larmes  de  sa  mère.  11  pria,  il  supplia,  il  écrivit  à  ses 
chefs  les  lettres  les  plus  éloquentes  :  tout  fut  inutile.  Ce- 
pendant il  avait  comme  un  pressentiment  secret  qu'il 
était  réservé  au  martyre  ;  un  jour  même,  une  pieuse 
fille  du  Tiers  Ordre,  Hélène  Martinez,  lui  annonça  qu'il 
mourrait  percé  des  flèches  des  infidèles.  A  Gandie,  une 
Clarisse  d'une  grande  sainteté  lui  confirma  cette  prédic- 
tion. Il  ne  s'agissait  que  de  prendre  patience,  il  s'y  rési- 
gna, non  sans  peine  :  a  Mon  Dieu,  mon  Dieu  »,  disait-il, 
«  quand  donc  mettrez-vous  à  exécution  vos  magnifiques 
a  promesses  ?  quand  pourrai~je  enfin  donner  mon  sang 
«  pour  votre  gloire  ?  » 

Enfin  l'heureux  jour,  si  longtemps  désiré,  arriva; 
cinquante  frères  mineurs  partirent  de  Cadix,  et  le  Père 
Sébastien,  dont  les  éminentes  qualités  étaient  depuis 
longtemps  reconnues,  fut  nommé  supérieur  et  directeur 
de  la  mission.  Son  humilité  protesta  vainement  ;  force 
lui  fut  d'accepter  cette  dignité.  Hâtons-nous  d'ajouter 
qu'il  ne  profita  pas  des  prérogatives  qui  y  étaient  atta- 
chées ;  sur  le  navire,  sa  conduite  ne  différait  en  rien  de 
celle  du  plus  humble  des  frères.  La  vie  des  mission- 
naires était  aussi  réglée  que  s'ils  eussent  été  dans  un 
couvent  ;  ils  se  levaient  à  minuit  pour  se  donner  la  dis- 
cipline et  méditer;  puis  on  chantait  matines,  et,  le  jour 
venu,  on  se  confessait  et  on  s'approchait  de  la  sainte 
table.  De  temps  en  temps  le  Père  Sébastien  faisait  une 


368  xvin  JUIN. 

lecture  pieuse,  qu'il  commentait  ensuite  avec  son  élo- 
quence ordinaire  ;  ou  bien  encore  il  assemblait  les  ma- 
telots et  les  hommes  de  l'équipage  sur  l'arrière  du  vais- 
seau, et  les  excitait  par  des  paroles  simples  et  touchantes 
à  aimer  le  Dieu  tout-puissant  et  tout  bon  qui  leur  avait 
donné  l'être. 

On  débarqua  à  la  Vera-Cruz,  puis,  en  passant  par 
Mexico,  on  arriva  à  Acapulco,  d'où  l'on  reprit  la  mer  par 
un  temps  détestable.  Pour  comble  de  malheur,  la  peste 
se  déclara  tout  à  coup  ;  plusieurs  matelots  et  huit  mission- 
naires périrent  victimes  du  fléau.  On  peut  croire  que, 
pendant  ces  jours  d'épreuves,  le  bienheureux  Père  Sé- 
bastien ne  ménagea  ni  ses  forces,  ni  sa  santé  ;  à  toute 
heure  du  jour  et  de  la  nuit,  on  le  trouvait  au  chevet  des 
malades,  les  consolant,  les  soignant,  les  confessant,  les 
préparant  à  bien  mourir.  Il  y  gagna  la  maladie;  mais 
heureusement  il  ne  tarda  pas  à  en  guérir  ;  et  peu 
de  temps  après  il  arrivait  à  Manille ,  terme  de  son 
voyage. 

Son  premier  soin  fut  d'apprendre  l'idiome  du  pays5  et 
le  Japonais,  qu'il  parla  bientôt  comme  sa  langue  mater- 
nelle. Ses  supérieurs,  qui  connaissaient  son  zèle  infati- 
gable, le  nommèrent  pasteur  des  Japonais  catholiques  de 
l'île  de  Manille.  Il  conserva  ce  titre  pendant  les  deux  an- 
nées qu'il  employa  à  l'instruction  des  Espagnols  de  la 
ville. 

Le  général  qui  commandait  à  Manille  retenait  depuis 
longtemps  en  captivité  le  roi  des  Moluques  et  cinq  autres 
princes  qui  avaient  régné  sur  des  îles  voisines.  Le  Père 
Sébastien  n'épargna  rien  pour  les  convertir  :  il  pria,  se 
mortifia,  les  entretint  durant  plusieurs  mois  des  vérités 


PÈRE  SÉBASTIEN  DE  SAINT- JOSEPH.  3G9 

de  notre  sainte  religion  et  des  erreurs  du  mahométisme. 
De  ces  princes,  cinq  abjurèrent  leur  culte  mensonger 
et  reçurent  le  baptême.  Le  roi  des  Moluques  seul  et  son 
fils  tinrent  bon ,  par  amour  des  plaisirs  sans  doute, 
beaucoup  plus  que  par  conviction  ;  ils  permirent  seu- 
lement au  Père  Sébastien  d'aller  prêcher  dans  leur 
royaume. 

Aussitôt,  avec  une  ardeur  indomptable,  le  pieux  mis- 
sionnaire apprend  le  moluque,  et,  avec  l'autorisation  de 
ses  supérieurs,  il  s'embarque  pour  Ternate,  la  plus 
grande  île  du  groupe,  avec  le  frère  Christophe  Ruyz  et 
quelques  soldats  commandés  par  un  colonel.  Deux  autres 
religieux,  partis  sur  un  second  navire,  le  Père  Jean  de 
Saint-Jérôme  et  le  frère  Antoine  de  Sainte-Anne,  furent 
pris  par  les  Hollandais  (1)  et  n'arrivèrent  que  plus  tard  à 
Ternate.  Aussitôt  rassemblés,  les  quatre  serviteurs  de 
Dieu  se  mirent  à  enseigner  à  ces  peuplades  idolâtres  la 
foi  catholique,  les  Pères  en  prêchant,  les  frères  en  don- 
nant l'exemple  de  tous  les  dévouements  et  de  toutes  les 
vertus.  Des  chrétiens  égarés  rentrèrent  au  bercail,  des 
infidèles  reçurent  le  baptême,  et  il  semblait  que  le  Père 
Sébastien,  heureux  au  milieu  de  son  peuple,  allait  se 
fixer  pour  jamais  à  Ternate,  quand  tout  à  coup  on  apprit 
qu'il  avait  résolu  de  partir  pour  Matéo. 

C'était  une  autre  île  du  même  archipel,  mais  habitée 
par  une  race  sauvage  et  indomptée,  non  encore  adoucie 
par  les  préceptes  de  l'E\angiIe.  Jamais  aucun  mission- 
naire n'y  avait  pénétré  ;  le  tenter,  c'était  s'exposer  à  une 
mort  presque  certaine.  Aussi  tous  les  amis  du  Père 
Sébastien  essayèrent-ils  de  le  détourner  d'une  aussi  péril- 
ci)  Voir  le  Palmier  Sérapkique,tova.  VI,  vingt-quatrième  jour  de  juiu. 

Palm.  Séraph.  —  Tome  VI.  24 


370  XVIII  JUIN. 

leuse  entreprise  ;  ils  le  conjurèrent  par  le  sang  du  Christ 
de  demeurer  au  milieu  d'eux,  de  ne  pas  les  abandonner 
pour  quelques  hérétiques  ;  mais  larmes  et  prières , 
tout  fut  inutile.  Le  Père  Sébastien  s'adjoignit  pour  com- 
pagnon le  frère  Antoine  de  Sainte-Anne,  dont  il  connaissait 
le  zèle,  l'ardeur  pour  la  propagation  de  la  foi,  la  soif 
pour  le  martyre  ;  puis  il  s'embarqua  avec  quelques 
catholiques  indiens  et  cinq  marchands  portugais. 

Tout  d'abord  les  missionnaires  furent  favorablement 
accueillis  de  la  reine  et  des  habitants  du  pays.  La 
princesse  leur  raconta  qu'elle  avait  conservé  longtemps 
auprès  d'elle  un  prêtre  catholique,  dont  les  entretiens 
l'avaient  favorablement  disposée  envers  les  adorateurs  du 
Christ  et  préparée  même  à  recevoir  le  baptême.  Grande 
fut  la  joie  et  la  surprise  du  Père  Sébastien  ;  il  distribua 
des  crucifix  et  des  rosaires  aux  personnages  les  plus 
influents,  et  prêcha  chaque  fois  qu'il  en  trouva  l'occasion. 
Tous  les  soirs,  il  revenait  au  vaisseau,  où  il  passait  la  nuit 
en  prières,  demandant  à  Dieu  qu'il  lui  accordât  la  grâce 
de  mener  à  bonne  fin  une  aussi  noble  et  si  pieuse 
entreprise. 

Cependant,  il  y  avait  près  de  la  reine  des  gens  qui 
voyaient  d'un  mauvais  œil  l'influence  toujours  croissante 
des  missionnaires.  Un  Maure  de  l'île  de  Tagolanda,  qui 
disposait  d'un  certain  nombre  de  soldats,  résolut  de  se 
débarrasser  des  saints  prêtres  par  tous  les  moyens 
possibles  ,  dût-il  employer  la  ruse  et  l'assassinat.  Il 
s'insinua  dans  les  bonnes  grâces  du  Père  Sébastien  à  force 
de  mensonge  et  de  perfidie,  et  fit  si  bien  qu'il  Se  décida  à 
venir  visiter  avec  lui  l'île  de  Tagolanda.  A  peine  les  trop 
confiants  missionnaires  étaient-ils  débarqués  qu'ils  furent 


PÈRE  JEAN  L'AMI.  371 

assaillis  à  coups  de  pierres  et  de  flèches  par  une  populace 
furieuse  ;  les  chrétiens  indiens  qui  avaient  voulu  les 
accompagner  eurent  le  même  sort.  Puis  les  saintes 
victimes,  après  avoir  été  outragées  de  la  façon  la  plus 
grossière,  furent  décapitées,  et  leurs  têtes  promenées 
dans  la  ville  sur  des  piques.  Le  Père  Sébastien  était 
âgé  de  quarante-deux  ans.  (18  juin  1610.) 

Dieu  témoigna  par  d'éclatants  miracles  combien  lui 
avait  été  agréable  le  dévouement  de  son  serviteur.  Le 
corps  du  bienheureux,  attaché  à  de  lourdes  pierres  et  jeté 
à  la  mer,  flotta  sur  les  vagues  et  put  être  recueilli  par  ses 
amis  ;  et  pendant  plusieurs  nuits  de  suite  on  vit,  à  la  place 
même  où  il  avait  succombé,  se  dresser  une  croix  lu- 
mineuse. Ces  prodiges  décidèrent  beaucoup  d'infidèles  à 
embrasser  la  religion  catholique. 

Quelque  temps  après,  pour  honorer  la  mémoire  du 
courageux  martyr,  le  pape  ordonna  des  processions  en 
son  honneur,  et  lit  faire  une  enquête  sur  sa  vie  et  ses  mi- 
racles. 

(Chroniques  de  la  province  de  Saint-Joseph.) 


PERE  JEAN  L'AMI,  DE  LOUYAIN 

MARTYR 

1569.  —  Pape  :  Saint  Pie  V.  —  Roi  de  France  :  Charles  IX. 

Le  Père  Jean  l'Ami,  de  Louvain,  est  le  premier  martyr 
de  la  province  de  Brabant.  C'était  un  prédicateur  émi- 
nent  et  intrépide,  et  dont  les  grandes  qualités  et  le  cou- 
rage apostolique  excitèrent  la  rage  des  Gueux.  Il  tomba 


372  XVIII  JUIN. 

entre  les  mains  de  ces  hérétiques  non  loin  de  Berg-op- 
Zoora,  et  en  fut  si  cruellement  maltraité,  qu'il  mourut 
de  ses  blessures  à  Louvain,  peu  de  jours  après  (18  juin 

1569). 

(Sedulids.) 


PERE  GUILLAUME  SERVASERE 

MARTTR 

1560.  —  Pape  :  Pie  IV.  —  Roi  de  France  :  François  II. 

Le  Père  Guillaume  Servasère  fut  une  autre  victime  de 
la  rage  des  Huguenots.  Il  était  vicaire  du  couvent  de 
Valon,  dans  la  province  de  Paris,  prédicateur  éloquent 
d'ailleurs,  et  ne  laissant  jamais  échapper  l'occasion  de 
combattre  l'invasion  de  l'hérésie.  Les  protestants,  furieux, 
mirent  sa  tête  à  prix,  le  saisirent  par  surprise,  et,  après 
l'avoir  assommé  à  coups  de  bâton ,  lui  tailladèrent  le 
corps  avec  des  couteaux  et  des  poignards,  jusqu'à  ce  que 
sa  belle  âme  se  fût  envolée  au  ciel,  au  milieu  du  chœur 
des  martyrs. 

(GONZAGUE.) 


FRÈRE  MICHEL  DES  ANGES.  373 

FRÈRE  MICHEL  DES  ANGES 

ERMITE,    DU   TIERS   ORDRE 

1628.  —  Pape  :  Urbain  VIII.  —  Roi  d'Espagne  :  Philippe  IV. 

SOMMAIRE  :  Frère  Michel  se  consacre  d'abord  au  soin  des  malades,  puis  se 
retire  dans  une  solitude.  —  Son  austérité  et  ses  mortifications.  —  Ses  jeûnes 
excessifs.  —  Sa  piété.  —  Ses  extases  et  ses  visions.  —  Ses  luttes  contre  le  malin 
esprit.  —  Sa  mort  et  ses  funérailles. 

Ce  pieux  serviteur  de  Dieu  naquit  en  Espagne,  dans  la 
petite  ville  andalouse  de  Canete-la-Real.  Il  perdit  ses  pa- 
rents de  bonne  heure  et  fut  élevé  par  la  charité  publi- 
que. On  avait  voulu  faire  de  lui  un  charpentier  ;  mais, 
même  dans  cette  humble  condition  ,  les  dangers  du 
inonde  l'effrayèrent,  et  tout  à  coup,  sans  prévenir  per- 
sonne, il  quitta  son  pays  natal  et  s'en  fut  à  Lerena,  se 
consacrer  dans  un  hôpital  au  service  des  malades.  II  n'y 
resta  pas  longtemps  ;  il  s'y  trouvait  encore  trop  en  con- 
tact avec  les  hommes.  Pour  en  vivre  aussi  séparé  que 
possible,  seul  avec  Dieu,  il  se  relira  d'abord  sur  les 
monts  Guadalupe;  puis,  désireux  d'avoir  un  maître 
qui  le  dirigeât  dans  les  voies  de  la  perfection,  il  vint 
habiter,  avec  un  vénérable  ermite,  tout  près  d'une  cha- 
pelle consacrée  à  Notre-Dame,  au  milieu  des  montagnes 
rocheuses  de  Plaisance.  Cependant  ce  n'est  pas  encore 
là  qu'il  devait  fixer  son  séjour  :  il  découvrit,  non  loin  du 
couvent  de  Roblcd.illo,  une  solitude  qui  avait  autrefois 
servi  de  refuge  à  un  pieux  serviteur  de  Dieu,  ennemi  du 
inonde  comme  lui,  et  d'où  l'on  pouvait  facilement  se 


374  XVIII  JUIN. 

rendre  à  l'église  du  couvent  pour  accomplir  ses  devoirs  de 
chrétien,  se  confesser  et  s'approcher  de  la  sainte  table.  Il 
prit  donc  congé  de  son  compagnon  d'ermitage,  et  de- 
manda aux  bons  religieux  la  permission  de  s'établir  sur 
le  plateau  désert  de  Robledillo. 

Grande  fut  sa  joie  quand  il  se  vit  enfin  libre  de  ne  plus 
penser  qu'à  son  Dieu.  Il  se  construisit,  avec  des  branches 
d'arbres  et  des  feuillages,  une  petite  hutte  où  il  devait 
mourir.  Bientôt  après,  sur  l'avis  de  son  confesseur,  il 
prit  l'habit  du  Tiers  Ordre  et  le  nom  de  frère  Michel  des 
Anges.  On  ne  sut  jamais  rien  de  sa  famille,  ni  de  la  vie 
qu'il  avait  menée  par  le  passé  ;  mais  le  sourire  perpétuel 
qui  éclairait  sa  figure,  sa  bonne  mine,  son  franc  re- 
gard, sa  voix  douce  comme  celle  d'un  enfant,  lui  atti- 
rèrent bientôt  l'estime  et  l'affection  des  religieux  de 
Robledillo. 

Il  possédait,  d'ailleurs,  au  suprême  degré  toutes  les 
qualités  qui  font  le  parfait  religieux  :  l'esprit  d'humilité 
et  d'obéissance,  l'esprit  d'austérité  et  de  mortification. 
Son  vêtement  de  religieux  du  Tiers  Ordre,  serré  à  la 
taille  par  une  grosse  corde,  cachait  une  haire  qu'il  ne 
quittait  jamais.  Il  s'exposait  tête  nue,  la  poitrine  et  les 
bras  découverts,  aux  froids  les  plus  rigoureux  ;  et  on  le 
vit  souvent,  en  hiver,  venir  assister  à  la  messe  du  cou- 
vent avec  une  sorte  de  sac  sans  manches  pour  tout  man- 
teau.  Durant  les  sept  premières  années  qu'il  passa  dans 
sa  solitude,  il  ne  mangea  que  Tes  dimanches,  les  mardis 
et  les  jeudis  ;  et  encore  sa  nourriture  se  composait-elle 
exclusivement  d'un  morceau  de  pain,  d'un  peu  de  soupe 
et  de  quelques  légumes  que  lui  donnait  le  frère  portier 
du  couvent.  Plus  tard  le  provincial  lui  donna  l'ordre  de 


FRÈRE  MICHEL  DES  ANGES.  375 

venir  partager  tous  les  jours  le  dîner  des  religieux  au 
réfectoire. 

Chaque  jour  il  se  donnait  la  discipline  à  deux  reprises 
différentes,  et  pendant  une  demi-heure  chaque  fois.  Son 
lit  était  une  planche  ;  son  oreiller,  une  grosse  pierre  ;  il 
dormait  à  peine  deux  heures  par  nuit.  En  été,  il  s'expo- 
sait ,  le  corps  ensanglanté  ,  aux  rayons  brûlants  du 
soleil;  et  les  moucherons,  en  se  posant  sur  ses  plaies, 
lui  causaient  d'atroces  souffrances.  Il  s'imposait  réguliè- 
rement un  travail  manuel  très-fatigant,  préparait  du 
bois  pour  les  besoins  du  couvent,  nettoyait  la  cour  et 
soignait  le  jardin,  fabriquait  des  armoires,  des  portes  et 
des  fenêtres,  des  grillages  pour  le  choeur  et  pour  les 
confessionnaux. 

Sa  piété  était  exemplaire.  Après  la  messe  du  matin, 
il  s'approchait  du  tribunal  de  la  pénitence  et  coramur 
niait  avec  ferveur  toutes  les  fois  que  son  confesseur  lui 
en  donnait  l'autorisation  ;  et  alors,  le  cœur  plein  de 
reconnaissance  et  d'amour,  il  restait  au  pied  de  l'autel, 
absorbé  dans  une  contemplation  profonde  jusqu'à  la 
grand'messe.  Le  repas  de  midi  terminé,  il  retournait  à  la 
chapelle  et  y  demeurait  jusqu'après  les  vêpres.  Il  avait 
coutume  de  prier,  les  bras  étendus,  ou  bien  encore 
debout  sur  un  fût  de  colonne,  les  yeux  levés  au  ciel, 
un  pied  en  l'air,  comme  s'il  allait  prendre  son  essor. 

La  nuit,  son  plus  grand  bonheur,  lorsqu'il  avait  pris 
le  court  repos  qui  lui  était  indispensable,  était  de 
sortir  de  sa  hutte  et  d'admirer,  dans  les  splendeurs  du 
ciel  étoile,  la  magnificence  et  la  bonté  du  Créateur. 
C'est  alors  qu'il  ressentait  surtout  les  effets  des  complai- 
sances de  son  Dieu.  Abîmé  dans  une  extase  infinie,  il 


376  XVIII  JUIN. 

voyait  avec  les  yeux  de  la  foi  et  de  l'amour  le  Sauveur 
Jésus,  porté  dans  les  bras  de  sa  très-sainte  Mère,  lui  ten- 
dre ses  petites  mains  divines  et  l'appeler  à  lui  en  quel- 
que sorte  par  ses  sourires  célestes.  Le  voile  qui  cache  les 
merveilles  du  paradis  se  déchirait  pour  lui,  et  il  se  mê- 
lait aux  chœurs  des  bienheureux  célébrant  autour  du 
trône  du  Très-Haut  sa  gloire  et  sa  toute- puissance. 

Le  bonheur  du  saint  ermite  ne  fut  troublé,  pour  ainsi 
dire,  que  par  un  seul  souci  :  il  avait  voulu  fuir  la  société 
des  hommes,  et  les  hommes  venaient  à  lui,  attirés  par 
l'irrésistible  aimant  de  sa  piété  et  de  sa  vertu.  Il  ne  fut 
pas  non  plus  toujours  à  l'abri  des  tentations  de  l'esprit 
malin  ;  quelque  chose  aurait  manqué  à  sa  perfection  si, 
comme  l'or  qu'on  éprouve  par  le  feu,  il  n'avait  pas  été 
éprouvé  par  les  souffrances  du  corps  et  de  l'esprit. 
Hâtons-nous  d'ajouter  qu'il  sortait  toujours  victorieux 
de  chaque  nouvel  assaut,  et  que  sa  confiance  en  Dieu 
s'affermissait  de  plus  en  plus,  à  mesure  que  les  attaques 
du  démon  devenaient  plus  furieuses  et  plus  redou- 
tables. 

Quelques  gentilshommes  de  Ciudad-Rodrigo  avaient 
témoigné  le  désir  de  le  voir  assister  à  la  procession  solen- 
nelle instituée  par  la  confrérie  de  Saint-Antoine  de 
Padoue.  Frère  Michel  y  accéda  de  grand  cœur  ;  et  non- 
seulement  il  se  mêla  au  cortège,  mais  encore  il  voulut 
porter  la  statue  du  saint  le  jour  de  sa  fête.  La  procession 
était  à  peine  terminée,  qu'il  se  sentit  pris  d'un  violent  mal 
de  tête,  en  même  temps  qu'une  fièvre  brûlante  lui  des- 
séchait la  gorge  et  le  faisait  frisonner  des  pieds  à  la  tête. 
Les  médecins,  appelés  en  toute  hâte,  s'accordèrent  tous 
pour  déclarer  que  la  maladie  était  sans  remède.  Un  grand 


FRÈRE  MICHEL  DES  ANGES.  377 

d'Espagne,  Félix  de  Silva,  eut  l'honneur  de  soigner  le  bien- 
heureux dans  sa  maison  pendant  les  quelques  moments 
qu'il  vécut  encore.  Comme  on  voulait  le  transporter  sur 
un  lit,  pour  lui  procurer  tout  le  soulagement  possible, 
le  saint  frère  s'y  refusa  ;  il  ne  lui  convenait  pas  de 
mourir  mollement,  après  avoir  mené  une  vie  si  dure  et 
si  austère,  et  il  demanda  qu'on  le  laissât  expirer  sur  sa 
chaise.  Il  trouva  dans  son  courage  assez  de  force  pour  se 
confesser  à  haute  voix  ;  puis  il  reçut  le  sacrement  de  la 
Communion  et  l'Extrême-Onction  avec  une  piété  si  tou- 
chante que  les  assistants  ne  pouvaient  retenir  leurs 
larmes. 

Enfin,  après  s'être  recueilli  quelques  instants,  il  ap- 
pela auprès  de  lui  Monsieur  de  Silva,  et  le  pria  de  faire 
prendre  après  sa  mort,  dans  sa  hutte,  sous  une  pierre,  un 
écrit  fermé  par  trois  cachets,  et  d'en  donner  connais- 
sance aux  personnes  qui  s'intéressaient  à  lui.  Peu  de  mi- 
nutes plus  tard,  ses  forces  s'affaiblirent  rapidement  ;  on 
le  transporta  sur  un  lit  sans  même  qu'il  parût  s'en 
apercevoir.  Bientôl  sa  tête  s'affaissa  sur  l'oreiller,  et  il 
passa  tout  doucement  dans  la  vie  éternelle,  le  18  juin 
de  l'année  1628. 

Les  seigneurs  de  Ciudad-Rodrigo  ambitionnaient  l'hon- 
neur de  conserver  dans  leur  église  paroissiale  les  pré- 
cieux restes  du  saint  ermite  ;  mais  Monsieur  de  Silva, 
selon  les  dernières  volontés  de  frère  Michel,  le  fit  inhu- 
mer dans  l'église  du  couvent  des  Clarisses. 

L'écrit  que  l'on  trouva  dans  la  hutte  contenait  des 
révélations  sur  la  famille  et  la  patrie  du  bienheureux  : 
lecture  publique  en  fut  donnée  par  les  soins  de  Félix  de 

Silva.  (C/trutt,  de  la  prov.  de  Suint-Gubriel .) 


378  XIX  JUIN. 

DIX-NEUVIÈME    JOUR    DE    JUIN 

LA  BIENHEUREUSE  MICHELINE 

VEUVE,    DU   TIERS   ORDRE 

1356.  —  Pape  :  Innocent  VI.  —  Roi  de  France  :  Jean  II,  dit  le  Bon. 


SOMMAIRE  :  Noble  origine  de  la  bienheureuse  Micheline.  —  Son  mariage.  —  Pre- 
mières années  de  son  veuvage. —  Heureuse  influence  sur  la  jeune  veuve  d'une  sainte 
femme  nommée  Syra.  —  Sa  conversion.  —  Elle  donne  aux  pauvres  toutes  ses 
richesses  et  prend  le  voile  du  Tiers  Ordre.  —  Epreuves  qu'elle  a  à  subir.  —  Son 
pèlerinage  à  Jérusalem.  —  Sa  mort  et  ses  miracles.  —  Ses  funérailles  et  sa  béatifi- 
cation. 


La  bienheureuse  Micheline  naquit  de  parents  nobles  et 
riches,  à  Pesaro,  dans  les  Marches,  en  Italie.  Sa  jeunesse 
fut  toute  mondaine.  Elle  n'était  âgée  que  de  douze  ans 
quand  on  la  maria  au  seigneur  de  Rimini,  gentilhomme 
d'une  grande  famille,  allié  par  le  sang  aux  princes  des 
Malatesta.  Huit  ans  plus  tard,  la  mort  de  son  époux  la 
laissa  veuve  et  mère  d'un  jeune  enfant. 

Sur  ces  entrefaites  arriva  à  Pesaro  une  sainte  femme 
qu'on  appelait  Syra,  ou  la  Syrienne,  par  allusion  peut-être 
à  son  origine  asiatique,  et  qui  faisait  partie  du  Tiers  Ordre 
de  Saint-François.  Quelques  savants  et  pieux  personnages 
ont  cru  pouvoir  affirmer  que  cette  Syra  était,  non  pas 
une  femme,  mais  un  Ange  envoyé  du  ciel  sous  une  forme 
humaine,  pour  arracher  la  bienheureuse  Micheline  du 
milieu  des  dangers  du  monde,  où  elle  menaçait  de  suc- 
comber, depuis  que  son  mari  n'était  plus  auprès  d'elle 
pour  la  diriger  et  la  soutenir.  Quoi  qu'il  en  soit  de  cette 


LA  BIENHEUREUSE  MICHELINE.  379 

supposition,  voici  ce  qu'on  connaît  des  rapports  de  Syra 
et  de  Micheline.  La  Syrienne  mendiait  son  pain  de  porte 
en  porte,  et  vivait  dans  une  petite  maison  où  on  l'héber- 
geait par  charité.  Toutes  les  nuits,  on  la  voyait  plongée 
dans  l'extase,  souvent  enveloppée  dans  un  tourbillon  de 
lumière.  Le  jour,  elle  s'occupait  d'œuvres  pies.  Miche- 
line, chez  qui  Syra  venait  fréquemment  quêter  pour  elle- 
même  et  pour  les  pauvres  de  la  ville,  se  prit  d'affection 
pour  cette  dernière  et  la  pria,  timidement  et  même  avec 
crainte,  d'accepter  une  chambre  dans  son  palais.  Elle 
redoutait  un  refus,  trop  motivé  sans  doute  par  sa  vie 
bruyante  et  mondaine  :  la  Syrienne,  à  son  grand  étonne- 
ment,  accepta  sa'ns  hésitation.  La  noble  veuve  fut  alors, 
pendant  plusieurs  mois,  le  témoin  d'un  spectacle  extra- 
ordinaire. Au  milieu  des  fêtes,  des  bals,  des  concerts,  la 
Syrienne,  enfermée  dans  sa  chambre,  priait  jour  et  nuit  : 
tantôt  à  genoux  et  le  visage  prosterné  contre  terre  ;  le 
plus  souvent  soulevée  par  une  force  invisible  et  sus- 
pendue en  l'air,  les  bras  étendus  en  croix ,  les  yeux 
brillants  d'un  éclat  surnaturel.  Elle  demandait  à  Dieu 
avec  ardeur  de  convertir  la  pécheresse  qui  lui  donnait  le 
pain  et  le  vin,  et  de  conduire  sa  barque  loin  des  écueils 
contre  lesquels  elle  allait  infailliblement  se  briser. 

La  lutte  fut  longue  entre  l'esprit  de  ténèbres  et  les 
effets  de  la  grâce.  Ce  fut  la  grâce  qui  triompha.  Micheline 
aimait  éperdument  son  fils,  et  pour  lui  assurer  le  salut 
éternel,  elle  eût  donné  son  âme  :  «  Mon  Dieu  »,  disait- 
elle  souvent,  «  que  je  sois  sûre  de  retrouver  mon  enfant 
«  auprès  de  vous  ,  et  je  renonce  aux  vanités  de  ce 
«  monde  !  »  Dieu,  dans  son  infinie  bonté,  daigna  ré- 
pondre à  ce  cri  de   l'amour  maternel.   Un  jour  que 


380  XIX  JUIN. 

Micheline ,  accompagnée  de  Syra  ,  était  allée  prier  à 
l'église  devant  un  tableau  représentant  l'enfant  Jésus, 
elle  entendit  une  voix  qui  lui  disait  :  a  Votre  fils  sera  assis 
«  à  ma  droite  ;  je  l'appellerai  mon  frère,  et  à  vous- 
a  même  je  donnerai  le  nom  de  mère  :  allez  en  paix  » . 

Ces  seules  paroles  produisirent  dans  l'âme  de  la  belle 
veuve  un  changement  complet.  Elle  revint  à  la  maison, 
le  cœur  rempli  d'une  joie  céleste  qui,  hélas  !  devait  bientôt 
se  changer  en  une  douleur  profonde.  Son  enfant  se  mou- 
rait ;  elle  eut  à  peine  le  temps  de  recueillir  son  dernier 
souffle  et  d'imprimer  sur  ses  lèvres  un  dernier  baiser  ; 
mais  au  même  instant  une  lumière  éblouissante  emplis- 
sait la  chambre,  et  deux  Anges  éclatants  de  blancheur 
recueillaient  la  jeune  âme  et  la  portaient  sur  leurs  ailes 
de  feu  jusqu'au  pied  du  trône  de  Dieu.  Le  Seigneur  avait 
tenu  sa  parole  ;  Micheline  se  prépara  à  ne  pas  manquer 
à  la  sienne. 

Elle  commença  par  faire  de  la  Syrienne  la  directrice 
absolue  de  toutes  ses  pensées  et  de  toutes  ses  actions.  Sur 
son  avis,  elle  demanda  et  obtint  le  voile  du  Tiers  Ordre 
de  Saint-François,  et  se  choisit  parmi  les  Frères  Mineurs 
un  confesseur  d'une  piété  et  d'une  science  bien  connues. 
Ce  fut  dans  toute  la  ville  un  étonnement  indescriptible, 
quand  on  apprit  que  le  palais  de  la  veuve  mondaine  s'é- 
tait transformé  tout  d'un  coup  en  une  demeure  calme  et 
paisible,  où  l'on  s'occupait  seulement  de  prières,  de 
bonnes  œuvres  et  de  méditations.  Toute  la  noblesse,  et 
surtout  la  famille  de  Micheline,  s'en  montra  très-émue,  et 
l'on  s'efforça  de  la  faire  rentrer  dans  le  inonde  d'où  elle 
venait  de  sortir  si  brusquement.  Elle  triompha,  avec 
l'aide  de  Dieu,  du  sarcasme  et  de  la  raillerie  et,  ce  qui 


LA  BIENHEUREUSE  MICHELINE.  381 

est  mieux  encore,  de  ses  propres  passions.  Le  démon  était 
terrassé  à  jamais  ;  et  une  belle  âme  de  plus  allait 
fleurir  pour  le  ciel. 

Bientôt  les  robes  de  soie  et  de  velours,  les  tapis  de 
Perse  et  de  Turquie,  les  meubles,  les  objets  d'art  qui 
remplissaient  le  palais,  furent  vendus  au  profit  des  pau- 
vres de  la  ville.  La  maison  de  Micheline  devint  comme  le 
refuge  de  tous  les  malheureux  ;  elle  se  fit  la  mère  des 
orphelins,  la  sœur  des  malades,  la  consolatrice  des  affli- 
gés. Ceux  qui  souffraient  étaient  sûrs  de  trouver  auprès 
d'elle  secours  et  bonnes  paroles.  Ses  richesses  s'épui- 
saient ;  sa  générosité  ne  connaissait  pas  de  limites.  Elle 
aliéna  ses  bijoux,  des  souvenirs  de  famille  qu'elle  n'eût 
pas  abandonnés  autrefois  pour  tout  l'or  du  monde.  Ses 
terres,  ses  châteaux  furent  mis  en  vente,  en  dépit  des 
efforts  de  ses  parents,  qui,  furieux  de  voir  s'en  aller  par 
lambeaux  un  magnifique  héritage  dont  ils  avaient  espéré 
jouir  un  jour,  essayèrent  de  la  faire  enfermer  comme 
folle.  Micheline  en  ressentit  une  vive  douleur,  mais  elle 
tint  ferme  et  persévéra  courageusement  dans  la  voie  où 
elle  s'était  engagée.  Elle  en  fut  d'ailleurs  récompensée 
par  de  précieuses  faveurs.  Le  Fils  de  Dieu  lui  apparut  et 
la  félicita  de  son  dévouement  à  la  sainte  cause  de  ceux 
qui  souffrent  :  a  Ma  fille  »,  lui  dit-il,  «  quand  sainte  Ma- 
«  deleine  a  versé  sur  moi  des  essences  et  des  parfums, 
«  elle  a  été  moins  agréable  à  mon  Père  que  vous-même, 
«  quand  vous  avez  répandu  autour  de  vous  vos  richesses 
«  et  consacré  tous  vos  biens  au  soulagement  des  malheu- 
«  reux  » . 

Quand  Micheline  eut  donné  tout  ce  qu'elle  possédait, 
par  un  suprême  effort  de  charité  elle  sortit  de  sa  propre 


382  XIX  JUIN. 

maison,  la  vendit  et  distribua  à  ses  chers  protégés  l'ar- 
gent qu'elle  en  retira.  Une  pauvre  femme  la  reçut  chez 
elle,  pour  l'amour  de  Dieu,  comme  disait  la  sainte  veuve, 
et  elle  vécut  de  la  charité  publique. 

C'était  un  curieux  spectacle  que  celui  de  cette  femme, 
jeune  et  belle  malgré  les  macérations,  tout  à  l'heure 
encore  riche,  entourée  d'un  brillant  cortège  d'adorateurs 
et  de  courtisans,  mondaine,  coquette,  amie  du  plaisir  et 
du  bruit,  et  maintenant  parcourant,  nu-pieds  et  vêtue 
d'une  méchante  robe  de  bure,  cette  même  ville  dont  elle 
avait  été  la  reine,  devenue  volontairement  plus  pauvre  et 
plus  misérable  que  le  dernier  des  malheureux.  Jamais 
elle  n'avait  eu  une  figure  plus  noble  et  plus  imposante, 
et  le  sentiment  du  devoir  accompli  jusqu'au  bout,  sans 
hésitation  ni  regret,  donnait  à  toute  sa  personne  une 
majesté  et  une  dignité  incomparables.  Elle  essuya 
cependant  bien  des  rebuts,  bien  des  paroles  dures  et 
hautaines.  Un  gentilhomme  de  sa  famille  la  fit  un  jour 
chasser  de  sa  maison  par  ses  valets.  Rien  ne  l'arrêta  dans 
la  voie  où  elle  était  entrée  ;  elle  marcha  toujours  en 
avant,  la  tête  haute  et  le  cœur  assuré,  jusqu'au  seuil  de 
l'éternel  royaume. 

Toute  la  vie  de  cette  sainte  femme  n'est  qu'une 
longue  suite  de  vertus  réunies  entre  elles  par  l'amour 
de  Dieu  et  du  prochain.  Ses  mortifications  eussent 
effrayé  les  religieux  les  plus  austères.  Sur  sa  peau  si 
frêle  et  si  délicate  elle  portait  un  vêtement  de  crin,  serré 
à  la  taille  par  une  chaîne  de  fer,  et  qui  faisait  de  tout 
son  corps  une  plaie  sanglante.  Une  planche,  quelquefois 
même  la  terre  nue,  lui  servait  de  lit;  quand  elle  était 
malade,  elle  s'étendait  sur  un  sac  et  reposait  sa  tête  sur 


LA  BIENHEUREUSE  MICHELINE.  383 

un  morceau  de  bois.  Sa  nourriture  habituelle  se 
composait  de  pain  et  d'eau,  à  qnoi  elle  ajoutait  parfois 
quelques  légumes.  A  force  de  s'agenouiller  sur  le  pavé 
froid  des  églises,  ses  jambes  s'étaient  gonflées  de  tumeurs 
douloureuses,  qui  l'empêchaient  souvent  de  dormir  ;  et 
cependant  sa  douce  figure  conservait  toujours  la  même 
sérénité  angélique.  Plus  elle  souffrait,  plus  elle  semblait 
heureuse;  et  quand,  sous  les  coups  de  discipline,  son 
sang  jaillissait  et  coulait  à  terre,  elle  remerciait  avec 
effusion  le  Seigneur  qui  lui  donnait  la  force  de  se  mor- 
tifier par  amour  pour  lui. 

Tous  les  matins,  après  avoir  passé  la  plus  grande 
partie  de  la  nuit  à  prier,  à  méditer  ou  à  s'imposer  de 
terribles  épreuves ,  elle  assistait  à  la  messe,  puis  se 
mettait  en  route  pour  recueillir  des  aumônes  destinées 
bien  plutôt  aux  pauvres  qu'à  elle-même.  Sa  provision 
faite,  elle  allait  visiter  les  malades  et  porter  aux  mal- 
heureux les  vivres  qu'elle  venait  de  recueillir.  Elle  se 
faisait  ouvrir  les  portes  des  prisons,  et  consolait  par 
quelques  douceurs  les  misérables  qui  y  étaient  enfermés. 
Dans  les  hôpitaux,  où  on  l'attendait  toujours  avec  impa- 
tience ,  personne  ne  savait  mieux  qu'elle  panser  les 
plaies,  encourager  ceux  qui  souffraient  à  prendre  pa- 
tience, et  préparer  les  agonisants  à  paraître  devant  Dieu. 

Vers  la  fin  de  sa  vie,  la  bienheureuse  Micheline  put 
jouir  d'une  félicité  qu'elle  avait  longtemps  désirée  sans 
oser  l'espérer  :  elle  fit,  avec  quelques  personnes  pieuses,  le 
pèlerinage  de  Jérusalem.  Elle  visita  les  lieux  où  avait 
vécu  le  Sauveur,  et  la  montagne  du  Golgotha,  où  il  était 
mort  pour  les  hommes.  Elle  s'agenouilla  dans  le  jardin 
des  Oliviers,  et  là  elle  demanda  à  Dieu  qu'il  lui  fût 


384  XIX  JUIN. 

permis,  comme  au  divin  Fils,  de  boire  le  calice  d'amer- 
tume jusqu'à  la  lie,  et  de  mériter  par  de  fortes  épreuves 
l'éternelle  récompense  des  élus.  Le  chroniqueur  rapporte 
qu'au  moment  où  elle  quittait  la  Terre-Sainte  pour 
revenir  à  Pesaro,  sur  ses  pieds,  ses  mains  et  son  côté  se 
dessinèrent  tout  à  coup  les  mêmes  cicatrices  qui  avaient 
marqué  les  pieds,  les  mains  et  le  côté  du  divin  Crucifié. 
Les  habitants  de  Pesaro  ont  longtemps  conservé  avec  un 
soin  jaloux  les  vêtements  que  la  veuve  avait  portés  durant 
son  pieux  pèlerinage. 

Quelques  années  après  son  retour  de  Jérusalem, 
Micheline  ressentit  les  premières  atteintes  de  la  maladie 
dont  elle  devait  mourir.  L'approche  de  sa  mort  fut  le 
signal  d'un  deuil  universel.  On  se  succédait  auprès  de 
son  lit  de  douleur,  on  se  pressait  dans  les  églises  pour 
obtenir  de  Dieu  la  prolongation  de  la  vie  de  cette  sainte 
femme,  que  les  malheureux  appelaient  leur  mère.  Mais 
le  Seigneur,  dans  son  infinie  providence,  avait  décidé 
que  le  moment  était  venu  de  récompenser  sa  pieuse 
servante  d'une  vie  d'abnégation  et  de  dévouement.  Le 
19  juin  1356,  Micheline,  après  avoir  fait  une  confession 
générale  de  ses  fautes,  reçut  le  saint  Viatique  et  l'Ex- 
trême-Onction,  et  quelques  instants  après ,  elle  s'en- 
dormit dans  le  sein  du  Seigneur,  au  milieu  des  larmes 
et  des  gémissements  de  tous  ceux  qui  étaient  présents. 

Ses  précieux  restes  furent  transportés  avec  pompe  dans 
l'église  de  l'Ordre  Séraphique,  qui  servait  alors  de  cha- 
pelle aux  Pères  Conventuels,  et  pendant  quelques  jours 
ils  y  restèrent  exposés  à  la  vénération  des  fidèles.  Dieu, 
pour  honorer  sa  servante  parmi  les  hommes,  permit  que 
des  miracles  éclatants  s'accomplissent  sur  son  tombeau 


LES  PREMIERS  MARTYRS  DU  BRÉSIL.  385 

ou  par  son  intercession.  Le  chroniqueur  cite  les  noms 
d'un  habitant  d'Ancône,  d'un  jeune  homme  de  Fano, 
d'un  bourgeois  deRimini,  d'une  jeune  fille  de  Recanati, 
d'une  noble  dame  de  Ravenne,  etc.,  guéris  de  mala- 
dies mortelles  par  la  toute-puissante  intervention  de  la 
bienheureuse 

On  a  conservé  longtemps  dans  la  sacristie  des  objets 
qui  avaient  appartenu  à  ia  sainte  veuve.  La  maison  où 
elle  avait  été  repue  par  charité  fut  transformée  en  église. 
Enfin  les  Pères  Conventuels  obtinrent  la  permission  de 
célébrer  sa  fête  chaque  année,  dans  tout  le  diocèse  de 
Pesaro.  En  4737,  la  cour  de  Rome  a  placé  Micheline  au 

rang  des  bienheureuses. 

(Wadding  et  Papebroeck.) 


LES  PREMIERS  MARTYRS  DU  BRESIL 

1505.  —  Pape  :  Jules  II.  — -  Roi  de  France  :  Louis  XII. 


SOMMAIRE  :  Découverte  du  Brésil  par  l'amiral  Portugais  Alvarez  Cabrai.  —  La 
première  messe  chantée  sur  le  rivage  brésilien,  —  La  première  église  chrétienne  de 
l'Amérique  du  Sud.  —  Les  premiers  missionnaires  et  les  premiers  martyrs.  —  Le 
Rio-San-Fpancisco. 


Le  pays  que  l'on  appelle  aujourd'hui  l'empire  du 
Brésil  est  l'une  des  contrées  du  monde  les  plus  riches  et 
les  plus  favorisées  de  la  nature.  On  n'y  connaît  pas 
l'hiver,  la  température  y  est  toujours  douce,  et  les  nuits 
sereines  et  calmes  y  semblent  continuer  le  jour.  Ce  beau 
pays,  avant  l'arrivée  des  missionnaires  évangéliques,  était 
habité  par  des  peuplades  sauvages  et  barbares,  sans  foi 
ni  loi,  sans  demeure  fixe,  errant  à  l'aventure  à  travers 
Palm.  Séraph.  —  Tome  VI.  25 


380  XIX  JUIN. 

d'immenses  solitudes.  C'étaient  de  véritables  bandits,  tou- 
jours en  guerre  les  uns  contre  les  autres,  et  dont  beau- 
coup peut-être,  après  la  victoire,  se  nourrissaient  de 
chair  humaine. 

L'amiral  Portugais  Alvarez  Cabrai  est  le  premier 
Européen  qui  mit  le  pied  sur  cette  terre  et  qui  y  planta, 
avec  l'étendard  de  son  roi,  la  croix  du  Sauveur.  Il  aborda 
avec  sa  flotte  dans  un  havre  splendide,  qu'il  appela  du 
nom  de  Porto -Securo  (le  port  paisible).  Le  Père  Henri  de 
Coïmbre,  religieux  d'une  grande  science  et  d'une  grande 
vertu,  plus  tard  confesseur  du  roi,  évêque  de  Ceuta  et 
inquisiteur  suprême  du  Portugal,  qui  se  trouvait  sur  le 
vaisseau  amiral  avec  quatre  frères  mineurs  et  quelques 
autres  prêtres,  éleva  un  autel  sur  le  rivage  de  l'Océan  et 
célébra  la  première  messe  d'action  de  grâces  en  l'hon- 
neur du  Seigneur  tout-puissant.  Quelques  Brésiliens 
étaient  accourus  à  ce  spectacle  nouveau  pour  eux  ;  il  leur 
expliqua  de  son  mieux  ,  par  des  signes  plus  encore 
que  par  des  paroles,  la  grandeur  et  la  majesté  du  Dieu 
qu'il  adorait  ;  puis  il  leur  distribua  des  croix  ,  des 
médailles  et  des  images  où  étaient  retracées  les  prin- 
cipales époques  de  la  vie  du  Sauveur.  Le  même  jour 
l'amiral  fit  élever  par  des  matelots  une  croix  gigan- 
tesque, ce  qui  valut  au  pays  le  nom  de  terre  de  la  Sainte- 
Croix.  Plus  tard  seulement  le  nom  de  Brésil  prévalut. 

Un  frère  mineur  et  un  officier  de  l'armée  portugaise 
furent  chargés  de  porter  au  roi  de  Portugal  la  grande 
nouvelle,  et  Emmanuel,  désireux  d'ajouter  à  sa  cou- 
ronne une  province  de  plus,  en  même  temps  que  d'é- 
tendre le  domaine  de  la  foi  catholique,  fit  partir  aussitôt 
une  seconde  flotte  avec  des  troupes  destinées  à  occuper 


LES  PREMIERS  MARTYRS  DU  BRÉSIL.  387 

la  contrée  que  l'on  venait  de  découvrir.  Deux  frères 
mineurs  faisaient  partie  de  l'expédition.  On  rejoignit  sans 
encombre  les  vaisseaux  d'Alvarez  dans  le  havre  du  Porto- 
Securo. 

A  peine  débarqués,  les  missionnaires  apprirent  la 
langue  du  pays,  afin  d'être  plus  à  même  d'enseigner 
aux  habitants  les  vérités  de  la  religion  catholique. 
Une  église,  humble  et  modeste  d'abord,  s'éleva  bientôt 
sous  l'invocation  de  saint  François  :  c'est  le  premier 
temple  chrétien  du  Brésil.  Peu  à  peu  des  habitations 
d'indigènes  se  groupèrent  alentour,  et  l'on  vit  se  former 
un  village  dans  lequel  les  missionnaires  restèrent  deux 
ans.  Ils  en  sortaient  de  temps  en  temps  pour  aller 
porter  la  lumière  du  christianisme  dans  les  hameaux 
voisins,  plantant  des  croix  partout  sur  leur  passage, 
comme  un  gage  assuré  de  la  prochaine  domination  de  la 
vraie  foi  dans  ces  contrées. 

Cependant  les  conversions  se  multipliaient,  et  les 
religieux  baptisaient,  au  nom  du  Père,  du  Fils  et  de 
l'Esprit-Saint,  des  hommes  qui  quelques  mois  auparavant 
vivaient  dans  l'ignorance  des  principaux  mystères  de  la 
religion.  Malheureusement  ils  n'avaient  pas  encore  réussi 
à  adoucir  les  mœurs  barbares  des  Indiens.  Un  jour  qu'ils 
étaient  en  prières  dans  leur  petite  église,  ils  se  virent 
toup  à  coup  entourés  par  une  foule  furieuse,  conduite 
par  quelques-uns  des  prêtres  des  faux  dieux,  et  ils  pé- 
rirent sous  une  grêle  de  flèches  et  de  pierres,  sans  que 
les  Indiens  convertis  aient  songé  à  les  défendre.  Non 
satisfaits  de  ce  meurtre  ,  les  sauvages  coupèrent  en 
morceaux  les  corps  des  deux  victimes,  les  rôtirent  et  les 
mangèrent,  le  19  juin  1505.  Le  sang  des  Frères  Mineurs, 


388  xix  juin. 

comme  autrefois  le  sang  des  premiers  martyrs,  allait 
enfanter  des  chrétiens  et  en  peupler  toute  la  terre  du 
Brésil. 

Les  noms  de  ces  deux  bienheureux  franciscains, 
demeurés  inconnus  parmi  les  hommes,  sont  inscrits 
sans  doute  au  livre  de  "vie,  avec  ceux  des  missionnaires 
courageux  qui  sont  tombés  pour  la  foi  sur  tous  les  points 
du  monde,  au  Mexique,  en  Asie,  chez  les  Maures,  chez 
les  Japonais.  Ils  sont  restés  obscurs  sur  la  terre,  mais 
ils  resplendissent  dans  le  ciel  ne  tout  l'éclat  d'une  gloire 
incomparable. 

Peu  de  temps  après  la  mort  des  deux  frères  portugais, 
deux  frères  mineurs  italiens  arrivèrent  au  Brésil.  Ils 
réédifièrent  dans  la  même  ville  une  nouvelle  église,  sur 
l'emplacement  même  de  celle  qui  avait  été  détruite.  Dans 
l'une  des  tournées  évangéliques  qu'ils  faisaient  fréquem- 
ment à  travers  un  pays  inconnu,  l'un  des  deux  frères 
tomba  dans  une  rivière  rapide  et  profonde,  ei  s'y  noya. 
Cette  rivière  porte  encore  aujourd'hui  le  nom  de  rivière 

du  Frère  Mineur,  ou  Rio-san-Francisco. 

(Cardose.) 


LA  BIENHEUREUSE  CÉCILE  PORTARO.  389 


LA  BIENHEUREUSE  CECILE  PORTARO 

VIERGE,    DU   TIERS   ORDRE 

1640.  —  Pape  :  Urbain  VIII.  —  Roi  de  France  :  Louis  XIII. 


CHAPITRE  PREMIER. 

SOMMAIRE  :  Jeunesse  de  la  bienheureuse  Oécile.  —  Ses  dispositions  à  la  vertu.  — 
Développement  de  son  intelligence  vers  le  bien  et  la  piété.  —  Elle  entre  dans  un 
couvent  du  Tiers  Ordre  de  Saint-François  de  Paule,  puis  prend  le  voile  des  Ter- 
tiaires de  l'Ordre  Séraphique.  —  Ses  aspirations  vers  la  vie  solitaire  et  ce  qui  l'en 
détourne.  —  Sa  soumission  à  son  confesseur.  —  Sa  pureté.  —  Son  humilité. 

Cécile  Portaro  naquit  à  Milan  en  1586.  Elle  reçut  au 
baptême  les  noms  de  Lucrèce-Virginie.  Son  père,  Argen- 
tin Portaro,  sicilien  de  naissance,  attaché  à  la  cour  du 
grand-duc  en  qualité  de  secrétaire,  vivait  en  grand  sei- 
gneur avec  sa  femme  Antonine  Ameda.  Il  vint  habiter 
Palerme,  en  Sicile,  lorsque  Lucrèce  n'était  encore  âgée 
que  de  six  mois.  C'est  là  que  se  manifestèrent  les  vertus 
naissantes  de  la  bienheureuse  enfant.  Ses  bonnes  qua- 
lités commencèrent  à  se  faire  jour  dans  un  âge  où  d'or- 
dinaire ne  se  montrent  d'abord  que  les  mauvais  pen- 
chants et  les  inclinations  vicieuses.  A  trois  ans,  elle 
éprouvait  un  plaisir  immense  à  donner  aux  malheureux 
de  l'argent  ou  des  vivres  ;  et  l'on  pouvait  prévoir  dès  lors 
qu'elle  songerait  toujours  aux  autres,  avant  de  s'occuper 
de  ses  propres  besoins. 

Ce  fut  bien  mieux  encore,  quand  son  intelligence  plus 
développée  sut  distinguer  entre  ce  qui  est  bien  et  ce  qui 


390  XIX  JUIN. 

est  mal.  Elle  acquit  rapidement  la  connaissance  des 
choses  de  la  religion,  et  il  y  avait  plaisir  à  l'entendre, 
avec  sa  petite  voix  enfantine,  raconter  les  merveilles  de 
la  création  et  la  grandeur  de  Dieu.  Tout  entière  déjà  à 
son  céleste  Fiancé,  elle  évitait  avec  soin  ce  qui  pouvait 
la  distraire  et  détourner,  ne  fût-ce  que  pour  un  instant, 
ses  pensées  du  Sauveur  crucifié  ;  elle  fuyait  les  sociétés 
frivoles,  les  jeunes  filles  coquettes  et  mondaines,  et 
venait  au  pied  des  autels  consacrés  à  la  Mère  de  Dieu 
chercher  un  refuge  contre  les  séductions  de  la  terre. 

A  quatorze  ans,  elle  obtint  de  sa  mère,  non  sans 
peine,  la  permission  d'entrer  dans  un  couvent  du  Tiers 
Ordre  de  Saint-François  de  Paule.  Sa  réputation  l'y  avait 
précédée  ;  on  l'y  reçut  à  bras  ouverts,  comme  une 
envoyée  du  ciel,  et  on  la  considéra  le  premier  jour  non 
comme  une  novice,  mais  comme  une  religieuse  accom- 
plie. Grand  fut  l'étonnement  des  bonnes  sœurs  lorsque,  à 
la  fin  de  son  année  de  noviciat,  elle  sortit  tout  à  coup  du 
couvent  sans  motif  apparent. 

C'est  que  Dieu,  sans  doute,  en  avait  ainsi  décidé  dans 
son  infinie  sagesse,  et  qu'il  avait  choisi  d'autres  voies 
pour  amener  la  bienheureuse  fille,  pure  et  immaculée, 
jusqu'au  seuil  de  l'éternité.  En  effet,  quelques  jours  seu- 
lement après  qu'elle  avait  pris  congé  des  religieuses  de 
Saint-François  de  Paule,  Lucrèce  demanda  et  obtint  le 
voile  des  Tertiaires  de  l'Ordre  Séraphique.  La  cérémonie 
eut  lieu  dans  un  couvent  situé  à  une  heure  de  Païenne. 
C'est  alors  qu'elle  quitta  son  nom  de  baptême  pour  porter 
celui  de  sœur  Cécile.  Son  dégoût  pour  le  monde  et  ses 
vanités  ne  faisait  que  s'accoître  à  mesure  qu'elle  avançait 
en  âge  ;  et  souvent,  quand  elle  se  promenait  dans  les  bois 


LA  BIENHEUREUSE  CÉCILE  P0RTAR0.  39! 

qui  entouraient  la  ville,  elle  se  sentait  envahir  par  un 
calme  souverain,  et  un  immense  désir  de  vivre  dans  la 
solitude  grandissait  dans  son  cœur.  La  crainte  où  elle 
était  de  manquer  de  force  contre  les  embûches  du  démon 
l'empêcha  seule  démettre  ce  projet  à  exécution, et  elle  se 
ht,  comme  elle  disait  quelquefois,  une  solitude  moins 
dangereuse  dans  la  maison  de  sa  mère. 

Quand  les  Pères  Théatins,  dont  l'Ordre  venait  d'être 
fondé  par  saint  Gaétan,  s'établirent  à  Palerme,  elle  se 
choisit  un  confesseur  parmi  ces  hommes  vénérables,  aussi 
pieux  que  savants.  Après  quelques  hésitations,  elle  s'ar- 
rêta au  Père  Thomas  Anchora,  qui  devint  par  la  suite 
archevêque  de  Trani,  et  qui  la  dirigea  pendant  trente  ans 
dans  les  voies  du  salut.  Elle  avait  en  lui  une  confiance 
illimitée  et  écoutait  ses  moindres  paroles  avec  autant  de 
recueillement  que  si  elles  fussent  tombées  de  la  bouche 
de  Dieu  lui-même.  Sans  volonté  devant  ses  décisions, 
elle  lui  obéissait  aveuglément,  ne  se  confessait  et  ne  com- 
muniait que  quand  elle  en  recevait  l'ordre,  et  toujours 
dans  les  conditions  par  lui  prescrites.  C'est  sur  son  insti- 
gation qu'elle  fit  vœu  de  virginité,  et  que,  à  toutes  les 
fêtes  de  la  très-sainte  Vierge,  elle  renouvelait  au  Sei- 
gneur celte  grande  promesse. 

Elle  la  tint,  d'ailleurs,  pendant  toute  sa  vie,  à  force  d'é- 
nergie, de  confiance  en  Dieu  et  d'amour  pour  son  Fiancé 
céleste.  Quand  le  démon  fit  parler  les  désirs  charnels,  elle 
étouffa  leurs  voix  sous  les  mortifications  et  les  austérités. 
Jour  et  nuit  elle  portail  un  cilice  qu'elle  maintenait  serré 
à  la  taille  avec  une  ceinture  garnie  de  pointes  de  fer.  Elle 
s'infligeait  la  discipline  plusieurs  fois  dans  la  même  jour- 
née. Ses  jeûnes  étaient  si  nombreux  et  si  sévères,  qu'on 


392  XIX  juin. 

a  peine  à  concevoir  comment,  en  prenant  si  peu  de  nour- 
riture, elle  pouvait  encore  se  soutenir.  Jamais  elle  ne 
mangea  de  viande  ;  ses  repas  se  composaient  d'un  mor- 
ceau de  pain  noir  ot  dur,  de  quelques  racines  mal  cuites 
et  d'un  peu  d'eau  ;  pendant  le  Carême  et  FAvent,  tous  les 
vendredis  et  tous  les  samedis  de  l'année,  la  veille  des 
grandes  fêtes  de  l'Eglise,  de  la  sainte  Vierge  et  des  saints, 
elle  ne  vivait  que  de  pain  et  d'eau. 

Les  yeux,  a  dit  un  pieux  personnage,  sont  les  fenêtres 
par  où  les  péchés  pénètrent  dans  notre  âme  ;  hors  de  sa 
chambre,  elle  les  tenait  constamment  baissés  et  presque 
fermés  ;  à  l'église,  elle  choisissait  toujours  le  coin  le  plus 
sombre  et  le  plus  paisible  ;  dans  les  rues,  elle  marchait 
le  long  des  maisons,  en  évitant  autant  que  possible  la 
rencontre  des  passants,  l'esprit  toujours  rempli  de  l'idée 
de  Dieu,  et  absolument  étrangère  à  ce  qui  pouvait  se  faire 
ou  se  dire  autour  d'elle. 

Humble  au-delà  de  tout  ce  qu'on  peut  imaginer,  elle 
avait  pour  elle-même  un  souverain  mépris  et  se  consi- 
dérait comme  la  plus  grande  pécheresse  du  monde.  Le 
dernier  des  criminels  n'était  pas,  à  l'entendre,  aussi  éloi- 
gné qu'elle  de  la  perfection.  Elle  témoignait  aux  autres 
religieuses  une  douceur  touchante,  et  ne  les  laissait 
jamais,  elle  présente,  s'occuper  des  gros  travaux  du  cou- 
vent. Elle  eût  pris  plaisir  à  se  voir  injurier,  et  les  éloges 
lui  étaient  insupportables.  La  duchesse  d'Ossuna,  femme 
du  vice-roi  de  Sicile,  qui  connaissait  la  bienheureuse  pour 
avoir  entendu  prôner  ses  grandes  qualités,  la  pria  un 
jour  de  la  venir  voir  dans  son  palais.  La  bonne  sœur  s'y 
résigna,  non  sans  peine,  et  toute  confuse  de  l'honneur 
qu'on  lui  faisait  et  du  respect  que  lui  témoignait  la  du- 


LA  BIENHEUREUSE  CÉCILE  PORTARO.  393 

chesse,  elle  essaya  de  lui  prouver  que  sa  réputation  n'était 
pas  en  rapport  avec  son  imperfection  et  qu'elle  ne  méri- 
tait pas  l'estime  qu'on  avait  pour  elle.  C'est,  d'ailleurs.,  la 
seule  fois  que  sœur  Cécile  consentit  à  pénétrer  dans  la  de- 
meure des  grands  personnages  de  Palerme;  les  duchesses 
d'Albuquerque,  d'Alcala  et  de  Montalte,  essayèrent  en 
vain  de  lui  faire  accepter  leur  magnifique  hospitalité  ; 
elle  voulait  vivre  et  mourir  en  servante  obscure  du 
Seigneur. 

CHAPITRE  II. 

SOMMAIRE  :  Charité  de  la  bienheureuse  Cécile.  —  Son  infatigable  dévouement 
aux  pauvres  et  aux  malheureux.  —  Ses  bonnes  œuvres  sont  comme  un  miracle 
continuel.  —  Soin  qu'elle  prend  des  âmes  comme  des  corps.  —  Elle  fonde  chez  elle 
une  école  de  jeunes  filles.  —  Bons  résultats  qu'elle  obtient.  —  Elle  convertit  un 
certain  nombre  ^'esclaves  Maures. 

La  nature  et  la  grâce  semblent  s'être  conjurées  pour 
donner  à  la  bienheureuse  Cécile  toutes  les  vertus  et  toutes 
les  perfections.  Nous  venons  de  la  voir  pieuse,  chaste  et 
humble  ;  la  voici  maintenant  qui  prodigue  à  son  pro- 
chain les  trésors  d'un  cœur  aimant  et  d'une  inépuisable 
charité. 

Dès  sa  première  enfance,  elle  s'était  montrée  compa- 
tissante et  bonne  pour  les  malheureux  :  cette  heureuse 
disposition,  loin  de  se  démentir,  alla  sans  cesse  se  déve- 
loppant. Après  avoir  distribué  aux  pauvres  tout  l'argent 
qu'elle  possédait,  elle  mendia  pour  leur  venir  en  aide. 
Elle  courait  des  palais  aux  chaumières,  là  implorant  la 
pitié  des  heureux  du  monde,  ici  apportant,  avec  des  paroles 
d'encouragement  et  d'espérance,  les  choses  indispensa- 
bles à  la  vie  de  tous  les  jours.  Eté  comme  hiver,  par  le 
soleil  ou  la  pluie,  par  l'orage  ou  la  gelée,  on  la  voyait  par 


394  XIX  JUIN. 

les  chemins,  son  grand  panier  au  bras.  Durant  plus  de 
vingt  ans  elle  approvisionna  non-seulement  de  pain,  de 
viande  et  de  vin,  mais  encore  de  bois  et  d'huile,  un  vieil- 
lard qui  habitait,  non  loin  de  sa  maison,  une  petite  hutte. 
Un  pauvre  prêtre  ne  vécut  que  par  ses  soins  pendant  trois 
années  entières.  Elle  hébergeait  les  veuves,  dotait  les 
filles  d'ouvriers  sans  ressources,  et  trouvait  moyen  de 
soulager  tout  le  monde  en  ne  s'épargnant  à  elle-même 
aucune  espèce  de  fatigue. 

Les  malades  étaient  aussi  l'objet  de  ses  soins  ;  elle  allait 
soigner  dans  leur  maison  ceux  qui  étaient  forcés  de 
garder  le  lit  ;  pour  les  autres,  elle  avait  toujours  à  leur 
disposition  des  médicaments  préparés  à  l'avance,  et  qu'on 
pouvait  venir  prendre  chez  elle  à  toute  heure  du  jour  ou 
de  la  nuit.  Dans  les  hospices,  elle  aidait  les  sœurs  infir- 
mières à  panser  les  plaies,  à  laver  les  pieds  des  malades  ;  , 
et,  cequi  vaut  mieux  encore,  elle  trouvait  au  fond  de  son 
cœur  des  trésors  d'éloquence  et  versait  dans  leur  âme, 
comme  un  baume  salutaire,  l'espérance  et  la  résigna- 
tion. 

On  a  peine  à  comprendre  comment,  toute  pauvre 
qu'elle  était,  la  bienheureuse  Cécile  suffisait  à  tant  de 
bonnes  œuvres.  Il  y  avait  là,  pour  ainsi  dire,  un  miracle 
perpétuel  qui  ne  s'expliquait  que  par  une  intervention 
incessante  de  la  Providence,  et  plus  d'une  fois  sans  doute, 
comme  autrefois  sur  la  montagne,  Dieu  multiplia  dans 
ses  mains  le  produit  des  aumônes  qu'elle  allait  répandre 
autour  d'elle. 

D'ailleurs,  quand  elle  quêtai!,  les  aumônes  pleuvaient 
dans  son  panier;  car  personne  n'gnorait  le  saint  usage 
qu'elle  allait  en  faire,  et  chacun  voulait  avoir  une  part  à 


LA  BIENHEUREUSE  CÉCILE  PORTARO.  39b 

ses  mérites.  La  façon  seule  dont  elle  disait  :  «  Pour  les 
«  pauvres,  s'il  vous  plaît»,  inspirait  la  charité  et  tou- 
chait les  cœurs  les  plus  durs.  Une  grande  dame  qui  l'ai- 
mait beaucoup,  la  força  un  jour  d'accepter  un  présent  de 
mille  ducats. 

C'eût  été  peu,  si  la  bienheureuse  fille,  dans  son  ardent 
amour  pour  les  hommes,  n'avait  songé  qu'aux  besoins 
de  leurs  corps  ;  une  chose  la  préoccupait  davantage  :  leur 
salut  éternel,  et  elle  n'épargna  rien  pour  les  aider  à  y 
atteindre.  Désireuse  de  former  les  âmes  à  la  vertu,  elle 
institua  une  école  de  jeunes  filles,  qu'elle  dirigea  elle- 
même,  et  à  qui  elle  enseigna  tout  d'abord  la  crainte  de 
Dieu  et  le  respect  de  ses  commandements.  Sa  maison 
était  devenue  une  sorte  de  couvent,  dont  elle  était  la 
sainte  abbesse;  tous  les  jours,  à  la  tête  de  ses  filles  spiri- 
tuelles, elle  allait  entendre  la  messe  à  l'église  du  Tiers 
Ordre  ;  aux  grandes  fêtes  de  l'année,  la  petite  commu- 
nauté s'approchait  de  la  sainte  Table  ;  et  la  piété  de  ces 
enfants,  rehaussée  encore  par  une  douce  modestie,  était 
si  touchante,  qu'on  ne  pouvait  les  voir  sans  verser  des 
larmes. 

La  maison  de  sœur  Cécile  avait,  comme  un  cloître,  une 
règle  sévère  et  respectée.  La  loi  du  silence  y  était  si  stric- 
tement observée,  qu'on  n'y  prononçait  jamais  une  parole 
inutile.  Durant  le  travail  manuel,  quelqu'une  des  jeunes 
filles  faisait  à  haute  voix  une  lecture  pieuse,  ou  bien  la 
bienheureuse  Cécile  leur  adressait  quelques  mots  simples 
et  éloquents  sur  les  devoirs  de  la  femme  chrétienne,  sur 
la  manière  dont  il  faut  se  préparer  à  la  confession  et  à  la 
communion,  sur  le  mérite  éclatant  des  vierges,  sur  la 
compassion  que  l'on  doit  aux  âmes  du  purgatoire.  Cette 


396  XIX  JUIN. 

éducation  portait  ses  fruits  :  beaucoup  des  élèves  de  Cécile 
entrèrent  dans  des  couvents  religieux  ;  d'autres  se  consa- 
crèrent au  service  des  malades;  d'autres  encore  restèrent 
dans  le  monde,  où  elles  ne  cessèrent  d'être  des  modèles 
de  piété. 

En  même  temps  la  sainte  fille,  par  ses  paroles  ou  par 
ses  prières,  opérait  des  conversions  au  dehors.  Il  faut 
citer;  entre  autres,  celle  de  son  frère  Louis,  qui,  après 
avoir  pris  l'habit  du  Tiers  Ordre  et  passé  quelque  temps 
dans  un  couvent  de  Franciscains,  s'enfuit  un  jour  comme 
un  voleur  et  s'en  alla  vivre  à  Naples  avec  une  courti- 
sane. Sa  famille  tout  entière  était  plongée  dans  la  cons- 
ternation ;  Cécile  seule  ne  désespéra  pas  :«  Dieu  »,  disait- 
elle  souvent,  «saura  bien  trouver  le  chemin  de  ce  cœur  ». 
La  conversion  s'accomplit  en  effet;  le  coupable  revint  de 
lui-même  à  Païenne,  et,  grâce  à  l'intervention  de  sa  sœur, 
fut  admis  en  qualité  de  frère  lai  dans  un  couvent  de 
religieux  Carmélites. 

Une  jeune  fille  de  noble  origine  s'était  laissée  séduire 
par  un  intrigant  qui,  après  l'avoir  enlevée  à  sa  famille  et 
amenée  à  Païenne,  l'abandonna  au  bout  de  quelque  temps, 
non  sans  l'avoir  indignement  outragée  et  privée  de  tout 
ce  qu'elle  possédait.  Quelques  religieux,  à  qui  elle  raconta 
son  malheur,  la  recommandèrent  à  la  bienheureuse  Cécile 
et  la  firent  recevoir  dans  sa  maison.  Bientôt  la  paix  revint 
au  cœur  de  la  pauvre  enfant,  en  même  temps  qu'une 
transformation  complète  s'opérait  dans  tout  son  être. 
Elle  comprit  la  grandeur  de  sa  faute,  mais  elle  ne  déses- 
péra plus  d'en  obtenir  le  pardon  ;  et,  pour  le  mériter  par 
une  longue  vie  d'abnégation  et  de  pénitence,  elle  renonça 
au  monde  qu'elle  avait  aimé  et  s'enferma  dans  un  couvent. 


LA  BIENHEUREUSE  CÉCILE  PORTARO.  397 

Il  y  avait  une  classe  d'hommes  qui  inspirait  à  Cécile 
plus  de  pitié  encore  que  les  chrétiens  égarés,  c'étaient 
ceux  qui  n'avaient  jamais  entendu  parler  des  vérités  de 
la  foi.  Des  vaisseaux  espagnols  amenaient  tous  les  jours  à 
Palerme  des  Maures  et  des  Mauresses  enlevés  sur  les  côtes 
d'Afrique,  ou  même  achetés  à  prix  d'or,  et  qu'ils  ven- 
daient ensuite  comme  esclaves  aux  grands  seigneurs  et 
aux  riches  commerçants  de  la  ville.  Ces  malheureux  ex- 
citaient au  dernier  point  la  compassion  de  Cécile  ;  aussi 
s'ingéniait-elle  à  les  arracher  aux  griffes  du  démon,  et  en 
vérité  il  semble  que  Dieu  lui  ait  donné  un  talent  tout 
particulier  pour  leur  inspirer  le  désir  d'entrer  au  sein  de 
l'Eglise  catholique.  Elle  s'attacha  particulièrement  à  une 
pauvre  Mauresse  nommée  Asie,  et  non-seulement  elle  la 
convertit,  mais  encore  elle  sut  lui  inspirer  pour  les  souf- 
frances du  Sauveur  un  si  ardent  amour,  que  Dieu,  en 
récompense,  permit  que  sur  le  corps'de  la  pauvre  esclave 
apparussent  des  cicatrices  semblables  à  celles  de  Jésus 
crucifié.  Après  sa  mort,  cette  Mauresse  se  montra  mira- 
culeusement, dans  toute  la  splendeur  de  sa  gloire,  à  l'un 
de  ses  anciens  compagnons  d'esclavage,  et  lui  raconta 
l'histoire  de  sa  conversion  ;  le  lendemain  même  un  nou- 
veau chrétien  demandait  le  baptême. 

Plus  de  cinquante  malheureux  furent  ainsi  arrachés 
aux  ténèbres  de  l'idolâtrie  et  instruits  dans  la  religion 
catholique  par  les  soins  de  la  bienheureuse. 


398  XIX  JUIN. 


CHAPITRE  III. 


SOMMAIRE  :   Compassion  de  la  bienheureuse  Cécile  pour  les  âmes  du  purgatoire. 

—  Heureux  effets  de  ses  prières.  —  Sa  dévotion  à  la  sainte  Vierge  et  à  saint  Joseph. 

—  Ses  extases.  —  Elle  a  le  don  de  seconde  vue  et  de  miracles.  —  Ses  souffrances. 

—  Sa  dernière  maladie  et  sa  mort.  —  Miracles  qui  la  suivirent. 


Les  âmes  du  purgatoire  ont  toujours  excité  Ja  pitié  de 
ceux  qui  compatissent  sur  la  terre  aux  souffrances  des 
malheureux.  Il  y  a  aussi  une  façon  de  les  soulager,  c'est 
d'obtenir  de  Dieu,  à  force  de  prières  et  de  vertus,  qu'il 
diminue  le  temps  de  leur  pénitence.  On  peut  croire  que 
Cécile  ne  manquait  pas  à  ce  devoir  suprême  de  la  charité. 
Une  partie  dés  aumônes  qu'elle  recueillait  était  consacrée 
à  faire  dire  des  messes  pour  les  âmes  qui  sont  privées  de 
la  vue  du  Très-Haut  et  à  qui  cettte  privation  est  le  plus 
cruel  de  tous  les  supplices.  Tous  les  jours  elle  passait  plu- 
sieurs heures  de  la  matinée  à  l'église  de  Saint-Matthieu, 
et  assistait  à  quelques-uns  des  divins  sacrifices  offerts 
pour  la  délivrance  des  âmes  (1). 

Elle  eut  le  rare  bonheur  d'apprendre  par  des  voies  mi- 
raculeuses que  ses  prières  étaient  quelquefois  exaucées. 
Un  soir,  Jules  Milione,  prêtre  de  Palerme,  la  rencontra 
dans  la  rue  et  voulut  l'accompagner  jusqu'à  sa  demeure. 
Comme  il  retournait  chez  lui,  il  s'égara  dans  les  ténèbres, 
et  il  ne  pouvait  retrouver  son  chemin  quand  tout  à  coup, 
éclairé  par  une  inspiration  subite,  il  fit  cette  prière  : 
a  Ames  délivrées  par  Cécile,  venez-moi  en  aide  et  n'aban- 
«  donnez  pas  celui  qui  a  guidé  vers  sa  maison  votre  bonne 

(1)  Voir  à  ce  propos,  dans  ce  même   volume,  la  vie  de  Léonard  Galicius  (dix- 
septième  jour  de  juin). 


LA  BIENHEUREUSE  CÉCILE  PORTARO.  399 

«  mère  » .  Au  même  instant,  quatre  personnages  mysté- 
rieux apparurent  à  ses  côtés  avec  des  torches  ;  le  seul  nom 
de  Cécile  les  avait  pour  quelques  moments  fait  descendre 
du  ciel,  dont  les  portes  d'or  s'étaient  ouvertes  devant  eux 
par  son  intercession. 

Plusieurs  habitants  de  Palerme  furent  guéris  de  ma- 
ladies déclarées  incurables,  par  les  soins  d'âmes  qui  re- 
connaissaient ainsi  les  bienfaits  inappréciables  de  la 
sainte  fille. 

Sœur  Cécile  avait  une  grande  dévotion  à  la  bienheu- 
reuse Vierge  Marie;  tous  les  samedis  et  la  veille  de  ses 
fêtes,  elle  jeûnait  en  son  honneur;  chaque  jour  elle 
récitait  son  chapelet  et  les  litanies  de  la  Mère  de  Dieu: 
Saint  Joseph  avait  aussi  sa  part  de  cette  piété  de  notre 
bienheureuse  pour  sa  céleste  Epouse.  C'est  toujours  à  lui 
qu'elle  recourait  dans  les  besoins  pressants,  et  jamais  son 
assistance  ne  lui  fit  défaut. 

Un  jour  qu'elle  revenait,  avec  ses  soeurs  et  quatre 
vénérables  dames,  d'un  pèlerinage  à  la  miraculeuse 
image  de  la  Madone  de  Trapani,  elle  fut  surprise  par  la 
nuit,  et  elle  s'effrayait,  ainsi  que  ses  compagnes,  à  l'idée 
de  revenir  à  Palerme  par  mer  et  dans  les  ténèbres.  Tout 
à  coup  apparurent  auprès  d'elles  un  veillard  à  la  figure 
radieuse  et  un  jeune  homme  plus  resplendissant  encore 
de  majesté  :  c'étaient  saint  Joseph  et  son  divin  Fils,  qui 
ramenèrent  les  pieuses  femmes  jusqu'à  leur  demeure  et 
se  firent  connaître  à  elles  au  moment  où  ils  les  quittè- 
rent pour  retourner  dans  leur  céleste  patrie. 

Ce  n'est  pas  la  seule  fois  que  le  Fils  de  Dieu  visita 
sa  fiancée  bien-aimée.  Quand  sœur  Cécile  s'était  ap- 
prochée de  la  sainte  Table,  elle  tombait  d'ordinaire 


400  XIX  JUIN. 

dans  de  profondes  extases,  durant  lesquelles  elle  jouissait 
de  la  vue  directe  et  immédiate  des  choses  du  ciel.  Elle  se 
prosternait  alors  le  visage  contre  terre,  et  fermait  les 
yeux  comme  si  l'éclat  de  la  Majesté  divine  l'éblouissait. 
Souvent  elle  paraissait  elle-même  toute  resplendissante, 
et  des  rayons  partant  des  diverses  parties  de  son  corps 
remplissaient  de  lumière  l'endroit  où  elle  priait. 

Dieu  accorda  à  la  bienheureuse  Céci.e  .e  f<on  précieux 
de  seconde  vue  et  le  pouvoir  d'accomplir  des  miracles. 
Elle  savait  lire  au  fond  des  cœurs  et  découvrir  ies  se- 
crets les  mieux  cachés.  Au  seul  aspect  d'une  personne 
elle  devinait  son  avenir.  Son  confesseur  la  priait  un  jour 
de  recueillir  chez  elle  une  jeune  fille  pauvre,  et  à  son 
grand  étonnement  il  essuya  un  refus  et  fut  obligé  de 
choisir  à  sa  protégée  une  autre  directrice.  Quelque  temps 
après  la  malheureuse  s'abandonnait  aux  séduciions  du 
monde,  et  sa  chute  expliquait  au  bon  prêtre  la  conduite 
de  sœur  Cécile. 

Les  Pères  Théatins  étaient  fort  inquiets  de  l'issue  d'un 
procès  dont  dépendait  l'existence  de  leur  couvent  de  Pa- 
lerme,  et  tous  leurs  amis  manifestaient  les  mêmes  crain- 
tes ;  car  le  gentilhomme  qui  les  attaquait  avait  une  grande 
influence.  Seule,  Cécile  paraissait  calme:  «  Prenez  con- 
«  fiance  »,  répétait-elle  souvent,  «  Dieu  est  avec  vous; 
«  vous  aurez  gain  de  cause  ».  L'événement  prouva  qu'elle 
avait  raison. 

On  cite  de  la  bienheureuse  Cécile  des  guérisons  mira- 
culeuses. Une  certaine  Laure  Calvino,  aveugle  de  nais- 
sance ,  recouvra  complètement  la  vue  par  la  seule 
imposition  du  crucifix  de  la  sainte  fille.  Une  femme  d'Al- 
caino  fut  de  la  même  façon  délivrée  du  démon.  Elle  rendit 


LA  BIENHEUREUSE  CÉCILE  PORTARO.  401 

la  santé  à  un  habitant  de  Palerme  en  lui  faisant  boire 
de  l'eau  bénite. 

Durant  les  dernières  années  de  sa  vie,  Cécile  fut 
éprouvée  par  de  cruelles  maladies.  Elle  les  supporta  avec 
joie  et  ne  songea  jamais  à  s'en  plaindre  :  «  0  Dieu  », 
disait-elle,  «  qui  avez  souffert  pour  les  hommes,  merci  à 
«  vous  de  ne  pas  me  trouver  indigne  de  porter  aussi  ma 
«  croix  !  » 

Au  commencement  de  l'année  4640,  ses  douleurs  de- 
vinrent si  vives  qu'elle  fut  obligée  de  garder  le  lit.  Ce- 
pendant sa  figure  conservait  la  même  sérénité,  et  son 
âme  le  même  calme  inaltérable.  Quand  les  forces  lui  re- 
venaient pour  quelques  instants,  elle  en  profitait  pour 
chanter  des  cantiques  d'actions  de  grâces.  Une  seule 
chose  la  tourmentait  :  elle  pensait  aux  pauvres  dont 
elle  était  la  providence,  et  qu'elle  ne  pouvait  plus  se- 
courir. On  lui  promit  d'en  avoir  soin  et  de  ne  les  laisser 
manquer  de  rien. 

Cependant,  sa  fin  approchait.  Un  soir  du  mois  de  juin, 
les  médecins  la  trouvèrent  si  faible,  qu'ils  prièrent  un 
prêtre  de  lui  donner  l'Extrême-Onction.  Il  s'y  refusa,  sous 
prétexte  qu'il  y  avait  trop  longtemps  qu'elle  avait  com- 
munié, et  il  fallut  un  ordre  exprès  de  l'archevêque  pour 
l'y  décider.  Cette  nuit-là,  qui  fut  la  dernière,  une  vierge 
éblouissante  de  blancheur  apparut  à  la  pauvre  malade, 
l'encouragea  par  de  douces  paroles,  et,  lui  imposant  les 
mains,  la  délivra  comme  par  enchantement  de  toutes  ses 
souffrances.  Puis  elle  entonna  le  Salve  Regina  etdisparut. 
Cécile  comprit  le  sens  de  cette  apparition  ;  elle  adressa 
quelques  recommandations  aux  personnes  qui  se  trou- 
vaient à  son  chevet,  et  expira,  le  19  juin  4G40. 

Palm.  Séraph.  —  Tome  VI.  26 


402  XIX  JUIN. 

Une  grande  foule  de  peuple,  à  la  nouvelle  de  sa  mort, 
accourut  de  tous  les  points  de  la  ville,  pour  contempler 
encore  une  fois  ses  précieux  restes.  Les  fidèles  baisaient 
ses  pieds  et  ses  mains,  et  coupaient  des  morceaux  de  ses 
vêtements,  qu'ils  emportaient  ensuite  comme  de  précieu- 
ses reliques.  En  même  temps  un  parfum  céleste  emplis- 
sait sa  chambre,  et  des  miracles  s'accomplissaient  autour 
de  son  corps. 

Il  serait  trop  long  d'énumérer  les  guérisons  inatten- 
dues provoquées  par  son  intercession.  Citons  seulement 
les  noms  de  Nympha  Doria,  de  Jeanne  Zumbo,  baronne 
de  Cellaro,  de  Jeanne  Ferrera,  de  Lucrèce  Romeo,  etc., 
toutes  atteintes  de  maladies  incurables  et  constitu- 
tionnelles ,  et  miraculeusement  rendues  à  la  santé 
par  le  seul  contact  de  la  main  ou  des  vêtements  de  la 
bienheureuse. 

Le  Père  Thomas  Anchora,  archevêque  de  Trani,  a  ra- 
conté la  vie  et  les  miracles  de  la  sainte  fille,  qui  avait  été 
sa  pénitente. 

{Chroniques  de  la  Prov.  de  Sicile.) 


PÈRE  ALPHONSE  DE  BETANZOS.  403 


VINGTIEME    JOUR    DE    JUIN 


PÈRE  ALPHONSE  DE  BETANZOS 

1566.  —  Pape  :  Saint  Pie  V.  —  Roi  d'Espagne  :  Philippe  II. 

SOMMAIRE  :  Anciennes  mœurs  des  habitants  de  Costa-Rica.  —  Le  Père  Alphonse 
de  Betanzos,  premier  missionnaire  évangélique  de  ce  pays.  —  Ses  compagnons, 
Laurent  Benvenuta  et  Jean  Pizarre.  —  Résultats  heureux  de  leurs  efforts.  —  Mort 
du  Père  Alphonse.  —  Fondation  de  la  province  de  Saint-Georges. 

Les  habitants  de  Costa-Rica,  dans  les  Indes  Occiden- 
tales, étaient  encore  plongés  dans  la  barbarie  et  vivaient 
dans  les  ténèbres  de  l'erreur  et  de  l'idolâtrie,  quand  le 
Père  Alphonse  de  Betanzos  vint  leur  apporter  la  lumière 
de  l'Evangile.  Ils  offraient  à  leurs  dieux  leur  propre 
sang,  se  déchiraient  la  chair  à  coups  de  couteau  au  pied 
de  leurs  autels,  parfois  même  immolaient  leurs  enfants. 
Leurs  prêtres,  sorte  de  sorciers  ou  de  jongleurs,  avaient 
sur  leurs  esprits  crédules  une  immense  influence,  dont,  il 
faut  le  dire,  ils  n'usaient  guère  que  pour  le  mal.  Lorsque 
Fun  d'eux  venait  à  mourir,  on  massacrait  sur  son  cadavre 
ses  esclaves,  ses  fils,  sa  femme  et  ses  plus  proches  pa- 
rents, que  l'on  ensevelissait  dans  le  même  tombeau.  Par 
une  coutume  qui  rappelle  un  trait  des  mœurs  des  anciens 
Egyptiens,  ils  plaçaient  auprès  des  corps  des  vivres  pour 
plusieurs  jours.  Le  mariage  n'était  pas  mentionné  dans 
leurs  lois  :  la  communauté  des  femmes  faisait  partie  de 
leurs  usages  immoraux. 

Tel  était  l'état  primitif  de  cette  belle  race,  quand  le 


404  XX  JUIN. 

Père  Alphonse  de  Betanzos  mit  le  pied  sur  son  territoire. 
Ce  missionnaire  était  né  à  Betanzos,  petite  ville  de  la 
Galice,  en  Espagne.  Son  zèle  bien  connu  pour  la  propa- 
gation de  la  foi,  sa  science  profonde  des  choses  de  la  re- 
ligion, enfin  la  grande  facilité  dont  il  était  doué  pour 
l'étude  des  langues,  le  signalèrent  à  l'attention  de  ses 
supérieurs,  qui  lui  confièrent  la  tâche  périlleuse  et  diffi- 
cile d'aller  annoncer  l'Evangile  dans  un  pays  jusqu'alors 
inexploré.  Il  s'était  déjà  fait  une  grande  réputation  d'a- 
pôtre des  Indes  Occidentales  au  Guatemala ,  où  il  se 
trouvait  encore  en  1550,  quand  un  ordre  de  ses  supé- 
rieurs l'envoya  à  Costa-Bica. 

Il  s'y  rendit,  en  compagnie  de  deux  frères  mineurs  qui 
l'aidèrent  à  convertir  et  à  baptiser  un  grand  nombre 
d'infidèles,  le  Père  Laurent  Benvenuta,  gardien  des  Fran- 
ciscains de  Yucatan,  et  le  Père  Jean  Pizarre,  plus  tard 
martyrisé  par  les  Quépians  (1). 

Le  Père  Alphonse  parcourut  avec  eux  non-seulement 
tout  le  pays  de  Costa-Bica,  mais  encore  les  vastes  contrées 
du  Honduras  et  du  Nicaragua,  enseignant  partout  en 
chemin  les  dogmes  de  la  religion  catholique,  plantant 
l'étendard  du  Christ  sur  les  sommets  des  montagnes  et 
au  milieu  des  vallées,  catéchisant  et  baptisant  au  nom 
du  Père,  du  Fils  et  de  l'Esprit.  Son  extérieur  avait  un  air 
de  majesté  simple  et  naïve  qui  commandait  le  respect  ; 
sa  douceur  angélique  lui  conciliait  tout  de  suite  l'amitié 
de  ceux  qui  le  voyaient  ou  l'entendaient.  On  compte  par 
milliers  les  conversions  qu'il  provoqua,  non  moins  par 
le  bel  exemple  de  sa  vie  austère  que  par  l'éloquence  de 

(1)  Voir,  au  cinquième  jour  Je  janvier  {Palmier  Séraphique,  tom.  I),  le  récit  de  la 
mission  et  du  martyre  de  Jean  Pizarre. 


PÈRE  ALPHONSE  DE  BETANZOS.  40S 

sa  parole.  Il  mourut  près  de  Chômes,  petite  ville  des 
Indes  Occidentales,  en  1566,  après  avoir  passé  plus  de  la 
moitié  de  sa  vie  au  milieu  des  infidèles. 

Plus  tard  on  transporta  ses  restes  mortels  à  Carthagène, 
et  une  inscription  rappela  qu'il  était  le  premier  apôtre 
chrétien  des  pays  de  Costa-Rica  et  de  Nicaragua.  Son  tom- 
beau fut  pendant  longtemps  l'objet  de  la  vénération  des 
Indiens  et  des  Espagnols  ;  et  l'on  y  venait  de  fort  loin 
en  pèlerinage. 

Cependant  le  Père  Laurent  Benvenuta  avait  amené  de 
l'Espagne  trente  frères  mineurs,  pour  travailler  avec  lui  à 
convertir  les  Indiens  :  peu  de  temps  après  le  Père  An- 
toine Sajas,  nommé  évoque  de  Nicaragua,  en  faisait  venir 
trente  autres  de  la  province  d'Andalousie,  et  fondait, 
en  1575,  la  province  de  Saint-Georges,  martyr.  Elle 
comptait  déjà  douze  couvents,  soixante-dix-huit  ermitages, 
vingt-cinq  missions  et  treize  autres  maisons  avec  des 
églises,  où  les  Indiens  se  portaient  en  foule  pour  s'ins- 
truire des  vérités  de  la  foi  et  recevoir  le  baptême. 

(Gonzague  et  Barrezzo.) 


406  XX  JUIN. 

CÉCILE  JOANELLI  CASTELLA 

DU  TIERS  ORDRE 

1641.  —  Pape  :  Urbain  VIII.  —  Roi  de  France  :  Louis  XIII. 


CHAPITRE  PREMIER. 

SOMMAIRE  :  Origine  et  famille  de  la  bienheureuse  Cécile.  —  Sa  jeunesse  et  ses 
vertus  précoces.  —  Elle  se  trace  à  elle-même  une  règle  de  conduite.  —  Ses  aspira- 
tions à  la  vie  religieuse.  —  Ses  projets  avortent  et  on  la  marie  à  Benoît  Joanelli. 

—  Affection  qu'elle  inspire  à  toute  sa  maison,  et  eu  particulier  à  son  beau-père. 

—  Sa  maladie.  —  Sa  conduite  comme  maîtresse,  épouse  et  mère. 

Au  nombre  des  saintes  femmes  qui  ont  honoré  par 
leurs  vertus  le  Tiers  Ordre  de  Saint-François  pendant  le 
dix-septième  siècle,  il  faut  placer  la  bienheureuse  Cécile 
Joanelli  Castella  ,  tante  d'une  autre  Cécile  Castella , 
vierge  du  Tiers  Ordre,  dont  nous  avons  raconté  la  vie  au 
onzième  jour  de  mars.  Elle  était  fille  de  Nicolas  Castelli 
et  de  Julie  Joanelli  ;  l'une  de  ses  sœurs,  Paula,  est  la 
mère  du  pape  Innocent  XI.  Cécile  naquit  en  1587,  à  Gan- 
dino,  un  grand  et  beau  village  des  environs  de  Bergame, 
dans  les  possessions  de  Venise.  Sa  mère  l'éleva  avec  une 
touchante  sollicitude  et  prit  soin  surtout  de  la  former  à 
la  vertu.  Elle  croissait  en  grâce  et  en  sagesse  au  milieu 
des  enfants  de  son  âge,  comme  autrefois  Jésus  parmi  les 
fils  des  Juifs.  D'une  dévotion  toute  filiale  et  pour  ainsi 
dire  instinctive  à  la  Mère  des  Anges,  elle  récitait  chaque 
jour,  même  avant  de  pouvoir  les  comprendre,  les  litanies 
de  la  Vierge  et  les  prières  du  rosaire. 


CÉCILE  JOANELLI  CASTELLA.  407 

Dès  que  son  intelligence  commença  à  discerner  le  bien 
du  mal  et  les  choses  du  ciel  de  celles  de  ce  monde,  elle 
se  promit  à  elle-même  d'être,  pendant  sa  vie  entière,  à 
Dieu  plutôt  qu'aux  hommes.  Son  extérieur  était  agréable 
et  doux,  ses  manières  enfantines  et  naïves,  ses  yeux  bleus 
comme  l'azur  reflétaient  une  âme  pure  et  sereine.  Dans 
ses  moindres  paroles  et  dans  ses  moindres  actions,  on 
sentait  une  piété  touchante  qui  la  faisait  aimer.  Elle 
voyait  dans  son  père  une  image  du  Sauveur,  dans  sa 
mère  le  portrait  vivant  de  la  Vierge  Marie,  dans  tous  ses 
parents  l'incarnation  de  son  ange  gardien  ou  de  ses  saints 
patrons. 

A  mesure  qu'elle  grandissait,  sa  vertu  devenait  plus 
grave  et  plus  réfléchie,  sans  cesser  cependant  d'être 
aimable.  Elle  jeûnait  très-souvent,  et  les  jours  où  elle  le 
faisait,  elle  donnait  en  secret  aux  pauvres  la  nourriture 
qui  lui  était  destinée.  Elle  se  préparait  à  célébrer  digne- 
ment les  grandes  fêtes  de  l'Eglise  par  un  jeûne  de  qua- 
rante heures,  des  lectures  pieuses,  des  méditations;  quel- 
quefois elle  réunissait  autour  d'elle  des  jeunes  filles  du 
voisinage,  et  leur  adressait  des  exhortations  et  des  encou- 
ragements à  la  vertu,  ou  bien  encore  elle  allait  prier  avec 
elles  dans  quelque  endroit  solitaire. 

Cette  bienheureuse  vierge,  si  pieuse,  si  douce,  si  péné- 
trée d'amour  pour  Jésus  crucifié,  semblait  être  destinée 
à  vivre,  dans  un  couvent,  de  la  vie  austère  et  calme  des 
religieuses  cloîtrées  :  c'était  là,  en  effet,  où  tendaient 
tous  ses  désirs  ;  elle  s'y  préparait  déjà  par  la  mortification 
et  la  retraite.  A  l'âge  où  d'ordinaire  les  jeunes  filles 
recherchent  les  plaisirs  du  monde  et  Jes  sociétés  joyeuses, 
elle  se  retirait  dans  sa  chambre,  et  au  lieu  de  songer 


408  XX  JUIN. 

comme  ses  compagnes  aux  fêtes  du  lendemain,  elle  s'im- 
posait à  elle-même  une  règle  de  vie  sévère.  «  Une  humi- 
«  lité  profonde  »,  écrivait-elle,  «  un  mépris  constant  du 
«monde  et  de  soi-même,  une  patience  inaltérable, 
«  l'abandon  absolu  de  toute  volonté  personnelle,  la  sou- 
a  mission  aux  ordres  d'autrui,  une  aspiration  de  tous  les 
«  instants  à  la  souffrance  et  à  l'épreuve,  voilà,  Cécile, 
«  quel  doit  être  le  programme  de  ta  vie  ».  Elle  fit  mieux 
que  d'écrire  ces  belles  paroles ,  elle  les  mit  à  exécu- 
tion. 

On  la  voyait  souvent  à  genoux,  dans  sa  chambre, 
devant  une  statue  de  la  très-sainte  Vierge,  versant  des 
torrents  de  larmes,  le  visage  prosterné  à  terre,  et  on 
l'entendait  dire  :  «  Seigneur,  tout  ce  que  vous  voulez,  je 
a  le  veux  moi-même,  et  comme  vous  le  voulez  ».  C'est 
qu'alors  elle  offrait  à  Dieu  le  plus  grand  de  tous  les  sa- 
crifices, celui  de  son  vœu  le  plus  cher  ;  une  voix  inté- 
rieure lui  défendait  d'entrer  dans  un  couvent,  et  c'était 
là  son  seul  désir  et  son  unique  envie.  Toute  soumise 
qu'elle  était  aux  décrets  de  la  Providence,  elle  essaya 
d'en  fléchir  la  rigueur  par  des  prières  et  des  ma- 
cérations ;  mais  elle  ne  put  y  parvenir  et  elle  se 
résigna. 

Belle  et  riche  comme  elle  l'était,  un  grand  nombre 
de  gentilshommes  la  demandèrent  en  mariage.  Benoît 
Joanelli,  grand  seigneur  d'une  haute  naissance,  fut  agréé 
par  sa  famille  et  l'épousa.  Le  mariage  se  célébra  avec 
pompe,  et  la  pieuse  Cécile,  ressemblant  plutôtà  une  morte 
qu'à  une  fiancée,  quitta,  selon  le  mot  de  l'Evangile,  son 
père  et  sa  mère  pour  suivre  son  époux.  C'est  peut-être 
la  plus  terrible  épreuve  qu'elle  supporta  de  sa  vie. 


CÉCILE  JOANELLI  CASTELLA.  409 

Devenue  maîtresse  d'une  immense  maison  par  la  mort 
de  sa  belle-mère,  elle  se  concilia  l'affection  de  ses  domes- 
tiques par  une  douceur  et  une  patience  inaltérables.  La 
seule  chose  qu'elle  en  exigeât,  c'est  qu'ils  entendissent 
tous  les  jours  la  messe  et  qu'ils  ne  se  permissent  jamais, 
en  sa  présence,  une  parole  sacrilège  ou  même  légère. 
Son  beau-père,  vieux  et  accablé  d'infirmités,  la  considé- 
rait comme  un  ange  venu  du  ciel  sur  la  terre,  et  ne  pou- 
vait plus  se  passer  de  ses  soins.  Comme  il  était  constam- 
ment forcé  de  garder  le  lit,  il  l'appelait  auprès  de  lui,  et 
son  seul  aspect  et  le  son  de  sa  voix  calmaient  ses  souf- 
frances. Elle  obtint  de  son  amitié  qu'il  mourût  pieuse- 
ment, après  avoir  fait  sa  paix  avec  l'Eglise,  dont  il  avait 
vécu  trop  longtemps  séparé. 

Vers  cette  époque  Cécile  fut  atteinte  d'une  maladie 
très-dangereuse,  et  l'on  craignit  beaucoup  pour  sa  vie. 
Elle  seule  redoutait  peu  de  mourir  ;  cependant  l'affection 
qu'elle  avait  pour  son  mari  et  le  chagrin  que  sa  perte 
lui  causerait,  la  rattachaient  encore  un  peu  à  ce  monde 
misérable.  Une  sainte  femme,  dont  elle  suivait  toujours 
les  conseils,  lui  fit  prononcer  le  vœu  de  porter  pendant 
une  année  entière  la  robe  des  Carmélites,  si  elle  échap- 
pait à  la  mort.  Elle  guérit  en  effet,  comme  par  miracle, 
et  son  mari  lui  accorda  de  bon  cœur  la  permission  d'ac- 
complir son  vœu,  tout  bizarre  peut-être  qu'il  lui  parut. 
Quelque  temps  après  elle  prit  le  voile  et  le  costume  du 
Tiers  Ordre  de  Saint-François. 

La  bienheureuse  Cécile  était  d'une  sobriété  de  paroles 
excessive.  Toute  conversation  avec  elle  était  impossible  ; 
elle  ne  prononçait  jamais  que  ces  mots  :  «  En  vérité, 
«  la  chose  est  ainsi  »  ;  ou  bien  :  «  Non,  en  vérité,  cela 


410  XX  JUIN. 

«  n'est  pas  »  .  C'est  qu'elle  s'entretenait,  au  fond  de  son 
cœur,  avec  son  Fiancé  céleste,  à  qui  elle  racontait  ses 
douleurs  et  ses  regrets. 

Au  milieu  des  richesses  qui  l'entouraient  de  tous  côtés, 
dans  un  palais  somptueux,  elle  pratiqua  durant  toute  sa 
vie  la  sainte  pauvreté  avec  un  zèle  inimaginable.  Sa  nour- 
riture était  plus  humble  que  celle  de  ses  domestiques  ; 
les  légumes  les  plus  mauvais,  le  pain  le  plus  noir  et  le  plus 
sec  lui  semblaient  encore  trop  délicats.  Elle  donnait  aux 
malheureux  son  linge  fin  et  ses  robes  de  velours  et  de 
soie,  et  ne  gardait  pour  elle-même  qu'un  méchant  vête- 
ment de  bure,  qu'elle  porta  jusqu'à  sa  mort,  par  mépris 
pour  le  monde  et  pour  ses  vanités. 

Son  confesseur  exerçait  sur  son  âme  la  même  autorité 
que  Dieu,  dont  il  était  le  représentant  à  ses  yeux  ;  elle  lui 
exposait  en  peu  de  mots  l'état  de  sa  conscience,  toujours 
tranquille  et  sereine ,  puis  s'entretenait  avec  lui  des 
choses  du  ciel.  Jamais  elle  ne  causa  à  son  mari  la  plus 
légère  contrariété,  et  une  lettre  qu'il  écrivit  par  la  suite, 
quand  elle  fut  morte,  à  quelqu'un  de  ses  amis,  en  est  la 
preuve  irrécusable  :  «  J'affirme  sur  l'honneur  »,  lui  dit-il, 
«  que  durant  trente  années  que  nous  avons  vécu  en- 
«  semble,  elle  ne  m'a  jamais  adressé  un  mot  de  reproche 
o  ni  une  parole  dure  ou  blessante  ». 

Elle  fut  aussi  une  bonne  mère  et  une  mère  chré- 
tienne. Du  jour  où  Dieu  lui  donna  des  enfants  ,  elle 
se  proposa  un  but  :  les  élever  selon  la  foi  dans  la 
crainte  du  Seigneur.  Tout  petits  et  encore  au  berceau, 
elle  les  portait  dans  ses  bras  à  l'église,  et,  les  déposant 
sur  l'autel,  offrait  à  Dieu  leur  jeune  âme.  Elle  eut  le 
bonheur,  trop  rare  hélas  !  de  les  voir  grandir  dans  le  res- 


CÉCILE  JOANELLÏ  GASTELLA.  411 

pect  de  la  religion  et  l'amour  du  Très-Haut,  précieuse 
récompense  d'une  piété  constante  et  d'une  sollicitude  de 
tous  les  instants.  Leurs  belles  qualités  ne  firent  que  se 
développer  avec  l'âge,  et  pour  en  faire  de  parfaits  chré- 
tiens, il  lui  suffit  d'aider  au  développement  des  généreux 
instincts  que  la  nature,  ou  plutôt  Dieu,  avait  déposé  en 
germe  dans  leur  cœur. 

Quand  ils  furent  capables  de  commencer  leurs  études, 
elle  les  plaça  dans  un  collège  de  Jésuites,  en  recom- 
mandant bien  aux  bons  Pères,  ce  qui  d'ailleurs  était 
inutile,  de  les  diriger  avec  soin  dans  les  voies  du  Sei- 
gneur. Ils  se  complaisaient  dans  la  prière,  les  œuvres  de 
charité  et  les  aumônes.  Une  mère  comme  Cécile  pouvait- 
elle  désirer  d'autres  enfants  ? 

Il  en  fut  de  ses  filles  comme  de  ses  fils,  une  même 
éducation  amena  les  mêmes  résultats.  Humbles  et  mo- 
destes, aussi  pures  et  aussi  belles  que  leur  mère,  elles 
possédèrent  à  un  moindre  degré,  il  est  vrai,  ses  qualités 
et  ses  vertus.  Une  simplicité  charmante  fut  leur  seule 
parure,  et  le  monde,  qu'elles  ignorèrent  toujours,  n'eut 
pas  un  seul  instant  le  moindre  attrait  pour  leurs  jeunes 
cœurs.  Les  mérites  éclatants  de  Cécile  avaient  fait  des- 
cendre sur  toute  sa  famille  les  bénédictions  d'en  haut. 

CHAPITRE  II. 

SOMMAIRE  :  Austérités  de  la  bienheureuse  Cécile.  —  Sa  famille  essaie  en  vain  de 
l'arrêter  dans  ses  mortifications.  —  Désir  qu'elle  a  de  souffrir  pour  son  Dieu.  — 
Elle  demande  à  sa  nièce,  Benoîte  Castella,  de  prier  pour  elle  dans  ce  sens.  —  Sa 
charité,  compassion  pour  les  malheureux,  et  son  inaltérable  patience.  —  Sa  piété 
pour  les  âmes  du  purgatoire,  et  comment  elle  est  récompensée. 

La  bienheureuse  Cécile  mena  jusqu'à  sa  mort,  dans  son 
palais  somptueux,  la  vie  sévère  et  dure  des  plus  austères 


412  XX  JOIN. 

religieuses.  Sa  nourriture  était  peu  abondante  et  mal 
préparée  ;  elle  jeûnait  quatre  fois  toutes  les  semaines, 
vivait  de  pain  et  d'eau  pendant  tout  l'Avent  du  Tiers 
Ordre,  la  veille  de  toutes  les  grandes  fêtes  de  l'Eglise,  et 
les  jours  où  elle  s'approchait  de  la  sainte  Table.  En  dehors 
des  heures  fixées  invariablement  pour  ses  repas,  jamais 
une  goutte  d'eau  ne  mouilla  ses  lèvres. 

Tous  les  vendredis,  elle  se  ceignait  la  taille  avec  une 
corde  garnie  de  nœuds  et  de  pointes  de  fer.  Elle  se  don- 
nait la  discipline  avec  tant  de  violence,  que  son  sang  jail- 
lissait sur  les  murs  de  sa  chambre,  et  qu'après  sa  mort 
on  vit  sur  tout  son  corps  de  larges  taches  noires.  En  vain 
ses  filles,  qui  l'aimaient  tendrement  et  que  de  telles 
austérités  faisaient  frémir  de  terreur,  essayèrent-elles  de 
lui  enlever  quelquefois  ses  instruments  de  mortification  ; 
Cécile  en  inventait  de  plus  cruels,  et  les  pauvres  enfants 
durent  renoncer  à  leur  ruse  filiale,  en  voyant  que  leur 
mère  remplaçait  le  fouet  par  des  tisons  ardents. 

La  sainte  femme  couchait  seule  dans  un  petit  cabinet 
dont  tout  le  mobilier  était  une  planche  qui  lui  servait  de 
lit.  Souvent  elle  passait  la  nuit  entière  à  prier,  surtout 
quand  le  jour  suivant  était  un  vendredi,  ou  qu'elle  devait 
communier  à  la  messe  du  matin.  A  force  de  se  mettre  à 
genoux  sur  la  pierre  nue,  elle  éprouvait  aux  jambes  de 
vives  douleurs,  et,  sur  la  fin  de  sa  vie,  il  lui  était  devenu 
impossible  de  marcher. 

Souffrir  semble  avoir  été  sa  grande  préoccupation  et  le 
but  de  son  existence  ;  elle  eût  volontiers  pris  pour  devise 
ces  paroles  de  sainte  Thérèse:  «  Souffrir  ou  mourir». 
Quand  elle  se  recommandait  aux  prières  de  ses  amies  ou 
de  son  confesseur,  elle  n'oubliait  jamais  d'ajouter  ;  «  Priez 


CÉCILE  JOANELLI  CASTELLA.  413 

«  Dieu  surtout  qu'il  ne  m'abandonne  pas  malgré  mes 
«  fautes,  et  qu'il  me  purifie  des  souillures  du  péché  par 
«  les  douleurs  et  les  épreuves  ».  Un  jour,  elle  s'entrete- 
nait avec  sa  sœur  Catherine,  qui  avança  aussi  très-loin 
dans  les  sentiers  de  la  perfection  [  dans  cette  famille  pri- 
vilégiée, tout  le  monde  avait  une  plus  ou  moins  grande 
part  de  vertus)  :  «  Que  puis-je  faire,  Seigneur  »,  s'écriait- 
elle,  «  que  puis-je  faire,  moi  misérable,  moi  monstre 
«  d'ingratitude,  pour  vous,  ô  mon  Dieu,  qui  avez  tant 
«  souffert  pour  moi  »;  et  tout  à  coup,  comme  inspirée  par 
l'Esprit-Saint,  debout  et  les  mains  étendues,  elle  ajoutait: 
«  Des  souffrances,  ô  Dieu,  des  croix  et  des  plaies,  voilà 
a  tout  ce  que  je  vous  demande  ;  des  souffrances,  et  puis 
«  la  mort,  rien  autre  chose  !  Je  voudrais  vous  chérir,  vous 
«  adorer,  vous  servir  comme  vous  en  êtes  digne  ;  mais, 
a  le  puis-je,  Seigneur,  si  vous  ne  m'y  aidez  :  des  dou- 
er leurs,  des  douleurs,  ô  mon  Dieu,  des  douleurs  et  des 
«  croix  !  » 

Souvent  elle  priait  sa  nièce,  Benoîte  Castella,  religieuse 
du  couvent  de  Gandino,  d'intercéder  pour  elle  dans  ce 
sens  auprès  de  Dieu  ;  elle  ne  pouvait  manquer,  fiancée 
du  Christ,  et  -vierge  comme  elle  était,  d'être  favorable- 
ment écoutée.  Benoîte  ne  savait  que  répondre  ;  sa  tante, 
à  son  gré,  se  mortifiait  et  souffrait  assez  pour  le  ciel;  mais 
elle  n'eût  jamais  osé  lui  dire  ce  qu'elle  disait  à  propos 
d'elle  à  ses  sœurs  :  «  La  vie  de  cette  femme  est  un  per- 
«  pétuel  martyre  :  son  âme  est  sans  cesse  blessée,  et  son 
«  corps  n'est  qu'une  plaie  ;  je  crois  que  nous  ne  devons 
«  pas  demander  à  Dieu  de  lui  envoyer  de  nouvelles 
a  épreuves  ». 

A  la  suite  d'une  maladie  fort  douloureuse,  Cécile  vint 


414  XX  JUIN. 

faire  visite  à  cette  nièce,  qui  l'interrogea  tout  d'abord  sur 
l'état  de  sa  santé  et  lui  manifesta  le  désir  de  la  voir  se 
modérer  un  peu  dans  la  pratique  de  ses  mortifications: 
«  Non,  ma  fille  »,  lui  répondit-elle,  «vous  vous  trompez, 
«  je  n'ai  pas  assez  souffert,  et  je  sais  bien  maintenant  que 
«  si  vous  aviez  prié  Dieu  pour  moi,  il  ne  m'eût  pas  ainsi 
«  épargnée  ;  c'est  le  martyre  dont  j'ai  soif  ;  ces  douleurs- 
«  là  sont  des  roses  » . 

On  pourrait  croire  que  cette  sainte  femme,  si  dure  pour 
elle-même,  était  dure  aussi  pour  les  autres  et  ne  com- 
patissait pas  aux  peines  des  malheureux.  Il  n'en  est  rien 
cependant  ;  au  contraire,  elle  eût  voulu  prendre  sur  elle 
toutes  les  misères  du  monde  et  attirer  sur  sa  tête,  comme 
elle  le  disait,  toutes  les  punitions  du  Tout-Puissant.  Sa 
charité  ingénieuse  trouvait  mille  moyens  de  s'exercer 
sans  ostentation  et  sans  vanité  ;  la  consolation  et  l'espé- 
rance coulaient  de  sa  bouche,  et  descendaient  plus  dou- 
ces que  le  miel  dans  l'âme  de  ceux  qui  souffraient  ;  aux 
faibles  elle  rendait  la  confiance  en  Dieu  par  des  paroles 
tendres  et  caressantes  ;  aux  forts,  elle  relevait  le  courage 
par  de  grandes  pensées  et  de  nobles  exemples.  Sa  nièce 
se  plaignait  un  jour  des  misères  de  cette  vie  ;  elle  court 
à  elle  les  bras  étendus  :  «  Vois,  ma  fille,  vois  cette  croix  ; 
«  c'est  sur  cette  croix  que  ton  Dieu  est  mort  ;  allons, 
«  apprends  à  souffrir  en  considérant  Celui  qui  s'est  im- 
«  mole  sur  la  croix  pour  le  salut  des  hommes  » . 

Quand  Cécile  sortait  de  sa  maison,  une  foule  d'hom- 
mes, de  femmes  et  d'enfants,  s'attachaient  à  ses  pas,  attirés 
par  ses  manières  bienveillantes  et  sa  bonté  bien  connue. 
Aux  uns  elle  donnait  de  l'argent,  aux  autres  des  vête- 
ments, à  d'autres  des  vivres.  Elle  ne  se  mettait  jamais  en 


CÉCILE  JOANELLI  CASTELLA.  415 

route,  sans  emporter  avec  elle  de  quoi  faire  l'aumône 
aux  malheureux  qu'elle  pouvait  rencontrer.  Pendant 
une  famine  qui  ravagea  la  plus  grande  partie  de  l'Italie, 
elle  nourrit  et  empêcha  de  mourir  de  faim  plusieurs 
milliers  de  personnes  :  <*  Seigneur  »,  disait-elle  en  pleu- 
rant ,  a  donnez-moi  le  moyen  de  venir  en  aide  à  tant 
ot  de  misère,  ou  bien  rendez-moi  aussi  pauvre  que  les 
«  plus  pauvres  d'entre  eux  ».  Elle  avait  la  délicatesse,  qui 
vaut  mieux  que  l'aumône  elle-même  ;  elle  savait  décou- 
vrir les  souffrances  cachées,  les  âmes  trop  fières  qui 
n'osaient  pas  se  plaindre,  et  elle  portait  elle-même,  la  nuit, 
ce  dont  elle  savait  qu'on  avait  besoin. 

Les  malades  étaient  aussi  l'objet  de  sa  sollicitude. 
C'est  elle  qui  préparait  les  remèdes  prescrits  par  les  mé- 
decins, qui  pansait  les  plaies  du  corps,  et  quelquefois 
aussi  les  plaies  de  l'âme,  beaucoup  plus  difficiles  à  gué- 
rir. Dans  les  hospices,  on  l'appelait  la  bonne  dame,  et  les 
pauvres  veuves  qu'elle  allait  voir  dans  leur  maison, 
dont  elle  faisait  le  lit,  à  qui  elle  apportait  du  pain,  du 
bouillon  et  du  vin,  la  regardaient  comme  une  seconde 
Providence. 

Elle  mettait  à  l'accomplissement  de  ce  pieux  devoir  un 
zèle  infatigable  et  une  patience  infinie.  Pendant  plus  de 
deux  ans,  elle  servit  en  quelque  sorte  de  femme  de  cham- 
bre à  une  pauvre  vieille  qui  habitait  une  masure  isolée 
à  une  demi-lieue  de  Gandino  ;  elle  lui  lavait  son  linge  et 
lui  raccommodait  ses  vêtements.  Sa  patience  fut  mise  à 
une  rude  épreuve  par  un  soldat  blessé  dangereusement, 
et  à  qui  ses  douleurs  avaient  presque  fait  perdre  l'esprit. 
Il  ne  consentit  jamais  à  être  soigné  par  une  autre  per- 
sonne  que  Cécile  ;  il  exigea  qu'elle-même,  en  sa  pré- 


416  XX  JUIN. 

sence,  préparât  sa  nourriture  et  sa  boisson  ;  en  un  mot, 
qu'elle  demeurât  auprès  de  lui  jour  et  nuit.  La  sainte 
femme  se  soumit  à  ce  caprice  de  malade  avec  une  rési- 
gnation et  une  douceur  angéliques  ;  elle  n'en  reçut  pour 
remerciements  que  des  injures,  des  sarcasmes,  des  pa- 
roles grossières  et  des  outrages,  et  jamais  cependant  elle 
ne  manifesta  ni  dépit,  ni  colère. 

Les  âmes  du  purgatoire,  condamnées  à  ne  pas  jouir  de 
la  vue  du  Seigneur  pendant  un  laps  de  temps  plus  ou 
moins  long,  et  qui  sentent  cependant  tout  le  prix  d'une 
pareille  félicité,  inspiraient  aussi  à  la  bienheureuse  Cécile 
une  profonde  pitié.  Non  contente  de  prier  pour  leur  déli- 
vrance, elle  faisait  encore  dire  des  messes  à  leur  in- 
tention. Plusieurs  miracles  lui  prouvèrent  par  la  suite 
que  ses  supplications  en  leur  faveur  avaient  été  exau- 
cées. 

En  1641,  son  mari  et  son  fils  aîné  furent  surpris  dans 
la  montagne  par  une  bande  de  voleurs,  et  ils  s'atten- 
daient à  être  massacrés,  quand  tout  à  coup,  sans  motif 
apparent,  les  bandits  prirent  la  fuite.  Quelques  mois  plus 
tard,  on  eut  l'explication  de  cette  étrange  aventure  :  l'un 
des  scélérats  pris  par  les  soldats  du  duc  raconta  que, 
au  moment  où  ils  allaient  faire  un  mauvais  parti  au 
comte  Joanelli  et  à  son  fils,  ils  avaient  entendu  un 
bruit  de  trompettes  et  aperçu  des  cavaliers  qui  s'avan- 
çaient, plus  rapides  que  le  vent,  au  secours  des  deux  gen- 
tilshommes. Tout  le  monde,  à  ce  récit,  proclama  d'une 
voix  unanime  que  c'étaient  les  âmes  délivrées  par  les 
prières  de  Cécile,  qui  avaient  ainsi,  sous  l'apparence  de 
cavaliers  armés,  délivré  son  mari  et  son  fils  des  mains 
des  bandits. 


CÉCILE  JOANELLI  CASTELLA.  417 


CHAPITRE  III. 

SOMMAIRE  :  Amour  de  Dieu  et  piété  de  la  bienheureuse  Cécile.  —  Sa  dévotion 
aux  souffrances  du  Sauveur.  —  Son  heureuse  influence  et  conversions  qu'elle  pro- 
voque. —  Protecteurs  et  patrons  de  Cécile.  —  Sa  confiance  en  la  bienheureuse 
Vierge  Marie.  —  Sa  dernière  maladie.  —  Courage  avec  lequel  elle  la  supporte. — 
Sa  mort.  —  Douleur  universelle. 


Les  belles  vertus  de  noire  bienheureuse,  si  variées  et 
si  multiples,  avaient  toutes  leur  point  de  départ  dans  ce 
que  Ton  pourrait  appeler  la  vertu  par  excellence,  à  savoir 
l'amour  de  Dieu.  C'est  parce  que  Cécile  aimait  Dieu, 
qu'elle  se  mortifiait  et  voulait  souffrir.  Ce  sentiment  qui 
l'animait  lui  dictait  ses  devoirs  de  mère  et  d'épouse  chré- 
tienne, et  en  faisait  la  consolatrice  et  la  seconde  provi- 
dence des  malheureux. 

Son  état  le  plus  naturel,  pour  ainsi  dire,  était  la  médi- 
tation et  l'extase.  En  été,  par  les  ardeurs  du  soleil,  Cécile 
se  mettait  à  genoux  en  plein  air,  et  priait  ;  pendant  les 
plus  grands  froids  de  l'hiver,  elle  se  levait  à  une  heure 
du  matin,  et  priait  encore  dans  son  oratoire  jusqu'au 
lever  de  l'aurore.  Que  ses  mains  fussent  ou  non  occupées, 
son  esprit  ne  cessait  pas  un  moment  de  s'élever  à  Dieu  : 
transportée  par  l'imagination  au  temps  où  vivait  le  Sau- 
veur, elle  le  voyait  tout  enfant  dans  l'atelier  de  saint 
Joseph  ;  elle  le  suivait  au  temple  et  l'entendait  confondre 
les  docteurs  d'Israël  par  sa  sagesse  précoce  ;  puis,  assis- 
tant à  son  long  martyre,  elle  priait  à  ses  côtés  dans  le  jar- 
din des  Oliviers,  gravissait  le  Calvaire  avec  les  saintes 
femmes  et  poussait  le  même  cri  de  douleur  que  la  divine 
Mère,  quand  le  grand  Crucifié  expirait.  Alors,  le  cœur 
plein  d'amertume  et  débordant  d'amour,  elle  tombait  à 
genoux  sur  la  pierre  de  l'autel  et  s'écriait:  a  Mon  Dieu, 
Palm.  Séraph.  —  Tome  VI.  27 


418  XX  JUIN. 

«  que  ne  puis-je  vous  imiter  et  me  sacrifier  comme  vousl 
o  que  n'ai-je  mille  cœurs  à  vous  offrir  I  » 

Cécile  savait  inspirer  à  ceux  qui  l'entouraient  les  bons 
sentiments  dont  son  cœur  était  rempli.  Elle  ramena 
au  giron  de  l'Eglise,  par  son  exemple  aussi  bien  que  par 
ses  paroles,  un  grand  nombre  d'âmes  égarées.  Un  gen- 
tilhomme de  sa  connaissance  vivait  avec  une  courtisane 
et  s'enfonçait  de  plus  en  plus  dans  cette  honte  malgré  les 
reproches  de  sa  famille  ;  Cécile  n'hésita  pas  à  se  rendre 
auprès  de  lui,  et  fit  si  bien  qu'elle  obtint  de  lui  la  pro- 
messe formelle  de  rentrer  dans  la  bonne  voie.  Il  tint 
parole  en  effet,  et  se  maria  peu  de  temps  après  avec  une 
pieuse  jeune  fille. 

Notre  bienheureuse  s'était  choisi  dans  le  ciel  de  tout- 
puissants  protecteurs,  saint  Pierre  d'Alcantara  et  sainte 
Thérèse;  mais  surtout  saint  Joseph,  saint  Jean  et  la  très- 
sainte  Vierge.  Cécile  avait  une  dévotion  toute  particu- 
lière à  la  Reine  des  Anges,  et  récitait  tous  les  jours  en  son 
honneur  son  rosaire  et  les  litanies.  Sa  confiance  en  Marie 
était  illimitée,  et  l'on  peut  dire  qu'elle  ne  fut  jamais 
déçue.  Une  peste  terrible  ravageait  Gandino  et  les  en- 
virons, et  Cécile,  craignant  pour  son  mari  et  pour  ses 
enfants  les  atteintes  du  fléau,  fit  vœu  de  bâtir  une  cha- 
pelle en  l'honneur  de  Marie,  si  elle  couvrait  sa  famille 
de  sa  salutaire  protection.  La  maladie  passa  sans  s'at- 
taquer à  la  maison  de  Cécile. 

Les  prières  delà  sainte  femme  étaient  d'ailleurs  presque 
toujours  exaucées  :  c'était  la  récompense  méritée  de  tant 
de  vertu  et  de  piété. 

Cependant  la  fin  de  sa  vie  approchait ,  ses  forces 
allaient  sans  cesse  décroissant,  et  Cécile  se  livrait  comme 


CÉCILE  JOANELLI  CA.STELLA.  419 

par  le  passé  à  d'austères  pratiques,  sans  se  soucier  de 
son  pauvre  corps  épuisé ,  qui  n'était  plus  assez  ro- 
buste pour  contenir  cette  âme  si  fortement  trempée. 
Il  fallut  l'ordre  formel  de  son  confesseur,  pour  la  déci- 
der à  ne  plus  jeûner  qu'une  fois  par  semaine  et  à  ne 
plus  s'infliger  la  discipline.  Bientôt  elle  fut  obligée  de 
garder  le  lit.  L'approche  de  la  mort  ne  l'effraya  point  : 
ce  n'était  à  ses  yeux  que  le  commencement  d'une  vie 
plus  heureuse  ;  elle  souriait  doucement  quand  on  lui 
parlait  de  projets  d'avenir.  Elle  savait  bien  qu'une  seule 
chose  lui  restait  à  faire  :  se  préparer  à  paraître  devant  le 
tribunal  de  Dieu. 

Sa  maladie  dura  trois  mois  ;  ce  qu'elle  souffrit  pen- 
dant ce  temps  est  presque  incroyable.  Jamais,  cepen- 
dant, on  ne  l'entendit  s'en  plaindre;  elle  s'en  réjouis- 
sait au  contraire,  persuadée  qu'il  vaut  mieux  expier 
ses  fautes  dans  ce  monde  que  dans  l'autre,  et  elle 
en  remerciait  Dieu  comme  d'une  grâce  spéciale.  Elle 
communiait  souvent  pour  se  donner  des  forces,  et  chaque 
fois  elle  puisait  dans  le  saint  Sacrement  une  vigueur  et 
un  courage  nouveaux.  On  priait  pour  Cécile  dans  toutes 
les  églises,  on  disait  des  messes  à  son  intention,  on 
demandait  à  Dieu  de  la  conserver  à  ceux  qui  l'aimaient 
et  qui  avaient  encore  besoin  d'elle  ;  mais  le  Seigneur 
avait  jugé ,  dans  son  infinie  sagesse ,  que  sa  servante 
était  mûre  pour  le  ciel,  et  la  maladie,  loin  de  s'arrêter, 
alla  sans  cesse  empirant.  Durant  les  derniers  jours , 
quand  ses  forces  le  lui  permirent,  notre  bienheureuse 
rassembla  autour  d'elle  ses  parents  et  ses  amis,  et  tou- 
jours prête  à  s'accuser  de  fautes  qu'elle  n'avait  pas 
commises,  elle  implorait  d'eux   son  pardon  pour  le 


420  XX  JUIN. 

scandale  dont  elle  avait  pu  être  cause.  Les  assistants 
pleuraient  à  chaudes  larmes.  Son  confesseur  lui  donna 
alors  l'absolution  générale  de  tous  ses  péchés  ;  puis 
elle  reçut  les  Sacrements  des  mourants,  le  saint  Viatique 
et  l'Extrême-Onction. 

En  ce  moment  une  telle  sérénité  se  répandit  sur  tout 
son  visage,  qu'elle  parut  revenir  à  la  vie  :  c'était  la  mort 
qui  approchait.  Cécile  expira,  en  effet,  quelques  instants 
après,  son  crucifix  dans  les  mains,  en  murmurant  les 
doux  noms  de  Jésus  et  de  Marie.  C'était  le  20  juin  de 
l'année  1641.  Notre  bienheureuse  était  âgée  de  cinquante- 
huit  ans. 

Ce  fut  le  signal  d'un  deuil  universel.  L'empereur  Fer- 
dinand III  et  l'impératrice  Marie-Anne,  qui  l'avaient 
connue  et  estimée,  témoignèrent  au  seigneur  Joanelli,  son 
mari,  la  part  qu'ils  prenaient  à  sa  douleur.  Toute  la  popu- 
lation de  Gandino  se  pressa  à  ses  funérailles  ;  et  le  jour  de 
l'enterrement,  les  rues  se  tendirent  de  noir.  Le  corps  fut 
transporté,  sur  la  demande  des  religieux,  dans  l'église 
de  l'Ordre,  où  il  resta  exposé  quelque  temps.  Jour  et  nuit 
une  foule  immense  remplissait  l'église,  avide  de  contem- 
pler encore  une  fois  la  figure  de  la  bienheureuse  et  de 
baiser  ses  pieds  et  ses  mains.  Les  pauvres  surtout,  et 
ceux  que  Cécile  avait  comblés  de  ses  bienfaits,  ma- 
nifestaient une  extrême  douleur  :  il  n'en  était  pas  un 
parmi  eux  qui  ne  fût  mort  de  grand  cœur  pour  la  rap- 
peler à  la  vie  ;  on  ne  put  les  empêcher  de  couper  des 
morceaux  de  ses  vêtements,  qu'ils  emportaient  avec  eux 
comme  de  précieuses  reliques.  Longtemps  encore  après 
la  mort  de  Cécile  ,  ils  vinrent  en  pèlerinage  à  son 
tombeau. 


PÈRE  CHÉRUBIN,  DE  CALATAGIRÔNE,  ETC.  421 

Des  miracles  s'accomplirent  par  la  toute-puissante  in- 
tercession de  la  bienheureuse. 

(P.  Mazzara.) 


VINGT    ET    UNIEME    JOUR    DE    JUIN 

PÈRE  CHÉRUBIN,  DE  CALATAGIRONE 

ET  P.  FRANÇOIS,  DE  TARENTE 

MARTYRS 

1637.  —  Pape  :  Urbain  VIII.  —  Roi  de  France  :  Louis  XIII. 


SOMMAIRE  :  Débuts  du  Père  Chérubin  dans  la  vie  religieuse.—  Il  obtient  la  per- 
mission d'aller  prêcher  la  vérité  aux  Maures. —  Son  départ,  en  compagnie  du  Père 
François,  de  Tarente.  —  Epreuves  des  deux  missionnaires.  —  Leur  mort. 


Le  Père  Chérubin  est  né  à  Calatagirone,  en  Sicile.  Il 
prononça  ses  vœux  dans  un  couvent  de  Pères  Observan- 
tins  ;  mais  désireux  d'arriver,  s'il  était  possible,  à  une  plus 
grande  perfection,  il  les  quitta  bientôt  pour  entrer  dans 
une  maison  de  Récollets.  Sa  science  et  sa  piété  le  dési- 
gnèrent à  l'attention  de  ses  supérieurs,  qui  lui  confé- 
rèrent la  dignité  de  prêtre  et  songèrent  à  lui  donner  une 
chaire  de  professeur  ;  mais  il  se  refusa  énergiquement  à 
toute  espèce  de  distinction. 

Il  portait  une  misérable  robe  presque  en  lambeaux,  se 
frappait  de  coups  de  discipline  jusqu'au  sang,  et  vivait 
de  pain,  de  légumes  et  d'eau.   Ces  mortifications,  et 


422  XXI  JUIN. 

d'autres  encore,  étaient  comme  le  prélude  et  l'annonce  de 
son  futur  martyre. 

Autant  il  était  dur  pour  lui-même,  autant  il  était  com- 
patissant aux  souffrances  d'autrui.  A  Agrigente,  un  ma- 
lade, qui  était  sur  le  point  de  mourir,  refusait  absolu- 
ment de  se  confesser  et  agonisait  en  blasphémant.  Le 
Père  Chérubin  alla  le  voir  et  ne  le  quitta  qu'après 
l'avoir  préparé  à  paraître  devant  Dieu. 

Un  religieux  se  montrait  très-inquiet  du  salut  éternel 
de  sa  sœur,  possédée  et  tourmentée  par  huit  démons. 
Chérubin  le  consola  et  lui  conseilla  de  faire  oindre  la 
jeune  fille  avec  un  peu  d'huile  de  la  lampe  de  saint 
Benoît  de  San-Fradello  :  presque  aussitôt  les  démons 
s'enfuirent  et  la  laissèrent  libre. 

Le  Père  Chérubin  avait  depuis  longtemps  éprouvé  le 
désir  d'aller  prêcher  la  vraie  religion  aux  Maures  de 
l'Arabie,  et  pour  s'y  préparer,  il  demanda  la  permission 
d'apprendre  l'arabe  à  Rome,  au  couvent  de  San-Pietro- 
Montorio.  En  1633,  il  obtint  enfin  des  cardinaux  des  lettres 
de  créance  l'autorisant  à  mettre  son  projet  à  exécution, 
en  même  temps  qu'une  audience  particulière  du  pape. 
Quand  il  baisa  la  mule  d'Urbain  VIII,  le  Saint-Père  lui 
dit:  «  Allez,  mon  fils,  allez  au  martyre,  allez  donner 
«  votre  sang  pour  la  gloire  du  Christ  et  pour  la  propa- 
«  gation  de  la  sainte  foi  ». 

A  Tarente,  ville  du  royaume  de  Naples,  le  Père  Ché- 
rubin s'adjoignit  pour  compagnon  un  vénérable  reli- 
gieux, le  Père  François,  qui  avait  marché  dans  les  voies 
du  Seigneur  au  sein  de  la  rigide  province  de  Saint- 
Nicolas,  et  il  s'embarqua  avec  lui  sur  un  vaisseau  à  desti- 
nation d'Alep,  en  Syrie.  Des  pirates  hollandais  attaqué- 


LE  PÈRE  CHÉRUBIN    DE  CALATAGIRONE,  ETC.  423 

rent  et  prirent  leur  navire  et  leur  infligèrent  mille  ou- 
trages. Mis  en  liberté  seulement  au  bout  de  deux  mois, 
ils  se  rendirent,  par  mer,  dans  une  ville  mahométane 
appelée  Membaca.  Il  y  avait  là  un  certain  nombre  de 
marchands  portugais  et  deux  frères  mineurs  qui  desser- 
vaient une  chapelle  ;  ils  ne  s'y  arrêtèrent  pas  et  péné- 
trèrent dans  l'intérieur  du  pays.  Les  premières  popula- 
tions qu'ils  rencontrèrent  se  montrèrent  d'un  abord  assez 
facile  et  les  accueillirent  presque  favorablement;  un 
certain  nombre  d'infidèles  demandèrent  même  à  recevoir 
le  baptême.  Malheureusement,  il  n'en  tut  pas  longtemps 
ainsi  :  à  mesure  qu'ils  pénétrèrent  plus  avant  dans  les 
terres,  ils  rencontrèrent  des  mœurs  plus  farouches  et  des 
coutumes  plus  sanguinaires.  Les  barbares  habitants  de  ces 
contrées  croyaient  ne  pouvoir  rien  faire  qui  fût  plus  agréa- 
ble à  leurs  dieux  que  de  manger  les  corps  de  leurs  enne- 
mis vaincus.  Les  courageux  missionnaires  essayèrent  de 
leur  montrer  toute  l'horreur  de  leur  conduite  ;  pour 
toute  réponse,  on  se  saisit  d'eux,  on  les  lia  sur  un  bûcher 
et  on  les  brûla  vifs. 

Beaucoup  d'écrivains  très-consciencieux  et  de  savants 
prélats  croient  que  le  corps  du  Père  Chérubin,  miracu- 
leusement conservé,  a  été  par  la  suite  transporté  dans 
une  ville  portugaise  des  Indes  Orientales,  où  l'on  honore 
la  mémoire  du  saint  martyr.  On  est  du  moins  à  peu  près 
sûr  que  tous  deux  sont  morts  dans  le  mois  de  juin 
1637. 

(Chroniques  de  la  province  de  Sicile.) 


424  XXI  JUIN. 

MARIE-ANNE  DE  SAINT-PIERRE 

CLARISSE 

1636.  —  Pape  :  Urbain  VIII.  —  Roi  de  France  :  Louis  XIII. 

A  peine  la  sainte  fiancée  du  Christ,  Françoise  Farnèse, 
religieuse  qui  atteignit  l'humaine  perfection  (1),  eut-elle 
fondé  à  Farnèse  le  couvent  des  Clarisses,  qu'il  s'emplit 
d'une  foule  de  pieuses  servantes  du  Seigneur.  Une  des 
premières  qui  y  entra  est  une  jeune  fille  noble,  de  Latera, 
échappée  miraculeusement  à  une  tentative  d'assassinat, 
dirigée  contre  elle  par  les  ennemis  de  sa  famille. 

En  prenant  le  voile,  Marie-Anne  se  sentit  envahir  par 
une  joie  profonde  et  un  ardent  désir  de  la  perfection,  en 
même  temps  qu'elle  conçut  pour  le  monde  un  insur- 
montable dédain.  Ses  progrès  dans  la  perfection  furent 
rapides  ;  elle  s'abandonnait  fréquemment  à  l'extase,  et  le 
Seigneur  la  comblait  alors  de  faveurs  singulières.  Le 
sujet  de  ses  méditations  était  surtout  la  Passion  du 
Sauveur  ;  elle  y  revenait  sans  cesse  dans  le  silence  et  la 
solitude,  et  elle  l'expliquait  parfois  avec  une  éloquence 
brûlante . 

Dieu  l'éprouva  par  de  cruelles  maladies  qu'elle  supporta 
avec  résignation.  Quand  elle  fut  sur  le  point  de  mourir, 
elle  demanda  qu'on  rétendît  à  terre  ;  puis,  les  bras  croi- 
sés sur  sa  poitrine  et  les  yeux  fixés  sur  un  crucifix,  elle 

(1)  Voir  !a  vie  de  Françoise  Farnèse  au  dix-septième  jour  d'octobre  (Palmier 
Séraphique,  tom.  X). 


LÉ0N0RA  GTJSMAN.  425 

se  sensit  envahir  par  une  immense  félicité  et  rendit 
l'âme,  le  21  juin  1636. 

Quoique  ses  souffrances  eussent  été  très-cruelles,  son 
visage  garda  dans  la  mort  une  beauté  incomparable,  et 
pendant  les  trois  jours  qu'elle  resta  exposée  au  pied  du 
grand-autel,  ses  sœurs  purent  voir  une  auréole  lumi- 
neuse, semblable  à  une  couronne,  suspendue  dans  les 
airs  au-dessus  de  sa  tête. 

Quelques  années  plus  tard,  on  l'exhuma  pour  lui  don- 
ner une  sépulture  particulière  ;  sa  langue  était  encore 
intacte  et  bien  conservée. 

(Vie  de  Françoise  Farnèse.) 


LEONORA  GUSMAN 

CLARISSE 

1579.  —  Pape  :  Grégoire  XIII.  —  Roi  de  France  :  Henri  III. 

Léonora  Gusman  est  l'un  des  plus  précieux  joyaux  de 
la  Sicile,  où  elle  habita  longtemps  en  qualité  de  Clarisse 
Urbaniste.  Elle  appartenait  à  la  grande  famille  de  Me- 
dina-Sidonia.  Orpheline  de  père  et  de  mère  à  l'âge  de 
huit  ans ,  elle  fut  élevée  par  un  oncle  qui  l'aimait  ten- 
drement, mais  qui,  à  son  gré,  avait  un  travers  insuppor- 
table :  il  s'obstinait  à  vouloir  la  marier  à  quelque  riche 
gentilhomme.  En  vain  lui  déclarait-elle  que  depuis 
longtemps  elle  s'était  choisi  pour  fiancé  et  pour  époux  le 
Fils  de  Dieu,  il  persistait  dans  son  projet;  et  la  pauvre 
fille,  dans  la  crainte  qu'un  jour  il  ne  le  mît  à  exécution, 


426  XXI  JUIN. 

entra  dans  le  couvent  des  Clarisses  Urbanistes  de  Sainte- 
Agnès,  et  déclara  qu'aucune  force  humaine  ne  pourrait 
l'en  faire  sortir. 

Ce  n'était  pas  le  compte  de  son  oncle  et  de  ses  parents. 
Ils  se  mirent  dans  une  colère  violente  et  menacèrent  de 
ruiner  le  couvent.  Ferdinand,  roi  d'Espagne,  qui  s'inté- 
ressait à  l'orpheline ,  la  fit  conduire  dans  une  autre 
maison  de  Clarisses  Urbanistes,  et  là,  en  présence  de 
l'archevêque  et  du  gouverneur  de  la  ville,  elle  déclara 
avec  fermeté  qu'on  ne  l'arracherait  du  cloître  que  par 
morceaux,  et  qu'elle  était  décidée  à  souffrir  mille  morts 
plutôt  que  de  consentir  à  ce  que  son  oncle  exigeait 
d'elle.  En  présence  de  cette  inébranlable  résolution,  il 
fallut  bien  céder;  on  lui  permit  de  se  consacrer,  comme 
elle  le  disait,  à  son  céleste  Fiancé.  Elle  n'était  encore 
âgée  que  de  douze  ans. 

Ce  fut  pour  elle  un  bonheur  immense,  quand  elle  reçut 
l'habit  de  l'Ordre  et  le  voile  des  religieuses.  Quoique  fort 
jeune  encore  et  presque  une  enfant,  elle  donna  à  ses 
sœurs  l'exemple  de  toutes  les  vertus,  pauvreté  extrême, 
humilité  profonde,  mortifications  violentes,  prières,  mé- 
ditation, extase.  Aussi  fut-elle  de  bonne  heure  choisie 
pour  être  abbesse,  et  elle  conserva  cette  dignité  de  1526 
à  1579,  année  de  sa  mort. 

Elle  était  âgée  de  quatre-vingt-un  ans,  quand  elle 
mourut,  regrettée  de  ses  sœurs  qu'elle  avait  si  longtemps 
dirigées  dans  les  sentiers  du  Seigneur,  heureuse  elle- 
même  de  quitter  cette  vie  de  ténèbres  pour  l'éternité  des 
élus. 

Plus  de  treize  mois  après  sa  mort,  on  trouva  complè- 
tement intacts  ses  précieux  restes,  qui  pourtant  avaient 


PÈRE  ANDRÉ  DE  SÉTDBAL.  427 

été  ensevelis  dans  un  endroit  humide.  On  procéda  à 
l'exhumation  et  on  transporta  son  corps  au  chœur,  dans 
un  sépulcre  de  marbre  blanc,  non  loin  du  tombeau  du 
bienheureux  Alvarez  Pelage,  évêque  de  Silva  et  frère 
mineur,  le  fondateur  et  le  protecteur  du  couvent  (1). 

(GONZAGDE.) 


VINGT-DEUXIEME    JOUR    DE    JUIN 

PÈRE  ANDRÉ  DE   SÉTUBAL 

MARTYR 

1600.  —  Pape  :  Clément  Vill.  —  Roi  de  Portugal  :  Philippe  III. 

Le  Père  André,  infatigable  propagateur  de  la  foi, 
naquit  à  Sétubal,  dans  le  Portugal.  Devenu  frère  mineur, 
il  conçut  le  projet  d'aller  enseigner  la  religion  du  vrai 
Dieu  aux  infidèles  des  Indes  Orientales. 

Il  partit  avec  le  Père  Louis  de  Lisbonne  et  le  Père 
François  de  l'Incarnation,  et  tous  trois  convertirent  et 
baptisèrent  un  certain  nombre  d'Indiens.  Bientôt  le  Père 
André,  n'écoutant  que  son  zèle,  va  catéchiser  l'île  de 
Ceylan.  On  lui  apprend  qu'il  y  a  quelque  part,àTalapim, 
un  prince  barbare  à  qui  personne  jusqu'alors  n'a  osé 
parler  de  la  foi  catholique  ;  sans  perdre  un  moment,  il  y 
court,  pénètre  dans  le  palais  de  cet  homme,  et  lui  place 

(1)  Voir  la  vie  d'Alvarez  Pelage  dans  le  Palmier  Séraphique,  tom.  I,  vingt-cin- 
quième jour  de  janvier,  page  437. 


428  XXII  JUIN. 

devant  les  yeux  l'image  du  Sauveur  crucifié  pour  le  salut 
des  hommes.  Le  barbare  ne  se  contenait  pas  de  colère 
et  de  rage  ;  sans  dire  un  mot,  il  fait  signe  à  ses  soldats 
d'emmener  le  courageux  apôtre  et  de  le  tuer.  C'était  le 
22  juin  1600.  (Cardose.) 


PERE  RAPHAËL  DE  NURSIE 

1540.  —  Pape  :  Paul  III.  —  Roi  de  France  :  François  Ier. 

Ce  saint  homme  naquit  à  Nursie,  en  Italie,  d'une 
famille  noble.  Après  avoir  étudié  à  l'Université  de 
Pérouse,  il  prit  la  robe  de  frère  mineur.  Il  eut  pour 
maître  dans  la  perfection  le  bienheureux  Ambroise  de 
Miliano,  ou  de  Milan,  religieux  d'une  piété  profonde, 
dont  il  s'efforça  d'imiter  les  vertus  (1).  Envoyé  à  Lugnano 
par  ses  supérieurs,  il  quitta  sa  ville  natale  sans  même 
songer  à  prendre  congé  de  sa  famille,  tant  il  avait  su 
détacher  son  cœur  de  tout  bien  terrestre.  Il  fut  pendant 
dix-huit  ans  l'aumônier  et  le  directeur  spirituel  des  Cla- 
risses  de  Lugnano. 

Dieu  lui  accorda  le  don  de  seconde  vue  et  la  puissance 
de  chasser  les  démons. 

Quelques  joursavant  sa  mort, lebienheureux  Ambroise, 
son  maître,  vint  lui  faire  visite  et  lui  annoncer  que 
bientôt  il  le  rejoindrait  dans  l'éternel  royaume.  Il  expira 
en  1540,  fort  regretté  des  Clarisses,  qui  le  pleurèrent 

(l)  Voir  la  vie  du  bienheureux  Ambroise  de  Miliano,  ou  de  Milan,  dans  le  Pal- 
ynier  Sëraphique,  ton).  IV,  sixième  jour  d'avril,  page  129. 


RICHARD  DE  BOURGOGNE,   ETC.  429 

comme  un  père.  Une  foule  immense  de  peuple  se  pressa 

à  ses  funérailles. 

(Jacobille.) 


VINGT-TROISIEME    JOUR    DE    JUIN 
/ 

,    RICHARD  DE  BOURGOGNE 
PASCAL  DE  VICTORIA,  FRANÇOIS  D'ALEXANDRIE 

ET  AUTRES,    MARTYRS  EN   MÉDIE 

1340.  —  Pape  :  Benoit  XII.  —  Roi  de  France  :  Philippe  VI. 

SOMMAIRE  :  Première  apparition  des  Frères  Mineurs  en  Asie.  —  Départ  du  Père 
Pascal.  —  Il  apprend  les  langues  de  l'Asie-Mineure.  —  Ses  voyages  à  travers  la 
Perse  et  la  Médie.  —  Persécutions  dont  il  est  l'objet.  —  Un  bon  empereur.  — 
Revers  et  martyre  de  Pascal  et  de  ses  compagnons.  —  Les  Frères  Mineurs  en 
Tartarie. 

Quand  le  bienheureux  Père  Jean  de  Montecorvino, 
premier  archevêque  de  Cambalech,  en  Tartarie,  eut, 
avec  l'aide  de  quelques  frères  mineurs,  planté  l'étendard 
du  Christ  au  milieu  des  vastes  contrées  de  l'Asie,  les 
papes  et  les  généraux  de  l'Ordre  s'efforcèrent  de  le 
maintenir  haut  et  ferme  contre  toutes  les  attaques  des 
faux  dieux.  De  vaillants  soldats  de  la  foi  se  présentèrent 
en  foule  pour  les  y  aider,  entre  autres  le  Père  Pascal  de 
Victoria  (ou  de  la  Victoire), qui  sollicita  et  obtint  l'honneur 
d'aller  mourir  pour  la  foi. 

Le  Père  Pascal  partit  en  1330,  avec  un  autre  religieux. 
Ils  s'embarquèrent  à  Galata,  près  de  Constantinople, 


430  XXIII  JUIN. 

pour  traverser  la  mer  Noire.  Les  deux  missionnaires 
arrivèrent  en  Tartarie  sans  encombre.  A  Tana,  où  ils  ne 
restèrent  pas  longtemps,   ils    rencontrèrent   quelques 
frères    mineurs  ;  puis,   profitant    d'une    caravane    de 
marchands  grecs,  ils  se  rendirent  à  Saray,  l'une  des  plus 
grandes  villes  du  pays.  C'est  là  qu'était  mort,  en  1334, 
un  courageux  martyr,  le  Père  Etienne  de  Hongrie,  frère 
mineur  (1).  Pascal  y  apprit  à  parler  et  à  écrire  le  tartare, 
le  Persan  et  le  Mède,  et  il  connut  bientôt  assez  ces  langues 
pour  pouvoir  prêcher   sans  interprète.  Au  bout    d'un 
an  de  séjour  à  Saray,  un  ordre  de  ses  supérieurs  lui 
enjoignit  de  continuer  sa  route.  Il  se  dirigea  vers  le 
Tigre,  passa  à  Sarachuk,  et,  après  cinquante  jours  de 
marche,  arriva  à  Urganto,  ou  Hus,  où  est  enseveli  le  saint 
patriarche    Job.    Cependant    il  prêchait,  catéchisait   et 
baptisait  au  nom  du  Seigneur.  Il  pénétrait  dans  les 
mosquées,   discutait  avec  les  derviches,  et  confondait 
leurs  impostures,  en  présence  d'un  peuple  immense. 
Les  plus  savants  docteurs,  les  plus  habiles  et  les  plus 
fourbes,  étaient  contraints  de  reconnaître  la  fausseté  de 
leur  religion    et    les   éclatantes    vérités    des    dogmes 
catholiques.  Les  Turcs  se  convertissaient  en  foule,  et 
les  prêtres  de  Mahomet  voyaient  avec  désespoir  leur 
influence  tomber. 

Ils  s'en  vengèrent  par  la  ruse  et  la  trahison,  firent 
saisir  le  courageux  missionnaire,  le  tinrent  en  prison 
pendant  plusieurs  jours,  et  ne  le  laissèrent  libre  qu'après 
lui  avoir  brûlé  la  plante  des  pieds,  arraché  la  barbe  et 
les  cheveux. 


(1)  Voir  sod  martyre  (Palmier  Séraphique,  tom.  IV,  vingt-deuxième  jour  d'avril, 
pige  431). 


RICHARD  DE  BOURGOGNE,  ETC.  431 

Obligé  de  changer  de  résidence,  il  se  dirigea  vers  la 
ville  d'Armalecli,  d'où  il  envoya  à  ses  supérieurs  le  récit 
de  sa  mission  (1338).  Il  terminait  sa  lettre  par  ces  mots  : 
a  Mon  devoir  est  d'enseigner  la  vérité  aux  nations  et  de 
«  montrer  aux  pécheurs  le  chemin  du  ciel  ;  mais  il  n'ap- 
«  partient  qu'à  Dieu  de  donner  à  mes  paroles  l'éloquence 
«  qui  persuade». 

Le  Père  Pascal  trouva  à  Armalech  cinq  frères  mineurs 
dont  les  efforts  avaient  déjà  été  couronnés  de  succès  :  le 
Père  Raymond  de  Bourgogne,  évêque  de  cette  ville;  le 
Père  François  et  le  Père  Raymond  Ruffi,  tous  deux  origi- 
naires d'Alexandrie,  en  Italie;  le  frère  Laurent,  d'Alexan- 
drie, et  le  frère  Pierre  Martelli,  de  Provence.  Le  Père 
François,  homme  d'une  grande  vertu,  avait  guéri  d'un 
cancer  l'empereur  de  Médic,  beaucoup  plus  sans  doute 
par  ses  prières  que  par  sa  science  médicale,  et  cette  cure 
merveilleuse  avait  concilié  aux  religieux  l'affection  du 
despote.  Grâce  à  sa  protection  toute-puissante,  ils  purent 
prêcher  dans  plusieurs  villes  du  pays,  sans  courir  le 
risque  d'être  inquiétés,  et  convertir  un  grand  nombre 
d'hérétiques. 

Mais  ce  bonheur  ne  fut  pas  de  longue  durée  ;  une  ré- 
volution de  cour,  comme  il  en  arrive  si  fréquemment  en 
Asie,  renversa  l'empereur  qui  fut  massacré  avec  ses 
quatre  fils,  et  le  prince  Alisolda,  sectateur  fanatique  de 
Mahomet,  prit  sa  place.  Aussitôt  tout  changea  de  face. 
Les  Turcs  convertis  furent  traînés  au  supplice,  et  les  cinq 
frères  mineurs,  avec  leur  évêque,  jetés  tout  d'abord  en 
prison.  Sur  leur  refus  d'abjurer  leur  foi,  on  les  con- 
damna à  être  fouettés,  puis  écorchés  tout  vifs,  à  avoir  le 
nez,  les  oreilles  et  les  lèvres  coupés,  enfin  à  être  pendus.  Us 


432  XXTII  JUIN. 

moururent  courageusement;  sans  faiblesse,  au  milieu 
d'une  populace  furieuse  dont  leur  fermeté  excitait  en- 
core la  rage,  le  jour  de  la  fête  de  saint  Jean-Baptiste,  en 
4340,  ou,  selon  d'autres,  en  4342. 

Le  bel  exemple  de  leur  mort  fut  suivi  par  un  marchand 
de  Gênes,  Guillaume  de  Modène,  qui  expira  dans  les  tor- 
tures en  invoquant  le  noni  du  Seigneur.  Ce  qui  restait 
de  chrétiens  prit  la  fuite  ;  mais,  traqués  de  toutes  parts 
comme  des  bêtes  fauves,  beaucoup  périrent  de  faim  et  de 
misères,  beaucoup  languirent  et  s'éteignirent  dans  les 
prisons.  Toutes  les  églises  et  toutes  les  chapelles  chré- 
tiennes devinrent  la  proie  des  flammes. 

Quelques  années  plus  tard,  à  la  suite  d'une  ambassade 
du  grand-khan  de  Tartarie  au  pape  Benoît  XII,  la  faveur 
sembla  revenir  aux  serviteurs  du  vrai  Dieu.  Jean  de 
Florence  obtint  même  la  permission  de  s'établir  à  Cam- 
balech,  capitale  de  la  Tartarie.  Des  églises  s'élevèrent 
de  nouveau  ;  les  conversions  se  multipliaient  ;  on  eût  pu 
croire  que  la  domination  du  Christ  était  définitivement 
établie  dans  ces  contrées.  Mais  ce  ne  fut  qu'une  éclaircie 
dans  un  ciel  d'orage.  Les  persécutions  recommencèrent  ; 
le  bienheureux  Père  Jean  de  Florence,  archevêque  de 
Zaïton,  et  le  bienheureux  Père  Guillaume  de  Campanie 
furent  massacrés  par  les  Maures  (1362). —  En  1369,  ce 
fut  le  tour  du  bienheureux  Père  Antoine  Rosati.  Leur 
sang  fructifia  comme  une  précieuse  semence  de  chré- 
tiens; à  la  fin  du  siècle,  les  Frères  Mineurs  possédaient 
trente  et  un  couvents  dans  différentes  villes  de  la  Tartarie 
et  de  la  Médie,et  une  foule  innombrable  de  Turcs  avaient 
reçu  le  baptême. 

(Wadding.) 


FRÈRE  ANTOINE  DE  SAINTE-ANNE.  433 


VINGT-QUATRIEME    JOUR    DE    JUIN 


ANTOINE  DE  SAINTE-ANNE 

MARTVR 

1610.  —  Pape  :  Paul  V.  —  Roi  d'Espagne  :  Philippe  III. 

SOMMAIRE  :  Jeunesse  vertueuse  du  frère  Antoine.  —  Il  prend  l'habit  de  frère 
mineur  dans  la  province  de  Saint-Paul.  —  Son  départ  pour  les  îles  Moluques.  — 
Il  est  pris  par  des  pirates  hollandais  et  délivré  par  un  navire  espagnol.  —  Il  passe 
dans  l'île  de  Matéo,  et  tombe  entre  les  mains  des  infidèles. —  Son  glorieux  martyre. 
—  Miracles  qui  accompagnent  sa  mort. 

Ce  glorieux  martyr  naquit  à  Plaisance  ,  en  Italie  , 
d'une  famille  vertueuse.  Ses  parents,  Alphonse  Lopez  et 
Isabelle  Villalobos,  dont  il  était  le  fils  aîné,  relevèrent 
avec  soin  dans  la  crainte  de  Dieu  et  le  respect  de  la 
religion. 

Dès  ses  plus  jeunes  années,  Antoine  se  fit  remarquer 
par  ses  belles  qualités,  et  en  particulier  par  sa  profonde 
piété.  Son  intelligence,  en  se  développant,  précisa  et 
appliqua  ces  précieux  dons  de  la  nature;  et  comme  s'il 
eût  été  déjà  un  religieux  accompli,  Antoine  veillait, 
jeûnait ,  priait  et  se  mortifiait.  Il  prenait  soin  des 
pauvres  et  des  malheureux ,  qu'il  consolait  et  à  qui 
il  s'efforçait  de  rendre  la  vie  moins  dure  et  moins 
difficile. 

Antoine  reçut  l'habit  de  frère  lai  au  couvent  de  Cer- 
ralvo,  dans  la  province  récemment  organisée  de  Saint- 
Palm.  Séraph.  —  Tome  VI.  28 


434  XXIV  JUIN. 

Paul,  après  avoir  dit  à  ses  parents  un  éternel  adieu.  Il  ne 
tarda  pas  à  devancer  dans  les  voies  du  Seigneur  les  plus 
vénérables  et  les  plus  saints  religieux.  Toutes  les  vertus 
que  saint  François  exige  de  ses  enfants,  il  les  avait  au 
plus  haut  degré.  Son  extérieur  était  humble  et  modeste, 
sa  figure  reflétait  une  douceur  angélique  et  un  sou- 
rire perpétuel.  Il  s'attacha  bientôt,  par  les  liens  d'une 
indissoluble  amitié  ,  au  Père  Sébastien  de  Saint-Jo- 
seph (1).  D'une  piété  ardente,  il  avait,  comme  lui,  soif 
du  martyr,  et  par  leurs  longs  entretiens  ils  entretinrent 
et  développèrent  en  eux  ce  grand  désir  de  mourir  pour 
le  Christ.  Le  Père  Sébastien  partit  le  premier  pour  les 
Indes,  frère  Antoine  était  alors  trop  jeune  pour  l'accom- 
pagner; mais  six  ans  plus  tard,  c'est-à-dire  huit  années 
à  peine  après  sa  profession  de  foi,  désigné  pour  être  le 
compagnon  du  bienheureux  Père  Pierre-Mathias,  gardien 
de  la  province  de  Saint-Georges  et  des  îles  Philippines,  il 
fit  voile,  avec  ce  saint  religieux,  pour  Manille,  capitale 
de  l'archipel. 

Il  n'y  demeura  que  quelques  semaines,  et  fut  envoyé 
par  ses  supérieurs  aux  îles  Moluques,  où  il  accompagnait 
le  Père  Jean  de  Saint-Jérôme.  Leur  traversée  ne  fut  pas 
heureuse.  Quatre  corsaires  hollandais,  qui  croisaient  dans 
ces  parages,  attaquèrent  leur  vaisseau,  et  pendant  trois 
semaines  les  courageux  apôtres  restèrent  entre  les  mains 
de  ces  ennemis  acharnés  de  la  foi  catholique  et  souf- 
frirent mille  maux.  Un  navire  de  guerre  espagnol  les 
délivra  et  les  transporta  à  Ternate,  où  ils  trouvèrent,  en 
débarquant,  le  Père  Etienne,  un  de  leurs  supérieurs, 

(1)  Voir,  dans  ce  volume,  page  358,  le  martyre  du  Père  Sébastien  de  Saint- 
Joseph. 


FRÈRE  ANTOINE  DE  SAINTE-ANNE.  435 

accouru  pour  les  recevoir  avec  toute  la  population  euro- 
péenne de  la  ville. 

A  Ternate,  tandis  que  les  Pères  prêchaient  et  bapti- 
saient, frère  Antoine  s'occupait,  avec  frère  Christophe 
Ruyz,  du  soin  des  malades,  dans  l'hospice  fondé  par  le 
gouverneur  de  l'île.  De  là,  il  partit  pour  Matéo  avec  le 
Père  Sébastien  ,  son  intime  ami  ,  que  ,  par  un  effet 
de  la  céleste  bonté  ,  il  avait  retrouvé ,  après  six  ans 
d'absence,  dans  ces  régions  lointaines.  Il  ne  jouit  pas 
longtemps  du  charme  de  sa  compagnie.  Le  Père  Sébas- 
tien de  Saint-Joseph  fut  massacré  par  les  Maures  de 
Tagolanda,  et  lui-même  fait  prisonnier,  maltraité,  frappé, 
outragé,  fut  jeté  dans  un  cachot,  pieds  et  poings  liés, 
et  y  resta  d'abord  quatre  jours  sans  prendre  aucune 
nourriture. 

Quelques  chrétiens  de  Ternate  essayèrent  de  l'arracher 
aux  mains  des  infidèles,  et  l'un  d'eux  proposa  de  l'échan- 
ger contre  trois  esclaves  maures.  Mais  les  barbares,  dont 
un  premier  meurtre  avait  allumé  la  rage,  n'eurent  garde 
de  consentir  à  ce  marché.  S'ils  avaient  différé  sa  mort, 
c'est  qu'ils  voulaient  la  lui  rendre   plus  cruelle.  Après 
plusieurs  semaines  d'angoisses  et  de  souffrances,  le  saint 
frère  se  vit  tout  à  coup  traîner  hors  de  sa  prison  et  me- 
ner sur  la  place  du  marché,  où  une  grande  foule  de 
peuple  était  assemblé.    C'était  un  jour  de  fête   pour 
les  mahométans;  celui  qui  paraissait  être  le  chef  de  ces 
sauvages,  s'adressant  aux  femmes  ,  leur  dit  :  «  Nous 
«  avons  condamné  à  mort  le  compagnon  de  cet  homme, 
«  parce  qu'il  prêchait  contre  le  prophète  ;  faites  de  celui- 
ci  ci  ce  que  vous  voudrez  » .  Alors,  comme  des  bêtes  fauves, 
en  poussant  des  hurlements  de  joie,  ces  furies  s'appro- 


430  XXIV  JUIN. 

chèrent  du  saint  homme,  et,  saisissant  la  corde  qui  lui 
liait  les  mains,  le  traînèrent  par  les  rues  de  la  ville, 
l'accablèrent  d'outrages  et  de  coups,  lui  déchirèrent  ses 
•vêtements  ;  et  quand,  sur  le  point  de  rendre  l'âme,  il  resta 
étendu  sans  mouvement  sur  la  terre,  elles  formèrent 
autour  de  lui  une  ronde  infernale.  De  temps  en  temps, 
l'une  d'elles,  se  détachant  du  groupe,  venait  avec  un 
couteau  lui  faire  de  profondes  entailles  dans  les  chairs. 
Cependant  le  courageux  apôtre,  les  yeux  levés  au  ciel, 
sans  pousser  un  gémissement  ni  un  soupir,  offrait  à  Dieu 
son  sang  et  sa  vie.  Il  expira  enfin  après  une  longue  et 
douloureuse  agonie,  le  24  juin  1610.  Il  n'était  âgé  que 
de  vingt-huit  ans. 

Son  corps,  jeté  plusieurs  fois  à  la  mer,  fut  toujours 
ramené  sur  le  rivage  par  les  flots  ;  à  la  fin,  les  barbares, 
lassés  de  le  voir  sans  cesse  reparaître,  l'ensevelirent.  La 
tête  du  saint,  plantée  sur  une  pique,  parlait  dans  la  langue 
du  pays  et  prêchait  le  Sauveur  crucifié.  Des  marchands 
chrétiens  furent  assez  heureux  pour  la  racheter  à  prix 
d'argent. 

Plus  tard,  le  pape  ordonna  une  enquête  sur  la  vie  du 
bienheureux  Antoine  de  Sainte -Anne  et  sur  celle  du 
bienheureux  Sébastien  de  Saint-Joseph,  son  ancien  direc- 
teur et  son  ami. 

{Chron.  de  la  prov.  de  Saint- Joseph.) 


PÈRE  JEAN  DE  PALMA,   ETC.  437 

JEAN  DE  PALMA 
ET  PÈRE   BLAISE  PALOMIN 

MARTYRS 

1614.  —  Pape  :  Paul  V.  —  Roi  d'Espagne  :  Philippe  III. 

Nous  plaçons  ici  le  récit  du  martyre  du  Père  Jean  de 
Palma  ,  qui  mourut  aussi  dans  le  voisinage  des  îles 
Moluques.  Il  était  né  à  Tolède,  de  parents  considérables, 
Didace  Palma  et  Catherine  Herrera.  A  l'âge  de  vingt- 
neuf  ans,  il  quitta  sa  famille  et  ses  amis,  et  s'en  fut  à 
Valence,  dans  la  province  de  Saint-Jean-Baptiste,  prendre 
l'habit  de  frère  lai.  En  1606,  il  prononça  ses  vœux  entre  les 
mains  du  Père  Antoine  Sobrino,  religieux  célèbre  par  sa 
sainteté  et  les  miracles  qu'ii  accomplit. 

Quatre  ans  plus  tard,  le  bienheureux  frère  s'embarquait 
pour  les  îles  Philippines,  où  l'attirait  un  invincible  désir 
de  contribuer,  autant  qu'il  était  en  lui,  à  l'extension  de 
la  foi.  Ses  supérieurs,  qui  connaissaient  ses  précieuses 
qualités  et  son  zèle  infatigable,  rélevèrent  à  la  dignité 
sacerdotale,  pour  le  mettre  plus  à  même  de  prêcher  et  de 
convertir  les  Indiens.  Surpris  par  des  pirates  hollandais 
en  1624,  il  fut  mis  en  demeure  d'abjurer  sa  foi  ou  de 
mourir.  Sans  hésiter  un  seul  instant,  le  bienheureux, 
préférant  la  mort  à  l'apostasie  ,  tendit  la  gorge  aux 
poignards  et  donna  son  sang  pour  son  Dieu. 

Son  nom  fut  cité,  au  chapitre  général  de  1625,  à  côté 
des  noms  de  plusieurs  autres  martyrs  catholiques  du 


438  XXIV  JUIN. 

Japon.  Sur  cette  liste  figurait  aussi  le  Père  Biaise  Palomin, 
de  la  province  espagnole  de  Grenade,  qui  périt  dans 
les  supplices,  aux  îles  Moluques,  où  il  prêchait  l'Evan- 
gile (4614). 

(Barezzo.) 


PERE  FRANÇOIS  PENNEMAN 

MARTYR 

Î575.  —  Pape  :  Grégoire  XIII.  —  Roi  de  France  :  Henri  III. 

Le  vingt-quatrième  jour  de  juin,  un  autre  saint  homme 
donnait  aussi  sa  vie  pour  sa  foi  :  c'est  le  Père  François 
Penneman ,  de  Gand,  prédicateur  éloquent,  religieux 
d'une  grande  science  et  d'une  plus  grande  humilité.  11 
était  gardien  du  couvent  de  Sluys,  et  se  rendait  à  l'église 
de  Saint-Laurent  pour  y  prêcher,  quand  il  tomba  entre 
les  mains  des  Gueux,  à  cette  époque  plus  cruels  et  plus 
impitoyables  que  jamais  à  l'égard  des  défenseurs  de  la 
religion.  En  apprenant  que  François  se  disposait  à 
combattre  leurs  doctrines  ce  jour-là  même,  ils  lui  cre- 
vèrent les  deux  yeux,  le  frappèrent  de  mille  coups,  et  enfin 
lui  tranchèrent  la  tête,  le  24  juin  1575. 

Cinq  jours  après  sa  mort,  des  bergers  trouvèrent  son 
corps  dans  un  fossé  ,  et  le  rapportèrent  à  tSluys , 
où  il  fut  enseveli  au  milieu  d'un  grand  concours  de 
peuple. 

Les  catholiques,  traqués  de  tous  côtés  par  les  Gueux 
dans  ces  temps  difficiles,  fuyaient  comme  des  moutons 


PÈRE  JEAN-BAPTISTE  DE  MADRIGALEJO.  439 

poursuivis  par  des  loups  dévorants.  Ils  voyaient  leurs 
églises  brûler,  leurs  prêtres  périr  dans  les  supplices,  les 
eouvents  des  religieux  de  tous  les  Ordres  s'écrouler  au 
milieu  des  flammes.  C'est  ainsi  qu'en  moins  de  quinze 
jours,  quatre  des  plus  belles  maisons  franciscaines 
furent  mises  au  pillage,  et  plus  de  vingt  religieux 
condamnés,  par  les  hérétiques,  à  mourir  au  milieu  des 
tortures.  Le  ciel  se  peuplait  de  confesseurs  et  de  martyrs. 

(Du  Raisse.) 


JEAN-BAPTISTE  DE  MADRIGALEJO 

1608.  —  Pape  :  Paul  V.  —  Roi  d'Espagne  :  Philippe  III. 

SOMMAIRE  :  Le  Père  Jean-Baptiste,  prêtre  et  directeur  d'un  collège  ecclésiastique. 

—  Il  s'attache  au  Père  Alphonse  Loup  et  entre  dans  l'Ordre  de  Saint-François.  — 
Ses  prédications  et  ses  travaux  théologiques.  —  Caractère  de  son  style  et  de  son 
éloquence. —  Conversions  qu'il  provoque. —  Son  humilia.  —  Ses  vertus  religieuses. 

—  Comment  il  exerça  différentes  dignités.  —  Ses  dernières  années. 

Le  Père  Jean-Baptiste  naquit  à  Madrigalejo,  en  Espagne, 
de  parents  nobles  qui  lui  donnèrent  une  éducation  chré- 
tienne et  des  plus  solides.  Il  étudia  la  philosophie  et  la 
théologie  à  Salamanque. 

D'une  grande  dévotion  à  saint  Jean-Baptiste,  son  patron, 
il  prit  l'habit  de  frère  mineur,  chanta  sa  première  messe 
le  jour  même  de  la  fête  de  ce  grand  Apôtre.  C'était  un 
prêtre  selon  Dieu,  et  non  selon  le  monde,  peu  désireux 
d'une  gloire  qu'il  est  toujours  facile  d'acquérir,  avide 
seulement  de  conquérir  des  âmes  pour  le  ciel.  Aussi 
fut-il  pendant  longtemps  supérieur  du  collège  de  prêtres 
d'Avila.  Son  austérité  ne  l'empêchait  pas  de  se  montrer 


440  XXIV  JUIN. 

doux  et  bienveillant  à  l'égard  de  ses  confrères,  aussi  bien 
qu'à  l'égard  des  jeunes  gens  dont  il  dirigeait  avec  eux  les 
premiers  pas  dans  la  vie.  Mais  en  dehors  des  heures  où 
ses  devoirs  de  supérieur  l'appelaient  au  milieu  de  sa  fa- 
mille spirituelle,  il  demeurait  dans  sa  chambre,  sorte  de 
petite  cellule  reléguée  dans  un  coin  du  collège,  où  nul 
bruit  extérieur  ne  pénétrait,  et  qui  était  le  témoin  secret 
et  muet  de  ses  travaux  théologiques  ou  de  ses  mortifi- 
cations. Tant  qu'il  fat  supérieur  du  collège,  aucune 
femme  n'y  pénétra  ;  et  l'on  ne  se  souvient  pas  de  l'avoir 
jamais  vu  adresser  la  parole  même  à  celles  qui  avaient  un 
grand  renom  de  sainteté. 

Cependant,  le  Père  Alphonse  Loup,  prédicateur  aposto- 
lique d'une  rare  éloquence,  vint  prêcher  à  Avila;  et  Jean 
ne  manqua  jamais  d'assister  à  ses  sermons.  Les  paroles 
du  saint  homme,  rapides  et  étincelantes  comme  l'éclair, 
faisaient  luire  devant  ses  yeux  des  vérités  lumineuses  ; 
ou  bien,  retentissantes  comme  la  foudre,  elles  allaient 
éveiller  au  fond  de  son  cœur  des  échos  sonores,  jus- 
qu'à ce  jour  demeurés  muets.  De  retour  dans  sa  mo- 
deste chambre,  la  tête  entre  ses  mains,  il  repassait  dans 
son  esprit  ce  qu'il  venait  d'entendre,  et  il  rougissait  de 
honte  en  voyant  combien  peu  il  avait  fait  pour  son  Dieu  ; 
et  lorsque  le  Père  Alphonse  quitta  Avila,  il  donna  ses 
biens  aux  pauvres  et  s'attacha  à  lui.  C'est  par  les  conseils 
de  l'éloquent  prédicateur  qu'il  renonça  complètement 
au  monde  et  prit  l'habit  de  l'Ordre  de  Saint-François 
dans  la  province  de  Saint-Joseph,  qui  venait  d'être 
réformée  par  saint  Pierre  d'Alcantara. 

Le  Père  Jean-Baptiste  fut  bientôt,  dans  toute  la  force 
du  terme,  un  religieux  parfait.  11  avait  compris,  d'abord, 


PÈRE  JEAN-BAITISTE  DE  MADRIGALEJO.  441 

que  le  grand  secret  pour  arriver  à  la  vertu,  c'est  de  sou- 
mettre constamment  ses  pensées  et  ses  sentiments  à  un 
examen  sévère  et  incessant.  Il  se  connaissait  lui-même  : 
voilà  le  principe  de  sa  force.  Chaque  jour,  pendant  plu- 
sieurs heures,  il  priait  et  méditait  dans  le  silence,  et 
pour  dompter  les  révoltes  de  la  chair,  il  se  soumettait  à 
de  longs  jeûnes,  se  frappait  de  grands  coups  de  dis- 
cipline, dormait  peu  et  travaillait  presque  toute  la  nuit. 

Sur  les  conseils  et  les  ordres  de  ses  supérieurs,  dans 
l'intérêt  des  âmes,  et  un  peu  en  dépit  de  son  humilité,  il 
se  livra  à  la  prédication  ;  on  a  conservé  de  lui  plusieurs 
sermons  écrits,  qu'il  prononça,  soit  pendant  le  Carême 
et  l'Avent,  soit  à  l'occasion  des  principales  fêtes  de 
l'année. 

Il  prêchait  presque  tous  les  dimanches,  et  l'on  a  peine 
à  s'expliquer  comment  il  trouvait  encore  assez  de  temps 
et  assez  de  force  pour  composer  des  ouvrages  de  théo- 
logie ou  de  métaphysique.  Ses  livres  respiraient  un 
ardent  amour  de  Dieu,  en  même  temps  qu'ils  témoi- 
gnaient d'une  science  mûre  et  profonde  et  d'une  con- 
naissance parfaite  des  dogmes  de  la  religion.  Son  style, 
comme  sa  parole,  plus  solide  que  brillant,  était  franc 
d'allure  et  tendait  droit  au  but  ;  sans  phrases  pompeuses 
ou  sonores,  il  était  l'expression  nette  d'une  pensée  forte. 
Aussi,  sans  être  doué  d'une  grande  éloquence,  le  Père 
Jean-Baptiste  contribua-t-il  plus  à  l'affermissement  de 
la  foi  dans  les  âmes,  que  des  orateurs  plus  agréables  et 
plus  ornés.  Les  pécheurs,  effrayés  de  la  sévérité  de  ses 
jugements,  qu'il  prononçait  du  haut  de  la  chaire,  comme 
d'un  tribunal,  sans  ménagement,  sans  hésitation,  ren- 
traient en  toute  hâte  dans  le  devoir  et  venaient  lui 


442  XXIV  JUIN. 

demander  à  genoux  l'absolution  de  leurs  fautes.  A  la  cour 
de  Madrid,  il  était  le  même  que  dans  le  plus  humble  des 
villages,  et  les  grands  seigneurs  d'Espagne  trouvaient 
moins  grâce  devant  lui  que  le  dernier  des  misérables. 

Sa  bonté,  d'ailleurs,  égalait  sa  sévérité.  Un  jour,  à 
Madrid,  au  milieu  d'un  de  ses  sermons,  un  gentilhomme 
entra  tout  à  coup  dans  l'église  avec  quelques  jeunes 
gens,  résolus  comme  lui  à  faire  du  bruit  pour  troubler 
le  prédicateur.  Au  même  moment,  averti  par  l'Esprit- 
Saint,  le  Père  Jean  s'écria  :  a  Priez,  mes  frères,  car  le 
g  démon  vient  de  pénétrer  dans  cette  enceinte  »,  et 
quelques  instants  après,  il  reprit  la  parole  et  acheva  son 
sermon  sans  être  interrompu.  Comme  il  retournait  au 
couvent,  le  gentilhomme  s'approcha  de  lui  et  lui  demanda 
humblement  pardon  de  sa  faute.  Il  lui  avoua  que  depuis 
longtemps  il  ne  s'était  pas  confessé,  et  le  pria  d'inter- 
céder pour  lui  auprès  de  Dieu.  Le  lendemain,  il  fit  au 
bon  Père  l'aveu  général  de  tous  ses  péchés,  et  par  la 
suite,  il  fut  un  modèle  de  piété  et  de  vertu. 

C'est  surtout  contre  la  luxure  que  le  Père  Jean-Baptiste 
s'élevait  avec  une  indignation  profonde,  et  alors  sa  pa- 
role, d'ordinaire  simple  et  modérée,  quoique  toujours 
forte  et  vigoureuse,  resplendissait  comme  l'éclair.  Il 
convertit  un  grand  nombre  de  malheureuses  femmes, 
que  le  malheur  eu  le  besoin  avait  jetées  dans  l'abîme  de 
la  corruption  ;  beaucoup  d'étudiants  tapageurs  et  dé- 
pravés s'amendèrent  aussi  à  sa  voix  et  firent  pénitence. 

Ce  saint  homme,  qui  exerça  sur  ses  contemporains 
une  influence  si  salutaire,  dont  on  ne  parlait  qu'avec 
respect,  et  à  qui  on  rendait  les  mêmes  hommages  qu'à 
un  envoyé  du  cie),  ne  conçut  jamais,  au  milieu  de  sa  plus 


PÈRE  JEAN-BAPTISTE  DE  MADRIGALEJO.  443 

grande  gloire,  ni  orgueil,  ni  vanité.  Sa  démarche  était 
humble  et  modeste;  il  avait  de  lui-même  une  fort  mau- 
vaise opinion,  et  tout  d'abord  considérait  comme  lui 
étant  fort  supérieures  les  personnes  avec  qui  il  était 
en  relation.  Il  s'avançait  dans  la  vie  ,  si  l'on  peut 
ainsi  parler,  les  yeux  toujours  fixés  sur  la  splendeur  et 
la  majesté  de  Dieu,  et  se  trouvait,  en  présence  du  Créa- 
teur, plus  petit  et  plus  misérable  qu'un  ciron  ou  une 
fourmi.  De  là  le  mépris  qu'il  avait  conçu  pour  lui-même, 
ou  plutôt  pour  son  corps  ;  car  il  voyait  en  son  âme  une 
image  du  Très-Haut,  et  cette  saine  philosophie  lui  était 
un  préservatif  contre  toutes  les  chutes  et  toutes  les 
défaillances. 

Fidèle  observateur  de  la  règle,  le  Père  Jean-Baptiste  se 
montra  l'un  des  plus  rigides  disciples  de  saint  Pierre 
d'Alcantara.  Aussi  fut-il  successivement  élu  gardien  de 
plusieurs  couvents,  définileur  et  commissaire-inspecteur 
de  provinces  espagnoles.  11  s'acquitta  modestement 
et  scrupuleusement  de  ces  différentes  fonctions,  qu'il 
n'accepta  d'ailleurs  que  par  obéissance.  Les  religieux, 
sous  sa  direction,  trouvèrent  en  lui  un  père  bien  plus 
qu'un  supérieur;  très-dur  pour  lui-même,  il  était  en 
revanche  toujours  disposé  à  améliorer  les  conditions 
matérielles  d'existence  de  ses  frères  et  à  les  pourvoir  de 
tout  ce  dont  ils  avaient  besoin.  Il  leur  donnait  constam- 
ment des  exemples  de  piété  et  d'assiduité  dans  la  prière 
et  la  méditation,  de  pauvreté  et  de  soumission  à  la  règle; 
et  c'est  par  là  seulement  qu'il  voulut  se  montrer  leur 
maître  et  leur  directeur. 

Pendant  les  dernières  années  de  sa  vie,  il  sembla,  par 
un  suprême  effort,  s'être  élevé  aussi  haut  qu'il  est  pos- 


444  XXIV  JUIN. 

sible  à  l'homme  sur  les  sommets  sereins  de  la  vertu  et  de 
la  perfection  religieuse.  Il  souffrait  alors  depuis  quelque 
temps  de  la  gravelle,  et  il  sortit  plus  pur  de  ces  épreuves, 
comme  l'or  sort  plus  brillant  du  feu  qui  l'a  débarrassé 
des  scories  et  des  matières  moins  précieuses.  Sa  dévotion 
à  Jésus  crucifié  et  au  saint  Sacrement  de  l'autel  ne 
connaissait  point  de  bornes.  Il  paraît  avoir  connu 
d'avance  et  annoncé  à  ses  frères  le  jour  de  sa  mort,  qui 
arriva  le  24  juin  1608.  Il  avait  conservé  jusqu'au  der- 
nier moment  toute  la  plénitude  et  toute  la  lucidité  de  sa 
belle  intelligence. 

On  l'ensevelit  au  couvent  de  Saint  -  Bernardin  ,  à 
Madrid,  et  une  grande  foule  de  peuple  assista  à  ses  funé- 
railles. 

(Chron.  de  la  prov.  de  Saint- Joseph.) 


PIERRE  D'URBIN 

DU  TIERS   ORDRE 

1415.  —  Pape  :  Jean  XXIII.  —  Roi  de  France  :  Charles  VI. 

Le  bienheureux  Pierre,  confesseur,  du  Tiers  Ordre, 
était  né  en  Espagne  ;  mais  il  passa  la  plus  grande  partie 
de  sa  vie  dans  une  petite  chapelle  située  non  loin  d'Ur- 
bin,  en  Italie,  et  c'est  pourquoi  on  le  désigne  sous  le 
nom  de  Pierre  d'Urbin.  Très-connu  dans  le  voisinage  de 
sa  résidence,  il  était  le  conseiller  et  l'ami  d'une  foule 
de  personnes  qui  venaient  lui  demander  des  avis,  des 
éclaircissements  sur  des  questions  religieuses  ,  et  le 
secours  de  ses  prières. 


LE  BIENHEUREUX  PIERRE  D'URBIN.  445 

Un  miracle  éclatant  que  Dieu  accomplit  en  sa  faveur 
accrut  encore  l'estime  et  le  respect  qu'on  lui  témoignait 
déjà,  et  c'est  alors  qu'on  lui  assigna  pour  demeure  une 
petite  chambre  dans  la  chapelle  d'Urbin.  C'est  là  qu'il 
instruisait  les  enfants  et  les  hommes  du  peuple  des  prin- 
cipales vérités  de  la  religion  ;  il  leur  enseignait  le  Pater, 
Y  Ave,  Maria,  et  d'autres  prières  ;  il  leur  apprenait  à  esti- 
mer à  leur  juste  valeur  les  choses  du  monde  et  celles 
du  ciel.  C'est  là  aussi  que  le  Fils  de  Dieu,  pour  lui 
témoigner  combien  lui  étaient  agréables  les  soins  tou- 
chants qu'il  prodiguait  aux  humbles  et  aux  petits,  lui 
apparut  un  jour  sous  la  forme  d'un  enfant  de  douze  ans, 
tel  qu'il  s'était  montré  dans  le  temple  de  Jérusalem  aux 
scribes  et  aux  docteurs  d'Israël. 

Il  mourut  saintement,  en  1415,  dans  sa  chambre, 
sans  l'assistance  de  personne  ,  et  c'est  le  lendemain 
seulement  qu'on  apprit  sa  mort,  en  le  trouvant  à  ge- 
noux, immobile,  les  yeux  ouverts  et  les  bras  étendus 
vers  le  ciel,  dans  l'attitude  de  la  prière.  On  l'ensevelit 
sous  l'autel  de  la  chapelle,  et  longtemps  après,  on  trouva 
son  corps  parfaitement  intact  ;  sa  tête  conservait  encore 
la  barbe  et  les  cheveux.  Des  miracles  s'accomplirent  par 

son  intercession. 

(Wadding.) 


440  XXIV  JUIN. 


AGNES  DE  SAINT-DOMINIQUE 

CLARISSE 

15G0.  —  Pape  :  Pie  IV.  —  Roi  de  Portugal  :  Sébastien  Ier. 

Cette  pieuse  servante  du  Seigneur,  qui  s'avança  fort 
loin  dans  les  sentiers  de  la  perfection,  vécut  au  couvent 
des  Clarisses  Urbanistes  de  Lisbonne.  Son  amour  pour 
la  sainte  pauvreté,  son  humilité  profonde,  sa  pureté 
naïve,  sa  piété,  sa  charité  chrétienne,  suscitèrent  contre 
elle  la  rage  du  démon  ;  et  sa  vie  fut  un  perpétuel  combat, 
mais  aussi  une  perpétuelle  victoire  sur  l'ennemi  de 
Dieu. 

Dans  sa  vieillesse,  elle  perdit  la  vue,  et  ce  malheur, 
loin  de  l'irriter  contre  la  volonté  du  Seigneur,  développa 
au  contraire  ses  belles  vertus.  Elle  est  entrée  dans  l'éter- 
nelle gloire  le  24  juin  1560.  Dieu  témoigna  de  ses  com- 
plaisances pour  sa  pieuse  fiancée  en  accomplissant  des 
miracles  le  jour  même  de  ses  funérailles. 

Quelques  années  après  sa  mort,  au  moment  où  on 
ouvrait  son  tombeau  pour  lui  donner  une  sépulture  plus 
digne  de  ses  mérites,  un  parfum  délicieux  s'échappa  de 
son  corps  et  remplit  l'église,  au  grand  étonnement  de 
tous  les  assistants. 

(Wadding.) 


PÈRES  JACOB  DE  POGGIO,  JÉFlEMIE,  ETC. 


VINGT-CINQUIEME    JOUR    DE    JUIN 

JACOB  DE  POGGIO,  JÉRÉMIE  ET  AUTRES 

MARTYRS  EN   SYRIE 

1266.—  Pape  :  Clément  IV.  —  Roi  de  France  :  Saint  Louis. 

Bendocdar,  sultan  de  Babylone,  après  s'être  élevé  au 
trône  par  le  meurtre  de  ses  parents,  en  1260,  continuant 
dignement  un  règne  si  bien  commencé,  sembla  prendre 
plaisir,  durant  plusieurs  années,  à  détruire,  à  brûler  et 
à  ravager  une  grande  quantité  de  villes,  de  villages  et  de 
châteaux.  Il  tenta  vainement  de  prendre  la  citadelle 
chrétienne  de  Ptolémaïs,  et,  rendu  furieux  par  plusieurs 
échecs,  il  tourna  ses  forces  contre  la  vtHe  de  Saphet,  où 
il  entra,  le  2-4  juin  1266,  en  promettant  de  laisser  la  vie 
sauve  à  tous  ses  habitants  et  à  tous  ses  défenseurs.  Le 
soir  même,  par  une  insigne  trahison,  il  reniait  la  parole 
donnée  et  faisait  savoir  aux  malheureux  prisonniers 
qu'ils  eussent  à  choisir  entre  la  mort  ou  l'apostasie. 

Dans  la  ville  se  trouvaient  deux  frères  mineurs,  le 
Père  Jacob  de  Poggio  et  le  Père  Jérémie,  lesquels,  juste- 
ment indignés  de  l'infâme  conduite  du  barbare,  passèrent 
toute  la  nuit  à  exhorter  les  habitants  à  bien  mourir  et  à 
ne  pas  préférer  un  misérable  reste  de  vie  sur  cette  terre 
à  l'éternelle  félicité  qui  les  attendait  au  ciel.  Ils  furent 
écoutés,  et  le  lendemain  même  eut  lieu  un  épouvantable 
massacre  :  plus  de  six  mille  chrétiens  moururent  frappés 


448  XXV  JUIN. 

de  la  hache.  Le  sang  coulait  à  flots  dans  toutes  les  rues 
de  la  ville.  Quand  vint  le  tour  des  deux  apôtres,  on 
inventa  pour  eux  et  pour  le  prieur  des  Templiers,  qui  se 
trouvait  là,  un  raffinement  de  supplice.  Ils  furent  con- 
damnés à  être  écorchés  tout  vifs  et  à  périr  sous  les  coups 
de  bâton.  (25  juin  i266.) 


En  même  temps  que  les  courageux  martyrs  de  l'Ordre 
Séraphique  avaient  la  gloire  et  le  bonheur  de  mourir 
pour  le  Christ  dans  le  pays  même  où  ce  dernier  avait  vécu 
et  était  mort  pour  les  hommes,  d'autres  frères  mineurs 
versaient  leur  sang  en  Syrie,  où  ils  affirmaient  ainsi  leur 
foi  et  la  sainteté  de  leur  religion. 

Le  Père  Conrad  d'Albi  eut  la  tête  tranchée  et  sur  son 
corps,  jeté  à  la  mer,  une  couronne  de  feu  brilla  jusqu'au 
jour  où  les  chrétiens  recueillirent  ses  précieux  restes 
et  l'ensevelirent  en  Terre-Sainte  avec  les  honneurs  qui 
lui  étaient  dus. 


Deux  autres  frères  mineurs  dont  le  nom  est  demeuré 
inconnu,  le  premier  très-âgé,  le  second  au  contraire 
très-jeune,  périrent  frappés  de  la  hache.  Chose  merveil- 
leuse, au  moment  de  leur  supplice,  un  chœur  invisible 
faisait  retentir  les  airs  du  chant  du  Salve  Regiîia,  et  cette 
musique  céleste  ne  cessa  pas  de  se  faire  entendre  pendant 
qu'on  traînait  leurs  corps  à  la  mer.  Des  cercles  de  feu 
étincelèrent  aussi  au-dessus  de  leur  tête. 


PÈRES  JACOB  DE  POGGIO,  JÉRÉMIE,  ETC.        449 

En  1402,  les  Turcs  massacrèrent  encore  le  bienheureux 
Père  Pacifique  de  Spolète. 


En  1370,  un  autre  Père  de  l'Ordre  de  Saint-François, 
Jean  de  Naples,  qui  prêchait  la  foi  chrétienne  à  Gaza,  en 
Palestine,  avait  été  coupé  en  morceaux. 


Au  moment  où  Pierre,  roi  de  Chypre  et  de  Jérusalem, 
enlevait  aux  Turcs  la  ville  d'Alexandrie,  ceux-ci,  profitant 
de  son  absence,  attaquèrent  et  surprirent  la  garnison  de 
la  montagne  de  Sion.  Us  y  trouvèrent  seize  frères  mineurs 
et  les  emmenèrent  prisonniers  à  Damas.  Durant  cinq 
années  entières,  ces  malheureux  furent  l'objet  de  persé- 
cutions et  de  cruautés  inimaginables.  Chargés  de  fer, 
plongés  au  fond  de  ténébreux  cachots,  où  on  les  laissait 
presque  sans  nourriture,  sous  le  coup  de  menaces  de 
mort  continuelles,  ils  souffrirent  plus  que  les  forces 
humaines  ne  paraissent  pouvoir  supporter  de  privations 
et  de  douleurs.  A  la  fin,  les  barbares,  furieux  de  n'avoir 
pu  abattre  ces  fiers  courages,  mirent  fin  à  leur  supplice 
en  leur  tranchant  la  tête.  Maintenant  leurs  âmes  se 
sont  mêlées  dans  le  ciel  aux  glorieux  chœurs  des 
martyrs. 

En  1560,  dans  la  même  ville  de  Damas,  trois  autres 
frères  mineurs,  de  la  province  Basilicate,  dans  le  royaume 
de  Naples,  furent  mis  à  mort  par  les  Turcs. 

(Wadding  et  Gonzague.) 


Palm.  Séraph.  —  Tome  VI.  29 


450  XXV  JUIN. 

PÈRE  DANIEL  D'ARENDONCK 

ET  SES  COMPAGNONS 

MARTYRS     A     ALCMAER 

1572.  —  Pape  :  Saint  Pie  V.  —  Roi  de  France  :  Charles  IX. 

SOMMAIRE  :  Invasion  de  l'hérésie  dans  les  Pays-Bas. —  Efforts  des  Frères  Mineurs 
pour  en  arrêter  les  progrès.  —  Les  religieux  d'Alcmaer.  —  Prise  d'Alcmaer  par  les 
Gueux.  —  Les  frères  mineurs  sont  emmenés  à  Enkuse  et  condamnés  à  la  po- 
tence: —  Leur  courage  dans  la  mort.  —  Supplice  du  Père  Engelbert. 

Quand  l'hérésie,  ce  fléau  du  dix-septième  siècle,  après 
avoir  envahi  l'Allemagne  et  la  France,  pénétra  jusque 
dans  les  Pays-Bas,  elle  trouva  dans  la  révolte  des  Néerlan- 
dais contre  leur  souverain  un  puissant  moyen  d'action  et 
de  propagande.  C'est  ce  qui  explique  la  rapidité  avec 
laquelle  elle  s'étendit  à  toutes  les  provinces  flamandes  et 
wallones ,  malgré  les  courageux  efforts  tentés  par 
les  religieux  de  Saint-François  pour  l'arrêter  dans  sa 
marche. 

La  Frise  fut  la  première  province  envahie.  A  peine  les 
hérétiques  y  apparurent-ils,  que  le  provincial  de  Brabant, 
dont  l'autorité  s'exerçait  sur  la  Hollande  entière,  envoya 
au  couvent  d'Alcmaer,  pour  combattre  leur  influence, 
les  frères  mineurs  les  plus  fermes  dans  leur  foi,  les  plus 
instruits  et  les  plus  éloquents,  tous  d'ailleurs  bien  résolus 
à  mourir  dans  les  supplices,  plutôt  que  d'apostasier.  Le 
Père  Daniel  d'Arendonck,  né  à  Kempenland,  fut  nommé 
gardien  de  ce  couvent.  C'était  un  homme  d'une  grande 
science,  dont  la  pâle  et  austère  figure  attestait  les  longs 


PÈRE  DANIEL  D' AB.ENDONCK .  451 

jeûnes,  les  veilles  et  les  mortifications.  Pasteur  vigilant 
de  son  troupeau,  il  écrivit  pour  ses  ouailles  un  nouveau 
catéchisme,  dont  le  Concile  de  Trente  ordonna  la  publi- 
cation. Il  avait  été  d'abord  maître  des  novices  à  Louvain, 
puis  gardien  de  plusieurs  couvents. 

Les  frères  mineurs  qui  devaient  mourir  avec  lui  sont  : 
le  Père  Corneille  de  Diest,  d'une  grande  et  riche  famille, 
religieux  d'une  vertu  éprouvée,  d'une  charité  sans  bor- 
nes, confesseur  et  directeur  spirituel  des  Clarisses  d'Alc- 
maer  :  c'était  le  plus  éloquent  prédicateur  de  la  province, 
quoiqu'il  fût  déjà  fort  âgé;  sa  belle  figure  toujours  sou- 
riante annonçait  une  conscience  pure  et  paisible;  —  le 
Père  Jean  de  Naerden,  marguillier  de  l'église  ;  —  le  Père 
Louis  Voet,  né  à  Arquennes,  dans  le  Brabant  méridional, 
jeune  prêtre  dont  les  débuts  annonçaient  un  sermon- 
naire  de  premier  ordre  ;  —  frère  Adrien  de  Ter-Gau,  por- 
tier, —  et  frère  Engelbert  de  Terburg,  cuisinier. 

A  l'approche  des  Gueux  et  à  leur  entrée  dans  la  ville 
d'Enkuse,  tous  les  prêtres  et  les  principaux  habitants 
du  pays  s'enfuirent  à  Amsterdam.  Les  hérétiques  s'éta- 
blirent dans  la  Frise,  sans  rencontrer  de  résistance,  et  forts 
de  l'abri  qu'ils  s'étaient  assuré  en  cas  de  revers,  ils  mar- 
chèrent en  bon  ordre  sur  Alcmaer,  sous  la  conduite  d'un 
certain  Focx  Vriesman,  d'une  cruauté  trop  connue,  et  à 
qui  une  infirmité  naturelle  avait  fait  donner  le  surnom  de 
Houtenvoët  (le  boiteux)-  Ils  pénétrèrent  dans  la  ville  sans 
coup  férir,  et  se  dirigèrent  tout  d'abord  vers  le  couvent 
des  Clarisses,  qu'ils  mirent  au  pillage;  les  églises,  les 
chapelles, les  presbytères,  les  maisons  religieuses  devin- 
rent ensuite  la  proie  des  flammes. 
Cependant  les  frères  mineurs  commençaient  à  craindre 


452  XXV  JUIN. 

pour  leur  vie,  et  malgré  les  assertions  du  bourgmestre 
qui  leur  promettait  une  protection  efficace,  ils  compre- 
naient que  leur  dernière  heure  allait  bientôt  sonner.  Ils 
songèrent  un  instant  à  fuir,  mais  déjà  il  n'était  plus 
temps  ;  leur  couvent  était  cerné  parles  hérétiques.  Il  n'y 
avait  plus  de  secours  à  attendre  que  de  Dieu.  Le  gardien 
et  le  Père  Corneille  allèrent  s'agenouiller  sur  les  marches 
de  l'autel  ;  les  autres  se  cachèrent  dans  différents  endroits. 
Tous  furent  pris  par  les  Gueux  qui  venaient  d'enfoncer 
les  portes  du  couvent;  on  les  traîna  en  prison,  et  trois 
jours  après,  comme  on  n'osait  pas  les  massacrera  AIcmaer, 
dans  la  crainte  d'une  révolte  de  la  part  des  habitants, 
on  les  emmena  à  Enkuse,  où  ils  devaient  mourir. 

Il  serait  trop  long  d'énumérer  les  persécutions  de 
toutes  sortes  et  les  cruautés  dont  les  frères  mineurs 
furent  l'objet.  Un  seul  fait  peut  en  donner  l'idée.  Quand 
ils  arrivèrent  à  Enkuse  dans  des  voitures  couvertes, 
le  capitaine  Houtenvoët,  qui  commandait  la  bande  des 
hérétiques,  s'écria:  «  Bonnes  gens,  réjouissez-vous,  il  y 
a  aura  noces  et  festins  ;  nous  avons  pénétré  dans  rétable 
a  d'Alcmaer,  et  nous  vous  en  amenons  les  cochons  ». 

Le  gouverneur  de  la  ville  était  un  certain  Gérard 
Borkeroo,  prêtre  apostat,  misérable  coquin  sans  foi  ni  loi, 
à  qui  le  prince  d'Orange  avait,  pour  s'en  débarrasser, 
confié  le  soin  de  maintenir  dans  l'obéissance  les  marins 
d'Enkuse.  Il  se  fit  amener  le  gardien,  Daniel  d'Aren- 
donck  :  «  Renonce  à  ta  religion  »,  lui  dit-il,  «  ou  tu  mour- 
«  ras  demain  ».  — «  Je  crois  »,  répondit  le  courageux  apô- 
«  tre,  que  Jésus  est  le  Fils  du  Père,  qu'il  s'est  fait  homme 
«  dans  le  sein  de  la  bienheureuse  Vierge  Marie,  qu'il  est 


PÈRE  DANIEL  D'ARENDONCK,  ETC.  453 

a  mort  sur  la  croix,  qu'il  est  ressuscité  le  troisième  jour, 
«  et  qu'il  est  assis  dans  le  ciel  à  la  droite  du  Père». 
Tous  les  frères  firent  la  même  réponse.  Ils  furent  condam- 
nés à  être  pendus. 

La  sentence  s'exécuta  le  lendemain,  au  milieu  des  cris 
de  joie  d'une  populace  déguenillée.  Frère  Adrien,  à  qui 
on  avait  offert  la  vie  sauve,  à  condition  qu'il  ferait  l'office 
de  bourreau,  et  qui  s'y  était  refusé  avec  indignation, 
mourut  le  premier.  Derrière  lui  venait  le  Père  gardien, 
l'air  aussi  calme  que  s'il  eût  présidé  une  séance  du  cha- 
pitre, et  qui  chantait  de  sa  voix  retentissante  le  psaume 
de  David  :  In  te,  Domine,  speravi  ;  «  Seigneur,  j'ai 
«  mis  en  vous  mon  espérance  »;  puis  il  ajouta:  Domine, 
in  manus  tuas  commendo  spiritum  meum,  «  Seigneur,  je 
«  remets  mon  âme  entre  vos  mains».  Le  Père  Corneille, 
confesseur  des  Clarisses,  paraissait  absorbé  dans  une 
profonde  contemplation,  et  mourut  sans  prononcer  une 
seule  parole.  Tous  montrèrent  un  courage  et  une  rési- 
gnation héroïques.  (25  juin  4572.) 

Le  frère  Engelbert  de  Terburg  ,  qui  s'était  caché  à 
Alcmaer  dans  une  maison,  fut  livré  aux  hérétiques 
par  une  femme.  Ces  forcenés  lui  brûlèrent  la  plante  des 
pieds,  et,  après  lui  avoir  versé  de  l'huile  bouillante  dans 
la  bouche,  ils  le  laissèrent  mourir  misérablement  en  pri- 
son. (Novembre  1572.) 

(Sédule,  Thielmans,  etc.) 


i'Ji  xxv  jujn. 


PERE  JEAN  DE  RIBAS 

AUX   INDES   OCCIDENTALES 

1.162.  —  Pape  :  Pie  IV.  —  Roi  d'Espagne  :  Charles  IX. 

Au  nombre  des  douze  premiers  frères  mineurs  qui 
partirent  de  la  province  espagnole  de  Saint-Gabriel , 
en  1524,  sous  la  conduite  du  Père  Martin  de  Valence, 
pour  aller  prêcher  la  religion  du  Christ  au  Mexique, 
et  que  l'on  appela  les  Douze  Apôtres,  se  trouvait  le  Père 
Jean  de  Ribas,  prédicateur  célèbre  et  fidèle  observateur  de 
la  règle. 

Quand  la  province  de  Mexico,  ou  du  Saint-Evangile,  fut 
bien  constituée,  il  conçut  le  projet  d'en  fonder  une 
seconde  ,  plus  austère  ,  s'il  était  possible ,  et  où  la 
vie  religieuse  fût  plus  pénible  et  plus  rude.  Il  donna 
donc  sa  démission  de  gardien,  et,  se  mettant  à  la  tête  de 
dix  ou  douze  religieux  animés  du  même  esprit  que  lui, 
il  avança  plus  avant  dans  l'intérieur  du  pays.  Malheu- 
reusement des  difficultés  matérielles  insurmontables 
l'arrêtèrent  dans  l'exécution  de  son  projet,  et  il  dut  revenir 
à  Mexico,  où  il  exerça  jusqu'à  sa  mort  les  charges  de 
gardien  et  de  définiteur. 

Il  s'attacha  en  particulier  à  développer  chez  ses  reli- 
gieux l'amour  de  la  sainte  pauvreté  ,  dans  un  pays 
et  dans  un  temps  où  tous  les  cœurs  étaient  altérés 
de  la  soif  de  l'or.  Durant  quarante  ans  qu'il  travailla 
pour  le  bien  des  âmes  et  la  gloire  de  Dieu  sur  la  terre 
.l'Amérique,  il  parcourut  plus  de  deux  cents  villages, 


PÈRE  ALPHONSE  SUAREZ.  455 

construisit  une  grande  quantité  d'églises  et  de  chapelles, 
et  baptisa  des  milliers  d'Indiens.  Il  avait  appris  le  mexi- 
cain, et  non-seulement  il  prêcha,  mais  encore  il  écrivit 
dans  cette  langue. 

'  Sur  la  fin  de  sa  vie,  le  Seigneur  l'éprouva  par  de 
cruelles  infirmités  qui  n'altérèrent  ni  sa  résignation 
ni  sa  confiance  en  Dieu.  Quand  il  sentit  la  mort 
venir,  à  l'exemple  du  saint  Père  François,  qui  n'avait  pas 
voulu  expirer  dans  un  lit,  il  se  mit  à  genoux  et  rendit 
l'âme  dans  cette  position  ,  le  25  juin  1562.  Il  fut 
enseveli  avec  de  grands  honneurs  au  couvent  de 
Tescuco. 

(Daza.1 


ALPHONSE  SUAREZ 

Le  Père  Alphonse  Suarez  s'est  rendu  célèbre  au 
Mexique  par  son  austérité.  Jamais  il  ne  mangea  de 
viande  et  jamais  il  ne  but  que  de  l'eau  ;  il  porta 
toute  sa  vie  les  mêmes  vêtements.  Tous  les  jours, 
avant  de  dire  sa  messe ,  il  méditait  plusieurs  heures 
durant  sur  la  vie  et  la  mort  du  Sauveur  Jésus  ;  quand  il 
offrait  le  saint  sacrifice,  ses  larmes  coulaient  à  flots,  et 
l'on  eût  dit  qu'il  était  seul  coupable  des  souffrances  du  • 
divin  Maître. 

On  le  voyait  souvent  plongé  dans  une  extase  profonde, 
et  plusieurs  fois,  en  présence  d'une  grande  foule  de  peuple, 
il  fut  soulevé  de  terre  par  une  force  invisible,  tout  res- 
plendissant de  lumière. 

On  raconte  que,  désireux  de  vivre  dans  la  solitude,  il 


456  XXV  JUIN. 

avait  formé  le  projet  de  se  retirer  parmi  les  Chartreux, 
et  il  se  préparait  à  le  mettre  à  exécution  ,  quand 
tout  à  coup  il  entendit  une  voix  venue  du  ciel  lui 
dire  ;  «  Où  vas-tu ,  et  pourquoi  veux-tu  me  quitter, 
«  Père  Alphonse?  »  Il  se  soumit  à  la  volonté  de  Dieu,  et 
demeura  avec  ses  frères. 

C'est  peut-être  pour  le  récompenser  de  celte  obéissance 
qui  contrariait  ses  goûts,  que  le  Seigneur  le  choisit  pour 
être  l'un  des  douze  compagnons  du  PèreMarlin  de  Valence. 
Comme  le  Père  Jean  de  Ribas,  il  parcourut  pieds  nus  la 
plus  grande  partie  du  Mexique,  prêchant  et  catéchisant, 
bâtissant  des  églises,  renversant  les  idoles  et  baptisant  au 
nom  du  Père,  du  Fils  et  de  l'Esprit.  Il  fut  l'un  de  ceux 
qui  protégèrent  les  malheureux  Indiens  contre  les 
Espagnols  et  intercédèrent  auprès  du  roi  pour  qu'on  ne 
les  condamnât  pas  à  périr,  dans  les  mines,  d'une  mort 
lente  et  douloureuse. 

Il  expira  au  couvent  de  Belvis ,  où  il  avait  pro- 
noncé ses  vœux,  pendant  un  voyage  qu'il  avait  fait  en 
Espagne  afin  d'obtenir  de  Charles-Quint  un  adoucissement 
au  sort  des  Mexicains  convertis. 


LOUIS  DE  FUENSALIDA 

Ce  saint  homme  est  aussi  l'un  des  douze  apôtres  du 
Mexique,  et,  comme  ses  compagnons,  il  est  demeuré  célè- 
bre par  le  grand  nombre  de  conversions  qu'il  provoqua 
et  les  miracles  qu'il  accomplit.  Il  avait  reçu  de  Dieu  le 
don  de  contemplation  et  d'extase. 


PÈRE  LOUIS  DE  FUENSALIDA.  457 

Emu,  lui  aussi,  par  le  triste  esclavage  sous  lequel  on 
écrasait  les  vaincus,  il  revint  en  Espagne,  se  fit  donner 
une  audience  par  l'empereur  et  lui  exposa  les  indignes 
traitements  dont  on  accablait  ses  sujets  d'Amérique. 
Charles-Quint  écouta  favorablement  sa  requête,  et  non- 
seulement  il  prit  des  mesures  sévères  pour  modifier  un 
semblable  état  de  choses,  mais  il  voulut  témoigner  au 
vénérable  religieux  sa  reconnaissance  en  le  nommant 
évêque  de  Méchoacan;  Le  Père  Louis  s'y  refusa,  il  se 
sentait  trop  faible  pour  un  si  lourd  fardeau  et  redoutait 
les  fatigues  et  les  dangers  d'une  nouvelle  traversée.  Il 
envoya  donc  les  lettres  de  l'empereur  aux  Indiens,  et 
resta  dans  sa  province. 

Peu  de  temps  après,  ses  supérieurs  le  nommèrent  gar- 
dien du  couvent  de  Badajos.  Les  occupations  que  lui  don- 
nait cette  dignité  ne  modifièrent  en  rien  sa  vie  toute 
méditative  ;  souvent,  après  les  matines,  on  le  trouvait 
au  chœur,  plongé  dans  l'extase,  l'œil  perdu  dans  le  vague 
de  l'infini,  et  paraissant  contempler  quelque  merveilleux 
spectacle  visible  pour  lui  seul. 

Il  se  retira,  vers  la  fin  de  sa  vie,  sur  les  hautes  monta- 
gnes de  Gâta,  où  les  ordres  de  ses  supérieurs  vinrent  le 
chercher  pour  l'envoyer  une  seconde  fois  au  Mexique. 
Il  mourut  pendant  la  traversée  et  fut  enseveli  dans  l'île 
de  Saint-Germain. 

(Chron.  de  la  prov.  de  Saint-Gabriel.) 


4i>8  XXV  JUIN. 


JEAN  DE  PALOS 

ET  FRÈRE  ANDRÉ  CABRERAS,  DE  CORDOUE 


5 


Jean  de  Palos  et  frère  André  Cabreras,  issu  d'une  grande 
famille  de  Cordoue,  méritèrent,  par  la  haute  perfection 
à  laquelle  ils  s'étaient  élevés  dans  la  province  de  Saint- 
Gabriel,  d'accompagner,  en  qualité  de  frères  lais,  le  bien- 
heureux Père  Martin  de  Valence  et  ses  compagnons. 

Arrivés  au  Mexique,  ils  fondèrent  des  écoles,  et  en 
formant  à  la  vertu  les  cœurs  des  jeunes  Indiens,  ils  aidè- 
rent puissamment  les  missionnaires  dans  la  grande 
œuvre  de  la  conversion .  Frère  Jean  mourut  jeune , 
Dieu  le  rappela  à  lui  de  bonne  heure;  mais  frère  André 
continua  seul  l'œuvre  commencée  en  commun.  11  eut 
le  bonheur  de  verser  son  sang  pour  le  Christ  avec 
trois  autres  frères  mineurs,  dans  le  pays  de  Xalisco.  Son 
corps,  retrouvé  par  les  Espagnols,  est  encore  conservé 
avec  respect  au  couvent  d'Izatlan. 

On  sait  peu  de  choses  sur  les  glorieux  apôtres  de  l'Amé- 
rique. Les  chroniqueurs  de  l'Ordre,  entre  autres  le 
Père  Wadding,  nous  disent  d'une  façon  générale  qu'ils 
avaient  reçu  de  Dieu  le  don  d'accomplir  des  miracles. 
Malheureusement  ils  n'ont  pas  jugé  à  propos  d'insister 
davantage  :  c'est  une  négligence  regrettable  et  qui  nous 
prive  sans  doute  d'une  des  plus  belles  pages  de  l'histoire 
du  monde  chrétien. 

(Daza,  et  Chron.  de  la  prov.  de  Saint-Gabriel.) 


LE  BIENHEUREUX  FRÈRE  1V0N  DE   LA   ROQUE.  459 

VINGT-SIXIÈME    JOUR    DE    JUIN 

FRÈRE   IVON   DE    LA   ROQUE 

1629.  —  Pape  :  Urbain  VIII.  —  Roi  de  France  :  Louis  XIII. 

SOMMAIRE  :  Famille  du  bienheureux  Ivon.  —  Il  passe  sa  jeunesse  à  la  cour  du 
prince  d'Orange:  —  Ses  grandes  qualités  physiques  et  morales.  —  Sa  chasteté.  — 
Après  la  mort  de  ses  protecteurs,  ilentre  chez  les  Kécollets. —  Son  humilité  profonde. 
—  Souvenirs  qu'il  garde  de  sa  vie  mondaine.  —  Sa  pauvreté.  —  Son  obéissance  à 
ses  supérieurs.  —  Sa  charité  chrétienne.  —  Sa  piété  et  sa  dévotion  à  la  très-sainte 
Vierge  Marie.  —  Ses  miracles  et  sa  mort. 

L'antique  et  noble  famille  de  la  Roque,  qui  donna  à 
l'Eglise  d'illustres  prélats  et  à  la  France  de  vaillants  capi- 
taines, s'honore  de  compter  parmi  ses  membres  le  bien- 
heureux frère  Ivon  de  La  Roque. 

Il  était  né  seigneur  de  Saint-Laurent  et  paraissait 
réservé  aux  plus  hautes  destinées.  A  peine  âgé  de  sept 
ans,  il  entra  en  qualité  de  page  au  service  de  la  princesse 
Eléonore  de  Rourbon,,  sœur  du  prince  de  Condé  et  femme 
de  Guillaume  de  Nassau  ,  prince  d'Orange.  Il  semble 
que,  en  servant  les  grands  de  la  terre,  il  n'ait  songé  qu'à 
apprendre  comment  il  devait  servir  un  jour  le  Roi 
du  ciel.  D'une  beauté  remarquable  et  d'une  intelli- 
gence précoce,  il  surpassait  les  autres  pages  en  bonnes 
manières,  en  politesse  et  surlout  en  vertus.  Habile  à 
tous  les  exercices  du  corps,  il  montait  à  cheval  avec 
la  dextérité  d'un  écuyer  consommé  ;  il  dansait  avec  grâce 
et  maniait  la  lance  et  l'épée  comme  un  vieux  soldat.  Il 
aimait  tendrement  ses  maîtres,  et  en  donna  une  preuve 


460  XXVI  JUIN. 

éclatante  pendant  une  maladie  du  prince  de  Nassau, 
dont  il  ne  quitta  le  lit  ni  jour,  ni  nuit.  Le  prince  lui 
témoigna  sa  reconnaissance  en  le  faisant  entrer  au  ser- 
vice de  son  frère,  général  de  l'armée  hollandaise,  et,  deux 
ans  après,  il  le  rappela  près  de  lui  et  le  nomma  son 
premier  écuyer. 

Dans  cette  condition  toute  mondaine,  exposé  par  son 
âge  et  par  sa  position  à  mille  dangers,  Ivon  sut  y  échap- 
per par  la  piété  et  la  pratique  de  ses  devoirs  religieux. 
Jamais  une  parole  déshonnête  ou  même  légère  ne  sortit 
de  sa  bouche.  Il  avait  une  grande  dévotion  à  la  très- 
sainte  Vierge  Marie  et  à  Jésus  crucifié,  et  un  jour  de 
vendredi  saint  il  fit,  à  cheval,  un  trajet  de  trente  lieues 
pour  aller  entendre  un  célèbre  prédicateur  qui  devait 
faire  un  sermon  sur  la  Passion  de  Notre-Seigneur.  Chaste 
comme  une  vierge,  il  veillait  avec  un  soin  jaloux  sur  sa 
pureté,  et  le  souffle  délétère  des  passions  mauvaises  passa 
près  de  lui  sans  l'effleurer.  Les  courtisans,  jaloux  peut- 
être  de  tant  de  vertus  et  de  la  faveur  dont  il  jouissait 
auprès  du  prince,  essayèrent  de  le  corrompre  et  ne 
purent  y  parvenir  :  il  résista  à  toutes  leurs  tentatives.  Il 
fit  mieux  encore,  il  tint  ferme  contre  les  assauts  plus 
redoutables  de  dames  nobles  et  belles,  à  qui  sa  jeunesse 
et  sa  grâce  avaient  inspiré  de  coupables  désirs,  et  c'est 
là  un  de  ses  plus  beaux  titres  de  gloire. 

La  princesse  de  Nassau  étant  venue  à  mourir,  Ivon,  qui 
l'aimait  comme  une  mère  et  qui  n'était  demeuré  en 
Hollande  que  par  affection  pour  elle,  songea  à  quitter  la 
cour  pour  vivre  dans  la  retraite  et  se  consacrer  au  Sei- 
gneur. 11  demeura  pourtant  au  service  du  prince  jusqu'à 
la  mort  de  ce  dernier,  qui  périt  victime  d'une  terrible 


LE  BIENHEUREUX  FRÈRE  IVON  DE  LA  ROQUE.  461 

maladie  ;  et  dégagé  de  tout  lien  terrestre,  malgré  les  pro- 
positions de  Maurice  de  Nassau,  frère  du  prince  d'Orange, 
il  résolut  d'aller  achever  sa  vie  dans  un  couvent. 

Il  avait  choisi ,  pour  lieu  de  sa  retraite  ,  le  cou- 
vent des  Capucins  de  Paris,  mais  en  entendant  parler 
avec  éloge  des  Récollets  de  sa  province ,  il  renonça  à 
son  premier  projet,  et  malgré  les  représentations,  les 
prières,  les  larmes  de  ses  amis  et  de  ses  parents,  il  se 
présenta,  en  1619,  au  couvent  d'Avignon,  et  y  demanda 
l'habit  de  l'Ordre.  Ce  jour-là,  une  femme  de  La  Roque, 
qui  avait  dans  tout  le  pays  un  grand  renom  de  sainteté, 
dit  à  la  comtesse  :  «  Ce  n'est  pas  le  temps  de  pleurer, 
«  madame,  mais  de  se  réjouir  ;  car  en  ce  moment  votre 
«  fils  se  met  en  marche  pour  le  ciel  ». 

Cette  prophétie  devait,  en  effet  se  réaliser  :  on  le  vit  bien 
par  la  conduite  que  mena  Ivon  dès  les  débuts  de  son  no- 
viciat. Il  creusa  tout  d'abord  un  abîme  entre  le  passé  et  le 
présent.  Quand  on  lui  demandait  de  raconter  les  merveilles 
dont  il  avait  été  le  spectateur,  soit  à  la  cour  du  prince  et 
de  la  princesse  d'Orange,  soit  à  la  cour  de  la  grande-du- 
chesse Isabelle-Claire-Eugénie,  il  détournait  habilement 
la  conversation.  De  toute  sa  vie  mondaine,  il  ne  gardait 
guère  qu'un  souvenir  :  suivant  la  coutume  de  la  noblesse 
à  cette  époque,  il  s'était  battu  en  duel  et  avait  tué  trois 
gentilshommes.  Il  ne  pouvait  y  penser  sans  verser  des 
larmes,  et  il  craignait  que  toute  une  vie  de  souffrances 
et  de  privations  ne  fût  pas  capable  de  balancer  aux  yeux 
de  Dieu  l'énormité  d'un  tel  crime. 

Frère  Ivon  commença  par  s'humilier.  Il  fit  taire  dans 
son  cœur  les  moindres  bruits  de  la  vanité,  et  durant 
toute  sa  vie  il  persista  dans  la  voie  qu'il  s'était  tracée  en 


462  XXVI  JUIN. 

entrant  au  couvent.  Il  se  réservait  les  ouvrages  les  plus 
pénibles  et  les  plus  désagréables,  qui  sont  d'ordinaire 
imposés  aux  novices.  Il  se  mettait  à  genoux  pour  parler 
aux  autres  religieux.  On  eut  bien  de  la  peine,  tant  son 
bumilité  était  profonde,  à  lui  faire  accepter  la  dignité 
de  sous-diacre  ;  mais  il  fut  impossible  de  vaincre  sa  résis- 
tance, quand  on  voulut  l'élever  au  diaconat.  Sa  douceur 
inaltérable  étonnait  ceux  qui  l'avaient  autrefois  connu 
dans  le  monde,  gentilhomme  au  sang  bouillant,  prompt 
à  venger  une  offense  et  à  rendre  un  coup  d'épée  pour 
une  parole  mordante.  Maintenant,  au  contraire,  ceux  de 
ses  frères  qu'il  aimait  le  mieux,  c'étaient  ceux  qui  se 
moquaient  de  lui  et  le  tournaient  en  dérision.  Il  avait 
conçu  une  véritable  affection  pour  l'abbesse  d'un  cou- 
vent, parce  qu'elle  lui  répétait  sans  cesse  qu'il  était  le 
bâtard  et  non  le  fils  légitime  des  La  Roque.  Un  jour  on  lui 
donne  un  soufflet,  il  tend  l'autre  joue  :  autrefois,  pour 
un  soufflet,  il  se  fût  battu  en  duel  avec  toute  la  cour  de 
Hollande. 

Son  amour  pour  la  sainte  pauvreté,  compagne  ordi- 
naire de  l'humilité,  se  révélait  dans  ses  vêtements  usés  et 
sa  cellule  toute  nue.  Le  même  habit  lui  servit  jusqu'à  sa 
mort.  Il  pratiquait  régulièrement  les  sept  carêmes  de 
Saint-François,  comme  l'attestent  les  lettres  de  félicitation 
que  lui  adressèrent  à  ce  sujet  les  supérieurs  de  l'Ordre. 
La  viande  n'entrait  dans  ses  repas  qu'aux  jours  de  grande 
fête.  Il  préparait  lui-même  avec  de  l'eau,  du  persil  et  du 
sel,  la  soupe  dont  il  se  nourrissait  toute  la  semaine, 
pour  que  personne  ne  connût  le  secret  de  ses  jeûnes.  Le 
pain  qu'il  choisissait  était  toujours  le  plus  dur. 
Sachante  ardente  ne  lui  permettait  de  prendre  aucun 


LE  BIENHEUREUX  FRÈRE  IVON  DE  LA  ROQUE.      463 

repos.  Tous  les  matins,  il  visitait  les  frères  malades 
et  les  pansait;  le  soir,  il  nettoyait  leur  chambre  et 
préparait  leur  lit.  Les  pauvres  ,  qui  le  connaissaient 
et  l'aimaient  comme  un  père  ,  venaient  chaque  jour 
recevoir  du  pain  et  de  la  soupe  à  la  porte  du  couvent  ; 
frère  Ivon  les  servait  à  genoux:  «Ne  sont-ils  pas», disait-il, 
«les  amis  de  prédilection  de  Notre -Seigneur  Jésus- 
«  Christ  ».  Dès  qu'il  avait  un  moment  de  liberté,  il  par- 
tait, un  panier  au  bras,  pour  recueillir  des  aumônes  à 
leur  intention.  Son  travail  continuel  et  les  fatigues  qu'il 
y  ajoutait  par  surcroît  l'avaient  affaibli  considérablement, 
et  il  lui  fallait,  pour  faire  toute  la  besogne  dont  il  se 
chargeait,  une  force  de  volonté  incroyable.  On  lui  deman- 
dait un  jour  pourquoi  il  s'exténuait  ainsi  :  «  J'ai  pris  de 
«  la  peine»,  répondit-il,  «  pour  bien  servir  les  princes  de 
«  la  terre;  est-il  possible  que  je  fasse  jamais  trop  pour 
«  Dieu?  » 

On  se  rappelle  avec  quel  soin  jaloux  le  bon  frère  avait 
veillé  sur  sa  pureté,  lorsqu'il  vivait  à~îa  cour  du  prince 
d'Orange;  ce  fut  bien  mieux  encore  à  partir  du  jour  où 
il  porta  l'habit  religieux.  Il  ne  leva  pas  une  fois  les  yeux 
sur  une  personne  de  l'autre  sexe,  et  sa  mère  ayant  de- 
mandé à  ses  supérieurs  de  le  laisser  venir  au  château, 
il  s'y  refusa  en  disant  :  «  C'est  ma  mère,  mais  c'est  aussi 
«  une  femme  » . 

Il  semble  qu'il  ait  reporté  toutes  ses  affections  sur 
Dieu.  Il  consacrait  à  la  prière  presque  tout  le  jour  et 
la  nuit  entière.  Après  les  matines  ,  il  s'oubliait  au 
chœur,  plongé  dans  l'extase,  jusqu'au  lever  du  soleil,  et 
un  gardien  fut  obligé  de  lui  donner  l'ordre  de  rentrer 
dans  sa  cellule  à  huit  heures.  Il  obéit,  mais,  seul  dans  sa 


464  XXVI  JUIN. 

chambre,  il  se  mettait  à  genoux  et  priait  jusqu'à  minuit, 
si  bien  que  le  gardien  dut  préciser  sa  volonté  d'une  ma- 
nière plus  nette  et  lui  enjoindre  de  se  coucher  et  de 
dormir  à  partir  de  huit  heures. 

Sa  dévotion  au  saint  Sacrement  était  extrême.  Quand 
le  gardien  ne  lui  donnait  pas  d'ordres  contraires,  il  pas- 
sait la  nuit  en  prières  au  pied  de  l'autel,  en  contempla- 
tion devant  le  saint  Sacrement.  Dieu  l'en  récompensa 
par  des  miracles  éclatants.  Souvent,  quand  il  servait  la 
messe,  au  moment  de  la  consécration,  son  visage  pa- 
raissait resplendissant  comme  un  soleil  et  brillant  d'une 
beauté  céleste.  Tous  les  habitants  de  La  Roque  ont  été 
plusieurs  foistémoins  de  ce  prodige. 

La  glorieuse  Mère  de  Dieu  était  aussi  l'objet  de  la  vé- 
nération du  bon  frère.  Au  couvent  de  Gignac,  quand  on 
venait  lui  demander  des  conseils  ou  des  prières,  il 
prenait  les  visiteurs  par  la  main,  et  les  conduisant  de- 
vant une  statue  miraculeuse  de  la  Vierge  :  «  Voici»,  leur 
disait-il,  a  à  qui  vous  devez  vous  adresser  ». 

Sa  vie  fut  une  prière  continuelle  ;  la  nuit,  il  priait  dans 
sa  cellule  ou  dans  la  chapelle  du  couvent;  il  priait  après 
les  matines,  il  priait  en  cultivant  le  jardin  des  Pères  ou 
en  recueillant  des  aumônes.  C'est  par  là  que  toutes  les 
attaques  du  démon  se  sont  brisées  contre  lui  comme  de- 
vant un  mur  d'airain  ;  c'est  par  là  aussi  qu'il  a  eu  le 
bonheur  de  ramener  au  giron  de  l'Eglise  plusieurs 
malheureux  qui  avaient  renié  leur  foi  pour  embrasser  le 
calvinisme.  Son  aspect  seul  inspirait  la  piété  et  le  recueil- 
lement. S'il  parlait,  l'amour  dont  il  était  embrasé  se 
communiquait  aux  cœurs  de  ses  auditeurs  et  lui  faisait 
trouver  des  accents  éloquents. 


LE  BIENHEUREUX   FRÈRE  IVON  DE  LA  ROQUE.  405 

Dieu  lui  accorda  la  puissance  de  guérir  les  maladies, 
et  il  eut  le  suprême  bonheur  d'obtenir  le  salut  de  sa  mère. 
La  comtesse  était  malade,  presque  mourante,  et  toute  sa 
famille  la  pleurait  déjà.  Frère  Ivon  survint;  sans  dire  un 
mot  à  personne,  il  s'agenouilla  auprès  du  lit  maternel, 
et  pendant  dix  heures  il  pria.  Puis,  tout  à  coup,  se  re- 
levant la  face  rayonnante,  il  se  tourna  vers  ses  frères  et 
ses  sœurs,  et  leur  dit:  «  Remercions  Dieu,  notre  mère 
«ne  mourra  pas  ».  En  effet,  le  lendemain  même  elle 
était  guérie. 

D'autres  miracles,  non  moins  éclatants,  firent  considé- 
rer le  bon  frère  Ivon  comme  un  saint  et  lui  concilièrent 
le  respect  et  l'admiration  de  tous  ceux  qui  le  connurent, 
même  des  hérétiques.  Le  duc  de  Montmorency,  gouver- 
neur de  la  province  du  Languedoc,  l'avait  pris  en  grande 
amitié;  il  venait  souvent  le  voir  dans  son  couvent,  et 
s'entretenait  avec  lui,  durant  de  longues  heures,  sur  l'état 
de  son  âme  ou  sur  les  mystères  de  la  religion  catho- 
lique. 

Quelques  mois  avant  sa  mort,  le  bienheureux,  comme 
s'il  se  préparait  à  prononcer  ses  vœux,  porta  le  signe  dis- 
tinctif  des  novices  et  se  retira  dans  la  solitude,  au  cou- 
vent de  Mont-Favent;  mais  le  climat  du  pays  lui  étant 
funeste,  il  dut  revenir  à  Avignon  pour  se  soigner.  Il 
était  déjà  trop  tard  ;  la  fièvre,  dont  il  avait  contracté  les 
germes  à  Mont-Favent,  s'attacha  à  lui  et  ne  le  quitta  plus. 
L'approche  delà  mort  ne  l'effrayait  pas;  mais  il  craignait 
de  n'être  pas  assez  mûr  pour  le  ciel,  et  il  demanda  à 
Dieu,  comme  une  grâce  spéciale,  de  lui  accorder  encore 
trois  ans  pour  faire  pénitence.  Le  Seigneur  jugea,  dans 
sa  sagesse  infinie,  qu'il  n'en  avait  pas  besoin,  et  qu'à  ses 
Palm.  Séraph.  —  Tome  VI.  ao 


466  XXVI  JDIN. 

yeux  il  était  digne  d'entrer  dans  l'éternel  royaume.  Il 
reçut  les  derniers  Sacrements  le  26  juin  1629,  et  deux 
jours  plus  tard,  à  neuf  heures  du  matin ,  comme  il 
l'avait  annoncé,  il  s'endormit  dans  le  sein  du  Seigneur. 
Il  n'était  âgé  que  de  trente-quatre  ans,  et  ne  faisait  partie 
de  l'Ordre  Séraphique  que  depuis  dix  ans. 

On  célébra  ses  funérailles  avec  pompe  ;  le  duc  de 
Ventadour,  gouverneur  général  du  Languedoc,  qui  avait 
souvent  demandé  de  ses  nouvelles  pendant  sa  dernière 
maladie,  tint  à  honneur  d'assister  à  cette  cérémonie  fu- 
nèbre. Une  grande  foule  de  peuple  s'y  pressait,  et  les  vê- 
tements du  bon  frère,  mis  en  lambeaux  par  la  piété  des 
fidèles,  furent  conservés  dans  toutes  les  maisons  comme 
de  précieuses  reliques. 

Dieu  daigna  révéler  la  gloire  de  son  serviteur  à  une 
pieuse  veuve  du  Tiers  Ordre,  Marie  Germain  (1).  Elle 
était  occupée  à  prier  dans  l'église  de  Clermont,  quand  le 
saint  frère  lui  apparut,  emporté  vers  le  ciel  sur  les  ailes 
des  Anges. 

(Archives  du  couvent  d'Avignon.) 

(1)  Voir  la  vie  de  la  bienheureure  Marie  Germain  dans  le  Palmier   Séraphique, 
tom.  X,  deuxième  jour  d'octobre. 


LE  BIENHEUREUX  BENVENUTO,  DE  GUBBIO.  467 

VINGT-SEPTIÈME    JOUR    DE    JUIN 

LE  B.  BENYENUTO,  DE  GUBBIO 

1232.  —  Pape  :  Grégoire  IX.  —  Roi    de  France  :  Saint    Louis. 

SOMMAIRE  :  Vertus  du  bienheureux  Benvenuto. —  Obéissance. —  Charité  chrétienne. 
—  Soins  aux  malades.  —  Pauvreté.  —  Humilité.  —  Piété.  —  Miracles  qu'il 
accomplit.  —  Les  habitants  de  Corneto  demandent  sa  canonisation  au  pape  Gré- 
goire IX.  —  Il  est  béatifié  en  1697. 

En  1222,  le  saint  Père  François,  après  avoir  parcouru 
la  plus  grande  partie  de  l'Italie  et  fondé  partout  sur  son 
passage  des  couvents  de  son  Ordre,  revenait  en  Ombrie, 
lorsque,  à  Gubbio,  il  reçut  la  visite  d'un  soldat  nommé 
Benvenuto,  qui  lui  demanda  l'habit.  C'était  un  homme 
sans  instruction,  mais  d'une  nature  douce  et  pieuse,  et 
qui,  en  qualité  de  frère  lai,  vécut  saintement  et  accom- 
plit beaucoup  de  miracles. 

Le  frère  Benvenuto  posséda  au  plus  haut  degré  la  vertu 
de  l'obéissance,  sans  laquelle  il  n'e^t  point  de  parfait  reli- 
gieux. Un  signe  de  ses  supérieurs  le  mettait  en  mouve- 
ment. Sa  patience  et  sa  douceur  lui  firent  confier  la 
charge  de  garde-malades  dans  les  léproseries.  Il  s'en  ac- 
quitta à  merveille  et  parut,  aux  yeux  des  malheureux 
qu'il  soignait,  comme  une  seconde  Providence.  Il  en 
guérit  plusieurs  par  la  seule  force  de  ses  prières  :  c'est 
pourquoi  on  lui  témoignait  un  respect  et  une  admi- 
ration sans  bornes. 

Ses  autres  vertus  chrétiennes  égalaient  sa  charité.  Pour 


468  XXVII  JUIN. 

toute  richesse,  il  possédait  un  pauvre  habit  de  religieux, 
si  vieux  et  si  usé,  que  l'étoffe  primitive  disparaissait  sous 
les  pièces  dont  il  était  couvert.  Ses  manières  étaient 
humbles  et  modestes,  sa  démarche  régulière  et  lente,  il 
avait  toujours  l'esprit  occupé  de  Dieu  et  des  choses  du 
ciel;  en  un  mot,  il  était  une  image  accomplie  du  parfait 
religieux.  11  fut  fort  éprouvé  par  la  maladie  et  les  souf- 
frances physiques  ,  qu'il  supporta  toujours  avec  une 
patience  et  un  calme  inaltérables. 

Dieu  lui  avait  accordé  le  don  des  larmes  et  de  l'extase. 
Aussi  la  solitude  avait-elle  pour  lui  un  grand  charme;  il 
se  plaisait  à  méditer  sur  lui-même  et  sur  son  néant,  qu'il 
comparait,  par  humilité,  avec  la  majesté  infinie  du  Très- 
Haut.  Sa  grande  dévotion  au  saint  Sacrement  de  l'au- 
tel lui  mérita  de  voir  le  Sauveur  lui  apparaître  plu- 
sieurs fois,  sous  la  forme  d'un  enfant. 

Ce  saint  homme,  après  avoir  vécu  quelques  années 
seulement  dans  l'Ordre ,  pendant  lesquelles  il  donna 
l'exemple  de  toutes  les  vertus,  mourut  en  1232,  au  cou- 
vent de  Corueto ,  dans  le  pays  des  Abruzzes  (royaume 
de  Naples). 

Sa  mort  fut  comme  le  signal  de  beaucoup  de  mira- 
cles. Des  lépreux  furent  guéris  par  le  seul  attouchement 
de  son  corps;  une  femme  sourde  recouvra  l'ouïe,  etc. 

Le  corps  du  bienheureux  fut  enseveli  dans  l'église 
paroissiale  de  Saint-Pierre  de  Corneto,  parce  que  la  cha- 
pelle de  l'Ordre  etù  été  trop  petite  pour  contenir  la  foule 
de  ceux  qui  se  pressèrent  à  ses  funérailles.  Cette  église 
devint  par  la  suite  une  sorte  de  lieu  de  pèlerinage,  où 
s'accomplirent,  par  l'intercession  du  Père  Benvenuto, 
un  grand  nombre  de  prodiges. 


LE  BIENHEUREUX  JACQUES  D'ASSISE.  469 

Nous  ne  les  rapporterons  pas  ici  ;  nous  dirons  seule- 
ment que  les  habitants  du  pays  des  Abruzzes ,  et  en 
particulier  ceux  de  la  ville  de  Corneto,  adressèrent  une 
requête  au  pape  Grégoire  IX,  pour  obtenir  la  canonisa- 
tion du  bienheureux.  Le  pape  ordonna  en  effet,  en  1236, 
une  enquête  sur  la  vie  et  les  miracles  du  Père  Benve- 
nuto,  et  il  en  chargea  les  évêques  de  Melfi,  de  Molfetta  et 
de  Venosa  ;  malheureusement  l'affaire  n'eut  pas  de  suite. 
Le  pape  accorda  seulement  l'autorisation  de  célébrer 
annuellement  la  mémoire  du  saint  dans  les  Abruzzes. 
Plus  tard  on  éleva  à  Corneto  une  magnifique  église  qui 
fut  placée  sous  son  invocation. 

En  1697,  le  pape  Innocent  XII  l'a  déclaré  bienheureux, 
et  il  a  permis  à  l'Ordre  Séraphique  tout  entier  d'honorer 
sa  mémoire  le  27  juin,  par  une  messe  et  un  service  so- 
lennels. 

(Wadding,  Papebroeck.) 


JACQUES  D'ASSISE 

La  province  des  Abruzzes,  que  .''on  appelle  aussi  la 
province  du  Saint-Ange,  parce  que  Ton  y  trouve  le  mont 
Gargano,  devenu  célèbre  et  sanctifié  par  les  miracles  de 
l'archange  saint  Michel,  a  vu  fleurir  un  certain  nombre 
de  pieux  religieux  dont  on  ne  connaît  pas  au  juste  le 
jour  de  la  mort,  et  qui  trouvent  naturellement  leur 
place  ici. 

Le  bienheureux  Jacques  d'Assise  reçut  l'habit  de  l'Ordre 
des  mains  de  saint  François  lui-même,  dont  il  s'efforça 


470  XXVII  JUIN. 

d'imiter  la  perfection.  Il  mourut  au  couvent  de  Foggia, 
et  est  demeuré  célèbre  par  ses  miracles. 

Il  apparut  un  jour,  au  couvent  de  Naples,  en  compa- 
gnie de  saint  François,,  de  saint  Antoine  de  Padoue  et 
du  bienheureux  Augustin  d'Assise,  à  un  religieux  aveu- 
gle qui  se  mourait,  et  lui  rendit  à  la  fois  la  vue  et  la 

santé. 

(Wadding.) 


FRERE  EPIPÏÏANE 

Ce  saint  homme,  d'origine  allemande,  prononça  ses 
vœux  dans  la  province  du  Saint-Ange,  vers  le  temps  où 
s'accomplit  la  réforme  des  Observantins.  A  la  vue  de  leurs 
couvents  pauvres  et  misérables,  comme  inspiré  par  l'es- 
prit de  Dieu,  il  s'écria  :  «  C'est  ici,  ô  grand  saint  Fran- 
«  çois,  que  tu  habites  véritablement  ;  c'est  ici,  après  tant 
«  de  courses  errantes,  que  je  veux  me  fixer  pour 
«  t'imiter  !  » 

Il  demeura  longtemps  au  couvent  de  Tessa,  où  il  est 
resté  célèbre  par  ses  extases.  Les  religieux  le  virent  sou- 
vent suspendu  en  l'air,  tout  brillant  de  lumière,  les  bras 
étendus  vers  le  ciel,  comme  s'il  eût  voulu  y  monter.  Il 
s'était  construit,  dans  un  bois  situé  non  loin  du  couvent, 
une  petite  hutte,  où  le  vent,  la  neige  et  la  grêle,  en- 
traient librement,  et  qui  cependant  lui  servait  d'abri  pour 
la  nuit. 

Trente  ans  après  sa  mort,  son  corps,  dans  un  état  de 

conservation  parfaite,  fut  tiré  du  caveau  commun  et 

placé  dans  un  tombeau  particulier,  au  milieu  <le  l'église. 

(Wadding.) 


LE  BIENHEUREUX  PÈRE  ALEXANDRE  DE  RIVA.  471 


FRERE  YITAL  ET  AUTRES 

Comme  le  frère  Epiphane,  le  frère  Vital,  né  dans 
l'Albanie,  en  Grèce,  passa  la  plus  grande  partie  de  sa  vie 
au  couvent  xle  Tessa  et  y  mourut.  Il  avait  reçu  de  Dieu  le 
don  des  larmes  et  de  la  contemplation.  La  nuit,  une 
auréole  brillait  souvent  au-dessus  de  sa  tête.  Il  fut  em- 
porté par  une  peste  qui  désola  tout  le  sud  de  l'Italie.  Les 
religieux  du  couvent,  qui  avaient  fui  devant  le  fléau,  le 
retrouvèrent,  à  leur  retour,  à  genoux  dans  sa  cellule,  les 
mains  et  les  yeux  levés  vers  le  ciel,  sans  vie  et  rigide 
comme  une  statue  de  marbre. 


Le  bienheureux  frère  Chrétien  de  Saint-Donat  est 
mort  en  1520,  au  couvent  de  Biccaro.  Il  est  célèbre  aussi 
par  ses  prophéties  et  ses  miracles. 


Le  bienheureux  Père  Pierre  de  San-Martino  est  mort 
dans  un  couvent  dont  le  nom  est  aujourd'hui  perdu, 
et  que  son  frère  avait  élevé,  à  sa  prière,  au  milieu 
d'un  bois.  Il  a  accompli  des  miracles  avant  et  après  sa 
mort. 


Au  couvent  de  Riva,  on  honore  les  précieux  restes  du 
bienheureux  Père  Alexandre  de  Riva.  Ses  vertus  avaient 
excité  contre  lui  la  rage  des  démons,  qui  ne  cessèrent  de 


172  XXVII  JUIN. 


le  tourmenter  durant  plusieurs  années.  Il  en  triompha, 
avec  l'aide  de  Dieu,  par  la  prière  et  les  mortifications. 


Le  bienheureux  frère  Guillaume  de  Castiglione  repose 
au  couvent  de  Morrone.  Sa  vie  et  sa  mort  furent  signa- 
lées par  des  miracles  éclatants,  et  aujourd'hui  encore 
on  honore  sa  mémoire  et  on  vient  en  pèlerinage  à  son 
tombeau. 


Le  couvent  de  Caleno,  qui  est  bâti  au  pied  d'une  mon- 
tagne, au  milieu  d'une  épaisse  forêt,  possède  les  restes 
du  bienheureux  Père  Calène,  un  saint  homme  dont 
Dieu  récompensa  les  vertus  en  lui  donnant  le  pouvoir 
d'accomplir  des  miracles. 


Dans  ce  même  couvent  de  Caleno  est  mort  le  bienheu- 
reux Père  Jean  d'Aragon,  neveu  de  Frédéric  d'Aragon, 
roi  de  Sicile.  Il  était  à  Naples  auprès  de  son  oncle, 
quand  tout  à  coup  on  l'entendit  s'écrier  que  le  couvent 
brûlait.  Le  roi  se  leva  et  le  vit  en  effet  s'abîmer  au 
milieu  des  flamn  es  ;  il  le  fit  reconstruire  à  ses  frais. 

(Papebroeck.) 


LES  BB.  PP.  GASPARIN  ET  BENOIT  DE  CRÉMONE.  473 

LES  BIENHEUREUX  PÈRES  GASPARIN 
ET  BENOIT  DE  CRÉMONE 

1537.  —  Pape  :  Paul  III.  —  Roi  de  France  :  François  Ier. 

Ces  bienheureux  serviteurs  de  Dieu,  qui  avaient  pris 
l'habit  de  l'Ordre  dans  la  province  de  Milan,  entrèrent 
tous  deux  ensemble  dans  la  province  du  Saint-Ange,  où 
la  vie  était  plus  austère  et  la  discipline  plus  rude.  Le 
premier  mourut  en  1537  ,  en  odeur  de  sainteté ,  et 
beaucoup  de  miracles  ajoutèrent  encore,  après  sa  mort, 
à  l'éclat  de  sa  renommée. 

Le  bienheureux  Benoît  fut  pendant  longtemps  maître 
des  novices,  et,  dans  cette  charge  importante,  il  déploya 
un  zèle  et  une  activité  remarquables.  Souvent,  quand  il 
était  en  extase,  ses  frères  étonnés  le  virent  enveloppé 
d'un  tourbillon  de  lumière.  Ses  prières  délivrèrent  du 
démon  un  grand  nombre  de  possédés.  Il  ramena  dans 
les  voies  du  Seigneur  des  pécheurs  égarés  et  de  malheu- 
reuses femmes  qui  avaient  quitté  depuis  longtemps  les 
sentiers  de  la  vertu,  et  qui  sans  lui  eussent  achevé  leur 
vie  dans  l'impénitence  et  la  corruption. 

Il  mourut  saintement  au  couvent  d'Agnone,  et  son 
corps  fut  enseveli  dans  la  sacristie,  auprès  de  celui  du 

bienheureux  Gasparin. 

(Wadding.) 


474  XXVII  JUIN. 


LE  BIENHEUREUX  PERE  THOMAS 

1467.  —  Pape  :  Paul  II.  —  Roi  de  France  :  Louis  XI. 

Le  Père  Thomas,  allemand  de  naissance,  est  mort, 
en  1467,  dans  le  même  couvent.  Il  fut  pendant  vingt- 
quatre  ans  l'honneur  de  sa  province,  où  ses  mortifi- 
cations l'ont  rendu  célèbre.  Il  marchait  pieds  nus,  ne 
mangeait  jamais  ni  viande,  ni  poisson,  et  ne  buvait 
que  de  l'eau.  Tous  les  jours,  il  passait  plusieurs  heures  à 
prier  et  à  méditer,  en  particulier  sur  les  paroles  de 
l'Oraison  dominicale.  Dieu  le  combla  de  faveurs  toutes 
spéciales  :  c'est  ainsi  que  le  Sauveur  lui  apparut  plusieurs 
fois,  au  moment  de  l'élévation,  sous  la  forme  d'un  bel 
enfant. 

Les  habitants  d'Agnone  ont  longtemps  honoré  son 
tombeau,  où  ils  venaient  en  pèlerinage,  et  près  duquel 
s'accomplirent  d'éclatants  prodiges. 

(Wadding.) 


BERNARDIN  DE  PROCIDA 

Ce  saint  homme  fut  un  ardent  propagateur  de  la  foi 
et  un  prédicateur  éloquent.  Il  a,  par  la  seule  force 
de  ses  prières,  délivré  du  démon  beaucoup  de  possédés 
et  guéri  des  malades  abandonnés  des  médecins. 

(Wadding.) 


LE  BIENHEUREUX  FRÈRE  SIMON  DE  SLAVIS.  47  5 


FRERE  ANTOINE  DE  RIVA 

Le  bienheureux  frère  Antoine  de  Riva,  après  avoir 
été  chanoine,  entra  dans  l'Ordre  Séraphique  en  qualité 
de  frère  lai.  Ses  vertus  et  sa  perfection  religieuse  firent 
descendre  sur  lui  les  bénédictions  du  Très-Haut,  qui  lui 
donna  le  pouvoir  d'accomplir  des  miracles  et  de  prophé- 
tiser. On  lui  attribue  plusieurs  cures  merveilleuses. 

Quelques  instants  avant  sa  mort,  une  colombe  d'une 
blancheur  éblouissante  vint  se  poser  auprès  de  son  lit, 
et  à  l'instant  même  où  il  expirait,  on  la  vit  s'élever  au 
ciel  comme  pour  y  porter  sa  belle  âme. 

Des  miracles  s'accomplirent  sur  son  tombeau,  aussi 
bien  que  sur  celui  du  bienheureux  François  de  Cadonia. 


Le  couvent  de  Gulionisi  possède  les  restes  précieux 
du  bienheureux  frère  Simon  de  Slavis,  qui  fut  aussi  un 
grand  guérisseur  et  un  ami  du  Seigneur. 


Dans  le  même  couvent  est  mort  en  odeur  de  sainteté 
un  frère  dont  le  nom  est  resté  inconnu,  mais  sur  qui 
s'épanchèrent  les  complaisances  du  Très-Haut. 

(GONZAGUE,  WADDING.) 


476  XXVII  JUIN. 


PASCAL  DE  LA  PLAZA 

1644.  —  Pape  :  Urbain  VIII.  —  Roi  d'Espagne  :  Philippe  IV. 

SOMMAIRE  :  Vie  du  bienheureux  Pascal  dans  le  métier  des  armes.  —  Il  se  fait  frère 
mineur.  —  Son  austérité. —  Ses  mortifications. —  Comment  il  supporte  les  épreuves 
que  Dieu  lui  envoie.  —  Sa  chasteté,  sa  piété,  sa  charité  chrétienne.  —  Miracles 
qu'il  accomplit  de  son  vivant.  —  Sa  dernière  maladie.  —  Ses  funérailles.  —  Nou- 
veaux miracles  après  sa  mort. 

Ce  grand  serviteur  de  Dieu  naquit  à  Alcaraz,  en 
Espagne.  Il  commença  par  embrasser  le  métier  des 
armes  et  parvint  assez  rapidement  au  grade  de  porte- 
étendard.  Au  milieu  des  dangers  de  la  vie  militaire, 
entouré  de  gens  sans  aveu,  de  pillards  et  de  routiers, 
comme  les  armées  d'alors  en  étaient  pleines,  il  sut  con- 
server la  pureté  primitive  de  son  cœur  et  le  respect  de 
Dieu  et  de  la  religion.  Mais,  bientôt  fatigué  de  la  vue  de 
tant  de  misères  et  de  vices,  il  quitta  l'armée  et  entra, 
en  qualité  de  frère  lai,  dans  un  couvent  de  la  province  de 
Saint-Jean-Baptiste. 

Ses  vertus  lui  eurent  bientôt  concilié  l'estime  et  le 
respect  de  ses  frères.  Sous  ses  vêtements  il  portait  une 
haire  en  crin,  qui  lui  déchirait  la  peau  et  lui  causait 
parfois  d'atroces  souffrances.  Il  marchait  nu-pieds,  hiver 
comme  été,  sur  la  neige  et  sur  la  glace  comme  sur  le 
pavé  brûlant  des  villes;  et  son  gardien  lui  ayant  un  jour 
ordonné  de  porter  des  sandales,  il  les  attacha  à  la  corde 
qui  lui  ceignait  les  reins,  moyen  ingénieux  d'obéir  à  la 
volonté  de  son  supérieur,  et  en  même  temps  de  mériter 
les  grâces  du  Très-Haut.  Toutes  les  nuits,  il  se  frappait 


LE  BIENHEUREUX  PASCAL  DE  LA  PLAZA.  477 

de  grands  coups  de  discipline,  et  son  sang  jaillissait 
jusque  sur  les  murs  de  sa  cellule.  Il  jeûnait  pendant 
l'Avent  et  le  Carême  tout  entiers,  et  la  veille  des  prin- 
cipales fêtes  de  l'année  ;  d'ailleurs,  même  en  temps 
ordinaire,  sa  nourriture  ne  se  composait  guère  que  de 
pain  et  d'eau. 

Dieu,  qui  se  plaît  à  éprouver  ceux  qui  lui  sont  chers, 
fit  de  sa  vie  une  suite  non  interrompue  de  souffrances  et 
de  maladies.  Il  les  supporta,  sans  se  plaindre,  avec  une 
patience  inaltérable,  et  ne  cessa  jamais  un  seul  jour  ses 
pratiques  austères,  même  lorsque  ses  forces  ne  parais- 
saient plus  pouvoir  y  suffire  :  a  Allons  »,  se  disait-il  par- 
fois, «  frère  Pascal,  songe  à  bien  souffrir,  pour  mériter 
«  le  ciel  ». 

Sa  pureté  virginale,  qu'il  avait  su  préserver  de  toute 
souillure,  lorsqu'il  vivait  au  milieu  des  soldats,  resta 
jusqu'à  sa  mort  son  plus  bel  ornement.  Il  fuyait  les 
femmes  et  ne  leur  adressait  jamais  la  parole,  même 
lorsqu'il  fut  arrivé  à  un  âge  très-avancé. 

On  le  trouvait  à  la  chapelle  à  partir  de  minuit;  tou- 
jours le  premier  aux  matines,  toujours  le  dernier  après 
les  prières  du  soir.  Il  y  demeurait  à  genoux,  immobile 
comme  une  statue  de  bronze,  pendant  des  heures  en- 
tières :  toute  sa  vie  semblait  avoir  passé  dans  ses  yeux, 
qui  brillaient  d'un  éclat  surnaturel. 

Après  la  messe,  il  allait  offrir  ses  services  au  cuisinier, 
au  jardinier,  aux  frères  qui  étaient  chargés  de  travaux 
manuels;  mais  sa  principale  occupation  et  son  plus 
grand  bonheur  étaient  de  servir  la  messe.  Il  était  si  doux, 
de  caractère,  que  jamais  on  ne  surprit  en  lui  le  moindre 
mouvement  d'impatience  ;  un  enfant  eût  fait  de  lui  ce 


478  XXVII  JUIN. 

qu'il  eût  voulu.  La  vue  d'un  pauvre  lui  arrachait  des 
larmes  de  compassion  ;  il  donnait  aux  malheureux  le 
meilleur  de  ses  repas,  les  vêtements  qui  lui  étaient  des- 
tinés et  les  aumônes  qu'il  recueillait. 

On  lui  attribue  un  grand  nombre  de  miracles.  Dans 
un  temps  de  famine,  le  couvent  manquait  de  pain, 
non-seulement  pour  ses  pauvres,  mais  encore  pour  ses 
religieux.  Frère  Pascal  fit  un  signe  de  croix  sur  les 
croûtes  qui  restaient  sur  sa  table,  et  depuis  lors  on  eut 
en  abondance  de  quoi  nourrir  une  foule  de  malheu- 
reux. 

A  Gandie,  une  pieuse  femme  à  qui  il  demandait  l'au- 
mône, lui  donna  un  pot  d'huile  :  «  Mon  frère  »  ,  lui  dit- 
elle,  «  c'est  tout  ce  que  je  possède  à  la  maison  ». — «  Merci, 
«  ma  sœur  »,  répondit-il,  «  Dieu  vous  récompensera  t>. 
Et  le  lendemain,  tout  étonnée,  elle  trouvait  dans  sa  cave 
une  tonne  pleine. 

Un  certain  Michel  Navarro  péchait  dans  la  mer  depuis 
plus  de  deux  heures  sans  avoir  pris  un  seul  poisson  ; 
survint  le  frère  Pascal,  à  qui  il  raconte  sa  mauvaise  for- 
tune. Le  bienheureux  se  met  à  genoux  et  prie  quelques 
instants,  puis,  se  relevant,  il  dit  au  pêcheur  :  o  Jetez  ici 
a  vos  filets  ».  Le  pêcheur  ramena  d'un  seul  coup  une  si 
grande  quantité  de  poissons,  qu'il  en  donna  au  frère 
Pascal  autant  qu'il  en  pouvait  porter,  et  que  ses  paniers 
ne  suffisaient  pas  à  contenir  le  reste.  Pendant  vingt-cinq 
jours,  cette  pêche  miraculeuse  continua  sans  interrup- 
tion, et  l'heureux  Michel  y  gagna  plus  de  quatre  cents 
ducats. 

Frère  Pascal  reçut  aussi  le  don  de  guérir  les  malades. 

Le  chroniqueur  cite  les  noms  de  Jean  Puig,  de  Maria 


LE  BIENHEUREUX  PASCAL  DE  LA  PLAZA.        479 

Vaquera,  dont  il  sauva  les  enfants  d'une  mort  certaine  ; 
de  François  Escriva ,  de  Marie  Panera,  de  Françoise 
Arazil,  etc.,  etc....,  qui,  atteints  de  maladies  plus  ou 
moins  graves,  recouvrèrent  miraculeusement  la  santé, 
par  l'intercession  de  frère  Pascal. 

Ces  prodiges  et  d'autres  encore  attirèrent  sur  le  bien- 
heureux le  respect  universel.  A  Gandie,  on  l'aimait  telle- 
ment que  ses  supérieurs,  qui  l'avaient  envoyé  dans  un 
autre  couvent,  furent  obligés  de  le  rappeler  pour  vivre, 
les  habitants  de  la  ville  se  refusant  à  donner  des  au- 
mônes au  couvent,  si  le  frère  Pascal  ne  revenait  pas  au 
milieu  d'eux. 

La  dernière  maladie  du  bon  frère  fut  longue  et  dou- 
loureuse. Il  annonça,  plusieurs  semaines  à  l'avance,  le 
jour  et  l'heure  de  sa  mort,  et  il  la  vit  venir  sans  peur 
comme  sans  regrets.  Il  expira  presque  subitement,  au 
moment  même  où  il  venait  de  recevoir  les  derniers 
Sacrements,  le  27  juin  16M. 

Dès  que  la  nouvelle  de  sa  mort  se  fut  répandue  dans  la 
ville,  une  foule  immense  accourut  au  couvent  pour  jouir 
encore  une  fois  de  sa  vue.  On  fut  obligé  de  faire  garder 
le  corps  par  des  hommes  armés,  pour  que  les  fidèles, 
dans  l'excès  de  leur  piété  et  de  leur  reconnaissance,  ne 
le  missent  pas  en  lambeaux.  Il  fut  impossible  de  les 
empêcher  de  déchirer  ses  vêtements  et  d'en  emporter 
les  morceaux  comme  de  précieuses  reliques.  La  figure 
du  bienheureux  conservait  une  beauté  et  un  calme  sur- 
naturels ;  tout  son  corps  était  souple  et  ferme,  comme 
s'il  eût  été  vivant.  Une  femme  s'avisa  de  couper  un  doigt 
de  son  pied;  il  en  jaillit  un  sang  si  pur  et  si  abondant, 
que  les    médecins  qui  étaient  présents    furent  sur  le 


480  XXVIII  JUIN. 

point  de  déclarer  que  le  saint  frère  revenait  à  la  vie. 

Son  tombeau  fut  longtemps  l'objet  de  la  vénération 
des  fidèles,  et  les  ducs  de  Gandie  se  transmirent  pendant 
plusieurs  générations,  de  père  en  fils,  le  doigt  qui  avait 
été  coupé. 

De  nouveaux,  miracles  s'accomplirent  après  la  mort  du 
frère  Pascal,  par  son  intercession,  comme  si  Dieu  eût 
voulu  honorer,  même  aux  yeux  des  hommes,  celui  qui 
avait  choisi  la  vie  la  plus  humble  et  la  plus  obscure, 
dans  la  retraite  et  la  solitude. 

(Chron.  de  la  prov.  de  Saint-Jean-Bapt.) 


VINGT-HUITIEME    JOUR    DE    JUIN 

LE  BIENHEUREUX  ANTOINE  FERMER 

1644.  —  Pape  :  Urbain  VIII.  —  Roi  d'Espagne  :  Philippe  IV. 

• 

SOMMAIRE  :  Famille  du  bienheureux  Antoine. —  Miracles  qui  précèdent  et  accom- 
pagnent sa  naissance.  —  Sa  jeunesse  vertueuse.  —  Jl  entre  daus  un  couvent  de  la 
province  de  Saint-Jean-Baptiste. —  Ses  vertus  religieuses.  —  Merveilleux  résultats 
de  ses  prédications.  —  Miracles  qu'il  accomplit.  —  Ses  livres.  —  Sa  mort. 

Antoine  Ferrier,  qui  naquit  à  Valence,  en  Espagne, 
descendait  de  la  famille  de  saint  Vincent  Ferrier,  et  était 
animé,  pour  le  bien  des  âmes,  du  même  zèle  que  son  illus- 
tre paient.  Son  père,  qui  exerçait  la  profession  de  pêcheur, 
fut  fait  prisonnier  par  des  pirates  algériens,  et  lapidé  sur 
l'ordre  d'une  mauresse  puissante,  pour  n'avoir  pas  voulu, 
comme  autrefois  Joseph,  accéder  à  ses  désirs  criminels. 
Taudis  que  sa  mère  le  portait  dans  son  sein,  elle  entendit 


PÈRE  ANTOINE  FERMER.  481 

retentir,  au  fond  de  ses  entrailles,  comme  des  aboie- 
ments ;  le  lendemain,  elle  courut  tout  inquiète  auprès 
du  Père  Nicolas  Factor,  saint  homme  célèbre  par  ses 
miracles,  pour  lui  demander  l'explication  de  ce  pro- 
dige :  «  Je  sais  pourquoi  vous  êtes  venue ,  ma  sœur  »,  lui 
dit-il  avant  qu'elle  ait  parlé  ;  «  le  fruit  que  vous  portez 
«  fera  un  jour  retentir  le  monde  des  accents  de  sa  forte 
«  voix  »  ;  et  il  ajouta  :  «  Souvenez-vous  de  prendre  soin 
«  de  cet  enfant  ;  car  ce  sera  un  grand  homme  ». 

Un  nouveau  miracle  accompagna  sa  naissance.  Son 
père  était  en  mer,  occupé  à  pêcher,  quand  à  tout  coup  il 
entendit  une  musique  céleste  qui  le  remplit  d'une  joie 
ineffable.  «  J'ai  le  pressentiment  »,  dit-il  à  son  compa- 
gnon, «  qu'un  grand  bonheur  m'arrivera  aujourd'hui  ». 
En  effet,  rentrant  chez  lui,  il  apprit  qu'il  lui  était  né 
un  fils  ;  c'était  la  seule  grâce  qu'il  eût  depuis  longtemps 
demandée  au  Seigneur. 

La  jeunesse  d'Antoine  fut  comme  le  prélude  du  reste 
de  sa  vie;  toutes  les  vertus  qui  se  développèrent  plus  tard 
dans  sa  belle  âme  y  apparaissaient  déjà  en  germe.  Il 
était  obéissant,  soumis  et  laborieux.  Quoique  fatigué  par 
les  travaux  manuels  auxquels  il  était  obligé  de  se  livrer 
pour  venir  en  aide  à  sa  famille,  il  trouvait  encore  le 
temps  et  le  courage  d'étudier  le  latin  et  la  philosophie, 
et  de  se  préparer  ainsi  à  la  grande  mission  à  laquelle 
Dieu  l'appelait. 

Encore  tout  enfant,  il  donna  des  preuves  fréquentes 
de  l'ardeur  de  son  zèle  pour  la  propagation  de  la  foi  dans 
les  âmes.  C'est  ainsi  qu'il  se  plaisait  à  réunir  autour  de 
lui  les  petits  garçons  de  son  âge,  et  à  leur  adresser  des 
exhortations  à  la  vertu.  Plus  tard,  il  organisa  une  société 
Palm.  Séraph.  —  Tome  VI,  31 


482  XXVIII  JUIN. 

de  jeunes  gens,  sorte  de  confrérie  destinée  à  accomplir 
de  bonnes  œuvres  en  commun.  Le  vice  et  le  péché  lui 
inspiraient  une  profonde  horreur,  et  il  ne  craignait 
pas  de  réprimander  vertement  les  gens  qu'il  voyait 
offenser  Dieu.  Il  est  inutile  d'ajouter  qu'il  sut  toujours 
conserver  pure  de  toute  souillure  la  précieuse  fleur 
de  sa  virginité. 

A  Tâge  de  vingt-deux  ans,  Antoine  prit  l'habit  de  frère, 
mineur  dans  la  province  austère  de  Saint-Jean-Baptiste, 
où  il  ne  tarda  pas  à  être  cité  comme  un  modèle  de  toutes 
les  vertus.  Il  s'attacha  toute  sa  vie  à  servir  d'exem- 
ple, persuadé  que  les  moindres  actions  sont  plus 
puissantes  et  plus  efficaces  sur  l'esprit  des  hommes  que 
les  discours  les  plus  éloquents.  Tous  les  jours  il  se  don- 
nait trois  fois  la  discipline  ;  il  dormait  peu  ;  au  réfectoire, 
on  ne  le  voyait  presque  rien  manger.  Gardien  du  cou- 
vent de  Jumilla,  il  fit  descendre  les  novices  dans  la  petite 
chapelle  de  la  cour,  et  là,  se  jetant  à  leurs  pieds,  il  leur 
demanda  pardon  de  son  indignité  ;  un  Père,  sur  l'ordre 
qu'il  en  avait  reçu,  après  lui  avoir  reproché  durement  ses 
fautes  et  lui  avoir  dit  mille  injures,  commanda  aux 
novices  de  le  frapper  à  coups  de  cordes,  de  lui  cracher 
au  visage,  et  cependant  le  saint  homme,  rempli  d'une 
joie  céleste,  souffrait  en  remerciant  Dieu. 

S'il  avait  su  conserver  sa  pureté  primitive  au  milieu 
du  monde,  il  veilla  sur  ses  sens  avec  un  soin  plus  jaloux 
encore,  après  son  entrée  en  religion.  Jamais,  dans  ses  ser- 
mons, il  ne  laissa  échapper  une  occasion  d'exalter  la  chas- 
teté, qui  est  la  vertu  des  Anges.  Le  Père  Didace  Maçon, 
saint  religieux  avec  lequel  Antoine  fut  très-lié,  a  déclaré 
que  jamais  il  ne  l'avait  surpris  en  état  de  péché  mortel. 


PERE  ANTOINE  FERMER.  483 

C'est  par  la  prière  et  la  méditation  que  le  bienheureux 
garda  et  développa  ses  autres  vertus.  Après  les  matines, 
il  demeurait  au  chœur,  plongé  dans  la  contemplation  et 
l'extase  jusqu'à  quatre  heures  du  matin;  après  sa  messe, 
il  allait  prier  dans  une  grotte  située  sur  la  montagne 
voisine,  seul  en  face  de  la  nature  et  de  Dieu;  c'est  par 
ces  contemplations ,  prolongées  longtemps  et  répétées 
souvent,  qu'il  se  préparait  à  la  glorification  du  Très- 
Haut  et  à  la  conversion  des  pécheurs. 

Le  bienheureux  Antoine  ne  pouvait  manquer  d'obtenir, 
dans  l'Ordre,  d'importantes  dignités;  c'est  ainsi  qu'il 
fut,  pendant  neuf  années  entières,  professeur  de  philo- 
sophie et  de  théologie,  gardien  à  plusieurs  reprises  et 
deux  fois  définiteur  ;  mais  les  occupations  que  lui  ap- 
portèrent ces  différentes  charges  ne  l'empêchèrent  jamais 
de  se  livrer  à  la  prédication. 

Sa  parole  forte  et  vigoureuse,  plutôt  qu'ornée  et  élé- 
gante, frappait  et  effrayait  les  pécheurs.  Il  s'adressait  à  la 
fois  au  cœur,  à  l'intelligence  et  aux  sens,  et  les  larmes  de 
ses  auditeurs  prouvaient  surabondamment  la  puissance 
de  ses  sermons.  Ce  lui  était  un  si  pressant  besoin  de 
travailler  au  bien  des  âmes,  que  souvent,  dans  les  rues,  il 
arrêtait  les  enfants  au  passage  pour  leur  parler  de  re- 
ligion et  de  Dieu.  Dans  les  villages,  une  si  grande  foule 
de  peuple  se  pressait  pour  l'entendre,  que  les  églises 
étaient  trop  petites  pour  la  contenir  et  qu'il  était  obligé 
de  prêcher  en  plein  air. 

Dieu  récompensa  le  zèle  du  saint  homme  par  la  conver- 
sion d'un  nombre  immense  de  pécheurs  ;  et  c'est  ce  qui 
faisait  dire  un  jouràl'évêquede  Murcie,  dans  une  conver- 
sation qu'il  avait  avec  un  frère  mineur  :   «  Votre  gardien 


484  XXVIII  JUIN. 

«  transforme  les  chaires  en  confessionnaux;  on  vient  pour 
«  l'entendre  prêcher,  on  s'en  retourne  converti,  repentant, 
«  et  souvent  absous  ».  A  Murcie,  à  Carthagène,  à  Valence, 
partout  où  il  passa,  les  mêmes  bons  résultats  suivirent 
ses  prédications,  et  le  peuple  étonné  le  vénérait  comme 
un  nouvel  apôtre.  Dans  les  couvents,  dans  les  maisons  reli- 
gieuses, la  piété  était  fervente  et  la  règle  mieux  suivie, 
les  mortifications  et  les  austérités  redoublaient.  Dans  le 
monde,  les  personnes  de  mauvaise  vie  revenaient  au  bien, 
les  jeunes  gens  légers  ou  impies  rentraient  dans  la  bonne 
voie,  les  grandes  dames  déposaient  au  fond  de  leurs  écrins 
leurs  bijoux  et  leurs  parures  et  n'avaient  plus  qu'un 
souci  :  servir  Dieu  dans  le  silence  et  la  retraite.  Enfin,  des 
hommes  et  des  femmes  de  toutes  les  classes  prenaient 
l'habit  ou  le  voile  dans  l'Ordre  de  Saint-François. 

Le  bienheureux  reçut  du  Seigneur  le  pouvoir  d'accom- 
plir des  miracles.  Une  jeune  fille,  qui  habitait  à  plus  de 
huit  milles  de  distance  de  l'endroit  où  prêchait  un  jour  le 
bon  Père,  entendit  tout  son  sermon  ;  et  ce  prodige  décida 
de  son  entrée  en  religion. 

A  Valence,  les  fidèles  assemblés  dans  l'église  virent 
briller  au-dessus  de  sa  tète  une  étoile,  comme  si  Dieu 
voulait  signifier  par  là  que  la  lumière  de  l'Esprit-Saint 
éclairait  l'àme  du  prédicateur. 

En  1635,  le  Père  Antoine  fut  nommé  provincial;  en 
1644,  il  prit  [  art  au  chapitre  général  de  Rome,  en  qualité 
de  gardien.  Ce  voyage  qu'il  entreprit  à  pied,  affaiblit 
tellement  ses  forces  qu'il  revint  tout  épuisé  en  Espagne, 
et  mourut  le  28  juin  de  la  même  année.  Il  était  âgé  de 
soixante-treize  ans  et  faisait  partie  de  l'Ordre  depuis 
cinquante  et  un  ans. 


LE  BIENHEUREUX  MARTIN  ALONSO.  485 

On  l'ensevelit  au  couvent  de  Valence. 

Il  avait  écrit  un  livre  très-remarquable,  dont  le  titre 
était  :  De  la  volupté  qu'il  y  a  à  connaître  Dieu  et  à  lui 
plaire  ;  un  autre  encore  sur  la  pureté  des  vierges. 

{Chroniques  de  la  province  de  Saint-Jean-Baptiste.') 


LE  BIENHEUREUX  MARTIN  ALONSO 

DU  TIERS  ORDRE 

1644.  —  Pape  :  Urbain  VIII.  —  Roi  d'Espagne  :  Philippe  IV. 


SOMMAIRE  :  Vertus  chrétiennes  du  bienheureux  Martin.  —  Il  entre  dans  le  Tiers 
Ordre  de  Saint-François.  —  Sa  compassion  pour  les  malheureux  ;  il  se  fait  men- 
diant pour  les  secourir.  —  Ses  extases  dans  la  chapelle  du  prêtre  Louis  Escriva. 
—  Ses  lumières  sur  les  questions  l«s  plus  obscures  de  la  religion.  —  Il  possède  le 
don  de  seconde  vue.  —  Tristesse  de  ses  derniers  moments. 


Ce  serviteur  de  Dieu  naquit  à  Yecla,  en  Espagne,  d'une 
famille  de  laboureurs.  Parvenu  à  l'âge  d'homme,  il  épousa 
une  jeune  fille  honnête  et  pieuse  comme  lui-même. 
Leurs  vertus  étaient  le  seul  ornement  de  leur  maison, 
où  tout  respirait  la  paix,  la  joie,  la  santé,  et  le  bonheur 
qui  naît  d'une  bonne  conscience. 

Avant  même  la  mort  de  sa  femme,  le  bienheureux 
Martin,  qui  depuis  longtemps  s'était  pris  d'affection  pour 
les  Frères  Mineurs,  chez  qui  il  pratiquait  ses  devoirs  de 
piété,  prononça  les  vœux  des  Tertiaires  dans  l'Ordre  Séra- 
phique.  Il  fut  tout  d'abord  un  fidèle  observateur  de  la 
règle,  qu'il  suivait  scrupuleusement  jusque  dans  ses 
moindres  prescriptions.  Austérités,  jeûnes,  disciplines,  il 
mit  tout  en  œuvre  pour  atteindre  à  la  perfection  reli- 


486  XXVIII  JUIN, 

gieuse,  et  l'on  peut  dire  qu'il  y  parvint.  Comme  il  n'était 
pas  assez  riche  pour  secourir  avec  ses  propres  ressources 
beaucoup  de  malheureux,  il  résolut  de  quêter,  pour  les 
pauvres,  aux  portes  des  grandes  maisons,  et  même  dans 
les  églises.  Plus  tard,  malgré  les  reproches  de  ses  parents, 
qui  voyaient  une  honte  dans  cette  belle  œuvre,  il  quêta 
aussi  pour  les  malades  et  les  prisonniers. 

C'est  ainsi,  chose  étrange,  que  ce  bienheureux,  pauvre 
lui-même  et  forcé  de  gagner  à  la  sueur  de  son  front  le 
pain  de  chaque  jour,  devint  le  refuge  et  la  providence  de 
tous  les  malheureux  du  pays.  Les  personnes  aisées  secon- 
daient son  zèle  en  emplissant  ses  paniers  de  présents  de 
toutes  sortes  :  vêtements,  vivres,  argent,  remèdes  pour 
les  malades.  Des  personnes  pieuses  accommodaient  les 
restes  de  toutes  provenances,  et  en  faisaient  une  nourriture 
aussi  agréable  que  saine  pour  les  pauvres  du  bon  labou- 
reur. Dans  les  hospices,  il  soignait  les  malades  et  pansait 
leurs  plaies  aussi  délicatement  qu'eût  pu  le  faire  la  sœur 
de  charité  la  plus  exercée. 

Devenu  veuf  et  sans  enfants,  Martin  obtint  de  ses  supé- 
rieurs la  permission  de  prononcer  les  vœux  de  chasteté  et 
d'obéissance  dans  la  province  de  Saint-Jean-Baptiste.  Dès 
lors  ses  vertus  allèrent  se  développant  et  s'affirmant  cha- 
que jour  davantage.  Il  se  confessait  et  communiait  tous 
les  jours,  pratiquait  de  longs  jeûnes,  veillait  avec  soin 
sur  ses  moindres  pensées,  et  ne  parlait  jamais  aux  femmes 
que  dans  les  cas  d'absolue  nécessité.  On  ne  le  vit  jamais  se 
mettre  en  colère,  et  son  égalité  d'humeur  ne  s'altérait  en 
présence  d'aucun  événement.  Heureux  ou  malheureux, 
il  répétait  sans  cesse  :  «  Merci  ,  mon  Dieu  »  , 
persuadé    que    la  Providence   divine   connaît    mieux 


LE  BIENHEURFITX  MARTIN  ALONSO.  487 

nos  besoins  que  nous  ne  les  connaissons  nous-mêmes. 

Après  être  demeuré  quelques  années  dans  son  pays 
natal,  il  quitta  ses  amis  et  ses  parents,  et  s'en  vint  habiter 
à  Valence,  où  il  avait  l'espoir  de  n'être  pas  connu.  Un 
saint  prêtre,  Louis  Escriva,  lui  donna  asile  chez  lui,  lui 
demandant  seulement  en  retour  de  prendre  soin  de  son 
oratoire  et  de  servir  sa  messe.  Martin  n'eût  jamais  osé 
former  un  pareil  souhait  :  être  le  maître  d'une  chapelle, 
y  pénétrer  à  toute  heure  du  jour  et  de  la  nuit,  quel  plus 
grand  bonheur  le  monde  entier  eût-il  pu  lui  procurer? 
Il  y  passait  presque  tout  son  temps  ,  et  souvent  le 
bon  prêtre  Escriva  l'y  surprenait,  abîmé  dans  l'extase 
et  paraissant  contempler  dans  l'espace  infini  quelque 
merveille  visible  pour  lui  seul.  Dans  les  dernières 
années  de  sa  vie,  ses  méditations  duraient  quelque- 
fois si  longtemps  qu'il  en  oubliait  le  boire  et  le 
manger,  et  qu'il  fallait  l'éveiller,  comme  on  éveille  un 
homme  profondément  endormi.  Son  exemple  inspira  à 
beaucoup  de  personnes  l'amour  de  la  prière  intérieure 
et  de  la  contemplation. 

Dans  ses  conversations  intimes  avec  Dieu,  le  bienheu- 
reux Martin  puisa  une  grande  connaissance  des  choses 
du  ciel  et  une  intelligence  nette  et  précise  des  mystères 
de  la  religion.  Les  plus  savants  docteurs  le  consultaient 
sur  des  difficultés  qu'ils  ne  se  sentaient  pas  eux-mêmes 
capables  de  résoudre,  et  il  les  tranchait  avec  l'assu- 
rance d'un  Prophète  ou  d'un  Père  de  l'Eglise.  On  ne 
pouvait  entendre  sans  étonnement  cet  homme  sans 
lettres,  d'un  esprit  plus  qu'ordinaire  ,  d'une  naïveté 
enfantine  pour  tout  ce  qui  regardait  la  vie  de  chaque 
jour  ,    parler  avec  une  éloquence    admirable  et  une 


488  XXVIII  JUIN. 

lucidité  de  pensée  extraordinaire,  sur  les  questions  les 
plus  obscures  de  la  foi.  Evidemment  sa  sagesse  ne 
venait  pas  du  monde,  mais  de  Dieu  ;  et  toute  la  science 
des  théologiens  eût  été  impuissante  à  lui  donner  cette 
intuition  merveilleuse  des  choses  cachées,  dont  la  plu- 
part des  hommes  ne  prennent  connaissance  que  dans  la 
vie  éternelle. 

Le  bienheureux  Martin  reçut  aussi  de  Dieu  le  don  de 
prophétie  et  de  seconde  vue.  Il  lisait  dans  les  âmes  comme 
il  lisait  dans  le  ciel.  Quand  le  Père  Didace  Maçon,  encore 
jeune  religieux,  luttait  avec  désespoir  contre  les  insinua- 
tions de  l'esprit  malin  et  doutait  par  instants  de  lui- 
même  et  de  Dieu,  il  fut  tout  surpris,  un  jour,  de  voir 
arriver  dans  sa  cellule,  à  Jumilla,  Martin  qu'il  ne  con- 
naissait pas.  «  Mon  Père  »  ,  lui  dit  le  saint  homme, 
a  louez  Dieu  et  aimez-le  ;  car  il  vous  aime  entre  tous,  et 
«  il  m'a  ordonné  de  faire  aujourd'hui  cinq  lieues  de  che- 
«  min  pour  venir  vous  apporter  des  consolations  et  vous 
«affermir  dans  la  foi».  Puis  il  lui  exposa  l'état  de  son 
âme,  lui  conseilla  de  prier  davantage,  de  se  mortifier 
plus  souvent,  de  résister,  en  un  mot,  au  démon,  par  tous 
les  moyens  en  son  pouvoir.  Le  Père  Didace  reprit  con- 
fiance à  ces  bonnes  paroles,  si  évidemment  dictées  par 
le  Très- Haut,  et  plus  tard,  retrouvant  à  Valence  le  bien- 
heureux Martin,  il  proclamait  tout  haut  qu'il  lui  devait 
son  salut  éternel. 

Quelques  jours  après  avoir  fait  son  testament,  à  Yecla, 
le  bienheureux  Martin  tomba  malade  à  Valence.  La  fin 
de  sa  vie  approchait  ;  il  l'annonça  lui-même  :  «  Dieu  soit 
«loué»,  disait-il,  «  voici  que  j'approche  du  port».  Il 
supporta  ses  dernières  souffrances  avec  son  calme  et  sa 


LA  BIENHEUREUSE  ANGELINE  DE  SPOLÈTE.  489 

patience  habituelles.  La  seule  prière  qu'il  adressât  au 
Seigneur,  c'était  qu'il  lui  fût  permis  de  mourir  dans  la 
solitude,  abandonné  de  tous,  comme  un  misérable  pé- 
cheur qu'il  était.  Le  Seigneur  l'exauça  :  de  toutes  les 
personnes  qu'il  aimait,  qu'il  avait  soignées  et  secourues, 
pas  une  ne  vint  lui  témoigner  ni  pitié  ni  regret.  Le  prêtre 
même  au  service  de  qui  il  avait  consacré  plusieurs 
années  de  sa  vie,  paraissait  ne  ressentir  pour  lui  que  du 
dégoût.  Dieu  seul  ne  l'abandonna  pas  ;  il  l'aida,  par  ses 
consolations  divines,  à  franchir  en  chrétien  le  terrible 
passage,  et  il  amena  à  son  chevet  quelques  frères  mi- 
neurs qui  lui  donnèrent  les  derniers  Sacrements  et  l'en- 
sevelirent ensuite  dans  l'église  de  l'Ordre  (1644). 

(Chron,  de  la  prov.  de  Saint- Jean-Bapt.) 


VINGT-NEUVIÈME    JOUR    DE    JUIN 


LA  B.  ANGELINE  DE  SPOLETE 

CLARISSE 

1450.  —  Pape  :  Nicolas  V.  —  Roi  de  France  :  Charles  VII. 

La  bienheureuse  Angeline  naquit  à  Spolète,  en  Italie, 
et  entra,  en  1440,  au  couvent  des  Clarisses  Urbanistes  de 
cette  ville,  où  sa  tante  exerçait  les  fonctions  d'abbesse. 
Elle  passa  à  peine  dix  années  de  sa  vie  dans  l'Ordre  ;  mais, 
dans  ce  court  espace  de  temps,  elle  donna  l'exemple  de 
toutes  les  vertus  et  approcha  de  la  perfection.  Sa  persé- 
vérance dans  la  prière,  ses  extases,  ses  mortifications,  la 


490  XXIX  JUIN. 

faisaient  considérer  comme  une  sainte  par  les  autres 
religieuses.  On  rapporte  qu'un  Ange  lui  apporta  au  nom 
du  Seigneur  un  anneau  d'or,  en  signe  de  fiançailles 
éternelles. 

Elle  mourut  à  l'âge  de  vingt-cinq  ans,  le  29  juin  1450. 
Ses  funérailles  furent  signalées  par  d'éclatants  miracles. 
Une  femme  de  mauvaise  vie  s'étant  approchée,  pour  bai- 
ser sa  main,  du  lit  de  parade  où  le  corps  de  la  bienheu- 
reuse était  exposé,  la  main  se  retira  d'elle-même  par  un 
mouvement  soudain  ,  comme  si  la  vierge  craignait , 
même  après  sa  mort,  d'être  souillée  par  un  contact 
impur.  Des  malades  furent  guéris  par  son  intercession. 

Les  précieux  restes  d'Angeline  reposent  dans  l'église 
du  couvent  de  Spolète.  Son  tombeau,  tout  en  marbre,  a 
la  forme  et  l'aspect  d'un  autel,  et  l'on  y  célèbre  souvent 
la  messe.  Tout  autour  sont  suspendus  des  ex-voto  en 
argent  ou  en  or,  qui  témoignent  des  nombreux  prodiges 
accomplis  par  la  sainte,  et  de  la  piété  du  peuple  pour  sa 
mémoire.  Une  inscription,  gravée  sur  l'un  des  côtés  du 
monument,  raconte  en  quelques  lignes  la  vie  de  la  bien- 
heureuse et  cite  les  noms  des  sourds,  des  aveugles  et 
des  infirmes  qui  recouvrèrent  la  santé  par  son  inter- 
cession. 

(Jacobille  et  Papebroeck.) 


ANGELINE   DE  FOLIGNO.  491 

ANGELINE  DE  FOLIGNO 

CLARISSE 

1490.  —  Pape  :  Innocent  VIII.  —  Roi  de  France  :  Charles  VII. 

Une  autre  Angeline,  native  aussi  de  Spolète,  marcha 
dans  les  voies  du  Seigneur  au  couvent  de  Foligno.  Elle 
observait  strictement  la  loi  du  silence  et  aimait  à  médi- 
ter dans  la  solitude.  Infatigable  dans  ses  dévotions,  elle 
prenait  à  peine  quelques  heures  de  repos  et  passait  le 
reste  de  la  nuit  absorbée  dans  de  profondes  contempla- 
tions. Les  âmes  du  purgatoire,  qui  gémissent  d'être 
privées  de  la  vue  de  Dieu,  lui  inspiraient  une  profonde 
commisération,  et  il  est  permis  de  croire  qu'elle  a,  par 
ses  prières,  avancé  pour  beaucoup  d'entre  elles  l'heure 
de  la  délivrance. 

Sa  vie  fut  en  butte  à  de  nombreuses  maladies.  Durant 
la  dernière,  qui  fut  la  plus  cruelle,  elle  reçut  la  visite 
de  sainte  Marie-Madeleine,  sa  patronne,  de  la  Mère  de 
Dieu,  de  sainte  Claire  et  de  saint  Jean  l'Evangéliste. 

C'est  en  1490  qu'elle  est  entrée,  riche  de  vertus,  dans 

l'éternel  royaume. 

(Jacobille.) 


492  xxix  juin. 


FRERE  PIERRE,  DE  GAND 

1567.  —  Pape  :  Saint  PieV.  —  Roi  de  France  :  Charles  IX. 


SOMMAIRE  :  Charles-Quint  fait  envoyer  au  Mexique  trois  frères  mineurs  de  la  pro- 
vince de  Flandre  :  le  Père  Jea-n  du  Toit.  —  Le  Père  Jean  d'Aora  —  Le  frère 
Pierre,  de  Gand.  —  Ce  dernier  reste  seul  après  la  mort  des  deux  autres.  —  Ins- 
truction des  Indiens.  —  La  chapelle  de  Saint-Joseph.  —  Le  collège  indien.  —  De 
la  part  qui  revieût  au  Père  Pierre  dans  cette  œuvre.  —  Affection  des  Indiens  pour 
lui.  —  Sa  mort. 


Si  les  Frères  Mineurs  d'Espagne  ont  les  premiers 
planté  l'étendard  du  Christ  sur  le  sol  de  l'Amérique,  ils 
n'ont  pas  seuls  travaillé,  dans  ces  contrées,  pour  le  bien  des 
âmes  et  la  propagation  de  la  foi  ;  et  la  province  de 
Flandre  peut  revendiquer  pour  ses  enfants  une  bonne 
part  de  leur  gloire. 

Après  avoir,  en  1521,  achevé  la  conquête  du  Mexique, 
Fernand  Cortez,  justement  ému  de  pitié  en  songeant  au 
sort  qui  attendait  dans  l'autre  vie  les  malheureux  Indiens 
plongés  dans  les  ténèbres  de  l'idolâtrie,  priaCharles-Quint, 
empereur  d'Allemagne  et  roi  d'Espagne,  sou  maître, 
d'envoyer  au  Nouveau-Monde  quelques  missionnaires. 
L'empereur  applaudit  à  l'idée  du  général  et  crut  ne  pou- 
voir confier  cette  grande  œuvre  de  la  conversion  de  tout 
un  peuple  qu'aux  pauvres  Frères  de  l'Ordre  de  Saint-Fran- 
çois. Il  en  demanda  l'autorisation  au  pape  Alexandre  VI, 
qui  la  lui  accorda  sans  hésiter,  en  lui  recommandant 
seulement  de  laisser  aux  supérieurs  de  l'Ordre  le  choix 
des  missionnaires.  Charles-Quint,  qui  était  Flamand  d'ori- 
gine, voulut  du  moins  que  sa  chère  province  de  Flandre 
fût  représentée  par  quelques-uns  de  ses  membres  les  plus 


LE  BIENHEUREUX  FRÈRE  PIERRE,  DE  GAND.       493 

dignes,  et  il  se  fit  donner  par  le  provincial  trois  religieux 
flamands  d'une  vertu  éprouvée.  C'étaient  le  Père  Jean  de 
Dak  ou  du  Toit,  gardien  du  couvent  de  Gand  ;  le  Père 
Jean  d'Aora,  et  le  frère  Pierre  de  Mura,  tous  deux  nés  à 
Yghem  ,  près  de  Ninove  (Belgique),  mais  religieux  du 
même  couvent. 

Ils  arrivèrent  au  Nouveau-Monde  en  1522,  et  ne  voulant 
pas  aller  grossir  le  nombre  des  frères  mineurs  qui  se 
trouvaient  déjà  à  Mexico,  ils  se  rendirent  à  Tlascala, 
capitale  de  la  province  du  même  nom.  Comme  ils  ne 
connaissaient  pas  la  langue  du  pays,  ils  ne  prêchèrent 
d'abord  que  par  signes  et  s'efforcèrent  de  faire  compren- 
dre aux  habitants  de  la  \ille  la  vie  et  les  souffrances 
du  Sauveur.  On  les  prit  d'abord  pour  des  fous  ;  mais 
bientôt  l'austérité  de  leurs  mœurs ,  la  sainteté  de 
leur  conduite ,  leur  aspect  vénérable  et  sévère  ,  enfin 
les  grandes  vertus  chrétiennes  dont  ils  donnaient  des 
preuves  tous  les  jours,  leur  attirèrent  des  admirateurs  et 
des  partisans;  si  bien  qu'avant  d'avoir  pu  prononcer  un 
seul  mot,  ils  avaient  déjà  baptisé  un  certain  nombre  de 
malheureux  Indiens. 

Dès  qu'ils  furent  capables  de  se  faire  comprendre,  les 
conversions  se  multiplièrent  comme  par  enchantement,  et 
ce  fut  un  véritable  deuil  dans  tout  le  pays,  quand  les 
trois  missionnaires,  appelés  à  Mexico  par  les  ordres  du 
bienheureux  Martin  de  Valence,  furent  obligés  de  quitter 
Tlascala. 

Les  trois  missionnaires  flamands  ne  tardèrent  pas  à  se 
séparer  les  uns  des  autres.  Jean  du  Toit,  envoyé  dans  le 
Honduras,  mourut  le  premier  en  4525.  Le  Père  Jean 
d'Aora,  vénérable  vieillard  qui  était  chargé,  avec  le  frère 


494  XXIX  JUIN. 

Pierre,  de  l'instruction  des  enfants  Indiens  à  Tezcuco,  ne 
tarda  pas  à  le  suivre  dans  la  tombe.  Frère  Pierre  seul 
devait  avoir  le  bonheur  de  travailler  longtemps  encore 
pour  sa  religion  et  pour  son  Dieu. 

Il  était  jeune  encore  quand  il  arriva  au  Mexique ,  et 
déjà  il  s'était  avancé  fort  loin  dans  les  sentiers  du  Seigneur. 
D'une  patience  et  d'une  douceur  inaltérables,  il  semblait 
prédestiné  à  ce  qui  fut  en  effet  l'œuvre  de  toute  sa  vie, 
l'instruction  des  jeunes  Indiens.  C'est  lui  qui  le  premier 
leur  apprit  à  lire  et  à  écrire  l'espagnol,  à  chanter  les 
chants  de  l'Eglise  et  à  jouer  de  divers  instruments,  à 
Tlascala,  à  Tezcuco,  enfin  à  Mexico  même.  Il  fit  cons- 
truire, dans  la  cathédrale  de  cette  dernière  ville,  une 
chapelle  magnifique  consacrée  à  saint  Joseph,  où  les 
nouveaux  convertis  se  réunissaient  tous  les  dimanches 
et  tous  les  jours  de  fête,  pour  assister  au  service  divin, 
entendre  des  sermons  et  des  conférences.  Plus  tard 
Antoine  de  Mendoza,  vice-roi  du  Mexique,  pour  aider, 
autant  qu'il  était  en  lui,  au  développement  de  cette  belle 
institution,  et  en  même  temps  pour  éviter  aux  bons  Pères 
les  tracas  et  les  dérangements  amenés  par  la  présence  de 
tant  d'enfants  dans  leur  monastère,  éleva  aux  frais  du 
trésor  royal  un  grand  collège  destiné  à  l'éducation  des 
Indiens.  Le  supérieur  du  couvent  devait  être  en  même 
ten\ps  le  directeur  du  collège.  Les  évêques  de  Mexico 
et  de  Saint-Domingue  présidèrent  à  la  cérémonie  de 
l'installation  des  professeurs  et  des  élèves  dans  le  nouvel 
établissement. 

Le  collège  de  Mexico  fut  constitué  sur  la  même  base 
que  les  collèges  de  l'Europe.  Les  enfants  qui  y  étaient 
élevés  et  instruits  portaient  un  uniforme  spécial  ;  des 


LE  BIENHEUREUX  FRÈRE  PIERRE,  DE  GAND.  495 

salles  d'étude  bien  aérées  leur  permettaient  de  travailler 
à  leur  aise  ;  ils  couchaient  dans  de  vastes  dortoirs, 
chacun  dans  un  lit,  sous  la  surveillance  constante  d'un 
maître.  Tous  les  matins  ils  assistaient  à  la  messe,  tous  les 
soirs  ils  récitaient  en  commun  les  prières  de  l'Eglise  et 
les  matines. 

Le  bienheureux  Pierre  fut  l'un  des  plus  ardents 
propagateurs  de  cette  grande  œuvre.  Non-seulement 
il  enseignait  le  latin  au  collège  ,  mais  il  apprenait 
encore  aux  enfants  à  dessiner  de  petites  gravures  repré- 
sentant soit  la  vie  du  Sauveur,  soit  la  vie  des  saints;  et  ces 
images,  répandues  dans  le  pays,  étaient,  dit  le  chroni- 
queur, comme  autant  de  prédicateurs  muets,  éloquents 
à  leur  façon,  qui  parlaient  sans  cesse  aux  Indiens  de  la 
gloire  deDieu  et  de  la  grandeur  de  la  religion  chrétienne. 

La  langue  mexicaine  lui  était  bientôt  devenue  familière, 
il  prêchait  en  mexicain,  et  il  a  écrit  en  mexicain  des 
livres  de  piété,  où  il  expliquait  les  saints  mystères  et  ex- 
posait les  principales  vérités  de  la  foi.  Enfin,  à  son  instiga- 
tion s'étaient  formées  des  confréries  d'Indiens  qui  s'oc- 
cupaient de  l'entretien  et  de  l'ornement  des  églises,  et 
qui  ont  fait  de  la  chîrpelle  de  saint  Joseph  en  particulier 
l'un  des  plus  beaux  sanctuaires  de  toute  la  chrétienté. 

On  compte  par  centaines  les  chapelles,  les  églises  et  les 
couvents  élevés  par  les  soins  du  frère  Pierre,  par  milliers 
les  infidèles  qu'il  a  convertis.  Il  voyait  avec  bonheur  la 
religion  du  Christ  s'affermir  et  s'étendre  dans  ces  contrées 
lointaines,  et  tous  les  jours  il  écrivait  en  Flandre  aux 
supérieurs  de  la  province,  pour  demander  de  nouveaux 
missionnaires  :  «  Les  habitants  du  Mexique  »,  disait- 
il  dans  l'une  de  ses  lettres,  «  ont  le  naturel  assez  doux  ; 


496  XXIX  JUIN. 

«  ils  ne  se  montrent  pas  trop  rebelles  à  embrasser  notre 
«  sainte  croyance  ;  mais  ils  sont  paresseux  et  ne  font  rien 
«  de  leur  plein  gré  ;  ils  ne  travaillent  que  lorsqu'on  les  y 
a  contraint.  Leur  religion  est  étrange  :  ils  s'imaginent 
«  qu'il  y  a  une  divinité  spéciale  pour  chaqueclasse  d'objets, 
«  qu'il  existe  par  exemple  un  dieu  du  feu,  un  dieu  de 
«  l'eau,  un  autre  de  la  lumière,  un  autre  de  la  terre,  un 
"■  dieu  pour  les  hommes,  un  dieu  pour  les  femmes,  un 
a  autre  encore  pour  les  enfants.  Toutes  ces  divinités 
«  sont  servies  par  un  grand  nombre  de  prêtres,  vivant, 
<?  chose  horrible,  de  la  chair  des  enfants  offerts  en  sacri- 
«  fice,  et  très-redoutés  du  peuple.  Dieu  soit  béni  ,  le 
«  règne  de  ces  misérables  est  arrivé  à  sa  fin,  et  les  Mexi- 
«  cains  abandonnent  facilement  ces  dieux  cruels,  pour 
«  venir  se  ranger  sous  l'étendard  béni  du  Sauveur.  Nous 
«  avons  quelquefois  baptisé,  le  même  jour,  huit,  dix  et 
«  jusqu'à  quatorze  mille  Indiens.  Partout  s'élèvent  des 
a  chapelles  et  des  églises  où  la  piété  naissante  des  nou- 
«  veaux  chrétiens  a  entassé  les  ornements  d'or  et 
«  d'argent. 

«  Nous  travaillons  tous,  chacun  selon  nos  forces  et  nos 
«  moyens,  à  la  conversion  de  ces  malheureux.  Moi,  je 
«  veille  sur  eux  jour  et  nuit.  Le  jour,  je  leur  apprends  à 
«  lire,  à  écrire  et  à  chanter  ;  quand  le  soir  vient,  je  leur 
«  fais  réciter  les  prières  de  l'Eglise.  Beaucoup  d'entre  nos 
«  élèves  sont  capables  maintenant  de  servir  de  maîtres  à 
«  leur  tour.  Il  y  en  a  qui  prêcheraient  mieux  que  nos 
«  Pères  les  plus  éloquents,  etc.  —  Mexico,  couvent  de 
«  Saint-François,  le  27  juin  4529  ». 

Le  bon  frère  qui  a  écrit  cette  lettre  touchante  et  simple, 
où  il  montre  une  si  grande  affection  pour  les  Indiens 


PIERRE  D'ORTONA.  497 

était  en  retour  aimé  d'eux  comme  un  père.  Ils  lui  témoi- 
gnaient plus  de  respect  qu'aux  autres  religieux,  aux  prê- 
tres et  aux  dignitaires  de  l'Ordre.  Quand  il  passait  dans 
les  rues,  une  foule  immense  se  pressait  sur  son  chemin 
et  l'escortait  jusqu'à  l'endroit  où  il  se  rendait.  C'est  ce 
qui  faisait  dire  à  Alphonse  de  Montuchar,  prédicateur 
célèbre  et  deuxième  archevêque  de  Mexico  :  «  Ce  n'est 
a  pas  moi  qui  suis  l'archevêque,  c'est  le  frère  Pierre  de 
«  Gand,  frère  lai  de  l'Ordre  de  Saint- François  ». 

Il  est  vrai  que  le  bienheureux  Pierre  n'eût  eu  qu'à 
manifester  un  désir  pour  obtenir  la  mitre.  Charles- 
Quint,  qui  connaissait  l'affection  des  Indiens  pour  lui,  se 
proposait  de  le  nommer  archevêque  de  Mexico,  et  il  avait 
obtenu  le  consentement  du  général  de  l'Ordre  et  du 
souverain  Pontife  lui-même  ;  mais  le  bon  frère  ne  se 
croyait  pas  digne  du  sacerdoce,  et  tous  les  efforts  échouè- 
rent devant  sa  résistance  énergique. 

Il  mourut  en  1567.  Toute  la  ville  de  Mexico  voulut 
assister  à  ses  funérailles.  On  l'ensevelit  dans  la  chapelle 
de  Saint-Joseph,  qu'il  avait  fondée,  et  où  l'on  voit  encore 
aujourd'hui  son  tombeau  et  sa  statue.  Beaucoup  de  cou- 
vents du  Nouveau-Monde  possèdent  son  portrait  à  côté 
de  ceux  des  douze  fondateurs  de  la  grande  province  du 
Saint- Evangile. 

(GON'ZAGUE  et  WADD1NG.) 


PIERRE  D'ORTONA 

Ce  saint  homme  repose  au  couvent  d'Ortona,  dans  le 
royaume  de  Naple?.    Il  eut  la  destinée  singulière  de 

Palm,  Sêrapit.  -  Tome  VK  32 


498  XXIX  JUIN. 

naître,  d'être  baptisé,  de  prendre  l'habit  de  frère  mineur, 
de  prononcer  ses  vœux,  de  dire  sa  première  messe  et  de 
mourir  le  jour  de  la  fête  de  l'apôtre  saint  Pierre,  son 
patron. 


ALIZE  LA  BOURGOTE,  DE  PARTS 

1466.  —  Pape  :  Paul  II.  —  Roi  de  France  :  Louis  XI. 

Nous  trouvons  encore  à  la  même  date  le  souvenir  d'A- 
lexie  ou  Alizé  la  Bourgote,  qui  vécut  quarante-six  ans  en 
qualité  de  pénitente  du  Tiers  Ordre  de  Paris.  Elle  habi- 
tait un  ermitage  situé  contre  l'église  des  Saints-Inno- 
cents. Elle  vivait  presque  absolument  de  pain  et  d'eau  ; 
c'est  seulement  dans  sa  vieillesse  qu'elle  y  ajouta  quelques 
légumes.  Ses  vêtements  de  dessus  recouvraient  une  haire 
faite  en  crin  ;  le  plancher  de  sa  cellule  lui  servait  de  lit  ; 
toutes  les  nuits  elle  se  donnait  la  discipline  avec  une 
corde  à  nœuds. 

Elle  est  morte  en  odeur  de  sainteté  le  29  juin  1466, 
dans  un  âge  très-avancé.  On  l'ensevelit  dans  l'église  des 
Saints-Innocents,  et  le  roi  Louis  XI  fit  placer  sur  son 
tombeau   une  statue  de  bronze,  qui  la  représentait  à 

genoux,  dans  l'attitude  de  la  prière. 

D  (Wadding.) 


JEAN    DE    SPIRE.  499 


TRENTIEME    JOUR    DE    JUIN 

LE  BIENHEUREUX  JEAN  DE  SPIRE 
ET  QUELQUES  AUTRES  RELIGIEUX 

DE   LA   PROVINCE  DE   STRASBOURG 

1245.  —  Pape  :  Innocent  IV.  —  Roi  de  France  :  Saint  Louis. 

Le  bienheureux  Jean,  que  l'on  appelle  Jean  de  Spire, 
parce  qu'il  est  originaire  du  pays  de  ce  nom,  en  Alle- 
magne, naquit  à  Stenical.  Il  fut  longtemps  chanoine  de  la 
cathédrale  de  Mayence.  La  sainteté  de  sa  vie  et  la  dignité 
avec  laquelle  il  s'acquittait  de  ses  fonctions  sacerdotales 
lui  concilièrent  l'estime  et  la  vénération  de  tous.  Pour 
entrer  dans  l'Ordre  de  Saint-François,  qui  avait  pour  lui 
des  charmes  ineffables,  il  donna  ses  richesses  aux  pauvres 
et  renonça  à  la  haute  dignité  qu'il  occupait.  Devenu 
frère  mineur,  on  le  cita  comme  un  modèle  de  pauvreté 
volontaire  et  un  parfait  miroir  de  perfection  reli- 
gieuse. 

Il  exerçait  à  Spire  les  fonctions  de  gardien,  quand  il 
mourut,  le  30  juin  1245.  Des  miracles  s'accomplirent  sur 
son  tombeau  :  dix-huit  boiteux ,  deux  aveugles ,  des 
muets,  des  paralytiques,  etc.,  etc.,  recouvrèrent  la  santé 
par  son  intercession.  Aussi  la  piété  des  fidèles  a-t-elle 
entretenu  longtemps  une  lampe  au-dessus  de  son  tom- 
beau. 


500  XXX  JUIN. 

Dans  le  même  couvent  repose  le  bienheureux  Père 
Colin ,  qui  fut  élevé  pendant  sa  vie  à  la  dignité  de  pro- 
vincial, et  après  sa  mort  accomplit  un  grand  nombre  de 
miracles. 

Le  premier  provincial  de  Strasbourg  est  le  bienheu- 
reux Père  Terderic.  Il  honora  sa  dignité  par  la  sainteté 
de  sa  vie  et  ses  miracles.  Ses  restes  sont  ensevelis  au 
couvent  d'Augsbourg. 

Le  bienheureux  Père  Hugo  ou  Hudo  repose  dans  un 
autre  couvent  de  la  même  province.  Il  est  aussi  célèbre 
par  ses  miracles  et  vécut,  comme  les  Pères  dont  nous 
venons  de  citer  les  noms,  dans  le  premier  siècle  de  l'Ordre 
Séraphique. 

Lorsque  la  réforme  des  Obscrvantins  pénétra  dans  la 
province  de  Strasbourg,  l'un  des  premiers  religieux  qui 
l'embrassèrent  est  le  bienheureux  Père  Jean  Gontinger, 
homme  d'une  sainteté  exemplaire,  qui  posséda  l'esprit 
de  prophétie  et  de  seconde  vue.  Saint  Jean  de  Gapistran 
faisait  de  lui  le  plus  grand  cas,  et  il  déclara  un  jour  au 
margrave  de  Bade  que  le  Père  Gontinger  était  l'un  des 
plus  vénérables  disciples  de  Saint-François.  Ce  bienheu- 
reux Père  est  mort  à  Halsbach  et  est  enseveli  dans  l'église 
des  Clarisses. 

Le  bienheureux  Père  Jacques  de  la  Porte,  bien  connu 
pour  son  zèle  de  prédicateur  et  d'apôtre  ,  repose  au 
couvent  de  Basel.  Sa  mort  fut  accompagnée  de  prodiges 
éclatants. 


PÈRE  PIEHRE  DE  CHAVEZ.  501 

La  province  de  Strasbourg  a  eu  pour  fondateurs  les 
bienheureux  Césaire  de  Spire  et  Albert  de  Pise.  Elle 
comprenait,  dans  les  premiers  temps  de  l'Ordre,  la  Ba- 
vière, la  Suède,  le  Tyrol,  la  Suisse,  une  partie  de  la 
France,  la  marche  de  Bade,  le  Wurtemberg  et  l'Alsace, 
et  elle  comptait  parmi  ses  membres  un  certain  nombre  de 
vénérables  religieux.  Elle  se  sépara  par  la  suite  en  plu- 
sieurs provinces,  et  en  1517,  au  moment  de  l'apparition 
de  Luther,  elle  renfermait  encore  vingt-six  couvents. 
L'invasion  de  l'hérésie  en  réduisit  le  nombre  à  huit  ;  à 
la  fin  du  dix-septième  siècle  ,  elle  commençait  déjà  à 
sortir  de  ses  ruines,  et  elle  est  redevenue  l'une  des  plus 
importantes  provinces  de  l'Ordre  Séraphique. 

(Le  Hisan,  Cardose.) 


PIERRE  DE  CHAVEZ 

1525.  —  Pape  :  Clément  VI!.  —  Roi  de  Portugal  :  Jean  III. 

C'est  au  trentième  jour  de  juin  que  les  chroniqueurs 
de  FOrdre  placent  le  souvenir  du  Père  Pierre  de  Chavez, 
austère  observateur  de  la  règle,  dont  la  vie  n'a  été,  pour 
ainsi  dire,  qu'une  longue  suite  de  miracles,  et  que, 
même  avant  sa  mort,  on  honora  comme  un  saint. 

Il  a  rendu  l'âme  en  1525,  au  couvent  d'Atougia,  en 
Portugal,  et  son  tombeau  fut  longtemps  un  lieu  de 
pèlerinage  où  s'accomplirent  un  grand  nombre  de  pro- 
diges. 

(Gonza&ue,  Cardose.) 


502  XXX  JUIN. 

LA  BIENHEUREUSE  FLOROSENDA 

CLARISSE 

1306.  —  Pape  :  Clément  V.  —  Roi  de  France  :  Philippe  IV. 

SOMMAIRE  :  Illustre  origine  de  la  bienheureuse  Florosenda.  —  Elle  fonde  à  Sulmo 
(aujourd'hui  Solmona)  un  couvent  de  Clarisses.  —  Ses  vertus.  —  Elle  est  nommée 

abbesse.  —  Sagesse  de    son  administration.  —  Affection  que  lui  témoignent  ses 

sœurs.  —  Son  tombeau. 

La  bienheureuse  Florosenda  naquit  en  4240,  dans  le 
pays  des  Àbruzzes  (royaume  de  Naples).  Elle  était  fille  de 
Thomas,  comte  de  Palena  et  autres  lieux,  et  de  Cons- 
tance de  Chieti,  descendante  des  comtes  de  Chieti,  tous 
deux  issus  des  premières  maisons  du  royaume  et  de 
familles  qui  avaient  fourni  à  l'Etat  des  généraux  et  à 
l'Eglise  des  prélats  distingués  et  même  plusieurs  papes. 

Florosenda  porta  sur  elle  la  marque  distinctive  de  son 
illustre  origine.  Tous  les  dons  de  la  nature  et  de  la 
grâce  semblaient  s'être  réunis  pour  en  faire  une  per- 
sonne achevée.  Saint  François  de  Palena  venait  de  fonder 
à  Palena  un  couvent  de  Frères  Mineurs,  et  tous  les  jours 
la  jeune  Florosenda  entendait  les  bons  religieux  parler 
avec  enthousiasme  des  vertus  et  des  miracles  de  saint 
François  et  de  sainte  Claire.  Elle  en  conçut  un  vif  désir 
d'imiter  ces  saints  personnages,  surtout  lorsqu'elle  apprit 
que  de  grandes  princesses  s'étaient  faites  clarisses.  Elle 
aima  dès  lors  à  se  retirer  dans  les  églises,  à  prier  pen- 
dant de  longues  heures  et  à  se  mortifier;  et  ces  disposi- 
tions ne  firent  que  s'accroître  après  la  mort  de  son  père. 

Il  n'y  avait  encore  en  ce  moment,  dans  tout  le  pays  des 


LA  BIENHEUREUSE  FLOROSENDA,  CLARISSE.  503 

Abruzzes,  qu'un  seul  couvent  de  Clarisses,  fondé  par  la 
bienheureuse  Philippa  Mareria  (1).  Florosenda  en  cons- 
truisit un  second  à  Sulmo,  en  l'espace  d'une  année. 
C'est  là  qu'elle  reçut,  en  4269,  avec  plusieurs  autres 
nobles  jeunes  filles,  le  voile  des  Clarisses,  des  mains  de 
saint  Bonaventure,  général  de  l'Ordre. 

La  bienheureuse  vierge  fut  la  première  abbesse  du 
nouveau  couvent,  et  pendant  de  longues  années  elle  y 
donna  l'exemple  de  toutes  les  vertus.  Elle  exigeait  des 
religieuses  une  aveugle  soumission  à  la  règle  et  défendait 
qu'aucune  d'elles  jouît,  en  dehors  du  couvent,  de  revenus 
d'aucune  espèce.  La  communauté  seule  pouvait  avoir  des 
rentes  ;  les  Clarisses  en  particulier  étaient  pauvres  et  ne 
possédaient  rien.  Le  couvent  de  Sulmo  passe  pour  avoir 
été  l'un  des  plus  riches  de  l'Ordre  :  il  se  composait 
de  plusieurs  bâtiments  reliés  par  un  mur  d'enceinte,  et 
renfermait  deux  ou  trois  cents  religieuses. 

L'abbesse,  au  milieu  de  cette  opulence,  vivait  dans  la 
plus  stricte  pauvreté.  Sa  démarche  était  modeste  et  hum- 
ble, et  elle  s'occupait  des  travaux  les  plus  rebutants, 
comme  la  dernière  des  religieuses.  Elle  s'imposait  de  si 
rudes  mortifications,  que  sa  santé  en  souffrait  continuel- 
lement. Retirée  dans  sa  cellule  ou  dans  la  chapelle  pen- 
dant la  plus  grande  partie  de  la  journée,  elle  évitait 
au  tint  que  possible  tout  contact  avec  le  monde  extérieur, 
et  refusait  même  de  voir  ses  parents.  Tant  qu'elle  vécut, 
les  sœurs,  qui  lui  témoignaient  beaucoup  d'affection, 
n'eurent  pas  un  instant  l'idée  d'élire  une  autre  abbesse, 
et  elles  pleurèrent  sa  perte  comme  celle  d'une  mère. 

(1)  Voir  la  vie  de  Philippa  Maretia,  au  seizième  jour  de  février  {Palmier  Sera- 
phique,  tom.  II,  pag.  335). 


504  XXX  JUIN. 

La  bienheureuse  Florosenda  exerçait  sa  dignité  de 
supérieure  depuis  trente-sept  ans,  quand  elle  s'endormit 
dans  le  sein  de  Dieu,  en  4306.  Les  miracles  qui  s'accom- 
plirent par  son  intercession  ajouteront  encore  à  sa  répu- 
tation de  sainteté. 

Quelques  années  après  sa  mort,  on  tira  ses  précieux 
restes  du  caveau  commun,  où  elle  était  ensevelie  à  côté 
d'autres  religieuses ,  et  on  la  mit  dans  un  sépulcre 
de  marbre,  sous  le  grand-autel.  Sur  son  tombeau  on 
lisait  l'inscription  suivante  :  Ici  repose  le  corps  de  la 
bienheureuse  Florosenda,  fondatrice  de  ce  couvent. 

(P.  Mazzara.) 


PERE  MARTIN  BELSUNCE 

1651.  —  Pape  :  Innocent  X.  —  Roi  d'Espagne  :  Philippe  IV'. 


CHAPITRE   PREMIER. 

SOMMAIRE  :  Pieuse  enfance  de  Martin,  et  espérances  que  sa  rnère  fonde  sur  lui.  — 
Comment  il  s'égare  et  se  perd  à  l'Université  de  Salamanque.  —  Heureuse  influence 
que  sa  sœur  exerce  sur  lui.  —  Il  rentre  dans  les  voies  du  Seigneur.  —  Ses 
visions.  —  Il  quitte  l'Université  de  Salamanque  et  se  fait  ordonner  prêtre  à 
Huescar.  —  Une  vie  nouvelle  commence  pour  lui. 

Le  Père  Martin  Belsunce  naquit  en  1572,  à  Huescar,  en 
Espagne ,  d'une  famille  noble  et  riche.  Ses  parents , 
Martin  Belsunce  et  Jeanne  Romero,  dont  il  était  le  pre- 
mier-né, rélevèrent  avec  beaucoup  de  soins.  C'était  un 
enfant  doux  et  modeste,  aux  manières  affables,  charitable 
et  pieux.  Il  fit  de  fortes  études,  et  de  bonne  heure  sut 


LE  BIENHEUREUX  PÈRE  MARTIN  BELSUNCE.  50u 

parfaitement  le  latin.  A  vingt  ans  il  perdit  son  père  et 
demeura,  avec  deux  frères  et  une  sœur,  à  la  charge  de  sa 
mère.  La  pieuse  femme,  qui  l'aimait  beaucoup  et  qui 
comptait  sur  lui  pour  l'aider  à  élever  sa  famille,  l'envoya 
étudier  le  droit  à  l'Académie  de  Grenade,  puis  à  l'Uni- 
versité de  Salamanque. 

Pendant  quelque  temps  on  put  craindre  que  ce  pieux 
jeune  homme,  qui  s'était  choisi  pour  patrons  saint  Didace 
et  la  Vierge  Marie,  ne  fût  à  jamais  perdu  pour  le  ciel. 
Il  fréquentait  des  étudiants  tapageurs  et  impies,  courait 
les  mauvais  lieux,  oubliait  le  travail  pour  le  plaisir^et  les 
églises  pour  les  maisons  de  jeu  et  de  débauche  ;  il  ne 
connaissait  plus  de  la  vertu  que  le  nom. 

Ce  fut  sa  sœur  qui  le  ramena  dans  les  voies  du  Seigneur. 
Devenue  veuve  après  quelques  mois  d'une  vertueuse 
union,  elle  avait  pris  le  voile  des  Clarisses  au  couvent  de 
Beza,  et  ses  grandes  qualités  l'avaient  fait  choisir  par  ses 
supérieures  pour  fonder  à  Salamanque  un  monastère  de 
son  Ordre,  dont  elle  f"j*  la  première  abbesse.  Elle  alla  voir 
son  frère,  et,  vivement  touchée  de  l'état  de  son  âme,  lui 
montra  l'abîme  où  il  se  précipitait  et  le  pria,  au  nom  de 
son  père  mort  et  de  sa  mère  désolée,  de  changer  de  con- 
duite et  d'abandonner  ses  mauvaises  compagnies.  Elle 
obtint  de  lui  la  promesse  qu'il  assisterait  tous  les  jours  à 
la  messe  et  qu'il  se  confesserait  au  moins  une  fois  tous 
les  mois. 

Ce  fut  le  salut  de  Martin  ;  la  première  fois  qu'il  sortit, 
repentant  et  purifié,  du  tribunal  de  la  pénitence,  il  lui 
sembla  qu'il  relevait  d'une  maladie  mortelle.  Une  révo- 
lution complète  s'opéra  en  lui  ;  et,  faisant  un  retour  sur 
lui-même,  il  se  demandait  avec  étonnement  comment  il 


806  XXX  JUIN. 

avait  pu  sacrifier  Dieu  au  monde  et  son  salut  éternel  à 
de  vaines  jouissances.  «  Est-il  bien  vrai,  ô  mon  Dieu  », 
s'écriait-il,  «  que  j'ai  pendant  si  longtemps  oublié  votre 
«  sainte  loi  ?  Faux  amis,  qui  me  détourniez  du  chemin 
a  du  ciel  !  Soyez  béni,  ô  mon  Sauveur,  pour  votre  infinie 
«  miséricorde,  et  laissez-moi  assez  de  vie  pour  que  je 
a  puisse  expier  par  de  longues  années  de  pénitence  tant 
«  de  jours  d'égarement.  Versez,  versez  sur  moi  la  divine 
«rosée  de  votre  grâce  ;  soutenez -moi  de  vos  mains 
«  secourabîes,  purifiez-moi ,  bénissez-moi  !  »  Le  démon 
était  vaincu  ;  Martin  avait  retrouvé  sa  voie,  et  il  ne  devait 
plus  s'en  écarter. 

Son  directeur  lui  ordonna  tout  d'abord  de  se  confesser 
quatre  fois  par  mois,  de  communier  tous  les  quinze 
jours,  d'assister  quotidiennement  à  la  messe  qui  se  célé- 
brait sur  l'autel  de  Marie  ;  enfin  d'offrir  à  Dieu,  par  ses 
mains  pures,  ses  regrets  et  ses  promesses,  et  d'éviter  non- 
seulement  le  péché,  mais  encore  les  occasions  de  pécher. 
Martin  se  soumit  à  toutes  ces  prescriptions;  mais  en  vain 
cherchait-il  à  assurer  par  de  bonnes  confessions  le  repos 
de  sa  conscience,  le  souvenir  de  ses  fautes  le  plongeait 
dans  un  amer  désespoir,  et  il  ne  voyait  devant  lui  que 
ténèbres  et  deuil. 

Enfin,  au  bout  de  quatre  mois,  la  lumière  se  fit. 
Comme  un  aveugle  qui  revoit  tout  à  coup  la  clarté  du 
soleil,  il  sentit  une  joie  immense  pénétrer  son  cœur  : 
plus  de  trouble,  plus  d'inquiétude  ;  le  repos  et  la  paix  1 
Son  âme,  débarrassée  des  chaînes  qui  l'étreignaient,  s'é- 
levait sur  les  ailes  de  la  foi  et  de  l'amour  dans  les  plus 
hautes  régions  de  la  contemplation.  Une  vie  nouvelle 
commençait  pour  lui ,  et  le  souvenir  de  son  indigne 


LE  BIENHEUREUX  PÈRE  MARTIN  BELSUNCE.  507 

conduite  lui  pesait  tellement,  qu'il  faisait  tous  ses  efforts 
pour  n'y  arrêter  jamais  sa  pensée.  Mais  Dieu  veut  qu'on 
expie  par  le  remords  ses  fautes  passées,  et  c'est  un  signe 
qu'il  n'a  pas  détourné  de  nous  ses  regards  paternels, 
lorsqu'il  nous  tourmenté  ainsi  sur  cette  terre  par  nos 
propres  souvenirs.  Un  jour  que  Martin  priait  devant 
l'autel  de  Marie,  il  fut  tout  à  coup  ravi  en  extase.  Il  lui 
sembla  qu'il  était  tombé  dans  un  fossé  profond  et  bour- 
beux, et  que,  du  milieu  de  l'abîme,  il  tendait  les  bras 
vers  la  très-sainte  Vierge,  qui  lui  apparaissait  toute  res- 
plendissante de  lumière.  Et  comme  il  criait  :  «  Ma  Mère  ! 
«  ma  Mère  !  »  avec  un  accent  désespéré,  elle  s'approcha 
de  lui,  le  prit  par  la  main  en  l'appelant  a  mon  fils  !  »,  le 
retira  de  cette  fange,  lui  donna  de  nouveaux  vêtements, 
et  enfin  lui  recommanda  par-dessus  toutes  choses  de  faire 
monter  ses  actions  de  grâces  vers  le  Seigneur,  qui  avait 
permis  qu'elle  vînt  à  son  secours. 

C'est  par  de  semblables  apparitions  que  Dieu  ravivait 
dans  le  cœur  du  bienheureux  le  souvenir  de  ses  fautes,  et 
qu'il  lui  permettait  ainsi  de  les  expier  par  ses  larmes  et  par 
son  repentir.  Martin  ne  tarda  pas  à  trouver  des  charmes 
dans  cette  souffrance  morale,  qui  était  à  la  fois  un  châti- 
ment et  une  purification,  et  tous  les  jours,  à  genoux  dans 
sa  chambre  d'étudiant  devant  un  tableau  représentant 
l'Immaculée  Conception,  il  se  frappait  la  poitrine  et  réci- 
tait la  longue  liste  de  ses  péchés  en  disant  :  «  Ma  Mère  !  » 
Et  il  lui  semblait  que  la  même  voix  divine  lui  répondait: 
«  Mon  fils  !  »  Alors  une  paix  immense  descendait  au  fond 
de  son  âme  ;  il  ne  se  sentait  plus  écraser  sous  le  poids  de 
ses  terreurs  et  de  ses  remords  ;  l'avenir  lui  apparaissait 
moins  sombre  j  il  ne  désespérait  plus  de  voir  s'ouvrir 


508  XXX  JUIN. 

un  jour  devant  lui   les  portes   de  l'éternel   royaume. 
Cependant  Salamanque,  avec  ses  milliers  d'étudiants, 
ses  théâtres,   ses  cafés,  ses  tentations  de  toute  espèce, 
effrayait  la  vertu  renaissante  du  bienheureux  Martin  ;   il 
résolut  de  quitter  ce  séjour  et  d'aller  achever  ses  études 
à  Alcala,  selon  le  désir  que  lui  en  manifestait  sa  mère. 
Mais  la  résolution  qu'il  avait  prise  de  se  consacrer  à  Dieu 
l'empêcha  de  mettre  ce  projet  à  exécution,  et  il  revint 
à  Huescar,  décidé  à  se  faire  ordonner  prêtre  le  plus 
tôt  possible  ,    et  à  vivre  étranger  à  toutes  les  vanités 
de  la  terre.   Il  réfléchit  longuement,  afin  d'être  bien 
assuré  de  la  force  de  sa  vocation,  et  ses  méditations 
sérieuses  ne  firent  que  l'affermir  de  plus  en  plus  dans  sa 
résolution.  Il  prit  aussi  les  avis  d'un  frère  mineur,  le 
Père  Antoine  Sobrino,  qui  s'était  acquis  par  sa  science  et 
ses  vertus  une  grande  réputation  de  sainteté.  Antoine 
crut  pouvoir  lui  affirmer  que  sa  vocation  venait  de  Dieu, 
qu'il  s'avancerait  fort  loin  dans  les  voies  du  Seigneur  et 
qu'il  exercerait  sur  les  âmes  une  salutaire  et  bienfaisante 
influence.   Quelque  temps  après,  sa  mère  étant  venue 
à  mourir,   Martin,  se  voyant  chef  de  famille,    conçut 
encore  de  nouvelles  hésitations  :  le  démon,  furieux  de  le 
voir  lui  échapper,  essayait  du  moins  d'entraver  sa  mar- 
che vers  le  ciel  et  de  l'arrêter  par  des  considérations 
spécieuses.  Enfin ,  Dieu  eut  pitié  de  lui,  et,  selon  les 
expressions  du   chroniqueur  ,    conduisit  sa  barque,  si 
longtemps  battue  par  la  tempête,  dans  le  havre  béni  de 
la  grâce.  Martin  fut  ordonné  prêtre. 

On  peut  dire  qu'il  fut  prêtre  selon  le  Seigneur.  Il 
offrait  tous  les  jours  le  saint  sacrifice,  et  y  puisait  chaque 
fois  une  force   et  une  confiance  nouvelles.  11  nageait 


LE  BIENHEUREUX  PÈRE  MARTIN  BELSUNCE.  509 

dans  le  repos  et  la  paix,  ne  vivait  plus  que  par  le  Seigneur 
et  pour  le  Seigneur,  et,  quoique  encore  poursuivi  par  le 
souvenir  de  ses  fautes  passées,  éprouvait  déjà  comme  un 
avant-goût  des  célestes  jouissances. 

CHAPITRE  II. 

SOMMAIRE  :  Martin  prend  l'habit  de  frère  mineur  dans  la  province  de  Saint-Tean- 
Baptiste.  —  Heureuse  influence  du  Père  Gomez  sur  son  esprit.  —  Ses  hésitations 
et  ses  incertitudes.  —  Règle  de  conduite  qu'il  se  trace  à  lui-même.  —  Comment 
il  la  suit.  —  Son  excessive  humilité.  —  Il  refuse  toute  dignité.  —  Sa  confiance  en 
Dieu.  —  Conversions  qu'il  provoque. 

Après  quelques  mois  d'une  existence  pure  et  d'une  vie 
exemplaire,  Martin  se  sentit  tout  à  coup  attiré  vers  la  vie 
monastique.  Il  en  parla  à  quelques  personnes  de  sa  con- 
naissance, qui  essayèrent  de  l'en  détourner,  en  lui  re- 
présentant combien  la  règle  était  rigoureuse  et  pénible. 
On  lui  insinua  que  peut-être  cette  pensée,  qui  lui  était 
venue  si  subitement  à  l'esprit,  n'était  qu'un  piège  du 
démon,  que  l'esprit  malin  avait  des  ressources  et  des 
ruses  infinies,  et  qu'une  pareille  résolution  demandait  à 
être  mûrie  dans  le  silence  et  la  retraite.  Il  y  avait  du  vrai 
dans  ces  objections,  et  Martin  le  sentait  ;  mais  il  les  tourna 
très-habilement  à  son  avantage.  «  Qui  vous  dit  »,  répon- 
dit-il à  ses  amis,  «  que  vos  avis  ne  sont  pas  eux-mêmes 
«  inspirés  par  le  démon  ?  J'entends  une  voix  qui  parle 
«  plus  haut  que  mes  craintes  et  que  je  reconnais  pour 
a  l'avoir  entendue  plusieurs  fois  déjà  :  c'est  la  voix  de 
«  mon  Dieu  ;  je  suivrai  ses  célestes  inspirations  I  » 

Sur  ces  entrefaites,  et  pendant  qu'il  hésitait  encore,  le 
plus  jeune  de  ses  frères  mourut  ;  quelque  temps  après,  le 
second,  qui  faisait  partie  de  l'Ordre  de  Saint-François, 


510  XXX  JUIN. 

descendit  à  son  tour  au  tombeau.  Resté  seul  au  monde 
et  détaché  de  tout  bien  terrestre,  Martin  commença  par 
essayer  ses  forces  dans  sa  propre  maison  ;  il  marchait 
nu-pieds  dans  sa  chambre,  priait  durant  de  longues 
heures,  jeûnait  et  veillait.  Enfin,  sur  les  avis  du  Père 
Sobrino,  son  directeur,  il  demanda  et  reçut  l'habit  de 
l'Ordre,  à  Valence,  dans  l'austère  province  de  Saint-Jean- 
Baptiste,  le  jour  de  la  fête  de  saint  François.  Il  était  âgé 
de  quarante-deux  ans.  Le  bonheur  remplissait  son  âme  ; 
il  pouvait  enfin  ne  plus  songer  qu'au  ciel  et  à  Dieu. 

A  sa  grande  joie,  il  fut  placé  sous  la  direction  du  Père 
Gabriel  Gomez,  religieux  célèbre  par  ses  vertus  (1).  On 
ne  tarda  pas  à  s'apercevoir  qu'il  possédait  bien  toutes  les 
qualités  qui  font  le  parfait  religieux.  Il  devint  bientôt  le 
modèle  des  autres  novices  :  toujours  le  premier  au 
chœur,  le  plus  zélé  pour  tous  les  travaux  pénibles  et 
rebutants,  modeste  dans  sa  démarche ,  humble ,  sou- 
mis ,  consolateur  de  ceux  qui  souffraient ,  soutien  de 
ceux  qui  perdaient  courage,  aimé  de  tous,  charitable  et 
bon  à  tous.  Il  ne  se  souvenait  du  monde  que  pour  le 
mépriser  davantage,  et  tout  contact  avec  les  hommes  lui 
semblait  si  pénible,  qu'il  songea  un  instant  à  se  retirer 
dans  une  solitude  plus  profonde  et  à  entrer  aux  Carmes 
déchaussés. 

Il  communiqua  cette  idée  au  Père  Gabriel  Gomez,  et  lui 
fit  connaître  plus  à  fond  l'état  de  son  âme.  Heureusement 
son  vénérable  maître,  qui  exerçait  sur  lui  une  grande 
influence,  ne  se  laissa  pas  séduire  à  de  fallacieux  pré- 
textes et  sut  opposer  des  raisonnements  victorieux  aux 

(1)  Voir,  dans  le  deuxième  volume  du  Palmier  Séraphique,\&  vie  du  Père  Gabriel 
Gomez,  septième  jour  de  février,  pag.  157. 


LE  BIENHEUREUX  PÈRE  MARTIN  BELSUNCE.  511 

spécieux  arguments  du  Père  Martin  :  <r  Vous  ne  songez 
a  qu'àvous-même»,  lui  dit-il,  «croyez-vous que  cela  puisse 
<r  être  agréable  à  Dieu?  Et  lequel,  à  votre  avis,  a  le  plus  de 
a  mérite,  celui  qui  ne  travaille  qu'à  son  propre  perfec- 
ct  tionnement,  ou  celui  qui  s'occupe  en  même  temps  du 
«  salut  des  autres  ?  »  Martin  promit  de  demeurer  dans 
l'Ordre  Séraphique. 

Comme  il  approchait  de  la  fin  de  son  noviciat,  il  écrivit, 
pour  lui-même  et  pour  ceux  qui  pourraient  être  en  butte 
aux  mêmes  attaques  de  l'esprit  malin,  les  règles  sui- 
vantes auxquelles  il  se  soumit  toute  sa  vie  : 

«Une  âme  qui  n'a  pas  entièrement  rompu  avec  les 
«  vanités  du  monde  ne  goûtera  jamais  les  pures  jouis- 
aï  sances  du  ciel. 

<x  Connais-toi  toi-même,  voilà  le  seul  moyen  infaillible 
«  pour  marcher  ferme  et  droit  dans  les  sentiers  de  la 
«  vertu. 

«  Ne  prononce  jamais  de  paroles  légères  ou  irréfléchies, 
«  et  mûris  tes  pensées  au  fond  de  ton  cœur. 

«  Sois  toujours  intimement  persuadé  que  tout  autre 
«  que  toi,  avec  les  grâces  dont  Dieu  t'a  comblé,  se  serait 
«  avancé  plus  loin  que  toi-même  dans  la  voie  de  la  justice 
«  et  delà  perfection. 

«  La  confiance  en  Dieu  dans  l'adversité,  c'est  la  plus 
«  grande  faveur  que  le  Seigneur  puisse  accorder  à  ceux 
a  qui  le  servent  bien. 

a  Quand  tu  seras  malheureux,  ne  va  pas  gémir  auprès 
«  des  hommes  ;  adresse  à  Dieu  tes  prières,  et,  comme  le 
«  Sauveur  sur  sa  croix,  invoque  le  Père  éternel  dans  tes 
«  disgrâces. 

«  Apprends  d'abord  à  bien  supporter  tes  propres  souf- 


512  XXX  JUIN 


«  frances,  avant  de  demander  au  Très-Haut  qu'il  y  ajoute 
a  celles  de  Ion  prochain. 

«  Si,  en  méditant  sur  tes  infirmités,  tu  ne  te  sens  pas 
<*  devenir  plus  vertueux,  ne  t'en  prends  qu'à  ton  orgueil; 
«  car  le  Seigneur  ne  nous  envoie  des  épreuves  que  pour 
a  nous  purifier  et  nous  rendre  meilleurs. 

«  Sois  humble  et  tu  plairas  à  Dieu  ;  il  regarde  plus 
«  favorablement  ceux  qui  ont  pour  eux-mêmes  plus  de 
«  mépris  et  plus  de  dédain  ». 

Toute  la  vie  du  Père  Martin  n'est  pas  autre  chose  que 
la  mise  en  œuvre  de  ces  sages  préceptes.  Quand  il  eut 
prononcé  ses  vœux,  les  vertus  qu'il  avait  montrées  durant 
son  noviciat  allèrent  sans  cesse  s'affermissant  et  se  déve- 
loppant ;  et  Ton  peutdire  qu'il  fut  le  modèle  le  plus  accom- 
pli du  parfait  religieux.  Il  faisait  ses  délices  de  l'humi- 
lité, et  ne  manquait  jamais  une  occasion  de  s'abaisser  aux 
yeux  de  ses  frères.  On  le  voyait  retiré  dans  quelque  coin 
sombre  de  la  chapelle,  à  genoux  sur  la  pierre,  se  frap- 
pant la  poitrine  et  répéiant  :  «  Seigneur,  je  suis  indigne 
«  d'habiter  dans  cette  demeure  et  de  porter  la  robe  des 
a  religieux  ».  Parce  qu'il  éprouvait  encore  à  de  longs 
intervalles  de  petites  défaillances,  il  se  considérait  comme 
le  plus  grand  pécheur  de  la  terre  ;  et,  semblable  à  un  cou- 
pable qui  vient  de  commettre  un  crime  et  qui  n'ose  plus 
se  montrer  parmi  les  hommes,  il  se  dérobait  aux  regards 
de  ses  frères.  Les  profonds  abîmes  de  perversité  et  de 
corruption  qu'il  croyait  voir  en  lui-même  l'effrayaient,  et 
il  avait  conçu  une  telle  horreur  du  péché,  qu'avec  toutes 
ses  vertus,  il  ne  se  trouvait  pas  meilleur  qu'autrefois, 
lorsqu'il  donnait,  à  Salamanque,  l'exemple  de  la  débau- 
che. «  Je  suis  semblable  à  la  reine  de  Saba  » ,  disait-il,  «  qui 


LE  BIENHEUREUX   PÈRE  MARTIN   BELSUNGE.  513 

«  voyait  toutes  les  richesses  de  Salomon  sans  en  avoir  sa 
«  part;  je  comprends  ce  qu'est  la  vertu,  et  je  ne  peux  y 
«  atteindre  ».  Ou  bien  encore  il  se  comparait  à  une 
pauvre  femme  qui,  vêtue  de  misérables  haillons,  vou- 
drait porter  des  bijoux  et  des  vêtements  somptueux. 
«  Seigneur,  Seigneur  »,  répétait-il  souvent,  «  que  suis-je 
«  devant  vous  ?  Le  néant  devant  l'infini  !  » 

Cette  humilité  excessive  l'empêcha  toujours  d'accepter 
aucune  dignité,  et  il  attachait  si  peu  d'importance  aux 
distinctions  honorifiques,  qu'après  les  réunions  des  cha- 
pitres il  ne  savait  jamais  et  ne  désirait  pas  savoir  les 
noms  dis  élus.  Ce  qu'il  ambitionnait,  c'étaient  les  souf- 
frances, les  injures,  les  outrages;  être  foulé  aux  pieds, 
être  conspué,  méprisé,  honni  par  sesfrères,  qu'il  regar- 
dait comme  des  anges  de  vertu,  voilà  le  plus  ardent  de  ses 
vœux. 

Il  fut  fort  éprouvé  sur  la  fin  de  sa  vie  par  des  maladies 
de  toutes  sortes  ;  jamais  cependant  on  ne  l'entendit  se 
plaindre;  il  se  soumettait  humblement  à  la  volonté  de 
Dieu,  persuadé  que  la  Providence  sait  mieux  que  nous 
ce  qui  peut  nous  être  utile. 

Une  autre  vertu  du  bienheureux  Martin,  c'est  sa  con- 
fiance en  Dieu.  Sa  devise  était  :  «  souffrir  et  espérer  ». 
Dans  ses  épreuves,  il  fixait  toujours  les  yeux  sur  la  croix, 
et  en  se  rappelant  la  passion  du  Sauveur,  mort  pour  les 
hommes,  il  attendait  avec  résignation  la  fin  de  ses  propres 
douleurs  et  la  récompense  promise. 

Il  était  aussi  soumis  à  ses  supérieurs  qu'à  Dieu  lui- 
même.  Un  enfant  ne  se  fût  pas  montré  plus  souple,  plus 
facile  à  diriger,  plus  prompt  à  recevoir  les  bons  enseigne- 
ments, plus  incapable  de  manifester  la  moindre  volonté. 

Ijalm.  Séraph.  —  Tome  VI.  33 


514  XXX  JUIN. 

Il  semble  qu'il  éprouvait  le  besoin  d'obéir  et  de  faire  acte 
de  soumission  à  quelqu'un.  La  plus  grande  preuve  qu'il 
ait  donnée  de  cette  vertu,  c'est  la  docilité  avec  laquelle  il 
accomplissait  les  devoirs  qui  lui  étaient  le  plus  pénibles  : 
prêcher  et  confesser.  Et  pourtant  quelles  conversions  il 
eût  provoquées,  que  de  pécheurs  il  aurait  ramenés  au 
bien,  si,  par  un  excès  de  modestie,  il  ne  se  fût  tenu 
dans  l'ombre,  s'il  avait  essayé  plus  souvent  de  commu- 
niquer et  de  répandre  autour  de  lui  les  sentiments  dont  il 
était  lui-même  pénétré.  Il  a  exercé  sur  les  âmes  de  ceux 
qu'il  avait  consenti  à  diriger  la  plus  salutaire  influence  ;  et 
plus  d'un  pénitent  lui  doit  d'avoir  suivi  le  droit  chemin 
et  échappé  aux  périls  de  ce  monde  de  ténèbres.  C'est  ce 
que  ses  supérieurs  avaient  fort  bien  compris  ;  et  voilà 
pourquoi  ils  firent  toujours  tous  leurs  efforts  pour 
étendre  à  plus  de  fidèles  cette  bienfaisante  autorité  ; 
mais  que  répondre  à  un  prêtre  qui  vous  dit  avec  un 
accent  d'une  conviction  profonde  :  «  Misérable  pécheur 
«  que  je  suis,  comment  voulez-vous,  mon  Père,  quand 
«  je  puis  à  peine  me  diriger  moi-même,  que  je  prenne 
«  charge  d'âmes  et  que  je  montre  à  d'autres  le  chemin 
«  du  ciel,  où  je  ne  suis  pas  assuré  de  marcher  moi- 
«  même  ». 

CHAPITRE  III. 

SOMMAIRE  :  La  paix  descend  enfin  dans  l'âme  du  bienheureux  Martin.  —  Se9 
austérités.  —  Ses  prières  et  ses  méditations.  —  Célestes  extases.  —  La  sainte 
Vierge  et  les  saints  lui  apparaissent  à  plusieurs  reprises.  —  Charité  chrétienne.  — 
Dernières  années  de  sa  vie.  —  Comment  il  se  prépare  à  paraître  devant  Dieu.  — 
Douleur  générale  des  habitants  de  Grenade  à  la  nouvelle  de  sa  mort.  —  Miracles 
qui  l'accompagnent. 

Si  la  perfection  était   de  ce  monde,  le  bienheureux 
Père  Martin  y  aurait  atteint  ;  entre  tous  ceux  qui  s'en 


LE  BIENHEUREUX  PERE  MARTIN  BELSUNGE.  515 

sont  approchés,  il  faut  le  placer  presque  au  premier 
rang.  Ce  qui  le  prouve,  c'est  la  confiance  en  ses  propre? 
forces  qu'il  acquit,  lui,  le  religieux  modeste,  l'humilité 
personnifiée,  dans  les  dernières  armées  de  sa  vie.  Le 
démon,  après  en  avoir  fait  sa  proie  pendant  quelque 
temps,  n'avait  plus  prise  sur  lui  et  ne  réussissait  même 
plus  à  l'effrayer.  Son  âme  goûtait  déjà  la  paix  de  l'éter- 
nité, juste  récompense  de  victoires  achetées  par  une 
lutte  de  tous  les  instants.  Il  semblait  que  le  bienheureux 
ne  vivait  plus  de  la  vie  de  ce  monde,  qu'il  n'éprouvait 
plus  les  sentiments  dont  tous  les  hommes  sont  agités,  ni 
les  besoins  qui  les  attachent  en  quelque  sorte  à  la  terre 
et  à  la  matière.  Son  âme  était  pour  ainsi  dire  débarrassée 
de  son  corps. 

C'est  à  force  d'austérités  et  de  mortifications  qu'il  avait 
obtenu  ce  grand  résultat  ;  c'est  pour  s'être  nourri  de  pain 
et  d'eau  ,  pour  avoir  fait  couler  son  sang  sous  les  coups 
de  discipline,  pour  avoir  jeûné,  pour  avoir  veillé, 
pour  avoir  couché  sur  la  dure  et  marché  pieds  nus, 
qu'il  était  devenu  si  semblable  aux  Anges  qui  entourent 
le  trône  de  Dieu. 

C'est  aussi  pour  avoir  prié.  La  prière  l'avait  sauvé 
autrefois  et  retiré  de  l'abîme  ;  la  prière  l'éleva  par  la 
suite  sur  les  sommets  sereins  de  la  vertu  et  de  la  foi.  Il 
avait  reçu  de  Dieu  ce  don  merveilleux  de  la  méditation, 
par  laquelle  l'âme  s'épure  sans  cesse  et  se  montre  digne 
d'être  ce  qu'elle  est  en  effet,  la  ressemblance  imparfaite, 
il  est  vrai,  mais  enfin  la  ressemblance  de  son  Créateur. 
Retiré  dans  sa  cellule,  d'où  il  ne  sortait  guère  que  pour 
aller  à  la  chapelle  ou  pour  accomplir  ses  œuvres  de  cha- 
nté, il  méditait  à  genoux,  la  tête  dans  ses  mains,  sur 


516  XXX  JUIN. 

l'infinie  majesté  de  Dieu  et  le  néant  de  l'humanité.  Le 
jour,  en  dehors  des  offices,  la  nuit,  quand  il  avait  pris 
une  ou  deux  heures  de  repos,  il  priait,  et  l'on  peut  dire 
que,  pendant  plus  de  quarante  ans,  il  eut  sans  cesse  devant 
les  yeux  la  grande  image  du  Très-Haut. 

Il  avait  dans  l'efficacité  de  la  prière  une  inaltérable 
confiance,  et  il  en  parlait  avec  une  éloquence  qui  faisait 
couler  les  larmes.  La  dévotion  qu'il  avait  témoignée  dès 
sa  jeunesse  pour  la  bienheureuse  Vierge  Marie  était 
devenue  plus  vive  et  avait  toujours  été  en  croissant.  11 
récitait  chaque  jour  plusieurs  rosaires  en  son  honneur  et 
s'agenouillait  devant  toutes  ses  images.  Il  excitait  tous 
ses  pénitents  à  placer  leur  espoir  en  Marie,  et  il  obtint 
ainsi  des  résultats  merveilleux  ;  elle  était  son  remède 
contre  les  plus  grands  dangers,  sa  consolation  suprême 
dans  l'affliction,  son  port  dans  la  tempête,  sa  tour  d'i- 
voire, la  porte  par  laquelle  il  espérait  un  jour  entrer  dans 
le  royaume  des  élus.  Elle  lui  apparut  souvent  tenant  son 
divin  Fils  entre  ses  bras ,  et  ces  visions,  trop  rares  au 
gré  du  Père  Martin,  lui  causaient  une  infinie  jouissance. 

Le  bienheureux  Martin  reçut  aussi  fréquemment  la 
visite  des  habitants  du  royaume  des  cieux,  qui  venaient 
s'entretenir  avec  lui  de  l'état  de  son  âme,  lui  parler  de 
la  céleste  patrie  et  soutenir  son  courage  quand  il  s'affai- 
blissait. Le  saint  Père  François ,  en  particulier ,  fut 
comme  son  conseiller  dans  l'autre  monde,  et  saint  Antoine 
vint  souvent  frapper  à  sa  porte,  en  murmurant  :  Deo 
gratias.  Saint  Pascal,  que  Martin  appelait  son  pasteur, 
et  saint  François  de  Paule,  fondateur  des  Minimes,  l'un 
des  maîtres  spirituels  du  bienheureux,  lui  apparurent 
souvent  ;  ce  dernier  lui  donna  une  brebis  blanche,  qui 


LE  BIENHEUREUX  PÈRE  MARTIN  BELSUNCE.  517 

fut  par  la  suite  la  compagne  inséparable  du  bon  Père.  Il 
faut  citer  aussi  l'apôtre  saint  Paul,  sainte  Marie-Made- 
leine, saint  Augustin,  saint  Thomas  d'Aquin,  saint 
Bruno,  sainte  Thérèse,  saint  Ignace,  saint  François 
Xavier,  etc.,  dont  l'amitié  et  la  protection  ne  firent  jamais 
défaut  au  Père  Martin. 

Ce  grand  amour  de  Dieu  dont  le  bienheureux  était 
animé  se  reporta  naturellement  sur  ceux  dont  le  Sei- 
gneur a  dit  :  «  Bienheureux  ceux  qui  souffrent,  parce 
«  qu'ils  seront  consolés  ».  Il  aimait  les  pauvres,  les  ma- 
lades, les  malheureux,  tous  ceux  en  général  que  le 
monde  rebute,  et  qu'il  rejette  de  son  sein.  Il  visitait  les 
prisonniers  dans  leurs  cachots,  et  leur  apportait,  avec 
les  secours  physiques  dont  ils  avaient  besoin,  les  con- 
solations de  la  religion,  qui  leur  faisaient  plus  encore  dé- 
faut. Il  quêtait  pour  eux,  et  il  demandait  l'aumône  avec 
des  paroles  si  touchantes,  que  les  cœurs  les  plus  durs 
s'adoucissaient.  A  sa  demande  beaucoup  de  riches  per- 
sonnages recueillirent  chez  eux  de  pauvres  orphelins 
et  les  élevèrent  comme  s'ils  eussent  été  leurs  propres 
enfants. 

Après  avoir  raconté  les  faveurs  si  nombreuses  dont 
Dieu  combla  le  bienheureux  Martin,  il  est  presque  inu- 
tile d'ajouter  qu'il  reçut  aussi  le  don  de  lire  dans  les 
consciences  et  celui  d'accomplir  des  miracles.  Par  là,  il 
provoqua  des  conversions  encore  indécises,  et  l'autorité 
morale  que  lui  avaient  acquise  ses  vertus,  s'accrut  encore 
et  étendit  au  loin  son  influence. 

Cependant  la  fin  de  sa  vie  si  agitée  dans  ses  débuts, 
mais  plus  tard  si  calme  et  si  féconde  en  bonnes  œuvres, 
approchait  rapidement.  Huit  mois  avant  sa  mort,  l'enfant 


518  XXX  JUIN. 

Jésus  lui  apparut  pour  lui  en  annoncer  le  jour,  et  comme 
le  bienheureux  lui  demandait  s'il  mourait  en  état  de 
grâces  :  «N'appelez  pas  mourir»,  luidit-il?  «ce  qui  n'est 
«  que  commencer  de  vivre  ;  d'ailleurs,  je  resterai  avec 
«  vous  jusqu'à  la  fin,  comme  vous  êtes  demeuré  avec 
«  moi  ».  Cette  terrible  pensée  de  l'impénitence  finale  lui 
revenait  sans  cesse  à  l'esprit,  et  il  fallut  que  Dieu  vînt 
plusieurs  fois  calmer  ses  inquiétudes.  Il  demanda  aussi 
et  obtint  la  promesse  que  sa  dernière  maladie  serait 
courte  ;  il  avait  peur  d'être  à  charge  à  ses  frères. 

Quand  arriva  la  date  indiquée  par  le  Seigneur,  Martin 
songea  à  se  bien  préparer  au  solennel  passage  de  l'éter- 
nité. Il  fit  à  plusieurs  reprises  l'aveu  général  de  toutes 
ses  fautes,  reçut  l'Extrême-Onction  et  communia  le  len- 
demain. Puis  il  demeura  plusieurs  heures  sans  mot  dire, 
les  yeux  fixés  sur  un  point  de  l'espace  où  il  paraissait 
contempler  un  spectacle  magnifique  ;  car  sa  figure  témoi- 
gnait une  félicité  céleste.  Enfin  il  expira  en  murmurant 
le  nom  de  Marie,  au  milieu  des  sanglots  de  ses  frères  qui 
chantaient  à  travers  leurs  larmes  les  litanies  de  la  très- 
sainte  Vierge.  C'était  à  Grenade,  le  30  juin  1651  ;  Martin 
était  âgé  de  soixante-dix-neuf  ans  ;  il  y  avait  cinquante 
ans  qu'il  était  prêtre  et  trente-six  ans  qu'il  était  entré 
dans  l'Ordre  de  Saint-François. 

A  l'heure  même  où  il  expira,  il  apparut  à  une  véné- 
rable veuve  de  Malaga,  qui  lui  avait  souvent  demandé 
des  conseils  pendant  sa  vie,  et  que  cette  vision  récom- 
pensa ainsi  de  l'affection  qu'elle  lui  avait  toujours  té- 
moignée. 

Ce  fut  dans  toute  la  ville  de  Grenade  une  douleur  uni- 
verselle. Les  rues  étaient  oléines  d'une  foule  triste  ef 


LE  BIENHEUREUX  PÈRE  MARTIN  RELSUNCE.  319 

recueillie,  qui  se  rendait  au  couvent  en  répétant  :  «  Le 
«  saint  Père  Martin  est  mort  ;  allons  voirie  saint  !  »  Mar- 
tin Carillo,  archevêque  de  Grenade,  pleurait  à  chaudes 
larmes  comme  s'il  eût  perdu  l'un  de  ses  frères.  Mais 
lorsque,  en  arrivant  auprès  du  lit  de  parade  où  était  exposé 
le  mort,  on  vit  sa  belle  figure  noble  et  souriante,  les 
rides  de  son  front  effacées,  et  la  sérénité  qui  se  peignait 
dans  tous  ses  traits,  la  tristesse  générale  fit  place  à  la  joie 
et  à  l'espérance.  Personne  ne  douta  que  l'âme  du  saint 
n'habitât  déjà  les  célestes  régions  réservées  aux  élus.  On 
baisait  ses  pieds  et  ses  mains,  on  plaçait  sur  son  corps, 
pour  les  sanctifier  par  ce  contact  sacré,  des  anneaux,  des 
chapelets,  des  crucifix;  on  emportait  comme  de  pré- 
cieuses reliques  des  lambeaux  de  ses  vêtements. 

En  même  temps  des  miracles  s'accomplissaient  autour 
du  corps;  Madame  Agnès  de  Vivar,  aveugle  depuis  deux 
ans,  recouvra  la  vue  en  baisant  les  pieds  du  bienheu- 
reux ;  un  morceau  de  sa  robe  guérit  d'un  grand  mal  de 
gorge  Madame  Béatrix  de  Barahona  ;  un  autre  rendit  à 
la  santé  et  à  la  vie  Léonora  Malguizo,  dont  les  méde- 
cins désespéraient  et  qui  allait  recevoir  les  derniers 
sacrements. 

La  cérémonie  des  funérailles  eut  lieu  quelques  jours 
après  la  mort,  et  l'éclat  en  fut  relevé  par  de  nouveaux 
prodiges. 

{Chron.  de  la  prov.  de  Saint- Jean-Bapt.) 


5'20  XXX  JUIN. 


CLAIRE   DE   GATANE 

VEUVE,    DU   TIERS    ORDRE 
1617.  —  Pape  :  Paul  V.  —  Roi  de  France  :  Louis  XIII. 


SOMMAIRE  :  Pieuse  jeunesse  de  Claire  de  Catane.  —  Sa  mère  lui  fait  épouser  un 
jeune  homme  dissipé  et  mondain.  —  Devenue  veuve,  elle  quitte  sa  famille  pour 
se  consacrer  à  Dieu.  —  Elle  se  retire  d'abord  à  Alicata,  puis  à  Palerme.  —  Ses 
vertus.  —  Ses  austérités.  —  Faveurs  qu'elle  reçoit  du  Seigneur.  —  Sa  mort. 


Cette  bienheureuse  veuve  naquit  à  Catane,  en  Sicile, 
de  parents  nobles.  Dès  sa  jeunesse,  elle  donna  les  plus 
belles  espérances  ;  elle  montra  une  piété  ardente,  et  en 
particulier  une  grande  dévotion  au  Très-Saint-Sacrement 
de  l'autel.  Elle  passait  une  partie  du  jour  et  de  la  nuit 
en  prières,  et  se  préparait  par  d'austères  disciplines  à  la 
vie  religieuse  qu'elle  voulait  embrasser  un  jour. 

Mais  comme  elle  était  fille  unique  et  que  ses  deux 
frères  faisaient  partie  de  l'Ordre  de  Malte,  sa  mère  s'op- 
posa à  ses  projets  et  la  maria  à  un  noble  seigneur  de 
Léontino,  mais  dont  les  vertus  étaient  loin  d'égaler  la 
noblesse.  Obligée  de  se  lancer  au  milieu  du  tourbillon 
des  plaisirs  et  des  fêtes,  elle  garda  la  pureté  première  do 
son  âme  et  le  calme  que  donne  une  bonne  conscience. 
Elle  en  retira  de  plus  un  grand  bien  ,  le  dégoût  du 
monde  et  le  mépris  de  ses  vanités. 

Restée  veuve  avec  une  enfant  de  six  mois,  elle  eut  le 
triste  courage  de  l'abandonner,  pour  aller  se  consacrer 
à  Dieu  dans  une  maison  religieuse.  Il  est  vrai  qu'elle 
laissait  à  la  pauvre  orpheline  une  fortune  immense,  et 


CLAIRE  DE  CATANE,  VEUVE.  521 

qu'elle  la  recommandait  à  ses  parents  par  une  lettre 
fort  touchante. 

C'est  à  Alicata  que  se  rendit  d'abord  la  jeune  veuve. 
Elle  y  passa  neuf  années  en  compagnie  de  pieuses 
femmes  et  y  mena  une  "vie  exemplaire.  Tout  son  temps 
était  consacré  à  des  exercices  de  piété  ou  à  des  œuvres 
de  charité.  Restée  seule  après  la  mort  de  ses  compagnes, 
avec  une  sainte  fille  du  Tiers  Ordre,  elle  se  rendit  à  Pa- 
ïenne pour  éviter  les  respects  que  ses  vertus  bien  con- 
nues lui  attiraient  à  Alicata,  et  pour  vivre  dans  la  retraite 
et  la  solitude. 

Elles  habitaient  une  petite  chaumière  située  en  dehors 
delà  ville;  afin  d'accomplir  plus  facilement  leurs  devoirs 
de  piété,  elles  vinrent  demeurer  sous  les  murs  du  cou- 
vent de  Sainte-Marie-de-Jésus,  situé  à  une  lieue  de  Pa- 
ïenne. Une  noble  dame  de  la  ville,  nommée  Innocentia 
Lazzara,  prenait  soin  deleur  faire  parvenir  tous  les  jours 
ce  qui  leur  était  nécessaire. 

C'est  dans  cette  humble  retraite  que  la  bienheureuse 
Claire  passa  toute  la  seconde  partie  de  sa  vie.  Là,  pour 
expier  les  quelques  mois  qu'elle  avait,  malgré  elle,  gas- 
pillés au  milieu  du  monde,  elle  couchait  sur  la  terre 
nue,  portait  un  cilice  garni  de  pointes,  marchait  nu- 
pieds,  vivait  de  pain  et  d'eau,  jeûnait,  veillait,  se  frappait 
de  coups  de  discipline.  Sa  fille  unique  ayant  eu  connais- 
sance du  lieu  de  sa  retraite,  essaya  de  la  faire  revenir 
auprès  d'elle  et  lui  promit  d'ailleurs  de  la  laisser  vivre 
à  sa  fantaisie.  Claire  s'y  refusa,  et  par  un  effort  suprême, 
triomphant  des  dernières  faiblesses  de  la  nature  de  mère, 
elle  demeura  dans  sa  solitude. 

Elle  fut  récompensée  de  cette  extrême  piété  pur  des 


522  XXX  JUIN. 

faveurs  spéciales.  Dieu  permit  que  les  saints  et  les  Anges 
vinssent  la  visiter  souvent  ;  il  lui  accorda  aussi  le  don  de 
seconde  vue  et  le  pouvoir  d'accomplir  des  miracles. 
Enfin  il  lui  fit  connaître  à  l'avance  le  jour  de  sa  mort. 
Un  jour  qu'elle  se  rendait  chez  sa  bienfaitrice,  Innocentia 
Lazzara,  elle  sentit  les  forces  lui  manquer  et  ne  put  pro- 
noncer que  ces  mots  :  oc  Voilà  ma  dernière  maladie  qui 
«  commence  ;  ma  sœur,  c'est  chez  vous  que  je  vais 
a  mourir  ».Elle  prit  le  lit,  et  depuis  ce  moment  jusqu'à 
sa  mort  elle  endura  d'atroces  souffrances.  Il  lui  semblait 
qu'un  feu  intérieur  consumait  peu  à  peu  ses  chairs.  Elle 
reçut  les  derniers  Sacrements  avec  beaucoup  de  piété,  et 
mourut  en  répétant  la  réponse  des  litanies  de  la  Vierge  : 
a  Ora  pro  nobis,  Marie,  Mère  de  Dieu,  priez  pour  nous  ». 
(30  juin  1617.) 

Elle  fut  ensevelie  dans  le  caveau  réservé  aux  sœurs 
du  Tiers  Ordre.  Des  miracles  s'accomplirent  par  son  in- 
tercession. 

(Citron,  de  la  prov.  de  Sicile.) 


SUPPLÉMENT 


DOUZIEME    JOUR    DE    JUIN 

LA  VÉNÉRABLE  FLORIDA  GEVOLI 

DE   L'ORDRE   DES  CAPUCINES 

1767.  —  Pape  :  Clément  XIII.  —  Roi  de  France  :  Louis  XV. 


SOMMAIRE  :  Origine  et  enfance  de  la  vénérable  Florida.  —  Ses  heureu  es 
qualité?.  —  Sa  beauté  physique.  — Un  instant  de  faiblesse.  —  Elle  entre  dans  un 
couvent  de  Capucines.  —  Son  noviciat.  —  Ses  vertus.  —  Elle  est  nommée 
abbesse.  —  Austérité. —  Humilité. —  Charité  et,  dévotion  de  Florida. —  Sa  patience 
dans  les  maladies.  —  Elle  reçoit  les  dons  de  seconde  vue,  de  prophétie  et  de 
guérison.  —  Sa  dernière  maladie  et  sa  mort.  —  Enquête  sur  sa  vie  et  ses  mira- 
cles. 


Florida  était  la  fille  du  comte  Curtius  Cevoîi  de  Pise  et 
de  la  comtesse  Laure  deî!a  Scta  ;  elle  naquit  à  Pise 
le  11  novembre  1685,  et  reçut  au  baptême  les  noms  de 
Lucrèce-Hélène. 

Elle  montra  dès  sa  plus  tendre  enfance  d'heureuses 
dispositions  j  à  deux  ans,  sa  piété  touchante  tirait  les 
larmes  des  yeux  des  personnes  qui  la  voyaient  prier.  Ses 
petites  mains  jointes,  elle  marmottait  de  sa  voix  douce 
les  noms  de  Jésus  et  de  Marie  ;  elle  se  plaisait  déjà  à 
couronner  de  fleurs  l'image  de  la  Mère  de  Dieu.  A  quatre 
ans,  elle  entendit  un  jour  prêcher  un  missionnaire  ef 


524  SUPPLÉMENT.   —   XII  JUIN. 

voulut  comme  lui  être  habillée  de  noir.  Il  semble  qu'elle 
eût  déjà  compris  que  ceux  qui  portaient  ainsi  ces 
sombres  vêtements  servaient  mieux  leur  Créateur  que 
les  autres  hommes. 

En  avançant  en  âge,  Lucrèce  ne  lit  que  développer  les 
heureux  germes  que  la  nature  avait  mis  en  elle.  Elle 
était  un  ^modèle  de  douceur  et  de  bonté  envers  les 
domestiques  de  la  maison  ,  de  chanté  chrétienne  à 
l'égard  des  pauvres  et  des  malheureux.  On  l'appelait 
l'Ange  de  Pise,  et  jamais  nom  ne  fut  mieux  mérité  ; 
candide  ,  naïve  et  compatissante,  elle  paraissait  être 
quelque  habitant  du  ciel  descendu  sur  la  terre.  Sa 
figure  prêtait  encore  à  l'illusion  :  des  traits  réguliers  et 
fins,  un  teint  mat  et  presque  éblouissant  de  blancheur, 
des  yeux  bleus,  des  cheveux  blonds  ;  on  ne  pouvait 
la  voir  sans  l'aimer. 

Cette  beauté  merveilleuse  faillit  la  perdre.  A  force 
d'entendre  dire  de  tous  côtés  qu'elle  était  belle,  elle  eut 
la  curiosité  de  vouloir  s'en  rendre  compte  par  elle- 
même  ;  un  jour,  pour  la  première  fois,  elle  se  regardadans 
un  miroir,  et  aussitôt  elle  fut  de  l'avis  de  tout  le  monde 
et  trouva  qu'en  effet  personne  ne  lui  pouvait  être  com- 
paré. Du  coup,  elle  était  devenue  coquette  et  vaniteuse: 
c'en  était  fait  d'elle,  si  Dieu  n'avait  veillé  sur  son  âme 
qu'il  voulait  conserver  pure  de  toute  souillure.  Comme 
elle  s'admirait  elle-même  dans  son  miroir,  elle  y  aperçut 
tout  à  coup  à  côté  de  sa  figure  souriante  le  visage  affligé 
de  la  Vierge  Marie  ;  en  même  temps  une  voix  se  fit 
entendre,  qui  disait  :  «  Eh  quoi,  ma  fille,  cèdes-tu  déjà 
a  aux  conseils  de  l'esprit  du  mal  ?  Ce  n'est  pas  de  la 
9  beauté  du  corps  qu'une  servante  du  Seigneur  doits'oc- 


LA   VÉNÉRABLE  FLORIDA  CEVOLI.  5ÎjS 

«  cuper,  c'est  delà  beauté  de  l'âme.  Songes-y  bien,  c'est 
«  de  celle-là  seule  que  l'on  tient  compte  dans  le  ciel  » . 

Ces  paroles  doucement  sévères  rappelèrent  la  jeune 
fille  à  ses  devoirs  ;  elle  rejeta  loin  d'elle  le  miroir 
funeste,  et  se  promit  à  elle-même  de  ne  plus  songer  qu'à 
embellir  son  âme.  Elle  tint  parole  ;  à  partir  de  ce 
moment  sa  piété  redoubla  ;  peu  à  peu  elle  se  sentit  invin- 
ciblement attirée  vers  Dieu,  et  le  vague  désir  qu'elle 
avait  conçu  dans  son  enfance  de  se  consacrer  à  lui, 
s'affirma  chaque  jour  et  finit  par  devenir  une  résolution 
fortement  arrêtée.  L'Ordre  religieux  qui  l'attirait  le 
plus  était  l'Ordre  le  plus  sévère,  celui  des  Capucins. 

Deux  de  ses  sœurs  avaient  déjà  pris  le  voile  ;  aussi, 
quand  elle  communiqua  son  projeta  ses  parents, ceux-ci, 
qui  auraient  désiré  la  garder  auprès  d'eux,  s'en  mon- 
trèrent vivement  affligés.  Cependant,  par  une  douce 
obstination,  elle  parvint  à  triompher  de  leur  opposition, 
et  comme,  bien  qu'encore  très-jeune,  elle  avait  une 
raison  droite  et  une  volonté  forte,  elle  obtint  la  per- 
mission dont  elle  avait  besoin.  Grande  fut  sa  joie  : 
«  Adieu,  monde»,  s'écria-t-elle,  «adieu  vous  tous  que  j'ai 
«  connus  ,  nous  nous  retrouverons  en  Paradis  ». 

C'est  le  8  juin  1703  qu'elle  reçut  le  voile  des  mains  de 
Monseigneur  Luc-Àntoine-Eustache  ,  évêque  de  Pise. 
Le  40  juin  1704,  après  un  noviciat  exemplaire,  elle 
prononça  ses  vœux  et  se  trouva  pour  jamais  fiancée  au 
Fils  de  Dieu  :  elle  s'appela  depuis  sœur  Florida. 

La  bienheureuse  servante  du  Seigneur  avait  vingt  ans 
à  peine,  et  cependant  ses  vertus  admirables  faisaient 
déjà  l'étonnement  des  vieilles  religieuses.  Elle  s'as- 
treignait aux   austérités  de   la    règle  avec    une   telle 


a2G  SUPPLÉMENT.  —  XII  JUIN. 

facilité,  qu'on  eût  dit  qu'elle  en  avait  pris  l'habitude  dès 
sa  plus  tendre  jeunesse.  Elle  était  la  plus  humble  entre 
les  humbles,  la  plus  obéissante  entre  les  obéissantes,  la 
plus  pieuse  entre  les  pieuses.  Son  visage  angélique, 
toujours  calme  et  serein,  reflétait  sa  belle  âme  ;  jamais 
le  plus  léger  pli  n'en  venait  rider  la  surface.  Elevée  au 
sein  de  la  richesse,  accoutumée  à  être  servie,  elle  devint 
tout  d'un  coup,  sans  effort,  la  servante  de  ses  sœurs  ; 
elle  réclamait  pour  elle  les  ouvrages  les  plus  fatigants, 
et  ses  blanches  mains  se  couvrirent  de  callosités  à  manier 
la  bêche  dans  le  jardin  et  à  faire  la  cuisine. 

Quand  elle  était  encore  dans  sa  famille,  elle  avait, 
comme  toutes  les  jeunes  filles,  aimé  les  belles  parures  et 
les  bijoux  ;  religieuse,  elle  ne  posséda  jamais  qu'une 
seule  robe,  si  vieille,  si  usée,  si  rapiécée,  que  Lles  mor- 
ceaux semblaient  ne  pouvoir  tenir  ensemble  que  par  un 
miracle. 

Que  dire  de  sa  soumission  à  ses  supérieures  et  à  son 
confesseur  ?  Elle  avait  fait  abstraction  de  toute  volonté 
personnelle  ;  elle  ne  vivait,  pour  ainsi  dire,  que  parce 
qu'on  lui  ordonnait  de  vivre:  a  Avec  l'obéissance  », 
disait-elle  souvent,  «  on  est  capable  de  tout  ». 

En  1727,  après  la  mort  de  la  mère  Véronique,  elle  fut 
élevée  à  la  dignité  d'abbesse,bien  qu'elle  s'y  refusât  de 
toutes  ses  forces  et  qu'elle  déclarât  tout  haut  qu'elle 
était  la  dernière  à  qui  cet  honneur  dût  être  confié.  Ce 
lui  fut  une  raison  de  s'humilier  davantage  encore,  s'il 
était  possible.  Une  religieuse  lui  disait  un  jour  :  o  Mère 
«  abbesse,vous  mettez  tant  d'insistances  à  vous  mortifier 
«  vous-même,  qu'il  semble  que  vous  n'êtes  pas  bénie  de 
«  Dieu  ».  —  c  Je  porte  ma  croix  »,  répondit-elle  ;  «  qui 


LA  VÉNÉRABLE  FLORIDA  CEVOLI.  527 

«  de  nous  peut  se  vanter  de  la  porter  sans  faiblir  ?  Mais 
«  je  sais  que  Dieu  ne  veut  pas  la  mort  du  pécheur,  et 
«j'espère  en  sa  divine  assistance  ».  Et  elle  ajouta: 
«  Puissé-je  souffrir  beaucoup  en  cette  vie  !  ce  me  sera 
«  une  garantie  que  je  serai  heureuse  dans  l'autre  ». 

Le  Seigneur  exauça  cette  prière,  qu'elle  lui  adressait 
souvent  du  plus  profond  de  son  cœur.  Douleurs  physi- 
ques et  morales,  rien  ne  lui  manqua,  et  elle  s'en  montra 
joyeuse:  «  Heureux  ceux  qui  souffrent  »,  répétait-elle 
souvent,  «  parce  qu'ils  seront  consolés  ».  La  consolation 
dès  ce  monde,  c'était  pour  elle  la  sainte  communion. 
Elle  s'approchait  de  la  sainte  Table,  aussi  souvent  qu'elle 
le  pouvait  ;  il  semblait  qu'elle  fût  toujours  affamée  du 
pain  des  Anges  :  a  Quelle  heure  est-il  »,  demandait-elle 
un  jour  à  une  religieuse  ?  —  «  Dans  deux  heures,  ma 
«  mère,  nous  entendrons  la  sainte  messe  ».  —  a  Hélas  !  tout 
«  ce  temps  encore  1  que  c'est  long  !  Hâtez-vous,  mon 
«  Jésus,  je  ne  peux  plus  attendre  ». 

On  conçoit  facilement  que  le  Seigneur  ait  voulu  récom- 
penser tant  de  vertus  et  donner  à  cette  vie  si  belle  une 
auréole  de  miracles.  L'existence  de  la  glorieuse  Florida 
fut  pourainsi  dire  une  suite  non  interrompue  de  prodiges. 
Elle  reçut  les  dons  de  seconde  vue,  de  prophétie  et  de 
guérison. 

Une  de  ses  religieuses  était  souffrante  ;  elle  alla  la  visi- 
ter :  «  Préparez-vous  à  la  mort,  ma  sœur  »,  lui  dit-elle; 
«  votre  heure  est  proche  ».  —  «  Dieu  seul  le  sait  »,  reprit 
la  malade.  —  «  Préparez-vous  à  la  mort,  ma  sœur ,  de- 
«  main  nous  prierons  pour  vous  ».  En  effet,  elle  mourut 
ce  jour  même. 

La  renommée  de  sa  sainteté  s'était  répandue  dans 


528  SUPPLÉMENT.   —  XII  JUIN. 

l'Italie  tout  entière.  De  toutes  parts  on  accourait  au  cou- 
vent, on  lui  demandait  sa  puissante  intervention  ;  les 
malades  surtout,  les  pauvres,  tous  ceux  qui  souffraient 
avaient  recours  à  elle.  Comme  on  savait  qu'elle  était 
éclairée  de  l'Esprit  de  Dieu,  on  s'adressait  à  elle  dans  les 
circonstances  difficiles,  et  son  avis  faisait  loi  :  «  Sœur 
a  Florida  l'a  dit  »,  cela  voulait  dire  :  «  C'est  la  vérité  et  la 
«  raison,  il  n'y  a  plus  à  discuter  ».  On  conservait  comme 
des  reliques  les  lettres  qu'elle  écrivait,  et  on  se  trouvait 
plus  honoré  d'avoir  des  relations  avec  elle,  que  d'être 
l'ami  des  princes  et  des  grands  de  la  terre. 

La  bienheureuse  servante  du  Seigneur  parvint  ainsi  à 
un  âge  très-avancé,  toujours  bénie  de  Dieu,  toujours 
honorée  des  hommes.  Sa  dernière  maladie  fut  longue  et 
cruelle  ;  souvent  la  douleur  lui  arrachait  des  cris  ter- 
ribles :  «  Je  me  meurs,  je  n'en  puis  plus  I  assez,  mon 
«  Jésus,  assez,  soutenez-moi,  ayez  pitié  de  moi.  —  Sainte 
«  Marie,  ma  Mère,  priez  pour  moi  !  »  Ses  souffrances  se 
calmèrent  un  peu  quand  elle  eut  reçu  les  saintes  huiles 
et  le  saint  Viatique  ;  et  elle  put  mourir  doucement,  le 
matin  du  12  juin  4767,  entourée  de  ses  sœurs  qui  priaient 
auprès  de  son  lit  et  versaient  des  torrents  de  larmes. 
L'une  d'elles  prétendit  avoir  vu  son  âme  s'élever  au  ciel 
sous  la  forme  d'une  colombe  blanche  et  immaculée. 

Un  grand  concours  de  peuple  se  pressa  à  ses  funé- 
railles, et  des  miracles  s'accomplirent  sur  son  tombeau. 
En  1827,  l'archevêque  fit  faire  une  enquête  sur  sa  vie 
et  ses  vertus,  et  il  est  probable  que  la  cour  de  Rome 
consacrera  son  glorieux  souvenir  en  la  déclarant  bien- 
heureuse. 

(Lechner.) 


LE  VÉNÉRABLE  FRÈRE  ANDRÉ  DE  BURG10*.  529 

QUINZIÈME    JOUR    DE    JUIN 

FRÈRE  ANDRÉ  DE  BURGIO 

CAPUCIN 

1772.  —  Pape  :  Clément  XIV.  —  Roi  de  France  :  Louis  XVI. 


CHAPITRE  PREMIER. 

SOMMAIRE  :  Famille  d'André.  —  Piété  de  sa  mère.  —  Son  éducation.  —  Son 
enfance  et  sa  jeunesse  exemplaires.  —  Il  perd  successivement  tous  ses  parents  et 
conçoit  le  projet  de  se  faire  religieux.  —  Vision  qui  achève  de  le  décider.  —  Son 
entrée  dans  l'Ordre  des  Capucins.  —  Année  de  son  noviciat.  —  Il  édifie  même 
les  plus  vieux  religieux.  —  Il  prononce  ses  vœux.  —  Prédiction  de  son  gardien  à 
cette  occasion. 

Le  vénérable  André  est  l'un  des  quatre  enfants  de 
Dominique  Cortino,  modeste  habitant  de  Burgio,  petite 
ville   de   la  Sicile  méridionale.  Elevé  avec   ses   deux 

a 

sœurs,  Hiéronyme  et  Euphrosine,  dans  la  maison  pater- 
nelle, il  y  reçut  les  meilleures  leçons,  et  surtout  il  y  vit 
les  plus  beaux  exemples  de  piété  et  de  vertu.  Sa  mère, 
Nymphe  Coletti,  semblait  être  l'image  vivante  de  la 
femme  forte  dont  parlaient  les  saints  Livres  :  fidèle  à  ses 
devoirs  d'épouse  et  de  chrétienne,  attentive  à  développer 
l'âme  plutôt  que  le  corps  de  ses  enfants,  elle  les  menait 
comme  par  la  main  dans  les  sentiers  du  Seigneur.  Elle 
en  fut  récompensée  dès  ce  monde  par  les  admirables 
vertus  de  celui  qu'on  allait  bientôt  nommer  frère  André. 
Les  premières  années  de  ce  pieux  serviteur  de  Dieu 

Pai.m.  Séraph.  —  Tome  VI.  34 


530  SUPPLÉMENT.  —  XV  JUIN. 

annoncèrent  ce  qu'il  serait  un  jour.  Ce  qui  lui  plut 
tout  d'abord,  ce  ne  furent  pas  les  jeux  de  ses  jeunes 
camarades,  les  courses  folles  à  travers  les  champs,  les 
rires,  les  cris  et  le  bruit;  mais  la  tranquillité  et  le 
silence,  les  visites  aux  églises,  les  longues  prières  devant 
l'image  de  la  sainte  Mère  et  de  son  divin  Fils.  Portait-on 
le  Saint-Sacrement  aux  malades,  vite  il  courait  se  mettre 
à  la  suite  des  fidèles  qui  accompagnaient  le  prêtre,  et 
par  tous  les  temps,  pluie  ou  neige,  soleil  ou  vent,  il 
accompagnait  le  cortège  jusqu'au  chevet  du  moribond. 

On  a  dit  que  la  piété  est  la  mère  de  toutes  les  vertus  ; 
André  en  est  une  preuve  vivante.  On  le  citait  comme  un 
modèle  aux  enfants  de  son  âge,  et  on  avait  raison. 
Obéissance  à  ses  parents ,  soumission  passive  à  ses 
maîtres,  douceur  à  l'égard  du  prochain,  charité  vis-à-vis 
des  pauvres,  ardeur  au  travail,  rien  ne  lui  manquait,  et 
tous  ceux  qui  le  connaissaient  disaient  de  lui  que  dans  la 
vie  ordinaire  il  serait  un  jour  un  parfait  homme  de 
bien,  un  saint  s'il  entrait  dans  les  Ordres.  C'est  la 
seconde  partie  de  cette  prévision  qui  devait  un  jour  se 
réaliser. 

Ses  belles  qualités  ne  firent  que  se  développer  avec  le 
temps  :  Dieu  l'avait  marqué  de  son  sceau.  A  l'instant 
critique  de  la  vie,  où  l'enfant  devient  un  jeune  homme, 
quand  le  sang  plus  ardent  commence  à  bouillonner  dans 
les  veines  et  que  les  passions  grondent  sourdement,  il 
eut  comme  tout  le  monde  à  subir  les  attaques  de 
l'esprit  du  mal;  mais  il  les  soutint  avec  énergie,  il  lutta 
sans  faiblir  et  sortit  vainqueur  du  combat  où  tant  de 
malheureux  succombent. 

Peut-être   les  épreuves  qu'il  eut  alors  à  subir    l'y 


I 


LE   VÉNÉRABLE  FRÈRE  ANPRÉ  DE  BURGIO.  531 

aidèrent-elles    un    peu.  Il  vit    disparaître  l'un  après 
l'autre  tous  les  membres  de  sa  famille,  son  père,  ses 
sœurs,  son  frère  aîné,  sa  mère  enfin,  à  qui  il  ferma  lui- 
même  les  yeux.  La  douleur  qui  envahit  alors  son  àme 
tout  entière  et  qui  absorba  toutes  ses  pensées  ne  lui 
permit  pas  de  voir  le  monde  s'agitant  autour  de  lui,  et 
étendit  entre  lui  et  les  misères  du  siècle  comme  un  voile 
impénétrable.  Aussi  n'est-ce  pas  au  monde  qu'il  songea  à 
demander  des  consolations,  mais  à  Dieu.  Il  n'eut  pas  un 
instant  l'idée  de  noyer  ses  chagrins  dans  les  plaisirs  ;  il 
ne  vit  que  le  grand  crucifix  qui  lui  tendait  les  bras,  et  il 
s'y  jeta  ;  il  lui  raconta  ses  souffrances,  il  mit  à  nu  son 
pauvre  cœur  blessé,  et  il  implora  sa  guérison  :  elle  ne  se 
fit  pas  attendre. 

Un  jour,  en  effet,  qu'il  priait  avec  sa  ferveur  habituelle, 
il  fut  tout  à  coup  ravi  en  extase.  Il  lui  sembla  que  deux 
routes  s'offraient  à  lui,  l'une,  agréable  et  fleurie,  condui- 
sait par  une  pente  rapide  à  un  abîme  sans  fond  ;  l'autre, 
rude  et  escarpée,  montait  jusqu'à  un  plateau  élevé  où  se 
tenaient  le  Sauveur  et  la  Vierge  Marie,  entourés  d'un 
éblouissant  cortège  de  Séraphins  et  lui  tendant  les  bras. 
D'un  côté  la  perte  certaine,  de  l'autre  le  salut  assuré  ;  il 
n'y  avait  pas  à  hésiter.  André  prit  tout  de  suite  son  parti  ; 
il  résolut  de  renoncer  au  inonde  pour  entrer  plus  avant 
dans  les  voies  du  Seigneur. 

Son  oncle,  le  seul  parent  qui  lui  restât  sur  la  terre,  ap- 
prouva sa  décision  et  lui  permit  de  se  consacrer  à  Dieu. 
Quelques  jours  après,  il  allait  frappera  la  porte  du  couvent 
des  Capucins  de  Burgio.  Le  supérieur  des  bons  Pères  et  le 
provincial  lui-même  connaissaient  depuis  longtemps  les 
vertus  du  pieux  jeune  homme;  mais,  si  heureux  qu'ils  fus- 


532  SUPPLÉMENT.   —  XV  JUIN. 

sent  de  le  voirvenirà  eux,  ils  cherchèrent,  ou  plutôt  ils  fei. 
gnirent  de  chercher  à  le  détourner  de  ses  projets.  Ils  lui 
exposèrent  la  dure  vie  des  Capucins,  et  à  quelle  règle  sé- 
vère il  voulait  se  soumettre,  et  son  visage  respira  une 
joie  ineffable;  ils  lui  parlèrent  des  plaisirs  du  monde 
auxquels  il  renonçait  si  brusquement  ;  il  frémit  comme 
si  on  lui  avait  montré  l'enfer  ouvert  sous  ses  pieds  : 
o  C'est  Dieu  qui  m'appelle,  mes  Pères  »,  s'écria-t-il,  «  je 
«  l'entends  ».  Quelques  jours  plus  tard,  il  entrait  au  cou- 
vent de  Monte  di  Trapani,  pour  y  commencer  son  novi- 
ciat (1er  avril  1735)  ;  il  était  alors  âgé  de  trente  ans  :  on 
lui  donna  le  nom  de  frère  André,  sous  lequel  nous  le  con- 
naissons déjà. 

A  partir  de  ce  jour,  une  vie  nouvelle  s'ouvre  pour  le 
pieux  serviteur  de  Dieu,  ou  plutôt  les  habitudes  de  dévo- 
tion, de  charité  et  d'obéissance  qu'il  avait  contractées 
depuis  sa  jeunesse  se  fortifièrent  et  se  réglèrent.  Comme 
il  n'avait  point  vécu  jusque-là  de  la  vie  du  monde , 
il  ne  le  regretta  pas  un  instant,  et  il  lui  fut  d'autant  plus 
facile  de  se  plier  à  la  dure  loi  du  couvent,  que  lui-même 
jusqu'alors  s'était  imposé  presque  continuellement  des 
contraintes  et  des  privations.  Aussi,  à  véritablement  par- 
ler, ne  considéra-t-on  guère  son  noviciat  comme  une 
épreuve  ;  il  était  de  ce  métal  pur  dont  la  vue  seule  témoi- 
gne la  valeur,  et  pour  lequel  la  pierre  de  touche  est  inu- 
tile. Pendant  un  an,  son  directeur  le  proposa  comme 
modèle  aux  novices,  et,  par  la  suite,  un  seul  point  fut 
modifié,  c'est  qu'on  le  proposa  comme  modèle  aux  reli- 
gieux. 

C'est  Je  24  avril  1736  qu'il  prononça  ses  vœux  en  qua- 
lité de  frère  lai.  Ce  jour-là  fut  une  véritable  fête  pour  tout 


LE  VÉNÉRABLE  FRÈRE  ANDRÉ  DE  BURGIO.  o33 

le  couvent  ;  on  célébra  unemesse  solennelle,  et  le  Père  gar- 
dien, Ambroise  de  Morreale,  prêcha  sur  ce  texte  :  <x  Sois- 
«  moi  fidèle  jusqu'à  la  mort,  et  je  te  donnerai  la  couronne 
«  de  la  vie  ».  Le  bon  vieillard  annonça  dans  son  sermon 
la  destinée  future  du  nouveau  capucin  :  «  Il  y  a  déjà  eu 
«  dans  cette  province  deux  religieux  qui  s'appelaient 
«  André  :  ils  se  sont  montrés  de  pieux  serviteurs  de  Dieu. 
«  Vous,  mon  fils,  vous  serez  un  saint  ». 

CHAPITRE  II. 


SOMMAIRE  :  Séjour  de  frère  André  au  couvent  de  Partanna,  puis  au  couvent  de 
Burgio.  —  Comment  il  règle  sa  vie.  —  Sa  piété  et  ses  mortifications.  —  Dieu  lui 
accorde  le  don  de  faire  des  miracles.  —  Il  obtient  d'aller  prêcher  la  foi  au 
CoDgo.  —  Départ  de  la  Sicile.  —  Tempête  apaisée.  —  Miracle  à  Cadix.  — 
Séjour  à  Lisbonne.  —  Arrivée  à  Loenda.  —  Le  modèle  des  missionnaires.  — 
Conversions  et  bonnes  œuvres.  —  Retour  en  Europe. 


Quelque  temps  après  avoir  prononcé  ses  vœux,  frère 
André  fut  envoyé  en  qualité  de  cuisinier  au  couvent  de 
Partanna,  petite  ville  située  à  deux  lieues  au  sud  de  Tra- 
pani,  puis  au  couvent  de  Burgio,  sa  patrie.  Ses  épreuves 
commençaient  d'une  façon  cruelle.  Comment  échapperait 
contact  du  siècle  dans  un  petit  bourg  dont  il  connaissait 
tous  les  habitants,  et  où  il  lui  restait  encore  un  certain  nom- 
bre de  parents  plus  ou  moins  rapprochés  ?  D'autre  part, 
l'ordre  des  supérieurs  était  formel  ;  il  fallait  obéir.  Le  bon 
Père  n'hésita  pas  un  seul  instant;  il  savait  où  trouver  un 
refuge  assuré  contre  toutes  les  tentations  et  tous  les  dan- 
gers, et  ce  qui  aurait  pu  le  dévoyer  un  instant  du  droil 
chemin  ne  fit  que  l'affermir  dans  la  voie  du  salut. 

En  effet,  il  arrangea  sa  vie  de  telle  sorte  que  pas  un 
instant  du  jour  ou  de  la  nuit  il  pût  penser  à  autre  chose 


534  SUPPLÉMENT.    —    XV  JUIN. 

qu'à  ses  devoirs  et  à  Dieu.  L'oisiveté  est  mauvaise  con- 
seillère :  il  ne  perdit  pas  un  moment.  Le  jour,  il  s'adon- 
nait aux  plus  rudes  travaux  ;  la  nuit,  il  passait  de  longues 
heures  à  méditer  devant  le  Très-Saint-Sacrement. 

Il  dormait  peu,  le  corps  étendu  sur  une  planche,  la 
tête  appuyée  sur  un  morceau  de  bois  ;  en  s'éveillant,  il  se 
donnait  la  discipline.  Toujours  la  tête  découverte  par 
tous  les  temps,  il  faisait,  sans  sandales,  de  longues  routes 
sur  des  chemins  pierreux,  dans  les  broussailles  et  les 
épines,  et  le  sang  qui  coulait  de  ses  pieds  déchirés  mar- 
quait la  trace  de  ses  pas.  A  partir  du  jour  où  il  prononça 
ses  vœux,  jusqu'à  sa  mort,  il  vécut  de  pain  et  d'eau  ;  et  il 
n'ajouta  jamais  qu'aux  grandes  fêtes  à  cette  nourriture 
trop  frugale  un  peu  de  légumes  ou  quelques  fruits. 

Les  souffrances  physiques  ne  lui  firent  pas  défaut  ;  il 
en  était  heureux  ;  il  réclamait  la  douleur  comme  la  terre 
desséchée  réclame  la  pluie.  Il  semble  que  les  maladies 
l'aient  aidé  à  prolonger  sa  vie,  tant  il  les  voyait  venir 
avec  joie,  tant  il  les  demandait  à  Dieu  comme  une  insi- 
gne faveur. 

De  si  grandes  vertus  méritaient  une  récompense  dès 
cette  terre  :  le  Seigneur  lui  accorda  le  don  des  miracles, 
et  lui  permit  de  l'exercer  dès  son  premier  séjour  à  Bur- 
gio.  Il  y  avait  alors  sur  la  place  de  la  cathédrale  un  pau- 
vre cordonnier  boiteux  et  contrefait,  nommé  François 
Miceli,  la  risée  de  tous  les  mauvais  garnements  du  lieu  : 
«  Pourquoi  ne  te  tiens-tu  pas  droit?  »  lui  dit  un  jour  le 
bon  frère.  —  «  Et  comment  le  pourrais-je  ».  reprit  le  mal- 
heureux, «  je  suis  ainsi  depuis  ma  naissance  ».  André  le 
prit  par  la  main  :  «  Lève-toi  et  marche  »,  s'écria-t-il,  «je 
«  te  l'ordonne  au  nom  de  Jésus  ».  Et  le  boiteux  se  leva, 


LE  VÉNÉRABLE  FRÈ^E  ANDRÉ  DE  BURGIO.  535 

débarrassé  de  son  infirmité,  et  il  courut  au  pied  de  l'au- 
tel rendre  grâces  au  Seigneur. 

Un  enfant  se  mourait,  atteint  d'une  maladie  incurable, 
quand,  par  hasard,  frère  André  passa  dans  la  rue  :  «Mon 
«  fils  se  meurt  !  »  cria  la  mère  à  l'homme  de  Dieu,  a  mon 
«  fils  est  mort  !»  —  a  II  vit  »,  reprit  André,  «  et,  tenez, 
a  le  voilà  qui  vient  à  vous  et  qui  vous  tend  les  bras  ».  Le 
moribond  s'était  levé,  guéri  tout  à  coup,  et  il  parvint  à 
un  âge  très-avancé. 

Cependant  Dieu  réservait  son  serviteur  à  une  destinée 
pluspénibleetplusglorieuse;ilallaitluiaccorderrinsigne 
faveur  d'abandonner,  pour  prêcher  sa  loi,  sa  patrie  et  ses 
amis.  De  Burgio,  André  était  retourné  à  Trapani,  et  il  y 
avait  trouvé  deux  saints  religieux,  Joachim  et  Onuphre, 
prêtres  enflammés  d'un  zèle  ardent,  et  qui,  en  1745,  ré- 
solurent de  partir  en  qualité  de  missionnaires  pour  An- 
gola, dans  l'Afrique  centrale.  Aussitôt  un  désir  immense 
de  les  accompagner  et  d'aller  lui  aussi,  gagner,  s'il  était 
possible,  la  palme  du  martyre,  envahit  le  cœur  de  frère 
André.  Une  vision  qu'il  eut  à  cette  époque  acheva  de  l'y 
décider  :  la  Vierge  Marie  lui  apparut  et  lui  déclara  que 
ce  qu'il  songeait  à  faire  était  agréable  à  Dieu.  Et  comme 
l'évêque  du  diocèse,  Monseigneur  Stella  de  Mazzara,  es- 
sayait de  l'en  détourner  :  «  C'est  la  volonté  du  Seigneur  » , 
lui  répondit-il;  «  je  ne  puis  m'en  dispenser  ». 

Vers  la  fin  de  juillet,  il  obtint  enfin  de  ses  supérieurs 
l'autorisation  qui  lui  était  nécessaire,  et  presque  aussitôt 
il  se  mit  en  route.  11  se  rendit  d'abord  ,  avec  ses  deux 
compagnons,  au  port*de  Sciacca,  d'où  il  fit  voile  pour  l'île 
de  Malte.  Là  ils  trouvèrent  un  vaisseau  qui  partait  pour 
Lisbonne ,  et  sur  lequel  ils  s'embarquèrent ,  le   cœur 


536  SUPPLÉMENT.   —   XV  JUIN. 

rempli  de  joie  et  d'espérance,  le  Portugal  devant  être 
leur  dernière  étape  avant  le  Congo.  Le  voyage,  trop  long 
au  gré  de  leurs  désirs,  ne  fut  signalé  que  par  un  inci- 
dent remarquable.  Au  moment  de  franchir  le  détroit  de 
Gibraltar,  on  fut  assailli  par  une  si  violente  tempête,  que 
les  vieux  marins  eux-mêmes,  malgré  leur  courage  et  leur 
habitude  du  danger,  se  prirent  à  trembler.  Frère  André 
seul  ne  manifesta  aucune  émotion  :  «Rassurez-vous», 
leur  dit-il,  «  la  mort  est  encore  loin  de  vous  ».  En  effet, 
quelques  instants  après,  la  tempête  se  calma  comme  par 
enchantement,  et  l'on  arriva  sans  encombre  à  Cadix. 

La  renommée  du  bon  frère  l'y  avait  précédé  ;  à  peine 
eut-il  mis  le  pied  dans  la  ville  qu'une  pieuse  multitude 
se  porta  au-devant  de  lui:  «  Le  voilà»,  disait-on,  «c'est  le 
«frère  André,  le  saint  homme  que  nous  attendions  ». 
Un  prodige  signala  son  passage  dans  cette  ville.  Le  vice- 
roi,  depuis  deux  ou  trois  ans  souffrait  d'une  paralysie 
contre  laquelle  venaient  se  briser  tous  les  efforts  des  mé- 
decins ;  il  demanda  au  bienheureux  d'intercéder  pour 
lui.  «Priez,  mon  fils,  et  ayez  la  foi  »,  répondit  André, 
«  priez,  et  Dieu  vous  guérira  ».  Puis,  se  mettant  lui-même 
à  genoux  au  chevet  du  malade,  il  supplia  celui  qui  perd 
et  ressuscite  de  faire  éclater  sa  puissance.  Quelques 
instants  après,  le  malade  se  leva  entièrement  délivré  de 
son  infirmité,  et  les  assistants,  louant  Dieu,  s'écriaient  : 
«  Miracle,  miracle  !  » 

De  Cadix,  les  trois  apôtres  se  dirigèrent  à  pied  vers 
Lisbonne.  Ce  voyage  fut  en  quelque  sorte  une  marche 
triomphale.  Des  villages  et  des  villes  à  dix  lieues  à  la 
ronde,  on  accourait  pour  contempler  l'élu  du  Seigneur, 
et  l'on  s'estimait  heureux  d'entendre  sortir  un  mot  de  sa 


LE  VÉNÉRABLE  FRÈRE  ANDRÉ  DE  BURGIO.        537 

bouche  et  de  toucher  le  bout  de  son  manteau.  Des  per- 
sonnages de  la  cour,  la  reine  Marie-Anne  elle-même  et  sa 
fille  Tlnfante  du  Brésil,  se  portèrent  à  sa  rencontre  et  le 
supplièrent  de  venir  se  fixer  pour  toujours  à  la  cour  de 
Portugal.  Elles  en  demandèrent  même  sous  main  la 
permission  à  Rome.  Mais  elles  avaient  compté  sans  la 
fermeté  du  religieux,  que  la  perspective  des  honneurs  et 
d'une  vie  facile  était  incapable  de  détourner  de  ses 
devoirs.  Il  ne  songea  même  pas  un  instant  à  prolonger 
son  séjour  à  Lisbonne,  et  il  s'embarqua  sur  le  premier 
vaisseau  qui  faisait  voile  pour  l'Afrique  australe.  La 
traversée  fut  longue,  mais  heureuse  ;  et  l'on  débarqua 
sans  encombre  à  Loanda,  capitale  du  pays  d'Angola. 

La  félicité  qu'il  rêvait,  c'est-à-dire  des  fatigues  et  des 
souffrances,  y  attendait  le  bon  religieux.  Il  lui  fallut 
remplir  à  la  fois  l'office  de  sacristain,  l'office  de  cuisinier, 
l'office  de  tailleur,  l'office  d'infirmier.  Ajoutez  à  cela 
l'élévation  de  la  température  en  pleine  zone  torride;  n'y 
avait-il  pas  de  quoi  effrayer  tout  autre  qu'André  ?  Pour 
lui,  toujours  souriant,  il, vaquait  activement  à  ses  diverses 
besognes,  s'occupant  de  tout ,  excepté  de  lui-même, 
aimé  de  ses  frères  qui  l'admiraient  sans  pouvoir  l'imiter, 
adoré  des  habitants  de  la  ville  pour  qui  il  avait  montré 
d'inépuisables  trésors  de  charité  chrétienne. 

Pendant  la  troisième  année  de  son  séjour  au  Congo,  il 
fit  une  grave  maladie,  et  l'on  craignit  quelque  temps  de 
le  perdre.  Grande  fut  la  tristesse  du  peuple  et  des  autres 
religieux.  Les  églises  étaient  remplies  d'une  multitude 
pieuse  demandant  à  Dieu  avec  des  larmes  de  lui  con- 
server son  cher  bienfaiteur.  Le  Seigneur  exauça  les  vœux 
des  fidèles,  et  l'on  ne  tarda  pas  à  revoir  dans  les  rues  de 


53S  SUPPLEMENT.   —  XV  JUIN. 

Loanda  le  capuchon  bien  connu  du  bon  frère  André. 

On  comprend  qu'ainsi  chéri  de  tous,  André  put 
acquérir  une  grande  influence  même  sur  ceux  des 
habitants  qui  n'étaient  point  catholiques,  et  par  là  même 
en  faire  entrer  un  nombre  considérable  au  giron  de 
l'Eglise.  A  son  arrivée  au  Congo,  on  ne  comptait  guère 
que  vingt  mille  fidèles,  on  en  aurait  trouvé  plus  du 
double  quand  il  partit.  Il  éleva  des  églises  et  des  écoles, 
instruisit  les  enfants  dans  les  vérités  de  la  religion.  Son 
âme  naïve  et  candide  se  mettait  facilement  à  la  portée 
des  intelligences  un  peu  rebelles  de  ce  peuple  encore 
barbare.  Il  avait  appris  quelques  mots  de  la  langue  du 
pays,  et  doué  qu'il  était  d'une  patience  angélique,  il  se 
servait  merveilleusement  de  ce  peu  qu'il  connaissait 
pour  prêcher  les  indigènes.  Sa  charité  inépuisable  lui 
faisait  surmonter  tous  les  obstacles,  et  il  eut  le  rare 
bonheur  d'arracher  aux  griffes  de  l'Esprit  malin  plusieurs 
milliers  d'idolâtres. 

Frère  André  resta  au  Congo  jusqu'en  1762.  Quand  le 
Père  Hyacinthe  de  Bologne,  préfet  de  la  mission,  lui 
annonça  qu'il  fallait  songer  au  retour  :  «  Je  savais  bien  », 
dit-il  avec  tristesse,  a  que  Dieu  ne  me  permettrait  pas 
«  de  mourir  pour  lui,  mais  que  sa  volonté  soit  faite  »,  et 
il  s'embarqua  pour  revenir  en  Europe  avec  le  frère 
Rosario  de  Parco,  accompagné  des  vœux  et  des  regrets 
des  pauvres,  des  malades  et  des  malheureux. 


LE  VÉNÉRABLE  FRÈRE   ANDRÉ  LE  BURGIO.  539 


CHAPITRE  III. 

SOMMAIRE  :  Nouveau  séjour  de  frère  André  à  Lisbonne.  —  Il  est  transporté  à 
Palerme  d'une  façon  miraculeuse.  —  Dernières  années  de  sa  vie.  —  Miracles.  — 
Prophéties.  —  Guérisons.  —  Extases.  —  11  annonce  lui-même  sa  mort  prochaine. 
—  Sa  joie  pendant  sa  dernière  maladie.  —  Sa  mort.  —  Douleur  de  tous  les 
habitants.  —  Ses  funérailles.  —  Son  épitaphe. 


Le  vaisseau  portugais  sur  lequel  était  monté  le  bon 
frère  le  ramena  à  Lisbonne.  Grande  fut  la  joie  des 
habitants  de  la  ville  et  surtout  de  la  reine,  en  le  voyant 
arriver:  «  Grâces  à  Dieu»,  lui  dit  la  princesse,  «vous  voilà 
«  de  retour  au  milieu  de  nous,  et  cette  fois  vous  ne  nous 
«  quitterez  plus  ».  André  sourit  :  a  Non,  madame  »,  ré- 
pondit-il, «  ce  n'est  pas  ici  que  je  dois  mourir  » .  En 
effet,  quelques  jours  plus  tard  un  ordre  de  ses  supérieurs 
le  rappela  en  Sicile.  Il  partit  comme  pour  une  simple 
promenade,  sans  dire  à  personne  où  il  allait.  C'était  le 
matin,  à  dix  heures.  A  la  même  heure  il  ^frappait  à  la 
porte  du  couvent  de  Palerme,  et  demandait  à  parler  au 
gardien:  «  Qui  êtes-vous  »,  lui  demanda  le  Père,  «et  d'où 
«  venez-vous  ?»  —  «  Je  suis  le  frère  André  de  Burgio  et 
«  je  viens  de  Lisbonne  ».  —  «  Avez- vous  une  lettre  d'obé- 
«  dience?» — «Oui,  en  voici  une  du  général  de  l'Ordre». — 
«Tout  est  bien»,  reprit  le  gardien,  et  il  ajouta:  «  A  quelle 
a  heure  êtes-vous  parti  de  Lisbonne  ?»  —  «  A  dix  heures  » . 
—  «Quel jour?»  —  «  Aujourd'hui  t.  —  «Aujourd'hui? à 
«  dix  heures  ?  Que  me  dites-vous  là  ?  Vous  êtes  un  menteur 
«et  un  impudent;  allez  vous  donner  la  discipline». 
Frère  André  se  disposait  àjobéir;  mais  le  gardien,  qui 
connaissait  sa  sainteté,  retira  son  ordre  et  se  rendit  avec 
lui  à  la  chapelle  pour  rendre  grâces  à  Dieu. 

Les  années  que  frère  André  passa  à  Palerme  ne  furent 


540  SUPPLÉMENT.  —  XV  JUIN. 

qu'une  suite  non  interrompue  de  miracles.  Le  Seigneur 
paraît  s'être  complu  à  entasser  sur  sa  tête  toutes  les 
félicités  :  don  d'extase,  don  de  guérison,  don  de  pro- 
phétie, rien  ne  lui  manqua.  Le  44  juillet  1766,  frère 
Modeste  de  Burgio  le  vit  au  milieu  du  chœur,  enveloppé 
d'un  tourbillon  de  lumière,  les  yeux  levés  au  ciel,  le 
visage  respirant  une  joie  indicible.  La  sainte  Vierge  lui 
apparut  trois  fois  dans  une  chapelle  du  couvent  des 
Capucins,  et  le  Sauveur  lui-même  daigna  l'assurer  qu'il 
était  content  de  lui  et  que  ses  œuvres  lui  étaient 
agréables. 

Les  prophéties,  les  guérisons  du  frère  André  sont 
célèbres,  toute  la  Sicile  se  les  redisait  ;  nous  n'en  citerons 
que  quelques-unes.  Il  annonça  au  Père  Guillaume  de 
Palerme  qu'il  serait  un  jour  gardien  et  définiteur,  mais 
qu'il  quitterait  l'Ordre  avant  de  mourir.  A  la  comtesse 
de  Ritano,  qui  était  grosse,  il  prédit  qu'elle  mettrait  au 
monde  un  garçon. 

Une  jeune  fille  de  la  maison  des  Carpentieri,  qui  se 
trouvait  au  couvent  de  Sainte-Rosalie,  ne  pouvait  se  dé- 
cider à  prendre  le  voile  ;  elle  se  sentait  invinciblement 
attirée  vers  le  monde,  et  en  même  temps  un  vague  désir 
la  retenait  dans  la  maison  du  Seigneur.  Dans  cet  état, 
elle  eut  recours  au  frère  André  :  a  Ma  tille  »,  lui  dit  le 
saint  homme,  «  je  savais  la  situation  de  votre  âme,  et 
voici  ce  que  le  Très-Haut  m'ordonne  de  vous  répondre  : 
*<  Si  vous  retournez  dans  le  monde ,  vous  jouirez  d'une 
x  vie  agréable  et  facile,  semée  de  plaisirs,  mais  qui  vous 
«  mènera  à  l'éternelle  damnation.  Si,  au  contraire,  vous 
«  demeurez  dans  cet  asile  de  paix,  vous  parviendrez,  à 

travers  mille  souffrances,  à  l'éternelle  félicité  ».  Elle 


LE  VÉNÉRABLE  FRÈRE  ANDRÉ  LE  BURGIO.  541 

resta  au  couvent,  et  y  mourut  saintement,  après  avoir  été 
en  butte  à  de  cruelles  maladies. 

Mais  ce  sont  surtout  des  guérisons  miraculeuses  qui 
ont  rendu  célèbre  le  nom  du  pieux  capucin.  Pour  les 
rapporter  toutes,  il  faudrait  un  volume  entier;  nous  ci- 
terons seulement  quelques  noms  :  la  duchesse  de  Sper- 
linga,  arrachée  aux  étreintes  mêmes  de  la  mort  ;  Anna 
Graffo,  de  Morreale  ,  le  fils  du  duc  de  Reitano,  etc.,  etc.; 
des  aveugles,  des  paralytiques  rendus  à  la  santé  par  une 
prière  ou  par  un  simple  signe  de  croix  du  vénérable  ser- 
viteur de  Dieu. 

Cependant  frère  André,  ainsi  louant  Dieu  par  ses  œu- 
vres et  par  ses  paroles,  s'acheminait  doucement  vers  le 
tombeau.  Il  annonça  lui-même  sa  fin  prochaine.  Un  jour 
qu'il  était  allé  faire  visite  aux  religieuses  de  son  Ordre,  la 
sœur  Cajetana  Miraglia  et  quelques  autres  qui  l'avaient 
choisi  pour  directeur,  le  suppliaient  de  revenir  bientôt  : 
«  Non  »,  leur  répondit-il,  «  c'est  la  dernière  fois  que 
«  vous  me  voyez  ».  Et  comme  elles  s'en  montraient  affli- 
gées autant  que  surprises,  il  ajouta  :  «Je  me  comprends, 
«  je  me  comprends  ;  croyez  seulement  mes  paroles,  vous 
«  ne  me  verrez  plus  ».  En  effet,  quelques  jours  après,  il 
allait  rendre  l'âme. 

C'est  le  11  juin  1772  que  sa  dernière  maladie  le  saisit 
brusquement,  et,  tout  d'un  coup,  le  coucha  sur  le  lit  de 
douleur  qu'il  ne  devait  plus  quitter.  Le  médecin,  qu'on 
appela  sur-le-champ,  déclara  que  tous  les  secours  de  l'art 
seraient  impuissants  ;  frère  André  le  savait  depuis  long- 
temps, il  n'en  parut  ni  étonné  ni  affligé.  Le  mal  fit  des 
progrès  rapides,  et  le  Père  Bernard,  gardien  du  couvent, 
lui  apporta  la  sainte  communion.  Quand  il  eut  reçu  le 


542  SUPPLEMENT.   —   XV  JUIN. 

corps  et  le  sang  de  son  Dieu,  il  éprouva  une  joie  si  vive 
qu'il  oublia  un  moment  ses  souffrances  et  qu'on  put  es- 
pérer le  voir  revenir  à  la  vie.  Mais  il  détrompa  lui-même 
ses  frères  :  «  Demain  »,  leur  dit-il,  a  au  petit  jour,  il  fau- 
«  dra  me  donner  les  saintes  huiles,  car  l'heure  appro- 
«  chera  » .  On  obéit  ;  quelques  instants  après  il  pressa  son 
crucifix  sur  ses  lèvres,  et  rendit  l'âme  en  murmurant  : 
o  Sancta  Maria,  ora  pro  nobis  ».  (15  juin.) 

A  la  nouvelle  de  sa  mort,  il  y  eut  dans  toute  la  ville 
une  immense  explosion  de  douleur.  Les  boutiques  se  fer- 
mèrent, les  habitants  prirent  le  deuil.  En  même  temps 
une  foule  de  peuple  se  porta  vers  le  couvent  pour  con- 
templer une  dernière  fois  la  figure  vénérable  de  celui 
qui  avait  fait  tant  de  bien.  Il  fallut  faire  garder  le  corps 
par  des  soldats  :  l'indiscrète  piété  des  fidèles  l'aurait  mis 
en  lambeaux. 

Le  16  juin,  on  procéda  à  la  cérémonie  des  funérailles. 
La  noblesse  de  Païenne  tint  à  honneur  d'y  assister.  Les 
pauvres  et  les  malheureux,  de  leur  côté,  ne  voulurent 
quitter  qu'à  la  dernière  extrémité  les  restes  de  leur 
bienfaiteur.  Un  Père  de  l'Ordre  raconta  l'histoire  de  sa 
vie  :  c'était  la  meilleure  façon  de  faire  son  éloge  ;  car 
tant  de  vertus  parlaient  assez  d'elles-mêmes,  sans  qu'il 
fût  besoin  de  les  embellir  par  des  artifices  oratoires.  En- 
fin, le  cercueil  fut  déposé  dans  la  chapelle  de  la  Croix,  et 
sur  le  marbre  on  grava  cette  inscription  : 

HIC  JACET 

FRATER  ANDREAS  A  BDRGIO. 

CAPDCCIKUS  LAICUS    PROFESSUS 

QUI  OBIIT  PAXORÏII 

DIE^VI.  JUN'II,  ANNO  DOMINI  MDCCLXX1I. 

.ET.  SC.E   LXVI1.   —   REL1GIOMS    XXXVIII. 


LE  VÉNÉRABLE  FRÈRE  ANDRÉ  DE  BURGIO.        5S3 

Son  portrait,  peint  par  le  Père  Fidèle  de  Saint-Biaise, 
fut  placé  dans  la  sacristie  du  couvent  ;  on  en  fit  par  la 
suite  de  nombreuses  copies.  Des  miracles  s'accomplirent 
sur  son  tombeau. 

(Lechner.) 


FIN  DU  TOME  SIXIÈME. 


TABLE  SELON  L'ORDRE  DES  MATIERES 


JUIN 

I"  JOUR. 

Pagos. 

Le   bienheureux   Jacqiîes   de    Strepar,    évêque    de   Léopoldstad,  en 

Pologne 1 

Le  bienheureux  Pilingotte,  du  Tiers  Ordre 4 

Le  bienheureux  Père  Jean  Brugman 9 

Sœur  Jeanne  de  Durvé ,  Clarisse 11 

Ile    JOUR. 

La  bienheureuse  Baptistine  Varàni,  princesse  de  Camerino,  Clarisse 12 

Frère  Jean  de  Saint-Bernard,  martyr  aux  Indes  Occidentales 34 

Père  Gaspard  de  Saint-Joseph 37 

Frère  Jean  de  la  Solidad 43 

Hle  JOUR. 

Le  bienheureux  André  de  Spello 49 

Le    bienheureux    Père    Jean    de    Zumarraga,  premier   archevêque    de 

Mexico 54 

Père  François  de  SoU* ; 70 

Père  François  Xjménèf 73 

Père  Garcias  de  Cisnero:* 75 

Père  Antoine  de  Cuidad-Rodngo 76 

Père  Jacques  Testera 78 

Père  Jean  de  Perpignan •  80 

Père  Alphonse  de  Rozas 80 

Père  Jacob  de  Penna 82 

Père  François  de  Las-Naucai 82 

Père  Jean  de  Gaona , 83 

Père  Alphonse  de  Herrera 84 

Père  Paul  Jovia 8(1 

Frère  Christophe  Crivellus 87 

Laurent  de  Rapariegos,  frère  iai ■       89 

1V°  JOUR. 

Père  François  de  Brescia 9,i 

Frère  Didace  de  Murcie 94 

Palm.  Séraph.  —  Tome  VI.  35 


548  TABLE 

XY«  JOUR. 

Pages. 

Ange  de  Cingoli,  second  supérieur  des  Clarins 327 

Le  bienheureux  Pierre,  dit  le  Père  des  malheureux 334 

Antoine  d'Avila 335 

Joseph  de  Sainte-Marie 339 

Le  vénérable  Frère  André  de  Burgio,  capucin 529 

XVie  JOUR. 

Martin  de  Bourgogne  et  autres,  martyrs  en  France. . .    349 

Michel  de  Pérouse  et  autres  religieux  des  premiers  temps  de  l'Ordre. . .  352 

xvn«  jour. 

Le  bienheureux  Léonard  Gahcius,  du  Tiers  Ordre.    353 

XVllIe  JOUR. 

Père  Sébastien  de  Saint-Joseph,  martyr 358 

Père  Jean  l'Ami,  de  Louvain,  martyr 371 

Père  Guillaume  Servasère,  martyr 372 

Frère  Michel  des  Anges,  ermite,  du  Tiers  Ordre. . .                373 

XIXe  JOUR. 

La  bienheureuse  Micheline,  veuve,  du  Tiers  Ordrp 378 

Les  premiers  martyrs  du  Brésil 385 

La  bienheureuse  Cécile  Porta.ro,  vierge,  du  Tiers  Ordre 389 

XXe  JOUR. 

l'ère  Alphonse  de  Betanzos 403 

Cécile  Joauelli  Castella,  du  Tiers  Ordre. 406 

XX[e  JOUR. 

Père  Chérubin,  de  Calatagirone,  et  Père  François,  de  Tarente,  martyrs.  421 

Marie-Anne  de  Saint-Pierre,  Clarisse .  424 

Léonora  Gusman,  Clarisse 425 

XXII«  JOUR. 

Père  André  de  Sétubal,  mariyr 427 

Père  Raphaël  de  Nursie 428 

XXIII*  JOUR. 

Richard    de    Bourgogne,   Pascal    de  Victoria,  François  d'Alexandrie  et 

autres,  martyrs  eu  Médie 429 


SELON  L'ORDRE  DE5  MATIÈRES.  549 

XXIV*  JOUR. 

Pages. 

Antoine  de  Sainte-Anne,  martyr 433 

Jean  de  Palma,  et  Père  Biaise  Palomin,  martyr? 437 

Père  François  Penneman,  martyr 438 

Jean-Baptiste  de  Madrigalejo 439 

Pierre  d  Urbin,  du  Tiers  Ordre 444 

Agnès  de  Saint-Dominique,  clarine 446 

XXV"  JOUR. 

Jacob  de  Poggio,  Jérémie  et  autres  martyrs  en  Syrie . .  447 

Père  Daniel  d'Arendunck  et  ses  compagnons,  martyrs  à  Alcmaer 450 

Père  Jean  de  Riba*,  aux  Ind*s  Orcidenlalp? 454 

Alphonse  Suarez 455 

Louis  de  Fuunsalida 456 

Jean  de  Palos  et  Frère  André  Cabreras,  de  Cordoue 458 

XXVle  JOUR. 

Frère  Ivon  do  La  Koque 459 

XXVII«   JOUR. 

Le  bienheureux  Benvenuto    de  Guhb'o 467 

Jacques   d'Assise 469 

Frère  Epiphane 470 

Frère  Vital  et  autres 471 

Les  bienheureux  Pères  Gasparin  et  Benoît  de  Crémone 473 

Le  bienheureux  Père  Thoma? 474 

Bernardin  de  Procida 474 

Frère  Autoine  de  Riva 475 

Pascal  de  la  Plaza 476 

XXVUIa  JOUR. 

Le  bienheureux  Père  Antoine  Ferrier 480 

Le  bienheureux  Martin  Alonso,  du  Tiers  Ordre 485 

XXIX»    JOUR. 

La  bienheureuse  Angeline  de  Spolète,  Clarisse  489 

Angeline  de  Foligno,  Clarisse 491 

Frère  Pierre,  de  Gand 492 

Pierre  d'Ortona 497 

Alizé  la  Bourgote,  de  Paris 498 

XXX°    JOUR. 

Le  bienheureux   Jean  de  Spire  et  quelques  autres  religieux  de  la  pro- 
vince de  Strasbourg 499 

Palm.  Séraph.  —  Tome  VI.  35* 


5ri0 


TABLE  SELON  L'ORDRE  DES  MATIERES. 


Paces. 

Pierre  de  Chavez 501 

La  bienheureuse  Florosenda,  Clarisse 502 

Le  bienheureux  Père  Martin  Belsunce 504 

Claire  de  Catane,  veuve,  du  Tiers  Ordre 520 


TABLE  SELON  L'ORDRE  ALPHABÉTIQUE 


Papes. 

Actaz,  de  Thorout 11  juia  203 

Agnès  de  Saiat-Dominique 24  —  4(6 

Agnès-Msrie  d'Amstenraat 8  —  1 55 

Alizé  la  Bourgote,  de  Paris 29  —  498 

Alphonse  d'Arguello )0  —  188 

Alphonse  de  Betanzos 20  —  403 

Alphonse  de  Henera 3  84 

Alphonse  de  Rozas 3—80 

Alphonse  Rubius 13     —  315 

Alphonse  Suarez 25  —  455 

André  Cabreras 25  —  458 

André  de  Biimio 15  —  529 

André  de  Sétubal 22  —  427 

André  de  Spe  lo 3  —  49 

André  le  Corse 10  —  183 

Ange  de  Cingoli 15  —  327 

Ange  de  Verbosa 7  —  140 

Angeline  de  Foliguo 29  —  491 

Angeline  de  Spolète 29  —  4S9 

Antoine  d'Avila 15  —  335 

Antoine  de  Cuidad-Rodngo 3  —  "6 

Antoine  de  Nursie 11  —  198 

Antoine  de  Padoue 13  —  227 

Antoine  de  Riva 27  —  4" 5 

Antoine  de  Sainte-Anne 24  —  433 

Antoine  Feirier 23  —  480 

Augustin  Rodrigue 9  —  173 

Aurélie  Stbylaert 12  —  215 


Baptistine  Varani 2  —  12 

Benoit  de  Crémone 27  —  473 

Benvenuto,  de  Gubbio 27  —  467 

Bernardin  de  Piocida 27  —  474 

Rlai.-e  Palomin 24  —  437 

Boniface  de  Riparolo 10  —  189 


532  TABLE 


Pages. 

Castora 14  juin  325 

Cécile  Joanelli  CastHla 20  —  406 

Cécile  Portaro 19  —  389 

Chérubin,  de  Calatagirone 21  —  421 

Christophe  Crivellns 3  —  87 

Claire  de  Catane 30  —  520 

Claire  de  Foligno  et  autres 13  —  298 

Constance  de  Castro  14  —  326 

Cornélie  Boymers 12  —  223 

Gorcélie  Herlewans 12  —  224 

D 

Daniel  d'Arendonck  et  ses  compagnons 25  —  4*0 

Daniel  de  Niinbro 6  —  127 

Delphine  de  Rarcelonn? 6  —  130 

Didice  de  Murcie 4  -  94 

E 

Edwige  Griffina 11  -  20^ 

Egidius  de  Capociis 11  —  199 

Egidius  Dobbelaer 10  —  193 

Elisabeth  de  Sr-hoonheek 12  —  226 

Epiphane 27  —  470 

Etienne  de  Narbonne 7  —  150 

F 

Firmine  Césia 7  —  146 

Florida  Cevoli 12  —  523 

Florosenda 30  —  502 

François  d'Alexandrie  et  antres 23  —  429 

Frauçois  de  Breseia 4  —  93 

François  de  Las-Nauca? 3  —  82 

François  de  Soto 3  —  70 

François,  de  Tarente 21  —  421 

François  d'Ordonnez 4  —  95 

François  Lopez 9  —  173 

François  Penneman 24  —  438 

Fiai.çois  Ximénès 3  —  73 

G 

Gardas  de  Cisneros 3  —  75 

Gaspard  de  Saint-Joseph 2  —  37 


SELON   LORDBE  ALPHABÉTIQUE.  553 

Pages. 

Gaspard  de  Valverde 10  juin  188 

Gasparin 27    —    473 

Georges  d'Alba  nie 13    —    209 

Gérardin H     —    201 

Guillaume  de  C.alatagirone 9    ~     m 

Guillaume  de  Vitte 10    ~    193 

Guillaume  Servasère 18    —    312 

Guy,  de  Cortone '• 12    —    206 


Isabelle-Marie  de  la  Passion S    —    113 

Ivon  de  La  Roque 26    —    459 


Jacob  de  Penna. 3  —  82 

Jacob  de  Poggio 25  —  447 

Jacques  d'Assise 27  —  469 

Jacques  de  Cortono 12  —  211 

Jacques  de  Lo  îi . .  7  —  138 

Jacques  de  Strepar 1  —  1 

Jacques  Testera 3  —  18 

Jean,  de  Portugal 14  -  323 

Jean-Baptiste  de  Madrigalejo 24  —  439 

Jean  Brugman 1  —  9 

Jean  d'Avellino 11  —  196 

Jean  de  Gaonà 3  —  83 

Jean  de  la  Solidad 2  —  43 

Jean  de  Palma 25  —  437 

Jean  de  Palos 25  —  458 

Jean  de  Perpignan 3  —  80 

Jean  de  Ribas 25  —  454 

Jean  de  Saint-Bernard 2  —  34 

Jean  de  Sainte-Marie : '.  9  —  173 

Jean  de  Spire  et  quelques  autres  religieux 30  —  499 

Jean  de  Todi 11  —  194 

Jean  de  Zurnarra^a 3  —  54 

Jean  Gray 5  —  104 

Jean  l'Ami,  de  Louvain 18  —  371 

Jeanne  de  Durvé 1  —  11 

Jean  Seren 8  —  151 

Jean  Tozalius 7  —  145 

.lérémie  et  autres 25  —  447 

Jérôme  de  Portugal 10  —  191 

Joseph  de, Sainle-Maru    15  —  339 

Julien 13  —  319 


554  TABLE 


L 

Pages. 

Laurent  de  Rapariegos 3  juin  89 

Léonard  Galicius ]^  —  353 

Léonora  Gusman 21  —  425 

Les  premiers  martyrs  du  Brésil 19  —  385 

Louis  de  Fuensalida 25  —  456 

Louis  de  Mantoue 7  —  143 

Louis  Gomez 6  —  131 

Lucas  de  Cuencâ 10  —  186 


M 

Marguerite  d'Odelfangen 12  —  225 

Marguerite  de  Foligno 13  —  294 

Marie-Anne  de  Saint-Pierre 21  —  424 

Marie  Mynsheeren 12  —  225 

Martin  Alonso 28  —  485 

Martin  Belsuuce 30  —  504 

Martin  de  Bourgogne  et  autres 16  —  349 

Martin  de  Sainie-Marie ..  13  —  301 

Matthieu  de  INarni 12  —  212 

Miche!  Boras 4  —  95 

Michel  de  Pérouse  et  autres 16  —  352 

Michel  des  Ange= 18  —  373 

Michel  Dovin." 6  —  134 

Micheline 19  —  378 


O 

Olivier  Maillai i  3    —    293 

Onuphre  de  Sienne 12    —    213 


Pacifique  de  Ceràno 5  —  !)6 

Pacifique  Guiso 13  —  305 

Pascal  de  la  Plaza 27  —  476 

Pascal  de  Victoria .    23  —  429 

Paul  Jovia 3  —  86 

Fax  de  Rieti 7  —  139 

Pierre  Césius il  —  200 

Pierre  d'Aragon 5  —  106 

Pierre  de  Chavez 30  —  501 

Pierre  de  Composte!^ 5  —  110 

Pierre,  de  Gand 29  -  492 

Pierre  de  la  Mère  de  Dieu 8  —  171 


SELON   LORDRK  ALPHABÉTIQUE.  533 

Pa^es. 

Pierre  de  Portugal 14  juin  324 

Pierre  de  Rieti . .  12  —  214 

Pierre  de  Sienne 13  —  321 

Pierre,  dit  le  Père  des  malheureux 15  —  334 

Pierre  d'Ortona 29  —  497 

Pierre  d'Urbin 24  —  44  i 

Pilingotte 1  —  4 

Plusieurs  frères  iniueuis 6  —  133 

R 

Raphaël  de  Nursie 22  —  428 

Réginald  d'Orsaia 5  —  1 09 

Religieux  de  la  province  de  Milan .*;  —  98 

Richard  de  Rourgogne 23  —  429 


Sébastien  de  Saint-Joseph 18,    —    358 

Simon  de  Torciano ï  1    —    199 


Thomas 27     —    474 

Thomas  de  Gubbio 11     —    200 


Valentin  de  Narni 6    —    129 

Vincent  de  Nicosie 9     —     179 

Vital  et  autres 27    —    471 


FIN   DES  TABLES. 


Bar-le-Duc  —  Typ.  L.  Cuerin. 


fBX  3606  .P34  1872  v.6 
Le  palmier  seraphique 
47234203 


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