Digitized by the Internet Archive
in 2016
https://archive.org/details/lepuitsdedeirelbOOIefe
AN N Al. K s
TOME QOATRTEM E
SOMMAIRE
Le puits de Deïr-el-Bahaiu. — Notice sur les récentes découvertes faite eu Égypte, par K. Lefécure.
Notice sur une table a libations de la collection de M. Emile Guimet, par F. Chabas.
Hercule Phallophore, dieu de la génération, par le D'" Alexandre Colson.
Le Pancha-tantra, ou le grand recueil des tables de Plnde ancienne considéré au point de vue de
son origine, de sa rédaction, de sonAxpansion et de la littérature à laquelle il a donné naissance,
par Paul Regnaud. , ' L ' ' ' ■ ''
I
La religion en Chine, exposé des trois religions des Chinois, suivi d'obseryations sur l'état actuel et
l’avenir de la propagande chrétienne parmi ce peuple, par le Révérend Di J. Edkins" D. D.
Traduit de l'anglais, par L. de Milloll:.
r 0 M E n Eî A 'r K I È M K
E . ^ E F E B U*R E
LK rUITS l'E I)i:ï K - i: L' B A II A U I
->■ U T I G I -:
sUK LGS i.é.:i:ntks I) li g 0 U V e K T i:s
i- A 1 ries I-: N !•: <; y i* te
F. CHABAS
NOIICG SUR INE lAHLie A LIBATIONS
DELA
COLLECTION OE M. Ê M I L le OUIMi:!’
D‘- ALEXANDRE COLSON
H E R G U L E I> II A I. L O I* II o R E
D I E U I> J-: L ^ li Ê N Ê K A ’l I O N
PAUL REGNAUD
L E r \ N I c II A - T A N 1' K A OU I. E (1 U A N I) K E G U I: I L
UES EAHI. ES UE I,’ I N’ U E ANCIENNE
I' < I N S I U É; U É A U roi N T U E VUE UE SON O R 1 G I N E
U E SA R É U A C 1 I O N
UE SON EX !■ ANS ION ET UE LA LITTÉRATURE
A LAQUELLE IL A UONNE NAISSANCE
REV. DR J.EDKINS, D. D.
].A RELIGION EN CHINE
EXPOSÉ DES TROIS R E I- 1 G 1 U N S D E S C II I N O I S
SUIVI d'observations sur l'État actuel et l'avenir de l\ propvgandI': ciikéiienne
PARMI CE PEUPI.E
T A n U I 1‘ DE LA M G L A 1 s
Par L.DC MILLOUÊ, Directeur du Musée Gui met
PARIS
E UN EST LEROUX, ÉDITEUR
28, RUE BONAPARTE, 28
1 88 2
w
•9
t
\
i
I.'
K
fc ■
r
v>
^ k
*■*
Annales DU MuseeGuimet
T.IV,
SARCOPHAGE DE RAMSÈS II. SÉSOSTRTS
PL- I.
— D’Arnts UNE PIIOTOGRArniE DU MUSÉE DE BOUL\Q —
LH
PUITS DE DEIR EL BAHARI
y ,
M. E. LEFEBU RE
NOTICE SUR LES RÉCENTES RECOUVERTES
FAITES EN ÉGYPTE
Ann. g. — IV.
'Il
t;
je>>'
1
PUITS DE DEIR EL BAHARI
Depuis quelque temps les découvertes se multiplient eu Egypte et
inaugurent ainsi, d’une manière brillante, la nouvelle administration de
M. Maspero, le digne successeur de Mariette. liU trouvaille du ])uits de
Deir el Dahari, en particulier, fera véritablement époque pour l’égyptologie.
M. Maspero, dont rattention était év> illée [»ar un certain nombre d’objets
funéraires mis en vente, soupçonnait les Arabes d’avoir fait main basse sur
un tombeau qu’on jugeait être celui du roi Pinedjem, d’après (pielques
indices. Lors de son premier voyage dans la haute Egypte, en mars et
avril I88i, il fît saisir et emprisonner un des délinquants, afin d’obtenir
quelques révélations, et se livra en outre à des recherches qui, pour le moment,
restèrent infructueuses. C’est seulement h la fin du mois de juin suivant,
4 ANNALES nu MUSEE GUIMET
qu’au autre, mécontent de ses complices, se décida
l’existence, non d’un simple hypogée, mais de tout un
découverte inattendue et merveilleuse, qui rappelle
et du tombeau de Séti P’’.
à parler, et révéla
puits de Pharaons,
celles du Sérapéum
I.E PUITS DE DEIR EL BAIIARI
I
La cachette de Deir el Baliari, sorte de souterrain creusé en pente douce
dans la niontaguie, non loin deBiban el Molouk, ùTlièbes, contenait, entassées
pèle-inèle, vingt- cinq momies royales ou princières (sans compter cinq
momies de grands [tersonnages) et une partie du matériel funéraire (coffrets,
offrandes, statuettes innombrables) ayant accompagné ceux des cercueils de
la XXP dynatie qui se trouvaient là.
Le tout avait appartenu, en effet, aux grands prêtres de la XXP dy-
nastie, qui furent obligés, à une certaine époque, de s’exiler en Ethiopie,
et qui, peut -être au moment de leur départ, cachèrent à Deir el Baliari ce
qu’ils ne pouvaient emporter, en scellant le puits' de sceaux aux titres de leur
dieu, dont les empreintes subsistent encore dans l'argile.
11 est difficile de savoir pourquoi et comment les grands prêtres d'Ainmun,
qui remplacèrent à Thèbes les Ramessides, s’étaient approprié les momies
des plus grands Pharaons de l’Egy[ite : peut-être, à l’époque de troubles où
ils vécurent, s’en faisaient-ils des titres à la légitimité.
Ouoi qu’il en soit, la saisie et le transfert des cercueils royaux n’allaient
pas sans de certaines formalités légales, et plusieurs sarcophages i)ortent des
inscriptions Jiiératiques mentionnant les grands prêtres qui ordonnèrent
leur enlèvement, ainsi que les fonctionnaires (pn l'accomplirent. Les plus
anciennes inscriptions révèlent même une sorte de crainte religieuse, par
une attestation, faite à la face du ciel personnifié, iju’il n' y a aucun.' mauvaise
intention contre la momie dans son transport.
Les momies dé[)lacées ne séjournaient pas toujours dans le même endroit :
6
ANNALES DU MUSEE GUIMET
la tombe de Séti P’’ et la pyramide d’une reine dont on a le corps, avaient,
entre autres, servi d’entrepôts, d’après les textes qui viennent d’être
mentionnés.
La cachette contenait, en outre, sur une assez grande planche et sur un
beau papyrus, un autre texte hiératique, reproduisant un décret du dieu
Ammon qui permettait d’ensevelir, avec les honneurs divins, une princesse
du temps de la vingt et unième dynastie, Nesi-Khonsu, dont la momie s’est
trouvée dans le puits. Cette princesse est dite avoir vécu en bonne intelligence
avec Ihnedjem III, le dernier grand prêtre de la dynastie, et l’espèce de
certificat qui lui est délivré ainsi montre quelle inquisition exerçait alors le
parti sacerdotal.
I.E PUITS DE DEIU EL BAHARI
7
II
En laissant do côté les inunns objets jianni lesquels on reinaT(|uo un
colFrct au nom de la célèbre reine Hatasu, de la dix-liuitiènio dynastie, et
un autre colFret au nom de Ramsès IX, de la vingtième, vinci, dans l’ordre
chronologique et en trois groupes, la liste des momies de tlimille royale
trouvées dans le puits do Deir el Baliari, d'a[)res un catalogue général dressé
par les soins de M. Emile Rrugscli, conservateur-adjoint au musée de
Rûulag, et de l’Ecole française d’archéologie au Caire, pour être transmis à
M. Maspero.
Au })remier groupe, qui est du' connnencement de la XX'!!!*-' dynastie, se
rattachent :
1” Le roi Seken-kn-Ra-Taatëx, nouveau Pharaon, qui prend }ilace après
Taa II vers la lin de la XVII'' dynastie ;
2” Le roi Ahmès ou Amosis, qui chassa les Pasteurs et fonda la XVIIP dy-
nastie ;
3" La reine Aiimès-Nekertari, femme d'Alimès, qu’on croit depuis long
temps, d’après certains indices, avoir été de race noire ;
4“ La reine Ah-hotep, hile des deux précédents, et femme de son frère
Aménophis P"';
5° Aménophis P''';
6® Thotmès II 5
'7° Thotmes III, le plus grand Pharaon de la XVIIP' dynastie)
8 ANNALES DU MUSEE GUIMET
Puis 1111 prince et plusieurs jiriiicesses ou reines, encore mal classées ou
inconnues, de la même époque; ce sont :
8“ Le })rince Se-Amen, qui mourut très jeune, et qu'on peut dire fils
d’Alimès, tant son cereeuil est semblable à celui du roi;
9° La princesse Se -x- Amen;
10“ La princesse Meri-t-Amen;
11° La reine 11en-t-Tamèiiu, peut-être fille d’Aniénopliis T'';
12° La reine Se-t-Ka, qui est dite clairement avoir épousé son frère, car
ses titres sont : « la fille royale, la sœur du roi et sa principale épouse; »
13° Enfin, la reine inconnne dont la }»yramide reçut pendant quelque
temps les Pliai aons arrachés à leurs tombes. Cette reine, dont le nom rappelle
celui des Anief ào, la XP dynastie, était d'une taille remarquable, P", 85,
si l’cii peut s'en rapporter à un premier mesurage.
Le second groupe de la X1X° dynastie se compose des deux plus illustres
Pharaons de l’Egypte.
1“ Séti P''';
2° Ramsès IL
Le dernier groupe de la XXP dynastie thébaine des grands prêtres
d’yVmmon, dont il permet de retrouver la série, comprend :
1° La reine Nedjem-t, |femme du grand prêtre Her-iior, chef de la
dynastie ;
2° Le grand prêtre Pjnedjem P‘‘, petit-hls de Iler-hor;
3° et 4° Une reine contemporaine de Pinedjem IPC Ra-ma-ka, qui mourut
sans doute en couches, car elle a dans son cercueil la petite momie de sa
fille Maü-t-em-ha-t ;
5° Le roi Pinedjem II, qui s’était approprié le cercueil de Thotmès P’’,
de la XVIIP dynastie;
6° Une reine contemporaine de Pinedjem II, Tua-t-Hathor-hen-t-
TA-üi ;
7“ Le fils de Pinedjem II, le grand [»rètre Masaharota, personnage au
LE PUITS DE DEIR El, P.AHARI
iioia (ra[ti)aiviice sémitique, ({u’uu ne connaissait pas encore, et qui muurut
vers Tan 24 ou 25 du règne de son père;
S” La tille de Masaliarota, qui l'ut la feniine du grand prêtre Ida-inen-
Iveper, frère de Masaliarota, la reine, As-t-em Kiieiî;
9'’ Une princesse nouvelle, Nesi-Kiiunsu, lille d’un roi ou d'un prétendant
qui n’est pas nonmié ;
Itr Un prince de la famille des Ramessides, ([ui n’était pas éteinte suiisla
domination des grands prêtres, et qui conservait des prétentions à la royauté,
Djet-Ptaii-an-f-ankii.
En résumé, il y a là vingt-cin([ momies de ditfércntes éjioqiies, sur les-
quelles, si on les déroule, on pourra faire des observations de toutes sortes
qui ne manqueront point d’intérêt.
La reine Ahmès-Nefertari, à qui son cercueil donne le teint jaune des
Egyptiennes et le profil aquilin des Sémites, était-elle ou non de race noin'
Séti P’’ et Ramsès II étaient-ils d’origine syrienne^ Le maximum de la tailb'
avait-il baissé a[)res les grandes guerres dans b'S familles royab'S ({ui im
s’alliaient qu’entre elles ?
11 n’est jiermis, ]»our b_' moment, de fournir des indications que sur cedr'r-
nier jioint, et encore d’après des mesures prises à la liàte, en tit nombre,
et sur des corps envelop[iés de bandelettes, avecla supposition arbitraire que
ragrandissement causé par les bandelettes est compensé par le rétrécisse-
ment qu’a }»roduit la momification.
L’ancienne reine dent il a déjà été parlé avait.
Alimès
La reine Se-t-Ka . .
Thotmès 111
Séti P’’ .
Ramsès II
La reine Nedjem-t
Pinedjem P'’
Pinedj(nn II
P" ou
An\. g. — IV.
iÜ
ANNALES DU MUSEE GUIMET
III
Ou sait (l '[mis ]oiigtem[)S que les momies étaient maintes fois acco)u[)a-
giiées (le [lapyrus funéraires (ou livres des Morts) à leur nom, rmifermés dans
des statueü'^s d'Osiris, et destinés à fournir au défunt, dans l’autre monde,
les forniul dees prières on d'inqirécations doid la magie tonte-puissante sou-
mettait jus(|u’aux dieux. On n’a cependant retrouvé ici, grâce aux vols anté-
rieurs des Arabes, que trois [ia[)yrus de ce genre, qui ne sont [»as encore
déroulés : un au nom de la [trincesse Nesi-Klionsu, un autre au nom de la
reine As-t-em-Kheb, et un dernier, dont le début fra[)[)e par la beauté des
couleurs et la netteté des hiéroglyphes, an double nom de Ra-ma-ka et de
i\Iaut-em-lia-t, sa tille. Exceptionnellement, un livre des Morts a[)p,irtenant
à Thotmès 111, était écrit sur des morceaux de toile qui ont été retrouvés
[larmi les bandelettes de la momie.
Si [)res(|ue tous les papyrus sur lesquels on pouvait compter manquent, il a
été découvrn-t, par contre, tassé dans un coin, nn objet remar<[uable, qu’on
ne s’attendait guère à voir au milieu de 1’ dtirail funèbre contenn dans le
l'uits : c'est nue belle tent ', en cuir de différentes nuances, au dais semé
d’étoiles roses, jaunes ou blanches, sur un ciel lilas clair, et aux (juatre [)ans
décorés de scarabées, d’urœus ou de cartouches au nom de Pinedjem II, le
tout l)ordé d’inscri[)tions finement découpées dans nn fond vert cousu sur un
fond jaune. Cette tente, d’après les biérogly[dies qin l’ornent, appartenait à
la princesse As-t-em-Kliel), fille du grand [U'ètre Masaliarota, [)etite-nlle
du roi Pinedjem II, et[)lus tard femme de son oncle, le grand prêtre Ra-men-
kheper,
I.E l'UITS DK DEIP. EL liAIIARl
1 1
Par ime liaison d’idées assez naturelle en Egypte, le re[)us (|n'iVs-t-eni-
Kheb pouvait goûter sous sa tente avait rappelé celui do la tombe, et, en
conséquence, une des inscriptions soubaite à la jeune [trincesse la paix dans
les bras des dieux, aux jours des cérémonies funèbres.
« (Ju’elle repose doucement en son asile suprême, enveloppé de parfums
et d’encens, rayonnant de Heurs de toute espèce et embaumé comme
l’Arabie ! »
« Qu’elle repose doucement dans les bras de Kbons : c’est lui qui est le
maitre do la Tbébaïdo ! 11 sauve ceux qu’il aime, fussent-ils en enfer, et il
livre les autres à la gébeniie. »
12
ANNALES nu MUSEE OUIMET
!V
Les cei’cueils trouvés à Deir el Bahari sont tous en bois, à figure humaine
et en forme de momie : on les classera suffisamment, au moinsgrune manière
générale, en disant (|ue les }>lus anciens sont recouverts d’un entoilage peint
en blanc, et que les })lus récents, ceux de la XXL dynastie, sont enduits
d’un vernis jaune.
l’ourtant cette distinction ne doit pas être acceptée sans réserve, quanta
ràg(‘ de la momi(3 renfermée dans un sarcophage, car ici apparaissent des
fraudes nombreuses. On s’emparait souvent des plus riches cercueils, et on
exilait leurs possesseurs dans des caisses moins belles. Huit momies au moins,
sur vingt-cinq, c'est-à-dire le tiers, reposent dans d’autres cercueils que les
leurs, et on ne les reconnait qu'à leur nom écrit en hiératique sur leur poitrine,
ou peint en surcharge sur leur caisse.
L’ancienne reine, dont la taille était si élevée, a été mise dans le cercueil
de llaa, nourrie»! d’Abmès-Nefertari ; la princesse Méri-t-Ainen, dans le
cercueil d'un sciibo nommé Sennu, et la reine Se-t-Ka, dans un mauvais
cercueil de la XXL dynastie; le roi Ramsès L’’, dont la momie manque,
avait eu le même sort, car les débris d’un cercueil à enduit jaune portent
son nom en surcharge ; le roi Pinedjem II avait, pour sa part, usurpé
le cerueil de Thotmès L'’, qu’il fit sans doute ornei' à nouveau et dont la cuve
fut couverte de prières à son nom. Enfin la princesse Nesi-Klionsu et le prince
Djet-Ptali-an-f-ankli avaient aussi usurpé leurs cercueils.
Une |)rincesse de la XVIIL dynastie, Mes-heii-t-Tamebu, probable-
LE l'UITS DE DEIR EL BAIIARI 13
ment tille de la. reine Hen-t-Tainelm, car son nom ajustement ce sens, l'ut
dépossédée comme bien d’autres ; mais son sarcophage a révélé de plus une
tromperie d’un autre genre et tout à fait inattendue: il contient une fausse
momie, sorte de poupée faite de chitfons qui entourent un morceau de cercueil
destiné à imiter le corps et datant do la XXP dynastie, ou à peu près,
car il est à enduit jaune. L’extérieur d’une momie est [)arfaitement imité,
et même un manche de miroir s’est trouvé, comme d’habitude, sous les
premières toiles. On songe involontairement à ces princesses des Mille et une
Nuits qui se faisaient passer pour mortes et se sauvaient du harem, pendant
qu’on enterrait un morceau do bois à leur place.
14
ANNALES DU MUSEE GülMET
V
Ces réserves faites au sujet des erreurs que peut suggérer à première vue
l’extérieur d’un sarcophage, il faut reinar({uer encore qu’il n'y a pas conformité
absolue de couleur onde facture dans chacune des séries de cercueils qui ont
été distinguées tout à l’heure. Cliaqiie série olire des variétés intéressantes,
et, en dehors des grandes lignes au moins, runiformité a|»parente se résout
en différences réelles.
Le sarcophage de Taaten est blanc, comme ceux de son groupe ; mais il
garde, particulièrement sur le contour de la })oitrine, dos traces de dorure
prouvant qu'il avait été doré partout, comme les cercueils des rois Antef, de
la XP dynastie. L(.“S hiéroglyphes, qui s’étendent des pieds à la tête en une
bande verticale, ont été peints en brun sur l’entoilage et repassés à la pointe
sur la dorure.
Le cercueil est d’une grande taille; et, h côté, les caisses d’ Ahmès et de son
fils paraissent exiguës. Celle d’ Ahmès est pour ainsi dire collante, au point
que le corps y semble à l’étroit. 'Foutes deux sont peintes en jaune, contraire-
ment à riiabitude, et sans ornements. 11 est i)Ossible, du reste, que ces petits
cercueils aient été mis dans de plus grands, comme c’est le cas pour la reine
Ahmès Nefertari, ([ui a deux sarcophages, l’un de taille ordinaire, peint on
brun, et renfermant la momie, l’autre énorme, dont le buste s’ouvre comme
un colfre, et ({ui contient le prenner. La reine Ah-hotep a un grand sarcophage
tout à fait smnblablo à celui de sa mère : dressés, les deux monuments
(eraient deux colosses, sinhout avec la coui‘onne ronde et les })lumes droites,
i
t
Annales du Musée Guimet.
SARCOPHAGE DE RAMSES II, SÉSOSTRIS
^ oine p> ï'io t( > çf r‘a.|r) i e ciu Alosée de IBoviltitj.
LE PUITS DE DEIR KL DAHARI
15
qui sunaontaieiit piiniitiveiiient leur tète, et duiit il subsiste ({iielques parties.
Leurs tigures, peintes en jaune et un pen connnunes d’expression, ont une
bonlioininie de géantes qui ne leur niessied pas.
Les autres cercueils de la inèinc dynastie sont de dimensions moindres,
quoique raisonnables. L’enduit blanc qui les couvre est coupé de bandes
jaunes croisées, sur lesquelles les noms et de courtes prières sont peints en
noir. Le dedans de la cuve est souvent noir, la ligure est jaune et lacoitllire
noire ou Ijleue.
La coitTure de Tliotmès III parait néanmoins avoir été dorée; mais le coffre
est tellement gratté et tailladé partout, ipi’on ne peut guère se tigurer ce qu’il
a pu être. Celui de Tliotmès P'', qui présente des traces de dorure et d’émaux,
peut avoir été orné ainsi par son usiuqtateur, Pinedjem II, à l’époque duquel
ce genre de décoration était usité.
Le cercueil de Séti P‘' est blanc, assez long, sans autres inscriptions que
les noms du roi, écrits à l’encre au-dessus do deux textes biératiipies de la
XXP dynastie, et il ne présente rien d’original ou de fra^tpant, tandis
que celui de Ramsès II, tüs de Séti P'', n’a [>as son pareil dans la trou-
vaille.
C’est un simple coffre en bois de grandeur ordinaire, en forme de momie,
c’est-à-dire de coiq»s enveloppé, et n'ayant guère quelques linéaments de
peinture qu’à la tète et' aux mains. La sévérité inattendue de ce bois nu ne
fait que mieux ressortir l’apparence Immaine et vivante delà sculpture. Le
héros semble couché dans son manteau de guerre, prêt à se lever au }iremier
coup de clairon. L’effet serait antre, mais plus grand peut-être, si, acceptant
l’idée de résurrection que suggère le monument, on redressait cette simple
statue de bois qui contient Sésostris sur un haut piédestal où il a[)paraîtrait
comme le génie de l’Égypte guerrière.
Les doubles et triples coffres de la XXP‘ dynastie, aux rnasqes dorés ou
bronzés, sont tout l’opposé de ce chef-d’œuvre, et l’ornementation les
surcharge. Là, au dedans et au dehors, sur un vernis jaune qui sert de fond,
} apillûtent toutes les couleurs de la [>alette égyptienne, en hiéroglyphes et en
divinités innombrables. Seuls, quelques cercueils à incrustations et à émaux,
comme celui de la reine Nedjem-t, varient l’impression par l’espèce de
miroitement glacé qui les revêt.
lÜ
ANNALES DU MUSEE GUI MET
VI
Aucun peuple u’a embelli ou du moins paré la mort comme les Égyptiens,
et par suite on se sent jiresque toujours tenté, en présence d'un sarcophage,
de voir à nu la momie qui est dedans.
(Test un désir qu’il faut perdre. Les tètes de la reine Nedjem-t et du roi
Linedjem 11, ainsi que le corps tout entier de Thotmès 111, déroulés par
M. E. Brugsch en présence de l’école française, sont maintenant visibles, et
montrent que la mort est toujours la mort, quoi qu’on fasse. Le vieux conqué-
rant surtout, cassé en trois morceau noirâtres, apparaît dans ses langes,
comme un cadavre défiguré par quelque horrible maladie.
Mariette a beau dire : il n’j a pas de belles momies, ou, en d’autres ternies,
[)lus une momie est belle dans son genre, plus elle est laide en réalité. Le
mauvais embaumement ne donne qu’un bloc informe, tandis que l’embaume-
ment parfait accentue des détails repoussants. Le nez ouvre deux trous sans
fond, la bouche tire la langue de travers, les yeux sont crevés, les mains noires
semblent des pattes, et l’ensemble a une apparence misérable, diminuée,
desséchée, qui n’est ni d’un corps ni d’un squelette, mais qui représente
quelque chose de hideusement intermédiaire, un corps ou un S(juelette contre
nature, et, si Ton veut, une variété de loin et de l’autre : le corps sans la chair
et le squelette avec la peau ; ce qu'il y a de touchant dans la lutte inutile
tentée contre la mort en Égypte ne saurait pallier l’horreur définitive du
résultat .
La science, qui dissèque les cadavres, ouvrira les momies : c’est son droit
LE PDITS DE DEIR El. BAHARI
17
de reclierclier, dans le passé aussi bien (juc dans le présent, tout ce (jue
l’hérédité, les passions et les circonstances font du corps humain; mais pour
qui ne déroule }>as les Pharaons, il ja quelque diosc déplus agréalhe à voir
que leur dépouille, c’est leur Loüelte.
Rien de joli cumme cette envelop[)e faite d’une toile un peu jaunie (de la
nuance nommée aujuiird'liui couleur crème) sous un entrecroisement coquet
de bandelettes roses. L’ensemble rappelle, si l’on peut dire, ces boîtes de
bonbons nouées de rubans qui s’olfrent après un baptême, ou mieux, ces
tiancées arabes que l’on promène encore dans les rues du Caire, et que l’on
conduit à leurs tiancés entièrement voilé('s et masquées.
Presque toutes les momies ainsi paréos sont couvertes de i^-uirlamles
sèches et de lotus fanés qui ont traversé intacts des milliers d’années, et
nulle part la suspension du temps, l’arrêt de la destruction ne sauraient se
com[)rendre mieux qu'à la vue do ces Üeurs immortelles sur cos corps éter-
nisés. C’est bien là l’image d’un sommeil sans tin. Une momie pourtant,
celle d’Aménophis P’’, dont un masque jaune aux yeux d’émail moule la
tigure adolescente, semble, comme lasse du repos, s’éveiller en souriant dans
son lit de tleurs.
Ce gracieux tableau résume l’impression que laisse, au fond, la trouvaille
de Deir el Bahari. A [lart qm'hpies documents précieux pour Phistoire de la
XXP dynastie et (pielques prières sur toile qu'on a chance de trouver
avec les momies de la XVIIP, il n’y a peut-être là matière ni à do longues
recherches ni à de grands résultats. L'intérêt delà découverte est ailleurs.
11 est dans le coup de théâtre ([ui ramène subitement ii la lumière une
assemldée de rois et (pu nous fait toucher (hî si près des choses que l'on
croyait si hhn. 11 (>st aussi dans rap[)arition de ce [)oéti([ue entourage que
l’Egypte savait donner à la mort, et dans h_‘quol s’encadrent encore, sous
nos yeux, quebpies-unes des traces ou des reli(pi('s les plus fugitives de
la vie, depuis le chasse-mouches de Thotmès, trouvé dans son cercueil,
jusqu’au sourire d’Aniénophis.
Le Caire, G août 1S81.
Ann. g, — I\'.
V
ÿS:-'
r.
i
\
v;