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Full text of "Le puits de Deir el Bahari : notice sur les récentes découvertes faites en Égypte"

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https://archive.org/details/lepuitsdedeirelbOOIefe 


AN  N Al.  K s 


TOME  QOATRTEM  E 


SOMMAIRE 


Le  puits  de  Deïr-el-Bahaiu.  — Notice  sur  les  récentes  découvertes  faite  eu  Égypte,  par  K.  Lefécure. 

Notice  sur  une  table  a libations  de  la  collection  de  M.  Emile  Guimet,  par  F.  Chabas. 

Hercule  Phallophore,  dieu  de  la  génération,  par  le  D'"  Alexandre  Colson. 

Le  Pancha-tantra,  ou  le  grand  recueil  des  tables  de  Plnde  ancienne  considéré  au  point  de  vue  de 
son  origine,  de  sa  rédaction,  de  sonAxpansion  et  de  la  littérature  à laquelle  il  a donné  naissance, 
par  Paul  Regnaud.  , ' L ' ' ' ■ '' 

I 

La  religion  en  Chine,  exposé  des  trois  religions  des  Chinois,  suivi  d'obseryations  sur  l'état  actuel  et 
l’avenir  de  la  propagande  chrétienne  parmi  ce  peuple,  par  le  Révérend  Di  J.  Edkins"  D.  D. 
Traduit  de  l'anglais,  par  L.  de  Milloll:. 


r 0 M E n Eî  A 'r  K I È M K 


E . ^ E F E B U*R  E 

LK  rUITS  l'E  I)i:ï  K - i:  L' B A II  A U I 
->■  U T I G I -: 

sUK  LGS  i.é.:i:ntks  I)  li  g 0 U V e K T i:s 
i-  A 1 ries  I-:  N !•:  <;  y i*  te 

F.  CHABAS 

NOIICG  SUR  INE  lAHLie  A LIBATIONS 
DELA 

COLLECTION  OE  M.  Ê M I L le  OUIMi:!’ 


D‘-  ALEXANDRE  COLSON 

H E R G U L E I>  II  A I.  L O I*  II  o R E 
D I E U I>  J-:  L ^ li  Ê N Ê K A ’l  I O N 

PAUL  REGNAUD 

L E r \ N I c II  A - T A N 1'  K A OU  I.  E (1  U A N I)  K E G U I:  I L 
UES  EAHI.  ES  UE  I,’ I N’ U E ANCIENNE 
I'  < I N S I U É;  U É A U roi  N T U E VUE  UE  SON  O R 1 G I N E 
U E SA  R É U A C 1 I O N 

UE  SON  EX  !■  ANS  ION  ET  UE  LA  LITTÉRATURE 
A LAQUELLE  IL  A UONNE  NAISSANCE 


REV.  DR  J.EDKINS,  D.  D. 

].A  RELIGION  EN  CHINE 

EXPOSÉ  DES  TROIS  R E I-  1 G 1 U N S D E S C II  I N O I S 

SUIVI  d'observations  sur  l'État  actuel  et  l'avenir  de  l\  propvgandI':  ciikéiienne 

PARMI  CE  PEUPI.E 
T A n U I 1‘  DE  LA  M G L A 1 s 

Par  L.DC  MILLOUÊ,  Directeur  du  Musée  Gui  met 


PARIS 

E UN  EST  LEROUX,  ÉDITEUR 

28,  RUE  BONAPARTE,  28 


1 88  2 


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Annales  DU  MuseeGuimet 


T.IV, 


SARCOPHAGE  DE  RAMSÈS  II.  SÉSOSTRTS 


PL-  I. 


— D’Arnts  UNE  PIIOTOGRArniE  DU  MUSÉE  DE  BOUL\Q  — 


LH 


PUITS  DE  DEIR  EL  BAHARI 


y , 

M.  E.  LEFEBU  RE 


NOTICE  SUR  LES  RÉCENTES  RECOUVERTES 


FAITES  EN  ÉGYPTE 


Ann.  g.  — IV. 


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1 


PUITS  DE  DEIR  EL  BAHARI 


Depuis  quelque  temps  les  découvertes  se  multiplient  eu  Egypte  et 
inaugurent  ainsi,  d’une  manière  brillante,  la  nouvelle  administration  de 
M.  Maspero,  le  digne  successeur  de  Mariette.  liU  trouvaille  du  ])uits  de 
Deir  el  Dahari,  en  particulier,  fera  véritablement  époque  pour  l’égyptologie. 

M.  Maspero,  dont  rattention  était  év>  illée  [»ar  un  certain  nombre  d’objets 
funéraires  mis  en  vente,  soupçonnait  les  Arabes  d’avoir  fait  main  basse  sur 
un  tombeau  qu’on  jugeait  être  celui  du  roi  Pinedjem,  d’après  (pielques 
indices.  Lors  de  son  premier  voyage  dans  la  haute  Egypte,  en  mars  et 
avril  I88i,  il  fît  saisir  et  emprisonner  un  des  délinquants,  afin  d’obtenir 
quelques  révélations,  et  se  livra  en  outre  à des  recherches  qui,  pour  le  moment, 
restèrent  infructueuses.  C’est  seulement  h la  fin  du  mois  de  juin  suivant, 


4 ANNALES  nu  MUSEE  GUIMET 

qu’au  autre,  mécontent  de  ses  complices,  se  décida 
l’existence,  non  d’un  simple  hypogée,  mais  de  tout  un 
découverte  inattendue  et  merveilleuse,  qui  rappelle 
et  du  tombeau  de  Séti  P’’. 


à parler,  et  révéla 
puits  de  Pharaons, 
celles  du  Sérapéum 


I.E  PUITS  DE  DEIR  EL  BAIIARI 


I 


La  cachette  de  Deir  el  Baliari,  sorte  de  souterrain  creusé  en  pente  douce 
dans  la  niontaguie,  non  loin  deBiban  el  Molouk,  ùTlièbes,  contenait,  entassées 
pèle-inèle,  vingt- cinq  momies  royales  ou  princières  (sans  compter  cinq 
momies  de  grands  [tersonnages)  et  une  partie  du  matériel  funéraire  (coffrets, 
offrandes,  statuettes  innombrables)  ayant  accompagné  ceux  des  cercueils  de 
la  XXP  dynatie  qui  se  trouvaient  là. 

Le  tout  avait  appartenu,  en  effet,  aux  grands  prêtres  de  la  XXP  dy- 
nastie, qui  furent  obligés,  à une  certaine  époque,  de  s’exiler  en  Ethiopie, 
et  qui,  peut  -être  au  moment  de  leur  départ,  cachèrent  à Deir  el  Baliari  ce 
qu’ils  ne  pouvaient  emporter,  en  scellant  le  puits' de  sceaux  aux  titres  de  leur 
dieu,  dont  les  empreintes  subsistent  encore  dans  l'argile. 

11  est  difficile  de  savoir  pourquoi  et  comment  les  grands  prêtres  d'Ainmun, 
qui  remplacèrent  à Thèbes  les  Ramessides,  s’étaient  approprié  les  momies 
des  plus  grands  Pharaons  de  l’Egy[ite  : peut-être,  à l’époque  de  troubles  où 
ils  vécurent,  s’en  faisaient-ils  des  titres  à la  légitimité. 

Ouoi  qu’il  en  soit,  la  saisie  et  le  transfert  des  cercueils  royaux  n’allaient 
pas  sans  de  certaines  formalités  légales,  et  plusieurs  sarcophages  i)ortent  des 
inscriptions  Jiiératiques  mentionnant  les  grands  prêtres  qui  ordonnèrent 
leur  enlèvement,  ainsi  que  les  fonctionnaires  (pn  l'accomplirent.  Les  plus 
anciennes  inscriptions  révèlent  même  une  sorte  de  crainte  religieuse,  par 
une  attestation,  faite  à la  face  du  ciel  personnifié,  iju’il  n'  y a aucun.'  mauvaise 
intention  contre  la  momie  dans  son  transport. 

Les  momies  dé[)lacées  ne  séjournaient  pas  toujours  dans  le  même  endroit  : 


6 


ANNALES  DU  MUSEE  GUIMET 


la  tombe  de  Séti  P’’  et  la  pyramide  d’une  reine  dont  on  a le  corps,  avaient, 
entre  autres,  servi  d’entrepôts,  d’après  les  textes  qui  viennent  d’être 
mentionnés. 

La  cachette  contenait,  en  outre,  sur  une  assez  grande  planche  et  sur  un 
beau  papyrus,  un  autre  texte  hiératique,  reproduisant  un  décret  du  dieu 
Ammon  qui  permettait  d’ensevelir,  avec  les  honneurs  divins,  une  princesse 
du  temps  de  la  vingt  et  unième  dynastie,  Nesi-Khonsu,  dont  la  momie  s’est 
trouvée  dans  le  puits.  Cette  princesse  est  dite  avoir  vécu  en  bonne  intelligence 
avec  Ihnedjem  III,  le  dernier  grand  prêtre  de  la  dynastie,  et  l’espèce  de 
certificat  qui  lui  est  délivré  ainsi  montre  quelle  inquisition  exerçait  alors  le 
parti  sacerdotal. 


I.E  PUITS  DE  DEIU  EL  BAHARI 


7 


II 


En  laissant  do  côté  les  inunns  objets  jianni  lesquels  on  reinaT(|uo  un 
colFrct  au  nom  de  la  célèbre  reine  Hatasu,  de  la  dix-liuitiènio  dynastie,  et 
un  autre  colFret  au  nom  de  Ramsès  IX,  de  la  vingtième,  vinci,  dans  l’ordre 
chronologique  et  en  trois  groupes,  la  liste  des  momies  de  tlimille  royale 
trouvées  dans  le  puits  do  Deir  el  Baliari,  d'a[)res  un  catalogue  général  dressé 
par  les  soins  de  M.  Emile  Rrugscli,  conservateur-adjoint  au  musée  de 
Rûulag,  et  de  l’Ecole  française  d’archéologie  au  Caire,  pour  être  transmis  à 
M.  Maspero. 

Au  })remier  groupe,  qui  est  du' connnencement  de  la  XX'!!!*-'  dynastie,  se 
rattachent  : 

1”  Le  roi  Seken-kn-Ra-Taatëx,  nouveau  Pharaon,  qui  prend  }ilace  après 
Taa  II  vers  la  lin  de  la  XVII''  dynastie  ; 

2”  Le  roi  Ahmès  ou  Amosis,  qui  chassa  les  Pasteurs  et  fonda  la  XVIIP  dy- 
nastie ; 

3"  La  reine  Aiimès-Nekertari,  femme  d'Alimès,  qu’on  croit  depuis  long 
temps,  d’après  certains  indices,  avoir  été  de  race  noire  ; 

4“  La  reine  Ah-hotep,  hile  des  deux  précédents,  et  femme  de  son  frère 
Aménophis  P"'; 

5°  Aménophis  P'''; 

6®  Thotmès  II 5 

'7°  Thotmes  III,  le  plus  grand  Pharaon  de  la  XVIIP'  dynastie) 


8 ANNALES  DU  MUSEE  GUIMET 

Puis  1111  prince  et  plusieurs  jiriiicesses  ou  reines,  encore  mal  classées  ou 
inconnues,  de  la  même  époque;  ce  sont  : 

8“  Le  })rince  Se-Amen,  qui  mourut  très  jeune,  et  qu'on  peut  dire  fils 
d’Alimès,  tant  son  cereeuil  est  semblable  à celui  du  roi; 

9°  La  princesse  Se -x- Amen; 

10“  La  princesse  Meri-t-Amen; 

11°  La  reine  11en-t-Tamèiiu,  peut-être  fille  d’Aniénopliis  T''; 

12°  La  reine  Se-t-Ka,  qui  est  dite  clairement  avoir  épousé  son  frère,  car 
ses  titres  sont  : « la  fille  royale,  la  sœur  du  roi  et  sa  principale  épouse;  » 

13°  Enfin,  la  reine  inconnne  dont  la  }»yramide  reçut  pendant  quelque 
temps  les  Pliai  aons  arrachés  à leurs  tombes.  Cette  reine,  dont  le  nom  rappelle 
celui  des  Anief  ào,  la  XP  dynastie,  était  d'une  taille  remarquable,  P", 85, 
si  l’cii  peut  s'en  rapporter  à un  premier  mesurage. 


Le  second  groupe  de  la  X1X°  dynastie  se  compose  des  deux  plus  illustres 
Pharaons  de  l’Egypte. 

1“  Séti  P'''; 

2°  Ramsès  IL 


Le  dernier  groupe  de  la  XXP  dynastie  thébaine  des  grands  prêtres 
d’yVmmon,  dont  il  permet  de  retrouver  la  série,  comprend  : 

1°  La  reine  Nedjem-t,  |femme  du  grand  prêtre  Her-iior,  chef  de  la 
dynastie  ; 

2°  Le  grand  prêtre  Pjnedjem  P‘‘,  petit-hls  de  Iler-hor; 

3°  et  4°  Une  reine  contemporaine  de  Pinedjem  IPC  Ra-ma-ka,  qui  mourut 
sans  doute  en  couches,  car  elle  a dans  son  cercueil  la  petite  momie  de  sa 
fille  Maü-t-em-ha-t  ; 

5°  Le  roi  Pinedjem  II,  qui  s’était  approprié  le  cercueil  de  Thotmès  P’’, 
de  la  XVIIP  dynastie; 

6°  Une  reine  contemporaine  de  Pinedjem  II,  Tua-t-Hathor-hen-t- 

TA-üi  ; 

7“  Le  fils  de  Pinedjem  II,  le  grand  [»rètre  Masaharota,  personnage  au 


LE  PUITS  DE  DEIR  El,  P.AHARI 


iioia  (ra[ti)aiviice  sémitique,  ({u’uu  ne  connaissait  pas  encore,  et  qui  muurut 
vers  Tan  24  ou  25  du  règne  de  son  père; 

S”  La  tille  de  Masaliarota,  qui  l'ut  la  feniine  du  grand  prêtre  Ida-inen- 
Iveper,  frère  de  Masaliarota,  la  reine,  As-t-em  Kiieiî; 

9'’  Une  princesse  nouvelle,  Nesi-Kiiunsu,  lille  d’un  roi  ou  d'un  prétendant 
qui  n’est  pas  nonmié  ; 

Itr  Un  prince  de  la  famille  des  Ramessides,  ([ui  n’était  pas  éteinte  suiisla 
domination  des  grands  prêtres,  et  qui  conservait  des  prétentions  à la  royauté, 
Djet-Ptaii-an-f-ankii. 

En  résumé,  il  y a là  vingt-cin([  momies  de  ditfércntes  éjioqiies,  sur  les- 
quelles, si  on  les  déroule,  on  pourra  faire  des  observations  de  toutes  sortes 
qui  ne  manqueront  point  d’intérêt. 

La  reine  Ahmès-Nefertari,  à qui  son  cercueil  donne  le  teint  jaune  des 
Egyptiennes  et  le  profil  aquilin  des  Sémites,  était-elle  ou  non  de  race  noin' 
Séti  P’’  et  Ramsès  II  étaient-ils  d’origine  syrienne^  Le  maximum  de  la  tailb' 
avait-il  baissé  a[)res  les  grandes  guerres  dans  b'S  familles  royab'S  ({ui  im 
s’alliaient  qu’entre  elles  ? 

11  n’est  jiermis,  ]»our  b_'  moment,  de  fournir  des  indications  que  sur  cedr'r- 
nier  jioint,  et  encore  d’après  des  mesures  prises  à la  liàte,  en  tit  nombre, 
et  sur  des  corps  envelop[iés  de  bandelettes,  avecla  supposition  arbitraire  que 
ragrandissement  causé  par  les  bandelettes  est  compensé  par  le  rétrécisse- 
ment qu’a  }»roduit  la  momification. 


L’ancienne  reine  dent  il  a déjà  été  parlé  avait. 

Alimès 

La  reine  Se-t-Ka . . 

Thotmès  111 

Séti  P’’ . 

Ramsès  II 

La  reine  Nedjem-t 

Pinedjem  P'’ 

Pinedj(nn  II 


P"  ou 


An\.  g.  — IV. 


iÜ 


ANNALES  DU  MUSEE  GUIMET 


III 


Ou  sait  (l  '[mis  ]oiigtem[)S  que  les  momies  étaient  maintes  fois  acco)u[)a- 
giiées  (le  [lapyrus  funéraires  (ou  livres  des  Morts)  à leur  nom,  rmifermés  dans 
des  statueü'^s  d'Osiris,  et  destinés  à fournir  au  défunt,  dans  l’autre  monde, 
les  forniul  dees  prières  on  d'inqirécations  doid  la  magie  tonte-puissante  sou- 
mettait jus(|u’aux  dieux.  On  n’a  cependant  retrouvé  ici,  grâce  aux  vols  anté- 
rieurs des  Arabes,  que  trois  [ia[)yrus  de  ce  genre,  qui  ne  sont  [»as  encore 
déroulés  : un  au  nom  de  la  [trincesse  Nesi-Klionsu,  un  autre  au  nom  de  la 
reine  As-t-em-Kheb,  et  un  dernier,  dont  le  début  fra[)[)e  par  la  beauté  des 
couleurs  et  la  netteté  des  hiéroglyphes,  an  double  nom  de  Ra-ma-ka  et  de 
i\Iaut-em-lia-t,  sa  tille.  Exceptionnellement,  un  livre  des  Morts  a[)p,irtenant 
à Thotmès  111,  était  écrit  sur  des  morceaux  de  toile  qui  ont  été  retrouvés 
[larmi  les  bandelettes  de  la  momie. 

Si  [)res(|ue  tous  les  papyrus  sur  lesquels  on  pouvait  compter  manquent,  il  a 
été  découvrn-t,  par  contre,  tassé  dans  un  coin,  nn  objet  remar<[uable,  qu’on 
ne  s’attendait  guère  à voir  au  milieu  de  1’  dtirail  funèbre  contenn  dans  le 
l'uits  : c'est  nue  belle  tent  ',  en  cuir  de  différentes  nuances,  au  dais  semé 
d’étoiles  roses,  jaunes  ou  blanches,  sur  un  ciel  lilas  clair,  et  aux  (juatre  [)ans 
décorés  de  scarabées,  d’urœus  ou  de  cartouches  au  nom  de  Pinedjem  II,  le 
tout  l)ordé  d’inscri[)tions  finement  découpées  dans  nn  fond  vert  cousu  sur  un 
fond  jaune.  Cette  tente,  d’après  les  biérogly[dies  qin  l’ornent,  appartenait  à 
la  princesse  As-t-em-Kliel),  fille  du  grand  [U'ètre  Masaliarota,  [)etite-nlle 
du  roi  Pinedjem  II,  et[)lus  tard  femme  de  son  oncle,  le  grand  prêtre  Ra-men- 
kheper, 


I.E  l'UITS  DK  DEIP.  EL  liAIIARl 


1 1 

Par  ime  liaison  d’idées  assez  naturelle  en  Egypte,  le  re[)us  (|n'iVs-t-eni- 
Kheb  pouvait  goûter  sous  sa  tente  avait  rappelé  celui  do  la  tombe,  et,  en 
conséquence,  une  des  inscriptions  soubaite  à la  jeune  [trincesse  la  paix  dans 
les  bras  des  dieux,  aux  jours  des  cérémonies  funèbres. 

« (Ju’elle  repose  doucement  en  son  asile  suprême,  enveloppé  de  parfums 
et  d’encens,  rayonnant  de  Heurs  de  toute  espèce  et  embaumé  comme 
l’Arabie  ! » 

« Qu’elle  repose  doucement  dans  les  bras  de  Kbons  : c’est  lui  qui  est  le 
maitre  do  la  Tbébaïdo  ! 11  sauve  ceux  qu’il  aime,  fussent-ils  en  enfer,  et  il 
livre  les  autres  à la  gébeniie.  » 


12 


ANNALES  nu  MUSEE  OUIMET 


!V 


Les  cei’cueils  trouvés  à Deir  el  Bahari  sont  tous  en  bois,  à figure  humaine 
et  en  forme  de  momie  : on  les  classera  suffisamment,  au  moinsgrune  manière 
générale,  en  disant  (|ue  les  }>lus  anciens  sont  recouverts  d’un  entoilage  peint 
en  blanc,  et  que  les  })lus  récents,  ceux  de  la  XXL  dynastie,  sont  enduits 
d’un  vernis  jaune. 

l’ourtant  cette  distinction  ne  doit  pas  être  acceptée  sans  réserve,  quanta 
ràg(‘  de  la  momi(3  renfermée  dans  un  sarcophage,  car  ici  apparaissent  des 
fraudes  nombreuses.  On  s’emparait  souvent  des  plus  riches  cercueils,  et  on 
exilait  leurs  possesseurs  dans  des  caisses  moins  belles.  Huit  momies  au  moins, 
sur  vingt-cinq,  c'est-à-dire  le  tiers,  reposent  dans  d’autres  cercueils  que  les 
leurs,  et  on  ne  les  reconnait  qu'à  leur  nom  écrit  en  hiératique  sur  leur  poitrine, 
ou  peint  en  surcharge  sur  leur  caisse. 

L’ancienne  reine,  dont  la  taille  était  si  élevée,  a été  mise  dans  le  cercueil 
de  llaa,  nourrie»!  d’Abmès-Nefertari  ; la  princesse  Méri-t-Ainen,  dans  le 
cercueil  d'un  sciibo  nommé  Sennu,  et  la  reine  Se-t-Ka,  dans  un  mauvais 
cercueil  de  la  XXL  dynastie;  le  roi  Ramsès  L’’,  dont  la  momie  manque, 
avait  eu  le  même  sort,  car  les  débris  d’un  cercueil  à enduit  jaune  portent 
son  nom  en  surcharge  ; le  roi  Pinedjem  II  avait,  pour  sa  part,  usurpé 
le  cerueil  de  Thotmès  L'’,  qu’il  fit  sans  doute  ornei'  à nouveau  et  dont  la  cuve 
fut  couverte  de  prières  à son  nom.  Enfin  la  princesse  Nesi-Klionsu  et  le  prince 
Djet-Ptali-an-f-ankli  avaient  aussi  usurpé  leurs  cercueils. 

Une  |)rincesse  de  la  XVIIL  dynastie,  Mes-heii-t-Tamebu,  probable- 


LE  l'UITS  DE  DEIR  EL  BAIIARI  13 

ment  tille  de  la.  reine  Hen-t-Tainelm,  car  son  nom  ajustement  ce  sens,  l'ut 
dépossédée  comme  bien  d’autres  ; mais  son  sarcophage  a révélé  de  plus  une 
tromperie  d’un  autre  genre  et  tout  à fait  inattendue:  il  contient  une  fausse 
momie,  sorte  de  poupée  faite  de  chitfons  qui  entourent  un  morceau  de  cercueil 
destiné  à imiter  le  corps  et  datant  do  la  XXP  dynastie,  ou  à peu  près, 
car  il  est  à enduit  jaune.  L’extérieur  d’une  momie  est  [)arfaitement  imité, 
et  même  un  manche  de  miroir  s’est  trouvé,  comme  d’habitude,  sous  les 
premières  toiles.  On  songe  involontairement  à ces  princesses  des  Mille  et  une 
Nuits  qui  se  faisaient  passer  pour  mortes  et  se  sauvaient  du  harem,  pendant 
qu’on  enterrait  un  morceau  do  bois  à leur  place. 


14 


ANNALES  DU  MUSEE  GülMET 


V 


Ces  réserves  faites  au  sujet  des  erreurs  que  peut  suggérer  à première  vue 
l’extérieur  d’un  sarcophage,  il  faut  reinar({uer  encore  qu’il  n'y  a pas  conformité 
absolue  de  couleur  onde  facture  dans  chacune  des  séries  de  cercueils  qui  ont 
été  distinguées  tout  à l’heure.  Cliaqiie  série  olire  des  variétés  intéressantes, 
et,  en  dehors  des  grandes  lignes  au  moins,  runiformité  a|»parente  se  résout 
en  différences  réelles. 

Le  sarcophage  de  Taaten  est  blanc,  comme  ceux  de  son  groupe  ; mais  il 
garde,  particulièrement  sur  le  contour  de  la  })oitrine,  dos  traces  de  dorure 
prouvant  qu'il  avait  été  doré  partout,  comme  les  cercueils  des  rois  Antef,  de 
la  XP  dynastie.  L(.“S  hiéroglyphes,  qui  s’étendent  des  pieds  à la  tête  en  une 
bande  verticale,  ont  été  peints  en  brun  sur  l’entoilage  et  repassés  à la  pointe 
sur  la  dorure. 

Le  cercueil  est  d’une  grande  taille;  et,  h côté,  les  caisses  d’ Ahmès  et  de  son 
fils  paraissent  exiguës.  Celle  d’ Ahmès  est  pour  ainsi  dire  collante,  au  point 
que  le  corps  y semble  à l’étroit.  'Foutes  deux  sont  peintes  en  jaune,  contraire- 
ment à riiabitude,  et  sans  ornements.  11  est  i)Ossible,  du  reste,  que  ces  petits 
cercueils  aient  été  mis  dans  de  plus  grands,  comme  c’est  le  cas  pour  la  reine 
Ahmès  Nefertari,  ([ui  a deux  sarcophages,  l’un  de  taille  ordinaire,  peint  on 
brun,  et  renfermant  la  momie,  l’autre  énorme,  dont  le  buste  s’ouvre  comme 
un  colfre,  et  ({ui  contient  le  prenner.  La  reine  Ah-hotep  a un  grand  sarcophage 
tout  à fait  smnblablo  à celui  de  sa  mère  : dressés,  les  deux  monuments 
(eraient  deux  colosses,  sinhout  avec  la  coui‘onne  ronde  et  les  })lumes  droites, 


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Annales  du  Musée  Guimet. 


SARCOPHAGE  DE  RAMSES  II,  SÉSOSTRIS 

^ oine  p> ï'io t( > çf r‘a.|r) i e ciu  Alosée  de  IBoviltitj. 


LE  PUITS  DE  DEIR  KL  DAHARI 


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qui  sunaontaieiit  piiniitiveiiient  leur  tète,  et  duiit  il  subsiste  ({iielques  parties. 
Leurs  tigures,  peintes  en  jaune  et  un  pen  connnunes  d’expression,  ont  une 
bonlioininie  de  géantes  qui  ne  leur  niessied  pas. 

Les  autres  cercueils  de  la  inèinc  dynastie  sont  de  dimensions  moindres, 
quoique  raisonnables.  L’enduit  blanc  qui  les  couvre  est  coupé  de  bandes 
jaunes  croisées,  sur  lesquelles  les  noms  et  de  courtes  prières  sont  peints  en 
noir.  Le  dedans  de  la  cuve  est  souvent  noir,  la  ligure  est  jaune  et  lacoitllire 
noire  ou  Ijleue. 

La  coitTure  de  Tliotmès  III  parait  néanmoins  avoir  été  dorée;  mais  le  coffre 
est  tellement  gratté  et  tailladé  partout,  ipi’on  ne  peut  guère  se  tigurer  ce  qu’il 
a pu  être.  Celui  de  Tliotmès  P'',  qui  présente  des  traces  de  dorure  et  d’émaux, 
peut  avoir  été  orné  ainsi  par  son  usiuqtateur,  Pinedjem  II,  à l’époque  duquel 
ce  genre  de  décoration  était  usité. 

Le  cercueil  de  Séti  P‘'  est  blanc,  assez  long,  sans  autres  inscriptions  que 
les  noms  du  roi,  écrits  à l’encre  au-dessus  do  deux  textes  biératiipies  de  la 
XXP  dynastie,  et  il  ne  présente  rien  d’original  ou  de  fra^tpant,  tandis 
que  celui  de  Ramsès  II,  tüs  de  Séti  P'',  n’a  [>as  son  pareil  dans  la  trou- 
vaille. 

C’est  un  simple  coffre  en  bois  de  grandeur  ordinaire,  en  forme  de  momie, 
c’est-à-dire  de  coiq»s  enveloppé,  et  n'ayant  guère  quelques  linéaments  de 
peinture  qu’à  la  tète  et' aux  mains.  La  sévérité  inattendue  de  ce  bois  nu  ne 
fait  que  mieux  ressortir  l’apparence  Immaine  et  vivante  delà  sculpture.  Le 
héros  semble  couché  dans  son  manteau  de  guerre,  prêt  à se  lever  au  }iremier 
coup  de  clairon.  L’effet  serait  antre,  mais  plus  grand  peut-être,  si,  acceptant 
l’idée  de  résurrection  que  suggère  le  monument,  on  redressait  cette  simple 
statue  de  bois  qui  contient  Sésostris  sur  un  haut  piédestal  où  il  a[)paraîtrait 
comme  le  génie  de  l’Égypte  guerrière. 

Les  doubles  et  triples  coffres  de  la  XXP‘  dynastie,  aux  rnasqes  dorés  ou 
bronzés,  sont  tout  l’opposé  de  ce  chef-d’œuvre,  et  l’ornementation  les 
surcharge.  Là,  au  dedans  et  au  dehors,  sur  un  vernis  jaune  qui  sert  de  fond, 

} apillûtent  toutes  les  couleurs  de  la  [>alette  égyptienne,  en  hiéroglyphes  et  en 
divinités  innombrables.  Seuls,  quelques  cercueils  à incrustations  et  à émaux, 
comme  celui  de  la  reine  Nedjem-t,  varient  l’impression  par  l’espèce  de 
miroitement  glacé  qui  les  revêt. 


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ANNALES  DU  MUSEE  GUI MET 


VI 


Aucun  peuple  u’a  embelli  ou  du  moins  paré  la  mort  comme  les  Égyptiens, 
et  par  suite  on  se  sent  jiresque  toujours  tenté,  en  présence  d'un  sarcophage, 
de  voir  à nu  la  momie  qui  est  dedans. 

(Test  un  désir  qu’il  faut  perdre.  Les  tètes  de  la  reine  Nedjem-t  et  du  roi 
Linedjem  11,  ainsi  que  le  corps  tout  entier  de  Thotmès  111,  déroulés  par 
M.  E.  Brugsch  en  présence  de  l’école  française,  sont  maintenant  visibles,  et 
montrent  que  la  mort  est  toujours  la  mort,  quoi  qu’on  fasse.  Le  vieux  conqué- 
rant surtout,  cassé  en  trois  morceau  noirâtres,  apparaît  dans  ses  langes, 
comme  un  cadavre  défiguré  par  quelque  horrible  maladie. 

Mariette  a beau  dire  : il  n’j  a pas  de  belles  momies,  ou,  en  d’autres  ternies, 
[)lus  une  momie  est  belle  dans  son  genre,  plus  elle  est  laide  en  réalité.  Le 
mauvais  embaumement  ne  donne  qu’un  bloc  informe,  tandis  que  l’embaume- 
ment parfait  accentue  des  détails  repoussants.  Le  nez  ouvre  deux  trous  sans 
fond,  la  bouche  tire  la  langue  de  travers,  les  yeux  sont  crevés,  les  mains  noires 
semblent  des  pattes,  et  l’ensemble  a une  apparence  misérable,  diminuée, 
desséchée,  qui  n’est  ni  d’un  corps  ni  d’un  squelette,  mais  qui  représente 
quelque  chose  de  hideusement  intermédiaire,  un  corps  ou  un  S(juelette  contre 
nature,  et,  si  Ton  veut,  une  variété  de  loin  et  de  l’autre  : le  corps  sans  la  chair 
et  le  squelette  avec  la  peau  ; ce  qu'il  y a de  touchant  dans  la  lutte  inutile 
tentée  contre  la  mort  en  Égypte  ne  saurait  pallier  l’horreur  définitive  du 
résultat . 

La  science,  qui  dissèque  les  cadavres,  ouvrira  les  momies  : c’est  son  droit 


LE  PDITS  DE  DEIR  El.  BAHARI 


17 


de  reclierclier,  dans  le  passé  aussi  bien  (juc  dans  le  présent,  tout  ce  (jue 
l’hérédité,  les  passions  et  les  circonstances  font  du  corps  humain; mais  pour 
qui  ne  déroule  }>as  les  Pharaons,  il  ja  quelque  diosc  déplus  agréalhe  à voir 
que  leur  dépouille,  c’est  leur  Loüelte. 

Rien  de  joli  cumme  cette  envelop[)e  faite  d’une  toile  un  peu  jaunie  (de  la 
nuance  nommée  aujuiird'liui  couleur  crème)  sous  un  entrecroisement  coquet 
de  bandelettes  roses.  L’ensemble  rappelle,  si  l’on  peut  dire,  ces  boîtes  de 
bonbons  nouées  de  rubans  qui  s’olfrent  après  un  baptême,  ou  mieux,  ces 
tiancées  arabes  que  l’on  promène  encore  dans  les  rues  du  Caire,  et  que  l’on 
conduit  à leurs  tiancés  entièrement  voilé('s  et  masquées. 

Presque  toutes  les  momies  ainsi  paréos  sont  couvertes  de  i^-uirlamles 
sèches  et  de  lotus  fanés  qui  ont  traversé  intacts  des  milliers  d’années,  et 
nulle  part  la  suspension  du  temps,  l’arrêt  de  la  destruction  ne  sauraient  se 
com[)rendre  mieux  qu'à  la  vue  do  ces  Üeurs  immortelles  sur  cos  corps  éter- 
nisés. C’est  bien  là  l’image  d’un  sommeil  sans  tin.  Une  momie  pourtant, 
celle  d’Aménophis  P’’,  dont  un  masque  jaune  aux  yeux  d’émail  moule  la 
tigure  adolescente,  semble,  comme  lasse  du  repos,  s’éveiller  en  souriant  dans 
son  lit  de  tleurs. 

Ce  gracieux  tableau  résume  l’impression  que  laisse,  au  fond,  la  trouvaille 
de  Deir  el  Bahari.  A [lart  qm'hpies  documents  précieux  pour  Phistoire  de  la 
XXP  dynastie  et  (pielques  prières  sur  toile  qu'on  a chance  de  trouver 
avec  les  momies  de  la  XVIIP,  il  n’y  a peut-être  là  matière  ni  à do  longues 
recherches  ni  à de  grands  résultats.  L'intérêt  delà  découverte  est  ailleurs. 
11  est  dans  le  coup  de  théâtre  ([ui  ramène  subitement  ii  la  lumière  une 
assemldée  de  rois  et  (pu  nous  fait  toucher  (hî  si  près  des  choses  que  l'on 
croyait  si  hhn.  11  (>st  aussi  dans  rap[)arition  de  ce  [)oéti([ue  entourage  que 
l’Egypte  savait  donner  à la  mort,  et  dans  h_‘quol  s’encadrent  encore,  sous 
nos  yeux,  quebpies-unes  des  traces  ou  des  reli(pi('s  les  plus  fugitives  de 
la  vie,  depuis  le  chasse-mouches  de  Thotmès,  trouvé  dans  son  cercueil, 
jusqu’au  sourire  d’Aniénophis. 

Le  Caire,  G août  1S81. 


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