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Full text of "Le plan pangermaniste démasqué : le redoutable piège berlinois de la partie nulle."

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Le  Plan 

Pangermaniste 

démasqué 


OUVRAGES  D ANDRÉ  CHÉRADAME 


LIBRAIRIE  PLON-NOURRIT  ET  C' 

8,  RUE   GARANGIÈRE   —   PARIS 


L'Europe  et  la  Question  d'Autriche  au  seuil  du 
XX'  siècle.  4«  édition.  Un  volume  in-8»  avec  6  cartes  en 
noir,  8  en  couleur  et  4  fac-similés  de  documents   .     10  fr.     » 

L'Allemagne,  la  France  et  la  Question  d'Autriche. 

3»  édition.  Un  volume  in-18 3  fr.  50 

La  Question  d'Orient.  La  Macédoine.  Le  chemin  de  fer  de 
Bagdad.  4°  édition.  Un  volume  in-16,  avec  6  cartes  en 
noir 4  fr.     » 

La    Colonisation    et    les    Colonies    allemandes.    Un 

volume  in-8°  avec  8  cartes  en  couleur  de  Dietrirh  Keimer,  de 
Berlin 12  fr.     » 

Le  Monde  et  la  Guerre  russo-japonaise.  2°  édition.  Un 

volume  in-S"  accompagné  de  20  cartes 9  fr.     » 

(Couronné  par  l'Académie  des  sciences  morales  et  politiques.  Prix 
Drouyn  de  Lhuys.) 

La  Crise  Française.  Faits,  causes,  solutions.  4»  édition. 

Un  fort  volume  in-18 3  fr.  50 

(Couronné  par  l'Académie  des  sciences  morales  et  politiques,  Prix 
de  Jœsl.) 

Douze  ans  de  propagande  en  faveur  des  peuples  bal- 
kaniques. Un  volume  in-16 3  fr.  50 

Pour  parai're  prochainement  : 
Salonique  et  la  destruction  du  plan  pangermaniste. 


ANDRÉ  CHÉRADAME 


Le  Plan 

Pangcrmanistc 

démasqué 


Le 

REDOUTABLE  PIÈGE  BERLINOIS 

de  ''LA  PARTIE  NULLE" 


Ouvraè^  accompagné  de  31  cartes  originales. 


PARIS 

LIBRAIRIE    PLON 

PLO-N-NOUUUlï  ET  C'^  IMPRIMEURS-ÉDITEURS 


RUE   GARANCIEKK,  Vl" 


1916 
Tous  droits  réservés. 


5'^ 


Copyright  by  M.  André  Ghéra.dame,  1916. 


PRÉFACÉ 


Le  plan  pangcr/nanisfe  consli/nr  la  raison 
unique  de  la  guerre.  Il  est,  en  effet,  la  cause  à 
la  fois  de  sa  naissance  et  de  sa  prolongation  jiis- 
ifuiï  la  victoire  des  Alliés  indispensable  à  la 
liberté  du  monde.  Dans  ce  livre,  je  me  propose 
(If  démontrer  cette  vérité  au  moyen  d'une  docu- 
inentcilion  précise,  claire,  mise  vraiment  à  la 
portée  de  tous.  Le  sort  de  ciiacun  dans  les  pays 
alliés,  et  même  dans  plusieurs  pays  encore 
neutres,  dépend  réellement  de  l'issue  de  la  for- 
midable guerre  en  cours.  Ce  cataclysme,  sans 
précédent  dans  l'Histoire,  déchaîné  par  l'Alle- 
magne prussianisée  aura  dans  tous  les  domaines 
(les  répercussions  infinies  qui  nous  atteindront 
individuellement  sans  exception  en  bien  et 
hélas!  souvent  en  mal.  Chacun  a  donc  un  inté- 
rêt direct  à  connaître  nettement  pourquoi  ces 
répercussions  inéluctables  de  l'immense  lutte  se 
produiront  et  à  quelles  conditions  fondamentales 

1 


celles  de  portée  néfaste  pour  les  Alliés,  et  encore 
mal  connues,  peuvent  et  doivent  être  évitées. 

En  écrivant  ce  livre,  je  me  suis  donc  proposé 
de  rendre  compréhensibles  les  formidables  pro- 
blèmes soulevés  parla  guerre  même  aux  moins 
versés  dans  les  questions  extérieures.  Dans  ma 
pensée,  ce  livre  de  vulgarisation  s'adresse  aussi 
bien  aux  femmes  qu'aux  hommes.  Sa  lecture 
sera  peut-être  non  seulement  un  enseignement 
mais  encore  une  consolation  pour  celles  déjà  si 
cruellement  frappées  dans  leurs  affections.  En 
saisissant  mieux  de  quel  atroce  plan  d'esclavage 
le  monde  est  menacé,  elles  comprendront  davan- 
tage pour  quelle  cause  sublime,  prodigieuse, 
leurs  maris,  leurs  fils,  leurs  fiancés,  luttent  ou 
meurent  avec  tant  d'héroïque  abnégation.  Puisse, 
de  cette  compréhension  plus  large  des  formida- 
bles événements  en  cours,  résulter  pour  les 
femmes  alliées  au  moins  un  certain  apaisement 
à  leurs  souffrances. 

Mais  si  ce  livre  est  une  œuvre  de  vulgarisa- 
tion, je  tiens  à  faire  remarquer  qu'il  n'est  cepen- 
dant pas  le  résultat  d'un  effort  hâtif  suscité  sim- 
plement par  le  désir  de  traiter  un  sujet  d'actua- 
lité intense  et  tragique.  Ce  livre  est,  en  réalité, 
l'aboutissement  logique  d'une  œuvre  que  je  pour- 
suis depuis  vingt-deux  ans.  Comme  mes  lecteurs 
ont  intérêt  à  savoir  dans  quelle  mesure  ils  peu- 


vent  me  luiie  tjuelque  crédil,  ils  me  permeLLronl 
do  leur  expliquer  comment  j'ai  été  amené  à  con- 
centrer mes  éludes  sur  la  politicjue  jianfj^ernia- 
niste  de  l'Allemagne,  (juelle  a  été  la  suite  de 
mes  ellorts  et  leur  «'nchaînement  méthodique. 


Jadis,  à  VÉcoie  libre  des  Sciences  politiques, 
je  fus  l'élève  d'Albert  Sorel.  Ce  grand  maître 
voulut  bien  m'accueillir  dans  son  intimité  ;  il 
acheva  alors  de  développer  le  goût  latent  et  ins- 
tinctif que  j'avais  en  moi  pour  la  politique  étran- 
gère. Mes  études  pratiques  sur  le  terrain 
extérieur  m'amenèrent  en  Allemagne  en  1894, 
par  hasard,  précisément  à  l'époque  où  venait 
lie  commencer  le  mouvement  pangermaniste. 
Comme  d'une  façon  manifeste  ce  mouvement 
était  le  développement  moderne  du  «  prussia- 
nisme  »  des  Hohenzollern,  je  fus  dès  lors  extrê- 
mement frappé  de  son  importance.  Ce  mouve- 
ment me  parut  si  menaçant  pour  l'avenir  que  je 
résolus  de  suivre  tous  les  développements  du 
plan  pangermaniste  qui  en  était  déjà  la  consé- 
quence et  qui,  dès  1895,  fut  cristallisé  avec  pré- 
cision. La  tâche  que  je  m'imposais  ainsi  était  à 
la  fois  ardue,  énorme  et  passionnante  car,  dès 


cette  époque,  il  était  certain  que  les  Allemands 
basaient  leur  plan  pangermaniste  politique  et 
militaire  sur  l'étude  de  tous  les  problèmes  poli- 
tiques, ethnographiques,  économiques,  sociaux, 
militaires  et  navals,  non  seulement  de  l'Europe 
mais  du  monde  entier.  En  vérité,  le  travail  pan- 
j^ermaniste  intense  effectué  par  les  Allemands 
depuis  vingt-cinq  ans  a  été  colossal.  Ils  l'ont 
mené  partout  avec  une  ténacité  formidable  et 
une  méthode  minutieuse  qui  feront  l'étonnement 
de  l'Histoire.  Incontestablement,  le  plan  panger- 
maniste qui  est  résulté  de  ce  gigantesque  effort 
constitue  la  plus  extraordinaire  machination  que 
l'univers  ait  jamais  vue. 

J'ai  fait  de  l'étude  de  ce  plan  depuis  vingt- 
deux  ans  l'œuvre  de  ma  vie,  persuadé,  malgré 
le  scepticisme  qui  longtemps  accueillit  mes  ten- 
tatives pour  avertir  du  péril,  qu'elle  servirait 
cependant  un  jour. 

Cette  étude  a  nécessité  des  voyages  d'enquêtes 
extrêmement  nombreux  et  prolongés.  Il  fallait, 
en  effet,  aller  apprendre  sur  place,  au  moins  les 
éléments  essentiels  des  problèmes  si  complexes 
énoncés  plus  haut  qui  ont  été  la  base  du  plan 
pangermaniste,  afin  de  pouvoir  ensuite  saisir 
les  plus  lointaines  ramifications  du  programme 
prussien  de  domination  mondiale. 

Cette  obligation  m'a  amené  à  séjourner  dans 


(1rs  pays  Iri'S  divers.  Afin  (ju Du  puiss»-  avoii- 
une  idée  de  l'élendue  au  moins  matérielie  de 
iiu's  (Miquc'^tes,  j'indicjuerai  le  nombre  des  villes 
dans  l<'Sf|u«'lles  j'ai  rlé  amené  à  aller  travailler 
pour  (Ii'i'ouM'ir  successivement  les  éléments 
foiisliluliis  directs  «M  indirects  du  plan  panir«'i- 
Mianiste. 

États-Unis  :  ii;  Canada  :  11;  Japon  :  il; 
C-Drée  :  4;  Chine  :  11  ;  Indocliine  :  19;  Indes 
aiij^laises  :  21. 

Espag^ne  :  i  ;  Italie  :  4  ;  lielgique  :  (>  ;  Luxem- 
bourg :  1  ;  Hollande  :  5  ;  Suisse  :  4  ;  Angleterre  : 
8  ;  Grèce  :  2  ;  Bulgarie  :  4  ;  Roumanie  :  3  ;  Ser- 
bie :  8;  Tur(|uie  :  3;  Allemagne  :  16;  Autriche- 
Hongrie  :  18. 

Dans  ces  villes,  selon  les  nécessités  de  mes 
éludes,  j'ai  séjourné  des  jours,  des  semaines  ou 
des  mois  et  souvent  à  diverses  reprises.  Je  m'y 
suis  elforcé,  suivant  les  possibilités  et  les  temps, 
d'entrer  en  rapports  directs  avec  les  ministres 
en  fonction,  les  chefs  des  divers  partis  politiques, 
les  diplomates  et  consuls  français  et  étrangers, 
quelques  chefs  d'État,  les  journalistes  influents, 
les  officiers  de  valeur,  les  attachés  militaires  et 
navals,  les  commerçants  et  les  industriels  infor- 
més. C'est  ainsi,  au  moyen  de  renseignements 
multiples  pris  aux  sources  les  plus  diverses,  se 
contrôlant  les  uns  par  les  autres,  que  j'ai  tenté 


de  reconstituer  le  plan  panr/ermcmiste  politique 
et  militaire. 


Depuis  bien  long:temps,  je  me  suis  efforcé 
d'attirer  l'attention  du  public  sur  l'immense  dan- 
ger que  ce  plan  réservait  au  Monde.  Ma  pre- 
mière tentative  date  de  janvier  1898.  Elle  fut 
faite  sous  la  forme  d'une  étude  :  L'Empire  alle- 
mand et  les  affaires  autrichiennes  qui,  sous  le 
pseudonyme  d'Albert  Lefranc,  parut  dans  la 
Revue  du  Droit  jmblic  et  de  la  science  politique 
en  France  et  à  l'étranger  dirigée  par  M.  Lar- 
naude,  actuellement  doyen  de  la  Faculté  de 
Droit  de  Paris.  La  publication  de  mon  article 
qui  révélait  pour  la  première  fois  l'existence  du 
danger  pangermaniste  valut  à  M.  Larnaude  les 
protestations  indignées  de  certains  de  ses  col- 
lègues d'Outre-Rhin.  Cette  colère  des  premiers 
pangermanistes  démasqués  constitua  pour  moi 
un  précieux  encouragement.  En  1900,  dans 
l'excellente  Revue  Hebdomadaire,  je  publiai  (17, 
24  mars,  7  avril),  Le  mouvement  pangermaniste. 
Mon  livre  L'Europe  et  la  Question  d'Autriche 
au  seuil  du  XX^  siècle,  paru  en  1901,  —  il  y  a 
donc  quinze  ans,  —  contient  l'exposé  documenté, 
aussi  précis  qu'il  était  possible  de  le  faire  alors, 


.In  plan  paii^a'rniunistedo  18^")  et  du  programme 
(If  mainmises  allemandes  coordonnées  sur  les 
Icnos  situées  cnlie  le  sud  de  la  Saxe  et  le  p^olfe 
l*('rsi(ju«',  mainmise  dont  la  réalisation  constitue 
le  but  principal  et  essentiel  de  la  f/uerre  pour- 
suivi actuellement  par  les  Allemands.  Eu  1903, 
dans  mon  ouvrage  Le  Chemin  de  fer  de  Bagdad ^ 
j'expliquai  le  péril  alors  naissant  devant  résulter 
un  jour  de  la  coopération  turco-alleniande  que 
nous  voyons  se  développer  présentement.  En 
r.H)5,  dans  mon  livre  La  colonisation  et  les 
colonies  allemandes,  j'ai  expliqué  comment  les 
ambitions  coloniales  croissantes  de  l'Allemagne 
s'ajoutaient  aux  autres  raisons  qu'elle  avait  de 
faire  la  guerre.  Les  dernières  phrases  de  ce 
livre  résumaient  ainsi  cette  face  du  problème  : 
«  La  question  vraie,  en  réalité,  est  de  savoir  si 
le  gouvernement  de  Berlin  se  résignera  à  cons- 
tater ses  échecs  coloniaux  et  s'il  ne  cherchera 
pas  à  se  procurer  les  territoires  d'outre-mer  qui 
lui  manquent  aux  dépens  d'autres  puissances 
(jui  en  possèdent  à  la  convenance  allemande.  Or, 
seules  l'A  ng  le  terre  et  surtout  la  France  ont  des  colo- 
nies correspondant  bien  aux  besoins  allemands  ». 
Comme  on  le  constatera  au  cours  du  présent 
livre,  le  plan  pangermaniste  de  1911  a  été,  en 
etlet,  fondé  sur  un  projet  de  partage  des  colonies 
françaises  entre  l'Allemagne  et  l'Angleterre. 


Dans  mon  livre  Le  Monde  et  la  Guerre  nisso- 
japonaise  écrit  à  la  suite  d'une  longue  enquête 
en  Extrême-Orient  et  paru  en  190(),  j'ai  montré 
comment  l'Allemagne  avait,  depuis  1880,  métho- 
diquement poussé  la  Russie  en  Extrême-Orient 
afin  de  l'écarter  de  l'Europe,  et  que  la  con- 
séquence logique  et  nécessaire  de  la  guerre 
malheureuse  de  la  Russie  avec  le  Japon  était 
une  entente  de  plus  en  plus  étroite  de  la  France, 
de  l'Angleterre  et  de  la  Russie. 

Des  circonstances  privées  me  contraignirent 
ensuite  àralentir  mes  études.  Cependant,  en  1910, 
je  devais  faire  paraître  Le  problème  de  l'Europe 
centrale,  qui  était  l'exposé  particulièrement 
explicite  de  la  mainmise  sur  l'Autriche-Hongrie 
et  les  Balkans  que  préparait  alors  l'Allemagne 
avec  une  activité  de  plus  en  plus  significative. 
En  1912,  devait  paraître  La  fin  de  l'Empire 
ottoman  menacé  de  mort  inéluctable,  soit  en 
raison  de  la  politique  des  Jeunes-Turcs,  soit  du 
fait  de  l'hégémonie  allemande  qui  s'établissait 
d'une  façon  de  plus  en  plus  manifeste  dans  l'Em- 
pire du  Sultan.  Ces  deux  ouvrages  furent  même 
annoncés  en  librairie.  Leurs  manuscrits  étaient 
presque  prêts  mais  les  soucis  très  divers  que  la 
vie  nous  réserve  parfois  avec  une  intensité  par- 
ticulière ne  me  laissèrent  pas  la  faculté  de 
mettre   ces  deux  livres   au    point.    Ce   sera  le 


rogrellc  plus  amer  do  nui  vir  «liH-rivain  polilicjue 
d'avoir  élé  *laiis  riiupossibilil»'  de   publier  ces 
deux  ouvrages  car  vraiment  leur  contenu  eût  été 
de  nature  à  ouvrir  les  yeux  sur  le  péril  pangerma- 
nisle  qui  grandissait  avec  une  vitesse  effrayante. 
Ayant  pu  me  remettre  sérieusement  au  travail, 
je  relis  en  décembre   1013,  janvier,   février  el 
mars  1014,  en  Europe  centrale,  dans  les  Balkans 
et    en    Turquie    une    nouvelle    et    minutieuse 
enquête    qui     fut    pour    moi    particulièrement 
précieuse.   En   effet,  le    traité  de   Bucarest    du 
10  août  1013,  en  raison  de  ses  infinies  et  consi- 
dérables répercussions,  avait  bouleversé  la  si- 
tuation   antérieure    au    point    que,    sans    mon 
enquête  de  1014,  je  n'aurais  certainement  pas 
pu  comprendre  la  situation  nouvelle.  Au  cours 
de  ce  voyage,  je  m'efforçai  d'appliquer  avec  une 
particulière  rigueur  ma  méthode  d'investigation 
qui  consiste  essentiellement  à  lâcher  de  voir  les 
situations  comme  elles  sont,  sans  idées  précon- 
çues, en  entendant  toutes  les  opinions  afin  de 
pouvoir  les  comparer  ensuite  et  en  extraire  si 
possible  la  vérité  moyenne.  En  Serbie,  en  Grèce, 
en   Turquie,    en    Roumanie,    en   Bulgarie,    où 
j'avais    depuis   longtemps  des  relations   nom- 
breuses et  variées,  j'ai  donc  eu  des  conversations 
étendues  dans  les  milieux  les  plus  divers.  J'ai 
entendu  et  interrogé  présidents  du  conseil,  grand- 

1. 


10  PRÉFACE 

vizir,  ministres,  hommes  politiques,  chefs  de 
partis,  diplomates  français  et  étrangers,  com- 
patriotes, officiers  de  valeur,  attachés  militaires 
et  navals,  journalistes  influents,  quoique  sou- 
vent peu  connus  mais  fort  intéressants,  chefs 
des  diverses  propaçandesreligieuses.  J'ai  eu  éga- 
lement la  bonne  fortune  d'être  accueilli  avec  bien- 
veillance parles  souverains  et  les  princes  balka- 
niques :  roi  Pierre  de  Serbie  (23  décembre  1913), 
prince  Alexandre,  héritier  de  Serbie  (décembre 
4913),  roi  Constantin  (25  janvier  1914),  Prince 
Nicolas  de  Grèce  (28  janvier),  roi  Carol  de  Rou- 
manie (18  février),  Tsar  Ferdinand  (28  février). 
Prince  Boris,  héritier  de  Bulgarie  (20  février). 
Si  je  signale  les  audiences  que  voulurent  bien 
m'accorder  ces  hauts  personnages  c'est  que 
vraiment  elles  n'étaient  pas  banales.  Ces  souve- 
rains et  ces  princes  savaient  que  j'étudiais 
depuis  longtemps  leur  pays  avec  impartialité  et 
ils  consentaient  à  causer  avec  moi  des  grands 
intérêts  qui  guidaient  leur  politique.  Pendant 
ces  diverses  audiences  qui  durèrent  d'une  demi- 
heure  à  deux  heures,  j'ai  donc  entendu  ex- 
poser beaucoup  de  points  de  vue  de  réelle  im- 
portance .  Sans  doute,  chacun  de  mes  divers  inter- 
locuteurs ne  me  disait  que  ce  qu'il  voulait,  mais 
grâce  à  la  multiplicité  des  opinions  exprimées  et 
à  la  variété  des  sources  de  renseignements  j'ai 


piiKh.vci: 


tif  ;ui  moins  à  inruH' de  reconsliluer  le  luhlcau 
(rtMiseinblo  do  lu  situation  balkanique  vraie  et 
de  la  ndicr  ensuilc  au  j)roblènio  de  rEurojje  cen- 
fralc   et   à  la  iK)lili(|U»'  générale  de  l'Allemagne. 


Celte  enqutMe  complétée,  au  retour,  en  Hon- 
urie  et  en  Autricbe  nj'avait  convaincu  que  con- 
liairement  à  l'opinion  soutenue  encore  tout 
rtcemment  dans  bien  des  milieux  alliés,  le  traité 
(lo  Ihu-aresl  ne  coiistiluail  nullement  une  injus- 
tice comme  les  Alliés  l'ont  supposé,  croyance 
qui  a  déterminé  la  plupart  de  leurs  erreurs  bal- 
kaniques de  lî)io.  Au  contraire,  le  traité  de  Bu- 
carest, notamment  parce  qu'il  avait  fait  sortir 
pour  la  première  fois  la  Roumanie  de  l'orbite 
allemande,  m'était  apparu  comme  l'événement 
le  plus  étonnamment  favorable  qui  se  fût  produit 
sur  le  continent  depuis  1870  et  qui  fût  entière- 
ment conforme  aux  intérêts  de  la  France,  de 
l'Angleterre,  de  la  Russie.  Les  conséquences  de 
ce  traité  constituaient,  en  effet,  comme  on  le 
verra,  le  dispositif  le  plus  efficace  qu'on  pût 
rêver  pour  «  stopper  »  le  danger  pangermaniste 
et  maintenir  la  paix  en  Europe.  Mais  cet  endi- 
guement  pacifique  du  pangermanisme  n'était 
possible  qu'à  la  condition  que  les  puissances  de 


12  PRÉFACE 

l'Entente  se  tenant  prêtes  à  la  guerre,  —  ce  qui 
eût  très  probablement  suffi  à  l'empêcher,  —  ap- 
puyassent en  même  temps  résolument  et  à  la 
fois  la  Grèce,  la  Roumanie  et  la  Serbie. 

D'autre  part,  la  mise  en  échec  du  plan  panger- 
maniste  résultant  du  traité  de  Bucarest  en 
Europe  et  dans  les  Balkans  me  paraissait  si 
grosse  de  conséquences  que  je  considérais 
comme  infiniment  probable  que  le  gouvernement 
de  Vienne  poussé  par  celui  de  Berlin,  irait,  si 
les  autres  puissances  ne  se  méfiaient  pas,  jus- 
qu'à la  guerre  pour  détruire  le  plus  vite  possible 
ce  traité  de  Bucarest  aux  répercussions  énormes. 
De  retour  en  France,  je  tentai  d'exposer  l'im- 
minence de  ce  danger.  Après  plusieurs  tentatives 
infructueuses,  je  pus  toutefois  introduire  dans 
une  étude  sur  lAlbanie,  ces  lignes  écrites  en 
avril  1914  qui  parurent  dans  Le  Correspondant  du 
10  juin  suivant.  A  la  page  1002,  je  concluais  : 

«  L'Entente  résultant  des  intérêts  vitaux  com- 
muns de  la  Roumanie,  de  la  Serbie  et  de  la 
Grèce  groupe  un  ensemble  de  forces  telles  que 
la  Bulgarie  seule  ou  même  avec  le  concours  de 
la  Turquie  ne  pourrait  pas  «c^z^e/Zemé-wn-eprendre 
la  guerre  dans  les  Balkans  avec  une  chance  rai- 
sonnable de  succès. 

«  Mais  le  problème  changerait  complètement 
d'aspect  si  on  admettait  F  hypothèse  d'un  gouver- 


i'HKi-A<:i;  i3 

iiniicntdc  Vienne  qui, par  hostilité  contre  laSer- 
l>ii\  se  sentant  menacé  par  les  vues  de  la  Roumanie 
>i(r  la  Transtjhanie,  voudrait  à  toutprix  ItrouiUer 
/(■<  cartes  et  sans  délai  mettre  le  feu  aux  poudres 
pour  détruire  la  situation  qui  commence  à  peine 
à  se  cristalliser  dans  les  Balkans.  Ce  n'est  là 
assurément  qu'une  liypothèse.  Je  la  formule  ex- 
clusivement pour  fixer  les  idées  nécessaires  à 
envisairer.  Et  nexiste-t-il  pas,  d'ailleurs,  des 
symptômes  fâcheux  sur  lesquels  on  aurait  tort 
(le  fermer  les  yeux.  » 

Suivait  une  paj^e  de  faits  établissant  les 
mesures  anti-slaves  et  militaii'es  exceptionnelles 
prises  depuis  quelques  mois  en  Autriche-Hongrie 
et  je  terminais  «ainsi  :  «  Tous  ces  indices  n'ont 
évidemment  rien  de  péremptoire,  mais  ce  sont 
'là  cependant  des  faits  délibérément  voulus  par 
le  gouvernement  austro-hongrois  ou  ceux  qui 
sont  en  contact  avec  lui.  Aurait-on  à  Vienne  cette 
attitude  si  on  voulait  vraiment  faciliter  la  détente 
générale  si  nécessaire?  y  y  insiste;  l'éventualité 
dans  laquelle  les  événements  d'Albanie  devien- 
draient le  point  de  départ  d'une  nouvelle  crise 
balkanique  n'est  qu'une  hypothèse,  je  l'indique 
toutefois  pour  le  cas  oii  elle  deviendrait  réalité, 
afin  que  la  connaissance  de  iétat  d'esprit  du 
Gouvernement  austro-hongrois,  qui  vient  d'être 
exposé,  puisse  aider  le  lecteur  à   comprendre  les 


14  PRÉFACE 

événements  qui  ne  manqueraient  pas  alors  de  se 
produire.  » 

Ces  événements  ce  sont  ceux  qui,  en  août  1014, 
ont  mis  le  feu  à  l'Europe,  exactement  dans  les 
conditions  qu'on  pouvait  prévoir  quand  on  con- 
naissait la  résolution  fermement  prise  par  les 
Allemands,  dès  1909,  d'effacer  la  Serbie  de  la 
carte  de  l'Europe.  Ce  sont  ces  conditions  que 
j'avais  exposées  comme  suit,  dans  un  article 
intitulé  :  Entre  la  paix  et  la  guerre,  paru  le 
30  novembre  1912  dans  le  journal  La  Défense 
Nationale. 

«  Sous  peine  de  perdre  son  prestige  de  grande 
puissance  slave  et  de  subir  une  humiliation 
plus  g-rande  encore  que  celle  de  1909,  lors  de 
l'annexion  de  la  Bosnie  et  de  l'Herzégovine,  le 
gouvernement  du  Tsar  ne  peut  pas  laisser  écra- 
ser les  vaillants  Serbes.  L'opinion  publique 
russe  ne  le  permettrait  d'ailleurs  pas.  Donc,  en 
dépit  de  ses  sentiments  pacifiques,  le  gouver- 
nement du  Tsar  se  verrait  obligé  de  faire  la 
guerre  à  l'Autriche-Hongrie. 

«  Que  se  passerait-il  ensuite  ?  Il  semble  im- 
possible que  rAlleniagne,  encore  plus  intéressée 
que  le  gouvernement  de  Vienne  au  prestige  du 
germanisme  en  Europe,  laisse  son  alliée  intime, 
l'Autriche-Hongrie,  supporter  seule  le  poids  de 
la  guerre  contre  les  Etats  balkaniques  et  contre 


la  Kussie,  alors  que,  circonstance  agffiavanle, 
les  soldats  slaves  de  i'arniée  auslro-honproise 
marcheraient  à  contre-cœur  contre  leurs  frëres 
les  slaves  des  Balkans  et  de  Russie.  On  doit 
(Iniic  admettre  que  l'Allemagne  entrerait  à  son 
tour  en  ligne  contre  la  Russiey  mais,  dans  ce 
cas,  il  nous  faut  bien  comprendre  que  faction 
(innée  de  f  Allemagne  ne  saurait  être  dirigée 
anitre  la  Russie  seule.  Pour  des  raisons  techni- 
(ji/rs  que  tous  nos  officiers  connaissent,  fAlle- 
magne  ne  peut  pas  laisser  derrière  elle  la  France 
armée  et  elle  serait  obligée  d'atiaguer  la  France 
r/i  même  temps  et  plus  vigoureusement  encore 
au  début  que  la  Russie. 

«  (y est  là  une  vérité  qu'il  faudrait  répandre 
chez  nous  dans  tout  le  pa//s,  (i/in  qii'aucune 
surprise  ne  soit  possible,  et  que,  en  dépit  de 
l'atlitudc  apparemment  pacifique  actuelle  de 
Berlin,  nous  nous  attendions,  si  les  choses  se 
gâtent,  à  être  attaqués  brusquement  avec  la  plus 
(jninde  violence.  » 

Ouoi  qu'il  en  soit,  l'agression  allemande  a  pris 
au  dépourvu  les  pays  aujourd'hui  alliés  pour  la 
raison  fondamentale  suivante.  Sans  doute,  avant 
la  guerre,  le  Pangermanisme,  en  tant  que  doc- 
trine, était  assez  bien  connu  dans  quelques 
milieux,  mais  le  plan  pangermaniste  politique 
et  militaire,  dont  le   gouvernement  de   Berlin 


16  PRÉFACE 

poursuit  méthodiquement  l'application  depuis 
l'ouverture  des  hostilités,  n'avait  été  étudié  et 
pris  très  au  sérieux  que  par  un  nombre  infime 
de  personnes  privées  en  France,  en  Ang-leterre 
et  en  Russie. 

Les  efforts  de  celles-ci,  pour  convaincre  les 
personnalités  influentes  sur  la  direction  des  pays 
aujourd'hui  alliés  de  Timmense  danger  qui  s'ap- 
prochait, furent  vains.  En  voici  la  principale 
cause.  Quand  les  hommes  documentés  expli- 
quaient que  le  but  final  de  Guillaume  II  était 
l'établissement  de  Thégémonie  allemande  sur  les 
ruines  de  toutes  les  grandes  puissances  on  les 
prenait  pour  des  fantaisistes  et  des  hallucinés 
tant  d'aussi  formidables  projets  paraissaient  elii- 
mériques. 

C'est  ce  qui  explique  pourquoi  le  plan  punger- 
maniste  politique  et  militaire  fut  ignoré  chez  les 
Alliés  jusqu'à  la  guerre,  dans  sa  réalité  et  dans 
son  étendue.  Cette  non-connaissance  en  France 
est  établie  par  cette  constatation  faite  par  Le 
Temps,  le  16  décembre  1915.  Avant  la  guerre, 
«  on  ne  aboyait  pas  à  la  possibilité  d'une  guerre 
et  on  se  gardait  bien  de  se  préparer  à  cette  redou- 
table éventualité  ».  11  en  était  absolument  de 
même  en  Angleterre  ainsi  que  l'a  démontré  la 
complète  surprise  delà  Grande-Bretagne  devant 
l'agression  allemande. 


PRÉFACE  4" 

Uien  plus,  le  plan  complet  tlu  Kaiser  u  conti- 
nué à  êlre  méconnu  chez  les  Alliés  jusqu'à  une 
(laie  qui  s<'rni»le  toute  récente.  En  elFel,  Sir 
Edward  Carson,  faisant  le  commentairo  de  sa 
lettre  de  démission  le  2  novembre  4915  à  la 
Chambre  des  Communes  a  déclaré  :  «  J'espère 
(|uo  le  nouveau  plan  de  campajçne  a  été  nette- 
ment établi,  car  pendant  que  je  faisais  partie  du 
('abinet,  ce  Cabinet  n'avait  aucun  plan  ».  (Cité 
par  Le  Temps,  4  novembre  1915.) 

Or,  si  le  plan  pangermaniste  avait  été  connu 
à  Londres,  les  Anglais,  —  et  par  conséquent  les 
Alliés,  —  auraient  certainement  adopté  depuis 
longtemps  le  plan-riposte  destiné  à  le  détruire  car 
le  plan  pangermaniste  est  constitué  d'éléments 
si  positifs  et  si  nets  que  leur  seule  connaissance 
suggère  aussitôt  les  moyens  de  l'anéantir;  no- 
tamment, les  avantages  et  la  nécessité  de  l'expé- 
ililion  par  Salonique,  qui  a  été  si  controversée 
et  entreprise  si  tardivement  auraient  été  compris 
(lès  le  début  de  1915  lorsque  M.  Briand  en  pré- 
conisa le  principe.  Gomme  on  pourra  le  constater 
d'ailleurs,  si  le  plan  pangermaniste  avait  été 
entièrement  connu,  il  est  infiniment  probable 
que  les  fautes  des  Alliés  dans  les  Balkans,  aux 
Dardanelles,  en  Serbie,  n'auraient  pas  pu  être 
commises.  Il  semble  que  même  en  ce  mois 
de  mai  1916,  l'ampleur  du  plan  pangermaniste 


J8  PRÉFACE 

et  surtout  ce  qui  se  cache  derrière  la  prétendue 
«  Partie  nulle  »  n'est  pas  encore  nettement  saisi 
dans  beaucoup  de  milieux  qui  croient  cependant 
bien  connaître  les  buts  de  la  guerre  poursuivis 
par  l'Allemagne.  En  effet,  tout  récemment,  en 
France  et  en  Angleterre,  des  organes  cependant 
importants  quoique  n'ayant  pas  sans  doute  de 
caractères  officiels,  ont  soutenu  l'opinion  que 
puisque  l'Allemagne  allait  étendre  son  Zollmrein 
à  l'Autriche-Hongrie,  les  Alliés,  pour  luttei'  a-près 
la  guerre  contre  le  bloc  austro-allemand,  devaient 
constituer  une  puissante  entente  économique. 
Or,  comme  on  va  voir,  tout  au  moins  par  l'effet 
d'une  «  inadvertance  »  fâcheuse,  la  question  ne 
saurait  vraiment  pas  être  posée  en  ces  termes 
dans  les  pays  alliés.  Aucune  connexitè  ne  saurait 
être  volontairement  établie  par  eux  entre  l'union 
économique  des  Alliés,  si  naturelle  qu'elle  soit, 
et  le  bloc  économique  de  l'Europe  centrale.  En 
effet,  admettre  l'éventualité  de  l'extension  du 
Zollverein  allemand  à  l'Autriche-Hongrie  ou 
l'entente  économique,  sous  une  forme  quelcon- 
que, des  deux  empires  du  centre,  ce  qui  consti- 
tue la  base  et  la  condition  de  tout  le  plan  pan- 
germaniste  depuis  vingt  et  un  ans  [plan  de  1895), 
c'est  admettre  implicitement  la  mainmise  de 
l'Allemagne  sur  50  millions  d'habitants  dont  près 
des  trois  quarts  ne  sont  pas  Allemands  ;  c'est 


PHKFAC.K  19 

jmr  voie  <k'  consé(|U(MU*es  iru'IiK'laMrs,  comme 
on  lo  constalera,  acccj>tor  l'hrj^émonit'  allemande 
sur  les  Halkans  et  la  Turcjuie.  Or,  de  toute  évi- 
dence, de  tels  résultats  seraient  en  contradiction 
absolue  avec  les  déclarations  des  {gouvernements 
alliés  qui  ont  proclamé  (jue  leur  but  en  poursui- 
vant la  guerre  est  de  détruire  le  militarisme 
jtrussien  et  non  pas,  par  conséquent,  de  permettre 
un  nouvel  état  de  choses,  comme  la  mainmise 
directe  ou  indirecte  de  l'Allemagne  sur  TAu- 
Iriche-Hongrie,  qui  en  décuplerait  la  puissance. 

Le  fait  que  de  pareilles  «  inadvertances  » 
puissent  être  encore  commises  après  vingt  mois 
^  de  guerre,  dans  des  milieux  évidemment  non 
officiels  mais  importants,  suffit  à  établir  que  la 
dilfusion  aussi  large  que  possible  du  plan  pan- 
iicrmaniste  dans  la  grande  opinion  publique 
alliée  est  vraiment  nécessaire,  sinon  indispen- 
sable. Il  est  aussi  hautement  désirable  que  les 
neutres  connaissentexactement  et  avec  précision 
le  plan  pangermaniste  dans  sa  réalité  et  dans  son 
étendue  car  alors  ils  comprendront  clairement 
(lue  leur  liberté  future  dépend  de  la  victoire  des 
soldais  alliés  qui  vraiment  luttent  pour  l'indé- 
])endance  de  l'univers  civilisé. 

Je  souhaite  ardemment  que  ce  livre,  en  réalité 
né  d'un  très  long  effort,  contribue  à  atteindre  ce 
résultat.  Il  a  pour  objet  de  documenter  exacte- 


20  PBÉFACE 

ment  l'opinion  publique  alliée  ou  neutre  sur  le 
plan  berlinois  de  domination  mondiale.  En  outre, 
la  connaissance  exacte  du  plan  pangermamste 
politique  et  militaire  éclaire  d'une  façon  lumi- 
neuse tous  les  problèmes  essentiels  de  la  g-uerre  ; 
elle  fait  apparaître  la  cause  profonde  de  la  lutte, 
elle  en  explique  les  causes  immédiates  qui  sont 
encore  à  peu  près  inconnues  ;  elle  fait  saisir 
pourquoi  il  est  indispensable  à  la  liberté  du 
monde  que  les  Alliés  parviennent  non  pas  à  une 
néfaste  «  paix  fourrée  »  mais  à  la  victoire  inté- 
grale d'où  résultera  la  destruction  du  militarisme 
prussien  qui  seule  peut  mettre  fin  en  Europe  aux 
grands  armements  et  assurer  une  paix  réelle- 
ment durable. 

Afin  que  la  démonstration  soit  aussi  probante 
que  possible,  j'éviterai,  autant  qu'il  se  pourra, 
de  donner  à  mes  lecteurs  des  appréciations  per- 
sonnelles. Je  m'ingénierai  surtout  à  soumettre 
à  leur  jugement  des  documents  précis  et  des 
arguments  accessibles  à  tous,  dont  les  faits 
acquis  permettent  aisément  de  faire  la  critique. 


La  substance  de  ce  livre  a  paru  sous  forme 
d'articles  au  début  de  1916  dans  le  journal  La 
Victoire  de   Gustave  Hervé.   Avant  la   guerre, 


PRÉFACK  2t 

nos  opinions  respeclivcs,  à  lui  et  à  moi,  à  bien 
(les  éj^.irds  entièreinenl  opposées,  nous  auraient 
enjj)î^chés  de  collaborer,  mais  «  l'union  sacrée  » 
et  la  lutte  à  soutenir  en  commun  contre  le  milita- 
risme prussien  par  la  plume  et  par  le  cerveau, 
—  (jui  sont  aussi  des  arnies  — .  nous  ont  rappro- 
chés et  mis  d'accord  sur  bien  des  points  essen- 
tiels. Je  m'en  félicite  sincèrement  car  je  tiens  à 
dire  qu'Hervé  m'a  ouvert  les  colonnes  de  La  Vic- 
toire avec  un  libéralisme  fort  méritoire.  D'abord, 
en  raison  de  la  guerre,  La  Victoire  n'a  que  deux 
pages  ;  ensuite  il  n'est  pas  conforme  aux  usages 
ilos  journaux  quotidiens  de  publier  une  longue 
série   d'articles  sur  un  même  sujet.  C'est  donc 
certainement   grâce    à    Hervé    et    au    puissant 
moyen  d'action  que  représente  un  grand  journal 
(|Uotidien  que  j'ai  pu  commencer  à  difluser  la 
connaissance   du   plan    pangermanisle  dans   la 
très  grande    opinion  publique,   ce    que,  depuis 
longtemps,  je  souhaitais,  de  la  façon  la  plus  vive, 
jiomoir  faire,  convaincu  que  les  grandes  ques- 
tions extérieures  clairement  traitées  pouvaient 
et  devaient  intéresser  non  pas  seulement,  comme 
on  le  prétend  souvent,  les  spécialistes  mais  «  tout 
le  monde  ».  J'adresse  donc  à  Gustave  Hervé  mes 
très  sincères  remerciements  pour  l'expérience 
iiu'il  m'a  ainsi  mis  à  même  de  réaliser.  Elle  a 
d'ailleurs    réussi,   les   lecteurs   de  La  Victoire 


22  PRÉFACE 

ayant  accueilli  mes  articles  sur  Le  Plan  panger- 
maniste  avec  une  grande  bienveillance,  j'espère 
que  ce  livre  rencontrera  également  auprès  du 
grand  public,  pour  lequel  il  est  écrit,  un  accueil 
favorable.  Cet  ouvrage  ne  vise  en  tout  cas  qu'à 
dire  vrai  et  à  servir  une  cause  dont  la  justice 
apparaîtra  de  plus  en  plus  éclatante  au  monde 
longtemps  abusé  par  l'intense  et  astucieuse  pro- 
pagande allemande. 

Paris,  le  lîi  mai  1916. 


E  PLAN  PANGERMAMSTE 


INTRODUCTION 

LE   PANGERMANISME  ET   GUILLAUME  II 

I.  La  doctrine  pangermaniste. 
II.  Le  Kaiser,  créateur  du  plan  pangermaniste. 

Les  Allemands  sont  des  gens  méthodiques. 
Leurs  plans  d'action,  dans  tous  les  domaines, 
loposent  toujours  sur  une  doctrine,  vraie  ou 
fausse,  qu'ils  se  sont  faite.  En  partant  de  cette 
«onceplion,  ils  marchent  ensuite  avec  une  tenace 
résolution.  Il  faut  donc  savoir  en  quoi  consiste 
t  xactement  la  doctrine  pangermaniste  car  c'est 
ilelle  que  procède  tout  le  plan  pangermaniste 
liolitiqiie  et  militaire  tniiversel. 


On  pourrait  croire  que  l'expression  Pangenna- 
nisme  désigne  la  théorie  en  vertu  de  laquelle 
les  Allemands  prétendent  absorber  seulement 
les    régions   où   vivent   en   masses  denses  des 


24 


LE    PLAN    PANGERMANISTE 


Allemands  limitrophes  de  l'Empire,  ce  qui,  après 
tout,  serait  conforme  au  principe  des  nationa- 
lités. Mais  le  Pano^ermanisme  n'a  nullement  ce 
but  restreint  qui  serait  légitime.  On  pourrait 
encore  supposer  qu'il  a  pour  objet  de  réunir  au 


3  ,      JÎ%^^^ 

Berlin   c.    J^wv^ 

^^^'^^^'^^    VaPSO\/ie    ^ 
Breslau  ^  _ 


A  U  T  R   I    G  H    IB    ^; 


LES   POLONAIS 
DANS  L'EST    DE    L'ALLEr^AGNE 


sein  des  mômes  frontières  des  peuples  d'ori- 
gine plus  ou  moins  germanique,  ce  qui  serait  déjà 
tout  à  fait  inadmissible.  Le  Pangermanisme  n'est 
pas  encore  cela,  il  est,  en  réalité,  la  doctrine  d'ori- 
gine strictement  prussienne  qui  vise,  en  dehors  de 
toute  question  de  langue  ou  de  race,  à  absorber  les 
diverses  régions  dont  la  possession  est  considérée 
comme  utile  à  la  puissance  des  Hohenzollern. 


I.E    PLAN    PANGKRMANISTE 


2S 


(Test   au    nom    du    Panjjermanisme,    théorie 
I  utilité  pour  simple  raison  de  convoitise  et  de 


,     LES   DANOIS    EN   PRUSSE 


bon  plaisir,  que  la  Prusse  fit  reconnaître,  par 
le  Parlement  de  Francfort,  comme  territoires» 
allemands:,  ses  provinces  orientales  qui,  en  réalité', 

sont  slaves  pifisqu'elles  contiennent  encore  actuel- 
lement environ  4  millions  de  Polonais. 


26 


LE    PLAN    PANGEBMANISTE 


C'est  au  nom  du  Pangermanisme  qu'en  1864 
la    Prusse    s'empara    de    la    partie    purement    ■ 
danoise  du  Schleswig.  (V.  la  carte  p.  2S.)  -1 


C'est  au  nom  du  Pangermanisme  que  l'Au- 
triche-Hongrie  où  les  Allemands  ne  sont  qu'une 
très  faible  minorité,    actuellement  12    millions 


I 


LE    PLAN    PANOERMANISTE  il 

t outre  WH  millions  de  non  Allemands  (or  ces 
(•liiirres  sont  ceux  des  slHlisli(|ues  allemandes 
qui  exagèrent  systématiquement  le  nombre  des 
Allemands  dans  l'empire  d<;8  Habsbourg),  fait 
depuis  fort  longtemps  l'objet  des  convoitises 
allemandes 

Dès  1850,  La  Gazelle  i/\\u(/sbourf/  en  donnait 
la  raison  avec  le  plus  complet  cynisme  : 

«  Nous  déclarons  hautement  cjue  si  ce  n'étail 
pas  un  membre  de  la  Confédération,  si  ce  n'étail 
pas  l'Autriche  (à  celte  époque  le  mot  Autriche 
désignait  toute  l'Autriche-Hongrie  actuelle),  qui 
fût  le  légitime  possesseur  de  ces  pays  non  alle- 
mands, la  nation  allemande  devrait  en  faire  la 
conquête  à  tout  prix,  parce  qu'ils  sont  absolu- 
ment nécessaires  pour  son  développement  et  sa 
position  de  grande  puissance.  » 

Déjà  en  184 i,  le  futur  maréchal  de  Moltke, 
toujours  inspiré  par  le  Pangermanisme,  avait 
écrit  : 

«  Nous  espérons  que  l'Autriche  maintiendra  les 
droits  et  sauvegardera  l'avenir  des  pays  du  Da- 
nube et  que  Y  Allemagne  parviendra  finalement 
à  libérer  rembouchure  de  ses  grands  fleuves.  » 
V.  von  Moltke,  Schriften,  t.  II,  p.  313.) 

C'est  inspiré  par  cette  doctrine  de  rapt  que 
l'auteur  de  la  brochure  éditée  en  1893,  —  il  y  a 
donc  exactement  vingt  et  un  ans,  —  sous  l'égide 


28  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

de  Y Alldeutscher  Verbancl,  la  plus  puissante 
société  pangermaniste,  après  avoir  exposé  les 
grandes  lignes  des  futures  annexions,  trouvait 
tout  naturel  de  conclure  : 

Sans  doute,  des  Allemands  ne  peupleront  pas 
seuls  le  nouvel  empire  allematid  ainsi  constitué  ; 
mais  K  seuls  ils  goiwe?'tieî-ont,  seuls  ils  exerceront 
les  droits  politiques,  serviront  clans  la  marine  et 
dans  r armée,  seuls  ils  pourront  acquérir  la  terre. 
Ils  auront  alors,  comme  au  moyen  âge,  le  senti- 
ment d'être  un  peuple  de  maîtres;  toutefois,  ils 
condescendront  à  ce  que  les  travaux  inférieurs 
soient  exécutés  par  les  étrangers  soumis  à  leur 
domination  »..(V.  GrossdeutschlandundMitteleu- 
ropaum  dasJahr  1950.  —  La  Grande  Allemagne 
et  l'Europe  centrale  en  1950.  Edité  par  Thor- 
mann  und  Goestch,  S.  W.  Bessel  Strasse  17. 
Berlin,  1895,  p.  48.) 

Ces  faits  et  ces  déclarations  catégoriques  éta- 
blissent nettement  que  l'identité  de  langue  et  de 
race  longtemps  donnée  pour  justifier  le  Panger- 
manisme n'a  été  jadis  qu'un  simple  prétexte 
pour  faciliter  la  diffusion  de  cette  doctrine.  Les 
avantages  militaires,  politiques  et  économiques, 
à'après  les  inspirations  pi'ussiennes,  en  sont  les 
seuls  éléments  constitutifs. 

On  doit  donc  bien  se  persuader  de  cette  vérité  : 
Le  Pangermanisme  est  la  doctrine  de  proie  de  la 


LE    PLAN    PANGERMANlSrE  2tf 

Monarchie  prussienne.  Elle  a  pour  objets  par  des 
af/randissemcuts  de  territoire  successifs  et  indé- 
finis, (le  rrunir  au  sein  des  mêmes  frontières, 
économiques  d'abord,  politiques  ensuite,  les  ré- 
ffions  et  les  peuples  dont  la  possession  et  l'exploi- 
tation sont  considérées  comme  profitables  par 
les  Hohenzollern  et  leur  'ioufim  :  l'aristocratie 
allemande . 

Le  Pangermanisme  est  l'antithèse  absolue  et  la 
lu'ujation  radicale  du  principe  des  nationalités, 
1(1  plus  noble  idée  lancée  dans  le  monde  par  la 
Révolution  française.  En  résum»',  le  Pangerma- 
nisme est  une  doctrine  de  cambriolage  interna- 
tional appliquée  par  la  Prusse  n  la  collectivité 
des  nations. 

II 

De  la  doctrine  pangermaniste  est  sorti  le 
plan  pangermaniste  politique  et  militaire  dont 
Guillaume  II  est  le  créateur  et  le  metteur  en 
aclion.  On  a  considéré,  longtemps  hors  d'Alle- 
magne, le  Kaiser  comme  un  prince  pacifique. 
Ce  fut  là  une  erreur  infiniment  grave  qu'on 
s'explique  difficilement.  En  eflet,  en  outre  de 
son  action  organisatrice  secrète  en  vue  de  la 
conflagration  européenne,  qu'il  commença  fort 
peu  de  temps  après  son  avènement  (1888),  Guil- 


30  LE    PIAN    PANGERMANISTE 

laume  II  prononça  publiquement  des  paroles 
révélatrices  de  ses  tendances  nettement  panger- 
manistes. 

Le  28  aoiit  1898,  répondant  au  discours  du 
bourgmestre  de  Mayence,  le  Kaiser  déclara 
vouloir  maintenir  intact  l'héritage  légué  par  son 
«  immortel  grand-père  ».  Mais,  ajouta-t-il,  je  ne 
pourrai  y  parvenir  que  si  notre  autorité  se 
maintient  ferme  à  l'égard  de  nos  voisins.  «  Dan^i 
ce  but,  r unité  et  la  coopération  de  toutes  les  tri- 
bus germaniques  sont  nécessaires.  » 

Le  4  octobre  1900,  Guillaume  II,  posant  la 
première  pierre  du  musée  romain  de  Saalbourg, 
dit  encore  : 

«  Puisse  notre  patrie  allemande,  dans  les  temps 
futurs,  par  la  coopération,  unifiée  des  princes  et 
des  peuples,  de  leurs  armées  et  de  leurs  citoyens,^ 
devenir  aussi  puissante,  aussi  fortement  unie, 
aussi  extraordinaire  que  l'emph^e  romain  univer- 
sel, afin  qu'un  jour  dans  l'aoenir  on  puisse  dire^  ^, 
comme  autrefois  :  Civis  Romanus  sum  :  Je  suis  * 
citoyen  allemand.  » 

Le  28  octobre  1900,  dans  une  réunion  d'offi- 
ciers, Guillaume  II  affirma  :  «  Mon  but  suprême 
est  d'écarter  ce  qui  sépare  le  grand  peuple  alle- 
mand. »  Or,  en  septembre  1900,  à  Stettin,  le  Kai- 
ser venait  de  déclarer.  «  Je  n'ai  aucune  crainte 
dans  ravenir.  Je  suis  convaincu  que  mon  plan 


I.K    PLAN    I»AN(.ERMANISTE  31 

/'('ussira  ».  Ce  plan  si^  irsumait  dans  l'esprit  de 
(iuillaume  H  dans  la  réalisation  de  la  formule 
capitale  de  domination  pangermaniste  :  de  Ham- 
bourg au  golfe  Persique.  Pour  y  parvenir,  le 
Kaiser  était  résolu  à  attacher  par  des  liens  sans 
cosse  plus  étroits  l'Autriclie-Hongrie  à  l'Alle- 
magne. Pour  assurer  son  hégémonie  sur  les 
peuples  des  Balkans,  il  comptait  sur  le  con- 
cours de  leurs  rois  d'origine  germanique  (Bul- 
garie et  Roumanie)  ou  subissant  de  très  près 
des  influences  germaniques  qu'il  organisait  lui- 
même.  C'est  ainsi  qu'il  fit  épouser  sa  propre 
sœur,  Sophie,  en  1889,  à  l'héritier  du  trône  de 
Grèce,  aujourd'hui  le  roi  Constantin.  Enfin, 
presque  aussitôt  son  avènement,  il  avait  déjà 
l'oiiçu  le  projet  de  flatter  les  Turcs  et  les  musul- 
mans afin  de  mettre  plus  tard  la  main  sur 
l'Empire  ottoman  et  de  se  faire  des  mahométans 
répandus  dans  le  monde  une  arme  contre  toutes 
les  autres  puissances. 

C'est,  en  efi'et,  le  8  novembre  1898  que  Guil- 
laume Il  prononça  à  Damas  ces  paroles  fameuses 
(jui  prennent  toute  leur  signification  maintenant 
({ue  nous  venons  de  voir  l'action  allemande  se 
développer  en  Turquie,  en  Perse,  et  tenter 
d'agiter  les  Musulmans  d'Eg\pte,  des  Indes  et  de 
la  Chine  : 

«  Puisse  Sa  Majesté  le  Sultan,  ainsi  que  les 


32  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

300  millions  de  mahométans  qui  vénèrent  en  lui 
leur  Calife,  être  assurés  que  l'empereur  allemand 
est  leur  ami  pour  toujours.  » 

Comme  conséquence  de  ses  flatteries  au  Sul- 
tan rouge  Abdul-Hamid,  Guillaume  II  obtint  de 
celui-ci,  le  27  novembre  1899,  la  première  con- 
cession du  chemin  de  fer  de  Bagdad  qui,  quoique 
inachevé,  vient  d'être  utilisé  comme  un  ins- 
trument d'offensive  militaire  allemand  dirigé  à 
la  fois  contre  la  Russie  et  contre  l'Angleterre. 

C'est  Guillaume  II  qui  a  favorisé  partout  dans 
son  empire  la  création  de  la  Ligue  Militaire  et 
de  la  Ligue  Maritime  qui  comptent  des  millions 
de  membres,  lesquels,  depuis  vingt  ans,  ont 
sans  cesse  propagande  pour  l'augmentation 
incessante  des  armements  allemands  sur  terre  et 
sur  mer  que  voulait  le  Kaiser. 

C'est  Guillaume  II  encore  qui  a  favorisé  la 
création  de  V Alldeutscher  Verband  ou  Union 
Pangermaniste.  Cette  société  qui  compte  parmi 
ses  adhérents  une  foule  de  personnalités  impor- 
tantes de  l'empire  a  la  plus  écrasante  responsa- 
bilité dans  l'éclat  de  la  guerre  actuelle.  Fondée 
en  1894,  elle  a  fait  des  milliers  de  conférences 
et  répandu  des  millions  de  brochures  pour  diffu- 
ser dans  les  masses  de  l'Empire  les  idées  pan- 
germanistes  et  les  désirs  d'annexion.  C'est 
V Alldeutscher  Verband  qui  a  organisé,  en  vue  de 


I.E    PL\N    PANGERMANISTK  33 

la  conflagr.ilion  iioliu'llc,  ddus  le  monde  entier 
K's  Allemands   vivant  en  dehors   de  l'Empire, 

^nolamnaent  en  Autriche  et  aux  Etats-Unis. 

.  '  Comment  pourrait-on  croire  que  l'action  de 
ces  trois  formidables  sociétés,  dont  les  moyens 
d'action  se  sont  sans  cesse  accrus,  ont  pu  se 
livrer  depuis  vingt  ans  à  une  propagande  fort 
coiiteuse  et  intense  dans  un  empire  policier 
comme  l'Allemagne,  —  où  rien  ne  peut  se  faire 
(le  suiri  malgré  le  consentement  des  autorités, 
—  sans  que  l'autocrate  qu'est  Guillaume  II  ait 
voulu  cette  propagande? 


Quant  à  l'heure  de  la  guerre,  c'est  encore 
Guillaume  II  qui  Ta  fixée.  La  situation  des 
Balkans  après  le  traité  de  Bucarest  (10  août 
1913),  et  l'état  intérieur  de  l'Autriche-FIongrie, 
pour  des  raisons  qu'on  trouvera  exposées  au 
•  liapitre  II,  le  décidèrent  à  précipiter  le  conflit. 
Dès  novembre  1913,  le  Kaiser  prend  ses  dis- 
positions en  vue  de  l'ouverture  prochaine  des 
hostilités.  Il  sait  que  les  travaux  d'élargisse- 
ment du   canal    de    Kiel    seront    terminés    en 

*  juillet  1914,  il  s'arrange  pour  être  prêt  vers 
cette  date.  Il  séduit  l'archiduc  François-Ferdi- 

^nand,  héritier  de  François-Joseph,  par  le  mirage 


34  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

des  profits  qu'une  action  commune  doit  rappor- 
ter aux  empires  du  centre.  En  avril  1914,  Je 
Kaiser  va  voir  l'archiduc  au  château  de  Mir;i- 
mar,  près  de  Trieste.  Il  le  revoit  à  Konopischl 
en  juin  1914.  L'amiral  Tirpitz,  qui  s'est  signalé 
d'une  façon  si  particulière  comme  chef  de  la 
piraterie  sous-marine  allemande,  l'accompagne. 
C'est  alors  que  le  plan  d'action  général  des 
forces  de  terre  et  de  mer  de  l'empire  allemand 
et  de  l'Autriche-Hongrie  est  arrêté  dans  ses 
grandes  lignes.  L'assassinat  de  Tarchiduc  Fran- 
çois-Ferdinand se  produit  le  28  juin  1914.  Il  ne 
change  rien  aux  projets  du  Kaiser.  Au  con- 
traire, ce  meurtre  est  un  prétexte  excellent  d'in- 
tervention contre  la  Serhie;  il  précipite  donc  les 
événements.  La  guerre  est  déclarée  le  l*""  aoûi. 
exactement  quelques  jours  après  l'achèvemenl 
des  travaux  du  canal  de  Kiel. 

L'action  criminelle  du  Kaiser  dans  l'établis- 
sement du  plan  pangermaniste  depuis  vingt-cinq 
ans  apparaît  ainsi  manifeste. 

«  On  a  soutenu,  dit  le  baron  Beyens,  —  qui 
était  ministre  de  Belgique  à  Berlin  avant  la 
guerre,  —  que  Guillaume  II  avait  été  sans  s'en 
douter  Tinstrument  dune  caste  et  d'un  parti 
pour  qui  la  guerre  était  Tunique  moyen  d'affer- 
mir leurs  pouvoirs.  //  les  a  écoutés,  en  effet, 
mais  parce  que  leurs  vues  concordaient  avec  les 


LE    PLAN    PANGERMANISTK  35 

su'nnes.  Dans  le  juiji'ment  de  /'histoirr,  ccst  lui 
fatalement  qui  portera  la  responsabilité  des 
malheurs  dont  r Europe  a  été  accablée.  »  (V. 
l»aron  Beyens,  L'Allemar/ne  avant  la  guerre, 
[I.  il,  (t.  van  (JEst,  éditeur,  Paris. ^ 


l'^n  outre,  (ju'on  ne  s'y  trompe  pas,  grâce  à 
l'intense  propagande  pangermaniste  faite  dans 
lout  l'Empire  depuis  vingt-cinq  ans,  sur  Tordre 
(le  Guillaume  II,  celui-ci,  en  déclarant  la  guerre, 
a  été  soutenu  dans  sa  décision,  non  seulement  par 
tous  les  cercles  inlluenls  de  l'opinion  allemande, 

^mais  encore  par  la  très  grande  majorité  du  peuple 
allemand.  Un  Allemand  fort  notoire,  Maximilien 

*Harden,  l'a  reconnu  formellement  dans  sa  revue 
/Aikunft  en  novembre  1914  lorsqu'il  a  écrit  : 

(  Cette  guerre  ne  nous  a  pas  été  imposée  par 
surprise.  Nous  Cavons  voulue,  nous  devions  la 
vouloir.  VAlleînagne  la  fait  en  raison  de  la  con- 
riction  immuable  que  ses  œuvres  lui  donnent 
droit  à  plus  de  place  dans  le  monde  et  à  de  plus 
larges  débouchés  pour  son  activité.  »  (Cité  par  Le 
Temps,  20  novembre  1914.) 

Or  c'est  après  avoir  ainsi  dressé  et  perfec- 
tionné pendant  plus  de  vingt  ans  le  plan  pan- 
germaniste  de  la  conflagration  européenne  que 


36  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

Guillaume  II  a  eu  la  prodigieuse  audace  de 
déclarer,  dans  son  Manifeste  au  peuple  allemand 
du  l*""  août  1915,  après  avoir  ensanglanté  l'Eu- 
rope depuis  un  an  :  «  Devant  Dieu  et  devant 
l'Histoire,  je  jure  que  ma  conscience  est  nette: 
je  n'ai  pas  voulu  la  guerre  ». 


1 


CHAPlTHl!]  PRI<:MIKR 

LE  PLAN  PANGERMANISTE 

I.  Le  plan  pangermaniste  de  1911. 

II.  Les  étapes  de  réalisation. 

III.  Pourquoi  il  a  été  ignoré. 

Le  plan  pangermaniste  a  été  établi  sur  ses 
l)ases  fondamentales  dtvs  1895  mais,  depuis  celle 
date,  des  événements  se  sont  produits  dans  le 
monde  qui  incitèrent  les  Pangermanisles  à 
l'augmenter  encore. 

En  1898,  eut  lieu  Faclioda  qui  semblait  devoir 
creuser  un  abîme  entre  la  France  et  l'Angle- 
terre. En  190o,  la  Russie  dut  signer  la  paix  avec 
le  Japon  après  une  longue  guerre  ayant  vidé 
tous  ses  magasins  militaires  et  par  suite  détruit 
pour  longtemps,  au  profit  de  l'Allemagne, 
l'équilibre  des  forces  en  Europe.  En  1909,  le 
gouvernement  de  Vienne,  à  la  faveur  de  lulti- 
matum  discret  mais  formel  que  celui  de  Berlin 
adressa  au  Tsar,  put  réaliser  l'annexion  de  la 
Bosnie  et  de  l'Herzégovine,   peuplées   presque 

# 


38  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

totalement  de  Serbes.  Cette  mainmise  sur  un 
énorme  territoire  slave  constitua  un  succès 
considérable  pour  le  germanisme.  Le  3  no- 
vembre 1910,  lors  de  l'entrevue  de  Potsdam,  le 
Kaiser  obtint  du  gouvernement  du  Tsar  que  la 
Russie  abandonnât  toute  opposition  à  l'achève- 
ment du  chemin  de  fer  de  Bagdad.  L'Angleterre 
et  la  France  adoplèrent  ensuite  la  même  atti- 
tude à  ce  sujet.  Le  1""  juillet  1911,  le  Kaiser 
risqua  le  «  coup  d'Agadir  ».  Celui-ci  aboutit  au 
traité  franco-allemand  du  4  novembre  1911, 
cédant  à  l'Allemagne  213  000  kilomètres  carrés 
du  Congo  français,  alors  que  cependant  des 
hypothèques  économiques  extrêmement  lourdes 
continuaient  à  peser  sur  le  Maroc  en  faveur  du 
commerce  allemand. 

Ces  divers  événements  lésèrent  profondément 
les  intérêts  de  la  France,  de  l'Angleterre  et  de 
la  Russie,  mais  ces  puissances  préféraient  con- 
sentir les  plus  pénibles  sacrifices  plutôt  que  de 
prendre  l'ellroyable  responsabilité  de  déchaîner 
une  guerre  atroce  sur  l'Europe,  Cette  attitude 
fut  interprétée  bien  à  tort  par  les  pangermanistes 
comme  une  preuve  de  faiblesse  de  ces  trois 
puissances  et  de  leur  volonté  de  paix  à  tout 
prix.  Les  pangermanistes  en  conclurent  que 
l'espoir  des  réalisations  les  plus  énormes  dans 
un    avenir   prochain    leur    était   permis.    C'est 


I.i:    l>LAN    i'ANUERMANISTii:  V.» 

|iour(|U()i,  le  {)l;in  p;in germaniste  fondamental  de 


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cjj.y;iu)               ^,                   ^u 

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1895  consiHéralilement  remanié  devint  le  plan 
de  1911 


40  LE    PLAN    PANGERMANISTE 


Ce  plan  de  1911  (V.  la  carte  p.  39)  prévoyait 
en  Europe  et  en  Asie  occidentale  : 

1°  L'établissement  sous  la  direction  de  l'Alle- 
magne d'une  vaste  confédération  de  l'Europe 
centrale  devant  comprendre  : 

A  r Ouest:, 

Kilomètres  carrés.    Population. 

La  Hollande 3b. 141         6.114.000 

La  Belgique 29.451         7.5(10.000 

Le  Luxembourg  ....         2.586  260.000 

La  Suisse  • 41.324        3.800.000 

Les  départements  du 
nord  de  la  France,  au 
nord  est  dune  ligne  ti- 
rée du  sud  de  Belforl 
à  l'embouchure  de  la 

Somme,  environ.    .    .       50.271         5.768.000 
Total  161.773       23.442.000 

A  l'Est  : 

Kilomètres  carrés.        Population. 

La  Pologne  russe.  .  .  .  127.320  12.467.000 
Les  Provinces  Baltiques  : 

Esthonie ,       Livonie , 

Courlande 94.564        2.686.000 

Les     3     gouvernements 

russes  de  Kovno,  Vil- 

na,  Grodno   121.840        5.728.000 

Total 343.724       20.881.000 

'  Moins  éventuellement  les  cantons  suisses  français  et  ita- 
liens à  lenglobement  desquels  certains  pangermanistes  dé- 
clarent ne  pas  tenir. 


LE    PLAN    l'ANfiEilMANISTR  il 

.  I  //  Snd-Kst  : 

kilomètre* 
carn>«.  ropultlioii. 

l.'Aiitriclie-Hongrie  '.         670.016      50.000.000 

Ces  trois  groupes  formant  un  total  général 
.lo  :  1.1 82. 11  :î  kilomètres  carrés  et  94  323000 
habitants. 

(lellc  confédération  devait  ainsi  grouper  sdu.s 
l'hégémonie  immédiate  de  l'Allemagne  : 


Kilomèlros 

carré». 

l'opuUtioii. 

Kinpirealloinandacluel. 

540.858 

08.000.000 

Nouveaux  territoires  de 

la  Conféiiéralion.    .    . 

1  182.113 

94.000.000 

Soit  au  total    .... 

1.722.971 

162.000.000 

dont  environ  77  millions  d'Allemands,  et  85  mil- 
lions de  non-Allemands. 

2*^  La  subordination  absolue  à  la  Grande  Con- 
fédération de  l'Europe  centrale  de  tous  les  pays 
des  Balkans  réduits  à  l'état  de  satellites  de 
Berlin. 

Les  Etats  des  Balkans  groupent  : 

499.275  kilomètres  carrés  et  22  millions  de 
non-Allemands. 

3"  La  main-mise  politique  et  militaire  de 
l'Allemagne  sur  la  Turquie  qu'on   s'efforcerait 

'  Moins  les  nagions  italiennes  du  Trentin  que  Berlin  était 
décidé  à  céder  aux  dépens  de  lAutriche  à  l'Italie  pour  ache- 
ter sa  neutralité. 


42  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

ensuite  d'accroître  de  l'Egypte  et  de  la  Perse. 
L'opération  sur  la  Turquie  était  prévue  en  deux 
étapes.  Dans  la  première  période,  la  douzaine 
de  pseudo  jeunes-Turcs  qui,  depuis  1908,  dis- 
posent en  maîtres  de  l'Empire  ottoman  et  se 
prêtent  au  jeu  de  l'Allemagne  à  Gonstantinople, 
devait  rester  en  façade.  L'indépendance  de  la 
Turquie,  d'ailleurs  liée  à  l'Allemagne  par  un 
traité  d'alliance  militaire,  eût  subsisté  en  appa- 
rence pendant  cette  phase.  Elle  eut  permis  de 
placer  de  nombreux  fonctionnaires  allemands 
à  la  lete  de  toutes  les  administrations  ottomanes 
sous  couleur  de  les  réformer/ ce  qui  eût  préparé 
la  deuxième  étape.  Celle-ci  avait  pour  objet  de 
faire  passer,  sous  le  protectorat  étioit  de  FAlle- 
magne,  la  Turquie  avec  ses  1.71)2.900  kilo- 
mètres carrés  et  ses  20  millions  d'habitants 
non-Allemands.  (Sans  compter  les  dépendances  : 
Egypte  et  Perse.) 

La  Confédération  germanique  de  l'Europe  j 
centrale  devait  former  un  immense  Zollverein 
ou  Union  douanière.  Des  traités  de  commerce 
spéciaux  imposés  aux  Etats  balkaniques  et  à  la 
Turquie  asservie  eussent  eu  pour  résultat  de 
réserver  ces  vastes  régions  exclusivement  à  la 
Grande-Allemagne  comme  débouché  économi- 
que. 


LK    PLAN    l»AN(.F.nMANISI>:  .  ; 

Ku  somme,  Ir  plan  [jantrt'rmanisU'  de  11)1  i  se 
ii'sume  dans  les  <|ualn'  formules  : 

Herlin-Calais  ; 

Berlin- fiiga; 

Han4boui'f/-Saioniqu€  : 

Hambourg-Golfe  Persique . 

L(i  réunion  des  Irais  yroupenienls  :  Europe 
centrale,  Balkans  et  Turquie  devait  placer  fina- 
lement sous  l'influence  pr>'dominante  de  Berlin 
i.01").14()  kilomètres  carrés  et  204  millions 
d'habitants  dont  127  eussent  éié  obligés  de  subir 
la  domination  directe  ou  indirecte  de  77  millions 
d'Allemands  seuleinenl. 

Ce  plan  pan^ermanisle  eonlinental  de  1911 
devait  être  complété  par  des  actiuisitions  colo- 
niales considérables  dont  on  trouvera  l'exposé 
à  la  lin  du  chapitre  V. 

Guillaume  II  savait  fort  bien  qu'un  pareil  pro- 
gramme ne  pourrait  devenir  une  réalité  durable 
qu'à  la  suite  de  la  disparition  de  toutes  les 
grandes  puissances.  Le  Kaiser,  en  établissant 
son  plan  pangermaniste,  avait  donc  formelle- 
ment résolu,  —  il  faut  se  persuader  de  cette 
vérité  capitale  à  bien  saisir,  car  sans  elle  ou  ne 
peut  absolument  pas  comprendre  le  caractère  de 
la  guerre  actuelle,  —  l'anéantissement  de  cinq 
grandes  puissances.  La  disparition  de  TAutri- 


44  LE    PLAN    PANGEUMANISTE 

che-Hongrie  était  prévue  par  absorption,  dé- 
guisée par  son  entrée  dans  l'union  douanière 
allemande.  L'anéantissement  de  la  France  et  de 
la  Russie  devait  résulter  de  la  destruction  totale 
de  leurs  forces  militaires  au  moyen  d'une  guerre 
préventive  foudroyante.  La  mise  hors  de  cause 
de  l'Angleterre  devait  se  produire  par  l'effet 
d'une  opération  ultérieure  qui  fût  devenue  très 
aisée  une  fois  la  France  et  la  Russie  démembrées 
et  réduites  à  une  complète  impuissance.  Quant 
à 'l'Italie,  destinée  à  devenir  un  simple  État  sa- 
tellite, elle  n'était  pas  considérée  comme  capable 
d'offrir  la  moindre  résistance  aux  ambitions  pan- 
germanistes.  L'Italie,  écrivait  en  1900  un  des 
propagandistes  de  la  doctrine  du  Kaiser,  «  est 
trop  inhabile  à  la  guerre  pour  pouvoir  être  consi- 
dérée comme  une  rivale  ».  (V.  Deutschland  bei 
Beginn  dc.r  20  Jahrhunderts^  p.  53.  Librairie 
militaire  R.  Félix,  Berlin,  1900). 

11  faut  ajouter  que  le  plan  pangermanute 
de  1911  ne  comportait  pas  la  guerre  avec  l'Angle- 
terre. En  faisant  éclater  la  lutte  en  août  1914,  Guil- 
laume II  était  persuadé  que  la  Grande-Bretagne 
n'y  prendrait  pas  part  au  moins  immédiatement. 
Le  Kaiser  avait  d'ailleurs  pris  toutes  les  pré- 
cautions imaginables  pour  attiser  les  crises  inté- 
rieures de  l'Angleterre  et  tromper  le  cabinet  de 
Londres.  Il  faillit  un  instant  réussir.  La  décision 


I.K    PLAN    l'.\N<iKHMAMSrK  45 

«le  la  (irundo-IJrelaj^^ne  de  jtarlioiper  sans  délai 
à  la  lulle  n'a  lenu  qu'à  un  (il,  mais  ce  (il  a  été 
rompu.  Si  l'Angleterre  avait  tardé,  ne  fût-ce  que 
de  quelques  jours^  des  déharquemenls  allemands 
fie  seraient  produits  dans  le  Colenlin,  en  Bre- 
lajjne  et  justjue  près  dt»  Bordeaux.  La  France 
étant  ainsi  rapidement  réduite  de  toutes  parts  à 
l'impuissance,  l'intervention  anglaise  eût  été 
ensuite  inefficace,  et  tout  le  plan  pangermaniste 
de  11)11  se  serait  alors  réalisé  intégralement. 
Mais  en  entrant  en  guerre  au  moment  qu'il 
fallait  et  en  barrant  ainsi  la  mer,  la  Grande-Bre- 
taj^ne,  tout  en  se  sauvant  elle-même,  a  vraiment 
donné  à  l'humanité  civilisée  les  moyens  d'éviter 
le  joui?  prussien.  L'intervention  anglaise,  succé- 
dant au  premier  répit  résultant  de  la  magnifique 
résistance  armée  de  la  Belgique,  a  bouleversé, 
en  effet,  le  plan  allemand  initial. 

Mais  les  Allemands  sont  habiles,  tenaces  et 
retors.  S'adaptant  aux  circonstances  nouvelles 
qui  se  sont  imposées  à  eux,  ils  n'ont  pas  encore 
renoncé  à  tirer  de  la  guerre  un  énorme  profit. 
Il  faut  donc  savoir  quels  procédés  ils  ont  ima- 
tiiné  pour  tâcher  de  réaliser  encore  la  presque 
totalité  du  plan  pangermaniste  de  1911. 


46  LE    PLAN    PANGERMANISTE 


II 


Afin  que  les  responsabilités  de  l'Allemagne 
soient  bien  nettement  établies  aux  yeux  des 
neutres,  —  dont  beaucoup  ont  été  trompés  par 
la  propagande  allemande,  —  il  importe  de  mon- 
trer clairement  l*e  mécanisme  de  réalisation  du 
plan  pangermaniste  tel  qu'il  apparaît  k  travers 
les  faits. 

De  1892  jusqu'à  la  guerre,  c'est-à-dire  pen- 
dant vingt-deux  ans,  le  ?nouvement  pangerma- 
niste s'est  développé  avec  une  intensité  crois- 
sante. Afin  de  diffuser  dans  le  peuple  allemand 
les  désirs  d'annexion  et  ainsi  le  préparer  à  la 
lutte  par  l'appât  du  butin,  les  pangermanistes 
ont  exposé  le  /jlan  pangermaniste  dans  tous  ses 
détails  dans  une  multitude  de  publications.  Deux 
sont  particulièrement  importantes.  La  brocliure, 
publiée  sous  l'égide  de  V Alldeiitscher  Verband, 
Grossdeutschland  iind  Mittelenropa  um  das  Jahr 
1950.  —  La  Grande  Allemagne  et  r Europe  ceji- 
trale  en  1950,  éditée  par  Tbormann  et  Goestch 
S.  W.  Dessel  Strasse,  17.  Berlin  en  1895,  donne 
le  plan  pangermaniste  de  1893.  Le  livre  d'Otto 
Richard  Tannenberg  :  Gross-Deutschland  die  Ar- 
heit  des  20  Jalirhunderts.  —  La  Grande  Allemagne, 
Vœucre  du  XX"  siècle,  qui  a  paru  chez  Bruno 


LR    IM.AN    PANf.EHMANISTK  47 

Volj*er  àLeipzi^-Golilis  en  11)!  I,  fournil  presque 
tous  les  renseijînenienls  (h'siraMcs  sur  le  plan 
(le  IIHI 

Mallieureusement,  bien  cju»'  celle  lilléralure 
panjjernianisle  fùl  très  considérable,  fort  savam- 
ment documentée  et  répandue  dans  les  masses 
à  un  nombre  d'exemplaires  énorme  par  des 
sociétés  extrémem«'nl  puissantes,  patronnées 
par  les  plus  baules  auloiitt'js  de  l'Empire,  bien 
rares  furent  ceux  liors  d'Allemaj^ne  qui  vou- 
lurent croire  à  son  extrême  importance.  Mais 
maintenant,  celle-ci  est  démontrée  par  les  faits. 
La  réalité,  l'élendue  et  les  étapes  de  réalisation 
du  plan  pangermaniste  de  1911  sont  établies 
par  : 

l"  La  (lircclion  donnée  par  l'Allemag^ne  depuis 
le  1"  août  11)14  à  ses  opérations  politiques  et 
militaires  qui  ont  eu  pour  objectif,  non  pas  comme 
beaucoup  l'ont  cru,  de  prendre  des  gages,  mais 
ilo  s'emparer  des  territoires  à  annexer  k  peu 
près  exactement  selon  le  plan  de  1911  tel  qu'il 
est  exposé  dans  le  livre  de  Tannenberg". 

2^*  Le  mémoire  remis,  le  20  mai  19 Ki,  aucban- 
-  elier  de  l'Empire  allemand  par  la  Ligue  des 
agriculteurs,  la  Ligue  des  paysans  alleniauds, 
le  Groupement  provisoire  des  associations  chré- 
tiennes de  paysans  allemands,  actuellement  As- 
sociation des  paysans  tvestphaliens,  l'Union  cen- 


48  LE    PLAN    l'ANGERMANISTE 

traie  des  i?idiistriels  allemands,  la  Ligne  des 
industriels  et  l'Union  des  classes  moyennes  de 
l'Empire.  (V.  Le  Temps,  12  août  1915).  L'im- 
portance de  ce  document  ne  saurait  être  exagé- 
rée. En  etFet,  il  émane  des  associations  les  plus 
puissantes  de  l'empire  qui  groupent  tous  les 
éléments  influents  du  peuple  allemand,  notam- 
ment les  agrariens^  et  les  néfastes  hobereaux 
prussiens.  Or,  ce  mémoire  a  eu  pour  objet, 
comme  on  le  constatera,  de  réclamer  des  an- 
nexions aussi  exactement  conformes  au  plan 
pangermaniste  de  1911  que  l'a  permis  le  déve- 
loppement des  opérations  militaires.  Pour  qui- 
conque connaît  l'Allemagne,  il  est  difficile  de 
douter  que  ce  mémoire  a  été  remis  à  M.  de 
Bethmann  Holweg  après  entente  préalable  avec 
celui-ci.  On  a  voulu  sans  doute  que  ce  document 
pariit  constituer  une  pression  de  l'opinion  pu- 
blique allemande  dominante  sur  le  gouverne- 
ment de  Guillaume  II.  Mais  si  les  idées  expri- 
mées dans  ce  mémoire  reflètent  incontestable- 
ment les  volontés  des  cercles  les  plus  influents 
outre-Rhin,  elles  correspondent,  en  outre,  fort 
nettement,  au  programme  d'extension  dont 
Guillaume  II  a  préparé  progressivement  la  réa- 
lisation depuis  plus  de  vingt  ans. 

3°   Les  déclarations    faites    à    la    séance  du 
Reichstag  du  11  décembre  1915  prouvent  l'exac- 


LE    l'LAN    PANGERMANISTE  49 

lilude  de  cotlc  constatation.  Le  Chancelier  dr 
l'Kmpire  a  dit  : 

«  Si  nos  ennemis  ne  veulent  pas  se  courber 
maintenant,  i/s  seront  oblige  de  le  faire  plus 
tard...  Quand  nos  ennemis  soumettront  des 
propositions  de  paix  conformes  à  la  dignité  et  à 
la  sécurité  de  f  Allemagne,  nous  serons  prêts  à 
les  discuter...  Mais  nos  ennemis  doivent  se  dire 
que  plus  ils  conduiront  la  guerre  avec  acharne- 
ment, pins  les  garanties  nécessaires  augmente- 
ront. » 

M.  (le  lielhmann-Hohveg  dont  le  jeu  diploma- 
tique consiste  naturellement  à  ne  démasquer 
que  progressivement  les  énormes  prétentions  de 
l'Allemagne,  afin  de  ne  montrer  que  le  plus  tard 
possible  aux  neutres  le  monstre  pangermaniste 
dans  toute  son  horreur,  ne  pouvait  alors  s'expri- 
mer plus  clairement.  Mais  à  peine  avait-il  fini  de 
parler  que  le  député  Spahn  fit  à  la  tribune  du 
Reichstag  un  commentaire  fort  précis  des  paroles 
du  chancelier  allemand. 

«  Nous  attendons,  dit  M.  Spahn,  l'heure  qui 
rendra  possible  les  négociations  de  paix,  sauve- 
gardant fiTz/ne/afo/i  joerma/i<?n/e  et  par  tous  les 
moyens,  ij  compris  les  acquisitions  territoriales 
nécessaires,  tous  les  intérêts  militaires  économi- 
ques et  politiques  de  l'Allemagne  dans  toute  .wîi 
étendue.  » 


50  LE    PLAN    l'ANGERMANISTE 

Le  tonnerre  d'applaudissements  qui  accueillit 
ces  paroles  prouve  qu'elles  avaient  l'assentiment 
de  l'écrasante  majorité  des  députés  allemands 
qui  croyaient  encore  à  cette  date  à  la  possibilité 
pour  l'Allemagne  de  réaliser  d'énormes  acquisi- 
tions. 


III 


La  préparation  du  plan  pangermaniste  a  né- 
cessité, depuis  plus  de  vingt  ans,  une  propagande 
formidable  dans  les  masses  allemandes  et  une 
organisation  mondiale.  Gomment  se  fait-il  que 
ce  plan  a  été  ignoré,  dans  sa  réalité  et  son  éten- 
due, à  la  fois  par  les  diplomaties  de  la  France, 
de  l'Angleterre  et  de  la  Russie?  Il  en  a  été 
cependant  bien  ainsi,  car  autrement  ces  trois 
puissances  n'auraient  pas  été  surprises  par  la 
guerre.  Il  y  a  là  un  fait  de  prime  abord  invrai- 
semblable dont  il  convient  de  donner  l'explica- 
tion. 

Les  agents  diplomatiques  des  Alliés  ne  sont 
certainement  pas  inférieurs  personnellement 
aux  agents  diplomati(jues  de  Guillaume  II  mais 
l'organisation  d'action  extérieure  totale  du  Kai- 
ser comporte  des  instruments  nouveaux  d  obser- 
vation et  d'influence  dont  le  gouvernement  de 
Berlin,  depuis  une  vingtaine  d'années,  a  flanqué 


LE    PLAN    PANGERMANISTK  51 

sa  «liplomatie  oflicielle  sans  que  ces  organes  nou- 
veaux aient  aucun  lien  apparent  acec  elle.  Or, 
dans  aucun  des  pays  aujourd'hui  alliés,  des  ins- 
truments d'ohservalion  cl  d'aclion  correspondant 
à  ('«'S  nouveaux  organes  j^errnaniques  n'ont  été 
créés.  Il  en  est  résulté  dans  les  moyens  d'action 
extérieure  de  l'Entente  une  infériorité  d'équipe- 
ment (|ui  était  considéiahle. 

é 


Le  plan  pan  germaniste  est  fondé  sur  la  con- 
naissance très  exacte  acquise  par  les  Allemand» 
au  prix  d'un  travail  intense  qui  dure  depuis 
vingt-cinq  ans,  de  tous  les  problèmes  politiques, 
etimographiiiues,  écononii(iues,  sociaux,  mili- 
taires et  navals,  non  seulement  de  l'Europe, 
mais  du  monde  entier.  Or,  ce  travail  formidable 
na  pas  été  fait  par  la  diplomatie  officielle  alle- 
mande. II  a  été  effectué  soit  par  des  adiiérents 
de  VAlldeutscher  Verhand  ou  Union  Pangernia- 
niste,  soit  par  des  agents  du  service  allemand 
secret,  lequel  a  reçu  un  développement  extraor- 
dinaire. Ce  sont  ces  divers  ag^ents,  rouages  inter- 
médiaires entre  les  espions  classiques  et  les 
diplomates  ofliciels,  —  le  baron  de  Schenk  qui  a 
opéré  à  Athènes  en  1915-1916  est  le  type  d'une' 
catégorie  de  ces  agents,  — qui  ont  étudié  métho- 


52  LE    PLAN    PANGKRMANISTE 


j 

diquement  tous  les  problèmes-bases  du  plan 
pangermaiiiste,  qui  ont  préparé  les  moyens  de 
fausser  l'opinion  des  neuties,  de  paralyser  la 
révolte  des  Slaves  de  TAutriche-Hongrie,  de 
corrompre  ceux  des  neutres  (personnes  ou  jour- 
naux) qui  pouvaient  l'être,  etc.  Les  rapports  de 
ces  multiples  agents,  une  fois  contrôlés  et  résu- 
més, ont  été  envoyés  à  la  fois  à  la  Wilhelm- 
strasse,  au  grand  état-major  allemand,  —  dont 
les  opérations  d'ensemble  sont  toujours  combinées 
de  façon  à  correspondre  aussi  bien  aux  nécessités 
politiques  qu'aux  nécessités  militaires,  —  et  au 
cabinet  de  Guillaume  II  dont  le  cerveau  a  ainsi 
pu  emmagasiner  tous  les  moyens  techniques  de 
préparer  et  de  réaliser  son  plan  de  domination. 

La  diplomatie  des  Alliés  était-elle  outillée  pour 
saisir  dans  son  ensemble  mondial  l'immense 
travail  de  préparation  pangermaniste  des  agents 
secrets  allemands?  Non.  On  va  voir  pour  quelles 
raisons. 

Tout  d'abord,  il  importe  de  rectifier  l'idée 
fausse  que  le  grand  public  se  fait  souvent  de  la 
diplomatie.  Il  s'imagine  volontiers  que  les  diplo- 
mates /o/i/ l'histoire  en  préparantde  mystérieuses 
et  savantes  combinaisons.  Or  l'expérience  des 
siècles  prouve  que,  le  plus  généralement,  les 
diplomates  enregistrent  seidement  PHistoire 
mais  ne  la  créent  pas.  Mon  maître  Albert  Sorel 


I.i;    l'LAN    i'ANGERMANISTE  5:< 

exprimait  celte  vérité  par  celle  jolie  formule  : 
«  Les  diplomates  sont  les  notaires  de  C Histoire  ». 
En  réalité,  la  diplomatie  d'un  pays  quelconque 
contribue  à />n^/>rtrf»/' et  à  faire  IHistoire  seule- 
ment (juaiul  le  destin  place  à  sa  tète  un  grand 
homme  aux  idées  puissantes  et  justes  qui  sait 
les  appliqueravec  touslesmoyensde  son  époque. 
Or,  c'est  un  lait  curieux  à  remarquer,  ce  grand 
homme  n'est  pour  ainsi  dire  jamais  de  la  carrière, 
avec  un  grand  C.  Par  exemple  Richelieu,  iNapo- 
léon,  Palmerston,  Disraeli,  Cavour,  Bismarck, 
qui  ont  préparé  et  créé  de  l'Histoire  n'étaient  pas 
des  diplomates  de  profession.  Malheureusement, 
il  n'apparaît  pas  que  la  Fortune  ail  doté  aucun 
des  pays  alliés,  avant  ou  depuis  la  guerre,  d'un 
cerveau  capable  de  mener  avec  une  compétence 
grandiose  la  diplomatie  de  l'Entente.  Celle-ci 
sesl  donc  trouvée,  avant  et  depuis  la  guerre, 
réduire  aux  services  de  ses  diplomates  en  tant 
que  fonctionnaires,  qui,  comme  tous  les  fonction- 
naires, attendent  les  instruclions  d'en  haut,  les- 
quelles fort  souvent  ne  viennent  pas. 

En  outre,  la  diplomatie  des  pays  alliés,  n'ayant 
pas  été  flanquée  comme  la  diplomatie  allemande 
d'organes  nouveaux  d'observation,  en  est  encore 
réduite  aux  moyens  d'information  de  jadis.  Ces 
moyens,  à  peine  dilférents  de  ceux  d'il  y  a  cent 
ans,  sont    tout  à  fait   insuffisants  pour  suivre, 


54  LE    PLAN    PANGERMANISTI': 

soit  ]a  formation  et  renchaînement  si  rapide  des 
idées  ou  des  événements  multiples  qui,  en  Europe 
centrale  et  dans  les  Balkans,  ont  été,  —  comme 
on  le  constatera,  —  les  causes  immédiates  de  la 
guerre,  soit  dans  l'organisation  pangermaniste 
qui,  précisément  parce  qu'elle  est  énorme,  est 
constituée  d'éléments  infiniment  divers  dont 
l'impoitance  d'ensemble  ne  se  dégage  que  lors- 
qu'on découvre  le  lien  qui  les  relie  entre  eux. 
Or  le  diplomate  officiel  classique  vit  dans  un 
monde  à  part.  Ses  renseignements  sont  surtout 
des  renseignements  de  chancellerie  ou  de  seconde 
main.  Ils  proviennent  très  rarement  d'une  obser- 
vation directe  des  populations  ou  des  faits.  Les 
secrétaires  d'ambassade  partagent  leur  temps 
entre  leur  travail  de  bureau  qui  consiste  pour  les 
9/10"  à  rédiger  et  à  copier  en  belle  écriture  et 
des  relations  mondaines  charmantes  mais  qui  ne 
sortent  pas  d'un  cercle  spécial  et  fermé.  Très 
peu  connaissent  la  langue  dupays  où  ils  résident  ; 
moins  encore  voyagent  dans  l'intérieur  pour 
l'étudier.  Or,  les  événements  qui  bouleversent 
l'Europe  procèdent,  en  réalité,  soit  de  l'hypertro- 
phie des  ambitions  allemandes,  qui  se  sont  tra- 
duites par  une  foule  de  manifestations  locales,  soit 
des  progrès  des  nationalités  en  Autriche-Hongrie 
et  dans  les  Balkans  qui  ont  donné  également  lieu 
à  de  multiples  faits  locaux.  Ces  faits  se  passent  le 


LE    PLAN    l'ANCKHM  AMSII  nii 

plus  souvent  loin  des  capitales  et  l'appréciation 
exacte  de  leur  importance  nécessite  une  obser- 
vation directe  et  sur  place  à  laquelle  précisé- 
njcnl  il  n'est  pas  conforme  aux  usagées  des  diplo- 
mates oflicii'Is  de  procéder.  Or,  les  «liplomates 
de  l'Etitenle  n'ont  pas  eu  à  leur  disposition  les 
agents  d'observation  (ju'il  eût  fallu,  pour  aller, 
par  exemple,  entendr»'  les  multiples  conférences 
de  propap:ande  panjj^ernjatjiste.  leur  procurer  et 
leur  traduire  les  brocliures  signilicatives  de 
\  Alldentscher  Ver  bond,  entrer  en  rapports  per- 
sonnels avec  ces  cbefs  de  partis  slaves  ou  latins 
d'Autricbe  Hongrie,  souvent  sans  action  parle- 
mentaire, plus  souvent  encore  sans  aucune  for- 
tune, sans  rang  dit  social,  qui  n'avaient  pour 
eux  que  leur  idéal  national,  leur  puissance  de 
conviction,  mais  qui  étaient  les  vraies  forces 
nouvelles,  car  ils  agissaient  surles  masses  popu- 
laires en  étroite  communion  d'idées  avec  elles. 
En  l'absence  de  cette  organisation,  qui  eût  été 
indispensable,  les  diplomates  de  l'Entente  en  ont 
été  réduits,  sur  bien  des  points,  aux  renseigne- 
ments superliciels  et  fort  incomplets  des  coupures 
de  journaux,  publiés  souvent  d'ailleurs  dans  des 
langues  qu'ils  ne  pouvaient  pas  lire.  Ces  cou- 
pures et  ces  renseignements  tout  à  fait  superli- 
ciels, insuflisanls,  sans  lien  entre  eux,  n'étaient 
donc  pas  de  nature  à  les  avertir  de  l'approche 


56  LE    PLAN    PANGERMANISTE  1 

d'un  grave  péril.  Il  faut  ajouter  que  dans  les 
diplomaties  de  tous  les  temps,  quand  elles  ne 
sont  pas  menées  par  un  homme  supérieur,  les  for- 
mules «  pas  d'affaires  »,  «  il  est  urgent  d'at- 
tendre »,  «  il  ne  faut  pas  croire  que  c'est  arrivé», 
ont  exercé  une  funeste  influence.  Il  en  résulte 
un  scepticisme  qui  généralement,  dans  les  milieux 
diplomatiques,  est  considéré  comme  nécessaire 
et  élégant.  Cet  état  d'esprit  se  combinant  avec 
l'absence  de  renseignements  multiples,  directs 
et  coordonnés  a  fait  que  quand,  avant  la  guerre, 
on  tentait  de  persuader  un  diplomate  officiel 
que  le  but  final  de  la  politique  de  Guillaume  II 
était  l'établissement  delà  domination  allemande 
sur  le  monde,  on  était  rapidement  classé  parmi 
les  esprits  systématiquement  soupçonneux  et 
chimériques. 

Il  faut  concevoir  enfin  que  le  système  qui 
consiste  à  changer  de  poste  un  diplomate  tous 
les  quatre  ou  cinq  ans,  en  l'envoyant  souvent 
aux  antipodes,  le  met  dans  l'impossibilité  d'ar- 
river à  avoir  une  vue  générale  précise  et  docu- 
mentée des  événements  en  formation  dans  une 
zone  territoriale  aussi  étendue,  aussi  complexe 
et  aussi  difficile  à  connaître  que  l'Europe  cen- 
trale et  les  Balkans. 

Ces  diverses  considérations  permettent  de 
comprendre    pourquoi   si,  dans    les    vingt-cinq 


LE    PLAN    PANGERMANISTE  :>T 

aniUH's  (|ui  préc»'Ml(>r(>nl  lii  i^ucrr»»,  certains  des 
diplomates  des  puissances  alliées  ont  bien  pu 
sif^naler  dans  leurs  rapports  une  action  locale 
pan«^ernianisle  qui  leur  paraissait  suspecte  et 
dij^ne  d'altenlion,  aucun  d  eux  n'a  été  à  même 
de  saisir  le  plan  pangermanisle  total  dans  sa 
rôaliic  et  dans  son  étendue.  Ces  Considérations 
expliquent  aussi,  en  partie,  les  échecs  de  la  di- 
ploinalie  de  l'Entente  dans  les  Balkans. 


En  résumé,  les  diplomates  officiels  alliés  ne 
sont  pas  personnellement  inférieurs  aux  diplo- 
mates officiels  allemands,  mais  ceux-ci  ont  eu 
cependant  sur  leurs  collègues  de  l'Entente 
l'énorme  supériorité  de  connaître  le  plan  général 
de  la  politique  beriinoise,de'savoir,  dans  chaque 
poste  qu'ils  occupaient,  dans  quelle  direction  il 
fallait  marcher,  ce  qu'il  fallait  obtenir  ou  empê- 
cher, pour  concourir  au  but  lînal.  Il  est  incon- 
testable, en  effet,  que  dans  les  vingt-cinq  der- 
nières années,  sous  l'inspiration  du  Kaiser,  la 
politique  extérieure  allemande  a  été  constructive 
d'un  plan  défini  alors  que  la  diplomatie  des  pays 
aujourd'hui  alliés,  reflétant  la  politique  de  leurs 
gouvernements  sans  plan  concret,  s'est  bornée, 


58  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

parce  qu'ils  croyaient  obstinément  à  la  paix,  à 
une  défensive  amorphe  et  stagnante. 

D'autre  part,  en  tant  qu  instrument  dobserca- 
tion,  la  diplomatie  des  alliés  réduite  aux  anciens 
procédés  a  été  une  simple  loupe  ne  permettant 
de  voir  que  les  faits  les  plus  o^ros.  Par  contre, 
rorr/anisation  d'action  extérieure  allemande,  en 
raison  des  organes  nouveaux,  officieux  et  secrets, 
dont  la  diplomatie  allemande  a  été  flanquée, 
comprenait  dans  son  outillage  de  puissants  mi- 
croscopes permettant  d'étudier  la  totalité  des 
faits,  même  des  infiniment  petits  qui  cependant 
ne  sont  pas  sans  importance. 

Enfin,  entant  qu'instrument  d'action^  la  diplo- 
matie des  Alliés,  employant  encore  seulement 
les  vieux  moyens  classiques,  a  été  comparable  à 
une  armée  n'ayant  que  de  l'artillerie  de  cam- 
pagne tandis  que  ï organisation  dinfltience  exté- 
rieure allemande  totale  était  l'équivalent  d'une 
armée  dotée  à  la  fois  d'artillerie  de  campagne 
et  d'artillerie  lourde. 


CHAPITRE  II 

LES  CAUSES  DE  LÀ  GUERRE 


I.  Pourquoi  le  traité  de  Bucarest  éleva  subitement 
un  formidable  obstacle  au  plan  pangerma- 
niste. 

Il  Comment  létat  intérieur  de  l'Autriche-Hongrie  a 
poussé  r Allemagne  à  déclancher  la  lutte 

III.  Vue  d'ensemble  des  causes  de  la  guerre. 

Si  le  phm  pangernianiste  constitue  incontesta- 
hloinent  la  cause  lointaine  et  principale  de  la 
uuerre,  celle  ci  a  été  déclancliée  par  Guil- 
laume II,  en  août  1914,  pour  des  causes  immé- 
diates et  secondaires  qu'il  faut  bien  connaître 
pour  avoir  une  vue  claire  des  événements. 


Jusqu'en  19H,  date  à  laquelle  parut  le  pro- 
o:ramme  d'annexions  de  Tannenberg-,  tous  les 
grands  événements  antérieurs  avaient  favorisé 
les  visées  de  Guillaume  II.  mais,  à  partir  de  1912, 


60  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

des  événements  nouveaux  vinrent  brusquement 
créer  des  obstacles  extrêmement  sérieux  et  tout 
à  fait  inattendus  à  la  réalisation  du  plan  panger- 
maniste.  En  1912,  l'Italie  conquit  la  Libye  aux 
dépens  de  la  Turquie,  malgré  la  volonté  de  Ber- 
lin. En  1912  encore,  la  Grèce,  le  Monténégro,  la 
Serbie  et  la  Bulgarie  s'unirent  contre  Fempire 
otioman,  encore  malgré  la  volonté  de  Berlin. 
Contrairement  aux  précisions  de  V état-major  du 
Kaiser,  les  Balkaniques  battirent  les  Turcs.  Ces 
derniers  étant  soutenus  par  l'Allemagne,  il  en 
résulta  pour  celle  ci  une  humiliation  profonde. 
Alors  pour  faire  obstacle  à  la  fondation  d'une 
confédération  balkanique  viable,  —  c'est-à-dire 
constituée  sur  le  principe  d'un  juste  équilibre, 
—  Vienne  et  surtout  Berlin  exploitèrent  les  ten- 
dances bien  connues  du  Tsar  Ferdinand  à  établir 
l'hégémonie  bulgare  sur  la  péninsule.  Les  inci- 
tations germaniques  déterminèrent  ainsi  les 
Bulgares  à  attaquer  le  17  juin  1913  leurs  alliés  : 
les  Serbes  et  les  Grecs.  Mais  les  cab'uls  du 
Kaiser  furent  encore  déjoués.  La  Roumanie, 
échappant,  pour  la  première  fois,  à  la  tutelle 
allemande,  intervint  contre  la  Bulgarie  aux 
prises  avec  ses  anciens  alliés  et  assura  sa  défaite. 
Or,  le  nouvel  état  de  choses  qui  résulta  du  traité 
de  Bucarest  du  10  août  1913  constitua  brusque- 
ment un  obstacle  formidable  à  la  réalisation  du 


LK    l'LA.N    PANCKRMAMSn.  til 

ji;iii^:tiiii;iiiis!li«»  vtM's  rOi'iciil .  Voici  |Ktur  (|u»'lles 
r.iisoi'.s. 

Le  IraiU'  do  Huraiesl  créa  dans  la  [K'ninsulr 
drux  groupes  d'IîlUils  bien  nellemenl  opposés. 
Le  premier  fut  formé  par  les  mécontents  et  les 
vaincus  des  {guerres  balkaniques  :  la  Bulgarie  et 
la  Turquie.  Le  second  s^roupe  fui  constitué  par 
les  bénéliciaires  et  les  satisfaits  :  la  Koumanie, 
la  Serbie,  le  Monténégro  et  la  Giëce.  Ces  quatre 
Ltats,  constatant  que  leurs  intérêts  vitaux  avaient 
été  rendus  étroitement  solidaires  par  les  acqui- 
sitions territoriales  qu'ils  venaient  de  réaliser 
aux  dépens  des  mêmes  adversaires  avaient,  en 
fait,  mis  en  comnmn  toutes  leurs  forces  pour 
assurer  le  maintien  du  traité  de  Bucarest  qu'ils 
considéraient  comme  inlanp:ible.  D'autre  part, 
celle  division  Irbs  nelle  des  Etats  balkaniques 
en  deux  j^roupes  aux  intérêts  radicalement 
opposés  réagissait  profondément  sur  la  politique 
générale  européenne.  Si  par  la  force  même  des 
événements,  la  Turquie  et  la  Bulgarie,  les  vain- 
cus de  1912  et  de  191 3  étaient  devenus  les  deux 
points  d'appui  du  germanisme  dans  les  Bal- 
kans, par  conUe  la  Roumanie,  aussi  bien  que  la 
Serbie,  le  Monténégro  et  la  Grèce,  en  raison 
des  acquisitions  qu'ils  venaient  de  réaliser, 
contrairement  aux  eues  de  Berlin  et-  aux  dépens 
de   la   Turquie   déjà   liée  à  P Allemagne,    incli- 

4 


62  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

naient  de  plus  en  plus  vers  la  Triple-Entent( 


LA  BARRIERE  ANTIGER^ANIQUE 

DANS  LES  BALKANS 

APRÈS  LE  TRAITÉ  DE  BUCAREST 

(10  Aoùll913) 


Celle-ci   qui,  avant  les  guerres  balkaniques, 
avait  dans  la  péninsule  une  influence  extrême- 


I.K    l'I.V.N    PANUEBMAMSIK  "< 

ment  inlV'ri«'ure  à  celle  dv  l'AlltMiiagne,  ajiri's  le 
traité  «lo  Bucarest,  pouvait  s'a|)|iuyersurU'fi;roupe 
lies  Etals  de  la  péninsule  de  beaucoup  le  plus 
puissamment  organisé  et  ce  f/roupe  constituait, 
ainsi  que  la  carte  ci-contre  permet  de  s'en  con- 
raincre,  une  harrif're  tr^s  solide  n  la  réalisation 
du  plan  pangernianisle  vers  l'Orient. 

Ce  nouvel  état  de  choses  détermina  à  Berlin 
une  colère  qui  pour  ôtre  contenue  n'en  fut  pas 
moins  intense.  Elle  l'était  dautant  plus  que  le 
groupe  sur  lequel  pouvait  encore  s'exercer  l'in- 
lluence  allemande,  c'est-à-dire  la  Turquie  et  la 
Bulgarie,  devait  rester  très  longtemps  prati- 
(juement  impuissant  à  rien  tenter  par  lui-même 
contre  le  groupe  à  tendances  triple-ententistes  : 
Roumanie,  Serbie,  Monténégro,  Grèce. 

En  effet,  la  Turquie  qui  avait  perdu  presque 
tout  son  matériel  de  guerre  dans  ses  défaites, 
encore  au  début  de  1914,  pouvait  difficilement 
armer  250.000  hommes.  Ses  difficultés  finan- 
cières considérables  ne  permettaient  pas  de  pré- 
voir que,  liv?'('e  à  ses  seuls  moyens,  elle  pût, 
avant  de  longues  années,  refaire  son  appareil 
militaire  sur  des  bases  vraiment  importantes.  11 
en  était  de  même  au  point  de  vue  financier  pour 
la  Bulgarie.  De  plus,  l'action  de  celle-ci  eût  été 
singulièrement  périlleuse  pour  elle.  En  effet,  les 
bénéficiaires   du  traité  de   Bucarest   :  la   Rou- 


6i  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

manie,  la  Serbie,  la  Grèce,  l'entourant  de  trois 
côtés  (Voir  les  flëclies  de  la  carte),  pouvaient 
effectuer  contre  Sofia  une  attaque  concentrique. 
Enfin,  la  disproportion  des  liommes  mobili- 
sables ou  suscpptibles  d'ère  armés,  entre  les  deux 
groupements  balkaniques,  était  énorme. 

Groupe  germanophile.  Groupe  enlentistc. 

Turquie  .    .     250.000      (Irèce  ....  400.000 

Bulgarie.    .     550.000       Serbie.    .    .    .  400. (lOO 

Monténégro   .  50.000 

Roumanie.     .  600.000 


800.000  1.450.000 

Ces  chiffres  dont  l'effet  se  combinait  avec  la 
situation  géographique,  établissent  clairement 
que,  ri'duit  à  ses  seules  forces,  le  groupe  germa- 
nophile ne  pouvait  rien  tenter  contre  le  groupe 
ententiste. 

Le  nouvel  équilibre  des  forces  militaires  dans 
les  Balkans  résultant  du  traité  de  Bucarest 
réduisait  donc  à  peu  près  à  néant  la  puissance 
d'intrigue  de  l'Allemagne  dans  la  péninsule. 

Si  la  paix  eût  duré  seulement  quelques 
années,  la  nouvelle  situation  balkanique  se  fût 
cristallisée  et  renforcée  ;  l'obstacle  aux  ambi- 
tions pangermanistes  vers  l'Orient  qui  en  résul- 
tait fût  ainsi  devenu  plus  puissant  encore.  C'est 
pour  ces  diverses  raisons  qu'à  Berlin  on  décida 
d'intervenir  directement.  La  Serbie  était  incon- 


I.K    l'I.AN    PANGERMANISTK  t>5 

testahlemoU  le  pivot  du  nourri  tu/idliltrc  balka- 
nique. On  rtsolut  donc  de  la  détruire  sans  délai 
rn  déchaînant  en  même  temps  la  conflagration 
européenne  afin  de  réaliser  du  tn^me  coup  le  plan 
de   19  n 

Le  traité  de  Bucarest  est  du  10  août  l'JlIi.  Or, 
••'est  le  G  novembre  1913,  pendant  le  séjour  du 
['oi  Albert  de  Belgique  à  Potsdain  que  le  Kaiser 
annonça  à  ce  dernier  que  la  guerre  avec  la 
France  était  à  ses  yeux  «  inévitable  et  pro- 
cbaine  ».  (V.  Baron  Beyens,  L'Allemagne  avant 
la  guerre,  p.  24.) 


Il  résulte  de  cet  ensemble  que  si  le  traité  de 
Bucarest,  par  ses  conséquences,  était  désastreux 
pour  les  visées  pangermanistes,  par  contre,  il 
était  extraordinairement  avantageux  pour  les 
puissances  de  la  Triple-Entente,  puisqu'il  avait 
rangé  de  leur  côté  l'immense  majorité  des  forces 
balkaniques.  Malheuieusement,  la  diplomatie 
de  l'Entente,  —  en  raison  de  ses  méthodes  d'ob- 
servation surannées  qui  empêchèrent  ses  agents 
de  croire  au  plan  pangermaniste  et  leur  interdi- 
saient de  posséder  des  vues  générales  précises 
sur  les  problèmes  multiples  qui  s'enchevêtrent 
sur  une  zone  territoriale  très  étendue,  —  n'eut 


6(i  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

même  pas  la  notion  de  celte  situation  qui  lui 
était  si  favorable.  En  eiïet,  alors  qu'une  des 
causes  immédiates  de  la  guerre  a  été  la  volonté 
de  l'Allemagne  de  détruire  le  traité  de  Bucarest 
parce^  que  ses  conséquences  ruinaient  le  plan 
pangermaniste  vers  l'Orient,  les  puissances  de 
la  Triple  Entente,  une  fois  en  guerre  avec  l'Alle- 
magne, déployèrent  pendant  dix  mois  les  plus 
grands  efforts  pour  détruire  également  les  con- 
séquences du  traité  de  Bucarest.  Tel  fut,  en 
effet,  le  résultat  de  leur  désir  candide  de  satis- 
faire à  tout  prix  la  Bulgarie.  Cette  tentative 
inspirée  par  la  noble  pensée  d'épargner  aux 
Balkans  les  horreurs  de  la  guerre,  était  théori- 
quement juste  mais  pratiquement  irréalisable  en 
raison  de  l'âpre  haine  des  Bulgares  pour  leurs 
vainqueurs  de  1913  et  surtout  pour  les  Serbes. 
Ce  qui  est  sûr  c'est  qu'évidemment  sans  s'en 
douter,  la  diplomatie  des  Alliés  a  pratiijué  dans 
les  Balkans,  pendant  la  première  année  de 
guerre,  exactement  la  politique  qu'on  pouvait 
souhaiter  à  Berlin. 


Il 


Les  conséquences  du  traité  de  Bucarest  ne 
furent  pas  désastreuses  pour  les  ambitions  pan- 
germanistes  seulement  dans  la  péninsule  balka- 


I,F.    PLAN    PANGERMANISTK  67 

nique,  rlles  accentuèrent  encore  coimidérable- 
nient,  à  ie.rtrhnv  fureur  de  Guiliaumc  IL  dévo- 
lution politique  intérieure  de  t Autriche-Hongrie 
(/ui,  depuis  plusieurs  années  déjà,  menaçait  à 
l'Ile  seule  de  compromettre  tous  ses  plans. 

Malheureusement,  les  i«lées  sur  l'Autriche- 
Hi)ngrie  qui  régnaient  en  France,  —  et  surtout 
rn  Angleterre,  —  ont  été  longtemps  trop  impré- 
cises pour  que  l'opinion  publique  de  ces  pays 
ail  pu  comprendre  dbs  le  début  de  la  lutte  l'im- 
portance exceptionnelle  pour  la  guerre  et  pour 
la  future  paix^  des  populations  vivant  dans  la 
monarchie  des  Habsbourg  dont  rimmen>ie  majo- 
rité fait  les  vœux  les  plus  ardents  pour  la  victoire 
intégrale  de  l'Entente,  car  elles  ne  se  battent 
contre  les  Alliés  que  contraintes  par  la  force  et 
l'Ilcs  attendent  de  leur  victoire  leur  propre  libê- 
iiition  d'un  joug  séculaire  qui  leur  est  odieux. 

Il  importe  donc  au  plus  haut  point  de 
répandre  dans  la  grande  opinion  publique  des 
pays  alliés  des  notions  exactes  sur  les  réalités 
ethnographiques  de  l'Autriche-Hongrie.  On 
comprendra  alors  clairement  à  la  fois,  de  quelle 
trahison  abominable  François-Joseph  s'est 
rendu  coupable  envers  ses  peuples  et  comment 
les  tendances  de  plus  en  plus  nettes,  avant  la 
ijuerre,  de  la  majorité  des  populations  de  l'Au- 
triche-Hongrie,   à    un   rapprochement   vers    la 


68  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

France  et  l'Angleterre,  tout  autant  que  vers  la 


Russie,  a  constitué  pour  Guillaume  II  une  rai- 
son capitale  s'ajoutant  aux  autres  de  faire  la 
guerre  sans  plus  attendre. 


LE    PLAN     l'ANdKIlM  Wh 


oy 


Los  neuf  nationalités  dillV-rontes  qui  vivoni 
'l;ms  la  Monarchie  des  Habsbourg  se  répar- 
lissont  entre  quatre  races  : 


Germains. 

Magyars 

Allemands. 

12.000.000 

.MajJTvars  .    .    . 

(race      spéciale 
d  origine  asia- 
tique.) 

10.000.000 

Latins. 

Slaves. 

Italiens  .    . 

1.060.000 

Tchèques       et 

Roumains  . 

3.000.000 

Slovaques  . 
Polonais.    .    . 

8.S00.000 
5  000.000 

Rulhènes.   .    . 

3.500.000 

Slovènes.    .    . 
Serbo-Croates. 

1.000  000 
6  000  000 

4.000.000 

24.000.000 

Au  point  de  vue  politique,  les  Allemands  et  les 
Magyars,  soit  au  total  22  millions,  s'entendent, 
depuis  1867,  pour  exercer  et  maintenir  Thég-émo- 
nie  à  leur  profit  sur  les  Slaves  et  les  Latins, 
^'icn  que  ceux-ci  comlituent  la  majorité  des 
sujets  de  la  Monarchie  ptiisquils  forynent  un 
groupe  de  ^28  millions  d  habitants. 

Or  il  faut  noter,  —  et  ceci  est  capital  à  retenir, 
—  que  les  chiirres  que  je  cite  sont  des  chilfres  faux 
parce  que  ce  sont  ceux  des  statistiques  officielles 


LE    PL\N    l'ANGERMANlSTE 


établies  à  Vienne  et  à  Budapest  par  des  fonc- 
tionnaires allemands  et  magyars  qui  ont  l'ordre, 
en  employant  divers  procédés  de  truquage,  de 
fausser  systématiquement  la  vérité  statistique  au 
profit  de  leurs  races  afin  de  contribuer,  par  cet 
artifice,  à  maintenir  le  plus  longtemps  possible 
l'hégémonie  exercée  par  celles-ci.  En  réalité,  il 
y  a  en  Autriche-Hongrie  beaucoup  moins  de 
'24  millions  d' Allemands  et  de  Magyars  et  beau- 
coup plus  de  SS  millions  de  Slaves  et  de  Latins. 
Ce  qui  est  certain  encore  c'est  que  Slaves  et 
Latins  sont  opprimés  en  Autriche-Hongrie 
depuis  des  siècles  de  la  façon  la  plus  abomi- 
nable par  une  noblesse  féodale  qui  détient 
d'énormes  propriétés  foncières  et  qui  exerce 
dans  l'empire  des  Habsbourg,  au  détriment  des 
masses  démocratiques,  une  influence  sociale 
aussi  néfaste  que  les  Junkers  en  Prusse. 

Tous  ces  Slaves  et  ces  Latins,  —  sauf  la 
noblesse  polonaise  de  Galicie  et  un  petit  groupe 
de  Ruthènes  qui,  depuis  1867,  ont  lié  partie  avec 
les  Allemands,  —  font,  surtout  depuis  trente 
ans,  les  efforts  les  plus  tenaces  pour  obtenir, 
conformément  à  la  justice  moderne,  des  droits 
politiques  proportionnels  à  leur  nombre  et  con- 
quérir ainsi  dans  la  Monarchie  la  majorité  de 
droit  qu'ils  possèdent  en  tant  que  chair  vivante 
taillable   et  corvéable  à  merci.    Ces  tendances 


I.K    PLAN    l'ANt.KÉtMAMSTE  71 

alarment  (Irpuis  long^leinps,  au  plus  haut  point, 
(iuillaume  II  et  ses  panpfermanistes.  On  le  con- 
çoit aisémonl,  car  si  la  puissance  j)oIitique,  dans 
la  Monarchie  des  Hahshourg,  était  passée,  con- 
foiinénient  au  droit,  aux  Slaves  et  aux  Latins 
ifui  détestent  le  priissianisme,  c'en  était  fait  par 
Jà  même  du  projet  du  Kaiser  d'absorption  écono- 
mique de  l'Autriche-Hongrie,  laquelle  est  indis- 
pensahleà  Guillaume  II  pour  lui  permettre  de  réa- 
liser ses  plans  inadmissibles  d influence  allemande 
exclusive  sur  les  Balkans  et  sur  C Orient.  Le  jeu 
de  Guillaume  II  a  donc  consisté,  surtout  depuis 
181)0,  à  dire  en  substance  à  François-Joseph  et 
aux  Magyars  :  «  Surtout  ne  cédez  pas  aux  récla- 
mations de  vos  sujets  slaves  et  latins.  Maintenez 
absolument  l'hégémonie  germano-magyare.  Je 
vous  soutiendrai  de  toute  ma  puissance  dans  votre 
lutte  contre  les  éléments  slavo-latins  ».  Cette 
tactique  du  Kaiser  a  longtemps  réussi  mais  peu 
d'années  avant  la  guerre,  elle  était,  malgré  tous 
ses  efforts,  sur  le  point  de  faire  faillite. 

En  raison  de  l'effet  combiné  de  la  culture 
croissante  des  Slaves  et  des  Latins  réalisée  mal- 
gré les  entraves  germano-magyares  les  plus 
cyniquement  ingénieuses,  de  leurs  organisations 
nationales  progressives,  de  leur  prolificilé  supé- 
rieure à  celle  des  Allemands  et  des  Magyars, 
François-Joseph    et   ses    acolytes    de    Budapest 


72  LE    PLAN    PANGKRMANISTE 

avaient  de  plus  en  plus  de  peine  à  résister  aux 
réclamations  croissantes  de  leurs  sujets  slaves 
et  latins.  A  Berlin,  on  était  déjà  fort  inquiet  de 
cette  situation  quand  l'influence  psychologique 
profonde  qu'exercèrent  les  conséquences  du 
traité  de  Bucai-est  sur  les  Slaves  et  les  Latins 
d'Autriche-Hongrie  vint  tout  à  coup  aggraver 
considérablement  cet  état  de  choses,  au  point  de 
vue  des  projets  pangermanistes. 

En  effet,  la  presque  totalité  dos  28  millions  de 
Slaves  et  de  Latins,  sujets  des  Habsbourg, 
avaient  été  enthousiasmés,  au  plus  haut  degré, 
par  les  victoires  des  Slaves  des  Balkans  en  1912, 
et  parles  succès  de  la  Roumanie  en  1913  car  ils 
ooyaient  surtout  dans  ces  événements  le  triomphe 
du  principe  des  nationalités,  cesi-à-dire  de  leur 
propre  cause.  Il  en  résulta  que  les  Slaves  et  les 
Latins,  sujets  de  François-Joseph,  se  sentirent 
plus  que  jamais  décidés  à  tout  faire  pour  obte- 
nir de  Vienne  et  de  Budapest  ces  droits  poli- 
tiques proportionnels  à  leur  nombre,  que  les 
Germano-Magyars  leur  refusaient  encore  mais 
avec  une  énergie  décroissante  depuis  quelques 
années  déjà. 

Si  la  paix  eiU  duré,  If'S  réactions  du  traité  de 
Bucarest  sur  lAutriche-Hongi'ie  auraient  eu  pour 
effet  de  rendre  irrésistible  la  poussée  des  reven- 
dications des  sujets  slaves  et  latins  de  François- 


I.E    PLAN    PANtJKUMA.MSTK 


JiisCfi/t.  D'aulie  pari,  la  Hoiirnani»',  «MillKmM.i.Miifc 
par  son  acquisition  en  l'.MH  de  la  l)ol)r()U(lja  bul- 
gare, pensait  de  |)lus  en  plus  à  obtenir,  aux 
dépens  de  la  Hongrie,  la  Transylvarue  qu'elle 
comptait  bien  recueillir  comnne  un  fruit  mûr  au 
moment  «l'une  transformation  profonde  de  l'em- 
pire des  Habsbourg  (jue  tout  indiquait  comme 
devant  ôtre  relativement  procbaine.  Donc,  si  le 
nouvel  état  de  choses  balknnitftœ  résultant  du 
•pacte  de  Bucarest  avait  pu  produire  toutes  ses 
coiisf'tjuences,  l'influence  du  germanisme  ei\t 
infailliblement  périclité  dans  l'empire  des  Habs- 
bourg tout  autant  qu'il  venait  d'en  advenir  dans 
les  Balkans. 

En  eiTet,  sous  la  pression  croissante  de  ses 
éléments  slaves  et  latins,  sinon  la  dislocation, 
tout  au  moins  l'évolution  de  l'Autricbe-Hongrie 
vers  le  fédéralisme  se  serait  imposée.  Le  fédéra- 
lisme n'eût  pas  mis  en  cause  les  frontières  de 
Tempire  des  Habsbourg,  mais  il  eût  incontesta- 
blement et  nécessairement  donné  la  prépondé- 
rance politique  aux  éléments  slaves  et  latins  les 
plus  nombreux  et  les  plus  prolifiques.  Or,  ces 
éléments  étaient  et  sont  dans  leur  énorme  majo- 
rité résolument  hostiles  à  toute  alliance  avec 
V Allemagne .  Ainsi  progressivement,  l'empire 
des  Habsbourg  évoluant  fût  devenu  de  plus  en 
plus  indépendant  de  Berlin  au  point  de  vîie  de 

5 


74  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

.s«  politique  extérieure.  Un  rapprochement  de 
l'empire  des  Habsbourg  avec  la  Russie,  la  France 
et  l'Angleterre,  eût  été  la  conséquence  certaine 
du  relâchement  progressif  des  liens  avec  Berlin. 
Ainsi  TAllemagne  se  fût  trouvée  privée  de  l'ap- 
pui artificiel  que,  depuis  Sadowa,  elle  trouve  à 
Vienne  et  à  Budapest  grâce  à  l'hégémonie  ger- 
mano-magyare. Donc  finalement  et  pacifique- 
ment, Guillaume  II  eût  eu  affaire  à  un  état  de 
choses  qui  eût  créé  en  Autriche-Hongrie  à  ses  plans 
d'extension  pangermaniste  vers  l'Orient,  une  bar- 
rière encore  plus  formidable  que  celle  qui  venait 
de  surgir  en  1913  dans  les  Balkans  comme  consé- 
quence du  traité  de  Bucarest. 

Si  l'on  tient  compte  du  puissant  enchaîne- 
ment des  répercussions  extraordinairement 
importantes  qui  devaient  nécessairement  résul- 
ter du  nouvel  état  de  choses  établi  à  Bucarest 
par  sa  réaction  fatale  sur  les  28  millions  de 
Slaves  et  de  Latins  d'Autriche-Hongrie,  on  con- 
çoit alors  que  si  la  paix  européenne  eût  duré, 
les  chances  de  réalisation  du  plan  pangermaniste 
eussent  été  entièrement  ruinées  à  la  fois  en  Tur- 
quie, dans  les  Balkans  et  en  Autriche-Hongrie, 
c'est-à-dire  dans  les  trois  zones  territoriales  de 
réalisation  du  plan  paiigermaniste  qui,  comme 
on  le  vérifiera  au  chapitre  HI,  constituent  et  de 
beaucoup  la  partie  principale  du  plan  de  19H. 


LK    l'I.AN    PANGKRMANISTE  75 

On  conshilc  ainsi  comment  révolution  int«'- 
riruro  do  rAutricho-Honp^rio  ,s7/r /e  ;;om/,  comme 
conséquence  du  traité  de  Bucarest,  d'échapper 
pour  toujours  à  Vinflupricc  de  Berlin^  —  ce  qui 
eût  brisé  le  pivot  de  toutes  les  combinaisons  pan- 
germanistes,  —  a  décidé  (luillaume  II  à  la 
guerre  immédiate. 


III 


Les  Alliés  demanderont  à  l'Allemagne,  con- 
formément aux  principes  généraux  du  droit, 
compte  de  ses  crimes  inouïs  et  réparation  inté- 
grale des  préjudices  moraux  et  matériels 
énormes  qu'elle  a  déterminés.  Il  est  donc  néces- 
saire que  les  causes  de  la  guerre  soient  dégagées 
par  une  vue  d'ensemble  afin  qu'aux  yeux  de 
l'univers  civilisé  il  soit  nettement  établi  que 
c'est  bien  légitimement  que  l'Allemagne  paiera 
le  prix  d'une  responsabilité  qui,  en  toute  justice, 
doit  peser  sur  elle  seule.  Pour  comprendre  la 
nécessité  pratique  de  cette  vue  d'ensemble  à 
dégager  pour  l'opinion  neutre,  il  faut  considérer 
que  toutes  les  discussions  qui  ont  eu  lieu  jus- 
qu'à présent  sur  les  causes  de  la  guerre  ont  eu 
pour  base  seulement  les  documents  diploma- 
tiques publiés  par  les  divers  belligérants  et  que 
ces  documents  ne   se  référaient  qu'à  des  faits 


7b  LE    PLAN    PANGERMAMSTE 

ayant  précédé  le  conflit  seulement  de  quelques 
semaines.  Or,  en  discutant  sur  les  textes  mul- 
tiples, sur  des  dates  nombreuses  et  rapprochées, 
faciles  à  confondre,  rien  n'est  plus  aisé  à  des 
argumentateurs  subtiles,  intéressés  et  de  mau- 
vaise foi  comme  les  Allemands,  d'interpréter  les 
mêmes  faits  dans  des  sens  divers  et  d'arriver 
ainsi  à  des  conclusions  diamétralement  opposées 
à  la  vérité.  C'est  ce  qui  s'est  produit. 


Grâce  à  son  intense  «  mobilisation  intellec- 
tuelle »,  qui  a  été  aussi  puissamment  prévue  cl 
réalisée  que  sa  mobilisation  militaire,  l'Alle- 
magne a  pu,  par  des  interprétations  fallacieuses 
des  documents  diplomatiques,  égarer  profondé- 
ment l'opinion  de  beaucoup  de  neutres,  même 
de  bonne  foi,  sur  les  vrais  responsables  de  la 
guerre.  Rien  ne  saurait  donner  mieux  idée  des 
résultats  indiscutables  obtenus  par  l'Allemagne 
à  cet  égard  que  ces  lignes  du  colonel  suisse 
Gortsch  publiées  dans  V  Intelligenzblatt  de 
Berne  : 

«  Les  événements  de  la  fin  de  juillet  ont  con- 
vaincu tout  bomme  de  bon  sens  que  l'Alle- 
magne a  été  provoquée  à  la  guerre  et  que  l'em- 


l.K     i'I.A.N     l'A.NuKU.M.V.MMK 

IMTciir  Guillaume  II  a  larj^^einent  attendu  avant 
(le  ivlovcr  la  provocation. 

«  La  fault;  principale  de  la  guerre  et  sa  respon- 
sabilité intellecluelle  seront  imputées  par  i'iiis- 
toire  à  l'Angleterre  ;  la  Russie  et  la  France  seront 
(lualifiées  de  complices  ..  C'est  la  politique 
anglaise,  ouvertement  et égoïstement  dépourvue 
de  scrupules,  qui  est  la  cause  de  la  guerre  mon- 
diale. »  (Cité  par  L'Ëc/io  df  Paris,  lî janvier  191G.) 

C'est  là  exactement  la  thèse  que  M.  de  Beth- 
inann-Holweg  a  voulu  accréditer  chez  les  neutres. 
Elle  est  absurde  pour  tous  ceux  qui  ont  vraiment 
bien  connu  rAnglcterre  dans  les  dernières  années 
qui  précédèrent  la  lutte.  Pendant  cette  période, 
les  dirigeants  de  la  Grande-Bretagne  ont  été  uni- 
quement guidés  par  cette  idée,  séduisante  mais 
entièrement  inexacte,  que  puisqu'ils  voulaient  la 
paix  ils  n'auraient  pas  la  guerre.  Toute  la  poli- 
ti(}ue  extérieure  de  la  Grande-Bretagne  a  été 
inspirée  de  cette  conception.  C'est  elle  qui 
explique  l'attitude  d'extrême  conciliation  du  ca- 
binet de  Londres  envers  l'Allemagne  au  moment 
de  l'annexion  de  la  Bosnie  et  de  l'Herzégovine 
(1909),  pendant  les  guerres  balkaniques  (19i2- 
1913)  et  à  propos  du  chemin  de  fer  de  Bagdad 
qui  cependant,  d'une  façon  manifeste,  menaçait 
la  route  des  Indes.  Le  cabinet  libéral  de  Londres 
reflétait  d'ailleurs  l'opinion  britannique   domi- 


78  LE    PLAN    PANGERMANISÏE 

nante  qui  croyait  absolument  aux  assurances  de 
lord  Haldane.  Celui-ci  passait,  bien  à  tort  d'ail- 
leurs, pour  un  parfait  connaisseur  de  l'Allemagne 
et  dans  un  discours  à  Tranent  il  affirmait  à  ses 
compatriotes  :  «  L'Allemagne  n'a  pas  la  moindre 
pensée  de  nous  envaliir  ».  (Cité  par  le  Morning 
Posi,  16  décembre  1915.) 

Jusqu'à  la  déclaration  de  guerre,  Sir  Edward 
Grey,  inclinant  toujours  à  croire  à  la  justesse  du 
jugement  de  son  ami  lord  Haldane,  a  préconisé 
toutes  les  combinaisons  imaiginables  qui  eussent 
permis  de  maintenir  la  paix  si  Guillaume  II  l'avait 
vraiment  voulue.  Enfin  l'impréparation  totale  de 
l'Angleterre  à  une  guerre  continentale,  qui  a 
été  évidente  dès  le  début  du  conflit,  ne  consti- 
tue-t-elle  pas  la  meilleure  preuve  de  ses  intentions 
sincèrement  pacifiques  avant  la  guerre? 


1 


D'autres  neutres,  —  et  même  quelques  Fran- 
çais, —  s'imaginent  encore  que  la  lutte  est  une 
résultante  de  la  politique  générale  dite  de  M.  Del- 
cassé.  «  A  maintes  reprises,  disent-ils,  l'empe- 
reur Guillaume  a  cherché  à  se  rapprocher  de  la 
France.  Si  on  avait  répondu  à  ses  avances,  la 
guerre  eût  été  évitée.  »  Il  est  incontestable  qu'à 
certains  moments  Guillaume  II  a  cherché  à  atti- 


Lb:    l'I.AN     i'\N(.l':UMAMSii:  .'.• 

rer  la  Fiiiiice  dans  aon  orbite,  mais  c\''tait  prê- 
li sèment  afin  de  mieux  assurer  la  réalisation 
du  plan  pangermaniste  qui  a  constitué  la  préoc- 
cupation dominante  du  Kaiser  presque  dès  son 
avènement.  Les  événements  militaires  actuels 
prouvent  clairement  que  si  la  France  s'était 
laissée  prendre  aux  sourires  du  t«'nlaleur  d«' 
Berlin,  toute  coalition  efficace  dés  g;randes  puis- 
sances contre  TAllemap^ne  serait  ensuite  devenue 
impossible.  Quant  à  la  Franc*,  si  elle  avait  cru 
à  Guillaume  II,  elle  n'aurait  pas  eu  la  guerre 
puisque  celle-ci  aurait  été  inutile  au  point  de  vue 
allemand.  En  effet,  sans  lutte,  la  France  eût  été 
réduite  praticjuement  à  un  état  d'esclavage  absolu 
qui,  dans  l'bistoire,  n'ajamais  été  réalisé  qu'à  la 
suite  d'une  guerre  totalement  désastreuse.  Les 
faits  acquis  permettent  de  se  rendre  compte, 
avec  la  plus  complète  évidence,  que  tel  aurait 
bien  été  l'aboutissement  d'un  «  rapprochement  » 
entre  la  F'rance  et  l'Allemagne.  On  sait  mainte- 
nant à  quel  point  les  Allemands  avaient  déjà 
pénétré  la  plupart  des  organismes  économiques 
fiançais.  Si  le  gouvernement  de  Paris  avait  com- 
posé avec  Berlin,  rien  n'aurait  plus  pu  arrêter 
la  pénétration  pacifique  totale  de  la  France  par 
TAllemagne.  Peu  à  peu,  la  France  aurait  ainsi 
complètement  cessé  d'être  maîtresse  chez  elle. 
Au  bout  de  quelques  années,  elle  se  fut  trouvée 


80  LE    PLAN    PANGEUMANISTE 

dans  la  situation  qui  est  actuellement  celle  de 
rAutriche-Hongrie  qui,  pour  l'heure,  est  dans 
l'impossibilité  d'échapper  à  l'étreinte  prussienne 
par  ses  propices  tnoyeas.  Enfin,  peut-on  croin' 
un  instant  que  si  la  France  avait  pratiqué  cette 
politique  de  rapprochement  avec  Berlin,  Guil- 
laume II  aurait  pour  cela  renoncé  à  ses  rêves 
de  domination?  Bien  au  contraire,  sa  main- 
mise aisée  sur  la  France,  en  pleine  paix,  n'au- 
rait fait  qu'aiguiser  ses  appétits  héréditaires  de 
HohenzoUern  et  la  France,  -^  qui  depuis  la  guerre 
est  le  pivot  de  la  résistance  européenne  à  la  do- 
mination prussienne,  —  une  fois  mise  hors  de 
cause,  par  l'effet  de  son  investissement  effectué 
par  les  Allemands  en  pleine  paix,  la  réalisation 
du  reste  du  plan  pangermaniste  aux  dépens  de 
la  Russie  et  de  l'Angleterre  aurait  pu  avoir  lieu 
sans  rencontrer  aucun  obstacle  irréductible. 

Ce  n'est  donc  pas  le  principe  de  la  politique, 
dite  de  M.  Delcassé,  qui  est  la  cause  de  la  guerre. 
M.  Delcassé  aura  bien  assez  de  comptes  à  rendre 
sur  Vapplication  de  sa  politique  acant  et  pen- 
dant la  lutte  sans  qu'on  lui  reproche  une  orien 
tation  générale  qui  manifestement  était  théori- 
quement bonne. 

En  maintenant  l'alliance  avec  la  Russie,  en 
opérant  la  détente  avec  l'Italie,  en  réalisant 
l'Entente  cordiale,  M.  Delcassé  a  pratiqué  une 


Uv     IM.AN     i'.\.N(.KUM\.Nisri 


[)oliti(|ue  juste  quant  aux  principes.  Les  événo- 
monts  actuels  le  prouvent  avec  éclat. 


Lu  fausseté  de  rarj^^uinenlatioii  alleiuanile 
ayant  été  rappelée,  dégageons  maintenant  pour 
les  neutres  de  bonne  foi  la  vue  d'ensemble  des 
vraies  causes  de  la  guerre  et  établissons  quel  a 
et»'  leur  enchaînement.  Distinguons  :  la  cause 
profonde  et  les  causes  immédiates  du  conflit. 

La  guerre  a  une  cause  profonde  lointaine  uni- 
que :  la  volonté  de  Guillaume  II  de  réaliser  le 
plan  pangermaniste .  Toutes  les  causes  secon- 
daires de  la  guerre,  c'est-à-dire  les  causes  écono- 
miques, procèdent  de  celle-là.  En  effet,  la  réa- 
lisation du  plan  pangermaniste  a  précisément,  en 
partie,  pour  objet  de  mettre  fin  aux  difficultés 
énormes  que  l'Allemagne  s'est  elle-même  créées 
en  hypertrophiant  son  industrie  et  en  rompant 
ainsi  ie  juste  équilibre  qui  existait  jadis  chez 
elle  entre  la  production  agricole  et  la  production 
industrielle.  La  réalité  de  cette  cause  profonde 
unique  de  la  guerre  est  démontrée  par  : 

1°  La  préparation  intellectuelle,  dans  tous  les 
domaines,  du  plan  pangermaniste  depuis  vingt- 
cinq  ans 

2°  Des  aveux  formels  très  ^anciens  du  genre 


82  LE    PLAN    PANGERMANISTR 

de  celui-ci.  En  1898,  le  contre-amiral  allemand 
von  Gœtzen,  ami  intime  du  Kaiser,  se  trouvant 
k  Manille,  tout  en  déclarant  qu'on  ne  le  croirait 
sûrement  pas,  dit  à  l'amiral  américain  Dewey 
qui  venait  de  détruire  devant  Manille  la  flollc 
espagnole  : 

«  Dans  environ  quinze  ans,  mon  pays  commen- 
cera sa  grande  guerre.  En  deux  mois  nous  serons 
à  Paris.  Mais  ce  ne  sera  qu'un  premier  pas  vers 
noire  but  réel  :  le  bouleversement  de  l'Angleterre. 
Chaque  chose  se  produira  à  rheure  dite  ;  car  nous 
serons  prêts  et  nos  emieinis  ne  le  seront  pas.  » 
(V.  Naval  and  Military  Record,  cité  par  L'Écho 
de  Paris,  24  septembre  1915.) 

3"  Les  faits  matériels  de  préparation  mondiale 
manifeste  à  la  guerre  plusieurs  mois  avant  son 
éclat,  mais  après  que  le  Kaiser  avait  résolu  de  la 
déclancher ,  c  est-à-dire  vers  le  mois  de  novembre 
1913.  (Preuves  :  déclaration  de  Guillaume  II  le 
6  novembre  1913  au  roi  Albert  de  Belgique,  en- 
trevue du  Kaiser  avec  l'archiduc  François-Fer- 
dinand en  avril  1914  à  Miramar,  en  juin  1914  à 
Konopischt  où  il  fut  accompagné  de  l'amiral 
Tirpitz.) 

Ces  faits  matériels  sont  multiples,  mais  il 
suffira  de  rappeler  comme  particulièrement  si- 
gnificatifs, parce  qu'ils  ont  exigé  un  long  et  com- 
pliqué effort  :  l'organisation  du  ravitaillement 


LK    PLAN    l'ANGERMANISTK  83 

dos  croiseurs-rorsaires  allemands  dans  toutes 
les  mers  du  jçlobe,  en  vue  d'une  longue  guerre 
de  course  et  la  préparation  de  la  révolte  du  su«l 
africain  contre  l'Anji^lelerre. 

Lr.s  causes  immédiates  de  la  guerre  qui  ont 
décidé  Guillaume  II  à  précipiter  le  conflit  sont  : 

i°  La  défaite  de  la  Tunjuie  en  1912  par  l'Italie 
et  les  Balkaniques,  défaite  (|ui,  en  portant  atteinte 
à  l'inlluence  berlinoise  à  Constantinople,  com- 
promettait par  là  même  la  mainmise  allemande 
commencée  sur  l'Empire  ottoman. 

2'  Les  consé(|uences  du  traité  de  Bucarest  qui 
en  1913  avaient  élevé  automatiquement  une  bar- 
rière puissante  aux  prétentions  pangermanistes 
sur  les  Balkans. 

3°  L'évolution  intérieure  de  l'Autriche-Hon- 
i;Tie  qui,  en  raison  des  progrès  incessants  des 
sujets  slaves  et  latins  deFrançois-Josepb,  mena- 
<;ait  à  bref  délai  de  soustraire  l'empire  des  Habs- 
bourg à  la  tutelle  de  Berlin. 

Ces  deux  derniers  groupes  de  faits  auraient  eu 
pour  conséquence  de  réaliser  en  Europe  centrale 
et  dans  les  Balkans  les  trois  barrières  anti-alle- 
mandes symbolisées  sur  la  carte  ci-contre  par 
les  gros  traits  noirs.  Or,  ces  barrières  eussent 
empêché  pour  toujours  la  réalisation  du  plan 
pangermaniste. 

Pour  parer  à  ces  diverses  éventualités  il  ne 


84 


LE    PLAN    PANdERMANISTE 


restait    à  Guillaume  II    qu'une   ressource  :  la 
guerre,  «  industrie  nationale  de   la  Prusse    », 


comme  disait  Mirabeau,  dont  la  si  juste  expret 
sion  fut  trop  longtemps  oubliée. 


CHAPITRE  III 

L  ÉTAT  DE  RÉALISATION  DU  PLAN  PANGERMANISTE 
AU  DEBUT  DE  1916 

I.  Les  prétentions  allemandes  à  l'ouest. 

II.  Les  prétentions  allemandes  à  l'est 

Wl.  Les  prétentions  allemandes  au  sud  et  au  sud-est. 
IV.  L'ensemble  de  la    réalisation   du  plan   pangerma- 
niste  de  1911  au  début  de  1916 

Dans  ce  ('liaj)ili('  on  reohtM'cliera  quel  rapport 
existait  entre  les  occupations  et  prétentions 
pangermanistes,  au  début  de  11)16,  et  celles  pré- 
vues par  le  plan  de  1911.  Alin  d'être  clair,  on 
analysera  successivement  ces  occupations  et 
prétentions  pangermanistes  à  l'ouest,  à  Test,  au 
sud  et  au  sud-est. 

Cette  analyse  permettra  finalement  de  recons- 
tituer l'ensemble  de  la  réalisation  du  plan  pan- 
uormaniste  à  l'époque  considérée. 

I 

La  carte  insérée  p.  86  résume  les  prétentions 
que  l'Allemagne  prussianisée  comptait  encore 
réaliser  à  l'ouest  du  Rhin  au  début  de  1916. 


86 


LE    PLAN    PANGERMANISTE 


La  réalité  de  cette  volonté  ne  saurait  être 
mieux  établie  que  par  des  extraits  du  mémoire 
adressé    par    les    plus    puissantes    associations 


•"i'-'^  Il  LES  PRETENTIONS 

ALLE^^ANDES  À  LOUEST 

(Début  de  1916) 


kl 


Front  de  l'Armée  Allemande  I  ___Limite  schématique  des  prétentions  Allemandes  en  France 


allemandes,  le  20  mai  1915,  au  Chancelier  de 
l'Empire  (cité  par  Le  Temps,  12  août  1915).  J'ai 
indiqué  p.  48  pour  quelles  raisons  il  faut  prêter 
à  ce  document  une  importance  tout  à  fait  excep- 
tionnelle. 

En  ce  qui  concerne  la  Belgique,  ce  mémoire 
s'exprime  ainsi  : 


I.K     l'LAN    l'AM.KHMAMSTR  >> . 

H  Parce  (|uil  est  nécessaire  d'assurer  notr»' 
(it'dil  sur  uu'r  et  notre  situation  militaire  et 
éconoini(|ue  pour  l'avenir,  en  face  Je  l'Angleterre, 
parce  que  le  territoire  belge,  écononiiijueinenl 
si  important,  est  étroitement  lié  à  notre  principal 
territoire  industriel,  la  Belgique  doit  être  au 
point  de  vue  monétaire,  financier  et  postal,  sou- 
mise  à  la  législation  de  l'empire.  Ses  chemins 
de  fer  et  ses  voies  fhiviales  doivent  être  étroite- 
ment reliés  à  nos  communications.  En  constituant 
un  territoire  wallon  et  un  territoire  flamand 
prépondérant  et  en  mettant  en  des  mains  alle- 
mandes les  rntrcjtrises  et  les  propriétés  économi- 
ques si  importantes  pour  dominer  le  pays,  on 
organisera  le  gouvernement  et  i administration 
de  telle  manière  que  les  habitants  ne  pourront 
acquérir  aucune  influence  sur  les  destinées  poli- 
tiques de  l'empire  d'Allemagne  ». 

i^n  somme,  c'est  l'esclavage  promis  aux  Belges. 
11  est  important  de  remarquer,  afin  de  bien 
constater  qu'il  s'est  bien  agi  pour  l'Allemagne 
de  réaliser  le  plan  que  le  gouvernement  de 
Berlin  élabore  depuis  vingt-cinq  ans,  que  la  con- 
ception des  auteurs-du  mémoire  du  20  mai  1915, 
sur  le  sort  à  réserver  aux  populations  annexées, 
est  exactement  conforme  à  celle  exprimée  dans 
la  brochure  publiée  sous  l'égide  de  VAlldeuts- 
cher  Verhand.  V Union  Pangermaniste,  et  expo- 


88  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

sant  le  plan  pang;ermaniste  de  1895.  (Voir  ce 
texte  déjà  cité  p.  28.) 

La  seule  différence  qu'on  puisse  relever  dans 
l'évolution  des  idées  pangermanistes  entre  1895 
et  1916  c'est  quà  la  suite  de  l'expérience  qu'ils 
viennent  de  faire  avec  les  Slaves  et  les  Latins 
austro- hongrois,  les  Allemands  considèrent 
comme  possible  et  avantageux,  sous  la  seule 
condition  d'appliquer  les  méthodes  du  terrorism»' 
prussien,  de  faire  combattre  pour  les  intérêts 
de  la  Pangermanie  des  non-Allemands,  qui  en 
repoussent  l'idée  avec  horreur  mais  qui,  forte- 
ment encadrés  d'éléments  germaniques,  sont 
contraints  de  se  faire  tuer  pour  assurer  l'escla- 
vage de  leurs  familles  et  leur  maintien  sous  le 
joug  allemand. 

«  Quant  à  la  France,  continue  le  mémoire  du 
20  mai  1915  au  Chancelier  de  l'Empire,  toujours 
en  raison  de  notre  situation  vis-à-vis  des  Anglais, 
il  est  pour  nous  d'un  intérêt  vital,  en  vue  de 
notre  avenir  sur  mer,  que  nous  possédions  la 
région  côtière  voisine  de  la  Belgique  à  peu  près 
jusqu'à  la  Somme,  ce  qui  nous  donnera  un 
débouché  sur  l"  Océan  Atlantique.  L'  «  hinterland  «, 
qu'il  faut  acquérir  en  même  temps,  doit  avoir 
une  étendue  telle  qu'économiquement  et  straté- 
giquement  les  ports  où  aboutissent  les  canaux 
puissent  prendre  leur  pleine  importance.  Toute 


I.K    PLAN    PAN(;KRMAN1STK 


aulic  coiuimHe  territoriale  de  France,  en  dehors 
de  l'annexion  nécessaire  des  bassins  miniers  de 
Hriev,  ne  doit  tHre  faite  (ju'en  vertu  de  considé- 
rations de  sh-at/'g-ie  militaire.  A  ce  sujet,  après 
les  expériences  de  cette  guerre,  il  est  très  naturel 
(|ue  nous  n'exposions  pas  nos  frontières  à  de 
nouvelles  invasions  ennemies  en  laissant  à 
l'adversaire  les  forloresses  qui  nous  menacent, 
surtout  Verdun  et  Belfort,  et  les  contreforts 
occidentaux  des  Vosges  situés  entre  ces  deux 
forteresses.  Par  la  conquêle  de  la  ligne  de  la 
Meuse  et  de  la  cuic  française  avec  les  embou- 
chures des  canaux,  on  acquerrait,  outre  les  régions 
de  minerais  de  fer  déjà  indiqués  de  Brie  y,  les 
territoires  charbonniers  des  départements  du  Nord 
et  du  Pas-de-Calais.  Ces  augmentations  territo- 
riales, —  la  chose  va  de  soi  après  l'expérience 
faite  en  Alsace-Lorraine,  —  supposent  que  la 
population  des  territoires  annexés  ne  sera  pas 
en  mesure  d'obtenir  une  influence  politique  sur 
les  destinées  de  l  empire  allemand,  et  que  tous 
les  /nof/ens  de  puissance  économique  existant 
s//r  ers  fcrr/inirrs.  //  compris  la  propriété  moyenne 
et  la  grande  propriété,  passeront  en  des  mains 
allemandes  ;  la  France  indemnisera  les  proprié- 
taires et  les  recueillera.  » 

Pour  justifier  ces   formidables  annexions,  le 
mémoire  du  20  mai,  conformément  à  la  doctrine 


90  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

pangermaniste  cyniquement  pure,  n'invoque 
d'autre  argument  que  celui  de  la  convenance 
prussienne  et  du  butin  utile  à  faire. 

«  Si  la  forteresse  de  Longwy,  avec  les  nom- 
breux hauts  fourneaux  français  de  la  région, 
était  rendue  aux  Français,  et  s'il  éclatait  une 
nouvelle  guerre,  avec  quelques  canons  à  longue 
portée,  les  hauts  fourneaux  allemands  et  luxem- 
bourgeois (dont  la  liste  est  donnée)  seraient  pa- 
ralysés en  quelques  heures... 

«  De  la  sorte,  20  p.  100  environ  de  la  produc- 
tion de  fer  brut  et  d'acier  allemands  seraient 
supprimés... 

«  Disons,  en  passant,  que  la  production  élevée 
d'acier  étiré  de  la  «  minette  »,  offre  la  seule  pos- 
sibilité de  fournir  à  l'agriculture  allemande, 
quand  l'importation  des  phosphates  est  bloquée, 
l'acide  phosphorique  nécessaire. 

«  La  sécurité  de  l'empire  d'Allemagne  dans 
une  gnerrc  future  nécessite  donc  impérieusement 
la  possession  de  toutes  les  mines  de  «  minette  », 
y  compris  les  forteresses  de  Longwy  et  de 
Verdun  sans  lesquelles  cette  région  ne  saurait 
être  défendue.  » 

Ces  diverses  déclarations,  hautement  autori- 
sées, permettent  de  constater  qu'en  résumé  les 
annexions  que  les  Pangermanistes  prétendaient 
réaliser  à  l'Ouest  s'étendraient  jusqu'en  France, 


I.l.     iM.A.N     l'AX.Kini  ANISTE  'J\ 

à  j)t'u  près  selon  une  lig^ne  tirée  du  sud  de  13el- 
l'ort  à  rembouchure  de  la  Somme.  C'est-à-dire, 
on  ce  (jui  concerne  la  France,  sur  un  territoire 
englobant  environ  o0.271  kilomètres  carrés  qui, 
avant  la  guerre,  renferniait  5.708.000  babitants. 

Toujours  en  ce  qui  concerne  la  France,  les 
annexions  prévues,  dans  la  conception  des  pan- 
germanistes,  devaient  produire  un  double  effet. 

1  '  En  faisant  passer  à  l'Allemagne  les  régions 
françaises  les  plus  riches,  au  point  de  vue  indus- 
triel et  minier,  la  Germanie  réaliserait  un  énorme 
butin. 

2^"  En  privant  la  France  de  ses  déparlements 
les  plus  productifs,  qui  paient  la  part  principale 
des  impôts,  qui  contiennent  les  éléments  miniers 
indispensables  à  la  vie  économique,  ce  qui  res- 
terait de  la  France  serait  par  là  même  dans 
l'impossibilité  absolue  de  se  relever  et  de  rede- 
venir une  puissance  pouvant,  en  quoi  que  ce 
soit,  contrecarrer  les  volontés  ultérieures  de 
l'Allemagne. 

Quelques  chiffres  permettent  de  vérifier  ce 
point  de  vue  avec  la  plus  grande  évidence. 
Au  début  de  1916,  les  Allemands  détenaient 
138.000  hectares  du  bassin  houiller  du  Nord 
soit  41  p.  100  de  la  superficie  totale  exploitée 
en  France  (^337.000  hectares)  soit  encore  environ 
les  3  4  de  la  pi^oduction   française   totale.  Les 


92  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

Allemands  occupaient  également  63.000  hectares 
du  bassin  de  minerai  de  fer  de  Lorraine  qui 
représente  75  p.  100  de  la  superficie  de  tous  les 
gisements  de  fer  exploités  en  France  (83.000  hec- 
tares) et  les  9/10"  de  \-d  production  totale.  Il  est 
clair  que  si  cet  état  de  choses  devait  être  main- 
tenu, la  vie  économique,  donc  nationale,  de  la 
France,  amputée  d'organes  vitaux,  serait  rendue 
radicalement  impossible.  La  France  se  trouve- 
rait donc  placée,  de  fait,  dans  l'entière  dépen- 
dance de  l'Allemagne  conformément  aux  visées 
pangermanistes  d'avenir. 

Il  est  encore  nécessaire  de  constater  que  dans 
les  territoires  occupés  par  l'Allemagne  à  l'ouest, 
—  comme  dans  tous  les  autres  d'ailleurs,  — 
les  mesures  déjà  prises  par  les  Allemands  en  1916 
n'étaient  pas  seulement  des  mesures  militaires 
de  défense  mais  des  mesures  à' organisation  et 
de  conservation  desdits  territoires.  Ces  mesures 
de  conservation  peuvent  être  classées  dans  les 
catégories  suivantes  : 

Mesures  de  terrorisme  appliquées  à  la  prus- 
sienne afin  de  réduire  les  éléments  récalcitrants; 

Mesures  de  division.  C'est  ainsi  que  les  Alle- 
mands s'efforcent  en  Belgique  d'exciter  par  tous 
les  moyens  l'opposition  entre  Flamands  et  Wal- 
lons afin  de  les  neutraliser  les  uns  par  les 
autres  : 


LE    PLAN    PANr.ERMANISTK  '  t 

Mesures  d'administration  stricte  et  rnjaliirt'. 
afin  d'habituer  à  la  doniinalion  allemande  par 
certains  a  vantasses  d'ordre  extérieur  ou  écono- 
mique les  éléments  dont  on  s'imag^ine  à  Berlin 
pouvoir  désarmer  h'  [)lus  rapidement  la  résis- 
tance morale; 

Mesures  tendant  à  préparer  la  colonisation 
allemande  des  nouveaux  territoires.  Celles-ci 
ont  consisté  surtout  à  appliquer  la  théorie 
pangermanisle  de  V Evacuirtmg ^  c'est-à-dire  5» 
«'vacuer  systématiquement  les  malheureuses 
femmes  ou  vieillards  que  l'Allemagne  considère 
ne  pouvoir  lui  être  d'aucune  utilité  dans  ses 
futures  possessions.  Elle  trouva  fort  expédient, 
sans  plus  attendre,  —  surtout  lorsque  la  ques- 
tion alimentaire  s'est  posée,  —  de  se  débarrasser 
de  ces  malheureux  et  de  les  mettre  ainsi  à  la 
charge  de  l'adversaire  qu'on  considérait  déjà 
comme  un  vaincu.  C'est  la  théorie  de  ÏEvacui- 
rung  qui  explique,  dans  une  large  mesure, 
pourquoi  les  autorités  allemandes  ont  renvoyé 
en  France  la  partie  de  la  population  des  terri- 
toires occupés  en  France  et  en  Belgique  qu'elles 
considéraient  d'après  leurs  enquêtes  adminis- 
tratives comme  des  déchets  humains  sans 
valeur. 


94  LE    PLAN    PANOERMANISTE 

Sans  doute,  ainsi  que  le  démontre  la  carte  de 
la  page  86,  l'Allemagne  n'occupait  pas  exactement 
à  rOuesl,  au  début  de  1916,  tous  les  territoires 
qu'elle  convoitait.  Calais,  Belfort  et  Verdun 
notamment  lui  échappaient,  mais  il  est  aisé  de 
se  rendre  compte  qu'il  ne  s'en  fallait  pas  de 
beaucoup. 

Les  territoires  de  l'Ouest  qui  devaient  entrer 
dans  la  Confédération  germanique  du  plan  de 
1911  comprennent  : 

Kilomètres  carrés. 

Hollande 38.141 

Belgique 29.451 

Luxembourg 2.586 

Départements  français 50.271 

Soit  au  total 120.449 

Or,  le  Luxembourg  et  la  Belgique  étaient 
entièrement  occupés  (sauf  une  parcelle  de  la 
Belgique).  Si  l'Allemagne  devait  conserver  la 
Belgique,  la  Hollande,  qui  n'est  pas  occupée  mais 
qui  est  géographiquement  investie,  serait  fatale- 
ment contrainte  d'entrer  dans  la  Confédération 
germanique.  On  doit  donc  la  considérer  comme 
virtuellement  sous  la  coupe  de  Berlin.  Comme 
d'autre  part  sur  50.271  kilomètres  carrés  environ 
qu'elle  voulait  annexer  aux  dépens  de  la  France, 
l'Allemagne  en  occupait  au  début  de  1916, 
20.300,    on    constate   donc    finalement    que  les 


LK    PLAN    l'ANUERMANISTK  '•• 

oiinuises  germaniques  prévues  à  ioucst  sur 
12(1.419  kilomètres  carrés  s'étendaient  directe- 
ment ou  indirectement  sur  00  178  kilomètres 
carrés. 

L'Allemagne  a  donc,  au  début  de  1916,  réalisé 
à  l'ouest  les  occupations  prévues  par  le  plan  do 
1911,  aux  dépens  de  non- Allemands,  dans  la 
j>roporlion  de  7(5  p.  lOO  ou  des  3/4. 


II 


Le  plan  pangermaniste  de  1911  avait  prévu 
la  mise  hors  de  cause  pour  toujours  de  la  Russie, 
en  tant  que  grande  puissance,  au  moyen  de 
deux  procédés  : 

l*"  L'annexion  à  la  Confédération  germanique 
de  territoires  de  l'Empire  des  Tsars  assez 
étendus  pour  le  couper  de  tout  contact  avec 
l'Occident; 

2°  La  constitution  aux  dépens  de  ce  qui  res- 
terait de  la  Russie  ainsi  déjà  réduite  d'Etats 
nouveaux  qui  devaient  relever  de  l'obédience 
berlinoise. 

M.  Dietrich  Schaefer,  l'historien  allemand 
bien  connu,  dans  la  revue  Panther,  assurait  au 
début  de  février  1915  :  «  11  nous  faut  absolument 
étendre  la  sphère  de  notre  puissance  surtout 
vers  l'Est...  L'immense  force  russe  doit  reculer 


96  LR    PLAN    PANGERMANISTE 

derrière  le  Dnieper...  (Cité  par  L'Information, 
5  février  1915.) 

Une  brochure  suédoise,  attribuée  au  germa- 
nophile Adrian  Molin,  a  expliqué,  également  au 
début  de  1915.  que  l'Allemagne  avec  le  concours 
de  la  Suède  devait  achever  de  séparer  la  Russie 
de  l'Europe  au  moyen  d'une  barrière  d'Etats- 
tampons  :  la  Finlande  et  l'Ukraine.  Or,  depuis 
vingt  ans  surtout,  en  effet,  les  agents  panger- 
manistes  se  sont  efforcés  de  préparer  le  soulève- 
ment des  20  millions  de  Petits-Kussiens  qui 
vivent  dans  les  gouvernements  russes  groupés 
autour  de  Kiew.  Enfin  les  régions  musulmanes 
russes  (Caucase,  Asie  centrale,  etc.),  devaient 
constituer  des  Etats  particuliers  relevant  de  la 
suzeraineté  turque  et  pai-  ce  canal  subir  l'in- 
fluence allemande. 

Tels  sont  les  moyens  étudiés  à  Berlin  pour 
obtenir  l'anéantissement  de  la  Russie,  en  tant 
que  grande  puissance,  une  fois  que  ses  armées 
eussent  été  détruites,  ce  qui,  peut-être,  aurait 
pu  avoir  lieu  si  l'intervention  anglaise,  en  per- 
mettant la  résistance  de  la  France,  n'avait  pas 
enlevé  à  l'Allemagne  la  faculté  de  concentrer,  une 
fois  la  France  anéantie,  toutes  ses  forces  contre 
l'empire  des  Tsars,  conformément  au  plan  du 
grand  état-major  de  Berlin. 


LE    l'LAN    l'AN(itUMANISTE 


LES    PRETENTIONS   ALLE/AAN  DES  A  LEST  (Début  de  1316) 


m:::^rn 


«^  ///        ,v^ 


M--' 


,  ^J  Vienne  „   ^         .  \     Vi^      ■•./ 

1  Budapest  /  %  ^   K^^e» 

^W ^  tf"'"    - t"r     '•—•-(     '"^■" 

I  mm  Front  des  Armées  Austro- Allemaiidesla  •  sLiniile  der.  prétentioiis  Allemandes  en  Russie 


En  ce  qui  concerne  les  annexions  que  l'Alle- 
magne songeait  encore  au  début  de  1916  à 
réaliser  aux  dépens  de  la  Russie,  le  mémoire  du 
20  mai  1915  au  Chancelier  de  l'Empire,  bien 
qu'il  s'efforce  d'employer  des  formules  destinées 
à  voiler  l'étendue  des  prétentions  pangerma- 
nistes,  se  rencontre  comme  tendances  avec  le 
programme  de  Tannenberg  publié  en  1911. 


LE    PLAN    PANGERMANISTE 


«  Pour  ce  qui  est  de  VEst,  dil  ce  mémoire,  la 
considération  qui  doit  nous  diriger  est  celle-ci  : 
donner  à  la  grande  augmentation  de  puissance  .; 
industrielle  que  nous  attendons  à  l'Ouest,  un 
contrepoids  par  l'annexion  dun  territoire  agri- 
cole situé  à  rEst  et  qui  soit  de  valeur  semblable... 

«  Il  est  nécessaire  de  renforcer  la  base  agricole 
de  notre  économie  nationale;  il  faut  rendre 
possible  une  colonisation  agricole  allemande  de 
grande  envergure^  ainsi  que  le  rapatriement  en 
pays  d'empire  de  paysans  allemands  vivant  à 
l'étranger,  notamment  en  Russie  et  actuellement 
mis  hors  la  loi  ;  il  faut  enfin  accroître  fortement 
le  chiffre  de  nos  nationaux  capables  de  porter  les 
armes;  tout  cela  exige  une  extension  considérable 
des  frontières  de  l' Empire  et  de  la  Prusse  vers 
l'Est  par  rannexioîi  d'au  moins  certaines  parties 
des  provinces  baltiques  et  de  terintoires  situés 
au  sud  de  celles-ci,  sans  perdre  de  vue  qu'il  faut 
aussi  rendre  possible  la  défense  militaire  de  la 
frontière  allemande  orientale... 

«  Pour  ce  qui  est  des  droits  politiques  à  accorder 
aux  habitants,  des  nouveaux  territoires  et  des 
garanties  à  prendre  en  faveur  de  l'influence  et 
de  l'économie  allemande,  noiis  nous  référons  à 
ce  que  nous  avons  dit  au  sujet  de  la  France. 
L'indemnité  de  guerre  à,  exiger  de  la  Russie 
devra,  dans  une  large  mesure,  consister  en  ces- 


LK    l'I.AN    l'ANtiËilUAMSiK  99 

^/(*/^^  icntioriales.  »  (V.  Le  Temps,  l2aoùl  11)1;».) 
Dans  son  discours  du  il  décembre  lîHo,  le 
V  Cliancelier  de    Guillaume   II   a  laissé    sous-en- 
tendre  dans  une  phrase  significative  que  telles 
tétaient  bien  les  prétentions  de  l'Allemagne. 

«  Nos  troupes,  at-il  dit,  prennent,  avec  les 
armées  austro- hongroises,  des  positions  de 
défense  très  fortifiées  et  situées  bien  loin  sur  le 
territoire  russe.  Elles  sont  pnHes  à  reprendre 
leur  marche  en  avant.  » 

De  même  que  dans  l'Ouest,  toutes  les  mesures 
que  les  Allemands  ont  prises  dans  l'Est  ont  été 
des  mesures  non  pas  seulement  de  défense  mais 
d'organisation  en  vue  de  garder  les  territoires 
occupés.  Ces  mesures  relèvent  des  divers  ordres 
que  j'ai  signalés  p.  1)2. 

Avec  les  Polonais,  les  Allemands  emploient  la 
même  tactique  qu'avec  les  Flamands  de  Belgique. 
Les  autorités  prussiennes  après  avoir  terrorisé 
les  Polonais  leur  ont  accordé,  au  point  de  vue 
de  l'usage  de  leur  langue  dans  l'enseignement, 
des  facultés  constituant  des  avantages  par  com- 
paraison avec  l'état  de  choses  antérieur  résultant 
du  détestable  régime  bureaucratique  russe  qui, 
avec  un  manque  absolu  de  clairvoyance,  com- 
promettait en  Pologne,  par  ses  mesures  tracas- 
sières,  les  intérêts  véritables  de  l'Empire  des 
Tsars.  Les  Allemands  ont  favorisé  encore  dans 


100  LE    PLAN    PANGEKMÀNISÏE 

l'Est  la  culture,  les  semailles.  Ils  ont  construit 
des  voies  ferrées  et  des  routes.  Sans  doute,  ces 
mesures  ont  été  prises  avant  tout  dans  l'intérêt 
allemand.  Il  est  bien  certain  que  les  avantages 
concédés  aux  Polonais  ne  peuvent  être  considérés 
que  comme  momentanés.  Le  régime  prussien, 
appliqué  en  Posnanie  depuis  si  longtemps,  le 
prouve  assez.  Les  Allemands  se  sont  flattés 
cependant,  par  ces  procédés,  d'influencer  en  leur 
faveur  certains  éléments  polonais  qui  s'imagi- 
nent, avec  une  insigne  naïveté,  que  l'Allemagne 
va  reconstituer  pour  la  doimer  aux  Polonais  une 
Pologne  de  20  millions  d'habitants  aux  dépens 
de  la  Russie.  C'est  dans  ce  but  que  Berlin  a 
songé  à  proclamer  l'autoriomie  de  la  Pologne. 
Mais  en  même  temps,  l'Allemagne  compte  y 
établir  le  service  obligatoire  afin  d'utiliser  les 
recrues  polonaises  môme  par  la  force,  comme 
les  Slaves  d'Autriche -Hongrie,  dans  l'intérêt 
de  la  Pangermanie. 


Au  point  de  vue  territorial  les  prétentions 
pangermanistes  du  plan  de  1911  à  l'Est  sont 
résumées  dans  le  tableau  suivant.  (V.  la  carte 
p.  97.) 


LE    l'LAN    PANCERMANISTH  101 

Kilomèirea 
CArn^t.  llabiUuit*.  ' 

Les  10  gouvernements  de 
la  Pologne  russe.    .    .     127.320       12.467.000 

\a's  3  provinces  biillitiues 
(Kslhonie.  Livonie. 
Courlande) 94.504        2.686.000 

Les  3  gouvernements  rus- 
ses au  sud  des  provinces 
luiliiques  (Kovno.  Vil- 
na.  Grodno) 121.840        5.728.000 


Soil  au  total.   .    .    .     343.724      20.881.000 

Or,  au  début  de  1916,  sur  ces  343.724  kilo- 
mètres carrés,  ainsi  que  la  carte  permet  de  s'en 
rendre  compte,  les  Allemands  en  occupaientenvi- 
ron  260.000.  Ils  avaient  donc  réalisé  à  l'Est  le 
plan  de  1911,  aux  dépens  de  populalions  non 
allemandes,  dans  la  proportion  de  75  p.  100  soit 
des  :V4. 


m 


Les  zones  d'influence  absolue  directes  ou  in- 
directes que  l'Allemagne,  conformément  au  plan 
pangermaniste  de  1911,  a  prétendu  s'assurer  au 
sud  et  au  sud-est  de  ses  frontières  actuelles 
visent  trois  groupes  de  territoires  bien  distincts  : 
l'Autriche-Hongrie,  les  Balkans  et  la  Turquie. 
11  convient  donc  d'examiner  l'état,  au  début  de 

6. 


102 


LE    PLAN    PANGERMANISTE 


1916,  de  l'action  allemande  dans  chacun  de  ces 
trois  groupes  séparément. 


1°  Autriche-Hongrie , 

Qu'on  ne  s  y  trompe  pas,  l' Autriche-Hongrie 


I.i;    l'I.AN    l'ANGEIlMANlSit  lOJ 

<>/  ixitd-  iinslunl  aussi  anuplètement  sous  la 
(/(uuination  de  Guillauine  11  (jue  s'y  trouve  lu 
Belgique.  Le  conflit  européen  a  permis:,  en  effet, 
^occupation  astucieuse,  sous  couleur  de  le  dé- 
fendre, de  tout  l'eni/fire  des  Habsbourff,  main- 
mise que  prévoi/ait  le  plan  de  1911.  Depuis  \v 
(h'hul  lie  11)1;>,  toutes  les  troupes  de  Fran(;ois- 
Josepli  sont  entièrement  sous  les  ordres  du 
grand  état-nmjor  de  Berlin.  L'Autriche-Hongrie 
voudrait-elle  conclure  une  paix  séparée  qu'elle 
ne  le  pourrait  pas  cartons  ses  organes  moteurs, 
militaires  et  diplomatiques,  subissent  l'impul- 
sion exclusive  des  agents  du  Kaiser.  L'alliance 
austro-allemande  est,  en  réalité,  un  simple 
décor.  Le  procédé  dont  on  a  parlé  pour  incor- 
porer à  l'Allemagne  la  monarchie  des  Habsbourg 
par  un  moyen  détourné,  c'est-à-dire  par  son 
entrée  dans  le  Zollverein  ou  union  douanière 
allemande,  est  une  monumentale  comédie.  Elle 
ne  saurait  tromper  que  ceux,  malheureusement 
encore  trop  nombreux,  qui  sont  insuffisamment 
informés  des  réalités  austro  hongroises.  La  fu- 
sion austro-allemande  sous  la  forme  d'une 
union  douanière  n'est  pas  d'ailleurs  une  nou- 
veauté. Ce  procédé  d'absorption  de  l'Autriche- 
Hongrie  a  été  prévu  et  expliqué  tout  au  long 
dans  la  brochure  pangermaniste  de  1895  expo- 
sant les  lignes  fondamentales  du  plan  de  cette 


104  LE    PLAN    PANGERMANISTR 

même  date.  Tout  le  bruit  fait,  au  début  de  1916, 
par  la  presse  allemande  sur  les  soi-disant  désirs 
des  Austro-Hongrois  d'entrer  dans  le  ZoUcerein 
allemand  a  constitué  le  plus  «  kolossal  »  et  le 
plus  déloyal  des  bluffs.  En  réalité,  près  des  3/4 
environ  des  populations  actuellement  sujettes  de 
François-Joseph  ne  veulent  à  aucun  prix  être 
absorbées  par  TAUemagne,  pas  plus  sous  la 
forme  économique  que  politique.  Tout  le  «  bat- 
tage »  fait  dans  les  empires  du  centre  à  propos 
de  l'entrée  de  la  monarchie  des  Habsbourg  dans 
le  ZoUcerein  a  été  uniquement  le  fait  des 
meneurs  pangermanistes  de  IJerlin,  de  ceux  de 
Vienne  et  de  l'aristocratie  magyare  et  non  pas 
du  peuple  magyar  ce  qui  nest  pas  la  même 
chose.  Il  convient  donc  de  ne  pas  être  dupes 
du  bluff  de  la  presse  allemande  sur  la  question 
du  Zollverein.  C'est  une  infime  minorité  en 
Autriche-Hongrie  qui  la  veut,  faisant  ainsi  le 
jeu  de  Berlin.  Mais  ce  qui  est  incontestable  c'est 
que,  pour  l'instant,  l'Autriche-Hongrie  est  entiè- 
rement sous  la  domination  prussienne. 

2^  Balkans. 

La  Serbie  est  entièrement  envahie  par  les 
Allemands.  La  situation  de  la  population  seil)e 
est  atroce.  Elle  est  ou  massacrée,  ou  affamée 
systématiquement,  ou  déportée  en  Allemagne 


1 


l.h    i'LA.N    l'ANc.KUMANISTE  101» 

pour  Iravailler  soit  dans  les  usines,  soit  à  la  terre 
allemande  Ces  eflroyabies  mesures  de  coerci- 
tion n'ont  j)as  enipôché  le  Kaiser  d'avoir  adressé 
un  manifeste  :  «  A  /y/on  noble  et  héroïcjue  peuple 
serbe  ».  11  s'aj^issait  de  tenter  par  de  belles 
paroles,  de  désarmer  moralement  ce  qui  reste  de 
la  population  serbe  terrorisée  par  une  série  de 
souffrances  qui  n'ont  jamais  été  dépassées  au 
cours  de  l'bistoire.  Quant  à  la  Serbie,  le  Kaiser 
la  ofl'erte  pour  partie  à  l'Autriche,  toujours  con- 
formément au  plan  de  1895  qui  prévoit  cette 
solution,  car  donner  une  fraction  de  la  Serbie  à 
une  Autriche  faisant  partie  du  ZoUverein  c'est, 
pratiquement,  la  placer  sous  la  domination  im- 
médiate de  l'Allemagne. 

Quant  à  la  Bulgarie,  alliée  de  l'Allemagne, 
elle  est  entièrement  pénétrée  et  les  Allemands 
s'y  conduisent  en  maîtres  dans  toute  la  mesure 
où  ils  le  peuvent.  L'héroïque  Monténégro  a  eu 
exactement  le  même  sort  que  la  Serbie,  une 
partie  de  l'Albanie  est  aussi  occupée.  Si  les 
Alliés  avaient  commis  l'aberration  de  ne  pas 
comprendre  à  la  onzième  heure  l'importance  de 
Salonique,  la  Grèce  et  la  Roumanie  qui  comp- 
tent des  éléments  germanophiles,  peu  nombreux 
mais  fort  influents,  suivraient  elles-mêmes  déjà 
intégralement  les  volontés  de  Berlin. 

En  supposant,  pour  la  commodité  du  raison- 


106  LE    PLAN    PANGEliMANISTE 

nement,  la  victoire  allemande,  nous  verrions 
aussitôt  Berlin  constituer  une  Confédération 
balkanique  sous  la  présidence  de  l'Autriche 
considérée  comme  puissance  balkanique,  tou- 
jours parce  que  sous  l'apparence  de  l'Autriche 
ce  serait  TAUemag-ne  qui  imposerait  sa  volonté 
à  la  future  confédération. 

3"  Turquie. 

L'Empire  ottoman  subissait  au  début  de  1916, 
donc  avant  l'avance  russe  en  Arménie,  dans  la 
totalité  de  son  étendue  l'action  de  l'Allemagne. 
L'influence  de  celle-ci  a  même  débordé  sur  la 
Perse.  C'est  là  un  fait  qui  aurait  eu  une  impor- 
tance extrême  pour  le  développement  du  mou- 
vement panislamique  dirigé  à  la  fois  contre  la 
Russie,  la  France  et  l'Angleterre,  si  l'action 
anglo-russe  n'avait  récemment  mis  bon  ordre 
aux  intrigues  germaniques  dans  l'empire  du 
Schah. 

«  L'établissement  de  relations  directes  avec  la 
Turquie  a  une  valeur  inestimable  au  point  de 
vue  militaire,  —  a  dit  le  chancelier  allemand 
dans  son  discours  du  11  décembre  1915,  —  tan- 
dis qu'au  point  de  vue  économique  la  possibilité 
d'importer  des  denrées  des  États  Balkaniques  et 
de  Turquie  augmentera  nos  approvisionnements 
d'une  façon  propre  à  nous  réjouir.  »  (V.  Le  Temps, 


I.K    l»I.AN    PANiiKIlMANISTK  107 

Il  tltH'omhrr  1915.)  On  aurait  lorl  île  voir  dans 
(cs  paroles  1  effet  d'un  simple  bluff  dont  les 
Allemands  sont  souvent  si  prodig^ues.  Si  les 
Alliés  laissaient  à  rAllen)aj^ne  le  lemps  de  tirer 
de  la  Turquie  toutes  les  ressources  militaires  et 
économiques  qu'on  en  attend  à  Berlin  les  évé- 
nements l'ulurs  démontreraient  avec  évidence 
que  les  paroles  du  chancelier  du  Kaisti  mt'ii- 
l aient  d'être  prises  au  sérieux. 


En  somme,  le  plan  pan^^ermaniste  de  19H 
prévoyait  au  Sud  et  au  Sud-Est  : 

Kilomètres 
carrés.  Habitants. 

L'absorption  de  lAulriche- 
Hongrie 676.616     50.000.000 

[/établissement  de  linfluence 
immédiate  absolue  alle- 
mande sur  les  États  des 
Balkans 499.275     22.000.000 

L'établissement  de  1  influence 
exclusive  de  1  Allemagne  sur 
la  Turquie 1.792. 900     20.000.000 


Total 2.96». 791     92.0U0.O00 

Or,  au  début  de  19i6,  le  plan  de  1911  était 
réalisé  dans  les  proportions  suivantes. 

L'Autriche-Hongrie  avait    ses  676.616    kilo- 


i08  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

mètres  carrés  occupés  (moins  la  petite  superticie 
aux  mains  des  Italiens)  soit  à  peu  près  100  p.  100. 
Dans  les  Balkans,  étaient  à  cette  même  date 
sous  TinQuence  directe  allemande  : 

Kilomèlrcs  carrés. 

La  Bulgai'ie il4.d05 

La  Serbie 87.300 

Le  Monténégro 14.180 

Soit 215. 5»5  ki- 
lomètres carrés  représentant  43  p.  100  du 
total  des  territoires  des  États  balkaniques. 

En  Turquie,  l'action  allemande  s'exerçait  à 
cette  époque  sur  la  quasi  totalité  du  territoire, 
donc  dans  la  proportion  de  100  p.  100.  Si  l'on 
réunit  maintenant  les  chiffres  afTérents  aux  trois 
groupes  territoriaux  visés  par  le  plan  de  1911, 
au  Sud  et  au  Sud-Est,  on  constate  que  l'Alle- 
magne a  réalisé  son  programme  sur  : 

Kilomètres  carrés. 

Auti'iche-Hongrie 676  616 

Balkans   215.585 

Turquie    1.792.900 

Soit  au  total 2.6»5.101 

Comme  le  plan  total  visait  la  mainmise  alle- 
mande directe  ou  indirecte  sur  2.968.791  kilo- 
mètres carrés  on  constate  que,  considéré  sous 
cet  aspect,  le  but  du  plan  de  1911  a  été  atteint 
au  Sud  et  au  Sud-Est  dans  la  proportion  de 
89  p.  100,  soit  environ  des  9/10^ 


I.K    PLAN    l'.\N(iKiniA.MSII  lU'J 

(M-  j'ai  établi  p.  95  et  p.  101  (jue  l'Allemagne 
(Mcupe  ou  influe  au  début  de  1916  : 

A  l'Ouest  sur  90.478  kilomëlres  carrés, 
A  l'Est  sur  260.000  kilomètres  carrés. 
On  vient  de  constater  qu'au  Sud  et  au  Sud-Est 
le  plan  allemand  a  été  réalisé  sur  2.685.101  kilo- 
mètres carrés. 

Assurément,  tous  les  territoires  englobés  dans 
ce  dernier  clullVe  sont  loin  d'avoir  la  môme 
valeur,  notamment  ceux  d'une  partie  de  la  Tur- 
(juie,  mais,  dans  ce  ciiiffre,  l' Autriche-Hongrie  à 
elle  seule  entre  pour  676.616  kilomètres  carrés, 
c'est-à-dire  qu'elle  seule  représente  une  main- 
mise qui,  pour  être  déguisée,  n'en  est  pas  moins 
réelle  et  est  infiniment  plus  considérable  que  les 
occupations  allemandes  rra/isées  à  l  ouest  et  à 
l'est. 

Il  résulte  nettement  de  ces  déductions  que  la 
partie  du  plan  pangermaniste  visant  t Autriche- 
Hongrie,  les  Balkans  et  la  Turquie,  c'est-à-dire 
l'Europe  centrale  et  l'Orient,  constitue  et  de 
beaucoup  la  partie  tout  à  fait  principale  du  plan 
pangermaniste.  C'est  là  une  constatation  d'une 
extrême  importance  à  faire  par  les  Alliés  et  pour 
les  neutres  en  raison  des  conséquences  mon- 
diales du  Hambourg-Golfe  Persique  qui  seront 
exposées  au  chapitre  V. 


no  LE    PLAIN    PANGER.MAiNISTE 


IV 


Le  plan  pangermaniste  de  1911  (V.  la  carte 
p.  39)  comportait.  : 

1°  La  création  d'une  grande  Confédération 
germanique  devant  placer  sous  l'hégémonie 
absolue  de  l'empire  allemand  actuel  (540.858  ki- 
lomètres carrés  et  08  millions  d'habitants)  les 
territoires  étrangers  existant  autour  de  l'Alle- 
magne, lesquels  constituent  une  superficie  de 
1.182.113  kilomètres  carrés  et  renfermant  94  mil- 
lions d'habitants. 

Les  chilfres  établis  p.  95,  p.  101  et  p.  108 
ont  permis  de  constater  que  la  mainmise  alle- 
mande sur  ces  territoires  s'étendait  au  début 
de  1916. 


Kilomètres  carrés 
90.478 

A  l'Est  sur 

Au  Sud  (Autriche-Hongrie)  sur. 

260  000 
.    .         676.616 

Soit  au  total  sur    .    .    . 

.      1.027.094 

I 


L'Allemagne,  en  ce  qui  concerne  les  territoires 
à  englober  dans  la  Confédération  germanique,  a 
donc  réalisé  son  programme  dans  la  proportion 
de  86  p.  100,  soit  à  peu  près  des  9/10". 

2°  La  subordination  absolue  à  l'Allemagne  de 


LE    l'LAN    PANCiEUMANISli;  111 

tous  It's  biais  haIkuniquL's  duril  la  su|K>rlicie  esl 
lit'  41)1)  27")  kiloini'lres  carrés  renfernianl  22  mil- 
lions (riiahilants.  Pag;e  108,  on  a  constaté  que  la 
mainmise  allemande  s'étendait  sur  215.585  ki- 
lomètres carrés.  Le  programme  allemand  relatif 
aux  Balkans  a  donc  été  réalisé  dans  la  propor- 
tion de  43  p.  100. 

3"  La  mainmise,  plus  ou  moins  déguisée,  de 
l'Allemagne  sur  l'Empire  ottoman,  soit  sur 
1.71)2.900  kilomètres  carrés  renfermant  20  mil- 
lions d'habitants.  Or,  audébutde  1916,  l'influence 
exclusive  allemande  s'exerçait  sur  toute  la  Tur- 
quie. En  ce  qui  concerne  celle-ci,  le  plan  alle- 
mand est  donc  réalisé  dans  la  proportion  de  100 
p.  100. 

Groupons  maintenant  les  chiffres  permettant 
de  constater  dans  quel  rapport  V ensemble  du  plan 
pangermaniste  de  1911  est  actuellement  réalisé 
par  l'Allemagne. 

PRÉVISIONS    RÉALISATIONS 
DU  PLAN  DE  1911   ACTUELLES 

Kilomètres  carrés.    Kilomëlrescarrés. 

1.  Territoires  à  englober 
dans  la  Grande  Confédé- 
ration germanique.    .    .     1.182.113         1.027.094 

2.  Balkans    499.275  213. 585 

3.  Turquie 1.792.900         1.792.900 

Total 3.474.288         3.035.579 

Ces  chiffres  font  ressortir  avec  évidence  qu'ait 


112  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

début  de  19i6  l' Allemagne  avait  réalisé  le 


dan 


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pangermaniste  de  1911  «?«n5  V  énorme  proportion 
de  87  p.  100  sozV  tout  près  des  neuf  dixièmes. 


I.K    PLAN    l'ANCiKRMANISTE  ll< 

('-»'  cliiiric  se  Iroiiv»'  i;ra|)lii(ju»Mnont  rouliriné 
j)ai'  la  carie  ri-coiilr»'  (|ui  d'un  coup  d'œil 
permet  de  constater  les  rapports  gréog^raphiques 
el  superfîciaires  existant  entre  les  limites  du 
plan  de  1911  et  les  fronts  occupés  au  début  de 
1916  par  les  armées  subordonnées  à  la  direction 
exclusive  de  Berlin. 


Ces  constatations  malbématiques  et  géogra- 
phiques, dont  l'importance  ne  saurait  échapper, 
permettent  de  mieux  comprendre  pourquoi  et 
sous  quelle  forme  l'Allemagne  a  voulu  faire  la 
paix.  Elle  l'a  voulu  tout  simplement  parce  que, 
comme  l'avouait  sans  ambages  La  Gazette  de 
Francfort  en  décembre  1915,  /e>  buts  de  la 
guerre  so?it  atteints. 

Le  plan  pangermaniste  de  1911  étant  prati- 
quement réalisé  dans  la  proportion  des  neuf 
dixièmes.  —  malgré  l'intervention  de  l'Angle- 
terre qui  a  bouleversé  cependant  le  plan  de 
l'état-major  allemand,  —  il  est  manifeste  que  le 
résultat  obtenu  par  l'Allemagne  a  été  extrême- 
ment considérable.  Rien  ne  pourrait  donc  lui 
arriver  maintenant  de  plus  favorable  que  de 
réussir  à  mettre  un  terme  à  la  guerre  alors  que 


114  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

l'action  allemande  exclusive  s'étend  sur  la  quasi 
totalité  des  territoires  envahis. 

Ces  constatations  expliquent  encore  pourquoi 
Berlin  depuis  longtemps  s'est  livré  aux  plus 
subtiles  et  plus  complexes  manœuvres  suscep- 
tibles de  faire  entamer  des  négociations  de  paix  : 
tentatives  d'accord  séparé  avec  la  Russie,  efforts 
pour  obtenir  l'intervention  du  pape,  démarches 
des  pseudo-socialistes  du  Kaiser  auprès  de  leurs 
camarades  de  jadis  des  pays  belligérants,  incita- 
tions aux  pacifistes  de  tous  les  pays  neutres,  etc. 
L'Allemagne  eût  conclu  la  paix  au  moment  le 
plus  favorable  pour  elle  afin  de  pouvoir  imposer 
aux  terres  qu'elle  a  conquises  ou  pénétrées  le 
statut  prévu  par  le  plan  pangermaniste.  Mais 
bien  entendu  l'Allemagne  n'eût  traité  que  sur  la 
base  de  ses  occupations  d'alors.  Comme  le  disait 
fort  nettement  le  major  Moraht  dans  le  Berliner 
Tageblatt  :  «  Ce  que  nous  avons  acquis  au  prix 
du  sang  et  du  sacrifice,  nos  chefs  militaires  n'ont 
pas  l'habitude  de  le  rendre  ».  (V.  Le  Matin, 
27  décembre  1915.) 

Enfin,  la  grande  raison  pour  laquelle  Berlin 
a  voulu  la  paix,  c'est  que  la  prolongation  de  la 
guerre  ne  peut  que  compromettre  et  finalement 
anéantir  tous  les  résultats  acquis  par  l'Alle- 
magne. 


CHAPITRE  IV 

CARACTÈRES  SPÉCIAUX  QUE  LE  PLAN  PANGERMANISTE 
DONNE  A  LA  GUERRE 


I.  Toutes  les  grandes  questions  politiques  du  Vieux 

Monde  sont  posées  et  doivent  être  résolues. 

II.  La  guerre  étant  faite  par  l'Allemagne  pour  réaliser 

un  gigantesque  programme  d  esclavage,  il  en 
résulte  qu'elle  est  conduite  par  elle  en  violation 
éclatante  du  droit  des  gens. 

III.  Une  lutte  de  ténacité  et  de  duplicité  de  la  part  de 

Berlin,  de  constance  et  de  solidarité  de  la  part 
des  Alliés. 

La  diplonialit'  avant  ignoré  le  plan  panprer- 
maniste,  pour  les  raisons  plus  haut  exposées 
(V.  p.  50),  il  est  tout  naturel  que  les  États-Majors 
et  Topinion  publique  des  pays  alliés  ne  l'aient 
pas  connu.  Il  est  résulté  de  cette  méconnaissance 
générale  une  vue  insuffisamment  précise  et  com- 
plète des  buts  de  la  g^uerre  poursuivis  par  l'Alle- 
magne et,  par  suite,  une  coordination  longtemps 
très  imparfaite  des  efforts  des  alliés.  Chacun  de 
ceux-ci,  en  effet,  ont  d'abord  obéi  à  des  mobiles 
particuliers  qui  leur  ont  fait  perdre  de  vue  que! 


116  LE    PLAN    PANGKRMÂNISTE 

devait  être  l'objectif  commun  de  leur  action  com- 
mune. 

Les  Russes  sont  entrés  en  lutte  contre  les 
Allemands  surtout  pour  empêcher  l'écrasement 
de  la  Serbie  et  mettre  en  même  temps  un  terme 
à  la  politique  des  ultimatums  discrets  mais  pro- 
fondément humiliants  que  Berlin  pratiquait, 
depuis  quelques  années,  à  Pétrograd.  Les  Ita- 
liens, fascinés  spécialement  par  Trente  et  Trieste, 
ont  longtemps  pensé  qu'ils  pourraient  limiter 
leur  guerre  à  un  contlit  avec  la  maison  de  Habs- 
bourg alors  qu'en  réalité  l'unique  et  véritable 
ennemi  du  peuple  italien,  —  comme  celui-ci  en 
a  de  plus  en  plus  le  sentiment  très  net,  —  c'est 
le  Pangermanisme  prussien.  Les  Anglais,  eux, 
sont  entrés  en  lice  pour  deux  raisons  fondamen- 
tales :  la  violation  de  la  neutralité  de  la  Belgique 
les  a  indignés  et  un  sens  juste  de  leur  intérêt  les 
a  convaincus  qu'ils  ne  pouvaient  laisser  écraser 
la  France  sans  sousciire  en  même  temps  à  la 
disparition  ultérieure  de  la  Grande-Bretagne. 
Complètement  impréparés  à  une  guerre  conti- 
nentale, les  Anglais  ont  très  bien  «  réalisé  »  dès 
le  début  que  celle-ci  pourrait  être  fort  longue, 
mais  ils  ne  se  doutaient  nullement  que  les  inté- 
rêts britanniques  se  trouveraient  aussi  complè- 
tement menacés  qu'ils  le  sont  devenus  en  Europe 
centrale,  en  Turquie,  en  Égvpte  et  aux  Indes. 

1 


I.K    PIAN    PANGEHMANISTK  H7 

Quanl  aux  Françjais,  l'aiiression  frermani(jue  a 
fait  surgir  aussitôt  tlevaul  leurs  esprits  et  dans 
leurs  cœurs  la  (juestion  d'Alsaco-rjorraine.  Celle- 
ci  les  a  hypnotisés  au  point,  qu'à  leur  détrinient 
d'ailleurs,  ils  ont  vu  beaucoup  trop  longtemps 
dans  la  lutte  une  guerre  franco-allemande  alors 
(ju'il  eût  fallu  considérer  la  conflagration  euro- 
péenne dans  toute  son  ampleur. 

Cet  aperçu  fragmentaire  des  réalités  a  lait  le 
plus  grand  tort  à  tous  les  alliés.  Il  a  entraîné, 
en  effet,  cette  conséquence  de  les  empêcher  de 
discerner  en  temps  utile  les  caractères  spéciaux 
(jue  l'extraordinaire  étendue  du  plan  pangerma- 
niste  devait  nécessairement  donner  à  la  guerre. 


L'énormité  même  du  plan  pangermaniste 
de  1911,  que  les  faits  acquis  établissent  main- 
tenant de  façon  indiscutable,  démontre  que 
Berlin  en  faisant  la  guerre  entendait  résoudre 
d'un  seul  coup  à  son  profit  toutes  les  grandes 
(juestions  politiques  latentes  dans  le  Vieux 
Monde. 

Les  prétentions  de  l'Allemagne  à  l'Est,  — 
encerclées  sur  la  carte  ci-contre  par  un  trait  noir 
de  grosseur  moyenne,  —  font  surgir  la  ques- 
tion de  Pologne  dans  son  immense  étendue  et 


118 


LE    PLAN    l'ANGERMANlSTE 


dans  toute  sa  complexité.   Les   prétentions   de 
l'Allemagne  à  l'ouest,  —  encerclées  également 


sur    la    carte    par    un    trait    noir   de    largeur 
moyenne,  —  mettent  en  cause  l'indépendance 


LE    PLAN    1»AN«;KRMAMSTK  il9 

(le  la  Hollande,  delà  Heliii(jue,  du  Luxeinbourj^. 
de  la  France  menar«'*e  d«^  perdre  des  territoires 
vitaux.  En  outre,  à  l'Ouest,  l'agression  alle- 
mande a  posé  la  (juestion  d'Alsace-Lorraine  du 
point  de  vue  français.  D'autre  part,  coninie  l'Al- 
lemagne prétend  établir  son  hégémonie  absolue 
de  Hambourg  au  golfe  Persique  alin  qu'ensuite 
sa  politique  tentaculaire  puisse  s'étendre  à  l'Ex- 
trême-Orient et  au  monde  entier  par  les  procé- 
dés qui  seront  exposés  au  chapitre  V,  la  guerre 
en  cours  pose  encore  devant  les  puissances  toute 
la  question  d'Orient  (Balkans  et  Turquie),  —  en- 
cerclées par  un  même  trait  noir  sur  la  carte,  — 
et  toute  la  question  d'Autriche.  (Employée  dans 
ce  sens,  l'expression  Autriche  désigne  toute  la 
Monarchie  des  Habsbourg,  c'est-à-dire  le  terri- 
toire encerclé  par  un  très  gros  trait  noir  sur  la 
carte.)  En  somme,  c'est  la  totalité  des  grandes 
questions  extérieures  qui  sont  posées  d'un  seul 
coup  devant  le  monde  du  fait  de  l'agression  du 
gouvernement  de  Berlin. 

Les  Allemands  ayant  étudié  à  fond  depuis  très 
longtemps  tous  ces  problèmes  ont  prévu  pour 
chacun  d'eux  une  solution  conforme  à  leurs  in- 
térêts les  plus  cyniques.  Il  en  résulte  que  tous 
ces  problèmes  politi([ues  qui  se  posent  en  même 
temps  s'enchevêtrent  réciproquement  et  que 
les  Alliés  ne    seront  vraiment  vainqueurs  que 


120  LK    1>I,AN    PANGERMANISTE 

lorsqu'eux-mêmes  auront  su  imposer  à  l'Alle- 
magne au  sujet  de  ces  grands  problèmes  des 
solutions  qui,  par  la  force  des  choses,  ne  peuvent 
être  qu'entièrement  contraires  à  celles  prévues 
par  Berlin.  Il  est  impossible  qu'il  en  soit  autre- 
ment. La  question  d'Orient  qui  se  pose  mainte- 
nant devant  l'Europe  n'est  plus  la  vieille  question 
d'Orient  classique,  mais  une  question  d'Orient 
prussianisée,  pénétrée  sous  tous  ses  aspects  paj- 
les  ambitions  des  Hohenzollern  présentes  et 
futures.  De  même,  la  question  d'Autriche  actuelle 
n'est  plus  la  question  d'Autriche  de  jadis  qui 
consistait  alors  dans  la  vieille  lutte  des  Habs- 
bourg contre  leurs  nationalités.  Ce  quelesAllirs 
ont  maintenant  à  considérer  en  Europe  centrale, 
c'est  la  question  d'Autriche  prussianisée  par  deux 
faits  essentiels  :  l'influence  dissimulée  mais 
exclusive  que  Berlin  a  exercée  d'une  façon  crois- 
sante sur  Vienne,  depuis  surtout  une  quinzaine 
d'années,  et  la  mainmise  que  les  Hohenzollern 
ont  pu  réaliser,  à  la  faveur  de  la  guerre,  sur 
tout  l'empire  des  Habsbourg  renfermant  28  mil- 
lions de  populations  slaves  et  latines  réduites 
sous  le  joug  et  qui  n'attendent  plus  leur  salut 
que  de  l'écrasement  du  militarisme  prussien. 


LE    IM-AN    PANr.ERMANISTE  121 


II 


Le  plan  paiigeniiuiiisle  ciilindoiuu'  à  la  lutte 
qu'il  a  déchaînée  un  caractt»re  d'horreur  san- 
f^hmte  extraordinaire  et  sans  aucun  précédent 
dans  l'histoire. 

En  somme,  Guillaume  II,  après  avoir,  par  la 
propagande  pangermaniste,  développé  chez  son 
peuple  d'âpres  désirs  de  con(|ut^te  et  de  hulin,  a 
déclaré  la  j?uerre  avec  l'idée  lixe  qu'elle  devait 
ahoutir  à  rétablissement  en  Europe  et  en  Tur- 
quie de  l'hégémonie  de  77  millions  d'Allemands 
sur  127  millions  de  non-Allemands.  La  cama- 
rilla  prussophile  de  Vienne,  violente  mais  en 
fait  peu  nombreuse,  un  groupe  d'aristocrates 
magyars  inféodés  au  néfaste  comte  Tisza,  une 
douzaine  de  pseudo  jeunes-Turcs  vendus  à  Ber- 
lin ont  été  les  complices  du  Kaiser.  Ce  sont 
ainsi,  en  définitive,  quelques  hommes  seulement 
qui  ont  entraîné  dans  la  guerre  les  50  millions 
d'Austro-Hongrois  et  les  20  millions  d'Ottomans, 
donc  70  millions  de  belligérants  qui,  dans  leur 
immense  majorité,  ne  voulaient  certainement 
pas  de  conflit  sanglant.  Il  s'ensuit  que  celui-ci 
résulte,  d'une  façon  manifeste,  de  la  trahison 
des  peuples  par  leurs  rois  ou  leurs  gouvernants 
turco-magyars. 


122  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

L'origine  comme  le  but  de  cette  guerre  en  font 
donc  l'entreprise  la  plus  férocement  réaction- 
naire qui  se  puisse  imaginer.  Elle  l'est  au  point 
que  ceux  qui,  en  France,  sont  qualifiés  de  réac- 
tionnaires, et  qui  comparés  aux  Junkers  prus- 
siens sont  de  grands  libéraux,  se  trouvent 
étroitement  d'accord  avec  les  socialistes  les  plus 
ardents  pour  vouloir  la  ruine  totale  d'une  entre- 
prise qui,  si  elle  réussissait,  ferait  moralement 
rétrograder  le  monde  moderne  jusqu'au  moyen 
âge  sous  la  forme  la  plus  odieuse.  Mais  ce  serait 
cette  fois  le  moyen  âge  rendu  immuable  par 
l'effet  des  forces  de  la  science  la  plus  récente 
qui  serviraient  à  le  fixer  dans  le  temps.  Le  cou- 
rant électrique  mortel  qui  circule  dans  les  fils 
métalliques  qui  actuellement  forment  une  bar- 
rière infranchissable  entre  la  Belgique  et  la  Hol- 
lande constitue  un  symbole  parfait  de  ce  que 
serait  pour  les  non-Allemands  le  bagne  panger- 
manisLe. 

D'autre  part,  le  fait  qu'ils  poursuivent  un  plan 
d'esclavage  gigantesque  et  sans  précédent  a 
conduit  logiquement  les  Allemands  d'abord  à 
violer  cyniquement  toutes  les  lois  de  la  guerre 
entre  belligérants  et  ensuite  à  commettre  systé- 
matiquement d'abominables  forfaits  de  droit 
commun,  soit  aux  dépens  des  neutres  qu'ils 
veulent  terroriser  comme  les  usiniers  des  Etats- 


I 


LE    PLAN    l'ANdl  IIMAMSTK 


Unis,  soit  aux  dopons  des  malheureuses  popu- 
lations civiles  «les  régions  «  cambriolées  »  dont 
les  souffrances  sont  indicibles.  Les  faits  résul- 
tant du  terrorisme  panp^ermaniste  sont  tellement 
nombreux  et  si  prodijjieusement  atroces  que  les 
historiens  auront  une  diiliculté  énorme  à  peindre 
le  tableau  dantesque  de  tous  ces  crimes  dans  leur 
colossale  horreur.  Les  Allemands  mènent  incon- 
testablement la  guerre  dans  des  conditions  qui 
les  assimilent  à  de  vulgaires  cambrioleurs-assas- 
sins, donc  à  des  criminels  de  droit  commun.  Ils 
se  sont  ainsi  placés  au  ban  de  l'humanité  et  ceux 
<jui  hors  d  Allemagne  les  aident  sciemment  dans 
letir  triche  d'asservissement  de  l'Europe  sont  pure- 
ment et  simplement  des  complices  et  devraient 
f'frc  traifrs  co/f/z/tr  /cls. 


m 


Le  19  janvier  4916,  au  Reichstag,  le  député 
Martin  assurait  :  «  Le  peuple  allemand  serait 
mécontent  si  l'Allemagne  restituait  les  territoires 
qu'elle  occupe  actuellement.  (V.  Le  Temps,  21  jan- 
vier 1916.)  Cette  phrase  résume  l'opinion  domi- 
nante outre-Rhin. 

Pour  tâcher  de  conserver  la  plupart  des  ter- 
ritoires qu'ils  occupaient  au   début  de  1916  les 


124  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

Allemands  ont  combiné  les  moyens  militaires  et 
les  manœuvres  politiques. 

Les  Allemands  se  sont  retranchés  formidable- 
ment sur  tous  les  fronts  susceptibles  d'être  atta- 
qués par  les  Alliés.  En  accumulant  partout 
ouvrages  défensifs,  mitrailleuses,  artillerie 
lourde,  les  Allemands  espèrent  pouvoir  compen- 
ser l'usure  de  leurs  effectifs  et  continuer  à  résis- 
ter aux  assauts  des  Alliés  jusqu'à  ce  que  ceux-ci 
soient  lassés  de  l'effroyable  lutte.  L'expérience 
de  la  guerre  ayant  établi  l'extrême  difficulté 
qu'il  y  a  à  percer  une  série  de  lignes  puissam- 
ment fortifiées  paraît  servir  de  base  au  calcul 
principal  de  l'état-major  allemand  qui  [semble 
être  le  suivant. 

«  Nous  avons  réalisé  les  9/10"  de  nos  acquisi- 
tions prévues.  Calais,  Verdun,  Belfort,  Riga  et 
Salonique  seuls  nous  manquent.  Nous  tâcherons 
d'emporter  ces  places  si  les  conjonctures  s'y 
prêtent,  sinon,  afin  de  ne  pas  courir  des  risques 
excessifs,  nous  resterons  partout,  en  Europe,  sur 
une  défensive  mordante,  tout  en  paraissant  tou- 
jours vouloir  attaquer  afin  de  dérouter  nos 
adversaires.  Si  les  Franco-Anglais  s'obstinent  à 
vouloir  concentrer  leurs  elTorts  surtout  contre 
nos  lignes  du  front  occidental,  comme  celles-ci 
sont  multiples  et  très  puissantes,  ils  éprouveront 
des  pertes  telles  que  môme  s'ils  arrivent  à  nous 


I.K    PLAN    PANl^KRMANISTe 


125 


laiiT   reculer,  ils  seront   (inalenient  épuisés  au 
point  (juils  ne  j)Ourront  passer  le  Rhin.  Parcon- 


mm 


séquent,  ils  resteront  impuissants  àdicterlap'aix 
à  TAllema^^ne.  » 


126  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

Assurément,  les  Alliés  enseip^nés  par  les  faits 
peuvent  déjouer  ce  calcul  probabledes  Allemands 
par  des  offensives  simultanées  bien  exécutées  sur 
toute  la  périphérie  accessible  de  la  forteresse 
allemande  et  c'est  ce  qu'ils  paraissent  de  plus  en 
plus  se  préparer  à  faire. 

La  ligne  crénelée,  sur  la  carte  ci-contre,  montre 
la  curieuse  forme  géographique  des  énormes  ter- 
ritoires qui  constituent  cette  forteresse.  Au  point 
de  vue  alimentaire,  celle-ci  est  ravitaillée  d'abord 
par  les  ressources  des  pays  non-Allemands  occu- 
pés qu'on  épuise  à  fond  et  ensuite  parles  impor- 
tations venant  par  la  voie  des  neutres  qui, 
volontairement  ou  non,  ont  répondu  plus  ou 
moins  aux  sollicitations  de  l'Allemagne  :  la  Hol- 
lande, le  Danemark,  la  Suède,  la  Roumanie,  la 
Suisse. 

D'autre  part,  grâce  au  couloir  balkanique,  la 
forteresse  allemande  au  début  de  1916  était  lar- 
gement ouverte  sur  la  Perse,  le  Caucase,  l'Asie 
centrale  russe,  l'Afghanistan,  les  Indes  et 
l'Egypte.  C'est  dans  ces  diverses  directions 
qu'après  avoir  armé  tous  les  Musulmans  appré- 
hensibles  et  capables  de  porter  un  fusil,  l'état- 
major  allemand  comptait  atteindre  militairement 
la  Grande-Bretagne  et  la  Russie.  Les  succès 
russes  dans  l'est  de  la  Turquie  ont  entravé 
depuis  ces  projets. 


I.K    IM..VN    PANGERMANISTE  12* 

D'autre  part,  comme  les  Allemands  n'onl  rien 
à  gag^ner  à  la  prolongation  de  la  guerre,  ils  vont 
continuer  à  tenter  par  toutes  les  manœuvres 
politiques  possibles  de  briser  la  coalition.  Il  est 
clair  (jue  la  défection  d'un  des  principaux  alliés 
placerait  nécessairement  tous  les  autres  dans 
des  conditions  infiniment  plus  difficiles  pour  con- 
tinuer la  lutte.  Si  l'on  suppose  celle  défection, 
les  Allemands  pourraient,  en  effet,  espérer  traiter 
de  la  paix  sur  la  base  de  leurs  occupations 
actuelles.  Les  Allemands  vont  donc  reprendre 
et  accentuer  leurs  tentatives  de  paix  séparée 
avec  l'un  quelconque  de  leurs  adversaires.  Quand 
leur  situation  deviendra  très  difficile,  les  Alle- 
mands, pour  brisera  tout  prix  la  coalition,  feront 
à  l'un  des  Alliés  des  propositions  de  paix  séparée 
donnant  à  celui-ci  à  peu  près  complète  satisfac- 
tion, dans  Tespoir  que,  poussé  peut-être  par 
une  partie  de  son  opinion  publique  lassée  de  la 
guerre,  cet  allié  déposera  les  armes. 

L'Etat  allié  qui,  contrairement  aux  engage- 
ments pris,  traiterait  à  part  avec  Berlin  serait 
bien  vite  puni  de  son  infamie.  En  permettant  à 
r Allemagne  de  conclure  la  paix  à  peu  près  sûr 
la  base  de  ses  occupations  actuelles,  il  se  trouve- 
rait ensuite  en  face  d'un  empire  germanique 
fonnidable  dont  il  deviendrait  fatalement  l'une 
des  futures  et  premières  victimes. 


128  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

Les  Allemands  tâcheront  peul-ôtre  encore  de 
faire  aux  Alliés  «  le  coup  de  l'armistice  ».  ïl  y 
aurait  là  une  spéculation  astucieuse  fondée 
encore  sur  la  lassitude  des  combattants.  11 
existe,  en  effet,  une  hypothèse  oii  un  simple 
armistice  finirait,  comme  suite  d'une  manœuvre 
qu'il  faut  dévoiler,  par  permettre  à  l'Allemagne 
de  conserver  finalement  la  plupart  de  ses  acqui- 
sitions territoriales  actuelles.  On  doit  certaine- 
ment faire  à  Berlin  le  calcul  suivant  qui  psycho- 
logiquement n'est  pas  dénué  de  valeur.  —  «  Si 
un  armistice  était  signé,  les  soldats  alliés  se 
diraient  :  «  On  cause,  donc  c'est  la  paix  et 
«  bientôt  la  démobilisation  » .  Dans  ces  conditions, 
la  dé  tente  morale  de  nos  adversaires  aurait  lieu.  » 
Les  Allemands  n'en  demanderaient  pas  davan- 
tage. Ils  engageraient  des  négociations  de  paix 
avec  l'idée  astucieuse  que  voici.  Pour  en  com- 
prendre la  manœuvre,  il  faut  se  rappeler  les  • 
propositions  de  paix  que  l'agent  officieux 
D'  Alfred  Hermann  Fried  de  Vienne  fut  chargé 
de  lancer  comme  ballon  d'essai,  le  27  dé- 
cembre 1915,  dans  un  article  retentissant  de  la 
Nouvelle  Gazette  de  Zurich.  Ces  propositions 
étaient  mélangées  de  sous-entendùs  qui  permet- 
taient bien  de  commencer  à  discuter  mais  aussi 
de  rompre  la  conversation  au  moment  voulu. 
Exemple  :  la  Belgique  conserverait  son  indépen- 


LE    PLAN     1'AN»;KHMANISTE  1  2'J 

*1  iiuci',  mais  «  à  la  cundition  que  des  traités,  peut- 
être  aussi  des  gages,  rendent  impossible  la  rvjiè- 
lition  des  èvniemvntsde  1914  ».  Losdépark'iiu'nls 
français  occupés  seraient  sans  antre  rendus  à 
la  France,  mais  «  quelques  pr///<-  n(  lifications  de 
frontihes  seraient  peut-être  son/m //rrs  dans  f  in- 
térêt des  deux  parties  ».  (V.  Le  .lomnal  de  Genève. 
29  décembre  191;».)  Si,  par  hypothèse,  les  Alliés 
faisaient  la  faute  énorme  de  discuter  de  la  paix 
sur  des  hases  aussi  cauteleuses,  l'Allemagne 
toujours  retranchée  derrière  ses  fronts  rendus  à 
peu  près  infranchissables  finirait  par  dire  aux 
Alliés  :  «  Je  ne  suis  pas  d'accord  avec  vous. 
Après  tout,  vous  ne  pouvez  pas  prétendre  que 
jt'Nacuc  «les  Icrriloires  dont  vous  êtes  impuis- 
sants à  me  chasser.  Si  vous  n'êtes  pas  contents 
roiilinuez  la  guerre  ».  Comme  pendant  les  néo^o- 
cialions  tout  le  nécessaire  aurait  été  fait  par  les 
agents  allemands  pour  accentuer  la  détente 
morale  chez  les  soldats  du  pays  allié  le  plus 
fatigué  de  la  lutte,  l'énorme  machine  militaire 
de  l'Entente  ne  pourrait  plus  être  remise  en 
mouvement  dans  son  ensemble.  11  en  résulterait 
.  la  rupture,  en  fait,  de  la  coalition  antigerma- 
nique et  finalement  la  conclusion  de  la  paix  à 
peu  près  sur  la  base  des  occupations  actuelles. 
Le  but  de  Berlin  serait  ainsi  atteint. 

Enfm,  quand  «  le  coup  de  l'armistice  »  aura,  lui 


130  \.E    PLAN    PANGEHMANISTE 

aussi,  échoué  et  que  ]a  situation  de  J'Allemagne 
se  sera  encore  aggravée,  on  assistera  à  l'ultime 
manœuvre  berlinoise.  Les  pétitions  contre  les 
annexions  territoriales  se  multiplieront  outre- 
Rhin; elles  seront  sous-main  favorisées  par  le  goii- 
cernement  de  Berlin  qui  finira  par  dire  aux 
Alliés  :  «  Finissons  de  nous  entre-tuer.  Je  suis 
tout  à  fait  raisonnable,  j'abandonne  mes  préten- 
tions sur  vos  territoires  occupés  par  mes  armées. 
Traitons  de  la  paix  sur  la  base  de  «  la  partie 
nulle  ».  » 

Le  jour  où  cette  proposition  sera  faite,  les 
Alliés  se  trouveront  en  face  de  la  plus  astucieuse 
des  manœuvres  berlinoises,  du  piège  allemand 
le  plus  redoutable.  C'est  à  ce  moment  que  la 
ténacité,  la  clairvoyance  et  la  solidarité  des  Alliés 
devront  se  manifester  avec  un  particulier  éclat. 
Pour  en  établir  l'extrême  nécessité,  dans  cette 
hypothèse,  il  faut  déjouer  par  avance  la  ma- 
nœuvre allemande  en  montrant  nettement  au 
cours  du  chapitre  suivant  que  «  le  coup  de  la 
partie  apparemment  nulle  »,  s'il  réussissait,  dis- 
simulerait, en  réalité,  un  formidable  succès  pour 
l'Allemagne  et  une  catastrophe  irrémédiable  pour 
les  Alliés  et  pour  la  liberté  du  monde. 


CHAPITRK    V 

LE  COUP  DE  LA  »  PARTIE  NULLE  >> 
ET    LE    HAMBOURG-GOLFE    PERSIQUE 


I.  Quel  serait  en  réalité  raboutissement  du  coup  dit 

de  «  la  partie  nulle  », 

II.  Conséquences  financières  pour  les  alliés  de  la  partie 

soi-disant  nulle. 

III.  Les  Alliés  et  le  Hambourg -Golfe  Persique. 

IV.  Conséquences  panislamiques  et  asiatiques   de  la 

réalisation  du  Hambourg-Golfe  Persique. 

V.  Conséquences  mondiales  de  la  réalisation  du  Ham- 

bourg-Golfe Persique. 

Si  les  Alliés  veulent  vraiment,  comme  leurs 
gouvernements  l'ont  maintes  fois  proclamé,  en 
unir  avec  le  péril  du  militarisme  prussien,  il 
leur  faut  voir  résolument  les  choses  comme  elles 
sont,  même  quand  elles  sont  peu  agréables  pour 
leur  amour-propre.  Ils  doivent  donc  se  pénétrer 
de  cette  idée  que  la  réalisation  du  plan  panger- 
maniste  a  été  basée  pour  une  bonne  part  sur 
l'ignorance  que  Berlin  savait  exister  avant  la 
guerre  dans  les  pays  aujourd'hui  alliés  sur  l'as- 
pect entièrement  nouveau  donné  par  le  travail 


132  LE    PLAN    PANGERMANISÏE 

pangermaniste  et  le  mouvement  des  nationalités, 
dans  les  dernières  années,  à  tous  les  problèmes 
politiques  des  Balkans  et  de  l'Autriche-Hongrie. 
On  ne  saurait  en  douter,  cette  ignorance  des 
Alliés  avait  été  aussi  minutieusement  étudiée  et 
évaluée  que  leurs  lacunes  militaires  et  la  convic- 
tion qu'ils  ne  comprenaient  pas  «  ce  qu'il  faut- 
drait  faire  »  a  certainement  contribué  à  décider 
Berlin  à  déchaîner  la  guerre. 

Or,  le  coup  de  «la  partie  nulle  »,  suprême  res- 
source du  gouvernement  de  Berlin,  est  une  nou- 
velle spéculation  faite  par  lui  sur  l'ignorance 
des  Alliés  en  matière  de  réalités  extérieures. 


Le  coup  de  «  la  partie  nulle  »  sera  basé  sur 
le  raisonnement  suivant  qu'on  fait  certainement 
à  Berlin.  «  Les  diplomates  alliés  n'ont  saisi  ni 
notre  plan  ni  notre  organisation  pangermaniste 
bien  qu'elle  ait  exigé  vingt  années  de  prépara- 
tion. Les  diplomates  alliés  n'ont  compris  ni  le 
véritable  état  des  Balkans  au  lendemain  du 
traité  de  Bucarest,  qui  leur  était  cependant  si 
favorable,  ni  l'importance  des  forces  balkaniques 
sur  Fissuedela  guerre.  Or,  les  diplomates  alliés 
et  l'opinion  publique  de  leurs  pays  sont  encore 


LR    PLAN    PANr.ERMANISTK  133 

bien  moins  informés  «les  réalités  de  l'Aulriche- 
Hoiij^rie  qu  ils  ne  l'étaient  de  celles  des  Balkans. 
En  France  et  surtout  en  Angleterre,  une  notable 
partie  de  l'opinion  publi(jue  continue  à  penser 
que  rAutriche-Honirrie  est  un  pays  en  majorité 
allemand  dont  la  réunion  plus  ou  moins  formelle 
ù  l'Empire  est  naturelle  et  quasi  inévitable. 
Donc,  si  nous  sommes  contraints  de  céder  à 
l'Est  et  à  l'Ouest,  avec  un  peu  d'habileté,  nous 
avons  encore  des  chances  de  réaliser,  sans  que 
les  Alliés  en  comprennent  le  danger  futur  pour 
eux,  la  troisième  partie  de  notre  plan  panger- 
maniste,  c'est-à-dire  sa  partie  principale,  celle 
visant  le  Sud  et  le  Sud-Est,  symbolisée  par  la 
formule  :  Hambourg-Golfe  Persique.  » 

En  effet,  le  coup  de  «  la  partie  nulle  »  ne  tend 
rien  moins  qu'à  ce  résultat.  Il  faut  bien  avouer 
que  le  raisonnement  allemand  qui  vient  d'être 
résumé  ne  manque  pas  de  fondements  car  jus- 
qu'à présent  des  journaux  alliés  ont  publié  sur 
TAutriche-Hongrie  des  articles  décelant  une 
méconnaissance  complète  des  réalités  et  ont 
ainsi  favorisé  à  leur  insu  la  thèse  pangermaniste 
relative  à  l'empire  des  Habsbourg. 

Dans  la  presse  alliée  également,  l'expression 
«  partie  nulle  »  est  employée  couramment  pour 
désigner  le  cas  oii  l'Allemagne  serait  considérée 
comme  vaincue  du  fait  de  l'évacuation  par  elle 

8 


134  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

des  territoires  occupés  à  l'Est  et  à  l'Ouest,  sans 
qu'on  ait  encore  signalé  avec  la  précision  indis- 


pensable  que  cette  partie   soi-disant    nulle   ne 
serait  pas  nulle  du  tout  puisqu'elle  permettrait  à 


I.K    PLAN    PANUERMANISTR  135 

I  Vlleinagne  de  réaliser  d'énormes  acquisitions 
(jui  la  rendraient  beaucoup  plus  puissante  encore 
(ju'avant  la  guerre. 

Il  faudrait  cependant  (jue  les  Alliés  ne  soient 
pas  dupes  une  fois  de  plus  d'une  nouvelle  ma- 
nœuvre allemande  dont  la  réussite  entraînerait 
pour  eux  des  suites  infiniment  plus  graves  encore 
que  celles  de  toutes  les  erreurs  déjà  commises 
par  les  Alliés.  Pour  écarter  ce  danger,  il  suffit 
d'ailleurs  de  le  voir  en  face  en  comprenant  bien 
quelles  seraient  les  conséquences  certaines  d'une 
paix  traitée  sur  la  base  dite  de  «  la  partie 
nulle  ». 

L'expression  «  partie  nulle  »  signifie  évidem- 
ment que  chaque  pays  garderait  ses  frontières 
d'avant  la  guerre  et  la  charge  des  dépenses  qu'il 
a  faites  pour  soutenir  la  lutte,  mais  afin  de  dé- 
montrer d'une  façon  surabondante  et  aussi 
péremptoire  que  possible  ce  qui  se  cacherait 
devant  cette  apparente  et  relative  capitulation 
allemande,  nous  raisonnerons  sur  une  hypothèse 
qui  serait  encore  infiniment  plus  avantageuse 
pour  les  Alliés  d'Occident  que  la  partie  dite  nulle . 

Nous  supposerons  (voir  la  carte  ci-contre) 
qu'à  la  suite  d'olFensives  victorieuses  des  Alliés, 
l'Allemagne  se  déclarera  finalement  disposée,  non 
pas  seulement  à  évacuer  totalement  la  Pologne, 
les  départements  français,  la  Belgique,  le  Luxem- 


136  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

bourg,  tnais  encore  à  restituer  à  la  France  l' Alsace- 
Lorraine  et  même  à  céder  à  titre  d indemnité  tout 
le  reste  de  la  rive  gauche  du  Rhin,  sons  la  seule 
condition  tacite  de  garder  son  influence  pré- 
pondérante  directe  ou  indirecte  sur  l' Autriche- 
Hongrie,  les  Balkans  et  la  Turquie. 

Il  y  a  assurément  dans  les  pays  alliés  d'Occi- 
dent beaucoup  de  braves  gens  qui,  actuellement, 
ne  percevant  pas  plus  les  effets  d'une  pareille 
paix  qu'ils  ne  comprenaient  il  y  a  un  an  l'in- 
fluence énorme  qu'exerceraient  les  Balkans  sur 
l'évolution  de  la  guerre  et  qui,  lassés  par  la 
longueur  de  la  lutte,  diraient  tout  d'abord  : 
«  Après  tout,  ce  seraient  là  des  conditions  fort 
acceptables  :  l'Alsace-Lorraine,  la  rive  gaucho 
du  Rhin,  faisons  la  paix  ». 

Il  suffit  d'entrer  dans  le  fond  des  choses  pour 
constater  que  si  les  Alliés  traitaient  avec  l'Alle- 
magne sur  de  pareilles  bases,  la  restitution  de 
l'Alsace-Lorraine  à  la  France  ne  pourrait  être 
que  tout  à  fait  momentanée,  car  grâce  à  une 
pareille  paix  l'Allemagne  acquerrait  tous  les  élé- 
ments de  puissance  qui  lui  permettraient,  après 
un  très  court  répit,  de  reprendre  l'Alsace-Lor- 
raine, de  venir  finalement  à  bout  de  tous  les 
Alliés  et  d'accomplir  le  plan  pangermaniste  inté- 
gral, non  pas  seulement  européen  mais  asiatique 
et  même  mondial.    - 


LE    PLAN    PANGERMANISTE  131 


L'abandon  de  la  rive  ^auclie  du  Rliin  selon 
notre  hypothèse  ferait  perdre  à  l'AMeina^ne  : 

Kilomètres 
Provinces.  carrés.  Population. 

Prusse  Rhénane 27.000        7.000.000 

Bavière  Khénane ;i.928        1.000.000 

Alsace-Lorraine 14  522        2.000  000 

Soit t7.4;iO       10.000.000 

L'Empire  allemand  actuel  serait  donc  ramené 
il  403.408  kilomètres  carrés  et  à  58  millions 
d'habitants.  Mais  cette  perte  à  l'Ouest  serait  for- 
midablement compensée  par  le  rattachement 
étroit  qui,  pour  être  dép^uisé,  n'en  serait  pas 
moins  réel,  de  l'Autriche-Hongrie  à  l'Empire 
allemand.  De  ce  chef,  l'influence  de  Berlin  s'exer- 
cerait d'une  façon  directe  et  absolue  sur  : 

Kilomclres 
carrés.  Population. 

Empire  allemand  amputé 

à  rOuest  493.408      58.000.000 

.\utriche-Hongrie    ....         676.616      30.000.000 

Soit 1.170.024     108.000.000 

Il  est  clair  que  le  bloc  d'États  ainsi  solidement 
constitué  en  Europe  centrale  sous  la  direction  de 
Berlin  exercerait,  par  l'efTet  de  son  simple  con- 


138  LE    1>LAN    PANGliilMANiSlE 

tact,  une  action  absolument  prépondérante  sur 


Kilomètres 
carrés. 

Population. 

s  Balkans.    .    .    . 

.    .    .         499.275 

22.000.000 

L  Turquie  .... 

.    .    .      t. 792. 900 

20.000.000 

Soit 

.    .    .     2.292.175 

42.000.000 

Donc,  l'influence  prépondérante  directe  ou 
indirecte  de  Berlin  s'exercerait  sur  3.462.199 
kilomètres  carrés  et  sur  150  millions  d'habitants. 
On  constate  donc  bien  que,  .finalement,  le  coup 
dit  de  «  la  partie  nulle  »  aboutirait,  en  réalité, 
à  un  énorme  accroissement  de  l'I^mpire  alle- 
mand et  à  la  réalisation  de  la  partie  principale 
du  plan  pani^ermauiste  résumée  par  la  formule  : 
Hambourg-Golfe  Persique  (v.  p.  109). 

Quelle  serait  alors  la  silualion  générale  de  la 
Grande-Allemagne  ainsi  constituée? 

«  Ayant  coupé  en  deux  lEurope,  maîtresse 
de  l'Adriatique  comme  de  la  mer  du  Nord,  sûre 
de  ses  flottes  et  de  ses  armées,  la  Grande-Alle- 
magne pèserait  lourdement  sur  le  monde. 
Trieste,  le  Hambourg  du  Sud,  l'alimenterait 
dans  la  paix,  la  ravitaillerait  dans  la  guerre. 
Douée  d'un  outillage  d'une  puissance  incompa- 
rable, son  industrie  inonderait  de  ses  produits 
les  pays  qu'elle  s'ingénie  avec  tant  d'art  à  acca- 
parer :  la  Hollande  et  la  Belgique  déjà  pénétrées  ; 
la  Hongrie,  cliente  ;  la  Roumanie,  satellite  ;   la 


LE    l'LAN    PANr.ERMANISTE  139 

Ihilf^arie,  harriî're  hrisi-e  ;  la  Bosnie  et  l'IIei/é- 
i;ovine,  portes  do  l'Orient.  Au  delà  du  Bospliore, 
elle  atteindrait  l'Asie  Mineure,  réservoir  immense 
de  richesses.  Projetée  depuis  Hambourg  jusqu'au 
golfe  Persique,  sans  solution  de  continuité, 
l'immense  voie  ferrée  allemande  souderait  Berlin 
à  l'Extrême-Orient. 

«  Alors  le  rôve  gigantestjue  de  l'empereur  Guil- 
laume II  serait  accompli.  Par  la  lorce  et  par  la 
richesse  commerciale,  l'Allemagne  dominerait 
l'univers.  Pour  caractériser  l'état  de  choses  qui 
existerait  alors,  il  sufliraitde  modifier  légèrement 
ce  que  Mellornich  écrivait  de  la  France  napoléo- 
nienne et  de  dire  :  «  Le  système  allemand,  qui 
«  triomphe  aujourd'hui,  est  dirigé  contre  tous  les 
«  grands  corps  d'État,  contre  toute  puissance 
«  capahie  de  maintenir  son  indépendance  ». 

Ce  sont  là,  exactement,  les  lignes  que  j'ai 
publiées,  il  y  a  déjà  quinze  ans,  dans  mon  livre 
VEuropc  et  la  question  d'Autriche  au  seuil  du 
XX^  siècle,  p.  353  (Pion  et  Nourrit,  éditeurs, 
Paris),  après  qu'une  étude  minutieuse  du  plan 
pangernianisle  de  1895  m'avait  convaincu  que 
toute  la  politique  futuie  de  Berlin  tendrait  à  la 
réalisation  de  la  formule  Hambourg-Golfe  Per- 
sique. Ces  lignes  contiennent  maintenant  quel- 
ques nuances  qui  ne  sont  pas  au  point,  mais 
malheureusement  les  faits  acquis  font  qu'elles 


140  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

correspondent  cependant  encore  exactement  dans 
leur  ensemble  aux  réalités.  «  Le  coup  de  la  partie 
nulle  ^)  que  gardent  en  réserve  les  Allemands, 
espérant  profiter  encore  de  l'ignorance  ou  de  la 
lassitude  d'une  partie  des  Alliés  aurait,  en  effet, 
pour  objet  incontestable  de  réaliser  cet  énorme 
programme.  L'immense  danger  qui  en  résul- 
terait pour  les  Alliés  apparaîtra  bien  mieux  encore 
lorsque,  —  en  supposant  qu'ils  tombent  dans  le 
piège  qui  leur  est  préparé,  -—  on  aura  constaté 
avec  précision  quelles  seraient  pour  eux  les 
conséquences  de  la  réalisation  du  Hambourg- 
Golfe  Persique. 


II 


Le  coup  de  «  la  partie  nulle  »  qui  permettrait, 
—  par  hypothèse,  — aux  Allemands  de  réaliser, 
à  la  faveur  du  rattachement  étroit  de  l'Autriche- 
Hongrie  à  l'empire  allemand  leur  plan  Hambourg- 
Golfe  Persique  comporterait  des  conséquences 
financières  générales.  Il  faut  les  dégager  afin  de' 
bien  comprendre  toute  l'astuce  qui  se  caché  der- 
rière l'éventuelle  manœuvre  allemande  dite  de 
«  la  partie  nulle  ». 

Les  Allemands  n'ayant  pas  réussi  à  écraser 
les  AJliés  considèrent  que  leurs  frais  de  guerre 
pourraient  bien  rester  à  leur  charge.  La  Post, 


LE    PLAN    PANGRRMANISTE  I  »! 

(If  Ik'rlin,  a  d(\jà  calculé:  «  Si  nous  ne  touclions 
pas  une  indeujnilé  de  {guerre  nous  devons  comp- 
tersur  une  augnienlalion  des  laxesannuelles  d'au 
moins  4  milliards  de  marks.  »  (Soit  :  ii  mil- 
liards de  francs  pour  68  nuUioiis  d  haliilanls.i 
(V.  Le  Temps,  1"  février  191(1.) 

La  décej)lion  est  assurément  forte  pour  les 
Allemands  qui  pensaient  imposer  rien  qu'à  la 
France  une  indemnité  de  35  milliards,  mais  il 
faut  cependant  bien  «  réaliser  »  que  le  coup  de 
«  la  partie  nulle  »,  que  nous  supposons  réussi 
pour  la  commodité  du  raisonnement,  placerait 
r Allemagne,  au  point  de  vue  financier,  dans  une 
situation  infiniment  plus  avantageuse  que  les 
Alliés. 

La  conduite  de  la  guerre  a,  en  réalité,  coûté 
aux  Allemands  beaucoup  moins  qu'à  leurs  adver- 
saires. Il  y  a  là  un  point  de  vue  qu'il  faut  d'au- 
tant plus  mettre  en  lumière  qu'il  contribue  sin- 
e:ulièrement  à  expli(|uer  pourquoi  la  résistance 
économique  de  l Allemagne  est  plus  prolongée 
(ju'on  n'attendait  généralement. 

Depuis  le  début  des  hostilités,  les  troupes 
austro-allemandes  vivent  aux  frais  de  vastes 
territoires  ennemis  ou  alliés,  comme  la  Turquie 
»!  la  Bulgarie,  dont  elles  épuisent  lentement  les 
ressources  qui  s'y  trouvaient  accumulées.  En 
outre,   dans  les  pays   ennemis,  notamment  en 


142  LE    PLAN    PANGERMAMSTE 

Belgique  et  en  France,  régions  les  plus  riches 
de  la  terre,  les  Allemands  ont  fait  un  butin  for- 
midable. Rien  qu'à  la  Belgique,  ils  ont  imposé 
une  contribution  de  guerre,  en  espèces,  de 
480  millions  par  an.  De  Belgique  et  de  France, 
les  Allemands  tirent  gratuitement  des  masses  de 
charbon  et  de  fer.  Dans  ces  deux  pays,  ils  ont 
fait  main  basse  sur  des  matières  premières,  des 
machines,  des  meubles,  des  valeurs,  etc.,  repré- 
sentant certainement  de  nombreux  milliards. 
Rien  que  dans  les  villes  françaises  du  Nord,  les 
Allemands  ont  volé  pour  550  millions  de  laine. 
Partout,  ils  ont  mis  la  main  sur  d'innombrables 
titres  mobiliers  dont  ils  ont  môme  déjà  tenté  la 
réalisation  aux  États-Unis,  sans  grand  succès  il 
est  vrai.  Mais,  si  une  victoire  intégrale  ne  con- 
traignait pas  les  Allemands  à  restituer  ces  titres 
à  leurs  propriétaires  alliés,  au  moins  une  partie 
de  ceux-ci,  du  seul  fait  de  la  rétention  de  leurs 
valeurs,  subiraient  une  perte  de  capital  énorme 
dont  l'effet  se  répercuterait  nécessairement  sur 
la  richesse  générale  des  pays  alliés.  A  cette 
perte,  s'ajouterait  vraisemblablement  celle  des 
nombreux  milliards  prêtés  par  des  Français  ou 
des  Anglais  à  l'Autriche,  aux  pays  des  Balkans 
et  à  la  Turquie,  milliards  représentés  par  des 
titres  qui,  actuellement,  sont  bien  en  pays  alliés 
mais  dont  la  valeur  deviendrait  singulièrement 


■ 

aléatoire  le  jour  où,  rAlleinaj^ne  dominanl  depuis 
Ilainhouriç  justju'au  i^olfe  I*ersique,  il  fau<lrait 
conipler  uniquement  sur  la  bonne  foi  teutonne 
pour  toucher  les  coupons  des  litres  en  question. 
La  guerre  a  donc  mis  au  pouvoir  de  l'Allemagne 
non  seulement  de  vastes  territoires  qui  lui  ont 
permis  de  mener  la  lutte  à  beaucoup  moins  de 
frais  que  les  Alliés  mais  encore  les  Allemands 
ont  pu  mettre  la  main  sur  des  richesses  énormes 
qui,  représentant  des  dizaines  de  milliards  dont 
un  certain  nombre  réalisables  en  espaces,  ont 
diminué  d'autant  les  dépenses  directement  iinan- 
ciëres  de  guerre  de  l'Allemagne. 

Les  Alliés  ne  sont  évidemment  pas  dans  une 
situation  correspondante. 

Dans  l'hypothèse  d'une  paix  conclue  avec 
Berlin  sur  la  base  de  «  la  partie  dite  nulle  », 
chaque  allié  devrait  garder  à  sa  charge,  sans 
aucune  atténuation,  les  dépenses  immenses 
qu'il  a  dû  faire  pour  soutenir  la  guerre  que  lui 
a  imposée  l'Allemagne.  Il  est  aisé  de  se  rendre 
compte  que  ces  dépenses  de  guerre  ont  été  et 
sont  pour  chacun  des  Alliés  notablement  plus 
élevées  et  plus  variées  que  celles  de  l'Allemagne. 
Les  Alliés  ont  eu  à  improviser  un  énorme 
matériel  de  guerre  dans  des  conditions  les  plus 
onéreuses,  alors  que  l'Allemagne  avait  pu,  pen- 
dant la  paix,  c'est-à-dire  dans   des  conditions 


144  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

relativement  économiques,  créer  tout  l'essentiel 
de  son  outillage  de  combat. 

Les  Alliés  ont  à  entretenir  des  millions  de 
réfugiés  des  régions  envahies,  alors  que  les 
Allemands  n'ont  eu  à  supporter  pareille  charge 
que  momentanément  et  pour  une  petite  partie 
de  la  Prusse  orientale.  Après  la  guerre,  la  Bel- 
gique, la  Russie,  et  la  France  surtout,  auront  à 
supporter  pour  quelques  dizaines  de  milliards  de 
charges  supplémenlaires  pour  réparation  des 
dommages  colossaux  causés  par  les  Allemands 
dans  les  territoires  envahis  aux  particuliers,  aux 
propriétés  de  l'État,  aux  chemins  de  fer  ou  aux 
routes,  etc.  Les  Allemands  n'auraient  pas  à  faire 
de  dépenses  analogues,  tout  au  moins,  et  à  beau- 
coup près,  dans  les  mêmes  proportions.  Dans 
leur  conception  de  la  partie  nulle,  les  Allemands 
comptent  certainement  que  ces  différences  finan- 
cières suffiraient  presque  à  assurer,  après  la 
paix,  l'impuissance  ultérieure  des  pays  Alliés  à 
l'égard  de  la  Grande-Allemagne. 

Quelle  serait  par  exemple  la  situation  de  la 
France  si  elle  ne  devait  pas  toucher  d'indemnité 
de  guerre?  Le  groupement  de  quelques  chiffres 
connus  et  que  chacun  peut  contrôler  permet  de 
se  faire  une  opinion  à  ce  sujet. 

Si  la  lutte  dure  par  exemple  deux  ans,  on 
peut  estimer  à  50  milliards  les  dépenses  directes 


'ANtiF.UMVMSIK 


(le  la  France  pour  la  ji:u(M-re  el  à  environ  20  mil- 
liards ses  dépenses  indirt'ctes  cesl-à-dire  celles 
(ju'il  faudra  payer  aprîs  la  paix  jtour  réparation 
des  prodiî^ieux  doniinaiies  causés  aux  particu- 
liers ou  à  l'état  :  réfections  des  roules,  chemins 
de  fer,  etc.,  soit  au  total  environ  70  milliards. 
La  dette  de  la  France  qui  était  de  30  milliards 
avant  la  guerre  se  trouverait  donc  après  la  paix 
être  d'environ  100  milliards. 

D'autre  part,  le  budget  de  la  France  en  1914 
était  en  chiffres  ronds  de  5  milliards.  Du  seul  chef 
du  relèvement  du  prix  de  la  vie,  ce  chiffre  sera 
fatalement  augmenté  après  la  guerre,  au  moins 
de  10  p.  100,  soit  donc  pour  le  budget  d'après  la 
paix  une  première  augmentation  de  500  millions. 
D'autre  part,  ce  même  budget  aurait  à  supporter 
l'intérêt  à  5  p.  100  des  70  milliards  de  dettes 
nouvelles  contractées  du  fait  de  la  guerre,  soit 
une  annuité  de  3.500  millions.  Enfin  il  est  indu- 
bitable que  les  pensions  à  servir  aux  blessés, 
veuves  des  combattants,  mettront  à  la  charge  du 
budget  une  annuité  d'au  moins  un  milliard, 
t'hiffre  qui  sera  sans  doute  encore  très  insuffi- 
sant. E)i  di'fuiitivp.  le  budget  français  de  o  mil- 
liards en  1914  devrait  f^tre  relevé  d'environ 
5  milliards  c'est-à-dire  doublé.  (Il  est  d'ores  et 
déjà  certain  que  ce  chiffre  serait  très  inférieur  à 
la  nécessité.)  Cependant  cette  énorme  surcharge 

9 


146  LE    PLAN    PANGERMAMSTE 

ne  laisserait  aucune  somme  disponible  pour 
réaliser  des  réformes  sociales  sérieuses  et  pour 
effectuer  les  améliorations  considérables  qui 
s'imposent  pour  mettre  l'outillage  économique 
national  de  la  France  à  la  hauteur  d'une  reprise 
intense  des  affaires. 

On  se  souvient  en  France  combien  il  était 
difficile  avant  la  guerre  de  trouver  par  les 
impôts  500  millions  seulement  de  ressources 
nouvelles.  Comment  trouverait-on  annuellement 
un  supplément  de  5  milliards  d'impôts  dans  un 
pays  cruellement  décimé  par  la  lutte  et  dont  la 
vie  économique  demandera  une  réorganisation 
complète?  Il  est  clair  que  les  impôts  les  plus 
écrasants  pour  tous  ne  permettraient  pas  de 
parfaire  régulièrement  une  pareille  somme. 

Cette  situation  générale  ne  pourrait  manquer 
par  ses  réactions  de  créer  à  l'État  et  à  chaque 
Français  individuellement  des  difficultés  finan- 
cières considérables.  Il  en  serait  de  même  pour 
toutes  les  entreprises  économiques.  Des  milliers 
d'entre  elles,  actuellement  mises  en  actions  et 
en  obligations  possédées  par  le  public,  ou  péri- 
cliteraient complètement,  ou  verraient  leurs 
titres  tomber  à  un  cours  extrêmement  bas.  La 
propriété  foncière  surchargée  de  taxes,  et  sup- 
portant tout  spécialement  les  conséquences  de  la 
raréfaction  de  la  main-d'œuvre,   perdrait    une 


LE    PLAN    l'.VNCKRM.VNISTK  \t. 

iK)t;il)lo  partit'  de  sa  valeur  De  cette  situation 
résulterait  un  relèvement  j,'^énéral  considérable 
du  prix  de  la  vie  qui  rendrait  plus  pénible  encore 
le  sort  de  cbaque  Français. 

Or,  cette  situation  linancière  serait  analoj^ue 
pour  les  Kusses,  pour  les  Anj^lais  dont,  de  tous 
les  belligérants,  les  dépenses  de  guerre  sont  les 
plus  élevées. 

Ce  sont  sur  ces  répercussions  linancières  que 
comptent  les  Allemands  pour  réduire  les  Alliés 
à  l'impuissance  ultérieure  (juand  ils  tenteront 
(le  leur  faire  le  coup  de  «  la  partie  nulle  ».  La 
victoire  intégrale  que  tous  les  Alliés  veulent 
est  donc  pour  eux  le  seul  procédé  d'échapper  à 
ce  danger  en  permettant  d'imposer  à  l'Alle- 
magne le  paiement  de  l'indemnité  de  guerre 
qu'elle  doit  incontestablement  comme  respon- 
sable de  la  lutte.  Les  annuités  payées  à  chacun 
des  Alliés  serviront  de  base  à  des  emprunts  qui 
permettront  de  trouver  des  solutions  raison- 
nables aux  graves  difficultés  financières  qui, 
sans  conteste,  attendent  tous  les  belligérants 
après  la  guerre. 


III 


La   menace    de    réalisation    du    Hambourg- 
Golfe   Persique  crée  entre  tous  les  Alliés   un 


148  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

intérêt  territorial  européen  commun,  bien  supé- 
rieur à  tous  leurs  intérêts  particuliers  et  qui  doit 
les  rendre  jusqu'à  la  fin  étroitement  solidaires. 
En  effet,  sans  môme  parler  de  l'intérêt  d'hu- 
manité qu'il  y  a  à  ce  que,  —  conformément  au 
principe  des  nationalités,  —  les  nombreux 
peuples  non-Allemands  qui  vivent  entre  la 
Bohême  et  le  Golfe  Persique  ne  soient  pas  défi- 
nitivement asservis  par  le  germanisme,  la 
France,  l'Angleterre,  la  Russie,  l'Italie  ont  nn 
intérêt  identique  et  absolument  vital  à  ce  que  le 
Hambourg-Golfe  Persique  ne  se  réalise  jamais. 
Cette  réalisation  menace  ég-alement  tous  les 
États  neutres  car  elle  garantirait,  comme  on  va 
voir,  à  l'Allemagne,  sa  domination  sur  le 
Monde. 


Au  point  de  vue  économiqtie  général,  la  réali- 
sation, —  par  hypotiièse,  —  du  Hambourg- 
Golfe  Persique,  placerait  l'Allemagne  à  tous 
égards  dans  une  situation  infiniment  supérieure 
à  celle  des  Alliés.  Sa  mainmise  directe  ou 
indirecte  sur  l'Autriche-Hongrie,  les  Balkans  et 
l'Empire  ottoman  assurerait  à  l'Allemagne  une 
puissance  économique  extraordinaij-e  contre 
laquelle  toutes  les  combinaisons  douanières 
éventuelles  des  Alliés  seraient  impuissantes. 


LE    l'I.VN    l'ANt.Kini  AMSTK  1 49 

La  t«''iiiiciU'  au  travail,  l'esprit  d'entreprise  et 
d'organisation  des  Allemands  ne  sont  plus  à 
démontrer.  Il  ne  faut  donc  pas  douter  un  seul 
instant  qu'ils  tireraient,  à  leur  énorme  avanla<,^e, 
tous  les  profits  possibles  de  l'Autriche-Hon^rie 
dont  do  vastes  réglions  peuvent  encore  être 
mises  on  valeur.  Il  en  serait  de  môme  des 
terres  balkani(jues,  dont  beaucoup  sont  encore 
totalement  inexploitées  et  qui  contiennent  des 
richesses  latentes  agricoles  et  minières  considé- 
rables. Ce  serait  encore  le  cas  de  la  Turquie 
d'Asie.  L'orientaliste  allemand  D""  Spencer  cons- 
tatait déjà  en  1886  :  «  L'Asie  Mineure  est  le  seul 
territoire  du  monde  qui  n'ait  pas  encore  été 
accaparé  par  une  grande  puissance.  C'est  cepen- 
dant le  plus  beau  champ  de  colonisation.  Si 
IWilemagne  ne  manque  pas  l'occasion  et  s'en 
saisit  avant  qne  les  Cosaques  étendent  la  ludin 
de  ce  côt('\  elle  aura,  dans  le  partage  du  monde, 
acquis  la  meilleure  part  ». 

S'imaginer  que  les  Turcs  entraveraient  sérieu- 
sement l'exploitation  économique  de  leur  pays 
par  les  Allemands  est  une  illusion.  Si  ceux-ci 
étaient  maîtres  de  l'Europe  centrale  et  des  Bal- 
kans, ils  seraient  en  condition  d'écarter  tous  les 
obstacles.  Les  pangermanistes  prussiens  en  sont 
assurés  grâce  à  leurs  hommes-liges  de  Gonstan- 
tinople.   La   façon   dont   le    prince   héritier    de 


IbO  LK    PLAN    PAN(iERMAMSïE 

Turquie,  Youssouf-Izzeddin  a  été  «  suicidé  a  à  la 
fin  de  janvier  1916,  parce  qu'anti-allemand,  le 
prouve  assez.  Les  Allemands  sauraient  parfaite- 
ment continuer  à  faire  aux  quelques  douzaines 
de  Jeunes-Turcs  de  la  clique  Enver  Pacha  les 
avantages  personnels  les  plus  étendus  et  toutes 
les  concessions  d'apparences  qui  permettraient 
à  Berlin  d'exploiter  à  fond  l'empire  ottoman. 
Qu'on  ne  s'y  trompe  pas,  la  réalisation  du  Ham- 
bourg-Golfe Persique  mettrait  dans  les  mains  de 
Berlin  tous  les  éléments  d'une  puissance  écono- 
mique formidable  et  sans  précédent  dans  l'his- 
toire. Elle  assurerait,  en  effet,  à  l'Allemagne  le 
monopole  exclusif  de  l'action  économique  su)- 
près  de  3  ?mllions  de  kilomètres  carrés  de  ten-es 
européennes  et  asiatiques  [Autriche-Hongrie, 
Balkans,  Turquie)  et  comporterait,  en  outre,  la 
iiiainmise  en  de  nombreux  points  stratégiques 
de  toute  première  importance.  [Côte  de  l'Adria- 
tique, de  la  mer  Egée,  Dardanelles,  etc.) 

Or,  la  permanence  de  ces  avantages  énormes 
serait  assurée,  à  la  Grande-Allemagne,  par 
l'extension  du  militarisme  prussien.  Car  il  faut 
.  bien  comprendre,  ceci  est  essentiel,  que  le  mili- 
tarisme prussien  dont  l' anéantissement  constitue 
pour  les  Alliés  le  véritable  but  légitime  et  néces- 
saire de  la  guerre,  —  but  infiniment  supérieur  à 
n'importe  quelle  acquisition  territoriale,  —  serait 


I.K    l'LAN    l'ANCiKKMANISTE  151 

rvndu  par  ta  n'ulisaltnn  du  llaniboury-Golfe 
Ih'rsique  conaidèrablcmcnt  plus  paissant  qu'il  ne 
l'était  en  1914. 

11  est  aisé  de  s'en  reiuliv  conipto.  Le  raUaclio- 
inenl  étroit  de  l'Autriche  Hongrie  ùrAlleFiiaf^ne, 
en  piîiraiit  sous  l'aulorité  immédiate  de  l'élat- 
major  de  Berlin  une  population  de  108  millions 
d'iiabilants  lui  permettrait  de  mobiliser  au  bas 
mot  10  millions  de  soldats.  Or,  en  raison  de  la 
situation  géog;raphi(|ue  centrale  des  deux  empires 
et  du  réseau  de  chemins  de  fer  austro-allemands 
qui  serait  poussé  au  plus  haut  degré  de  perfec- 
tion technique,  cette  immense  armée  pourrait, 
plus  aisément  encore  qu'actuellement,  être 
concentrée  très  vite  sur  n'importe  quel  point  de 
la  périphérie  de  la  confédération  germanique. 
Mais  ce  n'est  pas  tout.  L'action  prédominante  de 
Berlin  sur  les  Balkans  et  la  Tunjuie  au  moyen 
des  alliances  politiques  imposées  aux  États  satel- 
lites du  Sud-Est  donnerait  encore  à  l'état-major 
berlinois  l'influence  militaire  sur  42  millions 
d'habitants  soit  sur  à  peu  près  4  millions  de 
soldats. 

Ccsi  donc  au  total  15  millions  de  soldats  envi- 
ron, —  en  supposant  la  mobilisation  portant 
sur  seule fnent  10  p.  100  de  la  population,  —  qne 
la  réalisation  du  Hambourg -Golfe  Persique  pla- 
cerait sous  iinfliience  directe   ou  indirecte  des 


152  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

Hohenzollern.  Ce  chiffre  serait  de  21  millions  de 
soldats,  si  la  înobilisation  portait  sur  ii  p.  100 
de  la  population,  chiffre  qui  a  été  atteint  par  la 
Serbie  et  qui  semble  être  celui  réalisé  actuelle- 
ment par  l' Aiistro- Allemagne . 

Or,  la  guerre  en  cours  prouve,  sans  conteste, 
que  la  direction  unique  donnée  à  de  grandes 
masses  militaires,  quand  cette  direction  unique 
est  l'objet  de  préparations  aussi  minutieuses  que 
celle  de  l'état-major  de  Berlin,  constitue  une 
puissance  infiniment  plus  grande  que  celle  de 
masses  bien  plus  nombreuses,  mais  dont  la 
direction  n'est  pas  suffisamment  coordonnée. 

La  réalisation  du  Hambourg-Golfe  Persique 
placerait  donc  l'Allemagne  dans  une  situation 
militaire  considérablement  plus  puissante  que 
celle  de  tous  les  pays  alliés  réunis. 

En  tout  cas,  ceux-ci  qui  combattent  pour  la 
fin  des  grands  armements  se  verraient  à  nou- 
veau lancés  dans  la  voie  d'un  militarisme  à 
outrance  car  ils  ne  pourraient  lutter  contre  la 
Grande-Allemagne  qu'au  prix  d'armements  for- 
midables qui  absorberaient  toutes  leurs  res- 
sources et  toutes  leurs  préoccupations.  Or, 
seraient-ils  à  môme  de  procéder  à  de  pareils 
armements  avec  la  situation  financière  infini- 
ment difficile  qui  serait  la  leur  dans  l'hypotbèse 
envisagée?  (Voir  p.  144.)  En  auraient-ils  d'ail- 


I.K    l'LAN    l'AN«iKHMANlS.rt  i:>i 

U'urs  la  volonté,  apri'S  l't'lîroyablo  déconvenue 
morale  île  leurs  peuples  qui  constateraient  trop 
lard  rimmenso  erreur  commise  par  leurs  diri- 
j^eants  en  traitant  de  la  paix  sur  la  base  de  la 
partie  nulle  en  apparence,  luais  qui  aurait  per- 
mis à  Berlin  de  réaliseï-  le  llambourg-Golfe 
Persi(jue? 

D'ailleurs,  les  Alliés  voudraient-ils  tenter  à 
nouveau  d'abattre  l'atroce  militarisme  prussien 
devenu  encore  plus  oppresseur  quavant  la 
i!;uerre  que  la  Grande-Allemaj^çne  ne  leur  lais- 
serait certainement  pas  le  temps  de  se  pré- 
parer. 

Dès  la  paix  conclue  sur  la  base  de  notre 
hypothèse,  on  peut  tenir  pour  assuré  que  Ber- 
lin organiserait  au  plus  vite  économiquement 
et  militairement  l'immense  territoire  sur  lequel 
son  hégémonie  se  serait  étendue.  Si  la  Russie, 
la  France,  l'Angleterre  et  l'Italie  se  disposaient 
à  reprendre  la  lutte,  étant  donné  leurs  situations 
linancières  et  morales  supposées,  elles  seraient 
certainement  réduites  à  l'impuissance  bien 
avant  qu'elles  aient  pu  se  mettre  en  état  de 
tenir  tèle  au  nouveau  colosse  germanique. 


Enlin,  il  faudrait  loul  iuiiorer  de  la  ténacité  et 


154  LE    PLAN    PANGERMANISÏE 

de  l'ambition  des  Hohenzollern  pour  s'imaginer 
que  la  Grande -Allemagne  maîtresse  du  Ham- 
bourg-Golfe Persique  renoncerait  sincèrement 
à  dominer  sur  la  mer  du  Nord  et  sur  la  Manche. 
Par  conséquent,  l'évacuation  de  la  Belgique  et 
la  rétrocession  de  l'Alsace-Lorraine  que,  dans 
notre  hypothèse,  l'Allemagne  aurait  faite  à  la 
France  ne  sauraient  être  que  momentanées. 
Cette  capitulation  apparente  de  Berlin  ne  serait 
donc  qu'un  astucieux  artifice  pour  permettre  à 
l'Allemagne,  commençant  à  être  aux  abois,  de 
se  reprendre  afin  d'entamer  une  nouvelle  lutte. 
Elle  s'y  prépare  d'ailleurs  déjà  d'accord  avec 
ses  alliés  actuels.  La  Nation  Tchèque  du 
15  mars  1916,  l'excellente  revue  que  dirige 
M.  Ernest  Denis,  professeur  à  la  Sorbonne,  a 
dévoilé  le  fait  suivant.  Le  29^ février  1916,  la 
Chambre  de  commerce  de  Budapest  réunie  en 
séance  plénière  a  étudié  les  mesures  à  prendre 
en  mie  de  la  future  guerre  gui  doit  compléter 
les  résultats  insuffisants  d'une  paix  qu'on  envi- 
sage comme  devant  être  «  imparfaite  ».  Dans 
cette  délibération,  il  a  été  déclaré  qiien  vue  dune 
conflagration  nouvelle  les  États  qui  sont  alliés  à 
l'Allemagne  dans  la  guerre  actuelle  doivent  for- 
mer une  communauté  économique.  Ainsi  déjà, 
les    Hohenzollern    suscitent    même    chez   leurs 


I.K    PLAN    I'AN(;ERMANISTI:  I5a 

qu'ils  déchaîneront  si  les  Alliés  ne  délruisent 
pas  le  militarisme  prussien.  Guillaume  II  et  ses 
Panp:erinanistes  veulent  à  tout  prix  réaliser  le 
Hambourg-Golfe  Persique,  parce  qu'ils  savent 
trës  bien  que  cette  réalisation,  comme  on  va  le 
constater  plus  loin,  suffirait  à  leur  donner 
tous  les  moyens  d'accomplir  ensuite  intégrale- 
ment leur  programme  de  domination  univer- 
selle. 


IV 


Le  plan  pangermaniste  de  1911  prévoit  l'ex- 
ploitation des  conséquences  du  Hambourg-Golfe 
Persique  jusqu'aux  plus  lointaines  régions  de 
rExlrème-Orient.  Les  faits  ac(juis  et  les  pro- 
grammes pangermanistes  connus  permettent  de 
concevoir  quels  concours  l'Allemagne  aurait 
voulu  trouver  en  Asie  pendant  la  guerre  et  quel 
parti  elle  tirerait  ensuite  pendant  la  paix  du 
Hambourg-Golfe  Persique  si  elle  parvenait  à  le 
réaliser  définitivement. 

Guillaume  II  a  tenté  d'abattre  la  carte  panis- 
lamique  qui  constitue  l'un  des  principaux  atouts 
/du  jeu  pangermaniste.  Il  s'agit,  en  somme,  de 
déchaîner  un  mouvement  panislamique  poli- 
tique et  militaire  qui  aiderait  l'Allemagne  à 
réduire   à   merci    les   puissances    de    l'Entente 


lliG 


LE    PLAN    l'ANGERMANISTE 


I.K.    PLAN    PANGEKMAiMSlK 


|)uis(juo  cellos-ri  comptent  dans  It'urs  posses- 
sions do  très  nombreux  sujets  musulmans  :  la 
France,  notamment  en  Tunisie,  en  Alg»*rie  et  au 
Maroc,  l'Italie  en  Lybie,  la  Russie  en  Crimée, 
au  Caucase,  dans  la  région  de  Kazan,  en  Asie 
centrale  et  en  Sibérie;  l'Angleterre  en  Egypte, 
aux  Indes,  en  Birmanie,  dans  les  Détroits  asia- 
tiques et  dans  la  plupart  de  ses  autres  colonies 
africaines. 

Gomme  le  panislamisme  est  basé,  en  appa- 
rence, sur  une  restauration  et  une  extension 
considérables  de  riniluence  et  des  pouvoirs  du 
Sultan  de  Constantinople,  Commandeur  des 
Croyants,  il  ne  pouvait  que  flatter  profondé- 
ment le  néo-nationalisme  des  Turcs  qui  s'est 
surtout  dégagé  après  l'insuccès  des  Alliés  aux 
Dardanelles.  Il  en  est  résulté  que  le  Kaiser, 
grâce  au  panislamisme,  a  pu  faire  marchera  fond 
dans  le  sens  de  ses  intérêts  les  Musulmans, 
sujets  du  Sultan,  auxquels  une  habile  propa- 
gande a  fait  miroiter  la  reconstitution  dun  grand 
empire  plus  puissant  encore  qu'aux  anciens 
jours. 

Le  mouvement  panislamique  minutieusement 
préparé  depuis  longtemps  pendant  la  paix  par 
l'Allemagne  a  été  mis  en  œuvre  par  celle-ci  dès 
l'ouverture  des  hostilités.  Sur  le  conseil  de  Ber- 
lin, le  Sultan  a  proclamé,  dès  la  fin  de  1914,  le 


158  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

Djihad  ou  Guerre  sainte.  Sans  doute,  l'insurrec- 
tion musulmane  ne  s'est  pas  produite  sous  une 
forme  générale,  mais  l'agitation  islamique  n'a 
cependant  pas  été  sans  donner  déjà  des  résul- 
tats locaux  qu'on  connaîtra  mieux  après  la 
guerre  et  qui  ont  constitué  une  gêne  pour  les 
Alliés  aux  Indes,  en  Egypte,  en  Libye,  dans 
les  possessions  françaises  de  l'Afrique  du  Nord. 

Notamment,  en  avril  1915,  un  soulèvement  de 
troupes  britanniques  hindoues  à  Singapour  a 
failli  entièrement  réussir.  À  peu  près  vers  la 
même  époque,  au  Siam,  de  nombreux  officiers 
allemands  avec  le  concours  de  révolutionnaires 
indiens  et  birmans  ont  pu  commencer  à  prépa- 
rer une  petite  armée  de  16.000  hommes  qui,  après 
avoir  reçu  ses  armes,  devait  attaquer  la  Birmanie 
anglaise. 

Cette  agitation  islamique  menaçait  de  prendre 
une  sérieuse  extension  quand  le  succès  des 
Russes  en  Arménie  et  en  Perse,  en  portant  un 
coup  très  grave  au  prestige  du  Sultan,  Comman- 
deur des  Croyants,  est  venu  heureusement  l'en- 
rayer. Il  n'empêche  que  ce  que  Berlin  a  déjà 
tenté  de  réaliser  avec  le  concours  de  l'Islam  doit 
servir  aux  Alliés  d'avertissement  sévère  de  ce 
que  l'Allemagne  ferait  certainement  dans  l'ave- 
nir si  la  future  paix  lui  en  laissait  les  moyens. 
Dès  que  la  jonction  turco-allemande  a  été  effec- 


I.K    IM.AN    l'ANC.KiniA.MSIK  I  .'.' 

lui'e  ù  travers  lu  Serbie,  eu  octobre  11)15,  lac- 
tion  panislainiquo  du  Kaiser  s'est  accentuée. 
Sur  l'injonction  de  Ouillaurne  II,  son  âme  dam- 
née de  Constantinople,  Enver  pacba,  qui  alors 
était  tout-puissant,  a  mobilisé  la  totalité  des 
sujets  ottomans  capables  d'utiliser  les  armes  qui 
ont  commencé  ji  leur  parvenir  en  abondance 
des  Empires  du  centre,  seulement  au  début  de 
1916,  après  que  les  communications  furent  éta- 
blies à  travers  la  Serbie  envahie.  En  même 
temps,  des  centaines  de  mille  d'Arméniens  ont 
été  systématiquement  massacrés  afin  d'éliminer 
une  population  non  musulmane  qui  gênait  les 
plans  d'avenir  turco-germanique.  Quant  à  l'ac- 
tion militaire  et  panislamique  des  Turcs,  dirigée 
par  les  Allemands,  elle  a  cherché  à  s'irradier 
de  Gonstanlinople  dans  de  multiples  directions  : 
vers  l'Egypte,  vers  le  Caucase,  la  Perse,  l'Asie 
centrale  russe,  l'Afghanistan  et  les  Indes. 

Après  la  guerre,  si  par  hypothèse  la  paix  se 
concluait  sur  la  base  de  «  la  partie  nulle  »,  donc 
si  le  Hambourg-Golfe  Persique  devenait  une 
réalité,  tous  ces  plans  seraient  repris.  Gomment 
les  Turcs  se  soustrairaient-ils  à  l'emprise  alle- 
mande? Leur  situation  financière  les  lie  entiè- 
rement à  la  Germanie.  Les  très  larges  avan- 
tages personnels  que  les  agents  du  Kaiser  ne 
manqueraient  pas  de  faire  à  tous  les  Turcs  dont 


100  LE    PLAN    PANGERittANISTE 

le  concours  serait  considéré  comme  nécessaire 
suffiraient  pour  assurer  Ja  prédominance  de 
Berlin  dans  l'Empire  du  Sultan,  terre  classique 
des  backchiclis.  (V.  la  carte  p.  136.) 

Or,  il  y  a  en  Perse,  dans  rAzerbedjan, 
400.000  hommes  environ  susceptibles  de  faire 
des  soldats  fort  utilisables  qui  constitueraient 
un  moyen  d'action  offensif  contre  la  Russie. 
500.000  combattants  éventuels,  de  premier 
ordre,  se  trouvent  en  Afghanistan.  Une  fois 
armés,  ils  pourraient  être  lancés  sur  les  Indes 
du  Nord  qui  contiennent  environ  50  millions  de 
Musulmans.  Ceux-ci,  dans  l'ensemble,  sont  res- 
tés jusqu'à  présent  loyalistes  envers  la  Grande- 
Bretagne  mais  leurs  sentiments  pourraient  chan- 
ger si,  en  fait,  l'Allemag-ne  apparaissait  comme 
victorieuse  en  restant  maîtresse  du  Hambourg- 
Golfe  Persique.  On  constate  donc  que  très  peu- 
de  temps  après  une  paix  éventuellement  conclue 
sur  ces  bases,  les  Anglais  et  les  Russes  pour- 
raient avoir  à  faire  face  à  de  très  graves  diffi- 
cultés. 

Ce  n'est  pas  tout,  la  propagande  allemande 
s'est  encore  étendue  à  toute  la  Chine  au  moyen 
de  divers  procédés.  D'abord  les  20  à  30  millions 
de  Musulmans  qui  existent  dans  le  Céleste 
Empire  ont  été  travaillés  par  les  agents  turco- 
allemands  comme  ceux  des  autres  régions  isla- 


I.K    PLAN    PANCKHMAMSIK  101 

mi(jui's.  .Mais  coiniue  les  Musulmuns  chinois 
sont  ^éoçrapliiquemonl  trop  mal  {groupes  pour 
constituer  une  hase  d'aclion  sufnscnninent  puis- 
sante (le  l'aj^itation  allenianile,  celle-<'i  s'est  atla- 
i|uée  surtout  aux  organes  vitaux  et  moteurs  de 
la  Chine.  Les  agents  allemands  ont  acheté  en 
Chine  comme  ailleurs  tous  les  journaux  utili- 
sahles  pour  leurs  lins,  notamment  la  Peking 
Pust  de  langue  anglaise,  la  revue  chinoise  le 
lisié-Ho-Pao.  Ils  ont  utilisé  encore rOs/a.sia/t«c/it' 
Lloyd  qui  se  publiait  à  Tien-Tsin  avant  la 
guerre.  Ils  ont  fondé  depuis  les  hostilités  La 
Gazette  allemande  de  Chine.  Tous  ces  organes 
ont  propagé  partout  dans  le  Céleste  Empire  la 
thèse  de  l'invincibilité  germanique.  Grâce  à  eux, 
assure  La  Gazette  de  Francfort  :  «  chaque  coolie 
sait  aujourd'hui  que  l'Allemagne  est  victo- 
l'ieuse  ». 

Pour  le  moment,  la  politique  que  l'Allemagne 
poursuit  en  Chine  consiste  à  créer  partout  le 
trouble  et  l'agitation.  Dans  la  Chine  du  Nord, 
elle  soutient  le  président  Yuan-Chi-Kaï.  Dans 
son  entourage,  les  Allemands  se  sont  créés  de 
nombreux  partisans.  Grâce  à  leurs  influences, 
des  officiers  allemands  occupent  déjà  des  postes 
très  importants  dans  l'armée  chinoise.  Mais  dans 
la  Chine  du  Sud,  l'Allemagne  soulève  les  popu- 
lations contre  l'autorité  de  Yuan-Chi-Kaï.  Le  but 


LE    l'LAN    l'ANGKRMANlSTE 


que  se  propose  Berlin  par  celte  politique  en 
apparence  contradictoire  est  de  créer  en  Chine 
une  situation  telle  qu'elle  absorbe  l'attention  du 
Japon  et  le  détourne  d'intervenir  avec  ses 
troupes,  en  Europe,  comme  il  en  a  déjà  été 
question  et  comme  cela  serait  encore  possible. 
La  politique  berlinoise  du  moment  dans  le 
Céleste  Empire  a  encore  pour  objet  de  préparer 
la  politique  allemande  de  l'avenir  en  Extrême- 
Orient.  Après  la  paix  conclue  sur  les  bases 
qu'elle  escompte,  l'Allemagne  veut  pratiquer  en 
Chine  exactement  la  même  politique  que  celle 
prévue  pour  la  Turquie.  Alors  Berlin  dira  aux 
Chinois  comme  maintenant  aux  Turcs  :  (f  Voyez, 
nous  sommes  des  financiers  hardis,  des  indus- 
triels entreprenants,  des  commerçants  actifs. 
Nous  allons  vous  aider  à  mettre  votre  pays  en 
valeur.  Nous  vous  procurerons  les  techniciens 
qui  vous  manquent.  Nous  vous  donnerons  les 
moyens  de  vous  défendre  contre  vos  voisins. 
Nous  qui  sommes  les  premiers  soldats  du  monde 
nous  mettrons  en  état  vos  forces  militaires 
latentes,  magnifiques  et  infinies.  Avec  vos 
300  millions  d'habitants,  vous  pouvez  être  les 
maîtres  absolus  de  toute  l'Asie.  Nous  allons  donc 
vous  constituer  une  formidable  armée  et  une 
très  puissante  marine  ».  Il  est  aisé  de  saisir  ce 
qui  se  cache  derrière  ce  programme  apparem- 


i.K  l'i.AN  i'AN(;i;nM\MsiK  loa 

ment  séilucleur  pour  les  Chinois.  Cesl,  en 
réalité,  la  préparation  tle  la  mainmise  de 
l'Alleniajj^ne  sur  une  partie  de  la  Chine  et  son 
exploitation  éoonoininue  par  rAllemagne  exac- 
tement dans  les  mOmes  conditions  et  par  les 
mêmes  procédés  que  ceux  déjà  employés  en 
Turquie.  Cette  politique  est  encore  la  prépara- 
tion de  la  veng;eance  éclatante  (|ue  l'Allemaji^ne 
entend,  après  la  victoire  dont  elle  veut  se  croire 
assurée,  tirer  dans  l'avenir  du  Japon.  Sans  doute, 
afin  de  tacher  de  rompre  l'union  de  ses  adver- 
saires, Berlin  a  déjà  insinué  à  Tokio  l'idée  d'une 
paix  séparée,  mais  c'est  là  pure  tactique  imposée 
par  les  nécessités  du  moment. 

Jamais  une  Grande-Allema<çne  qui  dominerait 
de  Hambourg  au  Golfe  Persique  et  qui  exerce- 
rait une  influence  prédominante  en  Chine  ne 
pardonnerait  aux  Japonais  de  l'avoir  chassée  de 
Kiao-Tciiéou.  Or,  le  jour  ou  une  immense  armée 
chinoise  aurait  pu  être  constituée  sous  la  direc- 
tion d'officiers  allemands,  le  Japon  malgré  toute 
la  bravoure  de  ses  soldats,  en  raison  de  la  fai- 
blesse relative  de  sa  population  (70  millions, 
■ —  avec  ses  colonies,  —  contre  300  millions  de 
Chinois)  ne  pourrait  échapper  aux  conséquences 
de  la  situation  intolérable  dans  laquelle  il  se 
trouverait  placé.  Le  Japon  est  donc  très  directe- 
ment visé  par  la  réalisation  éventuelle  du  Ham- 


164  LE    PLAN    PANGERMANISÏE 

bourg--Golfe  Persique  qui  véritablement  met  son 
avenir  en  cause. 

En  détinitive,  on  constate  que  grâce  à  la  com- 
binaison du  panislamisme  et  d'une  politique  sino- 
phile,  au  moins  dans  les  apparences,  la  réalisa- 
tion du  Hambourg-Golfe  Persique  assurerait  à 
l'Allemagne  les  moyens  de  dominer  non  seule- 
ment l'Europe  mais  encore  d'influer  d'une  façon 
prédominante  sur  toute  l'Asie.  Après  s'être 
procuré  en  Europe  la  possibilité  de  tirer  l'avan- 
tage exclusif  de  positions  stratégiques  d'une 
valeur  inestimable  comme  les  côtes  de  l'Adria- 
tique, de  l'Egée,  les  Dardanelles,  l'Allemagne 
serait  maîtresse,  par  voie  de  conséquences,  du 
canal  de  Suez  et  disposerait,  en  outre,  de  nom- 
breux points  d'appui  sur  les  côtes  chinoises. 

Empêcher  la  réalisation  du  Hambourg-Golf t 
Persique  constitue  donc  une  question  vitale  non 
seulement  pour  la  France,  l'Angleterre,  la  Rus- 
sie et  l'Italie,  mais  encore  pour  le  Japon. 


Afin  de  démontrer  l'importance  véritablement 
extraordinaire  du  Hambourg-Golfe  Persique,  il 
reste  à  établir  comment  sa  réalisation  non  seu- 
lement rendrait  l'Allemagne  maîtresse  de  l'Eu- 
rope et  prépondérante    en    Asie,    mais    encore 


LE    PLAN    PANUEUMANISTE 


[6Z 


100  LK    PLAN    PANGERMANISTE 

entraînerait  l'accomplissement  du  plan  panger-_, 
maniste  sous  sa  forme  mondiale. 

Les  éléments  mondiaux  de  ce  plan,  exprimés 
graphiquement  sur  la  carte  ci-contre,  ont  été 
exposés  dans  le  livre  d'Otto  Richard  Tannenberg, 
La  Plus  Grande  A  llemagne,  l'Œuvre  du  XX"  siècle 
paru  à  Leipzig  en  1911.  Une  traduction  française 
de  cet  ouvrage  due  à  M.  Maurice  MiUioud  de 
Lausanne  vient  de  paraître  chez  l'éditeur  Payot.. 
Comme  ce  livre,  daté  de  1911,  contient  le  pro- 
gramme exact  des  mainmises  pangermanistes 
à  effectuer  en  Europe  et  en  Turquie,  tel  que 
V état-major  allemand  vient  de  les  réaliser  dans 
la  proportio7i  des  neuf  dixièmes,  l'importance 
exceptionnelle  du  livre  de  Tannenberg  ne  peut 
plus  être  contestée.  Il  est  devenu  manifeste,  en 
effet,  que  les  annexions  et  mainmises  qu'il 
préconisait  eij  1911  correspondaient  d'une  façon 
aussi  complète  que  possible  aux  exécrables  am- 
bitions du  gouvernement  de  Berlin. 

Quant  aux  acquisitions  territoriales  que  Tan- 
nenberg préconise  en  Asie,  en  Afrique,  en  Océa- 
nie  et  en  Amérique,  elles  seraient  des  consé- 
quences tout  à  fait  logiques  de  la  réalisation  du 
Hambourg-Golfe  Persique.  Si  celle-ci  devenait 
réalité,  c'est  que  les  Alliés  européens,  par  suite 
de  leurs  fautes  dans  la  direction  de  la  guerre, 
auraient  dû  renoncer  à  battre  l'AUemasrne  et 


l.E    l'LAN    l'ANtiKaSlAMSTi:  107 

Iciissi  r  à  l'élat-major  allemand  la  liaule  main  sur 
une  armée  de  U\  à  21  millions  d'hommes 
(V.  p.  i;)l.)  Pur  conséquent,  il  est  ctair  (jur, 
dans  celle  hypollii'se,  les  peuples  alliés  aprës  une 
l)aix  décevante,  épuisés  moralement  et  (inancië- 
rement,  en  face  des  formidables  armées  de  la 
Pangermanie,  seraient  hors  d'étal  de  s'opposer 
aux  réalisations  coloniales  que  le  Hamhourg- 
(lolfe  Persique  donnerait  à  la  Grande-Allemagne 
tous  les  moyens  d'effectuer  puisque,  toujours 
par  hypothèse,  ils  auraient  cédé  sur  une  ques- 
tion beaucoup  plus  vitale  encore  pour  eux  :  celle 
de  l'indépendance  de  l'Europe. 

Celte  supposition  étant  faite,  on  se  convaincra 
que  le  programme  mondial  d'acquisitions  pan- 
germanistes  de  Tannenberg  est  entièrement 
dépouillé  du  caractère  chimérique  qu'on  serait 
tenté  de  lui  attribuer  au  premier  abord. 

D'ailleurs,  il  faut  ajouter  que  ce  programme, 
détaillé  ci-dessous,  a  été  établi  pdr  Tannenberg 
dans  l'éventualité,  gi/i  clait  celle  escomptée  par 
le  gouvernement  de  Berlin  où  l'Angleterre  ne 
prendrait  pas  part  à  la  guerre.  Pour  acheter  sa 
neutralité,  Tannenberg  préconisait  le  partage 
des  colonies  des  autres  puissances  européennes 
entre  Londres  et  Berlin.  Mais  aujourd'hui  que 
l'Angleterre  est  entrée  à  fond  dans  la  lutte,  il  est 
clair  que  si  l'Allemagne,    par  hypothèse,   était 


168  LE    l'LAN    PANGERMANISTE 

victorieuse,  elle  s'emparerait  encore  de  la  part 
de  colonies  que  Tannenberg  attribuait  à  la 
Grande-Bretagne  puisque  celle-ci  serait  inca- 
pable de  résister.  Il  s'ensuit  que  les  acquisitions 
pangermanistes  mondiales  du  plan  de  1911, 
résumées  ci-dessous,  sont,  en  réalité,  inférieures 
à  celles  que  pourrait  effectuer  l'Allemagne 
puisque,  ayant  réalisé  par  bypothëse  le  Ham- 
bourg-Golfe Persique,  aucune  force  organisée 
dans  le  monde  ne  serait  plus  assez  puissante 
pour  mettre  un  frein  aux  ambitions  berlinoises 
les  plus  effrénées. 


On  a  pu  plus  haut  constater  que  si  les  Alliés 
laissaient  l'Allemagne  asseoir  sa  mainmise  sur 
rAutriche-Hongrie,  l'influence  prédominante  et 
exclusive  du  gouvernement  de  Berlin  sur  tous 
les  Balkçins  et  la  Turquie  serait  fatale.  Tannen- 
berg  [op.  cit.,  p.  323)  explique  que  finalement 
l'Asie  Mineure,  la  Syrie,  la  Mésopotamie,  la 
Palestine,  la  Perse  occidentale  et  la  plus  grande 
partie  de  l'Arabie  passeraient  sous  le  protectorat 
formel  de  l'empire  allemand. 

Soit  3.200.000  kilomètres  carrés  et  16.500.000 
habitants. 

Une  fois  maîtres  des  côtes  de  l'Adriatique,  de 


I.K    IM.AN     I»AN(;KHMANISTK  16'.t 

l'Egée,  (les  Dardanelles,  d'Aden,  aidés  par  la 
propagande  panislarnique,  la  mainmise  des 
Turco-AUemands  sur  TK^yple,  donc  sur  le  canal 
de  Suez,  serait  inévitable.  La  commande  de 
ces  points  stralégicjues  essentiels  permettrait 
évidemment  à  l'Allemagne  de  reprendre  ses 
colonies  d'Afri(|uo  ot  d'Océanie,  soit  : 


Kilomètres 
carrés. 

i'opulaliou 
indigène. 

Togo 

87.000 

1.003.000 

Cameroun 

790.000 

2.540.000 

Sud-Ouest  africain ... 

835.000 

87.000 

Afrique  orientale    .... 

995.000 

7.510.000 

Kaiser  Wilhelm-Land,  ar- 

cliipel  liismarck.  îles  Ca- 

rolines,  Marshall,  Maria- 

nes  et  Samoa 

2io.000 

647.000 

Soit  au  total.   . 

2.952.000 

11.787.000 

Toujours  dans  notre  hypothèse,  les  Alliés 
ayant  cédé  en  Europe  ne  pourraient  empêcher 
la  Grande-Allemagne  de  s'emparer,  conformé  - 
ment  au  programme  deTannenberg,  des  colonies 
belges,  portugaises  et  hollandaises,  soit  : 

Kilomèlrcs  Population 

can-és.  indigène. 

(-ongo  belge 2  365.000      13.000.000 

.\ngola  portugais 1.270.000        4.200.000 

Indes  hollandaises.    .    .    .     2.045.000      38.106.000 


Soit  au  total.   .     5.680.000      57.306.000 
Ce  serait  ensuite  le  tour  de  celles  des  colonies 

10 


no  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

françaises  dont  le  passage  à  la  Grande-Alle- 
maj^ne  est  prévu  par  Tannenberg.  (V.  op.  cit.. 
p.  313.) 

Kilomètres  Population 

carrés.  indigène. 

Maroc 416.000  3.000  000 

Congo  français 1.439.000  9.800.000 

Madagascar  585.000  3.232.000 

Mayotte  et  Comores  ...  2.000  97.000 

Réunion 2.000  173.000 

Obok  et  dépendances.    .    .  120  000  208.000 

Indocliine 803  000  16.990.000 

Iles  françaises  d'Océanie  .  •    24.000  88.000 

Soit  au  total.   .  3,391.000  33.588.000 

La  combinaison  du  panislamisme  et  du  mou- 
vement apparemment  sinophile  préparerait  les 
mainmises  allemandes  sur  l'Asie.  Comme  on 
Ta  vu  (p.  162),  le  plan  de  Berlin  consiste  d'abord 
à  armer  la  Chine  sous  la  direction  d'officiers 
allemands  assez  puissamment  pour  que  le  Japon 
soit  expulsé  de  Kiao-Tchéou  et  de  la  province 
du  Shantoung.  L'Allemagne  obtiendrait  ainsi 
une  première  et  éclatante  vengeance  de  l'Em- 
pire du  Soleil  Levant.  Mais  ce  ne  serait  pas 
tout.  La  politique  que  Berlin  prévoit  à  l'égard 
de  la  Chine  est  identique  à  celle  pratiquée 
actuellement  en  Turquie.  Si  l'Allemagne  armait 
la  Chine,  ce  serait  dans  des  conditions  telles 
que  le  Céleste  Empire  devrait  subir  l'influence 
étroite   de    la  Pangermanie.    Tannenberg   [op 


I,K     l'LAN    I'AN);i:HMANISTK 


tTl 


cil.^  p.  ^21),  nous  apprend  que  l'aboutisseniL'nl 
de  cette  tactique  serait  l'élahlissement  d'une 
vaste  zone  d'iiinuenco  allemande  spt^'iale  sur 
tout  le  cours  inférieur  du  Vang-Tsé-Kiang  et  le 
Hoangho,  c'est-à-dire  sur  la  vaste  portion  de  la 
Chine  qui  forme  l'iiinterland  de  Kiao-Tchéou. 

Soit  environ  TîiO.OOO  kilontètrcs  carrés  et 
50  mi/lions  d'habitants. 

Tannenberj^  précise  enlin  les  divers  protecto- 
rats allemands  qui  seraient  établis  sur  la  partie 
méridionale  de  l'Amérique  du  Sud  où  existent 
d'assez  nombreux  colons  allemands  dont  les 
tendances  envahissantes  sont  déjà  manifestes. 
«  L'Allemagne,  dit  textuellement  Tannenberg, 
prend  sous  sa  protection  les  républiques  de  l'Ar- 
gentine, du  Chili,  de  l'Uruguay  et  du  Paraguay, 
le  tiers  méridional  de  la  Bolivie,  pour  autant 
qu'il  appartient  au  bassin  du  Rio  de  la  Plata  et 
la  partie  méridionale  du  Brésil  pour  autant  qu'y 
règne  la  culture  allemande.  »  [Op.  cit.,  p.  321.) 


Argentine. 
Chili  .  .  . 
Uruguay 
Paraguay  . 
1/3  Bolivie 
1/5  Brésil  . 


Soit  au  total 


Kilomètres 
carres. 

Populalion. 

2.950.000 

7.091.000 

757.000 

3.415.000 

187  000 

1.225.000 

253.000 

800 . 000 

500  000 

666.000 

1.700.000 

3.000.000 

6.347.000 

18.197.000 

172  LE    PLAN    PANGERMANISTR 

«  L'Amérique  méridionale  allemande,  conclut 
Tannenberg,  nous  procurera,  dans  la  zone  tem- 
pérée, un  terrain  de  colonisation  oii  nos  émi- 
grants  pourront  se  fixer  comme  agriculteurs. 
Le  Chili  et  l'Argentine  conserveront  leur  langue 
et  leur  autonomie.  Mais  nous  exigeons  que  dans 
les  écoles  l'allemand  soit  enseigné  comme 
seconde  langue.  Le  Brésil  du  Sud,  le  Paraguay 
et  l'Uruguay,  sont  des  pays  à  culture  allemande. 
L'allemand  y  sera  langue  nationale.  »  (V.  op.  cit., 
p.  337.) 

Pendant  la  guerre  même,  l'Allemagne  a  pré- 
paré certaines  de  ces  réalisations.  La  Tribune 
de  Chicago  a  appris  que  le  Comité  des  Affaires 
Étrangères  du  Sénat  des  États-Unis  possède  les 
preuves  d'intrigues  allemandes  dans  l'hémis- 
phère américain  au  mépris  de  la  doctrine  de 
Monroe.  (V.  Le  Tetnps,  16  février  1916.)  Ces 
agissements  pangermanistes  officiels  de  toute 
évidence  entièrement  conformes  au  programme 
d'action  en  Amérique  de  Tannenberg,  vérifient 
l'identité  de  ses  vues  coloniales  avec  celles  du 
gouvernement  de  Berlin. 

En  résumé,  le  programme  pangermaniste 
extra- européen  aurait  pour  résultat  d'assurer  à 
l'Allemagne  sous  forme  de  colonies,  de  protec- 
torats ou  de  zones  spéciales  d'influence  : 


LE    PLAN    l'ANtiKHMAMSTK  173 


KilomMr.'» 
carri'». 

FopulalioD. 

lin  .\si.> 

4.753.000 

83.490.000 

Kn  Afrique 

8.900.000 

46.8:)O.O00 

Kn  Océunie 

2.314.000 

38.841.000 

Kn  Amérique 

6.347.000 

18.197.000 

Soit  au  total. 

22.320.000 

187.378.000 

L'Allemagne,  qui  occupait  ou  influait  exclu- 
sivement, au  début  de  1910,  en  Europe  sur 
3.576.237  de  kilomètres  carrés,  y  compris  l'em- 
pire, et  plus  de  100  millions  dhahilants  environ, 
aurait  donc  un  domaine  universel  d'action  totale 
s'exerçant  sur  2o.89()  237  de  kilomètres  carrés  et 
347  millions  d'habitants.  Ce  chiffre  comprenant  au 
plus  00  millions  d'Allemands  en  comptant  très 
larf^ement,  donc,  ceu.\-ci  exerceraient  leur  hégé- 
monie sur  257  millions  de  non-Allemands. 

Il  faut  bien  saisir  encore  que  les  énormes  pos- 
sessions de  la  Pangermanie  dans  les  deux  hémis- 
phères seraient  très  solidement  placés  sous  la 
domination  de  Berlin.  En  effet,  il  suffit  de  jeter 
les  yeux  sur  la  carte  (V.  p.  165)  pour  constater 
que  le  plan  pangermaniste  universel  a  pour 
objet  de  s'emparer  de  tous  les  points  stratégiques 
essentiels  qui  commandent  les  mers  de  1  univers 
notamment,  outre  ceux  déjà  nommés  plus  haut, 
du  détroit  de  Gibraltar  par  le  Maroc,  de  celui  de 
Malacca,  de  celui  du  cap  Horn,  de  Madagascar 
et  de  toutes  les  bases  navales  de  l'Océanie. 

10. 


1~4  l,E    PLAN    PANGERMANISTE 


En  somme,  le  plan  pangermaniste  intégral  a 
pour  but  de  faire  passer  à  l'Allemagne  tous  les 
moyens  de  domination  terrestres  et  maritimes 
qui  permettraient  à  la  Pangermanie  de  tenir  le 
monde  entier  sous  la  formidable  étreinte  du 
militarisme  prussien  porté  au  plus  haut  degré 
de  puissance. 

Pas  un  instant  ce  qu'il  y  a  de  criminel  dans 
ce  programme  d'esclavage  universel  n'arrête  les 
Pangermanistes.  «  La  guerre,  dit  Tannenberg 
avec  son  monstrueux  cynisme,  ne  doit  laisser  au 
vaincu  que  les  yeux  pour  pleurer.  Modestie  de 
notre  part  serait  pure  folie.  »  (V.  op.  cit.  p.  304.) 

Or,  et  c'est  là  une  vérité  capitale  dont  je  vou- 
drais convaincre  mes  lecteurs,  le  plan  panger- 
maniste  universel  est  entièrement  et  uniquement 
basé  sur  la  réalisation  du  Hambourg-Golfe  Per- 
sique  qui  en  constitue  l'armature  essentielle.  Si 
celle-ci  est  brisée,  tout  le  plan  pangermaniste 
s'écroule  et  les  projets  de  domination  prussienne 
sont  détruits  à  jamais.  Rendre  impossible  le 
Hambourg -Golfe  Persique  constitue  donc,  en 
réalité,  le  problème  capital  que  les  Alliés  ont  à 
résoudre,  s'ils  veulent  assurer  leur  liberté  et 
celle  du  inonde  tout  entier. 


CHAPITRE  VI 

LE  NŒUD  DU  PROBLÈME  UNIVERSEL 


I.  Obligations  que  la  menace  du  Hambourg-Golfe 
Persique  impose  aux  Alliés. 

U.  L'importance  capitale  de  la  question  d'Autriche- 
Hongrie. 

111.  Tous  les  éléments  ethnographiques  nécessaires  à 
la  destruction  du  plan  pangermaniste  existent 
en  Europe  centrale. 


I 


Maintenant  qu'ils  ont  pu  mettre  la  main  sur 
les  9/10  des  territoires  convoités  par  eux  (V. 
p.  112),  les  Allemands  ne  céderont  qu'à  la  der- 
nière extrémité.  Maximilien  Harden  l'a  nette- 
mont  déclaré.  «  Tous:  les  ïnoyem  seront  employés 
(ver  e/ith(U/^/(is?)ie  contre  ses  ennemis  par  le 
ficuplc  allentititd.  Xous  eu  reviendrons  aux 
l'poques  sauruf/rs  où  l'iwmnie  était  un  loup  pour 
l'homme.  »    Cité  par  Le  Temps,  9  février  1916.) 

En  face  d'une  résolution  aussi  absolue  de  la 
part  des  Allemands  de  réaliser  à  tout  prix  leur 


176  LE    PLAN    PANGEUMANISTE 

plan  de  domination  universelle,  dont  le  Ham- 
bourg-Golfe Persique  est  l'armature  nécessaire 
mais  suffisante,  la  destruction  bien  réelle  du 
militarisme  prussien  s'impose  plus  que  jamais. 
Seul  ce  résultat  pourra  récompenser  les  sacri- 
fices des  admirables  «  poilus  »  des  armées  alliées. 
S'ils  sont  décidés  à  tenir  tant  qu'il  faudra,  ce 
n'est  pas  pour  conquérir  la  gloire  militaire;  c'est 
pour  avoir  la  certitude  que  «  cela  ne  recommen- 
cera pas  »,  que  leurs  enfants  ne  connaîtront  pas 
des  horreurs  semblables  à  celles  de  la  lutte 
infernale  déchaînée  par  l'Allemagne  prussia- 
nisée. 

Les  Alliés  sortiront  certainement  vainqueurs 
de  cette  guerre  formidable  mais  à  la  condition 
que  désormais  la  lutte  soit  guidée  d'après  l'en- 
seignement des  faits  acquis.  Ces  faits  essentiels 
procèdent  des  éléments  géographiques,  ethno- 
graphiques, économiques,  stratégiques  constitu- 
tifs du  plan  pangermaniste  de  19i  I  momentané- 
ment réalisé  ;  or,  ces  faits  acquis  démontrent  que 
les  Alliés  n'ont  pas  la  possibilité  de  se  contenter 
d'une  demi-victoire,  que  seule  une  victoire  inté- 
grale peut  les  garantir  contre  tout  retour  oiïen- 
sif,  après  la  paix,  du  militarisme  prussien. 

Les  constatations  suivantes  paraissent  justifier 
solidement  ce  point  de  vue. 

«  Si  en  France,  a  déclaré  llai'den,  on  croit  que 


LK    l'LAN    l'ANtiEUMANlSlE  1  -  . 

h>  ivlaliiisseiiiont  de  la  paix  n'est  possible  (jue 
par  la  reslilulion  de  l' Alsace-Lorraine  el  si  la 
nécessité  tiot/s  ohHfjr  à  si>/ner  une  telle  paid\  les 
70  millions  d'Allemands  la  déchireraient  bien- 
tôt. »  (Cité  par  Le  TempSy  Ofévrier  1916.)  Est-il  un 
seul  Frant^ais  raisonnable  qui  voudrait  recouvrer 
l'Alsace-Lorraine  dans  des  conditions  telles  (ju'il 
faudrait  faire  ensuite  d'incessants  et  épuisants 
efforts  militaires  pour  la  conserver?  Évidemment 
non.  La  rétrocession  de  T Alsace-Lorraine  n'aura 
de  valeur  pour  la  France  que  lorsque  l'anéantis- 
sement du  militarisme  prussien  lui  en  garantira 
la  légitime  et  paisible  possession.  Or,  comme  je 
crois  Tas'oir  démontré,  il  soraif  impossible  de 
compter  sur  cette  sécurité  si  la  France  laissait 
Berlin  réaliser  le  Hambourg-Golte  Persique  qui 
donnerait  à  l'Allemagne  des  moyens  surabon- 
dants de  lui  reprendre,  après  un  court  répit, 
r  Alsace-Lorraine. 

La  nécessité  impérieuse  d'échapper  à  la  ruine 
financière  oblige  encore  les  Alliés  à  la  victoire 
intégrale.  En  effet,  seule  celle-ci  leur  permettra 
d'éviter  la  plus  atroce  misère  pour  les  Etats  alliés 
comme  pour  leurs  citoyens.  Les  dépenses  fan- 
tastiques qu'exige  la  guerre  en  cours  font  que 
celle-ci  est  séparée  par  un  abîme,  au  point  de 
vue  financier,  de  toutes  les  guerres  précédentes. 

Après  1870,  l'État  a  pu  rétablir  relativement 


LE    PLAN    PAISGERMANISTE 


très  vite  sa  situation  et  les  particuliers  ont  pu 
dès  le  lendemain  de  la  paix  faire  prospérer  leurs 
affaires  malgré  les  malheurs  de  la  patrie.  Mais 
après  cette  guerre  aciuelle,  si  les  Alliés  n'avaient 
pas  la  victoire  intégrale,  les  Etats  comme  les 
particuliers  alliés  (voir  p.  146)  se  trouveraient 
aux  prises  avec  des  difficultés  pécuniaires  à  peu 
prës  inextricables.  Les  répercussions  écono- 
miques infinies  qui  résulteraient  d'impôts  écra- 
sants, impossibles  à  percevoir  régulièrement  et 
durablement  seraient  telles  que  les  Etats  et  la 
plupart  des  particuliers  alliés  se  verraient 
réduits  à  l'impuissance  et  partant  à  la  misère. 
C'est  cependant  bien  là  la  situation  qui  serait 
celle  des  pays  alliés  si  l'Allemagne  réalisait  le 
Hambourg-Golfe  Persique  puisque  cette  solution 
lui  conserverait  son  énorme  butin  de  guerre 
et  lui  permettrait  de  mettre  la  main  sur  des 
richesses  considérables.  (V.  p.  142.) 

Or,  ne  serait-il  pas  d'une  iniquité  suprême 
que  les  peuples  de  France,  de  Russie,  d'Angle- 
terre, d'itahe,  fussent  réduits  pour  des  dizaines 
d'années  à  une  prodigieuse  misère  parce  qu'il  a 
plu  à  l'exécrable  ambition  des  Hohenzollern  de 
vouloir  réduire  l'Europe  en  esclavage? 

La  victoire  intégrale  seule  peut  sauver  les 
pays  alliés  de  la  ruine  financière  parce  que, 
quoiqiien  disent   certains,   l' Allemagne  pourra 


I.K    IM.AN    I'AN<;K»MAMSTK  179 

payer  les  frais  de  la  lutte  quelle  a  dèchaiw'e. 
En  raison  de  sa  responsabilité,  l'Aliemagne  doit 
déjà  à  rensomblo  dos  Alliés  une  somme  colos- 
sale qu'on  peut  estimer  globalement  entre 
lioO  et  3(10  milliards.  Mais,  si  le  crédit  de  l'empire 
allemand  est  destiné  à  disparaître  le  jour  de  sa 
défaite,  les  ricliesses  matérielles  de  rAllemagne 
qui  sont  des  plus  considérables  subsisteront. 
Elles  représenteront  bien  plus  dt»  300  milliards. 
Assurément,  l'Allemagne  ne  pourra  qu'acquitter 
trës  lentement  sa  dette  fantastique.  Mais  lors- 
que les  moyens  de  perception  des  revenus  alle- 
mands auront  été  systématiquement  étudiés  à 
loisir  par  les  Alliés  vainqueurs,  lorsque  ces  per- 
ceptions (le  iivenus  seront  assurées,  non  pas 
évidemment  par  des  promesses  allemandes 
écrites,  cbiffons  de  papier  sans  valeur,  mais  par 
des  garanties  réelles  conformes  aux  précédents 
de  l'histoire,  que  le  gouvernement  de  Berlin 
d'ailleurs  a  fortement  contribué  à  établir  en  1870, 
l'Allemagne  pourra  parfaitement  versera  chacun 
des  grands  alliés  vainqueurs  environ  t  milliards 
par  an.  Or,  cette  annuité,  grâce  aux  combinai- 
sons financières  modernes,  sera  suffisante  pour 
permettre  à  chaque  Etat  allié  de  gager  des 
emprunts  annuels  relativement  peu  élevés,  donc 
faciles  à  faire  souscrire,  qui  lui  permettront 
d'éviter  à  ses  citoyens  les  impôts  non  pas  seule- 


180  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

ment  écrasants  mais  mortels  auxquels  il  serait 
impossible  de  se  soustraire  s'il  devait  renoncer 
à  se  faire  rembourser  par  TAUemag-ne  ses 
dépenses  de  guerre. 

Or,  cette  victoire  réellement  intégrale,  indi 
pensable  aux  Alliés  à  tant  de  points  d'e  vue,  est 
parfaitement   possible    malgré  les  fautes    com- 
mises par  les  Alliés  qui  seules  l'ont  retardée. 

Un  raisonnement  aide  d'abord  à  justifier  cette 
possibilité.  Harden  lui-même  a  été  contraint, 
comme  on  l'a  vu  plus  baut,  d'envisager  l'bypo- 
thèse  de  la  cession  à  la  France  de  l'Alsace-Lor- 
raine.  Or,  il  est  clair  que  lorsqu'à  Berlin  on  en 
sera  venu  là,  c'est  que  l'Allemagne  aux  abois,  à 
la  limite  du  désastre  absolu,  essaiera  de  traiter 
avec  les  Alliés  pour  sauver  le  Hambourg-Golfe 
Persique  qui  lui  permettrait  après  un  court  répit 
de  reprendre  à  la  France  l'Alsace-Lorraine  ainsi 
d'ailleurs  qu'en  avertit  également  Harden.  Donc, 
à  partir  de  ce  moment,  l'effort  à  faire  par  les 
Alliés  pour  passer  d'une  victoire  douteuse,  qui 
dissimulerait,  en  réalité  pour  eux,  une  catas- 
trophe, à  la  victoire  intégrale,  sera  relative- 
ment faible.  Cet  effort  ne  représentera  peut-être 
que  la  centième  partie  de  tous  ceux  déjà  faits 
par  les  Alliés.  Il  faudrait  être  fou  ou  criminel 
pour  ne  pas  l'accomplir  car  c'est  cet  ultime 
effort  qui  déterminera  la  fin  de  l'atroce  cauche- 


ë 


m:  plan  pangermaniste  i»i 

mar  ({ue  le  mililarisnio  prussien  fait  planer  sur 
le  inonde. 


l*our  assurer  celle  vicloire  intégrale,  il  ne 
nous  faut  plus  que  tirer  l'enseip^nement  des 
fautes  commises.  Comme  l'a  dit  M.  Briand  à 
Rome,  la  solidarité  des  Alliés  doit  être  plus 
étroite  que  jamais.  Ils  «  doivent  mettre  en  com- 
mun toutes  leurs  ressources,  toutes  leurs  éner- 
gies, toutes  leurs  forces  vives  ».  Mais  la  coordi- 
nation des  efforts  des  Alliés,  réclamée  de  toutes 
paris,  serait  singulièrement  facilitée  si  l'objectif 
commun  géographicjue,  militaire  et  poiili(jue  de 
Vaction  coînmune  de  lotis  les  Alliés  apparaissait 
désormais  très  nettement. 

Les  Alliés  surpris  par  l'agression  allemande 
ont  dû  tout  d'abord  lui  résister.  Puis  par  la  force 
même  des  choses,  des  buts  particuliers  ont  sur- 
tout guidé  les  opérations  de  chacun  d'eux.  L'An- 
gleterre et  la  France  ont  des  raisons  d'honneur 
et  d'intérêt  personnel  de  vouloir  l'indépendance 
absolue  de  la  Belgique.  La  France  doit  recou- 
,  vrer  ses  départements  envahis  et  libérer  TAlsace- 
Lorraine.  La  Russie  doit  non  seulement  recon- 
quérir ses  frontières  de  l'Ouest,  mais  libérer  la 
Pologne  entière  à  laquelle  elle  a  promis  l'auto- 
nomie. L'empire  des  Tsars  doit  encore  en  finir 

11 


182  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

avec   la    menace    turco-allemande   au   sud   du 


Caucase.    L'Italie    doit    recouvrer    ses    terres 
irredenta  détenues  par  la  maison  des  Habsbourg. 


LK    PLAN    PANOKRMANISTK  1^! 

>[;iis  tous  ces  buis  particuliers  si  légitimes,  si 
m'cessiiires  qu'ils  soient  ont  empêché  longtemps 
It's  Alliés  de  voir  la  guerre  dans  son  ampleur 
européenne  el  par  suite  détourné  leur  attention 
(le  Tobjectif  géographi(jue,  militaire  et  politique 
coy/i/yiM/j  à  tous  leurs  ('H'orts  d'un  intérêt  cependant 
capital  car  l'atteinte  de  cet  objectif,  à  La  fois,  les 
délivrait  de  la  menace  du  Hambourg-Golfe  Per- 
sique  qui  est  commun  à  tous  les  Alliés  e/,  en  por- 
tant un  coup  décisif  au  militarisme  prussien, 
garantirait  iobtention  et  la  permanence  des 
résultats  pratiques  que  poursuit  chacun  des 
Alliés. 

Or,  cet  objectif  commun,  ce  nœud  géojçra- 
pliique,  militaire,  politique,  de  tous  les  problèmes 
que  les  Alliés  ont  à  résoudre  est  représenté  par 
l'Autriche -Hongrie.  A  son  sujet,  la  diplomatie 
des  Alliés  paraît,  grâce  encore  à  M.  Briand  et  à 
ses  collaborateurs,  être  entrée  dans  la  bonne 
voie.  Le  Matin  du  4  février  1916  signalait  la  ré- 
ception par  M.  Briand  du  professeur  Masaryk,  un 
•  des  chefs  les  plus  écoutés  de  la  Bohème.  Le  Ma- 
tin ajoutait  à  ce  sujet  ces  lignes  significatives 
qui  méritent  de  retenir  l'attention.  «  M.  Briand 
a  encouragé  M.  Masaryk  à  persévérer  dans  sa 
propagande  et  il  lui  a  exprimé  ses  vœux  et  sa 
sympathie  pour  les  légitimes  revendications  du 
peuple  tchéco- slovaque.   »  Or,  la  Bohème  est 


184  LE   PLAN   pan(;ermaniste 

la  pierre  angulaire  du  groupement  des  peuples 
non-Allemands  de  rAutriche-Hongrie  dont  l'in- 
dépendance est  l'une  des  conditions  inéluctables 
de  l'anéantissement  du  militarisme  prussien.  La 
grande  opinion  publique  alliée  doit  donc  com- 
prendre désormais  très  clairement  le  rapport 
étroit  exposé  ci-dessous,  qui  existe  entre  la 
question  d'Autriche -Hongrie,  encore  si  insuf- 
fisamment connue  et  la  fin  du  cauchemar  pan- 
germaniste.  Elle  aura  alors  une  raison  de  plus, 
extrêmement  puissante,  de  se  convaincre  que  la 
victoire  intégrale  qu'impose  aux  Alliés  le  plan 
pangermaniste  ne  peut  plus,  s'ils  le  veulent  et 
évitent  de  nouvelles  fautes,  leur  échapper. 


II 


L'Autriche -Hongrie  représente  le  nœud  du 
problème  européen  et  même  universel  posé  par 
l'agression  allemande,  parce  que  : 

1°  L'Autriche -Hongrie  est  entrée  dans  la  lutte 
dans  des  conditions  très  particulières.  Cet  État 
nest  ennemi  des  Alliés  que  de  par  la  volonté  de 
la  dynastie  Habsbourg  qui,  cédant  aux  injonctions 
de  Berlin,  a  trahi  ses  peuples.  En  effet,  François- 
Joseph  a  déclaré  la  guerre  sans  même  oser  con- 
sulter son  Parlement,  car  il  savait  bien  que  près 
des  trois  quarts  de  ses  sujets,  sympathiques  à 


I.K    IM,\N    l'ANGEBMANISTK  18:i 

la  Hussio,  à  la  France  o,[  à  l'An^lelern'  et  nelle- 
menl  lioslilos  à  rAllomugne,  so  seraient  opposés 
par  la  voix  de  leurs  représentants  à  toute  lutte 
san{:;lante  devant  proliler  au  germanisme. 

2"  Il  est  manifeste  que  l'Allemagne  ne  peut 
mener  la  guerre  contre  l'Kurope  (jue  grAce  à  la 
mainmise  astucieuse  qu'elle  a  pu  réaliser  sur 
les  soldats  austro-hongrois  dont  certainement 
l'immense  majorité  ne  se  battent  que  contraints 
par  la  férocité  des  cadres  allemands  (|ui  les  com- 
uuindenl. 

3"  Il  est  clair  qu'après  la  paix,  —  en  suppo- 
sant que  l'Allemagne  évacue  tous  les  territoires 
qu'elle  occupe  à  l'Est  et  à  l'Ouest  et  restitue 
l'Alsace-Lorraine  à  la  France,  —  si  l'Allemagne 
devait  conserver  sa  mainmise,  plus  ou  moins  dé- 
guisée, sur  l'Autriche-Hongrie,  Berlin  aurait 
tous  les  moyens  de  reprendre,  après  un  court 
délai,  l'Alsace-Lorraine  à  la  France,  puisque, 
tomme  on  l'a  saisi,  au  chapitre  précédent,  la 
mainmise  allemande  sur  l'Autriche-Hongrie  im- 
pliquerait la  réalisation  inéluctable  du  Hambourg - 
Golfe  Persique. 

4"  Il  résulte  de  cette  dernière  constatation  que 
si  l'Allemagne  devait  conserver  à  la  paix  sa 
mainmise  déguisée,  sur  l'Autriche-Hongrie,  la 
promesse  solennelle  faite  par  la  France,  l'An- 
gleterre, la  Russie,  de   rétablir  la  Serbie  dans 


186  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

son  indépendance  et  dans  son  intégrité  serait 
pratiquement  tout  à  fait  irréalisable. 

o°  Par  contre,  l'indépendance  assurée,  au  moins 
de  la  majorité  des  territoires  de  l' Autriche-Hon- 
grie actuelle,  à  Fégard  de  l'Allemagne,  après  la 
paix,,  empêcherait  absolument  dans  l'avenir  tout 
retour  agressif  du  militarisme  prussien.  Du  fait 
de  cette  indépendance^  en  effet,  l' état-major  de 
Berlin  serait  privé  d'effectifs  militaires  qui  sont 
indispensables  à  la  réalisation  par  la  force  des 
projets  pangermanistes. 

6°  La  seule  vue  de  la  carte  (p.  182)  peimet  de 
constater  que  du  fait  de  sa  situation  géographique 
l'indépendance  de  la  majorité  des  territoires  de 
TAutriche-Hongrie  à  l'égard  de  l'Allemagne  seule 
peut  permettre  aux  Alliés  de  tenir  leurs  pro- 
messes envers  la  Serbie  et,  en  brisant  définiti- 
vement le  grand  axe  du  -plan  pangermaniste^ 
d'écarter  l'immense  péril  du  Hambourg-Golfe 
Persique  dont  tous  les  Alliés,  sans  aucune  excep- 
tion (France,  Angleterre,  Russie,  Italie,  Japon, 
Belgique,  Serbie,  Monténégro),  ont  un  intérêt 
absolument  vital  à  empêcher  la  réalisation.  Or, 
comme  on  le  constatera  à  la  fin  de  ce  volume, 
cet  intérêt  est  aussi  celui  de  tout  l'univers  civilisé. 


LK    l'I.AN    l'AN(.KRMA>'lSrK  187 

Le  lait  (jut'  rimjM>i-tan(H'  capitale,  essentielle. 
lie  la  (juestioii  d  Auliiclie-Uon{:;rie  pour  Tissu»' 
de  la  guerre  et  l'avenir  de  l'Kurope  n'est  pas 
encore  apparue  très  nettement  à  l'opinion  pu- 
blique des  pays  alliés  tient  à  des  causes  diverses 
(ju'il  faut  j)réciser. 

J)  abord,  la  question  d'Autriche-Hongrie  cons- 
tituée d'éléments  ethnographiques  et  sociaux, 
très  complexes,  est  incontestablement  fort  dif- 
ficile à  bien  connaître. 

Ensuite,  le  regrettable  man(jue  d'intérêt  pour 
les  questions  extérieures  qui  a  régné  jusqu'à  la 
guerre  dans  les  pays  alliés  fait  que  leur  opinion 
publique  est  encore  imprégnée  de  notions  fort 
inexactes  sur  l'Autriche-Hongrie  que  systémati- 
quement les  agences  germaniques  d'information 
de  presse  ont  réussi  depuis  bien  longtemps  à 
faire  passer  dans  les  journaux  des  pays  aujour- 
d'hui alliés. 

11  en  résulte  que  dans  ces  pays,  —  et  surtout 
en  Angleterre,  —  très  nombreux  sont  ceux 
qui  s'imaginent  encore  que  l'Autriche-Hongrie 
(50  millions  d'habitants)  est  un  pays  en  majorité 
allemand  ce  qui  est  absolument  faux.  Cette  erreur 
considérable  est  même  commise  à  ma  connais- 
sance par  des  hommes  occupant  parfois  des  si- 
tuations fort  importantes. 

Évidemment,  une  bonne  partie  du  public  n'en 


1S8  LE   PLAN   pan(;kkmaniste 

est  plus  tout  à  fait  là.  Il  n'empêche  que  pour  lui 
la  question  d'Autriche-Hongrie  est  encore  pleine 
d'obscurités.  Comment  s'en  étonner?  Les  diplo- 
mates officiels  eux-mêmes  en  général,  quelle  que 
soit  leur  intelligence  personnelle,  mais  pour  les 
raisons  exposées  (V.  chapitre  I,  §  3)  et  à  cause 
des  méthodes  d'observation  et  d'information 
archaïques  qu'ils  sont  contraints  d'employer  n'ont 
pu  pénétrer  que  très  incomplètement  les  affaires 
intérieures  de  l'empire  des  Habsbourg. 

Enfin  les   savants   qui  ont  étudié  l'Autriche- 
Hongrie  seulement  en  historiens,  c'est-à-dire  de 
l'étranger  et  dans  les  livres,  quelle  que  soit  leur 
valeur,  ne  peuvent  pas  connaître  la  situation  inté- 
rieure exacte  de  cet  État  qui  s'est  profondément 
transformée,  surtout  depuis  dix  ans.  Or,  c'est 
cet  état  actuel  seul  qu'il  importe  de  bien  saisir. 
Cette  absence  de  notions  bien  nettes  sur  l'Em- 
pire des  Habsbourg  comporte    un    très   grand 
danger  pour  les  Alliés.  Elle  a  contribué  large- 
ment aux  fautes  fort  graves  qu'ils  ont  commises 
dans  la  conduite  générale  de  la  guerre.  La  fin 
de  cette  ignorance  est  indispensable.  Vraiment, 
il  ne  faudrait  pas  qu'à  propos  de  l' Autriche-Hon- 
grie les  Alliés  continuent  à  commettre  des  erreurs 
aussi  capitales  que  celles  qui  ont  constitué  la 
politique  des  Alliés   dans   les   Balkans .   Ils   en 
seraient  encore  plus  cruellement  punis. 


1,K    PLAN    PANdKHMANISlK 


L  unit|uo  moyen  d'éviter  ces  erreurs  sérail 
d'écouler  les  quelques  lionimes,  citoyens  des 
Etats  alliés,  (jui,  da/is  ies  dernières  amu^ca,  en 
raison  de  leurs  études  poussées  à  fond  et  de  leurs 
voyages  nombreux  dans  toute  F  Autriche-Hongrie 
ont  pu  acquérir  une  connaissance  vraiment  exacte 
et  générale  des  réalités  présentes. 

Ceux  qui  répondent  à  ces  conditions  sont 
très  peu  nombreux.  Je  citerai  notamment  deux 
Russes  :  M.  de  Wesselitsky,  correspondant  du 
Novoie  Vremia  à  Londres  qui  non  seulement 
connaît  l'Autriche-Hongrie  mais  toute  l'Kurope 
et  a  des  vues  très  profondes  ;  M.  Briantchaninoff, 
de  Pétrograd.  Je  sais  bien  que  celui-ci  est  consi- 
déré dans  les  milieux  otiiciels  comme  ayant  des 
idées  trop  ardentes  ou  excessives,  mais  il  est 
un  des  rares  Russes  qui  ont  beaucoup  voyagé 
pour  apprendre  les  affaires  extérieures.  Fort 
intelligemment  libéral  et  clairvoyant,  il  préco- 
nise depuis  très  longtemps  l'octroi  par  la  Russie 
-  de  l'autonomie  la  plus  large  et  la  plus  sincère 
à  la  Pologne.  En  ce  qui  concerne  TAutriche-Hon- 
grie  qu'il  a  souvent  visitée,  il  mériterait  d'être 
écouté. 

Deux  Anglais  spécialement  sont  d'excellents 
connaisseurs  de  la  Monarchie  des  Habsbourg  : 
M.  Wickham  Steed,  directeur  de  la  politique 
étrangère  du  Times,  qui  a  été  dix  ans  à  Vienne 

41. 


190  LK    PLAN    PAMiERMANISTE 

le  correspondant  remarquable  de  ce  puissant 
organe  ;  M.  Seton-Watson,  qui  sous  le  nom  de 
Scotîis  Viator  a  publié  depuis  une  dizaine  d'an- 
nées, à  la  suite  de  multiples  enquêtes,  des  ou- 
vrages de  la  plus  haute  valeur  sur  les  nationa- 
lités soumises  au  joug-  germano-magyar. 

En  France,  nous  trouvons  M.  Louis  Léger, 
membre  de  l'Institut,  qui,  depuis  cinquante  et 
un  ans,  a  étudié  d'une  façon  très  particulière  tous 
les  peuples  d'Autriche-Hongrie  et  les  connaît 
admirablement.  Il  vient  de  publier  chez  Alcan 
une  excellente  brochure  au  titre  significatif  :  La 
liquidation  de  l' Autriche-Hongrie  ;  M.  Ernest 
Denis,  professeur  à  la  Sorbonne,  qui  a  écrit  une 
remarquable  histoire  de  la  Bohême.  En  se  docu- 
mentant sur  place  pour  écrire  cet  ouvrage,  il  a 
acquis  une  connaissance  très  complète  du  peuple 
tchèque  lequel,  de  par  sa  situation  géographique 
en  Bohême  et  en  Moravie,  constitue  la  base 
indispensable  de  toute  reconstitution  de  l'Au- 
triche-Hongrie  sous  une  forme  moderne. 

Enfin,  on  me  permettra  de  me  citer  moi-même 
puisque,  depuis  vingt-deux  ans,  par  une  série  de 
multiples  enquêtes  sur  place,  je  me  suis  efforcé 
de  comprendre  le  détail  des  problèmes  si  com- 
'plexes  qui  constituent  la  question  d'Autriche- 
Hong-rie. 


I.K    l'IAN    PANCKRMANISTK  «91 

Ur,  j'ai  (les  raisons  do  cvo'ivo  (juo  ces  iioiiiines 
(jui^ont  étudié  à  fond  l'Autriche-Honjrrie  et  (jue, 
par  oonst'quenl,  il  faudrait  croire,  sont  d'accord 
sur  les  lignes  générales  de  ce  que  les  Alliés 
devront  faireàTégard  delà  Monarchie  des  Habs- 
bourg. Je  pense  bien  ne  pas  me  tromper  en 
disant  que  les  opinions  (|ue  je  vais  exprimer  sont 
dans  l'ensemble  en  harmonie  avec  les  leurs. 

Comprenons  d'abord  que  ceux  qui  soutiennent 
encore  la  thèse  de  la  conservation  de  l'Autriche- 
llongrie  telle  qu'elle  est,  dont'  restant  soumise  à 
la  dynastie  des  Habsbourg,  retardent  d'au  moins 
vingt  ans.  Adopter  cette  solution  serait  faire  le 
jeu  de  l'Allemagne  car  il  est  pratiquement  impos- 
sible de  séparer  les  Habsbourg  des  HohenzoUern. 
Ce  serait  assurer  le  joug  germanique  sur  les 
Slaves  et  les  Latins  sujets  des  Habsboiirg,  donc 
faciliter  la  réalisation  du  Hambourg-Golfe  Per- 
sique.  Enlin,  la  dynastie  des  Habsbourg  a  donné 
suffisamment  de  preuves  de  son  incapacité,  de 
sa  duplicité  et  de  sa  docilité  aux  suggestions  de 
Berlin  pour  qu'on  ne  puisse  pas  envisager  sérieu- 
sement son  maintien  à  la  tète  des  peuples  de 
r  Autriche-Hongrie. 

A  aucun  degré,  les  x\lliés  ne  doivent  être 
dupes  de  la  comédie  que  les  pangermanistes  de 
Berlin,  de  Vienne  et  de  Budapest,  organisent 
actuellement  pour  tâcher  de  profiter  de  l'igno- 


192  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

rance  des  Alliés  des  réalités  austro-hongroises. 

Toutes  les  mesures  tendant  à  faire  entrer 
l'Autriche-Hongrie  dans  le  Zolleverin  allemand, 
ce  qui  rendrait  ensuite  inévitable  son  absorption 
politique,  doivent  être  tenues  pour  une  comédie, 
pour  un  simple  cambriolage  des  volontés  de 
l'immense  majorité  des  populations  de  la  Monar- 
chie des  Habsbourg,  Gela  est  tellement  vrai  que 
certains  nobles  Magyars  qui  'jusqu'à  présent 
avaient  été  des  Alliés  déterminés  de  Berlin 
émettent  déjà  des  protestations  contre  le  joug 
prussien  qu'ils  comprennent  enfin  qu'on  veut 
leur  imposer.  Le  comte  Théodore  Batthyany, 
vice-président  de  la  gauche  indépendante  à  la 
Chambre  hongroise,  à  la  fin  de  mars  19i6,  a 
déclaré  : 

«  On  dit  souvent  chez  nous  que  la  future  union 
douanière  créera  dans  notre  pays  de  meilleures 
conditions  économiques.  Cela  est  plutôt  vraipour 
r Allemagne  qui  tiendra  et  les  rênes  et  le  fouet 
dans  la  combinaison...  Du  reste  les  Allemands 
ne  cachent  pas  que  dans  le  futur  pacte  il  y  aura 
d'autres  Etats  agricoles  qui  seront  nos  concur- 
rents directs.  (Allusion  à  la  Turquie  et  aux  Etats 
balkaniques).  Certes,  à  partir  de  la  conclusion 
de  l'union,  les  capitaux  nous  viendront  d'Alle- 
magne et  plus  jamais  d'ailleurs.  Les  Allemands 
auront  le  monopole  des  capitaux,  chez  nous  et 


m:    plan    l'ANCiKRMANISTK  193 

rous  savez  ce  que  c'est  qu'un  monopole  et  ce  qu'il 
coûte.  V argent  nous  coiUera  cher  ».  (V.  Le  Temps, 
I"  février  lOK).) 

En  Aulrlclus  M.  Neiiietz,  président  de  la 
CJmnibre  de  Commerce  de  Prague,  a  déclaré  : 

«  Tous  les  arguments  présentés  en  faveur  d'une 
union  douanière  avec  rAllemagne  no  résistent 
pas  un  instant  à  la  criticjue.  In  obstacle  infran- 
chissable s'oppose  à  une  union  dounnicre  intime 
entre  les  deux  empires  :  leurs  nifi-rri^  ne  sont  pas 
solidaires  mais  concurrents  ».  (^Cité  par  Le  Temps, 
0  février  19 Ui.) 

Ces  déclarations  catégoriques  établissent 
(juelles  résistances  la  manœuvre  pangermaniste 
dans  l'empire  des  Habsbourg  rencontre  déjà. 
Les  Alliés  peuvent  tirer  un  grand  parti  de  ces 
constatations  car  elles  prouvent  la  réalité  de 
l'opposition  profonde  existant  entre  les  intérêts 
de  l'Allemagne  pangermaniste  et  ceux  de  la 
majorité  des  peuples  de  l'Autriche-Hongrie. 

Mais  il  reste  un  point  essentiel  à  établir  car  il 
trouble  particulièrement  cette  partie  de  l'opinion 
publique  des  pays  alliés  qui  vit  encore  sur  cette 
idée  fausse  :  l'Autriche-Hongrie,  pays  surtout 
allemand.  Cette  opinion  publique  se  demande  si 
l'application  du  principe  des  nationalités  dont 
les  Alliés  réclament  l'application  n'aurait  pas 
pour  résultat  d'accroître  fatalement  et  considé- 


194  Li:    PLAN    PANGERMANISTE 

rablement  l'Allemagne  en  lui  incorporant  les  Alle- 
mands de  l'empire  des  Habsbourg. 

Il  importe  donc  de  démontrer  par  des  chifires 
et  des  arguments  géographiques  et  ethnogra- 
phiques précis  que  cette  crainte  est  tout  à  fait  -> 
chimérique.  L'Autriche-Hongrie  contient  tous 
les  éléments  d'un  nouvel  Etat  à  constituer  sur  des 
bases  justes  et  durables,  dans  des  conditions 
telles,  qu'il  formera  dans  l'avenir  une  barrière 
infranchissable  au  pangermanisme.  C'est  là, 
comme  on  va  voir  sur  la  route  du  Hambourg- 
Golfe  Persique,  en  Europe  centrale,  et  nulle  part 
ailleurs,  que  réside  la  solution  essentielle  du  for- 
midable problème  posé  devant  l'univers  par 
l'ambition  exécrable  des  Hohenzollern. 


III 


Examinons  schématiquement  ce  que  donnerait 
en  Europe  centrale  l'application  du  principe  des 
nationalités  qui  doit  constituer  la  base  morale 
des  Alliés  pour  la  reconstitution  de  la  future 
Europe.  Le  congrès  socialiste  français  de  la  fin 
de  1913  a  donné  une  définition  excellente,  selon 
moi,  du  principe  des  nationalités  en  fonction  de 
la  guerre  actuelle.  «  Pas  de  paix  durable,  a 
déclaré  le  manifeste  du  congrès,  sans  que  soient 


J 


I.l.    IM.AN    l'ANCr.lOIAMSTK  \'^:^ 

rrslaurrs  dans  leur  indépendance  économique  et 
l'olitique les  petites  nations  martyrisées...  Pas  de 
pai,r  durable  sans  que  soient  rendue  aux  po/nt- 
lations  opprimées  de  l'Europe  la  libre  disposi- 
lion  d'elles-mêmes  ».  V,  L  Humanité,  'M\  dv- 
combre  1915.) 

Comme  rien  n'est  absolu  en  ce  monde,  il  est 
clair  (jue  le  principe  des  nalionalilés  ne  pourra 
pas  toujours  recevoir  pratiquement  une  applica- 
tion intégrale.  Pour  constituer  des  Etats  viables, 
il  faut  en  effet  tenir  compte  non  seulement  des 
nationalités,  mais  des  nécessités  stratégiques 
défensives,  historiques,  économiques,  de  la 
majorité.  Il  y  a  d'ailleurs  des  pays  comme  la 
Macédoine  et  comme  certaines  régions  de  l'Au- 
triche-Hongrie où  les  nalionalilés  sont  tellement 
enchevêtrées  que  l'application  du  principe  des 
nationalités  ne  saurait  êlre  que  relatif. 

D'autre  part,  des  sacridces  doivent  parfois  être 
faits  à  l'intérêt  général  européen  aux  dépens  du 
principe  des  nationalités.  Ainsi  par  exemple,  la 
France  ne  peut  pas  songer  à  récupérer  ceux  qui 
parlent  français  en  Belgique  ou  en  Suisse.  Les 
premiers  veulent  rester  Belges  et  les  seconds 
Suisses.  Leur  volonté  doit  être  d'autant  plus  res- 
pectée que  le  maintien  de  l'Etal  belge  et  de  l'Etat 
suisse  est  nécessaire  à  l'équilibre  et  à  la  paix  de 
l'Europe.  Or,  il  y  a  d'autres  parties  du  continent 


l'J6  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

OÙ  cette  considération  présente  un  intérêt  supé- 
rieur à  celui  des  nationalités. 

Ces  explications  et  réserves  nécessaires  étant 
faites,  voyons  ce  que  donnerait,  dans  les  grandes 
lignes,  l'application  du  principe  des  nationalités 
à  l'empire  allemand.  En  vertu  de  ce  principe, 
il  devrait  rendre  à  la  liberté  les  peuples  qu'il  a 
englobés  par  la  force  dans  ses  frontières,  c'est-à- 
dire  environ  : 

Habitants. 

Polonais 5.000.000 

Alsaciens-Lorrains 1.500.000 

Danois 200.000 


1 


Soit  au  total 6.700.000 

L'Allemagne  actuelle  qui  comptait  68  millions 
d'habitants  en  1914,  — y  compris  les  non-Alle- 
mands, —  serait  donc  ramenée  à  environ 
()1. 300. 000,  (H  millions  en  chiffres  ronds  d'Alle- 
mands authentiques. 

Mais  l'application  logique  du  principe  des 
nationalités  donnerait  à  cette  Allemagne  la 
faculté  d'absorber  ceux  des  Allemands  de  l'Em- 
pire des  Habsbourg  qui  se  trouvent  dans  des 
conditions  historiques,  stratégiques  et  géogra- 
phiques permettant  honnêtement  de  les  rattacher 
à  cette  Allemagne  ramenée  de  08  à  6i  millions 
d'habitants.  Quel  pourrait  (Hre  le  résultat? 

Reportons-nous, page  68,  à  la  carte  (jui  résume 


I.K    PLAN    PANGERMANISTR  197 

la  siluiilioii  elhnograpluijue  Je  rAulriclieHon- 
grie.  Sur  celte  carte,  les  nationalités  slaves  et 
latines  sujelles  des  Hahshour;^,  nommées  dans 
la  léj^ende  de  la  carte,  sont  indiquées  par  des 
prisés  différents.  La  région  habitée  par  des  Alle- 
mands et  celle  peuplée  par  des  Magyars  est  res- 
tée en  blanc.  Ces  deux  derniers  groupes  ethno- 
graphiques sont  séparés  par  une  ligne  en 
pointillé.  Or,  cette  carte  ne  donne  qu'une  idée 
fort  imparfaite  des  réalités  ethnographiques 
parce  qu'elle  est  dressée  d'après  les  documents 
ethnographiques  allemands  et  magyars  qui  sont 
volontairement  tendancieux.  En  réalité,  les 
régions  slaves  s'étendent  très  sensiblement  plus 
qu'il  n'est  indiqué  sur  les  zones  blanches  Alle- 
mands et  Magyars).  Gela  est  particulièrement 
vrai  dans  la  zone  blanche  au  nord  et  au  nord- 
ouest  de  la  région  purement  tchèque. 

Vienne,  qui  cependant  est  au  centre  d'une  zone 
tout  à  fait  blanche,  n'est  pas  du  tout,  comme  on 
le  croit  généralement,  une  ville  purement  alle- 
mande. Sa  population  est  slave  pour  un  tiers 
environ  (Polonais  et  surtout  Tchèques).  Ce  fait, 
qui  est  certain,  n'est  cependant  reconnu  par 
aucune  statistique  officielle  autrichienne  parce 
que  celles-ci  sont  dressées  par  des  fonctionnaires 
alleinands  chargés  de  les  fausser.  Voici  leur  prin- 
cipal procédé  de  truquage. 


198  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

Dans  FAutriche  entière,  tout  Slave  ou  Latin 
qui  sait  seulement  quelques  mots  d'allemand 
est  compté,  bien  malgré  lui  d'ailleurs,  pour  un 
Allemand.  Or,  tous  les  Slaves  qui  vivent  à  Vienne 
savent  au  moins  quelques  mots  d'allemand.  C'est 
ce  qui  permet  aux  statisticiens  allemands  du 
gouvernement  autrichien  de  conclure  qu'il  n'y  a 
pas  de  Slaves  à  Vienne  et  de  diminuer  considé- 
rablement leur  nombre  dans  tout  le  reste  de 
l'Autriche. 

En'  Hongrie,  les  statistiques  sont  également 
cyniquement  truquées  par  les  fonctionnaires  du 
gouvernement  de  Budapest  en  faveur  de  l'élé- 
ment magyar. 

Voici  cependant  les  résultats  que  donnent 
pour  toute  la  Monarchie  des  Habsbourg  les  sta- 
tistiques officielles  germano-magyares. 

Chiffres   du   recensement    de    1910    sans    les 

étrangers. 

Autriche. 

Chiffres  arrondis 
en  dizaines  de  mille. 

Allemands 9.950.000 

Tchèques   6.440.000 

Polonais 4.970.000 

Rulhènes  3.520.000 

Slovènes    1.260.000 

Serbo-Croates 790.000 

Italiens 770.000 

Roumains 280.000 


Total 27.980.000 


LK     IM.AN    l'ANMlEHMANISTK 
Hongrie. 

Magyars «0.050.000 

Roumains 2.950  000 

Serbo-Croates  .  2.040.000 

Alloinands 2  040.000 

Slovaques  1.970.000 

Ruthènes  480.000 


Tolal 20.430.000 

Bosnie  et  Herzégovine. 

Serbo-Croates  (orthodoxes  ou  mu- 
sulmans d'origine  serbe}  ....       2.000.000 

D'après  ces  chiffres,  les  Allemands  sont 
12  millions  dans  l'Empire  des  Habsbourg,  mais 
on  va  voir  qu'à  beaucoup  près  ces  i2  millions 
d'Allemands  ne  sauraient  viw  rattachés  à  l'Al- 
lemagne. En  effet  : 

1°  Comme  le  tableau  permet  de  le  constater, 
un  peu  plus  de  2  millions  d'Allemands  sont  en 
Hongrie  où  ils  se  trouvent  disséminés  par  petits 
jtaquets  parmi  les  autres  nationalités.  Hs  ne  sau- 
raient donc  être  rattachés  à  l'Allemagne. 

2"  Sur  les  10  millions  environ  d'x\llemands 
d'Autriche,  ceux  de  Bohême,  au  nord  et  au  nord- 
ouest  de  la  zone  purement  tchèque,  ne  sauraient 
être  rattachés  à  l'Allemagne  parce  que,  dans  cette 
zone,  ils  sont  mélangés  à  de  nombreux  Tchèques 
et  que  la  ligne  pointillée  qui,  sur  la  carte  de  la 
page  68,  sépare  la  Bohême  de  l'Empire  allemand 


200  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

actuel  représente  les  frontières  historiques  et 
stratég-iques  du  royaume  de  Bohème.  Or,  il  serait 
impossible,  sans  ces  frontières,  d'assurer  Tindé- 
pendance  aux  Tchéco-Slovaques.  On  ne  peut 
évidemment  songer  à  sacrifier  près  de  9  millions 
de  Tchéco-Slovaques  à  1  million  d'Allemands 
de  Bohême  qui  d'ailleurs  ne  se  sont  installés 
jadis  dans  cette  région  qu'à  la  faveur  de  la  fraude 
et  de  la  violence. 

3°  De  ce  fait,  les  10  millions  d'Allemands 
d'Autriche  apparemment  récupérables  sont  ra- 
menés à  9  millions  environ.  Ceux-ci  forment 
sur  la  carte  le  groupe  blanc  qui  s'étend  de  la 
Suisse  à  la  ligne  pointillée  indiquant  la  frontière 
ethnographique  magyare.  Or,  il  y  a  de  sérieuses 
raisons  de  penser  qu'un  examen  approfondi  des 
réalités  ethnographiques,  c'est-à-dire  le  mélange 
de  Slaves  et  d'Allemands  existant  à  l'est  de  ce 
groupe,  donc  entre  le  groupe  purement  tchèque 
au  nord  de  Vienne  et  le  groupe  purement  slovène 
au  sud  de  Vienne,  ne  permettrait  pas  de  laisser 
se  réunir  à  l'Allemagne  la  totalité  de  ce  groupe 
allemand.  Comme  il  ne  saurait  être  question 
d'entrer  ici  dans  ces  détails  ethnographiques 
très  ardus  et  faisant  à  ce  sujet  les  plus  expresses 
réserves,  nous  supposerons  cependant  pour  la 
commodité  de  la  démonstration  que  la  totalité 
de  ce  groupe  allemand  serait  rattachée  à  l'Aile- 


I 


I.i:    l'LX.N    l'A.M.KtJ.MAMSTK  201 

inai^iiu.  iMais  de  ces  9  millions  d'Allemands,  il  y 
aurait  certainement  lieu  de  défalquer  encore  les 
Slaves  qui  se  trouvent  compris  dans  ce  chiffre 
m  raison  du  truquage  syslémalicjue  des  stalis- 
ti(jues  autrichiennes.  L'exemple  topicjue  de  la 
ville  de  Vienne  cité  plus  haut  montre  cette  né- 
cessité. Comme  ce  truquatje  est  fait  dans  d'énor- 
mes proportions  aux  dépens  des  Slaves,  on  peut 
admettre  que  le  chiffre  vrai  des  Allemands  se 
trouvant  dans  cette  partie  de  l'Autriche  et  que 
nous  supposons  ^éoe^raphiquement  récupérables 
par  l'Allemagne  est  seulement  de7  à8  millions. 
Prenons  ce  dernier  chiffre.  Si  ces  8  millions 
étaient  rattachés  à  l'Allemagne  dans  la  future 
lùuope,  l'Allemagne  actuelle,  ramenée  à  61  mil- 
lions d'habitants  pour  les  raisons  indiquées 
page  196,  trouverait  aux  dépens  de  l'Autriche 
8  millions  d'habitants  de  plus.  Elle  aurait  donc 
au  total  69  millions  d'habitants. 

Donc,  comme  TEmpire  allemand  actuel  avait 
en  1914  68  millions  d'habitants,  on  constate  que 
rapplication  du  principe  des  nationalités  ferait 
r/agner  à  l'Allemagne  au  sud-ouest  à  peu  pi-ès 
rnju  iraient  de  ce  que  ce  même  principe  lui  ferait 
perdre  sur  la  périphérie  de  V empire  actuel. 

Une  Allemagne  de  69  à  70  millions  d'Allemands 
authentiques  serait-elle  dangereuse  pour  l'Eu- 
rope ?  Je  ne  le  pense  pas  car,  comme  on  va  voir, 


202  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

l'application  du  principe  des  nationalités  aurait 
pour  conséquence  de  soustraire  radicalement  à 
l'influence  du  pano;ermanisme  de  Berlin  tout  ce 
qui  resterait  des  iiabitants  de  l'Autriche-Hongrie. 

En  effet,  si  sur  les  50  millions  d'habitants  de 
l'Autriche-Hongrie  actuelle,  8  millions  environ 
passaient  à  l'Allemagne,  42  millions  de  sujets 
austro-hongrois  resteraient.  Sur  ce  chiffre  ; 

5  millions  de  Polonais  passeraient  à  la  Pologne; 

4  millions  de  Ruthènes  passeraient  à  la  Russie  ; 

3  millions  de  Roumains  passeraient  à  la  Rou- 
manie ; 

1  million  d'Italiens  passeraient  à  l'Italie. 

Soit  au  total  :  13  millions  d'habitants. 

Resterait  donc  un  groupe  compact  formé  de 
29  millions  d'habitants,  formé  de  Tchéco-Slova- 
ques,  de  Magyars,  d'Allemands  dilués  dans  la 
masse  magyare  et  de  Serbo-Croates.  Comme 
ces  derniers  veulent  s'unir  aux  5  millions  de 
Serbes  de  Serbie,  on  constate  ainsi  la  présence 
en  Europe  centrale  d'une  masse  de  34  millions 
d'habitants  ne  contenant  qu'une  proportion  tout 
à  fait  infime  d'Allemands  et  qui,  bien  groupés 
géographiquement,  pourraient  parfaitement  for- 
mer des  Etats-Unis  oii  les  droits  de  chaque 
nationalitéetlaforme  gouvernementale  de  chaque 
Etat  seraient  respectés  et  qui  constitueraient 
cependant  un  territoire  économique  assez  vaste 


LK    PLAN    l'A.Nt.EUM.VMSii:  20J 

pour  l'orrespondre  aux  nécessités  modernes. 
L'obstacle  à  la  création  de  tels  Etuis-Unis 
pourrait  sembler  être  le  fait  que  les  Magyars 
(|ui  actuellement  font  à  fond  le  jeu  des  Allemands 
ne  voudraient  pas  s'entendre  avec  les  nalionalilés 
voisines.  Celte  objection  disparaît  quand  on  sait 
ceci  qui  mallieureusement  n'est  connu  que  d'un 
Irt's  petit  nombre  de  spécialistes.  Sur  les  10  mil- 
lions do  Magyars,  il  y  a  environ  9  millions  de 
pauvres  ouvriers  presque  lous  agricoles,  exj)loités 
cyniquement  par  la  noblesse  magyare  qui  pos- 
si'de  à  peu  près  toute  la  terre.  Or,  ce  sont  ces 
nobles,  énormes  propriétaires  fonciers  qui  avec 
les  fonctionnaires  magyars  qu'ils  nomment,  soil 
au  total  1  million  de  Magyars  seulement,  sont, 
t't  encore  pas  tous,  prussophiles.  Il  faut  savoir 
encore  que  les  9  millions  de  prolétaires  magyars, 
tn  fait,  ne  sont  môme  pas  actuellement  repré- 
sentés au  Parlement  de  Budapest  car  les  élections 
en  Hongrie  constituent  des  vols  éhontés  prati 
(jués  cyniquement  au  seul  profit  du  million  de 
-Magyars  qui  exploitent  leurs  compatriotes  pau- 
vres. Or,  les  9  millions  de  malheureux  paysans 
magyars  ne  sont  nullement  prussophiles.  Ils 
sont,  en  outre,  parfaitement  disposés  à  fai^e  bon 
ménage  avec  les  autres  masses  démocratiques 
représentées  par  les  nationalités  qui  les  entou- 
rent. Donc,  le  jour  où  le  vrai  peuple  magyar 


204  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

sera  délivré  de  la  noblesse  féodale  qui  l'opprime 
et  deviendra  lui  aussi  maître  de  ses  destinées, 
il  ne  se  refuserait  pas  du  tout  à  la  création  des 
Etats-Unis  envisagés.  Je  suis  parfaitement  sûr 
de  cet  état  d'esprit  car,  dans  mes  derniers 
voyages  à  Budapest,  j'ai  pu  entrer  en  rapport 
avec  des  chefs  des  organisations  démocra- 
tiques magyares.  C'est  ainsi  que  j'ai  appris  que 
déjà  avant  la  guerre,  ils  essayaient  de  trouver 
un  terrain  d'entente  avec  les  autres  nationalités 
slaves  de  la  Hongrie.  Cette  tendance  était  si 
forte  qu'elle  a  d'ailleurs  contribué  à  pousser  le 
néfaste  comte  Tisza  à  déclarer  la  guerre  afin 
d'éviter  le  mouvement  démocratique  qui  mena- 
çait les  privilèges  de  la  noblesse  magyare  dont 
il  est  un  des  chefs. 

En  définitive,  on  constate  donc  qu'il  y  a  en 
Autriche-Hongrie  et  en  Serbie  une  masse  de 
34  millions  d'habitants,  pratiquement  purs  d'élé- 
ments germaniques,  qui  permettraient  de  consti- 
tuer en  Europe  centrale  des  Etats-Unis  qui 
pourraient  devenir  plus  tard  l'embryon  des 
Etats-Unis  d'Europe. 

Tous  les  éléments  ethnographiques  existent 
donc  bien  qui  rendraient  possible  d'éleoer  en 
Europe  centrale  une  triple  barrière  très  puissante 
contre  tout  retour  offensif  du  Pangermanisme. 
(V.  p.  84.)  La  création  de  cette  barrière  serait 


I.K    l'LAN    l'ANliEHMANISlK  20j 

la  solution  du  jj^rand  |»robl»'ine  posé  par  lo  péril 
pangerrnanisle.  Elle  lihéroniit  du  joug  prussien 
pour  toujours  de  nombreuses  nationalités.  Elle 
serait  conforme  aux  intérêts  non  seulement  de 
tous  les  Alliés  mais  encore  du  monde  entier,  car, 
comme  j'espère  le  prouver  au  chapitre  IX,  les 
Américains  du  Sud  et  ceux  du  Nord  ne  seraient 
pas  moins  vitalement  touchés  (|iit'  Ks  Alliés 
européens  et  le  Japon  par  la  réalisulion  du 
Hambourg-Golfe  Persi(jue. 

Donc,  comme  je  voudrais  l'avoir  établi,  l'ar- 
mature nécessaire,  mais  suffisante,  du  plan  pan- 
germaniste,  représentée  par  le  Hambourg-Golfe 
Persi(|ue  peut  être  sûrement  détruite  en  Europe 
centrale  et  ne  peut  l'être  que  là.  //  en  résulte  que 
la  question  d'Autriche- Hongrie  constitue  le 
nœud  du  problème  non  pas  seulement  européen 
mais  universel,  posé  à  tous  les  Etats  civilisés  par 
la  (juerre  déchaînée  par  l'Allemagne prussianisée 
et  l'ambition  exécrable  des  Hohenzollern. 

La  question  d'Autriche-Hongrie  a  encore  un 
aspect  social  d'intérêt  universel  que  les  libéraux 
et  les  socialistes  des  pays  alliés  ou  neutres  n'ont 
peut-être  pas  encore  suffisamment  envisagé. 
L'hégémonie  de  l'Allemagne  que  l' Autriche- 
Hongrie  aurait,  en  effet,  cette  conséquence  so- 
ciale de  portée  infinie  :  un  bail  nouveau  de  puis- 

12, 


206  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

sance  écrasante  et  renforcée  serait  assuré  à 
l'aristocratie  allemande  autrichienne,  à  l'aristo- 
cratie magyare  de  Hongrie,  à  l'aristocratie 
allemande  de  l'empire  allemand  et  surtout  aux 
exécrables  Jiinkers  prussiens,  les  principaux 
responsables  de  la  guerre.  Ce  triomphe  insolent 
et  considérable  de  l'esprit  junker,  consolidé  par 
les  moyens  de  la  domination  universelle  mis  à 
la  disposition  du  gouvernement  de  Berlin  comme 
suite  de  la  réalisation  du  Hambourg-Golfe  Per- 
sique,  aurait  pour  effet  réflexe  fatal  un  refoule- 
ment des  mouvements  démocratiques  et  libéraux 
en  évolution  légitime  et  nécessaire  non  seule- 
ment dans  les  pays  alliés  mais  encore  dans  le 
monde  entier.  Il  en  résulterait  finalement  de 
nouvelles  crises  révolutionnaires,  causes  de  per- 
turbation qu'il  est  d'un  haut  intérêt  d'éviter  en 
ne  laissant  pas  perdre  aux  idées  de  justice  sociale 
et  de  liberté  le  terrain  qu'elles  ont  déjà  si  péni- 
blement conquis. 

Ces  considérations  permettent  donc  de  con- 
clure :  la  libération  définitive  du  joug  allemand 
de  tous  les  peuples  slaves  et  latins  de  l'Autriche- 
Hongrie  est  d'intérêt  social  général.  Elle  cons 
titue,  en  effets  une  condition  essentielle  dujyrogrès 
des  idées  libérales,  du  développement  pacifique  et 
de  l'organisation  de  la  démocratie  dans  l'Uni- 
vers entier. 


CHAPITRE   VJI 

LES  BALKANS  ET  LE  PLAN  PANGERMANISTE 


I.  Le  lien  existant  entre  le  plan  pangermaniste  et  le 

plan  d'hégémonie  bulgare 

II.  La  Grèce  et  les  ambitions  pangermanistes. 

III.  La  Roumanie  et  le  plan  pangermaniste. 

En  raison  du  fait  qu'ils  font  géographiquement 
partie  de  la  zone  Hambourg-Golfe  Persique,  les 
Etats  des  Balkans  sont  d'une  importance  extrême 
soit  pour  la  réalisation,  soit  pour  l'anéantisse- 
ment du  plan  pangermaniste  tout  entier.  Au 
surplus,  les  événements  se  sont  chargés  de 
démontrer  aux  plus  sceptiques  l'influence  de  ces 
Etats  sur  l'évolution  de  la  lutte.  L'opinion 
publique,  alliée  ou  neutre,  doit  donc  saisir  très 
nettement  combien  étroit  est  le  rapport  existant 
entre  les  facteurs  balkaniques  et  le  plan  panger- 
maniste universel. 

Il  ne  peut  s'agir  ici  que  des  facteurs  balkaniques 
fondamentaux,  de  ceux  ayant  un  caractère  du- 
rable et  permanent  et  non  pas  de  l'attitude  de 
certains  gouvernements  de  la  péninsule  orien- 


208  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

taie.  Cette  attitude,  depuis  un  an  surtout,  est 
singulièrement  vacillante.  Elle  subit,  en  effet, 
l'action  des  influences  parasitaires  allemandes 
qui,  par  l'intermédiaire  des  liens  dynastiques 
des  familles  régr^ntes,  renforcés  par  les  intimi- 
dations berlinoises,  s'exercent  sur  ces  gouverne- 
ments contrairement  aux  intérêts  nationaux  que 
ceux-ci  ont  cependant  à  défendre.  D'ailleurs, 
une  entière  équité  oblige  à  reconnaître  que  les 
fautes  diplomatiques  commises  par  les  Alliés, 
surtout  en  19io  en  raison  de  leurs  faibles  con- 
naissances des  réalités  balkaniques,  a  singulière- 
ment favorisé  le  succès  des  influences  germa- 
niques. 

Ainsi,  par  exemple,  à  Athènes,  le  cabinet 
actuel,  constitué  d'ailleurs  à  la  suite  de  disso- 
lutions arbitraires  du  Parlement  hellène  et,  par 
conséquent,  dépourvu  de  toute  autorité  constitu- 
tionnelle, pratique  sous  l'impulsion  du  roi  Cons- 
tajitin,  beau-frère  de  l'empereur  Guillaume  II, 
une  politique  que  tous  les  Grecs  autorisés  et 
libres  de  parler  considèrent  comme  désastreuse 
pour  les  intérêts  vitaux  de  l'Hellénisme .  De  même 
à  Bucarest,  des  Roumains  éminents  critiquent 
très  vivement  l'attitude  du  cabinet  Bratiano. 
Ainsi  La  Roi(ma?iie,  organe  de  M.  Take  Ionesco, 
à  propos  du  récent  accord  commercial  germano- 
roumain  vient  d'assurer  :   «  Cet  accord  fait  de 


l.K    i'I.A.N     l'A.Nt.KUMA.MMK  2*'y 

la  Hoimianio  la  dupe  de  l'Allemagne  ».  (V.  Le 
Jonrnal,  20  avril  1916.)  La  décision  finale  de 
certains  |2:ouvernemenls  balkaniques  est  donc 
j)Our  l'inslant  encore  en  suspens,  mais  quelle 
qu'elle  soit,  chacun  des  peuples  balkaniques  ver- 
rait inéluctablement  ses  intérôls  futurs  servis  ou 
menacés  par  le  triomphe  du  plan  pangermaniste. 
O  sont  ces  vues  d'avenir  qu'il  importe  de  dé- 
gager. Pour  le  Monténégro  et  la  Serbie,  tout 
examen  est  inutile  tant  il  est  évident  que  la  vic- 
toire allemande  signifierait  pour  ces  deux  États 
la  disparition  définitive  et  sans  appel. 


H  on  est  autrement  pour  la  Bulgarie.  A  la 
vérité,  la  clef  de  toute  la  situation  balkanique 
réside  dans  le  plan  d'hégémonie  bulgare  qui, 
comme  on  va  le  constater,  se  raccorde  étroite- 
ment, au  moins  dans  son  principe,  avec  le  plan 
pangermaniste. 

Il  y  a  longtemps  qu'on  la  dit,  les  Bulgares 
sont  les  Prussiens  de  l'Orient.  Or,  c'est  leur  idée 
fixe  de  réaliser  à  tout  prix  leur  rêve  de  domina- 
tion balkanique  qui  a  amené  les  Bulgares  à  faire 
leur  jeu  avec  Berlin  sans  comprendre  que  si 
dans  une  première  phase,  ils  pourraient  bénéfi- 

12. 


210  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

cier  de  cette  combinaison,  ils  seraient  finalement 
les  victimes  de  la  Pangermanie. 

Les  prétentions  des  Bulgares  à  l'hégémonie, 
encore  plus  ignorées  que  le  plan  pangermanistc. 


j-T-a  Parties  déjà  délivrées  par 
1-^  les  Bulgares 

Parties  non  délivrées pai 
tes  Bulga 


sont  cependant  relativement  anciennes.  En  voici 
une  preuve  irrécusable. 

La  carte  ci-dessus  constitue  un  document  do 
première  importance  car  elle  va  permettre  do 
saisir  sur  le  vif  d'abord  la  politique  bulgare  cl 
ensuite  celle  des  autres  États  balkaniques.  Cotto 


i.i;   n.A.N   i'.vN(.i:u.\i.\M.sii:  211 

(  aile  esl  une  lra(lutli«)ii  «'I  une  reproduction 
fort  exacte  de  la  carie  se  trouvant  à  la  pag^e  5(1 
de  la  partie  historique  du  livre  édité  en  bulgare, 
à  Sofia,  et  intitulé  :  Le  camarade  du  soldat^  ma- 
nuel pour  1rs  soldats  de  foutes  les  anttfs.  Cel 
ouvrage  de  propagande  officielle  dans  l'armée, 
donc  dans  le  peuplr  linh/tin'  tniti  f/i/irr,  /)uhtgue 
tous  les  Bulgares  passent  à  la  caserne,  a  été  pu- 
blié conformément  à  Tordre  n*  7(1  du  14  mars 
19Q7,  du  ministère  de  la  Guerre  bulgare,  ap- 
prouvé et  autorisé  par  le  chef  du  grand  Etat- 
Major  de  l'armée  bulgare.  Ce  manuel  a  été 
I  tMoniinandé  par  le  ministère  de  la  Guerre  bul- 
uare  par  la  circulaire  n"  28  du  21  mars  1907. 
Nous  nous  trouvons  donc  en  présence  d'un  livre 
officiel  bulgare  datant  de  1907,  qui  établit  très 
nettement,  et  sans  confcs/(//iu/ts  possibles,  quelles 
idées  ont  été  systématique  ment  inculquées,  depuis 
au  moins  ucu/  uns,  au  peuple  bulgare  tout  entier. 
Sur  cctlt'  carie  intitulée  Lu  GrumJe  Hulgarie 
cl  qui  est  coloriée  dans  la  iiuilième  édition  du 
livre  bulgare  original  que  je  possède,  la  partie 
tlile  déjà  délivrée  par  les  Bulgares  est  teintée  en 
rose,  —  figurée  en  hachures  larges  sur  notre 
carte,  —  les  parties  dites  non  délivrées  par  les 
Bulgares  sont  teintées  en  rouge,  —  représentées 
en  hachures  plus  denses  sur  notre  carie.  Ce  docu- 
ment officiel  bulgare  permet  de  comprendre  à  la 


I 


212  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

fois  tout  ce  qui  s'est  passé  pendant  les  guerres 
balkaniques  et  la  conduite  du  gouvernement  de 
Sofia  pendant  la  guerre  européenne. 

En  réalité,  lorsqu'en  1912  les  Bulgares  firent 
alliance  avec  les  Grecs  et  les  Serbes  contre  la 
Turquie,  ils  n'étaient  déjà  pas  sincères  envers 
leurs  alliés.  Ils  avaient  alors  très  peu  d'estime 
militaire  pour  les  Grecs  et  les  Serbes.  Mais  ils 
trouvaient  fort  expédient  d'utiliser  les  forces  de 
ceux-ci  contre  l'ennemi  principal,  la  Turquie,  se 
réservant  ensuite  de  profiter  plus  tard  de  l'ac- 
croissement de  puissance  de  la  Bulgarie  réalisé 
aux  dépens  de  l'Empire  ottoman  pour  régler 
ensuite  le  sort  de  leurs  alliés  momentanés. 
Comme  ces  arrière-pensées  étaient  soupçonnées 
à  Belgrade  et  à  Athènes,  on  conçoit  que  dès  le 
début  de  leur  action  commune,  les  gouverne- 
ments grec  et  serbe  n'aient  pas  eu  une  confiance 
absolue  dans  celui  de  Sofia.  La  défiance  des 
Grecs  et  des  Serbes  fut  d'ailleurs  mise  très  net- 
tement en  éveil  quand,  après  ses  premières  vic- 
toires contre  les  Turcs,  le  roi  Ferdinand,  avant 
de  voir  ses  troupes  se  buter  aux  lignes  de  Tcha- 
taldja,  manifesta  la  prétention  d'entrer  à  Cons- 
tantinople  avec  l'évidente  volonté  d'y  rester  si 
possible. 

Etant  données  les  revendications  bulgares  à 
l'Ouest,    qu'expose    notre    carte-document,    on 


I 


LE    PLAN    PANfiERMANISTE  213 

s'explique  encore  que,  quand,  en  1013,  les  Serbes, 
rcaiiés  de  l'Adrialiijue  par  l'Europe,  malgré 
leurs  victoires,  deniaïulèreni  aux  Fiulgares  une 
compensation  «'(juitable  au  sud  d'Uskub,  les 
Bulj^ares,  dont  le  caractère  est  d'ailleurs  fon- 
cièrement intransii?eant.  refusèrent  toute  tran- 
saclion. 

En  outre,  toujours  poussés  par  leurs  désirs 
d'hégémonie  et  incités  à  l'action  par  Vienne  et 
par  Berlin,  les  Bulgares  crurent  le  moment  venu 
d'anéantir  les  Serbes  et  les  Grecs.  Les  Bulgares 
firent  donc  l'attaque  brusquéedu  17/30  juin  1913 
(•(tnli'c  leurs  anciens  alliés.  Mais  les  Serl)es  el 
les  (irecs  (|iii  se  méfiaient  furent  prêts  à  recevoir 
le  choc  Ijf  noimiaiiiequi,  pas  plus  que  la  Grèce 
ot(  la  Serbie,  ne  consent  à  l'hégémonie  bulgare, 
ht  avancer  ses  troupes  jusqu'à  10  kilomètres  de 
Sofia.  Les  Bulgares  furent  écrasés  parles  Serbes 
à  laBregalnitzaet  durent  signer,  le  iO  août  1913, 
h'  traité  de  Bucarest.  Mais,  dès  cet  instant,  ani- 
més d'une  haine  incommensurable  pour  leurs 
vainqueurs,  ils  n'eurent  qu'un  désir,  s'en  venger 
^it((  fssicr/aenl  et  avant  tout  détruire  le  traité  de 
lUicarest  dès  que  l'occasion  s'en  présenterait, 
d'où  : 

l''  Les  traités  passés  par  Sofia  avec  Berlin  et 
Constantinople,  dès  avant  avril  1914,  ainsi  que 
vient  de  le  révéler  M.  Radoslavoff.  (V.  Havas, 


214  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

cité  par  Le  Petit  Parisien,  26  mars  1916  et  Le 
Temps,  10  avril  1916.) 

2°  La  participation  à  la  guerre  européenne  de 
la  Bulgarie  aux  côtés  de  l'Allemagne  dont  les 
plans  d'avenir  étaient  menacés  comme  les  ambi- 
tions bulgares  par  les  conséquences  du  traité 
de  Bucarest.  (V.  chapitre  II,  §  1.) 


L'analyse  de  notre  carte-document  bulgare 
permet  de  constater  que  les  prétentions  bulgares 
à  l'hégémonie,  de  même  que  celles  du  Pangerma- 
nisme, ont  pour  objet  d'absorber,  en  dehors  de 
toute  question  de  langue  ou  de  race,  les  régions 
dont  la  possession  est  considérée  comme  utile  à 
la  Bulgarie.  Il  y  a  donc  identité  absolue  entre  la 
doctrine  acquisitive  des  Bulgares  et  celle  des 
Prussiens.  De  ce  fait,  l'entente  des  deux  peuples 
s'est  donc  trouvée  psychologiquement  facihtée. 
En  effet,  la  Grande  Bulgarie  de  notre  document 
officiel  de  1907  (v.  la  carte,  p.  210)  englobe  :  la 
Dobroudja  roumaine  jusqu'à  Galatz  et  Sulina  sur 
laquelle  les  Bulgares  ne  peuvent  évidemment 
pas  éleveraucune  prétention  justifiable,  le  littoral 
de  la  mer  Egée,  de  Serres  à  Gumuldjina,  où 
domine  ,  l'élément  grec,  la  région  de  Nich  qui 
est  serbe,  la  région  de  Prizrend    qui  avait  été 


LK    l'LAN    l'.VX.tliMAMMK  21.. 

icconnue  comme  serbe  par  les  Bulgares  cux- 
iiii^mes  dans  leur  traité  d'alliance  avec  les  Serbes 
en  lt)i2.  En  ce  qui  concerne  la  rt'gion  d'Uskul» 
jus(ju'au  lac  d'Okhridaprès  de.  l'Albanie,  les  Bul- 
j^ares  la  reconnaissaient  j)ar  leur  traité  avec  les 


\  ^  oKustendil 

«  \0 

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'Stroumitza 


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Vodena      \\    //    ^ 
~  loni(]ue 


2. 


I 


Serbes  pour  contestable.  Son  sort  devait  être 
léglé  par  l'arbitrage  de  l'Empereur  de  Russie, 
arbitrage  dont  les  Bulgares  n'ont  jamais  voulu 
sérieusement  et  auquel  ils  ont  mis  un  obstacle 
radical  par  leur  agression  contre  les  Serbes,  en 
juin  1913.  Enfin,  quant  à  la  région  se  trouvant 
au  sud  d'Uskub,  c'est-à-dire  la  portion  de  la 
-Macédoine  constituant  le  sud  de  la  Serbie  actuelle, 
elle  nécessite  un  exposé  détaillé  spécial.  Celui-ci 


216  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

est  indispensable,  car  c'est  au  sujet  de  la  Macé- 
doine serbe  que  beaucoup  d'erreurs  propagées 
par  la  presse  alliée  ont  déterminé  les  fautes 
balkaniques  des  Alliés  en  1915.  Il  est  donc  tout 
à  fait  nécessaire  que  ces  erreurs  soient  rectifiées 
si  les  Alliés  veulent  éviter  dans  les  Balkans  de 
nouvelles  fautes  dont  ils  auraient  encore  à  payer 
le  prix  fort  élevé. 

En  somme,  pour  envisager  nettement  les  diffi- 
cultés en  face,  il  s'agit  de  répondre  à  cette  ques- 
tion :  le  sud  de  la  Serbie  est-il  bulgare  ?  (V.  la 
carte  ci-contre.) 

Le  territoire  du  sud  de  la  Serbie  sur  lequel 
ont  porté  les  opinions  divergentes  est  représenté 
assez  exactement  : 

1°  Par  un  triangle  dont  le  sommet  se  trouve 
un  peu  au  nord  de  Vélès  et  dont  les  autres 
angles  sont  déterminés  par  Guevgheli,  à  l'est, 
et  le  lac  d'Okiirida,  à  l'ouest  : 

2°  Par  la  bande  de  terre  située  à  l'est  de  ce 
triangle  et  qui,  entre  la  rive  gauche  du  Vardar 
et  la  Bulgarie  contient  les  régions  de  Kotchana, 
deStip  et  de  Stroutmitza-gare.  Les  Bulgares  sou- 
tiennent que  tout  le  territoire  ainsi  constitué  par 
ce  triangle  et  cette  bande  latérale  est  incontesta- 
blement bulgare  ;  l'an  dernier,  quelques  écrivains 
alliés  ont  appuyé  cette  thèse.  D'abord,  disait-on, 
le  traité  de  San-Stefano  (1878)  a  attribué  à  la 


II.    PLAN    PANGEHMAMSi'ii:  217 

Uuljiîuio  ce  qui  est  niainlenant  le  sud  de  la 
St'ibie.  On  oublie  (ju'en  1S7K  les  éludes  ethno- 
graphiques sur  rKrnpire  ollonian  étaient  encore 
inexistantes  et  qu'à  cette  époque  les  Hussesetles 
Anglais,  pour  des  motifs  différents,  avaient  ten- 
dance à  considérer  volontiers  comme  Bulgares, 
sans  contrôle  ni  distinction,  îi  peu  près  tous  les 
habitants  de  la  Turquie  d'Europe.  Les  Russes,  9/// 
(ilor::  visaient  à  s'établir  ultcrieurement  dans  les 
lialkanSy  étaient  incités  par  ce  point  de  vue  à 
considérer  les  Bulu:ares  comme  extrêmement 
nombreux.  Quant  aux  Anglais,  enllammés  par 
les  éloquentes  Bulgarian  atrocities  de  Gladstone, 
ils  ne  songeaient,  fort  généreusement  d'ailleurs, 
(ju'à  libérer  du  joug  turc  le  plus  de  chrétiens 
possible,  qu'en  Macédoine  on  qualifiait  alors 
sans  distinction  de  Bulgares. 

Quoi  qu'il  en  soit,  c'est  seulement  après  San- 
Stefano  que  les  études  ethnographiques  un  peu 
sérieuses  de  la  Macédoine  ont  commencé.  Encore 
convient-il  d'ajouter  que  la  plupart  des  écrivains 
qui  ont  écrit  sur  ce  sujet  ont  puisé  leurs  rensei- 
gnements non  dans  des  enquêtes  sur  place  mais 
à  Belgrade,  à  Athènes  et  à  Sofia.  Dans  ces  trois 
centres,  on  leur  a  donné  des  statistiques  minu- 
tieuses, fort  bien  imprimées,  d'apparence  con- 
vaincante mais  dont  les  résultats  sont  aussi 
contradictoires  qu'il  est  possible.  Pour  ma  part, 

13 


218  l.E    PLAN    PANGERMANISTK 

j'avoue  n'être  arrivé  à  une  idée  relativement 
nette  de  l'ethnographie  si  compliquée  de  la  partie 
de  la  Macédoine  considérée  qu'à  la  suite  de  mon 
enquête  de  1914,  non  plus  dans  les  capitales 
balkaniques  mais  sur  place,  notamment  à  Uskub, 
à  Prizrend,  à  Prichtina,  à  Monastir,  à  Okhrida 
et  à  Strouga, 

Cette  enquête  faite  six  mois  avant  la  guerre 
m'a  amené  aux  constatations  suivantes.  La 
Macédoine  serbe  contient  deux  groupes  bien 
distincts  de  population. 

1"  L'un  est  formé  de  Turcs,  d'Albanais,  de 
Koutzo-Valaques  ou  Roumains,  de  Grecs,  de 
Juifs  et  de  Tziganes  qui  se  trouvent  disséminés 
dans  tout  le  pays. 

2°  Le  second  groupe  est  constitué  par  les 
Slaves  macédoniens. 

En  l'absence  de  statistiques  offrant  des  garan- 
ties, il  est  impossible  de  dire  lequel  de  ces 
deux  groupes  est  numériquement  le  plus  fort. 
Ainsi,  à  Uskub,  les  Turcs  et  les  Juifs  seuls 
étaient  estimés  comme  aussi  nombreux  que  les 
exarchistes,  c'est-à-dire  ceux  qui,  fréquentant  les 
églises  et  les  écoles  de  l'exarchat  bulgare,  étaient 
considérés  comme  Bulgares. 

Mais  ce  qui  est  bien  certain  c'est  que  les 
Serbes  et  les  Bulgares  se  trouvent  dans  le 
second  groupe  de  la  population,  celui  des  Slaves 


I.K    i'LAN    i'ANGfclUMAiNlSTfc:  H'J 

maiMnlonicns.  Or  ce  groupe  comprend  lui-même 
(juiUre  fractions  :  les  Serbes  d'originr,  les  Bul- 
gares d'origine,  ies  Serbes  «  llotlants  »  et  les 
Bulgares  «  lloltants  ».  Les  deux  fractions  «  flot- 
tantes »  semblent  ôtre  numériquement  plus  im- 
portantes que  les  deux  fractions  d'origine.  Cette 
expression  singulière  de  «flottante  »  est  justifiée 
par  l'explication  suivante.  En  1870,  les  Bulgares 
de  Macédoine,  alors  sujets  ottomans,  obtinrent  du 
Sultan  d'être  considérés,  au  point  de  vue  reli- 
gieux, comme  dépendant  non  plus  comme  aupa- 
ravant de  l'église  ortbodoxe  grecque,  mais  d'une 
église  séparée  et  autonome,  l'exarchat  bulgare, 
dont  le  siège  fut  fixé  à  Gonslantinople.  Les  Bul- 
gares de  Bulgarie,  qui  se  rattachèrent  également 
à  la  nouvelle  église,  profitèrent  de  l'état  de  choses 
résultant  de  cette  création  pour  organiser  en 
Macédoine,  sous  la  direction  et  avec  le  concours 
(le  l'exarque  bulgare.  M''""  Joseph,  qui  résidait  à 
Constantinople  et  était  sujet  ottoman,  une  pro- 
pagande d'apparence  religieuse  mais  qui,  en 
réalité,  avait  pour  objet  de  gagner  à  la  cause 
nationale  bulgare  le  plus  possible  de  Slaves  ma- 
cédoniens. Ceux-ci  étaient  alors  des  paysans 
très  pauvres,  opprimés  par  les  Turcs  depuis  des 
siècles  et  le  plus  grand  nombre  d'entre  eux 
n'avaient  aucune  conscience  d'appartenir  à  une 
nationalité  particulière.  La  propagande  exarchiste 


220  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

bulgare  se  heurta  en  Macédoine  à  la  propagande 
grecque  et  un  peu  plus  tard  à  la  propagande 
serbe  qui,  dirigées  d'Athènes  et  de  Belgrade, 
avaient  un  objectif  identique.  Ces  trois  propa- 
gandes employèrent  en  Macédoine  les  moyens 
les  plus  divers  :  argent,  écoles,  procédés  terro- 
ristes, pour  conquérir  des  Slaves  macédoniens 
nationalement  encore  indéterminés  à  la  cause 
nationale  bulgare,  à  la  cause  nationale  grecque, 
à  la  cause  nationale  serbe. 

Ces  propagandes  aboutirent  bien  souvent  à  des 
résultats  extravagants  qui  en  démontrèrent  le 
caractère  artificiel.  Ainsi,  avant  la  guerre  euro- 
péenne, on  voyait  dans  beaucoup  de  villages 
macédoniens  trois  frères  dont  l'un  se  disait  grec, 
l'autre  serbe,  et  le  dernier  bulgare.  Parfois,  sous 
l'effet  des  pressions  dont  ils  étaient  l'objet,  leurs 
convictions  nationales  respectives  changeaient  et 
c'était  alors  le  Serbe  qui  se  disait  Bulgare  ou 
inversement.  L'expression  employée  plus  haut 
de  «  Serbes  et  de  Bulgares  flottants  »  est  donc 
bien  justifiée.  Il  est  toutefois  incontestable  que 
la  propagande  serbe  ayant  commencé  en  Macé- 
doine environ  quinze  ans  plus  tard  que  la  pro- 
pagande bulgare  avait  recruté  moins  d'adhérents 
«  flottants  »  que  la  propagande  bulgare  parmi 
les  Slaves  macédoniens  indéterminés.  Les  deux 
éléments  constitutifs  du  groupe  bulgare  deMacé- 


I 


LE    PLAN    PANliEllJlAMSTE  221 

«loine,  lUilgarewS  d'orig-int»  incontostahle  et  Bul- 
gares «  lloltanls  »  oui  d'ailleurs  une  répartition 
i;é()f^raplii(iuo  relativement  définie.  Quoique  mé- 
langés à  des  éléments  turcs,  les  habitants  de  la 
région  (le  Kotchana  et  d'Istip  (Slip  en  serbe), 
donc  sur  la  rive  gauche  du  Vardar  et  limitrophe 
de  la  Bulgarie  (v,  la  carte,  p.  216)  sont,  pour  la 
plupart,  des  Bulgares  d'origine  incontestable.  Si, 
lors  du  traité  de  Bucarest,  les  Serbes  ont  réclamé 
ces  régions  de  relief  montagneux  c'était  pour  des 
motifs  stratégiques  afm  de  pouvoir  assurer  la 
défense  du  chemin  de  fer,  vital  pour  eux  qui. 
passant  par  la  vallée  du  Vardar  relie  Belgrade, 
Nich  et  Uskub  à  Salonique.  La  guerre  actuelle 
a  prouvé  que  ce  point  de  vue  n'était  pas  sans 
juslilication. 

Par  contre,  sur  la  rive  droite  du  Vardar,  donc 
dans  la  plus  grande  partie  de  la  Macédoine 
serbe,  les  éléments  bulgares  authentiques  ou 
flottants  sont  plus  ou  moins  disséminés  parmi 
tous  les  autres  éléments  ethnographiques.  Assu- 
rément, il  y  a  à  l'ouest  du  Vardar  des  Bulgares 
d'origine  fort  ancienne  et  incontestable.  Un 
certain  nombre  venus  de  ces  régions  exercent 
même  en  Bulgarie  une  influence  politique  pré- 
dominante. Ainsi  le  général  Boyadjeff  est  né  à 
Okhrida,  M.  GhenadiefT  est  né  à  Monastir.  Mais 
ces  Bulgares  d'origine  sont  certainement  une 


-i-^  LE    PLAN    PANUERMANISTE 

minorité  dans  l'ensemble  ethnographique  macé- 
donien. Ainsi  à  Monastir,  sur  60.000  habitants, 
il  y  avait,  en  1914,  environ  un  tiers  de  Bulgares. 
Autour  de  Monastir  et  d'Uskub,  on  trouvait  bien 
des  villages  habités  presque  entièrement  par  des 
Bulgares,  mais  à  côté  de  ces  villages  il  en  était 
d'autres  formés  par  des  nationalités  macédo- 
niennes différentes  (Serbes,  Roumains,  etc.). 

Quant  aux  Bulgares  «  flottants  »,  après  cinq 
mois  seulement  d'occupation  serbe  consécutive 
au  traité  de  Bucarest,  déjà  beaucoup  se  disaient 
serbes.  Par  exemple,  le  maire  serbe  de  la  petite 
ville  de  Strouga  était  du  temps  des  Turcs  l'an- 
cien directeur  de  la  propagande  bulgare  dans  la 
région  de  Strouga.  Les  cas  analogues  étaient 
extrêmement  nombreux.  Les  Bulgares  de  Sofia 
ne  pouvant  nier  ce  passage  en  masse  au  serbisme 
d'anciens  Bulgares  dus  à  la  propagande  de  l'exar- 
chat, prétendaient  que  cette  évolution  était  la 
conséquence  du  régime  de  fer  et  de  sang  employé 
selon  eux  parles  Serbes  pour  assurer  leur  domina- 
tion en  Macédoine.  Cette  affirmation  ne  me  paraît 
pas  défendable.  J'ai  parcouru  la  plupart  des  routes 
de  la  Macédoine  serbe  en  hiver  (janvier  1914), 
accompagné  seulement  d'une  ou  deux  personnes. 
J'ai  croisé  bien  souvent  des  soldats  serbes  qui, 
quittant  leurs  garnisons  de  la  frontière  albanaise, 
allaient  en  permission  dans  la  Serbie  du  Nord. 


I.i:    PLAN     l'AX.KHM  AMSIK  -'IW 

Or,  LOS  soldais  s'en  allaient  seuls  ou  par  g^roupes 
(le  deux  ou  trois.  Un  simple  Intlon  à  la  main, 
ils  franchissaient  les  (^0  ou  70  kilomètres  qui 
les  séparaieîit  de  la  plus  proche  voie  ferrée.  Si 
la  région  avait  été  réellement  peuplée  de  Bul- 
•rares  convaincus  et  exécrant  les  Serbes,  n'est-il 
pas  évident  qu'il  y  aurait  eu  des  attentats  contre 
ces  soldats  serbes  isolés  et  sans  défense  ?  Or  ces 
attentats  ne  se  produisaient  pas  et  ainsi  que  j'ai 
pu  ^le  constater  la  plus  complète  tranquillité 
régnait  dans  la  Serbie  macédonienne  qui,  du 
temps  des  Turcs,  était  le  théâtre  de  meurtres 
incessants  lesquels,  d'ailleurs,  le  plus  souvent, 
résultaient  des  moyens  terroristes  employés  par 
la  propagande  bulgare. 

Ce  qui  est  certain,  c'est  qu'au  début  de  1914 
les  Bulgares  «  flottants  »,  en  réalité  les  plus 
nombreux,  acceptaient  sans  résistance  le  régime 
serbe  et  se  disaient  Serbes.  L'exarque  bulgare, 
M**""  Joseph,  qui  avait  organisé  et  dirigé  depuis 
1870  la  propagande  bulgare  en  Macédoine  ne 
s'étonnait  nullement  de  ce  résultat.  Il  convint 
devant  moi,  à  Sofia,  en  février  1914,  que  la  partie 
était  perdue  par  la  Bulgarie  dans  le  sud  de  la 
Macédoine  et  qu'au  bout  de  très  peu  de  temps 
la  plupart  des  adhérents  qu'il  avait  recrutés  jadis 
se  montreraient  de  très  bons  Serbes.  Il  en  prenait 
d'ailleurs  son   parti,   car  M'""  Joseph  avait  été 


224  LE    PLAN    PANGERMANISTK 

opposé  à  l'attaque  de  juin  1913  contre  les  Serbes 
et  les  Grecs  et  il  estimait  que  la  Bulgarie  devait 
s'incliner  devant  un  fait  accompli  dont  elle  avait 
assumé  la  responsabilité  et  dont  elle  devait  subir 
les  conséquences. 

Pour  ces  raisons  multiples,  on  ne  peut  donc 
pas  dire  que  le  sud  do  la  Bulgarie  est  bulgare. 
Mais  le  peuple  bulgare  de  Bulgarie  a  été  com- 
plètement intoxiqué  par  l'intense  propagande 
qui  a  été  organisée  surtout  depuis  trente  ans,  en 
Bulgarie  même,  par  des  Bulgares  originaires 
de  Macédoine  ottomane.  Ceux-ci,  hommes  géné- 
ralement fort  énergiques,  se  sont  en  réalité  em- 
parés en  Bulgarie  de  tous  les  postes  importants  : 
militaires,  politiques,  administratifs.  Ils  ont  si 
bien  propagande  que  le  dernier  des  paysans 
bulgares  de  Bulgarie  croit  «  dur  comme  fer  » 
que  toute  la  Macédoine  serbe  est  bulgare.  On 
conçoit  aisément  le  parti  que  la  politique  alle- 
mande a  pu  tirer  à  Sofia  d'un  tel  état  d'esprit 
pour  précipiter  le  peuple  bulgare  dans  la  mêlée 
aux  côtés  du  germanisme. 

En  réalité  et  pour  résumer,  le  sud  de  la  Ma- 
cédoine est  vraiment  la  Macédoine,  c'est-à-dire 
un  territoire  habité  par  des  populations  bigar- 
rées à  peu  près  partout  intimement  mélangées. 
Les  Bulgares  qui  s'y  trouvent  ne  peuvent  donc  pas 
légitimement  prétendre  que  le  traité  de  Bucarest 


I.K     IM.AN     l'AX.KU.MA.MM  K  2.i.> 

(Ml  attribuant  la  Macédoine  du  sud-ouest  à  la 
Serbie  a  violé  à  leur  détriment  le  principe  des 
nationalités.  En  effet,  précisément  parce  qu'elle 
est  la  Macédoine,  c'est-à-dire  un  mélange  extraor- 
dinaire de  populations  diverses,  le  principe  des 
nationalités  est  impossible  à  appliquer  en  Macé- 
doine. En  toute  équité,  le  sort  de  cette  contrée 
si  particulière  ne  sauraitôtre  réjiçlé  que  d'après  les 
nécessités  pjénérales  stratégiques  et  économiques 
des  États  environnants.  Or,  s'il  y  a  des  Bulgares  en 
Macédoine  il  y  a  aussi  des  Serbes,  et  ni  straté- 
uiquement,  ni  économiquement,  le  sud  de  la  Ma- 
cédoine n'est  nécessaire  à  la  Bulgarie.  Au  con- 
traire, la  Serbie  a  un  intérêt  économique  et 
défensif  réellement  vital  à  être  en  contact  géo- 
urapliique  direct  avec  la  Grèce,  afin,  par 
Salonique,  d'avoir  à  la  mer  Egée  l'accès  qui  lui 
t'sl  indispensable. 


Ce  qui  prouve  d'ailleurs  et  surabondamment 
que  ce  n'est  pas  sur  des  bases  ethnographiques 
que  se  fondent  les  prétentions  acquisitrices  bul- 
gares, c'est  qu'actuellement  les  ambitions  du 
gouvernement  de  Sofia  dépassent  considérable- 
ment même  les  limites  extrêmes  de  notre  carte- 


226  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

document  (v.  p.  210).  En  effet,  non  seulement 
la  Bulgarie  veut  conserver  la  région  de  Nich 
mais  elle  prétend  encore  s'étendre  jusqu'à  la 
Hongrie  qui  d'ailleurs,  elle  aussi,  veut  mordre 
sur  la  Serbie.  En  février  1916,  M.  Take  Ionesco 
a  déclaré  à  Bucarest  qu'il  tenait  de  source  sûre 
que  l'Allemagne  venait  d'assurer  à  la  Bulgarie 
Saloniçue  et  la  Dobroudja  roumaine  jusqu'à 
Sulina  (V.  Le  Matin,  25  février  1916),  c'est-à- 
dire  exactement  cette  partie  de  la  Dobroudja 
roumaine  que,  d'après  notre  carte-document, 
les  Bulgares  convoitent  depuis  au  moins  1907. 
Quant  au  roi  Ferdinand,  il  prétend  obtenir  pour 
son  fils  toute  l'Albanie  centrale,  ce  qui  permet- 
trait à  la  Bulgarie,  sous  couleur  d'un  arrange- 
ment éventuel  plus  ou  moins  imposé  à  quelques 
tribus  albanaises,  de  s'étendre  de  la  mer  Noire 
jusqu'à  l'Adriatique,  projet  ancien  que  n'ignorent 
pas  les  initiés  aux  ambitions  du  Cobourg  de 
Sofia.  Il  est  d'ailleurs  probable,  tant  en  ce  qui 
concerne  l'Albanie  que  la  Dobroudja  roumaine, 
que  le  gouvernement  de  Berlin  tiendra  pour  le 
moment  en  brides  les  ambitions  bulgares,  afin 
de  ménager  les  susceptibilités  de  Vienne  et  de 
prolonger  la  neutralité  de  la  Roumanie  en  entre- 
tenant les  illusions  du  cabinet  Bratiano.  Il  sera 
bien  temps  plus  tard  de  punir  la  Roumanie  de 
ses  hésitations  à  accepter  la  sujétion  allemande, 


1.1.    M.AN    rA.Ni.l.UMA.M.Ml.  .Ll', 

ijiiiiiul  elU"  aura  définitivemont  laissr  passer 
l'heure  de  s'y  souslraire 

Le  traité  secret,  dont  Le  Tr//tps  du  2\)  lévrier 
i016  a  dévoilé  la  négociation  entre  le  Kaiser  et  le 
tsar  b'erdinand,  donnerait  à  celui-ci  la  certitude 
de  parfaire  ultérieurement  son  plan  d'hégémonie 
Imlgare.  Mais  ce  Iraitéu  liaiil  le  sort  de  la  Bul- 
!;arie  à  celui  de  l'Allemagne,  militairement, 
•  •conomiquement  et  poliliquemenl,  la  Bulgarie 
l'utrerait  dans  la  Confédération  germanique  ». 
Donc,  finalement,  toujours  conformément  au 
plan  de  19H,  la  Bulgarie  servirait  de  large  pont 
entre  la  Confédération  germanique  de  l'Europe 
<  cntrale  et  la  Turquie  prussianisée. 

Celte  nouvelle  récente  achevé  de  démontrer 
tomment  et  sous  quelle  forme  le  plan  d'hégé- 
njonie  bulgare  se  relie  étroitement  au  plan  pan- 
gtM  inaniste  de  domination  mondiale. 


Il 


11  semble  bien  que  l'évidence  des  faits  accom- 
plis amène  les  Grecs  à  constater  maintenant  que 
si  les  Alliés  ont  commis  des  fautes  dans  les 
Balkans,  —  d'ailleurs  par  excès  de  candeur,  par 
méconnaissance  des  facteurs  psychologiques  et 
avec  les  meilleures  intentions  du  monde,  —  le 
gouvernement  d'Athènes  s'est  également  trompé 


228  LR    PLAN    PANGERMANISTE 

dans  les  derniers  mois  sur  le  plus  sûr  procédé 
de  sauvegarder  les  intérêts  helléniques. 

D'après  son  traité  d'alliance  avec  la  Serbie, 
du  16/29  juin  1913,  la  Grèce  devait  venir  en  aide 
à  son  alliée  au  cas  où  celle-ci  serait  attaquée 
par  toute  tierce  puissance .  Ce  texte  était  clair.  Il 
est  inutile  d'épiloguer  à  son  sujet  car,  môme 
sans  traité,  la  nécessité  vitale  pour  la  Grèce  de 
ne  pas  laisser  les  Bulgares  rompre  à  son  détri- 
ment l'équilibre  balkanique  et  s'interposer  entre 
la  Grèce  et  la  Serbie  commaridait  au  gouverne- 
ment d'Athènes  de  ne  pas  laisser  écraser  la 
Serbie.  Or,  comme  on  sait,  la  jonction  des  sol- 
dats alliés  du  général  Sarrail  avec  les  troupes  du 
voievode  Putnik,  à  la  (in  de  1915,  a  manqué  de 
fort  peu.  Il  est  donc  manifeste  que  si,  dès  le 
débarquement  des  Alliés  à  Salonique,  la  Grèce 
avait  uni  ses  efforts  aux  leurs,  la  Serbie,  à  peu 
près  certainement,  aurait  été  sauvée.  C'est  ce 
que  comprenait  fort  bien  M.  Venizelos  et  une 
grande  partie  de  l'opinion  hellénique  mais  c'est 
ce  que  le  roi  Constantin  n'a  pas  voulu  admettre. 
L'histoire  établira  si  en  cette  circonstance  si 
grave  pour  son  pays  sa  qualité  de  beau-frère  du 
Kaiser  n'a  pas  grandement  nui  au  jugement  du 
roi  des  Hellènes.  Ce  qui  est  sûr,  c'est  que  l'atti- 
tude du  roi  Constantin  ne  s'explique  pas  encore 
rationnellement  et  que  sa  pohtique  a  soulevé  les 


Lfc    i'LAN     t'A.Ni.l.ltMAM.- 


inolcslul  ions  dos  colonies  lielléni(jucs  à  It'trangjM- 
([ui,  »''l;iiit  lilut's  (If  parler,  dans  un  appel  rédigé 
par  leurs  congrès,  en  février  1016,  ont  déclaré  : 

«  En  nous  conjplaisant  dans  une  neutralité 
inconcevable  qui  provo(jue  la  dérision,  nous  cou- 
rons le  danjçer  non  seulement  de  ne  jamais  voir 
réaliser  les  aspirations  que  nous  ont  léguées 
nos  pères  mais  aussi  de  compromettre  notre 
iiulépendance...  »  Gilé  par  Le  Temps,  20  fé- 
vrier 1916.) 

La  véhémence  de  ces  protestations  s'explique 
car,  du  fait  même  de  la  politique  suivie  depuis 
tiuelques  mois  par  le  gouvernement  d'Athènes, 
la  Grèce  se  trouve  désormais  en  présence  de  pro- 
blèmes vitaux  quelle  doit  absolument  solution- 
ner sans  tarder  si  elle  veut  assurer  son  avenir. 

La  carte  ci-contre,  —  qui  rappelle  l'état  de  la 
Grèce  avant  et  après  les  guerres  balkaniques,  — 
va  peruiellre  de  saisir  les  intérêts  essentiels  que 
la  Grèce  a  à  défendre. 

La  Grèce  s'est  toujours  préoccupée  au  plus 
haut  point  des  nombreux  Hellènes  vivant  en 
Orient  en  dehors  de  son  territoire.  Elle  voudrait 
ou  les  récupérer  ou  du  moins  leur  assurer  une 
existence  possible. 

Ces  Hellènes  se  trouvent  dans  les  régions 
ethnographiques  quadrillées  sur  la  carte  que  j'ai 
exactement  reproduites  d'après  la  carte  n°  2  de 


2;}0  LE    PLAN    PANGEUMANISTE 

l'Atlas  pangermaniste  de  Paul  Langhans,  édité 


Gotha  chez  Justus  Perthes,  en  1900.  Ce  sont 


LK    l»LAN    l'ANt.lHMA.MMI.  231 

donc  los  Pangerinanisles  eux-nièiiies  qui  recon- 
naissent la  présence  de  nombreux  Grecs  dans  le 
sud  de  l'Albanie  et  surtout  en  Bulgarie  et  en 
Turcjuie.  Sans  doute,  depuis  les  guerres  halka- 
nifjues,  la  densité  des  Grecs  dans  les  régions 
ilell^nes  de  Bulgarie  et  de  Turquie  a  subi  de 
sérieuses  niodilications.  Beaucoup  de  ces  Grecs 
ont  été  Fuassacrés  soit  par  les  Turcs,  soit  parles 
Bulgares.  Sous  l'elTel  des  persécutions  turco- 
bulgares,  500.000  Hellènesenviron  ont  dû,  depuis 
1912,  se  réfugier  en  Grt'ce.  Mais  les  Grecs  ayant 
des  raisons  d'être  exactement  informés  estiment 
qu'il  reste  encoro  environ  200. (KMI  ("iit>cs  sur  les 
côtes  de  l'Egée  do  la  nouvelle  Bulgarie  et 
2:^00.000  dans  l'Empire  ottoman.  11  est  clair  que 
si  la  Bulgarie  et  la  Turquie,  grâce  au  concours 
de  rAUemagae,  étaient  finalement  victorieuses, 
ces  2.500.000  Grecs  seraient  définitivement  per- 
dus pour  l'hellénisme.-  Le  gouvernement 
d'Athènes  s'il  veut  sauver  les  Grecs  a  donc  une 
première  raison  fondamentale  de  s'opposer  vite 
au  succès  aussi  bien  des  Bulgares  que  des  Turcs. 
Or,  les  Grecs  ottomans  sont  actuellement  mo- 
lestés de  la  façon  la  plus  systématique  par  les 
séides  jeunes-Turcs.  D'autre  part,  les  succès 
russes  en  Arménie  produisent  à  Athènes,  sinon 
sur  le  gouvernement  du  roi  Constantin  au  moins 
sur  l'opinion  publique,  une  sensation  profonde. 


232  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

Les  Grecs  de  Grèce  connaissent  trop  bien  la 
vétusté  de  l'Empire  ottoman  pour  ne  pas  com- 
prendre que  ses  jours  sont  comptés.  La  majorité 
de  l'opinion  hellène  saisit  que  le  moment 
approche  oii  en  s'associant  aux  Alliés,  adver- 
saires de  la  Turquie,  la  Grèce  doit  s'assurer  une 
voix  au  chapitre  afm  d'y  faire  régler  à  la  paix, 
conformément  aux  intérêts  grecs,  le  sort  des 
Hellènes  de  Turquie  qui,  —  la  carte  l'établit,  — 
présentent  ce  caractère  particulier  d'être  dissé- 
minés par  petits  paquets  sur  les  côtes  ottomanes 
sans  cependant  former  nulle  part  une  agglomé- 
ration assez  étendue  pour  constituer  un  droit 
incontestable  à  une  part  bien  définie  de  l'Empire 
ottoman. 

En  ce  qui  concerne  la  Bulgarie,  l'intérêt  de 
la  Grèce  est  double.  Il  consiste  d'abord  à  em- 
pêcher au  plus  vite  les  Grecs  de  Bulgarie  et  de 
la  Serbie  envahie  de  continuer  à  être  molestés, 
déportés,  violentés  et  volés  méthodiquement 
comme  ils  le  sont  présentement.  Mais  la  Grèce 
a  surtout  un  intérêt  absolument  vital  à  ce  que  le 
gouvernement  de  Sofia  ne  réalise  pas  son  plan 
d'hégémonie  sur  les  Balkans.  (V.  la  carte  p.  210.) 
On  sait  parfaitement  bien  à  Athènes  que  les  Bul- 
gares convoitent  Salonique  et  que,  môme  sans 
englober  cette  ville,  si  la  Grande-Bulgarie  s'éten- 
dait jusqu'à  l'Albanie,  la  Grèce  ainsi  coupée  au 


LE    PLAN    PANGERMANISTE  233 

I  M  (1  «lu  rt'slede  l'Europe  par  un  voisin  haineux 
il  iiitransifi^eant  se  trouverait  dans  une  silualion 
iilf  nal)le  niililairenïcnl  eh''C()nonM(|uement.  C'est 
t  !•  (langer  considérable  «jue  montrent  avec  insis- 
linco  les  journaux  de  M.  Venizelos,  lequel  a  été 
\  !  aiment  le  rédompteur  de  la  Grèce  depuis  1009. 
(.(»inme  cette  conviction  est  profondément  ancrée 
dans  l'àme  de  la  quasi-tolalilé  des  Grecs  qui  ont 
pour  les  Bulgares,  qu'ils  considèrent  comme 
leurs  ennemis  héréditaires,  une  aversion  irréduc- 
tible, il  y  a  là  à  la  fois  une  conviction  réaliste  et 
un  facteur  psychologique  qui,  selon  toute  vrai- 
stiublance,  inclineront  linalement  la  Grèce  plus 
(  luore  que  tous  les  autres  motifs  à  comprendre 
11'  (langer  pour  la  Grèce  de  l'alliance  des  Bul- 
i:aros  et  des  Allemands. 

b]nrin  le  plan  pangermaniste  lui-même  menace 
(le  la  façon  la  plus  directe  les  intérêts  de  la  Grèce 
mais  c'est  là  une  vérité,  il  faut  le  reconnaître, 
(jui  n'est  pas  encore  suffisamment  «  réalisée  » 
par  l'opinion  hellénique.  Il  est  cependant  mani- 
i(  sle  que  la  Grande-Allemagne  a  pour  objectif 
liual  de  dominer  à  Salonique,  sinon  d'abord 
directement,  au  moins  par  l'intermédiaire  des 
Bulgares  prussianisés.  Or,  la  grande  voie  ferrée 
(jui  partant  de  Vienne  passe  par  Belgrade,  Nich, 
l  skub,  Salonique,  aboutit  maintenant  au  Pirée 
depuis   que,  tout  récemment,   le   raccordement 


234  LE    PLAN    PANGEBM/VNISTE 

vient  d'être  effectué  par  la  prolongation  de  la 
ligne  grecque  de  Larissa,  de  Papapouli  à  Guida, 
station  du  tronçon  des  chemins  de  fer  de  Salo- 
nique  à  Monastir.  Grâce  à  ce  raccordement  de 
96  kilomètres,  une  grande  voie  ferrée  continen- 
tale vient  d'être  ainsi  constituée  qui,  à  la  paix, 
aura  pour  la  Grèce  et  môme  pour  l'Europe 
entière  une  importance  économique  considé- 
rable. En  effet,  la  Grèce  forme  la  pointe  la  plus 
méridionale  du  continent  vers  l'Orient.  Alors 
que  le  trajet  Atliènes-Paris  exige  en  temps  de 
paix  normal  cent  heures  au  minimun,  il  n'en 
demandera  plus  que  soixante  par  la  nouvelle 
voie  ferrée.  En  outre,  tous  les  voyageurs  à  des- 
tination de  rÉgypte  et  de  l'Extrême-Orient, 
auront  le  plus  grand  intérêt  à  ne  plus  passer  par 
Brindisi,  encore  aujourd'hui  le  plus  court  che- 
min. Le  trajet  maritime  Brindisi-Alexandrie 
exige  soixante-dix  heures,  il  en  suffira  de  seize 
pour  aller  du  Pirée  en  Egypte.  La  nouvelle  voie 
ferrée  sera  donc  de  beaucoup  la  préférable  non 
seulement  pour  les  voyageurs  mais  encore  pour 
les  marchandises  périssables  et  les  transports 
postaux.  11  est  par  suite  incontestable  qu'une 
partie  du  trafic  maritime  de  l'Europe  passera, 
après  la  paix,  de  Marseille  et  des  ports  italiens 
au  Pirée.  De  ce  déplacement  d'activité  écono- 
mique, il  résultera  pour  la  Grèce  des  profits  cer- 


I  l,K    l'l,\N     l>AN(;KIIMAMSrK  iUS 

jjlaiiist'l  inijioilanls  sans  coinplrr  (|ii'iin('  notable 
IVactioM  (le  la  clienti'Io  riche  du  coiilinent  (jui 
cluujue  année  va  passer  plusieurs  mois  en 
Egypte,  s'aiTôtera  à  Athènes  avant  de  s'embar- 
quer et  fera  aux  ruines  classiques  des  excur- 
sions qui,  sous  la  forme  louristi(|ue,  laisseront 
dans  le  pays  des  prolits  fort  appréciables.  Si  la 
Serbie  est  reconstituée,  la  Grèce  est  certaine 
de  tirer  tous  les  profils  de  cette  situation  nou- 
velle. Par  contre,  si  le  plan  pangermaniste  sur 
les  Balkans  réussissait  c'est  la  Grande-Allemagne 
qui  saurait  s'assurer  tous  les  avantages  de  la 
nouvelle  grande  artère  ferrée  balkanique  sur 
laquelle  elle  convoite  de  dominercomme  ailleurs. 
Or,  il  est  clair  que  si  l'Allemagne  triomphait, 
la  mainmise  économique  sur  Salonique,  sur  le 
Pirée  et  sur  toute  la  Grèce  ne  pourrait  pas  être 
évitée  et  que,  sous  cette  forme  encore,  la  Grèce 
perdrait  son  indépendance. 

Par  conséquent,  le  plan  pangermaniste  menace 
tous  les  intérêts  vitaux  de  la  Grèce  puisque  son 
succès  par  voie  de  conséquences  implique  pour 
celle-ci  :  envahissement  économique,  ruine  de 
l'hellénisme,  et  hégémonie  bulgare  dans  les 
Balkans.  Par  contre,  la  victoire  de  TEntente 
seule  permettra  à  la  Grèce  d'éviter  tous  ces  dan- 
■  gers.  L'opinion  publique  hellène  le  comprend  de 
mieux  en  mieux.  En  outre,  dans  une  lettre  pu- 


236  Lli    PLAN    PANGERMANISTE 

bliée  par  Le  Temps  le  20  février  1916,  le  prince 
Nicolas  de  Grèce,  qui  est  le  diplomate  fort  averti 
de  la  famille  royale,  s'est  manifestement  proposé 
d'écarter  loyalement  les  malentendus  qui  ont 
existé  entre  le  gouvernement  d'Athènes  et  l'En- 
tente. De  cette  lettre,  il  faut  surtout  retenir  les 
déclarations  suivantes  qui,  venant  du  frère  du  roi 
Constantin,  ont  une  portée  qui  ne  saurait  échap- 
per. «  Il  n'y  a  en  Grèce  que  deux  courants  :  l'un 
pousse  à  faire  entrer  la  Grèce  dans  la  lutte  à 
côté  de  l'Entente,  l'autre  est  neutraliste.  lYIais 
personne  n'a  jamais  exprimé  l'idée  qu'au  cours 
de  cette  guerre  nous  aurions  dû  y  participer  en 
nous  rangeant  du  côté  des  puissances  centrales. 
La  Grèce  est  restée  neutre.  Elle  n'a  jamais 
déclaré  ne  vouloir  à  aucun  prix  sortir  de  la  neu- 
tralité. » 

Le  9  mars,  la  Patris  d'Athènes  publiait  un 
article  du  général  Danglis,  ancien  ministre  de 
la  guerre  dans  le  cabinet  Venizelos,  concluant:! 
«  la  Grèce  doit  sans  retard  procéder  à  la  révision 
de  toutes  les  classes  de  son  armée  susceptibles 
d'être  appelées  sous  les  armes  car  la  Grèce  sera 
sans  aucun  doute  obligée  d'utiliser  ses  forces  pen- 
dant  la  guerre  actuelle.  (V.  Le  Temps,  10  mars 
1916.1 


m 


L'allianco  tle  l'Alleniagno  avec  la  Bulgarie,  en 
raison  des  conséquences  considérables  qu'elle 
^nlraînerait  pour  la  Roumanie,  est  d»»  nature  à 
obliger  celle-ci,  en  dépit  de  rattilmif  hiniiorisa- 
Irice  de  son  gouvernement,  à  défendre  liualement 
ses  intérêts  vitaux.  Ceux-ci  apparaissent  main- 
tenant d'une  façon  de  plus  en  plus  nette.  D'abord, 
il  est  certain  que  le  plan  d'bégémonie  bulgare 
dans  les  Balkans  (V.  p.  210)  est  aussi  peu  admis 
par  le  peuple  roumain  que  par  le  peuple  grec. 
Les  incidents  de  frontière  qui  se  sont  multipliés 
récemment  entre  Bulgares  et  Roumains  sont  des 
indices  manifestes  de  l'aversion  réciproque  et 
irréductible  des  deux  peuples.  En  outre,  les 
Roumains  ont  été  spécialement  alarmés  par  ce 
qui  s'est  passé  dans  cette  partie  de  la  Dobroudja 
que  la  Bulgarie  a  dû  céder  en  1913  à  la  Roumanie 
(quadrillée  sur  la  carte  ci-contre).  Les  syndicats 
de  paysans  bulgares  de  cette  région  ont  manifesté 
leurs  tendances  séparatistes.  En  outre,  il  a  été 
récemment  découvert  que  dans  la  Nouvelle- 
Dobroudja,  Fespionnage  bulgare  était  organisé, 
sous  prétexte  d'excursions  arcbéologiques,  par 
des  Allemands  qui  faisaient  ensuite  parvenir  aux 
autorités  militaires  bulgares  des  photographies 


238 


Llî    PLAN    PANGERMANISTE 


et  des  relevés  topographiques  de  haute  impor- 
tance. Enfin,  M.  Take  Ionesco  a  fait  connaître, 
au  début  de  1916  à  Bucarest,  que  l'Allemagne 


avait  promis  à  la  Bulgarie  non  seulement  le  ter- 
ritoire qu'elle  a  perdu  en  1913  aux  dépens  de  la 
Roumanie  mais  encore  la  Dobroudja  roumaine 
jusqu'à  [Galatz  et  Sulina.    Depuis  sans   doute., 


l.K    l'LAiN    i'AN(.KIiMA.MMK 


l!(  iliri,  [lar  lacliqu»',  a  dû  assurer  Bucarest  qu'il 
iimilorail  les  ambitions  bulgares.  Mais  cette  pro- 
misse, ressemblant  fort  à  un  ebantajj^e  inspiré 
[Il  les  nécessités  du  moment,  est  sinjçulière- 
iiinit  précaire  poui"  les  Houmains.  Ils  se  sentent 
lui'iiacés  par  les  ambitions  bulir;nes  et  il  paraît 
peu  (loiilciix  que,  dès  que  les  (nr. instances  lui 
paraîtront  favorables,  si  son  gouvernement  ne 
se  laisse  pas  «  méduser  »  par  celui  de  Berlin, 
la  l^oumanie,  —  selon  les  expressions  mômes  de 
rr/</?r;w// dont  les  attaches  officieuses  avec  les 
sphères  militaires  de  Bucarest  sont  connues,  — 
en  Unira  avec  le  péril  bulgare  comme  «  il  eût 
fallu  en  Unir  en  1913  ».  (Cité  par  Le  Temps, 
11)  mars  1916). 

D'autre  part,  la  politique  nationale  roumaine 
est  influencée  au  plus  haut  point  par  les  deux 
questions  de  Bessarabie  et  de  Transylvanie. 
Comme  lacarte  ci  contre  permet  de  le  constater, 
la  Roumanie  irredenta  est  formée  de  deux  grands 
éléments  ethnographiques  et  territoriaux  : 
i. 000. 000  de  Roumains  environ  se  trouvent  dans 
la  Bessarabie  russe,  mais  3.700.000  Roumains 
habitent  la  Transylvanie  et  la  Bukovine,  c'est-à- 
dire  de  vastes  régions  de  la  Hongrie  et  de  l'Au- 
triche. L'idéal  roumain  intégral  serait  évidem- 
ment de  récupérer,  à  la  fois,  les  frères  roumains 
de  l'est  et  de  l'ouest,  mais  comme  l'absolu  n'est 


240  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

pas  possible  il  faut  choisir.  Les  germanophiles 
de  Bucarest,  menés  par  MM.  Carp  et  Marghilo- 
man,  soutiennent  que  la  Roumanie  doit  opter 
pour  la  Bessarabie,  donc  marcher  contre  la  Rus- 
sie. Ce  à  quoi  les  politiques  réalistes  de  Buca- 
rest répondent  :  «  Nous  désirerions  assurément 
aussi  récupérer  les  Roumains  de  Bessarabie 
mais  cette  politique  ne  serait  possible  que  sj 
l'Empire  russe  avait  été  complètement  détruit 
par  l'Allemagne,  ce  qui  n'est  pas  le  cas  et  ne 
peut  pas  être,  car  les  faits  acquis  prouvent  que 
la  Russie  ne  saurait  être  vaincue  définitivement. 
La  Roumanie  ne  peut  donc  pas  sensémeni  se 
mettre  en  état  d'hostilité  permanente  macc 
Fénorme  empire  des  Tsars.  En  outre,  pour 
récupérer  le  million  de  Roumains  de  Bessarabie, 
nous  devrions  abandonner  les  3.700.000  Rou- 
mains de  Transylvanie  et  par  surcroît  accepter 
dans  les  Balkans  l'hégémonie  des  Bulgares 
puisque  ceux-ci  sont  les  Alliés  des  empires  du 
Centre.  » 

Tels  sont  les  arguments  essentiels  qui  incH- 
nent  l'opinion  roumaine  à  opter  très  nettement 
pour  l'acquisition  de  la  Transylvanie.  Pour  que 
les  rapports  russo-roumains  deviennent  cordiaux 
au  point  de  permettre  une  alliance  entre  Pétro- 
grad  et  Bucarest,  il  reste,  peut-être,  à  ce  que  la 
Russie  rassure  la  Roumanie  au  sujet  du  régime 


LK    PLAN    PANdKHMAMSTK  241 

lutur  (les  Uétioils.  On  coriiprend  cerlaiiicfix^iit 
lios  bien  ù  Bucarest  qu'après  les  énormes  sacri- 
lices  de  la  Russie  il  est  tout  naturel  qu'elle  ne 
reste  pas  embouteillée  dans  la  mer  Noire  par  les 
Turcs  et  qu'elle  occupe,  après  la  paix,  une  situa- 
tion prépondérante  à  Constantinople.  D'autre 
l)art,  il  est  de  l'intérêt  de  l'Europe  entière  et  de 
la  Russie  elle-même  qu'elle  assure  dans  l'avenir 
un  régime  très  libéral  aux  Détroits.  On  ne  voit 
donc  pas  pourquoi  l'entente  ne  pourrait  pas  se 
taire  sur  cet  important  sujet  entre  Bucarest  cl 
Pétrograd. 

Pour  écarter  ou  au  moins  retarder  l'interven- 
tion roumaine  que  Berlin  redoute  grandement, 
la  diplomatie  du  Kaiser  fait  pression  sur  Vienne 
et  sur  Budapest  alîn  d'y  obtenir  de  «  larges  con- 
cessions »  en  faveur  des  Roumains  de  Transyl- 
vanie et  de  ceux  de  Bukovine.  Mais  à  Bucarest, 
on  sait  par  expérience  ce  que  peuvent  valoir  les 
promesses  viennoises  et  surtout  celles  des  féo- 
daux magyars.  En  outre,  comme  la  Roumanie 
veut  l'annexion  pure  et  simple  de  la  Transylva- 
nie et  de  la  région  roumaine  de  Bukovine,  ce 
ne  sont  pas  de  simples  concessions  qui  pourraient 
la  satisfaire.  Les  offres  des  empires  du  Centre  à 
Bucarest  ont  donc  peu  de  chances  d'être  prises 
au  sérieux. 

Elles  le  seront  d'autant  moins  que  les  Rou- 

14 


242  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

mains  se  rendront  plus  complètement  à  l'évi- 
dence en  constatant  que  si  le  plan  pangermaniste 
prévoyait  la  cession  par  V Allemagne  de  la 
Transt/lvayiie  à  la  Roumanie,  aux  dépens  de  la 
Hongrie,  ce  plan  n'en  menace  pas  moins  cepen- 
dant leur  indépendance  de  la  façon  la  plus 
directe  et  la  plus  incontestable.  Pour  tâcher  de 
gagner  la  Roumanie  à  sa  cause,  Berlin  a  promis 
à  la  Roumanie  aux  dépens  de  la  Russie  la  Bes- 
sarabie avec  Odessa.  Pour  apprécier  le  caractère 
et  la  sincérité  de  cette  ofTre,  les  Roumains  n'ont 
qu'à  se  reporter  à  la  brochure  propagée  jadis  par 
VAlldeutscher  Verband,  qui  expose  le  plan  fonda- 
mental de  1895  et  que  j'ai  citée  souvent.  La  Graiule 
Allemagne  et  l'Europe  centrale  en  1950.  Elle 
définit  ainsi,  page  36,  le  sort  que  le  Pangerma- 
nisme réserve  à  la  Roumanie  à  l'est.  «  Au  cas 
d'une  guerre  victorieuse  contre  la  Russie,  la 
Roumanie  pourrait  obtenir  la  Bessarabie  supé- 
rieure jusqu'au  Dniester.  L'Autriche  annexerait 
la  Bessarabie  inférieure  sons  forme  de  margra- 
ciat  de  Bessarabie  et  la  transformerait,  grâce 
aux  colonies  allemandes  déjà  existantes,  en  une 
région  purement  allemande, 

«  Les  limites  de  ce  margraciat  austro-alle- 
mand de  Bessarabie  engloberaient  les  villes 
d'Odessa,  Bender,  Borodino,  Formosa,  Béni, 
Ismaïl  et  les  bouches  de  Sidina...  Un  échange 


LE    PLAN    PANC.ERMANISTK  248 

rèciitnxjuc  de  populations  avec  tes  pays  voisins 
assureraient  aisément  la  colonisation  exclusive- 
ment allemande  de  ce  margraviat.  Des  vaisseatix 
de  guerre  allemands  monteraient  la  garde  dans  la 
mer  Noire  à  C embouchure  du  Ihinuhc  allemand.  » 
Ce  plan  fondanienlal  (jui  date  ilo  vin^4  et  un  ans 
serait  maintenant  coniplété,  comme  on  l'a  vu. 
p.  210,  par  l'installai  ion  ultérieure  en  Dobroudja 
roumaine  des  Bulgares  qui  ainsi  seraient  en  con- 
tact direct  avec  le  nouveau  margraviat  de  l'Au- 
triclie  prussianisée. 

Par  constMjuent,  en  supposant  la  victoire  alle- 
mande, les  Roumains  qui  ont  été  fort  alarmés  par 
l'idée  de  voir  les  Russes  s'installer  à  Gonstanti- 
nople  se  trouveraient  en  présence  du  danger 
autrement  considérable  d'être  à  brève  échéance 
entièrement  coupés  à  la  fois  de  la  mer  Noire  et  de 
la  Méditerranée.  Les  Bulgares  s'empareraient  de 
la  Dobroudja  roumaine,  les  Allemands  resteraient 
à  Constantinople  et  aux  Dardanelles,  où  ils  sont 
déjà,  et,  en  outre,  domineraient  à  Odessa  et 
aux  Bouciies  du  Danube  selon  le  plan  dressé, 
dès  1844,  par  le  futur  maréchal  de  Moltke 
(V.  p.  27).  L'autorité  de  ce  nom  prouve  aux 
Roumains  qu'il  ne  s'agit  pas  de  fantaisies. 

En  outre,  il  est  bien  évident  qu'une  Roumanie 
encerclée  ne  pourrait  plus  songer,  comme  elle 
e  désire  si  ardemment,  à  se  créer  une  industrie 


244  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

nationale  puisqu'elle  constituerait  simplement 
un  territoire  économique  réduit  à  l'impuissance 
et  strictement  réservé  aux  produits  fabriqués  de 
la  Pangermanie. 

On  constate  donc,  en  définitive,  que  c'est  bien 
en  réalité  une  question  de  vie  ou  de  mort  qui  se 
pose  pour  la  Roumanie.  Son  indépendance,  en 
effet,  serait  mise  en  péril  de  la  façon  la  plus 
directe  et  la  plus  incontestable  par  une  victoire 
prussienne.  Il  semble  bien  que  l'opinion  rou- 
maine dominante  se  rende  compte  de  ce  danger 
et  de  la  nécessité  pour  la  Roumanie  d'intervenir 
dans  le  conflit.  Reste  à  savoir  si  les  influences 
allemandes  à  Bucarest  seront  assez  habiles  et 
puissantes  pour  abuser  jusqu'au  bout  les  diri- 
geants roumains  et  leur  faire  manquer  l'heure 
décisive. 


I 


CHAPITHK  Mil 

MANŒUVRES  ALLEMANDES  TENDANT  A  FAIRE  AUX 
ALLIÉS  LE  COUP  DE  <  LA  PARTIE  NULLE  », 
CEST-A-DIRE  A  ASSURER  LA  REALISATION  DU 
HAMBOURG  GOLFE  PERSIQUE  COMME  RÉSULTAT 
MINIMUM  DE  LA  GUERRE. 


I.  L'importance    exceptionnelle    de    l'union    écono- 

mique des  Empires  du  centre  et  le  danger  pour 
les  Alliés  d'établir  une  connexité  entre  cette 
union  et  leurs  propres  mesures  économiques 
pour  l'après-guerre. 

II.  Raisons  de  la  tactique  turco-allemande  tendant  à 

une  paix  séparée  de  l'Empire  ottoman  avec  les 
Alliés. 

III.  Pourquoi    une   paix    séparée   et    prématurée    des 

Alliés  avec  les  Bulgares  ferait  le  jeu  de  la  Pan- 
germanie. 

Au  moment  où  parait  ce  livre,  les  Allemands 
n'ont  certainement  pas  encore  renoncé  à  l'espoir 
de  maintenir  à  titre  définitif  leurs  occupations 
actuelles  à  l'ouest  et  à  Test,  mais  toujours  fort 
prévoyants,  ils  envisagent  cependant  l'éventua- 
lité où  ils  se  résigneraient  à  évacuer  l'ouest,  soit: 
90.478  kilomètres  carrés,  et  Test  soit  260.000  ki- 

14. 


246  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

lomètres  carrés,  afin  de  conserver  la  quasi  tota- 
lité de  la  partie  principale  des  occupations  pan- 
germanisles,  c'est-à-dire  celles  réalisées  directe- 
ment ou  indirectement  au  sud  et  au  sud-est  ; 
TAutriche-Hongrie  (G76.G16  kilomètres  carrés  , 
les  Balkans  ('ilo.'iSîJ  kilomètres  carrés),  la 
Turquie  (environ  i. 792. 900  kilomètres  carrés). 
Soit  au  total  2.685.101  kilomètres  carrés. 

Pour  maintenir  sur  ces  territoires  sa  domina- 
tion, le  gouvernement  de  Berlin  se  livre  dès 
maintenant  à  trois  sortes  de  manœuvres  fort 
astucieuses,  très  bien  coordonnées  entre  elles, 
quoique  revêtant  des  aspects  différents  et  dont 
chacune  correspond  à  chacun  des  trois  territoires- 
étapes  essentiels  du  Hambourg-Golfe  Persique  : 
l'Autriche-Hongrie,  la  Turquie  et  la  Bulgarie 
qui  forme  le  pont  entre  ces  deux  territoires- 
étapes. 


En  ce  qui  concerne  l'Autriche-Hongrie,  le  pro-, 
gramme  berlinois  se  résume  ainsi  :  profiter  de 
l'occupation  des  territoires  de  la  Monarchie  des, 
Habsbourg  par  les  troiqjes  de  Guillaume  II  pour ^ 
imposer,  par  tous  les  moyens,  tant  à  la  Hongrie^ 
qu^à  l'Autriche^  une  série  démesures  d'union  dite, 
économique  avec  r Allemagne  qui  laissent  subsis- 


ter  ru  apparence  l'indépendance  de  l'Autricfie- 
Uomjriey  de  façon  à  faire  ilitmon  aux  Alliés, 
mais,  en  fail,  la  ^uhordonne  ahf^olufnent  aux 
colontés  de  Berlin. 

Jusqu'à  prt^sent,  celle  tai-lique  n'a  pas  pu 
revôlir  de  décor  légal.  Depuis  la  guerre,  les 
pangermanistes  de  Vienne  n'ont  même  pas  osé 
convoquer  le  Parlen»ent  aulrichieii  sachanl  forl 
bien  que  les  dépulés  slaves  el  lalins  eussenl  pro- 
lesté de  la  façon  la  plus  véhémenle  contre  l'as- 
sujeltissenienl  de  leurs  pays  à  l'Empire  allemand. 
Actuellement,  les  Allemands  de  Vienne,  en  ter- 
rorisant les  Slaves  autrichiens,  et  en  leur  persua' 
dant  que  les  Allirs  les  ont  abandonnés,  s'elToicenl 
de  préparer  une  réunion  du  Hciilisrath  (jui 
aurait  l'air  de  sanctionner  les  fail  s  accomplis. 
Mais  on  conçoit  que  cette  coiiicdic  ne  s'arrange 
pas  aisément  quand  on  sait  que  môme  les 
Magyars,  qui  ont  lié  étroitement  partie  avec 
l'Allemagne,  commencent  à  résister  depuis  que 
Berlin  est  contraint  de  démasquer  ses  procédés 
d'esclavage  dont  la  Hongrie  doit  supporter  les 
effets  comme  les  autres  Etats  destinés  à  être 
assujettis  à  la  Pangermanie.  On  prétend  que  le 
grand  complice  magyar  de  Guillaume  II,  le 
comte  Tisza  lui-même,  proteste.  En  tous  cas 
dans  le  Pesti  Hirlap,  de  Budapest,  du  12  avril 
1016,  son  ami  assure-t-on,  le  sénateur  Eugène 


248  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

Rakosy,  vient  de  publier  les  lignes"  suivantes 
particulièrement  significatives . 

«  Toute  cette  épidémie  centre-européenne 
n'aura  d'autre  but  que  de  faire  tirer  aux  Hongrois 
les  marrons  du  feu  pour  les  Allemands.  On  veut 
que  nous  construisions  pour  les  Allemands  des 
routes  nationales  vers  l'Orient...  Tou/cs  ces 
alliances  et  unions  centre-européennes  ne  signi- 
fient rien  sinon  qu'on  nous  propose  daliéner 
notre  intelligence  nationale  au  joug  germa- 
nique. »  (Cité  par  Le  Temps,' i^  avril  1911.) 

Mais  que  les  Alliés  n'aient  pas  la  moindre 
illusion.  Les  protestations  les  plus  véhémentes 
des  iViagyars  n'y  feront  rien.  Les  Allemands 
occupent  l'Autriche-Hongrie  et  ont  la  force. 
Qu'ils  cachent  leur  asservissement  de  ce  vaste 
empire  sous  des  formules  diverses  ;  extension 
du  Zollverein,  union  économique  des  empires  du 
Centre,  unification  des  lois  commerciales  austro- 
allemandes,  etc.,  ou  que  même,  par  tactique, 
pour  endormir  les  craintes  des  Alliés,  les  Alle- 
mands renoncent  à  l'emploi  de  toute  formule 
positive,  le  résultat  fmal  sera  toujours  le  même  : 
mainmise  politique  de  l'Allemagne  sur  la  mo- 
narchie des  Habsbourg  dissimulée  sous  des 
décors  d'apparences  économiques. 

A  ce  résultat  les  Allemands  tiennent  par-dessus 
tout  parce  quil  est  la  base  de  tout  le  plan  pan- 


LK    l'i.AN     l'A.Nt.KÉtMAMMK  2iy 

germaniste,  depuis  1805,  rt  la  condition  nnhnr 
du  Uambourg-Golfe  Persifjw,  connue  on  entrou- 
rera  les  raisons  détaillées,  il  y  a  ijuinze  a/ts,  dans 
/non  livre  L'Europt;  et  lu  Question  irAulriclie  au 
seuil  (lu  xx"  siècle  et  parce  que  c'est  pour  réaliser 
tout  au  moins  sur  l'Autriche- Hong  rie  cette  main- 
mise absolument  essentielle  pour  les  plans  de 
Guillaume  If  que  f  Allemagne  a  fait  la  guerre. 

Seule,  la  victoire  intégrale  des  Alliés  peut  faire 
renoncer  Berlin  à  ce  plan  de  domination  et  libé- 
rer les  peuples  non  allemands  de  la  monarchie 
des  Habsbourg-.  En  attendant,  les  Allemands 
prennent  toutes  les  assurances  possibles  contre 
cette  éventualité.  On  a  vu  p.  154  comment  déjà, 
sous  leur  pression,  les  Magyars  concertent  avec 
eux  les  mesures  économiques  à  prendre  en  vue 
de  la  future  guerre  destinée  à  compléter  les 
résultats  insuffisants  d'une  paix  qu'on  considère 
déjà  à  Berlin  comme  devant  être  «  imparfaite  ». 
Impossible  donc  aux  Alliés  d'avoir  le  moindre 
doute  sur  la  nouvelle  guerre  qui  sortirait  fata- 
lement, plus  ou  moins  tôt,  de  l'union  écono- 
mique, et  forcément  politique,  des  empires  du 
Centre.  On  a  pu  constater  au  chapitre  V  que 
les  conséquences  certaines  de  cette  union  éco- 
nomique seraient  : 

1°  D'assurer  à  l'Allemagne  la  conservation  de 
son  butin  de  guerre  et  le  monopole  exclusif  de 


250  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

l'action  commerciale  sur  près  de  3  millions  de 
kilomètres  carrés  contenant  d'immenses  ri- 
chesses. 

2"  Par  contre,  de  laisser  aux  Alliés  tous  leurs 
frais  de  guerre,  c'est-à-dire  de  condamner  leurs 
peuples  à  la  ruine. 

3°  De  rendre  le  militarisme  prussien  plus 
puissant  que  jamais  puisque,  du  fait  du  rayon- 
nement du  bloc  de  l'Europe  centrale,  il  dispose- 
rait d'une  armée  de  15  à  2i  millions  de  soldats. 

4"  De  donner  à  l'Allemagne  l'hégémonie  sur 
la  plupart  des  points  stratégiques  essentiels 
terrestres  et  maritimes  ce  qui  procurerait  à  Ber- 
lin tous  les  moyens  de  réaliser  progressivement 
et  intégralement  son  plan  de  domination  mon- 
diale. 

Or,  il  semble  que  ces  conséquences  formi- 
dables de  la  mainmise  allemande  sur  F  Autriche- 
Hongrie  n'ont  pas  été  encore  bien  «  réalisés  » 
dans  les  pays  alliés.  C'est  ce  que  tendent  tout  au 
moins  à  faire  croire  les  opinions  suivantes 
exposées  dans  quelques  journaux  français  et 
anglais.  «  Les  déclarations  de  M.  Runciman, 
ministre  du  Commerce  du  Royaume-Uni,  cons- 
tatait Le  Temps  du  25  mars  i9iG,  prouvent  que 
la  Grande-Bretagne  est  résolue  à  travailler  sans 
retard  à  la  formation  d'une  alliance  économique 
contre  les  puissances  de  l'Europe  centrale.  » 


1 


LK    IMwVN    PAN<;KnMANISTK.  2ol 

M.  Iliii-lifs,  premier  minislrod'Auslralit',  dans 
une  conférence  au  «  Carlton  Club  »  a  donné  à  en- 
tendre qu'il  ne  faut  pas  laisser  rem|)ire  allemand 
espérer  iju'ii  lui  sera  possible  de  placer  d'autres 
pays  sous  sa  dépendance  commorciale  (V.  Le 
TetHps,  23  mars  191().i  A  la  suite  do  ces  décla- 
rations naquit  l'idée  d'une  entente  économique 
vntre  les  Alliés  afin  de  constituer,  constatait  Le 
Petit  Parisien,  «  la  réponse  efficace  des  Alliés 
au  projet  d'  «  Europe  centrale  »  conçu  par  nos 
ennemis  ». 

M.  Jules  Siegfried  dans  une  lettre  au  Temps, 
3  avril  1916,  a  déclaré  à  ce  sujet:  «  L'Allemagne 
qui  sent  le  danger  cbercbe  à  faire  une  union 
douanière  avec  l'Autricbe,  la  Bulgarie  et  la  Tur- 
quie. 11  est  donc  nécessaire  pour  nous  de  parer 
à  ce  danger  ».  M.  Hewins,  président  du  ^/«me55 
conmiitee  de  laChambredes  Communes, a  assuré 
à  Londres  le  6  avril  :  «  Mais  la  France  et  FAn- 
glelerre  victorieuses  prétendront,  vis-à-vis  du 
bloc  austro-alletnand,  à  une  prépondérance  qui 
leur  permettra  d'imposer  leurs  tarifs,  etc.  ». 
(V.  VEcho  de  Paris,  1  avril  1916.)  M.  Edmond 
Théry,dansLeiWa/mdu  13  avriil916,  envisageant 
le  même  problème,  conclut  :«  Il  suffira  donc  aux 
nations  alliées  d'élever  en  même  temps  et  dans 
des  conditions  identiques  une  puissante  barrière 
douanière  entre  leur  marché  intérieur  respectif 


252  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

et  les  produits  de  C Allemagne  et  de  ses  complices, 
pour  porter  un  coup  mortel  à  son  industrie,  a 
son  commerce  et  à  son  crédit  ».  Ces  déclarations 
ne  sont-elles  pas  surprenantes?  Comment  le 
problème  économique  à  résoudre  par  les  Alliés 
peut-il,  môme  par  l'effet  d'une  évidente  «  inad- 
vertance »,  être  posé  sur  des  bases  de  toute 
évidence  aussi  inexactes?  Comment,  en  effet, 
admettre  volontairement  la  moindre  connexité 
entre  la  conférence  économique  des  Alliés  et 
l'union  économique  des  empires  du  centre,  cette 
union  étant  d'une  façon  manifeste  en  contradic- 
tion certaine  avec  le  but  général  de  la  guerre 
que  les  Alliés  sont  cependant  parfaitement  d'ac- 
cord pour  poursuivre  ?  En  effet,  continuer  à  dire 
que  les  Alliés  vont  constituer  une  alliance  écono- 
mique des  Alliés  pour  lutte?'  après  la  guerre  contre 
le  bloc  économique  de  rEurope  centrale,  et  pour 
ne  pas  laisser  l'empire  allemand  espérer  placer 
d'autres  pays  que  l'Autriche-Hongrie  sous  sa 
dépendance  commerciale,  c'est  laisser  supposer 
par  voie  de  déduction  logique  que  les  Alliés  con- 
sentent à  la  mainmise  de  l'Allemagne  prussia- 
nisée  sur  les  50  millions  d'habitants  de  l'Au- 
triche-Hongrie, ce  qui  assurerait  à  Berlin  les 
moyens  de  réaliser  le  Hambourg-Golfe  Persique. 
Il  est  cependant  clair  que  cette  solution  est  radi- 
calement incompatible  avec  le  but  supérieur  et 


I.K    IM.AN    PAiNt.lHMAiNlMK 


idéal  (le  la  guerre  que  veulent  atleiiuire  les 
Alliés,  but  que  proclament  sans  cesse  leurs  p^ou- 
verntMuents,  c'esl-à-dire  la  «lestruclion  du  mili- 
tarisme prussien 

Il  y  a  donc  incontestablement  eu  erreur  de  la 
part  (le  quelques  Fran(;ais  et  Anglais  cependant 
(jualifk's,  dans  «  la  position  de  la  question  »  et 
l'association  de  leurs  id(3es.  Cette  erreur  s'ex- 
plique sans  doute  par  le  fait  qu'en  Angleterre 
(les  notions  insuflisamment  précises  régnent 
encore  sur  le  plan  pangermaniste  et  sur  l'Au- 
triche-Hongrie.  Beaucoup  s'imaginent  encore 
outre-Mancbe  que  la  majorité  de  la  population 
de  cet  empire  est  allemande  alors  qu'en  vertu 
du  principe  des  nationalités,  l'Allemagne  pour- 
rait tout  au  plus  récupérer  7  ou  8  millions  d'Al- 
lemands, actuellement  sujets  des  Habsbourg. 
(V.  p.  201.)  Ces  idées  inexactes  qui  régnent  en 
Angleterre  sont  très  difficiles  à  détruire.  Ce  sont 
d'ailleurs  elles  qui  ont  déterminé  les  erreurs  de 
nos  alliés  britanniques  au  sujet  des  Balkans  ef 
de  Salonique  alors  que  cependant,  en  raison  de 
l'Egypte  et  des  Indes,  l'Angleterre  était  plus 
intéressée  encore  que  tous  les  autres  Alliés  à  la 
réalisation  rapide  de  cette  expédition. 

Quoi  qu'il  en  soit,  comme  les  Alliés  ne  peuvent 
plus  se  permettre  le  luxe  sanglant  de  nouvelles 
fautes  graves,  il  convient  de  montrer  pourquoi 

15 


254  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

le  projet  d'entente  économique  des  Alliés  doit 
être  absolument  indépendant  du  projet  berlinois 
d'union  de  l'Europe  centrale. 

En  effet,  si  cette  dissociation  n'était  pas  bien 
faite,  on  déterminerait  les  conséquences  néfastes 
suivantes  qui  retarderaient  encore  la  victoire 
pour  l'obtention  de  laquelle  les  peuples  alliés 
font  des  sacrifices  si  gigantesques. 

1°  Laisser  entendre  dans  les  journaux  alliés, 
même  par  inadvertance,  que  l'union  économique 
que  l'Allemagne  prétend  imposer  à  l'Autriclie- 
Hongriepeut  être  admise  par  les  Alliés,  ce  serait 
fournir  aux  journaux  allemands  les  moyens  de 
«  raffermir  »  le  moral  du  peuple  allemand  qui 
faiblit  en  lui  montrant  qu'il  peut  encore  compter 
sur  la  réalisation  de  la  partie  principale  du  plan 
pangermaniste  qu'il  considère  comme  le  hul 
essentiel  de  la  guerre. 

2°  Le  projet  allemand  de  mainmise  écono- 
mique sur  l'Autriche-Hongrie  est  radicalement 
incompatible  avec  les  engagements  pris  par  les 
Alliés  envers  la  Serbie.  Dans  son  toast  au  prince 
de  Serbie,  M.  Poincaré  déclarait  :  «  Avec  l'armée 
serbe,  les  Alliés  libéreront  le  territoire  serbe, 
rétabliront  sur  des  bases  solides  rindépendaiice 
et  la  souveraineté  de  votre  noble  pays  et  venge- 
ront le  droit  opprimé  ».  (V.  Le  Temps,  23  mars 
1916.)  Or,  il  suffft  de  regarder  la  carte  page  134 


II.    l'I.A.N     l'A.Ni.KKM.VMMK  J.o.> 

pour  conslaler  que  la  mainmise  de  rAliemagne 
sur  l'Autriche-Honp^rie  rendrait  cette  promesse 
solennelle  absolument  irréalisable.  La  Grande- 
Allemag"ne  en  contact  avec  les  Balkans  c'est. 
en  effet,  l'Allemagne  maîtresse  de  ceux-ci  etpar 
conséquent,  })Our  la  Serbie,  l'impossibilité  môme 
d'espérer  vivre. 

3°  Laisser  supposer  (jue  le  projet  d'union 
économique  de  l'Allemagne  et  de  rAutriclie-Hon- 
grie  pourrait  être  môme  envisagé  par  les  Alliés 
serait  plonger  dans  le  plus  affreux  désespoir  les 
28  millions  de  Slaves  et  de  Latins,  sujets  des 
Habsbourg,  qui  attendent  les  A /liés  conwte  des 
libérateurs  et  qui,  en  raison  de  leurs  sympathies 
pour  eux,  supportent  les  effets  du  plus  atroce  ter- 
rorisme. Nul  doute  que  la  presse  allemande  ne 
se  servirait  de  pbrases  douteuses,  parues  dans 
la  presse  alliée,  à  propos  du  é/oc  économique  de 
l'Europe  centrale,  pour  persuader  à  ces  mal- 
heureux qu'ils  sont  abandonnés  définitivement 
par  les  Alliés  et  qu'ils  n'ont  plus  qu'à  se  sou- 
mettre au  joug  germano-magyar.  Or,  il  est  mani- 
festement de  l'intérêt  politique  et  militaire  actuel 
des  Alliés  qu'au  contraire  les  28  millions  de 
Slaves  et  de  Latins  d'Autriche-Hongrie  sachent, 
dès  maintenant,  qu'ils  peuvent  compter  sur  les 
Alliés  et  que  la  victoire  de  ceux-ci  impliquera  la 
fin  de  leur  propre  esclavage.  Ce  résultat  à  obte- 


256  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

nir  delà  guerre  ne  constitue  pas  seulement  un 
incontestable  devoir  moral  pour  les  Alliés,  il 
est,  en  outre,  strictement  conforme  à  leur  inté- 
rêt futur  car  lindépendance  des  38  millions  de 
Slaves  et  de  Latins  d Autriche-Hongrie  est  abso- 
lument indispensable  à  l'établissement  dune  nou- 
velle Europe  viable  qui,  fondée  sur  le  principe 
des  nationalités,  constituera  en  même  temps  en 
Europe  centrale  une  barrière  infranchissable  à 
tout  retour  offensif  du  pangermanisme . 

4"  Toute  erreur,  même  apparente,  au  sujet  du 
sort  réservé  à  l'Autriche-Hongrie  par  les  Alliés 
d'Occident  soulèveraitlesplusvives  protestations 
chez  nos  Alliés  russes.  Gomme  le  disait  excel- 
lemment M.  MilioukofT,  dans  un  discours  à  la 
Douma  :  «  Après  la  liquidation  de  la  Turquie  qui 
s'esquisse  déjà,  la  liquidation  d'un  autre  Etat 
parasite  s'impose,  celle  de  r Autriche-Hongrie. 
Nous  sommes  certains  que  les  nombreuses 
nationalités  faisant  partie  de  la  monarchie  dua- 
liste auront  leur  liberté  des  mains  de  la  Russie  ». 
(Cité  par  Le  Temps,  27  mars  1916.)  Or,  le  point 
de  vue  exposé  par  M.  Milioukoff,  qui  est  celui  de 
tous  les  vrais  connaisseurs  de  l'Autriche-Hon- 
grie  (V.  p.  189),  ne  peut  qu'être  celui  de  tous  les 
Alliés  puisqu'ils  veulent  la  destruction  du  mili- 
tarisme prussien  et  qu'ils  ne  mènent  évidemment 
pas  la  plus  atroce  des  guerres  pour  que  celui-ci 


I.K    IM.AN    PANCKUM  VMSI  I-:  J.: 

eu  SOI  le  avtH"  des  éléments  de  puissance  inlini- 
ment  plus  grands  encore  qu'avant  la  lutte. 

Pour  ces  multiples  et  très  fortes  raisons,  on 
voit  donc  combien  il  est  nécessaire  qu'aucune 
équivoque  ne  puisse  avoir  lieu  dans  la  presse 
alliée  au  sujet  de  la  conférence  économique  des 
Alliés.  Que  celle-ci  s'occupe  des  maintenant  de 
prendre  pour  après  la  paix  des  «  mesures  con- 
certées pour  lutter  contre  les  pratiques  déloyales 
pour  lesquelles  l'Allemagne  a  poursuivi  Tanéan- 
tissement  de  ses  rivaux  »,  pour  prévenir  les 
nouvelles  mainmises  allemandes  en  pleine 
paix,  sur  les  établissements  financiers  alliés, 
pour  empècber  les  Allemands  de  tourner  les 
tarifs  douaniers  comme  ils  savent  le  faire,  etc., 
rien  de  mieux,  mais  qu'à  aucun  prix  la  moindre 
solidarité  même  apparente  ne  puisse  subsister 
entre  ces  études  des  Alliés  et  la  prétention  de 
Berlin  de  fonder  le  bloc  économique  de  l'Europe 
centrale.  D'ailleurs,  comme  l'a  dit  M.  Lloyd 
George,  avec  son  robuste  bon  sens  :  «  Avant  de 
discuter  le  régime  commercial  à  adopter  pour 
après  la  guerre,  il  s'agit  d'abord  de  gagner  la 
guerre.  Tout  dépend  de  cela  ».  (Cité  par  Le 
Temps,  2o  mars.)  Or,  la  guerre  ne  sera  vraiment 
gagnée  par  les  Alliés  que  quand  tout  retour 
ultérieur  offensif  du  Pangermanisme  sera  rendu 
impossible;  ce  qui  implique  précisément  la  plus 


2lo8  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

énergique  opposition  à  la  mainmise  de  l'Aile-    i 
magne  sur  la  majorité  des  terres  formant  actuel- 
lement l'empire  des  Habsbourg. 


Il 


Une  manœuvre  astucieuse  dont  l'objet  est  dé 
réserver  l'avenir  du  Pangermanisme  et  du  clan 
Enver  Pacha  en  Turquie  a  été  déjà  esquissée 
parles  Allemands.  Gomme  elle  sera  certainement 
tentée  à  nouveau,  si,  comme  tout  l'indique,  Ber- 
lin a  intérêt  à  la  pousser  à  fond,  il  faut  donc  la 
démasquer  complètement  par  avance.  En  février 
1916,  les  nombreux  agents  turcs  installés  en 
Suisse  et  qui  semblent  bien  avoir  des  intelli- 
gences dans  les  pays  alliés,  ont  commencé  à 
mettre  en  circulation  le  bruit  que  la  Turquie 
était  prête  à  conclure  une  paix  séparée.  Enver 
Pacha  avait  été  assassiné,  ce  qui  d'ailleurs  était 
faux,  etc.  Cette  manœuvre  a  eu  pour  objet  de 
commencer  à  trouver  dans  les  pays  alliés  le 
concours  de  ces  naïfs  irréductibles,  cuirassés 
d'une  ignorance  épaisse  sur  les  affaires  d'Orient 
et  qui  cependant  ne  sont  pas  toujours  sans 
influence  sur  les  milieux  dirigeants.  Si  je  suis 
exactement  informé,  la  tactique  astucieuse  des 
agents  turcs  avait  momentanément  recruté  cer- 
tains de  ces  naïfs.  Pour  ceux-ci,  conclure  une 


LK    l'LAN    PAMiKUMANlSii:  2o'J 

paix  st'pHit'o  avec  la  Turquie  eûl  été  très  liahile 
puisque  l'Allemaj^ne  serait  ainsi  privée  du  con- 
cours do  son  alliée  ottomane,  etc.  Ce  sont  là  des 
illusions  sinj^^ulièreinenl  dangereuses  et  il  faut 
montrer  comment  et  pour<juoi  cette  solution 
ferait  le  jeu  de  Berlin  et  compromettrait  grave- 
ment la  victoire  des  Alliés. 

Les  Turcs  fort  incjuiets  des  succès  russes  en 
Arménie  voient,  en  outre,  leur  rêve  de  mouve- 
ment panislamique  s'évanouir.  Ils  sont  bien 
obligés  de  commencer  à  se  rendre  compte  que 
les  Allemands  les  exploitent  cyniquement,  les 
aclieminent  vers  la  famine  en  razziant  toutes 
leurs  ressources  alimentaires  et  les  font  tuer 
pour  le  plus  grand  intérêt  de  la  Pangermanie. 
Mais  si  la  masse  turque  peut  bien  avoir  des  sen- 
timents anti-allemands  naissants,  elle  est  entière- 
ment dans  la  dépendance  des  meneurs  jeunes- 
Turcs  qui,  eux,  sont  irrémédiablement  compro- 
mis avec  les  Allemands,  lesquels  en  Turquie 
sont  de  plus  en  plus  maîtres  des  organes  d'admi- 
nistration et  de  gouvernement.  Il  n'y  a  donc 
guère  à  compter  sur  une  révolte  efficace  de  la 
population  turque  qui  d'ailleurs  est  entièrement 
dépourvue  d'esprit  d'organisation.  D'autre  part, 
les  Allemands  sont  des  gens  prévoyants,  ils 
comprennent  parfaitement  que  la  Turquie  se 
rapproche  de  la  catastrophe.  Or,  déterminer  wie 


LE    PLAN    PANGERMANISTE 


paix  séparée  de  la  Turquie  avec  les  Alliés  ce 
serait  faire  reconnaître  par  ceux-ci  la  perma^ 
nence  de  l'Empire  ottoman,  donc  le  sauver  du 
désastre  et  par  conséquent  ménager  à  Berlin  la 
possibilité  dy  reprendre  l'action  allemande  après 
la  conclusion  de  la  paix  sur  la  base  de  a  la  partie 
nulle  ».  (V.  chap.  V.) 

Au  contraire,  si  la  question  d'Orient  ottomane 
reçoit  enfin  ses  solutions  logiques,  tout  espoir 
de  réaliser  plus  tard  le  rêve  pangermaniste  de 
Constantinople  au  golfe  Persique  est  définitive- 
ment anéanti.  D'autre  part,  une  paix  séparée 
ferait  aussi  l'affaire  des  meneurs  jeunes-Turcs, 
agents  allemands,  car  c'est  évidemment  la  seule 
solution  qui  leur  permettrait  de  conserver  le 
pouvoir  et  les  empêcherait  d'être  massacrés  par 
leurs  compatriotes  le  jour  où  la  débâcle  ottomane 
se  produira.  On  voit  donc  pourquoi  les  bruitsde 
paix  séparée  de  la  Turquie  avec  les  Alliés,  qui 
ont  été  mis  en  circulation  et  ensuite  démentis 
en  attendant  d'être  propagés  à  nouveau,  consti- 
tuent bien  une  manœuvre  turco-allemande. 
D'ailleurs  le  journal  'àrohQ  Al-Mokaitan  du  Caire 
(22  avril  1910)  a  constaté  «  qu'une  paix  turque 
séparée  ne  serait  pas  de  nature  à  inquiéter  l'Al- 
lemagne, à  laquelle  la  sortie  de  la  Turquie  du 
conflit  actuel  enlèverait  la  resjjonsabilité  de  l'as- 
sistance qu'elle  prête  aux  Turcs  ».  Enfin  la  Vos- 


I.K    i'LAiN    i'ANt.KHMA.MSlK  iol 

ùt/tc  'Aeitung  a  Jivoui''  «  qu'une  paix   Je  la  Tur- 


quie avec  les  ennemis  de  l'Allemagne  ne  por- 
tera aucun  préjudice  aux  Austro-Allemands  ». 
(Cité  par  Le  Journal  de  Genève,  2o  avril  1916.) 


202  l,E    PI.AN    PANGKRMANISTE 

Il  n'est  d'ailleurs  pas  à  supposer  que  les  diri- 
geants de  l'Entente  se  laisseront  prendre  à  la 
manœuvre  turco-allemande.  La  question  d'Orient 
est  un  véritable  ulcère  qui  «  empoisonne  »  la 
politique  européenne  depuis  une  centaine  d'an- 
nées; elle  est  le  cauchemar  des  chancelleries. 
Toutes  les  tentatives  de  réformes  de  l'Empire 
ottoman  ont  toujours  échoué.  En  réalité  d'ailleurs, 
cet  état  vermoulu  n'a  subsisté  qu'en  raison  des 
rivalités  des  puissances.  Puisque  la  victoire  des 
Alliés  doit  assurer  au  Vieux  Monde  une  très 
longue  période  de  paix,  la  source  inépuisable 
de  troubles  et  de  guerres  qu'est  la  Turquie  doit 
être  tarie.  Une  raison  de  justice  supérieure 
commande,  en  outre,  cette  solution. 

En  Turquie,  comme  ailleurs,  pour  constituer 
un  nouvel  état  de  choses  viable,  le  principe  des 
nationalités  doit  être  appliqué  dans  toute  la 
mesure  du  possible.  Or,  sur  les  20  millions 
d'habitants  de  l'Empire  ottoman,  4  grandes  natio- 
nalités (V.  la  carte  ci-contre)  en  absorbent 
environ  18.  En  l'absence  de  statistiques  offrant 
la  moindre  garantie,  on  estime  qu'il  y  a  en 
Turquie  environ  : 

2  millions  de  Levantins,  d'Européens,  de  Juifs 
et  de  divers, 

2  millions  de  Grecs, 

2  millions  d'Arméniens, 


LK    PLAN    l'ANGEUMANISTi:  Jtj:? 

(S  millions  d'Arabes, 

Il  millions  souhMncMil  de  Tini  > 

En  ce  qui  concerne  les  (itecs,  qui  nuiUieureu- 
senïent  ne  forment  pas  un  bloc  uni(|ue  (V. 
p.  2'M)  ,  il  y  a  j)lusieurs  solutions  à  étudier  afin 
tle  leur  permettre  d'avoir  une  fraction  de  l'Em- 
pire ottoman  s'ils  participent  à  la  lutte  dans  les 
Balkans  aux  côtés  des  Alliés.  Quant  aux  Arabes, 
ils  détestent  les  Turcs  qui  les  oppriment  depuis 
des  siècles.  L'affranchissement  des  Arabes  du 
joue:  'urc  est  donc  à  réaliser  dans  toute  la  mesure 
du  possible.  Quant  aux  Arméniens,  dont  plusieurs 
centaines  de  mille  \itMinont  d'être  massacrés 
par  les  Turcs,  il  est  évidemment  impossible 
d'envisager  le  maintien  de  ce  qui  reste  de  ce 
malheureux  peuple  sous  la  domination  des  séides 
d'Enver  pacha,  Talaat,  etc.  Quant  aux  ti  millions 
environ  de  Turcs,  représentant  moiîis  du  tiers 
des  populations  de  l'Empire  ottoman,  ils  n'habi- 
tent vraiment  que  l'Anatolie,  c'esl-à-dire  cette 
fraction  de  l'Empire  ottoman  comprise  entre  la 
mer  Noire  et  la  Méditerranée.  Partout  ailleurs, 
les  Turcs  ne  sont  que  de  détestables  fonction- 
naires qui,  depuis  la  conquête  des  Sultans 
Osmanlis  exploitent  cyniquement  les  autres 
populations  de  l'empire  ottoman.  Sans  doute  le 
paysan  turc  de  l'Anatolie,  lorsqu'il  n'est  pas  en 
proie  à  une  de  ces  crises  de  fanatisme  religiei^x 


264  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

qui  le  prend  périodiquement,  est  généralement 
un  brave  homme.  Très  sobre  et  résistant,  il  fait 
un  excellent  soldat,  mais  ce  Turc  d'Anatolie  a 
une  «  mentalité  »  de  plusieurs  siècles  en  arrière. 
11  est  incapable  de  se  gouverner  lui-même  à 
l'époque  moderne.  Il  y  a  bien  quelques  milliers 
de  Turcs  qui  font  d'excellents  employés  dans  les 
services  de  la  Dette  ottomane,  mais  c'est  à  la 
condition  expresse  qu'ils  soient  incessamment 
contrôlés  et  dirigés  par  des  cadres  européens. 
Parmi  les  Turcs  de  Conslantinople,  il  n'existe 
aucun  groupement  offrant  des  garanties  sérieuses 
pour  la  direction  de  la  masse  turque.  Autant  le 
paysan  turc  d'Anatolie  présente  des  qualités 
natives  incontestables,  autant  les  Turcs  de  Cons- 
tantinople  sont,  sauf  de  rares  exceptions,  cor- 
rompus jusqu'aux  moelles.  Etant  données  ces 
conditions  d'ensemble,  s'imaginer  qu'un  empire 
turc  vraiment  indépendant  puisse  encore  être 
constituéc'estdonc  caresserune  chimère  absurde. 
Quant  à  Conslantinople,  ce  n'est  même  pas  une 
ville  turque,  c'est  une  cité  essentiellement  cos- 
mopolite. Ses  1.200.000  habitants  sont  Turcs 
(43  p.  100),  Arméniens  (18  p.  100),  Grecs 
(17  p.  100),  Juifs  (16  p.  100),  Européens,  Levan- 
tins et  divers  (6  p.  100). 

D'autre  part,  il  est  bien  évident  que  cette  guerre 
fantastique  ne  peut  pas  se  terminer  sans  que  la 


4 

II.    IM.AN    PANGERMANISTE  iOii 

Hussie  ti('(iuirn'  une  silualion  prépondéranlo  à 
(^onslantiiio|tle.  La  Hussie  n'a  certainement  j)as 
voulu  la  guerre,  mais  elle  a  été  contrainte  de 
la  mener  et  de  faire  massacrer  des  millions 
d'hommes  en  supportant  des  charges  financières 
formidahles.  A  ces  sacrifices  giganlfsques,  la 
Russie  doit  trouver  des  compensations.  L'octroi 
de  l'autonomie  que  la  Russie  fera  à  la  Pologne, 
qui  est  juste  et  conforme  à  l'intérêt  commun  des 
Polonais  comme  des  Russes,  ne  peut  évidemment 
pas  être  considéré  comme  de  nature  à  payer  la 
Russie  de  ses  énormes  sacrifices.  La  compen- 
sation nécessaire,  la  Russie  doit  donc  la  trouver 
ailleurs.  Or,  il  suffit  de  regarder  la  carte  et  de 
connaître  le  caractère  cosmopolite  de  Constan- 
tinople  pour  comprendre  que  la  Russie  ne  peut 
pas  continuer  à  être  embouteillée  dans  la  mer 
Noire.  Autant  il  est  nécessaire  à  la  paix  de  la 
future  Europe  que  le  régime  que  la  Russie  don- 
nera aux  Détroits  soit  aussi  libéral  que  possible, 
autant  il  faut  qu'on  comprenne  bien  en  Occident 
combien  est  juste,  même  au  prix  d'incontestables 
sacrifices  des  puissances  occidentales,  que  la 
Russie  occupe  à  Constantinople  une  situation 
prépondérante.  Si  les  soldats  du  Tsar  font  preuve 
d'une  abnégation  sans  exemple,  si,  malgré  des 
revers  cruels,  ils  montrent  une  ténacité  inébran- 
lable, c'est  qu'ils  obéissent  à  deux  mobiles  :  la 


266  LE    PLAN    PANGEHMANISTE 

haine  de  l'Allemand  qui  a  «  empoisonné  »  la 
bureaucratie  russe  et  l'ardent  désir  de  satisfaire 
l'espoir  qui  anime  le  plus  humble  des  moujiks 
russes  :  assurer  à  la  Russie  une  issue  libre  sur 
la  Méditerranée.  Ce  sont  là  des  sentiments  dont 
M.  Milioukoff  a  traduit  la  profondeur  et  la  puis- 
sance en  disant  à  la  Douma  :  «  Notis  ne  termine- 
rons pas  la  guerre  sans  réaliser  la  sortie  sur  la 
mer  libre.  V annexion  des  Détroits  ne  sera  pas 
une  annexion  territoriale  car  la  vaste  Russie  n  a 
pas  besoin  de  territoires  nouveaux  mais  elle  ne 
peut  pas  prospérer  sans  la  mer  libre  ».  (V.  Le 
Journal  de  Genève,  28  mars  1916.)  Or,  en  répan- 
dant le  bruit  de  paix  séparée  avec  la  Turquie,  les 
Allemands  espèrent  tirer  de  cette  manœuvre  le 
parti  suivant.  Ils  comptent  que  quelques  jour- 
naux alliés  d'Occident  feront  accueil  à  cette  idée. 
Les  Allemands  en  feraient  aussitôt  usage  pour 
soulever  en  Russie  un  violent  courant  d'indi- 
gnation et  de  doute  contre  les  Alliés  d'Occident. 
L'exemple  de  1915  doit  servir  à  ceux-ci  d'aver- 
tissement contre  toute  imprudence  imprimée. 
On  ne  sait  pas  assez  en  France  que  l'an  dernier 
les  Allemands  ont  largement  exploité  la  passiyité 
apparente  des  troupes  françaises,  lorsque  les 
Russes  ont  dû  subir  leur  longue  retraite  de  cinq 
mois.  Cette  passivité  n'était  certes  pas  le  fait 
d'une  mauvaise  volonté  de  la  part  des  Français 


Ils    PLAN    PANdKKMANISTi:  267 

il  I  ti;;inl  de  leurs  alliés  russes  ;  elle  était  la  con- 
stMiuetu'e  de  celle  liiéorie  néfasle  du  frotil  occi- 
denlal  considéré  alors  comme  principal  et  exclu- 
sif, théorie  (jui  a  cmpéciié  rintervenlion  par 
SaIoiii(jue,  alors  (juelle  aurait  pu  se  produire 
encore  aisément  entre  mai  et  juillet  1915.  Il 
n'empéclie  que  cette  passivité  apparente  a  été 
exploitée  en  Russie  par  les  Allemands  contre  les 
Français,  non  sans  succès,  car  pendant  long- 
temps beaucoup  de  Russes  leur  en  ont  voulu 
d'une  immobilité  qui  leur  paraissait  inexplicable. 
Ce  précédent  permet  aisément  d'imaginer  quel 
désastreux  effet  aurait  en  Russie  la  nouvelle 
qu'en  Occident  des  journaux  ou  des  cercles  plus 
ou  moins  inlluents  envisagent  comme  possible, 
l'idée  d'une  paix  séparée  avec  la  Turquie,  au 
iiioinenl  précis  où  les  succès  russes  s'affirment 
^n  Arménie  et  où  ces  succès,  non  seulement 
Tcoiifortent  les  soldats  du  Tsar  de  leurs  échecs 
lutt-rieurs,  mais  encore  rendent  aux  Alliés 
incontestable  service  commun  de  déconges- 
lonner  d'effectifs  turcs  la  péninsule  balkanique, 
■•'  ({ui  évidemment  est  de  nature  à  faciliter 
offensive  des  Alliés  partant  de  Salonique  vers 
e  Nord.  Tels  sont  les  divers  effets  auxquels 
end  le  nouveau  coup  astucieux  de  paix  séparée 
ivec  l'empire  ottoman.  11  suffit  assurément  de 
es  bien  connaître  pour  que  les  alliés  d'Occident 


208  Li:    1'I.A.N    l'ANf.ERMANlSTE 

ne   se   laissent    pas    prendre   à    cette    nouvelle 
manœuvre  turcô-allemande. 


III 


En  môme  temps  que  le  bruit  d'une  paix  séparée 
des  Turcs  a  été  répandu,  en  février  19i6,  on  a 
mystérieusement  insinué  aux  Alliés  d'Occident 
que  les  Bulgares  voudraient  également  traiter 
avec  eux.  Les  deux  manœuvres  d'ailleurs,  comme 
on  va  voir,  sont  complémentaires.  Si  les  Bulgares 
venaient  dire  aux  Alliés  :  «  Nous  nous  sommes 
trompés  ;  abusés  par  Berlin,  nous  avons  fait  une 
politique  odieuse.  Comme  preuve  de  notre  bonne 
foi  nous  allons  évacuer  immédiatement  les  terri- 
toires serbes  envahis  et,  dans  toute  la  mesure 
du  possible,  nous  réparerons  le  mal  que  nous 
venons  de  faire.  Accordez-nous  la  paix  sur  ces 
bases  ».  Il  est  clair  qu'il  y  aurait  lieu  d'écouter 
Sofia.  Mais  il  faudrait  tout  ignorer  du  caractère 
des  Bulgares  et  de  leur  gouvernement  pour 
s'imaginer  qu'ils  pourraient  même  songer  à  une 
pareille  proposition.  Ce  que  les  Bulgares  vou- 
draient bien,  ce  serait  la  paix  avec  les  Alliés  en 
conservant  leurs  acquisitions  territoriales  dont, 
le  i"'  mars  1916,  M.  RadoslavofF  proclamait  le 
caractère  définitif.  Cette  solution  ferait  d'ailleurs., 


I.K    l'I.A.N     1>.\NGERMANISTK  -iÔ".' 

lisi  (ju'on  VU  U'  lOiislator,  enliërement  rall'aire 

Il  fois  (le  Solia  el  de  IJerlin. 

Au  fond,  les  Bulgares  voudraient  bien  la  paix. 
Il  conlinualion  de  la  g^uerre  ne  pouvant  guhre 
Icsorniais  leur  procurer  plus  que  ce  qu'ils  délien- 

iil  déjà.  Par  contre,  lollensive  des  Alliés  par 
~  iloni(|ue,  si  elle  est  bien  orj^anisée,  doit  appor- 
ter aux  Bulgares  le  cbâtiinent  qu'ils  redoutent 
surtout  depuis  l'écliec  des  Allemands  devant 
Verdun  et  les  succès  des  Russes  en  Arménie. 
Le  peuple  bulgare  est  d'ailleurs  profondément 
mécontent  des  lourdes  pertes  qu'il  a  déjà  éprou- 
vées par  le  feu  et  la  maladie  dans  sa  campagne 
contre  la  Serbie.  Il  voit  toute  la  Bulgarie  aux 
mains  des  ofliciers  allemands.  Quant  à  l'armée 
bulgare,  elle  se  trouve  dans  une  situation  fort 
peu  satisfaisante  qui  a  déjà  déterminé  des  muti- 
neries locales  et  de  nombreuses  désertions.  Dans 
ces  conditions,  la  Bulgarie  ferait  évidemment  à 
tous  égards  une  excellente  opération  si  elle  con- 
cluait une  paix  séparée  avec  les  Alliés.  Or,  la 
manœuvre  bulgare  que,  bien  entendu,  on  n'avoue 
pas  à  Sofia,  mais  qui  est  pratiquée  dans  l'ombre 
et  probablement,  pour  les  raisons  qu'on  va  voir, 
d'accord  avec  Berlin,  est  fort  dangereuse  car,  il 
faut  bien  le  dire  dans  l'intérêt  de  la  cause  com- 
mune alliée  et  de  la  vérité,  elle  a  trouvé  des 
points  d'appui  dans  les    pays   alliés  chez  ceux 


270  LE    PLAN    PANGERMANISiE 

qui,  faisant  preuve  d'une  irréductible  inclair- 
voyance, ont  encore  sur  les  Balkans  des  idées 
vieilles  de  quarante  ans. 

Il  y  a  ainsi  des  Russes  qui  continuent  à  s'ima- 
giner qu'en  1915  la  diplomatie  alliée  a  eu  tort 
de  ne  pas  détruire  les  conséquences  du  traité  de 
Bucarest,  —  ce  qui  a  cependant  été  fait  et  même 
a  constitué  comme  on  l'a  vu,  chapitre  II,  §  1, 
l'erreur  balkanique  fondamentale  des  Alliés,  — 
afin  de  rétablir  la  Bulgarie,  dans  les  limites  du 
traité  de  San-Stefano.  C'est  la  thèse  que  soute- 
nait encore  en  mars  1916  M.  Milioukoff  à  la  tri- 
bune de  la  Douma.  J'ai  expliqué,  p.  210,  pourquoi 
à  l'ouest,  la  Bulgarie  du  traité  de  San-Stefano 
ne  correspondait  nullement  à  des  réalités  ethno- 
graphiques et  pour  quelles  raisons  la  Macédoine, 
formant  le  sud  de  la  Serbie,  est  très  loin  d'être 
bulgare.  Une  preuve  péremptoire  résulte  de  ce 
fait  que  les  Bulgares  viennent  d'y  massacrer 
une  quantité  de  Serbes.  Au  sujet  de  l'ethnogra- 
phie de  cette  région,  il  faut  encore  verser  au 
débat  un  argument  nouveau  aussi  original  que 
probant,  semble-t-il.  En  réalité,  ce  sont  les 
cuisiniers  qui,  à  travers  les  âges,  ont  le  plus 
exactement  transmis  la  vérité  ethnographique 
sur  la  Macédoine  telle  qu'elle  a  été  appréciée  par 
la  tradition  séculaire.  Dans  le  grand  dictionnaire 
Larousse,  tome  X,  p.  855,  édition  de  1873,  donc 


I.i;    PLAN    l'ANCKKMAMSIK  271 

iiilciu'ure  (le  ciiKj  ans  au  traité  «le  San-Stefano 
IS78),  on  peut  lire  :  Macédoine.  Mets  composé 
1  un  grand  nombre  de  légumes  ou  de  fruits  diffé- 
tMils.  «  Ce  mot  (Macédoine),  dit  Ch.  Nodier, 
V\/  probahlement  emplnt/r  d'abord  en  pariant 
l'un  mets  très  composé,  par  allusion  à  cette 
•(/ri été  incroyable  de  peuples  auxquels  Philippe 
/  Alexandre  firent  subir  les  lois  de  la  Macé- 
loinc.  » 

Or,  ces  peuples  variés,  ce  sont  les  Turcs,  les 
Mlumais,  les  Bulgares,  les  Juifs,  les  Roumains 
'L  les  Serbes  qui  peuplent  le  sud  de  la  Serbie. 
l»a  plus  lointaine  tradition  transmise  par  les 
îuisiniers,  dont  l'impartialité  ethnographique  est 
ncontestable,  contredit  donc  la  thèse  de  l'unité 
ithnographique  de  la  Bulgarie  de  San-Stefano 
ju'en  1878  la  diplomatie  ru«se  avait  des  raisons 
•articulières  (V.  p.  217),  qui  d'ailleurs  n'existent 
dus,  de  considérer  comme  exclusivement  bul- 
gare. Les  paroles  de  M.  Milioukoff  prouvent  que 
es  idées  erronées  de  1878  subsistent  encore  chez 
ertains  Russes.  Heureusement  que  devant  l'évi- 
ience  des  faits  l'immense  majorité  de  nos  Alliés 
^e  l'Est  s'est  dépouillée  de  ses  sentiments  bul- 
:arophiles  jadis  irréductibles.  Les  Bulgares  ont 
.'ailleurs  eux-mêmes  fortement  aidé  les  Russes 
.  une  plus  juste  appréciation  des  réalités  ac- 
uelles.   Fin  1915.  dans  la   première  ivresse  de 


272  LE    PLAN    PANGERMAMSTE 

leurs  sentiments  germanophiles,  les  journaux  de 
Sofia  ont,  en  elFet,  proclamé  que  les  Bulgares 
ne  sont  pas  des  Slaves  mais  des  Tartaro-Mon- 
gols  et  que  cette  raison  ethnographique  s'ajoute 
aux  autres  pour  leur  faire  former  avec  les  Turcs 
elles  Magyars,  le  bloc  touranien  qui,  associé  au 
germanisme,  assurera  en  Europe  la  domination 
des  Slaves  et  des  Latins.  La  manœuvre  bulgare 
d'une  paix  séparée  avec  les  Alliés  a  donc  fori 
peu  de  chances  d'être  accueillie  sérieusement 
en  Russie.  Mais  malheureusement  quelques-uns 
de  ces  mêmes  Anglais  dont  les  informations 
erronées  ont  grandement  contribué  aux  fautes 
balkaniques  de  1913  lui  prêtent  un  concours 
réel.  Je  ne  ferai  naturellement  allusion  ici  qu'à 
des  Anglais   n'avant  pas  de   caractère   ofliciel. 


•o-" 


lyani  p 


Parmi  ceux-ci  il  faut  surtout  citer  les  frères 
Charles  et  Noël  Buxton,  à  la  tète,  depuis  long- 
temps, d'un  comité  dit  balkanique  mais  qui,  en 
réalité,  a  toujours  été  systématiquement  bulga- 
rophile.  Or,  par  un  hasard  curieux,  les  frères 
Buxton  ont  par  surcroît  des  tendances  germa- 
nophiles. Le  Temps  du  10  janvier  1916  signalait 
d'eux  un  livre  singulier  paru  récemment  en  le 
qualifiant  de  «  Rêveries  pacifistes  ».  Ils  semblent 
ainsi  partisans  d'une  paix  prématurée  avec  Berlin 
aussi  bien  qu'avec  Sofia,  ce  qui  est  caractéris- 
tique de  leur  action.  Plus  dangereuse  encore,  esl 


LK    PLAN    PANOEHMAMSTK  J  T  1 

l'iulivilt'  (l«'  U'i-miles  tenaces  <!»•  <|ut'I(|in's  concs- 
pondiuits  (le  journaux  anj^lais  dans  les  Halkans. 
Il  en  esl  parmi  eux  (|ui  ayant  encore  les  idées 
Justes  du  temps  de  Gladstone,  mais  inexactes 
aujourd'hui,  sont  systématiquemenl  bulgaro- 
philes.  Leur  parti  pris  a  été  t«d  qu'ils  n'ont  pas 
compris  la  portée  du  traité  <ie  Bucarest  ni  même 
aucunement  soupç^onné  les  traités  passés  par  la 
Hulî^arie  avec  l'Allemag^ne  et  la  Turquie  au  prin- 
temps de  1914,  dont  M.  Hadoslavoff  vient  de 
révéler  l'existence  (V.  p.  213).  Ces  correspon- 
dants, en  raison  du  crédit  qu'on  leur  faisait  à 
Londres,  bien  à  tort,  ont  fortement  contribué  à 
abuser  en  1915  les  autorités  britanniques  sur  les 
véritables  intentions  de  la  Bulgarie  jusqu'à  son 
entrée  en  g:uerre  aux  côtés  de  l'Allemagne.  Il  est 
résulté  de  cette  très  lourde  erreur  l'écrasement 
de  la  Serbie  avec  ses  multiples  conséquences. 
Or,  les  faits  acquis  n'ont  cependant  pas  con- 
vaincu ces  quelques  Anglais  irréductibles.  Tout 
en  reconnaissant  les  très  grandes  difficultés  de 
la  situation  actuelle  des  Bulgares,  ils  arrivent 
cependant  à  cette  conclusion  paradoxale  que  les 
Alliés  doivent  faire  la  paix  avec  les  Bulgares  e/i 
leur  laissant  leurs  conquêtes  actuelles. 

Quoi  qu'il  en  soit,  cette  agitation  sourde,  limitée 
mais  très  active  qui  s'est  faite  récemment  à 
Londres  en  faveur  des  Bulgares  a  été  naturelle- 


274  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

ment  réprouvée  par  l'opinion  britannique  bien 
informée.  Les  Ang-lais  qui,  en  avril  1916,  ont  fait 
un  si  cbaleureux  accueil  au  prince  de  Serbie  ont 
redouté  qu'une  nouvelle  faute  balkanique  ne  soit 
commise.  C'est  pour  la  prévenir  qu'une  question 
a  été  faite,  le  28  mars,  à  la  Chambre  des  Com- 
munes. «  Un  député  a  demandé  qu'on  lui  donne 
l'assurance  que  la  Bulgarie  ne  sera  pas  admise  à 
une  paix  séparée  et  surtout  qu'elle  ne  sera  j)as 
autorisée  à  acquérir  des  territoires  aux  dépens 
des  peuples  qui  se  sont  battus  aux  côtés  des  Alliés 
durant  la  guerre.  »  (V.  L'Œuvre,  29  mars  1916.) 
Celte  motion  britannique  est  conforme  à  la  fois 
aux  intérêts  moraux  et  matériels  récents  et  futurs 
des  Alliés. 

D'abord,  on  ne  doit  pas  compter,  comme  cer- 
tains en  ont  l'illusion,  sur  un  mouvement  vrai- 
ment efficace  du  peuple  bulgare  contre  son  gou- 
vernement. Le  tsar  Ferdinand  a  toujours  fait  ce 
qu'il  a  voulu  en  Bulgarie  et  maintenant  qu'il  a 
partie  liée  avec  Berlin,  les  Allemands  lui  prê- 
teront main-forte  pour  se  maintenir.  Quant  au 
peuple  bulgare,  il  est  sans  doute  victime  de 
cette  situation  mais  il  le  restera.  Le  peuple  bul- 
gare a  des  qualités  incontestables.  Il  est  travail- 
leur, énergique  et  sobre.  Mais  le  peuple  bulgare 
«  ressemble  en  beaucoup  de  points  »  aux  Prus 
siens,  ainsi  que  le  proclamait  tout  récemment. 


u:  l'L.v.N  rA.M.i:u.MAM.sjK  27:» 

•  Il  (  t's  propres  termes,  le  nouveau  niinislre 
(1  Allenm*îneà  Soliîi.  (V.  Le  Temps,  iSm&TH  19 Kl.) 
Kn  elFet,  lo  peuple  hulg-are  a  l'Apreté  au  g:ain, 
la  duplicité  et  l'esprit  de  doininalion  des  Hraiide- 
hourp^eois.  Au  surplus.  Ir  peuple  huljjare  est  la 
proie  des  polilicieiis  huly^ares  qui  eux,  enli^lés 
comme  des  buffles  el  d'utic  intransigeance  dont 
rien  ne  peut  donner  idée,  sont  irréductibles  sur 
la  question  de  Macédoine.  Sans  doute,  les  poli- 
ticiens buls^ares  fort  astucieux  pourraient  bien, 
comme  en  1915,  avoir  lair  de  négocier  avec  les 
\Uiés  pour  faire  retarder  par  ceux-ci  Voffensice 
partant  de  Salonique,  que  redoute  au  plus  haut 
point  Berlin,  mais  croire  qu'il  est  possible  de 
conclure  avec  la  Bulgarie  une  entente  durable 
el  de  bonne  foi  serait  caresser  la  plus  pernicieuse 
des  chimères.  Faire  une  paix  prématurée  avec 
les  Bulgares  comporterait  d'ailleurs  pour  les 
Alliés  d'autres  résultats  funestes  qu'il  est  aisé  de 
mettre  en  lumière.  Pour  traiter  avec  les  Bulgares 
qui  de  concert  avec  les  Allemands  viennent  de 
massacrer  systématiquement  un  nombre  énorme 
de  Serbes,  il  faudrait,  de  toute  évidence,  trahir  la 
Serbie  et  considérer  que  les  crimes  des  Bulgares 
puissent  devenir  pour  eux  constitutifs  de  droits. 
Il  est  clair  que  l'opinion  publique  alliée  n'ad- 
mettrait pas  une  pareille  infamie.  En  outre,  au 
point  de  vue  militaire,  le  calcul  ne  serait  guère 


LE    PLAN    PANGERAIANFSTE 


judicieux.  Pour  éviter  d'avoir  à  se  battre  contre 
350.000  Bulgares  dont  les  forces  d'ailleurs  doivent 
être  divisées  entre  le  front  roumain  et  le  front  de 


Salonique,  les  Alliés  devraient  d'abord  renoncer 
au  concours  des  150.000  soldats  serbes  qui,  évi- 
demment, ne  marcheraient  plus  le  jour  oii  les 
Alliés  traiteraient  avec  la  Bulgarie.  En  outre,  l'en- 
tente avec  celle-ci  aurait  cette  conséquence,  poli- 
tique et  militaire  à  la  fois,  de  ruiner  l'orientation 
favorable  de  l'Entente  des  Grecs  et  des  Roumains. 


LE    PLAN    PANGERMANISTK.  27": 

(]ommo  je  l'ai  montré  au  chapitre  VII,  Iji  liaine 
(les  Hoiimains  et  des  Grecs  pour  les  Bulpires 
est  le  ijrand  faeteur  psyeholojjique  des  Balkans. 

Le  plan  ofliciel  d'hégémonie  hulgare,  rappelé 
schématiquement  par  la  carte  ci-conlre,  explique 
c«'lte  haine  car  il  établit  que  les  ambitions  des 
Hulj^ares  empiètent  considérablement  sur  tous 
les  Etats  voisins.  Elles  prétendent  mùme  main- 
tenant s'étendre  jusqu'à  l'Adriatique  par  l'Alba- 
nie. On  conçoit  donc  aisément  que  ce  plan 
d'hégémonie  bulgare  est  le  cauchemar  des  Grecs 
et  des  Roumains.  Or,  les  Bulgares,  comme  les 
Prussiens,  en  raison  de  leurs  caractères  ana- 
logues, ne  renonceront  àleurprogramme  de  domi- 
nation que  quand  ils  auront  reçu  des  Alliés,  avec 
le  concours  précisément  des  Grecs  et  des  Rou- 
mains, la  «  raclée  »  qu'ils  ont  cenl  fois  méritée 
et  qui  est  nécessaire  à  l'établisse  m  eut  d' iiiir  /o/i/pir 
période  de  paix  dans  les  Balkans.  Or,  il  est  clair 
que  si  des  négociations  de  paix  séparée  avec  les 
Bulgares  s'esquissaient,  les  Grecs  (250.000 
hommes),  et  les  Roumains  (600.000  hommes), 
voyant  une  fois  dô  plus  leurs  intérêts  incompris 
des  Alliés  renonceraient  définitivement  à  mar- 
cher avec  ces  derniers. 

Enfin,  une  paix  séparée  laissant  à  la  Bulgarie 
ses  conquêtes  lui  permettrait  de  constituer  défi- 
nitivement le  pont  entre  les  empires  du  centre 

16 


278  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

et  la  Turquie.  C'est  'précisément  ce  que  veut 
Berlin  afin  de  pouvoir  réaliser  le  Hambourg-Golfe 
Persique.  Cet  aboutissement  éventuel  fait  que 
les  tentatives  occultes  de  la  Bulgarie  pour  con- 
clure une  paix  séparée  constituent  au  premier 
chef  une  manœuvre  bulgaro-allemande  complé- 
mentaire de  celle  turco-allemande  plus  haut 
exposée  (V.  p.  258). 

Les  Alliés  ne  se  laisseront  évidemment  pas 
prendre  à  ces  grossiers  artifices.  L'enseignement 
des  fautes  balkaniques  de  i91o  est  si  net  qu'il 
préservera  les  dirigeants  de  l'Entente  de  toute 
erreur  sérieuse  nouvelle.  //  est  indispensable 
d'ailleurs  à  la  victoire  des  Alliés  et  pour  qu'une 
paix  durable  puisse  s'établir  en  Europe  que  le 
coup  allemand  dit  de  «  la  partie  nulle  »  échoue 
complètement. 


I 


CHAFITRt:   IX 

LES  ÉTATS  ENCORE  NEUTRES  DONT  L INDÈPEN 
DANCE  SERAIT  DIRECTEMENT  MENACEE  PAR  LA 
REALISATION  DU  HAMBOURG-GOLFE  PERSIQUE. 
DONC  PAR  LA  MAINMISE  DE  L  ALLEMAGNE  SUR 
L  AUTRICHE-HONGRIE. 


1      L  exemple  du  Portugal 
II.    La  Hollande, 
m.  La  Suisse. 

IV.  Les  États  du  sud  de  l'Amérique. 

V.  Les  États-Unis. 

La  quasi-totalité  des  États  neutres,  sans  s'en 
douter  encore  suffisamment,  ont  un  intérêt  vital 
à  ce  que  l'Allemagne  non  seulement  abandonne 
ses  conquêtes  à  l'est  et  à  l'ouest  mais  encore  et 
surtout  à  ce  qu'elle  n'établisse  pas,  à  la  faveur 
de  la  guerre,  son  hégémonie  sur  l'Autriche- 
Hongrie.  Ce  dernier  point  de  vue  est  parfaite- 
ment logique  puisque  cette  hégémonie  allemande 
sur  l'Europe  centrale  aurait  pour  conséquences 
d'assurer  au  gouvernement  de  Berlin  des  moyens 
de  domination  terrestres  et  maritimes  formidables 
(V.  p.  173).  Donc,  par  effet  réflexe  de  cette  per- 


280  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

turbation  colossale  dans  le  rapport  général  des 
forces  des  États,  en  raison  de  cette  concentra- 
tion extraordinaire  des  instruments  de  la  puis- 
sance dans  les  mains  allemandes,  l'indépendance 
de  tous  les  États  neutres  en  serait  certainement 
affectée  de  la  façon  la  plus  grave.  Dans  ce 
chapitre,  on  examinera  la  situation  des  pays 
encore  neutres  qui  seraient  plus  particulière- 
ment touchés  par  la  réalisation  du  Hambourg- 
Golfe  Persique. 


L'exemple  du  Portugal  est  caractéristique  car 
il  s'agit  d'un  petit  État  qui,  dans  l'opinion  de 
beaucoup,  pendant  longtemps  semblait  pouvoir 
rester  en  dehors  du  conflit  alors  qu'au  contraire 
la  nécessité  de  se  défendre  contre  les  projets 
allemands  d'absorption  qui  le  visaient  l'a  finale- 
ment contraint  à  se  jeter  dans  la  guerre. 

Depuis  l'ouverture  des  hostilités  européennes, 
les  intrigues  allemandes  les  plus  intenses  se 
sont  exercées  au  Portugal  où,  avant  l'éclatement 
de  la  conflagration  européenne,  elles  avaient  été 
préparées  aussi  minutieusement  qu'ailleurs. 
Agissant  surtout  sur  les  milieux  réactionnaires 
portugais  elles  avaient  pour  but  le  plus  apparent 
de   rétablir   sur  le  trône    Emmanuel    de   Saxe- 


LK    PLAN    PANGERMANISTE 


281 


Cobourg  el  Golha-Brag^anco,  détrôné  le  5  octo- 
bre 1910  par  la  Révolution  d'où  naquit  la  Répu- 
blique portugjaise,  et  qui,  le  i  septembre  1913, 


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LE    PORTUGAL 

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ET  lE  PANGERMANISME  COLONIAL 

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0 

épousala  princesse  allemande  Augustine-Victoria 
de  Hohenzoliern-Sigmaringen.  Les  agents  alle- 
mands agirent  encore  sur  certains  milieux 
anarchistes  portugais  afin,  par  tous  les  moyens 
possibles,  de  provoquer  des  troubles  dans  ce 
pays  dont  la  ruine  était  très  nettement  prévue  par 

16, 


282  LE    PLAN    PANGKKMAN1ST1-: 

le  plan  pan  germaniste  de  1911.  On  a  vu,  p.  169, 
quelles  colonies  portugaises  ce  plan  visait  par- 
ticulièrement. Or,  en  1912,  le  gouvernement  de 
Berlin  préparant  ardemment  et  astucieusement 
sa  guerre  européenne  sur  la  base  de  l'abstention 
de  l'Angleterre  qu'il  s'agissait  d'endormir  par 
l'avantage  de  profits  coloniaux  momentanés 
avait,  dans  des  négociations  offlcieuses  avec 
Lord  Haldane,  tenté  de  s'entendre  avec  le 
cabinet  de  Londres  pour  partager  les  colonies 
portugaises  d'Afrique. 

Ces  colonies  (Iles  Açores,  Madère,  du  cap 
Vert,  du  Prince,  de  Saint-Thomé,  Guinée, 
Angola,  Mozambique),  dont  la  carte  ci-contre 
donne  la  vue  d'ensemble,  ont  une  grande  im- 
portance pour  le  Portugal.  Avec  leurs  2  millions 
de  kilomètres  carrés  et  leurs  8.300.000  babitants, 
elles  sont  les  restes  imposants  du  magnifique 
empire  colonial  portugais  de  jadis;  elles  consti- 
tuent donc  une  base  essentielle  pour  le  com- 
merce portugais  et  surtout  pour  une  future 
renaissance  économique  du  Portugal  que,  très 
naturellement,  le  gouvernement  de  Lisbonne 
voudrait  pouvoir  provoquer. 

Dès  l'ouverture  des  bostilités  européennes,  les 
Allemands,  escomptant  leur  victoire  en  Europe, 
avaient  cnvabi  l'Angola  et  c'est  seulement  tout 
récemment  que  les  soldats  portugais  ont  réussi 


LE    PLAN    PANr.KRMAMSTE  283 

il  les  tu  chasser.  L'«Uat  de  g^uerre  existait  donc, 
on  fait,  depuis  longtemps  entre  le  Portugal  et 
l'Allemagne  et  c  est  celle-ci  (jui  en  avait  pris  f  ini- 
tiative. Le  gouvernement  portugais  s'est  ainsi 
trouvé,  dès  le  début,  avoir  des  raisons  multiples 
et  concordantes  d'éj)rouver  de  la  sympathie  pour 
la  cause  des  Alliés.  Il  la  leur  a  témoignée  d'ail- 
leurs de  la  façon  la  plus  elleclive  dans  toute  la 
mesure  de  ses  moyens. 

Kn  représailles  des  incessantes  intrigues  alle- 
mandes sur  son  territoire  continental  et  des  actes 
de  guerre  commis  sur  son  territoire  colonial  par 
des  soldats  de  Guillaume  II,  le  Portugal  a  fini  par 
saisir  les  nombreux  navires  allemands  qui  se 
trouvaient  internés  dans  ses  ports  depuis  le  début 
de  la  conflagration  européenne. 

L'Allemagne  a  riposté,  en  mars  1915,  par  une 
déclaration  officielle  de  guerre  qui,  en  rtalité, 
n'a  fait  que  sanctionner  un  état  de  choses  exis- 
tant depuis  longtemps  par  suite  de  l'agression 
allemande  sur  l'Angola. 

Dès  cette  rupture  officielle  accomplie,  le  Por- 
tugal a  parfaitement  saisi  que,  pour  sauver  son 
existence,  il  devait  s'engager  à  fond  aux  côtés 
des  Alliés.  Le  25  mars  191  G,  le  ministre  de  la 
Guerre  portugais  a  lancé  un  ordre  à  l'armée  dans 
lequel  il  dit  : 

«  Quiconque  a  suivi  avec  une  anjiétè  patrio- 


284  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

tique  les  actes  de  l' Allemagne  depuis  la  confé- 
rence de  Berlin  de  1885  ne  peut  douter  que  sa 
victoire  représenterait  la  perte  de  nos  colonies, 
peut-être  même  de  notre  nationalité . 

«  Nous  devons  tous^  par  suite,  bien  graver 
dans  notre  esprit  que  les  combats  qui  se  livrent 
actuellement  sur  tant  de  points  du  monde  sont 
des  combats  qui  nous  touchent  de  très  près,  que 
cette  guerre  est  notre  guerre,  la  guerre  pour 
notre  liberté, pour  notre  indépendance ,  pour  l'in- 
tégrité du  territoire  de  la  pairie  et  que  noits 
devons  la  faire  là  où  notre  action  7nilitaire 
pourra  frapper  le  plus  efficacement  le  pouvoir 
de  l'Allemagne... 

«  Il  faut  que  la  haine  pour  l'Allemand  enne- 
mi et  barbare  soit  répandue  dans  les  cœurs  de 
tous,  et  pour  qu'elle  s'établisse  et  pénètre  dans 
l'armée,  il  devient  nécessaire  qu'on  explique  au 
soldat  les  raisons  de  cette  guerre,  qu'on  lui 
raconte  les  offenses  que  nous  ont  infligées  les 
Allemands,  qu'on  lui  fasse  comprendre  les  inten- 
tions et  les  projets  de  l'Allemagne  à  l'égard  des 
petites  nations  comme  la  Belgique,  comme  la 
Serbie,  comme  le  Portugal.  » 

Cette  proclamation  du  ministre  de  la  guerre 
portugais  mérite  d'être  retenue  car  elle  exprime 
fort  exactement  les  sentiments  généraux  qui 
deviendront  ceux  des  États  encore  neutres  au 


I.K    l'LAN    l'AM.KHM.VMSri;  -IH'-'t 


fur  et  ù  inesurt'  qu'ils  «  réaliseront  »  clairement 
i|ue  leur  indépendance  future  est  véritablement 
subordonnée  à  la  défaite  iiitéfi^rale  de  l'Alle- 
niairiie. 


II 


Les  lignes  ci-dessous  résument  (juelles  étaient, 
dans  le  plan  pangermaniste  de  IB'Ju,  les  vues  et 
la  tactique  adoptées  par  les  Allemands  à  l'égard 
(les  Hollandais. 

«  Quand  nos  frères  de  race  bas-allemande 
auront  triomphé  de  leur  frayeur  presque  puérile 
de  «  l'annexion  par  les  Prussiens  »,  ils  admet- 
tront que  l'entrée  de  la  Hollande  dans  la  Grande- 
Allemagne  est  avantageuse  aux  deux  parties. 
D'ailleurs,  au  sein  de  la  Grande -Allemagne,  les 
Hollandais  pourraient  conserver  dans  la  mesure 
raisonnable  leurs  caractères  particuliers. 

«  Le  Royaume  des  Pays-Bas  entrant  non 
seulement  dans  l'Union  douanière  allemande, 
mais  encore  dans  la  Confédération  pangerma- 
niste  avec  la  plénitude  de  ses  droits,  renoncera  à 
entretenir  une  Hotte  indépendante,  mais  organi- 
sera un  corps  d'armée  indépendant,  avec  des 
prérogatives  analogues  à  celles  de  la  Bavière, 
ainsi  qu'une  armée  coloniale.  Il  restera  en  pos- 
session de  ses  colonies  et  pourra  même  se  char- 


LE    PLAN    PANdERMANISTE 


ger  d'administrer  la  Nouvelle-Guinée  et  toutes 
les  colonies  allemandes  du  Pacifique. 

«  La  lanp^ue  officielle  restera  le  bas-allemand 


(le  hollandais)  pour  la  législation  etTadministra- 
tion,  dans  l'État,  l'École  et  l'Église.  Le  haut- 
allemand  ne  sera  employé  que  pour  les  affaires 
concernant  la  Confédération.  Il  est  d'ailleurs 
évident  qu'on  l'emploiera  rapidement  dans  le 
commerce  et  dans  les  sciences,  mais  volontai- 
rement. 


l-i:    i'I.AN    l'ANGKHMAMSTh  28": 

«  Si  le  HIlin  devient,  de  sa  source  à  son 
•  inboucliure ,  un  fleuve  vraiment  allemand, 
alors  ce  sont  los  villes  commerçantes  et  les  poFls 
marchands  bas-allemands  (ou  liollandaisi  situi's 
près  de  l'emboucluire  qui  y  gafjfneront  le  plus 

«  11  en  résulte  qu'une  perspective  vraiment 
séduisante  s'ouvre  pour  l'avenir  économique  et 
politique  des  Pays-Bas.  s'ils  veillent  devenir 
membres  de  la  Confédération  panfj:ermaniste. 
Puissent  nos  cousins  bas-allemands  renoncer 
enlin  à  ce  soin  jaloux  de  leur  indépendance  par- 
liculariste  que  nousautres,  Allemands  d'Empire, 
avons  aussi  connu  jusqu'en  1806  et  1870.  » 
(V.  Grossdeutsc/iland  unil  Mitteleitropa  uni  das 
Jahr  11)50  p.  13,  Tbormann  et  Goetsch,  S.  W. 
Bessel-Strasse  17.  Berlin,  1893.) 

Donc,  il  y  a  une  ving:taine  d'années,  les  Alle- 
mands comptaient  sur  la  persuasion  pour  ame- 
ner les  Hollandais  à  comprendre  les  beautés  de 
la  Pangermanie.  Cet  espoir  était  fondé  surtout 
sur  ce  que  beaucoup  de  Hollandais,  depuis  des 
siècles  adonnés  aux  fructueux  commerces  doutre- 
mer,  song^ent  surtout  à  gagner  de  l'argent  et  ont 
peu  de  goût  pour  les  situations  exigeant  des 
résolutions  belliqueuses. 

Cet  état  d'esprit  explique  d'ailleurs  pourquoi 
les  Allemands  ont  pu  assez  aisément,  depuis  le 
début  de  la   guerre,  trouver  en  Hollande  des 


288  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

ravitailleurs  habiles  qui  leur  ont  procuré,  en 
dépit  du  blocus,  des  ressources  de  toute  nature 
fort  abondantes. 

Mais,  depuis  1893,  les  idées  pang-ermanistes 
ont  marché  et,  comme  on  Ta  vu  p.  169,  le  plan 
de  1911  prévoit  le  passage  des  colonies  hollan- 
daises à  la  Pangermanie  dans  des  conditions  qui 
ne  permettraient  plus  aux  Pays-Bas  de  conserver 
la  moindre  illusion  sur  la  conservation  éventuelle 
de  leur  indépendance. 

Or,  il  résulte  des  plans  allemands  de  cambrio- 
lage et  d'accaparement  des  biens  d'autrui, 
aujourd'hui  manifestes,  que  les  Hollandais,  en 
dépit  de  leur  désir  intense  de  ne  pas  être  mêlés 
à  la  grande  guerre,  sont  bien  obligés  par  les 
événements  de  voir  progressivement  les  choses 
comme  elles  sont. 

A  la  vérité,  la  situation  morale  des  Hollandais 
est  difficile  car  ils  sont  encore  actuellement 
«  tiraillés  »  par  deux  sentiments  de  nature  à  leur 
dicter  des  décisions  contradictoires.  D'une  part, 
les  souvenirs  historiques  et  les  rivahtés  du  com- 
merce maritime  continuent  à  leur  faire  redouter 
vivement  l'Angleterre  ;  d'autre  part,  ils  sont 
bien  contraints  de  constater  que  le  danger  pan- 
germaniste  est  devenu  pour  eux  imminent.  Il 
est  clair,  en  effet  (voir  la  carte  p.  286),  que  si 
l'Allemagne   consolidait    sa    mainmise    sur   la 


LK    PLAN    l'ANciERMANISTE  289 

Belgique  ou  si  elle  sortait  de  la  guerre  consiJé- 
raWement  renforct^e  du  fait  de  l'établissement 
de  son  hégémonie  sur  l'Aulriche-Hongrie,  la 
Hollande  serait  fatalement  contrainte,  au  bout 
de  fort  peu  de  temps,  même  en  pleine  paix,  d'ac- 
cepter d'être  la  vassale  de  sa  formidable  voisine: 
la  Pangermanie. 

Les  Hollandais  sont  d'autant  plus  perplexes  et 
hésitants  avant  de  prendre  une  ferme  résolution 
que  l'attitude  de  leur  gouvernement  sur  lequel, 
comme  on  sait,  peuvent  s'exercer  des  influences 
allemandes  directes  et  puissantes,  les  déroute 
parfois.  Ces  quelques  lignes  du  journal  le  Tele- 
graaf,  qui  d'ailleurs  valurent  à  leur  auteur, 
31.  Schroeder,  des  poursuites  sous  prétexte 
qu'elles  mettaient  en  danger  la  neutralité  du 
pays,  caractérisent  ainsi  la  situation. 

«  De  notre  côté,  disait  le  Telegraaf,  nous  ne 
cesserons  pas  de  combattre  un  gouvernement  et 
une  presse  complice  qui,  sous  le  déguisement 
d'une  «  digne  neutralité  »,  approvisionnent  l'Alle- 
magne par  une  politique  d'exportation  inconsi- 
dérée d'articles  de  première  nécessité,  mettant 
cette  dernière  dans  la  possibilité  de  poursuivre 
la  guerre  et  trahissant  ainsi  non  seulement  les 
intérêts  de  leur  propre  pays,  mais  aussi  la  cause 
de  l'humanité  ».  (Cité  par  Le  Temps,  30  mars 
1916.) 


290  LE    PLAN    PANGERMANISÏE 

Quant  à  l'état  d  esprit  actuel  général  et  domi- 
nant de  l'opinion  publique  hollandaise,  M.  Hol- 
dert,  directeur  du  Telegraaf,  qui  est  particuliè- 
rement à  même  d'exprimer  une  opinion  qualifiée, 
l'a  résumé  ainsi  : 

«  Chaque  fois  que  se  produira  un  incident 
pouvant  amener  la  Hollande  à  prendre  une 
grave  décision,  rappelez-vous,  avant  de  formuler 
un  pronostic,  que  le  peuple  là-bas,  ne  veut  pas 
la  guerre.  Chez  nous,  le  négoce,  l'argent,  le  gain, 
tout  cela  est  considéré  comme  extrêmement, 
suprêmement,  infiniment  important. 

«  Aujourd'hui  la  majorité  de  mes  concitoyens 
gagnent  grassement  leur  vie.  De  quoi  s'inquié- 
teraient-ils encore? 

«  Oui,  80/9.  100  de  la  population  sont  en 
faveur  des  Alliés.  La  France  surtout  est  aimée 
et  il  est  peu  de  choses  qu'on  lui  refuserait  si  elle 
osait  demander.  Mais  cette  très  réelle  affection 
est  comme  lointaine.  On  tourne  vite  maintenant 
la  page  où  sont  imprimées  les  nouvelles  de  la 
guerre  ».  (V.  Le  Journal,  5  avril  1916.) 

L'opinion  hollandaise  paraît  donc  stagnante, 
cependant,  quoiqu'avec  une  extrême  lenteur,  elle 
évolue  puisqu'elle  commence  à  se  demander  si, 
malgré  tous  ses  efforts  et  ses  désirs  intenses  de 
paix,  cette  guerre  formidable  pourra  se  terminer 
sans  que  la  Hollande  y  prenne  part. 


LE    PL\N    PANGEItMANISTR  2tt 

Sans  doute,  les  mcsiiros  njililaires  prises  par 
le  fçouvernemcnt  de  La  Haye  l'ont  été  exclusive- 
ment dans  le  but  de  défendre  la  neutralité  hol- 
landaise. Mais  des  faits  comme  le  torpillage 
du  Ttiàantia  font  beaucoup  pour  augmenter  le 
nombre  de  ces  patriotes  hollandais  clairvoyants 
et  énerî^iques  qui,  comme  l'admirable  et  vigou- 
reux artiste  Raemaekers,  admettent  et  pro- 
clament que  l'intérêt  de  son  honneur  comme  de 
son  indépendance  commanderait  à  la  Hollande 
de  tout  faire  pour  favoriser  et  hâter  la  victoire 
des  Alliés. 

III 

Les  visées  pangermanistes  du  plan  de  1895 
sur  la  Suisse,  sont  résumées  dans  ces  lignes  : 

((  On  peut  donc  laisser  la  Suisse  choisir  : 
entrer  telle  quelle  ou  réduite  à  ses  cantons  alle- 
mands dans  l'Union  douanière  allemande  et 
dans  la  Confédération  pangermaniste  ou  bien 
faire  partie  de  l'Empire  allemand  avec  ses  droits 
égaux  d'État  fédéré  ».  (V.  Grossdeutschland  und 
Mitteleuropa  um  das  Jahr,  1950,  p.  17,  Thor- 
mann  et  Goetsch,  S.-W.  Bessel  Strasse  17, 
Berlin,  1895.) 

La  Suisse  (V.  la  carte  p.  286)  est  donc  fort 
nettement  visée  par  le  programme  pangermaniste 
mais  Berlin  s'est  toujours  tlatté  qu'on  absorberait 


292  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

ce  petit  État,  de  même  que  la  Hollande,  sans 
avoir  besoin  de  le  contraindre  directement,  par 
voie  de  conséquences  et  comme  suite  de  la  défaite 
imposée  aux  grandes  puissances  européennes. 

Ce  qui  est  certain,  c'est  qu'avant  la  guerre  le 
prestige  de  l'Allemagne  en  Suisse  alémanique 
était  si  grand  et  l'organisation  de  la  propagande 
allemande  dans  cette  partie  de  l'Helvétie  si 
parfaite  qu'on  y  accueillit  sans  résistance  les 
justifications  propagées  par  le  gouvernement  de 
Berlin  pour  expliquer  la  violation  de  la  Belgique. 

Mais  depuis  une  évolution  lente  s'est  produite. 
Les  annexions  énormes  que  se  propose  l'Alle- 
magne, la  façon  atroce  dont  elle  conduit  sa 
guerre,  et  notamment  les  horreurs  prodigieuses 
commises  en  Serbie  ont  fini  par  convaincre 
un  nombre  croissant  de  Suisses  du  danger  for- 
midable que  créerait  une  victoire  de  l'Alle- 
magne pour  l'Univers  civilisé  en  général  et  pour 
l'indépendance   helvétique   en   particulier. 

L'une  des  personnalités  de  Zurich  les  mieux 
placées  pour  apprécier  exactement  la  situation 
me  résumait  récemment  ainsi  l'état  actuel  des 
esprits  en  Suisse  alémanique  :  «  La  plupart 
des  intellectuels  qui  presque  tous  ont  fait  leurs 
études  en  Allemagne  et  une  partie  des  com- 
merçants sont  seuls  des  prussophiles  vraiment 
irréductibles.    Ceux-là  accepteraient  volontiers 


LE    PLAN    PANGEBMANISTE  293 

(lo  voir  la  Suisse  s'absorber  dans  la  Pang;er- 
inanie.  Mais  les  Suisses  de  cette  opinion  ne 
Ibrinent  qu'une  petite  minorité.  Dans  la  Suisse 
allcniande,  la  plupart  des  industriels  qui,  pres- 
que tous,  dans  les  dernières  années,  ont  énor- 
mément souffert  de  l'àpreté  de  la  concurrence 
allemande  souhaitent,  une  défaite  de  l'AUe- 
mag:ne  qui  serait  conforme  à  la  fois  à  leurs 
sentiments  libéraux  et  à  leurs  intérêts  en  rendant 
dans  l'avenir  moins  fiévreuse  et  moins  pénible 
la  direction  de  leurs  industries.  Quant  à  la  masse 
populaire  des  Suisses  alémaniques,  et  c'est  là  le 
point  important,  elle  n'est  nullement  prussophile 
comme  on  le  croit  à  tort  en  France.  Elle  est 
suisse  avant  tout.  » 

Les  Suisses  en  sont  arrivés  à  conclure  qu'ils 
doivent  défendre  leur  neutralité  contre  le  pre- 
mier de  leurs  voisins  qui  violera  leur  frontière. 
Les  Alliés  ne  souhaitent  ni  mieux  ni  davantage. 

Ils  souhaitent  seulement  que  les  Suisses  se 
rendent  de  plus  en  plus  nettement  compte  de  cette 
vérité  :  devant  les  formidables  ambitions  panger- 
manistes,  la  victoire  des  Alliés  est  une  condition 
nécessaire  du  maintien  de  la  Confédération  hel- 
vétique. 


294  LE    PLAN    PAN  GERMANISTE 


IV 


La  carte  ci-contre  résume  et  rappelle  les 
prétentions  pangermanistes  de  protectorats  alle- 
mands directs  sur  le  sud  de  l'Amérique  tels  qu'ils 
ont  été  prévus  par  le  plan  de  1911.  (V.  p.  171.) 

Il  est  important  de  constater  que  les  visées 
allemandes  sur  l'Amérique  du  sud  ont  commencé 
précisément  à  l'époque  où  les  nations  euro- 
péennes s'inclinant  devant  la  doctrine  de  Munroe 
ont  renoncé  vers  1898,  date  de  la  guerre  his- 
pano-américaine, à  toute  main  mise  territoriale 
sur  le  Nouveau-Monde.  Or,  c'est  justement  à 
cette  époque  que  les  pangermanistes  berlinois 
songèrent  à  préparer  la  future  extension  jusqu'au 
cap  Horn  de  la  puissance  des  HohenzoUern.  N'y 
a-t-il  pas  là  un  fait  s'ajoutant  à  tant  d'autres 
pour  démontrer  l'esprit  conquérant  et  agressif, 
l'ambition  sans  bornes  qui  animent  l'Allemagne 
de  Guillaume  II? 

La  préparation  des  réalisations  pangerma- 
nistes  dans  l'Amérique  du  Sud  a  été,  comme 
partout  ailleurs,  menée  par  les  organisateurs  du 
mouvement  pangermaniste  avec  la  plus  grande 
méthode. 

Après  avoir  ainsi  établi  leur  plan  de  1893,  ils 
procédèrent  à  un  véritable  inventaire  de  tous  les 


LE    PLAN    PANUEnM.VNISTE 


29& 


Allemands  existant  sur  le  globe  alin  de  diseer- 
ner  parmi  ceux-ci  quels  étaient  ceux  plus  spécia- 


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LE    PANGERMANISME 

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COLONIAL 

ET 

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L'AMÉRIQUE  DM  SUD 

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lement  utilisables  pour  la  réalisation  ultérieure 
des  vues  pangermanistes.  Les  résultats  géné- 
raux de  cet  inventaire  d'ensemble  du  germanisme 
dans  le  monde  entier  se  trouvent  réunis  dans 


296  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

r Atlas  Pangermaniste  de  Paul  Langhans,  publié, 
en  1900,  à  Gotha  chez  Justus  Perthes. 

En  ce  qui  concerne  l'Amérique   du  sud,   cet 
inventaire  établit  qu'il  y  avait  : 


Au  Pérou, 

en  1890   . 

2.000  allemands. 

Au  Paraguay, 

en  1890  . 

3.000 

— 

En  Colombie, 

en  1890  . 

3.000 

— 

En  Uruguay, 

en  1897   . 

5.000 

— 

Au  Venezuela, 

,  en  1894   . 

5.000 

— 

Au  Chili, 

en  1895   . 

15.000 

— 

En  Argentine, 

en  1895    . 

.       60.000 

— 

Au  Brésil, 

en  1890  . 

.     400.000 

— 

Depuis  1900  surtout,  ces  Allemands  ont  été 
fortement  travaillés  par  les  sociétés  pangerma- 
nistes.  Ils  ont  été  spécialement  organisés  dans 
les  pays  comme  l'Argentine  et  surtout  le  Brésil 
qui  étaient  destinés  à  devenir  les  principaux  pro- 
tectorats allemands  de  l'Amérique  du  Sud. 

La  loi  allemande,  dite  loi  Delbriick  du  22  juil- 
let 1913  sur  la  nationalité  d'Empire  et  la  natio- 
nalité d'État,  a  grandement  favorisé  l'organisa- 
tion pangermaniste  en  Amérique.  Il  faut  donc 
connaître  au  moins  l'essence  de  cette  loi  Del- 
briick, car  elle  a  constitué  avant  la  guerre  la 
dernière  étape,  particulièrement  significative,  de 
l'organisation  allemande  à  travers  le  monde. 

La  seconde  partie  de  l'article  25  de  cette  loi 
dit  notamment  : 


^ 


LE    PLAN    PANGEBMANISTE  297 

«  Ne  perdra  pas  sa  nationalité  d'État  qui- 
conque, sttr  sa  demande^  aura  reçu  avant  l'acqui- 
sition de  la  nationalité  d'État  étrangère,  F  appro- 
bation écrite  de  r autorité  compétente  de  l'État 
{dont  il  est)  orif/inaire,  eu  vue  de  laconservation 
de  sa  nationalité  d'État.  Le  consul  allemand 
devra  être  entendu  préalablement  à  cette  appro- 
bation. » 

Ces  lignes  permetlent  de  mesurer  la  profon- 
deur de  l'astuce  allemande.  D'après  ce  texte, 
l'Allemand  peut  se  faire  naturaliser  à  l'étranger 
mais  s'il  obtient  une  approbation  écrite  des 
autorités  compétentes  de  son  État  allemand 
d'origine,  il  continue  en  dépit  de  cette  naturalisa- 
tion, à  jouir  lui  et  ses  descendants  de  tous  les 
droits  du  citoyen  allemand  et  de  la  protection 
effective  de  l'Empire. 

Ces  textes  étant  contraires  à  tous  les  prin- 
cipes généraux  du  droit  international  sur  la 
nationalité,  naturellement,  le  citoyen  allemand 
qui  bénéficie  de  ces  textes  se  garde  bien  de  faire 
connaître  la  situation  particulière  et  singulière 
qui  est  la  sienne  à  l'État  étranger  dont  il  a  acquis 
la  nationalité.  Par  ce  procédé,  l'Allemagne  a 
pu  avoir  dans  tous  les  États  des  agents  dévoués 
à  sa  politique  agressive  sans  qu'il  fût  cependant 
possible  à  ces  Étals  de  saisir  le  danger  pour  eux 
de  cette  organisation  occulte.  En  effet,  ces  États 

17. 


298  LE    PLAN    PAISGERMANISTE 

apparemment  n'avaient  affaire  qu'à  des  compa- 
triotes qu'ils  ne  pouvaient  en  droit  suspecter.  Ce 
n'est  qu'après  plusieurs  mois  de  guerre,  lorsque 
leur  action  coupable  les  a  contraints  à  se  démas- 
quer, que  la  dangereuse  puissance  de  ces  Alle- 
mands affublés  de  nationalités  étrangères  est 
apparue  dans  sa  redoutable  et  intolérable  impor- 
tance. 

C'est  cet  état  de  choses  qui  explique  pour- 
quoi pendant  les  premiers  mois  de  la  guerre,  en 
raison  de  la  puissante  et  intoxicante  propagande 
allemande,  de  l'ignorance  du  plan  pangerma- 
niste  aux  dépens  de  l'Europe  et  encore  plus  à 
leurs  dépens  propres,  les  États  de  l'Amérique 
du  Sud  n'ont  pas  été  en  mesure  de  sentir  le 
danger  dans  toute  sa  réalité  et  surtout  de  com- 
prendre qu'ils  avaient  un  intérêt  direct  à  une 
issue  déterminée  de  la  guerre  européenne.  Mais 
maintenant  l'opinion  publique  de  ces  États  est 
en  marche  vers  une  entière  compréhension  de 
la  vérité. 

Le  Pérou  et  le  Chili  échappent  progressive- 
ment à  l'emprise  germanique. 

En  Argentine,  le  mouvement  pro-allié  est 
aussi  en  croissance  rapide.  Mais  c'est  surtout 
au  Brésil,  dont  la  partie  méridionale  est  tout 
spécialement  convoitée  par  les  Allemands,  que 
l'évolution  des  idées  est  particulièrement  inté- 


LK    PLAN    1»ANGEUMAN1STE  »W 

ressanU'  à  constalrr.  Depuis  longtemps,  le» 
Alleiiiamls  oui  concenlré  leurs  eftorts  colonisa- 
teurs spécialement  sur  trois  Etats  brésiliens  : 
Parana  ((10. 000  Allemands),  Santa  Gatarina 
(170.000),  et  Rio  Grande  do  Sul  (220.000).  Dans 
ces  riches  provinces,  les  Allemands,  conservant 
la  lanij^ue,  les  traditions,  les  préjugés  de  la 
métropole,  sont  les  maîtres  presque  absolus. 
47.000  seulement  sont  ouvertement  citoyens  de 
l'Empire  allemand,  les  autres,  soit  400.000, 
sont  apparemment  sujets  brésiliens,  mais,  en 
raison  de  la  loi  de  Delbriick,  une  notable  partie 
de  ceux-ci  sont,  en  réalité,  demeurés  ou  rede- 
venus les  hommes-liges  de  Guillaume  II.  D'ail- 
leurs, le  budget  de  l'Empire  allemand  compor- 
tait une  somme  de  oOO.OOO  marks  destinés  à 
l'établissement  et  au  recrutement  du  personnel 
des  écoles  allemandes  au  Brésil.  En  1912,  lors 
de  sa  croisière,  le  prince  Henri  de  Prusse,  frère 
de  Guillaume  II,  vint  au  port  d'Itajahy  rendre 
visite  à  ses  compatriotes  de  Santa  Gatarina. 
Depuis  la  guerre  européenne,  le  jeu  des  Alle- 
mands du  Brésil  s'est  progressivement  démas- 
qué et  l'on  vient  de  constater  que  leurs  nom- 
breuses sociétés  de  tir  étaient,  en  fait,  des  sociétés 
d'organisation  militaire  assez  dangereuses  pour 
qu'on  ait  reconnu  la  nécessité  de  les  désarmer. 
Dans  le  reste  du  Brésil,  en  dehors  des  trois 


300  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

provinces  sus-énoncées,  les  Allemands  sont  peu 
nombreux,  mais  ils  y  occupent  la  plupart  des 
positions  capitales  du  commerce  et  de  la  banque . 
Pendant  la  première  période  de  la  guerre  euro- 
péenne, ces  Allemands,  ayant  fondé  des  jour- 
naux germanophiles  édités  en  portugais,  ont  pu 
empêcher  le  Brésil  d'être  exactement  rensei- 
gné sur  l'orig-ine  et  l'évolution  du  conflit. 

Mais  en  dépit  de  cette  obstruction  savante, 
depuis  la  bataille  de  la  Marne,  la  cause  des 
Alliés  n'a  fait  que  gagner  du  terrain  au  Brésil. 
L'entrée  en  guerre  du  Portugal,  en  raison  des 
600.000  Portugais  qui  existent  au  Brésil,  a 
donné  une  puissante  impulsion  au  mouve- 
ment. 

Ainsi  l'évolution  des  Etats  de  l'Amérique  du 
Sud  en  faveur  des  Alliés  est  très  nette.  Une 
nouvelle  étape  sera  franchie  quand  ces  Etats 
comprendront  entièrement  qu'en  raison  du  Pan- 
germanisme colonial  qui  les  menace  personnel- 
lement ils  ont  un  intérêt  direct  à  la  victoire  inté- 
grale des  Alliés  qui  seule  peut  les  délivrer  du 
souci  du  péril  pangermaniste.  Ils  arriveront 
alors  à  la  même  conception  précise  et  réaliste 
qui  sera  exposée  plus  loin  comme  devant  logi- 
quement être  celle  des  Etats-Unis. 

Quand  il  en  sera  ainsi,  il  est  possible,  sinon 
probable,    que    ces   Etats    sud-américains,    au 


LE    PLAN    PANCERMANISTE  301 

moins  les  principaux  comme  l'Arj^^enline  et  le 
Brésil,  ne  se  contenteront  plus  do  rester  des 
neutres  sympatliiques.  Ils  admettront  alors  que 
leur  intérêt  le  mieux  compris  leur  fait  un 
devoir  de  coopérer  dans  la  mesure  de  leurs 
moyens  à  l'œuvre  de  la  libération  commune. 


Par  sa  note  du  20  avril  1916  relative  aux  con- 
ditions de  la  guerre  sous-marine,  adressée  au 
gouvernement  de  Berlin  et  ayant  le  caractère 
d'un  ultimatum,  le  président  Wilson  a  effectué 
un  premier  acte  d'intervention  positive  des  États- 
Unis  dans  la  guerre  européenne.  Le  fait  que  leur 
intérêt  a  commandé  aux  Allemands  de  s'incliner, 
au  moins  momentanément,  devant  l'injonction 
des  États-unis,  semble  à  certains  avoir  déjà 
mis  un  terme  à  l'intervention  américaine.  Ceux 
qui  soutiennent  cette  opinion  peuvent  s'appuyer 
sur  le  discours  qu'a  prononcé  le  président 
Wilson,  le  18  mai  1916,  au  club  de  la  Presse 
de  Washington.  «  II  y  a  deux  raisons,  dit  le 
président,  pour  lesquelles  le  principal  désir  des 
Américains  est  la  Paix.  L'une  est  qu'ils  aiment 
la  paix  et  n'ont  rien  à  voir  avec  la  présente  que^ 
relie  ;  l'autre  est  qu'ils  croient  que  cette  querelle 
a  entraîné  si  loin  ceux  qui  y  sont  engagés  qu'ils 


302  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

ne  peuvent  se  maintenir  dans  les  limites  ordi- 
naires de  la  responsabilité...  Pourquoi  ne  pas 
laisser  passer  la  tempête  et^  quand  tout  sera 
fini,  faire  le  règlement  de  comptes.  »  (Cité  par 
Le  Te^nps,  22  mai  19i6.) 

La  réserve  que  sa  position  officielle  impose  au 
président  Wilson  ne  lui  a  évidemment  pas 
permis  de  développer  toute  sa  pensée  car, 
comme  on  va  le  constater,  il  serait  singulière- 
ment dangereux  pour  les  Etats-Unis  de  croire 
qu'ils  71  ont  rien  à  voir  avec  la  présente  querelle 
et  d'attendre  que  tout  soit  fini  pour  faire  le  règle- 
ment de  comptes. 

En  réalité,  la  vraie  question  qui  se  pose  pour 
les  États-Unis  dépasse  considérablement  celle 
de  la  piraterie  allemande  dans  la  guerre  sous-' 
marine.  Cette  vraie  question  est  constituée  pour 
les  Américains  de  deux  intérêts  bien  distincts  ; 
l'un  d'ordre  moral,  l'autre  d'ordre  matériel  ou 
politique. 

Au  point  de  vue  moral,  les  États-Unis  ont  à 
considérer  la  barbarie  avec  laquelle  l'Allemagne 
conduit  sa  guerre,  non  pas  seulement  sur  mer 
mais  partout.  Non  seulement  l'Allemagne  viole 
constamment  les  lois  de  la  guerre  entre  belligé- 
rants mais,  encore  et  surtout,  les  autorités  alle- 
mandes soumettent  à  un  terrorisme  affreux  les 
populations  civiles    antigermaniques  des  terri- 


LR    PLAN    PANOKII.MANISTK  ^03 

loiros  sur  lesquels  ont  été  réalisées  les  occupa- 
tions pangermanistes,  depuis  la  mer  du  Nord 
jusqiià  Bagdad.  Les  souffrances  inllip^ées  par  les 
Alloniands  aux  Belg^es,  aux  Slaves  d'Autriche- 
Honirrie,  aux  Serbes,  aux  Arméniens,  dont  ils 
ont  provoqué  le  massacre  en  masse,  représentent 
dos  millions  de  douleurs  indicibles,  de  forfaits 
odieux,  de  martyres  atroces.  Les  Américains  qui 
sont  intervenus  dans  la  guerre  sous-marine  au 
nom  de  l'humanité  peuvent-ils  être  neutres 
devant  cet  «  océan  de  crimes  »  commis  par  les 
Allemands,  sans  la  moindre  excuse,  sur  des 
«'•tendues  de  territoires  énormes? 

Au  point  de  vue  de  la  défense  de  leurs  intérêts 
matériels,  il  n'est  pas  certain  qu'un  nombre 
suffisamment  grand  d'Américains  aient  encore 
parfaitement  compris  l'ampleur  du  problème 
formidable  que  la  guerre  européenne  les  met 
dans  la  nécessité  d'envisager  et  de  résoudre.  Il 
est  tout  naturel  d'ailleurs  qu'il  en  soit  ainsi.  En 
France  et  en  Angleterre,  dans  bien  des  milieux, 
c'est  tout  récemment  que  les  véritables  et  gigan- 
tesques buts  de  la  guerre  poursuivis  par  l'Alle- 
magne ont  été  nettement  compris  dans  leur 
ensemble.  Il  n'est  donc  pas  surprenant  que 
l'énormité  de  la  machination  allemande  n'ait  pas 
encore  été  «  réalisée  »  par  les  Américains  des 
Ëtats-Unis  qui,  au  début  du  conflit,  forcément 


30i  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

avaient  sur  les  affaires  de  l'Europe  des  idées 
aussi  vagues  et  aussi  confuses  que  les  Européens 
en  ont  eux-mêmes  sur  celles  des  États-Unis. 
La  carte-document  ci-contre  va  permettre  de 
comprendre  très  vite  quelle  est  la  base  du  vrai 
problème  que  la  guerre  pose  pour  les  États-Unis. 
Ainsi  que  je  l'ai  expliqué  p.  294,  les  Allemands, 
après  1895,  se  sont  livrés  à  un  véritable  inven- 
taire   des    éléments  allemands   répandus    dans 
l'univers.  Notre  document  est  dressé  d'après  les 
données  de  la  carte  5  de  V Atlas  pangermaniste 
de  Paul  Langhans  qui  résume  cet  inventaire. 
Notre  carte  établit  quelle  était  vers  1890  la  pro- 
portion des  A  llemands  nés  en  Allemagne  et  ayant 
émigré  aux  États-Unis  par  rapport  au  reste  de 
la  population  américaine .  On  constate  que  cette 
proportion  était  considérable  puisque  sur  cer- 
tains points  (voir  la  carte)  elle  atteignait  jusqu'à 
35  p.    100.  En  outre,  la  vue  d'ensemble  de  la 
carte  permet  de  remarquer  que  les  Allemands  se 
sont  installés  aux  Étals-Unis  surtout  dans  les 
régions  industrielles  et  commerciales  de  l'est  et 
des   grands    lacs.    On    comprend    dès    lors    ce 
qui   s'est  passé   ensuite.   Depuis   1900   surtout, 
Y Alldeulscher  Verband ou  Union  Pangermaniste, 
se  conformant  aux  instructions  secrètes  des  auto- 
rités oftlcielles  berlinoises,  s'est  ingéniéà  dégager 
de  cette  masse  allemande  aux  États-Unis  tous  les 


LE    PLAN    PANGERMANISTE 


305 


lénionls  propres  à  servir  au  moment  voulu,  lors 
le  la  conflagration  européenne,  dans  les  domaines 
les  plus  divers,  la  cause  du  militarisme  prussien. 
Ainsi  depuis  vingt  ans  surtout,  la  njajeure  partie 


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Répartition   et  Pourcentage 
des  Allemands  nés  enAllemagi 
se  trouvant  aux  Etats -Un-- 
par  rapport  à  la  Populati 
aux  états  -Unis       1890 
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"    ■'      "•  \  DU  SUD  > 


1 


des  10  à  15  millions  d'Américains  d'origine 
allemande  a  été  organisée.  Peu  à  peu,  s'est 
créé  au  sein  de  la  Grande  République  améri- 
caine un  véritable  État  dans  l'État,  doté  des 
moyens  d'influence  les  plus  puissants.  En  effet, 
parmi  les  Germano-Américains,  des  industriels, 


306  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

des  commerçants  ou  des  banquiers  aux  fortunes 
énormes  influent  sur  le  sort  de  centaines  de 
mille  d'ouvriers  ou  d'employés  qui  vivent  dans 
leur  dépendance.  Les  Germano-Américains  pos- 
sèdent encore  des  journaux  et  des  associations 
multiples.  Ils  ont  donc  pu  exercer  sur  la  poli- 
tique des  États-Unis  une  influence  considérable 
et  môme  faire  entrer  au  Congrès  de  Washington 
des  hommes  à  eux.  La  loi  Delbrûck  sur  la  natu- 
ralisation (V.  p.  296)  a  achevé  l'organisation 
allemande  aux  États-Unis  en  permettant  à  une 
notable  partie  des  Germano-Américains  de  con- 
server l'apparence  de  citoyens  américains  tout 
en  restant  des  sujets  du  Kaiser  fanatiquement 
dévoués  à  ses  entreprises  d'asservissement  uni- 
versel. 

Gomme  la  population  totale  des  États-Unis 
est  de  100  millions,  on  conçoit  aisément  quelle 
peut  être  la  puissance  de  10  à  15  millions  de 
Germano-Américains  systématiquement  orga- 
nisés dans  un  but  précis  par  rapport  à  85  ou 
90  millions  d'Américains  qui,  ne  se  méfiant  aucu- 
nement du  péril  pangermaniste,  n'ont  pris  contre 
leurs  concitoyens  d'origine  germaine  aucune 
espace  de  précaution  spéciale. 

C'est  cet  état  de  choses  tout  particulier  qui 
explique  la  situation  vraiment  étrange  dans 
laquelle  se  trouvent  les  États-Unis  depuis  l'éclat 


LE    PLATt    PANGRUMANISIK  307 

de  la  j,'uerTe  européenne.  Depuis  lors,  les 
Germano-Américains,  grâce  à  leurs  immenses 
moyens  d'influonce  et  d'action  préalablement 
préparés  ont  agi  sous  toutes  les  formes  et  avec 
une  audace  extraordinaire  pour  faire  le  jeu  alle- 
mand. Ainsi  l'ambassadeur  allemand,  le  comte 
Bernslorfl,  et  ses  attachés  militaires  von  Papen, 
Boy-Ed,  etc.,  ont  été  aidés  dans  leur  œuvre  de 
bouleversement  des  Étals-Unis  par  une  mul- 
titude d'espions  et  d'agents  germano-améri- 
cains. 

Pendant  les  premiers  mois  de  la  guerre,  la  pro- 
pagande allemande  extraordinairement  intense  a 
pu  assez  aisément  tromper  un«'  notable  partie  de 
l'opinion  américaine  sur  l;i  Ntritable  origine  et 
les  responsabilités  du  carnage  européen.  Puis  la 
guerre  se  prolongeant  et  les  Alliés  passant  des 
commandes  considérables  auxÉtats-Unis,  le  ser- 
vice de  l'espionnage  allemand  s'est  livré  à  une 
extraordinaire  série  d'attentats  afin  de  terroriser 
les  usiniers  américains  travaillant  pour  les  Alliés. 
Ces  violences,  combinées  avec  les  discussions 
byzantines  et  dilatoires  du  comte  Bernstorff  avec 
le  gouvernement  de  Washington,  avaient  pour 
objet  d'obtenir  que  les  États-Unis  interdisent 
aux  Alliés  d'armer  leurs  navires  de  commerce 
afin  de  pouvoir  se  défendre  contre  les  sous- 
marins  allemands,  de  persuader  aux  Américains 


308  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

que  le  blocus  de  l'Allemagne  par  l'Angleterre 
était  pratiqué  dans  des  conditions  contraires  aux 
règles  du  droit  international,  de  ralentir  ou 
d'empêcher  la  production  du  matériel  de  guerre 
destiné  aux  Alliés  et  enfin,  une  fois  que  les  prin- 
cipales occupations  pangermanistes  eurent  été 
réalisées  en  Europe,  de  tâcher  de  faire  intervenir 
le  président  Wilson  en  faveur  de  la  paix,  sous 
couleur  de  mettre  fm  à  la  tuerie  européenne,  in- 
tervention qui,  si  elle  se  fût  produite,  aurait  eu, 
en  réalité,  pour  résultat  pratique  de  faire  ouvrir 
des  négociations  de  paix  dans  des  conditions 
éminemment  favorables  aux  visées  annexion- 
nistes allemandes. 

Mais,  à  la  longue,  les  criminelles  violences  des 
Allemands  aux  États-Unis  ont  ouvert  les  yeux 
à  l'opinion  américaine  et  l'ont  progressivement 
soulevée.  Il  faut  bien  comprendre  que  c'est 
seulement  peu  à  peu  et  au  prix  de  grandes  diffi- 
cultés que  les  vrais  citoyens  des  États-Unis, 
enserrés  par  les  liens  de  la  formidable  organisa- 
tion allemande,  ont  pu  se  faire  sur  la  guerre  euro- 
péenne des  idées  conformes  aux  réalités.  Cette 
évolution  de  l'opinion  américaine  a  été  encore 
retardée  par  le  fait  qu'avant  la  guerre,  pour  des 
raisons  différentes,  les  pays  alliés  étaient  incon- 
testablement beaucoup  moins  estimés  aux  États- 
Unis  que    l'Allemagne  à   laquelle    son   intense 


LK    PLAN    PANdKRMANISTE  309 

aclivilé  commerciale,   industrielle,  scientifique, 
avait  valu  un  très  grand  prestige. 

Les  Américains  ne  connaissaient  guère  de  la 
Russie  que  les  entraves  dont  les  Israélites  de 
l'Empire  des  Tsars  se  plaignent.  Comme  beau- 
coup de  ceux-ci  ont  émigré  aux  États-Unis  et  y 
exercent  une  grande  influence  sur  la  presse,  ils 
y  entreli-naient  naturellement  le  contraire  de  la 
sympathie  pour  la  Russie.  Les  Irlandais,  sujets 
américains,  se  livraient  à  la  môme  tâche  contre 
l'Angleterre  à  laquelle  d'ailleurs  les  États-Unis 
avaient  dû  jadis  arracher  Tindépendance.  Quant 
à  la  France,  les  Américains,  sur  la  foi  d'obser- 
vations trop  superficielles,  la  considéraient 
comme  en  état  de  décadence  irrémédiable. 
L'éclatante  atrocité  des  prodigieux  crimes  alle- 
mands aux  États-Unis,  contre  les  passagers  non- 
belligérants,  contre  les  Belges,  contre  les  Serbes, 
les  Arméniens  et  la  magnifique  résistance  des 
Alliés  ont  finalement  bouleversé  tous  ces  points 
de  vue.  Les  préventions  des  Américains  contre 
la  Russie  et  l'Angleterre  se  sont  atténuées  dans 
une  très  large  mesure  et  l'attitude  si  noble,  si 
grandiose  du  peuple  de  France,  la  ténacité  et 
l'héroïsme  de  ses  soldats  ont  montré  que  la  France 
était  bien  loin  d'être  en  décadence.  Aujourd'hui 
on  peut  dire,  car  c'est  la  vérité,  que  la  France  a 
fini  par  conquérir  l'admiration  profonde  et  en- 


310  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

thousiaste  de  tous  les  citoyens  américains  vrai- 
ment indépendants.  Cette  évolution  progressive 
a  rendu  les  Américains  de  plus  en  plus  pro- Alliés. 

Mais  une  dernière  étape  reste  à  faire  par  l'opi- 
■nion  américaine,  elle  consiste  à  comprendre  de 
la  façon  la  plus  nette  que  la  victoire  de  l'Alle- 
magne signifierait  avec  certitude  la  fin  de  l'indé- 
pendance des  États-Unis.  Cette  étape  d'ailleurs, 
quelques  Américains  particulièrement  clair- 
voyants l'ont  déjà  franchie.  En  mars  1916,  le 
D'  Eliiot,  ancien  président  dé  l'Université  Har- 
vard et,  assure-t-on,  ami  intime  du  président 
Wilson,a  déclaré  dans  le  New  York  Times  :  «  Le 
moyen  le  plus  rapide,  le  plus  avantageux  et  le  plus 
siirpour  les  Américains  de  se  protéger  contre  une 
invasion  allemande  est  de  conclure  avec  la  France 
et  la  Grande-Bretagne  une  alliance  permanente 
offensive  et  défensive,  arjant  pour  objet  de  main- 
tenir la  liberté  des  mers  pour  les  Alliés  et  de 
s'opposer  à  tine  attaque  maritime  éventuelle... 
Il  est  temps  pour  tous  les  Américains  de  prendre 
ouvertement  parti  pour  les  peuples  européens  qui 
résistent  depuis  de  si  longs  mois  au  despotisme 
militaire  prussien.  »  (Cité  par  Le  Temps, 
15  mars  1916.) 

Le  D""  Eliiot  a  ainsi  posé  en  ses  termes  exacts 
et  complets  le  vrai  problème  que  les  Américains 
ont  à  résoudre.  On  voit  qu'il  dépasse  considéra- 


LE    PLAN    PANGKRMANISTK  314 

blemcnt  les  controverses  relatives  à  la  j^uerre 
sous-marine.  Il  ne  suffit  pas,  en  effet,  aux  Amé- 
ricains de  se  faire  les  défenseurs  du  droit  et  de 
la  justice  contre  la  barbarie  teutonne,  il  faut 
encore  çuiU  comprennent  que  le  maintien  de 
l'indépendance  des  Etats-Unis  dépend  absolument 
de  la  victoire  intégrale  des  Alliés  en  Europe.  Or 
ce  point  de  vue,  beaucoup  d'Américains  sont  tout 
près  de  radmelUe.  Ainsi  au  Garnejrie  Hall,  de 
New- York,  à  la  fin  de  mai  1916,  le  major  Put- 
nam  parlant  devant  3.000  adhérents  du  comité 
des  droits  américains,  a  provoqué  un  grand 
enthousiasme  en  demandant  la  participation 
immédiate  de  l'Amérique  à  la  guerre  aux  côtés 
des  Alliés.  Son  principal  argument  a  été  :  «  Si 
l'Allemagne  l'emporte  dans  cette  guerre,  sa  pro- 
chaine agression  sera  contre  notre  République,  » 
(Cité  par  Le  Temps,  22  mai  1916.) 

Mais  ces  idées  très  nettes,  impliquant  des 
mesures  positives  et  rapides,  ne  sont  encore  par- 
tagées que  par  une  minorité  d'Américains  mieux 
informés  que  les  autres. 

L'évolution  de  l'opinion  américaine  dominante 
sera  achevée  lorsque  considérant  l'ensemble  des 
faits  acquis  de  la  guerre,  à  la  fois  en  Amérique 
et  en  Europe^  elle  en  déduira  avec  netteté  les  for- 
midables conséquences  qu'auraient  pour  les 
États-Unis  une  victoire  allemande. 


312  LE   PLAN    PANGERMANISTE 

Cette  vue  d'ensemble  à  laquelle  parviendra 
vraisemblablement  bientôt  la  Grande  République 
américaine,  la  voici.  Elle  sera  nécessairement 
basée  sur  la  connaissance  exacte  du  plan  alle- 
mand à  l'égard  des  États-Unis,  plan  qui  d'ailleurs 
est  fort  ancien. 

En  1898,  devant  Manille,  le  contre-amiral 
allemand  von  Gœtzen,  ami  du  Kaiser,  disait  à 
l'amiral  américain  Dewey  :  «  Dans  environ 
quinze  ans,  mon  pays  commencera  sa  grande 
guerre...  Quelques  mois  après  que  nous  aurons 
fini  notre  tâche  en  Europe  nous  prendrons  New- 
York  et  probablement  Washington  et  les  garde- 
rons un  certain  temps.  Nous  n'avons  pas  l'inten- 
tion de  vous  prendre  des  territoires,  mais  seule- 
ment de  mettre  votre  pays  à  sa  place  en  ce  qui 
concerne  l'Allemagne.  Nous  tirerons  de  New- 
York  et  autres  villes  un  ou  deux  billions  de 
dollars .  »  (V .  Naval  and  Militari/  Record  cité 
par  VÉcho  de  Paris  du  24  septembre  1915.)  Ces 
paroles  furent  alors  prises  pour  une  fanfaronnade. 
Or  il  est  maintenant  incontestable  que  déjà  avant 
1898,  les  Allemands  de  Berlin  par  les  procédés 
rappelés  p.  304  ont  systématiquement  constitué 
aux  États-Unis  un  État  dans  l'État  qui  depuis 
fort  longtemps  mine  silencieusement  la  Grande 
République  américaine. 

Des  faits  récents  multiples  et  éclatants  :  près- 


LK    PLAN    PANGRRMANI9TE  :<i:< 

sioiis  {lolilick'iHies,  graves  monstres,  complots 
et  attentats  déclancliés  sur  l'ordre  d'agents  offi- 
ciels du  Kaiser,  von  Papen,  Boy  Ed,  von  Igel, 
ele.,  ont  pleinement  démontré  que  l'organisation 
allemande  aux  Etats-Unis  menace  leur  indépen- 
dance et  a  un  caractère  nettement  criminel  et  de 
trahison  organisée.  Une  phrase  d'une  lettre  du 
baron  de  Meysenbug,  consul  d'Allemagne  à  la 
Nouvelle-Orléans  du  4  décembre  1913  à  von 
Papen,  attaché  militaire  allemand  à  Washington 
et  organisateurdes  principaux  attentatsaux  Etats- 
Unis,  lettre  qui  fut  récemment  saisie  par  les 
Anglais, établit  qiif  .laus  la  penséedes  Allemands 
informés,  le  tour  des  Etats-Unis  doit  aussi  venir. 

«  Puisse  le  jour  des  règlements  de  comptes 
arriver  aussi  ici,  et  veuille  que  ce  jour-là,  notre 
gouvernement  ait  retrouvé  la  volonté  de  fer 
avec  laquelle  seulement  on  peut  faire  impression 
sur  ce  pays  ».  (Cité  par  Le  Temps,  17  janvier 
1916.) 

D'autre  part,  les  Américains  ne  peuvent  pas 
méconnaître  l'extrême  gravité  des  récentes 
manœuvres  pangermanistes  dans  les  Etats  de 
l'Amérique  du  Sud  particulièrement  en  Argen- 
tine, au  Brésil,  destinées  ultérieurement  à  deve- 
nir des  protectorats  allemands  et  au  Nicaragua, 
où  les  agents  du  Kaiser  ont  essayé  de  se  faire 
concéder  le  territoire  nécessaire  à  la  construc- 

18 


314  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

tion  d'un  canal  destiné  à  concurrencer  celui  de 
Panama.  Enfin,  fait  indéniable  d'une  menace 
plus  immédiate  encore,  il  y  a  peu  de  mois,  l'Alle- 
magne a  préparé  l'envahissement  militaire  du 
Canada  avec  la  complicité  de  ses  sujets  affublés 
de  la  nationalité  américaine.  Il  tombe  donc  sous 
le  sens  commun  que  si,  par  hypothèse,  les  Alliés 
succombaient  en  Europe,  l'Allemagne  devien- 
drait maîtresse  du  Canada  et  pratiquement 
dominerait  les  États-Unis.  La  série  extraordi- 
naire des  attentats  formidables  que  les  Germano- 
Américains  ont  déjà  pu  se  permettre  sur  le  sol 
de  la  Grande  République  américaine  démontre 
avec  évidence  que  l'indépendance  des  États- 
Unis  ne  serait  certainement  pas  compatible  avec 
l'existence  de  la  Pangermanie. 

Tout  cela,  on  s'en  rend  plus  ou  moins  nette- 
ment compte  aux  États-Unis,  mais  où  l'opinion 
américaine  demande  encore  à  être  éclairée, 
c'est  sur  l'immense  danger  que  comporterait 
pour  les  Etats-Unis  le  redoutable  piëge  berli- 
nois dit  de  «  La  Partie  Nulle  »,  la  plus  dange- 
reuse machination  que  les  Allemands  tiennent 
en  réserve.  Comme  beaucoup  d'Alliés  n'ont 
pas  encore  compris  l'énorme  péril  d'une  Alle- 
magne cédant  momentanément  à  l'est  et  à  l'ouest 
pour  s'emparer  définitivement  de  l'Europe  cen- 
trale, des  Balkans  et  de  la  Turquie,  il  est  tout 


LE    PLAN    PANGËRMANISTE  315 

naluicl  (jue  les  Américains  n'aient  point  encore 
«'xacteinent  «  réalisé  »  la  portée  colossale  du 
coup  éventuel  île  «  la  partie  nulle  ». 

La  carte  de  la  page  KKi  permet  de  saisir  (juel 
en  serait  le  considérable  danger  au  point  ée  vue 
américain.  Comme  je  l'ai  exposé  au  chapitre  V, 
la  prétendue  «  partie  nulle  »,  en  permettant  à 
l'Allemagne  de  réaliser  le  Hambourg-Golfe  Per- 
sique,  assurerait  au  gouvernement  de  Berlin  les 
moyens  de  mettre  la  main  progressivement  sur 
tous  les  points  stratégiques  maritimes  essentiels 
qui  commandent  les  mers  de  l'Univers.  11  en 
résulterait  pour  les  États-Unis  cette  conséquence 
que  la  puissance  des  intrigues  allemandes  dans 
l'Amérique  du  Sud,  au  Canada,  et  partant  aux 
Étals-Unis  serait  considérablement  accrue  du 
fait  de  la  détention  par  le  gouvernement  de 
Berlin  des  moyens  maritimes  de  la  domination 
universelle. 

Il  est  infiniment  regrettable  que  le  si  distin- 
gué amiral  américain  Mahan  n'existe  plus.  Si  je 
me  base  sur  son  livre  puissant.  Vintérêt  de 
VAtiiênque  dam  le  Pouvoir  de  Mer  présent  et 
futur  dont  M.  Jeanizoulet  ajadis  si  remarqua- 
blement exposé  la  substance,  je  ne  crois  pas  trop 
m'avancer  en  disant  que  l'amiral  Mahan,  s'il 
vivait  encore,  résumerait  ainsi,  aprës  étude  de  la 
situation  d'ensemble,  la  ligne  de  conduite  que 


316  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

le  gouvernement  de  Washington  doit  adopter  à 
l'égard  de  la  guerre  européenne.  L'amiral  Mahan 
dirait  sans  doute  à  ses  compatriotes  :  A  aucun 
prix^  sous  aucun  prétexte  y  les  États-Unis  ne  doi- 
vent penne  tt?'e  à  r Allemagne  de  réaliser  le  Ham- 
bourg-Golfe Persique  en  raison  de  ses  répercus- 
sions maritimes  universelles.  Puisque  l'unique 
et  plus  sûre  garantie  à  prendre  contre  cette 
réalisation  existe  seulement  en  Europe  centrale 
[V.  p.  205),  les  États-Unis  se  trouvent  avoir  un 
intérêt  absolument  direct  à  la  solution  de  la  Ques- 
tion d' Au  triche- Hong  rie  sur  la  base  du  principe 
des  nationalités,  cette  solution  étant  par  surcroit 
indispensable  pour  assurer  à  /'  Univers  la  fin  du 
péril  pangermaniste  et  des  grands  armements. 

Donc,  si  Ton  tient  compte  de  cet  ensemble, 
on  arrive  à  constater  qu'en  dehors  de  toute 
question  d'humanité  et  de  justice,  les  États- 
Unis  ont  un  intérêt  absolument  vital,  non  pas 
seulement  à  la  victoire  relative  des  Alliés  en 
Europe,  mais  à  leur  victoire  intégrale.  Il  est 
désirable  que  cette  vérité  soit  admise  le  plus  tôt 
possible,  car  alors  les  mesures  que  le  gouverne- 
ment de  Washington  ne  manquerait  pas  de 
prendre  hâteraient  singulièrement  la  fin  du  car- 
nage européen. 

Ces  mesures  éventuelles,  le  simple  bon  sens 
permet  de  les  entrevoir. 


LK    PLAN    PANGEKMANISTE  UT 

De  toute  évidence,  l'expédition  au  Mexicjue 
conslitue  un  IriKjuenard  allemand  ;  les  États- 
Unis  ont  donc  tout  intérêt  à  attendre  la  fin  de  la 
guerre  européenne  avant  de  s'y  engager  plus 
avant.  D'autre  part,  le  fait  que  les  Alliés  en 
Europe  tiennent  F  Allemagne  à  la  gorge  cons' 
titue  une  occasion  exceptionnelle  que  le  gouver- 
nement de  Washington  devrait  utiliser  pour 
opérer  au  plus  vite  la  destruction  qui  s'impose  de 
l'organisation  criminelle  et  parasitaire  que  les 
Germains  ont  pu  créer  sur  le  sol  des  États-Unis. 
Arrêter  leurs  chefs  coupables  d'incitations  à  la 
trahison  et  à  des  crimes  de  droit  commun, 
quelle  que  soit  leur  situation  sociale  et  de  for- 
tune, anéantir  les  associations  qui  ne  sont  que 
des  agences  du  gouvernement  de  Berlin  sont  des 
tâches  que  les  Américains  ont  le  plus  grand 
intérêt  à  accomplir  sans  délai. 

Il  est  clair  encore  que  quand  les  États-Unis 
seront  entièrement  conscients  des  réalités,  ils 
admettront  que  leur  intérêt  le  plus  strict  leur  fait 
un  devoir  de  donner  aux  Alliés  le  concours 
matériel  le  plus  complet  puisque  leur  victoire 
intégrale  sur  l'Allemagne,  seule,  pourra  ga- 
rantir l'indépendance  absolue  future  des  Etats- 
Unis. 

Dans  le  domaine  financier,  les  États-Unis 
peuvent  offrir  aux  Alliés  des  facilités  de  crédit 


318  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

infinies  qui  leur  seraient  particulièrement  pré- 
cieuses. 

M.  Guthrie,  vice-président  du  comité  de 
France-Amérique  à  New- York  a  ainsi  exposé  la 
manière  à  la  fois  délicate  et  ingénieuse  d'après 
laquelle  les  États-Unis  pourraient  et  devraient, 
selon  lui,  prêter  leur  concours  financier  à  la 
France. 

«  L'historien  Parkins,  dit  M.  Guthrie,  déclare 
que  le  montant  des  dépenses  de  la  France  pour 
libérer  l'Amérique  s'est  élevé  à  772  millions  de 
dollars...  De  cette  énorme  dépense,  qui  a  ruiné 
le  Trésor  royal,  pas  un  sou  n'a  été  remboursé  à 
la  France.  Elle  ne  l'a  jamais  réclamé,  et  elle  en 
refuserait  fièrement  aujourd'hui  le  rembourse- 
ment en  nous  rappelant  qu'elle  avait  stipulé  dans 
le  traité  d'alliance  du  6  février  1778  qu'elle  ne 
recevrait  aucune  indemnité  pour  sa  coopération 
et  ses  sacrifices...  Ce  traité  était  sans  précédent 
en  générosité  dans  l'histoire  du  monde...  Ne 
serait-il  pas  souverainement  juste  si  le  peuple 
américain,  cent  trente- quatre  ans  après  la 
bataille  de  Yorktown,  reconnaissait  ce  service, 
—  je  me  refuse  à  l'appeler  dette,  —  en  offrant 
au  peuple  français  un  crédit  commercial  du 
principal,  c'est-à-dire  772  millions  de  dollars, 
remboursable  quand  la  France  le  pourrait  ?  Ce 
ne  serait  que  l'équivalent  d'une  contribution  de 


LB    l'LAN    PANUERMANISTE  3(9 

7  dollars  d  demi  pour  chaque  citoyen  des  Ëtat8< 
Unis,  bien  moins  que  l'impôt  qui  a  été  payé 
volontairement  et  do  bon  cœur  par  le  peuple 
franc^ais  au  xviii"  siècle  pous  nous  aider.  Quelle 
noblesse,  quelle  gloire,  quelle  splendeur  de  cœur, 
d'ànie  et  d'esprit  si  les  grands  banquiers  araé- 
ricaids  avaient  pu  proclamer  au  monde  qu'ils 
avaient  eux-niômes  fixé  le  chiffre  de  772  mil- 
lions en  reconnaissance  du  passé  ».  (V.  Revue  du 
X VII r  siècle,  j anvier-avr il  1 9 16.) 

Dans  le  domaine  des  munirions  etdu  matériel 
de  guerre,  les  Étals-Unis  pourraient  évidemment 
encore  intensifier  leur  effort.  Enfin,  comme  on 
la  déjà  dit,  les  États-Unis  seraient  à  même  de 
fournir  aux  Alliés  des  hommes  puisque  cette 
guerre  sans  précédent  en  exige  des  quantités  si 
grandes.  Mais,  comme  on  sait,  les  États-Unis 
n'ont  pas  de  grande  armée  et  il  n'est  pas  certain 
qu'ils  désireraient  ou  pourraient  rapidement  en 
improviser  une.  Une  solution  beaucoup  plus 
simple  permettrait  aux  États-Unis  de  fournir 
vite  aux  Alliés  un  concours  en  hommes  fort 
appréciable.  Ce  serait  que  le  gouvernement  de 
Washington  donnât  la  faculté  aux  citoyens  amé- 
ricains qui  le  voudraient  de  s'engager,  sous  une 
forme  spéciale  à  déterminer,  dans  les  armées 
alliées.  Or,  non  seulement  des  Américains  de 
langue  anglaise  seraient  heureux  de  venir  com- 


320  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

battre  les  barbares  teutons,  mais,  ce  qu'on  ne  sait 
pas  assez,  il  existe  parmi  les  citoyens  améri- 
cains des  millions  de  Slaves  qui  ont  émigré 
jadis  d'Autriche-Hongrie  et  des  Balkans.  Ces 
Slaves  américains  sont  ardemment  pro- Alliés  et 
maintes  fois  dans  les  derniers  mois,  ouvriers 
dans  les  usines  américaines  de  munitions,  ils 
ont  fait  échouer  les  attentats  allemands.  Or, 
vraisemblablement,  quelques  centaines  de  mille 
de  ces  Slaves  viendraient  volontiers  combattre 
en  Europe  pour  concourir  à  la  libération  de 
r Autriche-Hongrie  et  des  Balkans  leurs  pays 
d'origine  dont  ils  ont  dû  jadis  s'expatrier  en 
raison  de  l'hégémonie  germano-magyare.  On 
voit  donc  que  sous  cette  forme  d'engagements 
spéciaux,  les  États-Unis  pourraient  très  vile  con- 
tribuer en  hommes  à  la  lutte  en  Europe,  sans 
cependant  se  donner  l'énorme  souci  de  créer  une 
grande  armée. 

Ces  divers  concours  américains  éventuels 
précipiteraient  évidemment  le  cours  des  événe- 
ments. Il  est  cependant  raisonnable  de  les  con- 
sidérer comme  possibles,  puisque  c'est  bien 
réellement  l'indépendance  des  États-Unis  que  la 
victoire  allemande  mettrait  en  cause. 


CONCLUSIONS 

LES  DÉMONSTRATIONS  FAITES  AD  COURS 

DES  NEUF  CHAPITRES  PRÉCÉDENTS  SEMBLENT 

AUTORISER  LES  CONCLUSIONS  SUIVANTES 


La  réalisation  momentanée  du  plan  pangermaniste 
dans  la  proportion  des  neuf  dixièmes,  conformément 
au  programme  de  1911.  constitue  la  preuve  des  men- 
songes répandus  par  la  propagande  allemande  sur  la 
cause  et  les  auteurs  responsables  de  la  guerre. 

La  mobilisation  intellectuelle  de  TAUemagne 
aussi  puissamment  organisée  et  réalisée  que  sa 
mobilisalion  mililaire  lui  a  permis  d'imposer  à 
beaucoup  de  neutres  de  T  Univers  les  opinions 
les  plus  fausses  sur  les  responsabilités  de  l'éclat 
et  de  la  prolongation  de  la  guerre.  On  ne  se 
rend  pas  encore  suffisamment  compte  chez  les 
Alliés  à  quel  point  cette  propagande  allemande 
leur  a  été  préjudiciable  et  quels  dangers  elle 
continue  à  comporter  pour  la  conduite  de  la  lutte 
et  la  conclusion  de  la  paix. 

Cette  propagation  allemande  a  d'autant  mieux 


322  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

réussi  que,  forL  longtemps,  elle  ne  s'est  heurtée 
nulle  part  à  aucune  contre-propagande  sérieuse 
des  Alliés.  Ceux-ci,  en  effet,  confiants  avec  can- 
deur en  la  justice  de  leur  cause  selon  eux  évi- 
dente, n'ont  procédé  à  aucune  mobilisation 
intellectuelle  véritable.  Ce  n'est  que  tout  récem- 
ment qu'on  a  commencé  chez  les  Alliés  à  orga- 
niser la  propagande  nécessaire  et  légitime  à 
faire  à  l'étranger  ;  des  progrès  sérieux  semblent 
d'ailleurs  devoir  se  réaliser  dans  cette  voie. 

Six  arguments  essentiels  ont  servi  à  la  propa- 
gande allemande. 

1°  L'Allemagne  est  contrainte  de  soutenir  la 
guerre  pour  résister  à  une  coalition  traîtreuse- 
ment nouée  par  l'Angleterre.  L'Allemagne,  pays 
d'activité  intellectuelle  scientifique  et  écono- 
mique, obligée  de  lutter  pour  son  existence, 
mérite  donc  les  sympathies  de  l'Univers. 

2°  Si  les  neutres  sont  gravement  lésés  par  la 
guerre  et  sa  prolongation,  la  responsabilité  en 
incombe  aux  Alliés  qui  veulent  anéantir  le 
peuple  allemand.  Les  neutres  doivent  donc  s'en- 
tendre et  faire  pression  sur  les  Alliés  pour  que 
ceux-ci  s'inclinant  devant  la  victoire  allemande, 
la  paix  puisse  être  vite  rétablie. 

3"  Pour  hâter  ce  résultat,  les  neutres  et  notam- 
ment les  États-Unis  doivent  s'opposer  au  blocus 
maritime  que  l'Angleterre  exerce  dans  des  con- 


LK    PLAN    PANGEBMANISTE  M6 

(lilions  discutables  au  point  de  vue  du  «Iroit 
international.  En  refusant  de  livrer  des  muni- 
lions  aux  Alliés,  les  Etats-Unis  mellronl  fin  à  la 
tuerie  et  serviront  ainsi  la  cause  de  riiumanilé. 

4°  L'Allemagne  est  en  réalité  conciliante,  elle 
ne  veut  qu'une  juste  paix.  «  Nous  Allemands, 
déclarait  M.  de  Belhmann-Ilollweg,  le  H  dé- 
cembre 1915,  nous  ne  voulons  pas  opposer  les 
peuples  les  uns  aux  autres  ;  au  contraire,  cha- 
i  un  prendra  part  au  travail  pacifique  commun  et 
aux  progrès  des  nations.  » 

5°  Les  neutres  doivent  d'autant  plus  aider 
l'Allemagne  que  celle-ci  combat  pour  assurer  à 
tous  la  liberté  des  mers  actuellement  détenue 
par  l'odieuse  Angleterre.  Le  Berliner  Tageblatt 
(cité  par  Le  Matin  du  18  février  1916)  n'a  même 
pas  craint  d'affirmer  que  le  Hambourg-Golfe 
Persique  assurerait  à  tous  les  peuples  la  liberté 
maritime. 

«  Si  la  mission  économique  de  l'Allemagne  est 
de  garder  libre  la  route  qui  mène  par  l'Europe 
centrale,  de  la  mer  du  Nord  en  Asie  Mineure,  et 
de  la  rendre  de  plus  en  plus  accessible  dans 
l'intérêt  de  tous  ceux  qui  habitent  sur  son  par- 
cours, de  cette  mission  même  découle  notre 
intérêt  vital  également  sur  la  mer,  dont  la  route 
continentale  en  Europe  centrale  n'est  que  la 
continuation.  Notre  intérêt  exige  que  la  mer  soit 


324  LE    PLAN   PANGERMANISTE 

libre  de  l'hégémonie  d'un  seul  peuple,  libre  pour 
toute  concurrence  honnête.  » 

6°  Les  Alliés  ont  prétendu  qu'ils  faisaient  la 
guerre  à  l'Allemagne  en  raison  de  notre  viola- 
tion de  la  neutralité  de  la  Belgique.  Ce  prétexte 
moral  élevé  ne  sert  qu'à  dissimuler  leurs  hypo- 
crites convoitises  ;  les  Alliés  n'ont  rien  à  repro- 
cher à  l'Allemagne  puisqu'ils  ont  eux-mêmes 
violé  la  neutralité  de  la  Grèce. 

Assurément  ces  arguments  essentiels,  base  de 
la  propagande  allemande,  paraissent  aux  Alliés, 
qui  ne  peuvent  avoir  aucun  doute  sur  le  carac- 
tère prémédité  de  l'agression  allemande,  cons- 
tituer des  mensonges  «  kolossaux  »  aussi  ab- 
surdes que  cyniques  ;  mais  il  faut  bien  com- 
prendre que,  répétés  inlassablement  sous  toutes 
les  formes,  soit  à  des  neutres  européens  à  ten- 
dances germanophiles,  soit  à  des  neutres  d'Amé- 
rique ou  d'Asie,  qui  forcément  n'ont  que  des 
idées  fort  confuses  sur  les  affaires  si  compliquées 
de  l'Europe,  ces  arguments  ont  cependant  per- 
mis aux  Allemands  de  causer  aux  Alliés  de 
graves  préjudices  aux  répercussions  morales, 
économiques  et  militaires.  Les  Alliés  ont  donc 
un  intérêt  majeur,  pour  la  conduite  ultérieure 
de  la  lutte,  à  anéantir  le  plus  vite  possible  touâ 
les  effets  de  la  propagande  allemande  univer- 


LE    PLAN    PANr.RRMANlSTK  3% 

sfUe.  Or  c'est  ce  rêsullat  cornidérahle,  coriimc 
on  le  constatera  plus  loin,  17»/^  la  réaltMition 
momen/anêfi  du  /ilan  pan  germaniste  permettrait 
aux  gouverne  ment  a  alliés,  s'ils  le  veulent,  d'at- 
teindre très  rapidement. 

Le  Pangermanisme  et  ses  dangers  éventuels 
sont  assez  bien  connus  chez  certains  neutres, 
mais  cest  encore  d'une  façon  vague,  sans  cette 
précision  absolue  et  cette  notion  du  péril  immé- 
diat gui  déterminent  les  fortes  convictions  et  les 
actions  rapides.  Il  est  aisé  de  comprendre  que 
si  le  plan  pangermaniste  de  19H  a  été  ignoré, 
dans  sa  précision  et  son  étendue,  jusqu'à  une 
date  toute  récente,  dans  les  pays  alliés,  cepen- 
dant les  plus  intéressés  à  le  connaître,  ce  plan 
néfaste  d'asservissement  universel  est  encore 
presque  totalement  ignoré  dans  les  pays  neutres 
dans  son  ensemble  et  sa  complexité.  Or,  la  réa- 
lisation momentanée  du  plan  pangermaniste  en 
Europe  dans  l'énorme  proportion  des  neuf 
dixièmes  met  les  Alliés  en  possession  d'argu- 
ments de  fait  indiscutables  ctune  extrême  puis- 
sance démonstrative  qui  donnent  mtx  Alliés  les 
moyens  de  détruire  vite  et  partout  V effet  encore 
subsistant  des  mensonges  allemands  et  de  mon- 
trer le  danger  que  le  Pangermanisme  fait  courir 
à  tous  les  Etats  civilisés. 

Pour  obtenir  ce  résultat,  il  suffirait  que  la  pro- 

19 


326  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

pagande  des  Alliés  qui  commence  à  s'organiser 
fût  unifiée  et  basée  essentiellement  sur  un  petit 
nombre  d'arguments  positifs  tirés  des  réalisa- 
tions pangermanisles  actuelles  qiii  permettraient 
de  démontrer  à  tous  la  lointaine  préméditation, 
donc  la  responsabilité,  de  r  Allemagne,  et  le  plan 
de  do?nination  universelle  qu'elle  poursuit. 

Cette  propagande  des  Alliés  devrait  être  assise 
sur  la  preuve  matérielle  indiscutable  qui  résulte 
de  la  superposition  géographique  presque  absolue , 
sur  le  plan  de  19il,  des  occupations  pangerma- 
nistes  systématiquement  réalisées  par  l'Alle- 
magne au  cours  de  la  guerre. 

La  carte  ci-contre  exprime  graphiquement 
cette  vérité  incontestable  en  montrant  la  position 
des  contours  de  la  forteresse  allemande  actuelle 
par  rapport  aux  limites  préves  du  plan  panger- 
maniste  de  19il.  Les  conquêtes  et  mainmises 
allemandes  correspondantes  à  ce  plan  devaient 
s'étendre,  en  plus  de  l' Allemagne  actuelle,  sur 
3.474.288  kilomètres  carrés.  Or  celles-ci  au 
début  de  1916  étaient  réalisées  sur  une  super- 
ficie de  3.035.572  kilomètres  carrés.  Cette  preuve 
géographique  est  confirmée  par  les  multiples 
manifestations  annexionnistes  d'outre-Rhin,  no- 
tamment par  : 

1°  Le  fameux  mémoire  du  20  mai  19i5  que  le 
Chancelief  de  l'Empire  s'est  fait  remettre  par 


LE    PLAN    PANGERMANISTE 


327 


les   plus   imporlanlos   associations   allemandes. 
(V.  p.  47.) 


I 


2°  La  volonté  manifeste  qu'a  l'Allemagne  de 
s'emparer  successivement  de  Riga,  de  Calais,  de 


328  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

Verdun,  de  Beifort  et  de  Saleyiiique,  afin  préci- 
sément de  compléter  le  plan  de  1911  en  s'empa- 
rant  des  points  stratégiques  nécessaires  à  la 
conservation  des  territoires  qu'il  eng^lobe. 

3°  Les  déclarations  faites  le  5  avril  1916  au 
Reichstag  par  le  Chancelier  de  l'Empire,  M.  de 
Bethmann-Hollweg,  déclarations  qui  donnent  à 
la  preuve  géographique  une  force  démonstrative 
péremptoire. 

Pour  tout  esprit  droit,  ces  déclarations  cons- 
tituent, en  effet,  un  aveu  officiel  de  la  volonté 
de  TAllemagne  de  réaliser  le  plan  pangerma- 
niste.  Ces  phrases  du  Chancelier  de  Guillaume  II 
ne  laissent  place  à  aucune  ambiguïté  : 

«  Après  la  guerre,  la  Pologne  ne  sera  plus  la 
même  Pologne  que  l'usurier  russe  a  quittée... 
Non.  La  Russie  ne  doit  pas  pouvoir,  encore  une 
fois,  faire  avancer  ses  armées  vers  la  frontière 
non  protégée  de  la  Prusse  orientale,  de  la 
Prusse  occidentale.  [Tempête  d'applaudisse- 
ments)... 

«  On  ne  s'imaginera  pas  davantage  qu'à 
l'ouest  nous  abandonnerons,  sans  avoir  des 
garanties  sûres  pour  l'avenir,  le  pays  où  a  coulé 
le  sang  de  notre  peuple.  Nous  voulons  créer  des 
garanties  réelles,  afin  que  la  Belgique  ne  de- 
vienne pas  un  État  vassal  de  l'Angleterre  et  de 
la  France  et  ne  soit  pas  transformée  en  ouvrage 


I.K    M.AN    PANUKMMAMSTK  »29 

iivaiuo  (  (»u^.i•e  l'AHwimgne,  taiil  au  point d<*  vue 
niililairo  qu'au  poirèl  do  vue  éconoroique.  »  {Vifs 
a/j/jlaudissements.)  (Cité  par  L^  Temps,  8  avril 

Le  Chancelier  du  Kaiser  ne  pouvait  affirmer 
plus  ne4tenient  les  prétentions  ti'rritoriales  de 
l'Alleinagno,  à  Test  et  à  l'ouest.  Quant  à  celles 
visant  le  sud  et  le  sud-est  et  r«''sultanl  de  la 
mainmine  de  l'Allemagne  surrAutriche-Uongrie, 
la  Bulgarie,  la  Serbie  et  la  Turquie,  M.  de  Beth- 
inann-IIolKveg  n'y  a  fait  aucune  allusion.  Ce 
silence  s'explique.  D'abord,  on  ne  peut  évidem- 
ment pas  attendre  du  Chancelier  de  Guillaume  II 
l'aveu  précis  du  véritable  cambriolage  que 
I  Allemagne  a  fait  des  territoires  de  ses  propres 
alliés  ;  ensuite,  à  Berlin,  on  affecte  de  considérer 
les  mainmises  allemandes  au  sud  et  au  sud-est 
comme  définitives,  donc  en  dehors  de  toute  dis- 
cussion. 

D'ailleurs,  le  député  Spahn,  le  leader  du 
centre,  qui,  le  o  ayril  1916  comme  le  11  décembre 
1915,  s'est  chargé  de  donner  la  réplique  au 
Chancelier  et  de  dire  plus  nettement  ce  que  la 
fonction  officielle  de  celui-ci  l'obligeait  à  sous- 
enlendre,  n'a  laissé  aucun  doute  au  sujet  des 
vues  de  l'Allemagne  sur  l'Europe  centrale. 

«  Nous  devons  créer^  dit  M.  Spahn,  une  vie 
commune  et  durable  avec   l' Autriche-Hongrie . 


330  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

Nous  devons  disposer  de  territoires  plus  considé- 
l'ables  que  celui  de  l'Empire  d'Allemagne.  Cette 
guerre  qu'on  nous  a  imposée  doit  nous  assurer 
une  situation  de  puissance  mondiale.  »  (V.  Le 
Temps,  7  avril  1916.) 

Ainsi  donc  toutes  les  preuves  matérielles  et 
morales  indiscutables  existent  qui  permettent 
d'établir  sans  contestation  possible  que  FAlle- 
magne  a  fait  et  continue  la  guerre  pour  réaliser 
le  plan  pangermaniste  élaboré  de  1895  à  1911. 


II 

Les  Alliés  peuvent  se  servir  de  la  preuve  des  men- 
songes allemands  résultant  de  la  réalisation  momen- 
tanée du  plan  pangermaniste  de  1911  dans  la  pro- 
portion des  9;10'  pour  anéantir  rapidement  et  partout 
les  effets  de  la  propagande  allemande  et  établir  de- 
vant l'univers  civilisé  la  légitimité  et  la  nécessité  de 
leur  action  militaire  contre  l'Allemagne  prussianisée. 

En  partant  des  preuves  matérielles  et  des 
déclarations  allemandes  indiscutables  plus  haut 
exposées  la  propagande  des  Alliés  permettrait  de 
démontrer  très  vite  aux  neutres  la  fausseté 
absolue  des  affirmatiens  allemandes,  donc  que  : 

1°  L'Allemagne  a  fait  la  guerre  avec  une  très 
longue  préméditation,  uniquement  pour  réaliser 
le  plan  pangermaniste  de  1895-1911  dont  l'objet 
est  de  réaliser  de  formidables  conquêtes  et  d'asser- 


LL    l'L.V.N    l'ANtiEUMANISTE  331 

vir  en  Europe  et  en  Turquie  au  joug  de  77  mil- 
lions d'Allemands,  127  millions  de  non-Alle- 
mands. (V.  p.  43.) 

2°  Si  la  guerre  dure  c'est  uniquement  parce 
(jue  rAlleinagno,  n'a  pas  renoncé  à  son  plan  de 
(lominalioii  universelle. 

3"  En  prétendant  réaliser  le  Hambourg-Golfe 
Porsique,  l'Allemagne  n'a  nullement  pour  but 
d'assurer  au  monde  la  liberté  des  mers,  selon 
l'Ile  confisquée  par  l'Angleterre;  au  contraire  le 
gouvernement  de  Berlin  prétend,  par  l'effet  des 
conséquences  inéluctables  de  Hambourg-Golfe 
Persique,  s'emparer  de  tous  les  points  stratégi- 
ques maritimes  essentiels  du  globe.  (V.  p.  173.) 

4°  En  raison  de  ces  conséquences,  la  réalisa- 
tion du  Hambourg-Golfe  Persique  menacerait 
directement  l'indépendance  de  tous  les  pays 
civilisés  de  l'Univers  et  notamment  du  Japon,  des 
États  de  l'Amérique  du  Sud  et  des  États-Unis. 

Ir  Aucune  assimilation  n'est  possible  à  faire 
entre  la  violation  de  la  neutralité  de  la  Belgique 
par  l'Allemagne  et  l'installation  des  Alliés  à 
Salonique. 

Les  Alliés  ne  sont  pas  allés  en  Grèce  pour 
s'emparer  du  pays  comme  les  Allemands  Tout 
fait  pour  la  Belgique.  Les  Alliés  sont  allés  en 
Grèce  pour  secourir  leur  alliée  la  Serbie,  qui 
était  d'ailleurs  l'alliée   de   la  Grèce,    et   mettre 


332  LE    PLAN    PANGËRMANISTE 

obstacle  au  cambriolage  de  rAutriche-Hongrie, 
des  Balkans  et  de  la  Turquie  par  les  Panger- 
manistes.  Les  traités  qui  donnent  à  la  Turquie, 
à  la  France,  à  l'Angleterre  et  à  la  Russie  le 
droit  de  protéger  la  constitution  hellénique,  si 
profondément  atteinte  du  fait  des  influences 
allemandes  à  Athènes  sufBsent,  en  droit  inter- 
national, à  justifier  la  présence  des  Alliés  en 
Grèce.  Mais  il  faut,  en  outre,  mettre  en  évidetice 
qu'ils  s'y  trouvent  encore  en  vertu  du  droit  supé- 
rieur de  sauvegarder  la  liberté  collective  des 
nations.  Une  comparaison  permettra  de  bien 
saisir  ce  point  de  vue  dont  l'exposé  est  peut-être 
nouveau.  D'après  le  droit  civil,  la  propriété 
privée  est  inviolable.  Mais  celui  qui,  passant 
devant  un  jardin  dans  lequel  le  droit  de  pro- 
priété lui  interdit  de  pénétrer,  voit  de  l'autre 
côté  de  ce  jardin  un  apacbe  en  train  d'assas- 
siner un  passant  pour  le  voler,  a  le  droit  moral 
et  même  le  devoir  absolu  de  traverser  ce  jardin 
pour  aller  au  secours  de  son  concitoyen  en  péril 
de  mort.  Il  n'est  pas  un  tribunal  au  monde  qui 
reprochera  au  bon  et  courageux  citoyen  d'avoir 
violé  une  propriété  privée  pour  porter  secours 
à  son  semblable.  Or,  c'est  exactement  l'état 
d'esprit  qui  a  amené  les  Alliés  à  Salonique.  Ils 
passent  par  la  Grèce  pour  saisir  à  la  gorge 
l'apache  pangermanistequi  cambriole  l'Autriche- 


LK    PLAN    PAMGERMANISTK  333 

lloiip^ric,  les  Hiilkaus,  l;i  Tur(jui«',  ijui  ain'aiilil 
tlans  ces  pays,  par  iiiiLlions,  les  populations 
civiles  antigerinaniques,  qui,  sans  hésiter  devant 
les  crimes  les  plus  atroces,  prétend  se  saisir 
(rimiuenses  richesses  et  s'assurer  leur  conser- 
vation par  la  mainmise  sur  le  Vienne-(îolfe 
Persique,  laquelle  donnerait  à  la  Pangermanie 
les  moyens  de  maintenir  sa  domination  uni- 
verselle. (V.  p.  173.) 

Or,  comme  mes  lecteurs  ont  pu  le  constater, 
pour  faire  ces  démonstrations,  en  raison  précisé- 
ment de  la  réalisation  momentanée  «lu  plan 
pan<j:ermaniste,  les  arguments  indisculaM.s  de 
fait,  de  chiffres,  de  géographie  et  d'ethnographie 
abondent.  Ces  arguments  irrt^fatables  sont  donc 
ceux  qui  peuvent  le  mieux  faire  grande  impres- 
sion sur  les  neutres  puisqu'ils  sont  de  nature  à  la 
fois  à  toucher  leurs  sentiments  élevés  et  à  mettre 
en  évidence  que  leurs  propres  ititéréts  sont  en 
péril.  Si  la  propagande  unifiée  des  Alliés  veut 
se  servir  de  ces  arguments  avec  méthode,  bien 
vite  les  répercussions  morales,  économiques  et 
militaires  dont  la  propagande  allemande  a  in- 
contestablement fait  bénéficier  T  Allemagne 
seraient  anéanties  et  ce  sont  les  Alliés  qui,  juste- 
ment cette  fois,  s'assureraient  des  bénéfices 
analogues  qui  hâteraient  la  Victoire. 


33i  LE    PLAN    PANGERMANISÏE 


III 


Les  Alliés  désormais  et  les  Etats  neutres  doivent  avoir 
en  constante  considération  non  pas  seulement  les 
occupations  allemandes  à  l'est  et  à  l'ouest  mais  l'en- 
semble des  occupations  pangermanistes  de  l'Alle- 
magne. 

La  carte  ci-contre  justifie  cette  conclusion.  Il 
est  évident  que  les  occupations  allemandes  à 
Touest  et  à  l'est,  si  importantes  qu'elles  soient, 
sont  relativement  petites  par  rapport  aux  énormes 
mainmises  que  l'Allemagne  a  réalisées  aux  dé- 
pens de  rAutriche-Hong-rie,  de  la  moitié  des 
Balkans  et  de  la  Turquie.  Or  il  faut  bien  com- 
prendre qu'en  fait  ces  pays,  notamment  l'Autriche- 
Hongrie,  quoique  alliés  de  l'Allemagne,  sont 
aussi  effectivement  sous  l'hégémonie  germanique 
que  le  sont  la  Belgique,  la  Pologne  ou  les  dépar- 
tements français  envahis.  Il  y  a  donc  lieu 
de  ne  pas  distinguer  entre  les  occupations  pan- 
germanistes  réalisées  par  l'Allemagne  aux  dépens 
d'ennemis  directs  (France,  Russie),  et  celles 
effectuées  par  la  trahison  du  gouvernement  de 
Berlin  aux  dépens  de  ses  propres  alliés  comme 
l'Autriche-Hongrie. 

Ce  que  les  Alliés  et  les  États  neutres  ont  à  con- 
sidérer, c'est  r ensemble  des  occupations  panger- 
manistes allemandes  afin  de  discerner  celles  de 


I.K    i'LAN    PANUfclUMAMSTK 


iiaii 


nature  à  hou  le  verser  les  rapports  généraux  des 
forces  dans  le  monde  et  à  déterminer  par  consé- 
quent r hégémonie  allemande. 


LES  OCCUPATIONS  PANGERMANISTES  AU  DEBUT  DE  1916 


Pelrograd 


nùnopte 


-y-:f 


Or,  il  est  indubitable  que  le  jour  oii  TAUe- 
magne  renoncerait  à  ses  occupations  à  l'est  et  à 
l'ouest  en  maintenant  ses  mainmises  au  sud  et 
au  sud-est,  sa  puissance  serait  formidablement 
accrue  par  rapport  à  ce  qu'elle  était  avant  la 
STuerre.  Ce  serait  donc  là  une  incontestable  et 
énorme  victoire  pour  le  Pangermanisme.  La 
carte  schématique  ci-dessus  symbolise  matériel- 
lement cette  vérité.  De  Berlin  partent  les  rayons 


336  LE    PLAN    PANGERMANISTË 

sur  lesquels  sont  tendus  les  fils  de  l'immense 
toile  d'araignée  qui  couvre  l'ensemble  des 
énormes  occupations  pangermanistes  que  l'Alle- 
magne a  pu  réaliser  au  cours  de  la  guerre  en 
raison  : 

1°  De  la  direction  politique  fort  habile  qu'elle 
a  su  donner  à  ses  opérations  militaires  ; 

2°  De  l'ignorance  du  plan  pangermaniste  par 
les  Alliés.  La  connaissance  de  ce  plan,  en  effet, 
eût  suggéré  à  ceux-ci,  dès  le  début  de  la  cam- 
pagne, l'intervention  par  Salonique  et  le  sud  de 
la  Hongrie  qui  eût  détruit  la  partie  principale  du 
plan  allemand  en  rendant  impossible  la  jonction 
des  empires  du  centre  avec  la  Bulgarie  et  la 
Turquie. 

ÏV 

La  réalisation  momentanée  presque  intégrale  du  Ham- 
bourg-Golfe Persique  démontre  que  la  victoire  inté- 
grale des  Alliés  est  indispensable  à  la  liberté  du 
Monde. 

Ni  la  réalité  ni  l'étendue  du  plan  de  domination 
mondiale  poursuivi  par  les  Allemands  ne  pou- 
vant plus  être  contestées,  il  en  résulte  que  tous 
les  États  civilisés  ont  un  intérêt  certain  à  la 
défaite  de  l'Allemagne  prussianisée  car  la  vic- 
toire de  celle-ci  afïecterait  certainement  leur& 
intérêts  à  un  haut  degré.  Donc,  les  États  neutres 


dont  l'imlépeiularu'.e  serait  particulièiviiient 
atleiiilo  [)ar  les  loiisécjuonces  du  Hambourg- 
Grolfe  l*ersique  ont  un  intérêt  rcelieiuent  vital  à 
co  que  les  Alliés  continuent  la  guerre  contre 
rAUeuiagne  jusqu'à  leur  victoire  complète. 
Cette  victoire  intégrale  est  une  luVressité  non  pas 
seulement  européenne,  mais  planétaire  puisque 
le  Hambourg-Golfe  Persique  aurait  des  consé- 
quences planétaires  (V.  p.  174).  Cette  victoire 
doit  avoir  pour  objectif  Ciipital  de  délivrer  le 
monde  entier  du  péril  pangermanisto,  donc  d'em- 
pêcher tout  retour  olFensif  ultérieur  de  l'am- 
bition intolérable  des  Hohenzollern.  Par  co/isé- 
queni^  la  victoire  des  Alliés  implique  l'ohligation 
(le  détruire  le  Hambourg -Golfe  Persique,  base 
indispensable  mais  sursaute  de  tout  le  plan  pan- 
germaniste. 


Le  plan  d'esclavage  poursuivi  par  l'Allemagne  est 
maintenant  si  manifeste  que  les  neutres  ou  les  grou- 
pements germanophiles  sont  désormais  moralement 
responsables  de  leurs  sentiments  devant  l'Univers 
civilisé. 

Les  neutres  qui,  dans  dans  la  première  partie 
de  la  guerre,  ont  témoigné  de  la  sympathie  à 
l'Allemagne  étaient  excusables  parce  qu'ils 
étaient  abusés  mais  maintenant  ils  ne  se  trouvent 


338  LE    PLAN    PANGERMANISÏE 

plus  dans  la  même  situation.  Les  faits  sont  là. 
Il  n'est  plus  permis  à  quiconque  de  voir  dans 
l'Allemagne  prussianisée  autre  chose  qu'un 
cambrioleur-assassin  féroce  opérant  aux  dépens 
de  la  collectivité  des  nations.  Selon  la  belle  for- 
mule de  M.  Paul  Hyacinthe-Loyson,  les  neutres 
peuvent-ils  être  neutres  devant  le  crime?  Évi- 
demment non.  Comme  le  disait  Fort  justement 
le  Daily  Telegraph  :  «  Ceux  qui  refusent  d'occu- 
per un  siège  vacant  à  la  table  ronde  de  la  cheva- 
lerie auront  des  comptes  à  rendre  devant  le  tribu- 
nal du  jugement  de  l'Humanité.  »  Au  point  de 
vue  où  en  sont  les  choses,  en  présence  des 
crimes  commis  par  les  «  scélérats  de  l'Europe 
centrale  »,  —  le  mot  est  du  Hollandais  M.  Schrœ- 
der,  —  les  neutres  ne  peuvent  plus  soutenir 
l'Allemagne,  sous  aucune  forme,  sans  se  rendre 
ses  complices. 

Cette  vérité  se  dégage  si  fortement  des  événe- 
ments que  déjà  se  manifeste  l'évolution  de 
deux  pays  neutres  qu'on  a  pu  croire  germano- 
philes. L'opinion  espagnole  dont  une  partie  fut 
longtemps  trompée  par  la  propagande  allemande 
se  reprend  de  plus  en  plus.  La  Suëde,  que  des 
pressionset  des  tentations  berlinoises  audacieuses 
ont  failli  lancer  dans  la  lutte  pour  le  plus  grand 
profit  de  la  Pangermanie,  se  soucie  maintenant 
de  ne  point  séparer  sa  cause  de  celle  de  la  civi- 


LE    PLAN    PANGERMANISTE  339 

lisahou;ses  dirigeants  responsables  viennent  de 
proclamer  avec  force  que  la  Suède  veut  garder 
une  stricte  neutralité. 


VI 

Les  déclarations  des  Alliés,  la  réalisation  du  Hambourg- 
Golfe  Persique  et  la  question  d'Autriche-Hongrie. 

En  recevant  les  parlementaires  français  à 
Londres,  le  11  avril  11) IG,  M.  Asquilli  a  déclaré  : 
«  J'ai  déjà  dit  en  novembre  que  nous  ne  remet- 
trions pas  l'épée  au  fourreau  tant  que  la  domi- 
nadon  militaire  de  la  Prusse  n'aurait  pas  été 
détruite  entièrement  et  définitivement. 

«  Dans  cette  lutte,  nous  sommes  les  cham- 
pions, non  seulement  des  droits  des  traités,  mais 
de  rindépendance  et  du  libre  développement  des 
pays  les  plus  faibles.  {S  .L'Œuvre,  12avriH916.) 

Sir  Edward  Grey  dans  son  interview  au  Daily 
News  de  Chicago  a  affirmé  :  «  Nous  et  nos  Alliés 
nous  nous  batt'ons  pour  une  Europe  libre,  une 
Europe  libérée  non  seulement  de  la  domination 
d'une  nationalité  par  une  autre,  mais  aussi  de  la 
diplomatie  fanfaronne,  du  péril  de  guerre,  etc. 
«  Les  Alliés  ne  peuvent  tolérer  aucune  paix  qui 
laisserait  les  torts  causés  par  cette  guerre  non 
redressés  ..  Nous  voulons  une  paix  qui  rende  jus- 
tice à  chacun.  (Cité  par  Le  Temps,  17  mai  1916.) 


340  LE    PLAN   PA.NGERMANISTE 

M.  SazonoiF  parlant  au  nom  de  la  Russie  a 
signifié  :  «  Notre  victoire  doit  être  absolue... 
Les  Alliés  continueront  à  combattre  jusqu'à  ce 
que  la  race  hmnaine  soit  délivrée  du  prussia- 
nisme.  »  (Cité  par  Le  Te?7ips,  27  février  1916.) 

A  Nancy,  le  13  mai  1916,  M.  Poincaré  a  déclaré. 
«  La  France  ne  livrera  pas  ses  fils  aux  dangers 
de  nouvelles  agressions.  Nous  ne  voulons  pas  que 
les  empires  du  centre  nous  offrent  la  Paix,  nous 
voulons  qu'ils  nous  le  demandent  ;  nous  ne  vou- 
lons pas  subir  leurs  conditions,  nous  voulons 
leur  imposer  les  nôtres  ;  nous  ne  voulons  pas  une 
paix  qui  laisserait  l' Allemagne  impériale  mai- 
tresse  de  recommencer  la  guerre  et  qui  suspen- 
drait sur  l'Europe  une  menace  éternelle  ;  nous 
voulons  une  paix  qui  reçoive  du  droit  restauré 
de  sérieuses  garanties  d'équilibre  et  de  stabilité. 

«  Tant  que  cette  paix-là  ne  nous  sera  point 
assurée,  tant  que  nos  ennemis  ne  se  reconnaî- 
tront pas  vaincus  nous  ne  cesserons  pas  de 
combattre.   (Cité  par  Le  Temps,  13  mai  1916,) 

Le  22  mai  1916,  répondant  aux  parlementaires 
russes,  M.  A.  Briand,  président  du  Conseil  fran- 
çais, a  également  déclaré  ; 

«  Je  l'ai  dit,  je  le  répète,  quand  le  sang  coule 
à  flots,  quand  nos  soldats  font  avec  tant  d'ab- 
négation le  sacrifice  de  leur  vie,  le  mot  de  paix 
est  sacrilège^  s'il  signifie  que  l'agresseur  ne  sera 


I.K    1»LAM    l'AN(;eRMANISTE  34â 

jkis  jfatii,  et  ni  demain  i'Euro^je  risque  dètre 
encore  livrée  à  l'arZ/tlraire.  aux  fantaisies  et  aux 
caprices  d'utie  caste  mililaire  assoiffée  d'orgueil 
et  de  domination. 

«  Ce  serait  le  déshonneur  dos  Alliés.  Que 
iHÎpoii(li'ons-nou8  si  domain,  après  avoir  conclu 
une  telle  paix,  nos  pays  étaient  de  nouveau 
entraînés  dans  une  frénésie  d'annements?  Que 
diraient  les  générations  de  l'aoenir  si  nous  com- 
mettions une  pareille  folie  et  si  nous  laissions 
échapper  l'occasion  qui  s'ocre  à  nous  d'établir 
sur  des  bases  solides  une  paix  durable  f 

«  La  paix  sortira  de  la  victoire  des  Alliés, 
file  ne  peut  sortir  que  de  notre  vicloire.  »  (Y.  Le 
Temps,  '2i  luai  11)10.) 

\)v  toutes  ces  déclai'ations  des  Alliés  se  dé- 
gagent formellement  deux  idées  fondamen- 
tales : 

Le  militarisme  prussien  doit  être  détruit; 

Les  nationalités  de  l'Europe  doivent  être  libé- 
rées du  joug  prussien. 

Or,  comme  on  l'a  constaté,  la  réalisation  du 
Hambourg-Golfe  Persique  a  deux  buts  essen- 
tiels : 

Une  extension  formidable  du  militarisme  prus- 
sien qui  régenterait  une  armée  de  15  à  21  millions 
d'iiommes  (V.  p.  151). 

L'asservissement  au  germanisme  de  tx)utes  les 


342  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

nationalités  non-allemandes  situées  entre  le  sud 
de  la  Saxe  et  le  Golfe  Persique. 

Il  y  a  donc  opposition  radicale  entre  les  buts 
de  la  guerre  poursuivis  par  les  Alliés  et  ceux  du 
gouvernement  de  Guillaume  II.  C'est  ce  qu'a 
implicitement  très  bien  constaté.  M.  Marcel 
Cachin,  député  socialiste,  dans  un  article  paru 
dans  L Humanité  du  9  mai  1916  sous  le  titre 
«  L'Europe  centrale  ». 

«  On  voit  se  dessiner  avec  netteté  le  plan 
général  de  nos  ennemis,  dit  M.  Cachin.  11  s'agit, 
au  cas  où  ils  seraient  victorieux  d'établir  au 
cœur  de  l'Europe  une  puissance  formidable  sou- 
mise à  l'hégémonie  allemande  et  qui  compren- 
drait avec  les  annexions,  dont  les  projets  sont 
avoués,  plus  de  130  millions  d'habitants... 

«  Il  n'est  pas  besoin  de  grandes  phrases  pour 
montrer  le  danger  que  ferait  courir  à  l'Europe 
entière  l'exécution  d'un  pareil  dessein.  Ce  serait 
pour  notre  pays  la  menace  éternelle.  Tant  que 
durera  le  système  politique  actuel  de  l'Allemagne 
et  celui  de  l'Autriche,  un  aussi  monstrueux  as- 
semblage serait,  —  qui  en  pourrait  douter?  — 
un  danger  permanent  contre  lequel,  sans  cesse, 
il  nous  faudrait  songer  à  nous  prémunir.  Et 
quant  aux  populations  slaves  à  nouveau  asser- 
vies, quant  aux  Tchèques,  aux  Polonais,  aux 
Yougo-Slaves,   aux  Serbes,  ils  ne  songeraient 


LE    PLAN    l'ANGERMANISTK  Ui 

naturellement  qu'à  la  revanche  pour  échapper 
au  servage  et  retrouver  leurs  nationalités  fou- 
lées aux  pieds.  Si  par  malheur,  se  réalisait,  par 
le  fer  et  par  le  feu,  celte  unilicalion  hrulale  que 
résume  la  MiUetewopa,  nous  aurions  beau,  après 
la  tourmente,  parler  de  paix  ;  ce  serait  à  nouveau 
la  guerre  fatale.  » 

C'est  là  le  bon  sens  même.  11  est  clair  qu'en 
(Ml  finissant  une  bonne  fois  avec  le  militarisme 
l)russien  les  Alliés  obtiendront  ainsi  la  seule 
garantie  raisonnable  qu'une  guerre  aussi  atroce 
ne  recommencera  jamais  et  que  de  nouveau  des 
millions  d'hommes  ne  seront  plus  sacrifiés  au 
Moloch  pangermaniste .  Les  déclarations  officielles 
«les  Alliés  plus  haut  rappelées  ne  sont  donc  pas 
intransigeantes  comme  la  propagande  allemande 
voudrait  en  persuader  certains  neutres.  En  raison 
du  formidable  plan  de  domination  universelle 
que  poursuivent  encore  les  Allemands,  l'appa- 
rente intransigeance  des  Alliés  constitue  de  leur 
part  la  suprême  sagesse. 


VII 

La  question  d'Autriche-Hongrie  étant  le  nœud  du 
problème  universel  posé  par  la  guerre  peut  devenir 
la  raison  commune  de  la  concentration  des  efforts 
communs,  non  seulement  des  Alliés  actuels,  mais 
aussi  des  États  encore  neutres«qui  sont  virtuellement 


344  l.E    VLAN    PàNGERMANISTE 

memaoés  par  la  réalisation  du  Hambourg-Golfe  Per- 
sique. 


Il  est  probable  que  le  militarisme  prussien 
serait  déjà  détruit  ou  sur  le  point  de  l'être  si, 
dans  la  première  partie  de  la  guerre,  les  dirigeants 
des  pays  alliés  n'avaient  commis  les  trois  fautes 
capitales  aujourd'lmi  reconnues  ;  la  politique  bal- 
kanique de  1915,  les  Dardanelles,  le  retard  dans 
l'envoi  des  renforts  en  Serbie. 

Il  est  clair  que  ces  trois  fautes  funestes  ont 
entraîné  une  notable  prolongation  de  la  lutte  et 
permis  à  l'Allemagne  de  constituer  fimmense 
forteresse  qui  s'étend  du  nord  de  Dunkerque  à 
l'Egypte €t  du  sud  de  Kiga  à  Bagdad  (V.  la  c>arte 
p.  123).  Pour  abattre  les  murailles  puissantes 
de  cette  formidable  forteresse,  les  peuples  alliés 
doivent  donc  consentir  des  sacrifices  beaucoup 
plus  étendus  et  plus  prolongés  qu'il  n'eût  été 
nécessaire  si  les  erreurs  aujourd'hui  admises 
n'avaient  pas  été  faites.  Ces  sacrifices  les  peuples 
alliés  les  acceptent  d'ailleurs  avec  une  abnéga- 
tion et  un  héroïsme  qui  feront  l'admiration  impé- 
rissable de  l'histoire.  Mais,  précisément  parce 
que  les  fautes  commises  ont  augmenté  la  durée 
de  la  lutte,  les  dirigeants  des  pays  alliés  ont 
maintenant  le  devoir  absolu  de  tout  faire  pour 
assurer  relativement  vite  la  victoire  intégrale.  Or 


I.E    l'LAN    1>AN(;e:H1!âMS1K  345 

€eIl€'Ci  serait  considéraOlemeul  hâtée  par  le 
groupement  des  forces  soit  éçonomit^yes,  soit  mi- 
iitaires  de  tous  les  pays  restés  neutres  qui^  sans 
s'en  douter  suffisamment  encore,  seraient  diree- 
tement  atteints  par  le  succès  du  pian  pang^erma- 
niste. 

J'ai  monlré  p.  330  corament  une  propagande 
sysléiiicitiquo  des  Alliés,  basée  sur  la  réalisation 
momentanée  du  plan  pangermanisle,  pourrait 
démontrer  vite  aux  neutres  la  réalité  des  nien- 
son^es  allemands  qui  lesonl  abusés.  Cette  même 
propagande  devrait  se  proposer  pour  second 
résultat  de  convaincre  ces  neutres  qu'ils  ont, 
autant  que  les  Alliés,  intérêt  à  la  destruction  du 
militarisme  prussien  et  du  Hambourg-Golfe  Per- 
sKjue.  Une  fois  celte  démonstration  bien  faite, 
il  serait  vraiment  légitime  et  possible  de  deman- 
der à  ces  neutres  d'apporter,  dans  la  mesure  où 
ils  le  peuvent,  leur  concours  à  l'œuvre  com- 
mune du  salut  de  la  civilisation  universelle. 

Pour  que  des  résultats  pratiques  puissent  être 
rapidement  obtenus  par  une  propagande  con- 
vaincante, il  est  nécessaire  de  dégager  très  nette- 
ment quel  est  dans  l'immense  lutte  actuelle  le 
point  d'intérêt  réaliste  considérable  qui  est  vrai- 
ment  commun  à  tous  les  Etats  de  l'Univers. 
Gomme  il  a  été  démontré  au  cours  de  ce  livre, 
ce   qui   procurerait  à  l'Allemagne   les   moyens 


346  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

d'établir  sa  domination  universelle  c'est  si,  à  la 
faveur  de  la  guerre  actuelle,  l'Allemagne  parve- 
nait à  réaliser,  sous  une  forme  directe  ou  indirecte, 
leHambourg-GolfePersique.  D'autre  part,  je  crois 
avoir  établi  que  pour  empêcher  la  réalisation  du 
Hambourg-Golfe  Persique  il  suffit,  mais  il  faut, 
que  les  peuples  latins  et  slaves  de  TAutriche- 
Hongrie  soient  définitivement  soustraits  au  joug 
que  leur  a  imposé  Berlin  à  la  faveur  de  la  guerre. 
En  elïet,  le  jour  où  la  majorité  de  ces  peuples  for- 
merait à  la  place  de  l'Autriche-Hongrie  un  État, 
probablement  de  forme  fédérale,  une  barrière 
inébranlable  serait  constituée  en  Europe  cen- 
trale qui  assurerait  le  Monde  contre  tout  retour 
offensif  du  Pangermanisme  (V.  la  carte  p.  84) .  Par 
contre,  si  l'indépendance  à  l'égard  de  Berlin  des 
peuples  slaves  de  TAutriche-Hongrie  n'était  pas 
assurée,  l'extension  du  militarisme  prussien  sur 
les  Balkans  et  la  Turquie  serait  inéluctable  ;  les 
peuples  alliés  auraient  fait  en  vain  leurs  sacri- 
fices inouïs  et  la  lutte  contre  le  «  prussianisme  » 
devrait  continuer. 

Il  résulte  de  ces  constatations  que  la  question 
d'Autriche-Hongrie,  parce  que  sa  solution  im- 
plique la  fin  du  Hambourg-Golfe  Persique,  cons- 
titue le  nœud,  non  pas  seulement  du  problème 
européen,  mais  encore  le  nœud  du  problème  uni- 
versel posé  à  tous  les  États  civilisés  par  le  plan 


LE    PLAN    PANGKRMANISTE  347 

pangermaniste    do   domination    mondiale.   Par 


conséquent,  c'est  la  solution  de  la  question  (ï Au- 
triche-Hongrie, sur  la  hase  du  principe  des  natio- 


â48  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

nalités,  qui  confiitue  l'intérêt  cotnmun,  non  seu- 
lement des  belligérants  alliés,  mais  aussi  de  tous 
les  États  encore  neutres  de  f  Univers  qui  sont 
meiiacés  à  un  degré  quelconque  par  la  réalisation 
du  Hambourg-Golfe  Persique. 

Les  cartes  ci-contre  résument  graphiquement 
pour  quels  États  de  l'Univers  la  solution  de  la 
Question  d'Autriche  présente  un  intérêt  plus  ou 
moins  intense  mais  réellement  identique. 

Il  est  clair  que  la  Russie  serait  constamment 
sous  la  menace  allemande  si  la  mainmise  sur 
TAutriche-Hongrie  de  l'Allemagne  était  mainte- 
nue. Par  suite  de  l'extension  du  militarisme 
prussien  qui  en  résulterait,  l'Angleterre  serait 
contrainte  de  continuer  de  formidables  arme- 
ments qu'elle  n'a  accepté  que  provisoirement. 
Pour  la  France,  aucune  récupération  de  l'Alsace- 
Lorraine  ne  serait  durable  si  les  forces  asservies 
de  l'Autriche-Hongrie  donnaient  au  gouverne- 
ment de  Berlin,  après  un  court  répit,  tous  les 
moyens  de  reprendre  l'Alsace-Lorraine  momen- 
tanément cédée.  La  Belgique  serait  menacée 
pour  la  même  raison.  Pour  l'Italie,  l'hégémonie 
allemande  sur  l'Europe  centrale  signifierait  la 
fin  de  tous  les  espoirs  nationaux  sur  l'Adria- 
tique et  sur  l'expansion  italienne  en  Méditer- 
ranée orientale.  Pour  la  Serbie  et  le  Monténégro, 
cette    mainmise  serait  un  arrêt    de    mort  sans 


LE    PLAN    PANC.ERMAiNISTE 


349 


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20 


350  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

perte  de  ses  territoires  d'outre-mer  en  raison 
des  conséquences  maritimes  et  coloniales  du 
Hambourg-Golfe  Persique. 

Mais  des  pays  encore  neutres  comme  la  Grèce, 
la  Roumanie,  la  Hollande,  la  Suisse  qui  sont 
directement  visés  par  le  danger  pangermaniste 
devraient  aussi  être  convaincus  que  leurs  inté- 
rêts les  plus  réalistes,  en  complète  harmonie 
avec  leurs  obligations  morales  devant  la  civili- 
sation, leur  font  un  devoir  de  donner  aux  Alliés 
un  concours  selon  leurs  moyens  soit  moral,  soit 
économique,  soit  militaire. 

La  seconde  carte  montre  le  faisceau  des  États 
d'Asie  et  d'Amérique  qui,  menacés  par  les  con- 
séquences mondiales  du  Hambourg-Golfe  Per- 
sique, ont  également  un  intérêt  majeur  et  direct 
à  la  solution  de  la  Question  d'Autriche-Hongrie. 
Le  Japonaidedéjànotablementles  Alliés,  maisson 
concours  pourrait  être  encore  plus  étendu,  plus 
effectif  et  plus  direct.  Or,  l'intérêt  japonais  le 
plus  strict  commanderait  de  le  fournir  car  c'est 
seulement  du  fait  de  la  défaite  intégrale  de  l'Alle- 
magne en  Europe  que  le  Japon  sera  assuré  de 
ne  pas  voir  se  développer  pendant  longtemps  à 
ses  dépens  les  troubles  de  Chine  (V.  p.  163). 
Comme  il  a  été  établi  p.  171,  de  nombreux  Etats 
de  l'Amérique  du  Sud  sont  directement  visés  par 
le  plan  pangermaniste  de  1911.  Or,  celui-ci  ne 


I,F.    VLKn    PANftBRMANlSTK  331 

8tM-a  réollein«'nt  redoutable  pour  ces  lOlîits  que 
si  l'Alleuiap^ne  [»eul  un  j{»ur  disposer  des  formi- 
dables uioyens  d'action  que  lui  assurerait  le 
llainl)Our{j^-Goli'e  Persique.  Le  Chili,  l'Argentine, 
l'Uruguay,  le  Paraguay, la  Bolivie, la  Colombie, 
le  Brésil  ont  déjà  élé  l'objet  de  manœuvres  pan- 
germanistes  préparatoires.  C<^t  avertissement 
devrait  ks  amènera  comprendrevite  qu'ils  ont  un 
intérêt  certain  à  coopérer  dans  une  mesure 
quelconque  à  l'œuvre  commune. Or,  ils  le  pour- 
raient, l'Argentine  et  le  Brésil  notamment, 
dune  fagon  eflicace  dans  le  domaine  écono- 
m'uiue. 

Quant  aux  Etats-Unis  on  a  constaté,  p.  316, 
que  la  réalisation  du  Hambourg-Golfe  Persique 
mettrait  réellement  en  péril  et  de  la  façon  la  plus 
giave  leur  indépendance.  Sans  doute,  ce  point 
de  vue  n'est  pas  encore  généralement  compris 
aux  Etats-Unis  mais  une  propagande  facile  à 
faire,  puisque  les  arguments  abondent,  permet- 
trait de  convaincre  les  Américains  qu'en  luttant 
en  Europe  les  soldats  alliés  garantissent  vrai- 
ment l'avenir  de  la  grande  république  améri- 
caine. Le  jour  où  cette  conviction  les  domine- 
rait, les  Etats-Unis  n'hésiteraient  plus  à  prêter 
aux  Alliés  européens  les  concours  de  nature 
diverse  (V.  p.  317)  qui  hâteraient  la  victoire 
intégrale. 


352  LE    PLAN    PANGERMANISTE 

En  résumé,  dss  déductions  successives,  toutes 
basées  sur  des  faits  acquis  et  aisément  contrô- 
lables, amènent  à  constater  que  le  formidable 
problème  posé  à  l'univers  civilisé  par  l'agression 
allemande  se  résume  dans  la  solution  de  la 
Question  d'Autriche-Hongrie,  parce  que  cette  so- 
lution, qui  peut  être  réalisée  sans  porter  atteinte 
aux  intérêts  légitimes  du  peuple  allemand 
(V.  chapitre  vi  §111),  est  l'unique  moyen  de  mettre 
fin  au  plan  de  domination  mondiale  des  Hohen- 
zollern,  basé  sur  le  Hambourg-Golfe  Persique. 

Or,  quand  la  question  d'Autriche-Hongrie  sera 
résolue,  par  voie  de  conséquences,  les  problèmes 
particuliers  à  chacun  des  Alliés  seront  également 
solutionnés.  Quant  à  l'Univers  entier,  par  un 
procédé  indiscutablement  juste,  —  l'indépen- 
dance des  peuples  non-allemands  de  l'Europe 
centrale,  —  il  sera  efficacement  protégé  contre 
tout  retour  offensif  des  intolérables  ambitions 
pangermanistes. 


FIN 


TABLE  DES   MATIÈRES 


Prékac.e. 


liNTUOUUCTlON 
Le  Pangermanisme  et  Guillaume  II ...   .      23 

CHAPITRE  PREMIER 

Le  plan  pangermaniste 37 

I,  Le  plan  pangermaniste  de  1911,  p.  40.  —  II.  Les  étapes 
de  réalisation,  p.  46.  —  III.  Pourquoi  il  a  été  ignoré, 
p.  aO. 

CHAPITRE  II 
Les  causes  de  la  guerre 59 

I.  Pourquoi  le  traité  de  Bucarest  éleva  subitement  un 
formidable  obstacle  au  plan  pangermaniste,  p.  59. 
—  II.  Comment  létat  intérieur  de  lAutriche-IIongrie 
a  poussé  l'Allemagne  a  déclanciier  la  lutte,  p.  66.  — 

III.  Vue  d'ensemble  des  causes  de  la  guerre,  p.  75. 

CHAPITRE  III 

L'état  de  réalisation  du  plan  pangermaniste 

au  début  de  1916 85 

I.  Les  prétentions  allemandes  à  l'ouest,  p.  85.  —  II.  Les 
prétentions  allemandes  à  l'est,  p.  95.  —  III.  Les  pré- 
tentions allemandes  au  sud  et  au  sud-est,  p.  101.  — 

IV.  L'ensemble  de  la  réalisation  du  plan  pangerma- 
niste de  1911  au  début  de  1916,  p.  110. 


354  TABLE    DliS    MATIÈRES 


CHAPITRE  IV 

Caractères  spéciaux  que  le  plan  pangermaniste 

donne  à  la  guerre IJ;; 

1.  Toutes  les  grandes  questions  politiques  du  Vieux 
Monde  sont  posées  et  doivent  être  résolues,  p.  117. 
—  II.  La  guerre  étant  laite  par  rAllemagne  pour 
réaliser  un  gigantesque  programme  d'esclavage,  il 
en  résulte  quelle  est  conduite  par  elle  en  violation 
éclatante  du  droit  des  gens,  p.  121.  —  III.  Une  lutte 
de  ténacité  et  de  duplicité  de  la  part  de  Berlin,  de 
constance  et  de  solidarité  de  la  part  des  Alliés,  p.  123. 

CHAPITRE  y 

Le  coup  de  la  «  partie  nulle  » 
et  le  Hambourg-Golfe  Persique 131 

I.  Quel  serait  en  réalité  1  "aboutissement  du  coup  dit  de 
«  la  partie  nulle  »,  p.  132.  —  II.  Conséquences  finan- 
cières pour  les  alliés  de  la  partie  soi-disant  nulle, 
p.  140.  —  III.  Les  Alliés  et  le  Hambourg-Golfe  Per- 
sique, p.  147.  —  IV.  Conséquences  panislamiques  et 
asiatiques  de  la  réalisation  du  Hambourg-Golfe 
Persique,  p.  155.  —  V.  Conséquences  mondiales  de 
la  réalisation  du  Ilambourg-Golfe  Persique,  p.  164. 

CHAPITRE  VI 
Le  nœud  du  problème  universel 175 


I.  Obligations  que  la  menace  du  Hambourg-Golfe  Per- 
sique impose  aux  Alliés,  p.  175.  —  II.  L'importance 
capitale  de  la  question  d'Autriche-Hongrie,  p.  184. 
—  111.  Tous  les  éléments  ethnographiques  néces- 
saires à  la  destruction  du  plan  pangermaniste  exis- 
tent en  Europe  centrale,  p.  194. 

CHAPITRE   VII 

Les  Balkans  et  le  plan  pangermaniste.  .   .   . 

I.  Le  lion  existant  entre  le  plan  pangermaniste  et  le  plan 
d'hégémonie  bulgare,  p.  209.  —  II.  La  Grèce  et  les 


CARTES  355 

iitubUioiis  pangeimauisles.  p.  2i7.  —  111.  La  Rou- 
manie et  le  plan  |ianKeriniiiiiste,  p.  i'il 


CHAPITRE  VIII 

Manœuvres  allemandes  tendant  à  faire  aux  alliés  le 
coup  de  «  la  partie  nulle  u.  o'est-à-dire  à  assurer 
la  réalisation  du  Hambourg-Golfe  Persique  comme 
résultat  minimum  de  la  guerre ii'6 

l.  Limportance  eicoptionncllc  de  l'union  économique 
dos  Empires  du  centre  et  le  danger  pour  les  Alliés 
d'établir  une  connexitt'  entre  cette  union  et  leurs 
propres  mesures  éconouuques  pour  l'après-guerre, 
p.  246.  —  II.  Raisons  de  la  tactique  turco-allemande 
tendant  à  une  paix  séparée  de  l'Empire  ottoman  avec 
les  Alliés,  p.  258.  — III.  Pourquoi  une  paix  séparée  et 
prématurée  des  Alliés  avec  les  Bulgares  ferait  le  jeu 
de  la  Paiigermanie,  p.  268. 

CHAPITRE  IX 

Les  États  encore  neutres  dont  l'indépendance  serait 
directement  menacée  par  la  réalisation  du  Ham- 
bourg-Golfe Persique,  donc  par  la  mainmise  de 
l'Allemagne  sur  l'Autriche-Hongrie 270 

I.  L'exemple  du  Portugal,  p.  i80.  —  IL  La  Hollande, 
p.  :*8a.  —  IlL  La  Suisse,  p.  291.  —  IV.  Les  États  du 
Saddo  l'Amérique,  p.  294.  —  V.  Les  États-Unis,  p.  301. 

CONCLUSIONS  321 


CARTES 


Les  Polonais  dans  l'Est  de  l'Allemagne 24 

Les  Danois  en  Prusse 2b 

Les  Allemands  et  les  non-Allemands  en  Autriche-Hon- 
grie   26 

Le  Plan  pangermaniste  de  1911 39 


356  CARTES 

La  barrière  antigernckanique  dans  les  Balkans  après  le 

traité  de  Bucarest  (10  août  1913) 62 

Les  nationalités  en  Autriche-Hongrie 68 

Les  trois  barrières  de  populations  antigermaniques  dans 

les  Balkans  et  en  Autriche-Hongrie 84 

Les  prétentions  allemandes  à  l'ouest  (début  de  1916)  .   .  86 

Les  prétentions  allemandes  à  l'est  (début  de  1916)   ...  97 
Les  prétentions  allemandes  au  sud  et  au  sud-est  (début 

de  1916) 102 

Le  plan  de  1911  et  sa  réalisation  au  début  de  1916  ...  112 

Les  grandes  questions  politiques  soulevées  par  la  guerre.  118 

La  forteresse  allemande  au  début  de  1916 125 

Les  conséquences  du  coup  dit  de  «  la  partie  nulle  »  .   .  134 
Conséquences  asiatiques  de  la  réalisation  du  Hambourg- 
Golfe  Persique 156 

Conséquences  mondiales  du  Hambourg-Golfe  Ptjrsique 

prévues  par  le  plan  de  1911 165 

Le  nœud  du  problème  européen 182 

La  grande  Bulgarie 210 

La  Serbie  macédonienne 215 

La  Grèce  après  le  traité  de  Bucarest 230 

La  grande  Roumanie 238 

Les  nationalités  en  Turquie 261 

Les  empiétements  du  plan  d'hégémonie  bulgare  sur  les 

Etats  voisins 276 

Le  Pmtugal  et  le  pangermanisme  colonial 281 

Les  États  neutres  européens  et  le  pangermanisme  ...  286 
Le  Pangermanisme  colonial  et  l'Amérique  du  Sud  .   .   .  295 
Répartition  et  pourcentage  des  Allemands  nés  en  Alle- 
magne se  trouvant  aux  États-Unis.   . 305 

Le  Rapport  existant  entre  le   plan  pangermaniste  de 
1911  et  les  occupations  pangermanistes  au  début  de 

1916 327 

Les  occupations  pangermanistes  au  début  de  1916.   .   .  335 
Les  États  d'Europe  intéressés  à  la  solution  de  la  ques- 
tion d'Autriche-Hongrie 347 

Les  btats  d'Asie  et  d'Amérique  intéressés  à  la  solution 

de  la  question  d'Autriche-Hongrie 349 


IVREUX,    IMPRIMERIE    CH.    HERISSEY 


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D       Cheradame,  André 

515        Le  plan  pangermanîste 

C54.      démasque 


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