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Full text of "Le Rhin et la France : histoire politique et économique"

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J. AULNEAU 



LE RHIN 

ET 

A FRANCE 



HISTOIRE POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE 




PARIS 

LIBRAIRIE PLON 

PLON-NOURRIT et €?•, IMPRIMEURS-ÉDITEURS 

8, BUB 6ARÂNGlèllE-6* 
Tous droits réservés 



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LE RHIN 

ET 

LA FRANCE 



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I 



OUVRAGES DU MÊME AUTEUR 



La Ciroonaerlptiou électorale. Èiude biiiorîquc^ cnUt|ac ei 
de Jigt«ktio[] campsfét. — Oo voL ([rand iti-8*, iMÏ p. (Paris, 

Prix rfe la mile dtE Paiiien. 

Suez et Panama. — lu-»*. (ParSi, Alcuh, i9oïï.) * 

La Poli tienne orientale de l'Italie et le Maintien de 
la Triple- Alliance. (Pari», 1910.) 

AméricaiuB, HuaseB et Japonais en PSandchourie. 
La lutte d'influence. (Pnrb, 191 1) 

Les Aspiration B autonomistes en Europe. [Eu coUabLi- 
ration.) -^ Un toL îii-8*. (Parii, AlcaR; 1913.) 

Le Canal de Panama. L'ejcpanBion éGonomiq[ue des 
Ëtata-Hnis et la conquête du FacUi<pie. (Varin, 19U.\ 

Suez et Panama, (fariii, 1913.) 

Germ^ains contre Slaves. — fir. (ParU, 1914.) 

La Turquie et la guerre. — Un val. in- 10, avec une préfuce 
de H. Siepben PicEir^n, ancien inïniatrr dei AFfuircA élran;;érei). 
i" edit. revue. (Paria, Alcan, 1!>17.) 

Ùfti'rage cauronjié par l'Académie fraJt^aise iprix Moutyon titiéraire) et par 
l'Académie dts nt>«ci?j moraïès ^t polftîquti {prix Dnkuy**. d€ Lhufs\, et 
hfiitoré d*une souscription, des Mmiitâre^ des A/fatres étran^dres et de 
nastrnctton publique. 

Au Front britannique. — Un vol, ïq- 16. (Pans, La RitrtAïa- 

s ANGE IH3 Livre, 1919.) 
ÛHitrase couronné par i'Âeadvtm'e française prix Datrsint) et hancré 

â'xtne jmtscriplion des Wniffèrei des AffatTes etranfjères et dr l'imirnctian. 

publiqui. 



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J. AULISEAU 



LE RHliSt 

ET 

LA FRANCE 

HISTOIRE POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE 




PARIS 

LIBRAIRIE ' PLON 

P€ON-NOUURIT et C-, IMPRIMEURS-ÉDÏTEURS 

8, BUE GAEANGIÈRB — 6* 

Tous droits réservés 



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\',t '.'<■- 






Crrpyjifjbt 10il by Plou-Nourrit et C*'. 

UrnîU lie rtrpivîdiietïûn et de tniduction rcservéi pour i<?us P^y^. 

Fabiî{{U(ï du Frait'rr. 



il^ Tuluine a él6 Jûpoié au minï«lère de l'iolérieur en i9âX ^ 



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TABLK DES MATIERES 



InTBOittrGTion' 



1 



LES ORIGINES : CELTES ET GERMAINS 

1, — Les preftifèreâ rao^a en ûaulo 6i 6n Germanie^ ^ 

L'Emplrs celtique. 

Comment se sont peuplés ces deux pays.Qrig-înescel- 
lîqties du Hhin. — Premières différeoccs entra tes 
tribus cettéA et les tribus gcr eu aines ■ 
L'exteuaion de l'empire celtique. — L'influence des 
Celtes. ™- Opposition entre Celtes et Germains. 

11^ -^ Lee premlôree Invaaiens (121 av. J.-C,)- ^ La 
chute de PEmpIre oeltiqua .......... 

Les Ciuibres et les Teulons (113 av. J.-C*). — Quelles 
sont les peuplades liabitaul ia Germanie? — Ce qui les 
caractérise. — Les di^éreueea s'accentuent avec les 
Gaulais. 



f 



CHAPITTlB II 

GAULOIS m: ROMAINS SUR LE RHIN : 
LEUR ŒUVRE CIVILISATRICE 

t* — Céaar» en Qatile (BB av. a.-C.)^ — La défense du 

Rhin . . . . , , , 

Son œuvre politique et militaire. — La civilisation 
gallo-romaine va policer les Earbares. — Il faut pro- 



11 



li ^i « I I ^ » 



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VT TABLE DES MATIÈRES 

téger ]â Gaule contre les invasions, — La Rhin foasé 
protecteur de la Gaule, — Ot'^aniaation de sa défense 
en rive gauche et en rive droite. — Lea Champs Dé- 
çu ma tes, 

L'oflenBive de Rome contre la Germanie, — Rome 
prend roffensive pour étendre ta zone de protection 
et repouaseï* les attaques germaniques, — L'occupa- 
tion militaire romaine. — Comment elle eat constituée. 

IIé— Let Romains asaoo lent les Ûaulols, puU tes Gef- 
mains, à leui^ mlsston oivillaatrios 15 

Le Limes germAnicas. — Les Barbares en Gaule : 
les dernières Juttea de Home, — Arrivée des Alamans 
(an 3t3) et des Francs (an 214). -^ Lutte des Empe- 
reurs contre les Barbares, — La Gaule rempart de la 
civilisation sur le Rhin. 

il. — La colonisation gallo-romaine. -^ La Tuaton des 
races. . , . * » IS 

L'infiltration des Germaine en Gaule. ^ Lea der mè- 
res invasions germaniques (iv' aiècle). — Les Huns et 
leurs ravages. — La victuire des Champs Gatalauni^ 
quea (an 457)* 



GSAPITtlE fil 

LE GRAND EMPIRE FRANC 

L — Clovls et Gharlemagne . SS 

Les Francs et la civilisation gaJlo-romaine. >^ Luttes 
dos Francs contre les Germains de la rive droite. — 
Idée du maintien de Tunité du royaume. ^ Charle- 
magnc et l'unité de J'empire ftanc. 

La domination gallo-franque ea Germanie ; projfréa 
de la civilisation. 

Il* — Le Traité de Verdun et les partages 27 

La succéHSïon de Charlcmag^ne et le démembrement 
de l*Empire, -^ Les caractères du traité de Verdun 



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TABLE DEâ HATléEEa Tlf 

{843). ^ Lea parUge» succo»fifi, — L© traité de Mer- 
Bea Dt lea conaéquençeis (S7û}. 

Jil. — Là France rhénane aûus le& derniers Carolin- 
gien» Bt les Capétiens 13 

Les CarolingieDB et la rivû faucfie du Rhin, — ha. 
Lothariogia fait partie du territoîra français. 



LES CAPÉTIENS, LES VALOIS 
ET LES REVENDICATIONS FRANÇAISES 

I. — L'avènennent des Capétiens. — La politique de 
Philippe le Bel 34 

11 est rhéritier de Gharlemagne. -» 11 revendique la 
rive gauche du Rhin. 

II. — La oivilisatlon française en Rhénanie 37 

Les traditions se conservent dans les pays rhé- 
nans. — Ils sont soustraits à rinfluence allemande. 

III. — La politique des Valois 40 

Ils continuent les traditions françaises en Rhéna- 
nie. — La Renaissance. — La France est de plus en 
plus une initiatrice sur le Rhin. — François I*' re- 
prend les desseins traditionnels. — Ses alliances avec 
les princes rhénans. 

Henri II. — Acquisition des Trois Évéchés. 



CHAPITRE V 

LA POLITIQUE DES BOURBONS 

I. — Henri IV et Sully. — L'œuvre de Richelieu et 
Mazarin , 48 

Il faut des frontières à la France de l'Est. 

La lutte contre la Maison d'Autriche pour aHeindr« 



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X TABLE JO£a lUTIÉREfl 

ll.^Lft République olerhAnanfi^ ^L'oppoiltlon en payt 
rhénans « ^ . BB 

Hoche &t !a HâpubJique cisrhéaane^ — L^'opposilion I 

qu'elle rencontre et qui s'adrei^Eiâ d'une façon ^né- * 

raie aux Français ; mais celto opposiLion reste isolée* ^ 

La H â publique cisrhénane est combattue à Parla, de- 
puis Je Coup d Etat du 18 fructidor^ par les partisans 
des frontières naturellea. — Hoche est désavoué. 

III. ^ L^Admlnlstretlon de Rudler et PergAnlsatlon 
dea pars rhénana en départements français. . « . 02 

Le trgité de Campo-Formio, — L'application des 
lois françaises en pajs rbénans. 



CaAFITRB TIII 

LES PAYS RHÉNANS DEMANDENT LEUR ANNEXION 

I. ^ Les adresses et les vœux des populations . , . fifi 

IL — Les désordres de PAdmlnlstratlon rhénane^ ^ 
L*opposltlon 9'ac croît. Les réformes * 99 

L'administration da Marquis eh paysHiênana. 

Nos revers. — L'administration de Lakanal. 

Le coup d'Etat de Brumaire. — Sa répercussion en 
Rhénanie* 

L'Admïnistï'alioïi de 5hée. —^ Certains réclament 
Tannexion et le répîme de rautonomie* 

Eé forme 3 de T Administration, — Création des pré- 
fectures et des sous-préfectures. 

H. — L'Annexion 104 

Le traité de Louéville, — L'aanexion é la France. 
— Les Rhénans demandent l'assimilation* 



LE OÉÙiME NAPOLÉÛNrElf 

L— Le Recez germanJque de igD3. — L'enUioustasrne 
pour Napoléon 107 



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^i^'J 



TABLB DES ^iATLÈBËB XI 

II. — L'cftuvrs de Napoléon. * ^ . Itl 

Au poLnt de vu© politique, admiaiBtrattf » — Les pré- 
fets de Napoléon: Jean Bon Saiu t- André, Le^aj-Mar^ 

Att point de vue judic^laire, militaire, fin a ooier, api- 
cole, industriel, reli^ieus, iot^iteciueJ. 

m, - Ut Oonfédèrâtlofi du Rhin Uv 

IV. — L'Allomagno françalao , . lï& 

L^lnflueuce de la cultura française. — L^'attacbement 
dea Rhénans à la France «ous le régime napoléonien. 

— L'admira lion pour l'oeuvre de Napoléon, 

YL — Lea rovei's, — L«6 traités de 1B14 et de 1&15. lai 

La cAmpa^e d^'AUeina^ne. — Lo Traité de Paris. 

— Le CoQgrÈa de Vienne et les Traités de ism. — 
La Pruase sur le Rhin. 



LES SUflViVANCES FRANÇAISES 
ET LA GRANDEUR DE LA PRUSSE ,f 

L — La propegande pi*usatenne en Rhénanie aprèi ( ' 

1S1B. — U'oplnlon publique . , - . 138 _ * ^ 

Elle cherche à effacer lea traces profondes de l'in- 
fluence Trançaiee. — Les débuta du gouvernement pmi- J 
■ien, ' 

Le mécontentement dans l'opinion publique est trèi 
grand. — Vive antipathie pour la Prusse : les fone- 
lionnaires, les impôts, la législation, la religion. 

Le prestige de Napoléon, i- - 

Lofl bien fait» do la Révolution françaîio en Hhé- | 

II. - V^plnlon pifblIqiM art Fnnm al dans lea paya 
rhénane après 1S30 et en 1S4S, — La rUe gauche 
du Rhtn , J45 

La aentimeat d'unité w développe* ^ Le Zùtimerein. 



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XII 



TABLE DES MATlÉBES 



lli. — L« Réiralutlon de 1848. — Véleoiïon de Loul«- 

Napoléon > . . . 15D 

Le prestige du aouvel Empereur, 
Les sentimeQts des KtaU du Sud : Us souliennent les 
Hhénoûa dans leur hostilité contre la Pruaso et dèat- 
reot l'appui de Napoléon* 

IV, — Las sentiments des Rhénans et des Allemands 
du Sud. — La guerre de 1870 et ses suites. . . , 155 
L'Affaire dès Duchéa. — La Conlédération germani- 
que contre la Prusse. ^ La politique de BiorTiiz. ■ — 
La guerre austro-pruBsienne. — Que va faille Napo- 
léon III? — tjou abstention. ^ Les conséquences. 



I 
LA VICTOIRE DE 1918 

La CoaveatLon d'armistice du 11 novembre 19iB, 
Les garantie ji de la France 



173 



y 



LA FRONTIÈRE DU NORD-EST - 

L — Ls frontière du Nord-Est soua la Monarchie . . Ifll 

Les routes d'invasion. 
11.^ Ses transformations en 1816 et en 1B70 . . , 184 
III. — La frontière du Nord-Est et le Traité de Ver- 
sailles 193 

iV. — La frontière mllIUlre au Rhin ....... 1&8 



cuAPirBa :xm 

OCCUPATION ET PROJETS D'AUTONOMIE 

DES TERRITOIRES RHÉNANS 

L — Les premiers organismes et les zones d'oeeupa- 

tïon 203 

Cette occupation e$t d'ordre militaire et constitue 
une j^arantie^ — Elle doit être de durée indéterminée 



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TABLlf DBS MÂllËRËS Wm 

et etle a pour corollaire la ûrètUOD d'un EUt auto- 
nome. 

Comment acs porUsaïiB conçoÎTent l'occopation «t 
l'autonomie. -^ ATantages miliiairas et économique!. 

II. — Les aentlments autonomlete» en Rl>énanfe. - , ïli 

DifTérences profondes eotre lea Rhénaiia et le a fVus- - 
siens. — La tutelle de la Prusse se fait «entir pe- 
samment sur les bords du Rhin. 

Après Tarmistice, ce» différences s'accentuent'. — 
En quoi elles consistent, — Les sentiments d'hostilité 
envers la. Prusse, 

iU, — Les projets d'autonomie et de séparation. . . sit 

Les manifestation 3 des Comités. — L'opposition de 

U Prusse. 



CHAPrntB TTt 

LES NÉGOCIATIONS A LA CONFÉRENCE DE LA PAIX 
ET LA QUESTION DES GARANTIES 

I, _ L'attitude de la Ffante et tes projets du maré- 
chal Fooh - * . . - 235 

Les garanties indispensables è la séourité de U fron- 
tière du Nord-Est. 

ÏI. -» L'opposition des Altlèsà Tindépandanca et à l'au- 
tonomie dos territoires rhénans et à leur oocupatton 
définitive S43 

Le dés arma ment et la démilitarisation de rAHema- 
pDe suffisent. — Une solution transactionnelle : le 
traité d'alliance et de garantie franco-anglo-améri- 
cain ï la démiîitarisation des rives du Rhin et l'oodu- 
pition temporaire de la rive gauche« 

IIL — La question de la Sarre . . . sai 

iV. — Les derniers essais de République rhénane. * ïts 



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lit 



TABLE DES VATfÈllES 



LES STIPULATIONS DU TRAITÉ 
DE VERSAILLES ET LES GARANTIES 



SB4 



GnAFtTRB XVI 

LE STATUT DE L'OCCUPATION 

L ^ L6 régime de l'occupation avant le Traité de paix. 

Le Cou M te général à TE Lai- Major du maréchal 
Foch. 

Quels principes régissent ce rég-ime d'occupation 7 
— Eti quoi il consiste : en matière administrative ^ — 
Le» fonctionnaires ; en matière judiciaire ; eu. matière 
financière et économique, 

IL ^ Le régime <i'o<:oupatlpn depulâ le traité de paix. 

Le projet des Etats- majors, — L'opposition améri- 
caine, ** Le projet du Conseil suprême; les décisions 
de la convention annex© du 2S juin. 

La Haute Commisaion interaltiée. — Ses origines ; 
Bcn évolution ; son fonctionnement. 

IIL — Les attributions de la Haute Commlsefon Inter^ 
alliée 

En matière administrative^ en matière judiciaire. — 
Droit de police et droit de juridiction. 



S94 



3DÛ 



305 



LES RÉSULTATS DE L'OCCUPATION 

L ^ Les principes , . 

Quels principes Ê;ouvernent l'occupation ? — Com- 
ment la Haute Commission la comprend. 

La propagande prussienne et les sentiments des po- 
pulations. 



311 



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TABLE nm MATIÉBES I^R 

H. — AUltuda de la Haute Commltston et du Haut 
ComifiIftMrlat français à l'égard des Rhénans , . . 3S3 

Comment eïle se manifeste, — Les aoiipes poptilaires* 
— DiaLributiou de secours aux ainiâU-és^ aux euf«[its 
maLadea^ à J'occasion des féies de NoëL — Les arbres 
de NoB]« 

Tournées théâtrale» — Confèrencoa. — SaJles dedé^ 
pécbea. — L'eafleignament du français. 



I 



II 



GHAPITRB iViTt 

LA RHÉNANIE ÉCONOMIQUE 

L ^ Les rioheases de la Rhénanie . . . . , ^ . 839 

L'ûg^fî culture 4. — Lea richessea du aous-iol. — Le 
houille. — Le coke, -^ Le minerai de fer^ — L'ioduB- 
trîe métallurgique et Tiudustrie des Laxtiles. 

Lei voies navii^ables. — Le Hhin. — Les porU rhé- 
nans. — Lee canaux. — Les voies ferrées. 

— Le régi ma économique Institué en tarritoire 4^ 

rhénan. .«.....,*>.. 340 

Le problème du ravitaillement de la Rhénanie après 
rarmïstice et de Técoul émeut de certaius stocks. -^ 

Régime tndustriei et régime commeroial, ^ Les aec- ^ 

lions éi^ouorniques. 

L'évolution économique. 

III. '^ L'attitude du Qouvernennsnt prussien «... 347 ^ 

Ce que pcuaeut les Rhénans du nouveau régîme* ^ ^ 

La Prusse veut fermer Ja « trouée de l'Ouest ». — Me- 
sures qu'elle adopte. 

IV. — Les relations àoonomlquas de la Franoeaveola 
Rhénanie - ... * 353 

Importations ; les phosphates, la potaase. le minerai 
de fer, le nickel, le chrome, les ferro-alliagea, Les pro- 
duits coloniaux, les objetsdc luxe, les vins et cognacs, 
les industries textiles. 

Exportations : les charbons et minerais, les produits 
métallurgiques de la Westphalie et delà Sarre, ~ La 



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xti 



TABLE DES MATIÈRES 






oanalisaLioD de la Moselle et do la Sârra. — Le bois. 
^ Les briques rèfractaires- -^ Le ctmatit- — Lee pro^ 
duits chimiques- — Le Ubac. — Le sucre- 

V. — L'amélioration des votes de transport . * - . 



30^ 



YL — La frontlèpa douanière de l'accord de Londres 
et les sanctions économiques 306 

ConûLusioif, .......* . âT3 



il 



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INTRODUCTION 



Depuis les époques les plus reculées de T histoire, 
la question rhénane, trne des principales formes do 
la question d'Occident, a pris une importance sans 
cesse grandissante» Les pays voisins du Rhin ont 
été les témoins des plus rudes batailles. Les uns 
voulaient franchir cette barrière naturelle que cons- 
titue le grand fleuve, à la recherche de territoires 
plus vastes, mieux cultivés, ou de débouchés éco- 
nomiques- D'autres voulaient conserver cette fron- 
tière que la nature et l'histoire leur avaient donnée. 
Autour de ces groupes opposés, luttant pour la 
conquête ou pour l'indépendance, des ententes se 
nouent et le conflit j limité à son origine, s'élargit > 
Pendant des siècles, dans l'Ouest de TEurope, soit 
pour conserver un équilibre politique nécessaire 
dans les pays les plus riches et les plus peuplés ^ 
soit pour fixer une borne aux invasions, les luttes 
seront incessantes. Si l'on résout la question de TEu- 
rope centrale et si Ton règle la question rhénane, 
Tune pour une grande part dépendant de Tautre ; 
la paix est assurée : les ambitions politiques ou 
nationales s'apaisent. 

Les historiens de Tantiquité : Jules César, Tacite, 
Grégoire de Tours, Isidore de Neuville, appellent 
Germanie les pays au delà du Rhin. Lorsque les 
Germiains traversent le Rhin, ils pe uplent la Gaule, 



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2 INTRODUCTION 

l'Italie ou l'Espagne, et s'y mélangent avec une foule 
d'autres peuples. 

Sur ces territoires vastes et riches, allant des 
premières assises des Vosges aux frontières des 
Pays-bas et situées le long du grand fleuve, vit 
une population mêlée de Celtes, de Gallo-Romains, 
de Francs, de Gertnains 5 c'fest la France de l'Est, 
appelée Austrasie et Lorraine, marche frontière 
de la civilisation, rempart de l'Occident contre la 
Germanie, champ dp bataille de toutes les nations 
de l'Europe attirées d'abord par ses richesses ûa- 
ttii^ellés, puis par sés industries prospères. Ruines 
architecturales, aqueducs, routes, souvenirs histo- 
riques, témoins encore vivants de ce glorieux passé I 
Quand Ifes Gferittâins arrivèrent et se mêlèi^ent aux 
Gallo-Romains, ilô furent absorbés par cette cul- 
ture qui les dominait ; les empreintes de la civilisa- 
tion romaine restaient gravées profondément dans^ 
\h sol ; la civiliàatiôh germanique^ tout artificielle, 
ne put les effatjer. 

La hature a placé le Rhin comme une barrière 
ehtre deui civilisations diflBérentes. Il servit à ar- 
rêter les invasions, il permit de se défendre contre 
elles. Il fut une limite \ Une étude attentive de 
k Gaule et de la Germanie nous montre à chaque 
pais te large fleuve au cours ptofond opposé à teur 
rivalité. Dès l'origine, c'est, d'un côté, le travail 
ordonné, le développement de la culture et des 
arts mécaniques, la vie de famille, la civilisation 
fomaine dans ce qu'elle a de plus paisible et de 
plus doux ; de l'autre, la vie errante des tribus dans 
les camps, le pillage, les déplacements à travers 
des forêts immenses et de vastes marais, et, pour 

1. Gicéron, Or&tio in L. Calputnium Pisoneniy parag. 33, « Le 
fossé du Rhin aux gouffres regorgeant d'eau s'oppose comme 
limite flux pliift lAiottsti'UèUàeé deli^naiiohs. » 

J 

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JNTlOtrCTiON 3 

tout dire, la barbarie. Ces populations s'opposèrent 
les unes aux autres, soit par la différence de kurs 
mœurs, soît par la différence de leurs intérêts po- 
litiques et économiques qui, chaque jour, s enche* 
vêtraîent davantage. Le Gallo-Romain était trop 
différent du Germain, Les périodes de trêves ser- 
virent à préparer de nouvelles luttes. Pour que la 
paix règne, il faut que les contrées qui bordent 
le Rhin ne soient plus contestées par leurs voisins. 
Seuls Charlemagne et Napoléon^ à deux époques 
glorieuses de F histoire européenne , ont pu assurer 
une tranquillité relative à ces populations tirail- 
lées en tous sensj exploitées par leurs maîtres 
d'un jour^ servant d'enjeu à toutes les contesta- 
tions. 

Après les invasions, après les partages carolin- 
giens qui morcelèrent la France de TEst dont 
une partie rentra sous la suzeraineté germanique 
comme, plus tard, des mariages princiers mettront 
atix Tuains des Anglais les deux tiers de la France, 
le Saint-Empire domine dans toute la Lotharingie, 
Il veut s'étendre alors et des souverains avides 
nous envahissent, car la frontière française a été 
reportée bien en avant du Rhin, Pendant plusieurs 
siècles, la France ne sera pas en sécurité, tant 
qu'elle n'aura pas constitué sur le Rhin « les mar- 
ches de rEst:>, 1792, 1870^ 1914j guerres que la 
politique n'a pu éviter parce que la France et l'Eu- 
rope avaient laissé la porte ouverte aux invasions : 
là est toute la question rhénane. 

Lorsque la France s*étendît jusqu'au Rhin, ce 
fut moins par le droit des armes que par le libre 
consentement des peuples» Si les traités nous accor- 
dèrent la rive gauche du Rhin, ce ne fut pas en 
vertu du droit de conquête, mais parce que les po- 
pulations se donnèrent à nous. La France joua 



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IHTRODUCTIOH 



! 



auprès de la nation g-ermanique le rôle d'initiatrice, 
d'éducatrîce, LFes populations franques qui vivaient 
sur le fleuve j en protégeant ce patrimoine de liberté 
et de civilisation lég^ué par Rome^ enrichi par la 
Révolu tion, formaient, contre le germanisme, 
l'avant-garde de TEurope, Lorsqu'elles ne furent 
plus libres, la paix européenne se trouva compro- 
mise* Elles occupent des Etats, des provinces, dont 
quelques-uns sont à cheval sur le fleuve* Leurs 
territoires ont une unité indiscutable, une vie propre ; 
ces peuples sont plus près de la civilisation gréco- 
latine que de la culture prussienne et certains 
parmi eux aspirent à Findépendance- 

Que leur réserve Tavenir? Cette étude est pure- 
ment objective, sans aucune visée politique. Mais 
on doit à la vérité historique, avec Tétude impar- 
tiale des faits, — car aux arguments français, la 
Prusse oppose des arguments en apparence aussi 
forts — de montrer, pour renseignement des géné- 
rations futures, quelle a été l'œuvre de la France 
sur le Rhin. 



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LE RHIN ET LA FRANCE 



CHAPITRE PREMIER 
LES ORIGINES : CELTES ET GERMAINS 



I 



Les premières races en Gaule 
et en Germanie. — L'Empire celtique. 

Le Rhin, dont le nom est d'origine celtique *, est 
un des plus beaux fleuves de TEurope. Sans êlre 
le plus long ni le plus large, il est le plus majes- 
tueux, celui qui traverse les contrées les plus riches, 
dans le site le plus pittoresque, et dont la naviga* 
tion est la plus abondante. Les Gaulois en avaient 



1 . RenoSf flot, eau courante. « Gomme les peuples celtes ne 
connaissaient pas d'autre fleuve, ils appliquaient au Rhin le nom 

3u'il8 donnaient à toute eau courante en général. » V. D'Arbois 
e Jubainville. Revue eeltiqney XXiX, 1918, p. 81. « Ils donnè- 
rent encore ce nom en France au « Reins » RenuSf affluent de la 
Loire, et en Italie à la petite rivière du Réno. De même la 
Taube, affluent du Mein, portait le nom de Dubrtt d'où, en 
France le nom de la rivière du Verdouble dans les départe- 
ments de l'Aude et des Pyrénées-Orientales. » E. Lavisse, His- 
toire de France, Paris, Hachette, 1900, T. I, p. 23, et Camille 
JuUian, Le Rhin gaulois, 1 br. Paris, Atlinger, 1910, p. 14-16. 



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1^1 



6 ; -, LE ïiHïrî ET LA FRANCE 

fait , un pieu, , ç-omme les Egyptiens du Nil et les 
Kîpdoïis (ia Gknga Pour eux il était le père des 
fleuves, et pour les anciens en général un fleuve 
sacré. 11 leur semblait le plus grand du monde. 
Comme tous les fleuves, il engendrait des héros^ 
donnait naissance à de belles lignées humaines. Un 
chef guerrier celte se vantait de descendre du Rhin 
qn il mettait dans son arbre généalogique, à l'ori- 
gine de ses aïeux < Pour les Gaulois, le Rhin était 
le gardien de la vertu des femmes et de la pureté 
des foyers. Depuis les époques les plus reculées, 
il était celte et non pas germain^ parce que la po- 
pulation qui habitait à Talentour était d'origine 
celtique* 

On ne sait que fort peu de choses des races qui 
séjournèrent en Gaule et en Germanie avant les, 
invasions. L'une et l'autre eurent une population 
autochtone, dès T époque quaternaire, ainsi que 
rindiquent les ossements trouvés le long du Rhin, 
en Moravie et dans Tintérieur de T Allemagne, Près 
de 2.000 ans avant notre ère se produisirent les 
invasions des peuples indo-européens j les Ligures^ 
les Celtes, les Scythes ou Slaves et enfin les Ger- 
mains. Ils formaient les multiples rameaux d^une 
même famille. A ceux-ci devaient succéder plus 
tard les tribus de la famille mongolique et tartare : 
Huns ou Hongrois, Finnois, Bulgares, Turcs, Tous 
venaient du Nord du continent asiatique; ils vi- 
vaient avec les troupeaux qu'ils poussaient devant 
eux, chassaient et pillaient : ils constituaient des 
tribus pastorales en armes. Celles-ci s'installèrent 
sur les bords de la Baltique, de la mer du Nord et 
dans la Germanie tout « hérissée de forêts ou noyée 
de marécages » (Tacite), où le ciel est dur et Faspect 
sauvage. Ainsi des peuples très divers se fixèrent 
provisoirement en Germanie avant d'entrer en 



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LES OBiaiNËS : CELTES ElT QERMAJNS 7 

Gaule; il n'y eut pas ea Germanie que des GermaiDs. 
Du reste 4c tous les peuples d^Éurope sont, sans 
exception j le produit des mélanges aune iofiaité 
de peuplades qui ont successivement envahi le aol 
qu'ils hâbiteut aujourd'hui \ » 

Nou4 ÏI6 savons presque rien des Ligures ; nou3 
sommes un peu plus, re^iv^igxvés sur les premiers 
Celtesi <jui yout outrer en coiç^t avec eux. U semble 
qu'ili^ aient été les hjperbioréens qui habitaient, aux 
dire» dea ancien$ a\:^teui*^ grecs^le système monta- 
gneux de l'Europe centr^lej celui dea monts Ripées. 
C'eat là qu'il faudrait chercher la primitive delt^- 
quQ* Parmi les^ tribus celtes, quelques-imes restèreut 
eu Germaine, d'autres se fixèrent e« Transrhéname, 
4'^ut?es enfîu frauchirent le Rhin et formèrent \d 
noyau de \^ natiou gauloise, apipès avoir mis fin à 
la domix^tiou dei^ Ligures. 

On reçonuaî^ dans les poms des rivières, d^s 
montagnes, des villes, les traqes du passage d^s 
Celtes : l^Isère^ TOise, Tlsar en Bavière^ la Thu^, 
affluent du Rhin, TAube, l'Elbe. « Aucun de leuis 
voisins^ n'a exercé sur les Germains ime action 
aussi puissante que les Qeltes % » La civUi3ation 
celtique^ César en fut témoin et le raconte, a é^é 
très forte. Xjqs Germ^^ins, qui étaient très en retard 
par rapport aux Celtes, leur ont beaucoup emprunté, 
puisqu'ils furent eu relations commerciales avec 
eux. Beaucoup de mots germains viennent du celte, 
ceux qui désignent le pays, la plaine, la montagne, 
le village, la ville, etc.. Beaucoup de noms propres 
sont d'origine celtique. 

Saus çe^se des iribua eptières, qiu s'avaucent 

t. BdmçtDji Pe?rior, Franœ et Altom^aiiQ, % vol. iiv-S'' Paris, 
Payot, 1915. p. 30. V. aussi JeanFinot, Les préjugés de«. races, 
1 vol. in-8» Paris, Alcan 1905, p. 16-79. 

2. Much, Deutsche Stammeekundef p. 41. 



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s LE BHIW KT LA FRAI^CË 

pacifiquement de Germanie^ déYersent sur la Gaule 
des apports de peuples nouveaux, La Laine séparera 
ces peuples des Germains plus encore que leur ori- 
gine < de même que les Germains, groupés sous 
Clovis et Charle magne, devinrent si rapidement 
différents et adversaires des Germains demeurés 
dans les plaines indépendantes. Malgré tout, des 
ressemblances frappantes subsistèrent toujours en- 
tre les Celtes de la Gaule et leurs voisins d'Outre- 
Rhin, et on les signalera pendant des siècles». 

Les populations gauloises, aux dires de Poljbe^ 
avaient, dès le début, les caractères des tribus ger- 
maniques, vivant de chasse, de pêche et vagabon- 
dant de tous c&tés. Elles ne connaissaient pas la pro- 
priété privée, leur vie était patriarcale. Mais dès 
quelles furent fixées sur ce sol qu'elles n*allaient 
plus quitter, elles cultivèrent la terre, lensemen- 
cèrent et vécurent peu à peu d'une vie sédentaire 
qui les civilisait, et les rapprochait des Romains, Ces 
Gaulois devinrent des bâtisseurs de villes; ils ne 
furent pas des aventuriers qui dévastaient, tandis 
que le Germain, d'après Tacite, était un destructeur, 
incapable de fonder une colonie* Partout où ont 
passé les Germains, entre Tépoque de César et de 
Charlemagne, les villes ont disparu. Partout où ont 
passé les Gaulois, entre les temps de Xerxès et 
d'Alexandre, des villes se sont élevées. De Canter- 
bury à York en Angleterre, les grandes villes 
reçurent des noms celtiques. En Italie, Milan a une 
origine gauloise. Si Ton descend le Danube, Ratis- 
bonne. Vienne, Belgrade ont porté jadis des noms 
celtiques. Il est une région, la région transrhénane, 
où les Gaulois s'installèrent de préférence parce 
qu'ils y trouvaient des mines abondantes, des terres 
fertiles, des sites heureux. 



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LES OBIGIKCS : CELTE5 ET GERMAINS 



n 

Les premières Invasions. 
La chute de TEmpire celtique. 

L'Empire celtique se trouva vite a(Taibli par les 
luttes pour la prédominance entre les tribus riva- 
les : Allobroges, Arvernes, Eduens. 11 se trouva mal 
préparé pour résister aux ambitions des Romains 
et aux invasions germaniques ; d'un côté, en effet, il 
touchait à la Méditerranée, et de l'autre au Rhia. 
11 aurait peut-être vécu en paix avec Rome, si par 
ses bravades et réternelle jalousie des tribus il ne 
lui avsit pas fourni des motifs d'intervention (an 1^5). 

Un autre danger menaçait la Gaule au Nord, ce- 
lui des invasions, contre leauel Rome dut lutter k 
son tour. Les plaines d'Alsace, du Palatinat, le 
Rhin jusqu'à Mayence appartiennent aux Gaulois, 
mais la poussée victorieuse des Germains va rom- 
pre Téquilibre : ceux*ci commenceront vite à se ré- 
pandre sur k rive gauche. Leurs progrès vers l'Oc- 
cident se feront aussi sentir le long de la Moselle 
et de la Meuse (vers Van 130). Les tribus désunies 
de la Gaule. sont trop faibles pour arrêter les Bar- 
bares qui s'avancent sur les grandes pistes des ca- 
ravanes, tramant avec eux plus de 500,000 hommes. 
(113 av. J,-C.). 

Cette invasion fut un motif de plus pour les Gau- 
lois d'appeler Rome à leur secours, 11 fallait se dé- 
fendre, et quoique Germains et Celtes fussent^ à 
lorigine, peu dissemblables les uns des autres, le 
souci de rindépendance et de la conservation les 
forçait à la lutte- Jusque-là ^ toute la rive gauche 



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LE RHm EX LA FftANGB 



(I 



du Rbin était restée gauloise; les Gaulois à eux seuls 
avaient retardé ou supprimé les invasions ; grâce à 
eux, Rome neleâ avait pas connueâ. Ils constituaient 
un boulevard eptre Tltalie et la barbarie. Désor- 
mais ils ne peuvent plus sa défendre seuls. Aussi 
César a-t-il pu dire avec raison que si les légiond 
n'étaient venues en Gaule pour arrêter sur le Rbia 
la poussée continue des Barbares^ la Gaule serait 
devenue germanique. 

Ces Germains étaient redoutables. Ils passaient 
pour appartenir à une race pure et s'ils s^étaient 
mêlés, c'était aux hordes errantes et aux tribus 
sauvages de laScytbia. Ils vivaient des produits de 
la chasse et de Télevage des bestiaux. En hommes 
que le sol ne retient pas, ils n'hésitent jamais à 
combattre. S'ils s'accordent entre eux, o*est pour 
piller et tuer sur les terres voisines. Incapables du 
travail des champs, la guerre, a dit Tacite, est leur 
meilleure façon de vivre : Libidinem cuncta armis 
agendi. Peu à peu, la civilisation brillante des Gau- 
lois va adoucir et policer ces rudes Barbares, Ils 
subiront l'influence du climat, la vie sédentaire. Ils 
bâtiront des maisons^ défricheront le sol; ils cou* 
naîtront les progrès du sièclô. 

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CHAPITRE 11 

GAULOIS ET ROAIAINS SUR LE RHIN : 
LEUR ŒUVRE CIVILISATRICE 



Céfiar $n OaM^e. —La défense du Rhïn< 



Au contact des Romaiqs de la vallée du Rhône, 
la Gaule, peuplée de tribus germaniques émiffréçs 
et conquise par César,était parvenue à un haut degré 
de civilisatioa. Cette Gaule celtitjue hésitait entre 
la civilisation germanique et la civilisation romaine; 
c'est cette dernière qui remporta après la conquête- 
Les Ç&ltes se transformèrent en subissant Tinfluence 
du peuple le plus cultivé. Au bout de deux ou 
trois cents ans, la Gaule était changée de fond en 
comble. Mais elle n'était pas dénationalisée^ et sous 
ces transformations profondes elle gardait son in- 
dividualité*. Cette Gaukj César la connaissait bien. 
A la première page de ses Commentaires /\\ la dé- 
crit ainsi ; « Le pays des Gaulois touche au Rhin 
du côté des Helvètes et des Sequanes (Franche- 



1. Reynaud, UUtoir^ générale de l'influence franchi te en Al- 
iem^gne, l volume, iii-8% Paris, HacheUo, WU^ p. 38. 



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12 LE RHIN ET Là FRANCE 

Comté) ; celui des Belges s^étend jnsqu^à la partie 
inférieure du fleuve* )* Strabooj dans sa descnptioQ 
de la Gaule confirme, complète et précise les don- 
nées géographiques de César. Et Tacite : « La Ger- 
manie est séparée de la Gaule, de la Rhétie et de la 
Pannonie par le Rhin et par le Danube \ » Les Ba- 
varois seraient ainsi exclus du Deutschland. Or, 
: pour les Allemands, Strabon et Tacite sont consi- 
dérés comme infaillibles. 

César chercha à amalgamer ces populations dis- 
parates en respectant leur unité ^ plus apparente que 
réelle, mais qui résultait d'une sorte de cons- 
cience nationale. On avait bien vu qu'elle existait 
lorsque des chefs ambitieux, dont le plus illustre 
fut Vercingétorix, avaient entrepris une œuvre de 
restauration, qu'ils ne purent mener à bout. La do- 
mination romaine se fit libérale, civilisatrice, bien- 
faisante, garante de la paix. Elle respecta les ins- 
titutions et les usages du peuple gaulois, ainsi que 
leurs divisions politiques et leurs traditions natio- 
nales. L'effort de Rome se présenta avec une telle 
habileté que les vaincus demandèrent eux-mêmes 
à s'unir à leurs vainqueurs pour les protéger. Aus- 
sitôt après la mort de César, les tribus des pays 
voisins du Rhin se font les auxiliaires des Romains. 
L'action civilisatrice de Rome s'exerce dans la Ger- 
manie occidentale, dès le 1®' siècle. Grâce à leurs 
auxiliaires, les Gaulois sont les intermédiaires entre 
les deux peuples. Les Ubiens,les Bataves,les Ché- 
rusques, les Frisons sont des alliés fidèles et for- 
ment sur la rive droite du Rhin comme un cordon 
de grand'gardes couvrant les têtes de pont. 



1. Germ&nia omnis a G&llis Rhœiisque et P&nnoniiSf Rheno 
et D&nubio fluminibus a S&rm&tis Dacisqne mutuo metu aut 
montibns separatnr. Les mœurs des Germains,. Par. I. 



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GlULOia ET ROMAINS SUR LE RFim 13 

Il fallait en effet défendre leRbia où était la vraie 
ligne stratégique contre les invasions. Les Romains 
construisirent des forteresse» et des arsenaux. Le 
Rhin devint le fossé protecteur de la Gaule ; sou 
rôle fut tout militaire ; au lieu d'unir, il sépara. 
Huit lé^ions^ les meilleures de l'armée romaine» 
tinrent garnison en divers points j et l'ensemble de 
la défense stratégique lut fixé à Mayence» à Bonn, 
à Xanten. Enfin, les Romains fondèrent, dans la 
région frontière allant jusqu'au Neckar, au delà du 
Rhin, des colonies peuplées de Gaulois* Ce furent 
les Champs Décumates. Ils étaient, à Torigine^ des 
terrains vagues où s'aventurèrent^ la hache à la 
main, à travers les forêts, des aventuriers gaulois, 
Rome leur accorda sa protection à la condition qu^ils 
lui payassent une redevance d'un dixième pour les 
terres défrichées, d'où le nom attribué à cette con- 
trée. Des villes élégantes, dotées d'institutions mu- 
nicipales, s'y développèrent à côté de fermes pros- 
pères ; on y voyait^ le long du Rhin, les cités de 
Cologne, Nimègue (Noviomagus), Xanten, Neuss, 
Bonn, Andernach^ Worms, Coblence, Bingen, 
Mayence, Spire, Strasbourg et Trêves, berceau de 
la civilisation gallo-romaine dans le Nord, habitée 
par les Empereurs pendant deux siècles, et qui garde 
encore les murailles de leur palais. Quelques tribus, 
qui ne demandaient qu'à servir Rome, furent ac- 
cueillies sur la rive gauche, où les terrains vacants 
ne manquaient pas. Elles reçurent la tâche d'y faire 
lapohce contre leurs congénères, qu'ils trahissaient. 
Sur le Rhin, il ne resta plus de Gaulois indépen- 
dants, Germains et Romains allaient se trouver face 
à face. 

I/offensive vint du peuple romain, car Auguste, 
ttial^ré son amour de la paii, ne pouvait conte- 
ur l'élan cinq fois séculaire qui portait le peuple 



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Il LE HHm ET LÀ FEÂIÏGB 

romain vers la conquête, et Drnsus^ son béati- 
fils, résolut de reprendre les gfuerres occidentales 
de Jules César et de constituer, avec la Germa- 
nie^ un plus grand empire de Rome, Alors, en 
l'an it avant Jésus Christ, il commença la conquête 
de la Germanie, peut-être avec des chefs gaulois heu- 
reux de partir en guerre contre leur ennemi d^Ou- 
tre-Rhin, Mais les Romains eurent le tort de n'éta- 
blir en Germanie qu'une faible armée de trois légions, 
à demi isolées de leur ligne d'appui, et, après le 
désastre que subît Varus (an 9 av, J,-G,), les Ro- 
mains étaient refoulés sur le Rhin. 

A la suite des campagnes de Germanictrs, fils du 
grand Drusus, qui vengea les légions massacrées^ 
la Germanie demeura en repos ; mais il fallait sur- 
veiller ses frontières. Un© armée de troia à quatre 
cent mille hommes, pour uA tetritoitfe dix fois plu» 
vaste que la France, occupait la Gaule romaine. 

Pour alimenter de soldats I^s armées qui défen- 
daient TEmpire, il fallut recourir chèque jour da- 
vantage aux recrues des diverse^Spfôvinces, Nulle 
contrée n'en a fourni autant que n| Gaule. Ainsi, 
ce qu'il y avait de Rotnains dans I^jmpire dispa- 
raissait peu à peu pour céder la place^lUît popula- 
tions des Frontières, puis deè tei^res itid^endantes, 
et aux Barbares, C'était line invasion pacifique* 
Rome non seulement ouvrira ses artnées aux Ger- 
mains, mais leur confiera la garde du palais deâ 
Empereurs et bientôt le salut de TEmpire. On de- 
vine le danger. Que la Gaule se révolte, le& soldats 
de la frontière seront tentés de faire cause com- 
mune avec leurs frères de Tintérieur, et c'est l'ar- 
mée impériale du Rhin qui procurera aux peuples 
insurgés les premiers éléments d'une force natio- 
nsde (révoltes de Tan 69 sous Vespasien). On cher- 
cha, il est vraij à occiiper ces légions. Tibère y 



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OÂUtOlS ET EOMÂn^â fiUH LE RHIET iO 

réussît à merveille. Elles exécutèrent de granda tra- 
vaux : construction de villes, d^édifices, de routes, 

de canaux, de ponts. Ces armées permanentes de- 
vinrent d immenses réservoirs d'hommes, où Rome 
puisa les ouvriers de toutes les tâches publiques* 



Les Rowiains associent les Gauloi6,puis1es 
Gel^Tfiatnâ d lèiir mîssiofi elvillëatriûe* 

A cette oeuvra de civilisation créée par leurs ar- 
mées, les Romains associèrent les Gaulois qui les 
composaient en majeure partie. Les paysans gau- 
lois défrichèrent les forêts de TAlsace, plantèrent 
les vignes de la MoseUe et du Rhin. Les ouvriers 
gaulois peuplèrent les manufactures de la Belgique, 
s'adonnèrent au commerce, devinrent fournisseurs 
des armées ; les vétérans gaulois achetèrent de 
vastes domaines sur le Rhin. Puis les Germains des 
tribus fidèles ; Ubiens, Bataves, Frisons, prêteront 
leur concours à Rome. Dans la capitale de PEm- 
pire, les modes barbares s'introduisent, Caracalla 
adopte le costume des Germains et les dames ro- 
maines leurs coiffures. Les vétérans, qui vivent sur 
les frontières, épousent des Germaines \ A leur 
tour, les Germains s'établissent sur le sol même 
de TEmpire, en Gaule, où ils comblent les vides 
d'une population qui décroît. Les mœurs germa- 
niques gagnent peu à peu les camps et les villes 
du Rhin, Lès Germains vont cultiver, coloniser la 

1, E. Loriftse, ïîp, cH^f lotne II, p. 55, 



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16 LE RBIN ET Là FRArfCS 

Gaule ; TEtat, comme les particuliers, leur livre 
son domaine. Au bout de quelques générations, ils 
oublièrent les souvenirs de leur Germanie, dont 
ils restaient isolés, puisque Rome fermait la fron- 
tière. 

Les Empereurs — Trajan, par exemple (98) — ■■ 
se bornèrent à asseoir solidement la domination rou- 
maine dans la zone limite et à achever la construc- 
tion du Limes Germanicus, C'était un large fossé, 
précédé d'une palissade, bordé du côté romain par 
une levée de terre, haute de 3 à 5 mètres *, qui 
partait de Honningen sur le Rhin (rive droite), et 
se terminait h proximité de Ratisbonne^ à Abusina 
(Kehkheim) au confluent de rAlcimona et du Da- 
nube. Le tracé de ce rempart et la position des 
fortins ne dénotaient pas d'intentions stratégiques, 
la défense eût été insufBsante. C'était plutôt une 
digue de protection de 37â kilomètres de long, con- 
çue dans une période de paix, et destinée à sur^ 
veiller des territoires sans cesse troublés. 

Depuis Tépoque des Cimbres, les Barbares 
avaient été contenus devant les défenses romaines 
et avaient dû interrompre leur marche en avant. 
Sous le règne de Septime-Sévère {vers 213-234), 
ils recommencent Toffensive et ne la cesseront plus. 
Parmi les tribus barbares. Ton distingue celles 
des Alamans que Ton voit, dès Tan 213^ et des 
Francs (241). Les uns et les autres ont des origines 
obscures, Sont-ce de simples associations gtierrières 
ou des débris de peuples germains, ou des tribus, 
jadis placées sous la domination romaine, et qui se 

1» D'après certains auLeurâ, b levée de terre était appuyée 
contre une épftisae muraille (Babelon. Le Bhin dans l'hUfùire^ 
2 voL gr, iii^a-. Paria, K. Leroux, 1917, t, 1, p. 2fi6), D'autres 
ne parie ni que d'uac lûvée de terre (E. Lavisse, ibid^j p. lia). 



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Gaulois et noMAms suh le ahin 17 

confondent sous un nom nouveau î Le nom de 
Francs, étymologiquement, semblerait indiquer la 
liardiesse. Pour les uns^ les Francs viendraient de 
la Franconie, sur les bords du Rhin ; pour d'autres, 
ils seraient les descendants des Troyens fugitifs, 
qui, sous la conduite de Priam et d^Anténor, se 
seraient établis sur les bords du Palus Méotide, Le 
nom même d Al aman s indiquerait une association 
composée dWigines différentes. 

Sous leurs coups répétés, TEmpire fut ébranlé. 
Après les AJamans et les Francs, les Carpes, les 
Goths, les Sarmates, tour à tour Vassaillent. Les 
Empereurs luttent contre eux les armes à la main, 
ou bien ils incorporent des Germains dans les ar- 
mées de TEmpire, ou bien ils les installent en Gaule 
comme colons agricoles, La Gaule est la plu a atta- 
quée, mais c'est aussi le rempart de la civilisation. 
Les expéditions dirigées contre les Barbares sur le 
Rhin sont impuissantes à les arrêter. Dès que les 
Empereurs ont le dos tourné» elles recommencent 
dailleurs aussi violentes. On arme des Barbares 
contre d'autres Barbares. Rome, fidèle à sa mis- 
sion de gardienne de la frontière rhénane, s^oppose 
aux invasions. Mais sans cesse, de T obscure forêt 
germanique surgissent de nouvelles hordes. 

Ces Barbares si prolifiques s'installent en Gaule 
après avoir traversé le Rhin, limite naturelle^ ainsi 
que l'attestent tous les géographes et les historiens : 
Pline, StraboOs Ptolémée, Ceux qui sont situés sur 
la rive gauche du Rhin sont à peu près sédentaires. 
Le Limes de Trajan et ses avant-postes sont aban- 
donnés depuis longtemps. Les Champs Déeumates^ 
peuplés des anciens colons gaulois, ont été ravagés 
par les farouches Alamaos et leurs voisins immé* 
diats, les BurgondeSp 



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18 



LE BHm ET LÀ FHANCE 



III 

La colonisation gallo-Pomaine. 
La fusion des races. 

Ces GeMnains qui^ tour à tour, poodant cinq 
fiièclôs, entrent dans la Gaule romaiuâ, vout être 
séduits par la civiliaatiou au contact de laquelle ils 
se trouvent. Pour eux, elle était, à cette époque^ 
comme elle Ta été à toutes les époques de This^ 
toirej un pôle d'attraction. Mais au lieu de garder 
leurs mœurs à demi sauvages, leurs instincts de 
rapine j même leur langue^ ils les perdent, se prê- 
tant aux exigences de la vie sédentaire, cultivant 
le solj ensemençant les terres, plantant la vigne, 
défrichant les forêts, prenant part aux assemblées 
des anciens peuples du pays, adoptant leurs habi- 
tudes commerciales, leurs dieux mêmes. Le gaulois 
est la langue du peuple ; depuis Foccupation ro- 
maine, le latin, dans les sphères officielles et les 
classes élevéeSj s'est substitué à lui- Les Germains 
eux-mêmes abandonnent leur langue, et le parler 
gaulois reste le pins tenace. Du reste, ils fournissent 
des recFues à l'Empire, et leur contact prolongé 
avec les soldats dans les camps facilite cette assi- 
miJation* L'élément gallo-romain absorbe les Ger- 
mains, et ceux-ci, au beu de reculer les frontièrefl 
de la Germanie, ne font qu'augmenter la popula- 
tion gallo-romaine des pays cisrhénans* Comme le 
dit rliistorien Mommsen^ « ils partagèrent la for- 
tune de la Gaule, Le Rhin resta toujours de ce côté 
la principale ligne de défense des Romains»., Les 
Germains de la rive gauche du Rhin, sujets de 



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GAULOIS ST HOMAir^S 3U|1 hB RHIN 19 

Home, B0 sa fondirent pas moins d&ns l^Empire 
que les Gallo-Rornains » ^ 

AucuQ )io m germanique d'aujourd'hui ne remonte 
à cette époque, et dans la langue germanique 1 -in- 
jDuence latine se retrouve fréquemment *. Il 7 eut 
ainsi pénétration réciproque, fusion intime et même 
mélange des deux races et des deux civilisations. 
En 0)3 servant minutieusement leurs apports res- 
pectifs, on retrouva en Gaule, y prospérant à mer- 
veille et s'y maintenant^ de^ institutions et des cou- 
tumes d'origine germanique- Cela donne au nouvel 
Jltat gallo -franc une singulière force, dès ses pre- 
mières origines. Les Germains s'assimileront aux 
Gaulois, et les traces de leur influence se noteront 
de plusieurs côtés. On se servira d*eux pour cul- 
tiver, on s'en servira pour défendre TEmpire, Ces 
Germains j qui sont des engagés volontaires, se 
fixeront en Gaule à Texpiration de leur service et 
deviendront des Gallo-Romains, On leur donnera 
des territoires; l'Etat les installera sur ses do- 
maines. 

Cette infiltration des Germains est attestée par 
les noms des lieux. Ceuï-ci tiennent leur appeUa- 
tion de leur origine germanique, c'est-à-dire des 
colons germains qui la peuplèrent. Beaucoup sont 
formés par exemple par les noms romains Ai^ma-^ 
nus^ AlamaUi Alamaniay et se retrouvent dans les 



1, H(5toiV« TomAint^ tome IX, p. 185. 

]. tt.amïDç>r fchambre) vient û& caméra ; f ans ter (fenêtre) de 
/e Fifi jtra ; kamia (cheminée) de ks^mijtns ; keller (oellier) de cfl- 
lAriam ; wall (rempart) de v&llîiTn\ turm (toun de turrh ; 
csa^d (château) de c^Hellum ; tefel Uable) de iafcub ; flaiche 
(beuteille) de (Ltsca, etc. Les noina qui se terminent en weiier 
viennent de villarej diminutif de t>UlA, le» nomi en poWer 
de paindarium, les noms en drechlf drichi, trecht de îrsLjectns, 
L'ancienne écriture germanique, ou écriluro ru nique, n'est 
qu'une imiUliou d« T^rUure roipaiq^ au oncl^le» V. £ï. l^a- 
Ti*aç, op. cit., t. IM, p, aa. 



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^6 LE BBIK ET LÀ FRANCE 

communes d'Allemagne (Galvados) ^, AUema^ne 
(Bas ses- Alpes, Aube), les Allemands (Basses- Alpes, 
Donbs, Gers, Vaucluse, Arlège, Lot-et Garonne) ; 
de même Marmagne (G6te à Or), Marcomania fnt 
une colonie de Marcomans. Les Saxons habitèrent 
le pays de Bayeux et le pays de Guérande, près de 
Vembonehure de la Loire. Les Sarmates donnèrent 
leur nom aux villes s'appelant Sermaise, jadis Sar- 
mation^et qui se trouvent eu Maine-et-Loire, dans 
TAisne, la Nièvre^ la Marne, le Loiret, la Seine -et- 
Oise, la Sa 6ne-et- Loire, Le nom de Tiffauges, en 
Vendée, est dérivé de celui des Taiffali ou Thei-- 
phali^ auxiliaires barbares auxquels l'empereur 
Marius avait concédé des terres à défricher au 
début du v" siècle. Les bourgs de Tègle (Gironde) 
et de Thévalle (Mayenne) ont peut-être la même 
origine \ Or la population de ces différentes villes 
ne diffère en rien par le type, les mœurs ou lalangue 
des pays avoisinants* G'est donc une preuve, parmi 
tant d'autres, de cette fusion des races germaines 
et gauloises qui s'est opérée là, à cette époque. 
Sur le Rhin, le type germanique, le type roux aux 
yeux bleus (brachycéphale, race sub-nordique) a 
presque tout à fait disparu^ puisque les conquérants 
l'avaient tour à tour franchi, pour faire place au 
type brun {doUchoeéphale, race sub-adria tique). De 
ce mélange de populations celto-liguriennes et ro- 
maines avec les populations germaniques et scythi- 
ques, s*est formée la race gallo-romaine et, entre 
tous, les pays rhénans furent les plus romanisés. 

Les invasions ne sont point terminées, car des 
populations sont encore en grande effervescence en 

1. Qui a obtenu récemment un changement de nom. 
3. Babdon, ûp., ei£.p t. I, p. 445 et buIv. 



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GAULOIS ET HUMAINS SUR LE RHIN 



21 



Germaniey dès le milieu du iv^ siècle. De nouvelles 
hordes asiatiques s'avancent, venant de l'Orient, et 
se heurtent aux premiers occupants qui, poussant 
devant eux, franchissent le Rhin. L'Europe sep- 
tentrionale va déborder sur la Gaule, et « le fleuve 
qui sépare deux mondes » (Salvien) sera définitive- 
ment traversé. La Gaule s'empht de Barbares, mais 
ceux-ci vont être combattus à leur tour par de 
nouveaux venus, les Huns, originaires du plateau 
central d'Asie et formés de tribus tartares (431). 
Conduits par Attila, ils se dirigent vers le Rhin, 
ravageant tout sur leur passage. Ce ne furent que 
ruines, deuils, misères. Dans les Champs Catalau- 
niques, non loin de Tendroit où se déroula récem- 
ment une des plus formidables batailles de This- 
toire, la Gaule et sa civilisation fiirent sauvées par 
le patrice romain Aétius, qui sut grouper heureuse- 
ment, autour de lui, les Germains et leâ Gallo-Ro- 
mains (457). 



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CHAPITRE lïl 
LE GRANl) EMtîIlË FRANC 



CJovis et Charlemagne. 

Les Francs, de même que les Wisigoths, les 
Burg^ondes, les Saxons^ s'étaient unis et avaient 
vaincu ensemble Tenvahisseur. Cette victoire leur 
donna du prestige et la conscience de leur valeur. 
Avec leur roi Mérovée, auquel la légende prête 
une origine mythologique, ils rêvèrent de s'étendre 
davantage. Entrés en Gaule, sans doute comme 
colons militaires plutôt que comme ennemis, ils y 
étaient restés comme alliés (Fustel de Coulanges). 
Ils aspirent à dominer toute la Gaule, comme les 
Romains, et reprennent la tradition d'une unité 
nationale, qui va s'imposer à eux. Rome, en se re- 
tirant, a laissé sur le sol gaulois l'organisation et 
l'administration, elle y a fondé la cité ; les Bar- 
bares recevront ainsi la loi de Rome vaincue. 
L'unité dans l'Empire, si opposée aux principes 
aristocratiques de la Germanie, c'est Rome qui Ta 
instituée. Cette idée fera son chemin par Charle- 
magne et Saint-Louis et préparera^ avec l'abaisse- 



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/ 

LÉ 6ftÀND ÈMt>lRÉ )^iUM6 23 

ment de ^aristocratie, Inégalité deis temps mo- 
dernes ^ 

D'autre part, les Francs apportent avec eux des 
coutumes qu'ils feront codifier, leurs mœurs, leurs 
principes de la loi salique, sauvegarde de la famille } 
ils infusent à la Gaule tm sang nouveau. Mais celle- 
ci i^este soumise à rinfluence gallo-romaihe, qui ne 
disparaîtra paâ. A Télément gallo-romaiti s'amal- 
game l'élément barbare. Cette civilisation s'impose, 
comme autî*efois Celle de là Grèce à Rome. Les 
Francs cherchent à Se faire gallo-romains ; ils adhè< 
rent même à la l'eUgioti nouvelle pour augmenter 
lent influence dans la Gatile èvangélisée ; ils co- 
pient les Romains. La Gei*manie, au contraire, garde 
ses élémetits barbares, sur lesquels les Fraùcs vont 
étendre leur protection. Lé Rhin est toujours une 
frontière séparant la civilisation de la barbarie, et 
ses deux rives restent très dissemblables. 

Les rois fraiîcs chercheront à dompter, avec des 
auxiliaires barbares, ceS farouches enuemis. A peine 
établis sur la rive gauche, les Francs n'ont qu'un 
désir, se retourner contte leurs ennemis de la rive 
droite, et faire du Rhin un fossé qui protégera leurs^ 
nouveaux domaines. Clovis dut le franchir, comme 
autrefois les Empereurs, pour contenir et prévenir 
les poussées incessantes des Barbares. 11 est amené 
ainsi à poursuivre les Germains sur leur propre ter- 
ritoire, à déborder le fleUve pour le mieux défendre. 
Car on ne peut protéger la rive gauche "sans tenir 
ses avancées sur la riVe droite ; les hommes de la 
Révolution suivront plus tard la même politique. 
Clovis se servira également de ses auxiliaires bar- 
bares contre ses rivaux en Gaule pour consolider 



1* V. Michelôt. Histoire de Frnncet Paris, 188B, 19 vol., t. 1» 
p. lli. 



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24 LE AHïN ET LA FRANCE 

le nouveaiu royaume et briser les tendances sépa- 
ratistes, 

C*est encore avec les Francs du Mein que les 
successeurs de Clovis protégeront le royaume 
d 'Au stras le , L'Austrasie, montant la garde sur le 
Rhin contre la Germanie et pour la culture latine, 
reste plus militaire que les autres provinces de 
Gaule, moins menacées^ et c'est elle qui forme le 
noyau de lunité nationale future. Elle demeure le 
pays des marches frontières comme sous T Empire 
romain. Mais avant que Charlemagne ne crée F Em- 
pire franCj que de tragédies de cours, de guerres 
intestines, auxquelles donnent lieu la succession et 
les partages de la monarchie de Clovis entre ses 
fils» et qui menacent Tunité du royaume ! 

Les fils de Clovis apparaissent comme de vrais 
Barbares, que n^adoucissent ni la civilisation ro- 
maine ni le christianisme. Mais, dans leurs expédi- 
tions j ils cherchent néanmoins à atteindre les limites 
naturelles de la Gaule, à protéger la frontière du 
Rkin, Dagobertj qui fut un véritable empereur d*Oc- 
cident et le prédécesseur de Charlemagne, s'effor- 
cerâj comme Clovis, de maintenir Tunité nationale. 
Plus de partages entre des frères rivaux, qui font 
Baitre des ambitions et engendrent des guerres, 
Les seigneurs et les évêques devront obéir au Roi- 
Après lui, sous les rois fainéants, les Maires du 
Palais, devenus indépendants sur leurs territoires 
autonomes, concentreront entre leurs mains toute 
radmimstratiou. Mais ces querelles et cette poli- 
tique ne viseront pas l'intégrité de TEmpire. 

A la suite de ces partages se constituèrent F Aus- 
trasie et la Neustrie. L'une était habitée par les 
Francs de l'Est, Tautre par les Francs de l'Ouest, 
gouvernées tantôt par un seul, tantôt par deux 
souverains de la même famille. C'étaient des régions 



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LE GRAND EMPIRE FRANC 25 

plutôt que des Etats, mais toujours unies quand il 
s'agissait de se défendre contre les Germains. Or, 
les Allemands prétendent que toute TAustrasie était 
germaine, alors qu'elle comprenait la région s'éten- 
dant entre l'Escaut, TOise et le Rhin, depuis la 
Marne jusqu'à la mer du Nord, englobant la vallée 
de TAisne, la moitié de la Champagne, une partie 
de rile-de-France, la Lorraine, TAlsace et les pays 
rhénans. Autant germaniser toute la France ! 

C'est Tunité de son Empire que Charlemagne 
voulut maintenir dans l'intégrité de ses frontières. 
Entre les Pyrénées, les Alpes et le Rhin, il guer- 
roya contre tous ceux qui la menaçaient ; Sarrazins, 
Lombards, Saxons, Mais il n'eut pas d'ennemis 
plus implacables que ces derniers, qu'il combattit 

1)endant un quart de siècle, dans cinq expéditions, 
es plus meurtrières de toutes, au nom de la civi- 
lisation gallo-romaine et chrétienne. Pour lui, le 
Germain, c'est le barbare, l'homme de l'autre côté 
du fleuve, l'ennemi de sa foi et de sa civilisation ; 
en luttant contre lui, il « dilatera le royaume de 
France >. 

L' Alémanie, la Thuringe, la Bavière, la Saxe, la 
Frise avaient été annexées à la suite de ces guer- 
res, et, pour la première fois, des peuples tudes- 
Îues étaient groupés sous une domination unique ; 
s faisaient partie d'une même nation. La Ger- 
manie est bien soudée à l'Europe occidentale, mais 
elle est aussi dominée par les Francs. Les Alle- 
mands sont donc mal venus de faire de Charle- 
magne un Germain, fondateur du Saint-Empire. 
Il était né de ce côté-ci du Rhin, dans le vieux 
palais demi -romain des rois francs, à Aix-la- 
Chapelle, dans cette Âustrasie mérovingienne qui 
englobait non seulement les pays rhénans, mais 



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26 LE tlHIN Et La ràÂNcB 

ùjie partie dé rile-dë-Ftânce et dô la Châmpà^hë. 
Si Charles résida à Ail-la-Chapelle, il habita aussi 
Noyon,après avoir été coui*onnè à Soisscûs et à Saint- 
Denis. Ses villas et seâ églises pt-èférées étaient en 
Gaule ; il était l'héritier de la Gaule franque, Télève 
de la politique latine. 

Pour asseoir Son (kiÉtUenCè, Charles §ô servit j 
dans les provinces, de !^es eônites, qui étaient séîi 
délégués, et furent chargés de briser le particulâ*- 
risme allemand ; les édifices, les lois, tout ce qui 
constitue TËtat, isubit ôa lorte influentie. L^armée 
germanique, Organisée sur le modèle de Tarméè 
franque, nos méthodes de OUltUre, noi^ métiers, noâ 
habitudes commerciales furent acclimatés par les 
évêques, les moineà et les colons gàilo-fi*anbs. Il 
ouvrit des écoles pour développer le gôÙt du tf âVaiï, 
les études clalssiqueâ, avec la littératui'è et les arts. 
L'art romain, dit germanique, Vivra des principes 
établis à l'époque carolingienne, et produira des 
monuments splendides. Le frauçàiié est parlé itis- 
qù*âU Rhlû, et les termes latins slnerustéUt dané 
ridiome germanique, car TEgliSe de France étend 
son influence et sa puissance sur la Germanie. 
La barrière du Rhin âe trouve amoindrie et eomme 
effacée ; la Germanie toute entière est devenue là 
conquête de la Gaule franqtie. Et cependant les 
différences de culture ôt de mteurjj subsistent entré 
les rives du fleuve. D'un côté, il y a une vie îndus^ 
trielle, commerciale^ religteui^e, et des villes pros- 
pères, de l'autre, il û'y a que des camps fortifiés et 
des forêts impénétrables. Le Rhin est toujours la 
limite de la civilisation. 

Charlemagtte garda dans lès pays du Rhin un 
prestige immense, celui d'un héros de légende, dont 
le souvenii» ne sera pas effacé lorsque ces contrées 
nous réviendront éoiis la Révolution. Les électe^i^ 



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Lit ÔRÂflD ÉMt>lRfi ^ftAitO 27 

dm Mdht-Tonàerl'é dlt'Otlt dAn» leur pétition, le 
18 février 1812 : « Di^ siècles se sotit écoulés 
depuis que les Contrées que uoUs Ilabitous oui été 
détachées dU Çrand Etnpire d'Oceideût créé par 
Gharlemâgue ^ ». A Tentrée de son tombeau, à 
Ati-la-Chapelle, éette épitaphe fut placée : « Ici 
repose le corps de Charles le Grand, grand et or- 
thodoxe, qui accrut Uoblenient le royaume des 
Franci ». 



II 
Le Traité de Verdyn et leë pàrtegee. 



A la mort de Charlemagne^ Louis le Débonnaire, 
son seul héritier survivant, recueillit toute la suc- 
cession impériale que son père luLd3£dit, reconnue à 
rassemblée d'Aix (813). De son vivant, et confor- 
mément à la tradition carolingienne, Louis procéda 
au partage de son empire entre ses trois fils :^Lo- 
thaire, Pépin et Louis (817). Malgré cette division 
eU rojaumes, Tunité de TEmpire devait être main- 
tenue et Pépin, qui recevait la Gascogne et TAqui- 
taine^ et Louis la Bavière et les terres germani- 
qUeS| étaient subordonnés à Lothaire, associé et 
néritier de rËmpereur* On partageait le territoire 
au gré deê désirs et des fantaisies de chacun, mais 
sans tenir «tompte des populations, de leur particu- 
larisme, de leur langue^ de leurs mœurs différentes. 
Ces partages familiaux ne sont point des tentatives 
d'autonomie au profit de tel ou tel peuple. Aussi à 

1. Archiva nation&îés,P^ Ikty'i&Oïïi-toûnerre, t. 



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28 LE RHIN ET LA FRANGE 

l'ouverture de chacfue succession^ et suivant les 
nécessités de la politique, gouvernée par Tappétit 
des copartageants^ ils seront remaniés ou abolis. 

Nouveaux partages en 829, à la"^ naissance de 
Charles le Chauve, et en 831, qui remettent en 

Îuestion le sort des pays rhénan^. A la mort de 
épin, les royaumes sont encore modifiés (assem- 
blée de Worms, 839). A la mort du Débonnaire, 
la guerre éclate entre les trois frères : Charles, 
Lothaire et Louis, Lothaire revendiquant le titre 
impérial qui lui a été attribué en 817. A Stras- 
bourg, les coalisés haranguent leurs troupes. Louis 
en tudesque, Charles en roman. Cette manifesta- 
tion n'indique nullement Torigine du principe des 
nationalités et la séparation des deux Empires, 
puisque les armées de chacun des trois frères étaient 
composées de troupes bigarrées et de races diver- 
ses. Il y a des Francs aussi bien avec Lothaire 
qu'avec Louis et Charles, il y a des Saxons chez 
Lothaire comme chez Louis. Le dialecte permet 
seul de grouper les soldats ; le tudesque se parle 
surtout dans les armées de Louis et le roman dans 
celles de Charles. Lothaire vaincu signa le traité de 
Verdun (843). 

L'Empire était morcelé entre Lothaire, Louis le 
Germanique et Charles. « Le traité de Verdun, 
écrit Victor Duruy, réduisait la Gaule d'un tiers et 
lui enlevait une première fois sa limite naturelle du 
Rhin et des Alpes ». Certains ont dit qu'il com- 
mençait la séparation de l'Italie, de la France et 
de l'Allemagne en brisant l'Empire franc. Les his- 
toriens allemands, exagérant l'opinion de Duruy, 
ont ajouté qu'il fixait définitivement les limites de 
la France en lui enlevant, au profit de l'Allemagne, 
un tiers de son territoire et en assignant, comme 
frontière, au royaume de Charles, qui accepta. 



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LE GRAI^D EMPIRE FRAMC 20 

TEscaut, la Meuse, la Saône, le Rhône, au lieu des 
Alpes et du Rhin. 

Si ce traité, dont on ne possède ni original, ni 
copie, a contribué à la formation des Etats de l'Eu- 
rope occidentale, il faut reconnaître qu'on distingue 
vraiment à peine, à cette époque, un éveil du sen- 
timent national. Ce n'est point cette idée qui pré- 
sida au partage et à la répartition des lots; ceux-ci 
furent le résultat des transactions entre les trois 
frères, qui ne tinrent compte ni des langues ni des 
races pour s'attribuer tel ou tel territoire. Les né- 
gociations furent d'interminables marchandages. 
Si Louis avait plus de Germains, il avait des 
Romans avec Mayence, Worms, Spire; Charles 
avait surtout des Romans, mais possédait aussi 
des Francs, des Wisigoths, des Burgondes. Lo- 
tbaire, lui, recevait aussi bien des hommes du Nord 
avec les Francs et les Bourguignons, que des hom- 
mes du Midi avec les Provençaux, les Lombards 
et les Italiens. Où il j a im sentiment national, c'est 
chez les Francs, dont le traité de Verdun partage 
TEmpire en trois parts *. 

Quant au royaume de Lothaire, la Lotharingie, 
c'est l'ancienne Austrasie franque, dont le fond de 
la population est gallo-romain, avec un mélange de 
Francs. C'est un aggloméié d'éléments disparates, 
de peuples divers, de provinces dissemblables. Ces 
pays entre Meuse et Rhin ne sont point cédés au 
Germanique, mais à Lothaire, qui n'est pas plus 
allemand que franc, qui est tantôt roi des Francs, 
tantôt roi d'Italie. Il deviendra empereur, mais 
Gharlemagne Tétait, et Charles le Chauve le sera 
également. Ce royaume forme une sorte d' « Etat- 

1. Voir R. Parisot. Le royaume de Lorraine, p. 17-18, ©t 
Babelon, op. cit., t. Il, p. 7«. - 



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80 LS WW iîT LA FUmB 

tftînpon t dont we ^rtie, Jes payg rWna^ps,vg jp^er 
le rôle d'intermédiaire entre les deux oivilisatioaa. 
ïl va garder une phygioQomie à part, vivant indé- 
pendant de TEmpereur, soua' la souveraineté dç 
princes laïque^ et ecclésiastiques. Si le Rhénan se 
rapproche au Germain par la langue, par les TO(]eurs 
et par les coutumes, le oomuierce, le droit, Tart, 
une origine commun^^ Je pouasent vers les Flandres 
et la France *. Ou ne peut pas dîre que h rive 
geuebe du Rhin mt deveoue allemwde, Le Rhin 
reste toujours Is^ liuute, os^v au del^ il y ^ plus de 
Germaiu» qu'en deçà du grand fleuve. La uation 
germanique sort de ce partage, divisée en groupes 
hétérogènes ; son p£^ys n'est plus la Germanie et 
pas encore TAllemagne. L^ nation française est 
mutilée, et, entre les deux, le royaume de Lorraiqe 
est un assemblage informe de peuples qui se haïs- 
sent *. Mais Tuuité de VEnapire subsiste toujours, 
L'Eglise, qui investit les souverains, lui confère 
ce caractère, qui SEit le sien. En protégeaut TEglise, 
TEmpire e pour mission de n^ainteuir ]^ concorde 
et Tunité entre ses membreq. A ce titre, ils reyeuF 
diquent la même autorité sur chaque parcelle de 
rsfmpire, car tous les rois fraucs, provens^nt de 
la même dynastie, sont unis par les liens du sang, 
Louis II écrit, en 871, à Basile, empereur d'Orient : 
« Nous exerçons l'empire sur toute la France, 
car sans aucun doute qous possédons qeux avec 
lesauels nous ue formons qu^uue seule Obai?» W 
aeut sang et un seul souffle par le Seigueur % » 



1, Ph. Sagnac, Le Rhin français pendant la Hévolntiçn et 
V Empire, 1 vol. in-8% Paris, Alcan, p. 2-5. 

2.É. Darcy. Les droits historiques de la France sur la rive 
gauche du Rhin, 1 vol in-16, Paris, Larose, 1919, p. 37. 

3, Poin Uouqu^t. R9cn$il dof ^istorient dpê Oaulesi, t. Vil, 
p. 672-578. 



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LE GHÀND EMPIIiE FRANC Si 

Le partage de Verdua sera encore remanié. C'est 
déjà le huitième depuis Charlemagne ; à lui seul 
Louis le Débonnaire en avait fait cinq- Ils étaient 
du reste conformes à la tradition mérovingieûne» 
Les populations croient toujours à Ttinité de TEin- 
pire. Peu letir importe d^être rattachées par tous les 
traités et les pactes successifs à tel ou tel royaume. 
Les régions se distinguent les unes des autres par 
leurs mœurs, leur genre de vie, mais il ne faut pas 
voir dans ces diversités Tindice d'un sentiment par- 
ticulariste, l'unité des races. A mesure que ces 
contrées seront partagées, elles formeront des pro- 
vinces indépendantes, soumises à des seigneurs 
féodaux. 

Comme le traité de Verdun, le traité de Mersen 
(8 août 870), conclu entre Charles le Chauve, qui 
revendique la Lotharingie, en vertu du partage de 
Worms(839), et Louis le Germanique, qui exige une 
partie de la Lorraine, conformément à un acte de 
partage signé trois ans auparavant, est un simple 
pacte 46 famille distribuant les territoires pour for- 
mer des parts à peu près égales, sans tenir compte 
des langues, des limites naturelles et politiques, des 
frontières primitivement fixées. La France lotharin- 
gienne est découpée en morceaux et transformée 
en marches pour la France comme pour l'Allemagne, 
et les glorieuses capitales rhénanes restent en bor- 
dures des deux pays ennemis. Ainsi, la province de 
Cologne est partagée entre les deux souverains, 
Louis a la ville, Charles une partie de la province 
d^Utrecbt et de la Frise. Liège reste à Charles ; 
Louis a les pays de la rivo^droite de la Meuse avec 
Aix-la-Chapelle et Maëstricht. Charles a également 
la ville de Toul et Louis une partie de ce diocèse. 
Toutes les divisions administratives et ecclésiasti- 
ques sont arbilrftiren^^nt renversées. L'iuté^rêt im^ 



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32 LE RHIN ET LA FRANCE 

médiat est la règle des répartitions. Aussi ce traité, 
vicié à son' origine, n'aura- t-il pas de durée et tout 
bientôt sera remis en question. Le partage territo- 
rial sera modifié, les lots remaniés; mais le pacte, 
en ce qu'il consacre Tunité de TEmpire, l'union des 
différents royaumes, sera respecté et subsistera, 
puisque l'autorité de TEmpereur, une fois reconnue, 
simposera aux autres souverains. 



III 



La France rhénane sous les derniers 
Carolingiens et les Capétiens. 



Quel va être, sous les souverains carolingiens qui 
se succèdent les uns aux autres, le sort de la Lo- 
tharingie et des pays rhénans? Us seront ardemment 
convoités par les Germains qui les ont envahis tant 
de fois. Même quand ils seront annexés à l'Alle- 
magne, ils n'en deviendront jamais une province ; 
ils garderont leur autonomie, partagés entre des ba- 
rons et des princes laïques ou ecclésiastiques, restés 
indépendants, et qui se querellent entre eux. Le lien 
qui les rattachera à TEmpire sera plus nominal que 
réel, consistant en de pures formules diplomatiques. 
Du reste, les derniers Carolingiens n'abandonnent 
pas leurs prétentions légitimes sur les payi^ de la 
rive gauche du Rhin. Pour eux, le traité de Verdun 
ne compte pas dans ces stipulations territoriales, 
et les frontières de l'ancienne Gaule sont les fron- 
tières de la France. D'où les compétitions entre les 
rois de France et de Germanie au ix® siècle, 
entre Charles III le Simple, Louis l'Enfant et 



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LE GRA>D EMPIRE FRANC 



33 



Henri T Oiseleur. Les Lorrain!; élisent roi Charles 
le Simple et la Lothariog'ie fait partie du territoire 
français (911). Mais en France lefl grands^ révoltés, 
déposent Charles ; Henri l'Oiseleur profile de ces 
embarras pour dévaster la régfîon et y étendre sa 
domination (9^5). La germanisation des pays rhé- 
nans va commencer avec son lils, Otton P' le Grand, 
sans toutefois qu'ils perdissent dès lors leur com- 
plète indépendance politique. 

Les vissicitudes de la guerre empêcheront les 
derniers rois carolingiens de conserver la Lotharin- 
gie, car ils sont devenus trop faibles pour la défendre 
contre lAllemagne. Dans ces pays cependant la 
tradition, le dévouement à la dynastie se sont 
maintenus intacts, Tous les descendants des Gallo- 
Francs entre Meuse et Rhin, qui ont combattu dans 
les armées carolingiennes^ gardent le culte de Char- 
lemagne. Ils se souviennent que le Grand Empereur 
les a préservés des invasions. Les membres de sa 
famille y gardent leurs domaines familiaux, leurs 
châteaux. Par eux, les pays rhénans ont prospéré et 
se sont trouvés à la tête de la civilisation occi- 
dentale. Mais les seigneurs féodaux, devenus plus 
puissants, se révoltent contre le prince carolin- 
gien, qui veut dominer, et cela facilite l'interven- 
tion germanique. 



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CHAPITRE IV 

LES CAPÉTIENS, LES VALOIS 
ET tKS REVENDICATIONS FRANÇAISES 



L*avènement des Capétiens. 
La politique de Philippe le Bel. 

L'élection d'Hugues Capet, pour succéder au der- 
nier dea CaroUngiena, potla un coup funeste à la 
politique de revendicatioûB de la Lotharingie par la 
France occidentale (987). Néanmoins ractiou de la 
France va se tourner encore du côté du HUn avec 
Robert la Pieux puis avec Henri P^, r[ui ne perd 
pas de vue la question rhénane et prépare une 
intervention (1046), Devant les dinicultés que lui 
suscitent les barons» il renonce à son projet, mais 
dans lentrevue qu'il aura à Ivois (1050) avec T Em- 
pereur, il revendiquera avec hauteur les droits de la 
couronne de France qui s'étendent jusqu'au Rhin, 
et sommera le souverain allemand "de lui restituer 
cette partie du royaume dont ses pères ont été dé- 
possédés par ruse et fourberie * , 

1. Lavis Be, Bitloirû d« France ^ op> ciLf l* II, p> I6fi. 



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LES CAPÉTIENS BT LC8 VALOIS 3S 

La lutte oontre les invasions normandes, pmis 
contre la domination anglaise, absorbera pendant 
quelques années l'attention de nos rois, mais Phi- 
lippe- Auguste continuera d'affirmer la politique des 
premiers Capétiens. < Je pense à une chose, disait- 
il un jour, c'est à savoir si Dieu accordera à moi 
ou à l'un de mes hoirs la grâce d'élever la France 
à la hauteur où elle était du temps de Charlema- 
gne ^. » Aussi intervient-ril dans l'élection à l'Em- 
pire en soutenant, contre Qtton IV de Brunswick, 
Frédéric, fils de Henri VI, en cherchant à corrompre 
les princes de l'Empire. Cette politique des Capé- 
tiens a pour objet, € à Tintérieur, de former une 
nation modèle et un Etat cohérent, à l'extérieur, 
d'assurer, par de bonnes frontières, l'indépendance 
de la nation et la puissance de TÉtat.*. Dans son 
objet, comme dans ses procédés, cette politique ré- 
sulte de la nature des choses. Arrêtée par TOcéan, 
les Pyrénées, la Méditerranée, les Alpes, la royauté 
française ne pouvait s^étendre que vers l'Est et le 
Nord, dans las Flandres, et les pays qui formaient, 
lors de l'avènement des Capétiens, le royaume de 
Lorraine et de Bourgogne » ^. Il devait en résulter 
un conflit avec l'Allemagne pour la possession de 
ces territoires. C^est toujours la question de la suc- 
cession de l'empire de Charlemagne qui se pose, 
depuis la mort du grand monarque, à toutes les 
époques de notre histoire. 

Il s'agit d'empâcher la constitution en Allemagne 
d'un pouvoir fort : politique traditionnelle, qui dé- 
bute avec Philippe* Auguste et que poursuivront 
inlassablement ks Valois et les Bourbons avec une 
^marquable continuité de vues. Ils veulent que 

1. Guizot, Histoire <!# France, t. L p. 759. 

2. Albert Sorel, UEurope et la Hévolution française, 8 vol. 
ia-«% Paris, Won, iW7, t. I, p. 2«. 



> 



36 LE HHIN ET LA FRAKCE 

l'influence française rè^ne dans les pays rhénans 
et que le domaine royal atteig^ne les limites de 
Tancienne Gaule, aussi bien sur les Pyrénées et 
les Alpes que sur le Rhin. Mission sacrée que 
nos rois se lèguent les uns aux autres et qui lait 
d^eus les artisans incomparables de la grandeur 
française. 

A BouvineSj en sauvant la monarchie, et en fai- 
sant reculer les hordes d'Otton IV qui ont envahi 
la France, Philippe conquiert un prestige immense; 
il est le champion de la civilisation française contre 
les Germains d'outre-Rhinj comme au temps de 
Charles le Grand- Cette politique, que les rois de 
France vont poursuivre dans leurs domaines héré- 
ditaires, sera aidée par Tétat d'anarchie dans lequel 
vivent les provinces rhénanes. A mesure que rÉm- 
pire s* affaiblit par Télection qui fait passer la coit- 
ronne des Otton aux mains faibles des Habsbourg, 
laïques et ecclésiastiques travaillent à garder leur 
indépendance, usurpent des privilèges, cherchent 
à s'afiTranchir, au milieu des guerres intestines, des 
complots et des brigandages. Les villes d'Alsace 
se déclarent villes libres ; de même dans le Pala- 
tinat, qui est terre électorale, les petits princes se 
multipUent, méprisent la suzeraineté nominale de 
TEmpereur. Est-il terrain plus favorable pour dé- 
velopper Faction prudente et avisée de nos rois ? 

Cette action, Philippe le Bel va Texercer. 11 est 
doué d'un sens merveilleux des choses et dispose 
de moyens plus étendus que ses prédécesseurs, car 
la monarchie est plus puissante en France ; elle est 
libérée de^ liens de la féodalité, qui TaiOtaiblissaient. 
Il inaugure cette politique royale, qui profitera des 
quenelles des princes rhénans pour les entraîner 
dans Torbite de la politique française et les proté- 
ger contre l'Empereur. Il pensionne les Electeurs 



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LES CAPÉTIENS ET LES VALOIS 37 

ecclésiastiques de Trêves, Mayence, Cologne, les 
évêques de Strasbourg, Bâle, Constance, qui du reste 
sont venus faire leur éducation en France. Il a sans 
cesse, devant les yeux, la limite du Rhin, hanté 
qu'il est par le souvenir de Charlemagne, dont il 
se proclame le descendant. Il est aidé de ses lé- 
gistes \ Il veut chasser les princes allemands au 
delà du Rhin et reprendre, dans sa famille, la cou- 
ronne impériale. Les Electeurs de TEmpire rece- 
vront, pour leur dépossession sur la rive gauche, 
des indemnités prises sur le domaine de i Eglise 
au delà du Rhin. C'est Toeuvre que poursuivra Na- 
poléon par le Recez germanique. Certains chroni- 
queurs prétendent même que, dans ime entrevue 
à Vaucouleurs (1298), Philippe obtint de l'Empe- 
reur d'Autriche que le « Royaume de France por- 
terait jusqu'au Rhin les limites de sa domination », 
tandis qu'en revanche le roi de France travaille- 
rait à rendre la dignité impériale héréditaire dans 
la maison des Habsbourg *. 



. II 
La civilisation française en Rhénanie. 

La France atteint, à cette époque, un haut degré 
de civilisation ; ses mœurs, ses coutumes, sa lan- 
gue pénètrent les pays rhénans et l'Allemagne. Les 

1. Tel que Pierre Dubois. De recnperaiione et de abrevatione, 

2. D'après Guillaume de Nangis, Recueil de V Histoire de la 
France, XX, 681 D. ; Girard de Frachet, t.XXI,p. 17-18; Pierre 
Dubois, De recnperaiione y p. 104. — V. également Babelôn, op. 
eit.j t. Il, p. 108, et A. Sorel, op. cit., t. I, p. 2M. 



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38 LÉ RItt!( Bt LA FSANCÊ 

peuples, venus de Germanie èh Gaule, de même 
que i^ltis tard les Normands, abandonnent leurs 
dialectes pour adopter le latin populaire d'où sor- 
tirent les langues romanes : la civilisation des vain- 
ctis s'impo^ à eux. Sous Charlemagne, le latin 
est la langue officielle, mais k cour et lés grands 
parient, dans le privé, un dialecte germanique, qui, 
peu à peu, disparait devant le roman dérivé du la- 
tin. SoUs Charles le Châtive, on parle 'roman en 
Lotharingie ; il en fut de même à Strasbourg, à 
Toûl, k Metz, à Trêves, tandis que dans le Nord de 
la Belgique, où led Francs dominaient, le dialecte 
germanique subsista. I)âns les villes rhénanes/le 
latin vulgaire, puis le roman, furent la langue de 
tous. Au moyen-âge, dànS le pays de TrèVes et de 
Luxembourg, le français est la Vraie langue offi- 
cielle. Dans certains endroits, atl contraire, comme 
en Alsace, le tudesque domina parce qtie les Ger- 
mains étaient les plus nombreux. Si Ton s^attache 
simplement à la langue pour déterminer la nationa- 
lité des populations, à quels partages fantaisistes ne 
devrait-on pas avoir recours ? Toutes les légendes 
héroïques des Francs, Tépopée dont Charlemagne 
est le centre, qui donna naissance à tant de chan- 
sons guerrières, aux chansons de geste, orgueil de 
notre littérature, prirent naissance dans les pays 
d'Austrasie, dans la vieille France rhénane (Gaston 
Paris). Ces contrées ont les yeux fixés sur la figure 
surhumaine dé Charlemagne, qui continue de les 
dominer. Les empereurs imitent Charlemagne ; la 
littérature, l^architecturé, Torfèvrerie sont toutes 
d'inspiration carolingienne. 

Une fois la France libérée des luttes incessantes 
qui, sous les descendants dégénérés de Charlema- 
gne, faillirent causer sa perte, u^e fois la féodalité 
diminuée, grâce à la prépondérance des Commîmes, 



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LES CAPÉTIENS ET LES VALOIS 39 

sur lesauelles la monarchie s'appuie avec un grand 
sens politiaue^ une fois celle-oi devenue plus forte 
au xir siècle pour agir à Textérieur tt arrondir le 
domaine dô la France, notre influence se répandra 
au delà du Rhin où subsistent tant de souvenirs de 
la civilisation carolingienne. La France y apportera 
l'esprit généreux d'un monde moderne plus civi«* 
lise. C'est chez elle qu'à partir du xi* liiëcle qu'une 
nouvelle société, issue des invasions et du Christia- 
nisme, va se constituer, puissante, originale. Là, 
naîtront la réforme religieuse, la féodalité, l'archi- 
tecture romane, la littérature épique et lyrique. 
Là, une civilisation plus courtoise, faite d'idéal, 
s'épanouit sous des formes diverses, qui, toutes^ 
ont le souci de respecter la beauté pure. C'est le 
règne des troubadours, des fabliaux et du théâtre, 
du lyrisme provençal et du roman de chevalerie. 
Ces transformations profondes de la vie sociale 
s'introduisent en Allemagne par les pays rhénans 
où se sont conservées toutes les traditions de la 
conquête gallo-romaine. Les provinces françaises 
d'Allemagne jouent, dans l'Empire, le rôle d'ini- 
tiatrices. 

Partout on voit Tinfluence de la civilisation fran- 
çaise. Notre langue se répand. Dans la société alle- 
mande on prend des précepteurs français, on se 
sert d'expressions françaises. Les bourgeois se lais- 
sent gagner par cette mode, comme, par exemple, 
à Trêves et dans les vallées de la Moselle et du 
Rhin» Plus de cinq cents termes français s'appli- 
quant à l'organisation féodale, l'art militaire, la 
navigation, le commerce, les industries de luxe, les 
relations mondaines, passent du français dans l'alle- 
mand. Avec notre littérature et notre poésie, le 
code du savoir-vivre que la chevalerie élabore, les 
bonnes manières, le respect de la femme, relé- 



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40 LB KHIN ET LA FRANCE 



■^'''^'fl 



guée parmi les Germains dans une condition infé- 
rieure, pénètrent dans les pays rhénans. L'architec- 
ture, tant civile que religieuse, qui vient de France 
par rintermédiaire de Tordre de Cluny , donne nais- 
sance aux châteaux-forts desburgraves et aux magni- 
fiques cathédrales romanes : Spire, Worms, Cologne, 
patrie de Tart roman sur le Rhin, imitées des ca- 
thédrales d* Amiens, Chartres, Paris, Beauvais. Ce 
sont des maîtres français qui transforment ou édi- 
fient plusieurs églises, comme celles de Trêves et 
de Colmar. Le style gothique, qui fleurit en Alle- 
magne, vient de France où nos cathédrales, avec 
leurs magnifiques vitraux, sont tout simplement 
reproduites outre-Rhin, telles Laon, Braisne, Sois- 
sons, Senlis, Troyes, Reims. D'autre part, le com- 
merce fluvial et maritime est tourné vers la France 
et r Angleterre, et se fait par les Pays-Bas, Les 
cités commerçantes du Rhin comme Strasbourg. 
Mayence, Cologne, deviennent de vastes entrepôts. 
Ainsi s'accentue Tindépendance du pays rhénan, 
soustrait de lui-môme à Tinfluence allemande. 



III 
La politique des Valois. 



La guerre de Cent Ans va interrompre, pour 
quelques années^ révolution commencée, dans les 
pays rhénans, et l'expansion naturelle de la monar- 
chie française. La tutelle des derniers Capétiens est 
mal supportée et Ton constate, chez les Allemands, 
une surexcitation du nationalisme teuton contre 
la France. Mais à peine le royaume «st-il délivré 



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LES CAPÉTIENS ET LES VALOIS 41 

des Anglais que Ton démontre au Roi la nécessité 
d'occuper ces pays de TEst, qui semblent s'ofifrir 
d'eux-mêmes à la conquête française '. C'est im tra- 
vail patient de propagande dans les pays du Rhin 
2ui se poursuit sous les Valois, comme avec les 
Carolingiens et les Capétiens directs, et Ton voit 
Charles V, par exemple, renouveler les alliances de 
ses prédécesseurs avec les archevêques de Cologne, 
les ducs et comtes de Clèves, Gueldre, Juliers, 
Berg, etc., en les dotant de pensions pour les en- 
chaîner à la cause française. Une fois délivrés des 
Anglais, il sera loisible aux rois de France de ne 
pas laisser prescrire la tradition constante des limi- 
tes naturelles de la Gaule. A la cour de Charles VII, 
légistes, politiques, écrivains et gens de guerre 
s'agitent et reviennent à l'idée de la conquête de 
ces pays de Bourgogne, de Lorraine et du Rhin 
que la nature a séparés de TAUemagne. Chacun 
rappelle qu'ils ont jadis fait partie du reqnnm 
Francorum, Le 14 septembre 1444, le Roi affirme 
que le royaume de France a été dépouillé de ses 
limites, qui allaient jusqu'au Rhin, qu'il est temps 
d'y rétablir sa souveraineté, et masse une armée près 
des marches de Lorraine. « Scavoir faisons, dé- 
clare-t-il, à tous présents et à venir, que comme 
, puis naguère nous nous soions transportés vers les 
marches du Barrois et de Lorraine et vers les Aie- 
maignes pour aucuns grants affaires touchans nous 
et nostre Seigneurie, et meismement pour donner 
provision et remède à plusieurs usurpations et en- 
treprises faites sur les droitz de noz royaume et 
couronne de France, en plusieurs païs, seigneuries, 
citez et villes estans deçà la rivière du Rein, qui 
d'encienneté souloient estre et appartenir à nos pré- 

i. Guillebertdo Metz (1434;. 



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42 LE RHIN ET LA FRANGE 

décesseurfi roys de France \ » De son côté, le dau-* 
phin Louis se rend en Alsace et reçoit, à Altkirch, 
les ambassadeurs impériaux ; il leur déclare qu'il 
est yenu pour « revendiquer les droits du royaume 
des Gaulois qui s'étendaient jusqu'au Rhin. » Les 
populations rhénanes, délaissées depuis plusieurs 
années, virent qu'on ne les abandonnait pas. D'autre 
part, Charles VII, à la suite de son expédition, 
appuya et subventionna les petits princes allemands 
menacés par le duc de Bourgogne* 4 

Lorsque Louis XI lutte contre Charles le Témé- 
raire, qui entreprend de reconstituer le vieux 
royaume carolingien de Lotharingie, non seulement 
il veut sauver l'intégrité de la monarchie capé- 
tienne, mais aussi cette France de l'Est vers lac^uelle 
sa pensée se reporte sans cesse. Il projetait de 
faire épouser la fille de Charles, Marie de Bourgo- 
gne, par son fils, le Dauphin, afin de « recouvrer 
sans débat ce qu'il prétendoit estre sien » ; mais elle 
épousa Maximilien, et ce fut la cause de la longue 
rivalité des maisons de France et d'Autricne. 
Louis XI se considère^ comme l'héritier de Charle- 
ma^ne, et pensionne les chanoines d'Aix-la-Cha^- 
pelle. 

Charles VIII^ accordera aux habitants d'Aix-la- 
Chapelle un droit de bourgeoisie, qui les fera par- 
tout considérer comme des Français et maintiendra 
nos traditions sur le Rhin. Les villes impériales, 
écrit Albert Sorel, étaient comme suspendues entre 
l'Allemagne et la France'. Les aspirations des Rhé- 
nans, depuis Charlemagne, ne se sont point modi- 
fiées, 

1. Ordonnances des rois de France^ t. Xin,p. 4ô8; cf. A. Sd- 
rel. <w, cit*t U I^ p. 25â-259. 

2. Petit-Dutaillis, Étude «m la vie et le règne de Louis VIIl^ 
1 vol. in-8», Paris, Impr. Bouillon, 1894, p. 306-307. 

3. L'Europe et la Révolution française^ op. oit.^ t« I, p, 574. 



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LES CAPÉTIENS ET LES VALOIS 4â 

Il faut dire qu'avec le mouvement littéraire qui 
accompagne la Renaissance des études classiques, 
Tétude de Thistoire est plus répandue. On cherche 
dans Tantiquité des explications aux événements 
récents, on remonte aux sources. On ne se contente 
plus d'invoquer Charlemagne et sa légende ; on. 

Îirétènd donner à Thistoire nne assise plus pro- 
onde. On se remémore la prospérité et la gran« 
^ deur de la Gaule celtique, la nelle civilisation gallo^ 
romaine. Plus que jamais revit, dans la Rhénanie, 
le prestige de TEtnpire franc et l'on cherche pour 
les rois des droits à la succession de TEmpereur. 
Du reste, l'invention de l'imprimerie facilitera la 
diffusion de ces souvenirs glorieux. 

L'attention de la Couronne semble, au xv* siècle, 
s'écarter en apparence du Rhin pour se reporter 
vers de plus vastes projets. Charles VIII et Louis XII 
se lancent, en Italie, dans des « expéditions de 
magnificence %, mais qui, en réalité, ont pour objet 
de lutter, dans la Péninsule, contre la puissance 
impériale, qui veut y dominer dominé sur le 
Rhin. Louis XII y va, entouré de princes rhénans, 
comme le duc de. Lorraine, et resserre par ses 
agents l'alliance française avec les Ëlecteurs ecclé- 
siastiques, qui lui fournissent des troupes. Mais ce 
furent des expéditions désastreuses, car elles com- 
promirent du paralysèrent TcetivrjB de François I", 
qui voulait poursuivre la politique traditionnelle 
dans les pays rhénans. Candidat à TEmpire, François 
met tout en oeuvre pour capter leurs suffrages dans 
sa lutte avec Charles-Quint. Il se prodigue en pen- 
sions, en libéralités, en promesses de tôutôS sortes 
auprès des archevêques de Trêves, Mayence, Colo- 
gne, du duc de Saxe, de TElecteur Palatin du Rhin. 
Ses prétentions à la couronne impériale indiquent 
que François P' veut réaliser le révô obstiné de 



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44 LE RHIN ET LÀ FB^NCË 

nos rois à travers le moyen^âge, reconstituer T Em- 
pire de Charlenjagne, Charles* Quint élu, la guerre 
éclate entre l'Empire et la France* Le roi cherche 
à TEmpire des ennemis en Allemagne et soudoie 
les princes protestants, demande des lansquenets 
à ses alliés, les princes de Furstenberg et de Wur- 
temberg (Ligue de Smalkalde, 1531) : traités qui 
nous coûtent plus d argent que de profit, mais 
maintiendront notre influence sur le Rhin et pré- 
pareront l'action de Richelieu. En 1540, il renou- 
velle la vieille alliance avec le duc de Juliera et 
Clèves, dont il s'engage à protéger les duchés- 
Henri II avec Maurice de Saxe continua cette 
politique par le traité de 1551, qui reconnaissait 
au roi le droit d'occuper Metz, Toul, Verdun et 
Cambrai, villes impériales (traité de Friedwald)* 
Le roi recherche un but politique plutôt que des 
agrandissements sur le Rhin. Et les princes alle- 
mands, en signant le traité, montrent combien ils 
tiennent peu à l'Empire, qui n'est qu'un agrégat de 
principautés, sans cohésion, aussi éparpillées que 
jadis dans la vieille Germanie. Soutenu par eux, le 
Roi commença les hostilités (mars-avril 1592), oc- 
cupa les Trois Evêchés et pénétra en Alsace. € On 
disait autour du Roi qu'il fallait démembrer TEm- 
pirCj reconstituer le royaume d'Austrasie^et que la 
France avait bien plus à gagner sur le Rhin qu'en 
Italie S )» La guerre^ pour la sauvegarde de notre 
frontière, est des plus populaires. Les littérateurs 
Tencour agent, Rabutin célèbre le zèle des Fran- 
çais, ainsi que Rabelais lui-même, pour qui cette 
guerre est nécessaire : ¥ Chacun aujourd'hui part 
à la fortification de sa patrie et la défendre, part 
au refoulement des ennemis et les offendre \ » Ron- 

1. Eugène Darcy, ibid, 

2. Pmnttigruel, éd. de 1669, m-12% I, p. 303-304. 



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^!Sis.i 



LES CAPÉTIENS ET LES VALOTS 45 

sard. Du Bellay, Pasquier, Henri Estieone vantent 
la prédominance de la France. En vain Charles- 
Quint assiégea Metz ; Guise la sauva, et le traité de 
Cateau-Cambrésis nous reconnut la possession des 
Trois Evêchés (1559). 



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CHAPITRE V 
LA POLITIQUE DES BOURBONS 



Henri IV et Sully. 
Uœuvre de Richelieu et Mazarin. 



La politique d*Heiiri II fut reprise par Henri IV, 
qui aida les protestants allemands k former, contre 
les Empereurs de la maison d' Autriche, une Union 
évangélique (1GÛ8) comprenant T Electeur Palatin, 
les margraves d'Anspach et de Bade-Dourlach, 
le comte palatin de Nieubourg, le landgrave de 
Hesse, le duc de Wurtemberg, les villes de Stras- 
bourg, Ulm, Nurenbergj Spire, Worms, etc. Sullj 
croit que « le seul et unique moyen de remet- 
tre la France en son ancienne splendeur et la 
rendre supérieure à tout le reste de la Cbrétienté, 
c'est de lui rendre les pays voisins qui lui ont 
autrefois appartenu et semblent être de la bien- 
séance de ses limites ^ >, Et dans le grand projet 
qu^il établit avec Henri IV pour fonder en Europe 
une paix durable, il pense réunir la Lorraine par 
un mariage, puis le Luxembourg, le Limbourg, 
ClèvGs et Juliers, « pays assis sur notre frontière 

1. A, Sorel, op* cit., t. J^ p. 2e7-3fiB* 



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LA POUTIQUE DES BOURBONS 47 

etVjjpii portent droit sur les Provinoes Unies ». 
Henri IV a sans cesse les yeux tournés vers les 
pays rhénans. Pour isoler TAutriche et de TAlle- 
magne et de TEspagne, il voulait constituer, sur 
les deux rives du Rhin, un groupement défensif, 
une ligue permanente de petits Etats, dont le chef 
aurait été le roi de France. 

Donner à la France de solides frontières est la 
pensée dominante de la poUtique hourbonnienne. 
A rEst et au Nord, la France est ouverte aux in- 
vasions, et ses frontières y sont essentiellement 
artificielles et mobiles. Il y a de grands obstacles 
à vaincre pour retrouver, du côté du Rhin, les pays 
détachés, depuis huit siècles, de l'ancienne Gaule. 
La couche germanique est devenue de plus en plus 
épaisse ; les intérêts, les mœurs, la langue séparent 
des peuples que la géographie et l'histoire réunis- 
saient. « Aussi les Bourbons, malgré leur habileté, 
leur persévérance, malgré les grands hommes qu'ils 
employèrent à cette œuvre, malgré les victoires 
dont ils la décorèrent, ne parvinrent-ils qu'à réu- 
nir ime partie de Tancien territoire, et ils n'y par- 
vinrent que ville par ville, morceau par morceau, à 
force de guerres et de négociations, par une lutte 
opiniâtre, en ayant contre eux presque constam- 
ment la moitié de TEurope * ». Travail lent d'in- 
corporation, qui ne brusque rien, et profite des be- 
soins comme des intérêts avec une prudence avisée. 
Il fut donné à Richelieu et à Mazarin d'appliquer 
en ses termes essentiels la politique séculaire de la 
royauté, de reconstituer les frontières de l'ancienne 
Gaule, de chercher à protéger la France là où elle 
était le plus vulnérable, c'est-à-dire sur le Rhin. 



1. PranU Funek^Bpentano. L* FrMno9 Bur le Rhin, 1 vol., 
in-8» Paris, Recueil Sirey, 1919, p. 113, 



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të LB RHIN ET LA FRANCE 

Pour engager la partie, Richelieu va profiter de 
la révolte entre catholiques et protestants d'Al- 
lemagne et livrer à la Maison d'Autriche une lutte 
décisive. Il affirmera que les intérêts politiques de 
la France sont dans Falliauce avec les protestants 
d'Allemagne et, sans abandonner les catholiques 
de France, il envoiej en 1024, un ambassadeur à 
Strasbourg assurer € que le Roi est tout prêt à 
venir en aide k la ville le jour où elle se senti- 
rait menacée >, aÇn de conserver ses libertés et 
celles de la nation allemande. En 1633, il déclare à 
Louis XIII qu'après s'être emparé de la Lorraine, 
« on pourrait insensiblement étendre les limites de 
la France jusqu'au Rhin... ». Un de ses conseillers 
écrivit un mémoire sur ses instructions. « L'Empe- 
reur n'a aucun droit sur les terres qui sont en deçà 
du Rhin que par usurpation, d'autant que cette ri- 
vière a servi de frontière à la France... cinq cents 
ans durant. » Il ne cessa de travailler Topinion 
publique, il inspira une vraie campagne et une sé- 
rie d'ouvrages furent composés sur ses indications ^ 
Pendant tout son ministère, il n'aura qu'un but, 
comme il le dit dans son testament, « rendre à la 
Gaule les frontières que lui a destinées la nature, 
rendre aux Gaulois un roi gaulois, confondre la 
Gaule avec la France et, partout où fut l'ancienne 
Gaule, y rétablir la nouvelle ». 

Dans la lutte contre la Maison d'Autriche pour 
la conquête de ces frontières, la France aura sur le 
Rhin ses anciens clients. L'archevêque de Trêves 
se place sous le protectorat de la France (1632) 
et Richelieu fait tenir garnison à Philippsbourg et 
à Ehrenbreitstein, au-dessus de Coblence ; l'arche- 

1. V. notamment : Ghantereau-Lefèvre. Si les Anciennes pro- 
vinces de Lorraine doivent être appelées terres d'Empire, 1 vol. 
in-8*, Paris, 1642. 



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LA t>OLITIQUE DES BOURBONS 49 

véque-électeur de Cologne et le Magistrat colonais 
demandent à se ranger sous la bannière de France ; 
le comte de Sarrebrûck et le comte palatin de 
Deux-Ponts appellent Louis XIII à leur aide. Aussi 
un auteur allemand, en général peu bienveillant à 
regard de la France, est-il obligé de reconnaître 
4( que le penchant général des provinces rhénanes 
vers là France n'a cessé d'aller en s'accentuant de- 
puis la guerre de Trente Ans * ». 

Richelieu est fort habile dans sa politique en 
pays rhénans. Il ne procède, dans son occupation, 
que graduellement, par étapes. L'Alsace est une 
mosaïque de villes libres, de principautés laïques 
et ecclésiastiques, qui n*ont point encore conscience 
de leur solidarité morale. Il faut combiner les an- 
ciens droits naturels avec la volonté des habitants : 
il faut que ceux-ci désirent l'union à la France. Les 
villes d Alsace veulent un protecteur, mais préfè- 
rent le Roi à l'Empereur, qui est trop éloigné d'el- 
les. A plusieurs reprises, Richelieu les assure de 
sa bienveillance (1632), et fait dire aux protes- 
tants qu'ils ne seront en rien troublés dans leur 
croyance. En Lorraine, il s'établit peu à peu sans 
combats. De même, il occupe, avec les plus grandes 
précautions, les forteresses du Rhin, après se les 
être fait offrir par leurs possesseurs, l'Electeur de 
Trêves et celui de Cologne. Les villes du Palatinat 
elles-mêmes: Kaiserslautern, Neustadt, Mannheim, 
réclameront des garnisons françaises pour se pro- 
téger des troupes suédoises battues. Les popula- 
tions accueillent avec enthousiasme les troupes 
françaises : les destinées de l'Alsace sont aux mains 
de la France. 



1. Justus Hashag^en. D&s Rheinl^nd nnd die Frànzôsiche 
Berr^çhaft, p. 86. 



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aO LB RfilN ET LA P&ANCG 

MoisiaFm fi^effpçcera de continuer cette glorie^aa 
politique. Il eii aidé par les viotoires des armées 
françaii^s, « Le Rhin, écrit le prince de Condé 
après ses succès, est retourné à ses anciens maîtres, 
qui, depuis la seconde race de leurs rois, Tavaient 
perdu par leurs dissensions et leurs guerres ci* 
viles, > L'opinion publique se prononce en faveur 
des revendications de la France sur le Rhin K » 
Les instructions de Mazarin au comte d'Avaux, 
notre plénipotentiaire à Munster (20 janvier 1646), 
pendant les négociations de ce traité, contiennent 
cette revendication de la rive gauche du Rhin : 
€ L'on aurait étendu les frontières jusçiues à la 
Hollande, et du côté de TAUemagne, qui est celui 
d*où Ton peut beaucoup craindre, jusques au Rhin 
par la rétention de la Lorraine et de T Alsace et 
par la possession du Luxembourg et du Comté 
de Bourgogae... Tant de sang répandu et de tré- 
sor consommé ne pourraient être tenus par les plus 
critiques que fort bien employés quand on verrait 
annexé à cette Couronne tout Tancien royaume 
d'Austrasie. » 

Au traité de Westphalie, avec Metz, Toul et Ver- 
dun, dont la possession nous était reconnue irrévo- 
cablement (art. 44), avec le landgraviat de Haute et 
Basse Alsace et les dix villes impériales (art. 47), 
nous reprenions une partie de la rive gauche du 
Rhin. Par la possession de Brisach et par le droit 
d'avoir garnison daùs Philippsbourg, nous avions 
pied sur la rive droite et commandions l'entrée de 
TAllemagne. Si notre frontière politique ne s'éten- 
dait pas jusqu'au fleuve, noua en tenions les ap- 

1. V. notamment Touvrag^e de Jacques de Cassan, avocat au 
présidial de Béziers. Recherche des droits du Roy et de la Cou- 
ronne de France tur hê ro^umes, duekéSj comtés, villes et 
pays occupés par les princes étrangers, 1 vol., Paris, ldS4. 



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LA POLITIQUE DBS BOtmBOMS 5( 

proches. Les traités de Westphalie maintenaient 
une anarchie complète en Allemagne et attiraient 
les princes allemands dans notre politi(|ue ; ils nous 
donnaient un droit de surveillance sur leiirs affaires. 
Vepwailles, et non plus Vienne, va commander aux 
principautés de la Moselle et du Rhin. Ces pays, 
en dei^k du Rhin, se déclareront liés à la France, 
qui doit les défendre et garantir leur liberté poli« 
tiaue et religieuse contre la Maison d'Autriche. Ils 
auront I9 liberté de conscieiice et Tindépendance 
presque totale à Tégard de l'Empereur. Ils auront 
le droit de contracter des alliances avec les puis-^ 
sanoes étrangères. Aux traités de Westphalie, qu^ 
consacrent les libertés germaniques, se forme l'Al- 
lemagne pnoderne, qui tirera parti, comme la Prusse, 
des victoires françaises. 

Le traité des Pyrénées compléta les traités de 
Westphalie, en abaissant la branche espagnole de 
la Maison d'Autriche et en nous donnant les places 
de Philippeville, Marienbourg, Thionville, Mont* 
médy, Ivoy et Marville dans le Luxembourg, qui 
avaient leur importance militaire et constituaient, 
dans les projets de Mazarin, une frontière artifi- 
cielle très nécessaire à défaut de la frontière natu- 
relle. 



Il 
tel clientèle d^f petits Etats rhénsins, 

Mazarin développa la politique française en pays 
rhénans par la Ligue des princes du Rhin, désor- 
niais indépendants à Tégard de TEmpereur. Par le 
traité du 15 août 1658, le roi de Franc© devient h 



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52 LE RHIN ET LA FRANCG 

protecteur des Electeurs-archevêques de Trêves, 
Mayence, Cologne, en même temps que ceux-ci 
lui promettent leur assistance. C'est la fameuse 
alliance du Rhin, dont Tarchevêque de Mayence 
sera le président, et dont feront partie également 
les trois ducs de Brunswick, de Neubourg et de 
Bavière, le langrave de Hesse, le duc de Suède 
comme duc de Brème et de Werden, le comte de 
Sarrebrûck. C'était une alliance offensive et défen- 
sive pour la paix aui garantissait la conquête de 
l'Alsace. Chacun des électeurs rhénans recevait 
une pension annuelle de 30.000 écus. On ne faisait 
que continuer ainsi — et la tradition s'en poursuivit 
jusqu'à la Révolution — la politique inaugurée, dès 
le règne de Louis XI, et même, dès le moyen-âge, 
par les divers gouvernements *. 

La Ligue du Rhin est le premier essai de cette 
Confédération du Rhin, dont Napoléon devait être 
le protecteur. Elle étendit Tinfluence politique de 
la France sur toute la rive gauche, une sorte de 
protectorat sur FAustrasie franque. Les princes, 

3ui en faisaient partie, s'appelaient les Allemands 
e France. La Ligue avait une armée, qui était au 
service du Roi, et s'appelait : « Armée de Sa Ma- 
jesté Très Chétienne et des Electeurs-Princes 
Alliés ». Elle comptait une trentaine de mille hom- 
mes, douze régiments d'infanterie et six de cava- 
lerie, sous Louis XIV ; les régiments allemands 
ainsi au service de la France portaient leurs noms 
d'origine ; Furstenberg, Roy al- Allemand, Salm- 
Salm, Royal-Liégeois, Royal-Deux-Ponts, Nassau, 
La Marck, Royal-Bavière, Hesse-Darmstadt, Bir- 

1. On a calculé que, sous Richelieu et Mazarin, la France 
avait jeté 300 millions dans les coffres sans fond des souverains 
allemands, et de 1750 à 1772 environ 137 millions (Heynaud, 
op. cit.f p. 292). 



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LA POLITIQUE DBS BOURBONS 53 

kenfeld et autres. Grâce à des conventions diver- 
ses, plusieurs fois renouvelées, que garantissaient 
presque toujours des subventions pécuniaires, la 
France pouvait, surtout en temps de guerre, occu- 
per tout le territoire des Alliés, établir des maga- 
sins, garnir de troupes leuré forteresses. Sous le 
règne de Louis XV, . le nombre des régiments alle- 
mands s'éleva jusqu^à vingt-cinq. Certes, il est à 
noter que ces princes, malgré leurs serments, ne 
nous étaient attachés que par les cordons de la 
bourse. Pendant la guerre de Dévolution, plusieurs 
d'entre eux s'allieront tranquillement aux Hollan- 
dais contre nous, se plaignant de n'avoir pas été 
assez payés. L'Electeur palatin se révoltera, faisant 
exercer des cruautés abominables sur les soldats 
français, ce qui amènera une répression sévère de 
la part de Louvois (1673). La politique de Ma^arin 
fut si active, sur le Rhin, qu'il essaya de reprendre 
un instant le vieux projet caressé par nos rois : 
poser la candidature de Louis XIV à l'Empire. 
Mais le grand Roi échoua comme jadis François I", 
et Léopold d'Autriche fut élu. 

Louis XIV continua l'œuvre entreprise par Ri- 
chelieu et Mazarin, mais en s'inspirant des con- 
seils de Turenne, qui préférait que l'on constituât 
ces pays comme on avait fait, depuis 1648, en an- 
nexe de la France. En 1662, dans ses Mémoires^ 
il revendique les droits de la France sur la Lor- 
raine, par où l'étranger peut aisément nous envahir, 
et qui fait partie de l'ancien patrimoine des rois de 
France. Le grand Roi se proclamait l'héritier de 
Charlemagne. En 1685, il envoie à Vienne le comte 
de La Vauguyon, qui sera chargé de déclarer à 
cette Cour « qu'il n'y a personne en France qui ne 
considère la Lorraine comme un membre si insépa- 



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6i LB RHIM ET hk FIANGS 

rablement uni et attaché au corps du Royaume, 
qu'on nepouYoit en proposer dorénavant le ihoindre 
détaohen^nt, sans s'attirer Tindignation de tout 
ce qu'il y a de bons Français '. » 

C'est pour étendre sa frontière de TEst que 
Louis XIV, interprétant Targument des clauses du 
Traité de Nimègue, qui lui livre certaines villes 
€ avec leurs dépendances », institue des Chambres 
de Réunion, chargées de rechercher les pays qui 
peuvent être considérés comme des dépendances 
des villes et des provinces énumérées dans le traité. 
Ainsi sont annexées : Montbéliard, Strasbourg, Ger- 
mersheim, Lauterbourg, Sarrebrûck, Deux-Ponts, 
Luxembourg, Chimai, Courtrai, Dixmude, et une 

Quinzaine d autres villes. Mais après la coalition 
e la Ligue d'Augsbourg (1686), et le traité de 
Rys-wick, il ne pourra garder qu'Huningue, Stras- 
bourg, Sarrelouis, Givet. 

Pendant la guerre de Succession d'Espagne, les 
troupes françaises occupent les cantons de la rive 
gauche du Rhin, d'accord avec les suzerains du 
pays. Toutes les places fortes sont mises entre les 
mains d'ingénieurs français et de commissions 
militaires, qui établissent des entrepôts, construi- 
sent des travaux de défense et de fortifications. A 
j^artir de 1702, les provinces de la rive gauche du 
Rhin deviennent une autre Alsace, gardant toute 
leur indépendance et nous constituant une frontière 
très forte. 

Remarquons que dans cette politique suivie par 
les Bourbons à 1 égard de la Rhénanie, il ne s'agis- 
sait point pour la France de l'annexer, mais de la 
conserver sous son influence. « Le Roi doit se re- 

1. Reêueil du InttrncUons àua Ambassàéturê^ p. iOd. 



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LA POLITKHIE DES BOURBONS 86 

garder domme le tuteur des princes faibles. Oetle 
politique fait^ depuis plusieurs siècles, la sûreté et 
la gloire de cette couronne ^.. » Dans un mémoire 
au roi Louis XY, de 1744, elle est précisée en o«s 
termes : « La France effectivement doit se tenir 
bornée par le Rhin et ne songer jamais à faire au- 
cune conquête en Allemagne. Si elle se faisait uàe 
loi de ne point passer cette barrière et les autres 
que la nature lui a prescrites du côté de rOccident 
et du Midi : mer océane, Pyrénées, mer Méditer- 
ranée, Alpes, Meuse et Rhin, elle deriendrait alors 
Tàrbitre de TEurope et serait en état d'y maintenir 
la paix à tout prix. » 

Vergennes, fidèle à la politique de Richelieti, 
signalera également^ dans un mémoire, du 8 dé- 
cembre 1774, les dangers de la politique dé côà- 
quête. Certes les pays du Rhin sont bien tentante; 
ils se prêtent d'une merTeilleuse façon à Farrondlft- 
seihent de la France, mais il faut réfléchir aUx 
Kionséquences de l'annexion. Le préjudice qui en 
résulterait dépasserait de beaucoup l'étendue dès 
bénéfices ^ Tel sera le sens des instructions données 
au comte de Montmorin, envoyé comme plénipo- 
tentiaire à Trêves (18 avril 1776). Par cette mo- 
dération, qui nous entraînait à bien des sacrifices, 
il comptait ménager les puissances rivales et ja- 
louses comme € s'il devait plus tard bénéficier de 
leur reconnaissance ». « La France, constituée 
comme elle l'est, disait-il au Roi, doit craindre les 
agrandissements bien plus que les ambitionner... 
Par Votre Majesté, la justice et la paix régneront 
partout et l'Europe applaudira en reconnaissance à 
ces bienfaits qu'elle reconnaîtra tenir de la sagesse, 



1. A. Sorel, op, cii.y t. I, p. 316. 

2. Ibid,, p. 314. 



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56 LH HHIN ET LÀ FEANGE) 

de la vertu et de la magDanimité de Votre Majesté, » 
Cette politique de la France, ainsi définie^ modé- 
rée et juste, voici comment elle est appliquée. Les 
progrès de la France vers le Hhin sont nécessaires 
aux libertés germaniques. Il faut protéger les petits 

Î> rince s contre l'envahissement et rhégémouie de 
a Maison d'Autriche, menace directe à leur indé- 
pendance. La Prusse, qui vient d'inspirer le partage 
de la Pologne, n'est- elle pas pour eux de plus en 
plus redoutable ? La France est la garante de Tin- 
dé pend an ce de l'Allemagne, Elle protège sa cons- 
titution. Plusieurs princes rhénans sont nos clients 
naturels, puisqu'ils sont unis par les liens du sang 
à la Cour de Versailles, comme la Bavière, le Pa- 
latinat, la Saxe, D'autres lui sont rattachés par des 
traités de subsides ou des conventions militaires. 
Plusieurs séjourneront à la Cour de Versailles, y 
enverront leurs enfants, et se targueront d'en con- 
server les bonnes manières, qu'ils apprécient fort. 
Ils forment ainsi sur le Rhin un prolongement de 
la patrie française. Mais leur clientèle a encore un 
autre objet* Elle constitue un système de protec- 
tion sur le Rhin, «c un glacis politique très utile a 
la France ^ », une barrière naturelle très forte, en 
avant de la barrière de fer construite par Vauban. 
Ces petits Etats indépendants sont les marches du 
royaume. 



1. E. DriaulL La République et lo iîftm, 1 vol. in-ie, Paria, 
recueil Sirey^ p. 37- 



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LÀ POLITIOUE DEâ BOURBONS S? 



III 



La civilisation française en pays rhénans 
au XVII» et au XVIII* siècles. 



Au xvii® et au xviii* siècles, notre civilisation, 
supérieure à la civilisation allemande, domine en 
pays rhénans et en Allemagne. La Bavière, F Au- 
triche, se Kvrent à notre pénétration. Dès les pre- 
mières années du xvn® siècle, on peut considérer 
les bords du Rhin comme francisés, car Tinfluence 
française progresse avec une extrême rapidité, 
submergeant cours et châteaux, pénétrant dans les 
milieux bourgeois, transformant Texistence maté- 
rielle et morale des Allemands. 

Notre architecture, notre sculpture, notre pein- 
ture sont prépondérantes en Allemagne. Dès le 
xvi** siècle, on construit des châteaux à la française, 
en Mecklembourg, à Wismar, à Schwerin, à Gus- 
trow. Les bords du Rhin et du Mein, les « résiden- 
ces » de Cassel, Darmstadt, Berlin, Postdam, 
Dresde, Salzbourg, Weimar, Munich, etc.. s'ornent 
de palais bâtis par les architectes français ou cal- 
qués sur les nôtres. Les Allemands raffolent des 
styles Régence ou Louis XV. Des parcs, ornés de 
bassins, de jets d*eau, peuplés de statues, ont été 
dessinés par le Nôtre et ses élèves. La vie française 
y étale ses splendeurs; on y contemple toute l'exis- 
tence délicate et polie de Versailles, de Marly, de 
Trianon ; on y revit les soirées de la Régence et du 
règne de Louis XV. On y entend la musique de 
Perrin, de Lulli, de Rameau. L*opérette allemande 
est un emprunt fait à notre civilisation. Les danses 



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58 LE KHI?* BT LA FH4NCQ 

sont importées de Fraucej comme au moyen-â^e, et 
les ballets viennent à grands frais de Versailles et 
de Paris. L'escrime^ les carrousels sont français, 
La vie des salons est calquée sur les mœurs fran- 
çaises. La façon de se tenir a table, réLiquette des 
repas, Tordre dos plats sont copiés de France, 
ainsi qu'une foule de mets et de pâtisseries. 

Les arts, tels que la sculpture^ la peinture, sont 
soumis à rinflucnce française* Partout, on veut 
posséder des statues ou des tableaux français. C'est 
un Français qui dirige F Académie des Beaux- Arts 
de Dresde, jusqu en 1776. A Berlin, Antoine Pesne 
occupe une situation analogue. Les graveurs, les 
relieurs ont étudié à Paris, La reliure en Teau est 
la reliure à la française. C est un Français, Mercier, 
qui, le premier, a confectionné des tapisseries à 
Berlin, Bref, comme au xm* siècle, F Allemagne 
devient une province artistique de la France \ 

La toilette égalem^ent est d'inspiration française. 
On appelle sur les bords du Rhin, les tailleurs de 
Paris, La Pompadour fait la loi pour toutes les Al- 
lemandes élégantes; elles usent, pour leur toilette, 
les précieux articles de Pana : parfums, poudres, 
savonnettes. 

Avec les usages français, les idées françaises 
passent le Rhin, Notre littérature y est très appré- 
ciée. Les romans de M^^^ de Scudéry,de la Calpre- 
nède, de Gomberville sont très lus, ainsi que les 
grands auteurs qui ont fleuri sous le règne de 
Louis XIV. Plus tard. Voltaire > Rousseau, Helvé- 
tius, ont de grands admirateurs ; les principales 
pièces de noire théâtre sont jouées fréquemment* 
Le prestige de la littérature française éclipse celui 
des littératures espagnole et italienne. 

1. Bâynaud, op. cit^ p. 331^ 



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LA P0UTK2UB DBS B0UR80KS 59 

La conquête des pays rhénans développe la cul- 
ture du français; il n'a pas cessé du reste d'y être 
parlé. De là, il se répand dans toute l' Allemagne. 
Les cours donnent le signal de son adoption ; elles 
seront bientôt suivies par la noblesse et la bour- 
geoisie. Le français courant pénètre dans la langue 
germanique. L'université d'Heidelberg est une uni- 
versité française. Les protestants, établis en grand 
nombre sur la rive gauche du Rhin, après la révo- 
cation de l'Edit de Nantes, ont beaucoup contribué 
à la diffusion de notre langue et de nos mœurs. 
C'est là surtout que l'influence de la France se ma- 
nifeste et se perpétue ; considérez les cités pros- 
pères de la rive gauche du Rhin, plus éclatantes 
que celles de la rive droite, avec leurs populations 
plus cultivées et jouissant de plus de liberté et de 
bien-être ; c'est en France qu'elles prennent la mode 
des hôtels spacieux, le luxe français, la vie et la 
lumière. 

Louis XIV n'a pu réaliser « le pré carré »,c*est- 
à-dire la frontière militaire que souhaitait Vauban, 
par suite des revers qu'il subit à la fin de son règne. 
Sous Louis XV, la grande œuvre de défense de la 
monarchie ne put davantage se consolider. Néan- 
moins, son mariage avec la fîUe du duc Stanislas 
nous donna la Lorraine, possession reconnue par 
le traité de Vienne (1735); une partie de la Fraûce 
lotharingienne nous était restituée, mais les fron- 
tières de la France restaient ouvertes à l'invasion. 
La funeste alliance avec la Prusse, qui grandit 
notre rivale, et leâ insuccès qui suivirent, allaient 
nous empêcher de réaliser certaines espérances. 
Avant 1789, la France n'intervient plus qu'acci- 
dentellement sur le Rhin. Et cependant les écri- 
vains et les juristes, plus audacieux que les hommes 
politiques, exposent datts des libelles^ dans des trai- 



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60 LB RHin ET ta MANClB 

lés, das arguments qui démontrent la nécessité de 
protéger notre frontière de TËst. Lea uns tiennent 
pour r annexion des Pays-Bas, les autres pour celle 
des pays rhénans^ à cause de la proximité de la 
Lorraine et de T Alsace \ mais il y faudrait l'assen- 
timent de TAutriche, que Ton n'obtiendra pas, La 
tradition séculaire de la monarchie est défendue 
avec opiDiâtreté. Elle sera reprise du reste sous la 
Révolution, mais sans cesse T Angleterre et TAu- 
triehe la contrarieront. 

Plusieurs hommes politiques, en Europe et en 
Allemagne, ne désapprouvent pas cette extension 
naturelle de la France, C'est l'idée que soutient 
Frédéric II lui-même, peut-être pour gagner nos 
bonnes grâces (1738). « Du côté de TOrient^ la 
France n'a d'autres limites que sa modération et 
que sa justice, L'Alsace et la Lorraine ^ démembrées 
de TEmpire^ ont reculé les bornes de la domination 
française, il serait à souhaiter que le Rhin pût con- 
tinuer à faire la lisière de la monarchie :*. L'histo- 
rien allemand Bielfeld n*écrivait-il pas, en 1760 : 
« Si le système politique de la France se réduit à 
mettre les mers, les Alpes^ les Pyrénées et le Rhin 
pour frontières à ses Etats, c est assurément un 
plan dicté par la sagesse » ^ Plus loin, il ajoutait : 
« En suivant les lumières du bon sens, on doit 
croire que la France.,, a pour but d'étendre ses 
conquêtes jusqu'aux bords du Rhin, en voulant 
mettre ce fleuve pour frontière de ses EtatSj comme 
il faisait les bords de Tancienne Gaule )►, La rive 
gauche du Rhin laissait alors Frédéric 11, aussi bien 
que ses sujets, dans la plus grande indifférence; 
ce n'est que, vers 1813, que Arndt inventa le Rhin, 



i.InsUtutions poUiiqueA de l'Ettropt^A vol. in-ia, Pari». 1763, 



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LA POLITIQUE DBS BOURBONS 61 

fleuve allemand pour résister à la domination na- 
poléonienne, lorsqu'il la vit chanceler. Au crépus- 
cule de la monarchie, la question du Rhin tient 
toujours une place importante dans les préoccupa- 
tions des écrivains et des hommes politiques fran- 
çais. 



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CHAPITHE VI 
LES PAYS RHÉNANS ET LA RÉVOLUTION 



La propagande révolutionnaire. 

A ses origines, la Révolution française repousse 
toute idée de conquête. La diplomatie de la France 
sera régénérée comme son gouverne ment* L'exer- 
cice du droit de paix et de guerre aura des bases 
nouvelles. La France veut une paix digne et sta- 
ble, fondée sur le droit. La liberté repose sur la 
paix ; tout agrandissement de la France nuirait à sa 
puissance, et son œuvre de régénération serait com- 
promise, < Que la France, propose Robespierre, 
renonce à tous projets ambitieux, à toutes conquê- 
tes, qu elle regarde ses limites posées par les des- 
tinées éternelles I > « Que toutes les nations soient 
libres, déclare le curé RoUet, et il n'y aura plus de 
guerre t » Trois ans plus tard, tout est changé; un 
patriotisme farouche dominera la plus révolution- 
naire des Assemblées. 

La Révolution possède en elle-même une telle 
force d'expansion qu'elle ne peut se contenir dans 
des limites immuables. Elle a beau proclamer^ avec 
la plus entière loyauté, qu*e!le renonce aux agres- 



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LES PAYS RHiWANS IT LA EÉV0LUTION 63 

sioRi $t aux oonqu£te3 pour achever son œuvra, 
les principes sur lesquels elle repose vont l'entraî- 
ner malgré elle. Toute stagnation est un recul. 
Pour répondre à ces principes mêmes, il faut com- 
pléter Tunité de la nation comme celle du terri- 
toire, réunir Avignon à la France, libérer T Alsace 
de ses entraves féodales. Et voilà déjà une mo- 
dification à Tétat de choses établi, une violatioif 
des traitéis et des traditions qui règlent la situation 
de la France et celle de TEurope. Puis elle propose 
au monde un idéal de justice et de fraternité intel- 
ligible à tout homme qui respire, et qui désire s'af- 
franchir de sa misère et de sa servitude. Mais c^est 
là une force spontanée de propagande et les peu-* 
pies voisins, séduits par ces doctrines, en seront 
tout ébranlés. 

Des émissaires zélés, sortant de France, vont pro- 
pager les idées nouvelles et invitent les popula-^ 
lions limitrophes à suivre notre exemple. Nouveau 
péril cf'éé par cette Révjolution,qui abjure les con- 
quêtes, péril plus grand pour 1 Europe que celui 
que faisait courir jadis Tambition de nos rois. Cçs 
idées d'affranchissement des peuples vont préparer 
et déterminer des agrandissements. Si les peuples, 
brisant leurs entraves, veulent imiter la France, 
se joindre à elle, que feront leurs souverains ? S'ils 
. cherchent à conjurer le danger, s'ils ripostent à cette 
propagapde, la France répondra-t-elle à leur atta- 
que ? Toutes les raisons de justice qu'elle allègue, 
tous les bienfaits qui en peuvent résulter ne pré- 
valent point contre ce fait : Vei^tension nécessaire 
dç l'Etat français. L'Europe, quand elle y regardera 
àç plu^ près, n'y considérera pofnt autre chose. 
Mais voici que le régime nouveau se relie instinc- 
tivement, et par son essence même, aux traditions 
passées. Pour exister, il doit s*identifier à la France. 



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LE RniN ET LA FMA?fCE 

L'ancienne politique des rois, la politique d*accroig- 

sement territorial et de suprématie pénètre dans 
la Révolution ; les hommes de 1789 veulent rom- 
pre les traditions, et ne s'aperçoivent pas qu'ils les 
renouent et les prolongent* Ils vont se laisser en- 
traîner par leurs doctrines et s'abandonner à l'en- 
thousiasme de régénérer le monde, ot Mais leurs 
passions et leurs instincts dérivaient de huit siècles 
de monarchie guerrière et conquérante. Comme 
ncLalgré eux^ le passé s'insinua dans leurs desseins 
au moment où ils prétendaient s'en dégager, et This- 
toire de France s'empara de cette Révolution desti- 
née à la rompre S » À la veille de la Révolution^ la 
France, héritière de la Gaule celtique et romaine, 
si eUe ne songeait point à des conquêtes, n* aban- 
donnait pas ridée de la frontière du Rhin. Atteindre 
par le Rhin les frontières naturelles^ c'était suivre 
la politique traditionnelle de la monarchie. 

Les habitants du Rhin, quoiqu'habitués à la sou- 
mission dès qu'un redoutable landgrave paraissait, 
se laissaient entraîoer par l'influence française qai 
avait toujours pénétré chez eux. Ils étaient d'autant 
plus enclins à subir ce travail de propagande qu*ils 
n'avaient pas conscience d'appartenir à une même 
patrie. Le Saint- Empire n'avait jamais amalgamé 
ces populations. Elles étaient rattachées les unes 
aux autres par un lien très faible* et cette faiblesse 
même était faite de leur grande indépendance. « U 
y a une patrie en France ; les Français l'identifient 
avec la Révolution ; il n*j a point de patrie sur la 
rive gauche du Rhin : ceux qui en rêvent une, la 
cherchent dans la Révolution et la trouvent parmi 



1. A. Sorel, op. ciU, t. Il, p. I0ft-6ia, 



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LES PAYS RHÉNANS ET LA RÉVOLUTION 66 

les Français *■ ». Aussi la population, qui jouissait 
de plus de liberté et de bien-être, nous était-elle 
en partie acquise. On le verra en 1792. 

Dans ces pays rhénans, tout pénétrés d'idées fran- 
çaises, le mouvement libéral de 1789 produisit ime 
impression profonde parmi Télite du pays : les Gôr- 
res, les Forster, les Hoffmann, les professeurs Met^ 
ternich, Vogt, Mayenfeld, Westhofen, Bôhmer. On 
applaudit aux décrets de l'Assemblée Constituante, 
dans le pays de Juliers ; dans TEifel, on crie « Vive 
la liberté ». Dans le bassin de la Sarre, les reven- 
dications des bourgeois et du peuple deviennent 
violentes. A Trêves, Cologne, Mayence, il y a une 
vive effervescence. Mais les petits souverains, les 
Electeurs, et de son côté TEmpereur, soutiennent 
les émigrés ; à Paris, Firritation est grande. 

La guerre commence après la provocation de 
Pilnitz et la querelle des princes possessionnés d'Al- 
sace, que la diplomatie ne put régler. En réalité, 
cette guerre avait pour objet la revendication du 
Rhin ; elle n'était « qu'un dçs épisodes du long 
procès armé qui se poursuivait, depuis Iç xv® siècle, 
entre la maison d'Autriche et la maison de France. 
Ce conflit était la condition même de la formation 
territori^e de la France. Les événements en firent 
très promptement une condition nécessaire de 
l'existence de l'Etat français* ». Querelles des prin- 
ces possessionnés, complots des émigrés, machina- 
tions des Tuileries, brigues des Girondins, tout ce- 
la n'est que prétexte. En réalité, les Français, pour 
repousser l'intervention de l'Europe, légitimer leur 
propagande et obtenir de meilleures frontières, in- 
voquent un droit public nouveau et proposent un 



1. Ibid., p. 550. 

2. A. Sorel, op. cit., t.I, p. 258. 



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66 LE RHÏTf ET LA FHATfCE 

idéal de justice et de fraternité. L'Europe, elle, enya- 
hit la France et veut changer sa forme de gouver- 
nement pour repousser cette propagande en s'ap- 
puyant sur un droit public que les Français ne 
reconnaissent plus. En réalité, elle reprend ses an- 
tiques et injustes prétentions sur des parties inté- 
grantes du territoire français. L'entente est impos- 
sible et la guerre fatale, Louis XVI, personnage 
falot et débonnaire, inférieur à la tragédie qu'il rem- 
plit de sou nom, ne jouera aucun rôle actif, à la 
différence de ses glorieux prédécesseurs, La crise 
se développera toute seule par l'effet de causes ac- 
cumulées depuis des siècles, et qui vont toutes vers 
leur fin, à Tépoque la plus héroïque et la plus 
brillante de notre histoire. 

La guerre est populaire. Les Français savent que 
non seulement la force de leur Révolution est dans 
son expansion et dans sa puissance de propagande, 
mais aussi que^ la patrie envahie, tout leur idéal 
est sacrifié au retour d'un régime abhorré. U faut 
lutter pour sauver les conquêtes civil es , mais il 
faut lutter aussi pour protéger la patrie menacée 
de démembrement ou de servitude. L'enthousiasme 
même, fait d'un idéal immaculé, va régner dans la 
cité et dans les camps^ et façonner les armées. L'hé- 
roïsme des grands guerriers les anime. Ce sont 
toujours les soldats delà chanson de Roland, ceux 
qu'ont commandés Duguesclin, Bayard, Condé, 
Turenne, qui vont se battre pour défendre Théri- 
tage paternel. 



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LES PATS BHÉNANS ET LA RÉVOLUTION 67 

II 

La croisade sur le Rhin. 



On reprend la tradition française, Fidée classique 
de la frontière du Rhin : le programme national de 
la monarchie devient celui de la Révolution. 

Après la victoire de Valmy, la France eut Tivresse 
de se sentir libre sur sa frontière, protégée de l'in- 
vasion. En Allemagne, les apôtres de la propagande 
libérale invitèrent les Français à la croisade. Les 
chefs militaires victorieux la précipitèrent, prépa- 
rant ainsi leur dictature. Dumouriez, Custine, 
« excellèrent à mêler, au langage des passions ré- 
volutionnaires, les discours classiques sur les fron- 
tières naturelles... » Ce sont eux qui vont nous 
donner nos vraies frontières. Custine, né à Metz, 
et qui connaît bien les pays rhénans, profite du 
désarroi où la victoire de Valmy a jeté les Alle- 
mands, marche sur Spire et commence la croisade 
sur le Rhin. Il appelle à lui les chefs de la propa- 
gande allemande. Les patriotes allemands, théolo- 
giens, prêtres, savants se groupent autour de lui. 
Les Français atteignent le Rhin en amis, en frères, 
en apôtres, non en vainqueurs *. 

Les généraux et les troupes ont, comme instruc- 
tions, de traiter les villes et les peuples avec fra- 
ternité. Custive va appliquer, dès son entrée en 
campagne, le fameux programme : guerre aux châ- 
teaux, paix aux chaumières. Les Français sont 

1. E. Bourgeois, lifs^nuel de politique étrangère , S voL in-l<l 
Paris, Belin, 1906, t. Il, p. 34 et suiv. 



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68 \ LB BHIM ET LA FHÀIfCE; 

reçus à bras ouverts. Us apparaissent aux popu- 
lations comme les plus doux des envahisseurs, 
alors que les troupes autrichiennes et prussiennes 
les avaient pillées et rançonnées. Ils viennent dé- 
fendre, comme le roi Henri II au xvi* siècle, la 
« liberté de la nation allemande ». 

Les idées nouvelles s'étaient répandues avec ra- 
pidité sur la rive gauche du Rhin. La propagation 
en était facile le long de frontières enchevêtrées, 
où il y avait un va et vient continuel des habitants, 
gagnés par la Révolution, ou revenant de Paris, 
comme Georges Kerner, Schneider, Dorsch, qui 
poussaient les Français à affranchir la rive gaucne 
du Rhin et engageaient leurs compatriotes à se 
libérer des liens de la vassalité allemande. Ces 
liens sont du reste très pesants. L'esprit particu- 
lariste et féodal est contraire au progrès économi- 
que ; les impôts accablent les paysans et la culture 
ne prospère pas. L'industrie des villes est paralysée 
par les règlements des corporations. La navigation 
du Rhin est entravée par les péages et les règle- 
ments désuets. Le clergé domine sur la rive gau- 
che et, avec la noblesse, possède la plus grande 
partie des terres et les hautes fonctions. Les bour- 
geois n'ont qu'un rôle effacé. La Révolution appor- 
tera des idées toutes nouvelles. Chez ces Allemands, 
elle exalte Tamour de la liberté et Tamour de la 
patrie. Leurs princes ne sont que des étrangers, 
qui ont empêché l'essor de la conscience natio- 
nale; eux, au contraire, ne conçoivent la patrie 
qu'avec ^indépendance. La France va libérer T Alle- 
magne. 

A Spire, à Worms, les soldats de Custine reçoi- 
vent un accueil enthousiaste ; les villes sont prises 
sans coup férir. Le 19 octobre, Custine paraît de- 
vant Mayence dont ks habitants, dès le $, avaient 



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LES PAtS RHÉNANS BT LA RÉVOLUTION 69 

arboré la cocarde tricolore, La population se porta 
en foule vers le camp français, car c'était un di- 
manche, et Forster, en saluant le premier soldat 
qu'il aperçut, cria ; « Vive la République ». Custine 
fit son entrée à six heures et se rendit au palais 
épiscopal, où il harangua les conseillers et les bour- 
geois présents. La propagande française s'étendit 
rapidement dans Mayence. Un club y fut fondé, 
celui des A77iis de la Liberté et de P Egalité ^ qui 
se chargea de répandre les idées révolutionnaires, 
Custine, en Finaugurant, le 24 octobre, dit au mi- 
lieu des Mayençais présents : « Nous ne faisons 
cette guerre que pour n'en plus faire à l'avenir, 
pour punir les iniquités qu'on a exercées contre 
nous, pour faire reconnaître aux peuples qui sont 
nés pour être libres les Droits de l'Homme. » Ne 
plus faire de guerre l Eternelle illusion des hommes I 
Personne à Mayence ne désirait le retour à l'an- 
cien état de choses et n'était mécontent de la 
marche des événements. Mayence allait devenir une 
colonie de la République française. De Coblence, 
les délégués du Magistrat vinrent offrir à Custine 
(28 octobre) de lui remettre la ville et les forte- 
resses d'Ehrenbreistein et de Rheinfels. Saint-Goar 
fit faire la même démarche ; un grand nombre de 
communes rhénanes, d'un autre côté, sollicitaient 
leur annexion, et plantaient des arbres de la liberté. 
Le 15 novembre, huit communes de Nassau-Sarre- 
bruck demandaient leur incorporation, puis Bergza- 
bern, le 18 novembre, qui venait de fraterniser 
avec les bourgeois de Landau, puis enfin Mûlhofen, 
Ilbersheim, Trêves... Custine se mit à organiser 
les territoires occupé^ ; son gouvernement engloba 
Mayence, Worms, Spire, Frankenthal. Dorsch en 
fut nommé président, et Bôhmer représenta le gou- 
vernement français. Forster fit, au club de Mayence, 



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90 LB B&m ET Là FEANGB 

qu^il présidait, la déelaratioD suivante : < Le RhiD 

est la frontière naturelle d'un grand Etat libre ^ qui 
ne pourrait en faire aucune conquête j il reçoit seu- 
lement dans son sein les nations qui se donnent 
Librement à lui,.. Le Rhin sera, conformément à la 
justice^ la frontière de la France '< ^ 

Dans le duché de Deux-Ponts, dans le Palatinat, 
dans la Hesse^Darnistadt le mouvement d'opinion 
soulevé par la Convention se prononçait avec la 
plus grande énergie ; il devenait irrésistible. Bien- 
tôt les élections pour la Convention de Mayence 
vont propager la fièvre dans tous les territoires 
de la rive gaache *, Le 13 décembre, les troupes 
républicaines faisaient leur entrée à Aix-la-Cha- 
pelle , au chant de la Marseillaise libératrice, et 
coi iraient d'un bonnet rouge la statue de Charle- 
magne. Partout s'élevaient les arbres de la liberté 
dans des cérémonies brillantes qui attiraient ua 
grand concours de peuple. 



m 

Quel sera le sort des pays rhénans 7 

Quelle attitude la France allait-elle prendre à 
regard des pajs rhénans quelle envahissait'? Res- 
teraient'ils libres et indépendants? S'agissait-il de 
conquête ? La propagande, qui était dans le génie 
de la Révolution j menait à la guerre, et la guerre 



1. ForsUr. û&aurw, 9 vo], in-lS, Paris, 1843| L VJ, p. ÂU^i 

2. Alfred Hambaud. Le* FrAnç^is sur U Rhin, 1 toI. 1b*Ui 
Paris, iS79, |»« 340. 



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LES PATS RHÉNANS BT LA RÉVOLUTION 71 

nienait à la conquête pour la conservation des fron- 
tières naturelles et la protection des libertés. La 
guerre devint offensive, afin de hâter la paix. « Les 
armées françaises, déclare la Convention dans uh 
arrêté fameux (24 octobre 1792), ne quitteront 
point les armes et ne prendront point de quartiers 
d'hiver jusqu'à ce que les ennemis de la République 
aient été repoussés jusqu^au Rhin. > Et le Conseil 
exécutif dit dans une proclamation aux troupes : 
« Vous poursuivrez les ennemis jusqu'à ce que leurs 
regards mêmes ne puissent plus atteindre au sol de 
la France^ vous les poursuivrez jusqu'au delà dé 
ce fleuve rapide qui, comme pour balayer leurs 
souillures, coule entre la terre des hommes libres 
et la terre des hommes esclaves. » On retrouvé 
là la vieille conception gallo-romaine : au delà du 
Rhin il n'y a pas d'hommes libres ; les Gaulois et 
les Romains s'opposent aux Germains, et toute la 
politique de la monarchie : plus d'ennemis de la 
France jusqu'au Rhin. Le Rhin doit devenir une 
barrière infranchissable, qui protégera notre fron^- 
tière. Ce programme, qui avait été celui de nos 
pères, devint celui de toute la nation* € La même 
impulsion séculaire, qui conduisit la Révolutioil 
française à ressusciter la République romaine, iden* 
tifia ridée de la République avec celle des limites 
de la Gaule des Césars ^ » 

La Révolution s'avance pour délivrer et affran- 
chir les populations ; telle est l'idée qui domine* 
« Vous avez une fort belle mission à remplir, écrit 
Dumouriez à Kellermann, le 26 octobre, c'est de 
municipaliser la « rue aux prêtres », c'est-à-dire 
les gros évéchés et abbayes qui farcissent celle 
frontière d'Allemagne. J'espère qu'au printemps 

1. A. Sorel. op. cit., t. 111, p. M. 



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72 LE RHIN ET LA FRANCE 

VOUS viendrez me donner la main par Cologne. Le 
Rhin doit être la seule borne de notre campagne^ 
depuis Genève jusqu'à la mer, et peut-être jusqu'à 
la Hollande... » Et c'est la pensée du Conseil. « Il 
faut balayer tout ce qui est devant nous, dit Le- 
brun à Custine, et à côté de vous, le long du Rhin, 
en traitant les villes impériales et partant les peu- 
ples avec fraternité.., ' > 

De ces populations délivrées, jaillit un immense 
cri d'espoir. Elles désirent ardemment la réunion 
& la France, qui est leur libératrice. Ce ne sont, à 
la barre de la Convention, que députa tiens de 
comités de patriotes, que défilés de Savoisiens, Ni- 
çois, Bataves, Allemands, qui sollicitent Tannexion. 
Comment la Convention pourra-t-elle s'y sous- 
traire ? Etj dans un décret fameux du 19 novembre, 
elle <c déclare, au nom de la nation française, qu'elle 
accordera fraternité et secours à tous les peuples 
qui voudront recouvrer la liberté ». Il n'est pas 
question d'annexion, mais du moment où certains, 
comme les Savoisiens^ sollicitent leur réunion, com- 
ment la repousser ? La France ne doit-elle pas 
atteindre ses limites, qui sont, « à certains égards, 
Touvrage de la nature », (J,-J> Rousseau.) Elle ne 
peut avoir d'antres frontières, écrit Grégoire, dans 
un rapport du 27 novembre, que les Pyrénées, les 
Alpes et le Rhin, et Brissot mande à Dumouriez : 
« Ah, mon cher, qu'est-ce qu'Albéroni, Richelieu, 
qu'est-ce que leurs projets mesquins comparés à 
ces soulèvements du globe, à ces grandes révolu- 
tions que nous sommes appelés à faire ? Ne nous 
occupons plus, mon ami, de ces projets d'alliance 
de la Prusse, de l'Angleterre, misérables échafau- 
dages, tout cela doit disparaître. Novus rerum nos- 

1. A. Sorfll. op. cii.f t. III, p. âEï5> 



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LES PATS RHÉNANS ET LA RÉVOLUTION 73 

citur ordo I Je vous dirai qu'une opinion se répand 
ici : c'est que la République française ne doit avoir 
pour bornes que le Rhin. Les esprits sont-ils dis- 
posés de votre côté à cette réunion ? 11 faut les y 
préparer ^ » 

Gustine, lui, tient toujours pour la conquête de 
la rive gauche du Rhin. De plus en plus l'idée se 
répand que la France, attaquée injustement, a le 
droit de se dédommager des pertes qu'elle a su- 
bies et de se protéger des agressions futures. 
€ En incorporant à son territoire la Savoie, Nice, 
Mayence, dit Maret le 7 janvier 1793, la France ne 
ferait que se payer de ses pertes en hommes et en 
argent ; elle se rembourserait, elle ne s'enrichirait 
pas; elle se dédommagerait et ne s'agrandirait point 
à proprement parler * >. A la tribune de la Conven- 
tion, Danton proclame, au lendemain de l'exécu- 
tion de Louis aVI, qu'il faut fortifier la Républi- 
cnie, Tentourer de bastions et de contreforts. « Les 
hmites de la République sont marquées par la. 
nature. Nous les atteindrons dans leurs quatre 
points : à l'Océan, aux bords du Rhin, aux Alpes, 
aux Pyrénées. Aucune puissance ne peut nous 
arrêter. C'est en vain qu'on nous menace de la 
colère des rois. Vous leur avez jeté le gant. Ce gant 
est la tête d'un roi ; c'est le signal de leur mort 
prochaine. '. » 

L'extension de la République française jusqu'au 
Rhin devint ainsi, peu à peu, l'un des principes 
intangibles de la Révolution que nos ancêtres, 
épris de la grandeur française, vont essayer de 
réaliser. Le 11 février, au nom du Comité de Salut 
pubhc, Carnot allait fixer la doctrine nationale : 

1. A. Sorel. op, cit., t. III, p. 501. 

2. Ibid.y p. 257; 

3. Ibid., t. m, p. 279. 



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74t LE RHIN ET LA FRANCIS 

^ Les limites anciennes et naturelles de la France 
goDt le Rhin^ les Alpes et les Pyrénées. Les parties 
qui en ont été démembrées ne Tont été que par 
1 usurpation.,. 11 n'y aurait nulle ambition à recon- 
naître pour frtjres ceux qui le furent jadis et à réta- 
blir des liens qui ne furent brisés que par Tam- 
bition même :^, et devant les demandes d annexion, 
la Convention rendit des décrets ; 14 février 1793 
1*' mars 1793, par lesquels elle incorporait au 
territoire français une série de communes et de 
villes des pays du Rhin et de la Belgique, 

Le peuple de ces contrées, pauvre et sans cul- 
ture, s'adaptait difiicilement au régime nouveau» Il 
était affranchi des corvées, des dîmes et de toutes 
les charges passées^ et il croyait entrer dans un 
nouvel âge d'or. Or, Ta dminist ration provisoire de 
Custine le frappa d'impôts nouveaux et de réqui- 
sitions multiples. Les employés de l'armée commet^ 
taient des vols, les agents militaires étaient arro- 
gants envers les populations, et Custiue montrait 
trop d'indulgence pour les abus de pouvoir ; les' 
Rhénans perdaient leurs illusions du début (janv, 
1793)» Puis les excès de la Convention^ les massa- 
cres de la Terreur, et bientôt les revers de nos 
armées les impressionnèrent défavorablement, A 
la place de la liberté promise, c'était la plus épou- 
vantable tyrannie avec les exécutions capitales» la 
persécution religieuse, les réquisitions, les assi- 
gnats et la banqueroute, A la tête du nouveau gou- 
vernement, il y avait un prêtre du pays, Dorsch, 
qui avait épousé sa maîtresse. L'effet produit fut 
déplorable. Les partisans des anciens souverains, 
les prêtres influents les fonctionnaires, qui n avaient 
pas été déplacés, exploitèrent vite cet état d'esprit ; 
une propagande d'orgaaisa contre nous, et beau- 



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LES PATS RHÉNANS ET LA RÉTOLUTION 75 

coup s^abstinrent de prêter le serment èiviqUe. Les 
Rhénans se demandèrent ce qu'ils gagnaient au 
change. Aussi Tempressement ne fut pas grand, 
de la part des habitants de Mayence, à se rendre 
aux urnes le 24 février 1793. Un décret de la 
Convention avait, en effet, promis des adminis- 
trations élues par le peuple, suivant le système 
français : un député par commime. Il s'agissait 
donc de choisir des représentants à une Conven- 
tion nationale, et de former de nouvelles munici- 
palités. 

Les commissaires se firent pressants, résolus à 
briser toutes les oppositiotis. Dans certains endroits, 
ils employèrent même la violence. Ils déportèrent 
des prêtres, afin que les habitants pussent prêter 
serment plus librement. Us firent pression sur les 
nobles ; il y eut des exécutions militaires là où 
se produisirent des résistances. Cependant les 
paysans intimidés votèrent pres(|ue partout leur 
réunion à la France. A Mayence, malgré le relà* 
chement qui avait pu se constater dans la ferveur 
des sentiments mayençais, la nouvelle municipalité 
fut composée de patriotes amis de la France. Après 
trois jours de débats, TAssemblée décidait, à Tuna- 
nimité des cent membres présents, de demander à 
la France Tannexion de la rive gauche du Rhin 
sous cette forme : « Le libre peuple rhénan-alle- 
mand veut son incorporation à la République fran- 
çaise. » 

La Convention vota d'enthousiasme l'annexion 
qui réunissait à la France quatre-vingt-huit com- 
munes (30 mars 1793). Le lendemain, 31 mars, au± 
Jacobins, Forster répéta le discours qu'il avait pro- 
noncé la veille à F Assemblée, déclarant que la 
-République se devait « de remplir les cadres de 
Tancienne Gaule... Le Rhin était la frontière natu^ 



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76 LE RHIN ET LA FRANCK 

relie de la France, le rempart assuré contre les en- 
treprises de ses ennemis ^ > Il fut acclamé. Dans 
ces gestes, on retrouvait, au lendemain de l'exécu- 
tion de Louis XVI, la continuation de la politique 
suivie par la monarchie française, qui avait pris, 
pour base de ses revendications à travers les siè- 
cles, les limites du royaume de Clovis. La tradition 
remportait, le génie de nos pères — les Révolu- 
tionnaires de 1793 — l'avait devinée et suivie I 



IV 



La nouvelle invasion (25 mars 1 793). 
Le retour des Français. 

Tandis que la Convention nationale, à Paris, 
réunissait Mayence et le Palatinat à la France, nos 
nouvelles possessions étaient très menacées. Déjà 
les armées prussiennes avaient franchi le Rhin en 
aval de Mayence. La Convention multiplia les dé- 
crets et les exécutions pour maintenir son pouvoir 
chancelant. Ces exactions, ces violences, la persé- 
cution religieuse, plus forte que jamais, soulevèrent 
les populations contre nous ; l'opinion se tourna 
du côté des envahisseurs. Dès que les Prussiens 
parurent, sous les murs de Mayence, ce fut une 
défection générale. La réaction fut violente au dé- 

Eart des Françfis, contre les clubistes et les mem- 
res des comités. On leur en voulait beaucoup plus 
qu'aux envahisseurs. Une populace furieuse pour- 



1. V. A. Ghuquet, Afftt/enee» i79î-179S, 1 vol. in-l«, Paris, 
Cerf, 18W, p. 38. 



LES PAYS RHÉNANS ET LA RÉVOLUTION 77 

suivit de cris de mort les clubistes qui n'avaient 
pu suivre les soldats français, et saccagea leurs 
maisons ; certains furent égorgés aux portes de la 
ville ; leurs enfants, réfugiés dans les églises furent 
massacrés. L'archevêque-électeur rentra dans son 
palais, se rétablit dans son pouvoir absolu et res- 
taura tous les abus. 

L'occupation des pays rhénans par les Français 
avait duré de l'automne 1792 à Tété 1793. Dès 
l'automne de 1793, nos armées, victorieuses à Wat- 
tignies et à Landau, préparent le retour des trois 
couleurs sur le Rhin. Après la campagne de 1794, 
illustrée par l'héroïsme de Marceau, qui enlève 
Coblence aux Autrichiens et les culbute au delà 
du Rhin^ seule Mayence résistait encore. A Cologne, 
la municipalité vient à la rencontre des troupes. 
Aux cris de liberté, égalité, fraternité, poussés par 
les soldats, les habitants répondent par ceux de : 
< Vive la France ! Vive la République I » On re- 
plante un arbre de la liberté ; des fêtes et des 
danses terminent cette journée glorieuse. Le Magis- 
trat en perpétue le souvenir par une peinture con- 
servée au musée de la ville. 

Il faut reconnaître que certaines troupes ne se 
conduisirent pas avec la même tenue et la même 
réserve que celles de 1793. Elles devenaient conqué- 
rantes pour protéger la patrie attaquée. Un senti- 
ment de vengeance contre les exactions commises 
par les envahisseurs se mêlait à la conquête. Les 
soldats pillèrent et rançonnèrent. C'est l'époque du 
désespoir et de la fuite de ces peuples sur la rive 
droite du Rhin. Gœthe en a fait un tableau impres- 
sionnant. Il est vrai qu'en Hollande les Anglais se 
rendaient odieux par leurs déprédations. 

Néanmoins, le rêve était encore réalisé, et le dra- 



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78 IB BHIK ET LA FRANCE 

peau tricolore flottait sur le fleuve gaulois. Ce fut 
pendant vingt ans Texécution du plan traditionnel 
de la Monarchie, de Dumouriez, de Danton ût du 
Comité de Salut public. Le pays occupé resta placé 
gous r administra lion militaire, avec Jourdan et 
Moreau, qui, Tun et l'autre, étaient sous la surveil- 
lance des représentants aux armées. Ceux-ci es- 
quissèrent un essai d'organisation civile par Tîn-» 
troduction d'une administration centrale pour les 
pays entre la Môuse et le Rbin ; cette administra- 
tion entra en fonctions^ le 31 décembre, et eut son 
siège à Aix-la-Cbapelle* Les membres en étaient 
tons français, mais Tadministration des districts 
était aux mains des Rhénans. 

Les réquisitions, conformes aux lois de la guerre, 
étaient, de même que les contributions en argent, 
assez rudes, bien que le pays fût un des plus fertiles 
et des plus riches de TEurope. Les assignats sans 
valeur avaient cours forcé ; les soldats ne parlaient 
pas la langue du pays, ce qui amenait des abus, mais 
ceux-ci n'atteignirent jamais, quels que pussent être 
les faits de pillage et de vol ou la conduite des 
officiers terroristes, le hideux banditisme des géné- 
raux allemands en Belgique et dans le Nord de la 
France^ en 1914, En 1798, des officiers furent pu- 
nis pour leurs déprédations ; les Allemands qui pillè- 
rent, volèrent, massacrèrent, brûlèrent des villes 
et des villages, en 1914, reçurent des félicitations 
et r € Ordre pour le mérite ^, « Les ennemis de la 
République voulaient nous entraîner au pillage, 
écrit Fricasse. Nous avons démenti cette calomnie 
par notre conduite. Le respect pour les personnes 
et les propriétés distinguera toujours l'armée de 
Sambre-et-Meuse », Cest ce que confirme le canon- 
nier Bricard, Les représentants aux armées avaient 
mis la vertu à rordre du jour. Les chefs seront res- 



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LES PAYS RHÉNANS ET liA RÉVOLUTION 79 

ponsables des vols et pillages. Tout soldat pris en 
possession d objets volés sera fusillé *. 

Malgré tout, il y avait beaucoup d'abus dans les 
armées d'occupation. La Convention voulut y 
mettre bon ordre et purger les pays du Rhin des 
pirates dont certainsf commissaires terroristes les 
avaient infestés ; elle envoya un représentant du 
peuple, Roberjot. Il fut consterné, en arrivant, du 
spectacle de souffrances et d'oppressions qui s'of- 
frait à lui. Le pays était € dans une sorte de stu- 
peur » et très désillusionné. Il surveilla les agents, 
fit des changements dans le personnel, permit aux 
habitants qui avaient quitté le pays de revenir dans 
un délai fixé. Il s'efforça de réprimer les abus. Bref, 
la masse du peuple, d'une façon générale, accueillit 
bien la domination française. Comme en 1792, la 
propagande révolutionnaire reprit, très intense, de 
Sarrebrûck à Cologne. Le paysan, en comparant 
les deux régimes, disait : « Nous sommes contents 
que les Français nous aient délivrés de pareils 
brigands. Cela va mieux chez nous. La justice est 
rendue gratuitement, les procès sont jugés en xin 
instant et sans avocats. Nous sommes des hommes 
comme les prêtraillons, les riches et les nobles. > 



i. Journal de marche du sergent Fricastey 1 vol. m-8% Paris, 
Larchez, 1794, p. 55 ; Journal du canonnier Bricard, 1 vol., 
in-l(J, Paris, Delagrave 1891, p. 184 ; Proclamations des repré- 
sentants Gilletf Dnquesnoy, taceste, àux Sans-çulottes des ar- 
mées de la Moselle et du nhin ; 17 fl. an II, 6 mai 1794 ; Frantz 
Funck-Brentano, op, cit., p. 151. 



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80 LE RHIN ET LA FRANGE 



Les négociations de paix avec la Prusse 
et la rive gauche du Rhin. 



Dès la prise de possession de la rive gauche du 
Rhin, des négociations de paix commencèrent avec 
la Prusse vaincue. Le Comité de Tan III, qui al- 
lait mener les négociations, empruntait son des- 
sein au recueil des grands projets royaux sûr la 
limite du Rhin ; il s'environnait de la tradition vi- 
vante des anciennes Affaires étrangères. Dans les 
correspondances des membres du Comité, leurs 
idées éclatent. Merlin de Douai termine ainsi une 
dépêche à TEspagne, du 6 octobre : « Amis, sous peu 
de jours, le Rhin sera notre barrière. La nation n'a 
jamais été plus grande. » Et Merlin de Thionville, 
le 21 novembre : « Une seule puissance dégagée 
de la coalition sera bientôt suivie de beaucoup d'au- 
tres. Chacun craindra de se trouver le dernier, et 
la République, après avoir reculé ses limites jus- 
qu'au Rhin, dictera ses~ lois à TEurope *. » Les 
Montagnards, les Thermidoriens, presque tous les 
Conventionnels républicains, n'ont qu'une pensée : 
conquérir la rive gauche du Rhin tout entière 
pour rendre la France plus forte contre ses ennemis. 

Les négociations s'engagèrent à Bâle (mars 1795) 
entre Barthélémy, plénipotentiaire de la République, 
et Hardenberg, plénipotentiaire du roi de Prusse. 
Barthélémy, élève de Vergennes et diplomate timide. 



1. A. Sorel, op, cit,, t. IV, p. 175, et Jean Reynaud, Merlin 
de Thionville, 1 vol. in-8*, Paris, 1860, p. 128. 



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LES PAYS RHÉNANS ET LA RÉVOLUTION 81 

était partisan des anciennes frontières et ne vou- 
lait rien brusquer afin d'être sûr de faire sa paix, 
lise disait, d'autre part^que TAngleterre ne consen- 
tirait jamais pour la France à cet accroissement de 
puissance — et il en a toujours été ainsi — accrois- 
sement qu'elle admettait cependant pour la Russie, 
la Prusse et rAutriche, en Pologne, et pour elle- 
même aux colonies; son éternelle jalousie enfantera 
de nouvelles guerres, excitant contre nous le mé- 
contentement des neutres. Du reste, le roi de Prusse, 
s'il est décidé à la paix, la veut sur le pied du 
statu quo ante. La France renouvellera simplement 
la garantie de la paix de Westphalie.et évacuera 
les Etats prussiens de la rive gauche *. Il faut donc, 
pense Barthélémy, être modéré en restant juste, et 
cette modération suffira à nous attirer les sympa- 
thies et les amitiés de nos voisins. Cette thèse 
n'était point admise au Comité de Salut public. 
Pour lui comme pour tous les Républicains, « la 
République et la frontière du Rhin sont deux propo- 
sitions inséparables ^. > 11 manda à Barthélémy : 
€ A quoi nous aurait servi cette terrible guerre, si 
tout devait revenir comme cela était ' î » Dans ses 
Instructions, il lui disait : € Le citoyen Barthélémy 
déclarera que la République regarde le Rhin comme 
sa limite naturelle, qu'eue est résolue de conser- 
ver La France, étendue jusqu'à ses limites natu- 
relles, loin d'être dangereuse pour TAllemagne, en 
sera la plus fidèle alliée ; elle verra volontiers les 
princes laïques possessionnés sur la rive gauche 
s'indemniser par le partage des territoires ecclé- 



1. Instrucliong générales pour le général major comte de 
GoUz, 8 décembre 1794. 

2. A. Sorel, op. cit. y t. IV, p. 179. 

3. Dépêche à Barthélémy, 8 messidor an 111 (26 juin 1795). 



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i^QOgk — 



Si ht RHIN ET LÀ FRAKGË 

siastiqttes de la rive droite *. » (26 janvier.) Il écrit, 
le 15 et le 19 janvier, à notre envoyé à Berlin : 
t Les frontières de la République doivent être 
portées au Rhin. Ce fleuve, Tancienne limite des 
Gaules, peut seul garantir la paix entre la France 
et TAllemagne. » (Danton) Même opinion chez 
Dubois-Crancé. Les plus farouches Jacobins don- 
naient la main aux représentants de Louis XIV, 
aux illustres négociateurs des traités de Westpha- 
lie ! Le traité, signé à Bâle (5 germinal an III- 
5 avril 1795), quoique glorieux pour la France, ne 
lui donnait pas formellement les territoires de la 
rive gauche. Seul TEmpire avait qualité pour le 
faire. Pour l'amener à céder et conquérir le Rhin, 
il fallait battre l'Autriche. La guerre n'était point 
terminée. Ce traité en préparait d'autres. 

Le Comité de Salut public est donc forcé de 
poursuivre la guerre et toute la question du Rhin va 
se poser devant la Convention. Dans l'opinion, 
dans la presse, elle était discutée, car on s'inquié- 
tait des buts de guerre *. La grande, majorité des 
habitants des pays occupés désiraient vivement 
l'annexion ; Tabandon de nos conquêtes serait un 
aveu de faiblesse aux yeux de TAutriche. Au sein 
du Comité, seuls Reubell, Sieyès, Treilhard, Gillet, 
Doulcet, voulaient annexer la rive gauche du Rhin ; 
les autres étaient ou indécis ou hostiles à Tan- 
nexion. 

Barthélémy était plus prudent. Il allait même à 

1. A. Sorel, op. cit., t. IV, p. 227. 

2. Un riche négociant mayençais, Hoffmann, envoya à Louvet, 
député du Loiret, une somme de 6.000 francs destinée à récom- 
penser les deux meilleurs mémoires sur la question suivante : 
« Est-il de l'intérêt de la République française de reculer ses 
limites jusqu'au Rhin ?» Ce fut un diplomate prussien, Thére- 
min, qui remporta le premier prix. 



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LES PATS RHÉNANS ET LA RÉVOLUTION 83 

rencontre des vues du Comité, et son crédit s'en 
ressentit. Le Comité, dans une dépêohe à Tambas- 
sadeur, avait esquissé un plan de réorganisation de 
TAllemagne : opposer la Prusse à l'Autriche, et au 
centre établir une Allemagne qui tiendrait la ba- 
lance entre elles, agrandir la Prusse du Hanovre et 
de la Westphalic, et faire d'elle une puissance ma- 
ritime, même céder la Bavière à l'Autriche pour 
obtenir la rive gauche du Rhin. Barthélémy con- 
seilla la plus grande prudence. Il ne fallait pas 
bouleverser TAllemagne. Par suite de Tinfluence 
de Reubell, de Sieyès, de Merlin de Douai, la thèse 
de l^annexion l'emporta au sein du Comité comme 
à la Convention. Mais le débat ne devait viser for- 
mellement que la Belgique, le Limbourg,le Luxem- 
bourg et le pays de Liège. Quant aux pays de la 
rive gauche du Rhin, leur sort était, de par les trai- 
tés avec la Prusse et avec la Hesse, réservé jusqu'à 
la j)aii générale avec FEmpire ; personne ne son- 
geait à les restituer à leurs anciens maîtres. La 
discussion en somme s'engagea entre les partisans 
de la constitution de républiques indépendantes ou 
protégées et les partisans de la réunion. 

La question fut portée devant la Convention. Le 
16 fructidor, an IV (2 septembre 1795), Roberjot 
déposait son rapport sur sa mission aux armées du 
Nord et de Sambre-et-Meuse. Il concluait en disant 
que, loin d'éviter les revanches, les partisans des 
anciennes limites les faciliteraient, qu il était insuf- 
fisant de reculer les frontières seulement jusqu'à la 
Meuse, qui n'est pas un obstacle assez fort pour 
empêcher le passage de l'ennemi, qu'il fallait la 
barrière du Rhin, où nous appelaient les vœux des 
habitants. Les débats s'ouvrirent, le 2 vendémiaire 
(24 septembre), et durèrent jusque 13 vendémiaire 
(5 octobre). 



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84 LE RHIN ET LA FRANCE 

Les orateurs qui prirent part à la discussion, 
Pérès, Merlin, Portiez, Boissy d'Anglas, Echasse- 
riaux aîné, Carnot, rappelèrent que les territoires 
revendiqués avaient fait partie de la Gaule et que 
la France, en les annexant, ne faisait que reprendre 
son bien. Les arguments invoqués sont frappants, 
et la Convention, dans ces débats élevés qu'il fau- 
drait citer en entier, montra qu'elle était la digne 
héritière de Charlemagne. Les pays annexés for- 
mèrent neuf départements, avec Luxembourg comme 
chef-lieu du département des Forêts, et Trêves du 
département de la Sarre. Ce fut la frontière décré- 
tée ou constitutionnelle, dont le sort était définitive- 
ment fixé. Des autres territoires de la rive gauche, 
cédés par la Prusse et la Hesse, on ne pouvait 
encore décider. Mais là Convention déclara que le 
cours du Rhin formerait la frontière de la France. 
Ce fut la frontière déclarée. « L'Assemblée sou- 
veraine, dit Albert Sorel, traduisait en décrets les 
lois éternelles de la nature, fixait à jamais les limi- 
tes de la République comme elle en fixait à jamais 
les lois. Le principe des frontières naturelles entra 
dans le droit public de la France : il devint comme 
un des principes de la Révolution. Lldée s'établit 
dans les esprits que Ton ne pouvait les laisser enta- 
mer sans porter atteinte à la dignité de la Répu- 
blique et en ébranler le fondement^ » Le 1*' octo- 
bre, le décret était voté : « Les provinces de la 
rive gauche du Rhin sont à jamais réunies à la 
France ». Et toute la Convention se levait pour 
acclamer Tachèvement de la grande France répu- 
blicaine. 



1. Op. cit., t. IV, p. 431. 



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CHAPITRE VII 

L'ADMINISTRATION DES PAYS RHÉNANS 
SOUS LE DIRECTOIRE 



I 

Les débuts de l'administration française. 
La mission de Hoche. 

Après le traité de Bâle, les Français commencè- 
rent d'administrer les pays rhénans. Ils y furent 
d'abord salués comme des sauveurs. Grâce à eux^ 
les prêtres étaient devenus plus tolérants, les sei- 
gneurs déchus moins orgueilleux ; les magistrats 
rendaient la justice gratuitement. Les autorités 
françaises respectaient les usages locaux, quoique 
les tailles et les dîmes fussent abolies. Dans la guerre 
qu'on allait pousser plus activement contre TAu- 
triche, les volontaires s'enrôlaient pour aller com- 
battre les Kaiserlicks, et avec eux tous les abus. 

Mais, à l'origine, l'administration ne se fît pas 
aussi tolérante qu'on l'aurait cru. Sous prétexte 
que ces pays n'étaient ni réunis par décret, ni cédés 
par le traité, le Directoire les gouvernait en pays 
conquis, et les mêmes violences se rencontrèrent 
que sous la Convention. Des modifications adminis- 



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86 LB RHIN ET LA FRANCE 

tratives brusques et contradictoires entratnaîent 
des difficultés, que Toccupation militaire rendait en- 
core plus grandes. Les mercantis, les profiteurs 
attiraient des critiques acerbes, que la faiblesse de 
Tadministration n arrivait pas à faire taire. Des 
bandes de brigands infestaient les forêts ; dans les 
villes, les émeutiers agitaient Topinion, poussés soit 

{>ar les Jacobins, soit par les royalistes. Partout 
'agiotage, ^accaparement. La crise financière pro- 
voquait les dilapidations et la concussion. Ajoutez 
à cela les persécutions contre le clergé, la déprava- 
tion des mœurs, l'insécurité dans les campagnes. 
L'insurrection était dans tous les esprits. 

Les complications de l'administration venaient 
aussi de l'indécision du pouvoir central au sujet du 
sort des pays rhénans. Les Directeurs d'abord 
n'étaient pas d'accord. Reubell, Barras, La Réveil- 
lière-Lepeaux voulaient la frontière du Rhin et 
réclamaient la guerre à outrance, pour contraindre 
TEmpire à nous l'accorder. Carnot et Barthélémy 
se contentaient de la Belgique : pour Carnot, la 
possession de Luxembourg suffisait pour la défense 
du Rhin. Il ne fallait pas provoquer les princes 
allemands et les entraîner dans une guerre contre 
la France. Dans les Conseils comme dans le Direo*- 
toire, la faction des « frontières naturelles > et celle 
des « anciennes limites > se partageaient la majo** 
rite. 

Le Directoire, sentant que la partie était compro'- 
mise par tous les désordres de Tadministration 
rhénane, chargea le général Lazare Hoche de réor- 
ganiser le territoire conquis (4 ventôse an V — 
24 février 1797), et d'administer le « pays d'entre 
Meuse et Rhin et d'entre Rhin et Moselle ». La 
nomination de ce jeune héros^ aussi renommé par 
sa magnanimité envers les vaincus que par oei 



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l'administration DBS PAYS RHÉNANS 87 

victoires, donna de grandes espérances aux popu- 
lations. Hoche trouvait le pays pressuré, bouleversé ; 
il était temps d^agir. Il lui fallait de Ténergie, 
ne fût-ce que pour triompher de Topposition qu'il 
rencontrait à Paris, du côté de la faction des « an- 
ciennes limites ». Il organisa donc les pays rhénans. 
Par décret du 25 ventôse an V (15 mars 1797), il 
décida que l'administration française cesserait ses 
fonctions le 21. Il voulut employer le plus possible 
les habitants du pays pour l'administration des 
territoires. Les fonctionnaires français furent rem- 
placés par les fonctionnaires des princes déchus, et 
la population en fut enchantée. A Cologne, les an- 
ciens magistrats reprirent leurs fonctions interrom- 
pues depuis deux ans, et offrirent un banquet à 
Hoche. Les populations fêtèrent même les succès 
des armées françaises au delà du Rhin et en Italie. 
Le jetme général administra le pays avec le plus 
grand libéralisme. La liberté civile fut respectée, 
la liberté de la presse rétablie, et Tégalité sociale 
proclamée sans distinction de reli^on. Dans ces 
pays rhénans, catholiques et dévots. Hoche sentit 
même la nécessité d'inaugurer, en matière religieuse, 
une politique libérale. Il maintint l'organisation de 
la propriété, telle qu'elle subsistait, et améliora le 
régime économique. Il réorganisa les finances et 
rétablit les anciennes taxes fiscales. Il réprima les 
abus dans les réquisitions, mais sans pouvoir faire 
disparaître immédiatement les mauvaises habitudes 
prises par une nuée d'administrateurs sans scru- 
pules. 



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88 LE RHIN ET LA FRANGE 



II 

La flépublique cisrhénane. 
L'opposition en pays rhénans. 

La Convention avait conquis à la France ses li- 
mites naturelles, mais elle ne les avait point im- 
posées à TEurope. Elle léguait un lourd héritage 
au gouvernement qu'elle avait institué. Il fallait 
donc que le Directoire^ qui succédait à la Conven- 
tion, continuât son œuvre sous peine de disparaî- 
tre. Le principe des limites naturelles, reconnu 
par le vote du V octobre 1795, ne s'identifiait-il 
pas avec le gouvernement de la France par le parti 
républicain, et ces territoires de la rive gauche 
du Rhin, qui étaient la frontière déclarée de la Ré- 
publigue, n'en étaient-ils pas aussi le fondement ? 
Le Directoire ne pouvait donc que poursuivre ac- 
tivement la guerre. L'Europe elle-même la voulait. 

Les débuts nous furent défavorables. Mais les 
victoires de Bonaparte en Italie, qui coïncidèrent 
avec celles de Hoche sur le Rhin, changèrent sou- 
dainement la face des choses. Le Directoire^ en en- 
voyant ses félicitations à Bonaparte avec la ratifi- 
cation des préliminaires de Léoben (29 avril 1797), 
disait : « Ces conditions modérées autant qu'hono- 
rables sont les garants de la solidité et de la durée 
d'une paix si glorieusement conquise... Notre mo- 
dération sera remarquée de FEurope ; mais la paix 
en sera plus durable et nous serons satisfaits de 
la sagesse de votre négociation. » En attendant, il 
n'était plus question du Rhin. Bonaparte n'en avait 
cure, ne songeant qu'à ses projets de république 



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l'administration des pats rhénans 89 

italienne, et^ dans le Directoire^ le parti des « an- 
ciennes limites » remportait contre la politique 
d'annexion du Comité de Salut public. 

Bonaparte voulait créer en Italie ime république 
cisalpine, dont il serait le chef. Peut-être cette nou- 
velle création donna-t-elle à Hoche l'idée de Timi- 
ter et de constituer à son tour la République cis- 
rhénane, c'est-à-dire, un « Etat-tampon » sur la rive 
gauche du Rhin. Cette idée avait été également 
celle de Sieyès, qui voulait former des républiques 
intermédiaires entre la France et TAllemagne, et 
rejeter celle-ci loin du grand fleuve. Cette Répu- 
blique ne fut qu'un intermède historique. Ses pre- 
miers promoteurs furent des professeurs, des négo- 
ciants. Le plus ardent parmi eux était im jeune 
clubiste de Coblence, Joseph Gôrres. Le bureau 
central de la Fédération fut établi à Bonn. 11 orga- 
nisa de« clubs : à Coblence, la Société patriotique^ 
à Bonn , les Amis de la Liber té ^ ainsi qu'à Aix-la- 
Chapelle et à Cologne. Des émissaires de la ligue 
cisrhénane se répandirent dans le pays, portant à 
leurs chapeaux des cocardes vertes pour engager 
le peuple à planter les arbres de la liberté, en leur 
décrivant les maux qu'ils endureraient si l'ancien 
régime revenait. 

D'une façon générale, il y avait de l'opposition, 
parce que les réquisitions engendraient beaucoup 
d'abus et qu'une nuée d'administrateurs sans ver- 
gopjne, qui s'entendaient avec les fournisseurs et 
étaient entourés de commis zélés, pressuraient le 
pays. Il faut reconnaître que, de 1792 à 1798, les 
Français furent combattus, mais cette hostilité ne 
se rencontra que dans quelques milieux dont les 
privilèges disparaissaient avec la domination fran- 
çaise. Les aristocrates, les riches bourgeois, les 



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90 LE flHIN BT LA FRANC? 

prêtres qui, sous le régime autrichien, avaient des 
privilèges et s*en trouvaient dépossédée, redoutaient 
l'esprit nouveau; les paysans, comprenaient mal ce 
que signi£ait la liberté républicaine, et la repous- 
saient. Les intrigues des princes continuaient du 
reste par dessus les frontières et faisaient des 
adeptes. M^is ces manifestations étaient isolées, car 
depuis longtemps, principalement dans le peuple, 
une partie importante de Topinion réclamait Tan- 
nexion, et la campagne de pétitions allait commen- 
cer, aussitôt après la signature du traité de Campo- 
Formio. 

Pour beaucoup^ la situation actuelle n'était pas 
pire que Tancien état de choses. La suppression 
des droits féodaux et des privilèges était très appré* 
ciée ; aussi Topposition ne fut jamais bien sérieuse. 
L'égalité, du reste, fascine les classes non privi- 
légiées, et la propagande se fait très active pour 
défendre les idées républicaines et condamner la 
tyrannie des princes et des prêtres. Il faut Tan- 
nexion à la France pour garantir Fégalité et pour 
éviter le retour des souverains déchus et d'un 
système social abhorré. Les municipalités se cons- 
tituent sans dif&cultés et collaborent avec les au- 
torités françaises. Aussi les innovations révolu- 
tionnaires trouvent-elles dans le pays un accueil 
inattendu. L'occupation crée peu à peu des liens 
entre les fonctionnaires français et leurs adminis- 
trés, et, aux yeux de la majorité, la constitution 
de la République rhénane devient une garantie 
contre le retour des anciens abus. Aussi, malgré 
une opposition violente du clergé, qui fulminait 
contre la nouvelle République, ennemie de la reli- 
gion et de Tordre social, la propagande cisrhénane, 
dans les petites villes et les campagnes, eut du 
succès. 



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l'âdministiuttom dw pats rhénans 9i 

Mais la République oisThéuane n'avait point 
Tappui du gouvernement français. Les fonoiion- 
naires rappelés par Hoûhe étaient restés attachés à 
l'ancien ordre de choses et ne favorisaient point le 
nouveau régime. Hoche crut devoir aller de Tavauty 
et écrivit au Directoire que « les habitants de la 
rive gauche du Rhin voulaient être libres et former 
une République en deçà du Rhin >. 

A Paris, se produisaient des faits nouveaux. La 
faction des « anciennes limites » était chassée 
du Directoire par le coup d'Etat du 18 Fructidor 
(4 septembre 1797). Carnot et Barthélémy étaient 
remplacés par deux partisans résolus des frontières 
naturelles, par Reubell et Merlin de Douai, et leurs 
partisans éliminés des deux Conseils et déportés 
à Cayenne. Barras avait dit à Carnot : f C^est à 
toiaue nous devons l'infâme traité de Léoben » ; 
Reubell et Merlin de Douai^ originaires de TEst et 
du Nord, étaient convaincus que la France ne serait 
en sécurité aue si sa frontière était portée jusqu'au 
Rhin. La fondation d'une République rhénane 
contrecarrait leur politique annexioniste ; ils le 
signifièrent à Hoche. Celui-ci^ du reste, mourait à 
vingt 'huit ans, le 19 septembre, en pleine gloire^ 
emportant les regrets du peuple rhénan qui célébra 
sas bienfaits et en garda longtemps le souvenir. 

La Commission intermédiaire de Bonn continua 
sa propagande en faveur de la République oisrhé- 
nane, déployant le drapeau de rindépendance, pre- 
nant même une allure révolutionnaire ; mais le 
Directoire la désavoua, et Augereau, successeur de 
Hocbe^ reçut des instructions sur la direction à 
donner à l'esprit public dans une « contrée qui, 
trop faible pour constituer une République, ne peut 
jouir paisiblement de Tindépendance qu'en se réu^ 
nissant ^ la France ». La théorie de l'annexion et 



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92 LE RHIN ET LA FRANCE 

la politique des frontières naturelles l'emportaient ; 
le Directoire voulait le Rhin. Tel fut Tobjet des 
instructions qu'il donna à Bonaparte au Congrès 
de Rastadt, réuni conformément aux stipulations 
de Léoben. 



III 

L'administration de Rudier 

et l'organisation des pays rhénans 

en départements français. 

Le traité qui était signé à Campo-Formio 
(17 octobre 1797) ne réglait rien, puisqu'il fallait, 
pour les diverses cessions qu'il comportait, le con- 
sentement de TEmpire, ce qui devait entraîner des 
discussions et des marchandages sans nombre. Et 
si l'Empire refusait, TEmpereur s'en prévaudrait 
pour ne pas exécuter ses promesses. 

Le Directoire se flattait, aux négociations de 
Rastadt, de compléter le traité de Campo-Formio, 
en Allemagne, par la cession totale de la rive gauche, 
et en Italie, par la réunion de Venise à la Cisalpine. 
11 s'agissait donc d'amener TEmpereur à cette 
double concession, et ce n'était pas chose aisée. 
Le Directoire, lui, est irréductible et ne veut faire 
la paix qu'avec la limite du Rhin. En attendant, il 
n'y avait qu'à conserver et organiser les territoires 
occupés. Le général Augereau, le 25 novembre, 
invita tous les fonctionnaires rhénans à jurer fidé- 
lité à la République. Le 30 novembre 1797, l'armée 
entrait à Mayence que le traité cédait à la France. 
11 ne sera plus question désormais de République 
cisrhénane ; la plupart des fédérés, avec Gôrres à 



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L'ADBaNISTRATlON DES PAYS RHÉNANS 93 

leur tête, se rallièrent au mouvement qui poussait 
à la réunion de la rive gauche à la France. 

Aussitôt après la ratification du traité de Gampo- 
Formio (3 novembre 1797), le Directoire résolut de 
donner aux provinces rhénanes une organisation 
nouvelle. 11 décida de faire choix d'un commissaire 
général civil pour mettre fin à ^administration des 
généraux et mieux préparer Tannexion. Reubell 
présenta pour ce poste son compatriote Rudler, 
qui fut nommé le 14 brumaire an YI (4 novem- 
bre 1797). 

Le pays fut divisé en départements. Rudler orga- 
nisa des administrations, dont il nomma les fonc- 
tionnaires, choisis parmi les personnes qui avaient 
montré leur attachement à la cause de la liberté. 
11 établit des impôts : impôt foncier et personnel^ 
droits d'enregistrement et de timbre. L'organisa- 
tion judiciaire de l'an IH remplaça la bigarrure 
des tribunaux féodaux. Les principales lois fran- 
çaises jugées utiles furent appliquées et servirent 
de base à l'organisation sociale et politique du pays, 
comme toutes les lois votées en France par la Révo- 
lution, et qui rendaient les paysans propriétaires. 
Les réquisitions étaient fort lourdes. Les abus 
qu'elles entraînaient ne purent être supprimés to- 
talement, et les généraux restèrent maîtres de régler 
les différends, mais en fait la disparition des dîmes, 
corvées, droits seigneuriaux, compensa largement 
les charges qui pesaient sur les Rhénans. 

Rudler organisa enfin l'enseignement suivant le 
système français, en créant des écoles primaires où 
notre langue fut obligatoire. Les gymnases ou éco- 
les secondaires furent supprimés et remplacés par 
des écoles centrales enseignant les sciences physi- 
ques et morales, mais qui ne purent se substituer 
aux écoles secondaires. Des chaires de langue fran* 



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iT^-r 



04 LB RHIN ET LA FRANCE 

çaise, de langues anoiennes, de philosophie, de 
belles-lettres, furent oréées dans les universités, à 
Cologne, à Bonn, à Mayence, où quinze chaires 
fonctionnèrent ; les anciens professeurs reprirent 
leur enseignement. L^administration française veilla 
à l'organisation ecclésiastique du pays, et pro- 
clama la liberté des cultes : catholique, protestant, 
Israélite (loi du 7 vendémiaire an IV). 

Pour entretenir les habitudes civi(jues, des ré- 
jouissances furent organisées à l'occasion des fêtes 
républicaines. Elles étaient considérées comme un 
moyen d'éducation populaire ^et de progagande 
républicaine et française. Nos agents se servirent 
également du théâtre. Rudler fit venir des acteurs 
français ; les troupes assistèrent à de multiples 
représentations. Le commissaire général s'efforçait 
de développer l'esprit public en fhontrant les bien- 
faits de la civilisation française. Cette administra- 
tion, grâce à laquelle les habitants appréciaient les 
avantages du régime libéral français, fit faire un 
grand pas à la cause de l'annexion. Celle*ci devait 
nécessairement se produire tôt ou tard ; voici les 
événements qui la précipitèrent. 



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GoQi 



CHAPITRE VIII 

LES PAYS RHÉNANS 
DEMANDENT LEUR ANNEXION 



I 
Les adresses et les vœux des populations. 

Les habitants des quatre départements, formant 
ce qu'on appelait la « frontière déclarée », départe- 
ments non encore décrétés « constitutionnels », 
redoutaient d'être à nouveau rattachés à FAutri- 
che. Le Congrès de Rastadt, en effet, délibérait. 
Enfin, le 9 mars, la Députation de TEmpire con- 
sentait en principe la cession de la rive gauche du 
Rhin à la France, et, le 4 avril, fixait les indem- 
nités des princes possessionnés sur la rive gauche, 
au moyen de la sécularisation de territoires ecclé- 
siastiques situés sur la rive droite. L'Empereur 
n'avait point ratifié la cession. Ainsi rien n'était 
définitif et la situation se prolongeait ; c'est ce que 
voulait rAutriche, espérant qu'ultérieurement les 
événements lui seraient peut-être plus favorables. 

Les Rhénans appréciaient fort les réformes so- 
ciales, politiques, administratives et religieuses de 
la France, mais ils préféraient jouir tout à fait des 



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96 LE RHIN ET LA FRANCE 

droits du citoyen français. Ils les réclamaient. Jus- 
qu'à ce moment, un certain nombre de particuliers 
avaient demandé^ dans une cinquantaine de mé- 
moires, Tannexion de la rive gauche. Beaucoup de 
ces mémoires avaient été écrits par des Allemands 
et invoquaient pour la France la tradition historique, 
la nécessité d'atteindre ses limites naturelles, l'in- 
térêt économique d'incorporer des pays dont le sous- 
sol est riche et Tindustrie prospère. Des municipa- 
lités avaient déjà rédigé des pétitions en ce sens. A 
partir de mai et juin 1798 (floréal an VI), une con- 
sultation fut décidée. Partout, à Mayence où les clu- 
bistes étaient redevenus puissants, à Coblence, où 
la Société patriotique^ dirigée par Gôrres, se remuait 
beaucoup, à Cologne, à Aix-la-Chapelle, à Bonn, à 
Spire, à Worms, les partisans de la France étaient 
très actifs ; avaient pour idéal Taûnexion, la re- 
prise des traditions de 1793 et Toctroi aux Rhénans 
des mêmes droits qu'aux Français. Les commis- 
saires du Directoire près des municipalités s'en- 
tendirent avec eux pour recueillir les pétitions et 
invitèrent d'autre part les agents des communes à 
demander aux citoyens leur avis sur la réunion à la 
France. Des adresses étaient préparées en français 
et en allemand, et les pétitionnaires n'avaient plus 
qu'à les signer. Mais les nobles et les prêtres fai- 
saient, dans les campagnes, une active propagande 
et, dans certains endroits, bourgeois et paysans 
n'osaient se déclarer en toute sécurité ou dire ce 
qu'ils pensaient. Le régime français était-il bien dé- 
finitif ? Bref, il y eut, dans certaines contrées, des 
abstentions et dés résistances que les agents muni- 
cipaux ou les patriotes rhénans ne purent vaincre, 
comme dans le canton d'Obermeschel (Mont-Ton- 
nerre), comme à Deux-Ponts, où il y eut beaucoup 
de familles hostiles à la France, comme dans le 



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LES PATS RHÉNANS DEMANDENT LEUR ANNEXION 97 

canton de Wolfstein (Mont-Tonnerre), où la plu- 
part des communes refusèrent de signer, et dans le 
canton de Contwig (Mont-Tonnerre), où les vœux 
furent loin d'être unanimes. Mais ces manifesta- 
tions restèrent isolées et en général les pétitions 
et les adresses en faveur de la réunion furent les 
plus nombreuses. 

La consultation dura plusieurs mois. A Mayence, 
qui comptait 22.000 habitants,il y eut 4.000 signa- 
tures, ce qui, si Ton attribue à chaque famille en- 
viron 5 à 6 personnes en moyenne, donne presque 
Tunanimité. A Coblence, grande manifestation en 
faveur dé la France, dirigée par Gorres. A Spire, 
sur 739 citoyens, il y a W6 signatures. Les can- 
tons entre Mayence et Bingen donnent presque 
l'unanimité : Frankenthal, Nieder-Olm (avec 
2.157 signatures), Rheinbach, Meckenheim, Saint- 
Goar. Dans le canton de Gemersheim (Mont-Ton- 
nerre),la commune d^Ottersheim donne 112 signa- 
tures contre une abstention ; les communes de 
Schwegenheim, Wertheim donnent l'unanimité, 
de même que les communes des cantons de Grun* 
stadt, Armweiller, Otterberg. Les habitante du 
canton de Frankenthal disent: «Tous les habitants 
du canton, après Tinvitation faite, ont demandé 
publiquement et à haute voix la réunion fraternelle 
avec la grande Nation et la République. » Ceux 
du canton d' Armweiller : « Pénétrés du sentiment 
de notre dignité humaine, nous vous prions, ci- 
toyens législateurs, de nous réimir à la nation la 
plus généreuse et la plus noble. » La plupart des 
cantons des bords du Rhin envoient un grand nom- 
bre de signatures, manifestant ainsi leurs sympa- 
thies francophiles. 

Si certaines populations, moins éclairées, du Pa- 
latinat, réclament leur réunion avec peu d'empres- 



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QB ^B IIHflii ST hé. FEADIGB 

sèment, en Feyanebe lea communes du pan^oQ 4^ 
DeuK-Pontç évoquent leur^ origines; gauloises en 
sigiiant la pétition. « Issus^ disent ce;i^ h^bi^pts, 
des mêmes ancêtres, imbus des même^ principes, 

Îiarce que ce sont les principes dp la Fs^ison et 4e 
a justipe, nous sommes dignes d'être rangés çfovis 
les mêmes lois que les Français. » 

Dans la région de la Sarre et de la Moselle, Vopi- 
nion est des plus favorables. Dans la vallée infé- 
rieuse du Rhin (département de la Roer), les fidreei- 
ses sont nombreuses. Cologne envoie une longue 
adresse, suivie d'un millier de signatures où le^ 
pétitionnaires félicitent les hommes du 18 Fructidor. 
Qrefeld prend Tinitiative de Tadresse de réunion 
où il est dit : « Donnez-nous à la France comme 
vous nous avez donnés à la liberté >. A Grûhl, le^ 
habitants rappellent les bienfaits de la Franpe. A- 
Aix-la-Cbapelle, 321 citoyens signent la pétition 
qui dit : m Le, même Rhin est fait pour fraterniser 

Elus intimement avec la Seine, la Garonne, 1^ 
oire, et la nature ne lui a donné son cours du 
Midi au Nord que pour borner légitiniement le derr 
nier département de la France... Nqus brûlons 4u 
désir ardent de nous voir réunis par un acte législe- 
tif à nos anciens frères les Ganlois... p 

Dans maintes adresses, du reste, les pétitionnai- 
Fes proclament auUls sont frères des Français, cooime 
peux de Deux-Ponts, de Wimmweiler, 4e BleiaU 
(Sarre), A Gladbach (Roer) on lit : 4t Sn oe n^o- 
ment^ nous paraissons devant vous, vous rappelant 
le nom de Francs et notre ancienne Confédération. 
C'est à ce titre que nous demandons hautement no- 
tre réunion ». A Ësohweiler (Roer) : € Nous n^ 
demandons qu'à être réintégréi^ dan^ nos ànpiôQS 
droita 4e eitoyens français ». 

Souvent les pétitionnaires revendiquent les tôanr 



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LES PAYS RHÉNANS DEMAMDEfifT LEUR ANNEXION 90 

faits de radministration française eonforme aux lois 
de la justiee (adresses de Colore, Trêves, Saint- 
Goar, Sinzig) et veulent jouir des avantages d'une 
constitution libérale. Ils n'auront plus de dîmes, de 
corvées ; les anciens abus ont disparu, les Rhénans 
sont délivrés du despotisme dp leurs anciens maîtres^ 
dont ili^ craignent le retour. Ils espèrent bien que 
la France saura les protéger ; ils jouiront de rér 
formes militaires, politicjues^ sociales et économir- 
ques définitives. Et le jour où ils demapdent leur 
réunion à la Fr^pce, les habitants, dans les eomr 
munes, plantent un arbre de la liberté, orné de 
rubans tricolores, au son des cloches et au bruit de|s 
coups de fusils. 

Tels sont les sentiments qui partout les ont fait 
agir en notre faveur, principalement dan£| la vallée 
du Rhin, dans la plaine du Palatinat et aux envir 
rons de Mayenoe. Ils étaient plus vifs dans les camr 
pagnes que dans les villes, où une partie des foncr 
tionnaires était demeurée et où les nobles, les 
bourgeois et les ecclésiastiques regrettaient le dé* 
part des anciens maîtres. On avait même hâte que 
Tannexion se fît, pour jouir des droits politiques 
et civils des Français et ruiner les tentatives des 
partisans de TÂncien régime, dont les intrigues 
n^avaient point cessé. 



H 
1.^9 lléaprfiri^ti fie r^dminlftratiQfi rHén^nç. 

Malgré les vœux des Rhénans, le Directoire ne 
se pressait pas de proclamer Tannexioa. Les diffi- 
cultés extérieures Ten empêchaient. Le Congrès de 



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iOO tE RHIN ET LA FRANGE 

Rastadt n'était point terminé, car TEmpereur n'avait 
pas encore donné son adhésion à Tabandon de la 
rive gauche du Rhin. La diplomatie s'écoula donc 
à Rastadt, en procédures^ toute l'année 1798. 

Sur le Rhin, le Directoire voulut faire régner 
une administration sage et bienfaisante, et appliquer 
avec équité les lois françaises. Il fallait agir avec 
circonspection, car les difficultés n'avaient point 
disparu, et l'on n'était pas sûr de l'avenir. Dans 
certaines provinces prussiennes, comme la Rœr, et 
dans l'ancien électorat de Cologne les contribu- 
tions se payaient avec difficulté ; les arrêtés de 
police n'étaient pas toujours observés ; on saisis- 
sait fréquemment des écrits séditieux et les émi- 
grés qm rentraient, organisaient une propagande 
antifrançaise. L'annexion à la France de MuUbouse 
(29 janvier 1798), de Genève (26 avril), conforme 
aux vœux des habitants, irritèrent nos ennemis. Ils 
connaissaient l'état pitoyable de l'administration, 
ses désordres, l'incohérence du gouvernement livré 
aux factions, menacé de conspirations quotidiennes; 
Bonaparte était en Egypte et loin de France ; ils 
crurent le moment venu de fomenter une nouvelle 
coalition. L'Angleterre triompha de leurs hésita- 
tions, et la guerre fut décidée (mars 1799). 

L'assassinat, à Rastadt, de nos plénipotentiaires 
ar des hussards autrichiens (28 avril) causa, dans 
es pays rhénans, une émotion énorme. Les muni- 
cipalités envoyèrent des adresses de protestations 
au Directoire. Sur les murs, des proclamations fu- 
rent affichées ; « Vengeance, vengeance, mort à 
l'Autriche. » A Mayence, un cortège expiatoire tra- 
versa la ville, portant un drapeau noir. On aurait 
dit qu'un vrai sentiment national avait traversé 
l'âme des populations du Rhin. 

A la suite des revers de nos troupes, les pays 



le 



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LES PAYS RHÉNANS DEMANDENT LJBUR. ANNEXION 101 

rhénans furent travaillés par les-agents 4e> j'étran-. 
ger, (Jui nous représentaient 'eoiûÂieà]^!v€Îlkcd.'4€i^: . 
chassés du Rhin. L'esprit public se modifia rapide- 
ment. Le Directoire jugeant trop mou Marquis, qui 
avait succédé à Rudler et qui avait la même atti- 
tude, toute de tact et de modération^ le remplaça, 
le 30 prairial, par le conventionnel Lakanal, mem- 
bre de rinstitut. Celui-ci reçut de Cambacérès, 
ministre de la Justice, des instructions énergiques. 
Il devait ranimer l'esprit public par des fêtes et par 
ime meilleure organisation de Renseignement, faire 
rentrer rapidement les impôts et exploiter toutes 
les sources de revenus de TEtat : mines, usines, 
forêts. Mais cette méthode énergique et brutale 
était-elle bien de mise? Lakanal, dur, autoritaire, 
cassant, mais ne sachant pas un mot d'allemand, 
ne connaissant pas, à la différence de ses deu^ pré- 
décesseurs, le caractère paisible et réfléchi des po- 
pulations, arrivant avec des idées absolues de Jaco- 
bin entêté, préoccupé avant tout d'appliquer les 
lois révolutionnaires, était-il bien l'homme de la 
situation? On lui avait parlé d'exactions, de con- 
cussions, il ne demandait qu'à sévir. Dans une let- 
tre à Cambacérès, il justifiait sa politique en disant 
qu'il fallait punii: les pillards et ne mettre en place 
que des hommes vertueux. Cambacérès, au con- 
traire, lui conseillait de chercher avant tout à atta- 
cher les habitants à la République et de traiter les 
pays prussiens avec modération. 

Tout n'est certes pas à blâmer dans l'adminis- 
tration de Lakanal, qui souleva de vives protesta- 
tions. Les Allemands eux-mêmes ont signalé les 
services qu'il a rendus à l'instruction publique, aux 
musées, et s'inclinent devant sa probité. Mais il 
ignorait trop ce qu'était l'administration, et avec 
quelle prudence il fallait gouverner les populations 



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l6î . . . 1? mtf^ BT LA yRANCB 

rlfiâââtté&.^ë^r ten. éiûMét à nousi Un arrêté dek 
h^éyàè'ûikitrimATBfàiï VIII (23 lidv. 1799)) révo- 
quait lé dtôyeti Lakaiiâl; Entré tetnps àVait eu lieu 
le t^oup d'fitat de Brùiiiaire qui allait chailgér la 
fabé dëë dhbses (9-10 tidv; 1799); 

Èien accueilli dans les pays rhénaDS, il fut un pré- 
texte pour les administrés de faire entendre leurs 
vœux et leurs plaintes. De prime abord, certains 
redoutèrent, comme dans le département du Mont- 
Toniierre et dans celui de la Ftoer, qu'il ne jetât un 
certain trouble dans les esprits^ mais on comprit 
vite que désormais une main ferme allait diriger 
rStat» Les administrateurs du département de la 
Sarre écrivaient aux Consuls: «Gouronneu les vœux 
dès milliers de ses habitants qui, par leurs signa- 
tures^ ont demandé à Tancien gouvernement leur 
réunioli à leurs frères aînés en liberté. » Les Consuls 
voulurent faire droit à ces réclamations en nommant 
un nouvel administrateur. L'ancien président de la 
Commission intermédiaire de Bonn Henri Shée, 
fut choisi pour succéder à Lakanal (2 déc. 1799). 

Les Rhénans, partisans de la France et des ré- 
formes, pensaient bien qu'on écouterait leurs do- 
léaneesi Ils ne cessaient de les faire entendre. On 
savait le nouveau commissaire intègre et plein de 
bon vouloir, mais également très influençable, et 
en lui demandait « de tenir à l'écart ces gens qui^ 
pensant trop volontiers aux droits de la conquête^ 
songent trop rarement aux devoirs de l'aflranchis- 
sèment S » Shée prit son administration à cœur^ 
mais il était maladif, et tomba rapidement sous les 
influence^ fâcheuses qu'on redoutait* 

1. Lé ISpect&ietir du ÈioM-Tôhnerf-é èi Tûbléaû dei tfttâtiri 
nouveaux départetnents depuis leur organisation, jûèqn'à eé 
jour, présenté, le 21 vendémiaire an VIil (13 oct. 1799), au ci- 
toyen JdlliVët) conseiller d'fitslt. 



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LES PATS RHÉNANd HËllAl^fifrT tiWR ANNEXION 109 

iiéé R&énaliS comjitèreiit plus sùir les Gbnsuls 
dtiê éW IfêÈ âuiëHtés loéales« Déjà Gori^es arait été 
député à Paris par les tépiiblie^itis de Coblence et 
dû llhih-et- Moselle polir faire eonnaitre au gouver- 
nëineiit k sittiatiOO du payé. Il remit plusieurs 
ihêiiièii'ëë ad conSëilter Dkbois-Diibais et exposa, 
dans ùnë bf-ObhUrë^ les résultats de sa ihissidn ^ Il 
réëiamà aVëc éUei^ë l*union entre Français et Alle- 
mande du ][Uiiii> qUi est nécessaire^ car ces pays ne 
péUvëiit être retidus à leurs anciens maitrës. Mar- 
qni§ a été trop faible^ Lakanal trop dUr. Il faut des 
nommèi9 du pis^ys, connaissant bien le tempérament 
spédal des populations^ différent de celui des Francs 
çàis. 

Gorreë et seë compatriotes désiraiëUt Fadminis^ 
tràtion Ae ëës ëOntrées par des Rhéfaans. Lé Rhin 
doit être aUx RhéUans. Mais cette administration 
j^àràisSait dangereuse. Quant à Fannexion^ les Con- 
suls, comme autrefois le Directoire^ ne toulaieht 
pas Teffeëtuer âVàUt d^avoir vaiucU la coalition et 
âi^faché à TAllemagne la cession de la rive gauche 
du Rhin. Il fallait au moins faire quelque chose. 

Là désorgsitiisation était générale, par suite de la 
guerre et dé là mauvaise administration du Direc- 
toire ; c'est ce qui donnait plus de poids aux reven- 
dications des républicains. Déjà Gôrres et Eicke- 
mejer, au nom des républicains du Rhin-et-Moselle 
et du Mont-Tonnerre, avaient envoyé une adresse 
aux Consuls pour éxpOser là situation (germinal 
an VII, mars 1800). Puis, plusieurs notables du 
pays : Kortt, banquier à Coblence^ Himmér, négo- 
ciant, Eichhoff, négociant à Bonn^ délégués aux 
féteë du JL*^ Vendémiaire (23 sept. 1800), dans un 
-ihémoire au ministre de l'Intérieur, font entendre 

1. Ré$nltat$ de ma mUsion h Paris en brumaire an Vtlï, 
dans le» Politiàchè StshHfteh, t. I. 



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104 LE BHIH ET LA FRANCE 

des plaintes, L'instniclion est délaissée, la justice 
est mal rendue, les places administratives sont oc- 
cupées par des hommes incapables^ surtout dans 
les finances, le commerce dépérit par suite de la 
rareté du numéraire et de Tinterdiction du libre tra- 
fic des grains; les signataires donnent Fargument 
décisif en réclamant radminiatration du pays parles 
Rhénans eux-mêmes ; mais Bonaparte ne voulait 
pas plus de républicains sur le Rhin qu'à Paris. 

Shée fit entendre également sa voix, et demanda 
une organisation admimstrative comme en France, 
afin de remédier aux abus. Quatre préfectures fu- 
rent créées, à Aix-la-Chapelle, Trêves, Coblence et 
Majence, et assimilées aux départements français 
(arrêté du 22 fructidor-9 septembre) ; les arrondis- 
sements eurent chacun leur sous -préfet- Dans les 
communes, les maires furent nommés par le gou- 
vernement, sur la proposition de Shée, qui choisit 
très heureusement les notables du pays. Ce nouveau 
régime préparait Tan n ex ion. Le 22 septembre 1800, 
Jollivet succédait à Shée^ comme commissaire du 
gouvernement et préfet du Mont-Tonnerre . Bona- 
parte en faisait grand cas et l'avait choisi pour res- 
taurer les finances des quatre départements. 



m. 

Uannexîan. 

Après le coup d^Etat de Brumaire, Bonaparte va 
pousser énergiquement la lutte. Son programme 
est celui de Richelieu et de Louis XIV. C'est ce 
programme que le Comité exécutif provisoire de 
1792,1e Comité de Fan III, le Directoire, ont voulu 
réaliser. Il faut assurer à la France « l'héritage des 



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LES PATS RHÉMANS DEBfANDENT LEUR ANNEXION 105 

Gaulois >,la limite du Rhin, et porter la guerre au 
delà pour obliger rennemi à abandonner la lutte. 
Telle est la proclamation qu'il lance aux troupes, 
le 29 décembre 1799. 

La victoire a rallié nos drapeaux. Le 9 février 
1801, la paix est signée à Lunéville. L'Empereur, 
en son nom et en celui de TEmpire germanique, 
cédait à la France la souveraineté et la propriété de 
tous les pays de la rive gauche du Rhin (art. 6). Quel- 
ques semaines après, le 8 mars 1801, le Corps lé- 
gislatif, après un discours de RioufiF et une interven- 
tion de Shée, qui « déclara que Tamour de la liberté, 
vainqueur de tous les obstacles, a planté sur le Rhin 
le pavillon tricolore », votait la loi suivante : Les 
départements de la Roer, de la Sarre, de Rhin-et- 
Moselle et du Mont-Tonnerre font partie intégrante 
du territoire français. » C^était l'annexion pure et 
simple. Le nombre de nos départements était porté 
à 101 ; la France atteignait les limites de Tancienne 
Gaule. La République achevait, en quelques années 
à peine, l'œuvre conçue par la monarchie, ébauchée 

Sar Louis XIV, et qu'il n'avait pu mener à bien. Le 
ihin était conquis. Il formait une frontière solide 
dans le Nord, tandis que, d'un côté, la Hollande notre 
alliée, protégeait la France contre l'Angleterre, et, 
de l'autre, la Suisse contre l'Empire. Nous attei- 
gnions éffalement nos frontières naturelles aux Alpes 
et aux Pyrénées. Heure unique dans l'histoire de la 
France I Jamais elle n'avait été plus grande, et ja- 
mais conquête ne fut plus conforme aux vœux des 
habitants. Les peuples de race germanique, secouant 
•un passé qui les opprimait, allaient recevoir des 
Français un nouvel état social. Mais la France, pour 
son malheur, ne devait pas se reposer dans ses fron- 
tières naturelles, comme elle l'avait fait, sous 
Louis XIV, dans ses frontières artificielles. 



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iOd LB RHlN ET LA ^AaUCB 

Restait à ofgàni&er lé régime pôlitiatie des ^ays 
atlheiéë; D'àbbi-d là loi dti 9 triars 1801 (18 vëns 
tôde an IX)^ qill déct'étàit Taiitiexidii, Stit^ulait éga- 
lement que « les lois et règletiients de là Répu^ 
blique ne sellaient appliqué!» aut dits départements 
qti'aût époques bù le gouvernemeût le jugera fcbti- 
venâble et en yertu d'arrêtés qu'il prendrait à cet 
eSei '^. Puis, tlhe proclàmatioii des Gdnstils (29 mes- 
sidë^-18 juillet iëOl) était adressée aux habitants 
de la rive gaudhe du Rhin pour leur annoncer leurs 
dëVi^irs^ mais pôui* leur dire aussi de quels avan- 
tages ils allaient désormais bénéficier: 

de ^ué lés Rhénans désiraient avant iout^ c'était 
rassiinilétion. Le régime inauguré j dès 1797^ SbuS 
le Directoire, y tendait directement par sa forte een- 
trcdisatibn et Sou libéralisme; LëS RhéUans comp- 
taient Sur les bienfaits de la France, sur ses idées 
libérales, Sur sa prôtebtioU même ; ils les apprébie- 
i*aiëUt encore miëuii si TunidU était bdmplète^ bar 
le bénéfice en serait plus grand; La communauté 
dldéës elle-même suffisait à rapprocher les deux 
paysi Les VœUx, lés adresses^ les délé^atidns^ récla- 
mant « Tassimilation *, affluèrent à Paris. Les 
publicistes faisaient Une grande propagande en fa- 
veur de la Ftancé. Le 11 mësSidbr an Xj un arrêté 
décidait Tassimilatibn bdmplète des quatre dépai*- 
temëhts rhénans aux départements f ranimais. 

Le pats devait êtté administré par des préfets 
indépendants, suivant la Ibi de pluvidse an Vflli 
Le 23 Septembre 180S, le nouveau régime était 
établi ; Une âdministtatidn bomplètement française 
réalisait Tuniën des pays rhénans aveb la France. 
Comment lé nouveau régime allait-il fbnbtidnner, 
et quels allaient être ses bienfaits pëUr leSpâys de 
là rive gauche dU Rhin ? 



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CHAPlTttË ÎX 
LÉ ËÉGIMe NAt^ÔLEÔNlÈN 



Lé Reée< germanique de 1803. 
L'enthousiasme peur Napoiëoh. 



Il y avait une première question à régler ayant 
toute autre, une question d'ordre territorial, celle 
des indemnités prévues par le traité de Lunéville 
pour les territoires incorporés par ia France sur 
la rive gauche du Rhin. C'était le moyen de con- 
solider les postes avancés de la France en Alle- 
magne, de consommer l'œuvre de Westphalie au 
profit de la République victorieuse. Mais, pour dé- 
fendre le Rhin^ it fallait le déborder. « Voulez-vous, 
disait Turetmej défendre la rive gauche du Rhin, 
passer sur la rive droite. » Ainsi Mazarin avait 
combiné la Ligue du Rhin pour protéger l'Alsace* 
€ Bonaparte, suivant les desseins du Comité de 
TAn III et du Directoire, entendait, par la confis- 
cation des territoires ecclésiastiques^ constituer à 
la République un système d'alliés, de clients, d'en- 
richis et d'arrondis, quelque chose comme les ci- 
devant régiments du Royal-Bavière, du ftôyal-Deux- 



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108 LE RHIN ET LA FRANCE 

Ponts et autres mercenaires de qualité V! » Le 
23 mai, il signait un traité avec la Bavière, puis 
avec le Wurtemberg, avec Bade, avec la Hesse. 
La Prusse (convention du 9 juin 1802) avait la 
part du lion. Contre 2.750 lulomètres carrés et 
125.000 sujets abandonnés sur le Rhin, elle obte- 
nait 12.000 kilomètres et 500.000 habitants en 
Westphalie. Elle n'avait plus aucune emprise sur 
la rive gauche du Rhin, et ceci jusqu'en 1815, où 
les combinaisons dynastiques de M. de Talleyrand 
permirent la constitution d'une Prusse rhénane. 
Siéyès avait rêvé de fonder un Etat intermédiaire, 
entre le Rhin et TElbe, pour rejeter la Prusse plus 
àTEst et nouspréserver contre ses ambitions(1799). 
Napoléon reprit ce projet, en 1805, força la Prusse 
à céder le duché de Clèves, situé sur la rive droite, 
en échange de là province de Hanovre ; la Prusse 
était repoussée au delà de TElbe. La France dominait 
sur le Rhin, et Tinfluence de Napoléon y devint vite 
prépondérante. Par le Recez du 25 février 1803, les 

Princes ecclésiastiques étaient supprimés, sauf trois; 
électeur de Mayence, le grand maître de Tordre 
teutonique et le prieur de Malte, les villes libres 
réduites de cinquante-et-une à six, le nombre des 
électeurs porté à dix. « L'Allemagne sortait de là 
étrangement concentrée, la poussière d'Etats s'ag- 
glomérait entre les mains des princes laïques, et 
tous ces « nouveaux riches », gorgés de terres et 
d^honneurs par la République, semblaient à la dis- 
crétion de la France *. » 

Les pays de la rive gauche furent invités à vo- 
ter pour le Consulat à vie. La Roer donna 82.630 voix 

1. A. Sorel, op. cit., t. IV, p. 230. 

2. A. Sorel, ihid. 



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LE RÉGIME NAPOLÉONIEN 109 

contre 246, et la Sarre 32.575 contre 1.624. En 1804, 
un nouveau plébiscite, qui compta encore moins 
d'opposants, se prononça pour lliérédité impé- 
riale. Napoléon jouit rapidement d'une popularité 
immense. 11 apparaissait comme le sauveur, le paci- 
jScateur, le héros de la paix, l'organisateur d'une 
administration bienfaisante et réparatrice. N'était-il 
pas pour tous l'héritier du Grand Empereur, le res- 
taurateur de FEmpire d'Occident? L'évêque de 
Mayence sollicite pour lui la bénédiction de Charle- 
magne, car l'Empereur carolingien, de même que 
Clovis, sont ses ancêtres, et les provinces rhénanes 
le berceau du nom français. Les populations qui les 
habitent sont les Allemands de France. Le collège 
électoral du Mont-Tonnerre déclare : « Ce que les 
efforts de Louis XlV n'ont pu efiTectuer que pour 
im court espace de temps, les victoires de Votre 
Majesté l'ont consolidé pour toujours; la France 
salique, le berceau de Charlemagne, est réunie au 
grand Empire. » 

Salué ainsi par les populations rhénanes à son 
avènement^ entouré de leur sympathie et de leur 
admiration, l'Empereur n'hésite pas, à peine cou- 
ronné, à aller les visiter. Parti du camp de Bou- 
logne, il arrive, le 2 septembre 1804, à Aix-la-Cha- 
pelle, avec l'Impératrice. Aux applaudissements 
du peuple, il assiste à des fêtes publiques, à une 
exposition industrielle, visite les fabriques et les 
manufactures, s'entretient avec les ouvriers ; il est 
accueilli avec enthousiasme par les journalistes 
allemands. « Les cendres de Charlemagne ont re- 
pris corps et vie », dit l'un deux. Et Hegel : « Tous 
les yeux s'attachaient sur l'Empereur. La foule en- 
tière était fascinée par la vue de cet homme, sim- 
ple dans sa grandeur, toujours pensant, toujours ac« 
tif... » A la cathédrale, un Te Deum est chanté 



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110 lifS flHIl!» ET f.A FRANCE ^ 

ei^ spnl^oçmeur etij ppqtemple, pensif, le tp^B^^ (le 
pif^rre sur lequel le squelette 4^ Çh^plem^gp^ resfta 
assis pen4aiit trois siècles. 

iVprèsj le^ longues ovç^tiopsi 4'Aix-lÉ^•Cb^pelle, il 
se v^d dai^s les ancious Etats pf>ussiens 4e Clèves 
e^ Juliers, où la répept;ion fut phaleureuse, puis à, 
Cologne, sous un arc de triomphe qui pQftait 
çomiiie insçriptip» : « Cura provificiarum Rhein 
Qalliae recuperatar\itr^, par le^ soins des prQyii^- 
ces rhénanes rendues à la Gaule ». L^euthpusiasme 
est universel. Les bourgeois les plus influepti^ se 
disputent rbonn^ur, ^près avoir dételé sps çheyauiç, 
de traîner sou carrosse, Les rues sout jonchées 4e 
feuillage et 4e fleurs et noires 4e monde, le&i u^ia- 
railles tendues de draps blancs, comipç pour uue 
pyocessipn. Au rebord des fenêtres brûlent des 
çb£^ndeUes,-ou une mpdest^ lampe *. Le soir, le pprt 
sur le Rhin est illuminé. Le 14 septembre, il le vi- 
site longuement, ainsi que les entrepôts,puis il s'oc- 
cupe de régler la question très importwte 4^ la 
lij^re navigation du Rhin. 

Il passe à Bonp, au niilieu des acclamations et 
des S2\lves, et se rend à Coblence. Le fleuve se <5ou- 
yre de petites barques enguirlandées, et, 4e tputes 
parts, des vivats reteutissei^t. « Jamais bonanae n'a 
joui d'une telle popularité )t^ *, et f( son yoyage est 
pélébré comwe r^pparition d'uu être surnatuppî, 
dont la s^ule présence apporte la félicité '. » Le 
^1 septembre, il arrive k Majeppe. Il 4ei|pend au 
palais 91; le peuple s'écipasp, attendant qu'il pa- 
raisse aux fenêtres. L^s priuces allemands lui Fau- 
deut homm^gei comi?)e ai^ ^ premier des Céaars 

1. Leilf^ de J^n Bon ^mi-Àndré, Archivée national*», 
Fte ni, Mont-Tpnnerre, 

2. Lote. 

3. Huffer. 



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p: B^GIl^E IfAPOIÉQNIEN 111 

romains », tandis que la foule acclame frénétique- 
ment le couple impérial. Il s'inquiète des besoins 
de la ville auprès du pféfet et des autorités, et 
décide diverses réformes et améliorations. Le 1*' oc- 
tobre 1804 (9 vendémiaire an XIII), sont publiés, 
sous son impulsion, les décrets sur la création de 
la place Gutenberg,la liquidation des dettes dépar- 
teim^j^l^les et communales, rétablissement d'un 
entrepôt r^pl des denrées ^t marchandises, Tintro- 
dv^ction des vins emmagasinés sur la rive droite, 
le commerce des tonneliers et cejui des marchands 
de s^von, la viticulture. Une police imiforme est 
établie, et plusieurs fonctionnaires incapables sont 
destitués. 

Le 3 octobre, TSmpereur quitte Mayence pour 
P^isersl?iutern, Simmepn, Trêves, Partout pn Ut 
4es transparents et des inscriptions où il est appelé : 
GermanicuSj Italicus, Egyptiaçus^ prU(fnfiicuSj 
reslilufqr pacis^ religionis salutisy prosperitatis. 
Les canons tirent des salves, les cloches sonnent à 
toute volée. Il visite les Thermes,' puis la Pqrtçi 
Nigrft, dont il ordouue la restauration, « fort satis- 
fait de l'esprit des habitants *, epfin Luxembourg, 
dont il inspecte avec spin les défenses. Partout pç- 
cj^m^i partout fêté, soft voyage est la repoiinais- 
sappe de nptre prise 4^ possession 4vi Rbio, de Ip 
spuveraipeté française, désormais indiscutée. N^pq- 
lépn est considéré par les Rhénans pomipe leur 
empereur, Il reste à examiner quelle ?^ été sqp 
ppuvf e dans le domaine 4e Tactivité politique, ^4- 
mi^istr^tive, écpQomique, 



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112 LE RHIN ET LA FRANCE 

II 

L'œuvre de Napoléon. 

Les lois françaises devaient s'appliquer progres- 
sivement, car le gouvernement français voulait, 
dès le début, respecter les usages locaux. La cons- 
titution de Tan VIll, qui restreignait singulière- 
ment les libertés publiques, en supprimant presque 
l'exercice du droit électoral, était applicable aux 
pays rhénans. S'ils n'eurent pas la liberté politique, 
ils jouirent au moins de la liberté et de l'égalité 
civiles consacrées par le Code civil, en 1804. Ce 
code se substitua aux innombrables lois et coutu- 
mes et devait subsister jusqu'en 1900; d'autre part, 
le système métrique simplifiait les poids et mesures. 

L'organisation en préfectures et sous-préfectures 
permettait l'unité de commandeoient et de direc- 
tion. Napoléon en comprit l'importance et choisit, 
avec beaucoup de soin, ses préfets. Ils étaient français, 
de même que les secrétaires^énéraux. Les conseil- 
lers de préfecture furent tous rhénans, ainsi que les 
sous-préfets, pris pour la plupart parmi les habitants. 
Les maires des communes de moins de S.OOO habi- 
tants étaient nommés par le préfet et ceux des 
communes de plus de 5.000 habitants par le gou- . 
vernement impérial. La France avait ainsi la haute 
main sur la vie politique du pays. 11 y eut beau- 
coup d'indigènes dans les autres services : justice, 
instruction publique, mines, ponts et chaussées. Les 
percepteurs et les receveurs particuliers des finances 
devaient être obligatoirement choisis, et « sans 
exception », dans la population. 



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LE RÉGIME NAPOLÉONIEN 113 

A Jollivet, succéda, comme préfet du Mont-Ton- 
nerre, André Jean Bon, baron de Saint-André, 
ancien ministre protestant et membre de la Con- 
vention (11 fructidor an X-29 août 1802). II allait 
apporter dans ses fonctions les rudes vertus des 
républicains héroïques, en y mettant une bonté, 
une compassion aux pauvres gens que sa brusque- 
rie habituelle ne laissait pas soupçonner. Il renou- 
vela la race de ces grands intendants, dont le labeur 
obstiné a si fortement serré la trame de l'Etat 
français ^ Il avait une extraordinaire puissance de 
travail, une intelligence pénétrante et une forte 
ténacité, une grande pratique des affaires et. un 
sentiment élevé du devoir. Pendant douze années, 
il cherchera comme ses collègues à fondre les Rhé- 
nans et les Français en une seule nation, par de 
sages mesures d'administration, et en respectant les 
vieilles traditions du pays. Il développe Tagricul- 
ture, transforme les chemins vicinaux en allées 
d'arbres fruitiers, telles qu'on les voit encore dans 
les environs de Mayence. Les collines incultes, les 
landes de sable deviennent des jardins émaillés de 
fleurs et de verdure. 

Dans le département voisin du Rhin-et-Moselle, 
le baron de Lezay-Marnésia, qui, à la différence de 
Jean Bon Saint- André, incarnait Tftme de notre 
vieille aristocratie, se fit remarquer également par 
son intelligence claire et pénétrante, par une sou- 
plesse habile, qui n'excluait pas Ténergie (15. mai 
1806-12 février 1810). Dans un département agri- 
cole comme celui qu'il administrait, il devait par- 
ticulièrement bien réussir. » Nul ne sut mieux assi- 
miler à la France les pays rhénans. Il créait des 

1. Denis. L'Allemagne i789-i8i0, 1 vol. in-8*. Pari», ancienne 
fpaison Quantin, ^898, p. 272. 



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114 LE RH» BT LA FRANGE 

chemins vicinaux en grand nombre, il fondait, à 
Coblence, une école de sages-femmes et une école 
normale où les instituteurs apprenaient à préparer 
le lin, à greffer les arbres, à cultiver un pota^r ; 
il divisait son département en dix-huit districts, 
inspectés par un médecin cantonal, qui devait 
veiller à la santé publique et répandre la vaccine ; 
il plantait 400.000 arbres fruitiers ; il établissait 
une pépinière dans chaque mairie ; il encourageait 
l'élevage du bétail ; il améliorait la race cheva- 
line ^ » Il veillait à une bonne administration de la 
justice, la déclarant « la plus importante de toutes 
pour une dynastie qui commence... » 

Dans la ftoer, Ladoucette suivra les mêmes tra- 
ditions. 

Le !•' septembre 1802, était introduite la nou- 
velle organisation judiciaire que la France venait 
d'adopter. Les coutumes et les pénalités diverses 
avaient été supprimées pour simplifier Fétat de 
choses existant. Evidemment, il y avait beaucoup 
de lois et de décrets de Tépoque révolutionnaire à 
appliquer et la confusion régnait encore, mais l'en- 
semble était moins touffu et plus clair que les 
législations des petites cours du Rhin. 

Pour que la prospérité se développât, une fois 
Tordre rétabli, il fallait de bonnes finances. Ce fut 
la grande préoccupation du gouvernement français, 
depuis 17Ô8. Déjà le svstème fiscal français avait 
été mis en vigueur ; il fallait créer un cadre solide 
de fonctionnaires pour percevoir les impôts. Ceux-ci 
étaient lourds, plus lourds que sous Tancien ré- 
gime, surtout Timpôt direct, qui était souvent mal 



1. A. Ghuquet. L'Alsace en i8i4, 1 vol m-8«, Paris, Pion, 
1900, p. 1S7. 



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I 



LE RÉQltfE NAPOLÉONIEN IIS 

réparti et mal levé. En général, il rentra aisément, 
car, peu à peu, la perception des taxes s'opéra dans 
un ordre parfait, alors qu'autrefois c'était l'arbitraire 
et le gaspillage. Mais les impôts indirects soulevè- 
rent des protestations, surtout les droits sur le sel, 
le tabac, les boissons et alcools, qui étaient très 
impopulaires. Malgré tout, on payait, car le sys- 
tème français donnait l'impression d^une machine 
admirablement montée. 

Une fois un régime stable organisé, il était facile 
à la France de développer les ressources du pays. 
Avant 1789,1a rive gauche du Rhin produisait peu. 
Commerce, industrie, agriculture, étaient en déca- 
dence. La guerre, les réquisitions avaient entravé 
tout progrès. Les voies de communication étaient 
inexistantes. L'Empereur s'en préoccupait beau- 
coup ; il les savait indispensables au développe- 
ment du commerce, tandis qu'autrefois Fabus du 
particularisme s'opposait à la création des grandes 
routes. Plusieurs voies de communication, reliant 
de grands points commerciaux ou stratégiques, 
étaient établies à la fin de T Empire, entre autres 
les routes Paris-Mayence et Bâle-Nimègue, entre 
Mayence et Coblence. D'autres routes étaient pro- 
jetées après 1813 ; le nombre des chemins vicinaux 
était accru ; des ponts étaient édifiés. 

La navigation sur le Rhin reçut de grandes amé- 
liorations. Dés canaux étaient nécessaires. Napo- 
léon fit construire celui de la Meuse au. Rhin, de 
Venloo à Rheinberg ; il projeta celui du Rhin à 
TElbeet fit commencer, en 1910,1e canal des Houil- 
lères pour donner un débouché aux mines de la 
Sarre, par Dieuze et Château-Salins. 

Ces pays étaient avant tout agricoles, avec un 
sol très fertile. La préoccupation constante du nou- 
veau jrégime fut d améliorer Tagriculture. La terre 



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116 LE RHIN BT LA FRANCE 

avait été délivrée de beaucoup d'entraves et la pro- 
priété très morcelée. Le Code civil, en 1804, avait 
supprimé à tout jamais les rentes perpétuelles ; la 
liberté des terres fut désormais très appréciée, per- 
mettant les grands travaux, les aménagements et 
la transmission de la propriété. 

Le gouvernement s'employa également à déve- 
lopper l'industrie. Il y avait surtout deux régions 
industrielles importantes, Tune sur le Rhin infé- 
rieur, entre la Meuse et la Westphalie, l'autre entre 
la Moselle et le Rhin, sur la Sarre. Mais toutes les 
richesses naturelles qu'elles contenaient avaient été 
jusqu'ici mal exploitées, et les industries tombaient 
peu à peu en décadence. Les efforts des préfets 
travaillèrent à accroître la production. Dans la 
Sarre, il y avait quinze mines ouvertes en 1813 
produisant 900.000 quintaux métriques avec un 
revenu de 140.000 livres, supérieur d'un tiers à ce 
qu'il était sous le duc de Nassau ; les .ingénieurs 
français en triplèrent le rendement. Les gisements 
de plomb de Bleiberg, les mines de calamine de 
Stolberg, les mines de fer augmentèrent égale- 
ment leur production et alimentèrent de nouvelles 
fabriques métallurgiques, comme à Aix-la-Chai- 
pelle et à Borcette. Les manufactures de draps 
d'Aix et de Montjoie, les fabriques de soieries de 
Crefeld prirent un nouvel essor, tandis que les 
machines et les outils se perfectionnaient. Dans la 
Roer, il y eut des forges, des fonderies, des ma- 
nufactures de toiles, de rubans, des ifilatures de 
coton. 

Dans la région Rhin et Moselle^ les industries 
étaient moins prospères. Napoléon se faisait rensei- 
gner exactement sur leur situation, fondait des prix 
annuels d'encouragement, accordait des pensions 
viagères à des ouvriers méritants, donnait certains 



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Lfi HÉGIMË NAPOLÉONIEN 117 

couvents désaffe.ctés à des industriels pour y éta- 
blir des fabriques. 

En même temps que l'industrie, il fallait déve- 
lopper le commerce, qui avait végété pendant les 
premières années de Toccupation française. La nou- 
velle ligne de douanes, sur la rive droite, était fort 
gênante. Le Premier Consul fit en sorte, par une 
propagande active et^ des mesures appropriées, de 
dériver le commerce de TEmpire vers la rive gau- 
che du Rhin. Mais les difficultés à la douane sub- 
sistaient, et des fraudes avaient lieu sans cesse. Le 
gouvernement prit à cœur d'aplanir tous les obsta- 
cles. Il était nécessaire de faciliter la navigation sur 
le Rhin ; aussi, en 1804, était signée la convention 
de l'octroi de la navigation du Rhin. Les anciens 
péages étaient supprimés et remplacés par douze 
bureaux, dont six sur chaque rive. Il y avait d'au- 
tres améliorations à réaliser ; elles furent entrepri- 
ses les années suivantes : création d'un port à 
Mayence, entrepôts pour les marchandises et les 
denrées coloniales à Cologne et Mayence, réfection 
des digues du Rhin. 

Pourvu de ports franco sur le Rhin, de routes 
nouvelles, le commerce rhénan doubla et tripla. 
L'agriculture, l'industrie atteignirent une prospé- 
rité inconnue jusque-là. Partout se développait l'es- 
prit d'initiative, et chacun en attribuait le mérite à 
l'Empereur. 

Dans le domaine intellectuel et moral, les pro- 
grès ne furent pas moindres. D'abord il fallut ré- 
gler la question religieuse, car les pays rhénans 
s'en préoccupaient fort. Napoléon, qui voyait sur- 
tout dans la religion un moyen de gouvernement, 
ne manqua pas d'y prêter la plus vive attention. 
Depuis la Révolution, le régime fait au clergé était 
plus dur qu'auparavant. Avec le Concordat de 1801, 



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118 LB EBIfiT ET U FRANCB 

les choses allaieat changer de tournure. La hiérar- 
chie catholique est rétablie et )a liberté du culte 
reconnue j la nouvelle loi fut donc bien accueillie. 

Il était bon de ne pas oublier les amis des pre- 
mières heures, les réformés et les luthériens, ^ui 
avaient été de chauds partisans de la Révolution, 
La loi de 1802 organisa leurs Eglises, avec des 
pasteurs^ des consistoires locaux^ des inspecteurs 
et des consistoires généraux* Les Juifs furent éman- 
cipés, délivrés du JudenzoU, et devinrent des 
citoyens libres, jouissant de 1 égalité civile, alors 
que, jusqu'à la JFlévolation, ils étaient considérés 
comme des parias. 

L'administration impériale porta enfin un vif in- 
térêt à renseignement. En cette matière, la Révo- 
lution avait à peine ébauché son œuvre, puisque 
la condition des pays rhénans était restée incer- 
taine pendant quelques années. Du reste, le sys- 
tème instauré par la Révolution, qui avait supprimé 
les universités, les gymnases, les écoles élémen- 
taires, était très imparfait. Les écoles centrales, par 
exemple, étaient des institutions hybrides, tenant le 
milieu entre renseignement supérieur et l'enseigne- 
ment secondaire. Quant aux écoles primaires, qui 
remplaçaient les écoles élémentaires, elles étaient 
très rares* Un décret du Premier Consul (1" mai 
1802) institua des écoles primaires, des écoles secon- 
daires et des lycées. On répandait la culture fran- 
çaise, tout en respectant la belle langue de Goethe 
et de Schiller. 

L'Université de France avait été fondée en 1808^ 
et le territoire divisé en académies. Dans plusieurs 
villes avaient été instituées des facultés. L'acadé- 
mie de Liège devait englober le département de la 
Roer, l'académie de Mayence, le Mont- Tonnerre, le 
Rhin-et^Moselle et la Sarre. Comme facultés, on éta^ 



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LE bégiIb mapoléonibn 119 

blit une école, de droit à Coblence, une école de 
médecine à Mayence. C'était un peu maigre, après 
la vie brillante des facultés sous Tancien régime : 
Tadministration impériale aurait pu faire mieux. 

La vie intellectuelle, en général, se développait. 
Dans les théâtres, les représentations avaient lieu 
en français et en allemand. Il y avait des musées, 
comme à Mayence, des bibliothèques, comme à 
Col<^ne, Aix-la-Chapelle, formées avec les livres 
de quelques couvents, de nombreuses sociétés sa- 
vantes, et dont les membres étaient recrutés parmi 
les habitants du pays. 



III 
La Confédération du Rhin. 



Uœuvre entreprise par l'Empire en pays rhé- 
nan était donc solide et durable, nous dirons même 
magnifique. Les sentiments des populations, tout 
de reconnaissance, rindiquaient suffisamment. Mais 
il aurait fallu se cantonner dans cette tâche, borner 
ses efforts à protéger les frontières du Rhin, des 
Alpes et des Pyrénées. Napoléon estima des agran- 
dissements ultérieurs nécessaires à la sécurité et à 
la conservation de son oeuvre. Les frontières natu- 
relles allaient être débordées ; des démembre- 
ments et des réunions, opérés de toutes parts, amas- 
sèrent des haines chez les gouvernements et les 
populations. L'Angleterre, inquiète et jalouse, re- 
-doutant les agrandissements de la France, fomenta 
une nouvelle coalition, dont Napoléon triompha à 
Austerlitz. C'est elle qui fut Fâme des luttes ulté- 



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120 LE HBIN £T LA FRANCE 

rieures, et Napoléon ne put jamais Tabattre. C'était 
elle qu'il voulait vaincre à léna^ Friedland ; c'était 
elle qu'il cherchait à Madrid et à Moscou ; c*élait 
contre elle qu'il réunit à la France Gènes ^ Ams- 
terdam, Hambourg, 

L'Autriche paya les frais de la coalition, après 
Austcrlitz, au traité de Presboure, et la Prusse, 
après léna, au traité de Tilsitt. Le 25 décembre 
1803, le Saint-Empire romain de nation germanique 
était démembré et aboli définitivement ; TEmpe- 
reiu* d^ Allemagne devenait simplement Empereur 
d'Autriche- Une nouvelle organisation de TAlle- 
magne du Sud prenait corps. Napoléon la complé- 
tait en supprimant une grande partie des 370 Etals 
souverains, remplacés par des Etats plus vastes, 
mieux groupés et agglomérés. Us formèrent, sous 
sa haute protection, la Confédération du Rhin. « Je 
vais, dit-il, à Luccbesini, jouer le rôle que le cardinal 
de Richelieu a assigné de son vivant à la France. » 

Les deux rois de Bavière et Wurtemberg, les 
grands-ducs de Berg et de Bade, le grand-duc de 
Hesse-Darmstadtj le duc de Nassau et quelques 
autres contractèrent avec la France une alliance 
offensive et défensive (19 juillet 1806), Le prince 
Primat Charles-Théodore, baron de Dalberg, ar- 
chevêque de Ratisbonne, devenu, en 1802, arche- 
vêque de May en ce, reçut le titre de Protecteur de 
la Confédération germanique. 11 écrivait à TEmpe- 
reur : « Sire, le général Napoléon ne doit pas se 
borner à procurer le bonheur de la France, la Pro- 
vidence a fait paître les hommes supérieurs pour 
le monde entier. La noble nation allemande gémit 
dans les maux de l'anarchie politique et religieuse. 
Sojez, Sire, le régénérateur de sa constitution ^. » 

1. Alfred Hambayd. VAltêmMgnm sous Napoléon /'% 1 vqL 
in-tfl, pGurU, Didier, lS7i, p. 57. 



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^ LE RÉGIME NAPOLÉONIEN 121 

Napoléon reprenait l'œuvre de Louis XIV et de 
Mazarin en Tagrandissant. L'alliance de 1658 et 
celle de Frédéric II, qui avait essayé de former, 
contre la prépondérance autrichienne, la Ligue des 
princes (Fûrstenhund)^ était le germe de la fa- 
meuse Confédération. 

De la Confédération, la Prusse et TAutriche 
étaient exclues, et se trouvaient ainsi éloignées de 
nos frontières. Napoléon s^en servit pour faire front 
au Nord contre les deux puissances vaincues. Elle 
n'était plus opposée à la France, comme jadis le 
Saint-Empire, mais retournée, à son profit, contre 
Tennemie séculaire, grâce à des agrandissements 
du côté de l'Autriche et de la Russie, qui sortaient 
affaiblies de la lutte. Elle n'était point faite pour 
asservir les petits Etats allemands à la politique 
napoléonienne, mais pour assurer leur indépep- 
dance des ^ HohenzoUern et des Habsbourg, en 
même temps qu'elle protégeait nos frontières par 
la création d'«« Etats-tampons». Les libertés germa- 
niques étaient sauvegardées d'autant plus qu'après 
Técrasement de la Prusse, Napoléon, selon les pro- 
messes qu'il avait faites, ne prit sur la rive droite 
que les forteresses de Wesel, de Cassel et de Kehl, 

Eour maîtriser les passages stratégiques du fleuve. 
>e toute la Germanie s'élevèrent des voix deman- 
dant à Napoléon de prendre en main ses destinées. 
Après léna. Napoléon voulut renforcer l'élément 
français dans la Confédération. 11 érigea un grand- 
duché, au profit de Murât, le duché de Berg ; puis 
il constitua, en pleine Allemagne, un Etat pres- 
que français, vraie marche de l'Empire, qui implan- 
tait en Germanie les institutions, les lois,.la langue 
et le sang français. Ce n'était pas l'annexion, — 
l'Empereur disait alors à ses confidents : « J'ai 
assez du Rhin », — mais une indépendance mitigée. 



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122 IiB BHIM ET LA FIUNCB 

Le nouveau royaume de Weslphalie, dont le nom 
fut exhumé de la poussière du moyea-â^e, fut 
attribué à Jérôme, Un prince ff ançais allait recueil- 
lir ainsi le fruit des conquêtes de Charlemagne, 
succéder aux princes des Cattes et des Cherus- 
qneg, aux Welfes et aux HohenzoUernj à Henri le 
Lion et à Henri l' Oiseleur, dans le pays des vieilles 
traditions teutonnes, où les légions de Varus furent 
massacrées et où Witikind tint Charlemagne si 
longtemps en échec. 

L'Allemagne était regroupée et concentrée ; elle 
restait toujours une mosaïque^ mais dont les par- 
tieSj mieux agglomérées^ pouvaient plus aisément 
se réunir pour former un tout uniforme. Pour l'ins- 
tant, ces rois, princes^ grands-ducs et ducs reBtaieni 
fidèles au vainqueur^ le maître du jour ; ils pro- 
mettaient de ne jamais conclure d'alliance avec la 
Prusse ou l'Autriche ; ils formaient la clientèle 
politique de la France. Napoléon les avait enrichis 
des biens de l'Eglise, des dépouilles de F Autriche, 
des possessions des princes et des chevalief s d'Em- 
pire, émancipés, affranchis du joug de leurs deux 
puissants voisins et de la suzeraineté impériale. Il 
leur donnait la pleine et entière souveraineté, qu'il 
était le premier à respecter. Protecteur de la Con- 
fédération, il s'engageait à la défendre avec ses 
armées, mais il n'en était pas le suzerain, comme 
TEmpereur. Il ne s'occupe pas de leurs affaires inté- 
rieures, « les princes de la Confédération du Rhin 
sont des souverains qui n'ont pas de suzerain ». Il 
leur donne enfin des princes de sa race et « mêle le 
sang des Bonaparte et des Beauharnais à celui des 
Zàhringen, des Wittelsbach, des Welfes, en atten- 
dant qu'il pût le mêler à celui des Habsbourg S » 

1. A. Ràmbaud; op, cit,, p. 28. 



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tS RÉGIME NAPOLÉONUS^ 123 

Ea bouleTCrsant le Saint-Empire,' il en réunit 
les morceaux épars. Il ouvre à ces Allemands, 
auxquels il infuse la TÎe politique, la route d^une 
patrie. € A cet être énorme^ indécis, amorphe, il 
crée des organes rudimentaires qui tirent à eux la 
vie, la concentrent et la précisent. » Il leur donne 
tme âme. Les droits qu^il leur a conférés, les Droits 
de l'Homme et du Citoyen, les Allemands les 
reprendront pour eux, lorsqu'ils sauront que la 
France les a abandonnés définitivement. Ces droits 
acquis deviendront les droits des Allemands. Vienne 
le cataclysme que l'Empereur n'avait évidemment 
pas prévu, ils voudront chasser l'étranger et con- 
sommer Tunité nationale. Dans cette œuvre, en 
apparence si forte, il y a une grosse fissure, c'est 
la situation de la Prusse, qui n'est pas domptée et 
qui s'arme en silence, nourrissant contre la France 
et son empereur une haine violente. C'est elle qui 
groupera les énergies éparses et cherchera à profiter 
de notre œuvre d'unification. Sans elle, la défaite 
de l'Empire n'aurait pas été consommée. 

Certes, Napoléon considère le Rhin comme une 
barrière : barrière politique et militaire, barrière 
de douane et de police, entre les Rhénans de la 
rive gauche, qui sont des Français à ses yeux, dont 
les départements sont semblables à l'Alsace de 
l'ancien régime, et les Rhénans de la rive droite^ 
qu'il veut assujettir à la politique française. Mais ici 
est la cause de son erreur et la cause de ses diffi- 
cultés. Pour protéger la rive gauche, il veut débor- 
der la rive droite. Les « têtes de pont », que les 
hommes du Comité de Salut public, de même que 
Vauban, dont il reste l'héritier, déclaraient suffis 
santés à cette protection, ne lui paraissent qu'une 
sûreté imparfaite. Il faut neutraliser et dominer 
l'Allemagne pour conserver la rive gauche intacte. 



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i%A 



LE RHIN ET LA FRANCE 



Etait-ce nécessaire î En Allemagne, c'est la Prusse 
qu'il faut vaincre. Napoléon croit qu'en fortifiaat 
les princes, il les gardera dans sa politique et se 
servira d'eux contre la Prusse, sans voir qu'ils 
sont Allemands avant tout, et que peut-être un 
jour, ils seront amenés à faire alliance, soit avec la 
Prusse, soit avec T Au triche. Napoléon se laisse 
entraîner alors à une œuvre de remaniement qui 
semble faite seulement pour propager les principes 
libérateurs de la Révolution française, mais qui, 
en réalité, les impose et prend les allures de la 
conquête. 11 sème des haines, car il provoque une 
intervention constante dans les affaires intérieures 
des nouveaux Etats. Ces haines se retrouveront 
un jour. L^œuvre, certes, était grandiose et flat- 
tait notre sentiment national, mais, pour l'achever, 
pour la protéger contre les ambitions rivales, avec 
la création du grand -duché de Varsovie ^ pour la 
faire reconnaître par l'Europe, l'Empereur sera 
entraîné hors d'Allemagne, jusque dans les steppes 
mortelles de Timmense Russie, Ne pouvait- il res- 
ter fort derrière le Rhin, comme derrière les Alpes, 
conformément aux sages principes de la Monar- 
chie et de la Révolution, en laissant les peuples 
suivre leur hbre inspiration ? 

Evidemment, il a voulu conserver une Allema- 
gne morcelée et confédérée, où les cours alliées 
seraient des points d'appui pour Tinfluence fran- 
çaise. Mais en simplifiant cette carte^ en achevant 
Tœuvre de concentration déjà commencée aux trai- 
tés de Westphalie, où la Prusse s'était agrandie, 
et certaines petites principautés condensées, il pré- 
pare certainement runilication de T Allemagne, 
Peut-on lui en faire un reproche ? On a dit ^ que, 

1. fiabêbn, i, II, op. cil., p. 393, 



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LE RÉGIME NAPOLÉONIEN 125 

sans luî, cette œuvre d'unifîcatioii, tentée par Fré- 
déric et le baron de Dalberg, désirée par les hom- 
mes politiques, préparée par les écrivains dans 
Vopinion, était fatale, que soit la Prusse, soit TAu- 
triche l'auraient accomplie à leur profit, et que, de 
ce fait, leurs agrandissements nous auraient été 
préjudiciables. La chose est vraisemblable, mais il 
n^ a pas de fatalité en histoire ; la volonté des 
hommes intervient, et celle de Napoléon tendit vers 
un but bien déterminé. 

Tout reposait sur ses victoires. La défaite rui- 
nera son œuvre et abolira les résultats d'une poli- 
tique patiemment suivie depuis la Révolution. Mais 
cette c&uvre allait subsister. Chaque prince qui 
recevait des faveurs de l'Empereur devenait son 
allié, devait lui fournir des contingents d'hommes 
et des contributions ; il restait dans l'orbite de sa 
politiaixe, il se pliait aux habitudes et aux idées 
françaises. Son Etat était un foyer d'influence fran- 
çaise. La popularité de l'Empereur était immense ; 
rÂllemagne devenait vraiment française de ma- 
nières et de goût. C'était déjà ime forte garantie 
pour la protection de notre frontière rhénane. 



IV 
L'Allemagne française. 

Les Rhénans s'étaient vite accoutumés à leur 
nouvelle administration ; ils avaient désiré des réfor- 
mes, ils les avaient et s'en trouvaient bien. Ils 
^^'éprouvaient aucun regret. Leurs anciens maitres 
avaient été trop durs pour eux ; ils ne désiraient 



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120 LB RHIN ET LA FRANCE 

pas lô retour d'un régime pour lequel ils ne gar- 
daient aucun attachement. 

Les sentiments à Pégard de la Prusse ne lui 
étaient 'du reste guère favorables. Les victoires de 
1806 et de 1807 avaient été célébrées avec enthou- 
siasme. En Rhin-ct-Mosetle, dans la Sarre, le Mont- 
Tonnerre, on détestait et on méprisait la Prusse. 
Les préfets de ces départements déclaraient Tesprit 
public excellent. C'étaient les pays du Rhin moyen 
et de Tancien Palatinat, qui subissaient le mieux 
TévolutioD, et se transformaient en pays français. Si 
les hauts prélats et les nobles demeuraient hostiles, 
les bourgeois, les commerçantSj les fabricants, les 
curés de campagne s'étaient ralliés, soit par sym- 
pathie, soit par intérêt, au nouveau régime. Le 
peuple^ ainsi que le petit clergé et tous les démo- 
crates, nous étaient acquis ; la jeunesse sympa- 
thisait avec la langue, avec T histoire, avec l'esprit 
égal i taire et libéral des Français, 

Certes, il y eut de l'opposition. Aucun régime, 
dans aucun temps^ pas même la Rome des Césars 
n'en a été exempt. Elle exista principalement dans 
le Nord : Cologne, Bonn, et dans les pays possédés 
par la Prusse, mais elle se réduisit à quelques ten- 
dances et à quelques actes. Un auteur allemand, 
M. Hashagen* a voulu prouver cependant que la 
rive gauche avait toujours résisté à la domination 
française, et que les rapports français qui démon- 
trent le contraire sont mensongers. De quels docu- 
ments s' est- il servi ? A-t-il connu les correspon- 
dances des préfets de TEmpire, conservées à Paris, 

1. Das RheinlarTid imd die fr&nz^îsiscM Hûrrëch^ft. Beitrige 
Aur Chirâkierittik ifir&£ Gâgêmatzes, 1 val. in-8*j Bonn. 1908* 
V. dans le mâniâ «enB i Albrecht K^irlU Fr&nzôttsche negie* 
Tung und RheiaUnder vor 100 Gaftrertj 1 voL Leipzig-^ Kcîh- 
Lflf, 193Q. 



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LS RÉGIME NAPOLÉONIBlf 127 

et qui renferment tant de précisions sur les senti- 
ments des populations rhénanes à notre égard ? Il 
faut simplement avouer que le système des impAts, 
la contribution foncière notamment, ainsi que les 
droits sur les eaux-de-vie et tabacs, ont soulevé 
des protestations. Certains critiquaient le régime 
scolaire, insuffisant par rapport à ce qui existait 
avant la Révolution. Napoléfn n'avait pas dréé 
d'universités. On en réclamait une à Bonn, l'autre 
à Mayence, car celle de Mayence avait été suppri- 
mée. L'Empire ne semblait connaître que ses lycées- 
casernes. 

La conscription militaire était une charge très 
lourde, comme en France, et donnait lieu à de vives 
protestations. Le système des remplaçants et les mi- 
ses en réforme soulevaient beaucoup d'abus. Il y avait 
des réfractaires, et la pression officielle dut se faire 
très forte pour procurer des soldats au Gouverne* 
ment. Dans certaines villes impériales : Aix, Co- 
logne, dans le pays prussien de Clèves, une oppo- 
sition contre le régime se développa peu à peu. Il 
y avait une certaine jalousie à l'égard des campa- 
gnes, où la prospérité agricole était très grande et 
dépassait l'activité commerciale. Mais l'opposition 
fut peu profonde et peu sincère. Elle se cachait 
sous des adresses dithyrambiques de conseils gêné-* 
raux. Lors du mariage de l'Empereur avec l'archi- 
duchesse Marie*Louise et de la naissance du Roi 
de Rome, l'allégresse fut générale. 11 n'y eut, en 
somme, jamais de résistance ouverte ; le gouverne- 
ment impérial ne rencontra pas de difficultés ap- 
préciables. 

En revanche, il resta des mécontents irréductibles 
parmi les personnalités qui participèrent au mou- 
vement cisrhénan ; les cercles intellectuels étaient 
les plus actifs. Parmi les opposants, on cite Wei- 



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128 LE RHIN ET LA FRAMCE 

manu, Bertram, les frères Boisserée et Gôrres. Us 

f protestaient contre la suppression de la liberté de 
B. presse, de la liberté politique. Les partisans d'une 
république autonome étaient déçus et rêvaient d'un 
autre régime. Mais ils étaient une infime minorité. 
Seul Gorres était le plus inûuent, L'Empire ne 
lui avait pas accordé le poste qu'il avait rêvé^ digue 
de son talent. 

Les Rhénans n'aimaient pas la politique, seul 
pour eux l'intérêt comptait. Leur bon sens et leur 
expérience les éloignaient des conceptions nua- 
geuses et idéalistes d'un Gôrres; le nouveau ré- 
gime leur assurait le bien-être, Tordre et la paix : 
il ne leur en fallait pas davantage. 

Même les écrivains les plus imbus de germanisme 
avouent rattachement des Rhénans à la France. La 
rive gauche du Rhin, écrit Justus Hashagen, peu 
suspect de sentiments favorables pour nous, avait 
des sentiments entièrement français..... De jour en 
jour, les Rhénans se rapprochaient de la France '. 
Elle les avait grandement servis. Plus de ces in- 
capacités politiques et civiles qui résultaient des 
diverses confessions ; plus de droits féodaux^ de 
dîmes, de corvées, de privilèges en matière d'em- 
plois 1 Les citoyens sont égaux devant la loi ; il n'y 
a pas d'exemption en matière d^imp6ts ; la justice 
existe dans Tadministralion : ce sont là, pour des 
populations, habituées à l'arbitraire et à la faveur, 
des biens inestimables. 

Si le régime impérial a supprimé les libertés 
politiques, la France, à cet égard-là, n'était pas 
miens traitée. Et du moins, les Rhénans jouissaient 
d'un système électoral qu*ils n*av aient jamais connu 
et que la Prusse et 1 Autriche ne connaissaient 

l. Op. cit., p, 30-15. 



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LE RÉGIME NAPOLÉONIEN 129 

pas encore. Ces populations catholiques obtenaient 
même la liberté religieuse que la Révolution leur 
avait refusée. D'autre part, la prospérité est géné- 
rale et les intérêts matériels sont sauvegardés. 
Dans les villes qui sont sous-préfectures^ il J a des 
garnisons nombreuses, des fonctionnaires de toutes 
les branches de l'administration ; les commerçants 
font de gros profits. Des usines se fondent ou se dé- 
veloppent ; les ouvriers gagnent des salaires plus 
élevés. Dans les campagnes, la situation est encore 
meilleure, car la propriété, depuis la vente des biens 
nationaux, est beaucoup plus répandue. La terre, 
mieux cultivée, rapporte davantage. Les préfets, 
du reste, dans les quatre départements, par leur 
sage administration, favorisent ces tendances géné- 
rales. Plus de pillages par des bandes armées ; la 
tranquillité règne. 

Les instructions du gouvernement recommandent 
de traiter les Rhénans comme des citoyens français. 
Il est bon pour cela d'envoyer dans les départe- 
ments du Rhin des fonctionnaires qui connaissent 
la langue allemande et peuvent écouter les doléan- 
ces des habitants. La plus grande tolérance leur 
est recommandée. Il faut éviter les rigueurs et les 
vexations inutiles. On renvoie les fonctionnaires 
qui déplaisent aux indigènes ou commettent des 
malversations et Ton ouvre même largement les 
portes de Tadministration aux Rhénans. La plus 
grande partie des prêtres et nombre de magistrats 
sont issus de familles de la région. 

Nos mœurs y pénètrent. On rappelle que les 
Français et les Rhénans ont le même sang, la même 
origine que Rome, que nombre de villes ont des 
noms romains, que Gharlemagne a régné dans ces 
pays. Aussi les villes se francisent de plus en plus. 
Les noms des rues, les enseignes sont rédigés 



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130 LB RHIN ET LA FRANCE 

dans les deux langues, AiDsi se poursuit sans relâ- 
che cette fusioû complète des deux populations que 
désiraient tant et les révolutionnaires et Napoléon^ 
à tel point que, si le régime français avait duré, 
plusieurs générations de bourgeois auraient pris les 
manières françaises. Beaucoup de fonctionnaires 
s^établissent dans les provinces du Rhin, s^y ma- 
rient et des militaires épousent des Allemandes 1 
Ces mariages fréquents aident au rapprochement 
des deux peuples. 

L'admiration profonde des Rhénans pour Bona- 
parte^ et plus tard pour Napoléon, facilitera cette en- 
tente. Lors des plébiscites^ il n'y a presque pas d'op- 
Î)osants, Les victoires remportées sur la Prusse et 
^Autriche enthousiasment les populations. L'Em- 
[jereur organise du reste avec habileté, dans toute 
a région j le culte de sa personne, 11 a été oint par 
le Pape ; c'est Dieu qui Ta fait Empereur ; on lui 
doit obéissance, comme à Dieu lui-même. Sur des 
populations catbohques, ces arguments font grosse 
impression» 11 mérite sa popularité, car sa sollici- 
tude pour les Rhénans est très grande. Dans ses 
voyages, où il se montre avec complaisance aux po- 

fiulations éblouies, il a de longues conférences avec 
es préfets, pour connaître les besoins des popula- 
tions. Dès qu'on lui soumet des critiques, des dé- 
crets paraissent pour réaliser les améliorations sol- 
licitées. Partout dans ses voyages, il est salué, en 
allemand et en français, par des cris d'allégresse. 
Les conseils généraux célèbrent sa gloire, les maires 
et le clergé, en le recevant, le comparent à Charle- 
magne. Aucun souverain ne reçut de telles marques 
d^enthousiasme et d'idolâtrie '. 

1. Heine a laissé une description «nlhousLaste des fêtes don- 
uéei à Dûaseldorf, on Thonneur de l'Empereur, ïora de son 
voyage avec rimpéralrioe Mario-Louise (JïetseMiderj 1, 188-190), 



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LE RÉPIBIB NAPOLÉONIEN 131 

Comme preuve de l'état d^esprit des populations 
rhénanes, il faut dire que la conscription se fit même, 
en 1813, dans les conditions les plus satisfaisantes. 
L'excellent moral des populations résiste à la pro- 
pagande intense que l'Angleterre et TAutriche di- 
rig^ent contre nous. Toutefois, Napoléon doit la ré* 
primer, arrêter les libelles répandus en Allemagne 
avec For anglais. En Autriche, les mécontents se 
coupent, et le Tugendbund étend ses ramifications 
jusque dans les pays delà Confédération. Des écrits, 
propagés à foison, parlent des frères allemands, de 
runité de la race allemande. Napoléon ne peut ar- 
river à les saisir tous ; il enjoint aux princes de la 
Confédération, qu'il tient étroitement dans sa dé- 
pendance, de les arrêter, et fait interdire V Allema- 
gne^ de M"* de Staël, qui est un plaidoyer en fa- 
veur de l'unité allemande. Cependant les événe- 
ments vont se tourner contre les Français, après la 
déplorable campagne de Russie, que Napoléon a si 
malencontreusement engagée. 



Les revers. — Les traités de 1814 
et de 1 81 5. 

La conscription, à mesure que nos revers s'ac- 
centueront, sera de plus en plus lourde. Les der- 

et Goethe, de son côté, écrit : « Napoléon I voilà un homme ! 
toujours lumineux, toujours clair, décidé, possédant à tout ins- 
tant l'énergie d'exécuter immédiatement ce qu'il a reconnu 
avantageux ou nécessaire. Sa vie a été celle d'un demi-dieu... 
On peut dire que, pour lui, la lumière de l'esprit ne s'est pas 
éteinte un instant I Aussi sa destinée a-t-elle brillé d'une splen- 
deur que le monde n'avait pas vue avant lui et que, sans 
doute, il ne reverra plus. » 



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b^QoQgL^ 



132 LE RHIN ET LA FRANGE 

nières levées de 1813 et de 1814 rappelaient les 
mesures adoptées sous la Révolution, et dont les 
Impériaux eux-mêmes ne se privèrent pas. L'opinion 
commença à s'iaqniéLerj malgré toute la prudence et 
le tact dont les préfets faisaient preuve, La cons- 
cription réussissait ; les contingents partaient au 
completj mais les plaintes se faisaient plus nom- 
breuses. Toutefois, le moral se maintenait bon, parce 
que r Empereur venait de triompher à Lûtzen et à 
Bautzen. 

La Prusse était encore cordialement détestée. 
Mais elle manœuvrait avec ardeur contre nous. Na- 
poléon n'avait pas voulu la mater tout à fait ; il allait 
s'en repentir, car au fond du cœur de cbaqne Prus- 
sien dominait le désir de vengeance et la naine du 
nom français. Du reste, les revers commencent, La 
défaite de Leipzig va provoquer un € abattement 
général des esprits 3^, écrit Ladoucette au ministre 
de l'Intérieur* Mais la fidélité des Rhénans n'est 
pas ébranlée. Ils se signalent par leur dévouement 
à regard de nos blessés évacués sur la rive gau* 
che, et Kellermann demande à Jean Bon Saint-An- 
dré d*adresser des remerciements aux habitants de 
Majence, A Coblence également, dans les hôpitaux^ 
les blessés sont bien soignés, 11 j a, dans Er-» 
ckmann-Chatrian ^ des récits touchants des soins 
donnés à nos blessés par les populations. Une épi- 
démie de fièvre thjphoïde s'est déclarée, éprouvant 
lourdement nos armées en retraite, frappant bientôt 
le préfet Jean Bon Saint- André. À Spire, les habi- 
tants distribuent du bouillon dans les hôpitaux. Plu- 
sieurs villes : Bonn, Juhers, Neuss, WormSj Wesel, 
Clèves, Sarrebriickj Cologne, Coblence, Andernach, 
Aix-la-Chapelle, parmi beaucoup d'autres, se signa<^ 

1, m$toire d'un conscrit de iSiS^ Paris ^ in* 16*, p. 9 7-1 M. 



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LE RÉGIlfE KÂPOLÉONIBN 133 

lent par leur loyalisme et envoient des adresses à 
rimpératrice régente. 

Malgré la propagande prussienne, très intense 
contre nous, sur la rive droite, le moral se main- 
tenait encore bon. Certaines villes offraient spon- 
tanément des recrues pour combler nos pertes. 
Même lorsque les ennemis franchiront le Rhin, 
la population restera fidèle. « Les ennemis ont 
passé le Rhin, écrit le préfet de Rhin -et- Mo- 
selle , et demain nous célébrons l'anniversaire 
du couronnement et de la bataiHe d'Austerlitz. 
Cette cérémonie aura lieu avec plus d'éclat que 
jamais ^ ». 

Les événements allaient se précipiter ; aucune 
résistance n'était plus possible en Allemagne. 
Quand les Français durent évacuer Coblence, la 
population leur cria : « Au revoir ». Mais peu à 
peu les réquisitions devinrent difficiles, les maires 
montrèrent peu d'empressement, et les désertions 
augmentèrent. L'ennemi se précipitait derrière nos 
troupes ; dès que le Rhin fut franchi, l'administra- 
tion impériale s'écroula brusquement. Une admi- 
nistration provisoire, composée de commissaires 
Î prussiens et autrichiens, remplaça Tadministration 
rançaise. Du reste, la Prusse allait bientôt s'ins- 
taller sur le Rhin. 

Le traité de Paris était signé le 30 mai 1814. La 
Erance revenait à ses frontières de 1792, plus Avi- 
gnon, Montbéliard, Mulhouse, une partie de la Sa- 
voie. Elle abandonnait sans délai, non seulement 
les places fortes occupées par nos armées en Alle- 
magne, mais celles de l'Escaut, de la Meuse et du 

1. Arch. UAt, A F»- IV 1052. 



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i34 LE ftHIN ET LA FftAIiCG 

Rhin, Ît8 arstioaux avec 12.000 canons et un im- 
mense matériel de gaerre. Talleyrand renonçait un 
peu yite à un gage considérable. Les traités de 
Campo-Formio, Lunéville, Presbourg,Tilsitt, étaient 
annulés ; la France reculait d'un siècle et retrou- 
vait, devant une Europe triomphante, les limites 
du traité d'Utrecht. 

On le vit mieux lors des stipulations du Congrès 
de Vienne et des traités de 1815, qui aggravèrent 
la situation. Il fallait régler le sort des pays rhé- 
nans et des territoires (jue Napoléon avait occupée 
ou remaniés depuis qumze ans. La Prusse avait 
apporté au Coogrès de Paris un désir immodéré 
d agrandissements. La Hussie, comme TAutriche, 
les lui refusèrent en Pologne ; elle voulut les pren- 
dre en Saxe et réclama tout entier, ce royaume 
dont le roi serait transporté dans les pays rhénans. 
Tandis que l'Autriche, inquiète de voir la Prusse 
se rapprocher de ses frontières de Bohême, y était 
violemment hostile, T Angleterre préférait et deman- 
dait que la frontière du Rhin fût gardée fortement 
par la Prusse, plutôt que par un prince ami de la 
France. Tontes deux soutinrent dans son opposition 
Talleyrand, défenseur de la légitimité, et d'mie mai- 
son apparentée aux Bourbons, qui fît alliance avec 
elles et offrit à la Prusse un partage de la Saxe, La 
vraie solution pour la sécurité future de la France 
— et les événements Tout démontré pins tard — 
était d accepter le transfert du roi de Saxe sur le 
Rhin. Nous serions restés isolés de notre pire en- 
nemie, la Prusse ; un € Etat-tampon "p était placé 
entre elle et nous ; c'était la conception des traités 
de WestphaLte, 

La PrussCj séparée du Rhin par de petits Etats 
souverains, ne vit pas, sur le moment, le parti qu'elle 
pourrait tirer de ses nouvelles possessions ; elle 



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LE RÉGIME NAPOLÉONIEN 135 

n'accepta que sous la pression qui fut exercée sur 
elle par la France, TAutriche et TAngleterre. Elle 
préférait s'agrandir en Saxe, et c'est pour l'en dé- 
tourner qu'on lui donnait les provinces rhénanes. 
Elle reçut plus de territoire rhénan qu'elle n'en 
possédait jadis. Avec la France rhénane, avec la 
plus grande partie des électorats ecclésiastiques, 
€ on la constitua la gardienne de T Allemagne con- 
tre la France, par la possession de la plus belle par- 
tie du Rhin, par celle des places de Cologne, Co- 
blence, Wesel, vpar le droit de garnison dans 
Mayence > ^ Agrandie de la Westphalie, d'une par- 
tie de la- Saxe et de la Pologne, de la Poméranie, 
elle devint une grande puissance en Europe. Cas- 
telreagh, plénipotentiaire anglais à Vienne, qui se 
réjouissait de voir la Prusse installée sur le Rhin 
et entrer peut-être un jour en conflit avec la France, 
ne put s'empêcher de dire, révélant ainsi tout le 
fond de sa pensée ; « Quelle imprudence 1 La Prusse 
à Aix-la-Chapelle I Avant cent ans, elle sera à 
Anvers ». 11 appliquait même, disait-il, une idée de 
Pitt, notre vieil ennemi. Thiers, plus tard, dans 
son Histoire du Consulat et de V Empire^ a exprimé 
les mêmes critiques. « Ne valait-il pas mieux, dans 
notre intérêt, a-t-il écrit, que ce qui restait des 
Etats germaniques fût interposé entre nous et la 
Prusse pour nous épargner des chocs avec elle, 
qu'entre la Prusse et l'Autriche pour épargner des 
chocs à celle-ci ? Et la Saxe nous ayant abandonné 
sur le champ de bataille, l'Europe ayant dépouillé 
à notre égard tout esprit de modération, n'étions- 
nous pas autorisés, plus qu'en aucun autre temps, 
plus qu'en aucune occurrence, à songer à nous, 



1. Lavallée, Les Fronliéres de la Fr&néef Paris, Uetzel, 1866, 
p. 259. 



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136 LE BHIN ET LA FRANCE 

exclusivement à nous * ? » ÉThistoire lui a donné 
singulièrement raison. 

Les traités de 1816 aggravèrent encore, après la 
seconde abdication de Napoléon, la position de la 
France dans l'Est. Nous perdions Philippeville, 
Marienbcurg et les sources de TOise, Sarrelouis, 
Landau, Huningue, qui étaient si français de cœur. 
Ces places commandaient les trois vallées qui mè- 
nent sur Paris; elles avaient été fortifiées par Vau^ 
ban, qui avait vu là les « clés de notre maison »• 
Philippeville et Marienbourg gardaient le triangle 
entre Sambre et Meuse, dont Namur occupe le som- 
met. Ce triangle, garni par Landrecies, Maubeuge, 
Givet, défendait les sources de TOise. Aussi, Ten- 
nemi, en 1712 et 1793, avait mieux aimé aborder 
Tautre partie de la trouée, entre TEscaut et la Sam- 
bre. Désormais, Tinvasion pouvait arriver directe- 
ment dans la vallée de TOise et de là sur Paris. 
Sarrelouis commandait la route qui mène à la 
Marne. Louis XIV Tavait compris et avait fortifié 
cette ville. Appuyée à gauche sur Thion ville, à 
droite sur Bitche, ayant Metz en arrière, elle for- 
mait une barrière devant Tinvasion qui Tavait fran- 
chie avec une grande audace, en 1814 ; elle aurait pu 
déterminer la perte des Alliés, si Paris avait pu tenir 
davantage, car Napoléon reportait là le théâtre de 
la guerre. Sarrelouis donné à la Prusse, Metz se 
trouvait isolé de Strasbourg et la clé de la Marne 
lui appartenait. En nous enlevant Landau et Hunin- 
gue, on nous privait des deux places que Louis XIV 
avait tenu à acquérir dans le règlement de ses fron- 
tières. L'une s'oppose à Mayence, qui menace ce 
pays entre le Rhin et les Vosges; elle garde Stras- 

1. t. XVIII, p. 435-486. 



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LE RÉGIME NAPOLÉONIEN 137 

bourg et le Nord de FAlsace ; Tautre protège le Sud 
de la frontière rhénane, à la porte de Bâle, qui ouvre, 
«n ayant de la trouée de Belfort, la vallée de TIll 
et le chemin de Strasbourg, et par là la grande 
route de Paris par la Seine. 

La frontière française était ainsi livrée à la 
Prusse, solidement installée en pays rhénan : € Ces 
brèches, faites à notre frontière par le traité de 1815, 
écrit M. Lavallée, presque insignifiantes en appa- 
rence, étaient faites avec un art profond, avec une 
Earfaite connaissance de la géographie militaire de 
i France, dans un but d'avenir * ». Les événements 
de 1870 et de 1914 ont montré que l'auteur de ces 
lignes prophétiques avait vu juste 1 

1. Op. ci/., p. 284. 



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CHAPITRE X 

LES SURVIVANCES FRANÇAISES 
ET LA GRANDEUR DE LA PRUSSE 



La propagande prussienne en Rhénanie 
après 1 81 5. — L'opinion publique: 



Nous venons d'étudier plusieurs années d'occu- 
pation française en pays rhénans* Un exposé impar- 
tial des faits nous a montré quels en avaient été 
lefi heureux résultats- La France, obligée par la dé- 
faite de quitter les bords du Rhin, n'y laissait que 
des regrets : les documents sont là qui le prouvent. 
Jamais elle n'avait atteint^ comme sous rEmpire» 
une telle extension de territoire. Jamais elle n'avait 
été aussi puissante et jamais son action en Rhéna- 
nie n'avait été aussi profonde. Cette action se con- 
tinua dans tous les domaines. Ceux qui luttèrent 
contre son influenoCj contre les réformes qu'elle 
avait inspirées dans sa grande Révolution, firent 
œuvre vaine. Les forces nationales, comme les prin- 
cipes de liberté et d'égalité qu'elle avait répandus 
dans le monde, subsistèrent ; nulle part, ils ne tu- 
rent aussi vivaces qu'en Rhénanie, 



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LES SURVIVANCES FRANÇAISES 139 

La monarchie, par son habile politique^ avait len-* 
tement préparé cette prise de possession, qu'avaient 
accomplie les Conventionnels, et dont les traces 
demeuraient. Aussi ces Etats, qui toujours avaient 
été indépendants^ et qui n'avaient été rattaôhés à 
TEmpire que par un lien très ténu, sous le gouver- 
nement de princes débiles, s'exaspérèrent quand 
ils jFurent brusquement annexés à la Prusse. Leur 
opposition fat résolue et violente tant qu'il seurent 
Tespoir d'obtenir notre concours. Elle devait finale- 
ment s'atténuer et même disparaître sous la pres- 
sion brutale de la botte prussienne. 

Ces territoires, si unitaires, furent partagés en 
morceaux entre la Prusse, qui eut le plus ^and 
avec la province rhénane^ la Bavière, qui obtint le 
Palatinat, la Hesse-Darmstadt, qui fut à cheval suc 
le fleuve. Le reste de TAUemagne formait une Con- 
fédération présidée par PAutriche, et comprenant 
trente-quatre princes souverains et quarante-huit 
villes libres. Afin de se concilier les bonnes grâces 
des annexés et de les nationaliser peu à peu, le code 
Napoléon fut maintenu dans ces territoires, sauf en 
Westphalie, ainsi que Torganisation municipale. La 
langue française devait y être respectée, et même 
Frédéric-Guillaume III promit une constitution et 
xme réorganisation des Etats provinciaux. La Prusse 
encouragea, dans cette contrée, l'immigration des 
habitants de ses autres possessions. Elle inonda le 
pays de ses fonctionnaires, qui devaient faire une 

{propagande inlassable pour la cause prussienne. A 
'université de Bonn, par exemple, il y eut très peu 
de professeurs rhénans. La Prusse était trop habile 
pour ne pas chercher à développer renseignement, 
qui est un moyen pidssant de façonner les jeunes 
cerveaux. La science devait servir, dans la nou- 



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liO LE RHIN ET LA FRANGE 

velle université, aux buta que voulait atteindre la 
Prusse, Les mariages entre Rhénans et Prussiens 
furent fortement encouragés. C'est la première 
fois que Ton commença à parler du Rhin, fleuve 
allemand^ et qu'une littérature surgi tj tel le livre 
de Arndt, écrit en faveur du « Rhin fleuve de TAl- 
lemagne et non pas frontière de T Allemagne >. 
La Prusse chercha aussi à flatter les idées catholi- 
ques dans des villes protestantes pour se faire des 
adeptes. 

Mais son œuvre était toute factice ; elle n'avait 
point réussi à gagner les cœurs. L'opinion publique 
ne pouvait se résigner au nouvel ordre de choses. 
11 faut dire que, par des votes solennels, les Rhé- 
nans s'étaient donnés à la France. On venait les 
arracher à elle et les soustraire à une administra- 
tion beaucoup plus tolérante et libérale, alors que 
la Prusse, pendant les quelques mois qu'elle avait 
occupé ces pays, lors des défaites françaises, avait 
laissé une impression fâcheuse. On considéra donc 
le nouveau régime comme essentiellement provi- 
soire, car les Prussiens étaient détestés. Beaucoup 
croyaient que Napoléon allait revenir ; pour d'au- 
tres, une révision des traités de 1815 était certaine : 
4C La France rhénane communiait de cœur et d'es- 
prit avec l'ancienne France et son originalité ger- 
manique formait un contraste peut-être moins 
heurté que l'originalité bretonne, basque, langue- 
docienne ou flamande ^ » 

Pendant la première partie du siècle, ainsi que 
le démontre M. Julien Rovère dans son beau livre 
sur les Survivances françaises dans r Allemagne 
napoléonienne *, ces sentiments ne se démentiront 



1. £. Babelon, op. cit., t. II, p. 434. 

2. Un vol. in-8% Paris, Alcan, 1918, p. 32 et suiv. 



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LES SURVIVANCES FRANÇAISES 141 

pas. Le conseiller de gouvernement Schw^erz, en 
Î816, le ministre Altenstein, en 1817, Genz, en 1818, 
le général Rochuà von Rochow, en 1830, Venedey, 
en 1840 *, Karl Schurz *, Sybel lui-même, avouent 
l'antipathie des Rhénans pour la Prusse et leur at- 
tachement à la France. Ces manifestations sont 
sjmptomatiques, bien qull y ait des tendances con- 
traires et que l'influence prussienne l'emporte de 
plus en plus^ par suite de notre abstention. Les 
tlhénans exposèrent leur mécontement dans des 
placets. Gôrres, devenu directeur général de l'en- 
seignement, recueillit 5.000 signatures pour une 
pétition qu'il remit à Hardenberg, tandis que son 
journal, le Merkur^ menait campagne, deman-» 
dant l'accomplissement despromesses de 1^15. In- 

Siiiété pour son opposition, il dut se réfugier en 
rance. 

Ei'antipathie était très grande pour l'armée prus- 
sienne, dont on se rappelait les réquisitions brutales. 
Celle-ci était aussi impopulaire sur la rive gauche 
que sur la rive droite. Les fonctionnaires prussiens, 
qui étaient raides avec les populations et voulaient 
leur imposer une discipline toute militaire, étaient 
méprisés. Les places, du reste, étaient réservées 
aux immigrés dans les postes importants, et pour 
occuper les postes subalternes il fallait avoir accom- 
pli douze années de service dans Tarmée. Or les 
Rhénans, qui se ressentaient de leur origine gallo- 
romaine, étaient frondeurs, entêtés, peu enclins à 
obéir. Leurs instincts démocratiques, issus de la 
culture gréco-latine, s'opposaient aux tendances 
féodales et aux idées rétrogrades de la Prusse. De 



1. Venedey, la France, VAUemagne et le» provinces rhé" 
ânes, 1 vol. Paris, 1840. 

2. Lebenserinnerungen, Berlin, 1906 ; t. 1, p. 73. 



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142 LE RHIN ET LA FRANCE 

lourds impôts, plus 1 ourds que du temps de Tad- 
ministration française, pour payer de coûteuses for- 
teresses, toute rorganisation militaire, et une admi^ 
oistration encombrante et surchargée, n'étaient 
pas faits pour acquérir des sympathies au régime 

Ï prussien. Aussi Victor Hugo, jugeant, en 1840, 
'œuvre des traités de Vienne, disait : « Jamais 
opération chirurgicale ne s'est faite plus à Taven- 
ture. On s'est hâté d'amputer la France, de muti- 
ler les populations rhénanes, d'en extirper l'esprit 
français. On a violemment arraché des morceaux 
de Tempire de Napoléon.,, On n'a posé aucun ap- 
pareil, on n'a fait aucune ligature. Ce qui saignait, 
il j a vingt-cinq ans, saigne encore \ ^ 

C'est toujours Tinfluence française qui, par le 
code, se maintient dans ces contrées ; aussi le gou- 
vernement voulut-il procéder à des changements, 
en appliquant, à partir de 1828, le droit prussien- 
Mais quels que fussent les désirs de la Prusse d'in- 
troduire sa législation, les résistances, à plusieurs 
époques^ furent extrêmement vives. 

La Prusse se montra également très hostile aux 
catholiques dans les pays rhénans. La population y 
était presque exclusivement catholique ; elle avait, 
comme ligne de démarcation, la séparant des po- 

Eulations protestantes, celle même du limes romain, 
iCs catholiques rhénans étaient en relations avec 
les catholiques militants de France et détestaient 
les Hohenzollern. La Prusse, en effet, ne se fit pas 
faute de les vexer ou de les persécuter ; elle voulait 
anéantir le catholicisme dans le Rheinland. L'anti- 
pathie et les rancunes du peuple ne connurent plus 
ae bornes. Ces sentiments bénéficiaient à Tinfluence 
française, et Heine a pu écrire que les catholiques 

l, Victor Hugo, U Rhin, î vol. Paris^ 183^^ t. H, p, 576. 



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LBS SURYIVANCBS frauçaisbs 143 

étaient amis de la France et lui abandonneraient 
la rive gauche du Rhin, s'ils avaient le pouvoir. En 
somme, la Prusse échouait totalement dans son 
œuvre d'assimilation et la France restait toujours^ 
aux yeux des Rhénans, la grande nation libérale, 
foyer ardent de civilisation. 

Son prestige, celui des guerres libératrices, des 
triomphes splendides de la Révolution et de TEm- 
pire, ne s'était pas effacé ; on le retrouve toujours 
aussi vivant, pendant la première moitié du xix* siè- 
cle, dans ces contrées qui supportent impatiemment 
le joug de leurs nouveaux maîtres. C'est la Révo- 
lution française qui avait anéanti les privilèges ex- 
cessifs et abhorrés. C'est grâce à la France que 
l'Allemagne avait obtenu l'unité politique, l'unité 
des poids et mesures. C'est elle qui avait apporté 
Fégalité civile, la liberté individuelle, la reconnais- 
sance des divers cultes, la libetté de la presse et la 
liberté de réunion. C'est Napoléon qui avait déve- 
loppé le commerce et l'agriculture, créé l'industrie, 
organisé l'administration municipale, qui subsistait 
encore, un système d'impôts, qui devait lui sur- 
vivre, un code respectueux de la liberté de chacun, 
créateur de la petite propriété par son régime suc- 
cessoral. C'est la France qui a doté l'Allemagne de 
Sostes, de douanes, de routes, de voies ferrées, 
e banques ; c'est grâce à elle que les pays rhénans 
eurent des chambres de commerce, des hôpitaux, 
les gymnases qui sont les lycées napoléoniens, 
les musées et les collections d'antiquité. Le jour- 
nal moderne date, là comme en France, de la 
fondation de la presse (1836). La régénération 
industrielle fut le prolongement de celle qui se 
produisit en France, sous l'Empire et la Restaura- 
tion. Ce sont des Français qui fondèrent les 



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14i Ï.E RHIN ET LA FBAKCB 

usines du bassin de la Sarre, les usines d'Aix4a- 
Chapelle, les métiers pour le tissage du Im et de la 
laine^ les presses rotatives, qui fabriquèrent des 
machines électro-dynamiques et des couleurs arti- 
ficielles (découvertes d*Ampère et de Béchany ), qui 
découvrirent Temploi de Tacier fondu au creuset 
{découverte de Lucas et de Clouet), et du marteau- 
pilon à vapeur (découverte de Bourdon du Creu- 
set), On pourrait multiplier les exemples. Aussi 
a-t-on pu dire, à juste titre, que la science allemande 
« avait des racines françaises ' ». 

L'organisation française était donc respectée et 
admirée dans la Hesse, dans le Palatinat, dans tous 
les pays du Rhin, et l'on faisait remonter son mérite 
à Napoléon^ dont le culte se maintenait tou- 
jours vivant, dont oa voyait les poctraitSj les 
effigies sur les objets les plus usuels^ comme pour 
propager une tradition respectée. Les vétérans alle- 
mands de la grande armée sont fiers d^'avoîr servi 
sous les ordres du plus grand général de Thistoire 
et, jusqu'en Bavière et dans TAllemagne du Sud, 
transmettent leur admiration à leur postérité* 
Une littérature abondante suffirait à rentrctenir, 
s'il en était besoin. Les mémoires de Lases-Cases, 
MontholoUj Antommarchi, Ségur, les poèmes de 
Béranger, Victor Hugo, Quinet, Delavigne, sont 
maintes fois traduits en allemand. Il y a même 
toute une littérature sur ses généraux, sa famille, 
son fils» le duc de Reichstadt, Puis des journaux 
allemands, à tendance napoléonieonej les écrits des 
combattants des armées impériales, les œuvres 

1. EeyDaud} op. cii,, p. 466. V. fiassl Les Allemands et Ia 
SciencA^ par Je profeageur Petit, 1 vol. in-16, Paris, 191S. * Nous 
conserverons tonjoui^s le mérite d'avoir été dans le domamo 
scientifique coitimç dans tant d'autres dea iDitiateurs, » (Pré- 
face dû M. Paul Deschaneii p. xv.) 



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LES SURVIVANCES FRANÇAISES 146 

d'historiens ou de romanciers, les poèmes inspirés 
de la France, paraissent en Allemagne et célèbrent 
les haut faits du grand homme. 



II 



L'opinion publique en France et dans les 
pays rhénans, après 1815 et en 1830- 
La rive gauche du Rhin. 

En France, les libéraux étaient restés fidèles à 
leur idéal politique : obtenir la rive gauche du 
Rhin, en revisant les traités de Vienne. Ils com- 
battaient la Restauration, au nom de ces idées 
mêmes, et Ton commençait à apercevoir quelle 
erreur avait été commise le jour où Ton avait ins- 
tallé la Prusse sur le Rhin, d'où il serait si diffi- 
cile de la déloger. Même les royalistes les plus 
ardents ne cachent pas leur désirs. Chateaubriand, 
étant au pouvoir, s'étonne « que la France s'obs- 
tine à demeurer telle que Waterloo Ta faite » ; il 
ne dissimule par ses « espérances ». Dans un mé- 
moire au Roi, il déclare, à la fin de la Restaura- 
tion, « que tôt ou tard la France doit poser ses 
frontières, tant pour son honneur que pour sa 
sûreté... » On peut arriver en quelques heures de 
marche à Paris parce qu'il est trop près de la fron- 
tière. « La capitale de la France ne sera. à l'abri 
Ïue quand nous posséderons la rive gauche du 
ihin. » Et le général Sebastiani disait, en 1829, à 
lord Palmerston : « Savez-vous le moyen pour 
l'Angleterre d'acquérir l'amitié des Français? la 
rive gauche du Rhin. » Mais le gouvernement de 

10 



. D. i 3itJ"ihïï*iTin^QK 



146 LE BHTN ET LA FRANCE 

Charles X songeait j à la veille de sa chute, à des 
agrandissements de la France en Belgique, non 
dans les provinces rhénanes^ car « TAllemagne 
sentirait sa liberté et son indépendance menacées ». 

L'opposition ne pardonnait pas à Charles X et 
à ses conseillers timorés d'être le roi de la #t moin- 
dre France -^^ et la Révolution de 18H0 se fit contre 
rœuvre de 1813, Le 31 juillet 1830, Godefroy 
CayaigQao et ses amis disaient au duo d'QrléaQ» ; 
€ En supposant que vous deveniez roi, quelle est 
votre opinion sur les traités de 1815 ? Ce n'est 
pas une révolution libérale, prenez garde, que celle 
qui s*est faite dans la rue, c'est une révolution 
nationale. La vue du drapeau tricolore, voilà ce 
qui a soulevé le peuple. Et il serait certainement 
plus facile de pousser Paris vers le Rhin que sur 
Saint-Cloud. » Le programme des révolutionnaires, 
soumis à Guizot, est de « marcher hardiment vers 
le Rhin, d'j porter la frontière ». Or, à peine Louis- 
Philippe est-il sur le trône, que le nouveau gouver- 
nement, pour s'attirer les bonnes grâces des autres 
cours, s'empresse de reconnaître les traités de 1815. 

La Fayette disait, le 15 août 1831 : « La France 
pouvait faire une guerre de principe, ou en d'autres 
termes, de propagande ; elle ne Ta pas voulu. 
Elle pouvait faire une guerre d'ambition, chercher 
à recouvrer ces millions d'âmes dont la Sainte- 
Alliance avait disposé saçts leur aveu ; elle ne Pa 
pas voulu non plus. » Les libéraux et les républi- 
cains protestaient dans le National. Armand Carrel 
écrivait, le 2 février 1831 : « Géographiquement, 
il ne s'est rien passé, depuis César, qui ait empêché 
le Rhin de couler entre le pays des Gaules et le 
pays des AUemagnes. C'est toujours la même divi- 
sion naturelle. » Le 11 janvier 1831, le chef de 
Popposition, le général Lamarque, disait égale- 



/ 



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LES SURVIVANCES FRANÇAISES 14^7 

ipent : <; C'est ainsi qu'on nous imposa cette paix 
oui mutilait notre territoire, qui nous déshéritait 
de nos places fortes et ouvrait les avenues de notre 
capitale ; cette paix honteuse que, en présence des 
princes qui l'avaient signée, et bra^vant leur cour- 
roux, j*psai appeler une halte dans la € boue » »• 
Mais le gouvernement résiste à la poussée de l'opi- 
nion publique ; il craint d'irriter l'Europe ; il se fait 
timide. Louis Blanc lui reprochera plus tard amè- 
rement d'avoir, par souci des intérêts matériels, 
compromis, dans une politique pusillanime, la sécu- 
rité de la France. « Une politique pacifiste n'est 
point nécessairement une politique de paix. Pour 
ffarder la paix, il eût fallu rendre à la France la 
Frontière tutélaire dont elle fu^, par la violence, 
dépouillée, et que la France a tant de raison 
d'abhorrer et qu'elle abhorre \ » 

On imposait à la France, malgré elle, la rési- 
gnation, et les pouvoirs publics ne faisaient rien 
pour entretenir, au delà di^ Rhin, les sentiments 

3ui nous étaient favorables. Ceux-ci n'avaient pas 
iminué ; notre souvenir y était aussi vivace, après 
1830, que dans les années précédentes. Victor Hugo, 
en visitaat ce^ contrées, en 1838, avant d'écrire 
son draine des BurgraveSy dira : « Parcourez la 
rive gauche du Rhin, partout vous trouverez Napo- 
léon et Austerlitz, protestation muette ». Rêvant 
deyant le tombeau de Hoche, il écrit qu'il croit 
4C epten4re sortir de cet amas de pierres une voix 
qui disait : il faut que la France reprenne le Rhin *. 
En pays rhénans, ceux qui sont attachés à la 
France sont libéraux, hostiles aux procédés réac- 
tionnaires de la Prusse et de l'Autriche et comp- 



1. Lettre au Temps j 2 juin 1866. 
i. Le I^hin, T. I, p. 291, 



. rij ii^O^gl^— 



148 LE RHIN ET LA FRANCE 

teût beaucoup sur notre mouvement révolution- 
naire de 1830, pour se libérer de Toppression dont 
ils souffrent. Ils tendent les bras vers nous et la 
déception est grande devoir que nous ne répondons 
pas à leur appel. Les Rhénans, précisément, dési- 
rent tout ce que les Français conquièrent ou main- 
tiennent en 1830 : la liberté de la presse, la li- 
berté de réunion, les institutions représentatives. 
Us pensent que nous allons leur prêter notre 
concours. Notre Révolution provoque donc une 
explosion du sentiment français. Les journaux, 
les devantures des librairies sont remplis du sou- 
venir des « Trois glorieuses », En Westphalie, 
même k Hambourg, où flottera le drapeau tricolore 
et retentira la Marseillaise^ même en Haonvre, en 
Brunswick, à Francfort, les mouvements libéraux 
veulent changer Tordre de choses établi. A Franc- 
fort, c'est le plus grand enthousiasme, Dn reste, 
dans tous les Etats du Sud de TÂlIemagne, la 
Prusse était détestée. Un grand mouvement se des- 
sine, entretenu par les Denise h franzâsen, les Fran- 
çais d'Allemagne, demandant lunion des Etats cons- 
titutionnels du Sud, opposés à l'Autriche et à la 
Prusse , grâce à une alliance avec la France, et la re- 
constitution de Tancienne Confédération du Rhin ^ 
Dans les anciens départements rhénans, Tagita- 
tion est encore plus grande en notre faveur. Les 
populations j sont purement annexées, ne jouissent 
d'aucune autonomie et ne comptent que surla France 
pour être délivrées. L'heure de la libération semble 
avoir sonné pour elles. Edgar Quiuel déclare 
(août 1830) qu^à l'annonce delà Révolution « tout 
le monde est enivré de joie, le peuple des bords 
du Rhin n'attend qu un signal pour se réunir à la 

1* V, LindiieT% Considérations poliiltines sur l*ét%i ^ctael 
de l' Allemagne (trad, franc.) 1 vol, Paris- ISïi, p. 267. 



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LBS SURVIVANCES FftANÇAIMSS 149 

France ». En Hesse, dans le Palatinat, la fermen- 
tation est très grande, aggravée encore par les me- 
sures brutales de la Prusse, qui envoie des troupes 
et réprime durement le mouvement libéral. Les 
journaux travaillent l'opinion publique et écrivent 
des articles en notre faveur : « Je passai le Rhin, 
le 1«" mai 1831, dit Henri Heine, je n'aperçus 
pas le Pieu du fleuve, le vieux père Rhin, et je me 
contentai de lui jeter ma carte de visite dans Teau. 
On me raconta qu'il était assis dans les profondeurs 
et qu^il étudiait de nouveau la grammaire française 
de Meidinger ; il avait beaucoup désappris le fran- 
çais, pendant la domination prussienne, et il voulait, 
en se renoettant au travail, se préparer à toutes les 
éventualités. 11 me sembla que je Ten tendais con- 
juguer : j'aime, tu aimes ^ il aime ^ nous aimons... 
Qu'aime- t-il ? en tous cas, pas les Prussiens. > 

Mais deux ans se passent, sans intervention de la 
France, et les Rhénans commencent à comprendre, 
devant le silence voulu du monde ofQciel français, 
que le salut ne leur viendra pas de Paris, qu'ils ne 
doivent compter que sur eux-mêmes ou s'anandon- 
ner aux mains de leurs vainqueurs. Le sentiment 
d'unité, que les récents bouleversements de l'Alle- 
magne et les guerres napoléoniennes ont fait naitre, 
se développe de plus en plus. Une Allemagne morce- 
lée est ime Allemagne séparatiste. La suppression 
des petites principautés, en déterminant une con- 
centration plus grande des territoires, a facilité 
l'union. La Prusse, en 181 3, contre Napoléon vaincu, 
a précipité le mouvement. Elle a compris ce besoin 
d'union et va l'exploiter. C'est par la création d'une 
association douanière entre les divers Etats, qui 

Î groupe et sert des intérêts, qu'elle va préparer 
'union politioue. De 1819 à 1828, les premières 
négociations du Zollverein englobent les petites 



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150 LE RHIN ET LA FRANCE 

prîïicipaulés souveraines qui vivent sur son terri- 
toire. Le grand duché de Hesse adhère^ en iHiS, 
au Zollverein prussien, tandis que la Saxe^ le 
Wurtemberg j Bade, forment des unions à part. En 
1842j le Zollverein prussien reçoit Tadhésion de 
presque toute rAUemagne, sauf le Hanovre, le 
Mecklembourg et les villes hanséatiques. En 
France, certains s'alarment, et Metternich s^écrie : 
€ C'est le mouvement le plus considérable du siè- 
cle >p Les pays rhénans sont entraînés dans ce mou- 
vement qui sert leurs transactions économiques. 
Ils perdent peu à peu le sentiment de leur indépen- 
dance, de leur vie propre. L'intérêt les pousse vers la 
Prusse, vers F Allemagne unitaire. Parmi les nou- 
velles générations qui voient que la France les dé- 
laisse, des défections vont certainement se produire ; 
la propagande prussienne en fera son profit. Et 
cependant le joug de la Prusse est de plus en plus 
lourd, car des troupes ont occupé les pays rhénans 
pour résister à la poussée anti-prussienne. Que les 
Français viennent abattre cette réaction étouffante^ 
et les Rhénans, comme les Allemands du Sud, les 
accueilleront en libérateurs I Mais les Français, de 
plus en plus, s écartent du Rhin et il ne semble 
guère que désormais les choses puissent se modifier. 



III 

La Révolution de 1848. 
Sélection de Louis- Napoléon. ^ 

Voici cependant qu'une deuxième révolution éclate 
à Paris, en 1848, Son contre-coup est formidable en 
Allemagne et les sentiments d'indépendance se dé- 



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LBà SURVIVANCES FRANÇAISES 151 

chàineût éàns la plus grande exhubéi^nce. Cette 
Révolution est à la fois nationale et Ubérale. Les 
uns aspirent à Funité, en resserrant les liens qui 
e^dstent déjà entre les diverses parties de la Confé- 
dération ; d autres veulent principalement soustraire 
le peuple au joug des princes. Nulle part cette der- 
nière tendance n'est plus forte que dans les pays 
rhénaûs, où Ton désire être délivré de la tyrannie 
prussienne. Là, on est libéral avant d'être allematid^ 
mais évidemment on se rallierait à un Empire ou 
à une République, si Ton savait ainsi jouir des fran- 
chises civiles. 

Dès que se répandent les nouvelles de Paris, la 
{^évolution est soudaine à Mannheim, dans le Bade, 
à Stuttgart, en Hesse,dans le Nassau, en Wurtem- 
berg, en Saxe, en Bavière, à Berlin. Mais le roi de 
Prusse triomphe àé la révolution, à Berlin, le 12 no- 
vembre, et les émeutes très violentes de Francfort, 
du Palatinat, de Bade, sont écrasées par les Prus- 
siens. Il en est ainsi dans les pays rhénans, où des 
troubles ont éclaté à Aix-la-Chapelle, à Trêves, à 
Bonn, à Dûsseldorf, dans la Ruhr (mars 1848). Les 
mécontents groupent même une petite armée de 
30.000 hommes, qui se transporte a Bade et dans te 
Palatinat, tandis que Mayence arme quelques corii- 
pagnies de Hessois, qui ne vivent que quelques jours. 

Certes, dans de telles conjonctures, on ne peut 
nier que le vif désir des démocrates fût de voir la 
France intervenir. Jusqu'au dernier moment, on se 
berce de Tespoir qu'elle mettra fin à la domination 
prussienne. Partout, c'est au chant de la Marseil^ 
laise que le mouvement se propage. Dans plu- 
sieurs villes en révolte, les révolutionnaires soiit en 
contact étroit avec Ledru-Rollin et ses amis de 
Paris. A Mayence, la Mainzer Zeitttng^ qui multi- 
plie ses attaques èontre le prince « mitrafllô », le 



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152 LE RHIN ET LA FRANCE 

futur Guillaume 1*", écrit le 4 mai : < Dans la val- 
lée du Rhin^ Taversion pour la France disparaît de 
jour en jour, en même temps que s'évanouit la 
confiance en T Allemagne )>, La eîrculaire de La- 
martine aux agents diplomatiques à Tétran^er, du 
2 marâ 1848, disant que < la République française 
n^intentera la guerre à personne >, causera donc 
une profonde déception dans les milieux libéraux ; 
ils interprètent défavorablement la sagesse de cette 
déclaration. Tout espoir d'intervention diminue de 
plus en plus. Qui peut arrêter désormais les en- 
vahissements de la Prusse ? 

Après les mouvements révolutionnaires de 1848, 
la Prusse et TAutriche entrent en lutte et Ton peut 
prévoir qu'une guerre est fatale entre ces deux puis- 
sances, puisque chacune d'elles prétend à la domina- 
tion de r Aile magne. Celle-ci évolue de plus en plus 
vers la forme uni taire • Sera-ce la Prusse ou sera- 
ce 1* Au triche qui réalisera cette unité ? Au lende- 
main de Télection de Louis-Napoléon à la présidencèj 
r Allemagne retentit de leur querelle ; la Prusse 
vient de subir Thumiliation d'Olmûtz. Napoléon, 
devenu Empereur, connaîtra cette rivalité ; son 
esprit indécis et sa politique idéaliste ne sauront 
pas en tirer profit. En l'exploitant habilement, il 

' pouvait acquérir, soit par des menaces à la Prusse, 
soit par une entente militaire décisive avec T Au- 
triche, des avantages sur le Rhin, Il se perdit en 
tractations dues, pour une grande part, à de fu- 
nestes conseillers, alors que l'heure pressait, que 
Bismarck surveillait tous ses gestes et qu'il fallait 
agir avec fermeté. 

Désira-t-il vraiment donner à la France la rive 

^ gauche du Rhin ? On Taccusa vite^ en France et en 
Europe, de reprendre les visées de Napoléon I*", Il 



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LES SURVIVANCES FRANÇAISES 153 

s'empressa de faire démentir à Berlin, par Persi- 
-^ny, dès son élection à la Présidence, les bruits 
qui couraient. 11 faut cependant remarquer que son 
élection, que le succès de son coup d'Etat, étaient 
dus au violent désir de reviser les traités de 1815 ; 
beaucoup, en acclamant le second Empire, pensaient 
qu'il nous rendrait le Rhin. Quels sont, en réalité, 
les projets du nouvel Empereur ? En a-t-il jamais 
eu de très nets ? Pour juger sa politique, faite de 
contradictions, toutes les hypothèses sont permi- 
ses. On a lieu toutefois de supposer qu'il voulait 
faire restituer à la France la frontière rhénane, qui 
était de tradition républicaine et napoléonienne. 
Mais ses actes officiels, comme nous allons le voir, 
ne furent point conformes à ses intentions. 

La Prusse vit son élection, puis son arrivée au 
trône d'un mauvais œil. Elle protesta contre ce 
qu'elle appelait la violation par la France des trai- 
tés de 1815 ; elle crut au danger. Pour y parer, elle 
intensifia sa propagande en pays rhénans, avec ses 
journaux, ses écoles^ ses fonctionnaires et ses com- 
merçants, qui envahirent le pays et s'y installèrent 
à demeure, afin de réaliser son œuvre d^assimilation. 
Mais sa politique absolutiste irrite toujours les 
populations rhénanes. Elle reste un Etat presque 
féodal^où les grandes places de l'administration et 
de Tarmée sont aux mains d'une aristocratie puis- 
sante, qui jouit des prérogatives juridiques de Tan- 
cienne noblesse, d'un droit de police sur ses terres. 
La liberté de la presse n'existe pas^ et Bismarck, 
en 1863, édictera de nouvelles mesures contre les 

i'ournaux. Les Rhénans n'ont aucun contrôle sur 
es dépenses qu'ils doivent payer avec de lourds im- 
pôts, et les charges militaires, qui les motivent, 
sont de plus en plus pesantes. La guerre religieuse 
les exaspère ; les pasteurs, en chaire, attaquent leur 



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154 LE RQIR ET LA FHAI^CE 

religion ; d'autre part, presque tous les postes ad- 
ministratifs sont aux maios de fonctionnaires lu- 
thériens* G^est en haine de la Prusse que les sen- 
timents des masses se manifestent en faveur de la 
France, qui passe pour le pays le plus puissant et 
le plus riche. On n oublie pas que, grâce aux Fran- 
çais, la Rhénanie s'est développée et a participé 
au mouvement de richesse générale qui a suivi les 
ferres de la Révolution. Le retour des Français 
accroîtrait encore le bien - être* Notre ministre à 
Francfort écrit, en 186ÎS : < Dans les provinces du 
Rhin, on est Français ou Autrichien, on est catho- 
lique ou protestant, démocrate ou conservateur ; 
on est tout, excepté Prussien, » 

Du reste, Napoléon lll, à son avènement, jouit 
d'un immense prestige sur le Rhin . Pour les Deulsch- 
franzôsen, il est le souverain, héritier d^un nom glo- 
rieux, capable d'infliger aux Prussiens une défaite 
aussi humiliante que le grand Napoléon ; il libérera 
les Rhénans d'un véritable esclavage et les ratta- 
chera à la patrie, dont ils n'auraient pas dû être sé- 
parés. Un long fréraissement secoue l'Allemagne 
française, à son avènement au trône. Des miliiers de 
lettres d'Allemands, qui lui ont été adressées aux 
Tuileries, publiées par M. H. Welschinger *, des at- 
ticles, livres, brochures, parus en Allemagne, font 
à Tenvi son éloge et célèbrent sa gloire, car il ap- 
paraît alors comïne le plus grand lâouverain d'Eu- 
rope. Il est personnellement populaire, en dehors 
du nom illuâtre qu'il porte. Il parle couramment 
l'allemand ; il est en relations de camaraderie avec 
beaucoup d'Allemands. On lui reconnaît lès plus 
grandes qualités. -Son air mystérieux et inspiré, 
son œil mélancolique, sa physionomie douce, frap- 

1. La mendicité àU9mande àux TuHerieê (1862-1870)» Revue 
dei DeuX'Mondei, V juin 1916. 



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J 



LES SURYIVANCBS FRANÇAISES l55 

peôt et attachent. Il semble le champion des 
idées libérales en Europe, le seul qui puisse déli- 
vrer 1* Allemagne des vestiges de la féodalité, qui pè- 
sent sur elle. Peu h peu son prestige augmente. Il 
va triompher de TAutriche absolutiste et donner 
l'indépendance à l'Italie. Son Empire est prospère ; 
il a favorisé Tagriculture, développé l'activité in- 
dustrielle ; TAUemagne encore pauvre a tout inté- 
rêt à collaborer avec lui. C'est ainsi que les avan- 
tages du régime napoléonien sont vantés dans les 
pays du Rhin, dans TAUemagne du Sud, et nous 
conservent de puissantes sympathies. 

Lors de ses voyages en Allemagne, Napoléon 
sera fêté comme nul souverain ne Ta encore été ; lés- 
journaux de Tépoque en font foi. A Bade, au milieu 
d'une ville pavoisée, il est reçu par le Grand-Duc, 
qui lui montre une compagnie de sa garde ; elle. a 
conservé son drapeau des guerres de l'Empire. À 
Rastadt^ à Carlsruhe, à Stuttgart, Taccueil est 
encore plus cordial : la foule en délire se presse 
sur son passage et crie € Vive l'Empereur » 1 En 
1860, il se rend de nouveau à Bade. Les popula- 
tions Tacclament, la réception est admirable, les 
souveraûis allemands viennent lui faire Cortège. 



IV 

Les «entimentB des Rhénmie et «tee Aile- 
ifitfnde du aud. — Là {guerre dô 1S70 et 
des #urteè. 

Il est certain que les Etats du Sud, tout à leur 
haine de la Prusse absolutiste, ont pour Napoléon 
une admiration profonde. Aucun d'eux n'est en sé«^ 



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Iftfi LE RIÏIK ET LA FHAPiCË 

curitéj entre T Autriche et la Prusse, dont la rivalité 
s'accentue* 11 leur faut prendre parti. Ils vont être 
obligés de soutenir la politique autrichienne, afin 
de se garantir contre les prétentions envahissantes 
des Hohenzollern ; sous le^ide de Napoléon, leurs 
intérêts seraient mieux défendus. Ces Etats sont 
indépendants ; ils veulent diriger leur politique ex- 
térieure comme ils lentendent, C^est ce que fait en 
Saxe le ministre francophile Beust, Certains jour- 
BanXj en Hanovre et en Bavière, font appel à Na- 
poléon, 

Il y a une question vitale pour l'avenir de la 
Confédération. Suivant qu'elle sera réglée, le Bund 
gardera ou perdra toute indépendance : c est la 
question des duchés danois, qui se pose à la mort 
de Frédéric VIL Le Bimé^nit^ en opposition avec 
la Prusse, soutenue par TAutriche, qui ne veut pas 
la laisser agir seule. Il se fait le défenseur des der- 
nières prérogatives de la Germanie indépendante. 
Il aurait résisté davantage, s*il avait rencontré un 
appui en Europe, Beust pensa le trouver à Paris et 
fit des avances à notre ministre à Dresde. Il est 
certain que l'intervention de Napoléon en faveur de 
TAllemagne aurait fait réfléchir la Prusse. Il aurait 
pu en résulter une reconstitution de la Confédéra- 
tion du Rhin^ sous le protectorat de la France. 
L^Empereur, engagé dans Texpédition onéreuse du 
Mexique, hésite, tergiverse, veut rester le témoin 
impartial des divisions qui agitent la Confédération, 
sans prendre parti ni pour les uns, ni pour les au- 
tres. Du reste, c*est au nom du principe des natio- 
nalités que la Prusse réclame la séparation d'avec 
le Danemarii^du Holstein et d'une partie du Scbles- 
'wig hahités par les Allemands, Pouvait-il renoncer 
au principe qu'il a proclamé, et que la Prusse et le 
Danemark invoquent à tour de rôle ? 11 restera neu- 



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LES SURVIVANCES FRANÇAISES 157 

tre. C'est la solution commode^ mais la pire de 
toutes en cas de crise. Il laisse écraser le Danemark. 
La convention de Gastein (14 août 1865) ne ré- 
glera rien. La guerre est fatale entre les deux com- 
plices, entre cette Prusse, de plus en plus ambi- 
tieuse, et TAutriche, obligée, parce qu'elle se sent 
plus menacée, de soutenir la Confédération, de 
moins en moins tolérante. De quel côté vont se 
porter les efforts de la diplomatie napoléonienne? 
Vers la I^russe, qui tend à s'annexer les territoires 
du Nord et dominer les Cours du Midi, ou vers ces 
pays rhénans et ces Etats du Sud, soutenus par 
l'Autriche, et dont les tendances françaises sont 
connues de lui? Il semble rechercher Tamitié de 
la Prusse ; il subit cette influence libérale qui nous 
a portés, aux heures de la Révolution, vers le pays 
ami des philosophes et signataire de la glorieuse 
paix de Bâle. Ou craint-il, en favorisant TAutriche 
conservatrice, de déplaire encore davantage au parti 
libéral, mécontent des satisfactions accordées aux 
catholiques dans les affaires de Rome? Ou enfin se 
laisse-t-il séduire par Bismarck, dans ces cgnversa- 
tions dangereuses de Biarritz (oct. 1865), où celui- 
ci obtient sa neutralité coupable, dans l'affaire da- 
noise, contre des compensations imaginaires ? Il 
est certain que tout un système de politique pèse 
sur lui. S'il s'allie à T Autriche, du même coup il 
condamne les espérances des Italiens et celles du 
parti libéral; mais ces espérances, il ne peut les 
réaliser qu'avec le concours de la Prusse. 11 a besoin 
d'elle pour donner la Vénétie à l'Italie, cela au prix 
des duchés danois et d'une alliance de ces deux 
puissances contre l'Autriche elle-même. Et il va 
osciller entre les garanties accordées aux Italiens 
et la crainte de mécontenter l'Impératrice et les 
catholiques français. 



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158 LE RHIN ET LÀ FRANCS 

Biâtnskrck poursuivra donc ses vues ambitieuses. 
Le Danemarli 4; sera son champ (Inexpérience » ; il 
profitera d^s embarras que nou^ suscitons à T^u- 
triche en Italie. L'Autriche se rapprochera des Etats 
allemands, et notamment des Etats du Sud, qui, 
entraînés par leurs tendances libérales, font à la 
jprusse Topposition tîa plus vive. Cette nouvelle 
coalition, dont Vienne est le centre, cherchera par 
V)us ses efforts à obtenir Taide de ïa France. 

En Saxe et en Wurtemberg, la population et le 
gouvernement comptent sur nous pour faire pièce 
à la Prusse *. En Bavière, l'opinion du çouverne- 
raent se décide en notre fayëur. Le ministre de 
Bavière à Berlin confie à notre chargé d'affaires 
que son gouvernement désire faire sortir la Ba- 
vière de la Confédération^ et s^étonne que nous 
n^intervenions pas contre la Pçusse. Le 28 no- 
vembre, le premier ministre demande à Von der 
Pfordten, notre agent à Munich, ce que nous fe- 
rions au cas où Bismarck mettrait ses desseins à 
exécution, çt, le 3 avril 186ft,il déclare que « à dater 
du moment où la guerre aurait irrévocablement 
anéanti le régime fédéi:al, la Bavière n'aurait plus 
à prendre conseil que de sei^ intérêts et n'hésite- 
rait pas à chercher des amis partout où elle pour- 
rait les trouver. » 

Les petits Etats recoi^naissent ^t disent que les 
intérêts du con^n^erce, la législation, la religion, 
tout les rattache à la France. De là, les avances qui 
nous sont faites sur la base de transactions à dis- 
cuter ; mais les réponses de nos agents sont éva- 
sives ; ils ne doivent pas, selpn leurs instructions, 
se ipêler des affaires de la Confédération, à moins 
que celle-ci ne sorte de la réserve qu'elje s'est im- 

1. Article du D' Faber dans le SUat8^nzç,\ffer (mai I8O9). 



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LES SURVIVANCES FRANÇAISES l^d 

posée. Or, il faudrait $e heurter à Bismarck, qw 
déjà a circonvenu TEmpereur à Biarritz et obtenu 
l'alliance de Fltalie, très précieuse pour lui dans la 
guerre qu'il prépare. Mais si l'Allemagne est au3t 
mains de la Prusse, quels dangers pour la France t 
Quelles menaces pour l'équilibre de l'Europe! 

Ce danger, l'Autriche le voit mieux que le cabi- 
net des Tuileries, et les ministres de François-Jo- 
seph le poussent à rechercl^er notre alliance. Le 
ministre de Hesse, Dalwigk, souhaite la formation 
d'une « chaîne sympathique oui, de la France à 
l'Autriche, passerait par plus aun Etat de l'Alle- 
magne méridionale et servirait de frein aux e^spi- 
rations dominatrices de la Prusse ». 

Que pense Bismarck? Il irait, a-t-on préte^idn, 
jusqu'à admettre la cession de la rive gauche du 
Rhin, si nous laissions la Prusse se grouper en un 
E!tat compact autour de sa capitale, en annexant 
la Saxe, le Hanovre, la Hesse électorale. Dans des 
conversations particulières, il n'a pas fait mystère 
de ses projets, bien qu'il les ait niés plvis tard. 11 
semble faire peu cas des provinces rnénanea. Le 
2 avril 1866, il dit à Benedetti, à Berlin que « le 
moment est venu pour lui de renouveler ses ouver- 
tures et pour nous de nous expliq^uer sur les garan- 
ties que nous croiriops devoir stipuler *• )► Ce mi- 
nistre d'Italie à Paris, Nigra, déclare, le 31 mai, 
que Bismarck est tout prêt à céder le pays entre 
Moselle et Rhin*. S'il est d'avis de conserver Colo- 
gne et Mayence, il fait bon marché du Palatinat, 

1. Comte Benedetti. Ua, mis&ion en Prusse, 1 vol. in-8% Paris, 
Pion, 1871, p. 91. 

2. Origines diplomêtiques, 8 vol. in-8», Paris, Fioker et Impri- 
merie Nationale, 1908, t, Vll-X, P. de la Gorce, Histoire <in «e- 
coni Empire, 7 vol. in-8% Paris, Pion, 1899,t. lV,p. 625, notam- 
ment Conversations avec le f^énéral Govane,et Benedetti, op, 
•»<., p, W. 



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160 LB HHIN ET LA FRANCE! 

de rOldenbourg, et des possessions prussiennes 
situées au sud de la Moselle, car il est « plus Alle- 
mand que Prussien > (3 juin 1866), Pouvions-nous 
nous entendre avec lui î N'était-ce pas plutôt un 
piège Q}iH nous tendait, comme il va le faire bientôt 
dans 1 affaire du Luxembourg? L'Empereur, malgré 
Duruy, Walewski et Drouyn de Lhuys, refusa, ne 
voulant pas violer le principe des nationalités. Du 
reste, il semblait à ce moment opter pour TAutri- 
che, afin d'assurer la Vénétie à l'Italie (accord du 
12 juin). En revanche, nous devions rester neutres 
dans le prochain conflit, afin que TAutriche eût les 
mains libres. La France sera € engluée dans une 
double neutralité », tout en favorisant visiblement 
la Prusse. 

Le conflit vient d'éclater et conduit au triomphe 
de la Prusse, à Sadowa (2 août 1866). Quelle va 
être l'attitude du gouvernement des Tuileries ? Va- 
t-il intervenir en Allemagne pour limiter les ambi- 
tions de la Prusse, qui veut s'annexer TAUemagne 
du Nord, et va-t-il chercher des compensations ? 
Duruy conseille à TEmpereur de s'emparer des pro- 
vinces rhénanes ; Persigny veut qu'on amène les 
Prussiens à ne plus rien posséder sur la rive gauche 
du Rhin, mais sans annexion à notre profit. Le 
maréchal Randon, ministre de la guerre, offre 
80.000 hommes immédiatement disponibles, et 
150.000, vingt jours après. D'un autre côté. La Va- 
lette s'oppose très énergiquement à ce projet. Il 
prétend que nous ne pouvons disposer que de 
40.000 hommes, à cause de l'expédition du Mexique. 
Même opposition de la part du Prince Napoléon et 
du parti italien, qui font cause commune avec la 
Prusse, pour donner à l'Italie les territoires autri- 
chiens qu'elle convoite, et détournent l'Empereur 



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LES SURVIVANCES FRANÇAISES ICI 

de toute intervention. Celui-ci est le prisonnier de 
son système diplomatique, qui Ta poussé, après 
avoir créé Tunité italienne, à soutenir l'unité prus- 
sienne. Aujourd'hui, défendre T Autriche, c'est 
abandonner Tltalie, alliée de la Prusse. D'autres, 
au contraire, parmi les républicains, dénoncent le 
péril allemand avec beaucoup de courage. Barbés 
écrit dans le Temps (2 juin 1 866) ; « Voici la Prusse 
maîtresse de rAUemagne... Il n'est pas bon que 
les gens , du pays du manifeste de Brunswick res- 
tent aussi puissants à côté de notre France.,. Il 
faut que la révolution arme, si elle ne veut se 
trouver un jour en danger *. » 

La situation se présentait sous le jour le plus 
favorable ; il n'y avait qu'à agir pour remédier aux 
inconvénients des traités de 1815. Une simple dé- 
monstration militaire sur le Rhin aurait mis la 
Prusse dans une situation difficile. Bismarck Ta 
avoué plus tard*. La Prusse, dès le mois de mai, a 
fait évacuer, en effet, par ses régiments, les pays de 
la rive gauche. Ils nous sont en quelque sorte aban- 
donnés. Tout Teffort militaire des Prussiens s'est 
porté à l'intérieur de l'Allemagne. Pour le général 
Ducrot, qui commande à Strasbourg et qui a constaté 
cette retraite des Prussiens, « une attitude éner- 
gique aurait suffi pour les mettre à la raison \.. », 

1. Laskine. La démocratie française et le Rhin^ 1 vol. in 8* 
Paris, Floury 1917, p. 99. 

2. « Une telle armée nous eût mis dans la nécessité de cou- 
vrir Berlin et d'abandonner nos succès en Autriche » {Disconrg 

•du 16 janvier 1874). 

3. Général Ducrot, La vie militaire du général Ducrot, 2 vol. 
in 8» Pari», Pion, 1895, t. II, (6 novembre 1866), p. 141. — Dal- 
wigk disait à Lefevbre de Behaine (11 août 1866) : <« La France 
devait entrer sans délai dans le Palatinat et dans la Hesse, elle 
n'y rencontrerait ni haines ni préjugés nationaux. Une démons- 
tration hardie de la France produirait sur ces populations du 
Midi^ qui ne sont encore qu'étourdies par les victoires de la 
Prusse, un immense effet. » 

11 



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162 LE RHm ET LA FRAPfCB 

Il est certain que Bismarck avait les plus graodes 
craintes et était prêt à faire des concessions, 11 le 
déclarait au moment où le conflit allait éclater et 
lors des menaces de TEmperenr dans son discours 
d^Auserre \ Etait-il sincère ?/Ea tous cas, de telles 
concessions, si on les voulait réellement, il fallait 
les imposer par les armes. 11 ne pouvait être ques- 
tion, pour la Prusse, de céder de bon cœur des ter- 
ritoires allemands* Les Prussit^ns croyaient que 
nous serions intervenus. L'^Empereur Guillaume 
déclara plus tard à Beust, lors de Tentrevue de 
Gastein, en août 1S71, qu'il s'était toujours refusé 
de croire à la neutralité de la France et ne s'était 
décidé, qu'après de longs combats^ à dég^arnir la 
province rhénane : « C'est 186tt qui a causé la ruine 
du second Empire, car Napoléon pouvait et devait 
nous tomber dans le dos n^. Napoléon 111 peut dire, 
il est vraij pour sa défense qu'il craignait, si ses 
troupes envahissaient la rive gauche du Rhin, que 
TEurope, et particulièrement TAngleterre, ne se 
retournassent contre lui, en invoquant une viola- 
tion des traités de 1815. Il est plus vraisemblable 
d'expliquer ce manque d'aildace chez celui qui avait 
fait le coup d'Etat et décidé trois guerres, et alors 
qu'il tenait entre ses mains les destinées de TEu- 
rope, par un affaiblissement de la volonté dû peut* 
être à la maladie, mais à coup sûr à des intrigues de 
cour, à des influences occultes et à cette indécision 
résultant d'une perpétuelle politique de bascule, qui 
l'entraînait à des solutions contradictoires. 

Les Rhénans se préparaient à bien accueillir les 

1. « Que veut donc l'Empereur? Qu'il le manifeste; qu'il 
nous fasse connaître le minimum de ses exigences, nous ver- 
rons si nous pouvons les satisfaire» 11 veut des compensations 
en vue de nos accroissements éventuels. Soit I mais qu'il expli- 
que lesquelles. (Km. Ollivier, L'Empire libérait 17 vol. in-16». 
Paris, Garnier, 1903, t. VIII, p. 153). 



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LES SURVIVANOBS FRANÇAISES 163 

Ftfilnçais^ tant ils croyaient à leur arrivée^ prochaine. 
Les espoirs^ conçus en 1830 et en 1848, se réali- 
saient enlin. Tous les rapports officiels, parvenus 
à Strasbourg, rappelaient, à cette époque, les sen- 
timents, favorables à la France, des Rhénans, dont 
plusieurs s'étaient réfugiés chez nous pour se met- 
tre sous notre protection. Il est certain qu'une in- 
tervention armée sur les frontières de la Prusse au- 
rait produit, en pays rhénans, et dans TAUemagne 
du Sud, une vive émotion dont nous aurions béné- 
ficié ; elle aurait fourni à ces populations le cou* 
rage de résister aux envahissements de la Prusse 
et le moyen de s'assurer une existence indépen- 
dante ; elle aurait fait de la France, l'arbitre de 
la situation. Au contraire, l'Empereur, malgré les 
conseils de Drouyn de Lhuys, qui a imposé un 
refus à Goltz, ministre de Prusse à Paris, laisse 
la Prusse s'emparer du Hanovre, de la Hesse, du 
Nassau, de Francfort, en tout 4.500*000 âmes. 
€ Maintenant, dit Drouyn de Lhuys, à son chef de 
cabinet, Chaudordy, il ne nous reste plus qu'à pleu- 
rer 1 » Mais le gouvernement des Tuileries avait 
ses vues. Pour prix de sa neutralité, il se flatta, — 
grâce à une Confédération de TAllemagne du Sud, 
que la France inspirerait, en évitant de montrer 
ses visées sur la rive gauche où la Hesse et la Ba- 
vière avaient des possessions, — de contrebalancer 
l'Allemagne du Nord dominée par la Prusse. D'au- 
tre part, il intrigua pour obtenir des agrandisse-» 
ments. Des négociations furent engagées avec Bis- 
marck — politique de € pourboires, » politique 
d^expédients — pour acquérir soit Mayence, soit 
Landau, soit Sarrelouis ou Sarrebrûck, ou pour 
constituer, en pays rhénans, un Etat neutre comme 
la Suisse ou la Belgique, gouverné par un prince 
de HohenzoUern-Sigmaringen. 



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Itii LE RltlN ET Là FRANCE 

Aiûsi la diplomatie napoléonienne, sentant qu'elle 
a fait fausse route, voyant qu en France 1 opinion 
publique, enfin avertie, s'inquiète des agrandisse- 
ments de la Prusse, propose toutes les combinai- 
sons possibles. Mais Theure est passée de les faire 
réussir et ces exigences sont téméraires, Bismarck 
fait le teotateur et nous laisse nous engager, note 
nos propositions imprudentes, puis refuse nette- 
ment ; il va même, devant Tardeur que nous mani- 
festons, jusqu'à nous proposer la Belgique, et un 
traité est ébauché par Beuedetti, écrit de sa main. 
Il n'aura pins qu'à le communiquer aux puissan- 
ces étrangères et aux Etats allemands pour exciter 
la défiance des uns et la jalousie des autres^ contre 
les ambitions de la France, 

Tandis que Bismarck, grâce à nos maladresses, 
et en usant d une propagande admirablement or* 

ganisée, nous représentait en Allemagne et en Eu- 
rope comme de « véritables pirates !►, il concluait 
avec les Etats du Sud : Bade, le Wutemberg, la 
Bavière, la Hesse-Darmstadt, en proBtant des sen- 
timents prussophiles qui s'y manifestaient, des con- 
ventions militaires (13*17-22 août^ 3 septembre 
1866), d'après lesquelles ces Etats mettaient leurs 
efîectlfs à la disposition de la Prusse en cas de 
guerre. Puis il fondait la Confédération du Nord ; 
il allait soumettre TA lie magne à ses lois et la tour- 
ner contre nous- 

Pendant ce temps, la diplomatie impériale se 
perd dans les contradictions. Veut-ell^^ comme 
l'indiquent ses désirs d'agrandissements, combattre 
rhégéraonie prussienne? Pourquoi, alors, ses agents 
dans le Grand-Ducbé de Bade, dans la Hesse, dé- 
clarer! t-ils que les atîaires d'Allemagne n'intéres- 
sent pas la France ? Pourquoi semblons-nous aban- 



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LGS SURVIVANGBS FRANÇAISES 165 

donner à elles-mêmes ces populations qui avaient 
placé leur espoir dans Napoléon ? Le Gouvernement 
ne parvient même pas à faire voter, en 1867, une 
augmentation su£Bsante de notre force militaire 
en rapport avec les armements de la Prusse. Il 
oscille sans cesse entre la paix et la guerre. Nous 
subissons les conséquences de Sadowa. Bien peu 
aperçoivent les dangers de Tunité allemande. « La 
Prusse agrandie, libre désormais^ assure Imdépen- 
dance de TAllemagne », disait la circulaire La Va- 
lette, qui est un monument d'inconscience, < la 
France n'en doit prendre aucun ombrage ». D'au- 
tres, plus perspicaces, signalent la fatale erreur de 
cette lutte contre TAutriche, qui est devenue un 
anachronisme, et voient dans la Prusse le seul en- 
nemi. Quelques mois auparavant, Thiers n'a-t-il 
pas, dans un discours qui est sa gloire et dans 
lequel 4c il a incarné Tâme de la patrie », prédit 
l'unité allemande, sous Thégémonie des Hohenzol- 
lern ? Mais il n'a pas convaincu, ni le Corps Légis- 
latif ni l'opinion publique. 

Les avertissements cependant ne manquent pas 
au gouvernement des Tuileries. Le général Ducrot, 
dans deslignes étrangement prophétiques, va l'éclai- 
rer sur les agissements de J'AUeniagne et les dan- 
gers qu'ils peuvent créer. Il considère la guerre 
comme inévitable ^ Or, à la suite de notre abs- 
tention en 1866, notre situation en Allemagne n'est 
pas des plus brillantes. Sur les bords du Rhin et 
au - delà, on n'a pas compris notre attitude. Le 
grand duc de Hesse dit au général Ducrot, en 1866 ; 
€ Comment donc l'Empereur nous a-t-il abandon- 
nés à la fureur de ces insupportables Prussiens I 



1 . Général Ducrot, op, cit., t. II, 5 déc. 1866, 26 fév. 1867, 19 sept. 
1867, 17 janv. 1868, p. 146, 162, 185, 211. 



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16^ LB EH1N ET LA FIlAlfCE 

Coihment a-t-il toléré la formation de cette pré- 
tendue Confédération du Nord qui est une menace 
contre la France et contre l'Europe entière * I » 
Nous n'avons cependant pas perdu tout crédit ; 
l'armée et TEmpereur gardent leur prestige, et 
la même foi subsiste dans leur puisRaoce. On 
peut noter certaiaea manifestations des popula- 
tions de rAllemagne du Sud et de rAlIemagna 
rhénane en notre faveur, à la veille de la guerre de 
1870 *, en Hanovre, en Saxe, à Francfort, dans la 
Hesse-Cassel, où Ton est radicalement hostile au 
gouvernement de Berlin, en Bavière, en Hesse- 
Darmstadt, où les conventions militaires soulèvent 
de vives critiques % dans les provinces de la rive 
gauche, où la domination prussienne est encore 
plus redoutée chez les catholiques, qui ne veulent 
pas de l'influence luthérienne. Le général Ducrot 
afBrme que les sentiments de haine à Tégard des 
Prussiens sont <( d'une extrême violence». Bismarck 
est loin de dominer entièrement TAUemagne. Mais 
Tinfluence de la Prusse grandira de plus en plus, 
et toutes ces manifestations des princes rhénans et 
de leurs peuples seront de pure façade et sans por- 
tée pratique. 

Le gouvernement impérial, qui n'a pas soutenu, 
au moment décisif, les Sudistes et les Rhénans, 

1. Ibid., t. II, p. 285 et suivantes. Voir un rapport très cu^ 
rieux du général en 1868, p. 23K 

2. Ibid-1 P' 266 et suivantes. 

8. Le grand duc de Hesse-Darmstadt ne cache pas ses sen- 
timents au générai Ducrot : « Tous les efforts de M. de Moltke 
pour prnssiàniser mon armée sont, jusqu'à ce jour, restés sans 
résultat ; tous, nous sommes indignés de leurs insolentes pré- 
tentions... » ; il souhaite la guerre contre la Prusse ex\ offrant 
comme garantie de son concours ses territoires sur la rive 
gauche du Rhin... « Je vous donnerais volontiers ma rive gau- 
che du Rhin qui vous fait si grande envie, vous me trouverez 
bien quelque compensation du côté du grand duché de Bade, 
par exemple... » (/Jbid,,t. Il, p. 285-286). 



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LES SURVIVANCES FRANÇAISES 167 

adopte une nouvelle attitude sur les conseils qui 
lui sont donnés. Dans le courant de Tannée 1867, 
des relations sont reprises avec Vienne. Napoléon 
se rend à Salzbourg,où il va conférer avec Tarchi- 
duc François-Joseph et Beust, en passant par Stutt- 
gart, qui lui réserve, aux cris de « Vive TEmpe- 
reur ! », une réception enthousiaste. En 1869, la 
France et rAutriche contractent des engagements 
mutuels, précisés, au début de 1870,^ dans des con- 
férences avec Tarchiduc Albert, où Ton élabore un 
plan de mobilisation et un plan de campagne. L'Ita- 
lie fait les mêmes offres, pourvu que nos troupes 
évacuent Rome et qu'elle devienne sa capitale. 
L'Autriche « contribuera au succès de nos armes > 
(dépêche du comte Vitzthum, 20 juillet 1870), mais 
à condition que Tltalie s'engage dans la lutte, puis 

Ïue nous traversions le Rhin et entrions dans les 
Itats du Sud. Toutes ces questions se tiennent et 
se lient. 

Bisnnarck a connu ces pourparlers ; il a connu 
également les tendances des Cours du Sud et des 
provinces rhénanes ; il brusque les choses ; il nous 
tend un piège à Toccasion de la candidature d'un 
Hohenzollern au trône d'Espagne — la falsification 
de la dépêche d'Ems, — dans lequel le gouverne- 
ment des Tuileries, subissant des influences néfas- 
tes, tombera imprudemment. Faiblesse d'un côté, 
provocation de l'autre pour flatteries idées opposées 
des partis politiques, diplomatie, en apparence in- 
cohérente, parce qu'elle est dominée uniquement 
par des préoccupations intérieures 1 Celles-ci nous 
poussent à un conflit mal préparé, qui fait jouer 
contre nous en Allemagne le casus fœaeris^ et nous 
niet dans notre tort aux yeux de l'Europe. L'As- 
semblée refuse d'entendre la lecture des pièces les 
plus importantes du débat, malgré Thiers, Gam- 



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168 



LE RHIN ET LÀ FRANCE 




betta. Joies Favre, même d'écouter notre ambas- 
sadeur à Berlin, et uous voici entraînés à uoe dé- 
claration de guerre, cjui n'aurait pas dû partir de 
la France ou qui venait trop tard *. 

Dès le août, la Prusse, bénéficiant des avan- 
tages de sa frontière, et de sa mobilisation rapide, 
envahissait T Alsace. Y avait-il, comme on Ta dit, 
duplicité et fourberie de la part des Etats rhénans 
et des Etats du Sud, déjà couverts de troupes, 
puisque pas un souverain et pas une ville libre ne 
firent défaut à Tappel de la Prusse ? Nous avions 
déclaré la guerre et, aux yeux des Allemands, nous 
apparaissions comme des envahisseurs, comme des 
ambitieux assoiffés de conquêtes ; au lieu de venir 
à eux comme des libérateurs, nous étions des op- 
presseurs. Il était facile à la Prusse, par son habile 
propagande dans les Cours^ de grouper les patriotes 
pour défendre le sol allemand menacé. Quand les 
Etats du Sud avaient fait appel à nous contre la 
Prusse, nous les avions abandonnés; pourquoi nous 
soutiendraient-ils aujourd'hui dans une cause qui 
apparaissait comme injuste ? Us se rangeaient du 
côté du plus fort. Ah I si la victoire avait souri à 
nos armes, l'Autriche elle-même, devant les aigles 
triomphantes, aurait tenu ses engagements, Bis- 
marck, qui est eu possession de nos correspondan- 
ces diplomatiques avec les Etats du Sud^ saisies 
au château de Cerçay^ parmi les papiers de Rouher 
(10 octobre)^ fait du chantage auprès de leurs sou- 



1» « Si rfîmpereur Napoléon était forcé d*a<ïcepter ou de dé- 
clarer la guerre, dit H'rançoîs-.lûseph au général Lâbrun, el 
qu'U apparût danâ te Sud du L Allemagne, non pas en ennemi, 
mais eu libérateur, je serais* contraint tïa mou Côté do déclarer 
que ,|e fais cause c^mmunâ avec lui. Au3[ y^u^ de mes peu- 
ples, je uô pourrais faire autrement que do joindre nlora mon 
armée à l'armée françaîâfi » .Général Lebrun^ Sotiv&nfra mili- 
tetire*, ifiM-iSÎO, 1 vol. in-H% Paris, Dentu, 1895, p. Ii6-H7), 



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LES SURVIVANCES FRANÇAISES 169 

verains et les menace de livrer à la publicité le 
compte-rendu de tractations qui les feront paraître 
félons à la cause allemande, triomphante. Ils 
s'inclineront, ils accepteront, malgré leurs répu- 
gnances, la nouvelle constitution et ratifieront TEm- 
pire. 

La Prusse tient désormais dans ses mains les 
pays rhénans et pour de longues années ; elle a 
réveillé un souffle de patriotisme dans des cœurs 
épris de germanisme. Si, sur la rive gauche du 
Rhin, on avait attendu les Français comme des libé- 
rateurs *, si les habitants de Trêves, de Mayence, 
comme aux temps de la Révolution, avaient fa- 
briqué d'avance des drapeaux tricolores dont ils 
espéraient pavoiser leurs maisons à notre arrivée, 
et fait frapper des double-thalers à l'effigie de 
Napoléon, si, en relisant les mémoires des anciens 
combattants de 1870, prisonniers en Allemagne, 
on voit comment ils ont été bien traités *, à Aix- 
la-Chapelle, Crefeld, Trêves, Cologne, Coblence, 
Mayence, Landau, Sarrelouis, ces manifestations 
furent sans lendemain devant des succès qui agis- 
saient puissamment sur une opinion publique 
faible et désemparée. La victoire avait scellé cette 
unité allemande, que Bismarck voulait réaliser 

1. « Quant à nous, disait un habitant du Palatinat, nous 
étions prêts à devenir Français ; c'était une affaire arrêtée. » 
(Edmond About. L'Als&ce, 1871-1872, 1 vol. in-12«. Paris, Ha- 
chette 1875, p. 140). 

2. Lieutenant-colonel Meyret, Car/ief d'un prisonnier de 
guerre, Paris, 1888 ; Commandant Girard, 1870, Récits d'un 
comb&tt&nt, Brive, 1909 ; Capitaine Mège, Traité miiitàire, 
Lyon, 1905; Masson, Souvenirs de captivité, Alençon, 1890 ; 
Chanoine Guers, Les Soldats français dans les prisons d'Alle- 
magne, Paris, 1890. Voir aussi Rovère, op. cit., p. 380 et sui- 
vantes. 11 cite la déposition d'un prisonnier qui, à son arrivée 
à Trêves, est accueilli par ces mots : « Pourquoi n'avez-vous 
pas été vainqueurs, nous avions préparé nos drapeaux ». 



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170 LE RHIN ET LA FRANCE 

par le fer et par le feu, La oonquête de T Alsace- 
Lorraine en était le gage ; elle associa tous les 
Etats allemands à la même œuvre^ accomplie con- 
tre reûQemi séculaire : le Rhin, pour la pre^ 
mière fois, de la Suisse à la Hollande, devenait 
entièrement germanique. 

Mais les traces de notre ancienne culture pou- 
vaient-elles disparaître ? GuillauTne I" disait à l'un 
de ses conseillers^ qui s'étonnait de la germanisa- 
tion de l'Alsace Lorraine : € Les Français n*ont 
occupé la province rhénane que pendant vingt ans, 
et après soixante-dix ans, leurs traces n'y sont pas 
elTacées * I s» Certes, depuis 1870, la domination 
prussienne s'est étendue sur tout le Rhin et s'est 
efforcée, par les fonctionnaires, par les maîtres 
d'école^ qui vinrent nombreux d'Allemagne^ d'a- 
néantir les derniers vestiges de la civilisation gréco- 
latine. Les provinces rhénanes tiraient des avan- 
tages matériels considérables de leur incorporation 
rÉmpire, et l'on oubliait les querelles passées, 

3uand on songeait à la prospérité de Tindustrie et 
u commerce. La colonisation patiente delà Prusse, 
qui apportait à ces pays des richesses nouvelles, 
réussissait. Du reste, nous avions renoncé à nos 
revendications^ nous nous étions résignés à voir 
la Prusse toujours plus forte sur le Rhin; seules 
la politique intérieure et les expéditions coloniales 
absorbaient notre attention. 

Mais si Ton veut aller au fond des choses, on 
aperçoit que, même dans cette Rhénanie^ dans 
cette Allemagne prussiaaisées, subsistent les restes 
de la civilisation gauloise. Certes, nous avons fait 
de grands emprunts à la civi^satÎQQ et à 1^ science 



i. Gommandaiit Etpérandieu, Le Rhin frànçàU^ 1 br., Paris, 
Atlinger, p. 39. 



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rr' 



LES SURVIVANCBS FRANÇAISES 171 

germaniques, mais partout se retrouve la main de 
la France. C*est elle qui a jeté bas non seulement 
la vieille constitution d^Empire, héritée des Ot- 
tons, mais les législations d'Etats, oppressives de 
l'individu, qui paralysaient le développement na- 
tional du pays. Elle a introduit dans le domaine 
politique, social, administratif, les réformes qui ont 
assuré la prospérité de T Allemagne moderne. Le 
service militaire obligatoire, Téducation obligatoire 
des enfants, sont des conquêtes révolutionnaires 
issues des théories de nos philosophes. En matière 
économique, c'est la doctrine unitaire de la Révo- 
lution qui a inspiré Torganisation du Zollverein ; 
en matière militaire, ce sont les enseignements de 
Napoléon qui ont prévalu dans les combinaisons 
stratégiques de Moltke. 

Les insurrections de 1830 et 1838 ébranlèrent 
les trônes absolutistes d'Allemagne, en imposant 
nos conceptions démocratiques, et la révolution 
vola au-dessus des villes rhénanes, y semant 
l'émeute. La grande épopée napoléonienne restait 
présente à tous les esprits. Nous avions été des 
« initiateurs », des « éveilleurs ». Longtemps, les 
populations rhénanes nous restèrent attachées. Mais 
tandis que la Prusse avait grandi dans les bataille» 
qui modifièrent la structure de TAUemagne, tandis 
que le Rhin coulait des flots d'or, la France était 
loin, enveloppée dans le silence de la défaite 1 



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i^ 



CHAPITRE XI 



LA VICTOIRE DE 1918 



Près d'un demi-siècle de paix entre la France 
et TAUemagne ! Mais il fallut qu'à plusieurs repri- 
res la sagesse de nos gouvernants évitât la guerre. 
Elle était désirée de l'autre côté du Rhin, par des 
militaires insatiables, par des financiers et des 
industriels, aux combinaisons extravagantes. Bis- 
marck,avant de mourir, avait prévu ce conflit comme 
fatal. Après Pannexion de la Bosnie-Herzégovine 
et la guerre balkanique de 1913, qui avaient 
laissé, chez les Serbes et chez les Russes, d amers 
ressentiments, beaucoup avaient dit et écrit que 
le grand duel des Slaves et des Germains était 
imminent. Il ne fallait qu'un prétexte. Le drame de 
Sarajevo fit naître l'occasion que beaucoup atten- 
daient, et, le 2 août 1914, les hordes germaniques 
franchissaient le Rhin pour la vingt-et-unième fois. 
Après quatre années d'efforts surhumains, de sacri- 
fices inouis, d'un héroisme que n'avaient pu égaler 
les plus beaux faits d'armes de l'antiquité, la paix 
rayonnait à nouveau sur le monde. Au fracas des 
armes succédait, dans nos bonnes villes et nos cam- 
pagnes, le joyeux carillon des cloches, et les pays 
de PEntente tressaillaient d'allégresse. Le cauche- 
mar atroce avait pris fin ; on se laissait bercer par 
les plus grands espoirs ! 



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LA WCTOIRB DE 1918 173 

Dès le 4 octobre, le chancelier Max de Bade avait 
fait appel au Président Wilson, eh sollicitant son 
intervention pacifiqiae, afin <i'éviter aux armées 
allemandes l'anéantissement certain dont elles 
étaient menacées. Conformément aux conversations 
engagées entre le Président des Etats-Unis et 
TAIlemagne, et conformément aussi aux quatorze 
points des propositions de paix du Président, accep- 
tées par les Alliés, un projet d'armistice fut sou- 
mis par le maréchal Foch aux gouvernements de 
FEatente, après consultation de leurs commandants 
en chef respectifs. Il fut adopté. Or, cet armistice 
équivalait, dans la pensée de son auteur, à une . 
capitulation comportant une paix immédiate. Mais 
cette paix devait être retardée, pendant de longs 
mois, par le Président Wilson *- et M. Lloyd George, 
et l'Allemagne allait se permettre toutes les résis- 
tances. 

Le 11 novembre 1918, le Haut Commandement 
allemand avait donc capitulé. Le maréchal Foch, 
agissant au nom des puissances alliées et associées, 
et assisté de Tamiral Weymiss, premier lord de 
TAmirauté anglaise, signait, à cinq heures du matin, 
à Rethondes, dans la forêt de Compiègne, avec la 
Délégation allemande, les conditions de Tarmistice. 
Les hostilités devaient cesser six heures après 
(art. l*'). Un délai de quinze jours était accordé 
aux troupes allemandes pour se retirer des pays 
envahis et de TAlsace-Lorraine (art. 2), et, dans les 
seize jours suivants, les armées ennemies évacue- 
raient la rive gauche du Rhin (art. 6), Les troupes 
des Alliés et les troupes américaines occuperaient 
ces territoires et contrôleraient les administrations 

1. V. sur cette question le remarquable article de M. Morton 
FuUerton, dans la Revue universelle du !•' mai 1921. L Armis- 
tice précipité et U p»ix tardive, p. 269. 



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174 LH BtlIN ET LA FKANCB 

locales- Leurs garmsons tiendraient, aux points 

EriDcipaux de passage da Rhin, à Mayence. Co- 
lence et Cologae, des têtes de pan ta sur la rive 
droite du fleuve, formant des demi-cercles duu 
rajon de 30 kilomètres- Au-delà de la ligue des 
avant- postes alliés ^ était créée une zone neutre de 
60 kilomètres- L^ occupation allait s'étendrej de la 
frontière alsacienne au sud^aui: environs de Clèves 
au nord, sur une largeur de "250 kilomètres. Eu 
profondeur^ de Trêves à TOuest, jusqu'au Rhin, vers 
Ludwigshafenj la distance était supérieure à 250 ki- 
lomètres. 

Depuis la chute de Napoléon P% les provinces 
rhénanes formaient, au lieu de quinze souveraine- 
tés indépendantes antérieures à T annexion, quatre 
provinces dont chacune dépendait d'un Etat situé 
sur la rive droite du Rhin. Le Congrès de Vienne 
avait, en effet, procédé à Taventure dans son opé- 
ration chirugicale, coupant, taillant à merci, sans 
tenir compte des affinités géographiques et commer- 
ciales des populations. Il y avait d'abord le Pala-»- 
tinat, avec une population d^ 900.000 habitants^ 
capitale Spire, appartenant à la Bavière. 11 com- 
prenait TElectorat palatin du Rhin, réuni à la Ba- 
vière en 1777, le duché palatin de Deux-Ponts et 
Birkenfeld, Tévêché de WormSj les deux villes de 
Spire et de Landau. Il avait été formé de trois 
morceaux de nos trois départements de la Sarre, 
du Bas-Rhin et du Mont-Tonnerre. La Hesse rhé- 
nane, chef-lieu Mayence, qui constituait autrefois 
Tarchevêché de Mayence, comprenait un morceau 
des Vosges et le nord du département du Mont- 
Tonnerre ; elle relevait du grand-duché de Hesse^ 
avec une population de 400.000 habitants (capitale 
Darmstadt). La province rhénane, la plus vaste de 
toutes, englobait, avec le bassin de la Sarre, la 



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LA TtCtOIRB DE 1018 176 

vallée de la Moselle, la plaine industrielle du Nord) 
Elle avait été formée des anciens duchés de Juliers. 
Meurs^ Haute-Gueldre, Clèves, de Tancienne prin- 
cipauté de Sarrebrûck, des archevêchés de Trêves, 
de Cologne, de la ville libre d'Aix-la-ChapeUe et 
des territoires appartenant au grand-duché de 
Luxembourg. Elle faisait partie de la Prusse, qui 
lui avait envoyé un gouverneur en résidence à Co- 
blence. Sa Diète locale se réunissait à Dûsseldorf ; 
un grand nombre de services publics avaient leur 
centre à Cologne. Il j avait enfin, la petite prin- 
cipauté de Birkenfeld,qui dépendait du grand-duché 
d'Oldenbourg. Ainsi, pour aller de Strasbourg à 
Cologne par terre, on traversait trois frontières^ 

Voici^ après cent ans passés, les Français sur le 
* Rhin superbe ». Ses vagues, en célébrant la gloire 
des hommes, semblent parler à Tâme. C^estle fleuve 
de la poésie et de Tamour, le fleuve des légendes 
et des fabliaux. Des figures charmantes, aux aspects 
de sirènes, chantent sur ses rives, qu'agitent éga- 
lement des monstres horribles et d effrayants fan- 
tômes. A côté des jolies filles et des beaux chevaliers, 
des oréades et des ondines, les cruelles demoiselles, 
changées en sept rochers, s*allient contre le voya- 
geur imprudent avec les gnomes et les marmousets, 
les dragons et les hydres. Le démon Urian voisine 
avec € l'ange sur sa cnair », la beauté avec la laideur. 
11 y a des abbayes et des couvents où règne la paix, 
des donjons, témoins muets des temps évanouis et 
des sombres drames, qui abritent des Burgraves, 
des Rhingraves et des Barons pillards. Le Rhin 
coule entre des chênes au nord et des vignes au 
tnidi, entre la force et la joie. La civilisation, sur 
ses rives harmonieuses, a multiplié les contrastes. 
11 est le fleuve des guerriers et des penseurs ; il 



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176 LE RHIN ET LA FRAnCE 

est aussi le fleuve de la paix. Il a vu se dérouler 
presque toute T histoire de l'Europe, Heiue a re- 
tracé, dans le plus magnifique de ses chants, son 
murmure profond qui fait rêver rAllemaf^ne, tau- 
dis que le plus grand de nos poètes a célébré ses 
vagues qui faisaient tressaillir la France^ et Ta 
comparé à un lion. 11 a été la rue des soldats, puis 
la rue des prêtres ; il est aujourd'hui la rue des 
marchands. Quel soldat, en approchant du Rhin, 
gardes françaises, volontaires de Tan II, héros de 
la Marne, n'a pas été ému devant sa majesté! Après 
Tarmistice, devant les libérateurs du territoire, re- 
vivaient soudain les gloires passées et les désastres 
proches» Au-dessus d'eux planaient les aigles des 
légions romaines et les aigles des régiments fran- 
çais ; dans les eaux tumultueuses du Rhin, se reflé- 
tait ToTubre des grands hommes de guerre, fjui ont 
bouleversé ou pacifié le vieux continent : Charle- 
magne et Napoléon, César et Attila^ Frédéric Bar- 
berousse, Gustave-Adolphe, Louis XIV. Dans les 
5mes des nouveaux vainqueurs brûlait encore la 
flamme des soldats de la Révolution, avec leur 
idéal et leur enthousiasme. 

La convention d'armistice prévoyait une occu- 
pation, mais elle n'était pas le traité de paix, elle 
le préparait simplement. Des négociations devaient 
s'engager à Paris entre les représentants des puis- 
sances alliées et associées, où seraient examinées 
les modalités de cette occupation. Il y avait plu- 
sieurs façons de la concevoir. Les divergences de 
vues qui se manifestèrent alors, depuis janvier 
1919 jusqu'à la signature de la paix (juin 1919), 
mirent en cause toute la politique française sur le 
Rhin. La question du Rhin se posa devant le gou- 
vernement français, devant le Haut Commande- 



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LA VICTOIRE DE 1918 177 

ment interallié, devant les plénipotentiaires des 
puissances, comme elle s'était posée maintes fois au 
cours de notre histoire. Nous avons vu quelle avait 
été la politique de la France sur le Rhin, depuis 
«euf siècle^. Cette étude historique permet de 
mieux comprendre les données du problème ac- 
tuel et de les juger avec une plus grande sérénité. 
Il faut dire d'abord qu'il n*a jamais été question 
d'une annexion des pays rhénans par la France. 
Que TAlsace et la Lorraine soient rentrées dans le 
giron d^ la patrie française, dès l'armistice, et à la 
suite d'une manifestation spontanée, si grandiose et 
si comp lète que les partisans mêmes d'un plébiscite 
déclarèrent qu'il était devenu inutile, on peut le 
concevoir. Mais pour les pays rhénans, séparés de 
la France depuis plus de cent ans, il semblait 
qu'aucune incorporation de territoire ne pouvait 
avoir lieu sans le consentement des populations. 
II ne fiat jamais question d'annexer sans ce libre 
consentement, à la mode bismarckienne, en vertu 
du simple droit de conquête : c'était violer nos 
principes. 

D'autre part, il fallait des garanties. L'Allemagne 
nous avait attaqués ;i] était inadmissible qu'elle sor- 
tît de la guerre n'ayant perdu que des hommes et 
des canons. L'opinion publique réclamait de fortes 
indemnités, au moins pour réparer nos pertes en 
matériel et nos dommages de guerre, c'est-à-dire 
pour remettre en état dix départements, dont la 
plus grande partie avait été dévastée et ruinée. 
Nous avions aussi une charge écrasante en pen- 
sions et en allocations. Ce paiement d'indemnités 
pour réparations, qui atteindrait nécessairement un 
chiffre très élevé, ne pouvait s'effectuer en une 
seule fois ; la capacité financière de l'Allemagne 
étant insuffisante, il serait nécessairement écne- 

12 



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)78 tte BHIN ET tA PllATflCK 

lonné sumn certain nombre d'années. Mais quelle 
garantie Qurait-oo qu6 ce paiement fût effectué t 
La parole de rAUeinagne ? Personne ne snppoBait 
que ce fût suffisant- Et l'on était en général d'accord 
pour admettre que seule la méthode déjà employée, 
en 1871, par Bismarck, pour le paiement de Pin- 
demnjté de guerre imposée à la France, était la 
meilleure- Il y aurait occupation d'une partie du 
territoire allemand Jusqu'au versement de la somme 
exigée de TAllemagne pour la réparation des dom- 
mages qu'elle avait causés. 

Etait-ce suffisant? Nous avions été victimes 
d'une agression brutale et injustifiée, et notre fron- 
tière, telle qu'elle résultait des traités de 1815 et 
de 1870, ne nous protégeait qu^imparfaitement et 
ne pouvait empêcher le retour de tels attentats. Il 
nous fallait des garanties d'ordre stratégique et 
militaire. Certains même pensaient — et peut-être 
non sans raison — qu'elles devaient être envisa- 
gées, les premières de toutes^ avant même les indem- 
nités pour réparations. Il y avait eu des dommages 
Causés aux personnes et aux choses, on le recon- 
naissait en général. Mais ces dommages étaient 
tellement élevés qu'il fallait, pour les réparer en- 
tièrement, demander à TAllemagne une somme 
fabuleuse, qu'elle ne pourrait payer que dans uû 
îaps de temps très éloigné, alors que peut-être la 
situation politique de l'Europe serait totalem(int 
modifiée. Pourrait-elle même jamais payer une 
somme aussi forte *■ ? Si elle se relevait rapidement, 
quoique très affaiblie économiquement à la ôuite 
du blocus — et personne ne doutait qu'elle ne se 
relevât avec rapidité, — où prendrait-elle les res* 

1. Voir Keynes. Les Conséauences économiques de Ia paim, 
1 vol. in-16, Paris, Nouvelle ilevue française, p. 114. 



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LA VICTOIBE DE 1918 179 

sources nécessaires pour acquitter sa dette? Pour 
qu'elle Tacquittât entièrement, il fallait lui en don- 
ner les moyens et non pas Fécraser par le fardeau 
d'une somme trop lourde* Mais lés finances fran- 
çaises succomberaient les premières sous les charges 
qui nous incombaient I Etait-il admissible que la 
victime se sacrifiât et fût seule à panser sa bles- 
sure, à réparer ses ruines, tandis que son adver- 
saire prospérerait? S'il y avait une compensation à 
établir, si l'Allemagne était frappée d'indemnités 
modérées pour qu'elle pût mieux les payer, au 
moins fallait-il que nous eussions de fortes garan- 
ties militaires, des gages territoriaux pour préser«* 
ver l'avenir de la France ; dt ces garanties en tout 
cas, apparaissaient comme nécessaires, au moins 
jusqu'^à Tacquittement de cette dette dont il aurait 
peut-être fallu, dès le début, fixer le chiffre global. 
Problèmes angoissants qui se posèrent devant les 
négociateurs de Versailles 1 Ils étaient dominés par 
une question de sécurité, une question de frontière. 
Mais c'était toute la question du Rhin, du Rhin, 
fossé séculaire entre Celtes el Germains, qui repa- 
raissait au seuil même des négociations de paix. 
Toute rhistoire du passé allait revivre en quelques 
mois, après l'armistice du 11 novembre ! 



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CHAPITRE XII 
LA FRONTIÈRE OU NORD-EST 



La défense de notre frontière du Nord-Est a tou- 
jours préoccupé les gouvernements de la France. 
Cette question ^ vitale pour notre avenir, s'est po- 
sée, du jour où les Barbares de race germanique 
ont franchi le Rhin, Romains, Gaulois et Francs 
d'abord, plus tard ces admirables artisans de 
Tunité française : Cape tien s ^ Valois, Bourbons et 
leurs grands ministres, puis les Conventionnels et 
le Comité de Salut public, ont voulu défendre le 
Rbiu, parce qu ils le considéraient comme la bar- 
rière protectrice de la France. 

Ce n*est pas arbitrairement qu*ils l'avaient choisie^ 
La nature elle-même la leur avait imposée ; la po- 
litique se chargea uniquement de la mieux servir. 
Certes, on a pu dire à juste titre — et T histoire mi- 
litaire Renseigne — qu' « aucune ligne, quelque 
hérissée d'obstacles naturels qu^elle soit, ne consti- 
tue un rempart insurmontable.» Seuls l'Himalaya et 
THindou-Kouch seraient un bastion suffisant. Les 
Pyrénées n'ont point arrêté Annibal, les Sarrazins, 
Wellington; les Alpes ont été franchies par ce même 
Annibal, par les Impériaux, par les Autrichiens, 
par les Français. Nos armées passèrent le Rhin 
plusieurs fois, à partir de 1793, malgré la coalition, 
et les armées de la coalition à leur tour, en 1814 
et 1816. A lui seul le Rhin est une barrière insuffi- 



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LA FRONTIÈRE DU NORD-EST 181 

santé. La mer a servi elle-même de base aux envahis- 
seurs anglais. Le Danube a été traversé par Macken- 
sen, en 1917. Mais lorsque le sol n'offre que de 
médiocres lignes de défense, il faut choisir la moins 
mauvaise. Un fleuve ou une chaîne de montagnes 
serviront à emporter cette défense ou à couvrir des 
armées en retraite, qui peuvent se reformer der- 
rière l'obstacle ; ils constituent une résistance en 
profondeur plutôt qu'en surface. La Marne a joué ce 
rôle avec TYser et TAisne, en 1914 et 1918, dans la 
campagne de France, la Vistule dans la campagne de 
Russie, les monts Belès dans la campagne de Salo- 
nique, pour ne prendre que des exemples récents, 
appropriés aux conceptions nouvelles de la guerre. 
Avant les traités de 1815, le Rhin n'appartenait 
évidemment pas à la France, mais le morcellement 
de l'Allemagne, les conventions militaires que nous 
avions avec les petits Etats souverains en pays 
rhénan, notre système de places fortes, constituaient 

Eour nous une certaine protection, qui garantissait 
> maintien de l'équilibre européen. Après la trans- 
formation politique de TAUemagne que consacrè- 
rent les traités de 1815, après le développement des 
ambitions de la Prusse, résultat de sa victoire et 
de sa prospérité économique, sans cesse plus grande, 
notre frontière était insuffisamment protégée. 



I 

La frontière du Nord-Est 
sous la Monarchie. 

De grandes routes unissent, par des vallées d'ac- 
cès facile, le Rhin à la capitale de la France. Au- 
tour de ce fleuve se déploient les rivières qui sont 



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I8i LE RHin ET hk FBANGB 

des €tieniÎQ3 d'inyasiDii. La Marne et la Seine cou- 
lent perpendiculairement à la frontière, à travers 
des plaines faiblement accidentées. Elles ouvrent, 
avec rOise plua an Nord, des routes faciles, que sui- 
virent les Barbares, les Bourguignons, les Impé- 
riaux, les Alliés, les Allemands, pour pénétrer en 
Gaule. Sous Tancienne monarchie, oo s'efforça de 
boucher ces trouées par des fortifications perma- 
nentes. Vanban construisit sur TOise les places de 
Condéi Valenciennes, Bouçbain, Cambrai, le Ques- 
noy, Maubeuge, Landrecies, Philippe ville, M arien- 
bourgs Avesnes, Rocroi, Givet, Mézières, Sedan, 
Il défendit la vallée de la Marne, avec les places de 
Metz, Thion ville, Sierck, Bitche, Phaisbourg, Sar- 
relouis. Restait la route de la vallée de la Seine que 
l'on gagne par la trouée de Belfort, On renouvela 
des alliances avec les Suisses et l'on fortiBa Hu- 
ningue. 

Mais cette frontière avait des défauts. Vauban 
ne les ignorait pas et pressait le Roi € de faire son 
pré carré » pour que les trouées, entre Meurthe-et- 
Moselle et entre Moselle et Vosges, ne restassent 
plus ouvertes. Louis XIV décida de nouveaux agran- 
dissements après les traités de Westphalie et de 
Nimègue. Il fit décréter, par les Chambres de Réu- 
nion, pomme dépendances des conquêtes ancienneS| 
l'annexion de quatre-vingts fiefs de la Lorraine, dix 
villes de TAlsacé, ainsi que le duché de Deux-Ponts, 
les comtés de Chimaj, Montbéliard, la ville de 
Luxembourg. Des fortifications admirables défen- 
daient ces excellentes positions naturelles. Luxem- 
bourg fermait la trouée de Longwy et Verdun, 
c'est-à-dire la route de Paris par la Champagne. 
D'autres fortifications protégeaient la défense du 
Rhin. « La Haute-Alsace, écrivait Louvois, est bien 
couverte par Brisach, par Fribourg (clé de la Forêt 



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LA FR09)TltoE PU DîORD-SST 183 

Noire, qui permettait de tourner les villes fores- 
tières de Rhinfeldy Leckingen, Lauffenbourg et 
Waldshut). Strasbourg, Huningue et les forts suf- 
fisent pour la mettre en sûreté contre les villes 
forestières, mais la Basse- Alsace leur demeure ea 

Eroie et ils peuvent toujours, au moyen de Phillps- 
ourg, manger entièrement ce pays-là que le Roi 
voit avec peine à leur discrétion, » Alors on réso- 
lut de fortifier Landau. € De Landau, ajoutait-il, on 
maîtrisera tout le Palatinat et une grosse garnison 
dans cette place ôtera entièrement à une armée, qui 
se serait aventurée en Alsace, le moyen de com- 
muniquer avec Philipsbourg S > 

Grftce à l'alliance avec les princes allemands de 
la rive gauche du Rhin, indépendants de TËmpe^ 
reur, constituant un parti très fort, qui nous four- 
nissaient des troupes, la rive gauche formait comme 
un € Etat-tampon » entraîné dans notre sillage, une 
autre Alsace. Nous y avions des troupes et pou-» 
vions occuper le territoire, et y établir des maga-» 
sins militaires. Ainsi on dominait toute la rive gau- 
che isolée de TEmpire, « qu'on tenait constamment 
sous notre couleuvrine » (Vauban). 

Mai$ au traité de Ryswick, Louis XIV dut aban« 
donner certaines de ces acquisitions récentes, dont 
la tête de pont de Huningue, Fribourg, Vieux-Bri- 
sach| Kehl, Philipsbourg et Luxembourg, barrière 
aux provinces situées entre Meuse, Moselle et Rhin. 
Ce fut pour la France une situation très désavanta- 
geuse^ qui laissait ouvertes des portes d'invasion ; 
elle dura jusqu'aux guerres de la Révolution et de 
rJSmpirej où le Rhin devint français. Après 1815,1a 
frontière du Rhin subit de grandes transformations, 

1 . Camille Roussel, Histoire de Lonvois. 4 vol. iii-8*, Paris, 
1863, t. III, p. 845, et Tb* LayaUée, pp, fit,, paf« 79. 



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tSi LE HHIN BT LA FRANCE 

V 

Ses transformations en 1815 et en 1870. 



Certes, il j a des obstacles naturels qui rendent 
difficiles les abords des roules d'invasion. La crête 
des Vosges, de Belfort à la Haute-Alsace, forme 
une première barrière ; il n'y a de routes qu'aux 
deux extrémités : Tune qui vient du Rhin par la 
trouée de Belfort, l'autre du Rhin moyen, entre le 
Neckar et le Mein, par Metz, Thionville et Verdun. 
Au Nord, le massif des Ardennes flanque la route 
d'invasion qui débouche du Luxembourg belge. 

Si Ton considère que pratiquement la route de 
la trouée de Belfort est trop excentrique, il y a 
deux voies principales d'invasion. L'une qui part 
de Mayence, de Worms, de Mannheim, et gagne 
Metz et Thionville par le Hunsrûck et les Vos- 
ges. L'envahisseur peut aussi déboucher de Trê- 
ves sur Luxembourg et Longwy,dans la direction 
de Verdun, C'est la route que suivirent Attila, 
les Prussiens en 1792 et 1870, les Alliés en 1814. 
Au nord des Ardennes, la route qui vient de Co- 
logne et de Dûsseldorf, en suivant la Meuse, la 
Sambre et l'Oise, est encore plus directe. C'est la 
route d'invasion des Espagnols en 1557, en 1636, 
en 1642, des Alliés en 1709, 1712, 1815, des Au- 
trichiens en 1792, des Allemands en 1914. Paris, 
sans être nécessairement l'objectif unique des 
armées, qui se précipitent par ces deux trouées, 
présente une importance capitale^ car une bataille 
décisive sous ses murs trouble, comme en 1914, 
l'organisation politique du pays. 



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LA FRONTIÈRE DU NORD-EST 185 

On ne peut nier que le Rhin, depuis Bâie jus- 
qu'à la Lauter, ne formât, après 1815, une bonne 
frontière. Il était protégé, sur la rive droite, par le 
massif de la Forêt Noire et, sur la rive gauche, par 
les Vosges, situées à 50 kilomètres du fleuve et par- 
fois même à 30, A cause de la Forêt Noire, la concen- 
tration allemande de ce côté était difficile, et, avec 
Tobstacle très sérieux à emporter qu'était le Rhin 
devant un adversaire sur ses gardes, l'Alsace ne 
subit l'invasion, en 1870, qu'après la défaite des 
armées françaises. Si, en effet, à Mayence, le Rhin 
devient étalcj proche de Bâle, son cours est impé- 
tueux ; de hautes montagnes surgissent, qui le res- 
serrent, et ses eaux sont plus rapides. 

De la Lauter jusqu'à la Moselle, notre frontière 
était très vulnérable, depuis que les traités de 1815 
nous avaient enlevé les points d'appui que Louis XIV 
avait acquis au cours de ses guerres victorieuses 
et que Vauban avait su si bien fortifier ; Landau 
et la ligne de la Basse Queich, Sarrelouis et Sarre- 
brûck, avec la ligne de la Sarre, qui empêchaient 
de prendre de flanc l'Alsace et la' Lorraine. A 
chaque guerre, les lignes de la Lauter jouaient leur 
rôle classique de défense. En 1792, le roi de Prusse 
ne put pénétrer en France que par la trouée de 
Longwy, tandis qu'en 1870 les Prussiens trouvè- 
rent devant eux notre frontière ouverte par For- 
bach et Wissembourg. En ce point, il y avait une 
brèche ouverte par où passent les routes du Pala- 
tinat, car la frontière est ici perpendiculaire au 
Rhin et le territoire allemand se replie en équerre 
sur le territoire français. Les Alliés connaissaient 
la valeur de cette trouée. 

L'armée allemande principale, maîtresse en effet 
des têtes de pont de la Sarre, pouvait déboucher 
en Lorraine, en masquant les places de Metz et de 



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186 LE KHirï ET LA FKAHCE 

TbionviUe, ce qui faigait tomber d'un seul coup la 
ligne du Rhin et ceUe des Vosges. L^armée secoo' 
daire^ destinée à opérer en Basse-Alsaoe^ avait sa 
liberté de manœuvre, depuis ia perte de Landau, 
Comme TA lie magne possédait la route de Pirma- 
gens à Sarre brûck et celle de Wissembourg à Sar- 
regucminea par Hornbach, la liaison de cette armée 
secondaire avec l'armée principale de Lorraine était 
aasurée* Dès lors, elle pouvait s'ouvrir, à travers les 
Vosges, certaines routes imparfaitement défendues, 
comme par exemple, celles de Haguenau à Sarre- 
Union 'i II faut, en matière militaire, tenir compte 
de la géographie et même, avec les progrès de la 
balistique, une armée en campagne ne devra pas 
négliger les accidents de terrain. Cette considéra- 
tion est éternellement vraie et s'imposera de tous 
temps aux bommes politiques, comme aux mili- 
taires, dans le choix des frontières. 

A gauche de la Lauter, en descendant le Rbin, 
nous arrivons à la trouée de Longwy- Luxembourg, 
qui était un point faible de la frontière défendue 
par la place de Longwj ; Tenvahisseur pouvait, 
eu Tabordant de face, tourner Metz, Thionville, 
Verdun, comme il le fit en 1702 et 1814. Or, les 
chemins les plus directs de Berlin à Pam^ sont 
ceux qui franchissent le Rhin, entre Cologne et 
Wesel, passent au Nord du massif de TEifelet de 
TArdenne, débouchent par la trouée de Longwy, 
et pénètrent en France par la vallée de TOise, 
En nous enlevant les places de Philippeville et 
Marienbourg, le second traité de Paris avait laissé 



1. Tr&vauQi du Comité d'Stndef. VAhwe-torràine et U 
frontière du Nord-Ëst, tome I. La frontière militaire du nord 
et du nord-est, par le général Bourgeois, Paris, Imprimerie 
nationale, 1018, p. 310. 



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LA FROMTIÂBE DU MORDrEST 187 

grande ouverte la porte de la trouée de Cbiraay-^ 
tongwy \ 

Pour passer à Toffensive contre FAUemagne, qui 
nous déclarerait la guerre, nous rencontrerions 
sur cette frontière de grosses difficultés : les Alle- 
mands nous devanceraient aisément. Deux armées 
françaises^par exemple, opérant offensivement,rune 
sur rOurthe et la Roer, Tautre sur la Sarre et la 
Lauter, seraient séparées Tune de Tautre par de 
gros obstacles naturels, qui empêcheraient la liai- 
son. D'autre part, il faudrait déloger l'ennemi des 
bastions de rÊifel,du Hunsrûck, des Vosges septen- 
trionales qu'il occuperait. 11 ne nous laisserait pas 
le temps ae Tattaque, pouvant aisément se porte? 
sur le front, grâce à leur excellent réseau de voies 
ferrées. 

Les traités de 1815 donnaient ainsi à la Prusse 
la possibilité d'atteindre Paris aisément ; elle pou- 
vait faire de la rive gauche du Rhin — et elle 
n'y manqua pas — une vaste position militaire. 
m Le système des traités de Vienne, écrivait Louis 
Blanc, a été une œuvre de spoliation générale en 
ce qui concerne la France ; il a une signification 
essentiellement agressive^ un but essentiellement 
offensif... La frontière du Rhin n'a été refusée, en 
1815, à la France, que parce que ses ennemis vou- 
laient se réserver la possibilité de l'envahir ad libi- 
tum. Elle est nécessaire à l'intégrité, à la sécurité, 
à la tranquillité de la France... La situation terri* 
tonale que les traités de 1815 nous firent ne laisse- 
t-elle pas, du côté de la Prusse, trop de fron- 
tières ouvertes ? Ne fait-elle pas dépendre notre 
capitale d'une marche trop rapide ? Que l'Allema- 
gne ne s'y trompe pas 1 La question des bords du 

1. Ibid., p. 311. 



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188 LE RHIN ET LA FRANGE 

Rhin est, pour la France, non pas une question 
d'agrandissement, mais une question de défense 
nationale. Il n'y a pas d'esprit de conquête, mais 
besoin de sécurité ' )►, 

En présence d'une frontière aussi défectueuse, 
nous ne pouvions songer qu'à une guerre défensive, 
de la mer du Nord au Rhin. C est bien ce que Ten- 
nemi avait cherché; nous étions contraints de subir 
la loi de Fadversaire, qui attaquerait. Une Commis- 
sion, réunie en 1818, sous la présidence du général 
Marescot, avait cherché à reconstituer notre sys- 
tème de défense. Une armée, ayant sa gauche à 
Bitcbe et sa droite sur le versant septentrional des 
Vosges, et occupant la ligne de la Sauer, ferait face 
à rinvasion,par F Alsace en direction de Strasbourg. 
La place de Bitche, très défendue, deviendrait place 
de manœuvre pour appuyer les opérations de la 
gauche de cette armée. Une seconde armée, dite 
de Lorraine, s'opposerait à l'invasion principale qui 
menacerait Nancy, formant deux groupes, Tun en- 
tre Vosges et Moselle, Tautre entre Moselle et 
Meuse, et appuyant son centre sur la ligne de la 
Haute Seille, dans la région des étangs. En aucun 
cas, elle ne devrait se replier sur Metz, « sous peine 
de se laisser enfermer entre deux armées dans uri 
espace resserré. :► (Général Haxo.) Or c*est précisé- 
ment ce que fit Bazaine I 

Cette défense devenait illusoire, si la route de la 
Sarre ou bien celle de la Meuse, donnant sur la 
Belgique, était forcée. Du reste on ne comprit pas 
le danger et Ton ne fît, de 1821 à 1836, que des 
travaux de défense insignifiants sur la Seille. 

Au Nordj on comptait beaucoup sur l'ancienne 



1, HUioire de dix ans. b vol. iii-S° Parifi IS^S, tomes 11, III, 
p . 9a, 07^ S€9j el voir plus baut^ p. 13$. 



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LA FRONTIÈRE DU NORD-EST 189 

organisation défensive de Vauban. La grande posi- 
tion, renforcée par l'inondation, constituée par les 
places, entre la Sambre, TEscaut et la mer, serait 
suffisante, tandis que des armées, s'appuyant for- 
tement aux régions de TArdenne et de TArgonne, 
menaceraient la ligne d'invasion de TOise et tien- 
draient sur ce point Tennemi en respect S Enfin, on 
pensait que Tennemi ne chercherait pas à violer 
la neutralité belge. 

D'une façon générale, cette frontière du Nord for- 
mait un tracé arbitraire et capricieux, coupant des 
villes, passant par des rues et ne pouvant être uti- 
lement défendue, même par des forts. Maubeuge, 
par exemple, n'est qu'à 110 kilomètres de Paris, 
c'est-à-dire à une distance beaucoup trop rappro- 
chée. Bref, nous étions à la merci des attaques de 
l'en nemi, qui choisirait, dans notre frontière, le point 
le plus faible. Ayant perdu dans l'Est Landau, la 
ligne de la Queich, la ligne de la Sarre, et dans le 
Nord, Philippeville,Marienbourg et le pays de Chi- 
may, nous avions deux trouées ouvertes; l'ennemi 
passerait par celle qui lui paraîtrait la moins défen- 
due. En 1870, il choisit la trouée de Forbach ; en 
1914, il passa par la trouée du Nord. 

Ayant formé trois armées, en 1870, les Allemands, 
avec la première et la deuxième armée à Wittich 
et à Kaiserslautern, se dirigent sur Metz en partant 
de la Sarre, par la trouée laissée ouverte ; la troi- 
sième armée menace TAlsace et Strasbourg, par 
Landau, et l'invasion ne peut être arrêtée : voilà 
pris sur le vif, le défaut capital de cette frontière. 

Les mêmes inconvénients, signalés dans cette 
frontière de 1815, se retrouvent dans celle de 1871 

1. Travaux da Comité d'études, op. cit. p. 312. 



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190 LE RHIN ET Là FBANCfi 

et Bont êttôôrë aggravés. Nous gardions à l'Ouest la 
frontière délimitée par les traités de 1815, et à TEst 
celle du traité de Francfort, qui était reculée jus- 
qu'au milieu de la Lorraine, Nous perdions la ligne 
du Rhin, c'est-à-dire 150 kilomètres de Bâle à la 
Lauter, Les Allemands prenaient les deux versantâ 
des Nos^es k partir du Donon, et la Moselle jusque 
devant Pont-à -Mousson, Puis, une li^ne, aussi 
conventionnelle que Tancieune frontièrej coupait 
la Lorraine entre les sources de la Sarre et la Mo- 
selle. 

Les Allemands allaient pouvoir tirer un grand 
bénéfice d<^s minerais de fer lorrains et des chemins 
de fer luxembourgeois, qu'ils s'octroyaient. Tout le 
cours du Rhin leur appartenait et leur concentration 
militaire pouvait s'opérer en Alsace et en Lorraine, 
et non plus seulement dans le Palatinat. Avec tou- 
tes les places fortifiées par Vauban, dont ils s'em- 
paraient, les Vosges ne les arrêteraient plus. Aussi 
préparèrent-ils paisiblement leur offensive, créant 
de nombreuses lignes ferrées, afin de transporter 
des forces d'invasion là où il était nécessaire et 
réaliser, grâce aux places de Metz et de Thionville, 
une manœuvre plus rapide. Le traité de Francfort, 
a-t-on pu dire, était un chef-d'œuvre de destruc- 
tion, qui complétait les traités de 1815. 

Un Comité de défense, utilisant les conceptions 
du général Séré de Rivières, pensa qu'il fallait or- 
ganiser défensivement les frontières, et, par une su- 
bordination complète de la fortification à la straté- 
gie, limiter les combinaisons tactiques de Tennemi, 
lui interdire les voies de pénétration et protéger en 
même temps la plus grande étendue possible de* 
terrain. On substitua aux grandes places et àux 
camps retranché» des ensembles de points forti- 
fiés, reliés entre eux, formant des « régions for- 



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LA >ROATIÊKE DU !rORD-ËST 191 

tirées »^ qui constituaient une organisation défen*- 
sive. Notre frontière du Nord-Est était sans défense, 
puisque nous avions perdu les places de Met£, 
Strasbourg, Bitohe, Phalsbourg, tandis que TAUe- 
magne, disposant avec Cologne, Mayence et ces 
villes, de bases d'opérations formidables se trou- 
vait à 180 kilomètres de Paris. 

Partant de Thionville, une armée allemande pou- 
vait tourner TArgonne par le Nord, passer la Meuse 
à Stenay, et se porter sur Reims. De Metz, une au- 
tre armée pouvait se diriger, soit sur Sainte-Mene- 
hould, en masquant Verdun, soit sur Vitry et Se- 
zanne, par la trouée de VigneuUes, soit sur la vallée 
de la Seine, par Vaucouleurs et Troyes, soit sur la 
Haute-Marne, par Pont-Saint-Vincent et Neufchâ* 
teau, soit par la Haute-Moselle sur Vesoul et la val- 
lée de la Saône. Il fallait donc limiter les débouchés 
de l'ennemi, afin de né pas éparpiller, comme en 1 870, 
les armées de la défense K Le général Séré de Ri- 
vières constitua quatre points d'appui de cette fron- 
tière : Verdun, Toul, Epinal, Belfort. Les deux pre- 
mières places étaient reliées entre elles par les forts 
de la Meuse : Troyon, les Paroches, le Camp des 
Romains, Liouville, Girouville,et les deux derniè- 
res par les forts de la Haute-Moselle : Arches, Re- 
miremont, Rupt, Château-Lambert, Ballon de Ser- 
vance et Giromagny. Et Ton constitua alors deux 
digues et deux trouées : au Nord, la trouée dite de 
Dun- Stenay, entre la frontière belge et Verdun ; 
au centre, la trouée de Charmes, entre les places 
de Toul et Epinal . L'offensive allemande était alors 
canalisée et l'armée française, à l'abri des défenses 
de la frontière, était prête à s'opposer à toute in- 
vasion du territoire. Seulement, Nancy se trouvait, 

i. TrAVàttw du Comité d'étndéi, ibid.f p. M. 



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19Î LE BHIN ET LA FRANCE 

dans ce système, opposée aux coups de l'ennemi \ 
Cette défense admirable joua son rôle en 1^14, 
Derrière elle était concentrée Farmée française, 
prête à prendre l'offensive, mais comme nous ne 
pouvions être forts également partout — et les Al- 
lemands le savaient bien — il nous était difficile 
de protéger efficacement notre frontière du Nord. 
C'est laque se porta l'attaque de l'ennemi, qui n'éta- 
blit qu'une faible défense dans TEst. 

Au Nord, il y avait, en effet, par la trouée de la 
Meuse, un point encore plus vulnérable. Pour beau- 
coup, la neutralité belge semblait devoir nous pro- 
téger. On ne croyait même pas que TAUemagne 
tenterait de la violer, de crainte d'une intervention 
de l'Angleterre. Et cependant, toutes les voies fer- 
rées de pénétration se dirigeaient du Rhin vers 
la Meuse : Cologne-Dinant, Saint- Wirth-Bertrix, 
Wasserbillig-Montmédy, Coblence- Longwy, et plu- 
sieurs avaient courageusement dénoncé la manœu- 
vre d'invasion, à la veille de la guerre de 1914 ; 
mais Ton supposait que, si l'Allemagne se décidait, 
comme il était vraisemblable, à une violation de la 
neutralité belge, elle ne tenterait pas de passer sur 
la rive gauche de la Meuse, à cause de la résistance 
possible de la Belgique et des armements puissants 
de Liège et Namur. Le général belge Brialmon;^ 
dès 1882, et le général Desjardin, en 1905 avaient 
dénoncé la manœuvre par la rive gauche, entre 
Visé et Maëstricht. En 1900, le général Ducarne 
l'avait jugée trop excentrique et trop difficile, ainsi 
que le général Maitrot, en 1913. Ils estimaient que 
l'attaque allemande, partant de la base Saint- Wirth- 
Trèves, aurait lieu par la rive droite de la Meuse, 
sur le front Sedan-Carignan-Stenay, à travers le 

1. Général Maitrot. Nos frontières de l'Est,l vol. Paris, Ber- 
ger-Levrault, 1913, pages 36-37. 



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LA FRONTIÈRE DU NORD-EST 193 

Luxembourg et la Belgique méridionale *. C'est le 
contraire qui eut lieu. 

Mais quel que fût le mode d'attaque, notre fron- 
tière du Nord resterait menacée, toute l'armée fran- 
çaise étant concentrée face à TEst pour boucher 
les trouées ouvertes. Le Comité de défense, avec 
le général Séré de Rivières, avait cependant prévu 
la création de grandes places d*ailes pour appuyer 
le front défensif Verdun-Belfort : Maubeuge, Lille, 
La Fère, Laon, Reims, puis Hirson, Maulde, Condé, 
Curgies. On devait organiser défensivement la ré- 

fion Dunkerque-Calais. Mais, faute de crédits suf- 
sants, ou par apathie des pouvoirrpublics, plusieurs 
de ces places avaient été négligées. On avait même 
décidé, malgré le commandant Driant, le déclasse- 
ment de la place de Lille. 

Bref, Thistoire militaire nous enseigne qu'en 1792 
et 1814,1a trouée de Longwy a permis rinvasion, 
qu'interdisaient les lignes de la Lauter, alors en 
notre possession. En 1870, par cette frontière dé- 
fectueuse de 1815, nous avons été envahis par la 
trouée de Forbach-Wissembourg ; en 1914, Tinva- 
sion eut lieu par la trouée de la Meuse et la fron- 
tière belge, nullement protégée par une neutralité 
toute conventionnelle. 



III 

La frontière du Nord-Est et le Traité 
de Versailles. 

Avec le Traité de Versailles, nous revenons à la 
frontière de 1816, qui suit les limites des dépar- 

1. Général Maitrot, ibid,, p. 18-34. 

13 



nin^iypH hw C ,^Q.^Kj I P —-a 



194 LE HHIN ET LA FRAKGE 

teixicnts de la Moselle et du Bas-Rhin et la fron- 
tière belge, La frontière actuelle présente tous les 
inconvénients précédemment décrits. 

De la frontière hollatidaisejà quelques kilomètres 
d' Aix-la-Chapelle j la ligne de démarcation présente 
un tracé arbitraire à travers la région ardennaise, 
laissant a T Aile magne tout un territoire de langue 
française et rejoignant la Lorraine, au-dessous de 
Sierck. De là, nouveau tracé factice jusqu'à la Lau- 
ter. Nous n'avons plus, comme en 1814, le cours 
de la Sarre en aval de Sarreguemines. A partir de 
la Lauter, le Rhin forme barrière jusqu'à Bâle. 
Avec le massif de la Forêt Noire, dont les derniers 
contreforts .arrivent à 30 kilomètres du fleuve, et 
les Vosges en retrait à 50 kilomètres à peine, c'est 
une défense très appréciable, que l'adversaire est 
obligé de tourner, à gauche, par Belfort, à droite, 
par les routes du Palatinat. 

Mais entre la Lauter. et la Sarre, la frontière 
reste, comme en 1815, perpendiculaire au Rhin^ 
et Lauterbourg est un saillant très prononcé en 
plein territoire français. Les mêmes routes d^in- 
vasion, utilisées par les Prussiens, en 1870, par 
Forbach et Wissembourg, menacent encore la Lor- 
raine. 

La ligne Trèves-Longwy constitue un autre point 
faible, que Luxembourg doit protéger. La géogra- 
phie a fait de cette ville une position militaire de 
premier ordre, que nous devrons utiliser comme 
point d'appui. Néanmoins, cette ligne permet une 
invasion facile pour prendre à revers, comme en 
1792 et 1814, Thionville et Verdun. Elle peut être 
forcée sur la Moselle, la Sarre et la Meuse, à droite 
et à gauche de la trouée, et une armée, placée en 
ce point, arrêterait difficilement l'invasion. 

Sur la Meuse et la frontière belge, entre la région 



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LA FRONTIÈRE DU NORD-EST |9$ 

ardennaise et la Hollande, paeae, par un étroit con- 
loir, la route classique des invasions, de Cologne 
à Paris, par Aix-la-Chapelle et Liège (1914). L'en- 
nemi, concentré à quelque distance seulement du 
point d'attaque, ne pourrait être arrêté ici par de 
simples fortiucations. Même une organisation défen- 
sive puissante sur la Meuse serait aisément tour- 
née par une attaque allemande, débouchant de Wesel 
et Duisbourg, franchissant la Meuse, vers Gennep 
et Venloo, ou alors il faudrait que la Belgique or- 
ganisât défensivement sa frontière hollandaise. 
Mais le danger reste encore très grand. A Tendroit 
où la frontière belge rejoint le territoire hollandais, 
il j a une étroite bande de territoire de 50 kilomè- 
très de long attribuée, en 1815 et 1832, aux Pays* 
Bas. Elle sépare TAUemagne du nord de la Bel^ 
gique et elle est sillonnée de voies ferrées. La 
neutralité hollandaise arrêterait-elle l'envahisseur? 
L armée hollandaise pourrait-elle même protéger 
cette extrême pointe du Limbourg, qui n'est guère 
défendable ? Du reste, une invasion de la Hollande 
est toujours possible, et la défense franco-belge 
serait facilement tournée. Voilà donc une quatrième 
voie d'invasion, aidée par tout le système ferro- 
viaire merveilleusement organisé des Allemands, et 
qui leur permet de lancer une attaque à l'un des 
points faibles de notre frontière, choisi par eux. 

Et puis enfin, la France, même avec une défense 
rationnelle de la Belgique, serait insuffisamment 
protégée, ne pouvant taire face à l'invasion des 
deux côtés. Et si son dispositif était placé face au 
Nord, elle recevrait dans le flanc les masses enne- 
mies, dont le déploiement stratégique se serait effec- 
tué en Lorraine, pour gagner la Champagne et, de 
là, Paris. 

Reste l'acquisition d^une partie de }a frontière 



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196 LE HHIN ET LA FRANCE 

de 1814, en vertu d'un plébiscite favorable à la 
France, dans une quinzaine d'années. D'abord Lan- 
dau et la ligne de la Queicb ne nous reviendraient 
pas, ils ont été éeartés des stipulations de Ver- 
sailles, Nous ne recevrions que le bassin de la 
Sarre et la ligne stratégique de la Lauter ; lavan- 
tage est mince ; seul FinLérêt économique domine* 
Evidemment, si nous avions obtenu toute la ligne 
de la Queich, la Scbwartz, la Bliss et la Sarre, nous 
aurions eu là une importante place d'armes, nous 
permettant de commander les accès des routes 
de Worms et de Kaiserslautern à Deux-Ponts, de 
Mayence à Sarreguemines, de Bingen et Birkenfeld 
à Sarrebrûck, de Coblence à Sarrelouis et de Bir- 
kenfeld à Sarrelouis et Thionville, avec le nœud 
de chemin de fer de Hombourg. Mais, même dans 
ce cas, l'Allemagne conserverait toujours une im- 
portante place d'armes entre le Rhin, la Moselle 
et notre frontière, avec les débouchés du Rhin. 
Elle serait maîtresse de la trouée Trèves-Longwy 
et Liège- Visé. 

Dans Torganisation défensive de cette frontière, 
il faudrait alors compter uniquement sur la place 
de Luxembourg et sur Farmée belge protégeant la 
Meuse, vers la pointe du Limbourg hollandais. 
Serait-ce suffisant ? Beaucoup affirment que non 
et déclarent que les lignes de défense de 1814, 
1815, 1870, sont précaires ou intenables. Prétendre 
le contraire, disent-ils, c'est nier délibérément les 
enseignements de Fhistoire. Dans certains milieux 
militaires, on considère que la seule frontière stra- 
tégique, pouvant actuellement nous protéger, est 
celle du Rhin, frontière stratégique distincte de la 
frontière politique et indépendante d'elle. On peut 
concevoir, en effet, trois sortes de frontières ; fron- 
tière politique, frontière militaire, frontière doua- 



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LA FRONTIÈRE DU NORD-EST 197 

nière, ne coïncidant pas nécessairement. A cet 
égard, on retrouve, dans Thistoire, de nombreux 
exemples de ces conceptions différentes, que Tusage 
a peu à peu modifiées. L'occupation militaire est 
une conception, la frontière militaire en est une 
autre, et toutes les deux peuvent différer essen- 
tiellement de la frontière politique ; il est inutile 
d'insister davantage. 

Les partisans de cette théorie invoquent les 
époques troublées de notre histoire et affirment 
que, quelles que soient les modalités nouvelles de 
la guerre moderne, ses engins perfectionnés, sa 
concentration rapide, son tir à longue distance, le 
Rhin seul peut protéger la France. La guerre a 
beau changer les méthodes de combat, les positions 
naturelles sont encore celles qui protègent le mieux 
les armées et leur permettent de s'accrocher au 
terrain et de se reformer. Le Rhin, eomme plu- 
sieurs autres fleuves, dans la récente guerre, a 
constitué, durant toute l'histoire, une ligne de dé- 
fense naturelle très forte. Cette opinion, disent-ils 
encore, se relie à celle des généraux de la Révo- 
lution, des hommes de guerre et des ministres de 
la Monarchie, à celle de Charlemagne et de César 
lui-même. Vauban estimait que^ « tout ce qui est 
en deçà du Rhin convient à la France », est indis- 
pensable à sa sécurité. Le maréchal Gouvion Saint- 
Cyr écrivait que le € Rhin est le vrai champ de 
bataille des Français pour défendre leurs frontières 
du Nord et de TEst, la rive gauche est une posi- 
tion défensive inexpugnable, la seule qu'il con- 
vienne à la France de prendre, quand elle est en 
guerre avec TAllemagne. » Napoléon, de son côté, 
avait dit : € -Strasbourg, Mayence et Wesel sont 
les trois brides du Rhin ». A son tour Proudhon 
s'écriait avec emphase : « Qui tient le Rhin tient 



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168 LE RHIN ET LÀ FEÂNGE 

l'empire du monde 1 îfr Tel est Texposé général de 
cette thèse ^ : examinons-la dans ses détails. 



La frontière militaire au Rhin. 

Evidemment, la ligne de défense, constituée par 
un fleuve, de même que par une montagne^ n est 
point un obstacle infranchissable. Sa largeur est, 
à notre époque, une chose de peu d'importapccNi 
la Meuse, ni la Vistule,ni le Danube, ni même les 
monts Belès, malgré toute leur valeur stratégique, 
n'ont arrêté Tennemi. 11 en est ainsi pour le Rhin, 
dont le saillant de Mayence préseute même pour la 
défense un gros inconvénient. L^avantage de cette 
frontière militaire réside plutôt dans son éloigne- 
ment de la capitale. Sur toute son étendue (550 kil.), 
elle est distante de Paris d'environ 400 kilomètres ; 
c^est là un élément de sécurité incontestable. Sans 
la victoire de la Marne, la France était perdue. Si 
cette bataille décisive avait eu lieu sur le Rhin, la 
France n'aurait pas vécu les heures d'angoisse de 
Imvasion, L'éloignement de la frontière rhénane 
favorise également les ports de la Manche, dont les 
Allemands se sont approchés de moins de 100 kilo- 
mètres, et qui sont distants du Rhin de 500 kilo- 
mètres; Bruxelles et Anvers se trouvent désormais 
à une distance doublée, de même que Nancy, Reims 
et les départements de TEst. En présence d'une 

1. Voir à ce sujet l'intéressant ouvrage du commandant *** 
La Frontière militaire de la France, 2 vol. in-16*. Paris, Larose, 
1919, p. 45 et suiv* 



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LA FRONTIÈRE DU NORD-EST 199 

arm^ concentrée, une distance de 100 kilomètres 
à franchir n'est pas chose négligeable. 

On insiste sur des avantages encore plus grands. 
Avec les frontières de 1815 et de 1870, Tennemi 
avait, dans les plaines du Rhin, une admirable base 
de concentration et de préparation pour l'attaque. 
Les lignes d'invasion ont leur point de départ sur 
le Rhin, reliées entre elles par un réseau de routes 
et de voies ferrées ; Tenvahisseur n'a qu'à choisir. 
Le jour où l'Allemagne a toutes ses forces mili- 
taires au-delà du Rhin, cet avantage disparaît. La 
ligne des bases d'invasion s'écarte, et celles-ci s'éloi- 
gnent l'une de l'autre. L'une provient de l'Allema- 
gne du Nord, par Trêves et Longwy ; l'autre de 
l'Allemagne du Sud, par Forbach-Wissembourg. 
Entre les deux se trouve un massif montagneux, 
prolongement des Ardennes, de l'Eifel, du Huns- 
rûck, qui porte le nom de Taunus,de Westerwald, 
de Vogelsberg, de forêt de Thurînge, qui sépare 
le bassin du Rhin des tributaires de la mer du 
Nord et du Danube. Cette région est bien sillonnée 
de voies ferrées et nullement impénétrable, mais 
elle sépare les deux grandes lignes d'attaque, et la 
courbure du Rhin accentue cette séparation. L'ar- 
mée qui viserait Cologne et la Belgique, et celle 
qtii voudrait atteindre la Basse-Alsace et la région 
de Mont-Tonnerre-Mayence, auraient des bases 
d'opérations éloignées. Les nôtres seraient reportées 
plus près du I)^in pour la défense. L'ennemi, en 
attaquant, est obligé de franchir un fossé aussi large 
que le Rhin, en présence d'une armée puissante et 
sur ses gardes. La défense à l'Ouest devient donc 
plus facile ; elle possède, en effets les bastions de 
l'Eifel, de THunsrûck, deB Vosges, dont les derniers 
contreforts viennent à 30 kiloiùètres du fleuve. 
L'ennemi, ayant bombardé Strasbourg et franchi 



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200 LE RHIPÎ ET LA FRANCE 

le RhÎDj Se heurte âTix fortifications de campagne 
de la Basse-Alsace et du M on t - Ton o erre, qui suffi- 
raient déj^ i\ ralentir sa marche; il se trouve dans 
Tobligation d escalader une forteresse naturelle, 
aisée à défendre. Sur ce point même, il rencon- 
treraitj'du fait du massif de la Forêt Noire (à SOkil. 
du Rhin), de grosses difficultés dé concentration, 
et une riposte sur la rive badoise pourrait le gêner 
singulièrement. 

Les partisans de cette opinion la soutiennent 
encore en disant que les autres lignes de défense, 
comme nous Tavons vu, peuvent être tournées, tant 
que Tennemi possédera une place d'armes en deçà 
du Rhin, et que ce fleuve, en fin de compte, n'est 
pas un obstacle négligeable. « Par sa direction 
Sud-Nord, perpendiculaire aux grandes lignes d'in- 
vasion, par le volume de ses eaux et la rapidité de 
son cours, ainsi que par la largeur de son lit, il 
est une des barrières des plus difficiles à franchir^ 
même pour les armées modernes ^ » 

De Bâle à Mayence, le Rhin, il y a un demi-siè- 
cle, était rempli de hauts fonds et d'îles nombreu- 
ses ; aujourd'hui, son cours a été rectifié, mais 
dans plusieurs endroits les inondations lui donnent 
jusqu'à deux kilomètres de large, et d'anciens bras 
forment des frontières marécageuses, ce qui dimi- 
nue beaucoup les facilités d'accès. Le courant est 
des plus rapides. A Kehl, à Lauterbourg, à Spire, 
à partir de Bingen, le fleuve s'engage dans un dé- 
filé étroit ; il est profond, avec des rives très escar- 
pées. Après Bonn, son cours se ralentit et ses eaux 
se répandent sur des terrains bas. Mais il y a peu 
de ponts, depuis Bingen jusqu'à Cologne, et Ton ne 



1. Tr&v&ux du Comité d'études, op. cit,, Le Rhin, frontière 
mitïtaire, par le général Bourgeois, p. 332. 



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LA FRONTIÈRE DU NORD-EST 201 

compte que ceux de Geisenheim, Coblence, Bonn, 
Cologne et Honnef. Après Bonn, quoique le Rhin 
coule en plaine, les ponts fixes sont rares ; il y a 
ceux de Neuss, DûsseldorfiF, Rheinhausen, Ruhrort, 
Niederhalen, Wesel. Avec ces passages réduits, il 
serait facile à une armée, se tenant sur la défen- 
sive, munie d'une artillerie à grande puissance, de 
battre les ponts et d'en empêcher Tutilisation. L'en- 
nemi, qui même aurait franchi le fleuve, serait 
dans une situation défavorable, identique à celle 
des armées autrichiennes sur la Piave, en août-sep- 
tembre 1918. 

Eh occupant les têtes de ponts du Rhin: Kehl 
(Strasbourg) ; Mannheim (Ludwigshafen) ; Kastel 
(Mayence) ; Ehrenbreistein (Coblence) ; Deutz (Colo- 
gne); Wesel, et les ponts du Rhin, au nombre d'une 
vingtaine environ, en maintenant conventionnelle- 
ment une zone neutralisée au-delà du fleuve, nous 
connaîtrions d'avance remplacement des batteries 
allemandes, et nos pièces de défense, installées dès 
le temps de paix^ seraient bien placées pour les con- 
trebattre. L'assaillant ne pourrait monter d'autres 
batteries que sous notre feu. D'autre part, tout le 
territoire, entre le fleuve et la frontière actuelle, 
pourrait être préparé défensivement avec de puissan- 
tes organisations bétonnées. Si la France, avec la 
frontière militaire sur le Rhin, en occupe les têtes 
de ponts qui font partie de sa défense stratégique, 
les places fortes de Mayence, Coblence, Cologne, 
seraient vidées nécessairement de leurs garnisons 
allemandes, démantelées, mêmes neutralisées. C'est 
Tme conception qui du reste peut exister pour toute 
la rive gauche; nous avons là une « sûreté de po- 
sition extrêmement forte ». 

Peut-on, malgré Torganisation défensive de cette 
frontière, concevoir un mouvement tournant de l'as- 



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202 LB RHIN ET LA FRANCE 

saillant par la Hollande ? La traversée du Rhin au 
Nord serait difficile, dit-on, è cause de la largeur du 
fleuve. D'autre part, la frontière étant reculée au 
Rhin, la région du réseau ferré très dense, qui cou- 
vre le triangle Aix-la-GhapeUe-Cologne-Emmerich, 
serait très avantageusement utilisée pour la défense, 
alors que jusqu'ici elle favorisait Tattaque allemande. 
Même si la violation du territoire hollandais avait 
lieu, elle ne se produirait que dans la région d*Arn- 
hem^ par la Gueldre et la Frise, et viendrait se 
heurter à la Lek, au Wahal et à la Meuse, où elle 
pourrait être devancée par une armée défensive qui 
partirait, non plus de Maëstricht, mais de Nimèffue. 

Reste rhypothèse de Finvasion par l^a Smsse. 
Serait-elle avantageuse pour rAllemagae ? Elle 
l'obligerait à allonger sa ligne sur le front de l'ar- 
mée suisse et de l'armée française, car on suppose 
que l'armée suisse résisterait, et ce n'est pas un fac- 
teur négligeable, dans un pays montagneux. La 
Suisse dt reste enfonce comme un coin dans l'Al- 
lemagne du Sud, et Tarmée allemande aurait fort à 
faire avant d'arriver à la hauteur du front alsacien. 
Elle ne pourrait avoir pour objectif que la vallée 
de la Saône et la région de Lyon, et non plus Paris. 
Nous aurions le temps de nous retourner. Avec le 
Rhin, frontière stratégique, avec une occupation 
militaire de la rive gauche, qui permet de maîtriser 
les chemins de fer, les routes^ les télégraphes et télé- 
phones, la France, conclut-on, est en pleine sécurité. 

Tels sont les^ arguments présentés par les parti- 
sans de la frontière stratégique reportée au Rhin. 
Nous allons voir comment, pour faire triompher 
leur opinion, ils envisageaient Foccupation des ter- 
ritoires rhénans. Hâtons-nous de dire que la solu- 
tion, qui prévalut au Traité de paix, lut quelque 
peu différente. 



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CHAPITRE XIII 

OCCUPATION ET PROJETS D AUTONOMIE 
DES TERRITOIRES RHÉNANS 



I 



Les premiers organismes et les zones 
d'occupation. 

Avec le mode d'occupation, tel qu'il résultait de 
la convention d'armistice, il ne s'agissait aucune- 
ment d'annexion, ainsi que nous l'avons fait obser- 
ver. L'occupation de 1919, simple occupation de 
garantie, de protection, différait essentiellement de 
celle de 1795, qui conduisait à l'annexion. C'était 
un moyen de coercition pour obliger l'Allemagne 
à exécuter les clauses de l'armistice. Elle n'entraî- 
nait aucun transfert de souveraineté ; l'administra- 
tion allemande devait continuer à s'exercer au nom 
de l'Empire et des Etats Allemands. Mais il fallait 
un régime spécial de police pour veiller à la sécu- 
rité des troupes d'occupation. L'administration al- 
lemande pouvait assurer les services publics avec 
négligence et à notre détriment, alors que la situa- 
tion politique du Reich était des plus troublées 
par les agitateurs bolchevistes et communistes. De 



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Wi LE EHIN ET LA FRANGE 

multiples questions d'ordre administratif pouvaient 
être soulevées, par suite de la présence même des 
troupes. La décision à prendre appartiendrait sans 
doute aux autorités alliées. 11 y avait donc lieu 
d'instituer, au-dessus de chaque autorité adminis- 
trative allemande, une autorité administrative mi- 
litaire ayant un pouvoir de surveillance et de coa- 
trôle, ainsi que 1 expose Tarticle 5 de la Convention 
d'armistice. 

Conformément à cette disposition, le maréchal 
Foch, commandant en chef des armées alliées, créa, 
le 14 novembre, un organisme spécial, confié à 
M. Tirard, maître des requêtes au Conseil d'Etat, 
qui s'était signalé au Maroc, d'une façon toute 
particulière, par d'éminents services rendus à la 
France. Cet organisme avait la mission d'élaborer 
des instructions permettant- aux armées d'assurer 
le contrôle de l'administration allemande. D'autre 
part, dans chaque armée, un certain nombre d'of- 
ficiers, avec le titre d' « officiers chargés de l'admi- 
nistration )^, furent affectés au contrôle de chacun 
des organes administratifs allemands, à Spire, où 
siègent le président de la province etleLandrat, à' 
Mayence, où siègent le directeur de la province de 
Hesse et la Diète provinciale. A Coblence, siège 
deVOberprâsidenty le contrôle était exercé par les 
Américains. 

La province rhénatie est divisée en districts, et 
chaque district en cercles. Le Palatinat et la Hesse 
sont divisés directement en cercles. Le district ne 
possède ni budget, ni administration populaire; il 
a, à sa tête un président, représentant du pou- 
voir central, auprès duquel est établi un contrô- 
leur. Le cercle a une Diète élue, chargée de voter le 
budget et les décisions administratives locales. Un 
directeur du cercle, agent du gouvernement, le 



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OCCUPATION ET PROJETS D^AUTONOMIE 206 

dirige ; oa plaça un contrôleur auprès de lui. 11 
n y eut pas de contrôle spécial pour les petites cir- 
conscriptions, comme le canton et la commune. 

En outre, il était prévu, dans chaque armée, un 
bureau des affaires civiles, pour préparer les arrêtés 
généraux de police, prescrire aux officiers contrô- 
leurs les règles administratives communes à appli- 
quer, recueillir tous les renseignements utiles aux 
autorités alliées. 

Au sommet de la hiérarchie administrative de 
contrôle, figurait le service créé par le maréchal 
Foch, qui reçut le nom de Contrôle général de 
l'administration des territoires rhénans, et fut orga- 
nisé à Luxembourg, auprès du Poste de Comman- 
dement du maréchal. Ce service avait deux fonc- 
tions. D'abord, assurer Tunité de contrôle parmi 
les armées alliées, afin que les mêmes principes 
fassent appliqués dans leurs rapports avec les auto- 
rités locales et avec les populations. Ensuite, ren- 
seigner les gouvernements alliés sur Tétat politique 
et économique de la rive gauche du Rhin, afin a y 
exercer leur action d'une manière efficace. 

Cette occupation, avons-nous dit, était une occu- 
pation de garantie et de sécurité. Elle avait donc 
un objectif militaire. Comme dans ces territoires 
occupés, il ne devait j avoir ni troupes allemandes, 
ni canons, ni forteresse, aucune formation de com- 
bat, quelle (ju'elle soit, il va sans dire que la fron- 
tière stratégique de la France semblait reportée au 
Rhin. Militairement parlant, il n'y avait, au point 
de vue de la défense du territoire de la France et 
de la Belgique, aucune solution de continuité entre 
le Rhin, d'une part, et Paris et Bruxelles, d'autre 
part. Qui plus est, cette garantie militaire était 
renforcée par une très forte occupation des têtes 



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206 LE AHI» BT LÀ FfiANCË 

de ponts de Mayence, Coblence, Cologne, conforme 
aux théories des Révolutionnaire s et de Napoléon ; 
en 50inmê, de tous les hommes de guerre de cette 
époque « Mdis les partisans de ce système défensif, 
ceux qui considéraient que la nouvelle frontière 
française, identique à celle de 1815, était insuffi- 
samment protégée, logiques avec eux-mémes^allaient 
jusqti^au bout de leur théorie. Cette occupation, 
nécessaire au point de vue militaire, devait être de 
durée indéterminée. Elle avait, dans beaucoup d'es- 
y/ prits, un corollaire indispensable pour présenter un 
maximum de sécurité : la constitution de la rive 
gauche en un Etat neutre ou en plusieurs Etats 
neutres. On pouvait concevoir, ou bien la création 
d'un Etat rhéno-westphalien unique, ou bien de 
plusieurs Etats distincts, indépendants, ou associés 
par les liens d'une Confédération rhénane. C'était 
évidemment aux populations à en décider. Il y 
avait des nuances plus ou moins tranchées entre 
les territoires de la rive gauche, entre le Palatin 
et rhabitant d'Aix-la-Chapelle, de Coblence ou de 
Mayence,par exemple. 11 y en avait de plus grandes 
encore entre ces populations de la rive gauche et 
celles de la Westphalie. Il fallait en tenir compte. 
L'influence française était plus importante dans le 
Palatinat et la Hesse que nulle part ailleurs. Fal- 
lait-il adjoindre à ces pays des régions voisines, 
où cette influence était plus faible ? 

Il ne s'agissait, à aucun titre, d'annexion. Cet 
Etat ou ces Etats, une fois constitués^ seraient 
déclarés indépendants ; leur indépendance serait 
surveillée par la Société des Nations. L'occupation 
serait effectuée par des troupes interalliées, placées 
sous la sauvegarde de la Société des Nations, et 
la frontière occidentale de l'Allemagne serait repor- 
tée au Rhin. On reprendrait, en l'élargissant, la 



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OCCUPATION ET PR0JBT3 d'aUTONOMIB 207 

politique suivie au cours des xyii*' et xvni® siècles, 
et que nous avons déjà exposée. Des traités d^al- 
liance défensive avec cet Etat ou ces Etats autono- . 
mes nous donneraient toute sécurité, nous obli- 
geant à les défendre, c^est vrai, mais les faisant 
rentrer dans l'orbite de notre politique. Ils devien- 
draient «Etats-tampons », entre la France et l'Al- 
lemagne plus ou moins désarmée. 

Certains ne se faisaient guère d'illusions sur ce 
désarmement de l'Allemagne. C'était Topinion du 
maréchal Foch lui-même. M. A. Tardieu a dit qu'il 
n'avait pas voulu introduire dans l'armistice, sui- 
vant les déclarations de M. Clemenceau à M. Lloyd 
George, le 23 janvier 1919, lors de la première 
conférence des Alliés, un article obligeant TAUe- 
magne à réduire ses hommes et son matériel, car 
il ne voulait pas de clause dont « il ne pourrait 
surveiller Texécution ». Le 24 janvier, il disait de- 
vant le Conseil, qui l'avait fait appeler, poursuit 
M. Tardieu : « Nous pouvons insérer dans le pro- 
chain armistice une clause imposant à l'Allemagne 
une démobilisation effective en hommes et en ma- 
tériel. Mais le contrôle de l'exécution sera très dif- 
ficile et le rendement plus que problématique. Le 
seul moyen de pression, c'est d'abord et surtout de 
garder de gros effectifs mobilisés et ensuite, et sub- 
sidiairement, le blocus ^ ». Il est si aisé de dissimu- 
ler des armes, d'en fabriquer clandestinement, 
d'instruire des troupes ou d'entretenir leur instruc- 
tion, déjà commencée dans des sociétés de gymnas- 
tique ou de vétérans, de reprendre, en somme, sous 
une forme ou sous une autre, l'œuvre de 1812. La 
prochaine guerre sera-t-elle uniquement affaire de 
machinisme? Nous avons bien débuté dans la cam- 

1. Voir la Paix^ 1 vol. Paris, Payot, in-8% 1921, p. 142. 



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^08 LE RHIN ET LA FRâMCE 

pagne avec tine pénurie de canons lourds, de fusils 
et de mitrailleuses ; il ne faut peut-être pas se lais- 
ser hypnotiser par la seule question du matériel. 
Un Etat ou des Etats rhénans, liés à la France 
par de fortes relations économiques, par des allian- 
ces politiques et militaires, seraient une barrière 
ou un champ de protection, entre T Allemagne et 
nous. 

Le statut administratif de cet Etat ou de ces 
Etats se présenterait sous la forme d'un contrôle 
allégé, comme dans les pays de self government. 
Les pouvoirs du gouvernement local et du gouver- 
nement de TEtat occupé resteraient entiers, et né- 
cessairement l'autorité du résident général mili- 
taire et du haut commissaire civil serait très limitée. 
Des conventions expresses pourraient même les 
déterminer. En tout cas, le contrôle se traduirait, 
non par une intervention dans la vie politique et 
administrative des Etats rhénans, mais par un sim- 
ple visa dans la promulgation des actes législatifs 
ou des décisions du pouvoir exécutif intéressant la 
sûreté du pays ou ses relations extérieures. En 
somme, ces Etats, absolument libres, régleraient 
eux-mêmes leur constitution, leur législation, leur 
administration, auraient des assemblées exerçant 
le pouvoir législatif ; un commissaire plénipoten- 
tiaire, assisté de trois délégués des Puissances oc- 
cupantes, veillerait à ce que les textes ne fussent 
pas contraires aux décisions prises par la Confé- 
rence. 

A ce point de vue politique était liée la ques- 
tion économique. Si la rive gauche était constituée 
en un Etat autonome, sous une certaine surveil- 
lance, elle devait nécessairement orienter en partie 
sa production et ses débouchés hors d'Allemagne, 
vers la France et TEnteate, et le Rhin devenait le 



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OCCUPATION ET PROJETS D*AUTONOMIE 209 

véhicule des courants économiques. Au moment 
OÙ tant de situations se transformaient, ne pou- 
vait-on admettre que des combinaisons naîtraient, 
auxquelles s^adapteraient les intérêts matériels de 
ces pays ? On pourrait établir, par exemple, entre la 
France, la Belgique et ces Etats, un système d'al- 
locations préférentielles de matières premières, des 
conventions pour la répartition des charbons. Grâce 
à un régime douanier spécial, — car, au point de 
vue économique, ils seraient indépendants de TAl- 
lemagne, — ils auraient des débouchés en pays 
alliés ou neutres. Certains de leurs produits béné« 
ficieraient de Tadmission temporaire, surtout si le 
Rhin devenait barrière douanière, et notre marché 
colonial leur serait ouvert au moyen de contin- 
gents spéciaux. Il pourrait y avoir, en outre, col- 
laboration avec l'industrie française sur les marchés 
d'exportation et pour la reconstitution des régions 
dévastées. Les Rhénans pourraient jouir, enfin, d'un 
régime de banque avantageux et d'un régime mo- 
nétaire spécial qui éviterait la dépréciation du mark. 
Il y aurait intérêt pour nous à utiliser plus com- 
plètement la production rhénane, tant pour favo- 
riser le consommateur que pour exporter de France 
et rétablir ainsi notre balance commerciale. Ce se- 
rait encore un moyen de travailler à la reconsti- 
tution des régions dévastées. 

L^occupation militaire, la création d'une « mar- 
che » sur le Rhin, imposaient des charges aux po- 
pulations. Si elles n'avaient plus de service mili- 
taire à fournir, en revanche, le service des chemins 
de fer, la production des matières premières, l'ad- 
ministration du pays rhénan étaient grevés d'un 
contrôle que le nationalisme allemand supporterait 
avec peine. Avec l'autonomie, toutes ces charges 
seraient des plus réduites, notamment les charges 

14 



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214Ï LE RHIN IT LÀ FBANCQ 

de guerre ; il j aurait des traités de garantie ; des 
avantages économiques et financiers seraient con- 
sentis, comme corollaire de cette autonomie, et 
feraient naître un état d^esprit favorable, sinon à 
la France, du moins au maintien de Tétat de paix, 
et kostile aux conceptions militaristes d'Outre- 
Rhin. Que Toccupation militaire resté donc légère 
et qu'on s'efforce de développer les intérêts com- 
muas, en multipliant les relations économiques 
entre les pays de TEntente et les Etats rhénans 1 
Il y avait là, en somme, toute une heureuse poli- 
tique de collaboration à réaliser. 

ues avantages économiques, le statut douanier, 
coDsentis par les Alliés aux Rhénans, disaient les 
partisans d'une occupation indéfinie, seraient pour 
eux la compensation des charges de cette occupa- 
tion, et la conséquence de la constitution de cet 
Etat indépendant» qu'ils rêvaient. Grâce à la for- 
mation de cet Etat autonome, on surveillerait plus 
complètement, non seulement la tenue des garni- 
sons, mais la production du charbon, les produc- 
tions chimiques, bases des armements de guerre, 
puisque désormais les débouchés de ces pays se- 
raient orientés hors d'Allemagne. Ainsi toutes ces 
questions étaient liées les unes aux autres. 

Dans l'état actuel des choses, une telle politique, 
comportant de telles solutions, était-elle possible 
en Rhénanie ? Les défenseurs de cette thèse invo- 
quaient les sentiments des Rhénans en notre fa- 
veur, et leurs arguments ne laissaient pas d'être 
troublants. 



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OCCUPATION ET PROJETS d' AUTONOMIE 211 

II 

Les sentiments âatonomistes Wï Rhénânlé. 



Au cours de cette étude, nous avons marqué les 
différences profondes de types, de caractères, de 
sentiments, d'idées, dlntérêts, qui existent entre 
Rhénans et Prussiens. Chez les habitants du Rhin, 
le sang gallo-romain subsistait dans certains mi- 
lieu;»: et prédominait même. Le Gerûiain ne s'était 
pas implanté en rive gauche comme en rive droite ; 
il avait été absorbé par une civilisation supérieure^ 
qui le dominait ; seul le fonctionnaire prussien, 
qu'on avait multiplié à dessein, marquait remprise 
germanique. Le caractère était plus enjoué, plus 
gai, plus affiné sur la rive gauche, où même la 
complexion des habitants, et notamment des fem- 
mes, rappelle celle de nos provinces du centre. 
Les jeuûes filles ont des allurfes plus dégagées, 
des tournures élégantes et gracieuses qu'on ne 
retrouve pas sur la rive droite. Il n'est pas rare 
de noter chez les Rhénans aux cheveux bruns le 
type du plateau central. Peut-être aussi le clithat 
est-il moins rude, le soleil plus chaud sur les bords 
du Rhin, notamment dans le Palatinat, et y adou- 
cit-il les mœurs ? En tout cas, le type de la race a 
influé sur le caractère des habitants et sur leurs 
sentiments. 

De manières plus indépendantes, comme le Gau- 
lois, le Rhénan supportait mal la domination de la 
Prusse^ ses procédés de vasselage administratif. 
L^apport du sang gallo-romain lui avait laissé^ 
comme à nos ancêtres, un plus vif sentiment de li- 



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212 LE RH1> ET LA FRANCE 

berté, La liberté était née en Grèce et à Rome. 
C'est du Midi qu'était parti le mouvement des 
Communes ; c'est là que Tinfluence révolutionnaire 
avait été le plus prononcée ; c'est le Midi qui avait 
donné naissance aux plus brillants, aux plus ar- 
dentSy aux plus généreux orateurs de nos assem- 
blées, après 1789. Aussi la Révolution avait-elle été 
accueillie sur le Rhin dans le plus vif enthousiasme. 
Chez ceux qui apportaient les grandes idées de 
liberté, les Rhénans retrouvaient leurs frères de 
jadis, ceux qui, de tous temps, avaient combattu la 
barbarie et l'esclavage, depuis Charlemagne. Aussi 
les procédés absolutistes de la Prusse convenaient- 
ils mal aux descendants des Gaulois et des volon- 
taires de 1793. 

Il n^y avait pas eu assimilation, incorporation, 
mais conquête, et c'est cette conquête prussienne 

3ui avait fait Tunité, aussi l'opposition de ten- 
ances et de sentiments était-elle vive entre l'Al- 
lemagne de l'Ouest, l'Allemagne de la petite pro- 
priété, des usines, du commerce, TAllemagne 
nouvelle, avec l'Allemagne de TEst, TAUemagne 
féodale, TAUemagne des hobereaux et de la grande 
propriété. Du reste, les pays rhénans avaient subi 
une évolution historique bien différente de celle de 
la Prusse et du reste de TAllemagne. Il y avait là 
des sentiments particularistes plus intenses, qui 
provenaient de cette multiplicité de petits Etats 
indépendants et jaloux de leurs privilèges, ratta- 
chés au Saint-Empire par le lien de vassalité le 
plus ténu. Ils provenaient aussi de cette civilisation 
originale et particulièrement brillante, héritière de 
la culture gréco-latine, qui avait laissé sur la rive 
gauche, et jusque dans les Champs Décumates sur 
la rive droite, les traces de sa grandeur et de ses 
conceptions politiques. 



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OCCUPATION ET PROJETS d' AUTONOMIE 213 

La Prusse, depuis 1815, faisait peser sur les 
provinces rhénailes un militarisme qui heurtait 
l'esprit libéral des populations, une tutelle pesante. 
Elle avait des procédés administratifs que les Tré- 
virois, les Coblençais et surtout les Palatins détes- 
taient au fond de Tâme. Nous avons vu, et cela se 
continuait, que le gouvernement impérial évitait 
de titulariser, comme fonctionnaires, les habitants 
de la province ; ceux-ci étaient relégués dans des 
emplois subalternes, arrivant tout au plus à être 
juges de paix. De nombreux maires de communes 
rurales, même de faible importance, étaient origi- 
naires de l'autre côté du Rhin. Il y avait, sur la 
rive gauche, au moins 20.000 fonctionnaires, ser- 
viteurs fidèles de la constitution prussienne. En 
matière d'enseignement, la Prusse était particu- 
lièrement exclusive, afin de maintenir son auto- 
rité. Elle n'avait pas voulu instituer, dans le pays, 
d^écoles où les jeunes gens pourraient recevoir 
une formation administrative. Il n'y avait en pays 
rhénan que l'université de Bonn, dont les profes- 
seurs étaient prussiens, et les élèves soigneuse- 
ment catalogués et surveillés. Parmi les jeunes 
Palatins, la plupart se rendaient à Munich pour 
recevoir un enseignement supérieur. Les riches 
industriels de Cologne, d'Aix-la-Chapelle, les habi- 
tants de Mayence, souffraient de cet exclusivisme 
et en voulaient amèrement à la Prusse de réserver 
ses faveurs à ses officiers ou fonctionnaires. Les 
Rhénans étaient irrités de Tautorité exercée sur eux 
ar Berlin, et les Palatins eux-mêmes détestaient ^ 
a Bavière. D'un côté, on imposait à des catholiques, 
des fonctionnaires protestants; d'autre part, dans 
le Palatinat protestant, il y avait des fonctionnaires 
catholiaues. 

Or, aans les provinces rhénanes de la Prusse, 



r. 



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214 LE RHIN BT LA FRANGE 

ooinme dan& la Hessa et le Palatmat, les sentiments 
catholiques étaient très profonds et créaient des 
différences encore plus marquées entre les deux po- 
pulations. Nulle part en Europe, peut-être, les con- 
victions religieuses ne sont aussi vives que dans le 
pays de Trêves. Les petites chapelles^ disséminées^ 
le long des routes, soigneusement entretenues, les 
pèkrinages de pénitence, de Cologne à Trêves, 
laits entièrement à pied, les pénitents marchant 
avec des chaussures garnies de cailloux, la proces- 
sion dansante d'Ësternach, où viennent npmbreux 
les habitants de TEifel, attestent cette religiosité 
ardente. Pour le protestant sceptique et froid^ de 
telles manifestions constituent une superstition ri- 
dicule qu'il dédaigne ou méprise. Les catholiaues 
sont offusqués de ces critiques; elles avivent leur 
haine. Du reste, les luttes du Kulturkampt ne 
sont point oubliées. Bismarck avait livré, en Khé- 
nanie, une grande bataille pour étouffer ce brasier 
de foi ardente qui séparait de TEmpire cette région 
où, grâce à leurs affinités religieuses, les catholiques 
autrichiens et français pouvaient exercer une cer- 
taine influence '. 

La domination de la Prusse avait certes contri- 
bué, pendant le siècle dernier, à. la prospérité des 
provinces rhénanes. Y avait-il eu vraiment relation 
de cause à effet? Le grand mouvement d'exploita- 
tion des richesses du sol> mines de houilte, de 
plomb, de zinc, de nickel, la vaste expansion in- 
dustrielle et commerciale, qui ont caractérisé Ift 
première partie du xix' siècle en Europe, s'étaient 
particulièrement manifestés en pays rhénans, au 
moment où, la Prusse s'y implantait. Sans elle, très 
certainement cet essor économique et industriel se 

!• V. Goyau, Biimareh et VEgliie, i vol. in-l«, Parii, Perrin. 

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J 



OCCÛPATlOI^ Et PROJETS d' AUTONOMIE 2lS 

serait produit. Evidemment, la Rbénanie profita de 
l'habileté des înçénîeurs techniciens de F Allemagne, 
de Tesprît audacieux de ses banquiers et capitalistes, 
qui lancèrent maintes entreprises dans le pays. La 
région de Ludwisgshafen allait conquérir, avec ses 
produits chimiques, le premier rang aans le monde ; 
des voies ferrées, dont le nombre avait été rapide- 
ment augmenté par la Prusse^ desservaient la Rhé- 
nanie. Mais si les Rhénans ^ habitués à supportée 
n'importe quel maître et qui en changèrent tant de 
fois dans leur histoire, attribuaient, dans une cer- 
taine mesure, à la Prusse, cette situation brillante^ 
ils ne s'y trompaient pas cependant. Dans le do-» 
maine industriel et financier, la tutelle prussienne 
leur pesait, car ils voyaient qu'elle servait imique^ 
ment aux besoins commerciaux de TAIIemagne et 
que leurs intérêts propres étaient délaissés. Ces 
contrées riches, éloignées du centre des Etats dont 
elles dépendaient, se plaignaient d'être exploitées. 
Ainsi le Palatinat contribuait lourdement aux dé- 
penses de la Bavière, participait aux trais des 
routes, des canaux bavarois, alors qu^ assurait 
seul l'entretien de ses routes à lui et des travaux 
de navigation du Rhin. Il payait les écoles de Ba^ 
vière, alors que chez lui une seule école était à la 
charge de l'Etat bavarois. 

Le système, de perception, des impôts était pFui? 
onéreux en Palatinat qu'en Bavière. Depuis vingt*» 
six ans, le Palatinat avait versé 22 millions par 
an pour aider à boucler le budget des impôts fon- 
ciers bavarois, sans rien recevoir lui-même en 
échange. Eh Hesse rhénane, les préoccupations 
particulières étaient les mêmes au point de vue 
financier. On critiquait fort, lors de Farmistic^, 
un pr^ojet d'impôt dé guerre destiné à couvrir le 
déficit de l'adininistration <fes chemins dte: fer de 



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216 LE RHIN ET LA FRANCE 

la Prusse hessoise, frappant les revenus supérieurs 
à 7.000 marks, bien plus nombreux en Hesse rhé- 
nane qu'en Haute-Hesse. L'impôt pèserait donc 
surtout sur la Hesse rhénane et pour des lignes 
situées en Haute-Hesse. 

Dans la province rhénane, on faisait observer 
que les pays du Rhin fournissaient, à eux seuls, 
un tiers du revenu total des impôts prussiens. Ils 
entraient pour 46 Vo» dans le trafic des chemins de 
fer prussiens. En 1917, sur un total de 473 mil- 
lions pour Tensemble de la Prusse, ils avaient 
fourni, comme impôts, 152 millions de marks, et 
un total de 2.640.000 marks imposés sur la tota- 
lité des 7 millions de la contribution prussienne. 
Malgré cela, pendant les cent ans de domination 
de la Prusse, ces pays n'eurent jamais part à la 
direction de l'Etat *. 

D'autre part, les troubles sociaux qui sévissaient 
en Allemagne, à la suite de la défaite, causaient 
aux Rhénans les plus grandes craintes. Les indus- 
tries et manufactures de Cologne, Crefeld, Lud- 
wisgshafen, Hôchst, Pirmasens, etc. avaient réa- 
lisé de très gros bénéfices pendant la guerre. Les 
agriculteurs s'étaient enrichis, vendant leurs pro- 
duits, devenus très rares, à un prix élevé. Il y 
avait enfin l)eaucoup de capitaux disponibles qui 
n^avaient pu s'employer. Après la fuite éperdue 
des princes, la Révolution grondait de l'autre côté 
du Rhin et pouvait s'étendre à la rive gauche, puis- 
que des usines de guerre s'arrêtaient et que beau- 
coup d'ouvriers se trouvaient en chômage. Le 
spartakisme grandissait à mesure que la désillusion 
du peuple était plus vive ; les armées alliées 
étaient appelées à protéger la Rhénanie. Toute 

1. Communal Politische BlâUer,isLnr, 1919, 



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OCCUPATION ET PROJETS D' AUTONOMIE 217 

TEurope était en gestation et allait subir des rema- 
niements profonds, annoncés de tous côtés. L'Em- 
pire était menacé de dissolution ; le tr6ne des 
Hohenzollern avait volé en éclats ; que ferait 
demain la puissance delà Prusse, qui reposait sur la 
force des armes et s'était effondrée avec la capitu- 
lation ? L'émeute, comme en Russie, semblait 
devoir tout emporter. Pour les bourgeois conser- 
vateurs de la rive gauche, pour les agriculteurs 
pacifiques attachés à la propriété du sol, il faUait 
par tous les moyens sauver les éléments constitu- 
tifs de Tordre social. Il s'élevait chez les Rhénans, 
qui ne voulaient pas se laisser entraîner aux ex- 
cès de Berlin, des protestations véhémentes. C'était^ 
avec la victoire, le fara da se des pays rhénans, 
qui se posait. Ils devaient se sauver eux-mêmes, et 
contre des troubles menaçants et des lois d'ins- 
pirations socialistes, que le Reich ou Berlin vou- 
drait leur imposer au nom de la Révolution triom- 
phante. Ainsi, l'armistice intervenant brusquement, 
allait fournir à des sentiments, qui couvaient depuis 

{)lus d'un siècle, à des divergences d'instincts pro- 
ondes, à des nécessités immédiates, l'occasion ines- 
pérée de se manifester. 

Tous ceux qui, à cette époçjue, ont vécu dans ces 
pays-là, — et le fait fut consigné dans maints rap- 

f^orts envoyés à Paris par le Haut Commandement 
rançais, — affirment que les Rhénans s'attendaient 
à une séparation d'avec la Prusse. Ceux-ci assis- 
tèrent à la marche triomphale des Alliés, que, 
dans certains endroits, ils fêtèrent discrètement. 
Ils pensaient que l'ancien état de choses, qui venait 
de s'écrouler si misérablement, ne serait point 
restauré, et que les Français allaient rester sur le 
Rhin. La plupart croyaient même à une annexion 
par la France, à laquelle celle-ci n'avait jamais 



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219 LE RHin ET LA FftANCË 

soi^é. Dans le Palatinat, dans la Hesse, dan» 
la Prusse rhénane, autour de Trêves et de Colo- 
gne, maints habitants Tônt déclaré et le déclarent 
encore. Avec leur discipline d'esprit, leur amotnr 
de l'autorité et de Fordte, ils étaient prêts k subir 
cette nouvelle forme de gouvernement, qui, après 
tout, vaudrait bien Tancienne. Le IS novembre, 
là Kôlnische Volkszeitung (catholique) écrivait r 
« Nous, devons nous attendre maintenant à ce (jue 
la rive gauche passe sous la domination des vain- 
queurs )^, et te 28 décembre : c Berlin n*^est que 
la capitate des provinces barbares dé TEst. » Le 
baron de Saden, neveu de l'ancien chef du centre, 
écrit dans le National Z'eitung de Bâie r « Ube 
seule chose peut nous sauver, le morcellement dfe la- 
Hesse, q.ui donnera naissance à un véritable fédéra- 
lisme allemand. » Même idée dans les journaux ba^ 
varois, en ce qui concernait le Palatinat uni à 1^^ 
Bavière par la dj^nastie des Wittelsbach, aujour- 
d'hui déchue. Le Taçblatt de Berlin disait : c t-e 
souvenir de la dommation française est toujours- 
vivant dnns les esprits. Les habitants du P^atinatl 
vont se mettre avec les x/fainqueurs ». Dans- toute- 
la Rhénanie retentissait le Los von Berlin ^ 

EtaijL-il donc possible, pour les Alliés, s'ils l'avaient 
voulu, d'opérer la séparation de fa Rhénanie d'avec 
la Prusse ? Nous ne parions pas d'un démembre- 
ment du Reich, d'un séparatisme de Ta Bavière. 
C'était une autre politique, qui comptait dfe nom- 
breux partisans, et qui était indiquée notamment 
avec persistance par M. Hanotaux aans de brillants, 
articles. Nous n'envisageons que la rive gauche du 
Rhin seule, sans aliter au-delà* 



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OCCUPATION ET PR0JEÎT8 d'aUTONOMIK 3A9^ 

m 

Fhis la Révolution trîoii^ph^it à BerB^, plus ta 
revendication des libertés rhénanes devenait près* 
santé. Aussi une réunion fut-elle décidée à Cologne, 
le 4 décembre, par les promoteurs du mouvemeijt. 
A rupaQimité d^ milliers d^ personnes, mo^is deux,^ 
Torci^e du jour suivant fut adopté : 

Cinq mille citoyen^ rhénans, réunis le 4 décembre 
1918, à Cologne, considérant les profondes transforma- 
tions politiques qui se produisent en Allemagne, 

Reconnaissant l'impossibilité absolue de former à 
Berlin un gouvernement stable, 

F^rssiadjés quia bs régipns^rhénanes, ainai q^e la Wastrv 
ph^Jie, possèdent suffisamment de force poîîtiq^e- et 
économique pour foro^er un. Çtat distinct, 

PéclareQJb Ijeu^ volonté inél^ranlable de maintenir 
l'unité allemjande et de travailler à la coiistitution d'un 
nouvel Etat allemand, composa des régions rh^£^nes et 
de la Westpalie. 

L'assemblée invite donc les représentants officiels du 
peuple rhénan, et westphalien à proclamer le plus tàt 
possible la fondation œune r^ublique. autonome^ rhé<-- 
nanorw^tphalienud dans b cadre de l'Allemagne. 

Viye la liberté rhénane I^ 

te 5 décembre, eut lifeUj à, Cologne h. première 
réunion dfe la Eigue pour la liberté rhénane, où te 
professeur Dr» Eckert (démocrate), le Dr. Bôher 
(centre) et Meerfeld (député socialiste), firent accla- 
^S^i B^K li^fts^n^blé^ If id^' d;£^^tpnQmiQ♦.Le mouve- 
ment séparatiste se manifesta, non seulement dans* 



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220 LE RHIN ET LA FRArtCfi 

des réunions publiques, mais dans des journaux et 
des brochures, aussi bien dans la région de Cologne 
qu^en Nassau. Dans des articles, parus dans la 
Rheinische Volkszeitung ^ de Wiesbaden, le profes- 
seur Claus Krâmer insista sur le droit des peuples 
allemands à disposer d'eux-mêmes, mais il ne 
s'agissait pas d'une séparation d'avec l'Allemagne, 
en tant qu'empire ; la Prusse seule était visée, et 
c'était Tessentiel. 

De Trêves, le député Trimborn télégraphie, le 
6 décembre, que lui et ses amis demandent la cons- 
titution d'un Etat libre rhénan. La Trierische Lan- 
deszeitunÇy ainsi que le clergé et le chapitre métro- 
politain de Trêves, soutiennent la même politique. 
Ce mouvement gagne les associations de paysans 
catholiques et le groupe des catholiques nationaux 
dirigé par des propriétaires fonciers, moins démo- 
crate que le Centre, et qui redoute l'emprise socia- 
liste de Berlin *. En somme, ce mouvement naît 
dans des milieux très différents et au sein de partis 
variés, prenant les formes les plus diverses. 

Quels pays engloberait le nouvel Etat ? A ce 
sujet, il y avait diverses opinions. Pour les ims, on 
créerait une vaste République s'étendant sur la rive 
^ droite du Rhin, comprenant la Westphalie, la 
Hesse, le Nassau, tous les anciens pays gallo-ro- 
mains, qui avaient constitué les Champs Décuma- 
tes et touchaient même au Hanovre. Pour d'autres, 
on constituerait de petites républiques distinctes, 
en Palatinat, en Hesse, en Rhénanie, limitées 
au Rhin. D'une façon générale, les Rhénans dési- 
raient rester allemands^ mais non prussiens, jouir, 
par conséquent, dans le Reich, d'un statut qui leur 



1. V. Dr. Fritz Brûggeman,Z)ic Rheinische Republik, Bonn, 
1919. 



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OCCUPATION ET PROJETS d'aUTOKOMIB 221 

aurait conféré, avec Vindépendance, une situation 
commerciale et financière privilégiée. Mais, sur ce 
point, les conceptions variaient. Ou bien les nou- 
veaux Etats feraient partie intégrante de TEmpire 
allemand, avec les avantages d'autonomie déjà 
indiqués, ou bien cette autonomie même serait 
encore plus étendue. Le nouvel Etat jouirait d'une 
véritable neutralité sous le contrôle des puissances 
alliées ou de la Ligue des Nations. Il y aurait union 
douanière et commerciale avec d'autres puissances, 
ce qui permettrait à FEtat de vivre et de pros- 
pérer. La question économique a dominé et domine 
toute la politique rhénane. 

Les partisans de la grande République de TOuest, 
comme ceux qui voulaient garder un lien plus 
étroit avec l'Empire, estimaient que des relations 
entre les industries de la rive gaucne et de la West- 
plialie et les industries du reste de l'Allemagne 
étaient indispensables à la prospérité de la Rhé- 
nanie, aujourd'hui comme avant la guerre. Il ne 
semblait pas que la rive gauche pût vivre indus- 
tr-iellement sans les régions voisines de la rive 
droite ; Cologne, Essen, Dûsseldorf, Francfort, 
Mannhçim. Cette République de TOuest, englobant 
le bassin rhéno-westphalien et la région d'Essen, 
deviendrait l'Etat industriel le plus puissant de 
l'Empire. 

Les partisans d'Etats limités par le Rhin consi- 
déraient comme dangereuse, pour le maintien de 
l'ordre, Tunion des pays de rive gauche avec ces 
régions peuplées d'ouvriers en majorité socialistes. 
Sur la rive gauche, en effet, le Centre dominait et 
il redoutait la contagion communiste. Alors il fau- 
drait créer de nouveaux courants économiques vers 
l'Ouest, obtenir des conditions de paix particulières 
chez les Alliés, afin de trouver là les ressources et 



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ttî LE BHIN ET LA FRà^XE 

les matières premières qui manqueraieDt, à la suite 
des représailles vraisemblaMement adoptées par 
l'Empire. 

Ce mouvement séparatiste était favorisé, sur là 
rive gauche, par les catholiques et le clergé. On par- 
lait beaucoup^ en Allemagne^ à ce moment-là^ d'une 
séparation de T Eglise et de TEtat accomplie sous 
l'influence socialiste, et les catholiques la redou- 
taient. Les menaces d'un nouveau Kuliutkampf^ 
les projets d'Adolpb Hoffmau, pour le régime des 
cultes, les effrayaient. Du reste, .en général, ils 
étaient désireux d'échapper à la tutelle des fonc- 
tioDnaires protestants de Prusse- Les paysans, très 
dévots, suivaient les directions du clergé ; comme 
eux, la bourgeoisie riche et cléricale, effrayée des 
désordres bolchevistes, désirait ardemment la cons- 
titution d'une République rhénane. La classe ou- 
vrière se conformait à l'impulsion donnée par ses 
leaders. En général, ceux-ci combattaient la Répu- 
blique rhénane, parce que voulue par les capita- 
listes et favorable à leurs intérêts, et travaillaient 
au maintien de l'unité de TÉmpire pour fonder une 
République allemande socialiste. Une république 
en Allemagne ne pouvait être que ceûtralisée^ hos- 
tile donc à tout fédéralisme ou particularisme. 
L'Allemagne doit former une vaste unité socialiste^ 
d^où disparaîtront les anciens Etats. C'est un tra- 
vail de nivellement, que les socialistes veulent opé- 
rer pour mieux propager leurs doctrines, travail 
semblable à celui aUe Bismarck, quoique agrarien 
et conservateur, enectua avec l'aide du parti libéral 
pour briser le particularisme féodal. A cette Allema- 
gne mieux uninée s'agrégeraient l'Autriche, puis les 
pays baltiques et balkaniques, au nom de ^Interna-» 
tionale. Quel beau rêve d'expansion 1 Donc pas de 
tendances autonomistes. On les combattra avec les 



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r. 



OCCUPATION ET PROJETS d'aUTONOMIB 223 

revendicatioiis ouvrières et même avec une forte 
ropagande, en suscitant des grèves, comme dans 
a Sarre, en avril 191&. Le mot d'ordre part de Ber- 
lin, avec la complicité d'Erzberger et de ses amis 
du Centre qui favorise Tunité de l'Empire et a 
besoin des socialistes pour garder le pouvoir ; mais 
le Centre n est pas obéi en Rhénanie. Si les indé- 
pendants sont favorables aux .manifestations auto- 
nomistes, en revanche les socialistes majoritaires 
y sont résolument opposés. 

Les partisans d'une République rhéno-westpha- 
lienne étaient les plus nombreux en rive gauche* 
Lelirs tendances d'esprit, leur culture, les portaient 
à constituer, contre la Prusse rétrograde, une Alle- 
magne nouvelle, libérale, démocratique, fédérative, 
dont ils seraient les inspirateurs. Evidemment, ils 
désiraient le maintien, au sein de l'Empire aile- 
mand) de ce nouvel Etat séparé de la Prusse et 
de la Bavière. Mais quelle était Tattitude de ces 
deux Etats et Tattitude des Alliés qui oécupaient 
le pays ? Rien ne pouvait être fait sans eux. Les 
Alliés devaient régler, à la Conférence de Paris^ 
le statut politique futur des populations de la rive 
gauche du Rhin. Les Rhénans le savaient, et, 
avec leur esprit de discipline, ils attendaient un 
mot d'ordre, qui du reste ne fut pas donné. Les 
oppositions des uns et des autres ne tardèrent pas 
à se manifester ; elles allaient faire échouer le mou- 
vement» 

Il est quel(|ues minutes favorables et décisives 
pour accomplir de grandes choses ; si l'action n'est 
pas immédiate, la fortune passe. t)ans les deux 
mois qui suivirent l'armistice, n'était-ce pas Toc- 
casion d'opérer brusquement ce séparatisme rhé- 
nan, si vraiment on le jugeait nécessairei puisque 



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Sli LE RHIN ET LA FRANCS 

les gouvernants de la rive droite étaient aux pri- 
ses avec la révoluton sociale? Tel fat le plan des 
comités de Cologne qui voulurent, par une vaste 
propagande, constituer une république autonome. 
Mais au lieu d'organiser tout de suite un gouver- 
nement, certains pensèrent qu'il fallait opérer léga- 
lement, après entente avec tous les partis politiques. 
Ce procédé ne manqua pas de soulever des dif- 
ficultés ; au lieu de Taction immédiate, ce fut la 
lenteur des discussions politiques. La Prusse allait 
en profiter pour intriguer. On perdit ainsi un temps 
précieux. Plus on attendait, plus les troubles, qui 
sévissaient dans l'Empire, allaient se calmer. L'au- 
torité d^s gouvernements se raffermissait ; aucun 
bouleversement total de TAllemagne n'était plus 
à prévoir. Les élections, qui eurent lieu en janvier 
pour la Constituante, raffermirent l'unité allemande 
et préparèrent le retour de l'ordre. La Prusse re- 
trouvait son influence. 

Le bourgmestre de Cologne, Adenauer, jouis- 
sait dans sa ville d'une grosse influence ; il prit 
la direction du mouvement pour grouper les chefs 
de partis et instituer une république autonome. 
Les chefs des partis démocratique et socialiste, 
Falk, Merfeld, SoUmann, se déclarèrent publique- 
ment pour l'autonomie, et on décida de convo- 
quer, pour le mois de février, les députés rhénans 
qui venaient d'être élus à l'Assemblée nationale, 
et les bourgmestres des villes rhénanes, afin de 
proclamer solennellement la République. La majo- 
rité des délégués présents était pour la procla- 
mation immédiate. Les députés du Centre pro- 
posèrent de faire décider par un plébiscite du 
sort réservé aux pays rhénans, sans attendre les 
décisions de l'Assemblée nationale. Mais les par- 
tis de gauche s'opposèrent à ce projet, et pour 



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OCCUPATION ET PROJETS d'aUTONOMIE 225 

ne pas leur faire violence, on vota une résolution 
où il était dit : « Le partage de la Prusse étant 
sérieusement envisagé, nous chargeons notre Co- 
mité du soin de développer les plans de création 
d'une République de TOuest allemaadey dans le 
cadre de PEmpire allemand ». Puis on se contenta 
d'élire un comité d'études, qui reçut la mission de 
travaiUer à l'organisation d'une Rhénanie autonome 
dans le cadre de l'Allemagne et sur la base de la 
nouvelle constitution allemande. Avec ce moyen 
parlementaire dilatoire, alors qu'il faut brusquer 
les choses, on va perdre une dernière occasion de 
réussir. En effet, le Comité ne se réunit jamais. 

Dès la fin de janvier, du reste, les intrigues de 
la Prusse s'étaient faites de plus en plus vives 
contre la liberté rhénane. Les hommes, actuelle- 
ment au pouvoir, voulaient le maintien dans le 
Reich de la grande Prusse, toujours assez forte pour 
dominer TAllemagne. Le séparatisme rhénan est 
un affaiblissement de la Prusse. Tel fut le mot 
d'ordre envoyé à Cologne. Dès le 2 février, la 
Rheinische Zeitung (Cologne), organe de SoUmann, 
se déclara contre les aspirations séparatistes, et les 
chefs socialistes suivirent les instructions de Ber- 
lin. La kôlnische ZeiUmg prit la tête du mouve- 
ment, et toute la presse prussienne retentit de 
clameurs d'indignation contre le mouvement rhé- 
nan, tandis que l'on insinuait à Adenauer et à ses 
collaborateurs qu'il ne fallait pas se presser, que 
la question n'était pas mûre, et que l'autonomie 
rhénane était affaire de temps. Or le temps allait 
travailler contre elle S Vainement, les chefs du 

1. V. Die rheinische Republik, Wiesbaden, 1919, p. 36 et suiv. 
— Le Correspondant y 10 nov. 1920, La, politique traditionnelle 
de lu France dans les pays de la Moselle et du Rhin, par le comte 
Jean de Pange, p. 410 et suiv. 

15 



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^1% LE ftïllN KT LA FRAMCfi! 

mouvenienl à Cologne vont essayer d*dmadouér lé 
gouvernement berlinois, de le gag-iier à leur câuse ; 
il est résolument hostile. Les déclarations, diaprés 
lesquelles il veut respecter la liberté des popula* 
tionSj ne pas leur faire violence, cachent un fond 
de pangermanisme invétéré- Ses idées humanitaires 
sont toutes en surface. D'autre part, on ne tarda 
pas à voir que le bourgmestre Adenauer et le 
comité de Cologne, gagnés peu à peu à l'influeuce 
prussienne, ne cherchaient plus qu'à faire échouer 
les projets autonomistes. Les Anglais, du reste, les 
combattaient et faisaient de leur mieux pour leur 
susciter des entraves, Adenauer et ses amis voyaient 
les divergences de vues des Alliés; ils étaient cer- 
tainement renseignés sur Tétat d'esprit des Amé* 
ricains et sur Topposition qui se manifestait à Paris, 
A quoi bon se compromettre inutilement? 

Pour aboutiPy le mouvement séparatiste ne veut 
recourir qu'à des moyens purement légaux. Au 
début de février, avaient eu lieu les élections pour 
les Assemblées d'Etat. Les Rhénans envoyèrent des 
représentants à la Diète de Weimar et aux Cham- 
bres de Berlin, pour la province rhénane, et de Mu- 
nich, pour le Palatinat ; ils appartenaient en majo-/ 
rite au Centre et avaient pour mandat de négocier 
la reconnaissance, par l'Empire, d'une république 
rhénane. La discussion au Landtag de Berlin fut 
des plus vives, et le professeur Kastert (centre) pro- 
nonça un discours violent. 

« Le chapitre des fautes commises par la vieille Prusse, 
contre les pays rhénans, donne un exemple frappant 
de Taptitude du gouvernement prussien à gouverner 
les peuples, je pourrais dire plutôt de son inaptitude. 
{Très exact et vive approbation sur les bancs du Cen- 
tre). Il est du reste intéressant de se rendre compte 



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OCCUPATION ET PROJET» b'aUTÔNOMIB 227 

comment la Province rhénane est devenue prussienne. 
On ne noua a nullement consultés et le côté hupioris- 
tique de la chose est que, au début, la Prusse ne vou- 
lait ppint de nous. Nous n'avons été à propremei^t 
parler qu'une mq^inaie d'échange. A 3erlin, c'est la 
Saxe qu on voulait, mais comme on n'a pu l'avoir, on 
s'est contenté de la Province rhénane (Hilarité)... Les 
promoteurs de la Révolution ont été chez nous les 
membres de vos conseils de matelots et d'ouvriers qui 
n'avaient rien de commun avec les pays rhénans et ont 
rendu ce mouvement absolument antipathique... Vers 
la même époque, nous n'avons plus reçu de vivres de 
l'Est. A ma connaissance, dès le 9 novembre, les pom- 
mes de terre ne sont plus venues jusqu^à nous. A nos 
télégrammes les plus pressants, Berhn ne répondait 
point ». 

La motion fut rejetée ; Berlin ne se soumettait 
pas. Cependant la campagne des partisans de Ts^u- 
tonomie continua sous diverses formes. 

Dans le sud de la Rhénanie, dans le Palatinat, 
ridée 4e séparatisme s'affirme hautement. Les dé- 
putés se sont réunis pour prendre en mains les 
mtérêts du pays» A Landau, 4t6 notables palatins, 
représentant 209.000 voix, soit les deux tiers de? 
électeurs du Palatinat, envoient au général <?om- 
mandant la X* armée une adresse, demandant à la 
Conférence de la Paix de reconnaître aux Rhénans 
le droit de disposer d'eux-mêmes. Les habitants 
de Mettbach, soit 280 signataires, veulent l'institu- 
tion d'im Etat rhénan libre : Die Einrichtimg ei- 
nés WestdeutschenFreistaats der Landeram Rhein. 
Les milieux ouvriers de Ludwigshafen se rappro- 
chent même de nous, se désolidarisant des sparta^ 
kistes de Mannheim. C'est la formule du plus grand 
Palatinat, dans les limites d'avant 1815^ qui fait 
des progrès sensibles. 



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2:^8 LE BniN kt la fbanck 

Dans le Nord, où Tempreinte prussienne est plus 
marquée, on parle surtout d'autonomie, afin de 
maintenir Funité allemande; Tidée de séparatisme 
est moins répandue. Le professeur Féfix Haupt- 
manu écrit, dans le Paulinus Blatt (catholique), 
de Trêves, le Si mars : 

« Le ministre Frîedberg, dans la Magdaburger Zei^ 
lungy oppose à toute séparation des pays rhénans Tob- 
jection qu'elle rendrait impossible la subsistance des 
provinces de TEst, qui ne peuvent combler leur déficit 
qu'avec le supplément d*apport fourni par ces régions 
plus riches. G*est dire clairement, ce qui est vrai, que 
les paya rhénans ont toujours été <c la vache à lait » 
de la Prusse. C^est encore aujourd'hui pour la plus 
grosse part Targ-ent des pays rhénans qu*ou est en train 
de gaspiller follement à Berlin. Les Rhénans ont main- 
tes fois protesté ; même le député national libéral von 
Eynern, bien que très ami du Gouvernement, s'est à 
plusieurs reprises plaint amèrement. Un exemple 
probant : il a fallu pluâ de dix ans de démarches et de 
sollicitations pour obtenir la permission de constniirCi 
avec l'argent des Rhénans, la Rheinuferbahn, alors que 
le trafic entre Cologne et Bonn était énorme et qu on 
dépensait sans compter pour les chemins de fer locaux 
de Berlin, Kônigsberg et Dantzig, dont le trafic « ne 
payait pas ». Qu'on casse donc de ressasser l'objection 
que l'apport des pays rhénans est indispensable aux 
provinces de l'Est. « Ce qu'on présente comme objec- 
tion est, pour les Rhénans, le motif le plus clair de se 
séparer de Berlin. » 

La Rheinische Volkstimme^ dirigée par M. Karl 
Hauptmann, de Trêves, mène une violente cam- 
pagne pour Tautonomie pure et simple, aux cris de 
Los von Deutschland, qui succèdent aux Los von 
Preiissen. Il dit que les populations rurales sont 
gagnées à cette idée. Il écrit même que si les Alliés 



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OCCUPATION ET PROJETS d'aUTONOMIE 229 

voulaient s'en aller, plus des trois quarts des Rhé- 
nans se mettraient à genoux pour les supplier de 
rester. Dans un article du 7 mars, intitulé Los von 
BolchevismuSy il dit même : « Rompons avec TAl- 
• lemagne avant qu'il ne soit trop tard. » Ces senti- 
ments s'affirment devant nos officiers. Un profes- 
seur de Trêves va jusqu'à leur déclarer que 70 7o> 
à son avis, de la population désirerait Tannexion à 
la France. 

Les promoteurs du mouvement autonomiste 
connaissent ces sentiments et ne perdent pas con- 
fiance. Puisque Cologne semble céder à la pression 
de Berlin, d'autres vont agir à sa place. Déjà -de 
nouveaux comités se sont formés, depuis janvier 
1919, à Mayence et Wiesbaden. Ils se réunissent 
en im Comité Nassau-Hesse-Rhénane et chargent 
le Dr. Dorten d'entrer en relations avec Cologne. 
C'est ainsi qu'il était délégué à la séance du l*"" fé- 
vrier, lorsque le Comité du Rhin moyen [Mittel- 
rheiniche Arbeitsauschvss) apprit que le Comité 
rhénan, constitué, le l®"" février, pour l'élaboration 
du projet d'un Etat autonome, ne s'était pas réuni; 
il écrivit au bourgmestre Adenauer pour obtenir, 
avant le 4 mars, une déclaration précise de ce 
comité* Le 4 mars, le bourgmestre répondait que, 
devant l'opposition du gouvernement de Berlin, 
aucune décision n'avait été prise. Le Comité du 
Rhin-Moyen décida d'agir seul. 

Il réunit un certain nombre de partisans et lança, 
le 7 mars, une déclaration où il était dit ; 



1° Nous demandons que notre sort soit réglé par 
nous-mêmes. 

2<> Nous sommes Allemands et voulons par consé- 
quent rester dans le cadre de l'Allemagne. 

3<> Nous protestons contre toute cession de terri- 



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13Ô LE tllIIN ET hk FBÂIfGB 

ioire rhénan à T ouest et contre lotit 8 forma de goii-^ 
Ternemôot qui peut nous être imposée. La provioce 
rhénane^ la Kassau et la liesse Rhénane, sont un seul 
territoire. Le raltachement du PalaLinat, de la West- 
phalie et d^Oldenbourg est vivement désiré. 

4" Noua fiommes fermement persuadés que la réali- 
sation de notre déair assure la paix des peuplea, L^Etat 
autonome constitué par la décision des territoires rhé- 
natis Ci-dessus désignés sera une république pacifique. 
Elle ofiPre la garantie nécessaire pour la paix euro- 
péenne) oppose une digue au flot bolcheviste et assure 
les rapports paisibles de TEst et de l'Ouest. 

5® Nous voulons donc la fondation immédiate d'une 
république occidentale allemande et espérons que les 
autorités compétentes autoriseront sans retard un 
plébiscite. 

6^ Le comité, formé à Cologne, le 1*' février 19Ï9, ' 
s'étant abstenu de toute activité, est considéré comiiie 
dissous. 

Le Dr. Dorten, nommé premier délégué, fut chargé 
de remettre cette déclaration, revêtue de nombreu- 
ses signatures, aux généraux commandant à Colo- 
gne, Coblence, Mayence. Le 10 mars, avait lieu, à 
Cologne, une réunion d'hommes appartenant à tous 
les partis, afin d'examiner la création d*un Etat rhé- 
nan indépendant, dans le cadre de l'Empire, et com- 
prenant les pays rhénans, la Hesse, le Nassau, le 
Palatinat, la Westphalie, l'Oldenbourg. Un Comité 
d'une centaine de/ membres fut nommé, pour faire 
de la propagande et préparer un plébiscite. Une 
résolution, quelque peu semblable à la précédente, 
était votée : 

1® Nous demandons que notre destinée soit réglée 
par nous-mêmes. 

2^ Nous sommes Allemands, et vouloiis rester dans 
TAUiande de l'Empire allemand. 



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OCCUPATION ET PROJETS d'AUTONOMIE 231 

9» Nous protestons contre toute annexion des pays 
de l'ouest et contre toute forme de gouvernement qu'on 
voudrait nous imposer. Les pays rhénans, la Hesse rhé- 
nane et le Nassau doivent être érigés en un seul Etat. 

La réunion du iPalatinat, de la Westphalie et de 
l'Oldenbourg est fortement désirée. 

4® Nous sommes sûrs que, par notre demande, nous 
contribuons à la Paix universelle. 

Les pays rhénans formés par leur volonté en une 
République allemande de l'Ouest seront nommés : Ré- 
publique de la Paix {JFriedensrepublik). 

Elle assure la paix de l'Europe, bâtit une digue 
contre l'invasion du bolchevisme et assure des rela- 
tions pacifiques entre Est et Ouest. 

5** Aussi voulons-nous l'érection immédiate de la 
République Ouest allemande et attendons-nous des au- 
torités compétentes l'autorisation immédiate d'un plé- 
biscite dans les Etats y ayant part. 

Des réunions analogues eurent lieu à Aix-la- 
Chapelle et Bingen. Des comités se formèrent à 
Aix-la-Chapelle, à Trêves et dans plusieurs villes 
rhénanes pour recueillir des signatures. Partout, le 
succès fut très grand .-A Aix-la-Chapelle par exem» 
pie, 52.000 électeurs de tous partis et de toutes 
classes deniandèrent le plébiscite immédiat. Une 
motion fut envoyée au président de l'Assemblée 
de Weimar. Un conseiller d'Etat disait à un de 
noë officiers : k L'élite de la population est déjà 
acquise à l'idée d'une séparation d'avec l'Empire. 
Si l'on examine les tendances et les idées des dé- 
putés récemment élus par les provinces rhénanes, 
on peut estimer que la majorité d'entre eux se 
prononceraient pour la formation d'une république 
rhénane indépendante, sous l'égide de la France et 
à son image. > Dans le cercle de Trèves-campagne, 
parmi les paysans des plateaux, les sentiments par- 
ticularistes se réveillent. Dans le Hunsruck^ un 



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SS2 LE RHIT^ ET LA FRANCS! 

noiiveau parti se forme et mène la campagne dans 
la principauté de Birkeiïfeld ^ 

L'opposition de la Prusse^ contre laquelle dous 
aurions dû lutter, se lit de plus en plus forte ; elle 
s^efforça de représenter le mouvement autonomiste 
comme une tentative antinationale, comme une tra- 
hison organisée par des politiciens cléricaux et réac- 
tionnaires, par quelques capitalistes qui n'avaient 
rien d'allemand. Des agents prussiens vinrent sur la 
rive gauche, firent des tournées de conférences, don- 
nèrent des réunions publiques, dans lesquelles les 
fonctionnaires, tous prussiens et hostiles à la France, 
s^efforcèrent de ranimer le zèle des habitants. D'au- 
tre part, les expulsés d'Alsace-Lorraine, qui péné- 
traient dans les territoires occupés, poursuivaient 
une intense propagande anti-française, exploitant 
contre nous les difficultés d'administration occasion- 
nées par le retour à la France de ses provinces per- 
dues, et la crainte d'une politique antireligieuse. Sur 
la rive droite, la presse excitait lopinion contre ces 
revendications rhénanes qui, si elles réussissaient, 
affaibliraient TEmpire. ïl fallait se presser d'élaborer 
une constitution qui renforcerait le pouvoir impé- 
rial, cimenterait davantage l'unité, ne laissant au^ 
Etats, dépouillés de leur rôle politique, que des 
attributions administratives. Le 24 mars, au Landtag 
de Berlin, tous les partis, à l'exception du Centre, 
émettaient un vote condamnant toute tentative de 
sécession de la part de la province rhénane. Le dé- 
puté social-démocrate Sollmann (G)logne), décla- 
rait qu'en cas de proclamation de la République 
rhénane, son parti ferait la grève générale. Il devé- 

1. Voir en sens contraire l'ouvrage de M. Pierrepont 
B. Noyés, ex-commissaire des Etats-Unis dans les Territoires 
rhénans, While Europe waUs for peace, et où il prétend que ces 
complots séparatistes ont été fomentés par les Français. 



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OCCUPATION ET PROJETS d' AUTONOMIE 233 

nait le défenseur de riinité de l'Empire et se retrou- 
vait sur le même terrain que les pangermanistes. 
D'autre part, le spartakisme avait été écrasé, après 
les émeutes de Berlin, où Liebnechtet Rosa Luxem- 
bourg avaient trouvé la mort ; l'Assemblée natio- 
nale avait été convoquée à Weimar. Les conserva- 
teurs étaient plus rassurés et moins pressés de 
favoriser les projets du Centre. 

En présence de la désunion des partis rhénans, 
de la campagne d^hostilité violente de la Prusse, il 
était avéré que le mouvement séparatiste ou auto- 
nomiste ne pouvait plus réussir par les moyens 
légaux. C'était déjà vrai depuis décembre, les réu- 
nions de février et mars le prouvaient surabondam- 
ment. Fallait-il recourir à une séparation violente ? 
Les commandants des armées d'occupation seraient- 
ils appuyés par leur gouvernement, et même sou- 
tiendraient-ils ce mouvement? Le plébiscite, décidé 
par la réunion du 10 mars, n'avait chance de se dé- 
velopper et de réussir que s'il était favorisé contre 
les autorités prussiennes qui faisaient tous leurs 
efforts pour l'entraver. 

Aux chefs du mouvement séparatiste, qui s'adres- 
saient à elles, les autorités militaires d'occupa- 
tion répondaient qu'elles ne pouvaient donner ni 
une promesse, ni un renseignement sur l'avenir. 
Or, désormais, ceux-là comptaient sur les Alliés 
pour aboutir. Leur mouvement était profond, grou- 
pait de nombreux adhérents, avait un parti puis- 
sant qui le soutenait, le parti du Centre. Si l'on 
croyait vraiment en haut lieu que le meilleur moyen 
de faire pression sur l'Allemagne, jusqu'à ce que 
l'indemnité fût payée, était de constituer un Etat 
rhénan indépendant, que c'était là, et pour les Al- 
liés et pour la France, la meilleure politique à 
suivre dans le présent et dans Tavenir, il fallait 



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SSI 



LE RHIN ET LA FRANCE 



agir. Le mouyemeiit De pouvait réussir de liii- 

même. Du reste, toute démonstration publique, 
d'une ampleur auffi santé, devait, pour réaliser un 
changement de régime dans les circonstances pré- 
sentes, s assurer du concours des autorités militai^ 
res d'occupation. Vainement j les dirigeants du mou- 
vement rhénan interrogeaient les commandants de 
zones, leur signalant les occasions favorables, de* 
mandant des éclaircissements sur les intentioos des 
gouvernements. L'idée très nette des Rhénans était 
qu'ils ne pouvaient recevoir satisfaction qu'en se 
mettant sous la protection des Alliés, et particuliè- 
rement de la France. Les Belges étaient à.Aix-la- 
Chapelle, les Anglais à Cologne, les Américains à 
Coblence, les Françaii^ dans la Hesse et le Pàlatl*- 
nat. L'union était-elle possible entre leurd gou- 
vernements respectifs, ou bien les Français pou- 
vaient-ils prendre seuls la tête du mouvement ? 
La question était alors soumise aux délibérations 
de la Conférence de la Paii, réunie à Paris. 



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CHAPITRE XIV 

LES NÉGOCIATIONS A LA CONFERENCE 

DE LA PAIX 

ET lÀ QUESTION DES GARANTIES 



I 

L'attitude de la France 
et lee projeté du maréchal Fcchu 

Dès lé début deroDcupation,le ibaréchal comman- 
dant en chef les armées alliées transmettait à notre 
gouvernement^ et par son intermédiaire, à la Délé^ 
gàtion française à la Conférence de la Paix, leë rap- 
ports rédigés par ses officiers sur les sentiments 
dès populations rhénanes et sur le mouyement rhé- 
nan. Tous ceux qui vivaient dans ces pays en 
avaient iloté Timportan^e. Mais à Paris connais- 
sait-on vraiment l'intérêt puissant que présentait 
la question rhénane ? Beaucoup ne croyaient guère 
aux sentiments séparatistes des Rhénans, à la pos- 
sibilité de les détacher de la Prusse \ Us négligeaient 
ces manifestations séparatistes ou les tournaient en 
déHsion.Pour éujc,les Rhénans ne se distinguaient 
guère des Prussiens. D'autres parlaient de la Rhé^ 

l.« Ce n'est pas de notre faute non plus si aujourd'hui, quand 
je veux aller au ithin, je rencontre des pays allemands entre le 
Rhin et moi, 6t fii je suis obligé d'en tenit Compte. » (Disôotii« 
de M. Clemenceau à U Chambre des Députés, dans la discus-t 
sion du Traité de paix, le 27 septembre 1919). 



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336 LE Bnm et la francs 

nanie,mais pour faire allusion à une aanexion pure 
et simple, dont il n'était pas question. Enfin^ pour 
plusieurs, la question rhénane était une question 
dangereuse. S oecuper de la Rhénanie, c'était pré- 
parer un plébiscite, une annexion future 1 II ne 
fallait même pas y songer, disaient-ils, dans la 
crainte que cet événement n'amenât fatalement des 
députés protestataires an Parlement français. Et 
puis n'était-ce pas folie de vouloir briser Tuni té alle- 
mande ? Toutes les parties de TEmpire formaient 
un tout indestructible, dont aucun frag-ment ne pou* 
vait se détacher, La défaite même n'avait pu TeD- 
tamer : la rive gauche du Rhin était soudée indé- 
fectiblement à TEmpire. Mais les rapports des 
officiers et des commandants d'armées, les relations 
des pub 1 ici s te s qui voyageaient en Rhénanie, allaient 
directement à l'encontre de cette manière de voir> 
Quoi qu'il en soit, la presse française était lue en 
Rhénanie, et certains articles, hostiles à toute idée 
de séparation, étaient très commentés et produi- 
saient un effet contraire aux intérêts français. On 
était du reste bien renseigné sur Topinion de cer- 
tains milieux politiques de Paris, où le mouvement 
rhénan était loin d'être encouragé. 

Que proposait le Haut Commandement français 
en pays rhénan, dans les nombreux rapports et notes 
envoyés au gouvernement français, et qui relataient 
l'état d'esprit déjà indiqué ? 

Il était indéniable que les populations rhénanes 
attendaient des Alliés un nouveau statut politique, 
qui entraînerait une certaine séparation entre l'Al- 
lemagne non occupée et elles. Mais on ignorait les 
intentions de TEntente, et particulièrement de la 
France, et on demandait instamment de les con- 
naître, afin que cessât le malaise des esprits et que 
le statut futur devînt une réalité. 



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LES NÉGOCIATIONS A LA CONFÉRENCE DE LA PAIX 237 

Ces projets, ces intentions S le maréchal Foch 
les avait précisés et résumés dans deux notes prin- 
cipales remises au gouvernement français. Dans la 
note du 27 novembre 1918, écrit M. Tardieu, il 
exposait certaines conditions jugées par lui néces- 
saires € pour avoir une paix assurée vis-à-vis d'une 
Allemagne animée jusqu'à présent d'un désir in- 
contestable de conquête, au mépris des traités les 
mieux établis. 11 fallait : 

1® Une frontière naturelle, le Rhin, dont les places 
seront tenues sur la rive gauche par les contingents 
alliés ; 

2*» L'organisation militaire, à charge égale pour tous 
les pays à l'ouest du Rhin, avec l'appui éventuel de 
la Grande-Bretagne. 

Ces conditions impliquaient entre la France, l'An- 
gleterre et la Belgique un accord préalable pour : 

a) Fixer la frontière des pays allemands laissés entiè- 
rement indépendants sur la rive droite du Rhin ; 

h) Organiser les pays de la rive gauche ; 

c) Maintenir l'occupation des têtes de pont de la rive 
droite jusqu'à satisfaction complète des conditions de 
paix. » 

La note disait en outre : 

Sur la rive gauche du Rhin, il ne peut y avoir d'Etats 
neutres. Toutes les populations de cette rive doivent 
être en état de prendre les armes pour faire face au 
péril allemand... 

Les populations de la rive gauche du Rhin étaient 
ainsi englobées dans le système militaire et même 
politique français, elles pouvaient être astreintes à 
conclure des traités d'alliance avec nous '• 

1. V. plus haut, p. 206 et suiv. 

2. V. le Rapport général fait an nom dfi la Commission char- 
gée d'examiner le projet de loi portant approbation du Traité 
de paiWf par M. Louis Barthou, député, $ août 1919, p. 50. 



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238 ÏM lltlIK ET LA FRÂNCH 

Dans tine note du 10 janvier, écrit M. Tardieu^ 

le maréchal complétait et développait les idées ex- 
primées le i7 novembre, en envisageant surtaut le 
problème au point de vue européen. 

Il ne â*agit pas, ea ofTetf d^annexôr la rive gauche du 
Rhin, d'augmonter le territoire de la France ou de la 
Belgique et de le protéger contre une revendication 
allemande, mais bien de tenir au Rhiu la barrière com- 
mune de sécurité nécessaire à la Société des Nations 
démocratiques. Il ne s'agit pas de confier à une sQule 

guissancê la garde da cotte barrière, commune, maip 
ien d'assurer par le concours, soit moral, soit i^at^- 
riel) de toutes les puissances démocratiques, la défense 
de leur existence et de leur avenir, en interdisant une 
fois pour toutes à TAUemagne d^ porter la gufU'I'O çt 
spn esprit de domination au dolà du jQeuyQ«.. 

Pour cela il fallait : 

P Interdire totalement à l'Allemagne l'accès militaire 
et la propagande politique dans les pays rhénans de la 
rive gauche, peut-être môme couvrir ces pays par une 
zone de neutralisation sur la rive droite ; ^ 

2** Assurer l'occupation militaire des pays rhénans 
de la rive gauche par des forces alliées ; 

3® Garantir aux pays rhénans de Içi rive gauche les 
débouchés nécessaires à leur activité économique, en 
les associant aux autres Etats occidentaux par un ré- 
gime douanier commun. A ces conditions, et confor- 
mément au principe admis par tous de la liberté des 
peuples, on peut concevoir la constitution, sur la rive 
gauche du Rhin, d'Ëtats nouveaux autonoi^es a'adn^i- 
nistrant eux-mêmes, ^ous les réserves développées ci- 
dessus, constitution cjui, avec l'aide d'une frontière i^a- 
turelle solide, le Rhm, sera seule capable d'assurer la 
paix à l'occident de l'Europe *. 

1. ftW,, P, teai, 



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LES 19ÉG0CIATI0NS A LA CONFÉRBNQE DE LA PAIX 239 

Quant aux populations, continue M. Tardieu, le 
maréchal se bornait à demander que le Traité de 
paix fixât leur « statut ». On pourrait concevoir, 
disait-il, « la constitution, sur la rive gauche du 
Rhin, d'Etats nouveaux autonomes s'administrant 
eux-mêmes ». La sécurité des troupes, portées très 
en avant du dispositif militaire sur les têtes de 
ponty Kastel, Ehren-breitstein, Deutz, pour les gar- 
der défensivemënt, était garantie par Toccupation de 
places fortes sur la rive gauche et par l'autonomie et 
la neutralité prévues des pays rhénans. Cette occu- 
pation des têtes de pont était nécessaire pour em?- 
pêcher que l'Allemagne, grâce à son admirable 
réseau ferré de la rive droite, n'occupât rapidement, 
en cas d'agression, les villes du Rhin, même dé- 
mantelées. Notre installation défensive sur le Rhin, 
faisait-on valoir encore, serait un moyen de sur- 
veiller ^Allemagne, si elle voulait attaquer les 
jeunes Républiques de Pologne ou de Bohême. Il 
était créé ainsi, entre les frontières politiques de la 
Belgique, de la France et le Rhin, une sorte de 
« marche » nous séparant de l'Allemagne et tota- 
lement démilitarisée. Certaines places fortes, comme 
Mayence, Cologne, Coblence, gardaient un rôle dé^ 
fensif, occupées qu'elles étaient par des contingents 
alliés, comme jadis Luxembourg par la Confédé- 
ration germanique. Le Rhin devenait une bigtrrière 
très forte et une garantie de paix, comme limita 
imposée aux ambitions germaines, car, disait le 
maréchal Foch, < pour arrêter les entreprises de 
l'Allemagne vers l'Ouest, la nature n'a dispqsé 
qu'une barrière, le Rhin, elle doit lui être impo- 
sée ». Avec cette occupation permanente de la 
rive gauche et cette autonomie rhénane, une dé- 
mobmsation 4e l'armée allemande, si probléma- 
tique, si difficile à réaliser, devenait inutile, et 



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240 LE RHIN ET LÀ FRANCE 

c'était une lourde charge de moins pour la France. 

De son côté, la Commission des AlTaires exté- 
rieures de la Chambre des députés, après en avoir 
délibéré, dans la séance du t décembre 11)18, abou- 
tissait à r unanimité à des conclusions presque iden- 
tiques*. 

Ces diverses conclusions, le Gouvernement dé- 
cida de les défendre devant le Conseil des Quatre, 
et M. Tardieu, plénipotentiaire français, fut chargé 
de rédiger un mémoire. Déjà, dans une note du 
8 janvier 1919, il indiquait la nécessité de faire du 
Rhin, « sans annexion à notre profit, mais par Tin- 
dépendance de sa rive gauche à Tégard de TAlle- 
magne, la frontière de la liberté et d'en assurer 
l'occupation pour un certain temps par une force 

1. La Commission, après étude du problème de la frontière, 
fiançaise, tel que la guerre l'a posé, est d'avis : 

1® Qu'il convient d'exiger, entre la France et T Allemagne, la 
ligne frontière de 1814, en y comprenant notamment les terri- 
toires de Schaumbourg et de Tholey qui, à cette date, n'avaient 
jamais cessé d'appartenir à la France ; 

2 Que dans les territoires compris, entre la ligne de 1814 et 
la frontière hollandaise, la France, tout en repoussant une poli- 
tique d'annexion par la contrainte, doit exiger un ensemble de 
garanties militaires, politiques et économiques (visant en par- 
ticulier les chemins de fer, les canaux et les douanes), qui, en 
libérant cette région de l'influence de la Prusse, mette défini- 
tivement notre pays à l'abri de toute invasion. 

11 ne pourra y avoir notamment aucune troupe, aucun éta- 
blissement militaire, aucune fortification sur la rive gauche du 
Hhin ; la même mesure sera applicable dans une zone de trente 
kilomètres sur la rive droite. 

Les habitants de la rive gauche du Rhin ne seront dans au- 
cun cas astreints au service militaire ; 

3® En outre, en ce qui concerne le Hhin, une politique d'in- 
ternationalisation du fleuve, sous la présidence de la France, 
sera immédiatement envisagée entre tous les riverains, la France 
s'efTorçant d'obtenir parallèlement la revision de la convention 
du Gothard ; 

4* En ce qui concerne le Luxembourg, qui doit être absolu- 
ment libre de décider de ses destinées, la France assurera le 
respect de la volonté des habitants telle qu'elle s'affirmera par 
un plébiscite organisé avec toutes les garanties de régularité. 



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i 



LES MÉGOaATIONS A LA CONFÉRENCE DE LA PAIX 241 

interalliée », Son mémoire, en date du 25 février, 
dont M. Barthou a dit très justement qu'il «fixait 
l'opinion avec une clarté, une force, une autorité 
qui lui donnent une valeur historique * », est un 
admirable tableau en raccourci de la question rhé- 
nane. Tous les arguments sont ramassés avec une 
netteté qui aurait dû convaincre les Alliés, s'ils 
n'avaient pas apporté à les combattre un parti pris 
évident. 

Que veut la France ? Non pas s'agrandir, mais 
4C mettre l'Allemagne hors d'état de nuire, en lui 
imposant des conditions indispensables à la sécu- 
rité commune des démocraties occidentales et de 
leurs Alliés et associés d'outre-mer ». 11 faut lui 
enlever ses instruments offensifs qui menacent non 
seulement la France, mais tous les Alliés. Or, pour 
se garantir contre ce risque commun, il faut reti- 
rer à l'Allemagne la rive gauche du Rhin, dont elle 
a fait, contre ses voisins, « une place d'armes offen- 
sive rapidement et constamment alimentée, grftce 
au débit des têtes de pont du Rhin ; toute l'histoire 
militaire depuis 1815 le démontre ». L'exemple 
de 1914 est encore vivant. 

Mais ce ne serait pas une condition suffisante 
pour protéger contre toute agression les démocra- 
ties occidentales d'outre-mer, et même les Etats 
nouveaux que l'Allemagne voudrait attaquer et 
qu^elle nous empêcherait de défendre, si elle res- 
tait installée défensivement sur le Rhin.* La des- 
truction des voies ferrées stratégiques, le déman- 
tèlement des villes fortifiées, tout cela ne serait pas 
efficace. « Seule ime occupation des ponts du Rhin 
par des troupes interalliées serait une garantie po- 
sitive. »La paix de l'Europe, concluait M. Tardieu, 

1. Rapport d© M. Louis Barthou, op. cit., p. 61. 

16 



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242 LE AHIN BT LA F^A^fCQ 

exigeait que la rive gauche du Rbîn devint indé- 
peadante, et il fallait^ non pas seulement une auto- 
nomie qui aurait été insuUisante, mais une indé- 
pendance. #t C'était une solution de liberté, non 
d'impérialisme, une sécurité contre une Allemagne 
toujours plus peuplée, > 

Les Rhénans avaient ta même pensée. Ce quils 

Eroposaient, c'était aussi une solution de liberté. 
*ilg n'allaient pas jusqu'à rindépendaoce, ils vou- 
laient briser Tordre de choses établi, en déterminant 
une manifestation de la volonté nationale de vivre 
séparés de la Prusse, Ils ne connaissaient point les 
solutions qne le gouvernement de Paris préconisait 
et qu'il allait défendre à la Conférence; ils récla- 
maient vainement des encouragementSj qu^iJs ne 
recevaient point, pour forcer, s'il était nécessaire, la 
main à TEurope, Aucune instruction n'' avait été 
envoyée de Paris pour encourager ces manifesta- 
tions de Tesprit séparatiste ; tout indiquait qu'on 
voulait les étouifer. Les Rhénans, eux, croyaient 
que nous les désapprouvions, comme jadis en 18<ÎÛ, 
en 1848, en 1860, puisqu'ils voyaient nos Alliés, 
les Anglais et les Américains, chercher à les briser. 



Il 

L*oppositîon des AllEés à rindépendance et 
à l^autonomie des territoires rhénans et 
è Jeur ocoupatlon définitive. 

L'Entente était, en effet, profondément divisée 
sur la question rhénane. L'Angleterre, la Belgique, 

les Etats-Unis craignaient que la France ne revînt 
à son ancienne politique d annexion, et les pires 



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LES NÉGOCIÂTIOISS A ^À CONFÉRENCE: DE LA PAIX 243 

jalpusjps étaient surexcitées contre poi^s. Cette i4ée 
viciait toute conception politique en là matière. 
Toute actioi^ de notre part devait se heurter à Top- 
position de nos Alliés. L'indépendance rhénane était 
aussi niai vue à Londres, à Washington et à Bruxel- 
les qu'à Berlin. On se demande même, en revivant 
pes événements, ou étaient ses piresf ennepais ? 

A Londres régnait à nouveau le même état d'es- 
prit, qui domina pendant la plus grande partie 
du :^ix* siècle. Une France trop puissante sur lia 
Rhin est une menace pour l'équilibre de TEurope *. 
La politique mesquine de Palmerston avait laissa 
de fortes racines. Du reste, cette indépendance 4© 
la Rhénanie, on en cpntestait, sinon Te^istenpe, du 
moins la nécessité ; 1^ France pourrait en tirer 
bénéfice. La même opposition sq manifesta j^dj^, 
de la part de l'Angleterre, contre une intervention 
de la France en Belgique pour défendre son indé- 
pendance. Et cppendant Palnierstpn n'avpuait-il 
pas que : « Sans le secours de la France, les Belgps 
auraient été remis sous le jpug*». PourlaCpur de 
Saint- James, la création de ce nouvel Etat la lais- 
sait en défiance, car la France était à Anvers. 
L'équilibre savamment échafaudé, au Congrès de 
Vienne, contre nos empiétements n'était-il pas me- 
nacé ? L'Angleterre redoutait notre influence aussi 
bien en Flandre que sur le Rhin et plus tard en 
Espagne. 

Il n'y avait point eu accord préétabli entre Paris 
et Londres en 1914. Les événements, éclatant brus- 
quement, dépassaient les prévisions des diplomates. 

1. Ces craintes, rAngleterre les a toujours eues. Gastelrea^h 
disait à Tâlleyrand au Uongrès de Vienne : « Ah 1 si nous étions 
sûrs que vous ne songiez pas à reprendre la Belgique et la rive 
gpauche du Hhin I » 

2. V. IBmile Bourgeois. Op, cit.^ t. Jll, p. 33^ 



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Î44 LE KHXN ET LA FfiÂNCfi! 

Pour certains de nos Alliés^ il n'avait été question, 
sur notre frontière de l'Est, que du retour de TAl- 
sace- Lorraine à la France ; M. Bâlfour (lin 1917) 
avait déclaré publiquement qu'aucun accord entre 
les Alliés n'avait prévu la conâtitution, sur la rive 
gauche, d'Etat indépendant. « Une telle solution, 
disait-il^ n^est jamais entrée dans la politique du 
g-ouvernement de Sa Majesté. Le gouvernement a 
toujours ignoré qu'un tel projet fût sérieusement 
envisagé par quelques hommes politiques français, » 
Cependant notre ambassadeur à Londres avait fait 
connaître à lord Grej, ministre des Affaires étran- 
gères, les vues du gouvernement français sur ce 
point. M» Briand, en effet, adressait à M, Paul Cam- 
bon, le lî janvier 1917, les instructions que voici, 
délibérées en Conseil des Ministres : ^ 

Reste TEurope. Vous avex parfaitement indiqué à 
Lord Grey que la récupération de TAlsace-Lorraine^ 
non seulement ne doit pas faire question, m ai a ne doïÉ 
pas être considérée comme un accroieaement nouveau. 
L*AiBace*Lorraine ne doif pas, pour ainsi parler, entrer 
en ligne de compte : noua reprenons notre bien qui 
nous avait été ravi contre le vœu des populations. 11 
doit être également entendu que TAlsace et la Lor- 
raine doivent nous être rendues, non pas mutilées, 
comme elles Tavaient été par le traité de 1815, mais 
délimitées comme elles Tétaient en 1790. Nous aurons 
ainsi le bassin géographique et minier de la Sarre, 
dont la possession est essentielle à nos industries, et 
le souvenir des mutilations successives de notre an- 
cienne frontière doit être effacé. Il est cependant une 
question qui se posera oécessaîreraent à cette occasion, 
c est celle de la rive gauche du Rhin, De bons esprits 
en France, attachés aui plus vieilles traditions do notre 
politique nationale, la revendiquent comme Théritage 
perdu de la Révolution française, nécessaire pour for- 
mer ce (jue Hicheiîeu appelait notre (( pré carré ». Il 



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LES NÉGOCIATIONS A LA CONFÉRENCE DE tA PAIX 245 

est à Craindre cependant que la reprise des provinces 
rhénanes, qui nous ont été enlevées il y a un siècle, ne 
soit considérée comme une conquête et qu'elle ne soit 
de nature à nous créer de grandes difficultés. Ce qui 
importe plus qu'un avantage glorieux, mais précaire, 
c'est de créer un état de choses qui soit une garantie 
pour l'Europe autant que pour nous, et qui fasse cou- 
verture devant nos territoires. A nos yeux, l'Allemagne 
ne doit plus avoir qu'un pied au delà du Rhin. L'or- 
ganisation de ces territoires, leur neutralité, leur occu- 
pation provisoire, sont à envisager dans des échanges 
de vues entré les Alliés, mais il importe que la France, 
étant la plus directement intéressée dans le-statut ter- 
ritorial de cette région, ait voix prépondérante dans 
l'examen de la solution, de cette grave question. » 

La question de la rive gauche du Rhin, si clai- 
rement exposée par M. Briand, ne fut pas reprise 
officiellement par le gouvernement français auprès 
de ses Alliés jusqu'à l'ouyerture des négociations 
de paix. Pouvait-on prévoir, en effet, ce que serait 
la victoire? La tâche des négociateurs de 1919 
devenait singulièrement ardue. 

Que reprochait-on à la France, alors qu'elle ne 
cherchait, sur ses frontières, qu'une sécurité et des 
garanties? Parler du Rhin, c'était avoir des concep- 
tions impérialistes! Comment osait-on dire que la 
France voulait ou pouvait annexer sept millions 
d'Allemands ? Si certains publicistes, certaines in- 
dividualités politiques le prétendaient, de telles vues 
n'entraient dans les conceptions ni du gouverne- 
ment, ni des Commissions parlementaires, ni des 
Chambres elles-mêmes. Et cependant Vidée avait 
été lancée, on savait qu'elle ferait son chemin ; 
la France, accusée d'impérialisme, passerait pour 
impérialiste. C'était la même accusation injuste que 
les Allemands propageaient contre nous, avant la 



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î|$ LE BHIÏÏ ET LA FRAT^CE 

guerre. Certains se laissèrent facilement influencer. 
Pour que la France ne parût pas avoir des vues 
ambitieuses, il fallait qu'elle renonçât à toute sécu-^ 
rite, et qu^elle allât même jusqu'à abandonner plu- 
sieurs de ses amis* Et cependant, une France forte 
sur le Rhin, c'était une garantie pour l^Europe, une 
assurance de paix, dont bénéficier aieixt les puissances 
continentales et maritimes j sa faiblesse pouvait 
donner lieu à une nouvelle guerre 1 Si Anvers a été 
pris, si Calais j pnis Douvres, ont été menacés, c'est 
parce que T invasion germanique avait franchi le 
Rhin. C*est pourquoi ron croyait que la création 
d'un « Etat-tampon », entre le Rhin et la France, 
constituait une zone de protection. Elle prévenait 
tout danger d'agression, elle permettait de limiter 
nos armements et de faire régner entre dos anciens 
ennemis, grâce à ce « pont » jeté sur un immense 
fossé, Fétat de paix et de bonne entente né ce s* 
saire à notre prospérité commune. 

M. André* Tardieu a exposé avec beaucoup de 
soin et avec le plus grand talent^ à la Chambre 
d'abord '^ et plus récemment dans un remarquable 
ouvrage, les deux thèses en présence *, La lecture 
de ces discussions entre les Alliés, à Paris, retra- 
cées dans un style brillant, présente le plu$ vif 
intérêt. Ces pages alertes sont attachantes^ riches 
en enseignements, elles montrent qu'en quelques 
jours s'est joué le sort de la France. 

Le 6 février, les discussions commencent sur le 
sort qui sera fait à la Rhénanie. Or, déjà depuis 
deux mois, la majorité des Rhénans demandait la 
séparation. Des divergences de vues se produisent 
immédiatement. M. Lloyd George avait dit : « Dans 



1. Séanee du S septembre 1910^ 
21. La Paix, op. cU, 



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LES NÉGODATIONS A La COnMrKNCE DE LA PAIX 247 

mon premier voyage à Paris, ma plus forte impres- 
âiôn a été la statué de Sti^asboUrg dans son voile 
de detiil. Ne permettons pas que ^Allemagne puisse 
consti'uire Une telle statue 1 » Il ajoutait : < 11 ne 
faut pas créer de nouvelle Alsace-Lorraine. » Là, 
éclaté lé sophisme. De nombreux partis en Rhé- 
nanie avaient demandé, leut séparation d^avec la 
Prusse. Et M. Lloyd George n'avait-il pas parlé 
lui-même de la nécessité d'affaiblir cette puissance? 
Pensait-on que le seul moyen de l'affaiblir était de 
lui enlevei* sa dynastie ? 

Les moyens préconisés par la France : la sépa- 
ration entre rAllemagne et la rive gauche, l'occu- 
pation de cette dernière, souleva les plus grosses 
objections. Certes, on ne fît pas de difficulté pour 
reconnaîtt'e que nous avions besoin de garanties et 
Ton proposa le désarmement de TAllemagne, la 
création de la Société des Nations, la démilitarisation 
de la rive gauche du Rhin. Mais M. Tardieu, dans 
le mémoire du 25 février, faisait ressortir que, ni 
la Société des Nations, qui ne dispose pas de force 
armée, ni le désarmement de TAUemagne, si diffi- 
cile à réaliser, ne constituaient de gai*anties suf- 
fisantes. Le désarmement, disait le rapport du 
26 février, même si l'Allemagne l'acceptait sous 
forme de réduction de ses forces militaires, ne pré- 
senterait pas de sécurité totale. L'histoire enseigne 
qu'il a été illusoire, lorsque Napoléon, en 1808, a 
voulu l'imposer à la Prusse. Aurons-nous des 
moyens dé contrôle plus efficaces que ceux de 
Napoléon, alors que ce contrôle s'adresse à un pays 
qui compte non plus cinq millions d'habitants^ 
mais soixante-dijc millions ? Pour que ce contrôle 
soit téel, il devrait s'exercer t sur les budgets de 
la guerre et de l'industrie, sur l'organisation de 
Tétat-major et Tînàtruétion de Tarmée, siii* leS éf- 



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s 48 LE RHn*i ET LA FRANGE 

fectifs et les lois de recrutement, sur le matériel 
existant, sur les possibilités de fabrication dans 
tout le territoire allemand^ sur les directions mo- 
rales,y compris renseignement scolaire». Et le rap» 
port continuait ; « Peut-on méconnaître, que, pour 
les années prochaines, TAllemagne conservera, par 
la force des choses, une puissance militaire dont 

certains éléments sont impossibles à réduire 

Et peut-on, d'autre part, compter dans le temps 
présent sur une exécution sincère des engagements 
pris ?» 11 faudrait une véritable police internatio- 
nale ou française en Allemagne pour imposer de 
telles mesures. 

Quant aux garanties que donne la Société des 
Nations, elles sont insuffisantes. Il n'a pas été créé 
de forces internationales permanentes, suivant la 
proposition de la Délégation française, pour faire 
respecter les décisions dé la Société. Alors qui 
empêchera l'Allemagne, suivant sa méthode et ses 
tendances, d'opérer par attaque brusquée ? « Sup- 

f)osez que cette décision du Comité intervînt avec 
e maximum de rapidité, il ne lui manquerait 
qu'une chose, ce serait d'être par elle-même immé- 
diatement exécutoire. » 

Nous rencontrâmes les mêmes résistances dans 
les Conférences qui suivirent, les 11 et li mars, où 
le débat s'engagea à fond. Anglais et Américains 
insistèrent encore sur le désarmement, sur la dé- 
militarisation : cette solution suffisait, ils ne vou- 
laient pas d'une occupation qui serait une cause 
d'incidents ; quant à l'indépendance, elle serait une 
cause de faiblesse. D'autre part, si l'Etat indépen- 
dant voidait plus tard se réunir à la Prusse, quelle 
attitude adopterait-on ? On prétendait qu'on ne 
pouvait séparer des Allemands de la Prusse ou de 
l'Allemagne, alors qu'ils le demandaient, qu'un plé- 



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LES NÉOOaATIONS A LA CONFÉRENCE DE LA PAIX 249 

biscite donneriait des résultats contraires à ceux 
que Ton cherchait. Mais ce plébiscite était préci- 
sément imposé à la Haute-SÛésie, où les Polonais 
le refusaient ! On ne faisait guère cas des désirs 
d'indépendance des Rhénans, et cependant la ma- 
nifestation du 10 mars était connue à Paris. 

Le désarmement, la démilitarisation, le contrôle 
de la Société des Nations sont insuffisants, dit le 
plénipotentiaire français. 11 faut que la rive gauche 
soit interdite aux menées politiques des militaires 
de la Prusse. Son indépendance d'abord, son occu- 
pation ensuite, sans doute provisoire, sont la seule 
garantie possible, le seul moyen de faire exécuter 
le Traité. Du reste, les Rhénans ne sont pas des 
Prussiens. Us ne se révolteront pas, puisque nous 
leur octroyons l'indépendance qu'ils demandent. 
Ces vues, M. Tardieu les précise dans une note 
du 12 mars, où il propose, aux chefs de gouverne- 
ment de décider que la frontière occidentale de 
r Allemagne sera nxée au Rhin, que la ligne du 
Rhin sera occupée, en vertu d'un mandat de la So- 
ciété des Nations, par une force militaire interalliée, 
que les territoires de la rive gauche du Rhin, sauf 
TAlsace-Lorraine, seront constitués en un ou plu- 
sieurs Etats indépendants, sous la protection de 
la Société des Nations. 

Le 14 mars, la discussion reprend à l'arrivée du 
président Wilson. Les mêmes arguments sont pré- 
sentés, les mêmes objections leur sont faites. Le 
gouvernement français se trouve dans la nécessité, 
écrit M. Tardieu, ou de procéder seul à l'occupa- 
tion de la rive gauche et de faciliter seul les dé- 
sirs d'indépendance des Rhénans, ou d'accepter 
une proposition que lui font brusquument MM. Wil- 
son et JLloyd George. Pas d'occupation, ni d'indé-_ 
pendance de la rive gauche, mais un engagement 



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280 LE RHIN ET LA FRANCE 

d'alliance, une garantie ici li taire contre tout mou- 
vement non provoqué d'agression de la part de 
rAHemagne. « Proposition sans précédent, dit 
M. Tardien, d'immense portée, qui nous conservera 
dans le pays les moyens de solidarité par lesquels 
nous avons gagné la guerre » ^ 

Ainsi la rive gauche du tlhin resterait alle- 
mande ; elle ûe serait occupée ni par une force in- 
teralliée, ni par une force française. « Par contre, 
la Grande-Bretagne et les Etats Unie donneraient 
à la France, pour le cas de péril, rengageitient 
solennel de leur aide militaire immédiate. » Ce 
n'était qu'une prottiesse. Nous acceptions Renga- 
gement d'alliance et l'engagement solennel d*aide 
militaire, en cas d'agression non provoquée. Mais 
si nous renoncions à l'indépendante de la rive gau- 
che du Rhin, nous voulions obtenir au moins Toc- 
cupation comme garantie réelle et tangible, occu- 
patioi^ même à laquelle se refusaient nos Alliés. 

Ce fut Tobjet des discussions quotidiennes, du 
17 mars au 22 avril, dans lesquelles il fallut lut- 
ter pied à pied, dit M. Tardieu, pour que nos Al- 
liés fissent les concessions désirées. Les notes suc- 
cédaient aux notes. Peu à peu, on nous accorda la 
démilitarisation de la rivé gauche et de cinquante 
kilomètres sur la rive droite, des droits de contrôle 
sous formé d'investigation sur le désarmement de 
rAUemagne. Le maréchal Poch, consulté en mênie 
temps que les généraux en chef des armées alliées, 
ne cacha pas sa manière de voir. « Il n'y a pas 
de neutralité, de désarmement, de clause écrite 
d'une nature quelconque, qui puissent empêcher 
FAllernagne de se saisir du Rhin et d'en déboucher 
avec avantage. Le Rhin reste aujôurd'liui la bar- 

1. Op. cit.f p. 196. 



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LES NÉGOCIATIONS A LA CONFÉRENCE DE LA PAIX 25l 

rîère indispensable au salut des peuples de l'Eu- 
rope occidentale et par là de la civilisation... » 
M. Tardieu, auquel ce récit est empi*unté, ajoute 
qu'aucun des généraux alliés n'appuya le maréchal, 
qui resta seul de son avis *. Cet avis, il l'exposa, 
pour éclairer l'opinion, dans Une interview du 
Daily Mail, qui fut interdite par la censure ; il n'y 
cachait pas sa manière de voir, qui souleva les pro- 
testations véhémentes de MM. Lloyd George et 
Wilson. Le gouvernement français rencontrait les 
mêmes résistances Une transaction eut lieu fina- 
leiïietit ; le point de vue français se plia aux exi- 
eences des Alliés, sous peine de rupture. Le 20 avril, 
M. Wilson, puis le 2i avril, M. IJoyd George, 
acceptèrent, pour quinze ans, une occupation inter- 
alliée, et une évacuation par zone, de cinq ans en 
cinq ans, si TAUemagne exécutait le Traité. Si elle 
manquait à ses engagements, l'évacuation pourrait 
ne pas avoir liçu. Si, même après Tévacuation, TAl- 
lemagne enfreignait les clauses du Traité, une réoc- 
cupation serait toujours possible. 

Le înaréchal Fôch Ue se tint pas pour battu et 
renouvela ses critiques et son opposition au Traité, 
le 25 avril, d'abord au Conseil des Ministres, ra- 
conte M. Tardieu, puis à la séance finale où le gou- 
vernement français statua sur le Traité ; le Con- 
seil passa outre. Le 6 mai, à la séàùce plénière de 
là conférence, la veille du jouf où le Traité était 
remis aux Allemands, le maréchal se fit plus pres- 
sait. L'occupation pendant cinq, dix ou quinze 
ans, est une garantie égale à zéro, dit-il, entraî- 
nant pour la France et les Alliés des charges mili- 
taires croissantes. Après dix ans, nous aurons évacué 
lés territoires industriels les plus riches donnant. 

1. Ibid., p. 203. 



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fSi tE BIllN BT LA FRATiCE 

accès au baf^sia de la Ruhr ; c'est une garantie qui 
disparaît, et, au bout de quinze ans, la France se 
retrouvera avec ses frontières de 1870, sans aucune 
Bécurîté militaire* Or, les paiements doivent se 
poursuivre pendant plus de trente ans. 

Il pourra j avoir, continua le maréchal, réoc- 
cupation des territoires occupé s , si T Allemagne 
n'exécute pas tout ou partie du Traité qu'elle a 
signé. Mais qui sera juge de cette réoccupation ? 
ce sera la Commission des réparations. Juridiction 
insuffisante ! En somme, « à mesure que la puis- 
sance allemande pourra se reprendre et que le dan- 
ger s'accroîtra, les garanties iront en décroissant, 
jusqu'à disparaître entièrement au bout de quinze 
ans. Après cette période, on n'aura plus aucun moyen 
militaire de faire payer un ennemi, qui a trente ans 
pour payer, tandis que les charges augmenteront 
pour les Alliés... Pour contraindre Tennemi à tenir 
ses engagements, il n'y a qu'un seul moyen mili- 
taire, c'est de maintenir l'occupation du Rhin et 
non pas des pays rhénans : c'est sur ce point que 
nous sommes en divergence d'opinion. On m'objecte 
que j'occupe un pays ; c'est absolument inexact ; 
j'occupe les passages du Rhin, ce qui exige très 
peu de forces..... Lorsque les pays allemands 
témoigneront d'une bonne volonté indiscutable, 
lorsque le désarmement s'effectuera, on pourra 
alléger les charges de tout le monde, Alliés et Alle- 
mands, en réduisant encore les troupes d'occupa- 
tion, et la réduction se fera comme vous le voyez, 
non pas par l'abandon d'un terrain, mais par la 
réduction des effectifs d'occupation ^.. » 

Ces objections ne convainquirent pas les Alliés. 
A la fin de mai, les discussions reprirent aussi âpres 

1. Ibid,, p. 210 et suiv. 



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LES NÉGOCIATIONS A LA CONFÉRENCE DE LA PAIX 253 

qu'auparavant. M. Lloyd George regrettait les con- 
cessions qu'il avait faites. L'occupation était remise 
sur le tapis. Le gouvernement français tint bon, 
estimant qu'il avait atteint le maximum des con- 
cessions possibles et que nous avions besoin, contre 
les risques d'inexécution du Traité, de la garantie 
matérielle de Toccupation. Le 13 juin, il obtenait 
satisfaction. Telles furent les discussions passion- 
nées qu'entraîna l'élaboration du Traité de paix, en 
ce qui concerne la solution de la question rhénane, 
qui en formait la base essentielle. Nous avions fait 
des concessions graves. 

M. Barthou, rapporteur de la Commission des 
Affaires étrangères, demanda, dans la séance de 
l'après-midi du 24 septembre 1919, à la Chambre 
des députés, des précisions à M. le Président du 
Conseil sur les traités de garantie. Il voulait sa- 
voir si € la France avait les garanties suffisantes, les 
garanties auxquelles elle a droit », puisque toute 
notre politique sur le Rhin leur était subordonnée. 
Les Etats-Unis n'étaient pas partie au traité. Alors 
comment pouvait fonctionner le Conseil de la So- 
ciété des Nations î Pouvait-il se constituer sans 
les Etats-Unis î Que devenait alors notre statut sur 
le Rhin ? Le traité pouvait disparaître, par quoi 
serait-il remplacé ? Qui nous assurerait que les con- 
ventions militaires seraient signées ? M. Barthou 
ne reçut aucune réponse précise. M. le Président du 
Conseil se contenta de la déclaration suivante : < Je 
suis en mesure de dire que nous comptons d'une 
manière ferme sur la ratification de ce Traité par 
les Etats-Unis >. Mais certains ne se cachaient pas 
pour affirmer, depuis longtemps déjà, que cette rati- 
fication, et peut-être même celle de tout le Traité, 
n'aurait pas lieu. Trente-neuf sénateurs républi- 
cains, formant une importante minorité de plus 



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254 LE ElUÎN ET LA FRANCE 

d'uu tiers du Sénat, réunis en assemblée privée, à 
Washington, s*étaient prononcés, le 3 mars, contre 
le Trailé^ et le gouvernement français en avait été 
averti- M. Lansing, plénipotentiaire américain, com- 
battait le Traité d'alliance auprès de son chef^ le 
Président Wilson, car il était persuadé qu'il ae se- 
rait pa^ ratifié par le Sénat des Etats-Unis, Une 
telle alliance « était contraire aux intérêts des Etats- 
Unis et à leurs traditions politiques )>. En tout 
cas, elle était superflue et faisait double emploi avep 
la garantie inscrite à Tarticle 10 de la Société des 
Nations. Le Président Wilson, lui, Tav^t proposée 
et la désirait pour éviter de donner suite aux récla- 
mations de la France sur le Rhin, et obtenir son 
appui en faveur du « covenant » de la Société des 
Nations ^ 

Il n'y a pas aujourd'hui d'engagen^ent d'alliance 
de la part des Etats-Unis, le traité de garantie 
p'ayant pas été ratifié par le Sénat *. Alors Texé- 
cution du traité franco^anglais se trouve suspendue, 
puisque ce traité « n'entrera en vigueur qu'au mo- 
ment où sera ratifié le* traité franco-américain ». 
Les engagements écrits tombent, seuls les pro- 
messes restent. Voici même que les Etats-Unis, 
en signant la paix avec l'Allemagne (2f5 août 1921), 
ont refusé d'assumer la moindre responsabilité en ce 
qui concerne ses frontières. Néanmoins, dit M. Tar- 
dieu, la France aura les sécurités dont elle a besoin. 
En vertu de l'article 429 dii Traité, Toccupation de 

1. The peace négociations . New - York,. .Houghton Mifflin Cy, 
1921, p. 183-185. 

3. « Nou9 avons entrepris de payer un prix en échange de 
l'abandon des prétentions françaises sur la frontière du RMn et 
nous ne l'avons pas payé. Si les Américains parlent d^actions in- 
justes de la France envers T Allemagne, les Français peuveqt ré- 
pliquer A boQ /di'pi^ <iue notre manquement à nous conformer à 
cet accord a été un procédé injuste envers là France, » (Nexjo- 
Yorif TimeSf 7 janvier 1921). 



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LES NÉGOGUTION^ A LA CONFÉRENCE DE LA PAIX 255 

la rive gauche et des têtes de pont pourra être pro- 
longée, si les deux traités ou des accords équiva- 
lents ne la protègent plus contre une agression non 
provoquée, de \^ part de TAUemagne, En un mot, 
pas de traité de garantie, pas d'évacuation en 1935 ^ 
M. R. Poincaré a soutenu au contraire, dans une 
brillante controverse, uae thèse opposée. L'ar- 
ticle 429 ne signifie pas que < par le fait que le 
traité d'assistance militaire n'aura pas été ratifié 
en Angleterre et aux Etats-Unis, la France aura 
indépendamment de ses Alliés le droit de rester 
sur le Rhin » \ 

D'une façon générale, la France obtient sur le 
Rhin, affirme M. Tardieu, et par ces traités de 
garantie, et par cette occupation, qui peut être 
mdéfinimeqt prolongée, les n\êmes avantage^ que 
dans le système proposé par lelnaréchal Foch. Ce- 
lui-ci, le 27 mars, disait que Toccupatiou devait 
être -maintenue « pendant au moins une certaine 
durée de temps », le 31 mars, « qu'il fallait occu- 
per jusqu'à nouvel ordre, tant que l'Allemagne 
n'aura pas changé d'avis », et, le 6 mai, « qu'on 
n'aura plus qu'à retirer les troupes quand on trou- 
vera qu'on est payé et qu'on a des garanties suf- 
fisantes », Thèses et procédés identiques en somme, 
dit M. Tardieu, séparés seulement par la question 
de savoir si la rive gauche restera allemande ou 
sera indépendante. C'était tout le fond du débat. 

Mais on peut se poser la question délicate que 
voici. Si l'Allemagne commence à exécuter les clau- 
ses du Traité, alors nécessairement les délais d'éva- 
cuation courent et au bout de cinq ans la zone de 
Cologne est évacuée, puis celle de Coblence, Nous 

%. Op, cîft, p. 239 et suiy. 

2. V. plus loin p. 287, et le Temp$deB t2-18-15-16-18-22 sep- 
tembre |921. 



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256 LE RHIN ET LA FRANCE 

restons seuls dans celle de Mayence. Si, à ce mo- 
ment, r Allemagne cesse Texécution du Traité d'une 
façon ou d'une autre, procède à des armements par 
exemple, que deviendront les garanties de sécurité 
de la France ? Elle ne pourra vraisemblement occu- 
per que la zone qui lui est réservée. Quant aux 
autres zones, les plus importantes, parce que les plus 
riches, et dont l'une, la zone de Cologne, possède 
une trouée stratégique, elles ne pourront être occu- 
pées qu'avec le consentement des Alliés, sinon la 
France se séparera d'eux. Elle devra leur faire appel, 
le cas échéant, ou les aviser de ses intentions. 
Leur volonté limitera son action, ou la France de- 
vra agir seule et tout pacte de garantie ou d'aHiance 
sera rompu. Que deviendra le Traité lui-même ? 
Quelle sera, en efifet, à ce moment, l'attitude des 
Alliés, et quel sera le groupement politique des 
puissances que nul traité d'alliance ne lie ? Les 
Alliés ne jugeront-ils pas alors que TAllemagne a 
exécuté suffisamment les clauses du Traité ; n'iront- 
ils pas jusqu'à soutenir faiblement nos droits, sinon 
même jusquà les abandonner? Les négociations 
engagées depuis deux ans, dans des conférences 
périodiques, peut-être inutiles, nous laissent à ce 
sujet toutes les craintes. Notre droit d'occupation 
de la Rhénanie, si tant est qu'il existe entièrement 
à notre profit, est donc tout contractuel. Celui que 
revendiquait le maréchal Foch était un droit per- 
sonnelj nous était reconnu à titre définitif et d'une 
façon imprescriptible par le Traité seul et sans né- 
gociations ultérieures. La solution des difficultés 
que soulève l'application du Traité de Versailles 
est en résumé repoussée à 1935. 

Il faut avouer cependant que, dans toutes ces dis- 
cussions, nous étions paralysés en quelque sorte 
par les arguments mêmes que nous avions présen* 



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LES NÉGOCIATIONS A LA CONFÉRENCE DE LA PAIX 237 

tés devant le monde entier, attentif à notre conflit 
avec rAlIemagne S La France humanitaire est le 
porte-parole du droit, de la justice, de la liberté ; 
elle lutte au nom de l'idée nationale, elle doit être 
modérée dans sa victoire, se contenter d'un mini- 
mum dans ses revendications légitimes; elle ne doit 
faire violence à aucun peuple, c'est ce qui fait sa 
grandeur. Les peuples de l'Autriche ont demandé 
à se séparer d'un Etat, qui n'en était pas un, qui 
n'était qu'un agrégat de populations disparates. 
L'Allemagne veut-elle se diviser? Non, elle est uni- 
taire, les membres qui la composent sont soudés à 
son vaste corps et ils sont indissolubles. Ce n'est 
pas Bismarck seul qui a créé l'unité allemande ; elle 
est le résultat d'une évolution lente, qu'il n'a fait 
que servir. Le particularisme bavarois, hanovrien, 
hessois, pure fantaisie. Quand M. Morton FuUerton 
parle, dès 1914, d'une 4C vivisection » possible de 
l'Allemagne, d'un « démembrement )> possible des 
tribus germaniques, il se trompe lourdement ! De 
même le particularisme rhénan, affirment nos Al- 
liés, n'existe que dans l'imagination des officiers 
français et n'est défendu,en Rhénanie, que par quel- 
ques agités. Il faut, dans toutes ses parties, respec- 
ter l'unité de l'Allemagne, parce qu'elle est un fait 
réel et qu'on n'y peut rieù changer, sinon l'Entente 
ferait violence à la volonté des populations ; elle 

1. « Si aujourd'hui nous subissons une paix qui est presque 
plus démoralisante que la guerre, c'est parce que cette paix est 
une espèce de monstrueux illogisme, sans rapport nécessaire 
avec le vrai caractère du crime dont la Prusse s'est rendue cou- 
pable. » La Revue universelle du 1*' août 1921. Comment s'est 
faite la paix, par W. Morton FuUerton, p. 264. Comparer : 
Jacques Bainville: Les conséquences politiques de Za paix, Nou- 
velle Librairie nationale, 1 vol. in-16, 1920. « On peut dire que 
le Traité de Versailles organise la guerre éternelle. » 11 en est 
ainsi de beaucoup de traités. V. Civis.La Direction de la Paix^ 
1 vol. in-12. Paris, Çonard, 1917, p. 82-158. 

17 



ninitivoH hvA ^OOCM^ 



258 LE AHtN ET LA FRANGE 

renoocerait aux principes qu elle a défendus. Telle 
était la thèse que plusieurs ioutenaient. La France 
ne s'est-elle pas ralliée à ces idées que le président 
Wilson^dans ses discours et messages, a défendues 
avec opiniâtreté et que l'Allemagne a invoquées en 
signant Tarniistice ? Les démocraties se sont coa- 
lisées contre le militarisme et rimpérialisme ; elles 
mentiraient à la raison d'être de leur coalition, à 
son fondement essentiel, si elles ne respectaient pas 
les principes qui les ont unies. Le pays des Droits 
de THomme pouvait il renier ces principes? Jusqu*à 
quel point le gouvernement français, qui discutait 
les conditions de la paix, solidaire de la politique 
passée, pouvait-il briser avec ces traditions solide- 
ment établies et dans le Pariementet dans la presse, 
et dans une grande partie daropioion pubJique,et 
défendre une thèse opposée ^ qui faisait passer la 
France en Europe pour impérialiste ? Impérialiste ? 
mais M* Lloyd George le lui reprochait, disant que 
nos officiers surexcitaient les populations rbénanesj 
il nous faisait bientôt grief des manifestations na- 
tionalistes du Dr. Dorten et de ses amis, que nous 
n^àvions point provoquées, ^ 

Il fallut choisir entre deux thèses opposées. Le 
maréchal Foch, et d'autres non moins illustres, 
disaient que la frontière militaire au Rhin, que Tin- 
dépendance des peuples rhénans formant un « Etat- 
tampon » entre la France et l'Allemagne, étaient 
une condition indispensable de la sécurité dô la 
France. Le gouvernement pensa que roccupation 
limitée de la rive gauche^ occupation qui se prolon- 
gerait indéfiniment, si les Allemands n^exécutaient 
pas le Traité, la démilitarisation du pays rhénan 
et le démantèlement des forteresses, 1 alliance dé- 
fensive de protection avec TAngleterre et les Etats- 
Unis, étaient des garanties suffisantes. « Pour un 



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LES NÉGOCIATIONS A LA CONFÉRENCE DE LA PAIX 259 

historien, dit M. Barthou, le problème de la rive 
gauche du Rhin se pose dans une doctrine dont il 
peut discuter à son gré tous les éléments, sans 
avoir la responsabilité de traduire son opinion ei| 
faits concrets et en actes positifs. Pour un militaire, 
il revêt un aspect pratique, mais qui reste spécial, 
isolé et trop exclusif. Four un gouvernement, ce 
même problème s'offre, dans son ensemble, avec 
toutes ses parties, qui se contrarient ou qui s'accor- 
dent, mais dont aucune n'est indifférente ou négli- 
geable. Entre tant de raisons, il faut faire un choiX| 
et ce choix c'est un parti que Ton prend » ^ 

Ce parti était une solution mixte que les Cham- 
bres approuvèrent. Elles étaient placées, il est vrai, 
devant le fait accompli, et il leur était difficile, après 
la signature du Traité, même si la majorité avait été 
d'un avis opposé, de renier la parole donnée en 
leur nom par le gouvernement français et de tout 
remettre en question. Ni les Commissions, ni les 
Chambres n'avaient été consultées au cours des 
négociations *, A l'heure de Tapprobation du Traité, 
elles ne pouvaient plus l'amender, mais seulement 
Taccepter ouïe rejeter. Mais la question allait sou- 
lever bien des discussions dans les séances des Com- 
missions. Le mémoire de M. Tardieu avait produit 
sur la Commission des Affaires extérieures de la 
Chambre, a dit M. Barthou dans son remarquable 
rapport, une impression si profonde, que, si la Com- 
mission € avait pu se prononcer librement et sans 
être liée rigoureusement par l'alternative de l'ap- 
probation ou du rejet du Traité, elle se serait pro- 



1. Rapport de M. Louis Barthou, op, cit, p. 53. 

2. Les présidents des Chambres, les anciens présidents du 
Conseil et les anciens ministres des Affaires étrangères ne 
purezit également donner leur ayis. Aucun organisme de notre 
Constitution ne prévoit, il est vrai, leur audition. 



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^ 



260 LE RHÎH ET LA FBÂNCfi 

noncée h une grosse majorité pour la fixation au 
Rhin de la frontière occidentale de TAllemagne et 
pour Foccupation par les troupes interalliées des 
têtes de pont du fleuve * ». 

Pouvioïis-noufl ne pas accepter ? Si nous avions 
persisté danït notre opinion première, nous restions 
seuls, a dit M.Tardieu (Chambre des députés), « Nos 
Alliés nous disaient et nous confirmaient que, dans 
rhypothèse présentée par nous, ils ne participe- 
raient pas à l'occupa tion, ]» Par conséquent, c'était 
pour maintenir Tentente avec nos Alliés, et pour 
cette raison seule, que le gouveroement abandon- 
nait les solutions proposées dans k note du ïo fé-^ 
vrier. 

Le Président du Conseil défendit cette politique 
à la tribune du Parlement, lors de la discussion du 
Traité de paix. L'alliance était préférable k tout< 
Une occupation du fleuve, des tètes de pont, était 
lourde et coûteuse. Et puis, il y aurait trop d'Alle- 
mands derrière nos troupe s ^ et il n'y avait pas lieu de 
provoquer chez eux un changement de régime. 
« Nous n avons pas à entrer chez eux pour y ame- 
ner une révolution* » . La garantie, ce seront les 
traités avec nos deux Alliés. Cette solidarité des 
Alliés est ce qui donne la vie au Traité '. Placé en 
présence de rautonomie des pays rhénans d^une 

E>art, Tallianceavec l'Angleterre et les Etats-Unis et 
e traité de garantie et de sécurité d'autre part, le 
gouvernement crut devoir choisir ce second moyen. 
L'avenir dira s'il a eu raison. 



i. Ibid., p. 62. 

3. Séance du Sénat, 11 oct. 1919. 

3. R Quand on veut analyser les éléments d'une mechine, il 
ne Taut paa oublier le fuoteur. Le moteur est ici dana la boK- 
darité des Alliéa n (Ch. des députas, 25 sept. 1919, 3* séance). 



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LES NÉGOCIAI IONS Â LÀ CONFÉRENCE DE LA PAIX 261 

III , 

La question de la Sarre. 

A côté des questions d'occupation et de garantie, 
nous revendiquions, forts de notre droit historique, 
de la volonté des peuples, du droit de réparation, 
les populations d'origine et d'aspiration françaises 
que nous avait enlevées le traité de 1815, et la pro- 
priété des mines de là Sarre. 

Depuis des siècles, le pays de la Sarre était dans 
la « mouvance » française. M. Babelon a écrit que 
l'ancienne monarchie, dans ces pays rhénans, n'avait 
pas de frontière précise ^ Le libre jeu des insti- 
tutions féodales avait créé une situation contraire 
à notre conception moderne des Etats, d^où était 
résulté, un étrange enchevêtrement territorial. Tel 
fief, seigneurie, village, abbaye, était un domaine 
indivis entre plusieurs co-seigneurs, tel autre for- 
mait enclave dans un autre fief. On se souvient 
du procès fameux qui faillit déchaîner la guerre 
entre les prétendants à Théritage des duchés de 
Clèves et de. Juliers. Landau forma enclave fran- 
çaise jusqu'à la Révolution, au milieu du Palatinat 
bavarois. L'abbaye de Tholey et le bailliage de 
Schaumbourg étaient des possessions de Tévêché de 
Verdun, entre les principautés de Birkenfeld et de 
Deux-Ponts. Le pays de Merzig fut une souverai- 
neté commune au roi de France et à l'Electeur de 
Trêves. 11 n'y avait pas plus de frontière matérielle 
que de frontière morale, puisque le français était la 
langue de la bonne société dans tous les pays. Où 

1. Aq DAys dé la Sarre^ Sarreloni» eiSarrebrûok 1 vol. Paris, 
Ernest Leroux, 1 915, p. 83. 



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â62 LE RHIN ET LÀ FÀAKCË 

était Tunité germanique qui, aux dires des histo- 
riens prussiens, existait depuis le traité de Verdun? 
Nul doute que Louis XIV, grand artisan de Tunité 
française, ne cherchât à mettre un peu de clarté 
dans tout ce maquis de contestations féodales. II a 
conquis assez-de prestige en Europe, aux traités^e 
Westphalie, pour user de son influence. Il se fait 
céder par le duc de Lorraine, en 1662, Sierck, Fre- 
merstrof, Sarrebourg, Phalsbourg et Vaudrevange, 

2ui s'étend jusqu'aux confins de la principauté de 
irkenfeld et près de Fabbaye deTholey. En 1663, 
le comte de Sarrebrûck reconnaît le protectorat de 
Louis XIV. Le traité de Nimègue, comme celui de 
Westphalie, confirme à la France la possession des 
évêchés de Metz, Toul et Verdun, mais sans en dé- 
terminer les limites et dépendances, et voilà que 
Louis XIV entend les fixer, au nom des droits de 
la Couronne, avec les Chambres de Réunion. Il va 
invoquer des droits historiques et féodaux transmis 
à la France par la possession des Trois Evêchés, 
et resserrer des liens, dont leurs vassaux peu à 

feu s'affranchissaient. La Chambre de Réunion du 
arlement de Metz, après une étude savante de$ 
archives, des dossiers poudreux, des vieux parche- 
mins, proclamera « la revendication du vieux sol 
gaulois par la France » (1679) et prononcera, par 
application des traités de Munster et de Nimègue, 
la réunion de fiefs qui formeront Fembryon d'une 
nouvelle province, celle de la Sarre. 

Pour protéger ces acquisitions, Vauban a créé 
une ville nouvelle qu'il fortifie, Sarrelouis, puis 
Mont-Royal, Phalsbourg, Huningue, Mont-Louis, 
Landau. Mais ces annexions hâtives ont donné 
lieu à la guerre qui se termine par le traité de 
Ryswiok. Nous restituons la Lorraine, Mont-Royal, 
et le baiUiage de Sarrelouis est sensiblement réduit, 



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LES MÉG0CIATI0M9 À LA CONFÉRENCE DE LÀ PAIX 263 

bien que nous occupions Phalsbourg en plein ter- 
ritoire lorrain. G'-était le signe de Tunion prochaine. 

La monarchie va y tendre par une série de con- 
ventions et de traités : d'abord par les traités de 
Vienne (1738), et la réunion de la Lorraine à la 
France (1766), la convention avec le Prince de Nas- 
sau-Sarrebrûck, celle avec l'Electeur de Trêves, 
(1778), la convention de 1781 avec la seigneurie de 
Bliescastel et une série de traités, enfin, passés avec 
le duc de Deux-Ponts (1778 à 1786). Par ces di- 
verses tractations, nos diplomates ont voulu créer 
une frontière continue, suivant la rive gauche de la 
Sarre, même au prix de concessions importantes 
sur la rive droite. Grâce à Sarrelouis, notre ligne 
de défense, reliée aux places fortes de VaubaU, était 
puissamment constituée et soutenue, en outre, par 
la clientèle des princes laïques ou ecclésiastiques. 

Nous avons vu comment tous ces pays, à l'ap- 
proche de nos troupes, en 1793, réclament leur re- 
tour à la Lorraine et à la France. Des villages pé- 
tilionnent pour leur être rattachés (Rapport de 
Lazare Garnot, à la Gonvention 14 février 1793). 
Après les annexions de 1797, la Sarre cesse d'être 
une frontière internationale ; avec les territoires 
annexés, on forma les départements de la Sarre, 
du Mont-Tonnerre et du Rhin-et-Moselle. 

Après la chute de l'Empire, on posa en principe, 
au traité du 30 mai 1814, que la France conser- 
verait ses limites de 1792. ly autre part, on con- 
sidéra que le charbon de la Sarre était nécessaire 
aux industries lorraines ; nous gardâmes ainsi Sar- 
rebrûck et son bassin houiller^ notamment les 
houillères déjà exploitées entre les cantons de For- 
bach et Sarrelouis, avec les bourgs de Ludweiler 
et Geislantérn, sur la rive gauche de la Sarre, et sur 
la rive droite les gisements de Burbach, Saint-Jean, 



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264 I-E RHIÏÏ ET LA FEAÎICE 

Dudeveiler, Vôlkliogen, Avec les exploitatioBs 
déjà eQ activité dans T arrondisse ment de SarrelouiSj 
les belles forêts du nord de Sarrebrùck, nos avan- 
tages économiques et industriels étaient considé- 
rables. Mais le canton de Tholey, ainsi qu'une bande 
de territoire située entre la Sarre et la Moselle et 
comprise dans l'intérieur de la frontière de J792j 
nous étaient enlevé s. Nous perdions ainsi dix-buit 
communes du canton de Sierck^ et nous étions re- 
jetés à une vingtaine de kilomètres, en arrière de 
la frontière tracée en 1798, 

Ces avantages territoriaux, conservés en 1814, 
nous furent ravis par les traités de 1813. Nous 
perdions Sarrelouis avec dix-huit communes, le 
pays de Sarrebrûck et ses charbonnages, le canton 
de Relling et trente-quatre communes, une com- 
mune du canton de Sierck et trois de celui de Bou- 
zonville. Deux siècles d^'efforts accomplis patiem- 
ment par notre diplomatie pour atteindre la ligne 
naturelle de la Sarre étaient mis à néant, et 
notre frontière était ouverte à l'invasion . La patrie 
de Ney, Sarrelouis, et tout le pays environnant 
furent douloureusement affligés. Beaucoup de Sar- 
relouisiens s'expatrièrent pour ne pas devenir Al- 
lemands. Sarrelouis n'était-elle pas, depuis plus 
d'un siècle, purement française ? Le pays de Sar- 
rebrûck avec ses comtes n'avait-il pas vécu de 
la vie de la France, et son commerce, ses usines 
ne prospéraient-ils pas grâce à elle ? Pendant des 
siècles, les Sarrebrûckois avaient servi dans les 
armées françaises. Plus récemment, de 1792 à 
1815, Sarrelouis n'avait-il pas fourni aux arinées 
françaises, en dehors des simples soldats, plus de 
400 militaires gradés, parmi lesquels 12 généraux ? 
La loi révolutionnaire de la conscription, qui pa- 
rut si dure aux populations de la vieille France, 



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LES NÉGOCaATIONS A LA CONFÉRENCE DE LA PAIX 265 

n'eut pas roccasion d^être appliquée à Sarrelouis, 
parce que tous les jeunes gens, chaque année, s'en- 
gageaient comme volontaires \ Du reste, dans toute 
la région de la Sarre, l'enthousiasme pour Napo- 
léon avait rempli les âmes ; il était considéré comme 
le protecteur naturel de ce pays. Il n'eut pas de 
soldats plus dévoués que ceux qu'il lui fournit. 

Ce qui montre encore mieux le culte des habi- 
tants de Sarrelouis pour la France, c'est la façon 
dont fut accueillie la nouvelle de notre désastre, en 
1814. Dans une brochure anonyme, parue en 1880, 
lors de la célébration du 200' anniversaire de la 
fondation de la ville, un Sarrelouisien s'exprimait 
en ces termes : « Français nous sommes et Fran- 
çais nous resterons, attendant avec confiance le 
jour tant désiré où les couleurs de la patrie reflot- 
teront sur Sarrelouis, le jour béni où nous serons 
rendus à notre mère chérie, la France l * » 

Après l'annexion à la Prusse, ce furent des pro- 
testations quotidiennes contre l'administration prus- 
sienne, des manifestations, des querelles avec les 
soldats prussiens. Le sentiment français persista 
très vivace, retrouvant en 1830, en 1848, en 1870, 
une acuité nouvelle. De nombreux Sarrelouisiens 
servirent dans nos armées, en Crimée, en Italie. 
Lors de la guerre de 1859, la garnison prussienne 
déserta pour passer en Alsace et s'enrôler dans 
notre légion étrangère. Aucun engagement du reste, 
comme on Ta remarqué, ne se produisit, à partir 
de 1815 et jusqu'en 1870, pour l'armée prussienne, 
et chaque année beaucoup de jeunes gens de Sar- 



1. V. P. Babelon. An p&ys de U S^rre, S&rreloQÎs et Sarre- 
brûckf op. cH.f p. 1^6. 

2. Travaux du Comité d'Études, 1. 1, oj>. eit. Un témoignage 
sur la persistance du sentiment français à Sarrebrûck, par 
M. Aulard, p. 141-li9. 



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S6Ô LE RBI» ET LÀ FRANCE 

relouis et des environs, se refusant à faire leur ser- 
vice en Prusse, vinrent s'engager dans notre légion, 
dont ils formeront, après 1871, le plus solide 
noyau '. Les Sarrelouisiens attendaient impatiem- 
ment — ils le disaient et récrivaient — malgré 
Faction persistante de la Prusse, le retour à la 
France. A la veille de 1866, un rapport du préfet 
de la Moselle annonçait que la masse de la popu- 
lation de Sarrelouis, de Sarrebrûck et des environs, 
« faisait des vœux pour que les événements ou les 
négociations permissent la reprise ou la restitution 
des territoires perdus » *. Mais Tabstention de Nô- 

!>oléon,qui refusa d^intervenir en Allemagne, après 
a défaite de Sadowa, leur causa la plus cruelle 
déception. 

Peu à peu, le temps faisait son oeuvre et, bien 

3ue dans tous les villages des environs, comme 
ans cette ville même, on parlât français, le petit 
groupe fidèle diminuait en nombre. Les événements 
de 1870 réveillèrent les sentiments d'affection pour 
la France ; on crut que nos troupes allaient pro- 
chainement délivrer Sarrelouis des Prussiens, et 
Fagitation fut si forte que ceux-ci durent se faire 
livrer plusieurs otages. La façon aimable et préve- 
nante avec laquelle nos prisonniers, après les pre- 
mières batailles, furent accueillis à Sarrebrûck et 
à Sarrelouis, montra suffisamment que la germa- 
nisation n'avait guère avancé. Mais notre défaite 
brisa, avec cette ardeur nouvelle, les espérances 
précieusement entretenues. Celles qui avaient pu 
subsister à Sarrebrûck s'étaient lentement éteintes, 
puisque la ville, qui ne comptait pas 3.000 habi- 

1. Ë. Babelon. Au pays de la Sarre, Sarrelouis et Sarre- 
brûck, op, cit., p. 269. 

2. Vidal de la Blache. La France de VEst, 1 vol. gr. in-8, 
Paris, Colin, 1917, p. 221. 



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LES NÉGOCIATIONS A La CONFÉRENCE DE LA PAIX 26? 

tants en li89, en avait plus de iOO.OOO par suite 
de rimmigration prussienne, devenue considérable 
pour rexploitation des charbonnages et la mise en 
marche des usines. Du reste, le travail d'assimila- 
tion des Prussiens fut, après 1870, plus intense que 
jamais. Leur prestige militaire leur donnait ime 
audace nouvelle, et une armée de fonctionnaires, 
envoyés de Poméranie ou'^de Brandebourg, con- 
coururent à cette œuvre de propagande avec une 
ardeur de fanatiques. Mais on ne peut pas dire que 
les souvenirs du passé fussent effacés. 

Un Sarrelouisien, exilé volontairement au Canada, 
n'adressâit*il pas, en 1892, un appel émouvant à 
Ses compatriotes, le^ exhortant à ne pas désespé- 
rer de la France leur patrie *. 

Les précédents historiques parlaient assez fort en 
notre faveur pour légitimer le retour à la France 
de ces pays qui constituaient sa limite naturelle, 
depuis deux siècles. Des intérêts de défense stra- 
tégique nous faisaient aussi un devoir de revendi- 
quer les hauteurs de Berus, de Felsberg, qui do- 
minent Sarrelouis, jadis place forte importante, et 
celles de Siersberg, au confluent de la Sarre et de la 
-Nied, qui forment une barrière d'une belle valeur 
militaire. Mais des considérations plus terre à terre 
retinrent Tattention des plénipotentiaires alliés : 
on envisagea principalement le côté économique. 

La France avait avant la guerre une production 
déficitaire en charbon ;le déficit s'est accru depuis la 
destruction systématique des houillères du Nord et 
du Pas-de-Calais *. Or, après le retour de T Alsace 

1. Lettre aux SarrelouisienSy 1892. Les Trois Rivières (Ca- 
nada) cité par E. Babelon, op, eit,j p. 300. 

S. Yoit à ce stijet J. Auïneau, An front britannique^ 1 vol. 
in-16». Paris^ Renaissance du Livre, 1918, p. 186 et Suiv. 



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268 LE RHIN ET LA FKAKOS 

et de la Lorraine, ce déficit sera encore aggravé. 
En 1913, l'Alsace-Lorraine a produit 3.840.000 ton- 
nes et en a consommé 9*200,000 pour ses indus- 
tries, soit un déficit de 5.3t)O.0U0, qui, ajouté à notre 
déficit normal de 18.492.000 tonnes, le portera à 
23,85i.000 tonnes. Avec les pertes subies dans le 
Nord, la ditTérence sera encore plus considérable. 
Or, les miAcs rhénanes et bavaroises du bassin de 
la Sarre ont produit, en 1913, 13.600>00 tonnes. 
Comme on estime à 5 millions de tonnes environ, 
la quantité consommée dans le pays pour Tindus- 
trie et les usages domestiques, resterait disponible 
une quantité de 8 raillions de tonnes, qui assure- 
rait la consommation de TAlsace et de la Lorraine, 
et diminuerait notre déficit. Le bassin houiller de 
la Sarre est, du reste, le prolongement de la Lor- 
raine, et, dès 1815, Tingénieur Debonnard essayait 
de sauver Sarrelouis et Sarrebrùck, en invoquant 
cette raison économique \ Ce bassin comprend au- 
jourd'hui trois groupes : le premier dans la vallée 
de la Sarre^ le second autour de Neunkirchen^ le 
troisième dans la région de Saint-Ingbert* Autour 
des puits de mines s'est développée une région in- 
dustrielle avec les industries de la métallurgie, de 
la verrerie, de la faïencerie, de la céramique. Les 
mines de la Sarre devraient par conséquent être 
cédées en toute propriété à la France, comme ré- 
paration immédiate des dommages subis. 

Mais quelles vont être les acquisitions territo^ 
riales ? 

D'abord le bassin houiller de la Sarre ne couvre 
pas toute l'étendue du bassin géographique. La 
région où se trouvent les puits de mines, dans ce 
qui est la Prusse rhénane et le Palatinat, a la forme 

1* V. TrftVAUJB da Comiié d'étudetf op* cît.f t. I, Le hstssin 



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LES NÉGOCIATIONS A LA CONFÉRENCE DE LA PAIX 269 

d'un triangle, dont la base est parallèle à la Sarre, 
entre Sarrelouis et Sarrebrûck, et dont le sommet 
se trouve à Frankenholz, à 9 kilomètres au Nord- 
Ouest de Hombourg, avec prolongement au Sud- 
Ouest dans la Lorraine annexée et au Nord-Est 
dans le Palatinat bavarois. Si Ton s'en tient au 
bassin houiller reconnu à l'heure actuelle, il faut 
y comprendre non seulement la région des mines, 
mais aussi celle d'où proviennent les ouvriers qui 
y travaillent. « Pour être maître des charbonna- 
gesy dit M. Gallois ^, des usines qui en dépendent 
et des villages qui fournissent la main-d'œuvre 
indispensable à ces industries, voici, à peu près, 
où il faudrait tracer la frontière. Elle partirait, à 
rOuest,de la vallée delà Sarre, au-dessous de Mett- 
lach, et engloberait le cercle de Merzig, en suivant 
la bordure orientale de la région montagneuse et 
forestière du Schwarzwald, qui sépare nettement 
les pays regardant vers Trêves et la Moselle de 
ceux ayant toutes leurs relations avec Sarrelouis 
et Sarrebrûck. Elle entaillerait légèrement au Sud 
la principauté de Birkenfeld, dépendance de TOl- 
denbourg, et couperait le cercle de Saint- Wendel, 
dans Fétranglement compris entre la frontière et 
la principauté de Birkenfeld et celle du Palatinat. 
Elle pénétrerait dans le Palatinat, entre Hombourg, 
au Sud, et Landsthuhl, au Nord, engloberait à peu 
près le cercle de Hombourg et viendrait rejoindre 
la frontière de 1815, en se tenant à TEst de la 
Bliess. » 

D'autre part, si nous nous en tenions à la fron- 
tière de 1814, nous constaterions qu'elle ne nous 
donnait qu'une partie du bassin houiller, tandis 
que celui-ci, au Nord, dans la région de Tholey et 

1. rbid,, p. 117. 



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270 LE RHIN ET LA FBàNGE 

d'Otweiler, le dépassait de 700 kilomètres carrés. 
Cette frontière ne convieodrait donc plus à l'état 
actuel du pays, plus industrialisé qu'à cette époque. 

Certaines localités se trouveraient abusivement se- 

{)arées des centres dont elles dépendent^ et avec 
esquels elles ont leurs relations, < En d'autres 
termes, nos réclamatioDS sur le sol ne coïncidaieût 
pas avec nos réclamations sur le sous-sol, et ni les 
unes, ni les autres ne pouvaient être abandonnées ', :^ 
Il fallait alors combiner les deux solutions pour 
satisfaire et nos ambitions territoriales, conformes 
aux traditions historiques, et la volonté des habi- 
tants et nos désirs légitimes de réparations. 

Ces revendications furent portées devant les plé- 
nipotentiaires des grandes puissances, et la discus- 
sion s'engagea, le 28 mars. M, Tardieu avait fait 
éloqnemment remarquer, dans un mémoire pré- 
senté par la Délégation française, que ^ pendant cent 
ans, les populations sarroises, celles de Sarrelouis 
et de Landau, étaient restées fidèles à la France, 
que la ville de Sarrelouis avait adressé un télé- 
gramme chaleureux au Président de la République, 
que nos troupes avaient été accueillies dans cette 
contrée par des débordements d'allégresse. Il y a, 
dans le bassin de la Sarre^ une forte proportion de 
bourgeois passionnément attachés à la tradition 
française.,. Le sentiment a survécu *, Mais notre 
plénipotentiaire rencontra tout de suite l'opposition 
des Alliés. De même que M. Balfonr avait dit, dès ' 
la fin de 1917, qu'aucun accord n'avait spécifié la 
création, sur la rive gauche du Rhin^ d'Etats indé- 
pendants — et pouvait-on la prévoir à un moment 
où la victoire s'éloignait de nos armes ? — le prési» 
dent Wilson déclara, à son tour, que jamais la France 

1, A. Tardieu, op. cit.j p, 378* 
' 2. Ibid., p. 381* 



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I^ES NÉ00CIATI0Z«6 A LA CONFÉRENCE DE LA PAIX 271 

n'avait demandé la frontière de 1814. Les bases de 
paix acceptées par elle parlent de la réparation du 
tort subi en 1871, et non pas en 4815, disait le 
président Wilson. Avant que la victoire fût com- 

{>lète, nous ne pouvions présenter, aux yeux de 
/Europe, au'un programme minimum, c'est-à-dire 
le retour ae T Alsace-Lorraine à la France. Main- 
tenant, on nous opposait notre modération I Nous 
ne réclamions que notre droit et rien que notre droit ; 
or, M. Lloyd Georges et le président Wilson nous 
le contestaient. L'un nous reconnaissait encore la 
propriété des mines, l'autre acceptait seulement 
« que nous prissions dans la Sarre une quantité 
de charbon égale au manque à produire résultant 
de la guerre ; il écartait, et la propriété des mines, 
et la frontière de 1814... D'ailleurs, la frontière de 
1814 ne répondait à aucune réalité économique. 
Elle ruinerait le bassin en le coupant en deux, sans 
assurer le charbon à la France. Une- cession de 
territoire, sans un plébiscite immédiat, serait, dans 
ces conditions, inadmissible ». Ainsi Ton faisait fi 
du sentiment historique qui avait tant de prise sur 
les cœurs français. Aux arguments moraux se heur- 
taient les arguments économiques, qui seuls impres- 
sionnaient MM. Lloyd Georges et Wilson, puisque 
ce dernier, s'il nous contestait la propriété des mines, 
nous en reconnaissait du moins rusage,à titre de 
réparation. 

La discussion fut âpre. MM, Lloyd George et 
Wilson maintenaient leur point de vue. Pour arri- 
ver à une solution, le gouvernement français pro- 
posa de transiter, dans les notes des 29 mars, 
1*' et 5 avril. Il demanda la propriété perpétuelle 
des mines de la Sarre. D'autre part, ce sol de la 
Sarre a été français pour partie, pendant près de 
deux siècles, et pour partie pendant plus de vingt 



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Î72 Ufi RHIN ET LA FRANCE 

ans ; lors de la Révolution» « ce sol a été entière- 
ment incorporé à la France une et indivisible, par 
le vœu librement exprimé de la population, et il 
lui a été arraché contre la volonté de ses habi- 
tants. » Seulement, la population qui y réside est 
en majorité germanique, parce qu^immigrée. Aussi 
n'insiste-t-on pas pour une annexion. Mais comme 
cette terre a été française, c'est une présomption 
qu'elle le deviendra volontiers. Le gouvernement 
proposait donc de placer 4( temporairement le terri- 
toire de la Sarre sous la sauvegarde de la Société 
des Nations », qui donnera à la France un mandat 
d'occupation militaire et de visa sur l'administra- 
tion locale, car la nationalité française sera confé- 
rée à ceux qui la demanderont, et, au bout de quinze 
ans, les populations qui n*auront pas manifesté leur 
volonté devront être consultées pour décider de 
leur souveraineté. Transaction donc, qui, en nous 
faisant renoncer à la frontière de 1814, nous per- 
mettait d'obtenir la propriété des mines, pourvu 
[u'il ne fût question ni de déplacer la frontière, ni 
e créer un Etat indépendant {31 mars). Les dis- 
cussions reprirent afin d'obtenir, soit la constitution 
d'un Etat indépendant lié à la France par une union 
douanière, soit la souveraineté de la Société des 
Nations, avec un mandat confié à la France et un 
plébiscite au bout de quinze ans. M. Lloyd George, 
cette fois, soutint notre point de vue, mais le pré- 
sident Wilson ne voulait pas céder ; la situation 
était tendue et, le 7 avril, le bruit courait qu'il 
allait quitter la France ; nous étions accusés « de 
réclamer des annexions ». 

Pour tout concilier et éviter la rupture, nous 
étions entraînés à de nouvelles concessions, et nous 
acceptions, conformément aux suggestions de 
M, Lloyd George (note du 8 avril), le plébiscite au 



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ï 



LES NÉGOCIATIONS A LA CONFÉRENCE DE LA PAIX 273 

bout de quinze ans, et le transfert, durant ce laps de 
temps, du gouvernement du pays à la Société des 
Nations, qui le déléguerait à une commission de cinq 
membres. 

L'exploitation économique du bassin houiller 
était reconnue à la France, d'abord comme com- 
pensation à la destruction de nos mines du Nord 
et du Pas-de-Calais, ensuite comme gage des paie- 
ments que TAllemagne aurait à effectuer, à titre de 
réparations ou d'indemnités. Puis, il fut admis en 
principe que la France, outre le droit d'exploiter 
les puits, posséderait, sur cette région, certains 
pouvoirs administratifs. Le bassin de la Sarre for- 
merait une sorte d'Etat neutre, comme le Luxem- 
bourg, sans lien politique avec TAUemagne, et sur 
lequel la France aurait un droit de regard (com- 
muniqué du 11 avril). Ces dispositions furent tra- 
duites de la façon suivante dans le Traité de Ver- 
sailles (art. 45 à 51) : 

La France acquérait la propriété des mines du 
bassin houiller. Pendant une période de quinze an- 
nées, le pays de la Sarre,, constitué en Etat indé- 
pendant de TAUemagne, serait administré, avec 
des forces de gendarmerie internationale, par la So- 
ciété des Nations. Celle-ci délègue ses pouvoirs à 
une commission de cinq membres, un désigné par 
la population locale, un par la France, trois par la 
Société des Nations, et appartenant à des pays 
autres que la France et TAllemagne. Le président 
de la Commission de gouvernement, choisi parmi 
ces cinq membres par le Conseil de la Société des 
Nations, sera l'agent exécutif de la Commission et 
désigné pour un an. La Commission exercera tous 
les pouvoirs qui appartenaient antérieurement à 
r Allemagne, à la Prusse, k la Bavière : nomina- 
tion et révocation des fonctionnaires, administra- 
is 



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274 LE HHIÏÏ IT LA FRANGE 

tioa et exploitation des services publics, protection 
à Tétranger des iatérèts des habitaots^ modifica- 
tion éventuelle des lois, organisation de la justice, 
levée des taxes et impôts, etc.. Pendant cette 
période de quinze années, les habitants du nouvel 
Etat ne seront assujettis à aucun service militaire 
et ne paieront d'impôts que pour leur administra- 
tion locale. A la fin de cette période, le pays dé- 
cidera de son sort par un plébiscite, et n'aura le 
choix qu'entre trois solutions : maintien du régime 
international, union à la France, union à TAlle- 
magne. Ce sera aux industriels et aux fonction- 
naires français de foire en sorte que notre régime 
soit déclaré préférable au régime allemanS, Si le 
résultat de la consul ta tic n est favorable à FAI- 
lemagne, celle-ci pourra racheter ses mines^ en 
versant à la France Téquivalent de leur valeur 
en or. 

L'article 48 du Traité de paix détermine les limi- 
tes du bassin de la Sarre, qui suivent à TOuest, sur 
une certaine longueur, celles de la frontière de 
1814.N*aurait-ou pu englober, dans la délimitation 
adoptée les pays jadis lorrains qui se rattachent 
géographique ment aux territoires sarrois : le cer- 
cle de Merzig 'en entier, une partie du cercle de 
Trèves-campagne, le cercle de Saint- Wendel, le 
canton de Nohfelden, le cercle de Saint-Ingbert, le 
cercle de Deux-Ponts, une partie du cercle deHom- 
bourg, le cercle de Bergzabern, une partie du cer- 
cle de Germesheim, la ville de Landau et une_ par- 
tie du cercle de Landau-campagne, une partie du 
cercle de Pirmasens ? Toute Taire industrielle du 
bassin aurait été soudée et Sarrelouis, Sarrebrûck, 
Landau, auraient été reliés les uns aux autres par 
la liçne Landau- Deux-Ponts-Sarrebrûck, et pla- 
cés sous un même régime. Nous aurions obtenu 



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LES NÉGOCIATIONS À LA CONPÉRENGB DE LA PAIX 275 

435.171 hectares, au lieu de 192.779, et 958.356 ha- 
bitants, au lieu de 645.507, soit l'étendue d'un 
département français. La ville de Deux-Ponts, avec 
ses importantes usines de quincaillerie, et indépen- 
dante du bassin houilkr, aurait pu être comprise 
dans le tracé adopté. Bref, si nous acquérions au 
Nord plus de territoire que'^ nous n'en avions en 
1814, nous en perdions au Sud, et nous n'avions 
ni Landau, ni Bergzabern. On peut même regret- 
ter qu une distinction n'ait pas été faite, entre les 
régions comprises dans les frontières de 1814 et 
qui ont été jadis françaises, et celles qui font par- 
tie du bassin houiller et sont dans le nouveau tracé. 
On s'est demandé d'autre part si une administra- 
tion internationale compliquée, qui peut donner 
lieu à bien des contestations et ne satisfaire qu'im- 
parfaitement les intérêts et les besoins des habi- 
tants, aurait dû être appliquée indistinctement aux 
deux régions. En résumé, le territoire de la Sarre 
est plus étendu qu'en 1814 — nous n'avions alors 
que 65.648 hectares — mais nos revendications 
politiques et stratégiques ne sont qu'en partie 
atteintes ^ 

Ainsi les aspirations des populations rhénanes, 
affirmées par treize ans de possession et quinze 
siècles d'histoire, n'avaient point reçu satisfaction. 
Le projet de République rhénane avait échoué, 
n'ayant pas obtenu les encouragements nécessaires; 
il devenait désormais de plus en plus difficile de 
le réaliser. 



1. Voir à cet égard le Rapport f&it an nom de la Commission 
chargée d'examiner le projet de loi portant approbation du 
Traité de paix, par M. Charles Benoist, député, n» 6.664, 
1019, p. 55. 



--—-^'Ç-^^^]^ 



276 LE RHIN ET LA FRANCE 



IV 



Les derniers essais 
de République rhénane. 

Malgré Tindiffërence ou Topposition des Alliés, 
malgré Thostilité de la Prusse, les partisans les 
plus résolus de rindépendance rhénane ne per- 
daient pas courage ; ils voulurent tenter un dernier 
effort. Mais ils ne pouvaient plus songer désormais 
qu'à une séparation violente par un coup d'Etat, 

On était au début de mai 1919, la Conférence de 
Paris allait aboutir. Déjà on savait qu'aucun traite- 
ment spécial ne différencierait la rive gauche du 
Rhin du reste de TAllemagne. Le jour où le Traité 
de paix allait être remis à la Délégation allemande 
pour qu'elle pût l'examiner (7 mai), le Dr. Dorten 
vint trouver le général Mangin, commandant la 
X* armée, à Mayence : «Alors, lui dit-il, mon pays 
va rester définitivement prussien... Je ne puis pen- 
ser un seul instant que la France permettra que la 
rive gauche du Rhin devienne prussienne ?» Le 
général Mangin dut se contenter de montrer à son 
interlocuteur les journaux arrivés de Paris, et où 
l'on relatait les décisions suprêmes qui venaient 
d'être prises. Les Rhénans, s'ils le voulaient, 
n'avaient plus qu'à se libérer eux-mêmes. 

Dès cette époque, certains d'entre eux avaient 
créé deux Comités de direction, l'un à Cologne, 
l'autre à Aix-la-Chapelle, afin d'exercer une pro- 
pagande active en faveur d'une République occi- 
dentale allemande, au sein de l'Empire. Il y avait 
des sous-comités à Trêves, Bonn, Coblence, Cre- 



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LES NÉGOCIATIONS A LA CONFÉRENCE DE LA PAIX 277 

feld. D'après le projet qui avait été adopté, le nou- 
vel Etat aurait pour capitale Cologne, avec un Par- 
lement composé des députés de la rive gauche du 
Rhin, siégeant, jusqu'à ce moment, à l'Assemblée 
prussienne, auxquels se joindraient de nouveaux 
élus. Aix-la-Chapelle aurait un évêché et une ban- 
que nationale. Dans les réunions tenues, le 10 mai, 
à Aix-la-Chapelle, et, le 13 mai, à Cologne, on dé- 
cida d'agir dans la semaine du 18 au 25. Des délé- 
gué» furent envoyés dans le Hanovre, TOldenbourg, 
la Hesse-Nassau, pour inciter ces puissances à 
suivre le mouvement. Ils se séparaient nettement 
du Centre qui, lui, était d'avis qu'il fallait opérer 
lentement et par la voie légale, celle du plébiscite 
et du libre acquiescement. 

A cette époque (17 mai), vingt-et-un notables 
palatins se rendirent à Spire, auprès de M. de Win- 
terstern, gouverneur de la province, pour lui ex- 
primer le désir de proclamer une République indé- 
pendante dans lé Palatinat, et le prier de réunir 
une assemblée populaire. Il leur répondit qu'il al- 
lait convoquer le Landrat, dans lequel ceux-ci 
n'avaient aucune confiance. Ils décidèrent alors de 
préparer eux-mêmes des proclamations. Mais le 
gouverneur fit saisir les papiers et procéda à des 
arrestations. Les autorités françaises durent inter- 
venir pour faire relâcher les prisonniers. Il y eut 
quelques émeutes à Spire, Landau, Deux- Ponts. Le 
mouvement, dans le ralatinat, ne donna aucun ré- 
sultat pratique. Pendant ce temps, les délégués de 
Cologne et d'Aix-la-Chapelle, ayant à leur tête 
deux députés du Centre, MM. Kastert et Kuckhoff, 
se mettaient en rapport avec les commandants des 
forces alliées pour connaître leur attitude, au cas 
où le mouvement éclaterait. La Délégation fut reçue, 
le 17 mai, par le général Mangin, auquel elle exposa 



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278 LE RHIN ET LÀ FRANCE 

le programme et les conditions de rétablissement 
d^uoe République rhénane. 

Cette nouvelle République formerait un Etat 
dans le cadre de l'Empire allemand, mais sous la 
protection de la Ligue des Nations, avec une poli- 
tique extérieure iDclèpendante. Elle pourrait ainsi 
faire échec aux ambitions prussiennes, et s'opposer 
à une guerre dont elle serait nécessairement le 
champ de bataille. Elle ne chercherait pas à se dé- 
rober au paiement des réparations imposées, mais 
elle enverrait aussitôt une délégation particulière à 
la Conférence de la Paix, afin d'obtenir quelques 
concessions pour l'Allemagne, qui, à ce prix, recon- 
naîtrait plus facilement son mdépendance. Elle 
devrait former, dans le cadre du Rhin, un Etat englo- 
bant la Prusse rhénane, la Hesse, le Palatinat, une 
grande partie du Nassau, soit 12 millions d'habi- 
tants. Le général répondit à ces déclarations que 
seule la Conférence avait qualité pour se pronon- 
cer, que, du reste, le Traité de paix, élaboré d'accord 
entre tous les Alliés, ne pourrait plus sans doute 
être modifié, que, d'autre part, il n'était pas possible 
d'entrer en relations avec les Rhénans, à moins que 
ceux-ci n'eussent fait un acte préalable de souve- 
raineté. 11 rendit aussitôt compte de cette visite au 
commandant de l'armée américaine d'occupation, 
qui répondit que les ordres de son gouvernement 
1 obligeaient, en cas de mouvement politique, à 
défendre TOber Président de Coblence, représen- 
tant le gouvernement prussien. 

D'autre part, deux membres de la Délégation, 
MM. Kastert et Kuckhoff, allèrent à Berlin avertir 
M. Scheidemann que la République rhénane se 
ferait avec ou sans l'autorisation du gouvernement 
prussien. Celui-ci prit immédiatement les mesures 
suivantes : 



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LES NÉGOaATIONS A LA CONFÉRENCE 0E LA PAIX &?9 

1^ Injonction donnée à tous les députés rhénans de 
s*àBstenir de tout mouvement ; 

2® Envoi d'agitateurs socialistes dans les milieux ou- 
vriers, qui provoquèrent un commencement de grève 
à Cologne, le 27 mai ; 

3® Publication dans la Rheiriische Zeitang d'un 
compte-rendu tendancieux de la visite des délégués 
rhénans au général Mangin ; 

4® Ordre aux fonctionnaires de publier un aveHis- 
sement rappelant que tout mouvement politique sépa- 
ratiste serait poursuivi, comme crime ae haute trahi- 
son, en vertu de l'article 81 du Code pénal, punissant 
le délinquant des travaux forcés à perpétuité. 

La publication de cette ordonnanèe fut interdite 
par rautorité militaire française^ comme étant de 
nature à troubler la tranquillité publique. 

Tout en brandissant ses foudres, la Prusse me- 
nait une vive propagande et intervenait directe- 
ment auprès des dirigeants du mouvement rhénaH, 
afin qu'ils retardassent une démonstration qui por- 
terait im préjudice grave à TAUemagne, au mo- 
ment des négociations de paix. Elle alla mênfe 
jusqu^à leur promettre une certaine autonomie, s'ils 
s'engageaient à demeurer dans Tunion économique 
allemande. L'attitude de Berlin fit grosse impres- 
sion dans les milieux rhénans. Certains se lais- 
sèrent convaincre. Les dirigeants rhénans déci- 
dèrent (28 mai) de remettre rexécution de leur 
programme jusqu'après la signature de là paix, et 
les députés du Centre, sous Tinfluence d^Erzberijer, 
désavouèrent leurs délégués, qui donnèrent leur 
démission, le 30 mai. A Cologne, le Comité, esti- 
mant que rien ne pouvait se faire dans cette ville, 
f)uisque les fonctionnaires allemands étaient sur 
eurs gardes, et qu'il n'était pas soutenu par les trou- 
pes d'oc€upation^ transmit se» pouvoirs ali Comité 



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SBO LE BHIN ET LÀ FHArfCË 

d' Aix-la-Chapelle qui avait déjà eotre ses mains les 
pouvoirs des Comités de Bonn, Clèves, Crefeld, 
Gladbach^ Neuss et Trêves, Rien ne pouvait se 
faire par la voie légale ; il o y avait plus qu'à tenter 
un coup d'Etat, mais comment y réussir sans être 
d'accord avec les troupes d'occupation, sans être 
soutenu par elles d'ordre de leur gouvernement ? 
Or, à CoblenOBj le Comité réuni, le 2Ti mai, se 
beurta au refus formel de Tautorité américaine, qui 
ne voulait laisser publier aucun manifeste. A Aix- 
la-Chapelle, les Belges ne paraissaient guère dispo- 
sés à soutenir le mouvement d'une manière effec- 
tive, et à Cologne, les Anglais persistaient dans la 
même attitude. Ce fut donc un eiTort désespéré que 
tentèrent vaillamment le Dr. Dorten et ses amis 
pour sauver une situation singulièrement compro- 
mise, d'accord avec le Comité d'Aix-la-Chapelle et 
au nom des Comités de Rhénanie, de Hesse, de 
Nassau, du Palalinat. Les chefs des partis politi- 
ques s'étaient teuus prudemment à l'écart. Le 
i" juin était proclamée, à Wiesbaden, la Répu- 
blique rhénane.. Des affiches contenant la procla- 
mation ci-jointe étaient répandues de toutes parts : 

Au peuple rhénan ! 

Le moment est veau do contribuer nous aussi à l'éta- 
blissement de La paix des peuple». 

Le peuple rhénan demande à être entendu en celte 
heure d^angoisae daus laquelle âon sort se décide. 

Toute influence extérieure doit céder devant cette 
décision inébranlahle, née du principe universelletnent 
reconnu du droit des peuples à disposer d'eux-mêmea. 

Le peuple rhénan veut sincèrement une paix qui soit 
la base de la réconciliation de tous les peuples. 

C'est pour cette raison qn^il ne détache spontané- 
ment des in!)titutions quî sont la cause de tant de g^uer- 
ids : féodalité dég^énérée et militariiitme. 11 élimine ainsi 



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LES NÉGOCIATIONS A LA CONFÉRENCE DE LA t>Al3C ÎSÏ 

à jamais l'obstacle qui s'oppose à toute véritable paix. 

Le projet de Traité de paix est nécessité d'une part 
par les exigences du droit et de la justice, reconnues 
aussi par le Gouvernement allemand : réparer les 
énormes dommages et dévastations subis par la France 
et la Belgique et donner des garanties suffisantes con- 
tre le retour de nouvelles guerres. D'autre part, il re- 
présente un fardeau terrible pour le peuple allemand. 

Le plus haut devoir du peuple rhénan est d'aider de 
tout son cœur à la réconciliation générale et définitive 
des peuples. 

Nous déclarons donc ce qui suit : 

Une République rhénane autonome est fondée dans 
le cadre de l'Allemagne ; elle comprend la Province 
rhénane, le Vieux Nassau, la Hesse rhénane et le Pa- 
latinat. 

Cette fondation a lieu sur les bases suivantes : 

1® Les frontières restent comme par le passé (Bir- 
kenfeld inclus) ; 

2® Des changements de frontières ne peuvent avoir 
lieu qu'avec l'approbation des populations intéressées ; 
cette approbation sera établie par un plébiscite. 

Le Gouvernement provisoire est formé de délégués 
des Comités soussignés. Il demandera immédiatement 
l'autorisation de procéder sans retard aux élections de 
l'Assemblée rhénane, d'après le mode électoral en vi- 
gueur pour l'Assemblée nationale, et de réunir de suite 
cette Assemblée. 

Coblence sera le siège du Gouvernement et de l'As- 
semblée rhénane. Provisoirement, le Gouvernement 
siège à Wiesbaden. 

Les administrations provinciales et communales con-, 
tinuent leur activité jusqu'à nouvel ordre. Le Gouver- 
nement provisoire prend la place des Gouvernements 
centraux prussien, nessois et bavarois. 

Vive la République rhénane ! 

Cologne n'avait pu être choisie comme capitale 
du nouvel Etat^ à cause de la défection des délé- 



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I SS2 LE RHIN ET LÀ FRANGE 

gués. A Coblence f le Haut Commandement améri- 
^ • cain menaçait d'emprisonner le Dr» Dortea et ses 

t partisans. 11 fallait se contenter provisoirement de 

la petite ville de Wiesbaden, Des dépêches furent 
envoyées an président Ebert et à M, Scheidemann 
pour leur faire connaître les véritables intentions 
du Gouvernement provisoire. 

Dans la populatioUj on fut assez surpris de Tinî- 
tiative du Dr. Dorten. On ne pouvait croire à tant 
d'audace. Par suite de sa timidité, de sa réserve, 
de son esprit de discipline, le Rhénan n'ose rien 
entreprendre par lui-même. Dans cette circonstance, 
il aurait voulu Favis du Gouvernement ou des chefs 
de partis ou des Alliés, Il lui fallait un mot d'or- 
dre, une estampille officielle. Ils ne vinrent point 
de la Prusse. Le Gouvernement prussien aTait agi, 
maïs contre le mouvement même. Il était inquiet, 
et s'était empressé de convoquer h Berlin les dépu- 
tés de la rive gauche du Rhm au Landtag, en les 
priant de n'appuyer en rien le mouvement sépara- 
tiste, jusqu'à la signature de la paix, et d'en prendre 
rengagement. Les députés refusèrent. Puis il cher- 
cha à donner quelques satisfactions aux RhénanSp 
en nommant, à Cologne et à Trêves, des fonction- 
naires catholiques. Mais les ministres ne purent àe 
mettre d'accord. Le gouvernement d'Empire s'ef- 
força d'utiliser, à Versailles, mais sans aboutir à 
rien de positif, ces manifestations d^indépendance, 
pour obtenir des adoucissements au Traité, en lais- 
sant supposer qu'il réglerait lui-même la questioj^ 
de l'autonomie rhénane d'accord avec les député ^ 
de la province, alors qu'il faisait tout pour Tentra, 
ver. En réalité, il était obligé de compter avec ce 
mouvement autonomiste, qui pouvait réaliser, ail 
profit de la France, un morcellement de la Prusse- 
Quant au parti rhénan^ U restait muet^ attendant 



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LES 1SÉ60CIATI0NS A LA CONFÉREISGE DE LA PAIX 283 

les événements, voulant voir ce que décideraient 
et Berlin et les Alliés. Ni la Kôlnische Volkszei^ 
tung^ ni la Kôlnische Zeitung, ni la Germania^ 
n'osaient condamner ce mouvement, se tenant sur 
la réserve. Même la Kôlnische Volkzeitung pre- 
nait la défense des députés Kastert et Kuckhoff, la 
Kôlnische Zeitung faisant remarquer que le Centre 
ne désapprouvait pas cette aspiration à une Répu- 
blique rhénane. Il hésitait encore. Mais au bout de 
quelques jours, il allait, ainsi que tous ses organes, 
abandonner la cause du Dr. Dorten. L'attitude des 
Alliés ne pouvait que l'entraîner dans cette voie. 
Il ne voulait pas se compromettre avec ceux qile 
personne ne soutenait. En effet, « les autorités 
alliées, résolues à ne pas intervenir dans les affaires 
intérieures allemandes, gardaient un silence dont 
les raisons élevées restaient impénétrables à des 
cerveaux germaniques * ». 

Les partisans d'une République rhénane cepen- 
dant ne perdaient pas courage. L'acte du Dr. Dor- 
ten avait posé la question de l'autonomie ; ceux 
qui étaient intervenus pour elle continuaient leur 
propagande. C'est ainsi que la Kôlnische Volkzei- 
tung reprit sa campagne séparatiste. Une pétition 
fut lancée, couverte de plus d'un million de signa- 
tures, et réclamant un plébiscite immédiat. Le Gou- 
vernement du Reich, de plus en plus inquiet de ce 
courant autonomiste, dirigé en grande partie par 
les catholiques, voulut le dériver, en incitant le 
président du Conseil des ministres de Hesse, M. Ul- 
rich, à proposer une « République du Rhin moyen » 
(juillet 1919), qui engloberait le Palatinat, la Hesse, 
le Nassau, sauf Francfort, et la province rhénane, à 
l'exclusion de Trêves et de Coblence. Le futur Etat 

1. ttëv^ie des ï>etix Mondes. Lt Rhin libre, par René Pinofa, 
15 fév. 1920, p. 796. 



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ï 



284 LS aHlN ET LA FKAfiCE 

rhénan, qui était protestant ^ serait ainsi soustrait 
à Télé ment catholique. En tout cas, ce projet divi* 
sait les défenseurs d'une même cause pour leur plus 
grand dommage. M, Ulrich était, du reste, prêt 
avec plusieurs de ses amis, à préparer l'opinion, en 
vue d'une consultation populaire, en juillet 1941, et 
ui, conformément à Tarticle 18 de la Constitution 
e Weimar, statuerait sur le sort déOnitif des pays 
rhénans. 

Le gouvernement impérial crut trouver le moyen 
de résister au courant qui se développait, ea lan- 
çant le projet d*une autonomie administrative pour 
la province rhénane, dont le ministre de Prusse, 
M. Hirsch, exposa les grandes lignes dans une 
réunion à Diisseldorf (juillet 1919). Mais ce n'était 
qu'un palliatif pour les partisans de l'autonomie ; 
aussi le Congrès du Centre, réuni à Cologne, de- 
manda, dans des vœux adoptés à l'unanimité, la 
« création d'un Etat unitaire allemand organique, 
avec des pays autonomes. Les pays devaient avoir 
des droits éganx et être».p pourvus de la plus large 
autonomie administrative.,. Au cas où cet Etat 
unitaire serait irréalisable, on chercherait à former 
un nouvel Etat confédéré, suivant Tarticle 18 de la 
Constitution ^. (15-17 septembre 19 1 9.) Les amis 
du Dr. Dort en faisaient acclamer par l'assemblée 
ridée d^un Parlement rhénan, mais les chefs du 
Centre n'avaient pas osé aller si loin. 

Ainsi la Prusse, laissée libre d'agir à Tégard des 
manifestations de Wiesbaden et des projets du 
Dr, Dorlen, eut beau jeu pour les entraver et elle 
y réussit. La République rhénane ne put se cons- 
tituer. Les dernières tentatives avaient échoué, 
comme celles de décembre, de février, de mars, en 
présence de Top position qu^ elles rencontraient de 
toutes parts. 



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CHAPITRE XV 

LES STIPULATIONS DU TRAITÉ 
DE VERSAILLES ET LES GARANTIES 



La situation politique des pays rhénans n'avait 
point été modifiée, ni par les Rhénans eux-mêmes, 
ni par les Alliés. Elle restait telle, après la victoire 
et sous la nouvelle Constitution élaborée à Wei- 
mar, que dans l'Empire des Hohen2ollern. L'Etat 
allemand avait même pris une forme. plus unitaire 
que dans le système bismarokien. La seule diffé- 
rence, toute temporaire, c'était Toccupation, par les 
armées alliées, de la rive gauche du Rhin et des 
têtes de pont, à titre de garanties. Comment le Traité 
de Versailles régla(it-il, dans les détails, cette occu- 
pation ? 

La solution de la frontière militaire, maintenue 
sut» le Rhin par le jeu d'une occupation prolongée, 
avait été écartée, et d'autres garanties nous avaient 
été reconnues par le Traité. Les deux rives du Rhin 
devaient d'abord être privées de toute défense mi- 
litaire ; l'Allemagne ne construirait aucune fortifi- 
cation, soit sur la rive gauche, soit sur la rive 
droite, à TOuest d'une ligne tracée à 50 kilomètres, 
à l'Est du fleuve (art. 42 et 43). Dans cette zone 
étaient interdits Tentretien ou le rassemblement 
de forces armées, soit à titre permanent, soit à 



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286 tE RHIX ET LA FBAWCE 

titre temporaire, ainsi que toute manœuvre mili- 
taire, quelle qu^elle soit, et l'Allemagne ne devait 
rien tenter pour préparer une mobilisation. Si elle 
contrevenait k ces prescriptions, elle commettrait 
un acte hostile à Tégard des puissances signataires 
Au. Traité (art. 44). Ces prescriptions étaient défi- 
nitives. 

Il j avait, à côté, d'autres mesures de garanties 
prises à titre provisoire et relatives à Toccupation 
(art. 428-433). Pendant quinze ana^ à dater de la 
signature du Traité, la rive gauche du Rhin et les 
têtes de pont de la rive droite seraient occupées 
par les forces alliées on associées. Si T Allemagne 
exécutait ses engagements, la tête de pont de Co- 
logne serait évacuée au bout de cinq ans, celle de 
Coblence au bout de dix ans, et celles de Majence 
et de Kehl au bout de quinze ans. Si TAUemagne 
ne remplissait pas ses obligations, l'évacuation 
pourrait être retardée ; les zones évacuées pour- 
raient même être ré occupées à n'importe quelle 
époque, ce qui donnerait sans doute lieu à des dif- 
ficultés. D'autre part, les troupes seraient immé- 
diatement retirées si, avant Tex pi ration des quinze 
ans, TAllemagne avait satisfait à ses engagements 
(art. 431) '. 

Le délai d'occupation tïourt de la signature du 
Traité (art. 438)* Le fait par l'Allemagne de ne pas 
exécuter ses engagements em pêche- t-il le délai de 
courir, comme on Ta dit à la tribune de la Cham- 
bre î Le Traité est muet sur ce point. Mais, comme 
les articles 4^9 et 430 sont de droit strict, obhgeant 
l'Allemagne à exécuter ses engagements pour 
faire cesser l'occupation, occupation qui constitue 
une garantie, l'évacuation des troupes d'occupa- 

1^ Voir plue haut p. 351 



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LES STIPULATIONS DU TRAITÉ DE VERSAILLES 287 

tjon pourra certainement être retardée. « LMira- 
cuation des troupes d'occupation pourrait être 
retardée dans la mesure jugée nécessaire à l'ob- 
tention des dites garanties » (art. 429). « Dans le cas 
où, soit pendant Toccupation, soit avant Texpira- 
tîon des quinze années ci-dessus prévues, la 
Commission des réparations reconnaîtrait que l'Al- 
lemagne refuse d'observer tout ou partie des obli- 
gea tions résultant pour elle du présent Traité... » 
(art. 430) Mais c'est seulement au moment de l'éva- 
cuation que la question se posera, en 1935, et don- 
nera lieu vraisemblablement à des contestations ; et 
c'est la Commission des réparations, où nous ne dis- 
posons que d'une voix, qui sera juge. Il y aura 
prolongation, en cas de non paiement, si les garan- 
ties contre une agression de 1 Allemagne sont insuf- 
fisantes. Inévitablement, des discussions s'en sui- 
vront. Quelle solution sera admise, comment nos 
droits seront-ils reconnus ? Le texte précité ne sem- 
ble pas impératif, et aurait gagné à être plus com- 
plet et plus précisa 

D'autres garanties étaient imposées à l'AUema- 

âne pour la mettre dans l'impossibilité dé repren- 
re sa politique d'agression. Elle devait livrer une 
grande partie de son matériel de guerre sur mer, 
sur terre et dans les airs, car, sur ce point, l'armis- 
tice avait été insuffisant. Elle ne devait conser- 
ver qu'une armée de métier de 100.000 hommes, 
officiers des dépôts compris, pour le maintien de 
l'ordre à l'intérieur et la police des frontières. Pour 
iipposer à l'Allemagne cette limitation d'armements 
et d'effectifs, le Conseil de la Société des Nations, 
votant à la majorité, pourrait ordonner toutes les 
investigations désirables (art. 216). L'occupation de 

1. Voir article de M. Poincaré dans le Temps, 18 sept. 1921. 



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288 LE HHTW ET LÀ FBâT4CE 

la rive gauche était la sanction de ces dispositions. 
Mais^ en principe, cette occupation diminue avec 
le temps, et disparaît an bout de quinze ans, tandis 
que Texécution du Traité, au point de vue des répa- 
rations des dommages de guerre qu'il impose, s'éche- 
lonne sur une cinquantaine d'années, La France 
supportera à peu près seule les charges et les risques 
de la garde du Rhin, comme ceux du contrôle des 
effectifs et des armements. Au bout de quinze ans 
— à moins que les délais ne soient prolongés ou 
que Tentente actuelle ne persiste— elle se trouvera 
seule eu face de TAllemagne^ € d'une Allemagne 
psychologiquement changée ou d'une Allemagne 
historiquement immuable, la même, après ces quinze 
années, qu^après les quinze siècles passés î * » 

Or^ serons-nous arrivés, à cette époque, à la 
limitation voulue des forces militaires de l'Al- 
lemagne ? Le rapport du ^5 février la déclarait 
presque impossible à réaliser, de même qu'il ju- 
geait inefficace ^^ctio^,^n cas d'agression brusquée, 
de la Société des Nations, où Faccord des puissances 
associées pourrait très bien ne plus exister, puis- 
qu'il fallait Tunanimité ; même en cas d'unanimité 
du Conseil, les décisions militaires h prendre étaient 
laissées à l'appréciation et h la volonté de chacun 
des Etats associés* En réalité^ tout reposait sur la 
bonne entente entre les Alliés. 

Dans une noie du 29 juillet 1919, communiquée 
à la Commission des Affaires extérieures, le gou- 
vernement avait modifié son point de vue, U esti- 
mait que les conditions de Toccupation, les mesures 
de réduction des forces allemandes et le contrôle 
des armements, décidés d accord avec les Alliés, du 
17 mars au ti avril , et insérés au Traité, étaient 

1. RApport do M. Ch, BetioLsL. op. cit^j p. 95^ 



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LBS STIPULATIONS DU TRAITÉ DE TERSAILLES 289 



suffisanls. L'Allemagne perdra ses instruments 
o£Fensiis ; elle ne disposera plus, à nos portes, « sur 
la rive gauche du Rhin et avec les ponts du Rhin, 
de la plus formidable place d'armes offensive que 
rhistoire ait jamais connue. > Ces mesures avaient 
été adoptées^ comme garanties^ puisque les Alliés 
nous refusaient l'occupation définitive, l'indépen- 
dance de la Rhénanie et la fixation de la frontière 
au Rhin, que certains jugeaient nécessaires. Enfin, 
le gouvernement avait obtenu une dernière sécurité, 
celle qui résultait des projets de traités conclus avec 
les plénipotentiaires anglais et américain, en cas 
d'agression de l'Allemagne. A ses yeux, ces traités 
et la bonne entente entre les Alliés étaient suffi- 
sants, puisque les conditions, visées dans le rap« 
port du 25 février, n^avaient pas été admises. 

Quelle est Texaçte étendue des dispositions de 
ce traité de garantie, où il ne s'agit pas d^une al- 
liance intime, permanente, qui serait entrée en 
vigueur ipso facto^ pour l'application intégrale du 
Traité * ? 11 stipule pour TAngleterre et pour l'Amé- 
rique Tobligation de venir à l'aide de la France : 
1» si les mesures indiquées par les articles 42, 43^ 
44 du Traité, ne donnent pas immédiatement à la 
France la sécurité et la protection appropriée^ ; 
2" s'il s'est produit un acte non provoqué d'agres- 
sion dirigé contre elle par TAUemagne. « Any in 
provoked movement of agression », qu'il vaudrait 
mieux traduire par tentative d'agression, ce qui 
est plus exact et donne au texte un sens plus large. 
11 n'y a castis fœderis que si ces deux conditions 
sont réunies. Il semble donc que € toute tentative 
non provoquée d'agression » fait naître le casus 
fœderis, et il en est ainsi, conformément à l'arti- 

X, Voir plui haut, p. 253. 

19 



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290 LE RÏ!T« ET LA PHAI4GE 

cle 44, qui stipule que : « au cas où rAllemagne 
contreviendrait, de quelque manière que ce soit, 
aux dispositions des articles 42 et 43, elle serait 
considérée comme commettant un acte hostile vis- 
à-vis des Puissances signataires du présent traité 
et comme cherchant à troubler la paix du monde », 
Il semble bien que toute inobservation des mesu- 
res édictées par ces articles provoquerait une in- 
tervention concertée des trois Alliées. 

Mais Tarticle 1*' donne lieu essentiellement à 
une interprétation : « Dans le cas où les stipula- 
tions... (conformément aux art. 42-43) n'assure- 
raient pas immédiatement à la France la sécurité 
et la protection... et dans le cas de tout acte non 
provoqué d*agression... ». N*y aura-t-il « tentative 
ou acte non provoqué d'agression », et par consé- 
quent intervention, que dans le cas où il y aura 
violation des articles 42 et 43, ou bien prévoit-on 
là deux cas différents, et, « l'acte non provoqué 
d'agression » vise-t-il des tentatives de TAllemagne 
contre la France, en dehors des articles 42 et 43, 
et par interprétation de Tarticle 44 ? Le texte de 
Farticle 1", dit M. Léon Bourgeois, est trop com- 
pliqué; 11 se peut que l'Allemagne n'exécute pas 
les mesures de réparations imposées, qu'elle rende 
impossible Texécution de certaines clauses territo- 
riales et fasse naître des incidents militaires ; il se 
peut que la Belgique et la Pologne soient attaquées 
par elle, ce qui constituerait une provocation indi- 
recte, rompant l'équilibre établi, la convention va- 
t-elle entrer en application, ou bien faut-il une 
agression directe lancée spécialement contre la 
France ^ ?... Même si le traité devait entrer en 

1. Sénat. Rapport fait an nom de la Commission dês Affaires 
étrangères^ par M.Léon Bourgeois, sénateur, 28 juin 1919, p. 140 
et suiv. V. également Jacques Bainville, op. cit., p. 19, 179, 185. 



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LEO STIPULATIONS DU TRAITÉ MS VERSAILLES 291 

vigueur, par suite d'une agression non provoquée 
de rAllemagne, mais brusque, rapide, il faudrait 
Tapprobation des Parlements respectifs pour réa- 
liser les mesures de guerre à adopter. Or, le Sénat 
américain est bien loin, Tefficacité de Tintervention 
serait singulièrement réduite. Il y a plutôt une 
garantie d'ordre moral. Mais tout cela n'est que 
discussion théorique, puisque le traité avec TAn- 

Îfleterre ne doit entrer en vigueur que lorsque 
e traité avec l'Amérique aura été ratifié (art. 2), 
Nous avons vu que ce dernier traité n'a pas été ra« 
tifîé, par suite de Toppositiofi du Sénat américain ; 
ni Tun ni l'autre n'est présentement applicable. 
Il n'y a donc, de la part de l'Angleterre, qu'un 
engagement d'honneur de veiller à l'exécution du 
Traité de Versailles et des garanties qu'il donne à 
la France, parce qu'elle considère que les intérêts 
sont présentement solidaires. Si cette conception 
se modifie, à la suite d'un changement de politique, 
il faudra s'en tenir aux termes stricts du Traité, à 
l'application duquel nous veillons, et sur le Rhin 
avec nos troupes, et dans l'Allemagne non occupée 
par nos commissions de contrôle. Or, les com- 
missions de contrôle prendront fin ; et fatalement 
nous serons seuls sur le Rhin au bout de dix anSé 
Que sont dix années dans la vie des peuples ^ ? 

Il reste^ il est vrai, une garantie de sécurité gé- 
nérale, donnée non seulement à la France, mais à 
toutes les nations, et qui résulte de l'article 10 du 
pacte de la Société des Nations. « Les Membres de 
la Société des Nations s'engagent à respecter et à 
maintenir, contre toute agression extérieure, l'in- 
tégrité territoriale et l'indépendance politique pré- 
sente de tous les Membres de la Société. » Mais 

1. V. plus haut, p. 255. 



Wi LE EHIN ET LA FBAnCE 

avec quels pouvoirs et sous quelles sauctioos ? se 
deroaDde M- Léon Bourgeois, et nul mieux que 
rémiaent président de la Société des Nations ne 
pouvait commenter cet article ^ 

Aux termes de l'article 10, la compétence de la 
Société est très grande. Elle s'étend € à tout ce qui 
peut affecter la paix du monde : agressions exté- 
rieures, refus de soumettre un diflérend à Tarbi- 
trage... » Mais dans ce cas quels sont ses pouvoirs 
de décisioQ. Us sont très restreints, <f D'abord 
l'arbitrage n'est pas obligatoire, fait remarquer 
M. Léon Bourgeois ; il n'interdit pas, d'une façon 
absolue, le recours à la guerre* Celle-ci reste, non 
seulement possible, mais permise, tontes les fois 
que le Conseil n'a pu se prononcer à Tunanimité 
sur la solution du conflit ; toutes les fois que les 
contestants se sont préalablement soumis aux délais 
imposés par l'article 12 ; elle ne peut imposer, 
même en cas d^unanîmité du Conseil, la décision 
de celui-ci à un contrevenant dont la résistance 
reste passive. Mais, même dans la plupart des cas 
où le Conseil ou rAssemblée prennent des déci- 
sions, celles-ci ne sont exécutoires qu'après avoir 
reçu Tapprobatiou de chacun des gouvernements. 
11 en est ainsi pour les plans de réduction des arme- 
ments. Seul le paragraphe 1" de l'article 16 con- 
tient une disposition, qui oblige directement^ et 
sans que les divers gouvernements aient à en déli- 
bérer, les nations associées à accepter les décisions 
du Conseil : ^ Si un Membre de la Société recourt 
à la guerre, contrairement aux engagements pris 
aux articles 12, 13 et 15, il est, ipso facto, consi- 
déré comme ayant commis un acte de guerre contre 
les autres Membres de la Société. Ceux-ci l'en- 



1, Happart^ op, cîL, p. 135. 



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LES STIPULATIONS BU TRAITÉ DE VERSAILLES 293 

gagent à rompra immédiatement avec lui toutes 
relations commerciales ou financières^ à interdire 
tous rapports entre leurs nationaux et ceux de 
TEtat en raipture de pacte, et à faire cesser toutes 
communications financières, commerciales ou per- 
sonnelles entre les nationaux de cet Etat et ceux 
de tout autre Etat membre de la Société. » 

Est-ce le blocus ? On ne le dit pas. Cette simple 
rupture de « relations commerciales ou financières » 
est bien platonique à Tégard d^un Etat décidé à 
livrer son existence, même au sort des armes. Il 
aurait fallu une limitation obligatoire et effective 
des armements, avec l'organisation d'un contrôle 
international de ces armements ; il aurait fallu enfin 
une force internationale « ayant une supériorité 
indispensable et une entrée en action rapide ». Ces 
mesures nécessaires de sécurité et de sanctions, 
présentées par la Délégation française sous forme 
d'amendements, furent rejetées par la Conférence. 
L'article 10 n'a encore qu'une simple valeur mo- 
rale. EniSn, la Société des Nations, à laquelle est 
remise la pleine exécution du Traité, ne comprend 
pas les Etats-Unis, qui ont refusé d'en faire partie. 



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CHAPITRE XVI 
LE STATUT DE L'OCCUPATION 



Le régime de Tocoupation avant 
le Traité da paix. 



Le Traité prévoyait une occupation de la rive 
gauche du Rhin et des têtes de pont par des forces 
interalliées ; il fallait mettre en pratique un sys- 
tème d'occupation, en préciser les règles. Ce fut 
Tobjet d'une convention annexe au Traité de paixj 
sig-née en même temps que ce dernier par les par- 
lies contractantes. 

Jusqu'à l'époque du Traité, un régime adminis- 
tratif^ financier et économique, fut appliqué aux 
pays rhénans par les soins du Contrôle général 
institué à TEtat-Major du maréchal Foch, à Luxem- 
bourg. Ce régime s'édiCa conformément aux prin- 
cipes suivants. Tandis que le maréchal, commandant 
en chef des armées alliées, réuni&sait entre ses 
mains tons les pouvoirs découlant de la convention 
d*armistice, le Contrôleur général des territoires 
rhénans, M. Tirard^ adjoint au maréchal comme 



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LE STATUT DE l'OCCUPATION 898 

délégué technique, s'occupait spécialement de Tad- 
ministration. Il était assisté d^un Comité composé 
de conseillers techniques alliés. 

Le Contrôle général se préoccupait, en effet, de 
faire bénéficier les Rhénans des avantages de la 
reprise des relations commerciales avec l'Entente, 
et particulièrement avec la France, relations qui 
leur tenaient fort à cœur. Ces relations/le Contrôle 
général les désirait avec raison aussi bonnes que 
possible, afin de préparer les voies à rétablisse- 
ment d'un statut spécial, dont on ne connaissait 
pas encore les modalités. Il faut que ces popula- 
tions aient une haute idée de notre conception de 
la justice ou du devoir, de notre culture. Les ar- 
mées devront conserver, dans leurs rapports avec 
la population, une attitude ferme et digne, exempte 
de tracasseries inutiles, et chercheront à leur être 
utiles, en venant au secours des indigents et en 
faisant bénéficier les Rhénans des avantages de 
la culture latine et d'une administration libérale. 

Le Contrôle général organisa d'abord un régime 
administratif, qui devait assurer le maintien de 
l'ordre public, afin d'éviter, et pour les Rhénans et 
pour les Alliés, toute agitation révolutionnaire 
nuisible au bien général du pays. On s'efforça de 
rendre effective la barrière qui séparait les terri- 
toires occupés des régions troublées de la rive 
droite, et Ton prit des mesures pour réglementer 
la circulation des particuliers, le contrôle des en- 
trées, la censure des journaux et des livres; toute 
l'initiative était laissée, en cette matière, aux com- 
mandants d'armée. Tout attroupement, toute réu- 
nion, toute manifestation, ne pouvaient avoir lieu 
sans une permission préalable deTautorité militaire, 
d'autant plus qu'ime violente propagande était 



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296 LE RHIN ET LA FRANCE 

organisée par le Gouvernement allemand pour lut- 
ter contre le mouvement rhénan. 

Mais quelle attitude prendre au sujet de la légis- 
lation en vigueur ? L'armée d'occupation devait 
assurer Tapplication des textes législatifs, en la 
surveillant, afin que rien ne vînt provoquer des 
troubles, comme dans le reste de T Allemagne. Quant 
aux lois nouvelles, elles n'étaient applicables au 
territoire occupé que moyennant une autorisation 
expresse du commandement. 11 était nécessaire de 
voir Jusqu'à quel point les lois nouvelles, élaborées 
en Prusse et en Bavière, et qui bouleversaient 
Tordre de choses établi, pouvaient s adapter aux 
conditions de l'occupation. 11 y avait cependant cer- 
tains textes législatifs ou réglementaires, qui corres- 
pondaient à des nécessités momentanées, telles que 
les mesures relatives à la démobilisation, à la liqui- 
dation des pensions, etc., ; il était difficile de les 
régler ; chaque armée les examinait et autorisait 
leur application. Mais il y avait alors des variations 
de législation entre les diverses zones d'occupation, 
ce qui n'était guère compatible avec le bon fonc- 
tionnement de Tadministration ; aussi le Contrôle 
général avait-il créé un organisme spécial chargé 
de décider, pour tous les territoires occupés, la mise 
en application des lois nouvelles ; de cette façon, 
la législation était unifiée. 

Quant à la vie administrative des populations, elle 
continua comme par le passé. Celles-ci prirent part 
aux élections pour l'Assemblée d'Empire et les 
assemblées législatives des Etats ; les assemblées 
provinciales et locales continuèrent de se réunir 
avec Tautorisation et sous le contrôle du Comman- 
dement allié, auquel elles soumettaient préalable- 
ment leurs ordres du jour. 

Les fonctionnaires devaient exercer leur mission 



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LB STATUT DE l'oCCUPATION 297 

SOUS le contrôle des Alliés ; s'ils refusaient leurs 
services, on devait demander leur remplacement 
aux administrations locales. Ils continuaient à rele- 
ver de leurs chefs hiérarchiques, mais chacun de 
leurs actes était contrôlé, afin que les services fonc- 
tionnassent régulièrement. De même, toute nomi- 
nation ou mutation devait être soumise au contrôle 
préalable des autorités alliées, afin que la sécurité 
des troupes restât entière et que Tadministration 
s'exerçât régulièrement, 11 aurait été trop facile aux 
gouvernants de la rive droite de nommer des fonc- 
tionnaires qui auraient créé une certaine agitation 
contre les Alliés. Aussi, le Haut Commandement 
s'opposa-t-il à toute arrivée dans la zone d'occupa- 
tion de fonctionnaires de la rive droite, sauf en cas 
de nécessité absolue. Tous les rapports entre les 
autorités administratives de la rive gauche du Rhin 
et les autorités supérieures de la rive droite n'étaient 
autorisés que dans la mesure nécessaire au fonc- 
tionnement normal des services et sous le contrôle 
des autorités alliées. 

Par suite de Toccupation, il y eut juxtaposition 
de la justice allemande et d'une justice alliée, dans 
les pays rhénans. La justice civile était rendue par 
les tribunaux allemands, sous le contrôle de Tau- 
torité militaire, dans l'intérêt de la stricte applica- 
tion des lois, et la justice criminelle également^ 
sauf si la sécurité des armées était mise en cause. 
Dans ce cas, les tribunaux militaires^ institués 
dans chaque armée, jugeraient la gravité des dif- 
férentes infractions. Ces tribunaux n'eurent à pro- 
noncer âoTcune condamnation capitale contre un 
habitant des régions occupées pour crime contre les 
armées. 

Des officiers ayant une compétence juridique 
spéciale furent placés auprès des tribunaux régio- 



208 XM EH!!f ET LA F&AKCE 

naux, afin de surveiller le fonctioDoement de la jua^ 
tioe^ la répressioD des infractioDSf l'application des 
lois. Le service juridique du Contrôle général fut 
eaisi de diverses questions relatives au fonction ne- 
ment de la justice, et dut prendre des décisions m- 
téressantes à ce sujet- 11 se préoccupa aussi d'as- 
surer la protection des biens appartenant à des 
nationaux alliés, situés sur la rive gauche. 

Au point de vue financier, le Contrôle général 
m préoccupa d'accroître et de conserver, sous notre 
surveillance, les fonds publics et privés, qui assu* 
raient un gage aux Alliés. 11 s'etTorça d'abord de 
surveiller le fonctionnement régulier des services 
financiers, d'assurer la rentrée des impôts. Il dut 
procéder à Texamen des budgets des territoires oc* 
oupés et rechercher la part des ressources de ces 
budgets correspondant à des besoins locaux et à 
des charges militaires ou dépenses d'Empire. 11 
fallait vérifier si les impôts perçus et rentrés régu* 
lièrement ne se dirigeaient pas vers la rive droite 
du Rhin, exercer un contrôle direct sur les ban- 
ques des territoires occupés, où les fonds publics 
se trouvaient déposés, pour empêcher toute dissi- 
mulation. Il fallait, d'une façon générale, surveiller 
la rentrée régulière des recettes budgétaires de 
TEtat, des provinces, des cercles, etc.. et le mode 
de perception des impôts. 

Il j avait lieu enfin de contrôler les finances pri- 
vées au point de vue du transfert des fonds et 
valeurs, tout en laissant au commerce et à Tindus* 
trie la plus grande liberté. Des transferts» des mou- 
vements de titres et de valeurs ne devaient pas se 
produire sans motifs, entre les territoires occupés 
et les territoires non occupés. 11 y eut une série de 
banques agréées, où aucun mouvement de fonds 
ou de valeurs ne devait échapper à la surveillanoe, 



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LB STATUT DE L^OQGUPATION S99 

et on interdit la sortie des territoires occupés d'es- 
pèces métalliques, de toutes valeurs et devises al- 
liées. 

Le Contrôle général porta enfin son attention 
sur le régime économique qui serait établi en pays 
rhénan. Il iaut faire vivre, aussi bien économi- 
quement que politiquement, un pays séparé, par 
la ligne de olocus (art. 26 de la Convention d^armis- 
tice)et par une barrière militaire, de sa capitale, des 
organismes centraux de son administration, des cor- 
respondants commerciaux, avec lesquels il traitait 
•es aifaires un mois auparavant. Il faut adopter uns 
politique liée aux négociations qui seront menées à 
raris. Une Commission, composée de délégués des 
gouvernements alliés, y siégera et tranchera les 
questions de principe. Cet organisme s'agrandira 
au fur et à mesiu*e des besoins. Un Conseil suprême 
économique, chargé par les gouvernements alliés 
de résoudre les questions économiques internatio'- 
nales, décidera de réserver à une Commission nou- 
velle interalliée, présidée par M. Tirard et fonc- 
tionnant à Coblence, les problèmes économiques 
qui se posent devant elle. Elle élaborera, en matière 
économique, les décisions interalliées que le maré*^ 
ohal Focb notifiera aux commandants en chef des 
différentes armées placées sous ses ordres.. Cette 
Commission préparera, après la signature du Traité 
de paix (28 juin) et jusqu'à sa mise en vigueur, le 
travail d'organisation de la Haute Commission. 

Comme le régime économique est destiné à avoir 
la plus grande influence sur Ta venir des pays rhé- 
nans, comme il doit être le fondement de la poli- 
tique alliée pendant toute Toccupation, il mérite 
une étude détaillée dans un chapitre spécial S 

i. Voir plQi loio ohApitre XVUI, p. 9S0. 



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300 LS RHIN ET LA FAANGE 



II 



Le régime d'occupation depuis le traité 
de paix. 

Le statut politique j économique et financier, ap- 
pliqué au pays rhénan et que roccupatioo avait 
rendu nécessaire, allait être modifié, à la suite des 
décisions prises à la Conférence de Paris. Il n^éiait 
plus question de vie politique indépendante pour 
les provinces rhénanes ; elles demeuraient rattachées 
au Reich et devaient être occupées à titre tempo- 
raire et purement militaire ; tel était le résultat de 
la transaction entre adversaires de Toccupation et 
partisans de Tindépendance. Il apparaît tout de suite 
que, du moment où les gouvernements de la rive 
droite garderaient, dans ces provinces, Texercice de 
leur pleine et entière souveraineté, les droits de 
l'occupant seraient nécessairement fort restreints. 
Certains crurent cependant nécessaire d'adopter un 
ensemble de mesures destinées à garantir la sécu- 
rité des armées d'occupation et à exercer un con- 
trôle administratif plus strict de Tordre public. 
Puisque les provinces rhénanes devaient conserver 
le même statut politique que précédemment, il fal- 
lait nous prémunir contre les entreprises de la 
Prusse et du Reich, non seulement avec des effec- 
tifs militaires plus élevés qu'au cas où elles au- 
raient eu leur pleine indépendance, mais aussi avec 
des garanties d'ordre administratif. On pouvait 
admettre que les gouvernements allemands susci- 
teraient des troubles en territoires occupés, cher- 
cheraient à répartir les denrées alimentaires et les 



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LE STATUT DE l'OCCUPATION 301 

matières premières nécessaires à Tindustrie, et à 
orienter les relations commerciales de façon à pro- 
voquer le chômage et le mécontentement des popu- 
lationSy pour nous rendre responsables de cet état 
de choses. 

Jusqu'à présent, on ne pouvait que se féliciter 
de l'action modérée et sage exercée par le Contrôle 
général en Rhénanie. Les pays de la rive gauche 
avaient été préservés des troubles sociaux qui sé- 
vissaient en Allemagne ; ils avaient gardé intactes 
leurs richesses industrielles et agricoles ; ils avaient 
pu bénéficier de relations économiques avantageuses 
avec les Alliés, alors que le blocus entourait encore 
TAUemagne de son cercle de fer. Nous-mêmes nous 
avions profité de ces débouchés économiques parti- 
culièrement avantageux. Il semblait donc que la si- 
tuation nouvelle^ qui serait faite aux pays rhénans, 
pouvait s'inspirer des méthodes déjà appliquées. 
Pourquoi les Alliés ne conserveraient-ils pas un 
pouvoir de contrôle sur les lois nouvelles et sur 
les fonctionnaires, pourquoi n'exerceraient-ils pas 
un contrôle économique spécial destiné à satisfaire 
rintérêt des populations et leur intérêt propre ? En 
tout cas, il faut un statut définitif; la période de 
transition ne peut plus durer ; les Rhénans se plai- 
gnent, à juste titre, de Tinstabilité et de Tincer- 
titude actuelles. 

Un premier projet fut établi par les Etats-majors 
et approuvé par le Conseil supérieur siégeant à 
Versailles (11 mai). D'après lui, l'état de siège de- 
vait être maintenu pendant la durée de l'occupa- 
tion, et les pouvoirs de police seraient exercés par 
les autorités militaires. Celles-ci auraient le contrôle 
de l'administration allemande, le pouvoir d'éli- 
miner les fonctionnaires jugés hostiles et de s'op- 
poser à l'application de textes législatifs, considérés 



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302 le: RRIIf ST LA FRANCE 

comme dâD^ereux pour Tordre public ou la sécurité 
des armées. Le commandement militaire pourrait 
se faire assister de conseillers techniques civils^ Les 
armées continueraient d'exercer le droit de réqui- 
sition et aurai*^nt pleine autorité siir les aervicca 
des transports et les correspondances. 

A ce projet, le délégué américain, M. P.-B- 
Nojes, fit les plus grosses objections dans une 
lettre an Président des Etats-Unis et soumit à celui- 
ci un programme quelque peu différent, qui restrei- 
gnait les droits de Tarmée d'occupation (27 mai 
1919). Après avoir critiqué la. Convention pour 
Tadministration des territoires rhénans, qui < pré- 
pare une oppression intolérable à six millions d'iu* 

dividus pendant de longues années > et< ne 

peut vraisemblablement être adoptée sans de 
grandes modifications », car € même une armée 
animée des meilleures intentions se rend forcément 
coupable d'excès >^ il esquissait un projet qui 
lui paraissait être le « plan maximum > de domi- 
nation militaire dans les pays rhénans^ après la 
signature de la paix. 

« 1. — Aussi peu de troupes que possible concen- 
trées dans des casernes ou dans des zones réservées, 
sans cantonnement chez Thabitant, sauf peut-être pour 
les officiers. 

II. — Autonomie complète de ce territoire, sauf les 
exceptions ci-dessous. 

III. — Une Commission civile ayant les pouvoirs 
nécessaires pour : 

a) Edicter des règlements ou changer les anciens 
règlements toutes les fois que la loi allemande ou les 
agissements allemands : 

P Mettent en danger Texécution des conditions du 
traité ; "^ 

2<> Mettent en danger le bien-être ou la sécurité des 
troupes. 



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LE STATUT DE l'oCCUPATION S03 

h) Autoriser l'armée à prendre le pouvoir sous le 
régime de Pétai de siège, soit sur les points dangereux, 
soit dans toute Tétendue du territoire, toutes les fois 
que la Commission jugera que la situation rend cette 
mesure nécessaire. » 



Le Conseil suprême adopta les principes exposés 
par M. Noyés et chargea une commission interal- 
liée, présidée par M. Loucheur, de rédiger un 
nouveau projet de convention. 

Deux projets furent présentés au Conseil, Tun 
émanant du représentant britannique, Tautre du 
maréchal Foch. Ce projet reproduisait les conditions 
de Toccupation des Allemands en France, après 
1871 (Conventions de Reims, Ferrières, Rouen), 
et comportait le maintien de Pétat de siège et le 
contrôk de Tadministration allemande par le 
commandement militaire interallié, avec l'aide de 
commissaires civils placés auprès des fonctionnai- 
res allemands. Les populations rhénanes et pala- 
tines avaient toute liberté de s'administrer elles- 
mêmes et de régler leur statut par la voie de 
Félection ; mais aucune disposition ne devrait être 
prise, qui pourrait être contraire à la sécurité des 
troupes d'occupation, et les populations rhénanes 
devraient être protégées contre les désordres anar- 
chiques sévissant, à cette époque, en Allemagne. 
Le maréchal commandant en chef, assisté d'un 
Commissaire général civil, aurait donc le pouvoir 
de contrôle nécessaire, afin de régler les rapports 
des autorités rhénanes avec les autorités militaires 
alliées, et de prendre des mesures nécesssaires pour 
veiller à ce qu'aucune disposition législative ou 
contractuelle ne vînt porter atteinte à la sûreté des 
troupes d'occupation, aux intérêts des Alliés ou à 
l'ordre public et social. La Commission rejeta oe 



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304 LE RHIN ET LA FRANCE 

projet, aceeplant comme base de discussion le 
projet britannique, qui fut adopté par le Conseil 
suprême avec quelques modifications» 

D'après l'arrangement conclu entre les quatre 
grandes puissances, le 13 juin, et signé avec l'Al- 
lema^ne, le Ï8 juin^ en même temps que le Traité 
de Versailles, et contenu dans une convention an- 
nexe qui entra en vigueur j ainsi que le Traité, le 
il) janvier iOiO, il était institué, comme repré- 
sentation suprême des Alliés en territoire rhénan, 
une Haute Commîï5sion interalliée, dans laquelle 
cbaque puissance : Belgique, Etats-Unis, France, 
Grande-Bretagne, était représentée par un Haut 
Commissaire, sous la présidence de droit du Haut 
Commissaire français. Comme les Etats-Unis n'ont 
pas ratifié le traité de Versailles, le délégué du 
gouvernement américiûn assiste seulement à titre 
officieux à chacune des séances ; c'est le général 
commandant Tai^mée américaine qui est chargé 
de cette fonction. L'administration des territoires 
appartiendra, en temps habituel, au gouverne- 
ment allemand, qui sera chargé du maintien de 
Tordre public et conservera des forces de police en 
nombre limité. L'état de siège pourra être pro- 
clamé par la Haute Commission dans tout ou par- 
tie du territoire, lorsqu'elle le jugera nécessaire. 
L'autorité appartiendra alors au commandement 
militaire. 

Le Reich avait également un représentant ou 
territoire d occupation. M, von Starcb, désigné 

Îïour remplir les fonctions d'agent de liaison entre 
a Haute Commission et les autorités allemandes. 
Cette désignation d'un Commissaire du Reich avait 
été très critiquée ^ 

1. A Ei9 quQÎ était-it nécessaire que siégeât i Cologne, chef' 
lieu admîmatritif de U Prusae rhenaciâf un personnage impé- 



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LB STATUT DE L'OCCUPATION 3fl6 

Celle Haute Commission utilisait le personnel 
de la Commission interalliée des pays rhénans^ qui 

fonctionnait à Coblence pour résoudre les pro1)lè- 
mes économiques nés de roccupation. C'est elle 
dont le Traité de paix a consacré l'existence en lui 
donnant une compétence diÉfé rente. La transition 
se fit tout naturellement et sans à-coup. 



m 

Les attributions 
de la Haute Commission interalliée. 



Quelle va être cette compétence ? 

La Haute Commission est une assemblée perma- 
nente^ délibérant à k majorité des voix, sous la 
présidence d'un Français, M. Tira rd, précédemment 
Contrôleurgénéral, et dont la voix est prépondérante. 
Ses pouvoirs s'étendent sur tous les territoires de 
l'Allemagne occupée par les armées alliées et sur 
les têtes de pont, et elle est souveraine dans toutes 
les matières de sa compétence. 

Ses attributions ne sont plus seulement écono- 
miques. Elle doit surveiller les relations entre les 
armées d'occupation elles pouvoirs civils allemands, 
et veiller au maintien de Tordre public, à la sécu- 
rité des troupes, et satisfaire à leurs besoins. Dans 
ce domaine strict, elle peut légiférer et prendre 
des décisions, régler les matières les plus diverses, 



rial, un missuB dominieus, symbole de l'Allemaei^e prussi- 
fiée ». Discours d« M. Maurice Barrés, Gh. des dèp., 39 août 
1919. 



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byGOQ 



300 LB RHIN ET LÀ FHANCB 

édicter des ordonnaïsces et adapter les lois de T Em- 
pire ou des Etais aliemands aux besoins de Toc- 
eupation, ce ciui lui confère un pouvoir législatif 
proprement dit. Elle peut même s'opposer à l'ap- 
plication des lois et réglementa allenaands, car ils 
doivent être soumis à son appréciation, avant d'être 
mis en vi^ueurj et elle peut, dans un délai de dix 
jourSj leur opposer son veto s'ils paraissent de na- 
ture à nuire à l'entretien des forces d'occupation, 
à leur sécurité et à leurs besoins. 

Les ordonnances et les déoisions de la Haute 
Commision s'imposent aux armées alliées et à tous 
les habitants du pays occupé, quelle que aoit leur 
nationalité. Ils doivent exécuter les ordres donnés 
et peuvent être traduits en justice, La Haute Com- 
mission peut, en effet, organiser des tribunaux et 
prendre toutes les mesures de police désirables. Cette 
autorité s'exerce également à Tégard de l'adminis- 
tra tion allemande^ et certaines sanctions administra- 
tives pourraient Être prononcées, si la Haute Com- 
mission poursuivqit les fonctionnaires délinquants. 
Elle a, sur chaque nomination, un droit de regard. 
Chacune d'elles doit faire l'objet d'une déclaration 
préalable, quinze jours avant Tentrée en fonctions 
du titulaire. Dans Tintervallej la Haute Commis- 
sion peut opposer un veto à la nomination, si elle 
estime cette mesure nécessaire à lentretien et à la 
sécurité des troupes d'occupation. Elle peut, du 
reste, révoquer les fonctionnaires et les expulser^ 
ainsi que les individus qui contreviendraient à ses 
ordonnances. Elle dispose enfin d'un pouvoir su- 
prême de juridiction -, elle peut régler certaines 
questions de compétence on intervenir pour s op- 
poser h des poursuites dont le caractère politique 
risque de compromettre la îiécurité du pays. 

Mais si la Haute Commission, comme représen- 



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\ 

LB STATUT DB l'oCCXJPATION 307 

tant des armées alliées, a juridictio et imperium 
dans les territoires occupés, ce n'est que « dans 
la mesure qui sei'a nécessaire pour assurer l'entre- 
tien, la sécurité et les besoins des forces militaires » 
(art. 3 de Tarrangement annexe du 28 juin 1919), 
Ce texte est donc limitatif^ et la Haute Commis- 
sion est désarmée et impuissante devant certaine 
propagande insidieuse, devant certaines manœuvre^ 
des fonctionnaires allemands. 

De ce système, il résulte que trois législation^ 
différentes vont être appliquées en pays rhénan. 
D'abord la législation propre à chacune des nations 
alliées et qui régit leurs armées et leur personnel ; 
la législation allemande qui oblige tous les natio- 
naux allemands et même les étrangers ; enfin, la 
législation ôréée par la Haute Commission et qui, 
dans certains cas, s'impose à tous. Des conflits de 
lois sont possibles et les tribunaux, comme dans 
les autres pays, auront la faculté d'interpréter, 
mais les ordonnances de la Haute Commission ont 
une autorité en quelque sorte supérieure, car leur 
effet ne peut être détruit par les clauses d'une loi 
allemande nouvelle. 

La Haute Commission, dans Texercice de son 
pouvoir législatif et réglementaire, édicté donc des 
ordonnances qui s^étendent aux matières les plus 
diverses * : règlements de police visant la circula- 
tion ou la résidence des personnes, la constitution 
d'associations, les réunions politiques qui peuvent 
toujours être interdites par interprétation de l'ar- 
ticle 3. Il en est ainsi des manifestations oratoires 
de ministres ou d'hommes politiques qui tendraient 

1. Cette législation est contenue dans le Bulletin officiel dû 
Isif Haute Commission interalliée des Territoires rhénans. 
Imprimerie de la Haute Commission, Coblence (en lan^^uè an- 
glaise et frapçaise). 



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308 LE BHtN ET LA FBAPTCË 

à créer en Rhénanie un mouvement d'opinion dé- 
favorable aux armées alliées. La Haute Commis- 
sion, après avoir usé de la plus larg-e tolérance^ s'est 
vue obligée d'élever des prolestatious, afin que de 
tels fails ne se renouvellent plus. Us portaient at* 
teinte au prestige des Alliés ou entretenaient 
une opposition qui leur était funeste. Des individus 
jugés dangereux peuvent être expulsés des terri- 
toires occupés. Pour le même motif, des journaux 
peuvent être suspendus ou interdits. Il y a encore 
des règlements concernant le transport des armes 
à feu, rélevage et le transport des pigeons voya- 
geurs, le pavoisement, la vente de certaines den- 
rées, la protection des voies de communication et 
des militaires, l'état de siège^ si Tordre public vient 
à être troublé. Des peines sont prévues : amende 
jusqu'à 10.000 marks et emprisonnement d'un an 
au maximum pour sanctionner les infractions à ces 
règlements- 
La Haute Commission, toujours pour garantir 
la sécurité des armées d'occupation ou veiller à 
leurs besoins, intervient encore par voie d'ordon- 
nances pour assurer au pays son ravitaillement 
régulier, et aux services publics et usines leur fonc- 
tionnement normal en prévenant les grèves et les 
divers conflits industriels. 

A cette triple législation, qui existe en pays oc- 
cupé, correspondent trois sortes de tribunaux. 
D'abord les tribunaux civils et criminels du pays, 
subordonnés à la Cour suprême d'Empire de Leip- 
zig, les tribunaux militaires répressifs : conseils de 
guerre, tribunaux militaires de simple police, les 
tribunaux que la Haute Commission croirait devoir 
organiser. 

En matière pénale, les tribunaux militaires sont 
compétents pour toutes les personnes qui dépen- 



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LE STATUT DE l'OCCUPATION 309 

dent des armées et celles qui sont déférées devant 
ces tribunaux par les autorités militaires pour in- 
fractions aux ordonnances. En dehors de ces cas, 
les tribunaux allemands sont compétents; ils le 
sont également si les tribunaux militaires leur con- 
fient rinstruction d^une infraction. Les membres 
de la Haute Commission jouissent de l'immunité 
diplomatique et ne peuvent être poursuivis en ter- 
ritoire occupé. Aucun sujet allemand, employé par 
la Haute Commission ou les armées alliées, ne peut 
être arrêté par les autorités allemandes, sans que 
celles-ci en avisent le délégué de la Haute Com- 
mision. 

En matière civile, la compétence des tribunaux 
allemands s'étend non seulement sur leurs natio- 
naux, mais sur les personnes qui font partie des 
forces d'occupation ou dépendent de la Haute Com- 
mission, lorsqu'elles sont appelées à comparaitre 
en leur qualité privée. Au contraire, les litiges qui 
mettent en cause les armées d'occupation ou les 
services de la Haute Commission, considérées 
comme personnes administratives, sont soustraits 
à la juridiction allemande. Ils doivent être portés 
par les particuliers devant les tribunaux de la na- 
tion alliée intéressée. Eniin^ la Haute Commission 
se réserve, en matière civile comme en matière pé- 
nale, le droit de statuer sur la compétence et de 
régler les conflits de juridiction. 

Dans le domaine administratif, comme dans le 
domaine judiciaire, la Haute Commission ne peut 
rester isolée des administrations et juridictions al- 
lemandes. Les différents organismes' ont nécessai- 
rement des rapports fréquents; ils fonctionnent 
côte à côte, ils se pénètrent. Il faut des organes de 
liaison chargés d'assurer des rapports qui ne sau- 
raient être méconnus ; au besoin ils surveillent les 



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âio 



LE aniw ET LA fhakce 



f 



fonctionnaires allemands, presque tous d'otigine 

prussienne, trop enclins à prendre, à Têtard des 
troupes d'occupation ou des populations rhénanes, 
des libertés intolérables. La Haute Commission a 
donc installé, dans chaque district et dans chaque 
cercle des territoires occupés, des délégués quiW 
avaient déjÈi contrôlés dans la période d'armistice; 
habitués aux besoins des populations, ils ont une 
très haute conception de leur devoir et exercect 
leurs fonctions avec beaucoup de tolérance et de 
tact. En dehors d'eux, et vivant indépendants 
de la Haute Commission, se trouvent les officiers 
et sous-officiers de l'armée d'occupation, ressortis- 
sant au commandement supérieur des forces alliées, 
placées sons les ordres du général Dégoutte. Ce 
sont eux qui, en réalité, exercent les attributioDS 
de surveillance et de police précédemment décriteii; 
puisqu'ils sont les plus nombreux et sont en con- 
tact intime et journalier avec les populations*. Os 
constituent les véritables organismes d'exécutioft. 



1. Le général Dégoutte, Q. G. Mayence, a sous ses ordres : 
le corps d'occupation belge, Q. G. Aix-la-Chapelle, général 
Rucquoy, effectif (12.000 h.), le corps d'occupation anglais, Q- 
G. Cologne, général Morland (13.000 h.), le corps d'occupation 
américain, Q. G. Coblence, général Allen (6.000 h.), le corps 
d'occupation français (60.000 n.). 



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CHAPITRE XVII 
. LES RÉSULTATS DE L'OCCUPATION 

I 
Les Pl^incipéd. 

Telles sont) au point de vue administratif et 
judiciaire, les conditions de cette occupation toute 
nouvelle en droit international public, auxquelles 
les précédentes occupations ne peuvent être com- 
parées, et leà règles qui la déterminent. La Haute 
Commission a appliqué ces règles dans le sens le 
plus large, laissant au pays toutes ses facilités de 
vie propre, évitant de prononcer Tétat de siège ou 
de prendre indûment des -mesures qui restrein- 
draient la liberté des populations. Comme le disait 
la proclamation de ta Haute Commission interalliée^ 
le jour de son installation (10 janvier 1920), « elle 
désire rendre aussi légères que possible aux popu- 
lations rhénanes les charges de Toccupation.. ; elle 
garantit à ces populations l'exécution^dans son es- 
prit et dans son' texte, du statut de Toccupation 
dont le régime particulièrement libéral est sans 
précédent dans l'histoire >. Mais il faut aussi que 
€ le gouvernement allemand s'applique à poursui- 
vre les réparations dues aux peuples victimes de la 



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Mi LE BHirï ET LA FRANGE: 

guerre,,; qu'aucune atteinte ne soit portée à la sû- 
reté des troupes.-., et elle réprimera sans inutile 
rigueur comme sans faiblesse toute entreprise con- 
tre la sécurité de ces troupes ». Les fonctionnaires 
allemands devront collaborer avec la Haute Com- 
mission pour assurer, en complète harmonie avec 
elle, aux populations des territoires œcupés, ud 
régime d'ordre, de travail et de pais^ D'une façon 
générale, les Rhénans ont apprécié lattitude de la 
Haute Commission et Fesprit de justice dans lequel 
sont rendues les ordonnances*, 11 est intéressant 
de le faire ressortir, puisque c est un Français qui 
préside^ avec beaucoup d^impartialité et de dignité, 
la Haute Commission ; nous verrons en même 
temps quelle est sa ligne de conduite et à quels 
principes il obéit. 

Avec des moyens limités et très circonscrits, il 
s agissait de permettre aux Rhénans de développer, 
dans tous les domaines, leurs facultés propres. Sur 
la Rhénanie pèsent les charges les plus lourdes de 
Toccupation ; il fallait les rendre aux Rhénans aussi 
douces que possible. Et s'il est vrai qu*il existe en 
Rhénanie des sympathies françaises, vieilles de plu- 
sieurs siècles, nous devons les accroître en montrant 
aux populations que notre régime est le plus tolérant, 
le plus libéral. Je plus juste, le plus éclairé^ parce 
qu'il est conforme au droit, à l'équité, à la raison. 

Il est indéniable que des survivances françaises 
existent en Rhénanie. Si Tannexion et Texploitation 
prussienne et bavaroise les ont grandement atté- 
nuées, on les retrouve aisément ; Tarmistice et les 
débuts de l'occupation les avaient ranimées, La 



I. V. D' Ebner* Die RechUmrkangejt dur ^eindUcheTi SeseU 
^nng Auf die Bevôikeranff d€s béseizieTi OebietSj Leiptig, l&lï. 



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LES RÉSULTATS DE l'oCCUPATION 313 

propagande prussienne s'exerce contre elles âpre- 
ment, mais elles n'ont pas disparu. On ne peut pas 
dire qu'elles subsistent en Rhénanie à un égal de- 
gré, et si Ton fait état de telles ou telles manifes- 
tations, on peut être amené à penser que les Fran- 
çais, dans un endroit déterminé, sont vus d'un 
mauvais œil. Il faut établir d'abord des distinctions 
et apprécier les choses d'une façon générale. 

D'abord, il y a de grandes différences entre le 
caractère des habitants dans les pays de Cologne 
et de Trêves, de Coblence, de Mayence et du Pa- 
latinat. On est plus allemand dans le Nord qu'à 
Mayence et dans le Palatinat, bien qu'on y déteste 
la Prusse ; à Coblence, au contraire, ville de fonc- 
tionnaires,- la Prusse a de fortes sympathies^ mais 
dans la campagne^ elle n'est guère aimée. On en- 
tend souvent dire dans ces régions de quelqu'un 
qui va remplir ses obligations militaires : « Il part 
chez les mauvais Prussiens ». Dans la Prusse rhé- 
nane, le climat est plus rude, plus sauvage, la race 
plus forte, plus mêlée de sang germain. L'esprit 
est étroit et rigoriste ; l'administration prussienne 

}r a exercé une telle emprise, a été si pesante, que 
es habitants sont restés timides, craintifs, réser- 
vés. X)ans la Hesse et le Palatinat, le climat est 
plus doux, le caractère des habitants s'en ressent 
probablement ; il est plus ouvert, plus franc, plus 
enjoué ; le sang celte s'est mieux conservé ; ces po- 
pulations se rapprochent davantage des nôtres. 

La question religieuse joue un grand rôle, mais 
à des titres différents. En Prusse rhénane, où Ton 
est très catholique, on se rapprocherait volontiers 
de la France^ en haine de la Prusse protestante, à la 
condition que notre politique religieuse reste tolé- 
rante et libérale. Dans le Falatinat, où il y a beau- 
coup de protestants, la question religieuse a moins 



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314 LE HHm Et LA FBATTCB 

d'influence* Mais^ d**ns toute la Rbéûanie, on Ad 

souvient parfaitement, comme Ta marqué M. Mau- 
rice Barrés, de Tappui que nous livous prêté an 
catholicisme, sous la domination napoléonnienne ^ 
C'est la France qui a organisé en Rhénanie, avec 
les soeurs de ses diverses congrégations religieuses 
et le concours des indigènes, des institutions cha- 
ritables qui subsistent encore. Il y a là un lien reli- 
gieux puissant, qu*il ne faut pas négliger. 

Au début de Tûccupationj on crut que les offi- 
ciers et les soldats de notre armée étaient tous des 
athées, qui ne respecteraient pas les croyances des 
populations, L'évêquc de Mayenee nosa pas sor- 
tir dans la rue de crainte d'être insulté. Quand on 
vit Un grand nombre de militairisd suivre les offices 
religieux, les idées se modifièrent et la àympathie 
s'éveilla chez certains prélats importants, ou même 
parmi quelques membres du petit clergé, doUt Tin- 
fluence est grande sur les fidèles. 

Là où le sentiment religieux était moins éveillé 
qu'en Prusse rhénane, des souvenirs de l'épopée 
napoléonienne, pieusement conservés, créaient un 
rapprochement entré les deux pays. Quel est l'of- 
ficier ou le soldat de l'armée d'occupation qui n'ait 
vu, dans les familles dont les aûcêtres ont com- 
battu dans les rangs de la Grande Armée, et dont 
les descendants le déclarent avec fierté, des por- 
traits de Napoléon, des croix de la Légion d'hon- 
neur ou des médailles de Sainte-Hélène, qu'on leur 
montrait pieusement ? Dans la Hesse, dans le Pa- 
latinat, on en rencontre fréquemméht, fet liiêmë dans 
l'Eifel, où Ton visite, par exemple, à Prûto, Uti pe- 
tit musée napoléonien très joliment installé. Ces 
médailles de Sainte-Hélène, créées jpar Napdéoû, 

1. V. Le génie du Rhin, i vol. In-16. Pârk, Plbn, 19îl. 



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LES RtiSULTATS DE L^OGCUPATION 316 

les grands-pârents les arboraient aux ailiiiversaires 
des grandes dates de Tépopée : naissance du Roi 
de Rome, mort de l'Empereur. Leurs petits-fils 
le racontent aujourd'hui. On voit fréquemment 
autour de Mayence — et c'est un phénomène frap- 
pant — les tombes des soldats de Napoléon entre- 
tenues avec soin. Dans plusieurs villes, du reste, 
comme à Kaiserslautern, Deux-Ponts^ Frankenthal, 
Cologne, Kreusnach, Kilburg, Coblence, Mayence, 
Gousenheim, Hegshstheim, Oppenheim, Oberolm, 
Hôchst, Vorstadt, Bingen, etc., on a élevé aux 
morts de la Grande Armée des monuments com- 
mémoratifs, dont les inaugurations, — comme à 
Coblence, par exemple, — ont donné lieu à d'im- 

E osantes manifestations et où Ton a fait Téloge de 
fapoléon. Le 20 juillet 1919, le général Mangin 
assistait à Bingen à une de ces cérémonies cohimé- 
moratives, et le maire, M. Weingartlner, au nom 
des descendants des soldats de la Grande Armée, 
était venu saluer le général. 

Ces sentiments de rapprochement n'ont point dis- 
paru et se traduisent, dans certaines familles où 
l'on accueille fort bien les officiers français, par 
des attitudes très courtoises et sympathiques. On 
cherche à parler français, on invite à des thés et à 
des bridges, et Ton a souvent des prévenances pour 
les militaires et les civils de la Haute Commission 
et pour leurs femmes, avec lesquelles on désire en- 
tretenir des relations mondaines. Parfois nous ne 
cultivons pas suffisamment ces sympathies et nous 
mettons trop de raideur à nos rapports avec la 

Sopulation. On s'est plaint de vexations inutiles, 
e réquisitions exercées sans mesure, de {)oursuites 
abusives devant les tribunaux pour des passeports 
insuffisants. Le Haut Commissariat devra veiller 
atëc soin à ce que de tels faits, qui sont exploités 



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316 LE BHÏN ET LA FEANCE 

contre la France de Taatre côté du Rhin, soient 
évités à Ta venir, 

La Prusse s'attache avec le plus grand sain à 
relever contre nous les erreurs ou les abus que Ton 
pourrait nous reprocher* Sa propao^aade s exerce 
de la façon la plus insidieuse. Dès l'armistice, elle 
faisait dire aux populations catholiques que la 
France républicaine introduirait en Rhénaoïe le 
régime de la séparation, molesterait les congréga- 
tions ; aujourd'hui elle nous reproche d'appauvrir 
le pay*^, d'entraver sa liberté commerciale par nos 
réquisitions, d'être une charge pour les villes où 
nous occupons trop d'habitations privées. C'est la 
France qui est la cause de toutes les difficultés éco- 
nomiques du pays. Elle mène une campagne violente 
contre les troupes noires, contre les frais de l'occupa- 
tion. Elle se sert de tous les moyens possibles pour 
détacher les Rhénans de l'influence française. Elle va 
même plus loin. Des sociétés nombreuses se sont 
(ondées {Deutsche Arbeitsgemenschaft fur Wahreit 
Recht und Erhe, Fitchtebund etc. . . ), qui lancent des 
tracts, des brochures, organisent des manifestations 
nationalistes, où TAUemagne est déclarée innocente 
de ses forfaits, où l'on demande la révision du Traité 
de Versailles, où les récentes décisions des Alliés sont 
amèrement critiquées. Un service spécial de propa- 
gande organise des tournées théâtrales pour faire 
représenter des pièces où l'on célèbre la grandeur 
de l'Allemagne. De gros sacrifices sont consentis 
afin de flatter le goût des Allemands pour la mu- 
sique ; le théâtre royal de Wiesbaden et le Kur- 
haus reçoivent des subventions spéciales. A Colo- 
gne, dans le Palatinat, on a créé un théâtre populaire 
en dialecte du pays. Des conférences ont lieu où 
l'on étudie l'art rhénan, la constitution allemande, 
où l'on cherche à réveiller les sentiments patrioti- 



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LES RÉSULTATS DE L OCCUPATION 317 

ques des Allemands. Le cinéma est aussi un ins- 
trument de propagande. Un trust a été créé à Ber- 
lin pour représenter une série de films qui ne 
puissent être interdits par les autorités militaires 
françaises ; ils sont montés de main de maître, ad- 
mirablement camouflés, mais les sujets célèbrent 
toujours incidemment les gloires de TÀllemâgne. On 
donne des fêtes pour les anciens combattants^ aux- 
quelles les partisans de Tancien régime prêtent le 
caractère de manifestations nationalistes. Des pro- 
menades sont organisées spécialement par des as- 
sociations de touristes, où Ton montre les belles 
cathédrales, les riches vignobles, les musées alle- 
mands ; on emmène les étudiants, avec leurs insi- 
gnes et leurs rapières, sur la rive droite, pour qu'ils 
apprécient la différence entre TAUemagne libre et 
r Allemagne opprimée. On se sert d'expositions pour 
vulgariser Fart allemand. 

La puissance d'organisation de VHeimatdienst 
soutient cette propagande. Cette société, quasi oc- 
culte, émarge au budget de TEmpire et a pour but 
avoué Téducation démocratique et patriotique du 
peuple allemand. Sa direction est à Berlin, où le 
Dr. Straha groupé autour de lui des techniciens de 
la propagande, déjà employés par le gouvernement 
impérial pendant la guerre,^ des fonctionnaires de 
carrière, des journalistes, d'anciens officiers, et 
son activité est principalement dirigée contre la 
France. Elle tend à créer un état de tension entre 
la population des territoires occupés et les autori- 
tés ; elle cherche à semer Tindiscipline parmi nos 
troupes. A la fin de 1919, elle avait préparé un 
soulèvement ouvrier, d'accord avec les agitateurs 
de l'Alsace, de la Lorraine et de la Sarre, et le gou- 
vernement encourageait ces agissements, à la tête 
desquels se trouvaientles sociaux-démocrates jouis- 



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318 LE RHIN ET LA FRANCE 

sant de beaucoup d'influence parmi les syndicats 
ouvriers. Lors de notre occupation à Francfort, les 
documents saisis ne laissèrent aycun doute sur ces 
faits. Un mouvement ouvrier devait éclater le 
12 juin ; on sut l'arrêter à ses débuts ; il u y eut 
que deux jours de grève. Cette propagande s'étend 
à tous les territoires occupés ou soumis au plébis- 
cite, comme la Sarre, après la Haute-Silésie. Les 
fonctionnaires, non originaires des territoires rhé- 
nans, appuient énergiquement l'action de VHei- 
matdienst. Tous font ressortir aux populations que 
Toccupation française est précaire — quinze ans — 
et que toute personne favorable à la France, dont 
le nom est soigneusement noté par la police, ne 
jouira d'aucune faveur de l'administration et sera 
tenue en suspicion, au retour du régime normal, 
^n avril 1920, nous avons démasqué son véritable 
rôle et interdit ses diverses manifestations en 
Ilhénanie. Elle s'est alors camouflée dans le Bi/r- 
gausshuss qui continue secrètement la même pro- 
pagande. 

D'une façon générale, la Haute Commission ne 
rencontre pas toujours auprès des fonctionnaires 
prussiens la coopération loyale sur laquelle elle est 
en droit de compter. Le Commissaire d'Empire lui- 
même, von Starck, soit par des réclamations injus- 
tifiées, soit par des retards systématiques, cherchait 
sans cesse à entraver le fonctionnement d'un régime 
auquel il avait le devoir de collaborer ; la Haute Com- 
mission a dû le faire expulser. 

Cette propagande de la Prusse est surtout active 
dans les écoles, afin d'empêcher les enfants de sui- 
vre des cours de français, et l'on en organise spé- 
cialement pour eux, comme dans le district d'Un- 
terlahn, dans le Palatinat, à Neustadt. On crée des 
cours post-scolaires fort complets, à Bonn, Cologne^ 



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LES RÉSULTATS DE l'QCCUPATION 319 

Trêves, Mayence, où Ton étudie Tapt allemand, la 
constitution allemande. Eniin, la centralisation, 
malgré les promesses d'autonomie et le projet qui 
a été déposé, se fait de plus en plus dure et pesante 
ppur diminuer les franchises locales. Les inspec- 
teurs scolaires ecclésiastiques, par exemple, ont été 
supprimés et remplacés par des inspecteurs dé- 
pendant du Ministère de Tlnstructiou publique de 
Berlin. 

On constitue aussi, avec les élèves des écoles 
des sociétés diverses (Studentvereine^ Turnvereine^ 
Sportvereine, Wandervereine^ Pfattfindervereine)^ 
et avec les jeunes gens plus âgés^ des sociétés de 
préparation militaire, dirigées par d'anciens offi- 
ciers, qui entretiennent un véritable esprit patrio- 
tique et national, tandis que toutes les Vereine 
d'officiers, de sous-officiers et de soldats, sous la 
direction du DeiUscher oflizier Bund, les sociétés 
de gymnastique et de tir cherchent à conserver 
soigneusement Tesprit militariste. 

Cette propagande intense montre à quel point 
la Prusse redoute Taccroissement de notre influence, 
mais elle peut d'autant mieux s'excercer que, mal- 
gré le» survivances et les sympathies françaises dont 
nous avons parlé, le grand passé historique de la 
Germanie ne peut être aboli dans le souvenir des 
Rhénans. Beaucoup se rappellent les fastes de l'Al- 
lemagne, au moyen-âge, et Frédéric Barberousse 
dort toujours dans une grotte mystérieuse du Pala- 
tinat. Les victoires de l'Allemagne, en 1870, n'ont- 
elles pas exalté l'orgueil allemand ? Elles ne sont 
pas oubliées. Enfin, la Prusse invoque la prospé- 
rité économique que la Rhénanie a connue, grâce 
à elle, depuis un siècle, en évitant soigneusement 
de marquer toute la part qui est due à la France 
dam la constitution de la Rhénanie moderne, et 



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320 le; aiit» et ljl faance 

tout ce que la Rhénanie elle-même a fait pour la 
grandeur de la Prusse, 11 ne faut donc pas être 
surpris si les idées d'autonomie rhénane soulignées 
plus haut n'ont pas fait de progrès. La Prusse les 
combat âpremtmt. Elle a été jusqu'à Touloir sup- 
primer le Dr, Dorteo et Ta fait arrêter trois fois, 
deux fois en zone anglaise et américaine, une fois 
en zone française* Il fallut que les autorités alliées 
le fissent remettre en liberté. Le Centre catho- 
lique, qui était très favorable aux idées autono- 
mistes, est . actuellement dominé par le souci de 
s'élargir à gauche et de conserver, d'accord avec 
les socialistes majoritaires et le parti populaire 
allemand, sa prédominance politique passée dans 
TEmpire. Il en est venu à admettre certains com- 
promis, qui ont favorisé la domination prussienne. 
Au cours de la dernière campagne électorale, le 
professeur Lauscher, du parti du Centre, dfsait à 
Aix-la-Chapelle « qu'il était exempt de toute espèce 
de haine à l'égard de la Prusse... » et « que le pays 
rhénan restait à tout prix allemand ». Plus récem- 
ment, les députés rhénans protestaient dans une 
adresse contre les décisions de la Conférence de 
Londres et se déclaraient solidaires du Reich (jan- 
vier-mars 1921). 

Mais le Centre sera-t-il suivi dans cette der- 
nière évolution ? Certains groupements indépen- 
dants, telle V Union populaire rhénane (Rheinische 
Volksvereinigung)^ restent hostiles à la Prusse et 
défendent encore les idées d^autonômie. Cette Union 
comprend, sans distinction de parti ou de religion, 
tous les partisans d'une politique séparatiste. Il 
y a des groupes dans chaque village et un comité 
directeur à la tête de l'association. Elle englobe 
tous les pays rhénans, avec un secrétariat à Co- 
logne et un autre à Wiesbaden. Elle demande 



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LES RÉSULTATS DE l'oCCUPATION 321 

« Tunion de la race rhénane en un seul Etat con- 
fédéré dont rétablissement prochain doit être réa- 
lisé par tous les moyens..., avec une représentation 
populaire auprès de la Haute Commission, à Co- 
blence ». Son programme hardi fait usage de termes 
qui, jusqu'à présent, n'étaient guère employés dans 
le Reich unitaire. 

A Boppart, le ii février 1920, ses partisans, dont 
le député Trimborn (centre), décidaient qu'il fallait 
obtenir le démembrement de la Prusse et Tauto- 
nomie pour les territoires détachés d'elle, et la for- 
mation du Parlement rhénan. La Ligne de la nou- 
velle patrie y les organes indépendants, tels que la 
Rheinische Republik^ la Rheinische Volkstimme, 
soutiennent la même thèse, en avouant les torts de 
1 "Allemagne à l'égard de la France. Même attitude 
de la part du parti populaire chrétien, qui, dans sa 
réunion de Coblence, de septembre 1920, a refusé 
de désavouer les projets du Dr. Dorten. S'il n'a pas 
présenté de candidat aux dernières élections du 
Landtag, c'est que les décisions de la Conférence 
de Paris rendaient illusoire le rôle de conciliateur 
qu'il voulait jouer. Bien entendu, la presse gouver- 
nementale faisait une opposition très vive à ces di- 
verses manifestations, sommant le Centre de les 
désavouer. On peut ainsi noter un certain courant 
favorable à l'autonomie rhénane, constituée dans le 
cadre de l'Empire, parmi certains dirigeants de la 
grande industrie et de la banque, inquiets des ten- 
dances socialistes du Reich et de la main-mise des 
potentats de Berlin sur les affaires rhénanes ; parmi 
les paysans, qui redoutent l'influence des idées so- 
cialistes ; parmi la bourgeoisie et le clergé, pour des 
raisons d'ordre confessionnel. Certaines adminis- 
trations régionales, comme à Cologne, désireraient 
s'affranchir de la discipline berlinoise pour l'exer- 

21 



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LE HHirf ET LA FRANCE 



cioe de ]eurs relations commerciales. Dans le Cen- 
tre, quelques fédéralistes ne sont pas disposés à 
suivre le Dr. Lauscher dans ses dernières mani- 
festations. On s'en est aperçu au dernier Congrès 
de janvier 1921< 

Ainsi l'autonomie régionale, peut-on dire, serait 
bien accueillie dans l'ensemble, sauf par les socia- 
listes démocrates et les extrémistes de droite, qui 
se retrouvent sur le même terrain pour des motifs 
différents, les uns pour maintenir Tuaité de TEm- 
pire, les autres ^ Tunité des conceptions et des expé- 
riences socialistes ; ils ne désirent certain pouvoir 
auï provinces rhénanes qu*en ce qui concerne Thj- 
giène^ la voirie^les canaux^ Téducation. Et encorej 
beaucoup de socialistes indépendants, à Lndwigs- 
hafen, Kaiserslautern, Dûsseldorf, font le procès de 
la politique allemande d'avant-guerre et 3ont hos- 
tiles à la politique agressive du cabinet de Berlin. 



II 



Attitude de la Haute Commission et du 
Haut Commissariat français à l'égard 
des Rhénans. 

Contre cette propagande prussienne intense, la 
Haute Commission est quelque peu désarmée. Pour 
qu'elle agisse, il faut des actes précis, montrant que 
la sécurité des troupes d^occupation est en cause. 
Elle ne peut en tout cas laisser prescrire les droits 
qu'elle tient du Traité, malgré son désir d*être 
conciliante. Ainsi, elle a dû plusieurs fois faire 
des représentations énergiques au Commissaire 



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I 



LBd RÉSULTATS DE l'OGGUPATION 323 

d^Erapire ou demander la révocation ou Texpul- 
sion de fonctionnaires dont Tattitude était parti« 
cuiièrement hostile ; elle a dû également faire 
expulser des individus convaincus de propagande 
anarchiste ou nettement contraire aux intérêts 
des Alliés. Lors des discours provocants pronon- 
cés à Cologne, par le Chancelier Fehrenbach et 
M. Simons, et qui eurent, dans la région, un si 
grand retentissement, elle protesta par une note 
envoyée à chacun des gouvernements alliés et re- 
produite dans une note commune remise au gou- 
vernement du Reich, à Berlin. A la suite de cet 
incident, il fut décidé que les ministres prussiens, 
au cours de leurs déplacements dans les paya occu- 
pés, devraient soumettre leurs discours aux délé- 
gués de la Haute Commission, et s'abstenir de toute 
attaque, contre les Alliés, de nature à compromettre 
Tordre public dans les territoires occupés, en pous- 
sant la population à une attitude hostile. Ce régime 
fonctionne depuis lors. Il convient de remarquer 
qu'il ne porte nullement atteinte à la souveraineté 
allemande en territoire occupé ; il constitue une 
simple mesure de protection, rendue nécessaire par 
Tabus que certains ministres ont fait du régime, 
particulièrement libéral, instauré parla Haute Com- 
mission. 

Elle peut interdire des réunions, des manifes- 
tations politiques qui nuiraient à la sécurité des 
armées, ou des journaux par trop hostiles ou 
presque séditieux. Elle s'est bien gardée -r~ et ce 
sont les idées du Haut Commissariat français — 
de rendre les Rhénans responsables de telles ou 
telles manifestations faites en dehors d'eux. Le 
Rhénan est de caractère pacifique et tolérant ; il 
cherche à s'enrichir honnêtement par son travail, 
à nourrir sa famille ; il est opposé à toutes les vio^ 



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321 LE RHIN BT LÀ FRANCK 

leDces politiques. S'il désire rester allemand, c*est 
surtout par atavisme ; il faut, avant tout, se garder 
de le confondre avec un Prussien. Dans toute son 
attitude politique à Tégard des Rhénans, le Haut 
Commissariat français sVst inspiré de cette idée^ 
qu'il fallait rendre l'occupation aussi légère que 
possible aux populations les plus sympathiques 
de rEmpire,pour entretenir chez elles les idées pa- 
cifiques. Elles ont assez de bon sens et de raison 
pour comprendre que le militarisme prussien a 
déchaîné chez elles les pires des maux, et leur fait 
supporter tout le poids de roceupation, pour une 
guerre dont elles sont à peine responsables. 

Pour venir en aide aux familles nécessiteuses, le 
Haut Commissariat et le général Dégoutte ont or- 
ganisé des distributions de soupes populaires, qui 
comprennent jusqu'à de la viande, du lard, de la 
graisse, des légumes ou du pain^ et dont bénéficient 
non seulement les populations ouvrières, mais même 
des intellectuels ou des bourgeois dans la misère, 
La préparation et la distribution des soupes, qui 
fonctionnent depuis novembre 1919, se font par les 
soins des unités militaires, sous la surveillance des 
commandants d'armes, principalement dans les lo- 
calités industrielles, comme Mayence, Kosthein, 
Biebrich, Monbach, Weisenau, Hôchst, Wiesba- 
den, Ludwigshafen, Kaiserslautern, Trêves, Bonn, 
. Godesberg, Bruhl, Juliers, Siegbourg, Sieglar, Dû- 
ren. Les délégués de la Haute Commission assurent 
la répartition des cartes qui y donnent droit ; ils 
se mettent d'accord avec les municipalités et se 
servent des renseignements qui leur sont fournis 
par les ministres des cultes, les présidents des syn- 
dicats ouvriers et des organisations de bienfai- 
sance. 11 a été ainsi distribué par jour de 3.500 à 
4.000 soupes. Les populations allemandes appré- 



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lesTrésultats de l'occupation 325 

cient grandement Teffort que nous faisons^ et Ton^ 
a vu des orphelinats, à bout de ressources, deman- 
der à bénéficier de ces distributions de soupes. 

Dans certaines circonstances graves, le Haut 
Commissariat et les autorités militaires d^occupa- 
tion ont pris l'initiative de mesures destinées à 
venir en aide aux éléments de la population les 
plus dignes d'intérêt, notamment lors des inonda- 
tions de janvier 1920 causées par la crue du Rhin 
et de ses affluents, de la catastrophe d'Oppau. Des 
secours en argent ont été distribués parmi les sinis- 
trés et Tarmée a prêté son concours pour l'évacua- 
tion des points menacés, tout cela avant même que 
le gouvernement allemand ne soit intervenu. Aussi 
les autorités — comme le maire de Mayence, par 
exemple, — et les populations ont-elles publique- 
ment témoigné leur gratitude aux Alliés. 

A l'occasion des fêtes de Noël, le Haut Commis- 
sariat a mis à la disposition de ses délégués, dans 
les districts^ des fonds destinés à être répartis en- 
tre les différents cercles. Ces fonds furent affectés 
à des hôpitaux d'enfants et de malades, à des œu- 
vres d'assistance, aux orphelinats. 11 y eut des dis- 
tributions d'effets chauds et de secours aux pau- 
vres, de jouets aux enfants, etc.. Des fêtes, tenues 
sous la présidence des délégués, — comme à Trê- 
ves, où Ton réunit près de 6,000 enfants, — grou- 
pant les élèves des cours de français ou d'autres 
enfants de la ville, avec représentations théâtrales, 
séances de projections, ont produit le meilleur 
effet. Et par réciprocité, dans certaines villes, telle 
Simmern, le curé a invité, à son arbre de Noël, les 
enfants français de la Délégation et leur a remis des 
cadeaux. 

D'autre part, le Haut Commissariat se préoccupe 
de faire bénéficier les populations de la culture fran- 



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3:26 LE REU^ BT LA P&A»CE 

çaise. Des ieurnées thé ât roi es sont organisées dans 

les prLDcipales villes rhéoanes avec des artistes de 

la Comédie Française et de TOdéoD. Les artistes de 

I rOpéra et de T Opéra- Comique ont donné des re- 

i présenta lions avec les troupes locales ; on a joué 

Faust et Carmen avec des chœurs et des orchestres 
de la ville, tandis que les phncipauiE rôles étaient 
tenus par des Français et le chef d'orchestre fran- 
I çais. Il y a fréquemment des concerts de musique 

avec les orchestres locaux et les meilleurs chefs 
I d'orchestre français, et comprenant les œuvres de 

) Wagner et des musiciens français modernes. Les 

Allemands assistent à ces diverses manifestations. 
Les conférences en allemand de M. Burguel ont rem- 
porté de légitimes succès. Des salles de dépêches 
sont établies dans les principaux centres , où Ton 
trouve les livres, les revues, les journaux français — 
journaux politiques et journaux de modes — et qui 
sont fréquentées par la population. Malgré le taux 
élevé du change, on a pu vendre des milliers d'ou- 
vrages français dans les librairies des pays rhénans. 
Une Exposition d'art français, très brillante, a été 
ouverte, en juin, à Wiesbaden, où figuraient les. 
œuvres de nos meilleurs peintres, de nos orfèvres, 
de nos céramistes, de nos verriers, de nos graveurs 
sur bois, de nos imprimeurs. 

Enfin, l'activité des délégués des cercles a permis 
d'organiser des cours de français. Notre langue est 
très répandue en Rhénanie, notamment dans la Hesse 
et le Palatinat. 11 est même indispensable à ces 
populations industrielles, très actives, de connattre 
le français, nécessaire pour les échanges commer- 
ciaux. Aussitôt après Tarmistice, le Contrôle général 
des territoires rhénans s'en était préoccupé. Pour 
lutter contre Tinfluence de la Prusse, qui imprime 
aux générations rhénanes sa discif^ine noilitaire^ses 



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LES RÉSULTATS DE l'OCCUPATION 327 

vues politiques, il faut faire pénétrer parmi elles 
nos idées pacifiques et libérales. 

La Prusse n'a cessé de renforcer ses universités, 

2ui sont pour elle, suivant l'expression de Frédéric- 
îuillaume III, € les forteresses intellectuelles de 
TEtat. » Nous avions, lors de notre occupation, jus- 
qu'en Î815,laissé péricliter TUniversité de Mayence ; 
nous avions supprimé celles de Trêves ; la rrusse 
a fondé TUniversité de Bonn, qui comprend 
9.000 élèves et un corps de professeurs éminents. 
Elle a créé, en face de Mayence, à Francfort, une 
Université ; une autre à Cologne, indépendante 
de TEtat et soutenue par la municipalité. Celle-ci 
réunit déjà près de 7.000 auditeurs et forme le point 
de ralliement des catholiques rhénans, comme pour 
briser toutes les velléités d'autonomie. 

Le Haut Commissariat n'avait pas en mains les 
ressources ni les moyens suffisants pour créer à 
toutes les branches un enseignement cTômplet ; il 
n'a pu procéder que peu à peu, mais déjà son œuvre 
rencontre beaucoup de faveur parmi les Rhénans. 
A Mayence, fonctionnent une école commerciale 
française qui compte environ 75 élèves, où Ton 
donne des cours de technique industrielle et où Ton 
met les jeunes gens au courant du développement 
économique de l'Allemagne, et une école d'agricul- 
tiu*e, où passent, par périodes de trois mois, les 
soldats agriculteurs de l'armée du Rhin.- De cette 
manière, les jeunes soldats de la classe peuvent se 
préparer à leur carrière future : industrielle, agri- 
cole ; c'est une œuvre éminemment sociale ; en 
même temps, ils bénéficient des procédés mis en 
œuvre par les Allemands, des progrès qui ont été 
réalisés. Enfin, dans cette même ville, on a fondé 
une école de aroit, destinée, en principe, aux offi- 
ciers français et à leurs enfants, où les cours sont 



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dis LE BU IN ET LA FRA^CËI 

faits par des professeurs de V Université de Stras- 
bourg, 

Il y aurait intérêt à organiser d'une façon com- 
plète un enseignt" nient scientifique et juridique, qui 
serait certainement très profitable aux Allemands* 
Peu importe que les professeurs coDnaissent ou 
lioa la langue allemande. L'essentiel est que ces 
études soient approfondies et très complètes. 

En ce qui concerne l'enseignement secondaire, on 
a cherché principalement à faciliter les études pour 
les enfants des officiers et des civils français séjour- 
nant en Rhénanie. Un lycée de garçons et de filles 
fonctionne à Mayence, et des cours sont en outre 
professés à Trêves et à Bonn. Ils comptent en tout 
514 élèves \ Il est évidemment plus difficile, en 
cette matière, à cause de la préparation directe aux 
examens, de créer une série de cours méthodiques 
et suivis pour les jeunes Allemands. 

Au contraire, dans renseignement primaire, il 
était beaucoup plus aisé d'instituer des cours pour 
les jeunes Français et les jeunes Allemands. D'abord, 
on pouvait recruter des professeurs parmi le per- 
sonnel civil et militaire de la Haute Commission 
et parmi les maîtres des écoles allemandes. Plu- 
sieurs instituteurs allemands parlent français ; on 
a pu s'entendre avec eux, en leur donnant un trai- 
tement suffisant. Il est d'autant plus nécessaire de 
faire appel à leur collaboration que le personnel 
français subit des fluctuations très diverses ; par 
suite de la démobilisation des classes ou des chan- 
gements de situation, il est insuffisant et ne peut 
donner un enseignement suivi. Il faudrait que le 
Ministère de l'Instruction pxiblique français, d'ac- 
cord avec le Ministère de la Guerre, fit, à cet égard, 

1. Chiffres au 31 déc. 19:20. 



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LES RÉSULTATS DE l'oCCUPATION 329 

un gros effort. Les instituteurs allemands sont, du 
reste, très désireux de collaborer avec les Français, 
puisque, malgré les instructions venues de Berlin, 
leur interdisant de prêter leur concours, ils passent 
outre. Sur 80 professeurs allemands, il y en a 40 à 
50 appartenant au corps de renseignement. 

Dans cet ordre d'idées fonctionnent deux ordres 
de cours, ceux professés dans des écoles primaires 
spécialement organisées pour les enfants des offi- 
ciers et fonctionnaires de l'occupation, et des cours 
du soir, publics et gratuits, réservés à la popula- 
tion allemande. Des écoles primaires ont été fon- 
dées dans presque tous les grands centres des 
trois provinces de la Rhénanie. Les cours du soir 
sont installés presque partout où Ton a un person- 
nel suffisant pour les faire fonctionner. En décem- 
bre 1920, on comptait, enHesse rhénane, 2.280 élè- 
ves, dans le Palatinat 3.732, dans les districts de 
Trêves 3.600, de Bonn 2.203, de Kreusnach 765, 
de Wiesbaden 2.949, soit un total de 15.529 élè- 
ves allemands. Et ce nombre croît sans cesse. C'est 
une démonstration suffisante dé la nécessité de cet 
enseignement, et en même temps de Tinfluerice exer- 
cée par la culture française. Elle est encore une 
preuve des sympathies que nous pouvons rencontrer 
et développer dans les pays rhénans. Et c'est bien 
ce que redoutent la Prusse et la Bavière. 



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CHAPITRE XVIII 
LA RHÉNANIE ÉCONOMIQUE 



l 



Les richesses de la Rhénanie. 



Nous avons une œuvre plus grande à accom- 
plir dans un domaine encore plus important, le 
domaine économique ; elle mérite toute notre atten- 
tion et touâ nos efforts. Il faut créer des relations 
économiques suivies entre la Rhénanie et la France. 
Quels n en seront pas les avantages pour les deui 
pays? 

Au lendemain do l'armistice, les pays rhénans 
étaient dans une situation économique précaire du 
fait de Tétat de guerre, du blocus de T Allemagne, 
delà retraite des armées. Les stocks étaient épui- 
sés, les marchandises taries à leur source même, 
Tagriculture ne produisait plus* Or, avant la guerre, 
ces pays étaient les plus riches et les plus peuplés 
de l'Empire. Leur agriculture était florissante, leurs 
richesses forestières et industrielles abondantes, 
leur commerce prospère. La province rhénane est 
dotée, avec le Rhin, d'un système fluvial admirable 
et possède un réseau ferré très dense ; 76 kilo- 



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LA RHÉNANIE ÉCONOMIQUE 331 

mètres sur 100 de surface. L'industrie abonde et 
la terre parait à Thorizon plantée de cheminées, 
dont la fumée obscurcit Tair comme un épais brouil- 
lard. 

L^agriculture utilise en Rhénanie tous les per- 
fectionnements de la technique moderne, emploie 
judicieusement le machinisme, avec les engrais azo- 
tés et phosphatés, choisit les variétés culturales ; 
le pays travaille sa terre avec un ardent amour du 
sol et cherche à augmenter sans cesse sa produc- 
tion. On y rencontre de grandes cultures ; les vigno- 
bles voisinent avec de riches forêts, et les vastes 
pâturages permettent Télevage et la création de 
riches laiteries. Puis ce sont des champs de blé, 
des champs d'avoine, des champs de betteraves à 
sucre. Le sol est riche, composé d'éléments appar- 
tenant à toutes les époques de la formation ter- 
restre, depuis les alluvions les plus récentes, jus- 
3u'aux schistes des temps primitifs. Les terres 
'alluvion se trouvent disséminées à travers tout 
le pays, mais sont plus abondantes dans la vallée 
inférieure du Rhin, entre Bonn et la fronlière hol- 
landaise. Ce sont les terres les plus fertiles, et 
cependant le pays ne peut vivre par lui-même» 

La propriété y est très divisée, 62,9 Vo des pro- 
priétés foncières ont une superficie inférieure à 
5 hectares, mais malgré cet extrême morcellement, 
les paysans rhénans et palatins ne sont jamais restés 
en retard, au point de vue du rendement, sur les 
gros propriétaires, car ils utilisent tous les pro- 
cédés modernes de culture. Des sociétés d'agricul- 
ture stimulent l'élevage et distribuent des subsides 
importants. 

Dans la province du Rhin, il n'y a que 43 Voj 
et dans le Palatinat 42^9 7o seulement des terres 



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I *S^t LE REli:^ ET Là FRANCE 

cultivées, avec 13,9 V^ de prairies et d*berbages 
d'un côté, et i)j5 °/* de Tautre \ Les forêts et les 
bois occupent une grande partie de la superficie 
cultivable. L'agriculture de la Rhénanie ne va pas 
suflire à nourrir ses 8 millions d'habitants ; bien 
que la densité moyenne à T hectare soit assez élevée, 
la production en froment est insuffisante ; le p<îjs 
récolte surtout du seigle et de l'avoine. Dans le 
Rheialand. on compte 21)2.936 hectares de seigle, 
264.492 d'avoine, âl3.88â de foin contre 1Û0.773 
seulement de blé, et, dans le Palatinat, 50 L384 hec- 
tares de seigle, 476,077 d'avoine, 1.2ri6.742 de 
foin contre 277,391 de blé. Ils produisent encore 
de Torge, des pommes de terre et celles-ci consti- 
tuent la principale notirriture du pays* La Rbéna- 
Jiie est donc obligée d^i m porter du blé, et, comme 
en Allemagne actuellement, cette production est 
médiocre, la France peut, dans une certaine mesure, 
fournir une partie de ses besoins, mais en ne nui- 
sant pas à sa propre consommation, 

t 11 eu est également ainsi pour les fruits et les légu- 

mes et pour le vin. La superficie en vignobles est, 
dans le Rheinland de 29. 30^^ hectares, et, dans 

l le Palatinat, de 15.509, avec une production^ àc 

357.094 hectolitres d'une part, et de 255.280 hec- 

I tolitres de Tautre. Les Rhénans doivent faire venir 

de la rive droite le complément du vin nécessaire 
à leur consommation, qui est très forte » et encore, 
cette importation est insuffisante* 13s peuvent donc, 
comme ils le faisaient avant la guerre, s'adresser à 
la France. 

La culture de la betterave à sucre est très déve- 
loppée dans le nord de la Hesse et dans la Prusse 
rhénane, de même que celle du tabac dans le Pala- 

I 1. Tous les chiffres donnés loi sont de 1013^ 



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LA RHÉNÀMIB ÉCONOMIQUE «^33 

tinat, où elle était, en 1915, de 5 millions de kilos. 
Elle est, en général, très variable suivant la saison, 
mais comme la consommation est de 1.500.000 ki- 
los, la province peut exporter en moyenne 2 mil- 
lions de kilos par an. 

Quant à la production en bétail, elle était fort 
importante, quoique insuffisante. On a calculé, par 
exemple, qu'en 19i0 les deux tiers de la viande 
nécessaire aux territoires occupés devaient venir 
de l'Allemagne non occupée ; en effet, la guerre a 
beaucoup entravé Télevage, et les livraisons de bé- 
tail qui doivent être faites à TEntente ont forte- 
ment entamé le cheptel. 

Mais l'agriculture ne peut vivre sans l'industrie ; 
il lui faut les engrais, les machines qui lui sont 
indispensables. A cet égard, la Rhénanie a besoin 
d'importations. Jusqu'ici la province rhénane et le 
Palatinat étaient tributaires du bassin de la Sarre 
pour les engrais phosphatés (scories de déphospho- 
ration). Aujourd'hui ils peuvent en recevoir des 
bassins de Briey, Dehain, Valenciennes. Depuis que 
l'Allemagne a perdu TAlsace-Lorraine et qu'elle ne 
possède plus intégralement le territoire de la Sarre, 
elle aura de plus en plus recours à la France pour 
ses engrais. 

Au point de vue industriel, la Rhénanie est dans 
une situation privilégiée. Elle a les plus belles 
richesses du sous-sol ; elle possède des gisements 
de houille, de lignite, de sel gemme, de plomb, de 
zinc, de nickel, qui, avec son puissant réseau ferré, 
contribuent au développement de ses usines. La 
houille, moteur indispensable à toute entreprise 
industrielle, abonde en Rhénanie. 

Les couches carbonifères se trouvent situées dans 
le Nord de la Rhénanie, dans le bassià de la Ruhr, 



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334 LE HEIN ET LA FRlNCE 

le bassin du Bas-THiin et celui d*Aîx-la*Chapellô ; 
elles s*élendent sur une bande de (iO kilomètres de 
TEst à lOuestj entre Dortmuod et la frontière hol- 
landaise, et de âO kilomètres du Nord au Stid, entre 
Wanne et Elberfeld. C'est le bassin de la Ruhr 
qui est le plus important* Ses gisements atteigoent 
une épaisseur de 1,501) mètres. En 19 KJ, ils produi- 
saient 1 14.b3(h000 tonnes contre 12 millions envi- 
ron en 1870, et 53.000.000 en 1000, En 1018, cette 
production était près de 00 millioos» En 1913, elle 
était, par rapport au reste de rAUemag^ne, de 59 7^ 
environ et de 63 7o de celle de la Prusse. 

La fabrication des produits dérivés a suivi, dans 
la Ruhr, une marche ascensionnelle. En 1913, la 
production de coke s^élevait à 25 millions de tonnes, 
c'est-à-dire plus des trois quarts de la production 
houillère allemande. En 1918, elle était de près de 
27 millions. 

La Rhénanie contient encore des mines de lignite, 
depuis trente-cinq ans en exploitation, et qui, en 
1913, donnaient 19.800.000 tonnes. Les deux mas- 
sifs réellement exploitables sont ceux du Worge- 
hirge et de la Roerebene, Tun entre Cologne et 
Bonn, Tautre du côté de Dûren. Cette exploitation 
s'est considérablement développée. 

Le bassin de la Sarre, dont la production va ser- 
vir à compenser en partie la perte en combustibles 
de nos mines du Nord, a une longueur de 100 kilo- 
mètres et une superficie de 600 kilomètres carrés. 
II comprend 13 centres d'extraction, dont 12 appar- 
tiennent à TEtat prussien qui les exploite directe- 
ment ^ On s'accorde à dire que ce bassin est extrê- 
mement riche en houille et, en 1913, au Congrès 
géologique du Canada, on a estimé ses réserves à 

1. Voir plus haut, p. 267. 



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LA RHÉNANIE ÉCONOMIQUE 33S 

9.769.000.000 de tonnes, reconnues jusqu'à une 
profondeur de 1.^00 mètres et jusqu'à 6.779.000.000 
au delà. Le total atteindrait 45 milliards en réserves 
totales, alors que celles de toute la France sont 
estimées à 45 milliards. On voit quels avantages 
présente la possession de ce bassin. La Sarre est le 
grand centre d'approvisionnement de l'industrie et 
de la métallurgie de la Lorraine, elle en est écono- 
miquement le complément. 

Si Ton passe maintenant à la production de la 
Rhénanie en minerai de fer (1.208.^29 1.), on remar* 
quera que les trois quarts proviennent de la Lor- 
raine annexée et du Luxembourg. La production 
du minerai de manganèse est concentrée dans le 
Nassau, mais l'Allemagne en importe une grande 
quantité : 680.000 contre 80.000. 

Quant à la production métallurgique, elle est 
très abondante autour des bassins bouillers, pour 
éviter le transport qui détériore le coke. Elle a suivi 
pas à pas les progrès de l'extraction minière. Jus* 
que vers 1880, l'industrie métallurgique allemande 
ne s'était guère développée que dans le bassin de 
la Ruhr, Elle trouvait sur place la quantité de com- 
bustible qui lui était nécessaire et se ravitaillait en 
minerais, grâce aux envois par le "Rhin des pro- 
duits de la Suède, de l'Espagne et des mines alle- 
mandes du district de la Lahn et de la Dill. On ne 
songeait pas aux mines de Lorraine qui contenaient 
peu de minerai de fer fort, d'une richesse excep- 
tionnelle^ exempts de phosphore, mais des usine- 
rais de fer tendres, dénommés € minettes », qui, 
par suite de leur abondance en phosphore, donnaient 
des fers cassants de qualité inférieure. 

Mais voici qu'en 1879, le Rheinische Stahlwerke 
de Duisbourg - Meiderich et la Hûrderberger et 
HittenveretUy à Horde, introduisirent, en AUema^ 



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336 LG BfîlN ET LA PBANCC 

gne, les découvertes de Sydney Gilchrist Thomas 
qui, utilisant les recherches du français Gruner, 
faites à FEcoIe des Mines, parvint h éliminer de 
ces minerais le phosy^hore qu'ils contenaient et par 
conséquent à les utiliser. Le procédé Thomas allait 
faire la fortune de la Lorraine et du Luxembourg. 
Mais cette dt^couverte n'ébranla pas la suprématie 
que s'était acquise le bassin de la Ruhr, au point 
de vue métallurgique. Les hauts fourneaux et acié- 
ries, qui y étaient établis, avaient à leur disposition 
une main-d'œuvre instruite et une grande quantité 
de charbon, en nombre trop considérable pour qu'on 

[lût songer à en créer en Lorraine. Il y avait bien 
es charbonnages de la Sarre, mais ils étaient ex- 
ploités par le fisc prussien, qui déclarait que le char- 
bon extrait donnait un coke inutilisable, renfer- 
mant moins de cendre et moins d*eau que celui de 
la Westphalie, qui gardait toute sa prépondérance *. 
Du reste, une autre découverte allait permettre 
d'abaisser encore le prix de revient de Tacier. En 
utilisant le procédé Martin- Siemens, expérimenté la 
première fois, en 1857, à Saint-Etienne, pour récu- 
pérer les sous-produits de la houille, on était ar- 
rivé à diminuer le prix du coke et à produire à 
meilleur compte des aciers, de même que des scories 
pourTagriculture. La production devint rapidement 
considérable. De 300.000 tonnes, en 1894, elle était, 
en Allemagne, en 1913, de7.330.000, dont 4.600.000 
pour la Westphalie et seulement 500.000 pour le 
sud-ouest. La métallurgie westphalienne avait donc 
une grande supériorité. Essen est le berceau de 
l'acier fondu en Allemagne. La production totale de 
la fonte et de Facier, dans la Ruhr et en pays rhénan 

1. V. Fernand Engerand. Lefet sur unefroniière^y. vol. in-8*. 
Paris, Ed. Bossard, 1919, p. 169-174-177. 



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I 



LA RHÉNANIE ÉCONOMIQUE 337 

atteignait, en 1913, un chiffre de 17.370.000 tonnes, 
sur 21.600.000 de la Prusse, soit 80 7^ de la pro- 
duction totale. On comptait dans ces pays 105 hauts 
fourneaux sur les 316 que comprenait TAllemagne. 
La majeure partie de l'industrie métallurgique 
allemande est concentrée dans la Ruhr. Les usines 
de Krupp, Stinnes, Thyssen,qui détiennent la plus 
grande- partie de la métallurgie de la Ruhr, sont 
parmi les plus puissantes du monde entier ; une 
suspension de travail dans la Ruhr causerait l'ar- 
rêt des transports et des échanges en Allemagne. 

Dans la Sarre, les établissements métallurgiques 
de Dilling, Vôlkling, Neunkirch, Saint-Ingbert, 
Hombourg, Monternause, sont, avec ceux des fau- 
bourgs de Sarrebrûck, toute une richesse. Le 
sous-sol contient également des gisements de sel 
gemme, près de Wesel, des mines de cuivre, de 
plomb, de zinc, mais à faible rendement. 

D'autres industries connexes à la houille et à la 
métallurgie sont nombreuses sur la rive gauche du 
Rhin : industries pour la construction de machines 
nécessaires aux mines, de machines-outils ; établis- 
sements de produits chimiques : acide sulfurique, 
soude, chlore, acides nitrique et chlorhydrique, et 
pharmaceutiques (Bayer) ; établissements de ma- 
tières colorantes dérivées du goudron de houille, 
couleur d'aniline, d*alizarine, d*indigo synthéti- 
que, etc., comme à Ludwiffshafen (Badische Ani- 
Im und Soda Fabrik), dont l'activité est grande et 
qui exportent leurs produits sur une vaste échelle. 

La Rhénanie est riche encore en production de 
textiles. Voilà des siècles que Crefeld fabrique de 
la toile. Dans la région Muuchen-Gladbach et 
Rheydt, au sud de Crefeld et à l'ouest de Dûssel- 
dorf, les fabriques de toiles sont très prospères. A 

22 



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338 ^fi hfîfif it la FttiîtcB 

rindustrie de la toîie se joignit, dans la seconde 
moitié du xvir siècle, Tindustrie de la soie et du 
Telours, La région de Crefeld produit la moitié de 
la soie et du velours de tout TEmpire allemand. 
Le centre textile d'Aix-la-Chapell*^ groupait en 1913 
1^0 manufactures de toile et de tissus de laine. 

Dans une contrée aussi prospère, la grande voie 
n&yigable qu'est le Rhin, unissant les vallées du 
Rhône et de la Saftnej et la Suisse à la raer du Nord, 
doit fournir un important trafic. Sur 1.22o kilomè- 
tres de long, le Rhin a plus de 800 kilomètres na- 
vigables. Nulle part sa largeur n^est inférieure à 
200 mètreSj avec une profondeur de 2 m. 50 à 
8 mètres» qui permet aux bateaux de remonter le 
fleuve jusqu'à Spire^ et aux navires de haute mer 
de partir de Cologne, 

Ce fut la France qui lança Tidée de la naviga- 
tion libre sur le Rhin, Après le traité de LunévillÊ, 
qui nous assurait la rive gauche du Rhin, des négo- 
ciations furent entamées au sujet de Tabolition des 
péages, que la Diète germanique sanctionna, en 
180*i, A la suite du Congrès de Vienne j proclamant 
la liberté de navi^alion sur les fleuves internatio- 
naux, une Commission fut chargée d'élaborer le 
règlement de cette navigation. Une convention, 
signée en 1869, institua la liberté complète de la 
navigation sur le Rhin pour les navires de toutes 
les nations et toutes les marchandises, mais elle 
était faite en réalité uniquement pour la Prus^sep 
En effet, celle ci avait la majorité dans une com- 
mission, qui se réunissait chaque année à Manheim 
{Z entrai Kommission fur die Reinschi^akrt) et 
étudiait les plans d'amélioration de la navigation 
du fleuve. L'article 335 du Traité de paii indique 
la composition nouvelle de la Cammiasion, où la 



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LÀ îl'lrtNANiE ÉCONOMIQUE 3S9 

France aura quatre représentants et nommera le 

fïtésident, et l'article 355 confirme le principe dé 
a libre navigation sur le Rhin pour les bateaux 
et équipages de toutes les nationalités. Le contrôle 
international sera ainsi substitué à celui des rive- 
rains et permettra d'améliorer le régime de navi- 
gation du fleuve. 

C'est la houille, le thinerai et les produits mé- 
tallurgiques, si abondants dans toute cette région, 
qui donnent au Rhin son importance comme voie 
de transit. Les mines de Lorraine et du sud de la 
rive gauche apportent aux forges westphaliennes 
le minerai qui manque à TAllemagne. Des ports 
de la Ruhr, des chargements de houille se dirigent 
à destination de l'Alsace, de la Suisse, de la Ba- 
vière. Le reste du trafic, à destination de la France, 
se fait par voie ferrée ou par canaux. Les céréales 
sont chargées à Rotterdam, et le Rhin approvi- 
sionne de blé TAUemagne du sud-ouest et la Rhé- 
nanie. Le bois circule éiitre Mayence et Ruhrbrt. 
Lés engrais et Jes produits chimiques jouent un 
rôle considérable dans le trafic d'anlont. D'après les 
statistiques des douanes d'Emmerich en 191i, le 
total des exportations sur le Rhin était de 16 mil- 
lions de tonnes, dont 6 millions de tonnes dirigééâ 
vers Rotterdam et 5.500.000 vers les ports belges. 
Pour les importations, 19 millions de tonnes, dont 
15 millions provenant de Rotterdam et 3 millions 
des ports belges. Le tonnage total de la navigation , 
sur le Rhin se montait, en 1912, à 61.189.000 ton- 
nes, dont 59.850.000 partant des 38 grands ports, 
avec une flotte de 12.453 bateaux, dont 1.670 à va- 
peur et 10.780 à voiles, La France devait se faire 
céder par TAllemagné (art. 357) des remorqueurs et 
des bateaux choisis parmi les plus récemment cons- 
truits, des docl^s, des magasins, des outillages, que 



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340 LE RFIIN ET LA FHÂNGE 

les nationaux allemands ou les sociétés allemandes 
possédaient dans k port de Rotterdam^ en 1914* 

Si nous prenons les ports les plus importants de 
la région rhénane, nous verrons que Strasbourg, 
a reçu, en 1913,1.650.000 tonnes de marchandises. 
Lauterbourg a importé, en 1913,^00.000 tonnes et 
exporté 10.000. Depuis que l'Alsace est revenue à 
la France, ces deux ports ont un hinterland plus 
étendu. Us importeront plus de charbon de la 
Ruhr» et exporteront de la potasse en plus grande 
partie. Le port de Ludwigshafen accusait, en 1913, 
un mouvement de 2.870.000 tonnes, Mayence 
1.550.000 tonnes, Cologne 1.380.000 tonnes, Neuss 
960,000 tonnes. 

Le groupe le plus important est celnide Ruhrort- 
Duisbonr^, dont aucun port au monde n'égale le 
tonnage. Ha dépassé, en 1913, celui du port de 
Londres, avec ses 19*159*000 tonnes d'entrées (par 
chemin de fer) et 18.^^02.000 de sorties(par eau) ^ 
Rubrort-Duisbourg a 45 kilomètres de quais, des 
écluses de 175 mètres, des chalands qui chargent 
2.000 et 3*000 tonnes. Les deux villes sont réunies 
Tune à Tautre et ne forment qu'un port unique, qui 
couvre 434 hectares de superficie, dont 185 hecta- 
res de bassins. 



Il 

Le régime économique 
institué en territoire rhénan. 

Au lendemain de la guerre, cette situation bril- 
lante avait singulièrement diminué. Avant que 

1. Yves Guyot La province rhénane et là Westphaliey 
1 broch. Paris, Atlinger, 1915, p. 79. 



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LÀ RHÉNANIË-ÉGONOMIQUE 341 

l'Allemagne ne recouvrât, par son travail et son 
énergie, le trafic perdu, il fallait, au moment de 
l'occupation, venir en aide à des populations qui al- 
laient subir une crise violente et qui, sur certains 
points, accueillaient les Alliés avec les sympathies 
que nous avons marquées. 

D'une manière générale, les Rhénans s'étaient 
enrichis au cours de la guerre. De très gros béné- 
fices avaient été réalisés par les grandes industries 
sidérurgiques de Cologne, de Grefeld, par les usi- 
nes de produits chimiques de Ludwigshafen, de 
Hôchst, et par les manufactures de chaussures de 
Pirmasens, etc. Les fabriques textiles elles-mêmes 
d'Aix-la-Chapelle et de Munchen-Gladbach avaient 
su faire face à la pénurie des matières premières, en 
transformant une partie de leur fabrication en con- 
fection de tissus de papier. Les paysans eux aussi 
avaient eflectué des gains sérieux ; les produits 
agricoles étaient rares et le coût de Texistence très 
élevé. Enfin, par suite de la disette de certains 
produits, beaucoup de capitaux étaient restés dis- 
ponibles et cherchaient à s'employer. 

Lors de Teffondrement de la puissance militaire 
de r Allemagne, se produisit une crise économique 
et sociale inévitable. Les usines de guerre s'arrêtè- 
rent et la démobilisation rapide provoqua le chô- 
mage. La révolution spartakiste entraînait les tra- 
vailleurs à la grève ou paralysait leur travail. Il 
fallait maintenir Tordre et là sécurité pour redon- 
ner la confiance et empêcher la venue des agita- 
teurs de rive xiroite. On s abstint d'autre part de 
fermer immédiatement les usines de guerre, afin de 
conserver du travail aux ouvriers. On se préoccupa 
en outre d'introduire en Rhénanie les vivres, com- 
bustibles et matières premières, qui manquaient 
par suite du blocus et dont l'absence aurait causé 



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iki LE filUN fT LA FlUffCK 

la famine, et de protéger les -stocks de produits de 
Fîndustrîe rhénane, qui s étaient accumulés sur le 
marché. 11 y avait donc intérêt pour Jes Alliés à 
utiliser le marché rhénan an f»oint de vue industriel 
et commercial, comme marché d'importation et d'ex- 
portation, et^ en même temps, à venir en aide à des 
Î)opulations qui manquaient d*objeta nécessaires à 
a vie. 

Aussitôt après Toceupation, Tindu strie rhénane 
se tronvait placée entre une double barrière : d'une 
part, la Ugïie du blocus général de l'Allemagne, 
d'^auire part, ce lie des avant-postes des armées alliées 
interdisant tout trafic ou toute circnlatîon. Or, cette 
industrie était obligée de réclamer, au bassin delà 
Ruhr, du charbon et certains minerais, et, au dehors, 
des produits bruts ; soie, laine, sucre, etc.. Il fal- 
lait doQC autoriser l'entrée en territoire occupé de 
combustibles et de matières premières venant de 
la rive droite. 

D'autre part, il j avait lieu d'envisager sous quelle 
forme le commerce des Alliés avec la Khénanie 
serait utilise. On avait eu beau écrire^ pendant la 
guerre, qu'aucun rapport commercial ne devrait 
plus jamais exister avec FAI le magne, le simple bon 
sens suffisait à montrer combien était vain ce cbau* 
vinîsnie économique. Des stocks de marchandises 
étaient accumulés en Rhénanie en prévision d'une 
prolongation de la guerre, stocks qui pouvaient être 
fort utiles aux Alliés, et, d*autre part, ces provin- 
ces étaient totalement dépourvues d'articles manu- 
facturés ou demi-ouvrés, draps, soieries, savons, 
graisses, huiles, etc.. L'importation vers la Rhéna- 
nie pouvait rendre à la production alliée un ser- 
vice considérable en débarrassant oertaines ijadus- 
tries de marchandises inutilisables et en incitant 
à la production. 



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LA BHÉNAMIfi ÉCONOMIQUE i343 

Mais riroportation en pays alliés de produits de 
la Rhénanie soulevait, notamment en France, de 
grosses objections. Il j avait là des vitres, des bri-r 
ques, des rails, des poutrelles de fer, des bois tra-» 
vailles, des machines diverses, des instruments d'op^ 
tique, certains objets manufacturés, tous à bas prix, 
à cause de la baisse du mark, et fort utiles par con« 
séquent en France, pour lutter contre la hausse des 
marchandises et faciliter la reconstitution de nos 
villes détruites. C'était une source de bénéfices pour 
la France, dont la production était insuffisante et qui 
devait, chaque mois, acheter au dehors, dans aes 
pays à changes défavorables, de multiples denrées. 
Quelle différence, par exemple, entre un objet 
acheté en Allemagne et un autre acheté en Angle* 
terre I II v avait certainement là un moyen d'ame- 
ner une baisse du coût de la vie. D'autre part, les 
établissements et les usines français ruinés par la 
guerre seraient délivrés du souci de reconstituer la 
production en France, et pourraient plus aisément 
se consacrer à la conquête des marchés extérieurs. 

Mais nos commerçants et noB industriels, par la 
voix de leurs représentants, ne manquèrent pas de 
protester. On allait faire concurrence directement h 
notre fabrication nationale, ruiner notre propre 
industrie et également notre commerce, qui avait 
peine à se relever de cette longue guerre. Alors on 
envisagea rétablissement d'un tarif douanier, qui 
équilibrerait les prix des marchandises achetées ep 
territoire occupé avec ceux du marché national. G^ 
serait un revenu pour TUtat. Mais il fallait une 
organisation assea complexe pour obtenir une éga« 
lité réelle des prix par suite de l'instabilité des 
valeurs et du change. 

On préféra créer des comptoirs nationaux d'achats 
on des syndicats de fabricants^ qui auraient le mono» 



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au LB RHIN ET LA FRANCE 

pôle de rimporUtion et livreraient ensuite à la con- 
somioation les marchandises achetées, soit au prix 
courant dans le pays^ en versant à l'Etat la diiîé- 
reoce des valeurs, soit à un prix moyen, en mêlant 
ces produits à leur fabrication. Pour les usines 
détruites j cet achat de stocks à bas prix était un 
avantage qui leur permettait de réaliser uq gain. 
L'inconvénient de ce système était de faciliter la 
spéculation. 

Un décret, rendu le 13 janvier 1919, sur la pro- 
position du Contrôle général, releva d abord nos 
nationaux de la ^prohibition de commercer avec les 

!)ays occupés, mais la liberté n^était pas totale. 11 
allait des dérogations accordées par le Comité éco- 
nomique interallié, siégeant à Luxembourg. 

Le régime commercial des pays rhénans, qui fut 
organisé par une instruction du Comité interallié 
de Luxembourg, du i8 janvier, répondait aux deux 
considérations suivantes. On voulut favoriser Tim- 
portation en pays occupé de produits en provenance 
des pays alliés et n'autoriser Timportation, en pro- 
venance de l'Allemagne non occupée et de territoi- 
res neutres ou ennemis, que de matières premières, 
de denrées alimentaires, de matières et objets ou- 
vrés nécessaires à l'industrie, afin de ne pas trop 
nuire au commerce allié dans un pays de l'En- 
tente. 11 fallait aussi réserver, pour les besoins des 
Alliés, les stocks de marchandises situés sur la rive 
gauche du Rhin, et ne permettre la sortie, vers les 
pays neutres ou ennemis, que de la production 
journalière des usines, dont Técoulement est néces- 
saire à leur fonctionnement normal. 

Pour régler le conàmerce des Alliés, le Contrôle 
général organisa, dans toutes les régions industriel- 
les de la province rhénane et du Palatinat, des sec- 
tions économiques interalliées fonctionnant au siège 



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LA RHÉNANIE ÉCONOMIQUE 343 

des armées. Elles étaient chargées de dresser Tin- 
ventaire des stocks de marchandises disponibles et 
d^établir une documentation exacte sur les res- 
sources industrielles et agricoles et les besoins du 
pays : usines, produits cQsponibles, marchandises 
demandées, principaux courants d'échanges. Tous 
ces renseignements étaient mis à la disposition des 
commerçants français et alliés, qui se présentaient 
à la section. On les recevait, on les guidait dans 
leurs achats ou leurs ventes, on facilitait leurs affai- 
res. Il est évident que ce système de dérogations et 
d'autorisations de transport ne se concevait guère 
qu'avec le maintien du blocus de TAUemagne. On 
pouvait ainsi créer un régime commercial de faveur 
pour les pays rhénans, sinon ce système d'excep- 
tion se serait retourné contre eux. 

Les résultats de cette politique économique 
avaient été excellents pour les pays occupés. Un 
courant d'importation s'était créé des pays alliés 
vers lés pays rhénans, et ceux-ci avaient reçu des 
produits ouvrés et demi-ouvrés qu'ils ne possé- 
daient pas. Beaucoup d'industries rhénanes purent 
ainsi reprendre, dans le tissage et la confection, 
une fabrication suspendue depuis des années. Le 
commerce fournit à la consommation beaucoup 
d'objets devenus introuvables ; les commerçants 
français arrivèrent nombreux dans les sections éco- 
nomiques, et firent de brillantes affaires. En France, 
les industriels sinistrés, les filateurs notamment, 
réalisèrent de gros bénéfices, en vendant leurs 
stocks en Rhénanie. Quant aux achats en Rhénanie, 
des marchés officiels furent conclus par le Minis- 
tère des Régions libérées, le Commissariat général 
d'Alsace - Lorraine , l'Intendance, etc., mais en 
petite quantité. Des syndicats d'industriels sinis- 
trés se constituèrent pour acheter des marchandises 



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lift; LB aEIN ET LA F£Âf^C£ 

et les revendre ea France au prix courant, en ver- 
sant à FEtat le bénéfice résultant de la différence 
du change. Mais ces afTaires, qui menaçaient les 
producteurs français, furent peu abondantes. 

Restaient les achats des particuliers. Beaucoup 
de commerçants timides hésitèrent à introduire 
en France les marchandises allemandes , d'au- 
tant plus que les formalités d'importation étaient 
longues et difficiles ; les dérogations étaient rare- 
ment accordées, d'après les instructions du service 
des douanes. Certains en triomphèrent^ grâce à la 
spéculation, ce qui était plutôt regrettable. Bref^ 
beaucoup de stocks de produits rhénans nous échap- 
pèrent et passèrent sur la rive droite. Peu de pro- 
duits rhénans pénétrèrent en France. 

Cette politique devait se modifier^ puisque le 
Conseil des gouvernements avait décidé, dans les 
clauses de paix remises le 9 mai aux plénipoten- 
tiaires aUemauds, de maintenir la Rhénanie dans 
Fuiùou économique avec T Allemagne^ telle que 
Tavait prévu le Zotlverein, Désormais, les stocks 
rhénans, conservés intacts^ pourraient s'écouler vers 
r Allemagne non occupée, aussi bien que vers les 
pays alliés ; les commerçants de la rive gauche 
du Rhin avaient la liberté d'acheter des marchan- 
dises sur la rive droite. En fait^ jusqu'à la conclu- 
sion de la pais y les transactions commerciales, entre 
les territoires occupés et le reste de TEmpire, 
.allaient rester soumises au régime des autorisations 
de transport, mais accordées librement* 



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LA BHÉNANIB ÉCONOMIQUE 347 
III 

L'attitude du gouvernement prussien. 

L^ Allemagne, et plus particulièrement la Prusse, 
refusa d*exécuter les mesures édictées par le Haut 
Commandement en matière économique^ Les fonc- 
tionnaires des douanes reçurent Tordre de Berlin 
de s'opposer aux échanges commerciaux entre les. 
pays alliés et les Allemands de la rive gauche. Ils 
tentèrent même de faire pression sur leurs concir 
tojens, en les menaçant des lois allemandes qui 
interdisaient le commerce avec Tennemi. La Délé- 
gation allemande, à la Commission interalliée d^ar- 
mistice cherchait à démontrer que Tindustrie rhé- 
nane ne pouvait vivre, sans conserver des relations 
étroites avec la rive droite. Il est évident que des 
industries groupées à l'intérieur du Zollverein 
avaient eu entre elles des relations fréquentes, 
mais on pouvait concevoir d*autres rapports com- 
merciaux favorables aux pays rhénans. Ceux^, 
du reste, firent bon accueil à rétablissement de 
relations économiques c^vec les Alliés. N'y avait- 
il pas, depuis de longues années, un grand courant 
d'échanges entre les pays rhénans et l'Alsace-Lor-» 
raine, entre ceux-ci et TAngleterre, et enfin entre 
eux, la Belgique et le Nord de la France ? Il s'agis^ 
sait uniquement de développer ces échanges pour 
le bien de tous. 

Les protestations, néanmoins, continuèrent et 
l'Allemagne s^efforça d'intervenir, car elle était in- 
quiète de voir^ par cette « trouée de l'Ouest *, 
comme l'appelait sa presse^ les marchandises alliées 



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348 LE RHIN ET LA FRANCE: 

se précipiter dans les territoires occupés, et de cons- 
tater que peu à peu le commerce rhénan se libé- 
rait des lois de TEmpire. Au bout de peu de temps, 
les pays rhénans étaient en effet inondés de mar- 
chandises alliées. La Chambre de commerce de 
Cologne évalua les importations, dans les premiers 
mois, à 3 milliards de marks. A Tapproche de la 
levée du blocus, les importations redoublèrent 
d'intensité. Des stocks considérables s'accumulè- 
rent en pays rhénans, pour passer de là sur la rive 
droite, dès que la porte serait ouverte. Cette inva- 
sion de l'Allemagne par des marchandises alliées 
devait avoir pour conséquence un avilissement du 
mark. A mesure que le mark baissait, les Alliés 
achetaient en AUema^e des marchandises, des 
immeubles, des industries, et ce mouvement in- 
quiétait les Allemands, qui redoutaient de voir une 
partie de leurs biens et de leurs moyens de pro- 
duction tomber entre des mains étrangères. 

Le gouvernement allemand s'efforça de lutter 
contre cet état de choses par diverses mesures. Il 
essaya d'abord de contrôler les importations en 
pays rhénans, en interdisant l'importation libre de 
toutes marchandises {16 janvier 1919). Nous avons 
vu que le Haut Commandement s'y était opposé* 
Puis, il essaya de faire payer les droits de douane 
en or sur toutes ses frontières (21 juillet), mais 
l'application de cette mesure, dans les territoires 
occupés, fut déclarée inadmissible par le Contrôle 
interallié. L'Allemagne songea encore à augmenter 
les prix de vente pour Fétranger, Des instructions 
secrètes furent données à des industriels et à des 
commerçants pour imposer des surprix Bu,^ étran- 
gers. Mais ce n'était là qu une mesure transitoire, 
que les ouvriers n'auraient supportée qu'à la con- 
dition d'obtenir une augmentation des salaires cor- 



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LA RHÉNANIE ÉCONOMIQUE 349 

respondante. D'autre part, le prix de la vie aurait 
continué à monter et le mark à s'avilir. 

L'Allemagne voulut enfin appliquer, en pays de 
rive droite, les lois prohibitives édictées en temps 
de guerre contre les importations. Les marchan- 
dises étrangères, pour pénétrer en territoire non 
occupé, devraient être munies d'une licence d'im- 
portation demandée à Berlin à un organisme cen- 
tral. D'autre part, les produits étrangers, qui avaient 
déjà payé les droits de douane en territoire occupé, 
seraient frappés d'une surtaxe représentant la dif- 
férence entre les droits de douane en marks or et 
en marks papier. Mais cette mesure était d'une 
application difficile. L'Allemagne aurait bien voulu 
établir un cordon douanier entre la rive gauche et 
la rive droite, pour rendre les gouvernements alliés 
re^onsables de cette mesure, mais elle craignit que 
les Rhénans n'élevassent des protestations. Au lieu 
de construire, au travers du « trou de l'Ouest », la 
digue solide au'il aurait fallu élever, mais qui aurait 
pu favoriser les tendances séparatistes des régions 
occupées, elle se contenta d'interposer une espèce de 
barrière à claire voie, par les interstices de laquelle 
lès mercantis continuèrent à faire du commerce. 

Dès la mise en vigueur du Traité de paix, T Alle- 
magne, laissée libre d'appliquer sa législation en 
territoire occupé, pourvu que l'entretien, la sécurité 
et les besoins des troupes n'en souffrissent pas, 
songea à imposer des mesures restrictives à l'im- 
portation et à l'exportation, entre la France, la Bel- 
gique et la Rhénanie ; mais, d'après l'ordonnance 
n® 1, la Haute Commission devait donner au préala- 
ble son visa ; elle eut donc à examiner si les lois du 
27 novembre 1919, prohibant l'exportation des pro- 
duits déclarés indispensables à la vie, du 20 décem- 
bre 1919, soumettant l'exportation de presque tous 



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SSd LE EB1N KT LA FEAf^CK 

les produits allemands à robtention d^une licence^à 
la condition que les prix du marché intérieur fussent 
maiorés pour rexportaiion, et du 10 janvier 1917, 
^tabli'^sânt une prohibition presque complète des 
importations et les soumettant à des demandes de 
licence délivrées par des bureaux créés à cet effets 
pussent entrer en œuvre. Rien ne s'y opposait \ les 
troupes d'occupation elles-mêmes ne pouvaient 
souE&ir de telles mesures; T application de ces lois 
fut donc autorisée, les 6 et 27 mars. 

Le gouvernement allemand alla plus loin* Il 
voyait d'un très mauvais œil Timportance que pre- 
nait peu à peu, p^âce aux avantages du cbang^^ le 
commerce allié, et principalement le commerce fran- 
çais en Rhénanie, Les habitants en bénéficiaient, 
mais les industriels et les commerçants de la rive 
droite se plaignaient amèrement de la concurrence. 
De pins, la Prusse redoutait Tinfluence que la France 
pouvait acquérir en Rhénanie, grâce au développe- 
ment de ses relations commerciales. Ainsi fut édic- 
tée, le 2i mars 1920, une ordonnance plus particu- 
lièrement dirigée contre le commerce rhénan. Cette 
loi poursuit d'une façon très rigoureuse les mar- 
chandises importées, en Allemagne, sans licence, 
et les soumet à des formalités de déclaration oa de 
demandes de licences rétroactives. Aucune garan^ 
tie n'était donnée que les licences seraient accor- 
dées, La Haute Commission ne put interdire cette 
réglementation, qui ne portait pas atteinte, pas 

Elus que les précédentes, à la sécurité du aux 
esoins de l'armée occupante. 
Mais le préjudice causé an commerce français, qui 
ne pouvait plus s'etîectuer librement avec la Rhé- 
nanîe,et au commerce rhénan lui-même, qui ne pou- 
vait plus avoir de relations avec la France, était 
considérable* Le Haut Commisiariat résolut de s'op- 



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LA RHÉNANIE ÉCONOMIQUE 381 

poseiT) dans une certaine mesiure^ à cette législation. 
Dès le dépôt, vers le 15 janvier^ de la loi du il no- 
vembre, il défendit ce point de vue, que la mise en 
vigueur trop brusque des lois économiques alle- 
mandes créerait, en territoires occupés, un état de 
malaise et de mécontentement qui pourrait entrainer 
des troid>leB et porter atteinte à la sécurité des ar- 
mées. Mêmes protestations de sa part également 
(2 mars), devant la Haute Commission, contre Tap- 
plication de la loi du iO décembre. 

Restait Tordonnance du it mars, si préjudicia^ 
ble à nos intérêts et aux intérêts rhénans, qui dres- 
sait entre les deux pays une barrière absolue. Le 
Haut Commissariat, s'appuyant sur Tordonnance 
n** 2 de la Haute Comitiission^ proposa qtie la pro- 
tection s'étendit, non plus seulement à la période 
d^armistiûê^ mais à celle (jtii va de la mise en vigueur 
du Traité de paix à rapplication,en territoires occu- 
pés, des lois économiques allemandes. 

Le Haut Commissariat ne borna pas là ses efforts 
et saisit de la question le Ministère des Affaires 
étrangères, car de telles mesures étaient contraires 
aux prescriptionsdes articles 264 à 267 du Traité de 
Versailles. La Haute Commission n'avait aucune 
possibilité de faire respecter le Traité, manifeste^ 
ment violé en la circonstance, puisqu'il ne s'agis-^ 
sait pas de mesures intéressant « la sécurité, l'entre- 
tien ou les besoins des armées ». Le gouvernement 
français engagea alors, à la suite des protestations 
du Haut Commissariat, des négociations qui abou- 
tirent à la rédaction d'une note envoyée, le 22 juin, 
à l'Allemagne par le Conseil suprême, qui lui de- 
mandait de mettre sa réglementation d'accord avec 
le Traité de paix. Avec son système de licences, 
elle pouvait favoriser, à son gré> telle ou telle 
puissance, tel ou tel ressortissant qui lui plairait^ 



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352 LE RH1^ ET Lk FRANCE 

ce qui serait contraire à T article 276. L'Allemagne, 
bien entendu, repoussa ces considérations et main- 
tint sa manière de voir. 

Sur les instances du Haut Commissariat français 
auprès du Reichskommissar pour les territoires oc- 
cupés, un bureau fut installé à Cologne, sous Ja 
direction du D^ Maurer, et spécialement chargé de 
délivrer des licences d'importation et d'exportation 
dans le sens le plus large ; mais cette mesure ne 
fut que transitoire, A la fin, le gouvernement alle- 
mand appliqua strictement son point de vue^ et 
Berlin fut chargé seul d'étudier la solution de 
toutes les questions. 

Sous ce régime, toutes les exportations furent 
soumises k 1 octroi de licences délivrées par les 
bureaux du commerce extérieur, sorte de syndicat 
des fabricants de produits correspondant à ceux 
qui étaient demandés. Mais comment faire péné- 
trer en Rhénanie les produits français, comment 
en extraire les objets manufacturés, les outils et 
machines qui nous étaient nécessaires? Les com- 
merçants français pouvaient y renoncer, mais qu'ad- 
viendrait-il de ceux qui étaient déjà installés en 
Rhénanie, qui avaient engagé des dépenses, qui 
avaient passé des contrats importants ? Ils étaient 
obligés, pour faire face à leurs affaires, de quitter 
le pays, et Mayence,par exemple, perdait sa clien- 
tèle de commerçants français. 

Que cette politique de protectionnisme à outrance, 
à laquelle iious ripostâmes par le décret du 23 avril 
1920, limitant les importations de Rhénanie en 
France, heureusement abrogé le 29 juillet, et prati- 
quant une vraie guerre de tarifs, ait nui à T AUepia- 
gne,la chose n'est pas niable. Avec cette politique, 
elle avait diminué l'importance de son commerce, 
elle avait paralysé le développement économique 



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LA RHÉNANIE ÉCONOMIQUE 353 

de la Rhénanie et fait monter les prix. Mais en re- 
vanche, elle avait maintenu dans ces pays sa domi- 
nation ; c'était précisément le but qu'elle cherchait. 



IV 

Les relations économiques de la France 
avec la Rhénanie. 



Cette attitude est contraire aux stipulations du 
Traité de Versailles. Elle est contraire également 
aux véritables intérêts des Rhénans, qui désirent 
commercer avec la France. Assurer ce libre com- 
merce, faciliter les importations en Rhénanie et 
recevoir certains de ses produits qui nous sont né- 
cessaires, c'est développer des relations sur le ter- 
rain le plus pacifique, le terrain des affairés. En 
renforçant ces relations économiques avec les Rhé- 
nans, nous entrons dans une ère de bonne entente, 
nous accentuons un mouvement de sympathie dont 
, nous avons noté maintes fois les traces. Une bar- 
rière douanière, imposée par la Prusse, est faite pour 
supprimer tout contact entre la Rhénanie et la 
France et séparer plus complètement ces deux pays; 
elle est, d'autre part, un non sens économique, 
comme nous allons le voir. 

Nous avons indiqué quelles étaient les richesses 
économiques et agricoles de la Rhénanie. Le but 
de la politique française doit être de les accroître, 
de les protéger et même de les utiliser, eff se ser- 
vant de toutes les modalités douanières nécessaires. 
Prenons d'abord la question la plus importante 
pour la situation économique de la Rhénanie, celle 

23 



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s 54 LE RUIN ET LA FEAHCE 

de la métallurgie et du charbon. Ils constituent aa 
principale richesse ; ils ont assuré à l^AUemagne 
sa supériorité militaire au début de la guerre. C'est 
le charbon qui fait vivre Tindustrie, et Tindustrie 
du fer est un facteur essentiel de la défense natio- 
nale. Nous avons vu quelle était la richesse de la 
Rhénanie, doublée de la Westphalie, en houille et 
en produits métallurgiques. Mais plus les industries 
métallurgiques de la Westphalie se développaient, 
grâce à une extraction de houille sans cesse accrue, 
plus il était nécessaire pour elles d'avoir du mine- 
rai en quantité plus grande. Krupp avait eu beau 
rapprocher du Rhin ses aciéries Thomas, ses hauts- 
fou ruaux^ ses laminoirs, à Rheinhausen, afin de 
recevoir, par voie d'eau, les miserais de Suède et 
d'Espagne, et Thyssen, ses principaux établisse- 
ments \les arrivées de minerai de Tétranger étaient 
insuffisantes, et le canal Dortmund-Essen était de 
dimensions trop petites. Il Jui fallait le minerai qui 
se trouvait en Lorraine en quantités aboqdantes. 
Précisément la Lorraine ea possédait une bonne 
p^rt, depuis Tannexion de 1871, qui lui donnait 
le minerai, tandis que le rapt de 1815 lui fournis- 
sait les immenses charbonnages de la Sarre. 
• L'Allemagne eut de vives craintes pour la supé- 
riorité de l'industrie westphalienne, le jour où elle 
vit mettre en valeur le riche bassia de Briey,dont 
le minerai avait une teneur ferrugineuse de 6 */. 
supérieure au minerai de la Lorraine annexée ; la 
concurrence devenait alors singulièrement inquié- 
tante. Il en serait fatalement ainsi, si les industries^ 
qui allaient se créer autour de Briey, pouvaient 
utiliser le charbon de la Sarre, très rapproché 

1. Il y avait aussi Tusine Roder Erder, de la Gelsetikirchener 
Berge werks A. G., près d'Aix-la-Chapelle, et la Société Esch- 
weiler Bergwerksverein abt. Ëschweiller à Cologne. 



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lA khénaMe économique 355 

d'elles. La métallurgie westphalienne ne rempor- 
terait plus alors par son prix de revient très bas, 
prix d autant plus abaissé que celui du coke, et 
surtout celui de la fonte, l'était davantage. Non 
seulement elle serait tributaire de la Lorraine pour 
son minerai, qu'il fallait aller chercher à longue 
distanoe, mais dans ce lieu même de la production 
elle subirait uqe grosse concurrence pour l'utilisa- 
tion de cette production. Les régions du Sud-Ouest, 
dotées à la fois de minerai et de charbon, auraient 
la prépondérance, ou alors la métallurgie allemande 
devrait se concentrer sur cette frontière, ce qui 
serait un gros danger au point de vue militaire. 
M. Engerand, dans ses remarquables études^, a 
fait ressortir, avec ime précision saisissante, quelle 
politique ayait adoptée TAllemagne pour empêcher 
que la Lorraine et la région du Sud-Ouest n'utili- 
sassent le charbon de la Sarre, pour l'obliger à le 
prendre en Westphalie, et pour concentrer, sur la 
rive droite, derrière le Rhin, toute sa force métallur- 
gique. Le fisc prussien détenait presque complète- 
ment ces charbonnages ; il limita le plus possible 
l'extraction et surtout la fabrication du coKe, et il 
organisa toute une campagne pour affirmer — et 
cela fut cru comme un dogme — que le 'cbarton 
de la Sarre ne pourrait pas produire de coke mé- 
tallurgique*. La métallurgie du Sud-Ouest dut se 
fournir de coke w^stphalien ; du reste, les métallur- 



1. Le fer sur une frontière, op. eit.^ p 77, et voir également 
l'Allemagne et le fer, les frontières lorraine et la force alle- 
mandet 1 vol. Paris, Perrin, 1916. 

« 11 est curieux, dit M. Engerand, que les usines, qui ache- 
taient leur coke aux mines fiscales de la Sarre, en recevaient 
un très mauvais, alors que celles de ses usines qui achetaient 
A ces mêmes mines les mêmes charbons à coke et qui faisaient 
elles-mêmes leur coke, en avaient un fort acceptable. » 

8. Engerand, ibid. 



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Goagte- 



336 LE BHIBi KT LÀ FRANGE 

gfistes de l'Est vendaient leurs minerais très cher à 
leurs confrères westphaliens, et, pour conserver 
leur clientèle, s^approvisionnaient en Westphalie 
de coke, au lieu de le prendre dans la Sarr« et 
dans les houillères du Nord de la France, Quoi 
qu'il en soit, par Télévation des frais de transport, 
ce coke revenant plus cher aux industriels lorrains, 
la Rhénanie garderait sa suprématie. 

Pour que ces frais de transport, funestes aux 
industries lorraines, restassent élevés, il fallait que 
la Westphalie ne fut pas reliée à la région deTOuest 
par la voie la moins coûteuse, c est- à-dire, la voie 
d'eau. Ici, autre politique de T Allemagne, Deux 
voies fluviales traversent le bassin minier : la Mo- 
selle, qui se jette dans le Rhin, à Coblence ^ et la 
Sarre, qui se jette dans la Moselle en amont de 
Trêves, On pouvait canaliser ces rivières et les re- 
lier au Luxembourg par le canal projeté de h 
Chiers. Le Rhin, et par coaséqoent le bassin -west- 
phalien, pouvait ainsi s^ouvrir aux métallurgies du 
Sud-Ouest, et le prix dn coke s'abaisserait d'autant. 
Cette canalisation de la Moselle avait été décidée, 
en 1867, et en partie réalisée par Napoléon 11 1, 
puisque des travaux avaient été exécutés entre 
Frouard et Pagny, et commencés jusqu'à Metz. 
Après 1887, les maîtres de forges de la Ruhr, de 
Dortmund, de Dûsseldorf, de Thionville, réclamè- 
rent l'exécution de la canalisation de la Moselle, 
mais les mines fiscales prussiennes de la Sarre, les 
forges d'Aix-la-Chapelle, de la Lahn et de la Dill, 
s'y opposèrent. Du reste, le ministre des Travaux 
publics combattit nettement le projet des métal- 
lurgistes du Sud-Ouest, qui rendrait la concurrence 
si difficile à l'industrie rhéno-vvestphalienne, qu'elle 
serait obligée de se transporter dans leur région, 
à proximité des gisements de minerais de fer. 



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LA RHÉNANIE ÉCONOMIQUE 357 

Pour la même raison, si les métallurgistes de 
cette contrée trouvaient le coke qui leur était né- 
cessaire à proximité d'eux, c'est-à-dire dans la 
Sarre, ils ne dépendraient plus de la Westphalie, 
qui perdrait sa situation prépondérante. Malgré 
ces combinaisons politiques, la nature avait été la 
plus forte et, à la veille de la guerre, on comp- 
tait, en Lorraine et dans la Sarre, une grande accu- 
mulation de hauts -fourneaux, soit 85, et 4S en 
Luxembourg^ produisant 8 millions de tonnes de 
fonte. Ainsi, sur 359 hauts-fourneaux, T Allemagne 
en avait 165 sur ses frontières de TOuest et de 
l'Est *, à proximité de la France, qui, à la décla- 
ration de guerre, aurait pu s'en emparer si elle 
avait été agressive, et paralyser Teffort militaire 
de son ennemie. 

Si la France aujourd'hui veut favoriser Tessor 
de la Rhénanie, il lui est facile d'abord de mettre 
en valeur les charbonnages de la Sarre, d'intensi- 
fier leur production et de les rendre aptes k pro- 
duire du coke métallurgique " ; c'est déjà un moyen 
pour les métallurgistes rhénans de "ne plus dépen- 
dre en majeure partie de fa Ruhr pour leur ravi- 
taillement en coke. C'est même essentiel aux usines 
françaises de Lorraine, qui reçoivent actuellement 
de Westphalie 6.700.000 tonnes de coke, soit 
25,77 Vo de leur production, alors qu^elles n'y 



1. Fernand Eng^rand, op. cit., p. 211. 

2. Certains maîtres de forges lorrains ne croieiît pas pouvoir 
se contenter des houilles de la Sarre pour la fabncation du 
coke, et cependant d'après une communication à T Académie 
des Sciences (4 juin 1917), MM. Charpy et Godchot ont nionlré 
qu'un traitement approprié pouvait permettre d'ulilîspr à peu 
près tous les charbons pour la production du coke nécessaire 
à la métallurgie (V. Travaux du Comité d'Etudes, t. 1, L\il~ 
sace-Lorraine et la frontière du Nord-Est. Imprimerie natio- 
nale, 1918, p. 213). 



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3lt8 LE KïïIN ET LA FHÂNCE 

exportent que 3.910*000 tonnes de minerai, soiE 
9, Si Va de leur production. 

D'un autre côté, la double canalisation de la Mo- 
selle et de la Sarre permettra aux métal] urgies 

rhénanes de devenir indépendantes de la Westpha- 
liep Les prix de transport du coke et les prix de 
transport du minerai teudront à devenir les mêmes, 
et la supériorité des aciéries iDstallées à proximité 
des mines de fer se trouvera accrue^ En effets il y 
a plus d'avantage h transporter le charbon que le 
minerai, le rapport entre le point de coke et celui 
de la minette^ qui entre daus la composition du lit 
de fusion, étant de 1 à 3 ; la mis^ au mille de 
coke varie de 1.000 à 1,300 kilos pour les hauts- 
fourneaux de Lorraine, et celle de la Lorraine 
d'environ 3.000 kilos. Le coke étant très fragile 
est expédié par voie ferrée et coûte, d'Essen à 
Herang, tl5 marks; une tonne de minerai expédiée 
par voie d'eau revient à 75 marks, 11 J a donc 
avantage des deux côtés, soit à canaliser la Mo- 
selle et la Sarre, ce qui supprime presque les trans- 
bordements et permet le transport du coke par voie 
d*eau, diminuant ainsi son prix de revient, soit k 
accroître la production des mines de la Sarre, ce 
qui facilite la concentration, en pays rhénan, de la 
métallurgie westphalienne. Elle est nécessairement 
attirée sur la rive gauche du Rhin, dans la région 
lorraine et sarroise, qui détient le minerai et le 
charbon. La résistance de la Prusse à une concen- 
tration de sa métallurgie en rive gauche se trou- 
vera brisée. 

Du reste, notre production sidérurgique en Lor* 
raine et dans la Sarre se trouvera considérablement 
accrue, puisque nous pourrons tirer de la rive gau- 
che du Rhin un supplément de houille à coke se 
montant à 6 millions de tonnes et pouvant atieln- 



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LA RHÉNANIE ÉCONOMIQUE 359 

dre 30 millions, quand Texploltation des gisements 
houillers aura été intensifiée ; il y aura nécessité 
d'exporter et ce sera un bénéfice pour toute cette 
région. Les nouvelles voies d'eau deviendront alors 
plus nécessaires encore pour gagner, à prix réduit, 
des débouchés vers la mer. 11 ne faut donc plus 
reculer devant la canalisation de la Moselle et de 
la Sarre, qui profitera essentiellement à la Rhéna- 
nie. Voilà un des premiers objets de son rappro- 
chement économique avec la France, qui facilitera 
les échanges entre la Westphalie et la Lorraine et 
permettra Texploitation des fers lorrains. 

La Rhénanie devra nous fournir les produits dont 
nous manquons, et l'avantage peut être énorme, — 
il ne faut pas craindre de le dire, même si des in- 
térêts particuliers doivent en souffrir, — pour la 
reconstitution des pays dévastés. Voici le bois 
d'abord, que la Rhénanie possède en grandes 
quantités. Dans TEifel, dans les contrées entre la 
Moselle et Birkenfeld, dans le Palatinat, les pro- 
duits de ses forêts immenses, riches en essences à 
bon marché, comme le sapin, le peuplier, serviront 
à la réédification des maisons détruites dans les 
pays ravagés de France et de Belgique. 

La région rhénane a encore une importance ex- 
ceptionnelle pour la fabrication des briques de 
sihce extra-refractaîre, indispensables actuellement 
dans les régions détruites; voilà un important dé- 
bouché. Il en est ainsi pour le ciment, pour le man- 
ganèse. 

En outre, pour les produits chimiques que la 
Rhénanie fabrique abondamment, un important 
courant d'affaires pourrait s'établir avec la France, 
à la condition que la concurrence ne soit pas trop 
forte pour notre pays, qui développe énormément 



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360 LE BHITi ET LA FRAÎ^CE 

rindustrie des matières colorantes. Une entente 
esL mémo Kouhîàliihle, dans rinlérêt de la Rhéiia- 
nie, qui pourrait voir prochainement, sur bien des 
marchés, ses produits remplacés par ceux que nous 
fabriquons actuellement en graudes quantités. 

Enlin, le Palatinatj qui est grand producteur de 
tabac, peut en exporter beaucoup en France, puis- 
que nous sommes obligés d'en importer une quan- 
tité considérable pour notre consommation, La cul- 
turc du tabac est surtout florissante dans les 
basses régions avoisinant Gemersheim, Laudan, qui 
est le centre du commerce du tabac^ ainsi que 
Lud^vigshafen, On cultive, dans le Palatinat et 
dans la région de Hanau, — nos ingénieurs 1 ont 
récemment indiqué dans une importante enquête 
qu'ils ont faite dans cette région — les meilleurs 
tabacs américains, tels que le Maryland et le Vir- 
ginie, La France est, ici^ un débouché aussi utile 
que la rive droite du Rhin, 

Sur d'autres points, la Rhénanie a besoin de nos 
produits. Elle fera appel à nous pour les phospha- 
tes, les denrées coloniales, les objets de luxe, etc,-. 
Les échanges commerciaux se développeront né- 
cessairement avec la France, et l'établissement 
d'une barrière douanière sur le Rhin ne pourrait 
que les faciliter davantage. 

Prenons d'abord les phosphates. La France est, 
grâce à l'Algérie, à la Tunisie, au Maroc, un des 
premiers producteurs du monde etj à Theure ac- 
tuelle, non seulement la Rhénanie, mais même 
toute l'AilemagoejOnt besoin d'engrais phosphatés, 
puisque, le Reich a perdu, avec rAlsace-Lorraine,^ 
un grand nombre de ses usines métallurgiques 
productrices, avec ses sous-produits, de scories de 
déphûsphoration. 



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LA RHÉNANIE ÉCONOMIQUE 361 

La restitution de TAlsace à la France permettra 
aussi le développement des puits de potasse que 
possède cette province et dont l'essor avait été 
systématiquement entravé par Berlin, afin de favo- 
riser l'exploitation de Stassfurt. La navigation rhé- 
nane facilitera le transport de ce produit, entre 
r Alsace et les pays de la rive gauche. 

La Rhénanie utilisera, comme nous Tavons vu, 
les minerais de fer de la Lorraine. L'Allemagne les 
remplace bien par les minerais de Suède et d'Es- 
pagne, mais ceux-ci, ayant une forte teneur en fer, 
sont plus difficilement fusibles. 

11 faudra encore à la Rhénanie du cobalt, du 
chrome, du nickel, en provenance de la Nouvelle- 
Calédonie, des ferro-alliages fabriqués grâce à dé 
nouveaux procédés électriques dans les Alpes-Ma- 
ritimes et très employés dans rindustrie automo- 
bile, du ferro-manganèse. Elle recevra encore du 
riz, du cacao, du chocolat, des amandes du Maroc^ 
des huiles coloniales, des huiles de palme et d'ara- 
chides, des graisses nécessaires aux margarineries 
du Nord et qui lui ont tant fait défaut pendant la 
guerre. 

Elle importera des objets de luxe, et, quoi qu'en 
disent certains organes allemands, ce sont les modes 
de Paris qui sont les plus prisées sur les bords du 
Rhin, et raris l'emportera toujours à cet égard sur 
Cologne, Coblence, voire même sur Berlin. Les 
femmes élégantes en pays rhénans recherchent, 
pour leurs parures, le bon goût de Paris. 

Les cognacs, les vins fins, les champagnes se 
vendent à profusion, également sur la rive gauche, 
et, si la barrière douanière disparaissait à la fron- 
tière politique, les eaux-de-vie des Charcutes, les 
champagnes de Reims et d'Epernay seraient ven- 
dus à un prix raisonnable en Rhénanie ; ils Tem- 



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302 LE RHIN ET Lk FRAKCS 

I portent incontestablement sur le Sect et sur les 

» eaux-de-vie fabriquées, ausquelf* les Rhénans les 

préfèrent. 11 est certain que la Rhénanie, étant pro- 
ductrice de vinSj trouvera en France des concur- 
rents génantSj et les intérêts de la région viticole 
rhénane en seront compromis. Avec une li^ne de 
douanes sur le Rhin, il faudrait permettre Tenvoi 

f>resque en franchise sur la rive droite des vins de 
a Moselle et du Rhin. 

Il y a encore des produits qui manquent aux 

pays de la rive gauche du Rhin. Comme nous 

^ l'avons montré, ces pays ne peuvent vivre par 

^ eux-mêmes ; ils doivent importer certaines denrées 

indispensables. Le Nord de l'Allemagne leur four- 

I nit des pommes de terre, du blé, des bestiaux, des 

Ç betteraves. Cette importation sera autorisée. Elle 

4 est d'autant plus nécessaire que présentement 

notre production agricole est déficitaire. On peut 

même se demander jusqu'à quel point nous pour- 

f rons, dans Tavenir^ envoyer en Rhénanie du blé 

et des bestiaux, puisque, même avant la guerre, 

nous en recevions de 1 étranger» 

Même attitude à adopter en ce qui concerne Tin- 

• dustrie textile de la région de Crefeld- Si Crefeld 

était séparée de TAllemagne par une barrière trop 

protectionniste, sa fabrique serait menacée de 

1^ ruine; il faudra, à cet égard, envisager un régime 

spécial. En revanche, après son incorporation dans 

le régime douanier français, elle exporterait plus 

3^ aisément en Angleterre et en Amérique. 

En ce qui concerne la France, la concurrence 

n'est pas à craindre. Avant la guerre, la soierie et 

K la laine françaises la supportaient très aisément. 

Des ententes individuelles ou collectives existaient 

. entre les textiles français de Roubaix et de Lyon 

' et les textiles de Crefeld, La rubannerie de Saint* 

>( 

I 

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LA RHÉNANIE ÉCONOMIQUE v 363 

Etienne était peut-être menacée, mais c'était une 
simple question de prix. Actuellement, on redoute 
plus la concurrence de Bâle que celle de Grefeld, 
Paris pourrait même, avec les soieries de Grefeld, 
développer son industrie de la cravate, qui est 
aujourd'hui, presque tout entière, entre les mains 
de ntalie. 

En ce qui concerne l'industrie lainière, F Alle- 
magne était tribi^aire de la France, notamment 
de Roubaix, pour les matières premières, et quant 
à -la fabrication, les tissages, français, sauf Sedan, 
ne redoutaient pas la concurrence allemande pour 
les draps. D^autre part, le centre textile continuera 
d'alimenter de fil et de coton les tissages des pays 
rhénans, qui en ont besoin. Comme ces pays pos- 
sèdent de nombreux ateliers de construction, la 
France n'aurait plus besoin d'avoir recours à 
Tétranger. 

Enfin, il y aura avantage, au point de vue de la 
consommation du coton, de faire entrer la Rhéna- 
nie dans le svstème douanier de la France, car le 
retour de TAlsace, dont la capacité industrielle est 
plus grande que la capaèité de consommation, pro- 
voquera une surproduction de textiles, il n'y a que 
l'Angleterre qui verra peut-être d'un mauvais œil 
la fusion des industries française et rhénane, qui de- 
viendraient de redoutables concurrentes K 

11 y a encore l'importante question du sucre. 
Certaines entreprises produisent du sucre brut en 
Rhénanie, comme, par exemple, la Société rhénane, 
à Dormagen,près de Cologne, et le font raffiner sur 
la rive droite, à Alten, près Dessau. Une faut pas 
évidemment frapper ce sucre brut à son entrée en 
Allemagne, ce qui augmenterait le prix du sucre 

1. Travaux du Comité d'Etudes^ op. cit,,p, 224. 



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364 LE RHTN ET LA PRAKCË) 

raffiné à son retour de la Thuringe. Du reste, la 
Rhénanie ne fabrique pas assex de sucre p*5ur sa 
consommation, et en recevra sans doute de France, 
une fois que la reconstitution de notre industrie su- 
crière sera terminée. 



Uamélioration des voies de transport, 

La nouvelle situation économique, faite à la Rhé- 
Banie par son incorporation dans le régime doua- 
nier français, obligerait à une amélioration des 
voies de transport pour faciliter le développement 
de son industrie et de son commerce. Ce n'est pas 
vrai seulement pour le minerai et la houille, mais 
pour tous les produits que nous avons énumérés. 
Il faudra accroître d'abord le rendement de nos 
voies ferrées j en créer d'autres, s'il y a lieu, entre 
la France et les pays rhénans, notamment par une 
nouvelle percée des Vosges, L*Alsace n'est reliée à 
la frontière que par deux lignes : Nancy-Stras- 
bourg et Belfort-Mulhouse, Il faudrait construire 
deux grandes voies à large trafic pour les trains 
internationaux^ au Nord et au Sud de la chaîne des 
Vosges, et une ligne médiane aboutissant à Colmar^ 
ouvrant au commerce français et aux importations 
d'Outre- Manche Taccès de l'Alsace et des pays rhé- 
nans. On a voté récemment (L. du 48 mars 193(1) 
la création d'un chemin de fer à double voie reliant 
la ligne de Remiremont à Bussang, à la ligne de 
Krûth à Mulhouse, par une jonction partant de 
Saint-Maurice; il desservirait la région de la Haute- 
Alsace, dont le centre est Mulhouse. Une ligne à 



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LA RHÉNANIE ÉCONOMIQUE 365 

voie unique, de Saint-Dié au col de Saales, join- 
drait Lunéville à Epinal et Molsheim à Saales. 
D'autre part, des lignes ferrées devraient relier au 
Rhin les ports maritimes, les rivières, les canaux. 
Elles suffiraient ainsi à toutes les exigences com- 
merciales. 

La Prusse a, par un système de canaux, large- 
ment conçu, scellé son union avec lé Rhin. Il faut 
désormais que TAlsace et la France puissent avoir 
des débouchés par canaux sur les ports rhénans, 
car la voie fluviale est la moins coûteuse pour le 
transport des denrées lourdes. 

On projette l'amélioration du cours du Rhin, en 
amont de Strasbourg, où le fleuve est un torrent 
alpin, se divisant en bras de faible profondeur. Les 
uns demandent la construction d'un canal latéral 
de 120 kilomètres de long, allant de Huningue à 
Strasbourg, d'autres, comme les Suisses, préfèrent 
régulariser le cours du fleuve. 

On étudie un projet permettant de relier la mer 
du Nord à la Méditerranée, par la création d'une 
voie navigable unissant le canal de Bàle à Stras- 
bourg, à la Saône et au Rhône, ce qui amènerait le 
charbon de la Ruhr dans les centres franc-comtois 
et dans le sud-est. On a déjà exécuté les travaux 
permettant de tourner les rapides en amont de Bâle 
et facilitant la navigation jusqu'à Constance. Il 
faudrait encore transformer le canal de Bourgogne 
et assurer la liaison du Rhin et du Rhône à TOrne 
et à la Seine, améliorer l'outillage des voies exis- 
tantes, en particulier électrifier le canal de la Marne 
au Rhin et le canal latéral de la Marne. 

Enfin, il y a les grands projets de canal de la 
Moselle à la Meuse, par la vallée de l'Orne et de 
la Chiers, le canal d'Anvers au Rhin pour lequel 
plusieurs tracés sont proposés, le canal Rhin-Da- 



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366 LE BHIFC ET LA FRANGE 

nube par le Main, le canal du Rhio h TElbe, Toutes 
ces amélioratioQâ de communicatioiis avec le Rhin, 
la nouvelle compositiDji de la Commission de na- 
vigation les facilitera en raUant du Rhin ce qu'il 
n'aurait jamais du cesser d'être, un fleuve interna- 
tional, puisqu'il traverse plusieurs Etats et sert au 
conimerce européen. Jusqu'ici seul le pavillon prus- 
sien dominait en aval de Mayence ; c'est à peine si 
le pavillon alsacien-lorrain existait même à Stras- 
bourg, où le plus grand nombre des bateaux était 
badois. La France, du reste, pourra développer son 
tonnage sur le Rhin, puisqu'elle doit recevoir, en 
chalands, 254.150 tonnes et en remorqueurs, 23.760 
chevaux-vapeur, en vertudu Traité de paix ^A Stras- 
bourg, elle prendra une place prépondérante sur le 
Rhin ; Strasbourg deviendra le grand entrepôt char- 
bonnier du Haut-Rhin. La Belgique, représentée 
maintenant à la Commission, jouera un rôle impor- 
tant dans la navigation, ainsi que les Etats Scandi- 
naves et TAngleterre, par l'intermédiaire d'Anvers 
et de Rotterdam. Les Rhénans ne pourront que 
profiter de ces relations commerciales plus intenses 
que jadis, La Prusse ne jouira plus d un véritable 
monopole sur le Rhin. 



VI 

La frontière douanière de l'accord 
de Londres et les sanctions économiques. 

Un examçn attentif des relations commerciales 
qui s'établiraient entre la Rhénanie et la France, 

1. Un tiers de ces livraisons doit être effectué sous la forme 
de cession et 76 Vo des actions de la Rheinschiffahri Aektion 
QesellschMft, 



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LÀ RHÉNANIE; ÉCONOMIQUE 367 

par Tapplication d'un nouveau régime douanier, 
nous a montré les avantages qui en résulteraient 
pour les deux pays, mais ce régime . entraînerait 
nécessairement plusieurs dérogations. U ne fau- 
drait pas reculer, en effet, s'il était nécessaire, de- 
vant rétablissement de « régimes spéciaux » pour 
certains produits déterminés, car beaucoup de ma- 
tières premières employées dans les industries rhé- 
nanes viennent de PAllemagne non occupée. 

A la Conférence, qui s'était réunie à Londres et 
avait abouti à Taccord du 7 mars, les Alliés, pour 
obliger TAllemagne à opérer les versements et les 
réparations divers qu'elle nous doit et dont elle ne 
s'est qu'en partie acquittée, avaient décidé d'établir, 
à titre de sanction, une ligne de postes douaniers 
sur le Rhin et aux limites des têtes de pont oc- 
cupées. Le tarif à percevoir sur cette ligne doua- 
nière, à rentrée et à la sortie, devait être fixé par 
la Haute Commission interalliée, d'accord avec les 
gouvernements de FEntente. 

L'article 270 du traité de Versailles vise aussi 
l'application possible d'un « régime douanier spé- 
cial » pour les importations et les exportations, 
mais dans le cas seulement^ précise cet article, où 
une telle mesure paraîtrait nécessaire pour sauve- 
garder les intérêts de la population rhénane. Par 
les décisions prises à Londres, nous sommes dans 
le domaine des sanctions, et c'est bien une sanc^ 
tion qu'applique Tordonnance n* 81 de la Haute 
Commission, rendue en vertu de Taccord de Lon- 
dres, qui prévoit le maintien de la ligne douanière 
et des tarifs à la frontière Ouest (art. 1®'), et, dans 
un article 2, établit sur le Rbin une nouvelle ligne 
de douanes à des points spécialement fixés. Ces 
sanctions économiques ont été abrogées, en signe 
d'apaisement, par le Conseil suprême, dan^ sa 



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368 LE BHIN ET LA FEA?1CE 

séance du 13 août, et par la Haute Commission 
dans son ordonnance n' 98 du ^9 septembre, à la 
condition que F Allé magne effectue les paiements 
imposes et cesse de refuser systématiquement les 
€ licences d'importation et d'exportation des pro- 
duits alliés à destination et en provenance des fir- 
mes établies dans les régions occupées, et souscrive 
à la constitution d'un organisme chargé de les accor- 
der », 

Jusqu^ici, la Rhénanie s'était trouvée, en effet, 
dans une situation exceptionnelle. La vie écono- 
mique a une tendance naturelle à se développer vers 
rOuest; la Prusse y avait mis artiHciellement obs- 
tacle. Quelles n'étaient pas, sous le régime du Zo//- 
verein^ les chicanes de la bureaucratie prussienne 
pour les importations et les exportations rhénanes? 
Nous avons indiqué que, depuis un an et demi, tout 
commerce avec l'étranger, et notamment avec la 
France, avait été éliminé. Or, aucun pays ne peut 
désormais vivre isolé, sous peine de voir le prix 
de la vie hausser considérablement. L'inftérêt de 
rindustrie rhénane est d'être englobée dans la 
sphère économique de l'Europe occidentale ; ce sera 
pour elle le début d*un essor plus grand. Plus de 
ce mercantilisme berlinois, qui régnait en maître 
en Rhénanie, et qui était favorisé par Toctroi discré- 
tionnaire des permis d'importation ou d'exporta- 
tion, suivant tels ou tels intérêts particuliers. Les 
paysans, avait-on pu écrire, étaient traités eux- 
mêmes, en pays rhénans, en véritables parias et 
supportaient, avec les ouvriers des villes, les char- 
ges de la vie chère. Pour la Prusse, les pays rhé- 
nans étaient une colonie d'exploitation, où Ton 
importait des hommes et d'où Ton retirait des ri- 
chesses. Ajoutez à cela les charges de Toccupation, 
qui pèsent en totalité sur les épaules des Rhénans. 



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LA RHÉNANIE ÉCONOMIQUE 369 

VoUà quel sort est fait au plus riche pays de TEm- 
pire ; celui des autres Etats est tout difTérent. Si, 
grâce à la Prusse, la Rhénanie a prospéré, elle paie 
en revanche le quart des contributions des Etats 
allemands, c'est la compensation des bienfaits que 
sa grande protectrice lui a distribués généreuse- 
ment. Elle est la vache à lait de TEmpire. La pros- 
périté économique qu'elle peut retirer de la France 
sera, au contraire, tout profit pour elle. 

11 y a lieu, en effet, de compenser les charges que 
supportent les Rhénans, par des avantages écono- 
miques qui leur profiteront et dont un nouveau 
régime douanier serait le point de départ. Les pays 
rhénans ne subiraient plus l'emprise économique 
de Berlin ; c'est déjà un premier pas. On peut, en 
effet, conformément à l'article 270, concevoir un 
système plus favorable à la Rhénanie, qui reporte- 
rait au Rhin la ligne de douanes existant actuelle- 
ment à la frontière politique, où ne seraient plus 
perçus aucuns droits, car la Rhénanie, fortement 
exportatrice, risque de voir son activité commer- 
ciale entravée par une double ligne de douanes telle 
qu'elle était fixée par Taccord de Londres. Il est à 
souhaiter qu'elle ait toutes les facilités de transac- 
tions que permet sa situation économique, l'état 
de son agriculture et de son industrie. 

Certes, la Rhénanie dépend de la rive droite pour 
certaines productions économiques et industrielles. 
Les pays rhénans forment un tout économique, et 
les villes touchant au Rhin sur la rive droite en 
sont le prolongement naturel. Les établissements 
qui fabriquent leurs produits dans le voisinage des 
mines, par exemple, ne peuvent guère être déta- 
chés d'elles, comme la firme Thyssen, dont les fontes 
et aciers sortent de Bruckhausen et Maiderich, et 
dont .les forges et ateliers sont à Dûsseldorf et 

24 



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370 liE RHIN ET LA FRANGE 

Mulheim ; Krupp, qui tire ses fontes et aciers 4e 
Rheinhausen et a le gros de ses établissements à 
Essen ; les établissements Phœnix, qui ont leurs 
hauts-fourneauXy aciéries et laminoirs au confluent 
de la Rhur et du Rhin et sont une filiale des éta- 
blissements de Dortmund-Horde ; les établisse- 
ments Haniel, de Dûsseldorf (locomotives, machines 
diverses, moteurs à gaz, hélices, métallurgie pour 
la marine), qui tirent leur fonte de la Société Grote- 
botTnung étaolie à Oberhausen (Rhur) ; les établis- 
sements Schiss, de Dûsseldorf (machines-outils), qui 
reçoivent leur fonte du Syndicat d'Essen ; ceux 
d'Èhrhardt, de Dûsseldorf (locomotives, machines 
agricoles, instruments divers), qui s'approvisionnent 
de fonte dans la Rhur ; la Société de Gelsenkirchen, 
qui reçoit les 3/5 de ses aciéries de Gelsenkirchen 
(centre de Ja Rhur) et le reste de la région d'Aix- 
la-Chapelle et de Duisbourg (aciéries Vulkanj ; la 
Heisen-und-Drahtindustrie de Dûsseldorf, qui tire 
ses matières premières de Gelsenkirchen ; les éta- 
blissements Mannesmann^ qui fabriquent, autour de 
Dûsseldorf, des tubes, tuyaux, conduites, et qui 
sont séparés des établissements de la maison mère 
de Reimscheid ; la Rheinische Stahl Werke (hauts- 
fourneaux et aciéries de Maiderich), qui fabrique 
des grosses machines à Beurath- Dûsseldorf, est 
située dans le territoire occupé, mais est tributaire 
de la Rhur pour le minerai et le charbon ; les gou- 
drons, provenant de la distillation des charbons de la 
Rhur, alimentent les grosses fabriques de matières 
colorantes du bassin du Rhin : Badische Aniline 
(Ludwigshafen), établisements Beyer (Severkussen- 
Cologne), établissements Lucius Meister (Hôchst), 
les papeteries de la région de Dûsseldorf, qui tirent 
leurs matières premières de l'autre côté de la bar- 
rière douanière. Il faut donc des accommodements, 



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LA RaÉNANIE ÉCONOMIQUE 37 i 

et le fonctionnement d'une barrière est très délicat, 
afin de ne pas ruiner Tindustrie allemande, dont 
nous ne devons pas entraver le développement, si 
nous voulons que l'Allemagne puisse faire face à 
ses obligations. Les permis d'importation et d'ei^- 
portation doivent être accordés dans la plus large 
mesure, et leur examen doit demander }e<minimum 
de temps. 

Nous avons vu quels intérêts unissent la Rhé- 
nanie" à la France et comment les relations entre 
les deux pays pourraient se développer. En théorie 
comme en pratique, rien ne s^oppose à \^ création 
d'une nouvelle frontière douanière. On a yu, dans 
rhistoire, la frontière économique d'un pays dif- 
férer de sa froptière terrestre, comme le Luxent- 
bourg, incorporé dans le Zollverein allemand §t 
pohtiquement indépendant de TAllemagne. Les 
zones franches de Savoie et du pays de Gex lais- 
saient ces pays en dehors du système douanier 
français. En 1871, l'Allemagne et la FrancQ con- 
clurent des accords spéciaux au sujet des indus- 
tries alsaciennes soustraites au régin^e économique 
allemand. D'autre part, en pratique, la solution 
proposée ne serait pas désastreuse pour les terri- 
toires occupés, et peu à peu, les intérêts matériels 
s'adapteraient à une situation économique nouvelle ; 
les industries d'Alsace et de Lorraine n'ont-elles 
pas su, en 1871, se créer d'autres marchés et con- 
server, sinon accroître, leur prospérité? 

La France devra faire tous ses efforts pour con- 
tribuer au développement industriel et commercial 
de la Rhénanie. Nos commerçants doivent venir 
dans ces pays et participer, de manière efficace, à 
leur vie économique, acquérir là, comme en Alle- 
magne, des intérêts dans les affaires, c'est le meil- 
leur moyen de contrôler l'emploi des richesses 



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372 



LE RHIN ET LA FBANCE 



gârmanlques ^ NosiDdustriels doivent profiter des 
progrès accomplis par les Allemands ponr mieux 
s'outiller ; au lieu de chercher uniquement à récu- 
pérer des machines prises pendant la guerre et d'un 
vieux modèle, ils doivent créer les spécialités qui 
leur manquent, absorber le maximum de comman- 
des, accroître, grâce à ce concours réciproque, le 
rendement de l'industrie française. Une Chambre de 
commerce française a été créée à Mayence ; elle a 
organisé une exposition permanente de produits 
français. Cet exemple doit être propagé et mérite 
d'être suivi avec profit. Désormais, la Rhénanie 
économique — ce sont des Rhénans qui le disent — 
devra se développer librement. L'industrie de ces 
riches contrées entrera en contact avec nos régions 
industrielles, c'est-à-dire avec la Lorraine, puis avec 
le Luxembourg et la Belgicpie. Elle a l'avenir de- 
vant elle. En facilitant l'entente douanière entre la 
Rhénanie et la France, nous diminuerons la rivalité 
économique qui existait entre les deux pays : le 
développement de leurs relations commerciales est 
le meilleur facteur de paix. 

1. Les TApports économiques de U France et de l' Allemagne^ 
par M. G. Ghabrun, député, dans France etMonde^ 15 juin 1921. 
« Les industriels ont un rôle à remplir, c'est une sorte de 
fonction publique qu'ils exercent. » 



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CONCLUSION 



Edouard VII avait dit : « La frontière de l'An- 
gleterre est sur le Rhin ». M. Lloyd George a ré- 
pété un certain jour : 4c La ligne Hindenburg doit 
être tracée sur le Rhin ». Le grand roi et l'homme 
d'Etat anglais reconnaissaient la nécessité de créer 
là des défensed puissantes pour protéger la liberté 
de la France et de TEurope. Toutes les pages qui 
précèdent ont cherché à montrer quelle importance 
avait, pour notre pays, cette défense du Rhin. 

Dès les premiers temps de la Gaule et de Rome, 
c^est sur le Rhin que les invasions barbares ont été 
brisées. Le grand fossé protecteur a joué son rôle 
défensif, et le limes germanicus en protégeait les 
avancées et les principaux points de passage. Si, à 
la destruction de l'Empire de Charlemagne, la Lo- 
tharingie fut séparée du royaume franc, et si les 
limites de ce royaume furent éloignées du grand 
fleuve, toute la politique de nos rois tendit à recons- 
tituer cette barrière nécessaire. Les destins de la 
guerre leur ayant refusé la limite militaire du Rhin, 
ils s'efforcèrent, par une diplomatie avisée, de cons* 
tituer, entre le fleuve et leur royaume, une zone 
de protection, un « Etat-tampon >. Des traités de 
garantie, des conventions militaires imposaient aux 

Setits princes rhénans le quasi protectorat de la 
'rance. D'ailleurs, Louis XIV, aidé de Louvois et 



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374 LE HHIN ET LA FHÂNCE 

de Vauban, organisa, dans ce but, tout un système 
défensif» avec des points d'appui, des places fortes 

3ui faisaient presque du Rhin la frontière militaire 
e la France* Il était jusqu'à présent, de par la na- 
ture, un fleuve frontière, un fossé transversal ; il 
devint une vraie rauraille. Puis ce fut le souffle 
libérateur de la Révolution, et nos grands ancê- 
tres, reprenant la tradition, convaincus que la 
France devait atteindre, dans VEst, ses limites na- 
turelles pour continuer, en toute liberté, sa mis- 
sion civilisatrice, accomplirent le rêve séculaire* 
Contre les ambitions p^ermaniques^la Confédération 
du Rhin, réalisant le vieux projet de Louis XIV et 
de Mazarin, protégeait notre frontière < Le Rhin était 
français, il le serait resté si des ambitions trop 
vastes ne nous l'avaient fait perdre* Notre politique 
de sécurité, vieille de plusieurs générations, devait, 
pour durer, rester modérée dans ses conceptions 
comme dans ses applications ; elle avait dépassé 
ses limites ; elle y fut ramenée par une de ces 
grandes catastrophes qui, à toutes les époques de 
rhistoire, ont renversé les empires dont la sagesse 
n'avait pas su niainlenir ce juste équilibre, sauve- 
garde et garantie de Tindépendance des Etats, 

Cette politique française en pays rhénans, expo* 
sée tout au cours de cet ouvrage, n'est pas un 
simple souvenir; les traces qu'elle a laissées ne 

Îïeuvent être méconnues. La vraie politique est 
'œuvre des générations qui se transmettent un 
dessein et qui marchent sans en dévier à sa réali- 
sation. 

Peuplées à Tôrigine de Celtes beaucotip plus 
latinisés que germanisés, les provinces du Rhin ont 
vécu de leur vie propre, pendant la plus grande 
partie de leur histoire. Elles n'avSiieilt pas de pa- 



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GONGLUdIOM 37A 

trie, elles ne connaissaient du Saint-Empire que 
les fastes du couronnement : elles acceptaient les 
bienfaits de la culture française, s'adaptaient à nos 
mœurs, qui s^imposaient alors aux Cours et à toute 
la civilisation raffinée. En 1793, elles acclamèrent 
la France, recevant d'elle une vie nouvelle, jouis- 
sant des faveurs de la liberté, qui venait de ren- 
verser les abus, bénéGciant d'une administration 
sage et tolérante. 

Après Athènes et Home, la France a été la na- 
tion civilisatrice, elle a lancé, à travers le monde^ 
les grandes idées d'affranchissement des peuples, 
àon nom même, dans les idiomes du Nord, n'a- 
t-il pas pour radical le mot de « Liberté »? Toutes 
les nations prédestinées ont porté ainsi, jusque dans 
leur nom, le sentiment de leur personnalité et de 
leur rôle. Après 1815, les populations rhénanes 
subirent avec impatience le joug que le Congrès 
de Vienne leur imposait, et la Prusse fut détestée 
au delà du Rhin. « Séparons-nous de Berlin », tel 
était le cri de tout véritable Hhénan. Les popula- 
tions se tournaient vers la France pour se sous- 
traire à une discipline trop lourde. Elles savaient 
tout ce qu'elles devaient à leur passé historique, à 
l'antique civilisation gallo-latine. Les libertés ger- 
maniques étaient nées sur le Rhin, grâce à la France ; 
elles y avaient reçu leur consécration ; elles avaient 
été protégées par la France en 1648, en 1795, en 
1806. Est-ce Berlin, simple amalgame de Germains, 
de Slaves et d'Orientaux, qui doit donner le ton à 
toute TAllemagne ? L'œuvre artificielle de Bismarck 
n^avait pas su acquérir la cohésion nécessaire; seule 
une prospérité économique inouïe avait pu donner 
une impression factice de fusion et d'unité. Et* les 
mêmes questions qui se posaient, à la veille de la 
guefre de 1870, reparurent après l'armistice de 



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376 LE RIÎTN ET LA FRANCE 

1918. Les idées sont des puissances, elles travaillent 
sourdement, elles font leur chemin dans l'ombre. 
La France n'a pu atteindre le Rhin que dans 
Tune de ses parties ; elle occupe temporairement les 
provinces rhénanes ; elle recouvre simplement TAI- 
sace-Lorraine, aussi sa frontière militaire, est-elle 
la même que celle qui ne l'a point protégée en 1870 
et en 1914. 

Que faut-il penser de la situation nouvelle de la 
France sur le Rhin ? Il y aurait des rapprochements 
historiques intéressants à faire entre les événe- 
ments du siècle dernier et ceux d'aujourd'hui. 
Quand la France vaincue a mis bas les armes, en 
1815 et en 1871, et a signé un traité de paix, une 
fois à Paris, l'autre fois à l'hôtel Schwan, à Franc- 
fort, on a écrit — et Gambetta fut même un 
des grands partisans de cette thèse — que l'on 
pouvait continuer la lutte. En 1815, les armées 
pouvaient se reformer sur la Loire, et en 1871, 
dans les régions de l'Ouest difficilement accessibles. 
C'était une stratégie désespérée, mais c'était une 
stratégie. La France n'était pas entièrement privée 
de tous ses moyens de défense. Il y eut des pour- 
parlers, une action du Parlement qui se pronon- 
çait ; les Français n'étaient pas réduits à merci, ils 
étaient résignés, mais non pas abattus. Les Alle- 
mands ont, en 1918, capitulé, se livrant au vain- 
queur, prêts à accepter toutes ses conditions, 
étonnés qu'on ne leur demandât pas davantage, 
précipitant, d'accord avec le président Wilson, la 
signature de la paix pour sauver l'existence même 
de TEtat. N'était-ce pas à ce moment qu'une action 
énergique du gouvernement et de l'opinion devait 
se manifester ? A-t-on pris les mesures nécessaires 
pour arrêter toute menace sur le Rhin et tout em- 



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CONCLUSION 377 

piètement de la puissance allemande, pour amener 
une paix durable? D^autres solutions ont été adop- 
tées... 

Deux grands pays, reconnaissons-le, ne peuvent 
vivre perpétuellement en conflit. Entre eux doit 
régner la paix, qui est la situation normale des 
peuples. Une politique de tracasseries incessantes 
et mesquines serait dangereuse et mènerait inévita- 
blement à un conflit. On a cru, pendant la guerre, 
qu'une fois les hostilités terminées, on ferait de 
Texclusivisme économique, oubliant que, dans ce 
siècle, les Etats ne peuvent vivre indépendants les 
uns des autres et que des relations normales, qui 
ne peuvent exister sans Tétat de paix, sont néces- 
saires à leur prospérité. La France et l'Allemagne 
ne sauraient rester isolées, et une époque viendra 
où leur politique aura de plus en plus des points 
de contacts communs. Tout en imposant nos con- 
ditions à TAUemagne, il faut la laisser vivre. Si du 
reste nous voulons — et la chose est essentielle 
— qu'elle nous paie, nous avons un intérêt évident 
à faciliter son développement économique, sans 
oublier que plus elle sera riche, plus elle voudra 
se soustraire à ses obligations. Nous devrons con- 
server des garanties et des gages à Tappui de notre 
créance, préparer, s'il était nécessaire,!' exploitation 
de ses richesses immobilières incommensurables, 
car ses capitaux ne sufflraient pas à payer les 
dommages causés : problème inflniment délicat et 
complexe. 

Ici, comme élément de solution, intervient la 
question du Rhin, et la France a intérêt à avoir 
une politique rhénane. La politique à suivre demande 
du doigté et du tact. Politique de prestige et de 
dignité d'abord. Nous devons alflrmer, aux yeux du 
Reich, nos droits de puissance occupante. Il ne 



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3î8' LE HHïN ET tl FftABCE 

faut pas que des journaux, des associations, des 
groupemeots quelconques exercent one propagande 
ouverte ou occulte contre la France et son armée^ 
et de sages mesures ont déjà été priëes pour les 
interdire. Il ne faut pas également que les inibistres 
du Reich viennent, en territoire rhénan, prononcer, 
contre nos Alliés et nous, dés discours tels que jadis 
MM.de Bismarck oti de Manteuffel ne les auraient 
pas tolérés. Et il ne faut pas également que des 
fonctionnaires prussiens trop zélés entravent notre 
action, cherchent à exciter les populations contre 
nous. Leià Alliés — puisque rien ne peut être fait 
sans eux en Rhénsinie — ont heureusement permis 
que des expulsions soient faites. Ils devraient aller 
plus loin et décider que tous les fonctionnaires en 
Rhénanie seraient rhénans. C*est la mesure qu'ap- 
pliqua Napoléon P*. Comme nous l'avons vu, il se 
garda bien de ne nommer dans les quatre départe- 
ments français que des Français. Nous répondrions 
ainsi, du reste, aux vœux maintes fois affirmés Aei 
populations. 

Nous devons, en outre, suivre en Rhénanie 
une politique de conciliation et de rapprochement, 
telle que l'a si bien comprise et pr'atiquée le Haut 
Commissariat. Nous occupons ces territoires à titre 
de garantie, et, si les Allemands ne s'acquittent pas 
de leur dette envets nous, il ne saurait être question 
de les évacuer. Mais il est vrai également qu'il y a 
là des sympathies marquées pour la France ; cer- 
tains désirent de plus en plus nouer avec elle des 
relations étroites ; il faut s'efforcer de développer 
ces relations. 11 faut que les Rhénans, peu à peu, 
conçoivent un idéal politique et social qui le^ dé- 
tourne dû germanisme autoritaire, botté et casqué 
de là PruSse, etles rapproche de la civilisation latme 
et gauloise, démocratique et libérale, dont ils sont 



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CONCLUSION 379 

les héritiers. Il faut faire connaître la France aux 
Rhénans, leur bien montrer qu'elle n'a aucune visée 
impérialiste. Or, notre occupation pèse sur les po- 
pulations qui nous sont le moins hostiles et qui ont 
toujours redouté le joug prussien. Peut-on nier 
qu'il y a et qu'il y a eu en Rhénanie une volonté, 
maintes fois affirmée, de se séparer de la Prusse, 
de se libérer dû despotisme prussien ? Les Français 
plaisent par leurs idées libérales, paY leurs manières 
plus toléraîites et plus douces, par leur laisser- 
aller, qui n'a rien du rigorisme abhorré et assure 
cependant l'exécution des ordres. Ce n'est pas une 
occupation de la Rhénanie, mais de la Prusse, qu'il 
aurait fallu ; nous eussions été plus aisément payés, 
en prenant Berlin à la gorge au lieu de nous con- 
tenter de renverser un trône. Nous devons donc 
rendre notre occupation de plus en plus légère au 
point de vue militaire, diminuer les charges pesantes 
des réquisitions. Les offîrjiers et sous-officiers ne 
devraient être logés qu'à titre exceptionnel chez 
l'habitant ; ils devraient recevoir des ordres sévères 
pour éviter, à Tégard des populations, des vexa- 
tions inutiles ; c'est un enseignement à leur donner, 
imité comme nous l'avons montré, de ce qui a été 
fait, il y a un siècle^ car il ne s'agit pas, dans Texer- 
cice de nos droits d'occupants, de rendre les Rhé- 
nans responsables de toutes les déprédations ni des 
ravages commis dans le Nord de la France. Il faut 
donner l'impression que la France magnanime ne 
les considère pas avec la même défiance que les 
populations du reste de l'Allemagne. Là, plus 
qu ailleurs, il faut une politique d'habileté et de tact 

2ui a été jusqu'ici celle du président de la Haute 
lommission, M. Tirard. Il y a, en effet, deux choses 
difficiles à concilier, d'une part le respect dû au dra- 
peau français, d'autre part la nécessité d'exercer nos 



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380 LE RHIN ET hk FRANCE 

droits avec modération, si nous voulons que les 
moins responsables ne paient pas pour les coupables, 
et que notre influence se conserve dans ces pays, 
où eUe s'est si longtemps exercée. 

11 faut encore développer dans ces contrées, riches 

Sar leur culture, leur industrie, leur commerce, 
es relations économiques qui sont un gage de paix. 
Nous avons marqué avec soin combien il était facile, 
avec l'adoucissement, sinon la suppression des bar- 
rières douanières et l'établissement de tarifs préfé- 
rentiels, de faire bénéficier les Rhénans de notre 
activité commerciale, et de profiter à notre tour de 
leur richesse sans cesse accrue. L'adjonction à la 
France de la puissance économique des provinces 
rhénanes, à l'heure où notre industrie nationale, 
ruinée par la guerre, se trouve en concurrence, sur 
le marché mondial, avec des industries florissantes, 
lui fournirait une aide puissante et immédiate. Des 
intérêts particuliers en seront lésés, c'est vrai ; ils 
protesteront, on cherchera à les satisfaire, mais en 
tenant compte avant tout de l'intérêt général. Il 
faut d'abord enrichir la France ; le marché intérieur 
français ne peut se suffire à lui-même. Dans quel- 
ques années, toutes les places seront prises à l'ex- 
térieur, et notre protectionnisme outrancier aura 
nui à notre essor économique futur. Si l'on allie les 
intérêts rhénans aux intérêts des industriels du Nord 
sinistré, afin de faire absorber par le marché fran- 
çais la production rhénane, on permettra à notre 
production d'être jetée sur les marchés extérieurs, 
et notre change sera grandement favorisé *. Il faut 
donc en quelque sorte préparer une adaptation éco- 

1. Ces prestations en nature sont précisément prévues par 
l'accord signé le 6 octobre entre MM. Loucheur et Rathenau. 
V. également à ce sujet les articles du Traité de Versailles 
(Réparations : Annexe IV). 



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CONCLUSION 381 

nomique de la Rhénaniei 11 faut permettre des en- 
tentes séparées entre industriels et commerçants 
français et allemands, notamment pour le charbon 
et d^autres produits ; elles seraient extrêmement 
utiles au relèvement des régions dévastées. Pour- 
quoi ne pas utiliser, par exemple, les énormes res- 
sources des métallurgistes allemands avec des con- 
trats fixés sur des bases de bénéfices normales pour 
la France, alors que nous achetons actuellement 
notre machinerie sur les marchés anglais et améri- 
cains à des taux de change fantastiques ? En outre, 
il serait nécessaire, si les Rhénans le demandaient, 
qu'il y eût un abaissement notable, sinon une sup- 
pression des droits de douane entre la Rhénanie et 
la France. Ces mesures seraient une application de 
Tarticle 270 du Traité de Versailles. Voilà déjà les 
débuts de toute une politique économique. 

Il est d'autant plus essentiel de protéger les 
populations rhénanes que nous avons un intérêt 
évident à nous les attacher pour faire régner sur le 
Rhin une politique de paix, une politique de soli- 
darité, d'harmonie des intérêts, préférable à une 
politique de contrainte et de coercition. On a parlé 
d'Etat indépendant, d' « Etat-tampon », de Répu- 
blique rhénane. 11 est certain que, malgré une prus- 
sianisation intense, le caractère original des popula- 
tions subsiste en Rhénanie. En Alsace- Lorraine éga- 
lement, la Prusse n'avait pu Teffacer. Le mouvement 
fédéraliste a son origine dans l'antique esprit par- 
ticulariste des Etats allemands. Il veut soustraire 
l'Allemagne à Thégémonie de la Prusse, à son 
esprit et à ses méthodes. Il estseutenu par les popu- 
lations catholiques et paysannes du Sud et de 
rOuest, pour qui la Prusse symbolise la persécu- 
tion religieuse et l'administration impitoyable. Une 
partie du Centre est acquise à ce mouvement, qui a 



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382 LE RHIN ET LA FRANCE 

fait des recrues dans d'autres groupements poli- 
tiques, d'abord, chez certains socialistes, où la 
menace d'une réaction monarchiste a diminué l'en- 
thousiasme pour le principe unitaire, et dans le 
moqde de la banque et de la grande industrie, où 
la crise économique et la crainte d une nouvelle 
révolution ont fait évoluer les esprits en sa faveur. 
C'est la Prusse qui, par la conquête, a brisé ce par- 
ticularisme historique, et la Hhénanie est rentrée 
dans Funité allemande comme TAlsace-Lorraine, 
qui en était le ciment. Cette unité a été en partie 
atteinte lors du retour de nos provinces perdues, 
mais sur le Rhin elle a continué d'exister. 

Aujourd'hui, que désire le peuple rhénan ? Plus 
de liberté, certes, mais sera-ce suffisant ? Veut-il 
disposer de ses destinées ? Veut-il reprendre son 
rôle historique, retrouver une personnalité natio- 
nale ? Certains l'affirment et disent que la politique 
française, en ne soutenant pas les Rhénans dans 
leurs aspirations, leur ont causé de cruelles désillu- 
sions. Nous avons noté ce grave débat et montré 
les thèses en présence, les événements diront qui 
avait raison. Il est certain que, moins la Prusse 
sera forte sur le Rhin, plus les Rhénans se rap- 
procheront de la France, plus les chances de guerre 
seront diminuées. Avec une Rhénanie hostile, 
séparée de sa politique, la Prusse ne serait guère 
tentée de risquer une nouvelle aventure militaire, 
et rinfiiuence de la Rhénanie pourrait s'exercer à 
Berlin dans un sens modérateur. Les Rbénans ont 
une antique mission : servir au rapprochement des 
deux plus grandes nations de F Europe continen- 
tale. Ils peuvent apporter à T Europe le gage d'une 
longue paix. Puisque le Traité n'a pçis donné à la 
France sa vraie frontière militaire, il est d'au- 
tant plus nécessaire d'interposer la Rhénanie ea- 



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CONCLUSION 383 

tre une Allemagne agressive et une France qui veut 
rester pacifique. 

C'est ainsi que la question rhénane est un élé- 
ment essentiel de la question allemande, Tune ne 
peut être résolue sans Tautre. L'avenir de la France, 
comme à toute les époques de sa brillante his- 
toire, époques de paix ou époques de guerre, est 
encore sur le Rhin. Le Rhin, a-t-on dit, est pour 
elle une garantie nécessaire. Comment, dans un 
espace d'un demi-siècle, alors que la situation de 
rÉurope et du monde se sera profondément modi- 
fiée, obliger TAUemagne à exécuter toutes les clau- 
ses du Traité de paix ? 

Tell^ est la politique à suivre en Rhénanie, et 
qui peut durer bien au delà du terme fixé pour l'oc- 
cupation. Faut-il perdre nos forces en regrets super- 
flus, vivre dans la stagnation, qui est le pire des 
maux, et qui fait de nous le jouet des événements ? 
Tout évolue en ce monde, les idées, les préjugés, 
les intérêts. Certes, après l'armistice, on aurait pu 
avoir une conception différente de la paix, qui 
aurait entraîné une autre attitude et d^autres solu- 
tions, mais cette paix a été un compromis entre 
les Alliés, séparés par des théories, par un passé, 
par des ambitions différentes, qui devaient, cepen- 
dant demeurer unis après la guerre. Elle est une 
œuvre collective, signifiant, au nom des Alliés, un 
certain nombre d^obligations à l'Allemagne vaincue 
et elle en a tous les défauts.... 

Pouvions-nous, à l'égard de cette Allemagne, 
adopter une autre politique et faire une autre paix ? 
Sans doute, mais il fallait que les choses fussent 
autres, que les idées w^ilsonniennes ne fqssent pas 
adoptées aveuglément par les Alliés, ou que Tar- 
mistice réglât différemment la situation de TAl- 



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384 LE RfllK ET LA FRANGE 

lema^ne. Et puis, le Traité étant ratifié par les 
parlements» accepté par TAlleniagiie, il fallait Tap- 
pliquer, puisqu'on a très justement dit qu'il était 
une « création continue ». Quelle en a été jusqu'ici 
Tapplication ? L'historien s'arrête tremblant au 
seuil de tant de problèmes, s'U veut faire équita- 
ble ment la part des choses, et il hésite avant de 
juger. La vie d'un peuple est un perpétuel devenir. 
C'est demain, seul, qui pourra apprécier certains 
actes et certaines idées. 

Il se peut, k mesure que les faits se succéderont 
les uns aux autres et deviendront un enseignement, 
que rhistoire soit sévère pour les tractations de 
Versailles ou pour certaines applications du Traité, 
mais elle devra impartialement reconnaître que 
la France n'a pas mérité le reproche d^impéria- 
lis me qu'on lui a adressé. Certaines manifestations 
annexionnistes, toutes individuelles, ne sont pas 
Fœuvre du pays, ni de son gouvernement. Les faits 
sont là, ils protestent d'eux-mêmes. Impérialiste? 
ce pays qui a échangée des revendications séculaires 
sur le Rhin et dans la Sarre contre une occupation 
temporaire et une alliance qu'on s'empressait de 
ne pas signer I Impérialiste ? ce pays qui a laissé 
priver la Pologne du débouché maritime qu'on lui 
avait promis, puisqu'elle n'obtient, comme accès k 
la mer, qu'un étroit couloir d'une extrême fragilité^ 
enserré par la Prusse comme dans un étau ? Impé- 
rialiste ? ce pays qui a abandonné à ses Alliés les 
plus belles colonies allemandes et à l'Angleterre la 
llotte de son plus grand ennemi, qui a abdiqué cer- 
taines de ses revendications en Syrie et en Pales- 
tine, qui a laissé dépecer son ancienne alliée^ la 
Turquie ? 

La France pouvait-elle exiger davantage, de- 
mander que Ton brisât Tunité allemande déjà 



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CONCLUSION 385 

atteinte par la rétrocession de TAIsace-Lorraine ? 
Y avait-il vraiment une volonté populaire qui 
s'y opposât ? € N'aurions-nous pas trouvé dans 
une constitution fédérative un peu plus de sécu- 
rité que dans un Reich centralisé ?» Et ne pou- 
vait-on «tenter un morcellement de l'Allemagne » ? 
Les AUiés s'y sont refusés. Ni le Président Wil- 
son, ni M. Lloyd George et ses ministres, ne vou- 
laient « s'immiscer » dans les affaires intérieures 
de l'Allemagne, sauf en ce qui concernait les ques- 
tions dynastiques qui leur tenaient à cœur. Ils 
reculaient même devant une simple autonomie de 
la Rhénanie, qui aurait trop affaibli FAllemagne. 
Si les garanties que nous devions obtenir contre 
une Allemagne restée forte et unitaire sont insuf- 
fisantes, si le Traité de Versailles, comme bien des 
traités, au cours des siècles, n'a pas stabilisé la 
situation de l'Europe et engendre de nouvelles 
guerres, que la responsabilité en retombe sur les 
Alliés^ mais non sur la France I Elle n'a point bvl 
de visées ambitieuses ; elle a limité ses revendica- 
tions ; elle est restée, en 1919, le soldat de l'idéal 
et du droit I 

1*' novembre 1921. 



25 



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