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Full text of "Le passant; comédie en un acte, en vers"

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Uni  vers  ity  of  Ottawa 


littp://www.arcliive.org/details/lepassantcomdiOOcoppuoft 


^y- 


LE  PASSANT 

COMÉDIE   EN   UN   ACTE,   EN   VERS 

Représentée  pour  la  première  fois  sur  le  théâtre 
impérial  de  l'OJéon  le  \^  ja)ivier  i8Cy 


DU    MEME    AUTEUR    : 
(poésies). 

Le  Reliquaire «  vol. 

Intimités '  vol. 

Sous  presse  : 
Poèmes    modernes. 


FRANÇOIS    COPPÉE 


LE 


PASSANT 


COMÉDIE  EN  UN  ACTE,  EN  VERS 

Représentée  pour  la  première  /ois  sur  le  théâtre  impérial  de  l'Odéon 
le  i^  janvier  1869 


SEPTIEME    EDITION 


PARIS 

ALPHONSE  LEMERRE,  ÉDITEUR 

47,  Passage  Choiseul,  47 
U.D.CCC. LXIX 


PQ 


A    M'-^^    AGAR 


Mademoiselle, 

Après  avoir  remercié  la  direction  de  VOdéon  de 
V excellent  coyicours  qu'elle  m'a  prêté  et  avoir  joint  mes 
applaudissements  à  ceux  du  public  pour  Mlle  Sarah 
Bernhardt,  qui  a  bien  voulu  donner  au  rôle  de  Zanetto 
le  prestige  de  son  exquise  beauté  blonde  et  de  son  talent 
plein  d'élégance  et  de  grâce,  je  veux  dire  encore  ici 
tout  ce  que  vous  doit  cette  fugitive  fantaisie  d'un  poète. 
Je  veux  que  tous  ceux  qui  s'intéresseront  à  cette  œuvre 
légère  sachent  avec  quelle  bonté  vous  l'ave:^  accueillie, 
avec  quel  dévouement  vous  ave\  aplani  la  route  qui  la 
séparait  de  la  scène,  avec  quelle  ardeur  de  grande  et 
généreuse  artiste  enfin  vous  ave^  étudié ,  réalisé ,  créé 
cette  figure  de  Silvia  qui,  grâce  à  vous,  apparaît  au 
spectateur  si  magnifiquement  belle  et  si  noblement  pa- 
thétique. 

Permettez-moi  donc.  Mademoiselle,  de  vous  dédier 
cette  comédie,  comme  un  faible  témoignagç  de  Vadmi- 
ration  et  de  la  reconnaissance 

de  votre  très- respectueux  et  très-dévoué  serviteur 
et  ami, 

François    Coppée. 


PERSONNAGES  : 
Zanetto M"e  Sarah  Bernhardt. 

SiLVIA.      , M""   ÂGAR. 


(Renaissance  italienne). 


LE  PASSANT 


COMEDIE    EN       UN      ACTE,      EN     VERS. 


Un  paysage  lunaire.  A  droite,  une  élégante  maison  de  plaisance, 
bâtie  sur  une  terrasse  qui  descend,  par  une  rampe  en  pente  douce, 
sur  le  devant  du  théâtre.  Au  pied  du  mur  de  la  terrasse,  un  vieux 
banc.  Au  fond  du  décor,  Florence  vaguement  aperçue.  Le  ciel  est 
plein  d'étoiles. 


SCÈNE    PREMIÈRE 

SILVIA,    SEULE. 

(Silvia,  en  déshabillé  blanc,  est  accoudée  sur  la  rampe 
de  pierre  sculptée  de  la  terrasse,  et  contemple,  rê- 
veuse, le  paysage.) 

Que  l'amour  soit  maudit  !  Je  ne  puis  plus  pleurer, 

{Elle  descend  lentement  la  pente  douce.) 
J'ai  passé  ma  jeunesse  à  me  faire  adorer. 


Je  suis  la  froide  et  la  méchante  souveraine. 

Tous,  ils  baisent  ma  main  comme  une  main  de  reine, 

Humbles,  sans  que  jamais,  par  un  frisson  vainqueur, 

La  chaleur  du  baiser  m'ait  monté  jusqu'au  cœur. 

Qui  le  croirait  pourtant  ?  La  Silvia  s'ennuie. 

Et  toujours  cet  azur  banal.  Deux  mois  sans  pluie! 

Toujours  les  belles  nuits  et  le  tranquille  été. 

Vraiment,  le  ciel  m'en  veut  et  s'est  mis  du  côté 

Des  poètes  et  des  donneurs  de  sérénades. 

Il  leur  offre  à  loisir  les  comparaisons  fades; 

Et  mon  nom  va  rimer,  à  la  fin  des  sonnets, 

Avec  toutes  les  fleurs  où  je  me  reconnais. 

Et  cependant  je  suis  l'idole,  et  l'on  envie 

Tous  ces  flatteurs  courbés  que  traîne  la  Silvie 

Dans  le  sillon  que  laisse  en  passant  son  dédain. 

L'aventurier  toscan,  alourdi  de  butin, 

Vient  jeter  à  mes  pieds  les  anneaux  et  les  chaînes. 

L'orgueilleux  podestat  et  l'argentier  de  Gênes 

Luttent  à  qui  pourra  troubler  mes  yeux  sereins 

En  ouvrant  devant  eux  la  splendeur  des  écrins. 

Mais  nul  ne  m'a  cause  même  de  la  surprise. 

Ah!  c'est  que  je  les  hais  comme  je  les  méprise, 

Tous  ces  hommes  au  cœur  aisément  contenté, 

Dont  le  désir  me  veut  moins  que  la  vanité. 

Je  soutfre.  Vivre  ainsi,  sans  amour,  est-ce  vivre? 

Je  n'ai  rien,  ni  la  fleur  qui  sèche  dans  un  livre, 

Ni  les  cheveux  gardés,  ni  le  mot  si  touchant 

Auquel,  tous  les  minuits,  on  pense  en  se  couchant. 


-  9  — 

Ma  vie  est  sans  plaisirs  comme  elle  est  sans  alarmes, 
Hélas!  et  j'ai  perdu  jusqu'au  secret  des  larmes! 
Oh!  comme  je  suis  triste! 

(Montrant  la  ville  au  loin.) 

Et  dire  que  voici 
Florence,  et  que  la  nuit  est  si  pure,  et  qu'ainsi 
Q.ue  moi,  sous  quelque  toit  de  la  ville,  peut-être, 
Le  regard  dans  le  ciel,  le  coude  à  sa  fenêtre, 
Soupire  et  rêve  un  pauvre  et  timide  écolier 
Qui  m'a  vue  une  fois  et  n'a  pu  m'oublier. 
Et  me  garde  un  amour  dont  je  ne  suis  plus  digne. 
Oh!  qu'il  n'espère  pas  que  mon  cœur  se  résigne 
A  le  laisser  partir,  celui-là,  si  jamais 
Il  vient  dans  mon  chemin  fatal.  Je  lui  promets 
Q.ue  je  ne  serai  plus  la  seule  malheureuse 
Et  que  je  n'entends  pas  faire  la  généreuse! 


ZA.NETTO,  chantant  dans  le  lointain. 

Mignonne,  voici  l'avril  ! 
Le  soleil  revient  d'exil; 
Tous  les  nids  sont  en  querelles. 
L'air  est  pur,  le  ciel  léger. 
Et  partout  on  voit  neiger 
Des  plumes  de  tourterelles. 


Tout,  jusqu'à  cette  voix  si  fraîche  dans  la  nuit, 

M'irrite.  La  gaieté  des  autres  me  poursuit. 

Je  suis  triste  et  maudis  le  printemps;  il  le  chante. 

ZANETTO,  dont  la  voix  se  rapproche. 

Prends,  pour  que  nous  nous  trouvions, 
Le  chemin  des  papillons 
Et  des  frêles  demoiselles. 
Viens,  car  tu  sais  qu'on  t'attend 
Sous  le  bois,  près  de  l'étang 
Où  vont  boire  les  gazelles. 

SILVIA. 

La  mélodie  est  douce  et  la  voix  est  touchante; 
Mais  je  ne  comprends  plus  tous  ces  riens  amoureux. 
Rentrons.  Il  faut  laisser  la  place  aux  gens  heureux. 

(Elle  remonte  lentement  sur  la  terrasse,  en  regar- 
dant,  distraite,  du  côté  d^où  venait  la  voix.  Za- 
netto,  sa  guitare  sur  Vépaule  et  portant  sous  son 
bras  son  manteau  qui  traîne  dans  Vherbe,  entre 
gaiement,  sans  voir  Silvia.) 


SCÈNE    II. 

SILVIA,   SUR   LA   TERRASSE,   ZANETTO. 
ZANETTO. 

Vivent  les  nuits  d'été  pour  faire  un  bon  voyage  ! 
Le  soir,  on  a  soupe  dans  quelque  humble  village, 
Sous  la  treille,  devant  les  splendeurs  du  couchant  ; 
Et  l'on  part  au  lever  de  la  lune.  En  marchant, 
On  chante,  et  l'on  oublie,  en  chantant,  la  fatigue. 
Vivent  les  nuits  d'été  quand  le  ciel  est  prodigue 
De  clartés,  et  que  l'astre  au  regard  presque  humain 
Vous  sourit  à  travers  les  arbres  du  chemin  ! 
Vivent  les  nuits  de  juin  et  vive  l'espérance  ! 
M'y  voici.  Dès  demain,  je  saurai  si  Florence 
Aime  toujours  le  luth  et  les  chansons  d'amour. 
Mais  nous  sommes  encor  bien  loin  du  petit  jour; 
Et  quand  on  est  ainsi  vêtu  de  vieille  serge 

(Montrant  sa  guitare) 

Et  qu'on  porte  ceci  sur  l'épaule,  l'auberge 

Est  sourde  au  poing  qui  frappe  et  s'ouvre  avec  ennui. 

Où  pourrais-je  donc  bien  me  coucher  aujourd'hui  ? 

(//  aperçoit  le  banc.) 

Ce  vieux  banc?  Oui.  C'est  dur.  Mais  la  nuit  est  si  douce  ! 


Et  puis  je  les  connais  les  oreillers  de  mousse  : 
On  y  dort,  et,  si  l'on  a  froid  dans  son  sommeil; 
Le  matin  on  se  chauffe  en  dansant  au  soleil. 

(//  se  dispose  à  dormir  sur  le  banc.) 

C'est  égal,  on  est  mieux  entre  deux  draps  de  toile. 
Cette  nuit,  je  te  prends  pour  gîte,  ô  belle  étoile, 
Auberge  du  bon  Dieu  qui  fait  toujours  crédit. 

(//  s'étend  sur  le  banc,  à  demi  caché   dans  son 
manteau,  et  ferme  les  yeux.) 

siLV  I  A,  regardant  du  haut  de  la  terrasse. 

Pauvre  enfant  !  C'est  qu'il  va  faire  comme  il  le  dit. 
Et  moi  qui  me  plaignais  que  la  nuit  fût  si  belle. 
Comme  je  suis  méchante! 

(Elle  descend  rapidement  la  pente.) 

Il  faut  que  je  l'appelle. 
Car  je  manque  au  devoir  de  l'hospitalité. 
On  est  ainsi  pourtant.  On  se  plaint  de  l'été 
Parce  qu'on  est  en  proie  à  la  mélancolie  ; 
On  voudrait  que  la  nuit  fût  sombre,  et  l'on  oublie 
Tous  ces  pauvres  errants  que  le  sort  négligea 
Et  qui  n'ont  pas  d'abri. 

{Regardant  Zanetto  endormi.) 

Mais  c'est  qu'il  dort  déjà  ! 
Pauvre  petit!  il  a  sans  doute  l'habitude. 


—  i3  — 

Mais  quoi  donc?  Ce  silence  et  cette  solitude, 

Cette  nuit  parfumée  et  cet  enfant  qui  dort, 

Me  troublent.  On  dirait  que  mon  cœur  bat  plus  fort 

Et  qu'une  émotion  nouvelle  le  soulève. 

Ah  !  je  suis  folle  1 

(Regardant  Zanetto  de  plus  près.) 

Hélas  !  il  ressemble  à  mon  rêve. 

(^Lui  prenant  doucement  la  main.) 

Allons!  réveillez-vous.  L'air  du  soir  est  mauvais. 


ZANETTO,  s^éveillant  et  regardant  Silvia  avec  une 
admiration  étonnée. 

Une  fée!  —  Ah!  c'était  de  vous  que  je  rêvais, 
Car  mon  sommeil  était  plein  de  visions  blanches. 


Bah  !  c'était  un  rayon  d'étoile  entre  les  branches. 


ZANETTO. 

Non,  et  c'est  bien  en  vous  mon  rêve  que  je  vois, 
Car  il  me  semble  aussi  connaître  votre  voix; 
Quand  on  dort,  on  ne  peut  savoir,  mais  on  devine  ; 
Et  j'entendais  un  bruit  de  musique  divine. 

2 


—  14  — 


SILVIA. 


Ce  que  vous  avez  pris  sans  doute  pour  des  mots 
Mélodieux,  c'était,  dans  les  sombres  rameaux, 
Le  murmure  que  fait  en  s'envolant  la  brise. 

ZANETTO. 

Mais  qui  donc  êtes-vous  alors  ? 

SILVIA. 

Une  surprise 
Qui  vient  vous  proposer  repas  et  gîte  enfin, 
Si  vous  avez  sommeil  et  si  vous  avez  faim. 

ZANETTo,  la  regardant  toujours. 

Merci.  J'ai  soupe  tard  et  je  n'ai  plus  envie 
De  dormir. 

SILVIA,  à  part. 

Sois  clémente,  ô  cruelle  Silvie! 
Aujourd'hui  souviens-toi  que  tout  te  le  défend, 
Que  ton  amour  fait  mal  et  que  c'est  un  enfant. 

(Haut.) 

Et  n'ai-je  pas  le  droit  de  chercher  à  connaître 
Celui  qui  prétendait  dormir  sous  ma  fenêtre? 


i5  — 


ZANETTO. 


Si  fait.  Je  ne  veux  pas  garder  l'incognito. 

Je  suis  musicien  et  j'ai  nom  Zanetto. 

Depuis  l'enfance,  étant  d'un  naturel  nomade, 

Je  voyage.  Ma  vie  est  une  promenade. 

Je  crois  n'avoir  jamais  dormi  trois  jours  entiers 

Sous  un  toit,  et  je  vis  de  vingt  petits  métiers 

Dont  on  n'a  pas  besoin.  Mais,  pour  être  sincère, 

L'inutile,  ici-bas,  c'est  le  plus  nécessaire. 

Je  sais  faire  glisser  un  bateau  sur  le  lac. 

Et,  pour  placer  la  courbe  exquise  d'un  hamac. 

Choisir  dans  le  jardin  les  branches  les  plus  souples  j 

Je  sais  condoire  aussi  les  lévriers  par  couples 

Et  dompter  un  cheval  rétif.  Je  sais  encor 

Jongler  dans  un  sonnet  avec  les  rimes  d'or, 

Et  suis  de  plus,  mérite  assurément  très-rare, 

Eleveur  de  faucons  et  maître  de  guitare. 

siLviA,  souriant 

Toutes  professions  à  dîner  rarement, 
N'est-ce  pas? 

ZANETTO. 

Oh  !  bien  moins  qu'on  ne  croirait  vraiment. 
Pourtant,  c'est  vrai,  je  suis  un  être  peu  pratique. 


—  i6  — 

L'heare  de  mes  repas  est  très-problématique, 
Et  je  suis  quelquefois  forcé  de  l'oublier 
Alors  que  le  pays  m'est  inhospitalier. 
Souvent,  loin  des  maisons  banales  où  vous  êtes, 
Assis  au  fond  des  bois,  j'ai  dîné  de  noisettes  ; 
Mais  cela  m'a  donné  l'âme  d'un  écureuil. 
Et  puis  presque  partout  on  me  fait  bon  accueil. 
Je  tiens  si  peu  de  place  et  veux  si  peu  de  chose  ! 
J'entre  dans  les  châteaux,  le  soir,  et  je  propose 
De  dire  une  chanson  pendant  qu'on  va  souper. 
Tout  en  chantant,  je  vois  le  maître  découper 
Le  quartier  de  chevreuil  et  la  volaille  grasse  ; 
Et  ma  voix  en  a  plus  de  moelleux  et  de  grâce. 
Je  lance  aux  plats  fumants  de  longs  regards  amis; 
On  comprend,  et  voilà  que  mon  couvert  est  mis. 


J'entends;  et  vous  allez  à  Florence  sans  doute? 

ZANETTO. 

Sans  doute?  Non.  Je  vais  par  là;  mais,  si  la  route 
Se  croise  de  chemins  qui  me  semblent  meilleurs, 
Eh  bien,  je  prends  le  plus  charmant  et  vais  ailleurs. 
J'ai  mon  caprice  pour  seul  guide,  et  je  voyage 
Comme  la  feuille  morte  et  comme  le  nuage. 
Je  suis  vraiment  celui  qui  vient  on  ne  sait  d'où 


—  17  — 

Et  qui  n'a  pas  de  but,  le  poète,  le  fou, 
Avide  seulement  d'horizon  et  d'espace, 
Celui  qui  suit  au  ciel  les  oiseaux,  et  qui  passe. 
On  n'entend  qu'une  fois  mes  refrains  familiers. 
Je  m'arrête  un  instant  pour  cueillir  aux  halliers 
Des  lianes  en  fleurs  dont  j'orne  ma  guitare, 
Puis  je  repars.  Je  suis  le  voyageur  bizarre 
Que  tous  ont  rencontré,  léger  de  ses  seize  ans, 
Dans  le  sentier  nocturne  où  sont  les  vers  luisants. 
Quand  il  pleut,  je  me  mets  sous  l'épaisse  feuillée, 
Et  je  sors,  ruisselant,  de  la  forêt  mouillée, 
Pour  courir  du  côté  riant  de  l'arc  en  ciel. 
Ne  la  cherchant  jamais,  je  trouve  naturel 
De  n'avoir  pas  encor  rencontré  la  fortune. 
Je  suis  le  pèlerin  qui  marche  sous  la  lune, 
Boit  au  ruisseau  jaseur,  passe  le  fleuve  à  gué, 
Va  toujours  et  n'est  pas  encore  fatigué. 


Et  n'avez-vous  songé  jamais  à  faire  halte? 
Dans  celte  folle  course  où  votre  esprit  s'exalte 
A  rêver  le  douteux  espoir  du  lendemain, 
N'avez-vous  donc  jamais,  au  tournant  du  chemin, 
Aperçu  la  maison  calme,  toute  petite 
Et  blanche  sous  le  pampre  et  sous  la  clématite, 
Avec  son  bon  vieux  chien  qui  dort  près  du  portail 
Et  sa  fenêtre  dont  s'entr'ouvre  le  vitrail 

2. 


—  i8  — 


Pour  montrer  le  profil  pur  et  le  fin  corsage 

D'une  enfant  qui  vous  donne  un  bonjour  au  passage? 


ZANETTO. 

Quelquefois.  Mais  j'ai  cru  toujours  que  mes  chansons 

Feraient,  comme  en  jetant  des  pierres  aux  buissons 

On  en  fait  s'échapper  tout  un  nid  de  vipères, 

Sortir  de  ces  logis  les  tuteurs  et  les  pères. 

Or,  avec  cet  aspect  de  franc  bohémien, 

Je  suis  peu  de  leur  goût,  comme  ils  sont  peu  du  mien 

Et  j'aime  autant  laisser  tranquilles  les  familles. 


Quoi  ?  vous  ne  rêviez  pas  lorsque  les  jeunes  filles 
Vous  lançaient  en  riant  les  fleurs  de  leurs  corsets? 

ZANETTO. 

A  quoi  bon  ?  J'envoyais  un  baiser  et  passais. 
Et  puis,  je  vous  dirai,  ma  liberté  m'est  chère. 
Si  j'aimais,  je  perdrais  cette  marche  légère; 
Et,  tant  que  je  pourrai,  je  n'aurai  pour  fardeaux 
Que  ma  plume  au  bonnet  et  ma  guitare  au  dos. 
Un  amour  dans  le  cœur,  c'est  un  si  lourd  bagage  ! 


—  19  — 


Vous  êtes  un  oiseau  qu'on  ne  peut  mettre  en  cage? 

ZANETTO. 

Jamais. 


Et  qui  pourtant  fera  son  nid  un  jour, 
N'est-il  pas  vrai? 

ZANETTO. 

Non,  non.  J'ai  trop  peur  de  l'amour. 
Ah!  vous  ne  savez  pas.  C'est  une  douce  chose 
De  s'arrêter  ainsi  qu'un  papillon  se  pose, 
D'aller,  de  revenir,  si  l'on  veut,  sur  ses  pas, 
Et  puis  de  repartir  ensuite. 


Ce  n'est  pas 
Le  bonheur.  Ainsi  donc,  vous  venez  à  Florence, 
Mais  vous  n'êtes  guidé  par  aucune  espérance. 
Vous  venez,  le  hasard  vous  tenant  par  la  main, 
Parce  que  vous  avez  trouvé  doux  le  chemin, 
Ou  que,  dans  l'air  du  soir,  à  votre  loi  fidèle, 


Vous  suivîtes  de  loin  le  vol  d'une  hirondelle, 
Ou  que  la  brise  hier  de  ce  côté  souffla  ? 

ZANETTO. 

A  peu  près. 

SILVI  A, 

Ce  n'est  donc  pas  tout  à  fait  cela. 
Auriez-vous  un  projet? 

ZANETTO. 

Si  vague. 

SI  LVI  A. 

Mais  encore? 

ZA  NETTO, 

Ce  que  demain  pour  moi  doit  être,  je  l'ignore. 

SILVIA. 

Si  je  puis  vous  aider? 

ZA  N  ETTO. 

Il  n'en  est  pas  besoin, 


—  ai  — 

Et  peut-être,  après  tout,  n'irai-je  pas  plus  loin. 
Ecoutez.  Il  me  vient  en  tête  une  chimère. 
Les  êtres  comme  moi  n'ont  ni  père  ni  mère. 
Suis-je  le  fils  d'un  rustre  ou  le  fils  d'un  marquis? 
Je  ne  sais.  Mais,  bien  sûr,  le  jour  où  je  naquis 
Dut  être  un  beau  matin  de  la  saison  nouvelle; 
Car  le  joyeux  rayon  qui  loge  en  ma  cervelle 
M'empêche  de  songer  que  je  suis  orphelin. 
Jusqu'ici,  j'ai  couru  comme  un  jeune  poulain, 
Libre,  sans  désirer  d'existence  meilleure. 
Mais,  je  dois  l'avouer,  madame,  tout  à  l'heure. 
Tandis  que  vous  parliez  avec  tant  de  douceur, 
Tout  à  coup  j'ai  rêvé  vaguement  d'une  sœur, 
Et  lorsque  vous  m'avez  fait  comprendre  l'asile 
Où  l'intime  bonheur  loin  des  regards  s'exile, 
La  petite  maison  que  voilent  les  lilas, 
Pour  la  première  fois  je  me  suis  senti  las. 
Eh  bien,  à  votre  doux  conseil  je  m'abandonne. 
Alors  qu'on  est  si  belle  on  doit  être  si  bonne! 
Voulez-vous  essayer,  madame,  s'il  vous  plaît, 
De  garder  près  de  vous  le  petit  roitelet 
Et  de  le  transformer  en  oiseau  de  volière  ! 
Tenez  :  je  quitterais  ma  vie  irrégulière 
Et  je  vivrais  ici,  n'ayant  d'autre  dessein 
Que  de  passer  le  jour,  assis  sur  un  coussin, 
A  vos  pieds,  vous  faisant  trouver  les  heures  brèves 
Et  berçant  de  chansons  fugitives  vos  rêves. 


SILVIA. 

Vous  êtes  un  enfant. 

(A  part.) 

Oh  !  pourquoi  cet  émoi 
Et  pourquoi  cette  peur''  L'avoir  l;i,  près  de  moi, 
Toujours,  l'environner  de  soins  et  de  tendresse, 
L'entendre  me  donner  le  nom  de  sa  maîtresse, 
Voir  se  réaliser  le  plus  cher  de  mes  vœux  î... 

ZANETTO. 

Vous  m'avez  entendu.  Voulez-vous  î 

siLviA,  à  part. 

Si  je  veux? 
Oh!  jamais!  Et  pourtant  c'est  lui  qui  le  demande- 

ZANETTO, 

Madame,  je  sais  bien  que  la  faveur  est  grande. 
Mais...  voulez-vous? 

SILVIA,  à  part. 
Demain  il  saurait  qui  je  suis. 


—  *3  — 

Z  ANETTO. 

Une  dernière  fois,  voulez-vous^ 

SILVI  A. 


Je  ne  puis. 


z  AN  ETTO. 

Vous  ne  pouvez?  Pourquoi? 

SILVIA, 

s 

Je  ne  suis  pas  la  femme 
Que  vous  croyez.  Il  faut  être  une  grande  dame 
Pour  traiter  dignement  chez  soi,  comme  les  siens, 
Les  poètes  errants  et  les  musiciens. 
Je  suis  pauvre  et  n'ai  point  un  si  grand  équipage. 

ZANETTO. 

Quoi?  pas  un  écuyer? 

SILV'IA. 

Non. 


—  24  — 

Z  ANETTO. 

Pas  même  de  pager 

SILVIA, 

Non. 

ZANETTO. 

Je  dîne  d'un  fruit  et  dors  en  un  fauteuil. 

SILVIA, 

Je  ne  puis. 

ZANETTO. 

Mais..t 

SILVIA. 

Je  suis  veuve,  je  suis  en  deuil 
Et  vis  très-seule. 

ZANETTO. 

Hélas!  madame,  je  n'exige 
Qu'une  place  à  vos  pieds. 


Impossible,  vous  dis -je. 


25 


ZANETTO. 


Adieu  donc,  ô  doux  sort  que  mon  cœur  envia  ! 
Je  serai  plus  heureux  demain  chez  Silvia, 
Peut-être. 

SILVIA,  à  part. 

Que  dit-il? 

Z  ANETTO. 

Puisqu'il  n'est  pas  possible 
De  vivre  près  de  vous  l'existence  paisible 
Que  tout  à  l'heure,  en  vous  écoutant,  j'entrevis, 
Voulez-vous  me  donner  du  moins  un  bon  avis  ? 
L'autre  jour,  on  m'a  dit  qu'à  Florence  il  existe 
Une  femme  à  laquelle  aucun  cœur  ne  résiste 
Et  dont  le  seul  regard  fait  tomber  à  genoux. 
On  la  dépeint  royale  et  pâle  comme  vous. 
Vous  connaissez  son  nom  sans  doute,  la  SiMe  ? 
On  ajoute  de  plus  qu'elle  mène  une  vie 
Somptueuse  et  que  tous  viennent  des  environs. 
Heureux  de  se  mêler  à  ses  décamérons. 
Comme  elle  doit  goûter  la  musique  câline 
Qui,  sô\is  un  doigt  savant,  sort  d'une  mandoline, 
A  vrai  dire,  c'était  chez  elle  que  j'allais. 

} 


—    26   — 

siLviA,  à  part. 
Mon  Dieu  ! 

ZANETTO. 

Je  puis  trouver  place  dans  son  palais, 
Entre  son  négrillon  et  son  valet  de  meute. 
Mais  j'entends  murmurer  en  moi  la  sourde  émeute 
De  tous  mes  sentiments  d'orgueil  et  de  fierté. 
Et  puis  on  dit  qu'elle  est  d'une  étrange  beauté, 
Qu'on  respire,  en  vivant  près  d'elle,  une  atmosphère 
Funeste.  Enfin  j'ai  peur.  Dites,  que  dois-je  faire? 
Madame,  je  me  fie  à  vous  en  ce  moment. 
Vous  m'avez  repoussé,  c'est  vrai,  mais  doucement; 
Vous  ne  vous  êtes  pas  sans  peine  décidée; 
Et  je  ne  sais  pourquoi,  je  garde  cette  idée 
Que  pour  moi  votre  cœur  est  maternel  et  doux, 
Que  je  vous  intéresse  et  qu'un  conseil  de  vous 
Me  portera  bonheur  et  pour  toute  la  vie. 
J'attends  votre  ordre.  —  Dois-je  aller  chez  la  Silvie  ? 

si  L VI  A,  à  part 

J'ai  bien  compris.  Demain  il  serait  revenu. 
Ce  passant  qui  s'appelle  amour,  cet  inconnu 
Dont  la  vue  a  rempli  mon  âme  de  tendresse, 
C'est  à  moi,  bien  à  moi,  que  le  destin  l'adresse. 
C'est  le  bonheur  qui  passe,  et  je  le  chasserais? 


—    27   — 

Non.  C'est  trop  étouffer  mes  sentiments  secrets, 
Et  je  veux... 

ZANETTO. 

Étes-vous  donc  si  peu  mon  amie 
Que  vous  vous  taisez  ? 

siL  V  lA,  à  part. 

Ah  !  si  c'est  une  infamie, 
Je  pourrai  dire  au  moins  que  le  sort  s'en  mêla. 

(^Haut.) 

Vous  le  voulez  ^  Eh  bien  !... 

ZANETTO. 

Eh  bieni'... 

SIL  VI  A,  après  un  silence  et  avec  un  violent  effort. 

N'allez  pas  là  ! 
Croyez-moi.  N'allez  pas,  ami,  chez  cette  infâme. 
Ah  !  VOUS  ne  savez  pas  ces  choses-là.  Votre  âme 
Est  innocente  au  point  d'ignorer  le  danger. 
Mais  moi  qui  ne  peux  rien,  rien  pour  vous  protéger, 
Hélas  !  et  qui  vous  dus  refuser  la  première 
Ce  qu'on  vous  a  toujours  donné  dans  la  chaumière, 


—  a8  — 

Un  asile,  je  puis  vous  sauver  à  présent. 

Quoi  !  vous,  l'enfant  des  bois,  qui  passez,  amusant 

Les  échos  et  luttant  dans  votre  libre  course 

Avec  le  passereau,  le  nuage  et  la  source , 

Vous  qui  n'avez  au  cœur  rien  d'artificiel. 

Vous  qui  chantez  ainsi  que  les  oiseaux  du  ciel , 

Vous  franchiriez,  la  joue  humide  de  rosée, 

Le  seuil  de  la  maison  funeste  et  méprisée  ; 

Vous  entreriez  avec  le  soleil  du  matin 

Dans  la  salle  où  finit  à  peine  le  festin; 

Et  votre  lèvre  pure,  enfant,  serait  rougie 

A  la  coupe  banale  où  s'abreuve  l'orgie; 

On  vous  en  offrirait  les  infâmes  débris, 

Et  vous  prostitueriez  à  ces  regards  flétris 

Par  la  veille,  et  que  la  débauche  décolore, 

Vos  grands  yeux  pleins  d'azur  et  vos  cheveux  d'aurore  1 

Aller  chez  Silvia?  Vous  ne  le  pouvez  pas. 

Payer  d'une  chanson  son  gîte  et  son  repas, 

Rien  de  mieux  ;  mais  il  faut  connaître  davantage, 

Voyez-vous,  le  logis  et  le  pain  qu'on  partage. 

Pardon.  Je  parle  presque  avec  sévérité, 

A  vous,  tout  d'innocence  et  tout  de  pureté. 

Quand  seule  j'ai  besoin  d'indulgence  moi-même. 

Mais,  si  je  suis  émue,  ah!  c'est  que  je  vous  aime... 

Comme  un  enfant  qu'on  veut  arracher  du  péril. 

Non,  Zanetto,  restez  le  doux  coureur  d'avril! 

Que  toujours,  à  travers  les  campagnes  vermeilles, 

Bourdonne  votre  luth  comme  un  essaim  d'abeilles, 


—    29   — 

Et,  quand  le  ciel  sera  trop  noir,  allez-vous-en 

Chez  le  vieux  châtelain  ou  le  bon  paysan; 

Et  reprenez  après  votre  éternel  voyage. 

Enfin  si,  traversant  la  place  d'un  village 

Par  un  riant  matin  de  la  jeune  saison, 

Vous  voyez,  travaillant  au  seuil  de  sa  maison, 

Une  humble  et  pure  enfant  aux  yeux  de  fiancée, 

C'est  là  qu'il  faut  borner  la  route  commencée, 

Vivez-y  les  longs  jours  calmes  d'un  moissonneur, 

Et  vous  verrez,  ami,  que  c'est  là  le  bonheur. 

ZANETTO. 

Je  vous  obéirai.  Mais  pourtant  cette  femme, 
La  Silvie,  il  se  peut  aussi  qu'on  la  diffame. 
Ceux  qui  m'avaient  parlé  d'elle  m'avaient  fait  voir 
Son  palais  comme  un  lieu  moins  terrible  et  moins  noir; 
Et  je  n'y  serais  pas  allé,  je  vous  assure, 
Si  j'avais  su... 

(Remarquant  un  geste  douloureux  de  Silvia.) 

Pardon.  Je  touche  une  blessure. 
Je  devine.  Tantôt,  en  m'arrêtant  au  seuil, 
Ne  m'avez-vous  pas  dit  que  vous  étiez  en  deuil  ? 
En  deuil  !  On  l'est  surtout  d'une  amitié  ravie. 
Un  frère,  un  fiancé,  pris  par  cette  Silvie, 
N'est-ce  pas?  Ah!  Soyez  bonne,  et  pardonnez-moi 
De  comprendre  si  tard,  devant  un  tel  émoi. 


—  3o  — 

Que  ce  n'est  pas  mon  seul  intérêt  qu'il  épouse, 
Que  vous  souffrez,  enfin  que  vous  êtes  jalouse. 

s  IL  VI  A,  très- sombre. 

Ami,  votre  soupçon  vous  trompe  étrangement. 
Je  ne  regrette  pas  de  frère  ni  d'amant. 
Et  mon  émotion  est  bien  plus  naturelle. 
Je  connais  la  Silvie  et  j'éprouve  pour  elle 
De  la  pitié,  sachant  qu'elle  est,  en  vérité, 
Capable  d'un  moment  de  générosité 
Envers  celui  que  son  innocence  protège. 
Mais  au  cruel  désir  de  marcher  sur  la  neige 
Pourrait-elle  longtemps  résister?  C'est  moins  sûr, 
Car  au  fond  elle  hait  le  naïf  et  le  pur. 
Partez  donc,  et  croyez  que  seul  ici  mon  zèle 
Me  fait  vous  conseiller  de  n'aller  pas  chez  elle. 
En  vous  le  prescrivant  j'accomplis  un  devoir. 
Éloignez-vous.  Partez. 

{Avec  une  douleur  contenue.) 

Vous  ne  pouvez  savoir 
Combien  il  m'est  pénible  et  combien  il  me  coûte, 
Enfant,  de  détourner  vos  pas  de  cette  route. 
Vous  ne  pouvez  comprendre,  et  je  le  veux  ainsi  ; 
Mais  je  mérite  bien  qu'on  me  dise  merci. 

(.4  part.) 

C'est  fini.  Mais,  hélas  !  s'il  m'avait  devinée  ! 


—  3i  — 


ZANETTO. 


Je  n'irai  pas.  C'est  vous  qui  l'avez  condamnée. 
Je  partirai,  trouvant  peut-être  moins  heureux, 
Aujourd'hui  qu'autrefois,  mon  sort  aventureux; 
Car  ici  j'ai  compris  tout  le  charme  indicible 
D'un  repos  qui  pour  moi  sans  doute  est  impossible. 
Mais  j'emporte  pourtant  comme  un  bonheur  confus. 
Quelque  chose  de  tendre  était  dans  vos  refus. 
N'emporterai-je  rien  de  plus  qui  me  rappelle 
Que,  si  vous  dûtes  être  à  mon  souhait  rebelle, 
Vous  en  aviez  au  cœur  quelque  chagrin  secret 
Et  que  vous  avez  dit  le  doux  mot  de  regret. 


siLviA,  vivement  et  lui  offrant  une  de  ses  bagues. 

Oh!  certes,  et  gardez,  pour  qu'il  vous  en  souvienne. 
Cet  anneau... 

ZANETTO,  avec  un  geste  de  refus. 

Non,  madame.  Il  est  de  forme  ancienne 
Et  rare,  en  or  massif,  orné  d'un  diamant 


—    32    — 

Énorme.  Je  ne  puis  accepter.  Non,  vraiment. 

Merci.  —  N'êtes-vous  pas,  madame,  pauvre  et  veuve? 


siLviA,  à  part. 

M'aurait-il  reconnue  et  serait-ce  une  épreuve? 
Saurait-il  d'où  je  tiens  ces  bijoux  odieux? 
Il  se  tait.  Son  regard  me  fait  baisser  les  yeux. 

(Haut). 
Et  que  voulez-vous  donc  enfin  que  je  voua  donne? 

ZAN  E  TTO. 

Je  veux  un  souvenir,  et  non  pas  une  aumône, 

Un  rien,  mais  qui  soit  bien  à  vous.  — Tenez.  Je  veux 

La  triste  fleur  qui  meurt  dans  vos  sombres  cheveux? 

SILVIA,  lui  donnant  la /leur. 

Hélas!  prenez.  Avant  que  vienne  la  journée, 
Cette  rose  sera  dans  votre  main  fanée  ; 
Mais  je  veux  que  sa  mort  vous  rappelle  ma  loi, 
Et,  quand  elle  sera  flétrie,  oubliez-moi. 
Adieu. 


—  33  — 


z  A  N E  T  T o,  s^ élançant  vers  Silvia  qui  s'éloigne. 

Madame,  un  mot  encore.  Car  je  tremble 
De  reprendre  ma  route  éternelle.  Il  me  semble 
Qu'il  n'est  plus  par  ici  de  seniier  conduisant 
Au  bonheur,  et  j'ai  peur  de  choisir  à  présent. 
Choisissez  donc  pour  moi.  Soyez  d'intelligence 
Dans  cette  occasion  avec  ma  bonne  chance. 
Je  pars,  mais  je  prendrai,  pour  me  mettre  en  chemin, 
Le  côté  vers  lequel  vous  étendrez  la  main. 
Choisissez. 


s  I L  V I  A,  cm/  (3  déjà  retnon  té  à  demi  la  rampe  de  la  terrasse ^ 
indique  à  Zanetto  le  côté  opposé  à  la  ville. 

Allez  donc  du  côté  de  l'aurore. 

{Zanetto  fait  encore  quelques  pas  vers  Silvia  ;  mais 
celle-ci  V arrête  d'un  geste,  et,  après  avoir  fait 
un  mouvement  plein  de  désespoir,  il  sort  brus- 
quement.) 


-  34- 
SCÈNE  III. 

SILVIA,     SEULE. 

Elle  reste  un  moment  sur  la  terrasse ,  accoudée  et  re- 
gardant s'éloigner  Zanetto.  Puis,  tout  à  coup,  elle  se 
cache  la  tête  dans  les  mains  et  fond  en  larmes.) 

SILVIA. 

Que  l'amour  soit  béni  !  Je  puis  pleurer  encore  ! 


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1869 


Copple,  François 
Le  passant 


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