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Full text of "Le philosophe sans le savoir: comédie en cinq actes"

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&/A 8 74,0 A. \ 



LE PHILOSOPHE 



SANS LE SAVOIR 



I 



TIRAGE A PETIT NOMBRE 

11 a &e* fait un tirage special de : 

3o exemplaires sur papier de Chine (N°* i a 3o). 
3o — sur papier Whatman (N oa 3i a 60). 



60 exemplaires, nume>ot£s. 



c j... 



SEDAINE 



LE PHILOSOPHE 

SANS LE SAVOIR 
comSdie en cinq^actes 

PublUe pour la prcmiire fois d'aprh It manuscrit 
de la Comtdie-Frangaise 

AVEC UNE PREFACE 

PAR GEORGES D'HEYLLI 




PARIS 

LIBRAiRIE DES BIBLIOPHILES 
Rue Saint-Honor^, 338 



M DCCC LXXX 



I 



INTRODUCTION 




i 



a nouvelk Edition du Philosophe sans 
le savoir que nous offrons aujour- 
d'hui au public emprunte une grande 
curiositi a ce fait qu'elle reproduit 
inUgralement et pour la premiire fois le manuscrit 
original du chef-d'oeuvre de Sedaine 1 , tel qu'il a iti 
restitui a la Come'die - Frangaise par M. Emile 
Perrin, le 17 septembre 1875. En effet, jusqu'a 
cette derniere date, on avait toujours reprhente, et 
mime imprimi, le Philosophe sans le savoir con- 
forme'ment au manuscrit remante par Sedaine, en 
1765, d'aprh les indications de la censure et non 
tel que son auteur Vavait d'abord tent. 



1. Nous disons « pour la premiere fois » : en effet, 
l'£dition du theatre choisi de Sedaine que nous avons pu- 
blic en 1877 a la Librahie generate, et qui est aujourd'hui 
£puisee, ne donnait pas cette version d'une maniere aussi 
complete. 



ii INTRODUCTION 

Dans sa version primitive, Sedaine avait traitc* la 
question du duel, qui domine d'ailleurs de tris haut 
toute la pilce, tout autrement qu'il ne I'a fait ensuite 
pour obiir aux injonctions du terrible Marin, le 
maitre' censeur du temps, qui rcfusait de laisser jouer 
le Philosophe sans le savoir sans les modifi- 
cations qu'il avait jugi nicessaire de lui imposer. 

On connait maintenant cette belle seine du troi- 
silme acte, entre le pire et le fils, si grandc dans sa 
simplicity etqui produit tant d'effet a la reprisen- 
tation l . Vanderk fils va sortir pour aller se battre 
en duel; il se cache de son pere, qu'il ne veut pas 
alarmer, ni distraire du grand bonheur que lui cause 
le mariage de sa fille, qui doit avoir lieu le jour 
mime. II cherche done a s'e'ehapper sans etre vu de 
personnc; mais, au moment meme ok, a I'heure la 
plus matinale du jour, il va s'iloigner de la maison 
paternelle, son pire se prisente a Vimproviste devant 
lui. II interroge son fils : celui-ci se trouble , n'osant 
soutenir le regard de son pire ni lui ripondre par un ' 
mensonge. II avoue done franchement la cause qui 
I'oblige a sortir d'aussi bon matin et en un tel jour. 
Que fera Vanderk? II impose silence a ses doulou- 
reuses apprehensions, il se fait raconter par son fils 



i . Sedaine a donn£, en variantes, dans les deux pre- 
mieres Editions de sa piece, les passages supprimls; mais 
ces Editions sont rarissimes, et, par suite, les variantes en 
question e*taient fort peu connues avant la restitution du 
texte primitif, en 1875, a la Comidie-Fran^aise. 




INTRODUCTION m 

laquerellc qui a motive' le duel; puis, comprenant 
que la rencontre est inevitable ( Vanderk fils est 
officier), il y prete lui-meme les mains en facilitant 
a son fils sa sortie clandestine de la maison; il lui 
remet des lettres de cridit pour Vaider a fuir a Vi- 
tranger dans le cas oil la fuite serait nicessaire; 
enfin il lui montre, en [quelque sorte, comme un de- 
voir auquel il ne peut st soustraire, le combat sin" 
gulier oil Vhonneur de son nom est en jeu. 

On comprend qu'une telle seine, oil unpire se fait, 
pour ainsi dire, le complice de son fils pour violer les 
his et idits sur le duel, qui itaient toujours en vigueur, 
parut a la sMre censure de I'ipoque une atteinte d'au- 
tant plus considerable a ces his mimes qu'elle allait se 
produire sur le theatre dont les artistes portaient le titre 
de comidiens ' ordinaires du roi. La piice fut done 
provisoirement interdite et Sedaine inviti, s'il voulait 
la voir reprisenter, a modifier de fond en comble les 
passages qui lui seraient indiquis. 

On devait donner a la cour, dit Grimm , le Phi- 
losophe sans le savoir, recue depuis plusieurs mois 
paries comidiens fran$ais; et, pour que la repre- 
sentation devant Leurs Majest£s put gtre mieux 
ex£cut£e, la piece devait &tre jou£e a Paris la 
veille... Cette piece, au moment d'ltre jou£e, a 
6te* arret^e par la police, et, l'auteur n'ayant pu 
s'arranger avec le censeur, il est fort douteux au- 
jourd'hui qu'elle paraisse jamais sur le theatre. Un 




iv INTRODUCTION 

duel conseille" par un pere a mis toute la police en 
alarmes; on a craint sans doute que le lendemain 
de la representation tous les enfants de famille ne 
demandassent Paveu de leurs parents pour se cou- 
per la gorge. Toutefois il est Evident que... tout 
poete qui a la force et le talent de crayonner les 
mceurs doit £tre proscrit. Montrez-moi un pere 
qui fasse faire une belle capucinade a son fils, et 
vous serez siffl^ peut-^tre, mais vous aurez appro- 
bation et privilege ; mais montrer un pere qui ne 
veut pas que son fils, apres avoir fait une £tour- 
derie, commette aussi une lichet^, et qui lui con- 
seille, au theatre, le seul parti que tout homme 
d'honneur voudrait que son fils prit dans le monde 
s'il avait le malheur de se trouver en pareille cir- 
constance, oh ! ce serait du plus dangereux exem- 
ple ! On voit bien que nous ne sommes pas dans 
le siecle de Corneille. Le cardinal de Richelieu 
n'aurait pas la peine aujourd'hui d'ameuter ces 
roquets beaux esprits contre le Cid, car si le bon 
Pierre £tait venu porter son Cid a M. Marin, cen- 
seur de la police, il Taurait envoys souper avec 
M. Sedaine '. 

Le bon Sedaine ne devait pas faire une bien longue 
resistance. En somme, il s'agissait pour lui de Vex- 



i. Correspondence de Grimm, edition Maurice Tour neux, 
tome VI. Paris, Gamier, 1878. 




INTRODUCTION v 

elusion complite de sa come'die s'il persistait dans le 
refus qufil tenta d'abord d'opposer aux exigences de 
la censure l , et il se re'signa done, par force, aux 
sacrifices qu'on lui imposait; mats son troisiime acte, 
si admirable aujourd'hui, perdit singuliirement de sa 
puissance dramatique par suite des changements qu'il 
dut lui faire subir. C'est par une feinte, dans la ver- 
sion corrigie, que Vanderk fils ichappe a son plre, 
qui devient alors sa dupe, et se trouve pendant un 
moment dans une situation assez fausse et meme un 
peu ridicule. L'effet de ce troisiime acte itait plus que 
diminui , il itait compUtement ditruit. Sedaine le 
scntit si bien qu'il crut devoir prendre lui-meme sa 
propre defense devant le public, dans les prcmiircs 
iditions de sa piice : 

De tous les deTauts de ma piece, dit-il, 
celui qui n'lchappe pas a la plus l£gere attention, 



i . C'est un mois et demi avant la premiere representa- 
tion que Bachaumont constate en ces termes la difficult^ 
survenue et la resistance de Sedaine : 

« On devait donner aujourd'hui, 22 octobre, a Fontaine- 
bleau, la premiere representation d'une comedie nouvelle de 
M. Sedaine : elle est intitulle le Philpsophe sans le savoir; 
mais la police y a trouve" differentes choses a rlprimander, 
entre autres un duel autorise' par un pere. On a ch&tre* cette 
piece absolument et l'auteur ne peut se re*soudre a la donner 
en un pareil £tat. Elle n'est d'ailleurs ni intrigued, ni comi- 
que. On parle de quelques positions (situations) int£res- 
santes. » 



c 



vi INTROD UCTION 

est qu'elle ne remplit pas son titre; j'ai 6ti le pre- 
mier a le dire apres les changements. Mon Philo- 
sophe sans le savoir £tait un homme d'honneur, 
qui voit toute la cruaute* d'un prejuge* terrible et 
qui y cede en glmissant. C'6tait, sous un autre as- 
pect, Brutus, qui, pen&re* de ce qu'H doit a sa pa- 
trie, £tou£fe la voix de la raison,lecri de la nature, 
et envoie ses fils a la mort. 

Les considerations les plus sages m'ont force* 
de changer la situation et d'affaiblir mon caractere 
principal; j'avoue que le titre de Philosophe pa- 
raissait proposer Vanderk comme un modele de 
conduite, et ce pr£tendu modele, malheureusement 
trop pres de nos mceurs, Itait trop loin denoslois. 
Mais si cet ouvrage a le bonheur d'ltre reprdsente" 
dans les pays Strangers, les considerations natio- 
nal es ne subsistant plus, puisque le lieu de la scene 
n'est plus le mime pour eux, je crois que le carac- 
tere de mon Philosophe, tel qu'ii 6tait, aura plus 
de ressort et le personnage plus de feu ; les pas- 
sages de la fermete* a la tendresse seront marquis 
avec plus de force et les situations deviendront 
plus th£4trales. 

Ce n'est pas que le public n'ait bien vu et bien 
d£cide\ J'avais diminue" la force, le nerf, la vigueur 
de mon athlete, et je lui laissais le mime fardeau 
a porter : les proportions Itaient 6t£es. Je dlsire 
que la representation, en quelque lieu qu'elle se 
fasse, assure la justesse de ma reflexion. 



INTRODUCTION vii 

Enfin quand la piice eut iti bien modifiie, revue, 
admise par le censeur tl prete a paraitre devant It 
public, on imposa encore a Sedaine une sorte de ri- 
pitition ginirale et officicllc en presence d'une com- 
mission spiciale qui devait juger en dernier ressort 
si la representation pouvait avoir lieu : 

Le 3o du mois dernier, 6crit Grimm, a la date 
du 1 5 d£cembre 1765, sur les onze heures du ma- 
tin, une commission du Ch&telet s'est transported 
a l'hdtel de la Comldie-Francaise pour assister a 
la repetition du Philosophe sans le savoir, com&tie 
en prose et en cinq actes, par M. Sedaine, retenue 
a la police depuis plus d'un mois pour des raisons 
de la derniere importance, dont j'ai eu 1'honneur 
de vous faire part. Cette descente du Ch&telet de- 
vait enfin decider si nous verrions le Philosophe 
sans le savoir ou non. La commission £tait com- 
posed de M. de Sartine, lieutenant g£n£ral de 
police; de M. du Lys, lieutenant criminel, et de 
M. le procureur du roi au Ch&telet. Le poete, tres 
sagement, avait prie" ces magistrats de vouloir bien 
mettre leurs femmes dela commission. « Maiselles 
n'entendent rien a la partie de la legislation, a dit 
M. de Sartine. — N'importe, a repris M. Sedaine, 
elles jugeront le reste. » M. Sedaine a de Pesprit; 
sans cette precaution, nous n'aurions peut-etre 
jamais eu la satisfaction de voir sa piece. M me de 
Sartine est fort aimable; M rae la lieutenante crimi- 




vui INTRODUCTION 

nelle a de fort beaux yeux, sans compter un naturel 
charmant. Les beaux yeux de ces dames ont fondu 
en larmes pendant toute la repetition, La sprite" 
des magistrats n'a pu tenir contre tant de beaux 
yeux en larmes. D'un autre c6t£, on a oblige* le 
poete a quelques sacrifices, d£savou6s a la v£rit6 
par la raison et le bon sens, mais convenables a 
l'esprit de pddanterie qui souffle depuis quelque 
temps ; et de tout cela il est requite* que, le 2 de 
ce mois, on a donne* la premiere representation 
d'une piece que le public n'osait plus se flatter de 
voir x . 

La premiire representation du Philosophe sans le 
savoir fut enfin donnie le 2 dicembre 1765, en prl- 
sence d'une grande affluence de spectateurs. La curio- 
siti publique avait iti en effet tris vivement excitie 
par toutes les difficulth connues qui avaient pricidi 
Varrivie de la pilce de Sedaine a la sdne. Aussi fit-on, 
le premier soir, 3,353 livres, assez forte recette pour 
le temps 2 . Cependant cesucces ne se maintint pas tout 
d'abord et bien des gens en attribuirent tout natu- 
rellement la cause aux suppressions que la censure 
avait exigies de Vauteur. 



1 . Correspondance de Grimm, tome et edition rite's. 

2. C'est la plus forte recette qiTait faite la piece. Eo 
effet, a cette epoque, ou il n'y avait pas de nombreux ser- 
vices de billets gratuits comme de nos jours, c'etait toujours 
la premiere representation qui donnait le plus gros chiffre. 




INTRODUCTION ix 

Les com^diens franc, ais, dit Bachaumont 1 , ont 
donne" aujourd'hui, 2 d£cembre, la premiere re- 
presentation du Philosophe sans le savoir. Ce 
drame, espece d'episode bourgeois, est dans le 
goiit du Pire de famille et du Fils naturel, mais a 
des dlfauts d'une espece particuliere. 

i° Le premier acte est absolument ou presque 
tout a fait isole* des autres, et dans cet acte meme 
chaque scene est si peu li£e aux suivantes qu'on 
les supprimerait toutes successivement sans que la 
machine s'£croul&t. 

2 Le duel, qui n'est qu'£pisode dans la piece, 
l'occupe tellement tout entiere que le manage et 
la noce ne sont que le cadre 011 il est enchissl. 

3° De douze acteurs dont la piece est composed, 
sept seulement sont occup£s a Taction principale; 
d'autres sont tout en tiers au duel, et les premiers 
sont si Strangers a cet incident qu'il arrive, se 
passe et se termine sans qu'ils y participent en 
rien,sans qu'ils en aient rien su, et ils sortent de la 
scene sans s'en douter, en sorte que, quoique dans 
la regie ordinaire tous les personnages doivent 
concourir au ddnoftment, dans celui-ci grand 
nombre n'y est pour rien, et plusieurs seraient 
supprimes sans former' aucun vide. . . etc. . . 



1 . Memoires secrets. Voir les tomes II et HI, auxquels nous 
avons emprunte* les citations qui figurent dans cette notice. 

b 



i 



x INTRODUCTION 

Toutefois la piice se releva apres une interruption 
de quelques jours causiepar la fermeture des thiatres 
a Voccasion de la mort du Dauphin : 

Le Philosophe sans le savoir , 6crit Bachau- 
mont, le 3o Janvier, continue avec un succes au- 
quel Tauteur ne devait pas s'attendre. 

Le 26 fivrier suivant, Bachaumont nous donne cette 
derniire nouvelle de la piice, et il semble iprouver 
quelque satisfaction parce qu'il la voit disparaitre 
menfin » de Vaffiche : 

Les com^diens fran$ais ont en fin donne* au- 
jourd'hui la vingt-huitieme et derniere representa- 
tion du Philosophe sans le savoir. Ce bizarre succes 
serait £tonnant dans un autre siecle ^que celui-ci. 

Le Philosophe sans le savoir avait done iti )oui 
vingt-huit fois en moins de trois mois et avec des 
recettes fort honorables, dont la moyenne a iti de 
1,879 livres par soirie 1 . Ce chiffre de vingt-huit 
reprisentations non interrompues a iti rarement at- 
teint par les comidies mime le plus en renom de 
Vipoque. 

Or, en 1875, M. Emile Perrin, administrates gi- 



1. Ces vingt-huit soirees ont produit une recette totale de 
5 2,6 1 5 livres. 



> 



INTRODUCTION *i 

niral de la Comddie-Francaise , voulant remettre au 
ripcrtoire le chcf-d'auvre de Sedaine, eut Vhcurcusc 
pensie de recourir au manuscrit original que possi- 
daient les archives du theatre. Ce pricitux manuscrit 
est pricisiment celui sur lequel Sedaine a fait, de sa 
propre main , les corrections exigits par la censure 
de 1765, mats de telle maniire cependant que le pre- 
mier texte en est encore parfaitement lisible aujour- 
d'hui, et a pu etre par consiquent ritabli dans son 
intigriti. En cffet, Sedaine s'ltait borne', en portant 
ses modifications sur ce manuscrit, soit a replier 
simplement les pages interdites, soit a les raturer fai- 
blement, soit encore a couvrir la feuille primitive d'un 
papier Ugirement colli et sur lequel il icrivit la version 
nouvelle. En dtpliant les premieres feuilles, en enlc- 
vant avec soin les autres et en lisant au trovers des 
ratures, aujourd'hui bien jaunies, on s'est retrouvi 
assez facilement en presence du manuscrit original 
que la censure de Yipoque avait proscrit l . 



1 . C'est ce curieux manuscrit, que nous avons en entre 
les mains aux archives de la Comddie-Francaise, qui portait 
l'autorisation du censeur, que voici textuellement reproduite : 

« J'ai lu par ordre de Monsieur le lieutenant general de 
« police It Philosophy sans It sgavoir, comldie, et je crois 
« qu'on en peut permettre la representation. 

• A Paris, ce 10 novembre 1765. » 

Signi : Marin. 

« Permis de repr&entef, vu l'approbation, le 1 3 novembre 
1765. » 

Signi : de Sartine. 




xii INTRODUCTION 

Commt il n'y avait plus d 9 inconvenient a remettre 
aujourd'hui au thiatre cette btllt scene du troisiime 
arte, qui avait tant effarouche 1 la police il y a au- 
jourd'hui pris de cent vingt ans, et que d'ailleurs 
cette seine est tris supirieure a celle que Sedaine avait 
iti oblige 1 de lui substituer, M. Perrin de'eida que la 
come 1 die de Sedaine serait, pour la premUre fois, re- 
prise telle que son auteur V avait d'abord icrite. II en 
risulta aussi, pour d'autres seines de la piice, quel- 
ques changements d'importancc moins grande, mats 
dont le ditail est igalement interessant ' . D'ailleurs, 
pour que le lecteur puisse se rendre un compte bien 
exact des differences qui existent entre la premiire 
version de Sedaine, que reproduit la prisente edition, 
et la version anUrieurement adoptie, nous allons lui 
signaler ces differences : 

Acte I er . — II contient dans le texte primitif, 
et par consequent dans notre r&mpression, dix- 
sept scenes, au lieu de onze qu'il y avait dans la 
version jusqu'alors admise. 

Acte II e . — Treize scenes au lieu de douze. 
Les changements relev£s dans ces deux actes con- 
sistent surtout en jeux de scene. 

Acte III e . — II y a ici treize scenes, au lieu de 



i . La premiere representation de cette reprise du Philo- 
sophe sans le savoir a eu lieu a la Comldie-Francaise le 
17 septembre 1875. 




INTRODUCTION xm 

neuf. C'est Facte qui avait subi les modifications 
les plus importantes, notamment dans ses cinq 
dernieres scenes (de VIII a XII). 

Acte IV e . — Meme nombre de scenes dans les 
deux versions. 

Acte V e . — Quinze scenes au lieu de douze. 
Les modifications ont porte" surtout sur les 
scenes IV, VI, VII, XII et XV. 



II 



Sedaine avait quarante-six ans quand il donna a 
la Comidie-Francaise le Philosophe sans le s a voir. 
C'est Vauvre la plus considerable de tout son theatre, 
son chef-d'ceuvre a coup sur, et mime un des quelques 
chefs-d'auvre du theatre du second ordre au XVIII* 
siicle. Elle off re au plus haut degri deux qualiUs 
particuliiremjent louables chez tout icrivain : la sim- 
plicity et FinUrit. Cette comidie, qui ne justifie vrai- 
ment ce titre que dans ses premieres seines et vers son 
dfaoument, arrive Jbientdt, par la seule force et les di- 
veloppements naturels du sujet,. aux situations les plus 
imouvantes et mime les plus poignantes ! CEuvre imi- 
nemment honnite, elle nous intlresse surtout par le ta- 
bleau des sentiments nobles ctdevisqu'clle met en seine. 
Cet inte'rieur du probe et sivire Vanderk, oil chacun 
est vertueux et sage sans emphase et sans re- 
cherche, nous off re le touchant tableau (Tunc famille 



xiv INTRODUCTION 

vraiment unie. Vanderk pis, un peu icerveli, jeune, 
amoureux , contraste heureusement , par sa liglreti 
apparente, avec la gravitd du personnage de son 
pin. Mais comme il tient haut son honneur et quel 
respect de lui-meme et des siens il manifeste a tout 
moment! Quant a son amour pour Victorine, il est 
a peine indiqut, mais d'une touche si dilicate! Cest 
plutdt chez cette douce, tendre et inconsciente Victo- 
rine que nous en trouvons la trace. Elle ne se rend 
pas bien compte non plus des sentiments qu'elle 
iprouve ; mais comme elle est troublie a la pensie 
que le fils Vanderk va se battrel Sedaine d'ailleurs 
ne parait donner aucunc importance a cet amour 
naissant des deux jeunes gens, comme s'il s'itait ri- 
serve' de le divelopper plus tard dans une nouvelle 
pilce qui eut iti la suite de la premilre. 

Cette suite, une femme de ginie de notre stick fa 
entreprise. M me Sand, avec son esprit si perspicace 
tt si ouvert, a pris la le point de dipart de sa jolie 
comtdie le Mariage de Victorine, reprisentie avec 
tant de succis au theatre du Gymnase le 26 novembre 
1 85 1, et reprise a la Comidic-Francaise le 7 mars 
1876 avec les <xrtistes qui venaient de jouer dans la 
mime soirie les rdles correspondants du Philosophe 
sans le savoir. M mt Sand, dans cette pike char- 
mante, a continue^ Sedaine avec un grand bonheurj 
€fj a ce propos, elle s'est exprimie en termes excellents, 
dans la preface de cette meme pilce, sur Vauteur du 
Philosophe sans le savoir : 




INTRODUCTION xv 

Le meVite de Sedaine, dit-elle, est dans son 
individuality et non dans sa forme. Je ne vois 
m£me pas qu'il ait eu une forme. Sous ce rapport 
ses ouvrages ne se ressemblent pas entre eux... 
Ici, le style est simple et naif; la, il est brillant et 
recherche. Les differentes pieces de Sedaine sont 
conduites par des process fort divers; il en est 
qui ne sont pas conduites du tout, je ne dis pas 
les meilleures, mais les plus saisissantes par Amo- 
tion qu'elles produisent. Le grand mente, la veri- 
table grandeur de Sedaine n'est done pas dans la 
forme, et j'avoue que je ne trouve pas irr£pro- 
chable celle du Philosophe sans le savoir, encore 
que ce soit la mieux conduite de ses pieces. Mais 
ce qui est irreprochable, inimitable par consequent 
dans Sedaine, e'est la sensibility profonde et vraie 
de l'expression, e'est la noblesse vaillante et sim- 
ple des caracteres ; on aime les personnages de 
Sedaine, on les comprend et on y croit. Sous ce 
rapport, le Philosophe sans le savoir est bien v£rita- 
blement son chef-d'oeuvre... II y a plus que de la 
fratcheur, plus que de la naivete, plus que de 
Tharmonie dans le tableau de Sedaine : il y a de la 
veritable grandeur. Ou est-elle? Dans la forme? 
Non, car il n'y a pour ainsi dire pas de forme, 
comme on i'entend de nos jours. Dans la couleur? 
Non. La couleur est bonne sans e*tre belle prdcis6- 
ment. La grandeur est dans les types... On respire 
l'honneur, le courage et la geneVosite' dans l'atmo- 



xvi INTRODUCTION 

sphere de M. Vanderk. On sent que rien de grand 
et de fort ne sera impossible dans cettefamille; et, 
en presence de ce chaste amour de la petite Vic- 
torine pour Th^ritier d'un nom et d'une fortune, 
en presence de cette fierte" puritaine du vieux An- 
toine qui s'efforce d'&ouffer 1' amour de sa fille, on 
ne peut pas douter un instant du r£sultat que Se- 

daine a laisse* prevoir et que j'ai ose* montrer ' . 

Le style du Philosophe sans le savoir est cepen- 
dant meilleur et surtout plus travailU, comme bien 
Ton pense, que celui des premiires piices de Sedaine. 
II n'a point toutefois de brillant ni d'iUvation; le 
milieu dans lequel se passe la pilce n'en exigeait 
gulre, il est vrai, et d'ailleurs ces qualitls-la man- 
quaient avant toutes les autres a Sedaine. II e'crivait 
avec son caur, sa nature, sa bonhomie, puisque ses 
contemporains Vappelaient le bonhomme Sedaine, et 
il est arrivi ainsi, avec ces seules qualitis, a rdussir 
la oh tant d'autres auraient ichoui peut-etre tout en 
dipensant plus de talent et surtout plus d'efforts. II 
a iti supirieur, en cela, a son confrere et ami Dide- 
rot, dans ses drames larmoyants, diclamatoires et 
emphatiques qui ne sauraient etre remis aujourd'hui 
a la seine, et dont le Philosophe sans le savoir se 



i. Thiatre complet de George Sand, 4 vol. in-18, Michel 
Levy, tome II. 



a 



INTRODUCTION xvii 

distingue si iminemment par son naturel et sa sim- 
plicity. 

Le naturel et la simplicity !.. . C'ttaient la prici- 
siment les qualitis mattresses de Sedaine non pas seu- 
lement comme e'crivain, mais aussi comme homme 
privl. II Itait encore serviable et bon , et il fut par la 
suite aussi bon plre que bon ipoux , attachi par- 
dessus tout a la vie de famille, se tenant loin des 
bruits du monde,au milieu de cette probite 1 touchante 
et de cet honneur admirable qu'il a si bien mis en 
seine dans le Philosophe sans le savoir : aimi des 
siens comme le chef respecte' et viniri de la famille, 
estimi aussi detous ses contemporains non moinspour 
son talent que pour la haute tenue et le grand disin- 
te'ressement de toute sa vie. Tous lui ont rendu jus- 
tice, aucun ne Ya oublii : Grimm dans sa Corres- 
pondance, Diderot dans ses lettres, Gritry dans ses 
Memoires, La Harpe lui-meme, le hargneux La 
Harpe, dans son Cours de litterature. 

C'est Grimm qui avait dija appricii avec beau- 
coup de faveur les opiras~comiques de Sedaine, et 
qui icrit les lignes suivantes sur le Philosophe sans 
le savoir : 

Je ne me souviens pas d' avoir jamais eu au 
spectacle une emotion plus d£licieuse que celle 
que j'eprouvai a la premiere representation de 
cette charmante piece. Mon seul regret eteit de 
ne la pas voir recommencer tout de suite. Quoique 



I 



xviii INTRODUCTION 

je ne connusse 1'auteur, pas mime de vue, je me 
sentis tout a coup embrase* pour lui de l'amitie' la 
plus vive et la plus tendre. Je l'ai vu depuis ; son 
air simple, serein et tranquille n'est pas propre a 
diminuer I'int6r6t qu'inspire son ouvrage. Je pense 
que tout homme qui a le gout du vrai et de Phon- 
n&te ne peut penser a M. Sedaine et a sa piece 
avec indifference, et j'ai ^projivd que Pattache 
qu'on met a son succes peut aller jusqu'a troubler 
le sommeii ' . » 

Cest Diderot qui s'lcrie, au lendemain du Philo- 
sophe sans le sayoir : « O Sedaine, si tu n'itais pas 
si vieux, je tc donnerais ma fille ! » II venait de rc- 
irouver en effet sur la seine, dans le caractire si noble 
et si simple de Vanderk, les vertus mimes qu'il admi- 
rait dans Sedaine. Aprls avoir lu la lettre dans la- 
quelle Grimm rend compte des Amotions que lui a fait 
iprouver la comidie de Sedaine, et que nous venons 
de citer, il lui adressait le billet suivant : 

Si je savais, mon ami, oil trouver Sedaine, j'y 
courrais pour lui lire votre lettre et vos observa- 
tions... Mais une chose dont vous ne me parlez 
pas et qui est pour moi le m£rite incroyable de la 
piece, ce qui me fait tomber les bras, me d£cou- 
rage, me dispense d'£crire de ma vie, et m'excu- 



i . Correspondence de Grimm, edition et tome cites. 




INTRODUCTION xix 

sera solidement au jugement dernier, c'est ce na- 
turel sans aucun appret, c'est F£loquence la plus 
vigoureuse, sans l'ombre d'effort ni de rh£torique. 
Oui, mon ami, oui, voila le vrai gout, voila la v£- 
rite' domestique, voila la chambre, voila les actions 
et les propos des honn£tes gens, voila la com£die. 
Ou cela est faux, ou cela est vrai. Si cela est faux, 
cela est detestable ; si cela est vrai, combien il y a 
sur nos theatres de choses d&estables et qui pas- 
sent pour sublimes ! J'£tais a cote" de Cochin et je 
lui disais : « II faut que je sois un honnete homme, 
car je sens vivement tout le m£rite de cet ou- 
vrage l . 

Et, reprenant la meme idle , Diderot icrit a 
M lle Voland une lettre dont le passage suivant est 
curieux a donner comme confirmation de ce qui 
priclde : 

La piece de Sedaine a Ite* jou£e, et jou£e 
avec le succes que j'en attendais. Le premier jour, 
combat a mort; les honnetes gens, les artistes et 
les gens de gout d'un cdte" ; la foule, de i'autre. 
Ma bonne amie, ne le dites a personne ; mais je 
vous jure que ceux qui prdnent a present le plus 
baut cet ouvrage n'en sentent pas le m£rite. Cela 
est si exquis, si simple, si vrai ! Piscis hie non est 

i . Correspondence de Grimm, Edition et tome cit^s. 




xx INTRODUCTION 

omnium. Je suis sur que Saurin, Helv£tius et d'au- 
tres ont pitte du public. Mon amie, ou cela est 
vrai ou cela est faux (je parle de la piece). Si cela 
est faux, cela est detestable; mais, si cela est vrai, 
combien de pr^tendues belles choses d^tes- 
tables ' ! 

Vient ensuite La Harpe qui, parlant aussi des ver- 
tus privies de Sedaine, le diclare un homme d'un 
caractere probe et solide; puis Gritry, qui nous a 
laisse 1 ce charmant portrait de son meilleur collabo- 
rates, portrait dans lequel il mdange habilement 
le double doge qu'il donne au talent iprouvi de 
Vicrivain et a la touchantc sensibilite 1 de Vami : 

Si Sedaine n'est pas le poete qui soigne le 
plus les vers destines au chant, les situations qu'il 
amene sont si imp£rieuses qu'elles forcent le musi- 
ciende s'y attacher pour les rendre. II dit presque 
toujours le mot propre et il se croit dispense" de 
Pembellir par des tours po^tiques. II force done le 
musicien a prendre des formes neuves pour rendre 
ses caracteres originaux... Sedaine est un de ces 
hommes heureusement n£s, pour qui la nature 
n'aurait point de charmes s'ils ne la saisissaient 
dans tous ses rapports les plus vrais; il n'adopte 



i. Lcttres a MM* Voland, dans les (Euvres choisies de 
Dideroty de la Nouvelle Bibliothiquc classique (Librairie des 
Bibliophiles). 




INTRODUCTION xxi 

une situation que parce qu'il est sur qu'elle pro- 
duira tel effet. Pendant les repetitions, je respecte 
ses moindres volont^s ; s'il tourne une chaise, c'est 
parce qu'il pr^voit que l'actrice, vue de profil, 
fera P effet qu'il desire ; mais il a peut-ltre encore 
plus senti que raisonne* ses sensations. Aussi I'a- 
t-on vu fondre en larmes a la representation de la 
scene de Blondel avec Richard, preuve incontes- 
table que le sentiment le guide dans ses composi- 
tions et que la scene, mise en action, le sajsit lui- 
meme autant que nous '. 

II faut signaler encore le cas que faisait de lui 
un autre contemporain illustre et qui lui a assez sur- 
vecu pour icrire son Eloge dans des pages sou- 
vent consulties et rappelies, le poete Ducis, qui fut, 
lui aussi, d'une fermeti de principes et d'une rigidite" 
de conduite qui dipasslrent mime celles qu'on put 
louer en Sedaine. C'estla qu'on retrouve tout entier cet 
honnete et sympathique e'crivain, Yun des plus honoris 
de son temps pour la droiture et la digniti de son 
caractere, et qui, en dipit des reproches qu'on peut 
adresser a son style, demeure, grace au Philosophe 
sans le savoir, I'un des maitres incontestis du thiatre 
de second ordre au XVIII e siicle. 

La critique contemporaine a iti igalement favo- 
rable a Sedaine. Sainte-Beuve a dit de lui que « s'il 

i. Memoircs de Gretry. Paris, 1789. Un vol. in-8°. 




xxii INTRODUCTION 

icrivait comme un macon l , il construisait comme un 
architecte ». Jules Janin lui a aussi consacri quel- 
ques pages ilogieuses, notamment pour- ce qui con- 
cerne le Philosophe sans le savoir 2 . 

Dans ce drame, de quoi s'agit-il? de d^montrer 
la n^cessitd du duel? de d£clamer pour ou contre 
le duel? bien au contraire. Le grand art de ce 
drame, ce qui est bien rare a cette £poque, c'est 
qu'il n'y a la ni declamation pour ou contre, ni 
fausse philanthropie, ni pr£jug£s... c'est un drame 
s^rieux et triste, ou il est de'montre' que dans cer- 
taines positions de la vie le duel n'est pas seule- 
ment une n£cessit£, mais parfois un devoir... La 
piece de Sedaine, £cout£e d'abord avec un 6ton- 
nement qui tenait de la froideur, fut ensuite £cou- 
t£e avec admiration, applaudie a outrance ; on eut 
bientot senti tout le prix de ces Amotions calmes 
et simples, de ce style honnete et sans detour. 

iyailleurs le bon Sedaine avail, par un singulier 
hasard, gouti, avant sa mort mime, aux douceurs 
et a la gloire de VimmortalitL En effet, dans les 



i. Allusion au premier mltier de Sedaine, qui, comme 
son pere, fut d'abord macon, ou au moins apprenti archi- 
tectc 

2 . Critique dramatique, tome I or , dans les (Euvres diverscs 
de Jules Janin, publiees par la Librairie des Bibliophiles. 




INTRODUCTION xxm 

premiers mois de I'annie 1 797> # tomba malade et 
sa situation s'aggrava bientSt a ce point qu'un jour 
le bruit de sa mort se ripandit dans Paris. Aussitdt 
tous les journaux le ciUbr&rent a I'envi, et il put 
ainsi assister de son vivant a sa propre apothiose. 
Puis, lorsqu'on sut qu'il vivait encore, ce fut un nou- 
veau concert de louanges et de satisfaction, qui con- 
trastaient singuliirement avec I'ostracisme dont 
Sedaine venait d'etre I'objet de la part du Directoire, 
qui ne Vavait pas compris dans la liste des nouveaux 
membres de I'lnstitut. II itait done un peu oublii de 
la giniration nouvelle quand sa mort (17 mai 1797) 
rappela sur lui Vattention publique. II fut alors 
replace' par ses contemporains eux-memes au rang 
honorable oh Va toujours maintenu depuis le juge- 
ment de la postiriti. 

Georges d'Heylli. 



*W 






$r$&,'4i 





LE 

PHILOSOPHE 

SANS LE SAVOIR 

COMEDIE 

EN CINQ. ACTES ET EN PROSE 

Representee par les comediens frangois ordinaires du roi 

le 2 decembre 1765. 



PERSONNAGES 



M. VANDERK Pere. 

M. VANDERK Fils. 

M. D'ESPARVILLE Pere, ancien officier. 

M. D'ESPARVILLE Fils, officier de cavalerie. 

Madame VANDERK. 

UNE MARQUISE, soeur de M. Vanderk pere. 

Mademoiselle SOPHIE VANDERK, fille de M. Vanderk. 

UN PRESIDENT, futur epoux de mademoiselle Vanderk. 

ANTOINE, homme de confiance de M. Vanderk. 

VICTORINE, fille d'Antoine. 

UN DOMESTIQUE de M. d'Espamlle. 

UN DOMESTIQUE de M. Vanderk fils. 

LES DOMESTIQUES de la maison. 

LE DOMESTIQUE de la Marquise. 

La seine est dans unt grande ville de France. 





PHILOSOPHE 

SANS LE S'AVOIR 



ACTE PREMIER 



SCENE PREMIERE 

ANTOINE, VICTORINE. 

Antoini. 

Suoi ! je tous surprends votre monchoir 
a la main, l'air embarrasse", et vous es- 
suyant les yeux, et je ne peun pas sa- 
voir pourquoi vous pleurez? 
Victorine. 

Bon, man papa ! les jeunes filles pleurent quel- 
quefois pour se d^sennuyer. 



4 LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 

Antoine. 
Je ne me paye pas de cette raison-la. 

Victorine. 
Je venois vous demander... 

Antoine. 
Me demander? Et moi je vous demande ce que 
tous avez a pleurer, et je vous prie de me le dire. 

Victorine. 
Vous vous moquerez de moi. 

Antoine. 
II y auroit assur£ment un grand danger. 

Victorine. 
Si cependant ce que j'ai a dire £toit vrai, vous 
ne vous en moqueriez certainement pas. 

Antoine. 
Cela peut £tre. 

Victorine. 
Je suis descendue chez le caissier de la part de 
Madame. 

Antoine. 
He* bien? 

Victorine. 
II y avoit plusieurs messieurs qui attendoient 
leur tour et qui causoient ensemble. L'un d'eux a 
dit : « lis ont mis l'£p£e a la main; nous sommes 
sortis, et on les a s£par£s. » 

Antoine. 
Qui? 

Victorine. 
C'est ce que j'ai demande. a Je ne sais m'a dit l'un 



ACTE I, SCENE I 5 

de ces messieurs; ce sont deux jeunes gens : Tun est 
officier dans la cavalerie, et l'autre dans la marine. 
— Monsieur, Pavez-vous vu? — Oui. — Habit 
bleu, paremens rouges? — Oui. — Jeune? — Oui, 
de vingt a vingt-deux ans. — Bien fait? » lis ont 
souri; j'ai rougi, et je n'ai ose* continuer. 

Antoine. 

II est vrai que vos questions Itoient fort mo- 
des tes. 

Victorine. 

Mais si c'ltoit le fils de Monsieur? 

Antoine. 
N'y a-t-il que lui d'officier? 

Victorine. 
Cest ce que j'ai pense\ 

Antoine. 
Est-il le seul dans la marine? 

Victorine. 
Cest ce que je me disois. 

Antoine. 
N'y a-t-il que lui de jeune? 

Victorine. 
Cest vrai. 

Antoine. 
II faut avoir le coeur bien sensible. 

Victorine. 
Ce qui me feroit croire encore que ce n'est pas 
lui, c'est que ce monsieur a dit que l'officier de ma- 
rine avoit commence" la querelle. 



I 



6 LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 

Antoine. 

Et cependant vous pleuriez. 

Victorine. 
Oui, je pleurois. 

Antoine. 

II faut bien aimer quelqu'un pour s'alarmer si 
ais^ment. 

Victorine. 

Eh! mon papa! apres vous, qui voulez-vous 
done que j'aime plus? Comment! e'est le fils de 
la maisonj feue ma mere Pa nourri; e'est mon 
frere de lait, e'est le frere de ma jeune maitresse, 
et vous-m£me vous l'aimez bien. 

Antoine. 

Je ne vous le defends pas; mais soyez raison- 
nable. 

Victorine. 
Ah ! cela me faisoit de la peine. 

Antoine. 
Allez, vous etes folle. 

Victorine. 
Je le souhaite. Mais si vous ailiez vous infor- 
mer? 

Antoine. 
Et ou dit-on que la querelle a commenced 

Victorine. 
Dans an cafe\ 

Antoine. 
II n'y va jamais. 



ACTE I, SCENE I 7 

VlCTORINE. 

Peut-etre, par hazard. Ah! si j'^tois homme, 
j'irois. 

Antoine. 

II va rentrer a Pinstant. Et comment s'informer 
dans une grande vilie... 



SCENE II 

ANTOINE, VlCTORINE, 
UN DOMESTIQUE de M. d'Esparville. 

Le Domestique. 
Monsieur ? 

Antoine. 
Que voulez-vous? 

Le Domestique. 
Cest une lettre pour remettre a M. Vanderk. 

Antoine. 
Vous pouvez me la laisser. 

Le Domestique. 
II faut que je la remette moi-meme : mon maftre 
me l'a ordonne\ 

Antoine. 

Monsieur n'est pas ici, et, quand il j seroit, votit 
preoefc bien raal yotre temps : il est tard. 






8 LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 

Le Domestique. 
II n'est pas neuf heures. 

Antoine. 
Oui , mais c'est ce soir mime les accords de sa 
fille. Si ce n'est qu'une lettre d'affaires, je suis son 
homme de confiance, et vous pouvez me la laisser. 

Le Domestique. 
II faut que je la remette en main propre. 

Antoine. 
En ce cas , passez au magasin, et attendez : je 
vous ferai avertir. 

Le Domestique. 
Par la? 

Antoine. 
Oui, a gauche! a gauche!! a gauche!!! 



SCENE III 

ANTOINE, VICTORINE. 

Victorine. 
Monsieur n'est done pas rentr£? 

Antoine. 
Non, il est retourne* chez le notaire. 

Victorine. 
Madame m'envoie vous demander... Ah! je 
voudrois que vous vissiez Mademoiselle avec ses 
habits de noces : on vient de les essayer. Les bou- 



ACTE I, SCENE III 9 

cles d'oreilles, le collier, la riviere de diamans! ils 
sont beaux! il y en a un gros comme cela; et Ma- 
demoiselle, ah ! comme elle est charmante ! Le cher 
amoureux est en extase. II est la, il la mange des 
yeux. On lui a mis du rouge et une mouche ici : 
vous ne la reconnoitriez pas. 

Antoine. 

Shot qu'elle a une mouche ici !... 

Victorine. 

Madame m'a dit : « Va demander a ton pere 
si Monsieur est revenu, s'il n'est pas en affaire et 
si on peut lui parler. » Je vais vous dire, mais 
vous n'en parlerez pas. Mademoiselle va se faire 
annoncer comme une dame de condition, sous un 
autre nom, et je suis sure que Monsieur y sera 
tromp6. 

Antoine. 

Certainement , un pere ne reconnoftra pas sa 
filie. . 

Victorine. 

Non, fl ne la reconnoftra pas, j'en suis sure. 
Quand il arrivera, vous nous avertirez : il y aura 
de quoi rire. Cependant il n'a pas coutume de 
rentrer si tard. 

Antoine. 



Victorine. 



Qui? 

Son fils. 

Antoine. 
Tu y penses encore? 



1 



io LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 

VlCTORINE. 

Je m'en vais : vous nous avertirez. Ah ! voila 
Monsieur. (Elle sort.) 



SCENE IV 

VANDERK PfcRE, ANTOINE, 

DEUX HOMMES portant de I'argent 
dans des hottes. 

Vanderk pere, se retournant, dit aux porteurs, 

qu'il apergoit. 
Allez a ma caisse, descendez trois marches, et 
montez-en cinq, au bout du corridor. [Les hommes 
sortent.) 

Antoine. 
Je vais tes y mener. 

Vanderk pere. 

Non, reste. Les notaires ne finissent point. (// 

pose son ipit et son chapeau; il ouvre un secretaire.) 

Au reste, ils ont raison : nous ne voyons que le 

present, et ils voient Pavenir. Mon fils est-il rentr£? 

Antoine. 

Non, Monsieur. Voici les rouleaux de vingt- 
cinq louis que j'ai pris a la caisse. 

Vanderk pere, assis au bureau a gauche. 

Gardes-en un. Oh $a, mon pauvre Antoine, tu 
yas demain avoir bien de l'embarras. 



ACTE 1, SCENE IV u 

Antoine. 
N'en ayez pas plus que moi. 

Vanderk pere. 
J'en aurai ma part. 

Antoine. 
Pourquoi? Reposez-vous sur moi. 

Vanderk pere. 
Tu ne peux pas tout faire. 

Antoine. 
Je me charge de tout. Imaginez-vous n'£tre 
qu'invite\ Vous aurez bien assez d'occupation de 
recevoir votre monde. 

Vanderk pere. 
Tu auras un tas de domestiques Strangers : c'est 
ce qui m'effraye , surtout ceux de ma sceur. 

Antoine. 
Je le sais. 

Vanderk pere. 
Je ne veux pas de d£bauche. 

Antoine. 
II n'y en aura pas. 

Vanderk pere. 
Que la table des commis soit servie comme la 
mienne. 

Antoine. 
Oui, Monsieur. 

Vanderk pere. 
J'irai y faire un tour. 

Antoine. 
Je le leur dirai. 



I 



i a LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 

Vanderk pere. 
J'y veux recevoir leur same" et boire a la leur. 

Antoine. 
lis en seront charmed. 

Vanderk pere. 

La table des domestiques sans profusion du 
c6t^ du vin. 

Antoine. 
Sans doute. 

Vanderk pere. 
Un demi-louis a chacun comme present de 
noces. Si tu n'as pas assez de ce que je t'ai donn£, 
avance-le. 

Antoine. 
Bon. 

Vanderk pehe. 

Je crois que voila tout... Les magasins ferm£s... 
Que personne n'y entre pass^ dix heures... Que 
quelqu'un reste dans les bureaux et ferme la porte 
en dedans. 

Antoine. 

Ma fille y restera. (Victorine parott au fond.) 

Vanderk pere. 
Non : il faut que ta fille soit pres de sa bonne 
amie. J'ai entendu parler de quelques fusses, de 
quelques petards. Mon fils veut bruler ses man- 
chettes. 

Antoine. 
Cest peu de chose. 



ACTE I, SCENE IV i3 

VANDERK P&RE. 

Aie tou jours soin que les reservoirs soient pleins 



d'eau. 



SCENE V 



LES MEMES, VICTORINE. 
Victorine entre et park a son pire h Voreille. 

Antoine, h sa fille. 
Oui. (Elle sort.) 

SCENE VI 

VANDERK Pere, ANTOINE, 

Antoine. 
Monsieur, vous sentez-vous capable d'un grand 
secret? 

Vanderk pere. 
Encore quelques fusses, quelques violons! 

Antoine. 
C'est bien autre 'chose... Une demoiselle qui a 
pour vous la plus grande tendresse. 

Vanderk pere. 
Ma fille? 

Antoine. 
Juste. Elle vous demande un t^te-a-tlle. 



i 4 LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 

Vanderk PERE. 
Sais-tu pourquoi? 

Antoine. 
Elle vient d'essayer ses diamans, sa robe de 
noce; on lui a mis du rouge et une mouche ici. 
Madame et elle pensent que vous ne la reconnoi- 
trez pas. La voici. 



SCENE VII 



LES MEMES, UN DOMESTIQUE de 

M. Vanderk. 



Le Domestique. 
Monsieur, madame la marquise de Vanderville. 

Vanderk p£re, se levant. 
Faites entrer. [On ouvrt les deux battans.) 



SCENE VIII 

VANDERK Pere, ANTOINE, 

Mademoiselle SOPHIE VANDERK, annoncit 

sous le nom de madame de Vanderville % 

Sophie, faisant de profondes rivirencts. 
Mon... Monsieur... 



ACTE I, SCENE VIII i5 

VANDERK PERE. 

Madame. . . (Au domestique.) Avancez un fauteuil. 
(lis s'asseyent. — A Antoine.) Elle n'est pas mal. (A 
Sophie.) Puis-je savoir de Madame ce qui me pro- 
cure Thonneur de la voir? 

Sophie, tremblante. 
C'est que... Mon... Monsieur, j'ai... j'ai un 
papier a vous remettre. 

Vanderk pere. 
Si Madame veut bien me le confier. (Pendant 
qu'elle cherche, il regarde Antoine.) 

Antoine. 
Ah ! Monsieur ! qu'elle est belle comme cela ! 

Sophie. 
Le voici. (M. Vanderk se live pour prendre le pa- 
pier.) Ah! Monsieur! pourquoi vous deranger? 
(A part.) Je suis toute interdite. 

Vanderk pere. 
Cela suffit. C'est trente louis. Ah ! rien de mieux, 
et je vais... (Pendant qu'il va a son secretaire, Sophie 
fait signe a Antoine de ne rien dire.) Ce billet est 
excellent... II vous est venu par la Hollande? 

Sophie. 
Non... oui. 

Vanderk pere. 
Vous avez raison, Madame... Voici la somme. 

Sophie. 
Monsieur, je suis votre tres-humble et tres- 
obelssante servante. 



1 6 LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 

Vanderk fere. 
Madame ne compte pas? 

Sophie. 
Ah! moQ cher... Non... Monsieur, vous Stes ua 
si honnete homme... que... la reputation... la re- 
nommee dont... vous jouissez... 



SCENE IX 

LES MEMES, MADAME VANDERK, 
LE GENDRE, du fond. 

Sophie. 
Ah! maman, mon cher pere s'est moque de 
moi! 

Vanderk pere. 
Comment! c'est vous, ma fille? 

Sophie. 
Ah \ vons m'aviez" reconnue. 

Madame Vanderk, h son mari. 
Comment la trouvez-vous ? 

Vanderk pere. 
Fort bien. 

Sophie. 
Vous ne m'avez seulement pas regardee. Je ne 
suis pas une trompeuse , et voici votre argent, que 
vous donnez avec tant de confiance a la premiere 
personne. 



I 



ACTE I, SCENE IX 17 

Vanderk pere. 
Garde-le, ma fille; je ne veux pas que dans 
toute ta vie tu puisses te reprocher une fausset£, 
meme en badinant. Ton billet, je le tiens pour 
bon. Garde les trente louis. 

Sophie. 
Ah! mon cher pere! 

Vanderk pere. 
Vous aurez des presens a faire demain. 




SCENE X 

LES MEMES, LE GENDRE. 

Vanderk pere. 
Vous allez, Monsieur, epouser une jolie per- 
sonne. Se faire annoncer sous un faux nom, se ser- 
vir d'un faux seing pour tromper son pere, tout 
ceia n'est qu'un badinage pour elle. 

Le Gendre. 
Ah! Monsieur, vous avez a punir deux cou- 
pables. Je suis complice, et voici la main qui a 
signe. 

Vanderk pere, prenant la main de sa filU 
et cellc de son futur. 

Voiia comme je la punis. 

Le Gendre. 
Comment r^compensez-vous done? 

3 



1 8 LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR. 

Madame Vanderk, faisant un signc h Sophie, 
Ma fille ! 

Sophie, au futur. 
Permettez-moi, Monsieur, de vous prier. . . 

Le Gendre. 
Commandez. 

Sophie. 
Devinez ce que je veux dire. 

Madame Vanderk, h son mari. 
Votre fille est dans un grand embarras. 

Vanderk pere. 
Quel est-il? 

Le Gendre, h Sophie. 
Je voudrois bien vous deviner... Ah! c'est de 
vous laisser? 

Sophie. 
Oui. {Le gendre sort du fond, et Antoine de 
droite.) 



SCENE XI 

MONSIEUR ET MADAME VANDERK, 

SOPHIE. 



Madame Vanderk. 
Notre fille se marie demain; elle nous quitte; 
elle voudroit vous demander... 



ACTE I, SCENE XI 19 

VANDERK PIiRE. 

Ah! Madame! 

Madame Vanderk. 
Ma fille ! 

Sophie. 
Ma mere! Ah! mon cher pere! je... (Se dispo- 
sant a st mettrc a gmoux : son pin la retient.) 

Vanderk pe:re. 
Ma fille, £pargne a ta mere et a moi l'atten- 
drissement d'un pareil moment. Toutes nos actions, 
jusqu'a present, ne tendent qu'a attirer sur toi et 
sur ton frere toutes les faveurs du Ciel. Ne perds 
jamais de vue, ma fille, que la bonne conduite des 
pere et mere est la benediction des enfans. 

Sophie. 
Ah! si jamais je Poublie... 



SCENE XII 

LES MEMES, VICTORINE. 

Victorine. 
Le voila ! ie voila ! 

Madame Vanderk. 
Qui? qui done? 

Victorine. 
Monsieur votre fils. 



ao LE PHIL0S0PHE SANS LE SAVOIR 

Madame Vanderk. 
Je vous assure, Victorine, que plus vous avancez 
en dge, et plus vous extravaguez. 

Victorine. 
Madame? 

Madame Vanderk. 
Premierement, vous entrez ici sans qu'on vous 
appelle. 

Victorine. 
Mais, Madame... 

Madame Vanderk. 
A-t-on coutume d'annoncer mon fils? 

Sophie. 
En v6rit6 9 ma bonne amie, vous e*tes bien folie. 

Victorine. 
Cest que le voila. 



SCENE XIII 

LES MEMES, VANDERK Fils. 

Sophie. 
Ah ! nous alions voir. (Vanderk fils fait de grandes 
rivirences a sa saur, qu'il nt reconnoit pas.) Ah ! 
mon frere ne me reconnoit pas. 

Vanderk fils. 
Eh! c'est ma soeurl Oh! elle est charm ante. 



ACTE I, SCENE XIII 21 

Madame Vanderk. 
Tu la trouves done bien ? 

Vanderk fils. 
Oui, ma mere. 



SCENE XIV 

LES MEMES, LE GENDRE. 

Le Gendre, has a Sophie. 
M'est-il permis d'approcher? (Au pire.) Les 
notaires sont arrives. (II veut donner la main a So- 
phie; elle indique sa mere en souriant. II s'aperqoit 
de sa me 1 prise.) 

Sophie. 
A ma mere ! 

Le Gendre. 
Ah!... [Le gendre donne la main a la mire, et 
sort.) 



SCENE XV 

VANDERK Fils, SOPHIE, VICTORINE. 

Sophie. 
Vous me trouvez done bien? 



22 LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 

Vanderk FILS. 
Tres bien. 

Sophie. 
Et moi, mon frere, je trouve fort mal de ce 
qu'un jour comme celui-ci vous £tes revenu si tard. 
Demandez a Victorine. 

Vanderk fils. 
Mais quelle heure done? 

Sophie, lux pristntant tint montre. 
Tenez, regardez. 

Vanderk fils. 
II est vrai qu'il est un peu tard. (En considirant 
la montre.) Je crois qu'elle avance. Elle est jolie. 
(// veut la rendre.) Tres- jolie ! 

Sophie. 
Non, mon frere; je veux que vous la gardiez 
comme un reproche 6ternel de ce que vous vous 
etes fait attendre. 

Vanderk fils. 
Et moi je Paccepte de bon coeur. Puiss6-je, a 
chaque fois que j'y regarderai, me f^liciter de vous 
savoir heu reuse ! 



ACTE I, SCENE XVI a 3 



SCENE XVI 

LES MEMES, UN DOMESTIQUE. 

Le Domestique, h Sophie. 
Mademoiselle, on vous attend. 

Sophie. 
Ne venez-vous pas, mon frere? 

Vanderk fils. 
Oui, j'y vais tout a Pheure; je vous suis... (So- 
phie sort.) 



SCENE XVII 

VANDERK Fils, VICTORINE. 

VlCTORINE. 

Vous m'avez bien inquire. Une dispute dans 
un cafe! 

Vanderk fils. 
Est-ce que mon pere sait cela ? 

VlCTORINE. 

Est-ce que cela est vrai ? 



4 LE PHILOSOPHE SANS LE SAYOIR 

Vandere F1LS. 
Non, non, Victorine, non. {II cnlre dans It sa- 



Victorine, s'm atlant d'u 
Ah ! que cela m'inquiele I 



autre c6U. 




ACTE II 



SCENE PREMIERE 

ANTOINE, 
LE DOMESTIQUE de M. d'Esparville. 




Antoine. 
u diable e*tiez-vous done? 

LE DOMESTIQUE.. 

J'^tois dans le magasin. 
Antoine. 
Qui vous y avoit envoy£? 

Le Domestique. 
Vous. 

Antoine. 
Et que faisiez-vous la ? 

Le Domestique. 
Je dormois. 

Antoine. 
Vous dormiez! II faut qu'il y ait plus de trois 
heuies. 

4 



a 6 LF PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 

Le Domestique. 
Je n'en sais rien. H£ bien! votre maitre est-il 
rentr^ ? 

Antoine. 
Bon ! on a soup£ depuis. 

Le Domestique. 
Enfin, puis-je lui remettre ma lettre? 

Antoine. 
Attendez. 



SCENE II 

LES MEMES, VANDERK Fas. 

Le Domestique, voyant entrer Vanderk fils. 
N'est-ce pas la lui? 

Antoine. 
Non, non, restez. Parbleu ! vous £tes un drdle 
d'homme de rester dans ce magasin pendant trois 
heures ! 

Le Domestique. 
Ma foi, j'y aurois passe" la nuit si la faim ne 
m'avoit pas re\eille\ 

Antoine. 
Venez, venez. (Ik sortent.) 



ACTE II, SCENE III 27 



SCENE III 

VANDERK Fils, seul. 

Quelle fatalite* ! Je ne voulois pas sortir; il sem- 
bloit que j'avois un pressentiment. N'importe! Un 
commergant...] un commergant... c'est T^tat de 
mon pere, au fait, et je ne souffrirai jamais qu'on 
l'avilisse. J'aurai tort taat qu'on voudra, mais... 
Ah! mon pere! mon pere! un jour de noce! Je 
yois toutes ses inquietudes, toute sa douleur, le 
ddsespoir de ma mere, ma sceur, cette pauvre Vic- 
torine, Antoine, toute une famille. Ah! dieux! 
que ne donnerois-je pas pour reculerd'un jour, recu- 
ler... (Le plre entre et le regarde.) Non, certes, je 
ne reculerai pas. Ah! dieux ! (II aperqoit son pire, il 
prend un air gai.) 



SCENE IV 

VANDERK Pere, VANDERK Fils. 

Vanderk pere. 
H£! mais, mon His, quelle petulance! quels 
mouvemens! Que signifie... 

Vanderk fils. 
Je d£clamois, je... faisois le h£ros. 



28 LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 

Vanderk pere. 
Repr£senteriez-vous demain quelque piece de 
theatre, une trag^die ? 

Vanderk fils. 
Non, non, mon pere. 

Vanderk pere. 
Faites, si cela vous amuse; mais il faudroit quel- 
ques precautions. Dites-le-moi, et, s'il ne faut pas 
que je le sache, je ne le saurai pas. 

Vanderk fils. 
Je vous suis oblige^ mon pere; je vous le di- 
rois. 

Vanderk pere. 
Si vous me trompez, prenez-y garde : je ferai 
cabale. 

Vanderk fils. 

Je ne crains pas cela; mais, mon pere, on vient 
de lire le contrat de manage de ma soeur. Nous 
Pavons tous signe\ Quel nom avez-vous done pris, 
et quel nom m'avez-vous fait prendre ? 

Vanderk pere. 
Le vdtre. 

Vanderk fils. 

Le mien I Est-ce que celui que je porte.. . 

Vanderk pere. 
Ce n'est qu'un surnom. 

Vanderk fils. 
Vous vous etes titre* de chevalier, d'ancien baron 
de Savieres, de Clavieres... 



ACTE II, SCENE IV 29 

Vanderk pere. 
Je le suis. 

Vanderk fils. 
Vous etes done gentilhomme ? 

Vanderk pere. 
Oui. 

Vanderk fils. 
Oui? 

Vanderk pere. 
Vous doutez de ce que je dis? 

Vanderk fils. 
Non, mon pere; mais est-il possible? 

Vanderk pere. 
II n'est pas possible que je sois gentilhomme? 

Vanderk fils. 
Je ne dis pas cela ; mais est-il possible , fussiez- 
vous le plus pauvre des nobles, que vous ayez pris 
un £tat? 

Vanderk pere. 
Mon fils, lorsqu'un homme entre dans le monde, 
il est le jouet des circonstances. 

Vanderk fils. 
En est-il d'assez fortes pour nous faire descendre 
du rang le plus distingud au rang... 

Vanderk pere. 
Achevez... au rang le plus bas. 

Vanderk fils. 
Je ne voulois pas dire cela. 

Vanderk pere. 
Ecoutez... Le compte le plus rigide qu'un pere 



3o LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 

doive a son fils est celui de l'honneur qu'il a regu 
de^ses ancetres. Asseyez-vous. (Le pire s'assied; le 
fils prend un siige et ne s'assied pas.) J'ai 6t€ eleve* 
par votre bisaieul : mon pere fut tue* fort jeune a 
la tSte de son regiment. Si vous £tiez moins rai- 
sonnable, je ne vous confierois pas l'histoire de ma 
jeunesse, et la voici. (Le fils s'assied.) Votre mere, 
fille d'un gentilhomme voisin, a 6t€ ma seule et 
unique passion. Dans l'£ge oil l'on ne choisit pas, 
j'ai eu le bonheur de bien choisir. Un jeune offi- 
cier, venu en quartier d'hiver dans la province, 
trouva mauvais qu'un enfant de seize ans (c'£toit 
mon &ge), attirat les attentions d'un autre enfant 
(votre mere n'avoit pas quinze ans); il me traita 
avec hauteur... Je ne le supportai pas, nous nous 
battimes. 

Vanderk fils. 

Vous vous battites? 

Vanderk pere. 

Oui, mon fils. 

Vanderk fils. 

Au pistolet? 

Vanderk pere. 

Non, a l'epee. Je fus force* de quitter la pro- 
vince. Votre mere me jura une Constance qu'elle a 
eue toute sa vie. Je m'embarquai^ Un bon Hollan- 
dois, propridtaire du batiment sur lequel j'dtois, 
me prit en affection. Nous fumes attaqu^s, et je 
lui fus utile (c'est la que j'ai connu Antoine). Le 
bon marchand m'associa a son commerce; il m'of- 



ACTE II, SCENE IV 3i 

frit sa niece et sa fortune. Je lui dis mes engage- 
mens : il m'approuve, il part, il obtient le consen- 
tement des parens de votre mere, il me l'amene 
avec sa x nourrice (c'est cette bonne vieille qui est 
ici). Nous nous marions. Le bon Hollanders mou- 
rut dans mes bras. Je pris, a sa priere, et son nom 
et son commerce. Le Ciel a bdni ma fortune; je ne 
peux pas £tre plus heureux : je suis estim£; voici 
votre soeur bien £tablie ; votre beau-frere remplit 
avec honneur une des premieres places dans la robe. 
Pour vous, mon fils, vous serez digne de moi et de 
vos aieux; j'ai deja remis dans notre famille tous 
les biens que la n^cessite* de servir le prince avoit fait 
sortir des mains de nos ancetres : ils seront a vous, 
ces biens (ils se Itvent) , et, si vous pensez que j'aie 
fait par le commerce une tache a leur nom, c'est a 
vous de l'effacer; mais, dans un siecle aussi ^clair^ 
que celui-ci, ce qui peut procurer la noblesse n'est 
pas capable de T6ter. 

Vanderk fils. 

Ah! mon pere, je ne le pense pas; mais le pr£- 
juge* est malheureusement si fort... 

Vanderk pere. 

Le pre^ugeM Un tel pr^jug^ n'est rien aux yeux 
de la raison. 

Vanderk fils. 

Cela n'empe'che pas que le commerce ne soit vu 
comme un £tat... 

Vanderk pere. 

Quel £tat, mon fils, que ceiui d'un homme qui 



32 LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 

d'un trait de plume se fait ob&r d'un bout de Pii- 
nivers a l'autre ! Son nom, son seing, n'a pas besoin, 
comme la monnoie d'un souverain, que la valeur 
du m£tal serve de caution a Tempreinte : sa per- 
sonne a tout fait; il a sign6, cela suffit. 

Vanderk fils. 

J'en conviens; mais... 

Vanderk pere. 

Ce n'est pas un peuple, ce n'est pas une seule 
nation qu'il sert ; il les sert toutes, et en est servi : 
c'est Thomme de Punivers. 

Vanderk fils. 

Cela peut Itre vrai; mais enfin, en lui-mSme, 
qu'a-t-il de respectable? 

Vanderk pere. 

De respectable ! Ce qui legitime dans un gentil- 
homme les droits de la naissance, ce qui fait la 
base de ses titres : la droiture, l'honneur, la pro- 
bite\ 

Vanderk fils. 

Votre seule conduite, mon pere. 

Vanderk pere. 

Quelques particuliers audacieux font armer les 
rois : la guerre s'allume, tout s'embrase, l'Europe 
est divis^e ; mais ce negotiant anglois, hollandois, 
russe ou chinois, n'en est pas moins l'ami de mon 
cceur : nous sommes sur la terre autant de fils qui 
lient ensemble les nations et les ramenent a la paix 
par la n£cessite du commerce. Voila, mon fils, ce 
qu'est un honnete negotiant. 



ACTE II, SCENE IV 3 3 

Vanderk fils. 
Et le gentilhomme done? et le militaire? 

Vanderk pere. 
Je ne connois que deux £tats au-dessus du com- 
mercant, en supposant qu'il y ait des differences 
entre ceux qui font le mieux qu'ils peuvent dans le 
rang ou le Ciel les a places; je ne connois que 
deux £tats : le magistrat qui fait parler les lois, et 
le soldat qui defend la patrie. 

Vanderk fils. 
Je suis done gentilhomme? 

Vanderk pere. 
Oui, mon fils : il est peu de bonnes maisons aux- 
quelles vous ne teniez et qui ne tiennent a vous. 

Vanderk fils. 
Pourquoi done me l'avoir cache? 

Vanderk pere. 
Par une prudence peut-Stre inutile : j'ai craint 
que l'orgueil d'un grand nom ne devint le germe 
de vos vertus; j'ai desire* que vous les tinssiez de 
vous -mime. Je vous ai epargne* jusqu'a cet in- 
stant les] reflexions que vous venez de faire , re- 
flexions qui, dans un &ge moins avanc£, se seroient 
produites avec plus d'amertume. 

Vanderk fils. 
Je ne crois pas que jamais... 



r 
j 



LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 



SCENE V 

LES MEMES, ANTOINE, 
LE DOMESTIQUE de M. d'Esparville. 

Vanderk pere. 
Qu'est-ce? 

Antoine. 
Cest un domestique; il y a, Monsieur, plus de 
trois heures qu'il est la. 

Vanderk pere. 
Pourquoi faire attendre? pourquoi ne pas faire 
parler? Son temps peut ^tre pr^cieux; son mattre 
peut avoir besoin de lui. 

Antoine. 
Je l'ai oubli£; on a soup£, il s'est endormi. 

Le Domestique. 
Je me suis endormi. Ma foi, on est las... las... 
Oil diable est-elle a present? Cette chienne de let- 
tre me fera damner aujourd'hui. 

Vanderk pere. 
Donnez-yous patience. 

Le Domestique. 
Ah ! la voila ! [Pendant que le pfre lit, le domes- 
tique bailie tt le fils reve.) 



ACTE II, SCENE V 35 

Vanderk pere, devant son bureau, 
Vous direz a votre maitre... Qu'est-il, votre 
maitre? 

Le Domestique. 

Monsieur d'Esparville. 

Vanderk pere. 
J'entends; mais quel est son £tat? 

Le Domestique. 
II n'y a pas longtemps que je suis a lui; mais il 
a servi. 

Vanderk pere. 
Servi? 

Le Domestique. 
Oui, c'est tin ancien officier, un officier distin- 
gue meme... 

Vanderk pere. 
Dites a votre maitre, dites a M. d'Esparville 
que demain, entre trois et quatre heures apres 
midi, je l'attends ici. 

Le Domestique. 
Oui. 

Vanderk pere. 

Dites, je vous en prie, que je suis bien fdch^ de 
ne pouvoir lui donner une heure plus prompte, que 
je suis dans l'emb arras. 

Le Domestique. 

Oh! je sais, je sais... La noce de mademoiselle 
votre fille; oh! je sais, je sais... (// tourne du c6U 
du magasin.) 



36 LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 

Antoine. 
Eh bieti ! ou allez-vous? Encore dormir? {Us sor- 
tent.) 



SCENE VI 

VANDERK Pere, VANDERK Fils. 

Vanderk fils. 
Mon pere, je vous prie de pardonner a mes re- 
flexions. 

Vanderk pere , assis au bureau. 
II vaut mieux les dire que les taire. 

Vanderk fils. 
Peut-Stre avec trop de vivacite". 

Vanderk pere. 
C'est de votre £ge. . .Vous allez voir ici une femme 
qui a bien plus de vivacite* que vous sur cet article. 
Quiconque n'est pas militaire n'est rien. 

Vanderk fils. 
Qui done? 

Vanderk pere. 
Votre tante, ma propre sceur; elle devroit £tre 
arrived. C'est en vain que je l'ai e"tablie honora- 
blement; elle est veuve a present et sans enfans; 
elle jouit de tous les revenus des biens que je vous 
ai achete"s; je l'ai combine de tout ce que j'ai cru 
devoir satisfaire ses vceux : cependant elle ne me 



ACTE II, SCENE VI 3 7 

pardonnera jamais l'£tat que j'ai pris, et, lorsque 
mes dons ne profanent pas ses mains, le nom de 
frere profaneroit ses levres. Elle est cependant la 
meilleure de toutes les femmes ; mais voila comme 
un pr£jug£ £touffe les sentimens de la nature et de 
la reconnoissance. 

Vanderk fils. 

Moi, mon pere, a yotre place, je ne lui pardon- 
nerois jamais. 

Vanderk pere* 

Pourquoi? Elle est ainsi, mon fils : c'est une foi- 
blesse en elle; c'est de l'honneur malentendu, mais 
c'est toujours de l'honneur. 

Vanderk fils. 

Vous ne m'aviez jamais parle" de cette tante. 
Vanderk pere, se levant, 

Ce silence entroit dans mon systeme a votre 
£gard. Elle vit dans le fond du Berry; elle n'y sou- 
tient qu'avec trop de hauteur le nom de nos ancl- 
tres, et l'id£e de noblesse est si forte en elle que 
je ne lui aurois pas persuade* de venir au manage 
de votre sceur si je ne lui avois £crit qu'elle spouse 
un homme de quality ; encore a-t-elle mis des con- 
ditions singulieres. 

Vanderk fils. 

Des conditions ! 

Vanderk pere. 

« Mon cher frere, m'^crit-elle, j'irai; mais ne 
« seroit-il pas mieux que je ne passasse que pour 
« une parente eloigned de votre femme, pour une 



38 LE PHILOSOPHE SANS LE S A VOIR 

« protectrice de la famille? » Elle appuie cela de 
tous les mauvais raisonnemens qui... J 'en tends une 
voiture. 

Vanderk fils* 
Je vais voir. 



SCENE VII 

LES MEMES, 

MADAME VANDERK , SOPHIE , 

LE GENDRE, VICTORINE. 

Madame Vanderk. 
Voici, je crois, ma belle-soeur. 

Vanderk pere. 
II faut voir. 

Sophie. 
Voici ma tante. 

Vanderk pere. 
Restez ici, je vais au-devant d'elle. 

Le Gendre. 
Vous accompagnerai-je? 

Vanderk pere. 
Non, restez. Victorine, 6clairez-moi. (Victorine 
prend un flambeau ei passe devant.) 



i 



ACTE II, SCENE VIII 3 9 



SCENE VIII 

MADAME VANDERK 
VANDERK Fils, SOPHIE, LE GENDRE. 

Le Gendre. 
He* bien! mon cher frere, vous avez aujourd'hui 
un petit air s^rieux ? 

Vanderk fils. 
Non, jevous assure. 

Le Gendre. 
Pensez-vous que votre soeur ne sera pas lieu- 
reuse avec moi? 

Vanderk fils. 
Je ne doute pas qu'elle ne le soit. 
Sophie , h sa mire. 
L/appellerai-je ma tante ? 

Madame Vanderk. 
Gardez-vous-en bien ! Laissez-moi parler. 



40 LE PHIL0S0PHE SANS LE SAVOIR 



SCENE IX 

LES MEMES, VANDERK Pere, VICTORINE, 

LATANTE, UN LAQUAIS de la tante, en 
veste, une ceinture de sole, botU, un fouet sur 
Vipaule, portant la queue de sa mattresse. 

La Tante. 
Ah ! j'ai les yeux £blouis ! Ecartez ces flambeaux ! 
Point d'ordre sur les routes, je devrois £tre ici il y 
a deux heures. Soyez de condition, n'en soyez pas, 
une duchesse, une financiere, c'est £gal ; des che- 
vaux terribles, mes femmes ont eu des peurs! (A 
son laquais.) Laissez ma robe, vous. Ah! c'est ma- 
dame Vanderk ! [Madame Vanderk avance, la salue 
et met de la hauteur.) 

Madame Vanderk. 
Madame, voici ma fille que j'ai l'honneur de 
vous presenter. (La tante fait une rivirence proti- 
geante et n'embrassc pas.) 

La Tante, a M. Vanderk plre. 
Quel est ce monsieur noir et ce jeune homme? 

Vanderk pere. 
C'est mon gendre futur. 

La Tante, regardant le fils. 
II ne faut que des yeux pour juger qu!il est d'un 
sang noble. 



ACTE II, SCENE IX 41 

Vanderk pere. 
Ne trouvez-vous pas qu'il a quelque chose du 
grand-pere ? 

La Tante. 
Mais oui, le front, II est sans doute avance* dans 
le service? 

Vanderk pere. 
Non, il est trop jeune. 

La Tante. 
II a sans doute un regiment? 

Vanderk pere. 

Non. 

La Tante. 
Pourquoi done? 

Vanderk pere. 
Lorsque, par ses services, il aura m&ite* la faveur 
de la cour, je suis tout pret. 

La Tante. 
Vous avez eu vos raisons : il est fort bien; votre 
fille Faime sans doute? 

Vanderk pere. 
Oui, ils s'aiment beaucoup. 

La Tante. 
Mais je me serois tres peu embarrassed de cet 

amour-la, et j'aurois voulu que mon gendre eiit 
eu un rang avant de lui donner ma fille. 

Vanderk pere. 
II est president. 

La Tante. 
President! Pourquoi porte-t-iir^e? 

6 



42 LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 

Vanderk pere. 
Qui? Voici mon gendre futur! 

La Tante. 
Cela! Monsieur est done de robe? 

Le Gendre. 
Oui, Madame, et je m'en fais honneur. 

La Tante. 
Monsieur, il y a dans la robe des personnes qui 
tiennent a ce qu'il y a de mieux. 

Le Gendre. 
Et qui le sont, Madame. 

La Tante, h son frere. 
Vous ne m'aviez pas 6crit que c'6toit un homme 
de robe. (Au gendre.) Je vous fais, Monsieur, mon 
compliment; je suis charmed de vous voir uni a une 
f ami lie... 

Le Gendre. 
Madame... 

La Tante. 
A une famille a laquelle je p rends le plus vif in- 
tent . 

Le Gendre. 
Madame... 

La Tante. 
Mademoiselle a dans toute sa personne un air, 
une gr&ce, une modestie, un seVieux... Elle sera di- 
gnement madame la pr£sidente. (Kegardant le fils.) 
Et ce jeune monsieur? 

Vanderk pere. 
Cest mon fils. 



ACTE II , SCENE IX 4 3 

La Tante. 

Votre fils ! votre fils ! Vous ne me le dites pas ! 
vous ne me le dites pas ! . . . Cest mon neveu ! Ah ! il 
est charmant! il est charmaatl Embrassez-moi , 
mon cher enfant. Ah! vous avez raison, c'est 
tout, le portrait du grand-pere ; il m*a saisie : ses 
yeux, son front, Tair noble. Ah! mon frere! ah! 
Monsieur, je veux l'emmener, je veux le faire 
connoitre dans la province ; je le present erai. Ah ! 
il est charmant ! 

Madame Vanderk. 

Madame, voulez-vous passer dans votre appar- 
tement? 

Vanderk pere^ 

On va vous servir.. 

La Tante* 

Ah! mon lit, mon lit et un bouillon. Ah! il est 
charmant ! Je le retiens demain pour me donner la 
main. Bonsoir, mon cher neveu, bonsoir. Ah ! il est 
charmant! (Us sortent.) 



SCENE X 

VANDERK Fils, VICTORINE, 

Vanderk fils. 
Ma chere tante, est assez folle, a. ce qu'il me pa- 
rol t. 



44 LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 

VlCTORINE. 

Cest madame votre tante? 

Vanderk fils. 
Oui, soeur de mon pere. 

VlCTORINE. 

Ses domestiques font un train ! Elle en a quatre, 
cinq, sans compter les femmes. lis sont d'une ar- 
rogance ! Madame la marquise par-ci, madame la 
marquise par-la; elle veut ceci, elle entend cela. 
II semble que tout soit a eux. 

Vanderk fils. 

Je m'en doute'bien. 

VlCTORINE. 

Vous ne la suivez pas, votre chere tante? 

Vanderk fils. 
J'v vais. Bonsoir, Victorine. 

VlCTORINE. 

Attendez done. 

Vanderk fils. 
Que veux-tu? 

VlCTORINE. 

Vovons done votre nouvelle montre. 

Vanderk fils. 
Tu ne Pas pas vue ? 

VlCTORINE. 

Que je la voie encore! Ah! elle est belle! des 
diamans! a r£p£titionl II est onze heures sept, 
huit, neuf, dix minutes, onze heures dix minutes. 
Demain, a pareille heure. . . Voulez-vous que je vous 
dise tout ce que vous ferez demain? 



ACTE II, SCENE X 4 5 

Vanderk fils. 
Ceque je ferai? 

VlCTORINE. 

Oui... Vous vous leverez a sept, disons a huit 
heures; vous descendrez a dix; vous donnerez la 
main a la marine; on reviendra a deux heures; on 
dinera, on jouera; ensuite votre feu d'artifice... 
Pourvu encore que vous ne soyez pas blesse* ! 

Vanderk fils. 

Blesse7 Qu'importe! 

VlCTORINE. 

II ne faut pas retre. 

Vanderk fils. 
Bon!... 

VlCTORINE. 

Je parie que voila tout ce que vous ferez de- 
main. 

Vanderk fils. 

Tu serois bien 6tonn£e si je ne faisois rien de 
tout cela. 

VlCTORINE. 

Que ferez-vous done ? 

Vanderk fils. 
Au reste, tu peux avoir raison. 

VlCTORINE. 

Cest joli, une montre a r£p6tJtion ! Lorsqu'on se 
reveille, on sonne Theure. Je crois que je me re- 
veillerois tout expres. 



46 LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 

Vanderk fils. 
He" bien ! je veux qu'elle passe la' nuit dans ta 
chambre pour savoir si tu te re>eilleras. 

Victorine. 
Oh! non. 

Vanderk fils. 
Je t'en prie. 

Victorine. 
Si on le savoit, on se moqueroit de moi. 

Vanderk fils. 
Qui le dira? Tu me la rendras demain au matin. 

Victorine. 
Vous pouvez en Stre sur; mais... et vous? 

Vanderk fils. 
N'ai-je pas ma pendule? Et tu me la rendras? 

Victorinb. 
Sans doute. 

Vanderk fils. 
Qu'a moi. 

Victorine, 
A qui done? 

Vanderk fils. 
Qu'a moi. 

Victorine. 
H£ I mais, sans doute. 

Vanderk fils. 
Bonsoir, Victorine. Adieu, bonsoir. Qu'amoi... 
qu'a moi ! (// sort.) 




ACTE II, SCENE XI 47 



SCENE XI 

VICTORINE, seule. 

Qu'a moi ! qu'a moi ! Que veut-il dire? II a quel- 
que chose d' extraordinaire aujourd'hui : ce n'est 
pas sa gaiet£, ce n'est pas son air franc; il revoit... 
Si c'etoit... Non... 



SCENE XII 

ANTOINE, VICTORINE. 

Antoine, a sa filU. 
On vous appelle, on vous sonne depuis une 
heure! [Victorine sort.) 

SCENE XIII 

ANTOINE, seul. 

Quatre ou cinq miserables laquais de condition 
donnent plus de peine dans une maison que qua- 
rante personnes. Nous verrons demain : ce sera un 
beau bruit ! Je n'oublie rien? Non. (// souffle ks bou- 
gies tt fcrme Us volets.) Je vais me coucher. 



48 LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 



SCENE XIV 



ANTOINE, UN DOMESTIQUE 
DE M. Vanderk. 



Le Domestique. 
Monsieur Antoine? 

• Antoine. 
Quoi? 

Le Domestique. 
Monsieur dit qu'avant de vous coucher vous 
montiez chez lui par le petit escalier. 

Antoine. 
Oui, j'y vais. 

Le Domestique. 
Bonsoir, monsieur Antoine. 

Antoine. 
Bonsoir, bonsoir. 




i 



ACTE III 



SCENE PREMIERE 

VANDERK Fils et son DOMESTIQUE entrent 
en tdtonnant avec precaution. II fait ouvrir le 
volet fermi le soir par Antoine, pour faire voir 
qu'il est un peu jour. II regarde partout. II doit 
etre en redingote et en bottines. 



SCENE II 



VANDERK Fils, son DOMESTIQUE. 
(II est botti ainsi que son maitre.) 

Vanderk fils. 

hampagne, va ouvrir le volet. He* bien ! 
lies cl£s? 

Le Domestique. 
J'ai cherche' partout, sur la fen£tre, 
derriere laporte; j'ai t&te" le long de la barre de 
fer,jen'ai rien trouv6; enfin j'ai reveille" le portier. 

7 




5o LE PHILOSOPHE SANS LE S AVOIR 

Vanderk fils. 
m bien? 

Le Domestique. 
II dit que M. Antoine les a. 

Vanderk fils. 
HeM pourquoi Antoine a-t-il pris ces ells? 

Le Domestique. 
Je n'en sais rien. 

Vanderk fils. 
A-t-il coutume de les prendre? 

Le Domestique. 
Je ne Tai pas demands : voulez-vous que j'j 
aille? 

Vanderk fils. 
Non... Et nos chevaux? 

Le Domestique. 
lis sont dans la cour. 

Vanderk fils. 
Tiens, mets ces pistolets a Tarpon, et n'y touche 
pas. As-tu entendu du bruit dans la maison? 

Le Domestique. 
Non. Tout le monde dort : j'ai cependant vu de 
la lumiere. 

Vanderk fils. 
Ou? 

Le Domestique. 
Au troisieme. 

Vanderk fils. 
Au troisieme ? 




ACTE HI, SCENE II 5i 

Le Domestique. 
Ah ! c'est dans la chambre de mademoiselle Vio 
torine; mais c'est sa lampe. 

Vanderk fils. 
Victorine ! . . . Va-t'en. 

Le Domestique. 
Ou irai-je? 

Vanderk fils. 
Descends dans la cour, £coute, cache les che- 
vaux sous la remise a gauche, pres du carrosse de 
ma mere. Point de bruit surtout : il ne faut r£veil- 
ler personne. 



SCENE III 

VANDERK Fils, seul. 

Pourquoi Antoine a-t-il pris ces cl6s? Que 
vais-je faire? Cest de le reWeiller. Je lui dirai: « Je 
veux sortir... J'ai des emplettes... J'ai quelques af- 
faires... » Frappons. Antoine?... Jen'entendsrien... 
Antoine? (Pret h frapper, il suspend le coup.) II va 
me faire cent questions : « Vous sortez de bonne 
heure! Quelle affaire avez-vous done? Vous sortez 
a cheval : attendez le jour. — Je ne veux pas 
attendre, moi. Donnez-moi les c\6s. » (// frappe.) 
Antoine ? 



LE PHILOSOPHE SANS LE S A VOIR 



SCENE IV 

VANDERK Fils; ANTOINE, dans sa chambre. 

Antoine. 
Qui est la ? 

Vanderk fils. 
II a re^pondu. Antoine? 

Antoine. 
Qui peut frapper si matin ? 

Vanderk fils. 
Moi. 

Antoine. 
Ah ! Monsieur, j'y vais. 



SCENE V 



VANDERK Fils, seul. 



II se leve... Rien de moins extraordinaire : j'ai 
affaire, moi; je sors; je vais a deux pas; quand 
j'irois plus loin... « Mais vous etes en bottes? mais 
ce cheval? mais ce domestique? — He* bien, je vais 
a deuxlieues d'ici; mon pere m'a dit de lui faire 



ACTE III, SCENE V 53 

une commission. » Comme Tesprit va chercher bien 
loin les raisons les plus simples ! Ah ! je ne sais pas 
mentir. 



SCENE VI 

VANDERK Fils; ANTOINE, son col a la main. 

Antoine. 
Comment, Monsieur, c'estvous? 

Vanderk fils. 
Oui, donne-moi vite les cl£s de la porte cochere. 

Antoine. 
Les cl£s? 

! Vanderk fils. 
Oui. 

Antoine. 
Les cl£s? mais le portier doit les avoir. 

Vanderk fils. 
Il'dit que vous les avez. 

Antoine. 
Ah ! c'est vrai : hier au soir, jejne m'en ressouve- 
nois pas. Mais, a propos, monsieur votre pere les a. 

Vanderk fils. 
Mon pere! Et pourquoi les a-t-il? 

Antoine. 
Demandez-le-lui ; je n'en sais rien. 



54 LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 

Vanderk fils. 
II ne les a pas ordinairement. 

Antoine. 
Mais vous sortez de bonne heure? 

Vanderk fils. 
II faut qu'il ait eu quelques raisons pour prendre 
les cl£s. 

Antoine. 
Peut-etre quelque domestique : ce manage... II 
a appr^hende* Tembarras des fetes... des aubades... 
II veut se lever le premier. Enfin, que sais-je? 

Vanderk fils. 
He* bien, mon pauvre Antoine, rends-moi le 
plus grand... rends-moi un petit service : entre 
tout doucement, je t'en prie, dans l'appartement 
de mon pere; il aura mis les Ms sur quelque table, 
sur quelque chaise : apporte-les-moi. Prends garde 
de le reWeiller; je serois au d^sespoir si j'^tois la 
cause que son sommeil fut trouble. 

Antoine. 
Que n'y allez-vous vous-meme? 

Vanderk fils. 
S'il t'entend, tu lui donneras mieux une raison 
que moi. 

Antoine. 
J'y vais : ne sortez pas, ne sortez pas. 

Vanderk fils. 
Ou veux-tu que j'aille? je n'ai point de cl£s. 

Antoine. 
Ah! c'est vrai. (// sort.) 




ACTE III, SCENE VII 55 



SCENE VII 



VANDERK Fils, seul. 



J'aurois bien cm qu'il m'auroit fait plus de 
questions; Antoine est un bon homme... II se sera 
bien imagined. . Ah! mon pere, mon pere!... II 
dort... II ne sait pas... Ce cabinet, cette maison, 
tout ce qui frappe mes yeux m'est plus cher : quitter 
cela pour toujours ou pour longtemps, cela fait 
une peine... Ah! le voila. Ciel! c'est mon pere! 



SCENE VIII 



VANDERK PIre, en robe de chambre; 
VANDERK Fils. 



Vanderk fils. 
Ah ! mon pere, ah ! que je suis f&ch6 ! Cest la 
faute d' Antoine : je le lui avois dit; mais il aura 
fait du bruit, il vousf aura reveille. 



56 LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 

Vanderk pere. 
Non, je P6tois. 

Vanderk fils. 
Vous P£tiez! et sans doute que... 

Vanderk pere. 
Vous ne me dites pasbonjour? 

Vanderk fils. 
Mon pere, je vous demande pardon; je vous 
souhaite bien le bonjour. Comment avez-vous 
pass£la nuit? votre sante\.. 

Vanderk pere. 
Vous sortez de bonne heure. 

Vanderk fils. 
Oui : je voulois... 

Vanderk pere. 
II y a des chevaux dans la cour. 

Vanderk fils. 
Cest pour moi ; c'est le mien et celui de mon 
domestique. 

Vanderk pere. 
Eh ! ou allez-vous si matin ? 

Vanderk fils. 
Une fantaisie d'exercice; je voulois faire le tour 
des remparts : une id£e.... un caprice qui m'a 
pris tout d'un coup ce matin. 

Vanderk pere. 
Des hier vous aviez dit qu'on tint vos chevaux 
prets. Victorine Pa su de quelqu'un, d'un homme 
de P^curie, et vous aviez Pid£e de sortir. 



ACTE III, SCENE VIII 57 

Vanderk FILS. 
Non, pas absolument. 

Vanderk pere. 
Non, mon fils, vous avez quelque dessein. 

Vanderk fils. 
Quel dessein voudriez-vous que j'eusse? 

Vanderk pere. 
C'est moi qui vous le demande. 

Vanderk fils. 
Je vous assure, mon p.ere... 

Vanderk pere. 
Mon fils, jusqu'a cet instant, je n'ai connu en 
vous ni devours ni mensonges. Si ce que vous 
me dites est vrai, r£p£tez-le-moi, et je vous croi- 
rai... Si ce sont quelques raisons, quelques folies 
de votre &ge, de ces niaiseries qu'un pere peut 
soupgonner, mais ne doit jamais savoir, quelque 
peine que celajme fasse, je n'exige pas une confi- 
dence dont nous rougirions l'un et Tautre. Voici 
les cl6s, sortez... (Le fils tend la main et les prend.) 
Mais, mon fils, si cela pouvoit inteVesser votre re- 
pos et le mien, et celui de votre mere? 

Vanderk fils. 
Ah ! mon pere ! 

Vanderk pere. 
II n'est pas possible qu'il y ait rien de d^shono- 
rant dans ce que vous allez faire. 

Vanderk fils. 
Ah! bien plutot...! 

8 



58 LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 

VANDERK PERE. 

Achevez. 

VANDERK F1LS. 

Que me demandez-vous? Ah! mon pere! vous 
me l'avez dit hier : vous avez 6td insulte*; vous 
eYiez jeune, vous vous £tes battu; vous le feriez 
encore. Ah! que je suis malheureux! je sens que je 
je vais faire le malheur de votre vie. Non... ja- 
mais... Quelle Ie^on!... Vous pouvez m'en croire, 
si la fatality... 

Vanderk PERE. 
Insult6... battu... le malheur de ma vie! Mon 
fils, causons ensemble, et ne voyez en moi qu'un 
ami. 

Vanderk fils. 
S'il 6toit possible que j'exigeasse de vous un 
serment... promettez-moi que, quelque chose que 
je vous dise, votre bonte* ne me d&ournera pas de 
ce que je dois faire. 

Vanderk pere. 
Si cela est juste. 

Vanderk fils. 
Juste ou non. 

Vanderk pere. 
Ou non? 

Vanderk fils. 
Ne vous alarmez pas. Hier au soir j'ai eu quel- 
que altercation, une dispute avec un officier de ca- 
valerie. Nous sommes sortis, on nous a s£par£s... 
Parole aujourd'hui. 



ACTE III, SCENE VIII 5 9 

Vanderk pere, en s'appuyant sur le dos d'une 

chaise. 
Ah ! mon fils ! 

Vanderk fils. 
Voila ce que je craignois. 

Vanderk pere, avec fermete'. 
Je suis bien loin de vous ddtourner de ce que 
vous avez a faire. (Douloureusement.) Vous etes 
militaire, et, quand on a pris un engagement vis-a- 
vis du public, on doit le tenir, quoi qu'il en coute 
a la raison et meme a la nature. 

Vanderk fils. 
Je n'ai pas besoin d'exhortations. 

Vanderk pere. 
Je le crois; et puis-je savoir de vous un detail 
plus dtendu de votre querelle et de ce qui l'a cau- 
sae, enfin de tout ce qui s'est passed 

Vanderk fils. 
Ah ! comme j'ai fait ce que j'ai pu pour £viter 
votre presence ! 4 

Vanderk pere. 
Vous fait-elle du chagrin ? 

Vanderk fils. 
Ah! jamais, jamais je n'ai eu tant besoin d'un 
ami, et surtout de vous. 

Vanderk pere. 
Enfin vous avez eu dispute ? 

Vanderk fils. 
L'histoire n'est pas longue : la pluie qur est sur- 
venue hier m'a force" d'entrer dans un cafd; j'y 



60 LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 

jouois une partie d'echecs : j'entends a quelques 
pas de moi quelqu'un qui parloit avec chaleur; il 
racontoit je ne sais quoi de son pere, d'un mar- 
chand, d'un escompte de billets; mais je suis cer- 
tain d'avoir entendu tres-distinctement : « Oui... 
tous ces n£gocians, tous ces commerc,ans, sont des 
fripons, sont des miseVables. » Je me suis retourn£, 
je Fai regards. Lui, sans nul £gard, sans nulle at- 
tention, a repute* le meme discours. Je me suis lev£, 
je lui ai dit a Foreille qu'il n'y avoit qu'un mal- 
honnete homme qui put tenir de pareils propos. 
Nous sommes sortis; on nous a s£par£s. 

Vanderk pere. 

Vous me permettrez de vous dire... 

Vanderk fils. 

Ah! je sais, mon pere, tous les reproches que 
vous pouvez me faire : cet officier pouvoit etre 
dans un instant d'humeur; ce qu'il disoit pouvoit 
ne pas me regarder : lorsqu'on dit tout le monde, 
on ne dit personne; peut-etre meme ne faisoit-il 
que raconter ce qu'on lui avoit dit; et voila mon 
chagrin, voila mon tourment. Mon retour sur moi- 
meme a fait mon supplice : il faut que je cherche 
a £gorger un homme qui peut n* avoir pas tort. Je 
crois cependant qu'il Fa dit parce que j'^tois pre- 
sent. 

Vanderk pere. 

Vous le desirez : vous connoit-il? 

Vanderk fils. 

Je ne le connois pas. 



ACTE III, SCENE VIII 61 

Vanderk PERE. 
Et vous cherchez querelle! Je n'ai rien a vous 
prescrire. 

Vanderk fils. 

Mon pere, soyez tranquille. 

Vanderk pere. 
Ah! mon fils! pourquoi n'avez-vous pas pens£ 
que vous aviez un pere ? Je pense si souvent que 
j'ai un fils! 

Vanderk fils. 
C'est parce que jy pensois. 

Vanderk pere. 
Eh! dans quelle incertitude, dans quelle peine 
jettiez-vous aujourd'hui votre mere et moi? 

Vanderk fils. 
J'y avois pourvu. 

Vanderk pere. 
Comment? 

Vanderk fils. 
J* avois laisse" sur ma table une lettre adress^e a 
vous : Victorine vous l'auroit donn£e. 

Vanderk pere. 
Est-ce que vous vous etes confix a Victorine ? 

Vanderk fils. 
Non, mais elle devoit reporter quelque chose 
sur ma table, et elle Tauroit vue. 

Vanderk pere. 
Et quelles precautions aviez-vous prises contre 
la juste rigueur des lois? 



6i LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 

Vanderk fils. 
La fuite. 

Vanderk pere. 
Remontez a votre appartement; apportez-moi 
cette lettre ; je vais £crire pour votre siiret£, si le 
Ciel vous conserve. Ah! peut-on l'implorer pour 
un meurtre, et peut-6tre pour deux ! 

Vanderk fils. 
Que je suis malheureux ! 

Vanderk pere. 
Passez dans la chambre de votre mere... Dites- 
lui... Non, il vaut mieux qu'il y ait quelques heu- 
res de plus qu'elle ne vous ait vu. Ah! Ciel! (Van- 
derk fils sort.) 



SCENE IX 

VANDERK Pere. 

InfortuneM comme on doit peu compter sur le 
bonheur present ! Je me suis couche" le plus tran- 
quille, le plus heureux des peres, et me voila... (// 
se met h son secretaire, et il tent.) Antoine... je ne 
puis avoir trop de confiance... (Antoine entre.) Ah! 
pourvu que je le revoie! (// icrit.) Si son sang cou- 
loit pour san roi ou pour sa patrie ! Mais... 



ACTE III, SCENE X 63 



SCENE X 

VANDERK Pere, ANTOINE. 

Antoine. 
Que voulez-vous? 

Vanderk PERE. 
Ce que je veux! Ah ! qu'il vive ! 

Antoine. 
Monsieur? 

Vanderk pere. 
Je ne t'ai pas entendu entrer. 

Antoine. 
Vous m'avez appele\ 

Vanderk pere. 
Antoine, je connois ta discretion, ton affection 
pour moi et pour mon fils ; il sort pour se battre. 

Antoine. 
Se battre ! Contre qui? Je vais... 

Vanderk pere. 
Cela est inutile. 

Antoine. 
Tout le quartier va le de7endre : je vais re'veil- 
ler... 

Vanderk pere. 
Non, ce n'est pas... 



64 LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 

Antoine. 
Vous me tueriez plut6t que de... 

Vanderk pere. 
Tais-toi, il est encore ici. Le void; laisse-nous. 
(Antoine traverse et sort a droite.) 



SCENE XI 

VANDERK Pere, VANDERK Fils. 

Vanderk fils, une lettre a la main. 
Je vais vous la lire. 

Vanderk pere. 
Non, donnez. Et quelle est votre marche? le 
lieu? 1' instant? 

Vanderk fils. 
Je n'ai voulu sortir d'aussi bonne heure que 
pour ne pas manquer a ma parole. J'ai redouts 
Tembarras d'aujourd'hui et de me trouver engage 
de fac,on a ne pouvoir m'^chapper. Ah! comme 
j'aurois voulu retarder d'un jour! 

Vanderk pere. 
Eh bien? 

Vanderk fils. 
Sur les trois heures apr&s midi , nous nous ren- 
contrerons derrifcre les petits remparts. 



ACTE III, SCENE XI 65 

VANDERK PERE. 

Et, d'ici a trois heures, ne pouviez-vous rester? 

Vanderk fils. 
Ah! mon pere, imaginez... 

Vanderk pere. 
Vous avez raison, je n'y pensois pas. Tenez, 
void des lettres pour Calais et pour 1'Angleterre. 
Vous aurez des relais : puissiez-vous en avoir be- 
soin! 

Vanderk fils. 
Mon pere ! 

Vanderk pere. 
Ah! mon fils!... On commence a remuer dan 
la maison; adieu. 

Vanderk fils. 

Adieu, mon pere; embrassez pour moi... (Son 

plre le repousse avec tendresse et ne Vembrasse pas. 

Le fils fait quelques pas pour sortir; il se retourne et 

tend les bras a son pere, qui lui fait signe de partir.) 



SCENE XII 



VANDERK Pere. 



Ah! mon fils, fouler aux pieds la raison, la na- 
ture et les loist Prejuge' funeste! abus cruel du 
point d'honneur! tu ne pouvois avoir pris nais- 
sance que dans les temps les plus barbares; tu ne 

9 



66 LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 

pouvois subsister qu'au milieu d'une nation vaine 
et pleine d'elle-mdme, qu'au milieu d'un peuple 
dont chaque particulier compte sa personne pour 
tout, et sa patrie et sa famille pour rien. Et vous, 
lois sages, mais insuffisantes,vousavezd£sire" mettre 
un frein a Phonneur; vous avez ennobli Te'chafaud; 
votre sprite* n'a servi qu'a froisser le coeur d'un 
honn€te homme entre Tinfamie et le supplice. 
Ah ! mon fils ! 



SCENE XIII 

VANDERK Pere, ANTOINE. 

» 

ANTOINE. 

Vous l'avez laisse* partir? 

Vanderk pere. 
Que rien ne transpire ici ! 

Antoine. 
II est d£ja jour chez Madame, et s'll alloit mon- 
ter chez elle ! 

Vanderk pere. 
II est parti... Viens, suis-moi, je vais m'habiller. 



"^g»r 



ACTE IV 



SCENE PREMIERE 




Victorine, seule. 

e le cherche partout : qu'est-il de- 
venu? Cela me passe. II ne sera jamais 
pret. II n'est pas habille\ Ah! que je 
suis f&chie de m'etre embarrassed de 
sa montre ! Je 1'ai vu toute la nuit qui me disoit : 
« Qu'a moi, qu'a moi, qu'a moi! » II est sorti de 
bien bonne heu re, et a cheval; mais si c'^toit cette 
dispute, et s'il dtoit vrai qu'il fut alle... Ah! j'ai un 
pressentiment. Mais que risqu^-je d'en parler? J'en 
vais parler a Monsieur. Je parierois que c'est ce 
domestique qui s'est endormi hier au soir : il avoit 
une mauvaise physionomie, il lui aura donne" un 
rendez-vous. Ah! 



6-8 LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 



SCENE II 

VANDERK Pere, VICTORINE. 

VlCTORINE. 

Monsieur, on est bien inquiet. Madame la mar- 
quise dit : « Mon neveu est-il habilld ? Qu'on Pa- 
vertisse. Est-il pr£t? Pourquoi ne l'ai-je pas vu? 
pourquoi ne vient-il pas ? » 

Vanderk pere. 

Mon fils? 

VlCTORINE. 

Oui, Monsieur, je Pai demand^, je Tai fait 
chercher : je ne sais s'il est sorti ou s'il n'est pas 
sorti; mais je ne l'ai pas trouve\ 

Vanderk pere. 
II est sorti. 

Victorine. 
Vous savez done, Monsieur, qu'il est dehors? 

Vanderk pere. 
Oui, je le sais. Voyez si tout le monde est pr£t : 
pour moi, je le suis. Ou est votre pere? 
Victorine fait un pas et revient. 
Avez-vous vu, Monsieur, hier, un domestique 
qui vouloit parler a vous ou a monsieur votre fils ? 

Vanderk pere. 
Un domestique? C'^toit a moi : j'ai donne* pa- 



ACTE IV, SCENE II 69 

role a son maitre aujourd'hui; vous faites bien.de 
m'en faire ressouvenir. 

Victorine, a part. 
II faut que ce ne soit pas cela. Tant mieux, puis- 
que Monsieur sait ou il est. 

Vanderk pere. 
Voyez done ou est votre pere. 

Victorine. 
J'y cours. 



SCENE III 

VANDERK Pere, seul. * 

Au milieu de la joie la plus legitime... Antoine 
ne vient point... Je voyois devant moi toutes les 
miseres humaines... Je m'y tenois pr£pare\ La mort 
m^rne... Mais ceci... Eh! que dire?... Ah! Ciel!... 



SCENE IV 

LA TANTE, VANDERK Pere. 

Vanderk pere, ay ant repris un air serein. 
H6 bien, ma soeur, puis-je enfin me livrer au 
plaisir de vous revoir ? 



7 o LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 

La Tante. 
Mon frere, je suis tres en colere ; vous gronde- 
rez apres, si vous voulez. 

Vanderk pere. 
J'ai tout lieu d'etre fache* contre vous. 

La Tante. 
Et moi contre votre fils. 

Vanderk pere. 
J'ai cru que les droits du sang n'admettoient 
point de ces mlnagemens, et qu'un frere... 

La Tante. 
Et moi, qu'une sceur comme moi mlrite de cer- 
tains Igards. 

Vanderk p£re. 
Quoi ! vous auroit-on manque* en quelque chose? 

La Tante. 
Oui, sans doute. 

Vanderk pIre. 

Qui? 

La Tante. 
Votre fils. 

Vanderk pere. 
Mon fils? Eh ! quand peut-il vous avoir diso- 
bliged ? 

La Tante. 
A Tinstant. 

Vanderk p£re. 
A Pinstant?... 

La Tante. 
Oui, mon frere, a Tinstant : il est bien singulier 



ACTE IV, SCENE IV 71 

que mon neveu, qui doit me donner la main au- 
jourd'hui, ne soit pas ici, et qu'il sorte ! 

Vanderk pere. 
II est sorti pour une affaire indispensable. 

La Tante. 
Indispensable, indispensable! Votre sang-froid 
me tue. II faut me le trouver mort ou vif : c'est 
lui qui me donne la main. 

Vanderk pere. 
Je compte vous la donner s'il le faut. 

La Tante. 
Vous ? Au reste, je le veux bien : vous me ferez 
honneur. Oh! $a, mon frere, parlons raison : il n'y 
a point de choses que je n'aie imagines pour mon 
neveu, quoiqu'il soit malhonnete a lui d'etre sorti. 
II y a pres de mon chateau , ou plut6t pres du 
vdtre, et je vous en rends graces, il yaun certain 
fief qui a £t£ enleve a la famille en 1574; mais il 
n'est pas rachetable. 

Vanderk pere. 
Soit. 

La Tante. 
Cest un abus, mais c'est ficheux. 

Vanderk pere. 
Cela peut £tre. Allons rejoindre... 

La Tante. 
Nous avons le temps. II faut repeindre les vi- 
traux de la chapelle. Cela vous £tonne ? 

Vanderk pere. 
Nous parlerons de cela. 



7 a LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 

La Tante. 
C'est que les armoiries sont £cartelees d'Aragon, 
et que le lambel... 

Vanderk pere. 
Ma soeur, vous ne partez pas aujourd'hui ? 

La Tante. 
Non, je vous assure. 

Vanderk pIre. 
H£ bien! nous en parlerons demain. 

La Tante. 
Cest que cette nuit j'ai arrange" pour votre fils, 
j'ai arrange* des choses 6tonnantes : il est aimable ! 
Nous avons dans la province la plus riche hen- 
tiere : c'est une Cramont-Balliere de la Tour d'A- 
gon. Vous savez ce que c'est; elle est m£me pa- 
rente de votre femme. Votre fils 1'^pouse, j'en fais 
mon affaire; vous ne paroitrez pas, vous : je le 
propose, je le marie; il ira a l'armee, et moi je 
reste avec sa femme, avec ma niece, et j'eleve ses 
enfans. 

Vanderk p£re. 
Eh ! ma soeur ! 

La Tante. 
Ce sont les v6tres, mon frere. 

Vanderk pIre. 
Entrons dans le salon; sans doute on nous y 
attend. 



ACTE IV,- SCENE V 7 3 



SCENE V 

LES MEMES, ANTOINE. 

Vanderk pere, ci Antoine, qui entre. 
Antoine, reste ici! 

La Tante, en s'en allant. 
Je vois qu'ilestheureux, mais tres-heureux, pour 
mon neveu, que je sois venue ici. Vous,mon frere, 
vous avez perdu toute id£e de noblesse et de gran- 
deur; le commerce r£tr£cit Tame, mon frere. Ce 
cher enfant! ce cher enfant! mais c'est que je 
Taime de tout mon cceur. 



SCENE VI 



ANTOINE, seul. 



Oui , ma resolution est prise : comment ! peut- 
etre un miserable, un drole... 



10 



i 



74 LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 



SCENE VII 

ANTOINE, VICTORINE. 

Antoine. 
Qu'est-ce que tu demandes? 

Victorine. 
J'entrois... 

Antoine. 
Je n'aime pas tout cela, toujours sur mes talons; 
c'est bien dtonnant : la curiosity, la curiosity ! Ma- 
demoiselle, voila peut-etre le dernier conseil que je 
vous donnerai de ma vie; mais la curiosite* dans 
une jeune personne ne peut que la tourner a mal. 

Victorine. 
He" ! mais, je venois vous dire... 

Antoine. 
Va-t'en, va-t'en; dcoute : sois sage et vis tou- 
jours honnStement, et tu ne pourras jamais man- 
quer. 

Victorine, a part. 
Qu'est-ce que cela veut dire ? 




ACTE IV, SCENE VIII 7 5 



SCENE VIII 

LES MEMES, VANDERK PIre. 

Vanderk pIre. 
Sortez, Victorine; laissez-nous et fermez la 
porte. 

SCENE IX 

VANDERK Pere, ANTOINE. 

Vanderk pere. 
Avez-vous dit au chirurgien de ne pas s'^loi- 
gner? 

Antoine. 
Non. 

Vanderk pIre. 
Non? 

Antoine. 
Non, non... 

Vanderk pere. 
Pourquoi? 

Antoine. 
Pourquoi? C'est que monsieur votre fils ne se 
battra pas. 



76 LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 

Vanderk PERE. 

Qu'est-ce que cela veut dire? 

Antoine. 

Monsieur, monsieur, un gentilhomme, un mili- 
taire, un diable, fut-ce un capitaine de vaisseau du 
roi, c'est ce qu'on voudra; mais il ne se battra pas, 
vous dis-je : ce ne peut e*tre qu'un malhonn£te 
homme, un assassin; il lui a cherche* querelle; il 
croit le tuer : il ne le tuera pas. 

Vanderk pere. 
Antoine ! 

Antoine. 
Non, Monsieur, il ne le tuera pas, j'y ai re- 
gards... Je sais par oil il doit venir : je Pattendrai, 
jel'attaquerai, il m'attaquera; je le tuerai, ou il me 
tuera. S'il me tue, ilsera plus embarrasse" que moi; 
si je le tue, Monsieur, je vous recommande ma 
fille. Au reste, je n'ai pas besoin de vous la re- 
commander. 

Vanderk pere. 

Antoine, ce que vous dites est inutile, et ja- 
mais... 

Antoine. 

Vos pistolets, vos pistolets!. Vous m'avez vu, 
vous m'avez vu sur ce vaisseau, il y a longtemps. 
Qu'importe, morbleu ! en fait de valeur, il ne faut 
qu'etre homme et des armes. 

Vanderk p£re. 
H6! mais, Antoine? 



ACTE IV, SCENE IX 77 

Antoine. 
Monsieur! ah! mon cher maitre! un jeune 
homme d'urie si belle esp£rance ! Ma fille me l'a- 
voit dit, et Tembarras d'aujourd'hui, et la noce, et 
tout ce monde : a l'instant me me... les cl6s du 
magasin! je les emportois. (II remet les clis a 
M. Vanderk.) Ah ! j'en deviendrai fou ! ah! dieux! 

Vanderk pere. 
II me brise le cceur. Ecoutez-moi, Antoine; je 
vous dis de m'Ecouter. 

Antoine. 
Oui, Monsieur. 

Vanderk pere. 
Croyez-vous que je n'aime pas mon fils plus 
que vous ne l'aimez? 

Antoine. 
Et c'est a cause de cela! vous en mourrez. 

Vanderk pere. 
Non. 

Antoine. \?+fo** 

Ah! Ciel! ^ ' 

Vanderk pere. 
Antoine, vous manquez de raison, je ne vous 
congois pas aujourd'hui : Ecoutez-moi. 

Antoine. 
Monsieur ! 

Vanderk pere. 
Ecoutez-moi, vous dis-je; rappelez toute votre 
presence d'esprit, j'en ai besoin; £coutez avec at- 
tention ce que je vais vous confier : on peut venir 




i 



78 LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 

a l'instant, et je ne pourrois plus vous parler... 
Crois-tu, mon pauvre Antoine, crois-tu,monvieux 
camarade, que je sois insensible? N'est-ce pas 
mon fils? n'est-ce pas lui l'avenir, le bonheur de 
ma vieillesse? Et ma femme... Ah! quel chagrin! 
sa sante* foible! Mais c'est sans remede : le pr6- 
juge* qui afflige notre nation rend son malheur 
inevitable. 

Antoine. 
Eh ! ne pouviez-vous accommoder cette affaire ? 

Vanderk PERE. 

L'accommoder ! Et si mon fils eut hesit£, s'il 
efit molli, si cette cruelle affaire s'^toit accommo- 
d^e, combien s'en pr£paroit-il dans Pavenir! II 
n'est point de demi-brave, il n'est point de petit 
homme qui ne cherchfit a le titer; il lui fau droit 
dix affaires heureuses pour faire oublier celle-ci. 
Elle est affreuse dans tous ses points, car il a tort. 

Antoine. 
II a tort? 

Vanderk piRE. 
Une dtourderie! 

Antoine. 
Une ^tourderie? 

Vanderk pere. 

Oui. Mais ne perdons pas de temps en vaines 
discussions. Antoine? 

Antoine. 
. Monsieur ! 



ACTE IV, SCENE IX 79 

Vanderk p£re. 

Ex6cutez de point en point ce que je vais vous 
dire. 

Antoine. 

Oui, Monsieur. 

Vanderk pIre. 

Ne passez mes ordres en aucune maniere; son- 
gez qu'il y va de l'honneur de mon fils et du mien : 
c'est vous dire tout. Je ne peux me confier qu'a 
vous, et je me fie a votre age, a votre experience, 
et, je peux dire, a votre amitie\ Rendez-vous au 
lieu ou ils doivent se rencontrer, derriere les petits 
remparts; d£guisez-vous de fagon a n'Stre pas re- 
connu ; tenez-vous-en le plus loin que vous pour- 
rez; ne soyez, s'il est possible, reconnu en aucune 
maniere. Si mon fils a le bonheur cruel de renver- 
ser son adversaire, montrez-vous alors; il sera agit£, 
il sera £gar£, il verra mal : voyez pour lui, portez 
sur lui toute votre attention; veillez a sa fuite, 
donncz-lui votre cheval, faites ce qu'il vous dira, 
faites ce que la prudence vous conseillera. Lui 
parti, portez sur-le-champ tous vos soins a son 
adversaire : s'il respire encore, emparez-vous de 
ses derniers mo mens, donnez-lui tous les secours 
qu'exige Thumanit^, expiez autant qu'il est en 
vous le crime auquel je participe, puisque... puis- 
que... Cruel honheur!... Mais, Antoine, si le Ciel 
me punit autant que je dois l'Stre, s'il dispose de 
mon fils , je suis pere, et je [crains mes premiers 
mouvemens ; je suis pere, et cette fete, cette noce. . . 



80 LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 

ma f em me... sa sante... moi-meme... alors tu ac- 
courras; mais, comme ta presence m'en diroit 
trop, aie cette attention, £coute bien, aie-la pour 
moi, je t'en supplie : tu frapperas trois coups a la 
porte de la cour basse, trois coups distinctement, 
et tu te rendras ici, dedans ce cabinet; tu ne par- 
leras a personne ; mes chevaux seront mis, nous y 
courrons. 

Antoine. 

Mais, Monsieur... 

Vanderk pere. 

Voici quelqu'un : eh ! c'est sa mere ! 



SCENE X 

LES MEMES, MADAME VANDERK. 

Madame Vanderk. 

Ah ! mon cher ami, tout le monde est pret. Voici 
vos gants, Antoine. He"! comme te voila fait! Tu 
aurois bien du te mettre en noir, te faire beau, le 
jour du mariage de ma fille. Je ne te pardonne pas 
cela. 

Antoine. 

C'est que... Madame... je vais en affaire. Oui, 
oui... Madame. 



AGTE IV , SCENE X 81 

Vanderk PERE. 
AUez, allez, Antoine ; faites ce que je vous ai 
dit... 

Antoine. 
Oui, Monsieur. 

Vanderk pere. 
N'oubliez rien. 

Antoine. 
Oui, Monsieur. 

Madame Vanderk. 
Antoine ? 

Antoine. 
Madame? 

Madame Vanderk. 
Ah ! si tu trouves mon fils, je t'en prie, dis-lui 
qu'il ne tarde pas. 

Antoine. 
Oui, Madame. 

Vanderk pere. 
Allez, Antoine, allez. (Antoine et M. Vanderk se 
regardent. Antoine sort,) 



SCENE XI 



VANDERK Pere, MADAME VANDERK. 



Madame Vanderk. 
Antoine a l'air bien effarouche' ! 



1 1 



fti LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 

VANDERK PfcRE. 

Tout ceci l'occupe et le derange. 
Madame Vanderk. 
Ah ! mon ami, faites-moi compliment : il y a plus 
de deux ans que je ne me suis si bien portle... Ma 
fille... mon gendre, toute cette famille est si res- 
pectable, si honnete! La bonne robe est sage comrae 
les lois ! Mais, mon ami, j'ai un reproche a vous 
faire, et votre sceur a raison : vous donnez aujour- 
d'hui de "/occupation a votre fils, vous Tenvoyez je 
ne sais en quel endroit ; au reste, vous le savez : il 
faut cependant que ce soit tres-loin, car je suis sure 
qu'il ne s'est point amuse* , et, lorsqu'il va revenir, 
il ne pourra nous rejoindre. Victorine a dit a ma 
fille qu'il n'6toit pas habilld et qu'il dtoit mont^ a 
cheval. 

Vanderk p^re, lui prenant la main 
affectueusement. 
Laissez-moi respirer, et permettez-moi de ne 
penser qu'a votre satisfaction; votre santd me fait 
le plus grand plaisir : nous avons tellement besoin 
de nos forces, Tadversite* est si pres de nous, 
la plus grande felicitd est si peu stable, si peu... 
Ne faisons point attendre : on doit nous trouver de 
moins dans la compagnie. La voici. 




ACTE IV, SCENE XII $J 



SCENE XII 

LES MEMES, SOPHIE, LE GENDRE, 
LA TANTE dans le fond. 

Vanderk pere. 
Allons, belle jeunesse ! Madame, nous avons 6te* 
ainsi. Puissiez-vous , mes enfans, voir un pareil 
jour (a part) et plus beau que celui-ci! 

Nota. Le rideau ne baisse que lorsque Victo- 
rine est remonte'e au centre du theatre. 




*\ 



ACTE V 



SCENE PREMIERE 



VICTORINE, se retournant vers la coulisse, 

d'oii elle sort. 




onsieur Antoine, monsieur Antoine, 
j monsieur Antoine! Le mattre d'h6tel, 
les gens, les commis, tout le monde 
demande monsieur Antoine. II faut 
que j'aie la peine de tout. Mon pere est bien 
dtonnant : je le cherche partout, je ne le trouve 
nulle part. Jamais ici il n'y a eu tant de monde, 
et jamais... Eh! quoi?... hein?... Antoine, An- 
toine ! He* bien, qu'ils appellent. Cette ce're'monie 
que je croyois si gaie, grand Dieu ! comme elle est 
triste ! Mais lui, ne s'&tre pas trouve" au mariage 
de sa soeur! et, d'un autre c6t£... aussi mon pere, 
avec ses raisons : « Sois sage, sois sage, et tu ne 
pourras jamais manquer... » Ou est-il all£? Je... 




ACTE V, SCENE II 85 



SCENE II 

D'ESPARVILLE Pere, VlCTORINE. 

D'ESPARVILLE PERE. 

Mademoiselle, puis-je entrer? 

VlCTORINE. 

Monsieur, vous Stes sans doute de la noce. En- 
trez dans le salon. 

D'ESPARVILLE PERE. 

Je n'en suis pas, Mademoiselle, je n'en suis pas. 

VlCTORINE. 

Ah ! Monsieur, si vous n'en £tes pas, pour 
quelle raison... 

D'ESPARVILLE PERE. 

Je viens pour parler a M. Vanderk. 

VlCTORINE. 

Lequel ? 

D'ESPARVILLE PERE. 

Mais le n^gociant. Est-ce qu'il y a deux nego- 
cians de ce nom-lk? C'est celui qui demeure ici. 

VlCTORINE. 

Ah! Monsieur, quel embarras! Je vous assure 
que je ne sais comment Monsieur pourra vous parler 
au milieu de tout ceci, et mime on seroit a table 
si on n'attendoit pas quelqu'un qui se fait bien at- 
tendre. 



86 LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 

D'ESPARVILLE PEHE. 

Mademoiselle, M. Vanderk m'a donne* parole 
ici aujourd'hui a cette heure. 

Victorine. 
II ne savoit done pas l'embarras... 

D'ESPARVILLLE PERE. 

II ne savoit pas, il ne savoit pas! C'est hier au 
soir qu'il me l'a fait dire. 

Victorine. 

J'y vais done, si je peux l'aborder : car il respond 
a Tun, il respond a 1' autre. Je dirai... Qu'est-ce 
que je dirai? 

D'ESPARVILLE PiRE. 

Dites que c'est quelqu'un qui voudroit lui par- 
ler, que c'est quelqu'un a qui il a donne* parole a 
cette heure-ci, sur une lettre qu'il en a re cue. Ajou- 
tez que... Non... dites-lui seulement cela. 

Victorine. 

J'y vais... Quelqu'un 1 .. . Mais, Monsieur, per- 
mettez-moi de vpus demander votre nom. 

D'ESPARVILLE PERE. 

II le sait bien peu. Dites, au reste, que c'est 
M. D'Esparville, que c'est le m ait re d'un domes- 
tique... 

Victorine. 

Ah! je sais, un homme qui avoit un visage... 
qui avoit un air... hier au soir. J'y vais, j'y vais. 



ACTE V, SCENE III 87 



SCENE III 

D'ESPARVILLE Pere, seul. 

Que de raisons ! Parbleu ! ces choses-la sont bien 
faites pour moi ! II faut que cet homme marie jus- 
tement sa fille aujourd'hui, le jour, le mSme jour 
que j*ai a lui parler ! C'est fait expres. Oui, c'est 
fait expres pour moi; enfin ces choses-la n'arri- 
vent qu'a moi. Peste soit des enfans! Je ne veux 
plus m'embarrasser derien. Je vais me retirer dans 
ma province. « Mais, mon pere, mon pere... » 
Mais, mon fils, va te promener : j'ai fait mon 
temps, fais le tien. Ah! c'est apparemment notre 
homme. Encore un refus que je vais essuyer. 



SCENE IV 

VANDERK PiRE, D'ESPARVILLE Pere. 

D'ESPARVILLE PERE. 

Monsieur, monsieur, je suis fache' de vous d£- 
ranger. Je sais tout ce qui vous arrive : vous ma- 
riez votre fille; vous etes a l'instant en compagnie. 
Mais un mot, un seul mot. 



88 LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 

Vanderk PERE. 
Et moi, Monsieur, je suis &ch6 de ne vous 
avoir pas donne* une heure plus prompte. On vous 
a peut-etre fait attendre. J'avois dit a quatre 
heures, et il est trois heures seize minutes. Mon- 
sieur, asseyez-vous. 

D'ESPARVILLE PERE. 

Non, parlons debout; j'aurai bientdt dit. Mon- 
sieur, je crois que le diable est apres moi. J'ai 
depuis quelque temps besoin d'argent, et encore 
plus depuis hier pour la circonstance la plus pres- 
sante, et que je ne p£ux pas dire. J'ai une lettre 
de change, bonne, excellente : c'est, comme disent 
vos marchands, c'est de Tor en barre; mais elle 
sera pay£e quand? je n'en sais rien : ils ont des 
usages, des usances, des termes que je ne 
comprends pas. J'ai 6te chez plusieurs de vos 
confreres, des juifs (des Arabes, pardonnez-moi le 
terme), oui, des Arabes. Ils m'ont demands des 
remises considerables, parce qu'ils voient que j'en 
ai besoin. D'autres m'ont refuse* tout net. Mais 
que je ne vous retarde point. Pouvez-vous m'a- 
vancer le paiement de ma lettre de change, ou ne 
le pouvez-vous pas? 

Vanderk pere. 

Puis-je la voir? 

D'ESPARVILLE PERE. 

La voila... (Pendant que M. Vanderk lit.) Je 
payerai tout ce qu'il faudra. Je sais qu'il y a des 




ACTE V, SCENE IV 89 

droits. Faut-il le quart? faut-il... J'ai besoin <Tar- 
gent. 

Vanderk pere sonne. 

Monsieur, je vais vous la faire payer. 

D'ESPARVILLE PERE. 

A l'instant ? 

Vanderk pere. 
Oui, Monsieur. 

D'ESPARVILLE PERE. 

A l'instant ! Prenez, Monsieur. Ah ! quel service 
vous me rendez! Prenez, prenez, Monsieur. (Le 
domestique entre.) 

Vanderk pere. 
Allez a ma caisse, apportez le montant de cette 
lettre : deux mille quatre cents livres. 

D'Esparville pere. 
Faites retenir , Monsieur , l'escompte , l'a- 
compte... le... 

Vanderk pere. 
Non, Monsieur, l je ne prends point d'escompte, 
ce n'est pas mon commerce; et, je vous Pavoue 
avec plaisir, ce service ne me coute rien. Votre 
lettre vient de Cadix, elle est pour moi une res- 
cription : elle devient pour moi de l'argent comp- 
tant. 

D'Esparville pere. 
Monsieur, voila de l'honnStet^, voila de Thon- 
n^tet^. Vous ne savez pas toute l'obligation que 

ia 



90 LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 

je vous ai, toute l'£tendue du service que vous me 
rendez. 

Vanderk pere. 
Je souhaite qu'il soit considerable. 

D'ESPARVILLE PERE. 

Ah! Monsieur, Monsieur, que vous £tes heu- 
reux! Vous n'avez qu'une fille, vous? 

Vanderk pere. 
J'espere que j'ai un fils. 

D'ESPARVILLE PERE. 

Un fils ! mais il est apparemment dans ie com- 
merce, dans un £tat tranquille; mais le mien, le 
mien est dans le service. A Pinstant que je vous 
parle, n'est-il pas occupy a se battre ! 

Vanderk pere. 

A se battre ? 

D'ESPARVILLE PERE. 

Oui, Monsieur, a se battre... Un autre jeune 
homme, dans un cafe, un petit dtourdi, lui a cher- 
che" querelle, je ne sais pourquoi, je ne sais com- 
ment; il ne le sait pas lui-meme. 

Vanderk pi re. 

Que je vous plains! et qu'il est a craindre... 

D'ESPARVILLE PERE. 

A craindre ! je ne crains rien... Mon fils est brave, 
il tient de moi, et adroit, adroit : a vingt pas il 
couperoit une balle en deux sur une lame de cou- 
teau. Mais il faut qu'il s'enfuie, c'est le diable; c'est 



ACTE V, SCENE IV 91 

un duel, vous entendez bien : je me fie a vous, 
vous m'avez gagne" l'&me. 

Vanderk pere. 
Monsieur, je suis flatte* de votre... (Onfrappe a 
laporte un coup.) Je suis flatte" de ce que... (Un 
second coup.) 

D'ESPARVILLE PERE. 

Ce n*est rien, c'est qu'on frappe chez vous. (On 
frappe un troisiime coup. M. Vanderk pire tombe 
sur unsUge.) Vousne vous trouvez pas indispose"? 

Vanderk pere. 

Ah I Monsieur, tous les peres ne sont pas mal- 
heureux. (Le domestique entre avec les deux mille 
quatre cents livres.) Voila votre somme : partez, 
Monsieur, vous n'avez pas de temps a perdre. 

D'ESPARVILLE PERE. 

Ah ! Monsieur, que je vous suis oblige" ! (J/ fait 
quelques pas et revient.) Monsieur, au service que 
vous me rendez, pourriez-vous en ajouter un se- 
cond? Auriez-vous de Tor? Cest que je vais don- 
ner a mon fils... 

Vanderk pere. 

Oui, Monsieur. 

D'ESPARVILLE PERE. 

Avant que j'aie pu rassembler quelques louis, 
je peux perdre un temps infini. 

Vanderk pere, au domestique. 

Retirezles deux sacs de douze cents livres. Voici, 
Monsieur, quatre rouleaux de vingt-cinq louis cha- 
cun : ils sont cachet£s et compt£s exactement. 



9> LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 

D'ESPARVILLE P&RE. 

Ah ! Monsieur ! que vous m'obligez ! 

Vanderk pere. 
Partez, Monsieur; permettez - moi de ne pas 
vous reconduire. 

D'ESPARVILLE PERE. 

Restez, restez, Monsieur, je vous en ptie : vous 
avez affaire ! . . . Ah ! le brave homme ! Ah ! i'honn£te 
homme! Monsieur, mon sang est a vous. Restez, 
restez, restez, je vous en supplie. 



SCENE V 

VANDERK Pere, seul, assis a son bureau. 

Mon fils est mort!... Je l'ai vu 1&... et je ne 
l'ai pas embrasse\ . . Que de peine sa naissance me 
pr£paroit! que de chagrin sa mere... 



SCENE VI 

VANDERK Pere, des music tens, des crocheteurs 
charge's de basses, de contre-basses. 

L*UN DES MUSICIENS. 

Monsieur, est-ce ici? 




ACTE V, SCENE VI 93 

Vanderk pere. 
Que voulez-vous? Ah! Ciel! (II les regarde en 
frimissant et se renverse dans son fauteuil.) 

Le Musicien. 
C'est qu'on nous a dit de mettre ici nos instru- 
mens, et nous allons... 



SCENE VII 

LES MEMES, ANTOINE. {Antoine entre, Its 
pousse et les chasse avec fureur.) 

Antoine. 
H£! mettez votre musique a tous les diables! 
Est-ce que la maison n'est pas assez grande? 

Le Musicien. 
Nous allons, nous allons... (lis sortent.) 



SCENE VIII 

VANDERK Pere, ANTOINE. 

Vanderk pere. 
Hlbien? 

Antoine. 
Ah! mon maitre! tous deux! J' £ to is t res-loin, 
mais j'ai vu, j'aivu... Ah! Monsieur! 



i 



94 LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 

Vanderk pere. 
Mon fils ? 

Antoine. 
Oui, ils se sont approchls a bride abattue. L'of- 
ficier a tire", votre fils ensuite. L'officier est tombe" 
d'abord; il est tombe* le premier. Apres cela, Mon- 
sieur, ah ! mon cher maitre ! les chevaux se sont 
s£par£s... je suis accouru... je... je... 

Vanderk pere. 
Voyez si mes chevaux sont mis; faites appro- 
cher par la porte de derriere, venez m'avertir. 
Courons-y ! Peut-Stre n'est-il que blesse\ 

Antoine. 
Mort, morti j'ai vu sauter son chapeau. Mort ! 

SCENE IX 

LES MEMES, VICTORINE. 

Victorine. 
Mort! Eh! qui done? qui done? 

Vanderk pere. 
Que demandez-vous ? 

Antoine. 
Oui, qu'est-ce que tu demandes?Sorsd , ici tout 
a Theure. 

Vanderk pere. 
Laissez-la. Allez, Antoine, faites ce que je vous dis. 




,l i 



ACTE V, SCENE X 9 5 



SCENE X 

VANDERK Pere, VICTORINE, ANTOINE 

dans Vappartement. 

Vanderk PERE. 
Que voulez-vous, Victorine? 

Victorine. 
Je venois demander si on doit faire servir, et j'ai 
rencontre" un monsieur qui m'a dit que vous vous 
trouviez mal. 

Vanderk pere. 
Non, je ne me trouve pas mal. Ou est la com- 
pagnie? 

Victorine. 
On va servir. 

Vanderk pere. 
Tachez de parler a Madame en particulier. 
Vous lui direz que je suis a Pinstant force" de sortir, 
que je la prie de ne pas s'inquteter, mais qu'elle 
fasse en sorte que Ton ne s'aper$oive pas de mon 
absence; je serai peut-ltre... Mais vous pleurez, 
Victorine. 

Victorine. 
Mort! H6! qui done? Monsieur votre fils? 

Vanderk pere. 
Victorine ! 



96 LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 

VlCTORINE. 

J'j vais, Monsieur. Non, je ne pleurerai pas, je 
ne pleurerai pas. 

Vanderk pere. 
Non, restez, je vous 1'ordonne; vos pleurs vous 
trahiroient. Je vous defends de sortir d'ici que 
je ne sois rentre\ 

Victorine, apercevant Vanderk fils. 
Ah! Monsieur! 

Vanderk pere. 
Mon fils ! 



SCENE XI 

LES MfeMES, VANDERK Fils, 
D'ESPARVILLE Pere, D'ESPARVILLE Fils. 

Vanderk fils. 
Mon pere ! 

Vanderk pere. 
Mon fils!... je t'embrasse... Je te revois san* 
doute honnete homme ? 

D'ESPARVILLE PERE. 

Oui, morbleu! il Test. 

Vanderk fils. 
Je vous pr&ente messieurs D'Esparville 

Vanderk pere. 
Messieurs... 



ACTE V, SCENE XI 97 

D'ESPARVILLE PiRE. 

Monsieur, je vous pr&ente mon fils... N'£toit- 
ce pas mon fils, n'£toit-ce pas lui justement qui 
6toit son adversaire ? 

Vanderk pIre. 

Comment! est-il possible que cette affaire... 

D'ESPARVILLE PERE. 

Bien, bien, morbleu! bien. Je vais vous ra- 
conter. 

D'ESPARVILLE FILS. 

Mon pere, permettez-moi de parler. 

Vanderk fils. 
Qu'allez-vous dire ? 

D'ESPARVILLE FILS. 

Souffrez de moi cette vengeance. 

Vanderk fils. 
Vengez-vous done. 

D'ESPARVILLE FILS. 

Le rich seroit trop court si vous le faisiez, 
Monsieur, et a present votre honneur est le mien. 
(A Vanderk pirc.) II me paroit, Monsieur, que 
vous 6tiez aussi instruit que mon pere Pe'toit. Mai s 
voici ce que vous ne savez pas. Nous nous som- 
mes rencontres; j'ai couru sur lui, j'ai tird; il a 
fence" sur moi, il m'a dit : a Je tire en Pair. » II 
Pa fait, cc Ecoutez, m'a-t-il dit en me serrant la 
botte, j'ai cru hier que vous insultiez mon pere 
en parlantNles nlgocians : je vous ai insulte* . J'ai 
send que j'avois tort; je vous en fais excuse. 

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98 LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 

N'&es-vous pas content? £loignez-vous , et re- 
commencons. » Je ne peux, Monsieur, vous ex- 
primer ce qui s'est passe" en moi... Jeme suis pr£ci- 
pite* de mon cheval; il en a fait autant, et nous 
nous sommes embrass£s. J'ai rencontre* mon pere, 
lui a qui pendant ce temps-la, lui a qui vous ren- 
diez service. Ah ! Monsieur ! 

D'ESPARVILLE PERE. 

He* ! vous le saviez, morbleu ! et je parie que ces 
trois coups frapp^s a la porte... Quel homme Stes- 
vous? Et vous m'obligiez pendant ce temps-la! 
Moi, je suis ferme, je suis honnete; mais en pa- 
reille occasion, a votre place, j'aurois envoy e* le 
baron d'Esparville a tous les diables. 



SCENE XII 

LES MEMES, VICTORINE. 

Vanderk pere. 
Ah ! Messieurs, qu'il est difficile de passer d'un 
grand chagrin a une grande joie!... 

Victorine se saisit du chapeau du fils. 
Ah ! Ciel ! ah ! Monsieur ! 

Vanderk fils. 
Quoi done, Victorine? 

Victorine. 
Votre chapeau est percd d'une balle. 



ACTE V, SCENE XII 99 

D'ESPARVILLE FILS. 

D'une balle? Ah! mon ami... (lis s'embrassent.) 

Vanderk pere. 

Messieurs, j'entends du bruit. Nous allons nous 
mettre a table : faites-moi l'honneur d'etre du 
diner. Que rien ne transpire ici : cela troubleroit 
la fete. (A M. d'Esparville fils.) Apres ce qui s'est 
pass6, Monsieur, vous ne pouvez Itre que le plus 
grand ami ou le plus grand ennemi de mon fils, et 
vous n'avez pas la liberty du choix. 
D'Esparville fils baise la main de Vanderk plre. 

Ah! Monsieur! 

D'ESPARVILLE PERE. 

Bien, bien, mon fils; ce que vous faites la est 
bien. 

Victorine, a Vanderk fils. 
Qu'a moi, qu'a moi ! Ah ! cruel ! 

Vanderk fils, a Victorine. 
Que je suis aise de te revoir, ma chere Victo- 
rine! 

Vanderk pere. 
Victorine, taisez-vous. 



v£ 



ioo LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 



SCENE XIII 

MADAME VANDERK, SOPHIE, 
LE GENDRE et Us acteurs pricidtnts. 

Madame Vanderk. 
Ah! te voila, mon fils! (A Vanderk plre.) Mon 
cher ami, peut-on faire servir? II est tard. 

Vanderk pIre. 
Ces messieurs veulent bien rester. [A MM, d'Es- 
parville.) Voici, Messieurs, ma femme, mon gen- 
dre et ma fille, que je vous pr&ente. 

D'Esparville pere. 
Quel bonheur m£rite une telle famille ! 



SCENE XIV 

LES MEMES, LA TANTE. 

La Tante. 
On dit que mon neveu est arrivd... Eh! te voila, 
mon cher enfant! 

Vanderk p£re. 
Madame, vous demandiez des militaires : en 
voici. Aidez-moi a les retenir. 




ACTE V, SCENE XIV 101 

La Tante. 
Hi ! c'est le vieux baron d'Esparville. 

D'ESPARVILLE pIrE. 

He" ! c'est vous, madame la marquise ? Je vous 
crojois en Berry. 

La Tante. 
Que faites-vous ici? 

D'ESPARVILLE piRE. 

Vous etes, Madame, chez leplus brave homme, 

le plus, le plus 

Vanderk pere. 

Monsieur, Monsieur, passons dans le salon; vous 
j renouerez connoissance. Ah ! Messieurs ! ah ! mes 
enfans! je suis dans l'ivresse de la plus grande joie. 
(A sa femme.) Madame, yoila notre fils. (// Vem- 
brasse; le fils embrasse sa mire.) 



SCENE XV ET DERNlfcRE 



LES MEMES, ANTOINE. 



Antoine. 
Le carrosse est avance*, Monsieur, et... Ah! 
Ciel!... ah! dieux! ah! Monsieur! (Victorine court 
a son plre, lui met la main sur la bouche et V em- 
brasse.) 



i 



loa LE PHILOSOPHE SANS LE SAVOIR 

Madame Vanderk. 
He" bien ! he* bien, Antoine ! He" mais, la tete lui 
tourne aujourd'hui! 

La Tante. 
Cet homme est fou ! il faut le faire enfermer. 

Vanderk pere. 
Paix, Antoine! Voyez a nous faire servir. 
Vanderk fils, en souriant h d'Esparville fils. 
II est fou ! il est fou ! (lis sortcnt.) 

Antoine. 
Je ne sais si c'est un reve. Ah ! quel bonheur ! 
II falloit que je fusse aveugle... Ah! jeunes gens, 
jeunes gens, ne penserez^vous jamais que l'^tour- 
derie meme la plus pardonnable peut faire ie mal- 
heur de tout ce qui vous entoure ! 





Imprimi par D. JOUAUST 

POUR LA COLLECTION 

DES PETITS CHEFS-D'CEUVRE 

AVRIL l880 



•S f \ R P Q u 



I 



LES PETITS CHEFS-D'OEUVRE 



SEDAINE 



LE PHILOSOPHE 



SANS LE SAVOIR 

COMEDIE EN CINCLACTES 

Publie'e pour la premiere fois d'apres le manuscrit 
de la Come'die-Frangaise 

AVEC UNE PREFACE 

PAR GEORGES D'HEYLLI 




("1 4'°' 



v. 







PARIS 




LIBRAIRIE DES BIBLIOPHILES 




Rue 


Saint-Honore , 

M DCCC LXXX 


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Sous le titre de Petits Che/s-d'CEuvr* ««. _, 
petites oeuvres des grands ecrivains ainsi n i S donn °ns les 
d'oeuvre d'auteurs dont souvent un' seul n S petits chefs " 

putation. — Le tirage en est fait a netit «~ Vr f ge a fait Ia xhr 
outre 60 exemplaires de choix, dont in c? bre ' n est *«* en 
30 sur papier Whatman. * Ur P a Pier de Chine et 



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EN VENTE 

Voyage autourdc ma chambrc, de X. de M a i^ 

Turcarct, de Le Sage * ^aistre 

Le Michant, de Gresset " * • 

Ver-Verl, 'etc., de Gresset . ... 
La Servitude volontaire, de La Boetie 
Contes d'Hamilton. I. Le BclUr 

— II. Fleur d'Epine. 

— III. Les Quatre Facardins 

— IV. Ziniyde. . . 9 m S 
Voyage de Chapelle et de Bachaumont 
VArt d'aimer, de Gentil Bernard . 
Le Temple de Cnide. — Arsace el Isrnii 
Le Neveu de Rameau, de Diderot . 
Voyage en Laponie, de Regnard . . ] 
La Chaumiere Indienne. — Le Cafe de 

Lettres Portugaises 

La Farce de Pathelin 

La Gastronomic, de Berchoux. . 

• • • 

La Metromanie, de Piron. . . m 
Le Diable amoureux , de Cazotte 
La Dot de Suzcttc, de Fievee . 
Mimoires de Perrault .... * 

Lettres de Mademoiselle Aissi . % " 
Ourika, de M»« de Duras .".""' 
Madrigaux de La Sablilre . " " 

Edouard, de M me de Duras * " ' " 
Adolphe, de Benjamin Constant * * 
Clavijo, de Beaumarchais . w " • 

Avril 1880. 



Surate. 



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